Mot «Que» [57419 fréquence]


01-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome I-Les Controverses.html
  A001000022 

 Que l'Eglise Chrestienne est visible.

  A001000026 

 Article V. Que l'Eglise n'a jamais esté dissipëe ni cachëe.

  A001000053 

 Que les reformateurs prætendus ont violé la Sainte Escriture première Règle de nostre foi 71.

  A001000058 

 Article V. Seconde violation des Escritures par la regle que les reformeurs produisent pour discerner les Livres sacrés d'avec les autres, et de quelques menus retranchemens d'iceux qui s'en ensuivent.

  A001000065 

 Chapitre II. Que l'Eglise des prætenduz a violé les Traditions Apostoliques, 2 e Règle de la foy chrestienne 91.

  A001000066 

 Que c'est que nous entendons par Tradition Apostolique.

  A001000068 

 Chapitre III. Que les Ministres ont violé l'authorité de l'Eglise, 3 e Règle de nostre foy.

  A001000069 

 Que nous avons besoin de quelqu'autre Regle, outre la Parole de Dieu.

  A001000070 

 Article II. Que l'Eglise est une Regle infallible pour nostre foy.

  A001000071 

 Chapitre IV. Que les Ministres ont violé l'authorité des Conciles, 4 e Règle de nostre foy.

  A001000077 

 Chapitre VI. Que les Ministres ont violé l'Autorité du Pape, 6 e Règle de notre Foi 106.

  A001000086 

 Article IX. Que saint Pierre a eu des successeurs au vicariat general de Nostre Seigneur.

  A001000088 

 Article XI. Que l'Evesque de Rome est vray successeur de saint Pierre et chef de l'Eglise militante.

  A001000090 

 Article XIII. Confirmation de tout ce que dessus par les noms que l'ancienneté a donnés au Pape.

  A001000093 

 Chapitre VII. Que les Ministres ont violé l'Autorité des Miracles, 7 e Règle de notre Foi 145.

  A001000096 

 Chapitre VIII. Que les Ministres ont violé la Raison naturelle, 8 e Règle de notre Foi 150.

  A001000099 

 Article III. Que l'analogie de la foy ne peut servir de regle aux Ministres pour establir leur doctrine 152.

  A001000114 

 Article VI. De quelques lieux de l'Escriture par lesquelz il est prouvé que quelques pechés peuvent estre pardonnés en l'autre monde.

  A001000132 

 Ayant continué quelque piece de tems la prædication de la parole de Dieu en vostre ville, sans avoyr esté ouÿ des vostres que rarement, par pieces et a la desrobbëe, pour ne laysser rien en arriere de mon costé, je me suys mis a reduyre en escrit quelques principales raysons, que j'ay choysi pour la plus part des sermons et traittés que j'ay faict cy devant a vive voix pour la defence de la foy de l'Eglise.

  A001000132 

 J'eusse bien desiré d'estr'ouÿ, aussy bien que les accusateurs, car les parolles en bouche sont vives, en papier elles sont mortes: « La [1] vive voix, » dict saint Hierosme, « a je ne sçay quelle secrette vigueur, et le coup est bien plus justement porté dans le cœur par la vive parolle que par l'escrit.

  A001000133 

 Elle contentera ceux qui, pour toute responce aux raysons que j'apporte, dient quilz les voudroyent bien voir devant quelque ministre, et leur semble que la seule presence de l'adversaire les feroit chanceler, paslir, transir, et leur osteroit toute contenance: car maintenant ilz les y pourront conduyre.

  A001000133 

 Elle portera chez vous ce que vous ne voules pas prendre chez nous en l'assemblëe.

  A001000133 

 L'escrit se laysse mieux manier, il donne plus de loysir a la consideration que la voix, [2] on y peut penser plus creusement.

  A001000133 

 On verra par la que si je desavoüe mill'impietés qu'on impos'aux Catholiques, ce n'est pas pour m'eschapper de la meslëe, comme quelques uns ont dict, mais pour suyvre la sainte intention de l'Eglise: puysque je le metz en escrit a la veüe de chacun, et sous la censure des superieurs, asseuré que je suys quilz y trouveront beaucoup d'ignorance, mays non point, Dieu aydant, d'irreligion et contrarieté aux declarations de l'Eglise Romaine.

  A001000134 

 Il faut extremement bien sçavoir pour bien escrire; les espritz mediocres se doivent contenter du dire, ou l'action, la voix, la contenance, baillent lustr'a la parole; le mien qui est des moindres, ou, a tout rompre, de la plus basse marche des mediocres, ne peut pas reussir en cest exercice: aussy ni eusse pas pensé, si un gentilhomme grave et judicieux ne m'en eust sommé et donné le courage, ce que despuys plusieurs de mes principaux amis ont trouvé bon, l'advis desquelz je prise tant, que le mien n'a du tout point de creance vers moy qu'a faute d'autre..

  A001000134 

 Si faut il toutefois que je proteste, pour la descharge de ma conscience, que toutes ces considerations ne m'eussent jamais mis en resolution d'escrire; c'est un mestier juré, qui appartient aux doctes et plus polys entendemens.

  A001000135 

 Et pour vray je croyois que, comme vous ne receves point de loy pour vostre creance que de l'interpretation de l'Escriture qui vous semble la meilleure, vous voudries encor ouÿr celle que j'y apporterois, c'est a dire, de l'Eglise Apostolique Romaine, laquelle vous n'aves jamais veüe cy devant que barbouillee, toute desfiguree et contrefaitte par l'ennemy, qui sçavoit bien que si vous l'eussies veüe en sa pureté vous ne l'eussies jamais abandonnëe.

  A001000135 

 Et puys bien dire, que je ne recueilleray jamais commandement avec plus de courage que je fis celuyla que Monseigneur le Reverendissime nostr'Evesque me fit, quand il m'ordonna, suyvant le saint desir de son Altesse dont il me mit en main la lettre, de venir icy pour vous apporter la sainte Parolle de Dieu: aussy ne pensois je de vous pouvoir jamais faire plus grand service.

  A001000135 

 J'ay donq mis icy quelques principales raysons de la foy Catholique, qui monstrent clairement que tous ceux sont en faute qui demeurent separés de l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine.

  A001000135 

 Or je les vous addresse et presente de bon cœur, esperant que les occasions [4] qui vous destournent de m'ouÿr, n'auront point de force pour vous empecher de lire cest escrit, vous asseurant, au reste, que vous ne lires jamais escrit qui vous soit donné par homme plus affectionné a vostre service spirituel que je suys.

  A001000135 

 [5] Le tems est mauvais, l'Evangile de paix peut a grand peyn'estre receu parmi tant de soupçons de guerre: si, ne me pers je pas de courage; les fruictz un peu tardifz se conservent beaucoup mieux que les printaniers; j'espere que si une fois Nostre Seigneur crie a vos oreilles son saint Epheta, ceste tardiveté reussira en beaucoup plus de fermeté..

  A001000136 

 Mays sur tout je vous prie, que vous ne layssies jamais entrer en vos espritz autre passion que celle de nostre Sauveur et Maistre Jesuchrist, par laquelle nous avons estés tous rachetés, et serons sauvés s'il ne tient a nous, puysqu' il desire que tous les hommes soient sauvés, et viennent a cognoissance de la verité.

  A001000136 

 Prenes donques, Messieurs, en bonne part ce present que je vous fais, et lises mes raysons attentivement.

  A001000143 

 .. Je suys neantmoins tres content et trouve bon d'escrire quelques principales raysons que j'ay choysi entre les autres, par lesquelles je vous feray voir a descouvert que vous estes du tout hors du train que les Apostres ont suyvi pour se rendre a la Hierusalem cœleste.

  A001000143 

 Ayant deja continué quelques moys la prædication de la parole de Dieu en vostre ville, sans me voir escouté des vostres que fort rarement, et par pieces, a la desrobbëe, affin de ne laisser rien en arriere de mon costé, je me suys mis a reduyre par escrit une partie des remonstrances et traittés que j'ay faict a vive voix en chaire, pour la defence de la creance ancienne de l'Eglise contre les accusations qu'on vous a si souvent representëes cy devant contre icelle.

  A001000143 

 J'eusse bien desiré que mes raysons eussent esté ouÿes, aussy bien comme les allegations des accusateurs, câr les paroles en bouche sont vives, en papier elles sont mortes: « La vive voix, » dict [1] S t Hierosme, « a je ne sçay quelle secrette vigueur, et le coup est tousjours plus justement assigné dans le cœur par la vive parolle que par l'escriture.

  A001000143 

 » Outre ce que, Comme croyra-lon celuy qu'on n'a point ouy? et comm'ouyra-on sans prædicateur? La foy s'acquiert par l'ouÿe de la parole de Dieu.

  A001000144 

 ..... et monstre au net la pureté de la foy de l'Eglise, en fin, [parce] que je justifie ceste chaste Susanne des faux tesmoignages quon a porté contr'elle, on a dict que je ne suys pas Catholique; on s'est imaginé tant de laydeur et de difformité en la mere, pour..... 5.

  A001000144 

 Dequoy j'ay encores besoin par ce que quelques uns des vostres, quand ilz voyent que je ne parle pas en chaire comm'on introduysoit les Catholiques, disans mille blasphemes contre Dieu, forcés d'advoüer la verité que je preche, pour se flatter disent que je ne parle pas a la papiste.

  A001000144 

 Il asseurera chacun que je ne dis rien a Tonon que je ne veuille bien qu'on sache, si besoin estoit, a Necy et a Rome; dequoy ont besoin d'estr'asseurés ceux qui ne me tiennent pas pour Catholique par ce que je dis: que nos œuvres ne sont pas meritoires sinon entant quelles sont taintes au sang de N. S.; que le cors de N. S. est substantiellement, reellement et veritablement sous les especes de pain et de vin au tres st S. de Sac. de l'Eucharistie, mays non pas charnellement; que les Saints ont un'excellence beaucoup plus grande et de plus eminent calibre que les mortelz mondains, mays quelle n'a point d'autre proportion avec l'excellence divine que de la creature au Createur, du finy a l'infini; et semblables verités: c'est adire, que je presche la doctrine Catholique.

  A001000144 

 L'escrit se laisse mieux manier, il donne plus de loysir a la consideration que ne faict la voix, vous pourres [2] y penser plus creusement.

  A001000144 

 La 1. et principale c'est quelle portera chez vous ce que vous ne voules pas venir prendre chez nous en l'assemblee.

  A001000144 

 On connoistra que si je desavoüe mill'impietés quon impose aux Catholiques, je ne le fays pas pour m'eschapper de la meslëe, comme quelques uns ont pensé, mays pour suivre la sainte intention de l'Eglise: puysque le mettant par escrit je le propose a chacun, et m'en sousmetz a la censure des superieurs, laquelle y trouvera sans doute beaucoup d'ignorance, mays, Dieu aydant, point d'irréligion ou contrarieté aux declarations de l'Eglise Cathol., Ap. et Rom. [3].

  A001000145 

 Il faut extremement bien sçavoir pour bien escrire; les espritz mediocres se doivent contenter du dire, ou l'action, la voix, l'affection et contenance baillent lustr'a l'enseignement; le mien qui est des moindres, ou, a tout rompre, de la plus basse marche des mediocres, ne reussira pas en cest exercice: aussy ny pensois je pas, si un gentilhomme grave et judicieux ne m'en eut sommé et donné courage, a quoy despuys plusieurs de mes principaux amis m'ont poussé; en telles occasions je prise tant le jugement de mes amis que je ne me crois jamais moy mesme qu'a faute d'autre..

  A001000145 

 Mays si faut il que je proteste, pour la descharge de ma conscience, que toutes ces commodités ne m'eussent jamais mis en volonté d'escrire; c'est un mestier juré, qui appartient aux doctes et polys entendemens.

  A001000146 

 .. Je ne m'amuse gueres sur les raysons que vous aves de ne me prester point l'oreille, car j'espere qu'un jour..... [5] Le tems, a ce qu'on dict, vous en empeche, l'Evangile de paix ne pouvant estre receu parmi tant de soupçons de guerre.

  A001000146 

 Et pour vray je croyois que, comme vous n'asujettisses a personne vostre creance, si non a l'interpretation de l'Escriture Sainte qui vous semble la meilleure, vous voudries encores ouÿr celle que j'y apporterois, c'est adire, celle de l'Eglise Cat. Ro., laquelle vous n'aves jamais veüe cy devant que barbouïllëe et defigurëe par les ennemis; car si vous l'eussies veu en sa pureté jamais vous ne l'eussies abandonnëe.

  A001000146 

 Et puys que vous aves esté l'occasion de ceste mienne peyne, j'ay voulu vous l'adresser et præsenter, esperant que les [4] occasions qui vous destournent de m'ouÿr, n'auront point de force pour vous empecher de la lecture de ce discours.

  A001000146 

 J'ay donques escrit certaines raysons, et nompas toutes, qui monstrent clairement que tous ceux qui sont sortis de l'Eglise Catholique sont hors du train que les Apostres ont suyvi pour se rendre en Paradis.

  A001000146 

 Je vous puys bien asseurer, car il est vray, que jamays vous ne lires escrit qui vous soit addressé par homme plus affectionné a vostre service spirituel que je suys; et je puys dire que jamays je ne recueilliray commandement avec plus de courage, que je fis celluyla de M. le R me Ex mo Evesque, quand il m'ordonna, sur le bon playsir de son Altesse de laquell'il me mit la lettre en main, de venir icy pour vous apporter la sainte Parole de Dieu, comme sachant ne vous pouvoir faire plus ni de plus signalé service que celluy la, duquel dépend vostre Paradis.

  A001000146 

 Si, ne me pers je point de courage; les fruictz un peu tardifz se conservent beaucoup mieux que les printaniers; j'espere que si une fois N. S. crie a vos oreilles son saint Epheta, ceste tardiveté reussira en une plus grande fermeté..

  A001000147 

 Prenes donques en bonne part ce prœsent que je vous fais, et lises mes raysons attentivement, sans vous passionner d'autre passion que de celle de N. S., que je prie treshumblement m'assister et a vous en cest affaire; car sans luy ni vous ni moy ne pouvons rien penser de prouffitable.

  A001000160 

 Ceste grande facilité que les hommes ont de se scandaliser, fit dire, ce semble, a Nostre Seigneur, quil estoit impossible que scandale n'advint, ou, comme dict saint Mathieu, i l est necessaire quil arrive des scandales: car, si les hommes prenent occasion de leur mal du sauverain bien mesme, comme se pourroit il faire quil ni eut du scandale au monde ou il y a tant de maux?.

  A001000161 

 Il y a un scandale que nos doctes theologiens appellent [7] actif, et c'est une action mauvaise qui donne occasion de mal faire a autruy, et la personne qui faict ce scandale s'appelle justement scandaleuse.

  A001000161 

 Le premier surpasse le troisiesme en meschanceté, et le second surpasse d'autant plus le premier, quil contient le premier et le second ensemble, estant actif et passif tout ensemble, et que se massacrer et præcipiter soymesme est une cruauté plus desnaturëe que de tuer autruy..

  A001000162 

 Et quand il est dict quil a esté mis a la ruyne de plusieurs, on le doit verifier en l'evenement, qui fut tel que plusieurs s'y sont ruynés, nompas en l'intention de la bonté supreme, qui ne l'avoit envoyé que pour lumiere a la revelation des Gentilz et a la gloire d'Israel.

  A001000162 

 Mays un peu de patience: Nostre Seigneur ne peut estre scandaleux, car tout y est sauverainement bon, ny scandalizable, car il est sauverainement puyssant et sage; comme donques se peut il faire qu'on se scandalize en luy, et quil soit mis a la ruyne de plusieurs? Ce seroit un horrible blaspheme d'attribuer nostre mal a sa Majesté: elle veut que chacun soit sauvé et vienne a connoissance de la verité; elle ne veut qu'aucun perisse; nostre perdition vient de nous, et nostr' ayde de la bonté divine.

  A001000162 

 Nostre Seigneur donques, ni sa sainte Parole, ne nous scandalize point, mays nous nous scandalizons nous mesmes en luy: qui est la propre façon de parler en ce faict, que luy mesme enseigne, disant: Bienheureux qui ne sera point scandalizé en moy.

  A001000162 

 Que sil se trouve des gens qui veuillent dire le contraire, il ne leur restera plus sinon de maudire leur Sauveur par [10] sa propre parolle: Malheur par qui vient le scandale.

  A001000162 

 Toutes ces sortes de scandales abondent au monde, et ne voit on rien si dru que le scandale; c'est principal trafiq du diable, dont Nostre Seigneur disoit: Malheur au monde a cause des scandales.

  A001000163 

 .. Car l'Escriture quilz manient, le voysinage des vrays Chrestiens, les marques quilz voyent en la vraÿe Eglise, leur ostent tout'excuse de mise; de maniere que l'Eglise de laquelle ilz se sont separés leur peut mettre au devant les parolles de son Espoux: Recherches es Escritures esquelles vous penses avoir la vie eternelle, ce sont elles qui rendent tesmoignage de moy; et plus outre: Les œüvres que je fais au nom de mon Pere rendent aussy tesmoignage pour moy.

  A001000163 

 Cestuyci est le principal et sauverain scandale du monde, et qui en comparayson de tous les autres merite seul le nom de scandale; et semble que ce soit quasi tout un quand Nostre Seigneur dict: Il est necessaire que scandales adviennent, et quand saint Pol dict: Il faut quil y aÿe des heresies.

  A001000163 

 Ceux donques qui se scandalizent en elle ont tout le tort et toute la faute; leur scandale n'a point d'autre sujet que leur propre malice, qui les va chatouillant pour les faire rire en leurs iniquités..

  A001000163 

 J'ay dict tout cecy, Messieurs, pour vous faire connoistre d'ou vient ceste grande dissention de volontés au faict de la religion, que nous voyons estre par my ceux qui font profession en bouche du Christianisme.

  A001000163 

 Or ce scandale icy se va diversifiant avec le tems, et comme mouvement violent se va tousjours plus affaiblissant en sa mauvaisetie: car, en ceux qui commencent la division et ceste guerre civile entre les Chrestiens, l'heresie est un scandale purement pris, passif ab intrinseco, et ni a point de mal en l'heresiarque qui ne soit du tout puysé [en] sa volonté, personne ny a part que luy; le scandale des premiers quil desbauche tumbe desja en partage, mais inegalement, car l'heresiarque y a sa part a cause de sa sollicitation, les desbauchés y en ont une, d'autant plus grande quilz ont eu moins d'occasion de le suyvre; puys, l'heresie ayant pris pied, ceux qui naissent parmi les hæretiques de parens hæretiques ont tousjours [11] moins de part a la faute: mays il n'arrive jamais que aux uns et aux autres il ni ayt beaucoup de leur faute, et particulierement en ceux de nostr'aage, qui quasi tous sont en scandale presque purement passif [pris].

  A001000163 

 Or j'ay dict que leur scandale est purement ou presque purement passif..... Car on sçait bien que l'occasion de leur division et escart quilz pretendent avoir, c'est l'erreur, l'ignorance, l'idolatrie, quilz disent estr'en l'Eglise laquelle ilz ont abandonnee; et d'ailleur c'est chose toute certaine que l'Eglise en son cors general ne peut estre scandaleuse et est inscandalisable, comme son Espoux, qui luy communique par grace et assistence particuliere ce qui luy est naturel en proprieté: car en estant le chef il addresse ses pas au droit chemin, l'Eglise c'est son cors mistique, et par ce il prend a soy l'honneur et le mespris qui luy est faict; dont on ne peut dire quelle donne, prenne ou reçoive aucun scandale.

  A001000164 

 Ce que je feray en deux façons: premièrement, par certaines raysons generales; 2, en des exemples particuliers que je proposeray sur les principales [12] difficultés comme par maniere d'essay.

  A001000164 

 Ce traitté semblera peut estre a quelques [uns] un peu trop eschars: cela ne vient pas de ma sicheté mays de ma pauvreté; ma memoire a fort peu de moyens de reserve, ne s'entretient que du jour a la journëe, et je n'ay que fort peu de livres icy d'ou je me puyss'enrichir.

  A001000164 

 Je n'ay pas autre intention que de vous faire voir, Messieurs, que ceste Susanne est accusée a tort, et qu'elle a rayson de se lamenter de tous ceux qui se sont distancés de ses ordonnances, avec les parolles mesmes de son Espoux: Ilz m'ont hayé d'une hayne injuste.

  A001000164 

 Prenes neantmoins a gré je vous prie, Messieurs de Thonon, cest escrit, et quoy que vous en ayes veu plusieurs autres mieux faictz et plus riches, arrestes un peu vostr'entendement sur cestuy ci, que peut estre sera il plus sortable a vostre complexion que les autres; car son air est du tout Savoysien, et l'une des plus prouffitables receptes et derniers remedes c'est le retour a l'air naturel: si cestuyci ne prouffite, on vous en monstrera d'autres plus purs et subtilz.

  A001000164 

 Tant de grans personnages ont escrit en nostre aage, que la posterité n'a quasi plus rien a dire, mays seulement a considerer, apprendre, imiter, admirer: je ne diray donques rien icy de nouveau, et ne voudrois pas fair'autrement; tout est ancien, et ny a presque rien du mien que le fil et l'eguille, le reste ne m'a cousté que le descoudre et recoudre a ma façon, avec cest'advis de Vincent le Lirinois, c. 22.

  A001000164 

 Tout ce que tant de doctes hommes ont escrit tend la et y revient, mays non pas a droit fil, car chacun se propose un chemin particulier a tenir: je tascheray de reduyre toutes les lignes de mon discours a ce point, comm'au centre, le plus justement que je pourray; et la premiere Partie servira quasi egalement pour toutes sortes d'heretiques, la seconde s'addressera plus a ceux a la reunion desquels nous avons plus de devoir.

  A001000164 

 Voyci donques ce que je prætens monstrer en ce petit traitté.

  A001000169 

 Ceste grande facilité de se scandaliser que N. S. connoissoit estr'au monde, luy fit, ce semble, dire ces deux saintes parolles: Il est impossible que scandale n'advienne, ou, comme dict S. Matt., Malheur au monde a cause des scandales, car il est nécessaire quil arrive des scandales; et cest'autre: Bienheureux qui ne sera point scandalizé en moy: car, si les hommes se scandalisent et prennent occasion de leur mal du sauverain bien mesme, comme se pourroit il faire quil ni eut du scandale au monde ou il y a tant de maux?.

  A001000170 

 .. En fin, qui prend le scandale donné, c'est adire, qui a occasion de se scandalizer et le faict, ne peut avoir autr'excuse que celle d'Eve sur le serpent, celle d'Adam sur Eve, que nostre Dieu trouva n'estre pas de mise.

  A001000170 

 .. Et l'un et l'autre, qui donne le scandale et qui le prend, sont tres mauvais, mays qui le prend sans quil luy soit presenté est dautant plus cruel que celuy qui le donne, [que se] precipiter soymesme est crime plus desnaturé que de tuer un autre.

  A001000170 

 Car, quand a ceux qui les donnent, ilz ni ont point d'autre necessité que par la supposition et resolution quilz ont faict eux mesmes de vivre meschamment et vitieusement; ilz pourroyent silz vouloient, par la grâce de Dieu, n'infecter pas ny empunayser le monde des puantes exhalations de leurs pechés, mays estre bonn'odeur en Jesuchrist: le monde neantmoins est tant remply de pecheurs, qu'ores que plusieurs s'amendent et soyent remis en grace, il en demeure tousjours un nombre infiny qui rend tesmoignage qu' il est impossible que scandale n'advienne: malheur, au reste, par qui vient le scandale.

  A001000170 

 Le 2. empire sur le 1., mays le troysiesme empire d'autant plus sur le 2 d, que se massacrer et précipiter soymesme est une cruauté plus desnaturëe que de tuer les autres..

  A001000171 

 Ainsy des lors hurtoit on desja a ceste sainte pierre; mays despuys, qui pourroit raconter ce qu'en dict l'histoire? Tous ceux qui ont abandonné la vraÿe Eglise, sous quel pretexte que ce soit, se sont [11] .........................................................................

  A001000171 

 Ces ouvriers, qui trouvent estrange que le pere de famille donnast autant aux derniers venus comm'aux premiers, dequoy se scandalizent ilz sinon de la bonté, liberalité et bienfaict? comment, dict le bon seigneur, ton œil est il malin de ce que je suys bon? Qui ne voit en ce saint banquet et souper qui fut faict a N. S. en Bethanie, [10] comme Judas prend a contrecœur, et murmure, de voir l'honneur que la devote Magdaleyne faict a son Sauveur; comme la suavité de l'odeur du parfum répandu offence le sentiment de ce punays infame.

  A001000171 

 Les Capharnaites [9] se scandalizent ilz pas a bon escient sur les paroles de Nostre Seigneur, au recit de S t Jan, qu'ilz appellent parolle dure et non recevable? Mays a quel propos? par ce que N. S. est si bon que de les vouloir nourrir de sa chair, par ce quil dict des parolles de vie æternelle; et contre cette douceur ilz se pugnent.

  A001000171 

 Or, combien aye esté en vogue ceste troysiesme façon de scandale jusques a present, le tesmoignage de toutes les histoires ecclesiastiques y est en mille lieux; nous ne trouverons quasi pas tant de traitz pour y remarquer tous les autres vices que pour celuyci seul.

  A001000172 

 Confessons donques que personne d'entre nous autres hommes n'est offencé que de soy mesme; c'est ce que j'entreprens de persuader icy a force de raysons.

  A001000172 

 Essayes un peu, sil vous plait, ce changement; que sil n'allege point vostre mal, encor pourres vous passer ailleurs, en d'autres plus subtilz et apetissans, [13] car il y en a, Dieu mercy, en ce pais, de toutes sortes.

  A001000172 

 Le Filz de Dieu estoit venu pour paix et benediction, et non pas pour malheur aux hommes; sinon que quelque enragé osast rejetter sur Nostre Seig r sa sainte parole: V æ homini illi per quem scandalum veniet, et le voulut condamner par sa loy propre a estre jette en mer la pierr'au col.

  A001000172 

 N. S. estoit vray Sauveur, venu pour esclairer tout homme, et servir de lumiere pour la revelation des Gentilz et la gloire d'Israel; ce pendant Israël en prend l'occasion de son ignominie: voila pas grand malheur? Et quand il est dict quil est mis a la ruyne de plusieurs, il le faut entendre quand a l'evenement, non quand a l'intention de la divine Majesté; comme l'arbre de science du bien et du mal n'avoit rien dequoy apprendre a Adam le bien ni le mal, l'evenement pourtant luy donna ce nom la, par ce qu'Adam, y prenant du fruict, essaya le mal que luy apportoit sa desobeissance.

  A001000172 

 O mon Dieu, mon Sauveur, espures mon esprit, faites couler doucement ceste vostre Parole dans le cœur des lecteurs, comm'une sainte rosëe, pour raffrechir l'ardeur de leurs passions, silz en ont, et ilz verront combien est veritable en vous, et en l'Eglise vostre Sponse, ce que vous en aves dict..

  A001000172 

 Vous y verres des bonnes raysons, et desquelles je me rends evictionnaire, qui vous feront voir clair comme le jour, que vous estes hors du train quil faut tenir pour aller a salut, et que ce n'a pas esté la faute de la sainte guide, mays la faute est de l'avoir abandonnëe.

  A001000179 

 .. Nous pouvons prattiquer si exactement l'enseignement de Plutarque, quon doit retirer utilité de son hayneur, que le peché mesme, nostre capital ennemy et le sauverain mal du monde, nous peut remettr'en connoissance de nous mesmes, en humilité et contrition, et la cheute de l'homme de bien le faict marcher par après plus droit et plus advisé: tant est veritable la parole de S t Pol: Nous sçavons que toutes choses aydent a bien a ceux qui ayment Dieu..

  A001000179 

 .. Nous sçavons, dict S. Pol, que toutes choses servent a bien a ceux qui ayment Dieu.

  A001000179 

 Il ny a rien dont la Saint'Escriture donne plus d'advertissemens, les histoires plus de tesmoignage, nostre sayson plus d'experience, que de la facilité avec laquelle l'homme se scandalise, et laquell'est si grande quil ny a chose, tant bonne soit elle, delaquelle il ne tire quelqu'occasion de sa ruyne: miserabl'a la verité quil est, puys que ayant en toutes choses moyen de retirer prouffit, il les tourne et les prend tout expres au biais de sa perte et malheur.

  A001000180 

 .. Sil ny a que du bien, comment y peut elle trouver le mal? sil ny en a point, comme..... en un sujet d'infinie beauté quon y trouv'a redire, en ceste mer immense de toute bonté quon y trouve du mal, et en la sauveraine felicité l'occasion de son malheur.

  A001000180 

 N'est-ce pas donq une chose estrange, que pouvans proufiter en toutes choses, pour mauvayses quelles soyent, nous convertissions tout a nostre perte? Que si du mal seulement nous prenons le mal, ce ne seroit pas grand [15] merveille, car c'est ce qui s'y presente de prime face; si des choses indifferentes et neutres nous nous servions en mal, la nature n'en seroit pas tant outragee, puysque ce sont armes a toutes mains: et neantmoins la couardise seroit tousjours grande, si, pouvans changer toutes choses en bien, par un'alchimie si aysëe et de si peu de frais, ou une seul'estincelle de charité suffit, nous avions le courage si lasche de demeurer en misere et nous procurer le, mal.

  A001000180 

 Non ja que le peché estant en nous proufite, ou ny estant plus puysse y operer quelque bien, car le peché est mauvais tout au long, mays nous pouvons y faire naistre des occasions de beaucoup de bien, lesquelles il ne produiroit jamais de soymesme: semblables aux abeilles lesquelles vindrent faire leur miel dans la puante caroigne du fier lion que Samson avoit egorgé.

  A001000198 

 Et quilz n'ont point l'efficace de la doctrine, au Catholicam; car non seulement ilz ne sont Catholiques, mays ne le peuvent estre, n'ayant autr'efficace que de gaster le cors de Nostre Seigneur, non de luy acquerir de nouveaux membres..

  A001000199 

 Est il pas plus honnorable de conceder a la puyssance de Jesuchrist le pouvoir faire le S t Sacrement, comme le croit l'Eglise, et a sa bonté le vouloir faire, que non pas le contraire? sans doute que c'est la plus grande gloire de N. S.; et par ce que nostre cerveau ne le peut comprendre, pour seconder nostre cerveau omnes quærunt quæ sua sunt, non quœ Jesu Christi..

  A001000207 

 Pour l'unité d'un chef, il ne faut pas oublier ce que dict S t Cyp., Ep.

  A001000212 

 En la corruption de l'Escriture, il faut y mettre que Pierre Martir, in sua Defensione de Eucharistia, parte tertia, pag. 692, cite 1 Cor. 10.

  A001000213 

 v. 24: Pour ce que nous avons entendu qu'aucuns partis d'entre nous vous ont troublés par aucuns propos, renversans vos ames, ausquelz n'en avions point donné charge. S'ilz eussent donné charge, bien, mais vouloir enseigner sans charge.

  A001000242 

 Eux, donques, sont inexcusables de ce que sans l'authorité du magistrat spirituel ilz ont faicte ceste levëe de bouclier, et vous, de les avoir suyvis..

  A001000242 

 Mays comme pouvies vous croire ces nouvelles si tost, que sans leur faire monstrer leur charge et commission bien authentiquëe, vous commençates de premier abord a ne reconnoistre plus ceste Reyne pour vostre princesse, et a crier par tout que c'estoit un'adultere? Ilz couroyent ça et la semer ces nouvelles, mays qui les en avoit chargés? On ne se peut enrooler sous aucun [22] capitaine sans l'adveü du prince chez lequel on demeure: et comment fustes vous si promps a vous enrooler sous ces premiers ministres, sans sçavoir si vos pasteurs qui estoyent en estre l'advoüeroient? mesme que vous sçavies bien quil vous sortoit hors de l'estat dans lequel vous esties nés et nourry.

  A001000243 

 La mission est donques necessaire; vous ne le nieres pas, si vous ne sçaves quelque chose plus que vos maistres..

  A001000243 

 Vous voyes bien ou je vays battre; c'est sur la faute de mission et de vocation que Luther, Zuingle, Calvin et les autres avoyent: car c'est chose certayne que quicomque veut enseigner et tenir rang de pasteur en l'Eglise, il doit estr'envoÿé.

  A001000244 

 Mays je vous vois venir en trois esquadrons: car, les uns d'entre vous diront quilz ont eu vocation et mission du peuple et magistrat seculier et temporel; les autres de l'Eglise; comment cela? parce, disent ilz, que [24] Luther, Œcolampade, Bucer, Zuingle et autres estoyent prestres de l'Eglise comme les autres; les autres, enfin, qui sont les plus habiles, disent quilz ont estés envoyés de [Dieu] mais extraordinayrement.

  A001000245 

 .. Comme croyrons nous que le peuple, et les princes seculiers, aÿe appellés Calvin, Brence, Luther, pour enseigner la doctrine que jamais il n'avoyt ouÿe? et devant, quand ilz commencerent a prescher et semer ceste doctrine, qui les avoit chargés de ce faire?.. Vous dites que le peuple devot vous a appellés, mays quel peuple? Car, ou il estoit Catholique, ou il ne l'estoit pas: sil estoit Catholique, comme vous eut il appellé et envoÿé præcher ce quil ne croyoit pas? et ceste vocation de quelque bien petite partie du peuple lhors Catholique, comme pouvoit elle contrevenir a tout le reste qui sy opposa? et comme vous pouvoit une partie du peuple donner authorité sur l'autre partie, affin que vous allassies de peuple en peuple distraissant tant que vous pouvies les ames de l'ancienne obeissance? car un peuple ne peut donner l'authorité que sur soymesme.

  A001000245 

 Il eut donq fallu ne point prescher sinon la ou vous esties appellés du peuple, ce que si vous eussies faict, vous n'eussies pas eu tant de suite.

  A001000245 

 Voyons que c'est du premier.

  A001000246 

 Il se faut renger a l'Escriture, en laquelle on ne trouvera jamais que les peuples ayent pouvoir de se donner des pasteurs et prædicateurs..

  A001000246 

 Mays, ne seroit ce pas tout brouiller, de permettr'a chacun de dire ce que bon luy sembleroit? a ce conte chacun seroit envoyé; car il ni a si fol qui ne trouve des compaignons, tesmoins les Tritheites, Anabaptistes, Libertins, Adamites.

  A001000250 

 Car, de faict, qu'est ce se dire prædicateur de la parole de Dieu et pasteur des ames, que se dire ambassadeur et legat de N. S.? selon le dire de l'Apostre, Nous sommes donques ambassadeurs pour Christ.

  A001000250 

 Dites moy, quell'occasion eustes vous de les ouÿr et de les croire, sans avoir aucun'asseurance de leur commission et de l'adveu de N. S. dont ilz se disoyent legatz? C'est en un mot avoir abandonné a credit l'Eglise ancienne en laquelle vous aves esté baptizés, que d'avoir creu aux præcheurs qui n'avoient point de mission legitime du Maistre..

  A001000250 

 Et qu'est ce dire que tout le Christianisme a failly, toute l'Eglise erré, et par tout la verité s'estr'esvanouÿe, sinon dire que N. S. a abandonné son Eglise, a rompu le sacré lien de mariage quil avoit contracté avec elle? Et vouloir mettr'en avant un'Eglise nouvelle, n'est ce pas vouloir bailler a ce sacré et saint Espoux une seconde femme? C'est ce que les ministres prætenduz de l'Eglise ont entrepris, c'est ce dequoy ilz se sont vantés; ceste persuasion estoit le but de leurs presches, de leurs desseins et de leurs escritz.

  A001000250 

 Le grade quilz demandoyent estoit d'Embassadeurs de Jesuchrist N. S.; l'entreprise quilz proposoyent estoit de declairer un divorce juré entre N. S. et l'ancienne Eglise son Espouse, et traitter et passer par paroles de præsent, comme legitimes procureurs, un second et nouveau mariage avec ceste jeune garçe, de meilleure grace, ce disoyent ilz, et mieux advenante que l'autre.

  A001000250 

 Les affaires estoyent de [22] tres grand'importance, car c'estoit le remuement de toute l'Eglise: les personnes qui entreprenoyent, extraordinaires, de basse qualité et privëes; les ordinaires pasteurs, gens de marque et de tresancienne et authentique reputation, qui leur contredisoyent, et protestoyent que ces extraordinaires n'avoyent point charge ni commandement du Maistre.

  A001000251 

 L'immediate mission se faict lhors que Dieu commande luymesme, et baille charge sans l'entremise de l'ordinayre authorité quil a mis es prælatz et pasteurs de l'Eglise, comme fut envoyé S t Pierre, et les Apostres, qui receurent de la [23] propre bouche de N. S. ce commandement: Alles par tout le monde, et præches l'Evangile a toute creature, et celle de Moyse vers Pharao et le peuple d'Israel.

  A001000253 

 Or, silz disent que les magistratz et peuples seculiers les ayent envoyés, ilz auront deux preuves a faire qu'ilz ne feront jamais: l'une que les seculiers l'ayent faict, l'autre quilz l'ayent peu faire; car nous nions et factum et jus faciendi.

  A001000254 

 Ilz trouveront peut estre bien que les peuples ont rendu tesmoignage et assisté aux ordinations, voir'encores que le choix luy a esté permis, comme fut celuy des Diacres, au rapport de S t Luc, que toute la trouppe des disciples fit, mays ilz ne monstreront jamais que les peuples ou princes seculiers ayent l'authorité des missions et de constituer des pasteurs.

  A001000254 

 Jamais ilz ne trouveront que les peuples et princes seculiers ayent pouvoir d'establir et constituer les pasteurs et Evesques en l'Eglise.

  A001000255 

 Ainsy fut ordonné Timothee, et mesmes les sept Diacres, quoy que proposés par le peuple Chrestien, furent ordonnés par l'imposition des mains des Apostres.

  A001000256 

 Quicomque, donques, veut alleguer sa mission, ne la doit pas alleguer du peuple ny des princes seculiers, car Aaron ne fut pas apellé ainsy, et on ne le peut estre autrement que luy..

  A001000257 

 En fin, qui est moindre est beny par le plus grand, comme dict S t Pol: les peuples donques ne peuvent pas envoyer les pasteurs, car les pasteurs sont plus que les brebis, et la mission ne se faict pas sans benediction.

  A001000258 

 Il faut donques que les brebis reçoivent le berger d'ailleurs, nompas qu'elles se le donnent..

  A001000258 

 Je laiss'a part que, comme je prouveray cy apres, l'Eglise est monarchique, et partant appartient au grand Pasteur d'envoyer, non aux peuples.

  A001000259 

 Par ce que le peuple ou le magistrat qui l'apella estoit ou Catholique ou non: s'il estoit Catholique, 1.

  A001000259 

 Que si ilz disent quil n'estoit Catholique, qu'estoit il donques? Il n'estoit [26] pas Lutherien, car on sçait bien que quand Luther commença a precher en Alemaigne il ny avoit point de Lutheriens, et que c'est luy qui en est la source: il n'estoit donq pas de la vraye Eglise, et comme pouvoit il faire mission pour la vraÿe prædication? Ilz n'ont donq point de vocation de ce costé la, sinon quilz ayent recours a l'invisible mission receüe d es principautés, puyssances et gouverneurs du monde de ces tenebres mondaynes, et malices spirituelles, contre lesquelz les bons Catholiques ont tousjours eü la guerre.

  A001000259 

 ou ce peuple et magistrat estoit de la vraye Eglise ou non: s'il estoit de la vraye Eglise, pourquoy est ce que Luther les en leva? l'eussent ilz bien apellé pour estre levés de leur bonne place et de l'Eglise? et silz n'en estoyent pas, comme pouvoyent ilz avoir le droit de mission et de vocation? hors la vraye Eglise il ny peut avoir aucune tell'authorité.

  A001000265 

 Plusieurs, donques, de nostre aage, voyans leur chemin couppé de ce costé la, ilz se sont jettés d'autre de l'autre, et disent que les premiers maistres reformateurs, Luther, Bucer, Œcolampade, ont estés envoyés par les Evesques qui les firent prestres, puys ceux cy ont envoyés les autres suyvans, et vont ainsy enchainant leur mission a celle des Apostres.

  A001000266 

 Mays nous nions formellement que vos ministres en ayent eu aucune communication, pour præcher ce quilz ont præché, parce que:.

  A001000266 

 Nous avouons, donques, que la mission estoit riere nos Evesques, et principalement es mains de leur chef, l'Evesque Romain.

  A001000266 

 On ne peut pas faire sauter ceste mission si haut, que des Apostres elle soit tumbëe entre les mains de prædicateurs de ce tems, sans avoir touché pas un des Anciens et de nos devanciers: il eut fallu une bien longue sarbacane en la bouche des premiers fondateurs de l'Eglise, pour avoir appellé Luther et les autres sans que ceux qui estoyent entre deùx s'en fussent apperceu, ou bien (comme dict Calvin a un'autre occasion et malapropos), que ceux cy eussent eu les oreilles bien grandes: il failloit bien qu'elle fut conservëe entiere, si ceux cy la devoient trouver.

  A001000266 

 Veritablement c'est parler françois et realement, que de confesser que leur mission ne peut estre coulëe des Apostres a leurs ministres, que par la succession de nos Evesques et par l'imposition de leurs mains: la chose est telle sans doute.

  A001000267 

 Comme que ce soit donques, ilz n'ont point eu de mission pour precher ce quilz ont preché: puysque si l'Eglise en laquelle ilz ont estés ordonnés estoit vraye, ilz sont hæretiques d'en estre sortis et d'avoir præché contre sa creance; et si elle n'estoit vraye, elle ne leur pouvoit donner mission..

  A001000269 

 Luther, Œcolampade ou Calvin n'estoyent pas evesques; comme donques pouvoyent ilz communiquer aucune mission a leurs successeurs de la part de l'Eglise Romaine, qui proteste en tout et par tout quil ni a que les Evesques qui puyssent envoyer, et que cela n'appartient aucunement aux simples prestres? en quoy saint Hierosme mesme a mis la difference qui est entre le simple prestre et l'Evesque, en l'epistre ad Evagrium; et saint Augustin et Epiphane mettent Aerius en conte avec les hæretiques par ce quil tenoit le contraire..

  A001000273 

 Ces raysons sont si vives, que les plus asseurés des vostres ont pris party ailleurs qu'en la mission ordinayre, et ont dict quilz estoyent envoyés extraordinairement de Dieu, par ce que la mission ordinaire avoit esté gastëe et abolie, quand et quand la vraÿe Eglise,.. sous la tirannie de l'Antichrist.

  A001000274 

 Comment donques se voudront excuser et relever de ceste preuve pour leur mission ceux qui en nostr'aage en veulent avancer un'extraordinaire? quel privilege ont ilz plus qu'Apostolique et Mosaique? Que diray je plus? Si nostre sauverain Maistre, consubstantiel au Pere, duquel la mission est si authentique qu'elle presuppose [30] la communication de mesm'essence, luy mesme, dis je, qui est la source vive de toute mission Ecclesiastique, n'a pas voulu s'exempter de ceste preuve de miracles, quelle rayson y a il que ces nouveaux ministres soyent creus a leur seule parole? Nostre Seigneur allegue fort souvent sa mission pour mettre sa parole en credit: Comme mon Pere m'a envoyé, je vous envoÿe.

  A001000274 

 Je dis, donques, 1., que personne ne doit alleguer une mission extraordinayre qui ne la prouve par miracles.

  A001000274 

 La mission de saint Jan Baptiste, quoy qu'elle ne fut du tout extraordinaire, ne fut elle pas authentiquëe par sa conception, sa nativité, et mesme par sa vie tant miraculeuse, a laquelle Nostre Seigneur donna si bon tesmoignage? Mays quand aux Apostres, qui ne sçait les miracles quilz faysoyent et le grand nombre d'iceux? leurs mouchoirs, leur ombre servoit a la prompte guerison des malades et a chasser le diable: Par les mains des Apostres estoyent faitz beaucoup de signes et merveilles parmi le peuple: et que ce fut en confirmation de leur prædication, saint Marc le dict tout ouvertement, es dernieres paroles de son Evangile, et saint Pol, aux Hebreux.

  A001000274 

 Mays aussy, pour donner authorité a sa mission, il met en avant ses miracles, ains atteste que, sil n'eust faict des œuvres que nul autre n'a faict parmi les Juifz, ilz n'eussent point eu de peché de ne croire point en luy; et ailleurs il leur dict: Ne croyes vous pas que mon Pere est en moy et moy en mon Pere? au moins croyes le par les œuvres.

  A001000274 

 Moyse fut envoÿé [29] immediatement de Dieu pour gouverner le peuple d'Israel; il voulut sçavoir le nom de l'envoyoit, et quand il eut appris ce nom admirable de Dieu, il demanda des marques et patentes de sa commission: ce que nostre Dieu trouva si bon, quil luy donna la grace de trois sortes de prodiges et merveilles, qui furent comme troys attestations, en trois divers langages, de la charge quil luy donnoit, affin que qui n'entendroit l'une entendit l'autre.

  A001000274 

 Qui sera donc si osé que de se vanter de la mission extraordinayre, sans produyre quand et quand des miracles, il merite d'estre tenu pour imposteur: or est il que ni vos premiers ni derniers ministres n'ont faict aucun miracle: ilz n'ont donq point de mission extraordinaire.

  A001000274 

 Vrayement Moyse monstre bien la necessité de ceste preuve a qui veut parler extraordinairement; car, ayant a demander le don d'eloquence a Dieu, il ne le demande qu'apres avoir le pouvoir des miracles, monstrant quil est plus necessaire d'avoir l'authorité de parler que d'en avoir la promptitude.

  A001000275 

 Et c'est ce que saint Pol enseigne, quand il ne veut que personne s'attribue l'honneur pastoral sinon celuy qui est appelle de Dieu, comm'Aaron: car la vocation d'Aaron fut faitte par l'ordinaire, Moyse, si que Dieu ne mit pas sa sainte parole en la bouche de Aaron immediatement, mays Moyse, auquel Dieu fit ce commandement: Parle a luy, et luy metz mes paroles en sa bouche; et je seray en ta bouche et en la sienne.

  A001000275 

 Et comment? immediatement et mediatement tout ensemble: immediatement, en son Baptesme et en sa Transfiguration, avec ceste voix: Cestuyci est mon Filz bien aymé auquel j'ay pris mon bon playsir, escoutes le; mediatement, par les [33] Prophetes, et sur tout par David es lieux que saint Pol cite a ce propos des Psalmes: Tu es mon Filz, je t'ay engendré aujourdhuy, Tu es prestr'eternellement, selon l'ordre de Melchisedec.

  A001000275 

 Et quoy? Nostre Seigneur est il divisé, ou en luy mesme ou en son cors qui est l'Eglise? Non, pour vray, mays, au contraire, il ni a qu' un Seigneur; lequel a basti son cors mistique avec une belle varieté de membres tres bien agencés, assemblés et serrés comtement, par toutes les joinctures de la sousministration mutuelle; de façon que de vouloir mettr'en l'Eglise ceste division de troupes ordinayres et extraordinaires, c'est la ruyner et perdre.

  A001000275 

 Il faut donques revenir a ce que nous disions, que jamais la vocation extraordinaire n'est legitime quand ell'est desavouëe de l'ordinaire.

  A001000275 

 Je dis, secondement, que jamais aucune mission extraordinaire ne doit estre receüe, estant desadvouëe de l'authorité ordinaire qui est en l'Eglise de Nostre Seigneur.

  A001000275 

 La mission de saint Jan Baptiste ne se peut pas bien dire extraordinaire, parce quil n'enseignoit rien contre l'eglise Mosaique, et par ce quil estoit de la race sacerdotale: si est ce neanmoins que la rareté de sa doctrine fut avouëe par l'ordinayre magistrat de l'eglise Judaique, en la belle legation qui luy fut faicte par les prestres et levites, la teneur de laquelle præsuppose une grande estime et reputation en laquelle il estoit vers eux; et les Phariseens mesmes, qui estoyent assis sur la chaire de Moise, ne venoyent ilz pas communiquer a son baptesme tout ouvertement, [32] sans scrupule? c'estoit bien recevoir sa mission a bon escient.

  A001000275 

 Que si nous considerons les paroles de saint Pol, nous apprendrons mesme, 5.

  A001000275 

 nous sommes obligés d'obeir a nos pasteurs ordinaires sous peyne d'estre publicains et payens; comment donques nous pourrions nous ranger sous autre discipline que la leur? les extraordinaires viendroyent pour neant, puysque nous serions obligés de ne les ouïr pas, en cas, comme j'ay dict, quilz fussent desavoüés des ordinaires.

  A001000275 

 que la vocation des pasteurs et magistratz ecclesiastiques doit estre faite visiblement ou perceptiblement, non par maniere d'enthousiasme et motion secrette: car voyla deux exemples quil propose; d'Aaron, qui fut oint et appellé visiblement, et puys de Nostre Seigneur et Maistre, qui, estant sauverain Pontife et Pasteur de tous les siecles, ne s'est point clarifié soy mesme, c'est a dire, ne s'est point attribué l'honneur de sa sainte prestrise, comme avoit dict saint Pol au paravant, mays a esté illustré par Celuy qui luy a dict: Tu es mon Filz, je t'ay engendré au jourdhuy, et, Tu es prestr'eternellement, selon l'ordre de Melchisedech.

  A001000276 

 Et de vray, si l'extraordinaire devoit abolir l'ordinaire, comment sçaurions nous quand, a qui, et comment, nous nous y devrions ranger? Non, non, l'ordinaire est immortelle pendant que l'Eglise sera ça bas au monde: Les pasteurs et docteurs quil a donnés une fois a l'Eglise doivent avoir perpetuelle succession, pour la consummation des Saintz, jusques a ce que nous nous rencontrions tous en l'unité de la foy, et de la connoissance du Filz de Dieu, en homme parfaict, a la mesure de l'aage entiere de Christ; affin que nous ne soyons plus enfans, flotans et demenés ça et la a tous vens de doctrine, par la piperie des hommes et par leur rusëe seduction.

  A001000276 

 Je dis, 3., que l'authorité de la mission extraordinaire ne destruict jamais l'ordinaire, et n'est donnee jamais pour la renverser: tesmoins tous les Prophetes, qui jamais ne firent autel contr'autel, jamais ne renverserent la prestrise d'Aaron, jamais n'abolirent les constitutions sinagogiques; tesmoin Nostre Seigneur, qui asseure que tout royaume divisé en soymesme sera desolé, et l'une mayson tumbera sur l'autre; tesmoin le respect quil portoit a la chaire de Moyse, la doctrine de laquelle il vouloit estre gardëe.

  A001000276 

 Or la parole de Nostre Seigneur nous oste de toutes ces difficultés, qui a edifié son Eglise sur un si bon fondement, et avec une proportion si bien entendue, que les portes d'enfer ne prævaudront jamais contre elle.

  A001000276 

 Que si jamais elles n'ont prævalu ni prævaudront, la vocation extraordinaire ny est pas necessaire pour l'abolir: car Dieu ne hait rien de ce quil a faict, comment donq aboliroit il l'Eglis'ordinaire pour en faire d'extraordinaires? veu que c'est luy qui a edifié l'ordinaire sur soymesme, et l'a cimentee de son sang propre..

  A001000276 

 Voyla le beau discours que faict saint Pol, pour monstrer que si les docteurs et pasteurs ordinaires n'avoient perpetuelle succession, ains fussent sujetz a l'abrogation des extraordinaires, nous n'aurions aussi qu'une foy.

  A001000276 

 [34] et discipline desordonnee et entrerompue a tous coupz, nous serions sujetz a estre seduictz par les hommes qui a tous propos se vanteroyent de l'extraordinaire vocation, ains, comme les Gentilz, nous cheminerions (comme il insere apres) en la vanité de nos entendemens, un chacun se faysant accroire de sentir la motion extraordinaire du Saint Esprit: dequoy nostre aage fournit tant d'exemples, que c'est une des plus fortes raysons qu'on puysse præsenter en cest'occasion; car, si l'extraordinaire peut lever l'ordinair'administration, a qui en laisserons nous la charge? a Calvin, ou a Luther? a Luther, ou au Pacimontain? au Pacimontain, ou a Blandrate? a Blandrate, ou a Brence? a Brence, ou a la Reyne d'Angleterre? car chacun tirera de son costé ceste couverte de la mission extraordinaire.

  A001000282 

 Je n'ay encor sceu rencontrer parmy vos maistres que deux objections a ce discours que je viens de faire; dont l'une est tirëe de l'exemple de Nostre Seigneur et des Apostres, l'autre, de l'exemple des Prophetes..

  A001000283 

 Au moins ne se devroyent ilz pas exempter de produyre des miracles sur une telle mutation, quoy que vous tiries prætexte de l'Escriture; puysque Nostre Seigneur ne s'en exempta pas, comme j'ay monstré cy dessus, encores que le changement quil faysoit fut puysé de la plus pure source des Escritures.

  A001000283 

 Mays ou me monstreront ilz que l'Eglise doive jamais plus recevoir un'autre forme, ou semblable reformation, que celle qu'y fit Nostre Seigneur?.

  A001000283 

 Mays quand a la premiere, dites moy, je vous prie, [35] trouves vous bon qu'on mette en comparaison la vocation de ces nouveaux ministres avec celle de Nostre Seigneur? Nostre Seigneur avoit il pas esté prophetisé en qualité de Messie? son tems n'avoit il pas esté determiné par Daniel? a-il faict action qui presque ne soit particulierement cottëe es Livres des Prophetes et figurëe es Patriarches? Il a faict changement de bien en mieux de la loy Mosaïque, mays ce changement la n'avoit il pas esté prædit? Il a changé par consequence le sacerdoce Aaronique en celuy de Melchisedech, beaucoup meilleur; tout cela n'est ce pas selon les tesmoignages anciens? Vos ministres n'ont point esté prophetisés en qualité de prædicateurs de la Parole de Dieu, ni le tems de leur venue, ni pas une de leurs actions; ilz ont faict un remuement sur l'Eglise beaucoup plus grand et plus aspre que Nostre Seigneur ne fit sur la Sinagogue, car ilz ont tout osté sans y remettre que certaines ombres, mays de tesmoignages ilz n'en ont point a cest effect.

  A001000284 

 De façon que la vocation des Prophetes ne sert de rien a celle des hæretiques ou schismatiques, car:.

  A001000284 

 Il y en avoyt en Ramatha, en Bethel, en Hiericho ou Elisëe habita, en la montaigne d'Ephraim, en Samarie; Elisëe mesme fut oint par Helie; la vocation de Samuel fut recogneùe et advouëe par le grand Prestre, et en Samuel recommença le Seigneur a s'apparoistre en Silo, comme dict l'Escriture, qui [36] faict que les Juifz tiennent Samuel comme fondateur des congregations prophetiques.

  A001000284 

 On pense que tous ceux qui prophetisoyent exerceassent la charge de la prædication: ce qui n'estoit pas, comm'il appert des sergens de Saul et de Saul mesme.

  A001000284 

 On pense que toutes les vocations des Prophetes ayent esté extraordinayres et immediates: chose fause; car il [y] avoit des colleges et congregations de Prophetes reconneuz et advoüés par la Sinagogue, comme on peut recueillir de plusieurs passages de l'Escriture.

  A001000285 

 Ou ell'estoit ordinaire, comme nous avons monstré cy devant, ou approuvëe du reste de la Sinagogue, comm'il est aysé a voir en ce qu'on les reconnoissoit incontinent, et en faysoit on conte en tous lieux parmi les Juifz, les appellans hommes de Dieu: et a qui regardera de pres l'histoire de cest'ancienne Sinagogue, verra que l'office des prophetes estoit aussy commun entr'eux qu'entre nous des prædicateurs..

  A001000286 

 Isaïe, voulant escrire dans un grand livre qui luy fut monstré, prit Urie prestre, quoy qu'a venir, et Zacharie prophete a tesmoins, comme s'il prenoyt le tesmoignage de tous les prestres et prophetes; et Malachie atteste il pas que les levres du prestre gardent la science, et demanderont la loy de sa bouche; car c'est l'ange du Seigneur des armëes? tant s'en faut que jamais ilz ayent retiré les Juifz de la communion de l'ordinaire..

  A001000288 

 Si donques il est question entre nous de l'authorité prophetique, elle nous demeurera, soit elle ordinaire ou extraordinaire, puysque nous en avons l'effect, non pas a vos ministres qui n'en ont jamais faict un brin de preuve: sinon quilz voulussent appeller propheties la vision de Zuingle, au livre inscrit, Subsidium de Eucharistia, et le livre intitulé, Querela Lutheri, ou la prædiction quil fit, l'an 25 de ce siecle, que sil præchoit encor deux ans il ne demeureroit ni Pape, ni prestres, ni moynes, ni clochers, ni Messe.

  A001000289 

 .. Le bon enfant Samuel, humble, doux et saint, ayant esté apellé par trois fois de Dieu, pensa tousjours que ce fut Heli qui l'eut appellé, et a la 4 me seulement s'addressa a Dieu, comm'a celuy qui l'appeloit.

  A001000289 

 Il a semblé par trois foys a vos ministres que Dieu les eust appellé: 1.

  A001000289 

 Je n'envoÿoys pas les prophetes et ilz couroyent; je ne parloys pas a eux et ilz prophetisoyent. J'ay ouÿ ce que les prophetes ont dict, prophetisans en mon nom le mensonge, et disans, j'ay songé, j'ay songé.

  A001000289 

 Mays non, que maintenant, enseignés de l'Eglise, ilz reconnoyssent que c'est une vocation de l'homme, et que les oreilles ont corné a leur viel Adam, et s'en remettent a celuy qui, comm'Heli, præside maintenant a l'Eglise..

  A001000289 

 Non, non, qu'ilz..... Samuel fut appellé troys fois de Dieu, et selon son humilité il pensoyt que ce fut une vocation d'homme, jusques a tant qu'enseigné par Heli il conneust que c'estoit la voix divine.

  A001000289 

 Vos ministres, Messieurs, produysent trois vocations de Dieu: par les magistratz seculiers, par les Evesques, et par la voix extraordinaire; ilz pensent que ce soyt Dieu qui les aÿe apellé en ces troys façons la.

  A001000289 

 Vos premiers ministres donques, Messieurs, sont de ces prophetes que Dieu defendoit d'estr'ouÿs parler, [en] Hieremie: Ne veuilles ouyr les paroles des prophetes qui prophetisent et vous deçoivent; ilz parlent la vision de leur cœur, et non point par la bouche du Seigneur.

  A001000289 

 Vous sembl'il pas que ce soyent Luther et Zuingle avec leurs propheties et visions? ou Carolostade avec sa revelation quil disoit avoir eüe pour sa cene, qui donna occasion a Luther d'escrire son livre, Contra cœlestes prophetas? C'est [38] bien eux, au moins, qui ont ceste proprieté de n'avoir pas estés envoyés; c'est eux qui prennent leurs langues, et disent, le Seigneur a dict: car ilz ne sçauroyent jamais monstrer aucune preuve de la charge quilz usurpent, ilz ne sçauroyent produyre aucune legitime vocation, et, donques, comme veulent ilz precher? On ne peut s'enrooler sous aucun capitayne sans l'aveu du prince, et comment fustes vous si promtz a vous engager sous la charge de ces premiers ministres, sans le congé de vos pasteurs ordinaires, mesme pour sortir de l'estat auquel vous esties nay et nourry qui est l'Eglise Catholique? Ilz sont coulpables d'avoir faict de leur propr'authorité ceste levëe de bouclier, et vous de les avoir suyvis; dont vous estes inexcusables.

  A001000298 

 Au contraire, Messieurs, l'Eglise qui contredisoit et s'opposoit a vos premiers ministres, et s'oppose encores a ceux de ce tems, est si bien marquëe de tous costés, que personne, tant aveuglé soit il, ne peut prætendre cause d'ignorance du devoir que tous les bons Chrestiens luy ont, et que ce ne soit la vraÿe, unique, inseparable et tres chere Espouse du Roy celeste; qui rend vostre separation d'autant plus inexcusable.

  A001000298 

 Car, sortir de l'Eglise, et contredire a ses decretz, c'est tousjours se rendre ethnique et publicain, quand ce seroit a la persuasion d'un ange ou seraphim; mays, a la persuasion d'hommes pecheurs a la grande forme, comme les autres, personnes particulieres, sans authorité, sans adveu, sans aucune qualité requise a des precheurs ou profetes que la simple connoissance de quelques sciences, rompre tous les liens et [la] plus religieuse obligation d'obeissance qu'on eust en ce monde, qui est celle qu'on doit a l'Eglise comm'Espouse de Nostre Seigneur, c'est une faute qui ne se peut couvrir que d'une grande [40] repentance et pœnitence, a laquelle je vous invite de la part du Dieu vivant..

  A001000299 

 Je crois que cestecy est l'extrem'absurdité, et qu'au pardela immediatement se loge la frenesie et rage..

  A001000299 

 Les adversaires, voyans bien qu'a ceste touche leur doctrine seroit reconneüe de bas or, ont tasché par tous moyens de nous divertir de ceste preuve invincible que nous prenons es marques de la vraÿe Eglise, et partant ont voulu maintenir que l'Eglise est invisible et imperceptible, et par consequent irremarquable.

  A001000300 

 Ceste theologie est [tant] imaginaire et damnatoire, que les autres ont mieux aymé dire que durant ces mill'ans l'Eglise n'estoit ni visible ni invisible, mays du tout abolie et estoufëe par l'impieté et l'idolatrie..

  A001000300 

 Mays ilz vont par deux chemins a ceste leur opinion de l'invisibilité de l'Eglise; car les uns disent qu'ell'est invisible par ce qu'elle consiste seulement es personnes esleües et prædestinëes, les autres attribuent cest'invisibilité a la rareté et dissipation des croyans et fidelles: dont les premiers tiennent l'Eglis'estre en tous tems invisible, les autres disent que cest'invisibilité a duré environ mill'ans, ou plus ou moins, c'est a dire, des saint Gregoire jusqu'a Luther, quand la papauté estoit paysible parmi le Christianisme; car ilz disent que durant ce tems la il y avoit plusieurs vrais Chrestiens secretz, qui ne descouvroyent pas leurs intentions, et se contentoyent de servir ainsy Dieu a couvert.

  A001000301 

 Permettes moy, je vous prie, que je die librement la verité.

  A001000301 

 S'il est comm'une montaigne, et si grande qu'elle remplit la terre, comme sera elle invisible ou secrette? et s'il dure æternellement, comm'aura il manqué 1000 ans? Et c'est bien du royaume de l'Eglise militante que s'entend ce passage: car, 1.

  A001000301 

 Tous ces discours ressentent le mal de chaud; ce sont des songes qu'on faict en veillant, qui ne valent pas celuy que Nabuchodonosor fit en dormant; aussy luy sont ilz du tout contraires, si nous croyons a l'interpretation de Daniel: car Nabuchodonosor vit une pierre taillëe d'un mont sans œuvre de mains, qui vint roulant et renversa la grande statue, et s'accreut tellement que devenue montaigne elle remplit toute [41] la terre; et Daniel l'entendit du royaume de Nostre Seigneur qui demeurera æternellement.

  A001000301 

 celuy de la triomphante remplira le ciel, non la terre seulement, et ne s'eslevera pas au tems des autres royaumes, comme porte l'interpretation de Daniel, mais apres la consommation du siecle; joint que d'estre taillé de la montaigne sans œuvre manuelle appartient a la generation temporelle de Nostre Seigneur, selon laquelle il a esté conceu au ventre de la Vierge, engendré de sa propre substance sans œuvre humayne, par la seule benediction du Saint Esprit.

  A001000302 

 Estr'apellés en un cors c'est estr'apellés en l'Eglise; et en ces similitudes que faict Nostre Seigneur en saint Mathieu, de la vigne et du banquet avec l'Eglise, les ouvriers de la vigne et les conviés aux noces il les nomme apellés et convoqués: Plusieurs, dict il, sont apellés, mays peu sont esleuz.

  A001000302 

 L'assemblëe des Juifz s'appelloyt Sinagogue, celle des Chrestiens s'appelle Eglise: par ce que les Juifz estoyent comm'un troupeau de bestail, assemblé et entroupelé par crainte, les Chrestiens sont assemblés par la Parole de Dieu, appellés ensemble en union de charité par la prædication des Apostres et leurs successeurs; dont saint Augustin a dict: « L'Eglise est nommee de la convocation, la Sinagogue, du troupeau; par ce qu'estre convoqué appartient plus aux hommes, estr'entroupelé appartient plus au bétail.

  A001000302 

 Mays il faut avant tout dire que c'est qu'Eglise.

  A001000302 

 » Or c'est a bonne rayson que l'on [a] apelé le peuple Chrestien Eglise ou convocation, par ce que [le] premier benefice que Dieu faict a l'homme pour le mettr'en grace, c'est de l'appeller a l'Eglise; c'est le premier effect de sa prædestination: Ceux quil a prædestinés il les [42] a appellés, disoit saint Pol aux Romains; et aux Collossiens: Et la paix de Christ tressaute en vos cœurs, en laquelle vous estes appelles en un cors.

  A001000303 

 J'ay dict avant tout que c'estoit une sainte compaignie ou assemblëe, par ce que la sainteté interieure..

  A001000304 

 J'entens parler de l'Eglise militante de laquelle l'Escriture nous a laissé tesmoignage, non de celle que proposent les hommes.

  A001000304 

 Or, en toute l'Escriture, il ne se trouvera jamais que l'Eglise soit prise pour un'assemblee invisible.

  A001000305 

 Comme se peut entendre tout cecy d'une Eglise invisible? ou la chercherait on pour luy faire les plaintes, pour converser en icelle, pour la regir? Quand ell'envoyoit saint Pol, elle le recevoit, quand il la confirmoit, il y constituoit des prestres, il l'assembloit, il la saluoit, il la persecutoit, estoit par figure ou par foy seulement et par esprit? Je ne crois pas que chacun ne voye clerement que c'estoit effectz visibles et perceptibles de part et d'autre.

  A001000306 

 Que dira l'on aux propheties, qui nous repræsentent l'Eglise non seulement visible mays toute claire, illustre, manifeste, magnifique? Ilz la depeignent comm' une reyne parëe de drap d'or recamé, avec une belle varieté d'enrichissemens, comm' une montaigne, comm'un soleil, comm'une pleyne lune, comme l'arc en ciel, tesmoin fidele et certain de la faveur de Dieu vers les hommes qui sont tous la posterité de Noë, qui est ce que le Psalme porte en nostre version: Et thronus ejus sicut sol in conspectu meo, et sicut luna perfecta in æternum, et testis in cælo fidelis..

  A001000307 

 Esaïe, parl'ainsy d'elle: Ce vous sera une voÿe droite, si que les folz ne s'egareront point par icelle; faut il pas bien qu'elle soit descouverte et aysee a remarquer, puysque les plus grossiers mesmes s'y sçauront conduyre sans se faillir?.

  A001000307 

 Salomon, es Cantiques, parlant de l'Eglise, ne dict il pas: Les filles l'ont veüe et l'ont præchëe pour tresheureuse? Et puys, introduysant ses filles pleynes d'admiration, il leur faict dire: Qui est cellecy qui comparoist et se produit comm'une aurore en son lever, belle comme la lune, esleüe comme le soleil, terrible comm'un esquadron de gendarmerie bien ordonné? N'est ce pas la declairer visible? Et quand il faict qu'on l'apelle ainsy: Reviens, reviens, Sullamienne, reviens, reviens, affin qu'on te voÿe, et qu'elle responde: Qu'est ce que vous verres en ceste Sullamitesse sinon les troupes des armees? n'est ce pas encores la declairer visible? Qu'on regarde ces admirables [44] cantiques et repræsentations pastorales des amours du celest'Espoux avec l'Eglise, on verra que par tout ell'est tres visible et remarquable.

  A001000308 

 Je crois que ceux ausquelz saint Pol disoit: Prenes gard'a vous et a tout le troupeau, auquel le Saint Esprit vous a constitués pour regir l'Eglise de Dieu, je crois, dis je, quil les voyoit; et quand ilz se jettoyent comme bons enfans au col de ce bon [pere], le baysans et baignans sa face de leurs larmes, je crois quil les touchoit, sentoyt et voyoit: et ce qui me le faict plus croire, c'est quilz regrettoyent principalement son départ par ce quil avoit dict quilz ne verroyent plus sa face; ilz voyoyent donques saint Pol, et saint Pol les voyoit.

  A001000308 

 Je ne sçay s'il me faudra prouver que les pasteurs de l'Eglise soyent visibles; on nie bien des choses aussy claires.

  A001000308 

 Les pasteurs et docteurs de l'Eglise sont visibles, donques l'Eglise est visible: car, je vous prie, les pasteurs de l'Eglise sont ilz pas une partie de l'Eglise, et faut il pas que les pasteurs et les brebis s'entrereconnoissent les uns et les autres? faut il pas que les brebis entendent la voix du pasteur et le suyvent? faut il pas que le bon pasteur aille rechercher la brebis esgarëe, quil reconnoisse son parc et bercaïl? Ce seroit de vray une belle sorte de pasteurs qui ne sceut connoistre son troupeau ni le voir.

  A001000309 

 C'est le propre de l'Eglise de faire la vraÿe prædication [45] de la Parole de Dieu, la vraye administration des Sacremens; et tout cela est il pas visible? comme donques veut on que le sujet soit invisible?.

  A001000310 

 Ne sçait on pas que les douze Patriarches, enfans du bon Jacob, furent la source vive de l'eglise d'Israel; et quand leur pere les eut assemblé devant soy pour les benir, on les voyoit, on s'entrevoyoit entr'eux.

  A001000310 

 Que m'amuse je faire en cela? toute l'histoire sacrëe faict foy que l'ancienne Sinagogue estoit visible, et pourquoy non l'Eglise Catholique?.

  A001000311 

 Ces Apostres assemblés en Hierusalem, avec la petite troupe des disciples et la tresglorieuse Mere du Sauveur, faysoyent la vraye Eglise; et comment? visible, sans doute, ains tellement visible que le Sainct Esprit vint arrouser visiblement ces saintes plantes et pepinieres du Christianisme..

  A001000312 

 Bonté de Dieu, et nous demanderons encores si l'Eglise est visible? Mays qu'est ce que l'Eglise? une assemblëe d'hommes qui ont la chair et les os; et nous dirons encores que ce n'est qu'un esprit ou fantosme, qui sembl'estre visible et ne l'est que par illusion? Non, non, qu'est ce qui vous troubl'en cecy, et d'ou vous peuvent venir ces pensers? Voyes ses mains, regardes ses ministres, officiers et gouverneurs; voyes ses pieds, regardes ses prædicateurs comm'ilz la portent en levant, couchant, mydi et septentrion: tous sont de chair et d'os.

  A001000312 

 Les anciens quelle manducation religieuse et sacrëe avoyent ilz? de l'aigneau Paschal, de la manne, tout est visible; nous [46] autres, du tressaint Sacrement de l'Eucharistie, signe visible quoy que de chose invisible.

  A001000314 

 Premierement, Nostre Seigneur avoit en son humanité deux parties, le cors et l'ame: ainsy l'Eglise son Espouse a deux parties; l'une interieure, invisible, qui est comme son ame, la foy, l'esperance, la charité, la grace; l'autre exterieure et visible comme le cors, la confession de foy, les louanges et cantiques, la prædication, les Sacremens, [le] Sacrifice: ains tout ce qui se faict en l'Eglise a son exterieur et interieur; la priere interieure et exterieure, la foy remplit le cœur d'asseurance et la bouche de confession, la prædication se faict exterieurement par les hommes, mays la secrette [47] lumiere du Pere cæleste y est requise, car il faut tousjours l'ouyr et apprendre de luy avant que de venir au Filz; et quand aux Sacremens, le signe y est exterieur mays la grace est interieure, et qui ne le sçait? Voyla donq l'interieur de l'Eglise et l'exterieur.

  A001000315 

 2 nt, il faut considerer que tant l'interieur que l'exterieur de l'Eglise peut estre dict spirituel, mays diversement; car l'interieur est spirituel purement et de sa propre nature, l'exterieur de sa propre nature est corporel, mays parce quil tend et vise a l'interieur spirituel on l'apelle spirituel, comme faict saint Pol les hommes qui rendoyent le cors sujet a l'esprit, quoy quilz fussent corporelz; et quoy qu'une personne soit particuliere de sa nature, si est ce que servant au public, comme [les] juges, on l'apelle publique..

  A001000316 

 Maintenant, si on dict que la loy Evangelique a esté donnée dans les cœurs interieurement, non sur les tables de pierre exterieurement, comme dict Hieremie, on doit respondre, qu'en l'interieur de l'Eglise et dans son cœur est tout le principal de sa gloire, qui ne laysse pas de rayonner jusques a l'exterieur qui la faict voir et reconnoistre; ainsy quand il est dict en l'Evangile, que l'heur'est venüe quand les vrays adorateurs adoreront le Pere en esprit et verité, nous sommes enseignés que l'interieur est le principal, et que l'exterieur est vain s'il ne tend et ne se va rendre dans l'interieur pour s'y spiritualizer..

  A001000317 

 De mesme, quand saint Pierre appelle l'Eglise mayson spirituelle, c'est par ce que tout ce qui part de [48] l'Eglise tend a la vie spirituelle, et que sa plus grande gloire est interieure, ou bien par ce que ce n'est pas une mayson faitte de chaux et sable, mays une mayson mistique de pierres vivantes, ou la charité sert de ciment..

  A001000318 

 La sainte Parole porte que le royaume de Dieu ne vient pas avec observation: le royaume de Dieu c'est l'Eglise; donq l'Eglise n'est pas visible.

  A001000319 

 Quand a ce que saint Pol a dict aux Hebrieux, que nous ne sommes pas venus vers une montaigne maniable, comme celle de Sina, mays vers une Hierusalem cæleste, il ne faict pas a propos pour faire invisible l'Eglise; car saint Pol monstre en cest endroit que l'Eglise est plus magnifique et enrichie que la Sinagogue, et qu'elle n'est pas une montaigne naturelle comme celle de Sina, mays mistique, dont il ne s'ensuit aucune invisibilité: outre ce qu'on peut dire avec rayson quil parle vrayement de la Hierusalem cæleste, c'est a dire de l'Eglise triomphante, dont il y adjouste, la frequence des Anges, comme sil vouloit dire qu'en la vielle Loy Dieu fut veu en la montaigne en une façon espouvantable, et que la nouvelle nous conduit a le voir en sa gloire la haut en Paradis..

  A001000320 

 Aussy voit on l'Eglise, mays non sa sainteté interieure, on voit ses yeux de colombe, mays on croit ce qui est caché au dedans, on voit sa robbe richement recamëe en belle diversité avec ses houppes d'or, mays la plus claire splendeur de sa gloire est au dedans, que nous croyons; il y a en ceste royale Espouse de quoy repaistre l'œïl interieur et exterieur, la foy et le sens, et c'est tout pour la plus grande gloire de son Espoux..

  A001000320 

 En fin, voyci l'argument que chacun crie estre le plus fort: je crois la sainte Eglise Catholique; si je la crois ne la vois pas; donques ell'est invisible.

  A001000320 

 I a il rien de plus foible au monde que ce fantosme de rayson? Les Apostres n'ont ilz pas creu Nostre Seigneur estre ressuscité, et l'ont ilz pas veu? Par ce que tu m'as veu, dict il luymesme a saint Thomas, tu as creu; et pour [49] le rendre croyant il luy dict: Voys mes mains, et apporte ta main et la metz dans mon costé, et ne soys plus incredule mais fidele: voyes comme la veüe n'empesche pas la foy, mays la produict.

  A001000326 

 Ilz disent donques quil y a deux eglises, une visible et imparfaite, l'autr'invisible et parfaitte, et que la visible [50] peut errer et s'esvanouir au vent des erreurs et idolatries, l'invisible, non.

  A001000326 

 Pour rendre l'invisibilité de l'Eglise probable chacun produit sa rayson, mays la plus triviale que je voÿe c'est de s'en rapporter a l'eternelle prædestination.

  A001000326 

 Que si on demande quell'est l'eglise visible, ilz respondent, que c'est l'assemblëe des personnes qui font profession de mesme foy et Sacremens, qui contient les bons et mauvais, et n'est eglise que de nom; et l'eglise invisible est celle qui contient les esleuz seulement, qui, n'estans en la connoissance des hommes, sont seulement reconneuz et veuz de Dieu..

  A001000327 

 Mays nous monstrerons clairement que la vraye Eglise contient les bons et les mauvais, les reprouvés et les esleuz, et voyci dequoy:.

  A001000328 

 N'estoit ce pas la vraye Eglise celle que saint Pol apelloit, Colomne et fermeté de la verité, et mayson du Dieu vivant? sans doute, car estre colomne de verité ne peut appartenir a un'eglise errante et vagabonde.

  A001000329 

 Ceux ausquelz on les retient ne sont ilz pas mauvais et reprouvés? ains cela est propre aux reprouvés que leurs pechés soyent retenuz, et l'ordinaire des esleuz quilz leur soyent pardonnés: or, que ceux ausquelz saint Pierre avoit pouvoir de les retenir ou pardonner fussent en l'Eglise, il appert; car de ceux qui ne sont en l'Eglise il n'appartient qu'a Dieu seul d'en juger; ceux, donques, desquelz saint Pierre devoit juger n'estoyent pas hors de l'Eglise mays dedans, quoy quil en deut avoir de reprouvés..

  A001000330 

 Et Nostre Seigneur nous enseigne il pas, qu'estans offensés par quelqu'un de nos freres, apres l'avoir repris et corrigé par deux fois en deux diverses façons, [51] nous le deferions a l'Eglise? Dis le a l'Eglise; que s'il n'entend l'Eglise, quil te soit comme ethnique et publicain.

  A001000330 

 Les bons, donques, ne sont pas seulement de la vraye Eglise, mays les mauvais encores jusques a tant quilz en soyent chassés: sinon qu'on veuille dire que l'Eglise a laquelle Nostre Seigneur nous renvoÿe soit l'eglise errante, peccante et antichrestienne; ce seroit blasphemer trop a la descouverte..

  A001000331 

 Quand Nostre Seigneur dict: Le serviteur ne demeure pas en la mayson a jamais, le filz y demeure tousjours, n'est ce pas autant que s'il disoit qu'en la mayson de l'Eglise y est l'esleu et le reprouvé pour un tems? car, qui peut estre ce serviteur qui ne demeure pas tousjours en la mayson, que celuy la qui sera jetté une fois es tenebres exterieures? et de faict, il monstre bien que c'est aussy [ce] quil entend, quand il dict immediatement devant: Qui faict peché est serviteur de peché.

  A001000332 

 v. 2: si on l'en chasse il y estoit, et sil y estoit, et que l'Eglise fut la compaignie des esleuz, comme l'en eut on peu lever? les esleuz ne peuvent estre reprouvés..

  A001000333 

 Mays pourquoy me niera-on que les reprouvés et mauvais soyent de la vraÿe Eglise, puysque mesmes ilz y peuvent estre pasteurs et evesques? la chose est certayne.

  A001000333 

 Saint Pol atteste aux prestres Ephesiens que le Saint Esprit les avoit faictz evesques pour regir l'Eglise de Dieu, mays il asseur'aussy que quelques uns d'entr'eux s'esleveroyent disans des meschancetés, pour desbaucher et s'attirer des disciples: il parle a tous quand il dict que le Saint Esprit les a faict evesques, et parle de ceux la mesme quand il dict que d'entr'eux s'esleveroyent des schismatiques..

  A001000334 

 Or quell'absurdité seroit ce, je vous prie, si les seulz esleuz estoyent de l'Eglise? il s'ensuyvroit ce qu'ont dict les Donatistes, que nous ne pourrions pas connoistre nos prælatz, et par consequent ne leur pourrions rendre l'obeissance: car, comme connoistrions nous si ceux qui se diroyent prælatz et pasteurs seroyent de l'Eglise? puysque nous ne pouvons connoistre qui est prædestiné et qui non d'entre les vivans, comm'il se dira ailleurs; et s'ilz ne sont de l'Eglise, comme y peuvent ilz tenir le lieu de chefz? ce seroit bien un monstre des plus estranges qui se peut voir que le chef de l'Eglise ne fut de l'Eglise.

  A001000334 

 Qui oseroit dire quil n'eust esté de la vraÿe Eglise, luy [qui] avoit tousjours combattu pour l'Eglise, et que toute l'Eglise honnoroit et tenoit pour l'un de ses plus grans docteurs? et quoy? le voyla en fin hæretique, excommunié, hors de l'Arche, perir au deluge de sa [53] propr'opinion.

  A001000335 

 Ne sont ce pas tout autant de suffisantes preuves que non seulement les esleuz mais encores les reprouvés sont en l'Eglise? Il faut donq fermer la porte de nostre propre jugement a toutes sortes d'opinions, et a ce propos encores, avec [54] ceste non jamais asses considerëe proposition: Il y en a beaucoup d'apellés, mais peu de choysis.

  A001000336 

 Mays ou trouveront ilz en l'Escriture aucun lieu qui leur puysse servir de quelqu'excuse en tant d'absurdités, et contre des preuves si claires que celles que nous avons faict? il ne manque pas de contreraysons en ce point, jamays l'opiniastreté n'en laisse avoir faute a ses serviteurs..

  A001000337 

 Apporteront ilz donques ce qui est escrit aux Cantiques, de l'Espouse, que c'est un jardin fermé, une fontayne ou source cachetëe, un puys d'eau vivante, qu'elle est toute belle et sans aucune tache, ou, comme dict l'Apostre, glorieuse, sans ride, sainte, immaculëe? Je les prie de bon cœur quilz regardent ce quilz veulent conclure de cecy, car silz veulent conclure quil ni doive point avoir en l'Eglise que de saints immaculés, sans ride, glorieux, je leur feray voir avec ces mesmes passages quil ny a en l'Eglise ni esleu ni reprouvé: car, n'est ce pas « la voix humble mais veritable, » comme dict le grand Concile de Trente, « de tous les justes » et esleuz, « remettes nous nos debtes comme nous les remettons a nos debiteurs »? Je tiens saint Jaques pour esleu, et neantmoins il confesse: Nous offençons tous en plusieurs choses; saint Jan nous ferme la bouche et a tous les esleuz, affin que personne ne se vante d'estre sans peché, ains au contraire veut [que] chacun sache et confesse quil peche; je crois que David en son ravissement et extase sçavoit que c'estoit que des esleuz, et neantmoins il tenoit tout homme pour mensonger.

  A001000338 

 Ainsy l'Eglise militante est tousjours glorieuse et victorieuse sur les portes et puyssances infernales, quoy que plusieurs des siens, ou s'esgarant et mettant en desordre, comme vous aves faict, demeurent en pieces et perdus, ou par des autres accidens y sont blessés et y meurent.

  A001000338 

 Les meurs dependent de la volonté, la doctrine, de l'entendement: en l'entendement de l'Eglise jamais ny entra fauseté, ni en la volonté aucune meschanceté; elle peut par la grace de son Espoux dire comme luy: Qui d'entre vous, o conjurés ennemys, me reprendra de peché? Et ne s'ensuit pour tant pas qu'en l'Eglise il ni ayt des meschans; resouvenes vous de ce que j'ay dict ailleurs.

  A001000338 

 Prenes donques l'un'apres l'autre les belles louanges de l'Eglise qui sont semëes es Escritures, et luy en faites une couronne, car elles luy sont bien deües, comme plusieurs maledictions a ceux qui estans en un si beau chemin s'y perdent; c'est un' armëe bien ordonnëe, quoy que plusieurs s'y disbendent..

  A001000339 

 Mays qui ne sçait combien de fois on attribue a tout un cors ce qui n'appartient qu'a l'une des parties? L'Espouse apelle son Espoux blanc et vermeil, mays incontinent elle dict quil a les cheveux noirs; saint Mathieu dict que les larrons qui estoyent crucifiés avec Nostre Seigneur blasphemerent, et ce ne fut que l'un d'eux au rapport de saint Luc; on dict que le lis est blanc, mais il y a du jaune et du verd.

  A001000339 

 Toutes ces qualités donques sont justement attribuees a l'Eglise, a cause de tant de saintes ames qui y sont qui observent tres etroittement les saintz commandemens de Dieu, et sont parfaictes de la perfection qu'on peut avoir en ce pelerinage, non de celle que nous esperons en la bienheureuse Patrie..

  A001000340 

 Et quand au surplus, quoy quil ni eust point d'autre rayson d'ainsy qualifier l'Eglise que pour l'esperance qu'ell'a de monter la haut toute pure, toute belle, en contemplation du seul port auquel ell'aspire et va courant, cela suffiroit pour la faire apeller glorieuse et parfaitte, principalement ayant tant de belles arres de ceste saint'esperance..

  A001000341 

 On produict le passage de saint Jan: Je connois mes brebis, et personne ne les levera de mes mains; et que ces brebis la sont les prædestinés qui sont seulz du bercail du Seigneur, on produict ce que saint Pol dict a Timothee: Le Seigneur connoist ceux qui sont a luy, et ce que saint Jan a dict des apostatz: Ilz sont sortis d'entre nous, mais ilz n'estoyent pas d'entre nous..

  A001000342 

 Mays quelle difficulté trouve l'on en tout cela? nous confessons que les brebis prædestinëes entendent la voix de leur pasteur, et ont toutes les proprietés qui sont descrittes en saint Jan, ou tost ou tard, mays nous confessons aussy qu'en l'Eglise, qui est la bergerie de Nostre Seigneur, il ni a pas seulement des brebis ains encores des boucz; autrement, pourquoy seroit il dict qu'a la fin du monde, au jugement, les brebis seront separëes, sinon par ce que jusques au jugement, pendant que l'Eglise est en ce monde, ell'a en soy des boucz avec les brebis? certes, si jamais ilz n'avoyent estés ensemble, jamais on ne les separeroit: et puys en fin de conte, si les prædestinés sont apellés brebis aussy le sont bien les reprouvés, tesmoin David: Vostre fureur est courroucëe sur les brebis de vostre parc; [57] J'ay erré comme la brebis qui est perdüe; et ailleurs, quand il dict: O vous qui regentes sur Israel, escoutes, vous qui conduyses Joseph comm' une oüaille: quand il dict Joseph, il entend les Josephois et le peuple Israelitique, parce qu'a Joseph fut donné la primogeniture, et l'aisné baille nom a la race.

  A001000342 

 v. 6, accompare tous les hommes, tant reprouvés que esleuz, a des brebis: Omnes nos quasi oves erravimus, et v. 7.

  A001000343 

 Semblablement, qui nie que Nostre Seigneur connoisse ceux qui sont a luy? Il sceut sans doute ce que Judas deviendroit, neantmoins Judas ne layssa pas d'estre de ses Apostres; il sceut ce que devoient devenir les disciples qui s'en retournerent en arriere pour la doctrine de la realité de la manducation de sa chair, et neantmoins il les receut pour ses disciples.

  A001000344 

 De mesme ce que saint Jan dict, Ilz sont sortis d'entre nous, mays n'estoyent pas d'entre nous, ne faict rien a propos, car je diray, comme dict sainct Augustin: ilz estoyent des nostres ou d'entre nous numero, et ne l'estoyent pas merito, c'est a dire, comme le mesme Docteur: « Ilz estoyent entre nous et des nostres par la communion des Sacremens, mays selon la particuliere proprieté de leurs vices ilz ne l'estoyent pas; » ilz estoyent ja heretiques en leur ame et de volonté, quoy que selon l'apparence exterieure ilz ne le fussent pas.

  A001000344 

 Et n'est pas a dire que les bons ne soyent avec les mauvais en l'Eglise, ains, au contrayre, comme pouvoient ilz sortir de la compaignie de l'Eglise silz ny estoyent? ilz estoyent sans doute de faict, mais de volonté ilz en estoyent deja dehors..

  A001000345 

 C'est donq chose certayne, que non seulement les esleuz mays les reprouvés encores peuvent estre et sont de l'Eglise, et qui, pour la rendre invisible, ny met que les esleuz, faict comme le mauvais disciple qui, pour ne secourir point son maistre, s'excuse de n'avoir rien apris de son cors mais de son ame.

  A001000345 

 En fin, voicy un argument qui sembl'estre assorti de forme et de figure: « Celuy n'a Dieu pour pere qui n'a l'Eglise pour mere », chose certayne; de mesme, qui n'a Dieu pour pere n'aura point l'Eglise pour mere, tres certain: or est il que les reprouvés n'ont point Dieu pour pere; donques ilz n'ont point l'Eglise pour mere, et par consequent les reprouvés ne sont en l'Eglise.

  A001000345 

 On reçoit le premier fondement de ceste rayson, mays le second, que les reprouvés ne soyent enfans de Dieu, a besoin d'estre espluché.

  A001000345 

 Que si on veut dire que les reprouvés n'ont point Dieu pour pere par ce quilz ne seront point heritiers, selon la parole de l'Apostre, S'il est filz il est hæritier, nous nierons la consequence; car non seulement les enfans sont en l'Eglise, mays encores les serviteurs, avec ceste difference, que les enfans y demeureront a jamais comm'heritiers, les serviteurs non, mays seront chassés quand bon semblera au Maistre.

  A001000345 

 Tesmoin le Maistre mesme, en saint Jan, et le filz penitent, qui sçavoit bien reconnoistre que plusieurs mercenaires avoient des pains en abondance chez son pere, quoy que luy, vray et legitime filz, mourut de faim avec les porceaux: qui rend preuve de la foy Catholique pour ce sujet.

  A001000345 

 Tous les fideles baptizés peuvent estre apellés filz de Dieu pendant quilz sont fideles, sinon qu'on voulut oster au Baptesme le nom de regeneration ou nativité spirituelle que Nostre Seigneur luy a baillé; que si on l'entend ainsy, il y a plusieurs reprouvés enfans de Dieu, car combien y a il de gens fideles et baptizés qui seront damnés, lesquelz, comme dict la Verité, croyent pour un tems, et au tems de la tentation se retirent en arriere: de façon qu'on niera tout court ceste seconde proposition, que les reprouvés ne soyent enfans de Dieu; car estans en l'Eglise ilz peuvent estr'appellés enfans de Dieu par la creation, redemption, regeneration, [59] doctrine, profession de foy, quoy que Nostre Seigneur se lamente d'eux en ceste sorte par Isaie, J'ay nourry et eslevé des enfans et ilz m'ont mesprisé.

  A001000352 

 Je seray d'autant plus brief icy, que ce que je deduyray au chapitre suyvant sert d'une forte preuve a ceste creance de l'immortalité de l'Eglise et de la perpetuité d'icelle.

  A001000352 

 On dict donques, pour detraquer le joug de la sainte sousmission qu'on doit a l'Eglise, qu'ell'estoit perie il y a quatre ving et tant d'annëes, morte, ensevelie, et la sainte lumiere de la vraye foy estainte: c'est un blaspheme pur que tout cecy contre la Passion de Nostre Seigneur, contre sa providence, contre sa bonté, contre sa verité..

  A001000353 

 Ignores vous que Nostre Seigneur se soyt acquis l'Eglis'en son sang? et qui pourra la luy lever? [61] penses vous quil soit plus foible que son adversaire? ah, je vous prie, parlons honorablement de ce cappitaine; et qui donques ostera d'entre ses mains son Eglise? peut estre dires vous quil peut la garder mais quil ne veut; c'est donq sa providence, sa bonté, sa verité que vous attaques..

  A001000353 

 Ne sçait on pas la parole de Nostre Seigneur mesme: Si je suys une foys eslevé de terre j'attireray a moy toutes choses? a il pas esté eslevé en la Croix? a il pas souffert? et comme donques auroyt il layssé aller l'Eglise quil avoit attirëe, a vau de route? comm'auroit il lasché ceste prise qui luy avoit costé si cher? Le prince du monde, le diable, avoit il esté chassé avec le saint baston de la Croix pour un tems de trois ou quatre cens ans pour revenir maistriser mill'ans? voules vous evacuer en ceste sorte la force de la Croix? estes vous arbitres de si bonne foy que de vouloir si iniquement partager Nostre Seigneur, et mettre desormays un'alternative entre sa divine bonté et la malice diabolique? Non, non, quand un fort et puyssant guerrier garde sa forteresse tout y est en paix, que si un plus fort survient et le surmonte, il luy leve les armes et le despoüille.

  A001000354 

 La consommation des saintz estoyt elle ja faicte il y a onze cens ou douze cens ans? l'edification du cors mistique de Nostre Seigneur, qui est l'Eglise, avoit elle esté parachevee? Ou cesses de vous apeller ædificateur, ou dites que non; et si elle n'avoit esté achevëe, comme de faict elle ne l'est pas mesme maintenant, pour quoy faites vous ce tort a la bonté de Dieu que de dire quil ayt osté et levé aux hommes ce quil leur avoit donné? C'est une des qualités de la bonté de Dieu que, comme dict saint Pol, ses dons et ses graces sont sans pænitence, c'est a dire, il ne donne pas pour oster.

  A001000354 

 Sa divine providence, des qu'ell'eust creë l'homme, le ciel, la terre, et ce qui est au ciel et a la terre, les conserva et conserve perpetuellement, en façon que la generation du moindre oysillion n'est pas encores estainte; que dirons nous donques de l'Eglise? Tout ce monde ne luy costa de premier marché qu'une simple parole: Il le dict et tout fut faict, et il le conserve avec une perpetuelle et infallible providence; comment, je vous prie, eust il abandonné l'Eglise qui luy coste tout son sang, tant de peynes et travaux? Il a tiré l'Israel de l'Egipte, des desers, de la mer Rouge, de tant de calamités et captivités, et nous croirons quil ayt layssé engolfé le Christianisme en l'incredulité? Il a tant eu de soin de son Agar, et il mesprisera Sara? il a tant favorisé la servante qui devoit estre chassëe hors de la mayson, et n'aura tenu conte de l'Espouse legitime? il aura tant honnoré l'ombre, et il abandonnera le cors? O que ce [62] seroit bien pour neant que tant et tant de promesses auroyent estees faites de la perpetuité de cest'Eglise..

  A001000355 

 C'est de l'Eglise que le Psalmiste chante: Dieu l'a fondëe en eternité; Son trosne (il parle de l'Eglise, trosne du Messie filz de David, en la personne du Pere eternel) sera comme le soleil devant moy, et comme la lune parfaitte en eternité, et le tesmoin fidele au ciel; Je mettray sa race es siecles des siecles et son trosne comme les jours du ciel, c'est a diré, autant que le ciel durera; Daniel l'apelle Royaume qui ne se dissipera point eternellement, l'Ange dict a Nostre Dame que ce royaume n'auroit point de fin, et parle de l'Eglise comme nous le prouvons ailleurs; Isaïe avoit il pas predict en ceste façon de Nostre Seigneur: S'il met et expose sa vie pour le peché il verra une longue race, c'est a dire, de longue durëe? et ailleurs: Je feray un'alliance perpetuelle avec eux; apres: Tous ceux qui les verront (il parle de l'Eglise visible) les connoistront? Mays, je vous prie, qui a baillé charge a Luther et Calvin de revoquer tant de saintes et solemnelles promesses que Nostre Seigneur a faites a son Eglise, de perpetuité? n'est ce pas Nostre Seigneur qui, parlant de l'Eglise, dict que les portes d'enfer ne prevaudront point contr'elle? et comme verifiera-on ceste promesse si l'Eglise a esté abolie mill'ans ou plus? et ce doux adieu que Nostre Seigneur dict a ses Apostres, Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem seculi, comme l'entendrons nous si voulons dire que l'Eglise puisse perir?.

  A001000356 

 Mays voudrions nous bien casser la belle regle de Gamaliel qui, parlant de l'Eglise naissante, usa de ce discours: Si ce conseil ou cest'œuvre est des hommes elle se dissipera, mays si ell'est de Dieu vous ne sçauries la dissoudre? L'Eglise est ce pas l'œuvre de Dieu? et comment donques dirons nous qu'elle soit dissipëe? Si ce bel arbre ecclesiastique avoit esté planté de main d'homme, j'avoueroys aysement quil pourroit estre arraché, mays ayant esté planté de si bonne main qu'est celle de Nostre Seigneur, je ne sçaurois [63] conseiller a ceux qui entendent crier a tous propos que l'Eglise estoit perie sinon ce que dict Nostre Seigneur: Laisses la ces aveugles, car toute plante que le Pere celeste n'a pas plantée sera arrachëe, mays celle que Dieu a plantëe ne sera point arrachëe..

  A001000357 

 Quoy? ne falloit il pas que Nostre Seigneur regnat au milieu de ses ennemis jusqu'à ce quil eut mis sous ses pieds et assujetty tous ses adversaires? et comme s'accompliront ces authorités si l'Eglise, royaume de Nostre Seigneur, avoit esté perdu et destruict? comme regneroit il sans royaume, et comme regneroit il parmi ses ennemys sil ne regnoit ça bas au monde?.

  A001000357 

 Saint Pol dict que tous doivent estre vivifiés chacun en son ordre; les premices ce sera Christ, puys ceux qui sont de Christ, puys la fin: entre Christ et les siens, c'est a sçavoir, l'Eglise, il ni a rien d'entredeux, car montant au ciel il les a layssés en terre, entre l'Eglise et la fin il ni a point d'entredeux, d'autant qu'elle devoit durer jusques a la fin.

  A001000358 

 Et qui donques sera si osé de dire que cest'Eglise est morte, il accuse la bonté, la diligence et le sçavoir de ce grand reformateur, et qui se croit estre le reformateur ou resuscitateur d'icelle, il s'attribue l'honneur deu a un seul Jesuchrist, et se faict plus qu'Apostre.

  A001000358 

 Les Apostres n'ont pas remis l'Eglise a vie, mays la luy [ont] conservëe par leur ministere apres que Nostre Seigneur l'eust [64] establie; qui donques dict que l'ayant trouvé morte il l'a resuscitëe, a vostr'avis merite il pas d'estr'assis au trosne de temerité? Nostre Seigneur avoit mis le saint feu de sa charité au monde, les Apostres avec le souffle de leur prædication l'avoyent accreu et faict courir par tout le monde: on dict quil estoit estaint par mi les eaux d'ignorance et d'iniquité; qui le pourra rallumer? le souffler ni sert de rien, et quoy donques? il faudroit peut estre rebattre de nouveau avec les clouz et la lance sur Jesuchrist, pierre vivante, pour en faire sortir un nouveau feu, ou s'il suffira que Calvin ou Luther soient au monde pour le rallumer? Ce seroit bien de vray estre des troysiesmes Helies, car ni Helie ni saint Jan Baptiste n'en firent onques tant; ce seroit bien laysser tous les Apostres en arriere, qui porterent bien ce feu par le monde, mays ilz ne l'allumerent pas.

  A001000358 

 Mays, je vous prie, si cest'Espouse fut morte apres que du costé de son Espoux endormy sur la Croix ell'eust premierement la vie, si elle fut morte, dis je, qui l'eust resuscitëe? Ne sçait on pas que la resurrection des mors n'est pas moindre miracle que la creation, et beaucoup plus grand que la continuation et conservation? Ne sçait on pas que la reformation de l'homme [est] un bien plus profond mistere que la formation, et qu'en la formation Dieu dict, et il fut faict? il inspira l'ame vivante, et il ne l'eut pas si tost inspirëe que ce celest'homme commença a respirer; mays en la reformation Dieu employa trente trois ans, sua le sang et l'eau, mourut mesme sur ceste reformation.

  A001000358 

 « O voix impudente, » dict saint Augustin contre les Donatistes, « l'Eglise ne sera point par ce que tu ni es point? » Non, non, dict saint Bernard, « les torrens sont venus, les vens ont soufflé et l'ont combattue, elle n'est point tumbëe par ce qu'ell'estoit fondëe sur la pierre, et la pierre estoit Jesus Christ.

  A001000359 

 Et qu'est ce autre chose dire que l'Eglis'a manqué sinon dire que tous nos devanciers sont damnés? ouy, pour vray, car hors la vraÿe Eglise il ni a point de salut, hors de cest'Arche tout le monde se perd.

  A001000359 

 O quel contrechange on faict a ces bons peres qui ont tant souffert pour nous præserver l'heritage de l'Evangile, et maintenant, outrecuydés que sont les enfans, on se mocque d'eux, on les tient pour folz et insensés..

  A001000360 

 Je veux conclure ceste preuve avec saint Augustin, et parler a vos ministres: « Que nous apportes vous de nouveau? faudra il encor une foys semer la bonne semence, puysque des qu'ell'est semëe elle croit jusqu'à la moysson? Si vous dites estre par tout perdue celle que les Apostres avoyent semëe, nous vous respondons: lises nous cecy es Saintes Escritures, ce que pour vray vous ne lires jamais que premierement vous ne nous monstries estre faux ce qui est escrit, que la semence [65] qui fut semëe au commencement croistroit jusqu'au tems de moyssons.

  A001000360 

 Ne dites pas donques que la bonne semence est abolie ou estouffëe, car elle croit jusques a la consommation du siecle..

  A001000366 

 L'Eglise fut elle pas tout'abolie quand Adam et Eve pecherent? Responce: Adam et Eve n'estoyent pas Eglise, ains le commencement d'Eglise; et n'est pas vray que fut perdue alhors encor qu'ell'eust esté, car ilz ne pecherent pas en la doctrine ni au croire, mais au faire..

  A001000367 

 Aaron, sauverain Prestre, n'adora il pas le veau d'or avec tout son peuple? Responce: Aaron n'estoit encores pas sauverain Prestre ni chef du peuple, ains le fut par apres; et n'est pas vray que tout le peuple idolatrast, car les enfans de Levi n'estoyent ilz pas gens de Dieu? et se joignirent ilz pas a Moyse?.

  A001000368 

 Responce: Helie n'estoit pas seul en Israel homme de bien, puysquil y en avoit 7000 hommes qui ne s'estoient pas abandonné a l'idolatrie, et ce qu'en dict le Prophete n'est que pour mieux exprimer la justice de sa plainte; et n'est pas vray qu'encor que tout Israel eut manqué l'Eglise pourtant eut esté abolie, car Israel n'estoit pas toute l'Eglise, ains en estoit desja separé par le schisme de Hieroboam, et le royaume de Juda en estoit la meilleure et la principale partie; c'est d'Israel non de [66] Juda, aussy, de quoy Azarie prædit quil seroit sans prestre et sacrifice..

  A001000369 

 Isaie dict que de pied en cap il ni avoit aucune santé en Israel.

  A001000369 

 Qui ne sçait la plainte de David: Il ni a celuy, mesm'un tout seul, qui face bien? et qui ne sçait de l'autre costé quil y eut plusieurs gens de bien de son tems? Ces façons de parler sont frequentes, mays il n'en faut faire conclusion particuliere sur un chacun; davantage, on ne prouve pas par la que la foy eut manqué en l'Eglise, ni que l'Eglise fut morte, car il ne s'ensuit pas, si un cors est par tout malade donques il est mort.

  A001000369 

 Responce: Ce sont des façons de parler, et de detester le vice d'un peuple avec vehemence; et encores que les prophetes, pasteurs et prædicateurs usent de ces generales façons de parler, il ne les faut pas verifier sur chaque particulier, mays seulement sur une grande partie, comm'il appert par l'exemple d'Helie, qui se plaignoit d'estre seul, et neantmoins il y avoit encores 7000 fideles.

  A001000369 

 Saint Pol se plaint aux Philippiens que chacun recherchoit son propre interet et commodité, neantmoins, a la fin de l'Epistre, il confesse quil y en avoit plusieurs gens de bien de part et d'autre.

  A001000370 

 Responce: Qui vous dict que sous prætexte de l'Eglise il faille se confier au mensonge? ains, au contraire, qui s'appuÿe au jugement de l'Eglise s'appuÿe sur la colonne et fermeté de verité, qui se fie a l'infallibilité de l'Eglise ne se fie pas au mensonge, si ce n'est mensonge ce qui est escrit: Les portes d'enfer ne prævaudront point contre elle.

  A001000371 

 Est il pas escrit quil faut que la discession et la separation vienne, et que le sacrifice cessera, et qu'a grand peyne le Filz de l'homme trouvera la foy en [67] terre a son second retour visible, quand il viendra juger? Responce: Tous ces passages s'entendent de l'affliction que fera l'Antichrist en l'Eglise les trois ans et demy quil y regnera puyssamment; non obstant cela, l'Eglise durant ces troys ans mesme ne manquera pas, ains sera nourrie et conservëe parmi les desers et solitudes ou elle se retirera, comme dict l'Escriture..

  A001000377 

 I a il homme de jugement au monde qui ne connoisse clairement, quand il lira l'Apocalipse de saint Jan, que ce n'est pas pour ce tems quil est dict que la femme (c'est a dire, l'Eglise) s'en fuit en la solitude?...

  A001000378 

 Comment donques osent ilz transporter cest escrire a une intelligence si esloignëe de l'intention de l'autheur, et si contrayre a ses propres circonstances? sans vouloir regarder a tant d'autres paroles saintes qui monstrent et asseurent haut et clair que l'Eglise ne doit jamays estre si cachëe es solitudes jusqu'a cest'extremité la, et pour si peu de tems, ou on la verra fuir, d'ou on la verra sortir.

  A001000378 

 Ilz tournent a ce biays ce qui est escrit en l'Apocalipse, que la femme s'en fuit en la solitude, et prennent consequence que l'Eglise a esté [68] cachëe et secrette, espouvantëe de la tirannie du Pape, il y a mill'ans, jusqu'a ce qu'elle s'est produicte en Luther et ses adhærens.

  A001000378 

 Je ne veux plus ramener tant de passages ja cottés cy dessus, ou l'Eglis'est dicte semblable au soleil, lune, arc en ciel, a une reyne, a une montaigne aussy grande que le monde, et un monde d'autres; je me contenteray de vous mettr'en teste deux grans colonnelz de l'ancienne Eglise, des plus vallians qui furent onques, saint Augustin et saint Hierosme..

  A001000378 

 Les Anciens avoyent sagement dict que bien sçavoir reconnoistre la difference des tems es Escritures estoyt une bonne regle pour bien les entendre, a faute dequoy les Juifz a tous coupz s'æquivoquent, attribuantz au premier advenement du Messie ce qui est proprement dict du second, et les adversaires de l'Eglise encor plus lourdement, quand ilz veulent faire l'Eglise telle des saint Gregoire jusqu'a cest aage qu'elle doit estre du tems de l'Antichrist.

  A001000378 

 Mays qui ne voit que tout ce passage respire la fin du monde et la persecution de l'Antichrist? le tems y estant determiné expressément de trois ans et demy, et en Daniel aussy; et qui voudroit par quelque glosse estendre ce tems que l'Escriture a determiné, contrediroit tout ouvertement a Nostre Seigneur, qui dict quil sera plus tost accourcy, pour l'amour des esleuz.

  A001000379 

 Les Donatistes (les Calvinistes) rencontrent le mont, et [69] quand on leur dict, montés, ce n'est pas une montaigne, ce disent ilz, et plus tost y donnent et l'heurtent du front que d'y chercher une demeure.

  A001000379 

 Qui d'entre vous connoit l'Olimpe? personne, certes, ne plus ne moins que les habitateurs d'iceluy ne sçavent que c'est de nostre mont Chidabbe; ces montz sont retirés en certains quartiers, mays le mont d'Isaïe n'est pas de mesme, car il a remply toute la face de la terre.

  A001000379 

 » Ce sont les paroles de saint Augustin contre les Donatistes, mays l'Eglise presente resemble si parfaittement a l'Eglise premiere, et les heretiques de nostr'aage aux anciens, que, sans changer autre que les noms, les raysons anciennes combattent autant collet a collet les Calvinistes, comm'elles faysoient ces anciens Donatistes..

  A001000379 

 » Et de faict, Nostre Seigneur, qui disoit que personne n'allume la lampe pour la couvrir sous un muy, comm'eust il mis tant de lumieres en l'Eglise pour les aller cacher en certains recoins inconneuz? Il poursuit: « Voyci le mont qui remplit l'universelle face de la terre, voyci la cité delaquelle il est dict: La cité ne se peut cacher qui est situëe sur le mont.

  A001000380 

 Mays ja n'advienne que Dieu soit mort pour neant; le puyssant est lié et saccagé, la parole du Pere est accomplie: Demande moy, et je te donneray les gens pour hæritage, et pour ta possession les bornes de la terre.

  A001000380 

 Ou sont, je vous prie, ces gens trop religieux, ains plustost trop prophanes, qui font plus de sinagogues que d'eglises? comme seront destruittes les cittés du diable, et en fin, a sçavoir en la consommation des siecles, les idoles comme seront ilz abbatus? Si Nostre Seigneur n'a point eu de l'Eglise, ou s'il l'a eu en la seule Sardigne, certes il est trop appauvry.

  A001000380 

 Saint Hierosme entre en cest'escarmouche d'un autre costé, qui vous est bien aussy dangereux que l'autre, car il faict voir clairement que ceste dissipation prætendue, ceste retraitte et cachette, abolist la gloire [70] de la Croix de Nostre Seigneur; car, parlant a un schismatique reuni a l'Eglise, il dict ainsy: « Je me rejouys avec toy, et rends graces a Jesus Christ mon Dieu, de ce que tu t'es reduit de bon courage de l'ardeur de fauceté au goust et saveur de tout le monde; et ne dis pas comme quelquesuns: O Seigneur, sauves moy, car le saint a manqué, desquelz la voix impie evacue la Croix de Jesus Christ, assujettit le Filz de Dieu au diable, et le regret que le Seigneur a proferé des pecheurs, il l'entend estre dict de tous les hommes.

  A001000381 

 Et que diroit ce grand personnage de ceux qui non seulement nient qu'ell'aÿe esté generale et universelle, mays dient qu'elle n'estoit qu'en certaines personnes inconneües, sans vouloir determiner un seul petit vilage ou elle fut il y a quattre vingtz ans? n'est ce pas bien avilir les glorieux trophëes de Nostre Seigneur? Le Pere celeste, pour la grand'humiliation et aneantissement que Nostre Seigneur avoit subi en l'arbre de la Croix, avoit rendu son nom si glorieux que tout genou se devoit plier en sa reverence, mays ceux cy [71] ne prisent pas tant la Croix ni les actions du Crucifix, ostant de ce conte toutes les generations de mill'ans.

  A001000381 

 Le Pere luy avoit donné en heritage beaucoup de gens, par ce quil avoit livré sa vie a la mort, et avoyt esté mis au rang des meschans hommes et voleurs, mays ceux cy luy amaigrissent bien son lot, et roignent si fort sa portion qu'a grand peyne durant mill'ans aura il eu certains serviteurs secretz, ains n'en aura du tout point eu; car je m'addresse a vous, o devanciers, qui porties le nom de Chrestien, et qui aves estés en la vraye Eglise: ou vous avies la vraye foy, ou vous ne l'avies pas; si vous ne l'avies pas, o miserables, vous estes damnés, et si vous l'avies, pourquoy la celies vous aux autres? que n'en laissies vous des memoyres? que ne vous opposies vous a l'impieté, a l'idoletrie? ou si vous ne sçavies pas que Dieu a recommandé a un chacun son prochain? certes, On croit de cœur pour la justice, mays qui veut obtenir le salut il faut faire la confession de sa foy, et comme pouvies vous dire, J'ay creu, et par ce j'ay parlé? O miserables encores, qui ayant un si beau talent l'aves caché en terre; si ainsy est, vous estes es tenebres extérieures.

  A001000387 

 O combien d'Absalons se sont trouvés en nostr'aage, qui, pour seduyre et destruyre les peuples de l'obeissance de l'Eglise et des pasteurs, et solliciter les courages chrestiens a rebellion et revolte, ont crié par toutes les advenues d'Allemaigne et de France: il n'y a personne constitué de Dieu pour ouyr les doutes sur la foy et les resouvre; l'Eglise mesme, les magistratz ecclesiastiques, n'ont point de pouvoir de determiner ce quil faut tenir en la foy et ce que non; il faut chercher autres juges que les prælatz, l'Eglise peut errer en ses decretz et regles..

  A001000387 

 Quand Absalon voulut une fois faire faction et division contre son bon pere David, il s'assit pres de la porte au chemin, et disoit a tous ceux qui passoÿent: Il ni a personne constitué du Roy pour vous ouÿr, hé, qui me constituera juge sur terre, affin que tous ceux qui auront quelque negotiation viennent a moy et que je juge justement? ainsy solicitoit il les courages des Israelites.

  A001000388 

 Mays quelle plus dommageable et temerayre persuasion pouvoyent ilz faire au Christianisme que cellela? Si donques l'Eglise peut errer, o Calvin, o Luther, a qui auray je recours en mes difficultés? a l'Escriture, disent ilz: mays que feray je, pauvr'homme? car c'est sur l'Escriture mesme ou j'ay difficulté; je ne suys pas en doute s'il faut adjouster foy a l'Escriture ou non, car qui ne sçait que c'est la parole de verité? ce qui me tient en peyne c'est l'intelligence de cest'Escriture, ce [73] sont les consequences d'icelle, lesquelles estans sans nombre, diverses et contraires sur un mesme sujet, ou qu'un chacun prend parti qui en l'une qui en l'autre, et que de toutes il ny en a qu'une salutaire, ah, qui me fera connoistre la bonne d'entre tant de mauvaises? qui me fera voir la vraye verité au travers de tant d'apparentes et masquëes vanités? Chacun se voudroit embarquer sur le navire du Saint Esprit, il ny en a qu'un, et celuy la seul prendra port, tout le reste court au naufrage; ah, quel danger de mesprendre: l'egale ventance et asseurance des patrons en deçoit la plus part, car tous se ventent d'en estre les maistres.

  A001000388 

 Quicomque dict que nostre Maistre ne nous a pas laissé des guides en un si dangereux et malaysé chemin, il dict quil nous veut perdre; quicomque dict quil nous a embarqués a la mercy [des vents] et de la marëe, sans nous donner un expert pilote qui sache bien entendre sur la bussole et la charte marine, il dict que ce Seigneur a faute de provoyance; quicomque dict que ce bon Pere nous a envoyés en cest'escole Ecclesiastique, sachant que l'erreur y estoit enseignëe, il dict quil a voulu nourrir nostre vice et nostre ignorance.

  A001000389 

 Mays qui considerera le tesmoignage que Dieu a donné pour l'Eglise, si authentique, il verra que dire, l'Eglise erre, n'est autre sinon dire, Dieu erre, ou se plaict et veut qu'on erre, qui seroit un grand blaspheme: car, n'est ce pas Nostre Seigneur qui dict: Si ton [frere] a peché (contre toy), dis le a l'Eglise; que si quelqu'un n'entend l'Eglise, quil te soit comme ethnique [74] et peager? Voyes vous comme Nostre Seigneur nous renvoÿe a l'Eglise en nos differens, et quelz qu'ilz soyent? mays combien plus es injures et differens plus importans? certes, si je suys obligé, apres l'ordre de la correction fraternelle, d'aller a l'Eglise pour fayre amander un vicieux qui m'aura offencé, combien plus seray je obligé d'y deferer celuy qui apelle toute l'Eglise Babilone, adultere, idolatre, mensongere, parjure? d'autant plus principalement qu'avec ceste sienne malveillance il pourra desbaucher et infecter tout'une province, le vice d'heresie estant si contagieux que comme chancre il se va tousjours traynant plus avant pour un tems.

  A001000389 

 Quand donques j'en verray quelqu'un qui dira que tous nos peres, ayeulz et bisayeulz ont idolatré, corrompu l'Evangile et prattiqué toutes les meschancetés qui s'ensuyvent de la cheute de Religion, je m'addresseray a l'Eglise, le jugement de laquelle chacun doit subir.

  A001000389 

 Que si elle peut errer, ce ne sera plus moy, ou l'homme, qui nourrira cest erreur au monde, ce sera nostre Dieu mesme qui l'authorisera et mettra en credit, puysqu'il nous commande d'aller a ce tribunal pour y ouyr et recevoir justice: ou il ne sçait pas ce que s'y faict, ou il nous veut decevoir, ou c'est a bon escient que la vraÿe justice s'y administre, et les sentences sont irrevocables.

  A001000390 

 C'est le mesme que saint Pol enseigne, quand il appelle l'Eglise colomne et fermeté de verité.

  A001000390 

 Ell'est bien tellement asseurëe et ferme que toutes les portes d'enfer, c'est a dire toutes les forces ennemies, ne sçauroient s'en rendre maistresses; et ne seroit ce pas place gaignëe pour l'ennemy si l'erreur y entrait, es choses qui sont pour l'honneur et le service du Maistre? Nostre Seigneur est le chef de l'Eglise; a on point d'honte d'oser dire que le cors d'un chef si saint soit adultere, prophane, corrompu? et qu'on ne die pas que ce soit de l'Eglise invisible, car s'il y a point: d'Eglise visible (comme je l'ay monstré cy dessus) [76] Nostre Seigneur en est le chef; oyes saint Pol: Et ipsum dedit caput supra omnem ecclesiam, non sur un'eglise de deux que vous imagines, mais sur tout'Eglise.

  A001000390 

 La ou deux ou trois se trouveront assemblés au nom de Nostre Seigneur, il se trouve au milieu d'eux: ah, qui dira que l'assemblëe de l'universelle Eglise de tous tems ayt esté abandonnee a la mercy de l'erreur et de l'impieté?.

  A001000390 

 Mays dites moy, si l'Eglise a en garde les Escritures, pourquoy est ce que Luther les prit et les porta hors d'icelle? et pourquoy est ce que vous ne prenes de ses mains aussy bien les Macabbëes, l'Ecclesiastique et tout le reste comme l'Epistr'aux Hebrieux? car elle proteste d'avoir aussy cherement en garde les uns que les autres.

  A001000390 

 N'est ce pas a dire que la verité est soustenue fermement en l'Eglise? ailleurs la verité n'est soustenue que par intervales, ell'en tumbe souvent, mays en l'Eglise ell'y est sans vicissitude, immuablement, sans chanceler; bref, stable et perpetuelle.

  A001000390 

 Respondre que saint Pol veut dire que l'Escriture a esté remise en garde a l'Eglise, et rien plus, c'est trop ravaler la similitude quil propose, car c'est bien autre chose, soustenir la verité, que, garder l'Escriture.

  A001000391 

 Je conclus, donques, que quand nous voyons que l'Eglise universelle a esté et est en creance de quelqu'article, soyt que nous le voyons expres en l'Escriture, soyt quil en soit tiré par quelque deduction, ou bien par Tradition, nous ne devons aucunement conteroller ni disputer ou douter sur iceluy, ains prester l'obeissance et l'hommage a ceste celeste Reyne que Nostre Seigneur commande, et regler nostre foy a ce niveau.

  A001000391 

 Que si c'eust esté impieté aux Apostres de contester avec leur Maystre, aussy le sera ce a qui contestera contre l'Eglise; car si le Pere a dict du Filz, Ipsum audite, le Filz a dict de l'Eglise, Si quis Ecclesiam non audiverit, sit tibi tanquam etnicus et publicanus..

  A001000397 

 Calvin se voudroit bien couvrir par une distinction, disant que l'Eglise peut errer en choses non necessaires au salut, non es autres, mays Beze confesse librement qu'ell'a tant erré [77] qu'elle n'est plus Eglise; et cela n'est ce pas errer en choses necessaires au salut? mesme quil avoüe qu'hors l'Eglise il ni a point de salvation.

  A001000397 

 Et dict de Beze quil a apris ceste façon de parler de ceux qui l'ont instruict en sa religion prætendue, c'est a dire, de Calvin; et de vray, si Calvin pensoit que l'Eglise Romayne n'eust pas erré es choses necessaires a salut il eust eu tort de s'en separer, car y pouvant faire son salut, et y estant le vray Christianisme, il eust esté obligé d'y demeurer pour son salut, lequel ne pouvoit estr'en deux lieux differentz..

  A001000397 

 Il s'ensuit donques de son dire, quoy quil se tourne et contourne de tous costés, que l'Eglis'a erré es choses necessaires a salut: car, si hors l'Eglise on ne trouve point de salut, et l'Eglise a tant erré qu'elle n'est plus Eglise, certes en elle ni a point de salut; or est il qu'elle ne peut perdre le salut que se destournant des choses necessaires a salut, ell'a donq failly en choses necessaires a salut: autrement, ayant ce qui est necessaire a salut elle seroit la vraÿe Eglise, ou on se sauveroit hors la vraÿe Eglise, qui ne se peut.

  A001000397 

 Ilz crient haut et clair qu'ell'a demeuré 800 ans en adultere et antichrestienne, des saint Gregoire jusqu'a Wiclef, que Beze tient pour le premier restaurateur du Christianisme.

  A001000398 

 Mays on ne se peut eschapper de ce costé la: car, quell'Eglise i avoit il au monde il y a deux cens, trois cens, quatre cens et cinq cens ans, sinon l'Eglise Catholique Romayne, toute telle qu'ell'est a præsent? il ni avoit point d'autre sans doute; donques, c'estoit la vraÿe Eglise et neantmoins erroit, ou il ni avoit point de vraÿe Eglise au monde: et en ce cas la encores est il contraint d'avoüer que cest aneantissement estoit venu par erreur intolerable et en choses necessaires a salut, car, quand a ceste dissipation de fideles et secrett'Eglise quil cuyde produire, j'en ay desja asses faict voir la vanité cy devant; outre ce que quand ilz confessent que l'Eglise visible peut errer, ilz violent l'Eglise a laquelle Nostre Seigneur nous adresse en nos difficultés, et que saint Pol apelle colomne et pilier de verité, car ce n'est [78] que de la visible delaquelle s'entendent ces tesmoignages, sinon qu'on voulut dire que Nostre Seigneur nous eust renvoyé a parler a une chose invisible, imperceptible et du tout inconneüe, ou que saint Pol enseignat son Timothëe a converser en un'assemblëe delaquelle il n'eut aucune connoissance..

  A001000398 

 On me dira peut estre que de Beze dict bien que l'Eglise Romayne qui est aujourdhuy erre en choses necessaires, et que partant il s'en est separé, mays quil ne dict pas que la vraÿe Eglise ait jamais erré.

  A001000399 

 Mays n'est ce pas violer tout le respect et la reverence deüe a ceste Reyne espouse du Roy celeste, d'avoir ramené sur ses terres quasi toutes les troupes que cy devant, avec tant de sang, de sueurs et de travaux, ell'avoyt par solemnelle punition bannies et chassées de ses confins, comme rebelles et conjurées ennemyes de sa coronne, j'entens, d'avoir remis sus pied tant d'heresies et fauses opinions que l'Eglise avoit condamnees comme entreprenans la sauverayneté sur l'Eglise, absoulvans ceux qu'ell'a condamnés, condamnés ceux qu'ell'avoit absoutz? Voyci des exemples..

  A001000400 

 Quoy quilz nient le mot ilz suyvent la chose et le cors de cest'hæresie, si hæresie se doit appeller, non atheisme; de quoy tant de doctes hommes les convainquent par leurs propres paroles que je ne m'y amuseray pas..

  A001000400 

 Simon Magus disoit que Dieu estoit cause de peché, dict Lyrinensis; mays Calvin et Beze n'en disent rien moins, le premier au traitté De l'eternelle prædestination, le second en la Responce a Sebastien Castalio.

  A001000401 

 Judas, dict saint Hierosme, pensoit que les miracles quil voyoit partir de la main de Nostre Seigneur fussent operations et illusions diaboliques; je ne sçay si vos ministres pensent ce quilz dient, mays que disent quand on produict les miracles sinon que ce sont sorceleries? les glorieux miracles que Nostre Seigneur faict au Mondevis, au lieu de vous, ouvrir les yeux, qu'en dites vous?.

  A001000402 

 Les Pepuziens, dict saint Augustin, (ou Montanistes [79] et Phriges comme les apelle le Code) admettoyent a la dignité de prestrise les femmes; qui ne sçait que les freres Anglois tiennent Elisabeth leur Reyne pour chef de leur eglise?.

  A001000404 

 Encores croyoyent ilz qu'un mauvais homme ne peut baptiser; Wiclef en disoit tout autant, que j'apport'en jeu par ce que de Beze le tient pour un glorieux reformateur.

  A001000404 

 Les Donatistes croyoient que l'Eglise s'estoit perdue en tout le monde, et qu'elle leur estoit demeurëe seulement a eux; vos ministres parlent ainsy.

  A001000405 

 Jovinien, au tesmoignage de saint Augustin (l. De hæresibus, ad quodvult Deus, c. 82.), vouloit qu'on mangeast en tout tems et contre toute prohibition toutes sortes de viandes, disoit que les jeusnes n'estoyent point meritoires devant Dieu, que les sauvés estoyent esgaux en gloire, que la virginité n'estoit rien plus que le mariage, et que tous les pechés estoyent egaux: chez vos maistres on enseigne le mesme..

  A001000406 

 Vigilance (comm'escrit saint Hierosme, 1. Adversus Vigilantium, et 2 epistolis adversus eundem ) nia qu'on deut avoir en honneur les reliques des Saints, que les prieres des Saints fussent profitables, que les prestres deussent vivr'en cælibat, la pauvreté volontaire: que ne nies vous pas de tout cecy?.

  A001000408 

 I. Il disoit que la seule foy suffisoit a salut et justifioit, Aug., Hær. 54.

  A001000408 

 Quand au premier trait, voyes de Beze en son traitté Des marques de l'Eglise; quand au second, n'est il pas d'accord avec ceste tant celebre sentence de Luther, que de Beze tient pour tresglorieux reformateur: Vides quam dives sit homo Christianus sive baptizatus, qui etiam volens non potest perdere salutem suam, quantiscumque peccatis, nisi nolit credere?.

  A001000410 

 ; et que crient vos ministres tout le jour?.

  A001000410 

 Lucifer apelloit son eglise seulement la vraÿe eglise, et disoit que l'Eglise ancienne, d'Eglise estoit devenue un bordeau, Hier., Contra Lucif.

  A001000415 

 Ah, je vous prie, n'est ce pas fouler aux pieds la majesté de l'Eglise, que de produyre comme reformations et reparations necessaires et saintes, ce qu'ell'a tant abominé lhors qu'elle estoit en ses plus pures annëes, et qu'ell'avoyt terrassé comm'impieté, ruyne et degast de la vraÿe doctrine? L'estomac delicat de ceste celeste Espouse n'avoit pieça peu soustenir la violence de ces venins, et l'avoit rejetté avec tel effort que plusieurs veynes de ses Martirs en estoyent esclattëes, et maintenant vous le luy repræsentes comm'une præcieuse medecine.

  A001000415 

 Imagines vous donques ceste [82] venerabl'antiquité, au ciel au tour du Maistre, qui regardent vos reformatoyres: ilz y sont allés combattans les opinions que les ministres adorent, ilz ont tenuz pour hæretiques ceux dont vous suyves les pas; penses vous que ce quilz ont jugé erreur, hæresie, blaspheme es Arriens, Manicheens, en Judas, ilz le trouvent maintenant sainteté, reformation, restauration? Qui ne voit que c'est icy le plus grand mespris qu'on peut fair'a la majesté de l'Eglise? Si vous voules venir a la succession de la vraye et sainte Eglise de ces premiers siecles, ne contrevenes donq pas a ce qu'ell'a si sollemnellement establi et constitué.

  A001000415 

 Les Peres que j'ay cité ne les eussent jamais mis au roole des hæretiques s'ilz n'eussent veu le cors de l'Eglise les tenir pour telz; c'estoyent des plus orthodoxes, et qui estoyent confederés a tous les autres Evesques et Docteurs catholiques de leur tems, qui monstre que ce quilz tenoyent pour hæretique l'estoyt a bon escient.

  A001000415 

 Or sus, ceste seul'alliance d'opinions, ou pour mieux dire, cest estroit parantage et consanguinité, que vos premiers maistres avoyent avec les plus cruelz, enviellis et conjurés ennemis de l'Eglise, vous devoyt elle pas destourner de les suyvre et vous renger sous leurs enseignes? Je n'ay cotté pas un'hæresie qui n'ait esté tenue pour telle en l'Eglise que Calvin et Beze confessent avoir esté vraÿe Eglise, a sçavoir, es premiers cinq cens du Christianisme.

  A001000415 

 Personne ne peut estre heritier en partie, et en partie non; acceptes l'heritage resolument: les charges ne sont pas si grandes qu'un peu d'humilité n'en face la rayson, dir'adieu a ses passions et opinions, et passer conte du different que vous aves [avec] l'Eglise; les honneurs sont infinis, d'estr' heritiers de Dieu, cohæritiers de Jesuchrist, en l'heureuse compaignie de tous les Bienheureux.

  A001000424 

 C'est de l'Eglise que saint Pol dict a son cher Thimotee, 3: Ut scias quomodo oporteat te conversari in domo Dei, quæ est Ecclesia, columna et firmamentum veritatis; c'est d'icelle que David dict: Beati qui habitant in domo tua Domine; c'est d'elle que l'Ange dict: Regnabit in domo Jacob in æternum; c'est d'elle que Nostre Seigneur: In domo Patris mei mansiones multæ sunt, Simile est regnum cælorum homini patrifamilias, Mat.

  A001000424 

 Combien de fois et en combien de lieux, l'Eglise, tant militante que triomphante, et au Viel et au Nouveau Testament, soit appellëe mayson et famille, il me semblerait tems perdu d'en vouloir faire recherche, puisque cela est tant commun es Escritures que ceux qui les ont leües n'en douteront jamais, et qui ne les a leües, incontinent quil les lira, il trouvera quasi par tout ceste façon de parler.

  A001000425 

 Jamais vous ne trouveres que toutes les parties de quelque notable et grande province se soient employëes a se gouverner soy mesme, mays falloit, faut et faudra que ou un homme seul, ou un seul cors d'hommes residens en quelque lieu, ou une seule ville, ou quelque petite portion d'une province, aye gouverné le reste de la province, si la province estoit grande.

  A001000425 

 Mays supposé, ce qui est tres faux, que quelque province particuliere se fust gouvernee d'elle mesme, comment est ce qu'on le pourroit dire de l'Eglise Chrestienne, laquelle est si universelle qu'elle comprend tout le monde? comment pourroit elle estre une si elle se gouvernoit d'elle mesme? autrement, il faudroit tousjours avoir un concile debout de toutes les eveschés, et qui l'advoera? il faudroit que tous les Evesques fussent tousjours absens, et comme se pourroit faire cela? Et si tous les Evesques estoient pareilz, qui les assembleroit? Mays quelle peyne serait ce, quand on aurait quelque doute en la foy, de fayre assembler un concile? Il ne se peut nullement donques fayre, que toute l'Eglise, et chasque partie d'icelle, se gouverne elle mesme sans se rapporter l'une a l'autre..

  A001000426 

 Ou c'est une province, ou une ville, ou un'assemblee, ou un particulier: si c'est une province, ou est elle? ce n'est pas l'Angleterre, car quand ell'estoit Catholique, ou [lui trouvez-vous ce droit? si vous proposez une autre province,] ou sera elle? et pourquoy plustost celle la qu'un'autre? outre ce que pas une province n'a jamais demandé ce privilege.

  A001000426 

 Si c'est une ville, il faut que ce soit l'une des patriarchales: ores, des patriarchales il ni en a que cinq, Rome, Antioche, Alexandrie, Costantinople et Hierusalem; laquelle des cinq? toutes sont payennes fors Romme.

  A001000427 

 Concluons donques que Nostre Seigneur, partant de [86] ce monde, affin de laisser unie toute son Eglise, il laissa un seul gouverneur et lieutenant general, auquel on doit avoir recours en toutes necessités..

  A001000433 

 Ce qu'estant ainsy, je vous dis que ce serviteur general, ce dispensateur et gouverneur, ce maistre valet de la maison de Nostre Seigneur, c'est saint Pierre, lequel a rayson de cela peut bien dire: O Domine, quia ego servus; et non pas seulement servus, mais doublement, quia qui bene præsunt duplici honore digni sunt; et non seulement servus tuus, mais encores filius ancillæ tuæ.

  A001000433 

 Nostre Seigneur, donques, respond a [87] saint Pierre comme voulant dire: ce que j'ay dict en general appartient a tous, mais a toi particulierement, car, qui penses tu estre le serviteur prudent et fidele?.

  A001000433 

 Saint Luc nous monstre bien que saint Pierre est ce serviteur, car, apres avoir raconté que Nostre Seigneur avoit dict par advertissement a ses disciples: Beati servi quos cum venerit Dominus invenerit vigilantes; amen, dico vobis, quod præcinget se, et faciet illos discumbere, et transiens ministrabit illis, saint Pierre seul interrogea Nostre Seigneur: Ad nos dicis hanc parabolam an et ad omnes? Nostre Seigneur, respondant a saint Pierre, ne dict pas: Qui putas erunt fideles, comm'il avoit [dit] beati servi, mais, Quis putas est dispensator fidelis et prudens, quem constituit Dominus super familiam suam ut det illis in tempore tritici mensuram? Et de faict, Theophylacte dict que saint Pierre fit ceste demande comme ayant la supresme charge de l'Eglise, et saint Ambroise, l. 7.

  A001000433 

 sur saint Luc, dict que les premieres paroles, beati, s'entendent de tous, mais les secondes, quis putas, s'entendent des Evesques, et beaucoup plus proprement du sauverain.

  A001000434 

 Ainsy saint Pierre est appellé Pierre sur laquelle l'Eglise est fondëe: Tu es Cephas, et super hanc petram: or est il que cephas veut dire en siriac une pierre, aussi bien que sela en hebreu, mais l'interprete latin a dict Petrus, pour ce qu'en grec il y a Petros, qui veut aussi bien dire pierre comme petra; et Nostre Seigneur, en saint Mathieu, 7, dict que l'homme sage faict sa mayson et la fonde sur le rocher, supra petram: en quoy le diable, pere de mensonge, singe de Nostre Seigneur, a voulu faire certaine imitation, fondant sa malheureuse heresie principalement en un diocese de saint Pierre, et en une Rochelle.

  A001000434 

 De plus, Nostre Seigneur demande que ce serviteur soit prudent et fidele, et saint Pierre a bien ces deux conditions: car, la prudence comme luy peut elle manquer, puysque ni la chair ni le sang ne le gouverne poinct, mais le Pere celeste? et la fidelité comme luy pourroit elle fallir, puysque Nostre Seigneur [dit]: Rogavi pro te ut non deficeret fides tua? lequel il faut croire que exauditus est pro sua reverentia, de quoy il donne bien bon tesmoignage quand il adjouste, Et tu conversus confirma fratres tuos, comme s'il vouloit dire: j'ay prié pour toy, et partant sois confirmateur des [88] autres, car pour les autres je n'ay pas prié sinon quilz eussent un refuge asseuré en toy..

  A001000440 

 Concluons donques quil falloit, que Nostre Seigneur abandonnant son Eglise quand a son estre corporel et visible, il laissast un lieutenant et vicaire general visible, et cestuy ci c'est saint Pierre, dont il pouvoit bien [dire]: O Domine, quia ego servus tuus.

  A001000440 

 Vous me dires, ouy, mais Nostre Seigneur n'est pas mort, et d'abondant il est toujours avec son Eglise, pourquoy donques luy bailles vous un vicaire? Je vous respons que n'estant pas mort il n'a poinct de successeur, mais seulement un vicaire, et d'abondant, quil assiste vrayement a son Eglise en tout et par tout de sa faveur invisible, mais, affin de ne faire pas un cors visible sans un chef visible, il luy a encores voulu assister en la personne d'un lieutenant visible, par le moyen duquel, outre les faveurs invisibles, il administre perpetuellement son Eglise en maniere et [forme] convenable a la suavité de sa disposition..

  A001000441 

 Je sçay bien comm'un grand personnage l'explique, mays il me semble que ce passage la d'Isaïe [89] se doit du tout interpreter sans sortir du chap. 16 de saint Mathieu, Evangile du jourdhuy.

  A001000441 

 Je vous accorde que tant la militante que la triomphante Eglise sont fondëes sur Nostre Seigneur comme sur le fondement principal, mays Isaïe nous prædict qu'en l'Eglise on devoit avoir deux fondements, au chap. 28: Ecce ego ponam in fundamentis Sion lapidem, lapidem probatum, angularem, prætiosum, in fundamento fundatum.

  A001000441 

 La donques Isaïe, se plaignant des Juifz et de leurs prestres en la personne de Nostre Seigneur, de ce que ils ne voudroyent pas croyre, Manda, remanda, expecta, reexpecta, et ce qui s'ensuit, il adjouste: Idcirco hæc dicit Dominus, et partant le Seigneur a dict, Ecce ego mittam in fundamentis Sion lapidem..

  A001000441 

 Vous me dires encores, quil ni a poinct d'autre fondement que Nostre Seigneur en l'Eglise: Fundamentum aliud nemo potest ponere præter id quod positum est, quod est Christus Jesus.

  A001000443 

 Escoutes saint Mathieu; il dict que Nostre Seigneur y jettera une pierre esprouvëe: quelle preuve voules vous autre que cellela, Quem dicunt homines esse Filium hominis? question difficile, a laquelle saint Pierre, expliquant le secret et ardu mistere de la communication des idiomes, respond si pertinement que rien plus, et faict preuve quil est vrayement pierre, disant, Tu es Christus, Filius Dei vivi..

  A001000444 

 Escoutes l'estime que Nostre Seigneur faict de saint Pierre: Beatus es, Simon Bar Jona..

  A001000450 

 Vous sçaves que tous tant que nous sommes de Catholiques reconnoissons le Pape comme vicaire de Nostre Seigneur: l'Eglise universelle le reconneut dernierement a Trente, quand elle s'addressa a luy pour confirmation de ce qu'elle avoit resolu, et quand elle receut ses deputés comme presidens ordinaires et legitimes du Concile..

  A001000451 

 Je perdrois tems aussi de vous [prouver que vous] n'aves point de chef visible; vous ne le nies pas.

  A001000451 

 Les Anglois tiennent leur Reyne pour chef de leur eglise, contre la pure Parole de Dieu: si ne sont ilz pas si desesperés, que je sçache, qu'ilz veuillent qu'elle soit chef de l'Eglise Catholique, mais seulement de ces miserables pays.

  A001000451 

 Vous estes si esloignés de vouloir reconnoistre un chef universel, que mesme vous n'aves point de chef provincial; les ministres sont autant parmi vous l'un que l'autre, et n'ont aucune prerogative au Consistoire, ains sont inferieurs, et en science et en voix, au president qui n'est pas ministre.

  A001000452 

 Au contraire, il y a une Eglise au monde, vraye et legitime, qui a un chef visible, il n'y en a point qui en aye un que la nostre, la nostre donques seule est la vraye Eglise.

  A001000458 

 Il ne se peut donques faire que la vraye Eglise soit en dissention ou division de creance et doctrine, car Dieu n'en seroit plus autheur ni espoux, et, comme royaume divisé en soy mesme, elle periroit.

  A001000458 

 Tout aussi tost que Dieu prend un peuple a soy, comme il a faict l'Eglise, il luy donne l'unité de cœur et de chemin.

  A001000464 

 Qu'on coure tout le monde, et par tout on verra mesme foy es Catholiques; que s'il y a quelque diversité d'opinion, ou ce ne seroit pas en chose appartenant a la foy, ou tout incontinent que le Concile general ou le Siege Romain en aura determiné, vous verres chacun se ranger a leur definition.

  A001000464 

 Tous tant qu'il y a de Catholiques en [93] cest aage sont en mesme resolution; nous tenons l'Eglise Romaine pour nostre rendes vous en toutes nos difficultés, nous sommes tous ses humbles enfans et prenons nourriture du lait de ses mammelles, nous sommes tous branches de ceste tige si feconde et ne tirons autre suc de doctrine que de ceste racine.

  A001000464 

 « Il faut, » ce dict saint Irenee, « que tous les fidelles s'assemblent et viennent joindre a l'Eglise Romaine, pour sa plus puissante principauté.

  A001000464 

 » Le bon Optatus disoit ainsy aux Donatistes: « Tu ne peux nier que tu ne sçaches qu'en la ville de Rome la principale chaire a esté premierement conferee a saint Pierre, en laquelle a esté assis le chef de tous les Apostres, saint Pierre, dont il fut appellé Cephas, chaire en laquelle l'unité fut de tous gardee, affin que les autres Apostres ne voulussent pas se pretendre et defendre chacun la sienne, et que des ores celuy la fust schismatique et pecheur, qui voudroit se bastir une autre chaire contre ceste unique chaire.

  A001000465 

 Au contraire, Messieurs, vos premiers maistres n'eurent pas plus tost esté sus pied, ilz n'eurent pas plus tost pensé de se bastir une tour de doctrine et de science qui allast toucher a descouvert dans le ciel, et leur acquist la grande et magnifique reputation de reformateurs, que Dieu, voulant empescher cest ambitieux dessein, permit entre eux une telle diversité de langage et de creance, qu'ilz commencerent a se cantonner qui ça qui la, si que toute leur besoigne ne fut qu'une miserable Babel et confusion.

  A001000465 

 Je diray seulement ce que vous ne pouves pas ignorer, et que je vois maintenant de mes yeux..

  A001000466 

 Il ne s'agit pas icy que les uns les fassent, les autres non, car ce ne seroit pas contrarieté de religion, mays ce que vous et quelques Suisses observes, les autres le condamnent comme contraire a la pureté de religion.

  A001000466 

 Les Puritains en Angleterre tiennent comme article de foy qu'il n'est pas loysible de precher, baptizer, prier, es eglises qui ont esté autrefois aux Catholiques, mais on n'est pas si despiteux de deça: mais notes que j'ay dict qu'ilz le tiennent pour article de foy, car ilz souffrent et les prisons et les bannissemens plustost que de s'en desdire.

  A001000466 

 Les huguenotz françois tiennent que selon la Parole de Dieu les prestres ne sont pas moindres que les Evesques; les Anglois ont des Evesques qui commandent aux prestres, et entre eux, deux Archevesques, dont l'un est appellé Primat, nom auquel Calvin veut si grand mal.

  A001000466 

 Ne sçaves pas que l'un de vos plus grans ministres dict a Poissy que le Cors de Nostre Seigneur estoit « aussi loin de la cene que la terre du ciel »? et ne sçaves pas encores que cela est tenu pour faux par plusieurs des autres? l'un de vos maistres n'a il pas confessé dernierement la realité du Cors de Nostre Seigneur en la cene, et les autres la nient ilz pas? Me pourres vous nier, qu'au fait de la [95] justification vous soyes autant divisés entre vous autres comme vous Testes d'avec nous? tesmoin l' Anonyme disputateur.

  A001000466 

 Vous n'aves pas un mesme canon des Escritures; Luther n'y veut pas l'Epistre de saint Jaques, que vous receves.

  A001000467 

 Certes, la division qui est entre vous au nombre des Sacremens [est remarquable]: maintenant, communement, parmi vous on ne met que deux Sacremens; Calvin en a mis trois, adjoustant au baptesme et cene, l'ordre; Luther y met la penitence pour troisiesme puys dit qu'il n'y en a qu'un; en fin les protestans au colloque de Ratisbonne, auquel se trouva Calvin, tesmoin Beze en sa Vie, confesserent qu'il [y] avoit sept Sacremens.

  A001000467 

 Ceux qui sont divisés en plusieurs partis ne peuvent estre appellés du nom d'Eglise, parce que, comme dict saint Chrisostome, « le nom d'Eglise est un nom de consentement et concorde.

  A001000467 

 En l'article de la toute puissance de Dieu, comment est ce que vous y estes divisés? pendant que les uns nient qu'un cors puisse estre, voire par la vertu divine, en deux lieux, les autres nient toute puissance absolue, les autres ne nient rien de tout cela.

  A001000467 

 Mays le pis est que vous ne vous sçauries accorder; car, ou prendres vous un arbitre asseuré? Vous n'aves point de chef en terre pour vous addresser a luy en vos difficultés; vous croyes que l'Eglise mesme peut s'abuser et abuser les autres; vous ne voudries mettre vostre ame en main si peu asseuree, ou vous n'en tenes pas grand conte.

  A001000467 

 Que si je voulois vous monstrer les grandes contrarietés qui sont en la doctrine de ceux que de Beze reconnoit tous pour glorieux reformateurs de l'Eglise, a sçavoir, Hierosme de Prague, Jehan Hus, Wiclef, Luther, Bucer, Œcolampade, Zuingle, Pomeran et les autres, je n'aurois [96] jamais faict: Luther seul vous instruira asses de la bonne concorde qui est entre eux, en la lamentation qu'il faict contre les Zuingliens et Sacramentaires, qu'il appelle Absalons, et Judas, et espritz svermeriques, l'an mil cinq cens vingt sept.

  A001000467 

 Toute ceste division a son fondement au mespris que vous faites d'un chef visible en terre, car, n'estans point liés pour l'interpretation de la Parole de Dieu a aucune superieure authorité, chacun prend le parti que bon luy semble: c'est ce que dit le Sage, que les superbes sont tousjours en dissention, qui est une marque de vraye heresie.

  A001000468 

 Ceste unité de langage est en nous un vray signe que nous sommes l'armee du Seigneur, et vous ne pouves estre reconneus que pour Madianites, qui ne faites en vos opinions que criailler et hurler chacun a sa mode, chamailler les uns sur les autres, vous entr'esgorgeans et [97] massacrans vous mesmes par vos dissentions, ainsy que dict Dieu par Isaïe: Les Egyptiens choqueront contre les Egyptiens, et l'esprit d'Egypte se rompra: et saint Augustin dict que « comme Donatus avoit tasché de diviser Christ, ainsy luy mesme par une journelle separation des siens estoit divisé en luy mesme.

  A001000468 

 Mays quant a nous autres, nous avons tous un mesme canon des Escritures, et un mesme chef, et pareille regle pour les entendre; vous aves diversité de canon, et en l'intelligence vous aves autant de testes et de regles que vous estes de personnes.

  A001000474 

 Elle est sainte ençores parce que l'Esprit qui la vivifie est saint, et parce qu'elle est le cors mistique d'un chef qui est tres saint.

  A001000474 

 Elle l'est encores parce que toutes ses actions interieures et exterieures sont saintes; elle ne croit, ni espere, ni ayme que saintement; en ses prieres, predications, Sacremens, Sacrifice, elle est sainte.

  A001000474 

 La sainteté interieure ne se peut voir; l'exterieure ne peut servir de Marque, parce que toutes les sectes s'en vantent, et qu'il est mal aysé de reconnoistre la vraye priere, predication et administration des Sacremens.

  A001000474 

 Nostre Seigneur s'est donné pour elle, affin de la sanctifier; c'est un peuple saint, dict saint Pierre; l'Espoux est saint, et l'Espouse sainte; elle est sainte estant dediee a Dieu, ainsy que les aisnés en l'ancienne Sinagogue furent appellés saintz, pour ce seul respect.

  A001000480 

 Mays, parce que les sectes et heresies desguisent leurs vestemens en mesme façon sous une fause estoffe, outre cela elle a des parfums et odeurs qui luy sont propres, et ce sont certains signes et lustres de sa sainteté, qui luy sont tellement propres qu'aucune autre assemblee ne s'en peut vanter, particulierement en nostre aage: car, premierement, elle reluit en miracles, qui sont tres souëfves odeurs et parfums, signes expres de la presence de Dieu immortel; ainsy les appelle saint Augustin..

  A001000481 

 Et de faict, quand Nostre Seigneur partit de ce monde, il promit que l'Eglise seroit suivie de miracles: Ces marques, dict il, suivront les croyans: en mon nom ilz chasseront les diables, ilz parleront nouveaux langages, ilz osteront les serpens, le venin ne leur [99] nuira point, et par l'imposition des mains ilz gueriront les malades.

  A001000481 

 Il ne dict pas que ce fust seulement pour dix ans, ou vingt ans, mais simplement que ces miracles accompagneront les croyans.

  A001000481 

 Il ne dict pas que les seulz Apostres feroient ces miracles, mais simplement ceux qui croiront.

  A001000481 

 Il ne dict pas que tous les croyans en particulier feroient des miracles, mais que ceux qui croiront seront suivis de ces signes.

  A001000481 

 Laissons ces saintes paroles en l'estendue que Nostre Seigneur leur a donnee: les croyans sont en l'Eglise, les croyans sont suivis de miracles, donques en l'Eglise il y a des miracles; il y a des croyans de tous tems, les croyans sont suivis de miracles, donques en tous tems il y a des miracles..

  A001000482 

 Dieu mit en main de Moyse ces instrumens affin qu'il fust creu, dont Nostre Seigneur dict que s'il n'eust faict des miracles les Juifz n'eussent pas esté obligés de le croire.

  A001000482 

 Mais voyons un peu pourquoy le pouvoir des miracles fut laissé en l'Eglise: ce fut sans doute pour confirmer la predication evangelique; car saint Marc le tesmoigne, et saint Pol, qui dict que Dieu donnoit tesmoignage a la foy qu'il annonçoit, par miracles.

  A001000482 

 Or sus, l'Eglise doit elle pas tousjours combattre l'infidelité? et pourquoy donques luy voudries vous oster ce bon baston que Dieu luy a mis en main? Je sçay bien qu'elle n'en a pas tant de necessité qu'au commencement; apres que la sainte plante de la foy a prins bonne racine on ne la doit pas si souvent arrouser; mais aussi, vouloir lever en tout l'effect, la necessité et cause demeurant en bonne partie, c'est tres mal philosopher..

  A001000483 

 Pourquoy voules vous, donques, que la mesme Eglise cesse maintenant d'avoir des miracles? quelle rayson y auroit il? Pour vray, ce que nous avons tousjours veu, en toutes sortes de saisons, accompagner l'Eglise, nous ne pouvons que nous ne l'appellions proprieté de l'Eglise: la vraye Eglise donques faict paroistre sa sainteté par miracles.

  A001000483 

 Que si Dieu rendoit si admirable et le Propitiatoire, et son Sinaï, et son buisson ardent, parce qu'il y vouloit parler avec les hommes, pourquoy n'a il rendu miraculeuse son Eglise, en laquelle il veut a jamais demeurer?.

  A001000489 

 Icy maintenant je desire que vous vous monstries raysonnables, sans chicaneries et opiniastreté.

  A001000489 

 Informations prinses deüement et authentiquement, on trouve que, sous le commencement de ce siecle, saint François [101] de Paule a fleuri en miracles indubitables, comme est la ressuscitation des mortz; on en trouve tout autant de saint Diegue d'Alcala: ce ne sont pas bruitz incertains, mais preuves assignees, informations prinses..

  A001000490 

 Oseries vous nier l'apparition de la Croix faicte au vaillant et catholique capitaine Albuquerque et a toutes siennes gens, en Camarane, que tant d'historiens escrivent, et a laquelle tant de gens avoyent eu part?.

  A001000491 

 Le devot Gaspard Berzee, es Indes, guerissoit les malades priant seulement Dieu pour eux a la Messe, et si soudainement qu'autre que la main de Dieu ne l'eust peu faire.

  A001000492 

 Ainsy se font les miracles es Indes ou la foy n'est encores du tout affermie; desquelz je laisse un monde, pour me tenir en la briefveté que je dois..

  A001000492 

 En Meliapor on a trouvé une croix, incise sur une pierre, laquelle on estime avoir esté enterree par les Chrestiens du tems de saint Thomas: chose admirable neantmoins veritable, presque toutes les annees, environ la feste de ce glorieux Apostre, ceste croix-la sue abondance de sang, ou liqueur semblable au sang, et change de couleur, se rendant blanche pasle, puys noire, et tantost de couleur bleue resplendissante et tres aggreable, en fin elle revient a sa couleur naturelle; ce que tout le peuple voit, et l'Evesque de Cocine en a envoyé une publique attestation, avec l'image de la croix, au saint Concile de Trente.

  A001000493 

 Entre autres, il produit la guerison que [102] les Roys de France catholiques ont faict, de nostre aage mesme, de l'incurable maladie des escrouelles, ne disant autre que ces paroles: « Dieu te guerit, le Roy te touche », n'y employant autre disposition que de se confesser et communier ce jour la..

  A001000494 

 Mays que m'arreste je faire a vous produire les miracles de nostre aage? saint Malachie, saint Bernard et saint François estoyent ilz pas de nostre Eglise? vous ne le sçauries nier; ceux qui ont escrit leurs vies sont tres saintz et doctes, car mesme saint Bernard a escrit celle de saint Malachie, et saint Bonaventure celle de saint François, auxquelz ni la suffisance ni la conscience ne manquoyent point, et neantmoins ilz y racontent plusieurs grans miracles: mays sur tout les merveilles qui se font maintenant, a nos portes, a la veüe de nos Princes et de toute nostre Savoye, pres de Mondevis, devroyent fermer la porte a toutes opiniastretés..

  A001000495 

 Alhors donq, par l'opposition de vrays miracles, les illusions de l'Antichrist seront descouvertes, et comme Moïse fit en fin confesser aux magiciens de Pharaon, Digitus Dei est hic, ainsy Helie et Enoch feront en fin que leurs ennemis dent gloriam Deo cœli.

  A001000495 

 Or sus, que dires vous a cecy? dires vous que l'Antichrist fera des miracles? Saint Pol atteste qu'ilz seront faux, et pour le plus grand que saint Jan produit, c'est qu'il fera descendre le feu du ciel.

  A001000495 

 Satan peut faire telz miracles, ains en a faict sans doute; mais Dieu laissera un prompt remede a son Eglise, car a ces miracles la les serviteurs de Dieu, Helie, Enoch, comme tesmoignent [103] l'Apocalipse et les interpretes, opposeront des autres miracles de bien autre estoffe, car, non seulement ilz se serviront du feu pour chastier miraculeusement leurs ennemis, mais auront pouvoir de fermer le ciel a fin qu'il ne pleuve point, de changer et convertir les eaux en sang, et de frapper la terre du chastiment que bon leur semblera; trois jours et demy apres leur mort ilz ressusciteront et monteront au ciel, la terre tremblera a leur montee.

  A001000496 

 Les merveilles de l'Antichrist ne seront qu'une bouttade de trois ans et demy, mais les miracles de l'Eglise luy sont tellement propres que des qu'elle est fondee elle a tousjours esté reluisante en miracles; en l'Antichrist les miracles seront forcement, et ne dureront pas, mais en l'Eglise ilz y sont naturellement en sa surnaturelle nature, et partant ilz sont tousjours, et tousjours l'accompagnent, pour verifier la parole, ces signes suivront ceux qui croiront..

  A001000496 

 que les miracles de l'Antichrist ne sont pas telz que ceux que nous produisons pour l'Eglise, et partant ne s'ensuit pas que, si ceux la ne sont pas Marque d'Eglise ceux cy ne le soyent pas aussi; ceux la seront monstrés faux et combattus par des plus grans et solides, ceux cy sont solides, et personne n'en peut opposer de plus asseurés.

  A001000497 

 Or ces merveilles ne se sont faites que rarement; donques on n'en peut rien conclure: les nuees jettent quelques fois des esclairs, mays ce n'est que le soleil qui a pour marque et pour proprieté d'esclairer..

  A001000497 

 Que si Vespasien a gueri un aveugle et un boiteux, les medecins mesmes, au recit de Tacitus, trouverent que c'estoit un aveuglement et une perclusion qui n'estoyent pas incurables; ce n'est donques pas merveille si le diable les sceut guerir.

  A001000497 

 Vous diries volontiers que les Donatistes ont faict miracles, au rapport de saint Augustin; mais ce n'estoyent que certaines visions et revelations, desquelles ilz se vantoyent sans aucun tesmoignage: certes, l'Eglise ne peut estre prouvee vraye par ces visions particulieres; au contraire, ces visions ne peuvent estre prouvees ou tenues pour vrayes sinon par le tesmoignage de l'Eglise, [104] dict le mesme saint Augustin.

  A001000498 

 L'Eglise a tousjours esté accompagnee de miracles solides et bien asseurés, comme ceux de son Espoux, donques c'est la vraye Eglise; car, me servant en cas pareil de la rayson du bon Nicodeme, je diray: Nulla societas potest hæc signa facere quœ hæc facit, tam illustria aut tam constanter, nisi Dominus fuerit cum illa; et comme disoit Nostre Seigneur aux disciples de saint Jan, Dicite, cæci vident, claudi ambulant, surdi audiunt, pour monstrer qu'il estoit le Messie, ainsy, oyant qu'en l'Eglise se font de si solemnelz miracles, il faut conclure que vere Dominus est in loco isto..

  A001000499 

 Il est aysé aux apprentifz d'un mestier de s'equivoquer en leur premier essay; on faict souvent courir certains bruitz parmi vous pour entretenir le simple peuple en haleyne, mais n'ayans point d'autheur ne doivent avoir point d'authorité: outre ce que, au chassement du diable, il ne faut tant regarder ce qui se faict, comme il faut considerer la façon et la forme comme on le faict; si c'est par oraisons legitimes et invocations du nom de Jesus Christ.

  A001000499 

 On faict courir un bruit que l'un des vostres a gueri une fois un demoniaque; on ne dict toutefois point, ou, quand, comment, la personne guerie, ni quelque certain tesmoin.

  A001000499 

 Puys, une hirondelle ne faict pas le printems; c'est la suite perpetuelle et ordinaire des miracles qui est Marque de la vraye Eglise, non accident: mais ce seroit se battre avec l'ombre et le vent, de refuter ce bruit, si lasche et si debile que personne n'ose dire de quel costé il est venu..

  A001000499 

 Vous me confesseres que ce n'est pas de vostre mestier de faire des miracles, ni de chasser les diables; une fois il reussit mal a l'un de vos grans maistres qui s'en vouloit mesler, ce dict Bolsec: Illi de mortuis vivos suscitabant, ce dict Tertullien, [105] isti de vivis mortuos faciunt.

  A001000500 

 Aussi ne vous en demande je point; seulement je vous prie que vous confessies franchement que vous n'aves pas faict vostre apprentissage avec les Apostres, Disciples, Martyrs et Confesseurs, qui ont esté maistres du mestier..

  A001000500 

 Toute la responce que j'ay veüe chez vous, en ceste extreme necessité, c'est qu'on vous faict tort de vous demander des miracles: aussi faict on, je vous promets; c'est se mocquer de vous, comme qui demanderoit a un mareschal qu'il mist en œuvre une emeraude ou diamant.

  A001000501 

 Au bout de la, la doctrine que vous presches n'a jamais esté annoncee, en gros, en detail; vos predecesseurs heretiques l'ont preschee, auxquelz vous vous accordes avec chacun en quelque point et avec nul en tous, ce que je feray voir cy apres.

  A001000501 

 Mays quand vous dites que vous n'aves besoin de miracles parce que vous ne voules establir une foy nouvelle, dites moy donq encores si saint Augustin, saint Hierosme, saint Gregoire, saint Ambroise et les autres preschoyent une nouvelle doctrine, et pourquoy donq se faisoit il tant de miracles et si signalés comme ilz produisent? Certes, l'Evangile estoit mieux receu au monde qu'il n'est maintenant, il y avoit de plus excellens pasteurs, plusieurs martyres et miracles avoyent precedé, mays l'Eglise ne laissoit pas d'avoir encores ce don des miracles, pour un plus grand lustre de la tres [106] sainte Religion.

  A001000501 

 Que si les miracles doivent cesser en l'Eglise, c'eust esté au tems de Constantin le Grand, apres que l'Empire fut faict Chrestien, que les persecutions cesserent, et que le Christianisme estoit bien asseuré, mais tant s'en faut qu'ilz cessassent alhors, qu'ilz multiplièrent de tous costés.

  A001000501 

 Vostre eglise ou estoit elle, il y a 80 ans? elle ne faict que d'esclore, et vous l'appelles vielle..

  A001000502 

 Dites ce que bon vous semblera, mais en ce tems la elle avoit le caractere des miracles; monstres le nous maintenant, car, si vous ne nous monstres bien particulierement l'inscription et l'image du Roy en vostre monnoye, et nous la vous monstrons en la nostre, la nostre passera comme loyale et franche, la vostre, comme courte et rognee, sera renvoyee au billon.

  A001000502 

 Ne dites plus cela, je vous prie, [que] vous aves le metail et calibre; la foy, les Sacremens, sont ce pas des ingrediens necessaires pour la composition de l'Eglise? et vous aves tout changé, et de l'un et de l'autre; vous estes donques faux monnoyeurs, si vous ne monstres le pouvoir que vous pretendes de battre sur le coin du Roy telz calibres.

  A001000502 

 Non, non, l'Eglise ancienne estoit puissante en toute saison, en adversité et prosperité, en œuvres et en paroles, comme son Espoux, la vostre n'a que le babil, soit en prosperité ou adversité; au moins qu'elle monstre maintenant quelques vestiges de l'ancienne marque, autrement jamais elle ne sera receue comme vraye Eglise, ni fille de ceste ancienne Mere.

  A001000502 

 Que si elle s'en veut vanter davantage, on luy imposera silence avec ces saintes paroles: Si filii Abrahæ estis, opera Abrahæ facite: la vraye Eglise des croyans doit tousjours estre suivie de miracles, il n'y a point d'Eglise en nostre aage qui en soit suivie que la nostre, la nostre donques seule est la vraye Eglise..

  A001000502 

 Que si vous voulies dire qu'alhors elle estoit plus nouvelle que maintenant, je vous respondrois, qu'une si notable interruption comme est celle que vous pretendes, de 900 ou mille ans, rend ceste monnoye si estrange que si on n'y voit en grosses lettres les caracteres ordinaires, l'inscription et l'image, nous ne la recevrons jamais.

  A001000508 

 La prophetie est un tres grand miracle, qui consiste en la certaine connoissance que l'entendement humain a des choses sans experience ni aucun discours naturel, par l'inspiration surnaturelle; et partant, tout ce que j'ay dit des miracles en general doit estre employé en cecy: mays, outre cela, le prophete Joël predict qu' au dernier tems, c'est a dire, au tems de l'Eglise evangelique, comme interprete saint Pierre, Nostre Seigneur [108] respandroit sur ses serviteurs et servantes de son Saint Esprit, et qu'ilz prophetiseroient; comme Nostre Seigneur avoit dict: Ces signes suivront ceux qui croiront.

  A001000509 

 Adjoustes, comme je disois des miracles, qu'en toutes les saisons l'Eglise a eu des prophetes; nous ne pouvons donques dire que ce ne soit une de ses proprietés et une bonne piece de son douaire.

  A001000509 

 L'Ange dict, en l'Apocalipse, que le tesmoignage de Nostre Seigneur c'est l'esprit de prophetie: or, ce tesmoignage de l'assistance de Nostre Seigneur n'est pas seulement donné pour les infidelles, mais principalement pour les fidelles, ce dict saint Pol; comme donques diries vous que Nostre Seigneur l'ayant donné une fois a son Eglise il le luy leva par apres? le principal sujet pour lequel il luy a esté concedé y est encores, donques la concession dure tousjours.

  A001000516 

 Calvin a voulu, ce semble, prophetiser, en la preface sur son Catechisme de Geneve, mais sa prediction est tellement favorable pour l'Eglise Catholique, que quand nous en aurons l'effect nous sommes contens de le tenir pour tel quel prophete.

  A001000516 

 Nous sçavons que les Sybilles furent comme les prophetesses des Gentilz, desquelles parlent presque tous les Anciens; Balaam aussi prophetisa, mais c'estoit pour la vraye Eglise; et partant leur prophetie n'authorisoit pas l'eglise; en laquelle elle se faisoit, mais celle pour laquelle elle se faisoit: quoy que je ne nie pas qu'entre les Gentilz il n'y eust une vraye Eglise de peu de gens, ayans la foy d'un vray Dieu et l'observation des commandemens naturelz en recommandation, par la grace divine; tesmoin Job en l'ancienne Escriture, et le bon Cornelius, avec ces autres soldatz craignans Dieu, en la nouvelle.

  A001000516 

 Ores, ou sont vos prophetes? et si vous n'en aves point, croyes que vous n'estes pas du cors pour l'edification duquel Nostre Seigneur [les] a laissés, au dire de saint Pol; aussi, Le tesmoignage de Nostre Seigneur c'est l'esprit de prophetie.

  A001000522 

 Je sçay que ces enseignemens ne sont pas commandemens absolus, quoy que le dernier fust commandement pour, un tems; aussi n'en veux je rien dire autre sinon que ce sont tres salutaires conseilz et exemples..

  A001000522 

 Un jeune homme riche protestoit d'avoir observé les commandemens de Dieu des sa tendre jeunesse; Nostre Seigneur, qui voit tout, le regardant l'ayma, signe qu'il estoit tel qu'il avoit dict, et neanmoins il luy donne cest advis: Si tu veux estre parfaict, va, vens tout ce que tu as, et tu auras un tresor au ciel, et me suis.

  A001000523 

 C'est cela mesmie qui avoit esté predict par Isaïe: Que l'eunuque ne dise point, voicy je suis un arbre sec, parce que le Seigneur dict ainsy aux eunuques: qui garderont mes Sabbatz, et choisiront ce que je veux, et tiendront mon alliance, je leur bailleray, en ma mayson et en mes murailles, une place et un nom meilleur que les enfans et les filles, je leur bailleray un nom sempiternel qui ne perira point. Qui ne voit icy que l'Evangile va justement joindre a la prophetie? Et en l'Apocalipse, ceux qui chantoyent un cantique nouveau, qu'autre qu'eux ne pouvoit dire, c'estoyent ceux qui ne s'estoyent point souillés avec les femmes, parce qu'ilz estoyent vierges; ceux la suivent l'Aigneau ou qu'il aille.

  A001000523 

 Puys, parlant de la vefve: Qu'elle se marie a qui elle voudra, pourveu que ce soit en Nostre Seigneur, mais elle sera plus heureuse si elle demeure ainsy, selon mon conseil; or pense je que j'ay l'esprit de Dieu.

  A001000524 

 Il veut que nous apprenions de luy l'humilité, et il s'humilioit, non seulement a qui il estoit inferieur entant qu'il portoit [113] la forme de serviteur, mais encores a ses inferieurs mesmes; il desire donques que, comme il s'est abaissé non jamais contre son devoir mais outre le devoir, ainsy nous obeissions volontairement a toutes creatures pour l'amour de luy: il veut que nous renoncions a nous mesmes par son exemple, mais il a renoncé si fermement a sa volonté qu'il s'est sousmis a la croix mesme, et a servi ses disciples et serviteurs, tesmoin celuy qui le trouvant estrange luy disoit: Non lavabis mihi pedes in æternum.

  A001000524 

 Ne sont ce pas des perpetuelles repliques et expositions de ceste tant douce leçon, Apprenes de moy que je suis debonnaire et humble de courage? et de ceste autre, Si quelqu'un veut venir apres moy, qu'il renonce a soy mesme, qu'il prenne sa croix tous les jours, et qu'il me suive? Qui garde les commandemens il renonce asses a soy mesme pour estre sauvé, c'est bien asses s'humilier pour estre exalté, mais d'ailleurs il reste une autre obeissance, humilité et renoncement de soy mesme, auquel l'exemple et les enseignemens de Nostre Seigneur nous invitent.

  A001000524 

 Que reste il donques, sinon qu'en ces paroles et actions nous reconnoissions une douce invitation a une sousmission et obeissance volontaire, vers ceux auxquels d'ailleurs nous n'avons point d'obligation? ne nous appuyans point tant peu soit il sur nostre propre volonté et jugement, selon l'advis du Sage, mais nous rendans sujetz et esclaves a Dieu et aux hommes, pour l'amour de Dieu.

  A001000525 

 Et de faict, les Escritures et exemples qui sont en icelles ne sont que pour nostre utilité et instruction; l'Eglise donques devoit prattiquer et mettre en œuvre ces si saintz advis de son Espoux, autrement c'eust esté en vain et pour neant qu'on les luy eust laissés et proposés: aussi les a elle bien sceu prendre pour soy et en faire son prouffit, et voicy dequoy..

  A001000525 

 Et qui le peut prendre? celuy qui a le don de Dieu, et personne n'a le don de Dieu que celuy qui le demande: mays, comme invoqueront celuy auquel ilz ne croyent point? comme croiront sans prèscheur? et comme prescheront ilz s'ilz ne sont envoyés? or il n'y a point [114] de mission hors l'Eglise, donques, Qui potest capere capiat ne s'addresse immediatement qu'a l'Eglise et pour ceux qui sont en l'Eglise, puysque hors de l'Eglise il ne peut estre en usage.

  A001000526 

 De ce tems la donques, le conseil des eunuques et l'autre que saint Pol baille estoyent prattiqués en l'Eglise..

  A001000527 

 Eusebe de Cesaree raconte que les Apostres instituerent deux vies, l'une selon les commandemens, l'autre selon les conseilz; et qu'il soit ainsy il appert [115] evidemment, car, sur le modelle de la perfection de vie qu'ont tenue et conseillee les Apostres, une infinité de Chrestiens ont si bien formé la leur que les histoires en sont pleines.

  A001000527 

 Qui ne sçait combien sont admirables les rapportz que faict Philon le Juif de la vie des premiers Chrestiens en Alexandrie, au livre intitulé De vita supplicum, ou Traitté de saint Marc et ses disciples? comme tesmoignent Eusebe, Nicephore, saint Hierosme et, entre autres, Epiphane qui dict que Philon escrivant des Jesseens il parloit des Chrestiens, qui pour quelque tems apres l'Ascension de Nostre Seigneur, pendant que saint Marc preschoit en Egypte, furent ainsy appellés, ou a cause de Jessé, de la race duquel fut Nostre Seigneur, ou a cause du nom de Jesus, nom de leur Maistre et qu'ilz avoient tousjours en bouche: or, qui verra les livres de Philon, connoistra en ces Jesseens et therapeutes, guerisseurs ou serviteurs, une tres parfaicte renonciation de soy mesme, de sa chair et de ses biens.

  A001000527 

 Saint Denis, en son Ecclesiastique Hierarchie, raconte que les Apostres ses maistres appelloient les religieux de son tems therapeutes, c'est a dire, serviteurs ou adorateurs, pour le special service et culte qu'ilz faisoyent a Dieu, ou moynes, a cause de l'union a Dieu en laquelle ilz s'avançoyent.

  A001000528 

 Georges, Patriarche Alexandrin, recite que saint Chrysostome abandonna tout et se rendit moyne.

  A001000528 

 Possidius en raconte tout autant de luy, et qu'il institua un monastere, ce que saint Augustin luy mesme recite en une sienne epistre.

  A001000528 

 Potitianus, gentilhomme africain, revenant de la cour de l'Empereur, raconta a saint Augustin qu'en Egypte il y avoit un grand nombre de monasteres et religieux, qui representoyent une grande douceur et simplicité en leurs mœurs, et comme il y avoit un monastere a Milan, hors ville, garni d'un bon nombre de religieux, vivans en grande union et fraternité, desquels saint Ambroise, Evesque du lieu, estoit comme abbé; il leur raconta aussi, qu'aupres de la ville de Treves il y avoit un monastere de bons religieux, ou deux courtisans de l'Empereur s'estoyent rendus moynes, et que deux jeunes damoiselles, qui estoyent fiancees a ces deux courtisans, ayans ouÿ la resolution de leurs espoux, voüerent pareillement a Dieu leur virginité, et se retirerent du monde pour vivre en religion, pauvreté et chasteté: c'est saint Augustin qui faict ce recit.

  A001000529 

 Nostre Seigneur a faict coucher en ses Escritures ces advertissemens et conseilz de chasteté, pauvreté et obeissance, il les a prattiqués et faict prattiquer en son Eglise naissante; toute l'Escriture et [117] toute la vie de Nostre Seigneur n'estoit qu'une instruction pour l'Eglise, l'Eglise donques devoit en faire son prouffit, ce devoit donques estre un des exercices de l'Eglise que ceste chasteté, pauvreté et obeissance ou renoncement de soy mesme; item, l'Eglise a tousjours faict cest exercice en tous tems et en toutes saisons, c'est donques une de ses proprietés: mays a quel propos tant d'exhortations si elles n'eussent deu estre prattiquees? La vraye Eglise donques doit reluire en la perfection de la vie Chrestienne; non ja que chacun en l'Eglise soit obligé de la suivre, il suffit qu'elle se trouve en quelques membres et parties signalees, affin que rien ne soit escrit ni conseillé en vain, et que l'Eglise se serve de toutes les pieces de la Sainte Escriture..

  A001000535 

 Je ne doute point que si vous avies hanté les congregations des Chartreux, Camaldulenses, Celestins, Minimes, Capucins, Jesuites, Theatins, et autres en grand nombre esquelles fleurit la discipline religieuse, vous ne fussies en doute si vous les devries appeller anges terrestres ou hommes celestes, et ne sçauries quoy plus admirer, ou en une si grande jeunesse une si parfaicte chasteté, ou parmi tant de doctrine une si profonde humilité, ou entre tant de [118] diversité une si grande fraternité; et tous, comme celestes abeilles, menagent en l'Eglise et y brassent le miel de l'Evangile avec le reste du Christianisme, qui par predications, qui par compositions, qui par meditations et oraisons, qui par leçons et disputes, qui par le soin des malades, qui par l'administration des Sacremens sous l'authorité des pasteurs..

  A001000536 

 Qui obscurcira jamais la gloire de tant de religieux de tous Ordres et de tant de prestres seculiers qui, laissans volontairement leur patrie, ou pour mieux dire leur propre monde, se sont [exposés] au vent et a la maree pour accoster les gens du Nouveau Monde, a fin de les conduire a la vraye foy et les esclairer de la lumiere evangelique? qui, sans autre appointement que d'une vive confiance en la providence de Dieu, sans autre attente que de travaux, misere et martyre, sans autres pretentions que de l'honneur de Dieu et du salut des ames, ont couru parmi les cannibales, Canariens, negres, Bresiliens, Moluchiens, Japonnois et autres estrangeres nations, et s'y sont confinés, se bannissans eux mesmes de leurs propres pays terrestres, affin que ces pauvres peuples ne fussent bannis du Paradis celeste.

  A001000537 

 Judas n'empescha point l'honneur de l'ordre apostolique, ni Lucifer de l'angelique, ni Nicolas du diaconat; ainsy ces abominables ne doivent empescher le lustre de tant de devotz monasteres que l'Eglise Catholique a conservés, parmi toute la dissolution de nostre siecle de fer, affin que pas une parole de son Espoux ne demeurast en vain, sans estre prattiquee..

  A001000537 

 Que si, au lieu de faire vostre prouffit de ces exemples et conforter vos cerveaux a la suavité d'un si saint parfum, vous tournes les yeux devers certains lieux ou la discipline monastique est du tout abolie, et n'y a plus rien d'entier que l'habit, vous me contraindres de dire que vous cherches les cloaques et voiries, non les jardins et vergers.

  A001000537 

 Que voules vous? le Maistre y avoit semé la bonne semence, mais l'ennemy y a sursemé la zizanie; cependant l'Eglise, au Concile de Trente, y avoit mis bon ordre, mais il est mesprisé par ceux qui le devoient mettre en execution, et tant s'en faut que les docteurs Catholiques consentent a ce malheur, qu'ilz tiennent estre grand peché d'entrer en ces monasteres ainsy desbordés.

  A001000538 

 Au moins, ne m'en sçauries vous monstrer aucun essay ni bonne volonté parmi vous autres, ou jusques aux ministres chacun se marie, chacun trafique pour assembler des richesses, personne ne reconnoist autre superieur que celuy que la force luy faict advoüer; signe evident que ceste pretendue eglise n'est pas celle pour laquelle Nostre Seigneur a presché, et tracé le tableau de tant de beaux exemples: car, si chacun se marie, que deviendra l'advis de saint Pol, Bonum est homini mulierem non tangere? si chacun court a l'argent et aux possessions, a qui s'addressera la parole de Nostre Seigneur, Nolite thesaurizare vobis thesauros in terra, et l'autre, Vade, vende omnia, da pauperibus? si chacun veut gouverner a son tour, ou se trouvera la prattique de ceste si solemnelle sentence, Qui [120] vult venire post me abneget semetipsum? Si donq vostre eglise se met en comparaison avec la nostre, la nostre sera la vraye Espouse, qui prattique toutes les paroles de son Espoux, et ne laisse pas un talent de l'Escriture inutile; la vostre sera fause, qui n'escoute pas la voix de l'Espoux, ains la mesprise: car il n'est pas raisonnable que, pour tenir la vostre en credit, on rende vaine la moindre syllabe de l'Escriture, laquelle, ne s'addressant qu'a la vraye Eglise, seroit vaine et inutile si en la vraye Eglise on n'employoit toutes ses pieces..

  A001000544 

 Ce grand Pere Vincent le Lirinois, en son tres utile Memorial, dict que sur tout on doit avoir soin de croire « ce qui a esté creu par tout [toujours, de tous.

  A001000545 

 comme les fourbeurs et chaudronniers, car le reste du monde nous appelle Catholiques; que si on y adj ouste Romaine, ce n'est sinon pour instruire les peuples du siege de l'Evesque qui est Pasteur general et visible de l'Eglise, et ja du tems de saint Ambroise, ce n'estoit autre chose estre Romains de communion qu'estre Catholiques..

  A001000546 

 Je sçai bien que parmi vous vos eglises s'appellent reformees, mais autant ont de droit sur ce nom les lutheriens, ubiquitistes, anabaptistes, trinitaires et autres engences de Luther, et ne le vous quitteront jamais.

  A001000546 

 Le nom de Religion est commun a l'eglise des Juifz et des Chrestiens, a l'ancienne Loy et a la nouvelle; le nom de Catholique c'est le propre de l'Eglise de Nostre Seigneur; le nom de reformee est un blaspheme contre Nostre Seigneur, qui a si bien formé et sanctifié son Eglise en son sang, qu'elle ne devoit jamais subir autre forme que d' espouse toute belle, de colomne et fermeté de verité.

  A001000546 

 Mais je ne puis que je ne vous die ce que de Beze, Luther et Pierre Martyr en entendent: Pierre Martyr appelle les lutheriens, lutheriens, et dict que vous estes freres avec eux, vous estes donques lutheriens; Luther vous appelle svermeriques et sacramentaires; de Beze appelle les lutheriens, consubstantiateurs et chimiques, et neantmoins les met au nombre des eglises reformees.

  A001000546 

 On peut reformer les peuples et particuliers, mais non l'Eglise ni la Religion, car, si elle estoit Eglise et Religion elle estoit bien formee, la difformation s'appelle heresie et irreligion; la teinture du sang de Nostre Seigneur est trop vive et fine pour avoir besoin de nouvelles couleurs: vostre eglise donques, s'appellant reformee, quitte sa part a la formation que le Sauveur y avoit faitte.

  A001000546 

 Voyla donques les noms nouveaux que ces reformateurs advoüent les uns pour les autres; vostre eglise, donques, n'ayant pas seulement le nom de Catholique, vous ne pouves dire en bonne conscience le Symbole des Apostres, ou vous vous juges vous mesmes, qui, confessans l'Eglise Catholique et universelle, persistes en la vostre qui ne l'est pas.

  A001000552 

 L'Eglise donques precede l'heresie: ainsy la robbe de Nostre Seigneur fut entiere avant qu'on la divisast, et bien qu'Ismaël fust devant Isaac, cela ne veut dire que la fauseté soit devant la verité, mays l'ombre veritable du Judaïsme devant le cors du Christianisme, comme dict saint Pol..

  A001000552 

 L'Eglise pour estre Catholique doit estre universelle en tems, et pour estre universelle en tems il faut qu'elle soit ancienne; l'ancienneté donques est une proprieté de l'Eglise, et en comparaison des heresies elle doit estre plus ancienne et precedente, parce que, comme dict tres bien Tertullien, la fauseté est une corruption de verité, la verité donques doit preceder.

  A001000552 

 Saint Jan dict des heretiques: Ilz sont sortis de nous, ilz estoyent donques dedans avant que de sortir; la sortie, c'est l'heresie, l'estre dedans, la fidelité.

  A001000558 

 Car vostre obéissance a esté divulguee par tout le monde; lhors que saint Pol, en une prison libre, y semoit l'Evangile; lhors qu'en icelle saint Pierre gouvernoit l'Eglise ramassee en Babylone; lhors que Clement, si fort loué par l'Apostre, y estoit assis au timon; lhors que les Cesars prophanes, comme Neron, Domitien, Trajan, Anthonin, massacroyent les Evesques romains, et lhors mesme que Damasus, Siricius, Anastasius, Innocentius y tenoyent le gouvernail apostolique: mesme au tesmoignage de Calvin, car il confesse librement qu'en ce tems la ilz ne s'estoient encores point esgarés de la doctrine evangelique.

  A001000558 

 Je sçay que, venant a vous, j'y viendray en abondance de la benediction de Jesus Christ.

  A001000558 

 Or sus donques, quand fut ce que Rome perdit ceste foy tant celebree? quand cessa elle d'estre ce qu'elle estoit? en quelle saison, sous quel Evesque, par quel moyen, par quelle force, par quel progres, la religion estrangere s'empara elle de la cité et de tout le monde? quelles voix, quelz troubles, quelles lamentations engendra elle? hé, chacun dormoit il par tout le monde pendant que Rome, Rome, dis je, forgeoit de nouveaux Sacremens, nouveaux Sacrifices, nouvelles doctrines? ne se trouve il pas un seul historien, ni grec ni latin, ni voisin ni estranger, qui ayt mis ou laissé quelques marques en ses commentaires et memoires d'une chose si grande? ».

  A001000558 

 « Vous nous confesses, et n'oseries faire autrement, que pour un tems l'Eglise Romaine fut Sainte, Catholique, Apostolique: lhors qu'elle merita ces saintes loüanges de l'Apostre: Vostre foy est annoncee par tout le monde.

  A001000559 

 Je vous prie, Messieurs, si vous sçaves quand nostre Eglise commença l'erreur pretendu, dites le nous franchement, car c'est chose certaine que, comme dict saint Hierosme, Hæreses ad originem revocasse, refutasse est.

  A001000559 

 Remontons le cours des histoires jusqu'au pied de la Croix, regardons deça et dela, nous ne verrons jamais, en pas une saison, que ceste Eglise Catholique ait changé de face, c'est tousjours elle mesme en doctrine et en Sacremens..

  A001000560 

 Nous n'avons pas besoin contre vous, en ce point, d'autres tesmoins que des yeux de nos peres et ayeux, pour dire quand vostre eglise commença.

  A001000560 

 Que si vous la voules faire plus ancienne, dites ou elle estoit avant ce tems la: ne dites pas qu'elle estoit mais invisible, car, si on ne la voyoit point qui peut [savoir] qu'elle ait esté? puys Luther vous contredit qui confesse qu'au commencement il estoit tout seul..

  A001000560 

 Voules vous que je cotte par le menu comment, par quelz succes et actions, par quelles forces et violences, ceste reformation s'empara de Berne, Geneve, Lausanne et autres villes? quelz troubles et lamentations elle a engendrés? vous ne prendries pas playsir a ce recit, nous le voyons, nous le sentons: en un mot, vostre eglise n'a pas 80 ans, son autheur est Calvin, ses effectz, le malheur de nostre aage.

  A001000561 

 Or, si Tertullien, ja de son tems, atteste que les Catholiques debouttoyent les heretiques par leur posteriorité et nouveauté, quand l'Eglise mesme n'estoit qu'en son adolescence ( Solemus, disoit il, hæreticos, compendii gratia, de posterioritate præscribere ), combien plus d'occasion avons nous maintenant? Que si l'une de nos deux eglises doit estre la vraye, ce tiltre demeurera a la nostre qui est tres ancienne, et a vostre nouveauté, l'infame nom d'heresie.

  A001000567 

 L'heresie des Nicolaïtes est ancienne, mais non universelle, car elle n'a duré que bien peu, et comme une bourrasque qui semble vouloir deplacer la mer puys tout a coup se perd en elle mesme, et comme un champignon, qui naist en quelque mauvaise vapeur, en une nuict comparoist et en un jour se perd, ainsy toutes heresies, pour anciennes qu'elles ayent esté, se sont esvanouies, mais l'Eglise dure perpetuellement..

  A001000567 

 Quoy que l'Eglise fust ancienne, si ne seroit elle pas universelle en tems si elle avoit manqué en quelque saison.

  A001000568 

 Ignores vous que Nostre Seigneur se soit acquis l'Eglise en son sang? et qui pourra la luy lever, et oster d'entre ses mains? Peut estre dires vous qu'il peut [126] la garder mais qu'il ne veut; c'est donq sa providence que vous accuses..

  A001000568 

 Ne sçait on pas la parole de Nostre Seigneur: Si je suis une fois eslevè de terre j'attireray toutes choses a moy? a il pas esté levé en croix? et comme donques auroit il laissé aller l'Eglise qu'il avoit attiree, a vau de route? comme auroit il lasché ceste prise qui luy avoit costé si cher? Le diable, prince du monde, avoit il esté chassé avec le saint baston de la Croix pour un tems de trois ou quatre cens ans, pour par apres revenir maistriser mille ans? voules vous evacuer en ceste sorte la force de la Croix? voules vous si iniquement partager Nostre Seigneur, et mettre une alternative entre luy et le diable? Pour vray, quand un fort et puissant guerrier garde sa forteresse tout y est en paix, que si un plus fort survient et le surmonte, il luy leve les armes et le despouille.

  A001000569 

 La consommation des saintz estoit elle ja faicte il y a onze cens ans? l'edification du cors mistique de Nostre Seigneur, qui est l'Eglise, avoit elle esté parachevee? Ou cesses de vous appeller edificateurs, ou dites que non; et si elle n'avoit esté achevee, pourquoy faites vous ce tort a la bonté de Dieu, que dire qu'il ayt osté et levé aux hommes ce qu'il leur avoit donné? Les dons et graces de Dieu sont sans penitence, c'est a dire, il ne les donne pas pour oster.

  A001000570 

 C'est de l'Eglise que le Psalmiste chante: Dieu l'a fondee en eternité; Son trosne (il parle de l'Eglise, trosne du Messie) ser a comme le soleil devant moy, et comme la lune parfaitte en eternité, et le tesmoin fidele au ciel; Je mettray sa race es siecles des siecles; Daniel l'appelle Royaume qui ne se dissipera point eternellement; l'Ange dict a Nostre Dame que ce royaume n'aura point de fin; Isaïe dict de Nostre Seigneur: S'il met et expose sa vie pour le peche il verra une longue race; et ailleurs: Je feray une alliance perpetuelle avec eux; ceux qui les verront les connoistront..

  A001000571 

 N'est ce pas Nostre Seigneur qui, parlant de l'Eglise, a dict que les portes d'enfer ne prevaudront point contre elle, et qui promit a ses Apostres, pour eux et leurs successeurs, Voyci que je suis avec vous jusques [127] a la consommation du siecle? Si ce conseil, dict Gamaliel, ou ceste œuvre est des hommes elle se dissipera, mays si elle est de Dieu vous ne sçauries la dissoudre: l'Eglise est œuvre de Dieu, qui donques la dissipera? Laisses la ces aveugles, car toute plante que le Pere celeste n'a pas plantee sera arrachee, mays l'Eglise a esté plantee de Dieu et ne peut estre arrachee..

  A001000572 

 Il falloit que Nostre Seigneur regnast au milieu de ses ennemis jusqu'a ce qu'il eust mis sous ses pieds et assujetti tous ses adversaires, et quand les assujettira il tous sinon au jour du jugement? mays ce pendant il faut qu'il regne parmi ses ennemis: ou sont ses ennemis sinon ça bas? et ou regne il sinon en son Eglise?.

  A001000572 

 Saint Pol dict que tous doivent estre vivifiés chacun a son tour; les premices ce sera Christ, puys ceux qui sont de Christ, puys la fin: il n'y a point d'entre deux entre ceux qui sont de Christ et la fin, d'autant que l'Eglise doit durer jusques a la fin.

  A001000573 

 Nostre Seigneur avoit mis le feu de sa charité au monde, les Apostres avec le souffle de leurs predications l'avoyent estendu et faict courir par l'univers: on dict qu'il estoit esteint par l'eau de l'ignorance et superstition; qui le pourra rallumer? le souffle n'y sert de rien; il faudroit donques peut estre [128] rebattre de nouveau avec les clouz et la lance sur Jesus Christ, pierre vivante, pour en faire sortir un nouveau feu? sinon que l'on veuille mettre Luther et Calvin pour pierre angulaire du bastiment ecclesiastique.

  A001000573 

 Qui donques dict que l'Eglise estoit morte et perdue, il accuse la providence du Sauveur; qui s'en appelle reformateur ou restaurateur, comme Beze appelle Calvin, Luther et les autres, il s'attribue l'honneur deu a Jesus Christ, et se faict plus qu'apostre.

  A001000573 

 Si ceste Espouse fust morte apres qu'elle eut receu la vie du costé de son Espoux endormi sur la Croix, si elle fust morte, dis je, qui l'eust resuscitee? La resurrection d'un mort n'est pas moindre miracle que la création: en la creation Dieu dict, et il fut faict, il inspira l'ame vivante, et si tost qu'il l'eut inspiree l'homme commença a respirer; mays Dieu voulant reformer l'homme il employa trente trois ans, sua le sang et l'eau, et mourut sur l'œuvre.

  A001000573 

 « O voix impudente, » dict saint Augustin contre les Donatistes, « que l'Eglise ne soit point parce que tu n'y es pas.

  A001000575 

 Ne dites pas donques que la bonne semence soit abolie ou estouffee, car elle croist jusques a la fin du monde..

  A001000575 

 « Que nous dites vous de nouveau? » dict saint Augustin, « faudra il encores une fois semer la bonne semence, puysque des qu'elle est semee elle croist jusqu'a la moisson? Que si vous dites que celle que les Apostres avoyent semee est par tout perdue, nous vous respondrons, lises nous cecy es Saintes Escritures, et vous ne le lires jamais que vous ne rendies faux ce qui est escrit, que la semence qui fut semee au commencement croistroit jusqu'au tems de moissonner.

  A001000578 

 Ni quand Helie se lamentoit d'estre seul; car, il ne parle que d'Israël, et Juda estoit la meilleure et principale partie de l'Eglise: et ce qu'il dict n'est qu'une façon de parler pour mieux exprimer la justice de sa plainte, car au reste il y avoit encores sept mille hommes qui ne s'estoyent encores point abandonnés a l'idolatrie.

  A001000579 

 Ni ce qu'il faut que la separation et devoyement vienne, lhors que le sacrifice cessera, et qu'a grand peyne le Filz de l'homme trouvera foy en terre; car, tout cecy se verifiera es trois ans et demy que l'Antichrist regnera, durant lesquelz toutefois l'Eglise ne perira point, mays sera nourrie es solitudes et desers, comme dict l'Escriture..

  A001000585 

 Je vous diray, comme j'ay dict cy dessus, montres moy une dizaine d'annees, des que Nostre Seigneur est monté au ciel, en laquelle nostre Eglise n'ayt esté: ce qui vous garde de sçavoir dire quand nostre Eglise a commencé, c'est parce qu'elle a tousjours duré.

  A001000585 

 Que s'il vous plaisoit vous esclaircir a la bonne foy de cecy, Sanderus, en sa Visible Monarchie, et Gilbert Genebrard, en sa Chronologie, vous fourniroient asses de lumiere, et sur tous le docte Cesar Baron, en ses Annales.

  A001000585 

 Que si vous ne voules pas de premier abord abandonner les livres de vos maistres, et n'aves point [130] les yeux sillés d'une trop excessive passion, si vous regardes de pres les Centuries de Magdebourg, vous n'y verres autre par tout que les actions des Catholiques; car, dict tres bien un docte de nostre aage, « s'ilz ne les y eussent recueillies ilz eussent laissé mille et cinq cens ans sans histoire.

  A001000586 

 Elle estoit, ce me dira peut estre quelqu'un, mais inconneüe: bonté de Dieu, qui ne dira le mesme? Adamites, Anabaptistes, chacun entrera en ce discours; j'ay ja monstré que l'Eglise militante n'est pas invisible, j'ay monstré qu'elle est universelle en tems, je vais monstrer qu'elle ne peut estre inconneüe..

  A001000590 

 Comme donques osent ilz transporter ceste Escriture a une intelligence si contraire a ses propres circonstances? Au contraire, l'Eglise est dicte semblable au soleil, a la lune, a l'arc en ciel, a une reyne, a une montaigne aussi grande que le monde: elle ne peut donques estre secrette ni cachee, mays doit estre universelle en son estendue..

  A001000590 

 Ilz tournent a ce biais ce qui est escrit en l'Apocalipse, que la femme s'enfuit en la solitude, dont ilz prennent occasion de dire que l'Eglise a esté cachee et secrette jusqu'a ce qu'elle s'est produicte en Luther et ses adherens.

  A001000590 

 Les Anciens disoyent sagement que sçavoir bien la difference des tems estoit un bon moyen d'entendre bien les Escritures, a faute dequoy les Juifz [errent,] entendant du premier avenement du Messie ce qui est bien souvent dict du second, et les ministres encor plus lourdement, quand ilz veulent faire l'Eglise telle des saint Gregoire [131] en ça qu'elle doit estre au tems de l'Antichrist.

  A001000590 

 Mays qui ne voit que ce passage ne respire autre que la fin du monde et la persacution de l'Antichrist? le tems y estant expressement determiné de trois ans et demy, et en Daniel aussi.

  A001000590 

 Or, qui voudroit par quelque glosse estendre ce tems que l'Escriture a determiné, contrediroit au Seigneur qui dict qu'il sera plustost accourci, pour l'amour des esleuz.

  A001000591 

 Les Donatistes rencontrent le mont, et quand on leur dict, montés, ce n'est pas une montaigne, ce disent ilz, et plustost y choquent du front que d'y chercher une demeure.

  A001000591 

 Qui d'entre vous connoit l'Olimpe? personne, certes, ne plus ne moins que les habitateurs d'iceluy ne sçavent que c'est de nostre mont Chidabbe; ces montz sont retirés en certains quartiers, mays le mont d'Isaïe n'est pas de mesme, car il a rempli toute la face de la terre.

  A001000591 

 » Et de faict, Nostre Seigneur, qui disoit que personne n'allume la lampe pour la couvrir sous un muy, comme eust il mis tant de lumieres qui sont en l'Eglise pour les couvrir et cacher en certains coins? « Voyci le mont qui remplit l'univers, voyci la cité qui ne se peut cacher.

  A001000592 

 Maintenant oyes saint Hierosme, parlant a un schismatique converti: « Je me resjouis avec toy, » ce dict il, « et rends graces a Jesus Christ mon Dieu, de ce que tu t'es reduit de bon cœur de l'ardeur de fausseté au goust de tout le monde; ne disant plus comme quelques uns: O Seigneur, sauves moy, car le saint a manqué, desquelz la voix impie vide et avilit la gloire de la Croix, assujettit le Filz de Dieu au diable, et le regret qui a esté proferé des pecheurs, il l'entend estre dict de tous les hommes.

  A001000592 

 Mays ja n'advienne que Dieu soit mort pour neant, le puissant est lié et saccagé, la parole du Pere est accomplie: Demande moy, et je te donneray les gens pour heritage, et les bornes de la terre pour ta possession.

  A001000592 

 Ou sont, je vous prie, ces gens trop religieux, ains plustost trop prophanes, qui [133] font plus de sinagogues que d'eglises? comme seront destruittes les cités du diable, et les idoles comme seront ilz abattus? Si Nostre Seigneur n'a point eu d'Eglise, ou s'il l'a eue en la seule Sardigne, certes il est trop appauvri.

  A001000593 

 Et que diroit ce grand personnage s'il vivoit maintenant? N'est ce pas bien avilir le trophee de Nostre Seigneur? le Pere celeste, pour la grande humiliation et aneantissement que son Filz subit en l'arbre de la Croix, avoit rendu son nom si glorieux que tous genoux se devoient plier en la reverence d'iceluy, et parce qu'il avoit livré sa vie a la mort, estant mis au rang des meschans et voleurs, il avoit en heritage beaucoup de gens; mays ceux cy ne prisent pas tant les passions du Crucifix, levans de sa portion les generations de mille annees, si que a peyne durant ce tems il ait eu quelques serviteurs secretz, qui en fin ne seront qu'hypocrites et meschans; car je m'addresse a vous, o devanciers, qui porties le nom de Chrestiens, et qui aves esté en la vraye Eglise: ou vous avies la foy, ou vous ne l'avies pas; si vous ne l'avies pas, o miserables, vous estes damnés, et si vous l'avies, que n'en laissies vous des memoires, que ne vous opposies vous a l'impieté? Ne sçavies vous que Dieu a recommandé le prochain a un chacun? et qu' on croit de cœur pour la justice, mays qui veut obtenir salut il faut faire la confession de foy? et comme pouvies vous dire, J'ay creu, et partant j'ay parlé? Vous estes encores miserables, qui ayant un si beau talent l'aves caché en terre.

  A001000599 

 Car l'Eglise sera comme le soleil, dict le Psalme, et le soleil n'esclaire pas tousjours egalement en toutes les contrees, il suffit qu'au bout de l'an nemo est qui se abscondat a calore ejus; ainsy suffira il qu'au bout du siecle la prediction de Nostre Seigneur soit verifiee, qu'il falloit que la penitence et remission des pechés fust preschee en toutes nations, commençant des Hierusalem..

  A001000599 

 L'universalité de l'Eglise ne requiert pas que toutes les provinces ou nations reçoivent tout a coup l'Evangile, il suffit que cela se fasse l'une apres l'autre; en telle sorte neantmoins que l'on voye tousjours l'Eglise, et qu'on connoisse que c'est celle la mesme qui a esté par tout le monde ou la plus grande partie, affin qu'on puisse dire: Venite ascendamus ad montem Domini.

  A001000600 

 Or l'Eglise au tems des Apostres jetta par tout ses branches, chargees du fruict de l'Evangile, tesmoin saint Pol; autant en dict saint Irenee en son tems, qui parle de l'Eglise Romaine ou Papale a laquelle il veut que tout le reste de l'Eglise se reduise « pour sa plus puissante principauté.

  A001000607 

 Despuys, la mesme Eglise est venue a nostre aage, et tousjours Romaine et Papale, de façon qu'encores que nostre Eglise maintenant seroit beaucoup moindre qu'elle n'est, elle ne lairroit pas d'estre tres Catholique, parce que c'est la mesme Romaine qui a esté, et [qui a] possedé presque en toutes les provinces des nations et peuples innombrables.

  A001000607 

 Mais elle est encores maintenant estendue sur toute la terre, en Transylvanie, Pologne, Hongrie, Bohesme et par toute l'Allemagne, en France, en Italie, en Sclavonie, en Candie, en Espagne, Portugal, Sicile, Malte, Corsique, en Grece, en Armenie, en Syrie, et tout par tout: mettray je icy en conte les Indes orientales et occidentales? Dequoy qui voudroit voir un abregé, il faudroit qu'il se trouvast en un Chapitre ou assemblee generale des religieux de saint François appellés Observantins: il verroit venir de tous les coins du monde, viel et nouveau, des religieux a l'obeissance d'un simple, vil et abject; si que ceux la seulz luy sembleroyent suffire pour verifier ceste partie de la prophetie de Malachie: In omni loco sacrificatur nomini meo..

  A001000608 

 Au contraire, Messieurs, les pretendus ne passent point les Alpes de nostre costé ni les Pyrenees du costé d'Espagne, la Grece ne vous connoist point, les autres trois parties du monde ne sçavent qui vous estes, et n'ont jamais ouÿ parler de Chrestiens sans sacrifice, sans autel, sans sacerdoce, sans chef, sans Croix, comme vous estes; en Allemagne, vos compaignons lutheriens, brensiens, anabaptistes, trinitaires, rognent vostre portion, en Angleterre, les puritains, en France, les libertins: [136] comme donques oses vous plus vous opiniastrer de demeurer ainsy a part du reste de tout le monde a guise des Luciferiens et Donatistes? Je vous diray, comme disoit saint Augustin a l'un de vos semblables, daignes, je vous prie, nous instruire sur ce point, comme il se peut faire que Nostre Seigneur ayt perdu son Eglise par tout le monde, et qu'il ayt commencé de n'en avoir qu'en vous seulement.

  A001000608 

 Que si vous dites que vostre eglise a desja esté catholique au tems des Apostres, monstres donques qu'elle estoit en ce tems la, car toutes les sectes en diront de mesme; comme enteres vous ce petit bourgeon de religion pretendue sur ce saint et ancien tige? faites que vostre eglise touche par une continuation perpetuelle l'Eglise primitive, car si elles ne se touchent, comment tireront elles le suc l'une de l'autre? ce que vous ne feres jamais.

  A001000614 

 Mays ce seroit parler a l'adventure; car, si les Augustin, Chrysostome, Ambroise, Cyprien, Gregoire, et ceste grande trouppe d'excellens pasteurs, n'ont sceu si bien faire que l'Eglise n'ayt donné du nez en terre bien tost apres, comme [disent] Calvin, [137] Luther et les autres, quelle apparence y a il qu'elle se fortifie maintenant sous la charge de vos ministres, lesquelz ni en sainteté ni en doctrine ne sont comparables avec ceux la? Si l'Eglise en son printems, esté et automne n'a point fructifié, comme voules vous qu'en son hiver l'on en recueille des fruictz? si en son adolescence elle n'a cheminé, ou voules vous qu'elle coure maintenant en sa viellesse?.

  A001000614 

 Peut estre dires vous, a la fin, que cy apres vostre Eglise estendra ses ailes, et se fera catholique par la succession du tems.

  A001000615 

 Or ceste fecondité de belles nations de l'Eglise se faict principalement par la predication, comme dict saint Pol: Per Evangelium ego vos genui: la predication donques de l'Eglise doit estre enflammee: Ignitum eloquium tuum Domine; et qu'y a il de plus actif, vif, penetrant et prompt a convertir et bailler forme aux autres matieres que le feu? [138].

  A001000615 

 Vostre eglise non seulement n'est pas catholique, mais encores ne le peut estre, n'ayant la force ni vertu de produire des enfans, mais seulement de desrobber les poussins d'autruy, comme faict la perdrix; et neantmoins c'est bien l'une des proprietés de l'Eglise d'estre feconde, c'est pour cela entre autres qu'elle est appellee colombe; et si son Espoux quand il veut benir un homme rend sa femme feconde, sicut vitis abundans in lateribus domus suæ, et faict habiter la sterile en une famille, mere joyeuse en plusieurs enfans, ne devoit il pas avoir luy mesme une Espouse qui fust feconde? Mesme que selon la sainte Parole, ceste deserte devoit avoir plusieurs enfans, ceste nouvelle Hierusalem devoit estre tres peuplee et avoir une grande generation: Ambulabunt gentes in lumine tuo, dict le Prophete, et reges in splendore ortus tui.

  A001000622 

 Prenes garde a ce que dict saint Jude: Malheur, ce dict, a ceux qui perissent en la contradiction de Coré; Coré estoit schismatique: ce sont des souilleures a un festin, banquetans sans crainte, se repaissans eux mesmes, nuees sans eaux qui sont transportees ça et la aux vens; ilz ont l'exterieur de l'Escriture, mays ilz n'ont pas la liqueur interieure de l'esprit: arbres infructueuses de l'automne; ilz n'ont que la feuille de la lettre, et n'ont point le fruict de l'intelligence: doublement mortz; mortz quant a la charité par la division, et quant a la foy par l'heresie: desracinés, qui ne peuvent plus porter fruict; flotz de mer agitee, escumans ses [139] confusions de desbatz, disputes et remuemens; planetes errantes, qui ne peuvent servir de guide a personne, et n'ont point de fermeté de foy mays changent a tous propos.

  A001000622 

 Quelle merveille donques si vostre prédication est sterile? vous n'aves que l'escorce sans le suc, comme voules vous qu'elle germe? vous n'aves que le fourreau sans espee, la lettre sans l'intelligence, ce n'est pas merveille si vous ne pouves dompter l'idolatrie »: ainsy saint Pol, parlant de ceux qui se separent de l'Eglise, il proteste sed ultra non proficient.

  A001000622 

 Si donques vostre eglise ne se peut en aucune façon dire catholique jusques a present, moins deves vous esperer qu'elle le soit cy apres; puysque sa predication est si flaque, et que ses prescheurs n'ont jamais entrepris, comme dict Tertullien, la charge ou commission ethnicos convertendi, mays seulement nostros evertendi.

  A001000640 

 Comme le vulgaire admire les cometes et feuz erratiques, et croit que ce soyent des vrays astres et vives planettes, tandis que les plus entenduz connoissent bien que ce ne sont que flammes qui se coulent en l'air le long de quelques vapeurs qui leur servent de pasture, et n'ont rien de commun avec les astres incorruptibles que ceste grossiere clarté qui les rend visibles; ainsy le miserable peuple de nostre aage, voyant certaines chaudes cervelles s'enflammer a la suite de quelques subtilités humaines, esclairees de l'escorce de la Saint'Escriture, il a creu que c'estoyent des verités celestes et s'y est amusé, quoy que les gens de bien et judicieux tesmoignoient que ce n'estoyent que des inventions terrestres qui, se consumants peu a peu, ne laisseroyent autre memoyre d'elles que le ressentiment de beaucoup de malheurs qui suit ordinairement ces apparences..

  A001000640 

 Si l'advis que saint Jan donne, de ne croire pas a toutes sortes d'espritz, fut onques necessaire, il l'est maintenant plus que jamais, quand tant de divers et contraires espritz, avec un'esgale asseurance, demandent creance parmi la Chrestienté en vertu de la Parole de Dieu; apres lesquelz on a veu tant de peuples s'escarter, [141] qui ça qui la, chacun a son humeur.

  A001000641 

 Helas, il ne manquoit [142] pas de pierres de touche pour descouvrir le bas or de leurs happelourdes, car Celuy qui nous fait dire que nous esprouvions les espritz, ne l'eut pas fait s'il n'eut sçeu que nous avions des Regles infallibles pour reconnoistre le saint d'avec le faint esprit.

  A001000641 

 Il importe donques infiniment de sçavoir quelles sont les vraÿes Regles de nostre creance, car on pourra aysement connoistre par la l'heresie d'avec la vraye Religion, et c'est ce que je pretens faire voir en ceste seconde Partie..

  A001000641 

 O combien estoit il necessaire de ne s'abbandonner pas a ces espritz, et premier que de les suivre, esprouver s'ilz estoyent de Dieu ou non.

  A001000642 

 J'ay beau sçavoir que la Parole de Dieu est infallible, que pour tout cela je ne croiray pas que Jesus est le Christ Filz de Dieu vivant, si je ne suys asseuré que ce soit une parole revelee par le Pere celeste, et quand je sçauray cecy, encor ne seray je pas hors d'affaire, si je ne sçai comm'il le faut entendre, ou d'une filiation adoptive, a l'Arrienne, ou d'une filiation naturelle, a la Catholique..

  A001000642 

 Mays parce que ceste Regle ne regle point nostre croyance sinon quand ell'est appliquee, proposee et declairee, et que cecy se peut bien et mal faire, il ne suffit pas de sçavoir que la Parole de Dieu est la vraye et infallible Regle de bien croire, si je ne sçai quelle parole est de Dieu, ou ell'est, qui la doit proposer, appliquer et declairer.

  A001000643 

 Il faut donques, outre ceste premiere et fondamentale Regle de la Parole de Dieu, un'autre seconde Regle par laquelle la premiere nous soit bien et deuement proposee, appliquee et declairee; et affin que nous ne soyons sujetz a l'esbranslement et a l'incertitude, il faut [144] que non seulement la premiere Regle, a sçavoir, la Parole de Dieu, mays encor la seconde, qui propose et applique ceste Parole, soit du tout infallible, autrement nous demeurons tousjours en bransle et en doute d'estre mal regles et appuyés en nostre foy et croyance; non ja par aucune defaute de la premiere Regle, mays par l'erreur et faute de la proposition et application d'icelle.

  A001000643 

 Mays cest'infallibilité, requise tant en la Regle qu'en son application, ne peut avoir sa source que de Dieu mesme, vive et premiere fontaine de toute verité.

  A001000644 

 Or, comme Dieu revela sa Parole et parla pieça par la bouche des Peres et Prophetes, et finalement en son Filz, puys par les Apostres et Evangelistes, desquelz les langues ne furent que comme plumes de secretaires escrivans tres promptement, employant en ceste sorte les hommes pour parler aux hommes, ainsy, pour proposer, appliquer et declairer ceste sienne Parole, il emploÿe son Espouse visible comme son truchement et l'interprete de ses intentions.

  A001000649 

 Au reste, qui voudroit reduire toutes ces regles en une seule, diroit que l'unique et vraye Regle de bien croire c'est la Parolle de Dieu, preschëe par l'Eglise de Dieu..

  A001000650 

 Et me tiens tousjours sur une mesme posture, car je prouve premierement que les Regles que je produitz sont tres certaines et infallibles, puys je fais toucher au doigt que vos docteurs les ont violees.

  A001000650 

 Or, j'entreprens icy de monstrer, clair comme le beau jour, que vos reformateurs ont violé et forcé toutes ces Regles (et il suffiroit de monstrer quilz en ont violé l'une, puysqu'elles s'entretiennent tellement que qui en viole l'une viole toutes les autres); affin que, comme vous aves veu en la premiere Partie qu'ilz vous ont levés du giron de la vraye Eglise par schisme, vous connoissies en ceste seconde Partie quilz vous ont osté la lumiere de la vraye foy par l'heresie, pour vous tirer a la suitte de leurs illusions.

  A001000655 

 Que les ministres de la religion pretendue ont violé toutes les loix de la foi catholique.

  A001000659 

 Par ce que, comm'on voit le vulgaire admirer les cometes et les feux erratiques, et croire fermement que ce soyent des vrays astres et vives planetes, tandis que les plus entenduz connoissent bien que ce ne sont que flammes qui se vont coulant en l'air le long de quelques vapeurs, pendant quil y a dequoy les nourrir, lesquelles neantmoins laissent toujours quelques mauvays effectz, et n'ont rien de commun avec ces astres incorruptibles que ceste grossiere clairté; ainsy les miserables peuples de nostr'aage, voyans certaines chaudes cervelles s'enflammer a la suite de quelques subtilités humaynes, par ce quilz y voyoient quelques lueurs de l'escorce de la Parole de Dieu, ilz ont creu que c'estoyent des verités cælestes et sy sont amusés, quoy que les gens de bien descouvroyent et tesmoignoyent que ce n'estoyent que des inventions terrestres, et qui bien tost se dissiperoyent, ne layssans autre memoyre d'elles que le ressentiment des malheurs qui les suyvent..

  A001000659 

 Si l'advis que S t Jan donn'aux Chrestiens, de ne croire pas a toutes sortes d'espritz, fut onques necessaire, il l'est encores maintenant plus que jamais, quand tant de divers et contraires espritz, avec un'egale asseurance, demandent creance parmi le Christianisme en vertu de la Parole de Dieu; apres lesquelz on a veu tant de peuples [141] s'escarter, qui ça qui la, chacun a son humeur.

  A001000660 

 Helas, il ne manquoit pas de pierres de touche pour connoistre le bas or avec lequel ilz pipoyent le monde, car Celuy qui nous faict dire que nous esprouvions les espritz silz sont bons ou mauvais, ne l'eut pas faict sil n'eust sceu que nous avions des Regles infallibles pour reconnoistre le saint d'avec le fainct esprit, le consolateur d'avec le desolateur.

  A001000660 

 Nous avons donques en l'Eglise des Regles tres certaines pour connoistre la doctrine fause d'avec la vraye, et pour establir nostre foi; et c'est icy ou je vous appelle et vous prie de juger justement: car je me prometz de vous monstrer tresclairement, que Calvin et tous vos ministres ont violé en leur doctrine toutes les Regles de la vraye foi et de la predication Chrestienne; affin que, comme vous aves veu quilz vous ont levé du giron de la vraÿe Eglise, vous voyes encores quilz vous ont osté la lumiere de la vraye foi, pour vous faire suivre les illusions de leurs nouveautés..

  A001000660 

 O combien donques estoit il necessaire de ne s'abandonner pas a ces espritz, et premier que de les suyvre, esprouver silz estoyent de [142] Dieu ou non.

  A001000661 

 Mays parce que ceste infallible Regle ne peut regler nostre croyance sinon qu'elle nous soit appliquee, prechee, proposee et declairee, et qu'elle peut estre bien et mal appliquee, prechee, proposee et declairee, encor devons nous avoir ................

  A001000661 

 Or, ceste Parole a esté revelee.. La foy Chrestienne est fondëe sur la Parolle [143] que Dieu luymesme a revelee; c'est cela qui la met au supreme rang et degré d'asseurance et certitude, comm'ayant a tesmoin cest'eternelle et infallibl'authorité et verité premiere, qui ne peut non plus decevoir et mentir qu'elle peut estre deceüe et trompee; la foy qui n'a son fondement et appuy sur la Parole de Dieu n'est pas une foy Chrestienne: donques la Parole de Dieu est la vraye Regle de bien croire aux Chrestiens, puisqu'estre Fondement et Regle n'est qu'une mesme chose en cest endroit.

  A001000662 

 Or, je me tiendray tousjours sur une mesme demarche, car je monstreray, pnt, que les Regles que je produis sont vraÿes Regles, puys, comme vos docteurs les ont violëes: et par ce que je ne pourrois pas aysement prouver que nous autres Catholiques les avons gardé tres étroittement, sans faire des grandes interruptions et digressions, je reserveray ceste preuve pour la troysiesme Partie, qui servira encores d'une tres solide confirmation pour toute la seconde Partie.

  A001000673 

 Je sçai bien, Dieu merci, que la Tradition a esté devant tout'Escriture, puysque mesm'une bonne partie de l'Escriture n'est que Tradition reduitte en escrit avec un'infallible assistence du Saint Esprit; mays parce que l'authorité de l'Escriture est plus aysement receüe par les reformateurs que celle de la Tradition, je commence par cest endroit, pour faire un'entree plus aysee a mon discours..

  A001000674 

 La Sainte Escriture est tellement Regle a nostre creance Chrestienne, que qui ne croit tout ce qu'elle [148] contient, ou croit quelque chose qui luy soit tant soit peu contraire, il est infidele.

  A001000674 

 Mays je pers tems; nous sommes d'accord en ce point, et ceux qui sont si desesperés que d'y contredire, ne sçavent appuyer leur contradiction que sur l'Escriture mesme, se contredisans a eux mesmes avant que de contredire a l'Escriture, se servans d'elle en la protestation quilz font de ne s'en vouloir servir.

  A001000678 

 Que les ministres ont violé la S te Escriture.

  A001000683 

 L'Escriture Sainte est tellement Regle de la foi Chrestienne, que nous sommes obligés par toute sorte d'obligation de croire tresexactement [148] tout ce qu'elle contient, et de ne croire jamais ce qui luy est tant soit peu contraire; car, si Nostre S r mesme y a renvoyé les Juifz pour redresser leur foy, il faut que ce soit un niveau tresasseuré.

  A001000683 

 Quand Dieu dict a Josué, Non recedat volumen legis bujus ab ore tuo, il monstre clairement quil vouloit quil l'eut tousjours en l'esprit, et que jamais il ny laissat entrer aucune persuasion contraire.

  A001000688 

 Ilz mettoyent le point apres l'erat, au lieu de le mettr'apres le Mot; ce qu'ilz faysoyent de peur d'estre convaincuz par ce texte que le Verbe est Dieu: tant il faut peu pour alterer ceste sacree Parole..

  A001000696 

 Les Saintes Escritures ne sont ce pas le vray testament de Dieu æternel, bien scelé et signé en son sang, confirmé par la mort? que sil est ainsy, combien se faut il garder d'y remuer aucune chose? « Le testament, » dict ce grand Ulpien, « est une juste sentence de nostre volonté de ce que quelqu'un veut estre faict apres sa mort.

  A001000696 

 Quand un testament est confirmé par la mort du testateur, il ny faut adjouster, diminuer ni changer en façon que ce soit; qui le feroit seroit tenu pour un faulsaire.

  A001000696 

 » Nostre S r, par ses Saintes Escritures, nous monstre ce quil nous faut croire, esperer, aimer et faire, et ce par une juste sentence de sa volonté: si nous y adjoustons, levons ou changeons, ce ne sera plus la juste sentence de la volonté de Dieu; car Nostre S r ayant adjusté l'Escriture a sa volonté, si nous y adjoustons du nostre nous ferons la sentence plus grande que la volonté du testateur, si nous en ostons nous la ferons plus courte, si nous y changeons nous la rendrons bossue, et ne pourra plus joindre a la volonté de l'autheur ni n'en sera plus la juste sentence.

  A001000697 

 Hoc erat in principio apud Deum; ce quilz faysoyent de peur d'accorder que le Verbe fut Dieu: tant il faut peu pour alterer ceste sacrée Parole..

  A001000697 

 Hoc erat, etc., sans y faire autre que remuer un point; car ilz lisoyent ainsy, Et Mot erat apud Deum, et Deus erat.

  A001000703 

 Tous les Livres sacrés sont premierement divisés en deux, en ceux du Viel Testament et ceux du Nouveau: puys, autant les uns que les autres sont partagés en deux rangs; car il y a des Livres, tant du Viel que du Nouveau Testament, desquelz on n'a jamais douté quilz ne fussent sacrés et canoniques, il y en a desquelz l'on a douté pour un tems, mais en fin ont estés receuz avec ceux du premier rang..

  A001000704 

 Et quand a ceux ci il y [a] grand'apparence, au dire du mesme docteur Genebrard, qu'en l'assemblëe qui se fit en Hierusalem pour envoyer les 72 interpretes en Ægipte, ces Livres, qui n'estoyent encores en estre quand Esras fit le premier canon, furent alhors canonisés, au moins tacitement, puysqu'ilz furent envoyés avec les autres pour estre traduitz; hormis les Machabees, qui furent receuz en un'autr'assemblee par apres, en laquelle les præcedens furent derechef approuvés: mays comme que ce soit, par ce que ce second canon ne fut pas faict si authentiquement que le premier, ceste canonisation ne leur peut acquerir un'entiere et indubitabl'authorité parmi les Juifz, ni les esgaler aux Livres du premier rang..

  A001000705 

 Et premierement, outre ceux du premier rang tant du Viel [154] que du Nouveau Testament, environ l'an 364 on receut au Concile de Laodicee (qui depuis fut approuvé au Concile general sixiesme ), le livre d'Hester, l'Epistre de saint Jaques, la 2.

  A001000705 

 general, de Trulles, outre les Livres precedens du second rang, furent receuz au canon comme indubitables, Thobie, Judith, deux des Macchabees, la Sapience, l'Ecclesiastique et l'Apocalipse; mais avant tous ceux du second rang, le Livre de Judith fut receu et reconneu pour divin au premier general Concile de Nicee, ainsy que saint Hierosme en est tesmoin, en sa præface sur iceluy.

  A001000706 

 A peu que je n'ay oublié de dire, vous ne deves point entrer en scrupule sur ce que je viens de deduyre, encor que Baruch ne soyt pas nommément cotté au Concile de Carthage, mais seulement en celuy de Florence et de Trente; car, d'autant que Baruch estoit secretaire de Jeremie, on mettoit en conte parmi les [157] Anciens le Livre de Baruch comm'un accessoire ou appendice de Jeremie, le comprenant sous iceluy, ainsy que cest excellent theologien Belarmin le prouve en ses Controverses.

  A001000706 

 Somme, tous les Livres, tant du premier que du second rang, sont egalement certains, sacrés et canoniques..

  A001000713 

 Le Concile de Florence, il y a environ 160 ans, proposa et receut tous les mesmes du consentement de toute l'Eglise, tant grecque que latine; mays long tems au paravant, il y a douze cens ans ou environ qu'au Concile 3 de Cartage, ou S t Augustin se trouva, tous les mesmes Livres furent receuz..

  A001000714 

 Voyla tant que nous pouvons sçavoir les Livres et les parties desquelz on aÿe douté anciennement, dont nous ayons quelqu'apparence, et neantmoins tous ces Livres, avec toutes leurs parties, sont receuz en l'Eglise Catholique..

  A001000715 

 Et ne faut pas douter que le S t Esprit n'assiste en ce jugement a l'Eglise, car vos ministres mesme confessent que Dieu luy a remis en garde les Saintes Escritures, et veulent dire que c'est a cest'intention que S t Pol l'apelle colomne et fermeté de verite; et comme les garderoit elle, si elle ne les sçait connoistre et tirer du meslange des autres livres?.

  A001000715 

 Mays l'Eglise mesme, comme se peut elle resoudre qu'un Livre soit canonique?.. car elle n'est plus conduite par nouvelles revelations, mays par les anciennes apostoliques, esquelles ell'a l'infallibilité d'interpretation; que si les Anciens n'ont pas eu revelation de l'authorité d'un Livre, comme donques la peut elle sçavoir?.. Elle considere le tesmoignage de l'antiquité, la conformité que ce Livre a avec les autres ja receuz, et le commun goust [156] que le peuple Chrestien y prend: car, comm'on peut connoistre quell'est la propre viande et prouffitable des animaux quand on les y voit prendre goust et s'y nourrir saynement, ainsy quand l'Eglise voit que le peuple Chrestien savoure volontiers un Livre pour canonique, et y faict son prouffit, elle peut connoistre que c'est une pasture propre et saine aux espritz chrestiens; et comme, quand on veut sçavoir si un vin est de mesme creu qu'un autre, l'on les apparie, regardant si la couleur, l'odeur et le goust est pareil en tous deux, ainsy quand l'Eglise a bien consideré un Livre avoir le goust, l'odeur et la couleur, la sainteté du stile, de la doctrine et des misteres, semblable aux autres canoniques, et que d'ailleurs ell'a le tesmoignage de plusieurs bons et irreprochables tesmoins de l'antiquité, elle peut declairer le Livre pour frere germain des autres canoniques.

  A001000715 

 Si ces Livres ne furent pas des le commencement indubitables en l'Eglise, comm'est ce que le tems leur peut acquerir cest'authorité? Pour vray, l'Eglise ne sçauroit rendre un Livre canonique sil ne l'estoit, mays l'Eglise peut bien declairer qu'un Livr'est canonique qui n'estoit pas tenu pour tel d'un chacun, et ainsi le mettr'en credt parmi le Christianisme, nom pas changeant la substance du Livre, qui de soy estoit canonique, mays changeant la persuasion des Chrestiens, la rendant tres asseurëe de ce dont elle ne l'estoit pas.

  A001000722 

 Voyla les Livres sacrés et canoniques, que l'Eglise a receu et reconneu unanimement des douze centz ans en ça: et avec quell'authorité ont osé ces nouveaux reformeurs biffer tout en un coup tant de nobles parties de [158] la Bible? Ilz ont raclé une partie d'Hester, Baruch, Thobie, Judith, la Sapience, l'Ecclesiastique, les Maccabees; qui leur a dict que ces Livres ne sont pas legitimes et recevables? pourquoy desmembrent ilz ainsy ce sacré cors des Escritures?.

  A001000723 

 Le Droit Canon « en profere son jugement »; 6. et la Glose, « qui dict qu'on les lit mais non point en general, comme si elle vouloit dire que generalement par tout ne soyent point approuvés.

  A001000723 

 Voyci leurs principales raysons, ainsy que j'ay peu recueillir de la vielle præface, faicte devant les Livres prætenduz apocriphes imprimés a Neufchastel, de la traduction de Pierre Robert, autrement Olivetanus, parent et amy de Calvin, et encores de la plus nouvelle, faitte sur les mesmes Livres par les professeurs et pasteurs pretenduz de l'eglise de Geneve, l'an 1588.

  A001000723 

 Voyons maintenant ce que valent ces belles recherches.

  A001000723 

 « notamment les Macchabees, » 9. et specialement le second, que saint Hierosme dict « n'avoir trouvé en Ebreu.

  A001000724 

 Ainsy vous diray je de l'Ecclesiastique, que saint Hierosme a eu et trouvé en Hebreu, comme il dict en sa preface sur les Livres de Salomon.

  A001000724 

 Et quand a la premiere: estes vous d'avis de ne recevoir pas ces Livres par ce quilz ne se trouvent pas en Hebreu ou Caldee? receves donques Tobie, car saint Hierosme atteste quil l'a traduit de Caldee en Latin, en l'epistre que vous cités vous mesme, qui me fait croire que vous n'estes guere gens a la bonne foy; et Judith, pourquoy non? qui a aussi bien esté escrit en Caldee, comme dict le mesme saint Hierosme, au Prologue; et si saint Hierosme dict quil n'a peu trouver le 2.

  A001000724 

 Mays parlons maintenant pour les autres Livres, qui sont escritz en autre langage que celuy que vous voules.

  A001000724 

 Ou trouves vous que la regle de bien recevoir les Saintes Escritures soyt, qu'elles soyent escrittes en ces langages la plustost qu'en Grec ou Latin? vous dittes quil ne faut rien recevoir en matiere de religion que ce qui est escrit, et apportes en vostre belle prefacé le dire des jurisconsultes: Erubescimus sine lege loqui; vous semble il pas que la dispute qui se faict sur la validité ou invalidité des Escritures soyt une des plus importantes en matiere de religion? sus donques, ou demeurés honteux, ou produises la Sainte Escriture pour la negative que vous soustenés: certes, le Saint Esprit se declaire aussi bien en Grec qu'en Caldee..

  A001000724 

 Puys donques que vous rejettes esgalement ces Livres escritz en Hebreu et Caldee avec les autres qui ne sont pas escritz en mesme langage, il vous faut chercher un autre prætexte que celuy que vous aves allegué, pour racler ces Livres du canon: quand vous dittes que vous les rejettes par ce quilz ne sont escritz ni en Hebreu ni en Caldee, ce n'est pas cela, car vous ne rejetteries pas, [160] a ce conte, Tobie, Judith, le premier des Machabees, l'Ecclesiastique, qui sont escritz ou en Hebreu ou en Caldee.

  A001000725 

 Est ce cela qui vous fasche? Mais pour Dieu, dittes moy, qui vous a dict quilz sont perduz, corrompuz ou alterés, pour avoir besoin de restitution? Vous præsupposes peut estre que ceux qui les auront traduitz sur l'originaire auront mal traduit, et vous voudries avoir l'original pour les collationner et les juger.

  A001000725 

 Laissés vous donq entendre, et dittes quilz sont apocriphes par ce que vous n'en pouves pas estre vous mesme le traducteur sur l'original, et que vous ne vous pouves fier au jugement du traducteur: il ni aura donq [161] rien d'asseuré que ce que vous aures conterollé? monstres moy ceste regle d'asseurance en l'Escriture.

  A001000726 

 Quand a ce que vous dittes que ces Livres que vous appelles apocriphes ne sont point receuz par les Hebreux, vous ne dittes rien de nouveau ni d'important; saint Augustin proteste bien haut: « Libros Machabeorum non Judæi sed Ecclesia Catholica pro canonicis habet: Non les Juifz, mais l'Eglise Catholique tient les Livres des Machabees pour canoniques.

  A001000726 

 » Dieu merci, nous ne sommes pas Juifz, nous sommes Catholiques: monstres moy par l'Escriture que l'Eglise Chrestienne [162] n'aye pas autant de pouvoir pour authoriser les Livres sacrés qu'en avoit la Mosaïque: il ni a en cela ni Escriture ni raison qui le monstre..

  A001000727 

 L'Eglise donques, ayant pour un tems laissés ces Livres en doute, en fin les a receu en resolution authentique; et vous voules que de ceste resolution elle retourne au doute.

  A001000727 

 Mays, au nom de Dieu, quelle humeur vous prend-il d'alleguer icy l'Eglise, l'authorité delaquelle vous tenes cent fois plus incertaine que ces Livres mesme, et que vous dittes avoir esté fautifve, inconstante, voire apocriphe, si apocriphe veut dire caché; vous ne la prises que pour la mespriser et la faire paroistre inconstante, ores advouant ores desavouant ces Livres.

  A001000727 

 Peut estre voules vous dire qu'anciennement quelques Catholiques douterent de leur authorité; c'est selon la division que j'ay faitte ci dessus: mais quoy pour cela? le doute de ceux la a il peu empecher la resolution de leurs successeurs? est ce a dire que si on n'est pas tout au premier coup resolu, il faille tousjours demeurer en bransle, incertain et irresolu? A l'on pas esté pour un tems incertain de l'Apocalipse et d'Ester? vous ne l'oseries nier, j'ay de trop bons [163] tesmoins; d'Ester, saint Athanase et saint Gregoire Nazianzene, de l'Apocalipse, le Concile de Laodicee: et néanmoins vous les receves; ou receves-les tous, puysqu'ilz sont d'esgale condition, ou n'en receves point, par mesme rayson.

  A001000728 

 Quand a saint Hierosme que vous allegués, ce n'est rien a propos, puysque de son tems l'Eglise n'avoit encor pas pris la resolution qu'ell'a prise despuys, touchant la canonisation de ces Livres, hormis pour celuy de Judith..

  A001000729 

 Et le canon Sancta Romana, qui est de Gelaise premier, je crois que vous l'aves rencontré a tastons, car il est tout contre vous; puysque, censurant les Livres apocriphes, il n'en nomme pas un de ceux que nous recevons, ains au contraire atteste que Tobie et les Maccabees estoyent receuz publiquement en l'Eglise..

  A001000730 

 Et la pauvre Glosse ne merite pas que vous la [164] glossies ainsy, puysqu'elle dict clairement que « ces Livres sont leuz, mais non peut estre generalement.

  A001000730 

 » Ce « peut estre » la garde de mentir, et vous l'aves oublié; et si elle met en conte ces Livres icy dont est question, comm'apocriplies, c'est parce qu'elle croyoit que apocriphe, volut dire, n'avoir point de certain autheur, et partant y enroolle comm'apocriphe le Livre des Juges: et sa sentence n'est pas si authentique qu'elle passe en chose jugee; en fin, ce n'est qu'une glosse..

  A001000731 

 Et ces falsifications que vous allegues ne sont en point de façon suffisantes pour abolir l'authorité de ces Livres, par ce qu'ilz ont esté justifiés et espurés de toute corruption avant que l'Eglise les receut.

  A001000732 

 Mays vous voules sur tout que les Maccabees nous tumbe des mains, quand vous dittes qu'ilz ont estés corrompuz; or, puysque vous n'avances qu'une simple affirmation, je n'y pareray que par une simple negation..

  A001000733 

 en Hebreu; et bien, que [le premier y soit;] le second n'est que comme une epistre que [les Anciens] d'Israel envoyerent aux freres Juifz qui estoyent hors la Judee, et si ell'est escritte au langage le plus cohneu et commun de ce tems-la, s'ensuit il qu'elle ne soit pas recevable? Les Ægiptiens avoyent en usage le langage grec beaucoup plus que l'hebreu, comme monstra bien Ptolomee quand il procura la version des 72; voyla pourquoy ce 2.

  A001000734 

 Prenes garde, pour Dieu, que vostre jugement ne vous trompe; pourquoy, je vous prie, apelles vous faucetés ce que toute l'antiquité a tenu pour articles de foy? que ne censures vous plus tost vos fantasies, qui ne veulent embrasser la doctrine de ces Livres, que de censurer ces Livres, receuz de si long tems, par ce quilz ne secondent pas a vos humeurs? parce que vous ne voules pas croire ce que ces Livres enseignent, vous les condamnes; et que ne condamnes vous plustost vostre temerité, qui se rend incredule a leurs enseignemens?.

  A001000734 

 Reste que les nouveaux præfaceurs monstrent ces fausetés desquelles ilz accusent ces Livres, ce qu'a [165] la verité ilz ne feront jamais; mays je les voys venir: ilz produiront l'intercession des Saintz, la priere pour les trepassés, le franc arbitre, l'honneur des reliques et semblables pointz, qui sont expressement confirmés es Livres des Maccabees, en l'Ecclesiastique et autres Livres quilz prætendent apocriphes.

  A001000735 

 Voyla, ce me semble, toutes vos raysons esvanouÿes, et n'en sçauries produire d'autres; mays nous sçaurons bien dire, que sil est ainsy loysible indifferemment de rejetter ou revoquer en doute l'authorité des Escritures desquelles on a douté pieça, quoy que l'Eglise en aÿe determiné, il faudra rejetter ou douter d'une grande partie du Viel et Nouveau Testament.

  A001000742 

 Maintenant, comme se pourroit tenir une bonne ame de donner ouverture a l'ardeur d'un saint zele, et d'entrer en une chrestienne cholere, sans peché, considerant avec quelle temerité ceux qui ne [158] font que crier, l'Escriture, l'Escriture, ont mesprisé, avily, prophané ce divin testament du Pere Eternel, comm'ilz ont falsifié ce sacré contract d'une si celebre alliance? Comm'oses vous biffer, o ministres calvinistes, tant de nobles parties du sacré cors des Bibles? Vous ostes Baruch, Thobie, Judith, Sapience, l'Ecclesiastique, les Machabëes; pourquoy demembres vous ainsy la S te Escriture? qui vous a dict quilz ne sont point sacrés? L'on en doute en l'ancienne [159] Eglise: et n'a on pas douté en l'ancienne Eglise d'Hester, de l'Epistr'aux Hebreux, de celle de S t Jaques, de S t Jude, de la seconde de S t Pierre et des deux dernieres de S t Jan, et sur tout de l'Apocalipse? que ne rayes vous aussy bien ceux ci que vous aves faict ceux la? Dites franchement que [ce que] vous en aves faict, ce n'a esté que pour contredire a l'Eglise: il vous fachoit de voir es Machabees l'intercession des Saintz et la priere pour les trepassés, l'Ecclesiastique vous piquoit en ce quil attestoit du liberal arbitre et de lhonneur des reliques; plus tost que de forcer vos cervelles, et les adjuster a l'Escriture, vous aves violé l'Escriture pour l'accommoder a vos cervelles, vous aves retranché la ste Parole pour ne retrancher point vos fantasies; comme vous laveres vous jamais [160] de ce sacrilege? Aves vous dégradé les Machabees, l'Ecclesiastique, Tobie et les autres par ce que quelques uns des Anciens ont douté de leur authorité? pourquoy receves vous donques les autres Livres, desquelz on a douté autant que de ceux ci? Que leur pouves vous opposer autre, sinon que leur doctrine vous est mal aysëe a concevoir? ouvres le cœur a la foy, et vous concevres aysement ce dont vostre incredulité vous prive; par ce que vous ne voules pas croire ce qu'ilz enseignent, vous les condamnes, condamnes plus tost vostre temerité, et receves l'Escriture.

  A001000743 

 Je dis l'Eglis'ancienne, par ce que le Conc.

  A001000743 

 Si vous voulies lever le credit a ces saintz Livres, que ne le levies vous a l'Apocalipse, delaquelle on a tant douté, et a l'Epistr'aux Hebrieux? [163].

  A001000743 

 de Cartage, Gelasius, in decreto de Libris canonicis quil fit avec le conseil de septante Evesques, Innocent I r, en l'epistre ad Exuperium, S t Augustin, ont vescu avant S t Gregoire, avant lequel Calvin confesse que l'Eglise estoit encores en sa pureté; et neantmoins ceux la font foi que tous les Livres que nous avions pour canoniques quand Luther comparut, estoyentja telz en ce tems la.

  A001000743 

 en ont autant creu des Machabëes; S t Augustin proteste que Libros Machabœorum non Judœi sed Ecclesia Catholica.

  A001000743 

 pro canonicis habet. Que dires vous a cela? que les Juifz ne les avoient pas en leurs cathalogues? S t Augustin le confesse, mais estes vous Juifz ou Chrestiens? et si vous voules estre appellés Chrestiens, contentes vous que l'Eglise Chrestienne les reçoive: la lumiere du S t Esprit s'est elle estainte avec la Sinagogue? N. S. et les Apostres n'ont ilz pas eu autant de pouvoir que la Sinagogue? Et bien que l'Eglise n'ait pas pris l'authorité de ses Livres de la bouche des Scribes et Pharisiens, suffira il pas qu'elle l'ait prise du tesmoignage des Apostres? Or, il ne faut pas penser que l'ancienn'Eglise et ces tres anciens Docteurs eussent pris la hardiesse de mettre ces Livres au roole des canoniques si elle n'en [162] eust eu quelque advis par la Tradition des Apostres et leurs disciples, qui pouvoyent sçavoir en quel rang le Maistre mesme les tenoit; sinon que pour excuser nos fantasies, nous accusions de prophanation et sacrilege ces tant sts et graves Docteurs, avec toute l'Eglise ancienne.

  A001000747 

 Les raysons que les reformeurs ont avancees au chapitre precedent ne sont que biffes, comme nous avons veu, desquelles on se sert comme d'amusement, pour voir si quelque simple et foible cervelle s'en voudroit contenter: et de faict, quand on vient au joindre, ilz confessent que ni l'authorité de l'Eglise, ni de saint Hierosme, ni de la Glosse, ni du Caldee, ni de l'Hebreu, n'est pas cause suffisante pour recevoir ou rejetter quelque Escriture.

  A001000747 

 Voicy leur protestation en la Confession de foy presentee au Roy de France par les François pretendus reformés: apres qu'ilz ont mis en liste, en l'Article troisiesme, les Livres qu'ilz veulent recevoir, ilz escrivent ainsy en l'Article quatriesme: « Nous connoissons ces Livres estre canoniques et regle tres certaine de nostre foy, non tant par le commun accord et consentement de l'Eglise, que par le tesmoignage et persuasion interieure du Saint Esprit, qui les nous faict discerner [167] d'avec les autres livres ecclesiastiques.

  A001000748 

 Car, je vous prie, s'ilz deferoient tant soit peu a l'authorité ecclesiastique, pourquoy recevroient ilz plustost l'Apocalipse que Judith ou les Machabees, desquelz saint Augustin et saint Hierosme nous sont fideles tesmoins qu'ilz ont esté receuz unanimement de toute l'Eglise Catholique? et les Conciles de Carthage, Trulles, de Florence, nous en asseurent.

  A001000748 

 Or, a la verité, c'est bien procedé a eux de ne vouloir s'appuyer en cest article sur le commun accord et consentement de l'Eglise; puysque ce commun accord a canonisé l'Ecclesiastique, les [Livres des] Machabees, tout autant et aussitost que l'Apocalipse, et neantmoins ilz veulent recevoir [celuy ci] et rejetter ceux la: Judith, authorisé par le grand premier et irreprochable Concile de Nicee, est biffé par les reformeurs; ilz ont donques rayson de confesser qu'en la reception des Livres canoniques, ilz ne reçoivent point l'accord et consentement de l'Eglise, qui ne fut onques plus grand ni plus solemnel qu'en ce premier Concile.

  A001000748 

 Pourquoy disent ilz donques, qu'ilz ne reçoivent pas les Livres sacrés « tant par le commun accord de l'Eglise que par l'interieure persuasion »? puysque le commun accord de l'Eglise n'y a ni rang ni lieu.

  A001000748 

 « Nous connoissons, » disent ilz, « ces Livres estre canoniques, non tant par le commun accord de l'Eglise: » a les ouÿr parler, ne diries vous pas qu'au moins en quelque façon ilz se laissent guider a l'Eglise? Leur parler n'est pas franc: il semble qu'ilz ne refusent pas du tout credit au commun accord des Chrestiens, mais que seulement ilz ne le reçoivent pas a mesme degré que leur persuasion interieure, et neantmoins ilz n'en tiennent aucun conte; mais ilz vont ainsy retenus en leur langage pour ne paroistre pas du tout incivilz et desraysonnables.

  A001000749 

 » O Dieu, quelle cachette, quel brouillait, quelle nuict; ne nous voyla pas bien esclaircis en un si important et grave different? On demande comme l'on peut connoistre les Livres canoniques, on voudroit bien avoir quelque regle pour les discerner, et l'on nous produit ce qui se passe en l'interieur de l'ame, que personne ne voit, personne ne connoit, sinon l'ame mesme et son Createur..

  A001000750 

 Monstres moy clairement que ces inspirations et persuasions que vous pretendes sont du saint et non du faint esprit; qui ne sçait que l'esprit de tenebres comparoit bien souvent en habit de lumiere?.

  A001000751 

 Monstres moy clairement que, lhors que vous me dites que telle et telle inspiration se passe en vostre conscience, vous ne mentes point, vous ne me trompes point.

  A001000751 

 Vous dites que vous sentes ceste persuasion en vous, mais pourquoy suis je obligé de vous croire? vostre parole est elle si puissante, que je sois forcé sous son authorité de croire que vous penses et sentes ce que vous dites? je vous veux tenir pour gens de bien, mais quand il s'agit des fondemens de ma foy, comme est de recevoir ou rejetter les Escritures ecclesiastiques, je ne trouve ni vos pensees ni vos paroles asses fermes pour me servir de base..

  A001000752 

 Cest esprit faict il ses persuasions indifferemment a chacun, ou seulement a quelques uns en particulier? si a chacun, et que veut dire que tant de milliades de Catholiques ne s'en sont jamais aperceuz, ni tant de femmes, laboureurs et autres parmi vous? si c'est a quelques uns en particulier, monstres les moy, je vous prie, et pourquoy a ceux la plus tost qu'aux autres? quelle marque me les fera connoistre et trier de la presse du reste des hommes? Me faudra il croire au [169] premier qui dira d'en estre? ce seroit trop nous mettre a l'abandon et a la mercy des seducteurs: monstres moy donques quelque regle infallible pour connoistre ces inspirés et persuadés, ou me permettes que je n'en croye pas un..

  A001000753 

 Mays en conscience, vous semble il que l'interieure persuasion soit un moyen suffisant pour discerner les Saintes Escritures, et mettre les peuples hors de doute? Que veut donq dire que Luther racle l'Epistre de saint Jaques, laquelle Calvin reçoit? accordes un peu, je vous prie, cest esprit et sa persuasion, qui persuade a l'un de rejetter ce qu'il persuade a l'autre de recevoir.

  A001000753 

 Vous dires peut estre que Luther se trompe, il en dira tout autant de vous; a qui croire? Luther se moque de l'Ecclesiaste, il tient Job pour fable; luy opposeres vous vostre persuasion? il vous opposera la sienne: ainsy cest esprit, se combattant soy mesme, ne vous laissera autre resolution que de vous bien opiniastrer de part et d'autre..

  A001000754 

 Certes, quand Dieu auroit revelé mille fois une chose a quelque particulier nous ne serions pas obligés de le croire, sinon que Dieu le marquast tellement que nous ne puissions plus revoquer en doute sa fidelité; mays nous ne voyons rien de tel en vos reformeurs.

  A001000754 

 En un mot, c'est a l'Eglise generale que le Saint Esprit addresse immediatement ses inspirations et persuasions, puys, par la prædication de l'Eglise, il les communique aux particuliers; c'est l'Espouse en laquelle le laict est engendré, puys les enfans le succent [170] de ses mammelles: mays vous voules, au rebours, que Dieu inspire aux particuliers, et par leur moyen a l'Eglise, que les enfans reçoivent le laict, et que la mere soit nourrie a leurs tetins; chose absurde..

  A001000754 

 Puys, quelle rayson y a il que le Saint Esprit aille inspirant ce que chacun doit croire a des je ne sçay qui, a Luther, a Calvin, ayant abandonné sans aucune telle inspiration les Conciles et l'Eglise tout entiere? Nous ne nions pas, pour parler clairement, que la connoissance des vrays Livres sacrés ne soit un don du Saint Esprit, mays nous disons que le Saint Esprit la donne aux particuliers par l'entremise de l'Eglise.

  A001000755 

 Hé de grace, pourquoy permettra on plus tost a Calvin de racler la Sapience ou les Maccabees, qu'a Luther de lever l'Epistre de saint Jaques ou l'Apocalipse, ou a Castalio, le Cantique des Cantiques, ou aux Anabaptistes, l'Evangile de saint Marc, ou a un autre, le Genese et l'Exode? si tous protestent de l'interieure revelation, pourquoy croira l'on plustost l'un que l'autre? Ainsy ceste Regle sacree, sous prætexte du Saint Esprit demeurera des reglee, par la temerité de chaque seducteur..

  A001000755 

 Or, si l'Escriture n'est violee et sa majesté lezee par l'establissement de ces interieures et particulieres inspirations, jamais elle ne fut ni sera violëe; car ainsy la porte est ouverte a chacun de recevoir ou rejetter des Escritures ce que bon luy semblera.

  A001000756 

 De Beze met en doute l'histoire de l'adultere, en l'Evangile de saint Jan (saint Augustin advise que [172] pieça les ennemis du Christianisme l'avoyent rayé de leurs livres, mais non pas de tous, comme dict saint Hierosme).

  A001000756 

 En l'Exode on a levé, a Geneve et ailleurs parmi ces reformeurs, le 22 verset du 2 d chapitre, lequel est de telle substance que ni les 70 ni les autres traducteurs ne l'auroyent jamais escrit sil n'eut esté es originaux.

  A001000756 

 Es misterieuses parolles de l'Eucharistie, ne veut on pas esbranler l'authorité de ces motz, Qui pro vobis funditur, par ce que le texte grec monstre clairement que ce qui estoit au calice n'estoit pas vin, mais le sang du Sauveur? comme qui diroit en françois, Ceci est la coupe du nouveau testament en mon sang, laquelle sera respandue pour vous; car en ceste façon de parler, ce qui est en la coupe doit estre le vray sang, non le vin, puysque le vin n'a pas esté respandu pour nous, mais le sang, et que la coupe ne peut estre versee qu'a rayson de ce qu'elle contient.

  A001000756 

 L'ennemy est fin; s'il la vouloit arracher tout a coup il donneroit l'alarme; [171] il establit un moyen certain et infallible pour la lever piece a piece tout bellement, c'est ceste opinion de l'interieure inspiration, par laquelle chacun peut recevoir ou rejetter ce que bon luy semble: et de faict, voyes un peu le progres de ce dessein.

  A001000756 

 On a levé tout'authorité a la Tradition, a l'Eglise, aux Conciles; que demeure il plus? l'Escriture.

  A001000757 

 Au contraire, Messieurs, saint Augustin proteste: « Ego vero Evangelio non crederem, nisi me Catholicæ Ecclesiæ commoveret authoritas: Je ne croirois pas a l'Evangile si l'authorité de l'Eglise Catholique ne m'esmouvoit; » et ailleurs: « Novum et Vetus Testamentum in illo Librorum numero recipimus quem sanctæ Ecclesiæ Catholicæ tradit authoritas: Nous recevons le Viel et Nouveau Testament au nombre de Livres que l'authorité de la saint'Eglise Catholique propose.

  A001000757 

 Pour vray, nous serions tres mal asseurés si nous appuyions nostre foy sur ces particulieres inspirations interieures, que nous ne sçavons si elles sont ou furent jamais que par le tesmoignage de certains particuliers; [174] et supposé qu'elles soyent ou ayent esté, nous ne sçavons si elles sont du vray ou faux esprit; et supposé qu'elles soyent du vray esprit, nous ne sçavons si ceux qui les recitent les recitent fidellement ou non, puys qu'ilz n'ont aucune marque d'infallibilité.

  A001000757 

 Que si jamais nostre Redempteur defend son Eglise contre les portes d'enfer, si jamais le Saint Esprit l'inspire et conduit, c'est en ceste occasion; car ce seroit bien la laisser du tout et au besoin, sil la laissoit en ce cas duquel depend le gros de nostre religion.

  A001000757 

 » Le Saint Esprit peut inspirer que bon luy semble, mays quand a l'establissement de la foy publique et generale des fideles, il ne nous addresse qu'a l'Eglise; c'est a elle de proposer quelles sont les vrayes Escritures, et quelles non: non qu'elle puysse donner verité ou certitude a l'Escriture, mays elle peut bien nous faire certains et asseurés de la certitude d'icelle.

  A001000758 

 Mais avant que je parte d'icy, je vous prie, reformeurs, dittes moy ou vous aves pris le canon des Escritures que vous suives.

  A001000758 

 Vous ne l'aves pas pris des Juifz, car les Livres Evangeliques n'y seroyent pas, ni du Concile de Laodicee, car l'Apocalipse n'y seroit pas, ni du Concile de Cartage ou de Florence, car l'Ecclesiastique et les Maccabees y seroyent; ou l'aves vous donq pris? Pour vray, jamais il ne fut parlé de semblable canon avant vous; l'Eglise ne vit onques canon des Escritures ou il n'y eut ou plus ou moins qu'au vostre: quelle apparence i a il que le Saint Esprit se soit recelé a toute l'antiquité, et qu'appres 1500 il ait descouvert a certains particuliers le roolle des vrayes Escritures? Pour nous, nous suyvons exactement la liste du Concile Laodicean, avec l'addition faitte au Concile [175] de Cartage et de Florence; jamais homme de jugement ne laissera ces Conciles, pour suivre les persuasions des particuliers..

  A001000759 

 Voyla donq la fontaine et la source de toute la violation qu'on a faict de ceste sainte Regle; c'est quand on s'est imaginé de ne la recevoir qu'a la mesure et regle des inspirations que chacun croit et pense sentir..

  A001000764 

 Affin que les religionnaires de ce tems desreglassent du tout ceste premiere et tressainte Regle de nostre foy, ilz ne se sont pas contentés de raccourcir et defaire de tant de belles pieces, mays l'ont contournee et détournee chacun a sa poste, et [au lieu] d'adjuster leur sçavoir a ceste regle, ilz l'ont reglëe elle mesme a l'esquerre de leur propre suffisance, ou petite ou grande.

  A001000764 

 L'Eglise avoit generalement receu, il y a plus de mill'ans, la version latine que l'Eglise Catholique produit, saint Hierosme, tant sçavant homme, en estoit l'autheur ou le correcteur; quand voicy en nostr'aage s'eslever un espais brouillart [176] de l'esprit de tournoyement, lequel a tellement esblouy ces regrateurs de vielles opinions qui ont couru cy devant, que chacun a voulu tourner, qui d'un costé qui d'autre, et chacun au biais de son jugement, ceste sainte sacrëe Escriture de Dieu: en quoy, qui ne voit la prophanation de ce vase sacré de la sainte lettre, dans laquelle se conservoit le precieux basme de la doctrine Evangelique? Car, n'eust ce pas esté prophaner l'Arche de l'alliance, si quelqu'un eust voulu maintenir qu'un chacun la pouvoit prendre, la porter chez soy et la demonter toute et depecer, puys luy bailler telle forme quil eust voulu, pourveu quil y eust quelque apparence d'Arche? et qu'est ce autre chose soustenir que l'on peut prendre les Escritures, les tourner et accommoder chacun selon sa suffisance? Et neanmoins, des lors qu'on asseure que l'edition ordinaire de l'Eglise est si difforme quil la faut rebastir tout a neuf, et qu'un homme particulier y met la main et commence ce train, la porte est ouverte a la temerité: car si Luther l'ose faire, et pourquoy non Erasme? et si Erasme, pourquoy non Calvin ou Melancthon? pourquoy non Henricus [177] Mercerus, Sebastien Castalio, Beze, et le reste du monde? pourveu qu'on sache quelques vers de Pindare, et quatre ou cinq motz d'Hebreu, au pres de quelques bons Tresors de l'une et l'autre langue.

  A001000765 

 Mays quoy? qu'aves vous faict de mieux? chacun a prisé la sienne, chacun a mesprisé celle d'autruy; on a [178] tournaïllé tant qu'on a voulu, mays personne ne se conte de la version de son compaignon: qu'est ce autre chose que renverser la majesté de l'Escriture, et la mettre en mespris vers les peuples, qui pensent que ceste diversité d'editions vienne plustost de l'incertitude de l'Escriture que de la bigarrure des traducteurs? bigarrure laquelle seule nous doit mettre en asseurance de l'ancienne traduction, laquelle, comme dict le Concile, l'Eglise a si longuement, si constamment et si unanimement approuvëe..

  A001000765 

 Que dites vous? que l'edition ordinaire est corrompue? Nous avoüons que les transcriveurs et les imprimeurs y ont layssé couler certains æquivocques, de fort peu d'importance (si toutefois il y a rien en l'Escriture qui puysse estre dict de peu d'importance), lesquelz le Concile de Trente commande estre levés, et que d'ores en avant on prene garde a la faire imprimer le plus correctement quil sera possible; au reste, il n'y a rien qui ny soit tres sortable au sens du Saint Esprit qui en est l'autheur: comme ont monstré ci devant tant de doctes gens des nostres, qui se sont opposés a la temerité de ces nouveaux formateurs de religion, que ce seroit perdre tems d'en vouloir parler davantage; outre ce que ce seroit folie a moy de vouloir parler de la naifveté des traductions, qui ne sceuz jamais bonnement lire avec les pointz en l'une des langues necessaires a ceste connoissance, et ne suys guere plus sçavant en l'autre.

  A001000771 

 Que sil en va ainsy des versions latines, combien est grand le mespris et prophanation qui s'est faict es versions françoises, alemandes, polonnoises et autres langues: et neanmoins voicy un des plus pregnans artifices que l'ennemi du Christianisme et d'unité ait employé en nostr'aage pour attirer les peuples a ses cordelles; il connoissoit la curiosité des hommes, et combien chacun prise son jugement propre, et partant il a induict tous les sectaires a traduire les Saintes Escritures, chacun en la langue de la province ou il se cantonne, et a maintenir ceste non jamais ouÿe opinion, que chacun estoit capable d'entendre les Escritures, que tous les devoyent lire, et que les offices publiques se devoyent celebrer et chanter en la langue vulgaire de chaque province..

  A001000772 

 C'est une bien grande licence a ceux qui traduysent, de sçavoir quilz ne seront point conterollés que par ceux de leur province mesme; chaque province n'a pas tant d'yeux clairvoyans comme la France et l'Allemaigne.

  A001000772 

 Le vin qu'on a beaucoup versé et reversé s'esvente et perd sa force, la cire estant maniee change couleur, la monoÿe en perd ses caracteres; [179] croyes aussy que l'Escriture Sainte, passant par tant de divers verseurs, en tant de versions et reversions, ne peut qu'elle ne s'altere.

  A001000772 

 Que si aux versions latines il y a tant de varieté d'opinions entre ces tournoyeurs, combien y en a il davantage es editions vulgaires et maternelles d'un chacun, esquelles chacun ne peut pas reprendre ni conteroller.

  A001000773 

 .. Laquelle, outre le grand poids qu'elle doit avoir pour contrebalancer a toutes nos curiosités, a une rayson que je tiens pour tres bonne; c'est que ces autres langues ne sont point reglëes, mays de ville en ville se changent en accens, en frases et paroles, elles se changent de sayson en sayson, et de siecle en siecle.

  A001000773 

 Bref, c'est chose plus que raysonnable qu'une si sainte Regle comm'est la sainte Parole, soit conservëe es langues reglëes, car elle ne pourroit se maintenir en ceste parfaitte integrité es langues bastardes et desreglees..

  A001000773 

 Ces peuples, donques, avoyent accoustumé de dire les Psalmes en Hebrieu, et neanmoins l'Hebreu n'estoit plus leur langue vulgaire, ainsy qu'on peut connoistre de plusieurs paroles dites en l'Evangile par Nostre Seigneur, qui estoyent siriacques, que les Evangelistes ont gardees, comme Abba, Haceldema, Golgotha, Pascha et autres, que les doctes tiennent n'estre pas hebraiques pures mais siriaques, quoy qu'elles soient appellees hebraiques par ce que c'estoit le langage vulgaire des Hebreux des la captivité de Babiloyne.

  A001000773 

 Mays disons candidement; ne sçavons nous pas que les Apostres parloyent toutes langues? et que veut dire quilz n'escrivirent leurs Evangiles et Epistres qu'en Hebrieu, comme saint Hierosme atteste de l'Evangile de saint Matthieu, en Latin, comme quelques uns pensent de celuy de saint Marc, et en Grec, comm'on tient des autres Evangiles; qui furent les trois langues choysies, des la Croix mesme de Nostre Seigneur, pour la prædication du Crucifix? Ne porterent ilz pas l'Evangile par tout le monde, et au monde ny avoit il point d'autre langage que ces trois la? si avoit a la verité, et neanmoins ilz ne jugerent pas estre expedient de diversifier en tant de langues leurs escritz: qui mesprisera donques la coustume de nostre Eglise, qui a pour son garand l'imitation des Apostres?.. Dequoy nous avons une notable trace et piste en l'Evangile: car le jour que Nostre Seigneur entra en Hierusalem, les troupes alloyent criant, Osanna filio David; benedictus qui venit in nomine Domini; osanna in excelsis; et ceste parole, Osanna, a estëe laissëe en son entier parmi les textes grecz de saint Marc et saint Jan, signe [180] que c'estoit la mesme parole du peuple: or est il que Osanna, ou bien Osianna (et l'un vaut l'autre, disent les doctes en la langue), est une parole hebraique, non siriacque, prise, avec le reste de ceste louange la qui fut donnëe a Nostre Seigneur, du Psalme 117.

  A001000773 

 Qu'on prenne en main les Memoyres du sire de Joinville, ou encores celles de Philippe de Commines; on verra que nous avons du tout changé leur langage: qui neantmoins devoient [être] des plus politz de leur tems, estans tous deux nourris en court.

  A001000774 

 Mays je vous advise que le saint Concile de Trente ne rejette pas les traductions vulgaires imprimëes par l'authorité des ordinaires, seulement il commande qu'on [181] n'entreprene pas de les lire sans congé des superieurs; ce qui est tres raisonnable, pour ne mettre pas ce couteau, tant affilé et tranchant a deux costés, en la main de qui s'en pourrait esgorger soymesme, dequoy nous parlerons cy apres; et partant il ne trouve pas bon que chacun qui sçait lire, sans autr'asseurance de sa capacité que celle quil prend de sa temerité, manie ce sacré memorial.

  A001000774 

 » Et « crois davantage, » dict il, « que la liberté a chacun de » le traduire, et « dissiper une parole si religieuse et importante a tant de sortes d'idiomes, a beaucoup plus de danger que d'utilité.

  A001000780 

 Ce desvit prend en partie ses raysons de ce que j'ay ja dict; car, sil n'est pas expedient de traduire ainsy a tous propos de province en province le [182] texte sacré de l'Escriture, la plus grande partie, et quasi tout ce qui est es offices, estant pris de la Sainte Escriture, il n'est pas convenable de le mettre nomplus en françois: sinon quil y a d'autant plus de danger de reciter es services publiqs la Saint'Escriture en vulgaire, que non seulement les vieux mays les jeunes enfans, non seulement les sages mais les folz, non seulement les hommes mais les femmes, et, en somme, qui sçait et qui ne sçait lire, pourroyent tous y prendre occasion d'errer, chacun a son goust.

  A001000780 

 Le Concile defend aussy que les services publiqs de l'Eglise ne se facent pas en vulgaire, mays en langue reglëe, chacun selon les anciens formulaires approuvés par l'Eglise.

  A001000781 

 L'unité et la grand'estendue de nos freres requiert que nous disions nos publiques prieres en un langage qui soit un a toutes nations; en ceste façon nos prieres sont universelles, par le moyen de tant de gens qui en chaque province peuvent entendre le Latin; et me semble en conscience que ceste seule rayson doit suffire, car, si nous contons bien, nos prieres ne sont pas moins entendues en Latin qu'en François.

  A001000781 

 Mays qui est celuy, tant houppé soit il et ferré, qui entende sans estude les Propheties d'Ezechiel et autres, et les Psalmes? et que servira donques aux peuples de les ouir, sinon pour les prophaner et mettre en doute? et quand au reste, nous autres Catholiques ne devons en aucune façon reduire nos offices sacrés aux langages particuliers, ains plus tost, comme nostr'Eglise est universelle en tems et en lieux, elle doit aussi faire ses services publicqs en un langage qui soit de mesme universel en tems et en lieux, tel qu'est le Latin en Occident, le Grec en [183] Orient; autrement nos præstres ne sçauroyent dire Messe, ni les autres l'entendre, hors de leurs contrëes.

  A001000781 

 Pour y apprendre la doctrine? mays certes, la doctrine ne s'en peut tirer si quelqu'un n'a ouvert l'escorce de la lettre, dans laquelle est contenue l'intelligence; ce que je deduyray tantost en son lieu: la predication sert a ce point, non la recitation du service; en laquelle la Parole de Dieu est non seulement recitëe, mays exposëe par le pasteur.

  A001000787 

 Certes, nous ne refusons pas a personne de chanter avec le chœur, modestement et decemment; mays il semble plus convenable que les ecclesiastiques et deputés chantent pour l'ordinaire, comm'il fut faict a la dedicace du Temple de Salomon, 2 Parai.

  A001000787 

 Et quoy? n'est ce pas une prophanation et violation extreme d'avoir laissé a ceste cervelle esventëe un jugement de si grande consequence, et puys suivre aussy estroittement le triage d'un basteleur, es prieres publiques, comm'on fit jamais jadis l'interpretation des 70, qui furent si particulierement assistés du Saint Esprit? combien de motz, combien de sentences couche il la dedans, qui ne furent jamais en l'Escriture; c'est bien autre que de prononcer mal scibolleth.

  A001000787 

 La seule insuffisance de l'autheur, qui n'estoit qu'un ignorant, la lasciveté de laquelle il tesmoigne par ses escritz, sa vie tes prophane et qui n'avoit rien moins que du Chrestien, meritoit qu'on luy refusast la frequentation de l'eglise; et neanmoins son nom et ses psalmes sont comme sacrés en vos eglises, et les chante l'on parmi vous autres comme s'ilz estoyent de David: la ou, qui ne voit combien est violëe la sacrëe Parole? car le vers, sa mesure, sa contrainte ne permet pas qu'on suyve la proprieté des motz de l'Escriture, mais y mesle l'on du sien pour rendre le sens parfaict et comble, et a esté necessaire a cest ignorant rimeur de choisir un sens la ou il y en pouvoyt avoir plusieurs.

  A001000787 

 Mays entre toutes les prophanations, il me semble que cellecy se faict voir a travers des autres, qu'es temples, publiquement et tout par tout, aux champs, aux boutiques, on chante la rimaillerie de Marot comme Psalmes de David.

  A001000787 

 O que l'on se plaict a faire voir sa voix es eglises: mays vous trahit on pas en ces chantemens qu'on vous faict faire? Je n'ay ni la commodité ni le loysir de poursuivre le reste; quand vous cries ces vers du Psalme 8., ut sup..

  A001000787 

 Toutefois, on sçait bien quil ni a rien qui ayt tant chatouillé ces curieux, et surtout les femmes, que ceste authorité de [185] chanter en l'eglise et assemblëe.

  A001000788 

 Et quand a ceste façon de faire chanter indifferemment, en tous lieux et en toutes occupations, les Psalmes, qui ne voit que c'est un mespris de religion? N'est ce pas offencer la Majesté divine, de luy parler avec des paroles tant exquises comme celles des Psalmes sans aucune reverence ni attention? dire des prieres par voye d'entretien, n'est ce pas se mocquer de Celuy a qui on parle? Quand on voit, ou a Geneve ou ailleurs, un garçon de boutique se jouer au chant de ces Psalmes, et rompre le fil d'une tres belle priere pour dire, Monsieur, que vous plaict il? ne connoist on pas bien qu'il faict un accessoire du principal, et que ce n'est sinon pour passetems quil chante ceste divine chanson, quil croit neantmoins estre du Saint Esprit? Ne faict il pas bon voir ces cuysiniers chanter les Psalmes de la Pœnitence de David, et demander a chasque verset le lart, le chapon, la perdrix? « Ceste voix, » dict des Montaignes, « est trop divine pour n'avoir autre usage que d'exercer les poulmons et plaire aux oreilles.

  A001000788 

 » Je confesse qu'en particulier tous lieux sont bons a prier et toute contenance qui n'est pas peché, pourveu qu'on prie d'esprit, par ce que Dieu voit l'interieur, auquel gist la principale substance de l'orayson; mays je crois que qui prie en publiq doit faire demonstration exterieure de la reverence que les paroles propres quil profere demandent; autrement il scandalize le prochain, qui n'est pas tenu de penser quil ayt [186] de la religion en l'interieur, voyant le mespris en l'exterieur..

  A001000789 

 Je tiens, donques, que tant pour chanter comme Psalmes divins ce qui est bien souvent fantasie de Marot, que pour le chanter irreveremment et sans respect, on peche tressouvent, en vostre tant reformëe eglise, contre ceste parole, Spiritus est Deus, et eos qui adorant eum in spiritu et veritate oportet adorare: car, outre ce qu'en ces psalmes vous attribues au Saint Esprit bien souvent les conceptions de Marot, contre la verité, la bouche aussy crie, par mi les rues et cuysines, o Seigneur, o Seigneur, que le cœur ni l'esprit n'y sont point, mays au traffiq et au gain; et, comme dict Isaïe, vous vous eslances de bouche vers Dieu, et le glorifies de vos levres, mays vostre cœur est bien loin de luy, et vous le craignes selon les commandemens et doctrines des hommes.

  A001000790 

 aux Corinthiens, Mulieres in ecclesia taceant semble s'entendre aussy bien des cantiques que du reste: nos religieuses sunt in oratorio, non in ecclesia.

  A001000796 

 Epistre, que és Epistres de saint Pol il y a certains traictz difficiles, que les ignorans et remuans depravent, comme le reste de l'Escriture, a leur propre malheur.

  A001000796 

 L'eunuche tresorier general d'Ethiopie estoyt bien fidele, puysqu'il estoit venu adorer au Temple de Hierusalem; il lisoyt Isaïe, il entendoit bien les paroles, puys quil demandoit de quel Prophete s'entendoit ce quil avoit leu; neantmoins il n'en avoit pas l'intelligence ni l'esprit, comme luy mesme confessoit: Et quomodo possum si non aliquis ostenderit mihi? Non seulement il n'entend pas, mays confesse de ne le pouvoir sil n'est enseigné; et nous verrons une lavandiere se vanter d'entendre aussy bien l'Escriture que saint Bernard.

  A001000796 

 L'imagination doit avoir grande force sur les entendemens huguenotz, puys qu'elle vous persuade si fermement ceste grande absurdité, que les Escritures sont aysëes a chacun, et que chacun les peut entendre: et de vray, affin de produire les traductions vulgaires avec honneur, il failloit bien parler ainsy.

  A001000796 

 Mays dites la verité; penses vous que la chose aille ainsy? les trouves vous si aysëes? les entendes vous bien? si vous le penses, j'admire vostre creance, qui est non seulement sur l'experience, mays contre ce que vous voyes et sentes.

  A001000796 

 Ne connoisses vous pas l'esprit de division? il faut s'asseurer que l'Escriture est aysëe, affin que chacun la tirasse, qui ça qui la, que chacun en face le maistre, et qu'elle serve aux opinions et fantasies d'un chacun.

  A001000796 

 Sil est ainsy, que l'Escriture soit si aysëe a entendre, a quoy faire tant de commentaires des Anciens et tant de commenteries de vos ministres? a quel propos tant d'harmonies, et a quoy faire ces escoles de theologie? Il ne faut, ce vous dit on, que la doctrine de la pure Parolle de Dieu en l'Eglise.

  A001000797 

 J'ay veu un personnage en bonne compaignie, auquel estant objectëe a un sien devis la sentence de Nostre Seigneur, Qui percutit te in maxillam, præbe ei et alteram, l'entendit incontinent en ce sens, que comme [pour] flatter un enfant qui estudie bien, on luy met legerement a petitz coups la main a la joue pour l'inciter a mieux, ainsy vouloit dire Nostre Seigneur, a qui te trouvera bien faysant et t'y consolera, fais si bien qu'il ait occasion a l'autre fois de consoler davantage et te flatter ou amadouer des deux costés.

  A001000797 

 Ne voyla pas un beau sens et rare? mays la rayson estoit encores plus belle, par ce qu'a l'entendre autrement ce seroit contre nature, et qu'il faut interpreter l'Escriture par l'Escriture, ou nous trouvons que Nostre Seigneur n'en fit pas de mesme quand le serviteur le frappa: c'est le fruict de vostre triviale theologie.

  A001000797 

 Or, combien soit grande la prophanation de ce costé personne ne le pourroit suffisamment penser qui ne [189] l'auroit veu: pour moy je diray ce que je sçay, et ne mens point.

  A001000799 

 Hic adscribenda sunt ea verba c. 35 Vincentii Lirinensis: Nam videas eos, etc. Cecy n'est ce pas [190] faire ce que dict Dieu en Ezechiel, 34, v. 18: Nonne satis vobis erat pascua bona depasci? insuper et reliquias pascuarum vestrarum conculcastis pedibus..

  A001000806 

 Il veut donques que les louanges qui se faysoyent en Corinthe se fissent en Grec, car, puys quilz se faysoyent non ja comme services ordinaires, mays comme cantiques extraordinaires de ceux qui avoyent ce don, pour consoler le peuple, il estoyt raysonnable quilz se fissent en langue intelligible, ou que on les eust interpreté sur le champ; ce quil semble monstrer quand plus bas il dict: Si ergo conveniat universa ecclesia in unum, et omnes linguis loquantur, intrent autem idiotæ aut infideles, nonne dicent quod insanitis? et plus bas: [191] Sive lingua quis loquitur, secundum duos aut ut multum tres, et per partes, et unus interpretetur; si autem non fuerit interpres, taceat in ecclesia, sibi autem loquatur et Deo.

  A001000806 

 Qui ne voit quil ne parle pas des offices solemnelz en l'eglise, qui ne se faysoyent que par le pasteur, mays des cantiques qui se faysoyent par le don des langues, quil vouloyt estre entenduz; car, de vray, ne l'estans pas, cela detournoyt l'assemblëe et ne servoit de rien.

  A001000806 

 S'ensuyt ce que vous allegues pour vostre defence.

  A001000806 

 Vous verres que pour cela il ne veut pas qu'on diversifie le service en toutes sortes de langages, mais seulement que les exhortations et cantiques qui se faysoyent par le don des langues soyent interpretés, affin que l'eglise ou on se trouve sache que l'on dict: Et ideo, qui loquitur lingua, oret ut interpretetur.

  A001000807 

 Populus hic labiis me honorat, cor autem eorum: cela s'entend de ceux qui chantent et prient, en quel langage que ce soit, et parlent de Dieu par maniere d'acquit, sans reverence et devotion; non de ceux qui parlent un langage a eux inconneu mays conneu a l'Eglise, et neanmoins ont le cœur ravi en Dieu..

  A001000808 

 Es Actes des Apostres on louoit Dieu en toutes langues: aussy faut il, mays es offices universelz et catholiques il y faut une langue universelle et catholique; hors de la, que toute langue confesse que le Seigneur Jesus est a la dextre de Dieu le Pere..

  A001000809 

 Au Deuteronome est il pas dict que les commandemens de Dieu ne sont pas secretz ni celés? et le Psalmiste dict il pas: Præceptum Domini lucidum; Lucerna pedibus meis Mot tuum? Tout cela va bien, mays il s'entend estant prechëe et expliquëe et bien entendue, car, Quomodo credent sine prædicante? et tout ce que David grand prophete a dict, ne doit estre tiré en consequence sur un chacun..

  A001000810 

 Certes, saint Augustin trouva que saint Anthoyne, homme indocte, ne layssoit pas de sçavoir le chemin de Paradis, et luy avec sa doctrine en estoit bien loin alhors, parmi les erreurs des Manicheens..

  A001000810 

 Croyes qu'encores selon l'esprit il est veritable ce que disoit le Sage: Melior est pauper ambulans in simplicitate sua quam dives in pravis itineribus; et ailleurs: Simplicitas justorum diriget eos; et: Qui ambulat simpliciter ambulat confidenter. Ou je ne voudrois pas dire quil ne faille prendre peyne d'entendre, mays seulement qu'on ne se doit pas penser de trouver de soymesme son salut ni son pasturage, sans la conduicte de qui Dieu a constitué pour cest effect, selon le mesme Sage: Ne innitaris prudentiæ tuæ; et, Ne sis sapiens apud temetipsum: ce que ne font pas ceux qui pensent en leur seule suffisance connoistre toute sorte de misteres, sans observer l'ordre que Dieu a establi, qui en a faict entre nous les uns docteurs et pasteurs, non tous, et un chacun pour soymesme.

  A001000810 

 Quoy? si personne ne trouve son salut que qui sçait lire les Escritures, que deviendront tant de pauvres idiotz? certes, ilz trouvent et cherchent leur salut asses suffisamment, quand ilz apprennent de la bouche du pasteur le sommaire de ce qu'il faut croire, esperer, aymer, faire et demander a Dieu.

  A001000811 

 Mays j'ay quelques tesmoignages de l'antiquité et quelques exemples signalés, que je vous veux laysser a la fin de cest article pour sa conclusion.

  A001000812 

 Voyes vous comme le peuple oyoyt la leçon publique de l'Evangile, et ne l'entendoit pas, sinon ce mot, Confiteor tibi, Pater? qu'il entendoit par coustume, par ce qu'on le disoit tous au commencement de la Messe, comme nous faysons maintenant: c'est sans doute que la leçon s'en faysoit en Latin, qui n'estoit pas leur langage vulgaire..

  A001000813 

 Jamais peuple ne fut mieux instruict, selon la malice du tems, que le peuple de Milan sous le cardinal Borromëe; mays l'instruction du peuple ne vient pas a force de tracasser les saintes Bibles, et lisotter ceste divin'Escriture, ni chanter ça et la en forme de fantasies les Psalmes, ains de les manier, lire, ouyr, chanter et prier avec apprehension vive de la majesté de Dieu a qui on parle, de qui on lit ou escoute on la Parole, tousjours avec ceste præface de l'ancienn'Eglise, Sursum corda..

  A001000813 

 Mays qui veut voir le conte que les Catholiques font de la Sainte Escriture et le respect quilz luy portent, quilz admirent le grand cardinal Borromëe, lequel n'estudioit jamais sur les Saintes Escritures sinon a genoux, luy semblant quil oyoyt parler Dieu en icelles, et que telle reverence estoit deüe a une si divine audience.

  A001000826 

 Redempti estis de vana vestra conversatione paternæ traditionis? Tout cecy n'est point a propos; puysque le Concile proteste clairement que les Traditions quil reçoit ne sont ni traditions ni doctrines des hommes, ains, quæ ab ipsius Christi ore ab Apostolis acceptæ, vel ab ipsis Apostolis, Spiritu Sancto dictante, quasi per manus traditæ, ad nos usque pervenerunt: ce sont donques Parole de Dieu, doctrine du Saint Esprit, non des hommes.

  A001000827 

 En cas pareil ilz produysent contre nous ce que saint Pol disoit a son bon Timothëe: Omnis scriptura divinitus inspirata utilis est ad docendum, ad corripiendum, ad erudiendum in justitia, ut perfectus sit homo Dei, ad omne bonum opus instructus.

  A001000827 

 Qui nie la tres excellente utilité de l'Escriture, sinon les huguenotz qui en levent des plus belles pieces comme vaynes? Elles sont tres utiles, certes; ce n'est pas une petite faveur que Dieu nous a faict de les nous conserver parmi tant de persecutions: mays l'utilité de l'Escriture ne rend pas les saintes Traditions inutiles, nom plus que l'usage d'un œïl, d'une jambe, d'une oreille, d'une main, ne rend pas l'autre inutile; [197] dont le Concile dict: Omnes Libros tam Veteris quam Novi Testamenti, nec non Traditiones ipsas, pari pietatis affectu ac reverentia suscipit et veneratur.

  A001000828 

 De mesme: Multa quidem et alia signa fecit Jesus quæ non sunt scripta in libro hoc; hæc autem scripta sunt ut credatis quod Jesus est Filius [Dei], et ut credentes vitam habeatis in nomine ejus: donques il ny a rien autre a croire que cela; belle consequence! Nous sçavons bien que Quæcumque scripta sunt ad nostram doctrinam scripta sunt; mays cela empechera il que les Apostres præchent? Hæc scripta sunt ut credatis quod Jesus est Filius Dei; mays cela ne suffit pas, car, quomodo credent sine prædicante? Les Escritures sont donnees pour nostre salut, mays nompas les Escritures seules, les Traditions y ont encor place: les oyseaux ont l'aisle droite pour voler; donques l'aysle gauche ny sert de rien? ains l'une ne va pas sans l'autre.

  A001000828 

 Je laysse a part les responces particulieres, car saint Jan ne parle que des miracles quil avoyt a escrire, quil tient suffire pour prouver la divinité du Filz de Dieu..

  A001000829 

 Quand ilz produysent ces paroles, Non addetis ad Mot quod ego præcipio vobis, nec auferetis ab eo; Sed licet nos aut angelus de cælo evangelizet vobis præterquam quod evangelizavimus vobis, anathema sit, ilz ne disent rien contre le Concile, qui dict expressement que la doctrine Evangelique ne consiste pas seulement es Escritures, mays encores es Traditions.

  A001000829 

 Que si vous consideres de pres comme le Concile apparie les Traditions aux Escritures, vous verres quil ne reçoit point de Tradition contraire a l'Escriture; car il reçoit la Tradition et l'Escriture avec [198] pareil honneur, parce que l'une et l'autre sont ruysseauz tres doux et purs, qui sont partis d'une mesme bouche de Nostre Seigneur, comme d'une vive fontayne de sapience, et partant ne peuvent estre contraires, ains sont de mesme goust et qualité, et se joignans ensemble arrousent gayement cest arbre du Christianisme, quod fructum suum dabit in tempore suo..

  A001000830 

 Et ny a pas seulement Tradition des ceremonies, et de certain ordre exterieur arbitraire et de bienseance, mays, comme dict le saint Concile, en doctrine qui appartient a la foy mesme et aux mœurs; quoy que, quand aux Traditions des mœurs, il y en a qui nous obligent tres étroittement, et d'autres qui ne nous sont proposëes que par conseil et bienseance, et cellescy n'estans observëes ne nous rendent pas coulpables, pourveu qu'elles soyent approuvëes et prisëes comme saintes, et ne soyent mesprisëes.

  A001000830 

 Nous appelions donques Tradition Apostolique la doctrine, soit de la foy soit des mœurs, que Nostre Seigneur a enseignëe de sa propre bouche ou par la bouche des Apostres; laquelle n'estant point escritte es Livres canoniques, a esté ci devant conservëe jusqu'a nous comme passant de main en main, par continuelle succession de l'Eglise: en un mot, c'est la Parole de Dieu vivant, imprimëe non sur le papier mais dans le cœur de l'Eglise seulement.

  A001000836 

 Nous confessons que la tressainte Escriture est tres excellente et tres utile; elle est escrite affin que nous croyons; rien ne luy peut estre contraire que le mensonge et l'impieté: mays pour establir ces verités il ne faut pas rejetter cellecy, a sçavoir, que les Traditions [199] sont tres utiles; donnees affin que nous croyons; rien ne leur est contraire que l'impieté et le mensonge; car pour establir une verité il ne faut jamais destruire l'autre.

  A001000836 

 Que si Nostre Seigneur ni ses Apostres ne l'ont jamais escrit, pourquoy nous evangelises vous ces choses cy? au contraire, il est defendu de lever rien de l'Escriture, pourquoy voules [vous] lever les Traditions, qui y sont si expressement authentiquëes?.

  A001000836 

 S'il ne faut rien adjouster a ce que Nostre Seigneur a commandé, ou est ce quil a commandé qu'on condamnast les Traditions Apostoliques? pourquoy adjoustes vous cecy a ses paroles? ou est ce que Nostre Seigneur l'a jamais enseigné? que tant s'en faut quil ait jamais commandé le mespris des Traditions Apostoliques, que jamais il ne mesprisa aucune tradition du moindre prophete du monde: coures tout l'Evangile, et vous n'y verres censurëes que les traditions humaynes et contraires a l'Escriture.

  A001000837 

 Ce que saint Jan mesme confirme: Multa habens scribere vobis, nolui per chartam et atramentum; spero enim me futurum apud vos, et os ad os loqui; c'estoyent choses dignes d'estre escrites, neanmoins il ne l'a pas faict, mays les a dites, et au lieu d'Escriture en a faict Tradition..

  A001000839 

 Si c'estoit en la seconde des Corinthiens, on pourroit dire que par ses commandemens il entend ceux de la premiere, quoy que le sens y seroit forcé (mays a qui ne veut marcher tout ombre sert), mays cecy est escrit en la premiere; il ne parle pas d'aucun Evangile, car il ne l'appelleroit pas præcepta mea: qu'estoit ce donques sinon une doctrine Apostolique non escritte? cela nous l'appelions Tradition.

  A001000840 

 Je vous demande, quand leur dict il ces choses quil avoit a leur dire? pour vray, ou ce fut apres sa resurrection les 40 jours quil fut avec eux, ou par la venue du Saint Esprit; mais que sçavons nous que c'est quil comprenoit sous ceste parole, Multa habeo, et si tout est escrit? il est bien dict quil fut 40 jours avec eux, les enseignant du royaume des cieux, mays nous n'avons ni toutes ses apparitions ni ce quil leur disoit en icelles.

  A001000852 

 Quand Absalon voulut une fois faire faction contre son bon pere, il s'assit pres de la porte au chemin, et disoit aux passans: Il ny a personne constitué du Roy pour vous ouir, hé, qui me constituera juge sur terre, afin que qui aura quelque negotiation vienne a moy et que je juge justement? ainsy sollicitoit il le courage des Israelites.

  A001000853 

 Il dict que la conclusion de tout son discours est « que le vray Christ est la seule, vraye et perpetuelle marque de l'Eglise Catholique, entendant du vray Christ tel, » dict il, « quil s'est tres parfaittement declaré dés le commencement, tant es escritz prophetiques qu'apostoliques, en ce qui appartient a nostre salut; » plus bas il dict: « Voyla ce que j'avois a dire sur la vraye, unique et essentielle marque de la vraÿe Eglise, qui est la Parole escritte prophetique et apostolique, bien et deuement administrëe; » et plus haut il avoit confessé quil y avoit des grandes difficultés es Escrittures Saintes, mays « nom pas es pieces qui touchent a nostre creance.

  A001000853 

 » A la marge il met cest advertissement, quil a mis quasi par tout le texte: « L'interpretation de l'Escritture ne se doit puyser d'ailleurs que de l'Escritture mesme, en conferant les passages les uns avec les autres, et les rapportant a l'analogie de la foy; » et en l'Epistre au Roy de France: « Nous demandons qu'on s'en rapporte aux Saintes Escrittures canoniques, et que, sil y a doute sur l'interpretation d'icelles, la convenance et le rapport qui doit estre tant entre les passages de l'Escriture qu'entre les articles de la foy en soyent juges.

  A001000853 

 » Il dict encores quilz sont « ceux qui n'ont desavoüé ni voudroyent desavoüer un seul Concile digne de ce nom, general ni particulier, ancien ni plus recent, » (notés) « pourveu, » dict il, « que la pierre de touche, qui est la Parole de Dieu, en face l'espreuve.

  A001000854 

 Amen, amen, disons nous; mais nous ne demandons pas comment on doit interpreter l'Escriture, mays qui sera le juge: car, apres avoir conferé les passages aux passages et le tout au Simbole de la foy, nous trouvons que par ce passage, Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam, et portæ inferi non prævalebunt; et tibi dabo claves regni cælorum, saint Pierre a esté chef ministerial et supreme œconome en l'Eglise de Dieu; vous dites, de vostre costé, que ce passage, Reges gentium dominantur eorum, vos autem non sic, ou cest autre (car ilz sont tous si foibles que je ne sçay pas lequel vous peut estre fondemental), Nemo potest aliud fundamentum ponere, etc., conferé avec les autres passages et a l'analogie de la foy, vous faict detester un chef ministerial: nous suyvons tous deux un mesme chemin en la recherche de la verité de ceste question, a sçavoir, sil y a en l'Eglise un vicaire general de Nostre Seigneur, et neantmoins je suys arrivé en l'affirmative, et vous, vous estes logés en la negative; qui jugera plus de nostre different?.. Certes, qui s'addressera a Theodore de Beze, il dira que vous aves mieux discouru que moy, mays ou se fondera il en ce jugement, sinon sur ce quil luy semble ainsy, selon le præjugé quil en a faict il y a si long tems? et [204] quil dise ce quil voudra, car qui l'a establi juge entre vous et moy?...

  A001000854 

 Mays a cela nous repliquons, Amen: mays nous disons que nostre different n'est pas la; c'est qu'es differens que nous aurons sur l'interpretation, et qui s'y trouveront de deux motz en deux motz, nous avons besoin d'un juge.

  A001000854 

 Voyla, en un mot, ce que veulent tous tant quil y a de reformayres, qu'on prenne l'Escriture pour juge.

  A001000855 

 Je ne suys pas en doute sil faut adjouster foy a la sainte Parole; qui ne sçait qu'elle est au supreme grade de certitude? ce qui me tient en peyne c'est l'intelligence de ceste Escriture, ce sont les consequences et conclusions qu'on y attache, lesquelles estans diverses, sans nombre et contraires bien souvent sur un mesme sujet, ou chacun prend parti, qui d'un costé qui d'autre, qui me fera voir la verité au travers de tant de vanités? qui me fera voir ceste Escriture en sa naifve couleur? car le col de ceste colombe change autant d'apparences que ceux qui le regardent changent de postures et distances.

  A001000855 

 On vous renvoye a l'Escriture; nous y sommes devant que vous fussies au monde, et y trouvons ce que nous croyons, clair et net.

  A001000855 

 Vous dites qu'en ayant faict de mesme vous y trouves du faux; que voules vous que je face? tant de maistres l'ont maniëe cy devant, et tous ont faict mesme jugement que moy, et avec tant d'asseurance quilz ont forclos, es assemblëes generales du mestier, quicomque y a voulu contredire: mon Dieu, qui nous mettra hors de doute? Il ne faut plus dire la pierre de touche, autrement on dira, In circuitu impii ambulant: il faut que ce soit quelqu'un qui la manie, et face la preuve luymesme de la piece, puys, qu'il en face jugement, et que nous le subissions, et l'un et l'autre, sans plus contester; autrement chacun en croira ce quil luy plaira.

  A001000856 

 Ah, quicomque dict que Nostre Seigneur nous a embarqués en son Eglise, a la mercy des ventz et de la marëe, sans nous donner un expert pilote qui s'entende parfaittement en l'art nautique sur la charte et la bussole, il dict quil nous veut perdre.

  A001000856 

 Quil y ayt mis la plus excellente bussole et la charte la plus juste du monde, mays dequoy sert cela si personne n'a le sçavoir d'en tirer quelque regle infallible pour conduire le navire? dequoy servira il quil y ait un tresbon timon, sil ny a un patron pour le mouvoir a la mesure qu'enseignera la charte? mays sil est permis a chacun de le tourner au fil que bon luy semblera, qui ne void que nous sommes perdus? Ce n'est pas l'Escriture qui a besoin de regle ni de lumiere estrangere, comme Beze pense que nous croyons; ce sont nos gloses, nos consequences, intelligences, interpretations, conjectures, additions et autres semblables mesnages du cerveau de l'homme, qui ne pouvant demeurer coy s'embesoigne [206] tousjours a nouvelles inventions: ni moins voulons nous un juge entre Dieu et nous, comm'il semble quil veuille inferer en son Epistre; c'est entr'un homme tel que Calvin, Beze, Luther, et entr'un autre tel que Echius, Fischer, Morus; car nous ne demandons pas si Dieu entend mieux l'Escriture que nous, mays si Calvin l'entend mieux que saint Augustin ou saint Cyprien.

  A001000857 

 Et c'est icy ou je crois d'avoir fermement prouvé que nous avons besoin d'une autre Regle pour nostre foy outre la Regle de l'Escritture Sainte: Si diutius steterit mundus (dict une bonne fois Luther), iterum fore necessarium, propter diversas Scripturce interpretationes quæ nunc sunt, ut ad conservandam fidei unitatem Conciliorum decreta recipiamus, atque ad ea confugiamus; il confesse qu'auparavant on la recevoit, et confesse que ci apres il le faudra faire.

  A001000858 

 Autant en dis je des Traditions; car si chacun veut [207] produyre des Traditions, et que nous n'ayons poinct de juge en terre, pour mettre en dernier ressort difference entre celles qui sont recevables et celles qui ne le sont pas, a quoy, je vous prie, en serons nous? L'exemple est clair: Calvin trouve recevable l'Apocalipse, Luther le nie, autant en est il de l'Epistre de saint Jaques; qui reformera ces opinions des reformateurs? l'une ou l'autre est mal formëe, qui y mettra la main? Voyla une seconde necessité que nous avons d'une autre 3 e Regle outre la Parole de Dieu..

  A001000859 

 Il y a neanmoins tresgrande difference entre les premieres Regles et celle cy; car la premiere Regle, qui est la Parole de Dieu, est Regle infallible de soy mesme, et tres suffisante pour regler tous les entendemens du monde, la seconde n'est pas proprement Regle de soymesme, mays seulement entant qu'elle applique la premiere, et qu'elle nous propose la droitture contenue en la Parole sainte: ainsy qu'on dict les loix estre une regle des causes civiles; le juge ne l'est pas de soy mesme, puysque son jugement est obligé au reglement de la loy, neantmoins il est, et peut tresbien estre appellé, regle, par ce que l'application des loix estant sujette a varieté, quand il l'a une fois faicte il faut s'y arrester.

  A001000859 

 La sainte Parole, donques, est la loy premiere de nostre foy; reste l'application de ceste Regle, laquelle pouvant recevoir autant de formes quil y a de cerveaux au monde, nonobstant toutes analogies de la foy, encores faut il avoir une, seconde Regle pour le reglement de cest'application: il faut la doctrine, et quelqu'un qui la propose; la doctrine est en la sainte Parole, mays qui la proposera? Voyci comm'on deduit un article de foy: la Parole de Dieu est infallible, la Parole de Dieu porte que le Baptesme est necessaire a salut, donques le Baptesme est necessaire a salut.

  A001000865 

 Je soustiens que ce [209] juge n'est autre que l'Eglise Catholique, laquelle ne peut aucunement errer es interpretations et consequences qu'elle tire de la Sainte Escriture, ni es jugemens qu'elle faict sur les difficultés qui s'y presentent.

  A001000865 

 Mays c'est impieté de croire que Nostre Seigneur ne nous ayt layssé quelque supreme juge en terre, auquel nous puyssions nous addresser en nos difficultés, et qui fust tellement infallible en ses jugemens que suyvant ses decretz nous ne puyssions errer.

  A001000865 

 Or, n'est il pas raysonnable qu'aucun particulier s'attribue cest infallible jugement sur l'interpretation ou explication de la sainte Parole; car, a quoy en serions nous? Qui voudroit subir le joug du jugement d'un particulier? pourquoy plus tost de l'un que de l'autre? quil parle tant quil voudra de l'analogie, de l'entousiasme, du Seigneur, de l'Esprit, tout cela ne pourra jamais brider tellement mon cerveau que, sil faut s'embarquer a l'adventure, je ne me jette plus tost dans le vaysseau de mon jugement que dans celuy d'un autre, quand il parleroit Grec, Hebrieu, Latin, Tartarin, Moresque et tout ce que vous voudres.

  A001000865 

 S'il faut courir fortune d'errer, qui n'aymera mieux la courir a la suite de sa propre fantasie, que de s'esclaver a celle de Calvin ou Luther? chacun donnera liberté a sa cervelle de courir a l'abandon ça et la, par les opinions tant diverses soyent elles, et de vray, peut estre rencontrera il aussy tost la verité qu'un autre.

  A001000872 

 Ceux donques qui voudroyent que l'Empereur eust ceste authorité, n'ont point de fondement en l'Escriture ni en la rayson; [211] car, quelles sont les causes principales pour lesquelles on assemble les Conciles generaux, sinon pour reprimer et repouser l'heretique, le schismatique, le scandaleux, comme loups de la bergerie? ainsy fut faicte ceste premiere assemblëe en Hierusalem pour resister a certains de l'heresie des Pharisæens: et qui a charge de repouser le loup sinon le berger? et qui est berger que celuy a qui Nostre Seigneur dict, Pasce oves meas? trouves que semblable charge fut donnée a Tibere? Qui a l'authorité de repaistre le troupeau a l'authorité d'assembler les bergers, pour cognoistre quelle pasture et quelles eaux sont saines aux ouaïlles; cela est proprement assembler les pasteurs in nomine Christi, c'est a dire, par l'authorité de Nostre Seigneur, car qu'est ce autre chose assembler les estatz au nom du prince que les convoquer par authorité du prince? et qui a cest'authorité que celuy qui comme lieutenant a receu les clefz du royaume des cieux? Qui fit dire au bon pere Lucentius, Evesque vicaire du Saint Siege apostolique, que Dioscorus avoit eu tresgrand tort d'avoir assemblé un Concile sans l'authorité Apostolique: Sinodum, dict il, ausus est facere sine authoritate Sedis Apostolicæ, quod nunquam rite factum est, nec fieri licuit; et dict ces paroles en la pleyne assemblee du grand Concile de Calcedoyne.

  A001000872 

 Il est neanmoins necessaire que si la ville ou l'assemblëe se faict est sujette a l'Empereur, ou a quelque prince, et qu'on veuille faire quelque cueillette publique pour les frais d'un Concile, que le prince chez lequel on s'assemble ayt donné licence et authorisé l'assemblëe, et les cueillettes doivent estre avouëes par les princes riere les estatz desquelz elles se font: et quand l'Empereur voudroit assembler un Concile, pourveu que le Saint Siege y consentit pour rendre la convocation legitime... Telles ont esté les assemblëes de quelques Conciles [212] tres authentiques, et celle qu'Herodes commanda en Hierusalem, pour sçavoir ubi Christus nasceretur, a laquelle les prestres et scribes consentirent; mays qui la voudroit tirer en consequence, pour attribuer l'authorité aux princes de commander les convocations, auroit autant de rayson que de tirer en consequence sa cruauté sur saint Jan Baptiste et le meurtre sur les petitz enfans..

  A001000872 

 On ne sçauroit mieux projetter un vray et saint Concile que sur le patron de celuy que les Apostres firent en Hierusalem.

  A001000873 

 C'est donques aux Ecclesiastiques d'y estre convoqués, quoy que les princes, l'Empereur, les roys et autres y ayent lieu comme protecteurs de l'Eglise..

  A001000873 

 Il succede que nous remarquions, en ce premier Concile chrestien qui fut faict par les Apostres, qui y fut apellé Convenerunt, dict le texte, Apostoli et presbiteri videre de verbo hoc; les Apostres et les prestres, en un mot, les gens d'Eglise: la rayson le vouloit, car le vieux proverbe est par tout bon, Ne sutor ultra crepidam, et le mot du bon pere Hosius, rapporté par saint Athanase, quil escrivit a l'empereur Constantius, Tibi Deus imperium commisit, nobis quæ sunt Ecclesiæ concredidit.

  A001000874 

 Pendant qu'on deliberoit, les senieurs ou prestres parlerent, comm'il est probable selon ces paroles, cum autem magna conquisitio fieret, qui monstrent qu'on debatit bien fort ceste question; mays quand il vint a resoudre et porter sentence, il ne se trouve personne qui parle qui ne soit Apostre: aussy ne trouve l'on pas es anciens Conciles et canoniques qu'autre que les Evesques ayt signé et defini; qui fut la cause que les Peres du Concile de Calcedoyne, y voyans entrer les religieux et laicz, crierent plusieurs foys: Mitte foras superfluos, Concilium episcoporum est.

  A001000874 

 Troysiesmement, qui y doit estre juge: et nous ne voyons pas que personne y portast sentence que 4 des Apostres, saint Pierre, saint Pol, saint Barnabas et saint Jaques, au jugement desquelz chacun acquiesça.

  A001000875 

 Au Concile d'Ephese, saint Cyrille y præsida comme legat et lieutenant de Cælestin, Pape: voyci les paroles de saint Prosper d'Aquitayne: Per hunc virum (il parle du Pape Cælestin) etiam orientales Ecclesiæ gemina peste purgatæ sunt, quando Cyrillo, Alexandrinæ urbis Antistiti, gloriosissimo fidei Catholicæ defensori, [214] ad exsecandam nestorianam impietatem apostolico auxiliatus est gladio; ce que le mesme Prosper dict encores in Chronico: Nestorianæ impietati præcipua Cyrilli Alexandrini Episcopi industria et Papæ Cælestini repugnat authoritas.

  A001000875 

 Au Concile de Calcedoyne, il ny a rien qui ne crie tout par tout que les legatz du Saint Siege Romain ny aient præsidé, Pascasinus et Lucentius; il ny a que d'en lire les actes..

  A001000875 

 Au Concile de Constantinople, quoy quil ny fut pas ni aucun legat pour luy, par ce quil traittoit la mesme cause avec les Evesques occidentaux a Rome qui estoit traittëe a Constantinople par les orientaux, qui ne s'estoyent peu joindre qu'en esprit et deliberation, si est ce que par les lettres que les Peres de part et d'autre s'envoyerent, Damase, Evesque de Rome, est reconneu pour legitime chef et præsident.

  A001000875 

 Au Concile de Nicëe, les premiers qui souscrivent ce sont Hosius, evesque, Vitus et Modestus, prestres, envoÿés par le Saint Siege: et de vray, quelle occasion pouvoit faire que deux prestres souscrivissent devant les Patriarches, si ce n'eust esté quilz estoyent en lieutenance du supreme Patriarche? Que quand a saint Athanase, tant s'en faut quil y præsidast, quil ny fut pas assis ni ne souscrivit point, comme n'estant que diacre pour l'heure; et le grand Constantin non seulement ny præsida pas, ains s'assit au bas des Evesques, et ny voulut point estre comme pasteur mays comme brebis.

  A001000875 

 Si nous considerons qui y præsida, nous trouverons que ce fut saint Pierre qui y porte le premier la sentence, qui fut apres suyvie du reste, comme dict saint Hierosme; aussy avoit il la principale charge de pasteur, Pasce oves meas, et estoit le grand œconome sur le reste, Tibi dabo claves regni cælorum, il estoit confirmateur des freres, office qui appartient proprement au præsident et surintendant.

  A001000883 

 Nous parlons donq icy d'un Concile tel que celuy la, ou se trouve l'authorité de saint Pierre, tant au commencement qu'a la conclusion, et des autres Apostres et pasteurs qui s'y voudront trouver, sinon de tous au moins d'une notable partie; ou la discussion soit libre, c'est a sçavoir, que qui voudra y propose ses raysons sur la difficulté qui y est proposëe; ou les pasteurs ayent voix judiciaire; telz en fin qu'ont esté ces quatre premiers, desquelz saint Gregoire faisoit tant de conte, quil en fit ceste protestation: Sicut sancti Evangelii 4 Libros, sic 4 Concilia suscipere et venerari me fateor..

  A001000884 

 C'est la mesm'Eglise, aussy chere au celest'Espoux qu'elle fut alhors, en plus de necessité qu'elle n'estoit alhors; quelle rayson y a il quil ne luy fist la mesme assistence quil luy fit alhors en pareille occasion? Consideres, je vous prie, l'importance de ces motz Evangeliques, Si quis Ecclesiam non audierit, sit tibi tanquam etnicus et publicanus; [216] et quand peut on jamais ouyr plus distinctement l'Eglise que par la voix d'un Concile general, ou les chefz de l'Eglise se trouvent tous ensemble pour dire et deduyre les difficultés? le cors ne parle pas par ses jambes ni par ses mains, mays seulement par son chef; ainsy, comme peut l'Eglise mieux prononcer sa sentence que par ses chefz? Mays Nostre Seigneur s'explique: Iterum dico vobis, quia si duo ex vobis consenserint super terram de omni re quamcumque petierint, fiet illis a Patre meo qui in cælis est; ubi enim sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum.

  A001000885 

 Puys, si l'assemblëe legitime des pasteurs et chefz de l'Eglise pouvoit estre une fois saisie d'erreur, comme se verifierait la sentence du Maistre, Portæ inferi non prævalebunt adversus eam? comme pourrait l'erreur et la force infernale s'emparer de l'Eglise a meilleures enseignes que d'avoir asservi les docteurs, pasteurs et cappitaines avec leur general? Et ceste parole, Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem seculi, que deviendroit elle? Et l'Eglise comme sera elle colomne et pilier de verité, si ses bases et fondementz soustiennent l'erreur et fauseté? les docteurs et pasteurs sont les visibles fondementz de l'Eglise, sur l'administration desquelz le reste s'appuÿe..

  A001000886 

 En fin, quel plus estroit commandement avons nous que de prendre la pasture de la main de nos pasteurs? saint Pol ne dict il pas que le Saint Esprit les a colloqués au bercail pour nous regir, et que Nostre Seigneur les nous a donnés affin que nous ne soyons point flottans et emportés a tout vent de doctrine? quel respect donques devons nous porter aux ordonances [217] et canons qui partent de leur assemblëe generale? Certes, pris a part l'un de l'autre, leurs doctrines sont encores sujettes a l'espreuve, mays quand ilz sont ensemble, et que toute l'authorité ecclesiastique est ramassëe en un, qui peut conteroller l'arrest qui en sort? Si le sel s'esvanouÿt, en quoy le conservera-on? si les chefz sont aveugles, qui conduira le reste? si les colomnes tumbent, qui les soutiendra?.

  A001000887 

 Athanase dit que Mot Domini per æcumenicam Niceæ Sinodum manet in æternum; saint Gregoire Nazianzene, parlant des Apollinaristes, qui se ventoyent d'avoyr estés avoüés par un Concile Catholique, Quod si vel nunc, dict il, vel ante suscepti sunt, hoc ostendant et nos acquiescemus; perspicuum enim erit eos rectæ doctrinæ assentiri, nec enim aliter se res habere potest; saint Augustin dict que la celebre question du Baptesme, meüe par les Donatistes, fit douter plusieurs Evesques, donec, plenario totius orbis Concilio, quod saluberrime sentiebatur etiam remotis dubitationibus firmaretur; Defertur, dict Ruffin, ad Constantinum [218] sacerdotalis Concilii (Nicæni) sententia; ille tanquam a Deo prolatam veneratur, cui si quis tentasset obniti, velut contra divina statuta venientem in exilium se protestatur acturum. Que si quelqu'un pensoit, pour produire des analogies, des sentences de l'Escriture, des motz grecz et hebreux, quil luy fust permis de remettre en doute ce qui a desja esté determiné par les Conciles generaux, il faut quil produise des patentes du ciel bien signëes et scelees, ou quil die que chacun en peut autant faire que luy, et que tout est a la merci de nos subtiles temerités, que tout est incertain et sujet a la diversité des jugemens et considerations des hommes.

  A001000887 

 En un mot, l'Eglise de Dieu qu'a elle de plus grand, de plus asseuré et solide pour renverser l'hæresie que les arrestz des Conciles generaux? L'Escriture, dira de Beze.

  A001000887 

 Mays j'ay ja monstré cy devant que de intelligentia hæresis est, non de Scriptura; sensus, non sermo, fit crimen.

  A001000887 

 Que si l'on leve la souveraineté aux Concilés des decisions et declarations necessaires sur l'intelligence de la sainte Parole, la sainte Parole sera autant prophanëe que les textes d'Aristote, et nos articles de Religion seront sujetz a revision immortelle, et de Chrestiens resouluz et asseurés deviendrons miserables academiques.

  A001000887 

 Qui ne sçait combien de passages l'Arrien produict? que luy peut on opposer sinon qu'il les entend mal? mays il a pleyne liberté de croire que c'est vous qui interpretes mal, non luy, que vous vous trompes, non luy, que son rapport a l'analogie de la foy est mieux cousu que le vostre, pendant quil ni a que les particuliers qui s'opposent a ses nouveautés.

  A001000893 

 .. comme traitte il le grand Concile de Nicee? par ce que le Concile defend estre receuz au ministere clerical ceux qui se sont taillés eux mesmes, et defend quand et quand aux Ecclesiastiques de tenir en leurs maysons [219] autres femmes que leurs meres et leurs seurs, hic prorsus, dict Luther, non intelligo Spiritum Sanctum in hoc Concilio. Et pourquoy? An debebit episcopus aut concionator illum intolerabilem ardorem et æstum amoris illiciti sustinere, et neque conjugio neque castratione se ab his periculis liberare? An vero nihil aliud est negotii Spiritui Sancto in Conciliis, quam ut impossibilibus, periculosis, non necessariis legibus suos ministros obstringat et oneret? Il n'excepte point de Concile, ains tient asseurement qu'un curé seul peut autant qu'un Concile: voyla l'opinion de ce grand reformateur..

  A001000893 

 Maintenant, demeureres vous endormis a ceste secousse que vos maistres ont donné a l'Eglise? penses a vous, je vous prie.

  A001000894 

 Mays qu'ay je besoin de courir loin? de Beze dict, en l'Epistre au Roy de France, que vostre reformëe ne refusera l'authorité d'aucun Concile; voyla qui est bon, mays ce qui s'ensuit gaste tout: « pourveü, » dict il, « que la Parole de Dieu en face l'espreuve.

  A001000894 

 Nous ne sommes pas en doute sil faut recevoir une doctrine a la volee, ou sil en faut faire l'espreuve a la touche de la Parole de Dieu; mays nous disons que quand un Concile general en a faict l'espreuve, nos cerveaux n'y ont plus rien a revoir, mays seulement a croire: que si une fois on remet les canons des Conciles a l'espreuve des particuliers, [220] autant de particuliers autant d'espreuves, autant d'espreuves autant d'opinions.

  A001000895 

 Que ne laissoit on a chacun faire son espreuve? [221] si celle de Nicee n'a pas peu arrester vos cerveaux, pourquoy voules vous par vos discours mettre un arrest aux cerveaux de vos compaignons, aussi gens de bien que vous, aussi doctes et pertinentz? Connoisses l'iniquité de ces juges: pour donner liberté a leurs opinions ilz avilissent les anciens Conciles, et veulent par les leurs brider celles des autres; ilz cherchent leur gloire, connoisses-le bien, et tout autant quilz en levent aux Anciens, ilz s'en attribuent..

  A001000896 

 De Beze, en l'Epistre au Roy de France et au Traitté mesme, dict que « le Concile de Nicëe a esté un vray et legitime Concile sil y en eut onques »; il dict vray, jamays bon Chrestien n'en douta, ni des autres troys premiers: mays sil est tel, pourquoy est ce que Calvin apelle dure la sentence du Concile en son Simbole, Deum de Deo, lumen de lumine? et que veut dire que ceste parole, ὅμοούσιον, deplaict tant a Luther, Anima mea odit hoc Mot, homoousion? parole laquelle est si recommandable en ce grand Concile.

  A001000896 

 Jamais Luther ni Pierre Martir ou Ochin n'eussent estés de vos ministres silz eussent eu en memoyre les actions du grand Concile de Calcedoyne; car il y est defendu tres expres que les religieux et religieuses ne se marient point.

  A001000896 

 Mays i a il article auquel nous ayons different avec vous qui n'ait esté plusieurs fois condamné es saintz Conciles generaux ou particuliers generalement receus? et neantmoins vos ministres les ont reveillés sans honte, sans scrupule, nom plus que si c'eussent estés quelques saintz depostz et tresors cachés a l'antiquité, ou que l'antiquité eust serrés bien curieusement affin que nous en eussions la jouissance en cest aage..

  A001000896 

 O quil feroit bon voir le tour de ce vostre lac si on eust eu en reverence ce Concile de Calcedoyne, o que vos ministres se fussent bien souvent teuz, et bien a propos, car il y a expres commandement aux laicz.

  A001000896 

 Que veut dire que vous ne tenes conte de la realité du Cors de Nostre Seigneur au Saint Sacrement, que vous appelles superstition le tres saint Sacrifice qui se faict par les prestres, du mesme precieux Cors du Sauveur, et que vous ne voules point mettre difference entre l'Evesque et le prestre? puysqu'en ce grand Concile tout y est si expressement non ja defini mays presupposé comme chose toute notoire en l'Eglise.

  A001000897 

 Et neanmoins, Nostre Seigneur fit cest honneur a la sacrificature d'Aaron, que non obstant toute la mauvaise intention de ceux qui la possedoyent, le grand Prestre prophetisa et prononça une sentence tres certayne, Quia expedit ut unus moriatur homo pro populo, ut non tota gens pereat; ce quil ne dict pas de luy mesme et a cas, mays prophetiquement, dict l'Evangeliste, par ce quil estoit Pontife de ceste annëe la. Ainsy voulut Nostre Seigneur conduire ceste Sinagogue et l'authorité sacerdotale avec un remarquable honneur a la sepulture, pour luy faire succeder l'Eglise Catholique et le sacerdoce Evangelique; et la, ou la Sinagogue prit fin, qui fut en la resolution de faire mourir Nostre Seigneur, l'Eglise fut fondëe par ceste mort mesme: Opus consummavi quod dedisti mihi ut faciam, dict Nostre Seigneur aprës la cene, et en la cene Nostre Seigneur avoit institué le nouveau testament, si que le viel, avec ses ceremonies et son sacer [224] doce, perdit ses forces et ses privileges, quoy que la confirmation du nouveau ne se fit que par la mort du testateur, comme parle saint Pol.

  A001000897 

 Je sçai qu'es Conciles il y a des articles pour l'ordre et police ecclesiastique, qui peuvent estre changés et ne sont que temporelz, mays ce n'est pas aux particuliers d'y mettre la main: la mesm'authorité qui les a dressés les doit abroger, si quelqu'autre s'en mesle c'est pour neant; et ce n'est pas la mesm'authorité si ce n'est un Concile, ou le chef general, ou la coustume de toute l'Eglise.

  A001000897 

 Mays tout cecy s'entend des vrays Conciles, ou generaux, ou provinciaux advoüés par les generaux ou par le Siege Apostolique: tel que ne fut pas celuy des 400 prophetes assemblés par Achab; car il ne fut ni general, car ceux de Juda n'y furent point apellés, ni bien congregé, car il n'y eut point d'authorité sacerdotale, et ces prophetes n'estoyent pas legitimes et pour telz reconneuz par le roy de Juda, Josaphat, quand il dict: Non est hic propheta Domini, ut interrogemus per eum? comme sil eust voulu dire que les autres n'estoyent pas prophetes du Seigneur.

  A001000897 

 Outre tout cela, la Sinagogue devoit estre changëe et transferëe en ce tems la, et ceste sienne faute avoit esté predicte, mays l'Eglise Catholique ne doit jamays estre transferëe pendant que le monde sera monde, nous n'attendons point de troysiesme legislateur ni aucun autre sacerdoce, mays doit estre æternelle.

  A001000897 

 Quand aux decretz de la doctrine de la foi, ilz sont invariables; ce qui est une fois vray, l'est en eternité; aussi les Conciles appellent Canons ce quilz en determinent, par ce que ce sont Regles inviolables a nostre creance.

  A001000897 

 Tel ne fut pas nomplus l'assemblëe des prestres contre Nostre Seigneur, qui ne tint aucune [223] forme de Concile, mays fut une conspiration tumultuaire et sans aucune procedure requise,.. et laquelle tant s'en faut qu'elle eust asseurance en l'Escriture de l'assistence du Saint Esprit, qu'au contrayre elle en avoit esté declairëe privëe par les Prophetes; et de vray, la rayson vouloit que le Roy estant præsent les lieutenans perdissent l'authorité, et le grand Prestre præsent, la majesté du vicayre fut ravalëe a la condition des autres.

  A001000898 

 J'ay voulu lever occasion a ces deux objections qu'on faict contre l'infallible authorité des Conciles et de l'Eglise; les autres s'iront resoulvant cy apres, es essays particuliers que nous ferons de la doctrine Catholique: il n'y [a] chose si certayne qui n'ait des oppositions, mays la verité demeure ferme et glorieuse par les assautz de ses contraires.

  A001000912 

 Il ny a point de meilleur expedient au monde: ja que Calvin et Beze confessent que l'Eglise demeura pure les six premieres centeynes d'annees, [226] que nous regardions si vostre eglise est en mesme foy et doctrine que cellela; et qui nous pourra mieux tesmoigner la foy que l'Eglise suyvoit en ces anciens tems, que ceux qui vivoyent alhors avec elle et en sa table? qui pourra mieux desduire les deportemens de ceste celest'Espouse, en la fleur de son aage, que ceux qui ont eu cest honneur d'avoir les principaux offices chez Elle? Et de ce costé, les Peres meritent qu'on leur ajouste foy non pour l'exquise doctrine dont ilz estoyent pourveuz, mays pour la realité de leurs consciences, et la fidelité avec laquelle ilz ont marché en besoigne..

  A001000912 

 Theodose le Viel ne trouva poinct de meilleur moyen de reprimer les contentions survenues de son tems au faict de la religion que, suyvant le conseil de Sisinnius, de faire venir les chefz des sectes, et leur demander silz tenoyent les anciens Peres, qui avoyent eu charge en l'Eglise avant toutes ces disputes, pour gens de bien, saintz, bons Catholiques et apostoliques; a quoy les sectaires respondans qu'ouy, il leur repliqua: examinons donques vostre doctrine a la leur, et [si] elle se trouve conforme, retenons la, si moins, qu'on l'abolisse.

  A001000913 

 Nous ne les voulons pas icy pour autheurs de nostre foy, mays seulement pour tesmoins de la creance en laquelle vivoyt l'Eglise de ce tems la; personne n'en peut deposer plus pertinemment qu'eux qui y commandoyent, ilz sont irreprochables de tous costés; qui veut sçavoir le chemin que l'Eglise a tenu en ce tems la, quil le demande a ceux qui l'ont tres fidelement accompagnee: Sapientiam omnium antiquorum exquiret sapiens, et in prophetis vacabit; narrationem virorum nominatorum conservabit.

  A001000913 

 Nous ne sommes pas en doute si les Peres anciens doivent estre tenuz pour autheurs de nostre foy, nous sçavons mieux que tous vos ministres que non; ni ne sommes pas en dispute s'il faut recevoir pour certain ce qu'un ou deux Peres auront eu en opinion.

  A001000913 

 On ne requiert pas tant au tesmoin le sçavoir, que la preudhommie et bonne foy.

  A001000913 

 Outre cela, vous dites que vostre eglise a estëe taillëe.. a la regle et compas de l'Escriture; nous le nions, et disons que vous aves accourcy, estressy et plié ceste regle, comme faysoyent ceux de Lesbos, pour l'accomoder a vostre cerveau, et..... et reformëe selon la vraye intelligence de l'Escriture; nous le nions, et disons que les anciens Peres ont eu plus de suffisance et d'erudition que vous, et neantmoins ont jugé que l'intelligence des Escritures n'estoit pas telle que vous dittes; n'est ce pas une preuve tres certaine? Vous dites que selon les Escrittures il faut abolir la Messe; tous les anciens Peres le nient: a qui croirons nous, ou a ceste troupe d'Evesques et Martirs anciens, ou a ceste bande de nouveaux venuz? voyla ou nous en sommes.

  A001000913 

 Oyes ce que dict Hieremie: Hæc dicit Dominus: state super vias, et videte et interrogate de semitis antiquis quæ sit via bona, et ambulate in ea, et invenietis refrigerium animabus vestris; et le Sage: Non te prætereat narratio seniorum, ipsi enim didicerunt a patribus suis.

  A001000913 

 Voicy nostre different: vous dites que vous aves reformé vostre eglise sur le patron [227] de l'Eglise ancienne; nous le nions, et prenons a tesmoins ceux qui l'ont veüe, qui l'ont conservëe, qui l'ont gouvernëe; n'est ce pas une preuve franche et nette de toute supercherie? icy nous ne produysons que la preudhommie et bonne foy des tesmoins.

  A001000920 

 Ainsy l'imposition de nom en saint Pierre n'est pas un petit argument de l'excellence particuliere de sa charge, selon la rayson mesme que Nostre Seigneur y attacha, Tu es Petrus, etc..

  A001000920 

 Sil change Jacob en Israel, la rayson est en realité sur le champ: Par ce que si tu as esté puyssant contre Dieu, combien plus surmonteras tu les hommes? Si que Dieu, par les noms quil impose, ne marque pas seulement les choses nommëes, mays nous instruit de leurs qualités et conditions: tesmoins [229] les Anges, qui ne portent point de noms que selon leurs charges, et saint Jan Baptiste, qui porte la grace en son nom quil annonça en sa prædication; ce qui est ordinaire a ceste sainte langue des Israelites.

  A001000921 

 Mays quel nom luy donne il? nom plein de majesté, non vulgaire ni trivial, mays qui ressent sa superiorité et authorité, semblable a celuy d'Abraham mesme: car, si Abraham fut ainsy appelé par ce quil devoit estre pere de plusieurs peuples, saint Pierre a receu ce nom par ce que sur luy, comme sur une pierre ferme, devoit estre fondëe la multitude des Chrestiens; et c'est a ceste ressemblance que saint Bernard appelle la dignité de saint Pierre, « Patriarchat d'Abraham.

  A001000921 

 » Quand Isaïe veult exhorter les Juifz par l'exemple d'Abraham leur tige, il apelle Abraham, pierre: Attendite ad petram unde excisi estis, attendite ad Abraham patrem vestrum; ou il faict voir que ce nom de Pierre rapporte fort bien a l'authorité paternelle..

  A001000922 

 Ce nom est l'un de ceux de Nostre Seigneur; car, quel autre nom trouvons nous attribué plus frequemment au Messie que celuy de pierre? Ce changement donques, et ceste imposition de nom, est tres considerable, car les noms que Dieu donne sont moelleux et massifz: il communique son nom a saint Pierre, il luy a donques communiqué quelque qualité sortable au nom.

  A001000922 

 Je sçai bien quil imposa nom aux deux freres Jan et Jaques, Boanerges, enfans de tonnerre, mays ni ce nom n'est point nom de superieurité ou commandement, ains d'obeissance, ni propre ou particulier, mays commun a deux; ni ne semble pas quil leur fut permanent, puysque jamais ilz n'en sont appellés despuys, mays que ce fut plus tost un tiltre de louange, a cause de l'excellence de leur prædication.

  A001000922 

 Mays en saint Pierre il donne un nom permanent, plein d'authorité, et qui luy est si particulier que nous pouvons bien dire, auquel des autres a il dict, tu es pierre? pour monstrer que saint Pierre a esté superieur aux autres..

  A001000922 

 Nostre Seigneur est apellé principalement pierre, parce quil est fondement de l'Eglise et pierre angulaire, l'appuy et la fermeté de cest edifice spirituel; ainsy a il declairé que sur saint Pierre seroit edifiëe son Eglise, et quil l'affermiroit en la foy: Conferma [230] fratres tuos.

  A001000923 

 Il me semble que saint Basile donne atteinte a ce que je dis, quand il dict: Petrus ter abnegavit, et collocatus est in fundamento.

  A001000923 

 Mays je vous adviseray que Nostre Seigneur n'a pas changé le nom de saint Pierre, mays a seulement joint un nouveau nom a l'ancien quil avoit; peut estre affin quil se resouvint en son authorité de ce quil estoit de son estoc, et que la majesté du second nom fust attrempëe par l'humilité du premier, et que si le nom de Pierre le nous faisoit reconnoistre pour chef, le nom de Simon nous avisast quil n'estoit pas chef absolu, mays chef obeissant, subalterne et maistre valet.

  A001000924 

 Maintenant, quel doute reste il que ce n'est qu'un mesme duquel il a dict, Tu es Roche, et duquel il dict, et sur ceste roche? certes, il ne s'estoit point parlé d'autre Cepha en tout ce chapitre la que de Simon; a quel propos donques allons nous rapporter ce relatif, hanc, a un autre Cepha que celuy qui est immediatement præcedent?.

  A001000924 

 Mays nous n'equivoquons point icy; car ce n'est qu'un mesme mot, et pris sous la mesme signification, quand Nostre Seigneur a dict a Simon, Tu es Pierre, et quand il a dict, et sur ceste pierre j'edifieray mon Eglise: et ce mot de pierre n'estoit pas un nom propre d'homme, mays seulement il fut approprié a Simon Bar Jona; ce que vous entendres bien mieux si on le prend au langage auquel Nostre Seigneur le dict.

  A001000924 

 Mays nous voicy en difficulté: car on accorde bien que Nostre Seigneur ait parlé a saint Pierre et de saint Pierre jusques icy, et super hanc petram, mays que par ces paroles il ne parle plus de saint Pierre.

  A001000924 

 Or, je vous prie, quelle apparence y a il que Nostre Seigneur eust faict ceste grande præface, Beatus es Simon Bar Jona, quia caro et sanguis non revelavit tibi, sed Pater meus qui in cælis est; et ego dico tibi, pour ne dire autre sinon, quia tu es Petrus, puys, changeant tout a coup de propos, il allast parler d'autre chose? Et puys, quand il dict, et sur ceste pierre j'edifieray mon Eglise, ne voyes vous pas quil parle notoirement de la pierre delaquelle il avoit parlé præcedemment? et de quell'autre pierre avoit il parlé que de Simon, au quel il avoit dict, Tu es Pierre? Mays voicy tout l'equivoque qui peut faire scrupule a vos imaginations; c'est que peut estre penses vous que comme Pierre est maintenant un nom propre d'homme, il le fut aussy alhors, et que Petrus ne soit pas la mesme chose que petra, et que, partant, nous passions la signification de Pierre a la pierre, par equivocque du masculin au feminin.

  A001000924 

 Qu'est ce qu'il [Notre-Seigneur] dict? Trois choses; mays il les faut considerer l'une apres l'autre: Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam, et portæ inferi non prævalebunt adversus eam;.. Et tibi dabo claves regni cælorum; quodcumque, etc... que il estoit pierre ou rocher, et sur ce rocher ou ceste pierre il edifieroit son Eglise.

  A001000925 

 Certes, la [version] latine a asses d'autres argumentz pour faire connoistre que ceste pierre n'est autre que saint Pierre, et partant, pour accomoder le mot a la personne a qui on le bailloit pour nom, qui estoit masculine, il luy a baillé une terminayson de mesme, a l'imitation du Grec, qui avoit mis, Tu es πέτρος, et super hanc τῇ πέτρᾷ; mays il ne reussit pas si heureusement en Latin qu'en Grec, par ce qu'en Latin, Petrus ne veut pas dire petra, mays en Grec πέτρος et petra n'est qu'une mesme chose; comme en François rocher et roche [est le mesme,] toutefois, s'il me failloit approprier ou l'un ou l'autre a un homme, je luy appliqueroys plus tost le nom de rocher que de roche, pour la correspondance du mot masculin a la personne masculine.

  A001000925 

 Il reste que je vous die sur ceste interpretation quil ni a personne qui doute que Nostre Seigneur n'ait appellé saint Pierre Cepha, car saint Jan le monstre tres expressement, et saint Pol, aux Galates, ni que Cepha veuille dire une pierre ou un roch, ainsy que dict saint Hierosme..

  A001000926 

 En fin, pour vous monstrer que c'est bien de saint Pierre duquel il dict, et super hanc petram, je produis les paroles suivantes; car c'est tout un de luy promettre l es clefz du royaume des cieux, et de luy dire, super hanc petram; et neantmoins nous ne pouvons pas douter que ce ne soit saint Pierre auquel il promet les [233] clefz du royaume des cieux, puys quil dict clairement, et tibi dabo claves regni cælorum: si donques nous ne voulons descoudre ceste piece de l'Evangile d'avec les paroles præcedentes et les suivantes, pour la joindre ailleurs a nostre poste, nous ne pouvons croire que tout cecy ne soit dict a saint Pierre et de saint Pierre, Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam; ce que la vraÿe et pure Eglise Catholique, mesme selon la confession des ministres, a avoüé haut et cler en l'assemblëe de 630 Evesques au Concile de Calcedoyne..

  A001000927 

 .. La pierre sur laquelle on releve l'edifice c'est la premiere, les autres s'affermissent sur elle, celles qu'elle ne soustient ne sont pas de l'edifice; on peut bien remuer les autres pierres sans que le bastiment tumbe, mays qui leve la fondamentale, renverse la mayson.

  A001000927 

 .. Les François appellent, mayson, l'edifice et la famille encores; par ceste proportion que, comme une mayson n'est autre qu'un assemblage de pierres et autres materieux faict avec ordre, dependance et mesure, ainsy une famille n'est autre qu'un assemblage de gens, avec ordre et dependance les uns des autres.

  A001000927 

 C'est a ceste similitude que Nostre Seigneur appelle son Eglise ædifice, duquel faysant saint Pierre le fondement, il le faict chef et superieur de ceste famille..

  A001000927 

 Nostre Seigneur, donques, qui compare son Eglise a un ædifice, quand il dict quil l'edifiera sur saint Pierre il monstre que saint Pierre en sera la pierre fondamentale, la racine de ce precieux arbre, le chef de [ce] beau cors.

  A001000927 

 On sçait que ce que le chef est au cors d'un vivant, la racine en un arbre, le fondement l'est en un bastiment.

  A001000928 

 .. Il monstre une des differences quil y a entre saint Pierre et luy: car Nostre Seigneur est fondement et fondateur, fondement et ædificateur de l'Eglise, mays saint Pierre n'en est que fondement; Nostre Seigneur en est le Maistre et Seigneur en proprieté, saint Pierre en a seulement l'œconomie; dequoy nous dirons cy apres.

  A001000929 

 Par ces parolles, Nostre Seigneur monstre que les pierres qui ne sont posëes et arrestëes sur ce fondement ne sont point de l'Eglise, ni [n'appartiennent] a cest edifice..

  A001000935 

 En ce cas donques, puysque nous voyons que l'Escriture nous enseigne qu'il ni a point d'autre fondement que Nostre Seigneur, et que la mesme nous enseigne clairement que saint Pierre l'est encores, et plus outre encores que tous les Apostres le sont, il ne faut pas refuser le premier enseignement pour le second, ni le second pour le troysiesme, ains les laysser tous troys en leur entier; ce qui se fera aysement si nous considerons ces passages a la bonne foy et franchement..

  A001000935 

 Mays une grande preuve au contraire, ce semble aux adversaires, c'est que selon saint Pol, Fundamentum aliud nemo potest ponere præter id quod positum est, quod est Christus Jesus; et selon le mesme, nous sommes domestiques de Dieu, superædificati supra fundamentum Apostolorum et Prophetarum, ipso summo angulari lapide, Christo Jesu; et en l'Apocalipse, la muraille de la sainte cité avoit douze fondemens, et en ces douze fondemens le nom des douze Apostres.

  A001000935 

 Si donques, disent ilz, tous les douze Apostres sont fondemens de l'Eglise, comment attribues vous ce tiltre a saint Pierre en particulier? et si saint Pol dict que personne ne peut mettre autre fondement que Nostre Seigneur, comme oses vous dire que par ces paroles, Tu es Pierre, et [235] sur ceste pierre j'edifieray mon Eglise, saint Pierre ayt esté estably pour fondement de l'Eglise? que ne dites vous plustost, dict Calvin, que ceste pierre sur laquelle l'Eglise est fondëe n'est autre que Nostre Seigneur? que ne dites vous plustost, dict Luther, que c'est la confession de foy que saint Pierre avoit faict? Mays a la verité, ce n'est pas une bonne façon d'interpreter l'Escriture, que de renverser l'un des passages par l'autre, ou l'etirer par une intelligence forcëe a un sens estrange et mal advenant; il faut y laisser tant qu'on peut la naifveté et suavité du sens qui s'y presente.

  A001000936 

 Ainsy la supreme charge qu'eut saint Pierre en l'Eglise militante, a raison de laquelle il est apellé fondement de l'Eglise, comme chef et gouverneur, n'est pas outre l'authorité de son Maistre, ains n'est qu'une participation d'icelle; si que luymesme n'est pas fondement de ceste hiérarchie outre Nostre Seigneur, mays plus tost en Nostre Seigneur, comme nous l'appelions tressaint Pere en Nostre Seigneur, hors duquel il ne seroit rien.

  A001000936 

 Certes, nous ne reconnoissons point d'authorité seculiere outre celle de son Altesse; mays nous en reconnoissons bien plusieurs sous icelle, lesquelles ne sont pas proprement autres que celle de son Altesse, puysqu'elles en sont seulement certaynes portions et participations.

  A001000936 

 Et pour vray, Nostre Seigneur est l'unique fondement de l'Eglise: c'est le fondement de nostre foy, de nostr'esperance et charité; c'est le fondement de la valeur des Sacremens et de nostre fœlicité; et c'est encores le fondement de toute l'authorité et l'ordre ecclesiastique, et de toute la doctrine et administration qui s'y faict; qui douta jamays de cela? Mays, me dict on, sil est unique fondement, comment est ce que vous mettes encores saint Pierre pour fondement? 1.

  A001000936 

 Saint Pol vous semble il pas se fayre asses entendre quand il dict: Vous estes suredifiés sur les fondemens des Prophetes et Apostres? mays affin qu'on sceut que ces fondemens n'estoient pas outre celuy quil præchoit, il adjouste: Ipso summo angulari lapide, Christo Jesu..

  A001000936 

 Vous nous faictes tort; nous ne le mettons pas pour fondement, Celuy la outre lequel on n'en peut point mettre d'autre, l'a mis luy mesme; si que, si Nostre Seigneur est vray fondement de l'Eglise, comm'il l'est, il faut croire que saint Pierre l'est encores, puysque Nostre Seigneur l'a mis en ce rang: que si quelqu'autre que Nostre Seigneur mesme luy eust donné ce grade, nous crierions tous avec vous: Nemo potest aliud fundamentum ponere præter id quod positum.

  A001000937 

 Ceste si grande difference faict qu'en comparayson, l'un ne soit pas apellé fondement au pris de l'autre, qui neanmoins pris a part peut estre appellé fondement, affin de laisser lieu a la proprieté des Parolles saintes: ainsy qu'encores quil soit le bon Pasteur il ne laysse de nous en donner sous luy, entre lesquelz et sa majesté il y a si grande difference, que luy mesme monstre quil est le seul Pasteur..

  A001000938 

 Au contraire, puys que Nostre Seigneur a dict en particulier et en termes particuliers a saint Pierre ce qui est dict par apres en general des autres, il faut conclure qu'il y a en saint Pierre quelque particuliere proprieté de fondement, et quil a esté luy en particulier ce que tout le college a esté ensemble.

  A001000938 

 Tout de mesme, ce n'est pas bien philosopher de dire, tous les Apostres en general sont appellés fondemens de l'Eglise, donques saint Pierre ne l'est que comme les autres.

  A001000938 

 Toute l'Eglise a esté fondëe sur tous les Apostres, et toute sur saint Pierre en particulier; c'est donq saint Pierre qui en est le fondement, pris a part, ce que les autres ne sont pas, car a qui a il jamays esté dict en particulier, Tu es Pierre, etc.? Ce seroit violer l'Escriture, qui diroit que tous les Apostres en general n'ont pas esté fondement de l'Eglise; ce seroit aussy la violer, qui nieroit que saint Pierre ne l'eust esté particulierement: il faut que la parole generale sortisse son effect general, et la particuliere, le particulier, affin que rien ne demeure inutile et sans mistere en des si misterieuses Escritures..

  A001000939 

 Et c'est ainsy que s'entend le lieu de l'Apocalipse; car les douze Apostres sont apellés fondemens de la celeste Hierusalem, par ce que ce ont esté les premiers qui ont converty le monde a la religion Chrestienne, qui a esté comme jetter les fondements de la gloire des hommes et la semence de leur bienheureuse immortalité.

  A001000939 

 Et en cest endroit, tous les Apostres semblent aller a pair, si saint Jan et saint Pol ne precedent pour l'excellence de leur theologie; c'est donq de ce costé que tous les Apostres sont fondemens de l'Eglise.

  A001000939 

 Mays en l'authorité et gouvernement saint Pierre a devancé tous les autres, d'autant que le chef surpasse les membres; car il a esté constitué Pasteur ordinaire et supreme Chef de l'Eglise, les autres ont estés pasteurs delegués et commis, avec autant pleyn pouvoir et authorité sur tout le reste de l'Eglise que saint Pierre, sauf que saint Pierre estoit leur chef de tous, et leur pasteur comme de tout le Christianisme.

  A001000939 

 Mays le lieu de saint Pol semble ne s'entendre pas tant de la personne des Apostres que de leur doctrine; car il n'est pas dict que nous soyons suredifiés sur les Apostres, mays, sur le fondement des Apostres, c'est a dire, sur la doctrine quilz ont annoncëe: ce qui est aysé a reconnoistre, puysqu'il ne dict pas seulement que nous sommes sur le fondement des Apostres, mays encores des Prophetes, et nous sçavons bien que les Prophetes n'ont pas autrement estés fondemens de l'Eglise Evangelique que par leur doctrine.

  A001000939 

 Voyons seulement a quelle rayson generale tous les Apostres sont apellés fondemens de l'Eglise: et c'est par ce que ce sont eux qui par leur prædication ont planté la foy et doctrine Chrestienne; en quoy sil faut donner prærogative a quelqu'un des Apostres, ce sera a celuy la qui disoit: Abundantius illis omnibus [238] laboravi.

  A001000946 

 Et bien que saint Pierre ne fut pas encor chef et prince de l'Eglise, ce qui luy fut seulement conferé apres la resurrection du Maistre, il suffit quil estoit desja choisy pour tel et quil en avoit les erres; comme aussi les Apostres n'avoyent pas encores le pouvoir Apostolique, cheminans toute ceste benite compaignie plus comme disciples avec leur regent, pour apprendre les profondes leçons quilz ont par apres enseignëes aux autres, que comme Apostres ou envoyés, ce quilz firent despuys, lorsque le son de leur voix retentit par tout le monde.

  A001000946 

 Et ne nie pas nom plus que le reste des prælatz de l'Eglise n'ayent eu part [241] a l'usage des clefz; et quand aux Apostres, je confesse quilz y ont eu tout'authorité: je dis seulement que la collation des clefz est icy promise principalement a la personne de saint Pierre, et a l'utilité de toute l'Eglise; car encor que ce soit luy qui les ayt recettes, si est ce que ce n'est pas pour son prouffit particulier, mays pour celuy de l'Eglise.

  A001000946 

 Mays les ministres tachent tant quilz peuvent de troubler si bien la clere fontayne de l'Evangile, que saint Pierre n'y puysse plus trouver ses clefz, et a nous degouster d'y boire l'eau de la sainte obeissance qu'on doit au Vicaire de Nostre Seigneur; et partant ilz se sont avisés de dire que saint Pierre avoit receu ceste promesse de Nostre Seigneur au nom de toute l'Eglise, [240] sans quil y ait receu aucun privilege particulier en sa personne.

  A001000946 

 Mays si cecy n'est violer l'Escriture, jamays homme ne la viola; car n'estoit ce pas a saint Pierre a qui il parloit? et comme pouvoit il mieux exprimer son intention que de dire, Et ego dico tibi; Dabo tibi? et puysque immediatement il venoit de parler de l'Eglise, ayant dict, portæ inferi non prævalebunt adversus eam, qui l'eust gardé de dire, et dabo illi claves regni, sil les eust voulu donner a toute l'Eglise immediatement? or il ne dict pas illi, mays, dabo tibi.

  A001000946 

 Nostre Seigneur ayant dict a saint Pierre quil ædifieroit sur luy son Eglise, affin que nous sceussions plus particulierement ce quil vouloit dire, poursuit en ces termes: Et tibi dabo claves regni cælorum.

  A001000946 

 Que sil est permis d'aller ainsy devinant sur des paroles si claires, il ny aura rien en l'Escriture qui ne se puysse plier a tous sens: quoy que je ne nie pas que saint Pierre en cest endroit ne parlast en son nom et de toute l'Eglise, quand il fit ceste noble confession; non ja comme commis par l'Eglise ou par les disciples (car nous n'avons pas un brin de marque de ceste commission en l'Escriture, et la revelation sur laquelle il fonde sa confession avoit esté faite a luy seul, sinon que tout le college des Apostres eut nom Simon Barjona), mays comme bouche, prince et chef des autres, selon saint Chrysostome et saint Cyrille, et « pour la primauté de son apostolat, » comme dict saint Augustin.

  A001000946 

 Si que toute l'Eglise parla en la personne de saint Pierre comme en la personne de son chef, et saint Pierre ne parla pas en la personne de l'Eglise; car le cors ne parle qu'en son chef, et le chef parle en luymesme, non en son cors.

  A001000947 

 Mays on me demandera quelle difference il y a entre la promesse que Nostre Seigneur faict icy a saint Pierre de luy donner les clefz, et celle quil fit aux Apostres par apres; car, a la verité, il semble que ce n'estoit que la mesme, par ce que Nostre Seigneur explicant ce quil entendoit par les clefz, il dict: Et quodcumque ligaveris super terram erit ligatum et in cælis, et quodcumque solveris, qui n'est autre que ce quil dict aux Apostres en general, quæcumque alligaveritis.

  A001000947 

 Si donques il promet au general ce quil promet a saint Pierre en particulier, il ni aura point de rayson de dire que saint Pierre soit plus qu'un des autres par ceste promesse..

  A001000949 

 Et quand a la promesse, je confesse que par ces parolles, et quodcumque solveris, Nostre Seigneur n'a rien plus promis a saint Pierre quil fit aux autres par apres, quæcumque alligaveritis super terram, etc.; car les paroles sont de mesme substance et signification en tous deux les passages.

  A001000949 

 Je confesse aussy que par ces paroles, et quœcumque solveris, dites a saint Pierre, il explique les præcedentes, tibi dabo claves; mays je nie que ce soit [242] tout un de promettre les clefz et de dire quodcumque solveris..

  A001000950 

 A la verité, quand l'Escriture veut ailleurs declairer une sauveraine authorité, elle a usé de semblables termes: en l'Apocalipse, quand Nostre Seigneur se veut faire connoistre a son serviteur, il luy dict: Ego sum primus et novissimus, et vivus et fui mortuus, et ecce sum vivens in secula seculorum; et habeo claves mortis et inferni; qu'entend il par les clefz de la mort et de l'enfer, sinon la supreme puyssance et sur l'un et sur l'autre? et la mesme quand il est dict de Nostre Seigneur, Hæc dicit sanctus et verus, qui habet clavem David, qui aperit et nemo claudit, claudit et nemo aperit, que pouvons nous entendre que la supreme authorité en l'Eglise? et ce que l'Ange dict a Nostre Dame, Dabit illi Dominus sedem David patris ejus et regnabit in domo Jacob in æternum? le Saint Esprit nous faysant connoistre la royauté de Nostre Seigneur ores par le siege ou trosne, ores par les clefz..

  A001000950 

 Et qui ne sçait qu'un maistre partant de sa mayson, sil laisse les clefz a quelqu'un, que ce n'est sinon luy en laysser la charge et le gouvernement? Quand les princes font leurs entrëes es villes, on leur presente les clefz, comme leur deferans la sauveraine authorité; c'est donq la supreme authorité que Nostre Seigneur promet icy a saint Pierre.

  A001000950 

 Voyons voir donques que c'est que de promettre les clefz du royaume des cieux.

  A001000951 

 I a il rien de plus coignant que ces deux Escrittures? Car, Beatus es, Simon Barjona, quia caro et sanguis non revelavit tibi, sed Pater meus qui in cælis est, ne vaut il pas bien pour le moins, Vocabo servum meum Eliakim filium Helciæ? et, Ego dico tibi quia tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam, et portæ inferi, etc., ne vaut il pas tout autant, Induam illum tunica tua, et cingulo tuo confortabo eum, et potestatem tuam dabo in manu ejus, et erit quasi pater habitantibus Hierusalem et domui Juda? et qu'est ce autre chose estre le fondement ou pierre fondamentale d'une famille, que d'y estre comme pere, y avoir la surintendence, y estre gouverneur? Que si l'un a eu ceste asseurance, Dabo clavem David super humerum ejus, l'autre n'en a pas eu moins, qui a ceste promesse, Et tibi dabo claves regni cælorum; que si quand l'un aura ouvert, personne ne fermera, quand il aura fermé personne n'ouvrira, aussi, quand l'autre aura deslié personne ne liera, quand il aura lié personne ne desliera.

  A001000951 

 Mays sur tout, le commandement qui est faict en Isaie pour Eliakim, s'apparie de toutes pieces a celuy que Nostre Seigneur faict icy a saint Pierre.

  A001000951 

 Que reste il plus a dire, sinon que si jamays Eliakim filz d'Helcias a esté chef au Temple Mosaique, Simon filz de Jonas l'a esté en l'Eglise Evangelique? Eliakim representoit Nostre Seigneur comme figure, saint Pierre le repræsente [244] comme lieutenant; Eliakim le repræsentoit a l'Eglise Mosaique, et saint Pierre, a l'Eglise Chrestienne..

  A001000952 

 Ceste difference est prise des termes propres de l'Escriture, car solvere et ligare ne signifie que l'action et exercice, habere claves, l'habitude.

  A001000952 

 Et a la verité, il fut convenable que les Apostres, qui devoyent par tout planter l'Eglise, eussent tous plein pouvoir et entiere authorité d'user des clefz et pour l'exercice d'icelles; et fut tres necessaire [245] encores que l'un d'entr'eux en eust la garde par office et dignité, ut Ecclesia quæ una est, comme dict saint Cyprien, super unum, qui claves ejus accepit, voce Domini fundaretur..

  A001000952 

 Et quelle difference y a il? certes, toute telle quil y a entre la proprieté d'une authorité et l'usage: il se peut bien faire qu'un roy vivant, il ait ou la reyne ou son filz qui ait tout autant de pouvoir que le roy mesme a chastier, absoudre, donner, faire grace; il n'aura pourtant pas le sceptre, mays l'usage seulement; il aura bien la mesm'authorité, mays nom pas quand a la proprieté, ains seulement quand a l'usage et l'exercice; tout ce quil aura faict sera faict, mays il ne sera pas chef ni roy, ains faudra quil reconnoisse que son pouvoir est extraordinaire, par commission et delegation, au lieu que le pouvoir du roy, qui ne sera point plus grand, sera ordinaire et par proprieté.

  A001000952 

 Voyla combien est differente la promesse que Nostre Seigneur fit a saint Pierre, de celle quil fit aux autres Apostres; les Apostres ont tous mesme pouvoir avec saint Pierre, mays nom pas en mesme grade, d'autant quilz l'ont comme deleguez et commis, et saint Pierre, comme chef ordinaire et officier permanent.

  A001000952 

 Voyla que c'est qu'importe ceste promesse de donner les clefz a saint Pierre, promesse qui ne fut onques faitte aux autres Apostres: mays je dis que ce n'est pas tout un de promettre les clefz du Royaume, et de dire, quodcumque solveris, quoy que l'un soit explication de l'autre.

  A001000955 

 Auquel des autres fut il jamais dict: Ego rogavi pro te, Petre, ut non deficiat fides tua; et tu aliquando conversus confirma fratres? certes, ce sont deux privileges de grande consequence que ceux ci.

  A001000955 

 Je vous prie, ceste grace si particuliere et qui ne fut pas commune aux autres, tesmoin saint Thomas, ne monstre elle pas que saint Pierre estoit celluy la qui [246] major erat inter eos? tous sont tentés, et on ne prie que pour l'un.

  A001000955 

 Mays les paroles suivantes rendent tout cecy tres evident; car quelque Protestant pourroit dire quil a prié pour saint Pierre en particulier pour quelque autre respect que l'on peut imaginer (car l'imagination fournit tousjours asses d'appuy a l'opiniastreté), non par ce quil fut chef des autres, et que la foy des autres fut maintenue en leur pasteur: au contraire, Messieurs, c'est affin que, aliquando conversus confirmet fratres suos; il prie pour saint Pierre comme pour le confirmateur et l'appuy des autres, et cecy qu'est ce, que le declairer chef des autres? On ne sçauroit, a la verité, donner commandement a saint Pierre de confirmer les Apostres, qu'on ne le chargeast d'avoir soin d'eux; car, comme pourroit mettre ce commandement en faict, sans prendre garde a la foiblesse ou fermeté des autres pour les affermir et rasseurer? N'est ce pas le redire encor une fois fondement de l'Eglise? sil appuÿe, rasseure, affermit ou confirme les pierres mesme fondamentales, comme n'affermira il tout le reste? sil a charge de soutenir les colomnes de l'Eglise, comme ne soustiendra il tout le reste du bastiment? sil a charge de repaistre les pasteurs, ne sera il pas sauverain pasteur luy mesme? Le jardinier qui voit les ardeurs du soleil continuelles sur une jeune plante, pour la præserver de l'assechement qui la menace, ne porte de l'eau sur chasque branche, mais ayant bien trempé la racine croit que tout le reste est en asseurance, par ce [247] que la racine va dispersant l'humeur a tout le reste de la plante: ainsy Nostre Seigneur ayant planté ceste saint'assemblëe de Disciples, pria pour le chef et la racine, affin que l'eau de la foy ne manquast point a celuy qui devoit en assaisonner tout le reste, et que par l'entremise du chef, la foi fust tousjours conservëe en l'Eglise; il prie donques pour saint Pierre en particulier, mays au prouffit et utilité generale de toute l'Eglise..

  A001000955 

 Nostre Seigneur, qui devoit maintenir la foy en son Eglise, n'a point prié pour la foy d'aucun des autres en particulier, mays seulement de saint Pierre comme chef: car, quelle rayson penserions nous en ceste prærogative, Expetivit vos, tous tant que vous estes, ego autem rogavi pro te? n'est ce pas le mettre luy tout seul en conte pour tous comme chef et conducteur de toute la troupe? Mays qui ne voit combien ce lieu est pregnant a ceste intention? Regardons ce qui precede, et nous y trouverons que Nostre Seigneur avoit declaré a ses Apostres quil y en avoit un entr'eux plus grand que les autres, qui major est inter vos, et qui præcessor; et tout d'un train Nostre Seigneur luy va dire que l'adversaire cherchoyt de les cribler, tous tant quilz estoyent, et neantmoins quil avoit prié pour luy [en] particulier, affin que sa foy ne manquast.

  A001000956 

 Mays il faut, avant que fermer ce propos, que je vous die que saint Pierre ne perdit pas la foy quand il nia Nostre Seigneur, mays la crainte luy fit desavouer ce quil croyoit; c'est a dire, il ne s'oublia pas en la foy, mays en la confession de la foy; il croyoit bien, mais il parloit mal, et ne confessoit pas ce quil croyoit.

  A001000962 

 Nous sçavons bien que Nostre Seigneur fit tres ample procure et commission a ses Apostres de traitter avec le monde, de son salut, quand il leur dict: Sicut misit me Pater, et ego mitto vos; accipite Spiritum Sanctum, quorum remiseritis, etc.: ce fut l'execution de sa promesse quil leur avoit faict en general, quæcumque alligaveritis.

  A001000963 

 Ce n'est que saint Pierre qui fut fasché, ce n'est que saint Pierre auquel la mort est præditte; quelle occasion donques y peut il avoir [250] de douter si ceste parolle, Pasce oves meas, qui est jointte a toutes ces autres, s'addresse a luy seul?.

  A001000963 

 Ce n'est que saint Pierre qui s'appelle Simon Joannis, ou Jonæ (que l'un vault l'autre, et Jona n'est que l'abbregé de Joannah ), et affin qu'on sache que ce Simon Joannis est bien saint Pierre, saint Jan atteste que c'estoit Simon Petrus: Dicit Jesus Simoni Petro, Simon Joannis, diligis me plus his? c'est donq saint Pierre en particulier auquel Nostre Seigneur dict, Pasce oves meas.

  A001000963 

 Et que ce soit bien a saint Pierre a qui ces paroles s'addressent, je m'en rapporte a la sainte Parole.

  A001000963 

 Mesme, que Nostre Seigneur en ceste parole met saint Pierre a part des autres, quand il le met en comparayson: diligis me, voyla saint Pierre d'un costé, plus his? voyla les Apostres de l'autre; et quoy que tous les Apostres ny fussent pas, si est ce que les principaux y estoyent, saint Jaques, saint Jan, saint Thomas et autres.

  A001000964 

 En l'Escriture, regir et paistre le peuple se prend pour une mesme chose, comm'il [est] aysé a voir en Ezechiel, au second des Rois; et es Psalmes en plusieurs endroitz, la ou, selon l'original, il y a pascere, nous avons regere, comme au Psalme second, Reges eos in virga ferrea, et de faict, entre regir et paistre les brebis avec une holette de fer il ny a pas difference; au Psalme 22, Dominus regit me, c'est a sçavoir, me gouverne comme pasteur; et quand il est dict que David avoit esté esleu pascere Jacob servum suum, et Israel hæreditatem suam; et pavit eos in innocentia cordis sui, c'est tout de mesme que sil disoit, regere, gubernare, præesse; et c'est avec la mesme façon de parler que les peuples sont appellés brebis de la [251] pasture de Nostre Seigneur, si que avoir commandement de paistre les brebis Chrestiennes, n'est autre que d'en estre le regent et pasteur..

  A001000964 

 Or, que repaistre les brebis soit avoir la charge d'icelles, il appert clairement; car qu'est ce qu'avoir la charge de paistre les brebis que d'en estre pasteur et berger? et les bergers ont pleyne charge des brebis, non seulement ilz les conduysent aux pasturages, mays les rameynent, les establent, les conduisent, les gouvernent, les tiennent en crainte, chastient et defendent.

  A001000965 

 C'est que par trois fois Nostre Seigneur luy recharge de faire office de pasteur, luy disant, p nt, Pasce agnos meos, 2 nt, oviculas, 3 nt oves; non seulement affin de rendre ceste [253] institution plus solemnelle, mays pour monstrer quil luy donnoit en charge non seulement les peuples, mays les pasteurs et Apostres mesme, qui, comme brebis, nourrissent les agneaux et brebiettes, et leur sont meres..

  A001000965 

 Mays il y a du mistere en ceste institution, que nostre saint Bernard ne permet pas que j'oublie, ja que je l'ay pris pour guide en ce point.

  A001000965 

 Mays sil luy a dict, Repais mes brebis, ou il les luy recommandoit toutes, ou quelques unes seulement: si il n'en recommandoit que quelques unes, et quelles? je vous prie; n'eust ce pas esté ne luy en recommander point, de luy en recommander seulement quelques unes sans luy dire lesquelles, et luy donner en charge des brebis meconneües? si toutes, comme la parole le porte, donques il a esté le general pasteur de toute l'Eglise; et la chose va bien ainsy sans doute, c'est l'interpretation ordinayre des Anciens, c'est l'execution de ses promesses.

  A001000965 

 [252] Quand Nostre Seigneur disoit, Cognosco oves meas, il entendoit de toutes; quand il dict, Pasce oves, il entend encores de toutes: et qu'est ce autre chose dire, Pasce oves meas, que, aÿe soin de mon bercail, de ma bergerie, ou de mon parc et troupeau? or, Nostre Seigneur n'a qu'un troupeau, il est donq totalement sous la charge de saint Pierre.

  A001000966 

 Et ne faict rien contre ceste verité que saint Pol et les autres Apostres ayent repeu beaucoup de peuples de la doctrine Evangelique; car estans tous sous la charge de saint Pierre, ce quilz ont faict luy revient encores, comme la victoire au general, quoy que les cappitaines ayent combatu..

  A001000967 

 Ni ce que saint Pol receut la main d'association de saint Pierre; car ilz estoyent compaignons en la predication, mays saint Pierre estoit plus grand en l'office pastoral, et les chefz appellent les soldatz et cappitaines compaignons..

  A001000968 

 Ni ce que saint Pol est apellé l'Apostre des Gentilz, et saint Pierre, des Juifz; par ce que ce n'estoit pas pour diviser le gouvernement de l'Eglise, ni pour empecher l'un ou l'autre de convertir et les Gentilz et les Juifz indifferemment, mays pour leur assigner les quartiers ou ilz devoyent principalement travailler a la [254] predication, affin que chacun attaquant de son costé l'impieté, le monde fust plus tost rempli du son de l'Evangile..

  A001000969 

 Ni ce quil semble quil ne conneust pas que les Gentilz deussent appartenir a la bergerie de Nostre Seigneur, qui luy estoit commise; car ce quil dict au bon Cornelius, In veritate comperi quia non est personarum acceptor Deus, sed in omni gente qui timet eum et operatur justitiam acceptus est illi, n'est pas autre chose que ce quil avoit dict long tems au paravant, Omnis quicumque invocaverit nomen Domini salvus erit, et la prædiction quil avoit expliquëe, In semine tuo benedicentur omnes familiæ terræ; mays il n'estoit pas asseuré du tems auquel il failloit commencer la reduction des Gentilz, suyvant la sainte parole du Maistre, Eritis mihi testes in Hierusalem, et in omni Judæa, et Samaria, et usque ad ultimum terræ, et celle de saint Pol, Vobis quidem oportebat primum loqui Mot Dei, sed quoniam repellitis, ecce convertimur ad Gentes: [255] mesme que Nostre Seigneur avoit desja ouvert le sens des Apostres a l'intelligence de l'Escriture, quand il leur dict que oportebat prædicari in nomine ejus pænitentiam et remissionem peccatorum in omnes gentes, incipientibus a Hierosolima..

  A001000970 

 Ni ce que les Apostres ont faict des diacres sans le commandement de saint Pierre, es Actes des Apostres; car saint Pierre y estant authorisoit asses cest acte: outre ce que nous ne nions pas que les Apostres n'eussent pleyne administration en l'Eglise, sous l'authorité pastorale de saint Pierre..

  A001000971 

 Ni ce que les Apostres envoyerent Pierre et Jan en Samarie; car le peuple envoya bien Phinëes, grand Præstre et superieur, aux enfans de Ruben et Gad, et le Centurion envoya les senieurs et principaux des Juifz quil estimoit plus que luy mesme; et saint Pierre se trouvant au conseil luy mesme, il y consentit et authorisa sa mission propre..

  A001000972 

 Ni, en fin, ce qu'on faict sonner si haut, que saint Pol a repris en face saint Pierre; car chacun sçait quil est permis au moindre de reprendre le plus grand et de l'admonester quand la charité le requiert: tesmoin [256] nostre saint Bernard en ses Livres De Consideratione; et sur ce propos le grand saint Gregoire dict ces paroles toutes dorëes: Factus est sequens minoris sui, ut in hoc etiam præiret; quatenus qui primus erat in apostolatus culmine, esset primus [et] in humilitate..

  A001000980 

 C'est S t Pierre seul auquel ceste charge s'addresse; Dicit Jesus Simoni Petro, Simon Joannis, diligis me plus bis? c'est donq S t Pierre auquel N. S r parle; car pas un de la trouppe ne s'appelloit Simon Pierre, ou Simon Joannis, si ce n'est S t Pierre, filz de Jonas ou Johannah (que l'un n'est qu'un abbregé de l'autre).

  A001000980 

 Mesme, que N. S r met icy saint Pierre a part des autres, quand il le met en comparayson: M'aymes tu, voyla S t Pierre d'un costé, plus que les autres? voyla les Apostres de l'autre; et quoy que tous n'y fussent pas, les principaux y estoyent, S t Jaques, S t Jan, S t Thomas.

  A001000981 

 Au Psalme 22, Dominus regit me, c'est a dire, me gouverne comme berger; et quand il est dict que David avoit esté choisi pascere Jacob servum suum, et Israel hæreditatem suam; et pavit eos in innocentia cordis sui, c'est tout de mesme que s'il y avoit regere, gubernare, prœesse; ainsy les peuples sont appellés brebis de la pasture du Seigneur, [251] si que avoir commandement de paistre les brebis Chrestiennes, n'est autre que de les gouverner et regir..

  A001000981 

 Or, que repaistre les brebis soit en avoir la charge, il appert de ce que les bergers non seulement conduisent le troupeau aux pasturages, mays le ramenent, gouvernent, defendent, chastient et establent; et de faict, en l'Escriture, regir et paistre le peuple se prend pour une mesme chose, comme il est aysé a voir en Ezechiel, au second des Rois, et es Psalmes en plusieurs endroitz.

  A001000982 

 Mays nostre S t Bernard ne me permet pas que j'oublie que N. S r fit trois repetitions ou recharges a S t Pierre; luy disant, p nt, Pasce agnos meos, 2 nt, oviculas, 3 nt, oves; non seulement affin de rendre ceste [253] institution plus solemnelle, mays encores pour monstrer qu'il luy donnoit en charge non seulement les peuples, qui sont comme agneaux et brebiettes, mays encores les pasteurs et Apostres, qui, comme brebis, nourrissent les agneaux et brebiettes, et leur sont meres..

  A001000983 

 Et ne faict rien contre ceste verité que saint Pol et les autres Apostres ayent repeu le troupeau chrestien du saint Evangile; car S t Pierre estant leur chef, ce qu'ilz ont faict luy revient encores, comme la victoire au general, quoy que les cappitaines ayent combattu..

  A001000984 

 Ni ce que S t Pol receut la main d'association de S t Pierre; car ilz estoyent compaignons en la predication et charge apostolique, mays S t Pierre estoit plus grand et premier en la charge pastorale..

  A001000985 

 Ni ce que S t Pol estoit l'Apostre des Gentilz, et S t Pierre, des Juifz; car ce ne fut pas une division du gouvernement de l'Eglise, mays une assignation des quartiers ou ilz devoyent principalement travailler [254] en la predication, affin que chacun attaquant de son costé l'impieté, le monde fust plus tost reduit a l'obeissance du Sauveur: et cela n'empechoit point que l'un et l'autre ne peust prescher parmi les Gentilz et les Juifz indifferemment, et que l'un ne fust chef en authorité..

  A001000986 

 Ni ce quil semble que S t Pierre ne conneust pas que les Gentilz deussent appartenir a la bergerie de N. S r; car ce qu'il dict au bon capitaine Cornelius, In veritate comperi quia non est personarum acceptor Deus, sed in omni gente qui timet eum et operatur justitiam acceptus est illi, n'est pas autre chose que ce qu'il avoit dict long tems au paravant, Omnis quicumque invocaverit nomen Domini salvus erit, et la prediction qu'il avoit expliquee, In semine tuo benedicentur omnes familæ terræ.

  A001000987 

 Ni ce que les Apostres ont faict des diacres sans le commandement de S t Pierre; car S t Pierre y estant authorisoit asses cest acte: outre ce que nous ne nions pas que les Apostres n'eussent pas pleine administration en l'Eglise, sous l'authorité pastorale de S t Pierre; et nos Evesques, en l'union du Saint Siege de Rome, ordonnent et des diacres et des prestres sans autre particulier commandement..

  A001000988 

 Ni ce que les Apostres envoyerent Pierre et Jan en Samarie: car le peuple envoya bien Phinees, grand Prestre et superieur, aux enfans de Ruben et de Gad; le Centurion envoya les senieurs et principaux des Juifz pour parler a Nostre Seigneur, et toutefois il les estimoit plus que soy mesme; et S t Pierre se trouvant au conseil y consentit, et authorisa sa mission propre..

  A001000989 

 Ni, en fin, ce qu'on faict sonner si haut, que S t Pol a repris en face S t Pierre; car chacun sçait qu'il est permis au moindre de reprendre le plus grand, et de l'admonester avec charité et sousmission: tesmoin [256] S t Bernard en ses Livres ad Eugenium; et sur ce propos le grand S t Gregoire dict ces paroles toutes dorees: Factus est sequens minoris sui, ut in hoc etiam præiret; quatenus qui primus erat in apostolatus culmine, esset primus in humilitate..

  A001000995 

 Il C'est chose bien digne de consideration en ce faict, que jamais les Evangelistes ne nomment les Apostres ensemble avec saint Pierre, quilz ne le mettent tousjours au haut bout, tousjours en teste de la troupe: ce qui ne peut estre faict a cas et fortune; tant par ce que c'est une observation perpetuelle es Evangiles, et que ce ne sont pas quatre ou cinq fois quilz sont nommés ensemble, mays tres souvent ou tous ou une partie, qu'aussi qu'es autres Apostres, les Evangelistes [257] n'observent point d'ordre: Duodecim Apostolorum nomina sunt hæc, dict saint Mathieu: primus Simon, qui dicitur Petrus, et Andreas frater ejus, Jacobus Zebedæi et Joannes frater ejus, Philip pus et Bartholomœus, Thomas et Mathœus publicanus, Jacobus Alphœi et Thaddœus, Simon Cananœus, et Judas Iscariotes qui tradidit eum. Saint Marc met saint Jaques second, saint Luc le met troysiesme; saint Mathieu met......

  A001000996 

 ; saint Mathieu met saint Jaques 3., saint Marc le met 2 d: bref, il ni a que saint Philippe, saint Jaques Alphæi et Judas qui ne soient tantost plus haut tantost plus bas.

  A001000996 

 C'est chose bien digne de consideration en ce faict, que jamais les Evangelistes ne nomment ou tous les Apostres ou une partie d'iceux ensemble, quilz ne mettent tousjours saint Pierre au haut bout, tousjours en teste de la trouppe: ce qu'on ne sçauroit penser estre faict a cas fortuit, car c'est une observation perpetuelle entre les Evangelistes, et ce ne sont pas quattre ou cinq fois quilz sont nommés ainsy ensemble, mays tressouvent, et d'ailleurs, es autres Apostres, ilz n'observent point d'ordre: Duodecim Apostolorum nomina hœc sunt, dict saint Mathieu: primus Simon, qui dicitur Petrus, et Andreas frater ejus, Jacobus Zebedæi et Joannes frater ejus, Philippus et Bartholomœus, Thomas et Mathœus publicanus, Jacobus Alphœi et Thaddœus, Simon Cananœus et Judas Iscariotes.

  A001000996 

 Or sus, imaginons que nous voyons, es champs, es rues, es assemblëes, ce que nous lisons es Evangiles, et de vray [est] il encor plus certain que si nous l'avions veu; quand nous verrions par tout saint Pierre le premier, et tout le reste pesle mesle, ne jugerions nous pas que les autres sont esgaux et compaignons, et saint Pierre, le chef et cappitaine?.

  A001000997 

 Mays, outre cela, bien souvent quand les Evangelistes parlent de la compaignie Apostolique, ilz ne nomment que Pierre, et mettent les autres en conte par accessoire et suite: Prosecutus est eum Simon, et qui cum illo erant.

  A001000997 

 Vous sçaves bien que nommer une personne et mettre les autres en un bloc avec luy, c'est le rendre le plus apparent, et les autres, ses inferieurs..

  A001000998 

 Nunquid non habemus potestatem sororem mulierem circumducendi, sicut cæteri Apostoli, et fratres Domini, et Cephas? Qu'est ceci a dire, Dicite discipulis ejus, et Petro? Pierre estoit il pas Apostre? Ou il estoit moins ou plus que les autres, ou il estoit esgal: jamais homme, sil n'est du tout desesperé, ne dira quil fut moins; sil est egal, et va a pair des autres, pourquoy le met on a part? sil ny a rien en luy de particulier, pourquoy ne dict on aussi bien, Dicite discipulis ejus, et Andreæ, ou Joanni? Certes, il faut que ce soit quelque particuliere qualité qui soit en luy plus qu'es autres, et quil ne fut pas simple Apostre; de maniere qu'ayant dict, Dicite discipulis, ou, Sicut cæteri discipuli, on peut encor demeurer en doute de saint Pierre, comme plus qu'Apostre et disciple..

  A001000999 

 Mays quand bien ceux que nous avons maintenant seroyent originaires, on ne sçauroit que deduyre de ce seul passage contre l'ordre de tant d'autres; car il se peut faire que saint Pol tient l'ordre du tems auquel il a receu la main d'association, ou que, sans s'amuser a l'ordre, il ait escrit le premier qui luy revint.

  A001000999 

 Mays saint Mathieu nous monstre clairement quel ordre il y avoit entre les Apostres, c'est a sçavoir, quil y en avoit un premier, tout le reste egal, sans second ni troysiesme: Primus, dict il, Simon, qui dicitur Petrus; il ne dict poinct, secundus Andreas, tertius Jacobus, mays les va nommant simplement, pour nous faire connoistre que pourveu que saint Pierre fut premier, tout le reste estoient a mesme, et qu'entr'eux il ni avoit point de præseance.

  A001001000 

 Et quand aux autres privileges, qu'on me les cotte par ordre, on n'en trouvera point de particuliers en saint Pierre que ceux qui le rendent chef de l'Eglise.

  A001001000 

 Mais qu'est cecy, je vous prie? dire que saint Pierre fut le plus viel de la troupe, c'est chercher a credit une excuse a l'opiniastreté: on voit les raysons toutes cleres en l'Escriture, mays par ce qu'on est resolu de maintenir le contrayre, on en va chercher avec l'imagination ça et la.

  A001001000 

 On respond a cecy que si les Evangelistes ont nommé saint Pierre le premier, ç'a esté par ce quil estoit le plus avancé en aage entre les Apostres, ou pour quelques privileges qui estoyent en luy.

  A001001000 

 Pourquoy dict on que saint Pierre fut le plus viel, puysque c'est une pure fantasie, qui n'a point de fondement en l'Escriture et est contraire aux Anciens? que ne dict on plus tost quil estoit celuy sur lequel Nostre Seigneur fondoit son Eglise, auquel il avoyt baillé les clefz du royaume des cieux, qui estoit le confirmateur des freres? car tout cecy est de l'Escriture: ce qu'on veut soustenir est soustenu, sil a fondement en l'Escriture ou non, il n'importe.

  A001001004 

 C'est chose bien digne de consideration a ce propos, que jamais les Evangelistes ne nomment ou tous les Apostres ou une partie d'iceux, quilz ne mettent tousjours S t Pierre au haut bout, tousjours [257] en teste de la compaignie: ce qu'on ne sçauroit penser estre faict sans mistere, car c'est une observation perpetuelle entre les Evangelistes, et ce ne sont pas quattre ou cinq fois quilz sont ainsy nommés, mays tres souvent, et d'ailleurs, es autres Apostres, ilz [258] n'observent point d'ordre.

  A001001004 

 Or sus, imaginons que nous voyons, es champs, es rues, es assemblees, ce que nous lisons es Evangiles, et de vray il est encor plus certain; quand nous verrions par tout et en toutes occasions S t Pierre marcher le premier, et tout le reste pesle mesle, ne jugerions nous pas que les autres sont esgaux et compaignons, et S t Pierre, le chef et cappitaine?.

  A001001005 

 Mays, outre cela, bien souvent quand les Evangelistes parlent de la compaignie des Apostres, ilz ne nomment que Pierre, et mettent les autres en conte par accessoire et suite: Prosecutus est eum Simon, et qui cum illo erant.

  A001001005 

 Vous sçaves bien que nommer une personne a part et mettre les autres en bloc avec luy, c'est le rendre le plus apparent, et les autres, ses inferieurs..

  A001001006 

 Nunquid non habemus potestatem sororem mulierem circumducendi, sicut cœteri Apostoli, et fratres Domini, et Cephas? Qu'est ceci a dire, je vous prie, Dites aux disciples, et a Pierre, Pierre et les Apostres respondirent? comment? Pierre n'estoit il pas Apostre? Ou il estoit moins, ou esgal, ou plus que les autres; jamais homme ne dira, sil n'est du tout desesperé, quil fut moins; sil est egal, et va a pair des autres, pourquoy le met on a part? sil ny a rien en luy de particulier, pourquoy ne dict on aussi bien, Dicite discipulis ejus, et Jacobo, ou Joanni?.

  A001001007 

 Au reste, S t Mathieu nous monstre clairement quel ordre il y avoit entre les Apostres, a sçavoir, quil y en avoit un premier et tout le reste egal, sans second ni troysiesme: Primus, dict il, Simon, qui dicitur Petrus; il ne dict poinct, secundus Andreas, tertius Jacobus, mays les va nommant simplement, pour nous faire connoistre que pourveu que S t Pierre fut premier, tout le reste estoient a mesme, et ny avoit plus de precedence.

  A001001007 

 Mays que pourroit on deduire de ce seul passage contre l'ordre de tant d'autres? car il se peut faire que S t Pol tient l'ordre du tems auquel il a receu la main d'association, et qu'il l'ait receue premierement de S t Jaques, ou que, sans s'amuser a l'ordre, il ait mis le premier celuy qui le premier luy revint.

  A001001007 

 Seulement une fois S t Pierre est nommé apres S t Jaques: Jacobus, Cepbas et Joannes dextras dederunt societatis. Mays a la verité, il y a trop de quoy douter que l'original ne fust pas de la façon, pour tirer aucune conclusion valable de ce seul passage: car S t Augustin, S t Ambroise, S t Hierosme, tant en leurs Commentaires qu'au texte, [260] n'ont pas escrit Jaques, Pierre et Jan, mays Pierre, Jaques, Jan, autant en a faict S t Chrysostome, au Commentaire; qui monstre la diversité des exemplaires, et rend la conclusion de part et d'autre douteuse.

  A001001008 

 Dignité laquelle on ne peut rejetter sur la viellesse de S t Pierre, car ce seroit une pure fantasie, et une trop grosse excuse a l'opiniastreté, qui n'a point de fondement en l'Escriture, et est contraire a la tradition des Anciens; et qu'il ne fut pas le plus ancien Apostre, l'Escriture le monstre ouvertement qui tesmoigne que S t André l'amena a N. S r; et quand aux autres qualités et conditions de S t Pierre, on n'en trouvera point de particulieres qui le puissent avancer plus que les autres, sinon celles qui le rendent chef de l'Eglise.

  A001001014 

 Si je voulois apporter icy tout ce qui s'en trouve, je ferois aussi grande ceste preuve que je veux faire toute ceste Partie; et ne me cousteroit guere, car cest excellent theologien Robert Belarmin me mettroit beaucoup de choses en main, mays sur tout le docteur Nicolas Sander a traité ce sujet si solidement et amplement, qu'il est malaysé d'en dire rien quil n'ayt dict et escrit en ses Livres De la Visible Monarchie: j'en præsenteray quelques pieces..

  A001001016 

 Si vous la dites semblable a une famille, il ny a que [263].

  A001001022 

 Dites vous que c'est une fraternité? saint Pierre y est le premier, le gouverneur et confirmateur des autres..

  A001001023 

 Aimes vous mieux que ce soit un royaume? saint Pierre en porte les clefz..

  A001001024 

 Voules vous que ce soit un parc ou bercail de brebis et d'aigneaux? et saint Pierre en est le pasteur et berger general.

  A001001025 

 Dites maintenant, en conscience, comme pouvoit Nostre Seigneur tesmoigner plus vivement son intention? l'opiniastreté ne voit goutte parmi tant de lumieres? Saint André vint le premier a la suite de Nostre Seigneur, ce fut luy qui y amena son frere saint Pierre, et saint Pierre præcede par tout; que veut dire cela, sinon que l'avantage que l'un avoit en tems, l'autre l'avoit en dignité?.

  A001001026 

 C'est luy qui le premier proposa de faire un Apostre; qui n'estoit pas un trait de petite authorité, car les Apostres n'ont pas tous eu des successeurs, et par la mort n'ont pas perdu leur dignité, mays saint Pierre, enseignant l'Eglise, monstre, et que Judas avoit perdu son apostolat, [265] et quil en failloit un autre en sa place, contre l'ordinaire de cest'authorité, qui continue es autres apres la mort, et delaquelle ilz feront encor exercice au jour du jugement, lhors quilz seront assis autour du Juge, jugeans les douze tribus d'Israel..

  A001001027 

 Les Apostres et Disciples n'ont pas plus tost receu le Saint Esprit, que saint Pierre, comme chef de l'embassade Evangelique, estant avec ses onse compagnons, commence a proposer, selon sa charge, la sainte nouvelle de salut aux Juifz en Hierusalem: c'est le premier catechiste de l'Eglise, et qui preche la pœnitence; les autres sont avec luy, et on les interroge tous, mays saint Pierre seul respond pour tous, comme chef de tous..

  A001001028 

 Sil faut mettre la main au tresor des miracles concedé a l'Eglise, quoy que saint Jan y soit et soit invoqué, saint Pierre seul y met la main..

  A001001029 

 Faut il donner commencement a l'usage du glaive spirituel de l'Eglise, pour chastier le mensonge? c'est saint Pierre qui assigne le premier coup, sur Ananie et Saphire: de la vient la haine que tous les menteurs [266] portent a son Saint Siege, par ce que, comme dict saint Gregoire, Petrus mentientes verbo occidit..

  A001001032 

 Le bon cappitaine italien Cornelius est il prest a recevoir la grace de l'Evangile? on le renvoÿe a saint Pierre, affin que par ses mains fust dedié et beny le Gentilisme.

  A001001034 

 Qu'est ce a dire cecy? que n'alloit il aussi bien pour voir le grand apostre et si signalé saint Jaques, que saint Pierre? par ce qu'on regarde les gens en teste et en face, et saint Pierre estoit le chef de tous les Apostres..

  A001001036 

 Si cecy n'est pas estre le premier et chef des Apostres, je confesse que les Apostres ne sont pas Apostres, les pasteurs, pasteurs, ni les docteurs, docteurs; car, en quelles autres plus expresses paroles et marques pourroit on faire connoistre un pasteur, un docteur, un Apostre, que celles que le Saint Esprit a mis es Escritures pour faire reconnoistre saint Pierre pour chef de l'Eglise? [268].

  A001001045 

 Si vous la dites semblable a une famille, il ny a que Nostre [263] Seig r qui paie tribut, comme chef de mayson, et apres luy S t Pierre, comme son lieutenant..

  A001001046 

 Voules vous que ce soit une nacelle? S t Pierre en est le patron, et en celle la seule Nostre Seig r enseigne..

  A001001047 

 Aimes vous mieux que ce soit une pesche? S t Pierre y est le premier et guide, les vrays disciples de Nostre S r ne peschent qu'avec luy..

  A001001048 

 Si vous l'accompares aux retz et filetz, c'est S t Pierre qui les jette en mer, c'est S t Pierre qui les tire, qui les met a port, et presente les poissons a Nostre Seig r; les autres disciples n'y sont que coadjuteurs..

  A001001050 

 Si vous dites que ce soit une fraternité, S t Pierre y est le premier, gouverneur et confirmateur des autres..

  A001001053 

 Dites maintenant, en conscience, comme pouvoit Nostre S r tesmoigner plus vivement son intention et nostre creance? se peut il faire que l'opiniastreté ne voye goutte parmi tant de lumieres? S t André vint le premier a la suite de N. S., ce fut luy qui amena S t Pierre son frere, mays ce dernier venu precede par tout; que veut dire cela, sinon que l'avantage que l'un avoit en tems, l'autre l'avoit en dignité?.

  A001001054 

 Il a le premier soin de la restauration et creüe de la compaignie Apostolique, comme chef et general: c'est luy qui le premier propose de faire un nouvel Apostre; qui ne fut pas un trait de petite authorité, car les Apostres n'ont pas tous eu des successeurs, et par la mort n'ont pas perdu leur dignité, mays S t Pierre, enseignant l'Eglise, monstra, et que Judas avoit perdu son apostolat [265] et qu'il en failloit un autre en sa place, contre l'ordinaire de ceste authorité, qui continue es autres apres la mort, et de laquelle ilz feront exercice au jour du jugement, lhors qu'ilz seront assis autour du Juge, jugeans les douze tribus d'Israel..

  A001001055 

 Les Apostres et Disciples n'ont pas plus tost receu le S t Esprit, que S t Pierre, comme chef de l'embassade Evangelique, estant avec ses onze compagnons, commence a proposer, selon sa charge, la sainte nouvelle de salvation aux Juifz en Hierusalem: c'est le premier catechiste de l'Eglise, et qui preche la penitence; les autres sont avec luy, et on les interroge tous, mays S t Pierre seul respond pour tous, comme chef de la troupe..

  A001001056 

 Sil faut mettre la main au tresor des miracles concedé a l'Eglise, quoy que S t Jan y soit et soit invoqué, S t Pierre seul y met la main..

  A001001057 

 Faut il donner commencement a l'usage du glaive spirituel pour chastier le mensonge? c'est S t Pierre qui assigne le premier coup, sur Ananie et Saphire: de la vient la haine que les faux [266] docteurs portent a son Saint Siege et succession, par ce que, comme dict S4 Gregoire, Petrus mentientes verbo occidit..

  A001001060 

 Est il tems de recueillir la moysson du paganisme? c'est a saint Pierre auquel s'addresse la revelation, comme au chef de tous les ouvriers et l'econome de la metairie: ainsy, quand le bon cappitaine italien Cornelius fut prest a recevoir la grace de l'Evangile, on le renvoya a S t Pierre, affin que par ses mains le Gentilisme fust consacré et dedié.

  A001001062 

 Que n'alloit il aussi bien voir les autres Apostres? parce, a la verité, qu'on regarde les gens a la teste et a la face, et S t Pierre estoit le chef et teste de tous les Apostres..

  A001001063 

 S t Pierre et S t Jaques estans en prison, l'Evangeliste tesmoigne que des prieres continuelles furent faictes en l'Eglise pour S t Pierre, comme pour le chef general et magistrat commun..

  A001001064 

 Si tout cecy mis ensemble ne nous faict reconnoistre S t Pierre pour chef de l'Eglise et des Apostres, je confesse que les Apostres ne sont pas Apostres, ni les pasteurs, pasteurs; car, en quelles autres plus expresses paroles et marques pourroit on faire connoistre l'authorité d'un Apostre et pasteur sur le peuple, que celles que le S t Esprit a mis es Escritures pour faire paroistre S t Pierre au dessus des Apostres, des pasteurs et de toute l'Eglise? [268].

  A001001070 

 Ceux la donques la forcent, qui y apportent un sens nouveau, qui la tirent contre la nature de ses paroles et contre le sens de l'antiquité: ce que sil est loysible a chacun, l'Escriture ne servira plus que de jouët aux cerveaux fantasques et opiniastres..

  A001001070 

 Si nous commencions a la tirer [en] consequence pour la primauté de saint Pierre, on pourroit croire que nous la forçons; mays quoy? ell'est tres claire en ce faict, et a esté entendue de toute l'Eglise premiere en ce sens.

  A001001071 

 Par la preseance et preeminence de ces trois sieges, l'Eglise ancienne a asses tesmoigné qu'elle tenoit saint Pierre pour son chef, qui les avoit fondés; autrement, que ne mettoit elle encor en semblable rang le siege d'Ephese, fondé par saint Pol, confirmé et affermi par saint Jan, ou le siege de Hierusalem, auquel saint Jaques avoit conversé et præsidé?.

  A001001071 

 Que quand a celuy de Constantinople et de Hierusalem, qui lira ces Conciles verra la difference en laquelle on les tient d'avec ces trois autres, fondés par saint Pierre; non que le Concile de Nicëe parle du siege de Constantinople, car Constantinople n'estoit encores rien en ce tems la, n'ayant esté eslevëe que par le grand Constantin, qui la dedia et nomma l'an 25 de son Empire, mays le Concile de Nicëe traitte du siege de Hierusalem, et celuy de Calcedoine, de celuy de Constantinople.

  A001001071 

 Que veut dire que l'Eglise ancienne n'a jamais tenu pour sieges patriarchaux sinon ceux de Rome, d'Alexandrie et d'Antioche? on peut faire mille fantasies, mays il ni a point d'autre rayson que celle que produit saint Leon, par ce que saint Pierre a fondé ces trois sieges ilz ont estés appellés et tenus pour patriarchaux; comme tesmoignent le Concile de Nicëe et celuy de [269] Calcedoyne, ou on faict grande difference entre ces trois sieges et les autres.

  A001001072 

 Que tesmoignoit elle autre, quand, es lettres publiques et patentes quilz appelloyent anciennement formëes, apres la premiere lettre du Pere, Filz, et Saint Esprit, [270] on y mettoit la premiere lettre de Petrus, sinon qu'apres Dieu tout puyssant, qui est le Roy absolu, l'authorité du lieutenant est en grand pris vers ceux qui sont bons Chrestiens?.

  A001001099 

 Nostre cause est si clairement deduitte en l'Escriture, que c'est presque chose vaine d'y rien adjouster: mays affin que vous sçachies que nous n'y apportons point d'interpretation forcee ou controuvee, je produiray ce qu'en a pensé toute l'Eglise premiere..

  A001001100 

 Donques, par la preseance et preeminence de ces trois sieges, l'Eglise ancienne a asses tesmoigné qu'elle tenoit S t Pierre pour son chef, qui en estoit le fondateur; autrement, que ne mettoit elle en semblable rang le siege d'Ephese, fondé par S t Pol, continué par S t Jan, ou celuy de Hierusalem, ou S t Jaques avoit presidé?.

  A001001100 

 Et partant le Concile de Nicee et celuy de [269] Calcedoyne ont faict une grande difference entre ces trois sieges et les autres, et quand a celuy de Constantinople et Hierusalem, qui lira ces Conciles verra bien qu'il n'y a point de comparaison; non que le Concile de Nicee parle du Siege de Constantinople, car Constantinople n'estoit encores rien en ce tems la, n'ayant esté eslevee que par le grand Constantin, qui la dedia et nomma l'an 25 de son Empire, mays le Concile de Nicee traitte du siege de Hierusalem, et le Concile de Calcedoine, de celuy de Constantinople.

  A001001100 

 Que veut dire que l'Eglise ancienne n'a jamais tenu pour sieges patriarchaux sinon celuy de Rome, d'Alexandrie et d'Antioche? on peut faire mille fantasies, mays il ni a point d'autre rayson que celle que dict S t Leon, par ce que S t Pierre a fondé ces trois sieges.

  A001001101 

 Que tesmoignoit elle autre, quand, es lettres publiques et patentes qu'on appelloit anciennement formees, apres les premieres lettres du Pere, Filz, et S t Esprit, on y mettoit la premiere [270] lettre de Petrus, sinon qu'apres Dieu tout puissant, les bons Chrestiens honnorent son Vicaire?.

  A001001106 

 [S. Chrysostome:] Curateur des freres et de l'univers; Pasteur et chef de l'Eglise, plus ferme que le diamant; Petram indelebilem, crepidinem immobilem, Apostolum magnum, primum discipulorum; Ecclesiæ firmamentum, Christianorum ducem et magistrum, spiritalis Israelis columnam, fluctuantium gubernatorem, cælorum magistrum, Christi os, summum Apostolorum verticem; Ecclesiæ principem, portum fidei, orbis terrarum magistrum. [272].

  A001001112 

 Qui osera maintenant s'opposer a ceste sainte societé? ilz parlent ainsy, ilz entendent ainsy l'Escriture, et pensent, selon icelle, que tous ces noms et tiltres soyent deus a S t Pierre.

  A001001116 

 J'ay fermement prouvé cy dessus que l'Eglise Catholique estoit une monarchie, en laquelle un chef ministerial gouvernoit tout le reste: ce n'a donq pas esté saint Pierre seulement qui en a esté le chef, mais faut que comme l'Eglise n'a pas manqué par la mort de saint Pierre, ainsy l'authorité d'un chef n'y ait pas manqué; autrement elle ne seroit pas une, ni au train auquel son fondateur l'avoit mise..

  A001001117 

 La bergerie de Nostre Seigneur doit durer jusqu'a la consummation du monde en unité, l'unité donques d'un pasteur y doit encores durer, tout cecy a esté bien preuvé cy dessus: dont il s'ensuit manifestement que saint Pierre a eu des successeurs, en a encores, et aura jusqu'a la consummation du siecle.

  A001001121 

 Que saint Pierre a eu des successeurs en sa charge.

  A001001125 

 Je vous prie, si les [274] Apostres, a l'entendement desquelz le S t Esprit esclairoit de si pres, si fermes et puissans, avoyent besoin de confirmateur et pasteur pour la forme et entretenement visible de leur union, et de toute l'Eglise, combien plus maintenant en avons nous necessité, quand il y a tant d'infirmités et foiblesses es membres de l'Eglise? et si les volontés des Apostres, si fermement liees par la charité, eurent besoin d'une liaison exterieure de l'authorité d'un chef, combien plus par apres, quand la charité s'est tant rafroidie, a l'on eu besoin de ceste liaison d'une authorité et d'un magistrat visible? Que si, comme dict S t Hierosme, au tems des Apostres Unus inter omnes eligitur, ut capite constituto schismatis tollatur occasio, combien plus maintenant, pour la mesme rayson, est il necessaire qu'il y ait un chef en l'Eglise? La bergerie Chrestienne doit durer en unité visible jusqu'a la consummation du monde, donques l'unité de gouvernement exterieur y doit demeurer encores, et personne n'a l'authorité de changer la forme d'administration que Nostre Seigneur y a mise: dont il s'ensuit notoirement que S t Pierre a eu des successeurs, en a encores, et en aura jusqu'a la fin du siecle.

  A001001129 

 Je ne fais pas ici profession de traitter les difficultés a fons de cuve, il me suffit d'avancer quelques principales raysons, et mettre au net nostre creance; que si je voulois m'amuser aux objections qu'on faict sur ce point, j'aurois plus d'ennuy que de peyne, et la pluspart sont si legeres qu'elles ne meritent pas qu'on y perde le tems.

  A001001130 

 On ne succede qu'a celuy qui cede et quitte sa place, soit par deposition ou par la mort; qui faict que Nostre Seigneur est tousjours Chef et sauverain Pontife de l'Eglise, et auquel personne ne succede, par ce quil est tousjours vivant, et n'a cedé ou quitté ce sacerdoce [ou] pontificat, quoy quil l'exerce en partie par ses ministres et serviteurs icy bas en l'Eglise militante: [276] mays ces ministres et lieutenantz, tout tant quil y a de pasteurs, peuvent ceder et cedent, soit par deposition ou par la mort, leurs offices et dignités..

  A001001131 

 Mays comme seroit il perpetuel si saint Pierre n'avoit point de successeur? car on ne peut pas douter que saint Pierre ne soit plus pasteur de l'Eglise, puysquil n'est plus en l'Eglise militante, ni mesme homme visible, qui est une condition requise pour administrer en l'Eglise visible.

  A001001131 

 Or nous avons monstré que saint Pierre a esté supreme chef ministeriel de l'Eglise, et que cest office ou dignité ne luy a pas esté baillé pour luy seulement, mays pour le bien et prouffit de toute l'Eglise, si que ce doit estre un office perpetuel en l'Eglise militante.

  A001001132 

 Et d'un costé, personne ne doute que saint Pierre n'ait continué en sa charge toute sa vie; car ceste parole de Nostre Seigneur, Pasce oves meas, luy fut non seulement une institution en ceste supreme [277] charge pastorale, mais un commandement absolu, qui n'avoit point d'autre limitation que par le terme de sa vie, non plus que cest autre, Prædicate Evangelium omni creaturæ, a quoy les Apostres vacquerent jusques a la mort.

  A001001132 

 Pendant donques que saint Pierre vesquit ceste vie mortelle, il n'eut point de successeur, et ne deposa point sa charge, ni n'en fut point deposé; car il ne le pouvoit estre sinon par l'heresie, qui n'eut jamais acces chez les Apostres beaucoup moins chez leur chef, sinon que le Maistre de la bergerie l'en eust levé, ce que non..

  A001001133 

 Ce fut donques la mort qui le leva de ceste sentinelle et de ce guet general quil faisoit, comme pasteur ordinaire, sur toute la bergerie de son Maistre: mays qui succeda en sa place? Et quand a ce point, toute l'antiquité est d'accord que c'est l'Evesque de Rome, avec ceste rayson: saint Pierre mourut Evesque de Rome, donques l'evesché de Rome fut le dernier siege du chef de l'Eglise, donques l'Evesque de Rome, qui fut apres la mort de saint Pierre, succeda au chef de l'Eglise, et, par consequent, fut chef de l'Eglise.

  A001001133 

 Il eut bien, a la verité, un siege en Antioche, mays celuy qui l'eut apres luy n'eut pas le vicariat general, par ce que saint Pierre vesquit long tems apres, et n'avoit pas deposé ceste charge; mays ayant choisi Rome pour son siege, il en mourut Evesque, et celuy qui luy succeda, luy succeda simplement, et s'assit en son siege qui estoit siege general de tout le monde et de l'evesché de Rome en particulier, si que l'Evesque de Rome demeura general lieutenant en l'Eglise et successeur de saint Pierre: ce que je vais prouver maintenant si solidement qu'autre que les opiniastres n'en pourra douter.

  A001001133 

 Quelqu'un [278] pourroit dire quil succeda au chef de l'Eglise quand a l'evesché de Rome, mays non quand a la monarchie du monde; mays celuy la devroit monstrer que saint Pierre eut deux sieges, dont l'un fut pour Rome, l'autre pour l'univers, ce qui n'est point.

  A001001140 

 Ce n'est ici qu'un Memorial, et n'est pas rayson que je m'amuse a toutes sortes d'objections; on en faict sur ce point qui sont si legeres et vaines qu'elles ne meritent pas qu'on s'y amuse.

  A001001141 

 On ne succede qu'a celuy qui quitte et cede sa place, soit par deposition ou par la mort; qui faict que N. S. est tousjours Chef et sauverain Pontife de l'Eglise, auquel personne ne succede, par ce quil est tousjours vivant, et n'a cedé ou quitté son sacerdoce ou pontificat, quoy quil l'exerce en partie par ses ministres et serviteurs icy bas en l'Eglise militante, outre ce quil a une authorité si excellente qu'elle n'est pas en tout communicable: [276] mays ces ministres et vicaires cedent necessairement leurs offices et dignités, ou par deposition ou par la mort..

  A001001142 

 Or nous avons monstré que S t Pierre a esté chef ministeriel de l'Eglise, et que ceste charge luy a esté baillee pour le bien et utilité publique du Christianisme, si que, le Christianisme durant tousjours, ceste mesme charge et authorité doit estre perpetuelle en l'Eglise militante; mays S t Pierre n'est plus pasteur de l'Eglise, puysqu'il n'est plus en l'Eglise militante, ni homme visible, qui est une condition requise pour administrer en l'Eglise visible.

  A001001143 

 Et d'un costé, c'est chose certaine que S t Pierre a continué en sa charge toute sa vie; car ceste parole de N. S r, Repais mes brebis, luy fut non seulement une institution en ceste supreme [277] charge pastorale, mais un commandement absolu, qui n'avoit point d'autre limitation que par le terme de sa vie, non plus que cestuy la, Prædicate Evangelium omni creaturæ, a quoy les Apostres vacquerent jusques a la mort.

  A001001143 

 Pendant donques que S t Pierre vesquit ceste vie mortelle, il n'eut point de successeur, et ne ceda ou quitta point sa charge, ni n'en fut point deposé; car il ne le pouvoit estre que par l'heresie, laquelle n'eut jamais acces chez les Apostres beaucoup moins chez leur chef, sinon que le Maistre de la bergerie l'en eust levé, ce que non..

  A001001144 

 Ce fut donques la mort qui le leva de ceste sentinelle generale quil faisoit, comme pasteur ordinaire, sur toute la bergerie du Maistre: mays qui succeda en sa place? Et quand a ce point, toute l'antiquité dict que c'est l'Evesque de Rome.

  A001001144 

 Il eut un siege en Antioche, mays celuy qui l'eut apres luy n'eut pas le vicariat general, par ce que S t Pierre vesquit longuement apres, qui n'avoit quitté ceste charge generale; mays ayant choisi Rome pour son siege, il en mourut Evesque, et celuy qui luy succeda, luy succeda simplement et purement, et s'assit en son siege, qui estoit siege de l'evesché de Rome et de tout le monde, si que l'Evesque de Rome demeura general lieutenant en l'Eglise pour Nostre Seigneur, et successeur de S t Pierre: ce que je vais prouver si fermement, qu'autre qu'un opiniastre n'en pourra douter.

  A001001144 

 Quelqu'un dira quil succeda au chef de l'Eglise quand a l'evesché de Rome, mays non pas quand a la primauté et charge generale; mays celuy la devroit monstrer que S t Pierre eut deux sieges, l'un pour Rome, l'autre pour l'univers, ce qui n'est point.

  A001001150 

 J'ay præsupposé que saint Pierre ayt esté Evesque de Rome et soit mort tel; ce que tous les adversaires nient, mesme que plusieurs d'entr'eux nient quil ayt jamais esté a Rome, les autres, que sil y a esté, quil y soit mort.

  A001001150 

 Mays je n'ay que faire de combattre toutes ces negatives par le menu, puysque, quand j'auray bien preuvé que saint Pierre a esté et est mort Evesque de Rome, j'auray suffisamment prouvé que l'Evesque de Rome est successeur de saint Pierre; outre ce que tous mes raysons et mes tesmoins portent en termes expres que l'Evesque de Rome a succedé a saint Pierre, qui est mon intention, delaquelle neantmoins reussira une claire certitude que saint Pierre a esté a Rome et y est mort..

  A001001151 

 Ce tesmoignage faict voir, et que saint Pierre a preché a Rome, et quil y a esté Evesque; car sil n'y eust esté Evesque, comme eust il baillé la chaire a saint Clement quil n'y eust pas eüe? [281].

  A001001151 

 Et quand a l'authorité de cest'epistre, Damasus, in Pontificali, en la vie de Clement, en parle ainsy: In epistola quæ ad Jacobum scripta est, qualiter Clementi commissa est a beato Petro Ecclesia reperies; et Rufin, en la præface sur les Livres Des Reconnaissances de saint Clement, en parle fort honorablement, et dict quil l'avoit mise en Latin, et que saint Clement y tesmoignoit de son institution, et quod eum reliquerit successorem Cathedræ.

  A001001151 

 Et voici mon premier tesmoin: saint Clement, disciple de saint Pierre, en Fepistre premiere quil a escrit ad Jacobum fratrem Domini, laquelle est si authentique que Ruffin en a esté traducteur il y a environ [280] douze cens ans; or il dict ces paroles: Simon Petrus, Apostolus primus, Regem seculorum usque ad Romance urbis notitiam, ut etiam ipsa salvaretur, invexit; hic pro pietate pati volens, apprehensa manu mea in conventu fratrum, dixit: Clementem hunc Episcopum vobis ordino, cui soli meæ prædicationis et doctrinæ Cathedram trado; (et peu apres) Ipsi trado a Domino mihi traditam potesatem ligandi et solvendi.

  A001001153 

 : Romanorum Ecclesia Clementem a Petro ordinatum edit, id est, per instrumenta et rationes publicas demonstrat; et au mesme livre: Fœlix Ecclesia, cui totam doctrinam Apostoli cum sanguine suo profuderunt, et parle de l'Eglise Romayne, ubi Passioni Dominicæ Petrus adæquatur: ou vous voyes que saint Pierre est mort a Rome, et y a constitué saint Clement, si que, joignant ce tesmoignage aux autres, on voit quil y a esté Evesque et y est mort enseignant..

  A001001161 

 3, quand les legatz du Saint Siege veulent porter sentence contre Dioscorus, ilz disent en ceste façon: Unde sanctissimus et beatissimus magnæ et senioris Romæ Leo, per nos et præsentem sanctam Sinodum, una cum ter beatissimo et omni laude digno beato Petro Apostolo, qui est petra et crepido Ecclesiæ Catholicæ, nudavit eum tam episcopatus dignitate quam etiam ab sacerdotali alienavit ministerio. Notes un peu ces traitz: que le seul Evesque de Rome le prive par ses legatz et par le Concile, que ilz joignent l'Evesque de Rome avec saint Pierre; car ilz monstrent que l'Evesque de Rome tient le lieu de saint Pierre..

  A001001162 

 Le Sinode d'Alexandrie, ou estoit Athanase, en sa lettre a Fcelix 2 d, dict merveilles a ce propos, et entr'autres choses raconte, qu'au Concile de Nicëe on avoit determiné quil n'estoit loisible de celebrer aucun Concile sans l'authorité du Saint Siege de Rome, mays que les canons qui avoyent estés faictz a ce propos avoyent estés bruslés par les hæretiques arriens.

  A001001162 

 a esté cité par Gratien il y a 400 [ans], et par Isidore il y en a 900, et le grand Pere Vincent Lirinois en faict mention il y a environ mill'ans: ce que je dis par ce que tous les canons du Concile de Nicëe ne sont pas en estre, n'en estant demeuré que vingt; mays tant de graves autheurs en citent tant d'autres outre les vingt que nous avons, que nous avons a croire ce que disent ces bons Peres Alexandrins cy dessus, que les Arriens en ont faict perdre la pluspart..

  A001001163 

 Bref, jamays il ne fut dict ni douté d'aucun Evesque, es premiers cinq cens ans, quil fut chef ou superieur aux autres, que de celuy de Rome, duquel on ne douta voirement jamais, mays a on tenu pour tout resolu quil estoit tel: a quel propos donques, apres quinze cens ans passés, veut [on] mettre cest'ancienne tradition en compromis? Je n'aurois jamais faict si je voulois apporter sur table toutes les asseurances et recharges que nous avons de ceste verité es escritz des Anciens; cecy cependant suffira, de ce costé, pour prouver que l'Evesque de Rome est successeur de saint Pierre, et que saint Pierre a esté et est mort Evesque a Rome.

  A001001163 

 Pour Dieu, jettons l'œil sur ceste tresancienne et trespure Eglise des six premieres centeynes, et la regardons de toutes pars; que si nous la voyons croire fermement que le Pape fut successeur de saint Pierre, quelle temerité sera ce de le nier? Voicy, ce me semble, une rayson qui ne demande plus aucun credit, mays consiste en beau content: saint Pierre a eu des successeurs en son vicariat; et qui a jamais esté en reputation en l'Eglise ancienne, d'estre successeur de saint Pierre et chef de l'Eglise, que l'Evesque de Rome? Certes, tout tant quil y a d'autheurs anciens [285] donnent tous ce tiltre au Pape, et jamais aux autres, et comme donques dirons nous quil ne le soit pas? certes, c'est nier la verité conneüe.

  A001001167 

 Que l'Evesque de Rome est vray successeur de saint Pierre et chef de l'Eglise.

  A001001170 

 Ce tesmoignage faict voir que S t Pierre a preché a Rome, et quil y a esté Evesque, car autrement, comment eust il baillé le siege a S t Clement quil n'y eust pas eu? [281].

  A001001170 

 Voici mon premier tesmoin: S t Clement, disciple de S t Pierre, en l'epistre premiere quil a escrit ad Jacobum fratrem Domini, laquelle est si authentique que Ruffin en a esté traducteur il y [280] a environ douze cens ans, dict ces paroles: Simon Petrus, Apostolus primus, Regem seculorum usque ad Romance urbis notitiam, ut etiam ipsa salvaretur, invexit; hic pro pietate pati volens, apprehensa manu mea in conventu fratrum, dixit: Clementem hunc Episcopum vobis ordino, cui soli meœ prædicationis et doctrinæ Cathedram trado; et peu apres: Ipsi trado a Domino mihi traditam potestatem ligandi et solvendi. De quoy parlant Damasus, in Pontificali, en la vie de Clement, In epistola, dict il, quæ ad Jacobum scripta est, qualiter Clementi commissa est a B. Petro Ecclesia reperies; et Rufin, en la preface sur les Livres Des Reconnaissances de S t Clement, en parle fort honorablement, et dict quil l'avoit traduitte en Latin, et que S t Clement y tesmoignoit de son institution, et quod eum reliquerit Petrus successorem Cathedræ.

  A001001179 

 Au grand Concile de Calcedoine, quand les legatz du Saint Siege veulent porter sentence contre Dioscorus, ilz disent en ceste façon: Unde sanctissimus et beatissimus magnce et senioris Romœ Episcopus Leo, per nos et præsentem sanctam Sinodum, una cum ter beatissimo et omni laude digno B. Petro Apostolo, qui est petra et crepido Ecclesiœ Catholicœ, nudavit eum tam episcopatus dignitate, etc. Notes un peu ces traitz: que le seul Evesque de Rome prive Dioscorus de son evesché, qu'il le prive par ses legatz et par le Concile, qu'ilz joignent l'Evesque de Rome avec S t Pierre; car ilz monstrent par la que l'Evesque de Rome tient le lieu de S t Pierre..

  A001001180 

 Le Sinode d'Alexandrie, avec son Athanase, en la lettre a Fælix 2d, dict merveilles a ce propos, et entre autres raconte qu'au Concile de Nicee il n'estoit pas loisible de celebrer aucun Concile sans l'authorité du Siege de Rome, mays que les canons qui avoyent esté faictz a ce propos avoyent esté bruslés par les Arriens.

  A001001180 

 a esté cité par Gratien il y a 400 ans, et par Isidore il y en a 900, de quoy le grand Pere Vincent Lirinois faict mention il y a environ mille ans: ce que je dis par ce que tous les canons du Concile de Nicee ne sont pas en estre, n'en estant demeuré que 20, mays tant de graves autheurs en citent plusieurs autres outre les 20 que nous avons, que nous devons croire ce que disent ces bons Peres Alexandrins cy dessus, que les Arriens en ont faict perdre la pluspart.

  A001001181 

 Bref, jamais il ne fut douté d'aucun autre Evesque, es premiers cinq cens ans de l'Eglise, s'il estoit chef ou superieur aux autres; on tenoit pour tout resolu que c'estoit celuy la seul de Rome: a quel propos donques mettrons nous maintenant ceste ancienne resolution en compromis? Cecy cependant suffira pour prouver que l'Evesque de Rome est successeur de S t Pierre.

  A001001187 

 Il ny a point de question ou les ministres s'exercent si fort pour combattre l'antiquité qu'en cellecy, car ilz taschent, a force de conjectures, præsomptions, dilemmes, explications et par tous moyens, de monstrer que saint Pierre ne fut onques a Rome; sauf Calvin, qui voyant que c'estoit dementir toute l'antiquité, et que cela n'estoit pas requis pour son opinion, se contente de dire qu'au moins saint Pierre ne fut pas long tems Evesque a Rome: Propter scriptorum consensum, non pugno quin illic mortuus fuerit, sed Episcopum fuisse, præsertim longo tempore, persuaderi nequeo.

  A001001187 

 Mays a la verité, quoy quil n'eust esté que fort peu de tems Evesque de Rome, sil y est mort Evesque, il y a laissé son siege et sa succession: [287] de façon que quand a Calvin, nous n'aurions pas grand cas a debattre, pourveu quil fut resolu de confesser fermement que saint Pierre est mort a Rome, et quil y estoit Evesque quand il mourut; et quand aux autres, nous avons asses prouvé cy dessus que saint Pierre est mort Evesque a Rome..

  A001001188 

 Les discours que l'on faict au contraire sont plus ennuyeux que difficiles, et par ce que qui aura le vray discours de la vie de saint Pierre devant les yeux, aura asses dequoy respondre a toutes ces objections, j'en diray briefvement ce que j'en crois estre plus probable; en quoy je suyvray l'opinion de ces excellents theologiens, Gilbert Genebrard, Archevesque d'Aix, en sa Chronologie, et Robert Belarmin, Jesuite, en ses Controverses, qui suivent de pres saint Hierosme et Eusebe, in Chronico..

  A001001189 

 Nostre Seigneur donques monta au ciel l'annëe 18 de Tibere, et commanda a ses Apostres quilz arrestassent en Hierusalem douze ans, selon l'ancienne tradition de Thraseas martir, nom pas certes tous mais quelques uns, pour verifier la parole ditte par Isaïe et comme semble vouloir inferer saint Pol, et saint Barnabas, car saint Pierre fut en Lydde et Joppé avant que les [288] douze ans fussent escoulés, si que il suffisoit que quelques Apostres demeurassent en Hierusalem pour tesmoignage aux Juifz.

  A001001190 

 Au reste, saint Epiphane peut avoir eu [occasion] de douter de l'election de saint Clement faite par saint Pierre, faute d'en avoir eu des preuves suffisantes, et se peut faire encores que Tertullien, Damase, Rufin et autres aient eu occasion de n'en douter point; qui faict parler ainsy sans resolution, touchant ce faict, a saint Epiphane, et par contraire rayson faict si fermement asseurer a Tertullien, plus ancien, que, Romanorum Ecclesia Clementem a Petro ordinatum edit, id est, per instrumenta et rationes publicas demonstrat.

  A001001190 

 Mays avant que mourir, empoignant par la main son disciple saint Clement, il le constitua son successeur; charge a laquelle saint Clement ne voulut pas entendre ni en faire exercice qu'apres la mort de Linus et Cletus, qui avoyent estés coadjuteurs de saint Pierre en l'administration de l'evesché Romaine; si que, qui voudra sçavoir pourquoy quelques autheurs anciens mettent le premier au rang, apres saint Pierre, saint Clement, et quelques autres, saint Linus, je luy feray respondre par saint Epiphane, autheur digne de foy, et voicy ses paroles: Nemo miretur quod ante Clementem Linus et Cletus episcopatum.

  A001001190 

 Mays quand a moy, je me range volontiers, et avec rayson ce me semble, au parti de ceux qui asseurent: par ce que douter de ce qu'un homme de bien et d'entendement asseure resolument, c'est dementir le diseur; au contrayre, asseurer ce dont un autre doute, n'est que confesser que le douteux ne sçait pas tout, ce [292] quil a confessé premieement luy mesme doutant, car douter n'est autre que ne sçavoir pas fermement la verité d'une chose..

  A001001190 

 Parce donques que saint Clement avoit esté choisy par saint Pierre, comme luy [291] mesmé tesmoigne, et que neanmoins il ne voulut pas accepter la charge avant la mort de Linus et Cletus, les uns, en consideration de l'election faite par saint Pierre, le mettent le premier en rang, les autres, eu esgard au refus quil en fit et a l'exercice quil en laissa a Linus et Cletus, le mettent le 4 e.

  A001001191 

 Ainsy est il tout certain que la premiere Epistre de saint Pierre a esté escritte a Rome, comme atteste saint Hierosme: Petrus, dict il, in prima Epistola, sub nomine Babilonis figuraliter Romam significans, Salutat vos, inquit, Ecclesia quæ est in Babilone coelecta; ce qu'au paravant avoit declaré le tres ancien Papias, disciple des Apostres, au recit d'Eusebe.

  A001001191 

 Maintenant, ja que par ce petit discours de la vie de saint Pierre, qui est tres probable, vous aves veu que saint Pierre n'a pas tousjours esté pied coy a Rome, mays y ayant son siege n'a pas layssé de visiter plusieurs provinces, revenir en Hierusalem et faire l'office Apostolique, toutes ces frivoles raysons qu'on deduict de l'authorité negative des Epistres de saint Pol n'auront plus acces en vos jugemens; car, si on dict que saint Pol ait escrit a Rome et dés Rome, et quil n'ait point faict de mention de saint Pierre, on ne le trouvera pas estrange, par ce qu'a l'adventure saint Pierre ny estoit pas alhors.

  A001001191 

 Mays la [293] consequence seroit elle bonne: saint Pierre en ceste Epistre la ne donne point de signe que saint Pol fut avec luy, donques il n'a jamais esté a Rome? Ceste Epistre ne dict pas tout, et si elle ne dict pas quil y fut, aussi ne dict elle pas quil n'y fut pas; il est probable quil n'y estoit pas lhors, ou que sil y estoit, quil ne fut pas expedient de l'y nommer pour quelque rayson: autant en dis je de celles de saint Pol..

  A001001192 

 Sont environ 37 ans que saint Pierre vesquit apres la mort de son Maistre, desquelz il demeura environ douze, qu'en Judëe qu'en Antioche, et 25 quil demeura Evesque de Rome.

  A001001199 

 Les ministres s'exercent infiniment en ceste question pour combattre l'antiquité, et taschent, a force de conjectures, presomptions, dilemmes, explications et par tous autres moyens, de monstrer que S t Pierre ne fut onques a Rome.

  A001001199 

 Mays quoy qu'il n'eust esté que fort peu de tems Evesque de Rome, sil y est mort Evesque, il y a laissé son siege et sa succession: [287] de façon que quand a Calvin, nous n'aurions pas grand cas a debattre, pourveu quil fut resolu de confesser fermement que S t Pierre est mort a Rome, et que quand il mourut il en estoit Evesque; mays quand a ceux qui le nient, nous avons asses prouvé que S t Pierre est mort Evesque a Rome..

  A001001199 

 Vray est que Calvin, voyant qu'il importoit peu pour son opinion, et que c'estoit dementir toute l'antiquité a descouvert, se contente de dire qu'au moins S t Pierre ne fut pas longuement Evesque a Rome: Propter, ce dict il, scriptorum consensum non pugno quin illic mortuus fuerit, sed Episcopum fuisse, præsertim longo tempore, persuaderi nequeo.

  A001001200 

 Toutes les fantasies que l'on faict au contraire peuvent estre rejettees par le vray discours de la vie de S t Pierre; j'en diray donques icy ce qu'il me semble de plus probable, suivant l'advis de Gilbert Genebrard, Archevesque d'Aix, et de Robert Belarmin..

  A001001201 

 Donques N. S r monta aux cieux l'an 18 de Tibere, et commanda a ses Apostres quilz arrestassent en Hierusalem 12 ans, selon l'ancienne tradition de Thraseas martir, nom pas certes tous mais quelques uns, pour verifier la parole ditte par Isaïe comme semble vouloir inferer S t Pol, et S t Barnabas, dont S t Pierre fut en Lydde et Joppé [288] avant que les 12 ans fussent escoulés, si que il suffisoit que quelques Apostres demeurassent en Hierusalem pour tesmoignage aux Juifz.

  A001001202 

 Au reste, S t Epiphane peut avoir eu doute de l'election de S t Clement, faute d'en avoir eu des preuves suffisantes, et se peut faire encores que Tertullien, Damase, Rufin et autres aient eu occasion de n'en douter point; qui faict parler ainsy S t Epiphane touchant ce faict, et par contraire rayson [Tertullien assure que], Romanorum Ecclesia Clementem a Petro ordinatum edit, id est, per instrumenta et rationes publicas demonstrat.

  A001001202 

 Mays quand a moy, je me range volontiers, et avec rayson ce me semble, au parti de ceux qui asseurent et affirment: par ce que douter de ce qu'un homme de bien et d'entendement asseure resolument, c'est dementir le diseur; au contraire, asseurer ce dont un autre doute, n'est que confesser que le douteux ne [292] sçait pas tout, ce quil a confessé luy mesme doutant, car douter n'est autre chose que ne sçavoir rsolument la verité..

  A001001202 

 Or, avant que mourir, il empoigna par la main son disciple S t Clement, et le constitua son successeur; a quoy S t Clement ne voulut pas entendre ni en faire exercice qu'apres la mort de Linus et Cletus, qui avoyent estés coadjuteurs de S t Pierre en l'administration de l'Eglise Romaine; partant, qui veut sçavoir pourquoy quelques autheurs anciens mettent en rang S t Clement apres S t Pierre, et quelques autres, S t Linus, je luy feray respondre par S t Epiphane: Nemo miretur quod ante Clementem Linus et Cletus episcopatum assumpserunt, cum sub Apostolis hic fuerit contemporaneus Petro et Paulo, nam et illi contemporanei Apostolorum fuerunt; sive igitur adhuc ipsis superstitibus a Petro accepit impositionem manuum episcopatus, et eo recusato remoratus est, sive post Apostolorum successionem a Cleto Episcopo hic constituitur, non ita clare scimus. Parce donques que S t Clement avoit esté choisi par [291] S t Pierre, et que neanmoins il ne voulut pas accepter la charge avant la mort de Linus et Cletus, les uns, en consideration de l'election faite par S t Pierre, le mettent le premier en rang, les autres, eu esgard au refus quil en fit et a l'exercice quil en laissa a Linus et Cletus, le mettent le 4 e.

  A001001203 

 Ainsy est il tout certain que la p re Epistre de S t Pierre a esté escritte de Rome, comme tesmoigne S t Hierosme: « Pierre, » dict il, « en sa premiere Epistre, sous le nom de Babilone signifiant figurement Rome, Salutat vos, inquit, Ecclesia quæ est in Babilone coelecta; » ce qu'au paravant avoit declaré le tres ancien Papias, disciple des Apostres, tesmoin Eusebe.

  A001001203 

 Maintenant que par ce petit discours vous aves veu que S t Pierre n'a pas tousjours esté pied coy a eRome, mays y ayant son siege n'a pas laissé de visiter plusieurs provinces, revenir en Hierusalem et faire l'office Apostolique, toutes ces frivoles raysons qu'on deduict de l'authorité negative des Epistres de S t Pol n'auront plus acces en vos jugemens; car, si on vous dict que S t Pol ait escrit a Rome et dés Rome sans faire mention de S t Pierre, on ne le trouvera pas estrange, par ce qu'a l'adventure S t Pierre ny estoit pas alhors.

  A001001203 

 Mays la [293] consequence seroit elle bonne: S t Pierre en ceste Epistre la ne donne point de signe que S t Pol fut avec luy, donques il n'a jamais esté a Rome? Ceste Epistre ne dict pas tout; il est probable quil n'estoit pas alhors a Rome, ou que sil y estoit, il ne fut pas expedient de l'y nommer pour quelque rayson: autant en dis je des Epistres de S t Pol.

  A001001209 

 Oyes en peu de paroles ce que les Anciens pensoyent sur ce faict, et en quel rang ilz tenoyent l'Evesque de Rome.

  A001001269 

 Cecy doit suffire aux cerveaux mesme les plus bigearres, pour faire voir le magnifique mensonge que de Beze continue a dire, apres son maistre Calvin, en son traitté Des Marques de l'Eglise, ou il dict que Phocas a esté le premier qui a donné authorité a l'Evesque de Rome sur les autres et l'a mis en primauté.

  A001001269 

 Je n'aurois jamais faict, si je voulois entasser les tiltres que les Anciens ont donné au Saint Siege de Rome et a son Evesque.

  A001001269 

 Mays a quoy faire, dire un si gros mensonge? Phocas vivoyt au tems de saint Gregoire le Grand, et tout tant que j'ay allegué d'autheurs sont plus anciens que saint Gregoire, hormis saint Bernard, lequel j'ay allegué aux Livres [299] De Consideratione, par ce que Calvin les a pour si veritables quil luy semble que la verité mesme y ait parlé..

  A001001270 

 On objecte que saint Gregoire ne vouloit estre appellé Evesque universel: mays Evesque universel se peut entendre, ou d'un qui soit tellement Evesque de l'univers que les autres Evesques ne soyent que vicaires et substitués, ce qui n'est point, car les Evesques sont vrayement princes spirituelz, chefz et Evesques, non lieutenantz du Pape mais de Nostre Seigneur, dont il les apelle freres; ou on peut entendre d'un qui est surintendant sur tous, et auquel les autres, qui sont surintendans en particulier, sont inferieurs voirement mays non pas vicaires ni substitués, et c'est ainsy que les Anciens l'ont appellé Evesque universel..

  A001001271 

 On produict le Concile de Carthage, qui defend que pas un ne s'appelle Princeps sacerdotum; mays c'est faute d'avoir autre entretien qu'on allegue cecy, car qui ne sçait que c'estoit un Concile provincial qui touche les Evesques de ceste province la, de laquelle l'Evesque de Rome n'estoit pas, la mer Mediterranëe est entredeux.

  A001001272 

 Ce nom estoit commun aux Evesques, tesmoin saint Hierosme, qui appelle ainsy saint Augustin, en une epistre, au bout: Incolumem te tueatur Omnipotens, domine vere sancte et suscipiende papa; mays il a esté rendu particulier au Pape, par excellence, a cause de l'universalité de sa charge, dont il est appellé au Concile de Calcedoine, « Pape universel, » et « Pape, » tout court, sans addition ni limitation; et ne veut dire autre ce mot que ayeul ou grand pere:.

  A001001277 

 Au reste, ceux qui, expliquans le second chapitre de la 2 e aux Thessaloniciens, pour vous faire croire que le Pape est Antichrist vous auroyent dict quil se faict appeller Dieu en terre, ou Filz de Dieu, sont les plus grans menteurs du monde; car tant s'en faut que les Papes prenent aucun tiltre ambitieux, que des le tems de saint Gregoire se sont pour le plus appellés Serviteurs des serviteurs de Dieu.

  A001001277 

 Et affin que vous sachies combien est ancien ce nom parmi les gens de bien, saint Ignace, disciple des Apostres, Epistola ad Mariam Zarbensem, Cum esses, dict il, Romæ, apud Papam Linum; ja de ce [301] tems la il y avoit des Papistes, et de quelle sorte? Nous l'appelions Sa Sainteté; et nous trouvons que saint Hierosme l'appelloit desja en ceste façon: Obtestor Beatitudinem tuam per Crucem, etc., Ego nullum primum nisi Christum sequens, Beatitudini tuæ, id est, Cathedræ Petri, communione consocior.

  A001001277 

 Nous l'appelions Saint Pere; mais vous aves veu que saint Hierosme appelle ainsy saint Augustin.

  A001001281 

 Confirmation de tout ce qui a esté dict cy dessus par les noms que les anciens ont donnés au Pape.

  A001001284 

 Oyes en peu de paroles ce que les Anciens pensoyent sur ce faict, et en quel rang ilz tenoyent l'Evesque de Rome.

  A001001321 

 A quoy faire, je vous prie, un si gros mensonge? Phocas vivoit au tems de S t Gregoire le Grand, et tous les autheurs que j'ay allegués sont plus anciens que S t Gregoire, hormis S t Bernard, lequel [299] j'ay allegué aux Livres De Consideratione, par ce que Calvin les reçoit en credit..

  A001001321 

 Cecy doit suffire aux cerveaux mesme les plus bigearres, pour faire voir le magnifique mensonge que de Beze dict, apres son maistre Calvin, quand il asseure que Phocas a esté le premier qui a mis en credit et primauté l'Evesque de Rome.

  A001001321 

 Je n'aurois jamais faict, si je voulois entasser les tiltres que les Anciens ont donné au Siege de Rome et a son Evesque.

  A001001322 

 On objecte que S t Gregoire ne vouloit estre appellé Evesque universel: mays Evesque universel se peut entendre, ou d'un qui soit tellement Evesque de l'univers que les autres Evesques ne soyent que vicaires et substitués, ce qui n'est point, car les Evesques sont vrayement princes spirituelz, chefz et pasteurs, non lieutenans du Pape mais de Nostre Seig r, dont le Pape les apelle freres; ou on peut entendre d'un qui est surintendant sur tous, et auquel les autres, qui sont surintendans particuliers, sont inferieurs, mays non vicaires ni substitués; et c'est ainsy que les Anciens ont appellé le Pape Evesque universel, et S t Gregoire le nie en l'autre façon..

  A001001323 

 On produict le Concile de Carthage, qui defend que pas un ne s'appelle « Prince des prestres; » mays c'est faute d'autre entretien qu'on allegue cecy, car le Concile de Carthage estoit provincial, qui ne touche que les Evesques de ceste province la, de laquelle Rome n'est pas, la mer Mediterranee est entredeux.

  A001001324 

 Ce nom estoit commun a tous les Evesques, tesmoin S t Hierosme, qui appelle ainsy S t Augustin en une epistre: Incolumem, dict il au bout, tueatur te Omnipotens, domine vere sancte et suscipiende papa; mays il a esté rendu particulier au Pape, par excellence, a cause de la generalité de sa charge, dont il est appellé au Concile de Calcedoine, « Pape universel, » et « Pape » simplement, tout court, sans addition ni limitation; et ne veut dire autre ce mot que ayeul ou grand pere:.

  A001001324 

 Restoit le nom de Pape, que j'ay reservé pour fermer ce discours, et qui est l'ordinaire duquel nous appelions l'Evesque de Rome.

  A001001329 

 Et affin que vous sachies combien ce nom est ancien parmi les gens de bien, S t Ignace, disciple des Apostres, en la lettre quil escrit a Marie Zarbense, Cum esses, dict il, Romæ, apud Papam [301] Linum; ja de ce tems la il y avoit des Papistes, et de quelle sorte? Au reste, ceux qui, expliquans le second chapitre de la 2 e aux Thess., pour vous faire croire que le Pape est Antichrist vous auroyent dict quil se faict appeller Dieu en terre, ou Filz de Dieu, sont eux mesmes enfans du diable, qui mentent si puamment; car tant s'en faut que les Papes prenent aucun tiltre ambitieux, que des le tems de S t Gregoire ilz se sont pour le plus appellés Serviteurs des serviteurs de Dieu.

  A001001329 

 On l'appelle encores Saint Pere, mais vous aves veu que S t Hierosme appelloit ainsy S t Augustin, qui n'estoit qu'un simple Evesque.

  A001001335 

 Ce n'est pour vray pas sans mistere, que souvent en l'Evangile ou il est question que le general des Apostres parle, saint Pierre seul parle pour tous.

  A001001335 

 En saint Jan, ce fut luy qui dict pour tous: Domine, ad quem ibimus? verba vitæ æternæ habes, et nos credimus et cognovimus quia tu es Christus, Filius Dei. Ce fut luy, en saint Mathieu, qui, au nom de tous, fit comme chef ceste noble confession: Tu es Christus, Filius Dei vivi. Il demanda pour tous, Ecce nos reliquimus omnia, etc. En saint Luc: Domine, ad nos dicis hanc parabolam an et ad omnes? C'est l'ordinaire que le chef parle pour tout le cors, et ce que le chef dict, on le tient dict par tout le reste.

  A001001335 

 Ne voyes vous pas qu'en l'election de saint Matthias c'est luy seul qui parle et determine? Les Juifz demanderent a tous les Apostres: Quid faciemus viri fratres? saint Pierre seul respond pour tous: Pænitentiam agite, etc. Et c'est a ceste rayson que saint Chyrsostome et Origene l'ont appellé Os et verticem Apostolorum, comme nous avons veu cy dessus, par ce quil souloit parler pour tous les Apostres; et le mesme saint Chrysostome l'appelle Os Christi, par ce que ce quil dict pour toute l'Eglise et a toute l'Eglise, comme chef et pasteur, ce n'est pas tant parole humaine que de Nostre Seigneur: Amen, dico vobis, qui accipit si quem misero, me accipit; dont ce quil disoit et determinoit ne pouvoit estre faux.

  A001001335 

 Or, les moyens necessaires pour confirmer les autres, de rasseurer les foibles, c'est de n'estre point sujet a la foiblesse soymesme, mays d'estre solide et ferme, comme une vraye pierre et un roch: tel estoit saint Pierre, entant que pasteur general et gouverneur de l'Eglise..

  A001001335 

 Si que Nostre Seigneur donnant l'authorité et commandant a saint Pierre de confirmer les autres, il luy a quand et quand donné le pouvoir et les moyens de ce faire, autrement pour neant luy eut il commandé chose impossible.

  A001001336 

 Ainsy quand saint Pierre fut mis au fondement de l'Eglise, et que l'Eglise fut asseurëe que les portes d'enfer ne prævaudroyent point contre elle, ne fut ce pas asses dire que saint Pierre, comme pierre fondamentale du gouvernement et administration ecclesiastique, ne pouvoit se froisser et rompre par l'infidelité ou erreur, qui est la principale porte d'enfer? car, qui ne sçait que si le fondement renverse, si l'on y peut porter la sappe, que tout l'edifice renversera?.. Et quoy? si le pasteur mettoit ses brebis es pasturages venimeux, le parc se perdroit il pas incontinent? Les brebis vont suyvant le pasteur; s'il erre, tout se perd.

  A001001336 

 Et n'est pas raysonnable que les brebis..... De mesme, si le pasteur supreme ministerial peut conduire ses brebis es pasturages veneneux, on voit clairement que le parc est pour estre bien tost perdu; car, si le supreme pasteur ministerial conduit a mal, qui le redressera? sil s'egare, qui le ramenera? a la verité, il faut que nous ayons a le suivre simplement, non a le guider, autrement les brebis seroyent pasteurs.

  A001001337 

 l'Eglise ne peut pas tousjours estre ramassëe en un Concile general, et les trois premieres centeynes d'annëes il ne s'en fit point; es difficultés donques qui surviennent journellement, a qui se pourroit on mieux adresser, de qui pourroit on prendre loy plus asseurëe, regle plus certaine que du chef general et du Vicaire de Nostre Seigneur?.

  A001001338 

 Or tout cecy n'a pas eu lieu seulement en saint Pierre, mais en ses successeurs, car la cause demeurant l'effect demeure encores; l'Eglise a tousjours besoin d'un confirmateur infallible auquel on puysse s'addreser, d'un fondement que les portes d'enfer, et principalement l'erreur, ne puysse renverser, et que son pasteur ne puysse conduire a l'erreur ses enfans: les successeurs donques de saint Pierre ont tous ces mesmes privileges, qui ne suivent pas la personne, mays la dignité et la charge publique..

  A001001339 

 Ainsy donques le supreme pasteur de l'Eglise nous est juge competent et suffisant en toutes nos plus grandes difficultés, autrement nous serions de pire condition que cest ancien peuple, qui avoyt un tribunal auquel il pouvoit s'addresser pour la resolution de ses doutes, specialement en matiere de religion.

  A001001339 

 Que si quelqu'un veut respondre que Moise n'estoit pas præstre ni pasteur ecclesiastique, je le renvoyeray a ce que j'en ay dict ci dessus, car ce seroit estre enuyeux de faire ces repetitions.

  A001001340 

 Au Deuteronome: Facies quodcumque dixerint qui præsunt loco quem elegerit Dominus, et docuerint te juxta legem ejus; sequerisque sententiam eorum, nec declinabis ad dextram nec ad sinistram: qui autem superbierit, nolens obedire sacerdotis imperio, judicis sententia moriatur. Que dira on icy? Il falloit subir le jugement du sauverain Pontife; qu'on estoit obligé de suivre le jugement qui estoit jouxte la loy, non l'autre? ouy, mays en cela il failloit suivre la sentence du præstre, autrement si on ne l'eust pas suivie, ains examinee, c'eust esté pour neant qu'on fut allé a luy, et la difficulté et ambiguité n'eust jamais esté resolue parmi les opiniastres; dont il est dict simplement, q ui autem superbierit, nolens obedire sacerdotis imperio, judicis sententia moriatur; et en Malachie: Labia sacerdotis custodiunt scientiam, et legem requirent ex ore ejus; dont il s'ensuit que chacun ne pouvoit pas se resouvre es poins de la religion, ni produire la loy a sa fantasie, mais selon la proposition du Pontife.

  A001001340 

 Que si Dieu a eu une si grande prouvoyance a la religion et tranquillité de conscience des Juifz, que de leur establir un juge sauverain a la sentence duquel ilz devoyent acquiescer, il ne faut pas douter quil ne nous aÿe prouveu, au Christianisme, d'un pasteur qui ayt ceste mesm'authorité, pour nous lever les doutes et scrupules qui pourroyent survenir sur les declarations des Escritures..

  A001001341 

 Je vous prie, si en l'ombre il y avoit des illuminations de doctrine et des perfections de verité en la poitrine du Prestre, pour en repaistre et raffermir le peuple, qu'est ce que nostre grand Prestre n'aura pas? de nous, dis je, qui sommes au jour et au soleil levé? Le grand Prestre ancien n'estoit que vicaire et lieutenant de Nostre Seigneur, nomplus que le nostre, mays il semble quil præsidoit a la nuict, par ses illuminations, et le nostre præside au jour, par ses instructions; ministeriellement tous deux, et par la lumiere du Soleil de justice, lequel, bien quil soit levé, est neanmoins voilé a nos yeux par nostre propre mortalité, car le voir face a face ordinairement [307] n'appartient qu'a ceux qui sont delivrés du cors qui se corrompt..

  A001001341 

 Que si le grand Præstre portoit le Rational du jugement en la poitrine, ou estoyt le Urim et Thummim, doctrine et verité comme interpretent les uns, ou les illuminations et perfections comme disent les autres, qui n'est presque qu'une mesme chose, puysque la perfection consiste en verité et la doctrine n'est qu'illumination, penserons nous que le grand Præstre de la Loy nouvelle n'en ayt pas encores les effectz? a la verité, tout ce qui fut concedé de bon a l'ancienne Eglise et a la chambriere Agar, aura esté donné en beaucoup meilleure façon a Sara et a [306] l'Espouse: nostre grand Præstre donques a encores le Urim et Thummim en sa poitrine. Or, soit que ceste doctrine et verité ne fust autre que ces deux motz escritz au Rational, comme semble croire saint Augustin, et Hugues de saint Victor l'asseure, ou que ce fust le nom de Dieu, comme veut Rabbi Salomon, au récit de Vatable et Augustin Evesque d'Eugubbium, ou que ce fussent les seules pierres du Rational par lesquelles Dieu tout puyssant reveloit ses volontés au Prestre, comme veut ce docte homme François Ribera, la rayson pour laquelle le grand Præstre avoyt au Rational sur sa poitrine la doctrine et la verité, estoit sans doute par ce que judicabat judicii veritatem; mesme que par le Urim et Thummim les prestres estoyent instruitz du bon plaisir de Dieu, et leurs entendemens esclairés et perfectionnés par la revelation divine, comme le bon de Lyra l'a entendu, et Ribera l'a asses suffisamment prouvé, a mon advis: dont quand David voulut sçavoir sil devoit poursuivre les Amalecites, il dict au Præstre Abiathar, Applica ad me ephod, ou, le superhumeraire; ce quil fit sans doute pour reconnoistre la volonté de Dieu au Rational qui y estoit joint, comme va deduysant doctement ce docteur Ribera.

  A001001342 

 C'est a ce propos que saint Hierosme dict au Pape Damase: Qui tecum non colligit, spargit; hoc est, qui Christi non est, Antichristi est; et saint Bernard dict quil faut rapporter les scandales qui se font, « principalement en la foy, » au Siege de Rome: Dignum namque arbitror ibi potissimum resarciri damna fidei, ubi non possit fides sentire defectum: cui enim alteri sedi dictum est aliquando, Ego pro te rogavi, ut non deficiat fides tua? Saint Cyprien: Navigare audent ad Cathedram Petri, atque ad Ecclesiam principalem; nec cogitare eos esse Romanos, ad quos perfidia habere non possit accessum. Ne voyes vous pas quil parle des Romains a cause de la Chaire de saint Pierre, et dict que l'erreur n'y peut rien?.

  A001001342 

 C'est sur ce sujet que saint Bernard a appellé le Pape, Dignitate Aaron et « Hæritier des Apostres », et saint Hierosme, le Saint Siege, Tutissimum communionis Catholicæ portum; car il porte le Rational pour en esclairer tout le Christianisme, comme les Apostres et Aaron, de doctrine et verité.

  A001001343 

 Que si vous voules sçavoir pourquoy ilz s'addressent a luy, Quia, disent ilz, te Dominus, gratiæ suæ præcipuo munere, in Sede Apostolica collocavit.

  A001001343 

 Quid etiam actione firmastis, nisi scientes quod per omnes provincias de Apostolico fonte petentibus responsa semper emanent? Præsertim quoties fidei ratio ventilatur, arbitror omnes fratres et coepiscopos nostros non nisi ad Petrum, id est, sui nominis et honoris authorem, referre debere, velut nunc retulit vestra dilectio, quod per totum mundum possit omnibus ecclesiis in commune prodesse. Voyes vous l'honneur et le credit auquel estoit le Siege Apostolique vers les Anciens les plus doctes et saints, voire mesme vers les Conciles entiers? on y alloit comme au vray Ephod et Rational de la nouvelle Loy: ainsy y alla saint Hierosme, du tems de Damasus, auquel, apres avoir dict que l'Orient rompoit et mettoit en pieces la roubbe, entiere et tissue par dessus, de Nostre Seigneur, et que les renardeaux gastoyent la vigne du Maistre, Ut inter lacus contritos, dict il, qui aquam non habent, difficile ubi fons signatus et hortus ille conclusus sit possit intelligi, ideo mihi Cathedram Petri et fidem Apostolico ore laudatam censui consulendam, etc..

  A001001343 

 Voyla ce que croyoit ce saint Concile avec son grand saint Augustin; auquel Innocent respondant, en une epistre [308] qui suit la præcedente parmi celles de saint Augustin: Diligenter et congrue, dict il, Apostolico consulitis honori; honori, inquam, illius quem, præter illa quæ sunt extrinsecus, solicitudo manet omnium ecclesiarum super anxiis rebus quæ sit tenenda sententia: antiquæ scilicet regulæ formant secuti, quam toto semper ab orbe mecum nostis esse servatam.

  A001001344 

 En fin, qui mesprisera l'authorité du Pape, remettra sus les Pelagiens, Priscilliens et autres, qui n'ont estés condamnés que par les Conciles provinciaux avec l'authorité du Saint Siege de Rome..

  A001001344 

 Je n'aurois jamais faict si je voulois produire les belles sentences que les Anciens ont dictes sur ce faict; qui voudra, les lise fidellement cottëes au grand Catechisme de Pierre Canisius, ou elles ont estëes estendues au long par Busæus.

  A001001344 

 Mays qui ne sçait que tous les anciens hæretiques taschoyent a se faire avouer par le Pape; tesmoins les Montanistes ou Cataphryges, qui deceurent tellement le Pape Zephyrin (sil faut croire a Tertullien, nomplus celuy d'autrefois mays devenu hæretique en son faict propre) quil lascha des lettres de reunion en leur faveur, lesquelles neantmoins il revoca promptement par l'advis de Praxeas.

  A001001344 

 Saint Irenëe veut que chacun vienne joindre a ce Saint Siege, propter potentiorem principalitatem.

  A001001345 

 Il dict par apres que ces raysons sont insolubles, et que toute l'Escriture y vient battre.

  A001001345 

 La 2 e, il faut plus tost ceder a son adversaire que de rompre l'union de charité; donques il vaut mieux obeir au Pape que de se separer de l'Eglise.

  A001001345 

 La 5 e n'est que la mesme.

  A001001345 

 La 6 e, par ce que tous les fidelles le croyent ainsy, entre lesquelz il est impossible que Nostre Seigneur ne soit: or il faut arrester avec Nostre Seigneur et les Chrestiens en tout et par tout.

  A001001345 

 Mays je ne puys laisser en arriere ce que ce grand archiministre escrivit l'an 1519, en certaines autres [310] Resolutions d'autres propositions; car, en la 13 me, non seulement il reconnoit l'authorité du Saint Siege Romain, mays la prouve par 6 raysons quil tient pour demonstrations: je le mettray en sommaire.

  A001001345 

 Que si je voulois m'amuser a vous monstrer combien Luther en faysoit estat au commencement de son hæresie, je vous ferois esbahy d'une si grande mutation de ce vostre grand pere.

  A001001345 

 Que vous semble de Luther? est il pas Catholique? et neanmoins c'estoit au commencement de sa reformation..

  A001001346 

 Calvin vient a ce point, quoy quil aille embrouillant la matiere tant quil peut; car, parlant du Siege de Rome, il confesse que les Anciens l'ont tous honnorëe et reverëe, qu'elle a esté le refuge des Evesques, et plus constante en la foy que les autres sieges; ce quil attribue a faute de vivacité d'entendement.

  A001001352 

 En l'ancienne Loy le grand Prestre ne portoit pas le Rational sinon quand il estoit revestu des habitz pontificaux, et quil entroit devant le Seigneur: ainsy ne disons nous pas que le Pape en ses opinions particulieres ne puysse errer, comme fit Jean 22, ou estre du tout heretique, comme peut estre fut Honorius.

  A001001352 

 Et de vray, tout ce que dict un roy n'est pas loy ni edict, mays seulement ce que le roy dict comme roy, et determinant juridiquement; ainsy tout ce que dict le Pape n'est pas Droit canon ni loy, il faut quil veuille determiner et donner loy aux brebis, et quil y garde l'ordre et forme requise.

  A001001352 

 Mays quand il est revestu des habitz pontificaux, je veux dire, quand il enseigne toute l'Eglise comme pasteur es choses de la foy et des mœurs generales, alhors il ny a que doctrine et verité.

  A001001352 

 Quand il erre en sa particuliere opinion, il le faut enseigner, adviser, convaincre, comm'on fit a Jean 22, lequel tant s'en faut quil mourust opiniastre, ou que pendant sa vie il determinast aucune chose touchant son opinion, que pendant quil faysoit l'inquisition requise pour determiner en matiere de foy, il mourut, au recit de son successeur en l' Extravagante qui se commence, Benedictus Deus.

  A001001353 

 Et comment est ce que le Saint Esprit conduict l'Eglise, sinon par le ministere et office de prædicateurs et pasteurs? mays si les pasteurs ont des pasteurs encores, ilz les doivent suivre; ainsy tous doivent suivre celuy qui est le supreme pasteur, par le ministere duquel nostre Dieu veut conduire, non les aigneaux seulement et brebiettes, mays les brebis et meres des aigneaux, c'est a dire, non les peuples seulement, mays les autres pasteurs encores, celuy qui succede a saint Pierre qui eut ceste charge, Pasce oves meas.

  A001001353 

 Et ne faut pas nomplus penser qu'en tout et par tout son jugement soit infallible, mays lhors seulement quil porte sentence en matiere de foy ou des actions necessaires a toute l'Eglise; car es cas particuliers, qui dependent du faict humain, il y peut errer sans doute, quoy que nous autres ne devions le contreroller en cest endroit qu'avec toute reverence, submission et discretion.

  A001001353 

 Les theologiens ont dict tout en un mot, quil peut errer in quæstionibus facti, non juris, quil peut errer extra Cathedram, hors la chaire de saint Pierre, c'est a dire, comme homme particulier, par escritz et mauvais exemples, mays non pas quand il est in Cathedra, c'est a dire, quand il veut faire une instruction et decret pour enseigner toute l'Eglise, quand il veut confirmer les freres comme supreme pasteur, et les veut conduyre es pasturages de la foy: car alhors ce n'est pas tant l'homme qui determine, resoult et definit, que c'est le benit Saint Esprit par l'homme, lequel, selon la promesse faicte par Nostre Seigneur a ses Apostres, enseigne toute verité a l'Eglise, ou, comme dict le Grec et semble que l'Eglise l'entende en une collecte de Pentecoste, conduict et meyne son Eglise en toute verité: Cum autem venerit ille Spiritus veritatis, docebit vos omnem veritatem, ou, deducet vos in omnem veritatem.

  A001001353 

 [313] C'est ainsy que Dieu conduit son Eglise es pasturages de sa sainte Parole, et en l'exposition d'icelle; qui cherche la verité sous autre conduite, la pert.

  A001001354 

 Mays le grand Cardinal Toletus remarque tresbien a propos sur ce lieu, quil n'est pas dict, portabit Ecclesiam in omnem veritatem, mays, deducet, pour monstrer que quoy que le Saint Esprit esclaire a l'Eglise, si veut il qu'elle use de la diligence requise a tenir le bon chemin; comme firent les Apostres, qui ayans a respondre sur une question d'importance, debattirent de part et d'autre, conferant les Escritures ensemble, ce qu'ayans faict diligemment, ilz conclurent par le Visum est Spiritui Sancto et nobis, c'est a dire, le Saint Esprit nous a esclairé, et nous avons marché, il nous a guidé, nous l'avons suivi jusques a ceste verité; il faut employer les moyens ordinaires pour la recherche de la verité, et neanmoins reconnoistre la treuve et l'abord en icelle de l'assistence du Saint Esprit.

  A001001355 

 Et comment seroit l'Eglise une et sainte, telle que les Escritures et simboles la descrivent? car, si elle suivoit un pasteur et que le pasteur errast, comme seroit elle sainte? si elle ne le suivoit pas, comme seroit elle une? et quelle desbauche verroit on parmi le Christianisme, pendant que les uns trouveroient et jugeroient une loy mauvayse, les autres, bonne, et que les brebis, au lieu de paistre et s'engraisser es pasturages de l'Escriture et sainte Parole, s'amuseroyent a conteroller les jugemens du superieur? Reste donq que selon la divine providence nous tenions pour fermé ce que saint Pierre fermera avec ses clefz, et pour ouvert ce quil ouvrira, estant assis en la chaire instruisant toute l'Eglise..

  A001001356 

 Et quand, escrivant contre le Roy d'Angleterre, Vivens, dict il, papatus hostis ero, exustus tuus hostis ero. Que dites vous de ce grand pere? sont ce pas des paroles dignes d'un tel reformateur? j'ay honte de lire, et ma main se fache de præsenter ces vilaynies; mays qui les vous cachera vous ne croires jamais quil soit tel quil est.

  A001001356 

 Mays remplir l'air et la terre d'injures, invectives, outrages, calomnier le Pape, et non seulement en sa personne, ce qui ne se doit jamais faire, mays en sa dignité, attaquer le Siege que toute l'antiquité a honnoré, le vouloir juger contre le conseil de toute l'Eglise, apeller la dignité mesme antichristianisme, qui sera celuy qui le pourra trouver bon? Le grand Concile de Calcedoine trouva si estrange que Dioscorus, Patriarche, excommuniast le Pape Leon; et qui pourra souffrir l'insolence de [315] Luther, qui fit une bulle ou il excommunie et le Pape, et les Evesques, et toute l'Eglise? Toute l'Eglise luy donne des tiltres honnorables, luy parle avec reverence: que dirons nous de ce beau commencement de livre que Luther addressa au Saint Siege? Martinus Lutherus, Sanctissimæ Sedi Apostolicæ et toti ejus parlamento, meam gratiam et salutem.

  A001001356 

 Que si les ministres eussent tansé les vices, remonstré l'inutilité de quelques censures et decretz, emprunté quelques saints advis des livres moraux de saint Gregoire, et de ceux de saint Bernard, De Consideratione, produit quelque bon moyen de lever les abuz qui sont survenuz en la prattique beneficiaire pour la malice du tems et des hommes, et se fussent adressés a Sa Sainteté avec humilité et reconnoissance, tous les bons les eussent honnorés, et caressé leurs desseins: les bons Cardinaux Contareno, Theatino, Sadolet et Polus, avec ces autres grans personnages qui præsenterent le Conseil de reformer les abus en ceste sorte, en ont merité une immortelle recommandation de la posterité.

  A001001357 

 De Beze, qui dict que des long tems il ny a eu aucun Pape qui se soit soucié de la religion ni qui ayt esté theologien, veut il pas tromper quelqu'un? car il sçait bien qu'Adrien, Marcel et ces cinq derniers ont estés tres grans theologiens: a quoy faire, mentir? Mays disons quil y ait du vice et de l'ignorance: Cathedra tibi, vous dict saint Augustin, quid fecit Ecclesiæ Romanæ, in qua Petrus sedit et in qua hodie Anastasius sedet? quare appellas cathedram pestilentiæ Cathedram Apostolicam? Si propter homines, quos putas legem loqui et non facere, numquid Dominus Noster Jesus Christus propter Pharisæos, de quibus ait, Dicunt et non faciunt, cathedræ in qua sedebant ullam fecit injuriam? nonne illam cathedram Moisi commendavit, et illos servato cathedræ honore redarguit? ait enim: Super cathedram, etc. Hæc si cogitaretis, non propter homines quos infamatis blasphemaretis Cathedram Apostolicam cui non communicatis; sed quid est aliud quam nescire [quid] dicere, et tamen non posse nisi maledicere? [317].

  A001001370 

 Affin que Moyse fust creu, il [Dieu] luy donna le pouvoir des miracles; Nostre Seigneur, dict saint Marc, confirmoit ainsy la prædication Apostolique; si Nostre Seigneur n'eust faict tant de miracles, on n'eust pas peché de ne le croire pas, dict le mesme Seigneur; saint Pol tesmoigne que Dieu confirmoit la foy par miracles: donques le miracle est une juste rayson de croire, une juste preuve de la foy, et un argument pregnant pour persuader les hommes a creance; car si ainsy n'estoit, nostre Dieu ne s'en fut pas servi.

  A001001370 

 Et ne sert de rien de respondre que les miracles ne sont pas necessaires apres la foy semëe, car, outre ce que j'ay monstré le contraire cy devant, je ne dis pas maintenant quilz soyent necessaires, mays [318] seulement que la ou il plaict a la bonté de Dieu d'en fayre pour confirmation de quelqu'article, nous sommes obligés de le croire.

  A001001371 

 Et affin de couper chemin a toutes fantasies, je confesse quil y a des faux miracles et des vrais miracles, et qu'entre les vrays miracles il y en a qui font argument evident que la puyssance de Dieu y est, les autres, non, sinon par leurs circonstances.

  A001001371 

 La guerison de la plaÿe mortelle sera un miracle populaire, non philosophique; car ce que le peuple croit estre impossible, il le tient pour miracle quand il le voit, mays il tient plusieurs choses impossibles en nature qui ne le sont, telles sont plusieurs guerisons.

  A001001371 

 Les miracles que l'Antichrist fera seront tous faux, tant par ce que son intention sera de decevoir, que par ce que une partie ne seront qu'illusions et vaynes apparences magiques, l'autre partie ne seront pas miracles en nature mays seulement miracles devant les hommes, c'est a dire, ne surpasseront pas les forces de nature, mays pour estre extraordinaires sembleront miracles aux simples.

  A001001371 

 Or plusieurs playes sont mortelles en presence de quelques medecins, et incurables, qui [319] ne le seront pas en præsence des autres qui sont plus suffisans et ont quelque remede plus exquis; ainsy la plaïe sera mortelle selon le cours ordinaire de la medecine, mays le diable, qui a plus de suffisance en la connoissance des vertus des herbes, odeurs, minerales et autres drogues, que les hommes, fera ceste cure la par l'application secrette des medicamens inconneuz aux hommes: et semblera miracle a qui ne sçaura discerner entre la science humayne et diabolique, entre la diabolique et divine, en ce que la diabolique devance l'humayne de grande traitte, et la divine surpasse la diabolique d'une infinité; l'humayne ne sçait qu'une petite partie de la vertu qui est en nature, la diabolique sçait beaucoup davantage mays dans les confins de nature, la divine n'a point d'autre limite que son infinité.

  A001001371 

 Telz seront la descente quil fera faire du feu qui descendra in conspectu hominum, et ce quil fera parler l'image de la beste, et guerira une plaïe mortelle; desquelz la descente du feu en terre et le parler de l'image semble que ce seront illusions, dont il adjouste, in conspectu hominum; ce seront magies.

  A001001372 

 Ainsy pourrois je dire, si Nostre Seigneur n'eust jamays faict autre miracle que de dire a la Samaritayne que l'homme qui habitoit avec elle n'estoit pas son mari, et que de convertir l'eau en vin, on eust peu penser quil y avoit de l'illusion et magie; mays ces merveilles partant de la mesme main qui faysoit voir les aveugles, parler les muetz, ouir les sourds, vivre les mortz, il ny eschoit plus aucun scrupule.

  A001001372 

 Car, ramener la privation en son habitude, le non estre a l'estre, et donner les operations vitales aux hommes, sont choses impossibles a toutes les puyssances humaynes, ce sont des coups du sauverain [320] Maistre; lequel quand puys apres il luy plaict faire des cures par sa toute puyssance, ou des mutations es choses, ne laysse pas de les faire reconnoistre pour miraculeuses, quoy que la nature secrette en peut faire tout autant, parce qu'ayant faict ce qui surpasse nature, il nous a ja rendus asseurés de sa qualité et de la valeur de la [merveille]: ainsy que quand un homme a faict un chef d'ceuvre, quoy quil face puys apres plusieurs ouvrages communs, on ne laisse pas de le tenir pour maistre..

  A001001372 

 Cela apert par ce que j'ay dict; et par exemple, les merveilles que firent les magiciens d'Egipte estoyent, quand a l'apparence exterieure, toutes semblables aux miracles que faysoit Moise, mays qui considerera les circonstances, connoistra bien ayseement que les uns estoyent vrays miracles, les autres faux, comme le confesserent les magiciens quand ilz dirent: Digitus Dei est hic.

  A001001372 

 Je disoys qu'entre les vrays miracles il y en a qui font une certaine science et rayson que le bras de Dieu y opere, les autres non, sans la consideration et secours des circonstances.

  A001001373 

 Il estoit raysonnable qu'estant la foy de choses qui surmontent nature, elle fust averëe par œuvres qui surpassent nature, et qui monstrent que la prædication ou parole annoncëe part de la bouche et authorité du Maistre de nature, le pouvoir duquel n'est point limité, lequel se rend par le miracle comme tesmoin de la verité, soussigne et met son sceau a la parole portëe par le prædicateur.

  A001001373 

 Il semble que les miracles ne soyent pas necessaires, mays ilz le sont a la verité; et n'est pas sans cause que la suavité de la divine providence en fournit a son Eglise en toutes les saysons, car en toutes saysons il y a des heresies, lesquelles bien qu'elles soyent suffisamment rabbatues, voire a la capacité des moindres, par l'antiquité, majesté, unité, catholicisme, sainteté de l'Eglise, si est ce que chacun ne sçait pas priser ces « doüaires, » comme parle Optatus, a leur vraye [321] valeur, chacun n'entend pas et ne penetre pas ce langage: mays quand Dieu parle par œuvres, chacun l'entend, c'est une parole commune a toutes nations; comme l'escriture d'une sauvegarde n'est conneüe d'un chacun, mays si on y voit la croix blanche, les armes du Prince, chacun connoit que le tesmoignage et l'authorité sauveraine y court..

  A001001373 

 Or, semble il que les miracles soyent tesmoignages generaux pour les simples et plus rudes: car chacun ne peut pas sonder l'admirable convenance quil y a entre les Propheties et l'Evangile, la grande sapience de l'Escriture, et semblables marques illustres qui sont en la Religion Chrestienne, c'est un examen a faire aux doctes; mays il ni a celuy qui n'apprehende le tesmoignage d'un vray miracle, chacun entend ce langage entre les Chrestiens.

  A001001379 

 Les miracles qui se font en l'Eglise, monstrans ou est la vraye Eglise, font suffisante preuve de toute la creance de l'Eglise; car Dieu ne porteroit jamays tesmoignage a une eglise qui n'eust la vraÿe foy et fust errante, idolatre, trompeuse: mays ceste bonté supreme ne s'arreste pas la; elle a confirmé presque tous les pointz de la foy Catholique par tres illustres miracles, et, par une speciale providence de Dieu, nous trouvons que quasi sur tous les articles esquelz nous sommes en different avec les ministres, Nostre Seigneur a rendu tres illustre tesmoignage de la verité que nous prechons, par miracles irreprochables.

  A001001380 

 .. Que dites vous? si vous me demandes qui a faict ce miracle, je vous respondray par les propres paroles de Nostre Seigneur: Cæci vident, claudi ambulant, leprosi mundantur, surdi audiunt, mortui resurgunt, pauperes evangelizantur... Quelle foy l'a demandé? la foy que le Pape est successeur de saint Pierre, et en a l'eminente authorité.

  A001001380 

 Dum Agapitus, sanctæ Romanæ Ecclesiæ Pontifex, dict saint Gregoire, ad Justinianum principem proficisceretur in Græciarum partibus, [322] propinqui cujusdam muti et claudi obtulerunt eum Agapito curandum, dicentes se, in virtute Dei, ex auctoritate Petri, fixam salutis illius spem habere. Voila la creance de ces bonnes gens; ilz tenoyent le Pape pour successeur en l'authorité de saint Pierre, et partant quil avoyt quelque eminente authorité: un de vos ministres les eust tenuz pour superstitieux, l'Eglise Catholique eust tousjours dict, comm'elle faict maintenant, que leur creance estoit juste.

  A001001380 

 En quoy s'est faict le miracle? en ce que ce patient a esté remis de la privation a l'habitude, et une operation vitale luy a esté rendue, qui est l'ouÿe, car encor quil n'est pas dict quil fut sourd, si l'estoit il neanmoins, car le muet naturel est tousjours sourd.

  A001001380 

 Que peut donques conclure sinon que, Digitus Dei est, que Dieu a signé et scellé la creance en laquelle [323] nous sommes pour l'article de la succession du Pape en l'authorité de saint Pierre, et pour l'article de la tressainte Messe? qu'opposera on? En quel tems s'est faict ce miracle? en la plus pure et sainte Eglise, car, et Calvin et les Lutheriens confessent que la pureté de l'Eglise a duré jusqu'apres saint Gregoire.

  A001001381 

 Une femme aussy qui avoit petri le pain qu'on devoit consacrer, venant a la sainte Communion, comm'elle vit saint Gregoire, tenant non plus le pain mais le tressaint Sacrement, venir a elle pour la communier, et dire, Corpus Domini Nostri Jesu Christi custodiat animam, etc., elle se prit a rire; saint Gregoire l'interroge pourquoy elle rioyt, elle respond que c'estoit parce qu'elle avoit petri le pain duquel saint Gregoire avoit dict que c'estoit le Cors de Nostre Seigneur; saint Gregoire impetra par prieres que la sainte Eucharistie apparut au dehors ce qu'elle estoit au dedans, dont ceste pauvre femme fut reduite a la foy, et tout le peuple confirmé: c'est une histoire racontëe par le bon Paulus Diaconus..

  A001001383 

 Nous prechons la Transsubstantiation: et les experiences que j'ay rapportees de saint Amphilochius et de Paulus Diaconus en font foy..

  A001001384 

 Ce que j'ay rapporté de Agapitus vient joindre icy..

  A001001384 

 Nous prechons que c'est non seulement Sacrement, mais Sacrifice: et saint Augustin, parlant d'un lieu inhabitable par la violence des espritz malins, qui estoit a Hesperius, au territoire Fussalense, Perrexit unus, dict [il], ex presbiteris, obtulit ibi Sacrificium Corporis Christi, orans quantum potuit ut cessaret illa vexatio, Deoque protinus miserante cessavit.

  A001001385 

 Nous prechons la sainte communion des Saintz, en la priere quilz font pour nous et en l'honneur que nous leur deferons: mays quand aurois je faict a vous produire les miracles qui se sont faict sur ceste creance? Theodoret, De curandis Græc.

  A001001387 

 Nous produisons le signe de la Croix contre le diable: et saint Gregoire Nazianzene tesmoigne que Julien l'Apostat, en un sacrifice faict aux idoles, voyant le diable, s'y signa de ce signe; le diable s'en fuit, le sorcier et magicien dict a l'apostat que le diable s'en fuyoit non par crainte mais par abomination; [325] Abominationi, dict il, illis fuimus, non terrori.

  A001001387 

 Vincit quod pejus est. Eusebe faict foy des merveilles que Dieu a faict par ce saint signe au tems de Constantin le Grand..

  A001001388 

 En nos eglises nous avons des vases sacrés: et saint Chrysostome raconte que Julien, oncle de Julien empereur, avec un certain tresorier, les desroba et prophana, mays Julien mourut incontinent, rongé par les vers, le tresorier creva sur la place..

  A001001389 

 Nous faysons conte du saint Chresme dont on oint les baptisés pour la sainte Confirmation: et saint Optatus Milevitain raconte que la phiole ou ampoulle du saint Chresme estant jettëe par les Donatistes sur des pierres, non defuit manus angelica quæ ampullam spiritali subvectione deduceret; projecta casum sentire non potuit..

  A001001390 

 Nous confessons humblement nos pechés aux superieurs ecclesiastiques: et saint Jan Climacus raconte que comme une personne tres vicieuse confessoit ses fautes, on vit un grand et terrible, qui rayoit d'un livre de contes les pechés, a mesure que cestuy ci les confessoit; par ce, dict le mesme Climacus, que la confession bien delivre de l'eternelle confusion..

  A001001391 

 Nous avons des images en nos eglises: mays qui ne sçait les grans miracles qui furent faitz au crucifiement d'une image de Nostre Seigneur, que les Juifz firent en Syrie en la ville de Berite? non seulement le sang en sortit, mays ce sang guerit quicomque en fut touché, de toutes sortes de maladies; c'est le grand saint Athanase qui le raconte..

  A001001392 

 Nous y avons de l'eau beniste et du pain benit: mays saint Hierosme raconte que plusieurs pour guerir les malades prenoyent du pain benit par saint Hilarion; et saint Gregoire dict que saint Fortunat guerit un homme qui en une cheute de cheval s'estoit rompu la jambe, par la seule aspersion de l'eau benite.

  A001001393 

 Et plus bas il dict: Neque aliter Martirum operibus inviderent, nisi fidem in iis fuisse eam quam isti non habent judicarent, fidem illam Majorum traditione firmatam, quam dæmones ipsi negare non possunt, sed Arriani negant: non accipio a diabolo testimonium sed confessionem. Quelles circonstances ne rendent ces miracles irreprochables? une partie sont restitutions des operations vitales, qui ne se peut faire par autre puyssance que la divine; le tems auquel ilz se sont faitz estoit tout voysin a celuy de Nostre Seigneur, l'Eglise toute pure et sainte; il ni avoit point d'Antichrist au monde, comme dient les ministres; [327] les personnes par la priere desquelles ilz se faysoyent, tres saintes; la foy qui en estoit confirmëe estoit generale et tres Catholique; les autheurs qui les recitent, tres asseurés..

  A001001393 

 Qu'est ce que vous respondres? Quand a moy, j'ay escrit icy les premiers miracles qui me sont venus en main; que j'ay pris neanmoins des autheurs qui ont estés en la pure Eglise, car si je vous eusse apporté les miracles faictz au tems de saint Bernard, de saint Malachie, de Bede, de saint François, vos ministres eussent incontinent crié que c'estoyent des prodiges de l'Antichrist, mays puysque tous tant quilz sont confessent que l'Antichrist n'a point comparu sinon quelque tems apres saint Gregoire, et que ce que je produis a tout esté faict auparavant, ou au tems de saint Gregoire, il n'y eschoit point de difficulté.

  A001001395 

 Autant en diray je des deux saints Gregoire que j'ay produit, de saint Amphiloche, de saint Hierosme, saint Chrysostome, Athanase, Climacus, Optatus, Ambroise, Eusebe.

  A001001395 

 Dites, pour Dieu, ce quilz racontent est il pas tres possible a Dieu? et sil est possible, comme oserons nous nier quil n'ait esté faict, puysque [328] tant de grans personnages en tesmoignent? On m'a dict plus d'une fois, est ce article de foy de croire ces contes? Ce n'est voirement pas article de foy, mays article de sagesse et discretion; car c'est une bestise trop notoire et une tres sotte arrogance de donner des dementies a ces anciens et graves personnages, sans autre fondement que parce que ce quilz disent n'est pas sortable a nos conceptions: sera il donq dict que nostre petite cervelle bornera la verité et mensonge, et fera loy a l'estre et au non estre? [329].

  A001001409 

 Dieu est autheur en nous de la rayson naturelle, et ne hait rien de ce quil a faict, si que, ayant marqué nostre entendement de ceste sienne lumiere, il ne faut pas penser que l'autre lumiere surnaturelle quil depart aux fidelles, combatte et soit contraire a la naturelle; elles sont filles d'un mesme Pere, l'une par l'entremise de nature, l'autre par l'entremise de moyens plus hautz et eslevés, elles donques peuvent et doivent demeurer ensemble comme seurs tres affectionnëes.

  A001001409 

 Soit en nature soit sur nature, la rayson est tousjours rayson, et la verité, verité; aussy n'est ce que le mesme œïl qui voit es obscurités d'une nuict bien sombre a deux pas devant luy, et celuy qui voit au beau jour de mydi tout le cercle de son horison, mays ce sont diverses lumieres qui luy esclairent: ainsy est il certain que la verité, et sur nature et en [330] nature, est tousjours la mesme, ce sont seulement diverses lumieres qui la monstrent a nos entendemens; la foy nous la monstre sur nature, et l'entendement en nature, mays la vérité n'est jamais contraire a soymesme..

  A001001410 

 .. Item, Dieu, qui a donné a nos sens leurs propres sentimens et connoissances, pour seconder nature ne permet que jamais ilz soyent trompés quand ilz sont en une droitte application, et nostre experience prise a part, simple et nüe, ne bronche point.

  A001001410 

 .. Item, nos sens ne se trompent pas sur leur propre object quand l'application est bien faitte, et nostre experience prise a part, simple et nüe, ne peut estre deceüe: ce sont propositions de la philosophie, qui ont ceste rayson bien asseurëe, c'est que Dieu est autheur de nos sens, et les dresse, comme saint ouvrier et infallible, a leur propre fin et but; ce sont certes premiers principes, que ceux qui les leveroyent nous leveroyent tout discours et rayson.

  A001001411 

 Au reste, si au jugement du sens et a l'experience vous y adjoustes du discours et de la consequence, si vous vous y trompes ne vous en prenes plus au sentiment ni a l'experience, car elle n'est plus pure ni simple, qui est une des conditions que j'ay mises en mes propositions; c'est le discours et la consequence que vous y aves attachüe qui vous a trompé.

  A001001411 

 De mesme, l'experience qui nous monstre que nous ne sçavons pas comme ces accidens sont sans leur naturelle substance, est tres veritable, mays si nostre jugement tire conclusion de la quil n'en soit rien, il se trompe et nous trompe encores; et nostre experience n'en peut mais, qui n'a point touché a ceste consequence..

  A001001411 

 Le sens qui juge qu'a l'autel il y a la rondeur, la blancheur, le goust et saveur du pain, juge bien, mays le discours qui deduit de la que la substance du pain y est encores, tire une tres mauvaise et fause conclusion; delaquelle le sens ne peut mais, qui ne prend point de connoissance sur la substance des choses, mais sur les accidens.

  A001001412 

 L'experience donques et la connoissance des sens est tres veritable, mays les discours que nous en tirons nous trahissent: hors de la, qui combat la connoissance des sens et la propre experience, combat la rayson et la renverse, car le fondement de tout discours depend de la connoissance des sens et de l'experience.

  A001001412 

 Or, combien vos ministres ayent combattu l'experience, la connoissance des sens et la rayson naturelle, je vous le feray paroistre tout maintenant, pourveu que vous mesmes ne veuilles combattre vostre propre jugement.

  A001001418 

 Quand Luther, en la præface de l' Assertion des articles condamnés par Leon, dict que « l'Escriture est tres aysëe, intelligible et claire a chacun », et que chacun y peut connoistre la verité, et discerner entre les sectes et opinions quelle est la vraye, quelle est la fausse, dites, je vous prie, combat il pas la propre experience de tout le monde? et quand vous aves creu ceste sottise, connoisses vous pas tout ouvertement le contraire? Je ne sache homme si versé qui osast jurer, sil a point de conscience, quil sçait le vray sens, je ne dis pas de toute l'Escriture, mays de quelque partie d'icelle; et si, n'ay je jamais veu homme entre vous qui entende le sens d'un chapitre tout entier..

  A001001419 

 Quand Calvin et Bucer nient que nous ayons aucune liberté en nostre volonté, non seulement pour les actions surnaturelles, mays encores pour les naturelles et es commerces purement humains, n'attaque il pas la rayson naturelle et toute la philosophie, comme luy mesme confesse, et tout d'un train l'experience, et de vous, si vous parles franchement, et de tout le reste des hommes?.

  A001001420 

 Et quand Luther dict que le croire, esperer, aymer ne sont pas operations et actions de nostre volonté, mais pures passions sans aucune activité de nostre volonté, ne perd il pas tout en un coup le croire, l'esperer, l'aymer, et les change en estre creu, esperé et aymé, et combat le cœur de l'homme, qui connoist [333] bien que c'est luy qui croit, ayme, espere, par la grace de Dieu?.

  A001001421 

 Item, quand Luther dict que les enfans au Baptesme ont l'usage de l'entendement et rayson, et quand le sinode de Wittemberg dict que les enfans au Baptesme ont des mouvemens et inclinations semblables aux mouvemens de la foy et charité, et ce sans entendre, n'est ce pas se mocquer de Dieu, de nature, et de l'experience?.

  A001001422 

 Et quand on dict que nous pechons « incités, poussés, necessités, par la volonté, ordonance, decret et predestination de Dieu, » n'est ce pas blasphemer contre toute rayson et contre la majesté de la supreme bonté? Ah, voyla la belle theologie de Zuingle, Calvin et Beze: At enim dices, dict Beze, dices, non potuerunt resistere Dei voluntati, id est, decreto: fateor; sed sicut non potuerunt, ita etiam noluerunt.

  A001001423 

 « La loy de Dieu est impossible, » selon Calvin et les autres: que s'ensuit il de la, sinon que Nostre Seigneur soit tiran, qui commande chose impossible? si ell'est impossible, pourquoy la commande on?.

  A001001424 

 « A considerer exactement, les œuvres pour bonnes qu'elles soyent meritent plus l'enfer que le Paradis: » la justice donques de Dieu, qui donnera a chacun selon ses œuvres, donnera a chacun l'enfer? [334].

  A001001425 

 Mays l'absurdité des absurdités, et la plus horrible deraison de toutes, c'est celle la, que, tenans que l'Eglise tout'entiere aÿe erré mill'ans durant en l'intelligence de la Parole de Dieu, Luther, Zuingle, Calvin puyssent s'asseurer de la bien entendre; bien plus, qu'un simple ministrot, prechant comme parole de Dieu que toute l'Eglise visible a erré, que Calvin et tous les hommes peuvent errer, ose trier et choysir entre les interpretations de l'Escriture celle qui luy plaict, et l'asseurer et maintenir comme parole de Dieu; encores plus, que vous autres qui oyans dire que chacun peut errer au faict de la religion, et toute l'Eglise mesme, sans vouloir vous en chercher d'autre parmi mille sectes qui toutes se vantent de bien entendre la Parole de Dieu et la bien precher, croÿes si opiniastrément a un ministre qui vous preche, que vous ne voules rien ouir autre.

  A001001425 

 Si chacun peut errer en l'intelligence de l'Escriture, pourquoy non vous et vostre ministre? J'admire que vous n'alles tousjours tremblantz et branslantz; j'admire comme vous pouves vivre avec autant d'asseurance en la doctrine que vous suives, comme si vous ne pouvies [tous] errer, et que neanmoins vous tenes pour asseuré que chacun a erré et peut errer..

  A001001432 

 Disons, je vous prie: vous dites que l'Escriture est aysëe d'entendre, pourveu qu'on l'adjuste a la regle et proportion ou analogie de la foy; mays quelle regle de la foy peuvent avoir ceux [qui] n'ont point d'Escriture que toute glossee, toute estirëe et contournee d'interpretations, metaphores, metonimies? si la regle est sujette au desreglement, qui la reglera? et quelle analogie ou proportion de foy y peut il avoir, si on proportionne les articles de foy aux conceptions les plus esloignëes de leur naïfveté? Voules vous que la proportion des articles de foy vous serve pour vous resoudre sur la doctrine et religion? laysses les articles de foy en leur naturelle taille, ne leur bailles point d'autre forme que celle quilz ont receüe des Apostres.

  A001001432 

 Le pauvre peuple n'entend autre ventance que de ceste analogie de la foi, et les ministres n'ont faict autre que la corrompre, violer, forcer et mettre en pieces.

  A001001432 

 Le simple peuple, quand il entend parler de l'analogie de la foy, pense que ce soit certain mot de secrette vigueur et force, et cabalistique, et admire tout'interpretation qui se faict, pourveu qu'on mette ce mot icy en campaigne.

  A001001433 

 Je vous laysse a penser a quoy me servira le Simbole des Apostres pour interpreter l'Escriture, puysque vous le glosses en telle façon, que vous me mettes en autant de difficulté de son sens que je fus jamais de l'Escriture mesme.

  A001001433 

 Si on demande comm'il se peut faire que le mesme cors de Nostre Seigneur soit en deux lieux, je diray que cela est aysé a Dieu, suyvant le dire de l'Ange, Non est impossibile apud Deum omne Mot, et le confirmeray par la rayson de la foy, Credo in Deum Patrem omnipotentem; mays si vous glosses, et l'Escriture et l'article de foy mesme, comme confirmeres vous vostre glosse? a ce conte la il ny aura point de premier principe sinon vostre cervelle.

  A001001434 

 Sa mort m'affermit, car, qui est mort pour nous, que ne fera il pas pour nous? Son sepulchre me console, et sa descente aux enfers, car je ne douteray point quil ne descente en l'obscurité de mon cors, etc. [337] Sa resurrection me ravive, car la nouvelle penetration de la pierre, l'agilité, subtilité, clarté, impassibilité de son cors n'est plus sujette aux loix trop grossieres de nos cervelles.

  A001001434 

 Son ascension me faict monter a ceste foy; car si son cors penetre, s'esleve par sa seule volonté, et se place sans place a la dextre du Pere, pourquoy ne sera il encor ça bas ou bon luy semble, sans y occuper autre place qu'a sa volonté? Ce qu' il sied a la dextre du Pere, me monstre que tout luy est sousmis, le ciel, la terre, les distances, les lieux et les dimensions: ce que de la il viendra juger les vivans et les morts, me pousse a la creance de l'illimitation de sa gloire, et que partant sa gloire n'est pas attachëe au lieu, mays ou quil soit il la porte avec soy; dont au tressaint Sacrement il y est sans laysser sa gloire ni ses perfections.

  A001001435 

 Ou trouves vous de la contrarieté a ceste sainte analogie de la foy? tant s'en faut, que vrayement ceste creance du tressaint Sacrement, qui contient en verité, realité et substance le vray et naturel Cors de Nostre [338] Seigneur, est vrayement l'abbregé de nostre foy, suyvant le dire du Psalmiste, Memoriam fecit.

  A001001436 

 Mays je reviens a vous, Messieurs, et demande que c'est qu'on m'opposera plus a ces passages si clairs, Cecy est mon cors.

  A001001436 

 Que dires vous plus? que ce Sacrement est appellé pain? aussy est il, mays comme Nostre Seigneur l'explique: Ego sum panis vivus.

  A001001436 

 Que dires vous? que les paroles de Nostre Seigneur sont esprit et vie? qui le nie, sinon vous qui dites que ce ne sont que tropes et figures? Mays a quel propos ceste consequence: les paroles de Nostre Seigneur sont esprit et vie, donques elles ne se doivent pas entendre de son cors? Et quand il dict, Filius hominis tradetur ad illudendum et flagellandum, etc. (car je metz pour exemple les premieres venues), ses paroles n'estoyent ce pas esprit et vie? dites donques qu'il a esté crucifié en figure.

  A001001436 

 Que la chair ne prouffite de rien? non pas la vostre ou la mienne qui ne sont que charoignes, ni nos sentimens charnelz; nom pas une chair simple, morte, sans esprit ni vie: mays celle du Sauveur, qui est tousjours garnie de l'Esprit vivifiant et de son Verbe, je dis qu'elle proufite a tous ceux qui la reçoivent dignement pour la vie æternelle.

  A001001437 

 A tout rompre vous monstreres que qui voudroit un peu estirer ces paroles, il trouveroit quelques semblables phrases en l'Escriture que celle que vous pretendes estre icy, mays ad esse a posse c'est une lourde consequence; je nie que vous le puyssies faire joindre, je dis que si chacun les manie a sa main, la pluspart les prendront a gauche.

  A001001437 

 Ah, vous disies que vous joindries vostre negative avec l'analogie par le fil de l'Escriture; ou est cest'Escriture, qu'un cors ne puysse estre en deux lieux? voyes un peu comme vous mesles la prophane apprehension d'une rayson purement humaine avec la sacree Parole.

  A001001437 

 Quand a vous, que produires vous de semblable? [339] je vous monstre un est, monstres moy le non est que vous pretendes, ou le significat; je vous ay monstré le corpus, monstres moy le signe effectueux.

  A001001438 

 Dites moy donques, si la regle a besoin de reglement, qui la reglera? Ainsy le Simbole dict que Nostre Seigneur est descendu en enfer, et Calvin le veut regler a ce quil s'entende d'une descente imaginaire, l'autre le rapporte au sepulcre: n'est ce pas traitter ceste regle a la Lesbienne, et plier le niveau sur la pierre au lieu de tailler la pierre au niveau? Pour vray, comme saint Clement et saint Augustin l'appellent regle, aussy saint Ambroise l'appelle clef, mays sil faut une autre clef pour ouvrir ceste clef, ou la trouverons nous? monstres la nous; sera [ce] le cerveau des ministres, ou quoy? sera ce le Saint Esprit? mays chacun se ventera d'en avoir sa part.

  A001001439 

 Ainsy violes vous ceste sainte mesure et proportion, que saint Pol propose pour estre suivie, voyre aux Prophetes mesme..

  A001001439 

 Je ne voudrois pas que vous pensassies que j'ignorasse que le seul Simbole n'est pas la totale regle et mesure de la foy; car, et saint Augustin et le grand [341] Lirinensis appellent encores regle de nostre foy, le sentiment ecclesiastique.

  A001001439 

 Mays comme vous mesprisés toute la doctrine ecclesiastique, aussi mesprises vous ceste noble partie et si signalëe qui est le Simbole, luy refusant creance sinon apres que vous l'aures reduit au petit pied de vos conceptions.

  A001001443 

 Ah de grace, pendant que ce jourdhuy dure, pendant que Dieu vous præsente l'occasion, jettes vous en l'esquif d'une serieuse pœnitence, et venes vous rendre en l'heureuse navire, laquelle a plein voyle va surgir au port de gloire.

  A001001444 

 .. La doctrine Catholique se fonde immediatement sur la Parole de Dieu, ou escritte ou layssëe de main en main; vos opinions ne sont fondëes que dessus vos interpretations.

  A001001445 

 Par exemple, ny a il pas plus de misericorde d'exhiber la realité de son Cors pour nostre viande, que de n'en donner que la figure, commemoration et manducation fiduciaire? n'est ce pas plus de justifier l'homme embellissant son ame par la grace, que sans l'embellir le justifier par une simple connivence ou non imputation? n'est ce pas une plus grande faveur de rendre l'homme et ses œuvres aggreables et bonnes, que de tenir seulement l'homme pour bon sans quil le soit en realité? n'est ce pas plus d'avoir layssé sept Sacremens pour la justification et sanctification du pecheur, que de n'en avoir laissé que deux, dont l'un ne serve de rien et l'autre de peu? n'est ce pas plus d'avoir laissé la puyssance d'absouvre en l'Eglise, que de n'en avoir point laissé? n'est ce pas plus d'avoir laissé une Eglise visible, universelle, signalëe, remarquable et perpetuelle, que de l'avoir layssé petite, secrette, dissipëe, sujette a corruption? n'est ce pas plus priser les travaux de Nostre Seigneur, de dire qu'une seule goutte de son sang suffisoit a racheter le monde, que de dire que s'il n'eut enduré les peynes des damnés il ni avoit rien de faict? la misericorde de Dieu n'est elle pas plus magnifiëe, de donner a ses Saintz la connoissance de ce qui se faict cy bas, le credit de prier pour nous, se rendre exorable a leurs intercessions, les avoir rendu glorieux des leur mort, que de les faire attendre et tenir « en suspens », comme parle Calvin, jusqu'au jugement, les rendre sourds a nos prieres et se rendre inexorable aux leurs? Cecy se verra plus clair en nos essais..

  A001001448 

 Que diray je plus? connoisses la voix de la colombe au pres de celle du corbeau.

  A001001448 

 Voyes vous pas ceste Espouse qui n'a autre que miel et laict sous sa langue, qui ne respire que la plus grande gloire de son Espoux, son honneur et son obeissance? Sus donques, Messieurs, voules vous estre mis comme pierres vivantes es murailles de la celeste Hierusalem? leves vous des mains de ces bastisseurs desreglés, qui n'adjustent pas leurs conceptions a la foy, mais la foy a leurs conceptions; venes et vous presentes a l'Eglise, qui vous posera, si a vous ne tient, en ce celeste bastiment, a la vraye regle et proportion de la foy: car, jamais personne n'aura place la haut, qui n'aura esté poli et mis en œuvre sous la regle et l'esquierre cy bas.

  A001001456 

 Ces deux fautes fondamentales esquelles vos ministres vous ont conduit, d'avoir abandonné l'Eglise et d'avoir violé toutes les vrayes Regles de la Religion Chrestienne, vous rendent du tout inexcusables, Messieurs: car elles sont si grosses que vous ne pouvies pas les mesconnoistre, et sont si importantes que l'une des deux suffit pour vous faire perdre le vray Christianisme; puysque la foy hors de l'Eglise, ni l'Eglise sans la foy, ne vous sçauroit sauver, nomplus que l'œil hors la teste, ni la teste sans l'œil, ne sçauroit voir la lumiere.

  A001001457 

 .. Ah mon Dieu, comme creutes vous si legerement? Il ny eut onques heresie qui alleguast plus hors de propos la Parole de Dieu que celle cy, et qui en tirast des conclusions moins sortables, particulierement es principales disputes.

  A001001457 

 .. Vous ne devies pas croire si legerement; si vous eussies bien advisé a vos affaires, vous eussies veu que ce n'estoit pas la Parole de Dieu quilz avançoyent, mais leurs propres conceptions voylëes des motz de l'Escritture, et eussies bien connu que jamais un si riche habit ne fut faict pour couvrir un si vilain cors comme est ceste heresie..

  A001001457 

 Vous l'aures desja peu remarquer cy devant es deux premieres Parties de ce Memorial, mays je desire que vous le touchies au doigt, affin quil ne vous demeure aucune excuse de reste.

  A001001458 

 Car, par supposition, faysons que jamais il ny eust Eglise, ni Concile, ni Pasteurs, ni Docteurs, des les Apostres, et que l'Escriture Sainte ne contient que les Livres quil plaict a Calvin, Beze et Martyr d'avouer, quil ny a point de Regle infallible pour la bien entendre, mays qu'elle est a la merci des conceptions de quicomque voudra maintenir quil interprete l'Escriture par l'Escriture et par l'analogie de la foy, comme on veut entendre Aristote par l'Aristote et par l'analogie de la philosophie; confessons seulement que ceste Escriture est divine, et je maintiens devant tous juges equitables que, si non tous, au moins ceux d'entre vous qui avoyent quelque connoissance et suffisance sont inexcusables, et ne sçauroyent garentir leur religion de legereté et temerité.

  A001001458 

 Ce que je crois estre si certain, que chacun le peut sçavoir et connoistre, mays de monstrer cecy par le menu, ce ne seroit jamais faict; il suffira bien, ce me semble, de le monstrer en quelques principaux articles..

  A001001458 

 Les ministres ne veulent combattre qu'avec l'Escriture, je le veux; ilz ne veulent de l'Escriture que les parties qu'il leur plaict, je m'y accorde: au bout de tout cela, je dis que la creance de l'Eglise Catholique l'emporte de tous pris, qu'elle a plus de passages pour soy que l'opinion contraire, et ceux qu'elle a, plus clairs, purs et simples, plus raysonnablement interpretés, mieux [346] concluans et sortables.

  A001001459 

 C'est donques ce que je pretens faire en ceste troysiesme Partie, ou j'attaqueray vos ministres sur les Sacremens en general, et en particulier sur celuy de l'Eucharistie, de la Confession et Mariage, sur l'honneur et invocation des Saintz, sur la convenance des ceremonies en general, puys en particulier, sur la puyssance de l'Eglise, sur le merite des bonnes œuvres et la justification, et sur les indulgences; ou je n'employeray que la pure et simple Parole de Dieu, avec laquelle seule je vous feray voir, comme par essay, vostre faute si a descouvert, que vous aures occasion de vous en repentir.

  A001001459 

 Et a ceste occasion j'adjusteray tousjours le sens et la consequence que je produiray des Escritures, aux Regles que j'ay produites en la seconde Partie; quoy que mon dessein principal ne soit que de vous faire essayer la vanité de vos ministres, qui ne faysans que crier, la Sainte Escriture, la Sainte Escriture, ne font rien plus que d'en violer les plus asseurëes sentences.

  A001001459 

 Et toutefois, je vous supplie que si vous me voyes combattre, abattre et en fin surmonter l'ennemy avec la seule Escriture, vous vous representies alhors ceste grande et honnorable suite de Martyrs, Pasteurs et Docteurs, qui ont tesmoigné par leur doctrine et au prix de leur sang que la doctrine pour laquelle nous combattons maintenant estoit la sainte, la pure, l'Apostolique, qui sera comme une surcharge de victoire: car, quand nous nous trouverions en pareille fortune avec nos ennemis, par la seule Escriture, l'ancienneté, le consentement, la sainteté de nos autheurs nous feroit tousjours triompher.

  A001001459 

 Ilz font comme ceux qui veulent faire prendre quelque breuvage amer aux petitz enfans: ilz frottent et couvrent de miel le bord du gobelet, affin que ce simple aage, sentant premierement le doux, n'apprehende point l'amer.

  A001001459 

 Ne diries vous pas que c'est bien eux qui seulz et sans compaignon manient l'Escriture Sainte? Ilz en citent, a la verité, des morceaux, et a tous propos, « en public, en privé, » dict le grand Lirinensis, « en leurs discours, en leurs livres, es rues, es banquetz.

  A001001459 

 « O Dieu, » dict le mesme Lirinensis, « que fera il a l'endroit des miserables hommes, puysqu'il ose attaquer avec l'Escriture le Seigneur mesme de majesté? Pensons de pres a la doctrine de ce passage; car, comm'alors le chef d'un parti parla au chef de l'autre, ainsy maintenant les membres parlent aux membres, a sçavoir, les membres du diable aux membres de Jesus Christ, les perfides aux fideles, les sacrileges aux religieux, en fin les hæretiques aux Catholiques.

  A001001459 

 » Mays qui sondera au fons de leur doctrine, verra clair comme le jour que ce n'est qu'une happelourde saffranëe, telle que celle que le diable produisoit quand il tentoit Nostre Seigneur, car il avançoit l'Escriture pour son intention.

  A001001460 

 C'est ce que je pretens icy, mays briefvement; et [348] proteste que je produyray tresfidelement tout ce que je cuyderay estre de plus apparent de leur costé, puys par l'Escriture mesme les convaincray, affin que vous voyes que quoyque et eux et nous manions et nous armons de l'Escriture, nous en avons neanmoins la realité et droit usage, eux n'en ayant qu'une vayne apparence par maniere d'illusion; ainsy que non seulement Moise et Aaron, mays encores les magiciens animerent leurs verges et les convertirent en colœuvres, mays la verge d'Aaron devora les verges des autres.

  A001001469 

 Mays nous [allons] voir cecy cy apres; il suffit maintenant, contre l'insolence de Zuingle et autres qui ont voulu rejetter ce nom, que toute l'Eglise ancienne en aÿe usé: car ce n'est pas avec une plus grand'authorité que le mot de Trinité, Consubstantiel, Personne, et cent autres sont demeurés en l'Eglise comme saints et legitimes; et c'est une tres inutile et sotte temerité de vouloir changer les motz ecclesiastiques que l'antiquité nous a laissé, outre le danger quil y auroit, qu'apres le changement des motz on n'allast au change de l'intelligence et creance, comme on voit ordinayrement que c'est l'intention de ces novateurs de paroles.

  A001001469 

 Or, puysque les prætendus reformateurs, pour la plus part, quoy que ce ne soit sans gronder, layssent ce mot en usage par mi leurs livres, [350] amusons nous aux difficultés que nous avons avec eux sur les causes et les effetz des Sacremens, et voyons comm'ilz y mesprisent l'Escriture et les autres Regles de la foy..

  A001001475 

 Commençons par ici: l'Eglise Catholique tient pour forme des Sacremens, des paroles consecratoires; les ministres pretendus ont voulu reformer ceste forme, disans que les paroles consecratoires sont charmes, et que la vraye forme des Sacremens estoit la prædication.

  A001001475 

 Et quand a ce dernier, personne ne nia jamais que l'instruction ne doive preceder le Baptesme, a l'endroit de ceux qui en sont capables, suyvant la parole de Nostre Seigneur qui met l'instruction devant et le Baptesme apres; mays nous arrestans a la mesme parole, nous mettons l'instruction devant, a part, comme disposition requise en celuy qui a l'usage de rayson, et le Baptesme a part encores; dont l'un ne peut estre forme de l'autre, ni le Baptesme, de la prædication, ni la prædication, du Baptesme.

  A001001475 

 Qu'apportent les ministres, de la Sainte Escriture, pour l'establissement de ceste reformation? deux passages seulement, que [je] sache, l'un de saint Pol, l'autre de saint Mathieu.

  A001001475 

 Que si neanmoins l'un devoit estre forme de l'autre, le Baptesme seroit plustost forme de la predication, que la predication, du Baptesme; puysque la forme ne peut preceder, ains doit survenir a la matiere, et que la prædication precede le Baptesme, et le Baptesme survient par apres sur la prædication: dont saint Augustin n'auroit pas bien dict, quand il disoit: Accedit Mot ad elementum, et fit Sacramentum; car il eust plustost deu dire: Accedit elementum ad Mot.

  A001001475 

 Que si saint Hierosme, suyvant le sens mistique, veut que la prædication soit une sorte d'eau purifiante, il ne s'oppose pourtant pas aux autres [351] Peres, qui ont entendu le lavoir d'eau estre le Baptesme precisement, et la parole de vie, l'invocation de la tressainte Trinité, affin d'interpreter le passage de saint Pol par l'autre de saint Mathieu: Enseignes toutes gens, les baptisans au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit.

  A001001475 

 Voyla [pas des] passages bien clairs pour monstrer que la prædication [est] la vraye forme des Sacremens? Mays qui leur a dict quil ni a point d'autre Mot vitæ que la predication? je soustiens, au contraire, que ceste sainte invocation, Je te baptise au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit, est encores un Mot vitæ, comme l'ont dict saint Chrysostome et Theodoret; aussi sont bien les autres saintes prieres et invocations du nom de Dieu, qui ne sont pourtant pas prædications.

  A001001475 

 [Saint Paul,] parlant de l'Eglise, dit que Nostre Seigneur l'a sanctifiëe, mundans lavacro aquæ in verbo vitæ; et Nostre Seigneur mesme, en saint Mathieu, fit ce commandement a ses disciples: Docete omnes gentes, baptisantes eos in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti.

  A001001476 

 Et pour monstrer que le Baptesme est de Nostre Seigneur, non de celuy qui l'administre, il ne dict pas, Nunquid in prædicatione Pauli baptizati estis? mais plustost, Nunquid in nomine Pauli baptizati estis? monstrant que quoyque la prædication præcede, si n'est elle pas de l'essence du Baptesme, pour attribuer au prædicateur et catechiste le Baptesme comm'il est attribué a celuy le nom duquel y est invoqué.

  A001001476 

 Et quand a la tressainte Eucharistie, qui est l'autre Sacrement que les ministres font semblant de recevoir, ou trouveront ilz jamais que Nostre Seigneur y aÿe usé de prædication? Saint Pol enseigne aux Corinthiens comm'il faut celebrer la cene, mays on ny trouve point qu'il y soit commandé de precher; et affin que personne ne doutast que le rite quil proposoit fut legitime, il dict quil l'avoit ainsy apris de Nostre Seigneur: Ego enim accepi a Domino, quod et tradidi vobis.

  A001001476 

 On ne dict pas qu'il ne soit convenable d'instruire le peuple des [353] Sacremens qu'on luy confere, mays seulement que ceste instruction n'est pas la forme des Sacremens.

  A001001476 

 Or toutefois, vos pretensions seroient en certaine façon plus tolerables, si nous n'avions en l'Escriture des raysons contraires, plus expresses que les vostres ne sont, hors de toute comparayson.

  A001001476 

 Pour vray, a qui regardera de pres le premier Baptesme faict apres la Pentecoste, verra clair comme le jour que la prædication est une chose et le Baptesme une autre: His auditis, voyla la prædication d'un costé, compuncti sunt corde, et dixerunt ad Petrum et ad reliquos Apostolos: quid faciemus, viri fratres? Petrus vero ad illos: pænitentiam, inquit, agite, et baptizetur unusquisque vestrum in nomine Jesu Christi, in remissionem peccatorum vestrorum; voyla le Baptesme d'autre costé, mis a part.

  A001001476 

 Que si en l'institution de ces divins misteres, et en la prattique mesme des Apostres, nous trouvons de la distinction entre la predication et les Sacremens, a quelles enseignes les confondrons nous? ce que Dieu a separé, pourquoy le conjoindrons nous? En ce point donques, selon l'Escriture, nous l'emportons tout quitte, et les ministres sont convaincus de violation de l'Escriture, qui veulent changer l'essence des Sacremens contre leur institution..

  A001001476 

 Qui doute que saint Pol n'ait catechisé et instruict de la foy plusieurs Corinthiens qui ont estés baptisés? que si l'instruction et prædication estoit la forme du Baptesme, saint Pol n'avoit pas rayson de dire, Gratias ago Deo quod [352] neminem baptizavi nisi Crispum et Caium, etc.; car donner forme a une chose, n'est ce pas la faire? Bien plus, que saint Pol met a part le baptizer du precher: Non me misit Christus baptizare sed evangelizare.

  A001001477 

 Ilz violent encores la Tradition, l'authorité de l'Eglise, des Conciles, des Papes et des Peres, qui tous ont creu et croyent que le Baptesme des petitz enfans est vray et legitime: mays comme veut on que la predication y soit employëe? les enfans n'entendent pas ce qu'on dict, ilz ne sont pas capables de l'usage de rayson, a quoy faire les instruire? on peut bien precher devant eux, mays ce seroit pour neant, car leur entendement n'est pas encor ouvert pour recevoir l'instruction, comme instruction; elle ne les touche point, ni ne leur peut estre appliquëe, quel effect donq peut elle faire en eux? [leur] Baptesme donq seroit vain, puysqu'il seroit sans forme et [signification]: la forme donq du Baptesme n'est pas la prædication.

  A001001477 

 Item, la pluspart des baptesmes qui se font en l'Eglise Catholique se font sans aucune prædication; ilz ne sont donq pas vrays baptesmes, puysque la forme y manque: que ne rebaptizes vous donques ceux qui vont de nostre Eglise a la vostre? ce seroit un anabaptisme..

  A001001477 

 Luther respond que les enfans ressentent [des] mouvemens actuelz de la foy par la prædication: c'est violer et dementir l'experience et le sentiment mesme.

  A001001478 

 Justin le Martyr, descrivant l'office ancien que les Chrestiens faysoyent le Dimanche, entr'autres choses il dict qu'apres les prieres generales « on offroit pain, vin et eaüe, et alhors le prælat faysoit de tout son effort prieres et actions de graces a Dieu, le peuple benissoit, disant: Amen.

  A001001478 

 Nous disons que la forme des Sacremens est une parole [354] consecratoire, et de benediction ou invocation.

  A001001478 

 Or sus, voyla, selon les Regles de la foy, et principalement selon l'Escriture Sainte, comme vos ministres errent quand ilz vous enseignent que la prædication est forme des Sacremens: mays voyons si ce que nous en croyons est plus conforme a la sainte Parole.

  A001001478 

 Saint Gregoire Nyssene dict: Recte nunc etiam Dei verbo sanctificatum panem (et parle du Sacrement de l'autel) in Verbi Corpus credimus immutari; et apres, dict que ce changement se faict, virtute benedictionis.

  A001001478 

 Y a il rien si clair en l'Escriture: Docete omnes gentes, baptizantes eos in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti; ceste forme, au nom du Pere, etc., est elle pas invocatoire? certes, le mesme saint Pierre qui dict aux Juifz, Pœnitentiam agite, et baptizetur unusquisque vestrum in nomine Jesu Christi, in remissionem peccatorum vestrorum, dict peu apres au boiteux devant la belle porte, In nomine Jesu Christi Nazareni, surge et ambula: qui ne voit que ceste derniere parole est invocatoire? et pourquoy non la premiere, qui est de mesme substance? Ainsy saint Pol ne dict pas, Calix prædicationis de quo prædicamus, nonne communicatio Sanguinis Christi est? mays au contraire, Calix benedictionis cui benedicimus; on le consacroit donques et benissoit-on: ainsy au Concile de Laodicëe, c. 25, Non oportet Diaconum calicem benedicere.

  A001001479 

 Mays je veux finir par ceste signalëe sentence de saint Augustin: Potuit Paulus significando prædicare Dominum Jesum Christum, aliter per linguam suam, aliter per epistolam, aliter per Sacramentum Corporis et Sanguinis ejus: nec linguam quippe ejus, nec membranas, nec atramentum, nec significantes sonos lingua editos, nec signa litterarum conscripta pelliculis, Corpus Christi et Sanguinem dicimus; sed illud tantum quod ex fructibus terræ acceptum, et prece mistica consecratum, rite sumimus. Que si saint Augustin dict, Unde tanta vis aquæ ut corpus tangat et cor abluat, nisi faciente verbo? non quia dicitur, sed quia creditur, nous ne disons rien au contraire: car, a la verité, les paroles de benediction et sanctification avec lesquelles on forme et parfaict les Sacremens, n'ont poinct de vertu sinon estant proferëes sous la generale intention et creance de l'Eglise; car si quelqu'un les disoit sans cette intention, elles seroient dites voirement, mais pour neant, par ce que, non quia dicitur, sed quia creditur.

  A001001485 

 Au contraire, le Concile de Florence et celuy de Trente declairent que « si quelqu'un dict que l'intention au moins de faire ce que faict l'Eglise n'est pas requise es ministres quand ilz conferent les Sacremens, il est anatheme »: ce sont les termes du Concile de Trente.

  A001001485 

 Comm'il suffit pour dire que je preche pour servir Dieu et pour le salut des ames, si lhors que je me veux præparer j'ay ceste intention, quoy que quand je suys en chaire je pense a ce que j'ay a dire et a m'en tenir en memoyre, et ne pense plus en ceste premiere intention: ou comme celuy qui a resolu de donner cent escus pour l'amour de Dieu, puys, sortant de sa mayson pour ce faire, pense a d'autres choses, et neanmoins distribue la somme; car encores quil n'aye pas la pensee dressëe actuellement en Dieu, si ne peut on pas dire quil n'aÿe son intention a Dieu en vertu de sa premiere deliberation, et quil ne face cest'œuvre de charité deliberement et a son escient.

  A001001485 

 Ilz disent que quoy que le ministre n'aÿe aucune intention de faire la cene ou baptiser, ains seulement de se moquer et badiner, neanmoins, pourveu quil face l'exterieure action du Sacrement, le Sacrement y est complet.

  A001001485 

 Item, le Concile ne dict pas quil soit necessaire de vouloir faire ce que l'Eglise Romayne faict, mays seulement en general ce que l'Eglise faict, sans particulariser quelle est la vraye Eglise: ains, qui, pensant que l'eglise pretendue de Geneve fust la vraye Eglise, limiteroit son intention a l'intention de l'eglise de Geneve, se tromperoit si jamais homme se trompa en la connoissance [357] de la vraÿe Eglise, mays son intention suffiroit en cest endroit, puysque encores qu'elle se terminast a l'intention d'une eglise fausaire, si est ce qu'elle ne s'y termineroit que sous la forme et conception de la vraye Eglise, et l'erreur ne seroit que materiel, non formel, comme disent nos docteurs.

  A001001485 

 Item, n'est pas requis que nous ayons ceste intention actuellement quand nous conferons le Sacrement, mays suffit qu'on puysse dire avec verité que nous faysons telle et telle ceremonie et disons telle et telle parole, comme jetter l'eau, disans, Je te baptise au nom du Pere, etc., en intention de faire ce que les vrays Chrestiens font et que Nostre Seigneur a commandé, quoy que pour lhors nous ne soyons pas en attention, et ny pensions pas precisement.

  A001001485 

 Je n'ay jamais trouvé aucune preuve puysëe en l'Escriture, de l'opinion que vos predicans ont en cest endroit.

  A001001485 

 Le Concile ne dict pas quil soit requis d'avoir l'intention particuliere de l'Eglise, car autrement les Calvinistes, qui n'ont pas intention au Baptesme de lever le peché originel, ne baptiseroyent pas bien, puysque l'Eglise a ceste intention la, mays seulement de faire en general ce que l'Eglise faict quand elle baptise, sans particulariser ni determiner quoy ni comment.

  A001001485 

 Tout cecy se dict a credit, sans produire autre que certaines consequences sans Parole de Dieu, par forme de chicanerie.

  A001001486 

 On ne peut raysonnablement douter que pour faire la Cene de Nostre Seigneur, ou le Baptesme, il ne faille faire ce que Nostre Seigneur a commandé pour cest effect, et non seulement quil le faille faire, mays quil le faille faire en vertu de ce commandement et institution: car on peut bien faire ces actions en vertu d'autre que du commandement de Nostre Seigneur, comme fairoit un [358] homme qui, dormant, songeroit et baptiseroit, ou bien estant ivre; pour vray les paroles y seroyent et l'element, mays elles n'auroyent point de force, ne procedans pas du commandement de qui les peut rendre vigoureuses et efficaces; ainsy que tout ce qu'un juge dict et escrit ne sont pas sentences judiciaires, mays seulement ce quil dict en qualité [de juge].

  A001001486 

 Or, comme pourroit on mettre difference entre les actions sacramentelles estant faites en vertu du commandement qui les rend pregnantes, et ces mesmes actions faites a autre fin? Certes, la difference n'y peut estre que par l'intention avec laquelle on les emploÿe; il faut donq que non seulement les paroles soyent proferëes, mays proferëes avec intention de faire le commandement de Nostre Seigneur, en la Cene, Hoc facite, au Baptesme, Baptizantes eos in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti..

  A001001486 

 Ores que la proposition du Concile est esclarcie, voyons voir si elle est, comme celle des adversaires, sans fondement de l'Escriture.

  A001001487 

 Il ne suffit donq pas de faire ce que Nostre Seigneur a commandé quand il dict, Hoc facite, mays le faut faire a l'intention que Nostre Seigneur l'a commandé, c'est a dire, in sui commemorationem; sinon avec ceste intention particuliere, au moins generale, sinon immediatement, au [359] moins mediatement, voulant faire ce que l'Eglise faict, laquelle a intention de faire ce que Nostre Seigneur a faict et commandé, si que on s'en rapporte a l'intention de l'Espouse, qui est adjustëe au commandement de l'Espoux..

  A001001487 

 Je crois quil est impossible d'imaginer qu'un homme face la Cene en commemoration de Nostre Seigneur, sil n'a l'intention de faire ce que Nostre Seigneur a commandé, ou au moins de faire ce que font ceux qui le font en la commemoration de Nostre Seigneur.

  A001001487 

 Or, n'est il pas dict simplement, Hoc facite, mays, facite in meam commemorationem; et comme peut on faire ceste sacrëe action en commemoration de Nostre Seigneur, sans avoir l'intention d'y faire ce que Nostre Seigneur a commandé, ou du moins ce que les Chrestiens, disciples de Nostre Seigneur, font? affin que, sinon immediatement, au moins par l'entremise de l'intention des Chrestiens ou de l'Eglise, on face ceste action en commemoration de Nostre Seigneur.

  A001001488 

 Et c'est a ce propos que saint Augustin: Unde tanta vis aquæ, ut corpus tangat et cor abluat, nisi faciente verbo? non quia dicitur, sed quia creditur; c'est a dire, les paroles de soy, estant proferees sans aucune intention ou creance, n'ont point de vertu, mays estans dites en vertu et creance, et selon l'intention generale [360] de l'Eglise, elles font cest effect salutaire.

  A001001488 

 Pareillement, Nostre Seigneur ne dict pas qu'on die ces paroles, Ego te baptizo, simplement, mays commanda que toute l'action du Baptesme se fist in nomine Patris; si que il ne suffit pas qu'on die, in nomine Patris, mays faut que le lavement ou aspersion mesme se face in nomine Patris, et que ceste authorité anime et ravigore non seulement la parole, mays toute l'action du Sacrement, laquelle de soy n'auroit point de surnaturelle vertu.

  A001001488 

 Que sil se trouve es histoires que certains baptesmes faitz par jeu ont estés approuvés, il ne le faut trouver estrange, par ce qu'on peut faire en jeu plusieurs choses et neanmoins avoir l'intention de faire veritablement ce qu'on a veu faire; mays on appelle jeu tout ce qui se faict hors de saison et de discretion, quand il ne se faict pas par malice ou sans volonté.

  A001001488 

 Si donques Nostre Seigneur ne commande pas simplement qu'on face l'action du Baptesme ni qu'on die les paroles, mays l'action se face et les paroles se dient au nom du Pere, etc., il faut avoir au moins l'intention generale de faire le Baptesme en vertu du commandement de Nostre Seigneur, en son nom et de sa part; et quand a l'absolution, que l'intention y soit requise, il est plus qu'expres: Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis, il laysse cela a leur deliberation.

  A001001501 

 L'Eglise Catholique a esté accusee, en nostre aage, de superstition en la priere qu'elle faict pour les fideles trespassés, d'autant qu'en icelle elle suppose deux verités que l'on pretend n'estre point, a sçavoir, que les trespassés soient en peyne et indigence, et qu'on les puisse secourir: or les trespassés, ou ilz sont damnés ou sauvés; les damnés sont en peyne, mais irremediable, et les sauvés sont comblés de tout playsir; de façon qu'aux uns manque l'indigence, aux autres le moyen de recevoir secours, et par ce n'y a lieu de prier Dieu pour les trespassés..

  A001001502 

 Leurs raysons sont si pregnantes, que si elles estoyent bien balancees et contrepesees a celle des accusateurs, on connoistroit incontinent leur bon calibre: mays quoy? on a porté sentence sans ouÿr partie.

  A001001502 

 Mais certes, il deut suffire a tout le monde pour faire juste jugement sur ceste accusation, que les accusateurs estoyent des personnes particulieres, et l'accusé estoit le cors de l'Eglise universelle: et neanmoins, parce que l'humeur de nostre siecle a porté de sousmettre au contreroole et censure d'un chacun toutes choses, tant sacrees, religieuses et authentiques puissent elles estre, plusieurs personnes d'honneur et de marque ont prins le droit de l'Eglise en main pour la defendre; estimans [362] ne pouvoir mieux employer leur pieté et sçavoir, qu'a la defense de celle-la par les mains de laquelle ilz avoyent receu tout leur bien spirituel, le Baptesme, la doctrine Chrestienne et les Escritures mesme.

  A001001502 

 N'avons nous pas rayson, tous tant que nous sommes de domestiques et enfans de l'Eglise, de nous porter pour appellans, et nous plaindre de la partialité des juges, laissans a part, pour ceste heure, l'incompetence d'iceux? Donques nous appelions des juges non instruitz a eux mesmes instruitz, et des jugemens faictz partie non ouye, a des jugemens partie ouye, supplians tous ceux qui voudront juger sur ce different, de considerer nos allegations et probations d'autant plus attentivement, qu'il y gist, non de la condamnation de la partie accusee, qui ne peut estre condamnee par ses inferieurs, mays du damnement ou sauvement de ceux mesmes qui en jugeront..

  A001001508 

 Et quand au sang de Nostre Seigneur, nous reconnoissons tellement la vertu d'iceluy, que nous protestons par toutes nos prieres que la purgation des ames, soit en ce monde soit en l'autre, ne se faict que par son application; plus jaloux de l'honneur deu a ceste pretieuse medecine que ceux qui, pour la [364] priser, en mesprisent le saint usage.

  A001001508 

 Nous sommes d'accord que le sang de nostre Redempteur est le vray purgatoire des ames, car en iceluy sont nettoyees toutes les ames du monde; dont saint Pol l'appelle, aux Hebreux, premier, purgationem peccatorum facientem: les tribulations aussi sont certains purgatoires, par lesquelz nos ames sont rendues pures comme l'or est affiné en la fournaise; Ecclesiastici 27, Vasa figuli probat fornax, justos autem tentatio tribulationis: la penitence et contrition est encores un certain purgatoire; dont David dict, au Psal. 50, Asperges me, Domine, hyssopo, et mundabor: on sçait bien aussi que le Baptesme, auquel nos pechés sont lavés, peut estre appellé purgatoire, et tout ce qui sert a la purgation de nos offenses; mays icy nous appelions Purgatoire, un lieu auquel, apres ceste vie, les ames lesquelles partent de ce monde avant qu'estre parfaictement espurees des souilleures qu'elles ont contractees, ne pouvant rien entrer en Paradis qui ne soit pur et net, sont arrestees pour y estre nettoyees et purifiees.

  A001001508 

 Nous soustenons donques que l'on peut prier pour les fideles trespassés, et que les prieres et bonnes actions des vivans les soulagent beaucoup et leur sont prouffitables; parce que tous ceux qui meurent en la grace de Dieu, et par consequent du nombre des esleus, ne vont pas tous de premier abord en Paradis, mays plusieurs vont au Purgatoire, ou ilz souffrent [363] une peyne temporelle, a la delivrance de laquelle nos prieres et bonnes actions peuvent ayder et servir.

  A001001508 

 Que si on veut sçavoir pourquoy ce lieu est plustost appellé simplement Purgatoire que les autres moyens de purgation cy dessus apportés, on respondra que c'est parce qu'en ce lieu la on n'y faict autre que la purgation des taches qui sont demeurees au partir de ce monde, et qu'au Baptesme, penitence, tribulations et autres, non seulement l'ame s'espure de ses imperfections, mays s'enrichit encores de plusieurs graces et perfections; qui a faict laisser le nom de Purgatoire a ce lieu de l'autre siecle, lequel, a proprement parler, n'est pour autre que pour la purification des ames.

  A001001514 

 Ce n'est pas une opinion receue a la volee que l'article du Purgatoire: il y a long tems que l'Eglise a soustenu ceste creance envers tous et contre tous.

  A001001514 

 Et semble que le premier qui l'a combattu a esté Aerius, heretique arrien, ainsy que saint Epiphane tesmoigne, Hær.

  A001001514 

 [365] En fin, Luther, Zuingle, Calvin et ceux de leur parti ont du tout nié la verité du Purgatoire, car quoy que Luther, in Disputatione Lipsica, dict qu'il croyoit fermement, ains sçavoit asseurement, qu'il y avoit un Purgatoire, si est ce que par apres il s'en dedict, au livre De abroganda missa privata.

  A001001515 

 elle a prouvé les aumosnes, prieres et autres saintes actions pouvoir soulager les trespassés; dont il s'ensuit qu'il y a un purgatoire, car: ceux d'enfer ne peuvent avoir aucun secours en leurs peynes; en Paradis, tout bien y estant, nous n'y pouvons rien porter du nostre pour ceux qui y sont desja; donques c'est pour ceux qui sont en un troisiesme lieu, que nous appelions Purgatoire..

  A001001517 

 Elle a prouvé que plusieurs ames avant qu'arriver en Paradis passoient par un lieu de peyne, qui ne peut estre que le Purgatoire..

  A001001518 

 Prouvant que les ames sous terre rendoient honneur et reverence a Nostre Seigneur, elle a prouvé quant et quant le Purgatoire, puysque cela ne se peut penser de ces pauvres miserables qui sont en enfer..

  A001001519 

 Par plusieurs autres passages, avec diversité de consequences toutes neanmoins bien a propos; en quoy l'on doit d'autant plus deferer a nos Docteurs, que les passages qu'ilz alleguent maintenant ont esté apportés a ce mesme propos par ces grans Peres anciens, sans que pour defendre ce saint article nous soyons allés forger de nouvelles interpretations: qui monstre asses la candeur avec laquelle nous cheminons [366] en besoigne, la ou nos accusateurs tirent des consequences de l'Escriture qui n'ont jamais esté pensees cy devant, ains sont mises tout de frais en œuvre pour seulement combattre l'Eglise..

  A001001520 

 Restera que le liseur laisse a part les bericles de sa propre passion, pense attentivement au merite de nos probations, et se jette aux pieds de la divine Bonté, criant en toute humilité avec David, Da mihi intellectum et scrutabor legem tuam, et custodiam illam in toto corde meo, et lhors je ne doute point qu'il ne revienne au giron de sa grande Mere, l'Eglise Catholique..

  A001001528 

 Et de faict, les paroles precedentes favorisent ceste interpretation, esquelles il est parlé de la salvation des hommes; et puys a la fin du chapitre, ou il est parlé du repos des heureux, dont ce qui est dict, purgavit Dominus sordes, se doit entendre de la purgation necessaire pour ceste salvation; et parce que ceste purgation est dicte se devoir faire en esprit d'ardeur et de bruslement, elle ne se peut bonnement interpreter que du Purgatoire et du feu d'iceluy..

  A001001529 

 Ce lieu estoit desja en train pour prouver le Purgatoire parmi les Catholiques, du tems de saint Hierosme, il y a environ 1200 ans, ainsy que le mesme saint Hierosme tesmoigne sur le dernier chapitre d'Isaïe; la ou ce qui est dict, cum sedero in tenebris; iram Domini portabo, donec causam meam judicet, ne se peut entendre d'aucune peyne si proprement comme de celle de Purgatoire..

  A001001530 

 En Zacharie, 9: Tu autem, in sanguine testamenti tui, eduxisti vinctos tuos de lacu in quo non est aqua. Le lac duquel sont tirés ces prisonniers n'est que le Purgatoire, duquel Nostre Seigneur les [368] delivra en sa descente aux enfers; ne se pouvant entendre du Limbo, ou estoient les Peres avant la resurrection de Nostre Seigneur, dans le sein d'Abraham, par ce que la il y avoit de l'eau de consolation, comme l'on peut voir en saint Luc, 16; dont saint Augustin, en l'epistre 99, ad Evodium, dict que Nostre Seigneur visita ceux qui estoient aux tourmens des enfers, c'est a dire, au Purgatoire, et quil les en delivra: dont il s'ensuit quil y a un lieu ou les fideles sont tenus prisonniers, et duquel ilz peuvent estre delivrés..

  A001001531 

 Nous sçavons bien qu'ilz l'entendent de la purgation qui se fera a la fin du monde par le feu et conflagration generale, la ou seront purgés les reliquatz des pechés de ceux qui se trouveront vivans; mais nous ne laissons pas d'en tirer un bon argument pour nostre Purgatoire, car, si les personnes de ce tems la ont besoin de purgation avant que de ressentir l'effect de la benediction du Juge supreme, pourquoy est ce que ceux qui meurent avant ce tems n'en auront encores besoin? puysqu'il s'en peut trouver qui auront a la mort quelque reliquat de leurs imperfections.

  A001001531 

 Saint Irenee a ce propos, au chap. 29. livre 5, dict que parce que l'Eglise militante devra monter alhors au celeste palais de son Espoux, et qu'il n'y aura plus tems de purgation, les fautes et dechets d'icelle seront incontinent purgés par ce feu qui precedera le jugement..

  A001001532 

 Je laisse a part le passage du Psal. 37, Domine ne in furore tuo arguas me, neque in ira tua [369] corripias me; lequel saint Augustin interprete de l'enfer et du Purgatoire, si que in furore argui soit pour la peyne eternelle, in ira corripi soit pour la peyne du Purgatoire..

  A001001538 

 Imaginons maintenant que le feu se mette en l'une et en l'autre maison: celle qui est de matiere solide sera hors de fortune, et l'autre sera reduicte en cendres; que si l'architecte est dans la premiere, il y demeurera sain et sauve, que s'il est dans la seconde, s'il se veut eschapper il faudra qu'il se rue a travers le feu et la flamme, et se sauvera tellement qu'il portera les marques d'avoir esté au feu: Ipse autem salvus erit, sic tamen quasi per ignem..

  A001001539 

 Le feu par lequel l'architecte se sauve, ipse autem salvus erit, sic tamen quasi per ignem, ne se peut entendre d'autre que du feu de Purgatoire; car, quand lApostre dict qu'il se sauvera, il exclud le feu de l'enfer auquel personne ne se peut sauver, et quand il dict qu'il se sauvera par le feu, et qu'il parle de celuy seulement qui a suredifié le bois, la canne, le chaume, il monstre ne parler du feu qui precedera le jour du jugement, puysque par iceluy passeront, non seulement ceux qui auront suredifié de ces matieres legeres, mays encores ceux qui auront suredifié l'or, l'argent, etc..

  A001001539 

 Le jour du Seigneur duquel il est parlé, s'entend le jour du jugement, lequel en l'Escriture a accoustumé d'estre appellé jour du Seigneur; en Joël, 2, Veniet dies Domini, en Sophonie, 1, Juxta est dies Domini: puys, par ce qu'y est adjousté, dies Domini declarabit, car c'est a ceste journee la que se declareront toutes les actions du monde: en fin, quand l'Apostre dict, quia in igne revelatur, il monstre asses que c'est le dernier jour du jugement; en la seconde des Thessaloniciens, 1, I n revelatione Domini nostri Jesu Christi de cælo, cum Angelis virtutis ejus, in flamma ignis, au Ps.

  A001001541 

 Mais outre ce, quand nous dirions que saint Pol use diversement d'un mesme mot en un mesme passage, ce ne seroit pas chose nouvelle, car il en use de ceste façon en autres lieux, mais si proprement que cela sert d'ornement a son langage, comme en la 2.

  A001001541 

 On dira qu'en ceste interpretation il y a de l'equivoque et du malseant, en ce que le feu duquel il est parlé est pris ores pour le feu de Purgatoire, ores pour celuy qui precedera le jour du jugement.

  A001001541 

 On respond que c'est une elegante façon de parler par la confrontation de ces deux feux, car voicy le sens de la sentence: le jour du Seigneur sera esclairé par le feu qui le precedera, et comme ce jour la sera esclairé par le feu, ainsy ce mesme jour par le jugement esclaircira le merite et le defaut de chaque œuvre; et comme chaque œuvre sera esclaircie, ainsy les ouvriers qui auront ouvré avec imperfections seront sauvés par le feu du Purgatoire.

  A001001541 

 des Corinthiens, 5, Eum qui non noverat peccatum, pro nobis peccatum fecit; la ou qui ne voit que peccatum pour la premiere fois se prend proprement, pour l'iniquité, et la seconde fois, figurement, pour celuy qui porte la peyne du peché?.

  A001001542 

 Il suffit que de ce passage on conclud ouvertement, que plusieurs qui prendront possession du royaume du Paradis passeront par le feu: or ce ne sera pas le feu d'enfer, ni le feu qui precedera le jugement; ce sera donques le feu de Purgatoire.

  A001001542 

 Je respons qu'il y a de la similitude en ce passage, car l'Apostre veut dire que celuy duquel les œuvres ne sont pas du tout solides, sera sauvé comme l'architecte qui s'eschappe du feu ne laissant pas pour cela de [372] passer par le feu, mays un feu d'autre calibre que n'est le feu qui brusle en ce monde.

  A001001542 

 On dira encores qu'il n'est pas dict qu'il sera sauvé par le feu, mays comme par le feu, et que partant on ne peut pas conclure le feu du Purgatoire en verité.

  A001001549 

 argument que nous tirons de la sainte Parole pour le Purgatoire est prins du 2.

  A001001549 

 des Machabees, au chap. 12; la ou l'Escriture raconte que Judas Machabee envoya en Hierusalem douze mille dragmes d'argent pour faire des sacrifices pour les morts, et apres elle adjouste: Sancta ergo et salubris est cogitatio pro defunctis exorare, ut a peccatis solvantur; car, voicy nostre discours: c'est chose sainte et prouffitable de prier pour les morts affin qu'ilz soient delivrés de leurs pechés, donques apres la mort il y a encores tems et lieu pour la remission des pechés; or ce lieu icy ne peut estre ni l'enfer ni le Paradis, donques c'est le Purgatoire..

  A001001550 

 Cest argument est si bien faict, que pour y respondre nos adversaires nient l'authorité du Livre des [373] Machabees, et le tiennent pour apocriphe: mays a la verité ce n'est qu'a faute d'autre response; car ce Livre icy a esté tenu pour authentique et sacré par le Concile de Carthage 3, au canon 47, et par Innocent 1, en l'epistre ad Exuperium, et par saint Augustin, l. 18 de la Cité de Dieu, chap. 36, duquel voicy les paroles: Libros Machabæorum non Judæi sed Ecclesia pro canonicis habet, et le mesme saint Augustin, au l. 2 De doctrina Christiana, chap. 8, et Gelase, au decret des Livres canoniques qu'il fit en un Concile de 70 Evesques, et plusieurs autres Peres qu'il seroit long a citer.

  A001001550 

 De maniere que vouloir respondre niant l'authorité du Livre, c'est nier quant et quant l'authorité de l'antiquité..

  A001001551 

 On sçait bien tout ce qu'on apporte pour le pretexte de ceste negative, qui ne faict pour la pluspart que monstrer la difficulté qu'il y a es Escritures, non aucune fauseté en icelles; seulement il me semble necessaire de respondre a une ou deux objections qu'ilz font..

  A001001553 

 Ainsy l'Apostre prouve la resurrection des cors par l'immortalité de l'ame, quoy qu'il se peut faire que l'ame soit immortelle sans la resurrection des cors: voicy comme il y a, en la 1.

  A001001553 

 Ilz objectent que c'est un manifeste erreur de prier pour la resurrection des morts avant le jugement, car c'est presupposer, ou que les ames resuscitent et par consequent meurent, ou que les cors ne resuscitent pas si ce n'est par l'entremise des prieres et bonnes actions des vivans, qui seroit contre l'article, Credo resurrectionem mortuorum: or, que ces erreurs soyent presupposés en ce lieu des Machabees, il appert par ces paroles: nisi enim eos qui ceciderant resurrecturos speraret, superfluum videretur et vanum pro defunctis orare. On respond que en cest endroit ilz ne prient pas pour la resurrection ni de [374] l'ame ni du cors, mays seulement pour la delivrance des ames; en quoy ilz presupposoyent l'immortalité de l'ame, car, s'ilz eussent creu que l'ame fust morte avec le cors, ilz n'eussent point pris de soin de leur delivrance; et par ce que, parmi les Juifz, la creance de l'immortalité de l'ame et de la resurrection des cors estoient tellement jointes ensemble que qui nioit l'une nioit l'autre, pour monstrer que Judas Machabeus croyoit l'immortalité de l'ame il dict qu'il croyoit la resurrection des cors.

  A001001553 

 des Corinthiens, 15: Quid mihi prodest si mortui non resurgunt? comedamus et bibamus, cras enim moriemur; or il ne s'ensuivroit aucunement qu'il fallust s'abandonner ainsy, encores qu'il n'y eust point de resurrection, car l'ame qui demeureroit en estre souffriroit la peyne deùe aux pechés, et recevroit le guerdon des vertus; saint Pol donques, en cest endroit la, met en conte la resurrection des morts pour l'immortalité de l'ame, par ce que, de ce tems la, qui croyoit l'un croyoit l'autre..

  A001001554 

 Il n'y a donques point de lieu de refuser le tesmoignage des Machabees en preuve d'une juste creance: que si, a tout rompre, nous le voulons prendre comme tesmoignage d'un simple mays grave historiographe, ce qu'on ne nous peut refuser, au moins faudra il confesser que la Sinagogue ancienne croyoit un Purgatoire, puysque toute ceste armee la fut si prompte a prier pour les defuncts..

  A001001555 

 Et a la verité nous avons des marques de ceste devotion en d'autres passages de l'Escriture, qui nous doit faciliter la reception de celuy que nous venons d'alleguer; en Tobie, 4.

  A001001555 

 Peut estre qu'ilz diront que ce Livre est apocriphe, mays toute l'antiquité l'a tousjours tenu en credit; et pour vray, la coustume de mettre la viande pour les pauvres es sepultures est tres ancienne, mesme en l'Eglise Catholique, car saint Chrysostome, qui vivoit il y a plus de 1200 ans, en l'homelie 32, sur le 9.

  A001001555 

 chap.: Panem tuum et vinum tuum super sepulturam justi constitue, et noli ex eo manducare et bibere cum peccatoribus; certes, ce vin et ce pain ne se mettoyent pour autre sur la sepulture sinon pour les pauvres, affin que l'ame [375] du defunct en fust aydee, comme disent communement les interpretes sur ce passage.

  A001001556 

 Mays que penserions nous des jeusnes et austerités que faisoyent les Anciens apres la mort de leurs amis? Ceux de Jabes Galaad, apres la mort de Saul, jeusnerent sept jours sur iceluy; autant en fit David et les siens sur le mesme Saül, Jonathan et ceux de sa suite, au 1.

  A001001556 

 chap., jeusna et pria pour son filz malade, apres sa mort cessa de jeusner, monstrant que quand il jeusnoit, c'estoit pour obtenir ayde au malade, lequel estant mort, parce qu'il mouroit enfant et innocent, n'avoit besoin d'ayde, et partant il cessa de jeusner: Bede, il y a plus de 700 ans, interpreta ainsy la fin du premier Livre des Roys.

  A001001556 

 des Roys, dernier chapitre, et au 2., chap. 1: on ne pourroit penser que ce ne fust pour secourir les ames des defuncts, car a quel autre propos peut on rapporter le jeusne de sept jours? Aussi David, qui au 2.

  A001001557 

 Et c'est de ceste coustume que parle tout ouvertement saint Pol en la 1.

  A001001557 

 Il appert donques par ces paroles de saint Pol, que la priere, jeusne et autres saintes afflictions se faisoyent louablement pour les defuncts; or, ce [377] n'estoit pour ceux de Paradis, qui n'en avoyent besoin, ni pour ceux d'enfer, qui n'en pouvoyent recevoir le fruict, c'est donques pour ceux de Purgatoire: ainsy l'a exposé, il y a 1200 ans, saint Ephrem en son Testament, et les Peres qui ont disputé contre les Petrobusiens..

  A001001557 

 Ni ne faudroit pas dire que le baptesme duquel parle saint Pol soit seulement un baptesme de tristesses et de larmes, non de jeusnes, prieres et autres actions, car avec ceste intelligence sa conclusion seroit tres mauvaise: il veut conclure que si les morts ne resuscitent point, et si l'ame est mortelle, qu'en vain s'afflige l'on pour les morts; mais, je vous prie, n'auroit on pas plus d'occasion de s'affliger par tristesse pour la mort des amis s'ilz ne resuscitent point, perdant toute esperance de jamais les revoir, que s'ilz resuscitent? Il entend donques des afflictions volontaires que l'on faisoit pour impetrer le repos des defuncts, lesquelles sans doute on prattiqueroit en vain si les ames estoyent mortelles, ou que les morts ne resuscitassent point; en quoy il se faut souvenir de ce qui a esté dict cy dessus, que l'article de la resurrection des morts et celuy de l'immortalité de l'ame estoyent conjoincts tellement ensemble en la creance des Juifz, que qui advouoit l'un, advouoit l'autre, et que qui nioit l'un, nioit l'autre.

  A001001557 

 Voicy donques le sens de ceste Escriture: si les morts ne resuscitent point, a quoy faire prend on peyne et affliction, priant et jeusnant pour les morts? et certes, ceste sentence de saint Pol ressemble a celle des Machabees cottee cy dessus: Superfluum est et vanum orare pro mortuis, si mortui non resurgunt. Qu'on me tourne et transfigure ce texte en tant d'interpretations que l'on voudra, qu'il n'y en aura pas une qui joigne bien a la sainte Lettre que celle cy.

  A001001558 

 Autant en peut on deduire de ce que disoit le bon larron, en saint Luc, 23, lhors que, s'addressant a Nostre Seigneur, il luy dict: Memento mei dum veneris in regnum tuum; car pourquoy se fust il recommandé, luy qui s'en alloit mourir, s'il n'eust creu que les ames apres la mort pouvoyent estre secourues et aydees? Saint Augustin, l. 6 contre Julien, chap. 5, prouve de ce passage que quelques pechés sont pardonnés en l'autre monde..

  A001001564 

 Cela va bien, mays nostre rayson ne perd rien de sa fermeté pour cela: car, ou saint Mathieu a bien exprimé l'intention de Nostre Seigneur, ou non; on n'oseroit dire que non, et s'il l'a bien exprimee, il s'ensuit tousjours qu'il y a des pechés qui peuvent estre remis en l'autre siecle, puysque Nostre Seigneur a dict qu'il y en a un qui ne peut estre remis en l'autre siecle.

  A001001564 

 Il ne faut donques pas croire que saint Mathieu eust exprimé l'intention de Nostre Seigneur par ces paroles, neque in hoc sœculo neque in alio, si en l'autre il n'y peut avoir remission; on se moqueroit de celuy qui diroit, je ne me marieray ni en ce monde ni en l'autre, comme s'il entendoit qu'en l'autre monde l'on peut se marier.

  A001001564 

 Ilz voudront dire que ces paroles, neque in hoc sæculo neque in alio, ne veulent dire autre chose sinon, in æternum, ou, numquam, comme l'a dict saint Marc, au chap. 3, non habet remissionem in æternum.

  A001001564 

 Je sçay bien que nos adversaires taschent par diverses interpretations de parer a ce coup icy, mays il est si bien porté qu'ilz ne s'en peuvent eschapper; et de vray il vaut bien mieux avec les Peres anciens entendre proprement, et avec toute la reverence que l'on [379] peut, les paroles de Nostre Seigneur, que pour fonder une nouvelle doctrine les rendre grossieres et mal agencees.

  A001001564 

 de saint Marc, saint Bernard, en l'homelie 66 sur les Cantiques, et ceux qui ont escrit contre les Petrobusiens se sont servis de ce passage pour nostre intention, avec tant d'asseurance, que saint Bernard pour declarer ceste verité n'en apporte point d'autre, tant il faict estat d'iceluy..

  A001001565 

 Et 1., nous trouvons des tres anciens [380] Peres qui ont dict que c'estoit en Purgatoire: Tertullien, libro De Anima, cap. 58; Cyprien, l. 4 epistolarum, 2; Origene, en l'homelie 35, sur ce lieu; Eusebe Emissene, en l'homelie 3 de l'Epiphanie; saint Ambroise, sur le chap. 12 de saint Luc; saint Hierosme, sur le 5.

  A001001565 

 Origene, saint Cyprien, saint Hilaire, saint Ambroise, saint Hierosme et saint Augustin disent que le chemin, duquel il est dict, dum es in via, n'est autre que le passage de la presente vie.

  A001001565 

 Quand il est dict, donec solvas ultimum quadrantem, n'est il pas presupposé qu'on le puisse payer, et qu'on puisse tellement diminuer la debte qu'il n'en reste plus que le dernier liard? que si comme quand il est dict au Psalme, Sede a dextris mets donec ponant inimicos tuos, etc., il s'ensuit tres bien, ergo aliquando ponet inimicos scabellum pedum, ainsy, disant non exies inde donec reddas, il monstre que aliquando reddet vel reddere potest.

  A001001565 

 Qui ne voit qu'en saint Luc 12, la comparaison est tiree non d'un homicide, ou de quelque criminel qui ne peut avoir esperance de son salut, mais d'un debiteur qui est mis en prison jusques a payement, lequel estant faict, incontinent il est mis dehors? Voicy donques l'intention de Nostre Seigneur: que, pendant que nous sommes en ce monde, nous taschions par la penitence et ses fruictz de payer, selon la puissance que nous en avons par le sang du Redempteur, la peyne a laquelle nos pechés nous ont obligés; puysque, si nous attendons la mort, nous n'en aurons pas si bon conte au Purgatoire, ou nous serons traittés a la rigueur..

  A001001566 

 On peut dire que ces peynes se souffriront en ce monde, mays saint Augustin et les autres Peres l'entendent pour l'autre monde; et puys, ne se peut il pas faire qu'un homme meure sur la premiere ou seconde offense de laquelle il est parlé icy, et celuy la, ou payera il les peynes deües a son offense? ou si vous voules qu'il ne les paye point, quel lieu luy donneres vous pour sa retraite apres ce monde? vous ne luy bailleres pas l'enfer, sinon que vous voulies adjouster a la sentence de Nostre Seigneur, qui ne baille l'enfer pour peyne qu'a ceux qui auront faict la troisiesme offense; le loger en Paradis vous ne le deves faire, parce que la nature de ce lieu celeste rejette toute sorte d'imperfection; n'allegues pas icy la misericorde du Juge, car il declare en cest endroit qu'il veut encores user de justice: faites donques comme les anciens Peres, et dites qu'il y a un lieu ou elles seront purgees, et puys s'en iront la haut en Paradis..

  A001001566 

 Tout cecy semble avoir esté dict par Nostre Seigneur mesme en saint Mathieu, 5, quand il dict: Qui irascitur fratri suo, reus erit judicio, qui dixerit fratri suo racha, reus erit consilio, qui dixerit fatue, reus erit gehennæ ignis. Icy il s'agit de la peyne qu'on doit recevoir par le jugement de Dieu, comme il appert par ces paroles, reus erit gehennæ [381] ignis; et neanmoins il n'y a que la troisiesme sorte d'offense qui soit punie par l'enfer; donques au jugement de Dieu, apres ceste vie, il y a des autres peynes, qui ne sont pas eternelles ni infernales; ce sont les peynes de Purgatoire.

  A001001567 

 Ainsy est exposé ce passage par saint Ambroise, et par saint Augustin, [382] l. 21 de la Cité de Dieu, chap. 27; mais la parabole de laquelle use Nostre Seigneur est trop claire pour nous laisser douter de ceste interpretation, car la similitude est prise d'un econome lequel, estant desmis de son office et appauvri, demandoit secours a ses amis, et Nostre Seigneur apparie l'estre desmis a la mort, et le secours demandé aux amis, a l'ayde que l'on reçoit, apres la mort, de ceux auxquelz l'on a faict l'aumosne; ceste ayde ne se peut recevoir par ceux qui sont en Paradis ou en enfer, c'est donques par ceux qui sont en Purgatoire..

  A001001567 

 Defaillir, qu'est ce autre que mourir? et les amis, que sont ilz autre que les Saints? les interpretes l'entendent tous ainsy; dont il s'ensuit deux choses, et que les Saints peuvent ayder les hommes trespassés, et que les trespassés peuvent estre aydés des Saints: car a quel autre propos peut on entendre ces paroles, facite amicos qui recipiant? il ne se peut entendre de l'aumosne, car souventefois l'aumosne est bonne et sainte, et toutefois ne nous acquiert pas des amis qui nous puissent recevoir en eternelz tabernacles, comme quand elle est faicte a des personnes mauvaises avec sainte et droitte intention.

  A001001573 

 6, et Ezechias, en Isaïe 38, Quia non infernus confitebitur tibi; ou se doit encores rapporter ce que chante David ailleurs, Peccatori autem dixit Deus: quare tu enarras justifias meas et assumis testamentum meum per os tuum? car si Dieu ne veut recevoir louange du pecheur obstiné, comment est ce qu'il permettroit a ces miserables damnés d'entreprendre ce saint office? Saint Augustin faict grand [383] conte de ce lieu pour ce propos, l. 12 du Genese, au chap. 33.

  A001001573 

 Aux cieux on trouve asses de genoux qui flechissent au nom du Redempteur, en terre l'on en trouve beaucoup en l'Eglise militante; mays en enfer, ou est ce que nous en trouverons? David se desfie d'y en trouver aucun quand il dict, In inferno autem quis confitebitur tibi? Ps.

  A001001573 

 Il y a un semblable passage en l'Apocalipse, 5: Quis dignus est aperire librum et solvere septem signacula ejus et nemo inventus est, neque in cælo, neque in terra, neque subtus terram; et plus bas au mesme chapitre: Et omnem creaturam, quæ in cælo est, et super terram, et sub terra, omnes audivi dicentes Sedenti in throno et Agno: Benedictio, et honor, et gloria, et potestas, in sæcula sæculorum; et quatuor animalia dicebant, Amen: ne constitue il pas icy une Eglise en laquelle Dieu soit loué sous terre? et que peut elle estre, si ce n'est celle du Purgatoire?.

  A001001577 

 1, can. Visum est, au Concile d'Orleans 2, c. 14; en Allemagne, au Concile Wormatiense, c. 80; en [384] Italie, au Concile 6 sous Symmachus; en Grece, comme on peut voir en leurs Sinodes recueillies par Martin Bracarense, c. 69: et par tous ces Conciles vous verres que l'Eglise tient pour authentique la priere pour les trespassés, et par consequent le Purgatoire.

  A001001577 

 Et par apres, ce que par parties elle avoit defini, elle l'a defini en son cors general, au Concile de Latran sous Innocent 3, c. 66, au Concile de Florence, ou se trouverent toutes nations, sess.

  A001001577 

 Nostre Seigneur nous baille la regle en son Evangile comme on se doit comporter en semblables occasions: Si peccaverit in te frater tuus, etc., die Ecclesiæ; si quis Ecclesiam non audiverit, sit tibi tanquam ethnicus et publicanus. Oyons donques ce que dict l'Eglise en cest endroit: en Afrique, au Concile de Carthage 3, c. 29, et au 4., c. 79; en Espaigne, au Concile Bracarense, c. 34 et 39; en France, au Concile de Chalon, comme il est rapporté De Consec., dist.

  A001001578 

 Mays quelle plus sainte resolution de l'Eglise voudroit on avoir que celle qui est couchëe en toutes les Messes d'icelle? Regardes les liturgies de saint Jaques, saint Basile, saint Chrysostome, de saint Ambroise, desquelles se servent encores a present tous les Chrestiens orientaux, vous y verres la commemoration pour les morts comm'elle se voit en la nostre a peu pres.

  A001001578 

 Si sal evanuerit, in quo salietur? si Ecclesia erraverit, a quo corripietur? si Ecclesia, fida custos veritatis, veritatem amiserit, veritas a quo reperietur? si Christus Ecclesiam abjecerit, quem recipiet? qui neminem nisi per Ecclesiam admittit. Et si l'Eglise peut errer, et vous, Pierre Martyr, pourries vous pas errer? sans doute: je croiray donques plus tost que vous ayes erré que l'Eglise.

  A001001578 

 aux Corinthiens, confesse que toute l'Eglise a suyvi ceste opinion, je n'ay plus a faire de m'amuser sur ceste preuve.

  A001001584 

 C'est chose belle et pleyne de toute consolation, de voir le beau rapport que l'Eglise præsente a avec l'ancienne, particulierement en la creance: disons ce qui faict a nostre propos sur le Purgatoire.

  A001001584 

 Mays cecy ne faict rien a nostre propos, car il est vray que saint Augustin dict qu'on peut douter du feu et de la qualité d'iceluy, mays non pas du Purgatoire: or, soit que la purgation se face ou par feu ou autrement, soit que le feu aye mesmes qualités que celuy d'enfer ou non, si est ce quil ne laysse pas d'y avoir une purgation et un Purgatoire; il ne met pas donques en doute le Purgatoire, mais la qualité d'iceluy; ce que ne nieront jamais ceux qui verront comm'il en parle au c. 16 et 24 du mesme Livre de la Cité, et au livre De cura pro mortuis agenda, et en mille autres lieux.

  A001001584 

 Mays comment est ce que les Peres n'ont pas creu a bon escient le Purgatoire, puysqu'Aerius, comme j'ay dict cy devant, a esté tenu pour hæretique par ce qu'il le nioyt? C'est pitié de voir l'audace avec laquelle Calvin traitte saint Augustin par ce quil pria et fit prier pour sa mere, sainte Monique, et pour tout prætexte apporte que saint Augustin, l. 21 Civit., c. 26, semble douter du feu de Purgatoire.

  A001001584 

 Quelle apparence y a [386] il qu'un seul Calvin soit infallible, et que toute l'antiquité aye bronché? On dict que les anciens Peres ont creu le Purgatoire pour s'accommoder au vulgaire: belle excuse; n'estoit ce pas aux Peres d'oster d'erreur le peuple s'ilz l'y voyoient entrer, nom pas l'y entretenir et y condescendre? ceste excuse donques ne faict qu'accuser les Anciens.

  A001001584 

 Tous les anciens Peres l'ont creu, et attesté que c'estoit la foy Apostolique; voicy les autheurs que nous en avons: entre les disciples des Apostres, saint Clement et saint Denis; apres, saint Athanase, saint Basile, saint Gregoire Nazianzene, Ephrem, Cyrille, Epiphane, Chrysostome, Gregoire Nyssene, Tertullien, Cyprien, Ambroise, Hierosme, Augustin, Origene, Boece, Hilaire, c'est a dire, toute l'antiquité, mesme devant douze centz ans que tous ces Peres ont vescu: desquelz il m'eust esté tres aysé d'apporter les tesmoignages, qui sont recueillis exactement es livres de nos Catholiques, au livre de Canisius, en son Catechisme, de Sanderus, De visibili Monarchia, de Genebrard, en sa Chronologie, de Bellarmin, en sa Controversie du Purgatoire, de Stapleton, en son Promptuaire; mays sur tous qui voudra voir au long et fidellement cités les passages des Peres anciens, quil prenne en main l'œuvre de Canisius reveu par Busæus.

  A001001584 

 § 10, ou il dict ainsy: Ante 1300 annos usu receptum fuit ut precationes fierent pro defunctis, et par apres adjouste: sed omnes, fateor, in errorem abrepti fuerunt; nous n'avons donq que faire de chercher le nom et le lieu des anciens Peres pour prouver le Purgatoire, puysque, pour se mettre en conte, Calvin les met en zero.

  A001001590 

 12, de laquelle Nostre Seigneur dict que les hommes reddent rationem in die judicii; il en faut rendre conte; l'autre merite le conseil, c'est a dire merite qu'on delibere s'il sera condamné ou non (car Nostre Seigneur s'accommode a la façon de parler des hommes); le 3 me seul est celluyla qui sans doute infalliblement sera damné: donques le p r et le 2 d sont pechés qui ne rendent [388] pas l'homme coulpable de la mort æternelle, mais d'une correction temporelle; et partant si l'homme meurt avec iceux, par accident ou autrement, il faut quil subisse le jugement d'une peyne temporelle, moyennant laquelle son ame estant purgëe il ira au Ciel avec les Heureux.

  A001001590 

 De ces pechés parle le Sage, Proverb., 24, Septies in die cadit justus: car le juste ne peut pecher, pendant quil est juste, de peché qui merite la damnation; il s'entend donq quil chet en des pechés ausquelz la damnation n'est pas deüe, que les Catholiques appellent venielz, lesquelz se peuvent purger en l'autre monde, au Purgatoire..

  A001001590 

 Voicy deux invincibles raysons du Purgatoire: la 1., il y a des pichés legers au pris des autres et qui ne rendent pas l'homme coulpable de l'enfer; si donq l'homme meurt en iceux que deviendra il? le Paradis ne reçoit rien de souillé, Apoc. 21, l'enfer est une trop criminelle peyne, il n'est pas deu a son piché; il faut donques advouer quil arrestera en un Purgatoire, ou estant bien esmondé il ira par apris au Ciel.

  A001001590 

 c.: Qui irascitur fratri suo, reus erit judicio; qui dixerit fratri suo racha, reus erit consilio; qui dixerit fatue, reus erit gehennæ ignis. Qu'est ce, je vous prie, d'estre coulpable de gehenne du feu, sinon estre coulpable de l'enfer? or ceste peyne n'est deüe qu'a ceux qui appellent fatue: ceux qui montent en cholere et ceux qui expriment leur cholere par parole non injurieuse et diffamatoire, ne sont pas en mesme rang; ains l'un merite le jugement, c'est a dire, que sa colere soit mise en jugement, comme la parolle oyseuse, Mat.

  A001001591 

 des Rois, 12, le peché est pardonné a David, le Prophete luy disant: Deus quo que transtulit peccatum tuum, sed, quia blasphemare fecisti inimicos nomen Domini, filius tuus morte morietur.

  A001001616 

 Je le declaire par ce que j'ay veu ledict Bien-heureux diverses fois et de ses escripts.

  A001001616 

 Nous soubsigné, Guilliaume de Blancheville, Seigneur et Baron d'Heiry, Cornillion, Martod, Gerbaix, la Salle, Ennuis ( Annuits ), Gilly, etc., Conseiller d'Estat de S. A. R., Premier President au Souverain Senat de Savoye et commandant generalement en Savoye en l'absence de M me Rle, Declairons que le livre de l'Authorité de sainct Pierre est tout du B. H. François de Salle, et l'autre, qui est escript de la main de son secretaire, est corrigé de la main dudict Bien-heureux.

  A001001625 

 Nous soubsigné, Pierre Anthoine de Castagnery, Baron de Chasteauneufz, Conseiller d'Estat de S. A. R., President en sa Souveraine Chambre des Comptes de Savoye et Generallissime de ses finances, Declairons que le livre de l'Hautorité de sainct Pierre est tout du B. H. François de Salles, et l'autre, qui est escrit de la main de son secretaire, est corrigé de la main dudict Bien-heureux.

  A001001635 

 Nous soubsigné, Claude Ducret, Conseillier d'Estat de S. A. Rle, Premier Senateur au Souverain Senat de Savoye, a tous qu'il appartiendra sçavoir faisons, qu'aiant veu, leu et visité le livre de l'Hauthorité de sainct Pierre, contenant douze cayers, Declairons [392] que le tout est escrit de la main du B. H. François de Salles.

  A001001648 

 Ce que nous affermons pour avoir leu grande quantité de ses escritz et signatures.

  A001001648 

 Nous, François Delapesse Viallon, Seigneur dudit lieu, des Serrieres et de Sainct Marcel, prestre, Docteur es Droictz, Conseiller de S. A. R. et Maistre ordinaire en la Souveraine Chambre des Comptes de Savoye, Declarons avec serment, avoir veu soigneusement le traicté de la Primauté de sainct Pierre et des Marques de la vraye Esglise, contenant quinze cayers en feuillies; les douze premiers desquels sont tous escriptz de la main du Venerable Evesque de Geneve, François De Sales, que nous estimons Bienheureux, sauf le respect que nous devons au Sainct Siege, et les trois derniers sont escriptz par un sien secretaire dont nous ne recognoissons pas l'escriture, mais seulement qu'en divers endroitz il y a de la main dudit Venerable Prelat, par continuation ou correction.

  A001001667 

 Nous, Pierre François Jaÿ, Docteur en Theologie, Chantre et Chanoine de l'eglise Cathedrale de S t Pierre de Geneve, Vicaire general et Official de Monseigneur l'Illustrissime et Reverendissime Charles Auguste de Sales, Evesque et Prince de Geneve, Attestons, a tous quil appartiendra, avoir veu douze cayers, tant gros que petits, avoir bien recogneu iceux avoir esté escripts de la main propre de feu Illustrissime et Reverendissime François de Sales, vivant Evesque et Prince de Geneve, de tres heureuse et louable memoire; dans lesquels cayers est traicté de plusieurs poinctz de controverses contre les heretiques de nostre temps, et particulierement touchant l'authorité de nostre Sainçt Pere le Pape, comme [394] Vicaire de Nostre Sauveur et successeur de sainct Pierre.

  A001001677 

 Nous, Jean Claude Jarsellat Bébin, Docteur es Droicts, Chanoine de l'église Cathedrale S t Pierre de Geneve, Officiai a la partie de France de l'Evesché, Attestons, a tous quil appartiendra, avoir veu douzes cayers, tant gros que petits, et avoir bien recogneu iceux avoir estés escripts de la main propre de feu Illustrissime et Reverendissime François De Sales, vivant Evesque et Prince de Geneve; dans lesquels cayers est traicté de plusieurs poincts de controverses contre les heretiques de nostre temps, et particulierement touchant l'authorité de nostre Sainct Pere le Pape.

  A001001687 

 Attestons encor avoir veu trois autres cayers escritz par autre main que la siene, a la reserve de trois pages par nous reconues avoir esté escriptes par la propre main du dict François De Sales, lesquelz cayers traictent aussy de semblables controverses contre les heretiques.

  A001001687 

 Nous, Don Charles François Chastenoux, Docteur en Theologie, Prevost des Reverends Peres Barnabittes fondés en la ville de Thonon dans la Duché de Chablais, Attestons, a tous qu'il appartiendra, avoir veu douzes cayers, tant gros que petitz, et avoir bien reconuz iceux avoir estés escritz de la propre main et caractere de feu Illustrissime et Reverendissime François De Sales, vivant Evesque et Prince de Geneve, dans lesquelz cayers est traicté de [395] plusieurs poinctz de controverse contre les heretiques de nostre temps, et particulierement touchant l'auctorité de nostre Sainct Pere le Pape.

  A001001714 

 Je reconnois que la plus grande partie dudit traité est escrit de la propre main dudit Serviteur de Dieu, et l'autre partie de la main du Sieur George Roland, ou de Monsieur Louys de Sales, frere du Serviteur de Dieu.

  A001001714 

 Je reconnois que le 4 e cayet est tout entier escrit de sa main, qui contient 16 feuillets, c'est a dire, 32 pages; je reconnois que les 5 feuilles detacheez qui suivent apres ledit 4 me caiet sont toutes escrittes de la propre main du Serviteur de Dieu.

  A001001714 

 Je reconnois que le 5 e cayer, qui contient 8 feuillets, c'est a dire, 16 pages, quoyqu'en la derniere page il n'y ait qu'onze lignes et demies, est tout escrit de la main du Serviteur de Dieu.

  A001001722 

 Et en foy de ce que dessus, je me suis signé, fait contre-signer et sceller du scel de mes Armes..

  A001001722 

 Je sous signé, Atteste, qu'en l'année 1658, feu Monsieur l'Evesque de Genéve, Charles Auguste de Sales, mon frere, faisant sa visite dans la parroisse de la Thuille, trouva dans nostre chasteau dudit lieu, sous les ruines d'une vieille archive, un petit coffre de sappin fort simple, dans lequel Saint François de Sales, mon oncle, avoit mis les Lettres et autres papiers du Pape, des Nonces et des Princes, concernant sa Mission Apostolique pour la conversion du Chablais, et entr'autres plusieurs cayers écrits de la main du Saint, des matieres de controverses et refutation des erreurs de Calvin, et que le Bien-heureux faisoit imprimer en feüilles volantes, et les distribuoit toutes les semaines secretement dans les familles, pour les instruire des veritez de nostre sainte Foy, d'autant qu'il estoit deffendu par les ministres et Seigneurs heretiques, à tout le peuple, d'aller oüyr le predicateur Apostolique-Romain.

  A001001733 

 En effet, entre autres papiers tres-authentiques, il s'y rencontra quelques cahiers, petit in folio, tous escrits de la propre main dudit Saint François de Sales, et d'autres de main estrangere, mais corrigez et annotez par luy, par lesquels cayers il fut reconnu que c'estoit des traittez de controverse, composés par ce grand Saint au temps de sa Mission dans le Chablais, et qu'il distribuoit par feuilles aux peuples, apres que les magistrats heretiques leur eurent fait deffence d'aller aux predications du Papiste Romain; lequel traitté fut inseré entre les Actes dudit procez et produit dans ladite partie de la compulsation, pour que la Cour de Rome y eust tel égard que de raison, comme un ouvrage tres-excellant pour la deffense de la Sainte Eglise Romaine.


02-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome II-Defense de l'estendart de la Sainte Croix.html
  A002000021 

 Que l'Eglise chrestienne est visible.

  A002000025 

 Chapitre VIII. Que la Croix represente la Passion de Nostre Seigneur: preuve septiesme.

  A002000038 

 Chapitre X. Des tiltres et paroles honnorables que l'Eglise donne a la Croix.

  A002000057 

 Chapitre II. De l'honneur, que c'est; a qui et pourquoy il appartient d'honnorer et d'estre honnoré.

  A002000058 

 Chapitre III. De l'adoration; que c'est.

  A002000098 

 C'est la premiere besoigne que j'estale, elle est deuë au Seigneur du lieu; les confrairies de Savoye, pour lesquelles je l'ay dressee, la recevront de meilleur cœur, quand elles verront sur son front le glorieux nom de leur protecteur.

  A002000098 

 Je sçay, Monseigneur, quelles raysons j'aurois pour n'oser pas offrir a un si grand Prince un si petit ouvrage, comme est celuy ci; mays je n'ignore pas aussi le privilege des primices, et me prometz que le bon œil que Vostre Altesse a jetté sur quelques unes [3] qui de mes autres actions, ne me sera pas moins favorable en celle ci, a laquelle je ne suis porté d'autre desir que d'estre tenu pour homme, qui est, qui doit, et veut estre a jamais,.

  A002000098 

 La Croix aussi estoit de soy toute couverte d'ignominie, et signe infortuné de malediction; mays des lhors que Pilate, estant indubitablement touché d'en haut, comme a remarqué saint Ambroise, eut mis sur icelle l'inscription sacree, Jesus Nazarenus Rex Judæorum, elle fut rendue toute sainte et venerable par ce tiltre asseuré de son annoblissement.

  A002000098 

 Lhors les noires marques de son infamie furent du tout effacees par le sang sacré de l'Aigneau, [1] auquel ayant trempé la premiere elle en est demeuree pour jamais claire et blanche: comme font les estoles des Bienheureux, qui n'ont tiré leur blancheur que de ce — mesme vermeil.

  A002000098 

 On n'eut pas plus tost escrit le nom sacerdotal d'Aaron sur ceste ancienne et celebre baguette reservee dans l'Arche de l'alliance, que soudain elle bourgeonna et se trouva paree de ses feuilles, fleurs et fruitz, quoy qu'elle fust auparavant toute morte et sechee.

  A002000098 

 Or, entre plusieurs de la compaignie de la sainte Croix d'Annessi, qui pouvoyent et se sentoyent obligés de respondre a cest escrit, j'en pris fort librement la charge, et fus (a mon advis) advoué de sa divine bonté: car je n'eus pas si tost commencé a dresser cest advertissement, que, pour ne me laisser escrire de sa Croix en clerc d'armes, elle me mit sur les espaules la croix d'une aspre et longue maladie; au relever de laquelle je me [2] trouvay distrait a tant d'occupations, et l'imprimerie tant incommode, que je n'ay peu le produire jusques a ceste heure, qu'en fin il sort, et ne peut sortir sinon a l'abri de la faveur de Vostre Altesse.

  A002000098 

 Son desseinest de combattre pour l'honneur de la Croix blanche, qui est l'enseigne que Dieu a pieça confiee a la serenissime mayson de Savoye, a laquelle si la valeur chrestienne des devanciers n'eust acquis ce bon heur, il luy seroit meshuy tres justement deu, pour le saint zele que Vostre Altesse a tous-jours eu a la sainte foy et a la memoire de la Croix: mays particulierement quand elle a procuré si vivement, quoy que tres doucement, le restablissement de la Religion Catholique en ses balliages de Thonon et Ternier, se baignant dans un saint ayse d'y voir par tout replanter les saintz Estendartz de salut.

  A002000124 

 C'est ce que font eternellement les Bienheureux la haut, jettans leurs couronnes aux piedz de Celuy qui est assis au throsne, avec ceste reconnoissance: O Seigneur, nostre Dieu, vous estes digne de prendre la gloire, l'honneur et la vertu; car vous aves tout créé, et tout est et a esté créé par vostre volonté.

  A002000124 

 Comme Dieu tout puissant est la premiere cause de toute perfection, aussi veut-il que toute la gloire luy en revienne; c'est le tribut qu'il demande pour tous ses bienfaitz.

  A002000124 

 L'univers et chaque piece d'iceluy, pour petite qu'elle soit, a ce commun devoir d'honnorer son Createur, dequoy les Saintz les somment et sollicitent si souvent et si chaudement par tant d'exhortations et cantiques, que leurs livres en sont pleins; mais la façon de faire cest hommage est differente.

  A002000125 

 L'ennemy de la Croix avec lequel j'entreprens de combattre dit ainsy son advis sur ce sujet (et les autres de son parti ne disent pas mieux): «... nous croyons de cœur et confessons de bouche que Dieu seul doit estre servi et honoré... De faict, combien que nous puissions honorer les uns les autres civilement, suivant ce qui est commandé aux [7] inferieurs d'honorer leurs superieurs, si est-ce que quand il est question d'honneur religieux ou conscientieux, ce sont choses non accordantes de donner tout honneur à un seul Dieu et à son Fils, et en departir une portion à aucun homme, ou à la croix materielle, ou à creature qui soit.

  A002000125 

 Pour vray, ces verités sont si evidentes et asseurees qu'elles n'ont besoin que d'estre bien entendues; car faudroit-il refuser de faire honneur aux peres et meres, aux roys et magistratz, pour dire que toute gloire et honneur appartient a un seul Dieu? L'honneur de Dieu seroit deshonnoré par cest honneur, et ce respect offenseroit sa jalousie.

  A002000125 

 » Il partage donques l'honneur en civil et en conscientieux, et veut que du dernier s'entende seulement, qu' a Dieu seul soit honneur et gloire..

  A002000126 

 Et c'est a ceste occasion que les magistratz sont appellés dieux.

  A002000126 

 Ilz rendent tout honneur a Dieu, parce, disent-ilz, qu'il a tout creé et que tout est par sa volonté.

  A002000126 

 Mais je remarque au contraire: que c'est trop retrancher de l'honneur deu a Dieu, d'en lever le civil et politique; car si la rayson avancee par les Bienheureux est raysonnable, pour vray, non seulement tout honneur religieux, mays aussi tout honneur politique doit estre rendu a Dieu seul.

  A002000128 

 Car, comme les magistratz politiques president es choses civiles, aussi font les pasteurs es ecclesiastiques; et le mot de pasteur porte aussi bien son respect que celuy de roy, quoy que ce ne soit par l'ordre politique..

  A002000128 

 Je dis outre cela, qu'on doit et peut porter un honneur autre que civil a quelques creatures.

  A002000128 

 Nous devons honneur et respect aux superieurs ecclesiastiques, quelz qu'ilz soyent; et quel honneur peut-ce estre sinon religieux et conscientieux, puysque la qualité pour laquelle on les honnore n'a autre [9] cause ni sujet que la religion et conscience? Les offices et maistrises ecclesiastiques sont toutes autres que les politiques; elles tendent a diverses fins et par divers moyens.

  A002000129 

 Ilz sont nos citoyens et patriottes, jointz avec nous par beaucoup plus de charité que nous ne sommes entre nous autres.

  A002000129 

 Mais cest honneur deu aux Bienheureux ne peut estre que conscientieux et religieux; il n'est donques pas vray qu'il ne faille donner aucun honneur que politique aux creatures..

  A002000129 

 Quelle rayson donques y [10] peut-il avoir pour ne les honnorer pas? Certes, quand nous n'aurions autre communion avec eux que la seule charité, puysqu'ilz nous devancent en tant de perfections, ce seroit asses pour les nous rendre honnorables.

  A002000131 

 1. L'hommage ou honneur souverain, absolu et premier, vise immediatement a Dieu, et luy doit estre porté a droit fil; il n'a point d'autre propre objet que Dieu, ni Dieu ne peut estre purement et simplement objet d'autre honneur que de celuy la, pour la proportion que l'honneur et son objet doivent avoir ensemble.

  A002000131 

 Le souverain honneur n'est que pour la souveraine excellence; qui l'addresseroit ailleurs seroit inepte et idolatre..

  A002000132 

 2. Autant inepte seroit celuy qui voudrait porter a Dieu un honneur subalterne, car il n'y a non plus de proportion entre cest honneur la et Dieu, qu'entre la creature et l'honneur souverain; et comme l'honneur souverain ne peut avoir pour objet qu'une excellence souveraine, aussi l'honneur subalterne ne peut avoir pour objet que l'excellence subalterne.

  A002000132 

 Dire donques qu'il faut honnorer Dieu d'autre honneur que du souverain, c'est dire que l'excellence divine est autre que souveraine, [11] puysque l'honneur n'est autre que la protestation de l'excellence de celuy qu'on honnore, comme nous dirons sur la fin de ceste defense.

  A002000132 

 Donques honnorer une creature d'un souverain honneur, c'est protester qu'elle a une souveraine excellence, qui est une bestise; honnorer Dieu d'un honneur subalterne, c'est protester que son excellence est subalterne, qui est une autre bestise.

  A002000132 

 Tant s'en faut, donques, que ce soit idolâtrie de donner aucun honneur religieux aux creatures, qu'au contraire il y a un honneur religieux qui ne se peut donner qu'aux creatures, et seroit blaspheme de le porter a Dieu: c'est l'honneur subalterne qu'on doit aux Saintz et aux personnes ecclesiastiques, duquel j'ay parlé ci devant..

  A002000133 

 Ainsy n'est-il pas dit que les Bienheureux mettent leurs couronnes sur la teste de Celuy qui est assis au throsne, car a la verité elles seroyent trop petites et de ridicule proportion pour ceste grande majesté; mais ilz les jettent aux piedz d'Iceluy, en reconnoissance que c'est de luy et de sa volonté qu'ilz les tiennent.

  A002000141 

 Or je dis de plus, que non seulement on peut donner honneur et gloire a Dieu seul et tout ensemble a quelque creature, comme a la Croix, mays que pour bien rendre a Dieu l'honneur qui luy est deu il est force d'honnorer religieusement quelques creatures, et particulirement la Croix; c'est a dire que pour bien honnorer Dieu, non seulement l'on peut, mais l'on doit honnorer la Croix: et c'est l'autre fondement de ma Defense, lequel se prouvera par beaucoup de raysons particulieres, mais en voyci la source et l'origine..

  A002000142 

 Je ne suis pas digne, disoit-il, de porter ses soliers, ou d'en deslier les attaches. D'ou peut venir cest honneur des soliers sinon de l'esclat de la personne a qui ilz estoyent, qui rend saint Jean respectueux et reverend jusques a l'endroit de si peu de chose? Ainsy l'honnorable opinion que ces premiers Chrestiens avoyent de saint Pierre et saint Paul les rendoit honnorables jusques aux ombres et mouchoirs d'iceux, qu'ilz estimoyent moyens sortables a leurs guerisons..

  A002000142 

 Mays le plus excellent honneur est celuy par lequel on honnore tant une chose, que pour son respect on honnore encor toutes ses appartenances et dependances, selon les degrés qu'elles tiennent en ce rang.

  A002000142 

 Nous honnorons jusques aux plus simples appartenances des princes et roys, parce que nous honnorons beaucoup leurs personnes; mays nous ne tenons pas ce respect a l'endroit des personnes que nous honnorons moins.

  A002000142 

 Or, que le plus excellent honneur soit celuy qui s'estend a toutes les appartenances de la chose honnoree, je ne sçai qui le peut nier, sinon celuy qui [13] aura juré inimitié a la rayson et nature.

  A002000142 

 Partant, l'honneur deu a Dieu doit estre tel, que non seulement il en soit honnoré premierement et principalement, mais aussi consequemment toutes les appartenances d'iceluy.

  A002000143 

 Mais le trait de l'Escriture est sur tout remarquable pour nostre intention, quand il est dit que le nombre des croyans croissoit en sorte qu'ilz portoyent les malades en des places, sur les lictz, a fin qu'au moins l'ombre de saint Pierre les couvrist.

  A002000143 

 Voyes-vous comme l'accroissement de la foy et de l'honneur de Jesus Christ fait croistre l'honneur et [14] estime de ses Saintz et de ce qui depend d'eux? Ainsy saint Gregoire de Tours voulant raconter un miracle que je reciteray ci apres, il y fait ceste preface: « En ce tems ci Jesus Christ est aymé d'une si grande dilection par une entiere foy, que de celuy, la loy duquel les peuples fidelles retiennent es tables de leur cœur, ilz en affigent aussi par les eglises et maysons l'image, peinte en des tableaux visibles, pour une remembrance de vertu.

  A002000144 

 C'est bien une autre philosophie que celle des novateurs qui, pour mieux honnorer Jesus Christ, selon leur advis, rejettent les croix, images, reliques et autres appartenances d'iceluy, ne voulans qu'aucun honneur leur soit donné, par ce, disent-ilz, que Dieu est jaloux.

  A002000144 

 Cela offenseroit d'un costé sa jalousie, ainsy que ce seroit offenser un roy, si sous pretexte de l'honnorer on ne tenoit conte de sa couronne, de son sceptre, de sa cour.

  A002000144 

 Mays quelle jalousie pourroit avoir le soleil ou le feu de voir qu'on tint pour plus lumineux et chaud ce qui les approcheroit de plus pres? Ne se tiendroyent-ilz pas pour beaucoup plus mesprisés si l'on disoit le contraire, les privans de la vigueur qu'ilz ont de respandre et communiquer leurs belles qualités? Aussi, tant s'en faut que Dieu soit jaloux si l'on attribue quelque vertu excellente ou sainteté, et par consequent quelque honneur, aux creatures, que plustost seroit-il jaloux si on la leur levoit, puysque on le priveroit d'une des principales proprietés de sa bonté, qui est la communication.

  A002000144 

 Or Dieu, quoy qu'extremement jaloux, non seulement permet, mais commande que nous aymions les creatures, avec ceste seule condition que ce soit pour l'amour de luy.

  A002000144 

 Or, seroit-ce refuser a Dieu l'honneur et l'amour qui luy est deu, si on ne l'aymoit et honnoroit si parfaitement, que par la l'on n'aymast et honnorast encores toutes les choses qui luy appartiennent, chacune en son rang et degré.

  A002000144 

 Par contraire rayson, ce seroit offenser Dieu et sa [16] jalousie, qui priseroit, aymeroit ou honnoreroit autre chose que sa divine Majesté d'honneur egal et pareil a celuy qui luy est deu; comme le sujet et vassal offenseroit son souverain, de prester fidelité et hommage, de mesme sorte et façon que celle qu'il luy doit, a quelque autre seigneur ou prince..

  A002000144 

 Pourquoy seroit-il jaloux de nous voir honnorer les mesmes creatures a mesme condition, puysqu'il n'est jaloux de son honneur que comme d'une dependance de son amour? Au contraire, comme la jalousie de Dieu requiert que nous l'aymions tant et si parfaitement que pour l'amour de luy nous aymions [15] encor les creatures, aussi veut-il que nous l'honnorions tant que pour son honneur nous honnorions encor les creatures.

  A002000144 

 Se moqueroit-on pas de la jalousie de celuy qui ne voudroit que sa femme aymast ni honnorast aucun autre que luy, ni parens, ni amis, ni ceux auxquelz luy mesme feroit honneur et reverence? Seroit-ce pas une jalousie desreglee, puysque l'honneur et l'amour qu'une femme doit a son mari l'oblige d'aymer et honnorer tous ceux qui l'attouchent? Certes la jalousie touche principalement a l'amour.

  A002000145 

 Les payens et idolatres offensent la jalousie de Dieu en la seconde sorte; car ilz donnent pareil et semblable honneur aux creatures que celuy qui est deu a Dieu seul, puysque multiplians les divinités ilz multiplient encor la gloire qui est incommunicable.

  A002000145 

 Tous ces honneurs, reverences et respectz qu'elle porte aux creatures, pour excellentes qu'elles soyent, ne sont que subalternes, inferieurs, finis et dependans, qui tous se rapportent, comme a leur source et origine, a la gloire d'un seul Dieu, qui en est le souverain Seigneur et principe..

  A002000146 

 J'ay voulu prendre l'air de mon discours de si loin pour bien descouvrir l'estat et le vray point du different que j'ay avec l'autheur du petit traitté contre lequel je fais ceste Defense, lequel a mon advis est cestuy cy: Si ainsy est que la Croix soit une appartenance religieuse de Jesus Christ, luy doit-on attribuer quelque honneur [17] ou vertu dependante et subalterne? Et par les fondemens generaux que j'ay jettés cy devant il appert asses de la verité de la foy Catholique touchant ce point; et neanmoins, toute ceste Defense n'est employee a autre qu'a la confirmer et faire des preuves particulieres de cest article: Qu'il faut attribuer honneur et vertu a la Croix..

  A002000152 

 Voyla tout le dessein de ces quattre livres, lesquelz ayans esté dressés pour vostre usage, mes tres aymés et tres honnorés Freres et Seigneurs en Jesus Christ crucifié, j'ay encor a vous dire certaines choses avant que vous entries en la lecture d'iceux.

  A002000153 

 Ce que j'ay fait, et ay observé le meilleur ordre que j'ay peu a respondre a tout cela piece a piece, pour faire que ceste Defense fust non seulement une response a ce traitté-la, mays encor un discours bien rangé pour le sujet de l'honneur et vertu de la Croix.

  A002000153 

 I. Que mon adversaire ayant fait un amas d'inepties et mensonges en son traitté, sans aucun ordre ni disposition, il m'a semblé que je devois retirer toutes ces pieces l'une apres l'autre, et considerer ou elles se pouvoyent rapporter, et en faire comme quattre monceaux: l'un de ce qui touchoit au deshonneur de la vraye Croix, l'autre a celuy des images de la vraye Croix, le troysiesme de ce qui touchoit au signe d'icelle, et le quattriesme de ce qui estoit dit contre la Croix generalement.

  A002000154 

 II. Je proteste aussi que si j'eusse jugé les simples gens qui sont deceuz ou nourris en leurs abus par le traitté de mon adversaire et autres semblables, autant.

  A002000155 

 Mays affin que je paye en contant l'approbation que je desire de vous) touchant ce jugement, sans attendre que vous ayes leu tout mon advertissement (qui peut estre n'obtiendra pas ceste grace de vous que vous y employies beaucoup de tems), je vous veux mettre devant quelques pieces de ce beau traitté, affin que vous voyies que peut valoir le tout. Le tout n'est que de 62 petites pages: en la premiere il n'y a que le tiltre, lequel pour bon commencement est du tout mensonger, car il porte le nom « de la vertu de la [20] Croix et de la maniere de l'honorer », et le traitté n'est employé a autre qu'a persuader la Croix estre inutile et indigne d'honneur.

  A002000155 

 indignes de compassion et secours que le traitté de response, je n'eusse jamais dressé cest advertissement; [19] car le traitté n'est rien qui vaille, ce n'est pas seulement un mensonge bien agencé.

  A002000156 

 Et est vray que Dieu a fait tout ce qu'il a voulu, et peut tout ce qu'il veut; mays c'est une bestise de dire qu'il veut tout ce qu'il peut, ou qu'il ne peut [21] que ce qu'il a declairé vouloir.

  A002000156 

 » Pour Dieu, quel blaspheme, que Dieu ne puisse sinon ce qu'il a declairé vouloir; mays au contraire, Dieu n'a onques declairé qu'il voulust qu'un chameau entrast par le trou d'une aiguille, ou que les enfans d'Abraham fussent suscités des pierres, et toutefois il le peut faire, ainsy que l'Escriture temoigne.

  A002000157 

 C'est donq le mesme de dire que Jesus Christ a beu la couppe de l'ire de Dieu et a souffert des peynes infinies, et dire qu'il a eu crainte pour le salut de son ame: or la crainte presuppose probabilité en l'evenement du mal que l'on craint: si donques Nostre Seigneur eut crainte de son salut, il eut par consequent probabilité de sa damnation.

  A002000157 

 Item, souffrir des peynes infinies presuppose la privation de la grace de Dieu, principalement si on parle des peynes temporelles telles qu'il faut confesser avoir esté celles de Jesus Christ: si donques Jesus Christ a souffert des peynes infinies, quoy que temporelles, il aura esté privé de la grace de Dieu; qui sont parolles desquelles le blaspheme mesme auroit honte, et neanmoins c'est la theologie du traitteur.

  A002000157 

 Que Jesus Christ a « beu la coupe de l'ire de Dieu » et que « ses souffrances sont infinies.

  A002000157 

 » C'est le blaspheme de Calvin qui dit que Jesus Christ eut crainte pour le salut de son ame propre, redoutant la malediction et ire de Dieu; car a la verité aucune peyne ne peut estre infinie, ni aucun ne peut boire la couppe de l'ire de Dieu, pendant qu'il est asseuré de son salut et de la bienveuillance de Dieu.

  A002000159 

 4. C'est de mesme quand il allegue pour inconvenient que « Nostre Dame ayt esté compagne des souffrances de nostre Sauveur »; car pour vray, si elle n'a esté compagne de ses souffrances, elle ne le sera pas de ses consolations ni de son paradis..

  A002000160 

 Je sçay qu'un bon excusant pourroit tirer toutes ces propositions a quelque sens moins inepte que celuy qu'elles portent de prime face, mais il feroit tort au traitteur qui l'entend comme il le dit; et n'est pas raysonnable que l'on reçoive a aucune sorte d'excuse celuy, lequel va pinçant par le menu tous les motz des hymnes et oraisons ecclesiastiques, pour les contourner a mauvais sens, contre la manifeste intention de l'Eglise.

  A002000162 

 « Sainct Hierosme, » dit-il, parlant du Thau mentionné au IX e chapitre d'Ezechiel, « laissant le charactere dont a usé le Prophete, a recherché le charactere des Samaritains... » C'est un mensonge; car au contraire, saint Hierosme n'allegue le Thau des Samaritains que pour rechercher celuy dont le Prophete et les anciens Hebreux usoyent..

  A002000163 

 Il fait dire au placquart que saint Athanase a escrit « que Dieu a fait predire le signe de la Croix par Ezechiel; » chose fausse..

  A002000165 

 Il dit que « Constantin le Grand fut le premier qui fit des croix d'estoffe.

  A002000165 

 » Mays Tertullien, Arnobe et Justin le Martyr sont tesmoins irreprochables que c'est une fauseté.

  A002000166 

 Il allegue le « huictieme livre d'Arnobe », qui n'en a fait que sept..

  A002000167 

 Il dit « la resolution du plaquard » estre que « la Croix doit estre adoree de latrie; » dequoy le placquart ne dit mot..

  A002000168 

 Il dit que saint « Athanase, és questions à Antiochus, atteste que les Chrestiens n'adoroient la Croix », la ou ce docteur dit tout le contraire.

  A002000169 

 Mais est-il pas playsant quand il attribue une certaine vieille rime françoise aux Heures de l'usage de [24] Rome? Pour vray, un si grand nombre d'impertinences manifestes, avec cent autres telles (que je n'ay voulu cotter par le menu), en si peu de besoigne comme est le traitté, me fait croire que l'autheur ne peut estre sinon quelque arrogant pedant, ou quelque ministre hors d'haleyne et morfondu, ou si c'est quelque homme d'erudition, la rage et passion luy en aura levé l'usage; et de vray il fit ceste besoigne fort a la haste, et ne se bailla gueres de loysir apres la sortie des placquars..

  A002000170 

 III. La troisiesme chose que je vous diray sera la rayson que j'ay eue d'entreprendre ceste response, et c'est l'occasion que mon adversaire pretend avoir eue de dresser un traitté.

  A002000170 

 Nous estimons que ceux qui ont ici apporté et divulgué les deux escrits qu'ils font voler en forme de plaquars, ont voulu faire plorer et gemir plusieurs bons Chrestiens d'entre nous.

  A002000170 

 Or il la propose luy mesme en ceste sorte: « Necessité nous est imposee de parler de l'abus insupportable commis touchant la Croix, afin que tous apprennent comment il se faut munir contre le poison de l'idolatrie que le diable vient à vomir derechef en ce temps et en ce voisinage, se servant du bastellage de certains siens instrumens qui, et par paroles et par escrits, taschent à rebastir l'idolatrie, comme les murs de Jericho qui par la voix des trompettes de Dieu sont tombez, dés bon nombre d'annees en ces quartiers.

  A002000170 

 » Il parle de l'Oraison des Quarante Heures qui se fit au village d'Annemasse, l'annee MDXCVII, ou accourut un nombre incroyable de personnes, et entre autres la Confrerie des penitens d'Annessi, aisnee de toutes les autres de Savoye; laquelle, quoy qu'esloignee d'une journee, sçachant que l'on avoit a dresser une grande croix sur le haut d'un grand chemin tirant vers Geneve, pres d'Annemasse, se trouva a fort bonne heure en l'eglise, ou les Confreres ayans communié de la main de Monseigneur le Reverendissime Evesque, elle le suivit aussi a la procession pour faire la [25] premiere heure de l'Oraison, avec la procession de Chablais, en laquelle il y avoit desja grand nombre de nouveaux convertis, qui furent comme les primices de la grande moisson que l'on a recueillie de ce mesme païs et du païs de Ternier.

  A002000171 

 C'est cela qui l'eschauffa a faire ce beau traitté, voyant que non seulement les paroles et les escritz, mays aussi ces grans exemples de pieté dissipoyent les nuages et brouillas que ceux de son parti avoyent opposés a la blanche clairté de la Croix pour en empescher la vraye veuë, et a cuydé pouvoir encor troubler l'air et offusquer les yeux des simples gens par son traitté.

  A002000171 

 Cependant c'est une imposture ce que dit le traitteur, l'honneur et reverence de la Croix (qu'il nomme faussement idolatrie) avoir esté abattue au lieu ou ces Quarante Heures furent celebrees et ces placquars divulgués, car l'exercice Catholique y a tousjours esté maintenu a la barbe de l'heresie, avec un aussi grand miracle comme est celuy par lequel Dieu contient le vaste et fluide element de l'eau dedans les bornes et limites qu'il luy a assignees, qui ne se peuvent outrepasser.

  A002000171 

 Dequoy tous tant que nous sommes des membres d'iceluy devons rendre graces immortelles a la Bonté celeste, sans laquelle nous pouvons bien dire que ceste eau maligne nous eust abismés..

  A002000172 

 Et si mon adversaire se fust nommé, peut estre me fussé-je contraint a quelque peu plus de respect; mais puysque je ne sçay ni n'ay occasion de sçavoir que ce soit autre qu'un je ne sçay qui, je ne me sens obligé de le supporter aucunement en son insolence.

  A002000172 

 IV. J'ay encor a vous dire pour la quattriesme chose, que, ne sçachant qui est l'autheur du traitté auquel je fais response et m'estant force de l'alleguer souvent, j'ay pris congé de me servir du nom de traitteur, lequel je n'emploie qu'a faute d'autre plus court; et cependant je n'ay voulu user d'aucunes injures ni invectives mordantes, comme il a fait, ma nature n'est point tournee a ce biais.

  A002000172 

 Mais aussi n'ay-je pas voulu tant affecter la douceur et modestie que je n'aye laissé lieu a la juste liberté et naïfveté de langage.

  A002000172 

 Or je me nomme au contraire, non pour l'obliger a aucun respect (car a l'adventure que le rang [27] auquel je suis en ceste Eglise Cathedrale le mettra en humeur de me traitter plus mal), mais affin que s'il est encor a Geneve, d'ou son traitté est sorti, il sçache ou il trouvera son respondant s'il a quelque chose a demesler avec luy touchant ce different; l'asseurant qu'il ne me trouvera jamais que très bien affectionné a son service par tout ou il ne sera pas mal affectionné au Crucifix et a la Croix.

  A002000173 

 Au reste c'est a vous, Messieurs mes Confreres, que j'addresse mon advertissement, non que je ne souhaitte qu'il soit leu de plusieurs autres, mais, parce que vous vous estes dediés par une particuliere devotion a l'honneur du tres saint Crucifix et de sa Croix, vous estes aussi obligés de sçavoir plus particulierement rendre conte et rayson de cest honneur.

  A002000173 

 Et affin que les armes vous fussent plus a commodité, je vous en ay appresté autant qu'il m'a esté [28] possible en ces quattre livres: lesquelles, si elles ne sont ni dorees ni riches d'aucune belle graveure, je vous prieray de l'attribuer plustost a ma pauvreté que non pas a chicheté.

  A002000173 

 Et puysque vous estes tous liés en une sainte societé, et que les devotes actions des Confreres d'Annessi ont baillé en partie sujet a l'escarmouche que je soustiens, les loix de nos alliances spirituelles requierent qu'un chacun de vous contribue a mon secours.

  A002000173 

 Et toutefois je cuyde avoir fait ce que j'avois a faire, qui n'estoit autre que de respondre au traitteur en ce qui touchoit la Croix.

  A002000173 

 Je laisse tout le reste comme hors de propos, et ne fais que cela..

  A002000174 

 Si trouveres-vous encor icy quelques belles pieces de poesie et versions des vers des anciens Peres que je cite, lesquelles sont parties de la main de Monsieur nostre President de Genevois, AntoyneFavre, l'une des plus riches ames et des mieux faittes que nostre aage ayt portées, et qui par une rare condition sçait extremement bien assortir l'exquise devotion dont il est animé avec la singuliere vigilance qu'il a aux affaires publiques.

  A002000174 

 Voulant donq employer ces vers anciens, ne sçachant ou rencontrer un plus chrestien et sortable traducteur pour des autheurs si saintz et graves comme sont ceux que je produis, je le priay de les faire françois; ce qu'il fit volontiers, et pour le service qu'il a voué a la Croix, et pour l'amitié fraternelle que la divine Bonté comme maistresse de la nature a mise si vive et parfaitte entre luy et moy, nonobstant la diversité de nos naissances et vacations, et l'inegalité en tant de dons et graces que je n'ay ni possede sinon en luy..

  A002000175 

 Combattons, Messieurs, tous ensemble sous la tres [29] sainte enseigne de la Croix, non seulement crucifians la vanité des raysons heretiques par l'opposition de la sainte et saine doctrine, mais crucifians encor en nous le viel Adam avec toutes ses concupiscences: affin que renduz conformes a l'image du Filz de Dieu, lhors que cest Estendart de la Croix sera planté sur les murailles de la Hierusalem celeste, en signe que toutes les richesses et magnificences d'icelle seront exposees au butinement de ceux qui auront bien combattu, nous puissions avoir part a ces riches despouïlles que le Crucifix promet pour recompense a la violence de ses soldatz, qui est le bien de l'heureuse immortalité.

  A002000185 

 Donques le mot de croix, selon l'usage des Chrestiens, signifie par fois les peynes et travaux necessaires pour obtenir le salut, comme au lieu que je viens de citer; par fois aussi, il signifie une certaine sorte de supplice duquel on chastioit jadis les plus infames malfaiteurs; et autres fois, l'instrument ou gibbet sur lequel ou par lequel on exerçoit ce tourment.

  A002000185 

 La croix et son nom estoit horrible et funeste, jusqu'à ce que le Filz de Dieu, voulant mettre en honneur les peynes et travaux et le crucifiement, sanctifia premierement le nom de croix, si que en l'Evangile il se trouve presque par tout en une signification honnorable et religieuse: Qui ne prend sa croix, disoit-il, et ne vient apres moy, n'est pas digne de moy.

  A002000186 

 Entendes donques tous-jours quand je parleray de la Croix, de sa vertu et de son honneur, que c'est de celle de Jesus Christ de laquelle je traitte: donq j'admire le traitteur qui presuppose que nous separions la Croix de Jesus Christ d'avec Jesus Christ mesme, sans aucune dependance d'iceluy.

  A002000186 

 Or est-il certain que deux pieces de bois, de pierre, ou de quelqu'autre matiere, traversantes l'une a l'autre font une croix, mays elles ne font pas pour cela la Croix de Jesus Christ, de laquelle seule, et non d'aucune autre, les Chrestiens font estat..

  A002000186 

 Si que, voulant monstrer que les passages des anciens Peres cités es placquars ne sont pas bien entenduz, il parle en ceste sorte: « Quelques passages des Anciens y sont alleguez, mais hors et bien loin du sens des autheurs; car, quand les Anciens ont parlé de la Croix, ils n'ont pas entendu de deux pieces traversantes l'une sur l'autre, ains du mystere de nostre redemption, dont le vray sommaire et accomplissement a esté en la Croix, mort et passion de Jesus Christ; et cest equivoque ou double signification de croix, n'estant apperceuë par les sophistes, fait qu'ils errent et font errer.

  A002000187 

 Et ne sçai si le traitteur trouvera jamais au Nouveau Testament que le mot de croix soit pris immediatement et principalement pour le supplice de la crucifixion, au moins quant aux passages qu'il cite a ceste intention.

  A002000188 

 Et c'est ce que saint Pol enseigne, quand il ne veut que personne s'attribue l'honneur pastoral sinon celuy qui est appelle de Dieu, comm'Aaron: car la vocation d'Aaron fut faitte par l'ordinaire, Moyse, si que Dieu ne mit pas sa sainte parole en la bouche de Aaron immediatement, mays Moyse, auquel Dieu fit ce commandement: Parle a luy, et luy metz mes paroles en sa bouche; et je seray en ta bouche et en la sienne. Que si nous considerons les paroles de saint Pol, nous apprendrons mesme, 5.

  A002000188 

 Et comment? immediatement et mediatement tout ensemble: immediatement, en son Baptesme et en sa Transfiguration, avec ceste voix: Cestuyci est mon Filz bien aymé auquel j'ay pris mon bon playsir, escoutes le; mediatement, par les [33] Prophetes, et sur tout par David es lieux que saint Pol cite a ce propos des Psalmes: Tu es mon Filz, je t'ay engendré aujourdhuy, Tu es prestr'eternellement, selon l'ordre de Melchisedec.

  A002000188 

 que la vocation des pasteurs et magistratz ecclesiastiques doit estre faite visiblement ou perceptiblement, non par maniere d'enthousiasme et motion secrette: car voyla deux exemples quil propose; d'Aaron, qui fut oint et appellé visiblement, et puys de Nostre Seigneur et Maistre, qui, estant sauverain Pontife et Pasteur de tous les siecles, ne s'est point clarifié soy mesme, c'est a dire, ne s'est point attribué l'honneur de sa sainte prestrise, comme avoit dict saint Pol au paravant, mays a esté illustré par Celuy qui luy a dict: Tu es mon Filz, je t'ay engendré au jourdhuy, et, Tu es prestr'eternellement, selon l'ordre de Melchisedech. Je vous prie, penses a ce trait.

  A002000188 

 « Que par le sang de la Croix de Christ nostre paix a [32] sans scrupule? c'estoit bien recevoir sa mission a bon escient.

  A002000189 

 Et de vray, si l'extraordinaire devoit abolir l'ordinaire, comment sçaurions nous quand, a qui, et comment, nous nous y devrions ranger? Non, non, l'ordinaire est immortelle pendant que l'Eglise sera ça bas au monde: Les pasteurs et docteurs quil a donnés une fois a l'Eglise doivent avoir perpetuelle succession, pour la consummation des Saintz, jusques a ce que nous nous rencontrions tous en l'unité de la foy, et de la connoissance du Filz de Dieu, en homme parfaict, a la mesure de l'aage entiere de Christ; affin que nous ne soyons plus enfans, flotans et demenés ça et la a tous vens de doctrine, par la piperie des hommes et par leur rusëe seduction.

  A002000189 

 Je dis, 3., que l'authorité de la mission extraordinaire ne destruict jamais l'ordinaire, et n'est donnee jamais pour la renverser: tesmoins tous les Prophetes, qui jamais ne firent autel contr'autel, jamais ne renverserent la prestrise d'Aaron, jamais n'abolirent les constitutions sinagogiques; tesmoin Nostre Seigneur, qui asseure que tout royaume divisé en soymesme sera désolé, et l'une mayson tumbera sur l'autre; tesmoin le respect quil portait a la chaire de Moyse, la doctrine de laquelle il vouloit estre gardëe.

  A002000189 

 Or la parole de Nostre Seigneur nous oste de toutes ces difficultés, qui a edifié son Eglise sur un si bon fondement, et avec une proportion si bien entendue, que les portes d'enfer ne prævaudront jamais contre elle.

  A002000189 

 Que si jamais elles n'ont prævalu ni prævaudront, la vocation extraordinaire ny est pas necessaire pour l'abolir: car Dieu ne hait rien de ce quil a faict, comment donq aboliroit il l'Eglis'ordinaire pour en faire d'extraordinaires? veu que c'est luy qui a edifié l'ordinaire sur soymesme, et l'a cimentee de son sang propre..

  A002000189 

 Voyla le beau discours que faict saint Pol, pour mons trer que si les docteurs et pasteurs ordinaires n'avoient perpetuelle succession, ains fussent sujetz a l'abrogation des extraordinaires, nous n'aurions aussi qu'une foy [34] et discipline desordonnee et entrerompue a tous coupz, nous serions sujetz a estre seduictz par les hommes qui a tous propos se vanteroyent de l'extraordinaire vocation, ains, comme les Gentilz, nous cheminerions (comme il insere apres) en la vanité de nos entendemens, un chacun se faysant accroire de sentir la motion extraordinaire du Saint Esprit: dequoy nostre aage fournit tant d'exemples, que c'est une des plus fortes raysons qu'on puysse præsenter en cest'occasion; car, si l'extraordinaire peut lever l'ordinair'administration, a qui en laisserons nous la charge? a Calvin, ou a Luther? a Luther, ou au Pacimontain? au Pacimontain, ou a Blandrate? a Blandrate, ou a Brence? a Brence, ou a la Reyne d'Angleterre? car chacun tirera de son costé ceste couverte de la mission extraordinaire.

  A002000195 

 Je n'ay encor sceu rencontrer parmy vos maistres que deux objections a ce discours que je viens de faire; dont l'une est tirëe de l'exemple de Nostre Seigneur et des Apostres, l'autre, de l'exemple des Prophetes..

  A002000196 

 Au moins ne se devroyent ilz pas exempter de produyre des miracles sur une telle mutation, quoy que vous tiries prætexte de l'Escriture; puysque Nostre Seigneur ne s'en exempta pas, comme j'ay monstré cy dessus, encores que le changement quil faysoit fut puysé de la plus pure source des Escritures.

  A002000196 

 Mays ou me monstreront ilz que l'Eglise doive jamais plus recevoir un'autre forme, ou semblable reformation, que celle qu'y fit Nostre Seigneur?.

  A002000196 

 Mays quand a la premiere, dites moy, je vous prie, [35] trouves vous bon qu'on mette en comparaison la vocation de ces nouveaux ministres avec celle de Nostre Seigneur? Nostre Seigneur avoit il pas esté prophetisé en qualité de Messie? son tems n'avoit il pas esté determiné par Daniel? a-il faict action qui presque ne soit particulierement cottëe es Livres des Prophetes et figurëe es Patriarches? Il a faict changement de bien en mieux de la loy Mosaique, mays ce changement la n'avoit il pas esté prædit? Il a changé par consequence le sacerdoce Aaronique en celuy de Melchisedech, beaucoup meilleur; tout cela n'est ce pas selon les tesmoignages anciens? Vos ministres n'ont point esté prophetisés en qualité de prædicateurs de la Parole de Dieu, ni le tems de leur venue, ni pas une de leurs actions; ilz ont faict un remuement sur l'Eglise beaucoup plus grand et plus aspre que Nostre Seigneur ne fit sur la Sinagogue, car ilz ont tout osté sans y remettre que certaines ombres, mays de tesmoignages ilz n'en ont point a cest effect.

  A002000197 

 De façon que la vocation des Prophetes ne sert de rien a celle des hæretiques ou schismatiques, car:.

  A002000197 

 Il y en avoyt en Ramatha, en Bethel, en Hiericho ou Elisëe habita, en la montaigne d'Ephraim, en Samarie; Elisëe mesme fut oint par Helie; la vocation de Samuel fut recogneüe et advouëe par le grand Prestre, et en Samuel recommença le Seigneur a s'apparoistre en Silo, comme dict l'Escriture, qui [36] faict que les Juifz tiennent Samuel comme fondateur des congregations prophetiques.

  A002000197 

 On pense que tous ceux qui prophetisoyent exerceassent la charge de la prædication: ce qui n'estoit pas, comm'il appert des sergens de Saul et de Saul mesme.

  A002000197 

 On pense que toutes les vocations des Prophetes ayent esté extraordinayres et immediates: chose fause; car il [y] avoit des colleges et congregations de Prophetes reconneuz et advoüés par la Sinagogue, comme on peut recueillir de plusieurs passages de l'Escriture.

  A002000198 

 Ou ell'estoit ordinaire, comme nous avons monstré cy devant, ou approuvëe du reste de la Sinagogue, comm'il est aysé a voir en ce qu'on les reconnoissoit incontinent, et en faysoit on conte en tous lieux parmi les Juifz, les appellans hommes de Dieu: et a qui regardera de pres l'histoire de cest'ancienne Sinagogue, verra que l'office des prophetes estoit aussy commun entr'eux qu'entre nous des prædicateurs..

  A002000199 

 Isaïe, voulant escrire dans un grand livre qui luy fut monstré, prit Urie prestre, quoy qu'a venir, et Zacharie prophete a tesmoins, comme s'il prenoyt le tesmoignage de tous les prestres et prophetes; et Malachie atteste il pas que les levres du prestre gardent la science, et demanderont la loy de sa bouche; car c'est l'ange du Seigneur des armëes? tant s'en faut que jamais ilz ayent retiré les Juifz de la communion de l'ordinaire..

  A002000201 

 Si donques il est question entre nous de l'authorité prophetique, elle nous demeurera, soit elle ordinaire ou extraordinaire, puysque nous en avons l'effect, non pas a vos ministres qui n'en ont jamais faict un brin de preuve: sinon quilz voulussent appeller propheties la vision de Zuingle, au livre inscrit, Subsidium de Eucharistia, et le livre intitulé, Querela Lutheri, ou la prædiction quil fit, l'an 25 de ce siecle, que sil præchoit encor deux ans il ne demeureroit ni Pape, ni prestres, ni moynes, ni clochers, ni Messe.

  A002000202 

 .. Le bon enfant Samuel, humble, doux et saint, ayant esté apellé par trois fois de Dieu, pensa tousjours que ce fut Heli qui l'eut appellé, et a la 4 me seulement s'addressa a Dieu, comm'a celuy qui l'appeloit.

  A002000202 

 Il a semblé par trois foys a vos ministres que Dieu les eust appellé: 1.

  A002000202 

 Je n'envoÿoys pas les prophetes et ilz couroyent; je ne parloys pas a eux et ilz prophetisoyent. J'ay ouÿ ce que les prophetes ont dict, prophetisans en mon nom le mensonge, et disans, j'ay songé, j'ay songé.

  A002000202 

 Mays non, que maintenant, enseignés de l'Eglise, ilz reconnoyssent que c'est une vocation de l'homme, et que les oreilles ont corné a leur viel Adam, et s'en remettent a celuy qui, comm'Heli, præside maintenant a l'Eglise..

  A002000202 

 Non, non, qu'ilz..... Samuel fut appellé troys fois de Dieu, et selon son humilité il pensoyt que ce fut une vocation d'homme, jusques a tant qu'enseigné par Heli il conneust que c'estoit la voix divine.

  A002000202 

 Vos ministres, Messieurs, produysent trois vocations de Dieu: par les magistratz seculiers, par les Evesques, et par la voix extraordinaire; ilz pensent que ce soyt Dieu qui les aye apellé en ces troys façons la.

  A002000202 

 Vos premiers ministres donques, Messieurs, sont de ces prophetes que Dieu defendoit d'estr'ouys parler, [en] Hieremie: Ne veuïlles ouyr les paroles des prophetes qui prophetisent et vous deçoivent; ilz parlent la vision de leur cœur, et non point par la bouche du Seigneur.

  A002000202 

 Vous sembl'il pas que ce soyent Luther et Zuingle avec leurs propheties et visions? ou Carolostade avec sa revelation quil disoit avoir eue pour sa cene, qui donna occasion a Luther d'escrire son livre, Contra cœlestes prophetas? C'est [38] bien eux, au moins, qui ont ceste proprieté de n'avoir pas estés envoyés; c'est eux qui prennent leurs langues, et disent, le Seigneur a dict: car ilz ne sçauroyent jamais monstrer aucune preuve de la charge quilz usurpent, ilz ne sçauroyent produyre aucune legitime vocation, et, donques, comme veulent ilz precher? On ne peut s'enrooler sous aucun capitayne sans l'aveu du prince, et comment fustes vous si promtz a vous engager sous la charge de ces premiers ministres, sans le congé de vos pasteurs ordinaires, mesme pour sortir de l'estat auquel vous esties nay et nourry qui est l'Eglise Catholique? Ilz sont coulpables d'avoir faict de leur propr'authorité ceste levëe de bouclier, et vous de les avoir suyvis; dont vous estes inexcusables.

  A002000213 

 Au contraire, Messieurs, l'Eglise qui contredisoit et s'opposoit a vos premiers ministres, et s'oppose encores a ceux de ce tems, est si bien marquëe de tous costés, que personne, tant aveuglé soit il, ne peut prætendre cause d'ignorance du devoir que tous les bons Chrestiens luy ont, et que ce ne soit la vraÿe, unique, inseparable et très chere Espouse du Roy celeste; qui rend vostre separation d'autant plus inexcusable.

  A002000213 

 Car, sortir de l'Eglise, et contredire a ses decretz, c'est tousjours se rendre ethnique et publicain, quand ce seroit a la persuasion d'un ange ou seraphim; mays, a la persuasion d'hommes pecheurs a la grande forme, comme les autres, personnes particulieres, sans authorité, sans adveu, sans aucune qualité requise a des precheurs ou profetes que la simple connoissance de quelques sciences, rompre tous les liens et [la] plus religieuse obligation d'obeissance qu'on eust en ce monde, qui est celle qu'on doit a l'Eglise comm'Espouse de Nostre Seigneur, c'est une faute qui ne se peut couvrir que d'une grande [40] repentance et pœnitence, a laquelle je vous invite de la part du Dieu vivant..

  A002000214 

 Je crois que cestecy est l'extrem'absurdité, et qu'au pardela immediatement se loge la frenesie et rage..

  A002000214 

 Les adversaires, voyans bien qu'a ceste touche leur doctrine seroit reconneüe de bas or, ont tasché par tous moyens de nous divertir de ceste preuve invincible que nous prenons es marques de la vraÿe Eglise, et partant ont voulu maintenir que l'Eglise est invisible et imperceptible, et par consequent irremarquable.

  A002000215 

 Ceste theologie est [tant] imaginaire et damnatoire, que les autres ont mieux aymé dire que durant ces mill'ans l'Eglise n'estoit ni visible ni invisible, mays du tout abolie et estoufëe par l'impieté et l'idolatrie..

  A002000215 

 Mays ilz vont par deux chemins a ceste leur opinion de l'invisibilité de l'Eglise; car les uns disent qu'ell'est invisible par ce qu'elle consiste seulement es personnes esleües et prædestinëes, les autres attribuent cest'invisibilité a la rareté et dissipation des croyans et fidelles: dont les premiers tiennent l'Eglis'estre en tous tems invisible, les autres disent que cest'invisibilité a duré environ mill'ans, ou plus ou moins, c'est a dire, des saint Gregoire jusqu'a Luther, quand la papauté estoit paysible parmi le Christianisme; car ilz disent que durant ce tems la il y avoit plusieurs vrais Chrestiens secretz, qui ne descouvroyent pas leurs intentions, et se contentoyent de servir ainsy Dieu a couvert.

  A002000216 

 Permettes moy, je vous prie, que je die librement la verité.

  A002000216 

 S'il est comm'une montaigne, et si grande qu'elle remplit la terre, comme sera elle invisible ou secrette? et s'il dure æternellement, comm'aura il manqué 1000 ans? Et c'est bien du royaume de l'Eglise militante que s'entend ce passage: car, 1.

  A002000216 

 Tous ces discours ressentent le mal de chaud; ce sont des songes qu'on faict en veillant, qui ne valent pas celuy que Nabuchodonosor fit en dormant; aussy luy sont ilz du tout contraires, si nous croyons a l'in terpretation de Daniel: car Nabuchodonosor vit une pierre taillëe d'un mont sans œuvre de mains, qui vint roulant et renversa la grande statue, et s'accreut tellement que devenue montaigne elle remplit toute [41] la terre; et Daniel l'entendit du royaume de Nostre Seigneur qui demeurera æternellement.

  A002000216 

 celuy de la triomphante remplira le ciel, non la terre seulement, et ne s'eslevera pas au tems des autres royaumes, comme porte l'interpretation de Daniel, mais apres la consommation du siecle; joint que d'estre taillé de la montaigne sans œuvre manuelle appartient a la generation temporelle de Nostre Seigneur, selon laquelle il a esté conceu au ventre de la Vierge, engendré de sa propre substance sans œuvre humayne, par la seule benediction du Saint Esprit.

  A002000217 

 L'assemblëe des Juifz s'appelloyt Sinagogue, celle des Chrestiens s'appelle Eglise: par ce que les Juifz estoyent comm'un troupeau de bestail, assemblé et entroupelé par crainte, les Chrestiens sont assemblés par la Parole de Dieu, appellés ensemble en union de charité par la prædication des Apostres et leurs successeurs; dont saint Augustin a dict: « L'Eglise est nommee de la convocation, la Sinagogue, du troupeau; par ce qu'estre convoqué appartient plus aux hommes, estr'entroupelé appartient plus au bétail.

  A002000217 

 Mays il faut avant tout dire que c'est qu'Eglise.

  A002000217 

 » Or c'est a bonne rayson que l'on [a] apelé le peuple Chrestien Eglise ou convocation, par ce que [le] premier benefice que Dieu faict a l'homme pour le mettr'en grace, c'est de l'appeller a l'Eglise; c'est le premier effect de sa prædestination: Ceux quil a prædestinés il les [42] a appellés, disoit saint Pol aux Romains; et aux Collossiens: Et la paix de Christ tressaute en vos cœurs, en laquelle vous estes appelles en un cors. Estr'apellés en un cors c'est estr'apellés en l'Eglise; et en ces similitudes que faict Nostre Seigneur en saint Mathieu, de la vigne et du banquet avec l'Eglise, les ouvriers de la vigne et les convies aux noces il les nomme apellés et convoqués: Plusieurs, dict il, sont apellés, mays peu sont esleuz.

  A002000218 

 J'ay dict avant tout que c'estoit une sainte compaignie ou assemblëe, par ce que la sainteté interieure ....

  A002000219 

 J'entens parler de l'Eglise militante de laquelle l'Escriture nous a laissé tesmoignage, non de celle que proposent les hommes.

  A002000219 

 Or, en toute l'Escriture, il ne se trouvera jamais que l'Eglise soit prise pour un'assemblee invisible.

  A002000220 

 Comme se peut entendre tout cecy d'une Eglise invisible? ou la chercheroit on pour luy faire les plaintes, pour converser en icelle, pour la regir? Quand ell'envoyoit saint Pol, elle le recevoit, quand il la confirmoit, il y constituoit des prestres, il l'assembloit, il la saluoit, il la persecutoit, estoit par figure ou par foy seulement et par esprit? Je ne crois pas que chacun ne voye clerement que c'estoit effectz visibles et perceptibles de part et d'autre.

  A002000221 

 Que dira l'on aux propheties, qui nous repræsentent l'Eglise non seulement visible mays toute claire, illustre, manifeste, magnifique? Ilz la depeignent comm' une reyne parëe de drap d'or recamé, avec une belle varieté d'enrichissemens, comm' une montaigne, comm'un soleil, comm'une pleyne lune, comme l'arc en ciel, tesmoin fidele et certain de la faveur de Dieu vers les hommes qui sont tous la posterité de Noë, qui est ce que le Psalme porte en nostre version: Et thronus ejus sicut sol in conspectu meo, et sicut luna perfecta in æternum, et testis in cælo fidelis..

  A002000222 

 Esaïe parl'ainsy d'elle: Ce vous sera une voye droite, si que les folz ne s'egareront point par icelle; faut il pas bien qu'elle soit descouverte et aysee a remarquer, puysque les plus grossiers mesmes s'y sçauront conduyre sans se faillir?.

  A002000222 

 Salomon, es Cantiques, parlant de l'Eglise, ne dict il pas: Les filles l'ont veüe et l'ont præchëe pour tresheureuse? Et puys, introduysant ses filles pleynes d'admiration, il leur faict dire: Qui est cellecy qui comparoist et se produit comm'une aurore en son lever, belle comme la lune, esleüe comme le soleil, terrible comm'un esquadron de gendarmerie bien ordonné? N'est ce pas la declairer visible? Et quand il faict qu'on l'apelle ainsy: Reviens, reviens, Sullamienne, reviens, reviens, ajfin qu'on te voÿe, et qu'elle responde: Qu'est ce que vous verres en ceste Sullamitesse sinon les troupes des armees? n'est ce pas encores la declairer visible? Qu'on regarde ces admirables [44] cantiques et repræsentations pastorales des amours du celest'Espoux avec l'Eglise, on verra que par tout ell'est tres visible et remarquable.

  A002000223 

 Je crois que ceux ausquelz saint Pol disoit: Prenes gard'a vous et a tout le troupeau, auquel le Saint Esprit vous a constitués pour regir l'Eglise de Dieu, je crois, dis je, quil les voyoit; et quand ilz se jettoyent comme bons enfans au col de ce bon [pere], le baysans et baignans sa face de leurs larmes, je crois quil les touchoit, sentoyt et voyoit: et ce qui me le faict plus croire, c'est quilz regrettoyent principalement son départ par ce quil avoit dict quilz ne verroyent plus sa face; ilz voyoyent donques saint Pol, et saint Pol les voyoit.

  A002000223 

 Je ne sçay s'il me faudra prouver que les pasteurs de l'Eglise soyent visibles; on nie bien des choses aussy claires.

  A002000223 

 Les pasteurs et docteurs de l'Eglise sont visibles, donques l'Eglise est visible: car, je vous prie, les pasteurs de l'Eglise sont ilz pas une partie de l'Eglise, et faut il pas que les pasteurs et les brebis s'entrereconnoissent les uns et les autres? faut il pas que les brebis entendent la voix du pasteur et le suyvent? faut il pas que le bon pasteur aille rechercher la brebis esgarëe, quil reconnoisse son parc et bercïl? Ce seroit de vray une belle sorte de pasteurs qui ne sceut connoistre son troupeau ni le voir.

  A002000224 

 C'est le propre de l'Eglise de faire la vraÿe prædication [45] de la Parole de Dieu, la vraÿe administration des Sacremens; et tout cela est il pas visible? comme donques veut on que le sujet soit invisible?.

  A002000225 

 Ne sçait on pas que les douze Patriarches, enfans du bon Jacob, furent la source vive de l'eglise d'Israel; et quand leur pere les eut assemblé devant soy pour les benir, on les voyoit, on s'entrevoyoit entr'eux.

  A002000225 

 Que m'amuse je faire en cela? toute l'histoire sacrëe faict foy que l'ancienne Sinagogue estoit visible, et pourquoy non l'Eglise Catholique?.

  A002000226 

 Ces Apostres assemblés en Hierusalem, avec la petite troupe des disciples et la tresglorieuse Mere du Sauveur, faysoyent la vraye Eglise; et comment? visible, sans doute, ains tellement visible que le Sainct Esprit vint arrouser visiblement ces saintes plantes et pepinieres du Christianisme..

  A002000227 

 Bonté de Dieu, et nous demanderons encores si l'Eglise est visible? Mays qu'est ce que l'Eglise? une assemblëe d'hommes qui ont la chair et les os; et nous dirons encores que ce n'est qu'un esprit ou fantosme, qui sembl'estre visible et ne l'est que par illusion? Non, non, qu'est ce qui vous troubl'en cecy, et d'ou vous peuvent venir ces pensers? Voyes ses mains, regardes ses ministres, officiers et gouverneurs; voyes ses pieds, regardes ses prædicateurs comm'ilz la portent en levant, couchant, mydi et septentrion: tous sont de chair et d'os.

  A002000227 

 Les anciens quelle manducation religieuse et sacrëe avoyent ilz? de l'aigneau Paschal, de la manne, tout est visible; nous [46] autres, du tressaint Sacrement de l'Eucharistie, signe visible quoy que de chose invisible.

  A002000229 

 Premierement, Nostre Seigneur avoit en son humanité deux parties, le cors et l'ame: ainsy l'Eglise son Espouse a deux parties; l'une interieure, invisible, qui est comme son ame, la foy, l'esperance, la charité, la grace; l'autre exterieure et visible comme le cors, la confession de foy, les louanges et cantiques, la prædication, les Sacremens, [le] Sacrifice: ains tout ce qui se faict en l'Eglise a son exterieur et interieur; la priere interieure et exterieure, la foy remplit le cœur d'asseurance et la bouche de confession, la prædication se faict exterieurement par les hommes, mays la secrette [47] lumiere du Pere cæleste y est requise, car il faut tousjours l'ouyr et apprendre de luy avant que de venir au Filz; et quand aux Sacremens, le signe y est exterieur mays la grace est interieure, et qui ne le sçait? Voyla donq l'interieur de l'Eglise et l'exterieur.

  A002000230 

 2 nt, il faut considerer que tant l'interieur que l'exterieur de l'Eglise peut estre dict spirituel, mays diversement; car l'interieur est spirituel purement et de sa propre nature, l'exterieur de sa propre nature est corporel, mays parce quil tend et vise a l'interieur spirituel on l'apelle spirituel, comme faict saint Pol les hommes qui rendoyent le cors sujet a l'esprit, quoy quilz fussent corporelz; et quoy qu'une personne soit particuliere de sa nature, si est ce que servant au public, comme [les] juges, on l'apelle publique..

  A002000231 

 Maintenant, si on dict que la loy Evangelique a esté donnée dans les cœurs interieurement, non sur les tables de pierre exterieurement, comme dict Hieremie, on doit respondre, qu'en l'interieur de l'Eglise et dans son cœur est tout le principal de sa gloire, qui ne laysse pas de rayonner jusques a l'exterieur qui la faict voir et reconnoistre; ainsy quand il est dict en l'Evangile, que l'heur'est venue quand les vrays adorateurs adoreront le Pere en esprit et verité, nous sommes enseignés que l'interieur est le principal, et que l'exterieur est vain s'il ne tend et ne se va rendre dans l'interieur pour s'y spiritualizer..

  A002000232 

 De mesme, quand saint Pierre appelle l'Eglise mayson spirituelle, c'est par ce que tout ce qui part de [48] « et qu'és choses supernaturelles Dieu y besongne par vertu miraculeuse non attachee à signe ni à figure.

  A002000232 

 Mays jamais Catholique ne dit cela. Nous disons seulement que la Croix, comme plusieurs autres choses, a une vertu assistante qui n'est autre que Dieu mesme, qui, par la Croix, fait les miracles quand bon luy semble en tems et lieu, ainsy qu'il le declaira luy mesme de sa robbe quand il guerit ceste pauvre femme; car il ne dit pas: j'ay senti une vertu sortie de ma robbe, mays, j'ay apperceu une vertu sortir de moy; et tout de mesme n'avoit-il pas dit: qui est-ce qui a touché ma robbe? mays plustost, qui est-ce qui m'a touché? Comme donq il advoüa que toucher sa robbe par devotion c'est le toucher luy mesme, aussi fait-il sortir de luy la vertu necessaire a ceux qui touchent sa robbe.

  A002000232 

 Pourquoy ne diray-je de mesme que c'est Nostre Seigneur qui est la vertu, non inherente a la Croix, mays bien assistante? laquelle est plus grande ou moindre, non pas selon elle mesme, car estant vertu de Dieu et Dieu mesme elle est invariable, tous-jours une et esgale, mays elle n'est pas tous-jours esgale en l'exercice et selon les effectz; car en quelques endroitz, en certains lieux et occasions, il fait des merveilles et plus grandes et plus frequentes que non pas aux autres.

  A002000232 

 Que ce traitteur donq cesse de dire que nous attribuons a la Croix la [49] vertu qui est propre a Dieu: car la vertu propre a Dieu luy est essentielle, la vertu de la Croix luy est assistante; Dieu est agissant en sa vertu propre, la Croix n'opere qu'en la vertu de Dieu; Dieu est le premier autheur et mouvant, la Croix n'est que son instrument et outil.

  A002000232 

 » Et semblables autres paroles respandues en tout son traitté, par ou il veut faussement persuader que nous attribuons a la Croix une vertu en elle mesme, independante et inherente.

  A002000238 

 Ce que j'ay deduit jusques ici monstre asses combien est honnorable le bois que Nostre Seigneur porta, comme un autre Isaac, sur le mont destiné, pour estre immolé sur iceluy en divin Aigneau qui lave les pechés du monde; mais voyci des raysons particulieres inevitables.

  A002000239 

 Le sepulchre du Sauveur n'a rien eu plus que la Croix; il receut le cors mort que la Croix porta vivant et mourant, mais il ne fut point l'exaltation de Nostre Seigneur, ni instrument de nostre redemption, et neanmoins voyla le prophete Esaye qui proteste que ce sepulchre sera glorieux: Et erit sepulchrum ejus gloriosum. C'est un texte tres expres, et saint Hierosme, en l'epistre a Marcelle, rapporte ce trait d'Esaye a l'honneur que les Chrestiens rendent a ce sepulchre, y accourans de toutes partz en pelerinage..

  A002000241 

 Et de fait, Dieu avoit rendu tant honnorable ceste sainte Arche qu'il n'en falloit approcher que de bien loin, et Osa la touchant indignement en est incontinent chastié a mort.

  A002000241 

 Mais l'Arche de l'alliance sert d'un tres magnifique tesmoignage a la Croix: car si l'un des bois pour estre l'escabeau ou marche-pied de Dieu a esté adorable, que doit estre celuy qui a esté le lict, le siege et le throsne de ce mesme Dieu? Or, que l'Arche de l'alliance fust adorable, l'Escriture le monstre: Adorés, dit le Psalmiste, l'escabeau des piedz d'iceluy, car il est saint.

  A002000241 

 On ne peut gauchir a ce coup, il porte droit dans l'œil du traitteur pour le luy crever, s'il ne void que, si cest ancien bois seulement enduit d'or, seulement marche-pied, seulement assisté de Dieu, est adorable, le pretieux bois de la Croix, teint au sang du mesme Dieu, son throsne, et pour un tems cloué avec iceluy, doit estre beaucoup plus venerable.

  A002000241 

 Or, que l'escabeau des piedz de Dieu ne soit autre que l'Arche, l'Escriture le tesmoigne ouvertement; et qu'il le faille adorer, c'est a dire venerer, il s'ensuit expressement du dire de David, ou le vray mot d'adoration est expressement rapporté a l'escabeau des piedz de Dieu, comme sçavent ceux qui ont connoissance de la langue Hebraïque.

  A002000242 

 Helisee garda soigneusement le manteau de Helie, et le tint pour honnorable instrument de miracle: pourquoy n'honnorerons-nous le bois duquel Nostre Seigneur [52] s'affeubla au jour de son exaltation et de la nostre? Que dires-vous de Jacob qui adora le bout de la verge de Joseph? n'eust-il pas honnoré la verge et sceptre du vray Jesus? Hester baysa le bout de la baguette d'or de son espoux, et qui empeschera l'ame devote de bayser par honneur la baguette du sien? Je sçai la diversité des leçons que l'on fait sur le passage de saint Paul, mais aussi sçai-je que celle-la de la Vulgaire est la plus asseuree et naïfve, mesme estant rapportee et confrontée avec ce qui est dit d'Hester; aussi est-elle suivie par saint Chrysostome..

  A002000243 

 Et voyla un lieu en l'Escriture, touchant la Croix, outre ceux que le traitteur a allegués quand il a bien osé dire qu'outre cela il n'en lisoit rien..

  A002000243 

 Qui ne sçait que la Croix a esté le sceptre de Jésus Christ, dont il est escrit en Esaye, Duquel la principauté est sur son espaule? car tout ainsy que la clef de David fut mise sur l'espaule d'Eliakim filz d'Elcias, pour le mettre en possession de son Pontificat, Nostre Seigneur aussi print sa Croix sur son espaule, lhors que chassant le prince du monde, prenant possession de son Pontificat et de sa Royauté, il attira toutes choses a soy: comme interpretent saint Cyprien au Livre second contre les Juifz, et saint Hierosme au Commentaire, et Julius Firmicus Maternus, qui vivoit environ le tems de Constantin le Grand, au livre De mysteriis profanarum religionum, cap. XXII, et plusieurs autres des Anciens; quoy que Calvin sur ce passage, sans authorité ni rayson, se moque de cette interpretation, l'appellant frivole.

  A002000244 

 La Croix a esté l'Autel du sacrifice de nostre Redempteur, comme va descrivant saint Paul en l'epistre aux Hebreux; dont il dit, aux Colossiens, que Nostre Seigneur a tout pacifié par le sang de sa Croix.

  A002000244 

 Le bois de la Croix a eu des qualités qui le rendent bien venerable; c'est qu'il a esté le siege de la Royauté de Nostre Seigneur, comme dit le Psalmiste: Dites es nations que le Seigneur a regné par le bois, ainsy que lisent les Septante, saint Augustin, saint Justin le Martyr, et saint Cyprien qui remarque que l'escriteau qui fut mis sur le bout de la Croix, en Hebreu, Grec et Latin, declaira que alhors se verifioit le mistere [53] predit par David; dont les Juifz, en haine des Chrestiens, avoyent raclé le mot a ligno, comme dit Justin.

  A002000245 

 Mays quand il n'y auroit autre que ce qu'elle est la vraye enseigne, le vray ordre et vrayes armoiries de nostre Roy, seroit-ce pas asses pour la rendre venerable? Les coquilles, toysons et jarretiers sont en honneur quand il plait aux princes les prendre pour enseigne de leur ordre: combien sera plus respectable la Croix du Roy des roys, qu'il a prise pour son enseigne? Dequoy voicy la preuve tiree de l'Escriture, que le traitteur a laissee par non sçavance.

  A002000245 

 N'est-ce pas chose bien remarquable que Nostre Seigneur a voulu prendre un de ses noms de la Croix, voulant qu'il luy demeurast perpetuel, voire apres sa resurrection, et comme la Croix est appellee Croix de Jesus, qu'aussi Jesus fust nommé Jesus crucifié? Cherches-vous Jesus de Nazareth crucifié? Nous prechons Jesus crucifié.

  A002000245 

 Ou trouveres-vous [54] qu'autre que ce Seigneur ayt prins ce nom? Comme il est appellé Galileen de son païs, Nazareen de sa ville, il est appellé Crucifié de sa Croix.

  A002000245 

 Quelle ineptie d'apparier les autres instrumentz de sa Passion a celuy ci: car ou trouvera-on que le Sauveur soit appellé fouetté, lié et garotté? et vous voyes qu'il prend a nom Crucifié ou Crucifix.

  A002000245 

 Saint Cyrille Hierosolymitain a remarqué tres expressement ce discours sur le milieu de sa Catechisation XIII. Vous ne disies mot de tout cecy, petit traitteur: estes-vous aveugle, ou si vous faites le fin? il y a bien a dire entre tesmoigner que Jesus Christ a esté crucifié, et dire qu'il s'appelle Crucifié.

  A002000246 

 Ainsy la verge d'Aaron ne fleurit point avant qu'estre destinee a la tribu de Levi, et que le nom sacerdotal d'Aaron y fust inscrit.

  A002000246 

 Et la Croix qui au paravant estoit une verge seche et infructueuse, des qu'elle fut dediee au Filz de Dieu et que son nom y fut attaché, elle fleurit et fleurira a jamais a la veuë de tous les rebelles.

  A002000246 

 On luy diroit que la Croix n'a pas [55] esté seulement l'instrument des bourreaux pour crucifier Nostre Seigneur, mays aussi a esté celuy de Nostre Seigneur pour faire son grand sacrifice: ç'a esté son sceptre, son throsne et son espee.

  A002000246 

 On luy opposerait que la Croix peut estre consideree, ou comme moyen de l'action des crucifieurs, ou comme moyen de la passion du Crucifix: comm'instrument de l'action elle n'est du tout point venerable, car ceste action estoit un tres grand peché; comm'instrument de la passion elle est extremement honnorable, car ceste passion a esté une tres admirable et parfaitte vertu.

  A002000246 

 Pour vray le traitteur seroit bien desesperé, s'il vouloit meshui se servir de cest argument, tant chanté parmi les Reformeurs, qu'il faut rejetter la Croix comme gibbet de nostre bon Pere, et que le filz doit avoir en horreur l'instrument de la mort de son pere.

  A002000246 

 on l'enferreroit par son dire propre, quand il loue infiniment la mort, les passions et les souffrances de Nostre Seigneur, et a rayson; mays si les propres douleurs et afflictions sont aymables et louables, pourquoy rejettera-on les instrumentz d'icelles, s'il n'y a autre mal en eux que d'avoir esté instrumentz? Le filz ne peut avoir en horreur le gibbet de son pere, s'il a en honneur la mort et souffrance d'iceluy; pourquoy rejetteroit-il les outilz de ce qu'il honnore? 2.

  A002000247 

 Je vous prie, en fin, de vous resouvenir de l'honneur que saint Jean portoit aux soliers mesmes de Nostre Seigneur, il les prisoit tant qu'il s'estimoit indigne de les toucher; qu'eust-il fait s'il eust rencontré la Croix? Le parfait honneur s'estend jusques aux moindres appartenances de celuy que l'on ayme. [57].

  A002000253 

 C'est donques icy une preuve tiree du fait de nos devanciers, laquelle presuppose que la vraye Croix de Nostre Seigneur (car c'est celle-la de laquelle nous parlons) leur soit venue a notice; ce qu'aussi le traitteur tasche de nier le plus pertinemment qu'il luy est possible.

  A002000253 

 Ce traitteur, oubliant ce qu'il a dit icy, ailleurs parle en ceste sorte: « Nous ne nions pas que, pour authorizer la predication de l'Evangile rejettee alors par les payens ayans la vogue presque par tout le monde, Dieu n'ait fait des miracles au nom de Jesus Christ crucifié.

  A002000253 

 Et c'est ce que Athanase declare au commencement de son livre contre les idoles, qu'apres la venue de la Croix toute l'adoration des images a esté ostee, et que par ceste marque toutes deceptions des diables sont chassees.

  A002000253 

 J'ay monstré cy devant combien la Croix a de vertu, et combien nous avons de devoir de l'honnorer, par les consequences tirees a droit fil des saintes Escritures, ou, comme vous aves veu, je n'ay pas eu beaucoup de peyne a respondre aux argumens de ma partie, puysque ayant fait toutes ses propositions negatives, protestant de ne vouloir rien croire que ce qui est escrit, il n'a toutefois produit qu'un passage de l'Escriture, employé en un sens tres impertinent.

  A002000253 

 Mays, laquelle sera vraye, sinon celle que non seulement saint Athanase a proferee, ains est enseignee par Jesus Christ et les Prophetes, et creüe par toute l'ancienneté? [59].

  A002000253 

 Qui ne voit la contrarieté de ces paroles? L'une ne peut estre vraye, que l'autre ne soit fause.

  A002000253 

 [58] « Il semble, » dit-il, « que Dieu a voulu prevenir « l'idolatrie, laquelle neantmoins Satan a introduite au monde; car, comme il n'a point voulu que le sepulchre de Moyse ait esté cogneu, aussi n'y a-il point de tesmoignage que Dieu ait voulu la Croix de son Fils venir en notice entre les hommes.

  A002000254 

 Et vous voules au contraire, traitteur, que la Croix soit une idole, et que l'idolatrie ait esté catholique, c'est a dire universelle en l'Eglise de Jesus Christ l'espace de mille ans, et que la vraye religion ait esté cachee en un petit fagot de personnes invisibles et inconneuës.

  A002000254 

 Jesus Christ proteste que si un jour il est eslevé en haut il tirera toutes choses a soy, et le prince du monde sera chassé; et vous voules que l'eschelle de son exaltation ait deprimé et abattu son honneur et service.

  A002000254 

 Toute l'ancienneté s'est servie de la Croix contre le diable, et vous dites que ceste Croix est le throsne de son idolatrie..

  A002000255 

 C'est donq signe que le danger de l'idolatrie n'est pas egal en l'un des sepulchres et en l'autre.

  A002000255 

 Et quant a l'exemple que vous apportes du sepulchre de Moyse, je ne sçai comme il ne vous a ouvert les yeux; car laissant a part la deshonneste comparaison que vous faites entre les Juifz et les Chrestiens, quant au danger de tomber en idolatrie, ne devies-vous pas raysonner en ceste sorte: Dieu qui n'a pas voulu que le sepulchre de Moyse ait esté conneu, pour prevenir l'idolatrie, a toutefois voulu que le sepulchre de Nostre Seigneur ait esté conneu et reconneu en l'Eglise Chrestienne, comme tout le monde sçait et personne ne le nie.

  A002000255 

 Et s'il n'y a pas lieu tant de danger d'idolatrie en la manifestation du sepulchre de Nostre Seigneur, que pour l'eviter il l'ait fallu tenir caché, pourquoy y en aura-il davantage en la Croix? [60].

  A002000256 

 Mays, ce dit le traitteur, « il n'y a point de tesmoignage que Dieu ait voulu que la Croix de son Fils vint a notice.

  A002000256 

 Saint Ambroise, saint Chrysostome, saint Cyrille, saint Hierosme, saint Paulin, saint Sulpice et Eusebe, Theodoret, Sozomene, Socrates, Nicephore, Ruffin, Justinien et plusieurs autres tres anciens autheurs, sont des tesmoins irreprochables que Dieu a voulu que la Croix de son Filz vint a notice et fust trouvee.

  A002000257 

 Et pour vray, mes Freres, on ne croid pas sans rayson que la ait esté eslevé le Medecin ou le malade gisoit, et estoit bien convenable que la ou estoit tombé l'orgueil humain, [62] la s'inclinast aussi la divine misericorde.

  A002000257 

 Mays quant a ce qu'il adjouste de la sepulture d'Adam, il monstre combien il a peu de connoissance des Anciens, car la plus grande trouppe d'iceux a soustenu que la Croix fut plantee sur la sepulture d'Adam; voicy comme saint Augustin en parle: « Hierosme prestre a escrit qu'il a appris asseurement des anciens et plus vieux Juifz, qu'Isaac, de volonté, a esté immolé la ou despuys Jesus Christ a esté crucifié... Et mesme par le rapport des Anciens, l'on dit qu'Adam, le premier homme, fut jadis enseveli au lieu ou la Croix est fichee, et que partant on l'appelle le lieu de Calvaire (ou du test), parce que le chef du genre humain fut enseveli en ce lieu-la.

  A002000257 

 Si que, comme ce sang pretieux daigne toucher, en distillant, la poudre de l'ancien pecheur, l'on croye qu'il l'aye aussi racheté.

  A002000257 

 « Car de dire, » ce sont ses paroles, « que la Croix a esté conservee et enterree au lieu où elle avoit esté erigee, qui estoit comme on devine le lieu où estoit enterré Adam, cela n'a vray-semblance aucune; car, si on croit les Anciens, Adam a esté enterré en Hebron et non pres de Jerusalem.

  A002000257 

 » Voyes-vous comme il extravague? Son intention estoit de prouver que la Croix n'estoit venue a notice; il le prouve parce qu'il n'est pas vraysemblable qu'elle ait esté enterree la ou elle est erigee.

  A002000258 

 Au contraire, la persecution l'a fait cacher, et incontinent que la persecution a cessé on l'a retrouvee.

  A002000258 

 « Item, » dit-il, « veu que les disciples et Apostres de Jesus Christ ont esté espars durant la mort d'icelui, et qu'apres son ascension ils ont esté prohibez de parler au nom de Jesus Christ, que Jerusalem peu apres a esté reduite à totale extremité et ruine, quelle apparence y a-il qu'elle ait esté adonc serree et honoree par ceux qui ont adheré à Jesus Christ? » Un enfant verroit cette ineptie: l'Eglise a esté persecutee, donq elle n'a pas serré la Croix.

  A002000259 

 Mais ce n'est que pour embrouiller que ce traitteur dit ceci, car nous ne disons pas que ce soyent les amis de la Croix qui l'ont ainsy enterree, ains plustost les ennemis d'icelle, affin d'en abolir la memoire, l'ont ainsy cachee.

  A002000259 

 Ni ne disons pas que ces mesmes ennemis ne l'ayent peu jetter en mer; au contraire nous disons qu'ilz l'ont peu jetter dans la mer, nonobstant la distance qui est entre le port de Japhet et la ville de Hierusalem, ou avec peyne ou sans peyne, par le moyen des rivieres qui l'eussent regorgee dans la mer.

  A002000260 

 Le seul saint Hierosme devroit suffire pour faire mieux appris ce traitteur; voyci ses paroles en l'epistre a Paulinus: « Des le tems d'Adrian jusques au regne de Constantin, l'idole de Jupiter a esté reveree par l'espace de presque cent quattre-vingtz ans sur le lieu de la resurrection de nostre Sauveur, par les Gentilz; et de mesme en ont-ilz fait a celle de Venus qui estoit eslevee en marbre sur la montaigne de la Croix, les autheurs de la persecution se persuadans que par ce moyen ilz enleveroyent de nostre estomac la foy de la resurrection et de la Croix, s'ilz venoyent a polluer les lieux saintz par leurs idoles.

  A002000260 

 Or sur tout, le traitteur se fasche de ce qu'on dit que sur le mont de la Croix on adjousta les idoles de Venus et d'Adonis.

  A002000260 

 « Qui est-ce, » dit-il, « qui ne rejettera [63] ceste fable, s'il considere la haine que portoyent les Juifs à toutes sortes d'images? » Mais je diray: qui est-ce qui ne rejettera l'ineptie de ce petit traitteur, s'il considere qu'on ne dit pas que ce soyent les Juifz, mais les Gentilz, qui ayent fait cela? et que ce n'est pas Esope qui raconte ce fait, mais une infinité de tres graves et anciens autheurs comme Eusebe, Ruffin, Paulin, Sulpice, Theodoret, Sozomene, Socrates.

  A002000260 

 » Voyes-vous a quel propos ce traitteur allegue la jalousie des Juifz, puysque on ne dit pas que ce fussent les Juifz, mais les Gentilz? et a quel propos il allegue le tems de la ville de Hierusalem, puysque ce fut apres son extermination?.

  A002000261 

 Qui sera donq si desesperé que de mettre en doute ceste histoire tesmoignee par tant de graves autheurs, et tous voysins des tems dont ilz ont parlé, pour bailler credit a ce contrediseur qui, sans rayson, apres douze [64] cens ans, les vient impudemment desmentir? Mais, ce dit le traitteur, « tels contes ne servent sinon à aneantir la Croix de Christ.

  A002000262 

 « La saincte histoire, » replique le traitteur, « nous enseigne bien une autre façon qu'ont tenue les ennemis de la Croix, en ce qu'ils ont rejetté la predication de l'Evangile... » Voyla pas une belle rayson? Je confesse que celle-la est une autre façon qu'ont tenue les ennemis de la Croix, mais il ne s'ensuit pas qu'ilz n'ayent tenu encor celle qui est recitee par ces anciens Peres; car l'une n'est pas contraire a l'autre, mays s'entresuivent..

  A002000263 

 Au reste, avant que de finir ce propos, je veux descouvrir un trait de ce traitteur, qui monstre combien il est passionné et de mauvaise foy.

  A002000263 

 Et de fait, comme auroit-il dit que par la Croix toute l'adoration des images a esté ostee, luy qui, es Questions qu'il a escrittes a Antiochus, dit par expres ces paroles: « Certes, nous adorons la figure de la Croix composee de deux bois »? Je sçai bien que le traitteur se voudra couvrir de la commune opiniastreté avec laquelle les Reformeurs veulent maintenir qu'idole et [65] image n'est qu'une mesme chose; mais certes, c'est une trop grande ineptie, car par la on pourroit dire que Jesus Christ est une idole, puysqu'il est appellé disertement image de Dieu en l'Escriture.

  A002000263 

 Tout cela n'est que blaspheme..

  A002000264 

 Il a bien aussi bonne grace quand il met difference entre l'idolatrie payenne et l'idolatrie chrestienne (car il semble que ses paroles se rapportent a ceste intention); c'est comme qui diroit une chaleur froide ou une lumiere tenebreuse.

  A002000264 

 L'absurdité est toute pareille quand il dit que « les noms des idoles ont esté changez, mais les choses sont demeurees au Christianisme »; car, a ce conte-la, ce que nous appelions Jesus Christ ne sera autre que le Jupiter des payens, et le baptesme de Calvin, Beze et telz autres qui furent baptizés parmi les Catholiques sous le nom de la sainte Trinité, ne sera fait en realité qu'au nom et en la vertu de quelques idoles.

  A002000264 

 La vehemence du mal-talent que ces reformeurs ont contre l'Eglise Catholique les offusque tellement, que pour nous courir sus ilz vont fondre dans ces precipices.

  A002000264 

 Mais cecy soit dit en passant, pour descharger la croyance que l'antiquité [66] nous a faitte du sousterrement et conservation du bois de la Croix, des calomnies et reproches que luy fait ce traitteur..

  A002000265 

 Ce sont donques les parolles de saint Paulin: « Donques, » dit-il, « la Croix du Seigneur si long tems couverte, cachee aux Juifz au tems de la Passion, et qui ne fut point descouverte aux Gentilz, qui sans doute creuserent et tirerent beaucoup de terre pour l'edification du temple qu'ilz avoyent dressé sur le Mont de Calvaire, n'a-elle pas esté cachee par la main de Dieu, a ce que maintenant elle fust trouvee quand elle a esté religieusement cherchee? ».

  A002000265 

 Et cependant ce n'est pas un petit argument pour la vertu et honneur de la sainte Croix, que Dieu l'ayt ainsy conservee pres de trois cens et trente ans sous terre, sans que pourtant elle soit aucunement pourrie, et que les ennemis du Christianisme ayans fait tout leur possible pour en abolir la memoire, elle leur ait esté cachee pour estre revelee en un tems auquel elle fust saintement reveree; et pour tant plus rendre le miracle de l'invention et conservation de ceste sainte Croix illustre, avoir conservé deux autres croix qui donnassent occasion a la preuve miraculeuse que l'on eut de la vertu de la troisiesme.

  A002000266 

 Constan., cap. XXIX, et de Theodoret, lib. I, cap. XVII, la ou parlant de la conservation du sepulchre et autres saintz lieux du Calvaire il dit ainsy: « Car, que la remembrance de la tres sainte Passion ait esté si longuement accablee de terre, ainsy par l'espace de tant d'annees inconneuë, jusques a ce que le commun ennemi de tous ayant esté exterminé elle apparut a ses serviteurs, pour vray cela surpasse toutes sortes d'admirations.

  A002000273 

 Apres que ce traitteur a discouru a playsir sur le sousterrement et lieu de la Croix, il veut en un autre endroit combattre l'invention d'icelle, et veut persuader que ceste invention est inventee.

  A002000273 

 Aussi ne s'accorde sainct Ambroise avec les autres historiens, car il dit que ceste Croix fut cognue au titre d'icelle, et les autres disent que ce fut par la [69] « guerison miraculeuse d'une femme.

  A002000273 

 Et, si lon croid quelques historiens, Helene estoit encore infidele alors, et Constantin mesme n'estoit pas ferme Chrestien et n'avoit rien en Syrie adonc; et quelques uns disent qu'elle ne fut trouvee du temps du grand Constantin, ains de Constantin son fils; joint qu'Eusebe, qui a escrit la vie de « Constantin et qui parle de ce que Helene a fait en Jerusalem, ne dit un seul mot de ceste invention de Croix.

  A002000273 

 « Il n'est besoin, » dit-il, « d'entrer sur la recerche si ç'a esté une invention controuvee ou vraye, combien que Volaterran et Frere Onufrius Panvinius, de l'ordre des Augustins, en ses notes sur Platine, en la vie d'Eusebe Pape 32, donne assez à entendre que c'est chose incertaine, veu la diversité qui se trouve és autheurs touchant le temps de ceste invention.

  A002000273 

 » Voyla ce que dit le traitteur quant a ce point..

  A002000274 

 Chacun sçait que saint Clement fut Pape, mays on ne sçait si ce fut devant ou apres Linus et Cletus.

  A002000274 

 Combien de gens y a-il au monde qui ne sçavent ni le jour, ni l'an de leur naissance? Volaterran, donques, et le docte Onufrius ne monstrent point que l'histoire de l'invention de la Croix soit incertaine, quoy qu'ilz produisent l'incertitude du tems auquel elle [70] a esté faite.

  A002000274 

 Et quant a Panvinius, voyant Platine dire que ceste invention fut faite sous Eusebe, il se resoult, et dignement, a l'opinion contraire, ne laissant pas la chose indecise, comme presuppose le traitteur, qui s'enferre luy mesme quand, laissant les autheurs d'accord en l'invention de la Croix, il allegue seulement leur discorde en l'aage et tems d'icelle; car c'est purement confesser ce qu'il avoit premierement nié, a sçavoir, qu'il y a bon tesmoignage que Dieu a voulu que la Croix de son Filz vint a notice.

  A002000274 

 Il n'importe de sçavoir le jour, l'an, l'heure; il suffit que la chose soit advenue.

  A002000274 

 Or l'invention de la Croix est celebree par tant de graves et saintz Peres, comme une œuvre pieuse et sainte: comme donques n'y a-il point de tesmoignage que Dieu l'aye voulue? Tesmoigner qu'une œuvre est sainte, c'est tesmoigner que Dieu la veut.

  A002000274 

 Or, qui vid jamais une rayson si desraysonnable, que pour l'incertitude du tems, on tire en consequence l'incertitude de la chose mesme? Combien de tems y a-il que le monde fut creé? Il n'y a chronologien qui n'en ayt son opinion a part; faut-il dire pourtant que le monde n'a pas esté creé? En quel aage mourut Nostre Seigneur? Qui dit a trente un, qui dit a trente deux, qui a trente quattre ans, et ce grand Irenee passe jusques a cinquante: faudroit-il donques dire, pour ceste diversité d'opinions de l'aage auquel Nostre Seigneur souffrit, que sa mort fust incertaine? Autant en diray-je du baptesme d'iceluy et de cent autres choses tesmoignees en l'Escriture, lesquelles estans tres certaines ont la circonstance du tems tres incertaine.

  A002000274 

 Rien de bon, rien de saint ne se fait que Dieu n'en soit autheur.

  A002000274 

 » Voyla donques plusieurs tesmoignages que Dieu a voulu la Croix de son Filz estre trouvee..

  A002000275 

 Mais en sa Chronique, traduitte par saint Hierosme, il tesmoigne si ouvertement ceste invention que rien plus: « Heleine, » dit-il, « mere de Constantin, advertie par des divines visions, trouva pres de Hierusalem le tres heureux bois de la Croix, auquel le salut du monde fut pendu.

  A002000276 

 Et saint Ambroise ne se trouvera point contraire en cest endroit aux autres, car ce qu'il dit, les autres le disent, quoy qu'il ne die pas tout ce que les autres disent.

  A002000276 

 Il est vray, comme dit saint Ambroise, que la Croix de Nostre Seigneur fut conneuë par le tiltre; mais par ce que le tiltre estoit separé de la Croix, comme dit Sozomene, elle n'estoit pas encores du tout asses evidemment reconneuë, dit Ruffin.

  A002000276 

 On commença donques a la [72] connoistre par le lieu de l'affixion du tiltre; c'est ce que rapporte saint Ambroise: puys on la reconneut encores mieux, et plus parfaitement, par les miracles que Dieu fit a l'attouchement de ce saint bois; car Heleine ayant trouvé trois croix aupres du sepulchre, et ne pouvant reconnoistre a plein laquelle estoit la sainte et sacree, Macaire, Evesque de Hierusalem, fit une fort belle priere a Dieu, recitee par Ruffin, pour obtenir un signe par lequel on peust discerner la Croix de Jesus Christ.

  A002000277 

 Aussi bien ce qu'il en veut deduire n'est gueres a propos, nomplus que l'histoire [73] impertinente qu'il a prise des Sermons de Discipulus, Serm. XXI, De Invent.

  A002000277 

 Crucis, qui ne fait rien contre nous, puysque les Catholiques ne tiennent pas ce disciple pour maistre de leur foy; et ne disons pas que quelque particulier Catholique ne puisse avancer quelque chose mal asseuree, mais cela ne prejudicie point a la foy publique de l'Eglise. Cependant Discipulus ne baille pas ce conte-la pour chose asseuree, mais proteste de l'avoir pris du livre apocriphe de Nicodeme, ce que le traitteur a dissimulé.

  A002000281 

 L'on trouve que le saint bois de la Croix a eu plusieurs usages parmi les Chrestiens, des son invention, mays parlant generalement on les peut reduire a trois.

  A002000281 

 Or le traitteur fait semblant d'ignorer tout cecy; et quant au premier usage, qui est de representer la Passion, il en parle en ceste sorte: « Si par le mot de croix nous entendons les souffrances que le Fils de Dieu a portees en son corps et en son ame, ayant esté rempli de douleurs, comme dit Esaye, chap. 53, et ayant esté contristé en son ame jusques à la mort, voire ayant beu la coupe de l'ire de Dieu, à cause dequoy il a crié: mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? il est certain que telles souffrances [75] ne se peuvent representer, car nos sens ne les sauroyent comprendre; mais par la foy nous entendons qu'elles sont infinies et indicibles, pourtant nous disons en nostre symbole que nous croyons que Jesus Christ a souffert, qu'il a esté crucifié, mort et enseveli, et est descendu aux enfers: que si cela est indicible, il est aussi irrepresentable.

  A002000282 

 Puys encor dit-il mal, car quoy que ceste valeur et ce merite de la Passion soyent infinis, et que nos sens ne les puissent comprendre, ilz sont neanmoins representables, autrement ilz ne seroyent pas croyables: rien n'est creu qui ne soit premier representé a nostre ouÿe, qui est un de nos sens.

  A002000283 

 Qui est-ce qui, voyant la Croix de Nostre Seigneur, ne se represente sa mort et passion? « J'ay veu bien souvent, » dit saint Gregoire Nissene, « la figure de la Passion, et n'ay peu passer les yeux sur ceste peinture sans larmes, lhors que je voyois l'ouvrage de l'artifice estre demonstré en la personne signifiee.

  A002000283 

 S'il entend les propres peynes, souffrances et passions de Nostre Seigneur, il est inepte de dire qu'elles sont irrepresentables; car, qu'est-ce que representoyent tant de sacrifices sanglans de l'ancienne Loy? Et qu'est-ce que represente maintenant l'Eucharistie, sinon la passion et mort du Sauveur? Jacob n'eut pas plus tost veu la robbe de son filz Joseph ensanglantee, que tout a coup il se representa tant vivement la mort presupposee d'iceluy, qu'il ne pouvoit estre consolé.

  A002000284 

 Autrement, ni Dieu, ni sa gloire ne sont pas du tout indicibles, car ilz seroyent incroyables, puysque nous ne croyons que par l'ouÿe..

  A002000284 

 Et est encores inepte, ce traitteur, s'il veut dire que les souffrances mesmes sont infinies, par ce que boire l'ire de Dieu et estre abandonné d'iceluy est un mal infini; il semble neanmoins que ce soit son intention, [77] quand il dit que le Sauveur a beu la couppe de l'ire de Dieu, et met entre les articles de la Passion la descente aux enfers, ce que sans doute il rapporte a la crainte que Calvin attribue a Jesus Christ, disant qu' « il eut peur et crainte pour le salut de son ame propre, redoutant la malediction et ire de Dieu.

  A002000284 

 Le traitteur donq ne peut pas dire que les souffrances de Nostre Seigneur sont irreprensentables pour estre infinies, et moins encor pour estre indicibles; car Dieu, qui est infini, ne laisse pas de nous estre representé en plusieurs sortes, et sa gloire mesme, quoy qu'elle soit indicible quant a la grandeur de ses perfections.

  A002000284 

 » Mays cela est un blaspheme intolerable, comme j'ay monstré ci devant, puysque la crainte presuppose probabilité en l'evenement du mal que l'on craint, et que partant Nostre Seigneur auroit eu probabilité de sa damnation, chose horrible a dire.

  A002000285 

 Or, ces inepties sont mises en avant par le traitteur, d'autant qu'il pense que pour representer une chose il la faille ressembler de toutes pieces, ce qui est sot et ignorant; car les plus parfaittes images ne representent [78] que les lineamens et couleurs exterieures, et neanmoins on dit, et il est vray, qu'elles representent vivement.

  A002000286 

 Dont Ruffin, parlant de la piece de la Croix que Heleine laissa en Hierusalem, il dit « qu'elle estoit encores gardee de son tems avec une soigneuse veneration pour souvenance et memoire: Etiam nunc ad memoriam sollicita veneratione servatur. » Autant en dit Socrates.

  A002000286 

 Je confesse tout cela, mays je dis aussi que cest article est representable, non pas certes parfaitement (car, qui representeroit jamais la valeur et le prix de ce sang divin, et la grandeur des travaux inteneurs du Sauveur?) mays il est representable comme les hommes et les maysons, dont on ne represente que les visages et façades exterieures.

  A002000286 

 Le traitteur dit que c'est un article de foy, et partant incomprehensible a nos sens.

  A002000286 

 Or, que le bois de la Croix represente la Passion de Nostre Seigneur, la chose est de soy trop claire: l'infaillible rapport que la Croix a au Crucifix ne peut moins operer que ceste representation.

  A002000286 

 » Et plus bas, parlant de l'invention de la Croix, il dit « que les Juifz l'eussent abolie s'ilz l'eussent trouvee, et n'eussent peu souffrir, » ce sont ses paroles, « qu'en la Croix [79] demeurant en estre, la Passion de celuy-la fust honnoree, duquel ilz ne peuvent supporter la resurrection estre reveree, laquelle a esté prouvee par le sepulchre vuide, les sceaux en estans levés.

  A002000286 

 » Et saint Paulin, en l'epistre a Severe, luy envoyant une petite piece d'une partie de la Croix: « Que vostre foy, » dit-il, « ne soit point restrecie, vos yeux charnelz voyans peu de chose; mays que, par la veuë interieure, elle voye en ce petit peu toute la vertu de la Croix, pendant que vous penses voir ce bois-la auquel nostre salut, auquel le Seigneur de majesté, estant cloué, fut pendu, tout le monde tremblant, et vous resjouisses avec crainte.

  A002000290 

 Les Anciens, ayans consideré les raysons que nous avons tirees cy devant de l'Escriture Sainte pour l'honneur et vertu du bois de la sainte Croix, et ayans esté asseurés de grand nombre de miracles que Dieu avoit fait en iceluy et par iceluy, ilz l'ont employé comme une defense et rempart contre toutes sortes d'adversités..

  A002000291 

 I. Ilz sçavoyent que la conservation de ce saint bois de la Croix avoit esté toute miraculeuse: 1.

  A002000292 

 en ce que, par l'attouchement d'icelle, la maladie incurable de ceste dame avoit esté guerie, et un homme mort ressuscité.

  A002000293 

 Elle manda encores a l'Empereur une piece de la Croix, « laquelle incontinent qu'il eut reçeuë, estimant que la ville ou elle seroit gardee seroit maintenue saine et sauve, il l'enferma dedans sa propre statue, laquelle fut colloquee a Constantinople, en la place nommee de Constantin, sur une grande colomne faitte de pierre de porphire.

  A002000294 

 De la est advenu « que tout le monde s'est efforcé d'avoir de ce bois, si que ceux qui en ont quelque peu l'enchassent en or et le mettent en leur col, estans par la beaucoup honnorés, et magnifiés, et munis, et contregardés, quoy que ç'ayt esté le bois de condamnation.

  A002000294 

 » Et saint Gregoire Nissene raconte que sainte Macrine avoit accoustumé de porter une piece de la vraye Croix enchassee dans une petite croix d'argent..

  A002000295 

 Tout ceci se rapporte a ce que saint Paulin en dit plus expressement escrivant a Severe, la ou ayant dit qu'on ne pouvoit voir la piece de la vraye Croix qui estoit en Hierusalem sinon par le congé de l'Evesque, il continue en ceste sorte: « Par la seule faveur duquel on a ce bien, d'avoir des petites piecettes et particules de ce bois sacré pour une grande grace de foy et benediction, laquelle Croix mesme, ayant une vive vigueur en une matiere insensible, elle preste des ce tems la et fournit de son bois aux desirs presque tous les jours infinis des hommes.

  A002000295 

 Voyla pas de grans tesmoignages de la vertu de la Croix? Tout le Christianisme en vouloit avoir en ce tems la, et Dieu, se monstrant favorable a ceste devotion, multiplioit le bois de la Croix a mesure que l'on en levoit des pieces; signe evident que l'Eglise de ce tems la avoit une autre forme que la reformation des novateurs..

  A002000296 

 » Ainsy, luy mesme raconte, que voyant brusler a Nole par un embrasement presque incroyable une mayson qui estoit vis a vis de l'eglise de saint Felix, il s'eslança contre le feu, et l'esteignit par la vertu d'une piece de la Croix qu'il tenoit..

  A002000327 

 Tesmoignant que le feu, ayant surmonté l'eau,.

  A002000329 

 Par le seul bois, pourveu que de la Croix il sorte.

  A002000331 

 Ce qu'il fit la portant autour du sanctuaire, et alhors une flamme de feu resplendissant et non bruslant suivit Thomas allant de lieu en lieu, si que toute la place, en laquelle s'arrestant il monstroit la venerable Croix au peuple, sembloit brusler, et cecy fut fait non une fois ou deux, mays plusieurs; chose laquelle presagea le salut d'Apamee qui s'ensuivit despuys.

  A002000331 

 Evagrius recite que la ville d'Apamee estant reduitte a l'extremité par le siege de Cosroës, les habitans prierent leur Evesque, nommé Thomas, de leur monstrer une piece de la Croix qui estoit la.

  A002000332 

 Ce n'est donq pas merveille si saint Ambroise, parlant du clou de la Croix, dit que « c'est un remede pour le salut, et que par une puissance invisible il tourmente les diables »; et saint Cyrille, que jusques a son tems le bois de la Croix qui estoit en Hierusalem guerissoit les maladies, chassoit les diables et les charmes.

  A002000332 

 Et saint Gregoire le Grand, Livre troisiesme de ses Epistres, en la trente cinquiesme parle de l'huile de la sainte Croix, lequel en touchant guerissoit; et Bede tesmoigne que c'estoit un huile qui sortait de soy mesme du bois de la Croix.

  A002000333 

 Je concluray donques avec Justinien l'Empereur, que ç'a esté pour nous que la Croix a esté trouvee.

  A002000333 

 Peut estre respondra-il que cependant ilz n'attribuent rien a la sainte Croix ou au seul signe d'icelle; mays nous avons ja protesté que la Croix n'est que l'instrument de Dieu es œuvres miraculeuses, si que d'elle mesme elle n'a point de proportion avec telles operations; le cas est tout semblable en la robbe de Nostre Seigneur et es os d'Helisee.

  A002000333 

 Qu'est-ce que respondra a tout cecy le traitteur? dira-il que les tesmoins que je produis sont reprochables? mays certes, ce sont tous autheurs graves.

  A002000339 

 J'ay dit cy dessus que les Anciens avoyent en usage le bois de la sainte Croix pour honnorer en iceluy Jesus Christ crucifié, d'autant que l'honneur de la Croix se rapporte tout au Crucifix.

  A002000340 

 Nous avons veu que l'Empereur Constantin en mit une dans sa propre statue en un lieu fort honnorable de Constantinople, comme une sainte defense de toute la ville.

  A002000340 

 Saint Chrysostome nous a tesmoigné qu'on enchassoit les autres en or, et les pendoit-on au col par honneur; saint Gregoire Nissene nous a dit que sainte Macrine en portoit une dans une croix d'argent.

  A002000358 

 Les cors de saintz Martyrs que pour siens ell'honnore;.

  A002000362 

 N'estant moins que son tout a tous nous venerable..

  A002000367 

 Ces grans et saintz autelz, quoy que couvertement,.

  A002000376 

 Et saint Ambroise dit qu'Heleine fit sagement, laquelle leva la Croix sur le chef des roys, a fin que la Croix fut adoree es roys..

  A002000377 

 Ainsy Jean Moscus Eviratus, ou Sophronius, raconte que l'Abbé Gregoire avec Tallelæus firent ce pelerinage ensemble, et que l'Abbé Jean, anachorete, avoit accoustumé de le faire bien souvent..

  A002000377 

 Et saint Paulin dit que ceste piece-la n'estoit monstree sinon les festes de Pasques, « hormis a la requeste de quelques devotes personnes, qui alloyent seulement en pelerinage en Hierusalem pour voir ceste sainte relique, en recompense de leur long voyage.

  A002000377 

 Par les pelerinages que l'on faisoit en Hierusalem pour visiter la sainte Croix.

  A002000377 

 » Et tesmoigne que sainte Meleine avoit esté en Hierusalem a cest effect, et en avoit apporté une petite piece du saint bois.

  A002000378 

 » Et ceux que Eviratus raconte y avoir fait pelerinage, y alloyent pour adorer la sainte Croix et les lieux venerables, comme dit expressement l'histoire..

  A002000379 

 Mays il y a bien plus, car, auparavant mesme que la Croix fust trouvee par Heleine, les Chrestiens monstroyent en quel honneur ilz avoyent la Croix, honnorans mesme le lieu ou elle avoit esté plantee; ce qui est touché par tous les autheurs, mays beaucoup plus expressement par Sozomene qui dit « que les ennemis de la Croix avoyent dressé un temple a Venus, dans lequel ilz avoyent mis l'idole d'icelle a ceste intention, que ceux qui adoreroyent Jesus Christ en ce lieu-la semblassent adorer Venus, et que, par longueur de tems, la vraye cause vint en oubli pour laquelle les hommes venerent ce lieu-la.

  A002000379 

 » Donques les Gentilz virent que les Chrestiens veneroyent ce saint lieu auquel Nostre Seigneur avoit esté crucifié; combien plus eussent-ilz veneré la sainte Croix?.

  A002000380 

 Et partant, Lactance Firmien, avant que la Croix fust trouvee, avoit desja escrit:.

  A002000386 

 Et Sozomene, apres avoir raconté l'histoire de l'invention [91] de la Croix et les merveilles qui s'y firent: « Ni cela, » dit-il, « n'est pas tant esmerveillable, principalement puysque les Gentilz mesme confessent que cecy est un vers de la Sibile:.

  A002000393 

 Parce que les Anciens estimoyent de beaucoup s'entre honnorer quand ilz se donnoyent les uns aux autres des pieces de la Croix par present, comme nous avons veu d'Heleine et de Constantin, de sainte Meleine et de Paulin et de Sulpice.

  A002000395 

 Quelques uns des anciens Peres ont estimé que ce mesme bois de la vraye Croix seroit reparé et comparoistroit au ciel le jour du jugement, selon la parole de Nostre Seigneur: Alhors apparoistra le signe du Filz de l'homme au ciel.

  A002000406 

 Et la rayson y est bien apparente, parce que, entre toutes les croix, la vraye Croix est le plus proprement signe et Estendart de Jesus Christ..

  A002000407 

 Ce n'est donq pas merveille si saint Macaire et Heleine avoyent egale crainte, en l'invention de la Croix, « ou de prendre le gibbet d'un larron pour la Croix du Seigneur, ou que, rejettans le bois salutaire en guise de poutre d'un larron, ilz ne le violassent, » comme parle saint Paulin; ni que saint Hierosme ne pouvoit voir asses tost le jour « auquel, entrant en la caverne du Sauveur, il peust bayser et rebayser le saint bois de la Croix » avec la devote Marcelle.

  A002000407 

 Et pour vray, « si la robbe et l'anneau paternel ou quelque semblable chose est d'autant plus chere aux enfans, » comme dit saint Augustin, « que l'affection et pieté des enfans vers leur pere est plus grande, » tant plus un Chrestien sera affectionné a l'honneur de Jesus Christ, tant plus honnorera-il sa Croix.

  A002000407 

 Saint Chrysostome proteste « que si quelqu'un luy donnoit les sandales et robbes de saint Pierre, il les embrasseroit a bras ouvertz et les mettroit comme un celeste don dans le plus creux [94] de son cœur »; combien eust-il plus honnoré la Croix de son Redempteur? Et saint Augustin, lequel recite que plusieurs miracles s'estoyent faitz avec un peu de la terre du Mont de Calvaire apportee par Hesperius l'un de ses familiers, et entre autres qu'un paralytique y estant apporté avoit esté soudain gueri, et qu'il avoit mis ceste terre-la honnorablement en l'Eglise: quel respect eust-il porté a la Croix de Nostre Seigneur? Certes, il n'eust pas fait tant de diversions pour effacer la memoire des miracles que Dieu fait en icelle, et luy refuser un juste honneur, comme fait le traitteur, tout au long de son escrit..

  A002000418 

 C'est icy une forte preuve de l'honneur et vertu de la vraye Croix, car, comme parle le traitteur, « il est aisé a recueillir que, si le bois de la Croix n'a point eu de vertu ni de saincteté, ce qui n'en est que le signe ou image n'en a non plus »: au contraire donques, si le signe et image de la Croix a beaucoup de sainteté et de vertu, la Croix mesme en aura bien davantage.

  A002000419 

 Ceux [97] cy ont creu que la vraye Croix de Nostre Seigneur a esté composee de deux bois, dont l'un estait sur le bout de l'autre; et neanmoins, comme il se voit encores en quelques images, ilz plantoyent sur la Croix un autre petit baston, pour y attacher l'inscription et cause que Pilate y fit mettre.

  A002000419 

 Et certes, il y a plus de probabilité en cecy, quand ce ne seroit que pour la commune opinion des Chrestiens, et que Justin le Martyr, au dialogue qu'il fit avec Triphon, appariant la Croix a la corne d'un licorne, semble la descrire en ceste sorte; et saint Irenee dit que « l'habitude ou figure de la Croix a cinq boutz ou pointes: deux en longueur, deux en largeur, une au milieu sur laquelle s'appuye celuy qui est crucifié.

  A002000419 

 Les autres, estimans que les deux bois de la vraye Croix se traversoyent en telle sorte que l'un surpassoit l'autre, ont fait l'image de la Croix en mesme maneire, affigeans l'escriteau a la partie plus haute.

  A002000420 

 C'est ainsy que l'a descritte Pierius, et apres luy le docte Bellarmin et plusieurs autres des nostres, a quoy le traitteur s'accorde.

  A002000420 

 Outre cela, les Anciens ont quelquefois peint ou façonné sur la Croix d'autres choses, pour remarquer quelques misteres et moralités: car les uns courboyent le bout de la Croix en forme d'une crosse, pour representer la lettre P des Grecz, un peu plus bas ilz y mettoyent deux pieces en forme de la lettre X, qui sont les deux premieres lettres du nom de Christ, et un peu plus bas estoit le traversier de la Croix auquel pendoit un voyle, comme on fait maintenant en nos gonfanons, pour monstrer que c'estoit l'Estendart de Jesus Christ.

  A002000454 

 « Fais, Dieu, que par ta Croix nous mourions tous au monde,.

  A002000455 

 Fais que le monde aussi meure tout quant a nous;.

  A002000457 

 Que le peché mourant, la vie en l'ame abonde..

  A002000463 

 C'estoit une tres honnorable persuasion que les Anciens avoyent de la sainte Croix, qui les faisoit ainsy saintement philosopher sur icelle; par ou l'on peut voir que, quand le traitteur dit que les Anciens ne faisoyent autre honneur a la Croix que de la couronner simplement de fleurs, ce n'est que faute d'en sçavoir davantage.

  A002000463 

 Constantin, mettant la Croix en son Labare, croyoit que ce luy seroit un estendart salutaire, comme dit Eusebe; y mettant le nom abregé de Christ, monstroit que la Croix estoit la vraye enseigne de Jesus Christ, et non le siege de l'idolatrie, comme le traitteur l'a descrit; y mettant la riche couronne de pierres pretieuses, il declairoit que tout honneur et gloire appartient au Crucifix, et que la couronne imperiale devoit s'appuyer sur la Croix.

  A002000463 

 Saint Paulin mettant la couronne de fleurs sur la Croix vouloit dire, comme il tesmoigne par ses vers, que par la Croix nous obtenons la couronne de gloire; par les colombes il signifioit que le chemin du ciel, qui a esté ouvert par la Croix, n'estoit que pour les simples et debonnaires; autres fois, par la trouppe de colombes il entendoit la trouppe des Apostres, qui en leur simplicité ont annoncé par tout la parole de la Croix.

  A002000468 

 Et saint Justin le Martyr traittant avec Triphon, Tertullien avec Marcion, et saint Cyprien avec tous les Juifz, ont estimé de faire un bon et ferme argument, produisans les figures de l'Ancien Testament pour l'honneur et reverence de la Croix: pourquoy ne pourrois-je raysonner sur un mesme sujet, par pareilles raysons, avec un traitteur qui se dit estre Chrestien? Or, la briefveté a laquelle je me suis lié, ne me permet pas de prendre le loysir qu'il faudroit pour faire un si grand amas; aussi lira-on avec plus de fruit ce que j'en pourrois dire es autheurs que j'ay des-ja cités, et en Jonas d'Orleans, en saint Gaudence sur l'Exode, et en la Theogonie de Cosme Hierosolymitain.

  A002000468 

 J'aurois une belle campaigne, pour monstrer l'antiquité de l'image de la Croix, si je voulois m'estendre sus un monde de figures de l'Ancien Testament, lesquelles n'ont esté autres que les images de la Croix, et ne penserois pas que ce fust une petite preuve; car, quelle rayson y pourroit-il avoir que cest ancien peuple, outre la parole de Dieu, eust encor plusieurs signes pour se rafraischir coup sur coup l'apprehension de la Croix future, et qu'il ne nous fust pas loysible d'en avoir en nostre Eglise pour nous rafraischir la memoire de la crucifixion passee? Certes, il n'y auroit si bon traitteur qui ne s'eblouist quand je luy produirois les saintes observations qu'en a fait toute l'antiquité.

  A002000468 

 Je me contenteray seulement de mettre en avant celle que tous les [102] Anciens, d'un commun accord, appliquent a la Croix: c'est le Serpent d'airain, qui fut dressé pour la guerison de ceux qui estoyent morduz de serpens; duquel parlant le traitteur, il remarque qu'il ne fut pas mis ou « dressé sur un bois traversier, comme on le peint communement, car il estoit eslevé sur un estendard, » dit-il, « ou sur une perche, comme le texte le dit.

  A002000468 

 Je remarque que le traitteur a tort de contredire en ceci a la commune opinion, qui porte que le Serpent estoit eslevé sur un bois traversier, sans avoir ni rayson ni authorité pour soy; et qu'au contraire, il est raysonnable que saint Justin le Martyr soit preferé en cest endroit, lequel, en l'Apologie pour les Chrestiens, recitant ceste histoire, tesmoigne que Moyse eslevant le Serpent le dressa en forme de croix.

  A002000468 

 Je remarque que les estendartz et enseignes se faisoyent jadis en forme de croix, en sorte que le bois auquel pendoit le drapeau traversoit sur l'autre, comme l'on voit aujourd'huy en nos gonfanons; tesmoin le Labare des Romains, et Tertullien en son Apologetique; si que le Serpent, estant mis sur un estendart, estoit par conséquent sur un bois traversier.

  A002000468 

 Que la proprieté des motz du texte ne porte aucunement que le Serpent fut eslevé sur une perche; aussi Sanctes Pagninus a laissé le mot d'estendart, qui est sans doute le plus sortable et se rapporte mieux a ce qui estoit signifié.

  A002000468 

 Voyci donques ou je pourrois cotter la premiere image de la Croix: car puysqu'il est ainsy, qu'une chose pour estre image d'une autre doit avoir deux conditions, l'une qu'elle ressemble a la chose dont elle est image, l'autre qu'elle soit patronnee et tiree sur icelle, le Serpent d'airain, estant dressé en semblable forme que la Croix, et ayant esté figuré, par la prevoyance de Dieu, sur icelle, ne peut estre sinon une vraye image de la Croix.

  A002000469 

 Mais, pour m'accommoder au traitteur, il me suffira de parler des croix qui ont esté faittes en l'ancienne Eglise, dequoy il parle ainsy: « Les signes que lon faisoit au commencement n'estoient sinon avec le mouvement de la main appliquee au front ou remuee en l'air, n'ayant subsistance en matiere corporelle, de bois, pierre, argent, or, ou autres semblables.

  A002000469 

 » Et apres avoir remonstré qu'en la religion des Romains on honnoroit et prisoit des pieces de bois qui estoyent peu differentes de la Croix, et que les faiseurs d'idoles se servoyent d'instrumens faitz en forme de croix pour faire les mesmes idoles; item, qu'ilz adoroyent les victoires, et que le dedans de leurs trophees (c'est a dire les instrumens sur lesquelz on portait les trophees) estoyent en forme de croix; item, que la religion des Romains, estant toute militaire, veneroit les enseignes et estendartz, juroit par iceux, et les prisoit plus que tous les dieux, et que les voyles ou drapeaux des estendartz n'estoyent que comme des manteaux et vestemens des croix, il conclud disant: « Je loue ceste diligence; vous n'aves pas voulu consacrer des croix nues et descouvertes, ou sans ornement.

  A002000469 

 » J'admire ceste ignorance tant hardie: qui est celuy, tant soit-il peu versé en l'antiquité, qui ne sçache que tout au fin commencement de l'Eglise, les Gentilz reprochoyent de tous costés aux Chrestiens l'usage et veneration de la Croix? ce qu'ilz n'eussent jamais fait s'ilz n'eussent veu les Chrestiens avoir des croix.

  A002000469 

 » La ou cest autheur si clair voyant ne nie pas, mays confesse plustost, [104] que les Chrestiens adoroyent la Croix; ne mettant point autre difference entre les croix des Gentilz et les nostres, sinon en ce que les nostres estoyent nues et sans enrichissemens, et les leurs estoyent vestues de divers paremens..

  A002000470 

 Autant en dit, et beaucoup plus clairement, Justin le Martyr en sa seconde Apologie, la ou ayant monstré que sans la figure de la Croix l'on ne peut rien faire, et d'avantage, que les trophees et masses que l'on portait devant les magistratz avoyent quelque ressemblance de la Croix, et que les Gentilz consacroyent les images de leurs empereurs defunctz par la figure de la Croix, il conclud en fin en ceste sorte: « Puys donques, que par bonnes raysons tirees mesmes de la figure, nous faisons tant que nous pouvons ces choses avec vous, nous serons desormais sans coulpe.

  A002000470 

 » Justin donques confesse qu'en matiere de faire des croix, nous ne faisions rien moins que les Gentilz, quoy que ce fust avec diversité d'intentions, ce qu'il va déduisant par apres fort doctement et au long.

  A002000471 

 La ou je ne me puis tenir de remarquer l'imposture du traitteur, lequel citant ce passage de saint Athanase, luy fait dire en ceste sorte: « Les Chrestiens monstroient qu'ils n'adoroient pas la Croix quand ils desassembloient ordinairement les deux principales pieces d'icelle, recognoissans que ce n'estoit que bois.

  A002000471 

 Saint Athanase, qui vivoit du tems de Constantin le Grand, au livre des Questions a Antiochus, fait ceste demande: « Pourquoy est-ce que tous nous autres fidelles faisons des croix pareilles a la Croix de Christ, et que nous ne faisons point de remembrances de la sacree lance, ou du roseau, ou de l'esponge? car ces choses sont saintes comme la Croix mesme.

  A002000471 

 » A quoy il respond: « Pour vray, nous adorons la figure de la Croix, la composans de deux bois; que si quelqu'un des infidelles nous accuse que nous adorons le bois, nous pouvons aysement separer les deux pieces de bois, et gastans la forme de la Croix, tenans ces deux bois ainsy separés pour neant, persuader a cest infidelle que nous n'honnorons pas le bois, mais la figure de la Croix: ce que nous ne pouvons faire de la lance, du roseau et de l'esponge.

  A002000471 

 » Car au contraire, saint Athanase dit expressement que tous les fidelles adoroyent la Croix, mais non pas le bois.

  A002000471 

 » Quelle apparence, donques, y a-il que Constantin ayt esté le premier qui a fait la Croix en matiere permanente? puysque saint Athanase confesse que tous les fidelles de ce tems la faisoyent des croix de bois et les [105] honnoroyent, et en parle comme de chose toute vulgaire et accoustumee.

  A002000472 

 Et de vray, au moins ce traitteur devoit considerer que si Constantin dressa son Labare en forme de croix, pour la vision qu'il avoit eue d'une Croix a la façon de laquelle il fit dresser les autres (comme le traitteur mesme confesse que cela s'est peu faire), ce ne sera pas Constantin qui aura fait la Croix le premier en matiere subsistante, mais plustost Dieu, qui luy en fit le premier patron sur lequel les autres furent dressees.

  A002000472 

 Que si, au contraire, ce ne fut point par advertissement de Dieu, ni pour aucune vision, que Constantin fit dresser son Labare et plusieurs autres croix, mais plustost par rayson d'estat, qui est l'opinion laquelle aggree plus au traitteur, a sçavoir, que « d'autant, » ce sont ses parolles, « qu'il avoit freschement esté eslevé à la dignité imperiale, par la volonté des gens de guerre qui l'avoient preferé aux descendans de Diocletian, il advisa que le moyen de se maintenir en ceste dignité contre ses competiteurs et debateurs seroit de se faire ami des Chrestiens, que Diocletian avoit persecutez à outrance, et à ceste occasion il fit eriger des croix avant mesme qu'il fust Chrestien »; je prendray le traitteur au mot en ceste sorte:.

  A002000473 

 Constantin pour se rendre amy des Chrestiens fit dresser plusieurs croix; donques les Chrestiens de ce tems la aymoyent que l'on dressast des croix.

  A002000473 

 Et qui les avoit gardés d'en dresser jusques a ceste heure la, au moins dedans leurs maysons et oratoires? et comme pouvoit sçavoir Constantin que la maniere de flatter les [106] Chrestiens estoit de dresser des croix, s'il n'eust conneu qu'ilz en avoyent dressé auparavant et les honnoroyent? Pour vray, les Reformeurs n'eussent pas esté amis de ces anciens fideles, ni leur doctrine jugee Chrestienne, puysqu'ilz abattent leurs croix, et taschent de persuader que c'est une « corruption » d'en avoir introduit l'usage et que « c'est encor plus mal fait de le retenir; » ce sont les parolles mesmes du traitteur.

  A002000473 

 Et s'il est vray, comme sans doute il est, ce qu'il dit ailleurs, rapporté de saint Gregoire Nazianzene, que « la verité n'est point verité si elle ne l'est du tout, et qu'une pierre precieuse perd son prix à cause d'une seule tare ou d'une seule paille, » la doctrine Chrestienne n'aura plus esté pure du tems de Constantin, selon l'opinion de cest homme, puysque les Chrestiens desiroyent et se plaisoyent que l'on plantast des croix, qui est une corruption, « levain et doctrine erronee, » a son dire.

  A002000474 

 Car Calvin, parlant de saint Irenee, Tertullien, Origene et saint Augustin, il dit « que c'estoit une chose notoire et sans doute, que despuys l'aage des Apostres jusques a leur tems il ne s'estoit fait nul changement de doctrine, ni a Rome ni aux autres villes; » et le traitteur mesme (ne sçachant ce qu'il va faisant), parlant du tems de saint Gregoire et reprenant la simplicité des Chrestiens d'alhors, il dit que « leurs yeux commençoient fort à se ternir et à ne voir plus gueres clair au service de Dieu.

  A002000474 

 Ce n'est pas peu, a mon advis, d'avoir gaigné ceste confession sur les ennemis des croix, que les Chrestiens il y a treize cens ans aymoyent et desiroyent que l'on dressast des croix; et ne sçai comme on pourra appointer ce traitteur avec Calvin et les autres novateurs, car luy dit d'un costé que du tems de Constantin il y avoit corruption en l'Eglise, et Calvin avec les autres tiennent que l'Eglise a esté pure jusques presque au tems de Gregoire le Grand.

  A002000474 

 En fin, a ce que je vois, ilz confesseront tantost que c'est du tems des Apostres que nostre Eglise a commencé..

  A002000474 

 » Voyes-vous comme il rapporte le commencement de leur pretendue corruption de la doctrine Chrestienne au tems de saint Gregoire? et neanmoins, quant a la Croix, il l'a rapportee aux Chrestiens qui vivoyent du tems de Constantin [107] le Grand, lesquelz il fait (et c'est la verité) grans amateurs de l'erection des croix, que puys apres il appelle corruption.

  A002000475 

 Aussi les habitans de Socotore, isle de la mer Erithree, qui ont esté et sont Chrestiens des le tems que saint Thomas y precha, entre les autres ceremonies catholiques ilz ont celle-ci, de porter ordinairement une croix pendue au col et luy porter grand honneur.

  A002000475 

 Ceci est une chose toute conneuë et qui se fait a la veuë de tout le peuple, dont l'Evesque de Cocine en envoya une ample et authentique attestation, avec le portrait de ceste croix-la, au commencement [108] du saint Concile de Trente: qui est une marque bien expresse que les Apostres mesmes ont eu en honneur la sainte Croix.

  A002000475 

 Ceste croix, ayant esté mise en une chapelle que les Portugois edifierent en ce mesme lieu, toutes les annees environ la feste de saint Thomas, ainsy que l'on commence a lire l'Evangile de la sainte Messe, elle commence a suer le sang a grosses gouttes, et change de couleur, paslissant, puys noircissant, et apres se rendant bleuë celeste et tres aggreable a voir, revient en fin a sa naturelle couleur, a mesme que l'on a achevé le saint Office.

  A002000475 

 Elle estoit enfermee dedans un cercueil de pierre, sur lequel il y avoit certaine ancienne escriture gravee, laquelle, au rapport des plus expertz Brachmanes, contenoit le martyre du saint Apostre, et entre autres qu'il mourut baysant ceste croix-la, ce que mesme les gouttes de sang tesmoignent.

  A002000475 

 Encor diray-je, que de la memoire de nos peres, environ l'an 1546, l'on trouva pres de Meliapor, en une petite colline sur laquelle l'on dit que les Barbares tuerent saint Thomas l'Apostre, une croix tres ancienne incise sur une pierre carree, arrousee de gouttes de sang, sur le sommet de laquelle il y avoit une colombe.

  A002000475 

 Et comme l'Apostre qui planta la foy parmi ces peuples y porta quant et quant l'usage de la Croix, ainsy Dieu, voulant en ces derniers tems y replanter encores la mesme foy, leur a voulu recommander l'honneur de la Croix par un signalé miracle, tel que nous avons recité.

  A002000475 

 J'ay donq prouvé, non seulement que ce traitteur est ignorant d'avoir dit que Constantin estoit le premier qui avoit dressé des croix en matiere subsistante, mays encor, que l'erection des croix a esté prattiquee entre les plus anciens Chrestiens, car nous n'avons pas de gueres plus anciens autheurs que Justin et Tertullien.

  A002000475 

 Or, ce que je vay dire prouvera encores fort vivement ce que j'ay dit ci devant.

  A002000475 

 Que s'il est arrivé en quelques annees que ce miracle ne se soit point fait, les habitans de ces contrees, enseignés par l'experience, se tiennent pour menacés de quelque grand inconvenient.

  A002000482 

 Ce n'est donq pas ce que le traitteur disoit, que les images de la Croix furent seulement faittes du tems de Constantin, et qu'encores de ce tems la et long [111] tems apres on n'y adjoustoit point de Crucifix, car je ne vois pas qu'il puisse opposer a ceste authorité pour garantir la negative de fauseté et temerité..

  A002000482 

 Chose admirable; a ce coup le sang et l'eau commencerent a sortir et couler en tres grande abondance, si que les Juifz en ayans porté une cruche pleine en leur synagogue, tous les malades qui en furent arrousés ou mouillés furent tout soudainement gueris.

  A002000482 

 Je ne sçay qui peut esmouvoir cest homme a faire ceste observation, car que peut-il importer que l'on ait fait des croix simples plustost que des images du Crucifix, puysqu'aussi bien c'est chose toute certaine qu'on ne dresse pas des croix sinon pour representer le Crucifix? mais avec cela, ceste observation est du tout fause, digne d'un homme qui mesprise l'antiquité.

  A002000482 

 Voyla le recit qu'en fait saint Athanase, par lequel l'on peut connoistre que ceste image la estoit l'image du Crucifix, tant parce qu'il eust esté mal aysé au Juif qui accusa celuy qui l'avoit en sa mayson, de reconnoistre si soudainement que c'estoit l'image de Jesus Christ si ce n'eust esté qu'il estoit peint en crucifié, qu'aussi parce que les Juifz n'eussent sceu representer la crucifixion de Nostre Seigneur tant par le menu, comme ilz firent, sinon sur l'image d'un crucifix.

  A002000483 

 Dedans la Liturgie de saint Chrysostome, selon la version d'Erasme, le prestre est commandé, se retournant vers l'image de Jesus Christ, de faire la reverence; ce que, non sans cause, les plus judicieux rapportent a l'image du Crucifix; car, quelle representation de Jesus Christ peut-on mettre plus a propos dedans l'eglise, et mesme vers l'autel, que celle du Crucifix? Qui verra de bon œil le carme que Lactance a fait de la Passion de Nostre Seigneur, connoistra qu'il a esté desseigné sur le rencontre que l'on fait de l'image du Crucifix qui est ordinairement au milieu de l'eglise, en laquelle il fait parler Nostre Seigneur, par un style poetique, a ceux qui entrent dedans l'eglise.

  A002000483 

 « Par ce, » dit-il, « que chacun ne connoist pas les lettres ni ne s'addonne a la lecture, nos Peres ont advisé ensemble que ces choses, c'est a dire les misteres de nostre foy, nous fussent representés comme certains trophees es images pour soulager et ayder nostre memoire; car bien souvent, ne tenans pas par negligence la Passion de Jesus Christ en nostre pensee, voyans l'image de la crucifixion de Nostre Seigneur nous revenons a souvenance de la Passion du Sauveur, et nous prosternans nous adorons, non la matiere, mays Celuy qui est representé par l'image.

  A002000483 

 » C'est le dire de ce grand personnage, lequel un peu apres poursuit en ceste sorte: « Or ceci est une tradition non escritte, ne plus ne moins que celle de l'adoration vers le levant, a sçavoir, d'adorer la Croix, et plusieurs autres choses semblables a celles qui ont esté dittes.

  A002000483 

 » L'image donques du Crucifix estoit, desja de ce tems-la, receuë [112] comme authorisee d'une fort ancienne coustume; d'ou vient donques ceste opinion au traitteur, de dire qu'anciennement l'on ne joignoit pas le Crucifix a la Croix, et quel interest a-il en cela sinon d'assouvir l'envie qu'il a de contredire a l'Eglise Catholique? L'image du Crucifix est autant recevable que celle de la Croix..

  A002000484 

 Quand le grand Albuquerque faisoit fortifier Goa, ville principale des Indes orientales, comme l'on abattoit certaines maysons, on rencontra dedans une muraille une image du Crucifix, en bronze, par laquelle on eut tout a coup connoissance que la religion Chrestienne avoit jadis esté en ces lieux-la, quoy qu'il n'y en eust plus de memoire, et que ces Chrestiens anciens avoyent en usage l'image du Crucifix.

  A002000485 

 Ou bien il reprend les croix esquelles nous mettons deça et dela du Crucifix les images de Nostre Dame et de saint Jean l'Evangeliste; mays en cecy la censure seroit tres injuste, car, comme il est loysible et convenable que nous ayons l'image du Crucifix, selon la coustume mesme des plus anciens Chrestiens, il est loysible aussi d'avoir des images de Nostre Dame et des Apostres, dequoy saint Lucas sera nostre garant, qui le premier, au recit de Nicephore Calixte, fit l'image du Sauveur, de sa Mere, de saint Pierre et de saint Paul: que s'il est ainsy, ou peut-on mieux mettre les images de Nostre Dame et de saint Jean qu'aupres de la remembrance du Crucifix? quand ce ne seroit que pour representer tant mieux l'histoire de la Passion, en laquelle l'on sçait que Nostre Seigneur vit ces deux singuliers personnages pres de sa Croix et recommanda l'un a l'autre.

  A002000486 

 Au demeurant, ce que le traitteur adjouste que l'on y met l'image de Nostre Dame « comme si elle avoit esté « compagne des souffrances de nostre Sauveur et qu'elle « eust fait en partie la redemption du genre humain, » cela, dis-je, vient de son goust qui est corrompu par la defluxion d'un'humeur aigre et chagrine, avec laquelle ces reformeurs ont accoustumé de juger les actions des Catholiques; car, qui fut jamais le Catholique qui ne sceut que nous n'avons autre Sauveur ni Redempteur qu'un seul Jesus Christ? Nous mettons tres souvent la Magdeleine embrassant la Croix; que n'a-il dit que par la nous la croyons estre nostre redemptrice? Ces gens ont l'estomac et la cervelle gastés, ilz convertissent tout en venin.

  A002000486 

 Certes, on trouve presque par tout en l'Evangile ou il est parlé de Nostre Dame, qu'elle estoit avec son Filz et auprès d'iceluy, et sur tout en sa Passion; ce ne seroit donq pas hors de rayson de la peindre encores aupres de luy en la Croix, non ja comme crucifiee pour nous, mays comme [114] celle de laquelle on peut dire, beaucoup plus proprement que de nul autre: Christo confixa est Cruci: Elle est clouee a Jesus Christ en la Croix.

  A002000486 

 Nostre Dame ne fut pas crucifiee, mays elle estoit bien sur la Croix quand son Filz y estoit, car la ou est le thresor d'une personne la est son cœur, et l'ame est plus la ou elle ayme que la ou elle anime.

  A002000486 

 Ç'a donq esté la rage que le traitteur a contre les Catholiques, qui l'a empesché de prendre garde a tant de bonnes et religieuses raysons qui peuvent estre en ce fait, pour faire une si maligne conjecture contre nos intentions.

  A002000492 

 C'est une noble preuve de l'honneur et vertu de l'image de la Croix, que Dieu tout puissant l'a fait comparoistre miraculeusement en plusieurs grandes et signalees occasions, et s'en est servi comme de son Estendart, tantost pour asseurer les fidelles, tantost pour espouvanter les mescreans..

  A002000493 

 Aussi appert-il que les histoires Ecclesiastiques en parlent diversement, car Eusebe dit que ceste vision advint en plein midi, et Sozomene [116] escrit qu'elle apparut de nuict à Constantin dormant.

  A002000493 

 Ce que appercevant le traitteur, affin de rendre douteuse l'histoire de ceste grande apparition, il devise en ceste sorte: « Combien que les historiens Chrestiens parlent d'une apparition de croix en l'air avec ces mots: Surmonte par ceci, si est-ce que Zosimus, historien Payen, qui vivoit de ce temps-la et qui a esté tres-exact recercheur des faits de Constantin, n'en a fait mention aucune.

  A002000493 

 Mais pour vray, l'apparition faitte a Constantin le Grand a esté, non sans cause, la plus celebree et fameuse parmi les Chrestiens, d'autant que par icelle Dieu toucha le cœur de ce grand Empereur pour luy faire embrasser le parti Chrestien, et fut comme un saint signe de la cessation du deluge du sang des Martyrs, duquel jusques a ceste heure-la toute la terre regorgeoit; et qu'au demeurant, ceste croix monstree a Constantin fut le patron d'un monde de croix, qui du despuys ont esté dressees par les empereurs et princes chrestiens.

  A002000493 

 Pyrrho n'entendroit rien au prix de ce traitteur; toute sa doctrine consiste a rendre toutes choses douteuses et esbranlees, il ne se soucie pas d'establir autre que l'incertitude; certes, il ne nie pas que ceste apparition ne soit probable, mays il veut aussi qu'elle soit probablement fause..

  A002000494 

 Pourquoy est-ce que Zosimus sera meilleur que les autres? Mais quant a ce que le traitteur veut qu'Eusebe soit contraire a Sozomene en l'histoire de ceste apparition, en ce que l'un dit qu'elle advint en plein midi et [117] l'autre de nuit a Constantin dormant, je crois que c'est une contradiction qu'il aura veuë en songe et en dormant; et de fait Sozomene, en cest endroit ici, fait expresse profession de suivre Eusebe.

  A002000494 

 Qui ne sçait les sottises que les historiens payens, apres Tacitus et autres, ont imposees aux Chrestiens avec leur teste d'asne? Je vous laisse a penser s'ilz se sont espargnés a se taire en nos advantages et prerogatives, puysqu'ilz ne se sont pas espargnés a dire des fables et faire des contes pour honnir et vituperer le Christianisme.

  A002000495 

 Car iceluy, faisant voyage en quelque endroit avec son armee, eut en chemin ceste admirable vision, et cependant qu'il demesloit dans son cerveau que voulait dire cela, la nuit le surprint; si luy apparut Jesus Christ en son repos, avec le signe mesme qui luy estoit apparu au ciel, luy commandant qu'il fist un autre estendart sur le patron [118] de celuy-la, et qu'il s'en servist comme d'une defense es combatz qu'il avoit a faire contre ses ennemis.

  A002000495 

 Laquelle chose Eusebe, surnommé Pamphile, asseure avoir ouÿe de la bouche propre de l'Empereur qui l'affirmoit par serment, a sçavoir, qu'environ midi, le soleil commençant un peu a decliner, tant l'Empereur mesme que les gens d'armes qui estoyent avec luy avoyent veu le signe de la Croix resplendissant au ciel, formé de la splendeur d'une lumiere, auquel estoit ceste inscription: Surmonte par ceci.

  A002000495 

 On dit encores que Jesus Christ mesme luy apparut et luy monstra la figure de la Croix, et mesme luy commanda qu'il en fist faire une semblable, et qu'il en usast comme d'une ayde en l'administration de la guerre et comme d'un instrument propre pour obtenir victoire.

  A002000495 

 « Combien que plusieurs autres choses soyent arrivees a cest empereur Constantin, par lesquelles estant induit il commença d'embrasser la religion Chrestienne, nous avons toutefois appris qu'une vision qui luy fut divinement presentee l'a principalement induit a ce faire.

  A002000496 

 Constantin, tant loué par nos devanciers, autheur du repos de l'Eglise, « Prince des princes chrestiens, » comme l'appelle saint Paulin, « tres grande lumiere de tous les empereurs qui furent onques, tres illustre precheur de la vraye pieté, » comme l'appelle Eusebe, subira en fin finale (si Dieu le permet) les censures et reproches de ces Chrestiens reformés, lesquelz, pires que des chiens, cherchent de souiller les plus pures et blanches vies des Peres du Christianisme.

  A002000496 

 » S'il eust cotté les autheurs et les defautz, quoy que c'eust esté sortir hors du chemin de mon affaire, je me fusse essayé d'affranchir ce grand Empereur de ses iniques accusations; et certes, je sçay bien en partie ce qui se pourrait dire pour charger Constantin de quelques imperfections, mais je ne veux pas faire accroire au traitteur qu'il soit plus sçavant que je le vois, ni presupposer qu'il en sçache plus que ce qu'il en dit, car je [119] le vois si passionné en cest endroit, que s'il eust sceu quelque chose en particulier il l'eust bien fait sonner..

  A002000497 

 Mays outre ces deux fois recitees par Eusebe, Nicephore tesmoigne que deux autres fois la mesme Croix apparut a Constantin; une fois, a la guerre contre les Bisantins, avec ceste inscription: Tu vaincras tous tes ennemis en ce mesme signe; l'autre fois, en la guerre contre les Scythes.

  A002000497 

 Premierement, que par la l'Empereur fut induit a embrasser vivement le parti Catholique, comme par un signe certain que Dieu approuvoit la Croix, et en la Croix tout le Christianisme; si que l'approbation de la Croix et du Christianisme ne fut qu'une mesme chose.

  A002000497 

 Quartement, que ce ne fut pas une seule fois que ceste Croix apparut a Constantin, mays deux fois, a sçavoir, de jour en plein midi et de nuit encor.

  A002000497 

 Que si cela n'est pas approuver l'usage de la Croix, il n'y aura rien d'approuvé.

  A002000497 

 Secondement, combien que Dieu voulust que Constantin reconneust ses victoires de sa liberalité, si voulut-il qu'il sceust que ce seroit par l'entremise du signe de la Croix.

  A002000498 

 » Puys, poursuivant, il dit « qu'a cest aspect, tant les Chrestiens que les payens commencerent a louer Jesus Christ, et reconnoistre que la tres religieuse doctrine des Chrestiens estoit divinement tesmoignee du ciel par ce signe celeste, duquel, lhorsqu'il fut monstré aux hommes, le ciel s'en resjouissoit et glorifioit beaucoup.

  A002000498 

 » Sozomene en dit de mesme, et tesmoigne que la nouvelle fut incontinent espanchee par tout, par le rapport des pelerins qui, de tous les coins du monde, abordoyent en Hierusalem pour y faire leurs devotions..

  A002000499 

 Au contraire, le maistre devineur presageoit par la que la religion Chrestienne seroit comme estouffee pour ne point croistre davantage, d'autant que le signe de la croix estoit comme enfermé, borné et limité par le cercle de la couronne; tant le diable sçait faire ses affaires en toutes occasions.

  A002000499 

 Or l'evenement monstra que le dire des premiers estoit veritable..

  A002000499 

 Un jour, Julien l'apostat regardant les entrailles d'un animal pour faire quelque devination en icelles, luy apparut une croix environnee d'une couronne; dont partie des devins tout espouvantés disoyent que, par la, l'on devoit entendre l'accroissement de la religion Chrestienne et son eternité, d'autant que la Croix estoit le signe du Christianisme, et la couronne estoit signe de victoire et d'eternité; encores parce que la figure ronde n'a ni commencement ni fin, mais est par tout conjointe en elle mesme.

  A002000500 

 L'horreur d'un si terrible accident s'espancha par toute la ville, de façon que de tous costés plusieurs vindrent sur le lieu voir que c'estoit; et voicy que les merveilles redoublans, un grand feu sortit de la terre, lequel s'attachant aux preparatives faites pour le Temple et aux outilz des ouvriers, ne cessa point qu'il ne les eust consommés a la veuë de tout le peuple.

  A002000500 

 Plusieurs des Juifz espouvantés confessoyent que Jesus Christ estoit le vray Dieu, et neanmoins demeuroyent tellement saisis de la vieille impression de leur religion, qu'ilz ne la quitterent point.

  A002000500 

 Une autre fois, le mesme Julien voulant que les Juifz sacrifiassent, ce qu'ilz ne vouloyent faire sinon au lieu du Temple ancien de Hierusalem, il se delibera de le leur faire dresser, contribuant des grandes sommes du thresor imperial; et ja les materiaux estoyent apprestés pour rebastir, quand saint Cyrille, Evesque de Hierusalem, predit que l'heure estoit arrivee en laquelle seroit verifiee la prophetie de Daniel, repetee par Nostre Seigneur en son Evangile, a sçavoir, que pierre sur pierre ne demeureroit au temple de Hierusalem: dont la nuit ensuivant, la terre trembla si fort en ce lieu-la, [121] que toutes les pierres de l'ancien fondement du Temple furent dissipees ça et la; et les materiaux ja preparés, avec les edifices prochains, tous fracassés.

  A002000501 

 Je pourrois produire les autres apparitions que le docte Bellarmin apporte, comme celle qui se fit en l'air quand l'empereur Arcadius combattoit contre les Perses pour la foy Catholique, en quoy il fut aydé divinement; comme aussi celle des croix qui apparurent sur les vestemens au tems de Leon Iconomache, lhors que les heretiques exerçoyent leur rage sur les images; et quelques autres semblables desquelles les autheurs font mention: mays ce que j'en ay dit jusques a present suffit pour ce qui touche l'antiquité; qui en voudra voir davantage, qu'il lise le livret d'Alphonse Ciacone De signis sanctæ Crucis.

  A002000502 

 De nostre tems, lhors que le grand capitaine Albuquerque estoit du costé de l'isle Camarane, une grande croix pourpree et tres resplendissante apparut au ciel du costé du royaume des Abassins, laquelle fut veuë par toute l'armee des Portugois qui estoit en ces contrees la, avec une incroyable consolation; et dura l'apparition quelque piece de tems, jusques a tant qu'une blanche nuee la cacha aux yeux de ceux qui, pleurans de joye, ne se pouvoyent saouler de voir ce saint et sacré signe de nostre Redemption.

  A002000503 

 En la sedition que Pansus Aquitinus esmeut contre Alphonse roy de Congi, son frere aisné, un peu apres que la foy Catholique fut semee par les Portugois en ces pays la, l'on vit une grande multitude de soldatz rebelles fuir devant une petite poignee de personnes qui accompagnoyent le Roy; dequoy le general de l'armee de Pansus rendant rayson, il asseura qu'au commencement de l'escarmouche apparurent, autour du Roy, des hommes d'une façon plus auguste que l'ordinaire, marqués du signe de la Croix et environnés d'une tres claire lueur, combattans tres asprement; dont les soldatz de Pansus estans espouvantés, avoyent pris tout aussi tost la fuite, et que par la reconnoissant qu'il n'y avoit point d'autre Dieu que celuy des Chrestiens, il prioit qu'on le baptizast avant qu'on le fist mourir (comme il pensoit que l'on feroit), ayant esté pris prisonnier.

  A002000504 

 Or certes, les Portugois n'avoyent point de capitaine ainsy paré, qui leur fit connoistre que c'estoit une vision divine par laquelle Dieu les avoit voulu secourir, et quant et quant espouvanter et rompre leurs ennemis..

  A002000504 

 Quand Albuquerque reprit la ville de Goa, les infideles [123] demandoyent tres curieusement aux Portugois, qui pouvoit estre ce brave capitaine qui portoit une belle croix doree et des armes resplendissantes, lequel avoit fait un si grand massacre que les grandes trouppes des Mahometains avoyent esté contraintes de ceder a la petitesse des Chrestiens.

  A002000505 

 Au demeurant, apres tant d'apparitions de l'image et figure de la Croix que Dieu a faites, et fera jusqu'a la consommation du monde, pour consoler les amis de la Croix et effrayer les ennemis d'icelle, au grand jour du jugement, quand le Crucifié sera assis au throsne de sa majesté en l'assistance de tous les Bienheureux, il fera paroistre de rechef ce grand Estendart et signe de la Croix, lequel paroistra lhors que le soleil et la lune se cacheront dedans une bien grande obscurité.

  A002000505 

 C'est ce que dit Nostre Seigneur, en saint Matthieu, en termes tant expres, qu'il n'est possible de douter de ceste verité, sinon a ceux qui ont juré le parti de l'opiniastreté; tous les Peres anciens, d'un commun consentement, l'ont presque ainsy entendu.

  A002000505 

 L'interpretation qu'on y veut apporter, de dire que lhors apparoistra le signe du Filz de l'homme, c'est a dire le Filz de l'homme mesme, qui par sa majesté se fera regarder de toutes partz comme une enseigne, est trop forcee et estiree; on voit a l'œil qu'elle ne sort pas ni ne coule des motz et paroles de l'Escriture, mais d'un prejugé auquel on veut accommoder les saintes paroles; c'est une conception qui ne suit pas l'Escriture, mais qui la veut tirer apres soy.

  A002000506 

 Or combien soit grand l'honneur qui revient de ceci [124] a la Croix, il n'y a celuy qui en puisse douter; tant parce qu'elle est appellee signe du Filz de l'homme, et que les enseignes, armoiries, signes, estendartz des princes et roys sont tres honnorables et respectables, comme tesmoigne Sozomene, et avant luy Tertullien, et l'experience mesme nous le monstre; qu'aussi parce que, comme remarquent doctement les Anciens, elle consolera les bons, estant le signe de leur salut, et espouvantera les mauvais, comme fait l'estendart d'un roy vainqueur lhors qu'il est arboré sur les murailles d'une ville rebelle; et encor d'autant qu'elle sera comme le trophee du Roy celeste, mis au plus haut du Temple de l'univers, et sera claire et lumineuse lhors que la lumiere mesme s'obscurcira en sa propre source; comme tesmoignent saint Cyrille, Hypolite le Martyr, et saint Ephrem qui dit qu'elle paroistra et sera produitte devant le Roy comme le sceptre et verge de sa majesté..

  A002000507 

 Or, quel advantage est-ce pour l'honneur et vertu de l'image de la Croix, que Dieu s'en soit servi et servira si souvent pour consoler les siens, effrayer ses ennemis, pour donner les victoires aux empereurs, et pour tesmoigner la sienne derniere, lhors qu'estant assis au throsne de sa majesté il foulera aux piedz tous ses ennemis.

  A002000513 

 A ceste cause ils apposoient la Croix en toutes choses et en tous lieux comme une marque honorable, par laquelle ils monstroient en effect qu'ils vouloient avoir part à l'opprobre de Christ dont ils se glorifioient; et pourtant Chrysostome dit que telle enseigne honoroit plus que toutes les coronnes et diademes ne pouvoient faire.

  A002000513 

 De faict, les Empereurs et Rois l'ont appliquee à leurs coronnes et sceptres pour tant plus confondre et honnir les Juifs et Payens... A ceste mesme occasion ils ont dit que la Croix estoit l'arbre beau et luisant orné de la pourpre du Roy et plus resplendissant que les astres; et Theodoret, au 3.

  A002000513 

 Le traitteur n'ose pas nier que l'image de la Croix n'ayt esté en ordinaire usage parmi les anciens Chrestiens.

  A002000513 

 escrit que par tout on portoit la Croix pour testifier du triomphe de Christ.

  A002000513 

 « Il se faut souvenir, » dit-il, « que ce que les anciens Chrestiens ont usé de la Croix en ce qu'ils manioient, cela se faisoit pour prattiquer principalement ce que saint Paul disoit: Je n'ay point honte de l'Evangile de Christ; car, d'autant que tous tant Juifs que Payens se moquoient de Christ, et que la Croix estoit scandale aux uns et folie aux autres, tant plus ils se sont efforcez de la diffamer, tant plus les Chrestiens se sont estudiez à la decorer.

  A002000514 

 Que pourroit-on mieux dire a la Catholique? et que disons-nous autre sinon qu'il faut honnorer la Croix pour la protestation de nostre foy, qu'il la faut decorer d'autant plus que ses ennemis la mesprisent, qu'il la faut apposer en toutes choses et en tous lieux comme une marque honnorable, qu'elle honnore plus et, par consequent, est plus honnorable que tous les diademes et couronnes, qu'il la faut mettre sur les couronnes et sceptres, que c'est un arbre beau et luisant orné de la pourpre du Roy et plus resplendissant que les astres? Et qu'ay-je protesté cy devant sinon qu'il ne faut rien attribuer a la seule Croix et au seul signe d'icelle, qu'elle ne vaut sinon comme outil sacré et saint instrument de la vertu miraculeuse de Dieu, que la Croix n'est rien si elle n'est Croix de Jesus Christ, que sa vertu ne luy est pas adherente mais assistante, c'est a sçavoir, Dieu mesme? Si Constantin a surmonté en la Croix, suivant la divine inscription, In hoc signo vinces, ç'a esté par Jesus Christ agent principal et premier; s'il a surmonté par la Croix, ç'a esté en Jésus Christ comme en la vertu assistante de la Croix.

  A002000517 

 Que le Catholique adore,.

  A002000520 

 Si donques le traitteur tenoit parolle, et demeuroit ferme a confesser qu'en ceste maniere peuvent les Chrestiens honnorer la Croix, et sur tout que par tout on portast la Croix pour tesmoigner du triomphe de Christ, comme il confesse que l'on faisoit anciennement au recit de Theodoret, et qu'on l'apposast en toutes choses et en tous lieux comme une marque honnorable, je confesserois de mon costé, avec tous les Catholiques, qu'il auroit bien entendu la vertu de la Croix et la maniere de l'honnorer, et que, comme il s'est vanté, il auroit preché Jesus Christ crucifié.

  A002000521 

 Ainsi jadis fut ordonné que les instrumens des contracts qui se passoient devant notaires publics devoient avoir le signe de la Croix, comme il en est parlé au livre du Code; et en pareilles choses politiques nous ne rejettons pas l'usage de la Croix materielle.

  A002000521 

 Il avoit dit qu'en tous lieux et toutes choses on pouvoit apposer la Croix comme une marque honnorable; maintenant, pour se desdire honnestement, il partage toutes les choses en deux, en politiques et non politiques, et puys limite la generale proposition que la Croix doit seulement estre apposee es choses politiques: « S'il est question, » dit-il, « que nous conversions parmi les Juifs ou Mahumetistes, nous pouvons porter nos enseignes et armes croisees pour monstrer ouvertement aux infideles que nous sommes Chrestiens, et que nos adversaires sont infideles et mescreans; ainsi peut-on graver la Croix en la monnoye, pour monstrer qu'elle est battue au coin d'un Prince Chrestien; ainsi la Croix peut estre mise és portes des villes, chasteaux et maisons pour monstrer haut et clair que les habitans de tels lieux font profession de Chrestienté.

  A002000522 

 La seconde est qu'elle ne soit mise es temples: «... en [128] fin, » dit-il, « les choses sont allees si avant que la Croix a esté mise és temples.

  A002000523 

 Il avoit dit que la Croix estoit une marque honnorable, mays puys apres, pour s'en desdire, il dit qu'il ne luy faut porter aucun honneur religieux ou conscientieux.

  A002000524 

 Il avoit dit que les Anciens apposoyent la Croix en toutes choses et en tous lieux comme une marque honnorable, et qu'on la portoit par tout pour testifier du triomphe de Christ, et bien tost apres il fait dire aux mesmes Anciens, par la bouche d'Arnobe, ces paroles: « Nous n'honorons ni ne desirons d'avoir des croix.

  A002000525 

 Cependant, il me laisse a prouver par ordre que la Croix peut et doit estre apposee aux choses sacrees et notamment au temple, qu'elle est honnorable d'un honneur religieux, que les Anciens l'ont desiree et honnoree, et qu'elle est un remede salutaire au genre humain, ce qu'il trouve encores mauvais.

  A002000525 

 Mays avant toutes choses il me faudra monstrer briefvement que la Croix represente Jesus Christ crucifié et la Passion d'iceluy, affin que l'humeur ne luy prenne pas de refuser l'image de la Croix a cest usage, comme il a fait cy devant de la vraye Croix.

  A002000526 

 Chacun ne peut pas lire les livres sacrés, ni avoir tousjours le predicateur aux aureilles; ce donq que fait l'Escriture et le predicateur en tems et lieu, la Croix le fait en toutes sortes d'occasions, en la mayson, au chemin, en l'eglise, sur le pont, en la montaigne; ce nous est un familier et perpetuel record de la Passion du Sauveur.

  A002000526 

 Julien l'apostat reprochoit aux Chrestiens que rejettans les armes de Jupiter, sa selle et ses boucliers, ilz adoroyent le bois de la Croix et peignoyent la Croix sur leurs frontz et devant leurs maysons.

  A002000526 

 Or saint Cyrille, pour luy faire response, fait un beau denombrement des principaux articles de nostre foy, et puys adjouste: « Le Bois salutaire nous fait souvenir de toutes ces choses, et nous advise de penser que, comme dit saint Paul, ainsy qu' un est mort pour tous, ainsy faut-il que les vivans ne vivent plus a soy, mays a Celuy qui est mort et ressuscité. » Le traitteur mesme produit en ceste sorte ce passage de saint Cyrille, confessant que la croix que les Chrestiens mettoyent devant leurs maysons estoit la marque et l'enseigne publique de Jesus Christ; confession bien contraire a ce qu'il avoit dit, que la Passion de Nostre Seigneur estoit irrepresentable..

  A002000526 

 « Paula, » comme parle saint Hierosme, « visita tous les lieux saintz avec telle ardeur qu'elle [129] ne pouvoit estre retiree des premiers, n'eust esté le desir qu'elle avoit de voir le reste; prosternee donq devant la Croix, elle adoroit la comme si elle y eust veu le Seigneur attaché et pendant; entree dedans le sepulchre, elle baysoit la pierre de la resurrection laquelle l'Ange avoit roulee arriere de l'huis, elle lechoit d'une bouche fidelle, comme des eaux infiniment desirees, la place du cors, en laquelle gisoit le Seigneur; » tesmoignage certain que la Croix luy representoit le Crucifié.

  A002000527 

 Ainsy, quand nos Chrestiens ont descouvert quelque nouveau païs es Indes, pour le dedier a Jesus Christ ilz y ont planté l'estendart de la Croix; dont Pierre Alvarez Capral, ayant pris pied au Bresil, il y esleva une tres haute croix, de laquelle tout ce païs la fut plusieurs annees nommé region de Sainte Croix, jusques a tant que le peuple, laissant ce nom sacré, l'appella Bresil, du [130] nom du bois de Bresil que l'on en tire pour la teinture.

  A002000527 

 Et du viel tems, lhors que l'on renversa en Alexandrie les idoles de Seraphis plantees par toutes les portes, fenestres, posteaux et murailles, on mit en leur place le signe de la Croix, au recit de Ruffin, et lhors fut verifié ce qu'Esaye predit: En ce jour-la, l'autel du Seigneur sera au milieu de la terre d'Egypte, et le tiltre du Seigneur pres le terme d'icelle, et sera en signe et en tesmoignage au Seigneur Dieu des armees en la terre d'Egypte.

  A002000532 

 C'est une playsante fantasie que celle du traitteur quand il trouve bon que l'on employe la Croix es choses politiques, mays non pas es sacrees.

  A002000532 

 » Mays cela, n'est-ce pas un usage religieux? La confession et protestation de la foy n'est-ce pas une action purement Chrestienne? Et de fait, qui prendroit la croix politiquement, elle ne representeroit que mal heur et malediction; si donques l'usage de la Croix n'est que religieux, pour estre bon ou peut-il estre mieux employé qu'es choses sacrees? Si la Croix est bien seante devant les villes et maysons pour monstrer que les habitans de telz lieux font profession de Chrestienté, ne sera-elle pas mieux a propos es eglises et temples pour monstrer que ceux qui s'y assemblent font profession de Chrestienté, que ce sont lieux chrestiens et non mosquees turquesques?.

  A002000533 

 Au demeurant, les Anciens mettoyent la Croix es eglises, tesmoin ce que j'ay recité cy devant de saint Paulin qui en tesmoigne tout ouvertement, et de Lactance Firmien, de l'intention duquel on ne sçauroit douter si l'on considere comme il parle:.

  A002000550 

 Innocent que je suis, et mort pour ton peché.

  A002000562 

 Anastase Sinaitain, en l'oraison De sacra sinaxi, tesmoigne tout clairement que la coustume estoit que la Croix fust es eglises; or il mourut il y a mille ans passés, tesmoin le docte Baronius..

  A002000562 

 Celuy qui faisoit faire la croix, l'ayant trouvee plus [133] pesante, cuyda que cest apprentif eust changé ou alteré le fin or qu'il luy avoit baillé, et commençoit fort a se fascher; mais le garçon luy fit ceste vraye et sainte excuse, que n'ayant pas le moyen de faire une croix entiere du sien pour dedier a Dieu, il avoit au moins voulu employer ce peu qu'il avoit pour rendre plus belle et grosse celle qu'il luy avoit fait, et qu'au reste il n'y avoit que du fin or.

  A002000562 

 Qui ne voit qu'il introduit l'image du Crucifix au milieu de l'eglise, admonestant celuy qui entre? Autant en dis-je de ce que j'ay rapporté de la Liturgie de saint Jean Chrysostome.

  A002000562 

 Response qui pleut tant a celuy qui avoit commandé la croix, que n'ayant point d'enfans il adopta cestuy-la.

  A002000563 

 C'est une grace merveilleuse; aucun ne se confond, aucun n'a honte pensant que ç'a esté une marque de mort maudite, mays chacun se pare d'icelle beaucoup plus que des couronnes, des diademes, ou de plusieurs carquans et doreures esmaillees de pierreries.

  A002000563 

 La coustume donques estoit d'avoir des croix es eglises, et sur tout des que l'Empire fut chrestienné sous Constantin, car au paravant on n'en avoit pas si grande commodité.

  A002000563 

 Mais des-lhors que l'Eglise fut delivree des tyrannies, on vit la Croix par tout celebree « es maysons, es places, es solitudes, [134] es chemins, es montaignes, es vallees, en la mer, es navires, es isles, es lictz, es vestemens, es armes, aux chambres et couches nuptiales, es banquetz, es vases d'argent et d'or, es margarites, es peintures des murailles, es cors des animaux malades, es cors possedés par les diables, es guerres, en paix, es jours, es nuitz, es assemblees des delicatz mondains, es rangz des moynes, tant chacun va a l'envy d'avoir ce don admirable pour soy.

  A002000563 

 Que sert-il donq de dire qu'en semblables choses politiques ilz ne rejettent point la Croix materielle? Beaucoup moins en mettent-ilz sur les [135] animaux malades ou sur les cors possedés du malin, car ce seroit confesser la vertu de la Croix et l'employer a usage sacré.

  A002000563 

 » C'est le dire du grand saint Chrysostome qui, pour vray, n'eust pas eu a faire un si grand denombrement des lieux et choses esquelles la Croix estoit employee, si de son tems l'Eglise eust esté formee sur le patron de la reformation des huguenotz. Pourroit-on bien dire de Geneve, la Rochelle et autres telles villes ce que saint Chrysostome dit de l'Eglise de son tems? Nous n'y voyons aucune croix erigee ni aux portes de ville, ni devant les maysons, chasteaux, forteresses, contratz, testamentz: au contraire, on les a renversees, effacees autant que l'on a peu.

  A002000564 

 Ce n'est pas donq de nostre aage ni des hier que les choses sont allees si avant que la Croix a esté mise es temples, comme semble vouloir dire le traitteur.

  A002000570 

 Il faut que je die mon opinion de l'intention de saint Chrysostome quand il dit que « la Croix estoit celebree es rondeaux et demarches des delicatz mondains et es rangz des moynes: In choreis delicatorum et monachorum ordinibus »; cela ne me destourne point de mon chemin.

  A002000570 

 Je crois qu'il entend parler des processions des seculiers, et des moynes, tant parce que la proprieté des motz dont il use m'invite a ceste intelligence, qu'aussi parce qu'anciennement et notamment de son tems, on portoit les croix aux processions.

  A002000570 

 Les Ariens avoyent composé des himnes et chansons pour leur secte, et les faisoyent chanter alternativement en leurs processions, sur tout aux solemnités, Dimanche et Samedi; saint Chrysostome douta que, par ce moyen, quelques uns de son peuple ne fussent attirés (plusieurs se laissent aller a ces delicatesses exterieures sans sonder le merite et le fonds de l'affaire, tesmoins les pseaumes de Marot), et partant il dressa son peuple a semblable [137] maniere de chanter, et dans peu de tems les Catholiques surpasserent en ceci les heretiques, non seulement en nombre, mais en appareil; car les images et enseignes de la Croix, faites d'argent, precedoyent avec des flambeaux allumés, et l'eunuque de l'Imperatrice avoit charge de fournir aux despens et faire dresser des psalmes et himnes: c'est Sozomene qui fait ce recit ici.

  A002000571 

 Ainsy les Empereurs ont mis ordre par leurs loys, que la Croix fust portee es processions par les deputés a ce faire, et puys rapportee en un lieu decent et honneste; cela me fait bailler aux parolles de saint Chrysostome le sens que j'ay dit.

  A002000572 

 Ainsy elle reluit en la Table sacree, ainsy en l'ordination des prestres, ainsy encor de rechef es Cenes mistiques avec le Cors de Jesus Christ; on la void celebrer par tout... » Qui ne void donq combien expressement saint Augustin et saint Chrysostome tesmoignent que la Croix estoit employee a tout, et sur tout es choses saintes et sacrees, qui n'estoyent pas estimees pour telles si elles n'estoyent signees de la Croix.

  A002000572 

 Comment donq ne sera-il rien signifié de bon par ce que les mauvais font, puysque par la Croix de Christ que les mauvais ont faite, tout bien nous est marqué et signé en la celebration de ses Sacremens.

  A002000572 

 Mais saint Augustin remarque particulierement que la Croix estoit necessaire au Sacrement de l'Autel, qu'il nomme Sacrifice duquel sont nourris les Chrestiens; autant en dit saint Chrysostome: l'enseigne de la Croix, dit-il, nous assiste « lhors que nous sommes nourris de la tres sacree viande, » et elle « reluit en la sacree Table, et de rechef en la Cene mistique avec le Cors de Jesus Christ.

  A002000572 

 « En fin, » dit-il, « qui est le signe de Jesus Christ que chacun connoist, sinon la Croix de Jesus Christ? lequel signe s'il n'est appliqué ou au front des croyans, ou a la mesme eau par laquelle ilz sont regenerés, ou a l'huile par lequel ilz sont chresmés, ou au sacrifice duquel ilz sont nourris, rien de tout cela ne se parfait a droit.

  A002000572 

 » C'est le tesmoignage de saint Augustin, car jaçoit que ce sermon ne fust pas de saint Augustin, comme respond le traitteur (chose certes tres mal aysee a prouver contre le propre tiltre et inscription), si est-ce que ce point ici est de saint Augustin, car il dit tout le mesme en ses Traittés sur saint Jean qui sont indubitablement siens.

  A002000572 

 » Il repete le mesme ailleurs, disant: « Ceste maudite et abominable marque de dernier supplice, a sçavoir la Croix, a esté faite plus illustre que les couronnes et diademes, car le chef n'est point tant aorné par une couronne royale comme par la Croix, qui est plus digne que tout honneur; et de celle qu'au paravant on aborrissoit, on en [140] herche si curieusement la figure si que l'on la trouve par tout, vers les princes, sujetz, hommes, femmes, vierges, mariees, serfz, libres; a tout coup chacun se signe d'icelle, la formant en nostre tres noble membre, car on la figure tous les jours en nostre front comme en une colomne.

  A002000572 

 » Ou donq que le sermon que j'ay allegué soit de saint Augustin, ou de Fulgence son [139] disciple, ou de quelqu'autre, si est-ce que la sentence que j'en ay rapportee est de saint Augustin.

  A002000572 

 » Que pourroit-on dire plus expres?.

  A002000573 

 Aussi es preparatoires de la Liturgie ou Messe de saint Chrysostome, traduitte par Leo Tuscus, le diacre doit, avec une lancette, faire le signe de la Croix sur le pain a consacrer, et quand ce vient a la celebration il est ordonné que l'on mette les pains sur l'autel en forme de croix; ce que mesme Nicolas Cabasile espluche par le menu en l'exposition de la Liturgie.

  A002000573 

 Je sçay qu'il y a plusieurs pointz en ce que j'ay dit qui se rapportent au simple signe de la Croix, mays il y en a beaucoup qui ne peuvent estre entenduz que de la croix faitte en matiere subsistante, comme quand il est dit que on mettoit la Croix es maysons, murailles, fenestres, en la Table sacree, et qu'avec le caractere d'icelle on dedioit les basiliques: or je n'ay pas osé separer ce que mes autheurs avoyent conjoint..

  A002000573 

 Mais remarquons que saint Chrysostome dit separement que la Croix « reluit en la Table sacree », et tantost apres « qu'elle reluit de rechef en la Cene mistique avec le Cors de Jesus Christ; » car il semble par la qu'il veuille dire que la Croix estoit non seulement [141] a l'Autel ou Table sacree (suivant ce qu'il est commandé aux prestres, en sa Liturgie, de faire la reverence se retournans vers l'image de Jesus Christ, et que saint Paulin recite d'avoir mis l'image de la Croix pres l'autel, comme j'ay dit cy devant), mais encor que l'image et figure de la Croix estoit empreinte en la tres sacree viande de l'Eucharistie.

  A002000574 

 C'est grande pitié que d'un superbe et mal instruit on ne le peut faire demordre.

  A002000574 

 Mays ayant monstré le contraire quant a l'image de la Croix, je puis dire: Hé je vous prie, qui est-ce qui pensera que ces saintz Peres, Chrysostome, Augustin, Paulin, eussent mis en usage une chose qu'ilz eussent conneu estre inutile et pernicieuse? Mays le mieux est qu'ilz tesmoignent non seulement de leur fait, ains aussi de la prattique du Christianisme de leur aage; ainsy Justinien l'Empereur fit ceste loy: « Que l'Evesque, consacrant une eglise ou monastere, consacre [143] le lieu a Dieu par oraison, fichant en iceluy le signe de nostre salut (nous entendons la vrayement adorable et honnorable Croix); ainsy qu'il commence l'edifice mettant un si bon et propre fondement.

  A002000574 

 Or, je vous prie, qui est-ce qui pensera que ces saintz Peres eussent privé a leur escient l'Eglise d'une chose qu'ilz eussent conneu luy estre utile et salutaire? » Les pauvres huguenotz avoyent esté apprins comme cela par le pere de leur reformation; on leur a monstré mille fois que c'estoit une fauseté, et que es cinq cens, voire es trois cens premieres annees, il y avoit des images es eglises: ilz dient neanmoins, autant impudemment que jamais, que l'ancienneté ne mettoit point des images aux eglises.

  A002000574 

 [142] Calvin avoit dit que « si l'authorité de l'Eglise ancienne a quelque vigueur entre nous, nous notons que par l'espace de cinq cens ans ou environ, du tems que la Chrestienté estoit en sa vigueur et qu'il y avoit plus grande pureté de doctrine, les temples des Chrestiens ont esté netz et exemptz de telle souilleure »; il parle ainsy des images de Jesus Christ et des Saintz, et peu apres il dit que « si on compare un aage avec l'autre, l'integrité de ceux qui se sont passés d'images, merite bien d'estre prisee au pris de la corruption qui est survenue despuys.

  A002000574 

 » Que sçauroit-on dire a tant de si grans tesmoins?.

  A002000575 

 Je responds qu'en ceste piece-la il est dit que l'image peinte sur le voyle estoit d'un homme pendu, comme de Jesus Christ ou de quelqu'autre, contre les Escritures; il se pouvoit donques faire que ceste image fust dressee contre la verité de l'histoire de la [144] Passion de Nostre Seigneur, avec quelque indecence, dont saint Epiphane ne se pouvoit asseurer que c'estoit qu'elle representoit, et partant eut rayson de la dechirer.

  A002000575 

 Le traitteur, pour ne sembler estre du tout muet, nous oppose qu'Epiphanius « passant par un village nommé Anablatha, estant entré en un temple ou pendoit un voile teint et peint ayant une image comme de Jesus Christ ou de quelque sainct, il mit en piece ce voile, d'autant que cela estoit contre les Escritures; comme cela se lit plus au long en son epistre translatee par sainct Hierosme.

  A002000575 

 Mais que peut tout cela contre les images de la Croix et du Crucifix qui representent au vray la Passion de Nostre Seigneur, ainsy qu'elle est descritte en l'Evangile? Si un evesque trouvoit dans quelque eglise de sa charge l'image d'un Crucifix qui representast Nostre Seigneur non cloué mais attaché avec des cordes sur la croix, comme l'on voit par la faute des peintres, en plusieurs images, le bon et le mauvais larron penduz en ceste sorte, feroit-il pas son devoir de dechirer et rompre telle image? et faudroit-il dire pourtant qu'il rejettast l'usage des images propres et bien faittes?.

  A002000575 

 Que ceste derniere piece d'epistre, citee par le traitteur, n'est aucunement de saint Epiphane, ains un agencement estranger; comme il appert en ce que le sens de l'epistre estoit du tout bien achevé sans ceste piece-la, que ceste piece est hors de propos, qu'elle ne ressent aucunement la phrase de saint Epiphane ou de saint Hierosme, et que les Iconoclastes, citans tous les tesmoignages qu'ilz peurent des anciens Peres, et nommement de saint Epiphane, ainsy qu'il est deduit au second Concile de Nicee, ne produisirent jamais ceste piece de l'epistre traduitte par saint Hierosme.

  A002000576 

 De pareille force est le tesmoignage du Concile Elibertin, cité par le traitteur, auquel il est dit « qu'en l'eglise on ne doit point avoir de peintures, afin que ce qui est honoré et adoré ne soit peint és parois.

  A002000576 

 Je dis secondement, que la defense du Concile Elibertin, selon la portee de la rayson laquelle y est alleguee, ne s'estend pas aux images mobiles, mays a celles seulement qui sont peintes en et sur les murailles, et ne serait a l'adventure pas mal que telle defense fust observee parce que telles images sont sujettes a se gaster, desfaire et effacer, non sans quelque mespris de leur saint et sacré usage, qui est la rayson du Concile disant: « Ne quod colitur aut adoratur in parietibus depingatur: Affin que ce qui est honnoré ou adoré ne soit peint es murailles.

  A002000576 

 » Car je dis premierement, que telle occasion peut naistre en quelque province par laquelle on devra defendre que les images ne soyent point es eglises, comme si les infidelles, Maures, Turcz et heretiques ravageoyent les temples, brisoyent les images et les outrageoyent en mespris de ce qu'elles representent, il ne serait que bon de leur en lever toute commodité et occasion.

  A002000576 

 » Troisiesmement, je dis que puysqu'on ne peut pas sçavoir le propre et particulier motif de ce Concile, et qu'il n'estoit que provincial et de dix-neuf evesques seulement, il n'est raysonnable de le vouloir rendre [145] opposant au general consentement et a la coustume de l'Eglise ancienne qui recevoit les images aux eglises, comme j'ay prouvé cy devant.

  A002000581 

 Constantin, comme dit Sozomene, dressa son Labare en forme de croix parce que la coustume estoit que les soldatz fissent reverence a cest estendart, a fin que, par la, peu a peu ilz fussent accoustumés, par la continuelle veuë et veneration de la Croix, a rejetter le paganisme et embrasser la foy de Jesus Christ.

  A002000581 

 Or ces grans personnages vivoyent en la fleur de l'Eglise, dont saint Thomas et saint Bonaventure ont dit l'honneur de la Croix et des autres images estre une tradition Apostolique; car, voyans qu'il a commencé tout aussi tost que le Christianisme, et que si l'on remonte d'aage en aage dans le tems des Apostres on en trouvera une observation perpetuelle, ilz se sont tenuz en la regle de saint Augustin qui porte, que « l'on croit tres justement que ce que l'Eglise universelle tient, et n'est institué par les Conciles mais a tousjours esté observé, n'a point esté baillé sinon par l'authorité Apostolique.

  A002000581 

 Or, qui ne sçait qu'anciennement les Chrestiens adoroyent vers le levant? Ce Pere donq vouloit que la Croix fust mise au lieu vers lequel se faisoit l'adoration.

  A002000581 

 Saint Chrysostome appelle la figure de la Croix « plus digne que tout honneur: omni cultu digniorem, » et commande en sa Liturgie, comme j'ay dit n'agueres, que le prestre venant a l'autel fasse la reverence a la Croix..

  A002000581 

 Si donc au commencement, lors que l'Eglise a esté pure et la verité syncere, le signe de la Croix n'a point esté fait, elle n'a point esté dressee, saluee ni adoree, c'est tres-mal fait d'avoir introduit ceste corruption (qui ne peut estre bonnement appellee coustume), et c'est encor plus mal fait de la retenir.

  A002000581 

 Voyons comme on se gouvernoit [147] alhors touchant l'honneur de la Croix, et nous trouverons que les payens appelloyent les Chrestiens, par injure, « religieux et devotz de la Croix: religiosos Crucis.

  A002000581 

 » C'est un discours du traitteur, auquel je responds en ceste sorte: si lhors que l'Eglise estoit pure, au commencement, on a fait le signe de la Croix, on l'a dressee, saluee et honnoree, c'est tres mal fait d'avoir introduit la presomption (qui ne se peut bonnement appeller reformation) d'abattre, mespriser et deshonnorer le signe de la Croix; certes, au commencement on ne faisoit pas ainsy.

  A002000581 

 » Saint Jean Damascene, long tems avant eux, en avoit dit tout de mesme: « C'est, » dit-il, « une tradition non escritte, aussi bien que l'adoration vers le levant, a sçavoir, d'adorer la Croix... » ce sont ses paroles.

  A002000582 

 Eusebe tesmoigne qu'avant que Constantin donnast la bataille contre Licinius, il se retira hors le camp au tabernacle ou pavillon de la Croix avec quelque nombre des plus devotz qu'il trouva pres de soy, et ce pour prier Dieu et se recommander a sa misericorde, ce qu'il avoit accoustumé de faire en toutes semblables occasions.

  A002000582 

 Or, ce fut Constantin qui abolit le supplice de la croix, « d'autant qu'il honnoroit beaucoup la Croix, tant pour l'ayde qu'il avoit receuë aux combatz en vertu d'icelle, que pour la divine vision qu'il en avoit eue, » comme parle Sozomene; lequel dit a ce propos une chose bien remarquable si elle est conferee avec un trait d'Eusebe en la vie de Constantin.

  A002000582 

 Qui ne voit maintenant que le tabernacle de la Croix duquel parle Eusebe, n'estoit autre chose que l'eglise ou chapelle portative de laquelle Sozomene tesmoigne? Il y avoit donq, au camp de Constantin, [150] une eglise de Sainte Croix, et non seulement la Croix estoit en l'eglise, mais l'eglise mesme estoit dediee a Dieu sous le nom et vocable de la Croix: grande preuve de l'honneur qu'on portoit a la Croix..

  A002000582 

 Saint Augustin tesmoigne, que combien qu'anciennement on crucifiast les mal-faiteurs, de son tems toutefois on n'en crucifioit point.

  A002000582 

 Sozomene, d'autre part, escrit que ce grand Empereur avoit fait faire un pavillon ou tabernacle en guise d'une eglise ou chapelle qu'il portoit tous-jours avec soy quand il alloit a la guerre, affin que tant luy que l'armee eust un lieu sacré auquel on loüast Dieu, on le priast et on peust recevoir les sacrés misteres, car les prestres (sacerdotes) et diacres suivoyent tous-jours ce tabernacle a ceste intention.

  A002000582 

 « D'autant, » dit-il, « que la Croix est honnorable et finie; elle est finie quant a la peyne, mays elle demeure en gloire, et des lieux des supplices elle est passee sur le front des Empereurs.

  A002000582 

 » Aussi le traitteur confesse que les meschans eussent esté « honorez par tel supplice, » dont le bienheureux Prince des Apostres, saint Pierre, devant estre crucifié, pria que ce fust les piedz contre-mont s'estimant indigne d'estre crucifié en mesme maniere que son Maistre, comme [149] dit saint Hierosme, et saint Dorothee le touche.

  A002000583 

 » C'estoit parce qu'ilz vouloyent que la Croix fust en lieu honnorable, et non a terre ou elle pouvoit estre foulee aux piedz, tant ilz portoyent de respect a ce saint portrait: ainsy Justinien l'appelle tres sainte Croix et venerable.

  A002000594 

 Rendant ta cruauté plus que jamais insigne,.

  A002000596 

 Et fait que ton supplice (o estrange vertu).

  A002000603 

 Que bien qu'en quattre pars le monde est partagé,.

  A002000606 

 Prudence, encor plus ancien, tesmoigne que les empereurs Chrestiens honnoroyent la Croix:.

  A002000614 

 Que Jesus, par ses roys, soit pour Dieu reputé;.

  A002000620 

 A ceste coustume des Empereurs se rapporte l'advertissement que saint Remy fit au roy Clovis:.

  A002000631 

 Mays a quoy, je vous prie, visoit la bravade que les payens faisoyent aux Chrestiens, recitee par Minutius Felix au huitiesme Livre joint a ceux d'Arnobe: « Voicy des supplices pour vous, et des tormens et des croix, non plus pour adorer mays pour souffrir »? n'estoit-ce pas une presupposition de l'honneur que les Chrestiens faisoyent a la Croix qui leur faisoit avancer ces parolles: Ecce vobis supplicia, tormenta, et jam non adorandæ sed subeundæ cruces? En voyla bien asses pour convaincre le traitteur, qui a bien osé dire que du tems de la pure et primitive Eglise on n'a dressé ni veneré la Croix, ou bien, qui revient tout en un, qu'il ne luy faut porter aucun honneur religieux; car, a quel autre honneur se peut rapporter ce que j'ay produit jusques icy? [153].

  A002000638 

 De mesme estoffe est la priere Françoise qui se lit presques en toutes les Heures, qu'on appelle; au moins l'ay-je leuë en celles que Michel Jove a imprimees à Lyon, l'an 1568, qui sont à l'usage de Rome; en voici les termes:.

  A002000638 

 Et afin qu'il ne semble qu'on leur face tort par tels propos, voici les mots [154] dont ils usent quand ils benissent le bois de la Croix: Seigneur, que tu daignes benir ce bois de la Croix, à ce qu'il soit remede salutaire au genre humain, fermeté de foy, avancement de bonnes œuvres, redemption des ames, defense contre les cruels traicts des ennemis; item: Nous adorons ta Croix; item: O Croix qui dois estre adoree, o Croix qui dois estre regardee, aimable aux hommes, plus saincte que tous, qui seule as merité de porter le talent du monde, doux bois, doux cloux, portans doux faix, sauve la presente compagnie assemblee en tes louanges; item: Croix fidele, arbre seule noble entre toutes, nulle forest n'en porte de telle en rameaux, en fleur et en germe; le bois doux soustient des doux cloux et un faix doux.

  A002000638 

 Les choses sont allees si avant que la Croix a esté ise és temples; a esté saluee par ces mots: O Crux ave, c'est à dire, Croix bien te soit, qui sont propos ineptes; 2. et incontinent invoquee en disant: Auge piis justitiam reisque dona veniam, c'est à dire, augmente la justice aux bons et donne pardon aux coulpables; 3.

  A002000638 

 item, Crucem tuam adoramus Domine, c'est à dire, Seigneur nous adorons ta Croix; qui sont propos blasphematoires, car c'est Jesus Christ à qui telle priere doit estre faite et dressee, c'est Jesus Christ qui est le Fils lequel doit estre baisé et non pas le bois de sa Croix... mais d'autant que l'Eglise Romaine s'addresse à la croix materielle, il appert que c'est idolatrie insupportable.

  A002000647 

 Que vray confez puisse mourir..

  A002000650 

 De Beze luy avoit ouvert le chemin en ses Marques de l'Eglise, que ce grand esprit de Sponde luy a si bien effacees qu'il m'eust osté l'ennuy de respondre en ce point, si Dieu ne l'eust voulu lever des ennuys de ce monde avant que son œuvre fust achevee.

  A002000650 

 Voyla les subtiles recerches que fait ce playsant traitteur pour convaincre les Catholiques d'estre « foret cenez, rendus punais par l'idolatrie et plus stupides que le bois », car c'est ainsy qu'il nous traitte.

  A002000651 

 Ilz trouvent mauvais que l'on parle a la Croix, qu'on la salue, et beaucoup plus qu'on l'invoque, puysqu'elle n'a ni sentiment ni entendement; mais a ce conte il se faudroit moquer des saintz Prophetes, qui en mille endroitz ont addressé leurs paroles aux choses insensibles: O Cieux jettes la rosee d'en haut, et que les [156] nues pleuvent le Juste, que la terre s'ouvre et qu'elle germe le Sauveur; O cieux, oyes ce que je dis; J'invoque a tesmoins le ciel et la terre; Benisses, soleil et lune, le Seigneur; Loues-le, soleil et lune; Qu'as-tu, o mer, qui te fasse fuir, et toy, o Jordain, que tu sois retourné arriere? Saint André ne vit pas si tost la croix en laquelle il devoit estre crucifié qu'il s'escrie saintement: « O bonne Croix qui as receu ton ornement des membres de mon Seigneur, long tems desiree, soigneusement aymee, cerchee sans relasche, et en fin preparee a mon esprit desireux, reçois-moy d'entre les hommes et me rends a mon Maistre, affin que celuy-la me reçoive par toy, qui par toy m'a racheté.

  A002000651 

 Qui ne sçait combien les apostrophes et prosopopees sont en commun usage a toute sorte de gens? Et quelle plus grande ineptie que de faire le fin a reprendre semblables termes? Et quel danger peut-il avoir en ce langage:.

  A002000656 

 qui a son patron et modelle en l'Escriture Sainte, et mille traitz des plus anciens Peres pour garantz? La rosee qu'Esaye demande aux cieux, n'est autre que le Sauveur; et David demande au feu, gresle, neige, glace, qu'elles louent Dieu; et saint André a la Croix, qu'elle le rende a son Maistre; mays ces choses leur sont autant impossibles que de pardonner aux pecheurs..

  A002000657 

 Ceste priere, donques, « Donne aux bons accroist de justice », n'a que le son exterieur des paroles qui va a la Croix, le sens et l'intention se rapporte du tout au Crucifix.

  A002000657 

 Or, quoy qu'en toutes ces manieres de dire les parolles soyent addressees a la Croix, au ciel, a la neige et semblables choses inanimees, si est-ce que l'invocation passe plus outre et se rapporte a Dieu et au Crucifix.

  A002000657 

 Quand Josué demande au soleil qu'il cesse son mouvement, c'est prier Dieu qu'il l'arreste; quand nous demandons a la Croix qu'elle pardonne aux pecheurs, c'est prier le Crucifié qu'il nous pardonne par sa Passion; et si les paroles semblent mal addressees quant a leur propre signification, elles sont neanmoins redressees par l'intention de ceux qui les proferent, et n'y a aucune messeance, parce que ces façons de parler sont ordinaires, familieres et bien entendues de ceux qui ne sont pas chicaneurs et mal affectionnés..

  A002000657 

 Voicy un exemple signalé: Josué desire que le soleil et la lune s'arrestent et parent au milieu de leur carriere; a quoy, je vous prie, s'addresse-il pour en avoir l'effect? Quant a l'intention, pour vray, il fait sa requeste a Dieu: Tunc locuutus est Josue Domino, in die qua tradidit Amorrhæum in conspectu filiorum Israël: Alhors Josué parla au Seigneur, en la journee que Dieu livra l'Amorrheen a la veuë des enfans d'Israël. Voyla son intention qui va droit a Dieu, mais quant a ses paroles elles n'arrivent que jusques au soleil et a la lune: Dixitque coram eis: Sol, contra Gabaon ne movearis, et luna contra vallem Aialon: Et dit devant iceux: O soleil, n'avance point contre Gabaon, et toy, o lune, contre la vallee d'Aïalon. Voyla les paroles qui sont dressees au soleil et a la lune, et voicy [158] l'effect qui ne part que de la main de Dieu: Stetit itaque sol in medio cæli, et non festinavit occumbere spatio unius diei; non fuit postea et antea tam longa dies, obediente Deo voci hominis: Donques le soleil s'arresta au milieu du ciel et ne se coucha point par l'espace d'un jour; onques auparavant ni apres, jour ne fut si grand, Dieu obeissant ou secondant a la voix de l'homme.

  A002000658 

 Ce n'est pourtant pas pour absurdité que j'estime estre en l'estoffe de ceste rime-la que j'en parle ainsy, car elle ne contient rien qui n'aye une bonne intelligence, comme il appert asses de ce que j'ay dit cy devant..

  A002000658 

 J'ay donques asses respondu a la plainte que fait le traitteur touchant la salutation et invocation de la Croix, et, par consequent, a ce qu'il peut alleguer de la priere faite en la rime françoise qu'il dit estre es Heures « faites a l'usage de Rome.

  A002000658 

 Ne sçait-il pas qu'on [159] ne parle pas françois a Rome, et sur tout es offices? La mesdisance n'a soin que de parler, il ne luy chaud de sçavoir comment.

  A002000658 

 Or veut-il faire passer ceste calomnie sous corde, parce que bien souvent les libraires joignent avec les Heures en un mesme volume plusieurs traittés et oraisons, bien souvent mal a propos, sans congé ni rayson; mays luy qui ose bien censurer les œuvres de saint Augustin, et en rejetter plusieurs pieces comme n'ayans le style et la gravité assortissante aux autres, quoy qu'elles soyent comprises sous le mesme tiltre, n'a-il pas conneu que ces rimes françoises et autres telles oraisons ne sont pas des appartenances de l'office et des Heures de Rome? Il est sot s'il ne l'a consideré, il est imposteur s'il l'a consideré.

  A002000658 

 » J'admire seulement ceste delicate ame, laquelle ayant dit que ceste rime se trouve « presques en toutes les Heures, » interprete tout a coup son « presques » de celles seules de Michel Jove, imprimees l'an 1568; et, pour estre encor plus inepte, veut mettre en usage une vielle rime platte françoise es offices de Rome.

  A002000659 

 Autant en dis-je de la devotion dont se servent aucuns la Semaine Sainte, et les vendredis blancz, que le traitteur avance et tasche de noircir; ce sont observations dignes de luy, et ne touchent aucunement l'Eglise Catholique, car ces devotions n'ont aucune authorité publique, ni ne sont jointes aux Heures comme [160] parties d'icelles; nos calendriers approuvés ne font mention ni des vendredis blancz ni des vendredis noirs.

  A002000659 

 Si ne veux-je pas dire que la substance de ces devotions soit mauvaise; il y a, a l'adventure, quelques circonstances plustost legeres que vicieuses, mays c'est une vanité intolerable d'aller a la recherche de ces pointilles au milieu d'une dispute serieuse.

  A002000665 

 Je dis qu'on bayse asses par honneur le prince et le roy quand on bayse le bout de [162] son manteau ou de son sceptre, ains on ne bayse pas autrement les mains aux souverains que baysant leurs manteaux; l'honneur fait a telles appartenances se rapporte a ceux de qui elles sont.

  A002000665 

 Je dis que la plus pure Eglise l'a adoree et l'a tenue pour adorable, comme je prouve, et l'a baysee encor, comme tesmoigne saint Chrysostome en l'homelie, De l'adoration de la Croix.

  A002000665 

 Le traitteur et de Beze trouvent mauvais que nous disions, Crucem tuam adoramus Domine: Seigneur nous adorons ta Croix; car c'est le Filz qui doit estre baysé et non pas la Croix, disent-ilz.

  A002000665 

 Mays attendant de respondre encor plus au long au Livre quatriesme, je dis qu'il n'y a pas autre inconvenient d'adorer la Croix aux Chrestiens, qu'aux Juifz l'Arche de l'alliance, comme j'ay monstré qu'ilz faisoyent, ci devant; ni de la bayser, que de bayser le bout de la verge de Joseph, comme fit Jacob selon la plus vraysemblable opinion, ou celle d'Assuerus, comme fit Hester selon la sainte parole.

  A002000666 

 Ilz nous reprochent la benediction de la Croix; mais, ou ilz trouvent mauvais qu'on la benie, et je leur oppose saint Paul, qui dit que toute creature est sanctifiee par la parole de Dieu et par l'oraison; ou ilz trouvent mauvais les tiltres que l'on baille a la Croix en ceste benediction et en plusieurs autres parties de nos offices, et lhors je leur oppose toute l'antiquité.

  A002000666 

 Origene l'appelle « nostre victoire », Eusebe et le grand Constantin, « signe salutaire », saint Augustin, « honnoree et honnorifiee », Justin le Martyr, « enseigne principale de force et principauté », Justinien l'Empereur, « vrayement venerable et adorable », et saint Chrysostome encor l'appelle « plus digne que toute veneration et reverence: omni cultu digniorem.

  A002000666 

 Quelz tiltres veulent-ilz lever a la Croix? Je crois que voici ceux qui les faschent le plus: Remede salutaire du genre humain, redemption des ames, tres adorable, plus sainte que tout, nostre unique esperance.

  A002000666 

 Qui ne sçait que les plus saintz et anciens Peres de l'Eglise l'ont ainsy appellee? Saint Chrysostome, en une seule [163] homelie, luy baille passé cinquante tiltres d'honneur, et entre autres il l'appelle « esperance des Chrestiens, resurrection des mortz, chemin des desesperés, triomphe contre les diables, pere des orphelins, defenseur des vefves, fondement de l'Eglise, medecin des malades.

  A002000667 

 Au demeurant, les motz n'ont autre valeur que celle qu'on leur baille.

  A002000667 

 C'est une sotte subtilité de tant disputer des motz quand il appert de la bonté de l'intention; la regle est generale qu'il les faut entendre selon la capacité du sujet dont il est question, secundum subjectam materiam: il est force que les choses s'entreprestent leurs noms les unes aux autres, car il y a plus de choses que de motz, mays c'est a la charge qu'ilz ne soyent appliqués que selon l'estendue et valeur des choses pour lesquelles on les employe.

  A002000667 

 Dieu envoya son Filz affin que le monde fust sauvé par iceluy; saint Paul fut fait tout a tous affin qu'il sauvast tous: voyla des parolles bien pareilles quant a l'escorce, mays leur sens est bien different l'un de l'autre.

  A002000667 

 La Croix est un remede salutaire, redemption des ames, tres adorable, nostre unique esperance, plus sainte que tout; cela s'entend selon le rang qu'elle tient entre les instrumens de la Passion et de nostre salut; qui l'entendroit comme du Redempteur mesme seroit inepte et sot, car le sujet en est du tout, sans difficulté, inepte et incapable..

  A002000667 

 Les paroles des gens de bien et sages sont tousjours prises sagement et en bonne part, par les gens de bien: qu'y a-il de meilleur et de plus sage que l'Eglise? c'est une malice expresse de tirer a un sens blasphematoire ses paroles, qui peuvent avoir un sens bienseant et sortable sans forcer la commune et ordinaire maniere d'entendre.

  A002000667 

 Y a-il mot de plus grande signification que le mot de Dieu, qui signifie le souverain Estre et l'Infini? neanmoins par fois le Saint Esprit l'accourcit tant qu'il le fait joindre aux creatures: J'ay dit, vous estes dieux; Dieu se trouve en l'assemblee des dieux, or au milieu il juge les dieux; Je t'ay constitué Dieu de Pharao.

  A002000668 

 Qui leur a dit, je vous prie, que parlans comme saint Chrysostome, nous entendons autrement que luy? C'est chose certaine que nous attribuons bien souvent au signe ce qui convient a la chose signifiee, comme quand nous disons: Sire, j'honnore vostre sceptre, ou bien: Seigneur, j'adore vostre Croix..

  A002000669 

 En fin ce seroit bien en cest endroit ou auroit lieu la distinction tant prechee par le traitteur, de la croix tourment et de la croix instrument de tourment, car bien souvent, louant la Croix, on n'entend pas parler du seul bois ou signe de sa Croix, ains encores des tourmens et peynes que Nostre Seigneur a souffertz.

  A002000670 

 Je dis de plus que la rayson principale pour laquelle ce jour-la est appellé aoré, n'est pas l'adoration exterieure de la Croix, mais la sainteté de la mort du Sauveur, laquelle y est celebree, dont l'adoration exterieure n'est qu'une protestation..

  A002000670 

 Que c'est un nom bien appliqué, car en cest endroit adoré ne veut dire autre que veneré et honnoré; or qui ne sçait que les jours [167] esquelz se sont faites quelques saintes actions, ou bien ceux esquelz on en fait memoire, sont par tout en l'Escriture appellés tres saintz, tres celebres et venerables? Le Dimanche est appellé jour du Seigneur pour ce qu'il est dedié a Dieu; saint Augustin l'appelle venerable, comme Lactance et saint Chrysostome appellent de mesme le jour de Pasques; pourquoy ne sera venerable le Vendredi dedié a Dieu en honneur de la Passion? 3.

  A002000670 

 Que ce mot ne touche sinon certaines parties de la France, ailleurs on ne l'appelle point ainsy.

  A002000671 

 « Le jour anniversaire revient qui represente la trois fois heureuse et vitale Croix de Nostre Seigneur, et la nous propose pour estre veneree, et nous fait chastes et nous rend plus robustes et promptz a la course de la carriere des saintes abstinences; nous, dis-je, qui d'un cœur sincere et avec levres chastes la venerons: nos qui sincero corde eam castisque labris veneramur. » Or sus donques, quel danger y a-il d'honnorer la Croix, la bayser, et de nommer le Vendredi aoré ou adoré, voire quand on le nommeroit ainsy pour l'adoration de la Croix qu'on fait ce jour-la? Pourquoy appelloit-on le jour de Pasque, Pasque, sinon parce qu'en iceluy se fit le passage du Seigneur, et de ce passage prit son nom et le jour et l'immolation laquelle s'y faisoit? Les jours prennent leur nom bien souvent de quelque action faite en [169] iceux; aussi le Vendredi peut estre dit aoré a l'occasion de l'adoration de la Croix faite en iceluy; mays comme on n'appelloit pas les tables, couteaux, nappes et autres appartenances de l'immolation de la Pasque du nom de Pasque, ainsy n'appelle-on pas aoré ni le lieu, ni l'estui, ni les doigtz, ni la main qui touchent la Croix, comme veut inferer le traitteur: la rayson est ouverte, parce que tout cela n'est pas dedié a la celebration de ceste action ou adoration comme le jour; mais le traitteur n'a ni regle ni mesure a faire des conséquences, pourveu qu'elles soyent contraires a l'antiquité ce luy est tout un..

  A002000671 

 » Et plus bas: « Ainsy saint Paul mesme a commandé que l'on celebrast feste [168] pour la Croix, adjoustant la cause en ceste sorte: Par ce que Jesus Christ nostre Pasque a esté immolé pour nous.

  A002000671 

 » Sozomene tesmoigne que Constantin le Grand, long tems avant saint Chrysostome, « a veneré le jour du Dimanche comme celuy auquel Jesus Christ ressuscita des mortz, et le Vendredi comme celuy auquel il fut crucifié; car il porta beaucoup d'honneur a la sainte Croix, tant pour le secours receu par la vertu d'icelle en la guerre contre les ennemis, qu'aussi pour la divine vision qu'il eut d'icelle.

  A002000672 

 Que si on luy addresse quelques prieres, c'est pour exprimer un desir bien affectionné, et non pour estre ouÿ ou entendu d'icelle; c'est de Nostre Seigneur duquel on attend la grace: si l'on en fait feste c'est pour remercier Dieu de la Passion de [170] son Filz et de son sang respandu, dequoy la lance ayant esté l'instrument elle en est aussi le memorial, et en esmeut en nous la vive apprehension qui nous fait faire feste; quoy que nos calendriers ordinaires ne font aucune mention de ceste solemnité, qui n'est aucunement commandee en l'Eglise Romaine..

  A002000672 

 Saint Ambroise confesse que « clavus ejus in honore est, que le clou de Nostre Seigneur est en honneur; » pourquoy non la lance? aussi saint Athanase l'appelle sacree.

  A002000673 

 Il n'y a rien de si grave et bienseant dequoy Democrite ne rie, rien de si ferme dequoy Pyrrho ne doute; la temerité de l'heretique, qui n'a ni front ni respect mays tient ses conceptions pour des divinités, se rit et mocque de toutes choses: qui des ceremonies, qui des paroles, qui du Purgatoire, qui de la Trinité, qui de l'Incarnation, qui du Baptesme, qui de l'Eucharistie, qui de l'Epistre de saint Jaques, qui des Machabees, et tous avec une esgale asseurance; ilz sont assis sur la chaire pestilente de mocquerie, leurs mocqueries empestent beaucoup plus les simples que leurs discours..

  A002000673 

 J'ay donq asses deschargé l'Eglise des inepties et paroles idolatriques que le traitteur luy vouloit imposer.

  A002000679 

 Encor desplait-il au traitteur que nous appellions la Croix remede salutaire: les Anciens l'ont ainsy appellee, et Dieu, par mille experiences, en a rendu tesmoignage.

  A002000679 

 Entre autres, en la bataille qu'il gaigna sur Maxence, il reconneut que Dieu l'avoit tres favorablement assisté par l'enseigne de la Croix; car estant de retour d'icelle, apres qu'il eut rendu graces a Dieu, il fit poser des escriteaux et colomnes en divers endroitz, esquelz il declairoit a un chacun la force et vertu du signe salutaire de la Croix; et, particulierement, il fit dresser au fin milieu d'une principale place de Rome sa statue tenant en main une grande croix, et fit inciser en caracteres [172] qui ne se pouvoyent effacer ceste inscription latine:.

  A002000687 

 Ce qu'ayant entendu l'Empereur, s'il voyoit quelque partie de son armee s'affoiblir et allanguir en quelque endroit, il commandoit que l'on y logeast ceste enseigne salutaire comme un secours asseuré pour obtenir victoire, par l'ayde de laquelle la victoire fut soudainement acquise, d'autant que les forces des combattans, par une certaine vertu divine, estoyent beaucoup affermies.

  A002000687 

 Chose miraculeuse, qu'en si peu de lieu il y eust si grande quantité de fiesches, et que celuy qui le portoit demeurast ainsy sain et sauve.

  A002000687 

 De la advint que Licinius, reconnoissant au vray quelle force combien divine et inexplicable il y avoit au Trophee salutaire de la Passion de Jesus Christ, il exhorta ses trouppes de n'aller point contre iceluy ni le regarder, d'autant qu'il luy estoit contraire et avoit beaucoup de vigueur.

  A002000687 

 De mesme, les Scythes et Sauromates qui avoyent rendu tributaires les empereurs precedens, furent reduitz sous l'Empire par Constantin, qui dressa contre eux ceste mesme enseigne triomphante, se confiant en l'ayde de son Sauveur; et partant il vouloit que sur les armes on gravast le signe du Trophee salutaire, et qu'on le portast en teste de son armee: c'est encor un recit d'Eusebe..

  A002000687 

 Un de ces porte-enseigne, se trouvant emmi une aspre et forte escarmouche, fut si poltron qu'il abandonna ce saint drapeau, et le remit a un autre pour se pouvoir sauver des coupz; il ne fut pas plus tost hors de la meslee et sauvegarde de la sainte enseigne, que le voyla transpercé d'une javeline au milieu du ventre, dont il meurt sur le champ.

  A002000688 

 Combien de merveilles furent faittes par l'image du Crucifix en la ville de Berite au rapport de saint Athanase? Apres la mort de Julien l'apostat, se fit un si grand tremblement de terre que la mer sortant de ses propres bornes, il sembloit que Dieu menaçast le monde d'un deluge universel; les citoyens d'Epidaure, estonnés de cela, accoururent a saint Hilarion, qui pour lhors estoit en ce païs la, et le mirent au rivage, ou, tout, aussi tost qu'il eut fait trois signes de Croix au sable, la mer qui s'estoit tant enflee, demeura ferme devant luy, et apres avoir fait grand bruit se retira petit a petit en elle mesme: saint Hierosme en est le tesmoin..

  A002000688 

 Le roy Oswald, devant que combattre contre les barbares, dressa une grande croix de bois, et s'estant mis a genoux avec toute son armee, obtint de Dieu la victoire qu'il eut sur le champ; despuys, grand nombre de miracles se firent en ce lieu la, plusieurs mesme venoyent prendre des petites buches du bois de ceste croix, lesquelles ilz plongeoyent dans l'eau qu'ilz faisoyent boire aux hommes et animaux malades, et soudain ilz estoyent gueris; Bothelmus, religieux [174] d'Hagulstadt, s'estant brisé et rompu le bras, appliqua sur soy certaine racleure de ce bois et tout incontinent il fut gueri: Bede le Venerable est mon autheur.

  A002000689 

 Ainsy saint Chrysostome raconte que de son tems on marquoit de la Croix les maysons, les navires, les chemins, les lictz, les cors des animaux malades, et ceux qui estoyent possedés du diable, « tant chacun tire a soy, » dit-il, « ce don admirable.

  A002000689 

 Cosroes envoya certains Turcz marqués a Constantinople; l'Empereur, voyant qu'ilz portoyent l'image de la croix au front, s'enquit d'eux pourquoy ilz portoyent ce signe duquel au reste ilz ne tenoyent conte; ilz respondirent que jadis en Perse estoit advenuë une grande peste, contre laquelle certains Chrestiens qui estoyent parmi eux leur baillerent pour remede de faire ce signe la: c'est Nicephore Calixte qui le dit.

  A002000689 

 Les habitans d'une certaine ville du Japon, ayans apprins par l'experience et par les Portugois qui y estoyent que la Croix servoit de grand remede contre les diables, firent dresser des croix en presque toutes leurs maysons, avant mesme qu'ilz fussent Chrestiens, au rapport du grand François Xavier.

  A002000689 

 » La rayson de leur retraitte est parce que, comme dit saint Cyrille, « quand ilz voyent la Croix ilz se resouviennent du Crucifix, ilz craignent Celuy qui a brisé la teste du dragon; » « et si la veuë seule d'un gibbet, » dit saint Chrysostome, « nous fait horreur, combien devons-nous croire que le diable ayt de frayeur quand il voit la lance par laquelle il a receu le coup mortel »? Je ne veux pas oublier a dire que parmi les barbares des Indes, long tems avant nostre aage, on trouva ceste marque de l'Evangile; nos croix y estoyent en diverses façons en credit, on en honnoroit les sepultures, on les appliquoit a se defendre des visions nocturnes et a les mettre sur les couches des enfans contre les enchantemens..

  A002000690 

 Il dit donq que le recit de Sozomene « estant confessé, « ne conclud pas qu'on doive adorer la croix materielle; car quand ils l'auroient adoree ou auroient fait chose non faisable, c'est chose resoluë qu'ils ne doivent [176] estre imitez.

  A002000690 

 Or le traitteur, produisant fort froidement ce que Sozomene dit de la vertu de la Croix portee en l'armee de Constantin, parle en ceste sorte: « Il reste un tesmoignage du premier livre de Sozomene, chap. 4, où il est dit que les soldats de Constantin ont grandement honoré son estendard fait en forme de croix, et que quelques miracles ont esté faits parmi eux.

  A002000690 

 Si vous dites que non, convainques donq Sozomene et plusieurs autres autheurs de fauseté, et quelz tesmoins aves-vous pour leur opposer? que s'ilz l'ont adoree, confesses que nous ne faisons que ce qui se faisoit en la plus pure Eglise.

  A002000690 

 » Mais que ne parles-vous franchement, o traitteur? ou ilz l'ont adoree ou non.

  A002000690 

 » Voyla une objection bien extenuee; le discours de Sozomene est bien autre que cela, mais je l'ay desja recité ailleurs, et quoy que le traitteur se fasse beau jeu, si ne laisse-il pas d'estre bien empesché a respondre.

  A002000691 

 Ainsy, a qui demanderoit pourquoy les Genazareens desiroyent si ardemment de toucher le seul bord ou frange de la robbe de Nostre Seigneur, on respondroit que c'est d'autant qu'ilz tenoyent ceste robbe comme instrument de miracles et guerisons.

  A002000691 

 Apres ceste response le traitteur nous veut rejetter dessus nostre propre argument en ceste sorte: « La conclusion peut estre faite au contraire, assavoir, si la Croix doit estre adoree pource qu'elle fait miracle, il s'ensuit que la croix qui ne fait pas miracle ne doit estre adoree.

  A002000691 

 La Croix donq de Jesus Christ est honnorable parce qu'elle est une appartenance sacree d'iceluy, mais elle est d'autant plus declairee [178] telle, que Nostre Seigneur l'emploie a miracle: le miracle donq n'est ni le seul ni le principal fondement de la dignité de la Croix, c'est plustost un effect et consequence d'icelle.

  A002000691 

 La robbe et la Croix appartiennent premierement a Nostre Seigneur, voyla la source de leur dignité; que si par apres il s'en sert a miracle, c'est un ruisseau de ceste source.

  A002000691 

 Les prelatz qui font leur devoir sont dignes de double honneur; et, je vous prie, ceux qui ne font leur devoir doivent-ilz estre mesprisés? Au contraire saint Paul tesmoigne qu'on leur doit, ce nonobstant, honneur et reverence; la rayson est parce que leur bonne vie n'est pas la totale cause du devoir que l'on a de ces honneurs, mays la dignité du grade qu'ilz tiennent sur nous..

  A002000691 

 Or est-il certain que de cent mille croix il ne s'en trouvera trois qui facent miracle, quand bien on advouëra les contes qu'on en fait, comme l'effect le monstre et les histoires des exorcistes le conferment.

  A002000691 

 Que si on demandoit encores pourquoy ilz avoyent ceste honnorable conception de ceste robbe-la plustost que des autres, sans doute que c'est parce qu'elle appartenoit a Nostre Seigneur.

  A002000691 

 Si donq on me demande pourquoyj'honnore l'image de la Croix, j'apporteray ces deux raysons: parce qu'elle est une remembrance de Jesus Christ crucifié, et parce que Dieu fait bien souvent des merveilles par icelle, comme par un outil sacré; mais la premiere rayson est la principale et sert de rayson a la seconde, car la Croix ne represente pas la Passion parce que Dieu fait miracles par icelle, mais au contraire Dieu se sert plustost de la Croix pour faire des miracles que de plusieurs autres choses, parce que c'est l'image de sa Passion.

  A002000691 

 » Voyla pas une ignorance lourde? Le formel et premier fondement pour lequel la Croix est honnorable c'est la representation de Jesus Christ crucifié, que toutes les croix font autant l'une que l'autre; mays outre cela il y a des autres particulieres et secondes raysons qui rendent une croix plus honnorable et desirable que l'autre: si non seulement elle represente Nostre Seigneur, mays a esté touchee par iceluy ou par ses Saintz, ou a esté employee a quelque [177] œuvre miraculeuse, certes elle en sera d'autant plus honnorable, mays quand ni l'un ni l'autre ne se rencontreroit, l'image de la Croix ne laisseroit pourtant d'estre sainte a cause de sa representation.

  A002000692 

 Et de fait, au tems que Constantin combattoit, ceste croix celeste n'estoit plus en estre, ains le Labare et autres croix patronnees sur icelle, differentes voirement quant a la matiere et individu, mais de mesme espece quant a la forme..

  A002000692 

 Hé pour Dieu, nos anciens Peres, arboristes spirituelz, nous descrivent la Croix pour un arbre tout pretieux, propre a la guerison et remede de nos maux, et sur tout des diableries et enchantemens; ilz nous font foy de plusieurs [179] asseurees experiences et preuves qu'ilz en ont faites: pourquoy ne priserons-nous toutes les croix, qui sont arbres de mesme espece et sorte que celles qui firent jadis miracle? pourquoy ne les jugerons-nous de mesme qualité et proprieté puysqu'elles sont de mesme forme et figure? Si ce n'est pas a tout propos et indifféremment que la Croix fait miracle, ce n'est pas qu'elle n'ait autant de vertu en nos armees qu'en celle de Constantin, mais que nous n'avons pas tant de disposition qu'on avoit alhors, ou que le souverain Medecin qui applique cest arbre salutaire ne juge pas expedient de l'appliquer a tel effect; mais c'est sans doute, qu'ayant tous-jours une mesme forme de representer la Passion, elle a tous-jours aussi une mesme vigueur et force autant qu'il est en soy.

  A002000692 

 Pline et Mathiole nous descrivent une herbe propre contre la peste, la colique, la gravelle, nous voyla a la cultiver pretieusement en nos jardins; peut estre neanmoins que de mille millions de plantes de ceste espece la, il n'y en aura pas trois qui ayent fait les operations que ces autheurs nous en promettent: nous les prisons donq toutes parce qu'estans de mesme sorte et espece que les trois ou quattre qui ont fait operation, elles sont aussi de mesme valeur ou qualité.

  A002000693 

 Au demeurant, quand le traitteur allegue les histoires des exorcistes, je ne sçay ou il a l'esprit; car puysque ainsy est, que de chasser les diables est une marque qui suit les croyans et l'Eglise, et que parmi les Reformeurs il ne se voit ni exorciste ni aucune guerison de demoniaques, il devroit meshui reconnoistre ou est la vraye Eglise: or cela est hors de nostre sujet.

  A002000693 

 C'est grand cas que cest homme trouve estrange que nos exorcistes ne chassent pas tous-jours les diables des cors, et ne voudroit pas qu'on [181] trouvast estrange que les ministres n'en chasserent jamais un seul.

  A002000693 

 Cependant, Picard que vous appelles saint par moquerie, l'estoit a bon escient pour le zele qu'il avoit au service de Dieu; la Sorbonne vous desplait tous-jours, aussi est-ce un arsenal infallible contre vos academies. Et n'est pas vray que les croix de Rome soyent plus saintes que les autres, comme vous dites en gossant, car elles n'ont point d'autre qualité que celles des autres provinces, ni ne sont le siege de la sainteté plus que les autres; leur sainteté c'est le rapport qu'elles ont a Jesus Christ, lequel elles representent ou qu'elles soyent, et ne sont point le siege du Pape (duquel sans doute vous avies envie de parler, o petit traitteur, si un peu de [182] honte de sortir ainsy hors de propos ne vous eust retenu pour ce coup), du Pape, dis-je, lequel estant appellé Sainteté pour l'excellence de l'office qu'il a au service de Jesus Christ en l'Eglise, se tient neanmoins pour bien honnoré d'honnorer le seul signe de ceste premiere, absolue et souveraine Sainteté qui est Jesus Christ crucifié.

  A002000693 

 Et quoy? si le cors est tormenté par le demon affin que l'esprit du possedé soit sauvé (comme parle l'Apostre), voudries-vous que l'exorcisme ou la priere empeschast cest effect? Vous erres, n'entendans ni les Escritures ni la vertu de Dieu.

  A002000693 

 Les Peres se sont contentés, pour prouver la vertu de la Croix, de tesmoigner que les diables la craignent et en sont tormentés, et cest homme veut qu'infalliblement elle les chasse.

  A002000693 

 Mais quant aux exorcismes « du tant sainct et renommé docteur Picard et autres Sorbonistes » ou du « moine de sainct Benoist mené à Rome par le cardinal Gondy » qui ne peurent sortir leur effect, ainsy que dit le traitteur, ce n'est pas grand' merveille; l'oraison de saint Paul ne valut rien moins pour n'avoir obtenu le bannissement de cest esprit charnel; l'oraison obtient les miracles, mais non pas tousjours ni infalliblement, et ne faut pour cela mespriser sa vertu.

  A002000699 

 C'est une estrange grace, personne ne se confond, personne ne se donne honte pensant que ç'a esté l'enseigne d'une mort maudite; au contraire, chacun s'en tient pour mieux paré que par les couronnes, joyaux et carquans, et non seulement elle n'est point fuie, mais elle est desiree et aymee, et chacun est soigneux d'icelle et par tout elle resplendit.

  A002000699 

 La vertu que les Anciens ont remarquee en la Croix, outre la chere et pretieuse memoire de la Passion, la leur a rendue extremement desirable et, comme parle saint Chrysostome, « de celle que chacun avoit en horreur, on en cherche si ardemment la figure.

  A002000699 

 » Icy joignent les exhortations que l'ancien Origene et saint Ephrem, avec plusieurs autres, font pour recommander l'usage de la Croix; et partant, dit le premier: « Levons joyeux ce signe sur nos espaules, portons ces estendars des victoires; les diables les voyans, trembleront.

  A002000700 

 Est-il raysonnable que ce traitteur qui, a plusieurs passages de saint Augustin, ne respond autre sinon que les livres allegués ne sont pas de saint Augustin, sans autre rayson sinon qu'Erasme et les docteurs de Louvain l'ont ainsy jugé, est-il raysonnable, dis-je, qu'il soit receu a produire un huitiesme livre d'Arnobe Contre les Gentilz, puysque c'est chose asseuree qu'Arnobe n'en a escrit que sept? A l'adventure que le traitteur ne sçavoit pas ceci; mais un homme si aigre et chagrin a censurer les autres, ne peut estre excusé par l'ignorance, laquelle ne sert qu'aux humbles.

  A002000700 

 Si est-ce, dit le petit traitteur, que « ces mots expres se lisent au huictieme livre d'Arnobe, respondant à l'objection des Payens qui blasmoient les Chrestiens comme s'ils eussent honoré la Croix: nous n'honorons ni ne desirons d'avoir des croix.

  A002000700 

 » Je viens de rencontrer ceste mesme objection en Illyricus au livre X du Catalogue des tesmoins de la verité pretendue, qui est, ce me semble, le lieu ou ce traitteur l'a puisee; mays il ne la couppe pas du tout si courte que cestuy-cy.

  A002000700 

 » Or je remarque que ces deux livres reformés ont ceste contrarieté, que ce que le petit traitteur applique aux croix [185] materielles, le Catalogue l'assigne au signe fait en l'air, mays ilz n'ont qu'une intention, de contredire a l'Eglise: l'un ne veut confesser ce qui est presupposé en l'objection des payens, a sçavoir, que les Chrestiens eussent si anciennement des croix en matiere subsistante, et l'autre, le confessant, veut monstrer par la qu'il ne les faut point honnorer.

  A002000700 

 » Si j'estois autant indigent de droit et de rayson que le traitteur, je m'arresterois la sans apporter autre response.

  A002000701 

 Ma rayson est claire; on ne sçauroit nier que tout a l'environ du tems d'Arnobe les Chrestiens dressoyent, honnoroyent et desiroyent les croix.

  A002000701 

 Mais je dis en second lieu, que quand ce huitiesme Livre seroit d'Arnobe, si ne faudroit-il pas l'entendre si cruement et dire que les Chrestiens de ce tems-la ne desirassent ni n'honnorassent les croix en aucune façon.

  A002000701 

 « Arnobe, » dit Illyricus, « vivoit environ l'an 330 »: environ ce tems-la vivoyent Constantin le Grand, saint Athanase, saint Anthoine, saint Hilarion, Lactance Firmien; un peu auparavant vivoyent Origene, Tertullien, Justin le Martyr; un peu apres, saint Chrysostome, saint Hierosme, saint Augustin, saint Ambroise, saint Ephrem: Constantin fait dresser des croix pour se rendre aggreable aux Chrestiens, et les rend adorables a ses soldatz; saint Athanase proteste que les Chrestiens adorent la Croix, et que c'est un pregnant remede contre les diables; saint Hilarion l'employe contre les desbordemens de la mer; Lactance, disciple d'Arnobe, fait un chapitre tout entier de la vertu de la Croix; Origene exhorte qu'on s'arme de la sainte Croix; Tertullien confesse que les Chrestiens sont religieux de la Croix, autant en fait Justin le Martyr; saint Chrysostome en parle comme nous avons veu, et saint Ephrem aussi; saint Ambroise asseure qu'en [187] ce signe de Jesus Christ gist le bon heur et prosperité de tous nos affaires; saint Hierosme loüe Paula prosternee devant la Croix; saint Augustin tesmoigne que ceste Croix est employee en tout ce qui concerne nostre salut: n'ay-je pas donq rayson de dire ce que saint Augustin dit a Julien, qui alleguoit saint Chrysostome contre la croyance des Catholiques: Itane, dit-il, ista verba sancti Joannis Episcopi audes tanquam e contrario tot taliumque sententiis collegarum ejus opponere, eumque ab illorum concordissima societate sejungere et eis adversarium constituere? Sera-il donq dit, petit traitteur, qu'il faille apposer ces paroles d'Arnobe « comme contraires a tant et de telles sentences de ses collegues, et le separer de leur tres accordante compaignie, et le leur constituer ennemy et adversaire »? Pour vray, si Arnobe vouloit que la Croix ne fust aucunement ni desiree ni honnoree, il desmentiroit tous les autres; si au contraire les autres Peres vouloyent que la Croix fust desiree et honnoree de toute sorte d'honneur et en toute façon, ilz desmentiroyent Arnobe, ou l'autheur du Livre que le traitteur luy attribue.

  A002000702 

 Arnobe, visant a l'intention des accusateurs plus qu'a leurs paroles, nie tout a fait leur dire: « Nous ne desirons pas, » dit-il, « les croix ni ne les honnorons; » cela s'entend en la sorte et qualité que vous cuides et selon le sens de vostre accusation.

  A002000702 

 Il arrive souvent de respondre plus a l'intention qu'aux paroles, et c'est la rayson de bailler plustost tout autre sens a la parole d'un homme de bien, que de le luy bailler faux et menteur, tel que seroit celuy d'Arnobe s'il contredisoit au reste des autheurs anciens..

  A002000703 

 Je sçay qu'en peu de parolles on pouvoit respondre que quand Minutius a dit, cruces nec colimus nec optamus, il entendoit parler des fourches et gibbetz, mais l'autre response me semble plus naïfve..

  A002000703 

 Si ne veux-je pas laisser a dire quel est l'autheur de ce huitiesme Livre que le traitteur a cité, qui est certes [189] digne de respect, car c'est Minutius Felix, advocat romain, lequel en cest endroit imite, voire mesme presque es paroles, Tertullien et Justin le Martyr, ne se contentant pas d'avoir respondu que les Chrestiens n'adoroyent ni ne desiroyent les croix a la façon qu'entendoyent les payens, mays par apres fait deux choses: l'une, c'est qu'il rejette l'accusation des Gentilz sur eux mesmes, monstrant que leurs estendars n'estoyent autre que des croix dorees et enrichies, [et que] leurs trophees de victoire non seulement estoyent des simples croix mays representoyent en certaine façon un homme crucifié: Signa ipsa et cantabra et vexilla castrorum, quid aliud quam auratæ cruces sunt et ornatæ? trophæa vestra victricia non tantum simplicis crucis faciem verum et affixi hominis imitantur; l'autre chose qu'il fait c'est de monstrer que le signe de la Croix est recommandable selon la nature mesme, alleguant que les voyles des navires et les jougz estoyent faitz en forme de croix, et qui plus est, que l'homme levant les mains au ciel pour prier Dieu representoit la mesme croix; puys conclud en ceste sorte: Ita signo crucis aut ratio naturalis innititur, aut vestra religio formatur. Tant s'en faut donques que Minutius rejette la Croix ou son honneur, sinon comme nous avons dit, qu'au contraire il l'establit plustost; mais le traitteur, qui n'a autre souci que de faire valoir ses conceptions a quel prix que ce soit, n'a pris qu'un petit morceau du dire de cest autheur qui luy a semblé propre a son intention.

  A002000704 

 Arnobe donques luy mesme, sur le Pseaume LXXXV, interpretant ces parolles, Fac mecum signum in bonum, il introduit les Apostres parlans ainsy: « Car iceluy Seigneur ressuscitant et montant au ciel, nous autres ses Apostres et [190] Disciples aurons le signe de sa Croix a bien avec tous les fidelles, si que les ennemis visibles et invisibles voyent en nos frontz ton saint signe et soyent confonduz, car en ce signe-la tu nous aydes, et en iceluy tu nous consoles, o Seigneur, qui regnes es siecles des siecles.

  A002000704 

 Cependant que nous avons combattu pour Arnobe et soustenu qu'il n'a pas mesprisé la Croix, faisons luy en dire a luy mesme son opinion.

  A002000704 

 » Quelqu'un pourra dire que ces commentaires ne sont pas d'Arnobe le rhetoricien, mais il n'aura pas rayson de le dire.

  A002000708 

 Il faut croire aux Escritures ainsy que l'Eglise les nous baille, il faut croire a l'Eglise ainsy que l'Escriture le commande.

  A002000708 

 Je trouve en l'Escriture qu'il faut ouïr l'Eglise, qu'elle est colomne et fermeté de verité, que les portes d'enfer ne prevaudront point contre elle, mais je ne trouve point en l'Escriture qu'il faille abattre ce qu'elle dresse, honnir ce qu'elle honnore.

  A002000708 

 L'Eglise me dit que j'honnore la Croix, il n'y a huguenot si affilé qui peut monstrer que l'Escriture le defende; mais l'Escriture, qui recommande tant l'Eglise, recommande asses les croix dressees en l'Eglise et par l'Eglise..

  A002000708 

 L'eschappatoire ordinaire des huguenotz, de demander quelque passage expres en l'Escriture pour recevoir quelque article de creance, semble demeurer encor en main au traitteur, car il me dira: Ou est-il dit qu'il faille honnorer les images de la Croix et qu'elle ait les vertus que vous luy attribues? J'ay des-ja respondu au commencement du premier Livre, mays maintenant je dis, premierement, qu'on n'est pas obligé de faire voir expres en l'Escriture commandement de tout ce que l'on fait.

  A002000708 

 Me sçauroit-on monstrer qu'il faille avoir en honneur et respect le Dimanche et le tenir pour saint plus que le Jeudi? Item l'Eucharistie, si elle n'est autre qu'une simple commemoration de la Passion, comme presupposent les Reformés: on trouvera bien qu'il faut [192] s'esprouver soy mesme et ne la manger pas indignement, mais qu'il y faille aucun honneur exterieur, ou me le monstrera-on? Et pourquoy, je vous prie, aura-on plus de credit a brusler et briser les croix, les appeller idoles et sieges du diable, qu'a les dresser, honnorer et appeller saintes, pretieuses, triomphantes? car si cecy n'est escrit cela l'est encor moins.

  A002000708 

 Rejetter ce que l'Eglise reçoit, part d'une excessive insolence.

  A002000709 

 Je dis, avec Nicephore Constantinopolitain, qu'il est [193] commandé d'honnorer la Croix « la ou il est commandé d'honnorer Jesus Christ; d'autant que l'image est inseparable de son patron, n'estant l'image et le patron qu'une chose, non par nature mais par habitude et rapport, et que l'image a communication avec son patron, de nom, d'honneur et d'adoration, non pas a la verité egalement mais respectivement.

  A002000709 

 » La verge de Moyse, d'Aaron, l'Arche de l'alliance et mille telles choses, ne furent-elles pas tenues pour saintes et sacrees et par consequent pour honnorables? ce n'estoyent toutefois que figures de la Croix; pourquoy donq ne nous sera honnorable l'image de la Croix? Disons ainsy: n'est-ce pas avoir en honneur une chose, de la tenir pour remede salutaire et miraculeux en nos maux? mais quel plus grand honneur peut-on faire aux choses que de les avoir en telle estime et recourir a elles pour telz effectz? or, les premiers et plus affectionnés Chrestiens avoyent ceste honnorable croyance de l'ombre de saint Pierre, neanmoins leur foy est loüee et ratifiee par le succes et par l'Escriture mesme, et cependant l'ombre n'est autre qu'une obscurité confuse et tres imparfaitte image et marque du cors, causee non d'aucune reelle application, mais d'une pure privation de lumiere.

  A002000710 

 Dont nous recueillons du moindre au plus grand: si les images en general, et specialement celle de la Croix, ne se font point par l'ordonnance de Dieu ains par l'outrecuidance et desfiance des hommes (qui ont pensé que Dieu ne les voyoit ni oyoit sinon qu'ils eussent telles images devant leurs [195] sens), voire des images introduites depuis je ne sçay combien de temps, combien doivent-elles estre mises au loin? De faict, quand les choses deviennent en tel poinct qu'elles n'ont peu estre commencees par tel et mesme poinct, c'est chose manifeste qu'il les faut oster, comme Ezechias a osté le serpent à cause qu'il n'a peu estre dressé au commencement pour estre encensé; et à cause de l'abus survenu touchant icelui il a bien fait de l'oster du tout.

  A002000710 

 En fin je produis l'honnorable rang que le Serpent d'airain, figure de la Croix, tenoit parmi les Israëlites, [194] pour monstrer qu'autant en est-il deu aux autres images de la Croix qui sont parmi le Christianisme.

  A002000710 

 Icelui avoit esté basti par le commandement de Dieu, pourtant ce n'estoit pas une idole, car, combien que par la Loy generale Dieu eust defendu de faire image de chose qui fust au ciel, en la terre, ni és eaux sous la terre, si est-ce que n'estant astreint à sa Loy ains estant au dessus d'icelle, il a peu dispenser, comme de faict il a dispensé lui-mesme de sa Loy, et a commandé de faire ce serpent qui a esté figure de l'exaltation de Jesus Christ eslevé en croix, comme lui-mesme le tesmoigne en sainct Jean, chap. 3.

  A002000710 

 La rayson est considerable, comme je vay faire voir par les repliques que j'opposeray a ce qu'en dit le traitteur, lequel, avec un grand appareil, produit ce mesme Serpent d'airain contre nous affin qu'il nous morde, en ceste sorte: « Mais ce qui est allegué du 21.

  A002000710 

 » Voyla toute la deduction du traitteur; mays, mon Dieu, que d'inepties..

  A002000711 

 I. Vous dites, o traitteur, que le Serpent d'airain a esté fait par le commandement de Dieu qui l'a dit a Moyse; mays je dis que les croix se font par le commandement de Dieu qui le suggere a l'Eglise et le luy a enseigné par la tradition apostolique: vous me monstreres que Dieu a parlé a Moyse, je vous monstreray qu'il enseigne et assiste perpetuellement l'Eglise en façon qu'elle ne peut errer..

  A002000712 

 II. Vous dites que le commandement de faire ce Serpent d'airain a esté une dispense du commandement prohibitif de faire images; donques, de faire des images n'est pas idolatrie, ni les images ne sont pas idoles, car l'idolatrie est mauvaise en toute façon et est impossible qu'elle puisse estre loysible, « d'autant qu'en quelque sorte qu'on prenne l'idole, elle ne vaut rien.

  A002000712 

 » Dieu donques n'eust jamais dispensé pour faire des images si cela eust esté idolatrie, sinon que Dieu peust dispenser pour estre renié.

  A002000713 

 Donq, avoir des images hors et outre l'Escriture n'est ni idolatrie ni superstition; et ne soyes pas si effronté de dire que la conservation et garde du Serpent d'airain fut superstition, car vous accuseres de connivence, lascheté et irreligion les plus saintz et fervens serviteurs que Dieu ayt eu en Israël, Moyse, Josué, Gedeon, Samuel, David, sous l'authorité et regne desquelz ceste image a esté transportee et conservee tant d'annees outre le tems pour lequel Dieu l'avoit commandee.

  A002000713 

 En bonne foy, faire ce Serpent estoit-ce une dispense du commandement prohibitif de ne faire aucune image? vous le dites ainsy; or, la jouissance des dispenses doit estre limitee par le tems et la condition pour laquelle on l'accorde, car la cause estant ostee il ne reste plus d'effect: le peuple donq, estant arrivé sain et sauve en la terre de promission, ne pouvoit plus prendre aucun fondement en l'Escriture de garder ceste image, puysque la cause de la dispensation estoit ostee: partant, confesses que ceste image demeura honnorablement parmi le peuple, sans aucune parole de Dieu escritte, [197] un grand espace de tems.

  A002000713 

 III. Vous dites que « depuis adonc jusques au temps du bon roi Ezechias, c'est à dire par l'espace d'environ 735 ans, il n'a point esté parlé de ce serpent d'airain.

  A002000713 

 Item, que n'ayant esté dressé (quant a ce que porte le seul texte de l'Escriture) sinon affin qu'il fust remede a ceux qui estoyent morduz des serpens au desert, il ne laissa pas d'estre soigneusement conservé en la terre de promission parmi le peuple d'Israël, avec une honnorable memoire, l'espace d'environ 735 ans, comme vous dites.

  A002000713 

 Ne touchoit-il pas a eux de la lever si c'eust esté mal fait de la garder hors l'usage pour lequel elle avoit esté faite? ces espritz si roides et francz au service de leur Maistre, eussent-ilz dissimulé ceste faute? Item, que n'aves-vous remarqué que ceste image n'eust pas esté conservee si longuement si on n'en eust eu quelque conception honnorable? quelle rayson y pouvoit-il avoir de la retenir, ni pour sa forme ni pour sa matiere? Certes, elle ne pouvoit avoir autre rang que d'un recommandable et sacré memorial du benefice receu au desert, ou d'une sainte representation du mistere futur de l'exaltation du Filz de Dieu, qui sont deux usages religieux et honnorables, mays beaucoup plus propres a l'image de la Croix, qui sert de remembrance du mistere passé de la crucifixion et du mistere a advenir du jour du jugement.

  A002000713 

 » Que n'aves-vous aussi bien remarqué, pour vostre edification, que quoy qu'il n'en soit parlé en l'Escriture, si ne laissoit-ilz pas d'estre gardé et conservé pretieusement, mais qu'ayant esté fait hors et bien loin de la terre de promission il ne fut pas laissé ou il fut fait, mais fut transporté avec les autres meubles sacrés.

  A002000714 

 Apres que l'on a offert et dedié l'encens a Dieu, on le jette vers le peuple, non pour le luy offrir, mays pour luy faire part de la chose sanctifiee; on en jette vers les autelz, mays c'est a Dieu, comme a celuy qui est adoré sur l'autel; on en jette vers les reliques et memoires des Martyrs, mays c'est a Dieu, en action de graces de la victoire qu'ilz ont obtenue par sa bonté; on en jette es temples et lieux de prieres pour exprimer le désir que l'on a que l'oraison des fideles monte a Dieu comme l'encens: en quoy un grand personnage de nostre aage a parlé un peu bien rudement, disant que l'encens est offert aux creatures; ce sont inadvertances qui arrivent quelquefois aux plus grans, ut sciant gentes quoniam homines sunt.

  A002000714 

 Ceux qui nous reprochent les idolatries ne sont pas des Ezechias, ce sont les racleures du peuple et des monasteres, gens passionnés qui osent accuser d'adultere la Susanne que le vray Daniel a mille fois prononcee innocente [200] en la Sainte Escriture.

  A002000714 

 Dont nous concluons au rebours de ce que vous aves fait, petit traitteur: si les saintes images en general, et specialement celle de la Croix, sont dressees par l'ordonnance de l'Eglise et par consequent de Dieu, quoy que vituperees par l'outrecuidance et defiance des hommes (qui ont cuidé que Dieu ne les pouvoit ni voir ni ouÿr sinon qu'ilz eussent renversé telles images), voire des images receües despuys un tems immemorable, combien doivent-elles estre retenues et conservees? Ezechias fit bien d'abattre le Serpent d'airain parce que le peuple idolatroit en iceluy; Moyse, Josué, Gedeon, Samuel et David firent bien de le retenir pendant que le peuple n'en abusoit pas: or l'Eglise, ni les Catholiques par son consentement, n'abusa onques de la Croix ni autres images; il les faut donques retenir.

  A002000714 

 IV. Mays que n'aves-vous consideré que celuy qui abattit le Serpent d'airain estoit establi roy sur Israël, et luy touchoit de faire ceste execution, et qu'au contraire les brise-croix de nostre aage ont seditieusement commencé leur ravage sans authorité ni pouvoir legitime.

  A002000714 

 Item, que le peuple faisoit une grande irreligion autour du Serpent d'airain: 1.

  A002000714 

 en ce que l'encens est une offrande propre a Dieu, comme il est aysé a deduire de l'Escriture, et toute l'ancienneté l'a noté sur l'offrande faitte par les roys a Nostre Seigneur, d'or, d'encens et de myrrhe; l'encens, disent-ilz tous, est a Dieu.

  A002000721 

 Consalve Fernand escrit en une sienne lettre que les Chrestiens avoyent dressé une croix sur un mont du Japon; trois des principaux Japonois la vont coupper; ilz n'ont pas plus tost achevé que, commençans a s'entrebattre, deux demeurent mortz sur la place et ne sçeut-on onques que devint le troisiesme..

  A002000721 

 Il y a pres de mille ans que saint Gregoire de Tours escrivit ceste histoire.

  A002000721 

 Un Juif vit une image de Nostre Seigneur (sans doute que ce fut un Crucifix) en une eglise; poussé de la rage qu'il avoit contre le patron, il vient de nuit et frappe l'image d'une javeline, puys la prend sous son manteau pour la brusler en sa mayson.

  A002000722 

 Ces gourmans commencent a gausser et railler, a la reformee, disans qu'aucun ne les voyoit; puys se retournans vers l'image du Crucifix, « Peut estre, » disoyent-ilz, « marmozet, que tu nous accuseras, garde d'en dire mot, marmozet », et jettoyent des pierres contre icelle, avec un monde de telles parolles injurieuses.

  A002000722 

 J'ay tant ouÿ de tesmoins asseurés de ceci que, me venant a propos, je l'ay deu consigner en cest endroit..

  A002000722 

 Quelques trouppes françoises vindrent ces annees passees sur les frontieres de nostre Savoye, en un village nommé Loëtte, et y avoit en ces compagnies quelques huguenotz meslés, selon le malheur de nostre aage; quelques uns d'entre eux entrent dans l'eglise un Vendredi pour y bauffrer certaine fricassee, quelques autres de leurs compagnons, mays Catholiques, leur remonstroyent qu'ilz les scandalisoyent et que leur capitaine ne l'entendoit pas ainsy.

  A002000723 

 Julien l'Apostat leva du Labare ou estendart des Romains la croix que Constantin y avoit fait former, a fin d'attirer les gens au paganisme; ceste mesme haine qu'il portoit a nostre Sauveur le poussa a cest autre dessein: Eusebe escrit que la femme qui fut guerie au toucher de la robbe de Nostre Seigneur, fit peu apres dresser, en memoire de ce benefice, une tres belle statue de bronze devant la porte [204] de sa mayson, en la ville de Cesaree de Philippe, autrement ditte Paneade, ou Nostre Seigneur estoit representé d'un costé avec sa robbe frangee, et de l'autre ceste femme a genoux, tendant la main vers iceluy; Julien sçachant ceci, comme raconte Sozemene, fit renverser ceste statue et mettre la sienne au lieu d'icelle; mays cela fait, un feu descend du ciel qui terrasse et met en pieces la statue de Julien, laquelle demeura toute noircie et comme bruslee jusques au tems de Sozomene.

  A002000723 

 Les empereurs Honorius et Theodose tesmoignent que les Juifz de leur tems, en leurs festes plus solemnelles, avoyent accoustumé de brusler des images de la crucifixion de Nostre Seigneur en mespris de nostre religion, dont ilz commandent aux presidens des provinces de tenir main a ce que telles insolences ne fussent plus commises, et qu'il ne fust permis aux Juifz d'avoir le signe de nostre foy en leurs synagogues.

  A002000724 

 L'autre est celle que dit saint Athanase, d'autant que si quelques payens, ou huguenotz, nous reprochoyent l'idolatrie comme si nous adorions le bois, nous separerions aysement les pieces de la Croix, et ne les honnorans plus on connoistroit que ce n'est pas pour la matiere que nous honnorons la Croix, mays pour la representation et remembrance; ce qu'on ne peut faire de la creche, lance et sepulchre, et autres telles choses, lesquelles neanmoins, estans employees expressement a la representation des saintz misteres, ne doivent pas estre privees d'honneur.

  A002000724 

 L'une est que des lhors que Constantin eut aboli le supplice de la croix, la Croix n'a autre usage parmi les Chrestiens sinon de representer la sainte Passion, la ou les creches, sepulchres et autres choses semblables, ont plusieurs [205] autres usages ordinaires et naturelz.

  A002000724 

 Or je finiray ce second Livre disant qu'il y a deux raysons principales pour lesquelles on honnore plustost les croix que les lances, creches et sepulchres, quoy que, comme la Croix a esté annoblie pour avoir esté employee au service de nostre redemption, aussi ont bien la lance, la creche et le sepulchre.

  A002000724 

 Or un grand miracle avoit esté fait a ceste statue: elle estoit colloquee sur une haute colomne de pierre sur laquelle croissoit une herbe inconneuë, laquelle, venant a joindre aux franges de la robbe de l'image, guerissoit de toutes maladies; en quoy la robbe de Nostre Seigneur est d'autant plus comparable a sa Croix, car si la robbe fit miracle estant touchee, aussi fit bien sa Croix; si non seulement sa robbe, mais encor l'image de sa robbe a fait miracles, je viens aussi de prouver que les images de la Croix ont eu ceste grace excellente d'estre bien souvent instrumentz miraculeux de sa divine Majesté.

  A002000735 

 Ainsy la vertu de religion, qui a pour sa propre et naturelle occupation de rendre a Dieu autant que faire se peut l'honneur qui luy est deu, tire au service de son dessein les actions vertueuses, les dressant toutes a l'honneur de Dieu; elle se sert de la foy, constance, temperance, par le bien croire, le martyre, le jeusne: c'estoyent desja des actions vertueuses et bonnes d'elles mesmes, la religion ne fait que les contourner a sa particuliere intention qui est d'en honnorer Dieu.

  A002000735 

 Ce droit d'annoblir les actions lesquelles d'elles-mesmes seroyent roturieres et indifferentes, appartient a la religion comme a la princesse des vertus; c'est une marque de sa souveraineté, dont elle s'y plait tant que jamais il n'y eut religion qui ne se servit de telles actions, lesquelles sont et s'appellent proprement ceremonies des lhors qu'elles entrent au service de la religion.

  A002000735 

 J'ay dit que c'est une ceremonie, et voici dequoy.

  A002000737 

 Or je dis ainsy: que le signe de la Croix de soy-mesme n'a aucune force, ni vertu, ni qualité qui merite aucun honneur, et partant je confesse « que Dieu n'opere point par seules figures ou characteres, » comme dit le traitteur, et qu' « és choses naturelles la vertu procede [213] de l'essence et qualité d'icelles, és supernaturelles Dieu y besongne par vertu miraculeuse non attachee à signe ou figure; » mays je sçai aussi que Dieu, employant sa vertu miraculeuse, se sert bien souvent des signes, ceremonies, figures et caracteres, sans pourtant attacher son pouvoir a ces choses la. Moyse touchant la pierre avec sa verge, Helisee frappant sur l'eau avec le manteau d'Helie, les malades s'appliquans l'ombre de saint Pierre, les mouchoirs de saint Paul ou la robbe de Nostre Seigneur, les Apostres oignans d'huile plusieurs malades (choses qui n'estoyent aucunement commandees), que faisoyent-ilz autre que des pures ceremonies, lesquelles n'avoyent aucune naturelle vigueur et neanmoins estoyent employees pour des effectz admirables? Faudroit-il dire pour cela que la vertu de Dieu fut clouee et attachee a ces ceremonies? Au contraire, la vertu de Dieu, qui employe tant de sortes de signes et ceremonies, monstre par la qu'elle n'est attachee a aucun signe ni ceremonie..

  A002000738 

 Combien est-ce qu'en font les tisserans, peintres, tailleurs et autres, que personne n'honnore ni ne prise? parce que ces croix (autant en dis-je des caracteres et figures croisees que nous voyons es images profanes, fenestres, bastimens), ces croix, dis-je, ne sont pas destinees a l'honneur de Dieu ni a aucun usage religieux; mais quand ce signe est employé au service [214] de l'honneur de Dieu, d'indifferent qu'il estoit il devient une ceremonie sacrosainte, de laquelle Dieu se sert a plusieurs grans effectz.

  A002000738 

 J'ay dit en fin que tout cela se faisoit par un simple mouvement, pour forclore les signes permanens, engravés et tracés en matieres subsistantes, desquelles j'ay parlé au Livre precedent..

  A002000738 

 J'ay dit que ceste ceremonie estoit Chrestienne; d'autant que la Croix et tout ce qui la represente est folie aux payens, et scandale aux Juifz, lesquelz, comme a remarqué le docte Genebrard alleguant le Rabby Kimhi, l'ont en telle abomination, que mesme ilz ne la veulent pas nommer par son nom, mays l'appellent stamen et subtegmen, estaim et trame, qui sont les filetz que les tisserans croisent en faisant leur toile.

  A002000738 

 J'ay dit que ceste ceremonie representoit la Passion; et a la verité c'est son premier et principal usage duquel [215] tous les autres dependent, qui l'a fait differer de plusieurs autres ceremonies Chrestiennes qui servent a representer des autres misteres.

  A002000738 

 Je sçai qu'en l'ancienne Loy, voire en celle de nature, plusieurs choses se sont passees pour représenter la mort du Messie, mais ce n'ont esté que des ombres et marques obscures et confuses au pris de ce qui se fait maintenant; ce n'estoyent pas ceremonies ordinaires a ceste Loy, mais comme des eloyses qui les esclairoyent en passant.

  A002000738 

 Les payens et autres infideles ont quelquefois usé de ce signe, mais par emprunt, non comme d'une ceremonie de leur religion ains de la nostre; et d'effect le traitteur confesse que le signe de la Croix est une marque de Chrestienté.

  A002000738 

 Que le signe de la Croix est une ceremonie; d'autant que, de sa qualité naturelle, un mouvement croisé n'est ni bon ni mauvais, ni louable ni vituperable.

  A002000739 

 Et bien que de soy il importe peu que l'on face la croix avec plus ou moins de doigtz, si se doit-on ranger a la façon commune des Catholiques, pour ne sembler condescendre a certains heretiques Jacobites et Armeniens, dont les [216] premiers, protestans ne croire la Trinité, et les secondz, ne croire qu'une seule nature en Jesus Christ, font le signe de la Croix avec un seul doigt.

  A002000739 

 On porte premier la main en haut vers la teste en disant, Au nom du Pere, pour monstrer que le Pere est la premiere Personne de la sainte Trinité et principe originaire des deux autres; puys on la porte en bas vers le ventre, en disant, et du Filz, pour monstrer que le Filz procede du Pere qui l'a envoyé ça bas au ventre de la Vierge; et de la, on traverse la main de l'espaule ou partie gauche a la droite, en disant, et du Saint Esprit, pour monstrer que le Saint Esprit, estant la troisiesme Personne de la sainte Trinité, procede du Pere et du Filz, et est leur lien d'amour et charité, et que par sa grace nous avons l'effect de la Passion.

  A002000743 

 A ce tesmoignage nous adjoindrons, à cause de briefveté, tous les autres suivans, qui sont jusques au nombre de dix, pource qu'ils se rapportent presque tous à ce qui est dit que les Chrestiens se signoient au front.

  A002000743 

 A cela se doit rapporter ce que Chrysostome dit en l'Homel.

  A002000743 

 Car d'autant que les persecutions estoient grandes et aspres, les Chrestiens, ne se voulans descouvrir sinon à leurs freres Chrestiens, s'entrecognoissoient à ce signe quand les uns et les autres faisoient la croix, car c'estoit un tesmoignage qu'ils estoient de mesme religion Chrestienne.

  A002000743 

 D'autre part, d'autant que les Payens se moquoient de la Croix de Jesus Christ, et disoient que c'estoit folie et honte de croire et esperer en un qui avoit esté crucifié et mort, tout au contraire les Chrestiens, sçachans que toute nostre gloire ne gist qu'en la Croix de Jesus Christ, et qu'icelle est la grande puissance et sagesse de Dieu en salut à tous croyans, ont voulu monstrer qu'ils n'avoient point honte d'icelle, et faisoient ouvertement ce signe pour dire qu'ils estoient des chevaliers croisez, c'est à dire des disciples de Jesus Christ.

  A002000743 

 Sermon des paroles de l'Apostre, chap. 3: Les sages de ce monde, dit-il, nous assaillent touchant la Croix de Christ, et disent, quel entendement avez-vous d'adorer un Dieu crucifié? Nous leur respondons: nous n'avons pas vostre entendement, nous n'avons point de honte de Jesus Christ ni de sa Croix, nous la fichons sur le front auquel lieu est le siege de pudeur; nous la mettons là, voire là, assavoir en la partie où la honte apparoist, afin que ce y soit fiché dont on n'aye point de honte.

  A002000743 

 « Nous n'ignorons pas, » dit le traitteur, « que quelques Anciens ont parlé du signe de la Croix et de la vertu d'icelle, mais ce n'a pas esté en l'intention ni pour la fin que l'on pretend aujourd'hui, car ils en usoyent comme d'une publique profession et confession de leur Chrestienté, soit en particulier, soit en public.

  A002000744 

 » Je luy demande qu'il me nomme ceux qui n'en ont pas parlé; car tous, ou bien peu s'en faut, en ont parlé: falloit-il donques dire « quelques uns », comme s'il ne parloit que de deux ou de trois?.

  A002000745 

 Il dit qu'ilz n'en ont pas parlé en l'intention qu'on pretend aujourd'huy: mais s'il entend de l'intention des Catholiques, je luy feray voir le contraire clair comme le soleil; s'il entend de l'intention que les ministres huguenotz imposent aux Catholiques, comme seroit ce que dit le traitteur d'attribuer au seul signe ce qui est propre au Crucifié, je confesse que les Anciens n'y ont pas pensé, c'est une imposture trop malicieuse..

  A002000746 

 Certes, Tertullien, Justin le Martyr, Minutius Felix, tesmoignent asses que le signe de la Croix n'estoit pas une si secrette profession de foy que tous les payens ne le conneussent bien..

  A002000746 

 Il dit que les Anciens faisoyent ce signe pour ne se descouvrir sinon a leurs freres Chrestiens.

  A002000746 

 Pour vray, je ne le puis croire, car quelle commodité y avoit-il a faire le signe de la Croix pour se tenir couvert aux ennemis? puysque au contraire, ainsy qu'il confesse un peu apres, les payens se mocquoyent de la Croix et en faisoyent leurs ordinaires reproches aux Chrestiens, et que les Chrestiens monstroyent n'avoir point honte d'icelle, faisans ouvertement ce signe.

  A002000747 

 Notes qu'il parle du tems de saint Augustin, auquel Calvin dit estre tout notoire et sans doute qu'il ne s'estoit fait nul changement de doctrine ni a Rome, ni aux autres villes; et le traitteur mesme confesse que ç'a esté seulement du tems de saint Gregoire que les yeux des Chrestiens ont commencé a ne voir plus gueres clair au service de Dieu; dont je discours ainsy: nul changement ne s'estoit fait en la doctrine, du tems de saint Augustin; or, du tems de saint Augustin on faisoit generalement le signe de la Croix; la doctrine donques de faire le signe de la Croix est pure et apostolique..

  A002000748 

 Il dit fort gentilement qu'on ne sçait « par qui ni comment » ceste coustume de se signer a esté anciennement introduitte: la ou je luy replique, avec saint Augustin, que « Ce que l'Eglise universelle tient, et n'a point esté institué par les Conciles mais a tousjours esté observé, est tres bien creu n'avoir esté baillé sinon par l'authorité apostolique »; et avec saint Leon, qu' « Il ne faut pas douter que tout ce qui est receu en l'Eglise pour coustume de devotion, ne provienne de la tradition apostolique et de la doctrine du Saint Esprit.

  A002000754 

 Le traitteur veut faire croire que l'antiquité n'employoit le signe de la Croix sinon pour le premier effect; mais au contraire, elle ne l'employoit presque jamais pour ceste seule intention, ains son plus ordinaire usage estoit d'estre employé a demander ayde a Dieu.

  A002000754 

 On peut faire la Croix ou pour tesmoigner que l'on croit au Crucifix, et lhors c'est faire profession de la foy; ou bien pour monstrer que l'on espere et qu'on met sa confiance en ce mesme Sauveur, et lhors c'est invoquer Dieu a son ayde en vertu de la Passion de son Filz.

  A002000754 

 Saint Hierosme escrivant a son Eustochium: [223] « A tout œuvre, » dit-il, « a tout aller et revenir, que ta main fasse le signe de la Croix.

  A002000754 

 » Et ailleurs: « N'ayons donq point honte de confesser le Crucifix; mays imprimons asseurement le signe de la Croix avec les doigtz sur nostre front, et que la Croix se fasse en toute autre chose, mangeant, beuvant, entrant, sortant, avant le sommeil, s'asseiant, se levant, allant et choumant.

  A002000754 

 » Or sus, ce tant libre et universel usage de ce saint signe, peut-il estre reduit a la seule profession de foy? En tout œuvre, se levant le matin, se couchant le soir, la nuict en l'obscurité, et es lieux non habités, a quel propos feroit-on ceste [224] profession de foy ou personne ne la voit? Mais il y a plus: ces Peres qui recommandent tant l'usage de ce signe n'apportent jamais pour rayson la seule profession de foy, ains encor la defense et protection que nous en pouvons recevoir comme d'une cuirasse et corcelet a l'espreuve, ainsy que saint Ephrem l'appelle..

  A002000754 

 » Saint Ephrem: « Soit que tu dormes, ou que tu voyages, ou que tu t'esveilles, ou que tu fasses quelque besoigne, ou que tu manges, ou que tu boives, ou que tu naviges en mer, ou que tu passes les rivieres, couvre-toy de ceste cuirasse, pare et environne tous tes membres du signe salutaire, et les maux ne te joindront point.

  A002000755 

 Or, quoy que les Anciens ayent rendu si general le signe de la Croix pour tous les rencontres et actions de nostre vie, comme une briefve et vive oraison exterieure par laquelle on invoque Dieu, si est-ce que je diray seulement comme elle a esté employee aux benedictions, consecrations, Sacremens, aux exorcismes, tentations, et aux miracles.

  A002000761 

 Ç'a esté une solemnelle observation aux Juifz et Chrestiens de prier par l'eslevation des mains, ains c'est une ceremonie tant naturelle que presque toutes nations l'ont employee, comme pour reconnoissance que le ciel est le domicile de la gloire de Dieu; tesmoin celuy qui disoit:.

  A002000769 

 Ainsy on leve la main quand on jure, car jurer n'est autre sinon invoquer Dieu a tesmoin; dont Esdras, voulant dire que Dieu avoit juré, il dit qu'il a levé la main, tant ceste coustume de lever la main est ordinaire aux sermens; et saint Jean, descrivant le serment du grand Ange, il dit qu' il leva la main au ciel.

  A002000769 

 Saint Antoyne, estant entré dans la grotte de saint Paul premier hermite, « vit le cors de ce Saint, sans ame, les genoux pliés, la teste levee ét les mains estendues en haut; et de prime face estimant qu'il fust encor vivant et qu'il priast, il se mit a faire le mesme; mais n'appercevant point les souspirs que le saint Pere souloit faire en priant, il se jette a le bayser avec larmes, et conneut que mesme ce cors mort du saint homme, par ce devot maintien et religieuse posture, prioit Dieu auquel toutes choses vivent et respirent.

  A002000770 

 Or la volonté de Dieu manifestee touchant ce poinct est que nous l'adorions et lui servions en esprit et verité, S. Jean, 4.

  A002000770 

 Voulant rendre rayson de ce que l'Escriture ne tesmoigne point expressement des miracles faitz par le bois de la Croix, au lieu de [228] dire que c'est parce que ces miracles-la ont esté faitz long teins apres que le Nouveau Testament fut escrit, qui est la vraye et claire rayson, il se met a dire en ceste sorte: « Certes, il semble qu'il n'y ait eu autre raison sinon que Dieu n'a pas voulu arrester les hommes à telles choses terriennes; comme aussi sainct Paul nous enseigne par son exemple que nous ne devons point cognoistre Jesus Christ selon la chair, 2.

  A002000770 

 des Colossiens que nous servons à Dieu en esprit, nous glorifians en Jesus Christ et ne nous confians point en la chair.

  A002000771 

 J'ay monstré, au commencement du premier Livre, que ces reformés observent plusieurs ceremonies et coustumes outre et sans l'Escriture; ce n'est donq pas faute de trouver nos ceremonies en l'Escriture qu'ilz les blasment..

  A002000772 

 Et saint Paul, enseignant que les hommes doivent prier a teste nue et les femmes a teste couverte, qui n'est qu'une pure ceremonie, [229] il ne presse ceux qui voudroient chicaner au contraire, sinon de ceste parole: Nous n'avons point telle coustume, ni l'Eglise de Dieu.

  A002000773 

 Et pourquoy est-ce, o reformeurs, que vous pries mains jointes et agenouillés? Nous avons, dires-vous, l'exemple de Jesus Christ et des Apostres.

  A002000773 

 Mays si leur exemple a quelque pouvoir sur vous, que ne laves-vous les piedz avant la cene, comme Nostre Seigneur en a non seulement monstré l'exemple mais invité a iceluy? que n'oignes-vous vos malades d'huile, comme faisoyent les Apostres? que ne laisses-vous toutes vos possessions et commodités a leur exemple? que ne faites-vous la cene a la cene, c'est a dire au souper, et non au matin et des-jeuner? [230].

  A002000774 

 Et « je ne sçai comment, » dit saint Augustin, « ces mouvemens du cors ne se pouvans faire sinon que l'esmotion de l'esprit precede, et de rechef ces mouvemens estans faitz au dehors perceptiblement, l'esmotion invisible et interieure en croist, si que l'affection du cœur qui a precedé a produire ces mouvemens exterieurs croist et s'augmente par ce qu'ilz sont faitz et produitz.

  A002000774 

 Je laisse a part la naïfve intelligence de ces parolles de Nostre Seigneur, qui oppose l'adoration en esprit a l'adoration propre aux Juifz, qui estoit presque toute en figures, ombres et ceremonies exterieures, et l'adoration en verité a l'adoration fause, vaine, heretique et schismatique des Samaritains; ce que je fais icy n'a pas besoin de plus long discours..

  A002000774 

 Tant s'en faut que prier en esprit et verité soit prier sans ceremonies, qu'a peyne se peut-il faire que celuy qui prie en esprit et verité ne face des actions et gestes exterieurs assortissans aux affections interieures, tant les mouvemens interieurs de l'ame ont de prise sur les mouvemens du cors.

  A002000774 

 [231] Prier en esprit et verité c'est prier de bon cœur et affectionnement, sans feinte ni hypocrisie, et au reste y employer tout l'homme, l'ame et le cors, affin que ce que Dieu a conjoint ne soit separé.

  A002000775 

 Si parce que saint Paul nous enseigne de ne connoistre pas Jesus Christ selon la chair il ne se faut amuser a la Croix, ni a semblables choses terriennes, pourquoy fait-on conte de la mort et Passion de Jesus Christ, qui n'appartiennent qu'a sa chair et pour le tems de sa mortalité? Que voules-vous dire, o traitteur? Qu'il ne faut connoistre Jesus Christ selon la chair? Si vous entendes selon vostre chair ou celle des autres hommes, je le confesse absolument; mais vous seres inepte de rejetter, par la, la Croix, car la Croix n'est ni selon vostre chair ni selon la mienne, elle luy est contraire et ennemie.

  A002000775 

 Si vous entendes selon la chair de Jesus Christ mesme, comme c'est le sens plus sortable, il ne faudra pas dire qu'absolument il ne faille connoistre et reconnoistre Jesus Christ selon [232] la chair; car n'est-il pas né de la Vierge selon la chair? n'est-il pas mort, resuscité et monté au ciel, selon la chair? n'a-il pas sa vraye chair a la dextre du Pere? n'est-ce pas sa chair reelle selon la verité, ou au moins le signe de sa chair selon la vanité de vos fantasies, qu'il nous a donnee en viande? faudroit-il donques oublier tout cela, avec le Mot caro factum est? Quand donques saint Paul dit qu'il ne connoit Jesus Christ selon la chair, c'est selon la chair de laquelle il parle ailleurs, disant que Jesus Christ es jour de sa chair a offert des prier es et supplications a son Pere; ou le mot de chair se prend pour mortalité, infirmité et passibilité, comme s'il eust dit que Jesus Christ, pendant les jours de sa chair mortelle, infirme et passible, a offert prieres et supplications a son Pere.

  A002000776 

 Autant hors de rayson allegue-il saint Paul au III des Colossiens; car, outre ce que les parolles qu'il dit y estre n'y sont point, quand elles y seroyent elles ne nous seroyent point contraires, puysque nous confessons [233] qu'il faut servir Dieu en esprit, se glorifier en Jesus Christ, et ne se point confier en nostre chair; mais tout cela ne met point le cors ni ses actions exterieures hors de la contribution qu'il doit au service de son Dieu.

  A002000777 

 Je le cherche, pour vray, et tant s'en faut que la Croix, le Sepulchre et autres saintes creatures m'en destournent, comme vous penses, qu'elles m'eschauffent et empressent d'avantage a ceste queste.

  A002000777 

 Me voyla donq desfait de cest homme tant importun, pour le general des ceremonies; il faut que je suive mon propos.

  A002000783 

 Or monstrons l'usage que le signe de la Croix a en cest endroit..

  A002000783 

 Puysqu'on peut prier par les saintes et legitimes ceremonies, pourquoy ne priera-on pas par le signe de la Croix, sainte et Chrestienne ceremonie? Mays parlons pour ce coup de la benediction des creatures qui a accoustumé d'estre faitte en l'Eglise, laquelle n'est autre qu'une priere et bon souhait par lequel on demande a Dieu quelque grace et bienfait pour la creature sur laquelle on a quelque advantage ou superiorité, car c'est sans contradiction que ce qui est moindre est beni par le meilleur.

  A002000784 

 En l'ancienne Loy, ou tout se faisoit en ombre et figure, la benediction ordinaire que les prestres faisoyent avoit entre autres ces deux parties exterieures: l'une estoit que le prestre y employoit ces paroles determinees: Le Seigneur te benie et garde; le [236] Seigneur te monstre sa face et aye misericorde de toy; le Seigneur retourne son visage vers toy, et te baille la paix.

  A002000784 

 Et de fait, saint Marc tesmoigne en termes expres que Jesus Christ, ayant prins ces petitz en ses bras, mettant ses mains sur eux il les benit..

  A002000784 

 L'autre estoit que le prestre eslevoit la main, comme tesmoignent les Rabbins, au rapport du bon et docte Genebrard, et qu'il est aysé a recueillir de la prattique qu'on voit en l'Escriture: Aaron, dit-elle, eslevant sa main vers le peuple, le benit; coustume laquelle prit son origine de la loy de nature, ainsy qu'il appert en la benediction que Jacob donna a ses petitz enfans, et a duré encores au tems de Nostre Seigneur, dont saint Matthieu dit que les Juifz luy amenoyent les petitz enfans a ce qu'il leur imposast les mains, c'est a dire a ce qu'il les benist.

  A002000785 

 Au lieu qu'anciennement on levoit ou imposoit simplement les mains, maintenant on exprime le signe de la Croix pour protester que toute benediction a son merite et valeur de la Passion de Jesus Christ, laquelle est encores appellee exaltation.

  A002000785 

 Jacob toucha des-ja ceste forme quand il croisa ses mains, benissant les enfans de Joseph, pour preferer le moindre a l'aisné, presageant que Nostre Seigneur, ayant les bras en croix, beniroit le monde en sorte que les Gentilz demeureroyent en effect preferés aux Juifz.

  A002000785 

 Mays puysque le Sauveur, dira peut estre l'huguenot, benissant ses Apostres, n'usa point du signe de la Croix, pourquoy est-ce que vous l'employes? Pour vray, je ne sçai si le Sauveur fit ce signe, car l'Escriture qui ne l'asseure pas ne le nie pas aussi; si sçai-je bien que le Crucifix mesme, benissant, n'a pas eu besoin d'user du signe de la Croix, car qu'a-il besoin de s'invoquer soy mesme, ou protester que la benediction vient de luy? Au demeurant, [238] le signe de la Croix estoit asses es mains de Nostre Seigneur sans qu'il fist aucun mouvement.

  A002000785 

 On invoque le nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit; c'est ce que l'on faisoit anciennement a couvert, car ou visoit, je vous prie, ceste repetition ternaire: Le Seigneur te benie, le Seigneur te monstre sa face, le Seigneur retourne son visage vers toy, sinon au [237] mistere de la tres sainte Trinité? aussi bien que la benediction de David: Dieu nous benie, nostre Dieu, Dieu nous benie? 2.

  A002000785 

 Que dira l'huguenot? Si on leve la main pour benir, c'est a l'imitation du Sauveur qui, montant au ciel, benit les Disciples eslevant les mains; si on fait le signe de la Croix, c'est pour monstrer d'ou nos benedictions ont leur vigueur et force.

  A002000786 

 La mere de saint Gregoire Nazianzene, estant malade, ne pouvoit aucunement manger, si qu'elle couroit grande fortune de mourir faute de nourriture; or voicy comme le mesme saint Gregoire recite qu'elle fut secourue et nourrie: « Il luy sembla, » dit-il, « que je venois a elle de nuit avec un panier, et que je la paissois de pains tres blancz, benis et signés selon ma façon ordinaire, et qu'ainsy elle estoit guerie et avoit reprins ses forces; et ceste vision de nuit fut suivie de la verité, car des lhors elle revint a soy et conceut une meilleure esperance, comme on reconneut evidemment.

  A002000786 

 Or combien ceste coustume aye esté prattiquee en l'ancienne Eglise, en voici des preuves certaines: « Toutes choses qui profitent a nostre salut sont consommees par la Croix, » dit saint Chrysostome; saint Denis, parlant de ceux qu'on consacroit: « Or, » dit-il, « l'evesque benissant imprime en chacun d'iceux le signe de la Croix; » saint Cyprien atteste que « sans ce signe il n'y a rien de saint; » ainsy saint Hilarion benit avec la main ceux qui luy amenerent un gentilhomme françois de la cour de l'Empereur pour estre delivré du malin esprit; et Ruffin nomme une douzaine d'hermites « par les mains, » dit-il, « desquelz il eut cest honneur d'estre beni; » saint Augustin, ayant visité un malade chez lequel il trouva l'Evesque du lieu, « ayant, » dit-il, « receu la benediction de l'Evesque, nous nous retirasmes; » ce fut sans doute par le signe de la Croix, « sans lequel il n'y a rien de saint.

  A002000786 

 Un bon personnage, nommé Joseph, voulant bastir une eglise [240] en la ville de Tiberias, a quoy il avoit besoin d'une grande quantité de chaux, fit faire environ sept fourneaux; les Juifz empeschent par sorceleries que le feu ne se puisse allumer ni ne brusle, ce qu'appercevant Joseph, il prend un vase plein d'eau, et devant tous (car une grande trouppe de Juifz estoyent la a voir ce que feroit ce bon homme), criant fort haut, il fait de sa propre main la Croix sur icelle, et invoquant le nom de Jesus, il dit: « Au nom de Jesus de Nazareth, que mes peres ont crucifié, que vertu soit faitte en ceste eau pour rejetter tout charme et enchantement fait par ces gens.

  A002000786 

 Un certain simple homme print charge de le faire, et creusant sous les principales colomnes l'une apres l'autre mettoit du bois dessous pour les appuyer, puys y voulut mettre le feu affin que les colomnes tombassent, mays le diable, en forme horrible et noire, venoit empescher la force et prise du feu; ce qui fut soudain rapporté a Marcel Evesque du lieu, lequel courant en l'eglise, fit apporter de l'eau, laquelle ayant mise a l'autel, prosterné en terre il prioit nostre doux Seigneur qu'il ne laissast pas faire plus grand progres a l'impieté, et faisant le signe de la Croix sur l'eau, il commande a Equitius, son diacre, qu'il coure et aille arrouser le feu, de ceste eau benite, ce qu'il fit; et soudain le diable, qui ne pouvoit souffrir la force de ceste eau, s'enfuit, et le feu allumé par l'eau son contraire comme si c'eust esté huile, s'attache au bois et en peu de tems le consomme, si que les colomnes n'ayans plus leur appuy cheurent et tirerent a ruyne apres elles toutes les autres avec ce qu'elles portoyent.

  A002000787 

 Eux, ayans descouvert la tromperie qu'on leur avoit faitte, sortans aux places et rues crioyent par tout lamentablement qu'on les avoit trahis, qu'ilz n'avoyent commis le paganisme qu'avec les mains et que leur cœur en avoit tous-jours esté tres esloigné, et venans a l'Empereur jettent a ses piedz l'argent qu'il leur avoit donné, luy demandans la mort en punition du crime qu'ilz avoyent commis, quoy qu'ignoramment.

  A002000787 

 Julien l'Apostat fit peindre aupres de sa statue (laquelle estoit en la place publique selon la coustume) l'image de Jupiter, comme venant du ciel, luy apportant la couronne et pourpre qui sont les habitz imperiaux; item, Mars et Mercure vis a vis de luy, le regardans comme pour tesmoigner qu'il estoit homme et vaillant et bien disant; affin que par la, sous pretexte de l'honneur qu'on avoit decreté aux Empereurs, il forçast tacitement les sujetz a honnorer les idoles peintes avec l'image d'iceluy.

  A002000787 

 Sozomene, qui raconte ceste histoire, ne dit pas qu'ilz fissent le signe de la Croix (affin que mon adversaire ne se trompe a penser que je me sois trompé, comme luy a fait si souvent), mais c'est saint Gregoire Nazianzene..

  A002000788 

 Et de plus, mal est prins bien souvent a ceux qui ont mesprisé de faire ce saint signe avant que de manger et boire: tesmoin la religieuse qui mangea une laittue, et le religieux qui beut sans faire le signe de la Croix, qui furent aussi tost saisis du malin. Le traitteur fait deux reproches a ces tesmoignages: l'un, « Qui ne void, » dit-il, « que c'est fable? » L'autre: « Sainct Paul dit [244] que la viande nous est sanctifiee par la Parole de Dieu, et par la priere, et ne parle point du signe de Croix, ne d'autre.

  A002000788 

 Ni ne faut pas trouver estrange que ces bons soldatz fissent le signe de la Croix pour boire, car c'estoit anciennement la coustume de benir non seulement la table et le repas, mais encor chaque viande a part, [243] et le boire encor.

  A002000788 

 » Il a tort, car ces recitz n'ont rien d'impossible, rien d'inepte, et partent d'une bouche honnorable; c'est de saint Gregoire le Grand qui vaut mieux que tous ces reformés, en doctrine et authorité: sera-il donq permis au premier venu de desmentir ainsy les Anciens? Au demeurant, le dire de saint Paul, que les viandes sont sanctifiees par la priere, confirme ce que nous avons dit; car, parce que le signe de la Croix est une priere briefve, aysee, vigoureuse et ordinaire es benedictions des viandes, dire qu'a faute de faire la Croix le diable saisit un religieux et une religieuse, c'est a dire que ce fut a faute de faire ceste priere la, qui estoit la plus aysee et familiere, et a plus forte rayson autre quelcomque; bien qu'encores soit-il vray que le signe de la Croix a une particulière force contre les diables, outre celle qui est commune a toute priere, comme nous verrons cy apres.

  A002000794 

 Ou est-ce donques que le signe de la Croix est plus sortable qu'aux Sacremens, quand ce ne seroit que pour protester que la Passion est la fontaine des eaux salutaires qu'ilz nous communiquent? Les consecrations sont les plus excellentes invocations qui se fassent en l'Eglise: le saint signe, estant un si propre moyen de prier, ne peut estre mieux employé qu'a cest effect; aussi a ce esté une forme ordinaire a l'ancienne Eglise de consacrer avec le signe de la Croix.

  A002000795 

 Saint Chrysostome: « Ainsy la Croix reluit en la [246] Table sacree, es ordinations des prestres, ainsy de rechef avec le Cors de Jesus Christ es Cenes mistiques; » et ailleurs, parlant de la Croix: « Tout ce qui profite a nostre salut est consommé par icelle; car estans regenerés, la Croix y est, quand nous sommes nourris de la tres sacree viande, lhors que nous sommes establis pour estre consacrés en l'Ordre, par tout et tousjours ceste enseigne de victoire nous assiste.

  A002000795 

 Saint Cyprien: « Nous nous glorifions en la Croix du Seigneur, de laquelle la vertu parfait tous les Sacremens, sans lequel signe il n'y a rien de saint, ni aucune consecration est reduitte a son effect »; et ailleurs: « En fin, quicomque soyent les administrateurs des Sacremens, quelles que soyent les mains avec lesquelles on baigne ou oigne ceux qui viennent au Baptesme, quelle poitrine que ce soit de laquelle les motz sacrés sortent, l'authorité ou vigueur de l'operation donne l'effect a tous les Sacremens en la figure de la Croix.

  A002000795 

 » Saint Augustin touche la coustume de signer les enfans au Baptesme, quand il dit que des le ventre de sa mere il estoit ja signé du signe de la Croix et assaisonné de son sel; voulant dire que sa mere le destinoit au Baptesme, auquel on signoit et donnoit-on le sel, comme on fait de ce tems.

  A002000795 

 » Saint Clement dit que les premiers prelatz du Christianisme, venans a l'autel, se signoyent de la Croix: « Donques l'evesque priant a part soy avec les prestres, mettant une robbe splendide ou reluisante, et demeurant debout vers l'autel, se signant au front du trophee de la Croix, qu'il die: La grace de Dieu tout puissant, et la charité de Nostre Seigneur Jesus Christ, et la communication du Saint Esprit soit avec tous vous.

  A002000795 

 » Saint Denis Areopagite tesmoigne que le chresme estoit versé dans le baptistere en forme de croix, comme nous faisons encor maintenant; et traittant de la sainte Onction: « L'evesque, » dit-il, « commençant l'onction par le signe de la sainte Croix, laisse l'homme aux prestres pour estre oint par iceux par tout le cors »; parlant des saintz Ordres: « Or, » dit-il, « a chacun d'iceux le signe de la Croix est [247] imprimé par l'evesque benissant.

  A002000799 

 On faisoit anciennement le signe de la Croix sur tous les membres generalement: « Peignons ceste enseigne vivifiante en nos portes, » dit saint Ephrem, « en nos frontz, en la bouche, en la poitrine et en tous nos membres »; neanmoins pour l'ordinaire on se signoit sur le front, comme on peut asses recueillir de ce que j'ay dit jusques icy, mays en voicy quelques raysons:.

  A002000800 

 I. « Tant s'en faut que j'aye honte de la Croix de Jesus Christ, que je ne l'ay pas en un lieu secret, mays je la porte au front.

  A002000800 

 Or ça donq, que je n'aye pas le front nud, que la Croix de mon Seigneur le couvre.

  A002000800 

 Or, parce qu'on a la honte au front, Celuy qui a dit: De celuy qui a honte de moy devant les hommes, j'auray honte de luy devant mon Pere qui est es cieux, il a mis sur le lieu de la honte et [249] pudeur la mesme ignominie que les payens mesprisent.

  A002000801 

 Le traitteur reconnoist ceste rayson comme partie de saint Augustin et de Lactance, et tout aussi tost y joint ceste censure: « Quoi que ce soit, ç'a esté une façon introduite par imitation et exemple Judaique, et non par commandement: or, jamais on ne se doit fonder sur le seul exemple des hommes, ains sur les reigles [250] generales tirees du commandement de Dieu.

  A002000801 

 » Ce sont encor paroles de saint Augustin, par lesquelles il monstre que, comme les enfans d'Israël marquoyent du sang de l'aigneau Pascal les posteaux et sursueilz de leur domicile pour estre garantis de l'extermination, ainsy les Chrestiens sont signés au front, comme au sursueil de tout l'homme, du signe du sang et de la Passion de l'Aigneau qui leve les pechés du monde, pour estre en asseurance contre tous les ennemis de leur salut.

  A002000802 

 I. Que ce traitteur voulant censurer les Anciens de ce qu'ilz approuvent une ceremonie non escritte, il ne met en avant aucune authorité escritte pour prouver sa censure: n'ayant point de commandement escrit de faire le signe de la Croix, il ne le veut pas faire; n'ayant aucune prohibition escritte de le faire, je ne cesseray aucunement de le faire..

  A002000803 

 Et quoy? ne seroit-ce pas honnestement et par ordre d'estre assis, debout, ou du tout prosterné en terre? Pourquoy n'est-ce pas honnestement fait de se signer au front? Quel commandement avoyent Isaac et Jacob de benir leurs enfans? saint Jean de porter des habitz si grossiers, habiter es desertz et non en la mayson de son pere, ne boire ni vin ni cervoise, ne manger que locustes et miel sauvage, et porter ceste ceinture de peau? quant a sa ceinture il imitoit son Helie, mays sans commandement; et cependant ce sont choses que les Evangelistes ont estimees remarquables, aussi les ont-ilz remarquees.

  A002000803 

 II. Que c'est une expresse ignorance ou bestise de dire que jamais on ne se doit fonder sur l'exemple des hommes, ains sur les regles generales tirees du commandement de Dieu.

  A002000803 

 Ou est-il commandé de prier le genouïl en terre? Pour vray, Calvin ne l'a onques sceu trouver en autre lieu que la ou l'Apostre dit: Tout se face honnestement et par ordre.

  A002000803 

 Quand Helisee frappoit sur les eaux avec le manteau de son maistre, quel commandement en avoit-il? n'estoit-ce pas pour imiter ce que son maistre avoit fait peu auparavant? Lever et imposer les mains pour benir, comme nous avons ja remarqué cy dessus, ou fut-il commandé? et neanmoins la prattique en est tesmoignee par toute l'Escriture..

  A002000804 

 De ce genre est (affin que je cotte de premier ce qui est le premier et tres vulgaire) que nous signons du signe de la Croix ceux qui ont mis leur esperance en Jesus Christ: qui l'a enseigné par escrit? » Aves-vous ouÿ, petit traitteur, ce grand et ancien maistre, comme il tient l'observation de se signer au front pour toute commandee, quoy qu'elle ne soit expressement escritte? Que luy sçauries-vous opposer, sinon qu'il est homme, a vostre accoustumee? Et certes il est homme, mais tres chrestien et tres entendu en la loy Evangelique, regentant en l'Eglise au tems de sa plus grande pureté.

  A002000804 

 III. Que c'est une fauseté de dire que les Chrestiens n'ont point esté commandés de se signer sur le front; car, 1.

  A002000804 

 Item, si la figure est commandee, la chose figuree est bien asses recommandee, puysque la figure n'a esté prattiquee que pour recommander la chose figuree et nous asseurer de l'evenement d'icelle.

  A002000804 

 Je le confesse, mais je dis qu'on peut aussi prier en celle ci, aussi bien que levant les mains et les yeux; et puysque aux generaux commandemens de prier [252] Dieu, confesser la foy et faire profession de sa religion, le signe de la Croix n'est point forclos, pourquoy est-ce qu'on l'en forclorra? Calvin, confessant qu'on ne sçauroit monstrer par aucun texte expres que jamais enfant fut baptisé par les Apostres, dit neanmoins tout hardiment que « toutefois ce n'est pas a dire qu'ilz ne les ayent baptisés, veu que jamais n'en sont exclus quand il est fait mention que quelque famille a esté baptisee.

  A002000804 

 La circoncision, figure du Baptesme, fut commandee pour les petitz enfans en l'ancienne Loy; Calvin ne fait point de difficulté de fonder, sur ce commandement fait en la figure, une certaine preuve de l'article du baptesme des petitz enfans contre l'Anabaptiste: [253] pourquoy ne sera-il loysible a saint Augustin, et aux autres Peres, de tirer en consequence la marque du sang de l'aigneau imprimee sur l'entree des maisons, pour monstrer le devoir que nous avons de marquer nos frontz, comme le sursueil de ceste habitation terrestre, du signe de la sainte Passion? Voyla bien asses de commandement.

  A002000804 

 Mais, parce qu'il n'est pas du tout expres en l'Escriture, les Apostres le laisserent expressement en l'autre partie de la doctrine Chrestienne et Evangelique, appellee Tradition: « Quelle que soit la conversation et action qui nous exerce, nous touchons nostre front du signe de la Croix.

  A002000804 

 Or, s'il faut plus croire a saint Cyprien, saint Augustin, saint Ephrem et autres tres anciens Peres, qu'a ce petit traitteur, l'arrousement des posteaux et sursueilz a esté figure du signe que l'on fait sur le front des Chrestiens.

  A002000804 

 Que si tu demandes le commandement escrit de ces observations, tu n'en trouveras point; on te met au devant la Tradition pour authrice, la coustume confirmatrice, et la foy observatrice.

  A002000804 

 » On ne peut pas, diray-je a mesme, monstrer expressement que l'oraison qui se fait par le signe de la Croix soit expressement commandee, toutefois ce n'est pas a dire qu'elle ne le soit, veu que jamais elle n'est excluse quand il est commandé de prier.

  A002000805 

 Au reste, c'est une playsante gradation que celle que fait cest homme, disant que l'erreur d'honnorer la Croix est « né de simplicité, accreu par ignorance et debattu maintenant par opiniastreté.

  A002000805 

 IV. En fin je voudrais bien que le traitteur cottast le tems auquel est né l'erreur d'attribuer au bois ce qui est propre au Crucifié.

  A002000805 

 S'il entend parler de l'honneur de la Croix, qu'il reprend en l'Eglise Catholique, il ne [255] sçauroit monstrer quand il est né, car il a tousjours esté; et est inepte disant qu'il est né de simplicité, car saint Ambroise, saint Paulin, saint Augustin et mille autres telz Peres qui ont enseigné cest honneur, comme j'ay asses prouvé es deux premiers Livres, estoyent a la verité simples comme colombes, mais ilz estoyent aussi, a l'egal, prudens comme serpens; si que leur sainte simplicité ne pouvoit enfanter aucun erreur.

  A002000805 

 Voyla l'injure que ces novateurs font a l'ancienneté, bien mal adoucie de l'attribuer a simplicité; car ceste simplicité errante et mere d'erreur s'appelle folie en ceux qui ont charge des peuples.

  A002000805 

 » Car par la il attribue a nostre aage la science et connoissance avec opiniastreté, aux predecesseurs une simple ignorance, et aux plus anciens Chrestiens une simplicité ignorante, puysqu'autre simplicité ne peut causer l'erreur: la ou, au contraire, ces Anciens si clairvoyans seroyent bien plus inexcusables d'avoir donné commencement a l'erreur, s'il y en avoit, que nous qui en serions les sectateurs beaucoup moins entenduz et sçavans; ce seroit nous qui errerions par simplicité et ignorance a la suite des Anciens.

  A002000806 

 Ce que jadis estoit monstré en la lame d'or, nous est monstré au signe de la Croix; le sang de l'Evangile est plus pretieux que l'or de la Loy.

  A002000806 

 III. La troisiesme rayson, de se signer au front, est ainsy touchee par saint Hierosme: « Le prestre de l'ancienne Loy portoit une lame de tres fin or attachee a sa tiare, pendant sur le front, en laquelle estait gravé, Sanctum Domino: Saint au Seigneur; [256] et devoit tousjours avoir cest escriteau sur le front affin que Dieu luy fust propice.

  A002000806 

 » Pour monstrer donq que les Chrestiens, estans un royal sacerdoce, sont saintz au Seigneur par le sang du Sauveur, au lieu de la lame d'or ilz portent le signe de la Croix sur le front..

  A002000813 

 Belle preuve de l'honneur et vertu de la Croix, et [258] d'autant plus considerable que le traitteur tasche de l'obscurcir.

  A002000813 

 Mays, dit-il, sur quicomque vous verres Thau, ne le tues pas. Ce Thau, marque de sauvement, ne signifioit autre que la Croix; or, il estoit imprimé sur le front, c'est pourquoy nous faisons la Croix au front.

  A002000814 

 I. Ayant recité le texte d'Ezechiel en ceste sorte, « Marque de la marque les fronts des hommes », il poursuit ainsy: « En ce sens et en pareils mots l'a traduit le translateur Grec, comme aussi sainct Hierosme remarque que les Septante interpretes et Aquila et Symmachus ont dit de mesme, assavoir, mets le signe ou la marque sur les fronts.

  A002000814 

 Mays quelle consequence en peut-on tirer contre nous? Faisons que ceste traduction fust la meilleure, n'y aurons-nous pas tousjours cest advantage, que le signe de la Croix, estant le plus excellent des purs et simples signes, et le grand signe du Filz de l'homme, il peut et doit estre entendu, plus proprement [259] qu'autre quelconque, sous le nom et mot absolu de marque ou signe? Car ainsy, quoy qu'il y peut avoir plusieurs signes du Filz de l'homme, quand toutefois il est parlé absolument du signe du Filz de l'homme, les Anciens l'ont entendu du signe de la Croix; et saint Hierosme, en l'epistre a Fabiole, prenant le signe d'Ezechiel, non pour la lettre Thau simplement, mays pour signe et marque en general, ne laisse pas pourtant de l'appliquer a la Croix: « Alhors, » dit-il, « selon la parole d'Ezechiel, le signe estoit fiché sur le front des gemissans; maintenant, portans la Croix nous disons, Seigneur, la lumiere de ta face est signee sur nous.

  A002000814 

 » Ainsy, quand il est dit en l'Apocalipse: Ne nuises point a la terre, ni a la mer, ni aux arbres, jusques a ce que nous ayons marqué les serviteurs de nostre Dieu en leurs frons, la marque dont il est question n'est autre que la Croix, comme sont d'advis Œcumene, Rupert, Anselme et plusieurs autres devanciers, avec grande rayson; car, quelle autre marque peut-on porter sur le front, plus honnorable devant Dieu le Pere, que celle de son Filz? et a quelle sorte de marque peut-on mieux déterminer toutes ces saintes paroles, qu'a celle de laquelle nous sçavons tous les plus grans serviteurs de Dieu avoir esté marqués et en avoir fait tant d'estat?.

  A002000814 

 » Ce ne sont pas grand'nouvelles que cela; mille des nostres l'ont des-ja remarqué, et entre autres Sixte Sienois.

  A002000815 

 II. Apres que le traitteur a ainsy colloqué son opinion touchant la version de ce lieu, il poursuit ainsy: « Vrai est que Theodotion et l'interpretation Vulgaire ont retenu le mot de Thau, le prenant materiellement comme on parle aux escholes, sur quoi plusieurs ont [260] philosophé à leur plaisir: car, comme le mesme sainct Hierosme escrit, les uns ont dit que par la lettre Thau, qui est la derniere de l'alphabet Hebrieu, estoient signifiez ceux qui avoient une science parfaite; les autres ont dit que par la mesme lettre estoit entendue la Loy, qui en Hebrieu est appelee Thorah, duquel mot la premiere lettre est Thau; et finalement le mesme sainct Hierosme, laissant le charactere dont a usé le Prophete, a recherché le charactere des Samaritains, et dit que Thau, entre les Samaritains, a la ressemblance d'une croix, mais il ne peint point la figure de ce Thau des Samaritains; et pourtant icelui, sentant que ce sien dire estoit recerché de trop loin, adjouste, incontinent apres, une autre exposition, c'est assavoir, que comme la lettre Thau est la derniere en l'alphabet, ainsi par icelle estoient representés les gens de bien estans de reste de la multitude des mal vivans.

  A002000817 

 C'est tres mal parlé de dire que plusieurs ont philosophé sur cela « à leur plaisir », entendant des anciennes considerations faittes sur ceste Prophetie; car ces anciens et graves espritz n'ont pas manié les Escritures a leur playsir, mais leur playsir par l'Escriture.

  A002000818 

 Aussi, quoy que saint Hierosme produise plusieurs sens, si ne sont-ilz pas contraires, mais peuvent tous joindre ensemble sur celuy que saint Hierosme estime le plus sortable, et lequel est plus doux et naïf: car le comble de connoissance, signifié par la fin et comble des lettres, qui est Thau, gist a sçavoir et prattiquer la Loy, laquelle est encor signifiee par Thau, d'autant que le mot Thorah, qui signifie la Loy, se commence par Thau.

  A002000818 

 Or la Loy ne s'observe que par le reste et petit nombre des bons, et ce en vertu de la Croix et mort du Sauveur, le signe de laquelle est sur leur front, exprimé par la lettre Thau hebraïque.

  A002000819 

 Il proteste ouvertement que c'est son opinion, car, apres avoir allegué les deux premieres, il produit la troisiesme ainsy: « Mais affin que nous venions a nos affaires, par les anciennes lettres des Hebreux, desquelles jusques a ce jourd'huy les Samaritains se servent, la derniere lettre Thau a la ressemblance de la Croix, laquelle est peinte au front des Chrestiens et signee par la frequente inscription faite avec la main.

  A002000819 

 Mays, n'est-ce pas une trop grande ruse, de vouloir? faire croire que saint Hierosme ne s'est voulu arrester sur la troisiesme interpretation comme la sentant recherchee trop au loin, et que partant il a apporté l'autre? Certes, c'est une fauseté expresse; car, 1.

  A002000820 

 Et par ceci l'on void combien le traitteur a ou d'ignorance ou de malice, quand il dit que saint Hierosme a laissé le caractere dont a usé le Prophete, pour rechercher le caractere des Samaritains.

  A002000820 

 Ni saint Hierosme ne recherche pas le caractere des Samaritains, comme dit le traitteur, mais plustost celuy des Hebreux anciens, « duquel, » dit-il, « jusques a ce jourd'huy les Samaritains se servent », sçachant que c'estoit de cest ancien caractere duquel Ezechiel avoit indubitablement usé, puysque le changement n'estoit encor pas fait quand il fit et prononça sa Prophetie..

  A002000820 

 Qui ne sçait qu'Esdras a esté le dernier en la continuelle succession des Prophetes? Or, ce fut Esdras qui changea les anciennes lettres des Hebreux en celles que nous avons maintenant, mais les Samaritains les retindrent.

  A002000820 

 Tant s'en faut donques que saint Hierosme ait laissé le caractere dont usa le Prophete, qu'au contraire il l'est allé rechercher dans l'antiquité des lettres hebraïques, qui estoit demeuree parmi les Samaritains.

  A002000821 

 « Mais soit, » dit-il, « que la lettre Thau ait esté peinte en charactere Hebrieu, ou en charactere Samaritain par une seule figure, il est aisé à voir qu'il y a peu de similitude à une croix entiere: [264] car le charactere Hebrieu est fait ainsi, ﬨ, et le charactere Samaritain ainsi, T, qui n'est pas la vraye figure d'une croix, car il y defaut la partie du dessus, où estoit fiché l'escriteau ou titre de la croix, comme l'a bien remarqué Lypsius, au chap. 10.

  A002000822 

 Et pleust a Dieu que ces reformeurs eussent imité ce rare et grand esprit, Juste Lipsius; ilz ne seroyent plus ennemis de la Croix.

  A002000822 

 Mais quelle plus grande similitude y peut-il avoir, sinon que le Thau fust une croix? Certes, nous ne disons pas que le Thau soit une croix, ains qu'il la ressemble; or, similia non sunt eadem.

  A002000823 

 Il a tort aussi d'alleguer que le caractere Hebreu est fait ainsy, ח, car c'est le caractere tel qu'on le fait aujourd'huy, duquel nous ne parlons pas, ains de celuy qui estoit au tems d'Ezechiel, lequel, comme dit saint Hierosme, ressembloit a la Croix..

  A002000824 

 Cela crois-je bien, que s'il eust eu plus de forme de croix qu'il n'a, les Juifz et Rabbins l'eussent changé en haine de la Croix, laquelle ilz detestent tant qu'ilz ne la veulent pas mesme nommer, comme a remarqué le docte Genebrard, et je l'ay dit ailleurs..

  A002000825 

 IV. Le traitteur oppose encores « que si la diction Thau a esté descrite avec ses consonantes et une voyelle, comme aujourd'hui elle se lit au texte Hebrieu, en ceste maniere, וח, il y a encores moins d'apparence.

  A002000826 

 La ou je dis que [comme] Thau veut dire un signe et une lettre particuliere, ressemblante a la Croix, si la Prophetie s'entend d'un signe absolument, il faudra tousjours le rapporter a iceluy de la Croix, a cause de l'excellence d'iceluy, comme j'ay dit ci devant; et de plus, ce signe estant exprimé par un mot qui a en teste et en sa premiere lettre la figure de la Croix, et non seulement [266] cela, mais signifie encor un certain seul caractere qui a semblance de croix, nous sommes tousjours plus contrains, par la consideration de tant de circonstances, a prendre ce signe de la Prophetie pour celuy de la Croix.

  A002000828 

 Premierement il appert par ce qui est recité au huictieme et neufvieme chapitres d'Ezechiel, que tout ce qui est là dit, a esté representé en vision mentale, tellement que la chose n'a esté reellement faite.

  A002000828 

 » Ici je consens volontiers, et dis que ceste vision, estant spirituelle, elle a d'autant plus de rapport a l'esprit [267] de l'Evangile que non pas au cors de la Loy ancienne, en sorte que la chose n'ayant point esté reellement faitte sur la vielle et materielle Hierusalem, elle a deu estre reellement verifiee en la Hierusalem nouvelle et Chrestienne..

  A002000829 

 C'est donc hors de raison que ce qui a esté dit pour un certain temps et lieu, et pour certaines personnes, soit destourné et assigné ailleurs que n'a jamais esté l'intention de l'Esprit de Dieu qui a parlé par la bouche d'Ezechiel.

  A002000829 

 « En second lieu, c'est chose claire, » dit le traitteur, « que ceste Prophetie estoit proprement et particulierement dressee contre la ville de Jerusalem, et l'execution d'icelle s'est veuë alors que les Babyloniens ont prins et rasé la ville de Jerusalem et emmené quelques restes du peuple en captivité.

  A002000830 

 Combien y a-il de propheties qui visent a la verité de l'Evangile, qui neanmoins quant a leur premier sens ne touchoyent qu'a ce qui se faisoit en l'ombre et figure de la Loy vielle? Voyla le Psalme LXXI, Deus judicium tuum regi da; il vise du tout a nostre Sauveur et a sa royauté, quoy [268] que immediatement il fut dressé pour Salomon, lequel y sert d'ombre et figure a representer Jesus Christ, Prince de la paix eternelle.

  A002000830 

 Item, ce qui est dit es Livres des Rois, Je luy seray Pere et il me sera filz, ne s'entend-il pas tout droit, et en son premier sens, du roy Salomon, filz de Bersabee? neanmoins cela se rapporte et revient au Sauveur du monde, sinon que, pour retenir vos inepties en crédit, vous rejetties encor l'Epistre aux Hebreux, car ce texte y est appliqué formellement a Jesus Christ.

  A002000830 

 Je pourrois en alleguer plusieurs autres, mais voyla [270] presque la fleur des Anciens, mesmement Origene, saint Chrysostome et saint Hierosme pour les langues et proprietés des motz de l'Escriture: comme est-ce donques que le traitteur a osé si mal traitter nostre rayson tiree d'Ezechiel, laquelle a esté si bien traittee par ces doctes et anciens maistres?.

  A002000830 

 Mays, quand ce n'eust esté que pour la reverence des Anciens qui ont rapporté le Thau d'Ezechiel a la Croix, le traitteur devoit plustost passer les annees a en rechercher les raysons, que de dire ainsy insolemment que c'estoit chose hors de rayson, que ce texte estoit destourné, et que ce n'avoit jamais esté l'intention du Saint Esprit qu'il fust ainsy entendu.

  A002000830 

 Or combien de Peres, lesquelz ont rapporté ce Thau d'Ezechiel a la Croix: Origene: « Le massacre ayant commencé en la personne des Saintz, ceux-la seulement furent sauvés que la lettre Thau, c'est a dire l'image de la Croix, avoit marqués.

  A002000830 

 Pour ne voir la raison qui a esmeu nos Peres a dire [269] quelque chose, on ne doit pour cela les juger des-raisonnables; il seroit mieux de dire comme cest autre: ce que j'en entens est beau, et aussi, crois-je, ce que je n'entens pas.

  A002000830 

 Que ores que ces paroles d'Ezechiel soyent dressees immediatement contre Hierusalem, c'est neanmoins une ignorante consequence de conclure qu'elles ne doivent estre appliquees a la Hierusalem spirituelle.

  A002000831 

 Ainsy le Psalme LXXI, le dire du Livre des Rois et de l'Exode que j'ay allegué, est bien plus entierement observé en Jesus Christ qui en estoit le dernier sujet, qu'en Salomon ou en l'aigneau Pascal qui estoit le premier.

  A002000831 

 Aussi quand les Apostres appliquent les propheties et figures a nostre Sauveur ou a l'Eglise, ilz usent ordinairement de ces termes: Affin que ce qui est escrit fust accompli.

  A002000831 

 Pour vray, ces anciennes visions, figures et propheties ne sont jamais si parfaittement executees sur leur premier sujet auquel elles sont immediatement dressees, comme sur le sujet dernier et final auquel elles sont rapportees selon l'intelligence misterieuse, comme deduit excellemment [271] saint Augustin au lieu que j'ay n'agueres cité.

  A002000831 

 Puys donq que les Juifz ne furent point marqués de Thau, comme veut le traitteur, je conclus que pour bien verifier ceste vision, il faut que les Chrestiens, Israëlites spirituelz, en soyent marqués, c'est a dire, de la Croix, signifiee par le Thau..

  A002000831 

 VI. Passons au reste du dire du traitteur sur ce point: « Il ne se trouvera jamais, » dit-il, « que les « Juifs ayent esté marquez au front de quelque marque que ce soit, et moins encor de la croix, qui estoit une chose odieuse et ignominieuse adonc parmi toutes les nations.

  A002000831 

 » Ici je vous arreste, o traitteur, et vous somme de me dire si les termes d'Ezechiel ne portent pas que les gemissans seroyent marqués au front? vous ne le sçauries nier: ou donques ilz furent marqués, et lhors vous parles mal disant qu'ilz ne furent onques marqués, ou ilz ne furent point marqués, et lhors je vous demande quand c'est que la Prophetie fut verifiee ainsy exactement comme ses termes portent? Ce n'a pas esté en la Hierusalem temporelle, ce sera donq en la Hierusalem spirituelle, qui est l'Eglise.

  A002000832 

 VII. Neanmoins, le traitteur poursuit ainsy: « Or donc, le vrai sens du passage d'Ezechiel est, que Dieu declare que lors que ce grand jugement seroit exercé sur la ville de Jerusalem, ceux seulement en seroient exemptez qui seroient marquez par l'Esprit de Dieu; et ceste façon de dire est prinse de ce qui se lit au chap. XI. d'Exode, où... il est commandé aux Israelites de mettre du sang de l'Agneau sur le surseuil de leurs habitations, afin que l'Ange voye la marque de ce sang et passe outre sans offenser les Israelites.

  A002000832 

 de l'Apocalypse est fait mention de ceux qui sont marquez, qui sont ceux qui sont appelez ailleurs esleus de Dieu, ou ceux que le Seigneur advouë pour siens pource qu'il les a comme cachettés de son seel, et, comme l'Escriture parle, a escrit leurs noms au livre de vie.

  A002000833 

 Que si ceste façon de dire du Prophete est prinse de la marque du sang de l'aigneau faitte sur les posteaux des Israëlites, elle se doit donq rapporter a une marque reelle et exterieure, car les sursueilz et posteaux furent reellement marqués et signés..

  A002000834 

 Que la marque des posteaux ayant esté figure et presage du signe de la Croix, comme j'ay monstré ci devant, le signe d'Ezechiel estant puisé de la, il doit aussi estre ramené et accompli au signe de la Croix..

  A002000835 

 Que les marqués de l'Apocalipse nous asseurent de plus fort, car ce sont ceux qui, pour protestation de leur foi et invocation du Sauveur, auront esté signés du signe de la Croix, comme ont dit les anciens interpretes; autres ne sont esleuz que ceux qui auront confessé de bouche, de cœur, par signes et par œuvres, autant qu'ilz pourront, avec l'Apostre, qu'ilz n'ont autre gloire qu'en la Croix de Jesus Christ.

  A002000841 

 Apres que le traitteur a tasché d'establir sa marque invisible d'Ezechiel par les marques des esleuz dont il est parlé en l'Apocalipse, il allegue en fin pour son intention la marque de la beste.

  A002000841 

 Les novateurs dient que non, et qu'estre signé de la marque de la beste n'est autre sinon estre serviteur de l'Antechrist, recevant et approuvant ses abominations.

  A002000841 

 Or je dis, au contraire, que ceste marque sera apparente et visible; mais voici mes raysons, a mon advis, inevitables..

  A002000841 

 Voyci ses motz: « En sens contraire est-il dit au XVI. de l'Apocalypse, que l'Ange verse sa phiole pour navrer de playe mauvaise ceux qui ont la marque de la beste, c'est à dire les serviteurs de l'Antechrist.

  A002000842 

 Ceste alternative, ou en leur main, ou en leur front, ne monstre-elle [277] pas que sera une marque perceptible, et autre que d'estre affectionné a l'Antechrist? Et comme pourroit-elle, autrement, mettre difference entre ceux qui avoyent pouvoir de traffiquer, et ceux qui ne l'avoyent pas, si elle n'estoit visible? comme sçauroit-on ceux qui auroyent le nombre, ou le nom, ou la marque, si elle estoit au cœur? Or, ce qui est dit au chapitre seiziesme de l'Apocalipse, se rapporte a ce qui avoit esté dit au chapitre treiziesme; si donq en l'un des lieux la marque de l'Antechrist est descritte visible, elle sera aussi visible et exterieure en l'autre, la chose est toute claire: c'est donq mal entendu de dire que ceste marque de l'Antechrist n'est point reelle ni perceptible.

  A002000842 

 Le diable, qui n'est qu'un esprit, ne se contente pas de recevoir l'hommage des sorciers, mais leur imprime une marque corporelle, comme font foi mille informations et procedures faites contre eux: qui doute donques [276] que cest homme de peché, si exact disciple du diable, n'en face de mesme, et qu'il ne veuille avoir, comme anciennement plusieurs faisoyent, des serviteurs marqués et stigmatiqués? 4.

  A002000842 

 Mais voici une rayson peremptoire: saint Jean, parlant de l'Antechrist, dit expressement au chapitre treiziesme de l'Apocalipse, qu'il faisoit que tous, petitz et grans, riches et pauvres, francz et serfz, prenoyent une marque en leur main dextre, ou en leur front, et qu'aucun ne peust acheter ou vendre s'il n'avoit la marque ou le nom de la beste, ou le nombre de son nom.

  A002000842 

 Que si l'Antechrist, comme singe, voulant faire et contrefaire le Christ, marquera ses gens au front, et par la les obligera a ne se point signer de la Croix, comme dit Hippolite, combien affectionnement devons-nous retenir l'usage de ce saint signe, pour protester que nous sommes Chrestiens et jamais n'obeirons a l'Antechrist? Les ministres avoyent enseigné leurs huguenotz que les couronnes des ecclesiastiques estoyent les marques de la beste, mais voyans qu'ilz ne pouvoyent porter une plus expresse marque de beste que de dire cela, puysque [278] d'un costé, la plus grande partie des papaux (qu'ilz appellent) ne la portent pas, et saint Jean tesmoigne que tous les sectateurs de la beste porteront sa marque, et d'autre costé, que ceux qui ne portent pas la couronne clericale ne laissent pas de trafiquer, et qu'au contraire le traffic est prohibé a ceux qui la portent, cela les a fait jetter a ceste interpretation, que la marque de la beste devoit estre invisible: c'est tousjours marque de beste, ou d'opiniastreté bestiale, comme je viens de monstrer..

  A002000842 

 Qui ne voit ici separee l'obeissance d'avec la marque? et qui ne suivra plustost ces Anciens non passionnés, que ces novateurs tout transportés du desir d'establir leurs fantasies par quelque pretexte des Escritures? 5.

  A002000843 

 Voyla dix raysons de faire et recevoir la Croix au front, tant au Baptesme et Confirmation qu'es autres occasions, a la suite de toute l'ancienne Eglise: dont saint Ambroise fait dire a la bienheuree sainte Agnes, que Nostre Seigneur l'avoit marquee en la face a fin qu'elle ne receust autre amoureux que luy; et saint Augustin, sur saint Jean: « Jesus Christ n'a pas voulu qu'une estoille fust son signe au front des fideles, mais sa Croix: par ou il fut humilié il est par la glorifié; » et Victor d'Utique descrivant le supplice fait a Armagaste, il dit que le tourment luy avoit tellement estiré le front, que la peau ne ressembloit qu'aux toiles d'araignes, tant elle estoit mince et estendue: « Le front, » dit-il, « sur lequel Jesus Christ avoit planté [279] l'estendart de sa Croix.

  A002000849 

 Saint Anthoine bravoit ainsy les diables: « Si vous aves quelque vigueur, si le Seigneur vous a baillé quelque pouvoir sur moy, venes, me voicy, devores celuy qui vous est accordé; que si vous ne pouves, pourquoy le tasches-vous en vain? car le signe de la Croix et la foy au Seigneur nous est un mur inexpugnable.

  A002000849 

 Saint Augustin: « Si par fois l'ennemy veut dresser des embusches, que le racheté sçache qu'avec le mot du Symbole et l'estendart de la Croix il luy faut aller au devant.

  A002000849 

 Saint Ignace, disciple de saint Jean: « Le prince de ce monde se resjouit quand quelqu'un renie la Croix, car il a bien reconneu que la confession de la Croix estoit sa mort, d'autant que cestui ci est un trophee contre sa vertu, lequel voyant il s'effraye, et l'oyant [281] il craint.

  A002000849 

 Saint Martial, disciple de Nostre Seigneur: « Ayes tous-jours en esprit, en bouche et en signe, la Croix du Seigneur auquel vous aves creu, vray Dieu et Filz de Dieu; car la Croix du Seigneur est vostre armeure invincible contre Satan, heaume defendant la teste, cuirasse conservant la poitrine, bouclier rabattant les traitz du malin, espee qui ne permet que l'iniquité et embusches diaboliques de la meschante puissance s'approchent d'elle; par ce seul signe la victoire celeste nous a esté donnee, et par la Croix le Baptesme a esté sanctifié.

  A002000850 

 « Saint Hilarion ouyoit un soir le brayement des petitz enfans, le beellement des brebis, le buglement des bœufz, avec des bruitz esmerveillables de voix diverses; lhors il entendit que c'estoyent illusions diaboliques, parquoy il s'agenouilla et se signa au front de la Croix de Jesus Christ, de sorte qu'estant armé d'un tel heaume de la foy, gisant malade, il combattoit plus vaillamment... mais tout incontinent qu'il eut invoqué Jesus Christ, toute ceste apparence fut, devant ses yeux, engloutie en une soudaine ouverture de terre.

  A002000851 

 Lactance raconte que quelques Chrestiens, assistans a leurs maistres qui sacrifioyent aux idoles, faisans le signe de la Croix chasserent leurs dieux, si qu'ilz ne peurent figurer leurs devinations dans les entrailles de leurs victimes; ce qu'entendans les devins, ilz irritoyent ces seigneurs, a la sollicitation des demons, contre la Religion Chrestienne, et les induisoyent a faire mille outrages aux eglises: dont Lactance ayant conclud contre le paganisme pour la Religion Chrestienne, il dit en ceste sorte: « Mais les payens disent que ces dieux ne fuyent pas devant la Croix par crainte, mais par haine.

  A002000851 

 Ouy, comme si quelqu'un pouvoit haïr sinon celuy qui nuit ou peut nuire; ains [284] il estoit seant a la majesté de ces dieux de punir et tourmenter ceux qu'ilz haïssoyent, plustost que de fuir; mays d'autant qu'ilz ne peuvent s'approcher de ceux esquelz ilz voyent la marque celeste, ni nuire a ceux que l'Estendart immortel contregarde comme un rempart inexpugnable, ilz les faschent et affligent par les hommes, et les persecutent par les mains d'autruy; ce qu'a la verité, s'ilz confessent, nous avons gain de cause.

  A002000853 

 Saint Gregoire le Grand raconte qu'un Juif, se trouvant une nuit en un temple d'Apollo ou plusieurs diables estoyent assemblés comme tenans conseil, s'estant signé de la Croix, il ne peut onques estre offensé par iceux; d'autant, disoyent-ilz, que « c'est un vaisseau vuide, mays il est marqué.

  A002000853 

 » C'est asses pour mon entreprise; mays, oyons ce que le traitteur dira a ceci, car il parlera a quel pris que ce soit..

  A002000854 

 I. Il respond donq a ce dernier exemple que, « qui voudroit en un mot se desvelopper de ce passage, diroit que tels Dialogues sont remplis de recits frivoles.

  A002000854 

 Mays que peut-il [286] cotter d'absurde en ce recit pour le rejetter, partant de si bon lieu comme est le tesmoignage de saint Gregoire? Sera-ce que les diables tiennent des assemblees et conseilz? mays l'Escriture y est expresse, et saint Jean Cassian raconte un pareil exemple.

  A002000854 

 Saint Gregoire le Grand, ancien et venerable Pere, fait ce recit; le traitteur, qui au plus ne peut estre que quelque vain ministre, l'accuse de niaiserie et mensonge: a qui croirons-nous? Grand cas si tout ce qui ne revient pas au goust de ces novateurs doit estre tenu pour fable.

  A002000854 

 Sera-ce que le signe de la Croix empesche les effortz du diable? mays tous les anciens et plus purs Chrestiens l'ont creu et enseigné, et mille experiences en ont fait foy.

  A002000855 

 Car ce cas advenu extraordinairement a servi pour tant plus confondre cest abominable, tant en sa conscience que devant tous hommes et devant Dieu.

  A002000855 

 Car il ne suffit pas de dire que quelque chose soit advenue, mais il faut sçavoir si Dieu en est l'autheur, si c'est chose qui tende au salut des hommes et à la gloire de Dieu... 2.

  A002000855 

 Et parlant de l'exemple de Julien l'Apostat, il dit que l'exemple d'un tel miserable ne doit estre allegué pour establir une doctrine en l'Eglise, cartel exemple n'est pas louable... tellement qu'on peut bien faire ceste conclusion: puis que Julian l'Apostat et semblables ont fait ce signe et en ont esté, comme on dit, secourus, il est apparent que cela ne procede de Dieu, ains qu'il est venu de Satan qui l'a de plus en plus voulu troubler et enlacer, par le juste jugement de Dieu.

  A002000855 

 Il s'est peu faire que pour engraver au cœur des hommes une plus profonde pensee de la mort et passion de Nostre Seigneur Jesus Christ, sur les commencemens de la predication Evangelique Dieu quelquesfois a voulu qu'il se soit fait des choses extraordinaires; et pourtant, si alors il a pleu à Dieu monstrer quelques fois sa debonnaireté aux siens, il le faut recognoistre pour le remercier de son support.

  A002000855 

 Mais s'il a voulu que ceux qui estoient ja peu voyans vissent encores moins, ou que mesmes ils devinssent [287] aveugles, recognoissons ses jugemens et retenons pure sa verité.

  A002000855 

 « Dieu a permis souvent que des choses se fissent, lesquelles il n'approuvoit pas, comme infinis effects advenus jadis autour des oracles anciens le tesmoignent; et quand cela advient, dit Moyse au 13.

  A002000855 

 » 3. Que si ces effectz sont faitz « par la force de Jesus Christ, ç'a esté moyennant l'invocation du Nom d'icelui et non par un signe; que si ç'a esté par mauvais moyen, un charme aura esté chassé par un contre-charme... Dieu donnant efficace d'erreur à Satan pour decevoir les hommes; lequel Satan, se voyant deschassé de son fort par Jesus Christ, a basti un autre fort contre le mesme Jesus Christ, en employant à tel effect la simplicité des Chrestiens... et en fuyant devant la Croix il a fait comme ceux qui reculent pour plus avancer.

  A002000856 

 Et quant a ce que le traitteur dit, que le diable a employé a cest effect la simplicité des Chrestiens, il y auroit de l'apparence si on luy produisoit le tesmoignage de quelques idiotz; mais quand on luy produit les Martial, Ignace, Origene, Chrysostome, Augustin, comme ose-il les accuser d'une simplicité folle, ou plustost de niaiserie? Y a-il homme qui vive qui leur soit comparable, nomplus en suffisance qu'en sainteté, parlant de la plus part?.

  A002000856 

 J'oppose que, puysqu'il s'est peu faire que les merveilles faittes a la Croix ayent esté faittes par la force de Dieu, pour engraver la pensee de la mort et passion de nostre Sauveur au cœur des hommes, comme le traitteur confesse, il a eu tort et s'est monstré trop passionné d'aller rechercher une autre cause de ces miracles, car celle ci est plus a l'honneur de Dieu et au salut des hommes que non pas de dire que le diable en a esté l'autheur, comme le mesme traitteur dit par apres.

  A002000856 

 J'oppose, que c'est ouvrir la porte a la mescreance, laquelle, a tous les miracles des exorcismes, tant de Nostre Seigneur que de ses disciples, respondra que le [290] diable fait semblant de reculer pour mieux avancer.

  A002000856 

 J'oppose, que ces responses ressentent puamment l'heretique et desesperé; ç'a esté le train ordinaire aux anciens rebelles d'attribuer les miracles aux charmes et a l'operation des diables: tesmoins les Scribes et Pharisiens qui attribuoyent les œuvres de [289] Jesus Christ a Beelzebub, les Vigilantiens, au rapport de saint Hierosme, et les Ariens selon saint Ambroise.

  A002000856 

 J'oppose, que la consequence de telz effectz a tousjours esté a la gloire de Dieu, et tendoit au salut des hommes; tous les Peres l'ont ainsy remarqué.

  A002000856 

 Je leur oppose toute l'ancienneté, laquelle, avec un consentement nompareil, enseigne que ces merveilles advenues sont de la main de Dieu.

  A002000856 

 Le mot de Tertullien est memorable; persuadant a sa femme de ne se remarier point a un infidelle: « Te cacheras-tu, » dit-il, « lhors que tu signes ton lit et ton cors? ne semblera-il pas que tu faces une action magique? » Voyes-vous comme Tertullien attribue aux payens le dire des huguenotz, a sçavoir, que le signe de la Croix sert a la magie? 4.

  A002000856 

 N'est-ce pas la gloire de Dieu et le bien des hommes que le diable soit dompté et rejetté? Certes, entre les grans effectz de la crucifixion du Filz de Dieu, il y conte luy-mesme celuy ci: Maintenant le prince de ce monde sera mis dehors; et c'est cela qui fait que le diable fuit devant la Croix comme devant la vive representation de ceste crucifixion.

  A002000856 

 Si, ces grans Peres que nous avons cités, et en si grand nombre, nous inviteroyent-ilz bien a faire le signe de la Croix s'ilz doutoyent que le diable n'en fust l'autheur? Et qui doutera que Jesus Christ en soit l'autheur, s'il considere, comme Lactance deduit, combien cela tend a l'honneur de Dieu, que le simple signe de sa Passion chasse ses ennemis? 3.

  A002000856 

 leur contrarieté, incertitude et doute; il ne sçait a qui bailler l'honneur de ces evenemens: « Si c'est par la force de Jesus Christ... si c'est [288] par mauvais moyens... Il s'est peu faire que pour engraver une plus profonde pensee de la mort et passion de Jesus Christ... Que si ç'a esté Dieu donnant efficace d'erreur à Satan pour decevoir les hommes... » Quelz embarrassemens: monstre-il pas, avec ces irresolutions, qu'il est bien empesché, et qu'il va sondant le guay pour essayer s'il pourra trouver quelque response? 2.

  A002000857 

 Et de vray, qu'y aura-il de resolu au monde s'il est loysible de bailler ces sens aux miracles et actions extraordinaires? sera-il pas aysé a l'obstination d'attribuer la resuscitation des mortz mesmes aux illusions diaboliques? Mays qu'estoit-il besoin au diable de faire le fin avec Julien l'Apostat, nomplus qu'avec le Juif duquel saint Gregoire le Grand fait le recit? qu'eust-il pretendu par ceste simulation, avec des gens qui luy estoyent des-ja tout voués? que pouvoit-il acquerir davantage sur Julien, qui l'adoroit et descendoit pour se rendre a luy? Notes, je vous prie, le mot de saint Gregoire Nazianzene, quand il dit que Julien eut recours « au viel remede », c'est a sçavoir, a la Croix, remede qu'il avoit appris du tems qu'il estoit Catholique.

  A002000857 

 Et quant au fait de Julien l'Apostat, lequel le traitteur dit ne devoir estre suivi, ains plustost rejetté, je remonstre que c'est un trait de mauvaise foy au traitteur de gauchir ainsy a la rayson vive; car, qui produit onques ce fait comme de Julien l'Apostat? On l'avance pour monstrer que le signe de la Croix a tant de vertu contre les malins, que non seulement ilz le craignent en bonnes mains, mais encor es mains de qui que ce soit, dequoy le cas advenu a Julien fait une claire preuve.

  A002000857 

 Pour vray, saint Gregoire Nazianzene et Theodoret tiennent resolument que les diables fuirent pour la crainte qu'ilz eurent voyans la Croix: permettes-nous, traitteur, que nous soyons de leur opinion plustost que de la vostre ou de celle du maistre charmeur.

  A002000859 

 Les merveilles advenues par le Serpent d'airain furent divines, quoy que le peuple en print occasion d'idolatrer: il faudroit donq corriger l'abus et retenir l'usage, comme on fait non seulement des choses bonnes et saines, telles que la Croix, mais des nuisibles et venimeuses, 11.

  A002000865 

 La Croix pour deux raysons a tant de vigueur contre l'ennemy: l'une, d'autant qu'elle luy represente la mort du Sauveur qui le dompta et subjugua, ce que sa superbe obstinee hait et craint extremement; l'autre, parce que le signe de la Croix est une courte et pregnante invocation du Redempteur, et en ceste derniere consideration il peut estre employé en toutes occasions ou peut estre employee la priere et oraison.

  A002000866 

 Certes, Prochorus, autheur non vulgaire, recite que saint Jean Evangeliste guerit un malade febricitant, faisant le signe de la Croix et invocant le nom de Jesus; et que le mesme Saint signa du signe de la Croix un boiteux des deux jambes, luy commandant de se lever, et tout soudain il se leva.

  A002000866 

 Il accuse sa feinte et simulation, et son seducteur tout ensemble, avec la somme d'argent qu'il avoit receuë pour ce jeu auquel il perdit la veuë, et demande ayde et remede a nos Evesques Catholiques, lesquelz ayans sondé sa foy eurent pitié de luy, « et se prevenans l'un l'autre d'un mutuel honneur, » (ce sont les propres paroles de saint Gregoire de Tours, qui est mon autheur) « une sainte contention s'esmeut entre eux qui seroit celuy-la qui feroit le signe de la bienheureuse Croix sur ses yeux: Vindimialis et Longinus prioyent Eugene, Eugene au contraire les prioit qu'ilz luy imposent les mains; ce qu'ayans fait et luy tenans les mains sur la teste, saint Eugene, faisant le signe de la Croix sur les yeux de l'aveugle, dit: Au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit, vray Dieu, lequel nous confessons trine en une egalité et toute puissance, que tes yeux soyent ouvertz; et tout aussi tost, la douleur ostee, il revint a sa premiere santé.

  A002000866 

 » Aves-vous veu, traitteur, le signe de la Croix employé a la restitution de la veuë de ce miserable, et les saintz Evesques s'entre presenter l'honneur de le faire? Dires-vous que le diable fit ce [296] jeu en faveur des Catholiques contre les Ariens? quelle eschappatoire pourres-vous trouver?.

  A002000867 

 Il y a, en ceste histoire, trois ou quattre pointz de mauvaise digestion pour vostre estomach, o traitteur, si vous n'estes gueri despuys vostre traitté: les eglises des Saintz, ou l'on va prier Dieu; les saintes psalmodies avec les Litanies, en forme de processions; la benediction episcopale sur le peuple avec le signe de la Croix (Sanctus Episcopus illos consignans, dit saint Amphilochius, qui est mon autheur); le signe de la Croix employé pour faire ce miracle; et ce qu'il est dit, que saint Basile estant entré fit le divin mistere, fecit divinum mysterium, car c'est une phrase qui n'est pas sortable ni a la priere, laquelle ilz avoyent ja faitte toute la nuit, ni au sermon, car precher ne s'appelle pas, faire, mais publier, le divin mistere, ni certes a vostre cene, en laquelle il ne se fait rien de divin, mais s'administre seulement un pain ja fait et preparé.

  A002000867 

 Je ne vois pas que vous puissies respondre a ce tesmoignage de la vertu de la Croix; car si vous dites que le diable fit cela pour faire le matois, saint Amphiloche vous remonstre que, par ce miracle, les Catholiques furent consolés et plusieurs Ariens se convertirent: quel advantage donques eust recerché le diable en cest affaire? et je vous remonstre que vous n'aves pas asses d'honneur pour rendre suspect saint Basile de magie ou sorcelage, ni saint Amphiloche de mensonge ou fadaise.

  A002000867 

 Les Ariens de Nicee obtindrent de Valens, empereur heretique, l'eglise des Catholiques: saint Basile, adverti de cela, recourt a l'Empereur mesme, et luy remonstre si vivement le tort qu'il faisoit aux Catholiques, que l'Empereur en fin laissa au pouvoir de saint Basile de decider ce different, avec ceste seule condition, qu'il ne se laisseroit point transporter au zele de son parti, c'est a dire, des Catholiques, au prejudice des Ariens.

  A002000867 

 Saint Basile reçoit ceste charge, et fit ceste ordonnance inspiré sans doute du ciel, que l'eglise fust bien fermee, et cachetee ou seellee tant par les Ariens que par les Catholiques; puys, que les Ariens employent trois jours et trois nuitz en prieres, et viennent par apres a l'eglise, que si elle s'ouvroit pour eux ilz en demeureroyent maistres pour jamais; si moins, les Catholiques veilleroyent une nuit, apres laquelle ilz iroyent a l'eglise, psalmodians avec la Litanie, et si elle s'ouvroit pour eux ilz en demeureroyent possesseurs perpetuelz, si elle ne s'ouvroit, qu'elle fust aux Ariens.

  A002000867 

 Si vous dites que saint Amphiloche attribue le miracle [298] a la vertu de l'oraison, c'est ce que je veux: car le signe de la Croix est une partie de l'oraison que fit saint Basile, tant sur le peuple le benissant, que sur les portes les signant; et a quel autre effect l'eust-il employé?.

  A002000867 

 » Ce que faisant le peuple, saint Basile [297] les signant et benissant, il commande que l'on face silence, et signant par trois fois les portes de l'eglise, dit: « Beni soit le Dieu des Chrestiens es siecles des siecles, Amen.

  A002000868 

 Le traitteur dit que non, et ne sçait pourquoy nous disons qu'ouy et le prouvons par experience; est-ce pas ineptie de repliquer que c'est Dieu qui fait ces miracles, puysqu'on ne demande pas qui les fait, mais comment et [299] par quelz instrumens et moyens? C'est Dieu qui la guerit, et pouvoit la guerir sans la renvoyer a l'autre femme qui la signa; il ne veut pas, mais la renvoye a ces moyens desquelz il se veut servir.

  A002000868 

 Le traitteur, a ce coup, est bien empesché; il chancelle, et ayant fait le recit de l'histoire tres impertinemment, tasche de se desrobber a ceste pointe que luy avoit jettee le placquart.

  A002000868 

 Quant a la response, il la fait a son accoustumee, sans jugement ni candeur, a sçavoir, que ceste dame « s'estoit adressee auparavant au seul Dieu », auquel elle rapporta sa guerison, et non a aucun signe.

  A002000868 

 Voulons-nous estre plus sages que luy, et dire que ces moyens ne sont pas sortables? il luy plait que nous les employions, les voulons-nous rejetter? Or c'est saint Augustin qui est autheur de ce recit, et l'estime tellement propre a la louange de Dieu, qu'il dit tout suivant qu'il avoit fort tancé ceste dame guerie de ce qu'elle n'avoit pas asses publié ce miracle.

  A002000869 

 Jusques a quand trompera-on ainsy les peuples? Certes, les tesmoignages que j'ay cités au chapitre precedent sont pris dans saint [300] Athanase, et celuy-ci dans saint Hierosme.

  A002000869 

 Or, j'ay dit qu'en ces occasions la Croix avoit vertu comme une oraison fort vigoureuse, dont il s'ensuit que les choses signees ont une particuliere sainteté, comme benites et sanctifiees par ce saint signe et par ceste celebre oraison, extremement pregnante, pour estre instituee, approuvee et confirmee par Jesus Christ et par toute son Eglise.

  A002000869 

 Si que les Anciens faisoyent grande profession de prier Dieu levans les bras haut en forme de croix, comme il appert de mille tesmoignages, mays sur tout de celuy que j'ay produit de l'ancien Origene, cy dessus: par ou, non seulement ilz faisoyent comme un perpetuel signe de Croix, mays mortifioyent encores la chair, imitans Moyse qui surmonta Amalech lhors qu'il prioit Dieu en ceste sorte, figurant et presageant la Croix de Nostre Seigneur qui est la source de toutes les faveurs que peuvent recevoir nos prieres.

  A002000882 

 Apres que le traitteur a mis en campaigne sa solemnelle distinction entre l'honneur civil et l'honneur conscientieux, que j'ay suffisamment renversee en mon Avant-Propos, il fait de sursaut ceste desgainee: « Vray est que les questionnaires ne se sont pas teus là dessus, car on a demandé de quelle sorte d'honneur elle devoit estre adoree.

  A002000882 

 Quelques uns ont dit que la vraye Croix, qui avoit touché au corps de Jesus Christ, devoit estre adoree de latrie, ou pour le moins de hyperdulie, mais que les autres devoient estre servies de l'honneur de dulie; c'est à dire, que la vraye [303] Croix devoit estre reveree de l'honneur deu à Christ, et les autres croix devoient estre honorees de l'honneur que les serviteurs doivent à leurs maistres: et c'est la belle resolution du present second plaquard.

  A002000883 

 » Aussi n'estoit-ce pas le dessein de l'autheur des placquars, sinon de rendre conte de la devote erection de la Croix que nostre Confrerie d'Annessi fit aupres d'Annemasse, laquelle n'estoit pas une piece de la vraye Croix, mais seulement une image d'icelle..

  A002000884 

 Et remarque ce pendant que les questionnaires, qui espluchent si menuement les differences d'honneur qu'on doit a la Croix, monstrent asses qu'ilz sont saisis de la sainte et pure jalousie de laquelle j'ay traitté en l'Avant-Propos: car, comme ilz veulent attribuer a la Croix l'honneur qui luy est deu, selon le rang qu'elle tient entre les dependances de nostre Sauveur, aussi prennent-ilz soigneusement garde de ne luy en bailler que ce qu'il faut, et sur tout de n'alterer en rien l'honneur de Dieu, ni baillant moins de respect a sa Croix, ni plus aussi, qu'il ne veut et requiert.

  A002000884 

 Si est-ce que, parce que ce traitteur produit les questions des scholastiques avec supercherie, je veux en peu de paroles descouvrir en ce Livre, le plus naïfvement que je sçauray, la doctrine Catholique touchant la qualité de l'honneur deu a la Croix.

  A002000890 

 J'ay besoin de dire un mot de l'honneur, parce que l'adoration est une espece et sorte d'iceluy.

  A002000891 

 On appelle amitié les bons offices exterieurs, on appelle honneur les demonstrations exterieures, mays ces noms n'appartiennent a l'exterieur que pour l'alliance qu'on presuppose d'iceluy avec l'interieur.

  A002000891 

 Si donq je dis que l'honneur est une protestation ou reconnoissance, je l'entends, non de celle qui se fait par les apparences exterieures, autrement les Anges et espritz ne sçauroyent honnorer, mays de celle qui se passe en la volonté qui se resoult d'estimer une personne selon son merite, car ceste resolution est la vraye et essentielle forme de l'honneur..

  A002000892 

 Et quel bien honneste y a-il, que la vertu et ses appartenances? La bonté donques, de laquelle l'honneur est une reconnoissance, ne peut estre que de ce rang.

  A002000892 

 J'ay donques dit, pour toutes ces raysons, que l'honneur estoit une protestation de l'excellence de la bonté..

  A002000892 

 L'honneur tend du tout a l'honneste, le mot mesme le porte; aussi l'honnesteté n'est ditte telle, que parce qu'en elle gist l'estat et l'arrest de l'honneur: honestas, dit Isidore, quasi honoris status.

  A002000892 

 Or, si le bien honneste ou la vertu se considere simplement comme bien, il sera aussi simplement et seulement en objet a l'amour; mays si on le considere comme excellent, eminent et superieur, c'est lhors qu'il s'attirera l'honneur comme son propre tribut, lequel a son naturel mouvement au bien honneste sous la consideration particuliere de quelque excellence et eminence: de quelque excellence, dis-je, car, soit que le [306] bien honneste ayt quelque excellence sur celuy qui honnore ou non, il suffit qu'il ayt quelque excellence pour estre un vray sujet de l'honneur.

  A002000893 

 Non que la vertu ne merite une autre recompense inherente, utile et delectable, mais parce que l'honneur purement et simplement n'a point d'autre objet que la vertu et le vertueux; si qu'estant poussé ailleurs, comme sur les choses inanimees, il n'y fait aucun sejour, mais y passe seulement entant qu'elles appartiennent en quelque sorte a quelque sujet vertueux, ou a la vertu mesme ou en fin il se rend comme dans son propre et naturel domicile.

  A002000893 

 Que s'il est dit quelquefois que les choses inanimees et les diables donnent honneur a Dieu, ce n'est pas que cest honneur-la sorte de ces choses comme de la cause, mais seulement comme d'un'occasion que les hommes en prennent d'honnorer Dieu; ou c'est parce que telles choses font les exterieures demonstrations d'honneur, lesquelles, quoy que privees de leur ame, qui est l'intention interieure, ne laissent pas de retenir devant les peuples le nom d'honneur, ainsy que l'homme mort est appellé homme.

  A002000893 

 Que si on honnore quelque chose insensible ou non vertueuse, ce ne sera pas pour y arrester et colloquer simplement et absolument l'honneur, mais pour le passer et rapporter a quelque vertu et vertueux.

  A002000897 

 » Mon Dieu, que cela est grossier; mettons en avant la verité, elle renversera asses d'elle mesme le mensonge..

  A002000898 

 Eustratius met pour exemple l'honneur que s'entreportoyent saint Gregoire Nazianzene et saint Basile.

  A002000898 

 Si elle ne l'est pas, il n'y a lieu que pour le simple honneur, tel qu'il peut estre mesme de pair a pair, voire de superieur a inferieur, et duquel parle l'Apostre quand il dit, Honore invicem prævenientes: vous prevenans en honneur; et saint Pierre disant, omnes honorate: honnores un chacun; dont il est dit mesmement qu'Assuerus honnora Mardochee.

  A002000898 

 Si, au contraire, l'excellence de la bonté pour laquelle on honnore se trouve superieure et advantageuse sur l'honnorant, lhors il y va, non d'un simple honneur, mays de l'honneur d'adoration; et partant, comme l'honneur n'est que la profession ou reconnoissance de l'excellence de la [309] bonté de quelqu'un, aussi l'adoration est la reconnoissance de l'excellence de la bonté eminente et superieure a l'endroit de celuy qui honnore.

  A002000900 

 Ceste premiere action n'est que le fondement et principe de tout l'edifice de l'adoration, ce n'est pas l'edifice mesme..

  A002000901 

 » Je dis que non, et le prouve indubitablement, pourveu que j'aye protesté que je parle de la vraye essence de l'adoration:.

  A002000902 

 Je ne crois pas qu'aucun entende que les encensemens qu'ilz jettent [310] a Dieu soyent materielz, car saint Jean declaire, au contraire, que ce sont les oraisons des Saintz.

  A002000902 

 Que s'il est dit qu'ilz jettent leurs couronnes aux piedz de Celuy qui sied au throsne, bien que leur adoration soit exprimee par une action exterieure si ne se doit-elle pas entendre que de l'esprit; car, comme leurs couronnes et felicités sont spirituelles, aussi l'hommage, reconnoissance et sousmission qu'ilz en font, n'est que purement spirituelle..

  A002000904 

 O Chrestiens de genoux, et materielz, vous sçaves si bien alleguer hors de propos et saison, quand vous combattes les sacrees ceremonies, que les vrays adorateurs adorent en esprit et en verité: certes, ces saintes paroles ne bannissent point les actions exterieures quand elles procedent de l'esprit et verité, mais ne voyes-vous pas tout ouvertement qu'elles decernent contre vous que la vraye et essentielle adoration gist en la volonté et action interieure?.

  A002000905 

 Et de fait, qui diroit jamais que les actions exterieures des hypocrites, voire les genuflexions de ceux qui baffoüoyent nostre Sauveur au jour de sa Passion, luy mettans la couronne d'espines en teste et le roseau en main, plians les genoux devant luy, fussent des vrayes adorations et non pas plustost des vrays vituperes et affrons? L'Escriture appelle bien cela adorer et saluer, mais elle declaire tout sur le champ qu'elle l'entend, non selon la realité et substance, mais selon l'exterieure apparence et feinte, disant qu'ilz se mocquoyent de luy.

  A002000905 

 Qui oseroit appeller ces malheureux vrays adorateurs, et non pas plustost vrays mocqueurs? Les choses portent aucunes fois le nom de ce dont elles ont les apparences, sans pour cela laisser d'estre indignes de le porter; comme quand les enfans de ce monde sont appellés prudens, et leur ruse ou finesse, [311] sagesse, quoy que ce ne soit que folie devant Dieu et en realité; ainsy appelle les impertinences du traitteur, raysons, quoy qu'elles soyent indignes de ce nom..

  A002000906 

 Ainsy ne fut-il onques dit que flechir le genouïl soit idolatrer, mais ouy bien de le flechir a Baalim, Astaroth, Dagon, et semblables abominations; autant en dis-je de bayser la main, voire le pied, faire encensemens et se courber.

  A002000906 

 Aussi use l'Escriture de ces mots pour descrire les idolatres, que ils se sont courbez, qu'ils ont fait encensemens, ont baisé la main ou les levres; ce que font ceux de l'Eglise Romaine à leurs images, reliques et Croix: dont la conclusion est manifeste, que s'ils ne sont idolatres, si font-ils ce que font les idolatres.

  A002000906 

 Flechir le genouïl, voire se prosterner en terre, est une action indifferente et n'a aucun bien ni aucun mal que par l'objet auquel on la dresse, c'est de l'intention dont elle procede qu'elle a sa difference de bonté ou de malice.

  A002000906 

 Il ne suffit pas pour estre mauvais, idolatre et sorcier, de faire ce que telles gens font, si on ne le fait a mesme intention et avec mesmes circonstances.

  A002000906 

 La consequence est sotte; car encor que ces actions soyent pareilles es uns et es autres d'estoffe et de matiere, si ne le sont-elles pas de forme, de façon et intention: or, Dieu ne regarde pas tant ce qui se fait, comme la maniere avec laquelle il se fait.

  A002000906 

 Nous faisons quelque chose de ce que font les idolatres, mais nous ne faisons rien comme eux: l'objet de nostre Religion est Dieu vivant, qui la rend toute sainte et sacree..

  A002000906 

 Pour faire que flechir le genouïl soit idolatrie, il y faut deux parties: l'une, que ce soit a un idole, car qui flechiroit le genouïl au nom de Jesus, comme il est raysonnable que chacun face, ou devant prince, seroit-il idolatre? l'autre, que non seulement le genouïl flechisse a l'idole, mays que ce soit volontairement; il faut que le cœur plie a mesme que le cors, car l'idolatrie, comme tout autre peché, prend a l'ame et a l'intention, que si l'exterieur a quelque mal il sort de la comme de sa source.

  A002000906 

 Quand donq le traitteur dit que les Catholiques font ces actions exterieures aux reliques, images et Croix, il dit vray en certaine façon; mais, pour conclure par la que les Catholiques sont idolatres, il luy reste a prouver que les images, reliques et Croix sont des idoles, ce qu'il ne sçauroit faire ni luy ni ses partisans, je les en desfie.

  A002000906 

 Qui est affectionné aux idoles, quand il n'auroit [312] ni genouïl ni jambe et seroit plus immobile qu'une pierre, il est neanmoins vray idolatre; et, au contraire, qui auroit tous-jours les genoux plantés en terre ne seroit pour tout cela idolatre sans ces deux conditions, l'une, qu'il fust ainsy volontairement, l'autre, que ce fust a l'honneur d'un idole.

  A002000906 

 » Est-il possible que ce traitteur ait escrit ces choses veillant? Si le flechissement de genouïl estoit idolatrie, on ne sçauroit aller sans idolatrer, car pour aller il faut flechir le genouïl.

  A002000907 

 Il faut donq conclure indubitablement que la vraye et pure essence de l'adoration gist en l'action interieure [313] de la volonté, par laquelle on se sousmet a celuy qui est adoré; et que la connoissance, action de l'entendement, precede la sousmission comme fondement; au contraire, l'action exterieure suit la sousmission comme effect et dependance d'icelle.

  A002000913 

 Dieu donques, comme Dieu, ne peut adorer, mais il peut bien honnorer, puysque le simple honneur n'a pour objet que la simple excellence, et non pas une excellence superieure, comme l'adoration.

  A002000913 

 L'honneur part d'une volonté bien ordonnee, qui fait profession et reconnoissance de quelque excellence: [315] les damnés ont leur volonté toute desordonnee et gastee, qui ne fait profession que de mal; s'ilz reconnoissent quelque superieurité, ce n'est jamais que forcement et ne peut estre adoration.

  A002000913 

 La supreme excellence est adorable de tous et ne peut adorer aucun: si elle est supreme, comme pourra-elle en reconnoistre aucune autre pour superieure? Les advantages que l'excellence divine tient sur tout autre sont infinis, et d'infinie eminence, tout est bas ou rien en comparaison.

  A002000913 

 Mais s'ilz n'adorent Dieu, pourront-ilz pas adorer autre que Dieu? Je dis que non, a proprement parler.

  A002000914 

 Tout autre chose peut estre adoree, mays avec une tres grande difference et diversité d'adoration, et pourveu que ce soit sans donner aucune occasion de scandale.

  A002000920 

 Abraham adore le peuple de la terre, c'est a dire les enfans de Heth, c'estoyent des creatures; de mesme son parent Loth, Josué, Balaam adorent les Anges; Saül adore l'ame de Samuel; Isaac, benissant son filz Jacob, luy souhaitte que les peuples le servent, et que les enfans de sa mere l'adorent; Joseph songe que ses pere, mere et freres l'adorent; David commande qu'on adore l'escabeau des piedz de Dieu parce qu'il est saint.

  A002000920 

 Le mot d'adorer, d'ou qu'il soit sorti, ne veut dire autre que faire reverence, ou a Dieu ou aux creatures, quoy que le simple vulgaire estime que ce soit un mot propre a l'honneur deu a Dieu.

  A002000921 

 Les Anciens ont suivi ce chemin, si que saint Augustin dit, que nous n'avons aucune simple parole latine pour signifier la veneration deuë a Dieu seul, mais avons destiné a cest usage le mot grec de latrie, faute [317] d'autre plus commode.

  A002000921 

 Neanmoins, encor que le mot d'adoration signifie non seulement la reverence deuë a Dieu, mais encor celle qu'on doit aux creatures, si est-ce qu'il panche un peu plus et est plus sortable a signifier la reverence deuë a Dieu; c'est pourquoy les Anciens ont par fois dit sans difficulté qu'on pouvoit adorer les creatures, et par fois ilz ont fait scrupule de l'advouer, principalement lhors qu'ilz ont eu affaire avec les chicaneurs et heretiques.

  A002000922 

 Saint Ambroise: « Heleine, » dit-il, « trouva la Croix du Seigneur; elle adora le Roy, non le bois parce certes que cela est erreur payen, mais elle adora Celuy qui pendit au bois.

  A002000922 

 » Aves-vous ouÿ, reformés, les plaintes de ceste canaille retaillee? ilz regrettent [318] l'honneur et la vertu de la Croix: Seigneur Dieu, que voules-vous devenir, vous autres, qui en faites de mesme?.

  A002000922 

 » Et plus bas il introduit les Juifz, se lamentans de l'honneur qu'on fait a Nostre Seigneur, en ceste sorte: « Nous avons crucifié Celuy que les roys adorent *, voyla que mesme le clou d'iceluy est en honneur, et ce que nous luy avons planté pour sa mort est un remede salutaire, et, par une certaine vigueur invisible, tourmente les demons.

  A002000922 

 » Il parle la de l'adoration en sorte qu'il semble ne vouloir qu'elle appartienne qu'a Dieu, mais bien tost apres il l'estend encores aux creatures: « Heleine fit sagement qui esleva la Croix sur la teste des roys, a fin que la Croix de Jesus Christ spit adoree es roys; cela n'est pas insolence, mais devotion et pieté, lhors qu'on defere a la sacree Redemption.

  A002000923 

 » Le mesme, instruisant l'ame fidelle, au livre De la virginité: « Si un homme juste, » dit-il, « entre chez toy, luy allant au rencontre tu adoreras en terre a ses piedz avec crainte et tremblement, car ce ne sera pas luy que tu adoreras, mais Dieu qui l'envoye.

  A002000925 

 Ainsy saint Cyrille dit, contre Julien, que « nous n'adorons pas les Saintz comme dieux, mays nous les honnorons comme personnes principales.

  A002000925 

 Et que toutefois ce mesme mot panche un peu plus et est plus duisant a signifier l'honneur deu a Dieu seul, consideration qui a meu les Anciens d'employer a l'ordinaire autres paroles que celle d'adoration pour signifier la reverence deuë aux Saintz et autres creatures, ou s'ilz n'y ont employé d'autres motz ilz ont limité celuy d'adoration par quelque moderation.

  A002000925 

 que le mot d'adorer s'applique non seulement a l'hommage deu a Dieu, mais aussi a l'honneur deu aux creatures; l'Escriture citee et les passages des Peres en font foy.

  A002000925 

 » Et le Concile de Trente suivant ce train, « Adorons, » dit-il, « Jesus Christ, et venerons les Saintz par les images que nous baysons »; il employe [319] pour Nostre Seigneur le mot d'adorer, et pour les Saintz celuy de venerer..

  A002000926 

 Bref, l'adoration n'appartient pas egalement a Dieu et aux creatures, il y a a dire de l'infinité; celle qui est deuë a Dieu est si excellente en comparaison de tout autre faitte aux creatures, que n'y ayant presque aucune proportion, les autres adorations ne sont presque pas adoration au prix de celle qui appartient a Dieu.

  A002000926 

 Or ce discours depend de deux principes: le premier, qu'entre toutes les especes d'honneur l'adoration est la plus digne, dont saint Augustin dit, que « les hommes sont appellés servables et venerables, que si on y veut joindre beaucoup, ilz seront encores ditz adorables »; il faut une grande qualité pour rendre une chose adorable.

  A002000926 

 Si que l'adoration estant la supreme sorte d'honneur, elle est particulierement propre a la supreme excellence de Dieu; et si bien elle peut estre attribuee aux creatures, c'est par une tant esloignee proportion et analogie, que si, par quelque evidente circonstance, on ne reduit la signification du mot d'adoration a l'honneur des creatures, elle panchera tous-jours [320] a l'hommage deu a Dieu, suivant le viel proverbe des logiciens, le mot equivoque ou qui signifie deux diverses choses, estant mis tout seul a part soy sans autre declairation, est tous-jours prins en sa signification plus digne et fameuse: analogum, per se sumptum, stat pro famosiori significato.

  A002000927 

 J'ay dit ceci, tant parce qu'en cest aage si fascheux et chicaneur il est expedient qu'on sçache parfaittement ce que valent les motz, qu'aussi pour respondre au traitteur qui, nous reprochant que nous adorons la Croix et les images, se baillant beau jeu sur nous, dit que « la replique est frivole de dire qu'on ne les adore pas puis qu'on ne met pas sa fiance en elles »; car je dis, au contraire, que le traitteur est extremement frivole de s'imaginer ceste replique pour nous, laquelle nous n'advouons pas ainsy crue comme elle est couchee, ains, nous tenans sur la demarche de l'Escriture Sainte et de nos devanciers, nous confessons qu'on peut loysiblement adorer les saintes creatures, notamment la Croix, et disons tout haut avec saint Athanase: « Nous adorons la figure de la Croix », et avec Lactance: « Flechisses le genou, et adores le bois venerable de la Croix.

  A002000928 

 Vray est que le Catholique discret, sçachant que le mot d'adorer panche plus a l'honneur deu a Dieu qu'a celuy des creatures, et que le simple vulgaire le prend ordinairement a cest usage, le discret Catholique, dis-je, n'employera pas ce mot sans y joindre une bonne declairation; ni parmi les schismatiques, heretiques, reformeurs et bigearres, pour leur lever tout sujet de calomnier; ni devant les menus et debiles espritz, pour ne leur donner aucune occasion de mesprendre, car les Anciens ont fait ainsy.

  A002000934 

 Et parce que l'adoration n'est pas encor du tout propre et particuliere pour l'honneur de Dieu, mays peut encor estre employee pour les creatures, il [325] adjouste a l'adoration le mot de latrie, disant: tu serviras a iceluy seul. « Aussi ne dit-il pas, tu adoreras le seul Seigneur ton Dieu, mays ouy bien, tu serviras a iceluy seul, la ou au grec le mot de latrie est employé »; ceste observation est expressement du grand saint Augustin, es Questions sur le Genese.

  A002000934 

 Il faut bien cela pour engeoler le menu peuple; mays, que me respondra-il a ceste demande? la Magdeleine est aux piedz de Nostre Seigneur et les lave, Nostre Seigneur est aux piedz de saint Pierre et les lave; l'action de la Magdeleine est une tres humble adoration: dites-moy, traitteur mon amy, l'action de Nostre Seigneur que fut-elle? Si ce ne fut pas une adoration, comme il est vray, donq s'incliner, faire les reverences et plier les genoux n'est pas adorer comme vous avies dit.

  A002000934 

 Le patriarche Jacob, panché et prosterné a terre, adora sept fois son frere aisné Esaü; les freres de Joseph l'adorerent prosternés a terre; la [323] Thecuitaine cheut en terre devant David, l'adorant; les enfans des Prophetes, venans au rencontre d'Helisee, l'adorerent prosternés en terre; la Sunamite se jetta aux piedz d'Helisee; Judith, se prosternant en terre, adore Holofernes: ces saintes ames que pouvoyent-elles faire plus que cela, quant a l'exterieur, pour l'adoration de Dieu? L'adoration, donques, ne doit pas estre jugee selon les actions et demonstrations exterieures.

  A002000934 

 Nostre cors n'a pas tant de plis ni de postures que nostre ame, il n'a point de plus humble sousmission que de se jetter a terre devant quelqu'un; mais l'ame en a une infinité de plus grandes, de maniere que nous sommes contraintz d'employer les genuflexions, reverences et prostrations corporelles indifferemment, ores a l'honneur souverain de Dieu, ores a l'honneur inferieur des creatures; nous nous en servons comme des jettons, ores pour dix, ores pour cent, ores pour mille, laissans a la volonté de bailler diverse valeur a ces signes et maintiens exterieurs, par la diversité des intentions avec lesquelles elle les commande a son cors.

  A002000934 

 O reformation, en veux-tu plus sçavoir que ton maistre? Le nostre, respondant au tien, pour monstrer l'honneur deu a Dieu ne dit point, tu t'inclineras, d'autant que l'inclination est une action purement indifferente; mays dit seulement: Tu adoreras le Seigneur ton Dieu.

  A002000934 

 On peut adorer autre que Dieu, mays non pas servir autre que Dieu du service appellé, selon les Grecz, latrie.

  A002000934 

 Si l'action de Nostre Seigneur fut adoration aussi bien que celle de la Magdeleine (vous estes asses bon pour le vouloir soustenir, principalement si vous esties un peu surpris de colere), donq il adora les creatures: pourquoy donq ne voules-vous pas que nous en faisions de mesme? Pour vray, establir l'essence et les differences des adorations es actions exterieures, c'est la prendre sur Nostre Seigneur qui l'establit dans l'esprit; et sur le diable mesme, lequel ne se contente pas de demander a Jesus Christ qu'il s'incline, mays veut que, s'inclinant, il l'adore: Si te prosternant, dit-il, tu m'adores, je te donneray toutes ces choses; il ne se soucie point de l'inclination et prostration, si l'adoration ne l'accompagne.

  A002000934 

 [324] Le traitteur, qui met l'essence de l'adoration en la genuflexion et autres actions externes, comme font tous les schismatiques de nostre aage, est obligé par consequent de dire, que, la ou il y a pareille prostration ou reverence exterieure il y a aussi pareille adoration.

  A002000939 

 Si elle est infinie et divine, l'adoration qui luy est deuë est supreme, absolue et souveraine, et s'appelle latrie, d'autant que, comme dit saint Augustin, « selon l'usage avec lequel ont parlé ceux qui nous ont basti les divines paroles, le service qui appartient a adorer Dieu, ou tousjours ou au moins si souvent que c'est presque tousjours, est appellé latrie: Latria, secundum consuetudinem qua locuti sunt qui nobis divina eloquia condiderunt, aut semper aut tam frequenter [327] ut pæne semper, ea dicitur servitus quæ pertinet ad colendum Deum; » autre mot n'y a-il en la langue latine qui signifie simplement l'adoration deuë a Dieu seul.

  A002000940 

 Mais parce que de ceste seconde sorte d'excellence il y a une innombrable varieté et diversité, divisons-la encores en ses plus generales pieces, et l'adoration qui luy appartient sera de mesme divisee.

  A002000940 

 Si elle est surnaturelle, il luy faut une adoration moyenne, qui ne soit ni purement humaine ou civile, car l'excellence n'est ni humaine ni civile, ni aussi divine ou supreme, car l'excellence a laquelle elle se rapporte est infiniment moindre que la divine et est tousjours subalterne; et peut-on bien appeller ceste adoration, religieuse, car nous ne nous sousmettons aux choses surnaturelles que par l'instinct de la religion pieuse, devote, ou conscientieuse, mais particulierement on l'appelle dulie entre les theologiens: car iceux, voyans le mot grec de dulie s'appliquer indifferemment au service de Dieu et des creatures, et qu'au contraire le mot de latrie n'est presque employé qu'au service de Dieu seul, ilz ont appellé adoration de latrie celle qu'on fait a Dieu, et celle qu'on fait aux creatures surnaturellement excellentes, adoration de dulie; et pour mettre encores quelque difference en l'honneur des creatures, ilz ont dit que les plus signalees s'honnoroyent d'hyperdulie, les autres de l'ordinaire et generale dulie.

  A002000943 

 On honnore toute sorte de magistratz pour l'excellence du prince duquel ilz sont les serviteurs et ministres; l'excellence pour laquelle on les honnore n'est qu'une, mais on ne les honnore pas egalement, parce que tous ne participent pas egalement a ceste excellence.

  A002000944 

 Mays Dieu, qui n'est capable d'autre excellence que de l'independante, n'est capable d'autre adoration que de l'independante; la maniere d'avoir la perfection avec dependance et d'ailleurs que de soy, est trop basse et vile pour Dieu, et beaucoup plus la maniere de l'avoir par imputation ou relation; ces menus honneurs ne sont pas sortables pour une excellence infinie..

  A002000944 

 Ou elle l'aura en soy, mays non pas de soy, comme ont plusieurs hommes et les Anges, qui ont reellement en eux les bontés et vertus pour lesquelles on les honnore, mays ilz ne les ont pas d'eux mesmes, ains par la grace de Dieu; et partant, l'honneur qui leur est deu est a la verité absolu, mays non pas supreme ni independant, ains subalterne et dependant, car, comme ilz tiennent leur excellence de Dieu, aussi l'honneur qu'on leur fait a rayson d'icelle doit estre rapporté a Dieu: de ceste sorte d'adoration n'est capable que la creature intelligente et vertueuse, car autre que celle-la ne peut avoir la vertu en soy, qui est l'excellence pour laquelle on honnore.

  A002000944 

 Ou la chose que nous adorons a l'excellence, pour laquelle nous adorons, en soy mesme et de soy mesme, et l'adoration absolue et independante, souveraine et supreme luy sera deuë: c'est Dieu seul qui est capable [329] de cest honneur, parce qu'il est seul en soy, de soy et par soy mesme excellent, ains l'excellence mesme.

  A002000945 

 Et neanmoins, les creatures intelligentes sont encor capables de cest honneur relatif aussi bien que de l'absolu subalterne; ainsy puis-je considerer saint Jean, ou comme tres saint personnage, et par la je l'honnore d'honneur absolu quoy que subalterne, ou comme proche parent de Nostre Seigneur, et par la je l'honnore d'un honneur relatif et rapporté.

  A002000945 

 L'honneur absolu subalterne n'est que pour les creatures intelligentes, lesquelles seules ont en soy la vertu [330] qui requiert l'honneur absolu, mais elles ne l'ont pas de soy, et partant il est subalterne.

  A002000951 

 Ainsy la vraye Croix et l'image de la Croix meritent un mesme honneur entant que l'une et l'autre se rapportent a Jesus Christ, mais elles le meritent bien different entant que la vraye Croix appartient plus excellemment a Jesus Christ que ne fait pas l'image de la Croix; car la vraye Croix luy appartient comme relique, instrument de la Redemption, autel de son sacrifice et son image encor, mais l'image de la Croix ne luy appartient que comme remembrance de sa Passion.

  A002000951 

 De mesme, selon la premiere consideration, l'image de Nostre Seigneur est plus honnorable que le cors d'un martyr, d'autant qu'elle appartient a une infinie excellence, et le cors du martyr n'appartient qu'a une excellence limitee; mais selon la seconde consideration le cors du saint est plus venerable que l'image de Nostre Seigneur, [332] car encor que l'image de Dieu appartient a une excellence infinie, si luy appartient-elle presque infiniment peu, au prix de ce que le cors appartient de fort pres au martyr, duquel il est une partie substantielle qui ressuscitera pour estre faitte participante de la gloire.

  A002000951 

 Par exemple, je veux mettre en comparaison l'image du prince avec le filz d'un amy: si je considere la qualité des excellences pour lesquelles j'honnore et l'un et l'autre, j'honnoreray plus l'image du prince que le filz de l'amy (je suppose que ce filz ne me soit respectable que pour l'amour du pere), parce que l'image du prince appartient a une personne qui m'est plus honnorable; mais si je considere le rang et degré d'appartenance que chacune de ces choses tient a l'endroit des excellences pour lesquelles on les honnore, j'honnoreray beaucoup plus le filz de mon amy que l'image du prince, car, bien que je prise plus le prince que le simple amy, si est-ce que l'image appartient incomparablement moins au prince que le filz a l'amy.

  A002000953 

 Pour vray, il ne les faut jamais appeller adorations simplement et sans bonnes limitations, car, si le mot d'adoration panche plus a signifier l'honneur deu a Dieu seul que le subalterne, et que partant il ne doit pas estre employé a signifier le subalterne sinon qu'il soit borné par quelque addition, combien moins le faut-il mettre en usage pour signifier les adorations relatives et imparfaittes, sinon qu'on aye limité la course de sa signification a la mesure de l'honneur qu'on veut nommer..

  A002000955 

 Ainsy faut-il parler des reliques, images ou instrumens des Saintz, laissant chaque chose en son grade; car, a la verité, les reliques, comme les clouz, la vraye Croix, le saint Suaire, mentent plus d'honneur relatif de latrie que ne font les images ou simples Croix de Nostre Seigneur, d'autant qu'elles appartiennent a Nostre Seigneur par une relation plus vive et estroitte que les simples remembrances..

  A002000955 

 Qui voudra encor plus particulariser ces adorations, selon le divers rang de rapport et appartenance que la chose qu'il en veut honnorer tient a l'endroit de l'excellence a laquelle il vise, il le pourra faire aysement disant, par exemple: j'honnore telle chose d'adoration de latrie respective, comme relique, ou image, ou memorial, ou instrument de Jesus Christ.

  A002000956 

 Et n'y a celuy qui doive trouver estrange que ces menus honneurs imparfaitz et relatifz portent les noms des honneurs absolus et parfaitz de latrie, superdulie et dulie, car, comme pourroit-on mieux nommer les feuilles que du nom de l'arbre qui les produit et duquel elles dependent? Les choses que nous honnorons d'honneur relatif sont appartenances et dependances des excellences absolues; les honneurs que nous leur faisons sont aussi des appartenances et dependances des honneurs [334] absolus que nous portons aux excellences absolues.

  A002000956 

 Pourquoy appelle-on l'image de saint Claude, saint Claude, et le cors mort d'iceluy encores, sinon pour la relation et rapport que l'une et l'autre appartenance ont a ce Saint, vivant? De mesme peut-on appeller l'honneur deu au cors et image de ce Saint, du nom de l'honneur deu au Saint mesme, car autant de proportion que l'image ou le cors d'un saint homme a a la personne du saint propre, autant en a l'honneur deu au cors et a l'image d'un saint avec l'honneur qui est deu a la personne d'iceluy.

  A002000956 

 Si on me demande quel amour me fait caresser le laquais de mon frere, voire son chien, je ne sçaurois nier que ce ne soit l'amour fraternel, et que ces affections et beneficences ne soyent fraternelles; non que j'estime le laquais ni le chien, mon frere, mays parce qu'ilz appartiennent a mon frere; aussi, la propension ou inclination que j'ay a leur bien, n'est pas simplement fraternelle et de mesme estoffe que celle que j'ay a l'endroit de mon frere, mais elle y a son rapport et relation, dont elle peut estre ditte fraternelle relative.

  A002000957 

 Au demeurant, jamais il ne faut dire qu'on adore de l'adoration de latrie, simplement, autre que Dieu tout puissant.

  A002000957 

 J'ay dit, l'adoration de latrie simplement, d'autant que si on parle d'une latrie imparfaitte et relative, avec semblables moderations et extenuations, on la doit attribuer a la Croix et autres appartenances de Jesus Christ, autrement non, en façon que ce soit.

  A002000957 

 La rayson est parce que, selon la regle des logiciens, le mot qui signifie deux ou plusieurs choses, l'une principalement et directement, l'autre par similitude et proportion, estant mis a part seul et sans limitation il signifie tousjours la chose principalement signifiee: analogum per se sumptum stat pro famosiori significato.

  A002000957 

 Le docte Bellarmin le prouve suffisamment, quand il ne produiroit autre que le Concile septiesme general, qui determine clairement qu'il faut honnorer les images mais non pas de latrie, car ce qui se dit a ce propos des images appartient a toutes autres appartenances exterieures de Dieu; et certes, puysque l'honneur de latrie est le souverain, il n'est deu qu'a la souveraine excellence.

  A002000957 

 Que si j'ay tousjours dit qu'il ne falloit pas mesme dire simplement qu'on adoroit les creatures, sinon qu'on y employast des circonstances qui restreignissent la signification du mot adorer, d'autant qu'il panche plus a l'honneur de Dieu qu'a celuy des creatures, combien plus ay-je rayson de dire qu'il ne faut jamais mettre en usage le mot seul de latrie pour aucun autre honneur que pour celuy de Dieu seul, puysque ce mot de latrie a esté particulierement choisi et destiné a ceste seule signification, et ne peut meshuy avoir autre usage sinon par proportion et extension.

  A002000963 

 Il vaut mieux loger icy ce mot que de l'oublier, car il est necessaire.

  A002000964 

 Il est neanmoins imparfait et relatif, d'autant qu'il n'a pas Dieu pour son objet entant que Dieu se considere en soy mesme ou en sa propre nature, mais seulement entant qu'il est representé et reconneu en ses appartenances et dependances, par la relation et rapport qu'elles ont a sa divine Majesté.

  A002000964 

 La reverence que saint Jean portoit aux soliers de Nostre Seigneur, s'estimant indigne de les porter, estoit une sainte affection de latrie, mais de latrie relative, par laquelle il adoroit son Maistre, non en sa propre personne, mais en ceste basse et abjecte appartenance.

  A002000964 

 Or, l'honneur subalterne, quoy que absolu et propre, se rapporte a Dieu comme a son principe premier et fin [337] derniere, et non comme a son objet; mais l'honneur relatif se rapporte a Dieu comme a son objet et sujet, dont il est nommé honneur de latrie.

  A002000971 

 Tel fut l'honneur que l'antiquité rendoit a la Croix, souhaittant d'en avoir les petites pieces qui en furent esparses par tout le monde, au rapport de saint Chrysostome et saint Cyrille; pareil a celuy que saint Jean portoit aux soliers de Nostre Seigneur, qu'il s'estimoit indigne de manier, pareil a celuy qu'Helisee deferoit au manteau d'Helie, qu'il gardoit si cherement, et saint Athanase a celuy de saint Anthoine, et egal a celuy que tous les Chrestiens portent au tres saint Sepulchre de Nostre Seigneur, predit par le prophete Esaye en termes expres..

  A002000972 

 Car tout ainsy que la gloire de Nostre Seigneur, au jour de sa Transfiguration, espandit et communiqua ses rayons jusques sur ses vestemens qu'elle rendit blancz comme neige, de mesme, la latrie de laquelle nous adorons Jesus Christ crucifié est si vive et abondante, qu'elle rejallit et redonde a tout ce qui le touche et luy appartient: telle fut l'opinion de ceste pauvre dame qui se contentoit de toucher le bord de la robbe du Sauveur; ainsy baysons-nous la pourpre et robbe des grans.

  A002000972 

 On considere aussi la Croix, non ja comme elle est a ceste heure, separee de son Crucifix, en guise de relique, mays comme elle fut au tems de la Passion, lhors que le Sauveur estoit cloué en icelle, que ce pretieux arbre estoit chargé de son fruit, que ce therebinthe ou myrrhe distilloit de tous costés en gouttes du sang salutaire; et en ceste consideration nostre ame honnore la vraye Croix du mesme honneur qu'elle honnore le Crucifix, non tant (a parler proprement) relativement, comme plustost consequemment et par participation ou redondance.

  A002000972 

 Or cela n'est pas tant adorer que coadorer, par accident et consequent, la robbe ou la Croix.

  A002001022 

 Ce que David avoit crié:.

  A002001023 

 Que Dieu, par le bois qui le serre,.

  A002001046 

 Mais il faut joindre a ceci ce que j'ay dit au second Livre, chap. IX et X. [343].

  A002001046 

 Mays pourquoy la salue-on, pourquoy luy parle-on comme l'on feroit au Crucifix mesme? certes, c'est parce que les motz vont a la Croix mays l'intention est dressee au Crucifix; on parle du Crucifix sous le nom de la Croix.

  A002001046 

 Ne disons-nous pas ordinairement: il appella cinquante cuirasses, cinquante lances, cent mousquetz, cent chevaux? n'appellons-nous pas, l'Enseigne d'une compaignie, celuy qui porte l'enseigne? Si parlans des chevaux nous entendons les chevaliers, si par les mousquetz, [342] lances, cuirasses, nous entendons ceux qui portent les mousquetz, lances et cuirasses, pourquoy par la Croix n'entendrons-nous bien le Crucifix? Ne parlons-nous pas souvent du Roy de France et du Duc de Savoye sous les noms de Fleur de lis et Croix blanche, parce que ce sont les armes de ces souverains Princes? pourquoy ne parlerons-nous du Sauveur sous le nom de la Croix, qui est sa vraye enseigne? C'est donq en ce sens qu'on s'addresse a la Croix, qu'on la salue et invoque; comme aussi nous nous addressons au siege et y appelions, pour dire qu'on appelle a celuy qui sied au siege.

  A002001046 

 Qui ne voit qu'en toutes ces parolles on considere la Croix comme un arbre auquel est pendant le pretieux fruit de vie, Createur du monde, comme un throsne sur lequel est assis le Roy des roys? C'est de mesme quand l'Eglise chante ce que le petit traitteur nous reproche: « O Croix qui dois estre adoree, ô Croix qui dois estre regardee, aimable aux hommes, plus saincte que tous, qui seule as mérité de porter le talent du monde; doux bois, doux cloux portans doux faix... » C'est la version du traitteur, qui n'est pas, certes, trop exacte; le latin est plus beau: O Crux adoranda, o Crux speciosa, hominibus amabilis, sanctior universis, quæ sola digna fuisti portare talentum mundi; dulce lignum, dulces clavos, dulcia ferens pondera... Et ailleurs: Crux fidelis, inter omnes arbor una nobilis, nulla silva talem profert, fronde, flore, germine; dulce lignum, dulces clavos, dulce pondus, sustinet; qui est une piece de l'hymne composé par le bon pere Fortunatus, Evesque de Poitiers.

  A002001054 

 ou quand Raab mit une cordelle rouge pendue a sa [344] fenestre, pour marque de la sauvegarde que les Israëlites devoyent a sa mayson: car quelle convenance ou proportion y a-il entre les choses signifiees et telz signes, qui se puisse dire naturelle? Je ne dis pas que ces signes ayent esté institués sans rayson ni mistere, mays je dis que de leur nature ilz n'avoyent aucun rapport a ce qu'ilz signifioyent, et qu'il a esté besoin que, par l'institution humaine, ilz ayent esté assignés et contournés a cest usage; la ou les signes naturelz, sans l'entremise d'aucune institution, par la naturelle liaison et proportion qu'ilz ont avec leurs objetz, ilz les signifient et representent..

  A002001055 

 C'est son ordinaire usage, lequel n'excede point sa portee naturelle; et consideree en ceste sorte on l'honnore de l'honneur que j'ay si souvent remarqué, a sçavoir, d'une latrie imparfaitte et relative, telle que l'on porte au livre des Evangiles et autres choses sacrees, ainsy qu'il est determiné au Concile septiesme, Act.

  A002001056 

 Je maintiens donq que les Croix des Chrestiens n'ont autre naturelle signification que de la Passion de Jesus Christ, puysque les Chrestiens ne prisent autre image ou figure de croix, sinon celle en particulier qui est image de la Croix de leur Sauveur..

  A002001056 

 Mais comme je ne traitte ici que de la Croix de Jesus Christ, aussi n'entens-je parler d'autre figure de croix que de celle qui, particulierement et destinement, est employee a representer Jesus Christ crucifié.

  A002001056 

 Si qu'il n'y eschoit aucune distinction, d'autant que la figure de la Croix de Jesus Christ n'a autre naturelle proportion qu'a la crucifixion de Jesus Christ, puysque on l'a ainsy limitee et bornee; comme l'image de Cesar n'a autre rapport qu'a Cesar si on la considere ainsy particularisee, quoy que si on la considere comme image d'homme elle puisse avoir proportion a tout homme.

  A002001056 

 Voyla l'honneur deu a la Croix comme signe naturel de nostre Sauveur souffrant et patissant pour nous, [345] auquel, pour l'affranchir de tous reproches, il a esté expedient de faire entrevenir l'institution du peuple Chrestien; car puysque la figure de la croix, selon sa nature, n'a nomplus de proportion a la Croix du Sauveur qu'a celle des larrons qui furent crucifiés pres de luy, ou de tant et tant de milliers de crucifix qu'on a fait mourir ailleurs et a autres occasions, pourquoy prend-on ainsy indistinctement les croix pour remembrances et signes naturelz de la seule Passion du Sauveur, plustost que des autres? Certes, je l'ay des-ja dit, il a esté besoin que l'institution du peuple Chrestien ait eu lieu en cest endroit, pour retrancher et accourcir la signification et representation que la figure de la croix pouvoit avoir naturellement, a ce qu'elle ne fust en usage pour autre que pour representer et signifier la sainte crucifixion du Redempteur; ce qui a esté observé des le tems de Constantin le Grand.

  A002001057 

 Autres fois on honnore l'ambassadeur en guise du roy, de l'honneur propre au roy, et lhors, a proprement parler, c'est le roy qui est honnoré en son ambassadeur, et non pas l'ambassadeur mesme, parce que proprement l'ambassadeur n'est pas le roy, il tient seulement lieu pour le roy, et le represente par la fiction et supposition que les hommes en font.

  A002001057 

 Car, qui ne voit en ceste celebrité le triomphe deferé non a l'image, mays a Nostre Dame representee par l'image? et de plus, ceste image representer la Vierge, non d'une simple representation selon sa portee naturelle, mays d'une representation instituee [347] par la fiction et estimation arbitraire des hommes? Ainsy voit-on ordinairement les effigies et images deshonnorees pour les malfaiteurs qu'on ne peut attrapper: on pend et brusle leurs representations en leur place, comme si c'estoit eux, et lhors le deshonneur ne se fait pas a l'image proprement, mays au malfaiteur au lieu duquel elle est supposee; aussi ne dit-on pas, on a pendu l'image de tel ou tel malfaiteur, mays plustost, on a pendu tel et tel en effigie, d'autant que telles executions ne se font sur les images sinon entant qu'en icelles on tient, par la fiction du droit, les malfaiteurs estre chastiés, desfaitz et punis..

  A002001057 

 On ne sçauroit dire que telz honneurs soyent proprement portés aux statues, ains aux princes representés par les statues, non d'une representation naturelle, mays d'une representation arbitraire, feinte, et imaginee par l'institution des hommes.

  A002001057 

 Par exemple: l'ambassadeur du roy est aucunes fois honnoré comme ambassadeur, et lhors il est luy mesme honnoré a proprement parler; car aussi, a proprement parler, il est ambassadeur, qui est la qualité pour laquelle on l'honnore, bien que ce soit en contemplation d'autruy, a sçavoir, du roy.

  A002001058 

 Et c'est ainsy, pour revenir au point, que l'image de la Croix, outre la naturelle qualité qu'elle a de representer Jesus Christ crucifié, qui la rend honnorable d'un honneur de latrie imparfaitte, outre cela, dis-je, elle peut estre destinee et mise en œuvre par le choix et fiction des hommes a tenir le lieu et la place du Crucifix, ou plustost de la vraye Croix entant que jointe au Crucifix: et consideree en ceste sorte, l'honneur et reverence qu'on luy fait ne vise proprement qu'au Crucifix, ou a la Croix jointe au Sauveur, et non a l'image de la Croix, qui n'a autre usage, en ce cas, que de prester son exterieure presence pour recevoir les actions exterieures deuës au Crucifix, au lieu et place d'iceluy qu'elle represente et signifie, et cela sert a l'exterieure protestation de l'adoration que nous faisons au Crucifix..

  A002001059 

 Ce fut a ceste consideration que le glorieux Prince des Apostres, saint Pierre, estant cloué sur la croix, disoit au peuple: « Cestuy-ci est le bois de vie, auquel le Seigneur Jesus estant relevé tira toutes choses a soy, cestuy-ci est l'arbre de vie auquel fut crucifié le cors du Seigneur Sauveur »; ainsy qu'Abdias Babylonien [348] recite (si le tiltre du livre ne ment) au Livre premier du Combat Apostolique.

  A002001059 

 D'ou vient cela, sinon qu'ilz consideroyent ces croix-la en guise et au lieu de la vraye Croix? Et c'est ainsy que l'Eglise ordonne que le jour du Vendredi Saint le peuple, prosterné a genoux, vienne bayser l'image de la Croix; car ce n'est pas a l'image que l'on monstre que cest honneur se fait, sinon entant qu'elle represente Jesus Christ crucifié tel qu'il estoit au jour de sa Passion, duquel elle tient la place pour recevoir ceste action exterieure simplement, sans que l'intention s'arreste aucunement a la figure presente.

  A002001059 

 Et de fait, comme on attribue tous les honneurs des jours de la Nativité, Passion et Resurrection de Nostre Seigneur aux jours qui les representent [349] et tiennent leur place, selon l'institution des anniversaires et commemorations qu'on en fait, aussi fait-on pareilz honneurs a l'image de la Croix, quant a l'exterieur, qu'au Crucifix, mais ce n'est que pour commemoration, et en vertu de la supposition que l'on fait que l'image represente le Crucifix et soit en son lieu a la reception de ces ceremonies exterieures.

  A002001059 

 Or, comme que ce soit, quand on honnore ou la Croix en guise du Crucifix, ou autre chose quelle que ce soit au lieu de ce qu'elle represente, on les honnore aussi improprement qu'elles sont improprement ce qu'elles representent.

  A002001059 

 Qui ne void que les croix ni de l'un ni de l'autre des freres n'estoyent pas la vraye Croix du Sauveur? et neanmoins ilz s'addressent a icelles ne plus ne moins comme si c'eust esté la mesme Croix de salut.

  A002001059 

 » Or on ne regarde point si l'image proposee est de bronze, ou d'argent, ou d'autre matiere, qui monstre asses que lhors qu'on l'appelle bois, c'est entant qu'on la presente au lieu et en guise de la vraye Croix.

  A002001060 

 On peut dire que la Croix est encor adoree, selon quelque exterieure apparence, quand on prie Dieu devant la Croix sans autre intention que de monstrer qu'on prie en vertu de la mort et Passion du Sauveur; mais on peut beaucoup mieux dire que cela n'est adorer la Croix ni peu ni prou, puysque ni l'action exterieure ni l'interieure n'est dressee a la Croix; ne plus ne moins que lhors que nous adorons du costé d'Orient, selon l'ancienne tradition, nous n'adorons en aucune façon l'Orient, mais monstrons seulement que nous adorons Dieu tout puissant, qui s'est levé a nous d'en haut pour esclairer tout homme venant en ce monde..

  A002001061 

 Au demeurant, les pieces du vray bois de la Croix, telles que nous les avons aujourd'huy, estans mises en forme de croix (comme est la sainte Croix d'Aix en Savoye), outre les sortes d'honneur qu'elles meritent par maniere de reliques, peuvent avoir tous les usages de l'image de la Croix.

  A002001067 

 Il ne sera donq que bon de le bien considerer touchant la prohibition qu'il contient, de ne faire similitude quelconque, qui est ce qui touche a nostre propos.

  A002001067 

 Les schismatiques et autres adversaires de l'Eglise font profession de puiser en ce commandement toutes les injures execrables qu'ilz vomissent contre les Catholiques, comme quand ilz les appellent idolatres, superstitieux, punais, forcenés, insensibles, ainsy que fait le petit traitteur en plusieurs endroitz.

  A002001068 

 Les images des Cherubins, lions, vaches, pommes-graines, palmes, Serpent d'airain, sont approuvees en l'Escriture; les enfans de Ruben, Gad et Manassé firent la semblance de l'autel de Dieu, et leur œuvre est approuvee; les Juifz monstrent a Jesus Christ l'image de Cesar, et il ne la rejette point; l'Eglise a eu de tous tems l'image de la Croix, ainsy que j'ay monstré au second Livre; par nature, on fait la similitude de soy mesme aux yeux des regardans, en l'air, en l'eau, au verre, et la peinture est un don de Dieu et de nature.

  A002001069 

 Ceste opinion est plus notoirement contraire a l'Escriture que la precedente: car les Juifz et Mahometains ont au moins pretexte es motz du commandement, qui portent tout net qu'on ne face aucune similitude; mais ceux de ceste autre ligue ne sçauroyent produire un seul brin de l'Escriture qui porte qu'il soit moins loysible d'avoir des images es eglises qu'ailleurs.

  A002001069 

 Les Juifz ont au moins quelque escorce de l'Escriture a leur advantage en ce point, mais ceux ci, qui ne font que crier l'Escriture, n'en ont ni suc ni escorce, et neanmoins, qui ne les croira a leur parole ilz le proclameront [353] idolatre et antechrist.

  A002001069 

 Mais ou fut-ce, je vous prie, que les images des Cherubins, vaches, lions, grenades et palmes estoyent anciennement, sinon au Temple? et quant aux Cherubins, au lieu le plus sacré.

  A002001069 

 Que si les eglises sont maysons du Roy des roys, les ornemens y sont fort convenables; le temple est image du Paradis, pourquoy n'y logera-on les portraitz de ce qui est en Paradis? quelles plus saintes tapisseries y peut-on attacher? Et outre tout cela, ceste interpratation, tant prisee par les novateurs, ne joint aucunement a l'intention de la loy qui veut rejetter toute idolatrie; car, ne peut-on pas avoir des idoles et idolatrer hors les temples aussi bien que dans iceux? Certes, l'idole de Laban ne laissoit pas d'estre idole, encor qu'elle ne fust en l'eglise ou Temple, ni le veau d'or aussi.

  A002001070 

 Et ceux ci ont dit la verité quant a ce point, que les images de Dieu, a proprement parler, sont defendues; mais ilz ont mal entendu le commandement, estimans qu'autres similitudes n'y soyent defendues sinon celles de Dieu..

  A002001070 

 III. Autres ont dit que par ceste defense les autres ressemblances ne sont rejettees, sinon celles qui sont faittes pour representer immediatement et formellement Dieu selon l'essence et nature divine.

  A002001071 

 Bien que je serois d'advis, apres le docte Bellarmin, qu'on ne multipliast pas beaucoup de telles images des choses invisibles, et qu'il ne fust loysible d'en faire sans le jugement de quelque discret theologien..

  A002001071 

 On ne rejette pas nomplus les images ou figures mistiques, comme d'un aigneau pour representer le Sauveur, ou de colombes pour signifier les Apostres, car ce ne sont pas images des choses qu'elles signifient, nomplus que les motz, ou les lettres, des choses qu'elles denotent; elles representent seulement, aux sens exterieurs, des choses lesquelles, par voye de discours, remettent en memoire les choses mistiquement signifiees par quelque secrette convenance.

  A002001072 

 Mays au bout de la, je dis que le commandement de Dieu a beaucoup plus d'estendue que ne porte ceste consideration; car, si ce commandement ne defend que les images de la Divinité, a quoy faire sera-il particularisé de ne faire similitude quelconque des choses qui [355] sont au ciel, en terre et es eaux? Item, qui adoreroit l'idole d'une chose creée, ne seroit-il pas idolatre, contre ce commandement? Donques, ceste interpretation n'est pas legitime ni sortable a la loy..

  A002001073 

 IV. Voici donques en fin la droitte et chrestienne intelligence de ce commandement, deduitte par ordre le plus briefvement et clairement que je sçauray:.

  A002001074 

 Les premieres actions peuvent estre sans les secondes, et semblablement les secondes sans les premieres; car celuy qui est affectionné aux idoles, quoy qu'il n'en face aucune demonstration, il est idolatre, et celuy qui volontairement adore ou honnore les idoles exterieurement, quoy qu'il ne leur aye aucune affection, il est idolatre exterieurement, et tant l'un que l'autre offense l'honneur deu a Dieu.

  A002001074 

 Que s'il est ainsy, comme je n'en doute point, ceste prohibition de ne faire aucune similitude se doit entendre non absolument et simplement, mais selon la fin et intention du commandement, comme s'il estoit dit: Tu n'auras point d'autres dieux que moy; tu ne te feras aucune idole, ni aucune similitude, a sçavoir, pour l'avoir en qualité de Dieu, ni les adoreras point ni serviras en ceste qualité-la; en maniere que tout ce qui est porté en ce commandement soit entierement rapporté a ce seul point, de n'avoir autre Dieu que le vray Dieu, de ne donner a chose quelconque l'honneur deu a sa divine Majesté, et en somme de n'estre point idolatre.

  A002001075 

 Car, si ce n'est qu'un seul commandement qui defende de ne faire semblance quelconque et de ne les adorer, il faut que l'une ou l'autre des deux parties qu'il contient soit la principale et fondamentale, et que l'autre se rapporte a elle, comme a son but et projet: que si l'une ne se rapportoit a l'autre et n'en dependoit, ce seroyent deux commandemens et non un seul.

  A002001075 

 Mais si quelqu'un veut debattre que la prohibition de n'avoir autre que le seul vray Dieu soit un commandement separé de l'autre defense, Tu ne te feras aucune idole ou semblance quelconque, pour ne m'amuser a le convaincre par vives raysons que je pourrois produire a ce propos, je me contenteray qu'il m'accorde, que la prohibition de ne faire aucune similitude et de les adorer n'est qu'un mesme et seul commandement (ce que, certes, on ne peut nier en aucune façon, sinon que, contre la pure et expresse Escriture, on veuille faire plus de dix commandemens en la Loy, et qu'on veuille lever a ces loys le nom de Decalogue).

  A002001075 

 Or, je vous prie, quelle jugera-on estre la principale partie de ce second commandement (je parle ainsy pour eviter debat), ou ceste-ci: Tu ne te feras aucune idole taillee, ni similitude quelconque, ou celle-ci: Tu ne les adoreras ni serviras? Pour vray, on ne peut dire que la prohibition de ne faire aucune similitude soit le projet et but de tout le commandement, car a ce conte-la il ne faudroit avoir ni faire image quelconque, qui est une rage trop expresse.

  A002001076 

 Voyla le vray suc de ce commandement, ce qui se peut connoistre evidemment par les grans advantages que ceste interpretation tient sur toutes les autres, car:.

  A002001077 

 Et en l'Exode, Dieu inculquant son premier commandement, Vous ne vous feres point des dieux d'argent ni d'or, dit-il, monstrant asses que s'il a defendu de ne faire aucune similitude, ce n'est sinon a fin qu'on ne les face pour idolatrer..

  A002001077 

 Or, ce qui est dit ici par reduplication de negative, Tu ne feras aucune idole, ni semblance quelconque, tu ne les adoreras ni serviras, est mis au Levitique purement et simplement, ainsy que nous le declairons, en ceste sorte: Vous ne vous feres aucune idole et statue, ni dresseres des tiltres, ni mettres aucune pierre insigne en vostre terre pour l'adorer.

  A002001078 

 Ceste interpretation joint tres bien a toutes les autres pieces non seulement du premier commandement, mays de toute la premiere Table, lesquelles ne visent qu'a l'establissement du vray honneur de Dieu; car elle leve toute occasion a l'idolatrie et a toute superstition qui peut offenser la jalousie de Dieu, sans neanmoins lever le droit usage des images, ni imposer a Dieu une jalousie desreglee et excessive, selon ce que j'ay dit en l'Avant-Propos..

  A002001080 

 L'idolatrie [intérieure] ne consiste pas a se representer en l'ame les creatures par les especes et images intelligibles, mais seulement a se les representer comme divinités; tout de mesme, l'idolatrie exterieure ne consiste pas a se representer les creatures par les ressemblances et images sensibles, mais seulement a se les representer comme divinités: si que, comme le commandement, Tu n'auras autres dieux devant moy, ne defend point de se representer interieurement les creatures, aussi la prohibition, Tu ne te feras similitude quelconque, ne defend pas de se representer exterieurement les creatures, mais de les representer pour Dieu en les adorant et servant; c'est cela seul qui est defendu, tant pour l'interieur que pour l'exterieur..

  A002001082 

 Car la Croix, prinse en la façon que la prennent les Catholiques, ne peut estre ni idole ni sujet d'idolatrie, tant s'en faut qu'elle le soit, idole n'estant autre que la representation d'une chose qui n'est point de la condition qu'on la represente, et une image fause, comme dit le prophete Habacuch, et l'apostre saint Paul: or, la Croix represente une chose tres veritable, c'est a sçavoir, la mort et Passion du Sauveur; et ne la fait-on pas pour l'adorer et servir, mais pour adorer et servir en icelle et par icelle le Crucifix, suivant le vray mot de saint Athanase: Qui adorat imaginem, in illa adorat ipsum Regem.

  A002001082 

 De mesme, que l'on honnore la Croix en tout et par tout, puysqu'on ne l'honnore que pour tant plus honnorer Dieu; que toute la veneration qu'on luy porte est relative et dependante, ou accessoire, a l'endroit de la supreme adoration deuë a sa divine Majesté; que ce n'est qu'une branche de ce grand arbre: cela n'est en façon quelconque defendu, puysque ceste semblance et figure n'est pas employee a l'action pour laquelle les similitudes sont prohibees, qui est l'idolatrie.

  A002001082 

 Que l'on ayt, donques, des images de la Croix aux champs, es villes, sur les eglises, dans les eglises, sur les autelz; tout cela n'est que bon et saint, car estant fait et institué et prattiqué pour la conservation de la memoire que nous devons avoir des benefices de Dieu, et pour honnorer tant plus sa divine bonté, ainsy que j'ay monstré tout au long de ces Livres, il ne sçauroit [359] estre defendu en la premiere Table, qui ne vise qu'a l'establissement du vray service de Dieu et abolissement de l'idolatrie.

  A002001082 

 Si que, non seulement le vray usage des sacrees et saintes images n'est aucunement defendu, mais est commandé et comprins par tout ou il est commandé d'adorer Dieu et d'honnorer ses Saintz, puysque c'est une legitime façon d'honnorer une personne, d'avoir fait son image et portrait pour le priser selon la mesure et proportion de la valeur du principal sujet.

  A002001085 

 Entre tous les novateurs et reformeurs, il n'en a point esté, a mon advis, de si aspre, hargneux et implacable que Jean Calvin.

  A002001085 

 Il n'y en a point qui ayt contredit a la sainte Eglise avec tant de vehemence et chagrin que celuy-la, ni qui en ayt recherché plus curieusement les occasions, et sur tout touchant le point des images.

  A002001085 

 Or, a fin que tout soit mieux poisé, je mettray et son dire et le sujet de son dire au long..

  A002001086 

 A quoy les deux tribus et demy firent response qu'ilz craignoyent qu'a l'advenir la posterité des autres tribus ne voulust forclorre leurs enfans de l'acces du vray autel qui estoit en Canaan, sous pretexte de la separation que le Jordain faisoit entre l'habitation des uns et des autres, d'autant que l'une estoit deça et l'autre dela laditte riviere.

  A002001086 

 Calvin traduit ainsy, et sur l'excuse des deux tribus et demy fait ce commentaire: « Neanmoins si semble-il qu'il y a eu encor quelque faute en eux, a cause que la Loy defend de dresser des statues de quelque façon qu'elles soyent: mays l'excuse est facile, que la Loy ne condamne nulles images sinon celles qui servent de representer Dieu; ce pendant, de lever un monceau de pierres en signe de trophee, ou pour tesmoignage d'un miracle qui aura esté fait, ou pour reduire en memoire quelque [362].

  A002001086 

 Et pourtant nous avons dit, ce furent leurs paroles, que s'ilz veulent nous dire ainsy, ou a nostre posterité, alhors nous leur dirons: voyes la similitude de l'autel de l'Eternel, que nos peres avoyent fait, non point pour l'holocauste ni pour le sacrifice, ains a ce qu'il soit tesmoin entre vous et nous.

  A002001086 

 Les Israëlites qui estoyent demeurés en Canaan eurent nouvelles de l'edification de cest autel, et douterent que les Rubenites, Gadites et ceux de la my-tribu de Manassé ne voulussent faire schisme et division en la religion, d'avec le reste du peuple de Dieu, au moyen de cest autel.

  A002001086 

 Les enfans d'Israël estoyent des-ja saisis de la terre de promission, les lotz et portions avoyent esté assignés a une chacune des tribus, si que le grand Josué estima de devoir congedier les Rubenites, Gadites, et la moitié des Manasseens, lesquelz, ayans des-ja prins et receu le lot de leur partage au dela du Jordain, avoyent neanmoins assisté en tout et par tout au reste des enfans d'Israël, pour les rendre paisibles possesseurs de la part du païs que Dieu leur avoit promis, comme se rendans evictionnaires les uns pour les autres.

  A002001094 

 Donques, les deux tribus et demy, d'une part, furent recherchees comme suspectes de schisme, a cause de la remembrance de l'autel qu'elles avoyent erigee, et nous, de l'autre costé, sommes chargés d'idolatrie et accusés de superstitions pour les images de l'autel de la Croix, que nous dressons et eslevons par tout.

  A002001095 

 les dix estoyent en possession du vray tabernacle et autel, les deux et demy n'en avoyent que la communication; 3.

  A002001096 

 Ce sont des pointz qui rendent suspecte, ains convaincue d'attentat, toute la procedure des censures que les reformeurs font contre nous qui sommes Catholiques, auxquelz ilz sont inferieurs en tant et tant de façons, et si notoirement..

  A002001096 

 Les Catholiques ont en eux et a leur faveur la chaire de saint Pierre, la dignité sacerdotale, l'authorité pastorale, la succession Apostolique; leurs accusateurs sont nouveaux venuz, sans autre chaire que celles qu'ilz se sont faittes eux mesmes, sans aucune dignité sacerdotale, sans authorité pastorale, sans aucun droit de succession, ambassadeurs sans estre envoyés, delegués sans delegation, messagers sans mission, enfans sans pere, executeurs sans commission.

  A002001096 

 Les Catholiques sont en une ferme et indubitable possession du tiltre de vraye Eglise, tabernacle de Dieu avec les hommes, autel sur lequel seul l'odeur de suavité est aggreable a Dieu; les novateurs qui ne font que naistre de la terre, comme potirons, n'en ont qu'une vaine et fade usurpation.

  A002001096 

 Les Catholiques, qui sont les accusés, sont le tige et cors de l'Eglise; les novateurs ne sont que branches taillees et membres retranchés, 2.

  A002001096 

 Mais si nous considerons nostre condition, de nous qui sommes Catholiques, et celle des novateurs qui nous accusent si asprement, nous verrons que tout y va a contrepoids, 1.

  A002001097 

 II. Il y a encor une autre difference, entre le sujet de l'accusation faitte contre les deux tribus et demy par le reste d'Israël, et de celle que les novateurs font contre nous, laquelle est bien remarquable.

  A002001097 

 L'erection des remembrances et similitudes servit d'occasion a l'une et a l'autre accusation: a l'une, l'erection de la similitude de l'autel de la Loy, a l'autre, l'eslevation de la remembrance de l'autel de la Croix; mays il y a cela a dire entre l'une et l'autre erection, que l'erection de la similitude de l'autel de la Loy estoit une œuvre notoirement nouvelle, qui, partant, meritoit bien d'estre consideree comme elle fut avec un peu de soupçon, et que l'approbation d'icelle fust precedee d'un bon examen; mays l'erection de la similitude de l'autel de la [365] Croix, prattiquee de tous tems en l'Eglise, portoit par son antiquité une ample exemption de toute censure et accusation..

  A002001098 

 III. De plus, il y eut encor une grande difference en la maniere de proceder a l'accusation; les dix tribus, quoy que superieures aux deux et demy, ne se ruent pas de premiere volee a la guerre, mais: 1.

  A002001098 

 ne demandans pas absolument que l'autel dont il estoit question fust rasé et renversé, mais simplement que les deux tribus et demy, en edifiant un autre autel, ne facent aucun schisme ou division en la religion; 4. et n'alleguent point d'autre autheur de leur correction que l'Eglise: Voici que dit toute la congregation de l'Eternel.

  A002001099 

 Tout au contraire, les reformeurs qui sont nos accusateurs, quoy que notoirement inferieurs, 1.

  A002001099 

 se sont de plein saut jettés aux foudres, tempestes et gresles de calomnies, injures, reproches, diffamations, et ont armé leurs langues et leurs plumes de tous les plus poignans traitz qu'ilz ont sçeu rencontrer entre les despouïlles de tous les anciens ennemis de l'Eglise, et tout aussi tost les ont dardés avec telle furie, que nous serions des-ja perduz, si la verité divine ne nous eust tenuz a couvert sous son impenetrable escu (je laisse a part la guerre temporelle suscitee par ces evangelistes empistolés par tout ou ilz ont eu acces); 2. et a leur pretendue reformation n'ont employé que la prophane audace des brebis contre leurs pasteurs, des sujetz contre leurs superieurs, et le mespris de l'authorité du Grand Prestre evangelique, lieutenant de Jesus Christ; 3.

  A002001101 

 Les dix tribus n'avoyent autre projet que d'empescher le schisme et division, ce fut la charité qui les poussa a cest office de correction.

  A002001101 

 Qui pourra asses louer le zele qu'ilz font paroistre en l'offre qu'ilz font a ceux qu'ilz veulent corriger? Que si la terre de vostre possession est immonde, passes en la terre de la possession de l'Eternel, en laquelle le tabernacle de l'Eternel a sa demeurance, et ayes vos possessions entre nous, et ne vous rebelles point etc.

  A002001102 

 Au contraire, toutes les poursuites des reformeurs contre nous ne respirent que sedition, haine et division; leurs offres ne sont que de leur quitter le gouvernement de l'Eglise, les laisser regenter et maistriser, passer sous le bon playsir de leurs constitutions.

  A002001102 

 Et quant au point particulier dont il est question, ilz ont fait voir clairement qu'ilz n'ont esté portés d'autre affection au brisement et destruction des Croix de pierre et de bois, que pour ravir et envoler celles d'or et d'argent, renversans l'ancienne discipline Chrestienne qui ne donne prix a la Croix que pour la figure, puysqu'ilz ne la prisent que pour la matiere..

  A002001103 

 V. Mays en fin que s'est-il ensuivi de tant de diversités? Certes, ce qu'on en devoit attendre: de differentes causes, differens effectz.

  A002001104 

 Au rebours, l'Eglise Catholique, avec tant de signalés advantages et de si claires marques de son authorité et sainteté, ne peut trouver aucune excuse si sacree, ni faire aucune si solemnelle justification de son dessein en l'erection et honneur des Croix, que ses accusateurs ne taschent de contourner a impieté et idolatrie, tant ilz sont accusateurs naturelz des freres.

  A002001104 

 Nous gravons sur le fer et le cuivre, et protestons devant le ciel et la terre, que.

  A002001107 

 Que le Catholique adore,.

  A002001111 

 Que ferons-nous donq avec eux? cesserons-nous de nous employer a leur salut, puysqu'ilz n'en veulent pas seulement voir la marque? Mais comme pourrions-nous desesperer du salut d'aucun, emmi la consideration de la vertu et honneur de la Croix? arbre seul de toute nostre esperance, duquel l'honneur plus reconneu et certain gist en la vertu qu'il a de guerir non seulement les playes incurables et mortelles, mais aussi de guerir la mort mesme, et la rendre plus pretieuse et saine sous son ombre que la vie ne fut onques ailleurs..

  A002001111 

 que nous ne faisons l'image de la Croix pour representer la Divinité, mais en signe de trophee pour la [368] victoire obtenue par nostre Roy, pour tesmoignage du grand miracle par lequel la vie s'estant rendue mortelle, elle rendit la mort vivifiante, et pour reduire en memoire l'incomprehensible benefice de nostre Redemption.

  A002001119 

 C'est ce que j'ay desiré faire en cest escrit pour les simples qui en ont plus de besoin, aussi leur cœur plus tendre et humide pourra peut estre bien recevoir l'impression du signe de la Croix d'une si foible main comme est la mienne, la ou les cœurs de pierre et de bronze de ceux qui pensent estre quelque chose ne presteroyent jamais sinon au ciseau et burin de quelque plus ferme ouvrier.

  A002001119 

 Que si [370] Dieu favorise mon projet de quelque desirable effect, si en ce combat que j'ay fait pour son honneur contre ce traitteur inconneu, il luy plaist me mettre en main quelques despouïlles, c'est a luy seul que l'honneur en est deu, c'est en la Croix, comme en un temple sacré, ou elles doivent estre pendues en trophees.

  A002001119 

 Que si mon insuffisance et lascheté me prive de tout autre gain, au moins auray-je ce bon heur d'avoir combattu pour le plus digne Estendart qui fut, est, et sera, et qui est le plus envié du monde..

  A002001120 

 Des lhors, par une suite perpetuelle, les Talmudistes, Samaritains, Mahometains, Wiclefistes, et semblables pestes du monde, ont continué ceste contradiction a l'endroit du saint Estendart, quoy que sous divers pretextes.

  A002001120 

 Et comme l'Eglise, nomplus que l'Apostre, n'a jamais estimé de sçavoir ni prescher autre que Jesus Christ, et iceluy crucifié, aussi n'a-elle jamais honnoré sinon Jesus Christ, et iceluy crucifié; non Jesus Christ sans croix, mays [371] Jesus Christ avec sa Croix et en Croix.

  A002001120 

 L'enseigne de la Croix ne fut pas plus tost desployee, qu'elle fut exposee a la contradiction des Juifz, heretiques et perfides, desquelz parlant saint Paul: Plusieurs, disoit-il, cheminent, desquelz je vous parlois bien souvent, et maintenant je le dis en plorant, ennemis de la Croix de Jesus Christ. C'estoyent des reformeurs qui estimoyent indigne de la personne du Filz de Dieu qu'il eust esté crucifié, ainsy que le grand cardinal Baronius deduit doctement et au long en ses Annales.

  A002001120 

 Nous adorons ce que nous sçavons, or nous sçavons Jesus Christ en Croix et la Croix en Jesus Christ; c'est pourquoy je fais fin par cest abregé et de la doctrine Chrestienne et de tout ce que j'ay deduit jusques a present, protestant avec le glorieux predicateur de la Croix, saint Paul (mais faites, mon Dieu, que ce soit plus de cœur et d'actions que d'escrit et de bouche, et qu'ainsy je face la fin de mes jours): Ja n'advienne que je me glorifie, sinon en la Croix de Nostre Seigneur Jesus Christ.

  A002001120 

 Quand cest homme de peché et roy de l'abomination sera venu, ce sera lhors que le drapeau de la Croix sera le plus attaque; mays face l'enfer tous ses effortz, tous-jours cest Estendart paroistra haut eslevé en l'armee Catholique.

  A002001137 

 Car une partie d'entr'eux, mal gré bon gré le propre tesmoignage que nous avons de nostre conscience, nous veut persuader que nous tenons les Croix pour des divinités et les adorons de lhonneur deu a Dieu tout puyssant.

  A002001137 

 Encor quil sache que les placquars quil veut combattre, ne demandent autr'honneur pour la Croix que a cause de la representation quelle fait de Nostre Seigneur, et par consequent un honneur respectif et qui se rapporte ailleurs, si ne laisse-il pas de dire, pag 5 et 6, que ces placquars contiennent choses idolatriques, que nos precheurs prechent l'idolatrie..

  A002001137 

 L'autre partie, reconnoissant fort bien que nous ne recognoissons qu'un seul Dieu et que lhonneur que nous portons a la Croix est tout autre que celuy qui est deu a Dieu, ne laissent pour cela de crier que nous sommes idolatres.

  A002001138 

 En la pag. 27 et 28, il establit deux idolatries: « Quand l'idolatrie paienne a commencé a decliner de jour a autre, au prix que croissoit la lumiere de la doctrine Chrestienne, le Diable a dressé un'idolatrie autant ou plus dangereuse au milieu de la Chrestienté, tellement que les noms des anciennes idoles ont esté changés, mais les choses sont demeurees.

  A002001138 

 Mais il n'est pas possible de penser qu'il y ayt un'idolatrie chrestienne, nomplus que des tenebres lumineuses ou des froides chaleurs.

  A002001138 

 Or bien, ce sont des philosophies dignes de telz novateurs, ou il semble ouvertement dire que la Croix nous est autant idole que Venus et Juppiter aux payens.

  A002001138 

 » Ainsy sembl'il que cest honneste homme, Dieu me le pardonne, veut dire qu'il y a deux idolatries, l'une payenne et l'autre chrestienne.

  A002001139 

 » Par ou il semble vouloir dire, qu'encor que nous adorions Jesuschrist et le reconnoissions pour seul Dieu avec le Pere et le S t Esprit, nous ne laissons pas d'estr'idolatres disans: Seigneur nous adorons ta Croix, qui sont, dit-il, paroles blasphematoires..

  A002001140 

 Mais il poursuit: « Vray est que les questionnaires ne se sont pas teuz la dessus, car on a demandé de quelle sorte d'honneur elle devoit estr'adoree.

  A002001140 

 Quelques uns ont dit que la vraye Croix, qui avoit touché au cors de Jesuschrist, devoit estr'adoree de latrie ou pour le moins d'hiperdulie, mais que les autres croix devoyent estre servies de lhonneur de dulie; cest a dire, que la vraye Croix devoit estre reveree de lhonneur deu a Christ, et les autres croix devoyent estr'honnorees de lhonneur que les serviteurs doivent a leurs maistres: et c'est la belle resolution du present second placquart.

  A002001141 

 Or je layss'a part que c'est un mensong'expres que la belle resolution du placquart soit telle que dit ce contrediseur; car il ne parle ni peu ni prou de latrie, dulie ou hiperdulie, ni ne se sert point de la distinction de la vraye Croix d'avec l'image ou signe d'icelle.

  A002001141 

 » Aussi n'estoit ce pas le dessein de l'autheur des placquars sinon de rendre conte, par l'escrit quon distribua a Annemasse, de la devote erection de la Croix que nostre Confrerie y fit, laquelle n'estoit pas une piece de la vraye Croix, mais seulement un'image d'icelle..

  A002001142 

 Or, bien que d'avoir descouvert le mensonge c'est asses l'avoir refuté, si est ce neanmoins, que par ce que ce traitteur produit ceste doctrine comm'absurde, je veux ici, autant que la briefveté que j'ay entreprins de suivre me le permet, proposer au vray la resolution Catholique touchant lhonneur de la Croix..

  A002001143 

 23, et David commande que l'on adore l'escabeau des piedz de Dieu par ce quil est saint, c'est a dire, l'Arche de l'alliance.

  A002001143 

 Il faut donq sçavoir, premierement, que le mot d'adorer, en la saint'Escriture, ne veut dir'autre chose que faire reverence et veneration, comme de fait c'est sa vraye signification; si que il ne signifie pas seulement la reverence ou hommage fait a Dieu, mais aussi lhonneur et veneration fait aux hommes, aux Anges et autres choses crees et saintes.

  A002001143 

 Par ou lon void que le mot d'adorer s'employe pour toute sorte de reverence qui se fait a Dieu, aux Anges, aux hommes saintz, aux hommes non saintz, et aux creatures inanimees; mais ce seul lieu de Paralipom.

  A002001144 

 C'est pourquoy, adorer, simplement pris et absolument, signifie en l'Escriture adorer Dieu, Jo. 4; et par mesme rayson les Anciens ont quelquefois fait difficulté de l'appliquer a lhonneur des creatures, quoy quilz sceussent que cela se pouvoit faire.

  A002001144 

 Dequoy la rayson est par ce que l'adoration n'appartient pas egalement a Dieu et aux creatures, il y a a dire de l'infinité: l'adoration donques deüe a Dieu est si excellente en comparaison de celle que l'on fait aux creatures, que, ni ayant presque point de proportion, l'adoration des creatures n'est presque pas adoration au pris de celle que l'on fait a Dieu.

  A002001144 

 Et tout de mesme, l'Eglise sainte et ses Docteurs applique ce mot d'adorer pour lhonneur de Dieu et des creatures, selon ce que S t Augustin tesmoigne tout ouvertement, que nous autres Latins n'avons point de mot particulier pour signifier le service deu a Dieu seul, mais avons emprunté le mot de latrie des Grecz, l. 10.

  A002001144 

 de Civit. c. 1, et epist. 59, ad Deogratias; et neanmoins a qui considerera de pres la maniere de parler de l'Escriture et des Anciens, il verra que le mot d'adorer panche un peu plus a la signification de lhonneur deu a Dieu seul, que non pas aux autres.

  A002001148 

 in Gen., que il n'est pas dit: Tu adoreras le seul Seigneur ton Dieu, mays ouÿ bien: Tu serviras au seul Seigneur ton Dieu, ou au grec le mot de latrie est employé, qui signifie un service deu a Dieu seul.

  A002001149 

 Et c'est a ceste consideration que bien souvent les Anciens ont employé d'autres motz plus generaux pour signifier la reverence dette aux Saintz et autres creatures, ou s'il ny ont pas employé d'autres motz ilz ont limité le mot d'adoration par quelque addition.

  A002001149 

 Et de vray, puysque le mot d'adorer ne signifie autre que l'action par laquelle une personne honnore un'autre en reconnoissance de quelqu'advantageuse excellence qu'ell'y pens'estre, l'adoration joint beaucoup mieux a lhonneur deu a Dieu qu'a celuy que l'on rend aux creatures; car quand elle s'adress'a Dien, elle prend toute l'estendue et desploye toute sa force sans estre contrainte ni limitee a certain ply ou mesure, comme ell'est quand on l'adress'aux creatures.

  A002001149 

 On voit donq ce que je viens de dire, que les anciens Peres rapportent le mot d'adorer a lhonneur deu aux creatures, et que neanmoins ilz ont estimé quil estoit un peu plus duysant et sortable a signifier particulierement lhonneur deu a Dieu tout puyssant.

  A002001149 

 Si que entre toutes les sortes d'honneur, l'adoration est la plus excellente, et entre toutes les adorations celle-la qui se fait a Dieu est incomparablement la plus digne (dont Anast., Episc. Theopoleos, act. 4 a 7 æ sinodi, dit qu'ell'est, Emphasis seu excellentia honoris ), ains si digne qu'au prix des autres elle seule s'apell'adoration.

  A002001150 

 Or en fin, comme que ce soit, parmi le vulgaire du Christianisme ce mot d'adorer ne se rapporte qu'a lhonneur qui est deu a Dieu, qui sera cause que nous le laisserons a ce seul usage comm'au principal; et parlans de lhonneur deu aux creatures nous mettrons en œuvre des motz plus communs et d'indubitable signification, ou moins douteuse, comm'est honnorer, reverer, venerer et semblables..

  A002001151 

 Et partant, comme l'honneur n'est que le tesmoignage de l'excellence de quelqun en general, aussi l'adoration n'est que le tesmoignage d'un'excellence advantageuse et superieure, a l'endroit de celuy qui adore..

  A002001151 

 On cest'excellence, de laquell'on rend tesmoignage par l'honneur, est advantageuse a celuy que nous honnorons, sur nous, et lhors nous le pouvons, ains devons, adorer, puysque la rayson veut que nous nous reconnoissions et faisions profession d'estr'inferieurs a ceux qui ont quelque advantage d'excellence et eminence sur nous.

  A002001151 

 Or cest'excellence peut estre de deux sortes: car, ou c'est un'excellence qui ne rend celuy qui la possede advantageux ou superieur sur celuy qui le veut honnorer, et lhors il ni a lieu que pour le simpl'honneur et ne se peut former aucun'adoration; tel est l'honneur que s'entreportent les gens de bien les uns aux autres, comme, par exemple, S t Basile a S t Gregoire Naz., tesmoin Eustratius sur le p r chapitre du 9 des Ethiques, selon le dire de l'Apostre: Honore invicem prævenientes, Ro.

  A002001151 

 Secondement, il faut sçavoir qu'honnorer un personnage n'est autre sinon tesmoigner de l'excellence que nous croyons estr'en luy.

  A002001151 

 de Civit., dit que les hommes sont appellés colendi et venerandi, si autem multum addideris, et adorandi, cité par S t Thomas, 2 2.

  A002001152 

 Or, selon que les excellences de ceux que nous adorons sont advantageuses sur nous plus ou moins, les adorations sont aussi differentes, comme remarquent doctement S t Aug., l. 10.

  A002001153 

 Car ayans remarqué que le mot grec de dulie s'appliqu'indifferemment au service de Dieu et des creatures, et que le mot de latrie, comme dit le grand S t Aug. en plusieurs endroitz, n'est presqu'appliqué qu'au service de Dieu, ilz ont appellé le service deu a un seul Dieu, latrie, et celuy qui se peut rapporter aux creatures, dulie.

  A002001153 

 Et pour mettre encores quelque difference en lhonneur fait aux creatures selon la diversité des excellences, ilz ont dict que les plus excellentes s'honnoroyent d'hiperdulie..

  A002001155 

 Il s'ensuit que l'adoration ne se peut faire qu'a la nature intelligente; car, puysque l'adoration se fait en reconnoissance de quelqu'excellence superieure, les advantages que la natur'intelligente tient sur tout'autre sont si grans, qu'elle ne se doit sousmettre a aucun autre, tout le reste luy est inferieur et dedié a son usage et service..

  A002001155 

 Il s'ensuit que l'adorer appartient a la seule creature connoissante, car pour reconnoistre un'excellence et se sousmettre volontairement a icelle par quelque protestation, ne peut se faire sans intelligence et libre volonté.

  A002001155 

 qu'autre que la creature ne peut adorer; car Dieu qui ne peut rencontrer hors de soi aucune excellence qui soit advantageuse sur luy, ains devance de l'infinité toute autre perfection, il ne peut adorer chose quelqu'onque.

  A002001156 

 Mays la vertu pour laquell'on reçoit honneur n'est pas tousjours nostre, ains bien souvent d'autruy: comm'on honore les superieurs quoy que mauvais, pour la vertu de Dieu et de la republique de laquell'ilz tiennent le lieu; ainsy les peres et maistres sont honnorables pour la participation quilz ont de la dignité de Dieu qui est supreme Pere, principe, recteur et Seig r; ainsy les vieux, parce que la viellesse est un signe de sagesse, comme tesmoignant de l'experience; ainsy les riches, comm'ayans un bon instrument pour ayder et conserver la republique.

  A002001157 

 Item, que lhonneur præsuppos'amitié, et nous avons les Diables pour ennemis irreconciliables, avec lesquelz nous n'avons ni devons avoir aucun commerce ni amitié, ains les devons avoir en execration et abomination..

  A002001157 

 Or de tout cecy s'ensuit que quoy que les Diables sont plus excellens que nous, nous ne leur devons aucun honneur, parce que leur excellence ne tend point a bien, mays l'ont du tout destournee a mal, et ce irrevocablement; joint quell'est accablee de la supreme misere.

  A002001158 

 Il s'ensuit encor que la creature irraysonnable n'estant capable d'aucun honneur puysqu'elle ne peut estre ni vertueuse ni bonteuse, si on l'honnore on ne la doit honnorer pour ce qui est d'elle mesme ni pour son propre estoc, mais comm'appartenance, instrument, signe ou acheminement de la vertu ou du vertueux.

  A002001158 

 On honnore la viellesse par ce qu'elle tesmoigne l'experience, et l'experience apporte la prudence; on honnore les riches par ce que la richesse est signe d'industrie et est instrument de beaucoup de vertuz, comme de la liberalité et magnificence; on honnore les magistratz par ce quilz representent Dieu et la republique; on honnore les moindres officiers des princes, et leurs couronnes, sieges, sceptres, par ce que ce sont signes et appartenances de leur authorité; on honnore la science par ce qu'ell'est instrument de beaucoup de bien, signe de diligence et acheminement de bien faire, comm'on deteste l'ignorance par contraires raysons.

  A002001160 

 il se peut faire qu'une chose appartenante a un ami nous fera simplement resouvenir de celuy a qui ell'appartient, et partant sera cause par ce souvenir qu'elle reveille en nous, que nous honnorerons celuy a qui ell'appartient; et lhors, si l'on dit que nous honnorons ceste chose la, ce sera parler fort improprement, car toute nostre intention s'addresse a l'amy, et non a la chose qui luy appartient, laquelle, ayant remis l'amy dedans nostre memoyre, luy quitte la place en sortant elle mesme, de façon que bien souvent nous ne pensons plus a elle, tant s'en faut que nous l'honnorions.

  A002001161 

 Dont le filz, voyant la chaire, la roubbe, l'image de son pere, dira: il me semble que je voys mon pere la sur ceste chere, dans sa roubbe et en cest'image.

  A002001161 

 Il se peut faire qu'une chose appartenante a un autre, non seulement nous fera resouvenir de l'amy, mais le nous representera si vivement que nostre imagination le tiendra comme præsent et esmouvra nostr'affection a [378] luy comm'estant la præsent d'une reelle præsence.

  A002001164 

 « L'excuse est facile, que la Loy ne condamne nulles images sinon celles qui servent de representer Dieu; ce pendant, de lever un monceau de pierres en signe de trophee, ou pour tesmoignage d'un miracle qui aura esté fait, ou pour reduire en memoire quelque benefice de Dieu excellent, la Loy ne l'a jamais defendu en passage quelconque.

  A002001172 

 Que s'il ne faut avoir aucune similitude pour aucun usage que ce soit, il ne sera pas loysible nomplus d'avoir des Croix; mais s'il est permis de faire et avoir quelque similitude pour quelque particuliere occasion, il sera loysible d'avoir des Croix et les honnorer.

  A002001173 

 Premierement, je ne doute point que ceste prohibition ne soit une piece et appartenance du premier commandement, qui porte: Tu n'auras point de dieux estrangers devant moy, et partant je ne conte pas ceste prohibition pour second commandement, mais pour une partie du premier, auquel est [379] defendue l'idolatrie tout entiere: car l'idolatrie parfaitte git en deux sortes d'actions, interieures et exterieures; les interieures sont defendues par la premiere partie de ce premier commandement, qui porte: Tu n'auras point de dieux estrangers devant moy; les exterieures sont rejettees par les paroles suyvantes: Tu ne te feras aucun idole ou statue, et ce qui s'ensuit.

  A002001173 

 Que sil est ainsyn, pour bien entendre la seconde partie il la faut faire respondre, joindre et ressortir de la premiere..

  A002001174 

 Dont il s'ensuit quil faut que l'un des pointz s'entende conformement a l'autre.

  A002001174 

 Que si neanmoins quelqu'un veut opiniastrement debattre que la seconde defense proposee en ce premier chef des commandemens, Tu ne te feras aucune statue, et ce qui suit, soit un commandement a part et separé, qui face non une seconde partie du premier commandement, mais un second commandement de la premiere Table, pour ne m'entretenir hors de mon dessein a le convaincre par rayson, je diray seulement qu'au moins ne sçauroit on nier que la defense de ne faire aucune similitude ou statue ne soit un mesme commandement avec ce qui s'ensuit: Tu ne les adoreras ni serviras, et n'aÿe rapport a ce premier point: Tu n'auras aucuns dieux estrangers devant moy.

  A002001177 

 C'est une opinion nouvelle, vaine et hæretique, suivie par un grand tas de schismatiques et chicaneurs, mais ell'est plus notoirement contraire a l'Escriture que la precedente, et non moins a l'Eglise de Dieu et a la nature.

  A002001177 

 Et pour vray, la rayson naturelle monstre que si les eglises sont maysons du Roi des roix, les ornemens y sont tres convenables, et si elles sont maysons du Saint des Saintz, les ornemens y doivent estre les plus saintz; or plus saintz ornemens n'y peut on mettre que les representations des choses saintes; le temple est image du ciel, pourquoy ni logera-on les images de ce qui est au ciel?.

  A002001177 

 Les Juifz n'ont nomplus le suc de l'Escriture que ceux ci, mais ilz ont pour le moins l'escorce touchant ce point; et ceux ci, qui ne font que crier l'Escriture, n'en produisent ni suc ni escorce, mais avancent leur volonté comme parole de Dieu, et qui ne les croira ilz le proclameront antichrist.

  A002001177 

 Mais ou fut-ce, je vous prie, que les images des Cherubins, et celles des vaches, lions et grenades, estoyent anciennement, sinon dans le Temple? et quand aux Cherubins, au lieu du Temple le plus sacré et considerable, Voyla [380] un exemple signalé pour nous; qui le nous voudra ravir, il faut quil apporte une grande authorité a garend, il ne suffira pas de faire des discours; nostre exemple est en l'Escriture et de Dieu, il faut l'Escriture ou l'Eglise pour nous en oster l'imitation.

  A002001177 

 Si Dieu voulut ainsyn orner ce vieux Temple a la veuë d'un peuple si sujet a l'idolatrie, qui gardera l'Eglise d'orner les siens des images de la Croix et de ceux qui sous ce saint Estendart ont renversé toute l'idolatrie? Aussi certes l'a-elle fait de tous tems, et ne sçauroit on monstrer que les Chrestiens ayent eu jamais des eglises ou temples qu'elle ny aye eu des Croix et autres images, comme j'ay suffisamment prouvé ci dessus.

  A002001178 

 Il y en a d'autres qui ont dit que, par ceste prohibition, autres images ou similitudes n'estoyent defendues sinon celles qui servent de representer Dieu selon la nature de sa Divinité: et je m'y accorde simplement et purement, s'ilz rejettent les images qu'on feroit pour representer la propre forme et essence Divine immediatement; car Dieu estant infini et invisible il ne sçauroit estre representé par les choses visibles immediatement et formellement.

  A002001178 

 Mais je dis outre tout cela que la force de la prohibition, de ne faire similitudes de quoy que ce soit, portee au commandement de Dieu, n'est pas suffisamment deduitte par ceste consideration.

  A002001178 

 Or, tout ce qui est signe n'est pas image, quoy que ce qui est image soit signe: ainsin la colombe et les feux descendans estoyent signes, non image du Saint Esprit; ainsi quand les Anges parloyent en forme d'homme, ceste forme la estoit signe, non image de l'Ange.

  A002001178 

 Que si on parle des images et figures mistiques, comme d'un aigneau pour représenter Nostre Seigneur, de colombes pour representer les Apostres, ce ne sont non plus images des choses qu'elles représentent mistiquement que les motz sont images des choses quilz signifient, et les lettres des motz quelles denotent; car elles ne représentent pas ces choses la aux sens, comme font les images, mais des objetz tout differents par lesquels, avec beaucoup de discours, on se représente les choses mistiquement signifiees.

  A002001178 

 Quelle forme peut avoir aucune convenance avec Celuy qui n'a aucune forme? Et toutes les images que l'on fait de Dieu le Pere et du Saint Esprit ne servent a autre qu'a representer les figures et formes sous lesquelles et par lesquelles il s'est manifesté selon l'Escriture, lesquelles formes et figures ne représentoyent pas Dieu selon sa Divinité par maniere d'images et statues de Dieu, mais par maniere de simples signes.

  A002001178 

 Si donques on dit que le commandement de Dieu rejette les images qui seroyent faittes pour représenter au sens exterieur la Divinité, comme c'est le propre des images de représenter leurs propres objetz, je suys de cest advis-la, laissant neanmoins le bon usage des images qui représentent les apparitions Divines, ou quelque proprieté de sa Divine Majesté par quelque misterieuse et secrette signification.

  A002001188 

 Ce commandement divin est une figure qui represente la vertu du signe de la Croix: car Thau se peint en ceste sorte, T. Pour monstrer la vertu de ce signe, S. Athanase dit, au livre de l' Incarnation, que le signe de la Croix chasse tous enchantemens et sorceleries et les rend de nulle valleur.

  A002001188 

 Et si bien on [ne] doit attribuer vertu aux signes et caracteres, toutesfois ce signe est si divin qu'il ne sçauroit estre superstitieux et diabolique, veu que Dieu en fait grand estat et l'a fait predire au Prophete Ezechiel, c. 9, sous la figure de Thau; laquelle S. Hyerosme, sur ce lieu, applique formellement à la Croix.

  A002001188 

 II] c. 3, dit que les Chrestiens ont l'image de la Croix de nostre Seigneur, qu'il juge digne de toute la veneration, et y fait une belle oraison.

  A002001188 

 Le mesme S. Augustin, en ses Co n fessions, liv. 1. c. 11, dit que quand il fut fait Chrestien, deslors il commença à se signer du signe de la Croix; et au livre de la Visitation des malades, [liv.

  A002001188 

 Le signe de Thau, en Ezechiel, c. 9, et en l'Apocalypse, c. 7, qui estoit escrit au front des gemissans pour les garder de mal, signifie la Croix et benediction que l'on met au front des croyans; ainsi que tesmoignent S. Cyprien fort voysin des Apostres, livre 1.

  A002001188 

 S. Basile le Grand qui vivoit il y a plus de douze cens ans, au liv. du S. Esprit, c. 27, monstre que les Apostres ont apprins à faire le signe de la Croix et qu'eux le faisoient.

  A002001188 

 S. Chrysostome, du mesme temps, en l'homelie Que Jesus Christ est Dieu, traicte admirablement de la gloire de ce signe, et atteste comme tous Sacremens estoyent faicts et parachevez par iceluy, et dit qu'il s'en faut servir, en ces termes: Crux in fronte nostra quasi in columna quotidie figuratur.

  A002001188 

 S. Paulin, Evesque de Nole, tres-ancien (il y a plus d'onze cents ans qu'il vivoit), in natali S. Fœlicis, dit que le signe de la Croix est l'armeure des Chrestiens, defensive contre tous ennemis.

  A002001188 

 Sur le Psalme 36, il dit que le signe de la Croix avec une grande gloire est passé du lieu des supplices au front des Roys et Empereurs; au traité 3.

  A002001188 

 contre Julien l'Apostat, dit que ce meschant, effrayé de la vision des diables, fut contrainct de se servir du signe de la Croix, comme il avoit veu faire aux Chrestiens; d'autant que Dieu a [405] donné à ce signe une vertu particuliere contre les malins esprits, selon qu'afferme S. Augustin au liv. des 83 qq., question 79, où il dit que Dieu a commandé aux diables de ceder à la Croix, comme au Sceptre du souverain Roy.

  A002001188 

 des Saincts, il monstre que de son temps on usoit de ce signe en l'administration des Sacremens; et au liv. 22.

  A002001188 

 in diversos, Tertulien, contre Marcion, liv. 3, lequel en son Apologetique dit que les Payens reprochoient aux premiers Chrestiens qu'ils faisoient honneur à la Croix.

  A002001188 

 sur S. Jean, il dit que si nous sommes Chrestiens nous devons estre marquez de ce signe au front.

  A002001188 

 » Contre Fauste Manicheen, liv. 12. c. 30, il dit que pour la garde de salut, les peuples sont signez de ce signe; et au liv. de l' Altercation de la Synagogue et de l'Eglise (tom. 6), il exalte les prerogatives de ce signe de la Croix; et au sermon 19.

  A002001194 

 C'estoit, dit Tertullien, Contre les Juifs, chap. 10, parce que cela tendoit à la Croix du Seigneur; dont en sainct Jean, chap. 3, nostre Seigneur applicqua ceste histoire à sa Croix.

  A002001194 

 Comme sainct Ambroise dit au livre du Trespas de Theodose: « Ce n'est pas le bois » (dit-il), « mais le Roy du Ciel que nous adorons au bois.

  A002001194 

 Concile de Nicene, action 4: « Pendant que les deux bois sont conjoincts, nous adorons la representation à cause de Jesus Christ qui y a esté crucifié, mais les deux bois separez, nous les rejettons, voire bruslons.

  A002001194 

 De maniere qu'il n'y a aucune idolatrie à honnorer la Croix, que le mesme Fils de Dieu appelle son signe, en sainct Matthieu, 24.

  A002001194 

 Des que nostre Seigneur Jesus Christ, pour nous rachepter de l'eternelle damnation, souffrit la tres-amere mort de la Croix, on ne doit douter que ce tresgrand benefice de nostre redemption, vivement representé par la Croix, trophee et banniere du Sauveur, instrument de nostre redemption, lict de justice et autel du souverain sacrifice, n'oblige aussi à la veneration d'icelle; non pour raison du bois, ou de la matiere, mais à cause de ce qu'elle signifie.

  A002001194 

 Et anciennement les soldats adoraient l'estendard de leur Empereur, ainsi que dit Sozomene, livre 1.

  A002001194 

 Et il escrit en la vie de la tresdevote femme Paula, qu'elle estoit prosternee au devant de la Croix, et adoroit, « tout ainsi que si elle eut attentivement regardé le Seigneur y pendant ».

  A002001194 

 Il est bien vray que mourant pour Dieu ou la patrie, la mort en est glorieuse; en memoire de laquelle on pourroit en honnorer les instruments: sur tout si cela avoit causé quelque grand bien, comme a faict la Croix, vray autel du souverain sacrifice qui est Jesus Christ, selon sainct Paul, Heb. c. 7, et Colloss.

  A002001194 

 On ne venere pas les colonnes, creches et sepulchres pour ressembler à ceux de Jesus Christ: car cela n'est pas son image et ne le represente point Crucifié, auquel on dresse l'esprit en honnorant la Croix; laquelle, depuis l'Edict imperial de Constantin de n'y attacher plus les hommes, n'a plus aucun autre usage au monde que d'estre image representant Jesus Christ crucifié.

  A002001194 

 Pource religieusement les enfans de ce tresdoux Seigneur honnorent ce sainct Estendard de la Croix, que les adversaires appellent gibet, grandement different des autres par excellence.

  A002001194 

 Que s'il est gibet, c'est celuy du Dieu de la Majesté, et du Roy de gloire, où il souffrit heureusement et honnorablement pour nostre salut, sans aucun peché ny crime, ainsi que confesserent ses mesmes ennemis.

  A002001194 

 de la Vie de Constantin, que l'Empereur Constantin dressa son estendard en forme de croix, et il estoit veneré là, et la Croix en iceluy, par toute l'armee imperiale.

  A002001194 

 » Bois qui apporta, certes, douleur et ignominie au Sauveur, mais si honnorable et glorieux que le Sainct Esprit l'a fait celebrer par plusieurs figures et propheties au vieil Testament.

  A002001194 

 » C'est chose admirable que Dieu ayant deffendu l'idolatrie, ne laissa en apres, au livre des Nombres, c. 21, de faire dresser sur le bois le Serpent de bronze, en forme pendante, encores que le peuple fut tombé en idolatrie.

  A002001194 

 » David, Psal. 131, prophetiza cest honneur, disant: Nous adorerons le lieu où ses pieds se sont arrestez, selon que sainct Hierosme en explique le passage formellement.

  A002001194 

 à Antioche: « Nous pouvons soudain monstrer que nous n'adorons pas le bois ou la matiere, mais la representation, en separant les deux bois de la Croix et ne leur faisant plus honneur; » comme dit le 2.

  A002001200 

 vers. 7, monstre que ceste adoration est licite, disant: Nous adorerons le lieu ou ses pieds se sont arrestés.

  A002001201 

 Partant, S t Gregoire de Nice, qui vivoit en Grece l'an de nostre Seigneur 380, escrit que sainte Macrine, sa seur, et S t Basile portoient sur eux une Croix avec fort grande reverence.

  A002001202 

 Et S t Hierosme, en l'epitaphe de Paula, tres devotieuse femme; laquelle il loüe, que prostèrnee au devant de la Croix elle adoroit, « tout ainsi que si elle eust attentivement regardé le Seigneur y pendant.

  A002001204 

 S t Augustin, liv. [II] de la Visitation des malades, c. 3, dit que la Croix est digne de veneration; et fit devant icelle sa priere a Jesus Christ..

  A002001206 

 de ses Confessions, chap. 11, que des lhors qu'il fut Chrestien il commença a se signer du signe de la Croix..

  A002001207 

 sur S t Jean, dit que si nous sommes Chrestiens nous devons estre marqués au front..

  A002001216 

 contre l'Empereur Julien l'Apostat lequel se moquoit des Chrestiens qui adoroient la Croix, les soustient, et dit: « Le bois de salut nous remet en memoire et souvient des benefices receus de Jesus Christ, et nous incite a penser que, comme saint Paul dit, Luy seul est mort pour tous et est resuscité.

  A002001217 

 a Antioche, dit: « Nous pouvons monstrer que nous n'adorons pas le bois, mais la representation, si nous separons les deux bois qui font la Croix, et alhors n'y ferons plus honneur.

  A002001223 

 Il contiendra environ 24 feuilles in 12, de la lettre de Cicero que nous appelions, qui est celle dont les Extraits de la dispute du P. Cherubin sont imprimez; et l'impression en coustera pour le moins 68 fl. S'il vous plaist donc, vous m'en escrirez, et si j'ay moyens, je le pourroy mettre sur la presse à la prochaine feste de Toussaincts.

  A002001223 

 J'ay receu par les mains de Monsieur le President Favre vostre livre de la Croix, mais sans aucune lettre, dont j'ay esté esbâhy pource que je pensoy avoir response à celle que je vous escrivis sur l'impression de vostre livre.

  A002001223 

 Je ne vous representeray point d'avantage l'affection que je vous ay particuliere, qui me feroit courir à toute bride en l'execution de vostre vouloir de tout mon possible.

  A002001223 

 Mais bien vous asseureray-je que je ne suys point advancé despuis au recouvrement d'argent, et en ay moins que jamais en employant tous les jours en verité plus que je ne peux.

  A002001223 

 Que si vous pouviez retrouver quelque librayre en cette ville qui le voulut faire imprimer à ses despends, je vous promets d'y fournir mon industrie et l'ortographe, car il ne l'est aucunement, et y rapporter tout ce que doit celuy qui est et sera tousjours.

  A002001223 

 Si que je ne vous peux promettre aucunement l'impression de vostre livre que je ne soys aydé, aumoins pour avoir le papier.

  A002001234 

 L'Apostre se plaignoit et, baigné de larmes, disoit que plusieurs cheminoyent et conversoyent entre les Chrestiens desreglement, et se rendoyent ennemis de la Croix de Jesus Christ; desquels la fin est perdition, le dieu desquels est le ventre, et leur gloire est en leur confusion.

  A002001234 

 Mais s'il estoit en terre humainement conversant en la cité de ce monde terrestre, tesmoin et auditeur des sacrileges, blasphemes, impietés et horribles discours que les obstinez adversaires de Dieu et de son Eglise unique, Catholique, Apostolique et Romaine, vomissent et desgorgent verballement en leurs synagogues et par escrit en leurs livrets diffamatoires contre l'adoration de la saincte Croix, ce grand Docteur des Gentils se transformeroit volontiers au flebile et pleureux Heraclite pour la compassion qu'il prendrait de ces blasphemateurs..

  A002001235 

 L'Archiministre de Geneve, pour eterniser sa puante memoire, a esté si impudent et effronté menteur que d'avoir publié un livre satyricque intitulé, Admonitio de Reliquiis; en la pag. 7, au § Jam ad præcipuas Domini Reliquias, il a escrit que toute la doctrine que l'Eglise tient sur la doctrine de la Croix est diabolique, reprouvee, et refutee par le Pere sainct Ambroise comme superstition ethnique et payenne.

  A002001236 

 Ce neantmoins, durant l'ardent feu et flamme de ces heresies, est demeuré en France plus grand nombre de croix et reliques [412] que n'a esté celuy des ruinees et gastees, et s'accomplist la prophetie du grand Prophete Esaïe, c. 19: In die illa erit altare Domini in medio terræ Ægypti, et titulus Domini juxta terminum ejus; et erit in signum et in testimonium Domino exercituum.

  A002001236 

 Et une chose miraculeuse est advenue contre ces brise-croix, que tous ceux qui premiers mirent leurs mains sacrileges sur les bois, pierres et autres matieres, tant dedans que hors les eglises, veuillant faire perdre la memoire de la mort et Passion de nostre Sauveur, en moins de trois ans, et aux mesmes jours qu'ils commirent cest execrable crime de leze majesté Divine, se sont trouvez morts et estouffez, privez de toute sepulture, ayde et consolation, soit de leurs confreres ou autres, et n'est demeuré et resté en terre aucun de leur race et progenie: Vultus autem Domini super facientes mala, ut perdat de terra memoriam eorum.

  A002001236 

 Si ceux de Geneve vouloyent confesser la verité, ils trouveroyent, aux cayers et registres de leur maison de ville, les noms, surnoms, d'aages, qualitez et demeurances de ceux qui firent la revolte et defection et forfaits; [et les] supputateurs du temps que les autheurs et instruments de l'apostasie ont vescu apres, [verraient qu'] ils ne furent triennaux possesseurs de leurs impietés et meschancetez; la memoire desquels et de tous les leurs, ascendants, descendants et collateraux, dans les trois ans fut esteincte et faillie, et justo Dei judicio; et si l'on pouvoit recouvrer un livret qui en a esté fait par le feu Cardinal Sadolet, intitulé: Prodigiosissima portenta civitatis Genevæ, post repudiationem et abdicationem Catholicæ et Orthodoxæ religionis, l'on y liroit des choses tres espouvantables et tres-veritables..

  A002001237 

 Car de cognoistre Dieu par l'esprit seulement [ne suffit pas], sinon que par mesme moyen l'on cognoisse le Fils de Dieu estre venu pour nostre redemption in carne; et sic inseparabiliter debemus agnoscere, et divinitatem et humanitatem, ut habeamus vitam æternam: vieille heresie tiree de Triphonis antro; contra quem le Pere sainct Augustin ayant disputé, combattu, et gagné la caverne de Dieu, ita posteritati scripsit, in suo tract. De fide et symbolo: Solet quosdam offendere, vel ipsos gentiles vel hæreticos, quod credamus assumptum terrenum Christi corpus in cælum; ut dicant terrenum aliquid in cælo esse non posse: nostras enim Scripturas non noverant, nec sciant quomodo dictum sit: Seminatur corpus animale, surget corpus spiritale..

  A002001237 

 Imo, sans la continuelle memoire que les Chrestiens doivent avoir de la mort et Passion de Nostre Seigneur (tesmoin nostre Symbole: Et incarnatus est de Spiritu Sancto, ex Maria virgine, et homo factus est ), et sic de son humanité, nul ne seroit capable de la vie eternelle, Jean 17.

  A002001237 

 Mais à fin que nul se laisse ensorceller au venin vomy par ledict Calvin audict livre intitulé, Admonitio de Reliquiis, operæ præcium esse duxi, de rapporter l'execrable blaspheme desgorgé par ledict Calvin en la premiere page.

  A002001237 

 Nunc igitur causari præclarum esse aliquod habere monumentum, tum Christi, tum sanctorum ejus, quid aliud est quam inane tegumentum, fucandæ stultæ nostræ cupiditatis causa, quærere, quæ nullum in ratione fundamentum habet? Calvin par ces [413] meschantes parolles dit, que les Chrestiens ne se doivent souvenir et faire aucun compte de la chair et de toute l'humanité de Jesus Christ; contre infinis textes du nouveau Testament: Jean 6, Amen, dico vobis, nisi manducaveritis carnem filii hominis et biberitis ejus sanguinem non habebitis vitam in vobis, et quæ sequuntur.

  A002001238 

 Sur ce que le mesme Calvin prend à garent et pour tuteur de son impieté sainct Ambroise, c'est une fausseté; car ce grand Archevesque et Evesque de Milan (en son troisiesme tome), De obitu Theodosii, se conformant avec toute l'antiquité pour l'adoration de la Croix, dit: Invenit Helena titulum; Regem adoravit, non lignum utique, quia hic gentilis est error et vanitas impiorum, sed adoravit illum qui pependit in ligno, scriptus in titulo, etc..

  A002001239 

 L'imposteur et trompeur a voulu dire que si tous les morceaux de la saincte Croix estoyent amassez et reduicts en un gros monceau, il y auroit la charge et voyage d'un navire; et encores que ladicte Croix pouvoit estre portee par un seul homme, que trois cents ne seroyent forts et puissants pour la porter; que les superstitieux [414] ont prins ce pretexte de controuver que les pieces qui en sont esté levees n'ont partant diminué ni amoindri le poids et gros corps de ladicte Croix..

  A002001240 

 Que quelques pieces que l'on prenne et ayent prins, retroactis seculis, de la saincte Croix, elle n'est point diminuee ni amoindrie, c'est une tres-veritable verité receuë de l'Eglise et approuvee des saincts Peres et Docteurs, et n'a oncques esté contredicte et par les heretiques.

  A002001240 

 Tous ceux qui suyvent Nostre Seigneur et ont porté et portent sa Croix, tant vifs que morts, sont plus de milliers et millions qu'il n'y a de vingtaines en trois cents; une seule navire, voire tous les vaisseaux des mers, ni les basteaux de toutes les rivieres du monde ne les pourroyent comprendre et contenir: il s'ensuit donques qu'il n'y a reliquiaire plus copieux et abundant que la saincte Croix; ce que ledict Calvin allegue commentum.

  A002001241 

 Car raisonnablement les bons et vrays Catholiques adorent Jesus Christ pendu en la Croix, non pas le bois, or, ou autre matiere comme matiere et chose inanimee: car nous sommes tous d'accord que, in quantum est res insensibilis, puta lignum sculptum aut pictum, tunc nulla reverentia debetur ei, neque aliquis honor est exhibendus: mais considerants la Croix, in quantum est quædam res Christi, tunc adoranda est nobis adoratione Hyperduliæ.

  A002001241 

 Combien que le Chrestien ne devroit estre reputé ni idolatre ni superstitieux, s'il adore les cloux et autres instruments de la Passion: car, comme dit sainct Jean Damascene, [De Fide orthod.] lib. 4: Etiam omnia prædicta ex contactu sancti corporis et sanguinis Christi decenter adoramus.

  A002001241 

 Et en ceste façon et maniere, l'adoration que exhibons à la Croix comme à l'image de Jesus Christ crucifié doit estre plus grande et reverentialle que celle que nous rendons à la Vierge Marie, que nos dicts Peres nomment Hyperdulie, et que celle que nous portons aux Saincts, à la veneration de leurs ossements et reliques, qu'ils appellent Dulie..

  A002001241 

 Mais quand aux autres croix, comme elles sont faictes en matieres de bois, or, fer, ou autres semblables, nous ne les adorons point sinon comme image de Jesus Christ, aussi que nous enseigne nostre Mere Eglise le jour du Vendredi sainct: Ecce lignum Crucis.

  A002001241 

 Mais, finalement, considerant la Croix entant qu'elle represente la figure de Jesus Christ crucifié, et entant que par l'attouchement des saincts membres de son corps precieux elle a esté baignée et arrousée de son sang: alors la devons adorer de la mesme adoration que nous adorons Nostre Sauveur Jesus-Christ, que noz maistres et anciens Peres Docteurs que convenienti vocabulo appellant adorationem Latriæ; [415] et à ceste raison nous parlons à la Croix et la prions comme le Sauveur: O Crux, ave, spes unica; O Crux benedicta.

  A002001241 

 Quand aux autres choses qui sont esté instruments de sa mort et Passion, comme les cloux, couronne, lance et autres, nous ne les adorons aucunement de l'adoration de Latrie comme la Croix, pource que ces choses ne representent point l'image de Jesus-Christ comme la Croix, quæ est signum filii hominis quod apparebit in cælo; et partant l'Ange dict aux femmes: Jesum quæritis crucifixum; non, lanceatum aut spinea corona coronatum, et hujusmodi.

  A002001241 

 Quæ Viret, Pharel, et post eos le successeur de Calvin ont traduits en langue vulgaire, et ont intitulé leur livre: De l'idolatre et superstitieuse adoration, et des deux festes de la Croix; où ils disent que les Catholiques pretendus sont pour ce regard de pire condition que les enfans d'Israël adorans le Veau d'or.

  A002001241 

 Reste de destruire un leger fondement et fausse doctrine que Luther a semé à ses Allemans, De falsa crucis adoratione, et bina quotannis ejus festivitate.

  A002001242 

 La troisiesme chose, que la Croix a esté et est tres-vertueuse et miraculeuse; tellement que l'Apostre dict: Mot crucis iis qui salvi fiunt virtus Dei est.

  A002001242 

 Par la Croix sont esté faicts et se font journellement infinis miracles; tellement que sainct Jean Chrisostome, comme ravi en extaze de la vertu de la saincte [416] Croix, homil. 13.

  A002001242 

 Quant aux deux festes instituees par l'Eglise au culte et devotion de la Croix, il n'y a abus, erreur ou superstition; pource que les trois choses pour lesquelles toutes les festes sont instituees et celebrees y concurrent.

  A002001243 

 Et la Croix tollit omne crimen; tellement que tres à propos, aux eglises de Lyon, suyvant leur office ancien, chacun jour de vendredy aux vespres l'on chante ce beau hymne de Prudentius, que j'eusse traduit en vulgaire, n'eust esté que je l'ay veu torné et mis en rithme françoise en certaines Heures qui sont imprimees en Latin et François, dés six ou sept ans en ça..

  A002001286 

 Ce livre se peut justement intituler, Thesaurus præciosissimus; quem qui sibi comparaverit, avec peu d'argent il se trouvera mirablement edifié en la doctrine que tous devons tenir, pour nous acquerir, in vita et morte beneficium Crucis, et Paradis à la fin.

  A002001286 

 Corinth. 14, l'eau vive que Nostre Seigneur promettoit à la Samaritaine; non seulement les miettes [417] de pain que la Chananee demandoit à Nostre Seigneur, mais les cinq pains d'orge et les deux poissons avec lesquels il rassassia la tourbe famelique.

  A002001286 

 L'amour, honneur et respect que je porte à la saincte Croix, mesmes en ceste saincte sepmaine de Passione, m'ont conduit à ceste prolixité; pour tesmoigner à tous les fidelles Catholiques, que quiconque voudra veoir la Panthologie de la saincte Croix devroit avoir, lire et faire son proffit de ce livre sainctement et doctement composé par le R. P. François de Sales, Prevost de l'Eglise catholique et Cathedralle de Geneve.

  A002001286 

 Vous y trouverez, amy lecteur, non seulement les douze fruicts susdicts, mais les cinq pierres avec lesquelles David renversa ce grand geant Goliat, les cinq paroles que voulut parler l'Apostre, 1.

  A002001322 

 O que je t'ayme mieux voir sainctement combattre.

  A002001323 

 Dans l'Eglise de Dieu, que sous l'horreur de Mars:.

  A002001324 

 Tu as la Croix au poing lors que tu te veux battre,.

  A002001343 

 Qu'il ne te reste plus que les palais des cieux:.

  A002001355 

 Puis que tu fais fleurir tant d'hommes en la foy..

  A002001362 

 Puis que tu fais germer par ta tres-douce haleine.

  A002001468 

 Seulement peint au front, que c'estoit autresfois.

  A002001477 

 Que peux-tu faire pis? reniant de plus fort.

  A002001489 

 Qu'au lieu que tu servois aux bourreaux inhumains,.

  A002001493 

 Vitupere l'honneur que ceux là t'ont porté;.

  A002001494 

 Mais, puis que si souvent tu as dompté le diable,.


03-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome III-Introduction a la vie devote.html
  A003000016 

 Chapitre III. Que la devotion est convenable a toutes sortes de vocations et professions.

  A003000064 

 Par maniere d'election et choix que l'ame fait de la vie devote.

  A003000071 

 Chapitre XXII. Qu'il se faut purger des affections que l'on a aux pechés venielz.

  A003000097 

 Du choix que l'on doit faire quant a l'exercice des vertus.

  A003000102 

 Chapitre VI. Que l'humilité nous fait aymer nostre propre abjection.

  A003000123 

 Chapitre XXVII. De l'honnesteté des paroles et du respect que l'on doit aux personnes.

  A003000156 

 Chapitre II. Consideration sur le benefice que Dieu nous fait, nous appellant a son service selon la protestation mise ci-dessus.

  A003000167 

 Chapitre XIII. Quatriesme consideration: De l'amour que Jesus Christ nous porte.

  A003000181 

 Que la devotion est convenable a toutes sortes de vocations et professions - Chap.

  A003000237 

 Meditation 10 - Par maniere d'election, et choix que l'ame fait de la vie devote.

  A003000256 

 Qu'il se faut purger des affections que l'on a aux pechez veniels - Chap.

  A003000257 

 Qu'il se faut purger des affections que l'on a aux choses inutiles et dangereuses - Chap.

  A003000273 

 Comme il faut estre pauvre d'esprit quoy que l'on ait des richesses en effet - Chap.

  A003000314 

 Considerations sur le benefice que Dieu vous a fait vous appellant a la resolution d'embrasser la vie devote, selon vostre protestation mise cy dessus - Chap.

  A003000341 

 Je ne puis, certes, ni veux, ni dois escrire en cette Introduction que ce [5] qui a des-ja esté publié par nos predecesseurs sur ce sujet; ce sont les mesmes fleurs que je te presente, mon Lecteur, mais le bouquet que j'en ay fait sera different des leurs, a rayson de la diversité de l'ageancement dont il est façonné..

  A003000341 

 La bouquetiere Glycera sçavoit si proprement diversifier la disposition et le meslange des fleurs, qu'avec les mesmes fleurs elle faisoit une grande varieté de bouquetz, de sorte que le peintre Pausias demeura court, voulant contrefaire a l'envi cette diversité d'ouvrage, car il ne sceut changer sa peinture en tant de façons comme Glycera faisoit ses bouquetz: ainsy le Saint Esprit dispose et arrange avec tant de varieté les enseignemens de devotion, qu'il donne par les langues et les plumes de ses serviteurs, que la doctrine estant tous-jours une mesme, les discours neanmoins qui s'en font sont bien differens, selon les diverses façons desquelles ilz sont composés.

  A003000342 

 Et je leur monstre que comme les meres perles vivent emmi la mer sans prendre aucune goutte d'eau marine, et que vers les isles Chelidoines il y a des fontaines d'eau bien douce au milieu de la mer, et que les piraustes volent dedans les flammes sans brusler leurs aisles, ainsy peut une ame vigoureuse et constante vivre au monde sans recevoir aucune humeur mondaine, treuver des sources d'une douce pieté au milieu des ondes ameres de ce siecle, et voler entre les flammes des convoitises terrestres sans brusler les aisles des sacrés desirs de la vie devote.

  A003000342 

 Il est vray que cela est malaysé, et c'est pourquoy je desirerois que plusieurs y employassent leur soin avec plus d'ardeur qu'on n'a pas fait jusques a present; comme, tout foible que je suis, je m'essaye par cet escrit de contribuer quelque [6] secours a ceux qui d'un cœur genereux feront cette digne entreprise..

  A003000342 

 Mon intention est d'instruire ceux qui vivent es villes, es mesnages, en la cour, et qui par leur condition sont obligés de faire une vie commune quant a l'exterieur, lesquelz bien souvent, sous le pretexte d'une pretendue impossibilité, ne veulent seulement pas penser a l'entreprise de la vie devote, leur estant advis que, comme aucun animal n'ose gouster de la graine de l'herbe nommee palma Christi, aussi nul homme ne doit pretendre a la palme de la pieté chrestienne tandis qu'il vit emmi la presse des affaires temporelles.

  A003000343 

 Elle, despuis, les communiqua a un grand, docte et devot Religieux, lequel estimant que plusieurs en pourroyent tirer du prouffit, m'exhorta fort de les faire publier: ce qui luy fut aysé de me persuader, parce que son amitié avoit beaucoup de pouvoir sur ma volonté, et son jugement, une grande authorité sur le mien..

  A003000343 

 Mais ce n'a toutefois pas esté par mon election ou inclination que cette Introduction sort en public: une ame vrayement pleine d'honneur et de vertu ayant, il y a quelque tems, receu de Dieu la grace de vouloir aspirer a la vie devote, desira ma particuliere assistance pour ce regard; et moy qui luy avois plusieurs sortes de devoirs, et qui avois long tems auparavant remarqué en elle beaucoup de disposition pour ce dessein, je me rendis fort soigneux de la bien instruire, et l'ayant conduitte par tous les exercices convenables a son desir et sa condition, je luy en laissay des memoires par escrit, affin qu'elle y eust recours a son besoin.

  A003000344 

 Mais tout cela je l'ay fait sans nulle sorte presque de loysir; c'est pourquoy tu ne verras rien icy d'exacte, ains seulement un amas d'advertissemens de bonne foy que j'explique par des paroles claires et intelligibles, au moins ay-je desiré de le faire.

  A003000344 

 Or, affin que le tout fust plus utile et aggreable, je l'ay reveu et y ay mis quelque sorte d'entresuite, adjoustant plusieurs advis et enseignemens propres a mon intention.

  A003000345 

 J'addresse mes paroles a Philothee, parce que, voulant reduire a l'utilité commune de plusieurs ames ce que j'avois premierement escrit pour une seule, je l'appelle du nom commun a toutes celles qui veulent estre devotes; car Philothee veut dire amatrice ou amoureuse de Dieu..

  A003000347 

 Cet aage est fort bigearre, et je prevois bien que plusieurs diront qu'il n'appartient qu'aux religieux et gens de devotion de faire des conduittes si particulieres a la pieté; qu'elles requierent plus de loysir que n'en peut avoir un Evesque chargé d'un diocese si pesant comme est le mien; que cela distrait trop l'entendement qui doit estre employé a choses importantes.

  A003000347 

 Les anciens Evesques et Peres de l'Eglise estoyent pour le moins autant affectionnés a leurs charges que nous, et ne laissoyent pourtant pas d'avoir soin de la conduitte particuliere de plusieurs ames qui recouroyent a leur assistance, comme il appert par leurs epistres; imitans en cela les Apostres qui, emmi la moisson generale de l'univers, recueilloyent neanmoins certains espis plus remarquables avec une speciale et particuliere affection.

  A003000347 

 Mais moy, mon cher Lecteur, je te dis avec le grand saint Denis, qu'il appartient principalement aux Evesques de perfectionner les ames, d'autant que leur ordre est le supreme entre les hommes, comme celuy des Seraphins entre les Anges, si que leur loysir ne peut estre mieux destiné qu'a cela.

  A003000347 

 Qui ne sçait que Timothee, Tite, Philemon, Onesime, sainte Thecle, Appia estoyent les chers enfans du grand saint Paul, comme saint Marc et sainte Petronille de saint Pierre? sainte Petronille, dis-je, laquelle, comme preuvent [9] doctement Baronius et Galonius, ne fut pas fille charnelle, mais seulement spirituelle, de saint Pierre.

  A003000348 

 C'est une peyne, je le confesse, de conduire les ames en particulier, mais une peyne qui soulage, pareille a celle des moissonneurs et vendangeurs, qui ne sont jamais plus contens que d'estre fort embesoignés et chargés; c'est un travail qui delasse et avive le cœur par la suavité qui en revient a ceux qui l'entreprennent, comme fait le cinamome ceux qui le portent parmi l'Arabie heureuse.

  A003000348 

 Mais il faut sans doute que ce soit un cœur paternel; et c'est pourquoy les Apostres et hommes apostoliques appellent leurs disciples non seulement leurs enfans, mais encor plus tendrement leurs petitz enfans..

  A003000348 

 On dit que la tigresse avant retreuvé l'un de ses petitz, que le chasseur luy laisse sur le chemin pour l'amuser tandis qu'il emporte le reste de la littee, elle s'en charge pour gros qu'il soit, et pour cela n'en est point plus pesante, ains plus legere a la course qu'elle fait pour le sauver dans sa tasniere, l'amour naturel l'allegeant par ce fardeau.

  A003000349 

 Au demeurant, mon cher Lecteur, il est vray que j'escris de la vie devote sans estre devot, mais non pas certes sans desir de le devenir, et c'est encor cette affection qui me donne courage a t'en instruire; car, comme disoit un grand homme de lettres, la bonne [10] façon d'apprendre c'est d'estudier, la meilleure c'est d'escouter, et la tresbonne c'est d'enseigner.

  A003000349 

 Il advient souvent, dit saint Augustin, escrivant a sa devote Florentine, que « l'office de distribuer sert de merite pour recevoir, » et l'office d'enseigner, de fondement pour apprendre..

  A003000350 

 La belle et chaste Rebecca, abbreuvant les chameaux d'Isaac, fut destinee pour estre son espouse, recevant de sa part des pendans d'oreilles et des brasseletz d'or; ainsy je me prometz de l'immense bonté de mon Dieu que, conduisant ses cheres brebis aux eaux salutaires de la devotion, il rendra mon ame son espouse, mettant en mes oreilles les paroles dorees de son saint amour, et en mes bras la force de les [11] bien executer, en quoy gist l'essence de la vraye devotion, que je supplie sa Majesté me vouloir octroyer et a tous les enfans de son Eglise; Eglise a laquelle je veux a jamais sousmettre mes escritz, mes actions, mes paroles, mes volontés et mes pensees..

  A003000350 

 » Or, il m'est advis, mon Lecteur mon ami, qu'estant Evesque, Dieu veut que je peigne sur les cœurs des personnes non seulement les vertus communes, mais encores sa treschere et bien aymee devotion; et moy je l'entreprens volontier, tant pour obeir et faire mon devoir, que pour l'esperance que j'ay qu'en la gravant dans l'esprit des autres, le mien a l'adventure en deviendra saintement amoureux.

  A003000358 

 Vous aspires a la devotion, treschere Philothee, parce qu'estant Chrestienne vous sçaves que c'est une vertu extremement aggreable a la divine Majesté: mais, d'autant que les petites fautes que l'on commet au commencement de quelque affaire s'aggrandissent infiniment au progres et sont presque irreparables a la fin, il faut avant toutes choses que vous sçachies que c'est que la vertu de devotion; car, d'autant qu'il n'y [14] en a qu'une vraye, et qu'il y en a une grande quantité de fauses et vaynes, si vous ne connoissies quelle est la vraye, vous pourries vous tromper et vous amuser a suivre quelque devotion impertinente et superstitieuse..

  A003000359 

 Celuy qui est adonné au jeusne se tiendra pour bien dévot pourveu qu'il jeusne, quoy que son cœur soit plein de rancune; et n'osant point tremper sa langue dedans le vin ni mesme dans l'eau, par sobrieté, ne se feindra point de la plonger dedans le sang du prochain par la mesdisance et calomnie.

  A003000359 

 Les gens de Saül cherchoyent David en sa mayson; Michol ayant mis une statue dedans un lict et l'ayant couverte des habillemens de David, leur fit accroire que c'estoit David mesme qui dormoit malade: ainsy beaucoup de personnes se couvrent de certaines actions exterieures appartenantes a la sainte devotion, et le monde croit que ce soyent gens vrayement devotz et spirituelz; mais en verité ce ne sont que des statues et fantosmes de devotion..

  A003000360 

 La vraye et vivante devotion, o Philothee, presuppose l'amour de Dieu, ains elle n'est autre chose qu'un vray amour de Dieu; mais non pas toutefois un amour tel quel: car, entant que l'amour divin embellit nostre ame, il s'appelle grace, nous rendant aggreables a sa divine Majesté; entant qu'il nous donne la force de bien faire, il s'appelle charité; mais quand il est [14] parvenu jusques au degré de perfection auquel il ne nous fait pas seulement bien faire, ains nous fait operer soigneusement, frequemment et promptement, alhors il s'appelle devotion.

  A003000361 

 En fin, la charité et la devotion ne sont non plus differentes l'une de l'autre que la flamme l'est du feu, d'autant que la charité estant un feu spirituel, quand elle est fort enflammee elle s'appelle devotion: si que la devotion n'adjouste rien au feu de la charité, sinon la flamme qui rend la charité prompte, active et diligente, non seulement a l'observation des commandemens de Dieu, mais a l'exercice des conseilz et inspirations celestes..

  A003000361 

 Et d'autant que la devotion gist en certain degré d'excellente charité, non seulement elle nous rend promptz et actifz et diligens a l'observation de tous les commandemens de Dieu; mais outre cela, elle nous provoque a faire promptement et affectionnement le plus de bonnes œuvres que nous pouvons, encores qu'elles ne soyent aucunement commandees, ains [15] seulement conseillees ou inspirees.

  A003000365 

 Ceux qui descourageoyent les Israëlites d'aller en la terre de promission leur disoyent que c'estoit un païs qui devoroit les habitans, c'est a dire, que l'air y estoit si malin qu'on n'y pouvoit vivre longuement, et que reciproquement les habitans estoyent des gens si prodigieux qu'ilz mangeoyent les autres hommes comme [16] des locustes: ainsy le monde, ma chere Philothee, diffame tant qu'il peut la sainte devotion, depeignant les personnes devotes avec un visage fascheux, triste et chagrin, et publiant que la devotion donne des humeurs melancholiques et insupportables.

  A003000365 

 Mais comme Josué et Caleb protestoyent que non seulement la terre promise estoit bonne et belle, ains aussi que la possession en seroit douce et aggreable, de mesme le Saint Esprit, par la bouche de tous les Saintz, et Nostre Seigneur par la sienne mesme nous asseure que la vie devote est une vie douce, heureuse et amiable..

  A003000366 

 Le monde voit que les devotz jeusnent, prient et souffrent les injures, servent les malades, donnent aux pauvres, veillent, contraignent leur cholere, suffoquent et estouffent leurs passions, se privent des playsirs sensuelz et font telles et autres sortes d'actions, lesquelles en elles mesmes et de leur propre substance et qualité sont aspres et rigoureuses; mais le monde ne voit pas la devotion interieure et cordiale laquelle rend toutes ces actions aggreables, douces et faciles.

  A003000366 

 Les feux, les flammes, les roues et les espees sembloyent des fleurs et des parfums aux Martyrs, parce qu'ilz estoyent devotz; que si la devotion peut donner de la douceur aux plus cruelz tourmens et a la mort mesme, qu'est-ce qu'elle fera pour les actions de la vertu?.

  A003000366 

 Regardés les abeilles sur le thim: elles y treuvent un suc fort amer, mais en le sucçant elles le convertissent en miel, parce que telle est leur proprieté.

  A003000368 

 Contemplés l'eschelle de Jacob (car c'est le vray pourtrait de la vie devote): les deux costés entre les-quelz on monte, et ausquelz les eschellons se tiennent, representent l'orayson qui impetre l'amour de Dieu et les Sacremens qui le conferent; les eschellons ne sont autre chose que les divers degrés de charité par lesquelz l'on va de vertu en vertu, ou descendant par l'action au secours et support du prochain, ou montant par la contemplation a l'union amoureuse de Dieu.

  A003000368 

 Le reste de [18] leurs cors est couvert, mais d'une belle et legere robbe, parce qu'ilz usent voyrement de ce monde et des choses mondaines, mais d'une façon toute pure et sincere, n'en prenans que legerement ce qui est requis pour leur condition: telles sont les personnes devotes..

  A003000368 

 Or voyes, je vous prie, ceux qui sont sur l'eschelle: ce sont des hommes qui ont des cœurs angeliques, ou des Anges qui ont des cors humains; ilz ne sont pas jeunes, mais ilz le semblent estre, parce qu'ilz sont pleins de vigueur et agilité spirituelle; ilz ont des aisles pour voler, et s'eslancent en Dieu par la sainte orayson, mais ilz ont des pieds aussi pour cheminer avec les hommes par une sainte et amiable conversation; leurs visages sont beaux et gais, d'autant qu'ilz reçoivent toutes choses avec douceur et suavité; leurs jambes, leurs bras et leurs testes sont tout a descouvert, d'autant que leurs pensees, leurs affections et leurs actions n'ont aucun dessein ni motif que de plaire a Dieu.

  A003000374 

 Je vous prie, Philothee, seroit il a propos que l'Evesque voulust estre solitaire comme les Chartreux? Et si les mariés ne vouloient rien amasser non plus que les Capucins, si l'artisan estoit tout le jour a l'eglise comme le religieux, et le religieux tous-jours exposé a toutes sortes de rencontres pour le service du prochain, comme l'Evesque, cette devotion ne seroit elle pas ridicule, desreglee et insupportable? Cette faute neanmoins arrive bien souvent, et le monde qui ne discerne pas, ou ne veut pas discerner, entre la devotion et l'indiscretion de ceux qui pensent estre devotz, murmure et blasme la devotion, laquelle ne peut mais de ces desordres..

  A003000376 

 Il est mesme arrivé que plusieurs ont perdu la perfection en la solitude, qui est neanmoins si desirable pour la perfection, et l'ont conservee parmi la multitude, qui semble si peu favorable a la perfection: Loth, dit saint Gregoire, qui fut si chaste en la ville, se souïlla en la solitude.

  A003000376 

 Il est vray, Philothee, que la devotion purement contemplative, monastique et religieuse ne peut estre exercee en ces vacations la; mais aussi, outre ces trois sortes de devotion, il y en a plusieurs autres, propres a perfectionner ceux qui vivent es estatz seculiers.

  A003000376 

 Ou que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer a la vie parfaitte.

  A003000380 

 Quoy que vous cherchies, dit le devot Avila, « vous ne treuveres jamais si asseurement la volonté de Dieu que par le chemin de cette humble obeissance, tant recommandee et prattiquee par tous les anciens devotz.».

  A003000381 

 La bienheureuse Mere Therese voyant que madame Catherine de Cardone faisoit des grandes penitences, desira fort de l'imiter en cela, contre l'advis de son confesseur qui le luy defendoit, auquel elle [22] estoit tentee de ne point obeir pour ce regard; et Dieu luy dit: « Ma fille, tu tiens un bon et asseuré chemin.

  A003000381 

 La devote Princesse sainte Elisabeth se sousmit avec une extreme obeissance au docteur Maistre Conrad; et voyci l'un des advis que le grand saint Louys fit a son filz avant que mourir: « Confesse-toy souvent, eslis un confesseur » idoine, qui soit « preud'homme et qui te puisse seurement enseigner » a faire les choses qui te sont necessaires..

  A003000381 

 » Aussi elle aymoit tant cette vertu, qu'outre l'obeissance qu'elle devoit a ses superieurs, elle en voua une toute particuliere a un excellent homme, s'obligeant de suivre sa direction et conduite, dont elle fut infiniment consolee; comme, apres et devant elle, plusieurs bonnes ames, qui pour se mieux assujettir a Dieu, ont sousmis leur volonté a celle de ses serviteurs, ce que sainte Catherine de Sienne loue infiniment en ses Dialogues.

  A003000384 

 Ayes en luy une extreme confiance meslee d'une sacree reverence, en sorte que la reverence ne diminue point la [24] confiance, et que la confiance n'empesche point la reverence; confies-vous en luy avec le respect d'une fille envers son pere, respectes-le avec la confiance d'un filz avec sa mere: bref, cette amitié doit estre forte et douce, toute sainte, toute sacree, toute divine et toute spirituelle..

  A003000384 

 Or, ce doit tous-jours estre un Ange pour vous: c'est a dire, quand vous l'aures treuvee, ne la considerés pas comme un simple homme, et ne vous confies point en iceluy ni en son sçavoir humain, mais en Dieu, lequel vous favorisera et parlera par l'entremise de cet homme, mettant dedans le cœur et dedans la bouche d'iceluy ce qui sera requis pour vostre bonheur; si que vous le deves escouter comme un Ange qui descend du ciel pour vous y mener.

  A003000385 

 Et pour cela, choisisses en un entre mille, dit Avila; et moy je dis entre dix mille, car il s'en treuve moins que l'on ne sçauroit dire qui soyent capables de cet office.

  A003000389 

 C'est le commencement de nostre santé que d'estre purgé de nos humeurs peccantes..

  A003000390 

 La guerison, dit l'aphorisme, qui se fait tout bellement, est tous-jours plus asseuree; les maladies du cœur, aussi bien que celles du cors, viennent a cheval et en poste, mais elles s'en revont a pied et au petit pas..

  A003000390 

 La purgation et guerison ordinaire, soit des cors soit des espritz, ne se fait que petit a petit, par progres, d'avancement en avancement, avec peyne et loysir.

  A003000390 

 Saint Paul tout en un moment fut purgé d'une purgation parfaitte, comme fut aussi sainte Catherine de Gennes, sainte Magdeleine, sainte Pelagie et quelques autres; mais cette sorte de purgation est toute miraculeuse et extraordinaire en la grace, comme la resurrection des mortz en la nature, si que nous ne devons pas y pretendre.

  A003000391 

 Mais aussi, de l'autre costé, n'est-ce pas un extreme danger aux ames lesquelles, par une tentation contraire, se font accroire d'estre purgees de leurs imperfections le premier jour de leur purgation, se tenans pour parfaittes avant presque d'estre faittes, en se mettant au vol sans aisles? O Philothee, qu'elles sont en grand peril de recheoir, pour s'estre trop tost ostees d'entre les mains du medecin! Ha, ne vous levés pas avant que la lumiere soit arrivee, dit le Prophete; levés vous apres que vous aurès esté assis: et luy mesme pratiquant cette leçon et ayant esté des-ja lavé et nettoyé, demande de l'estre derechef..

  A003000392 

 C'est une heureuse condition pour nous en cette guerre, que nous soyons tous-jours vainqueurs, pourveu que nous voulions combattre.

  A003000392 

 Il faut bien que pour l'exercice de nostre humilité, nous soyons quelquefois blessés en cette bataille spirituelle; neanmoins nous ne sommes jamais vaincus sinon lhors que nous avons perdu ou la vie ou le courage.

  A003000392 

 Nostre victoire ne gist pas a ne les sentir point, mais a ne point leur consentir; mais ce n'est pas leur consentir que d'en estre incommodé.

  A003000392 

 Or, les imperfections et pechés venielz ne nous sçauroyent oster la vie spirituelle, car elle ne se perd que par le peché mortel; il reste donques seulement qu'elles ne nous facent point perdre le courage: Delivre-moy, Seigneur, disoit David, de la coüardise et descouragement.

  A003000396 

 Cherches le plus digne confesseur que vous pourres; prenes en main quelqu'un des petitz livres qui ont esté faitz pour ayder les consciences a se bien confesser, comme Grenade, Bruno, Arias, Auger; lises les bien, et remarques de point en point en quoy vous aves offencé, a prendre despuis que vous eustes l'usage de rayson jusques a l'heure presente; et si vous vous defies de vostre memoire, mettes en escrit ce que vous aurés remarqué.

  A003000396 

 Et ayant ainsy preparé et ramassé les humeurs peccantes de vostre conscience, detestes-les et les rejettes par une contrition et desplaysir aussi grand que vostre cœur pourra souffrir, considerant ces quatre choses: que par le [28] peché vous aves perdu la grace de Dieu, quitté vostre part de Paradis, accepté les peynes eternelles de l'enfer et renoncé a l'amour eternel de Dieu..

  A003000397 

 Il arrive souvent que les confessions ordinaires de ceux qui vivent d'une vie commune et vulgaire sont pleines de grans defautz: car souvent on ne se prepare point ou fort peu, on n'a point la contrition requise, ains il advient maintes fois que l'on se va confesser avec une volonté tacite de retourner au peché, d'autant qu'on ne veut pas eviter l'occasion du peché, ni prendre les expediens necessaires a l'amendement de la vie; et en tous ces cas ici la confession generale est requise pour asseurer l'ame.

  A003000397 

 Vous voyes bien, Philothee, que je parle d'une confession generale de toute la vie, laquelle, certes, je confesse bien n'estre pas tous-jours absolument necessaire, mais je considere bien aussi qu'elle vous sera extremement utile en ce commencement: c'est pourquoy je vous la conseille grandement.

  A003000402 

 Helas, que telles gens sont en grand peril!.

  A003000402 

 Ilz s'abstiennent du peché comme les malades font des melons, lesquelz ilz ne mangent pas parce que le medecin les menace de mort s'ilz en mangent; mais ilz s'inquietent de s'en abstenir, ilz en parlent et marchandent s'il se pourrait faire, ilz les veulent au moins sentir, et estiment bien heureux ceux qui en peuvent manger.

  A003000402 

 Un homme resolu de se venger changera de volonté en la [30] confession, mais tost apres on le treuvera parmi ses amis qui prend playsir a parler de sa querelle, disant que si ce n'eust esté la crainte de Dieu, il eust fait ceci et cela, et que la loy divine en cet article de pardonner est difficile; que pleust a Dieu qu'il fust permis de se venger! Ha, qui ne voit qu'encor que ce pauvre homme soit hors du peché, il est neanmoins tout embarrassé de l'affection du peché, et qu'estant hors d'Egypte en effect, il y est encor en appetit, desirant les aulx et les oignons qu'il y souloit manger! comme fait cette femme qui, ayant detesté ses mauvaises amours, se plaist neanmoins d'estre muguettee et environnee.

  A003000403 

 Les ames lesquelles sorties de l'estat du peché ont encor ces affections et allanguissemens, ressemblent a mon advis aux filles qui ont les pasles couleurs, lesquelles ne sont pas malades, mais toutes leurs actions sont malades: elles mangent sans goust, dorment sans repos, rient sans joye, et se traisnent plustost que de cheminer; car de mesme, ces ames font le bien avec des lassitudes spirituelles si grandes, qu'elles ostent toute la grace a leurs bons exercices, qui sont peu en nombre et petitz en effect.

  A003000407 

 Ainsy Magdeleine en sa conversion perdit tellement le [32] goust des pechés et des playsirs qu'elle y avoit prins, que jamais plus elle n'y pensa; et David protestoit de non seulement haïr le peché, mais aussi toutes les voyes et sentiers d'iceluy: en ce point consiste le rajeunissement de l'ame, que ce mesme Prophete compare au renouvellement de l'aigle..

  A003000407 

 Ainsy, quand le penitent ne hait le peché que par une legere, quoy que vraye contrition, il se resoult voyrement bien de ne plus pecher, mais quand il le hait d'une contrition puissante et vigoureuse, non seulement il deteste le peché, ains encor toutes les affections, dependances et acheminemens du peché.

  A003000407 

 Or, le premier motif pour parvenir a cette seconde purgation, c'est la vive et forte apprehension du grand mal que le peché nous apporte, par le moyen de laquelle nous entrons en une profonde et vehemente contrition; car tout ainsy que la contrition, pourveu qu'elle soit vraye, pour petite qu'elle soit, et sur tout estant jointe a la vertu des Sacremens, nous purge suffisamment du peché, de mesme quand elle est grande et vehemente, elle nous purge de toutes les affections qui dependent du peché.

  A003000407 

 Une haine ou rancune foible et debile nous fait avoir a contrecœur celuy que nous haïssons et nous fait fuir sa compaignie; mais si c'est une haine mortelle et violente, non seulement nous fuyons et abhorrons celuy a qui nous la portons, ains nous avons a degoust et ne pouvons souffrir la conversation de ses alliés, parens et amis, non pas mesme son image, ni chose qui luy appartienne.

  A003000408 

 Or, pour parvenir a cette apprehension et contrition, il faut que vous vous exercies soigneusement aux meditations suivantes, lesquelles estans bien prattiquees desracineront de vostre cœur, moyennant la grace de Dieu, le peché et les principales affections du peché; aussi les ay-je dressees tout a fait pour cet usage.

  A003000408 

 Que si vous n'estes encor pas duite a faire la meditation, voyes ce qui en sera dit en la seconde Partie..

  A003000408 

 Vous les feres l'une apres l'autre selon que je les ay marquees, n'en prenant qu'une pour chaque jour, laquelle vous feres le matin, s'il est possible, qui est le tems le plus propre pour toutes les actions de l'esprit, et la ruminerés le reste de la journee.

  A003000417 

 Considerés qu'il n'y a que tant d'ans que vous n'esties point au monde, et que vostre estre estoit un vray rien.

  A003000418 

 Dieu vous a fait esclore de ce rien, pour vous rendre ce que vous estes, sans qu'il eust besoin de vous, ains par sa seule bonté..

  A003000419 

 Considerés l'estre que Dieu vous a donné; car c'est le premier estre du monde visible, capable de vivre eternellement et de s'unir parfaittement a sa divine Majesté..

  A003000422 

 Et comment eustes-vous memoire de moy pour me creer? Helas, mon ame, tu estois abismee dans cet ancien neant, et y serois encores de present si Dieu ne t'en eust retiree; et que ferois-tu dedans ce rien? [34].

  A003000423 

 O mon grand et bon Createur, combien vous suis-je redevable, puisque vous m'estes allé prendre dans mon rien, pour me rendre par vostre misericorde ce que je suis.

  A003000423 

 Qu'est ce que je feray jamais pour dignement benir vostre saint Nom et remercier vostre immense bonté?.

  A003000424 

 Mays helas, mon Createur, au lieu de m'unir a vous par amour et service, je me suis rendue toute rebelle par mes desreglees affections, me separant et esloignant de vous pour me joindre au peché, n'honnorant non plus vostre bonté que si vous n'eussies pas esté mon Createur..

  A003000425 

 O mon ame, sçache que le Seigneur est ton Dieu; c'est luy qui t'a fait, et tu ne t'es pas faitte toy mesme.

  A003000430 

 Benis, o mon ame, ton Dieu et que toutes mes entrailles loüent son saint Nom; car sa bonté m'a tiree de rien, et sa misericorde m'a creée..

  A003000431 

 O mon Dieu, je vous offre l'estre que vous m'aves donné, avec tout mon cœur; je le vous dedie et consacre.

  A003000434 

 Au sortir de l'orayson, en vous pourmenant un peu, recueilles un petit bouquet de devotion, des considerations que vous aves faites, pour l'odorer le long de la journee..

  A003000444 

 Considerés le malheur du monde qui ne pense point a cela, mais vit comme s'il croyoit de n'estre creé que pour bastir des maysons, planter des arbres, assembler des richesses et faire des badineries..

  A003000447 

 Confondes-vous, reprochant a vostre ame sa misere, qui a esté si grande ci devant qu'elle n'a que peu ou point pensé a tout ceci.

  A003000447 

 Helas, ce dires-vous, que pensois-je, o mon Dieu, quand je ne pensois point en vous? dequoy me resouvenois-je quand je vous oubliois? qu'aymois-je quand je ne vous aymois pas? Helas, je me devois repaistre de la verité, et je me remplissois de la vanité, et servois le monde qui n'est fait que pour me servir..

  A003000452 

 Vous m'aves faite, o Seigneur, pour vous, affin que je jouisse eternellement de l'immensité de vostre gloire: quand sera-ce que j'en seray digne, et quand vous beniray-je selon mon devoir?.

  A003000464 

 Consideres les graces corporelles que Dieu vous a donnees: quel cors, quelles commodités de l'entretenir, quelle santé, quelles consolations loysibles [38] pour iceluy, quelz amis, quelles assistances.

  A003000464 

 Mais cela consideres-le avec une comparayson de tant d'autres personnes qui valent mieux que vous, lesquelles sont destituees de ces benefices: les uns gastés de cors, de santé, de membres; les autres abandonnés a la merci des opprobres, et du mespris et deshonneur; les autres accablés de pauvreté; et Dieu n'a pas voulu que vous fussies si miserable..

  A003000469 

 O que mon Dieu est bon en mon endroit! O qu'il est bon! Que vostre cœur, Seigneur, est riche en misericorde et liberal en debonnaireté! O mon ame, racontons a jamais combien de graces il nous a faites..

  A003000470 

 Mais que suis-je, Seigneur, que vous ayes eu memoire de moy? O que mon [39] indignité est grande! Helas, j'ay foulé au pied vos benefices; j'ay deshonnoré vos graces, les convertissant en abus et mespris de vostre souveraine bonté; j'ay opposé l'abisme de mon ingratitude a l'abisme de vostre grace et faveur..

  A003000488 

 Penses combien il y a que vous commencés a pecher, et voyes combien des ce premier commencement les pechés se sont multipliés en vostre cœur; comme tous les jours vous les aves accreus contre Dieu, contre vous mesme, contre le prochain, par œuvre, par parole, par desir et pensee..

  A003000489 

 Et par ces deux pointz vous verrés que vos coulpes sont en plus grand nombre que les cheveux de vostre teste, voyre que le sable de la mer..

  A003000490 

 Avec quelle preparation les aves-vous receus? Pensés a cette ingratitude, que Dieu vous ayant tant couru apres pour vous sauver, vous aves tous-jours fui devant luy pour vous perdre..

  A003000490 

 Consideres a part le peché d'ingratitude envers Dieu, qui est un peché general lequel s'espanche par tous les autres, et les rend infiniment plus enormes: voyes donq combien de benefices Dieu vous a fait, et que de tous, vous aves abusé contre le Donateur; singulierement, combien d'inspirations mesprisees, combien de bons mouvemens rendus inutiles.

  A003000490 

 Et encor plus que tout, combien de fois aves-vous receu les Sacremens, [41] et ou en sont les fruitz? que sont devenus ces pretieux joyaux dont vostre cher Espoux vous avoit ornee? tout cela a esté couvert sous vos iniquités.

  A003000493 

 Est il possible que j'aye esté si desloyale, que je n'aye laissé pas un seul de mes sens, pas une des puissances de mon ame, que je n'aye gasté, violé et souillé, et que pas un jour de ma vie ne soit escoulé auquel je n'aye produit de si mauvais effectz? Est-ce ainsy que je devois contrechanger les benefices de mon Createur et le sang de mon Redempteur?.

  A003000495 

 Helas, je ne l'ay que trop aymé; je le deteste, et vous embrasse, o Pere de misericorde; je veux vivre et mourir en vous..

  A003000496 

 Pour effacer les pechés passés, je m'en accuseray courageusement, et n'en laisseray pas un que je ne pousse dehors..

  A003000497 

 Je feray tout ce que je pourra y pour en deraciner entierement les plantes de mon cœur, particulierement de telz et de telz qui me sont plus ennuyeux.

  A003000513 

 Quand sera-ce? sera-ce en hiver ou en esté? en la ville ou au village? de jour ou de nuit? sera-ce a l'impourveu ou avec advertissement? sera-ce de maladie ou d'accident? aures-vous le loysir de vous confesser, ou non? seres-vous assistee de vostre confesseur et pere spirituel? Helas, de tout cela nous n'en sçavons rien du tout; [43] seulement cela est asseuré que nous mourrons, et tous-jours plus tost que nous ne pensons..

  A003000514 

 Ah chetifve, pour quelles bagatelles et chimeres ay je offensé mon Dieu! Vous verrés que nous avons quitté Dieu pour neant.

  A003000515 

 Consideres les grans et langoureux adieux que vostre ame dira a ce bas monde: elle dira adieu aux richesses, aux vanités et vaynes compaignies, aux playsirs, aux passetems, aux amis et voysins, aux parens, aux enfans, au mari, a la femme, bref, a toute creature; et, en fin finale, a son cors, qu'elle delaissera pasle, have, desfait, hideux et puant..

  A003000516 

 Consideres les empressemens qu'on aura pour lever ce cors-la et le cacher en terre, et que, cela fait, le monde ne pensera plus gueres en vous, ni n'en sera plus memoire, non plus que vous n'avés gueres pensé aux autres: Dieu luy face paix, dira-on, et puis, c'est tout.

  A003000516 

 O mort, que tu es considerable, que tu es impiteuse!.

  A003000517 

 Helas, ou ira la vostre? quelle voye tiendra-elle? non autre que celle qu'elle aura commencee en ce monde.

  A003000520 

 Las! Seigneur, receves-moy en vostre protection pour ce jour effroyable; rendés-moy cette heure heureuse et favorable, et que plustost toutes les autres de ma vie me soyent tristes et d'affliction..

  A003000521 

 O mes chers amis, mes cheres alliances, permettes-moy que je ne vous affectionne plus que par une amitié sainte, laquelle puisse durer eternellement; car, pourquoy m'unir a vous en sorte qu'il faille quitter et rompre la liaison?.

  A003000536 

 En fin, apres le tems que Dieu a marqué pour la duree de ce monde, et apres une quantité de signes et presages horribles pour lesquelz les hommes secheront d'effroi et de crainte, le feu venant comme un deluge bruslera et reduira en cendre toute la face de la terre, sans qu'aucune des choses que nous voyons sur icelle en soit exempte..

  A003000538 

 Consideres la majesté avec laquelle le souverain Juge comparoistra, environné de tous les Anges et Saintz, ayant devant soy sa Croix plus reluisante que le soleil, enseigne de grace pour les bons, et de rigueur pour les mauvais..

  A003000541 

 Alles, dit il: c'est un mot d'abandonnement perpetuel que Dieu fait de telz malheureux, les bannissant pour jamais de sa face.

  A003000541 

 O eternelle eternité de peynes, que tu es effroyable!.

  A003000547 

 Ah, je me veux juger moy-mesme maintenant, affin [47] que je ne sois pas jugee; je veux examiner ma conscience et me condamner, m'accuser et me corriger, affin que le Juge ne me condamne en ce jour redoutable: je me confesseray donq, j'accepteray les advis necessaires, etc..

  A003000564 

 Les damnés sont dedans l'abisme infernal comme dedans cette ville infortunee, en laquelle ilz souffrent des tourmens indicibles en tous leurs sens et en tous leurs membres, parce que, comme ilz ont employé tous leurs sens et leurs membres pour pecher, ainsy souffriront ilz en tous leurs membres et en tous leurs sens les peynes deuës au peché: les yeux, pour leurs [48] faux et mauvais regards, souffriront l'horrible vision des diables et de l'enfer; les oreilles, pour avoir prins playsir aux discours vicieux, n'ouïront jamais que pleurs, lamentations et desespoirs; et ainsy des autres..

  A003000565 

 Que si Absalon treuva que la privation de la face amiable de son pere David estoit plus ennuyeuse que son exil, o Dieu, quel regret d'estre a jamais privé de voir vostre doux et suave visage!.

  A003000570 

 Confessés que vous l'aves merité, mays combien de fois! Or, des-ormais je veux prendre parti au chemin contraire; pourquoy descendrois-je en cet abisme?.

  A003000581 

 O que ce lieu est desirable et amiable, que cette cité est pretieuse!.

  A003000581 

 Or, joignés maintenant cette beauté avec celle d'un beau jour, en sorte que la clarté du soleil n'empesche point la claire veuë des estoiles ni de la lune; et puis apres, dites hardiment que toute cette beauté mise ensemble n'est rien au prix de l'excellence du grand Paradis.

  A003000582 

 O que cette compaignie est heureuse! Le moindre de tous est plus beau a voir que tout le monde; que sera-ce de les voir tous? Mais, mon Dieu, qu'ilz sont heureux: tous-jours ilz chantent le doux cantique de l'amour eternel; tous-jours ilz jouissent d'une constante [50] allegresse; ilz s'entredonnent les uns aux autres des contentemens indicibles, et vivent en la consolation d'une heureuse et indissoluble societé..

  A003000586 

 O que vous estes belle, ma chere Hierusalem, et que bienheureux sont vos habitans!.

  A003000588 

 Allons, o ma chere ame, allons en ce repos infini, cheminons a cette benite terre qui nous est promise; que faisons-nous en cett' Egypte?.

  A003000600 

 Imaginés vous d'estre en une rase campagne, toute seule avec vostre bon Ange, comme estoit le jeune Tobie allant en Rages, et qu'il vous fait voir en haut le Paradis ouvert, avec les playsirs representés en la meditation du Paradis que vous aves faitte; puis, du costé d'en bas, il vous fait voir l'enfer ouvert, avec tous les tourmens descritz en la meditation de l'enfer.

  A003000601 

 Consideres qu'il est tres vray que vous estes au milieu du Paradis et de l'enfer, et que l'un et l'autre [52] est ouvert pour vous recevoir, selon le choix que vous en ferés..

  A003000602 

 Consideres que le choix que l'on fait de l'un ou de l'autre en ce monde, durera eternellement en l'autre..

  A003000603 

 Et encores que l'un et l'autre soit ouvert pour vous recevoir, selon que vous le choisirés, si est-ce que Dieu, qui est appareillé de vous donner, ou l'un par sa justice ou l'autre par sa misericorde, desire neanmoins d'un desir nompareil que vous choisissies le Paradis; et vostre bon Ange vous en presse de tout son pouvoir, vous offrant de la part de Dieu mille graces et mille secours pour vous ayder a la montee..

  A003000604 

 Voyes de vos yeux interieurs la Sainte Vierge qui vous convie maternellement: Courage, ma fille, ne veuille pas mespriser les desirs de mon Filz, ni tant de souspirs que je jette pour toy, respirant avec luy ton salut eternel.

  A003000604 

 Voyes les Saintz qui vous exhortent, et un million de saintes ames qui vous convient doucement, ne desirans que de voir un jour vostre cœur joint au leur, pour loüer Dieu a jamais, et vous asseurans que le chemin du Ciel n'est point si malaysé que le monde le fait: Hardiment, vous disent elles, treschere amie; qui considerera bien le chemin de la devotion par lequel nous sommes montees, il verra que nous sommes venues en ces delices, par des delices incomparablement plus souëfves que celles du monde..

  A003000607 

 O Jesus, mon Sauveur, j'accepte vostre amour eternel, et advouë l'acquisition que vous aves faite pour moy d'une place et logis en cette bienheureuse Hierusalem, non tant pour aucune autre chose, comme pour vous aymer et benir a jamais..

  A003000607 

 O enfer, je te deteste maintenant et eternellement; je deteste tes tourmens et tes peynes; je deteste ton [53] infortunee et malheureuse eternité, et sur tout ces eternelz blasphemes et maledictions que tu vomis eternellement contre mon Dieu.

  A003000608 

 Acceptes les faveurs que la Vierge et les Saintz vous presentent; promettes leur que vous vous achemineres a eux; tendes la main a vostre bon Ange affin qu'il vous y conduise; encourages vostre ame a ce choix..

  A003000617 

 Voyes comme ilz sont tous sans repos, sans ordre et sans contenance; voyes comme ilz se mesprisent les uns les autres et comme ilz ne s'ayment que par des faux semblans.

  A003000618 

 Bref, voyes les yeux du Sauveur qui les console, et que tous ensemblement aspirent a luy..

  A003000618 

 Qu'il fait beau voir cette troupe de vierges, hommes et femmes, plus blanche que le lys, cette assemblee de vefves, pleines d'une sacree mortification et humilité! Voyes le rang de plusieurs personnes mariees qui vivent si doucement ensemble avec respect mutuel, qui ne peut estre sans une grande charité: voyes comme ces devotes ames marient le soin de leur mayson exterieure avec le soin de l'interieure, l'amour du mari avec celuy de l'Espoux celeste.

  A003000619 

 Vous aves meshui quitté Satan avec sa triste et malheureuse troupe, par les bonnes affections que vous aves conceuës, et neanmoins vous n'estes pas encor arrivee au Roy Jesus, ni jointe a son heureuse et sainte compaignie de devotz, ains vous aves esté tous-jours entre l'un et l'autre..

  A003000621 

 Le Roy crucifié vous appelle par vostre nom propre: Venes, o ma bien aymee, venes affin que je vous couronne..

  A003000626 

 O mon saint Ange, presentes moy a cette sacree [56] assemblee; ne m'abandonnes point jusques a ce que j'arrive avec cette heureuse compaignie, avec laquelle je dis et diray a jamais pour tesmoignage de mon choix: Vive Jesus, vive Jesus..

  A003000630 

 Le scorpion qui nous a piqués est veneneux en nous piquant, mais estant reduit en huile c'est un grand medicament contre sa propre piqueure: le peché n'est honteux que quand nous le faisons, mais estant converti en confession et penitence, il est honnorable et salutaire.

  A003000630 

 Quand vous seres arrivee devant vostre pere spirituel, imaginés-vous d'estre en la montagne de Calvaire sous [57] les pieds de Jesus Christ crucifié, duquel le sang pretieux distille de toutes partz pour vous laver de vos iniquités; car, bien que ce ne soit pas le propre sang du Sauveur, c'est neanmoins le merite de son sang respandu qui arrouse abondamment les penitens autour des confessionnaux.

  A003000630 

 Si nous sommes bien humbles, Philothee, nostre péché nous desplaira infiniment parce que Dieu en est offencé, mais l'accusation de nostre peché nous sera douce et aggreable, parce que Dieu en est honnoré: ce nous est une sorte d'allegement de bien dire au medecin le mal qui nous tourmente.

  A003000630 

 Simon le lepreux disoit que Magdeleine estoit pecheresse; mays Nostre Seigneur dit que non, et ne parle plus sinon des parfums qu'elle respandit et de la grandeur de sa charité.

  A003000631 

 Ouy, c'est Dieu, Philothee, que vous escoutes, puisqu'il a dit a ses vicaires: Qui vous escoute, m'escoute.

  A003000631 

 Prenes, par apres, en main la protestation suivante, laquelle sert de conclusion a toute vostre contrition, et que vous deves avoir premierement meditee et consideree; lises-la attentivement et avec le plus de ressentiment qu'il vous sera possible..

  A003000635 

 Je soussignee, constituee et establie en la presence de Dieu eternel et de toute la cour celeste, ayant [58] consideré l'immense misericorde de sa divine bonté envers moy, tresindigne et chetifve creature, qu'elle a creée de rien, conservee, soustenue, delivree de tant de dangers, et comblee de tant de bienfaitz; mais sur tout ayant consideré cette incomprehensible douceur et clemence avec laquelle ce tresbon Dieu m'a si benignement toleree en mes iniquités, si souvent et si amiablement inspiree, me conviant a m'amender, et si patiemment attendue a penitence et repentance jusques a cette N. annee de mon aage, nonobstant toutes mes ingratitudes, desloyautés et infidelités par lesquelles, differant ma conversion et mesprisant ses graces, je l'ay si impudemment offencé; apres avoir encor consideré qu'au jour de mon sacré Baptesme je fus si heureusement et saintement voüee et dediee a mon Dieu pour estre sa fille, et que, contre la profession qui fut alhors faitte en mon nom, j'ay tant et tant de fois si malheureusement et detestablement profané et violé mon esprit, l'appliquant et l'employant contre la divine Majesté; en fin, revenant maintenant a moy-mesme, prosternee de cœur et d'esprit devant le throsne de la justice divine, je me reconnois, advouë et confesse pour legitimement atteinte et convaincue du crime de leze majesté divine, et coulpable de la Mort et Passion de Jesus Christ, a rayson des pechés que j'ay commis, pour lesquelz il est mort et a souffert le tourment de la croix, si que je suis digne, par consequent, d'estre a jamais perdue et damnee..

  A003000636 

 Et me convertissant a mon Dieu debonnaire et pitoyable, je desire, propose, delibere et me resous irrevocablement de le servir et aymer maintenant et eternellement, luy donnant a ces fins, dediant et consacrant mon esprit avec toutes ses facultés, mon ame avec toutes ses puissances, mon cœur avec toutes ses affections, mon cors avec tous ses sens; protestant de ne jamais plus abuser d'aucune partie de mon estre contre sa divine volonté et souveraine Majesté, a laquelle je me sacrifie et immole en esprit, pour luy estre a jamais loyale, obeissante et fidelle creature, sans que je veuille onques m'en desdire ni repentir.

  A003000636 

 Mais helas, si par suggestion de l'ennemi ou par quelque infirmité humaine, il m'arrivoit de contrevenir en chose quelconque a cette mienne resolution et consecration, je proteste des maintenant, et me propose, moyennant la grace du Saint Esprit, de m'en relever si tost que je m'en apercevray, me convertissant derechef a la misericorde divine, sans letardation ni dilation quelconque..

  A003000641 

 Cette protestation faite, soyes attentive et ouvrés les oreilles de vostre cœur pour ouïr en esprit la parole de vostre absolution, que le Sauveur mesme de vostre ame, assis sur le throsne de sa misericorde, prononcera la haut au Ciel devant tous les Anges et les Saintz, a mesme tems qu'en son nom le prestre vous absout ici bas en terre.

  A003000641 

 Si que toute cette troupe des Bienheureux se resjouissant de vostre bonheur, chantera le cantique spirituel d'une allegresse nompareille, et tous donneront le bayser de paix et de societé a vostre cœur remis en grace et sanctifié..

  A003000642 

 O Dieu, Philothee, que voyla un contract admirable par lequel vous faites un heureux traitté avec sa divine Majesté, puisqu'en vous donnant vous mesme a elle, vous la gaignés et vous mesme aussi pour la vie eternelle! Il ne reste plus sinon que, prenant la plume en main, vous signies de bon cœur l'acte de vostre protestation, et que par apres vous allies a l'autel, ou Dieu [61] reciproquement signera et scellera vostre absolution et la promesse qu'il vous fera de son Paradis, se mettant luy mesme par son Sacrement comme un cachet et sceau sacré sur vostre cœur renouvellé.

  A003000643 

 Et d'autant que les mesmes advis servent encor pour une purification plus parfaitte, avant que de les vous donner, je vous veux dire quelque chose de cette plus absolue pureté a laquelle je desire vous conduire..

  A003000643 

 Mais d'autant que ces affections renaissent aysement en l'ame, a rayson de nostre infirmité et de nostre concupiscence, qui peut estre mortifiee mais qui ne peut mourir pendant que nous vivons icy bas en terre, je vous donneray des advis lesquelz estans bien prattiqués vous preserveront des-ormais du peché mortel et de toutes les affections d'iceluy, affin que jamais il ne puisse avoir place en vostre cœur.

  A003000647 

 A mesure que le jour se fait, nous voyons plus clairement dans le mirouër les taches et souïlleures de nostre visage; ainsy, a mesure que la lumiere interieure du Saint Esprit esclaire nos consciences, nous voyons [62] plus distinctement et plus clairement les pechés, inclinations et imperfections qui nous peuvent empescher d'atteindre a la vraye devotion; et la mesme lumiere qui nous fait voir ces tares et deschetz, nous eschauffe au desir de nous en nettoyer et purger..

  A003000648 

 Je ne dis pas que vous descouvrirés des pechés venielz, mais je dis que vous descouvrirés des affections et inclinations a iceux; or, l'un est bien different de l'autre: car nous ne pouvons jamais estre du tout purs des pechés venielz, au moins pour persister long tems en cette pureté; mais nous pouvons bien n'avoir aucune affection aux pechés venielz.

  A003000649 

 Le peché veniel, pour petit qu'il soit, desplait a Dieu, bien qu'il ne luy desplaise pas tant que pour iceluy il nous veuille damner ou perdre.

  A003000649 

 Que si le peché veniel luy desplait, la volonté et l'affection que l'on a au peché veniel n'est autre chose qu'une resolution de vouloir desplaire a sa divine Majesté.

  A003000650 

 Les mouches mourantes, dit le Sage, perdent et gastent la suavité de l'onguent: il veut dire que les mouches, ne s'arrestans gueres sur l'onguent, mais le mangeans en passant, ne gastent que ce qu'elles prennent, le reste demeurant en son entier; mais quand elles meurent emmi l'onguent, elles luy ostent son prix et le mettent a desdain.

  A003000651 

 Ainsy le peché veniel ne tue pas nostre ame, mais il gaste pourtant la devotion, et embarrasse si fort de mauvaises habitudes et inclinations les puissances de l'ame, qu'elle ne peut plus exercer la promptitude de la charité, en laquelle gist la devotion; mais cela s'entend quand le peché veniel sejourne en nostre conscience par l'affection que nous y mettons.

  A003000651 

 Ce n'est rien, Philothee, de dire quelque petit mensonge, de se desregler un peu en paroles, en actions, en regards, en habitz, en jolietés, en jeux, en danses, pourveu que tout aussi tost que ces araignes spirituelles sont entrees en nostre conscience, nous les en rechassions et bannissions, comme les mouches a miel font les araignes corporelles.

  A003000651 

 Les araignes ne tuent pas les abeilles, mais elles gastent et corrompent leur miel, et embarrassent leurs rayons des toiles qu'elles y font, en sorte que les abeilles ne peuvent plus faire leur mesnage; et cela s'entend quand elles y font du sejour.

  A003000651 

 Mais si nous leur permettons d'arrester dans nos cœurs, et non seulement cela, mais que nous nous affectionnions a les y retenir et multiplier, bien tost nous verrons nostre miel perdu, [64] et la ruche de nostre conscience empestee et desfaitte.

  A003000655 

 C'est dommage de semer en la terre de nostre cœur des affections si vaines et sottes: cela occupe le lieu des bonnes impressions, et empesche que le suc de nostre ame ne soit employé es bonnes inclinations..

  A003000655 

 Je dis donq, Philothee, qu'encor qu'il soit loysible de jouer, danser, se parer, ouïr des honnestes comedies, banqueter, si est-ce que d'avoir de l'affection a cela, c'est chose contraire a la devotion et extremement nuisible et perilleuse.

  A003000656 

 Ainsy les anciens Nazariens s'abstenoyent non seulement de tout ce qui pouvoit enivrer, mais aussi des raisins et du verjus; non point que le raisin et le verjus enivre, mais parce qu'il y avoit danger en [65] mangeant du verjus d'exciter le desir de manger des raisins, et en mangeant des raisins, de provoquer l'appetit a boire du moust et du vin.

  A003000656 

 Les cerfz ayans prins trop de venaison s'escartent et retirent dedans leurs buissons, connoissans que leur graisse les charge en sorte qu'ilz ne sont pas habiles a courir, si d'adventure ilz estoyent attaqués: le cœur de l'homme se chargeant de ces affections inutiles, superflues et dangereuses, ne peut sans doute promptement, aysement et facilement courir apres son Dieu, qui est le vray point de la devotion.

  A003000656 

 Mais n'est-ce pas une chose ridicule, ains plustost lamentable, de voir des hommes faitz s'empresser et s'affectionner apres des bagatelles si indignes, comme sont les choses que j'ay nommees, lesquelles, outre leur inutilité, nous mettent en peril de nous desregler et desordonner a leur poursuitte? C'est pourquoy, ma chere Philothee, je vous dis qu'il se faut purger de ces affections; et, bien que les actes ne soient pas tous-jours contraires a la devotion, les affections neanmoins luy sont tous-jours dommageables.

  A003000656 

 Or, je ne dis pas que nous ne puissions user de ces choses dangereuses; mais je dis bien pourtant que nous ne pouvons jamais y mettre de l'affection sans interesser la devotion.

  A003000661 

 On a bien treuvé le moyen de changer les amandiers amers en amandiers doux, en les perçant seulement au pied pour en faire sortir le [67] suc; pourquoy est-ce que nous ne pourrons pas faire sortir nos inclinations perverses pour devenir meilleurs? Il n'y a point de si bon naturel qui ne puisse estre rendu mauvais par les habitudes vicieuses; il n'y a point aussi de naturel si revesche qui, par la grace de Dieu premierement, puis par l'industrie et diligence, ne puisse estre dompté et surmonté.

  A003000661 

 Or, quoy qu'elles soyent comme propres et naturelles a un chacun, si est-ce que par le soin et affection contraire on les peut corriger et moderer, et mesme on peut s'en delivrer et purger: et je vous dis, Philothee, qu'il le faut faire.

  A003000667 

 Il est la lumiere du monde, c'est donques en luy, par luy et pour luy que nous devons estre esclairés et illuminés; c'est l'arbre de desir a l'ombre duquel nous nous devons rafraischir; c'est la vive fontaine de Jacob pour le lavement de toutes nos souïlleures.

  A003000668 

 Il faut s'arrester la, Philothee, et croyes-moy, nous ne sçaurions aller a Dieu le Pere que par cette porte; car tout ainsy que la glace d'un miroüer ne sçauroit arrester nostre veuë si elle n'estoit enduite d'estain ou de plomb par derriere, aussi la Divinité ne pourrait estre bien contemplee par nous en ce bas monde, si elle ne se fust jointe a la sacree humanité du Sauveur, duquel la vie et la mort sont l'objet le plus proportionné, souëfve, delicieux et prouffitable que nous puissions choisir pour nostre meditation ordinaire.

  A003000668 

 Sa vie et mort a esté disposee et distribuee en divers pointz pour servir a la meditation, par plusieurs autheurs: ceux que je vous conseille sont [70] saint Bonaventure, Bellintani, Bruno, Capilia, Grenade, Du Pont..

  A003000669 

 Employés-y chaque jour une heure devant disner, s'il se peut au commencement de vostre matinee, parce que vous aurés vostre esprit moins embarrassé et plus frais apres le repos de la nuit.

  A003000670 

 Si vous pouves faire cet exercice dans l'eglise, et que vous y treuvies asses de tranquillité, ce vous sera une chose fort aysee et commode parce que nul, ni pere, ni mere, ni femme, ni mari, ni autre quelconque ne pourra vous bonnement empescher de demeurer une heure dans l'eglise, la ou estant en quelque subjection vous ne pourries peut estre pas vous promettre d'avoir une heure si franche dedans vostre mayson..

  A003000672 

 Si vous me croyes, vous dires vostre Pater, vostre Ave Maria et le Credo en latin; mais vous apprendrés aussi a bien entendre les paroles qui y sont, en vostre langage, affin que, les disant au langage commun de l'Eglise, vous puissies neanmoins savourer le sens admirable et delicieux de ces saintes oraysons, lesquelles il faut dire fichant profondement vostre pensee et excitant vos affections sur le sens d'icelles, et ne vous hastant nullement pour en dire beaucoup, mais vous estudiant de dire ce que vous dires cordialement; car un seul Pater dit avec sentiment vaut mieux que plusieurs recités vistement et couramment..

  A003000673 

 Il est bon aussi de dire les litanies de Nostre Seigneur, de Nostre Dame et des Saintz, et toutes les autres prieres vocales qui sont dedans les Manuelz et Heures appreuvees, a la charge neanmoins que si vous aves le don de l'orayson mentale, vous luy gardies tous-jours la principale place; en sorte que si apres icelle, ou pour la multitude des affaires ou pour quelque autre rayson, vous ne pouves point faire de priere vocale, vous ne vous en metties point en peyne pour cela, vous contentant de dire simplement, devant ou apres la meditation, l'Orayson Dominicale, la Salutation Angelique et le Symbole des Apostres..

  A003000673 

 Le chapelet est une tres utile maniere de prier, pourveu que vous le sçachies dire comme il convient: et pour ce faire, ayes quelqu'un des petitz livres qui enseignent la façon de le reciter.

  A003000674 

 Si faisant l'orayson vocale, vous sentés vostre cœur tiré et convié a l'orayson interieure ou mentale, ne refuses point d'y aller, mais laissés tout doucement couler vostre esprit de ce costé la, et ne vous soucies point de n'avoir pas achevé les oraysons vocales que vous vous esties proposees; car la mentale que vous aures faitte en leur place est plus aggreable a Dieu et plus utile a vostre ame.

  A003000675 

 Que si en toute la journee vous ne pouves la faire, il faut reparer cette perte, multipliant les oraysons jaculatoires, et par la lecture de quelque livre de devotion, avec quelque penitence qui empesche la suite de ce defaut; et, avec cela, faites une forte resolution de vous remettre en train le jour suivant..

  A003000675 

 S'il advenoit que toute vostre matinee se passast sans cet exercice sacré de l'orayson mentale, ou pour la multiplicité des affaires, ou pour quelque autre cause (ce que vous deves procurer n'advenir point, tant qu'il vous sera possible), taschés de reparer ce defaut l'apres-disnee, en quelque heure la plus esloignee du repas, parce que ce faisant sur iceluy et avant que la digestion soit fort acheminee, il vous arriveroit beaucoup d'assoupissement, et vostre santé en seroit interessee.

  A003000679 

 C'est pourquoy je vous presente une simple et briefve methode pour cela, en attendant que, par la lecture de plusieurs beaux livres qui ont esté composés sur ce sujet, et sur tout par l'usage, vous en puissies estre plus amplement instruite.

  A003000680 

 Ce fut l'apprehension de David, quand il s'escrioit: Si je monte au ciel, o mon Dieu, vous y estes; si je descends aux enfers, vous y estes; et ainsy nous devons user des paroles de Jacob, lequel ayant veu l'eschelle sacree: O que ce lieu, dit-il, est redoutable! Vrayement Dieu est icy, et je n'en sçavois rien.

  A003000680 

 Helas, Philothee, nous ne voyons pas Dieu qui nous est present; et, bien que la foy nous advertisse de sa presence, si est-ce que ne le voyans pas de nos yeux, nous nous en oublions bien souvent, et nous comportons comme si Dieu estoit bien loin de nous; car encor que nous sçachions bien qu'il est present a toutes choses, si est-ce que n'y pensans point, c'est tout autant comme si nous ne le sçavions pas.

  A003000680 

 Il veut dire qu'il n'y pensoit pas; car au reste il ne pouvoit ignorer que Dieu ne fust en tout et par tout.

  A003000680 

 Le premier gist en une vive et attentive apprehension de la toute presence de Dieu, c'est a dire que Dieu est en tout et par tout, et qu'il n'y a lieu ni chose en ce monde ou il ne soit d'une tres veritable presence; de sorte que, comme les oyseaux, ou qu'ilz volent, rencontrent tous-jours l'air, ainsy, ou que nous allions, ou que nous soyons, nous treuvons Dieu present.

  A003000680 

 Les aveugles ne voyans pas un prince qui leur est present, ne laissent pas de se tenir en respect s'ilz sont advertis de sa presence; mais la verité est que, d'autant qu'ilz ne le voyent pas, ilz s'oublient aysement qu'il soit present, et s'en estans oubliés, ilz perdent encor plus aysement le respect et la reverence.

  A003000681 

 Le second moyen de se mettre en cette sacree presence, c'est de penser que non seulement Dieu est au lieu ou vous estes, mais qu'il est tres particulierement en vostre cœur et au fond de vostre esprit, lequel il vivifie et anime de sa divine presence, estant la comme le cœur de vostre cœur et l'esprit de vostre esprit; car, comme l'ame estant respandue par tout le cors se treuve presente en toutes les parties d'iceluy, et reside neanmoins au cœur d'une speciale residence, de mesme Dieu estant tres present a toutes choses, assiste toutefois d'une speciale façon a nostre esprit: et pour cela David appelloit Dieu, Dieu de son cœur, et saint Paul disoit que nous vivons, nous nous mouvons et sommes en Dieu.

  A003000682 

 Or, ceci n'est pas une simple imagination, mais une vraÿe verité; car encor que nous ne le voyons pas, si est-ce que de la haut, il nous considere: saint Estienne le vit ainsy au tems de son martyre.

  A003000682 

 Si que nous pouvons bien dire avec l'Espouse: Le voyla qu'il est derriere la paroy, voyant par les fenestres, regardant par les treillis..

  A003000683 

 La quatriesme façon consiste a se servir de la simple imagination, nous representans le Sauveur en son humanité sacree comme s'il estoit pres de nous, ainsy que nous avons accoustumé de nous representer nos amis et de dire: je m'imagine de voir un tel qui fait ceci et cela, il me semble que je le vois, ou chose semblable.

  A003000683 

 Mais si le tressaint Sacrement de l'autel estoit present, alhors cette presence seroit reelle et non purement imaginaire; car les especes et apparences du pain seroient comme une tapisserie, derriere laquelle Nostre Seigneur reellement present nous voit et considere, quoy que nous ne le voyons pas en sa propre forme..

  A003000688 

 Il vous servira encor d'adjouster l'invocation de vostre bon Ange et des sacrees personnes qui se treuveront au mystere que vous medités: comme en celuy de la mort de Nostre Seigneur, vous pourres invoquer Nostre Dame, saint Jean, la Magdeleine, le bon larron, affin que les sentimens et mouvemens interieurs qu'ilz y receurent vous soyent communiqués; et en la meditation de vostre [77] mort, vous pourres invoquer vostre bon Ange, qui se treuvera present, affin qu'il vous inspire des considerations convenables; et ainsy des autres mysteres..

  A003000688 

 L'invocation se fait en cette maniere: vostre ame se sentant en la presence de Dieu, se prosterne en une extreme reverence, se connoissant tres indigne de demeurer devant une si souveraine Majesté, et neanmoins, sçachant que cette mesme Bonté le veut, elle luy demande la grace de la bien servir et adorer en cette meditation.

  A003000688 

 Que si vous le voules, vous pourres user de quelques parolles courtes et enflammees, comme sont celles ici de David: Ne me rejettes point, o mon Dieu, de devant vostre face, et ne m'ostes point la faveur de vostre Saint Esprit.

  A003000692 

 Apres ces deux pointz ordinaires de la meditation, il y en a un troisiesme qui n'est pas commun a toutes sortes de meditations: c'est celuy que les uns appellent fabrication du lieu, et les autres, leçon interieure.

  A003000692 

 Il est vray que l'on [78] peut bien employer quelque similitude et comparayson pour ayder a la consideration; mais cela est aucunement difficile a rencontrer, et je ne veux traitter avec vous que fort simplement, et en sorte que vostre esprit ne soit pas beaucoup travaillé a faire des inventions..

  A003000692 

 J'en dis de mesme quand vous mediteres la mort, ainsy que je l'ay marqué en la meditation d'icelle, comme aussi a celle de l'enfer, et en tous semblables mysteres ou il s'agit de choses visibles et sensibles; car, quant aux autres mysteres, de la grandeur de Dieu, de l'excellence des vertus, de la fin pour laquelle nous sommes creés, qui sont des choses invisibles, il n'est pas question de vouloir se servir de cette sorte d'imagination.

  A003000692 

 Or, ce n'est autre chose que de proposer a son imagination le cors du mystere que l'on veut mediter, comme s'il se passoit reellement et de fait en nostre presence.

  A003000692 

 Par exemple, si vous voules mediter Nostre Seigneur en croix, vous vous imaginerés d'estre au mont de Calvaire et que vous voyes tout ce qui se fit et se dit au jour de la Passion; ou, si vous voules, car c'est tout un, vous vous imaginerés qu'au lieu mesme ou vous estes se fait le crucifiement de Nostre Seigneur, en la façon que les Evangelistes le descrivent.

  A003000693 

 Or, par le moyen de cette imagination, nous enfermons nostre esprit dans le mystere que nous voulons mediter, affin qu'il n'aille pas courant ça et la, ne plus ne moins que l'on enferme un oyseau dans une cage, ou bien comme l'on attache l'espervier a ses longes, affin qu'il demeure dessus le poing.

  A003000693 

 Quelques uns vous diront neanmoins qu'il est mieux d'user de la simple pensee de la foy, et d'une simple apprehension toute mentale et spirituelle, en la representation de ces mysteres, ou bien de considerer que les choses se font en vostre propre esprit; mais cela est trop subtil pour le commencement, et jusques a ce que Dieu vous esleve plus haut, je vous conseille, Philothee, de vous retenir en la basse vallee que je vous monstre..

  A003000697 

 Apres l'action de l'imagination, s'ensuit l'action de l'entendement que nous appelions meditation, qui n'est autre chose qu'une ou plusieurs considerations faites affin d'esmouvoir nos affections en Dieu et aux choses divines: en quoy la meditation est differente de l'estude [79] et des autres pensees et considerations, lesquelles ne se font pas pour acquerir la vertu ou l'amour de Dieu, mais pour quelques autres fins et intentions, comme pour devenir sçavant, pour en escrire ou disputer.

  A003000697 

 Ayant donq enfermé vostre esprit, comme j'ay dit, dans l'enclos du sujet que vous voules mediter, ou par l'imagination, si le sujet est sensible, ou par la simple proposition, s'il est insensible, vous commencerés a faire sur iceluy des considerations, dont vous verrés des exemples tout formés es meditations que je vous ay donnees.

  A003000697 

 Que si vostre esprit treuve asses de goust, de lumiere et de fruit sur l'une des considerations, vous vous y arresteres sans passer plus outre, faysant comme les abeilles qui ne quittent point la fleur tandis qu'elles y treuvent du miel a recueillir.

  A003000701 

 Que si vous voules estre aydee pour cela, prenes en main le premier tome des Meditations de dom André Capilia, et voyes sa preface, car en icelle il monstre la façon avec laquelle il faut dilater ses affections; et plus amplement, le Pere Arias en son Traitté de l'Orayson..

  A003000702 

 Il ne faut pas pourtant, Philothee, s'arrester tant a ces affections generales que vous ne les convertissies en des resolutions speciales et particulieres pour vostre correction et amendement.

  A003000702 

 Or, je dis maintenant que cela est peu de chose, si vous n'y adjoustés une resolution speciale en cette sorte: or sus donques, je ne me piqueray plus de telles paroles fascheuses qu'un tel et une telle, mon voysin ou ma voysine, mon domestique ou ma domestique disent de moy, ni de tel et tel mespris qui m'est fait par cestui-ci ou cestui-la; au contraire, je diray et feray telle et telle chose pour le gaigner et adoucir, et ainsy des autres.

  A003000702 

 Par exemple, la premiere parole que Nostre Seigneur dit sur la Croix respandra sans doute une bonne affection d'imitation en vostre ame, a sçavoir, le desir de pardonner a vos ennemis et de les aymer.

  A003000706 

 En fin il faut conclure la meditation par trois actions, qu'il faut faire avec le plus d'humilité que l'on peut.

  A003000706 

 La premiere, c'est l'action de graces, remerciant Dieu des affections et resolutions qu'il nous a donnees, et de sa bonté et misericorde que nous avons descouvertes au mystere de la meditation.

  A003000706 

 La troisiesme action est celle de la supplication, par laquelle nous demandons a Dieu et le conjurons de nous communiquer les graces et vertus de son Filz, et de donner la benediction a nos affections et resolutions, affin que nous les puissions fidellement executer; puis nous prions de mesme pour l'Eglise, pour nos pasteurs, parens, amis et autres, employans a cela l'intercession de Nostre Dame, des Anges, des Saintz.

  A003000707 

 A tout cela, j'ay adjousté qu'il falloit cueillir un petit bouquet de devotion; et voyci que je veux dire.

  A003000707 

 [82] Ceux qui se sont promenés en un beau jardin n'en sortent pas volontier sans prendre en leur main quatre ou cinq fleurs pour les odorer et tenir le long de la journee: ainsy nostre esprit ayant discouru sur quelque mystere par la meditation, nous devons choisir un ou deux ou trois pointz que nous aurons treuvés plus a nostre goust, et plus propres a nostre avancement, pour nous en resouvenir le reste de la journee et les odorer spirituellement.

  A003000709 

 C'est le grand fruit de la meditation, sans lequel elle est bien souvent, non seulement inutile, mais nuisible, parce que les vertus meditees et non prattiquees enflent quelquefois l'esprit et le courage, nous estant bien advis que nous sommes telz que nous avons resolu et delibvré d'estre, ce qui est sans doute veritable si les resolutions sont vives et solides; mais elles ne sont pas telles, ains vaines et dangereuses, si [83] elles ne sont prattiquees.

  A003000709 

 Il faut sur tout, Philothee, qu'au sortir de vostre meditation vous retenies les resolutions et deliberations que vous aurés prinses, pour les prattiquer soigneusement ce jour-la.

  A003000710 

 Au sortir de cette orayson cordiale, il vous faut prendre garde de ne point donner de secousse a vostre cœur, car vous espancheriés le baume que vous aves receu par le moyen de l'orayson; je veux dire qu'il faut garder, s'il est possible, un peu de silence, et remuer tout doucement vostre cœur, de l'orayson aux affaires, retenant le plus long tems qu'il vous sera possible le sentiment et les affections que vous aures conceuës.

  A003000710 

 Vous en deves faire de mesme au sortir de la meditation: ne vous distrayes pas tout a coup, mais regardes simplement devant vous; comme seroit a dire, s'il vous faut rencontrer quelqu'un que vous soyes obligee d'entretenir ou ouïr, il n'y a remede, il faut s'accommoder a cela, mais en telle sorte que vous regardies aussi a vostre cœur, affin que la liqueur de la sainte orayson ne s'espanche que le moins qu'il sera possible..

  A003000711 

 Il faut mesme que vous vous accoustumies a sçavoir passer de l'orayson a toutes sortes d'actions que vostre vacation et profession requiert justement et legitimement de vous, quoy qu'elles semblent bien esloignees des affections que nous avons receuës en l'orayson.

  A003000711 

 Je veux dire, un advocat doit sçavoir passer de l'orayson [84] a la plaidoyerie; le marchand, au traffic; la femme mariee, au devoir de son mariage et au tracas de son mesnage, avec tant de douceur et de tranquillité que pour cela son esprit n'en soit point troublé; car, puisque l'un et l'autre est selon la volonté de Dieu, il faut faire le passage de l'un a l'autre en esprit d'humilité et devotion..

  A003000712 

 Ce que je dis non seulement pour les autres affections, mays aussi pour l'action de graces, l'offrande et la priere qui se peuvent faire parmi les considerations; car il ne les faut non plus retenir que les autres affections, bien que, par apres, pour la conclusion de la meditation, il faille les repeter et reprendre.

  A003000712 

 Et quoy que j'aye mis les affections apres toutes les considerations, je ne l'ay fait que pour mieux distinguer les parties de l'orayson; car au demeurant, c'est une regle generale qu'il ne faut jamais retenir les affections, ains les laisser tous-jours sortir quand elles se presentent.

  A003000712 

 Il vous arrivera quelquefois qu'incontinent apres la preparation, vostre affection se treuvera toute esmeuë en Dieu: alhors, Philothee, il luy faut lascher la bride, sans vouloir suivre la methode que je vous ay donnee; car bien que pour l'ordinaire, la consideration doit preceder les affections et resolutions, si est-ce que le Saint Esprit vous donnant les affections avant la consideration, vous ne deves pas rechercher la consideration, puisqu'elle ne se fait que pour esmouvoir l'affection.

  A003000713 

 Emmi les affections et resolutions, il est bon d'user de colloque, et parler tantost a Nostre Seigneur, tantost aux Anges et aux personnes representees aux mysteres, aux Saintz et a soy-mesme, a son cœur, aux pecheurs et mesme aux creatures insensibles, comme l'on voit que David fait en ses Pseaumes, et les autres Saintz, en leurs meditations et oraysons..

  A003000717 

 S'il vous arrive, Philothee, de n'avoir point de goust ni de consolation en la meditation, je vous conjure de ne vous point troubler, mais quelquefois ouvrés la porte aux paroles vocales: lamentes-vous de vous mesme a Nostre Seigneur, confesses vostre indignité, priés-le qu'il vous soit en ayde, baysés son image si vous l'aves, dites-luy ces paroles de Jacob: Si ne vous laisseray-je point, Seigneur, que vous ne m'ayes donné vostre benediction; ou celles de la Chananee: Ouy, Seigneur, je suis une chienne, mais les chiens mangent des miettes de la table de leur maistre. Autres fois, prenes un livre en main, et le lises avec attention jusques a ce que vostre esprit soit resveillé et remis en vous; piqués quelquefois vostre cœur par quelque contenance et mouvement de devotion exterieure, vous prosternant en terre, croisant les mains sur l'estomach, embrassant un crucifix: cela s'entend si vous estes en quelque lieu retiré..

  A003000718 

 Mais quand il ne le feroit pas, contentons-nous, Philothee, que ce nous est un honneur trop plus grand d'estre aupres de luy et a sa veuë.

  A003000718 

 Que s'il plaist a la divine Majesté de nous parler et s'entretenir avec nous par ses saintes inspirations et consolations interieures, ce nous sera sans doute un grand honneur et un playsir tres delicieux; mais s'il ne luy plaist pas de nous faire cette grace, nous laissans la sans nous parler, non plus que s'il ne nous voyoit pas et que nous ne fussions pas en sa presence, nous ne devons pourtant pas sortir, ains, au contraire, nous devons demeurer la, devant cette souveraine Bonté, avec un maintien devotieux et paisible; et lhors infalliblement il aggreera nostre patience, et remarquera nostre assiduité et perseverance, si qu'une autre fois, quand nous reviendrons devant luy, il nous favorisera et s'entretiendra avec nous par ses consolations, nous faysant voir l'amenité de la sainte orayson.

  A003000718 

 Que si apres tout cela vous n'estes point consolee, [86] pour grande que soit vostre secheresse ne vous troubles point, mais continues a vous tenir en une contenance devote devant vostre Dieu.

  A003000722 

 Outre cette orayson mentale entiere et formee, et les autres oraysons vocales que vous deves faire une fois le jour, il y a cinq autres sortes d'oraysons plus courtes, et qui sont comme ageancemens et surjeons de l'autre grande orayson, entre lesquelles, la premiere est celle qui se fait le matin, comme une preparation generale a toutes les œuvres de la journee.

  A003000724 

 Voyes que le jour present vous est donné affin qu'en iceluy vous puissies gaigner le jour advenir de l'eternité, et feres un ferme propos de bien employer la journee a cette intention..

  A003000725 

 Si je prevoy de pouvoir visiter un malade, je disposeray l'heure et les consolations et secours que j'ay a luy faire; et ainsy des autres..

  A003000726 

 Cela fait, humilies-vous devant Dieu, reconnoissant que de vous mesme vous ne sçauries rien faire de ce que vous aves deliberé, soit pour fuir le mal, soit pour executer le bien.

  A003000727 

 Mais toutes ces actions spirituelles se doivent faire briefvement et vivement, devant que l'on sorte de la chambre s'il est possible, affin que, par le moyen de cet exercice, tout ce que vous feres le long de la journee soit arrousé de la benediction de Dieu; mais je vous prie, Philothee, de n'y manquer jamais.

  A003000731 

 Gaignes donq quelque loysir un peu devant l'heure du souper, et, prosternee devant Dieu, ramassant vostre esprit aupres de Jesus Christ crucifié (que vous vous representerés par une simple consideration et œillade interieure), rallumés le feu de vostre meditation du matin en vostre cœur, par une douzaine de vives aspirations, humiliations et eslancemens amoureux que vous ferés sur ce divin Sauveur de vostre ame; ou bien en repetant les pointz que vous aures plus savourés en la meditation du matin, ou bien vous excitant par quelque autre nouveau sujet, selon que vous aymeres mieux..

  A003000737 

 Cet exercice ici ne doit jamais estre oublié, non plus que celuy du matin; car par celuy du matin vous ouvres les fenestres de vostre ame au Soleil de justice, et par celuy du soir, vous les fermes aux tenebres de l'enfer..

  A003000742 

 O Dieu, [91] ce dires vous, pourquoy ne vous regarde-je tous-jours, comme tous-jours vous me regardes? Pourquoy penses-vous en moy si souvent, mon Seigneur, et pourquoy pense-je si peu souvent en vous? Ou sommes-nous, o mon ame? nostre vraye place, c'est Dieu, et ou est ce que nous nous treuvons?.

  A003000742 

 Rappelles le plus souvent que vous pourres parmi la journee vostre esprit en la presence de Dieu par l'une des quatre façons que je vous ay remarquees; regardes ce que Dieu fait et ce que vous faites: vous verres ses yeux tournés de vostre costé, et perpetuellement fichés sur vous par un amour incomparable.

  A003000744 

 C'est l'exercice que faisoit le roy David parmi tant d'occupations qu'il avoit, ainsy qu'il le tesmoigne par mille traitz de ses Pseaumes, comme quand il dit: O Seigneur, et moy je suis tous-jours avec vous. [92] Je vois mon Dieu tous-jours devant moy.

  A003000744 

 Resouvenés vous donq, Philothee, de faire tous-jours plusieurs retraittes en la solitude de vostre cœur, pendant que corporellement vous estes parmi les conversations et affaires; et cette solitude mentale ne peut nullement estre empeschee par la multitude de ceux qui vous sont autour, car ilz ne sont pas autour de vostre cœur, ains autour de vostre cors, si que vostre cœur demeure luy tout seul en la presence de Dieu seul.

  A003000746 

 Le bienheureux Elzear, comte d'Arian en Provence, ayant esté longuement absent de sa devote et chaste Delfine, elle luy envoya un homme expres pour sçavoir de sa santé, et il luy fit response: « Je me porte fort bien, ma chere femme; que si vous me voules voir, cherches-moy en la playe du costé de nostre doux Jesus, car c'est la ou j'habite et ou vous me treuveres: ailleurs, vous me chercheres pour neant.

  A003000746 

 Lesquelles paroles, outre leur sens litteral (qui tesmoigne que ce grand Roy prenoit quelques heures pour se tenir solitaire en la contemplation des choses spirituelles), nous monstrent en leur sens mystique trois excellentes retraittes et comme trois hermitages, dans lesquelz nous pouvons exercer nostre solitude a l'imitation de nostre Sauveur, lequel sur le mont de Calvaire fut comme le pelican de la solitude, qui de son sang ravive ses [93] poussins mortz; en sa Nativité dans une establerie deserte, il fut comme le hibou dedans la masure, plaignant et pleurant nos fautes et pechés; et au jour de son Ascension, il fut comme le passereau, se retirant et volant au ciel qui est comme le toit du monde; et en tous ces trois lieux, nous pouvons faire nos retraittes emmi le tracas des affaires.

  A003000750 

 On se retire en Dieu parce qu'on aspire a luy, et on y aspire pour s'y retirer; si que l'aspiration en Dieu et la retraitte spirituelle s'entretiennent l'une l'autre, et toutes deux proviennent et naissent des bonnes pensees..

  A003000752 

 Le pelerin qui prend un peu de vin pour res-jouir son cœur et rafraischir sa bouche, bien qu'il s'arreste un peu pour cela, ne rompt pourtant pas son voyage, ains prend de la force pour le plus vistement et aysement parachever, ne s'arrestant que pour mieux aller..

  A003000752 

 On fait ainsy les oraysons jaculatoires, que le grand saint Augustin conseille si soigneusement a la devote dame Proba.

  A003000752 

 Philothee, nostre esprit s'addonnant a la hantise, privauté et familiarité de son Dieu, se parfumera tout de ses perfections; et si, cet exercice n'est point malaysé, car il se peut entrelacer en toutes nos affaires et occupations, sans aucunement les incommoder, d'autant que, soit en la retraitte spirituelle, soit en ces eslancemens interieurs, on ne fait que des petitz et courtz divertissemens qui n'empeschent nullement, ains servent de beaucoup a la poursuite de ce que nous faysons.

  A003000753 

 Plusieurs ont ramassé beaucoup d'aspirations vocales, qui vrayement sont fort utiles; mais par mon advis, vous ne vous astreindres point a aucune sorte de paroles, ains prononcerés ou de cœur ou de bouche celles que l'amour vous suggerera sur le champ, car il vous en fournira tant que vous voudres.

  A003000754 

 Car alhors il estoit en affliction pour la malheureuse usurpation que Maximus avoit entreprise sur son evesché..

  A003000754 

 Et voyci quelques exemples: Saint Gregoire, Evesque de Nazianze, ainsy que luy mesme racontoit a son peuple, se promenant sur le rivage de la mer, consideroit comme les ondes s'avançans sur la greve laissoyent des coquilles et petitz cornetz, tiges d'herbes, petites huistres et semblables brouilleries que la mer rejettoit, et par maniere de dire crachoit dessus le bord; puis, revenant par des autres vagues, elle reprenoit et engloutissoit derechef une partie de cela, tandis que les rochers des environs demeuroyent fermes et immobiles, quoy que les eaux vinssent rudement battre contre iceux.

  A003000754 

 Or sur cela, il fit cette belle pensee: que les foibles, comme coquilles, cornetz et tiges d'herbes, se laissent emporter tantost a l'affliction, tantost a la consolation, a la merci des ondes et vagues de la fortune, mais que les grans courages demeurent fermes et immobiles a toutes sortes d'orages; et de cette pensee, il fit naistre ces eslancemens de David: O Seigneur, sauves-moy, car les eaux ont penetré jusques a mon ame; O Seigneur, [96] delivres-moy du profond des eaux; Je suis porté au profond de la mer et la tempeste m'a submergé.

  A003000755 

 Saint Fulgence, Evesque de Ruspe, se treuvant en une assemblee generale de la noblesse romaine que Theodoric roy des Gots haranguoit, et voyant la splendeur de tant de seigneurs qui estoyent en rang chacun selon sa qualité: « O Dieu, » dit-il, « combien doit estre belle la Hierusalem celeste, puisqu'ici bas on voit si pompeuse Rome la terrestre! Et si en ce monde tant de splendeur est concedee aux amateurs de la vanité, quelle gloire doit estre reservee en l'autre monde aux contemplateurs de la verité! ».

  A003000756 

 On dit que saint Anselme, Archevesque de Cantorberi, duquel la naissance a grandement honnoré nos montagnes, estoit admirable en cette prattique des bonnes pensees.

  A003000756 

 Un levreau pressé des chiens accourut sous le cheval de ce saint Prelat, qui pour lhors voyageoit, comme a un refuge que le peril eminent de la mort luy suggeroit; et les chiens clabaudans tout autour n'osoyent entreprendre de violer l'immunité a laquelle leur proye avoit eu recours; spectacle certes extraordinaire, qui faisoit rire tout le train, tandis que le grand Anselme, pleurant et gemissant: Ha, vous ries, disoit-il, mais la pauvre beste ne rit pas; les ennemis de l'ame, poursuivie et mal menee par divers destours en toutes sortes de pechés, l'attendent au destroit de la mort pour la ravir et devorer, et elle, toute effrayee, cherche par tout secours et refuge; que si elle n'en treuve point, ses [97] ennemis s'en moquent et s'en rient.

  A003000757 

 » Et voyant une autre fois un petit aignelet mange par un pourceau: Hé, petit aignelet, dit il tout en pleurant, que tu representes vivement la mort de mon Sauveur..

  A003000758 

 C'est une belle fleur, » dit ce saint personnage, « que la rose; mais elle me donne une grande tristesse, m'advertissant de mon peché, pour lequel la terre a esté condamnee de porter les espines.

  A003000758 

 Ce grand personnage de nostre aage, François Borgia, pour lhors encores duc de Gandie, allant a la chasse faisoit mille devotes conceptions: « J'admirois, » disoit il luy mesme par apres, « comme les faucons reviennent sur le poing, se laissent couvrir les yeux et attacher a la perche, et que les hommes se rendent si revesches a la voix de Dieu.

  A003000758 

 » Le grand saint Basile dit que la rose emmi les espines fait cette remonstrance aux hommes: « Ce qui est de plus aggreable en ce monde, o mortelz, est meslé de tristesse; rien n'y est pur: le regret est tous-jours collé a l'allegresse, la viduité au mariage, le soin a la fertilité, l'ignominie a la gloire, la despense aux honneurs, le degoust aux delices et la maladie a la santé.

  A003000759 

 L'autre, voyant le tourne-soleil dit: Quand sera ce, mon Dieu, que mon ame suivra les attraitz de vostre bonté? Et voyant des pensees de jardin, belles a la veuë mais sans odeur: Hé, dit il, telles sont mes cogitations, belles a dire, mais sans effect ni production..

  A003000760 

 Lisés le devot Epitaphe que saint Hierosme a fait de sa sainte Paule; car c'est belle chose a voir comme il est tout parsemé des aspirations et conceptions sacrees qu'elle faisoit a toutes sortes de rencontres.

  A003000761 

 Sans iceluy, on ne peut pas bien faire la vie contemplative, et ne sçauroit-on que mal faire la vie active; sans iceluy, le repos n'est qu'oysiveté, et le travail, qu'embarrassement; c'est pourquoy je vous conjure de l'embrasser de tout vostre cœur, sans jamais vous en departir..

  A003000766 

 L'orayson faitte en l'union de ce divin Sacrifice a une force indicible, de sorte, Philothee, que par iceluy, l'ame abonde en celestes faveurs comme appuyee sur son Bienaymè, qui la rend si pleine d'odeurs et suavités spirituelles, qu'elle ressemble a une colomne de fumee de bois aromatique, de la myrrhe, de Vencens et de toutes les poudres du parfumeur, comme il est dit es Cantiques.

  A003000767 

 Tous-jours les Anges en grand nombre s'y treuvent presens, comme dit saint Jean Chrysostome, pour honnorer ce saint mystere; et nous y treuvans avec eux et avec une mesme intention, nous ne pouvons que recevoir beaucoup d'influences propices par une telle societé.

  A003000768 

 A quelque heure donq du matin, allés en esprit, si vous ne pouves autrement, en l'eglise; unisses vostre intention a celle de tous les Chrestiens, et faites les mesmes actions interieures au lieu ou vous estes, que vous feries si vous esties reellement presente a l'office de la sainte Messe en quelque eglise..

  A003000768 

 Si, par quelque force forcee, vous ne pouves pas vous rendre présente a la celebration de ce souverain Sacrifice, d'une presence reelle, au moins faut-il que vous y porties vostre cœur pour y assister d'une presence spirituelle.

  A003000769 

 Des le commencement jusques a ce que le prestre se soit mis a l'autel, faites avec luy la preparation, laquelle consiste a se mettre en la presence de Dieu, reconnoistre vostre indignité et demander pardon de vos fautes.

  A003000769 

 Despuis la Communion jusques a la fin, remercies sa divine Majesté de son Incarnation, de sa vie, de sa Mort, de sa Passion et de l'amour qu'il nous tesmoigne en ce saint Sacrifice, le conjurant par iceluy de vous estre a jamais propice, a vos parens, a vos amis et a toute l'Eglise; et vous humiliant de tout vostre cœur, receves devotement la benediction divine que Nostre Seigneur vous donne par l'entremise de son officier..

  A003000769 

 Despuis que le prestre est a l'autel jusques a l'Evangile, considerés la venue et la vie de Nostre Seigneur en ce monde, [101] par une simple et generale consideration.

  A003000770 

 Mais si vous voules pendant la Messe faire vostre meditation sur les mysteres que vous ailes suivant de jour en jour, il ne sera pas requis que vous vous divertissies a faire ces particulieres actions; ains suffira qu'au commencement vous dressies vostre intention a vouloir adorer et offrir ce saint Sacrifice par l'exercice de vostre meditation et orayson, puisqu'en toute meditation se treuvent les actions susdites, ou expressement ou tacitement et virtuellement.

  A003000774 

 Et puis (affin que je le die une fois pour toutes), il y a tous-jours plus de bien et de consolation aux offices publiez de l'Eglise, que non pas aux actions particulieres, Dieu ayant ainsy ordonné que la communion soit preferee a toute sorte de particularité..

  A003000774 

 Outre cela, Philothee, les festes et Dimanches il faut assister a l'office des Heures et des Vespres, tant que vostre commodité le permettra; car ces jours-la sont dediés a Dieu, et faut bien faire plus d'actions a son honneur et gloire en iceux que non pas es autres jours.

  A003000774 

 Vous sentirés mille douceurs de devotion par ce moyen, comme faisoit saint Augustin, qui tesmoigne en ses Confessions que oyant les divins Offices au commencement de sa conversion, son cœur se fondoit en suavité, et ses yeux, en larmes de pieté.

  A003000775 

 Entres volontier aux confrairies du lieu ou vous estes, et particulierement en celles desquelles les exercices apportent plus de fruit et d'edification; car en cela vous ferés une sorte d'obeissance fort aggreable a Dieu, d'autant qu'encor que les confrairies ne soient pas commandees, elles sont neanmoins recommandees par l'Eglise, laquelle, pour tesmoigner qu'elle desire que plusieurs s'y enroolent, donne des indulgences et autres privileges aux confreres.

  A003000775 

 Et bien qu'il puisse arriver que l'on fist d'aussi bons exercices a part soy comme l'on fait aux confrairies en commun, et que peut estre l'on goustast plus de les faire [103] en particulier, si est-ce que Dieu est plus glorifié de l'union et contribution que nous faisons de nos bienfaitz avec nos freres et prochains..

  A003000780 

 Ma Philothee, joignons nos cœurs a ces celestes espritz et ames bienheureuses; comme les petitz rossignolz apprennent a chanter avec les grans, ainsy, par le sacré commerce que nous ferons avec les Saintz, nous sçaurons bien mieux prier et chanter les louanges divines: Je psalmodieray, disoit David, a la veuë des Anges..

  A003000783 

 Et disoit cela avec tant de recommandation, qu'une damoiselle, lhors jeune, l'ayant ouï de sa bouche, le recitoit il n'y a que quatre ans, c'est a dire plus de soixante ans apres, avec un extreme sentiment.

  A003000788 

 Et souvenés-vous que Nostre Seigneur recueille les paroles que nous luy disons en nos prieres, a mesure que nous recueillons celles qu'il nous dit par la predication..

  A003000788 

 Soyes devote a la parole de Dieu: soit que vous l'escouties en devis familiers avec vos amis spirituelz, soit que vous l'escouties au sermon, oyes-la tous-jours avec attention et reverence; faites en bien vostre prouffit et ne permettes pas qu'elle tombe a terre, ains receves-la comme un pretieux baume dans vostre cœur, a l'imitation de la Tressainte Vierge, qui conservoit soigneusement dedans le sien toutes les paroles que l'on disoit a la louange de son Enfant.

  A003000789 

 Ayes tous-jours aupres de vous quelque beau livre de devotion, comme sont ceux de saint Bonaventure, de [106] Gersont, de Denis le Chartreux, de Louys Blosius, de Grenade, de Stella, d'Arias, de Pinelli, de Du Pont, d'Avila, le Combat spirituel, les Confessions de saint Augustin, les Epistres de saint Hierosme, et semblables; et lises en tous les jours un peu avec grande devotion, comme si vous lisies des lettres missives que les Saintz vous eussent envoyees du Ciel, pour vous monstrer le chemin et vous donner le courage d'y aller..

  A003000790 

 Car bien que beaucoup des actions des Saintz ne soyent pas absolument imitables par ceux qui vivent emmi le monde, si est-ce que toutes peuvent estre suivies ou de pres ou de loin: la solitude de saint Paul premier ermite est imitee en vos retraittes spirituelles et reelles, desquelles nous parlerons, et avons parlé ci dessus; l'extreme [107] pauvreté de saint François, par les prattiques de la pauvreté telles que nous les marquerons, et ainsy des autres.

  A003000790 

 Il est vray qu'il y a certaines histoires qui donnent plus de lumiere pour la conduitte de nostre vie que d'autres, comme la Vie de la bienheureuse Mere Therese, laquelle est admirable pour cela, les Vies des premiers Jesuites, celle de saint Charles Borromee, Archevesque de Milan, de saint Louys, de saint Bernard, les Chroniques de saint François et autres pareilles.

  A003000790 

 Il y en a d'autres ou il y a plus de sujet d'admiration que d'imitation, comme celle de sainte Marie Egyptienne, de saint Simeon Stylite, des deux saintes Catherine de Sienne et de Gennes, de sainte Angele et autres telles, lesquelles ne laissent pas neanmoins de donner un grand goust general du saint amour de Dieu..

  A003000794 

 C'est ce que l'Espoux appelle heurter a la porte et parler au cœur de son Espouse, la resveiller quand elle dort, la crier et reclamer quand elle est absente, l'inviter a son miel et a cueillir des pommes et des fleurs en son jardin, et a chanter et faire resonner sa douce voix a ses oreilles..

  A003000794 

 Nous appelions inspirations tous les attraitz, mouvemens, reproches et remords interieurs, lumieres et connoissances que Dieu fait en nous, prevenant nostre cœur en ses benedictions par son soin et amour paternel, affin de nous resveiller, exciter, pousser et attirer aux saintes vertus, a l'amour celeste, aux bonnes resolutions, bref, a tout ce qui nous achemine a nostre [108] bien eternel.

  A003000795 

 Pour l'entiere resolution d'un mariage, trois actions doivent entrevenir quant a la damoiselle que l'on veut marier: car premierement, on luy propose le parti; secondement, elle aggree la proposition, et en troisiesme lieu, elle consent.

  A003000796 

 Quand l'inspiration dureroit tout le tems de nostre vie, nous ne serions pourtant nullement aggreables a Dieu si nous n'y prenions playsir; au contraire, sa divine Majesté en seroit offencee, comme il le fut contre les Israëlites aupres desquelz il fut quarante ans, comme il dit, les sollicitant a se convertir, sans que jamais ilz y voulussent entendre, dont il jura contre eux en son ire qu'onques ilz n'entreroyent en son repos.

  A003000798 

 Aussi le gentilhomme qui apres avoir longuement recherché une damoiselle et luy avoir rendu son service aggreable, en fin seroit rejetté et mesprisé, auroit bien plus de sujet de mescontentement que si la recherche n'avoit point esté aggreée ni favorisee..

  A003000798 

 Ce fut ce qui arriva a l'Espouse; car, quoy que la douce voix de son Bienaymé luy eust touché le cœur d'un saint ayse, si est-ce neanmoins qu'elle ne luy ouvrit pas la porte, mais s'en excusa d'une excuse frivole; dequoy l'Espoux justement indigné, passa outre et la quitta.

  A003000799 

 Consentés, mais d'un consentement plein, amoureux et constant a la sainte inspiration; car en cette sorte, Dieu, que vous ne pouves obliger, se tiendra pour fort obligé a vostre affection.

  A003000799 

 Mais avant que de consentir aux inspirations des choses importantes ou extraordinaires, affin de n'estre point trompee, conseilles-vous tous-jours a vostre guide, a ce qu'il examine si l'inspiration est vraye ou fause; d'autant que l'ennemi voyant une ame prompte a consentir aux inspirations, luy en propose bien souvent des fauses pour la tromper, ce qu'il ne peut jamais faire tandis qu'avec humilité elle obeira a son conducteur..

  A003000801 

 Or, a tout cecy sert merveilleusement de bien prattiquer l'exercice du matin et les retraittes spirituelles que j'ay marquees cy dessus; car par ce moyen, nous nous preparons a faire le bien, d'une preparation non seulement generale, mais aussi particuliere..

  A003000805 

 La lyonne qui a esté accostee du leopard va vistement se laver pour oster la puanteur que cette accointance luy a laissee, affin que le lyon venant n'en soit point offensé et irrité: l'ame qui a consenti au peche doit avoir horreur de soy mesme, et se nettoyer au plus tost, pour le respect qu'elle doit porter aux yeux de sa divine Majesté qui la regarde.

  A003000805 

 Ne permettes donq jamais, Philothee, que vostre cœur demeure long tems infecté de peché, puisque vous aves un remede si present [111] et facile.

  A003000805 

 Nostre Sauveur a laissé a son Eglise le Sacrement de Penitence et de Confession affin qu'en iceluy nous nous lavions de toutes nos iniquités, toutes fois et quantes que nous en serons souillés.

  A003000806 

 Confesses vous humblement et devotement tous les huit jours, et tous-jours s'il se peut quand vous communieres, encor que vous ne senties point en vostre conscience aucun reproche de peché mortel; car par la Confession vous ne recevres pas seulement l'absolution des pechés venielz que vous confesserés, mays aussi une grande force pour les eviter a l'advenir, une grande lumiere pour les bien discerner, et une grace abondante pour reparer toute la perte qu'ilz vous avoient apportee.

  A003000807 

 Ayes tous-jours un vray desplaysir des pechés que vous confesserés, pour petitz qu'ilz soyent, avec une ferme resolution de vous en corriger a l'advenir.

  A003000807 

 Si donq vous vous confesses d'avoir menti, quoy que sans nuysance, ou d'avoir dit quelque parole desreglee, ou d'avoir trop joué, repentes-vous en et ayes ferme propos de vous en amender; car c'est un abus de se confesser de quelque sorte de peché, soit [112] mortel soit veniel, sans vouloir s'en purger, puisque la Confession n'est instituee que pour cela..

  A003000808 

 De mesme, ne vous accuses pas de n'avoir pas prié Dieu avec telle devotion comme vous deves; mays si vous aves eu des distractions volontaires, ou que vous ayes negligé de prendre le lieu, le tems et la contenance requise pour avoir l'attention en la priere, accuses-vous en tout simplement, selon que vous treuverés y avoir manqué, sans alleguer cette generalité, qui ne fait ni froid ni chaud en la Confession..

  A003000808 

 Et bien, accuses-vous de cette particularité et dites: ayant veu un pauvre necessiteux, je ne l'ay pas secouru comme je pouvois, par negligence, ou par dureté de cœur, ou par mespris, selon que vous connoistres l'occasion de cette faute.

  A003000808 

 Ne faites pas seulement ces accusations superflues que plusieurs font par routine: je n'ay pas aymé Dieu tant que je devois; je n'ay pas prié avec tant de devotion que je devois; je n'ay pas cheri le prochain comme je devois; je n'ay pas receu les Sacremens avec la reverence que je devois, et telles semblables: la rayson est, parce qu'en disant cela vous ne dires rien de particulier qui puisse faire entendre au confesseur l'estat de vostre conscience, d'autant que tous les Saintz de Paradis et tous les hommes de la terre pourroyent dire les mesmes choses s'ilz se confessoyent.

  A003000808 

 Regardés donq quel sujet particulier vous aves de faire ces accusations la, et lhors que vous l'aures descouvert, accuses-vous du manquement que vous aures commis, tout simplement et naifvement.

  A003000809 

 Dites si vous vous estes longuement arrestee en vostre mal, d'autant que la longueur du tems accroist pour l'ordinaire de beaucoup le peché, y ayant bien de la difference entre une vanité passagere, qui se sera escoulee en nostre esprit l'espace d'un quart d'heure, et celle en laquelle nostre cœur aura trempé un jour, deux jours, trois jours.

  A003000809 

 Il faut donq dire le fait, le motif et la duree de nos pechés; car encores que communement on ne soit pas obligé d'estre si pointilleux en la declaration des pechés venielz, et que mesme on ne soit pas tenu absolument de les confesser, si est-ce que ceux qui veulent bien espurer leurs ames pour mieux atteindre a la sainte devotion, doivent estre soigneux de bien faire connoistre au medecin spirituel le mal, pour petit qu'il soit, duquel ilz veulent estre gueris..

  A003000809 

 Par exemple, ne vous contentés pas de dire que vous aves menti sans interesser personne; mais dites si ç'a esté ou par vaine gloire, affin de vous loüer et excuser, ou par vaine joye, ou par opiniastreté.

  A003000810 

 Je n'espargneray donq point de dire: je me suis relaschee a dire des paroles de courroux contre une personne, ayant prins de luy en mauvaise part quelque chose qu'il m'a dit, non point pour la qualité des paroles, mais parce que celuy la m'estoit desaggreable.

  A003000810 

 N'espargnes point de dire ce qui est requis pour bien faire entendre la qualité de vostre offence, comme le sujet que vous aves eu de vous mettre en cholere, ou de supporter quelqu'un en son vice.

  A003000810 

 Par exemple, un homme lequel me desplait, me dira quelque legere parole pour rire, je le prendray en mauvaise part et me mettray en cholere; que si un autre qui m'eust esté aggreable en eust dit une plus aspre, je l'eusse prins en bonne part.

  A003000811 

 Prenes garde a une quantité de pechés qui vivent et regnent bien souvent insensiblement dedans la conscience, affin que vous les confessies et que vous puissies vous en purger; et a cet effect, lises diligemment les chapitres VI, XXVII, XXVIII, XXIX, XXXV et XXXVI de la troisiesme Partie et le chapitre viii de la quatriesme Partie..

  A003000812 

 Ne changes pas aysement de confesseur, mais en ayant choisi un, continues a luy rendre conte de vostre conscience aux jours qui sont destinés pour cela, luy disant naifvement et franchement les pechés que vous aures commis; et de tems en tems, comme seroit de mois en mois ou de deux mois en deux mois, dites-luy encor l'estat de vos inclinations, quoy que par icelles vous n'ayes pas peché, comme si vous esties tourmentee de la tristesse, du chagrin, ou si vous estes portee a la joye, aux desirs d'acquerir des biens, et semblables inclinations.

  A003000815 

 Le Sauveur a institué ce Sacrement tres auguste de l'Eucharistie qui contient reellement sa chair et son sang, affin que qui le mange vive eternellement; c'est pourquoy, quicomque en use souvent avec devotion affermit tellement la santé et la vie de son ame, qu'il est presque impossible qu'il soit empoisonné d'aucune sorte de mauvaise affection.

  A003000815 

 O Philothee, les Chrestiens qui seront damnés demeureront sans replique lhors que le juste Juge leur fera voir le tort qu'ilz ont eu de mourir spirituellement, puisqu'il leur estoit si aysé de se [116] maintenir en vie et en santé par la manducation de son Cors qu'il leur avoit laissé a cette intention.

  A003000815 

 On dit que Mithridates, roy de Ponte, ayant inventé le mithridat renforça tellement son cors par iceluy, que s'essayant par apres de s'empoisonner pour eviter la servitude des Romains, jamais il ne luy fut possible.

  A003000815 

 On ne peut estre nourri de cette chair de vie et vivre des affections de mort; si que comme les hommes demeurans au paradis terrestre pouvoyent ne mourir point selon le cors, par la force de ce fruit vital que Dieu y avoit mis, ainsy peuvent ilz ne point mourir spirituellement, par la vertu de ce Sacrement de vie.

  A003000815 

 Que si les fruitz les plus tendres et sujetz a corruption, comme sont les cerises, les abricotz et les fraises, se conservent aysement toute l'annee estans confitz au sucre ou au miel, ce n'est pas merveille si nos cœurs, quoy que fresles et imbecilles, sont preservés de la corruption du peché lhors qu'ilz sont sucrés et emmiellés de la chair et du sang incorruptible du Filz de Dieu.

  A003000816 

 La response de sainte Catherine de Sienne fut gracieuse, quand luy estant opposé, a rayson de sa [117] frequente Communion, que saint Augustin ne loüoit ni ne vituperoit de communier tous les jours: Et bien, dit-elle, « puisque saint Augustin ne le vitupere pas, je vous prie que vous ne le vituperies pas non plus, » et je me contenteray..

  A003000816 

 « De recevoir la Communion de l'Eucharistie tous les jours, ni je ne le loüe ni je ne le vitupere; mais de communier tous les jours de Dimanche, je le suade et en exhorte un chacun, pourveu que l'esprit soit sans aucune affection de pecher.

  A003000816 

 » Ce sont les propres paroles de saint Augustin, avec lequel je ne vitupere ni loüe absolument que l'on communie tous les jours, mais laisse cela a la discretion du pere spirituel de celuy qui se voudra resouldre sur ce point; car la disposition requise pour une si frequente Communion devant estre fort exquise, il n'est pas bon de le conseiller generalement; et parce que cette disposition la, quoy qu'exquise, se peut treuver en plusieurs bonnes ames, il n'est pas bon non plus d'en divertir et dissuader generalement un chacun, ains cela se doit traitter par la consideration de l'estat interieur d'un chacun en particulier.

  A003000817 

 Mais, Philothee, vous voyés que saint Augustin exhorte et conseille bien fort que l'on communie tous les Dimanches; faites le donques tant qu'il vous sera possible.

  A003000817 

 Puisque, comme je presuppose, vous n'aves nulle sorte d'affection du peché mortel, ni aucune affection au peché veniel, vous estes en la vraye disposition que saint Augustin requiert, et encores plus excellente, parce que non seulement vous n'aves pas l'affection de pecher, mais vous n'aves pas mesme l'affection du peché; si que, quand vostre pere spirituel le treuveroit bon, vous pourries utilement communier encores plus souvent que tous les Dimanches..

  A003000818 

 On ne peut pas bien arrester cecy en general, il faut faire ce que le pere spirituel dira; bien que je puisse dire asseurement que la plus grande distance des Communions est celle de mois a mois, entre ceux qui veulent servir Dieu devotement..

  A003000818 

 Par exemple, si vous estes en quelque sorte de subjection, et que ceux a qui vous deves de l'obeissance ou de la reverence soyent si mal instruitz ou si bigearres qu'ilz s'inquietent et troublent de vous voir si souvent communier, a l'adventure, toutes choses considerees, sera-il bon de condescendre en quelque sorte a leur infirmité, et ne communier que de quinze jours en quinze jours; mais cela s'entend en cas qu'on ne puisse aucunement vaincre la difficulté.

  A003000818 

 Plusieurs legitimes empeschemens peuvent neanmoins vous arriver, non point de vostre costé mais de la part de ceux avec lesquelz vous vives, qui donneroyent occasion au sage conducteur de vous dire que vous ne communies pas si souvent.

  A003000819 

 Si vous estes bien prudente, il n'y a ni mere, ni [118] femme, ni mari, ni pere qui vous empesche de communier souvent: car, puisque le jour de vostre Communion, vous ne laisseres pas d'avoir le soin qui est convenable a vostre condition, que vous en seres plus douce et plus gracieuse en leur endroit et que vous ne leur refuseres nulle sorte de devoirs, il n'y a pas de l'apparence qu'ilz veuillent vous destourner de cet exercice, qui ne leur apportera aucune incommodité, sinon qu'ilz fussent d'un esprit extremement coquilleux et desraysonnable; en ce cas, comme j'ay dit, a l'adventure que vostre directeur voudra que vous usies de condescendance..

  A003000820 

 C'est chose indecente, bien que non pas grand peché, de solliciter le payement du devoir nuptial le jour que l'on s'est communié, mais ce n'est pas chose malseante, ains plustost meritoire de le payer.

  A003000820 

 Certes, en la primitive Eglise, les Chrestiens communioient tous les jours, quoy qu'ilz fussent mariés et benis de la generation des enfans; c'est pourquoy j'ay dit que la frequente Communion ne donnoit nulle sorte d'incommodité ni aux peres, ni aux femmes, ni aux maris, pourveu que l'ame qui communie soit prudente et discrete..

  A003000820 

 Il faut que je die ce mot pour les gens mariés: Dieu treuvoit mauvais en l'ancienne Loy que les creanciers fissent exaction de ce qu'on leur devoit es jours des festes, mais il ne treuva jamais mauvais que les debiteurs payassent et rendissent leurs devoirs a ceux qui les exigeoient.

  A003000822 

 Pour communier tous les huit jours, il est requis [119] de n'avoir ni peché mortel ni aucune affection au peché veniel, et d'avoir un grand desir de se communier; mais pour communier tous les jours, il faut, outre cela, avoir surmonté la pluspart des mauvaises inclinations, et que ce soit par advis du pere spirituel..

  A003000826 

 Et apres que vous aures dit les paroles sacrees: Seigneur, je ne suis pas digne, ne remues plus vostre teste ni vos levres, soit pour prier soit pour souspirer, mais ouvrant doucement et mediocrement vostre bouche, et eslevant vostre teste autant qu'il faut pour donner commodité au prestre de voir ce qu'il fait, receves pleine de foy, d'esperance et de charité Celuy lequel, auquel, par [120] lequel et pour lequel vous croyes, esperes et aymes.

  A003000826 

 L'ayant receu, excites vostre cœur a venir faire hommage a ce Roy de salut; traittes avec luy de vos affaires interieures, considerés-le dedans vous, ou il s'est mis pour vostre bonheur; en fin, faites-luy tout l'accueil qu'il vous sera possible, et comportes-vous en sorte que l'on connoisse en toutes vos actions que Dieu est avec vous..

  A003000826 

 Le matin leves-vous avec grande joye, pour le bonheur que vous esperés, et vous estant confessee, alles avec grande confiance, mais aussi avec grande humilité, prendre cette viande celeste qui vous nourrit a l'immortalité.

  A003000826 

 O Philothee, imaginés-vous que comme l'abeille ayant recueilli sur les fleurs la rosee du ciel et le suc plus exquis de la terre, et l'ayant reduit en miel, le porte dans sa ruche, ainsy le prestre ayant pris sur l'autel le Sauveur du monde, vray Filz de Dieu, qui comme une rosee est descendu du Ciel, et vray Filz de la Vierge, qui comme fleur est sorti de la terre de nostre humanité, il le met en viande de suavité dedans vostre bouche et dedans vostre cors.

  A003000826 

 Que si la nuit vous vous resveilles, remplisses soudain vostre cœur et vostre bouche de quelques paroles odorantes, par le moyen desquelles vostre ame soit parfumee pour recevoir l'Espoux, lequel, veillant pendant que vous dormes, se prepare a vous apporter mille graces et faveurs, si de vostre part vous estes disposee a les recevoir.

  A003000828 

 Non, le Sauveur ne peut estre consideré en une action ni plus amoureuse ni plus tendre que celle ci, en laquelle il s'aneantit, par maniere de dire, et se reduit en viande affin de penetrer nos ames et s'unir intimement au cœur et au cors de ses fidelles..

  A003000828 

 Vostre grande intention en la Communion doit estre de vous avancer, fortifier et consoler en l'amour de Dieu; car vous deves recevoir pour l'amour ce que le seul amour vous fait donner.

  A003000829 

 Dites leur que ceux qui n'ont pas beaucoup d'affaires mondaines doivent souvent communier parce qu'ilz en ont la commodité, et ceux qui ont beaucoup d'affaires mondaines, parce qu'ilz en ont necessité, et que celuy qui travaille beaucoup et qui est chargé de peynes doit aussi manger les viandes solides et souventesfois.

  A003000829 

 Dites leur que deux sortes de gens doivent souvent communier: les parfaitz, parce qu'estans bien disposés, ilz auroyent grand tort de ne point s'approcher de la source et fontaine de perfection, et les imparfaitz, affin de pouvoir justement pretendre a la perfection; les fortz affin qu'ilz ne deviennent foibles, et les foibles affin qu'ilz deviennent fortz; les malades affin d'estre guéris, les sains affin qu'ilz ne tombent en maladie; et que pour vous, comme imparfaitte, foible et malade, vous aves besoin de souvent communiquer avec vostre perfection, vostre force et vostre medecin.

  A003000829 

 Dites leur que vous receves le Saint Sacrement pour apprendre a le bien recevoir, parce que l'on ne fait gueres bien une action a laquelle on ne s'exerce pas souvent..

  A003000829 

 Si les mondains vous demandent pourquoy vous communies si souvent, dites leur que c'est pour apprendre a aymer Dieu, pour vous purifier de vos imperfections, pour vous delivrer de vos miseres, pour vous consoler en vos afflictions, pour vous appuyer en [121] vos foiblesses.

  A003000830 

 Communies souvent, Philothee, et le plus souvent que vous pourrés, avec l'advis de vostre pere spirituel; et croyes-moy, les lievres deviennent blancz parmi nos montagnes en hiver parce qu'ilz ne voyent ni mangent que la neige, et a force d'adorer et manger beauté, la bonté et la pureté mesme en ce divin Sacrement, vous deviendres toute belle, toute bonne et toute pure.

  A003000835 

 Le juste est comme l'arbre qui est planté sur le cours des eaux, qui porte son fruit en son tems, parce que la charité arrousant une ame, produit en elle les œuvres vertueuses chacune en sa saison.

  A003000836 

 Le sucre est plus excellent que le sel; mais le sel a un usage plus frequent et plus general.

  A003000837 

 C'estoit le goust de sainte Paule d'exercer l'aspreté des mortifications corporelles pour jouir plus aysement des douceurs spirituelles, mais elle avoit plus de devoir a l'obeissance de ses superieurs; c'est pourquoy saint Hierosme advoüe qu'elle estoit reprehensible en ce que, contre l'advis de son Evesque, elle faisoit des abstinences immoderees.

  A003000837 

 Chaque vacation a besoin de prattiquer quelque speciale vertu: autres sont les vertus d'un prelat, autres celles d'un prince, autres celles d'un soldat, autres celles d'une femme mariee, autres celles d'une vefve; et bien que tous doivent avoir toutes les vertus, tous neanmoins ne les doivent pas egalement prattiquer, mais un chacun se doit particulierement addonner a celles qui sont requises au genre de vie auquel il est appellé..

  A003000837 

 Les Apostres au contraire, commis pour prescher l'Evangile et distribuer le pain celeste aux ames, jugerent extremement bien qu'ilz eussent eu [124] tort de s'incommoder en ce saint exercice pour prattiquer la vertu du soin des pauvres, quoy que tres excellente.

  A003000838 

 Les cometes paraissent pour l'ordinaire plus grandes que les estoiles et tiennent beaucoup plus de place a nos yeux; elles ne sont pas neanmoins comparables ni en grandeur ni en qualité aux estoiles, et ne semblent grandes sinon parce qu'elles sont proches de nous et en un sujet plus grossier au prix des estoiles.

  A003000839 

 Euloge Alexandrin, désirant faire quelque service particulier a Dieu, et n'ayant pas asses de force ni pour embrasser la vie solitaire ni pour se ranger sous l'obeissance d'un autre, retira chez soy un miserable tout perdu et gasté de ladrerie pour exercer en iceluy la charité et mortification; ce que pour faire plus dignement, il fit vœu de l'honnorer, traitter et servir comme un valet feroit son maistre et seigneur.

  A003000839 

 Une belle jeune fille, plus reluisante que le soleil, ornee et paree royalement et couronnee d'une couronne d'olives, apparut a saint Jean Evesque d'Alexandrie et luy dit: « Je suis la fille aisnee du Roy; si tu me peux avoir pour ton amie je te conduiray devant sa face.

  A003000839 

 » Il conneut que c'estoit la misericorde envers les pauvres que Dieu luy recommandoit, si que, par apres, il s'addonna tellement a l'exercice d'icelle, que pour cela il est par tout appellé saint Jean l'Aumosnier.

  A003000846 

 Ains il est arrivé, comme dit saint Gregoire Nazianzene, que par une seule action de quelque vertu, bien et parfaittement exercee, une personne a atteint au comble des vertus, alleguant Rahab, laquelle, ayant exactement prattiqué l'office d'hospitalité, parvint a une gloire supreme; mais cela s'entend quand telle action se fait excellemment, avec grande ferveur et charité.

  A003000850 

 Saint Augustin dit excellemment que ceux qui commencent en la devotion commettent certaines fautes, lesquelles sont blasmables selon la rigueur des lois de la perfection, et sont neanmoins louables, pour le bon presage qu'elles donnent d'une future excellence de pieté, a laquelle mesme elles servent de disposition.

  A003000852 

 C'est bon signe en un malade quand au sortir de sa maladie les jambes luy enflent, car cela denote que la nature des-ja renforcee rejette les humeurs superflues; mays ce mesme signe seroit mauvais en celuy qui ne seroit pas malade, car il [130] feroit connoistre que la nature n'a pas asses de force pour dissiper et resouldre les humeurs.

  A003000852 

 J'atteste Jesus auquel elle a servi et auquel je desire servir, que je ne mens ni d'un costé ni d'autre, ains produis naifvement ce qui est d'elle, comme Chrestien d'une Chrestienne; c'est a dire, j'en escris l'histoire, non pas un panegyrique, et que ses vices sont les vertus des autres.

  A003000852 

 Ma Philothee, il faut avoir bonne opinion de ceux esquelz nous voyons la prattique des vertus, quoy qu'avec imperfection, puisque les Saintz mesmes les ont souvent prattiquees en cette sorte; mays quant a nous, il nous faut avoir soin de nous y exercer, non seulement fidellement, mais prudemment, et a cet effect observer estroittement l'advis du Sage, de ne point nous appuyer sur nostre propre prudence, ains sur celle de ceux que Dieu nous a donnés pour conducteurs..

  A003000852 

 Saint Hierosme ayant raconté que sainte Paule, sa chere fille, estoit non seulement excessive, mais opiniastre en l'exercice des mortifications corporelles, jusques a ne vouloir point ceder a l'advis contraire que saint Epiphane son Evesque luy avoit donné pour ce regard, et qu'outre cela, elle se laissoit tellement emporter au regret de la mort des siens, que tous-jours elle en estoit en danger de mourir, en fin il conclud en cette sorte: « On dira qu'en lieu d'escrire des louanges pour cette Sainte, j'en escris des blasmes et vituperes.

  A003000852 

 » Il veut dire que les deschetz et defautz de sainte Paule eussent tenu lieu de vertu en une ame moins parfaitte, comme a la verité il y a des actions qui sont estimees imperfections en ceux qui sont parfaitz, lesquelles seroyent neanmoins tenues pour grandes perfections en ceux qui sont imparfaitz.

  A003000853 

 Il y a certaines choses que plusieurs estiment vertus et qui ne le sont aucunement, desquelles il faut que je vous die un mot: ce sont les extases ou ravissemens, les insensibilités, impassibilités, unions deifiques, eslevations, transformations, et autres telles perfections desquelles certains livres traittent, qui promettent d'eslever l'ame jusqu'à la contemplation purement intellectuelle, a l'application essentielle de l'esprit et vie supereminente.

  A003000853 

 J'adjouste que nous n'avons pas entrepris de nous rendre sinon gens de bien, gens de [131] devotion, hommes pieux, femmes pieuses, c'est pourquoy il nous faut bien employer a cela; que s'il plait a Dieu de nous eslever jusques a ces perfections angeliques, nous serons aussi des bons anges, mais en attendant exerçons-nous simplement, humblement et devotement aux petites vertus, la conqueste desquelles Nostre Seigneur a exposee a nostre soin et travail: comme la patience, la debonnaireté, la mortification du cœur, l'humilité, l'obeissance, la pauvreté, la chasteté, la tendreté envers le prochain, le support de ses imperfections, la diligence et sainte ferveur..

  A003000853 

 Mais pour tout cela, il ne faut pas pretendre a telles graces, puisqu'elles ne sont nullement necessaires pour bien servir et aymer Dieu, qui doit estre nostre unique pretention; aussi, bien souvent ne sont-ce pas des graces qui puissent estre acquises par le travail et industrie, puisque ce sont plustost des passions que des actions, lesquelles nous pouvons recevoir, mais non pas faire en nous.

  A003000853 

 Voyés-vous, Philothee, ces perfections ne sont pas vertus; ce sont plustost des recompenses que Dieu donne pour les vertus, ou bien encor plustost des eschantillons des felicités de la vie future, qui quelquefois sont presentés aux hommes pour leur faire desirer les pieces toutes entieres qui sont la haut en Paradis.

  A003000854 

 Certes, les pretentions si hautes et eslevees des choses extraordinaires sont grandement sujettes aux illusions, tromperies et fausetés; et arrive quelquefois que ceux qui pensent estre des anges ne sont pas seulement bons hommes, et qu'en leur fait il y a plus de grandeur es paroles et termes dont ilz usent, qu'au sentiment et en l'œuvre.

  A003000858 

 Ouy; car, comme avoit prononcé le Sauveur, en vostre patience vous possederes vos ames. C'est le grand bonheur de l'homme, Philothee, que de posseder son ame; et a mesure que la patience est plus parfaitte, nous possedons plus parfaittement nos ames.

  A003000858 

 Vous aves besoin de patience, affin que faysant la volonté de Dieu, vous en rapporties la promesse, dit l'Apostre.

  A003000858 

 [133] Resouvenés vous souvent que Nostre Seigneur nous a sauvés en souffrant et endurant, et que de mesme, nous devons faire nostre salut par les souffrances et afflictions, endurans les injures, contradictions et desplaysirs avec le plus de douceur qu'il nous sera possible..

  A003000859 

 Car tout ainsy que les piqueures des abeilles sont plus cuisantes que celles des mouches, ainsy le mal que l'on reçoit des gens de bien et les contradictions qu'ilz font sont bien plus insupportables que les autres; et cela neanmoins arrive fort souvent, que deux hommes de bien, ayans tous deux bonne intention, sur la diversité de leurs opinions, se font des grandes persecutions et contradictions l'un a l'autre.

  A003000859 

 D'estre mesprisé, reprins et accusé par les meschans, ce n'est que douceur a un homme de courage; mais d'estre reprins, accusé et mal traitté par les gens de bien, par les amis, par les parens, c'est la ou il y va du bon.

  A003000859 

 J'estime plus la douceur avec laquelle le grand saint Charles Borromee souffrit longuement les reprehensions publiques qu'un grand predicateur d'un Ordre extremement reformé faisoit contre lluy en chaire, que toutes les attaques qu'il receut des autres.

  A003000859 

 Ne bornés point vostre patience a telle ou telle sorte d'injures et d'afflictions, mais estendes-la universellement a toutes celles que Dieu vous envoyera et permettra vous arriver.

  A003000860 

 Et l'autre dira: je ne m'en soucierois point, si ce n'estoit que le monde pensera que cela me soit arrivé par ma faute.

  A003000860 

 Il y en a d'autres qui veulent bien avoir quelque incommodité du mal, ce leur semble, mays non pas l'avoir toute: ilz ne s'impatientent pas, disent-ilz, d'estre malades, mais de ce qu'ilz n'ont pas de l'argent pour se faire panser, ou bien de ce que ceux qui sont autour d'eux en sont importunés.

  A003000860 

 Je ne me fasche point, dit l'un, d'estre devenu pauvre, si ce n'estoit que cela m'empeschera de servir mes amis, eslever mes enfans et vivre honnorablement comme je desirerois.

  A003000860 

 L'autre seroit tout ayse que l'on mesdist de luy, et le souffriroit fort patiemment, pourveu que personne ne creust le mesdisant.

  A003000860 

 Or je dis, Philothee, qu'il faut avoir patience, non seulement d'estre malade, mais de l'estre de la maladie que Dieu veut, au lieu ou il veut, et entre les personnes qu'il veut, et avec les incommodités qu'il veut; et ainsy des autres tribulations..

  A003000861 

 Quand il vous arrivera du mal, opposés a iceluy les remedes qui seront possibles et selon Dieu, car de faire autrement, ce seroit tenter sa divine Majesté: mais aussi cela estant fait, attendes avec une entiere resignation l'effect que Dieu aggreera.

  A003000861 

 S'il luy plaist que les remedes vainquent le mal, vous le remercieres avec humilité; mais s'il luy plaist que le mal surmonte les remedes, benisses-le avec patience..

  A003000862 

 Et en cette sorte, vous n'offenseres ni le soin que vous deves avoir de vostre renommee, ni l'affection que vous deves a la tranquillité, douceur de cœur et humilité..

  A003000862 

 Je suis l'advis de saint Gregoire: Quand vous seres accusee justement pour quelque faute que vous aures commise, humilies-vous bien fort, confesses que vous merités l'accusation qui est faitte contre vous.

  A003000862 

 [135] Que si l'accusation est fause, excuses-vous doucement, niant d'estre coupable, car vous deves cette reverence a la verité et a l'edification du prochain; mais aussi, si apres vostre veritable et legitime excuse on continue a vous accuser, ne vous troubles nullement et ne tasches point a faire recevoir vostre excuse; car apres avoir rendu vostre devoir a la verité, vous deves le rendre aussi a l'humilité.

  A003000863 

 Plaignes vous le moins que vous pourres des tortz qui vous seront faitz; car c'est chose certaine que pour l'ordinaire, qui se plaint peche, d'autant que l'amour propre nous fait tous-jours ressentir les injures plus grandes qu'elles ne sont: mais sur tout ne faites point vos plaintes a des personnes aysees a s'indigner et mal penser.

  A003000863 

 Que s'il est expedient de vous plaindre a quelqu'un, ou pour remedier a l'offense, ou pour accoiser vostre esprit, il faut que ce soit a des ames tranquilles et qui ayment bien Dieu; car autrement au lieu d'alleger vostre cœur, elles le provoqueroyent a de plus grandes inquietudes; au lieu d'oster l'espine qui vous pique, elles la ficheront plus avant en vostre pied..

  A003000864 

 Le vray patient ne se plaint point de son mal ni ne desire qu'on le plaigne; il en parle naifvement, veritablement et simplement, sans se lamenter, sans se plaindre, sans l'aggrandir: que si on le plaint, il souffre patiemment qu'on le plaigne, sinon qu'on le plaigne de quelque mal qu'il n'a pas; car lhors il declare modestement qu'il n'a point ce mal la, et demeure en cette sorte paisible entre la verité et la patience, confessant son mal et ne s'en plaignant point..

  A003000864 

 Plusieurs estans malades, affligés, et offensés de quelqu'un s'empeschent bien de se plaindre et monstrer de la delicatesse, car cela, a leur advis (et il est vray), tesmoigneroit evidemment une grande defaillance de force et de generosité; mais ilz desirent extremement, et par plusieurs artifices recherchent que chacun les plaigne, qu'on ait grande compassion d'eux, et qu'on les estime non seulement affligés, mais patiens et [136] courageux.

  A003000865 

 Es contradictions qui vous arriveront en l'exercice de la devotion (car cela ne manquera pas), resouvenes-vous de la parolle de Nostre Seigneur: La femme tandis qu'elle enfante a des grandes angoisses, mais voyant son enfant né elle les oublie, d'autant qu'un homme luy est né au monde; car vous aves conceu en vostre ame le plus digne enfant du monde, qui est Jesus Christ: avant qu'il soit produit et enfanté du tout, il ne se peut que vous ne vous ressenties du travail; mais ayés bon courage, car, ces douleurs passees, la joye eternelle vous demeurera d'avoir enfanté un tel homme au monde.

  A003000865 

 Or, il sera entierement enfanté pour vous lhors que vous l'aures entierement formé en vostre cœur et en vos œuvres par imitation de sa vie..

  A003000866 

 Resouvenes-vous que les abeilles au tems qu'elles font le miel, vivent et mangent d'une munition fort amere, et qu'ainsy nous ne pouvons jamais faire des actes de plus grande douceur et patience, ni mieux composer le miel des excellentes vertus, que tandis que nous mangeons le pain d'amertume et vivons parmi les angoisses.

  A003000867 

 Consideres les peynes que les Martyrs souffrirent jadis, et celles que tant de personnes endurent, plus griefves, sans aucune proportion, que celles esquelles vous estes, et dites: helas, mes travaux sont des consolations et mes espines des roses, en comparayson de ceux qui, sans secours, sans assistence, sans allegement, vivent en une mort continuelle, accablés d'afflictions infiniment plus grandes.

  A003000867 

 Voyes souvent de vos yeux intérieurs Jesus Christ crucifié, nud, blasphemé, calomnié, abandonné, et en fin accablé de toutes sortes d'ennuis, de tristesse et de travaux, et consideres que toutes vos souffrances, ni en qualité ni en quantité, ne sont aucunement comparables aux siennes, et que jamais vous ne souffrires rien pour luy, au prix de ce qu'il a souffert pour vous.

  A003000872 

 Les autres se pavonnent sur la consideration de leur beauté, et croyent que tout le monde les muguette.

  A003000873 

 Les perles qui sont conceuës ou nourries au vent et au bruit des tonnerres n'ont que l'escorce de perle, et sont vuides de substance; et ainsy les vertus et belles qualités des hommes qui sont receuës et nourries en l'orgueil, en la vantance et en la vanité, n'ont qu'une simple apparence du bien, sans suc, sans moelle et sans solidité.

  A003000874 

 Si nous sommes pointilleux pour les rangs, pour les [143] seances, pour les tiltres, outre que nous exposons nos qualités a l'examen, a l'enqueste et a la contradiction, nous les rendons viles et abjectes; car l'honneur qui est beau estant receu en don, devient vilain quand il est exigé, recherché et demandé.

  A003000876 

 Car, comme ceux qui viennent du Peru, outre l'or et l'argent qu'ilz en tirent, apportent encor des singes et perroquetz, parce qu'ilz ne leur coustent gueres et ne chargent pas aussi beaucoup leur navire; ainsy ceux qui pretendent a la vertu ne laissent pas de prendre leurs rangs et les honneurs qui leur sont deus, pourveu toutefois que cela ne leur couste pas beaucoup de soin et d'attention, et que ce soit sans en estre chargés de trouble, d'inquietude, de disputes et contentions.

  A003000876 

 Certes, chacun peut entrer en son rang et s'y tenir sans violer l'humilité, pourveu que cela se fasse negligemment et sans contention.

  A003000876 

 Je ne parle neanmoins pas de ceux desquelz la dignité regarde le public, ni de certaines occasions particulieres qui tirent une grande consequence; car en cela, il faut que chacun conserve ce qui luy appartient, avec une prudence et discretion qui soit accompagnee de charité et courtoisie..

  A003000880 

 Mais vous desirés, Philothee, que je vous conduise plus avant en l'humilité; car a faire comme j'ay dit, c'est quasi plustost sagesse qu'humilité: maintenant donq je passe outre.

  A003000880 

 Plusieurs ne veulent ni n'osent penser et considerer les graces que Dieu leur a faites en particulier, de peur de prendre de la vaine gloire et complaisance, en quoy certes ilz se trompent; car puisque, [145] comme dit le grand Docteur Angelique, le vray d'atteindre a l'amour de Dieu, c'est la consideration de ses bienfaitz, plus nous les connoistrons plus nous l'aymerons; et comme les benefices particuliers esmeuvent plus puissamment que les communs, aussi doivent-ilz estre considerés plus attentivement..

  A003000881 

 Ainsy la Sainte Vierge confesse que Dieu luy fait choses tres grandes, mais [146] ce n'est que pour s'en humilier et magnifier Dieu: Mon ame, dit elle, magnifie le Seigneur, parce qu'il m'a fait choses grandes..

  A003000881 

 Certes, rien ne nous peut tant humilier devant la misericorde de Dieu que la multitude de ses bienfaitz, ni rien tant humilier devant sa justice, que la multitude de nos mesfaitz.

  A003000881 

 Considerons ce qu'il a fait pour nous et ce que nous avons fait contre luy; et comme nous considerons par le menu nos pechés, considerons aussi par le menu ses graces.

  A003000881 

 Helas, les muletz laissent ilz d'estre lourdes et puantes bestes, pour estre chargés des meubles pretieux et parfumés du prince? Qu'avons nous de bon que nous n'ayons receu? et si nous l'avons receu, pourquoy nous en voulons nous enorgueillir? Au contraire, la vive consideration des graces receuës nous rend humbles; car la connoissance engendre la reconnoissance.

  A003000881 

 Il ne faut pas craindre que la connoissance de ce qu'il a mis en nous nous enfle, pourveu que nous soyons attentifz a cette verité, que ce qui est de bon en nous n'est pas de nous.

  A003000881 

 Mais si voyans les graces que Dieu nous a faites, quelque sorte de vanité nous venoit chatouiller, le remede infallible sera de recourir a la consideration de nos ingratitudes, de nos imperfections, de nos miseres: si nous considerons ce que nous avons fait quand Dieu n'a pas esté avec nous, nous connoistrons bien que ce que nous faisons quand il est avec nous n'est pas de nostre façon ni de nostre creu; nous en jouirons voyrement et nous en resjouirons parce que nous l'avons, mais nous en glorifierons Dieu seul parce qu'il en est l'autheur.

  A003000882 

 Nous disons maintesfois que nous ne sommes rien, que nous sommes la misere mesme et l'ordure du monde; mais nous serions bien marris qu'on nous prist au mot et que l'on nous publiast telz que nous disons.

  A003000883 

 Il est vray qu'encor voudrois-je que les paroles fussent adjustees a nos affections au plus pres qu'il nous seroit possible, pour suivre en tout et par tout la simplicité et candeur cordiale.

  A003000883 

 J'en dis de mesme de quelques paroles [147] d'honneur ou de respect qui, a la rigueur, ne semblent pas veritables; car elles le sont neanmoins asses, pourveu que le cœur de celuy qui les prononce ait une vraye intention d'honnorer et respecter celuy pour lequel il les dit; car encor que les motz signifient avec quelque exces ce que nous disons, nous ne faisons pas mal de les employer quand l'usage commun le requiert.

  A003000883 

 L'homme vrayement humble aymeroit mieux qu'un autre dist de luy qu'il est miserable, qu'il n'est rien, qu'il ne vaut rien, que non pas de le dire luy mesme: au moins, s'il sçait qu'on le die, il ne contredit point, mais acquiesce de bon cœur; car croyant fermement cela, il est bien ayse qu'on suive son opinion..

  A003000883 

 Or, je tiens cette regle si generale que je n'y apporte nulle exception: seulement j'adjouste que la civilité requiert que nous presentions quelquefois l'advantage a ceux qui manifestement ne le prendront pas, et ce n'est pourtant pas ni duplicité ni fause humilité; car alhors le seul offre de l'advantage est un commencement d'honneur, et puisqu'on ne peut le leur donner entier on ne fait pas mal de leur en donner le commencement.

  A003000883 

 Voyci donq mon ad vis, Philothee: ou ne disons point de paroles d'humilité, ou disons les avec un vray sentiment interieur, conforme a ce que nous prononçons exterieurement; n'abbaissons jamais les yeux qu'en humiliant nos cœurs; ne faisons pas semblant de vouloir estre des derniers, que de bon cœur nous ne voulussions l'estre.

  A003000884 

 Mais ne voit il pas que quand Dieu nous veut gratifier, c'est orgueil de refuser? que les dons de Dieu nous obligent a les recevoir, et que c'est humilité d'obeir et suivre au plus pres que nous pouvons ses desirs? Or, le desir de Dieu est que nous soyons parfaitz, nous unissans a luy et l'imitans au plus presque nous pouvons.

  A003000885 

 Car ainsy l'humilité couvre et cache toutes nos vertus et perfections humaines, et ne les fait jamais paroistre que [149] pour la charité, qui estant une vertu non point humaine mais celeste, non point morale mais divine, elle est le vray soleil des vertus, sur lesquelles elle doit tous-jours dominer: si que les humilités qui prejudicient a la charité sont indubitablement fauses..

  A003000885 

 En quoy elle ressemble a cet arbre des isles de Tylos, lequel la nuit resserre et tient closes ses belles fleurs incarnates et ne les ouvre qu'au soleil levant, de sorte que les habitans du païs disent que ces fleurs dorment de nuit.

  A003000885 

 Penser sçavoir ce qu'on ne sçait pas, c'est une sottise expresse; vouloir faire le sçavant de ce qu'on connoist bien que l'on ne sçait pas, c'est une vanité insupportable: pour moy, je ne voudrois pas mesme faire le sçavant de ce que je sçaurois, comme au contraire je n'en voudrois non plus faire l'ignorant.

  A003000886 

 En suite dequoy je vous diray que si pour les actions d'une vraye et naifve devotion, on vous estime vile, abjecte ou folle, l'humilité vous fera res-jouir de ce bienheureux opprobre, duquel la cause n'est pas en vous, mais en ceux qui le font.

  A003000886 

 Et quant a David, s'il dansa et sauta un peu plus que l'ordinaire bienseance ne requeroit devant l'Arche de l'alliance, ce n'estoit pas qu'il voulust faire le fol; mais tout simplement et sans artifice, il faisoit ces mouvemens exterieurs conformes a l'extraordinaire et demesuree allegresse qu'il sentoit en son cœur.

  A003000886 

 Il est vray que quand Michol sa femme luy en fit reproche comme d'une folie, il ne fut pas marri de se voir avili: ains perseverant en la naifve et veritable representation de sa joye, il tesmoigna d'estre bien ayse de recevoir un peu d'opprobre pour son Dieu.

  A003000886 

 Que si quelques grans serviteurs de Dieu ont fait semblant d'estre folz pour se rendre plus abjectz devant le monde, il les faut admirer et non pas imiter; car ilz ont eu des motifz pour passer a cet exces qui leur ont esté si particuliers et extraordinaires, que personne n'en doit tirer aucune consequence pour soy.

  A003000890 

 Et c'est cela a quoy je vous exhorte, et que pour mieux entendre, sçaches qu'entre les maux que nous souffrons les uns sont abjectz et les autres honnorables; plusieurs s'accommodent aux honnorables, mais presque nul ne veut [151] s'accommoder aux abjectz.

  A003000890 

 Il y a néanmoins difference entre la vertu d'humilité et l'abjection; car l'abjection, c'est la petitesse, bassesse et vileté qui est en nous, sans que nous y pensions; mais quant a la vertu d'humilité, c'est la veritable connoissance et volontaire reconnoissance de nostre abjection.

  A003000890 

 Mais, ce me dires-vous, que veut dire cela: aymés vostre propre abjection? En latin abjection veut dire humilité, et humilité veut dire abjection; si que, quand Nostre Dame en son sacré Cantique dit que, parce que Nostre Seigneur a veu l'humilité de sa servante toutes les generations la diront bienheureuse, elle veut dire que Nostre Seigneur a regardé de bon cœur son abjection, vileté et bassesse, pour la combler de graces et faveurs.

  A003000890 

 Un religieux reçoit devotement un'aspre censure de son superieur, ou un enfant de son pere: chacun appellera cela mortification, obedience et sagesse; un chevalier et une dame en souffrira de mesme de quelqu'un, et quoy que ce soit pour l'amour de Dieu, chacun l'appellera couardise et lascheté: voyla donq encor un autre mal abject.

  A003000890 

 Une personne a un chancre au bras, et l'autre l'a au visage: celuy-la n'a que le mal, mays cestuy-ci, avec le mal, a le mespris, le desdain et l'abjection.

  A003000891 

 De plus, il y a des vertus abjectes et des vertus honnorables: la patience, la douceur, la simplicité et l'humilité mesme sont des vertus que les mondains tiennent pour viles et abjectes; au contraire, ilz estiment beaucoup la prudence, la vaillance et la liberalité.

  A003000892 

 Il y a mesme des fautes esquelles il n'y a aucun mal que la seule abjection; et l'humilité ne requiert pas qu'on les face expressement, mais elle requiert bien qu'on ne s'inquiete point quand on les aura commises: telles sont certaines sottises, incivilités et inadvertances, lesquelles comme il faut eviter avant qu'elles soyent faittes, pour obeir a la civilité et prudence, aussi faut il quand elles sont faittes, acquiescer a l'abjection qui nous en revient, et l'accepter de bon cœur pour suivre la sainte humilité.

  A003000893 

 Au demeurant, il arrive quelquefois que la charité requiert que nous remedions a l'abjection pour le bien du prochain, auquel nostre reputation est necessaire; mais en ce cas la, ostant nostre abjection de devant les yeux du prochain pour empescher son scandale, il la faut serrer et cacher dedans nostre cœur affin qu'il s'en edifie..

  A003000893 

 Mais quoy que nous aymions l'abjection qui s'ensuit du mal, si ne faut il pas laisser de remedier au mal qui l'a causee, par des moyens propres et legitimes, et sur tout quand le mal est de consequence.

  A003000893 

 Si j'ay fait une chose qui n'offense personne, je ne m'en excuseray pas, parce qu'encor que ce soit un defaut, si est-ce qu'il n'est pas permanent; je ne pourrois donques m'en excuser que pour l'abjection qui m'en revient; or c'est cela que l'humilité ne peut permettre: [153] mais si par mesgarde ou par sottise j'ay offensé ou scandalisé quelqu'un, je repareray l'offense par quelque veritable excuse, d'autant que le mal est permanent et que la charité m'oblige de l'effacer.

  A003000893 

 Si j'ay quelque mal abject au visage, j'en procureray la guerison, mais non pas que l'on oublie l'abjection laquelle j'en ay receuë.

  A003000894 

 Ah! qui nous fera la grace de pouvoir dire avec ce grand Roy: J'ay choisi d'estre abject en la mayson de Dieu, plustost que d'habiter es tabernacles des pecheurs? Nul ne le peut, chere Philothee, que Celuy qui pour nous exalter, vesquit et mourut en sorte qu'il fut l' opprobre des hommes et l'abjection du peuple..

  A003000894 

 Mais vous voulés sçavoir, Philothee, quelles sont les meilleures abjections; et je vous dis clairement que les plus prouffitables a l'ame et aggreables a Dieu sont celles que nous avons par accident ou par la condition de nostre vie, parce que nous ne les avons pas choisies, ains les avons receuës telles que Dieu nous les a envoyees, duquel l'election est tous-jours meilleure que la nostre.

  A003000894 

 Que s'il en falloit choisir, les plus grandes sont les meilleures; et celles la sont estimees les plus grandes qui sont plus contraires a nos inclinations, pourveu qu'elles soyent conformes a nostre vacation; car, pour le dire une fois pour toutes, nostre choix et election gaste et amoindrit presque toutes nos vertus.

  A003000895 

 Je vous ay dit beaucoup de choses qui vous sembleront dures quand vous les considererés; mais croyes-moy, elles seront plus douces que le sucre et le miel quand vous les prattiquerés.[154].

  A003000899 

 Car par la loüange nous voulons persuader aux autres d'estimer l'excellence de quelqu'un; par l'honneur nous protestons que nous l'estimons nous mesmes; et la gloire n'est autre chose, a mon advis, qu'un certain esclat de reputation qui rejaillit de l'assemblage de plusieurs louanges et honneurs: si que les honneurs et loüanges sont comme des pierres pretieuses, de l'amas desquelles reussit la gloire comme un esmail.

  A003000899 

 Elle consent bien neanmoins a l'advertissement du Sage, qui nous admoneste d' avoir soin de nostre renommee, parce que la bonne renommee est une estime, non d'aucune excellence, mais seulement d'une simple et commune preud'hommie et integrité de vie, laquelle l'humilité n'empesche pas que nous ne reconnoissions en nous mesmes, ni par consequent que nous en desirions la reputation.

  A003000899 

 Il est vray que l'humilité mespriseroit la renommee si la charité n'en avoit besoin; mais parce qu'elle est l'un des fondemens de la societé humaine, et que sans elle nous sommes non seulement inutiles mais dommageables au public, a cause du scandale qu'il en reçoit, la charité requiert et l'humilité aggree que nous la desirions et conservions pretieusement.

  A003000899 

 Or, l'humilité ne pouvant souffrir que nous ayons aucune opinion d'exceller ou devoir estre preferés aux autres, ne peut aussi permettre que nous recherchions la louange, l'honneur ni la gloire qui sont deuës a la seule excellence.

  A003000900 

 Conservons nos vertus, ma chere Philothee, parce qu'elles sont aggreables a Dieu, grand et souverain objet de toutes nos actions; mais comme ceux qui veulent garder les fruitz ne se contentent pas de les confire, ains les mettent dedans des vases propres a la conservation d'iceux, de mesme, bien que l'amour divin soit le principal conservateur de nos vertus, si est-ce que nous pouvons encor employer la bonne renommee comme fort propre et utile a cela..

  A003000900 

 Outre cela, comme les feuilles des arbres, qui d'elles mesmes ne sont pas beaucoup prisables, servent neanmoins de beaucoup, non seulement pour les embellir, mais aussi pour conserver les fruitz tandis qu'ilz sont encor tendres; ainsy la bonne renommee, qui de soy mesme n'est pas une chose fort desirable, ne laisse pas d'estre tres utile, non seulement pour l'ornement de nostre vie, mais aussi pour la conservation de nos vertus, et principalement des vertus encor tendres et foibles: l'obligation de maintenir nostre reputation et d'estre telz que l'on nous estime, force un courage genereux, d'une puissante et douce violence.

  A003000901 

 Certes, Philothee, qui veut avoir reputation envers tous, la perd envers tous; et celuy merite de perdre l'honneur, qui le veut prendre de ceux que les vices rendent vrayement infames et deshonnorés..

  A003000901 

 Il ne faut pas pourtant que nous soyons trop ardens, exactes et pointilleux a cette conservation, car ceux qui sont si douilletz et sensibles pour leur reputation ressemblent a ceux qui pour toutes sortes de petites [156] incommodités prennent des medecines: car ceux ci, pensans conserver leur santé la gastent tout a fait, et ceux la, voulans maintenir si delicatement leur reputation la perdent entierement; car par cette tendreté ilz se rendent bigearres, mutins, insupportables, et provoquent la malice des mesdisans.

  A003000901 

 La dissimulation et mespris de l'injure et calomnie est pour l'ordinaire un remede beaucoup plus salutaire que le ressentiment, la conteste et la vengeance: le mespris les fait esvanouir; si on s'en courrouce il semble qu'on les advoüe.

  A003000901 

 Les crocodiles n'endommagent que ceux qui les craignent, ni certes la mesdisance sinon ceux qui s'en mettent en peyne.

  A003000901 

 Les villes qui ont des pontz de bois sur des grans fleuves craignent qu'ilz ne soyent emportés a toutes sortes de debordemens; mais celles qui les ont de pierre n'en sont en peyne que pour des inondations extraordinaires: ainsy ceux qui ont une ame solidement chrestienne mesprisent ordinairement les debordemens des langues injurieuses; mais ceux qui se sentent foibles s'inquietent a tout propos.

  A003000902 

 Ainsy, bien que la renommee soit coupee, ou mesme tout a fait rasee par la langue des mesdisans, qui est, dit David, comme un rasoir affilé, il ne se faut point inquieter, car bien tost elle renaistra non seulement aussi belle qu'elle estoit, ains encores plus solide.

  A003000902 

 C'est pourquoy, si l'on dit: vous estes un hypocrite, parce que vous vous rangés [157] a la devotion; si l'on vous tient pour homme de bas courage parce que vous aves pardonné l'injure, moques vous de tout cela.

  A003000902 

 Car, outre que telz jugemens se font par des niaises et sottes gens, quand on devroit perdre la renommee, si ne faudroit-il pas quitter la vertu ni se destourner du chemin d'icelle, d'autant qu'il faut preferer le fruit aux feuilles, c'est a dire le bien interieur et spirituel a tous les biens exterieurs.

  A003000902 

 La reputation n'est que comme une enseigne qui fait connoistre ou la vertu loge; la vertu doit donq estre en tout et par tout preferee.

  A003000902 

 Mais si nos vices, nos laschetés, [158] nostre mauvaise vie nous oste la reputation, il sera malaysé que jamais elle revienne, parce que la racine en est arrachee.

  A003000903 

 Il faut quitter cette vaine conversation, cette inutile prattique, cette amitié frivole, cette hantise folastre, si cela nuit a la renommee, car la renommee vaut mieux que toutes sortes de vains contentemens; mais si pour l'exercice de pieté, pour l'avancement en la devotion et acheminement au bien eternel on murmure, on gronde, on calomnie, laissons abbayer les matins contre la lune; car s'ilz peuvent exciter quelque mauvaise opinion contre nostre reputation, et par ainsy couper et raser les cheveux et la barbe de nostre renommee, bien tost elle renaistra, et le rasoir de la mesdisance servira a nostre honneur, comme la serpe a la vigne, qu'elle fait abonder et multiplier en fruitz..

  A003000904 

 Ayons tous-jours les yeux sur Jesus Christ crucifié; marchons en son service avec confiance et simplicité, mais sagement et discretement: il sera le protecteur de nostre renommee, et s'il permet qu'elle nous soit ostee, ce sera pour nous en rendre une meilleure, ou pour nous faire prouffiter en la sainte humilité, de laquelle une seule once vaut mieux que mille livres d'honneur.

  A003000904 

 J'excepte neanmoins certains crimes si atroces et infames que nul n'en doit souffrir la calomnie quand il s'en peut justement descharger, et certaines personnes de la bonne reputation desquelles depend l'edification de plusieurs; car en ce cas, il faut tranquillement poursuivre la reparation du tort receu, suivant l'advis des theologiens.

  A003000904 

 Servons Dieu par la bonne et mauvaise renommee, a l'exemple de saint Paul, affin que nous puissions dire avec David: O mon Dieu, c'est pour vous que j'ay supporté l'opprobre et que la confusion a couvert mon visage.

  A003000908 

 Le saint chresme, duquel par tradition apostolique on use en l'Eglise de Dieu pour les confirmations et benedictions, est composé d'huyle d'olive meslee avec le baume, qui represente entre autres choses les deux cheres et bienaymees vertus qui reluisoient en la sacree Personne de Nostre Seigneur, lesquelles il nous a singulierement recommandees, comme si par icelles nostre cœur devoit estre specialement consacré a son service et appliqué a son imitation: Apprenes de moy, dit-il, que je suis doux et humble de cœur.

  A003000909 

 Mais prenes garde, Philothee, que ce chresme mystique composé de douceur et d'humilité soit dedans vostre cœur; car c'est un des grans artifices de l'ennemi de faire que plusieurs s'amusent aux paroles et contenances exterieures de ces deux vertus, qui n'examinans pas bien leurs affections interieures, pensent estre humbles et doux et ne le sont néanmoins nullement en effect; ce que l'on reconnoist parce que, nonobstant leur ceremonieuse douceur et humilité, a la moindre parole qu'on leur dit de travers, a la moindre petite injure qu'ilz reçoivent, ilz s'eslevent avec une arrogance nompareille.

  A003000909 

 On dit que ceux qui ont prins le preservatif que l'on appelle communement la grace de saint Paul, n'enflent point estans morduz et piqués de la vipere, pourveu que la grace soit de la fine: de mesme, quand l'humilité et la douceur sont bonnes et vrayes, elles nous garantissent de l'enflure et ardeur que les injures ont accoustumé de provoquer en nos cœurs.

  A003000909 

 Que si estans piqués et morduz par les mesdisans et ennemis nous devenons fiers, enflés et despités, c'est signe que nos humilités et douceurs ne sont pas veritables et franches, mais artificieuses et apparentes..

  A003000910 

 Mais je vous dis nettement et sans exception, ne vous courroucés point du tout, s'il est possible, et ne recevés aucun pretexte quel qu'il soit pour ouvrir la porte de vostre cœur au courroux; car saint Jacques dit tout court et sans reserve, que l'ire de l'homme n'opere point la justice de Dieu.

  A003000911 

 Ainsy, tandis que la rayson regne et exerce paisiblement les chastimens, corrections et reprehensions, quoy que ce soit rigoureusement et exactement, chacun l'ayme et l'appreuve; mais quand elle conduit avec soy l'ire, la cholere et le courroux, qui sont, dit saint Augustin, ses soldatz, elle se rend plus effroyable qu'amiable et son propre cœur en demeure tous-jours foulé et maltraitté.

  A003000911 

 Il faut voyrement resister au mal et reprimer les vices de ceux que nous avons en charge, constamment et vaillamment, mais doucement et paisiblement.

  A003000911 

 Les princes honnorent et consolent infiniment les peuples quand ilz les visitent avec un train de paix; mais quand ilz conduisent des armees, quoy que ce soit pour le bien public, leurs venues sont tous-jours desaggreables et dommageables, parce qu'encor qu'ilz facent exactement observer la discipline militaire entre les soldatz, si ne peuvent-ilz jamais tant faire qu'il n'arrive tous-jours quelque desordre, par lequel le bon homme est foulé.

  A003000911 

 On ne prise pas tant la correction qui sort de la passion, quoy qu'accompagnee de rayson, que celle qui n'a aucune autre origine que la rayson seule: car l'ame raysonnable estant naturellement sujette a la rayson, elle n'est sujette a la passion que par tyrannie; et partant, quand la rayson est accompagnee de la passion elle se rend odieuse, sa juste domination estant avilie par la societé de la tyrannie.

  A003000911 

 Rien ne matte tant l'elephant courroucé que la veuë d'un aignelet, et rien ne rompt si aysement la force des canonades que la laine.

  A003000911 

 « Il est mieux, » dit le mesme saint Augustin escrivant a Profuturus, « de refuser l'entree a l'ire juste et equitable que de la recevoir, pour petite qu'elle soit, parce qu'estant receuë, il est malaysé de la faire sortir, d'autant qu'elle entre comme un petit surgeon, et en moins de rien elle grossit et devient un poutre.

  A003000911 

 » [163] Que si une fois elle peut gaigner la nuit et que le soleil se couche sur nostre ire (ce que l'Apostre defend), se convertissant en hayne, il n'y a quasi plus moyen de s'en desfaire; car elle se nourrit de mille fauses persuasions, puisque jamais nul homme courroucé ne pensa son courroux estre injuste..

  A003000912 

 Il est donq mieux d'entreprendre de sçavoir vivre sans cholere que de vouloir user moderement et sagement de la cholere, et quand par imperfection et foiblesse nous nous treuvons surpris d'icelle, il est mieux de la repousser vistement que de vouloir marchander avec elle; car pour peu qu'on luy donne de loysir, elle se rend maistresse de la place et fait comme le serpent, qui tire aysement tout son cors ou il peut mettre la teste.

  A003000912 

 Mais comment la repousseray je, me dires vous? Il faut, ma Philothee, qu'au premier ressentiment que vous en aures, vous ramassies promptement vos forces, non point brusquement ni impetueusement, mais doucement et neanmoins serieusement; car, comme on void es audiences de plusieurs senatz et parlemens, que les huissiers crians: Paix la, font plus de bruit que ceux qu'ilz veulent faire taire, aussi il arrive maintesfois que voulans avec impetuosité reprimer nostre cholere, nous excitons plus de trouble en nostre cœur qu'elle n'avoit pas fait, et le cœur estant ainsy troublé ne peut plus estre maistre de soy mesme..

  A003000913 

 Apres ce doux effort, prattiqués l'advis que saint Augustin ja viel donnoit au jeune Evesque Auxilius: « Fais, » dit-il, « ce qu'un homme doit faire; que s'il t'arrive ce que l'homme de Dieu dit au Psalme: Mon œil est troublé de grande cholere, recours a Dieu, criant: Aye misericorde de moy, Seigneur, affin qu'il estende sa dextre pour reprimer ton courroux.

  A003000913 

 Avec cela, soudain que vous vous appercevres avoir fait quelque acte de cholere, reparés la faute par un acte de douceur, exercé promptement a l'endroit de la mesme personne contre laquelle vous vous seres irritee.

  A003000913 

 Car tout ainsy que c'est un souverain remede contre le mensonge que de s'en desdire sur le champ, aussi tost que l'on s'apperçoit de l'avoir dit, ainsy est ce un bon remede contre la cholere de la reparer soudainement par un acte contraire de douceur; car, comme l'on dit, les playes fraisches sont plus aysement remediables..

  A003000913 

 Mais tous-jours je vous advertis que l'orayson qui se fait contre la cholere presente et pressante doit estre prattiquee doucement, tranquillement, et non point violemment; ce qu'il faut observer en tous les remedes qu'on use contre ce mal.

  A003000914 

 Au surplus, lhors que vous estes en tranquillité et sans aucun sujet de cholere, faites grande provision de douceur et debonnaireté, disant toutes vos parolles et faisant toutes vos actions petites et grandes en la plus douce façon qu'il vous sera possible, vous resouvenant que l'Espouse, au Cantique des Cantiques, n'a pas seulement le miel en ses levres et au bout de sa langue, mais elle l'a encor dessous la langue, c'est a dire dans la poitrine; et n'y a pas seulement du miel, mais encor du lait; car aussi ne faut-il pas seulement avoir la parolle douce a l'endroit du prochain, mais encor toute la poitrine, c'est a dire tout l'interieur de nostre ame.

  A003000918 

 En quoy font une grande faute plusieurs qui, s'estans mis en cholere, se courroucent de s'estre courroucés, entrent en chagrin de s'estre chagrinés, et ont despit de s'estre despités; car par ce moyen ilz tiennent leur cœur confit et detrempé en la cholere: et si bien il semble que la seconde cholere ruine la premiere, si est ce neanmoins qu'elle sert d'ouverture et de passage pour une nouvelle cholere, a la premiere occasion qui s'en presentera; outre que ces choleres, despitz et aigreurs que l'on a contre soy mesme tendent a l'orgueil et n'ont origine que de l'amour propre, qui se trouble et s'inquiete de nous voir imparfaitz..

  A003000918 

 L'une des bonnes prattiques que nous sçaurions faire de la douceur, c'est celle de laquelle le sujet est en nous mesmes, ne despitant jamais contre nous mesmes ni contre nos imperfections; car encor que la rayson veut que quand nous faysons des fautes nous en soyons desplaisans et marris, si faut-il neanmoins que nous nous empeschions d'en avoir une desplaisance aigre et chagrine, despiteuse et cholere.

  A003000919 

 Il faut donq avoir un desplaysir de nos fautes qui soit paisible, rassis et ferme; car comme un juge chastie bien mieux les meschans faysant ses sentences [166] par rayson et en esprit de tranquillité, que non pas quand il les fait par impetuosité et passion, d'autant que jugeant avec passion, il ne chastie pas les fautes selon qu'elles sont, mais selon qu'il est luy mesme; ainsy nous nous chastions bien mieux nous mesmes par des repentances tranquilles et constantes, que non pas par des repentances aigres, empressees et choleres, d'autant que ces repentances faittes avec impetuosité ne se font pas selon la gravité de nos fautes, mais selon nos inclinations.

  A003000919 

 Par exemple, celuy qui affectionne la chasteté se despitera avec une amertume nompareille de la moindre faute qu'il commettra contre icelle, et ne se fera que rire d'une grosse mesdisance qu'il aura commise.

  A003000920 

 Croyes moy, Philothee, comme les remonstrances d'un pere faittes doucement et cordialement, ont bien plus de pouvoir sur un enfant pour le corriger que non pas les choleres et courroux; ainsy, quand nostre cœur aura fait quelque faute, si nous le reprenons avec des remonstrances douces et tranquilles, ayans plus de compassion de luy que de passion contre luy, l'encourageans a l'amendement, la repentance qu'il en concevra entrera bien plus avant et le penetrera mieux que ne feroit pas une repentance despiteuse, ireuse et tempestueuse..

  A003000921 

 Pour moy, si j'avois par exemple grande affection de ne point tomber au vice de la vanité, et que j'y fusse neanmoins tombé d'une grande cheute, je ne voudrais pas reprendre mon cœur en cette sorte: N'es-tu pas miserable et abominable, qu'apres tant de resolutions tu t'es laissé emporter a la vanité? meurs de honte, ne leve plus les yeux au ciel, aveugle, impudent, traistre et desloyal a ton Dieu, et semblables choses; mais je voudrois le corriger raysonnablement et par voye de compassion: Or sus, mon pauvre cœur, nous voyla [167] tombés dans la fosse laquelle nous avions tant resolu d'eschapper; ah, relevons-nous et quittons-la pour jamais, reclamons la misericorde de Dieu et esperons en elle qu'elle nous assistera pour des-ormais estre plus fermes, et remettons-nous au chemin de l'humilité; courage, soyons meshui sur nos gardes, Dieu nous aydera, nous ferons prou.

  A003000922 

 Que si neanmoins quelqu'un ne treuve pas que son cœur puisse estre asses esmeu par cette douce correction, il pourra employer le reproche et une reprehension dure et forte pour l'exciter a une profonde confusion, pourveu qu'apres avoir rudement gourmandé et courroucé son cœur, il finisse par un allegement, terminant tout son regret et courroux en une douce et sainte confiance en Dieu, a l'imitation de ce grand penitent qui voyant son ame affligee la relevoit en cette sorte: Pourquoy es-tu triste, o mon ame, et pourquoy me troubles-tu? Espere en Dieu, car je le beniray encor comme le salut de ma face et mon vray Dieu..

  A003000923 

 Detestes neanmoins de toutes vos forces l'offence que Dieu a receuë de vous, et avec un grand courage et confiance en la misericorde d'iceluy, remettes-vous au train de la vertu que vous avies abandonnee.

  A003000923 

 Relevés donques vostre cœur quand il tombera, tout doucement, vous humiliant beaucoup devant Dieu pour la connoissance de vostre misere, sans nullement vous estonner de vostre cheute, puisque ce n'est pas chose admirable que l'infirmité soit infirme, et la foiblesse foible, et la misere chetifve.

  A003000927 

 Le soin et la diligence que nous devons avoir en nos affaires sont choses bien differentes de la sollicitude, souci et empressement.

  A003000927 

 Soyes donq soigneuse et diligente en tous les affaires que vous aurés en charge, ma Philothee, car Dieu vous les ayant confiés veut que vous en ayes un grand soin; mais s'il est possible n'en soyes pas en sollicitude et souci, c'est a dire, ne les entreprenes pas avec inquietude, anxieté et ardeur.

  A003000928 

 Les bourdons font bien plus de bruit et sont bien plus empressés que les abeilles, mais ilz ne font sinon la cire et non point de miel: ainsy ceux qui s'empressent d'un souci cuisant et d'une sollicitude bruyante, ne font jamais ni beaucoup ni bien.

  A003000929 

 Et en tous vos affaires appuyes-vous totalement sur la providence de Dieu, par laquelle seule tous vos [170] desseins doivent reussir; travailles neanmoins de vostre costé tout doucement pour cooperer avec icelle, et puis croyes que si vous vous estes bien confiee en Dieu, le succes qui vous arrivera sera tous-jours le plus prouffitable pour vous, soit qu'il vous semble bon ou mauvais selon vostre jugement particulier.

  A003000929 

 Je veux dire, ma Philothee, que quand vous seres parmi les affaires et occupations communes, qui ne requierent pas une attention si forte et si pressante, vous regardies plus Dieu que les affaires; et quand les affaires sont de si grande importance qu'ilz requierent toute vostre attention pour estre bien faitz, de tems en tems vous regarderés a Dieu, comme font ceux qui navigent en mer lesquelz, pour aller a la terre qu'ilz desirent, regardent plus en haut au ciel que non pas en bas ou ilz voguent.

  A003000933 

 Car bien qu'estans voüees, et sur tout solemnellement, elles mettent l'homme en l'estat de perfection, si est ce que pour le mettre en la perfection il suffit qu'elles soyent observees, y ayant bien de la difference entre l'estat de perfection et la perfection, puysque tous les evesques et religieux sont en l'estat de perfection, et tous neanmoins ne sont pas en la perfection, comme il ne se voit que trop.

  A003000933 

 Je ne diray rien de ces trois vertus entant qu'elles sont voiiees solemnellement, parce que cela ne regarde que les religieux; ni mesme entant qu'elles sont voiiees simplement, d'autant qu'encor que le vœu donne tous-jours beaucoup de graces et de merite a toutes les vertus, si est ce que pour nous rendre parfaitz il n'est pas necessaire qu'elles soyent voiiees, pourveu qu'elles soyent observees.

  A003000933 

 Taschons donques, Philothee, de bien prattiquer ces trois vertus, un chacun selon sa vocation; car encor qu'elles ne nous mettent pas en l'estat de perfection, elles nous donneront neanmoins la [172] perfection mesme; aussi nous sommes tous obligés a la prattique de ces trois vertus, quoy que non pas tous a les prattiquer de mesme façon..

  A003000934 

 Faites donq leurs commandemens, et cela est de necessité; mays pour estre parfaitte suivés encor leurs conseilz et mesme leurs desirs et inclinations, entant que la charité et prudence vous le permettra.

  A003000934 

 Obeisses en fin doucement, sans replique; promptement, sans retardation; gayement, sans chagrin; et sur tout obeisses amoureusement pour l'amour de Celuy qui pour l'amour de nous s'est fait obeissant jusques a la morte de la croix, et lequel, comme dit saint Bernard, ayma mieux perdre la vie que l'obeissance.

  A003000934 

 Obeisses quand ilz vous ordonneront chose aggreable, comme de manger, prendre de la recreation, car encor qu'il semble que ce n'est pas grande vertu d'obeir en ce cas, ce seroit neanmoins un grand vice de desobeir; obeisses es choses indifferentes, comme a porter tel ou tel habit, aller par un chemin ou par un autre, chanter ou se taire, et ce sera une obeissance des-ja fort recommandable; obeisses en choses malaysees, aspres et dures, et ce sera une obeissance parfaitte.

  A003000934 

 Or cette obeissance s'appelle necessaire, parce que nul ne se peut exempter du devoir d'obeir a ces superieurs la, Dieu les ayant mis en authorité de commander et gouverner, chacun en ce qu'ilz ont en charge sur nous.

  A003000935 

 C'est un abus de croire que si on estoit religieux ou religieuse on obeiroit aysement, si l'on se treuve difficile et revesche a rendre obeissance a ceux que Dieu a mis sur nous..

  A003000935 

 Pour apprendre aysement a obeir a vos superieurs, condescendés aysement a la volonté de vos semblables, cedant a leurs opinions en ce qui n'est pas mauvais, sans estre contentieuse ni revesche; accommodes-vous volontier aux desirs de vos inferieurs autant que la rayson le permettra, sans exercer aucune authorité imperieuse sur eux tandis qu'ilz sont bons.

  A003000936 

 Or, soit qu'en le choisissant on face vœu d'obeir (comme il est dit que la Mere Therese, outre l'obeissance solemnellement voüee au superieur de son Ordre, s'obligea par un vœu simple d'obeir au Pere Gracian), ou que sans vœu on se dedie a l'obeissance de quelqu'un, tous-jours cette obeissance s'appelle volontaire, a rayson de son fondement qui depend de nostre volonté et election..

  A003000938 

 Faites vous ordonner les actions de pieté que vous devés observer par vostre pere spirituel, parce qu'elles en seront meilleures et auront double grace et bonté: [174] l'une, d'elles mesmes, puisqu'elles sont pieuses, et l'autre, de l'obeissance qui les aura ordonnees et en vertu de laquelle elles seront faittes.

  A003000942 

 La chasteté est le lys des vertus, elle rend les hommes presque egaux aux Anges; rien n'est beau que par la pureté, et la pureté des hommes c'est la chasteté.

  A003000943 

 Et encor au mariage faut-il observer l'honnesteté de l'intention, affin que s'il y a quelque messeance en la volupté qu'on exerce, il n'y ait rien que d'honneste en la volonté qui l'exerce.

  A003000943 

 Il n'est jamais permis de tirer aucun impudique playsir de nos cors en quelque façon que ce soit, sinon en un legitime mariage, duquel la sainteté puisse par une juste compensation reparer le deschet que l'on reçoit en la delectation.

  A003000943 

 Le cœur chaste est comme la mere perle qui ne peut recevoir aucune goutte d'eau qui ne vienne du ciel, car il ne peut recevoir aucun playsir que celuy du mariage, qui est ordonné du ciel; hors de la, il ne luy est pas permis seulement d'y penser, d'une pensee voluptueuse volontaire et entretenue.

  A003000944 

 Pour le second, retranches-vous tant qu'il vous sera possible des delectations inutiles et superflues, quoy que loysibles et permises.

  A003000945 

 Ceux qui sont en viduité doivent avoir une chasteté courageuse qui ne mesprise pas seulement les objetz presens et futurs, mais qui resiste aux imaginations que.

  A003000945 

 Et de vray, tandis que les fruitz sont bien entiers ilz peuvent estre conservés, les uns sur la paille, les autres dedans le sable, et les autres en leur propre feuillage; mais estans une fois entamés, il est presque impossible de les garder que par le miel et le sucre, en confiture: ainsy la chasteté qui n'est point encor blessee ni violee peut estre gardee en plusieurs sortes, mais estant une fois entamee, rien ne la peut conserver [177] qu'une excellente devotion, laquelle, comme j'ay souvent dit, est le vray miel et sucre des espritz..

  A003000946 

 Que donques ces ames pures se gardent bien de jamais revoquer en doute que la chasteté ne soit incomparablement meilleure que tout ce qui luy est [178] incompatible, car, comme dit le grand saint Hierosme, l'ennemi presse violemment les vierges au desir de l'essay des voluptés, les leur representant infiniment plus plaisantes et delicieuses qu'elles ne sont, ce qui souvent les trouble bien fort, « tandis, » dit ce saint Pere, « qu'elles estiment plus doux ce qu'elles ignorent.

  A003000946 

 » Car, comme le petit papillon voyant la flamme va curieusement voletant autour d'icelle pour essayer si elle est aussi douce que belle, et pressé de cette fantasie ne cesse point qu'il ne se perde au premier essay, ainsy les jeunes gens bien souvent se laissent tellement saisir de la fause et sotte estime qu'ilz ont du playsir des flammes voluptueuses, qu'apres plusieurs curieuses pensees ilz s'y vont en fin finale ruiner et perdre; plus sotz en cela que les papillons, d'autant que ceux-ci ont quelque occasion de cuider que le feu soit delicieux puisqu'il est si beau, ou ceux-la sçachans que ce qu'ilz recherchent est extremement deshonneste ne laissent pas pour cela d'en surestimer la folle et brutale delectation..

  A003000947 

 C'est tous-jours chose dangereuse de prendre des medicamens violens, parce que si l'on en prend plus qu'il ne faut, ou qu'ilz ne soyent pas bien preparés, on en reçoit beaucoup de nuisance: le mariage a esté beni et ordonné en partie pour remede a la concupiscence et c'est sans doute un tres bon remede, mais violent neanmoins, et par consequent tres dangereux s'il n'est discretement employé..

  A003000947 

 Il est vray que la sainte licence du mariage a une force particuliere pour esteindre le feu de la concupiscence, mais l'infirmité de ceux qui en jouissent passe aysement de la permission a la dissolution, et de l'usage a l'abus.

  A003000947 

 Mais quant a ceux qui sont mariés, c'est chose veritable, et que neanmoins le vulgaire ne peut penser, que la chasteté leur est fort necessaire, parce qu'en eux elle ne consiste pas a s'abstenir absolument des playsirs charnelz, mais a se contenir entre les playsirs.

  A003000947 

 Or, comme ce commandement: Courrouces-vous et ne [179] peches point est a mon advis plus difficile que cestui ci: Ne vous courrouces point, et qu'il est plus tost fait d'eviter la cholere que de la regler, aussi est-il plus aysé de se garder tout a fait de voluptés charnelles que de garder la moderation en icelles.

  A003000948 

 Certes, sainte Catherine de Sienne vit entre les damnés plusieurs ames grandement tourmentees pour avoir violé la sainteté du mariage: [180] ce qui estoit arrivé, disoit-elle, non pas pour la grandeur du peché, car les meurtres et les blasphemes sont plus enormes, mais « d'autant que ceux qui le commettent n'en font point de conscience », et par consequent continuent longuement en iceluy..

  A003000948 

 J'adjouste que la varieté des affaires humains, outre les longues maladies, separe souvent les maris d'avec leurs femmes, c'est pourquoy les mariés ont besoin de deux sortes de chasteté: l'une, pour l'abstinence absolue quand ilz sont separés, es occasions que je viens de dire; l'autre, pour la moderation quand ilz sont ensemble en leur train ordinaire.

  A003000949 

 Vous voyés donques que la chasteté est necessaire a toutes sortes de gens.

  A003000954 

 Ne permettes jamais, Philothee, qu'aucun vous touche incivilement, ni par maniere de folastrerie ni par maniere de faveur; car bien qu'a l'adventure la chasteté puisse estre conservee parmi ces actions, plustost legeres que malicieuses, si est ce que la fraischeur et fleur de la chasteté en reçoit tous-jours du detriment et de la perte: mays de se laisser toucher deshonnestement, c'est la ruine entiere de la chasteté..

  A003000955 

 Saint Paul dit tout court: Que la fornication ne soit pas mesmement nommee entre vous.

  A003000956 

 A ce propos, je vous represente le mot que l'ancien Pere Jean Cassian rapporte comme sorti de la bouche du grand saint Basile, qui, parlant de soy mesme, dit un [182] jour: «Je ne sçay que c'est que des femmes, et ne suis pourtant pas vierge.

  A003000956 

 Je dis: pour le moins, parce qu'elle en meurt et perit du tout quand les sottises et lascivetés donnent a la chair le dernier effect du playsir voluptueux, ains alhors la chasteté perit plus indignement, meschamment et malheureusement, que quand elle se perd par la fornication, voire par l'adultere et l'inceste; car ces dernieres especes de vilenies ne sont que des pechés, mais les autres, comme dit Tertullien, au livre De la Pudicité, sont des «monstres» d'iniquité et de peché.

  A003000956 

 Or Cassianus ne croit pas, ni moy non plus, que saint Basile eust esgard a tel desreglement quand il s'accuse de n'estre pas vierge, car je pense qu'il ne disoit cela que pour les mauvaises et voluptueuses pensees, lesquelles, bien qu'elles n'eussent pas souillé son cors, avoient neanmoins contaminé le cœur, de la chasteté duquel les ames genereuses sont extremement jalouses..

  A003000957 

 Au contraire, hantés les gens chastes et vertueux, pensés et lises souvent aux choses sacrees, car la parole de Dieu est chaste et rend ceux qui s'y plaisent chastes, qui fait que David la compare au topase, pierre pretieuse, laquelle par sa proprieté amortit l'ardeur de la concupiscence..

  A003000958 

 Tenes-vous tous-jours proche de Jesus Christ crucifié, et spirituellement par la meditation et reellement par la sainte Communion: car tout ainsy que ceux qui couchent sur l'herbe nommee agnus castus deviennent chastes et pudiques, de mesme reposant vostre cœur sur Nostre Seigneur, qui est le vray Aigneau chaste et vous verrés que bien tost vostre ame et vostre cœur se treuveront purifiés de toutes souïlleures et lubricités..

  A003000962 

 Les alcions [184] font leurs nid comme une paume, et ne laissent en iceux qu'une petite ouverture du costé d'en haut; ilz les mettent sur le bord de la mer, et au demeurant les font si fermes et impenetrables que les ondes les surprenans, jamais l'eau n'y peut entrer; ains tenans tous-jours le dessus, ilz demeurent emmi la mer, sur la mer et maistres de la mer.

  A003000965 

 Moyse vit le feu sacré qui brusloit un buisson et ne le consumoit nullement, mais au contraire, le feu prophane de l'avarice consume et devore l'av aricieux et ne le brusle aucunement; au moins, emmi ses ardeurs et chaleurs plus excessives, il se vante de la plus douce fraischeur du monde, et tient que son alteration insatiable est une soif toute naturelle et suave..

  A003000966 

 Celuy qui desire ardemment, longuement et avec inquietude de boire, quoy qu'il ne veuille pas boire que de l'eau, si tesmoigne-il d'avoir la fievre..

  A003000966 

 Si vous desirés longuement, ardemment et avec inquietude les biens que vous n'aves pas, vous aves beau dire que vous ne les voules pas avoir injustement, car pour cela vous ne laisseres pas d'estre vrayement avare.

  A003000967 

 Attendés, chere Philothee, de desirer le bien du prochain quand il commencera a desirer de s'en desfaire; car lhors son desir rendra le vostre non seulement juste, mais charitable [186]: ouy, car je veux bien que vous ayes soin d'accroistre vos moyens et facultés, pourveu que ce soit non seulement justement, mais doucement et charitablement..

  A003000967 

 Celuy qui possede un bien justement, n'a-il pas plus de rayson de le garder justement, que nous de le vouloir avoir justement? et pourquoy donques estendons-nous nostre desir sur sa commodité pour l'en priver? Tout au plus si ce desir est juste, certes, il n'est pas pourtant charitable; car nous ne voudrions nullement qu'aucun desirast, quoy que justement, ce que nous voulons garder justement.

  A003000967 

 O Philothee, je ne sçai si c'est un desir juste de desirer d'avoir justement ce qu'un autre possede justement; car il semble que par ce desir nous nous voulons accommoder par l'incommodité d'autruy.

  A003000968 

 S'il vous arrive de perdre des biens, et vous sentes que vostre cœur s'en desole et afflige beaucoup, croyes, Philothee, que vous y aves beaucoup d'affection; car rien ne tesmoigne tant d'affection a la chose perdue que l'affliction de la perte..

  A003000968 

 Si vous affectionnes fort les biens que vous aves, si vous en estes fort embesoignee, mettant vostre cœur en iceux, y attachant vos pensees et craignant d'une crainte vive et empressee de les perdre, croyes-moy, vous aves encor quelque sorte de fievre; car les febricitans boivent l'eau qu'on leur donne avec un certain empressement, avec une sorte d'attention et d'ayse que ceux qui sont sains n'ont point accoustumé d'avoir: il n'est pas possible de se plaire beaucoup en une chose, que l'on n'y mette beaucoup d'affection.

  A003000969 

 Ne desirés donq point d'un desir entier et formé le bien que vous n'aves pas; ne mettes point fort avant vostre cœur en celuy que vous aves; ne vous desolés point des pertes qui vous arriveront, et vous aures quelque sujet de croire qu'estant riche en effect vous ne l'estes point d'affection, mays que vous estes pauvre d'esprit et par consequent bienheureuse, car le Royaume des deux vous appartient.

  A003000974 

 Ayes beaucoup plus de soin de rendre vos biens utiles et fructueux que les mondains n'en ont pas.

  A003000974 

 Ayons donq ce soin gracieux de la conservation, voyre de l'accroissement de nos biens temporelz, lhors que quelque juste occasion s'en presentera et entant que nostre condition le requiert, car Dieu veut que nous facions ainsy pour son amour.

  A003000974 

 Dites moy, les jardiniers des grans princes ne sont-ilz pas plus curieux et diligens a cultiver et embellir les jardins qu'ilz ont en charge, que s'ilz leur appartenoyent en proprieté? Mais pourquoy cela? parce, sans doute, qu'ilz considerent ces jardins la comme jardins des princes et des rois, ausquelz ilz desirent de se rendre aggreables par ces services la.

  A003000974 

 Ma Philothee, les possessions que nous avons ne sont pas nostres: Dieu les nous a donnees a cultiver et veut que nous les rendions fructueuses et utiles, et partant nous luy faisons service aggreable d'en avoir soin.

  A003000974 

 Mais prenés garde que l'amour propre ne vous trompe, car quelquefois il contrefait si bien l'amour de Dieu qu'on diroit que c'est luy: or, pour empescher qu'il ne vous deçoive, et que ce soin des biens temporelz ne se convertisse en avarice, outre ce que j'ay dit au chapitre precedent, il nous faut prattiquer bien souvent la pauvreté reelle et effectuelle, emmi toutes les facultés et richesses que Dieu nous a donnees..

  A003000974 

 Mays il faut donq que ce soit un soin plus grand et solide que celuy que les mondains ont de leurs biens, car ilz ne s'embesoignent [188] que pour l'amour d'eux mesmes, et nous devons travailler pour l'amour de Dieu: or, comme l'amour de soy mesme est un amour violent, turbulent, empressé, aussi le soin qu'on a pour luy est plein de trouble, de chagrin, d'inquietude; et comme l'amour de Dieu est doux, paisible et tranquille, aussi le soin qui en procede, quoy que ce soit pour les biens du monde, est amiable, doux et gracieux.

  A003000975 

 Il est vray que Dieu vous le rendra, non seulement en l'autre monde, mais en cestui ci, car il n'y a rien qui face tant prosperer temporellement que l'aumosne; mais en attendant que Dieu vous le rende vous seres tous-jours appauvrie de cela.

  A003000975 

 O le saint et riche appauvrissement que celuy qui se fait par l'aumosne!.

  A003000976 

 Aymes les pauvres et la pauvreté, car par cet amour vous deviendres vrayement pauvre, puisque, comme dit l'Escriture, nous sommes faitz comme les choses que nous aymons.

  A003000976 

 [189] Il pouvoit dire: Qui est pauvre avec lequel je ne sois pauvre? parce que l'amour le faisoit estre tel que ceux qu'il aymoit.

  A003000977 

 Et comment cela? Le serviteur est moindre que son maistre: rendés-vous donq servante des pauvres; alles les servir dans leurs lictz quand ilz sont malades, je dis de vos propres mains; soyes leur cuisiniere, et a vos propres despens; soyes leur lingere et blanchisseuse.

  A003000977 

 Voules-vous faire encores davantage, ma Philothee? ne vous contentes pas d'estre pauvre comme les pauvres, mais soyes plus pauvre que les pauvres.

  A003000978 

 Je ne puis asses admirer l'ardeur avec laquelle cet advis fut prattiqué par saint Louys, l'un des grans roys que le soleil ait veu, mais je dis grand roy en toute sorte de grandeur.

  A003000978 

 O mon Dieu, chere Philothee, que ce Prince et cette Princesse estoyent pauvres en leurs richesses, et qu'ilz estoyent riches en leur pauvreté..

  A003000980 

 Il arrive quelque-fois chez nous un hoste que nous voudrions et devrions bien traitter, il n'y a pas moyen pour l'heure; on a ses beaux habitz en un lieu, on en auroit besoin en un autre ou il seroit requis de paroistre; il arrive que tous les vins de la cave se poussent et tournent, il n'en reste plus que les mauvais et verds; on se treuve aux champs dans quelque bicoque ou tout manque: on n'a lict, ni chambre, ni table, ni service.

  A003000981 

 Esaü se presenta a son pere avec ses mains toutes couvertes de poil, et Jacob en fit de mesme; mais parce que le poil qui estoit es mains de Jacob ne tenoit pas a sa peau, ains a ses gans, on luy pouvoit oster son poil sans l'offencer ni escorcher: au contraire, parce que le poil des mains d'Esaü tenoit a sa peau, qu'il avoit toute velue de son naturel, qui luy eust voulu arracher son poil luy eust bien donné de la douleur: il eust bien crié, il se fust bien eschauffé a la defense.

  A003000981 

 Quand nos moyens nous tiennent au cœur, si la tempeste, si le larron, si le chicaneur nous en arrache quelque partie, quelles plaintes, quelz troubles, quelles impatiences en avons-nous! mais quand nos biens ne tiennent qu'au soin que Dieu veut que nous en ayons et non pas a nostre cœur, si on nous les arrache, nous n'en perdrons pourtant pas le sens ni la tranquillité.

  A003000985 

 Combien y a-il de grans mondains qui, avec beaucoup de contradictions, sont allés rechercher avec un soin nompareil la sainte pauvreté dedans les cloistres et les hospitaux? Ilz ont pris beaucoup de peyne pour la treuver, tesmoin saint Alexis, sainte Paule, saint Paulin, sainte Angele et tant d'autres; et voyla, Philothee, que, plus gracieuse en vostre endroit, elle se vient presenter chez vous; vous l'aves rencontree sans la chercher et sans peyne: embrasses-la donq comme la chere amie de Jesus Christ, qui naquit, vesquit et mourut avec la pauvreté, qui fut sa nourrice toute sa vie..

  A003000986 

 Or, ce que nous recevons purement de la volonté de Dieu luy est tous-jours tres aggreable, pourveu que nous le recevions de bon cœur et pour l'amour de sa sainte volonté: ou il y a moins du nostre il y a plus de Dieu.

  A003000987 

 Or, telle est pour l'ordinaire la pauvreté des seculiers, car parce qu'ilz ne sont pas pauvres par leur election, mais par necessité, on n'en tient pas grand conte; et en ce qu'on n'en tient pas grand conte, leur pauvreté est plus pauvre que celle [193] des religieux, bien que celle cy d'ailleurs ait une excellence fort grande et trop plus recommandable, a rayson du vœu et de l'intention pour laquelle elle a esté choisie..

  A003000988 

 Ne vous plaignes donq pas, ma chere Philothee, de vostre pauvreté; car on ne se plaint que de ce qui desplait, et si la pauvreté vous desplait vous n'estes plus pauvre d'esprit, ains riche d'affection.

  A003000989 

 Resouvenes-vous souvent du voyage que Nostre Dame fit en Egypte pour y porter son cher Enfant, et combien de mespris, de pauvreté, de misere il luy convint supporter.

  A003000993 

 L'amour tient le premier rang entre les passions de l'ame: c'est le roy de tous les mouvemens du cœur, il convertit tout le reste a soy et nous rend telz que ce qu'il ayme.

  A003000993 

 Or l'amitié est le plus dangereux amour de tous, parce que les autres amours peuvent estre sans communication, mays l'amitié estant totalement fondee sur icelle, on ne peut presque l'avoir avec une personne sans participer a ses qualités..

  A003000994 

 Et ne suffit pas qu'il soit mutuel, mais il faut que les parties qui s'entr'ayment sçachent leur reciproque affection, car si elles l'ignorent elles auront de l'amour, mais non pas de l'amitié.

  A003000994 

 on peut aymer sans estre aymé, et lhors il y a de l'amour, mais non pas de l'amitié, d'autant que l'amitié est un amour mutuel, et s'il n'est pas mutuel ce n'est pas amitié.

  A003000996 

 La communication des voluptés charnelles est une mutuelle propension et amorce brutale, laquelle ne peut non plus porter le nom d'amitié entre les hommes que celles des asnes et chevaux pour semblables effectz; et s'il n'y avoit nulle autre communication au mariage, il n'y auroit non plus nulle amitié; mais, parce qu'outre celle-la il y a en iceluy la communication de la vie, de l'industrie, des biens, des affections et d'une indissoluble [195] fidelité, c'est pourquoy l'amitié du mariage est une vraÿe amitié et sainte..

  A003000997 

 Ce sont ordinairement les amitiés des jeunes gens, qui se tiennent aux moustaches, aux cheveux, aux œillades, aux habitz, a la morgue, a la babillerie: amitiés dignes de l'aage des amans qui n'ont encor aucune vertu qu'en bourre ni nul jugement qu'en bouton; aussi telles amitiés ne sont que passageres et fondent comme la neige au soleil.

  A003000997 

 J'appelle vertus frivoles certaines habilités et qualités vaines que les foibles espritz appellent vertus et perfections.

  A003000997 

 L'amitié fondee sur la communication des playsirs sensuelz est toute grossiere, et indigne du nom d'amitié, comme aussi celle qui est fondee sur des vertus frivoles et vaines, parce que ces vertus dependent aussi des sens.

  A003000997 

 Or, comme tout cela regarde les sens, aussi les amitiés qui en proviennent s'appellent sensuelles, vaines et frivoles, et meritent plustost le nom de folastrerie que d'amitié.

  A003001001 

 Et bien que ces sottes amours vont ordinairement fondre et s'abismer en des charnalités et lascivetés fort vilaines, si est ce que ce n'est pas le premier dessein de ceux qui les exercent; autrement ce ne seroyent plus amourettes, ains impudicités manifestes.

  A003001001 

 Quand ces amitiés folastres se pratiquent entre gens de divers sexe, et sans pretention du mariage, elles s'appellent amourettes, car n'estans que certains avortons, ou plustost fantosmes d'amitié, elles ne peuvent porter le nom ni d'amitié, ni d'amour, pour leur incomparable vanité et imperfection.

  A003001002 

 Les autres se laissent aller a cela par vanité, leur estant advis que ce ne soit pas peu de gloire de prendre et lier les cœurs par amour; et ceux ci, faysant leur election pour la gloire, dressent leurs pieges et tendent leurs toyles en des lieux specieux, relevés, rares et illustres.

  A003001002 

 Les uns n'ont d'autre dessein que d'assouvir leurs cœurs a donner et recevoir de l'amour, suivans en cela leur inclination amoureuse, et ceux ci ne regardent a rien pour le choix de leurs amours sinon a leur goust et instinct, si qu'a la rencontre d'un sujet aggreable, sans examiner l'interieur ni les deportemens d'iceluy, ilz commenceront cette communication d'amourettes et se fourreront dedans les miserables filetz desquelz par apres ilz auront peyne de sortir.

  A003001003 

 Au contraire elles perdent le tems, embarrassent l'honneur, sans donner aucun playsir que celuy d'un empressement de pretendre et esperer, sans sçavoir ce qu'on veut ni qu'on pretend.

  A003001003 

 Car il est tous-jours advis a ces chetifz et foibles espritz qu'il y a je ne sçai quoy a desirer es tesmoignages qu'on leur rend de l'amour reciproque, et ne sçauroyent dire que c'est; dont leur desir ne peut finir, mays va tous-jours pressant leur cœur de perpetuelles defiances, jalousies et inquietudes..

  A003001004 

 Garde bien, o ma langue parleuse, de dire ce qui arrivera par apres; si diray-je neanmoins encor cette verité: rien de tout ce que les jeunes gens et les femmes disent ou font ensemble en ces [199] folles complaisances n'est exempt de grans esguillons.

  A003001004 

 Saint Gregoire Nazianzene, escrivant contre les femmes vaynes, dit merveilles sur ce sujet; en voyci une petite piece qu'il addresse voyrement aux femmes, mais bonne encores pour les hommes: «Ta naturelle beauté suffit pour ton mari; que si elle est pour plusieurs hommes, comme un filet tendu pour une troupe d'oyseaux, qu'en arrivera-il? celuy la te plaira qui se plaira en ta beauté, tu rendras œillade pour œillade, regard pour regard; soudain suivront les sousris et petitz motz d'amour, laschés a la desrobee pour le commencement, mais bien tost on s'apprivoisera et passera-on a la cajolerie manifeste.

  A003001005 

 Le Sage [200] s'escrie: Qui aura compassion d'un enchanteur piqué par le serpent? Et je m'escrie apres luy: o folz et insensés, cuydes-vous charmer l'amour pour le pouvoir manier a vostre gré? Vous vous voules joüer avec luy, il vous piquera et mordra mauvaisement; et sçaves-vous ce qu'on en dira? chacun se moquera de vous et on rira dequoy vous aves voulu enchanter l'amour, et que sur une fause asseurance vous aves voulu mettre dedans vostre sein une dangereuse coleuvre, qui vous a gasté et perdu d'ame et d'honneur..

  A003001005 

 O qu'il dit bien, ce grand Evesque: Que penses-vous faire? Donner de l'amour, non pas? Mais personne n'en donne volontairement qui n'en prenne necessairement; qui prend est pris en ce jeu.

  A003001006 

 Ah! ce grand Dieu qui s'estoit reservé le seul amour de nos ames, en reconnoissance de leur creation, conservation et redemption, exigera un compte bien estroit de ces folles deduites que nous en faysons; que s'il doit faire un examen si exacte des parolles oyseuses, qu'est ce qu'il fera des amitiés oyseuses, impertinentes, folles et pernicieuses? [201].

  A003001006 

 Helas, nous n'avons pas d'amour a beaucoup près de ce que nous avons besoin; je veux dire, il s'en faut infiniment que nous en ayons asses pour aymer Dieu, et cependant, miserables que nous sommes, nous le prodiguons et espanchons en choses sottes et vaynes et frivoles, comme si nous en avions de reste.

  A003001006 

 O Dieu, quel aveuglement est celuy ci, de joüer ainsy a credit sur des gages si frivoles la principale piece de nostre ame! Ouy, Philothee, car Dieu ne veut l'homme que pour l'ame, ni l'ame que pour la volonté, ni la volonté que pour l'amour.

  A003001007 

 Ces amourettes font les mesmes nuysances a l'ame, car elles l'occupent tellement et tirent si puissamment ses mouvemens qu'elle ne peut pas apres suffire a aucune bonne œuvre; les feuilles, c'est a dire les entretiens, amusemens et muguetteries sont si frequentes qu'elles dissipent tout le loysir; et en fin elles attirent tant de tentations, distractions, soupçons et autres consequences, que tout le cœur en est foulé et gasté.

  A003001011 

 Mais si vostre mutuelle et reciproque communication se fait de la charité, de la devotion, de la perfection chrestienne, o Dieu, que vostre amitié sera pretieuse! Elle sera excellente parce qu'elle vient de Dieu, excellente parce qu'elle tend a Dieu, excellente parce que son lien c'est Dieu, excellente parce qu'elle durera eternellement en Dieu.

  A003001011 

 O Philothee, aymés un chacun d'un grand amour charitable, mais n'ayes point d'amitié qu'avec ceux qui peuvent communiquer avec vous de choses vertueuses; et plus les vertus que vous mettres en vostre commerce seront exquises, plus vostre amitié sera parfaitte.

  A003001012 

 Il m'est advis que toutes les autres amitiés ne sont que des ombres au prix de celle ci, et que leurs liens ne sont que des chaisnes de verre ou de jayet, en comparayson de ce grand lien de la sainte devotion qui est tout d'or.

  A003001012 

 Ne faites point d'amitié d'autre sorte, je veux dire des amitiés que vous faites; car il ne faut pas ni quitter ni mespriser pour cela les amitiés que la nature et les precedens devoirs vous obligent de cultiver, des parens, des alliés, des bienfaiteurs, des voysins et autres; je parle de celles que vous choisissés vous mesme..

  A003001012 

 Qu'a bon droit peuvent chanter telles heureuses ames: O que voyci combien il est bon et aggreable que les freres habitent ensemble! Ouy, car le baume delicieux de la devotion distille de l'un des cœurs en l'autre par une continuelle participation, si qu'on peut dire que Dieu a respandu sur cette amitié sa benediction et la vie jusques aux siecles des siecles.

  A003001013 

 Car attendu qu'en un monastere bien reglé le dessein commun de tous tend a la vraye devotion, il n'est pas requis d'y faire ces particulieres communications, de peur que cherchant en particulier ce qui est commun, on ne passe des particularités aux partialités; mais quant a ceux qui sont entre les mondains et qui embrassent la vraÿe vertu, il leur est necessaire de s'allier les uns aux autres par une sainte et sacree amitié; car par le moyen d'icelle ilz s'animent, ilz s'aydent, ilz s'entreportent au bien.

  A003001013 

 Plusieurs vous diront peut estre qu'il ne faut avoir aucune sorte de particuliere affection et amitié, d'autant que cela occupe le cœur, distrait l'esprit, engendre les [203] envies: mais ilz se trompent en leurs conseilz; car ilz ont veu es escritz de plusieurs saintz et devotz autheurs que les amitiés particulieres et affections extraordinaires nuisent infiniment aux religieux; ilz cuydent que c'en soit de mesme du reste du monde, mais il y a bien a dire.

  A003001014 

 Certes, on ne sçauroit nier que Nostre Seigneur n'aymast d'une plus douce et plus speciale amitié saint Jean, le Lazare, Marthe, Magdeleine, car l'Escriture le tesmoigne.

  A003001014 

 On sçait que saint Pierre cherissoit tendrement saint Marc et sainte Petronille, comme saint Paul faisoit son Timothee et sainte Thecle.

  A003001014 

 Que s'il ne faut pas croire ceux qui disent que toutes choses sont en toutes choses, si nous faut-il pourtant adjouster foy que nous estions tous deux en l'un de nous, et l'un en l'autre; une seule pretention avions-nous tous deux, de cultiver la vertu et accommoder les desseins de nostre vie aux esperances futures, sortans ainsy hors de la terre mortelle avant que d'y mourir.

  A003001014 

 » Saint Augustin tesmoigne que saint Ambroise aymoit uniquement sainte Monique, pour les rares vertus qu'il voyoit en elle, et qu'elle reciproquement le cherissoit comme un Ange de Dieu..

  A003001015 

 Et saint Thomas, comme tous les bons philosophes, confesse que l'amitié est une vertu: or, il parle de l'amitié particuliere, puisque, comme il dit, la parfaitte amitié ne peut s'estendre a beaucoup de personnes.

  A003001015 

 La perfection donques ne consiste pas a n'avoir point d'amitié, mais a n'en avoir que de bonne, de sainte et sacree.

  A003001019 

 Il faut estre sur sa garde pour n'estre point trompé en ces amitiés, notamment quand elles se contractent entre personnes de divers sexe, sous quel pretexte que ce soit, car bien souvent Satan donne le change a ceux qui ayment.

  A003001019 

 On commence par l'amour vertueux, mais si on n'est fort sage l'amour frivole se meslera, puis l'amour sensuel, puis l'amour charnel; ouy mesme il y a danger en l'amour spirituel si on n'est fort sur sa garde, bien qu'en celuy cy il soit plus difficile de prendre le change, parce que sa pureté et blancheur rendent plus connoissables les souïlleures que Satan y veut mesler: c'est pourquoy quand il l'entreprend il fait cela plus finement, et essaye de glisser les impuretés presque insensiblement..

  A003001020 

 En fin le miel d'Heraclee donne une grande amertume en la bouche: ainsy les fauses amitiés se convertissent et terminent en paroles et demandes charnelles et puantes, ou, en cas de refus, a des injures, calomnies, impostures, tristesses, confusions et jalousies qui aboutissent bien souvent en abrutissement et forcenerie; mais la chaste amitié est tous-jours egalement honneste, civile et [207] amiable, et jamais ne se convertit qu'en une plus parfaitte et pure union d'espritz, image vive de l'amitié bienheureuse que l'on exerce au Ciel..

  A003001020 

 Le miel d'Heraclee estant avalé excite un tournoyement de teste, et la fause amitié provoque un tournoyement d'esprit qui fait chanceler la personne en la chasteté et devotion, la portant a des regards affectés, mignards et immoderés, a des caresses sensuelles, a des souspirs desordonnés, a des petites plaintes de n'estre pas aymee, a des petites, mais recherchees, mais attrayantes contenances, galanterie, poursuitte des baysers, et autres privautés et faveurs inciviles, presages certains et indubitables d'une prochaine ruine de l'honnesteté; mais l'amitié sainte n'a des yeux que simples et pudiques, ni des caresses que pures et franches, ni des souspirs que pour le Ciel, ni des privautés que pour l'esprit, ni des plaintes sinon quand Dieu n'est pas aymé, marques infallibles de l'honnesteté.

  A003001020 

 Le miel d'Heraclee trouble la veuë, et cette amitié mondaine trouble le jugement, en sorte que ceux qui en sont atteins pensent bien faire en mal faisant, et cuydent que leurs excuses, pretextes et paroles soyent des vrayes raysons; ilz craignent la lumiere et ayment les tenebres, mais l'amitié sainte a les yeux clairvoyans et ne se cache point, ains paroist volontier devant les gens de bien.

  A003001020 

 Vous connoistrés l'amitié mondaine d'avec la sainte et vertueuse, comme l'on connoist le miel d'Heraclee d'avec l'autre: le miel d'Heraclee est plus doux a la langue que le miel ordinaire, a rayson de l'aconit [206] qui luy donne un surcroist de douceur, et l'amitié mondaine produit ordinairement un grand amas de paroles emmiellees, une cajolerie de petitz motz passionnés et de louanges tirees de la beauté, de la grace et des qualités sensuelles; mais l'amitié sacree a un langage simple et franc, ne peut loüer que la vertu et grace de Dieu, unique fondement sur lequel elle subsiste.

  A003001021 

 Saint Gregoire Nazianzene dit que le paon faisant son cri lhors qu'il fait sa rouë et pavonnade excite grandement les femelles qui l'escoutent a la lubricité: quand on voit un homme pavonner, se parer et venir comme cela cajoler, chuchoter et barguigner aux oreilles d'une femme ou d'une fille, sans pretention d'un juste mariage, ha! sans doute ce n'est que pour la provoquer a quelque impudicité; et la femme d'honneur bouchera ses oreilles pour ne point ouïr le cri de ce paon et la voix de l'enchanteur qui la veut enchanter finement: que si elle escoute, o Dieu, quel mauvais augure de la future perte de son cœur!.

  A003001022 

 Les jeunes gens qui font des contenances, grimaces et caresses, ou disent des parolles esquelles ilz ne voudroient pas estre surprins par leurs peres, meres, maris, femmes ou confesseurs tesmoignent en cela qu'ilz traittent d'autre chose que de l'honneur et de la conscience.

  A003001022 

 Nostre Dame se trouble voyant un Ange en forme humaine, parce qu'elle estoit seule et qu'il luy donnoit des extremes, quoy que celestes louanges: o Sauveur du monde, la pureté craint un Ange en forme humaine, et pourquoy donq l'impureté ne craindra-elle un homme, encor qu'il fust en figure d'Ange, quand il la loue des louanges sensuelles et humaines? [208].

  A003001026 

 Les chevres, selon Alcmeon, haleynent par les oreilles et non par les naseaux: il est vray qu'Aristote le nie or ne sçay-je ce que c'en est, mais je sçay bien pourtant [209] que nostre cœur haleyne par l'oreille, et que comme il aspire et exhale ses pensees par la langue, il respire aussi par l'oreille, par laquelle il reçoit les pensees des autres.

  A003001026 

 Mais quelz remedes contre cette engeance et formiliere de folles amours, folastreries, impuretés? Soudain que vous en aures les premiers ressentimens, tournes vous court de l'autre costé, et, avec une detestation absolue de cette vanité, coures a la Croix du Sauveur et prenes sa couronne d'espines pour en environner vostre cœur, affin que ces petitz renardeaux n'en approchent.

  A003001026 

 N'escoutes nulle sorte de propositions, sous quel pretexte que ce soit: en ce seul cas il n'y a point de danger d'estre incivile et agreste..

  A003001026 

 O ma Philothee, pour Dieu, soyes rigoureuse en telles occasions: le cœur et les oreilles s'entretiennent l'un a l'autre, et comme il est impossible d'empescher un torrent qui a pris sa descente par le pendant d'une montaigne, aussi est-il difficile d'empescher que l'amour qui est tombé en l'oreille ne face soudain sa cheute dans le cœur.

  A003001027 

 Resouvenes-vous que vous aves voué vostre cœur a Dieu, et que vostre amour luy estant sacrifié, ce seroit donq un sacrilege de luy en oster un seul brin; sacrifies le luy plustost derechef par mille resolutions et protestations, et vous tenant entre icelles comme un cerf dans son fort, reclames Dieu; il vous secourra et son amour prendra le vostre en sa protection, affin qu'il vive uniquement pour luy..

  A003001028 

 Que si vous estes des-ja prinse dans les filetz de ces folles amours, o Dieu, quelle difficulté de vous en desprendre! Mettés vous devant sa divine Majesté, connoissés en sa presence la grandeur de vostre misere, vostre foiblesse et vanité; puys, avec le plus grand effort de cœur qu'il vous sera possible, detestés ces amours commencees, abjurés la vayne profession que vous en aves faitte, renoncés a toutes les promesses receuës, et d'une grande et tres absolue volonté, arrestés en vostre cœur et vous resoulvés de ne jamais plus rentrer en ces jeux et entretiens d'amour..

  A003001029 

 Et saint Augustin tesmoigne que pour alleger la douleur qu'il eut en la mort de son ami, il s'osta de Tagaste, ou iceluy estoit mort, et s'en alla a Carthage..

  A003001029 

 Le garçon duquel parle saint Ambroise au livre second de la Penitence, ayant fait un long voyage revint entierement delivré des folles amours qu'il avoit exercees, et tellement changé que la sotte amoureuse le rencontrant et luy disant: Ne me connois-tu pas? «je suis bien moy mesme»; Ouy dea, respondit-il, «mais moy je ne suis pas moy mesme»: l'absence luy avoit apporté cette heureuse mutation.

  A003001030 

 Mais qui ne peut s'esloigner que doit il faire? Il faut absolument retrancher toute conversation particuliere, tout entretien secret, toute douceur des yeux, tout sousris, et generalement toutes sortes de communications et amorces qui peuvent nourrir ce feu puant et fumeux; ou pour le plus s'il est force de parler au complice, que ce soit pour declairer par une hardie, courte et severe protestation le divorce eternel que l'on a juré.

  A003001031 

 Mais apres que j'auray ainsy rompu les chaynes de [211] cet infame esclavage, encor m'en restera-il quelque ressentiment, et les marques et traces des fers en demeureront encor imprimees en mes pieds, c'est a dire en mes affections.

  A003001031 

 Mais si, pour l'imperfection de vostre repentir, il vous reste encor quelques mauvaises inclinations, procurés pour vostre ame une solitude mentale, selon ce que je vous ay enseigné ci devant, et retirés vous y le plus que vous pourres, et par mille reiterés eslancemens d'esprit renoncés a toutes vos inclinations, reniés les de toutes vos forces; lisés plus que l'ordinaire des saintz livres, confessés vous plus souvent que de coustume et vous communiés, conferés humblement et naifvement de toutes les suggestions et tentations qui vous arriveront pour ce regard avec vostre directeur, si vous pouves, ou au moins avec quelque ame fidele et prudente; et ne doutés point que Dieu ne vous affranchisse de toutes passions, pourveu que vous continuies fidelement en ces exercices..

  A003001031 

 Non feront, Philothee, si vous aves conceu autant de detestation de vostre mal comme il merite, car si cela est, vous ne seres plus agitee d'aucun mouvement que de celuy d'un extreme horreur de cet infame amour et de tout ce qui en depend, et demeureres quitte de toute autre affection envers l'objet abandonné, que de celle d'une tres pure charité pour Dieu.

  A003001032 

 Ah, ce me dires vous, mais ne sera ce point une ingratitude, de rompre si impiteusement une amitié? O que bienheureuse est l'ingratitude qui nous rend aggreables a Dieu! Non, de par Dieu, Philothee, ce ne sera pas ingratitude, ains un grand benefice que vous feres a l'amant, car en rompant vos liens vous rompres les siens, puisqu'ilz vous estoyent communs, et bien [212] que pour l'heure il ne s'apperçoive pas de son bonheur, il le reconnoistra bien tost apres et avec vous chantera pour action de grace: O Seigneur, vous aves rompu mes liens, je vous sacrifieray l'hostie de loüange et invoqueray vostre saint Nom..

  A003001036 

 Certes, les abeilles qui amassent le miel d'Heraclee ne cherchent que le miel, mais avec le miel elles succent insensiblement les qualités veneneuses de l'aconit sur lequel elles font leur cueillette.

  A003001036 

 Certes, saint Gregoire Nazianzene tesmoigne que plusieurs, aymans et admirans saint Basile, s'estoient laissés porter a l'imiter, mesme en ses imperfections exterieures, en son parler lentement et avec un esprit abstrait et pensif, en la forme de sa barbe et en sa demarche.

  A003001036 

 Mais sur tout, cela arrive quand nous estimons grandement celuy que nous aymons; car alhors nous ouvrons tellement le cœur a son amitié, qu'avec icelle ses inclinations et impressions entrent aysement toutes entieres, soit qu'elles soyent bonnes ou qu'elles soyent mauvaises.

  A003001036 

 Or donq, Philothee, il faut bien prattiquer en ce sujet la parolle que le Sauveur de nos ames souloit dire, ainsy que les [213] Anciens nous ont appris: «Soyes bons changeurs» et monnoyeurs, c'est a dire, ne recevés pas la fause monnoye avec la bonne, ni le bas or avec le fin or; separés le pretieux d'avec le chetif: ouy, car il n'y a presque celuy qui n'ait quelque imperfection.

  A003001037 

 Mays je ne parle que des imperfections; car quant aux pechés il ne faut ni les porter ni les supporter en l'ami.

  A003001037 

 On dit que la salemandre esteint le feu dans lequel elle se couche, et le peché ruine l'amitié en laquelle il se loge: si c'est un peche passager, l'amitié luy donne soudain la fuite par la correction; mais s'il sejourne et arreste, tout aussi tost l'amitié perit, car elle ne peut subsister que sur la vraye vertu; combien moins donq doit on pecher pour l'amitié? L'ami est ennemi quand il nous veut conduire au peché, et merite de perdre l'amitié quand il veut perdre et damner l'ami; ains c'est l'une des plus asseurees marques d'une fause amitié que de la voir prattiquee envers une personne vicieuse, de quelle sorte de peché que ce soit.

  A003001037 

 Si celuy que nous aymons est vicieux, sans doute nostre amitié est vicieuse; car puysqu'elle ne peut regarder la vraye vertu il est force qu'elle considere quelque vertu folastre et quelque qualité sensuelle.

  A003001038 

 La societé faitte pour le prouffit temporel entre les marchans n'a que l'image de la vraye amitié; car elle se fait non pour l'amour des personnes mais pour l'amour du gain..

  A003001043 

 Ceux qui traittent des choses rustiques et champestres asseurent que si on escrit quelque mot sur une amande bien entiere et qu'on la remette dans son noyau, le pliant et serrant bien proprement et le plantant ainsy, tout le fruit de l'arbre qui en viendra se treuvera escrit et gravé du mesme mot.

  A003001044 

 C'est pourquoy, chere Philothee, j'ay voulu avant toutes choses graver et inscrire sur vostre cœur ce mot saint et sacré: VIVE JESUS, asseuré que je suis qu'apres cela, vostre vie, laquelle vient de vostre cœur comme un amandier de son noyau, produira toutes ses actions qui sont ses fruitz, escrites et gravees du mesme mot de salut, et que comme ce doux Jesus vivra dedans vostre cœur, il vivra aussi en tous vos deportemens, et paroistra en vos yeux, en vostre bouche, en vos mains, voyre mesme en vos cheveux; et pourrés saintement dire, a l'imitation de saint Paul: Je vis, mais non plus moy, ains Jesus Christ vit en moy.

  A003001044 

 Mais ce cœur mesme par lequel nous voulons commencer, requiert qu'on l'instruise comme il doit former son train et maintien exterieur, affin que non seulement on y voye la sainte devotion, mais aussi une grande sagesse et discretion.

  A003001045 

 Si vous pouves supporter le jeusne, vous feres bien de jeusner quelques jours, outre les jeusnes que l'Eglise nous commande; car outre l'effect ordinaire du jeusne, d'eslever l'esprit, reprimer la chair, prattiquer la vertu et acquerir plus grande recompense au Ciel, c'est un grand bien de se maintenir en la possession de gourmander la gourmandise mesme, et tenir l'appetit sensuel et le cors sujet a la loy de l'esprit; et bien qu'on ne jeusne pas beaucoup, l'ennemi neanmoins nous craint davantage quand il connoist que nous sçavons jeusner.

  A003001045 

 [217] Les mercredi, vendredi et samedi sont les jours esquelz les anciens Chrestiens s'exerçoient le plus a l'abstinence: prenes en donq de ceux la pour jeusner, autant que vostre devotion et la discretion de vostre directeur vous le conseilleront..

  A003001046 

 J'ay appris par experience que le petit asnon estant las en chemin cherche de s'escarter;» c'est a dire, les jeunes gens portés a des infirmités par l'exces des jeusnes, se convertissent aysement aux delicatesses.

  A003001047 

 Et partant, generalement, il est mieux de garder plus de forces corporelles qu'il n'est requis, que d'en ruiner plus qu'il ne faut; car on peut tous-jours les abbattre quand on veut, mays on ne les peut pas reparer tous-jours quand on veut..

  A003001047 

 L'un a de la peyne [218] a jeusner, l'autre en a a servir les malades, visiter les prisonniers, confesser, prescher, assister les desolés, prier et semblables exercices: cette peyne vaut mieux que celle la; car outre qu'elle matte egalement, elle a des fruitz beaucoup plus desirables.

  A003001047 

 Si le travail que vous feres vous est necessaire, ou fort utile a la gloire de Dieu, j'ayme mieux que vous souffries la peyne du travail que celle du jeusne: c'est le sentiment de l'Eglise, laquelle, pour les travaux utiles au service de Dieu et du prochain, descharge ceux qui les font du jeusne mesme commandé.

  A003001048 

 C'est, comme je crois, une plus grande vertu de manger sans choix ce qu'on vous presente et en mesme ordre qu'on le vous presente, ou qu'il soit a vostre goust ou qu'il ne le soit pas, que de choisir tous-jours le pire.

  A003001048 

 Car encor que cette derniere façon de vivre semble plus austere, l'autre neanmoins a plus de resignation, car par icelle on ne renonce pas seulement a son goust, mais encor a son choix; et si, ce n'est pas une petite austerité de tourner son goust a toute main et le tenir sujet aux rencontres, joint que cette sorte de mortification ne paroist point, n'incommode personne, et est uniquement propre pour la vie civile.

  A003001048 

 Il me semble que nous devons avoir en grande reverence la parolle que nostre Sauveur et Redempteur Jesus Christ dit a ses Disciples: Manges ce qui sera mis devant vous.

  A003001048 

 J'estime plus que saint Bernard beut de l'huyle pour de l'eau ou du vin, que s'il eust beu de l'eau d'absynthe avec attention; car c'estoit signe qu'il ne pensoit pas a ce qu'il beuvoit.

  A003001048 

 Une continuelle et moderee sobrieté est meilleure que les abstinences violentes faittes a diverses reprises et entremeslees de grans relaschemens..

  A003001050 

 Certes, ce tems la est le plus gracieux, le plus doux et le moins embarrassé; les oyseaux mesmes nous provoquent en iceluy au resveil et aux louanges de Dieu: si que le lever matin sert a la santé et a la sainteté..

  A003001050 

 Et parce que l'Escriture Sainte, en cent façons, l'exemple des Saintz et les raysons naturelles nous recommandent grandement les matinees, comme les meilleures et plus fructueuses pieces de nos jours, et que Nostre Seigneur mesme est nommé Soleil levant et Nostre Dame, Aube du jour, je pense que c'est un soin vertueux de prendre son sommeil devers le soir a bonne heure, pour pouvoir prendre son resveil et faire son lever de bon matin.

  A003001051 

 L'asnesse, qui voyoit l'Ange, s'arresta par trois diverses fois comme restive; Balaam cependant la frappoit cruellement de son baston pour la faire avancer, jusques a la troisiesme fois qu'elle, estant couchee tout [220] a fait sous Balaam, luy parla par un grand miracle, disant: Que t'ay-je fait? pourquoy tu m'as battue des-ja par trois fois? Et tost apres, les yeux de Balaam furent ouvertz, et il vit l'Ange qui luy dit: Pourquoy as-tu battu ton asnesse? si elle ne se fust destoumee de devant moy je t'eusse tué et l'eusse reservee.

  A003001051 

 Lhors Balaam dit a l'Ange: Seigneur, j'ay peché, car je ne sçavois pas que tu te misses contre moy en la voÿe.

  A003001052 

 Cet homme voit que souvent il tombe lourdement au peché de luxure: le reproche interieur vient contre sa conscience avec l'espee au poing pour l'outre-percer d'une sainte crainte; et soudain son cœur revenant a soy: ah, felonne chair, dit-il, ah, cors desloyal, tu m'as trahi; et le voyla incontinent a grans coups sur cette chair, a des jeusnes immoderés, a des disciplines demesurees, a des haires insupportables.

  A003001052 

 Et Dieu sans doute vous dit en ces cas-la: Battes, rompes, fendes, froisses vos cœurs principalement, car c'est contre eux que mon courroux est animé.

  A003001052 

 Helas, c'est toy qui me jettes dans le feu, et tu ne veux pas que je brusle; tu me jettes la fumee aux yeux, et tu ne veux pas qu'ilz [221] s'enflamment.

  A003001052 

 O pauvre ame, si ta chair pouvoit parler comme l'asnesse de Balaam, elle te diroit: pourquoy me frappes-tu, miserable? c'est contre toy, o mon ame, que Dieu arme sa vengeance, c'est toy qui es la criminelle; pourquoy me conduis-tu aux mauvaises conversations? pourquoy appliques-tu mes yeux, mes mains, mes levres aux lascivetés? pourquoy me troubles-tu par des mauvaises imaginations? Fay des bonnes pensees, et je n'auray pas de mauvais mouvemens; hante les gens pudiques, et je ne seray point agitee de ma concupiscence.

  A003001060 

 Les autres conversations ont pour leur fin l'honnesteté, comme sont les visites mutuelles et certaines assemblees qui se font pour honnorer le prochain; et quant a celles la, comme il ne faut pas estre superstitieuse a les prattiquer, aussi ne faut-il pas estre du tout incivile a les mespriser, mais satisfaire avec modestie au devoir que l'on y a, affin d'eviter egalement la rusticité et la legereté..

  A003001062 

 Il y a des gens qui ne font nulle sorte de contenance ni de mouvement qu'avec tant d'artifice que chacun en est ennuyé; et comme celuy qui ne voudroit jamais se pourmener qu'en comptant ses pas, ni parler qu'en chantant, seroit fascheux au reste des hommes, ainsy ceux qui tiennent un maintien artificieux et qui ne font rien qu'a cadence, importunent extremement la conversation, et en cette sorte de gens il y a tous-jours quelque espece de presomption.

  A003001062 

 Pour vous res-jouir en Nostre Seigneur, il faut que le sujet de vostre joye soit non seulement loysible mays honneste: ce que je dis, parce qu'il y a des choses loysibles qui pourtant ne sont pas honnestes; et affin que vostre modestie paroisse, gardes-vous des insolences lesquelles sans doute sont tous-jours reprehensibles: faire tomber l'un, noircir l'autre, piquer le tiers, faire du mal a un fol, ce sont des risees et joyes sottes et insolentes..

  A003001062 

 Resjouisses vous avec les joyeux; je vous dis encor une fois avec l'Apostre: Soyés tous-jours joyeuse, mais en Nostre Seigneur, et que vostre modestie paroisse a tous les hommes.

  A003001063 

 Aussi, apres que les Apostres eurent un jour raconté a Nostre Seigneur comme ilz avoyent presché et beaucoup fait: Venés, leur dit-il, en la solitude, et vous y reposés un peu.

  A003001063 

 Et a l'exemple encores de saint Ambroise, duquel parlant saint Augustin, il dit que souvent estant entré en sa chambre (car on ne refusoit l'entree a personne) il le regardoit lire; et apres avoir attendu quelque tems, de peur de l'incommoder, il s'en retournoit sans mot dire, pensant que ce peu de tems qui restait a ce grand Pasteur pour revigorer et recreer son esprit, apres le tracas de tant d'affaires, ne luy devoit pas estre osté.

  A003001063 

 Mais tous-jours, outre la solitude mentale a laquelle vous vous pouves retirer emmi les plus grandes conversations, ainsy que j'ay dit ci dessus, vous deves aymer la solitude locale et reelle, non pas pour aller es desertz, [224] comme sainte Marie Egyptienne, saint Paul, saint Anthoine, Arsenius et les autres Peres solitaires, mais pour estre quelque peu en vostre chambre, en vostre jardin et ailleurs, ou plus a souhait vous puissies retirer vostre esprit en vostre cœur, et recreer vostre ame par des bonnes cogitations et saintes pensees, ou par un peu de bonne lecture, a l'exemple de ce grand Evesque Nazianzene qui, parlant de soy mesme, «Je me pourmenois,» dit-il, «moy mesme avec moy mesme sur le soleil couchant, et passois le tems sur le rivage de la mer; car j'ay accoustumé d'user de cette recreation pour me relascher et secouer un peu des ennuis ordinaires;» et la dessus il discourt de la bonne pensee qu'il fit, que je vous ay recitee ailleurs.

  A003001067 

 Saint Paul veut que les femmes devotes (il en faut autant dire des hommes) soyent revestues d'habitz bien-seans, se par ans avec pudicité et sobrieté.

  A003001068 

 On ne treuve pas non plus mauvais que les vefves a marier se parent aucunement, pourveu qu'elles ne facent point paroistre de folastrerie, d'autant qu'ayans des-ja esté meres de famille, et passé par les regretz du vefvage, on tient leur esprit pour meur et attrempé.

  A003001068 

 On permet [226] plus d'affiquetz aux filles, parce qu'elles peuvent loysiblement desirer d'aggreer a plusieurs, quoy que ce ne soit qu'affin d'en gaigner un par un saint mariage.

  A003001069 

 Les hommes qui sont si lasches que de s'amuser a ces muguetteries sont par tout descriés comme hermaphrodites, et les femmes vaines sont tenues pour imbecilles en chasteté; au moins si elles en ont, elle n'est pas visible parmi tant de fatras et bagatelles.

  A003001069 

 On dit qu'on n'y pense pas mal, mais je replique, comme j'ay fait ailleurs, que le diable en pense tous-jours.

  A003001069 

 Pour moy, je voudrois que mon devot et ma devote fussent tous-jours les mieux habillés de la trouppe, mais les moins pompeux et affaités, et, comme il est dit au proverbe, qu'ilz fussent parés de grace, [227] bien-seance et dismité.

  A003001069 

 Saint Louys dit en un mot que «l'on se doit vestir selon son estat, en sorte que les sages et bons ne puissent dire: vous en faites trop, ni les jeunes gens: vous en faites trop peu.

  A003001069 

 » Mais en cas que les jeunes ne se veuillent pas contenter de la bien-seance, il se faut arrester a l'advis des sages..

  A003001073 

 Et comme les abeilles ne demeslent autre chose que le miel avec leur petite bouchette, ainsy vostre langue sera tous-jours emmiellee de son Dieu, et n'aura point de plus grande suavité que de sentir couler entre vos levres des louanges et benedictions de son nom, ainsy qu'on dit de saint François, qui prononçant le saint nom [228] du Seigneur, sucçoit et lechoit ses levres, comme pour en tirer la plus grande douceur du monde..

  A003001073 

 Les medecins prennent une grande connoissance de la santé ou maladie d'un homme par l'inspection de sa langue; et nos parolles sont les vrays indices des qualités de nos ames: Par tes parolles, dit le Sauveur, tu seras justifié, et par tes parolles tu seras condamné. Nous portons soudain la main sur la douleur que nous sentons, et la langue sur l'amour que nous avons.

  A003001073 

 Si donq vous estes bien amoureuse de Dieu, Philothee, vous parlerés souvent de Dieu es devis familiers que vous feres avec vos domestiques, amis et voysins: ouy, car la bouche du juste meditera la sapience, et sa langue parlera du jugement.

  A003001074 

 Mais parlés tous-jours de Dieu comme de Dieu, c'est a dire reveremment et devotement, non point faisant la suffisante ni la prescheuse, mais avec l'esprit de douceur, de charité et d'humilité, distillant autant que vous sçaves (comme il est dit de l'Espouse au Cantique des Cantiques) le miel delicieux de la devotion et des choses divines, goutte a goutte, tantost dedans l'oreille de l'un, tantost dedans l'oreille de l'autre, priant Dieu au secret de vostre ame qu'il luy plaise de faire passer cette sainte rosee jusques dans le cœur de ceux qui vous escoutent.

  A003001075 

 Ne parles donq jamais de Dieu ni de la devotion par maniere d'acquit et d'entretien, mais tous-jours avec attention et devotion: ce que je dis pour vous oster une remarquable vanité qui se treuve en plusieurs qui font profession de devotion, lesquelz a tous propos disent des parolles saintes et ferventes par maniere d'entregent et sans y penser nullement; et après les avoir dites, il leur est advis qu'ilz sont telz que les parolles tesmoignent, ce qui n'est pas.

  A003001079 

 Et que personne ne me die qu'il n'y pense pas, car Nostre Seigneur qui connoist les pensees a dit que la bouche parle de l'abondance du cœur; et si nous n'y pensions pas mal, le malin neanmoins en pense beaucoup, et se sert tous-jours secrettement de ces mauvais motz pour en transpercer le cœur de quelqu'un.

  A003001079 

 Gardes vous soigneusement de lascher aucune parole deshonneste; car encor que vous ne les disies pas avec mauvaise intention, si est ce que ceux qui les oyent, les peuvent recevoir d'une autre sorte.

  A003001079 

 On dit que ceux qui ont mangé de l'herbe qu'on appelle angelique ont tous-jours l'haleyne douce et [230] aggreable; et ceux qui ont au cœur l'honnesteté et chasteté, qui est la vertu angelique, ont tous-jours leurs parolles nettes, civiles et pudiques.

  A003001079 

 Quant aux choses indecentes et folles, l'Apostre ne veut pas que seulement on les nomme, nous asseurant que rien ne corrompt tant les bonnes mœurs que les mauvais devis..

  A003001080 

 Si quelque sot vous dit des paroles messeantes, tesmoignés que vos oreilles en sont offencees, ou vous destournant ailleurs ou par quelque autre moyen, selon que vostre prudence vous enseignera..

  A003001081 

 C'est une des plus mauvaises conditions qu'un esprit peut avoir que d'estre moqueur: Dieu hait extremement ce vice et en a fait jadis des estranges punitions.

  A003001081 

 Or, la derision et moquerie ne se fait jamais sans ce mespris; c'est pourquoy elle est un fort grand peché, en sorte que les docteurs ont rayson de dire que la moquerie est la plus mauvaise sorte d'offence que l'on puisse faire au prochain par les paroles, parce que les autres offences se font avec quelque estime de celuy qui est offencé, et celle-ci se fait avec mespris et contemnement..

  A003001081 

 Rien n'est si contraire a la charité, et beaucoup plus a la devotion, que le mespris et contemnement du prochain.

  A003001082 

 Mais, Philothee, passons tellement le tems par recreation que nous conservions la sainte eternité par devotion..

  A003001082 

 Mays quant aux jeux de paroles qui se font des uns aux autres avec une modeste gayeté et joyeuseté, ilz appartiennent a la vertu nommee eutrapelie par les Grecz, que nous pouvons appeller bonne conversation; [231] et par iceux on prend une honneste et amiable recreation sur les occasions frivoles que les imperfections humaines fournissent.

  A003001082 

 Saint Louys, quand les religieux vouloyent luy parler des choses relevees apres disner: Il n'est pas tems d'alleguer, disoit-il, mais de se recreer par quelque joyeuseté et quolibetz: que chacun die ce qu'il voudra honnestement; ce qu'il disoit favorisant la noblesse qui estoit autour de luy pour recevoir des caresses de sa Majesté.

  A003001086 

 Non, dit le saint Apostre, ne juges pas avant le tems, jusques a ce que le Seigneur vienne, qui revelera le secret des tenebres et manifestera les conseilz des cœurs.

  A003001086 

 O que les jugemens temeraires sont desaggreables a Dieu! Les jugemens des enfans des hommes sont temeraires parce qu'ilz ne sont pas juges les uns des autres, et jugeans [232] ilz usurpent l'office de Nostre Seigneur; ilz sont temeraires parce que la principale malice du peché depend de l'intention et conseil du cœur, qui est le secret des tenebres pour nous; ilz sont temeraires parce qu'un chacun a asses a faire a se juger soy mesme, sans entreprendre de juger son prochain.

  A003001088 

 Les autres, pour se flatter et excuser envers eux mesmes et pour adoucir les remors de leurs consciences, jugent fort volontier que les autres sont vicieux du vice auquel ilz se sont voilés, ou de quelque autre aussi grand, leur estant advis que la multitude des criminelz rend leur peché moins blasmable.

  A003001088 

 Plusieurs s'addonnent au jugement temeraire pour le seul playsir qu'ilz prennent a philosopher et deviner des mœurs et humeurs des personnes, par maniere d'exercice d'esprit; que si par malheur ilz rencontrent quelquefois la verité en leurs jugemens, l'audace et l'appetit de continuer s'accroist tellement en eux, que l'on a peyne de les en destourner.

  A003001088 

 Quelques uns n'ont pas cet orgueil manifeste, ains seulement une certaine petite complaisance a considerer le mal d'autruy pour savourer et faire savourer plus [233] doucement le bien contraire duquel ilz s'estiment doués; et cette complaisance est si secrette et imperceptible, que si on n'a bonne veuë on ne la peut pas descouvrir, et ceux mesme qui en sont atteins ne la connoissent pas si on ne la leur monstre.

  A003001089 

 La charité craint de rencontrer le mal, tant s'en [234] faut qu'elle l'aille chercher; et quand elle le rencontre, elle en destourne sa face et le dissimule, ains elle ferme ses yeux avant que de le voir, au premier bruit qu'elle en apperçoit, et puis croit par une sainte simplicité que ce n'estoit pas le mal, mais seulement l'ombre ou quelque fantosme de mal; que si par force elle reconnoist que c'est luy mesme, elle s'en destourne tout incontinent et tasche d'en oublier la figure.

  A003001089 

 Mais quelz remedes? Ceux qui boivent le suc de l'herbe ophiusa d'Ethiopie cuydent par tout voir des serpens et choses effroyables: ceux qui ont avalé l'orgueil, l'envie, l'ambition, la haine, ne voyent rien qu'ilz ne treuvent mauvais et blasmable; ceux la pour estre gueris doivent prendre du vin de palme, et j'en dis de mesme pour ceux-ci: beuves le plus que vous pourrés le vin sacré de la charité, elle vous affranchira de ces mauvaises humeurs qui vous font faire ces jugemens tortus.

  A003001089 

 Toutes choses paroissent jaunes aux yeux des icteriques et qui ont la grande jaunisse; l'on dit que pour les guerir de ce mal, il leur faut faire porter de l'esclere sous la plante de leur pied.

  A003001090 

 Il faut tous-jours faire de mesme, Philothee, jugeant en faveur du prochain, autant qu'il nous sera possible; que si une action pouvoit avoir cent visages, il la faut regarder en celuy qui est le plus beau.

  A003001090 

 Isaac avoit dit que Rebecca estoit sa seur; Abimelech vit 'il se joüoit avec elle, c'est a dire qu'il la caressoit tendrement, et il jugea soudain que c'estoit sa femme: un œil malin eust plustost jugé qu'elle estoit sa garce, ou que, si elle estoit sa seur, qu'il eust esté un inceste; mais Abimelech suit la plus charitable opinion qu'il [235] pouvoit prendre d'un tel fait.

  A003001090 

 Mais pourquoy? parce, dit l'Esprit de Dieu, qu'il estoit juste: l'homme juste, quand il ne peut plus excuser ni le fait ni l'intention de celuy que d'ailleurs il connoist homme de bien, encor n'en veut-il pas juger, mais oste cela de son esprit et en laisse le jugement a Dieu.

  A003001090 

 Nostre Dame estoit grosse, saint Joseph le voyoit clairement; mais parce que d'autre costé il la voyoit toute sainte, toute pure, toute angelique, il ne peut onques croire qu'elle eut pris sa grossesse contre son devoir, si qu'il se resoulvoit, en la laissant, d'en laisser le jugement a Dieu: quoy que l'argument fut violent pour luy faire concevoir mauvaise opinion de cette Vierge, si ne voulut-il jamais l'en juger.

  A003001091 

 Il est vray qu'il se sert de la voix des magistratz pour se rendre intelligible a nos oreilles: ilz sont ses truchemens et interpretes et ne doivent rien [236] prononcer que ce qu'ilz ont appris de luy, comme estans ses oracles; que s'ilz font autrement, suivans leurs propres passions, alhors c'est vrayement eux qui jugent et qui par consequent seront jugés, car il est defendu aux hommes, en qualité d'hommes, de juger les autres..

  A003001092 

 Ce n'est donq pas mal fait de douter du prochain, non, car il n'est pas defendu de douter, ains de juger; mais il n'est pourtant pas permis ni de douter ni de soupçonner sinon rie a rie, tout autant que les raysons et argumens nous contraignent de douter; autrement les doutes et soupçons sont temeraires.

  A003001092 

 De voir ou connoistre une chose ce n'est pas en juger, car le jugement, au moins selon la phrase de l'Escriture, presuppose quelque petite ou grande, vraye ou apparente difficulté qu'il faille vuider; c'est pourquoy elle dit que ceux qui ne croyent point sont des-ja jugés, parce qu'il n'y a point de doute en leur damnation.

  A003001092 

 Si quelque œil malin eust veu Jacob quand il baysa Rachel aupres du puits, ou qu'il eust veu Rebecca accepter des brasseletz et pendans d'oreille d'Eliezer, homme inconneu en ce païs-la, il eust sans doute mal pensé de ces deux exemplaires de chasteté, mais sans rayson et fondement; car quand une action est de soy mesme indifferente, c'est un soupçon temeraire d'en tirer une mauvaise consequence, sinon que plusieurs circonstances donnent force a l'argument.

  A003001098 

 O que n'ay-je un des charbons du saint autel pour toucher les levres des hommes, affin que leur iniquité fust ostee et leur peché nettoyé, a l'imitation du Seraphin qui purifia la bouche d'Isaye! Qui osteroit la mesdisance du monde, en osteroit une grande partie des pechés et de l' iniquité..

  A003001099 

 Quicomque oste injustement la bonne renommee a son prochain, outre le peché qu'il commet, il est obligé a faire la reparation, quoy que diversement selon la diversité des mesdisances; car nul ne peut entrer au Ciel avec le bien d'autruy, et entre tous les biens exterieurs la renommee est le meilleur.

  A003001100 

 Je vous conjure donques, treschere Philothee, de ne jamais mesdire de personne, ni directement ni indirectement: gardés-vous d'imposer des faux crimes et pechés au prochain, ni de descouvrir ceux qui sont secretz, ni d'aggrandir ceux qui sont manifestes, ni d'interpreter en mal la bonne œuvre, ni de nier le bien que vous sçaves estre en quelqu'un, ni le dissimuler malicieusement, ni le diminuer par paroles, car en toutes ces façons vous offenseries grandement Dieu, mais sur tout accusant fausement et niant la verité au prejudice du prochain; car c'est double peché de mentir et nuire tout ensemble au prochain..

  A003001101 

 Je proteste, disent-ilz, que je l'ayme et que au reste c'est un galant homme; mays cependant il faut dire la verité, il eut tort de faire une telle perfidie; c'est une fort vertueuse fille, mais elle fut surprinse, et semblables [239] petitz ageancemens.

  A003001101 

 La mesdisance dite par forme de gausserie est encores plus cruelle que toutes; car, comme la ciguë n'est pas de soy un venin fort pressant, ains asses lent et auquel on peut aysement remedier, mais estant pris avec le vin il est irremediable, ainsy la mesdisance qui de soy passerait legerement par une oreille et sortiroit par l'autre, comme l'on dit, s'arreste fermement en la cervelle des escoutans quand elle est presentee dedans quelque mot subtil et joyeux.

  A003001101 

 Ne voyes-vous pas l'artifice? Celuy qui veut tirer a l'arc tire tant qu'il peut la fleche a soy, mais ce n'est que pour la darder plus puissamment: il semble que ceux ci retirent leur mesdisance a eux, mais ce n'est que pour la descocher plus fermement, affin qu'elle penetre plus avant dedans les cœurs des escoutans.

  A003001102 

 Ne dites pas: un tel est un ivroigne, encores que vous l'ayes veu ivre; ni, il est adultere, pour l'avoir veu en ce peché; ni, il est inceste, pour l'avoir treuvé en ce malheur; car un seul acte ne donne pas le nom a la chose.

  A003001103 

 Helas, puisque la bonté de Dieu est si grande qu'un seul moment suffit pour impetrer et recevoir sa grace, quelle asseurance pouvons-nous avoir qu'un homme qui estoit hier pecheur le soit aujourd'huy? Le jour precedent ne doit pas juger le jour present, ni le jour present ne doit pas juger le jour precedent: il n'y a que le dernier qui les juge tous.

  A003001103 

 Nous ne pouvons donq jamais dire qu'un homme soit meschant, sans danger de mentir; ce que nous pouvons dire, en cas qu'il faille parler, c'est qu'il fit un tel acte mauvais, il a mal vescu en tel tems, il fait mal maintenant; mais on ne peut tirer nulle consequence d'hier a cejourd'huy, ni de ce jourd'huy au jour d'hier, et moins encor au jour de demain..

  A003001104 

 Non, chere Philothee, il ne faut pas, pensant fuir le vice de la mesdisance, favoriser, flatter ou nourrir les autres, ains faut dire rondement et franchement mal du mal et blasmer les choses blasmables: ce que faisant, nous glorifions Dieu, moyennant que ce soit avec les conditions suivantes..

  A003001105 

 Et en fin, il faut sur tout observer, en blasmant le vice, d'espargner le plus que vous pourrés la personne en laquelle il est..

  A003001105 

 Ma langue, tandis que je parle du prochain, est en ma bouche comme un rasoir en la main du chirurgien qui veut trancher entre les nerfz et les tendons: il faut que le coup que je donneray soit si juste, que je ne die ni plus ni moins que ce qui en est.

  A003001105 

 Mais sur tout il faut que je sois exactement juste en mes paroles pour ne dire pas un seul mot de trop: par exemple, si je blasme la privauté de ce jeune homme et de cette fille, parce qu'elle est trop indiscrete et perilleuse, o Dieu, Philothee, il faut que je tienne la balance bien juste pour ne point aggrandir la chose, pas mesme d'un seul brin.

  A003001105 

 On recite devant des filles les privautés indiscretes de telz et de telles, qui sont manifestement perilleuses; la dissolution d'un tel ou d'une telle en paroles ou en contenances qui sont manifestement lubriques: si je ne blasme librement ce mal et que je le veuille excuser, ces tendres ames qui escoutent prendront occasion de se relascher a quelque chose pareille; leur utilité donq requiert que tout franchement je blasme ces choses-la sur le champ, sinon que je puisse reserver a faire ce bon office plus a propos et avec moins d'interest de ceux de qui on parle, en une autre occasion.

  A003001105 

 Outre cela, encor faut-il qu'il m'appartienne de parler sur ce sujet, comme quand je suis des premiers de la compaignie, et que si je ne parle il semblera que j'appreuve le vice: que si je suis des moindres, je ne dois pas entreprendre de faire la censure.

  A003001105 

 Pour loüablement blasmer les vices d'autruy, il faut que l'utilité ou de celuy duquel on parle ou de ceux a qui l'on parle le requiere.

  A003001105 

 S'il n'y a qu'une foible apparence, je ne diray rien que cela; s'il n'y a qu'une simple imprudence, je ne diray rien davantage; s'il n'y a ni imprudence ni vraye apparence du mal, ains seulement que quelque esprit malicieux en puisse tirer pretexte de mesdisance, ou je n'en diray rien du tout, ou je diray [242] cela mesme.

  A003001106 

 Il est vray que des pecheurs infames, publiques et manifestes on en peut parler librement, pourveu que ce soit avec esprit de charité et de compassion, et non point avec arrogance et presomption, ni pour se plaire au mal d'autruy; car pour ce dernier c'est le fait d'un cœur vil et abject.

  A003001107 

 Chacun se donne liberté de juger et censurer les princes et de mesdire des nations toutes entieres, selon la diversité des affections que l'on a en leur endroit: Philothee, ne faites pas cette faute; car outre l'offense de Dieu, elle vous pourroit susciter mille sortes de querelles..

  A003001108 

 Quand vous oyes mal dire, rendés douteuse l'accusation, si vous le pouves faire justement; si vous ne pouves pas, excuses l'intention de l'accusé; que si cela ne se peut, tesmoignes de la compassion sur luy, escartes ce propos-la, vous resouvenant et faisant resouvenir la compaignie que ceux qui ne tombent pas en faute en doivent toute la grace a Dieu.

  A003001112 

 Accoustumes-vous a ne jamais mentir a vostre escient, ni par excuse ni autrement, vous resouvenant que Dieu est le Dieu de verité.

  A003001112 

 Que vostre langage soit doux, franc, sincere, rond, naif et fidelle.

  A003001112 

 Si vous en dites par mesgarde et vous pouves les corriger sur le champ par quelque explication ou reparation, corrigés les: une excuse veritable a bien plus de grace et de force pour excuser, que le mensonge..

  A003001113 

 Bien que quelquefois on puisse discretement et prudemment desguiser et couvrir la verité par quelque artifice de parolle, si ne faut-il pas prattiquer cela sinon en chose d'importance, quand la gloire et service de Dieu le requierent manifestement: hors de la, les artifices sont dangereux, car, comme dit la sacree Parolle, le Saint Esprit n'habite point en un esprit feint et double.

  A003001113 

 Il n'y a nulle si bonne et desirable finesse que la simplicité.

  A003001114 

 Saint Augustin avoit dit au quatriesme Livre de ses Confessions, que son ame et celle de son ami n'estoyent qu'une seule ame, et que cette vie luy estoit en horreur apres le trespas de son ami, parce qu'il ne vouloit pas vivre a moitié, et que aussi pour cela mesme il craignoit a l'adventure de mourir, affin que son ami ne mourust du tout.

  A003001114 

 Voyés-vous, chere Philothee, combien cette sainte belle ame est douillette au sentiment de l'affaiterie des paroles? Certes, c'est un grand ornement de la vie chrestienne que la fidelité, rondeur et sincerité du langage.

  A003001116 

 Saint Louys ne treuvoit pas bon qu'estant en compaignie l'on parlast en secret et en conseil, et particulierement a table, affin que l'on ne donnast soupçon que l'on parlast des autres en mal: «Celuy,» disoit il, «qui est a table en bonne compaignie, qui a a dire quelque chose joyeuse et plaisante, la doit dire que tout le monde l'entende; si c'est chose d'importance, on la doit taire sans en parler.».

  A003001120 

 C'est un vice, sans doute, que d'estre si rigoureux, agreste et sauvage qu'on ne veuille prendre pour soy ni permettre aux autres aucune sorte de recreation..

  A003001120 

 Saint Jean l'Evangeliste, comme dit Cassian, fut un jour treuvé par un chasseur tenant une perdrix sur son poing, laquelle il caressoit par recreation; le chasseur luy demanda pourquoy, estant homme de telle qualité, il passoit le tems en chose si basse et vile; et saint Jean luy dit: Pourquoy ne portes-tu ton arc tous-jours tendu? De peur, respondit le chasseur, que demeurant tous-jours courbé il ne perde la force de s'estendre quand il en sera mestier.

  A003001121 

 Prendre l'air, se promener, s'entretenir de devis joyeux et amiables, sonner du luth ou autre instrument, chanter en musique, aller a la chasse, ce sont recreations si honnestes que pour en bien user il n'est besoin que de la commune prudence, qui donne a toutes choses le rang, le tems, le lieu et la mesure..

  A003001122 

 Il se faut seulement garder de l'exces, soit au tems que l'on y employe soit au prix que l'on y met; car si l'on y employe trop de tems, ce n'est plus recreation, c'est occupation: on n'allege pas ni l'esprit ni le cors, au contraire on l'estourdit, on l'accable.

  A003001123 

 Je ne dis pas qu'il ne faille prendre playsir a joüer pendant que l'on joüe, car autrement on ne se recreeroit pas; mais je dis qu'il ne faut pas y mettre son affection pour le desirer, pour s'y amuser et s'en empresser.

  A003001123 

 Mays sur tout prenés garde, Philothee, de ne point attacher vostre affection a tout cela; car pour honneste que soit une recreation, c'est vice d'y mettre son cœur et son affection.

  A003001127 

 Cela est bon pour monstrer que celuy qui gaigne ne fait pas tort aux autres, mais il ne s'ensuit pas que la convention ne soit desraysonnable et le jeu aussi; car le gain qui doit estre le prix de l'industrie, est rendu le prix du sort, qui ne merite nul prix puisqu'il ne depend nullement de nous..

  A003001128 

 Car, n'est-ce pas occupation de tenir l'esprit bandé et tendu par une attention continuelle, et agité de perpetuelles inquietudes, apprehensions et empressemens? Y a-il attention plus triste, plus sombre et melancholique que celle [248] des joueurs? c'est pourquoy il ne faut pas parler sur le jeu, il ne faut pas rire, il ne faut pas tousser, autrement les voyla a despiter..

  A003001129 

 En fin, il n'y a point de joye au jeu qu'en gaignant, et cette joye n'est-elle pas inique, puisqu'elle ne se peut avoir que par la perte et le desplaysir du compaignon? cette resjouissance est certes infame.

  A003001129 

 La sainte et chaste damoiselle Sara parlant a Dieu de son innocence: Vous sçaves, dit-elle, o Seigneur, que jamais je n'ay conversé entre les joüeurs..

  A003001129 

 Le grand roy saint Louys sçachant que le comte d'Anjou son frere et messire Gautier de Nemours joüoyent, il se leva, malade qu'il estoit, et alla tout chancelant en leur chambre, et la, print les tables, les dés et une partie de l'argent, et les jetta par les fenestres dans la mer, se courrouçant fort a eux.

  A003001134 

 Je vous dis des danses, Philothee, comme les medecins disent des potirons et champignons: les meilleurs n'en valent rien, disent-ilz; et je vous dis que les meilleurs balz ne sont gueres bons.

  A003001134 

 Si neanmoins il faut manger des potirons, prenés garde qu'ilz soyent bien apprestés: si par quelque occasion de laquelle vous ne puissies pas vous bien excuser, il faut aller au bal, prenés garde que vostre danse soit bien apprestee.

  A003001135 

 Les balz, les danses et telles assemblees tenebreuses attirent ordinairement les vices et pechés qui regnent en un lieu: les querelles, les envies, les moqueries, les folles amours; et comme ces exercices ouvrent les pores du cors de ceux qui les font, aussi ouvrent-ilz les pores du cœur, au moyen dequoy, si quelque serpent sur cela vient souffler aux oreilles quelque parole lascive, quelque muguetterie, quelque cajolerie, ou que quelque basilic vienne jetter des regards impudiques, des œillades d'amour, les cœurs sont [250] fort aysés a se laisser saisir et empoisonner.

  A003001135 

 Les champignons, selon Pline, estans spongieux et poreux comme ilz sont, attirent aysement toute l'infection qui leur est autour, si que estans pres des serpens ilz en reçoivent le venin.

  A003001136 

 Mais sur tout on dit qu'apres les champignons il faut boire du vin pretieux; et je dis qu'apres les danses il faut user de quelques saintes et bonnes considerations, qui empeschent les dangereuses impressions que le vain playsir qu'on a receu pourroit donner a nos espritz.

  A003001137 

 A mesme tems que vous esties au bal, plusieurs ames brusloyent au feu d'enfer pour les pechés commis a la danse ou a cause de la danse.

  A003001137 

 Helas, ilz n'ont eu nul repos! Aures vous point de compassion d'eux? et penses vous point qu'un jour vous gemirés comme eux, tandis que d'autres danseront comme vous aves fait? 4.

  A003001137 

 Helas, tandis que vous esties la, le tems s'est passé, la mort s'est approchee; voyes qu'elle se moque de vous et qu'elle vous appelle a sa danse, en laquelle les gemissemens de vos proches serviront de violon, et ou vous ne ferés qu'un seul passage de la vie a la mort.

  A003001137 

 Nostre Seigneur, Nostre Dame, les Anges et les Saintz vous ont veu au bal: ah, que vous leur aves fait grande pitié, voyans vostre cœur amusé a une si grande niayserie, et attentif a cette fadayse.

  A003001137 

 O que leur tems a esté bien plus heureusement employé que le vostre! 3.

  A003001137 

 Tandis que vous aves dansé, plusieurs ames sont decedees en grande angoisse; mille milliers d'hommes et femmes ont souffert des grans travaux, en leurs lictz, dans les hospitaux et es rües: la goutte, la gravelle, la fievre ardente.

  A003001142 

 Mais, en un mot, dansés et joüés selon les conditions que je vous ay marquees, quand pour condescendre et complaire a l'honneste conversation en laquelle vous seres, la prudence et discretion vous le conseilleront; car la condescendance, comme surgeon de la charité, rend les choses indifferentes bonnes, et les dangereuses, permises.

  A003001142 

 Pour joüer et danser loysiblement, il faut que ce soit par recreation et non par affection; pour peu de tems et non jusques a se lasser ou estourdir, et que ce soit [252] rarement; car, qui en fait ordinaire, il convertira la recreation en occupation.

  A003001143 

 J'ay esté consolé d'avoir leu en la vie de saint Charles Borromee qu'il condescendoit avec les Suisses en certaines choses esquelles d'ailleurs il estoit fort severe, et que le bienheureux Ignace de Loyola estant invité a joüer l'accepta.

  A003001143 

 Quant a sainte Elizabeth d'Hongrie, elle joüoit et dansoit parfois se treuvant es assemblees de passetems, sans interest de sa devotion, laquelle estoit si bien enracinee dedans son ame que, comme les rochers qui sont autour du lac de Riette croissent estans battus des vagues, ainsy sa devotion croissoit emmi les pompes et vanités ausquelles sa condition l'exposoit; ce sont les grans feux qui s'enflamment au vent, mays les petitz s'esteignent si on ne les y porte a couvert.

  A003001147 

 L'Espoux sacré, au Cantique des Cantiques, dit que son Espouse luy a ravi le cœur par un de ses yeux et l'un de ses cheveux.

  A003001147 

 Or, entre toutes les parties exterieures du cors humain, il n'y en a point de plus noble, soit pour l'artifice soit pour l'activité, que l' œil, ni point de plus vile que les cheveux; c'est pourquoy le divin Espoux veut faire entendre qu'il n'a pas seulement aggreable les grandes œuvres des personnes devotes, mais aussi les moindres et plus basses; et que pour le servir a son goust, il faut avoir grand soin de le bien servir aux choses grandes et hautes et aux choses petites et abjectes, puysque nous pouvons egalement, et par les unes et par les autres, luy desrober son cœur par amour..

  A003001148 

 Ces petites charités quotidiennes, ce mal de teste, ce mal de dens, cette defluxion, cette bigearrerie du mari ou de la femme, ce cassement d'un verre, ce mespris ou cette moue, cette perte de gans, d'une bague, d'un mouchoir, cette petite incommodité que l'on se fait d'aller coucher de bonne heure et de se lever matin pour prier, pour se communier, cette petite honte que l'on a de faire certaines actions de devotion publiquement: bref, toutes ces petites souffrances estans prinses et embrassees avec amour contentent extremement la Bonté divine, laquelle pour un seul verre d'eau a promis la mer de toute felicité a ses fideles; et parce que ces occasions se presentent a tout moment, c'est un grand moyen pour assembler beaucoup de richesses spirituelles que de les bien employer..

  A003001148 

 Mais tandis que la divine Providence ne vous envoye pas des afflictions si sensibles et si grandes, et qu'il ne requiert pas de vous vos yeux, donnes-luy pour le moins vos cheveux: je veux dire, supportes tout doucement les menues injures, ces petites incommodités, ces pertes de peu d'importance qui vous sont journalieres; car par le moyen de ces petites occasions, employees avec amour et dilection, vous gaigneres entierement [254] son cœur et le rendres tout vostre.

  A003001149 

 Et n'estime pas moins la petite et basse meditation qu'elle faisoit parmi les offices vilz et abjectz, que les extases et ravissemens qu'elle eut si souvent, qui ne luy furent peut estre donnés qu'en recompense de cette humilité et abjection.

  A003001149 

 J'ay dit cet exemple, ma Philothee, affin que vous sçachies combien il importe de bien dresser toutes nos actions, pour viles qu'elles soient, au service de sa divine Majesté..

  A003001149 

 Or sa meditation estoit telle: elle s'imaginoit qu'apprestant pour son pere elle apprestoit pour Nostre Seigneur, comme une sainte Marthe; que sa mere tenoit la place de Nostre Dame, et ses freres, le lieu des Apostres, s'excitant en cette sorte de servir en esprit toute la cour celeste, et s'employant a ces chetifz [255] services avec une grande suavité, parce qu'elle sçavoit la volonté de Dieu estre telle.

  A003001150 

 Mettes la main a chose forte, vous exerçant a l'orayson et meditation, a l'usage des Sacremens, a donner de l'amour de Dieu aux ames, a respandre de bonnes inspirations dedans les cœurs, et en fin a faire des œuvres grandes et d'importance selon vostre vacation; mais n'oublies pas aussi vostre fuseau et vostre quenouille, c'est a dire, prattiqués ces petites et humbles vertus lesquelles comme fleurs croissent au pied de la Croix: le service des pauvres, la visitation des malades, le soin de la famille, avec les œuvres qui dependent d'iceluy, et l'utile diligence qui ne vous laissera point oysive; et parmi toutes ces choses-la, entrejettés des pareilles considerations a celles que je viens de dire de sainte Catherine..

  A003001150 

 Pour cela, je vous conseille tant que je puis d'imiter cette femme forte que le grand Salomon a tant loüee, laquelle, comme il dit, mettoit la main a choses fortes, genereuses et relevees, et neanmoins ne laissoit pas de filer et tourner le fuseau: Elle a mis la main a chose forte, et ses doigtz ont prins le fuseau.

  A003001151 

 Soit que vous mangies, soit que vous beuvies, soit que vous dormies, soit que vous vous recreiés, soit que vous tournies la broche, pourveu que vous sçachies bien mesnager vos affaires, vous prouffiterés beaucoup devant Dieu, faisant toutes ces choses parce que Dieu veut que vous les facies.

  A003001155 

 Ce que je m'en vay vous dire, sont-ce pas iniquités et desraysons?.

  A003001155 

 Nous ne sommes hommes que par la rayson, et c'est pourtant chose rare de treuver des hommes vrayement raysonnables, d'autant que l'amour propre nous detraque ordinairement de la rayson, nous conduisant insensiblement a mille sortes de petites, mais dangereuses injustices et iniquités qui, comme les petitz renardeaux desquelz il est parlé aux Cantiques, demolissent les vignes; car, d'autant qu'ilz sont petitz on n'y prend pas garde, et parce qu'ilz sont en quantité ilz ne laissent pas de beaucoup nuire.

  A003001156 

 Il y a des enfans vertueux que leurs peres et meres ne peuvent presque voir, pour quelque imperfection corporelle; il y en a des vicieux qui sont les favoris, pour quelque grace corporelle..

  A003001156 

 Nous accusons pour peu le prochain, et nous nous excusons en beaucoup; nous voulons vendre fort cher, et acheter a bon marché; nous voulons que l'on face justice en la mayson d'autruy, et chez nous, misericorde et connivence; nous voulons que l'on prenne en bonne part nos parolles, et sommes chatouilleux et douilletz a celles d'autruy.

  A003001156 

 Nous voudrions que le prochain nous laschast son bien en le payant, n'est-il pas [257] plus juste qu'il le garde en nous laissant nostre argent? nous luy sçavons mauvais gré dequoy il ne nous veut pas accommoder, n'a-il pas plus de rayson d'estre fasché dequoy nous le voulons incommoder? Si nous affectionnons un exercice, nous mesprisons tout le reste et contrerollons tout ce qui ne vient pas a nostre goust.

  A003001156 

 S'il y a quelqu'un de nos inferieurs qui n'ait pas bonne grace ou sur lequel nous ayons une fois mis la dent, quoy qu'il face nous le recevons a mal, nous ne cessons de le contrister et tous-jours nous sommes a le calanger; au contraire, si quelqu'un nous est aggreable d'une grace sensuelle, il ne fait rien que nous n'excusions.

  A003001157 

 Nous avons deux poids: l'un pour peser nos commodités avec le plus d'advantage que nous pouvons, l'autre pour peser celles du prochain avec le plus de desadvantage qu'il se peut; or, comme dit l'Escriture, les levres trompeuses ont parlé en un cœur et un cœur, c'est a dire elles ont deux cœurs; et d'avoir deux [258] poids, l'un fort pour recevoir et l'autre foible pour delivrer, c'est chose abominable devant Dieu..

  A003001157 

 Nous voulons nos droitz exactement, et que les autres soyent courtois en l'exaction des leurs; nous gardons nostre rang pointilleusement, et voulons que les autres soyent humbles et condescendans; nous nous plaignons aysement du prochain, et ne voulons qu'aucun se plaigne de nous; ce que nous faisons pour autruy nous semble tous-jours beaucoup, ce qu'il fait pour nous n'est rien, ce nous semble.

  A003001158 

 Resouvenés-vous donq, ma Philothee, d'examiner souvent vostre cœur s'il est tel envers le prochain comme vous voudries que le sien fust envers vous si vous esties en sa place, car voyla le point de la vraye rayson.

  A003001158 

 Toutes ces injustices sont petites, parce qu'elles n'obligent pas a restitution, d'autant que nous demeurons seulement dans les termes de la rigueur en ce qui nous est favorable; mais elles ne laissent pas de nous obliger a nous en amender, car ce sont des grans defautz de rayson et de charité; et, au bout de la, ce ne sont que tricheries, car on ne perd rien a vivre genereusement, noblement, courtoisement, et avec un cœur royal, egal et raysonnable.

  A003001158 

 Trajan estant censuré par ses confidens dequoy il rendoit, a leur advis, la majesté imperiale trop accostable: Ouy dea, dit-il, ne dois-je pas estre tel empereur a l'endroit des particuliers, que je desirerois rencontrer un empereur si j'estois particulier moy mesme? [259].

  A003001162 

 Si un jeune homme desire fort d'estre pourveu de quelque office avant que le tems soit venu, dequoy, je vous prie, luy sert ce desir? Si une femme mariee desire d'estre religieuse, a quel propos? Si je desire d'acheter le bien de mon voysin avant qu'il soit prest a le vendre, ne perds-je pas mon tems en ce desir? Si estant malade, je desire prescher ou dire la sainte Messe, visiter les autres malades et faire les exercices de ceux qui sont en santé, ces desirs ne sont-ilz pas vains, puysqu'en ce tems-la il n'est pas en mon pouvoir [260] de les effectuer? Et ce pendant ces desirs inutiles occupent la place des autres que je devrois avoir, d'estre bien patient, bien resigné, bien mortifié, bien obeissant et bien doux en mes souffrances, qui est ce que Dieu veut que je prattique pour lhors.

  A003001163 

 Je n'appreuve nullement qu'une personne attachee a quelque devoir ou vacation, s'amuse a desirer une autre sorte de vie que celle qui est convenable a son devoir, ni des exercices incompatibles a sa condition presente; car cela dissipe le cœur et l'allanguit es exercices necessaires.

  A003001163 

 Non, je ne voudrois pas mesmement que l'on desirast d'avoir meilleur esprit ni meilleur jugement, car ces desirs sont frivoles et tiennent la place de celuy que chacun doit avoir de cultiver le sien tel qu'il est; ni que l'on desire les moyens de servir Dieu que l'on n'a pas, mais que l'on employe fidellement ceux qu'on a. Or, cela s'entend des desirs qui amusent le cœur; car quant aux simples souhaitz, ilz ne font nulle nuysance, pourveu qu'ilz ne soyent pas frequens..

  A003001163 

 Si je desire la solitude des Chartreux, je perds mon tems, et ce desir tient la place de celuy que je dois avoir de me bien employer a mon office present.

  A003001164 

 Ne desirés pas les croix, sinon a mesure que vous aures bien supporté celles qui se seront presentees; car c'est un abus de desirer le martyre et n'avoir pas le courage de supporter une injure.

  A003001165 

 C'est bon signe, ma Philothee, d'avoir ainsy bon appetit, mais regardes si vous pourres bien digerer tout ce que vous voules manger.

  A003001165 

 Je ne dis pas qu'il faille perdre aucune sorte de bons desirs, mais je dis qu'il les faut produire par ordre; et ceux qui ne peuvent estre effectués presentement, il les faut serrer en quelque coin du cœur jusques a ce que leur tems soit venu, et ce pendant effectuer ceux qui sont meurs et de saison; ce que je ne dis pas seulement pour les spirituelz, mais pour les mondains: sans cela nous ne sçaurions vivre qu'avec inquietude et empressement.

  A003001170 

 C'est la pepiniere du Christianisme, qui remplit la terre de fideles pour accomplir au Ciel le nombre des esleuz; si que la conservation du bien du mariage est extremement importante a la republique, car c'est sa racine et la source de tous ses ruisseaux.

  A003001171 

 Pleust a Dieu que son Filz bienaymé fust appellé a toutes les noces comme il fut a celles de Cana: le vin des consolations et benedictions n'y manqueroit jamais, car ce qu'il n'y en a pour l'ordinaire qu'un peu au commencement, c'est d'autant qu'en lieu de Nostre Seigneur on y fait venir Adonis, et Venus en lieu de Nostre Dame.

  A003001172 

 J'exhorte sur tout les mariés a l'amour mutuel que le Saint Esprit leur recommande tant en l'Escriture.

  A003001174 

 Si on colle deux pieces de sapin ensemble, pourveu que la colle soit fine, l'union en sera si forte qu'on fendroit beaucoup plus tost les pieces es autres endroitz, qu'en l'endroit de leur conjonction; mais Dieu conjoint le mari a la femme en son propre sang, c'est pourquoy cette union est si forte que plustost l'ame se doit separer du cors de l'un et de l'autre, que non pas le mari de la femme.

  A003001175 

 Les cachetz estoyent anciennement gravés es anneaux que l'on portoit aux doigtz, comme mesme l'Escriture Sainte tesmoigne; voyci [265] donq le secret de la ceremonie que l'on fait es noces: l'Eglise, par la main du prestre, benit un anneau, et le donnant premierement a l'homme, tesmoigne qu'elle seelle et cachette son cœur par ce Sacrement, affin que jamais plus ni le nom ni l'amour d'aucune autre femme ne puisse entrer en iceluy, tandis que celle la vivra laquelle luy a esté donnee; puys, l'espoux remet l'anneau en la main de la mesme espouse, affin que reciproquement elle sache que jamais son cœur ne doit recevoir de l'affection pour aucun autre homme, tandis que celuy vivra sur terre que Nostre Seigneur vient de luy donner.

  A003001177 

 C'est donq une sotte ventance d'amitié que de la vouloir exalter par la jalousie, car la jalousie est voirement marque de la grandeur et grosseur de l'amitié, mais non pas de la bonté, pureté et perfection d'icelle; puisque la perfection de l'amitié presuppose l'asseurance de la vertu de la chose qu'on ayme, et la jalousie en presuppose l'incertitude..

  A003001177 

 Et vous, o femmes, aymes tendrement, cordialement, mays d'un amour respectueux et plein de reverence, les maris que Dieu vous a donnés; car vrayement Dieu pour cela les a creés [267] d'un sexe plus vigoureux et predominant, et a voulu que la femme fust une dependance de l'homme, un os de ses os, une chair de sa chair, et qu'elle fust produite d'une coste d'iceluy, tiree de dessous ses bras, pour monstrer qu'elle doit estre sous la main et conduite du mari; et toute l'Escriture Sainte vous recommande estroittement cette subjection, laquelle neanmoins la mesme Escriture vous rend douce, non seulement voulant que vous vous y accommodiés avec amour, mais ordonnant a vos maris qu'ilz l'exercent avec grande dilection, tendreté et suavité: Maris, dit saint Pierre, portes vous discretement avec vos femmes, comme avec un vaisseau plus fragile, leur portant honneur. Mais tandis que je vous exhorte d'aggrandir de plus en plus ce reciproque amour que vous vous deves, prenes garde qu'il ne se convertisse point en aucune sorte de jalousie; car il arrive souvent que comme le ver s'engendre de la pomme la plus delicate et la plus meure, aussi la jalousie naist en l'amour le plus ardent et pressant des mariés, duquel neanmoins il gaste et corrompt la substance, car petit a petit il engendre les noises, dissensions et divorces.

  A003001177 

 Les imbecillités et infirmités, soit du cors soit de l'esprit de vos femmes ne vous doivent provoquer a nulle sorte de desdain, ains plustost a une douce et amoureuse compassion, puisque Dieu les a creées telles affin que, dependant de vous, vous en receussies plus d'honneur et de respect, et que vous les eussies tellement pour compaignes que vous en fussies neanmoins les chefz et superieurs.

  A003001178 

 Si vous voulés, o maris, que vos femmes vous soyent [268] fideles, faites-leur en voir la leçon par vostre exemple.

  A003001178 

 «Avec quel front,» dit saint Gregoire Nazianzene,« voules vous exiger la pudicité de vos femmes, si vous mesmes vives en impudicité? comme leur demandes vous ce que vous ne leur donnes pas?» Voules vous qu'elles soyent chastes? comportes vous chastement envers elles, et, comme dit saint Paul, Qu'un chacun sçache posseder son vaisseau en sanctification. Que si au contraire vous mesmes leur apprenés les fripponneries, ce n'est pas merveille que vous ayes du deshonneur en leur perte..

  A003001179 

 Les dames tant anciennes que modernes ont accoustumé de pendre des perles en nombre a leurs oreilles pour le playsir, dit Pline, qu'elles ont a les sentir grilloter, s'entretouchant l'une l'autre.

  A003001179 

 Mais quant a moy, qui sçay que le grand ami de Dieu Isaac envoya des pendans d'oreilles pour les premieres arres de ses amours a la chaste Rebecca, je croy que cet [269] ornement mystique signifie que la premiere chose qu'un mari doit avoir d'une femme, et que la femme luy doit fidelement garder, c'est l'oreille, affin que nul langage ou bruit n'y puisse entrer, sinon le doux et amiable grillotis des paroles chastes et pudiques, qui sont les perles orientales de l'Evangile: car il se faut tous-jours resouvenir, que l'on empoisonne les ames par l'oreille, comme le cors par la bouche..

  A003001179 

 Mais si a vostre louange quelqu'un adjouste le mespris de vostre mari, il vous offence infiniment, car la chose est claire que non seulement il vous veut perdre, mais vous tient des-ja pour demi perdue, puisque la moitié du marché est faite avec le second marchand quand on est desgousté du premier.

  A003001180 

 Le grand saint Louys, egalement rigoureux a sa chair et tendre en l'amour de sa femme, fut presque blasmé d'estre abondant en telles caresses, bien qu'en verité il meritast plustost louange de sçavoir demettre son esprit martial et courageux a ces menus offices requis a la conservation de l'amour conjugal; car bien que ces petites demonstrations de pure et franche amitié ne lient pas les cœurs, elles les approchent neanmoins, et servent d'un ageancement aggreable a la mutuelle conversation..

  A003001181 

 La mere de saint Bernard, digne mere d'un tel filz, prenant ses enfans en ses bras incontinent qu'ilz estoyent nais, lies offroit a Jesus Christ, et des lhors les aymoit avec respect comme chose sacree et que Dieu luy avoit confiee; ce qui luy reussit si heureusement qu'en fin ilz furent tous sept tressaintz..

  A003001181 

 Sainte Monique estant grosse du grand saint Augustin, le dedia par plusieurs offres a la religion Chrestienne et au service de la gloire de Dieu, ainsy que luy mesme [270] le tesmoigne disant que des-ja il avoit gousté «le sel de Dieu dans le ventre de sa mere.» C'est un grand enseignement pour les femmes chrestiennes d'offrir a la divine Majesté les fruitz de leurs ventres, mesme avant qu'ilz en soyent sortis, car Dieu qui accepte les oblations d'un cœur humble et volontaire, seconde pour l'ordinaire les bonnes affections des meres en ce tems la: tesmoin Samuel, saint Thomas d'Aquin, saint André de Fiesole et plusieurs autres.

  A003001182 

 Ainsy sainte Monique combattit avec tant de ferveur et de constance les mauvaises inclinations de saint Augustin, que l'ayant suivi par mer et par terre elle le rendit plus heureusement enfant de ses larmes, par la conversion de son ame, qu'il n'avoit esté enfant de son sang par la generation de son cors..

  A003001182 

 Certes, les races et generations sont appellees en nostre langage, maysons, et les Hebreux mesme appellent la generation des enfans, edification de mayson, car c'est en ce sens qu'il est dit que Dieu edifia des maysons aux sages femmes d'Egypte.

  A003001182 

 La bonne reyne Blanche fit ardemment cet office a l'endroit du roy saint Louys son filz, car elle luy disoit souventefois: «J'aymerois trop mieux, mon cher enfant, vous voir mourir devant mes yeux, que de vous voir commettre un seul peché mortel;» ce qui demeura tellement gravé en l'ame de ce saint filz que, comme luy mesme racontoit, il ne fut jour de sa vie auquel il ne luy en souvint, mettant peyne, tant qu'il luy estoit possible, de bien garder cette divine doctrine.

  A003001182 

 Or c'est pour [271] monstrer que ce n'est pas faire une bonne mayson de fourrer beaucoup de biens mondains en icelle, mais de bien eslever les enfans en la crainte de Dieu et en la vertu: en quoy on ne doit espargner aucune sorte de peyne ni de travaux, puisque les enfans sont la couronne du pere et de la mere.

  A003001183 

 Saint Paul laisse en partage aux femmes le soin de la mayson, c'est pourquoy plusieurs ont cette veritable opinion, que leur devotion est plus fructueuse a la famille que celle des maris qui, ne faisans pas une si ordinaire residence entre les domestiques, ne peuvent pas par consequent les addresser si aysement a la vertu.

  A003001184 

 Ainsy les femmes doivent [272] souhaitter que leurs maris soyent confitz au sucre de la devotion, car l'homme sans devotion est un animal severe, aspre et rude; et les maris doivent souhaitter que leurs femmes soyent devotes, car sans la devotion la femme est grandement fragile et sujette a deschoir ou ternir en la vertu.

  A003001184 

 C'est la plus grande et plus fructueuse union du mari et de la femme que celle qui se fait en la sainte devotion, a laquelle ilz se doivent entreporter l'un l'autre a l'envi.

  A003001184 

 Il est dit au Genese qu'Isaac, voyant sa femme Rebecca sterile, pria le Seigneur pour elle, ou, selon les Hebreux, il pria le Seigneur vis a vis d'elle, parce que l'un prioit d'un costé de l'oratoire et l'autre de l'autre: aussi l'orayson du mari faitte en cette façon fut exaucee.

  A003001184 

 Saint Paul a dit que l'homme infidelle est sanctifié par la femme fidelle, et la femme infidelle par l'homme fidelle, parce qu'en cette estroitte alliance du mariage, l'un peut aysement tirer l'autre a la vertu.

  A003001185 

 Au demeurant, le support mutuel de l'un pour l'autre doit estre si grand, que jamais tous deux ne soyent courroucés ensemble et tout a coup, affin qu'entre eux il ne se voye de la dissention et du desbat.

  A003001186 

 Certes, j'appreuverois que cette coustume s'introduisist, pourveu que ce ne fust point avec des appareilz de recreations mondaines et sensuelles, mais que les maris et femmes, confessés et communiés en ce jour la, recommandassent a Dieu plus fervemment que l'ordinaire le progres de leur mariage, renouvellans les bons propos de le sanctifier de plus en plus par une reciproque amitié et fidelité, et reprenans haleyne en Nostre Seigneur pour le support des charges de leur vacation.

  A003001186 

 Saint Gregoire Nazianzene tesmoigne que de son tems les mariés faisoyent feste au jour anniversaire de leurs mariages.

  A003001191 

 Il y a quelque ressemblance entre les voluptés honteuses et celles du manger, car toutes deux regardent la chair, bien que les premieres, a rayson de leur vehemence brutale, s'appellent simplement charnelles.

  A003001191 

 J'expliqueray donques ce que je ne puis pas dire des unes, par ce que je diray des autres..

  A003001193 

 Manger, non point pour conserver la vie mais pour conserver la mutuelle conversation et condescendance que nous nous devons les uns aux autres, c'est chose grandement juste et honneste: et de mesme, la reciproque et legitime satisfaction des parties au saint Mariage est appellee par saint Paul devoir; mais devoir si grand, qu'il ne veut pas que l'une des parties [274] s'en puisse exempter sans le libre et volontaire consentement de l'autre, non pas mesme pour les exercices de la devotion, qui m'a fait dire le mot que j'ay mis au chapitre de la sainte Communion pour ce regard; combien moins donq peut-on s'en exempter pour des capricieuses pretentions de vertu ou pour les choleres et desdains..

  A003001194 

 Comme ceux qui mangent pour le devoir de la mutuelle conversation doivent manger librement et non comme par force, et de plus s'essayer de tesmoigner de l'appetit, aussi le devoir nuptial doit estre tous-jours rendu fidellement, franchement, et tout de mesme comme si c'estoit avec esperance de la production des enfans, encor que pour quelque occasion on n'eust pas telle esperance..

  A003001196 

 Manger non point par simple appetit, mais par exces et desreglement, c'est chose plus ou moins vituperable, selon que l'exces est grand ou petit..

  A003001197 

 C'est grand cas, chere Philothee, que le miel si propre et salutaire aux abeilles leur puisse neanmoins estre si nuisible que quelquefois il les rend malades, comme quand elles en mangent trop au printems, car cela leur donne le flux de ventre, et quelquefois il les fait mourir inevitablement, comme quand elles sont emmiellees par le devant de leur teste et de leurs aislerons.

  A003001198 

 A la verité, le commerce nuptial qui est si saint, si juste, si recommandable, si utile a la republique, est neanmoins en certain cas dangereux a ceux qui le pratiquent; car quelquefois il rend leurs ames grandement malades de peché veniel, comme il arrive par les simples exces, et quelquefois il les fait mourir par le peché mortel, comme il arrive lhors que l'ordre establi pour la production des enfans est violé et perverti, auquel cas, selon qu'on s'esgare plus ou moins de cet ordre, les pechés se treuvent plus ou moins execrables, mais tous-jours mortelz.

  A003001198 

 Car d'autant que la procreation des enfans est la premiere et principale fin du mariage, jamais on ne peut loysiblement se departir de l'ordre qu'elle requiert, quoy que pour quelque autre accident elle ne puisse pas pour lhors estre effectuee, comme il arrive quand la sterilité ou la grossesse des-ja survenue empesche la production et generation; car en ces occurrences le commerce corporel ne laisse pas de pouvoir estre juste et saint, moyennant que les regles de la generation soyent suivies, aucun accident ne pouvant jamais prejudicier a la loy que la fin principale du mariage a imposee.

  A003001198 

 Certes, l'infame et execrable action que Onan faisoit en son mariage estoit detestable devant Dieu, ainsy que dit le sacré Texte du trente huitiesme chapitre de Genese; et bien que quelques heretiques de nostre aage, cent fois plus blasmables que les Cyniques desquelz parle saint Hierosme sur l'Epistre aux Ephesiens, ayent voulu dire que c'estoit la perverse intention de ce meschant qui desplaisoit a Dieu, l'Escriture toutefois parle autrement, et asseure en particulier que la chose mesme qu'il faisoit estoit detestable et abominable devant Dieu.

  A003001199 

 C'est une vraye marque d'un esprit truant, vilain, abject et infame de penser aux viandes et a la mangeaille avant le tems du repas, et encores plus quand apres iceluy on s'amuse au playsir que l'on a pris a manger, s'y entretenant par parolles et pensees, et vautrant son esprit dedans le souvenir de la volupté que l'on a eue en avalant les morceaux, comme font ceux qui devant disner tiennent leur esprit en broche et apres disner dans les platz; gens dignes d'estre souillars de cuisine, qui font, comme dit saint Paul, un dieu de leur ventre.

  A003001199 

 L'elephant n'est qu'une grosse beste, mais la plus digne qui vive sur la terre et qui a le plus de sens; je vous veux dire un trait de son honnesteté: il ne change jamais de femelle et ayme tendrement celle qu'il a choisie, avec laquelle neanmoins il ne parie que de trois ans en trois ans, et cela pour cinq jours seulement et si secrettement que jamais il n'est veu en cet acte; mais il est bien veu pourtant le sixiesme jour auquel avant toutes choses il va droit a quelque riviere en laquelle il se lave entierement tout le cors, sans vouloir aucunement retourner au troupeau qu'il ne se soit auparavant purifié.

  A003001199 

 Ne sont-ce pas de belles et honnestes humeurs d'un tel animal, par lesquelles il invite les mariés a ne point demeurer engagés d'affection aux sensualités et voluptés que selon leur vocation ilz auront exercees, mais icelles passees de s'en laver le cœur et l'affection, et de s'en purifier au plus tost, pour par apres avec toute liberté d'esprit prattiquer les autres actions plus pures et relevees..

  A003001200 

 Car, selon saint Gregoire, celuy a une femme comme n'en ayant point qui prend tellement les consolations corporelles avec elle que pour cela il n'est point destourné des pretentions spirituelles; or, ce qui se dit du mari s'entend reciproquement de la femme.

  A003001200 

 En cet advis consiste la parfaitte prattique de l'excellente [277] doctrine que saint Paul donne aux Corinthiens: Le tems est court, dit-il; reste que ceux qui ont des femmes soyent comme n'en ayans point.

  A003001200 

 Que ceux qui usent du monde, dit le mesme Apostre, soyent comme n'en usans point.

  A003001200 

 Que tous donques usent du monde, un chacun selon sa vocation, mais en telle sorte que n'y engageant point l'affection, on soit aussi libre et prompt a servir Dieu comme si l'on n'en usoit point.

  A003001201 

 Je pense avoir tout dit ce que je voulois dire, et fait entendre sans le dire ce que je ne voulois pas dire.

  A003001206 

 Que non seulement la vefve soit vefve de cors, mais aussi de cœur, c'est a dire qu'elle soit resolue d'une resolution inviolable de se conserver en l'estat d'une chaste viduité; car les vefves qui ne le sont qu'en attendant l'occasion de se remarier ne sont separees des hommes que selon la volupté du cors, mais elles sont des-ja conjointes avec eux selon la volonté du cœur.

  A003001206 

 Que si la vraye vefve, pour se confirmer en l'estat de viduité, veut offrir a Dieu en vœu son cors et sa chasteté, elle adjoustera un grand ornement a sa viduité et mettra en grande asseurance sa resolution; car voyant qu'apres le vœu il n'est plus en son pouvoir de quitter sa chasteté sans quitter le Paradis, elle sera si jalouse de son dessein qu'elle ne permettra pas seulement aux plus simples pensees de mariage d'arrester en son cœur un seul moment, si que ce vœu sacré mettra une forte barriere entre son ame et toute sorte de projetz contraires a sa resolution.

  A003001207 

 Certes, saint Augustin conseille extremement ce vœu a la vefve chrestienne; et l'ancien et docte Origene passe bien plus avant, car il conseille aux femmes mariees de se vouer et destiner a la chasteté viduale en cas que leurs maris viennent a trespasser devant elles, affin qu'entre les playsirs sensuelz qu'elles pourront avoir en leur mariage, elles puissent neanmoins jouir du merite d'une chaste viduité par le moyen de cette promesse anticipee.

  A003001207 

 Or, comme j'appreuve infiniment les advis de ces deux grans personnages, aussi desirerois-je que les ames qui seront si heureuses que de les vouloir employer le facent prudemment, saintement et solidement, ayans bien examiné leurs courages, invoqué l'inspiration celeste et prins le conseil de quelque sage et devot directeur, car ainsy tout se fera plus fructueusement.

  A003001207 

 Par la simple chasteté nous prestons nostre cors a Dieu, retenans pourtant la liberté de le sousmettre l'autre fois aux playsirs sensuelz; mais par le vœu de chasteté nous luy en faisons un don absolu et irrevocable, sans nous reserver aucun pouvoir de nous en desdire, nous rendans ainsy heureusement esclaves de Celuy la servitude duquel est meilleure que toute royauté.

  A003001208 

 Outre cela, il faut que ce renoncement de secondes noces se face purement et simplement pour, avec plus de pureté, contourner toutes ses affections en Dieu, et joindre de toutes pars son cœur avec celuy de sa divine Majesté; car si le desir de laisser les enfans riches ou quelqu'autre sorte de pretention mondaine arreste la vefve en viduité, elle en aura peut estre la loüange, mais non pas certes devant Dieu, puisque devant Dieu rien ne peut avoir une veritable louange que ce qui est fait pour Dieu..

  A003001209 

 Il faut de plus que la vefve, pour estre vrayement vefve, soit separee et volontairement destituee des contentemens prophanes.

  A003001209 

 Qu'importe-il, je vous prie, que l'enseigne du logis d'Adonis et de l'amour prophane soit faite d'aigrettes blanches perchees en guise de pennaches, ou d'un crespe estendu en guise de retz tout autour du visage? ains souvent le noir est mis avec advantage de vanité sur le blanc pour en rehausser la couleur.

  A003001210 

 Ainsy la vefve devote ne veut jamais estre appellee et estimee ni belle ni gracieuse, se contentant d'estre ce que Dieu veut qu'elle soit, c'est a dire humble et abjecte a ses yeux..

  A003001210 

 Quand Noëmi revint de Moab en Bethleem, les femmes de la ville qui l'avoyent conneuë au commencement de son mariage s'entredisoyent l'une a l'autre: N'est-ce point ici Noëmi? Mais elle respondit: Ne m'appelles point, je vous prie, Noëmi, car Noëmi veut dire gracieuse et belle, ains appelles moy Mara, car le Seigneur a rempli mon ame d'amertume: ce qu'elle disoit d'autant que son mari luy estoit mort.

  A003001211 

 Esperer en Dieu tandis que le mari sert de support, ce n'est pas chose si rare; mais d'esperer en Dieu quand on est destitué de cet appuy, c'est chose digne de grande loüange: c'est pourquoy on connoist plus aysement en la viduité, la perfection des vertus que l'on a eues au mariage.

  A003001212 

 La vefve laquelle a des enfans qui ont besoin de son addresse et conduitte, et principalement en ce qui regarde leur ame et l'establissement de leur vie, ne peut ni doit en façon quelconque les abandonner; car l'apostre saint Paul dit clairement qu'elles sont obligees a ce soin la, pour rendre la pareille a leurs peres et meres, et d'autant encores que si quelqu'un n'a soin des siens, et principalement de ceux de sa famille, il est pire qu'un infidelle.

  A003001213 

 Car il faut que les fruitz du tracas soyent bien grans, pour estre comparables au bien d'une sainte tranquillité; laissant a part que les proces et telles brouilleries dissipent le cœur et ouvrent souventefois la porte aux ennemis de la chasteté, tandis que, pour complaire a ceux de la faveur [284] desquelz on a besoin, on se met en des contenances indevotes et desaggreables a Dieu..

  A003001213 

 Si quelque force forcee n'oblige la conscience de la vraye vefve aux embarrassemens exterieurs, telz que sont les procès, je luy conseille de s'en abstenir du tout, et suivre la methode de conduire ses affaires qui sera plus paisible et tranquille, quoy qu'il ne semblast pas que ce fust la plus fructueuse.

  A003001214 

 Et comme le fer qui estant empesché de suivre l'attraction de l'aymant a cause de la presence du diamant, s'eslance vers le mesme aymant soudain que le diamant est esloigné, ainsy le cœur de la vefve, qui ne pouvoit bonnement s'eslancer du tout en Dieu, ni suivre les attraitz de son divin amour pendant la vie de son mari, doit soudain apres le trespas d'iceluy courir ardemment a l'odeur des parfums celestes, comme disant, a l'imitation de l'Espouse sacree: O Seigneur, maintenant que je suis toute mienne, recevés-moy pour toute vostre; tirés-moy apres vous, nous courrons a l'odeur de vos onguens..

  A003001214 

 L'orayson soit le continuel exercice de la vefve; car ne devant plus avoir d'amour que pour Dieu, elle ne doit non plus presque avoir des parolles que pour Dieu.

  A003001216 

 Bref, la vraye vefve est en l'Eglise une petite violette de mars, qui respand une suavité nompareille par l'odeur de sa devotion, et se tient presque tous-jours cachee sous les larges feuilles de son abjection, et par sa couleur moins esclatante tesmoigne la mortification; elle vient es lieux frais et non cultivés, ne voulant estre pressee de la conversation des mondains, pour mieux conserver la fraischeur de son cœur contre toutes les chaleurs que le desir des biens, des honneurs ou mesme des amours luy pourrait apporter.

  A003001217 

 Et faut tous-jours avoir devant les yeux cette doctrine des Anciens, que ni la viduité ni la virginité n'ont point de rang au Ciel que celuy qui leur est assigné par l'humilité..

  A003001217 

 J'aurois beaucoup d'autres choses a dire sur ce sujet; mais j'auray tout dit quand j'auray dit que la vefve jalouse de l'honneur de sa condition lise attentivement les belles epistres que le grand saint Hierosme escrit a Furia et a Salvia, et a toutes ces autres dames qui furent si heureuses que d'estre filles spirituelles d'un si grand Pere, car il ne se peut rien adjouster a ce qu'il leur dit, sinon cet advertissement: que la vraye vefve ne doit jamais ni blasmer ni censurer celles qui passent aux secondes ou mesme troisiesmes et quatriesmes noces; car en certains cas Dieu en dispose ainsy pour sa plus grande gloire.

  A003001221 

 Je pense que c'est une grande tromperie de presenter, en lieu d'un cœur entier et sincere, un cœur tout usé, frelaté et tracassé d'amour.

  A003001221 

 Mais si vostre bonheur vous appelle aux chastes et virginales noces spirituelles, et qu'a jamais vous veuilles [286] conserver vostre virginité, o Dieu, conservés vostre amour le plus delicatement que vous pourres pour cet Espoux divin qui, estant la pureté mesme, n'ayme rien tant que la pureté, et a qui les premices de toutes choses sont deuës, mais principalement celles de l'amour.

  A003001225 

 Tout aussi tost que les mondains s'appercevront que vous voulés suivre la vie devote, ilz descocheront sur vous mille traitz de leur cajolerie et mesdisance: les plus malins calomnieront vostre changement d'hypocrisie, bigotterie et artifices; ilz diront que le monde vous a fait mauvais visage et qu'a son refus vous recourés a Dieu; vos amis s'empresseront a vous faire un monde de remonstrances, fort prudentes et charitables a leur advis: Vous tomberes, diront-ilz, en quelque humeur melancholique, vous perdres credit au monde, vous vous rendres insupportable, vous enviellires devant [288] le tems, vos affaires domestiques en patiront; il faut vivre au monde comme au monde, on peut bien faire son salut sans tant de mysteres; et mille telles bagatelles..

  A003001226 

 Qui ne voit que le monde est un juge inique, gracieux et favorable pour ses enfans, mais aspre et rigoureux aux enfans de Dieu?.

  A003001226 

 Si vous esties du monde, dit le Sauveur, le monde aymeroit ce qui est sien; mais parce que vous n'estes pas du monde, partant il vous hait.

  A003001226 

 Y a-il une attention plus chagrine, plus melancholique et plus sombre que celle la? les mondains neanmoins ne disoyent mot, les amis ne se mettoyent point en peyne; et pour la meditation d'une heure, ou pour nous voir lever un peu plus matin qu'a l'ordinaire pour nous preparer a la Communion, chacun court au medecin pour nous faire guerir de l'humeur hypocondriaque et de la jaunisse.

  A003001227 

 Il aggrandit nos imperfections et publie que ce sont des pechés, de nos pechés venielz il en fait des mortelz, et nos pechés d'infirmité il les convertit en pechés de malice..

  A003001227 

 Il n'est pas possible que nous le contentions, car il est trop bigearre: Jean est venu, dit le Sauveur, ne mangeant ni beuvant, et vous dites qu'il est endiable; le Filz de l'homme est venu en mangeant et beuvant, et vous dites qu'il est Samaritain.

  A003001228 

 En lieu que, comme dit saint Paul, la charité est benigne, au contraire le monde est malin; au lieu que la charité ne pense point de mal, au contraire le monde pense tous-jours mal, et quand il ne peut accuser nos actions il accuse nos intentions.

  A003001228 

 Il espiera tous nos mouvemens, et pour une seule petite parolle de cholere il protestera que nous sommes insupportables; le soin de nos affaires luy semblera avarice, et nostre douceur, niaiserie; et quant aux enfans du monde, leurs choleres sont generosités, leurs avarices, mesnages, leurs privautés, entretiens honnorables: les araignes gastent tous-jours l'ouvrage des abeilles..

  A003001228 

 Quoy que nous fassions, le monde nous fera tous-jours la guerre: si nous sommes longuement devant le confesseur, il demandera que c'est que nous pouvons tant dire; si nous y sommes peu, il dira que nous ne disons pas tout.

  A003001228 

 Soit que les moutons ayent des cornes ou qu'ilz n'en ayent point, qu'ilz soyent blancz ou qu'ilz soyent noirs, le loup ne laissera pas de les manger s'il peut.

  A003001229 

 Ce ne nous est pas une petite commodité pour bien asseurer le commencement de nostre devotion que d'en recevoir de l'opprobre et de la calomnie; car nous evitons par ce moyen le peril de la vanité et de l'orgueil, qui sont comme les sages femmes d'Egypte, ausquelles le Pharaon infernal a ordonné de tuer les enfans masles d'Israël le jour mesme de leur naissance.

  A003001229 

 Les cometes et les planetes [291] sont presque egalement lumineuses en apparence; mais les cometes disparoissent en peu de teins, n'estans que de certains feux passagers, et les planetes ont une clarté perpetuelle: ainsy l'hypocrisie et la vraye vertu ont beaucoup de ressemblance en l'exterieur; mais on reconnoist aysement l'une d'avec l'autre, parce que l'hypocrisie n'a point de duree et se dissipe comme la fumee en montant, mais la vraye vertu est tous-jours ferme et constante.

  A003001229 

 Soyons fermes en nos desseins, invariables en nos resolutions; la perseverance fera bien voir si c'est a certes et tout de bon que nous sommes sacrifiés a Dieu et rangés a la vie devote.

  A003001233 

 Il se pourra bien faire, ma chere Philothee, qu'a ce changement de vie plusieurs soulevemens se feront en vostre interieur, et que ce grand et general [292] adieu que vous aves dit aux folies et niaiseries du monde vous donnera quelque ressentiment de tristesse et descouragement.

  A003001233 

 Il vous faschera peut estre d'abord de quitter la gloire que les folz et moqueurs vous donnoyent en vos vanités; mais o Dieu, voudries vous bien perdre l'eternelle que Dieu vous donnera en verité? Les vains amusemens et passetems esquelz vous aves employé les annees passees se representeront encor a vostre cœur pour l'appaster et faire retourner de leur costé; mais auries vous bien le courage de renoncer a cette heureuse eternité pour des si trompeuses legeretés? Croyes-moy, si vous perseveres vous ne tarderes pas de recevoir des douceurs cordiales si delicieuses et aggreables, que vous confesseres que le monde n'a que du fiel en comparayson de ce miel, et qu'un seul jour de devotion vaut mieux que mille annees de la vie mondaine..

  A003001233 

 La lumiere, quoy que belle et desirable a nos yeux, les esblouit neanmoins apres qu'ilz ont esté en des longues tenebres; et devant que l'on se voye apprivoisé avec les habitans de quelque païs, pour courtois et gracieux qu'ilz soyent, on s'y treuve aucunement estonné.

  A003001233 

 Si cela vous arrive, ayes un peu de patience, je vous prie, car ce ne sera rien: ce n'est qu'un peu d'estonnement que la nouveauté vous apporte; passé cela, vous recevres dix mille consolations.

  A003001234 

 Il est vray, nous sommes encor de petitz mouchons en la devotion, nous ne sçaurions monter selon nostre dessein, qui n'est rien moindre que d'atteindre a la cime de la perfection chrestienne; mais si commençons-nous a prendre forme [293] par nos desirs et resolutions, les aisles nous commencent a sortir, il faut donq esperer qu'un jour nous serons abeilles spirituelles et que nous volerons; et tandis, vivons du miel de tant d'enseignemens que les anciens devotz nous ont laissés, et prions Dieu qu'il nous donne des plumes comme de colombe, affin que non seulement nous puissions voler au tems de la vie presente, mais aussi nous reposer en l'eternité de la future..

  A003001234 

 Mays vous voyes que la montagne de la perfection chrestienne est extremement haute: hé mon Dieu, ce dites-vous, comment pourray-je monter? Courage, Philothee; quand les petitz mouchons des abeilles commencent a prendre forme on les appelle nymphes, et lhors ilz ne sçauroyent encor voler sur les fleurs, ni sur les montz, ni sur les collines voysines pour amasser le miel; mais petit a petit, se nourrissans du miel que leurs meres ont preparé, ces petitz nymphes prennent des aisles et se fortifient, en sorte que par apres ilz volent a la queste par tout le païsage.

  A003001238 

 Et bien que ces trois actions ne se connoissent pas si manifestement en toutes autres sortes de pechés, si est-ce qu'elles se connoissent palpablement aux grans et enormes pechés..

  A003001238 

 Imaginés-vous, Philothee, une jeune princesse extremement aymee de son espoux, et que quelque meschant, pour la desbaucher et souiller son lict nuptial, luy envoye quelque infame messager d'amour pour traitter avec elle son malheureux dessein.

  A003001239 

 Quand la tentation de quelque peché que ce soit dureroit toute nostre vie, elle ne sçauroit nous rendre desaggreables a la divine Majesté, pourveu qu'elle ne nous plaise pas et que nous n'y consentions pas; la ravson est, parce qu'en la tentation nous n'agissons pas mays nous souffrons, et puisque nous n'y prenons point playsir, nous ne pouvons aussi en avoir aucune sorte de coulpe.

  A003001239 

 Saint Paul souffrit longuement les tentations de la chair, et tant s'en faut que pour cela il fust desaggreable a Dieu, qu'au contraire Dieu estoit glorifié par icelles; la bienheureuse Angele de Foligny sentoit des tentations charnelles si cruelles qu'elle fait pitié quand elle les raconte; grandes furent aussi les tentations que souffrit saint François et saint Benoist, lhors que l'un se jetta dans les espines et l'autre dans la neige pour les mitiger, et neanmoins ilz ne perdirent rien de la grace de Dieu pour tout cela, ains l'augmenterent de beaucoup..

  A003001240 

 Il y a neanmoins cette difference entre l'ame et cette princesse pour ce sujet, que la princesse ayant ouï la proposition deshonneste peut, si bon luy semble, chasser le messager et ne le plus ouïr; mais il n'est pas tous-jours au pouvoir de l'ame de ne point sentir la tentation, bien qu'il soit tous-jours en son pouvoir de ne point y consentir: c'est pourquoy, encor que la tentation dure et persevere long tems, elle ne peut nous nuire tandis qu'elle nous est desaggreable..

  A003001240 

 Que donq les ennemis de nostre salut nous presentent tant qu'ilz voudront d'amorces et d'appastz, qu'ilz demeurent tous-jours a la porte de nostre cœur pour entrer, qu'ilz nous facent tant de propositions qu'ilz voudront; mais tandis que nous aurons resolution de ne point nous plaire en tout cela, [295] il n'est pas possible que nous offensions Dieu, non plus que le prince espoux de la princesse que j'ay representee ne luy peut sçavoir mauvais gré du message qui luy est envoyé, si elle n'y a prins aucune sorte de playsir.

  A003001241 

 Mays quant a la delectation qui peut suivre la tentation, pour autant que nous avons deux parties en nostre ame, l'une inferieure et l'autre superieure, et que l'inferieure ne suit pas tous-jours la superieure ains fait son cas a part, il arrive maintesfois que la partie inferieure se plait en la tentation, sans le consentement, ains contre le gré de la superieure: c'est la dispute et la guerre que l'apostre saint Paul descrit, quand il dit que sa chair convoite contre son esprit, qu'il y a une loy des membres et une loy de l'esprit, et semblables choses..

  A003001242 

 Il y est neanmoins en verité, puisque, quoy que tout soit en trouble en nostre [296] ame et en nostre cors, nous avons la resolution de ne point consentir au peché ni a la tentation, et que la delectation qui plait a nostre homme exterieur desplait a l'interieur, et quoy qu'elle soit tout autour de nostre volonté, si n'est-elle pas dans icelle: en quoy l'on voit que telle delectation est involontaire, et estant telle ne peut estre peché..

  A003001246 

 Il vous importe tant de bien entendre ceci, que je ne feray nulle difficulté de m'estendre a l'expliquer.

  A003001246 

 Le jeune homme duquel parle saint Hierosme, qui couché et attaché avec des escharpes de soye bien delicatement sur un lict mollet, estoit provoqué par toutes sortes de vilains attouchemens et attraitz d'une impudique femme, qui estoit couchee avec luy expres pour esbranler sa constance, ne devoit-il pas sentir d'estranges accidens? ses sens ne devoyent-ilz pas estre saisis de la delectation, et son imagination extrêmement occupee de cette presence des objetz voluptueux? Sans doute, et neanmoins parmi tant de troubles, emmi un si terrible orage de tentations et entre tant de voluptés qui sont tout autour de luy, il tesmoigne que son cœur n'est point vaincu et que sa volonté n'y consent nullement, puisque son esprit voyant tout rebellé contre luy, et n'ayant plus aucune des parties de son cors a son commandement sinon la langue, il se la coupa avec les [297] dens et la cracha sur le visage de cette vilaine ame qui tourmentait la sienne plus cruellement par la volupté, que les bourreaux n'eussent jamais sceu faire par les tourmens; aussi, le tyran qui se defioit de la vaincre par les douleurs, pensoit la surmonter par ces playsirs..

  A003001247 

 Ce qui dura fort longuement, jusques a tant qu'un jour Nostre Seigneur luy apparut, et elle luy dit: «Ou esties-vous, mon doux Seigneur, quand mon cœur estoit plein de tant de tenebres et d'ordures?» A quoy il respondit: «J'estois dedans ton cœur, ma fille.» «Et comment,» repliqua-elle, «habities-vous dedans mon cœur, dans lequel il y avoit tant de vilenies? habites-vous donq en des lieux si deshonnestes?» Et Nostre Seigneur luy dit: «Dis-moy, ces tiennes sales cogitations de ton cœur te donnoyent-elles playsir ou tristesse, amertume ou delectation?» Et elle dit: «Extreme amertume et tristesse.» Et luy repliqua: «Qui estoit celuy qui mettoit cette grande amertume et tristesse dedans ton cœur, sinon moy qui demeurois caché dedans le milieu de ton ame? Croy, ma fille, que si je n'eusse pas esté present, ces pensees qui estoyent autour de ta volonté et ne pouvoyent l'expugner l'eussent sans doute surmontee et seroyent [298] entrees dedans, eussent esté receuës avec playsir par ton liberal arbitre, et ainsy eussent donné la mort a ton ame; mais parce que j'estois dedans, je mettois ce desplaysir et cette resistance en ton cœur, par laquelle il se refusoit tant qu'il pouvoit a la tentation, et ne pouvant pas tant qu'il vouloit, il en sentoit un plus grand desplaysir et une plus grande haine contre icelle et contre soy mesme, et ainsy ces peynes estoyent un grand merite et un grand gain pour toy, et un grand accroissement de ta vertu et de ta force.».

  A003001247 

 Il fit donques toutes sortes d'impudiques suggestions a son cœur, et pour tant plus l'esmouvoir, venant avec ses compaignons en forme d'hommes et de femmes, il faisoit mille et mille sortes de charnalités et lubricités a sa veuë, adjoustant des parolles et semonces tres deshonnestes; et bien que toutes ces choses fussent exterieures, si est-ce que par le moyen des sens elles penetroyent bien avant dedans le cœur de la vierge, lequel, comme elle confessoit elle mesme, en estoit tout plein, ne luy restant plus que la fine pure volonté superieure qui ne fust agitee de cette tempeste de vilenie et delectation charnelle.

  A003001248 

 O Dieu, quelle detresse a une ame qui ayme Dieu, de ne sçavoir seulement pas s'il est en elle ou non, et si l'amour divin, pour lequel elle combat, est du tout esteint en elle ou non! Mais c'est la fine fleur de la perfection de l'amour celeste que de faire souffrir et combattre l'amant pour l'amour, sans sçavoir s'il a l'amour pour lequel et par lequel il combat..

  A003001248 

 Voyes vous, Philothee, comme ce feu estoit couvert de la cendre, et que la tentation et delectation estoit mesme entree dedans le cœur et avoit environné la volonté, laquelle seule, assistee de son Sauveur, resistoit par des amertumes, des desplaysirs et detestations du mal qui luy estoit suggeré, refusant perpetuellement son consentement au péché qui l'environnoit.

  A003001252 

 Ce que je dis affin que, s'il vous arrive jamais d'estre affligee de si grande tentation, vous sçachies que Dieu vous favorise d'une faveur extraordinaire, par laquelle il declare qu'il vous veut aggrandir devant sa face, et que neanmoins vous soyes tous-jours humble et craintive, ne vous asseurant pas de pouvoir vaincre les menues tentations apres avoir surmonté les grandes, sinon par une continuelle fidelité a l'endroit de sa Majesté.

  A003001252 

 Ma Philothee, ces grans assautz et ces tentations si puissantes ne sont jamais permises de Dieu que contre les ames lesquelles il veut eslever a son pur et excellent amour; mais il ne s'ensuit pas pourtant qu'apres cela elles soyent asseurees d'y parvenir, car il est arrivé [299] maintesfois que ceux qui avoyent esté constans en des si violentes attaques, ne correspondans pas par apres fidelement a la faveur divine, se sont treuvés vaincus en des bien petites tentations.

  A003001252 

 Quelques tentations donques qui vous arrivent et quelque delectation qui s'ensuive, tandis que vostre volonté refusera son consentement, non seulement a la tentation mais encor a la delectation, ne vous troublés nullement, car Dieu n'en est point offensé..

  A003001253 

 Ainsy arrive-il quelquefois que, par la violence des tentations, il semble que nostre ame est tombee en une defaillance totale de ses forces, et que comme pasmee elle n'a plus ni vie spirituelle ni mouvement; mais si nous voulons connoistre ce que c'en est, mettons la main sur le cœur: considerons si le cœur et la volonté ont encor leur mouvement spirituel, c'est a dire s'ilz font leur devoir a refuser de consentir et suivre la tentation et delectation; car pendant que le mouvement du refus est dedans nostre cœur, nous sommes asseurés que la charité, vie de nostre ame, est en nous, et que Jesus Christ nostre Sauveur se treuve dans nostre ame, quoy que caché et [300] couvert; si que, moyennant l'exercice continuel de l'orayson, des Sacremens et de la confiance en Dieu, nos forces reviendront en nous et nous vivrons d'une vie entiere et delectable..

  A003001253 

 Quand un homme est pasmé et qu'il ne rend plus aucun tesmoignage de vie, on luy met la main sur le cœur, et pour peu que l'on y sente de mouvement on juge qu'il est en vie et que, par le moyen de quelque eau pretieuse et de quelque epitheme, on peut luy faire reprendre force et sentiment.

  A003001257 

 Ainsy arrive-il quelquefois que la seule tentation nous met en peché, parce que nous sommes cause d'icelle.

  A003001257 

 De mesme, si je sçay que quelque conversation m'apporte de la tentation et de la cheute, et j'y vay volontairement, je suis indubitablement coulpable de toutes les tentations que j'y recevray..

  A003001257 

 Par exemple, je sçay que jouant j'entre volontier en rage et blaspheme, et que le jeu me sert de tentation a cela: je peche toutes fois et quantes que je joüeray, et suis coulpable de toutes les tentations qui m'arriveront au jeu.

  A003001258 

 C'est tous-jours chose blasmable a la jeune [301] princesse de laquelle nous avons parlé, si non seulement elle escoute la proposition sale et deshonneste qui luy est faitte, mais encores apres l'avoir ouïe elle prend playsir en icelle, entretenant son cœur avec contentement sur cet objet; car bien qu'elle ne veuille pas consentir a l'execution reelle de ce qui luy est proposé, elle consent neanmoins a l'application spirituelle de son cœur par le contentement qu'elle y prend, et c'est tous-jours chose deshonneste d'appliquer ou le cœur ou le cors a chose deshonneste; ains la deshonnesteté consiste tellement a l'application du cœur, que sans icelle l'application du cors ne peut estre peché.

  A003001258 

 Et cela s'entend si vous aves peu eviter commodement l'occasion, et que vous ayes preveu ou deu prevoir l'arrivee de la tentation; mais si vous n'aves donné nul sujet a la tentation, elle ne peut aucunement vous estre imputee a peché..

  A003001258 

 Quand la delectation qui arrive de la tentation peut estre evitee, c'est tous-jours peché de la recevoir, selon que le playsir que l'on y prend et le consentement que l'on y donne est grand ou petit, de longue ou de petite duree.

  A003001259 

 De mesme donq, si quelqu'un me propose quelque stratageme plein d'invention et d'artifice pour me venger de mon ennemi, et que je ne prenne pas playsir ni ne donne aucun consentement a la vengeance qui m'est [302] proposee, mais seulement a la subtilité de l'invention de l'artifice, sans doute je ne peche point, bien qu'il ne soit pas expedient que je m'amuse beaucoup a ce playsir, de peur que petit a petit il ne me porte a quelque delectation de la vengeance mesme..

  A003001259 

 Quand la delectation qui suit la tentation a peu estre evitee, et que neanmoins on ne l'a pas evitee, il y a tous-jours quelque sorte de peché selon que l'on y a peu ou prou arresté, et selon la cause du playsir que nous y avons prins.

  A003001259 

 Une femme laquelle n'ayant point donné de sujet d'estre muguettee, prend neanmoins playsir a l'estre, ne laisse pas d'estre blasmable si le playsir qu'elle y prend n'a point d'autre cause que la muguetterie.

  A003001260 

 Mais Ihors que volontairement et de propos deliberé nous sommes resolus de nous plaire en telles delectations, ce propos mesme deliberé est un grand peché, si l'objet pour lequel nous avons delectation est notablement mauvais.

  A003001260 

 On est quelquefois surprins de quelque chatouillement de delectation qui suit immediatement la tentation, devant que bonnement on s'en soit prins garde; et cela ne peut estre pour le plus qu'un bien leger peché veniel, lequel se rend plus grand si, apres que l'on s'est apperceu du mal ou l'on est, on demeure par negligence quelque tems a marchander avec la delectation, si l'on doit l'accepter ou la refuser; et.

  A003001264 

 Recoures de mesme a Dieu, reclamant sa misericorde et son secours; c'est le remede que Nostre Seigneur enseigne: Pries affin que vous n'entries point en tentation..

  A003001264 

 Si tost que vous sentes en vous quelques tentations, faites comme les petitz enfans quand ilz voyent le loup ou l'ours en la campaigne; car tout aussi tost ilz courent entre les bras de leur pere et de leur mere, ou pour le moins les appellent a leur ayde et secours.

  A003001265 

 Si vous voyes que neanmoins la tentation persevere ou qu'elle accroisse, coures en esprit embrasser la sainte Croix; comme si vous voyies Jesus Christ crucifié devant vous; protestes que vous ne consentirés point a la tentation et demandes luy secours contre icelle, et continues tous-jours a protester de ne vouloir point consentir tandis que la tentation durera.

  A003001267 

 Le grand remede contre toutes tentations grandes ou petites, c'est de desployer son cœur et de communiquer les suggestions, ressentimens et affections que nous avons a nostre directeur; car notés que la premiere condition que le malin fait avec l'ame qu'il veut seduire c'est du silence, comme font ceux qui veulent seduire les femmes et les filles, qui de prime abord defendent qu'elles ne communiquent point les propositions aux peres ni aux maris: ou au contraire Dieu, en ses inspirations, demande sur toutes choses que nous les fassions reconnoistre par nos superieurs et conducteurs..

  A003001268 

 Que si, apres tout cela, la tentation s'opiniastre a nous travailler et persecuter, nous n'avons rien a faire sinon a nous opiniastrer de nostre costé en la protestation de ne vouloir point consentir; car, comme les filles ne peuvent estre mariees pendant qu'elles disent que non, ainsy l'ame quoy que troublee, ne peut jamais estre offensee pendant qu'elle dit que non..

  A003001269 

 Ne disputés point avec vostre ennemi et ne luy respondés jamais une seule parolle, sinon celle que Nostre Seigneur luy respondit, avec laquelle il le confondit: Arriere, o Satan, tu adoreras le Seigneur ton Dieu et a luy seul serviras.

  A003001273 

 C'est chose bien aysee que de s'empescher du meurtre, mais c'est chose difficile d'eviter les menues choleres, desquelles les occasions se presentent a tout moment.

  A003001273 

 Les loups et les ours sont sans doute plus dangereux que les mouches, mais si ne nous font-ilz pas tant d'importunité et d'ennui, ni n'exercent pas tant nostre patience.

  A003001273 

 Quoy qu'il faille combattre les grandes tentations avec un courage invincible et que la victoire que nous en rapportons nous soit extremement utile, si est-ce neanmoins qu'a l'adventure on fait plus de prouffit a bien combattre les petites; car, comme les grandes surpassent en qualité, les petites aussi surpassent si demesurement en nombre, que la victoire d'icelles peut estre comparable a celle des plus grandes.

  A003001274 

 Bref, ces menues tentations de choleres, de soupçons, de jalousie, d'envie, d'amourettes, de folastrerie, de vanités, de duplicités, d'affaiterie, d'artifices, de cogitations deshonnestes, ce sont les continuelz exercices de ceux mesmes qui sont plus devotz et resolus: c'est pourquoy, ma chere Philothee, il faut qu'avec grand soin et diligence nous nous preparions a ce combat; et soyes asseuree qu'autant de victoires que nous rapportons contre ces petitz ennemis, autant de pierres pretieuses seront mises en la couronne de gloire que Dieu nous prepare en son Paradis.

  A003001278 

 Or donq, quant a ces menues tentations de vanité, de soupçon, de chagrin, de jalousie, d'envie, d'amourettes, et semblables tricheries qui, comme mouches et moucherons, viennent passer devant nos yeux et tantost nous piquer sur la joüe, tantost sur le nés, parce qu'il est impossible d'estre tout a fait exempt de leur importunité, la meilleure resistance qu'on leur puisse faire c'est de ne s'en point tourmenter; car tout cela ne peut nuire, quoy qu'il puisse faire de l'ennui, pourveu que l'on soit bien resolu de vouloir servir Dieu.

  A003001279 

 Car si vous me croyes, vous ne vous opiniastreres pas a vouloir opposer la vertu contraire a la tentation que vous sentes, parce que ce seroit quasi vouloir disputer avec elle; mais apres avoir fait une action de cette vertu directement contraire, si vous aves eu le loysir de reconnoistre la qualité de la tentation, vous feres un simple retour de vostre cœur du costé de Jesus Christ crucifié, et par une action d'amour en son endroit vous luy bayseres les sacrés pieds..

  A003001279 

 Mesprises donques ces menues attaques et ne daignes pas seulement penser a ce qu'elles veulent dire, mais laisses les bourdonner autour de vos oreilles tant qu'elles voudront, et courir ça et la autour de vous, comme l'on fait des mouches; et quand elles viendront vous piquer et que vous les verres aucunement s'arrester en vostre cœur, ne faites autre chose que de tout simplement les oster, non point combattant contre elles ni leur respondant, mais faisant des actions contraires, quelles qu'elles soyent, et specialement de l'amour de Dieu.

  A003001280 

 C'est le meilleur moyen de vaincre l'ennemi, tant es petites qu'es grandes tentations; car l'amour de Dieu contenant en soy toutes les perfections de toutes les vertus, et plus excellemment que les vertus mesmes, il est aussi un plus souverain remede contre tous vices; et vostre esprit s'accoustumant en toutes tentations de recourir a ce rendes-vous general, ne sera point obligé de regarder et examiner quelles tentations il a; mais simplement se sentant troublé il s'accoisera en ce grand remede, lequel outre cela est si espouvantable au malin esprit, que quand il voit que ses tentations nous provoquent a ce divin amour, il cesse de nous en faire..

  A003001285 

 Faites des œuvres d'abjection et d'humilité le plus que vous pourres, encores qu'il vous semble que ce soit a regret; car par ce moyen vous vous habitues a l'humilité et affoiblisses vostre vanité, en sorte que quand la tentation viendra, vostre inclination ne la pourra pas tant favoriser, et vous aures plus de force pour la combattre..

  A003001285 

 Par exemple, si vous vous sentes inclinee a la passion de la vanité, faites souvent des pensees de la misere de cette vie humaine, combien ces vanités seront ennuyeuses a la conscience au jour de la mort, combien elles sont indignes d'un cœur genereux, que ce ne sont que badineries et amusemens de petitz enfans, et semblables choses.

  A003001285 

 Parles souvent contre la vanité, et encores qu'il vous semble que ce soit a contrecœur, ne laisses pas de la bien mespriser, car par ce moyen vous vous engageres mesme de reputation au parti contraire; et a force de dire contre quelque chose, nous nous esmouvons a la haïr, bien qu'au commencement nous luy eussions de l'affection.

  A003001286 

 Si vous estes inclinee a l'avarice, penses souvent a la folie de ce peché qui nous rend esclaves de ce qui n'est creé que pour nous servir; qu'a la mort aussi bien [309] audra-il tout quitter, et le laisser entre les mains de tel qui le dissipera ou auquel cela servira de ruine et de damnation, et semblables pensees.

  A003001287 

 Si vous estes sujette a vouloir donner ou recevoir de l'amour, penses souvent combien cet amusement est dangereux, tant pour vous que pour les autres; combien c'est une chose indigne de prophaner et employer a passetems la plus noble affection qui soit en nostre ame; combien cela est sujet au blasme d'une extreme legereté d'esprit.

  A003001288 

 En somme, en tems de paix, c'est a dire lhors que les tentations du peché auquel vous estes sujette ne vous presseront pas, faites force actions de la vertu contraire, et si les occasions ne se presentent, alles au devant d'elles pour les rencontrer; car par ce moyen vous renforcerés vostre cœur contre la tentation future..

  A003001292 

 La tristesse n'est autre chose que la douleur d'esprit que nous avons du mal qui est en nous contre nostre gré, soit que le mal soit exterieur, comme pauvreté, maladie, mespris, soit qu'il soit interieur, comme ignorance, secheresse, repugnance, tentation.

  A003001293 

 Que si elle ne rencontre pas soudain ce qu'elle desire, elle entre en des grandes inquietudes et impatiences, lesquelles n'ostans pas le mal precedent, ains au contraire l'empirans, l'ame entre en une angoisse et detresse desmesuree, avec une defaillance de courage et de force telle, qu'il luy semble que son mal n'ait plus de remede.

  A003001293 

 Si l'ame cherche les moyens d'estre delivree de son mal pour l'amour de Dieu, elle les cherchera avec patience, douceur, humilité et tranquillité, attendant sa delivrance plus de la bonté et providence de Dieu que de sa peyne, industrie ou diligence; si elle cherche sa delivrance pour l'amour propre, elle s'empressera et s'eschauffera a la queste des moyens, comme si ce bien dependoit plus d'elle que de Dieu: je ne dis pas qu'elle pense cela, mays je dis qu'elle s'empresse comme si elle le pensoit.

  A003001293 

 Vous voyes donq que la tristesse, laquelle au commencement est juste, engendre l'inquietude; et l'inquietude engendre par apres un surcroist de tristesse qui est extremement dangereux..

  A003001295 

 L'inquietude provient d'un desir desreglé d'estre delivré du mal que l'on sent, ou d'acquerir le bien que l'on espere; et neanmoins il n'y a rien qui empire plus le [311] mal et qui esloigne plus le bien, que l'inquietude et empressement.

  A003001295 

 Les oyseaux demeurent prins dedans les filetz et laqs parce que s'y treuvans engagés ilz se desbattent et remuent desreglement pour en sortir, ce que faisans ilz s'enveloppent tous-jours tant plus.

  A003001296 

 Que s'il est egaré, avant toutes choses, cherches-le et le ramenes tout bellement en la presence de Dieu, remettant vos affections et desirs sous l'obeissance et conduite de sa divine volonté.

  A003001297 

 Quand vous sentires arriver l'inquietude, recommandes-vous a Dieu et resoulves-vous de ne rien faire du tout de ce que vostre desir requiert de vous que l'inquietude ne soit totalement passee, sinon que ce fust chose qui ne se peust differer; et alhors il faut, avec un doux et tranquille effort, retenir le courant de vostre desir, l'attrempant et moderant tant qu'il vous sera possible, et sur cela, faire la chose non selon vostre desir, mais selon la rayson..

  A003001298 

 Si vous pouves descouvrir vostre inquietude a celuy qui conduit vostre ame, ou au moins a quelque confident et devot ami, ne doutes point que tout aussi tost vous ne soyes accoisee; car la communication des douleurs du cœur fait le mesme effect en l'ame que la saignee fait au cors de celuy qui est en fievre continue: c'est le remede des remedes.

  A003001302 

 Il est vray qu'elle en fait plus de mauvaises que de bonnes, car elle n'en fait que deux [313] bonnes, a sçavoir, misericorde et penitence; et il y en a six mauvaises, a sçavoir, angoisse, paresse, indignation, jalousie, envie et impatience; qui a fait dire au Sage: La tristesse en tue beaucoup et n'y a point de prouffit en icelle, parce que, pour deux bons ruysseaux qui proviennent de la source de tristesse, il y en a six qui sont bien mauvais..

  A003001303 

 Le malin se plait en la tristesse et melancholie, parce qu'il est triste et melancholique et le sera eternellement, dont il voudroit que chacun fust comme luy..

  A003001306 

 Contraries vivement aux inclinations de la tristesse; et bien qu'il semble que tout ce que vous feres en ce tems la se face froidement, tristement et laschement, ne [314] laisses pourtant pas de le faire; car l'ennemi, qui pretend de nous allanguir aux bonnes œuvres par la tristesse, voyant que nous ne laissons pas de les faire, et qu'estans faittes avec resistance elles en valent mieux, il cesse de nous plus affliger.

  A003001307 

 Il est bon de s'employer aux œuvres exterieures et les diversifier le plus que l'on peut, pour divertir l'ame de l'objet triste, purifier et eschauffer les espritz, la tristesse estant une passion de la complexion froide et seche..

  A003001308 

 Faites des actions exterieures de ferveur, quoy que sans goust, embrassant l'image du Crucifix, la serrant sur la poitrine, luy baysant les pieds et les mains, levant vos yeux et vos mains au ciel, eslançant vostre voix en Dieu par des parolles d'amour et de confiance, comme sont celles ci: Mon Bienaymè a moy, et moy a luy.

  A003001309 

 La discipline moderee est bonne contre la tristesse, parce que cette volontaire affliction exterieure impetre la consolation interieure, et l'ame, sentant des douleurs de dehors, se divertit de celles qui sont au dedans.

  A003001310 

 Descouvres tous les ressentimens, affections et suggestions qui proviennent de vostre tristesse a vostre conducteur et confesseur, humblement et fidellement; [315] cherches les conversations des personnes spirituelles et les hantes le plus que vous pourres pendant ce tems-la.

  A003001310 

 Et en fin finale, resignes vous entre les mains de Dieu, vous preparant a souffrir cette ennuyeuse tristesse patiemment, comme juste punition de vos vaines allegresses; et ne doutes nullement que Dieu, apres vous avoir esprouvee, ne vous delivre de ce mal..

  A003001315 

 C'est un grand advertissement que celuy cy: il nous [316] faut tascher d'avoir une continuelle et inviolable egalité de cœur en une si grande inegalité d'accidens, et quoy que toutes choses se tournent et varient diversement autour de nous, il nous faut demeurer constamment immobiles a tous-jours regarder, tendre et pretendre a nostre Dieu.

  A003001315 

 Ou que nous vivions ou que nous mourions, dit l'Apostre, si sommes-nous a Dieu.

  A003001315 

 Que le navire prenne telle route qu'on voudra, qu'il cingle au ponant ou levant, au midi ou septentrion, et quelque vent que ce soit qui le porte, jamais pourtant son eguille marine ne regardera que sa belle estoile et le pole.

  A003001315 

 Que tout se renverse sans dessus dessous, je ne dis pas seulement autour de nous, mais je dis en nous, c'est a dire que nostre ame soit triste, joyeuse, en douceur, en amertume, en paix, en trouble, en clarté, en tenebres, en tentations, en repos, en goust, en desgoust, en secheresse, en tendreté, que le soleil la brusle ou que la rosee la rafraischisse, ha! si faut-il pourtant qu'a jamais et tous-jours la pointe de nostre cœur, nostre esprit, nostre volonté superieure, qui est nostre bussole, regarde incessamment et tende perpetuellement a l'amour de Dieu son Createur, son Sauveur, son unique et souverain bien.

  A003001316 

 Car, comme les avettes se voyans surprises du vent en la campaigne, embrassent des pierres pour se pouvoir balancer en l'air et n'estre pas si aysement transportees a la merci de l'orage, ainsy nostre ame ayant vivement embrassé par resolution le pretieux amour de son Dieu, demeure constante parmi l'inconstance et vicissitude des consolations et afflictions, tant spirituelles que temporelles, tant exterieures qu'interieures.

  A003001316 

 Cette resolution si absolue de ne jamais abandonner Dieu ni quitter son doux amour, sert de contrepoids a nos ames pour les tenir en la sainte egalité parmi l'inegalité de divers mouvemens que la condition de [317] cette vie luy apporte.

  A003001317 

 Je dis donq que la dévotion ne consiste pas en la douceur, suavité, consolation et tendreté sensible du cœur, qui nous provoque aux larmes et souspirs et nous donne une certaine satisfaction aggreable et savoureuse en quelques exercices spirituelz.

  A003001317 

 Or, sur cela, qu'est ce que ne fit pas Saul pour tesmoigner que son [318] cœur estoit amolly envers David? il le nomma son enfant, il se mit a pleurer tout haut, a le loüer, a confesser sa debonnaireté, a prier Dieu pour luy, a presager sa future grandeur et a luy recommander la posterité qu'il devoit laisser apres soy.

  A003001318 

 Mais quand ce vient a l'essay, on treuve que comme les pluyes passageres d'un esté bien chaud, qui tombans en grosses gouttes sur la terre ne la penetrent point et ne servent qu'a la production des champignons, ainsy ces larmes et tendretés tombans sur un cœur vicieux et ne le penetrans point, luy sont tout a fait inutiles: car pour tout cela, les pauvres gens ne quitteroyent pas un seul liard du bien mal acquis qu'ilz possedent, ne renonceroyent pas une [319] seule de leurs perverses affections, et ne voudroyent pas avoir pris la moindre incommodité du monde pour le service du Sauveur sur lequel ilz ont pleuré; en sorte que les bons mouvemens qu'ilz ont eus, ne sont que des certains champignons spirituelz, qui non seulement ne sont pas la vraye devotion, mais bien souvent sont des grandes ruses de l'ennemi, qui, amusant les ames a ces menues consolations, les fait demeurer contentes et satisfaittes en cela, a ce qu'elles ne cherchent plus la vraye et solide devotion, qui consiste en une volonté constante, resolue, prompte et active d'executer ce que l'on sçait estre aggreable a Dieu..

  A003001319 

 Helas, Philothee, c'est bien fait de pleurer sur cette Mort et Passion douloureuse de nostre Pere et Redempteur; [320] mais pourquoy donq ne luy donnons-nous tout de bon la pomme que nous avons en nos mains et qu'il nous demande si instamment, a sçavoir nostre cœur, unique pomme d'amour que ce cher Sauveur requiert de nous? Que ne luy resignons-nous tant de menues affections, delectations, complaisances, qu'il nous veut arracher des mains et ne peut, parce que c'est nostre dragee, de laquelle nous sommes plus frians que desireux de sa celeste grace? Ha! ce sont des amitiés de petitz enfans que cela, tendres, mais foibles, mais fantasques, mais sans effect.

  A003001320 

 C'est ce goust que l'on a es choses divines pour lequel David s'escrioit: O Seigneur, que vos parolles sont douces a mon palais, elles sont plus douces que le miel a ma bouche.

  A003001320 

 Ce sont des petitz avant-goustz des suavités immortelles que Dieu donne aux ames qui le cherchent; ce sont des grains sucrés qu'il donne a ses petitz enfans pour les amorcer; ce sont des eaux cordiales qu'il leur presente pour les conforter, et ce sont aussi quelquefois des arres des recompenses eternelles.

  A003001320 

 Et certes, la moindre petite consolation de la devotion que nous recevons vaut mieux de toute façon que les plus excellentes recreations du monde.

  A003001320 

 Les mammelles [321] et le laict, c'est a dire les faveurs du divin Espoux, sont meilleures a l'ame que le vin le plus pretieux des playsirs de la terre: qui en a gousté tient tout le reste des autres consolations pour du fiel et de l'absynthe.

  A003001320 

 On dit qu'Alexandre le Grand, singlant en haute mer, descouvrit premierement l'Arabie heureuse par le sentiment qu'il eut des suaves odeurs que le vent luy donnoit; et sur cela, se donna du courage et a tous ses compaignons: ainsy nous recevons souvent des douceurs et suavités en cette mer de la vie mortelle, qui sans doute nous font pressentir les delices de cette Patrie celeste a laquelle nous tendons et aspirons..

  A003001321 

 Mais, ce me dires-vous, puisqu'il y a des consolations sensibles qui sont bonnes et viennent de Dieu, et que neanmoins il y en a des inutiles, dangereuses, voyre pernicieuses, qui viennent ou de la nature ou mesme de l'ennemi, comment pourray-je discerner les unes des autres et connoistre les mauvaises ou inutiles entre les bonnes? C'est une generale doctrine, treschere Philothee, pour les affections et passions de nos ames, que nous les devons connoistre par leurs fruitz.

  A003001321 

 Si les douceurs, tendretés et consolations nous rendent plus humbles, patiens, traittables, charitables et compatissans a l'endroit du prochain, plus fervens a mortifier nos concupiscences et mauvaises inclinations, plus constans en nos exercices, plus maniables et souples a ceux que nous devons obeir, plus simples en nostre vie, sans doute, Philothee, qu'elles sont de Dieu; mais si ces douceurs n'ont de la douceur que pour nous, qu'elles nous rendent curieux, aigres, pointilleux, impatiens, opiniastres, fiers, presomptueux, durs a l'endroit du prochain, et que pensans des-ja estre des petitz saintz nous ne voulons plus estre sujetz a la direction ni a la correction, indubitablement ce sont des consolations fauses et pernicieuses: Un bon arbre ne produit que des bons fruitz..

  A003001322 

 Connoissons que nous sommes encor de petitz enfans qui avons besoin du laict, et que ces grains sucrés nous sont donnés parce que nous avons encor l'esprit tendre et delicat, qui a besoin [323] d'amorces et d'appastz pour estre attiré a l'amour de Dieu.

  A003001322 

 Et ainsy, c'est beaucoup, Philothee, d'avoir les douceurs; mais c'est la douceur des douceurs de considerer que Dieu de sa main amoureuse et maternelle les nous met en la bouche, au cœur, en l'ame, en l'esprit.

  A003001322 

 Finalement je vous advertis que s'il vous arrivoit quelque notable abondance de telles consolations, tendretés, larmes et douceurs, ou quelque chose d'extraordinaire en icelles, vous en conferiés fidellement avec vostre conducteur affin d'apprendre comme il s'y faut moderer et comporter, car il est escrit: As-tu treuvé le miel? mange-en ce qui suffit..

  A003001322 

 Il faut, outre tout cela, renoncer de tems en tems a telles douceurs, tendretés et consolations, separans nostre cœur d'icelles et protestans qu'encor que nous les acceptions humblement et les aymions, parce que Dieu nous les envoye et qu'elles nous provoquent a son amour, ce ne sont neanmoins pas elles que nous cherchons, mais Dieu et son saint amour: non la consolation, mais le Consolateur; non la douceur, mais le doux Sauveur; non la tendreté, mais [324] Celuy qui est la suavité du ciel et de la terre; et en cette affection nous nous devons disposer a demeurer fermes au saint amour de Dieu, quoy que de nostre vie nous ne deussions jamais avoir aucune consolation, et de vouloir dire egalement sur le mont de Calvaire, comme sur celuy de Thabor: O Seigneur, il m'est bon d'estre avec vous, ou que vous soyes en croix, ou que vous soyes en gloire.

  A003001322 

 Mais apres cela, parlant generalement et pour l'ordinaire, recevons humblement ces graces et faveurs et les estimons extremement grandes, non tant parce qu'elles le sont en elles mesmes, comme parce que c'est la main de Dieu qui nous les met au cœur; comme feroit une mere qui pour amadouer son enfant, luy mettroit elle mesme les grains de dragee en bouche, l'un apres l'autre, car si l'enfant avoit de l'esprit, il priseroit plus la douceur de la mignardise et caresse que sa mere luy fait, que la douceur de la dragee mesme.

  A003001322 

 Pourquoy pensons-nous que Dieu nous donne ces douceurs? pour nous rendre doux envers un chacun et amoureux envers luy.

  A003001322 

 il nous faut beaucoup humilier devant Dieu; gardons-nous bien de dire pour ces douceurs: o que je suis bon! Non, Philothee, ce sont des biens qui ne nous rendent pas meilleurs, car, comme j'ay dit, la devotion ne consiste pas en cela; mais disons: o que Dieu est bon a ceux qui esperent en luy, a l'ame qui le recherche! Qui a le sucre en bouche ne peut pas dire que sa bouche soit douce, mais ouy bien que le sucre est doux: ainsy, encor que cette douceur spirituelle est fort bonne, et Dieu qui nous la donne est tresbon, il ne s'ensuit pas que celuy qui la reçoit soit bon.

  A003001326 

 Helas, que l'ame qui est en cet estat est digne de compassion, et sur tout quand ce mal est vehement; car alhors, a l'imitation de David, elle se repaist de larmes jour et nuit, [325] tandis que par mille suggestions l'ennemi, pour la desesperer, se moque d'elle et luy dit: ah, pauvrette, ou est ton Dieu? par quel chemin le pourras-tu treuver? qui te pourra jamais rendre la joye de sa sainte grace?.

  A003001326 

 Vous ferés donq ainsy que je vous viens de dire, tres-chere Philothee, quand vous aves des consolations; mais ce beau tems si aggreable ne durera pas tous-jours, ains il adviendra que quelquefois vous seres tellement privee et destituee du sentiment de la devotion, qu'il vous sera advis que vostre ame soit line terre deserte, infructueuse, sterile, en laquelle il n'y ait ni sentier ni chemin pour treuver Dieu, ni aucune eau de grace qui la puisse arrouser, a cause des secheresses qui, ce semble, la reduiront totalement en friche.

  A003001327 

 Que feres-vous donq en ce tems la, Philothee? Prenes garde d'ou le mal vous arrive: nous sommes souvent nous mesmes la cause de nos sterilités et secheresses..

  A003001328 

 Comme une mere refuse le sucre a son enfant qui est sujet aux vers, ainsy Dieu nous oste les consolations quand nous y prenons quelque vayne complaisance et que nous sommes sujetz aux vers de l'outrecuidance: Il m'est bon, o mon Dieu, que vous m'humilies; ouy, car avant que je fusse humilié je vous avois offensé..

  A003001330 

 Nous sommes quelquefois couchés dans un lict des contentemens sensuelz et consolations perissables, comme estoit l'Espouse sacree es Cantiques: l'Espoux de nos ames buque a la porte de nostre cœur, il nous inspire de nous remettre a nos exercices spirituelz, mais nous marchandons avec luy, d'autant qu'il nous fasche de quitter ces vains amusemens et de nous separer de ces faux contentemens; c'est pourquoy il passe outre et nous laisse croupir, puys, quand nous le voulons chercher, nous avons beaucoup de peyne a le treuver: aussi l'avons-nous bien merité, puysque nous avons esté si infideles et desloyaux a son amour, que d'en avoir refusé l'exercice pour suivre celuy des choses du monde.

  A003001331 

 La duplicité et finesse d'esprit exercee es confessions et communications spirituelles que l'on fait avec son conducteur, attire les secheresses et sterilités: car puisque vous mentés au Saint Esprit, ce n'est pas merveille s'il vous refuse sa consolation; vous ne voules pas estre simple et naif comme un petit enfant, vous n'aures donq pas la dragee des petitz enfans..

  A003001334 

 Si, au contraire, vous ne voyes rien en particulier qui vous semble avoir causé cette secheresse, ne vous amuses point a une plus curieuse recherche, mais avec toute simplicité, sans plus examiner aucune particularité, faites ce que je vous diray..

  A003001335 

 Humilies-vous grandement devant Dieu en la connoissance de vostre neant et misere: Helas, qu'est-ce que de moy quand je suis a moy mesme? non autre chose, o Seigneur, sinon une terre seche, laquelle crevassee de toutes pars, tesmoigne la soif qu'elle a de la pluye du ciel, et ce pendant le vent la dissipe et reduit en poussiere..

  A003001337 

 Alles a vostre confesseur, ouvres-luy bien vostre cœur, faites-luy bien voir tous les replis de vostre ame, prenes les advis qu'il vous donnera, avec grande simplicité et humilité: car Dieu qui ayme infiniment l'obeissance, rend souvent utiles les conseilz que l'on prend d'autruy, et sur tout des conducteurs des ames, encor que d'ailleurs il n'y eust pas grande apparence; comme il rendit prouffitables a Naaman les eaux du Jourdain, desquelles Helisee, sans aucune apparence de rayson humaine, luy avoit ordonné l'usage..

  A003001338 

 Disons donq a Dieu en ce tems la: O Pere, s'il est possible, transportes de moy ce calice, mais [328] adjoustons de grand courage: toutefois, non ma volonté, mais la vostre soit faitte, et arrestons-nous a cela avec le plus de repos que nous pourrons; car Dieu nous voyant en cette sainte indifference nous consolera de plusieurs graces et faveurs, comme quand il vit Abraham resolu de se priver de son enfant Isaac, il se contenta de le voir indifferent en cette pure resignation, le consolant d'une vision tres aggreable et par des tres douces benedictions.

  A003001338 

 Je ne dis pas qu'on ne doive faire des simples souhaitz de la delivrance; mais je dis qu'on ne s'y doit pas affectionner, ains se remettre a la pure merci de la speciale providence de Dieu, affin que tant qu'il luy plaira il se serve de nous entre ces espines et parmi ces desers.

  A003001338 

 Mais apres tout cela, rien n'est si utile, rien si fructueux en telles secheresses et sterilités que de ne point s'affectionner et attacher au desir d'en estre delivré.

  A003001338 

 Nous devons donq en toutes sortes d'afflictions, tant corporelles que spirituelles, et es distractions ou soustractions de la devotion sensible qui nous arrivent, dire de tout nostre cœur et avec une profonde sousmission: Le Seigneur m'a donné des consolations, le Seigneur me les a ostees, son saint Nom soit beni; car perseverans en cette humilité, il nous rendra ses delicieuses faveurs, comme il fit a Job qui usa constamment de pareilles paroles en toutes ses desolations..

  A003001339 

 Finalement, Philothee, entre toutes nos secheresses et sterilités ne perdons point courage, mais attendans en patience le retour des consolations, suivons tous-jours nostre train; ne laissons point pour cela aucun exercice de devotion, ains, s'il est possible, multiplions nos bonnes œuvres, et ne pouvans presenter a nostre cher Espoux des confitures liquides, presentons-luy en des seches, car ce luy est tout un, pourveu que le cœur qui les luy offre soit parfaittement resolu de le vouloir aymer.

  A003001339 

 Il [329] arrive maintesfois, ma Philothee, que l'ame se voyant au beau printems des consolations spirituelles s'amuse tant a les amasser et succer, qu'en l'abondance de ces douces delices elle fait beaucoup moins de bonnes œuvres, et qu'au contraire, parmi les aspretés et sterilités spirituelles, a mesure qu'elle se void privee des sentimens aggreables de devotion, elle en multiplie d'autant plus les œuvres solides, et abonde en la generation interieure des vrayes vertus, de patience, humilité, abjection de soy mesme, resignation, et abnegation de son amour propre..

  A003001340 

 C'est donq un grand abus de plusieurs, et notamment des femmes, de croire que le service que nous faisons a Dieu, sans goust, sans tendreté de cœur et sans sentiment soit moins aggreable a sa divine Majesté, puisqu'au contraire nos actions sont comme les roses, lesquelles bien qu'estans fraisches elles ont plus de grace, estans neanmoins seches elles ont plus d'odeur [330] et de force: car tout de mesme, bien que nos œuvres faittes avec tendreté de cœur nous soyent plus aggreables, a nous, dis-je, qui ne regardons qu'a nostre propre delectation, si est-ce qu'estans faittes en secheresse et sterilité, elles ont plus d'odeur et de valeur devant Dieu.

  A003001341 

 La bienheureuse Angele de Foligny dit que «l'orayson la plus aggreable a Dieu est celle qui se fait par force et contrainte,» c'est a dire celle a laquelle nous nous rangeons, non point pour aucun goust que nous y ayons, ni par inclination, mais purement pour plaire a Dieu, a quoy nostre volonté nous porte comme a contrecœur, forçant et violentant les secheresses et repugnances qui s'opposent a cela.

  A003001345 

 Mais pour rendre toute cette instruction plus evidente, je veux mettre icy une excellente piece de l'histoire de saint Bernard, telle que je l'ay treuvee en un docte et judicieux escrivain.

  A003001346 

 C'est chose ordinaire a presque tous ceux qui commencent a servir Dieu et qui ne sont encor point experimentés es soustractions de la grace ni es vicissitudes spirituelles, que leur venant a manquer ce goust de la devotion sensible, et cette aggreable lumiere qui les invite a se haster au chemin de Dieu, ilz perdent tout a coup l'haleyne et tombent en pusillanimité et tristesse de cœur.

  A003001346 

 Les gens bien entendus en rendent cette rayson, que la nature raysonnable ne peut longuement durer affamee et sans quelque delectation, ou celeste ou terrestre.

  A003001346 

 Or, comme les ames relevees au dessus d'elles mesmes par l'essay des playsirs superieurs, renoncent facilement aux objetz visibles, ainsy quand par la disposition divine la joye spirituelle leur est ostee, se treuvans aussi d'ailleurs privees des consolations corporelles, et n'estans point encor accoustumees d'attendre en patience les retours du vray soleil, il leur semble qu'elles ne sont ni au ciel ni en la terre, et qu'elles demeureront ensevelies en une nuit perpetuelle: si que, [333] comme petitz enfançons qu'on sevre, ayans perdu leurs mammelles, elles languissent et gemissent, et deviennent ennuyeuses et importunes, principalement a elles mesmes..

  A003001347 

 Celuy ci, rendu soudainement aride, destitué de consolation et occupé des tenebres interieures, commença a se ramentevoir de ses amis mondains, de ses parens, des facultés qu'il venoit de laisser, au moyen dequoy il fut assailli d'une si rude tentation que, ne pouvant la celer en son maintien, un de ses plus confidens s'en apperceut, et l'ayant dextrement accosté avec douces parolles luy dit en secret: «Que veut dire ceci Geoffroy? comment est ce que contre l'ordinaire, tu te rends si pensif et affligé?» Alhors Geoffroy, avec un profond souspir, «Ah mon frere,» respondit il, «jamais de ma vie je ne seray joyeux.» Cet autre, esmeu de pitié par telles parolles, avec un zele fraternel alla soudain reciter tout ceci au commun Pere saint Bernard, lequel, voyant le danger, entra en une eglise prochaine affin de prier Dieu pour luy; et Geoffroy ce pendant, accablé de la tristesse, reposant sa teste sur une pierre, s'endormit.

  A003001347 

 Mais apres un peu de tems, tous deux se leverent, l'un de l'orayson avec la grace impetree, et l'autre du sommeil, avec un visage si riant et serein que son cher ami, s'esmerveillant d'un si grand et soudain changement, ne se peut contenir de luy reprocher amiablement ce que peu auparavant il luy avoit respondu; alhors Geoffroy luy repliqua: «Si auparavant je te dis que jamais je ne serois joyeux, maintenant je t'asseure que je ne seray jamais triste.».

  A003001348 

 Que Dieu donne ordinairement quelque avant-goust [334] des delices celestes a ceux qui entrent a son service, pour les retirer des voluptés terrestres et les encourager a la poursuite du divin amour, comme une mere qui pour amorcer et attirer son petit enfant a la mammelle met du miel sur le bout de son tetin.

  A003001348 

 Que c'est neanmoins aussi ce bon Dieu qui quelquefois, selon sa sage disposition, nous oste le laict et le miel des consolations, affin que, nous sevrant ainsy, nous apprenions a manger le pain sec et plus solide d'une devotion vigoureuse, exercee a l'espreuve des desgoustz et tentations.

  A003001348 

 Que c'est un souverain remede de descouvrir son mal a quelque ami spirituel qui nous puisse soulager..

  A003001348 

 Que nous ne devons jamais perdre courage entre les ennuis interieurs, ni dire comme le bon Geoffroy, « Jamais je ne seray joyeux, » car emmi la nuit nous devons attendre la lumiere; et reciproquement, au plus beau tems spirituel que nous puissions avoir, il ne faut pas dire, je ne seray jamais ennuyé: non, car, comme dit le Sage, es jours heureux, il se faut resouvenir du malheur.

  A003001348 

 Que quelquefois des bien grans orages s'eslevent parmi les secheresses et sterilités, et lhors il faut constamment combattre les tentations, car elles ne sont pas de Dieu; mais il faut souffrir patiemment les secheresses, puisque Dieu les a ordonnees pour nostre exercice.

  A003001349 

 En fin, pour conclusion de cet advertissement qui est si necessaire, je remarque que, comme en toutes choses de mesme en celles cy, nostre bon Dieu et nostre ennemi ont aussi des contraires pretentions: car Dieu nous veut conduire par icelles a une grande pureté de cœur, a un entier renoncement de nostre propre interest en ce qui est de son service, et un parfait despouillement de nous mesmes; mais le malin tasche d'employer [335] ces travaux pour nous faire perdre courage, pour nous faire retourner du costé des playsirs sensuelz, et en fin nous rendre ennuyeux a nous mesmes et aux autres, affin de decrier et diffamer la sainte devotion.

  A003001349 

 Mais si vous observés les enseignemens que je vous ay donnés, vous accroistres grandement vostre perfection en l'exercice que vous feres entre ces afflictions interieures, desquelles je ne veux pas finir le propos que je ne vous die encor ce mot..

  A003001350 

 Or, en telles occasions, il faut tous-jours se resouvenir de faire plusieurs actes de vertu avec la pointe de nostre esprit et volonté superieure; car encor que toute nostre ame semble dormir et estre accablee d'assoupissement et lassitude, si est-ce que les actions de nostre esprit ne laissent pas d'estre fort aggreables a Dieu, et pouvons dire en ce tems la, comme l'Espouse sacree: Je dors, mais mon cœur veille; et comme j'ay dit ci dessus, s'il y a moins de goust a travailler de la sorte, il y a pourtant plus de merite et de vertu.

  A003001351 

 C'est pour dire que les plus grans serviteurs de Dieu sont sujetz a ces secousses, et que les moindres ne doivent s'estonner s'il leur en arrive quelques unes..

  A003001357 

 Nostre nature humaine deschoit aysement de ses bonnes affections, a cause de la fragilité et mauvaise inclination de nostre chair, qui appesantit l'ame et la tire tous-jours contrebas si elle ne s'esleve souvent en haut a vive force de resolution, ainsy que les oyseaux retombent soudain en terre s'ilz ne multiplient les eslancemens et traitz d'aisles pour se maintenir au vol. Pour cela, chere Philothee, vous aves besoin de reiterer et repeter fort souvent les bons propos que vous aves fait de servir Dieu, de peur que, ne le faysant pas, vous ne retombiés en vostre premier estat, ou plustost en un estat beaucoup pire car les cheutes spirituelles ont cela de propre, qu'elles nous precipitent tous-jours plus bas que n'estoit l'estat duquel nous estions montés en haut a la devotion..

  A003001358 

 Et comme l'horloger oint avec quelque huyle delicate les roues, les ressortz et tous les mouvans de son horloge, affin que les mouvemens se facent plus doucement et qu'il soit moins sujet a la rouïlleure, ainsy la personne devote, apres la prattique de ce demontement de son cœur, pour le bien renouveller, le doit oindre par les Sacremens de Confession et de l'Eucharistie.

  A003001359 

 Ayant donques choisi le tems convenable, selon l'advis de vostre pere spirituel, et vous estant un peu plus retiree en la solitude, et spirituelle et reelle, que l'ordinaire, vous ferés une ou deux ou trois meditations sur les pointz suivans, selon la methode que je vous ay donnee en la seconde Partie.

  A003001364 

 Le premier, c'est d'avoir quitté, rejetté, detesté, renoncé pour jamais tout peché mortel; le second, c'est d'avoir dedié et consacré vostre ame, vostre cœur, vostre cors, avec tout ce qui en depend, a l'amour et service de Dieu; le troisiesme, c'est que s'il vous arrivoit de tomber en quelque mauvaise action, vous vous en releveries soudainement, moyennant la grace de Dieu.

  A003001365 

 Si les paroles raysonnables donnees aux hommes nous obligent estroittement, combien plus celles que nous avons donnees a Dieu: Ha, Seigneur, disoit David, c'est a vous a qui mon cœur l'a dit; mon cœur a projette cette bonne parole; non, jamais je ne l'oublieray..

  A003001368 

 Ha, quel bonheur d'apprendre tost ce que nous ne pouvons sçavoir que trop tard! Saint Augustin ayant esté tiré a l'aage de trente ans s'escrioit: «O ancienne Beauté, comme t'ay-je si tard conneuë?» helas, je te voyois et ne te considerois point.

  A003001368 

 Que si ç'a esté en vostre viellesse, helas, Philothee, quelle grace qu'apres avoir ainsy abusé des annees precedentes, Dieu vous ait appellee avant la mort, et qu'il ait arresté la course de vostre misere au tems auquel, si elle eust continué, vous esties eternellement miserable..

  A003001369 

 Consideres les effectz de cette vocation: vous treuveres, je pense, en vous de bons changemens, comparant [342] ce que vous estes avec ce que vous esties.

  A003001369 

 Ne prenes-vous point a bonheur de sçavoir parler a Dieu par l'orayson, d'avoir affection a le vouloir aymer, d'avoir accoisé et pacifié beaucoup de passions qui vous inquietoyent, d'avoir evité plusieurs pechés et embarrassemens de conscience, et en fin, d'avoir si souvent communié de plus que vous n'eussies pas fait, vous unissant a cette souveraine source de graces eternelles? Ha, que ces graces sont grandes! il faut, ma Philothee, les peser au poids du sanctuaire.

  A003001374 

 Ce second point de l'exercice est un peu long; et pour le prattiquer je vous diray qu'il n'est pas requis que vous le facies tout d'une traitte, mays a plusieurs fois, [343] comme prenant ce qui regarde vostre deportement envers Dieu pour un coup, ce qui vous regarde vous mesme pour l'autre, ce qui concerne le prochain pour l'autre, et la consideration des passions pour le quatriesme.

  A003001374 

 Il est neanmoins requis de faire tout ce second point en trois jours et deux nuitz pour le plus, prenant de chaque jour et de chaque nuit quelque heure, je veux dire quelque tems, selon que vous pourres; car si cet exercice ne se faisoit qu'en des tems fort distans les uns des autres, il perdroit sa force et donneroit des impressions trop lasches.

  A003001374 

 Il n'est pas requis ni expedient que vous facies a genoux, sinon le commencement et la fin qui comprend les affections.

  A003001375 

 Bien qu'es jours que vous feres cet exercice et les autres il ne soit pas requis de faire une absolue retraitte des conversations, si faut-il en faire un peu, sur tout devers le soir, affin que vous puissies gaigner le lict de meilleure heure et prendre le repos de cors et d'esprit, necessaire a la consideration.

  A003001375 

 Et parmi le jour il faut faire des frequentes aspirations en Dieu, a Nostre Dame, aux Anges, a toute la Hierusalem celeste; il faut encor que le tout se face d'un cœur amoureux de Dieu et de la perfection de vostre ame..

  A003001376 

 Invoques le Saint Esprit, luy demandant lumiere et clarté affin que vous vous puissies bien connoistre, avec saint Augustin qui s'escrioit [344] devant Dieu en esprit d'humilité: O Seigneur, que je vous connoisse et que je me connoisse; et saint François qui interrogeoit Dieu disant: «Qui estes-vous et qui suis-je?» Protestes de ne vouloir remarquer vostre avancement pour vous en res-jouir en vous mesme, mais pour vous res-jouir en Dieu, ni pour vous en glorifier, mais pour glorifier Dieu et l'en remercier.

  A003001376 

 Protestes que si, comme vous penses, vous descouvres d'avoir peu prouffité, ou bien d'avoir reculé, vous ne voules nullement pour tout cela vous abattre ni refroidir par aucune sorte de descouragement ou relaschement de cœur, ains qu'au contraire vous voules vous encourager et animer davantage, vous humilier et remedier aux defautz, moyennant la grace de Dieu..

  A003001385 

 Sentes-vous en vostre cœur une certaine facilité a l'aymer et un goust particulier a savourer cet amour? Vostre cœur se recree-il point a penser a l'immensité de Dieu, a sa bonté, a sa suavité? Si le souvenir de Dieu vous arrive emmi les occupations du monde et les vanités, se fait-il point faire place, saisit-il point vostre cœur? vous semble-il point que vostre cœur se tourne de son costé et en certaine façon luy va au devant? Il y a certes des ames comme cela.

  A003001385 

 Si le mari d'une femme revient de loin, tout aussi tost que cette femme s'apperçoit de son retour et qu'elle sent sa voix, quoy qu'elle soit embarrassee d'affaires et retenue par quelque violente consideration emmi la presse, si est-ce que son cœur n'est pas retenu, mais abandonne les autres pensees pour penser a ce mari venu.

  A003001395 

 Le cœur bien ordonné dit plus souvent en soy mesme: que diront les Anges si je pense a telle chose? que non pas: que diront les hommes?.

  A003001395 

 Or, l'amour ordonné veut que nous aymions plus l'ame que le cors, que nous ayons plus de soin d'acquerir les vertus que toute autre chose, que nous tenions plus de conte de l'honneur celeste que de l'honneur bas et caduque.

  A003001395 

 Tenes-vous bon ordre en l'amour de vous mesme? car il n'y a que l'amour desordonné de nous mesmes qui nous ruine.

  A003001397 

 Que vous estimes-vous devant Dieu? rien sans doute.

  A003001403 

 Il faut bien aymer le mari et la femme d'un amour doux et tranquille, ferme et continuel, et que ce soit en premier lieu parce que Dieu l'ordonne et le veut.

  A003001405 

 Estes-vous point prompte a parler du prochain en mauvaise part, sur tout de ceux qui ne vous ayment pas? faites-vous point de mal au prochain ou directement ou indirectement? Pour peu que vous soyes raysonnable, vous vous en appercevres aysement..

  A003001418 

 Quelles affections en fin tiennent nostre cœur empesché? quelles passions le possedent? en quoy s'est-il principalement detraqué? Car par les passions de l'ame, on reconnoist son estat en les tastant l'une apres l'autre: d'autant que, comme un joueur de luth pinçant toutes les cordes, celles qu'il treuve dissonnantes il les accorde, ou les tirant ou les laschant, ainsy, apres avoir tasté l'amour, la haine, le desir, la crainte, l'esperance, la tristesse et la joye de nostre ame, si nous les treuvons mal accordantes a l'air que nous voulons sonner, qui est la gloire de Dieu, nous pourrons les accorder, moyennant sa grace et le conseil de nostre pere spirituel.

  A003001421 

 Remercies Dieu de ce peu d'amendement que vous aures treuvé en vostre vie des vostre resolution, et reconnoisses que ç'a esté sa misericorde seule qui l'a fait en vous et pour vous..

  A003001422 

 Humiliés-vous fort devant Dieu, reconnoissant que si vous n'aves pas beaucoup avancé, ç'a esté par vostre manquement, parce que vous n'aves pas fidellement, courageusement et constamment correspondu aux inspirations, clartés et mouvemens qu'il vous a donnés en l'orayson et ailleurs..

  A003001436 

 Voyes vostre cœur comme il est genereux, et que, comme rien ne peut arrester les abeilles de tout ce qui est corrompu, ains s'arrestent seulement sur les fleurs, ainsy vostre cœur ne peut estre en repos qu'en Dieu seul, et nulle creature ne le peut assouvir.

  A003001437 

 Helas, nostre cœur courant aux creatures, il y va avec des empressemens, pensant de pouvoir y accoiser ses desirs; mais si tost qu'il les a rencontrees, il void que c'est a refaire et que rien ne le peut contenter, Dieu ne voulant que nostre cœur treuve aucun lieu sur lequel il puisse reposer, non plus que la colombe sortie de l'arche de Noé, affin qu'il retourne a son Dieu duquel il est sorti.

  A003001438 

 O mon ame, tu es capable de Dieu, malheur a toy si tu te contentes de moins que de Dieu! Esleves fort vostre ame sur cette consideration, remonstres-luy qu'elle est eternelle et digne de l'eternité; enfles-luy le courage pour ce sujet.

  A003001442 

 Consideres que les vertus et la devotion peuvent seules rendre vostre ame contente en ce monde; voyes combien elles sont belles.

  A003001443 

 Ah, qui vous connoistroit pourrait bien dire avec la Samaritaine: Domine, da mihi hanc aquam: Seigneur, donnes-moy cette eau; aspiration fort frequente a la Mere Therese et a sainte Catherine de Gennes, quoy que pour differens sujetz.

  A003001443 

 O vie devote, que vous estes belle, douce, aggreable et souëfve: vous adoucisses les tribulations, et rendes souëfves les consolations; sans vous le bien est mal, et les playsirs pleins d'inquietude, troubles et defaillances.

  A003001447 

 Consideres l'exemple des Saintz de toutes sortes: qu'est-ce qu'ilz n'ont pas fait pour aymer Dieu et estre ses devotz? Voyes ces Martyrs invincibles en leurs resolutions, quelz tourmens n'ont-ilz pas souffert pour les maintenir? Mais sur tout, ces belles et florissantes dames, plus blanches que les lys en pureté, plus vermeilles que la rose en charité, les unes a douze, les autres a treize, quinze, vingt et vingt cinq ans, ont souffert mille sortes de martyres, plustost que de renoncer a leur resolution, non seulement en ce qui estoit de la profession de la foy, mais en ce qui estoit de la protestation de la devotion: les unes mourans plustost que de quitter la virginité, les autres plustost que de cesser de servir les affligés, et consoler les tourmentés, et ensevelir les trespassés.

  A003001448 

 Mon Dieu, qu'est ce que dit saint Augustin de sa mere Monique? avec quelle fermeté a-elle poursuivi son entreprinse de [356] servir Dieu en son mariage, en son vefvage! Et saint Hierosme, de sa chere fille Paula? parmi combien de traverses, parmi combien de varietés d'accidens! Mais qu'est-ce que nous ne ferons pas sur des si excellens patrons? Ilz estoyent ce que nous sommes, ilz le faisoyent pour le mesme Dieu, pour les mesmes vertus: pourquoy n'en ferons nous autant, en nostre condition et selon nostre vocation, pour nostre chere resolution et sainte protestation?.

  A003001452 

 Helas, o Sauveur de mon ame, vous mourustes pour m'acquerir mes resolutions, hé faites-moy la grace que je meure plustost que de les perdre.

  A003001452 

 O resolution, que vous estes pretieuse estant fille d'une telle mere comme est la Passion de mon Sauveur! o combien mon ame vous doit cherir, puisque vous aves esté si chere a mon Jesus.

  A003001453 

 Voyes-vous, ma Philothee, il est certain que le cœur de nostre cher Jesus voyoit le vostre des Farbre de la Croix et l'aymoit, et par cet amour luy obtenoit tous les biens que vous aurés jamais, et entre autres nos resolutions; ouy, chere Philothee, nous pouvons tous dire comme Hieremie: O Seigneur, avant que je fusse, vous me regardies et m'appellies par mon nom, d'autant que vrayement sa divine Bonté prepara en son amour et misericorde tous les moyens generaux et particuliers de nostre salut, et par consequent nos resolutions.

  A003001454 

 Ah, mon Dieu, que nous devrions profondement mettre ceci en nostre memoire: est il possible que j'aye esté aymee et si doucement aymee de mon Sauveur, qu'il allast penser a moy en particulier, et en toutes ces petites occurrences par lesquelles il m'a tiree a luy? et combien donq devons nous aymer, cherir et bien employer tout cela a nostre utilité.

  A003001454 

 Ceci est bien doux: ce cœur amiable de mon Dieu pensoit en Philothee, l'aymoit et luy procuroit mille moyens de salut, autant comme s'il n'eust point eu d'autre ame au monde en qui il eust pensé, ainsy que le soleil esclairant un endroit [358] de la terre ne l'esclaire pas moins que s'il n'esclairoit point ailleurs et qu'il esclairast cela seul; car tout de mesme Nostre Seigneur pensoit et soignoit pour tous ses chers enfans, en sorte qu'il pensoit a un chacun de nous comme s'il n'eust point pensé a tout le reste.

  A003001458 

 Consideres l'amour eternel que Dieu vous a porté, car des-ja avant que Nostre Seigneur Jesus Christ entant qu'homme souffrit en Croix pour vous, sa divine Majesté vous projettoit en sa souveraine bonté et vous aymoit extremement.

  A003001459 

 O Dieu, quelles resolutions sont-ce cy, que Dieu a pensees, meditees, projettees des son eternité! Combien [359] nous doivent-elles estre cheres et pretieuses, que devrions-nous souffrir plustost que d'en quitter un seul brin! Non pas certes si tout le monde devoit perir, car aussi tout le monde ensemble ne vaut pas une ame, et une ame ne vaut rien sans nos resolutions..

  A003001463 

 O cheres resolutions, vous estes le bel arbre de vie que mon Dieu a planté de sa main au milieu de mon cœur, que mon Sauveur veut arrouser de son sang pour le faire fructifier; plustost mille mortz que de permettre qu'aucun vent vous arrache.

  A003001463 

 Vives donques a jamais, o resolutions, qui estes eternelles en la misericorde de mon Dieu; soyes et vives eternellement en moy, que jamais je ne vous abandonne..

  A003001464 

 Apres ces affections il faut que vous particularisies les moyens requis pour maintenir ces cheres resolutions, et que vous protesties de vous en vouloir fidellement servir: la frequence de l'orayson, des Sacremens, des bonnes œuvres, l'amendement de vos fautes reconneuës [360] au second point, le retranchement des mauvaises occasions, la suite des advis qui vous seront donnés pour ce regard.

  A003001464 

 Ce qu'estant fait, comme par une reprise d'haleyne et de force protestés mille fois que vous continueres en vos resolutions, et comme si vous tenies vostre cœur, vostre ame et vostre volonté en vos mains, dedies-la, consacres-la, sacrifies-la et l'immoles a Dieu, protestant que vous ne la reprendres plus, mais la laisseres en la main de sa divine Majesté pour suivre en tout et par tout ses ordonnances.

  A003001465 

 Alles en cette esmotion de cœur aux pieds de vostre pere spirituel, accuses-vous des fautes principales que vous aures remarqué d'avoir commises des vostre confession generale, et receves l'absolution en la mesme façon que vous fistes la premiere fois, prononces devant luy la protestation et la signes, et en fin alles unir vostre cœur renouvellé a son Principe et Sauveur, au tressaint Sacrement de l'Eucharistie.

  A003001469 

 Ce jour que vous aures fait ce renouvellement et les autres suivans, vous deves fort souvent redire de cœur et de bouche ces ardentes paroles de saint Paul, de saint Augustin, de sainte Catherine de Gennes et autres: Non, je ne suis plus mienne, ou que je vive ou que je meure, je suis a mon Sauveur; je n'ay plus de moy ni de mien: mon moy, c'est Jesus, mon mien, c'est d'estre sienne; o monde, vous estes tous-jours vous mesme, et moy j'ay tous-jours esté moy mesme, mais doresnavant je ne seray plus moy mesme.

  A003001469 

 Non, nous ne serons plus nous mesmes, car nous aurons le cœur changé, et le monde qui nous a tant trompés sera trompé en nous, car ne s'appercevant pas de nostre changement que petit a petit, il pensera que nous soyons tous-jours des Esaü, et nous nous treuverons des Jacob..

  A003001470 

 Il faut que tous ces exercices reposent dans le cœur, et que nous ostans de la consideration et meditation nous allions tout bellement entre les affaires et conversations, de peur que la liqueur de nos resolutions ne s'espanche soudainement, car il faut qu'elle detrempe et penetre bien par toutes les parties de l'ame, le tout neanmoins sans effort ni d'esprit ni de cors.

  A003001474 

 Au demeurant, David, Roy plein d'affaires tres difficiles, prattiquoit bien plus d'exercices que je ne vous ay pas marqué.

  A003001474 

 Faites donq hardiment ces exercices selon que je vous les ay marqués, et Dieu vous donnera asses de loysir et de force de faire tout le reste de vos affaires; ouy, quand il devroit arrester le soleil comme il fit du tems de Josué.

  A003001474 

 Helas, chere Philothee, quand nous ne ferions autre chose nous ferions bien asses, puysque nous ferions ce que nous devrions faire en ce monde.

  A003001474 

 Le monde vous dira, ma Philothee, que ces exercices et ces advis sont en si grand nombre que qui voudra les observer il ne faudra pas qu'il vaque a autre chose.

  A003001475 

 Et s'il s'en treuve qui n'ayent pas ce don en aucune sorte de degré (ce que je ne pense pas pouvoir arriver que fort rarement), le sage pere spirituel leur fera aysement suppleer le defaut par l'attention qu'il leur enseignera d'avoir, ou a lire ou a ouïr lire les mesmes considerations qui sont mises es meditations.

  A003001475 

 Il est vray, sans doute, j'ay presupposé cela, et est vray encor que chacun n'a pas le don de l'orayson mentale; mais il est vray aussi que presque chacun le peut avoir, voyre les plus grossiers, pourveu qu'ilz ayent des bons conducteurs et qu'ilz veuillent travailler pour l'acquerir, autant que la chose le merite.

  A003001475 

 Le monde dira que je suppose presque par tout que ma Philothee ait le don de l'orayson mentale, et que neanmoins chacun ne l'a pas, si que cette Introduction ne servira pas pour tous.

  A003001480 

 Advoues hardiment que vous vous essayes de mediter, que vous aymeries mieux mourir que de pecher mortellement, que vous voules frequenter les Sacremens et suivre les conseilz de vostre directeur (bien que souvent il ne soit pas necessaire de le nommer, pour plusieurs raysons).

  A003001480 

 Car cette franchise de confesser qu'on veut servir Dieu et qu'on s'est consacré a son amour d'une speciale affection est fort aggreable a sa divine Majesté, qui ne veut point que l'on ait honte de luy ni de sa Croix; et puis, elle coupe chemin a beaucoup de semonces que le monde voudroit faire au contraire, et nous oblige de reputation a la poursuite.

  A003001480 

 Que si quelqu'un vous dit que l'on peut vivre devotement [365] sans la prattique de ces advis et exercices, ne le niés pas, mais respondés amiablement que vostre infirmité est si grande qu'elle requiert plus d'ayde et de secours qu'il n'en faut pas pour les autres..

  A003001481 

 En fin, treschere Philothee, je vous conjure par tout ce qui est de sacré au Ciel et en la terre, par le Baptesme que vous avés receu, par les mammelles que Jesus Christ sucça, par le cœur charitable duquel il vous ayma et par les entrailles de la misericorde en laquelle vous esperés, continues et perseveres en cette bienheureuse entreprise de la vie devote.

  A003001482 

 «A cause des biens que j'attens,.

  A003001494 

 Animés les paroles qui y sont de vostre benediction, à ce que les ames, pour lesquelles je l'ay fait en puissent recevoir les inspirations sacrées que je leur desire, et particulierement celle d'implorer sur moy vostre immense misericorde, affin que monstrant aux autres le chemin de la devotion en ce monde, je ne sois pas repreuvé et confondu eternellement en l'autre: ains qu'avec eux je chante à jamais, pour cantique de triomphe, le mot que de tout mon cœur je prononce, pour tesmoignage de fidelité, entre les hasards de cette vie mortelle, VIVE JESUS, VIVE JESUS..

  A003001498 

 Je ne puis, ny veux, ny dois escrire en cette Introduction que ce qui a desja esté publié par nos predecesseurs sur ce sujet: ce sont les mesmes fleurs que je te presente, mon Lecteur: mais le bouquet, que j'en ay fait sera differant des leurs, à raison de la diversité de l'ageancement dont il est façonné..

  A003001498 

 La bouquetiere Glycera changeoit en tant de sortes la disposition et le meslange des fleurs, qu'elle mettoit en ses bouquets, que le peintre Pausias voulant contrefaire à l'envy cette varieté d'ouvrage demeura court, ne pouvant pas diversifier sa peinture en tant de façons comme Glycera faisoit ses bouquets: ainsi le Sainct Esprit dispose et arrange les enseignemens de devotion, qu'il donne par les langues, et les plumes de ses serviteurs, avec tant de varieté, que la doctrine estant tousjours une mesme, les discours neantmoins qui s'en font sont bien differens, selon les diverses façons desquelles ils sont composez.

  A003001499 

 Il est vray que cela est malaysé: et c'est pourquoy je desirerois que plusieurs y employassent leur soin avec plus d'ardeur qu'on n'a pas fait jusques à present, comme tout foible que je suis, je m'essaye par cet escrit, de contribuer quelque secours à ceux qui avec un courageux dessein ont commencé cette entreprise..

  A003001499 

 Mon intention est d'instruire ceux qui vivent és villes, és mesnages, en la cour, et qui par leur condition sont obligez de faire une vie commune quant à l'exterieur, lesquels bien souvent sous le pretexte d'une pretendue impossibilité ne veulent seulement pas penser à l'entreprinse de la vie devote, leur estant advis, que comme nul animal n'ose gouster de la graine de l'herbe nommée Palma Christi, qu'aussi nul ne doit pretendre à la palme de pieté, et devotion, tandis qu'il vit emmy la presse des affaires temporelles: et je leur monstre que comme les meres perles vivent emmy la mer, sans prendre nulle goutte d'eau marine, et que vers les isles Chelidoines il y a des fontaines d'eau bien douce au milieu de la mer, et que les piraustes volent dedans les flammes sans [7*] brusler leurs aisles; ainsi peut une ame genereuse et constante vivre au monde sans recevoir aucune humeur mondaine, treuver des sources d'une douce pieté au milieu des ondes ameres de ce siecle, et voler entre les flammes de tant de convoitises que le monde allume de toutes parts, sans, brusler les aisles des sacrez desirs et sainctes affections de la vie devote.

  A003001500 

 Ce n'a toutefois pas esté par mon election ou inclination que cette Introduction sort en public.

  A003001500 

 Elle depuis les communiqua à un grand, docte, et devot Religieux, lequel estimant que plusieurs en pourroient tirer du proffit, il m'exhorta fort de les faire publier: ce qui luy fut aysé de me persuader, parce que son amitié avoit beaucoup de pouvoir sur ma volonté, et son jugement une grande authorité sur le mien..

  A003001501 

 Or affin que le tout te fut plus utile et agreable, je l'ay reveu, et y ay mis quelque sorte d'entresuitte, y adjoustant plusieurs advis et enseignemens propres à mon intention: mais tout cela je l'ay fait sans nulle sorte presque de loysir.

  A003001502 

 J'adresse mes paroles à Philothee, parce que voulant reduire à l'utilité commune de plusieurs ames ce que j'avois premierement escrit pour une seule, je l'appelle du nom commun à toutes celles qui veulent estre devotes: car Philothee veut dire amatrice ou amoureuse de Dieu..

  A003001503 

 Cest aage est fort bigearre, et je prevois bien que plusieurs [8*] diront qu'il n'appartient qu'aux Religieux et gens de devotion de faire des conduites si particulieres à la pieté, qu'elles requierent plus de loisir que n'en peut avoir un Evesque chargé d'un Diocese si pesant, que cela distrait trop l'entendement qui doit estre employé à choses si importantes..

  A003001504 

 Les anciens Evesques et Peres de l'Eglise estoient pour le moins autant affectionnez à leur charge que nous: et ne laissoyent pourtant pas d'avoir soin de la conduitte particuliere de plusieurs ames qui recouroient à leur assistence: comme il appert par leurs epistres, imitans les Apostres, qui emmy la moisson generale de l'univers recueilloient neantmoins certains espics plus remarquables, avec une speciale et particuliere affection.

  A003001504 

 Mais moy, mon cher Lecteur, je te dis avec le grand sainct Denys qu'il appartient principalement aux Evesques de perfectionner les ames, d'autant que leur ordre est le supreme entre les hommes, comme celuy des Seraphins entre les Anges: si que leur loisir ne peut estre mieux destiné qu'à cela.

  A003001504 

 Qui ne sçait que Thimothee, Tite, Philemon, Onesime, saincte Thecle, Appia estoient les chers enfans du grand sainct Paul, comme sainct Marc, et saincte Petronille de sainct Pierre: saincte Petronille, dis-je, laquelle, comme preuvent doctement Baronius, et Galonius, ne fut pas fille charnelle, mais seulement spirituelle de sainct Pierre: et sainct Jean n'escrit il pas une de ses Epistres canoniques à la devote dame Electa?.

  A003001505 

 C'est une peine, je le confesse, que de conduire les ames, en particulier; mais une peine qui soulage, pareille à celle des moissonneurs et vandangeurs, qui ne sont jamais plus contens que d'estre fort embesongnés et chargés.

  A003001505 

 On dit mesme que la tygresse ayant recouvert l'un de ses petits que le chasseur luy laisse sur le chemin pour l'amuser, tandis qu'il emporte le reste de la littee, elle s'en charge pour gros qu'il soit, et pour cela n'en est point plus pesante, ains plus legere à la course qu'elle fait pour le sauver dans sa tasniere, l'amour naturel l'allegeant par ce fardeau.

  A003001506 

 Mais il faut sans doute que ce soit un cœur paternel: et c'est pourquoy les Apostres et hommes apostoliques appellent leurs disciples non seulement leurs enfans, mais encor plus tendrement leurs petits enfans.

  A003001507 

 Au demeurant, mon cher Lecteur, il est vray que j'escris de la vie devote, sans estre devot, mais non pas certes sans desir de le devenir: et c'est cette seule affection qui me pousse à t'en instruire.

  A003001507 

 Il advient souvent, dit saint Augustin, escrivant à sa devote Florentine, que l'office de distribuer sert de merite pour recevoir, et l'office d'enseigner de fondement pour apprendre..

  A003001508 

 Et comme la belle et chaste Rebecca abbrevant les chameaux de son Isaac, fut destinée pour estre son espouse, recevant de sa part des pendans d'aureille, et des brasselets d'or; ainsi je me promets de l'immense bonté de mon Dieu, que conduisant ses cheres brebis aux eaux salutaires de la devotion, il rendra mon ame son espouse, mettant en mes aureilles les paroles dorées de son sainct amour, et en mes bras la force de les bien exercer, en quoy gist l'essence de la vraye devotion; que je suplie sa souveraine Majesté me voulloir octroyer, et à tous les enfans de son Eglise, à laquelle je veux à jamais sousmetre mes escrits, mes actions, mes paroles, mes volontés, et mes pensées..

  A003001508 

 Or il m'est advis, mon Lecteur mon amy, qu'estant Evesque, Dieu veut, que je peigne sur les cœurs des personnes non seulement les vertus communes, mais encore sa tres-chere et bien aymée devotion: et moy je l'entreprens volontiers, tant pour obéir et faire mon devoir, que pour l'esperance que j'ay que la gravant dans l'esprit des autres, le mien à l'adventure en deviendra saintement amoureux: et si jamais sa divine Majesté me voit vivement espris de ce sainct amour, elle me la donnera en mariage eternel.

  A003001515 

 Et vous, ô Ames devotes, qui doucement goustez les souefves fruicts que produit l'arbre de pieté et devotion, lisez ce livre, et vous y treuverez que vous contentera, et verrez qu'en iceluy brille le zelle et l'affection du Reverendissime sieur Autheur, au salut des ames, duquel en tant d'instances la saincte Foy paroist, et le livre ne propose rien qui ne soit conforme, et à la Foy et à la saincte Eglise Chrestienne, Catholique, Apostolique et Romaine..

  A003001535 

 Vous aspirés à la devotion, ma chere Philothee, parce qu'estant Chrestienne vous sçavez que c'est une vertu extremement agreable à la divine Majesté: mais d'autant que les petites fautes que l'on commet au commencement de quelque affaire, s'agrandissent infiniment au progrez, et sont presque irreparables à la fin; il faut avant toute chose que vous sçachiez que c'est que la vertu de devotion: car parce que il n'y en a qu'une vraye, et qu'il y en a une grande quantité de fausses, et vaines, si vous ne cognoissiez quelle est la vraye, vous pourriez vous tromper, et vous amuser à suivre quelque devotion impertinente et superstitieuse..

  A003001536 

 Ainsi beaucoup de personnes se couvrent de certaines actions exterieures apartenantes à la saincte devotion: et le monde croit que ces gents là soient vrayement devots et spirituels: mais en verité ce ne sont que des statues et fantosmes de devotion..

  A003001536 

 Arelius peignoit toutes les faces des images qu'il faisoit à l'air et ressemblance des femmes qu'il aymoit, et chacun peint la devotion selon sa passion et fantesie: celuy qui est adonné au jeusne, pourveu qu'il jeusne, il se tiendra pour bien devot, quoy [13*] que son cœur soit plein de rancune; et n'osant pas tremper sa langue dedans le vin ny mesme dans l'eau, par sobrieté, ne se feindra point de la plonger dedans le sang du prochain par la medisance et calomnie; un autre s'estimera devot parce que il dit une grande multitude d'oraisons tous les jours; quoy qu'apres cela sa langue se fonde toute en parolles facheuses, arrogantes et injurieuses parmy ses domestiques et voisins: l'autre tire fort volontiers l'aumosne de sa bourse, pour la donner aux pauvres: mais il ne peut tirer la douceur de son cœur, pour pardonner à ses ennemis: l'autre pardonnera à ses ennemis, mais de tenir raison à ses creanciers, jamais qu'à vive force de justice.

  A003001536 

 Les gents de Saul cherchoient David en sa maison: Michol ayant mis une statue dedans un lict, et l'ayant couverte des habillemens de David, leur fist acroire que c'estoit David mesme qui dormoit malade.

  A003001537 

 C'est pourquoy celuy qui n'observe tous les commandemens de Dieu, ne peut estre estimé ny bon ny devot, puis que pour estre bon il faut avoir la charité, et pour estre devot il faut avoir outre la charité, une grande vivacité et promptitude aux actions charitables..

  A003001538 

 Car tout ainsi qu'un homme qui est nouvellement guery de quelque maladie, chemine autant qu'il luy est necessaire, mais lentement et pesemment: ainsi le pecheur estant guery de son iniquité, il chemine autant que Dieu le luy commande; pesemment neantmoins, et lentement jusques à tant qu'il ayt atteint à la devotion.

  A003001538 

 En fin la charité et la devotion ne sont plus differentes l'une de l'autre que la flamme du feu: d'autant que la charité estant un feu spirituel, quand elle est fort enflammee elle s'apelle devotion.

  A003001538 

 Et d'autant que la devotion gist en certain degré d'excellente charité, non seulement elle nous rend prompts, actifs et diligents à l'observation de tous les commandemens de Dieu, mais outre cela elle nous provoque à faire promptement et affectionnement le plus de bonnes œuvres que nous pouvons, encor qu'elles ne soyent nullement commandees, ains seulement conseillees ou inspirees.

  A003001538 

 Si que la devotion n'adjouste rien au feu de la charité sinon la flame qui rend la charité prompte, active et diligente..

  A003001542 

 Et le monde, ma chere Philothee, difame tant qu'il peut la saincte devotion, depeignant les personnes devotes avec un visage facheux, triste et chagrin, et publiant que la devotion donne des humeurs melancoliques et insupportables.

  A003001542 

 Mais comme Josue et Caleb protestoient que la terre promise estoit, [15*] non seulement bonne et belle, mais aussi que la possession en seroit douce et agreable: de mesme le Saint Esprit par la bouche de tous les Saints, et nostre Seigneur par la sienne mesme nous asseure que la vie devote est une vie douce, heureuse, et amyable..

  A003001543 

 Le monde voit que les devots jeusnent, prient, soufrent les injures, servent les malades, donnent aux pauvres, veillent, contreignent leur colere, suffoquent et estouffent leurs passions, se privent des plaisirs sensuels, et font telles et autres sortes d'actions, lesquelles en elles mesmes et de leur propre substance et qualité sont aspres et rigoureuses.

  A003001543 

 Les feux, les flammes, les roües, et les espees sembloient des fleurs et des parfuns aux Martyrs, parce que ils estoient devots: que si la devotion peut donner de la douceur aux plus cruels tourmens et à la mort mesme, qu'est ce qu'elle fera pour les actions de vertu?.

  A003001543 

 Regardez les abeilles sur le thin, elles y treuvent un suc fort amer: mais en le sussant elles le convertissent en miel, parce que telle est leur proprieté: ô mondains, les ames devotes treuvent beaucoup d'amertume en leur exercice de mortification: il est vray, mais en les faisant elles les convertissent en douceur et suavité.

  A003001545 

 Contemplés l'eschelle de Jacob (car c'est le vray pourtrait de la vie devote): les deux costez entre lesquels on monte, et ausquels les eschellons se tiennent, representent l'oraison qui impetre l'amour de Dieu, et les Sacremens qui le conferent: les eschellons ne sont autre chose que les divers degrez de charité, par lesquels l'on va de vertu en vertu, ou descendant par l'action au secours et suport du prochain, ou montant par la contemplation en l'union amoureuse de Dieu.

  A003001545 

 Ils ne sont pas jeunes, mais ils le semblent estre, parce qu'ils sont plains de vigueur et agilité spirituelle: ils ont des aisles pour voler, et s'eslancer en Dieu par la [16*] sainte oraison: mais ils ont des pieds aussi pour cheminer avec les hommes par une saincte et amiable conversation: leurs visages sont beaux et guays, d'autant qu'ils reçoivent toutes choses avec douceur et suavité: leurs jambes, leurs bras et leurs testes sont toutes à decouvert, d'autant que leurs pensees, leurs affections et actions n'ont nul dessein ny motif, que de plaire à Dieu: le reste de leurs corps est couvert, mais d'une belle et legere robe, parce qu'ils usent de ce monde et des choses mondaines, mais d'une façon toute pure et sincere, n'en prenant que legerement ce qui est requis pour leur condition: telles sont les personnes devotes.

  A003001549 

 Je vous prie, Philothee, seroit il à propos que l'Evesque voulut estre solitaire comme le Chartreux; et si les mariez ne vouloient rien amasser non plus que les Capucins, si l'artisan estoit tout le jour à l'Eglise comme les religieux, et si le religieux estoit tousjours au tracas des affaires comme un advocat, cette devotion ne seroit elle pas ridicule, desreglée et insuportable? Cette faute neantmoins arrive bien souvent: et le monde qui ne [17*] discerne pas, ou ne veut pas discerner entre la devotion et indiscretion de ceux qui pensent estre devots, murmure et blasme la devotion, laquelle neantmoins ne peut mays de ces desordres..

  A003001551 

 Il est mesme arrivé que plusieurs ont perdu la perfection en la solitude, qui est neantmoins si desirable pour la perfection, et l'ont conservé parmy la multitude, qui semble si peu favorable à la perfection.

  A003001551 

 Il est vray, Philothee, que la devotion purement contemplative, monastique, et religieuse ne se peut pas exercer en ces vocations: mais aussi, outre ces trois sortes de devotion, il y en a plusieurs autres propres à perfectionner ceux qui vivent és estats seculiers.

  A003001551 

 Loth, dit S. Gregoire, qui fut si chaste en la ville, se souilla en la solitude: où que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à la vie parfaite.

  A003001555 

 C'est icy l'advertissement des advertissemens; quoy que vous cherchiez, dit le devot Avila, vous ne trouverés jamais si asseurement la volonté de Dieu, que par le chemin de cette humble obeïssance tant recommandée et pratiquée par tous les anciens devots..

  A003001556 

 La bien heureuse mere Therese, voyant que madame Catherine de Cardone faisoit de grandes penitences, elle desira fort de l'imiter en cela, contre l'advis de son Confesseur qui le luy defendoit, auquel elle estoit tentée de ne point obéir en cet endroit; et Dieu luy dit: Ma fille, tu tiens un bon et asseuré chemin: vois tu la penitence qu'elle fait? mais moy je fais plus de cas de ton obéissance: aussi elle aimoit tant ceste vertu, qu'outre l'obeïssance qu'elle devoit à ses Supérieurs, elle en voila une toute particulière à un excellent homme, s'obligeant de suyvre sa direction et conduite: dont elle fut infiniment consolee, comme après et devant elle plusieurs bonnes ames, qui pour se mieux assubjetir à Dieu ont soubmis leur volonté à celle de ses serviteurs, ce que sainte Catherine de Sienne louë infiniment en ses Dialogues.

  A003001557 

 Puis qu'il vous importe tant, Philothee, d'aller avec une bonne guide en ce saint voyage de devotion, priez Dieu avec une grande instance, qu'il vous en fournisse d'une qui soit selon son cœur: et ne doutés point que quant il devroit envoyer un Ange du Ciel, comme il fit au jeune Tobie, il vous en donnera une bonne et fidelle..

  A003001558 

 Si que vous le devez escouter comm' un Ange qui descend du Ciel pour vous y mener.

  A003001558 

 Traictés avec luy à cœur ouvert, en toute sincerité et fidelité, luy manifestant clairement vostre bien et vostre mal sans faintise ny dissimulation: et par ce moyen vostre bien sera examiné et plus asseuré, et vostre mal sera corrigé et remedié: vous en serez allegée et fortifiée en vos afflictions, moderée, et reglée en vos consolations: ayés en luy une extreme confiance, meslée d'une sacrée reverence: en sorte que la reverence ne diminue point la confiance, et que la confiance n'empesche point la reverence: confiez vous en luy avec le respect d'une fille envers son pere: respectés le avec la confiance d'un fils envers sa mere: bref cette amitié doit estre forte et douce, toute saincte, toute sacrée, toute divine, et toute spirituelle..

  A003001559 

 Et pour cela choisissez en un entre mille, dit Avila, et moy je dis entre dix mille: car il s'en treuve moins que l'on ne sçauroit dire qui soient capables de cest office.

  A003001563 

 C'est le commancement de nostre santé que d'estre purgé de nos humeurs peccantes..

  A003001564 

 L'ame qui remonte du peché à la devotion est comparée à l'aube laquelle s'eslevant ne chasse pas les tenebres en mesme instant, mais petit à petit: la guerison, dit l'aphorisme, qui se fait tout bellement, est tousjours la plus asseurée: les maladies du cœur aussi bien que celles du corps viennent à cheval et en poste, mais elles s'en revont à pied et au petit pas.

  A003001564 

 La purgation et guerison ordinaire, soit des corps, soit des esprits, ne se fait que petit à petit, par progrez d'avancement en advencement avec peine et loisir.

  A003001564 

 Mais cette sorte de purgation est toute miraculeuse et extraordinaire en la grace, comme la resurrection des morts en la nature: si que nous ne devons pas y pretendre.

  A003001565 

 Il reste doncques seulement qu'elles ne nous facent point perdre le courage; delivre moy Seigneur, disoit David, de la couhardise et decouragement: c'est une heureuse condition pour nous en cette guerre, que tandis que nous combattons nous sommes vaincueurs..

  A003001565 

 Mais aussi de l'autre costé n'est ce pas [21*] un extreme danger aux ames, lesquelles par une tentation contraire se font à croire d'estre purgées de leurs imperfections le premier jour de leur purgation, se tenant pour parfaites avant presque que d'estre faites, et se mettant au vol sans aisles.

  A003001565 

 O Philothee, qu'elles sont en grand peril de recheoir, pour s'estre trop tost ostées d'entre les mains du medecin! Ha ne vous levez pas avant que la lumiere soit arrivée, dit le Prophete: levez vous apres que vous aurez esté assis; et luy mesme pratiquant cette leçon, ayant esté desja lavé et nettoyé demande de l'estre derechef.

  A003001565 

 Or les imperfections et pechez veniels ne nous sçauroient oster la vie spirituelle, car elle ne se perd que par le peché mortel.

  A003001565 

 Or, ce n'est pas leur consentir que de recevoir des incommoditez d'icelles: il faut bien que pour l'exercice de nostre humilité nous soyons quelque fois blessez en cette bataille spirituelle: mais nous ne sommes jamais tenus pour vaincus sinon lors que nous avons perdu ou la vie, ou le courage.

  A003001569 

 Cerches le plus digne Confesseur que pourrez: prenez en main quelqu'un des petits livrets qui ont esté faits pour ayder les consciences à se bien confesser, comme Grenade, Bruno, Arias, Auger: lisez les bien, et remarqués de poinct en poinct en quoy vous aurez offencé, à prendre depuis que vous eustes l'usage de raison, jusques à l'heure [22*] presente.

  A003001569 

 Et si vous vous defiez de vostre memoire, mettez en escript ce que vous aurez remarqué: et ayant ainsi preparé et ramassé les humeurs peccantes de vostre conscience, detestez les, et rejettés les, par une contrition et deplaisir aussi grand que vostre cœur le pourra souffrir, considerant ces quatres choses.

  A003001569 

 Que par le peché vous avez perdu la grace de Dieu, quitté vostre part de Paradis, accepté les peines eternelles de l'Enfer, et renoncé à la vision et à l'amour eternel de Dieu..

  A003001570 

 Ains il advient maintefois que l'on se va confesser avec une volonté tacite de retourner au peché, d'autant qu'on ne veut pas esviter l'occasion du peché, ny prendre les expedients necessaires à l'amandement de la vie: et en tous ces cas icy la confession generalle est fort requise pour asseurer l'ame.

  A003001570 

 Il arrive souvent que les confessions ordinaires de ceux qui vivent une vie commune et vulgaire sont pleines de grands deffauts: car souvent on ne se prepare point, ou fort peu, on n'a point la contrition requise.

  A003001570 

 Vous voyez bien, Philothee, que je parle d'une confession generalle de toute la vie, laquelle je confesse bien n'estre pas absolument necessaire.

  A003001574 

 Helas que telles gens sont en grand peril!.

  A003001574 

 Ils s'abstiennent du peché, comme les malades font des melons: lesquels ils ne mangent pas, parce que le medecin les menasse de mort s'ils en mangent: mais ils s'inquietent de s'en abstenir: ils en parlent, et marchandent s'il se pourroit faire: ils les veulent au moins sentir, et estiment bien heureux ceux qui en peuvent manger.

  A003001574 

 Un homme resolu de se venger, changera de volonté en la confession; mais tost apres on le treuvera parmy ses amis qu'il prend plaisir à parler de sa querelle, disant que si ce n'eut esté la crainte de Dieu, il eut fait cecy et cela, que la loy divine en cet article de pardonner est difficile: que pleust à Dieu, qu'il fut permis de se venger! Ha qui ne voit qu'encor que ce pauvre homme soit hors du peché, il est neantmoins tout embarrassé de l'affection du peché, et qu'estant hors d'Egypte en effect il y est encor en appetit, desirant les aulx et les oignons qu'il y souloit manger: comme fait cette femme, qui ayant detesté ses mauvaises amours se plaist neantmoins d'estre muguettée et environnée.

  A003001575 

 Les ames lesquelles sorties de l'estet du peché ont encor ces affections, et alanguissemens, ressemblent à mon advis à ces filles qui ont les pasles couleurs; lesquelles ne sont pas malades, mais toutes leurs actions sont malades: elles mangent sans goust, dorment sans repos, rient sans joye, et se trainent plustost que de cheminer.

  A003001575 

 O Philothee, puis que vous voulez entreprendre la vie devote, il ne vous faut pas seulement quitter le peché, mais il faut tout [24*] à fait emonder vostre cœur et retrancher de vostre ame toutes les affections qui dependent du peché: car outre le danger, qu'il y auroit de faire recheute, toutes ces affections alanguiroient perpetuellement vostre esprit, et l'apesantiroient en telle sorte, qu'il ne pourroit pas faire les bonnes œuvres promptement, diligemment, et frequemment, en quoy gist neantmoins la vraye essence de la devotion.

  A003001579 

 Ainsi Magdaleine en sa conversion perdit tellement le goust des pechez, et des plaisirs qu'elle y avoit prins, que jamais plus elle n'y pensa: et David protestoit de non seulement haïr le peché, mais aussi toutes les voyes et sentiers d'iceluy: en ce poinct consiste le rajeunissement de l'ame, que ce mesme Prophete compare au renouvellement de l'aigle..

  A003001579 

 Car tout ainsi que la contrition, pourveu qu'elle soit vraye, pour petite qu'elle soyt estant joincte à la vertu des Sacremens, nous purge suffisemment du peché; de mesme quand elle est grande, et vehemente elle nous purge de toutes les affections qui dependent du peché.

  A003001579 

 Mais si c'est une haine mortelle, et violente, non seulement nous fuyons, et aborrons celuy à qui nous la portons, ains nous avons à degoust, et ne pouvons souffrir la conversation de ses alliez, parens et amis, non pas mesme son image ny chose qui luy apartient: ainsi quand le penitent ne hayt le péché que par une legere quoy que vraye contrition, il se resoult voirement bien de ne plus pecher: mais quand il le hayt d'une contrition puissante, et vigoureuse, non seulement il deteste le peché, ains encor toutes les affections, dependances, et acheminemens [25*] du peché.

  A003001579 

 Or le premier moyen, et fondement de cette seconde purgation, c'est la vive, et forte apprehension du grand mal que le peché nous aporte: par le moyen de laquelle nous entrons en une profonde, et vehemente contrition.

  A003001579 

 Une haine ou rancune foible, et debile, nous fait avoir à contre-cœur celuy que nous hayssons, et nous fait fuir sa compagnie.

  A003001580 

 Or pour parvenir à cette apprehension, et contrition, il faut que vous vous exerciez soigneusement aux meditations suyvantes, lesquelles estant bien pratiquées deracineront de vostre cœur moyennant la grace de Dieu, le peché, et les principalles affections du peché: aussi les ay je dressées tout à fait pour cest usage: vous les ferez l'une apres l'autre, selon que je les ay marquées, n'en prenant qu'une pour chasque jour, laquelle vous ferez le matin s'il est possible, qui est le temps le plus propre pour toutes les actions de l'esprit..

  A003001589 

 Considerez qu'il n'y a que tant d'ans que vous n'estiez point au monde, et que vostre estre estoit un vray rien.

  A003001590 

 Dieu par sa seule bonté vous a fait esclorre de ce rien pour vous rendre ce que vous estes, sans qu'il eust besoin de vous, ains par sa seule bonté.

  A003001591 

 Considerez l'estre que Dieu vous a donné, car c'est le premier estre du monde visible, capable de vivre eternellement, et de s'unir parfaitement à sa divine Majesté..

  A003001594 

 Humiliez vous profondement devant Dieu, disant de cœur avec le Psalmiste; O Seigneur je suis devant vous comme un vray rien: et comment eustes vous memoire de moy pour me creer? helas, mon ame, tu estois abismee dans cest ancien neant, et y serois encores de present, si Dieu ne t'en eust retirée: et que ferois tu dedans ce rien?.

  A003001595 

 O mon grand, et bon Createur, combien vous suis je redevable, puis que vous m'estes allé prendre dans mon rien pour me rendre par vostre misericorde ce que je suis.

  A003001595 

 Qu'est ce que je feray jamais, pour dignement benir vostre saint nom, et remercier vostre immense bonté?.

  A003001596 

 Mais helas, mon Createur, en lieu de m'unir à vous par amour, et service, je me suis rendue toute rebelle par mes desreglees affections, me separant, et eslognant de vous, pour me joindre au peché et à l'iniquité, n'honorant non plus vostre bonté que si vous n'eussiez pas esté mon Createur..

  A003001599 

 O mon ame sçache que le Seigneur est ton Dieu: c'est luy qui t'a fait, et tu ne t'es pas faitte toy mesme.

  A003001604 

 Benis, ô mon ame, ton Dieu, et que toutes mes entrailles louent son saint nom, car sa bonté m'a tirée du rien, et sa misericorde m'a créee..

  A003001605 

 O mon Dieu, je vous offre l'estre que vous m'avez donné aveç tout mon cœur, je le vous dedie, et consacre.

  A003001607 

 Au sortir de l'oraison en vous promenant un peu, recueilles un petit bouquet de devotion des considerations que vous aurez faites, pour l'odorer le long de la journée..

  A003001617 

 Considerés le malheur du monde qui ne pense point à cela, mais vit comme s'il croyoit de n'estre creé que pour bastir des maisons, planter des arbres, assembler des richesses, et faire des badineries..

  A003001620 

 Confondez vous, reprochant à vostre ame sa misere, qui a esté si grande cy devant, qu'elle n'a que peu ou point pensé à tout cecy.

  A003001620 

 Helas, ce direz vous, que pensois je, ô mon Dieu, quand je ne pensois point en vous? dequoy me resouvenois je quand je vous oubliois? qu'aimois je quand je ne vous aymois pas? helas je me devois repaistre de la verité, et je me remplissois de la vanité, et servois le monde qui n'est fait que pour me servir.

  A003001628 

 Quand sera ce que j'en seray digne, et quand vous beniray je selon mon devoir?.

  A003001628 

 Vous m'avez faite, ô Seigneur, pour vous, afin que je jouisse eternellement de l'immensité de vostre gloire.

  A003001638 

 Considerés les graces corporelles, que Dieu vous a donnees, quel corps, quelles commoditez de l'entretenir; quelle santé, quelles consolations loisibles pour iceluy, quels amis, quelles assistances.

  A003001638 

 Mais cela considerez le avec une comparaison de tant d'autres personnes qui valent mieux que vous, lesquelles sont destituees de ces benefices: les uns gastez de corps, de santé, de membres: les autres abandonnez à la mercy des opprobres, du mespris et deshonneur: les autres accablez de pauvreté; et Dieu n'a pas voulu que vous fussiez si miserable..

  A003001643 

 O que mon Dieu est bon en mon endroict! ô qu'il est bon! ô que vostre cœur, Seigneur, est riche en misericorde et liberal en debonnaireté! ô mon ame racontons à jamais combien de graces il nous a faites.

  A003001644 

 Mais que suis je, Seigneur, que vous ayez eu memoire de moy? O que mon indignité est grande! helas j'ay foulé aux pieds vos benefices, ay deshonoré vos graces, convertissant en abus, et mespris vostre souveraine bonté: j'ay opposé l'abisme de mon ingratitude à l'abisme de vostre faveur et grace..

  A003001662 

 Considerez vos mauvaises inclinations, et combien vous les avez suivies: et par ces deux poincts vous verrez que vos coulpes sont en plus grand nombre que les cheveux de vostre teste, voire, que le sable de la mer..

  A003001662 

 Pensez combien il y a que vous commencez à pecher, et voyez combien dés ce premier commancement là, les pechez se sont multipliez en vostre cœur: comme tous les jours vous les avez acreu contre Dieu, contre vous mesme, contre le prochain, par œuvre, par parolle, par desir et pensee.

  A003001663 

 Avec quelle preparation les avez vous receuz? pensez à cette ingratitude, que Dieu vous ayant tant couru apres, pour vous sauver, vous avez tousjours fuy devant luy pour vous perdre..

  A003001663 

 Considerez à part le peché d'ingratitude envers Dieu, qui est un peché general qui s'espanche par tous les autres, et les rend infiniment plus enormes: voyez donques combien de benefices Dieu vous a fait, et que de tous vous avez abusé contre le donateur; singulierement combien d'inspirations mesprisées, combien de bons mouvemens rendus inutiles.

  A003001663 

 Et encor plus que tout, combien de fois avez vous receu les Sacremens et où en sont les fruits? que sont devenus ces precieux joyaux dont vostre cher Espoux vous avoit ornee? tout cela a esté couvert sous vos iniquitez.

  A003001666 

 Est il possible que j'aye esté si desloyalle que je n'aye laissé pas un seul de mes sens, pas une des puissances de mon ame que je n'aye gasté, violé et souillé? et que pas un jour de ma vie ne se soit escoulé auquel je n'aye produit de si mauvais effects? est ce ainsi que je devois contrechanger les benefices de mon Createur, et le sang de mon Redempteur? [32*].

  A003001668 

 Helas je ne l'ay que trop aymé: je le deteste et vous embrasse, ô Pere de misericorde, je veux vivre et mourir en vous..

  A003001671 

 Pour effacer les pechez passez je m'en accuseray courageusement, et n'en laisseray pas un que je ne pousse dehors..

  A003001672 

 Je feray tout ce que je pourray pour en desraciner entierement les plantes de mon cœur, particulierement de tels et de tels qui me sont plus ennuyeux..

  A003001686 

 Quand sera ce? sera ce en hyver ou en esté? en la ville ou au village? de jour ou de nuict? Sera ce [33*] à l'impourveu ou avec advertissement? Sera ce de maladie ou d'accident? Aurez vous le loisir de vous confesser ou non? Serez vous assistée de vostre Confesseur et pere spirituel, ou non? Helas de tout cela nous n'en sçavons rien du tout: seulement cela est asseuré que nous mourrons et tousjours plus tost que nous ne pensons..

  A003001687 

 Ah chetifve pour quelles bagatelles et chimeres ay je offencé mon Dieu! Vous verrez que nous avons quitté Dieu pour neant: au contraire la devotion, les bonnes œuvres vous sembleront alors si desirables, et douces.

  A003001688 

 Considerez les grands et langoureux à Dieu que vostre ame dira à ce bas monde.

  A003001689 

 Considerez les empressemens qu'on aura pour lever ledit corps, et le cacher en terre, et que cela fait, le monde ne pensera plus guere en vous, ny n'en fera plus memoire, non plus que vous n'avez guere pensé aux autres.

  A003001689 

 O mort que tu es considerable? que tu es impiteuse?.

  A003001690 

 Helas où ira la vostre? quelle voye tiendra elle? non autre que celle qu'elle aura commancée en ce monde..

  A003001693 

 Las Seigneur, recevez moy en vostre protection pour ce jour effroyable: rendez moy cette heure heureuse et favorable, et que plustost toutes les autres de ma vie me soient tristes et d'affliction..

  A003001694 

 Puis que je ne sçay l'heure en laquelle il te faut quiter, ô monde je ne me veux point atacher à toy: ô mes chers amys, mes cheres aliances permettez moy que je ne vous affectionne plus, que par une amitié sainte, laquelle puisse durer eternellement: car pourquoy m'unir à vous en sorte qu'il faille quitter et rompre la liaison? [34*].

  A003001708 

 En fin, apres le temps que Dieu a marqué pour la duree de ce monde, et apres une quantité de signes, et presages horribles pour lesquels les hommes secheront d'effroy, et de crainte; le feu venant comm' un deluge bruslera, et reduira en cendre toute la face de la terre, sans qu'aucune des choses que nous voyons sur icelle en soit exempte..

  A003001710 

 Considerez la majesté avec laquelle le souverain Juge comparoistra, environné de tous les Anges et Saincts, ayant devant soy sa Croix plus reluisante que le Soleil, enseigne de grace pour les bons, et de rigueur pour les mauvais..

  A003001713 

 Allez, dit-il (c'est un mot d'abandonnement perpetuel, que Dieu faict de tels mal heureux, les bannissant pour jamais de sa face).

  A003001713 

 Il adjouste, au feu eternel: regardez ô mon cœur, cette grande eternité: ô eternelle eternité de peines, que tu es effroyable!.

  A003001721 

 Ah je me veux juger moy mesme maintenant, afin que je ne sois pas jugé.

  A003001721 

 Je veux examiner ma conscience, et me condamner, m'accuser, et me corriger, afin que le Juge ne me condamne en ce jour redoutable: je me confesseray donc, j'accepteray les advis necessaires, etc..

  A003001735 

 Les damnez sont dedans l'abisme infernal comme dedans cette ville infortunee, en laquelle ils souffrent des tourments indicibles en tous leurs sens, et en tous leurs membres: parce que comme ils ont employé tous leurs sens, et leurs membres pour pecher, ainsi souffriront ils en tous leurs membres, et en tous leurs sens, les peines deües au peché.

  A003001735 

 Les yeux pour leurs faux et mauvais regards, souffriront l'horrible vision des diables, et de l'enfer: les oreilles pour avoir pris plaisir aux discours vicieux n'ouïront jamais que pleurs, lamentations, et desespoirs, et ainsi des autres..

  A003001736 

 Que si Absalon treuva que la privation de la face amiable de son pere David, estoit plus ennuyeuse que son exil; ô Dieu, quel regret d'estre à jamais privé de voir vostre doux et souëve visage..

  A003001740 

 O mon ame pourrois tu bien vivre eternellement avec ces ardeurs perdurables, et emmy ce feu devorant? veux tu bien quitter ton Dieu pour jamais? Confessez que vous l'avez merité, mais combien de fois.

  A003001752 

 O que ce lieu est desirable et amiable! Que cete Cité est precieuse..

  A003001752 

 Or joignez maintenant cette beauté avec celle d'un beau jour: en sorte que la clarté du Soleil n'empesche point la claire veüe des estoilles ny de la lune; et puis apres dittes hardiment que toute cette beauté mise ensemble n'est rien au prix de l'excellence du grand Paradis.

  A003001753 

 O que cette compagnie est heureuse! le moindre de tous est plus beau à voir que tout ce monde, que sera-ce de les voir tous? Mais mon Dieu, qu'ils sont heureux! Tousjours ils chantent le doux cantique de l'amour eternel, tousjours ils jouissent d'une constante allegresse: ils s'entre-donnent les uns aux autres des contentemens indicibles, et vivent en la consolation d'une heureuse, et indissoluble societé..

  A003001757 

 O que vous estes belle, ma chere Hierusalem, et que bien heureux sont vos habitans!.

  A003001759 

 O puis qu'il vous a pieu, mon bon, et souverain Seigneur, redresser mes pas en vos voyes, non jamais plus je ne retourneray en derriere: allons, ô ma chere ame, allons en ce repos infini: cheminons à cette benite terre qui nous est promise: que faisons nous en cet Egypte?.

  A003001774 

 Imaginez vous d'estre en une raze campagne toute seule avec vostre bon Ange, comme estoit le jeune Tobie allant en Rages, et qu'il vous fait voir en haut le Paradis ouvert avec les plaisirs representés en la meditation du Paradis que vous avez faite: puis du costé d'embas il vous fait voir l'enfer ouvert avec tous les tourments descrits en la meditation de l'enfer.

  A003001775 

 Considerez qu'il est tres vray que vous estes au milieu du Paradis, et de l'enfer, et que l'un, et l'autre est ouvert pour vous recevoir selon le choix que vous en ferez..

  A003001776 

 Considerez que le choix que l'on fait de l'un ou de l'autre en ce monde durera eternellement en l'autre..

  A003001777 

 Et encor que l'un, et l'autre soit ouvert pour vous recevoir selon que vous le choisirez, si est ce que Dieu qui est appareillé de vous donner, ou l'un par sa justice, ou l'autre par sa misericorde, desire neantmoins d'un desir nompareil que vous choisissiez le Paradis, et que vostre bon Ange vous en presse de tout son pouvoir, vous offrant de la part de Dieu mille graces, et mille secours pour vous ayder à la montee..

  A003001778 

 Courage, ma fille, ne vueille pas mespriser les desirs de mon Fils, ny tant de souspirs que je jette pour toy, respirant avec luy ton salut eternel.

  A003001778 

 Qui considerera bien le chemin de la devotion par lequel nous sommes montés, il verra que nous sommes venus en ces delices, par des delices incomparablement plus souëfves que celles du monde..

  A003001778 

 Voyez saint Louys, qui vous exhorte, et un million de sainctes Dames qui vous convient doucement, desirans de voir un jour vostre cœur joinct au leur pour loüer Dieu à jamais: et vous asseurent que le chemin du Ciel n'est point si mal aysé que le monde le fait: Hardiment, vous disent elles, hardiment, [40*] treschere sœur.

  A003001781 

 O Jesus, mon Sauveur, j'accepte vostre amour eternel, et advoüe l'acquisition que vous avez faite pour moy d'une place, et logis en cette bien heureuse Hierusalem, non tant pour aucune autre chose, comme pour vous aimer, et benir à jamais..

  A003001781 

 O enfer, je te deteste maintenant, et eternellement je deteste tes tourmens, et tes peines: je deteste ton infortunée, et malheureuse eternité, et sur tout tes eternelles blasphemes, et maledictions que tu vomis eternellement contre mon Dieu: et retournant mon cœur, et mon ame de ton costé, ô Paradis, ô gloire eternelle, ô felicité perdurable, je choisis à jamais, et irrévocablement mon domicile, et mon sejour dedans tes belles, et sacrées maisons, et en tes saints, et desirables Tabernacles.

  A003001782 

 Acceptez les faveurs que la Vierge, et les Saincts vous presentent: promettez leur que vous vous acheminerez à eux: tendez la main à vostre bon Ange, affin qu'il vous y conduise, encouragez vostre ame à ce choix..

  A003001793 

 Voyez comme ils sont tous sans repos, sans ordre, et sans contenance, voyez comme ils se mesprisent les uns les autres, comme ils ne s'aiment les uns les autres que par des faux semblans.

  A003001794 

 Ceux qui ont des afflictions en ce peuple devot, ne se tourmentent pas beaucoup, et n'en perdent point contenance; bref, voyez les yeux du Sauveur qui les console, et que tous ensemblement ils aspirent à ce Sauveur..

  A003001794 

 Qu'il fait beau voir cette troupe de Vierges plus blanches que le lys! cette assemblee de vefves sainctes pleines d'une sainte mortification, et humilité.

  A003001795 

 Vous avez meshuy quitté le premier Roy avec sa triste, et mal heureuse troupe, par les bonnes affections que vous avez conceues, et neantmoins vous n'estes pas encore arrivee au second Roy, ny jointe à son heureuse, et sainte compagnie de devots: mais vous estes entre l'un et l'autre..

  A003001797 

 Le Roy crucifié vous appelle par vostre nom propre: venez, ô ma bien aymee, venez à fin que je vous couronne.

  A003001803 

 O mon sainct Ange presentez moy à cette saincte assemblee, et ne m'abandonnez point, jusques à ce que j'arrive avec cette heureuse compagnie, avec, laquelle je dis, et diray à jamais pour tesmoignage de mon chois, Vive Jesus, vive Jesus..

  A003001809 

 C'est pourquoy je vous presente une simple et briefve methode de [43*] pratiquer, en attendant que par la lecture de plusieurs beaux livres qui ont estez composez sur ce sujet, et sur tout par l'usage vous en puissiez estre plus amplement instruite..

  A003001811 

 Ce fut l'apprehension de David quand il s'escrioit: Si je monte au Ciel, ô mon Dieu, vous y estes; si je descends en enfer vous y estes: et ainsi nous devons user des parolles de Jacob, lequel ayant veu l'eschelle sacree: ô que ce lieu, dit il, est redoutable; vrayement Dieu est icy, et je n'en sçavois rien: il veut dire qu'il n'y pensoit pas, car au reste il ne pouvoit ignorer que Dieu ne fut en tout, et par tout.

  A003001811 

 Helas Philothee, nous ne voyons pas Dieu qui nous est present: et bien que la foy nous advertisse de sa presence, si est ce que ne le voyans pas de nos yeux, nous nous en oublions bien souvent, et lors nous nous comportons comme si Dieu estoit bien loing de nous: car encor que nous sçachions bien qu'il est present à toutes choses, si est ce que n'y pensant point, c'est tout autant comme si nous ne le sçavions pas: c'est pourquoy tousjours avant l'oraison, il faut provoquer nostre ame à une atentive pensee, et consideration de cette presence de Dieu.

  A003001811 

 Le premier gist en une vive, et attentive aprehension de la toute-puissance de Dieu; c'est à dire que Dieu est en tout, et par tout, et qu'il n'y a lieu ny chose au monde où il ne soit, d'une tres veritable presence: de sorte que comme les oyseaux où qu'ils volent rencontrent tousjours l'air, ainsi où que nous allions, où que nous soyons nous trouvons Dieu present: chacun sçait cette verité, mais chacun n'est pas attentif à l'apprehender.

  A003001811 

 Les aveugles ne voyant pas un Prince qui leur est present, ne laissent pas de se maintenir en respect, s'ils sont advertis de sa presence: mais la verité est que parce que ils ne le voyent pas, ils s'oublient aysement qu'il soit present, et s'en estans oubliez ils perdent encore plus aysement le respect, et la reverence.

  A003001812 

 Le second moyen de se mettre en cette sacrée presence, c'est de penser, que non seulement Dieu est au lieu où vous estes, mais qu'il est tres particulierement en vostre cœur, et au fond de vostre esprit, lequel il vivifie, et anime de sa divine presence, estant là comme le cœur de vostre cœur, et l'esprit de vostre esprit: car comme l'ame est respandue par tout le corps, se trouvant presente [44*] en toutes les parties d'iceluy, et reside neantmoins au cœur d'une specialle residence: de mesme Dieu estant tres present à toutes choses, assiste toutefois d'une specialle façon à nostre esprit: et pour cela David appelloit Dieu, Dieu de son cœur, et sainct Paul disoit que nous vivons, nous nous mouvons, et sommes en Dieu.

  A003001813 

 Car encor que nous le voyons pas, si est ce que de là haut il nous considere.

  A003001813 

 S. Estienne le vist ainsi au temps de son martyre: si que nous pouvons bien dire avec l'Espouse: Le voilà qu'il est derriere la paroy, voyant par les fenestres, regardant par les treillis..

  A003001814 

 La quatriesme façon consiste à se servir de la simple imagination, nous representans le Sauveur en son humanité sacrée, comme s'il estoit pres de nous: ainsi que nous avons accoustumé de nous representer nos amis, et de dire: je m'imagine de voir un tel qui fait cecy, et cela: il me semble que je le vois, et chose semblable.

  A003001814 

 Mais si le tressaint Sacrement de l'autel estoit present, allors cette presence seroit reelle, et non purement imaginaire: car les especes et aparences du pain seroient comme une tapisserie dessous laquelle nostre Seigneur estant reellement present, il nous voit, et considere, quoy que nous ne le voyons pas en sa propre forme.

  A003001818 

 Que si vous le voulez, vous pourrez user de quelques parolles courtes, et enflammées, comme sont celles-cy de David; Ne me rejetez point, ô mon Dieu, de devant vostre face, et ne m'ostez point la faveur de vostre Saint Esprit: esclairez vostre face sur vostre servante, et je considereray vos merveilles: donnez moy l'entendement, et je regarderay vostre loy, et la garderay de tout mon cœur: je suis vostre servante, donnez moy l'esprit, et telles semblables à cela.

  A003001818 

 Vostre ame se sentant en la presence de Dieu, se prosterne en une extreme reverence, se reconnoissant tres-indigne de demeurer devant une si souveraine Majesté: et neantmoins sçachant que cette mesme bonté le veut, elle luy demande la grace de la bien servir, et adorer en cette meditation.

  A003001818 

 Vous servira encore adjouster l'invocation de vostre bon Ange, et des sacrées personnes qui se trouverent ou qui se treuveront au mystere que vous meditez; comme en celuy de la mort de nostre Seigneur, vous pourrez invoquer nostre Dame, S. Jean, Magdelene, le bon larron, afin que les sentimens, et mouvemens interieurs qu'ils y receurent vous soyent communiquez: et en la meditation de vostre mort, vous pourrez invoquer vostre bon Ange, qui se trouvera presant, afin qu'il vous inspire des considerations convenables, et ainsi des autres mysteres.

  A003001821 

 C'est celuy que les uns appellent fabrication du lieu, et les autres leçon interieure.

  A003001821 

 Il est vray que l'on peut bien employer quelque similitude et comparaison pour ayder la consideration: mais cela est plus difficile à rencontrer, et je ne veux traitter avec vous que fort simplement, et en sorte que vostre esprit ne soit pas beaucoup travaillé à faire des inventions.

  A003001821 

 J'en dis de mesme quand vous mediterés la mort, ainsi que je l'ay marqué en la meditation d'icelle.

  A003001821 

 Mais cela est trop subtil [47*] pour le commencement: et jusques à ce que Dieu vous esleve plus haut, je vous conseille, ô Philothee, de vous tenir en la basse vallee que je vous ay monstree..

  A003001821 

 Or ce n'est autre chose, que de proposer à son imagination le corps du mystere que l'on veut mediter, comme s'il se passoit reellement, et de fait en nostre presence.

  A003001821 

 Or par le moyen de cette imagination nous enfermons nostre esprit dans le mystere que nous voulons mediter, afin qu'il n'aille pas courant ça, et là, ne plus ne moins que l'on enferme un oyseau dans une cage, ou bien comme l'on attache l'espervier à ses longes afin qu'il demeure dessus le poing.

  A003001821 

 Ou si vous voulez (car c'est tout un) vous vous imaginerez qu'au lieu mesme où vous estes se fait le crucifiement de nostre Seigneur, en la façon que les Evangelistes le descrivent.

  A003001821 

 Par exemple si vous voulez mediter nostre Seigneur en croix, vous vous imaginerez d'estre au mont de Calvaire, et que vous voyez tout ce qui se fait, et tout ce qui se dit.

  A003001821 

 Quelques uns vous diront neantmoins qu'il est mieux d'user de la simple pensee de la foy, et d'une simple apprehension toute mentale, et spirituelle en la representation de ces mysteres, ou bien de considerer que les choses se font en nostre propre esprit.

  A003001825 

 Apres l'action de l'imagination s'ensuit l'action de l'entendement que nous appelions meditation, qui n'est autre chose qu'une ou plusieurs considerations faites afin d'esmouvoir nos affections en Dieu, et aux choses divines: en quoy la meditation est differente de l'estude, et des autres pensees, et considerations, lesquelles ne se font pas pour acquerir la vertu ou l'amour de Dieu, mais pour quelques autres fins, et intentions.

  A003001825 

 Ayant doncques enfermé vostre esprit, comme j'ay dit, dans l'enclos du sujet que vous voulez mediter, ou par imaginations, si le sujet est sensible, ou par la simple proposition, s'il est insensible, vous commencerez à faire sur iceluy des considerations, dont vous verrez des exemples tous formez es meditations, que je vous ay données.

  A003001825 

 Que si vostre esprit treuve assez de goust, de lumiere, et de fruict sur l'une des considerations, vous vous y arresterez sans passer plus outre, faisant comme les abeilles, qui ne quittent point la fleur tandis qu'elles y treuvent du miel à receuillir.

  A003001829 

 C'est cela que nous avons appellé affections.

  A003001829 

 Or elles sont diverses selon la varieté des sujets que nous meditons.

  A003001829 

 Que si vous voulez estre aydee pour cela, prenez en main le premier tome des meditations de don André Capilia, et voyez sa preface: car en icelle il monstre la façon avec laquelle il faut dilater ses affections..

  A003001833 

 Il ne faut pas pourtant, Philothee, s'arrester tant à ces affections generalles que vous ne les convertissiez en des resolutions specialles, et particulieres pour vostre correction, et amendement.

  A003001833 

 Or je dis maintenant que cela est peu de chose, si vous n'y adjoustez une resolution specialle en cette sorte: or sus doncques je ne me picqueray plus des parolles facheuses, [49*] qu'un tel, et une telle, mon voisin ou ma voisine, mon domestique, ou ma domestique disent de moy, ny de tel et tel mespris qui m'est fait par cestuy cy ou cestuy là: au contraire je diray, et feray telle, et telle chose pour le gaigner, et adoucir, et ainsi des autres affections.

  A003001833 

 Par exemple la premiere parolle que nostre Seigneur dit sur la Croix respendra sans doute une bonne affection en vostre ame de pardonner à vos ennemis, et de les aimer.

  A003001837 

 En fin il faut conclure la meditation par ces trois actions qu'il faut faire avec le plus d'humilité que l'on peut: dont la premiere c'est l'action de graces, remerciant Dieu des affections, et resolutions qu'il nous a données, et de sa bonté, et misericorde que nous aurons decouvertes au mystere de la meditation; la seconde c'est l'action d'offrande, par laquelle nous offrons à Dieu sa mesme bonté, et misericorde, la mort, le sang, les vertus de son Fils: et conjointement nos affections, et resolutions: et la troisiesme action est celle de la supplication, par laquelle nous demandons à Dieu, et le conjurons de nous communiquer les graces, et vertus de son Fils, et de donner sa benediction à nos affections et resolutions, afin que nous les puissions bien fidellement executer: nous prions de mesme pour l'Eglise, pour nos pasteurs, parens, amis, et autres, employans à mesme intention l'intercession de nostre Dame, des Anges, des Saincts: en fin j'ay marqué qu'il falloit dire le Pater noster et Ave Maria..

  A003001838 

 A tout cela j'ay adjousté qu'il falloit cueillir un petit bouquet de devotion: et voicy ce que je veux dire.

  A003001838 

 Ceux qui se sont promenez en un beau jardin n'en sortent pas volontiers, sans prendre en leur main quatre ou cinq fleurs pour les odorer et sentir le long de la journée: ainsi nostre esprit ayant discouru sur quelque mystere par la meditation, nous devons choisir, un, ou deux, ou trois poincts que nous aurons treuvez plus à nostre goust, et plus propres à nostre amendement, pour nous en resouvenir le reste de la journee, et les odorer spirituellement.

  A003001842 

 C'est le grand fruit de la meditation sans lequel elle est bien souvent, non seulement inutile mais nuisible, parce que les vertus meditées, et non pratiquées enflent bien souvent l'esprit, et le courage: nous estant bien advis que nous sommes tels que nous avons resolu, et deliberé d'estre: ce qui est sans doute veritable, quand les resolutions sont vives, et solides, mais elles ne sont pas telles, si elles ne sont pratiquees, ains sont vaines, et dangereuses.

  A003001842 

 II faut sur tout, Philothee, qu'au sortir de vostre meditation vous reteniez les resolutions, et deliberations que vous aurez prinses, pour les pratiquer soigneusement ce jour là.

  A003001843 

 Il arrive aussi maintefois qu'au sortir de l'oraison, tandis que nos bonnes affections sont encores toutes chaudes en nostre cœur, quelque occasion se presente à nous de faire quelque chose requise, qui nous semblera bien eslongnee de telles affections: là dessus, Philothee, nous nous inquietons, et contristons.

  A003001843 

 Je veux dire, un Advocat doit sçavoir passer de l'oraison à la plaidoirie: le marchand au trafic: la femme mariée au devoir de son mariage, et au tracas de son mesnage, avec tant de douceur et de tranquillité, que pour cela son esprit n'en soit point troublé: car puis que l'un, et l'autre est selon la volonté de Dieu, il faut faire le passage de l'un à l'autre en esprit d'humilité, et de devotion..

  A003001843 

 Or je dis qu'il faut que vous vous accoustumiez à sçavoir passer de l'oraison à toutes sortes d'actions que vostre vocation, et profession requiert justement, et legitimement de vous.

  A003001844 

 Car bien que pour l'ordinaire la consideration doit preceder les affections et resolutions, si est ce que le Sainct Esprit vous donnant les affections avant la consideration, vous ne devez pas rechercher la consideration, puis qu'elle ne se fait que pour esmouvoir l'affection.

  A003001844 

 Ce que je dis non seulement pour les autres affections, mais aussi pour l'action de graces, l'offrande et la priere, qui se peuvent faire parmy les considerations: et ne les faut non plus retenir que les autres affections; bien que par apres pour la conclusion de la meditation il faille les repeter, et reprendre.

  A003001844 

 Et quoy que j'aye mis les affections apres toutes les considerations, je ne l'ay fait que pour mieux distinguer les parties de l'Oraison: car au demeurant c'est une regle generalle qu'il ne faut jamais retenir les affections, ains les laisser tousjours sortir quant elles se presentent.

  A003001844 

 Or lors il luy faut lacher la bride, sans vouloir suivre la methode que je vous ay donnée.

  A003001845 

 Emmy les affections et resolutions, il est bon d'user de colloque, et parler tantost à nostre Seigneur, tantost aux Anges, et aux personnes representees au mystere, aux Saints, à soy mesme, à son cœur, aux pecheurs, et mesmes aux creatures insensibles, comme l'on void que David fait en ses Pseaumes, et les autres Saincts en leurs meditations, et oraisons..

  A003001849 

 Autre fois prenez un livre en main, et le lisez avec attention, jusques à ce que vostre esprit soit reveillé, et remis en vous; piqués quelque fois vostre cœur par quelque contenance, et mouvement de devotion exterieure, vous prosternant en terre, croisant les mains sur l'estomach, embrassant un crucifix: cela s'entend si vous estes en quelque lieu retiré.

  A003001849 

 Il faut que je die encor cecy.

  A003001849 

 Mais quand il ne le feroit pas, ô Philothee, contentons nous que ce nous est honneur trop plus grand d'estre aupres de luy, et à sa veüe.

  A003001849 

 Mais s'il ne luy plait pas de nous faire cette grace, nous laissant là sans nous parler, non plus que s'il ne nous voyoit pas, et que nous ne fussions pas en sa presence: nous ne devons pourtant pas sortir, ains au contraire nous devons demeurer là devant cette souveraine bonté, avec un maintien devotieux, et paisible, et lors infalliblement il agreera nostre patience, et remarquera nostre assiduité, et perseverence: si que une autre fois quand nous reviendrons devant luy, il nous favorisera, et s'entretiendra avec nous par ses consolations, nous faisant voir l'amenité de la sainte Oraison.

  A003001849 

 Que s'il plait à sa divine Majesté de nous parler, et s'entretenir avec nous par ses sainctes inspirations, et consolations interieures, ce nous sera sans doute un grand honneur, et un plaisir tres delicieux.

  A003001849 

 Que si apres tout cela vous n'estes point consolée, pour grande que soit vostre seicheresse ne vous troublez point: mais continuez à vous tenir en une contenance devote devant vostre Dieu.

  A003001849 

 S'il vous arrive, Philothee, de n'avoir point de goust ny de consolation en la meditation, je vous conjure de ne vous point troubler: mais quelque fois ouvrez la porte aux parolles vocales: lamentez vous de vous mesme à [52*] nostre Seigneur, confessez vostre indignité, priez le qu'il vous soit en ayde, baisez son image si vous l'avez, dittes luy ces parolles de Jacob: Si ne vous laisseray je point Seigneur, que vous ne m'ayez donné vostre benediction: ou celles de la Chananee, Ouy Seigneur, je suis une chienne, mais les chiens mangent des miettes de la table de leur maistre.

  A003001853 

 Le peché n'est honteux que quand nous le faisons: mais estant converty en confession, et penitence, il est honorable, et salutaire.

  A003001853 

 Si nous sommes bien humbles, Philothee, nostre peché nous deplaira infiniment, parce que Dieu en a esté offencé: mais l'acusation de nostre peché nous sera douce et agreable, parce que Dieu en est honoré: ce nous est une sorte d'allegement de bien dire au medecin le mal qui nous tourmente..

  A003001853 

 Simon le lepreux disoit que Magdeleine estoit pecheresse; mais nostre Seigneur dit que non, et ne parle plus, sinon des parfuns qu'elle respandist, et de la grandeur de sa charité.

  A003001854 

 Quand vous serez arrivée devant vostre Pere spirituel, imaginez vous que vous estes en la montagne de Calvaire sous les pieds de Jesus-Christ crucifié, duquel le sang precieux distille de toutes parts pour vous laver de vos iniquitez: car bien que ce ne soit pas le propre sang du Sauveur, c'est neantmoins le merite de ce sang respandu, qui arrouse abondamment les penitens au tour des confessionnaux.

  A003001855 

 Et cela fait, escoutez l'advertissement, et les ordonnances du serviteur de Dieu, et dittes en vostre cœur: Parlez, Seigneur, car vostre servante vous escoute: c'est Dieu, Philothee, que vous escoutez, puis qu'il a dit à ses [54*] Vicaires: Celuy qui vous escoute m'escoute.

  A003001855 

 Prenez par apres en main la protestation suyvante laquelle sert de conclusion à toute vostre contrition, et que vous devez avoir premierement meditée et considerée; lises la attentivement, et avec le plus de ressentiment qu'il vous sera possible..

  A003001859 

 Apres avoir encor consideré qu'au jour de mon sacré baptesme je fus si heureusement, et saintement vouée, et dediée à mon Dieu, pour estre sa fille: et que contre la profession qui fut alors faitte en mon nom j'ay tant et tant de fois, si malheureusement, et detestablement profané, et violé mon esprit, l'apliquant, et employant contre la divine Majesté: en fin revenant maintenant à moy mesme, prosternee de cœur et d'esprit devant le trosne de la justice divine, je me recognois, advoüe, et confesse pour legitimement atteinte, et convaincue du crime de leze majesté divine, et coulpable de la mort, et passion de Jesus Christ, à raison des pechez que j'ay commis, pour lesquels il est mort, et a souffert le tourment de la croix, dont je suis digne par consequent d'estre à jamais perdue, et damnée..

  A003001860 

 Mais me retournant devers le trosne de l'infinie misericorde de [55*] ce mesme Dieu eternel, apres avoir detesté de tout mon cœur, et de toutes mes forces, les iniquitez de ma vie passée, je demande, en toute humilité, grace, pardon et mercy, avec entiere absolution de mon crime, en vertu de la mort et passion de ce mesme Sauveur, et Redempteur de mon ame, sur laquelle m'appuyant comme sur l'unique fondement de mon esperance, j'advouë derechef, et renouvelle la sacrée profession de fidelité, faicte de ma part à mon Dieu en mon baptesme, renonçant au Diable, au monde, et à la chair; detestant leurs malheureuses suggestions, vanitez, et concupiscences pour tout le temps de ma vie presente, et de toute l'eternité: et me convertissant à mon Dieu debonnaire, et pitoyable, je desire, propose, delibere, et me resous irrevocablement de le servir, et aimer maintenant et eternellement, luy donnant à ces fins, dediant et consacrant mon esprit avec toutes ses facultez, mon ame avec toutes ses puissances, mon cœur avec toutes ses affections, mon corps avec tous ses sens, protestant de ne jamais plus abuser d'aucune partie de mon estre, contre sa divine volonté, et souveraine majesté, à laquelle je me sacrifie et immole en esprit pour luy estre à jamais loyalle, obeïssante, et fidelle creature, sans que je vueille oncques m'en dedire ny repentir..

  A003001861 

 Mais helas si par suggestion de l'ennemy, ou par quelque infirmité humaine, il m'arrivoit de contrevenir en chose quelconque à ceste mienne resolution et consecration, je proteste dés maintenant et me propose, moyennant la grace du Sainct Esprit, de m'en relever, si tost que je m'en appercevray, me convertissant derechef à la misericorde divine, sans retardation ny dilation quelconque: cecy est ma volonté, mon intention et ma resolution inviolable et irrevocable, laquelle j'advouë et confirme sans reserve ny exception, en la mesme presence sacree de mon Dieu, à la veuë de l'Eglise triomphante, et en la face de l'Eglise militante ma mere, qui entend ceste mienne declaration, en la personne de celuy qui comme officier d'icelle m'escoute en cette action.

  A003001864 

 Ceste protestation faite, soyez attentive et ouvrez les oreilles de vostre cœur pour ouïr en esprit la parolle de vostre absolution, que le Sauveur mesme de vostre ame assis sur le throsne de sa misericorde, prononcera là haut au Ciel devant tous les Anges, et les Saincts, à mesme temps qu'en son nom le Prestre vous absout icy bas en terre: si que toute ceste troupe des bien-heureux se resjoüissant sur vostre bonheur chantera le cantique spirituel d'une allegresse nompareille, et tous donneront en esprit le baiser de paix et de societé à vostre cœur, remis en grace et sanctifié..

  A003001865 

 Mais d'autant que ces affections renaissent aysement en l'ame, à raison de nostre infirmité et de nostre concupiscence, qui peut estre mortifiée, mais qui ne peut mourir pendant que nous vivons icy bas en terre, je vous donneray les advis suivans, lesquelz estant bien pratiquez, vous preserveront desormais du peché mortel et de toutes les affections d'iceluy, afin que jamais il ne puisse avoir place en vostre cœur.

  A003001865 

 O Dieu, Philothee, que voila un contract admirable, par lequel vous faites un heureux traité avec sa divine Majesté, puis qu'en vous donnant vous mesme à elle, vous la gaignez, et vous mesme aussi pour la vie eternelle! Il ne reste plus sinon que prenant la plume en main, vous signiez de bon cœur l'acte de vostre protestation, et que par apres vous alliez à l'autel, où Dieu reciproquement signera et seellera vostre absolution, et la promesse qu'il vous fera de son Paradis, se mettant luy mesme par son Sacrement comme un cachet et seau sacré sur vostre cœur renouvellé.

  A003001870 

 Les plus malins calomnieront vostre changement d'hypocrisie, bigoterie, et artifice: ils diront que le monde vous a fait mauvais visage, et qu'à son refus vous recourez à Dieu: vos amis s'empresseront à vous faire un monde de remonstrances fort prudentes et charitables à leur advis: vous tomberez, diront ils, en quelque humeur melancholique, vous perdrez credit au monde, vous vous rendrez insupportable, vous envieillirez devant le temps, vos affaires domestiques en patiront, il faut vivre au monde comme au monde, on peut bien faire son salut sans tant de mystere, et mille telles bagatelles..

  A003001870 

 Tout aussi tost que les mondains s'appercevront que vous voulez suivre la vie devote, ils decocheront sur vous mille traicts de leur cajollerie et mesdisance.

  A003001871 

 Qui ne voit que le monde est un juge inique, gracieux et favorable pour ses enfans, mais aspre et rigoureux aux enfans de Dieu..

  A003001871 

 Si vous estiez du monde, dit le Sauveur, le monde aimeroit ce qui est sien: mais [59*] parce que vous n'estes pas du monde, par tant il vous hayt.

  A003001871 

 Y a il une attention plus chagrine, plus melancholique, et plus sombre que celle là? Les mondains neantmoins n'en disoient mot, les amis ne se mettoient point en peine, et pour la meditation d'une heure, ou pour nous voir lever un peu plus matin qu'à l'ordinaire, pour nous preparer à la Communion, chacun court au medecin pour nous faire guerir de l'humeur hipocondriaque et de la jaunisse.

  A003001872 

 Il aggrandit nos imperfections, et publie que ce sont des pechez: de nos pechez veniels, il en fait des mortelz, et nos pechez d'infirmité, il les convertit en pechez de malice: en lieu que, comme dit S. Paul, la charité est benigne, au contraire le monde est malin: en lieu que la charité ne pense point de mal, au contraire le monde pense tousjours mal: et quand il ne peut accuser nos actions, il accuse nos intentions.

  A003001872 

 Il n'est pas possible que nous le contentions, car il est trop bigearre.

  A003001872 

 Soit que les moutons ayent des cornes, ou qu'ils n'en ayent point, qu'ils soient blancs, ou qu'ils soient noirs, le loup ne laissera pas de les manger s'il peut..

  A003001873 

 Quoy que nous fassions, le monde nous fera tousjours la guerre.

  A003001873 

 Si nous sommes longuement devant le Confesseur, il admirera que c'est que nous pouvons tant dire: si nous y sommes peu, il dira que nous ne disons pas tout: il espiera tous nos mouvemens, et pour une petite parolle de cholere, il protestera que nous sommes insupportables: le soing de nos affaires luy semblera avarice, et nostre douceur privauté: et quant aux enfans du monde, leurs coleres sont generositez, leurs avarices mesnages, leurs privautez [60*] entretiens honnorables: les haragnes gastent tousjours l'ouvrage des abeilles..

  A003001874 

 Ainsi l'hipocrisie et la vraye vertu ont beaucoup de similitude en l'exterieur: mais on reconnoist aisement l'une d'avec l'autre, parce que l'hipocrisie n'a point de durée, et se dissipe comme la fumee en montant: mais la vraye vertu est tousjours ferme et constante.

  A003001874 

 Ce ne nous est pas une petite commodité pour bien asseurer le commencement de nostre devotion, que d'en recevoir de l'opprobre et de la calomnie; car nous esvitons par ce moyen le peril de la vanité et de l'orgueil, qui sont comme les sages femmes d'Egypte, ausquelles le Pharaon infernal a ordonné de tuer les enfans masles d'Israël, le jour mesme de leur naissance.

  A003001874 

 Les cometes, et les planettes sont presque esgalement lumineuses en apparence, mais les cornettes disparoissent en peu de temps, n'estans que de certains feux passagers, et les planettes ont une clairté perpetuelle.

  A003001874 

 Qu'il crie tant qu'il voudra comme un chat-huan pour inquieter les oyseaux du jour: soyons fermes en nos desseins, invariables en nos resolutions: la perseverance fera bien voir si c'est à certes et tout de bon que nous sommes crucifiez à Dieu, et rengez à la vie devote.

  A003001878 

 C'est qu'un seul jour de devotion vaut mieux que mille annees de la vie mondaine..

  A003001878 

 Il se pourra bien faire, ma chere Philothee, qu'à ce changement de vie plusieurs souslevemens se feront en vostre interieur: et que ce grand et general à Dieu que vous avez dit aux folies et niaiseries du monde, vous donnera quelque ressentiment de tristesse et descouragement.

  A003001878 

 Il vous faschera peut estre d'abord [61*] de quitter la gloire que les fols et mocqueurs vous donnoient en vos vanitez: mais ô Dieu! voudriez vous bien perdre l'eternelle, que Dieu vous donnera en verité? Les vains amusemens et passetemps, esquels vous avez employé les annees passées se representeront encore en vostre cœur, pour l'appaster et faire retourner de leur costé; mais auriez vous bien le courage de renoncer à ceste heureuse eternité pour des si trompeuses legeretez? Croyez moy, si vous perseverez vous ne tarderez pas de recevoir des douceurs cordiales, si delicieuses et agreables, que vous confesserez que le monde n'a que du fiel en comparaison de ce miel.

  A003001878 

 La lumiere quoy que belle et desirable à nos yeux, les esbloüit neantmoins apres qu'ils ont estez en des longues tenebres: et devant que l'on se soit apprivoisé avec les habitans de quelque pays, pour courtois et gracieux qu'ils soyent on s'y treuve aucunement estonné.

  A003001878 

 Si cela vous arrive, ayez un peu de patience, je vous prie, car ce ne sera rien: ce n'est qu'un peu d'estonnement que la nouveauté vous apporte: passé cela vous recevrez dix mille consolations.

  A003001879 

 Il est vray, nous sommes encores comme des petits mouchons en la devotion: nous ne sçaurions monter selon nostre dessein, qui n'est rien moindre que d'atteindre à la cime de la perfection Chrestienne.

  A003001879 

 Mais si commençons nous à prendre forme par nos desirs et resolutions: les aisles nous commencent à sortir: il faut doncque esperer qu'un jour nous serons abeilles spirituelles, et que nous volerons.

  A003001879 

 Mais tandis vivons du miel de tant d'enseignemens que les anciens devots nous ont laissez, et prions Dieu qu'il nous donne des plumes comme de colombe, afin que non seulement nous puissions voiler au temps de la vie presente, mais aussi nous reposer en l'eternité de la future.

  A003001879 

 Mais vous voyez que la montagne de la perfection Chrestienne est extremement haute: hé mon Dieu, ce dites vous, comme y pourray-je monter? Courage, Philothee, quand les petits mouchons des abeilles commencent à prendre forme on les appelle nymphes: et lors ils ne sçauroient encor voler sur les fleurs, ny sur les monts, ny sur les collines voisines, pour amasser le miel: mais petit à petit se nourrissans du miel que leurs meres ont preparé, ces petits nymphes prenent des aisles et se fortifient, en sorte que par apres ils volent à la queste par tout le paysage.

  A003001883 

 A mesure que le jour se fait, nous voyons plus clairement dans le miroüer les tasches et soüillures de nostre visage: ainsi à mesure que la lumiere interieure du S. Esprit esclaire en nos consciences, nous voyons plus distinctement et plus clairement les pechez, inclinations, et imperfections, qui nous peuvent empescher d'atteindre à la vraye devotion: et la mesme lumiere, qui nous fait voir ces tares et dechets, nous eschauffe aussi au desir de nous en nettoyer et purger..

  A003001884 

 Je ne dis pas que vous decouvrirez des pechez veniels, mais je dis que vous decouvrirez des affections, et inclinations à iceux.

  A003001885 

 Le peché veniel pour petit qu'il soit desplait à Dieu, bien qu'il ne luy desplaise pas tant que pour iceluy il nous veuille damner ou perdre.

  A003001885 

 Que si le peché veniel luy deplait, la volonté, et l'affection que l'on a au peché veniel n'est autre chose qu'une resolution de vouloir deplaire à sa divine [63*] Majesté; est il bien possible qu'une ame bien née vueille non seulement deplaire à son Dieu, mais affectionner de luy deplaire?.

  A003001886 

 Il veut dire que les mouches qui ne s'arrestent guere sur l'onguent, mais le mangent en passant ne gastent que ce qu'elles prenent, le reste demeurant en son entier: quand elles meurent emmy l'onguent, elles luy ostent son pris, et le mettent à dédain.

  A003001887 

 Ce n'est rien, Philothee, que de dire quelque petit mensonge, de se deregler un peu en parolles, en actions, en regards, en habits, en jolietez, en jeux, en dances: pourveu que tout aussi tost que ces haragnes spirituelles sont entrées en nostre conscience nous les en rechassions, et bannissions, comme les mouches à miel font les haragnes corporelles.

  A003001887 

 Les haragnes ne tuent pas les abeilles, mais elles gastent, et corrompent leur miel, et embarrassent leurs rayons des toiles qu'elles y font, en sorte que les abeilles ne peuvent plus faire leur mesnage: cela s'entend quand elles y font du sejour.

  A003001887 

 Mais cela s'entend quand le peché veniel sejourne en nostre conscience par l'affection que nous y mettons.

  A003001887 

 Mais si nous leur permettons d'arrester dans nos cœurs, et non seulement cela, mais que nous affectionnons à les y retenir et multiplier, bien tost nous verrons nostre miel perdu, et la ruche de nostre conscience empestee, et defaite.

  A003001891 

 C'est dommage de semer en la terre de nostre cœur des affections si vaines, et sottes: cela occupe le lieu des bonnes impressions, et empesche que le suc de nostre ame ne soit employé és bonnes inclinations..

  A003001891 

 Je dis donques, Philothee, qu'encor qu'il soit loisible de jouer, dancer, se parer, ouïr des honnestes comedies, banqueter: si est ce que d'avoir de l'affection à cela, c'est chose contraire à la devotion, et extremement nuisible, et perilleuse.

  A003001892 

 Ainsi les anciens Nazariens s'abstenoient non seulement de tout ce qui pouvoit enyvrer, mais aussi des raisins, et du verjus: non point que les raisins ny le verjus enyvre, mais parce qu'il y avoit danger en mangeant du verjus d'exciter le desir de manger des raisins, et en mangeant des raisins de provoquer l'appetit à boire du moust, et du vin.

  A003001892 

 Les cerfs ayans pris trop de venaison s'escartent, et retirent dedans leurs buissons, cognoissans que leur graisse les charge en sorte qu'ils ne sont pas habiles à courir, si d'avanture ils estoient attaqués.

  A003001892 

 Les petits enfans s'affectionnent et eschauffent apres les papillons: nul ne le treuve mauvais, parce que ils sont enfans.

  A003001892 

 Mais n'est ce pas une chose ridicule, ains plustost lamentable, de voir des hommes faits s'empresser et affectionner apres des bagatelles si indignes, comme sont les choses que j'ay nommées, lesquelles, outre leur inutilité, nous mettent en peril de nous [65*] deresgler et desordonner à leur poursuitte? C'est pourquoy, ma chere Philothee, je vous dis qu'il se faut purger de ces affections: et bien que les actes ne soient pas tousjours contraires à la devotion, les affections neantmoins luy sont tousjours dommageables..

  A003001892 

 Or je ne dis pas que nous ne puissions user de ces choses dangereuses: mais je dis bien pourtant que nous ne pouvons jamais y mettre de l'affection, sans interesser la devotion.

  A003001896 

 On a bien treuvé le moyen de changer les amendiers amers en amendiers doux, en les perçant seulement au pied pour en faire sortir le suc; pourquoy est ce que nous ne pourrons pas faire sortir nos inclinations perverses pour devenir meilleurs? Il n'y a point de si bon naturel qui ne puisse estre rendu mauvais par les habitudes vicieuses.

  A003001896 

 Or quoy qu'elles soient comme propres et naturelles à un chacun, si est ce que par le soing et affection contraire on les peut corriger et moderer: et mesme on peut s'en delivrer et purger: et je vous dis, Philothee, qu'il le faut faire.

  A003001896 

 Par exemple, saincte Paule selon le recit de sainct Hierosme avoit une grande inclination aux tristesses et regrets: si que en la mort de ses enfans et de son mary elle courut tousjours fortune de mourir de desplaisir: cela c'estoit une imperfection, et non point un peché, puis que c'estoit contre son gré et sa volonté.

  A003001901 

 Et tout ainsy que la glace d'un miroiter ne sçauroit arrester nostre veuë, si elle n'estoit enduyte d'estain, ou de plomb par derriere, ainsi la Divinité [67*] ne pourroit estre bien contemplée par nous en ce bas monde, si elle ne se fust jointe à la sacrée humanité du Sauveur, duquel la vie et la mort sont l'object le plus proportionné, soüefve, delicieux, et profitable que nous puissions choisir pour nostre meditation ordinaire, Le Sauveur ne s'appelle pas pour neant le pain descendu du Ciel.

  A003001901 

 Il faut s'arrester là, Philothee, et croyez moy, nous ne sçaurions aller à Dieu le Pere que par ceste porte.

  A003001901 

 Mais sur tout je vous conseille la mentale et cordiale, et particulierement celle qui se fait autour de la vie et passion de nostre Seigneur; en la regardant souvent par la meditation, toute vostre ame se remplira de luy, vous apprendrez ses contenances, et formerez vos actions au modelle des siennes: il est la lumiere du monde: c'est doncques en luy, par luy, et pour luy que nous devons estre esclairez et illuminez: c'est l'arbre de desir, à l'ombre duquel nous nous devons rafraischir: c'est la vive fontaine de Jacob pour le lavement de toutes nos soüilleures.

  A003001902 

 Sa vie et mort a esté disposée et distribuée en divers poincts, pour servir à la meditation, par plusieurs autheurs: ceux que je vous conseille sont sainct Bonaventure, Bellintani, Brune, Capilia..

  A003001903 

 Employez y chasque jour une heure devant disné, et quand ce sera le matin ce sera le meilleur, parce que vous aurez vostre esprit moins embarrassé et plus fraiz apres le repos de la nuict.

  A003001903 

 Si vous pouvez faire cest exercice dedans l'Eglise, et que vous y treuviez assez de tranquilité, ce vous sera une chose fort aysée et commode: parce que nul, ny pere, ny mere, ny femme, ny mary, ny autre quelconque ne pourra vous bonnement refuser de demeurer au moins une petite heure chasque jour dans l'Eglise, là où estant en quelque subjection vous ne pourriez peut estre pas vous promettre d'avoir une heure si franche dedans vostre maison..

  A003001904 

 Au sortir de cette oraison cordiale, il vous faut prendre garde de ne point donner de secousse à vostre cœur: car vous espancheriez le baume que vous avez receu par le moyen de l'oraison.

  A003001904 

 Au sortir de la meditation, ne vous distrahez pas tout à coup, mais regardez simplement devant vous, comme seroit à dire, s'il vous faut rencontrer quelqu'un que vous soyez obligée d'entretenir ou ouïr, il n'y a remede, il faut s'accommoder à cela, mais en telle sorte que vous regardiez aussi à vostre cœur, afin que la liqueur de la saincte oraison ne s'espanche que le moins qu'il sera possible..

  A003001904 

 Je veux dire qu'il faut garder s'il est possible un peu de silence, et remuer tout doucement vostre cœur de l'oraison aux affaires, retenant le plus long temps qu'il vous sera possible le sentiment et les affections que vous aurez conceuës.

  A003001906 

 Le chapelet est une tres-utile maniere de prier, pourveu que vous le sçachiez dire comme il convient: et pour ce faire ayez quelqu'un des petits livrets qui enseignent la façon de le reciter..

  A003001906 

 Si vous me croyez, vous direz vostre Pater, vostre Ave Maria, et le Credo en latin: mais vous apprendrez aussi à bien entendre les parolles qui y sont en vostre langage, afin que le disant au langage commun de l'Eglise, vous puissiez neantmoins savourer le sens admirable et delicieux de ces saintes oraisons, lesquelles il faut dire, fichant profondement vostre pensee, et excitant vos affections sur le sens d'icelles, et ne vous hastant nullement pour en dire beaucoup: mais vous estudiant de dire ce que vous direz cordialement: car un seul Pater dit avec ce sentiment vaut mieux que plusieurs recitez vistement et couramment.

  A003001907 

 En sorte que si apres icelle, ou pour la multitude des affaires, ou pour quelque autre raison vous ne pouviez point faire de priere vocale, vous ne vous en mettiez point en peine pour cela: vous contentant de dire simplement avant ou apres la meditation l'oraison Dominicale, la salutation Angelique, et le symbole des Apostres..

  A003001907 

 Il est bon aussi de dire les Letanies de nostre Seigneur, de nostre Dame, et des Saincts, et toutes les autres prieres vocales qui sont dedans les Manuels et Heures approuvées; à la charge neantmoins que si vous avez le don de l'oraison mentale, vous luy gardiez tousjours la principale place.

  A003001908 

 Si faisant l'oraison vocale, vous sentez vostre cœur tiré et convié à l'oraison interieure ou mentale, ne refusez point d'y aller; mais laissez tout doucement couler vostre esprit de ce costé là, et [69*] ne vous souciez point de n'avoir pas achevé les oraisons vocales que vous vous estiez proposées; car la mentale que vous aurez faite en leur place est plus agreable à Dieu, et plus utile à vostre ame.

  A003001909 

 Je dis la plus eslongnée du repas, parce que se faisant sur iceluy, et avant que la digestion soit fort acheminée, il vous arriveroient beaucoup d'assoupissemens, et vostre santé en seroit interessée..

  A003001909 

 S'il avenoit que toute vostre matinée se passast sans cet exercice sacré de l'oraison mentale, ou pour la multiplicité des affaires, ou pour quelque autre cause, (ce que vous devez procurer n'advenir point tant qu'il vous sera possible) taschez de reparer ce defaut l'apres-disné en quelque heure la plus eslongnée du repas que vous pourrez choisir.

  A003001910 

 Que si toute la journée vous ne pouvies la faire, il faut reparer ceste perte, multipliant les oraisons jaculatoires, et par la lecture de quelque livre de devotion, avec quelque penitence qui empeschast la suytte de cette negligence, et avec cela faire une forte resolution de se remettre en train le jour suyvant..

  A003001914 

 Outre ceste oraison mentale entiere et formée, et les autres oraisons vocales que vous devez faire une fois le jour, il y a cinq autres sortes d'oraisons plus courtes, et qui sont comme adjancements et surjons de l'autre grande oraison: entre lesquelles la premiere est celle qui se fait le matin comme une preparation à toutes les œuvres de la journée: or vous la ferez en ceste sorte.

  A003001916 

 Voyez que le jour present vous est donné, afin qu'en iceluy vous puissiez gaigner le jour advenir de l'eternité: et ferez un ferme propos de bien employer la journée à ceste intention..

  A003001917 

 Si je prevoy de pouvoir visiter un malade, je disposeray l'heure, les consolations et secours que j'ay à luy faire, ainsi des autres..

  A003001918 

 Cela fait humiliez vous devant Dieu, recognoissant que de vous mesme vous ne sçauriez rien faire de ce que vous aurez deliberé, soit pour fuir le mal, soit pour executer le bien.

  A003001919 

 Mais toutes ces actions spirituelles se doivent faire briefvement et [71*] vivement, devant que l'on sorte de la chambre, s'il est possible: affin que par le moyen de cest exercice tout ce que vous ferez le long de la journée soit arrousé de la benediction de Dieu: mais je vous prie, Philothee, de n'y manquer jamais..

  A003001923 

 Gaignez donques un peu devant l'heure du souper quelque loisir, auquel vous prosternant devant Dieu, et ramassant vostre esprit aupres de Jesus Christ crucifié (que vous vous representerez par une simple considération, et œillade interieure) r'allumez le feu de vostre meditation du matin en vostre cœur, par une douzaine de vives aspirations, humiliations, et eslancemens amoureux que vous ferez sur ce divin Sauveur de vostre ame: ou bien en repetant les poincts que vous aurez plus savourez en la meditation du matin, ou bien vous excitant par quelque autre nouveau sujet, selon que vous aymerez mieux..

  A003001925 

 Cest exercice icy ne doit jamais estre oublié, non plus que celuy du matin: car par celuy du matin vous ouvrez les fenestres de vostre ame au Soleil de justice, et par celuy du soir vous les fermez aux tenebres de l'enfer..

  A003001929 

 O Dieu, ce direz vous, pourquoy ne vous regarde je tousjours, comme tousjours vous me regardez? pourquoy pensez vous en moy si souvent, mon Seigneur, et pourquoy pense je si peu souvent en vous? où sommes nous ô mon ame? nostre vraye place c'est Dieu, et ou est ce que nous nous trouvons?.

  A003001929 

 R'apellez le plus souvent que vous pourrez parmy la journee vostre esprit en la presence de Dieu, par l'une des quatre façons que je vous ay marquées: et regardez ce que Dieu fait, et ce que vous faites; vous verrez ses yeux tournez de vostre costé, et perpetuellement fichez sur vous par une amour incomparable.

  A003001931 

 Ce sont les oraisons jaculatoires, que le grand sainct Augustin conseille si soigneusement à la devote dame Proba.

  A003001931 

 Le pelerin, qui prend un peu de vin pour resjouïr son cœur et rafraichir sa bouche, encore qu'il s'arreste un peu pour le prendre ne rompt pour cela pas son voyage, ains prend de la force pour le plus vistement, et aysement parachever, et ne s'arreste que pour mieux aller..

  A003001931 

 O Philothee, nostre esprit, s'adonnant à la hantise, privauté, et familiarité de son Dieu, il se parfumera tout de ses perfections: et si cest exercice n'est point malaisé; car il se peut entrelasser à toutes nos affaires et occupations, sans nullement les incommoder: d'autant que, soit en la retraitte spirituelle, soit aux eslancemens interieurs on ne fait que des petites, et courtes diversions, qui n'empeschent nullement, ains servent de beaucoup à la poursuitte de ce que nous faisons.

  A003001932 

 Plusieurs ont ramassé des petites aspirations vocales pour dire à cette intention, et vrayement elles sont fort utiles: mais par mon advis vous ne vous astreindrez à nulle sorte de paroles, ains prononcerez celles que le cœur vous dictera sur le champ; car l'amour vous en fournira tant que vous voudrez.

  A003001934 

 C'est une belle fleur, dit ce sainct personnage, que la rose, mais elle me donne une [75*] grande tristesse m'advertissant de mon peché pour lequel la terre a esté condamnée de porter les espines.

  A003001934 

 Une autre, voyant le tourne-Soleil; O Dieu, dict il, quand sera-ce que mon ame adherera apres vos saincts atraicts! L'autre voyant des pensees de jardin, belles à la veüe, mais sans odeur; hé, dit-il, telles sont mes cogitations! belles à dire, mais sans effect ny production.

  A003001935 

 Sans iceluy on ne peut pas bien faire la vie contemplative, et on ne sçauroit que mal faire la vie active: sans iceluy le repos n'est qu'oisiveté, et le travail qu'empressement.

  A003001940 

 L'oraison faite en l'union de ce divin Sacrifice a une force [76*] indicible: de sorte, Philothee, que l'ame par iceluy abonde en celestes faveurs, comme appuyée sur son Bien-aymé, qui la rend si pleine d'odeurs et suavitez spirituelles qu'elle ressemble à une colonne de fumee de bois aromatiques, de la mirrhe, de l'encens, et de toutes les poudres du parfumeur, comme il est dict és Cantiques..

  A003001941 

 Tousjours les Anges en grand nombre s'y treuvent presens, comme dit sainct Jean Chrisostome, pour honnorer ce sainct mistere: et nous y treuvans avec eux, et avec mesme intention, nous ne pouvons que recevoir beaucoup d'influences propices, par une telle societé, Les cœurs de l'Eglise triumphante, et de l'Eglise militante se viennent attacher et joindre à nostre Sauveur en ce mystere, pour avec luy, en luy et par luy ravir le cœur de Dieu le Pere, et rendre sa misericorde toute nostre.

  A003001942 

 A quelque heure doncques du [77*] matin allez de cœur à l'Eglise, unissez vostre intention à celle de tous les Chrestiens, et faictes les mesmes actions interieures au lieu où vous estes, que vous feriez si vous estiez reellement presente à l'office de la saincte Messe..

  A003001942 

 Si par quelque force forcée vous ne pouvez pas vous rendre presente à la celebration de ce souverain Sacrifice, d'une presence reelle, au moins faut il que vous y portiez vostre esprit, pour y assister d'une presence spirituelle.

  A003001943 

 Depuis que le Prestre est à l'autel jusques à l'Evangile, considerez la venuë et la vie de nostre Seigneur en ce monde, par une simple et generale consideration.

  A003001943 

 Or pour ouïr, ou reellement, ou mentalement la saincte Messe, comme il est convenable, dés le commencement jusques à ce que le Prestre se soit mis à l'autel, faites avec luy la preparation; laquelle consiste à se mettre en la presence de Dieu, recognoistre vostre indignité, et demander pardon de vos fautes.

  A003001944 

 Mais si vous voulez pendant la Messe faire vostre meditation sur les mysteres que vous allez suivant de jour en jour, il ne sera nullement requis que vous vous divertissiez à faire les particulieres actions que je viens de marquer, ains suffira qu'au commencement vous dressiez vostre intention à vouloir adorer et offrir ce sainct Sacrifice par l'exercice de vostre meditation et oraison, puis qu'en toute meditation se treuvent les actions susdictes, ou expressement, ou tacitement et virtuellement.

  A003001948 

 Et puis (afin que je le die une fois pour toutes) il y a tousjours plus de bien et de consolation aux offices publiques de l'Eglise, que non pas aux actions particulieres: Dieu ayant ainsi ordonné que la communion soit preferée à toute sorte de particularité..

  A003001948 

 Outre cela, Philothee, les festes et Dimanches il faut assister à l'office des Heures et des Vespres, tant que vostre commodité le permettra; car ces jours là sont dediez à Dieu, et faut bien faire plus d'actions à son honneur et gloire en iceux, que non pas aux autres jours.

  A003001948 

 Vous sentirez mille douceurs de devotion par ce moyen, comme faisoit sainct Augustin, qui tesmoigne en ses Confessions, que oyant les divins offices au commencement de sa conversion, son cœur se fondoit en suavité, et ses yeux en larmes de pieté.

  A003001949 

 Entrez volontiers aux Confrairies du lieu où vous estes, et particulierement en celles, desquelles les exercices apportent plus de fruict et d'edification: car en cela vous ferez une sorte d'obéissance fort agreable à Dieu: d'autant qu'encor que les Confrairies ne soyent pas commandées, elles sont neantmoins recommandées par l'Eglise: laquelle pour tesmoigner qu'elle desire que plusieurs s'y enrollent, donne des Indulgences et autres privileges aux Confraires.

  A003001949 

 Et bien qu'il puisse arriver que l'on fist d'aussi bons exercices à part soy, comme l'on fait aux Confrairies en commun, et que peut estre l'on goustast plus de les faire en particulier; si est-ce que Dieu est plus glorifié de l'union et contribution que nous faisons de nos bien-faits avec nos freres et prochains..

  A003001955 

 Ma Philothee, joignons nos cœurs à ces celestes esprits et ames bien heureuses: car comme les petits rossignols apprennent à chanter avec les grands, ainsi par le sainct commerce que nous ferons avec les Saincts, nous sçaurons bien mieux prier et chanter les louanges divines.

  A003001958 

 Et disoit cela avec tant de recommandation, qu'une Damoiselle lors jeune, l'ayant ouy de sa bouche le recitoit, il n'y a que quatre ans, c'est à dire plus de soixante ans apres, avec un extreme sentiment.

  A003001963 

 La lionne qui a esté accostée du leopart va vistement se laver pour oster la puanteur que ceste accointance luy a laissée, afin que le lion venant n'en soit point offensé et irrité.

  A003001963 

 Mais pourquoy mourons nous de la mort spirituelle, puis que nous avons un remede si souverain?.

  A003001963 

 Ne permettez jamais, Philothee, que vostre cœur demeure long temps infecté de peché, puis que vous avez un remede si present et facile.

  A003001963 

 Nostre Sauveur a laissé en son Eglise le Sacrement de Penitence et de Confession, afin qu'en iceluy nous nous lavions de toutes nos iniquitez, toutefois et quantes que nous en serons souillez.

  A003001964 

 Ne laissez pas de vous confesser humblement et devotement tous les huict jours: et tousjours quand vous communierez, encor que vous ne sentiez point en vostre conscience aucun reproche de peché mortel; car par la confession vous ne recevez pas seulement l'absolution des pechez veniels que vous confesserez: mais aussi une [81*] grande force pour les esviter à l'advenir, une grande lumiere pour les bien discerner, et une grace abondante pour effacer toute la perte qu'ils vous avoyent apportée.

  A003001965 

 Ayes tousjours un vray desplaisir des pechez que vous confesserez pour petits qu'ils soyent, avec une ferme resolution de vous en corriger à l'advenir..

  A003001966 

 Doncques si vous vous confessez d'avoir menty, quoy que sans nuisance, ou d'avoir dit quelque parolle desreglée, ou d'avoir trop joué, repentez vous en, et ayez ferme propos de vous en amender; car c'est un abus de se confesser de quelque sorte de peché, soit mortel, soit veniel, sans vouloir s'en purger, puis que la Confession n'est instituée que pour cela..

  A003001967 

 De mesme ne vous accusez pas de n'avoir pas prié Dieu avec telle devotion comme vous devez: mais si vous avez eu des distractions volontaires, ou que vous ayez negligé de prendre le lieu, le temps, et la contenance requise, pour avoir l'attention en la priere, accusez vous en tout simplement, selon que vous treuverez y avoir manqué, sans alleguer ceste generalité, qui ne fait ny froid ny chaud en la confession..

  A003001967 

 Et bien, accusez vous doncques de ceste particularité, et dites: ayant veu un pauvre necessiteux, je ne l'ay pas secouru comme je pouvois, par negligence, ou par dureté de cœur, [82*] ou par mespris, selon que vous cognoistrez l'occasion de ceste faute.

  A003001967 

 Je n'ay pas tant aimé Dieu que je devois, je n'ay pas prié avec tant de devotion comme je devois, je n'ay pas cheri le prochain comme je devois, je n'ay pas receu les Sacremens avec la reverence que je devois, et telles semblables.

  A003001967 

 La raison est, parce qu'en disant cela vous ne dites rien de particulier qui puisse faire entendre au Confesseur l'estat de vostre conscience: d'autant que tous les Saincts de Paradis, et tous les hommes de la terre pourroient dire les mesmes choses s'ils se confessoient.

  A003001967 

 Ne faictes seulement ces accusations superfluës que plusieurs font par routine.

  A003001967 

 Par exemple, vous vous accusez de n'avoir pas chery le prochain tant comme vous deviez: c'est peut estre, parce qu'ayant veu quelque pauvre fort necessiteux que vous pouviez fort aisement secourir et consoler, vous n'en avez eu nul soing.

  A003001967 

 Regardez doncques quel sujet particulier vous avez de faire ces accusations là: et lors que vous l'aurez decouvert, accusez vous du manquement que vous aurez commis tout simplement et naïvement.

  A003001968 

 Je n'espargneray donc point de dire: je me suis relachée de dire des parolles de courroux, contre une personne ayant prins de luy en mauvaise part quelque parolle qu'il m'a dit, non point pour la qualité des parolles, mais parce que celuy là m'estoit desagreable: et s'il est encore besoing de particulariser les parolles pour vous bien declarer, je pense qu'il seroit bon de les dire.

  A003001968 

 N'espargnez point de dire ce qui est requis pour bien faire entendre la qualité de vostre offence, comme seroit à dire, le sujet que vous avez eu de vous mettre en colere, ou de suporter quelqu'un en son vice: par exemple, un homme lequel me desplait, me dira quelque legere parolle pour rire: je le prendray en mauvaise part, et me mettray en colere.

  A003001968 

 Par exemple, ne vous contantez pas de dire que vous avez menty sans interesser personne, mais dites si ç'a esté ou par vaine gloire, afin de vous louer, et excuser, ou par vaine joye, ou par opiniastreté.

  A003001968 

 Que si un autre qui m'eust esté agreable en eut dit une plus aspre, je l'eusse prins en bonne part.

  A003001968 

 Si vous avez peché à jouer, expliquez si ç'a esté pour le desir du gain, ou pour le plaisir de la conversation, ainsi des autres: car encore que communement on ne soit pas obligé d'estre si pointileux en la declaration des pechez veniels, et que mesme on ne soit pas tenu absolument de les confesser; si est-ce que ceux qui veulent bien espurer leurs ames pour mieux atteindre à la saincte devotion, ils doivent estre soigneux de bien faire cognoistre au medecin spirituel, le mal pour petit qu'il soit, duquel ils veulent estre gueris.

  A003001969 

 Ne changez pas aysement de Confesseur; mais en ayant choisi un, continuez à luy rendre conte de vostre conscience aux jours qui sont destinez pour cela, luy disant nayvement les pechez que vous aurez commis, et de temps en temps, comme seroit de mois en mois, ou de deux mois en deux mois dittes luy encore l'estat de vos inclinations quoy que par icelles vous n'ayez pas peché.

  A003001969 

 Prenez garde à une quantité de pechez qui vivent et regnent bien souvant insensiblement dedans la conscience, affin que vous les confessiez, et que vous puissiez vous en purger: et à cest effet lisez diligemment le chapitre 39. et 45.

  A003001973 

 Le Sauveur a institué le Sacrement tres auguste de l'Eucharistie qui contient reellement sa chair et son sang, affin que qui le mange il vive eternellement.

  A003001973 

 O Philothee, les Chrestiens qui seront damnés demeureront sans replique lors que le juste Juge leur fera veoir le tort qu'ils ont eu de mourir spirituellement, puis qu'il leur estoit aysé de se maintenir en vie, et en santé par la manducation de son corps qu'il leur avoit laissé à cette intention.

  A003001973 

 On dit que Mitridates Roy de Ponte ayant inventé le mitridat, renforça tellement son corps par icelluy, que s'essayant par apres de s'empoisonner pour esviter la servitude des Romains, jamais il ne luy fut possible.

  A003001973 

 Que si les fruits les plus tendres et sujets à la corruption, comme sont les cerises, les abricots et les fraises, se conservent aisement toute l'annee estans confits au sucre ou au miel; ce n'est pas merveille si nos cœurs quoy que fraisles et imbecilles sont preservez de la corruption du peché, lors qu'ils sont sucrés et emmielés de la chair et du sang incorruptible du Fils de Dieu.

  A003001973 

 Si que, comme les hommes demeurans au Paradis terrestre pouvoient ne mourir point, selon le corps par la force de ce fruict vital, que Dieu y avoit mis; ainsi peuvent ils ne point mourir spirituellement par la vertu de ce Sacrement de vie.

  A003001974 

 Car parce que la disposition requise pour une si frequente Communion doit estre fort exquise, il n'est pas bon de le conseiller generallement.

  A003001974 

 Ce seroit imprudence de conseiller indistinctement à un chacun cet usage si frequent: mais ce seroit aussi une impudence de blasmer aucun pour iceluy, et sur tout quand il le feroit par l'advis de quelque digne Pere spirituel, La responce de sainte Catherine de Sienne fut gracieuse, quand luy estant opposé à raison de sa frequente Communion que sainct Augustin ne loüoit ny ne vituperoit de communier tous les jours: Et bien, dit elle, puis que S. Augustin ne le vitupere pas, je vous prie que vous ne le vituperiés pas aussi, et je me contante..

  A003001974 

 Ce sont les propres parolles de saint Augustin, avec lequel je ne vitupere, ny ne loue absolument que l'on communie tous les jours, mais laisse cela à la discretion du Pere spirituel de celuy qui se voudra resoudre sur ce poinct.

  A003001974 

 De recevoir la communion de l'Eucharistie tous les jours, ny je ne le loue, ny je ne le vitupere; mais de communier tous les jours de Dimanche, je le suade et en exhorte un chacun, pourveu que l'esprit soit sans aucune affection de pecher.

  A003001974 

 Et parce que cette disposition là quoy que exquise se peut treuver en plusieurs bonnes ames; il n'est pas bon non plus d'en divertir et dissuader generallement un chacun, ains cela se doit traitter par la consideration de l'estat interieur d'un chacun en particulier.

  A003001975 

 Mais, Philothee, vous voyez que sainct Augustin exhorte etconseille bien fort que l'on communie tous les Dimanches, faites le donc tant qu'il vous sera possible: puis que, comme je presuppose, vous n'avez nulle sorte d'affection du peché mortel, ny aucune affection au peché veniel.

  A003001975 

 Vous estes en la vraye disposition que S. Augustin requiert, et encore plus excellente: parce que non seulement vous n'avez pas l'affection de pecher, mais vous n'avez pas mesme l'affection du peché: si que quand vostre Pere spirituel le treuveroit bon, vous pourriez utilement encore communier plus souvent que tous les Dimanches..

  A003001976 

 Bien que je puisse dire asseurement que la plus grande distance des Communions c'est celle de mois à mois, entre ceux qui veulent servir Dieu devotement..

  A003001976 

 On ne peut pas bien arrester cecy en general, il faut faire ce que le Pere spirituel dira.

  A003001976 

 Par exemple, si vous estes en quelque sorte de subjection, et que ceux à qui vous devez de l'obeïssance ou de la reverence soyent si mal instruits ou si bigearres qu'ils s'inquietent et troublent de vous voir si souvent communier, à l'adventure toute chose considerée, sera il bon de condescendre en quelque sorte à leur infirmité, et ne communier que de quinze jours en quinze jours: mais cela s'entend en cas qu'on ne puisse nullement vaincre la difficulté.

  A003001976 

 Plusieurs legitimes empeschemens peuvent neantmoins vous [86*] arriver: non point de vostre costé, mais de la part de ceux avec lesquels vous vivez, qui donneroient occasion au sage Pere spirituel de vous dire que vous ne communiez pas si souvent.

  A003001977 

 Si vous estes bien prudente, il n'y a ny maistre, ny femme, ny mary, ny pere, ny mere qui vous empesche de communier souvent: car puis que le jour de vostre Communion vous ne laisserez pas d'avoir le soing qui est convenable à vostre condition, que vous en serez plus douce et plus gratieuse en leur endroit, que vous ne leur refuserez nulles sortes de devoirs; il n'y a pas de l'apparence qu'ils veuillent vous destourner de cet exercice, qui ne leur apportera nulle incommodité, sinon qu'ils fussent d'un esprit extremement coquilleux et desraisonnable: et en ce cas, comme j'ay dit, à l'adventure que le Pere spirituel voudra que vous usiez de condescendence..

  A003001978 

 C'est chose indecente, bien que non pas grand peché, de soliciter le payement du devoir nuptial, le jour que l'on s'est communié; mais ce n'est pas chose mal seante, ains plustost [87*] meritoire de le payer.

  A003001978 

 C'est pourquoy j'ay dit que la frequente Communion ne donnoit nulle sorte d'incommodité, ny aux meres, ny aux femmes, ny aux marys: pourveu que l'ame qui communie soit prudente et discrette.

  A003001978 

 Dieu treuvoit mauvais en l'ancienne Loy que les creanciers fissent exaction de ce qu'on leur devoit és jours des Festes; mais il ne treuva jamais mauvais que les debiteurs payassent et rendissent leurs devoirs à ceux qui les exigeoient.

  A003001978 

 Il faut que je die ce mot pour les gens mariez.

  A003001984 

 En fin faictes luy tout l'accueil qu'il vous sera possible, et comportez vous en sorte que l'on cognoisse en toutes vos actions que Dieu est avec vous..

  A003001984 

 Et apres que vous aurez dit les parolles sacrées, (Seigneur je ne suis pas digne) ne remuez plus vostre teste, ny vos levres, soit pour prier, soit pour souspirer: mais ouvrant doucement et mediocrement vostre bouche, et eslevant vostre teste autant qu'il faut pour donner commodité au Prestre pour voir ce qu'il faict, recevez pleine de foy, d'esperance et de charité, Celuy, lequel, auquel, par lequel, et pour lequel vous croyez, esperez et aymez.

  A003001984 

 O Philothee, imaginez vous que comme l'abeille ayant recueilly sur les fleurs la rosee du ciel, et le suc plus exquis de la terre, elle le porte dans la ruche, ainsi le Prestre ayant pris sur l'autel le Sauveur du monde, vray Fils de Dieu, qui est descendu du Ciel, et vray Fils de la Vierge, qui comme fleur est sorty de la terre de nostre humanité, il le met comme un miel de suavité dedans vostre bouche, et dedans vostre corps.

  A003001984 

 Que si la nuict vous vous resveillez, remplissez soudain vostre cœur et vostre bouche de quelques parolles odorantes, par le [88*] moyen desquelles vostre ame soit parfumee pour recevoir l'Espoux, lequel veillant pendant que vous dormez se prepare à vous apporter mille graces et faveurs, si de vostre part vous estes disposee à les recevoir: le matin levez vous avec grande joye pour le bon-heur que vous esperez: et vous estant confessée allez avec grande confiance, mais aussi avec grande humilité prendre ceste viande celeste qui vous nourrit à l'immortalité.

  A003001986 

 Non, le Sauveur ne peut estre consideré en une action, ny plus amoureuse, ny plus tendre que celle-cy: en laquelle il s'aneantit, par maniere de dire, et se reduit en viande, afin de penetrer et s'unir intimement au cœur et au corps de ses fidelles.

  A003001986 

 Vostre grande intention en la Communion doit estre de vous avancer, fortifier, et consoler en l'amour de Dieu: car vous devez recevoir pour l'amour ce que le seul amour vous fait donner.

  A003001987 

 Dites leur que ceux qui n'ont pas beaucoup d'affaires mondaines doivent souvent communier, parce que ils en ont la commodité: et ceux qui ont beaucoup d'affaires mondaines, parce que ils en ont necessité; et que celuy qui travaille beaucoup, et qui est chargé de peine, doit aussi manger des viandes solides et souventefois.

  A003001987 

 Dites leur que deux sortes de gens doivent souvent communier; les parfaits, parce qu'estans bien disposez ils auroient grand tort de ne point s'approcher de la source et fontaine de perfection; et les imparfaits, afin de pouvoir justement pretendre à la perfection; les forts, afin qu'ils ne deviennent foibles, et les foibles, afin qu'ils deviennent forts: les malades, afin d'estre gueris, et les sains, afin qu'ils ne tombent en maladie: et que pour vous, comme imparfaite, foible, et malade, vous croyez de devoir souvent communiquer avec vostre perfection, vostre force, et vostre medecin.

  A003001987 

 Dites leur que vous recevez souvent le S. Sacrement pour apprendre à le bien recevoir, par ce que l'on ne faict guiere bien une action à laquelle on ne s'exerce pas souvent..

  A003001987 

 Si les mondains vous demandent pourquoy vous communiez si souvent, dites leur que c'est pour apprendre à aimer Dieu, pour vous purifier de vos imperfections, pour vous delivrer de vos miseres, pour vous consoler en vos afflictions, pour vous appuyer en vos foiblesses.

  A003001988 

 Communiez souvent, Philothee, et le plus souvent que vous pourrez avec l'advis de vostre Pere spirituel: et croyez moy, les lievres deviennent blancs parmy nos montagnes en hyver, par ce que ils ne voyent ny ne mangent que de la neige.

  A003001993 

 Car bien qu'estant vouées, et sur tout solemnellement elles mettent l'homme en l'estat de perfection; si est-ce que elles ne le mettent pas en la perfection, sinon entant qu'elles sont observées: y ayant bien de la difference entre l'estat de perfection, et la perfection, puis que tous les Evesques et Religieux sont en l'estat de perfection, et tous [91*] neantmoins ne sont pas en la perfection, comme il ne se voit que trop.

  A003001993 

 Car encores que hors la Religion elles ne puissent pas nous mettre en l'estat de perfection, elles nous donneront neantmoins la perfection mesme: et nous sommes tous obligez à la pratique d'icelles, quoy que non pas tous à les pratiquer de mesme façon..

  A003001993 

 Je ne diray rien de ces trois vertus, entant qu'elles sont vouées solemnellement, parce que cela ne regarde que les Religieux: ny mesme entant qu'elles sont voüées simplement: d'autant qu'encor que le vœu donne tousjours beaucoup de graces et de merite à toutes les vertus, si est-ce qu'il n'importe pas qu'elles soient voüées ou non voüées, pourveu qu'elles soient observées.

  A003001997 

 Et sur tout obeïssez amoureusement, pour l'amour de Celuy qui pour l'amour de vous s'est fait obéissant jusques à la mort et la mort de la Croix: et lequel, comme dit S. Bernard, ayma mieux perdre la vie que l'obéissance..

  A003001997 

 Faites doncques leurs commandemens, et cela est de necessité; mais pour estre parfaite suyvez encor leurs conseils, et mesme leurs désirs et inclinations, autant que la charité et prudence vous le permettra.

  A003001997 

 Obeïssez quand ils vous ordonneront chose agreable, comme de manger, prendre de la recreation: car encore qu'il semble que ce n'est pas grande vertu d'obeir en ce cas, ce seroit neantmoins un grand vice de desobeïr.

  A003001997 

 Or ceste obeissance s'appelle necessaire, parce que nul ne se peut exempter du devoir d'obeir à ces superieurs là, Dieu les ayant mis en authorité de commander et gouverner, chacun en ce [92*] qu'ils ont en charge sur nous.

  A003001998 

 Pour apprendre aysement à obéir aux Superieurs, condescendez aysement à la volonté de vos semblables, cedant à leurs opinions en ce qui n'est mauvais, sans estre contentieuse ny revesche: accommodez vous volontiers aux desirs de vos inferieurs, autant que la raison le permettra, sans exercer aucune authorité imperieuse sur eux, tandis qu'ils sont bons.

  A003001999 

 C'est un abus de croire que si l'on estoit Religieux ou Religieuse on obeïroit aysement, si l'on se treuve difficile, et revesche à rendre obéissance à ceux que Dieu a mis sur nous..

  A003002000 

 Or soit qu'en le choisissant on face vœu d'obeir (comme il est dit que la mere Therese outre l'obeissance solemnellement vouée au superieur de son Ordre, s'obligea par un vœu simple d'obeïr au pere Gratien), ou que sans vœu on se dedie à l'obeissance de quelqu'un, tousjours cette obéissance s'apelle volontaire à raison de son fondement qui depend de nostre volonté et election..

  A003002002 

 Faites vous ordonner les actions de pieté que vous devés exercer par vostre Pere spirituel, parce qu'elles en seront meilleures, et auront double grace et bonté: l'une d'elles mesmes, puis qu'elles sont pieuses, et l'autre de l'obeissance qui les aura ordonnées, et en vertu de laquelle elles seront faites..

  A003002006 

 Rien n'est beau que par la pureté, et la pureté des hommes c'est la chasteté.

  A003002007 

 Et encore au Mariage faut-il observer l'honnesteté de l'intention, afin que s'il y a quelque messeance en la volupté qu'on exerce, il n'y aye rien que d'honnesteté en la volonté qui l'exerce..

  A003002008 

 La chasteté est comme la mere perle, qui ne peut recevoir aucune goutte d'eau qui ne vienne du ciel; car elle ne peut recevoir aucun plaisir que celuy du Mariage, qui est ordonné du Ciel.

  A003002009 

 Pour le second, retranchés, tant qu'il vous sera possible les delectations inutiles et superflues, quoy que loisibles et non defendues: pour le troisiesme n'attachés point vostre affection aux plaisirs et voluptés, qui vous sont commandées et ordonnées.

  A003002010 

 Il y a quelque similitude entre les voluptés impudiques, et celles du boire et manger: car toutes deux regardent la chair, bien que les premieres à raison de leur vehemence brutalle, s'appellent simplement charnelles.

  A003002010 

 J'expliqueray doncques ce que je ne puis dire des unes, par ce que je diray des autres, mais je ne parle qu'aux mariez.

  A003002010 

 Or manger pour conserver la vie c'est chose bonne, saincte, et commandée; manger, non point pour conserver la vie, mais pour conserver la juste conversation que nous devons à nostre famille, c'est chose honneste et juste: manger par simple plaisir sans excez, c'est chose tolerable, non pas toutefois louable; mais manger avec exces, selon que l'exces est grand ou petit, c'est chose ou plus ou moins vituperable; et l'exces du manger et du boire ne consiste pas seulement en la quantité, et à trop manger, mais aussi en la façon et maniere de manger.

  A003002014 

 Car bien que à l'adventure la chasteté puisse estre conservée parmi ces actions plustost legeres que malicieuses, si est ce que la fraicheur et fleur de la chasteté en reçoit tousjours du detriment et de la perte..

  A003002014 

 Ne permettez jamais, Philothee, que nul vous touche incivilement, ny par maniere de folastrerie, ny par maniere de faveur.

  A003002015 

 S. Paul deffend tout court, que la fornication ne soit pas mesmement nommée entre vous.

  A003002017 

 Qui fait que David la compare au topaze pierre precieuse, laquelle par sa proprieté amortit l'ardeur de la concupiscence..

  A003002018 

 Car tout ainsi que ceux qui couchent sur l'herbe nommée Agnus castus, deviennent chastes et pudiques; de mesme reposant vostre cœur sur nostre Seigneur, qui est le vray Agneau chaste et immaculé, vous verrez que bien tost vostre ame et vostre chair se treuveront purifiées de toutes souillures de lubricité..

  A003002022 

 Les alcions font leurs nids ronds comme une paume, et ne laissent en iceux qu'une petite ouverture du costé d'enhaut: ils les mettent sur le bord de la mer; et au demeurant les font si fermes et impenetrables, que les ondes les surprenans, jamais l'eau n'y peut entrer: mais tousjours prenant le dessus, ils demeurent emmi la mer, sans mer, et maistres de la mer.

  A003002025 

 Celuy qui desire ardemment, longuement et avec inquietude de boire, quoy qu'il ne vueille boire que de l'eau, si tesmoigne il d'avoir la fievre.

  A003002025 

 Si vous desirez longuement, ardemment, et avec inquietude les biens que vous n'avez pas, vous avez beau dire que vous ne les voulez pas avoir injustement; car pour cela vous ne laisserez pas d'estre vrayement avare.

  A003002026 

 Celuy qui possede un bien justement, n'a il pas plus de raison de le garder justement, que nous de le vouloir avoir justement? Et pourquoy donc estendons nous nostre desir sur sa commodité pour l'en priver? tout au plus si ce desir est juste, certes il n'est pourtant pas charitable: car nous ne voudrions pas nullement qu'aucun desirast, quoy que justement, ce que nous voulons garder justement.

  A003002026 

 O Philothee, je ne sçay si c'est un desir juste de desirer d'avoir justement ce qu'un autre possede justement: car il me semble que par ce desir nous nous voulons accommoder par l'incommodité d'autruy.

  A003002027 

 Ouy, car je veux bien que vous ayez soin d'accroistre vos moyens et facultez, pourveu que ce soit non seulement justement, mais doucement et charitablement..

  A003002028 

 Car les febricitans boivent l'eau qu'on leur donne, avec un certain empressement, avec une sorte d'attention et d'aise, que ceux qui sont sains n'ont point accoustumé d'avoir.

  A003002028 

 Si vous affectionnez fort les biens que vous avez: si vous en estes fort embesoignée, y mettant vostre cœur, y attachant vos pensées, et craignant d'une crainte vive et empressée de les perdre, croyez moy, vous avez encore quelque sorte de fievre.

  A003002029 

 S'il vous arrive de perdre de vos biens, et vous sentez que vostre cœur s'en desole et afflige beaucoup; croyez, Philothee, que vous y aviez beaucoup d'affection: car rien ne tesmoigne tant l'affection à la chose perduë, que l'affliction de la perte.

  A003002030 

 Ne desirez donc point d'un desir entier et formé le bien que vous n'avez pas: ne mettez point fort avant vostre cœur en celuy que vous avez: ne vous desolez point des pertes qui vous arriveront; et vous aurez quelque sujet de croire qu'estant riche en effet, vous ne estes point d'affection; mais que vous estes pauvre d'esprit, et par consequent bien-heureuse, car le Royaume des Cieux vous appartient..

  A003002035 

 Dites moy, les jardiniers des Roys et des Princes, ne sont ils pas plus curieux et diligens à cultiver et agencer les jardins qu'ils ont en charge, que s'ils leur appartenoient en proprieté? Mais pourquoy cela? parce, sans doute, qu'ils considerent ces jardins là, comme jardins du Roy, ou du Prince, auquel ils desirent de se rendre agreables par ce service là.

  A003002035 

 Je veux que vous ayez beaucoup plus de soing de rendre vos biens utiles et fructueux, que les mondains n'ont pas.

  A003002035 

 Ma Philothee, les possessions que nous avons ne sont pas nostres: Dieu les nous a données à cultiver, et veut que nous les rendions fructueuses et utiles: et partant nous luy faisons service agreable d'en avoir soin..

  A003002036 

 Ayons donc soing de la conservation, voire de l'accroissement de nos biens temporels, comme de chose que Dieu veut que nous fassions pour son amour; mais prenons garde que l'amour propre ne nous trompe: car quelquefois il contrefait si bien l'amour de Dieu, qu'il semble que ce soit luy.

  A003002036 

 C'est pourquoy nous le devons avoir plus grand que les mondains n'ont pas des leurs; car ils ne font pas leurs travaux sur une si excellente consideration, puis qu'ils ne les font que pour l'amour d'eux-mesmes, et nous les faisons pour l'amour de Dieu.

  A003002036 

 Or afin qu'il ne vous deçoive, prattiquez la pauvreté; je ne dis pas celle d'esprit, mais je dis la pauvreté d'effect, emmy toutes les facultez et richesses que Dieu nous a données..

  A003002037 

 Il est vray que Dieu vous le rendra, non pas seulement en l'autre monde, [103*] mais en cellui-cy: car il n'y a rien qui fasse tant prosperer temporellement que l'aumosne: mais en attendant que Dieu vous le rende vous serez tousjours appauvrie de cela.

  A003002037 

 O le sainct et riche appauvrissement que celuy qui se fait par l'aumosne!.

  A003002038 

 Aymez les pauvres et la pauvreté; car par cet amour vous deviendrez vrayement pauvre: puis que, comme dit l'Escriture, nous sommes faicts comme les choses que nous aymons.

  A003002038 

 Il pouvoit dire: Qui est pauvre avec lequel je ne sois pauvre? parce que l'amour le faisoit estre tel que ceux qu'il aimoit.

  A003002040 

 Et comment cela? Le serviteur est moindre que son maistre; rendez vous doncques servante des pauvres: allez les servir dans leurs licts quand ils sont malades; je dis de vos propres mains: soyez leur cuisiniere, et à vos propres despens: soyez leur lingiere et blanchisseuse; ô ma Philothee, ce service est plus triomphant qu'une Royauté! Sainct Louys tout grand Roy qu'il estoit, le pratiquoit avec un zele et perseverance nompareille..

  A003002040 

 Voulez vous faire encore d'avantage, ma chere Philothee? Ne vous contentez pas d'estre pauvre comme les pauvres, mais soyez plus pauvre que les pauvres.

  A003002042 

 Il arrive que tous les vins d'une cave se poussent et tournent, il n'en reste plus que les plus mauvais et verds.

  A003002042 

 Il arrive quelquefois chez nous un hoste que nous voudrions et devrions bien traitter: il n'y a pas [104*] moyen pour l'heure: on a ses beaux habits en un lieu: on en auroit bien besoing en un autre, où il seroit requis de paroistre.

  A003002043 

 Au contraire, parce que le poil des mains d'Esaü tenoit à sa peau, qu'il avoit toute velue de son naturel, qui luy eut voulu arracher son poil, luy eut bien donné de la douleur: il eut bien crié, il se fut bien eschauffé à la deffence.

  A003002043 

 Mais parce que le poil qui estoit és mains de Jacob, ne tenoit pas à sa peau, ains à ses gans, on luy pouvoit oster son poil sans l'oflfencer ny escorcher.

  A003002043 

 Quand nos moyens nous tiennent au cœur, si la tempeste, si le larron, si le chiquaneur nous [105*] en arrache quelque partie, quelles plaintes, quels troubles, quelles impatiences en avons nous? Mais quand nos biens ne tiennent qu'au soin que Dieu veut que nous en ayons, et non pas à nostre cœur, si on nous les arrache, nous n'en perdons pourtant pas le sens, ny la tranquillité.

  A003002048 

 Et voila, Philothee, que plus gratieuse en vostre endroit, elle se vient presenter chés vous.

  A003002049 

 Or ce que nous recevons purement de la volonté de Dieu luy est tousjours tres-agreable, [106*] pourveu que nous le recevions de bon cœur, et pour l'amour de sa saincte volonté.

  A003002050 

 Et en ce qu'on n'en tient pas grand conte, leur pauvreté est plus pauvre que celle des Religieux, bien que celle-cy d'ailleurs ayt une excellence fort grande, et trop plus recommandable à raison du vœu, et de l'intention pour laquelle elle a esté choisie..

  A003002051 

 Ne vous plaignés donc pas, ma chere Philothee, de vostre pauvreté: car on ne se plaint que de ce qui desplait; et si la pauvreté vous desplait, vous n'estes plus pauvre d'esprit, ains riche d'affection..

  A003002053 

 Resouvenez vous souvent du voyage que nostre Dame fit en Egipte pour y porter son cher Enfant: combien de mespris, de pauvretés, de miseres il luy convint supporter! si vous vivez comme cela, vous serez tres-riche en vostre pauvreté.

  A003002057 

 Saint Paul veut que les femmes devotes (il en faut autant dire des hommes) soyent revestus d'habits bien-seants, se parants avec pudicité et sobrieté.

  A003002058 

 On ne treuve pas non plus mauvais que les vefves à marier se parent aucunement, pourveu qu'elles ne fassent point paroistre de folastrerie; d'autant qu'ayant desja esté meres de famille, et passé par les regrets du vefvage, on tient leur esprit pour meur et attrempé.

  A003002058 

 On permet plus d'affiquets aux filles, parce qu'elles peuvent loisiblement desirer d'agreer à plusieurs, quoy que ce ne soit qu'afin d'en gaigner un par un sainct Mariage.

  A003002059 

 Les hommes qui sont si lasches que de s'amuser à ces mugueteries sont par tout descriez comme hermaphrodites.

  A003002059 

 On dit qu'on n'y pense pas mal; mais je replique que le diable en y pense tousjours.

  A003002059 

 Pour moy, je voudrois que mon devot et ma devote fussent tousjours les mieux habillez de la troupe, mais les moins pompeux et les moins affaitez.

  A003002059 

 S. Louys dit en un mot que l'on se doit vestir selon son estat: en sorte que les sages et bons ne puissent dire; vous en faictes trop, ny les jeunes gens, vous en faites trop peu..

  A003002066 

 Et quant à celles-là, comme il ne faut pas estre superstitieuse à les prattiquer, aussi ne faut il pas estre du tout incivile à les mespriser, mais satisfaire avec modestie au devoir que l'on y a, afin d'esviter esgalement la rusticité et la legereté..

  A003002068 

 Ce que je dis, parce qu'il y a des choses loisibles qui pourtant ne sont pas honnestes; et afin que vostre modestie paroisse, gardez vous des insolences, lesquelles sans doute sont tousjours reprehensibles.

  A003002068 

 Il y a des gens qui ne font nulle sorte de contenance ny de mouvement, qu'avec tant d'artifice que chacun en est ennuyé.

  A003002068 

 Je vous dis encore une fois avec l'Apostre: Soyez tousjours joyeuse; mais en nostre Seigneur, et que vostre modestie paroisse à tous les hommes.

  A003002068 

 Pour vous resjoüir en nostre Seigneur, il faut que le sujet de vostre joye soit loisible, mais honneste.

  A003002072 

 C'est l'exercice que faisoit le Roy David parmi tant d'occupations [111*] qu'il avoit (comme il tesmoigne par mille traits de ses Pseaumes) comme quand il dit: O Seigneur, et moy je suis tousjours avec vous, Je voyois mon Dieu tousjours devant moy, J'ay eslevé mes yeux à vous, ô mon Dieu, qui habitez au Ciel, Mes yeux sont tous-jours à Dieu.

  A003002072 

 Resouvenez vous cependant, ô Philothee, de faire tousjours plusieurs retraictes en la solitude de vostre cœur, pendant que corporellement vous estes parmy les conversations, ainsi que j'ay marqué cy dessus; et ceste solitude mentale ne peut nullement estre empeschée par la multitude de ceux qui vous sont autour, parce qu'ils ne sont pas autour de vostre cœur, ains autour de vostre corps: si que vostre cœur demeure luy tout seul en la presence de Dieu seul.

  A003002074 

 Lesquelles parolles, outre leur sens literal (qui tesmoigne que ce grand Roy prenoit quelques heures pour se tenir solitaire en la contemplation des choses spirituelles) en leur sens mystique nous monstrent trois excellentes retraittes et comme trois hermitages dans lesquels nous pouvons exercer nostre solitude, à l'imitation de nostre Sauveur: lequel sur le mont de Calvaire fut comme le pelican de la solitude, qui de son sang ravive ses poussins morts: en sa Nativité dans une establerie deserte il fut comme le hyboux dedans la mazure, pleignant et pleurant nos pechez: et au jour de son Ascension, il fut comme le passereau, se retirant et volant au Ciel qui est comme le toict du monde; et en tous ces trois lieux nous pouvons nous retirer au temps de nostre solitude.

  A003002078 

 Gardez vous soigneusement de lascher aucune parolle deshonneste: car encore que vous ne les dissiez pas avec mauvaise intention, si est-ce que ceux qui les oyent les peuvent recevoir d'une autre sorte.

  A003002078 

 Si quelque sot vous dit des parolles messeantes, tesmoignez que vos oreilles en sont offencées, ou vous destournant ailleurs, ou par quelque autre moyen, selon que vostre prudence vous enseignera..

  A003002079 

 C'est pourquoy elle est un fort grand peché: et c'est la difference qu'il y a entre la joyeuseté ou facetie, et la moquerie; que ce que la joyeuseté employe par confiance et privauté, la moquerie l'employe par mespris, et avilissement.

  A003002079 

 C'est une des plus mauvaises conditions qu'un esprit peut avoir, que celle d'estre mocqueur.

  A003002079 

 Dont les Docteurs ont raison de dire que la moquerie est la plus mauvaise sorte d'offense que l'on puisse faire au prochain par les parolles; parce que les autres offenses se font avec quelque estime de celuy qui est offencé, et celle cy se fait avec mespris et contemnement.

  A003002079 

 Rien n'est si contraire à la charité, et beaucoup plus à la devotion que le mespris et contemnement du prochain: or la derision et moquerie ne se fait jamais sans ce mespris.

  A003002083 

 Or on en peut user ainsi avec les inferieurs: mais si vous me croyez, Philothée, ce sera si peu souvent, que l'on connoisse bien que ce n'est pas d'un esprit injurieux que ces parolles sortent de vostre bouche.

  A003002083 

 Que si vous pouvés absolument n'en point dire, ce sera chose beaucoup meilleure, à raison du danger qu'il y a de mesprendre entre nous autres, qui ne sommes pas parfaits comme saint Jean Baptiste, et saint Paul: et puis la verité est que si l'esprit de Dieu ne fait dire telles paroles, comme il faisoit en eux, elles n'apportent nulle sorte de correction.

  A003002083 

 Si je dis à un inferieur, vous estes un sot, ou une beste, il interpretera ces mots à cholere, non pas à correction; si que il n'en fera nullement son proffit: mais si je luy remonstre sa faute avec des paroles roides et fermes, sans tesmoignage de courroux, il s'en rendra plus aysement..

  A003002087 

 Dittes volontiers bien de tous, quand vous sçaurés qu'il y en a: ne dittes jamais mal des personnes, quoy que vous sçachiés qu'il y en a. [114*].

  A003002088 

 Bref ma langue pendant que je juge le prochain, est en ma bouche comme un rasoir en la main du Chirurgien, lequel veut trancher entre les nerfs et les tendons.

  A003002088 

 Il faut que le coup que j'en donneray soit si juste, que je ne die ny plus ny moins que ce qui en est..

  A003002088 

 Par exemple, si je blasme la privauté de ce jeune homme et de cette fille, parce qu'elle est trop grande et indiscrette; ô Dieu, Philothee, il faut que je tienne la balance bien droitte: et que puis que je les veux juger, que je ne die pas un seul mot de trop.

  A003002088 

 S'il n'y a ny imprudence ny vraye apparence de mal, mais que seulement quelque esprit malicieux en puisse tirer quelque pretexte de medisance, ou je n'en diray rien du tout ou je diray cela mesme.

  A003002088 

 S'il n'y a qu'une foible apparence de mal, il ne faut pas que je die rien d'avantage.

  A003002088 

 S'il n'y a qu'une simple imprudence, je ne diray aussi de mesme que cela.

  A003002089 

 Alors doncq je puis, ains je dois dire franchement que cette privauté est blasmable, que cette dissolution est deshonneste.

  A003002089 

 Avec tout cela encore ne faut il pas parler du prochain, ny le juger, sinon que le temps et le lieu le requierent.

  A003002089 

 Mais si je puis attendre de le dire à part, je me dois taire pour lors: car ny le temps, ny le lieu ne requierent pas que je juge..

  A003002089 

 Si je ne blasme librement ce mal, et que je vueïlle l'excuser, ces tendres ames qui sont presantes prendront occasion de se relacher à quelque chose semblable.

  A003002090 

 Apres tout cela, tandis que vous pourrez, blasmez tousjours le vice, et deschargez en la personne qu'on accuse: dites, je ne pourray jamais croire que cette personne ayt fait ce mal..

  A003002090 

 Il faut encore qu'il m'appartienne de juger et parler, comme quand je suis des premiers, et que si je ne parle il semblera que j'appreuve le vice: alors je dois user de franchise en le reprouvant: car si je suis des moindres de la troupe, je ne dois pas entreprendre [115*] de juger.

  A003002091 

 Il est vray que des pecheurs infames, publiques, et manifestes on en peut parler librement, pourveu que ce soit avec esprit de charité et de compassion, et non point avec arrogance et presumption, ny pour se plaire au mal d'autruy: car pour ce dernier c'est le fait d'un cœur vil et abjet.

  A003002092 

 Chacun se donne liberté de juger et censurer les Princes, et de mesdire des nations toutes entieres, selon la diversité des affections que l'on a en leur endroit.

  A003002093 

 Escartés ce propos là, vous resouvenant et la compagnie, que ceux qui ne tombent pas en faute, en doivent toute la grace à Dieu.

  A003002093 

 Quand vous oyés mal dire, rendés douteuse l'accusation, si vous le pouvez faire justement: si vous ne pouvés pas, excusez l'intention de l'accusé: que si cela ne se peut, tesmoignés de la compassion sur luy.

  A003002097 

 Accoustumez vous de ne jamais dire de mensonge à vostre escient, ny par excuse, [116*] ny autrement, vous resouvenant que Dieu est le Dieu de verité.

  A003002097 

 Gardez vous des duplicitez, artifices, et feintises: car bien que il ne soit pas bon de dire tousjours toutes sortes de veritez, si n'est il jamais permis de contrevenir à la verité.

  A003002097 

 Que vostre langage soit doux, franc, sincere, rond, naïf, et fidelle.

  A003002097 

 Une excuse veritable a bien plus de grace et de force pour excuser que le mensonge..

  A003002098 

 Bien que quelquefois on puisse discretement et prudemment desguiser et couvrir la verité par quelque artifice de parolle, si ne faut-il pas prattiquer cela sinon en choses d'importance, quand la gloire et service de Dieu le requierent manifestement: hors de là les artifices sont dangereux; car, comme dit la saincte parolle, le Sainct Esprit n'habite pas en un esprit feint et double.

  A003002098 

 Il n'y a nulle si bonne et desirable finesse que la simplicité.

  A003002100 

 Celuy, disoit-il, qui est à table en bonne compagnie, qui a à dire quelque chose joyeuse et plaisante, la doit dire que tout le monde l'entende: si c'est chose d'importance on la doit taire, sans en parler.

  A003002100 

 Sainct Louys ne treuvoit pas bon qu'estant en compagnie l'on parlast en secret et en conseil, et particulierement à table, afin que l'on ne donne soupçon que l'on parle des autres en mal.

  A003002104 

 C'est un vice sans doute que d'estre si rigoureux, agreste, et sauvage, qu'on ne vueille prendre pour soy, ny permettre aux autres aucune sorte de recreation..

  A003002104 

 S. Jean l'Evangeliste, comme dit le bien-heureux Cassian, fut un jour trouvé par un chasseur, qu'il tenoit une perdrix sur son poing, laquelle il caressoit par recreation: le chasseur luy demanda pourquoy estant homme de telle qualité il passoit le temps en chose si basse et vile; et S. Jean luy dit: Pourquoy ne portes tu pas ton arc tousjours tendu? De peur, respondit le chasseur, que demeurant tousjours courbé il ne perde la force de s'estendre quand il en sera mestier.

  A003002105 

 Prendre l'air, se promener, s'entretenir de devis joyeux et amiables, jouer du luth, ou autres instrumens, chanter musique, aller à la chasse, ce sont recreations si honnestes, que pour en bien user il n'est besoin que de la commune prudence, qui donne à toutes choses le rang, le temps, le lieu et la mesure..

  A003002106 

 Et si le prix, c'est à dire ce que l'on joüe est trop grand, les affections des joueurs se dereglent; et outre cela, c'est chose injuste de mettre des grands prix à des habilités, et industries de si peu d'importance, et si inutiles comme sont les habilités des jeux.

  A003002106 

 Il se faut seulement garder de l'exces, soit au temps que l'on y employe, soit au prix que l'on y met: car si l'on y employe trop de temps, ce n'est plus recreation, c'est occupation; on n'allege pas ny l'esprit ny le corps, au contraire on l'estourdit, on l'accable.

  A003002106 

 Mais sur tout prenés garde, Philothee, de ne point attacher vostre affection à tout cela: car pour honneste que soit une recreation, c'est vice d'y mettre son cœur, et son affection.

  A003002111 

 Apres les champignons il faut boire du vin precieux; apres les danses il faut mettre dans son cœur quelques bonnes pensées, qui empeschent le plaisir vain que l'on a pris, de faire des mauvaises impressions.

  A003002111 

 Au moyen dequoy si quelque serpent sur cela vient souffler aux oreilles quelque parolle lascive, quelque mugueterie, quelque cajolerie: ou que quelque basilic vienne jetter des regards impudiques, des œillades d'amour, les cœurs sont fort aysés à se laisser saisir et empoisonner..

  A003002111 

 Les champignons selon Pline estans spongieux et poreux, comme ils sont, attirent aysement toute l'infection qui leur est autour; si que les serpens les approchans ils en reçoivent le venin; les bals, les danses, et telles assemblées tenebreuses, attirent ordinairement les vices et pechez, qui regnent en un lieu, les querelles, les envies, les moqueries, les folles amours.

  A003002111 

 Les meilleurs n'en valent rien, disent ils; et je vous dis que les meilleurs bals ne sont guere bons.

  A003002111 

 Si neantmoins il faut manger des potirons, prenez garde qu'ils soyent bien àpprestez; si par quelque occasion de laquelle vous ne puissiez pas bien vous excuser, il faut aller au bal, prenez garde que vostre danse soit bien apprestée.

  A003002116 

 Mais nous avons ainsi convenu, me direz vous: cela est bon, pour monstrer que celuy qui gaigne ne fait pas tort aux autres: mais il ne s'ensuit pas que la convention ne soit desraisonnable, et le jeu aussi: car le gain qui doit estre le prix de l'industrie, est rendu le prix du sort, qui ne merite nul prix, puis qu'il ne depend nullement de nous..

  A003002117 

 Car comme peut estre recreation un exercice auquel il faut tenir l'esprit bandé et tendu par une attention continuelle, et agité de perpetuelles inquietudes, apprehensions, et empressemens? Y a-il attention plus triste, plus sombre, et melancolique que celle des joüeurs? C'est pourquoy il ne faut pas parler sur le jeu, il ne faut pas rire, il ne faut pas tousser, autrement les voila à despiter.

  A003002118 

 En fin il n'y a point de joye au jeu qu'en gaignant: et ceste joye n'est elle pas inique, puis qu'elle ne se peut avoir que par la perte et le desplaisir du compagnon? ceste resjoüissance est certes infame.

  A003002118 

 La saincte et chaste damoiselle Sara parlant à Dieu de son innocence; Vous sçavez, dit elle, ô Seigneur, que jamais je n'ay conversé entre les joueurs..

  A003002118 

 Le grand Roy S. Louys sçachant que le Comte d'Anjou son frere, et Messire Gautier de Nemours joüoyent, il se leva, malade qu'il estoit, et alla tout chancelant en leur chambre, et là print les tables, les dez, et une partie de l'argent, et les jetta par les fenestres dans la mer, se courrouçant fort à eux.

  A003002122 

 Que ce soit pour recreation, pour peu de temps, et rarement.

  A003002123 

 J'ay esté consolé d'avoir leu en la vie du B. Charles Boromee qu'il usoit de beaucoup de condescendence avec les Soüisses en des choses esquelles d'ailleurs il estoit fort severe, et que le B. Ignace de Loyole estant invité à joüer, l'accepta..

  A003002127 

 Mais quant aux jeux de paroles qui se font des uns aux autres, avec une modeste gayeté et joyeuseté, ils appartiennent à la vertu nommée Eutrapelie par les Grecs, et que nous pouvons appeller bonne conversation; et par iceux on prend une honneste et amiable recreation sur les occasions frivoles, que les imperfections humaines fournissent: il se faut seulement garder de passer de cette honneste joyeuseté à la moquerie.

  A003002127 

 Mais, Philothee, passons tellement le temps par recreation, que nous conservions la sainte eternité par devotion..

  A003002127 

 Saint Louys quand des Religieux vouloient luy parler de choses relevées apres disner: Il n'est pas temps d'alleguer, disoit il, mais de se recreer par quelque joyeuseté et quolibets; que chacun die ce qu'il voudra honnestement: ce qu'il disoit, favorisant la noblesse qui estoit autour de luy pour recevoir des caresses de sa Majesté.

  A003002131 

 Il convertit tout le reste à soy, et nous rend tels que ce qu'il aime.

  A003002131 

 Or l'amitié est le plus dangereux amour de tous, parce que les autres amours peuvent estre sans communication: mais l'amitié estant totalement fondée sur icelle, on ne peut l'avoir avec une personne sans participer à ses qualitez..

  A003002132 

 L'amitié est un amour mutuel: et si il n'est pas mutuel, ce n'est pas une amitié: et ne suffit pas qu'il soit mutuel, il faut encor que les parties qui s'entreaiment le sçachent: et qu'avec cela il y ayt entre elles quelque sorte de communication, qui soit le fondement de l'amitié.

  A003002134 

 La communication des voluptés charnelles est une mutuelle propension et amorce brutalle, laquelle ne peut non plus porter le nom d'amitié entre les hommes, que celles des asnes et chevaux pour semblables effets: et s'il n'y avoit nulle autre communication au Mariage, il n'y auroit non plus nulle amitié.

  A003002134 

 Mais parce que, outre celle là, il y a en iceluy la communication de la vie, de l'industrie, des biens, des affections, et d'une indissoluble fidellité; c'est pourquoy l'amitié du Mariage est une vraye amitié et sainte..

  A003002135 

 Ce sont ordinairement les amitiés des jeunes gens, qui se tiennent aux moustaches, aux cheveux, aux œillades, aux habits, à la morgue, à la [125*] babillerie; amitiés dignes de l'aage des amans, qui n'ont encor aucune vertu qu'en bourre, ny nul jugement qu'en boutton: aussi telles amitiés ne sont que passageres, et fondent comme la neige au soleil.

  A003002135 

 J'apelle vertus frivoles, certaines habilités et qualités vaines, que les foibles esprits appellent vertus et perfections.

  A003002135 

 L'amitié fondée sur la communication des plaisirs sensuels est toute grossiere, et indigne du nom d'amitié: comme aussi celle qui est fondée sur des vertus frivoles et vaines, parce que ces vertus dependent aussi des sens.

  A003002135 

 La societé faite pour le proffit temporel entre les marchands n'a que l'image de la vraye amitié: car ces associations se font, non pour l'amour des personnes, mais pour l'amour du gain..

  A003002135 

 Or comme tout cela regarde les sens, aussi les amitiés qui en proviennent s'apellent sensuelles, vaines, frivoles: et meritent plustost le nom de folastrerie que d'amitié.

  A003002139 

 Mais si vostre mutuelle et reciproque communication se fait de la charité, de la devotion, de la perfection Chrestienne; ô Dieu, que vostre amitié sera precieuse! Elle sera excellente parce qu'elle vient de Dieu, excellente parce qu'elle tend à Dieu, excellente parce que son lien c'est Dieu, excellente parce qu'elle durera eternellement en Dieu.

  A003002139 

 O Philothee, aymez un chacun d'un grand amour charitable: mais n'ayez point d'amitié qu'avec ceux qui peuvent communiquer avec vous de choses vertueuses; et plus les vertus que vous mettez en vostre commerce seront exquises, plus vostre amitié sera parfaicte.

  A003002139 

 Qu'à bon droit peuvent chanter telles heureuses ames: O que voicy combien il est bon et agreable que les freres habitent ensemble; ouy, car le baume [126*] delicieux de la devotion distille de l'un des cœurs en l'autre, par une continuelle participation: si qu'on peut dire que Dieu a respendu sur ceste amitié sa benediction, et la vie jusques au siecle des siecles..

  A003002140 

 Il m'est advis que toutes les autres amitiés ne sont que des ombres au prix de celle-cy, et que leurs liens ne sont que des chaisnes de verre ou de jayet, en comparaison de ce grand lien de la sainte devotion, qui est tout d'or..

  A003002141 

 Ne faites point d'amitié d'autre sorte, je veux dire des amitiés que vous faites: car il ne faut pas ny quitter, ny mespriser pour cela les amitiés que la nature et les precedens devoirs vous obligent de cultiver, des parens, des alliez, des bien-facteurs, des voisins et autres: je parle de celles que vous choisissez vous-mesme..

  A003002146 

 Il faut prendre garde de n'estre point trompée en ces amitiés, notamment quand elles se contractent entre les personnes de divers sexe, sous quel pretexte que ce soit: car bien souvent Satan donne le change à ceux qui aiment.

  A003002146 

 On commence par l'amour vertueux: mais si on n'est fort sage, l'amour frivole se meslera, puis l'amour sensuel, puis l'amour charnel; ouy mesme, il y a danger en l'amour spirituel, si on n'y prend garde, bien qu'en celuy-cy il soit plus difficile de prendre le change, parce que sa pureté et blancheur rendent plus cognoissables les soüillures que Satan y veut mesler: c'est pourquoy il fait cela plus finement et y glisse les impuretez presque insensiblement..

  A003002147 

 Le miel d'Heraclée rend une douceur extraordinaire à la langue; à raison de l'aconit qui accroist la douceur ordinaire du miel: et l'amitié mondaine commence par une composition et agencement de parolles emmiellées, qui tiennent desja fort de la cajolerie: le miel d'Heraclee estant avalé excite un tournoyement de teste, et l'amitié mondaine petit à petit fait un tournoyement d'esprit, qui fait chanceler la devotion, et porte à des petits fatras de caresses sensuelles, lesquelles presagent la future cheute de la pureté: le miel d'Heraclee trouble la veüe, et ceste amitié mondaine va troublant le jugement, en sorte que l'on pense bien faire en mal faisant, ou au moins on s'excuse au mal, et le veut on couvrir par parolles et pretextes.

  A003002148 

 Soyez fidelle, constante, et impliable aux vrayes amitiés: fuïez les fausses et frivoles, et vous resouvenez tousjours de ce que dit S. Jaques, L'amitié de ce monde est ennemie de Dieu.

  A003002152 

 Comme par exemple, si un jeune homme desire fort d'estre prouveu de quelque office avant que le temps soit venu, dequoy je vous prie luy sert ce desir? si une femme mariée desire d'estre religieuse, à quel propos? si je desire d'avoir le bien d'autruy justement, avant qu'il soit prest à le vendre, ne perds je pas mon temps en ce desir? Si estant malade je desire de faire les offices de ceux qui sont en santé, cela ce sont des desirs des femmes grosses, qui desirent les cerises fraisches en hyver, et la neige en esté.

  A003002153 

 Je n'appreuve nullement qu'une personne attachée à quelque devoir ou vocation s'amuse à desirer une autre sorte de vie, que celle qui est convenable à son devoir, ny des exercices incompatibles à sa condition presente: car cela dissipe le cœur et l'allanguit és exercices necessaires.

  A003002153 

 Non je ne voudrois pas mesmement que l'on desirast d'avoir meilleur esprit, ny meilleur jugement: car ces desirs sont frivoles, et tiennent la place de celuy que chacun doit avoir de cultiver le sien tel qu'il est: ny que l'on desire les moyens de servir Dieu que l'on n'a pas, mais que l'on employe fidellement ceux qu'on a. Or cela s'entend des desirs qui amusent le cœur; car quant aux simples souhaits ils ne font nulle nuysance, pourveu qu'ils ne soyent pas frequens..

  A003002153 

 Si je desire la solitude des Chartreux, je perds mon temps, et ce desir tient la place de celuy que je dois avoir de me bien employer à mon office present.

  A003002154 

 Ne desirez pas les croix, sinon à mesure que vous aurez bien supportées celles qui se seront presentées: car c'est un abus de desirer le martyre, et n'avoir pas le courage de supporter une injure.

  A003002155 

 C'est bon signe, ma Philothee, d'avoir ainsi bon appetit: mais regardez si vous pourrez bien tout digerer ce que vous voulez manger.

  A003002155 

 Je ne dis pas qu'il faille perdre aucune sorte de bons desirs, mais je dis qu'il les faut produire par ordre; et ceux qui ne peuvent estre effectuez presentement, il les faut serrer en quelque coing du cœur, jusques à ce que leur temps soit venu: et cependant effectuer ceux qui sont meurs et de saison; ce que je ne dis pas seulement pour les spirituels, mais pour les mondains: sans cela nous ne sçaurions vivre qu'avec inquietude et empressement..

  A003002159 

 Ce que je m'en vay vous dire sont ce pas des iniquitez et déraisons? [130*].

  A003002159 

 Nous ne sommes hommes que par la raison: et c'est pourtant chose rare de trouver des hommes vrayement raisonnables: d'autant que l'amour propre nous detraque ordinairement de la raison, nous conduisant insensiblement a mille sortes de petites mais dangereuses injustices et iniquitez, qui sont comme les petits renardeaux, desquels il est parlé aux Cantiques, qui demolissent les vignes: parce qu'ils sont petits on n'y prend pas garde, mais parce qu'ils sont en quantité ils ne laissent pas de beaucoup nuire.

  A003002160 

 Nous voulons vendre fort cher, et acheter à bon marché: nous voulons que l'on face justice en la maison d'autruy, et chez nous misericorde, et connivence: nous voulons qu'on prenne en bonne part nos parolles, et sommes chatouilleux et douillets à celles d'autruy: nous voudrions que le prochain nous laschast son bien en le bien payant; n'est il pas plus juste qu'il le garde en nous laissant nostre argent? Nous luy sçavons mauvais gré dequoy il ne nous veut pas accommoder; n'a il pas plus de raison d'estre fasché dequoy nous le voulons incommoder?.

  A003002161 

 Au contraire si quelqu'un nous est agreable d'une grace sensuelle, il ne fait rien que nous n'excusions.

  A003002161 

 En tout nous preferons les riches aux pauvres, quoy qu'ils ne soyent ny de meilleure condition, ny si vertueux: nous preferons mesmes les mieux vestus: nous voulons nos droits exactement, et que les autres soyent courtois en l'exaction des leurs: nous gardons nostre rang pontilleusement, et voulons que les autres soient humbles et condescendans.

  A003002161 

 Il y a des enfans vertueux que leurs peres et meres ne peuvent presque voir pour quelque imperfection corporelle: il y en a des vicieux qui sont les favorys pour quelque grace corporelle.

  A003002161 

 Nous avons deux poids, l'un pour peser nos commoditez, avec le plus d'avantage que nous pouvons: l'autre pour peser celles du prochain, avec le plus de desavantage qu'il se peut.

  A003002162 

 Resouvenés vous donc, ma Philothee, d'examiner souvent vostre cœur, s'il est tel envers le prochain, estant en vostre place, comme voudriez que le sien fut envers vous, si vous estiés en la sienne: car voyla le poinct de la vraye raison.

  A003002162 

 Toutes ces injustices sont petites, parce qu'elles n'obligent pas à restitution: d'autant que nous demeurons seulement dans les termes de la rigueur en ce qui nous est favorable; mais elles ne laissent pas de nous obliger à nous en amander, car ce sont des grands defauts de raison et de charité; et au bout de là ne sont que tricheries: car on ne perd [131*] rien à vivre genereusement, noblement, courtoisement, et avec un cœur esgal et raisonnable.

  A003002162 

 Trajan estant censuré par ses confidens dequoy il rendoit à leur advis la majesté imperiale trop accostable; Ouy dëa, dit il, ne dois je pas estre tel Empereur à l'endroit des particuliers, que je desirerois rencontrer un Empereur, si j'estois particulier moy-mesme?.

  A003002166 

 La tristesse n'est autre "chose que la douleur d'esprit que nous avons du mal qui est en nous contre nostre gré: soit que le mal soit exterieur, comme pauvreté, maladie, mespris: soit qu'il soit interieur, comme ignorance, secheresse, repugnance, tentation.

  A003002167 

 Si l'ame cherche les moyens d'estre deslivrée de son mal, pour l'amour de Dieu, elle les cherchera avec patience, douceur, humilité et tranquillité; attendant sa delivrance plus de la bonté et providence de Dieu que de sa peine, industrie ou diligence: si elle cherche sa delivrance pour l'amour propre, elle s'empressera et s'eschauffera à la queste des moyens, comme si ce bien dependoit plus d'elle que de Dieu: je ne dis pas qu'elle pense cela, mais je dis qu'elle s'empresse comme si elle le pensoit..

  A003002168 

 Que si elle ne rencontre pas soudain ce qu'elle desire elle entre en des grandes inquietudes et impatiences, lesquelles n'ostant pas le mal precedant ains au contraire l'empirant, l'ame entre en une angoisse et detresse demesurée, avec une defaillance de courage et de forces, telle, qu'il luy semble que son mal n'ait plus de remede.

  A003002168 

 Vous voyez donques que la tristesse, laquelle au commencement est juste engendre l'inquietude, et l'inquietude engendre par apres un surcroist de tristesse, qui est extremement dangereux.

  A003002170 

 L'inquietude provient d'un desir dereglé d'estre delivré du mal que l'on sent, ou d'acquerir le bien que l'on espere: et neantmoins, il n'y a rien qui empire plus le mal, et qui esloigne plus le bien que cette inquietude et empressement.

  A003002170 

 Les oyseaux demeurent prins dans les filets et lacz, parce que s'y treuvans engagés ils se debattent et remuent dereglement pour en sortir, ce que faisant ils s'enveloppent tousjours tant plus.

  A003002171 

 Soyés soigneuse de faire souvent l'examen que je vous marqueray cy bas, au chapitre de la troisiesme Partie, considerant si vostre ame s'est point eschappée de vos mains par quelques sortes d'affections déreglées: et si vous decouvrez quelque sorte de desordre, taschés d'appaiser le tout en la presance de Dieu, remettant fort vos empeschemens et desirs à la conduitte et mercy de sa divine providence..

  A003002172 

 Quand vous sentirés arriver l'inquietude, recommandez vous à Dieu, et resolvez vous de ne rien faire du tout de ce que vostre desir requiert de vous, que l'inquietude ne soit totallement passée: sinon que ce fut chose qui ne se peut differer; et alors il faut avec un doux et tranquille effort, retenir le courant de vostre desir, et l'attremper ou moderer tant qu'il vous sera possible, et faire la chose, non selon vostre desir, mais selon la raison..

  A003002173 

 Si vous pouvés decouvrir vostre inquietude à celluy qui conduit vostre ame, ou au moins à quelque confident et devot amy, ne doutez [133*] point que tout aussi tost vous ne soyez accoisée: car la communication des douleurs du cœur fait le mesme effet en l'ame, que la seignée fait au corps de celuy qui est en fievre continue; c'est le remede des remedes..

  A003002177 

 Il est vray qu'elle en fait plus de mauvaises que de bonnes: car elle n'en fait que deux bonnes, à sçavoir misericorde et penitence; et il y en a six mauvaises, à sçavoir, angoisse, paresse, indignation, jalousie, envie, et impatience; qui a faict dire au Sage, La tristesse en tue beaucoup, et n'y a point de proffit en icelle, parce que pour deux bons ruisseaux qui proviennent de la source de tristesse, il y en a six qui sont bien mauvais..

  A003002178 

 Le malin se plaist en la tristesse et melancholie, parce qu'il est triste et melancholique, et le sera eternellement, dont il voudroit que chacun fut comme luy..

  A003002181 

 Contrariez vivement aux inclinations de la tristesse: et bien qu'il semble que tout ce que vous ferez en ce temps-là se face froidement, tristement, et laschement, ne laissez pourtant pas de le faire: car l'ennemy qui pretend de nous allanguir aux bonnes œuvres par la tristesse, voyant que nous ne laissons pas de les faire, et qu'estant faictes avec resistence elles en valent mieux, il cesse de nous plus affliger..

  A003002183 

 Il est bon de s'employer aux œuvres exterieures, et les diversifier le plus que l'on peut, pour divertir l'ame de l'object triste, purifier et eschauffer les esprits, la tristesse estant une passion de la complexion froide et seiche..

  A003002184 

 Faictes des actions exterieures de ferveur, quôy que sans goust, embrassant l'image du Crucifix, la serrant sur la poitrine, luy baisant les pieds et les mains, levant vos yeux et vos mains au Ciel, eslançant vostre voix en Dieu par des parolles d'amour et de confiance, comme sont celles-cy, Mon Bien-aymé est à moy, et moy à luy: mon Bien-aimé m'est un bouquet de mirrhe, il demeurera entre mes mammelles; Mes yeux se fondent sur vous, ô mon Dieu, disans, Quand me consolerez vous? O Jesus soyez moy Jesus; Vive Jesus, et mon ame vivra; Qui me separera de l'amour de mon Dieu? et Semblables..

  A003002185 

 La discipline moderée est bonne contre la tristesse, parce que ceste volontaire affliction exterieure impetre la consolation interieure: et l'ame sentant des douleurs de dehors, se divertit de celles qui sont au dedans: la frequentation de la saincte Communion est excellente, car ce pain celeste affermit le cœur, et resjoüit l'esprit..

  A003002186 

 Decouvrez tous les ressentimens, affections, et suggestions qui proviennent de vostre tristesse à vostre conducteur et Confesseur, humblement et fidellement: cerchez les conversations de personnes spirituelles, et les hantez le plus que vous pourrez pendant ce temps là.

  A003002186 

 Et en fin finale resignez vous entre les mains de Dieu, vous preparant à souffrir ceste ennuyeuse tristesse patiemment, comme juste punition de vos vaines allegresses: et ne doutez nullement que Dieu apres vous avoir esprouvée ne vous delivre de ce mal.

  A003002190 

 Soyez devote à la parolle de Dieu; et soit que vous l'escoutiez en devis familiers avec vos amis spirituels, soit que vous l'escoutiez au sermon, oyez la tousjours avec attention et reverence, faictes en bien vostre proffit, et ne permettez pas qu'elle tombe à terre, ains recevez la comme un precieux baume dans vostre cœur, à l'imitation de la tres-saincte Vierge, qui conservoit soigneusement dedans son cœur toutes les parolles que l'on disoit à la louange de son enfant; et resouvenez vous que nostre Seigneur recueille les parolles que nous luy disons en nos prieres, à mesure que nous recueillons celles qu'il nous dit par la predication..

  A003002191 

 Ayez tousjours aupres de vous quelque beau livre de devotion, comme sont ceux de S. Bonaventure, de S. Bernard, de Gerson, de Denys le Chartreux, de Louys Blosius, de Grenade, de Stella, d'Arias, de Pinelli, d'Avilla, le Combat spirituel, les Confessions de S. Augustin, les Epistres de sainct Hierosme, et semblables; et lisez-en tous les jours un peu avec grande devotion, comme si vous lisiez des lettres et missives que les Saincts vous eussent envoyées du Ciel, pour vous monstrer le chemin, et vous donner le courage d'y aller.

  A003002191 

 Il est vray qu'il y a certaines histoires qui donnent plus de lumiere pour la conduitte de nostre vie que d'autres; comme la vie de la B. H. mere Therese, laquelle est admirable pour cela, les vies des premiers Jesuistes, celle du B. H.Cardinal [136*] Boromee, de S. Louys, de S. Bernard; les Croniques de S. François, et autres pareilles.

  A003002191 

 Il y en a d'autres où il y a plus de sujet d'admiration que d'imitation, comme celle de saincte Marie Egyptienne, de S. Simeon Stilités, des deux sainctes Catherines, de Sienne, et de Gennes: de S. Angele, et autres telles, lesquelles ne laissent pas neantmoins de donner un grand goust general du saint amour de Dieu..

  A003002191 

 La solitude de S. Paul premier hermite est imitée en vos retraittes spirituelles et reelles, desquelles nous avons parlé cy dessus: l'extreme pauvreté de S. François par les prattiques de la pauvreté, telles que nous avons marquées, ainsi des autres.

  A003002191 

 Lisez aussi les histoires et vies des Saincts, esquelles comme dans un miroûer vous verrez le pourtrait de la vie Chrestienne: et accommodez leurs actions à vostre proffit selon vostre vocation: car bien que beaucoup des actions des Saincts ne soyent pas imitables par ceux qui vivent emmy le monde; si est ce neantmoins que toutes peuvent estre suyvies ou de prés ou de loing.

  A003002195 

 Et vous, ma Philothee, parlés souvent de Dieu és devis familiers que vous ferés avec vos amis et voisins: mais tousjours parlés en comme de Dieu, c'est à dire reveremment et devotement: non point faisant la suffisante ny la prescheuse, mais avec esprit de douceur, de charité et d'humilité, distillant (comme il est dit de l'Espouse au Cantique des Cantiques) le miel delicieux de ce que vous sçaurez de la devotion et des choses divines, goutte à goutte, tantost dedans l'aureille de l'un, tantost dedans l'aureille de l'autre: priant Dieu au secret de vostre ame, qu'il luy plaise de faire passer ceste saincte rosée jusques dedans le cœur de ceux qui vous escoutent..

  A003002197 

 Ce que je dis pour vous oster une remarquable vanité qui se treuve en plusieurs personnes qui font profession de devotion, lesquelles à tout propos disent des parolles sainctes et ferventes par maniere d'entregent, et sans y penser nullement: et apres les avoir dittes, il leur est advis qu'ils sont tels que leurs parolles tesmoignent, ce qui n'est pas.

  A003002201 

 C'est pourquoy le divin Espoux veut faire entendre qu'il n'a pas seulement agreables les grandes œuvres des personnes devotes, mais aussi les moindres et plus petites: et que pour le servir à son goust, il faut avoir grand soing de le bien servir aux choses grandes et hautes, et aux choses basses et abjettes, puis que nous pouvons esgallement et par les unes et par les autres luy desrober son cœur par amour..

  A003002201 

 L'Espoux sacré au Cantique des Cantiques, dit que son Espouse luy a ravy le cœur par l'un de ses yeux, et par l'un de ses cheveux.

  A003002201 

 Or entre toutes les parties exterieures du corps humain, il n'y en a point de plus noble, soit pour l'artifice, soit pour l'activeté que l'œil: ny point de plus vile que les cheveux.

  A003002202 

 Ces petites charitez quotidiennes, ce mal de teste, ce mal de dents, cette defluxion, cette bigearrierie du mary ou de la femme, ce cassement d'un verre, ce mespris ou cette moue, cette perte de gans, d'une bague, d'un mouchoir, cette [138*] petite incommodité que l'on se fait d'aller coucher de bonne heure, de se lever matin pour prier, pour se communier, ceste petite honte que l'on a de faire certaines actions de devotion publiquement: bref toutes ces petites souffrances estant prinses et embrassées avec amour contentent extremement la bonté divine; laquelle pour un seul verre d'eau a promis la mer de toute felicité à ses fidelles: et parce que ces occasions se presentent à tout moment, c'est un grand moyen d'assembler beaucoup de richesses spirituelles que de les bien employer..

  A003002202 

 Mais tandis que la divine providence ne vous envoye pas des afflictions si sensibles, et si grandes, et qu'il ne requiert pas de vous vos yeux, donnez luy pour le moins vos cheveux: je veux dire supportez tout doucement les menues injures, ces petites incommoditez, ces pertes de peu d'importance, qui vous sont journalieres: car par le moyen de ces petites occasions, employées avec amour, et dilection, vous gaignerez entierement son cœur, et le rendrez tout vostre.

  A003002203 

 J'ay dit cet exemple, afin que vous sçachiez, ma Philothee, combien il importe de sçavoir bien dresser toutes nos actions pour viles qu'elles soient, au service de sa divine Majesté..

  A003002203 

 Je n'estime pas moins, dis je, cette oraison, que les ravissemens et extases qu'elle eust, qui ne luy furent peut estre donnés que pour recompense de cette humilité et abjection.

  A003002203 

 Mais j'ay esté égallement consolé quand je l'ay veüe en la cuisine de son pere tourner humblement la broche, attiser le feu, aprester la viande, paistrir le pain, et faire tous les plus bas offices de la maison, avec un courage plein d'amour et de dilection envers son Dieu; et n'estime pas moins la petite et basse meditation qu'elle faisoit parmy ces offices vils et abjets, s'imaginant qu'aprestant pour son pere, elle aprestoit pour nostre Seigneur: et que sa mere tenoit la place de nostre Dame, ses freres des Apostres; s'excitant en cette sorte de servir toute la cour celeste, et s'employant à ces chetifs services avec une grande suavité, parce qu'elle sçavoit telle estre la volonté de Dieu.

  A003002204 

 Et pour moy, je vous conseille tant que je puis, d'imiter cette femme forte, de laquelle le grand Salomon a fait tant d'estime, laquelle, comme il dit, mettoit la main à choses fortes, genereuses et relevées, et neantmoins ne laissoit pas de filer et tourner le fuseau.

  A003002204 

 Mettez la main à chose forte, vous exerçant à l'oraison et meditation, à l'usage des Sacremens, à donner de l'amour de Dieu aux ames, à respendre des bonnes inspirations dedans les cœurs: et en fin à faire des œuvres grandes et d'importance selon vostre vocation: mais n'obliés pas aussi vostre fuseau et vostre quenouille: c'est à dire prattiqués ces petites et humbles vertus, lesquelles comme fleurs [139*] croissent au pied de la croix; le service des pauvres, la Visitation des malades, le soin de la famille, et toutes les œuvres qui dependent d'iceluy, et l'utile diligence qui provoque à ne point demeurer oisive, ny de cœur, ny de corps; et parmi toutes ces choses là entre-jettez des pareilles considerations que celles que je viens de dire de saincte Catherine..

  A003002205 

 Faites donq toutes choses au nom de Dieu, et toutes choses seront bien faites; soit que vous mangiés, soit que vous beuviez, soit que vous dormiés, soit que vous vous recrées, soit que vous tourniés la broche, pourveu que vous sçachiés bien mesnager vos affaires vous profiterés beaucoup devant Dieu, faisant toutes ces choses parce que Dieu veut que vous les faciès..

  A003002209 

 C'est chose bien aysée que de s'empescher du meurtre, mais c'est chose difficile d'esviter les menues choleres, desquelles les occasions se presentent à tout moment.

  A003002209 

 C'est pourquoy, ma chere Philothee, il faut qu'avec grand soin et diligence nous nous preparions à ce combat: et soyés asseurée qu'autant de victoires que nous rapporterons contre ces petits ennemis, autant de pierres precieuses seront mises en la couronne de gloire que Dieu nous prepare en son Paradis: c'est pourquoy je dis qu'attendant de bien et vaillamment combattre les grandes tentations, si elles viennent, il nous faut bien, et diligemment nous defendre de ces menues, et foibles attaques..

  A003002209 

 Car comme les grandes surpassent en qualité, les petites aussi surpassent si demesurement en nombre, que la victoire d'icelles peut estre comparable à celle des plus grandes.

  A003002209 

 J'en dis de mesme touchant les tentations, lesquelles il faut combattre avec un courage esgal, ou petites qu'elles soient, ou grandes: si est ce neantmoins qu'à l'adventure on fait plus de proffit à bien combattre les petites que les grandes.

  A003002209 

 Les loups et les ours sont sans doute plus dangereux que les mouches: mais si ne nous font ils pas tant d'importunité et d'ennuy, ny n'exercent pas tant nostrê patience.

  A003002213 

 Pour l'entiere resolution d'un mariage trois actions doivent entrevenir, quant à la Damoiselle que l'on veut marier.

  A003002214 

 Quand l'inspiration dureroit tout le temps de nostre vie, nous ne serions pourtant nullement agreables à Dieu si nous n'y prenons plaisir: au contraire sa divine Majesté en seroit offencée, comme il le fut contre les Israëlites, aupres desquels il fut quarante ans, comme il dit, les sollicitant à se convertir, sans que jamais ils y voulussent entendre: dont il jura contre eux en son ire, que jamais ils n'entreroient en son repos.

  A003002215 

 Le plaisir que l'on prend aux inspirations est un grand acheminement à la grace de Dieu, et desja on commence à plaire par iceluy à sa divine Majesté: car si bien cette delectation n'est pas encore un entier consentement, c'est une certaine disposition à iceluy; et si c'est un bon signe et chose fort utile de se plaire à oüir la parole de Dieu, qui est comme une inspiration exterieure, c'est chose bonne aussi et agreable à Dieu de se plaire en l'inspiration interieure.

  A003002216 

 Ce fut ce qui arriva à l'Espouse sacrée: car quoy que la douce voix de son bien-Aimé luy eust touché le cœur d'un sainct ayse, si est-ce neantmoins qu'elle ne luy ouvrit pas la porte, mais s'en excusa d'une excuse frivole: dequoy l'Espoux justement indigné il passa outre et la quitta: aussi le Gentilhomme qui apres avoir longuement recerché une Damoiselle, et luy avoir rendu son service agreable, en fin seroit rejette et mesprisé, auroit bien plus de sujet de mécontentement que si sa recerche n'avoit point esté agreée ny favorisée.

  A003002217 

 Consentez, mais d'un consentement plein, amoureux et constant à la saincte inspiration: car en ceste sorte, Dieu que vous ne pouvez obliger se tiendra pour fort obligé à vostre affection: mais avant que de consentir aux inspirations des choses importantes ou extraordinaires, afin de n'estre point trompée conseillez vous tousjours à vostre guide, afin qu'il examine si l'inspiration est vraye ou fausse: d'autant que l'ennemy voyant une ame prompte à consentir aux inspirations luy en propose bien souvent des fausses pour la tromper: ce qu'il ne peut jamais faire, tandis qu'avec l'humilité elle obeïra à son conducteur..

  A003002219 

 Or à tout cecy sert merveilleusement de bien prattiquer l'exercice du matin, et les retraites spirituelles, que j'ay marquées cy dessus: car par ce moyen nous nous preparons à faire le bien d'une preparation non seulement generalle, mais aussi particuliere..

  A003002223 

 Et bien que ces trois actions ne se cognoissent pas si manifestement en toutes autres sortes de peché, si est-ce qu'elles se cognoissent palpablement aux grands et enormes pechez..

  A003002223 

 Imaginez vous, Philothee, une jeune Princesse extremement aymée de son espoux, et que quelque meschant pour la debaucher et souiller son lict nuptial luy envoye quelque infame messager d'amour, pour traitter avec elle son malheureux dessein.

  A003002224 

 Grandes furent aussi les tentations que souffrit S. François et S. Benoist, lors que l'un se jetta dans les espines, et l'autre dans la neige pour les mitiger: et neantmoins ils ne perdirent rien de la grace de Dieu pour tout cela, ains l'augmentarent de beaucoup..

  A003002224 

 Quand la tentation de quel peché que ce soit dureroit toute nostre vie, elle ne sçauroit nous rendre desagreables à la divine Majesté, pourveu qu'elle ne nous plaise pas, et que nous n'y consentions pas: la raison est, parce qu'en la tentation nous n'agissons pas, mais nous souffrons: et puis que nous n'y prenons point de plaisir, nous ne pouvons aussi en avoir aucune sorte de coulpe.

  A003002224 

 S. Paul souffrit longuement les tentations de la chair: et tant s'en faut que pour cela il fut desagreable à Dieu, qu'au contraire Dieu estoit glorifié par icelles.

  A003002225 

 C'est [144*] pourquoy tant que la tentation dure et persevere, elle ne peut nous nuire, tandis qu'elle nous est desagreable..

  A003002225 

 Il faut donc estre fort courageuse, Philothee, emmy les tentations, et ne se tenir jamais pour vaincuë pendant qu'elles vous deplairont, en bien observant ceste difference qu'il y a entre sentir et consentir; c'est qu'on les peut sentir encore qu'elles nous deplaisent, mais on ne peut consentir sans qu'elles nous plaisent, puis que le plaisir pour l'ordinaire sert de degré pour venir au consentement.

  A003002225 

 Mais il y a ceste difference entre l'ame et ceste Princesse pour ce sujet, que la Princesse ayant ouy la proposition deshonneste peut si bon luy semble chasser le messager, et ne le plus ouïr; mais il n'est pas tousjours au pouvoir de l'ame de ne point sentir la tentation, bien qu'il soit tousjours en son pouvoir de ne point y consentir.

  A003002225 

 Que doncques les ennemis de nostre salut nous presentent tant qu'ils voudront d'amorces et d'apasts: qu'ils demeurent tousjours à la porte de nostre cœur pour entrer: qu'ils nous facent tant de propositions qu'ils voudront; mais tandis que nous aurons resolution de ne point nous plaire en tout cela, il n'est pas possible que nous offensions Dieu, non plus que le Prince espoux de la Princesse que j'ay representé, ne luy peut sçavoir mauvais gré du message qui luy est envoyé, si elle n'y a prins aucune sorte de plaisir.

  A003002226 

 Mais quant à la delectation qui peut suyvre la tentation, pour autant que nous avons deux parties en nostre ame, l'une inferieure, et l'autre superieure, et que l'inferieure ne suit pas tousjours la superieure, ains fait son cas à part; il arrive maintefois que la partie inferieure se plait en la tentation, sans le consentement, ains contre le gré de la superieure: c'est la dispute et la guerre que l'Apostre S. Paul descrit quand il dit que sa chair convoite contre son esprit; qu'il y a une loy des membres, et une loy de l'esprit, et semblables choses..

  A003002227 

 Car la tentation jettant sa delectation en la partie inferieure, couvre ce semble toute l'ame de cendres, et reduit l'amour de Dieu au petit pied, car il ne paroit plus nulle part, sinon au milieu du cœur, au fin fond de l'esprit, encor semble il qu'il n'y soit pas, et on a peine de le treuver: il y est neantmoins en verité, puisque quoy que tout soit en trouble en nostre ame et en nostre corps, nous avons la resolution de ne point consentir au peché ny à la tentation, et que la delectation qui plait à nostre homme exterieur desplait à l'interieur: et quoy qu'elle soit tout autour de nostre volonté, si n'est elle pas dans icelle; en quoy l'on voit que telle delectation est involontaire, et estant telle elle ne peut estre peché.

  A003002231 

 Il vous importe tant de bien entendre cecy, que je ne feray nulle difficulté de m'estendre à l'expliquer.

  A003002231 

 Le jeune homme duquel parle S. Hierosme, qui couché et attaché sur un lict mollet, estoit provoqué par toutes sortes de vilains attouchemens et attraits des impudiques femmes qui s'estoient couchées avec luy expres pour esbranler sa constance, ne devoit il pas sentir d'estranges esmotions charnelles? ses sens ne devoient ils pas estre saisis de la delectation, et son imagination extremement occupée de ceste presence des objets voluptueux? sans doute; et neantmoins parmi tant de troubles, emmy un si terrible orage de tentations, il tesmoigne que son cœur n'est point vaincu, que sa volonté qui sent tout autour de soy tant de voluptez n'y consent toutefois nullement: puis que son esprit voyant tout rebellé contre luy, et n'ayant plus aucune des parties de son corps à son commandement, sinon la langue, il se la coupa avec les dents, et la cracha sur le visage de ces vilaines ames qui tourmentoient la sienne plus cruellement par la volupté, que les borreaux n'eussent jamais sceu faire par les tourmens..

  A003002232 

 Et comment, repliqua-elle, habitiés-vous dedans mon cœur dans lequel il y avoit tant de vilenies? habités vous donques en des lieux si deshonnestes? Et nostre Seigneur luy dit: Dy moy, ces tiennes salles cogitations de ton cœur te donnoient-elles plaisir ou tristesse, amertume ou delectation? Et elle dit: Extreme amertume et tristesse: et il luy repliqua: Qui estoit celuy qui mettoit cette grande amertume et tristesse dedans ton cœur, sinon moy qui demeurois caché dedans le milieu de ton ame? Croy, ma fille, que si je n'eusse pas esté present, ces pensées qui estoient au tour de ta volonté et ne pouvoient l'expugner, l'eussent sans doute surmontée et seroient entrées dedans, et eussent esté recettes avec plaisir par le libre arbitre, et ainsi eussent donné la mort à ton ame: mais parce que j'estois dedans, je mettois ce deplaisir et cette resistance en ton cœur, par laquelle il se reffusoit tant qu'il pouvoit à la tentation: et ne pouvant pas tant qu'il vouloit il en sentoit un plus grand deplaisir, et une plus grande hayne contre icelle et contre soy-mesme: et ainsi ces peines estoient un grand merite, et un grand gain pour toy, et un grand accroissement de ta vertu et de ta force..

  A003002232 

 Il fit donc toutes sortes d'impudiques suggestions à son cœur: et pour tant plus l'esmouvoir, venant avec ses compagnons en forme d'hommes et de femmes, il faisoit mille et mille sortes de charnalitez et lubricitez à sa veuë, adjoustant des parolles et semonces tres deshonnestes; et bien que toutes ces choses fussent exterieures, si est-ce que par le moyen des sens elles penetroient bien avant dedans le cœur de la vierge, lequel comme elle confessoit elle mesme, en estoit tout plein, ne luy restant plus que la fine pure volonté superieure, qui ne fut agitée de ceste tempeste de vilenie et delectation charnelle.

  A003002233 

 Mais c'est la fine fleur et la perfection de l'amour celeste que de faire souffrir et combattre pour luy, sans sçavoir si on l'a, et si il est en celuy qui combat pour et par luy..

  A003002233 

 Voyez vous, Philothee, comme ce feu estoit couvert de la cendre, et que la tentation et delectation estoit mesme entrée dedans le cœur, et avoit environné la volonté, laquelle seule asistée de son Sauveur resistoit par des amertumes, des desplaisirs et detestations du mal qui luy estoit suggeré, refusant perpetuellement son consentement au peché qui l'environnoit? O Dieu quelle detresse à une ame qui ayme Dieu de ne sçavoir seulement pas si il est en elle ou non, et si l'amour divin pour lequel elle combat est du tout esteint en elle, ou non.

  A003002237 

 Ce que je dis affin que s'il vous arrivoit jamais d'estre affligée de si grandes tentations vous sçachiés que Dieu vous favorise d'une faveur extraordinaire, par laquelle il declare qu'il veut vous agrandir devant sa face: et que neantmoins vous soyés tous-jours humble et craintifve, ne vous asseurant pas de pouvoir vaincre les menuës tentations apres avoir surmonté les grandes, sinon par une continuelle fidellité à l'endroit de sa divine Majesté..

  A003002237 

 Ma Philothee, ces grands assauts et ces tentations si puissantes, ne sont jamais permises de Dieu que contre les ames, lesquelles il veut eslever à son pur et excellent amour: mais il ne s'ensuit pas pourtant qu'apres cela elles soient asseurées d'y parvenir: car il est [147*] arrivé maintefois que ceux qui avoient esté constans en des si violentes attaques, ne correspondant pas par apres fidellement à la faveur divine se sont treuvés vaincus en des biens petites tentations.

  A003002238 

 Ainsi arrive il quelquefois que par la violance des tentations il semble que nostre ame est tumbée en une defaillance totale de ses forces, et que comme pasmée elle n'a plus ny vie spirituelle, ny mouvement.

  A003002238 

 Mais si nous voulons connoistre ce que c'en est, mettons la main sur le cœur, considerons si le cœur et la volonté ont encore leur mouvement spirituel, c'est à dire s'ils font leur devoir à refuser de consentir et suivre la tentation et la delectation: car pendant que le mouvement du refus est dedans nostre cœur, nous sommes asseurés que la charité vie de nostre ame est en nous, et que Jesus Christ nostre Sauveur, se treuve dans nostre ame, quoy que caché et couvert; si que moyennant l'exercice continuel de l'oraison, des Sacremens et de la confience en Dieu nos forces reviendront en nous, et nous vivrons d'une vie entiere et delectable.

  A003002238 

 Quand un homme est pasmé et qu'il ne rend plus aucun tesmoignage de vie en son visage, on luy met la main sur le cœur: et pour peu que l'on y sente de mouvement, on juge qu'il est en vie, et que par le moyen de quelque eau precieuse et de quelque epitheme on peut luy faire reprendre force et sentiment.

  A003002238 

 Quelles tentations donques qui vous arrivent et quelle delectation qui s'en ensuive, tandis que vostre volonté refusera son consentement, non seulement à la tentation, mais encor à la delectation, ne vous troublés nullement, Philothee, car Dieu n'en est point offencé.

  A003002242 

 Ainsi arrive il quelque fois que la seule tentation nous met en peché, parce que nous sommes cause d'icelle.

  A003002242 

 De mesme si je sçay que quelque conversation m'aporte de la tentation et de la cheute, et j'y vais volontairement, je suis indubitablement coulpable de toutes les tentations que j'y recevray..

  A003002242 

 La Princesse de laquelle nous avons parlé ne peut mais de la recherche deshonneste qui luy est faite, puis que, comme nous avons presuposé, elle luy arrive contre son gré.

  A003002242 

 Par exemple, je sçay que pendant que je me mets à joüer j'entre volontiers en rage et blaspheme, et que le jeu me sert de tentation à cela: je peche toutefois et quantes que je joueray, et suis coulpable de toutes les tentations qui m'arriveront au jeu.

  A003002243 

 C'est tousjours chose blasmable à la jeune Princesse de laquelle nous avons parlé, si non seulement elle escoute la proposition salle et deshonneste qui luy est faicte, mais encore apres l'avoir ouïe elle prend plaisir en icelle, entretenant son cœur avec contentement sur cet object: car bien qu'elle ne vueille pas consentir à l'execution reelle de ce qui luy est proposé, elle consent neantmoins à l'application spirituelle de son cœur, par [149*] le contentement qu'elle y prend: et c'est tousjours chose deshonneste d'appliquer ou le cœur, ou le corps à chose deshonneste; ains la deshonnesteté consiste tellement à l'application du cœur, que sans icelle l'application du corps ne peut estre peché..

  A003002243 

 Quand la delectation qui m'arrive de la tentation peut estre esvitée, c'est tousjours peché de la recevoir, selon que le plaisir que l'on y prend, et le consentement que l'on y donne est grand, ou petit, de longue ou de petite durée.

  A003002244 

 Quand doncques vous serez tentée de quelque peché, considerez si vous avez donné volontairement sujet d'estre tentée, et lors la tentation mesme vous met en estat de peché, pour le hazard auquel vous vous estes jettée; et cela s'entend si vous avez peu esviter commodement l'occasion, et que vous ayez preveu ou deu prevoir l'arrivée de la tentation: mais si vous n'avez donné nul sujet à la tentation, elle ne peut nullement vous estre imputée à peché..

  A003002245 

 De mesme doncque si quelqu'un me propose quelque stratageme plein d'invention et d'artifice pour me venger de mon ennemy, et que je ne prenne pas plaisir, ny ne donne nul consentement à la vengeance qui m'est proposée, mais seulement à la subtilité de l'invention et de l'artifice, sans doute je ne peche point: bien qu'il ne soit pas expedient que je m'amuse beaucoup à ce plaisir, de peur que petit à petit il ne me porte à quelque delectation de la vengeance mesme..

  A003002245 

 Quand la delectation qui suyt la tentation a peu estre esvitee, et que neantmoins on ne l'a pas esvitée, il y a tousjours quelque sorte de peché selon que l'on y a peu ou prou arresté, et selon la cause du plaisir que nous y avons prins.

  A003002245 

 Une femme laquelle n'ayant point donné de sujet d'estre muguettée, prend neantmoins plaisir à l'estre, ne laisse pas d'estre blasmable, si le plaisir qu'elle y prend n'a point d'autre cause que la muguetterie.

  A003002246 

 On est quelquefois surprins de quelque chatouillement de delectation qui suit immediatement la tentation devant que bonnement on s'en soit prins garde: et cela ne peut estre qu'un bien leger peché veniel, lequel se rend plus grand, si apres que l'on s'est aperceu du mal où l'on est, on demeure par negligence quelque temps à marchander avec la delectation, si l'on doit l'accepter ou la refuser: et encore plus grand si en s'en appercevant on demeure en icelle quelque temps par vraye negligence, sans nulle sorte de propos de [150*] la rejetter: mais lors que volontairement et de propos deliberé nous sommes resolus de nous plaire en telles delectations, ce propos mesme deliberé est un grand peché, si l'object pour lequel nous avons delectation est notablement mauvais.

  A003002250 

 Recourez de mesme à Dieu, reclamant sa misericorde et son secours: c'est le remede que nostre Seigneur enseigne: Priez afin que vous n'entriez point en tentation..

  A003002250 

 Si tost que vous sentirez en vous quelques tentations, faites comme les petits enfans, quand ils voyent ou le loup ou l'ours en la campagne: car tout aussi tost ils courent entre les bras de leur pere et de leur mere, ou pour le moins les appellent à leur ayde et secours.

  A003002251 

 Si vous voyez que neantmoins la tentation persevere, ou qu'elle accroisse, comme si vous voyez Jesus Christ crucifié devant vous, courez en esprit embrasser sa saincte croix: protestez que vous ne consentirez point à la tentation, et demandez luy secours contre icelle, et continuez tousjours à protester de ne vouloir point consentir tandis que la tentation durera..

  A003002254 

 Le grand remede contre toutes tentations grandes ou petites, c'est de deployer son cœur et communiquer les suggestions, ressentimens et affections que nous avons à nostre directeur; car notez que la premiere condition que le malin fait avec l'ame qu'il veut seduire, c'est du silence, comme font ceux qui veulent seduire les femmes [151*] et les filles, qui de prim'abord defendent qu'elles ne communiquent point les propositions aux peres ny aux marys: ou au contraire Dieu en ses inspirations demande sur toutes choses que nous les fassions recognoistre par nos superieurs et conducteurs..

  A003002255 

 Que si apres tout cela la tentation s'opiniastre à nous travailler et persecuter, nous n'avons rien à faire, sinon à nous opiniastrer de nostre costé en la protestation de ne vouloir point consentir: car comme les filles ne peuvent estre mariées pendant qu'elles disent que non; ainsi l'ame, quoy que troublée ne peut jamais estre offencée pendant qu'elle dit que non..

  A003002256 

 Ne disputez point avec vostre ennemy, et ne luy respondez jamais une seule parolle, sinon par fois ce que nostre Seigneur respondit, avec laquelle il le confondit.

  A003002260 

 Mais quant aux menues tentations de vanité, de soupçon, de chagrin, de jalousie, d'envie, d'amourettes, et semblables tricheries, qui comme mouches et moucherons viennent passer devant nos yeux, et tantost nous picquer sur la joüe, tantost sur le nez; parce qu'il est [152*] impossible d'estre tout à fait exempt de leur importunité, la meilleure resistence qu'on leur puisse faire c'est de ne s'en point tourmenter: car tout cela ne peut point nuire, quoy qu'il puisse faire de l'ennuy, pourveu que l'on soit bien resolu de vouloir servir Dieu..

  A003002261 

 Mesprisez doncques ces menues attaques, et ne daignez pas seulement penser à ce qu'elles veulent dire, mais laissez les bourdonner autour de vos aureilles, tant qu'elles voudront, et courir ça et là autour de vous, comme l'on fait des mousches; et quand elles viendront vous picquer, et que vous les verrez aucunement s'arrester en vostre cœur, ne faites autre chose que de tout simplement les oster, non point combattant contre elles, ny leur respondant, mais faisant des actions contraires quelles qu'elles soyent, et speciallement de l'amour de Dieu.

  A003002261 

 Que si vous me croyez, vous ne vous opiniastrerez pas à faire des actions de la vertu contraire à la tentation que vous sentez, parce que ce seroit quasi vouloir disputer avec elle: mais apres en avoir fait une, si vous avez eu le loisir de recognoistre la tentation, avec un simple retour de vostre cœur, et mouvement de vostre esprit, comme par maniere de diversion, vous ferez une action d'amour à l'endroit de Dieu, et irez baiser en esprit Jesus Christ crucifié: car l'amour de Dieu contenant en soy toutes les perfections de toutes les vertus, il est aussi un souverain remede contre tous vices: et vostre esprit s'accoustumant en toutes tentations de recourir à ce rendez-vous general, ne sera point obligé de regarder et examiner quelles tentations il a, mais simplement se sentant troublé il s'acoisera en ce grand remede..

  A003002266 

 Faictes des œuvres d'abjection et d'humilité le plus que vous pourrez, et encor qu'il vous semble que ce soit à regret: car par ce moyen vous vous habituez à l'humilité, et affaiblirez vostre vanité, en sorte, que quand la tentation viendra, vostre inclination ne la pourra pas tant favoriser, et vous aurez plus de force pour la combattre.

  A003002266 

 Par exemple, si vous vous sentez inclinée à la passion de la vanité, faites souvent des pensées de la misere de ceste vie humaine, combien ses vanitez seront ennuyeuses à la conscience au jour de la mort, combien elles sont indignes d'un cœur genereux, et que ce ne sont que badineries et amusemens de petits enfans, et semblables choses: parlez souvent contre la vanité; et encor'qu'il vous semble que ce soit à contre cœur ne laissez pas de la bien mespriser, car par ce moyen vous vous engagerez mesme de reputation au party contraire: et à force de dire contre quelque chose nous nous esmouvons à la haïr, bien qu'au commencement nous luy eussions de l'affection.

  A003002266 

 Si vous estes inclinée à l'avarice, pensez souvent à la folie de ce peché, qui nous rend esclaves de ce qui n'est crée que pour nous servir: qu'à la mort aussi bien faudra il tout quitter, et le laisser entre les mains de tel qui le dissipera, ou auquel cela servira de ruine et de damnation, et semblables pensées: parlez fort contre l'avarice, et louez fort le mespris du monde: violentez vous à faire souvent des aumosnes et des charitez, et à laisser escouler quelques occasions d'assembler..

  A003002267 

 Si vous estes subjette à vouloir donner ou recevoir de l'amour, pensez souvent combien cet amusement est dangereux, tant pour vous que pour les autres: combien c'est une chose indigne de prophaner et employer à passetemps la plus noble affection qui soit [154*] en nostre ame, combien cela est subjet au blasme d'une extreme legereté d'esprit: parlez souvent en faveur de la pureté et simplicité de cœur, et faites aussi, le plus qu'il vous sera possible, des actions conformes à cela, evitant toutes affaiteries, et mugueteries..

  A003002268 

 En somme, en temps de paix, c'est à dire lors que les tentations du peché auquel vous estes subjete ne vous presseront pas, faites force actions de la vertu contraire: et si les occasions ne se presentent pas, allez au devant d'elles pour les rencontrer: car par ce moyen vous renforcerez vostre cœur contre la tentation future..

  A003002272 

 Entre toutes les vertus, je vous recommande les deux bien-aimées de nostre Seigneur et lesquelles seules il a ordonné que nous aprinssions de luy, l'humilité et la douceur de cœur: mais prenés garde que ce soit de cœur: car c'est un des grands artifices de l'ennemy de faire que plusieurs s'amusent à dire des paroles et faire des gestes exterieures de ces deux vertus, lesquels n'examinant pas leurs affections interieures pensent estre humbles et doux, et ne le sont neantmoins nullement en effet: ce que l'on reconnoit, parce que nonobstant leur ceremonieuse douceur et humilité, à la moindre parolle qu'on leur dit de travers, ou la moindre petite injure qu'ils reçoivent, ils s'eslevent avec une arrogance non-pareille..

  A003002279 

 Il faut donques avoir un deplaisir de nos fautes qui soit paisible, rassis et ferme; car tout [156*] ainsi qu'un Juge chastie bien mieux les meschans faisant ses sentences par raison, et en esprit de tranquillité, que non pas quand il les fait par impetuosité et passion: d'autant que jugeant avec passion, il ne chastie pas les fautes selon qu'elles sont, mais selon qu'il est luy mesme; ainsi nous nous chastions bien mieux nous mesmes par des repentences tranquilles et constantes, que non pas par des repentences aigres, empressées et choleres, d'autant que ces repentances faites avec impetuosité ne se font pas selon la gravité de nos fautes, mais selon nos inclinations.

  A003002279 

 L'une des bonnes prattiques que nous sçaurions faire de la douceur, c'est celle de laquelle le sujet est en nous-mesme, ne despitant jamais contre nous mesme, ny contre nos imperfections: car encore que la raison veut que quand nous faisons des fautes, nous en soyons desplaisans et marris; si faut il neantmoins que nous nous empeschions d'en avoir une deplaisance aigre et chagrine, depiteuse et cholere: en quoy font une grande faute plusieurs qui s'estans mis en cholere se courroucent de s'estre courroucés, entrent en chagrin de s'estre chagrinés, et ont despit de s'estre dépités: car par ce moyen ils tiennent leur cœur confit et detrempé en la cholere; et si bien il semble que la seconde cholere ruyne la premiere, si est ce neantmoins qu'elle sert d'ouverture et de passage pour une nouvelle cholere à la premiere occasion qui s'en presentera.

  A003002279 

 Outre ce que ces choleres, despits et aigreurs que l'on a contre soy mesme tendent à la superbe et orgueil, et n'ont origine que de l'amour propre qui se trouble et s'inquiete de nous voir imparfaits.

  A003002279 

 Par exemple, celluy qui affectionne la chasteté se despitera avec une amertume non-pareille de la moindre faute qu'il commettra contre icelle, et ne se fera que rire d'une grosse medisance qu'il aura commise.

  A003002280 

 Et croyés moy, Philothee, tout ainsi que les remonstrances d'un pere, faites doucement, et cordiallement ont bien plus de pouvoir sur un enfant pour le corriger que non pas les choleres et courroux; ainsi quand nostre cœur aura fait quelque faute, si nous le reprenons avec des remonstrances douces et tranquilles, ayans plus de compassion de luy que de passion contre luy, l'encourageant à l'amandement, la repentence qu'il en concevra entrera bien plus avant, et elle penetrera mieux que ne feroit pas une repentence despiteuse, ireuse et tempestueuse..

  A003002281 

 Pour moy si j'avois, par exemple, grande affection de ne point tumber au vice de la vanité, et que j'y fusse neantmoins tumbé d'une grande cheute, je ne voudrois pas reprendre mon cœur en cette sorte; N'es tu pas miserable et abominable, qu'apres tant de resolutions tu t'es laissé emporter à cette vanité: meurs de honte, ne leve plus les yeux au Ciel, aveugle, impudent, traistre et desloyal à ton Dieu, et semblables choses: mais je voudrois le corriger raisonnablement et par voye de compassion; Or sus mon pauvre cœur, nous voila tumbés dans la fosse laquelle nous avions tant resolu d'eschaper, ah relevons nous, et quittons la pour jamais: reclamons la misericorde de Dieu et esperons en elle qu'elle nous assistera pour desormais estre plus fermes, et remettons nous au chemin de l'humilité: courage, soyons sur nos gardes, Dieu nous aydera, et desormais nous ferons prou..

  A003002282 

 Detestez neantmoins de tout vostre cœur l'offence que Dieu a receu de vous, et avec un grand courage et confiance en la misericorde de Dieu, remettez vous au train de la vertu que vous aviez abandonnée..

  A003002282 

 Relevez doncques vostre cœur quand il tombera, tout doucement, [157*] vous humiliant beaucoup devant Dieu par la recognoissance de vostre misere, sans nullement vous estonner de vostre chêute, puis que ce n'est pas chose admirable que l'infirmité soit infirme, et la foiblesse foible, et la misere chetive.

  A003002283 

 Quand vous vous serez mise en cholere, au premier ressentiment que vous aurez de vostre faute, repàrez la par un acte de douceur, exercée promptément à l'endroit de la mesttie personne contre laquelle vous vous serez irritée: car tout ainsi que c'est un souverain remede contre la mensonge que de s'en dedire sur le champ, tout aussi tost que l'on s'apperçoit de l'avoir dit; aussi est ce un bon remede contre la cholere de la reparer soudainement par un acte contraire de douceur car, comme l'on dit, les playes fraisches sont plus aysement remediables..

  A003002287 

 Resouvenez vous souvent que nostre Seigneur nous a sauvez en souffrant et endurant, et que de mesme nous devons faire nostre salut par les souffrances et afflictions, endurant les injures, contradictions et desplaisirs, avec le plus de douceur et de patience qu'il nous sera possible..

  A003002288 

 J'estime plus la douceur avec laquelle le B. H. Cardinal Boromee souffrit longuement les reprehensions publiques qu'un grand Predicateur d'un ordre extremement reformé faisoit contre luy en chaire, que toutes les attaques qu'il receut des autres: car tout ainsi que les picqueures des abeilles sont plus cuisantes que celles des mouches; ainsi le mal que l'on reçoit des gens de bien, et les contradictions qu'ils font sont bien plus insupportables que les autres: et cela neantmoins arrive fort souvent, que deux hommes de bien ayant tous deux bonne intention, sur la diversité de leurs opinions, se font des grandes persecutions et contradictions l'un à l'autre..

  A003002288 

 Le vray patient et serviteur de Dieu supporte esgallement les tribulations conjointes à l'ignominie, et celles qui sont honnorables: d'estre mesprisé, reprins, et accusé par les meschans, ce n'est que douceur [158*] à un homme de courage: mais d'estre reprins, accusé et mal traitté par les gens de bien, par les amis, par les parens, c'est là où il y va du bon.

  A003002288 

 Ne bornez point vostre patience à telle ou telle sorte d'injures et d'afflictions, mais estendez la universellement à toutes celles que Dieu vous envoyera et permettra vous arriver.

  A003002289 

 Il y en a d'autres qui veulent bien avoir quelque incommodité du mal ce leur semble, mais non pas toutes: ils ne s'impatientent pas, disent ils, d'estre malades, mais de ce qu'ils n'ont pas de l'argent pour se faire penser, ou bien de ce que ceux qui sont autour d'eux en sont importunez.

  A003002289 

 Je ne me fasche point, dit l'un, d'estre devenu pauvre, si ce n'estoit que cela m'empeschera de servir mes amis, eslever mes enfans, et vivre honnorablement comme je desirois; et l'autre dira, je ne m'en soucirois point, si ce n'estoit que le monde pensera que cela me soit arrivé par ma faute.

  A003002289 

 L'autre seroit tout ayse que l'on mesdist de luy, et le soufïriroit fort patiemment, pourveu que personne ne creut le mesdisant.

  A003002289 

 Or je dis, Philothee, qu'il faut avoir patience, non seulement d'estre malade, mais de l'estre de la maladie que Dieu veut, au lieu où il veut, et entre les personnes qu'il veut, et avec les incommoditez qu'il veut, et ainsi des autres tribulations..

  A003002290 

 Quand il vous arrivera du mal, opposez à iceluy les remedes qui seront possibles, et selon Dieu, car de faire autrement ce seroit tenter sa divine Majesté: mais aussi cela estant fait, attendez avec une entiere resignation l'effet que Dieu agréera: s'il luy plaist que les remedes vaincquent le mal, vous le remercierez avec humilité: mais s'il luy plaist que le mal surmonte les remedes, benissez le avec patience.

  A003002291 

 Je suis de l'advis de S. Gregoire: Quand vous serez accusée justement, pour quelque faute que vous aurez commise, humiliez vous bien fort: confessez que vous meritez plus que l'accusation qui est faite contre vous.

  A003002291 

 Que si l'accusation est fausse, excusez vous doucement, niant d'estre coulpable: car vous devez ceste reverence à la verité, et à l'edification du prochain: mais aussi si apres vostre veritable et simple excuse on continue à vous accuser, ne vous troublez nullement, et ne taschez point à faire recevoir vostre excuse: car apres avoir rendu vostre devoir à la verité, vous devez aussi le rendre à l'humilité: et en ceste sorte vous n'offenserez ny le soin que vous devez avoir de vostre renommée, ny l'affection que vous devez à la tranquilité, douceur de cœur et humilité..

  A003002292 

 Plaignez vous le moins que vous pourrez des torts qui vous seront faits: car c'est chose certaine, que pour l'ordinaire qui se plaint peche, d'autant que l'amour propre nous fait tousjours ressentir les injures plus grandes qu'elles ne sont: mais sur tout ne faictes point vos plaintes à des personnes aysées à s'indigner et mal penser.

  A003002292 

 Que s'il est expedient de vous plaindre à quelqu'un, ou pour remedier à l'offence, ou pour acoiser vostre esprit; il faut que ce soit à des ames tranquilles, et qui aiment bien Dieu: car autrement au lieu d'alleger vostre cœur, elles le provoqueront à plus grandes inquietudes: en lieu d'oster l'espine qui vous pique, elles la ficheroient plus avant en vostre pied..

  A003002293 

 Es contradictions qui vous arriveront en l'exercice de la devotion (car cela ne manquera pas) resouvenez vous de la parole de nostre Seigneur: La femme tandis qu'elle enfante a des grandes angoisses, mais voyant son enfant nay elle les oublie, d'autant qu'un homme luy est nay au monde; car vous avez conceu en vostre ame le plus digne enfant du monde, qui est Jesus Christ: avant qu'il soit produit et enfanté du tout, il ne se peut que vous ne vous ressentiez du travail; mais ayez bon courage, car ces douleurs passées la joye eternelle vous demeurera d'avoir enfanté un tel homme au monde.

  A003002293 

 Or il sera entierement enfanté pour vous, lors que vous l'aurez entierement formé en vostre cœur et en vos œuvres, par imitation de sa vie..

  A003002294 

 Obeïssez au medecin, prenez les medecines, viandes et autres remedes pour l'amour de Dieu, vous resouvenant du fiel qu'il print pour l'amour de nous: desirez de guerir pour luy rendre service, ne refusez point de languir pour luy obéir, et disposez vous à mourir, si ainsi il luy plait, pour le loüer et jouïr de luy: et vous resouvenez que les abeilles au temps qu'elles font le miel vivent et mangent d'une munition fort amere; et qu'ainsi nous ne pouvons jamais faire des actes de plus grande douceur et patience, ny mieux composer le miel des excellentes vertus, que tandis que nous mangeons le pain d'amertume, et vivons parmy les angoisses.

  A003002295 

 Voyez souvent, ma chere Philothee, de vos yeux interieurs, Jesus Christ crucifié, nud, blaspheme, calomnié, abandonné, et en fin accablé de toutes sortes d'ennuys, de tristesses, et de travaux: et considerez que toutes vos souffrances, ny en qualité, ny en quantité, ne sont nullement comparables aux siennes: et que jamais vous ne souffrirez rien pour luy au pris de ce qu'il a souffert pour vous..

  A003002299 

 Il y a grande difference entre le soin et la diligence que nous devons avoir de nos affaires d'une part, et la solicitude, soucy et empressement d'autre part.

  A003002299 

 Les Anges ont soin de nostre salut, et le procurent avec diligence, mais ils n'en ont pour cela point de solicitude, de soucy ny d'empressement: car le soin et diligence appartient à leur charité: mais la solicitude, le soucy et l'empressement seroit totalement contraire à leur felicité, puis que le soin et la diligence peuvent estre accompagnez de tranquillité et paix [161*] d'esprit, mais non pas la sollicitude ny le soucy, et beaucoup moins l'empressement..

  A003002300 

 Soyez doncque soigneuse et diligente en toutes les affaires que vous avez en charge, ma Philothee, car Dieu vous les ayant confiez veut que vous en ayez un grand soin.

  A003002301 

 Nous faisons tousjours assez tost quand nous faisons bien: les bourdons font bien plus de bruit, et sont bien plus empressez que les abeilles, mais ils ne font sinon la cire et non point le miel: ainsi ceux qui s'empressent d'un soucy cuisant et d'une sollicitude bruyante ne font jamais ny beaucoup ny bien..

  A003002303 

 En toutes vos affaires appuyez vous totalement sur la providence de Dieu, par laquelle seule tous vos desseins doivent reussir: travaillés neantmoins de vostre costé tout doucement pour cooperer avec icelle: et puis croyes que si vous vous estes bien confiée en Dieu, le succes qui vous arrivera de vos desseins sera tousjours le plus profitable pour vous, soit qu'il vous semble bon ou mauvais, selon vostre jugement particulier..

  A003002304 

 Je veux dire, ma Philothee, que quand vous serés parmi les affaires et occupations communes, qui ne requierent pas une attention si forte et si presente, vous regardiez plus Dieu que les affaires: et quand les affaires sont de si grande importance qu'elles requierent toute vostre attention pour les bien faire, de temps en temps, vous regarderez à Dieu, comme font ceux qui navigent en mer, lesquels pour aller à la terre qu'ils desirent, regardent plus en haut au Ciel que non pas en bas, où ils voguent: ainsi Dieu travaillera avec vous, en vous, et pour vous, et vostre travail sera suivy de consolations.

  A003002309 

 Et comme l'horologer oinct avec quelque huile delicate, les roües, les ressorts, et tous les mouvans de son horologe, affin que les mouvemens se facent plus doucement, et qu'elle soit moins sujette à la roiiillure; ainsi la personne devote, apres la prattique de ce demontement de son cœur, pour le bien renouveller, elle le doit oindre par les Sacremens de Confession et de l'Eucharistie.

  A003002309 

 Nostre nature humaine decheoit aysement de ses bonnes affections, à cause de la fragilité et mauvaise inclination de nostre chair, qui appesantit l'ame et la tire tous jours contre bas, si elle ne s'esleve souvent en haut à vive force de resolutions; ainsi que les oyseaux retumbent souvent en terre, s'ils ne multiplient les eslancemans et traits d'aisle, pour se maintenir au vol. Pour cela, ma Philothee, vous avés besoin de reïterer et repeter fort souvent les bons propos que vous avés fait de servir Dieu, de peur que ne le [165*] faisant pas vous ne retumbiés en vostre premier estat, ou plustost en un estat beaucoup pire: car les cheutes spirituelles ont cela de propre qu'elles nous precipitent tousjours plus bas que n'estoit l'estat duquel nous estions montés en haut à la devotion.

  A003002311 

 Ayant donques choisi le temps convenable, selon l'advis de vostre [166*] Pere spirituel, et vous estant un peu plus retirée en la solitude et spirituelle, et reelle que l'ordinaire, vous ferés une, ou deux, ou trois meditations sur les poincts suivans, selon la methode que je vous ay donnée en la premiere Partie..

  A003002315 

 Le troisiesme c'est que s'il vous arrivoit de tomber en quelque mauvaise action, vous vous en releveriez soudainement, moyennant la grace de Dieu; mais ne sont ce pas là des belles, justes, dignes, et genereuses resolutions? Pesez bien en vostre ame combien ceste protestation est saincte, raisonnable et desirable..

  A003002316 

 Si les parolles raisonnables données aux hommes nous obligent estroittement, combien plus celles que nous avons données à Dieu? Ah Seigneur, disoit David, c'est à vous à qui mon cœur l'a dict: mon cœur a projetté ceste bonne parolle: non, jamais je ne l'oubliray..

  A003002319 

 Considerez en quel temps Dieu vous tira à ces grandes resolutions, car ce fut en la fleur de vostre aage; ah quel bon-heur d'apprendre tost ce que nous ne pouvons sçavoir que trop tard! S. Augustin ayant esté tiré à l'aage de trente ans s'escrioit: O ancienne beauté, comme t'ay je si tard cogneuë? Helas je te voyois, et ne te considerois point; et vous pourrez bien dire: O douceur ancienne, pourquoy ne t'ay je plustost savourée? helas neantmoins encore ne le meritiez vous pas alors: et partant recognoissant quelle grace Dieu vous a fait de vous attirer en vostre jeunesse, dites avec David: O mon Dieu vous m'avez esclairée et touchée dés ma jeunesse, et jusques à jamais j'annonceray vostre misericorde.

  A003002319 

 Que si ç'a esté en vostre vieillesse, helas, Philothee, quelle grace, qu'apres avoir ainsi abusé des années precedentes, Dieu vous ayt appellé avant la mort, et qu'il ayt arresté la course de vostre misere, au temps auquel si elle eut continué vous estiez eternellement miserable..

  A003002320 

 Considerez les effets de ceste vocation: vous treuverez je pense en vous de bons changemens, comparant ce que vous estes avec ce que vous estiez.

  A003002320 

 Ne prenez vous point à bon-heur de sçavoir parler à Dieu par l'oraison? d'avoir affection à le vouloir aimer? d'avoir accoisé et pacifié beaucoup de passions qui vous inquietoient? d'avoir esvité plusieurs pechez et embarrassemens de conscience? et en fin d'avoir si souvent communié de plus que vous n'eussiez pas fait, vous unissant à ceste souveraine source des graces eternelles? ah que ces graces sont grandes; il faut, ma fille, les peser au poids du Sanctuaire: c'est la main dextre de Dieu qui a fait tout cela.

  A003002325 

 Bien qu'és jours que vous ferez cet exercice et les autres, il ne soit pas requis de faire une absolue retraitte des conversations, si faut il en faire un peu, sur tout du costé du soir, afin que vous puissiez gaigner le lict de meilleure heure, et prendre le repos de corps et d'esprit, necessaire à la consideration; et parmi le jour il faut faire des frequentes aspirations en Dieu, à N. Dame, aux Anges, à toute la Hierusalem celeste: il faut encor que le tout se face d'un cœur amoureux de Dieu, et de la perfection de vostre ame.

  A003002325 

 Il est neantmoins requis de faire tout ce second point en deux jours et deux nuicts pour le plus, prenant de chasque jour et de chasque nuit quelque heure, je veux dire quelque temps, selon que vous verrez: car si cet exercice ne se faisoit qu'en des temps fort distans les uns des autres, il perdroit sa force, et donneroit des impressions trop lasches.

  A003002325 

 Il n'est pas requis ny expedient que vous faciez à genoux sinon le commencement et la fin qui comprend les affections.

  A003002325 

 Le second poinct de l'exercice est un peu long, et pour le pratiquer je vous diray qu'il n'est pas requis que vous le faciez tout d'une traitte, mais à plusieurs fois: comme prenant ce qui regarde vostre deportement envers Dieu pour un coup, ce qui vous regarde vous mesme pour l'autre, ce qui concerne le prochain pour l'autre, et la consideration des passions pour le quatriesme.

  A003002331 

 Invoquez le S. Esprit, luy demandant lumiere et clarté, afin que vous vous puissiez bien cognoistre, avec S. Augustin, qui s'escrioit devant Dieu en esprit d'humilité: O Seigneur, que je vous cognoisse, et que je me cognoisse, et S. François qui interrogeoit Dieu, disant: Qui estes vous, et qui suis je?.

  A003002333 

 Protestez que si comme vous pensez, vous descouvrez d'avoir peu proffité, ou bien d'avoir reculé, vous ne voulez nullement pour tout cela vous abbatre, ny refroidir par aucune sorte de descouragement ou relaschement de cœur, ains qu'au contraire vous voulez vous encourager et animer d'avantage, vous humilier, et remedier aux defauts, moyennant la grace de Dieu..

  A003002345 

 Sentez vous en vostre cœur une certaine facilité à l'aymer, et un goust particulier à savourer cet amour? vostre cœur se recrée il point à penser à l'immensité de Dieu, à sa bonté, à sa suavité? si le souvenir de Dieu vous arrive emmy les occupations du monde, et les vanitez, se fait il point faire place? saisit il point vostre cœur? vous semble il point que vostre cœur se tourne de son costé, et en certaine façon luy va au devant? Il y a certes des ames comme cela..

  A003002346 

 Si le mary d'une femme revient de loing, tout aussi tost que cette femme s'apperçoit de son retour, et qu'elle sent sa voix, quoy qu'elle soit empressée d'affaire, et retenuë par quelque violente consideration emmy la presse, si est ce que son cœur n'est pas retenu, mais abandonne les autres pensées pour penser à ce mary venu.

  A003002355 

 Le cœur bien ordonné dit plus souvent en soy-mesme, Que diront les Anges si je pense à telle chose? que non pas, Que diront les hommes?.

  A003002355 

 Or l'amour ordonné veut que nous aimions plus l'ame que le corps, que nous ayons plus de soin d'acquerir les vertus que toute autre chose, que nous tenions plus de conte de l'honneur celeste que de l'honneur bas et caduque.

  A003002355 

 Tenez vous bon ordre en l'amour de vous mesme? car il n'y a que l'amour desordonné de nous mesme, qui nous ruine.

  A003002357 

 Que vous estimés vous devant Dieu? rien sans doute: or il n'y a pas grande humilité en une mousche de ne s'estimer rien au pris d'une montaigne, ny en une goutte d'eau de se tenir pour rien en comparaison de la mer, ny à une bluette ou estincelle de se tenir pour rien au pris du soleil: mais l'humilité gist à ne point nous surestimer aux autres, et à ne vouloir pas estre surestimés par les autres: à quoy en estes vous pour ce regard? [172*].

  A003002363 

 Il faut bien aimer le mary, et la femme d'un amour doux, tranquille, ferme et continuel, et que ce soit en premier lieu, parce que Dieu l'ordonne et le veut: j'en dis de mesme des enfans et proches parens, et encor des amis, chacun selon son rang..

  A003002365 

 Estes vous point prompte à parler du prochain en mauvaise part? sur tout de ceux qui ne vous ayment pas? faites vous point de mal au prochain, ou directement, ou indirectement? pour peu que vous soyés raisonnable vous vous en apercevrés aysement..

  A003002380 

 Car par les passions de l'ame, on reconnoist son estat en les tastant l'une apres l'autre: comme un joueur de luth connoist estat de son luth, pinçant toutes les cordes; et celles qu'il treuve dissonnantes il les acorde, ou les tirant, ou les lachant; ainsi apres avoir tasté l'amour, la hayne, le desir, la crainte, l'esperance, la tristesse et la joye de nostre ame, si nous les treuvons malaccordantes à l'air que nous voulons sonner, qui est la gloire de Dieu, nous pourrons les accorder, moyennant sa grace, et le conseil de nostre Pere spirituel.

  A003002384 

 Remerciés Dieu de ce peu d'amendement que vous aurés treuvé en vostre vie dés vostre resolution, et reconnoistrés que ç'a esté sa misericorde seule qui l'a fait en vous, et pour vous..

  A003002385 

 Humiliés vous fort devant Dieu, reconnoissant que si vous n'avés pas beaucoup avancé, ç'a esté par vostre manquement, parce que vous n'avez pas fidellement, courageusement et constamment correspondu aux inspirations, clartés et mouvemens que Dieu vous a données, en l'oraison, et ailleurs..

  A003002397 

 Vostre ame a de plus une volonté toute noble, laquelle peut aymer Dieu, et ne le peut hayr en soy-mesme: voyez vostre cœur comme il est genereux; et que comme rien ne peut arrester les abeilles de tout ce qui est corrompu, mais elles s'arrestent seulement sur les fleurs; ainsi vostre cœur ne peut estre en repos qu'en Dieu seul, et nulle creature ne le peut assouvir.

  A003002398 

 Helas nostre cœur courant aux creatures, y va avec des empressemens, pensant de pouvoir y accoiser ses desirs; mais si tost qu'il les a rencontrées il voit que c'est à refaire, et que rien ne le peut contenter, Dieu ne voulant que nostre cœur treuve aucun lieu, sur lequel il puisse reposer, non plus que la Colombe sortie de l'Arche de Noë, afin qu'il retourne à son Dieu, duquel il est sorty.

  A003002399 

 O mon ame tu es capable de Dieu: malheur à toy si tu te contentes de moins que de Dieu.

  A003002403 

 Considerez que les vertus et la devotion peuvent seules rendre vostre ame contente en ce monde: voyez combien tout cela est beau: mettez en comparaison les vertus et les vices qui leur sont contraires.

  A003002404 

 O vie devote que vous estes belle, douce, agreable, et souëfve! vous adoucissez les tribulations et rendez souëfves les consolations: sans vous le bien est mal, et les plaisirs pleins d'inquietudes, troubles et defaillances: ah qui vous cognoistroit pourroit bien dire avec la Samaritaine, Domine da mihi hanc aquam; Seigneur donnez moy cette eau; aspiration fort frequente à la M. Therese, et à saincte Catherine de Genes..

  A003002408 

 Considerez l'exemple des Saincts de toutes sortes; qu'est-ce qu'ils n'ont pas fait pour aymer Dieu et estre ses devots? Voyez ces Martyrs invincibles en leurs resolutions; quels tourmens n'ont ils pas soufferts pour la maintenir? mais sur tout ces belles et florissantes dames, plus blanches que le lys en pureté, plus vermeilles que la rose en charité; les unes à douze, les autres à treize, quinze, vingt, et vingt et cinq ans, ont souffert mille sortes de martyres, plustost que de renoncer à leur resolution, non seulement en ce qui estoit de la protestation de la foy, mais en ce qui estoit de la protestation de la devotion: les unes mourant plustost que de quitter la virginité, les autres plustost que de cesser de servir les affligez, et consoler les tourmentez, et ensevelir les trespassez.

  A003002409 

 Mon [177*] Dieu qu'est ce que dit sainct Augustin de sa mere Monique? avec quelle fermeté a elle poursuivie son entreprinse de servir Dieu en son mariage, en son vefvage? Et S. Hierosme de sa chere fille Paula parmy combien de traverses, parmy combien de varieté d'accidens? Mais qu'est ce que nous ne ferons pas sur ces si excellens patrons? Ils estoient ce que nous sommes, ils le faisoient pour le mesme Dieu, pour les mesmes vertus; pourquoy n'en ferons nous autant en nostre condition, selon nostre vocation, pour nostre chere resolution, et sainte protestation?.

  A003002413 

 O resolutions que vous estes precieuses, estant fille d'une telle mere, comme est la passion de mon Sauveur! ô combien mon ame vous doit cherir, puis que vous avez esté si cheres à mon Jesus? Helas ô Sauveur de mon ame, vous mourustes pour m'acquerir mes resolutions, he faittes moy la grace que je meure plustost que de les perdre..

  A003002414 

 Voyez vous, ma fille, il est certain que le cœur de nostre cher Jesus voyoit le vostre dés l'arbre de la Croix et l'aimoit, et par cet amour luy obtenoit tous les biens qu'il aura jamais, et entre autres nos resolutions: vray ma fille, nous pouvons tous dire comme Hieremie; O Seigneur, avant que je fusse vous me regardiez, et m'appelliez par mon nom, d'autant que vrayement sa divine bonté prepara en son amour et misericorde tous les moyens généraux et particuliers de nostre salut, et par consequent nos resolutions.

  A003002415 

 Ah mon Dieu, que nous devrions profondement mettre cecy en nostre memoire! Est il possible que j'aye esté aymé et si doucement aymé de mon Sauveur, qu'il allast penser en moy, en mon particulier, en toutes ces petites occurrences, par lesquelles il m'a tiré à luy: et combien doncques devons nous aymer, cherir, et bien employer tout cela à nostre utilité? Cecy est bien doux; ce cœur amiable de mon Dieu pensoit en Philothee, l'aymoit et luy procuroit mille moyens de salut, autant comme s'il n'eut point eu d'autre ame au monde en qui il eut pensé; ainsi que le Soleil esclairant un endroit de la terre, ne l'esclaire pas moins que s'il n'esclairast point ailleurs, et qu'il esclairast cela seul.

  A003002419 

 Considerez l'amour eternel que Dieu vous a porté: car desja avant que nostre Seigneur Jesus Christ, entant qu'homme souffrit en Croix pour vous, sa divine Majesté vous projettoit en sa souveraine bonté, et vous aymoit extremement.

  A003002420 

 O Dieu quelles resolutions sont cecy, que Dieu a pensées, meditées, projettées dés son eternité? combien nous doivent elles estre cheres et precieuses? que devrions nous souffrir plustost que d'en quitter un seul brin? non pas certes si tout le monde devoit perir: car aussi bien tout le monde ensemble ne vaut pas une ame, et une ame ne vaut rien sans nos resolutions..

  A003002424 

 O cheres resolutions! vous estes le bel arbre de vie, que mon Dieu a planté de sa main au milieu de mon cœur; que mon Sauveur veut arrouser de son sang pour le faire fructifier.

  A003002424 

 Plustost mille morts, que de permettre qu'aucun vent vous arrache.

  A003002426 

 Vivez doncques à jamais, ô resolutions, qui estes eternelles en la misericorde de mon Dieu: soyez et vivez eternellement en moy, que jamais je ne vous abandonne..

  A003002427 

 Apres ces affections il faut que vous particularisiez les moyens requis pour maintenir ces cheres resolutions, et que vous protestiés de vous en vouloir fidellement servir.

  A003002428 

 Ce qu'estant fait, comme par une reprise d'haleine et de force, protestés mille fois, que vous continuerez en vos resolutions; et comme si vous teniés vostre cœur, vostre ame, vostre volonté en vos mains, dediés la, consacrés la, sacrifiés la et l'immolés à Dieu; [180*] protestant que vous ne la reprendrés plus, mais la laisserés en la main de sa divine Majesté, pour suivre en tout et par tout ses ordonnances..

  A003002430 

 Allés en cette esmotion de cœur aux pieds de vostre Pere spirituel, accusés vous des fautes principales que vous aurés remarquées d'avoir commises, dés vostre confession generale, et recevez l'absolution en la mesme façon que vous fistes la premiere fois; prononcés devant luy la protestation, et la signés, et en fin allés unir vostre cœur renouvellé à son principe et Sauveur, au tres-Sainct Sacrement de l'Eucharistie..

  A003002434 

 Le jour que vous aurés fait ce renouvellement et les autres suivans, vous devés fort souvent redire de cœur et de bouche ces ardentes paroles de S. Paul, de S. Augustin, de S. Catherine de Genes, et autres.

  A003002434 

 Non je ne suis plus mienne: ou que je vive, ou que je meure, je suis à mon Sauveur; je n'ay plus de moy, ny de mien: mon moy c'est Jesus, mon mien c'est d'estre sienne.

  A003002434 

 Non nous ne serons plus nous mesme: car nous aurons le cœur changé: et le monde qui nous a tant trompez, sera trompé en nous: car ne s'appercevant pas de nostre changement que petit à petit, il pensera que nous soyons tousjours des Esaü, et nous nous treuverons des Jacob..

  A003002435 

 Il faut que tous ces exercices reposent dans le cœur, et que nous ostans de la consideration et meditation, nous allions tout bellement entre les affaires et conversations, de peur que la liqueur de nos resolutions ne s'epanche soudainement: car il faut qu'elle detrempe et penetre bien par toutes les parties de l'ame, le tout neantmoins sans effort, ny d'esprit ny de corps.

  A003002439 

 Combien y a il de loix civiles aux Digestes et au Code, lesquelles doivent estre observées, mais cela s'entend selon les occurrences, et non pas qu'il les faille toutes prattiquer tous les jours? Au demeurant David, Roy plein d'affaires tres-difficiles, prattiquoit bien plus d'exercices que je ne vous ay pas marqués.

  A003002439 

 Faites donques hardiment ces exercices, selon que je vous les ay marqués; et Dieu vous donnera asses de loisir et de force de faire tout le reste de vos affaires: ouy quand il devroit arrester le soleil comme il fit du temps de Josue.

  A003002439 

 Helas, ma Philothee, ma chere fille, quand nous ne ferions autre chose, nous ferions bien assez, puisque nous ferions ce que nous devions faire en ce monde.

  A003002439 

 Le monde vous dira, ma Philothee, que ces exercices et ces advis sont en si grand nombre, que qui voudra les observer il ne faudra pas qu'il vacque à autre chose.

  A003002440 

 Et s'il s'en treuve qui n'ayt pas ce don en aucune sorte de degré (ce que je ne pense pas pouvoir arriver que fort rarement) le sage Pere spirituel luy fera aysement suppleer le defaut par l'attention qu'il luy enseignera d'avoir ou à lire ou à ouïr lire les mesmes considerations qui sont mises és meditations..

  A003002440 

 Il est vray sans doute, j'ay presupposé cela: et est vray encores que chacun n'a pas le don de l'oraison mentale: mais il est vray aussi que presque chacun le peut avoir, voire les plus grossiers, pourveu qu'ils ayent des bons conducteurs, et qu'ils veuillent travailler pour l'acquerir, autant que la chose le merite.

  A003002440 

 Le monde dira, que je presuppose presque par tout que ma [182*] Philothée aye le don de l'oraison mentale, et que neantmoins chacun ne l'a pas: si que cette Introduction ne servira pas pour tous.

  A003002445 

 Faites profession ouverte de vouloir estre devote; je ne dis pas d'estre devote, mais je dis de le vouloir estre; et n'ayes point de honte des actions communes et requises qui nous conduisent à l'amour de Dieu; advoüés hardiment, que vous vous essaïés de mediter, que vous aymeriés mieux mourir que de pecher mortellement, que vous voulés frequenter les Sacremens, et suyvre les conseils de vostre Directeur (bien que souvent il ne soit pas necessaire de le nommer, pour plusieurs raisons) car cette franchise de confesser qu'on veut servir Dieu, et qu'on s'est consacré à son amour, [183*] d'une specialle affection, est fort aggreable à sa divine Majesté, qui ne veut point que l'on ayt honte de luy ny de sa Croix: et puis elle coupe chemin à beaucoup de semonces, que le monde voudroit faire au contraire, et nous oblige de reputation à la poursuitte.

  A003002445 

 Que si quelqu'un vous dit que l'on peut vivre devotement sans la prattique de ces advis et exercices, ne le niez pas, mais respondés amiablement, que vostre infirmité est si grande qu'elle requiert plus d'aydes et de secours qu'il n'en faut pas pour les autres..

  A003002446 

 Je finirois volontiers mes advis, par celuy que la mere de S. Simphorien faisoit à son fils, quand elle le voyoit aller au martyre; car craignant qu'il ne perdit courage; Mon fils, mon fils, crioit elle apres luy, regarde le Ciel.

  A003002448 

 A cause des biens que j'attens,.


04-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome IV-Vol.1-Traitte de l'amour de Dieu.html
  A004000015 

 Que pour la beauté de la nature humaine Dieu a donné le gouvernement de toutes les facultés de l'ame a la volonté.

  A004000018 

 Chapitre IV. Que l'amour domine sur toutes les affections et passions et que mesme il gouverne la volonté, bien que la volonté ait aussi domination sur luy.

  A004000023 

 Chapitre IX. Que l'amour tend a l'union.

  A004000024 

 Chapitre X. Que l'union a laquelle l'amour pretend est spirituelle.

  A004000028 

 Chapitre XIV. Que la charité doit estre nommée amour 32.

  A004000030 

 Chapitre XVI. Que nous avons une inclination naturelle d'aymer Dieu sur toutes choses.

  A004000031 

 Chapitre XVII. Que nous n'avons pas naturellement le pouvoir d'aymer Dieu sur toutes choses 35.

  A004000032 

 Chapitre XVIII. Que l'inclination naturelle que nous avons d'aymer Dieu n'est pas inutile.

  A004000034 

 Que les perfections divines ne sont qu'une seule mais infinie perfection.

  A004000037 

 Chapitre IV. De la providence surnaturelle que Dieu exerce envers les créatures raysonnables.

  A004000038 

 Chapitre V. Que la Providence celeste a prouveu aux hommes une redemption tres abondante.

  A004000041 

 Chapitre VIII. Combien Dieu desire que nous l'aymions.

  A004000042 

 Chapitre IX. Comme l'amour eternel de Dieu envers nous previent nos cœurs de son inspiration affin que nous l'aymions.

  A004000043 

 Chapitre X. Que nous repoussons bien souvent l'inspiration et refusons d'aymer Dieu.

  A004000044 

 Chapitre XI. Qu'il ne tient pas a la divine Bonté que nous n'ayons un tres excellent amour 52.

  A004000045 

 Chapitre XII. Que les attraitz divins nous laissent en pleine liberté de les suivre ou les repousser 53.

  A004000046 

 Chapitre XIII. Des premiers sentimens d'amour que les attraitz divins font en l'ame, avant qu'elle ayt la foy 55.

  A004000048 

 Chapitre XV. Du grand sentiment d'amour que nous recevons par la sainte esperance.

  A004000050 

 Chapitre XVII. Que l'amour d'esperance est fort bon quoy qu'imparfait 60.

  A004000051 

 Chapitre XVIII. Que l'amour se prattique en la penitence et premierement, qu'il y a diverses sortes de penitences.

  A004000052 

 Chapitre XIX. Que la penitence sans l'amour est imparfaite.

  A004000057 

 Que l'amour sacre peut estre augmente de plus en plus en un chacun de nous 70.

  A004000061 

 Chapitre V. Que le bonheur de mourir en la divine charité est un don special de Dieu.

  A004000062 

 Chapitre VI. Que nous ne sçaurions parvenir a la parfaite union d'amour avec Dieu en cette vie mortelle 78.

  A004000063 

 Chapitre VII. Que la charite des Saintz en cette vie mortelle egale, voire surpasse quelquefois celle des bienheureux.

  A004000066 

 Chapitre X. Que le desir precedent accroistra grandement l'union des Bienheureux avec Dieu.

  A004000070 

 Chapitre XIV. Que la sainte lumiere de la gloire servira a l'union des espritz bienheureux avec Dieu 87.

  A004000071 

 Chapitre XV. Que l'union des Bienheureux avec Dieu aura des differens degrés.

  A004000073 

 Que nous pouvons perdre l'amour de Dieu tandis que nous sommes en cette vie mortelle 90.

  A004000076 

 Chapitre IV. Que l'amour sacré se perd en un moment 94.

  A004000077 

 Chapitre V. Que la seule cause du manquement et rafroidissement de la charite est en la volonte des creatures 95.

  A004000078 

 Chapitre VI. Que nous devons reconnoistre de dieu tout l'amour que nous luy portons.

  A004000080 

 Chapitre VIII. Exhortation a l'amoureuse sousmission que nous devons aux decretz de la providence divine 100.

  A004000086 

 Chapitre II. Que par la sainte complaysance nous sommes rendus comme petitz enfans aux mammelles de Nostre Seigneur 107.

  A004000087 

 Chapitre III. Que la sacree complaysance donne nostre cœur a Dieu et nous fait sentir un perpetuel desir en la jouissance.

  A004000090 

 Chapitre VI. De l'amour de bienveuillance que nous exerçons envers Nostre Seigneur par maniere de desir 114.

  A004000095 

 Chapitre XI. Comme nous prattiquons l'amour de bienveuillance es louanges que nostre Redempteur et sa Mere donnent a Dieu.

  A004000096 

 Chapitre XII. De la souveraine louange que Dieu se donne a soy mesme, et de l'exercice de bienveuillance que nous faisons en icelle.

  A004000098 

 Description de la theologie mystique qui n'est autre chose que l'orayson.

  A004000103 

 Chapitre VI. Que la contemplation se fait sans peyne qui est la troisiesme difference entre icelle et la meditation 132.

  A004000118 

 Mais, o Mere toute triomphante, qui peut jetter ses yeux sur vostre majesté sans voir a vostre dextre celuy que vostre Filz voulut si souvent, pour l'amour de vous, honnorer du tiltre de Pere, le vous ayant uni par le lien celeste d'un mariage tout virginal, a ce qu'il fust vostre secours et coadjuteur en la charge de la conduite et education de sa divine enfance? O grand saint Joseph, Espoux tres aymé de la Mere du Bienaymé, hé, combien de fois aves vous porté l'Amour du Ciel et de la terre entre vos bras, tandis que, embrasé des doux embrassemens et baysers de ce divin Enfant, vostre ame fondoit [1] d'ayse Ihors qu'il prononçoit tendrement a vos oreilles (o Dieu, quelle suavité!) que vous esties son grand ami et son cher Pere bienaymé!.

  A004000119 

 Hé, je vous conjure par ce cœur de vostre doux Jesus qui est le Roy des cœurs, que les vostres adorent, animés mon ame et celles de tous ceux qui liront cet escrit, de vostre toute puissante faveur envers le Saint Esprit, affin que nous immolions meshuy en holocauste toutes nos affections a sa divine Bonté, pour vivre, mourir et revivre a jamais, emmi les flammes de ce celeste feu que Nostre Seigneur vostre Filz a tant desiré d'allumer en nos cœurs, que pour cela il ne cessa de travailler et souspirer jusques a la mort et la mort de la croix.

  A004000119 

 On mettoit jadis les lampes de l'ancien Temple sur des fleurs de lys d'or: o Marie et Joseph, pair sans pair, lys sacrés d'incomparable beauté entre lesquelz le Bienaymé se repaist et repaist tous ses amans! helas, si j'ay quelque esperance que cet escrit d'amour puisse esclairer et enflammer les enfans de lumiere, ou le puis je mieux colloquer qu'emmi vos lys? lys esquelz le Soleil de justice, splendeur et candeur de la lumiere eternelle, s'est si souverainement recreé qu'il y a prattiqué les delices de l'ineffable dilection de son cœur envers nous.

  A004000127 

 Ainsy ce celeste Espoux voulant donner commencement a la publication de sa Loy, jetta sur l'assemblee des disciples qu'il avoit deputé a cet office force langues de feu, monstrant asses par ce moyen que la predication evangelique estoit toute destinee a l'embrazement des cœurs..

  A004000127 

 Le Saint Esprit enseigne que les levres de la divine Espouse, c'est a dire de l'Eglise, ressemblent a l'escarlatte et au bornal qui distille le miel, affin que chacun sache que toute la doctrine qu'elle annonce consiste en la sacree dilection, plus esclattante en vermeil que l'escarlatte, a cause du sang de l'Espoux qui l'enflamme, plus douce que le miel, a cause de la suavité du Bienaymé qui la comble de delices.

  A004000128 

 Representes vous des belles colombes aux rayons du soleil: vous les verrés varier en autant de couleur [3] comme vous diversifierés le biays duquel vous les regarderés, parce que leurs plumes sont si propres a recevoir la splendeur, que le soleil venant mesler sa clarté avec leur pennage, il se fait une multitude de transparences lesquelles produisent une grande varieté de nuances et changemens de couleurs; mais couleurs si aggreables a voir, qu'elles surpassent toutes couleurs et l'esmail encor des plus belles pierreries; couleurs resplendissantes et si mignardement dorees, que leur or les rend plus vivement colorees, car en cette considération le Prophete royal disoit aux Israelites:.

  A004000130 

 Quoy que l'affliction vous fanne le visage,.

  A004000135 

 Certes, l'Eglise est paree d'une varieté excellente d'enseignemens, sermons, traittés et livres pieux, tous grandement beaux et aymables a la veüe, a cause du meslange admirable que le Soleil de justice fait des rayons de sa divine sagesse avec les langues des Pasteurs, qui sont leurs plumes, et avec leurs plumes qui tiennent aussi quelquefois lieu de langues et font le riche pennage de cette colombe mystique.

  A004000136 

 Mays comme nous sçavons bien que toute la clarté du jour provient du soleil, et disons neanmoins pour l'ordinaire que le soleil n'esclaire pas sinon quand a descouvert il darde ses rayons en quelque endroit, de mesme, bien que toute la doctrine chrestienne soit de l'amour sacré, si est ce que nous n'honnorons pas indistinctement toute la theologie du tiltre de ce divin [4] amour, ains seulement les parties d'icelle qui contemplent l'origine, la nature, les proprietés et les operations d'iceluy en particulier..

  A004000137 

 Or, c'est la verité que plusieurs escrivains ont admirablement traitté ce sujet, sur tout ces anciens Peres, qui, servans tres amoureusement Dieu, parloyent aussi divinement de son amour.

  A004000137 

 Saint Thomas en a fait un traitté digne de saint Thomas; saint Bonaventure et le bienheureux Denis le Chartreux en ont fait plusieurs tres excellens sous divers tiltres; et quant a Jean de Gerson, Chancelier de l'Université de Paris, Sixte le Sienois en parle ainsy: «Il a si dignement discouru des cinquante proprietés du divin amour qui sont ça et la deduites au Cantique des Cantiques, qu'il semble que luy seul ayt tenu le conte des affections de l'amour de Dieu.» Certes, cet homme fut extremement docte, judicieux et devot..

  A004000138 

 Mays affin que l'on sceust que cette sorte d'escritz se font plus heureusement par la devotion des amans que par la doctrine des sçavans, le Saint Esprit a voulu que plusieurs femmes ayent fait des merveilles en cela.

  A004000138 

 Qui a jamais mieux exprimé les celestes passions de l'amour sacré que sainte Catherine de Gennes, sainte Angele de Foligni, sainte Catherine de Sienne, sainte Matilde?.

  A004000140 

 Je ne veux rien dire du Parenetique de ce fleuve d'eloquence qui flotte meshuy parmi toute la France par la multitude et varieté de ses sermons et beaux escritz; l'estroitte consanguinité spirituelle que mon ame a contractee avec la, sienne, lors que par l'imposition [6] de mes mains il receut le caractere sacré de l'ordre episcopal, pour le bonheur du diocese de Belley et l'honneur de l'Eglise, outre mille nœuds d'une sincere amitié qui nous lient ensemble, ne permettent pas que je puisse parler avec credit de ses ouvrages, entre lesquelz ce Parenetique de l'Amour divin fut une des premieres saillies de la non pareille affluence d'esprit que chacun admire en luy.

  A004000140 

 Nous voyons de plus un grand et magnifique Palais que le Reverend Pere Laurens de Paris, predicateur de l'Ordre des Capucins, bastit a l'honneur de l'amour divin, lequel estant achevé sera un cours accompli de la science de bien aymer.

  A004000141 

 Il me semble mesme que mon dessein n'est pas celuy des autres, sinon en general, entant que nous visons tous a la gloire du saint amour: mays de ceci la lecture t'en fera foy..

  A004000141 

 Or, quoy que ce Traitté que je te presente, mon cher Lecteur, suive de bien loin tous ces excellens livres, sans espoir de les pouvoir aconsuivre, si est ce que j'espere tant en la faveur des deux amans celestes auxquelz je le dedie, qu'encor te pourra-il rendre quelque sorte de service, et que tu y rencontreras beaucoup [7] de bonnes considerations qu'il ne te seroit pas si aysé de treuver ailleurs, comme reciproquement tu treuveras ailleurs plusieurs belles choses qui ne sont pas icy.

  A004000142 

 Que si outre cela tu treuves quelque autre chose, ce sont des surcroissances qu'il n'est presque pas possible d'eviter a celuy qui, comme moy, escrit entre plusieurs distractions: mais je croy bien pourtant que rien ne sera sans quelque sorte d'utilité.

  A004000143 

 On traitte maintefois les escrivains trop rudement; on precipite les sentences que l'on rend contre eux, et bien souvent avec plus d'impertinence qu'ilz n'ont prattiqué d'imprudence en se hastant de publier leurs escritz.

  A004000144 

 Les quattre premiers Livres, et quelques chapitres des autres, pouvoyent sans doute estre obmis au gré des ames qui ne cherchent que la seule prattique de la sainte dilection, mays tout cela neanmoins leur sera bien utile, si elles le regardent devotement.

  A004000144 

 Quelques uns peut estre treuveront que j'ay trop dit, [8] et qu'il n'estoit pas requis de prendre ainsy les discours jusques dans leurs racines; mays je pense que le divin amour est une plante pareille a celle que nous appelions angelique, de laquelle la racine n'est pas moins odorante et salutaire que le tige et les feuilles.

  A004000145 

 Ce que Nostre Seigneur dit: Bienheureux sont les pauvres d'esprit, est grandement amplifié et declaré selon le [9] grec: Bienheureux sont les mendians d'esprit; et ainsy des autres..

  A004000145 

 Je cite aucunefois l'Escriture Sainte en autres termes que ceux qui sont portés par l'edition ordinaire: o vray Dieu, mon cher Lecteur, ne me fay pas pour cela ce tort de croire que je veuille me departir de cette edition-la; ah non, car je sçai que le Saint Esprit l'a authorisee par le sacré Concile de Trente, et que partant nous nous y devons tous arrester; ains au contraire, je n'employe les autres versions que pour le service de celle ci, quand elles expliquent et confirment son vray sens.

  A004000145 

 Par exemple, ce que l'Espoux celeste dit a son Espouse: Tu as blessé mon cœur, est fort esclairci par l'autre version: Tu m'as emporté le cœur, ou Tu as tiré et ravi mon cœur.

  A004000146 

 J'ay souvent cité le sacré Psalmiste en vers, et ç'a esté pour recreer ton esprit et selon la facilité que j'en ay eu par la belle traduction de Philippe des Portes, abbé de Tiron, de laquelle neanmoins je me suis quelquefois departi: non certes cuydant de pouvoir faire mieux les vers que ce fameux poete, car je serois un grand impertinent si n'ayant jamais seulement pensé a cette sorte d'escrire, je pretendois d'y reuscir en un aage et en une condition de vie qui m'obligeroit de m'en retirer si jamais j'y avois esté engagé; mays en quelques endroitz ou il y pouvoit avoir plusieurs intelligences, je n'ay pas suivi ses vers parce que je ne voulois pas suivre son sens; comme au Psalme CXXXII, il a entendu un mot latin qui y est, des franges de la robbe, que j'ay estimé devoir estre pris pour le collet: c'est pourquoy j'ay fait la traduction a mon gré..

  A004000147 

 Et pour t'oster un soupçon qui te pourroit venir en l'esprit contre ma sincerité pour ce regard, je t'advertis que le chapitre XIII du septiesme Livre est extrait d'un sermon que fis a Paris, a Saint Jean en Greve, le jour de l'Assumption de Nostre Dame, l'an 1602..

  A004000147 

 Je ne dis rien que je n'aye appris des autres: or, il [10] me seroit impossible de me resouvenir de qui j'ay receu chasque chose en particulier, mays je t'asseure bien que si j'avois tiré de quelque autheur des grandes pieces dignes de quelque remarque, je ferois conscience de ne luy en rendre pas la louange qu'il en meriteroit.

  A004000148 

 Car tout ainsy, dit-il, que les voyagers, sachans qu'il y a quelque beau jardin a vingt ou vingt cinq pas de leur chemin, se destournent aysement de si peu pour l'aller voir, ce qu'ilz ne feroyent pas s'ilz sçavoyent qu'il fust plus esloigné de leur route, de mesme ceux qui sçavent que la fin d'un chapitre n'est guere esloignee du commencement, ilz entreprennent volontier de le lire, ce qu'ilz ne feroyent pas, pour aggreable qu'en fust le sujet, s'il failloit beaucoup de tems pour en achever la lecture.

  A004000148 

 J'ay donq eu rayson de suivre en cela mon inclination, puisqu'elle fut aggreable a ce grand personnage, qui a esté l'un des plus saintz prelatz et des plus sçavans docteurs que l'Eglise ayt eu de nostre aage, et lequel, lhors qu'il m'honnora de sa lettre, estoit le plus ancien de tous les docteurs de la faculté de Paris..

  A004000148 

 Lhors que j'eus fait imprimer l'Introduction a la Vie devote, Monseigneur l'Archevesque de Vienne, Pierre de Vilars, me fit la faveur de m'en escrire son opinion en termes si avantageux pour ce livret et pour moy, que je n'oserois jamais les redire; et m'exhortant [11] d'appliquer le plus que je pourrois de mon loysir a faire de pareilles besoignes, entre plusieurs beaux advis desquelz il me gratifia, l'un fut que j'observasse tous-jours tant que le sujet le permettrait la briefveté des chapitres.

  A004000149 

 Mays outre cela, c'est l'ame qui aspire a la devotion que j'appelle Philothee, et les hommes ont une ame aussi bien que les femmes.

  A004000149 

 Un grand serviteur de Dieu m'advertit n'a guere que l'addresse que j'avois faite de ma parole a Philothee, en l' Introduction a la Vie devote, avoit empesché plusieurs hommes d'en faire leur proffit, d'autant qu'ilz n'estimoyent pas digne de la lecture d'un homme les advertissemens faitz pour une femme.

  A004000150 

 Toutefois, pour imiter en cette occasion le grand Apostre qui s'estimoit redevable a tous, j'ay changé d'addresse en ce Traitté, et parle a Theotime: que si d'aventure il se treuvoit des femmes (or cette impertinence seroit plus supportable en elles) qui ne voulussent pas lire les enseignemens qu'on fait a un homme, je les prie de croire que le Theotime auquel je parle est l'esprit humain, qui desire faire progres en la dilection sainte, esprit qui est egalement es femmes comme es hommes..

  A004000151 

 Et certes, comme je n'ay pas voulu suivre ceux qui mesprisent quelques livres qui traittent d'une certaine vie sureminente en perfection, aussi n'ay-je pas voulu parler de cette sureminence; car ni je ne puis censurer les autheurs, ni authoriser les censeurs d'une doctrine que je n'entens pas..

  A004000152 

 J'ay touché quantité de poins de theologie, mais sans esprit de contention, proposant simplement, non tant ce que j'ay jadis appris es disputes, comme ce que l'attention au service des ames et l'employte de vingt quattre annees en la sainte predication m'ont fait penser [13] estre plus convenable a la gloire de l'Evangile et de l'Eglise..

  A004000153 

 A cette cause, mon cher Lecteur, je te diray que comme ceux qui gravent ou entaillent sur les pierres precieuses, ayans la veue lassee a force de la tenir bandee sur les traitz deliés de leurs ouvrages, tiennent volontier devant eux quelque belle esmeraude, affin que la regardant de tems en tems ilz puissent recreer en son verd et remettre en nature leurs yeux alangouris, de mesme en cette varieté d'affaires que ma condition me donne incessamment, j'ay tous-jours des petitz projetz de quelque traitté de pieté, que je regarde quand je puis, pour alleger et deslasser mon esprit..

  A004000153 

 Au demeurant, quelques gens de marque de divers endroitz m'ont adverti que certains livretz ont esté publiés sous les seules premieres lettres du nom de leurs autheurs, qui se treuvent les mesmes avec celles du mien; qui a fait estimer a quelques uns que ce fussent besoignes sorties de ma main, non sans un peu de scandale de ceux qui cuydoyent que je me fusse detraqué de ma simplicité, pour enfler mon stile de paroles pompeuses, mon discours de conceptions mondaines, et mes conceptions d'une eloquence altiere et empanachee.

  A004000154 

 Pour cela j'ay donq fort peu escrit, et beaucoup moins mis en lumiere; et pour suivre le conseil et la volonté de mes amis je te diray que c'est, affin que tu n'attribues pas la louange [14] du travail d'autruy a celuy qui n'en merite point du sien propre..

  A004000155 

 Il y a dix neuf ans que me treuvant a Thonon, petite ville situee sur le lac de Geneve, laquelle lhors se convertissoit petit a petit a la foy Catholique, le ministre adversaire de l'Eglise crioit par tout que l'article catholique de la reelle presence du Cors du Sauveur en l'Eucharistie destruysoit le Symbole et l'analogie de la foy (car il estoit bien ayse de dire ce mot d'Analogie non entendu par ses auditeurs, affin de paroistre fort sçavant); et sur cela, les autres predicateurs catholiques avec lesquelz j'estois la, me chargerent d'escrire quelque chose en refutation de cette vanité; et je fis ce qui me sembla convenable, dressant une briefve Meditation sur le Symbole des Apostres, pour confirmer la verité, et toutes les copies furent distribuees en ce diocese, ou je n'en treuve plus aucune..

  A004000156 

 Et parce que d'un costé il y avoit [15] des grans empeschemens a ce bonheur, selon les considerations que l'on appelle raysons d'Estat, et que d'ailleurs plusieurs, non encor bien instruitz de la verité, resistoyent a ce tant desirable restablissement, Son Altesse surmonta la premiere difficulté par la fermeté invincible de son zele a la sainte religion, et la seconde par une douceur et prudence extraordinaire; car elle fit assembler les principaux et plus opiniastres, et les harangua avec une eloquence si aimablement pressante, que presque tous, vaincuz par la douce violence de son amour paternel envers eux, rendirent les armes de leur opiniastreté a ses piedz, et leurs ames entre les mains de la sainte Eglise..

  A004000157 

 Et comme cet ancien ouvrier ne fut jamais tant estimé pour ses ouvrages de grande forme, comme il fut admiré d'avoir sçeu faire un navire d'ivoire assorti de tout son equipage, en si petit volume que les aisles d'une abeille le couvroyent tout, aussi estime-je plus ce que ce grand Prince fit alhors en ce petit coin de ses Estatz, que beaucoup d'actions de plus grand esclat que plusieurs relevent jusques au ciel..

  A004000157 

 On peut louer beaucoup de riches actions de ce grand Prince, entre lesquelles je voy la preuve de son indicible vaillance et science militaire, qu'il vient de rendre maintenant admiree de toute l'Europe; mays toutefois, quant a moy, je ne puis asses exalter le restablissement de la sainte religion en ces troys balliages que je viens de nommer, y ayant veu tant de traitz de pieté, assortis d'une si grande varieté d'actions de prudence, constance, magnanimité, justice et debonnaireté, qu'en cette seule petite piece, il me sembloit de voir, comme en un tableau raccourci, tout ce qu'on loue es princes qui jadis ont le plus ardemment servi a la gloire de Dieu [16] et de l'Eglise: le theatre estoit petit, mais les actions grandes.

  A004000158 

 Or, en cette occasion on replanta par toutes les advenues et places publiques de ces quartiers-la, les victorieuses enseignes de la Croix; et parce que peu auparavant on en avoit planté une fort solemnellement a Annemasse, pres Geneve, un certain ministre fit un petit traitté contre l'honneur d'icelle, contenant une invective ardente et veneneuse, a laquelle pour cela il fut treuvé bon que l'on respondit: et Monseigneur Claude de Granier, mon predecesseur, duquel la memoire est en benediction, m'en imposa la charge selon le pouvoir qu'il avoit sur moy, qui le regardois non seulement comme mon Evesque, mais comme un saint serviteur de Dieu.

  A004000162 

 Fait le portail plus grand que toute la mayson..

  A004000164 

 Je fis donq cette orayson funebre et la prononçai en cette si grande assemblee, dans la grande eglise de Paris; et parce qu'elle contenoit un abbregé veritable des faitz heroiques du Prince defunct, je la fis volontier imprimer, puisque la Princesse vefve le desiroit et que son desir me devoit estre une loy.

  A004000164 

 Mays sur tout Madame Marie de Luxembourg, sa vefve, fit de son costé tout ce que son courage et l'amour du defunct luy peut suggerer pour solemnizer ses funerailles; et parce que mon pere, mon ayeul, mon bisayeul avoyent esté nourris pages des tres illustres et tres excellens princes de Martigues, ses pere et predecesseurs, elle me regarda comme serviteur hereditaire de sa mayson, et me choisit pour faire la harangue funebre en cette si grande celebrité, ou se treuverent non seulement plusieurs cardinaux et prelatz, mays quantité de princes, princesses, mareschaux de France, chevalier de l'Ordre, et mesme la cour de Parlement en cors.

  A004000164 

 On celebra l'an 1602 a Paris, ou j'estois, les obseques de ce magnanime prince Philippe Emanuel de Lorraine, duc de Mercœur, lequel avoit fait tant de beaux exploitz contre le Turc en Hongrie, que tout le Christianisme devoit conspirer a l'honneur de sa memoire.

  A004000165 

 A mesme que l'on imprimoit cette orayson, j'appris que j'avois esté fait Evesque, si que je revins soudain icy pour estre consacré et commencer ma residence.

  A004000165 

 Et d'abord on me proposa la necessité qu'il y avoit d'advertir les confesseurs de quelques pointz d'importance; et pour cela j'escrivis vingt cinq Advertissemens, que je fis imprimer pour les faire courir plus aysement parmi ceux a qui je les addressois, mais despuis ilz ont esté reimprimés en divers lieux..

  A004000166 

 Car je croy que s'ilz eussent pris garde a cela, leur charité et discretion n'eust jamais permis a leur zele, [19] pour rigoureux et austere qu'il eust esté, d'armer leur indignation contre moy..

  A004000166 

 Et moy, sachant la qualité de ces censeurs, je loue leur intention que je pense avoir esté bonne; mays j'eusse neanmoins desiré qu'il leur eust pleu de considerer que la premiere proposition est puisee de la commune et veritable doctrine des plus saintz et sçavans theologiens, que j'escrivois pour les gens qui vivent emmi le monde et les cours, qu'au partir de la j'inculque soigneusement l'extreme peril qu'il y a es danses; et que, quant à la seconde proposition, avec le mot de quolibet, elle n'est pas de moy, mais de cet admirable roy saint Loüys, docteur digne d'estre suivi en l'art de bien conduire les courtisans a la vie devote.

  A004000166 

 Troys ou quattre ans apres, je mis en lumiere l' Introduction a la Vie devote, pour les occasions et en la façon que j'ay remarqué en la Preface d'icelle; dont je n'ay rien a te dire, mon cher Lecteur, sinon que, si ce livret a receu generalement un gracieux et doux accueil, voire mesme parmi les plus graves prelatz et docteurs de l'Eglise, il n'a pas pourtant esté exempt d'une rude censure de quelques uns qui ne m'ont pas seulement blasmé, mais m'ont asprement baffoüé en publiq de ce que je dis a Philothee que le bal est une action de soymesme indifferente, et qu'en recreation on peut dire des quolibetz.

  A004000167 

 Et sur ce propos, mon cher Lecteur, je te conjure de m'estre doux et bonteux en la lecture de ce Traitté: que si tu treuves le stile un peu (quoy que ce sera, je m'asseure, fort peu) different de celuy dont j'ay usé escrivant a Philothee, et tous deux grandement divers de celuy que j'ay employé en la Defense de la Croix, sache qu'en dix neuf ans, on apprend et desapprend beaucoup de choses; que le langage de la guerre est autre que celuy de la paix, et que l'on parle d'une façon aux jeunes apprentis, et d'une autre sorte aux vieux compaignons..

  A004000168 

 Et c'est une bonne partie de ce que je te communique maintenant que je dois a cette benite assemblee, parce que celle qui en est la Mere et y preside, sachant que j'escrivois sur ce sujet et que neanmoins malaysement pourrois-je tirer la besoigne au jour, si Dieu ne m'aydoit fort specialement et que je ne fusse continuellement pressé, ell'a eu un soin continuel de prier et faire prier pour cela, et [20] de me conjurer saintement de recueillir tous les petitz morceaux de loysir qu'elle estimoit pouvoir estre sauvés, par ci par la, de la presse de mes empeschemens, pour les employer a ceci: et parce que cette ame m'est en la consideration que Dieu sçait, elle n'a pas eu peu de pouvoir pour animer la mienne en cette occasion..

  A004000168 

 Icy certes je parle pour les ames avancees en la devotion; car il faut que je te die que nous avons en cette ville une Congregation de filles et vefves qui, retirees du monde, vivent unanimement au service de Dieu, sous la protection de sa tressainte Mere; et comme leur pureté et pieté d'esprit m'a souvent donné des grandes consolations, aussi ay-je tasché de leur en rendre frequemment par la distribution de la sainte parole, que je leur ay annoncee tant en sermons publiqs qu'en colloques spirituelz, et presque tous-jours en la presence de plusieurs religieux et gens de grande devotion: dont il m'a falu traitter maintefois des sentimens plus delicatz de la pieté, passant au dela de ce que j'avois dit a Philothee.

  A004000169 

 Il y a voirement long tems que j'avois projetté d'escrire de l'amour sacré; mais ce projet n'estoit point comparable a ce que cette occasion m'a fait produire, occasion que je te manifeste ainsy naifvement tout a la bonne foy, a l'imitation des anciens, affin que tu saches que je n'escris que par rencontre et occurrence, et que tu me sois plus amiable.

  A004000169 

 On disoit entre les payens que Phidias ne representoit jamais rien si parfaitement que les divinités, ni Apelles, qu'Alexandre.

  A004000169 

 On ne reuscit pas tous-jours egalement: si je demeure court en ce Traitté, mon cher Lecteur, fay que ta bonté s'avance, et Dieu benira ta lecture..

  A004000170 

 Certes, comme les femmes tandis qu'elles sont fortes et habiles a produire aysement les enfans, leur choysissent ordinairement des parreins entre leurs amis de ce monde, mays quand leur foiblesse et indisposition rend leurs enfantemens difficiles et perilleux, elles invoquent les Saintz du Ciel et vouent de faire tenir leurs enfans par quelque pauvre ou par quelque personne devote, au nom de saint Joseph, de saint François d'Assise, de saint François de Paule, de saint Nicolas, ou de quelqu'autre Bienheureux qui puisse impetrer de Dieu le bon succes de leur grossesse et une naissance vitale pour l'enfant; de mesme, avant que je fusse Evesque, [21] me treuvant avec plus de loysir et moins d'apprehension pour escrire, je dediay les petitz ouvrages que je fis aux princes de la terre; mais maintenant qu'accablé de ma charge j'ay mille difficultés d'escrire, je ne consacre plus rien qu'aux princes du Ciel, affin qu'ilz m'obtiennent la lumiere requise, et que, si telle est la volonté divine, ces escritz ayent une naissance fructueuse et utile a plusieurs..

  A004000171 

 Cependant je sousmetz tous-jours de tout mon cœur mes escris, mes paroles et mes actions a la correction de la tressainte Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, sachant qu'elle est la colomne et fermeté de la verité, dont elle ne peut ni faillir ni defaillir, et que «nul ne peut avoir Dieu pour Pere qui n'aura cette Eglise pour mere.».

  A004000179 

 Affin qu'une musique soit belle, il ne faut pas seulement que les voix soyent nettes, claires et bien distinguees, mays qu'elles soyent alliees en telle sorte les unes aux autres, qu'il s'en fasse une juste consonance et harmonie, par le moyen de l'union qui est en la distinction et la distinction qui est en l'union des voix, que non sans cause on appelle un accord discordant, ou plustost une discorde accordante..

  A004000179 

 Une armee est belle quand elle est composee de toutes ses parties tellement rangees en leurs ordres, que leur distinction est reduite au rapport qu'elles doivent avoir ensemble pour ne faire qu'une seule armee.

  A004000180 

 Et c'est pourquoy, jamais, a proprement parler, nous n'attribuons la beauté corporelle sinon aux objetz des deux sens qui sont les plus connoissans et qui servent le plus a l'entendement, qui sont la veüe et l'ouye; si que nous ne disons pas: voyla des belles odeurs ou des belles saveurs; mays nous disons bien: voyla des belles voix et des belles couleurs..

  A004000181 

 Le beau donq estant appellé beau parce que sa connoissance delecte, il faut que, outre l'union et la distinction, l'intégrité, l'ordre et la convenance de ses parties, il ayt beaucoup de splendeur et clarté affin qu'il soit connoissable et visible.

  A004000181 

 Les voix, pour estre belles, doivent estre claires et nettes, les discours intelligibles, les couleurs esclattantes et resplendissantes: l'obscurité, l'ombre, les tenebres sont laides et enlaidissent toutes choses, parce qu'en icelles rien n'est connoissable, ni l'ordre, ni la distinction, ni l'union, ni la convenance; qui a fait dire a saint Denis que Dieu, «comme souveraine beauté, est autheur de la belle convenance, du beau lustre et de la bonne grace qui est en toutes choses, faisant esclatter, en forme de lumiere, les distributions et departemens de son rayon,» par lesquelz toutes choses sont rendues belles, voulant que pour establir la beauté il y eust la convenance, la clarté et la bonne grace..

  A004000182 

 Ainsy, en la souveraine beauté de nostre Dieu nous reconnoissons l'union, ains l'unité de l'essence en la distinction des Personnes, avec une infinie clarté, jointe a la convenance incomprehensible de toutes les perfections des actions et mouvemens, comprises tres souverainement et, par maniere de dire, jointes et adjustees excellemment en la tres unique et tres simple perfection du pur acte divin qui est Dieu mesme, immuable et invariable, ainsy que nous dirons ailleurs..

  A004000183 

 Ainsy, Theotime, parmi l'innumerable multitude et varieté d'actions, mouvemens, sentimens, inclinations, habitudes, passions, facultés et puissances qui sont en l'homme, Dieu a establi une naturelle monarchie en la volonté, qui commande et domine sur tout ce qui se treuve en ce petit monde; et semble que Dieu ait dit a la volonté ce que Pharao dit a Joseph: Tu seras sur ma mayson; tout le peuple obeira au commandement de ta bouche; sans ton commandement nul ne remuera.

  A004000183 

 Dieu donq, voulant rendre toutes choses bonnes et belles, a reduit la multitude et distinction d'icelles en une parfaite unité et, pour ainsy dire, il les a toutes rangees a la monarchie, faisant que toutes choses s'entretiennent les unes aux autres, et toutes a luy qui est le souverain Monarque.

  A004000187 

 Le pere de famille conduit sa femme, ses enfans et ses serviteurs par ses ordonnances et commandemens, auxquelz ilz sont obligés d'obeir, bien qu'ilz puissent ne le faire pas; que s'il a des serfz et esclaves, il les gouverne par la force, a laquelle ilz n'ont nul pouvoir de contredire; mays ses chevaux, ses boeufs, ses muletz, il les manie par industrie, les liant, bridant, piquant, enfermant, laschant..

  A004000189 

 C'est ainsy, Theotime, que Nostre Seigneur enseigne qu' il y a des eunuques qui sont telz pour le Royaume des cieux, c'est a dire qui ne sont pas eunuques d'impuissance naturelle, mais par l'industrie de laquelle leur volonté se sert pour les retenir dans la sainte continence.

  A004000189 

 Il faut oster ou donner a la faculté qui produit, les objetz et sujetz et les alimens qui la fortifient, selon que la rayson le requiert; il faut divertir les yeux, ou les couvrir de leur chaperon naturel et les fermer, si on veut qu'ilz ne voyent pas; et avec ces artifices on les reduira au point que la volonté desire.

  A004000190 

 Il est vray qu'elle ne les peut pas manier ni ranger si absolument comme elle fait les mains, les pieds ou la langue, a rayson des facultés sensitives, et notamment de la fantasie, qui n'obeissent pas d'une obeissance prompte et infallible a la volonté, et desquelles puissances sensitives la memoire et l'entendement ont besoin pour operer: mays toutefois, la volonté les remue, les employe et applique selon qu'il luy plaist, bien que non pas si fermement et invariablement que la fantasie variante et volage ne les divertisse maintefois, les distraisant ailleurs; de sorte que comme l'Apostre s'escrie: Je fay non le bien que je veux, mays le mal que je hay, aussi nous sommes souvent contrains de nous plaindre dequoy nous pensons, non le bien que nous aymons, mais le mal que nous haïssons..

  A004000190 

 Ouy mesme, la volonté a du pouvoir sur l'entendement et sur la memoire; car, de plusieurs choses que l'entendement peut entendre, ou desquelles la memoire se peut resouvenir, la volonté determine celles aux-quelles [27] elle veut que ses facultés s'appliquent, ou desquelles elle veut qu'elles se divertissent.

  A004000194 

 Avant que l'Empereur soit creé, il est sousmis aux electeurs qui dominent sur luy, pouvans ou le choisir a la dignité imperiale ou le rejetter; mays s'il est une fois esleu et eslevé par eux, ilz sont des lhors sous luy, et il domine sur eux.

  A004000194 

 Avant que la volonté consente a l'appetit, elle domine sur luy; mais apres le consentement, elle devient son esclave..

  A004000194 

 La volonté donques, Theotime, domine sur la memoire, l'entendement et la fantasie, non par force mais par authorité, en sorte qu'elle n'est pas tous-jours infalliblement obeie, non plus que le pere de famille ne l'est pas aussi tous-jours par ses enfans et serviteurs.

  A004000194 

 Or, c'en est de mesme de l'appetit sensuel, lequel, comme dit saint Augustin, est appellé convoitise en nous autres pecheurs, et demeure sujet a la volonté et a l'esprit comme la femme a son mari; parce que, tout ainsy qu'il fut dit a la femme: Tu te retourneras a ton mari, et il te maistrisera, aussi fut-il dit a Cain que son appetit se retourneroit a luy, et qu'il domineroit sur iceluy: et se retourner a l'homme [28] ne veut dire autre chose que se sousmettre et s'assujettir a luy.

  A004000194 

 Ton ennemi peut exciter en toy le sentiment de la tentation, mais tu peux, si tu veux, ou donner ou refuser le consentement.» Si tu permetz a l'appetit de te porter au peché, alhors tu seras sous iceluy et il te maistrisera, parce que quicomque fait le peché, il est serf du peché; mais avant que tu faces le peché, tandis que le peché n'est pas encor en ton consentement, mays seulement en ton sentiment, c'est a dire qu'il est encor en ton appetit et non en ta volonté, ton appetit est sous toy, et tu le maistriseras.

  A004000194 

 «O homme,» dit saint Bernard, «il est en ton pouvoir, si tu veux, de faire que ton ennemi soit ton serviteur, en sorte que toutes choses te reviennent a bien: ton appetit est sous toy, et tu le domineras.

  A004000195 

 En somme, cet appetit sensuel est a la verité un sujet rebelle, seditieux, remuant; et faut confesser que nous ne le sçaurions tellement desfaire qu'il ne s'esleve, qu'il n'entreprenne et qu'il n'assaille la rayson; mays pourtant la volonté est si forte au dessus de luy que, si elle veut, elle peut le ravaler, rompre ses desseins et le repousser, puisque c'est asses le repousser que de ne point consentir a ses suggestions.

  A004000196 

 Au contraire, si tost que nous connoissons le mal, nous le haïssons; s'il est absent, nous le fuyons; si nous pensons de ne pouvoir l'eviter, nous le craignons; si nous estimons de le pouvoir eviter, nous nous enhardissons et encourageons; mais si nous le sentons comme present, nous nous attristons, et lhors l'ire et le courroux accourt soudain pour rejetter et repousser le mal, ou du moins s'en venger; que si l'on ne peut, on demeure en tristesse; mais si l'on l'a repoussé ou que l'on se soit vengé, on ressent la satisfaction et assouvissement, qui est un playsir de triomphe, car comme la possession du bien res-jouit le cœur, la victoire contre le mal assouvit le courage.

  A004000196 

 Et parce que pour l'ordinaire ilz troublent l'ame et agitent le cors, entant qu'ilz troublent l'ame, on les appelle perturbations, entant qu'ilz inquietent le cors, on les appelle passions, au rapport de saint Augustin.

  A004000197 

 Aulus Gellius s'estant embarqué avec un fameux Stoïcien, une grande tempeste survint, de laquelle le Stoïcien estant effrayé il commença a paslir, [30] blesmir et rembler si sensiblement, que tous ceux du vaysseau s'en apperceurent et le remarquerent curieusement, quoy qu'ilz fussent es mesmes hazars avec luy.

  A004000197 

 Cependant la mer en fin s'apaise, le danger passe, et l'asseurance redonnant a un chacun la liberté de causer, voire mesme de railler, un certain voluptueux asiatique, se moquant du Stoïcien, luy reprochoit qu'il avoit eu peur et qu'il estoit devenu have et pasle au danger, et que luy au contraire estoit demeuré ferme, sans effroy; a quoy le Stoïcien repartit par le recit de ce que Aristippus, philosophe socratique, avoit respondu a un homme qui pour mesme sujet l'avoit piqué d'un mesme reproche: «Car,» luy dit-il, «toy, tu as eu rayson de ne t'estre point soucié pour l'ame d'un meschant brouillon; mais moy j'eusse eu tort de ne point craindre la perte de l'ame d'Aristippus;» et le bon de l'histoire est que Aulus Gellius, tesmoin oculaire, la recite.

  A004000197 

 Et c'est affin d'exercer nos volontés en la vertu et vaillance spirituelle, que cette multitude de passions est laissee en nos ames, Theotime; de sorte que les Stoïciens, qui nierent qu'elles se treuvassent en l'homme sage, eurent grand tort; mays d'autant plus, que ce qu'ilz nioyent en paroles ilz le prattiquoyent en effect, au recit de saint Augustin qui raconte cette gracieuse histoire.

  A004000197 

 Mais quant a la repartie qu'elle contient, le Stoïcien qui la fit favorisa plus sa promptitude que sa cause, puisque, alleguant un compaignon de sa crainte, il laissa preuvé, par deux irreprochables tesmoins, que les Stoïciens estoyent touchés de la crainte, et de la crainte qui respand ses effectz es yeux, au visage et en la contenance, et qui par consequent est une passion..

  A004000198 

 Grande folie de vouloir estre sage d'une sagesse impossible! L'Eglise, certes, a condamné la folie de cette sagesse que certains anachoretes presomptueux voulurent introduire jadis, contre lesquelz toute l'Escriture, mays sur tout le grand Apostre, crie que nous avons une loy en nos cors qui repugne a la loy de nostre esprit.

  A004000198 

 «Entre nous autres Chrestiens,» dit le grand saint Augustin, «selon les Escritures Saintes et la doctrine saine, les citoyens de la sacree Cité de Dieu, vivans selon Dieu au pelerinage de ce monde, craignent, desirent, se deulent et se res-jouissent.» Ouy mesme le Roy souverain de cette Cité a craint, desiré, s'est doulu et res-joui jusques a pleurer, blesmir, trembler et suer le sang, bien qu'en luy ces mouvemens n'ont pas esté des passions pareilles aux nostres; dont [31] le grand saint Hierosme, et apres luy l'Escole, ne les a pas osé nommer du nom de passions, pour la reverence de la personne en laquelle ilz estoyent, ains du nom respectueux de propassions, pour tesmoigner que les mouvemens sensibles en Nostre Seigneur y tenoyent lieu de passions, bien qu'ilz ne fussent pas passions; d'autant qu'il ne patissoit ou souffroit chose quelconque de la part d'icelles, sinon ce que bon luy sembloit et comme il luy plaisoit, les gouvernant et maniant a son gré; ce que nous ne faysons pas, nous autres pecheurs, qui souffrons et patissons ces mouvemens en desordre contre nostre gré, avec un grand prejudice du bon estat et police de nos ames..

  A004000202 

 L'amour estant la premiere complaisance que nous avons au bien, ainsy que nous dirons tantost, certes il precede le desir; et d'effect, qu'est-ce que l'on desire, sinon ce que l'on ayme? Il precede la delectation; car, comme pourroit-on se res-jouir en la jouissance d'une chose, si on ne l'aymoit pas? Il precede l'esperance, car on n'espere que le bien qu'on ayme; il precede la hayne, car nous ne haïssons le mal que pour l'amour que nous avons envers le bien, ains le mal n'est pas mal sinon parce qu'il est contraire au bien: et c'en est de mesme.

  A004000203 

 C'est pourquoy les autres passions et affections sont bonnes ou mauvaises, vicieuses ou vertueuses, selon que l'amour duquel elles procedent est bon ou mauvais; car il respand tellement ses qualités sur elles, qu'elles ne semblent estre que le mesme amour.

  A004000203 

 Saint Augustin, reduisant toutes les passions et affections a quatre, comme ont fait Boëce, Ciceron, Virgile et la pluspart de l'antiquité: «L'amour, » dit-il, «tendant a posseder ce qu'il ayme s'appelle convoitise» ou desir; «l'ayant et possedant, il s'appelle joye; fuyant ce qui luy est contraire, il s'appelle crainte: que si cela luy arrive et qu'il le sente, il s'appelle tristesse; et partant, ces passions sont mauvaises si l'amour est mauvais, bonnes, s'il est bon.» «Les citoyens de la Cité de Dieu craignent, desirent, se deulent, se res-jouissent, et parce que leur amour est droit, toutes ces affections sont aussi droites.» «La doctrine chrestienne assujettit l'esprit a Dieu, affin qu'il le guide et secoure, et assujettit a l'esprit toutes ces passions, affin qu'il les bride et modere, en sorte qu'elles soyent converties au service de la justice et vertu.» «La droite volonté est l'amour bon, la volonté mauvaise est l'amour mauvais;» c'est a dire en un mot, Theotime, que l'amour domine tellement en la volonté, qu'il la rend toute telle qu'il est..

  A004000204 

 Bref, Theotime, la volonté n'est esmeüe que par ses affections, entre lesquelles l'amour, comme le premier mobile est la premiere affection, donne le bransle a tout le reste, et fait tous les autres mouvemens de l'ame..

  A004000205 

 Mais il y a une liberté en la volonté qui ne se treuve pas en la femme mariee; et c'est que la volonté peut rejetter son amour quand elle veut, appliquant l'entendement aux motifz qui l'en peuvent desgouster et prenant resolution de changer d'objet: car ainsy, pour faire vivre et regner l'amour de Dieu en nous, nous amortissons l'amour propre, et, si nous ne pouvons l'aneantir du tout, au moins nous l'affoiblissons, en sorte que, s'il vit en nous, il n'y regne plus; comme au contraire, nous pouvons, en quittant l'amour sacré, adherer a celuy des creatures, qui est l'infame adultere que le celeste Espoux reproche si souvent aux pecheurs.

  A004000205 

 Mays pour tout cela il ne s'ensuit pas que la volonté [33] ne soit encor regente sur l'amour, d'autant que la volonté n'ayme qu'en voulant aymer, et, de plusieurs amours qui se presentent a elle, elle peut s'attacher a celuy que bon luy semble: autrement il n'y auroit point d'amour ni prohibé ni commandé.

  A004000205 

 Mays tout ainsy qu'apres le mariage elle perd sa liberté, et de maistresse devient sujette a la puissance du mari, demeurant prise par celuy qu'elle a pris, de mesme la volonté qui choisit l'amour a son gré, apres qu'elle en a embrassé quelqu'un, elle demeure asservie sous luy; et comme la femme demeure sujette au mari qu'elle a choisi tandis qu'il vit, et que s'il meurt elle reprend sa precedente liberté, pour se remarier a un autre, ainsy pendant qu'un amour vit en la volonté il y regne, et elle demeure sousmise a ses mouvemens; que si cet amour vient a mourir, elle pourra par apres en reprendre un autre.

  A004000210 

 Combien de fois avons-nous des passions en l'appetit sensuel ou convoitise, contraires aux affections que nous sentons en mesme tems dans l'appetit raysonnable ou dans la volonté? Le jeune homme duquel parle saint Hierosme, se coupant la langue a belles dens, et la crachant sur le nés de cette maudite femme qui l'enflammoit a la volupté, ne tesmoignoit-il pas d'avoir en la volonté une extreme affection de desplaysir, contraire a la passion du playsir que, par force, on luy faisoit sentir en la convoitise et appetit sensuel? Combien de fois tremblons nous de crainte entre les [35] hazards ausquelz nostre volonté nous porte et nous fait demeurer? combien de fois haïssons nous les voluptés esquelles nostre appetit sensuel se plait, aymans les biens spirituelz esquelz il se desplait? En cela consiste la guerre que nous sentons tous les jours entre l'esprit et la chair; entre nostre homme exterieur, qui depend des sens, et l'homme interieur, qui depend de la rayson; entre le viel Adam, qui suit les appetitz de son Eve ou de sa convoitise, et le nouvel Adam, qui seconde la sagesse celeste et la sainte rayson..

  A004000211 

 Et certes, Theotime, ilz n'eurent pas tort de vouloir qu'il y eust des eupathies et bonnes affections en la partie raysonnable de l'homme, mais ilz eurent tort de dire qu'il n'y avoit point de passions en la partie sensitive et que la tristesse ne touchoit point le cœur de l'homme sage; car, laissant a part que eux mesmes en estoyent troublés, comme il a esté dit, se pourroit-il bien faire que la sagesse nous privast de la misericorde, qui est une vertueuse tristesse laquelle arrive en nos cœurs pour nous porter au desir de delivrer le prochain du mal qu'il endure? Aussi, le plus homme de bien de tout le paganisme, Epictete, ne suivit pas cet erreur, que les passions ne s'eslevassent point en l'homme sage, ainsy que saint Augustin atteste, lequel mesme monstre encores que la dissension des Stoïciens [36] avec les autres philosophes en ce sujet, n'a pas esté qu'une pure dispute de paroles et desbat de langage..

  A004000211 

 Les Stoïciens, ainsy que saint Augustin le rapporte, nians que l'homme sage puisse avoir des passions, confessoient neanmoins, ce semble, qu'il avoit des affections, lesquelles ilz appelloyent eupathies et bonnes passions, ou bien, comme Ciceron, constances; car ilz disoyent que le sage ne convoitoit pas, mays vouloit; qu'il n'avoit point de liesse, mays de joye; qu'il n'avoit point de crainte, mays de prevoyance et precaution: en sorte qu'il n'estoit esmeu sinon pour la rayson et selon la rayson.

  A004000211 

 Pour cela, ilz nioyent sur tout que l'homme sage peust jamais avoir aucune tristesse, d'autant qu'elle ne regarde que le mal survenu, et que rien n'advient en mal a l'homme sage, puisque nul n'est jamais offencé que par soy mesme, selon leur maxime.

  A004000212 

 Or ces affections que nous sentons en nostre partie raysonnable sont plus ou moins nobles et spirituelles selon qu'elles ont leurs objectz plus ou moins relevés, et qu'elles se treuvent en un degré plus eminent de l'esprit: car il y a des affections en nous qui procedent du discours que nous faysons selon l'experience des sens; il y en a d'autres, formees sur le discours tiré des sciences humaines; il y en a encor d'autres qui proviennent des discours faitz selon la foy; et, en fin, il y en a qui ont leur origine du simple sentiment et acquiescement que l'ame fait a la verité et volonté de Dieu..

  A004000213 

 Mais les affections du supreme degré sont nommees divines et surnaturelles, parce que Dieu luy mesme les respand en nos espritz, et qu'elles regardent et tendent en Dieu sans l'entremise d'aucun discours ni d'aucune lumiere naturelle; selon qu'il est aysé de concevoir par ce que nous dirons ci apres des acquiescemens et sentimens qui se prattiquent au sanctuaire de l'ame.

  A004000217 

 Or, entre tous les amours, celuy de Dieu tient le sceptre, et a tellement l'authorité de commander inseparablement unie et propre a sa nature, que s'il n'est le maistre, il cesse d'estre et perit..

  A004000218 

 Ce n'est certes pas sans mystere que les derniers entre ces freres emportent ainsy les advantages sur leurs aisnés.

  A004000220 

 Et, bien qu'il y ait d'autres mouvemens surnaturelz en l'ame, la crainte, la pieté, la force, l'esperance, ainsy que Esaü et Benjamin furent enfans surnaturelz de Rachel et Rebecca, si est-ce que le divin amour est le maistre, l'heritier et le superieur, comme estant filz de la promesse, puisque c'est en sa faveur que le Ciel est promis a l'homme.

  A004000221 

 Le saint amour fait son sejour sur la plus haute et relevee region de l'esprit, ou il fait ses sacrifices et holocaustes a la Divinité, ainsy qu'Abraham fit le sien, et que Nostre Seigneur s'immola sur le coupeau au mont Calvaire; affin que, d'un lieu si relevé, il soit ouy et obei par son peuple, c'est a dire par toutes les facultés et affections de l'ame, qu'il gouverne avec une douceur nompareille; car l'amour n'a point de forçatz ni d'esclaves, ains reduit toutes choses a son obeissance avec une force si delicieuse, que, comme rien n'est si fort que l'amour, aussi rien n'est si aymable que sa force..

  A004000222 

 Les vertus sont en l'ame pour moderer ses mouvemens, et la charité, comme premiere de toutes les vertus, les regit et tempere toutes, non seulement [39] parce que «le premier en chaque espece des choses sert de regle et mesure a tout le reste,» mais aussi parce que Dieu, ayant creé l'homme a son image et semblance, veut que, comme en luy, tout y soit ordonné par l'amour et pour l'amour..

  A004000226 

 Car je vous prie, Theotime, qu'est ce que le bien sinon ce que chacun veut? et qu'est ce que la volonté sinon la faculté qui porte et fait tendre au bien, ou a ce qu'elle estime tel? La volonté donques appercevant et sentant le bien par l'entremise de l'entendement qui le luy represente, ressent a mesme tems une soudaine delectation et complaisance en ce rencontre, qui l'esmeut et incline, doucement mays puissamment, vers cet object aymable, [40] affin de s'unir a luy; et pour parvenir a cette union, elle luy fait chercher tous les moyens plus propres..

  A004000226 

 La volonté a une si grande convenance avec le bien, que tout aussi tost qu'elle l'apperçoit elle se tourne de son costé pour se complaire en iceluy, comme en son objet tres aggreable, auquel elle est si estroittement alliee que mesme l'on ne peut declarer sa nature que par le rapport qu'elle a avec iceluy, non plus qu'on ne sçauroit monstrer la nature du bien que par l'alliance qu'il a avec la volonté.

  A004000227 

 La volonté donq a une convenance tres estroitte avec le bien; cette convenance produit la complaysance que la volonté ressent a sentir et appercevoir le bien; cette complaisance esmeut et pousse la volonté au bien; ce mouvement tend a l'union, et en fin, la volonté esmeüe et tendante a l'union cherche tous les moyens requis pour y parvenir, Certes, a parler generalement, l'amour comprend tout cela ensemblement, comme un bel arbre, duquel la racine est la convenance de la volonté au bien, le pied en est la complaysance, son tige c'est le mouvement; les recherches, poursuites et autres effortz en sont les branches, mais l'union et jouissance en est le fruit.

  A004000229 

 Bref, la complaysance est le premier esbranlement ou la premiere esmotion que le bien fait en la volonté; et cette esmotion est suivie du mouvement et escoulement par lequel la volonté s'avance et s'approche de la chose aymee, qui est le vray et propre amour.

  A004000229 

 Disons ainsy: le bien empoigne, saisit et lie le cœur par la complaysance, mays par l'amour il le tire, conduit et amene a soy; par la complaysance il le fait sortir, mays par l'amour il luy fait faire le chemin et le voyage; la complaysance c'est le resveil du cœur, mays l'amour en est l'action; la complaysance le fait lever, mays l'amour le fait marcher; le cœur estend ses [42] aisles par la complaysance, mais l'amour est son vol. L'amour donques, a parler distinctement et precisement, n'est autre chose que le mouvement, escoulement et avancement du cœur envers le bien..

  A004000229 

 Mais en fin pourtant, Theotime, la complaysance et le mouvement ou escoulement de la volonté en la chose aymable est, a proprement parler, l'amour; en sorte neanmoins que la complaysance ne soit que le commencement de l'amour, et le mouvement ou escoulement du cœur qui s'en ensuit soit le vray amour essentiel.

  A004000229 

 Si que l'un et l'autre peut estre voirement nommé amour, mais diversement: car, comme l'aube du jour peut estre appellee jour, aussi cette premiere complaisance du cœur en la chose aymee peut estre nommee amour, parce que c'est le premier ressentiment de l'amour; mais comme le vray cœur du jour se prend des la fin de l'aube jusques au soleil couché, aussi la vraye essence de l'amour consiste au mouvement et escoulement du cœur, qui suit immediatement la complaysance et se termine a l'union.

  A004000230 

 Ce mouvement d'amour estant donq ainsy dependant de la complaysance, en sa naissance, conservation et perfection, et se treuvant tous-jours inseparablement conjoint avec icelle, ce n'est pas merveille si ces grans espritz ont estimé que l'amour et la complaisance fussent une mesme chose, bien qu'en verité, l'amour estant une vraye passion de l'ame, il [43] ne peut estre la simple complaysance, mais faut qu'il soit le mouvement qui proceded'icelle..

  A004000230 

 Et comme l'abeille naissant dedans le miel, se nourrit du miel et ne vole que pour le miel, ainsy l'amour naist de la complaysance, se maintient par la complaysance et tend a la complaysance.

  A004000230 

 Le poids des choses les esbranle, les meut et les arreste: c'est le poids de la pierre qui luy donne l'esmotion et le bransle a la descente, soudain que les empeschemens luy sont ostés; c'est le mesme poids qui luy fait continuer son mouvement en bas; et c'est en fin le mesme poids encores qui la fait arrester et accoiser quand elle est arrivee en son lieu.

  A004000230 

 Plusieurs grans personnages ont creu que l'amour n'estoit autre chose que la mesme complaysance, en quoy ilz ont eu beaucoup d'apparence de rayson; car non seulement le mouvement d'amour prend son origine de la complaysance que le cœur ressent a la premiere rencontre du bien, et aboutit a une seconde complaysance qui revient au cœur par l'union a la chose aymee, mais, outre cela, il tient sa conservation de la complaysance, et ne peut vivre que par elle, qui est sa mere et sa nourrice, si que soudain que la complaisance cesse, l'amour cesse.

  A004000231 

 C'est pourquoy, quand il tend a un bien present il ne fait autre chose que de pousser le cœur, le serrer, joindre et appliquer a la chose aymee, de laquelle par ce moyen il jouit; et lhors on l'appelle amour de complaysance parce que soudain qu'il est né de la premiere complaysance, il se termine a l'autre seconde, qu'il reçoit en l'union de son objet present.

  A004000231 

 Mais quand le bien devers lequel le cœur s'est retourné, incliné et esmeu, se treuve esloigné, absent ou futur, ou que l'union ne se peut pas encor faire si parfaittement qu'on pretend, alhors le mouvement d'amour par lequel le cœur tend, s'avance et aspire a cet objet absent, s'appelle proprement desir; car le desir n'est autre chose que l'appetit, convoitise ou cupidité des choses que nous n'avons pas, et que neanmoins nous pretendons d'avoir..

  A004000232 

 Bref, ces souhaitz ou velleités ne sont autre chose qu'un petit amour qui se peut appeller amour de simple approbation, parce que, sans aucune pretention, l'ame aggree le bien qu'elle connoist, et, ne le pouvant desirer en effect, elle proteste qu'elle le desireroit volontier et que vrayement il est desirable..

  A004000232 

 Et ce mouvement s'appelle souhait, ou, comme disent les Scholastiques, velleité, qui n'est autre chose qu'un commencement de vouloir lequel n'a point de suite; d'autant que la volonté voyant qu'elle ne peut atteindre a cet objet a cause de l'impossibilité ou de l'extreme difficulté, elle arreste son mouvement et le termine en cette simple affection de souhait, comme si elle disoit: Ce bien que je voy et auquel je ne puis pretendre, m'est a la verité fort aggreable; et bien que je ne le puis vouloir ni esperer, si est ce que, si je le pouvois vouloir ou desirer, je le desirerois ou voudrois volontier.

  A004000232 

 Il y a encor certains mouvemens d'amour par lesquelz nous desirons les choses que nous n'attendons ni pretendons nullement, comme quand nous disons: Que ne suis-je maintenant en Paradis! je voudrois estre roy; pleust a Dieu que je fusse plus jeune; a la mienne volonté que je n'eusse jamais peché, et semblables choses.

  A004000233 

 Ce n'est pas encor tout, Theotime, car il y a des desirs et souhaitz qui sont encor plus imparfaitz que ceux que nous venons de dire, d'autant que leur mouvement n'est pas arresté par l'impossibilité ou extreme difficulté, mais par la seule incompatibilité qu'ilz ont avec des autres desirs ou vouloirs plus puissans; comme quand un malade desire de manger des potirons ou melons, et quoy qu'il en ait a son commandement, il ne veut neanmoins pas en manger, parce qu'il craint d'empirer son mal: car qui ne voici deux desirs en cet [45] homme, l'un de manger des potirons, et l'autre de guerir? mays parce que celuy de guerir est plus grand, il estouffe et suffoque l'autre, l'empeschant de produire aucun effect.

  A004000233 

 Jephté souhaitoit de conserver sa fille, mays parce que cela estoit incompatible avec le desir d'observer son vœu, il voulut ce qu'il ne souhaitoit pas, qui estoit de sacrifier sa fille, et souhaita ce qu'il ne voulut pas, qui estoit de conserver sa fille.

  A004000233 

 Or, a mesure que les choses incompatibles avec ce qui est souhaité sont moins aymables, les souhaitz sont plus imparfaitz, puisqu'ilz sont arrestés et comme estouffés par des si foibles contraires: ainsy le souhait que Herodes eut de ne point faire mourir saint Jean fut plus imparfait que celuy que Pilate avoit de delivrer Nostre Seigneur; car celuy ci craignoit la calomnie et l'indignation du peuple et de Cesar, et celuy la de contrister une seule femme.

  A004000233 

 Pilate et Herodes souhaitoyent de delivrer, l'un le Sauveur, l'autre le Precurseur; mais parce que ces souhaitz estoyent incompatibles, l'un avec le desir de complaire aux Juifz et a Cesar, l'autre a Herodias et a sa fille, ce furent des souhaitz vains et inutiles.

  A004000237 

 C'est donq aussi l'homme qui, par la faculté affective que nous appelions volonté, tend et se complait au bien, et qui a cette grande convenance avec iceluy, laquelle est la source et origine de l'amour.

  A004000237 

 Nous disons que l'œil void, l'oreille entend, la langue parle, l'entendement discourt, la memoyre se resouvient et la volonté ayme: mais nous sçavons bien toutefois que c'est l'homme, a proprement parler, qui, par diverses facultés et differens organes, fait toute cette varieté d'operations.

  A004000237 

 Or, ceux la n'ont pas bien rencontré qui ont creu que la ressemblance estoit la seule convenance qui produisoit l'amour; car qui ne sçait que les viellars les plus sensés ayment tendrement et cherement les petitz enfans, et sont reciproquement aymés d'eux; que les sçavans ayment les ignorans, pourveu [47] qu'ilz soyent dociles, et les malades, leurs medecins? Que si nous pouvons tirer quelqu'argument de l'image d'amour qui se void es choses insensibles, quelle ressemblance peut faire tendre le fer a l'aymant? un aymant n'a-il pas plus de ressemblance avec un autre aymant ou avec une autre pierre, qu'avec le fer qui est d'un genre tout différent? Et bien que quelques uns, pour reduire toutes les convenances a la ressemblance, asseurent que le fer tire le fer, et l'aymant tire l'aymant, si est ce qu'ilz ne sçauroyent rendre rayson pourquoy l'aymant tire plus puyssamment le fer, que le fer ne tire le fer mesme.

  A004000238 

 Ainsy l'amour ne se fait pas tous-jours par la ressemblance et simpathie, ains par la correspondance et proportion, qui consiste en ce que par l'union d'une chose a une autre elles puissent recevoir mutuellement de la perfection et devenir meilleures.

  A004000238 

 La convenance donq qui cause l'amour ne consiste pas tous-jours en la ressemblance, mais en la proportion, rapport ou correspondance de l'amant a la chose aymee: car ainsy ce n'est pas la ressemblance qui rend aymable le medecin au malade, ains la correspondance de la necessité de l'un avec la suffisance de l'autre, d'autant que l'un a besoin du secours que l'autre peut donner; comme aussi le medecin ayme le malade, et le sçavant son apprentif, parce qu'ilz peuvent exercer leurs facultés sur eux.

  A004000238 

 La teste, certes, ne ressemble pas au cors, ni la main au bras, mais neanmoins, ces choses ont une si grande correspondance et joignent si proprement l'une a l'autre, que par leur mutuelle conjonction elles s'entreperfectionnent excellemment: c'est pourquoy, si ces parties-la avoyent chacune une ame distincte, [49] elles s'entr'aymeroyent parfaittement, non point par ressemblance, car elles n'en ont point ensemble, mays pour la correspondance qu'elles ont a leur mutuelle perfection.

  A004000238 

 Les viellars ayment les enfans, [49] non point par simpathie, mais d'autant que l'extreme simplicité, foiblesse et tendreté des uns rehausse et fait mieux paroistre la prudence et asseurance des autres; et cette dissemblance est aggreable: au contraire, les petitz enfans ayment les viellars parce qu'ilz les voyent amusés et embesoignés d'eux, et que, par un sentiment secret, ilz connoissent qu'ilz ont besoin de leur conduite.

  A004000239 

 Mais quand cette mutuelle correspondance est conjointe avec la ressemblance, l'amour sans doute s'engendre bien plus puissamment; car la similitude estant la vraye image de l'unité, quand deux choses semblables s'unissent par correspondance a mesme fin, il semble que ce soit plustost unité qu'union..

  A004000240 

 La convenance donq de l'amant a la chose aymee est la premiere source de l'amour, et cette convenance consiste en la correspondance, qui n'est autre chose que le mutuel rapport qui rend les choses propres a s'unir pour s'entrecommuniquer quelque perfection.

  A004000244 

 Le grand Salomon descrit d'un air delicieusement admirable les amours du Sauveur et de l'ame devote, en ce divin ouvrage que pour son excellente suavite on appelle le Cantique des Cantiques.

  A004000244 

 Or, faysant parler l'Espouse la premiere, comme par maniere d'une certaine surprise d'amour, il luy fait faire d'abord cet eslancement: Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche! Voyes vous, Theotime comme l'ame en la personne de cette bergere ne pretend, par le premier souhait qu'elle exprime, qu'une chaste union avec son Espoux, comme protestant que c'est l'unique fin a laquelle elle aspire et pour laquelle elle respire; car, je vous prie, que veut dire autre chose ce premier souspir: Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche?.

  A004000245 

 Nous faisons sortir et paroistre nos passions et les mouvemens que nos ames ont communs avec les animaux, en nos yeux, es sourcilz, au front et en tout le reste du visage.

  A004000245 

 On connoist l'homme au visage, dit l'Escriture; et Aristote, rendant rayson de ce que a l'ordinaire on ne peint sinon la face des grans hommes, «c'est d'autant,» dit-il, «que le visage monstre qui nous sommes.».

  A004000246 

 Ainsy fut il employé universellement entre les premiers Chrestiens, comme le grand saint Paul tesmoigne quand il dit aux Romains et Corinthiens: Salues vous mutuellement les uns les autres par le saint bayser; et, comme plusieurs tesmoignent, Judas, en la prise de Nostre Seigneur, employa le bayser pour le faire connoistre, parce que ce divin Sauveur baysoit ordinairement ses disciples quand il les rencontroit, et non seulement ses disciples, mais aussi les petitz enfans qu'il prenoit amoureusement entre ses bras, comme il fit celuy par la comparayson duquel il invita si solemnellement ses disciples a la charité du prochain, que plusieurs estiment avoir esté saint Martial, comme l'Evesque Jansenius le rapporte..

  A004000246 

 Mays pourtant, nous ne respandons nos discours ni les pensees qui procedent de la portion spirituelle de nos ames, que nous appelions rayson et par laquelle nous sommes differens d'avec les animaux, sinon par nos paroles et par consequent par le moyen de la bouche; si que verser son ame, et respandre son cœur, n'est autre chose que parler.

  A004000246 

 Versés devant Dieu vos cœurs, dit le Psalmiste, c'est a dire, exprimés [51] et prononcés les affections de vostre cœur par paroles; et la devote mere de Samuel, prononçant ses prieres, quoy que si bellement qu'a peyne voyoit-on le mouvement de ses levres: J'ay respandu, dit elle, mon ame devant Dieu.

  A004000247 

 Ainsy donq le bayser estant la vive marque de l'union des cœurs, l'Espouse qui ne pretend en toutes ses poursuites que d'estre unie avec son Bienaymé, Qu'il me bayse, dit-elle, d'un bayser de sa bouche; comme si elle s'escrioit: Tant de souspirs et de traitz enflammés que mon amour jette incessamment, n'impetreront-ilz jamais ce que mon ame desire? Je cours, hé, n'atteindray-je jamais au prix pour lequel je m'eslance, qui est d'estre unie cœur a cœur, esprit a esprit avec mon Dieu, mon Espoux et ma vie? Quand sera-ce que je respandray mon ame dans son cœur, et qu'il versera [52] son cœur dedans mon ame, et qu'ainsy heureusement unis, nous vivrons inseparables!.

  A004000248 

 Ces unités de cœur, d'ame et d'esprit signifient la perfection de l'amour, qui joint plusieurs ames en une: ainsy est il dit, que l'ame de Jonathas estoit collee a l'ame de David, c'est a dire, comme l'Escriture adjouste, il ayma David comme son ame propre.

  A004000248 

 Le grand Apostre de France, tant selon son sentiment que rapportant celuy de son Hierotee, escrit, je pense, cent fois en un seul chapitre des Noms divins, que l'amour est unifique, unissant, ramassant, resserrant, recueillant et rapportant les choses a l'unité.

  A004000248 

 Quand l'Esprit divin veut exprimer un amour parfait, il employe presque tous-jours les paroles d'union et de conjonction: En la multitude des croyans, dit saint Luc, il n'y avoit qu'un cœur et qu'une ame; Nostre Seigneur pria son Pere pour tous les fideles affin qu'ilz fussent tous une mesme chose; saint Paul nous advertit que nous soyons soigneux de conserver unité d'esprit par l'union de la paix.

  A004000248 

 Saint Gregoire de Nazianze et saint Augustin disent que leurs amis avec eux n'avoyent qu'une ame; et Aristote, appreuvant des-ja de son tems cette façon de parler: «Quand,» dit il, «nous voulons exprimer combien nous aymons nos amis, nous disons: l'ame de celuy ci et mon ame n'est qu'une.» La haine nous separe, et l'amour nous assemble: la fin donques de l'amour n'est autre chose que l'union de l'amant a la chose aymee.

  A004000252 

 Il faut pourtant prendre garde qu'il y a des unions naturelles, comme celle de ressemblance, consanguinité et de la cause avec son effect, et d'autres, lesquelles, n'estans pas naturelles, peuvent estre dites volontaires, car bien qu'elles soyent selon la nature, elles ne se font neanmoins que par nostre volonté; comme celle qui prend son origine des bienfaitz, qui unissent indubitablement celuy qui les reçoit a celuy qui les fait, celle de la conversation et compaignie, et autres semblables.

  A004000252 

 Mays quant aux unions volontaires, elles sont posterieures a l'amour en effect, et causes neanmoins d'iceluy comme sa fin et pretention unique: en sorte que, comme l'amour tend a l'union, ainsy l'union estend bien souvent et aggrandit l'amour; car l'amour fait chercher la conversation, et la conversation nourrit souvent et accroist l'amour; l'amour fait desirer l'union nuptiale, et cette union reciproquement conserve et dilate l'amour: si que il est vray en tous sens que l'amour tend a l'union..

  A004000252 

 Or, quand l'union est naturelle, elle produit l'amour, et l'amour qu'elle produit nous porte a une nouvelle union volontaire qui perfectionne la naturelle: ainsy le pere et le filz, la mere et la fille, ou deux freres, estans naturellement unis par la communication d'un mesme sang, sont excités par cette union a l'amour, et par l'amour sont portés a une union de volonté et d'esprit qui peut estre dite volontaire, d'autant qu'encor que son fondement soit naturel, son action neanmoins est deliberee; et en ces amours produitz par l'union naturelle, il ne faut point chercher d'autre correspondance que celle de l'union mesme, par laquelle la nature prevenant la volonté, l'oblige d'appreuver, aymer et perfectionner l'union qu'elle a [54] des-ja faitte.

  A004000253 

 Mais a quelle sorte d'union tend-il? N'aves-vous pas remarqué, Theotime, que l'Espouse sacree exprime son souhait d'estre unie avec son Espoux, par le bayser, et que le bayser represente l'union spirituelle qui se fait par la reciproque communication des ames? Certes, c'est l'homme qui ayme, mais il ayme par la volonté, et partant, la fin de son amour est de la nature de sa volonté: mais sa volonté est spirituelle, c'est pourquoy l'union que son amour pretend est aussi spirituelle; d'autant plus que le cœur, siege et source de l'amour, non seulement ne seroit pas perfectionné par l'union qu'il auroit aux choses corporelles, mays en seroit avili.

  A004000254 

 A mesure que nostre ame s'employe a plus d'operations [55], ou de mesme sorte ou de diverse sorte, elle les fait moins parfaitement et vigoureusement; parce que, estant finie, sa vertu d'agir l'est aussi, si que, fournissant son activeté a diverses operations, il est force que chacune d'icelles en ayt moins.

  A004000255 

 Ce n'est pas que je ne sache ce qu'on dit de Cesar, et que je ne croye ce que tant de grans personnages ont asseuré d'Origene, que leur attention pouvoit a mesme tems s'appliquer a plusieurs objetz; mais pourtant, chacun confesse qu'a mesure qu'ilz l'appliquoyent a plus d'objetz, elle estoit moindre en chacun d'iceux.

  A004000255 

 Il est rare que ceux qui sçavent beaucoup, sçachent bien ce qu'ilz sçavent, parce que la vertu et force de l'entendement espanchee en la connoissance de plusieurs choses, est moins forte et vigoureuse que quand elle est ramassee a la consideration d'un seul objet.

  A004000255 

 Ne voyons-nous pas que le feu, symbole de l'amour, forcé de sortir par la seule bouche du canon, fait un esclat prodigieux, qu'il feroit beaucoup moindre s'il avoit ouverture par deux ou par trois endroitz? Puis donq que l'amour est [56] un acte de nostre volonté, qui le veut avoir non seulement noble et genereux, mais fort, vigoureux et actif, il en faut retenir la vertu et la force dans les limites des operations spirituelles; car qui voudroit l'appliquer aux operations de la partie sensible ou sensitive de nostre ame, il affoibliroit d'autant les operations intellectuelles, esquelles, toutefois, consiste l'amour essentiel..

  A004000255 

 Nous avons trois sortes d'actions amoureuses: les spirituelles, les raysonnables et les sensuelles; quand l'amour escoule sa force par toutes ces trois operations, il est sans doute plus estendu, mais moins tendu, et quand il ne s'escoule que par une sorte d'operation, il est plus tendu, quoy que moins estendu.

  A004000255 

 Quand donq l'ame employe sa vertu affective a diverses sortes d'operations amoureuses, il est force que son action ainsy divisee soit moins vigoureuse et parfaite.

  A004000256 

 Au contraire, ceux qui, allechés des playsirs sensuelz, appliquent leurs ames a la jouissance d'iceux, ilz descendent de leur moyenne condition a la plus basse des bestes brutes, et meritent autant d'estre appellés brutaux par leurs operations comme ilz sont hommes par leur nature: malheureux, en ce qu'ilz ne sont hors d'eux mesmes que pour entrer en une condition infiniment indigne de leur estat naturel..

  A004000256 

 Les philosophes anciens ont reconneu qu'il y avoit deux sortes d'extases, dont l'une nous portoit au dessus de nous mesmes, et l'autre nous ravaloit au dessous de nous mesmes: comme s'ilz eussent voulu dire que l'homme estoit d'une nature moyenne entre les Anges et les bestes, participant de la nature angelique en sa partie intellectuelle et de la nature bestiale en sa partie sensitive; et que neanmoins il pouvoit, par l'exercice de sa vie et par un continuel soin de soy mesme, s'oster et deloger de cette moyenne condition; d'autant que, s'appliquant et exerçant beaucoup aux actions intellectuelles, il se rendoit plus semblable aux Anges qu'il ne l'estoit aux bestes; que s'il s'appliquoit beaucoup aux actions sensuelles, il descendoit de sa moyenne condition et s'approchoit de celle des bestes: et parce que l'extase n'est autre chose que la sortie qu'on fait de soy mesme, de quel costé que l'on en sorte on est vrayement en extase.

  A004000257 

 Ainsy ces hommes angeliques qui sont ravis en Dieu et aux choses celestes, perdent tout a fait, tandis que leur extase dure, l'usage et l'attention des sens, le mouvement et toutes actions exterieures, parce que leur ame, pour appliquer sa vertu et activeté plus entierement et attentivement a ce divin object, la retire et ramasse de toutes ses autres facultés, pour la contourner de ce costé la.

  A004000257 

 Et de mesme les hommes brutaux, ravis en la volupté sensuelle, et particulierement quand c'est en celle du sens general, perdent tout a fait l'usage et l'attention de la rayson et de l'entendement, parce que leur miserable ame, pour sentir plus entierement et attentivement l'object brutal, se divertit des operations spirituelles, pour s'enfoncer et convertir du tout aux bestiales et brutales; imitans en cela mystiquement, les uns, Helie, ravi en haut sur le char enflammé entre les Anges, et les autres, Nabuchodonosor, abruti et ravalé au rang des bestes farouches..

  A004000257 

 Or, a mesure que l'extase est plus grande, ou au dessus de nous ou au dessous de nous, plus elle empesche nostre ame de retourner a soy mesme et de faire les operations contraires a l'extase en laquelle elle est.

  A004000258 

 Les bœufs de Job labouroyent la terre, tandis que les asnes inutiles paissoyent autour d'eux, mangeans les pasturages deus aux bœufs qui travaillovent: tandis que la partie intellectuelle de nostre ame travaille a l'amour honneste et vertueux, sur quelque objet qui en est digne, il arrive souvent que les sens et facultés de la partie inferieure tendent a l'union qui leur est propre et leur sert de pasture; bien que l'union ne soit deüe qu'au cœur et a l'esprit, qui seul aussi peut produire le vray et substantiel amour..

  A004000258 

 Maintenant je dis que, quand l'ame prattique l'amour par les actions sensuelles et qui la portent au dessous de soy, il est impossible qu'elle n'affoiblisse d'autant [58] plus l'exercice de l'amour superieur; de sorte que, tant s'en faut que l'amour vray et essentiel soit aydé et conservé par l'union a laquelle l'amour sensuel tend, qu'au contraire il s'affoiblit, se dissipe et perit par icelle.

  A004000259 

 Helisee, ayant gueri Naaman le Syrien, se contenta de l'avoir obligé, refusant au reste son or, son argent et les meubles qu'il luy avoit offert; mais Giesi, cet infïdele serviteur, courant apres iceluy, demanda et prit, outre le gré de son maistre, ce qu'il avoit refusé: l'amour intellectuel et cordial, qui est certes, ou doit estre, le maistre en nostre ame, refuse toutes sortes d'unions corporelles et sensuelles, et se contente en la simple bienveuillance; mais les puissances de la partie sensitive, qui sont ou doivent estre les servantes de l'esprit, demandent, cherchent et prennent ce qui a esté refusé par la rayson, et, sans prendre permission d'icelle, s'avancent a vouloir faire leurs unions abjectes et serviles, deshonnorans, comme Giesi, la pureté de l'intention de leur maistre qui est l'esprit; et a mesure que l'ame se convertit a tells [59] unions grossieres et sensibles, elle se divertit de l'union delicate, intellectuelle et cordiale..

  A004000260 

 Vous voyés donques bien, Theotime que ces unions qui regardent les complaysances et passions animales, non seulement ne servent de rien a la production et conservation de l'amour, mais luy sont grandement nuisibles et l'affoiblissent extremement: aussi, quand l'inceste Ammon, qui pasmoit et perissoit d'amour pour Thamar, eut passé jusques aux unions sensuelles et brutales, il fut tellement privé de l'amour cordial, qu'onques plus il ne la peut voir, et la poussa indignement dehors, violant aussi cruellement le droit de l'amour comme il avoit violé impudemment celuy du sang..

  A004000261 

 Ainsy l'amour se peut bien treuver es unions des puissances sensuelles meslees avec les unions des puissances intellectuelles, mais non jamais si excellemment comme il fait lhors que les seulz espritz et courages, separés de toutes affections corporelles, jointz ensemble, font l'amour pur et spirituel; car l'odeur des affections ainsy meslees, est non seulement plus suave et meilleure, mays plus vive, plus active et plus solide.

  A004000261 

 Le basilique, le romarin, la marjoleine, l'hysope, le clou de girofle, la cannelle, la noix muscade, les citrons et le musc, mis ensemble et demeurans en cors, rendent voirement une odeur bien aggreable par le meslange de leur bonne senteur; mays non pas a beaucoup pres de ce que fait l'eau qui en est distillee, en laquelle les suavités de tous ces ingrediens, separees de leur cors, se meslent beaucoup plus excellemment, s'unissans en une tres parfaite odeur qui penetre bien plus l'odorat qu'elles ne feroient pas, si avec elle et son eau les cors des ingrediens se treuvoyent conjointz et unis.

  A004000262 

 Il est vray que plusieurs, ayans l'esprit grossier, terrestre et vil, estiment la valeur de l'amour comme celle des pieces d'or, desquelles les plus grosses et pesantes sont les meilleures et plus recevables; car ainsy leur est-il advis que l'amour brutal soit plus fort, parce qu'il est plus violent et turbulent; plus solide, parce qu'il est grossier et terrestre; plus grand, parce qu'il est plus sensible et farouche: mais au contraire, l'amour est comme le feu, duquel plus la matiere est delicate, aussi les flammes en sont plus claires et belles, et lesquelles on ne sçauroit mieux esteindre qu'en les deprimant et couvrant de terre; car de mesme, plus le sujet de l'amour est relevé et spirituel, plus ses actions sont vives, subsistantes et permanentes, et ne sçauroit-on mieux ruiner l'amour que de l'abbaisser aux unions viles et terrestres.

  A004000262 

 «Il y a cette difference,» comme dit saint Gregoire, «entre les playsirs spirituelz et les corporelz: que les corporelz donnent du desir avant qu'on les ayt, et du desgoust quand on les a; mais les spirituelz, au contraire, donnent du desgoust avant qu'on les ayt, et du playsir quand on les a.» Si que l'amour animal, qui pretend par l'union qu'il fait a la chose aymee de combler et perfectionner sa complaisance, treuvant qu'au contraire il la destruit en la terminant, demeure grandement desgousté de telle union: qui a fait dire au grand Philosophe, que presque tout animal, apres la jouissance de son plus ardent et pressant playsir corporel, demeuroit triste, morne et estonné, comme un [61] marchand qui, ayant pensé gaigner beaucoup, se treuve trompé et engagé dans une rude perte; ou au contraire, l'amour intellectuel treuvant en l'union qu'il fait a son objet plus de contentement qu'il n'avoit esperé, y perfectionnant sa complaisance, il la continue en s'unissant et s'unit tous-jours plus en la continuant..

  A004000266 

 Car premierement, comme nous voyons que la vigne hait, par maniere de dire, et fuit les choux, en sorte qu'ilz s'entrenuisent l'un a l'autre, et qu'au contraire elle se plaist.

  A004000266 

 Or cette inclination ne procede d'aucune connoissance que l'un ait de la nuisance de son contraire ou de l'utilité de celuy avec lequel il a convenance, ains seulement d'une proprieté [62] occulte et secrette, qui produit cette contrarieté et antipathie insensible, comme aussi la complaysance et simpathie..

  A004000266 

 avec l'olivier; ainsy voyons-nous que naturellement il y a contrarieté entre l'homme et le serpent, en sorte que la seule salive de l'homme qui est a jeun fait mourir le serpent, et que, au contraire, l'homme et la brebis ont une merveilleuse convenance et se plaisent l'un avec l'autre.

  A004000267 

 Secondement, nous avons en nous l'appetit sensitif, par le moyen duquel nous sommes portés a la recherche et a la fuite de plusieurs choses, par la connoissance sensitive que nous en avons; tout ainsy comme les animaux, desquelz les uns appetent une chose et les autres une autre, selon la connoissance qu'ilz ont qu'elle leur est convenable ou non: et en cet appetit reside, ou d'iceluy provient l'amour que nous appelions sensuel ou brutal, qui, a proprement parler, ne doit neanmoins pas estre appellé amour, ains simplement appetit..

  A004000268 

 En troisiesme lieu, entant que nous sommes raysonnables, nous avons une volonté par laquelle nous sommes portés a la recherche du bien, selon que nous le connoissons ou jugeons estre tel par le discours.

  A004000268 

 Or, en nostre ame entant qu'elle est raysonnable, nous remarquons manifestement deux degrés de perfection, que le grand saint Augustin, et apres luy tous les docteurs, ont appellé deux portions de l'ame, l'inferieure et la superieure: desquelles celle la est dite inferieure, qui discourt et fait ses consequences selon ce qu'elle apprend et experimente par les sens; et celle la est dite superieure, qui discourt et fait ses consequences selon la connoissance intellectuelle, qui n'est point fondee sur l'experience des sens, ains sur le discernement et jugement de l'esprit; aussi cette portion superieure est appellee communement esprit et partie mentale de l'ame, comme l'inferieure est ordinairement appellee le sens ou sentiment, et rayson humaine..

  A004000269 

 C'est ce que dit saint Augustin, que la superieure portion de l'ame est celle par laquelle nous adherons et nous appliquons a l'obeissance de la loy eternelle..

  A004000271 

 Un pere, envoyant son filz ou en la cour ou aux estudes, ne laisse pas de pleurer en le licenciant, tesmoignant qu'encor qu'il veuille selon la portion superieure le despart de cet enfant pour son avancement a la vertu, neanmoins selon l'inferieure il a de la repugnance a la separation; et quoy qu'une fille soit mariee au gré de son pere et de sa mere, si est ce que prenant leur benediction elle excite les larmes, en sorte que la volonté superieure acquiesçant a son despart, l'inferieure monstre de la resistance.

  A004000272 

 Or, ce n'est pas pourtant a dire qu'il y ait en l'homme deux ames, ou deux natures, comme pensoient les Manicheens: «Non,» dit saint Augustin, livre huitiesme de ses Confessions, chapitre dixiesme, «ains la volonté, allechee par divers attraitz, esmeüe par diverses raysons, semble estre divisee en soy mesme, tandis qu'elle est tiree de deux costés, jusques a ce que prenant parti selon sa liberté, elle suit ou l'un ou l'autre;» car alhors la plus puissante volonté surmonte, et gaignant le dessus, ne laisse a l'ame que le ressentiment du mal que le debat luy a fait, que nous appelions contrecœur..

  A004000273 

 En suite dequoy il fit la priere que le calice de la Passion fust transporté de luy, c'est a dire qu'il en fust exempt; en quoy il exprime manifestement le vouloir de la portion inferieure de son ame, laquelle discourant sur les tristes et angoisseux objetz de la Passion qui luy estoit preparee, et de laquelle la vive image estoit representee en son imagination, il en [65] tira, par une consequence tres raysonnable, la fuite et esloignement d'iceux, dont il fait la demande a son Pere: par ou l'on remarque clairement que la portion inferieure de l'ame n'est pas la mesme chose que le degré sensitif d'icelle, ni la volonté inferieure une mesme chose avec l'appetit sensuel; car l'appetit sensuel, ni l'ame selon son degré sensitif, ne sont pas capables de faire aucune demande ni priere, qui sont des actes de la faculté raysonnable, et particulierement ilz ne sont pas capables de parler a Dieu, objet auquel les sens ne peuvent atteindre, pour en donner la connoissance a l'appetit.

  A004000273 

 Mais ce mesme Sauveur ayant fait cet exercice de la portion inferieure, et tesmoigné que, selon icelle et les considerations qu'elle faisoit, sa volonté inclinoit a la fuite des douleurs et des peynes, il monstra par apres qu'il avoit la portion superieure, par laquelle adherant inviolablement a la volonté eternelle et au decret que le Pere celeste avoit fait, il accepte volontairement la mort, et nonobstant la repugnance de la partie inferieure de la rayson, il dit: Ah non, mon Pere, que ma volonté ne soit pas faite, ains la vostre.

  A004000277 

 «Je te cherchois,» dit saint Augustin, «hors de moy, et» je ne te treuvois point, parce que «tu estois en moy.» En ce temple mistique, il y a aussi troys parvis, qui sont troys differens degrés de rayson: au premier nous discourons selon l'experience des sens; au second nous discourons selon les sciences humaines; au troisiesme nous discourons selon la foy; et en fin, outre cela, il y a une certaine eminence et supreme pointe de la rayson et faculté spirituelle, qui n'est point conduitte par la lumiere du discours ni de la rayson, ains par une simple veüe de l'entendement et un simple sentiment de la volonté, par lesquelz l'esprit acquiesce et se sousmet a la verité et a la volonté de Dieu..

  A004000278 

 Au Sanctuaire toute la lumiere y entroit par la porte; en ce degré de l'esprit rien n'entre que par la foy, laquelle produit, comme par maniere de rayons, la veüe et le sentiment de la beauté et bonté du bon playsir de Dieu.

  A004000278 

 Le grand Prestre, entrant dedans le Sanctuaire, obscurcissoit encor la lumiere qui entroit par la porte, jettant force parfums dedans son encensoir, la fumee desquelz rebouschoit les rayons de la clarté que l'ouverture de la porte rendoit; et toute la veüe qui se fait en la supreme pointe de l'ame est en certaine façon obscurcie et couverte par les renoncemens et resignations que l'ame fait, ne voulant pas tant regarder et voir la beauté de la verité et la verité de la bonté qui luy est presentee, qu'elle veut l'embrasser et l'adorer: de sorte que l'ame voudroit presque fermer les yeux, soudain qu'elle a commencé a. voir la dignité de la volonté de Dieu, affin que, sans s'occuper davantage a la considerer, elle peust plus puissamment et parfaitement l'accepter et, par une complaysance absolue, s'unir infiniment et se sous-mettre a elle..

  A004000278 

 Nul n'entroit dans le Sanctuaire que le grand Prestre; en cette pointe de l'ame le discours n'a point d'acces, ains seulement le grand, universel et souverain sentiment, que la volonté divine doit estre souverainement aymee, appreuvee et embrassee, non seulement en particulier pour quelque chose, mais en general pour toutes choses, et non seulement en general pour toutes choses, mais en particulier pour chasque chose.

  A004000279 

 Car, encor que la fov, l'esperance et la charité respandent leur divin mouvement presque en toutes les facultés de l'ame, tant raysonnables que sensitives, les reduisant et assujettissant saintement sous leur juste authorité, si est ce que leur speciale demeure, leur vray et naturel sejour, est en cette supreme pointe de l'ame, des laquelle, comme une heureuse source d'eau vive, elles s'espanchent par divers surgeons et ruysseaux, sur les parties et facultés inferieures..

  A004000279 

 La lumiere de la foy, representee par la manne cache [68] dans la cruche, par laquelle nous acquiesçons a la verité des mysteres que nous n'entendons pas; 2.

  A004000279 

 l'utilité de l'esperance, representee par la verge fleurie et feconde d'Aaron, par laquelle nous acquiesçons aux promesses des biens que nous ne voyons point; 3.

  A004000280 

 L'ame de saint Paul se sentit pressee de deux divers desirs, l'un desquelz fut d'estre deslié de son cors pour aller au Ciel avec Jesus Christ, et l'autre, de demeurer en ce monde pour y servir a la conversion des peuples: l'un et l'autre desir estoit sans doute en la partie superieure, car ilz procedoient tous deux de la charité; mais la resolution de suivre le dernier ne se fit pas par discours, ains par une simple veüe et un simple sentiment de la volonté du Maistre, a laquelle la seule pointe de l'esprit de ce grand serviteur acquiesça, au prejudice de tout ce que le discours pouvoit conclure..

  A004000281 

 Mais si la foy, l'esperance et la charité se forment par ce saint acquiescement en la pointe de l'esprit, comment est-ce qu'au degré inferieur se peuvent faire les discours qui dependent de la lumiere de la foy? Ainsy que nous voyons que les advocatz au barreau [69] disputent avec beaucoup de discours sur les faitz et droitz des parties, et que le Parlement ou Senat resoult d'en haut toutes les difficultés par un arrest, lequel estant prononcé, les advocatz et auditeurs ne laissent pas de discourir entr'eux sur les motifs que le Parlement peut avoir eu, de mesme, Theotime, apres que les discours, et sur tout la grace de Dieu, ont persuadé a la pointe et supreme eminence de l'esprit d'acquiescer et former l'acte de la foy par maniere d'arrest, l'entendement ne laisse pas de discourir derechef sur cette mesme foy ja conceue, pour considerer les motifs et raysons d'icelle; mais cependant, les discours de theologie se font au parquet et barreau de la portion superieure de l'ame, et les acquiescemens, en haut, au siege et tribunal de la pointe de l'esprit.

  A004000281 

 Or, par ce que la connoissance de ces quatre divers degrés de la rayson est grandement requise pour entendre tous les traittés des choses spirituelles, j'ay voulu l'expliquer asses amplement..

  A004000285 

 L'amour de convoitise est celuy par lequel nous aymons quelque chose pour le prouffit que nous en pretendons; l'amour de bienveuillance est celuy par lequel nous aymons quelque chose pour le [70] bien d'icelle, car qu'est-ce autre chose avoir l'amour de bienveuillance envers une personne que de luy vouloir du bien?.

  A004000286 

 Si celuy a qui nous voulons du bien l'a des-ja et le possede, alhors nous le luy voulons par le playsir et contentement que nous avons dequoy il l'a et le possede; et ainsy se forme l'amour de complaysance, qui n'est autre chose que l'acte de la volonté par lequel elle s'unit et joint au playsir, contentement et bien d'autruy.

  A004000287 

 Or, la mutuelle correspondance consiste en trois pointz: car il faut que les amis s'entr'ayment, sachent qu'ilz s'entrayment, et qu'ilz ayent communication, privauté et familiarité ensemble..

  A004000288 

 Si nous aymons simplement l'ami, sans le preferer aux autres, l'amitié est simple; si nous le preferons, alhors cette amitié s'appellera dilection, comme qui diroit amour de election, parce qu'entre plusieurs choses que nous aymons, nous choisissons celle-la pour la preferer..

  A004000290 

 Et de fait, en nostre langage mesme, les motz de cher, cherement, encherir, representent une certaine estime, un prix, une valeur particuliere; de sorte que, comme le mot d'homme parmi le peuple est presque demeuré aux masles, comme au sexe plus excellent, et celuy d'adoration est aussi presque demeuré pour Dieu, comme pour son principal object, ainsy le nom de charité est demeuré a l'amour de Dieu, comme a la supreme et souveraine dilection..

  A004000290 

 Que si l'estime et preference que nous faysons de l'ami, quoy qu'elle soit grande et n'en ait point d'egale, ne laisse pas neanmoins de pouvoir entrer en comparayson et proportion avec les autres, l'amitié s'appellera dilection eminente.

  A004000294 

 Au contraire, saint Augustin, ayant mieux consideré l'usage de la Parole de Dieu, monstre clairement que le nom d'amour n'est pas moins sacré que celuy de dilection, et que l'un et l'autre signifie parfois une affection sainte, et quelquefois aussi une passion depravee; alleguant a ces fins plusieurs passages de l'Escriture.

  A004000294 

 Mais le grand saint Denis, comme excellent Docteur de la proprieté des noms divins, parle bien plus avantageusement en faveur du nom d'amour; enseignant que les theologiens, c'est a dire les Apostres et premiers disciples d'iceux (car ce Saint n'avoit point veu d'autres theologiens), [72] pour desabuser le vulgaire et dompter la fantasie d'iceluy, qui prenoit le nom d'amour en sens prophane et charnel, ilz l'ont plus volontier employé es choses divines que celuy de dilection; et quoy qu'ilz estimassent que l'un et l'autre estoit pris pour une mesme chose, «il a toutefois semblé a quelques uns d'entre eux que le nom d'amour estoit plus propre et convenable a Dieu que celuy de dilection; si que le divin Ignace a escrit ces paroles: Mon amour est crucifié.» Ainsy, comme ces anciens theologiens employoient le nom d'amour es choses divines, affin de luy oster l'odeur d'impureté de laquelle il estoit suspect selon l'imagination du monde, de mesme, pour exprimer les affections humaines, ilz ont pris playsir d'user du nom de dilection, comme exempt du soupçon de deshonnesteté; dont quelqu'un d'entr'eux a dit, au rapport de saint Denis: «Ta dilection est entree en mon ame, ainsy que la dilection des femmes.» En fin, le nom d'amour represente plus de ferveur, d'efficace et d'activeté que celuy de dilection; de sorte qu'entre les Latins, dilection est beaucoup moins qu'amour: «Clodius,» dit leur grand Orateur, «me porte dilection, et pour le dire plus excellemment, il m'ayme.» Et partant, le nom d'amour, comme plus excellent, a esté justement donné a la charité, comme au principal et plus eminent de tous les amours: si que pour toutes ces raysons, et parce que je pretendois de parler des actes de la charité plus que de l'habitude d'icelle, j'ay appellé ce petit ouvrage, Traitté de l'Amour de Dieu.

  A004000294 

 Origene dit en quelque lieu, qu'a son advis, l'Escriture divine voulant empescher que le nom d'amour ne donnast quelque sujet de mauvaise pensee aux espritz infirmes, comme plus propre a signifier une passion charnelle qu'une affection spirituelle, en lieu de ce nom-la d'amour elle a usé de ceux de charité et de dilection, qui sont plus honnestes.

  A004000298 

 Que si quelqu'accident espouvante nostre cœur, soudain il recourt a la Divinité, advoüant que quand tout luy est mauvais, elle seule luy est bonne, et que quand il est en peril, elle seule, comme son souverain bien, le peut sauver et garentir..

  A004000298 

 Si tost que l'homme pense un peu attentivement a la Divinité, il sent une certaine douce émotion de cœur, qui tesmoigne que Dieu est Dieu du cœur humain; et jamais nostre entendement n'a tant de playsir qu'en cette pensee de la Divinité, de laquelle la moindre connoissance, comme dit le prince des philosophes, vaut mieux que la plus grande des autres choses, comme le moindre rayon du soleil est plus clair que le plus grand de la lune ou des estoiles, ains est plus lumineux que la lune et les estoiles ensemble.

  A004000299 

 Ce playsir, cette confiance que le cœur humain prend naturellement en Dieu, ne peut certes provenir que de la convenance qu'il y a entre cette divine Bonté et nostre ame: convenance grande, mais secrette; convenance que chacun connoist, et que peu de gens entendent; convenance qu'on ne peut nier, mais qu'on ne peut bien penetrer.

  A004000299 

 Nous sommes creés a l'image et semblance de Dieu: qu'est-ce a dire cela, sinon que nous avons une extreme convenance avec sa divine Majesté?.

  A004000301 

 C'est donq un doux et desirable rencontre que celuy de l'affluence et de l'indigence, et ne sçauroit-on presque dire qui a plus de contentement, ou le bien abondant a se respandre et communiquer, ou le bien defaillant et indigent a recevoir et tirer, si Nostre Seigneur n'avoit dit que c'est chose plus heureuse de donner que de recevoir.

  A004000301 

 Les meres ont quelquefois leurs mammelles si fecondes et abondantes, qu'elles ne peuvent durer sans les bailler a [75] quelqu'enfant; et bien que l'enfant succe le tetin avec grande avidité, la nourrice le luy donne encor plus ardemment; l'enfant tettant, pressé de sa necessité, et la mere l'allaitant, pressee de sa fecondité..

  A004000301 

 Mais, outre cette convenance de similitude, il y a une correspondance nompareille entre Dieu et l'homme pour leur reciproque perfection; non que Dieu puisse recevoir aucune perfection de l'homme, mais parce que, comme l'homme ne peut estre perfectionné que par la divine Bonté, aussi la divine Bonté ne peut bonnement si bien exercer sa perfection hors de soy qu'a l'endroit de nostre humanité: l'une a grand besoin et grande capacité de recevoir du bien, et l'autre a grande abondance et grande inclination pour en donner.

  A004000301 

 Or, ou il y a plus de bonheur, il y a plus de satisfaction; la divine Bonté a donq plus de playsir a donner ses grâces que nous a les recevoir.

  A004000302 

 Ainsy, Theotime, nostre defaillance a besoin de l'abondance divine par disette et necessité, mays l'affluence divine n'a besoin de nostre indigence que par excellence de perfection et bonté: bonté qui neanmoins ne devient pas meilleure en se communiquant, car elle n'acquiert rien en se respandant hors de soy, au contraire elle donne; mays nostre indigence demeureroit manquante et miserable si l'abondance de la bonté ne la secouroit..

  A004000302 

 L'Espouse sacree avoit souhaité le saint bayser d'union: O, dit-elle, qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche! Mais y a-il asses de convenance, o la bienaymee du Bienaymé, entre vous et l'Espoux, pour parvenir a l'union que vous desires? Ouy, dit-elle, donnes-le moy, ce bayser d'union, o le cher ami de mon ame, car vous aves des mammelles meilleures que le vin, odorantes de parfums excellens.

  A004000302 

 Le vin nouveau bouillonne et s'eschauffe en soy mesme par la force de sa bonté, et ne se peut contenir dans les tonneaux, mais vos mammelles sont encores meilleures, elles pressent vostre poitrine par des eslans continuelz, poussant leur laict qui redonde, comme requerant d'estre deschargees: et pour attirer les enfans de vostre cœur a les venir tetter, elles respandent une odeur attrayante plus que toutes les senteurs des parfums.

  A004000303 

 Nostre ame donques, considerant que rien ne la contente parfaittement et que sa capacité ne peut estre remplie par chose quelconque qui soit au monde, voyant que son entendement a une inclination infinie de sçavoir tous-jours davantage, et sa volonté un appetit insatiable d'aymer et treuver du bien, n'a-elle pas rayson d'exclamer: Ah, donques je ne suis pas faite pour ce monde! Il y a quelque souverain bien duquel je depens, et quelque ouvrier infini qui a imprimé en moy cet interminable desir de sçavoir et cet appetit qui ne peut estre assouvi: c'est pourquoy il faut que je tende et [76] m'estende vers luy, pour m'unir et joindre a sa bonté a laquelle j'appartiens et suis.

  A004000303 

 Telle est la convenance que nous avons avec Dieu..

  A004000307 

 Mays quant a l'amour sur toutes choses qui seroit prattiqué selon ce secours, il seroit appellé naturel, d'autant que les actions vertueuses prennent leur nom de leurs objectz et motifs, et cet amour dont nous parlons tendroit seulement a Dieu, selon qu'il est reconneu Autheur, Seigneur et souveraine fin de toute creature par la seule lumiere naturelle, et par consequent aymable et estimable sur toutes choses par inclination et propension naturelle..

  A004000307 

 S'il se treuvoit des hommes qui fussent en l'integrité et droitture originelle en laquelle Adam se treuva lhors de sa creation, bien que d'ailleurs ilz n'eussent aucune autre assistence de Dieu que celle qu'il donne a chasque creature affin qu'elle puisse faire les actions qui luy sont convenables, non seulement ilz auroyent l'inclination d'aymer Dieu sur toutes choses, mays aussi ilz pourroyent naturellement executer cette si juste inclination: car, comme ce divin Autheur et Maistre de la nature coopere et preste sa main forte au feu pour monter en haut, aux eaux pour couler vers la mer, a la terre pour descendre en bas et y demeurer quand elle y est; ainsy, ayant luy mesme planté dans le cœur de l'homme une speciale inclination naturelle, non seulement d'aymer le bien en general, mays d'aymer en particulier et sur toutes choses sa divine bonté qui est meilleure et plus aymable que toutes choses, la suavité de sa providence souveraine requeroit qu'il contribuait aussi a ces bienheureux hommes que nous venons de dire, autant de secours qu'il seroit necessaire affin que cette inclination fust prattiquee et effectuee.

  A004000308 

 Or, bien que l'estat de nostre nature humaine ne soit pas maintenant doué de la santé et droitture originelle que le premier homme avoit en sa creation, et qu'au contraire nous soyons grandement depravés par le peché, si est ce toutefois que la sainte inclination d'aymer Dieu sur toutes choses nous est demeuree, comme aussi la lumiere naturelle par laquelle nous connoissons que sa souveraine bonté est aymable sur toutes choses; et n'est pas possible qu'un homme pensant attentivement en Dieu, voire mesme par le seul discours naturel, ne ressente un certain eslan d'amour que la secrette inclination de nostre nature suscite au fond du cœur, par lequel, a la premiere apprehension de ce premier et souverain object, la volonté est prevenue et se sent excitee a se complaire en iceluy..

  A004000309 

 Entre les perdrix il arrive souvent que les unes desrobbent les œufs des autres affin de les couver, [78] soit pour l'avidité qu'elles ont d'estre meres, soit pour leur stupidité qui leur fait mesconnoistre leurs œufs propres.

  A004000309 

 Et voyci chose estrange, mais neanmoins bien tesmoignee, car le perdreau qui aura esté esclos et nourri sous les aysles d'une perdrix estrangere, au premier reclam qu'il oyt de sa vraye mere qui avoit pondu l'œuf duquel il est procedé, il quitte la perdrix larronnesse, se rend a sa premiere mere et se met a sa suite, par la correspondance qu'il a avec sa premiere origine; correspondance toutefois qui ne paroissoit point, ains fut demeuree secrette, cachee et comme dormante au fond de la nature, jusques a la rencontre de son object, que soudain excitee, et comme resveillee, elle fait son coup, et pousse l'appetit du perdreau a son premier devoir.

  A004000313 

 Ainsy nos espritz, animés d'une sainte inclination naturelle envers la Divinité, ont bien plus de clarté en l'entendement pour voir combien elle est aymable, que de force en la volonté pour l'aymer: car le peché a beaucoup plus debilité la volonté humaine, qu'il n'a offusqué l'entendement, et la rebellion de l'appetit sensuel, que nous appelions concupiscence, trouble voirement l'entendement, mais c'est pourtant contre la volonté qu'il excite principalement la sedition et revolte; si que la pauvre volonté, des-ja toute infirme, estant agitee des continuelz assautz que la concupiscence luy livre, ne peut faire un si grand progres en l'amour divin, comme la rayson et inclination naturelle luy suggerent qu'elle devroit faire.

  A004000313 

 Et quant a Platon, il se declare asses [80] en la celebre definition de la philosophie et du philosophe, disant que philosopher n'est autre chose qu'aymer Dieu, et que le philosophe n'estoit autre que l'amateur de Dieu.

  A004000313 

 Helas, Theotime, quelz beaux tesmoignages, non seulement d'une grande connoissance de Dieu, mays aussi d'une forte inclination envers iceluy, ont esté laissés par ces grans philosophes, Socrate, Platon, Trismegiste, Aristote, Hippocrate, Seneque, Epictete! Socrate, le plus loüé d'entr'eux, connoissoit clairement l'unité de Dieu, et avoit tant d'inclination a l'aymer que, comme saint Augustin tesmoigne, plusieurs ont estimé qu'il n'enseigna jamais la philosophie morale pour autre occasion que pour espurer les espritz, affin qu'ilz peussent mieux contempler le souverain bien qui est la tres unique Divinité.

  A004000313 

 Les aigles ont un grand cœur et beaucoup de force a voler; elles ont neanmoins incomparablement plus de veüe que de vol, et estendent beaucoup plus viste et plus loin leur regard que leurs aysles.

  A004000313 

 Que diray-je du grand Aristote, qui avec tant d'efficace appreuve l'unité de Dieu et en a parlé si honnorablement en tant d'endroitz?.

  A004000315 

 N'est ce pas grande pitié, Theotime, de voir Socrate, au recit de Platon, parler en mourant des dieux comme s'il y en avoit plusieurs, luy qui sçavoit si bien qu'il n'y en avoit qu'un seul? N'est ce pas chose deplorable que Platon ayt ordonné que l'on sacrifie a plusieurs dieux, luy qui sçavoit si bien la verité de l'unité divine? Et Mercure Trismegiste n'est il pas lamentable, de lamenter et plaindre si laschement l'abolissement de l'idolatrie, luy qui en tant d'endroitz avoit parlé si dignement de la Divinité?.

  A004000316 

 Mais sur tout j'admire le pauvre bon homme Epictete, duquel les propos et sentences sont si douces a lire en nostre langue, par la traduction que la docte et belle plume du Reverend Pere Dom Jean de Saint François, [81] Provincial de la congregation des Feuillans es Gaules, a depuis peu exposee a nos yeux.

  A004000317 

 En somme, Theotime, nostre chetifve nature, navree par le peché, fait comme les palmiers que nous avons de deça, qui font voirement certaines productions imparfaittes et comme des essais de leurs fruitz, mais de porter des dattes entieres, meures et assaisonnees, cela est reservé pour des contrees plus chaudes.

  A004000321 

 Mais si nous ne pouvons pas naturellement aymer Dieu sur toutes choses, pourquoy donq avons-nous naturellement inclination a cela? la nature est-elle pas vaine de nous inciter a un amour qu'elle ne nous peut donner? pourquoy nous donne-elle la soif d'une eau si pretieuse, puisqu'elle ne peut nous en abbreuver? Ha, Theotime, que Dieu nous a esté bon! La perfidie que nous avions commise en l'offençant meritoit certes qu'il nous privast de toutes les marques de sa bienveuillance, et de la faveur qu'il avoit exercee envers nostre nature, Ihors qu'il imprima sur elle la lumiere de son divin visage et qu'il donna a nos cœurs l'allegresse de se sentir enclins a l'amour de la divine Bonté, affin que les Anges, voyans ce miserable homme, eussent occasion de dire par compassion: Est-ce la, la creature de parfaite beauté, l'honneur de toute la terre?.

  A004000322 

 Il vit que nous estions environnés de chair, un vent qui se dissipe en courant, et qui ne revient plus; c'est pourquoy, selon les entrailles de sa misericorde, il ne nous voulut pas du tout ruiner ni nous oster le signe de sa grace perdue, affin que le regardans, et sentans en nous cette arriance et propension a l'aymer, nous taschassions de ce faire, et que personne ne peust justement dire: [83] Qui nous monstrera le bien? Car encor que par la seule inclination naturelle nous ne puissions pas parvenir au bonheur d'aymer Dieu comme il faut, si est ce que, si nous l'employions fïdellement, la douceur de la pieté divine nous donneroit quelque secours, par le moyen duquel nous pourrions passer plus avant; que si nous secondions ce premier secours, la bonté paternelle de Dieu nous en fourniroit un autre plus grand, et nous conduiroit de bien en mieux, avec toute suavité, jusques au souverain amour auquel nostre inclination naturelle nous pousse: puisque c'est chose certaine qu'a celuy qui est fidele en peu de chose et qui fait ce qui est en son pouvoir, la benignité divine ne denie jamais son assistance pour l'avancer de plus en plus..

  A004000323 

 L'inclination donques d'aymer Dieu sur toutes choses, que nous avons par nature, ne demeure pas pour neant dans nos cœurs: car, quant a Dieu, il s'en sert comme d'une anse pour nous pouvoir plus suavement prendre et retirer a soy, et semble que, par cette impression, la divine Bonté tienne en quelque façon attachés nos cœurs, comme des petitz oyseaux, par un filet par lequel il nous puisse tirer quand il plaist a sa misericorde d'avoir pitié de nous; et quant a nous, elle nous est un indice et memorial de nostre premier Principe et Createur, a l'amour duquel elle nous incite, nous donnant un secret advertissement que nous appartenons a sa divine Bonté.

  A004000323 

 Tout de mesme que les cerfz ausquelz les grans princes font quelquefois mettre des colliers avec leurs armoiries, bien que par apres ilz les font lascher et mettre en liberté dans les forestz, ne laissent pas d'estre reconneus par quicomque les rencontre, non seulement pour avoir une fois esté pris par le prince duquel ilz portent les armes, mays aussi pour luy estre encor reservés: car ainsy conneut-on l'extreme viellesse d'un cerf qui fut rencontré, comme quelques historiens disent, trois cens ans apres la mort de Cesar, parce qu on luy treuva un collier ou estoit la devise de Cesar, et ces motz: Cesar m'a lasché.

  A004000324 

 C'est pourquoy le grand Prophete royal appelle cette inclination non seulement lumiere, parce qu'elle nous fait voir ou nous devons tendre, mais aussi joye et allegresse, parce qu'elle nous console en nostre egarement, nous donnant esperance que Celuy qui nous a empreinte et laissee cette belle marque de nostre origine, pretend encor et desire de nous y ramener et reduire, si nous sommes si heureux que de nous laisser reprendre a sa divine Bonté.

  A004000324 

 Certes, l'honnorable inclination que Dieu a mise en nos ames, fait connoistre a nos amis et a nos ennemis que non seulement nous avons esté a nostre Createur, mais encor que, si bien il nous a laissés et laschés a la merci de nostre franc arbitre, neanmoins nous luy appartenons, et il s'est reservé le droit de nous reprendre a soy pour nous sauver, selon que sa sainte et suave Providence le requerra.

  A004000332 

 Nous disons, quand le soleil a son lever est rouge et que tost apres il devient noir ou creux et enfoncé, ou bien, quand a son coucher il est blafastre, pasle, have, que c'est signe de pluye.

  A004000332 

 Theotime, le soleil n'est ni rouge, ni noir, ni pasle, ni gris, ni verd: ce grand luminaire n'est point sujet a ces vicissitudes et changemens de couleurs, n'ayant pour toute couleur que sa très claire et perpetuelle lumiere, laquelle, si ce n'est par miracle, est invariable; mays nous parlons de la sorte parce qu'il nous semble estre tel, selon la varieté des vapeurs qui sont entre luy et nos yeux, lesquelles le font paroistre de diverses façons..

  A004000333 

 Et comme le soleil n'a aucune de toutes les couleurs que nous luy attribuons, ains une seule tres claire lumiere qui est par dessus toute couleur et qui rend visiblement colorees toutes les couleurs, aussi en Dieu il n'y a aucune des perfections que nous imaginons, ains une seule tres pure excellence qui est au dessus de toute perfection et qui donne la perfection a tout ce qui est parfait..

  A004000333 

 Mais cependant, en Dieu il n'y a ni varieté ni difference quelcomque de perfections, ains il est luy mesme une tres seule, tres simple et tres uniquement unique perfection; car tout ce qui est en luy n'est que luy mesme, et toutes les excellences que nous disons estre en luy en une si grande diversité, elles y sont en une tres simple et tres pure unité.

  A004000334 

 Et pour cela, Dieu respondant par l'Ange au pere de Samson, qui luy demandoit son nom: [88] Pourquoy demandes-tu mon nom, dit-il, qui est admirable? comme s'il vouloit dire: Mon nom peut estre admiré, mais non pas prononcé par les creatures; il doit estre adoré, mais il ne peut estre compris que par moy, qui seul sçay proferer le propre nom par lequel au vray et naifvement j'exprime mon excellence.

  A004000334 

 Nostre esprit est trop foible pour former une pensee qui puisse representer une excellence tant immense, laquelle comprenant en sa tres simple et tres unique perfection, distinctement et parfaittement, toutes autres perfections, en une façon infiniment excellente et eminente que nostre esprit ne peut penser, nous sommes forcés, pour parler aucunement de Dieu, d'user d'une grande quantité de noms, disant qu'il est bon, sage, tout puissant, vray, juste, saint, infini, immortel, invisible; et certes, nous parlons veritablement: Dieu est tout cela ensemble, parce qu'il est plus que tout cela, c'est a dire il l'est en une sorte si pure, si excellente et si relevee, qu'en une tres simple perfection il a la vertu, force et excellence de toute perfection..

  A004000334 

 Or, de nommer parfaitement cette supreme excellence, laquelle en sa tres singuliere unité comprend, ains surmonte toutes excellences, cela n'est pas au pouvoir de la creature, ni humaine ni angelique: car, comme il est dit en l'Apocalypse, Nostre Seigneur a un nom que personne ne sçait que luy mesme, parce que luy seul connoissant parfaitement son infinie perfection, luy seul aussi la peut exprimer par un nom proportionné; dont les Anciens ont dit que nul n'estoit vray theologien que Dieu, d'autant que nul ne peut connoistre totalement la grandeur infinie de la perfection divine, ni par consequent la representer par paroles, sinon luy mesme.

  A004000335 

 Ainsy la manne estoit une seule viande, laquelle comprenant en soy le goust et la vertu de toutes les autres viandes, on eut peu dire qu'elle avoit le goust du citron, du melon, du raisin, de la prune et de la poire; mais on eut encor plus veritablement dit qu'elle n'avoit pas tous ces goustz, ains un seul goust qui estoit le sien propre, lequel neanmoins contenoit en son unité tout ce qui pouvoit estre d'aggreable et desirable en toute la diversité des autres goustz; comme l'herbe dodecatheos, «laquelle,» ce dit Pline, «guerissant de toutes, maladies,» n'est ni rhubarbe, ni sené, ni rose, ni betoine, ni buglosse, ains un seul simple qui en l'unique simplicité de sa proprieté a autant de force que tous les autres medicamens ensemble.

  A004000335 

 O abisme des perfections divines, que vous estes admirable de posseder en une seule perfection l'excellence de toute perfection, en une façon si excellente que nul ne la peut comprendre, sinon vous mesme!.

  A004000336 

 Benissans le Seigneur, exaltés-le tant que vous pourrés, car il surpasse toute louange.

  A004000336 

 Mays pourtant, que tout esprit loüe le Seigneur, le nommant de tous les noms les plus eminens qui se pourront treuver; et pour la plus grande loüange que nous luy puissions rendre, confessons que jamais il ne peut estre asses loüé, et pour le plus excellent nom que nous luy puissions attribuer, protestons que son nom est sur tout nom, et que nous ne pouvons le dignement nommer..

  A004000336 

 Non, Theotime, nous ne pouvons jamais le comprendre, puisque, comme dit saint Jean, il est plus grand que nostre cœur.

  A004000341 

 Et neanmoins, chetifves creatures que nous sommes, nous parlons des actions de Dieu comme s'il en faysoit tous les jours grande quantité et en grande varieté, bien que nous sachions le contraire.

  A004000341 

 Et si, en cela nous n'offençons pas la verité; car encor qu'en Dieu il n'y ait pas multitude d'actions, ains un seul acte qui est la Divinité mesme, cet acte toutefois est si parfait, qu'il comprend excellemment la force et la vertu de tous les actes qui sembleroyent estre requis pour toute la diversité des effectz que nous voyons..

  A004000341 

 Mays il n'en est pas de mesme en Dieu, car il n'y a en luy qu'une tres simple infinie perfection, et en cette perfection, qu'un seul tres unique et tres pur acte: [90] ains, pour parler plus saintement et sagement, Dieu est une seule, tres souverainement unique et tres uniquement souveraine perfection; et cette perfection est un seul acte tres purement simple et tres simplement pur, lequel n'estant autre chose que la propre essence divine, il est par consequent tous-jours permanent et eternel.

  A004000341 

 Mays nous sommes forcés a cela, Theotime, par nostre imbecillité; car nous ne savons parler sinon selon que nous entendons, et nous entendons selon que les choses ont accoustumé de se passer parmi nous: or, d'autant qu'es choses naturelles il ne se fait presque point de diversité d'ouvrages que par diversité d'actions, quand nous voyons tant de besoignes differentes, une si grande varieté de productions, et cette multitude innumerable des exploitz de la puissance divine, il nous semble d'abord que cette diversité se fait par autant d'actes que nous voyons de differens effectz, et nous en parlons tout de mesme, pour parler plus a nostre ayse, selon nostre prattique ordinaire et la coustume que nous avons d'entendre les choses.

  A004000347 

 Ainsy saint Chrysostome remarque que ce que Moyse a dit en plusieurs paroles, descrivant la creation du monde, le glorieux saint Jean l'a exprimé en un seul mot, disant que par le Verbe, c'est a dire par cette Parole eternelle qui est le Filz de Dieu, tout a esté fait.

  A004000347 

 Car encor que l'historien sacré, s'accommodant a nostre façon d'entendre, raconte que Dieu repeta souvent cette toute puissante parole: Soit fait, es journees de la creation du monde, neanmoins, a proprement parler, cette parole fut tres unique; si que David l'appelle un souffle ou aspiration de la bouche divine, c'est a dire un seul trait de son infinie volonté, lequel respand si puissamment sa vertu en la varieté des choses creées, que pour cela nous le concevons comme s'il estoit multiplié et diversifié en autant de differences comme il y en a en ces effectz, quoy qu'en verité il soit tres unique et tres simple.

  A004000347 

 Un seul mot de Dieu remplit l'air d'oyseaux et la mer [91] de poissons, fit esclorre de la terre toutes les plantes et tous les animaux que nous y voyons.

  A004000348 

 Ainsy, Theotime, la nature, comme le peintre, multiplie et diversifie ses actes a mesure que ses besoignes sont differentes, et luy faut un grand tems pour faire des grans effectz; mais Dieu, comme l'imprimeur, a donné l'estre a toute la diversité des creatures qui ont esté, sont et seront, par un seul trait de sa toute puissante volonté, tirant de son idee, comme de dessus une planche bien taillee, cette admirable différence de personnes et d'autres choses qui s'entresuivent es saysons, es aages, es siecles, chacune en son ordre, selon qu'elles devoyent estre: cette souveraine unité de l'acte divin estant opposee a la confusion et au desordre, et non a la distinction ou varieté, qu'elle employe, au contraire, pour en composer la beauté, reduisant toutes les differences et diversités a la proportion, et la proportion a l'ordre, et l'ordre a l'unité du monde, qui comprend toutes choses creées tant visibles qu'invisibles; lesquelles toutes ensemble s'appellent univers, peut estre parce que toute leur diversité se reduit en unité, comme qui diroit unidivers, c'est a dire unique et divers, unique avec diversité et divers avec unité..

  A004000349 

 En signe dequoy, l'Escriture nous ayant rapporté que Dieu au commencement dit: Soyent faitz les luminaires au firmament du ciel, et qu'ilz separent le jour de la nuit, et qu'ilz soyent en signes, en tems, et jours et annees, nous voyons encor maintenant cette perpetuelle revolution et entresuite de tems et de saysons qui durera jusques [93] a la fin du monde, pour nous apprendre que, comme.

  A004000349 

 En somme, la souveraine unité divine diversifie tout, et sa permanente eternité donne vicissitude a toutes choses, parce que la perfection de cette unité estant sur toute difference et varieté, elle a dequoy fournir l'estre a toute la diversité des perfections creées, et a la force de les produire.

  A004000354 

 aussi le seul eternel vouloir de sa divine Majesté estend sa force de siecle en siecle et jusques aux siecles des siecles, pour tout ce qui a esté, qui est et sera eternellement, sans que chose quelconque ayt estre que par ce seul tres unique, tres simple et tres eternel Acte divin, auquel soit honneur et gloire.

  A004000359 

 Ce grand Roy donq, sçachant par l'inspiration celeste que la republique tient a la religion comme le cors a l'ame, et la religion a la republique comme l'ame au cors, il disposa a part soy de toutes les parties requises tant a l'establissement de la religion qu'a celuy de la republique.

  A004000359 

 Puis, pour l'asseurance du royaume et l'affermissement du repos public dont il jouissoit, il disposa d'avoir emmi la paix un puissant appareil de guerre, et a ces fins, deux cens cinquante chefz en diverses charges, quarante mille chevaux, et tout ce grand attelage que l'Escriture et les historiens tesmoignent..

  A004000360 

 Mais d'autant que la disposition est inutile sans la creation ou levee des officiers, et que la creation est vaine sans la providence qui regarde a ce qui est requis pour la conservation des officiers creés ou erigés, et qu'en fin cette conservation qui se fait par le bon gouvernement n'est autre chose que la providence effectuee, partant, non seulement la disposition mais aussi la creation et le bon gouvernement de Salomon, furent appellés du nom de providence: aussi ne disons-nous pas qu'un homme ayt de la providence, sinon quand il gouverne bien..

  A004000361 

 Mais parce que ces moyens sont de diverses sortes, nous diversifions aussi le nom de la providence, et disons qu'il y a une providence naturelle, une autre surnaturelle; et celle ci, qu'elle est ou generale, ou speciale, ou particuliere..

  A004000361 

 Or maintenant, Theotime, parlans des choses divines selon l'impression que nous avons prise en la consideration des choses humaines, nous disons que Dieu ayant eu une eternelle et tres parfaite connoissance de l'art de faire le monde pour sa gloire, il disposa avant toutes choses en son divin entendement toutes les pieces principales de l'univers qui pouvoient luy rendre de l'honneur, c'est a dire la nature angelique et la nature humaine; et en la nature angelique, la varieté des hierarchies et des ordres que l'Escriture Sainte et les sacrés Docteurs nous enseignent; comme aussi entre les hommes, il disposa qu'il y auroit cette grande diversité que nous y voyons.

  A004000361 

 Puis, en cette mesme eternité, il prouveut et fît estat a part soy de tous les moyens requis aux hommes et aux Anges pour parvenir a la fin a laquelle il les avoit destinés, et fit ainsy l'acte de sa providence; et sans s'arrester la, pour effectuer sa disposition il a reellement creé les Anges et les hommes, et pour effectuer sa providence il a fourni et fournit par son gouvernement tout ce qui est necessaire aux creatures raysonnables pour parvenir a la gloire: si que, pour le dire en un mot, la providence souveraine n'est autre chose que l'acte par lequel Dieu veut fournir [96] aux hommes et aux Anges les moyens necessaires ou utiles pour parvenir a leur fin.

  A004000362 

 Dieu donques voulant prouvoir l'homme des moyens naturelz qui luy sont requis pour rendre gloire a sa divine Bonté, il a produit en faveur d'iceluy tous les autres animaux et les plantes; et pour prouvoir aux autres animaux et aux plantes, il a produit varieté de terroirs, de saysons, de fontaines, de vens, de pluyes; et tant pour l'homme que pour les autres choses qui luy appartiennent, il a creé les elemens, le ciel et les astres, establissant par un ordre admirable que presque toutes les creatures servent les unes aux autres reciproquement: les chevaux nous portent, et nous les pansons; les brebis nous nourrissent et vestent, et nous les paissons; la terre envoye des vapeurs a l'air, et l'air des pluyes a la terre; la main sert au pied, et le pied porte la main.

  A004000362 

 Et parce que ci apres je vous exhorteray, Theotime, a joindre vostre volonté a la providence divine, tandis que je suis sur le discours d'icelle je vous veux dire un mot de la providence naturelle.

  A004000362 

 O, qui verroit ce commerce et traffiq general que les creatures font ensemble avec une si grande correspondance, de combien de passions amoureuses seroit-il esmeu envers cette souveraine Sagesse, pour s'escrier: Vostre Providence, o grand Pere eternel, gouverne toutes choses! Saint Basile et saint Ambroise en leurs Exhamerons, le bon Louys de Grenade en son Introduction au Symbole, et Louis Richeome en plusieurs de ses beaux opuscules, donneront beaucoup de motifs aux ames bien nees pour prouffiter en ce sujet..

  A004000363 

 Il estoit, par exemple, raysonnable de chastier la curiosité du poëte Æschilus, lequel ayant appris d'un devin qu'il mourroit accablé de la cheute de quelque mayson, se tint tout ce jour-la en une rase campagne pour eviter le destin; et demeurant ferme, teste nue, un faucon qui tenoit entre ses serres une tortue en l'air, voyant ce chef chauve et cuydant que ce fust la pointe d'un rocher, lascha la tortue droit sur iceluy, et voyla que Æschilus meurt sur le champ, accablé de la mayson et escaille d'une tortue.

  A004000363 

 Or, ces cas fortuitz se font par la concurrence de plusieurs causes, lesquelles, n'ayans point de naturelle alliance les unes aux autres, produisent une chacune son effect particulier, en telle sorte neanmoins que de leur rencontre reuscit un autre effect d'autre nature, auquel, sans qu'on l'ait peu prevoir, toutes ces causes differentes ont contribué.

  A004000364 

 Les adventures de l'ancien Joseph furent admirables en varieté et en passages d'une extremité a l'autre: ses freres qui l'avoyent vendu pour le perdre, furent tout estonnés de le voir devenu vice-roy, et apprehendoyent infiniment qu'il ne se ressentist du tort qu'ilz luy avoyent fait: Mais non, leur dit-il, ce n'est pas tant par vos menees que je suis envoyé ici, comme par la Providence divine; vous avés eu des mauvais desseins sur moy, mais Dieu les a reduitz a bien.

  A004000364 

 Voyes vous, Theotime, le monde eust appelle fortune [98] ou evenement fortuit ce que Joseph dit estre un projet de la Providence souveraine, qui range et reduit toutes choses a son service; et il en est ainsy de tout ce qui se passe au monde, et mesme des monstres, la naissance desquelz rend les œuvres accomplies et parfaittes plus estimables, produit de l'admiration et provoque a philosopher et faire plusieurs bonnes pensees, et, en somme, ilz tiennent lieu en l'univers comme les ombres es tableaux, qui donnent grace et semblent relever la peinture..

  A004000368 

 Tout ce que Dieu a fait est destiné au salut des hommes et des Anges: mays voyci l'ordre de sa providence pour ce regard, selon que, par l'attention aux Saintes Escritures et a la doctrine des Anciens, nous le pouvons descouvrir, et que nostre foiblesse nous permet d'en parler..

  A004000369 

 Dieu conneut eternellement qu'il pouvoit faire une quantité innumerable de creatures, en diverses perfections et qualités, ausquelles il se pourroit communiquer; et considerant qu'entre toutes les façons de se communiquer il n'y avoit rien de si excellent que de se joindre a quelque nature creée, en telle sorte que la creature fust comme entee et inseree en la Divinité, pour ne faire avec elle qu'une seule personne, son infinie bonté, qui de soy mesme et par soy mesme est portee a la communication, se resolut et determina d'en faire une de cette maniere; affin que, comme eternellement il y a une communication essentielle en Dieu, par laquelle le Pere communique toute son infinie et [99] indivisible Divinité au Filz en le produisant, et le Pere et le Filz ensemble, produisans le Saint Esprit luy communiquent aussi leur propre unique Divinité, de mesme cette souveraine Douceur fust aussi communiquee si parfaittement hors de soy a une creature, que la nature creée et la Divinité, gardant une chacune leurs proprietés, fussent neanmoins tellement unies ensemble qu'elles ne fussent qu'une mesme personne..

  A004000370 

 Et parce que Dieu vit qu'il pouvoit faire en plusieurs façons l'humanité de son Filz en le rendant vray homme, comme, par exemple, la creant de rien, non seulement quant a l'ame mays aussi quant au cors, ou bien formant le cors de quelque matiere precedente, comme il fit celuy d'Adam et d'Eve, ou bien par voye de generation ordinaire d'homme et de femme, ou bien en fin par generation extraordinaire d'une femme sans homme, il delibera que la chose se feroit en cette derniere façon; et entre toutes les femmes qu'il pouvoit choisir a cette intention, il esleut la tressainte Vierge Nostre Dame, par l'entremise de laquelle le Sauveur de nos ames seroit non seulement homme, mais enfant du genre humain..

  A004000370 

 Or, entre toutes les creatures que cette souveraine toute puissance pouvoit produire, elle treuva bon de choisir la mesme humanité que du despuis par effect fut jointe a la Personne de Dieu le Filz, a laquelle elle destina cet honneur incomparable de l'union personnelle a sa divine Majesté, affin qu'eternellement elle jouist par excellence des thresors de sa gloire infinie.

  A004000371 

 Outre cela, la sacree Providence determina de produire [100] tout le reste des choses, tant naturelles que surnaturelles, en faveur du Sauveur, affin que les Anges et les hommes peussent en le servant participer a sa gloire; en suite dequoy, bien que Dieu voulut creer tant les Anges que les hommes avec le franc-arbitre, libres d'une vraye liberté pour choisir le bien et le mal, si est-ce neanmoins que, pour tesmoigner que de la part de la Bonté divine ilz estoyent dediéz au bien et a la gloire, elle les crea tous en justice originelle, laquelle n'estoit autre chose qu'un amour tres suave qui les disposoit, contournoit et acheminoit a la felicité eternelle..

  A004000372 

 Et parce que la nature angelique ne pourroit faire ce peché que par une malice expresse, sans tentation ni motif quelcomque qui la peust excuser, et que d'ailleurs une beaucoup plus grande partie de cette mesme nature demeureroit ferme au service du Sauveur, partant, Dieu, qui avoit si amplement glorifié sa misericorde au dessein de la creation des Anges, voulut aussi magnifier sa justice, et en la fureur de son indignation resolut d'abandonner pour jamais cette triste et malheureuse trouppe de perfides, qui en la furie de leur rebellion l'avoient si vilainement abandonné..

  A004000372 

 Mays parce que cette supreme Sagesse avoit deliberé de tellement mesler cet amour originel avec la volonté de ses creatures, que l'amour ne forçast point la volonté, ains luy laissast sa liberté, il previt qu'une partie, mays la moindre, de la nature angelique, quittant volontairement le saint amour, perdroit par consequent la gloire.

  A004000373 

 C'estoit la nature humaine de laquelle il avoit resolu de prendre une piece bien heureuse pour l'unir a sa Divinité; il vit que c'estoit une nature imbecille, un vent qui va et ne revient pas, c'est a dire qui se dissipe en allant; il eut esgard a la surprise que Satan avoit faitte au premier homme et a la grandeur de la tentation qui le ruina; il vit que toute la race des [101] hommes perissoit par la faute d'un seul: si que, par ces raysons, il regarda nostre nature en pitié et se resolut de la prendre a merci..

  A004000373 

 Il previt bien aussi que le premier homme abuseroit de sa liberté, et quittant la grace il perdroit la gloire; mais il ne voulut pas traitter si rigoureusement la nature humaine, comme il delibera de traitter l'angelique.

  A004000374 

 Mais affïn que la douceur de sa misericorde fust ornee de la beauté de sa justice, il delibera de sauver l'homme par voÿe de redemption rigoureuse, laquelle ne se pouvant bien faire que par son Filz, il establit qu'iceluy rachetteroit les hommes, non seulement par une de ses actions amoureuses qui eust esté plus que tres suffisante a rachetter mille millions de mondes, mais encor par toutes les innumerables actions amoureuses et passions douloreuses qu'il feroit et souffriroit, jusques a la mort et la mort de la croix, a laquelle il le destina, voulant qu'ainsy il se rendist compaignon de nos miseres, pour nous rendre par apres compaignons de sa gloire.

  A004000374 

 Monstrant en cette sorte les richesses de sa bonté, par cette redemption copieuse, abondante, surabondante, magnifique et excessive, laquelle nous a acquis et comme reconquesté tous les moyens necessaires pour parvenir à la gloire, de sorte que personne ne puisse jamais se douloir comme si la misericorde divine manquoit a quelqu'un..

  A004000378 

 Estant donq ainsy, que toute volonté bien disposee qui se determine de vouloir plusieurs objectz esgalement presens, ayme mieux, et avant tous, celuy qui est le plus aymable, il s'ensuit que la souveraine Providence faisant son eternel projet et dessein de tout ce qu'elle produiroit, elle voulut premierement et ayma, par une preference d'excellence, le plus aymable object de son amour, qui est nostre Sauveur; et puis, par ordre, les autres creatures, selon que plus ou moins elles appartiennent au service, honneur et gloire d'iceluy..

  A004000378 

 Or disant, Theotime, que Dieu avoit veu et voulu une chose premierement, et puis secondement une autre, observant ordre en ses volontés, je l'ay entendu selon qu'il a esté declaré cy devant; a sçavoir, qu'encor que tout cela s'est passé en un tres seul et tres simple acte, neanmoins par iceluy, l'ordre, la distinction et [102] la dependance des choses n'a pas esté moins observee que s'il y eust eu plusieurs actes en l'entendement et volonté de Dieu.

  A004000379 

 Ainsy le grand Sauveur fut le premier en l'intention divine et en ce projet eternel que la divine Providence fit de la production des creatures: et en contemplation de ce fruict desirable fut plantee la vigne de l'univers et establie la succession de plusieurs generations, qui, a guise de feuilles et de fleurs, le devoyent preceder, comme avant coureurs et preparatifz convenables a la production de ce raisin que l'Espouse sacree loue tant es Cantiques, et la liqueur duquel res-jouit Dieu et les hommes..

  A004000379 

 On ne plante principalement la vigne que pour le fruict; et partant, le fruict est le premier desiré et pretendu, quoy que les feuilles et les fleurs precedent en la production.

  A004000380 

 Et tant s'en faut que le peché d'Adam ayt surmonté la debonnaireté divine, que tout au contraire il l'a excitee et provoquee: si que, par une suave et tres amoureuse antiperistase et contention, elle s'est revigoree a la presence de son adversaire, et comme ramassant ses forces pour vaincre, elle a fait surabonder la grace ou l'iniquité avoit abondé; de sorte que la sainte Eglise, par un saint exces d'admiration, s'escrie, la veille de Pasques: «O peché d'Adam, a la verité necessaire, qui a esté effacé par la mort de Jesus Christ; o coulpe bien heureuse, qui a mérité d'avoir un tel et si grand Redempteur!» Certes, Theotime, nous pouvons dire comme cet ancien: « Nous estions perdus, si nous n'eussions esté perdus;» c'est a dire, nostre perte nous a esté a prouffit, puisqu'en effect la nature humaine a receu plus de graces par la redemption de son Sauveur, qu'elle n'en eust jamais receu par l'innocence d'Adam, s'il eust perseveré en icelle..

  A004000380 

 Mays donq maintenant, mon Theotime, qui doutera de l'abondance des moyens du salut, puisque nous avons un si grand Sauveur, en consideration duquel nous avons esté faitz, et par les merites duquel nous avons esté rachetés? Car il est mort pour tous, parce [103] que tous estoyent mortz; et sa misericorde a esté plus salutaire pour racheter la race des hommes, que la misere d'Adam n'avoit esté veneneuse pour la perdre.

  A004000381 

 Car encor que la divine Providence ait laissé en l'homme des grandes marques de sa severité parmi la grace mesme de sa misericorde, comme par exemple, la necessité de mourir, les maladies, les travaux, la rebellion de la sensualité, si est-ce que la faveur celeste surnageant a tout cela, prend playsir de convertir toutes ces miseres au plus grand prouffit de ceux qui l'ayment, faysant naistre la patience sur les travaux, le mespris du monde sur la necessité de mourir, et mille victoires sur la concupiscence: et comme l'arc-en-ciel touchant l'espine aspalatus la rend plus odorante que les lys, aussi la redemption de Nostre Seigneur touchant nos miseres, elle les rend plus utiles et aymables que n'eust jamais esté l'innocence originelle.

  A004000381 

 Certes, en l'arrousement du sang de Nostre Seigneur, fait par l' hysope de la Croix, nous avons esté remis en une blancheur incomparablement plus excellente que celle de la neige de l'innocence, sortans, comme Naaman, du fleuve de salut, plus purs et netz que si jamais nous n'eussions esté ladres; affin que la divine Majesté, ainsi qu'elle nous a ordonné de faire, ne fust pas vaincue par le mal, ains vainquist le mal par le bien, que sa misericorde, comme une huyle sacree, se tinst au dessus du jugement, et que ses miserations surmontassent toutes ses œuvres..

  A004000381 

 Les Anges ont plus de joye au Ciel, dit le Sauveur, sur un pecheur penitent, que sur nonante neuf justes, qui [104] n'ont pas besoin de penitence: et de mesme, l'estat de la redemption vaut cent fois mieux que celuy de l'innocence.

  A004000385 

 Car, Theotime, il ne s'est pas contenté, en l'exces sacré de sa misericorde, d'envoyer a son peuple, c'est a dire au genre humain, une redemption generale et universelle, par laquelle un chacun peut estre sauvé; mais il l'a diversifiee en tant de manieres, que sa liberalité reluisant en toute cette varieté, cette varieté reciproquement embellit aussi sa liberalité.

  A004000385 

 Dieu, certes, monstre admirablement la richesse incomprehensible de son pouvoir, en cette si grande varieté de choses que nous voyons en la nature, mays il fait encor plus magnifiquement paroistre les thresors infinis de sa bonté, en la difference non pareille des biens que nous reconnoissons en la grace.

  A004000386 

 Ainsy il destina premierement pour sa tressainte Mere une faveur digne de l'amour d'un Filz qui, estant tout sage, tout puissant et tout bon, se devoit preparer une Mere a son gré: et partant, il voulut que sa redemption luy fust appliquee par maniere de remede preservatif, affin que le peché, qui s'escouloit de generation en generation, ne parvinst point a elle.

  A004000386 

 De sorte qu'elle fut rachetee si excellemment, qu'encor que par apres le torrent de l'iniquité originelle vinst rouler ses ondes infortunees sur la conception de cette sacree Dame, avec autant d'impetuosité comme il eust fait sur celle des autres filles d'Adam, si est-ce qu'estant arrivé la, il ne passa point outre, ains s'arresta court, comme fit anciennement le Jourdain du tems de Josué, et pour le mesme respect: car ce fleuve retint son cours en reverence du passage de l'Arche de l'alliance, et le peché originel retira ses eaux, reverant et redoutant la presence du vray Tabernacle de l'eternelle alliance..

  A004000387 

 De cette maniere donques, Dieu destourna de sa glorieuse Mere toute captivité, luy donnant le bonheur des deux estatz de la nature humaine, puisqu'elle eut l'innocence que le premier Adam avoit perdue, et jouît excellemment de la redemption que le second luy acquit; en suite dequoy, comme un jardin d'eslite qui devoit porter le fruit de vie, elle fut rendue florissante en toutes sortes de perfections, ce Filz de l'amour eternel ayant ainsy paré sa Mere de robbe d'or, recamee en belle varieté, affin qu'elle fust la Reyne de sa dextre, c'est a dire la premiere de tous les esleuz, qui jouiroit des delices de la dextre divine.

  A004000387 

 Dieu disposa aussi d'autres faveurs pour un petit nombre de rares creatures qu'il vouloit mettre hors du danger de la damnation, comme il est certain de saint Jean Baptiste, et tres probable de Hieremie et de quelques autres, que la divine Providence alla saisir dans le ventre de leur mere, et des Ihors les establit en la perpetuité de sa grace affin qu'ilz demeurassent fermes en son amour, bien que sujetz aux retardemens et pechés venielz, qui sont contraires a la perfection de l'amour et non a l'amour mesme.

  A004000387 

 Si que cette Mere sacree, comme toute reservee a son Filz, fut par luy rachetee, non seulement de la damnation, mais aussi de tout peril de la damnation, luy asseurant la grace et la perfection de la grace; en sorte qu'elle marchast comme une belle aube qui, commençant a poindre, va continuellement croissant en clarté jusques au plein jour.

  A004000388 

 Telz furent les Apostres, David, Magdeleine [107] et plusieurs autres, qui pour un tems demeurerent hors de l'amour de Dieu; mais en fin, estans une bonne fois convertis, furent confirmés en la grace jusques a la mort: de sorte que des Ihors, demeurans voirement sujetz a quelques imperfections, ilz furent toutefois exemptz de tout peché mortel, et par consequent du peril de perdre le divin amour; et furent comme des amies sacrees de l'Espoux celeste, parees voirement de la robbe nuptiale de son tressaint amour, mais non pas pourtant couronnees, parce que la couronne est un ornement de la teste, c'est a dire de la premiere partie de la personne; or, la premiere partie de la vie des ames de ce rang ayant esté sujette a l'amour des choses terrestres, elles ne peuvent porter la couronne de l'amour celeste, ains leur suffit d'en porter la robbe, qui les rend capables du lit nuptial de l'Espoux divin et d'estre eternellement, bienheureuses avec luy..

  A004000392 

 Mays apres cela, cette souveraine Bonté respandit une abondance de graces et benedictions sur toute la race des hommes et la nature des Anges, de laquelle tous ont esté arrousés comme d'une pluye qui tombe sur les bons et les mauvais; tous ont esté esclairés comme d'une [108] lumiere qui illumine tout homme venant en ce monde; tous ont receu leur part, comme d'une semence qui tombe non seulement sur la bonne terre, mays emmi les chemins, entre les espines et sur les pierres; affin que tous fussent inexcusables devant le Redempteur, s'ilz n'employent cette tres abondante redemption pour leur salut..

  A004000393 

 Mais pourtant, Theotime, quoy que cette tres abondante suffisance de graces soit ainsi versee sur toute la nature humaine, et qu'en cela nous soyons tous esgaux qu'une riche abondance de benedictions nous est offerte a tous, si est-ce neanmoins que la varieté de ces faveurs est si grande, qu'on ne peut dire qui est plus admirable, ou la grandeur de toutes les graces en une si grande diversité, ou la diversité en tant de grandeurs.

  A004000393 

 Qui ne void qu'entre les Chrestiens les moyens du salut sont plus grans et puissans qu'entre les barbares, et que parmi les Chrestiens il y a des peuples et des villes ou les pasteurs sont plus fructueux et capables? Or, de nier que ces moyens exterieurs ne sovent pas des faveurs de la Providence divine, ou de revoquer en doute qu'ilz ne contribuent pas au salut et a la perfection des ames, ce seroit estre ingrat envers la Bonté celeste, et desmentir la veritable experience qui nous fait voir que, pour l'ordinaire, ou ces moyens exterieurs abondent, les interieurs ont plus d'effect et reussissent mieux..

  A004000394 

 Et bien que, quant aux hommes, la grace ne soit pas donnee selon leurs conditions naturelles, toutefois la divine Douceur, prenant playsir et, par maniere de dire, s'esgayant en la production des graces, elle les diversifie en infinies façons, affin que de cette varieté se fasse le bel esmail de sa redemption et misericorde; dont l'Eglise chante en la feste de chasque Confesseur Evesque: Il ne s'en est point treuvé de semblable a luy.

  A004000394 

 Et comme au Ciel, nul ne sçait le nom nouveau sinon celuy qui le reçoit, parce que chacun des Bienheureux a le sien particulier selon l'estre nouveau de la gloire qu'il acquiert, ainsy en terre chacun reçoit une grace si particuliere, que toutes sont diverses.

  A004000395 

 C'est donq une impertinence de vouloir rechercher pourquoy saint Paul n'a pas eu la grace de saint Pierre, ni saint Pierre celle de saint Paul; pourquoy saint Anthoine n'a pas esté saint Athanase, ni saint Athanase saint Hierosme: car on respondroit a ces demandes que l'Eglise est un jardin diapré de fleurs infinies, il y en faut donq de diverses grandeurs, de diverses couleurs, de diverses odeurs, et, en somme, de differentes perfections; toutes ont leur prix, leur grace et leur esmail, et toutes, en l'assemblage de leurs varietés, font une tres aggreable perfection de beauté..

  A004000395 

 Mais il se faut bien garder de jamais rechercher pourquoy la supreme Sagesse a departi une grace a l'un plustost qu'a l'autre, ni pourquoy il fait abonder ses faveurs en un endroit plustost qu'en l'autre: non, Theotime, n'entrés jamais en cette curiosité; car ayans tous suffisamment, ains abondamment, ce qui est requis pour le salut, quelle rayson peut avoir homme du monde de se plaindre, s'il plait a Dieu de departir ses graces plus largement aux uns qu'aux autres? Si quelqu'un s'enqueroit pourquoy Dieu a fait les melons plus gros que les frayses, ou les lys plus grans que les violettes, pourquoy le romarin n'est pas une rose, ou pourquoy l'œillet n'est pas un soucy, pourquoy le paon [110] est plus beau qu'une chauvesouris, ou pourquoy la figue est douce et le citron aigrelet, on se moqueroit de ses demandes et on luy diroit: pauvre homme, puisque la beauté du monde requiert la varieté, il faut qu'il y ait des differentes et inegales perfections es choses, et que l'une ne soit pas l'autre; c'est pourquoy les unes sont petites, les autres grandes, les unes aigres, les autres douces, les unes plus, et les autres moins belles.

  A004000399 

 Aussi, le Cherubin fut mis a la porte du [111] paradis terrestre avec son espee flamboyante, pour nous apprendre que nul n'entrera au Paradis celeste qu'il ne soit transpercé du glaive de l'amour.

  A004000399 

 Bien que la redemption du Sauveur nous soit appliquee en autant de differentes façons comme il y a d'ames, si est-ce neanmoins que l'amour est le moyen universel de nostre salut, qui se mesle par tout et sans lequel rien n'est salutaire, ainsy que nous dirons ailleurs.

  A004000399 

 En quoy il tesmoigne bien, Theotime, qu'il ne nous a pas laissé l'inclination naturelle de l'aymer, pour neant; car affin qu'elle ne soit oyseuse, il nous presse de l'employer par ce commandement general, et affin que ce commandement puisse estre prattiqué, il ne laisse homme qui vive auquel il ne fournisse abondamment tous les moyens requis a cet effect..

  A004000399 

 Hé, dit-il, je suis venu pour mettre le feu au monde, que pretens-je sinon qu'il arde? Mais pour declarer plus vivement l'ardeur de ce desir, il nous commande cet amour en termes admirables: Tu aymeras, dit-il, le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton ame, de toutes tes forces, c'est le premier et le plus grand commandement. Vray Dieu, Theotime, que le cœur divin est amoureux de nostre amour! Ne suffisoit-il pas qu'il eust publié une permission par laquelle il nous eust donné congé de l'aymer, comme Laban permit a Jacob d'aymer sa belle Rachel et de la gaigner par ses services? Mays non, il declare plus avant sa passion amoureuse envers nous, et nous commande de l'aymer de tout nostre pouvoir, affin que la consideration de sa Majesté et de nostre misere, qui font une tant infinie disparité et inegalité de luy a nous, ni autre pretexte quelconque, ne nous divertist de l'aymer.

  A004000399 

 Pour cela, Theotime, le doux Jesus, qui nous a rachetés par son sang, desire infiniment que nous l'aymions, affin que nous soyons eternellement sauvés, et desire que nous soyons sauvés, affin que nous l'aymions eternellement, son amour tendant a nostre salut et nostre salut a son amour.

  A004000400 

 Hé, voyci que je vous offre mon esprit et je vous monstreray ma parole. Et cette mesme Sapience poursuit en Ezechiel, disant: Que personne ne die, je suis emmi les pechés, et comment pourray-je revivre? ah non! car voyci que Dieu dit: Je suis vivant, et aussi vray que je vis, je ne veux point la mort de l'impie, mais qu'il se convertisse de sa voye et qu'il vive.

  A004000400 

 La Sapience eternelle, dit Salomon, presche tout en public, elle fait retentir sa voix emmi les places, elle crie et recrie devant les peuples, elle prononce ses paroles es portes des villes, elle dit: Jusques a quand sera-ce, o petitz enfans, que vous aymeres l'enfance? et jusques a quand sera-ce que les forcenés desireront les choses nuisibles, et que les imprudens haïront la science? Convertisses-vous, revenes a moy sur cet advertissement.

  A004000400 

 Le soleil visible touche tout de sa chaleur vivifiante, et comme l'amoureux universel des choses inferieures, [112] il leur donne la vigueur requise pour faire leurs productions; et de mesme la Bonté divine anime toutes les ames et encourage tous les coeurs a son amour, sans que homme quelcomque soit caché a sa chaleur.

  A004000400 

 Mais il ne se contente pas d'annoncer ainsy son extreme desir d'estre aymé, en public, en sorte que chacun puisse avoir part a son aymable semonce; ains il va mesme de porte en porte hurtant et frappant, protestant que si quelqu'un ouvre, il entrera chez luy et soupera avec luy, c'est a dire, il luy tesmoignera toute sorte de bienveuillance..

  A004000400 

 Voyés donq, Theotime, si Dieu desire que nous l'aymions.

  A004000401 

 Certes, cette riche, comble et plantureuse suffisance de moyens que Dieu eslargit aux pecheurs pour l'aymer, paroist presque par tout en l'Escriture: car voyes ce divin Amant a la porte; il ne bat pas simplement, il s'arreste a battre, il appelle l'ame: Sus, leve toy, ma bienaymee, depesche toy, et met sa main dans la serreure, pour voir s'il pourroit point ouvrir; s'il presche emmi les places, il ne presche pas simplement, mais il va criant, c'est a dire, il continue a crier; s'il exclame qu'on se convertisse, il semble qu'il ne l'a jamais asses repeté: Convertisses-vous, convertisses-vous, faites penitence, retournés a moy, vivés; pourquoy mourres-vous, mayson d'Israël? En somme, ce divin Sauveur n'oublie rien pour monstrer que ses miserations sont sur toutes ses œuvres, que sa misericorde surpasse son jugement, que sa redemption est copieuse, que son amour est infini, et, comme dit l'Apostre, qu'il est riche en misericorde, et que par consequent il voudrait que tous les hommes fussent sauvés, et qu'aucun ne perist.

  A004000401 

 L'Apostre, comme vous voyes, oppose les richesses de la bonté de Dieu aux thresors de la malice du cœur impenitent, et dit que le cœur malicieux est si riche en iniquité, que mesme il mesprise les richesses de la debonnaireté par laquelle Dieu l' attire a penitence; et notés que ce ne sont pas simplement les richesses de la bonté divine que l'obstiné mesprise, mais les richesses attrayantes a penitence, richesses qu'on ne peut bonnement ignorer.

  A004000401 

 Or, qu'est ce a dire tout cela, Theotime, sinon que Dieu ne nous donne pas seulement une simple suffisance de moyens pour l'aymer, et en l'aymant nous sauver, mais que c'est une suffisance riche, ample, magnifique, et telle qu'elle doit estre attendue d'une si grande bonté comme est la sienne? Le grand Apostre, parlant au pecheur obstiné: Mesprises-tu, dit-il, les richesses de la bonté, patience et longanimité de Dieu? ignores-tu que la benignité de Dieu t'amene a penitence? Mays toy, selon ta dureté et ton cœur [113] impenitent, tu te fays un thresor d'ire au jour de l'ire.

  A004000405 

 Ce sont paroles de Dieu, par lesquelles il promet que le Sauveur venant au monde, establira un nouveau regne en son Eglise, qui sera son Espouse vierge et vraye Israëlite spirituelle.

  A004000405 

 Or, comme vous voyes, Theotime, ce n'a pas esté par aucun merite des œuvres que nous eussions fait, mais selon sa misericorde qu'il nous a sauvés, par cette charité ancienne, ains eternelle, qui a esmeu sa divine Providence de nous attirer a soy.

  A004000405 

 Que si le Pere ne nous eust tirés, jamais nous ne fussions venus au Filz nostre Sauveur, ni par consequent au salut..

  A004000406 

 Il y a certains oyseaux, Theotime, qu'Aristote nomme apodes, parce qu'ayans les jambes extremement courtes et les pieds sans force, ilz ne s'en servent non plus que s'ilz n'en avoyent point: que si une fois ilz prennent terre, ilz y demeurent pris, sans que jamais d'eux mesmes ilz puissent reprendre le vol, d'autant que n'ayans nul usage des jambes ni des pieds, ilz n'ont pas non plus le moyen de se pousser et relancer en l'air; et partant, ilz demeurent la croupissans et y meurent, sinon que quelque vent propice a leur impuissance, jettant ses bouffees sur la face de la terre, les vienne saisir et enlever, comme il fait plusieurs autres choses; car alhors, si employans leurs aysles ilz correspondent a cet eslan et premier essor que le vent leur donne, [115] le mesme vent continue aussi son secours envers eux, les poussant de plus en plus au vol..

  A004000407 

 Mais nous autres humains, nous ressemblons plustost aux apodes: car s'il nous advient de quitter l'air du saint amour divin pour prendre terre et nous attacher aux creatures, ce que nous faysons toutes les fois que nous offençons Dieu, nous mourons voirement, mais non pas d'une mort si entiere qu'il ne nous reste un peu de mouvement, et, avec cela, des jambes et des pieds, c'est a dire quelques menues affections qui nous peuvent faire faire quelques essays d'amour; mays cela pourtant est si foible, qu'en verité nous ne pouvons plus de nous mesmes desprendre nos cœurs du peché, ni nous relancer au vol de la sacree dilection, laquelle, chetifz que nous sommes, nous avons perfidement et volontairement quittee..

  A004000407 

 Theotime, les Anges sont comme les oyseaux que, pour leur beauté et rareté, on appelle oyseaux de Paradis, qu'on ne vit jamais en terre que mortz; car ces espritz celestes ne quitterent pas plus tost l'amour divin pour s'attacher a l'amour propre, que soudain ilz tomberent comme mortz, ensevelis es enfers, d'autant que ce que la mort fait es hommes, les separant pour jamais de cette vie mortelle, la cheute le fit es Anges, les separant pour tous-jours de la vie eternelle.

  A004000409 

 Or, ce premier eslan ou esbranlement que Dieu donne en nos cœurs pour les inciter a leur bien, se fait voirement en nous, mais non pas par nous; car il arrive a l'improveu avant que nous y ayons ni pensé [116] ni peu penser, puisque nous n'avons aucune suffisance pour de nous mesmes, comme de nous mesmes, penser aucune chose qui regarde nostre salut; mais toute nostre suffisance est de Dieu, lequel ne nous a pas seulement aymés avant que nous fussions, mais encor affin que nous fussions, et que nous fussions saintz: en suite dequoy il nous previent es benedictions de sa douceur paternelle, et excite nos espritz pour les pousser a la sainte repentance et conversion.

  A004000409 

 Voyés, je vous prie, Theotime, le pauvre prince des Apostres tout engourdi dans son peché en la triste nuit de la Passion de son Maistre: il ne pensoit non plus a se repentir de son peché que si jamais il n'eust conneu son divin Sauveur; et comme un chetif apode atterré, il ne se fust onques relevé, si le coq, comme instrument de la divine Providence, n'eust frappé de son chant a ses oreilles, a mesme que le doux Redempteur, jettant un regard salutaire comme une sagette d'amour, transperça ce cœur de pierre qui rendit par apres tant d'eau, a guise de l'ancienne pierre lhors qu'elle fut frappee par Moyse au desert.

  A004000410 

 C'est en sursaut et a l'improuveu que Dieu nous appelle et resveille par sa tressainte inspiration: en ce commencement de la grace celeste, nous ne faysons rien que sentir l'esbranlement «que Dieu fait en nous,» comme dit saint Bernard, mais «sans nous.».

  A004000410 

 Je dormois, dit cette devote Espouse, et mon Espoux, qui est mon cœur, veilloit; hé, voy-le cy qu'il m'esveille, m'appellant par le nom de nos amours, et j'entens bien que c'est luy a sa voix.

  A004000410 

 N'est-il pas donq vray, mon cher Theotime, que cette premiere esmotion et secousse que l'ame sent, quand Dieu, la prevenant d'amour, l'esveille et l'excite a quitter le peché et se retourner a luy, et non seulement cette secousse, ains tout le resveil se fait en nous et pour nous, mays non pas par nous? Nous sommes esveillés, mays nous ne nous sommes pas esveillés de nous mesmes; c'est l'inspiration qui nous a esveillés, [117] et pour nous esveiller, elle nous a esbranlés et secoués.

  A004000414 

 Certes, au jour du jugement, les Ninivites et la reyne de Saba se leveront contre les Juifz et les convaincront d'estre dignes de damnation; parce que, quant aux Ninivites, estans idolatres et de nation barbare, a la voix de Jonas ilz se convertirent et firent penitence; et quant a la reyne de Saba, quoy qu'elle fust engagee dans les affaires d'un royaume, neanmoins, ayant ouï la renommee de [118] la sagesse de Salomon, elle quitta tout pour le venir ouïr: et cependant les Juifz, oyans de leurs oreilles la divine sagesse du vray Salomon, Sauveur du monde, voyans de leurs yeux ses miracles, touchans de leurs mains ses vertus et bienfaitz, ne laisserent pas de s'endurcir et resister a la grace qui leur estoit offerte.

  A004000414 

 Oyés donq, je vous prie, Theotime, que les habitans de Corozaïn et Bethsaïda, enseignés en la vraye religion, ayans receu des faveurs si grandes qu'elles eussent en effect converti les payens mesmes, neanmoins ils demeurerent obstinés et ne voulurent onques s'en prevaloir, rejettant cette sainte lumiere par une rebellion incomparable.

  A004000414 

 Voyés donq derechef, Theotime, que ceux qui ont receu moins d'attraitz sont tirés a la penitence, et ceux qui en ont plus receu s'obstinent; ceux qui ont moins de sujet de venir, viennent a l'eschole de la Sagesse, et ceux qui en ont plus, demeurent en leur folie..

  A004000415 

 Ainsy se fera le jugement de comparayson, comme tous les Docteurs ont remarqué, qui ne peut avoir aucun fondement sinon en ce que les uns, ayans esté favorisés d'autant ou plus d'attraitz que les autres, auront neanmoins refusé leur consentement a la misericorde; et les autres, assistés d'attraitz pareilz, ou mesme moindres, auront suivi l'inspiration et se seront rangés a la tressainte penitence.

  A004000415 

 Car, comme pourroit-on autrement reprocher avec rayson aux impenitens leur impenitence, par la comparayson de ceux qui se sont convertis? Certes, Nostre Seigneur monstre clairement, et tous les Chrestiens entendent simplement, qu'en ce juste jugement on condamnera les Juifz par comparayson des Ninivites, parce que ceux la ont eu beaucoup de faveur et n'ont eu aucun amour, beaucoup d'assistance et nulle repentance; ceux cy, moins de faveur et beaucoup d'amour, moins d'assistance et beaucoup de penitence..

  A004000416 

 Et il respond, qu'on ne sçauroit dire autre chose, sinon que les uns ont perseveré, par la grace du Createur, en l'amour chaste qu'ilz receurent en leur creation, et les autres, de bons qu'ilz estoient, se rendirent mauvais par leur propre et seule volonté..

  A004000416 

 Or, apres avoir establi, au chapitre VI, deux hommes, entierement esgaux en bonté et en toutes choses, agités d'une mesme tentation, il presuppose que l'un puisse resister, et l'autre ceder a l'ennemi.

  A004000416 

 Puis, au chapitre IX, ayant preuvé que tous les Anges furent creés en charité, [119] avoüant encor comme chose probable que la grace et charité fut esgale en tous eux, il demande comme il est advenu que les uns ont perseveré et fait progres en leur bonté jusques a parvenir a la gloire, et les autres ont quitté le bien pour se ranger au mal jusques a la damnation.

  A004000417 

 Comme sera-il donq arrivé que quelques uns des Seraphins, voire le premier de tous, selon la plus probable et commune opinion des Anciens, soyent descheus, tandis qu'une multitude innombrable des autres Anges, inferieurs en nature et en grace, ont excellemment et courageusement perseveré? D'ou vient que Lucifer, tant eslevé par nature et sureslevé par grace, est tombé, et que tant d'Anges, moins avantagés, sont demeurés debout en leur fidelité? Certes, ceux qui ont perseveré en doivent toute la louange a Dieu, qui par sa misericorde les a creés et maintenus bons; mais Lucifer et tous ses sectateurs, a qui peuvent-ilz attribuer leur cheute sinon, comme dit saint Augustin, a leur propre volonté, qui a par sa liberté quitté la grâce divine qui les avoit si doucement prevenus? Comment es-tu tombé, o grand Lucifer, qui tout ainsy qu'une belle aube sortois en ce monde invisible, revestu de la charité premiere, comme du commencement de la clarté d'un beau jour qui devoit croistre jusques au [120] midy de la gloire eternelle? La grace ne t'a pas manqué, car tu l'avois, comme ta nature, la plus excellente de tous, mais tu as manqué a la grace; Dieu ne t'avoit pas destitué de l'operation de son amour, mais tu privas son amour de ta cooperation; Dieu ne t'eust jamais rejetté, si tu n'eusses rejetté sa dilection.

  A004000417 

 Mays s'il est vray, comme saint Thomas le preuve extremement bien, que la grace ayt esté diversifiee es Anges a proportion et selon la varieté de leurs dons naturelz, les Seraphins auront eu une grace incomparablement plus excellente que les simples Anges du dernier ordre.

  A004000417 

 O Dieu tout bon, vous ne laissés que ceux qui vous laissent, vous ne nous ostés jamais vos dons, sinon quand nous vous ostons nos cœurs.

  A004000421 

 O Dieu, Theotime, si nous recevions les inspirations celestes selon toute l'estendue de leur vertu, qu'en peu de tems nous ferions de grans progres en la sainteté! Pour abondante que soit la fontaine, ses eaux n'entreront pas en un jardin selon leur affluence, mais selon la petitesse ou grandeur du canal par ou elles y sont conduites.

  A004000421 

 Quoy que le Saint Esprit, comme une source d'eau vive, aborde de toutes pars nostre cœur pour respandre sa grace en iceluy, toutefois, ne voulant pas qu'elle entre en nous sinon par le libre consentement [121] de nostre volonté, il ne la versera point que selon la mesure de son bon playsir et de nostre propre disposition et cooperation, ainsy que dit le sacré Concile, qui aussi, comme je pense, a cause de la correspondance de nostre consentement avec la grace, appelle la reception d'icelle reception volontaire..

  A004000422 

 Il arrive que, estans inspirés de faire beaucoup, nous ne consentons pas a toute l'inspiration, ains seulement a quelque partie d'icelle; comme firent ces bons personnages de l'Evangile, qui, sur l'inspiration que Nostre Seigneur leur fit de le suivre, vouloyent reserver, l'un d'aller premier ensevelir son pere, et l'autre d'aller prendre congé des siens..

  A004000423 

 A mesure que nostre cœur se dilate, ou, pour mieux parler, a mesure qu'il se laisse eslargir et dilater, et qu'il ne refuse pas le vuide de son consentement a la misericorde divine, elle verse tous-jours et [122] respand sans cesse dans iceluy ses sacrees inspirations, qui vont croissant et nous font croistre de plus en plus en l'amour sacré; mays quand il n'y a plus de vuide et que nous ne prestons pas davantage de consentement, elle s'arreste..

  A004000423 

 Tandis que la pauvre vefve eut des vaysseaux vuides, l'huyle de laquelle Helisee avoit miraculeusement impetré la maltiplication ne cessa jamais de couler, et quand il n'y eut plus de vaysseaux pour la recevoir, elle cessa d'abonder.

  A004000424 

 A quoy tient-il donques que nous ne sommes pas si avancés en l'amour de Dieu comme saint Augustin, saint François, sainte Catherine de Gennes, ou sainte Françoise? Theotime, c'est parce que Dieu ne nous en a pas fait la grace.

  A004000424 

 Et ne faut pas penser qu'on puisse rendre rayson de la faute que l'on fait au peché, car la faute ne seroit pas peché si elle n'estoit sans rayson..

  A004000424 

 Mais pourquoy est-ce que Dieu ne nous en a pas fait la grace? parce que nous n'avons pas correspondu comme nous devions, a ses inspirations.

  A004000425 

 Mais, repliqua frere Rufin, comment pouves vous dire cela en verité et conscience, puisque plusieurs autres, comme l'on void manifestement, commettent plusieurs grans pechés, desquelz, grace a Dieu, vous estes exempt? A quoy saint François respondant: Si Dieu eust favorisé, dit-il, ces autres desquelz vous parles, avec autant de misericorde comme il m'a favorisé, je suis certain que, pour meschans qu'ilz soyent maintenant, ilz eussent esté beaucoup plus reconnoissans des dons de Dieu que je ne suis, et le serviroyent beaucoup mieux que je ne [123] fay; et si mon Dieu m'abandonnoit, je commettrois plus de meschancetés qu'aucun autre.».

  A004000426 

 Aussi, cet apophtegme a esté loué et repeté par tous les plus devotz qui sont venus despuis, entre lesquelz plusieurs ont estimé que le grand apostre saint Paul avoit dit en mesme sens qu'il estoit le premier de tous les pecheurs..

  A004000426 

 Je sçay qu'il parloit ainsy de soy mesme par humilité, mais il croyoit pourtant estre une vraye verité qu'une grace egale, faitte avec une pareille misericorde, puisse estre plus utilement employee par l'un des pecheurs que par l'autre.

  A004000426 

 Or, je tiens pour oracle le sentiment de ce grand docteur en la science des Saintz, qui, nourri en l'eschole du Crucifix, ne respiroit que les divines inspirations.

  A004000427 

 Pour certain, la faute n'est pas de la part de Dieu, car, puisque sa divine Majesté nous ayde et fait cette grace que nous arrivions jusques a ce point, je croy qu'il ne manqueroit pas de nous en faire encor davantage, si ce n'estoit nostre faute et l'empeschement que nous y mettons de nostre part.» Soyons donques attentifs, Theotime, a nostre avancement en l'amour que nous devons a Dieu, car celuy qu'il nous porte ne nous manquera jamais.

  A004000431 

 Ainsy sa misericorde convertit et gratifie ordinairement les ames en une maniere si douce, suave et delicate, qu'a peyne apperçoit-on son mouvement; et neanmoins il arrive quelquefois, que cette Bonté souveraine, surpassant ses rivages ordinaires, comme un fleuve enflé et pressé de l'affluence de ses eaux qui se desborde emmi la plaine, elle fait une effusion de ses graces si impetueuse, quoy qu'amoureuse, qu'en un moment elle detrempe et couvre [125] toute une ame de benedictions, affin de faire paroistre les richesses de son amour, et que, comme sa justice procede communement par voye ordinaire, et quelquefois par voye extraordinaire, aussi sa misericorde fasse l'exercice de sa liberalité par voÿe ordinaire sur le commun des hommes, et sur quelques uns aussi par des moyens extraordinaires..

  A004000433 

 La grace est si gracieuse et saisit si gracieusement nos cœurs pour les attirer, qu'elle ne gaste rien en la liberté de nostre volonté; elle touche puissamment, mais pourtant si delicatement, les ressortz de nostre esprit, que nostre franc arbitre n'en reçoit aucun forcement; la grace a des forces, non pour forcer, ains pour allecher le cœur; elle a une sainte violence, non pour violer, mais pour rendre amoureuse nostre liberté; elle agit fortement, mais si suavement, que nostre volonté ne demeure point accablee sous une si puissante action; elle nous presse, mais elle n'oppresse pas nostre franchise: si que nous pouvons, emmi ses forces, consentir ou resister a ses mouvemens selon qu'il nous plaist..

  A004000434 

 Mais ce qui est autant admirable que veritable, c'est que quand nostre volonté suit l'attrait et consent au mouvement divin, elle le suit aussi librement comme librement elle resiste, quand elle resiste, bien que le consentement a la grace depende beaucoup plus de la grace que de la volonté, et que la resistance a la grace ne depende que de la seule volonté: tant la main de Dieu est amiable au maniement de nostre cœur, tant elle a de dexterité pour nous communiquer sa force sans nous oster nostre liberté, et pour nous donner le mouvement de son pouvoir sans empescher celuy de nostre vouloir; adjustant sa puissance a sa suavité en telle sorte que, comme en ce qui regarde le bien sa puissance nous donne suavement le pouvoir, aussi sa suavité maintient puissamment la liberté de nostre vouloir.

  A004000434 

 Voyés de grace, Theotime, le trait du Sauveur, quand il parle de ses attraitz: Si tu sçavois, veut il dire, le don de Dieu, sans doute tu serois esmeüe et attiree a demander l'eau de la vie eternelle, et peut estre que tu la demanderois; comme s'il disoit: Tu aurois le pouvoir [127] et serois provoquee a demander, et neanmoins tu ne serois pas forcee ni necessitee; ains seulement peut estre tu la demanderois: car ta liberté te demeureroit pour la demander ou ne la demander pas.

  A004000435 

 En somme, «si quelqu'un disoit que nostre franc arbitre ne coopere pas, consentant a la grace dont Dieu le previent, ou qu'il ne peut pas rejetter la grace et luy refuser son consentement,» il contrediroit a toute l'Escriture, a tous les anciens Peres, a l'experience, et serait excommunié par le sacré Concile de Trente.

  A004000435 

 Mais quand il est dit que nous pouvons rejetter l'inspiration celeste et les attraitz divins, on n'entend pas, certes, qu'on puisse empescher Dieu de nous inspirer ni de jetter ses attraitz en nos cœurs; car, comme j'ay des-ja dit, cela se fait «en nous» et «sans nous;» ce sont des faveurs que Dieu nous fait avant que nous y ayons pensé: il nous esveille lhors que nous dormons, et, par consequent, nous nous treuvons esveillés avant qu'y avoir pensé; mais il est en nous de nous lever ou de ne nous lever pas, et bien qu'il nous ayt esveillés sans nous, il ne nous veut pas lever sans nous.

  A004000435 

 Nous ne pouvons pas empescher que l'inspiration ne nous pousse et, par consequent, ne nous esbranle; mais si, a mesure qu'elle nous pousse, nous la repoussons pour ne point nous laisser aller a son mouvement, alhors nous resistons.

  A004000435 

 Or, c'est resister au resveil que de ne se point lever et se rendormir, puisque on ne nous resveille que pour nous faire lever.

  A004000435 

 Que si, au contraire, amorcés peut estre de quelque verdure qu'ilz voyent en bas ou engourdis d'avoir croupi en terre, au lieu de seconder le vent ilz tiennent leurs aysles pliees et se jettent derechef en bas, ilz ont voirement receu en effect le mouvement du vent, mais en vain, puisqu'ilz ne s'en sont pas prevalus.

  A004000435 

 Theotime, [128] les inspirations nous previennent, et avant que nous y ayons pensé elles se font sentir, mais apres que nous les avons senties, c'est a nous d'y consentir pour les seconder et suivre leurs attraitz, ou de dissentir et les repousser: elles se font sentir a nous, sans nous, mais elles ne nous font pas consentir sans nous..

  A004000439 

 Ainsy, mon cher Theotime, quand l'inspiration, comme un vent sacré, vient pour nous pousser en l'air du saint amour, elle se prend a nostre volonté, et par le sentiment de quelque celeste delectation elle l'esmeut, estendant et despliant l'inclination naturelle, qu'elle a au bien, en sorte que cette inclination mesme luy serve de prise pour saisir nostre esprit: et tout cela, comme j'ay dit, se fait «en nous, sans nous,» car c'est la faveur divine qui nous previent en cette sorte.

  A004000439 

 Que si l'apode ainsy enlevé contribue le mouvement de ses aysles a celuy du vent, le mesme vent qui l'a poussé l'aydera de plus en plus a voler fort aysement.

  A004000439 

 Que si nostre esprit ainsy saintement prevenu, sentant les aysles de son inclination esmeües, despliees, estendues, poussees et agitees par ce vent celeste, contribue tant soit peu son consentement, ah, quel bonheur, Theotime; car la mesme inspiration et faveur qui nous a saisi, meslant [129] son action avec nostre consentement, animant nos foibles mouvemens de la force du sien, et vivifiant nostre imbecille cooperation par la puissance de son operation, elle nous aydera, conduira et accompaignera d'amour en amour, jusques a l'acte de la tressainte foy, requis pour nostre conversion..

  A004000440 

 0 Jesus, que c'est un playsir delicieux de voir l'amour celeste, qui est le soleil des vertus, quand petit a petit, par des progres qui insensiblement se rendent sensibles, il va desployant sa clarté sur une ame, et ne cesse point qu'il ne l'ayt toute couverte de la splendeur de sa presence, luy donnant en fin la parfaitte beauté de son jour! 0 que cette aube est gaye, belle, amiable et aggreable! Mays pourtant il est vray que, ou l'aube n'est pas jour, ou, si elle est jour, c'est un jour commençant, un jour naissant, c'est plustost l'enfance du jour que le jour mesme: et de mesme, sans doute, ces mouvemens d'amour qui precedent l'acte de la foy requis a nostre justification, ou ilz ne sont pas amour, a proprement parler, ou ilz sont un amour commençant et imparfait; ce sont les premiers bourgeons verdoyans que l'ame eschauffee du soleil celeste, comme un arbre mystique, commence a jetter au printems, qui sont plustost presages de fruitz que fruitz..

  A004000441 

 Helas, Theotime, le pauvre Pachome, quoy que de bon naturel, dormoit pour lhors dans la couche de son infidelité; et voyla que tout a coup, Dieu se treuve a la porte de son cœur, et par le bon exemple de ces Chrestiens, comme par une douce voix, il l'appelle, l'esveille et luy donne le premier sentiment de la chaleur vitale de son amour; car a peyne eut-il ouï parler, comme je viens de dire, de l'aymable loy du Sauveur, que tout rempli d'une nouvelle lumiere et consolation interieure, se retirant a part et ayant quelque tems pensé en soy mesme, il haussa les mains au ciel, et avec un profond souspir il se print a dire: «Seigneur Dieu, qui avés fait le ciel et la terre, si vous daignés jetter vos yeux sur ma bassesse et sur ma peyne et me donner connoissance de vostre Divinité, je vous prometz de vous servir, et d'obeir toute ma vie a vos commandemens.» Depuis cette priere et promesse, l'amour du vray bien et de la pieté prit un tel accroissement en luy, qu'il ne cessoit point de prattiquer mille et mille exercices de vertu..

  A004000441 

 Saint Pachome, Ihors encor tout jeune soldat et sans connoissance de Dieu, enroollé sous les enseignes de l'armee que Constance avoit dressee contre le tyran Maxence, vint avec la trouppe de laquelle il estoit, loger au pres d'une petite ville non guere esloignee de Thebes, ou, non seulement luy, mais toute l'armee se treuva en extreme disette de vivres: ce qu'ayant entendu les habitans de la petite ville, qui par bonne rencontre estoyent fidelles de Jesus Christ, et par consequent amis et secourables au prochain, ilz prouveurent soudain a la necessité des soldatz, mais avec tant de [130] soin, de courtoisie et d'amour, que Pachome en fut tout ravi d'admiration; et demandant quelle nation estoit celle-la, si bonteuse, amiable et gracieuse, on luy dit que c'estoyent des Chrestiens; et s'enquerant derechef quelle loy et maniere de vivre estoit la leur, il apprit qu'ilz croyoient en Jesus Christ, Filz unique de Dieu, et faisoyent bien a toutes sortes de personnes, avec ferme esperance d'en recevoir de Dieu mesme une ample recompence.

  A004000442 

 C'est pourquoy Pachome se secoue des divertissemens, pour avec plus d'attention et de facilité recueillir et savourer la grace receüe, se retirant a part pour y penser; puis il estend son cœur et ses mains au ciel, ou l'inspiration l'attire, et commençant a desployer les aysles de ses affections, voletant entre la desfiance de soy mesme et la confiance en Dieu, il entonne d'un air humblement amoureux le cantique de sa conversion, par lequel il tesmoigne d'abord que des-ja il connoist un seul Dieu, Createur du ciel et de la terre; mais il connoist aussi qu'il ne le connoist pas encor asses pour le bien servir, et partant, il supplie qu'une plus grande connoissance luy soit donnee, affin qu'il puisse par icelle parvenir au parfait service de sa divine Majesté..

  A004000442 

 Il m'est advis, certes, que je voy en cet exemple un rossignol qui, se resveillant a la prime aube, commence a se secouer, s'estendre, desployer ses plumes, voleter de branche en branche dans son buisson, et petit a petit gazouiller son delicieux ramage: car n'aves-vous pas pris garde, comme le bon exemple de ces charitables Chrestiens excita et resveilla en sursaut le bienheureux Pachome? Certes, cet estonnement d'admiration qu'il [131] en eut ne fut autre chose que son resveil, auquel Dieu le toucha, comme le soleil touche la terre, avec un rayon de sa clarté, qui le remplit d'un grand sentiment de playsir spirituel.

  A004000443 

 Les parfums n'ont point d'autre pouvoir pour attirer a leur suite que leur suavité, et la suavité, comme pourroit elle tirer sinon suavement et aggreablement?.

  A004000443 

 Mais quelz sont ses attraitz? Le premier, par lequel il nous previent et resveille, se fait par luy «en nous» et «sans nous;» tous les autres se font aussi par luy, et «en nous,» mais non pas «sans nous.» Tires-moy, dit l'Espouse sacree, c'est a dire, commences le premier, car je ne sçaurois m'esveiller de moy mesme, je ne sçaurois me mouvoir si vous ne m'esmouves; mays quand vous m'aures esmeüe, alhors, o le cher Espoux de mon ame, nous courrons nous deux: vous courres devant moy en me tirant tous-jours plus avant, et moy je vous suivray a la course, consentant a vos attraitz; mays que personne n'estime que vous m'allies tirant apres vous comme une esclave forcee ou comme une charrette inanimee; ah non, vous me tires a l'odeur de vos parfums.

  A004000443 

 Si je vous vay suivant, ce n'est pas que vous me traisnies, c'est que vous m'alleches; vos attraitz sont puissans, mays non pas violens, [132] puisque toute leur force consiste en leur douceur.

  A004000447 

 Et neanmoins, cette obscure clarté de la foy estant entree dans nostre esprit, non par force de discours ni par apparence d'argumens, ains par la seule suavité de sa presence, [133] elle se fait croire et obeir a l'entendement avec tant d'authorité, que la certitude qu'elle nous donne de la verité surmonte toutes les autres certitudes du monde, et assujettit tellement tout l'esprit et tous les discours d'iceluy, qu'ilz n'ont point de credit en comparayson..

  A004000447 

 Et voyci la merveille: car Dieu fait la proposition des mysteres de la foy a nostre ame parmi des obscurités et tenebres, en telle sorte que nous ne voyons pas les verités, ains seulement nous les entrevoyons; comme il arrive quelquefois que la terre estant couverte de brouillars nous ne pouvons voir le soleil, ains nous voyons seulement un peu plus de clarté du costé ou il est, de façon que, par maniere de dire, nous le voyons sans le voir, parce que d'un costé nous ne le voyons pas tant que nous puissions bonnement dire que nous le voyons, et d'autre part nous ne le voyons pas si peu que nous puissions dire que nous ne le voyons point; et c'est ce que nous appelions entrevoir.

  A004000447 

 Quand Dieu nous donne la foy, il entre en nostre ame et parle a nostre esprit, non point par maniere de discours, mais par maniere d'inspiration, proposant si aggreablement ce qu'il faut croyre, a l'entendement, que la volonté en reçoit une grande complaysance, et telle qu'elle incite l'entendement a consentir et acquiescer a la verité, sans doute ni defiance quelconque.

  A004000448 

 Mais ne faut il pas qu'en effect je sois infiniment aymable, puisque les sombres tenebres et les espais brouillars entre lesquelz je suis, non pas veüe mais seulement entreveüe, ne me peuvent empescher d'estre si aggreable, que l'esprit, me cherissant sur tout, fendant la presse de toutes autres connoissances, il me fait faire place et me reçoit comme sa reyne, dans le trosne le plus relevé qui soit en son palais, d'ou je donne la loy a toute science et assujettis tout discours et tout sentiment humain? Ouy vrayement, Theotime, tout ainsy que les chefz de l'armee d'Israël se despouillans de leurs vestemens, les mirent ensemble et en firent comme un trosne royal sur lequel ilz assirent Jehu, crians: Jehu est roy, de mesme, a l'arrivee de la foy, l'esprit se despouille de tous discours et argumens, et les sousmettant a la foy, il la fait asseoir sur iceux, la reconnoissant comme reyne, et crie avec une grande joye: Vive la foy! Les discours et argumens pieux, les miracles et autres avantages de la religion chrestienne, la rendent certes extremement croyable et connoissable; mays la seule foy la rend creüe et reconneüe, faysant aymer la beauté de sa verité [134] et croire la verité de sa beauté, par la suavité qu'elle respand en la volonté et la certitude qu'elle donne a l'entendement.

  A004000448 

 O discours humains, o sciences acquises, je suis brune, car je suis entre les obscurités des simples revelations, qui sont sans aucune evidence apparente, et me font paroistre noyre, me rendant presque mes-connoissable; mais je suis pourtant belle en moy mesme a cause de mon infinie certitude, et si les yeux des mortelz me pouvoient voir telle que je suis par nature, ilz me treuveroyent toute belle.

  A004000449 

 L'enqueste donq et la dispute se fait au parvis des prestres, entre les docteurs; mais la resolution et l'acquiescement se fait au Sanctuaire, ou le Saint Esprit, qui anime le cors de l'Eglise, parle par les bouches des chefz d'icelle, selon que Nostre Seigneur l'a promis.

  A004000449 

 Or en fin, Theotime, cette asseurance [135] que l'esprit humain prend es choses revelees et mysteres de la foy, commence par un sentiment amoureux de complaysance que la volonté reçoit de la beauté et suavité de la verité proposee: de sorte que la foy comprend un commencement d'amour que nostre cœur ressent envers les choses divines..

  A004000453 

 Comme estans exposés aux rayons du soleil de mydi, nous ne voyons presque pas plus tost la clarté que soudain nous sentons la chaleur, ainsy la lumiere de la foy n'a pas plus tost jetté la splendeur de ses verités en nostre entendement, que tout incontinent nostre volonté sent la sainte chaleur de l'amour celeste.

  A004000453 

 La foy nous fait connoistre par une infallible certitude que Dieu est, qu'il est infini en bonté, qu'il se peut communiquer a nous, et que non seulement il peut, ains il le veut: si que, par une ineffable douceur, il nous a preparés tous les moyens requis pour parvenir au bonheur de la gloire immortelle.

  A004000453 

 Mays quand la sainte foy a representé a nostre esprit ce bel object de son inclination naturelle, o vray Dieu, Theotime, quel ayse, quel playsir, quel tressaillement universel de nostre ame! laquelle alhors, comme toute surprise a l'aspect d'une si excellente beauté, s'escrie d'amour: O que vous estes beau, mon Bienaymé, o que vous estes beau!.

  A004000453 

 Or, nous avons une inclination naturelle au souverain bien, en suite de [136] laquelle nostre cœur a un certain intime empressement et une continuelle inquietude, sans pouvoir en sorte quelcomque s'accoiser, ni cesser de tesmoigner que sa parfaite satisfaction et son solide contentement luy manque.

  A004000454 

 Eliezer cherchoit une espouse pour le fïlz de son maistre Abraham: que sçavoit-il s'il la treuveroit belle et gracieuse comme il la desiroit? Mays quand il l'eut treuvee a la fontaine, qu'il la vid si excellente en beauté et si parfaite en douceur, mais sur tout quand on la luy eut accordee, il en adora Dieu et le benit, avec des actions de graces pleynes de joye nompareille.

  A004000454 

 Le cœur humain tend a Dieu par son inclination naturelle, sans sçavoir bonnement quel il est; mais quand il le treuve a la fontaine de la foy, et qu'il le void si bon, si beau, si doux et si debonnaire envers tous, et si disposé a se donner comme souverain bien a tous ceux qui le veulent, o Dieu, que de contentemens et que de sacrés mouvemens en l'esprit, pour s'unir a jamais a cette bonté si souverainement aymable! J'ay en fin treuvé, dit l'ame ainsy touchee, j'ay treuvé ce que je desirois, et je suis maintenant contente.

  A004000455 

 Ainsy, mon cher Theotime, nostre cœur ayant eu si longuement inclination a son souverain bien, il ne sçavoit a quoy ce mouvement tendoit; mais si tost que la foy le luy a monstré, alhors il void bien que c'estoit cela que son ame requeroit, que son esprit cherchoit et que son inclination regardoit.

  A004000455 

 Certes, ou que nous veuillions ou que nous ne veuillions pas, nostre esprit tend au souverain bien: mays qui est ce souverain bien? Nous ressemblons a ces bons Atheniens qui faysoient sacrifice au vray Dieu, lequel neanmoins leur estoit inconneu, jusques a ce que le grand saint Paul leur en annonça la connoissance: car ainsy nostre cœur, par un profond et secret instinct, tend en toutes ses actions et pretend a la felicité, et la va cherchant ça et la, comme a tastons, sans sçavoir toutefois ni ou elle reside ni en quoy elle consiste, jusques a ce que la foy la luy monstre et luy en descrit les merveilles [138] infinies: et lhors ayant treuvé le tresor qu'il cherchoit, helas, quel contentement a ce pauvre cœur humain, quelle joye, quelle complaysance d'amour! Hé, je l'ay rencontré, Celuy que mon ame cherchoit sans le connoistre; o que ne sçavois-je a quoy tendoyent mes pretentions quand rien de tout ce que je pretendois ne me contentoit, parce que je ne sçavois pas ce que, en effect, je pretendois! Je pretendois d'aymer, et ne connoissois pas ce qu'il failloit aymer; et partant, ma pretention ne treuvant pas son veritable amour, mon amour estoit tous-jours en une veritable mais inconneüe pretention: j'avois bien asses de presentiment d'amour pour me faire pretendre, mays je n'avois pas asses de sentiment de la bonté qu'il failloit aymer, pour exercer l'amour..

  A004000455 

 Nous sentons quelquefois de certains contentemens qui viennent comme a l'improuveue, sans aucun sujet apparent, et ce sont souvent des presages de quelque plus grande joye: dont plusieurs estiment que nos bons Anges, prevoyans les biens qui nous doivent advenir, nous en donnent ainsy des presentimens; comme au contraire ilz nous donnent des craintes et frayeurs emmi les perilz inconneuz, affin de nous faire invoquer Dieu et demeurer sur nos gardes.

  A004000455 

 Or quand le bien presagé nous arrive, nos cœurs le reçoivent a bras ouvertz, et se ramentevant l'ayse qu'ilz avoyent eu sans en sçavoir la cause, ilz connoissent seulement alhors que c'estoit comme un avant coureur du bonheur advenu.

  A004000459 

 L'entendement humain estant donq convenablement appliqué a considerer ce que la foy luy represente de son souverain bien, soudain la volonté conçoit une extreme complaysance en ce divin object, lequel, pour lhors absent, fait naistre un desir tres ardent de sa presence; dont l'ame s'escrie saintement: Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche!.

  A004000460 

 C'est a Dieu que je souspire,.

  A004000461 

 C'est Dieu que mon cœur desire..

  A004000462 

 Et comme l'oyseau auquel le fauconnier oste le chaperon, ayant la proye en veüe s'eslance soudain au vol, [139] et s'il est retenu par les longes se debat sur le poing avec une ardeur extreme, de mesme la foy nous ayant osté le voile de l'ignorance et fait voir nostre souverain bien, lequel neanmoins nous ne pouvons encor posseder, retenus par la condition de cette vie mortelle, helas, Theotime, nous le desirons alhors: de sorte que.

  A004000466 

 Que nos cœurs, d'ennuis pressés,.

  A004000472 

 Que nos yeux verront ta face?.

  A004000473 

 Ainsy donques, affin que l'inquietude et la douloureuse langueur que les effortz de l'amour desirant causeroient en nos espritz, ne nous portast a quelque defaillance de courage et ne nous reduisist au desespoir, le mesme Bien souverain qui [140] nous incite a le desirer si fortement, nous asseure aussi que nous le pourrons obtenir fort aysement, par mille et mille promesses qu'il nous en a faittes en sa Parolle et par ses inspirations, pourveu que nous veuillions employer les moyens qu'il nous a preparés et qu'il nous offre pour cela..

  A004000473 

 Ce desir est juste, Theotime, car qui ne desireroit un bien si desirable? mais ce seroit un desir inutile, ains qui ne serviroit que d'un continuel martyre a nostre cœur, si nous n'avions asseurance de le pouvoir un jour assouvir.

  A004000473 

 Celuy qui, pour le retardement de ce bonheur, protestoit que ses larmes luy estoyent un pain ordinaire nuit et jour, tandis que son Dieu luy estoit absent, et que ses adversaires l'enqueroyent, ou est ton Dieu? helas, qu'eust il fait s'il n'eust eu quelque sorte d'esperance de pouvoir une fois jouir de ce bien apres lequel il souspiroit? Et la divine Espouse va toute esploree et alangourie d'amour, dequoy elle ne treuve pas si tost le Bienaymé qu'elle cherche: l'amour du Bienaymé avoit creé en elle le desir, le desir avoit fait naistre l'ardeur du pourchas, et cette ardeur luy causoit la langueur, qui eust aneanti et consumé son pauvre cœur si elle n'eust eu quelqu'esperance de rencontrer en fin ce qu'elle pourchassoit.

  A004000474 

 Et cet accoisement est la racine de la tressainte vertu que nous appelions esperance, car la volonté, asseuree par la foy qu'elle pourra jouir de son souverain bien usant des moyens a ce destinés, elle fait deux grans actes de vertu: par l'un, elle attend de Dieu la jouissance de sa souveraine bonté, et par l'autre, elle aspire a cette sainte jouissance..

  A004000474 

 Ouy certes, Theotime, parce que l'asseurance que Dieu nous donne que le Paradis est pour nous, fortifie infiniment le desir que nous avions d'en jouir, et neanmoins affoiblit, ains aneantit tout a fait le trouble et l'inquietude que ce desir nous apportoit; de sorte que nos cœurs, par les promesses sacrees que la divine Bonté nous a faites, demeurent tout a fait accoisés.

  A004000475 

 Et de vray, Theotime, entre esperer et aspirer il y a seulement cette difference: que nous esperons les choses que nous attendons, par le moyen d'autruy, et nous aspirons aux choses que nous pretendons, par nos propres moyens, de nous mesmes; et d'autant que nous parvenons a la jouissance de nostre souverain bien qui est Dieu, premierement et principalement par sa faveur, grace et misericorde, et que neanmoins cette mesme misericorde veut que nous cooperions a sa faveur, contribuans la foiblesse de nostre consentement a la force de sa grace, partant, nostre esperance est aucunement meslee d'aspirement: si que nous n'esperons pas tout a fait sans aspirer, et n'aspirons jamais sans tout a fait esperer; en quoy l'esperance tient tous-jours le rang principal, comme fondee sur la grace divine, sans laquelle, tout ainsy que nous ne pouvon pas seulement [141] penser a nostre souverain bien selon qu'il convient pour y parvenir, aussi ne pouvons-nous jamais sans icelle y aspirer comme il faut pour l'obtenir. L'aspirement donques est un rejetton de l'esperance, comme nostre cooperation l'est de la grace: et tout ainsy que ceux qui veulent esperer sans aspirer seront rejettés comme couards et negligens, de mesme ceux qui veulent aspirer sans esperer sont temeraires, insolens et presomptueux.

  A004000475 

 Mais cependant, et l'un et l'autre se fait par cet amour desirant qui tend a nostre souverain bien, lequel, a mesure qu'il est plus asseurement esperé, est aussi tous-jours plus aymé; ains l'esperance n'est autre chose que l'amoureuse complaysance que nous avons en l'attente et pretention de nostre souverain bien.

  A004000475 

 Mais quand l'esperance est suivie de l'aspirement, et qu'esperans nous aspirons et aspirans nous esperons, alhors, cher Theotime, l'esperance se convertit en un courageux dessein par l'aspirement, et l'aspirement se convertit en une humble pretention par l'esperance, esperans et aspirans selon que Dieu nous inspire.

  A004000475 

 Or, par ce progres, l'amour a converti son desir en esperance, pretention et attente, si que l'esperance est un amour attendant et pretendant; et parce que le bien souverain que l'esperance attend, c'est Dieu, et qu'elle ne l'attend aussi que de Dieu mesme, auquel et par lequel elle espere et aspire, cette sainte vertu d'esperance aboutissante de toutes pars a Dieu, est, par consequent, une vertu divine ou theologique.

  A004000475 

 Tout y est d'amour, Theotime: soudain que la foy m'a monstre mon souverain bien, je l'ay aymé; et parce qu'il m'estoit absent, je l'ay desiré; et d'autant que j'ay sceu qu'il se vouloit donner a moy, je l'ay derechef plus ardemment aymé et desiré, car aussi sa bonté est d'autant plus aymable et desirable qu'elle est plus disposee a se communiquer.

  A004000479 

 Je ne dis pas, toutefois, qu'il revienne tellement a nous, qu'il nous fasse aymer Dieu seulement pour l'amour de nous: o Dieu, nenny; car l'ame qui n'aymeroit Dieu que pour l'amour d'elle mesme, establissant la fin de l'amour qu'elle porte a Dieu en sa propre commodité, helas, elle commettroit un extreme sacrilege.

  A004000479 

 L'amour que nous prattiquons en l'esperance, Theotime, va certes a Dieu, mays il retourne a nous; il a son regard en la divine Bonté, mays il a de l'esgard a nostre utilité; il tend a cette supreme perfection, mays il pretend nostre satisfaction: c'est a dire, il ne nous porte pas en Dieu parce que Dieu est souverainement bon en soy mesme, mais parce qu'il est souverainement bon envers nous mesmes; ou, comme vous voyes, il y a du nostre et du nous mesme; et partant, cet amour est voirement amour, mais amour de convoitise et interessé.

  A004000479 

 Si une femme n'aymoit son mari que pour l'amour de son valet, elle aymeroit son mari en valet et son valet en mari; l'ame aussi qui n'ayme Dieu que pour l'amour d'elle mesme, elle s'ayme comme elle devroit aymer Dieu, et elle ayme Dieu comme elle se devroit aymer elle mesme..

  A004000480 

 Car quand je dis: j'ayme Dieu pour moy, c'est comme si je disois: j'ayme avoir Dieu, j'ayme que Dieu soit a moy, qu'il soit mon souverain bien; qui est une sainte [143] affection de l'Espouse celeste, laquelle cent fois proteste par exces de complaysance: Mon Bienaymé est tout mien, et moy je suis toute sienne, il est a moy et je suis a luy; mais dire: j'ayme Dieu pour l'amour de moy mesme, c'est comme qui diroit: l'amour que je me porte est la fin pour laquelle j'ayme Dieu, en sorte que l'amour de Dieu soit dependant, subalterne et inferieur a l'amour propre que nous avons envers nous mesmes; qui est une impieté nompareille..

  A004000480 

 Mais il y a bien de la difference entre cette parole: j'ayme Dieu pour le bien que j'en attens, et celle cy: je n'ayme Dieu que pour le bien que j'en attens; comme aussi c'est chose bien diverse de dire: j'ayme Dieu pour moy, et dire: j'ayme Dieu pour l'amour de moy.

  A004000481 

 Cet amour donq que nous appelions esperance, est un amour de convoitise, mais d'une sainte et bien ordonnee convoitise, par laquelle nous ne tirons pas Dieu a nous ni a nostre utilité, mays nous nous joignons a luy comme a nostre finale felicité.

  A004000481 

 Ouy, sans doute, Theotime, car quand nous aymons Dieu comme nostre souverain bien, nous l'aymons pour une qualité par laquelle nous ne le rapportons pas à nous, mais nous a luy; nous ne sommes pas sa fin, sa pretention ni sa perfection, ains il est la nostre; il ne nous appartient pas, mais nous luy appartenons; il ne depend point de nous, ains nous de luy; et en somme, par la qualité de souverain bien, pour laquelle nous l'aymons, il ne reçoit rien de nous, ains nous recevons de luy; il exerce envers nous son affluence et bonté, et nous prattiquons nostre indigence et disett: de sorte que, aymer Dieu en tiltre du souverain bien, c'est l'aymer en tiltre honnorable et respectueux, par lequel nous l'advoüons estre nostre perfection, nostre repos et nostre fin, en la jouissance de laquelle consiste nostre bonheur..

  A004000482 

 Et c'est ainsy que nous aymons et convoitons Dieu par l'esperance: non affîn qu'il soit nostre bien, mais parce qu'il l'est; non affin qu'il soit nostre, mais parce que nous sommes siens; non comme s'il estoit pour nous, mais d'autant que nous sommes pour luy..

  A004000482 

 Il y a des biens desquelz nous jouissons, mais d'une reciproque et mutuellement esgale jouissance, comme nous faysons de nos amis; car l'amour que nous leur portons entant qu'ilz nous rendent du contentement, est voirement amour de convoitise, mais convoitise honneste par laquelle ilz sont a nous et nous egalement a eux, ilz nous appartiennent, et nous pareillement leur appartenons.

  A004000482 

 Il y a des biens desquelz nous nous servons en les employant, comme sont nos esclaves, nos serviteurs, nos chevaux, nos habitz; et l'amour que nous leur [144] portons est un amour de pure convoitise, car nous ne les aymons pas que pour nostre prouffit.

  A004000482 

 Mais il y a des biens dont nous jouissons d'une jouissance de dependance, participation et sujettion, comme nous faysons de la bienveuillance de nos pasteurs, princes, pere, mere, ou de leur presence et faveur: car l'amour que nous leur portons est aussi, certes, amour de convoitise, quand nous les aymons entant qu'ilz sont nos princes, nos pasteurs, nos peres, nos meres, puisque ce n'est pas la qualité de pasteur, ni de prince, ni de pere, ni de mere, qui nous les fait aymer, ains parce qu'ilz sont telz en nostre endroit et a nostre regard; mays cette convoitise est un amour de respect, de reverence, d'honneur; car nous aymons, par exemple, nos peres, non parce qu'ilz sont nostres, mays parce que nous sommes a eux.

  A004000483 

 Et notés, Theotime, qu'en cet amour ici, la rayson pour laquelle nous aymons, c'est a dire pour laquelle nous appliquons nostre cœur a l'amour du bien que nous convoitons, c'est parce que c'est nostre bien; mais la rayson de la mesure et quantité de cet amour, depend de l'excellence et dignité du bien que nous aymons.

  A004000484 

 Or, quand je dis que nous aymons souverainement Dieu, je ne dis pas que nous l'aymions pour cela du souverain amour, car le souverain amour n'est qu'en la charité; mais en l'esperance l'amour est imparfait, parce qu'il ne tend pas a sa bonté infinie entant qu'elle est telle en elle mesme, ains seulement entant qu'elle nous est telle: et neanmoins, parce qu'en cette sorte d'amour il n'y a point de plus excellent motif que celuy qui provient de la consideration du souverain bien, nous disons que par iceluv nous aymons souverainement, quoy qu'en verité nul, par ce seul amour, ne puisse ni observer les commandemens de Dieu ni avoir la vie eternelle, parce que c'est un amour qui donne plus d'affection que d'effect, quand il n'est pas accompagné de la charité..

  A004000488 

 Et j'ay enclos en la pœnitence le propos de [146] reparer l'offence, parce que la repentance ne deteste pas asses le mal quand elle laisse volontairement subsister son principal effect, qui est l'offence et l'injure: or, elle le laisse subsister, tandis que le pouvant en quelque sorte reparer elle ne le fait pas..

  A004000488 

 La pemtence, a parler generalement, est une repentance par laquelle on rejette et deteste le peché qu'on a commis, avec resolution de reparer, autant que l'on peut, l'offense et injure faite a celuy contre lequel on a peché.

  A004000489 

 Aussi Aristote, reconnoissant cette sorte de penitence, asseure que l'intemperant, lequel de propos deliberé s'adonne aux voluptés, «est tout a fait incorrigible, parce qu'il ne se sçauroit repentir, et celuy qui est sans penitence est incurable.».

  A004000489 

 Je laisse a part maintenant la penitence de plusieurs payens, lesquelz, comme Tertulien tesmoigne, en avoyent entre eux quelque apparence, mais si vaine et inutile que mesme quelquefois ilz faysoyent pœnitence d'avoir bien fait; car je ne parle que de la pœnitence vertueuse, laquelle, selon les differens motifs desquelz elle provient, est aussi de diverses especes.

  A004000490 

 Certes, Seneque, Plutarque et les Pytagoriciens, qui recommandent tant l'examen de conscience, et sur tout le premier, qui parle si vivement du trouble que le remors interieur excite en l'ame, ont entendu sans doute qu'il y avoit une repentance; et quant au sage Epictete, il descrit si bien la reprehension que nous devons prattiquer envers nous mesmes, qu'on ne sçauroit presque mieux dire..

  A004000491 

 Il y a encor une autre pœnitence qui est voirement morale, mais religieuse pourtant, et en certaine façon [147] divine, d'autant qu'elle procede de la connoissance naturelle que l'on a d'avoir offencé Dieu en pechant; car en verité plusieurs philosophes ont sceu qu'on faisoit chose aggreable a la Divinité de vivre vertueusement, et que, par consequent, on l'offençoit en vivant vitieusement.

  A004000491 

 Le bon homme Epictete fait un souhait de mourir en vray Chrestien (comme il est fort probable qu'aussi fit il), et, entre autres choses, il dit qu'il seroit content s'il pouvoit en mourant eslever ses mains a Dieu et luy dire: «Je ne vous ay point, quant a ma part, fait de deshonneur;» et de plus, il veut que son philosophe face un serment admirable a Dieu de ne jamais desobeir a sa divine Majesté, ni blasmer ou accuser chose quelconque qui arrive de sa part, ni de s'en plaindre en façon que ce soit; et ailleurs il enseigne que Dieu et «nostre bon Ange » sont presens a nos actions.

  A004000491 

 Vous voyes donq bien, Theotime, que ce Philosophe, lhors encor payen, connoissoit que le peché offençoit Dieu, comme la vertu l'honnoroit, et que par consequent il vouloit qu'on s'en repentist, puisque mesme il ordonnoit que l'on fist l'examen de conscience au soir, en faveur duquel, avec Pitagore, il fait cet advertissement:.

  A004000494 

 Or cette sorte de repentance, attachee a la science et dilection de Dieu que la nature peut fournir, estoit une dependance de la religion morale; mays comme la rayson naturelle a donné plus de connoissance que d'amour aux philosophes, qui ne l'ont pas glorifié a [148] proportion de la notice qu'ilz en avoyent, aussi la nature a fourni plus de lumiere pour faire entendre combien Dieu estoit offencé par le peché, que de chaleur pour exciter le repentir requis a la reparation de l'offence..

  A004000495 

 Neanmoins, bien que la penitence religieuse ayt en quelque façon esté reconneüe par quelques uns des philosophes, si est ce que ç'a esté si rarement et foiblement, que ceux qui ont eu la reputation d'estre les plus vertueux d'entre eux, c'est a dire les Stoïciens, ont asseuré que l'homme sage ne s'attristoit jamais: dequoy ilz ont fait une maxime autant contraire a la rayson que la proposition sur laquelle ilz la fondoyent estoit contraire a l'experience, a sçavoir, que l'homme sage ne pechoit point..

  A004000496 

 Nous pouvons donq bien dire, mon cher Theotime, que la pœnitence est une vertu toute chrestienne, puisque d'un costé elle a esté si peu conneüe entre les payens, et de l'autre elle est tellement reconneüe parmi les vrays Chrestiens qu'en icelle consiste une grande partie de la philosophie evangelique, selon laquelle quicomque dit qu'il ne peche point est insensé, et quicomque croid de remedier a son peché sans pœnitence, il est forcené; car c'est l'exhortation des exhortations de Nostre Seigneur: Faites penitence.

  A004000498 

 Car nous considerons parfois que Dieu, qui est offencé, a establi une punition rigoureuse en enfer pour les pecheurs, et qu'il les privera du Paradis preparé aux gens de bien.

  A004000499 

 D'autres fois, nous considerons la laideur et la malice du peché, selon que la foy nous l'enseigne; comme par exemple, que par iceluy la ressemblance et image de Dieu que nous avons, est barbouillee et desfiguree, la dignité de nostre esprit deshonnoree, que nous sommes rendus semblables aux bestes insensees, que nous avons violé nostre devoir envers le Createur du monde, et perdu le bien de la societé des Anges pour nous associer et assujettir au diable, nous rendans esclaves de nos passions et renversans l'ordre de la rayson, offencans nos bons Anges a qui nous sommes tant obligés..

  A004000500 

 Quelquefois encor nous sommes provoqués a pœnitence par la beauté de la vertu, qui nous donne autant de biens que le peché nous cause de maux: et de plus, nous y sommes maintefois excités par l'exemple des Saintz; car, qui eut jamais peu voir les exercices de l'incomparable pœnitence de Magdeleine, de Marie Ægiptiaque ou des penitens du monastere surnommé [150] Prison, dont saint Jean Clymacus a fait la description, sans estre esmeu a se repentir de ses pechés, puisque la seule lecture de l'histoire y provoque ceux qui ne sont pas du tout hebetés?.

  A004000503 

 Elle est a la verité louable, car ni la Sainte Escriture ni l'Eglise ne nous exciteroient pas par telz motifs, si la pœnitence qui en provient n'estoit bonne; et on void manifestement que c'est chose grandement raysonnable de se repentir du peché pour ces considerations, ains qu'il est impossible de ne se repentir pas, a qui les considere attentivement: mays pourtant c'est une pœnitence, certes, imparfaite, d'autant que l'amour divin n'y entre encor point.

  A004000503 

 Hé, ne voyes vous pas, Theotime, que toutes ces repentances se font pour l'interest de nostre ame, de sa felicité, de sa beauté interieure, de son honneur, de sa dignité, et, en un mot, pour l'amour de nous mesmes, mais amour neanmoins legitime, juste et bien reglé..

  A004000504 

 Et prenes garde que je ne dis pas que ces repentances rejettent l'amour de Dieu, mais je dis seulement qu'elles [151] ne le comprennent pas; elles ne le repoussent pas, mais elles ne le contiennent pas; elles ne sont pas contre luy, mais elles sont encor sans luy; il n'en est pas forclos, mais il n'y est pas non plus enclos.

  A004000504 

 Et qui seroit le pere qui ne treuvast mauvais que son filz le voulust voirement servir, mais non jamais avec amour ou par amour?.

  A004000506 

 Conclusion: la repentance qui forclost l'amour de Dieu est infernale, pareille a celle des damnés; la repentance qui ne rejette pas l'amour de Dieu, quoy qu'elle soit encor sans iceluy, est une bonne et desirable repentance, mais imparfaite, et qui ne peut nous donner le salut jusques a ce qu'elle ayt atteint a l'amour et qu'elle se soit meslee avec iceluy: si que, comme le grand Apostre a dit que s'il donnoit son cors a brusler et tous ses biens aux pauvres, sans avoir la charité, cela luy seroit inutile, aussi pouvons-nous dire en verité, que quand nostre penitence seroit si grande que sa douleur fist fondre nos yeux en larmes et fendre nos cœurs de regret, si nous n'avons pas le saint amour de Dieu tout cela ne nous serviroit de rien pour la vie eternelle..

  A004000510 

 La nature, que je sache, ne convertit jamais le feu en eau, quoy que plusieurs eaux se convertissent en feu; mais Dieu le fit pourtant une fois par miracle: car, ainsy qu'il est escrit au Livre des Machabees, lhors que les enfans d'Israël furent concluitz en Babylone du [153] tems de Sedecias, les prestres, par l'advis de Hieremie, cacherent le feu sacré en une vallee, dans un puits sec, et au retour, les enfans de ceux qui avoyent ainsi caché le feu l'allerent chercher, selon ce que leurs peres leur avoyent enseigné; et ilz le treuverent converti en une eau fort espaisse, laquelle estant tiree par eux et respandue sur les sacrifices, selon que Nehemias l'ordonnoit, soudain que les rayons du soleil l'eurent touchee, elle fut convertie en un grand feu..

  A004000511 

 Ainsy, la celebre amante repentie ayma premierement son Sauveur, et cet amour se convertit en pleurs, et ces pleurs en un amour excellent: dont Nostre Seigneur dit que plusieurs pechés luy estoyent remis, parce qu'elle avoit beaucoup aymé.

  A004000511 

 Et comme nous voyons que le feu convertit le vin en une eau que presque par tout on appelle eau de vie, laquelle conçoit et nourrit si aysement le feu que pour cela on la nomme aussi, en plusieurs endroitz, ardente, de mesme la consideration amoureuse de la Bonté laquelle estant souverainement aymable a esté offencee par le peché, produit l'eau de la sainte penitence; puis, de cette eau provient reciproquement le feu de l'amour divin, dont on la peut proprement appeller eau de vie, et ardente: elle est certes une eau en sa substance, car la penitence n'est autre chose qu'un vray desplaysir, une reelle douleur et repentance; mais elle est neanmoins ardente, parce qu'elle contient la vertu et proprieté de l'amour, comme provenue d'un motif amoureux, et par cette proprieté elle donne la vie de la grace..

  A004000512 

 C'est pourquoy la parfaite pœnitence a deux effectz differens: car, en vertu de sa douleur et detestation, elle nous separe du peché et de la creature a laquelle la delectation nous avoit attachés; mais en vertu du [154] motif de l'amour, d'ou elle prend son origine, elle nous reconcilie et reunit a nostre Dieu duquel nous nous estions separés par le mespris: si que, a mesme qu'elle nous retire du peché en qualité de repentance, elle nous rejoint a Dieu en qualité d'amour..

  A004000513 

 Car encor que cela se passe ainsy maintefois, si est-ce que d'autres fois aussi, a mesme que l'amour divin naist dedans nos cœurs, la pœnitence naist dedans l'amour, et plusieurs fois la pœnitence venant en nos espritz, l'amour vient en la pœnitence.

  A004000513 

 Et comme lhors qu'Esaü sortit du ventre de sa mere, Jacob son jumeau l'empoigna par le pied, affin que non seulement leurs naissances s'entresuivissent, mais aussi s'entretinssent et fussent entreliees l'une a l'autre, de mesme le repentir, rude et aspre a cause de sa douleur, naist le premier, comme un autre Esaü, et l'amour, doux et gratieux comme Jacob, le tient par le pied et s'attache tellement a luy qu'ilz n'ont qu'une seule origine, puisque la fin de la naissance du repentir est le commencement de celle du parfait amour.

  A004000513 

 Mais je ne veux pas dire neanmoins que l'amour parfait de Dieu, par lequel on l'ayme sur toutes choses, precede tous-jours cette repentance, ni que cette repentance precede tous-jours cet amour.

  A004000515 

 Dites-moy, de grace: c'est la proprieté de l'aymant de tirer a soy le fer et de se joindre a luy; mays ne voyons-nous pas que le fer touché de l'aymant, sans avoir ni l'aymant ni sa nature, ains seulement sa vertu et qualité attrayante, ne laisse pas de tirer et s'unir un autre fer? Ainsy la parfaite repentance, touchee du motif de l'amour sans avoir la propre action de l'amour, ne laisse pas d'en avoir la vertu et la qualité, c'est a dire le mouvement d'union pour rejoindre et reunir nos cœurs a la volonté divine.

  A004000515 

 Il arrive mesme parfois que la repentance, quoy que parfaite, ne contient pas en soy la propre action de l'amour, ains seulement la vertu et proprieté d'iceluy.

  A004000515 

 Mais, ce me dires-vous, quelle vertu ou proprieté de l'amour peut avoir la repentance, si elle n'a pas l'action? Theotime, le motif de la parfaite repentance, c'est la bonté de Dieu laquelle il nous desplait d'avoir offencee; or, ce motif n'est motif sinon parce qu'il esmeut et donne le mouvement, mais le mouvement que la bonté divine donne au cœur qui la considere ne peut estre que le mouvement d'amour, c'est a dire d'union: c'est pourquoy la vraye repentance, bien qu'il ne soit pas advis et qu'on ne voye pas la propre action de l'amour, reçoit neanmoins tous-jours le mouvement de l'amour et la qualité unissante d'iceluy, par laquelle elle nous reunit et rejoint a la divine bonté.

  A004000515 

 Mays quelle difference y a-il, me repliqueres-vous, entre ce mouvement unissant de la penitence et l'action propre de l'amour? Theotime, l'action de l'amour est un mouvement d'union voirement, mais il se fait par complaysance: or, le mouvement d'union qui est en la penitence se fait, non par voye de complaysance, ains de desplaysir, de repentance, de reparation, de reconciliation; entant donq que ce mouvement unit, il a la qualité de l'amour, entant qu'il est amer et douloureux, il a la qualité de la penitence; et, en somme, de sa naturelle condition c'est un vray mouvement de penitence, mais qui a la vertu et qualité unissante de l'amour.

  A004000516 

 Ainsy le vin theriacal n'est pas appelle theriacal pour contenir la propre substance de la theriaque, car il n'y en a point du tout; mais on le nomme ainsy parce que la plante de la vigne ayant esté detrempee en theriaque, les raisins et le vin qui en sont provenus ont tiré la vertu et l'operation de la theriaque contre toute sorte de venins.

  A004000516 

 Si donques la penitence, selon l'Escriture, efface le peché, sauve l'ame, la rend aggreable a Dieu et la justifie, qui sont des effectz appartenans a l'amour et qui semblent ne devoir estre attribués qu'a luy, il ne le faut pas treuver estrange; car bien que l'amour ne se treuve pas tous-jours luy mesme en la pœnitence parfaitte, sa vertu neanmoins et sa proprieté y est tous-jours, s'y estant escoulee par le motif amoureux duquel elle provient..

  A004000517 

 Ains plustost, la fin de la pœnitence est dans le commencement de l'amour, comme le pied d'Esaü estoit dans la main de Jacob; de telle façon que lhors qu'Esaü achevoit sa naissance, Jacob commençoit la sienne, la fin de la naissance de l'un estant jointe, liee, et qui plus est, environnee du commencement de la naissance de l'autre; car ainsy le commencement de l'amour parfait ne suit pas seulement la fin de la pœnitence, mais il s'attache, il se lie, et, pour le dire en un mot, ce commencement d'amour se mesle avec la fin de la repentance, et en ce moment du meslange, la pœnitence et contrition merite la vie eternelle..

  A004000517 

 Car ainsy le Saint Esprit jettant dans nostre entendement la consideration de la grandeur de nos pechés, entant que par iceux nous avons offencé une si souveraine bonté, et nostre volonté recevant la reflexion de cette connoissance, le repentir croist petit a petit si fort, avec une certaine chaleur affective et desir de retourner en grace avec Dieu, qu'en fin ce mouvement arrive a tel signe, qu'il brusle et unit avant mesme que l'amour soit du tout formé: amour qui, toutefois, comme un feu sacré, s'allume immediatement en ce point la; de sorte que la repentance ne parvient jamais a ce signe de brusler et reunir le cœur a Dieu, qui est son extreme perfection, qu'elle ne se treuve toute convertie en feu et flamme [157] d'amour, la fin de l'un servant de commencement a l'autre.

  A004000517 

 Ni ne faut pas non plus s'estonner que la force de l'amour naisse dedans la repentance avant que l'amour y soit formé; puisque nous voyons que par la reflexion des rayons du soleil battant sur la glace d'un mirouer, la chaleur, qui est la vertu et propre qualité du feu, s'augmente petit a petit si fort, qu'elle commence a brusler avant qu'elle ayt bonnement produit le feu, ou, au moins, avant que nous l'ayons apperceu.

  A004000518 

 Et partant, nous devons tous avoir force telles oraysons jaculatoires, faites par maniere de repentance amoureuse et de souhaitz requerans nostre reconciliation avec Dieu, affin que par icelles, prononçans devant le Sauveur nostre tribulation, nous respandions nos ames devant et dedans son cœur pitoyable, qui les recevra a mercy.

  A004000518 

 Or, parce que cette repentance amoureuse se prattique ordinairement par des eslans ou eslevemens du cœur en Dieu, pareilz a ceux des anciens pœnitens: Je suis vostre, o mon Dieu, sauves-moy; Ayés misericorde de moy, ayés-en misericorde, car mon ame se confie en vous; Sauves-moy, Seigneur, car les eaux submergent mon ame; Faites-moy comme un de vos mercenaires; Seigneur, soyes-moy propice, a moy, pauvre pecheur, ce n'est pas sans rayson que quelques uns ont dit que l'orayson justifioit; car l'orayson repentante, ou la repentance suppliante, eslevant l'ame en Dieu et la reunissant a sa bonté, obtient sans doute le pardon, en vertu du saint amour qui luy donne le mouvement sacré.

  A004000522 

 Aussi, le grand saint Augustin prononce solemnellement cette remarquable parole: «Escoute une fois, o homme, et entens! N'es-tu pas tiré? prie affin que tu sois tiré;» en laquelle, son intention n'est pas de parler du premier mouvement que Dieu fait «en nous, sans nous,» [159] Ihors qu'il nous excite et esveille du sommeil de peché; car, comme pourrions nous demander le reveil, puisque personne ne peut prier avant qu'estre esveillé? mays il parle de la resolution que l'on prend d'estre fidele, car il estime que croire c'est estre tiré, et partant, il admonneste ceux qui ont esté excités a croire en Dieu, de demander le don de la foy.

  A004000522 

 Entre le premier reveil du peché ou de l'incredulité et la resolution finale que l'on prend de croire parfaitement, il y va souventefois beaucoup de tems, pendant lequel on peut prier, comme fit saint Pachome, ainsy que nous avons veu; et comme le pere du pauvre lunatique, lequel, au rapport de saint Marc, asseurant qu'il croyoit, c'est a dire qu'il commençoit a croire, conneut quand et quand qu'il ne croyoit pas asses, dont il s'escria: Hé, Seigneur, je croy, mais aydes mon incredulité.

  A004000522 

 Et personne, certes, ne pouvoit mieux sçavoir les difficultés qui se passent ordinairement entre le premier mouvement que Dieu fait en nous et la parfaite resolution de bien croire, que saint Augustin, qui, ayant receu une si grande varieté d'attraitz, par les paroles du glorieux saint Ambroyse, par la conference faite avec Potitian et mille autres moyens, ne laissa pas neanmoins d'user de tant de remises et d'avoir tant de peyne a se resoudre; si que a luy, de vray, plus qu'a nul autre, on eust peu bien dire, ce qu'il dit par apres aux autres: Helas, Augustin, si tu n'es pas tiré, si tu ne croys pas, «prie que tu sois tiré» et que tu croyes..

  A004000523 

 Et ce pendant nous demeurons en pleyne [160] liberté de consentir aux attraitz celestes ou de les rejetter; car, comme le sacré Concile de Trente a clairement resolu, «si quelqu'un disoit que le franc arbitre de l'homme, estant meu et incité de Dieu, ne coopere en rien, en consentant a Dieu qui l'esmeut et l'appelle affin qu'il se dispose et prepare pour obtenir la grace de la justification, et qu'il ne peut n'y consentir point s'il veut, certes, un tel seroit excommunié » et reprouvé de l'Eglise.

  A004000523 

 Nostre Seigneur tire les cœurs par les delectations qu'il leur donne, lesquelles font treuver la doctrine celeste douce et aggreable, mais avant que cette douceur ayt engagé et lié la volonté par ses amiables liens, pour la tirer a l'acquiescement et consentement parfait de la foy, comme Dieu ne manque pas d'exercer sa bonté sur nous par ses saintes inspirations, aussi nostre ennemi ne cesse point de prattiquer sa malice par ses tentations.

  A004000523 

 Que si nous ne repoussons point la grace du saint amour, elle se va dilatant par des continuelz accroissemens dedans nos ames, jusques a ce qu'elles soyent entierement converties: comme les grans fleuves, qui treuvans les playnes ouvertes se respandent et prennent tous-jours plus de place..

  A004000524 

 Que si l'inspiration, nous ayant tirés a la foy, ne rencontre point de resistance en nous, elle nous tire mesme jusques a la pœnitence et charité.

  A004000524 

 Saint Pierre, comme un apode, relevé par l'inspiration que les yeux de son Maistre luy donnerent, se laissant librement mouvoir et porter a ce doux vent du Saint Esprit, regarde les yeux salutaires qui l'avoyent excité, il lit en iceux, comme au livre de vie, la douce semonce de pardon que la debonaireté divine luy offre, il en tire un juste motif d'esperance, il sort de la cour, il considere l'horreur de son peché et le deteste, il pleure, il gemit, il prosterne son miserable cœur devant celuy de la misericorde de son Seigneur, il crie merci pour sa faute, il se resout a une inviolable fidelité: et par ce progres de mouvemens prattiqués a la faveur de la grace qui le conduit, l'assiste et l'ayde continuellement, il parvient [161] en fin a la sainte remission de ses pechés, passant ainsy de grace en grace, selon que saint Prosper asseure, que «sans la grace on ne court point a la grace.».

  A004000525 

 Ainsy donq, pour conclure ce point, l'ame prevenue de la grace, sentant les premiers attraitz et consentant a leur douceur, comme revenant a soy apres une si longue pasmayson, elle commence a souspirer ces paroles: Helas, o mon cher Espoux, mon ami, tires moy, je vous prie, et me prenes par dessous le bras, car je ne puis autrement aller; mais si vous me tires, nous courrons: vous, en m'aydant par l'odeur de vos parfums, et moy, correspondant par mon foible consentement et odorant vos suavités qui me renforcent et revigorent toute, jusqu'a ce que le bausme de vostre nom sacré, c'est a dire l'onction salutaire de ma justification soit respandue en moy.

  A004000526 

 Que si nous ne la repoussons pas, elle vient avec nous et nous environne, pour nous inciter et pousser tous-jours plus avant; et si nous ne l'abandonnons, elle ne nous abandonne point qu'elle ne nous ayt rendus au port de la tressainte charité, faysant pour nous les troys offices que le grand ange Raphaël fit pour son cher Tobie: car elle nous guide en tout nostre voyage de la sainte pœnitence, elle nous garentit des perilz et des assautz du diable, et nous console, anime et fortifie en nos difficultés..

  A004000530 

 Mais cette amitié est une vraye amitié, [163] car elle est reciproque, Dieu ayant aymé eternellement quicomque l'a aymé, l'ayme ou l'aymera temporellement; elle est declaree et reconneüe mutuellement, attendu que Dieu ne peut ignorer l'amour que nous avons pour luy, puisque luy mesme nous le donne, ni nous aussi ne pouvons ignorer celuy qu'il a pour nous, puisqu'il l'a tant publié et que nous reconnoissons tout ce que nous avons de bon comme veritables effectz de sa bienveuillance; et, en fin, nous sommes en perpetuelle communication avec luy, qui ne cesse de parler a nos cœurs par inspirations, attraitz et mouvemens sacrés.

  A004000531 

 Et partant, Theotime, ce n'est pas un amour que les forces de la nature ni humaine ni angelique puissent produire, ains le Saint Esprit le donne et le respand en nos cœurs; et comme nos ames, qui donnent la vie a nos cors, n'ont pas leur origine de nos cors, mays sont mises dans nos cors par la providence naturelle de Dieu, ainsy la [164] charité, qui donne la vie a nos cœurs, n'est pas extraitte de nos cœurs, mays elle y est versee comme une celeste liqueur, par la providence surnaturelle de sa divine Majesté..

  A004000531 

 Il est choisi, dit l'Espouse sacree, entre mille: elle dit entre mille, mais elle veut dire entre tous; c'est pourquoy cette dilection n'est pas dilection de simple excellence, ains une dilection incomparable, car la charité ayme Dieu par une estime et preference de sa bonté, si haute et relevee au dessus de toute autre estime, que les autres amours, ou ne sont pas vrays amours en comparayson de cestuy-cy, ou s'ilz sont vrays amours, cestuy-cy est infiniment plus qu'amour.

  A004000532 

 C'est pourquoy, avec la foy et l'esperance, elle fait sa residence en la pointe et cime de l'esprit, et comme une reyne de majesté elle est assise dans la volonté comme en son throsne, d'ou elle respand sur toute l'ame ses suavités et douceurs, la rendant par ce moyen toute belle, aggreable et aymable a la divine Bonté: de sorte que, si l'ame est un royaume duquel le Saint Esprit soit le Roy, la charité est la reyne, seante a sa dextre en robbe d'or recamee de belles varietés; si l'ame est une reyne, espouse du grand Roy celeste, la charité est sa couronne qui embellit royalement sa teste; mais si l'ame avec son cors est un petit monde, la charité est le soleil qui orne tout, eschauffe tout et vivifie tout..

  A004000532 

 Nous l'appelions donq amitié surnaturelle pour cela, et de plus encor, parce qu'elle regarde Dieu et tend a luy, non selon la science naturelle que nous avons de sa bonté, mais selon la connoissance surnaturelle de la foy.

  A004000533 

 O que bienheureux est l'esprit dans lequel cette sainte dilection est respandue, puisque tous biens luy arrivent pareillement avec icelle!.

  A004000540 

 Le sacré Concile de Trente nous asseure que «les amis de Dieu, allans de vertu en vertu, sont renouvelles de jour en jour, c'est a dire croissent par bonnes œuvres en la justice qu'ilz ont receüe par la grace divine, et sont de plus en plus justifiés, selon ces celestes advertissemens: Qui est juste, qu'il soit derechef justifié,» et qui est saint, qu'il soit encor plus sanctifié; Ne doute point d'estre justifié jusques a la mort; Le sentier des justes s'avance et croist, connue une lumiere resplendissante, jusques au jour parfait; Faisans la verité avec charité, croissons en tout en Celuy qui est le chef, a sçavoir Jesus Christ; et, en fin, Je vous prie que vostre charité croisse de plus en plus: qui sont toutes paroles sacrees selon David, saint Jean, l'Ecclesiastique et saint Paul..

  A004000541 

 Nous vivons entre les hazards des batailles que nos ennemis nous livrent; si nous ne resistons, nous perissons, et nous ne pouvons resister sans surmonter, ni surmonter sans victoire: car, comme dit le glorieux saint Bernard, «il est escrit tres specialement de l'homme, que jamais il n'est en un mesme estat:» il faut ou qu'il avance, ou qu'il retourne en arriere.

  A004000541 

 Qui est le prix, sinon Jesus Christ? et comme le pourres-vous apprehender si vous ne le suivés? Que si vous le suivés, vous ires et courres tous-jours, car il ne s'arresta jamais, ains continua la course de son amour et obeissance, jusques a la mort et la mort de la croix..

  A004000541 

 Tous courent, mais un seul emporte le prix; coures en sorte que vous l'obtenies.

  A004000542 

 Allés donq, dit saint Bernard, allés, dis-je avec luy, allés, mon cher Theotime, et n'ayes point d'autres bornes que celles de vostre vie, et tandis qu'elle durera, courés apres ce Sauveur; mais courés ardemment et vistement, car, dequoy vous servira de le suivre, si vous n'estes si heureux que de l'aconsuivre? Escoutons le Prophete: J'ay incliné mon cœur a faire vos justifications eternellement; il ne dit pas qu'il les gardera pour un tems, mais pour jamais; et parce qu'il veut eternellement bien faire, il aura un eternel salaire.

  A004000542 

 Detestable, tu seras assis! hé, ne connois-tu pas que tu es au chemin, et que le chemin n'est pas fait pour s'asseoir mais pour marcher? Et il est tellement fait pour marcher, que marcher s'appelle cheminer; et Dieu, parlant a l'un de ses plus grans amis: Marche, luy dit-il, devant moy, et sois parfait..

  A004000543 

 De sorte que la charité mesme qui est en nostre Redempteur, entant qu'il est homme, quoy qu'elle soit grande au dessus de tout ce que les Anges et les hommes peuvent comprendre, si est-ce qu'elle n'est pas infinie en son estre et d'elle mesme; ains seulement en l'estime de sa dignité et de son merite, parce qu'elle est la charité [169] d'une personne d'infinie excellence, c'est a dire d'une Personne divine, qui est le Filz eternel du Pere tout puissant..

  A004000543 

 L'esprit de Dieu peut eslever le nostre et l'appliquer a toutes les actions surnaturelles qu'il luy plait, tandis qu'elles ne sont pas infinies: d'autant qu'entre les choses petites et les grandes, pour excessives qu'elles soyent, il y a tous-jours quelque sorte de proportion, pourveu que l'exces des excessives ne soit pas infini; mais entre le fini et l'infini il n'y a nulle proportion, et pour y en mettre, il faudroit, ou relever le fini et le rendre infini, ou ravaler l'infini et le rendre fini, ce qui ne peut estre.

  A004000543 

 La charité donq, entre nous, peut estre perfectionnee jusques a l'infini, mais exclusivement; c'est a dire, la charité peut estre rendue de plus en plus et tous-jours plus excellente, mais non pas que jamais elle puisse estre infinie.

  A004000543 

 La vraye vertu n'a point de limites, elle va tous-jours outre; mais sur tout la sainte charité, qui est la vertu des vertus, et laquelle ayant un object infini, seroit capable de devenir infinie si elle rencontroit un cœur capable de l'infinité, rien n'empeschant cet amour d'estre infini que la condition de la volonté qui le reçoit et qui doit agir par iceluy; condition a rayson de laquelle, comme jamais personne ne verra Dieu autant qu'il est visible, aussi onques nul ne le peut aymer autant qu'il est aymable.

  A004000550 

 Or je dis que Dieu fait cela, parce que la charité ne produit pas ses [170] accroissemens comme un arbre qui pousse ses rameaux et les fait sortir par sa propre vertu les uns des autres; ains, comme la foy, l'esperance et la charité sont des vertus qui ont leur origine de la Bonté divine, aussi en tirent-elles leur augmentation et perfection, a guise des avettes, lesquelles estant extraittes du miel prennent aussi leur nourriture d'iceluy..

  A004000551 

 O Seigneur, nous fait dire la sainte Eglise nostre Mere, «donnés-nous l'augmentation de la foy, de l'esperance et de la charité;» et c'est a l'imitation de ceux qui disoient au Sauveur: Seigneur, accroisses la foy en nous; et selon l'advis de saint Paul, qui asseure que Dieu seul est puissant de faire abonder en nous toute grace..

  A004000551 

 Par quoy, tout ainsy que les perles prennent non seulement leur naissance mais aussi leur aliment de la rosee, les meres perles ouvrant pour cet effect leurs escailles du costé du ciel, comme pour mendier les gouttes que la fraischeur de l'air fait escouler a l'aube du jour, de mesme, ayans receu la foy, l'esperance et la charité, de la Bonté celeste, nous devons tous-jours retourner nos cœurs et les tenir tendus de ce costé-la, pour en impetrer la continuation et l'accroissement des mesmes vertus.

  A004000552 

 C'est donq Dieu qui fait cet accroissement, en consideration de l'employte que nous faysons de sa grace, selon qu'il est escrit: A celuy qui a, c'est a dire, qui employe bien les faveurs receües, on luy en donnera davantage, et il abondera.

  A004000552 

 Or, comme au thresor du Temple, les deux petites pittes de la pauvre vefve furent [171] estimees, et qu'en effect, par l'addition des petites pieces, les thresors s'aggrandissent et leur valeur s'augmente d'autant, ainsy les moindres petites bonnes œuvres, quoy que faites un peu laschement et non selon toute l'estendue des forces de la charité que l'on a, ne laissent pas d'estre aggreables a Dieu et d'avoir leur valeur aupres de luy: de sorte qu'encor que d'elles mesmes elles ne puissent pas causer aucun accroissement a l'amour precedent, estans de moindre vigueur que luy, la Providence divine toutefois, qui en tient compte et par sa bonté en fait estat, les recompense soudain de l'accroissement de la charité pour le present, et de l'assignation d'une plus grande gloire au Ciel pour l'advenir..

  A004000554 

 A mesure que nous regardons plus vivement nostre ressemblance qui paroist en un miroüer, elle nous regarde aussi plus attentivement; et a mesure que Dieu jette plus amoureusement ses doux yeux sur nostre ame, qui est faitte a son image et semblance, nostre ame reciproquement regarde sa divine Bonté plus attentivement et ardemment, correspondant selon sa petitesse a tous les accroissemens que cette souveraine Douceur fait de son divin amour envers elle.

  A004000554 

 Certes, le sacré Concile de Trente parle ainsy: «Si quelqu'un dit que la justice receüe n'est pas conservee, et que mesmes elle n'est pas augmentee devant Dieu par bonnes œuvres, [172] mays que les œuvres sont seulement fruitz et signes de la justification acquise, et non pas cause de l'augmenter, anatheme.» Voyés-vous, Theotime, la justification qui se fait par la charité est augmentee par les bonnes œuvres, et, ce qu'il faut remarquer, c'est par les bonnes œuvres sans exception; car, comme dit excellemment saint Bernard sur un autre sujet, «rien n'est excepté ou rien n'est distingué.» Le Concile parle des bonnes œuvres indistinctement et sans reserve, nous donnant a connoistre, que non seulement les grandes et ferventes, ains aussi les petites et foibles, font augmenter la sainte charité; mais les grandes, grandement, et les petites, beaucoup moins..

  A004000555 

 Or, ce n'est pas merveille si l'amour sacré, comme roy des vertus, n'a rien, ou petit ou grand, qui ne soit aymable, puisque le baume, prince des arbres aromatiques, n'a ni escorce ni feuille qui ne soit odorante: et que pourroit produire l'amour, qui ne fust digne d'amour et ne tendist a l'amour? [173].

  A004000555 

 Tel est l'amour que Dieu porte a nos ames, tel le desir de nous faire croistre en celuy que nous luy devons porter; sa divine Suavité nous rend toutes choses utiles, elle prend tout a nostre advantage, elle fait valoir a nostre proffit toutes nos besoignes, pour basses et debiles qu'elles soyent.

  A004000559 

 Employons une parabole, Theotime, puisque cette methode a esté si aggreable au souverain Maistre de l'amour que nous enseignons.

  A004000559 

 Helas, cela l'estonna extremement et le fit presque tomber luy mesme a cœur failli de l'autre costé, car il l'aymoit plus que sa propre vie.

  A004000559 

 Neanmoins, le mesme amour qui luy donna ce grand assaut de douleur, luy donna quant et quant la force de le soustenir, et il le mit en action pour, avec une promptitude nompareille, remedier au mal de la chere compaigne de sa vie: si que, ouvrant de vistesse un buffet qui estoit la, il prend une eau cordiale infiniment pretieuse, et en ayant rempli sa bouche, il ouvre de force les levres et les dens serrees de cette bienaymee princesse; puis, soufflant et jettant cette pretieuse liqueur qu'il tenoit en sa bouche, dedans celle de sa pauvre pasmee, et espluyant au nez, sur les temples et sur l'endroit du cœur d'icelle le reste de la phiole, il la fit en fin revenir a soy et reprendre sentiment; puis il la releve doucement, et a force de remedes il la revigore et ravive en telle sorte, qu'elle commença a se lever sur pied et se promener tout bellement avec luy; mays non pas toutefois sans son ayde: car il l'alloit relevant et soustenant par dessous le bras, jusques a ce qu'en fin il luy mit un epitheme de si grande vertu et si pretieux sur l'endroit du cœur, que lhors, se sentant tout a fait remise en sa [174] premiere santé, elle marchoit toute seule d'elle mesme, son cher espoux ne la soustenant plus si fort, ains seulement luy tenant doucement sa main droite entre les siennes et son bras droit replié sur le sien et sur sa poitrine.

  A004000560 

 Or, tandis qu'il la fait ainsy passer entre les vertus par lesquelles il la dispose a ce saint amour, il ne la conduit pas seulement, mais il la soustient de telle façon, que comme elle, de son costé, marche tant qu'elle peut, aussi luy, pour sa part, la porte et la va soustenant; et ne sçauroit-on bonnement dire si elle va ou si elle est portee, car elle n'est pas tellement portee qu'elle n'aille, et va toutefois tellement, que si elle n'estoit portee elle ne pourroit pas aller; si que, pour parler a l'apostolique, elle doit dire: Je marche, non pas moy seule, ains la grace de Dieu avec moy..

  A004000560 

 Que si l'ame estant ainsy excitee, adjouste son consentement au sentiment de la grace, secondant l'inspiration qui l'a prevenue et recevant les secours et remedes requis que Dieu luy a preparés, il la revigorera, et la conduira par divers mouvemens de foy, d'esperance et de pœnitence, jusques a ce qu'elle soit tout a fait remise en la vraye santé spirituelle, qui n'est autre chose que la charité.

  A004000561 

 C'est pourquoy, encor qu'elle puisse aller d'elle mesme, elle en doit toute la gloire a son Dieu qui luy a donné une santé si vigoureuse et si forte; car, soit que le Saint Esprit nous fortifie par les mouvemens qu'il imprime en nos cœurs, ou qu'il nous soustienne par la charité qu'il y respand, soit qu'il nous secoure par maniere d'assistence, en nous relevant et portant, ou qu'il renforce nos cœurs, versant en iceux l'amour revigorant et vivifiant, c'est tous-jours en luy et par luy que nous vivons, que nous marchons et que nous operons.

  A004000561 

 Mais l'ame estant remise tout a fait en sa santé par l'excellent epitheme de la charité que le Saint Esprit met sur le cœur, alhors elle peut aller et se soustenir sur ses pieds d'elle mesme, en vertu neanmoins de cette santé et de l'epitheme sacré du saint amour.

  A004000562 

 Neanmoins, bien que moyennant la charité respandue dans nos cœurs nous puissions marcher en la presence de Dieu et faire progres en la voye de salut, si est-ce que la Bonté divine assiste l'ame a laquelle il a donné son amour, la tenant continuellement de sa sainte main.

  A004000563 

 Ne voyons-nous pas, Theotime, que souvent les hommes sains et robustes ont besoin qu'on les provoque a bien employer leur force et leur pouvoir, et que, par maniere de dire, on les conduise a l'œuvre par la main? Ainsy, Dieu nous ayant donné sa charité, et par icelle la force et le moyen de gaigner païs au chemin de la perfection, son amour neanmoins ne luy permet pas de nous laisser aller ainsy seulz; ains il le fait mettre en chemin avec nous, il le presse de nous presser, et sollicite son cœur de solliciter et pousser le nostre a bien employer la sainte charité qu'il nous a donnee, repliquant souvent par ses inspirations les advertissemens que saint Paul nous fait: Voyés de ne point recevoir la grace celeste en vain; Tandis que vous aves le tems faites tout le bien que vous pourres; Courés en sorte que vous emporties le prix.

  A004000563 

 Si que nous nous devons imaginer souvent qu'il repete aux oreilles de nos cœurs les paroles qu'il disoit au bon pere Abraham: Marche devant moy, et sois parfait..

  A004000564 

 Sur tout l'assistance speciale de Dieu est requise a l'ame qui a le saint amour, es entreprises signalees et extraordinaires; car bien que la charité, pour petite qu'elle soit, nous donne asses d'inclination et, comme je pense, une force suffisante pour faire les œuvres necessaires au salut, si est-ce neanmoins que, pour aspirer et entreprendre des actions excellentes et extraordinaires, nos cœurs ont besoin d'estre poussés et rehaussés par la main et le mouvement de ce grand [177] amoureux celeste, comme la princesse de nostre parabole, laquelle, quoy que bien remise en santé, ne pouvoit faire des montees ni aller bien viste, que son cher espoux ne la relevast et soustinst fortement.

  A004000565 

 A cette cause, la sainte Eglise nous fait si souvent exclamer: «Excités nos cœurs, o Seigneur;» «O Dieu prevenes nos actions en aspirant sur nous, et en nous aydant accompaignes nous;» O Seigneur, soyes prompt a nous secourir, et semblables: affin que par telles prieres nous obtenions la grace de pouvoir faire des œuvres excellentes et extraordinaires et de faire plus frequemment et fervemment [178] les ordinaires, comme aussi de resister plus ardemment aux menues tentations et combattre hardiment les plus grandes..

  A004000565 

 Ne voyes-vous pas le jeune homme de l'Evangile, que Nostre Seigneur aymoit, et qui, par consequent, estoit en charité? il n'avoit, certes, nulle pensee de vendre tout ce qu'il avoit pour le donner aux pauvres et suivre Nostre Seigneur; ains, quand Nostre Seigneur luy en eut donné l'inspiration, encor n'eut-il pas le courage de l'executer.

  A004000565 

 Pour ces grandes œuvres, Theotime, nous avons besoin non seulement d'estre inspirés, mays aussi d'estre fortifiés, affin d'effectuer ce que l'inspiration requiert de nous; comme encor es grans assautz des tentations extraordinaires, une speciale et particuliere presence du secours celeste nous est tout a fait necessaire.

  A004000566 

 Saint Anthoine fut assailli d'une effroyable legion de demons, desquelz ayant asses longuement soustenu les effortz, non sans une peyne et des tourmens incroyables, en fin il vit le toit de sa cellule se fendre, et un rayon celeste fondre dans l'ouverture, qui dissipa en un moment la noyre et tenebreuse trouppe de ses ennemis et luy osta toute la douleur des coups receus en cette bataille: dont il conneut la presence speciale de Dieu, et jettant un profond souspir du costé de la vision: «Ou esties vous, o bon Jesus,» dit-il, «ou esties vous? pourquoy ne vous estes vous pas treuvé ici des le commencement, pour remedier a ma peyne?» «Anthoine,» luy fut il respondu d'en haut, «j'estois ici, mais j'attendois l'issue de ton combat: or, parce que tu as esté brave et vaillant, je t'ayderay tous-jours.» Mais en quoy consistoit la vaillance et le courage de ce grand soldat spirituel? Il le declara luy mesme une autre fois, qu'estant attaqué par un diable qui avoüa d'estre l'esprit de fornication, ce glorieux Saint, apres plusieurs parolles dignes de son grand courage, commença a chanter le verset 7 du Psalme CXVII:.

  A004000571 

 Certes, Nostre Seigneur revela a sainte Catherine de Sienne qu'il estoit au milieu de son cœur, en une cruelle tentation qu'elle eut, comme un capitaine au milieu d'une forteresse pour la defendre, et que sans son secours elle se fust perdue en cette bataille.

  A004000571 

 Il en est de mesme de tous les grans assautz que nos ennemis nous livrent, et nous pouvons bien dire comme Jacob, que c'est l' Ange qui nous garentit de tout mal, et chanter, avec le grand roy David, [179].

  A004000575 

 Que tout a souhait ne m'abonde:.

  A004000577 

 Et que quelque mal l'endommage,.

  A004000581 

 Si que nous devons souvent repeter cette exclamation et priere:.

  A004000589 

 Si que nous devons d'un grand courage avoir une tres ferme confiance en Dieu et en son secours; car si nous ne manquons a sa grace, il parachevera en nous le bon œuvre de nostre salut, ainsi qu'il l' a commencé, [180] operant en nous le vouloir et le parfaire, comme le tressaint Concile de Trente nous admoneste..

  A004000590 

 Car ce don n'est autre chose que l'assemblage et la suite de divers appuis, soulagemens et secours, par le moyen desquelz nous continuons en l'amour de Dieu jusques a la fin: comme l'education, eslevement ou nourrissage d'un enfant, n'est autre chose qu'une multitude de sollicitudes, aydes, secours et autres telz offices necessaires a un enfant, exercés et continués envers iceluy, jusques a l'aage auquel il n'en a plus besoin..

  A004000590 

 En cette conduite que la douceur de Dieu fait de nos ames des leur introduction a la charité jusques a la finale perfection d'icelle, qui ne se fait qu'a l'heure de la mort, consiste le grand don de la perseverance, auquel Nostre Seigneur attache le tres grand don de la gloire eternelle, selon qu'il a dit: Qui perseverera jusques a la fin, il sera sauvé.

  A004000591 

 Et quant a ceux-ci, ilz n'ont pas besoin de grande varieté de secours, ains, si quelque grande tentation ne leur survient, ilz peuvent faire une si courte perseverance avec la seule charité qui leur est donnee et les assistances par lesquelles ilz se sont convertis; car ilz arrivent au port sans navigation, et font leur pelerinage en un seul sault que la [181] puissante misericorde de Dieu leur fait faire si a propos, que leurs ennemis les voyent triompher avant que de les sentir combattre: de sorte que leur conversion et leur perseverance n'est presque qu'une mesme chose, et qui voudroit parler exactement selon la proprieté des motz, la grace qu'ilz reçoivent de Dieu, d'avoir aussi tost l'issue que le commencement de leur pretention, ne sçauroit estre bonnement appellee perseverance; bien que, toutefois, parce que quant a l'effect elle tient lieu de perseverance en ce qu'elle donne le salut, nous ne laissons pas aussi de la comprendre sous le nom de perseverance.

  A004000591 

 Mais la suite des secours et assistances n'est pas egale en tous ceux qui perseverent; car es uns elle est fort courte, comme en ceux qui se convertissent a Dieu peu avant leur mort, ainsy qu'il advint au bon larron; au sergent qui, voyant la constance de saint Jacques, fit sur le champ profession de foy et fut rendu compaignon du martyre de ce grand Apostre; au portier bienheureux qui gardoit les quarante Martyrs en Sebaste, lequel voyant l'un d'iceux perdre courage et quitter la palme du martyre, se mit en sa place, et en un moment se rendit Chrestien, martyr et glorieux tout ensemble; au notaire duquel il est parlé en la vie de saint Anthoine de Padoüe, qui ayant toute sa vie esté un faux vilain, fut neanmoins martyr en sa mort; et a mille autres, que nous avons veu et leu avoir esté si heureux que de mourir bons, ayant vescu mauvais.

  A004000592 

 Tous-jours neanmoins la perseverance est le don le plus desirable que nous puissions esperer en cette vie, et lequel, comme parle le sacré Concile, «nous ne pouvons avoir d'ailleurs que de Dieu, qui seul peut affermir celuy qui est debout, et relever celuv qui tumbe;» c'est pourquoy il le faut continuellement demander, employant les moyens que Dieu nous a enseignés pour l'obtenir: l'orayson, le jeusne, l'aumosne, l'usage des Sacremens, la hantise des bons, l'ouÿe et la lecture des saintes paroles..

  A004000593 

 Et de fait, selon l'opinion du grand saint Bernard, nous pouvons tous dire en verité apres l'Apostre, que « ni la mort, ni la vie, ni les forces, ni les anges, ni la profondeur, ni la hauteur ne nous pourra jamais separer de la charité de Dieu qui est en Jesus Christ: ouy, car nulle creature ne nous peut arracher de ce saint amour, mays nous pouvons nous mesmes seulz le quitter et l'abandonner par nostre propre volonté, hors laquelle il n'y a rien a craindre pour ce regard.».

  A004000593 

 Non certes que je veuille dire que la perseverance ayt son origine de nostre pouvoir, car au contraire, je sçay qu'elle procede de la misericorde divine, de laquelle elle est un don tres pretieux; mays je veux dire qu'encor qu'elle ne provient pas de nostre pouvoir, elle vient neanmoins en nostre pouvoir, par le moyen de nostre vouloir que nous ne sçaurions nier estre en nostre pouvoir: car bien [182] que la grace divine nous soit necessaire pour vouloir perseverer, si est ce que ce vouloir est en nostre pouvoir, parce que la grace celeste ne manque jamais a nostre vouloir tandis que nostre vouloir ne defaut pas a nostre pouvoir.

  A004000593 

 Or, parce que le don de l'orayson et de la devotion est liberalement accordé a tous ceux qui de bon cœur veulent consentir aux inspirations celestes, il est, par consequent, en nostre pouvoir de perseverer.

  A004000594 

 Ainsy, trescher Theotime, nous devons, selon l'advis du saint Concile, «mettre toute nostre esperance en Dieu qui parachèvera nostre salut qu'il a commencé en nous, pourveu que nous ne manquions pas a sa grace.» Car il ne faut pas penser que celuy qui dit au paralitique: Va et ne veuille plus pecher, ne luy donnast aussi le pouvoir d'eviter le vouloir qu'il luy defendoit; et certes, il n'exhorteroit jamais les fideles a perseverer, s'il n'estoit prest a leur en donner le pouvoir.

  A004000594 

 Courés en sorte que vous obtenies le prix.

  A004000599 

 Et que ma vigueur defaudra,.

  A004000600 

 Que ta main point ne me delaisse. [183].

  A004000604 

 Et alhors, cher Theotime, cette ame toute ravie d'amour pour son Bienaymé, se representant la multitude des faveurs et secours dont il l'a prevenue et assistee tandis qu'elle estoit en son pelerinage, elle bayse incessamment cette douce main secourable qui l'a conduite, tiree et portee en chemin, et confesse que c'est de ce divin Sauveur qu'elle tient tout son bonheur, puisqu'il a fait pour elle tout ce que le grand patriarche Jacob souhaittoit pour son voyage, lhors qu'il eut veu l'eschelle du ciel.

  A004000604 

 Hé, que reste-il, Seigneur, sinon que je proteste que vous estes mon Dieu es siecles des siecles! Amen..

  A004000610 

 Or, entre ces faveurs, il voulut que la vocation fust la premiere, et qu'elle fust tellement attrempee a nostre liberté, que nous la puissions accepter ou rejetter a nostre gré.

  A004000612 

 Et que cette suite des effectz de la Providence ayt esté ainsy ordonnee avec la mesme dependance qu'ilz ont les uns des autres en l'eternelle volonté de Dieu, la sainte Eglise le tesmoigne quand elle fait la preface d'une de ses solemnelles prieres en cette sorte: «O Dieu eternel et tout puissant, qui estes Seigneur des vivans et des mortz, et qui usés de misericorde envers tous ceux que vous prevoyes devoir estre a l'advenir vostres par foy et par œuvre;» comme si elle avouoit que la gloire, qui est le comble et le fruit de la misericorde divine envers les hommes, n'est destinee que pour ceux que la divine sapience a preveu qu'a l'advenir, obeissans a la vocation, viendroyent a la foy vive qui opere par la charité..

  A004000613 

 En somme, tous ces effectz dependent absolument de la redemption du Sauveur, qui les a merités pour nous a toute rigueur de justice, par l'amoureuse obeissance qu'il a prattiquee jusques a la mort et la mort de la croix, laquelle est la racine de toutes les graces que nous recevons, nous qui sommes greffes spirituelz entés sur son tige.

  A004000613 

 Que si ayans esté entés nous demeurons en luy, nous porterons sans doute, par la vie de la grace qu'il nous communiquera, le fruit de la gloire qui nous est preparé; que si nous sommes comme jettons et greffes rompus sur cet arbre, c'est a dire, que par nostre resistance nous rompions le progres et l'entresuite des effectz de sa debonnaireté, ce ne sera pas merveille si en fin on nous retranche du tout, et qu'on nous mette dans le feu eternel, comme branches inutiles..

  A004000614 

 Dieu, sans doute, n'a preparé le Paradis que pour ceux desquels il a preveu qu'ilz seroyent siens; soyons donques siens par foy et par œuvre, Theotime, et il sera nostre par gloire.

  A004000614 

 Or il est en nous d'estre siens: car bien que ce soit un don de Dieu d'estre a Dieu, c'est toutefois un don que Dieu ne refuse jamais a personne, ains l'offre a tous, pour le donner a ceux qui de bon cœur consentiront de le recevoir..

  A004000615 

 Mays voyés, je vous prie, Theotime, de quelle ardeur Dieu desire que nous soyons siens, puisque a cette [186] intention il s'est rendu tout nostre, nous donnant sa mort et sa vie; sa vie affin que nous fussions exemptz de l'eternelle mort, et sa mort affin que nous puissions jouir de l'eternelle vie.

  A004000620 

 L'esprit pressé de passion amoureuse se donne tous-jours un peu d'avantage sur ce qu'il ayme, et l'Espoux mesme confesse que sa Bienaymee luy a ravi le cœur, l'ayant lié par un seul cheveu de sa teste, s'avouant son prisonnier d'amour..

  A004000620 

 La celeste amante l'exprime delicatement: Je l'ay en fin treuvé, dit-elle, Celuy que mon ame cherit; je le tiens, et ne le quitteray point jusques a ce que je l'introduise dans la mayson de ma mere et dans la chambre de celle qui m'a engendree.

  A004000620 

 Mais voyés, Theotime, qu'elle ne pense rien moins, cette Espouse, que de tenir son Bienaymé a sa mercy comme un esclave d'amour; dont elle s'imagine que c'est a elle de le mener a son gré et l'introduire au bien heureux sejour de sa mere, ou neanmoins elle sera elle mesme introduite par luy, comme fut Rebecca en la chambre de Sara par son cher Isaac.

  A004000621 

 Icy, en cette vie caduque, l'ame est voirement espouse et fiancee de l' Aigneau immaculé, mais non pas encor mariee avec luy; la foy et les promesses se donnent, mais l'execution du mariage est differee: c'est pourquoy il y a tous-jours lieu de nous en desdire, quoy que jamais nous n'en ayons aucune rayson, puisque nostre fidele Espoux ne nous abandonne jamais que nous ne l'obligions a cela par nostre desloyauté et perfidie.

  A004000622 

 Il est vray, Theotime, qu'en attendant ce grand bayser d'indissoluble union, que nous recevrons de l'Espoux la haut en la gloire, il nous en donne quelques uns par mille ressentimens de son aggreable presence; car si l'ame n'estoit pas baysee, elle ne seroit pas tiree, ni ne courroit pas a l'odeur des parfums du Bienaymé.

  A004000622 

 Pour cela, selon la naifveté du texte hebrieu et [188] selon la traduction des septantes interpretes, elle souhaitte plusieurs baysers: Qu'il me bayse, dit-elle, des baysers de sa bouche! Mais d'autant que ces menus baysers de la vie presente se rapportent tous au bayser eternel de la vie future, comme essays, preparatifs et gages d'iceluy, la sacree vulgaire Edition a saintement reduit les baysers de la grace a celuy de la gloire, exprimant le souhait de l'amante celeste en cette sorte: Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche! comme si elle disoit: Entre tous les baysers, entre toutes les faveurs que l'Ami de mon cœur, ou le cœur de mon ame m'a preparés, hé, je ne souspire ni n'aspire qu'a ce grand et solemnel bayser nuptial qui doit durer eternellement, et en comparayson duquel les autres baysers ne meritent pas le nom de bayser, puisqu'ilz sont plustost signes de l'union future entre mon Bienaymé et moy, qu'ilz ne sont pas l'union mesme..

  A004000626 

 Or, non seulement chacun en particulier aura plus d'amour au Ciel qu'il n'en eut jamais en terre, mays l'exercice de la moindre charité qui soit en la vie celeste sera de beaucoup plus heureux et excellent, a parler generalement, que celuy de la plus grande charité qui soit, ou ayt esté, ou qui sera en cette vie caduque, car la haut tous les Saintz prattiquent leur amour incessamment, sans remise quelconque, tandis qu'ici bas les plus grans serviteurs de Dieu, tirés et tirannisés des necessités de cette vie mourante, sont contrains de souffrir mille et mille distractions qui les ostent souvent de l'exercice du saint amour..

  A004000626 

 Quand, apres les travaux et hazards de cette vie mortelle, les bonnes ames arrivent au port de l'eternelle, elles montent au plus haut et dernier degré d'amour auquel elles puissent parvenir; et cet accroissement final leur estant conferé pour recompense de leurs merites, il leur est departi, non seulement a bonne mesure, mais encor a mesure pressee, entassee et qui respand de toutes pars par dessus, comme dit Nostre Seigneur: de sorte que l'amour qui est donné pour salaire est tous-jours plus grand en un chacun que [189] celuy lequel luy avoit esté donné pour meriter.

  A004000628 

 Certes, il n'y a pas de l'apparence que la charité du grand saint Jean, des Apostres et hommes apostoliques n'ait esté plus grande, tandis mesme qu'ilz vivoyent ici bas, que celle des petitz enfans, qui mourans en la seule grace baptismale, jouissent de la gloire immortelle..

  A004000628 

 Il y a donq plus de contentement, de suavité et de perfection, en l'exercice de l'amour sacré parmi les habitans du Ciel, qu'en celuy des pelerins de cette miserable terre; mais il y a bien eu pourtant des gens si heureux en leur pelerinage, que leur charité y a esté plus grande que celle de plusieurs Saintz des-ja jouissans de la Patrie eternelle.

  A004000629 

 Ce n'est pas l'ordinaire non plus que les hommes mortelz ayent plus de charité que les immortelz; et toutefois il y en a eu de mortelz qui, estans inferieurs en l'exercice de l'amour aux immortelz, les ont neanmoins devancés en la charité et habitude amoureuse.

  A004000629 

 Ce n'est pas l'ordinaire que les bergers soyent plus vaillans que les soldatz; et toutefois David, petit berger, [190] venant en l'armee d'Israël, treuva que tous estoyent plus habiles aux exercices des armes que luy, qui neanmoins se treuva plus vaillant que tous.

  A004000629 

 Et comme mettans en comparayson un fer ardent avec une lampe allumee, nous disons que le fer a plus de feu et de chaleur, et la lampe plus de flamme et de clarté, aussi, mettans un enfant glorieux en parangon avec saint Jean encor prisonnier ou saint Paul encor captif, nous dirons que l'enfant au Ciel a plus de clarté et de lumiere en l'entendement, plus de flamme et d'exercice d'amour en la volonté, mays que saint Jean ou saint Paul ont eu en terre plus de feu de charité et plus de chaleur de dilection..

  A004000633 

 Elle ne pecha jamais veniellement, ainsy que l'Eglise estime; elle n'eut donq point de vicissitude ni de retardement au progres de son amour, ains monta d'amour en amour par un perpetuel avancement.

  A004000633 

 Et en fin, l'amour maternel, le plus pressant, le plus actif, le plus ardent de tous, amour infatigable et insatiable, que ne devoit-il pas faire dans le cœur d'une telle Mere et pour le cœur d'un tel Filz?.

  A004000633 

 Et passant plus outre, je pense encor que comme la charité de cette Mere d'amour surpasse celle de tous les Saintz du Ciel en perfection, aussi l'a-elle exercee plus excellemment, je dis mesme en cette vie mortelle.

  A004000633 

 La virginité de son cœur et de son cors fut plus digne et plus honnorable que celle des Anges; c'est pourquoy son esprit, non divisé ni partagé, comme saint Paul parle, estoit t out occupé a penser aux choses divines, comme elle plairoit a son Dieu.

  A004000634 

 Certes, le [192] Chrestien doit aymer son cors comme une image vivante de celuy du Sauveur incarné, comme issu de mesme tige avec iceluy, et, par consequent, luy appartenant en parentage et consanguinité; sur tout apres que nous avons renouvellé l'alliance par la reception reelle de ce divin Cors du Redempteur au tres adorable Sacrement de l'Eucharistie, et que, par le Baptesme, Confirmation et autres Sacremens, nous nous sommes dediés et consacrés a la souveraine Bonté..

  A004000634 

 Hé, n'allegués pas, je vous prie, que cette sainte Vierge fut neanmoins sujette au dormir; non, ne me dites pas cela, Theotime, car ne voyes-vous pas que son sommeil est un sommeil d'amour, de sorte que son Espoux mesme veut qu'on la laisse dormir tant qu'il luy plaira? Ah, gardés bien, je vous en conjure, dit-il, d'esveiller ma Bienaymee jusques a ce qu'elle le veuille.

  A004000634 

 Ouy, Theotime, cette Reyne celeste ne s'endormoit jamais que d'amour, puisqu'elle ne donnoit aucun repos a son pretieux cors que pour le revigorer, affin qu'il servist mieux son Dieu par apres; acte, certes, tres excellent de charité, car, comme dit le grand saint Augustin, elle nous «oblige d'aymer nos cors convenablement,» entant qu'ilz sont requis aux bonnes œuvres, qu'ilz sont une partie de nostre personne et qu'ilz seront participans de la felicité eternelle.

  A004000635 

 Mays quant a la tressainte Vierge, o Dieu, avec quelle devotion devoit elle aymer son cors virginal! non seulement parce que c'estoit un cors doux, humble, pur, obeissant au saint amour et qui estoit tout embaumé de mille sacrees suavités, mays aussi parce qu'il estoit la source vivante de celuy du Sauveur et luy appartenoit si estroittement, d'une appartenance incomparable.

  A004000636 

 Et puis, mon cher Theotime, ne saves vous pas que les songes mauvais procurés volontairement par les pensees depravees du jour, tiennent en quelque sorte lieu de peché, parce que ce sont comme des dependances et executions de la malice precedente? Ainsy, certes, les songes provenans des saintes affections de la veille sont estimés vertueux et sacrés.

  A004000636 

 Mais si jamais elle songea, comme l'ancien Joseph, a sa grandeur future, quand au ciel elle seroit revestue du soleil, couronnee d'estoiles, et la lune a ses pieds, c'est a dire toute environnee de la gloire de son Filz, couronnee de celle des Saintz, et l'univers sous elle; ou que, comme Jacob, elle vid le progres et les fruitz de la Redemption faite par son Filz en faveur des Anges et des hommes, Theotime, qui pourroit jamais s'imaginer l'immensité de si grandes delices? Que de colloques avec son cher Enfant, que de suavités de toutes pars!.

  A004000636 

 Mon Dieu, Theotime, quelle consolation d'ouïr saint Chrysostome, racontant un jour a son peuple la vehemence de l'amour qu'il luy portoit! «La necessité du sommeil,» dit-il, «pressant nos paupieres, la tirannie de nostre amour envers vous excite les yeux de nostre esprit, et maintefois emmi mon sommeil il m'a esté advis que je vous parlois, car l'ame a accoustumé de voir en songe, par imagination, ce qu'elle pense parmi la journee: ainsy, ne vous voyans pas des yeux de la chair, nous vous voyons des yeux de la charité.» Hé, doux Jesus, qu'est-ce que devoit songer vostre tressainte Mere Ihors qu'elle dormoit et que son [193] cœur veilloit? Ne songeoit-elle point de vous voir encor plié dans ses entrailles, comme vous fustes neuf mois? ou bien pendant a ses mammelles et pressant doucement le sacré chicheron de son tetin virginal? Helas, que de douceurs en cette ame! Peut estre songea-elle maintefois que, comme Nostre Seigneur avoit jadis souvent dormi sur sa poitrine, ainsy qu'un petit aignelet sur le flanc mollet de sa mere, de mesme aussi elle dormoit dans son costé percé, comme une blanche colombe dans le trou d'un rocher asseuré.

  A004000636 

 Si que son dormir estoit tout pareil a l'extase quant a l'operation de l'esprit, bien que quant au cors ce fut un doux et gracieux allegement et repos.

  A004000637 

 Mais combien donq y a-il plus d'apparence que la Mere du vray Salomon ait eu l'usage de rayson en son sommeil, c'est a dire, comme Salomon mesme la fait parler, que son cœur ait veillé tandis qu'elle dormoit? Certes, que saint Jean eust l'exercice de son esprit dans le [194] ventre mesme de sa mere, ce fut une bien plus grande merveille: et pourquoy donques en refuserions nous une moindre a celle pour laquelle et a laquelle Dieu a fait plus de faveurs qu'il ne fit ni fera jamais pour tout le reste des creatures?.

  A004000637 

 Mais voyés, je vous prie, que ni je ne dis ni je ne veux dire que cette ame tant privilegiee de la Mere de Dieu ait esté privee de l'usage de rayson en son sommeil.

  A004000637 

 Plusieurs ont estimé que Salomon, en ce beau songe, quoy que vray songe, auquel il demanda et receut le don de son incomparable sagesse, eut un veritable exercice de son franc arbitre, a cause de l'eloquence judicieuse du discours qu'il y fit, du choix plein de discernement auquel il se determina, et de la priere tres excellente dont il usa; le tout sans aucun meslange d'impertinence ou d'aucun detraquement d'esprit.

  A004000638 

 En somme, comme l'abeston, pierre pretieuse, conserve a jamais le feu qu'il a conceu, par une proprieté nompareille, ainsy le cœur de la Vierge Mere demeura perpetuellement enflammé du saint amour qu'elle receut de son Filz; mays avec cette difference, que le feu de l'abeston qui ne peut estre esteint, ne peut non plus estre agrandi.

  A004000638 

 Et les flammes sacrees de la Vierge ne pouvant ni perir, ni diminuer, ni demeurer en mesme estat, ne cesserent jamais de prendre des accroissemens incroyables jusques au Ciel, lieu de leur origine; tant il est vray que cette Mere est la Mere de belle dilection, c'est a dire, la plus aymable comme la plus amante, et la plus amante comme la plus aymee Mere de cet unique Filz, qui est aussi le plus aymable, le plus amant et le plus aymé Filz de cette unique Mere..

  A004000642 

 L'amour triomphant que les Bienheureux exercent au Ciel consiste en la finale, invariable et eternelle union de l'ame avec son Dieu.

  A004000643 

 A mesure que nos sens rencontrent des objetz aggreables et excellens, ilz s'appliquent plus ardemment et avidement a la jouissance d'iceux: plus les choses sont belles, aggreables a la veüe et deüement esclairees, plus [195] l'œil les regarde avidement et vivement; et plus la voix ou musique est douce et souefve, plus elle attire l'attention de l'oreille.

  A004000643 

 La verité est l'objet de nostre entendement, qui a, par consequent, tout son contentement a descouvrir et connoistre la verité des choses; et selon que les verités sont plus excellentes nostre entendement s'applique plus delicieusement et plus attentivement a les considerer..

  A004000643 

 Si que chaque objet exerce une puissante mais amiable violence sur le sens qui luy est destiné; violence qui prend plus ou moins de force selon que l'excellence est moindre ou plus grande, pourveu qu'elle soit proportionnee a la capacité du sens qui en veut jouir: car l'œil qui se plaist tant en la lumiere, n'en peut pourtant supporter l'extremité et ne sçauroit regarder fixement le soleil; et pour belle que soit une musique, si elle est forte et trop proche de nous, elle nous importune et offence nos oreilles.

  A004000644 

 Quel playsir pensés-vous, Theotime, qu'eussent ces anciens philosophes qui conneurent si excellemment tant de belles verités en la nature? Certes, toutes les voluptés ne leur estoyent rien en comparayson de leur bien-aymee philosophie, pour laquelle quelques uns d'entre eux quittèrent les honneurs, les autres des grandes richesses, d'autres leur païs; et s'en est treuvé tel qui, de sens rassis, s'est arraché les yeux, se privant pour jamais de la jouissance de la belle et aggreable lumiere corporelle, pour s'occuper plus librement a considerer la verité des choses par la lumiere spirituelle, car on lit cela de Democrite; tant la connoissance de la verité est delicieuse: dont Aristote a dit fort souvent que la felicité et beatitude humaine consiste en la sapience, qui est la connoissance des verités eminentes..

  A004000645 

 Ah! dit saint Hierosme a son Paulin, «le docte Platon ne sceut onques ceci, l'eloquent Demosthenes l'a ignoré.» O que vos paroles, dit ce grand Roy, sont douces, Seigneur, a mon palais, plus douces que le miel a ma bouche! Nostre cœur n'est oit-il pas tout ardent, tandis qu'il nous parloit en chemin? disent ces heureux pelerins d'Emaüs, parlant des flammes amoureuses dont ilz estoyent touchés par la parole de la foy..

  A004000645 

 Dieu a empreint [196] sa piste, ses alleures et passees en toutes les choses creées; de sorte que la connoissance que nous avons de sa divine Majesté par les creatures, ne semble estre autre chose que la veüe des pieds de Dieu, et qu'en comparayson de cela la foy est une veüe de la face mesme de sa divine Majesté, laquelle nous ne voyons pas encores au plein jour de la gloire, mais nous la voyons, pourtant, comme en la prime aube du jour, ainsy qu'il advint a Jacob aupres du gay de Jaboc; car bien qu'il n'eust veu l'Ange avec lequel il lutta, sinon a la foible clarté du point du jour, si est-ce que tout ravi de contentement il ne laissa pas de s'escrier: J'ay veu le Seigneur face a face, et mon ame a esté sauvee.

  A004000645 

 Mais lhors que nostre esprit, eslevé au dessus de la lumiere naturelle, commence a voir les verités sacrees de la foy, o Dieu, Theotime, quelle allegresse! L'ame se fond de playsir, oyant la parole de son celeste Espoux, qu'elle treuve plus douce et souefve que le miel de toutes les sciences humaines.

  A004000646 

 Ah, que belles et amiables sont les verités que la foy nous revele par l'ouïe! mais quand, arrivés en la celeste Hierusalem, nous verrons le grand Salomon, Roy de gloire, assis sur le trosne de sa sapience, manifestant avec une clarté incomprehensible les merveilles et secretz eternelz de sa verité souveraine, avec tant de lumiere que nostre entendement verra en presence ce qu'il avoit creu ici bas, oh alhors, trescher Theotime, quelz ravissemens! quelles extases! quelles admirations! quelles amours! quelles douceurs! Non jamais, dirons-nous en cet exces de suavité, non jamais nous n'eussions sceu penser de voir des verités si delectables.

  A004000646 

 Que si les verités divines sont de si grande suavité estans proposees en la lumiere obscure de la foy, o Dieu, que sera-ce quand nous les contemplerons en la clarté du midy de la gloire? La Reyne de Saba qui, a la grandeur de la renommee de Salomon, avoit tout quitté pour le venir voir, estant arrivee en sa presence et ayant escouté les merveilles de la sagesse qu'il respandoit en ses propos, toute esperdue et comme pasmee d'admiration, s'escria que ce qu'elle avoit appris par [197] ouï dire de cette celeste sagesse n'estoit pas la moitié de la connoissance que la veüe et l'experience luy en donnoyent.

  A004000650 

 Alexandre ayant englouti tout ce bas monde, qu'en effect, qu'en esperance, ouït dire a un chetif homme du monde qu'il y avoit encor plusieurs autres mondes; et comme un petit enfant qui veut pleurer pour une pomme qu'on luy refuse, cet Alexandre que les mondains appellent le Grand, plus fol neanmoins qu'un petit enfant, se prend a pleurer a chaudes larmes dequoy il n'y avoit pas apparence qu'il peust conquerir les autres mondes, puisqu'il n'avoit encor pas l'entiere possession de celuy cy.

  A004000650 

 Celuy qui jouissant plus pleinement du monde que jamais nul ne fit, en est toutefois si peu content qu'il pleure de tristesse dequoy il n'en peut avoir d'autres, que la folle persuasion d'un miserable cajolleur luy fait imaginer: dites-moy, je vous prie, Theotime, monstre-il pas que la soif de son cœur ne peut estre assouvie en cette vie, et que ce monde n'est pas suffisant pour le desalterer? O admirable, mays aymable inquietude du cœur humain! Soyes, soyes a jamais sans repos ni tranquillité quelcomque en cette terre, mon ame, jusques a ce que vous ayes rencontré les fraisches eaux de la vie immortelle et la tressainte Divinité, qui seules peuvent esteindre vostre alteration et accoiser vostre desir..

  A004000650 

 On les desire neanmoins tous-jours extremes, et jamais ilz ne le sont qu'ilz ne soyent excessifz, insupportables et dommageables; car on meurt de joye comme on meurt de tristesse, ains la joye est plus active a nous ruiner que la tristesse.

  A004000656 

 Mais encor, ces especes, par combien de destours et de changemens viennent elles a nostre entendement? elles abordent au sens exterieur et de la passent a l'interieur, puis a la fantasie, de la a [200] l'entendement actif, et viennent en fin au passif, a ce que, passant par tant d'etamines et sous tant de limes, elles soyent par ce moyen purifiees, subtilisees et affinees, et que de sensibles elles soyent rendues intelligibles..

  A004000656 

 Quand nous regardons quelque chose, quoy qu'elle nous soit presente elle ne s'unit pas a nos yeux elle mesme, ains seulement leur envoye une certaine representation ou image d'elle mesme, que l'on appelle espece sensible, par le moyen de laquelle nous voyons; et quand nous contemplons ou entendons quelque chose, ce que nous entendons ne s'unit pas non plus a nostre entendement sinon par le moyen d'une autre representation et image, tres delicate et spirituelle, que l'on nomme espece intelligible.

  A004000657 

 De sorte que les verités signifiees en la parole de Dieu sont par icelle representees a l'entendement, comme les choses exprimees au mirouer sont, par le mirouer, representees a l'œil: si que, croire c'est voir comme par un miroüer, dit le grand Apostre..

  A004000657 

 Nous voyons et entendons ainsy, Theotime, tout ce que nous voyons ou entendons en cette vie mortelle, ouy mesme les choses de la foy: car, comme le miroüer ne contient pas la chose que l'on y void ains seulement la representation et espece d'icelle, laquelle representation arrestee par le miroüer en produit une autre en l'œil qui regarde; de mesme, la parole de la foy ne contient pas les choses qu'elle annonce, ains seulement elle les represente, et cette representation des choses divines, qui est en la parole de la foy, en produit une autre, laquelle nostre entendement, moyennant la grace de Dieu, accepte et reçoit comme representation de la sainte verité, et nostre volonté s'y complait et l'embrasse comme une verité honnorable, utile, aymable et tres bonne.

  A004000658 

 Et alhors seront prattiquees en une façon excellente ces divines promesses: Je la meneray en la solitude et parleray a son cœur, et l'allaiteray; Esjouisses-vous avec Hierusalem en liesse, affin que vous allaities et soyes remplis de la mammelle de sa consolation, et que vous succies et que vous vous delecties de la totale affluence de sa gloire; Vous seres portés aux tetins, et on vous amadoüera sur les genoux..

  A004000658 

 Mais au Ciel, Theotime, ah mon Dieu, quelle faveur! la Divinité s'unira elle mesme a nostre entendement, sans entremise d'espece ni representation quelconque; ains elle s'appliquera et joindra elle mesme a nostre entendement, se rendant tellement presente a luy, que cette intime presence tiendra lieu de representation et d'espece.

  A004000658 

 O vray Dieu, quelle suavité a l'entendement humain, d'estre a jamais uni a son souverain object, recevant non sa representation mais sa presence, non aucune image ou espece mais la propre essence de sa divine verité et majesté! Nous serons la comme des enfans tres heureux de la Divinité, ayans l'honneur d'estre nourris de la propre substance divine, receüe en nostre ame par la bouche de nostre entendement; et ce qui surpasse toute douceur, c'est que, comme les meres [201] ne se contentent pas de nourrir leurs poupons de leur lait, qui est leur propre substance, si elles mesmes ne leur mettent le chicheron de leur tetin dans la bouche, affin qu'ilz reçoivent leur substance non en un cuillier ou autre instrument ains en leur propre substance et par leur propre substance, en sorte que cette substance maternelle serve de tuyau aussi bien que de nourriture pour estre receüe du bienaymé petit enfançon, ainsy Dieu, nostre Pere, ne se contente pas de faire recevoir sa propre substance en nostre entendement, c'est a dire de nous faire voir sa Divinité, mais par un abisme de sa douceur il appliquera luy mesme sa substance a nostre esprit, affin que nous l'entendions non plus en espece ou representation mais en elle mesme et par elle mesme, en sorte que sa substance paternelle et eternelle serve d'espece aussi bien que d'object a nostre entendement.

  A004000659 

 Bonheur infini, Theotime, et lequel ne nous a pas seulement esté promis, mais nous en avons des arres au tressaint Sacrement de l'Eucharistie, festin perpetuel de la grace divine; car en iceluy nous recevons le sang du Sauveur en sa chair et sa chair en son sang, son sang nous estant appliqué par sa chair, sa substance par sa substance, a nostre propre bouche corporelle, affin que nous sachions qu'ainsy nous appliquera-il son essence divine au festin eternel de la gloire.

  A004000664 

 Ainsy verrons-nous donq cette eternelle et admirable generation du Verbe et Filz divin, par laquelle il nasquit eternellement a l'image et semblance du Pere: image et semblance vive et naturelle, qui ne represente aucuns accidens ni aucun exterieur, puisqu'en Dieu tout est substance et n'y peut avoir accident, tout est interieur et n'y peut avoir aucun exterieur; mais image qui represente la propre substance du Pere si vivement, si naturellement, tant essentiellement et substantiellement, que pour cela elle ne peut estre que le mesme Dieu avec luy, sans distinction [203] ni difference quelcomque d'essence ou substance, ains avec la seule distinction des Personnes.

  A004000664 

 Car, comme se pourroit il faire que ce divin Filz fust la vraye, vrayement vive et vrayement naturelle image, semblance et figure de l'infinie beauté et substance du Pere, si elle ne representoit infiniment au vif et au naturel les infinies perfections du Pere? et comme pourroit elle representer infiniment des perfections infinies, si elle mesme n'estoit infiniment parfaite? et comme pourroit elle estre infiniment parfaite, si elle n'estoit Dieu? et comme pourroit elle estre Dieu, si elle n'estoit un mesme Dieu avec le Pere?.

  A004000664 

 Il verra, donq clairement, cet entendement, la connoissance infinie que de toute eternité le Pere a eue de sa propre beauté, et pour laquelle exprimer en soy mesme il prononça et dit eternellement le mot, le Verbe, ou la parole et diction tres unique et tres infinie, laquelle comprenant et representant toute la perfection du Pere, ne peut estre qu'un mesme Dieu tres unique avec luy, sans division ni separation.

  A004000665 

 Ce Filz donq, infinie image et figure de son Pere infini, est un seul Dieu tres unique et tres infini avec son Pere, sans qu'il y ait aucune difference de substance entre eux, ains seulement la distinction des Personnes; laquelle distinction de Personnes, comme elle est totalement requise, aussi est-elle tres suffisante pour faire que le Pere prononce, et que le Filz soit la Parole prononcee, que le Pere die, et que le Filz soit le Verbe ou la diction, que le Pere exprime, et que le Filz soit l'image, semblance et figure exprimee, et qu'en somme, le Pere soit Pere, et le Filz soit Filz, deux Personnes distinctes, mays une seule essence et Divinité.

  A004000666 

 Le tres doux saint Bernard, estant encores jeune garçon a Chastillon sur Seine, la nuit de Noël attendoit en l'eglise que l'on commençast l'office sacré, et en cette attente le pauvre enfant s'endormit d'un sommeil fort leger, pendant lequel, o Dieu! quelle douceur! il vit en esprit, mais d'une vision fort distincte et fort claire, comme le Filz de Dieu ayant espousé la nature humaine et s'estant rendu petit Enfant dans les entrailles tres [204] pures de sa Mere, naissoit virginalement de son ventre sacré, avec une humble suavité meslee d'une celeste majesté,.

  A004000669 

 Helas, mais de grace, Theotime, si une vision mystique et imaginaire de la naissance temporelle et humaine du Filz de Dieu, par laquelle il procedoit homme de la femme, vierge d'une Vierge, ravit et contente si fort le cœur d'un enfant, hé, que sera-ce quand nos espritz glorieusement illuminés de la clarté bienheureuse, verront cette eternelle naissance par laquelle le Filz procede «Dieu de Dieu, lumiere de lumiere, vray Dieu d'un vray Dieu,» divinement et eternellement! Alhors donq, nostre esprit se joindra par une complaysance incomprehensible a cet object si delicieux, et par une invariable attention luy demeurera eternellement uni.

  A004000669 

 vision, Theotime, qui combla tellement le cœur amiable du petit Bernard, d'ayse, de jubilation et de delices spirituelles, qu'il en eut toute sa vie des ressentimens extremes; et partant, combien que depuis, comme une abeille sacree, il recueillit tous-jours de tous les divins mysteres le miel de mille douces et divines consolations, si est-ce que la solemnité de Noël luy apportoit une particuliere suavité, et parloit avec un goust nompareil de cette nativité de son Maistre.

  A004000673 

 Le Pere eternel, voyant l'infinie bonté et beauté de son essence si vivement, essentiellement et substantiellement exprimee en son Filz, et le Filz voyant reciproquement que sa mesme essence, bonté et beauté est originairement en son Pere comme en sa source et fontaine, hé, se pourroit-il faire que ce divin Pere et son Filz ne s'entr'aymassent pas d'un amour infini, puisque leur volonté par laquelle ilz ayment, et leur bonté pour laquelle ilz ayment, sont infinies en l'un et en l'autre?.

  A004000674 

 Le Pere souspire cet amour, le Filz le souspire aussi; mais parce que le Pere ne souspire cet amour que par la mesme volonté et pour la mesme bonté qui est egalement et uniquement en luy et en son Filz, et le Filz mutuellement ne souspire ce souspir amoureux que pour cette mesme bonté et par cette mesme volonté, partant ce souspir amoureux n'est qu'un seul souspir, ou un seul esprit eslancé par deux souspirans..

  A004000674 

 Or, le Pere et le Filz se treuvans non seulement egaux et unis, ains un mesme Dieu, une mesme bonté, une mesme essence et une mesme unité, quel amour doivent-ilz avoir l'un a l'autre! Mays cet amour ne se passe pas comme l'amour que les creatures intellectuelles ont entre elles ou envers leur Createur (car l'amour creé se fait par plusieurs et divers eslans, souspirs, unions et liaysons qui s'entresuivent et font la continuation de l'amour avec une douce vicissitude de mouvemens spirituelz); car l'amour divin du Pere eternel envers son Filz est prattiqué en un seul souspir, eslancé reciproquement par le Pere et le Filz, qui, en cette sorte, demeurent unis et liés ensemble.

  A004000674 

 Ouy, mon Theotime, car la bonté du Pere et du Filz n'estant qu'une seule tres uniquement unique bonté, commune a l'un et a l'autre, l'amour de cette bonté ne peut estre qu'un seul amour; parce qu'encor [206] qu'il y ayt deux amans, a sçavoir le Pere et le Filz, neanmoins il n'y a que leur seule tres unique bonté, qui leur est commune, laquelle est aymee, et leur tres unique volonté qui ayme, et partant il n'y a aussi qu'un seul amour, exercé par un seul souspir amoureux.

  A004000675 

 Et d'autant que le Pere et le Filz qui souspirent, ont une essence et volonté infinie par laquelle ilz souspirent, et que la bonté pour laquelle ilz souspirent est infinie, il est impossible que le souspir ne soit infini; et d'autant qu'il ne peut estre infini qu'il ne soit Dieu, partant cet Esprit souspiré du Pere et du Filz est vray Dieu, et parce qu'il n'y a ni peut avoir qu'un seul Dieu, il est un seul vray Dieu avec le Pere et le Filz.

  A004000675 

 Mais de plus, parce que cet amour est un acte qui procede reciproquement du Pere et du Filz, il ne peut estre ni le Pere ni le Filz desquelz il est procedé, quoy qu'il ait la mesme bonté et substance du Pere et du Filz, ains faut que ce soit une troisiesme Personne divine, laquelle avec le Pere et le Filz ne soit qu'un seul Dieu; et d'autant que cet amour est produit par maniere de souspirs ou d'inspirations, il est appellé Saint Esprit..

  A004000677 

 O voyci que c'est chose bonne,.

  A004000683 

 Que dessus le chef on versa [207].

  A004000689 

 Mais, o Dieu, si l'amitié humaine est tant agreablement aymable et respand une odeur si delicieuse sur ceux qui la contemplent, que sera-ce, mon bienaymé Theotime, de voir l'exercice sacré de l'amour reciproque du Pere envers le Filz eternel! Saint Gregoire Nazianzene raconte que l'amitié incomparable qui estoit entre luy et son grand saint Basile estoit celebree par toute la Grece, et Tertulien tesmoigne que les payens admiroient cet amour plus que fraternel qui regnoit entre les premiers Chrestiens: o quelle feste, quelle solemnité! de quelles louanges et benedictions doit estre celebree, de quelles admirations doit estre honnoree et aymee l'eternelle et souveraine amitié du Pere et du Filz! Qu'y a-il d'aymable et d'amiable si l'amitié ne l'est pas? et si l'amitié est amiable et aymable, quelle amitié le peut estre en comparayson de cette infinie amitié qui est entre le Pere et le Filz, et qui est un mesme Dieu tres unique avec eux? Nostre cœur, Theotime, s'abismera d'amour, en l'admiration de la beauté et suavité de l'amour que ce Pere eternel et ce Filz incomprehensible prattiquent divinement et eternellement.

  A004000693 

 C'est pourquoy la suavité de la Sagesse eternelle a disposé de ne point appliquer son essence a nostre entendement, qu'elle ne l'ait preparé, revigoré et habilité, pour recevoir une veüe si eminente et disproportionnee a sa condition naturelle comme est la veüe de la Divinité: car ainsy le soleil, souverain object de nos yeux corporelz entre les choses naturelles, ne se presente point a nostre veiie que premier il n'envoye ses rayons, par le moyen desquelz nous le puissions voir; de sorte, que nous ne le voyons que par sa lumiere.

  A004000693 

 Toutefois, il y a de la difference entre les rayons que le soleil jette a nos yeux corporelz, et la lumiere que Dieu creera en nos entendemens, au Ciel: car le rayon du [209] soleil corporel ne fortifie point nos yeux quand ilz sont foibles et impuissans a voir, ains plustost il les aveugle, esblouissant et dissipant leur veüe infirme; ou, au contraire, cette sacree lumiere de gloire, treuvant nos entendemens inhabiles et incapables de voir la Divinité, elle les esleve, renforce et perfectionne si excellemment, que, par une merveille incomprehensible, ilz regardent et contemplent l'abisme de la clarté divine fixement et droitement en elle mesme, sans estre esblouis ni rebouschés de la grandeur infinie de son esclat..

  A004000694 

 Les plongeons, dit Pline, qui pour pescher les pierres precieuses s'enfoncent dans la mer, prennent de l'huyle en leur bouche, affin que le respandant ilz ayent plus de jour pour voir dedans les eaux entre lesquelles ilz nagent: Theotime, l'ame bienheureuse estant enfoncee et plongee dans l'ocean de la divine essence, Dieu respandra dans son entendement la sacree lumiere de gloire, qui luy fera jour en cet abisme de lumiere inaccessible, affin que par la clarté de la gloire nous voyions la clarté de la Divinité:.

  A004000694 

 Tout ainsy, donq, que Dieu nous a donné la lumiere de la rayson par laquelle nous le pouvons connoistre comme Autheur de la nature, et la lumiere de la foy par laquelle nous le considerons comme source de la grace, de mesme il nous donnera la lumiere de gloire, par laquelle nous le contemplerons comme fontaine de la beatitude et vie eternelle: mays fontaine, Theotime, que nous ne contemplerons pas de loin, comme nous faisons maintenant par la foy, ains que nous verrons par la lumiere de gloire plongés et abismés en icelle.

  A004000704 

 Or, ce sera cette lumiere de gloire, Theotime qui donnera la mesure a la veüe et contemplation des Bien-heureux; et selon que nous aurons plus ou moins de cette sainte splendeur, nous verrons aussi plus ou moins clairement, et par consequent plus ou moins heureusement, la tressainte Divinité, qui, regardee diversement, nous rendra de mesme differemment glorieux.

  A004000705 

 Il en est presqu'ainsy de tous nos sens: entre plusieurs qui oyent une excellente musique, quoy que tous l'entendent toute, les uns pourtant ne l'oyent pas si bien ni avec tant de [211] playsir que les autres, selon que les aureilles sont plus ou moins delicates.

  A004000705 

 La manne estoit savouree toute de quicomque la mangeoit, mais differemment neanmoins, selon la diversité des appetitz de ceux qui la prenoyent, et ne fut jamais savouree totalement, car elle avoit plus de differentes saveurs qu'il n'y avoit de varieté de gousts es Israelites: Theotime, nous verrons et savourerons la haut au Ciel toute la Divinité, mais jamais nul des Bienheureux ni tous ensemble ne la verront ou savoureront totalement; cette infinité divine aura tous-jours infiniment plus d'excellences que nous ne sçaurions avoir de suffisance et de capacité, et nous aurons un contentement indicible de connoistre, qu'apres avoir assouvi tout le desir de nostre cœur et rempli pleynement sa capacité en la jouissance du bien infini, qui est Dieu, neanmoins il restera encor en cette infinité des infinies perfections a voir, a jouïr et posseder, que sa divine Majesté entend et void, elle seule se comprenant soy mesme..

  A004000706 

 Ah, Theotime, nos espritz, a leur gré et selon toute l'estendue de leurs souhaitz, nageront en l'ocean et voleront en l'air de la Divinité, et se res-jouiront eternellement de voir que cet air est tant infini, cet ocean si vaste, qu'il ne peut estre mesuré par leurs aysles, et que jouissans sans reserve ni exception [212] quelcomque de tout cet abisme infini de la Divinité, ilz ne peuvent neanmoins jamais egaler leur jouissance a cette infinité, laquelle demeure tous-jours infiniment infinie au dessus de leur capacité..

  A004000707 

 O Dieu, que ce qu'ilz voyent est admirable! mais o Dieu, que ce qu'ilz ne voyent pas l'est beaucoup plus! Et toutefois, Theotime, la tressainte beauté qu'ilz voyent estant infinie, elle les rend parfaitement satisfaitz et assouvis; et se contentans d'en jouir selon le rang qu'ilz tiennent au Ciel, a cause de la tres aymable Providence divine qui en a ainsy ordonné, ilz convertissent la connoissance qu'ilz ont de ne posseder pas ni ne pouvoir posseder totalement leur object, en une simple complaysance d'admiration, par laquelle ilz ont une joye souveraine de voir que la beauté qu'ilz ayment est tellement infinie qu'elle ne peut estre totalement conneüe que par elle mesme: car en cela consiste la divinité de cette Beauté infinie, ou la beauté de cette infinie Divinité.

  A004000715 

 En suite dequoy il leur fait faire cette priere: Ne me rejettés point de devant vostre face et ne m'ostés point vostre Saint Esprit; Et ne nous induises point en tentation; affin qu'ilz fassent leur salut avec un saint tremblement et une crainte sacree, sçachans qu'ilz ne sont pas plus invariables et fermes a conserver l'amour de Dieu que le premier Ange avec ses sectateurs, et Judas, [215] qui l'ayans receu le perdirent, et en le perdant se perdirent eternellement eux mesmes; ni que Salomon, qui, l'ayant une fois quitté, tient tout le monde en doute de sa damnation; ni que Adam, Eve, David, saint Pierre, qui estans enfans de salut ne laisserent pas de descheoir pour un tems de l'amour sans lequel il n'y a point de salut.

  A004000715 

 Nous ne faysons pas ces discours pour ces grandes ames d'eslite que Dieu, par une tres speciale faveur, maintient et confirme tellement en son amour, qu'elles sont hors le hazard de jamais le perdre; nous parlons pour le reste des mortelz, auxquelz le Saint Esprit addresse ces advertissemens: Qui est debout, qu'il prenne garde a ne point tomber.

  A004000715 

 Tiens ce que tu as.

  A004000716 

 Mais, o Dieu eternel, comme est-il possible, dires-vous, qu'une ame qui a l'amour de Dieu le puisse jamais perdre? Car ou l'amour est, il resiste au peché: et comme se peut il donq faire que le peché y entre, puisque l'amour est fort comme la mort, aspre au combat comme l'enfer? comme peuvent les forces de la mort ou de l'enfer, c'est a dire les pechés, vaincre l'amour qui pour le moins les esgale en force, et les surmonte en assistance et en droit? Mays comme peut-il estre qu'une ame raysonnable, qui a une fois savouré une si grande douceur comme est celle de l'amour divin, puisse onques volontairement avaler les eaux ameres de l'offence? Les enfans, tout enfans qu'ilz sont, estans nourris au lait, au beurre et au miel, abhorrent l'amertume de l'absinthe et du chicotin, et pleurent jusques a pasmer quand on leur en fait gouster: hé donques, o vray Dieu, l'ame une fois jointe a la bonté du Createur, comme le peut-elle quitter pour suivre la vanité de la creature?.

  A004000717 

 Certes, en cette vie mortelle, quoy que nos ames abondent en amour celeste, si est ce que jamais elles n'en sont si pleines que par la tentation cet amour ne puisse sortir; mais la haut au Ciel, quand les suavités de la beauté de Dieu occuperont tout ncstre entendement et les delices de sa bonté assouviront toute nostre volonté, en sorte qu'il n'y aura rien que la plenitude de son amour ne remplisse, nul objet, quoy qu'il penetre jusques a nos cœurs, ne pourra jamais tirer ni faire sortir une seule goutte de la pretieuse liqueur de leur amour celeste; et de penser donner du vent par dessus, c'est a dire decevoir ou surprendre l'entendement, il ne sera plus possible, car il sera immobile en l'apprehension de la verité souveraine..

  A004000717 

 Mays aves-vous jamais veu cette petite merveille que chacun sçait, et de laquelle chacun ne sçait pas la rayson? Quand on perce un tonneau bien plein, il ne respandra point son vin qu'on ne luy donne de l'air par dessus, ce qui n'arrive pas aux tonneaux [216] esquelz il y a des-ja du vuide, car on ne les a pas plus tost ouvertz que le vin en sort.

  A004000718 

 Et quant a nous, tandis que nous sommes en ce monde, nos espritz sont sur la lie et le tartre de mille humeurs et miseres, et par consequent aysés a changer et tourner en leur amour; mais estans au Ciel, ou, comme en ce grand festin descrit par Isaïe, nous aurons le vin purifié de toute lie, nous ne serons plus sujetz au change, ains demeurerons inseparablement unis par amour a nostre souverain Bien.

  A004000718 

 Icy, parmi les crepuscules de l'aube du jour, nous craignons qu'en lieu de l'Espoux nous ne rencontrions quelqu'autre objet qui nous amuse et deçoive; mais quand nous le treuverons la haut ou il repaist et repose au midy de sa gloire, il n'y aura plus moyen d'estre trompés, car sa lumiere sera trop claire, et sa douceur nous liera si serré a sa bonté que nous ne pourrons plus vouloir nous en desprendre..

  A004000724 

 Ainsy la charité est quelquefois tellement alangourie et [218] abbatue dans le cœur qu'elle ne paroist presque plus en aucun exercice, et neanmoins elle ne laisse pas d'estre entiere en la supreme region de l'ame; et c'est lhors que, sous la multitude des pechés venielz, comme sous des cendres, le feu du saint amour demeure couvert et sa lueur estouffee, quoy que non pas amorti ni esteint.

  A004000724 

 Car tout ainsy que la presence du diamant empesche l'exercice et l'action de la proprieté que l'aymant a d'attirer le fer, sans toutefois luy oster la proprieté, laquelle opere soudain que cet empeschement est esloigné, de mesme la presence du peché veniel n'oste pas voirement a la charité sa force et puissance d'operer mais elle l'engourdit en certaine façon et la prive de l'usage de son activité, si qu'elle demeure sans action, sterile et infeconde.

  A004000724 

 Certes, le peché veniel, ni mesme l'affection au peché veniel, n'est pas contraire a l'essentielle resolution de la charité, qui est de preferer Dieu a toutes choses: d'autant que par ce peché nous aymons quelque chose hors de la rayson, mais non pas contre la rayson; nous deferons un peu trop, et plus qu'il n'est convenable, a la creature, mais non pas en la preferant au Createur; nous nous amusons plus qu'il ne faut aux choses terrestres, mais nous ne quittons pas pour cela les celestes: en somme, cette sorte de peché nous retarde au chemin de la charité, mais il ne nous en oste pas, et partant, le peché veniel n'estant pas contraire a la charité, il ne la destruit jamais, ni en tout ni en partie..

  A004000725 

 Certes, la concupiscence ayant conceu, elle engendre le peché; mais ce peché, quoy que peché, n'engendre pas tous-jours la mort de l'ame, ains seulement lhors qu'il a une malice entiere et qu'il est consommé et accompli, comme dit saint Jacques: qui en cela establit si clairement la difference entre le peché veniel et le peché mortel, que je ne sçay comme il s'est treuvé des gens en nostre siecle qui ayent eu la hardiesse de le nier..

  A004000725 

 Dieu fit sçavoir a l'Evesque d'Ephese qu'il avoit delaissé sa premiere charité; ou il ne dit pas qu'il estoit sans charité, mais seulement qu'elle n'estoit plus telle qu'au commencement, c'est a dire qu'elle n'estoit plus prompte, fervente, fleurissante et fructueuse: ainsy que nous avons accoustumé de dire d'un homme, qui de brave, joyeux et gaillard est devenu chagrin, paresseux et maussade: Ce n'est plus celuy d'autrefois; car nous ne voulons pas entendre que ce ne soit pas le mesme selon la substance, mais seulement selon les actions et exercices; et de mesme, Nostre Seigneur a dit qu'es derniers jours la charité de plusieurs se rafroidira, [219] c'est a dire, elle ne sera pas si active et courageuse, a cause de la crainte et de l'ennuy qui oppressera les cœurs.

  A004000726 

 Neanmoins, le peché veniel est peché, et par consequent il desplait a la charité, non comme chose qui luy soit contraire, mays comme chose contraire a ses operations et a son progres, voire mesme a son intention, laquelle estant que nous rapportions toutes nos operations a Dieu, elle est violee par le peché veniel, qui porte les actions par lesquelles nous le commettons, non pas voirement contre Dieu, mais hors de Dieu et de sa volonté: et comme nous disons d'un arbre qui a esté rudement touché et reduit en friche par la tempeste, que rien n'y est demeuré, parce qu'encor que l'arbre est entier, neanmoins il est resté sans fruit, de mesme, quand nostre charité est battue des affections que l'on a aux pechés venielz, nous disons qu'elle est diminuee et defaillie, non que l'habitude de l'amour ne soit entiere en nos espritz, mais parce qu'elle est sans les œuvres qui sont ses fruitz..

  A004000727 

 L'affection aux grans pechés rendoit tellement la verité prisonniere de l'injustice, entre les philosophes payens, que, comme dit le grand Apostre, co nnoissans Dieu, ilz ne le glorifioyent pas selon que cette connoissance requeroit: si que cette affection n'exterminant pas la lumiere naturelle, elle la rendoit infructueuse.

  A004000728 

 Ce qui arrive d'autant plus aysement, que par le peché veniel l'ame se dispose au mortel; car, comme cet ancien ayant continué a porter tous les jours un mesme veau, le porta en fin encor qu'il fut devenu un gros bœuf, la coustume ayant petit a petit rendu insensible a ses forces l'accroissement d'un si lourd fardeau, ainsy celuy qui s'affectionne a joüer des testons joüeroit en fin des escus, des pistoles, des chevaux, et apres ses chevaux toute sa chevance; qui lasche la.

  A004000729 

 En fin, Theotime, nous disons de ceux qui ont la complexion fort foible, qu'ilz n'ont point de vie, qu'ilz n'en ont pas une once, ou qu'ilz n'en ont pas plein le [221] poing, parce que ce qui doit bien tost finir semble en effect n'estre plus; et ces ames faineantes, addonnees aux playsirs et affectionnees aux choses transitoires, peuvent bien dire qu'elles n'ont plus de charité, puisque si elles en ont, elles sont en voÿe de la perdre bien tost..

  A004000733 

 Ainsy arriva-il a nostre premiere mere Eve, de laquelle la perte commença par un certain amusement qu'elle prit a deviser avec le serpent, recevant de la complaysance d'ouïr parler de son aggrandissement en science et de voir la beauté du fruit defendu; si que, la complaysance grossissant en l'amusement et l'amusement se nourrissant dans la complaysance, elle s'y treuva en fin tellement engagee, que se laissant aller au consentement, elle commit le malheureux peché auquel par apres elle attira son mari..

  A004000733 

 Quand donq nous n'usons pas de la charité qui est en nous, c'est a dire quand nous n'employons pas nostre esprit aux exercices de l'amour sacré, ains que le tenans diverti a quelque autre occupation, ou que paresseux en soy mesme il se tient inutile et negligent, alhors, Theotime, il peut estre touché de quelque object mauvais, et surpris de quelque tentation; et bien que l'habitude de la charité en mesme tems soit au fond de nostre ame et qu'elle face son office, nous inclinant a rejetter la suggestion mauvaise, si est-ce qu'elle ne nous presse pas ni nous porte a l'action de la resistance, qu'a mesure que nous la secondons, comme les habitudes ont coustume de faire: et partant, nous laissant en nostre liberté, il advient maintefois que le mauvais object ayant jetté bien avant ses attraitz dans nostre cœur, nous nous attachons a luy par une complaysance excessive, laquelle venant a croistre il nous est malaysé de nous en desfaire, et comme des espines, selon que dit Nostre Seigneur, [222] elle suffoque en fin la semence de la grace et dilection celeste.

  A004000734 

 Helas, Theotime, si nous ne nous amusions pas en la vanité des playsirs caduques, et sur tout en la complaysance de nostre amour propre, ains qu'ayans une fois la charité, nous fussions soigneux de voler droit, la part ou elle nous porte, jamais les suggestions et tentations ne nous attrapperoyent; mais parce que, comme colombes seduites et deceües de nostre propre estime, nous retournons sur nous mesmes et entretenons trop nos espritz parmi les creatures, nous nous treuvons souvent surpris entre les serres de nos ennemis, qui nous emportent et devorent..

  A004000734 

 On void que les pigeons touchés de vanité se pavonnent quelquefois en l'air et font des esplanades ça et la, se mirant en la varieté de leur pennage, et lhors les tierceletz et faucons qui les espient viennent fondre sur eux et les attrappent, ce qu'ilz ne feroient jamais si les pigeons voloient leur droit vol, d'autant qu'ilz ont l'aisle plus roide que les oyseaux de proye.

  A004000735 

 Dieu ne veut pas empescher que nous ne soyons attaqués de tentations, affin que resistans, nostre charité soit plus exercee, et puisse par le combat emporter la victoire et par la victoire obtenir le triomphe; mais que nous ayons quelque sorte d'inclination a nous delecter en la tentation, cela vient de la condition de nostre nature, qui ayme tant le bien que pour cela elle est sujette d'estre allechee par tout ce qui a apparence de bien.

  A004000735 

 Et ce que la tentation nous presente pour amorce est tous-jours de cette sorte; car, comme enseignent [223] les saintes Lettres, ou c'est un bien honnorable selon le monde pour nous provoquer a l' orgueil de la vie mondaine, ou un bien delectable aux sens pour nous porter a la convoitise charnelle, ou un bien utile a nous enrichir pour nous inciter a la convoitise et avarice des yeux.

  A004000735 

 Que si nous tenions nostre foy, laquelle sçait discerner entre les vrays biens qu'il faut pourchasser et les faux qu'il faut rejetter, vivement attentive a son devoir, certes, elle serviroit de sentinelle asseuree a la charité et luy donneroit advis du mal qui s'approche du cœur sous pretexte de bien, et la charité le repousseroit soudain: mais parce que nous tenons ordinairement nostre foy, ou dormante ou moins attentive qu'il ne seroit requis pour la conservation de nostre charité, nous sommes aussi souvent surpris de la tentation, laquelle seduisant nos sens, et nos sens incitans la partie inferieure de nostre ame a rebellion, il advient que maintefois la partie superieure de la rayson cede a l'effort de cette revolte, et, commettant le peché, elle perd la charité..

  A004000736 

 Tel fut le progres de sedition que le desloyal Absalon excita contre son bon pere David; car il mit en avant des propositions bonnes en apparence, lesquelles estant une fois receües par les pauvres Israëlites desquelz la prudence estoit endormie et engourdie, il les sollicita tellement qu'il les reduisit a une entiere rebellion: de sorte que David fut contraint de sortir tout espleuré de Hierusalem avec tous ses plus fideles amis, ne laissant en la ville de gens de marque, sinon Sadoc et Abiathar, prestres de l'Eternel, avec leurs enfans; or Sadoc estoit voyant, c'est a dire prophete.

  A004000737 

 Helas, Theotime, quel pitoyable spectacle aux Anges de paix, de voir ainsy sortir le Saint Esprit et son amour de nos ames pecheresses! hé, je croy certes, que s'ilz pouvoyent alhors pleurer, ilz verseroyent des larmes infinies, et d'une voix lugubre lamentans nostre malheur, ilz chanteroyent le triste cantique que Hieremie entonna, quand, assis sur le sueil du Temple desolé, il contempla la ruine de Hierusalem au temps de Sedecie:.

  A004000745 

 Nostre esprit, certes, ne sort pas petit a petit de son cors, ains en un moment, lhors que l'indisposition du cors est si grande qu'il ne peut plus y faire les actions de vie; et de mesme, a l'instant que le cœur est tellement detraqué en ses passions que la charité n'y peut plus regner, elle le quitte et abandonne; car elle est si genereuse qu'elle ne peut cesser de regner sans cesser d'estre..

  A004000745 

 Or nous allons, certes, petit a petit a ce [225] mespris de Dieu, mais nous n'y sommes pas plus tost parvenus, que soudain, en un moment, la sainte charité se separe de nous, ou, pour mieux dire, elle perit tout a fait.

  A004000746 

 Les habitudes que nous acquerons par nos seules actions humaines ne perissent pas par un seul acte contraire, car nul ne dira qu'un homme soit intemperant pour un seul acte d'intemperance, ni qu'un peintre ne soit pas bon maistre pour avoir une fois manqué a l'art; ains, comme toutes telles habitudes nous arrivent par la suite et impression de plusieurs actes, ainsy nous les perdons par une longue cessation de leurs actes, ou par une multitude d'actes contraires.

  A004000746 

 Mais la charité, Theotime, que le Saint Esprit respand en un moment dans nos cœurs lhors que les conditions requises a cette infusion se rencontrent en nous, certes aussi en un instant elle nous est ostee, si tost que, destournans nostre volonté de l'obeissance que nous devons a Dieu, nous avons achevé de consentir a la rebellion et desloyauté a laquelle la tentation nous incite..

  A004000747 

 En quov elle ressemble au chef d'œuvre de Phidias, tant celebré par les anciens: car on dit que ce grand sculpteur fit en Athenes une statue de Minerve, toute d'ivoire, haute de vingt six coudees; et au bouclier d'icelle, auquel il avoit relevé les batailles des amazones et des geans, il grava avec tant d'art son visage de luy mesme, qu'on ne pouvoit oster un seul brin de son image, dit Aristote, que «toute la statue ne tombast desfaite:» si que cette besoigne ayant esté perfectionnee par assemblage de piece a piece, en un moment neanmoins elle perissoit si on eust osté une seule petite partie de la semblance de l'ouvrier.

  A004000747 

 Et de mesme, Theotime, encores que le Saint Esprit ayant mis la charité en une ame luy donne sa croissance par addition de degré a degré et de perfection a perfection d'amour, si est ce toutefois, que la resolution de preferer la volonté de Dieu a toutes choses estant le point essentiel de l'amour sacré, et auquel l'image de l'amour eternel, c'est a dire du Saint Esprit, est representee, on ne sçauroit en oster une seule piece que soudain toute la charité ne perisse..

  A004000747 

 Il est vray que la charité s'agrandit par accroissement de degré a degré et de perfection a perfection, selon [226] que par nos oeuvres ou la reception des Sacremens nous luy faisons place; mais, toutefois, elle ne diminue pas par amoindrissement de sa perfection, car jamais on n'en perd un seul brin qu'on ne la perde toute.

  A004000748 

 En somme, Theotime, comme la pierre pretieuse nommee prassius, perd sa lueur en la presence de quel venin que ce soit, ainsy l'ame perd [227] en un instant sa splendeur, sa grace et sa beauté, qui consiste au saint amour, a l'entree et presence de quel peché mortel que ce soit; dont il est escrit que l'ame qui pechera mourra..

  A004000748 

 Que si Agar, qui n'estoit qu'une ægyptienne, veyant son filz en danger de mourir n'eut pas le courage de demeurer au pres de luy, ains le voulut quitter, disant: Ah, je ne sçaurois voir mourir cet enfant! quelle merveille y a-il que la charité, fille de douceur et suavité celeste, ne puisse voir mourir son enfant, qui est le propos de ne jamais offencer Dieu? Si que, a mesure que nostre franc arbitre se resout de consentir au peché, donnant par mesme moyen la mort a ce sacré propos, la charité meurt avec iceluy, et dit en son dernier souspir: Hé non, jamais je ne verray mourir cet enfant.

  A004000752 

 Ainsy le sacré Concile de Trente inculque divinement a tous les enfans de l'Eglise sainte, que la grace divine ne manque jamais a ceux qui font ce qu'ilz peuvent, invoquans le secours [228] celeste; que «Dieu n'abandonne jamais ceux qu'il a une fois justifiés, sinon qu'eux mesmes les premiers l'abandonnent,» de sorte que, s'ilz ne manquent a la grace ilz obtiendront la gloire.

  A004000752 

 Comme ce seroit une effronterie impie de vouloir attribuer aux forces de nostre volonté les œuvres de l'amour sacré que le Saint Esprit fait en nous et avec nous, aussi seroit-ce une impieté effrontee de vouloir rejetter le defaut d'amour qui est en l'homme ingrat, sur le manquement de l'assistance et grace celeste; car le Saint Esprit crie par tout, au contraire, que nostre perte vient de nous; que le Sauveur a apporté le feu du saint amour, et ne desire rien plus sinon qu'il brusle nos cœurs; que le salut est preparé devant la face de toutes nations, lumiere pour esclairer les Gentilz, et pour la gloire d'Israël; que la divine Bonté ne veut point qu'aucun perisse, mays que tous viennent a la connoissance de la verité; veut que tous hommes soyent sauvés, le Sauveur d'iceux estant venu au monde affin que tous receussent l'adoption des enfans; et le Sage nous advertit clairement: Ne dis point: il tient a Dieu.

  A004000753 

 Mays les uns esveillés se levent, et gaignans païs allerent heureusement au giste; les autres, non seulement ne se levent pas, mais tournans le dos au soleil et enfonçans leurs chapeaux sur leurs yeux, passerent la leur journee a dormir, jusques a ce que, surpris de la nuit et voulans neanmoins aller au logis, ilz s'esgarent qui ça qui la dans une forest, a la merci des loups, sangliers et autres bestes sauvages.

  A004000753 

 Plusieurs voyagers, environ l'heure de midi un jour d'esté, se mirent a dormir a l'ombre d'un arbre; mays tandis que leur lassitude et la fraicheur de l'ombrage les tient en sommeil, le soleil s'avançant sur eux leur porta droit aux yeux sa plus forte lumiere, laquelle par l'eclat de sa clarté faisoit des transparences, comme par des petitz esclairs, autour de la prunelle des yeux de ces dormans, et par la chaleur qui perçoit leurs paupieres les força d'une douce violence de s'esveiller.

  A004000754 

 Au contraire, ces pauvres errans n'avoyent-ilz pas tort de crier dans ce bois: Hé, qu'avons-nous fait au soleil pour quoy il ne nous a pas fait voir sa lumiere comme a nos compaignons, affin que nous fussions arrivés [229] au logis sans demeurer en ces effroyables tenebres? Car, qui ne prendroit la cause du soleil, ou plustost de Dieu, en main, mon cher Theotime, pour dire a ces chetifs malencontreux: Qu'est ce, miserables, que le soleil pouvoit bonnement faire pour vous, qu'il ne l'ayt fait? ses faveurs estoyent esgales envers tous vous autres qui dormiés: il vous aborda tous avec une mesme lumiere, il vous toucha de mesmes rayons, il respandit sur vous une chaleur pareille; et, malheureux que vous estes, quoy que vous vissiés vos compaignons levés prendre le bordon pour tirer chemin, vous tournastes le dos au soleil, et ne voulustes pas employer sa clarté ni vous laisser vaincre a sa chaleur..

  A004000755 

 Tenés; voyla maintenant, Theotime, ce que je veux dire.

  A004000755 

 Tous les hommes sont voyageurs en cette vie mortelle; presque tous nous nous sommes volontairement endormis en l'iniquité, et Dieu, Soleil de justice, darde sur tous, tres suffisamment ains abondamment, les rayons de ses inspirations, il eschauffe nos cœurs de ses benedictions, touchant un chascun des attraitz de son amour: hé, que veut dire donq que ces attraitz en attirent si peu et en tirent encor moins? Ah, certes, ceux qui estans attirés, puis tirés, suivent l'inspiration, ont grande occasion de s'en res-jouir, mais non pas de s'en glorifier: qu'ilz se resjouissent, parce qu'ilz jouissent d'un grand bien; mais qu'ilz ne s'en glorifient pas, puisque c'est par la pure bonté de Dieu, qui leur laissant l'utilité de son bienfait s'en est reservé la gloire..

  A004000756 

 Ainsy les Japonois se plaignans au bienheureux François Xavier [230] leur Apostre, dequoy Dieu, qui avoit eu tant de soin des autres nations, sembloit avoir oublié leurs predecesseurs, ne leur ayant point fait avoir sa connoissance, par le manquement de laquelle ilz auroyent esté perdus, l'homme de Dieu leur respondit que la divine loy naturelle estoit plantee en l'esprit de tous les mortelz, laquelle si leurs devanciers eussent observee, la celeste lumiere les eust sans doute esclairés; comme au contraire, l'ayant violee, ilz meriterent d'estre damnés.

  A004000756 

 Malheur sur malheur a ceux qui ne reconnoissent pas que leur malheur provient de leur malice!.

  A004000756 

 Responce apostolique d'un homme apostolique, et toute pareille a la rayson que le grand Apostre rend de la perte des anciens Gentilz, qu'il dit estre inexcusables, d'autant qu' ayans conneu le bien ilz suivirent le mal; car c'est en un mot ce qu'il inculque au premier chapitre de l'Epistre aux Romains.

  A004000760 

 L'amour des hommes envers Dieu tient son origine, son progres et sa perfection de l'amour eternel de Dieu envers les hommes: c'est le sentiment universel de l'Eglise nostre Mere, laquelle, avec une ardente jalousie, veut que nous reconnoissions nostre salut et les moyens pour y parvenir de la seule misericorde du Sauveur, affîn qu'en la terre comme au Ciel a luy seul soit honneur et gloire.

  A004000760 

 Qu'as-tu que tu n'ayes receu? dit le divin Apostre, parlant des dons de science, eloquence et autres telles qualités des pasteurs ecclesiastiques; et si tu l'as receu, pourquoy t'en glorifies [231] tu comme si tu ne l'avois pas receu? Il est vray, nous avons tout receu de Dieu, mais par dessus tout nous avons receu les biens surnaturelz du saint amour; que si nous les avons receus, pourquoy en prendrons-nous de la gloire?.

  A004000762 

 Car dis-moy, je te prie, ne m'advoueras-tu pas que si Dieu ne t'eust prevenu, tu n'eusses jamais senti sa bonté, ni par conséquent consenti a son amour? non, ni mesme tu n'eusses pas fait une seule bonne pensee pour luy: son mouvement a donné l'estre et la vie au tien, et si sa liberalité n'eust animé, excité et provoqué ta liberté par les puissans attraitz de sa suavité, ta liberté fut tous-jours demeuree inutile a ton salut.

  A004000762 

 Je confesse que tu as cooperé a l'inspiration en consentant, mais si tu ne le sçais pas, je t'apprens que ta cooperation a pris naissance de l'operation de la grace et de ta franche volonté tout ensemble, mais en [232] telle sorte neanmoins, que si la grace n'eust prevenu et rempli ton cœur de son operation, jamais il n'eust eu ni le pouvoir ni le vouloir de faire aucune cooperation..

  A004000762 

 Or dis moy donq maintenant, miserable, qu'as-tu fait en tout cela dequoy tu te puisses vanter? Tu as consenti, je le sçay bien; le mouvement de ta volonté a librement suivi celuy de la grace celeste: mais tout cela, qu'est-ce autre chose sinon recevoir l'operation divine et n'y resister pas? et qu'y a-il en cela que tu n'ayes receu? Ouy mesme, pauvre homme que tu es, tu as receu la reception de laquelle tu te glorifies et le consentement duquel tu te vantes.

  A004000763 

 Mays dis moy derechef, je te prie, homme vil et abject, es tu pas ridicule quand tu penses avoir part en la gloire de ta conversion parce que tu n'as pas repoussé l'inspiration? n'est ce pas la fantasie des voleurs et tirans, de penser donner la vie a ceux auxquelz ilz ne l'ostent pas? et n'est ce pas une forcenee impieté de penser que tu ayes donné la sainte, efficace et vive activeté a l'inspiration divine, parce que tu ne la luy as pas ostee par ta resistence? Nous pouvons empescher les effeetz de l'inspiration, mais nous ne les luy pouvons pas donner: elle tire sa force et venu de la bonté divine, qui est le lieu de son origine, et non de la volonté humaine, qui est le lieu de son abord.

  A004000763 

 N'estes vous pas donques un monstre d'ingratitude, de vous vouloir attribuer un bien que vous deves en tant de façons a vostre cher espoux?.

  A004000763 

 S'indigneroit on pas de la princesse de nostre parabole, si elle se vantoit d'avoir donné la vertu et proprieté aux eaux cordiales et autres medicamens, ou de s'estre guerie elle mesme, parce que si elle n'eust receu les remedes que le roy luy donna et versa dans sa bouche, lhors qu'a moytié morte elle n'avoit presque plus de sentiment, ilz n'eussent point eu d'operation? Ouy, luy diroit-on, ingrate que vous estes, vous pouvies vous opiniastrer a ne point recevoir les remedes, et mesme les ayant receus en vostre bouche vous les pouvies rejetter; mais il n'est pas vray pourtant que vous leur ayés donné la vigueur ou vertu, car ilz l'avoyent [233] par leur proprieté naturelle: seulement, vous aves consenti de les recevoir et qu'ilz fissent leur action; et encor n'eussies-vous jamais consenti, si le roy ne vous eust premierement revigoree et puis sollicitee a les prendre; onques vous ne les eussies receus s'il ne vous eust aydee a les recevoir, ouvrant vostre propre bouche avec ses doigtz et respandant la potion dedans icelle.

  A004000764 

 C'est donq l'inspiration qui imprime en nostre franc arbitre l'heureuse et suave influence, par laquelle non seulement [234] elle luy fait voir la beauté du bien, mais elle l'eschauffe, l'ayde, le renforce et l'esmeut si doucement, que par ce moyen il se plie et escoule librement au parti du bien..

  A004000764 

 Le petit admirable poisson que l'on nomme echineis, remore, ou arrestenef, a bien le pouvoir d'arrester ou de n'arrester point le navire singlant en haute mer a plein voyle, mays il n'a pas le pouvoir de le faire ni voguer, ni singler, ni surgir; il peut empescher le mouvement, mais il ne le peut pas donner.

  A004000765 

 Le ciel prepare les gouttes de la fraiche rosee au primtems et les espluÿe sur la face de la mer, et les mereperles qui ouvrent leurs escailles reçoivent ces gouttes, lesquelles se convertissent en perles: mais au contraire, les mereperles qui tiennent leurs escailles fermees n'empeschent pas que les gouttes ne tumbent sur elles, elles empeschent neanmoins qu'elles ne tumbent pas dans elles.

  A004000765 

 Theotime, si nous avons quelqu'amour envers Dieu, a luy en soit l'honneur et la gloire, qui a tout fait en nous et sans lequel rien n'a esté fait, a nous en soit l'utilité et l'obligation; car c'est le partage de sa divine bonté avec nous: il nous laisse le fruict de ses bienfaitz, et s'en reserve l'honneur et la louange; et certes, puisque nous ne sommes tous rien que par sa grace, nous ne devons rien estre que pour sa gloire.

  A004000769 

 L'esprit humain est si foible, que quand il veut trop curieusement rechercher les causes et raysons de la volonté divine, il s'embarrasse et entortille dans les filetz de mille difficultés desquelles par apres il ne se peut desprendre.

  A004000770 

 Car nostre temerité nous presse tous-jours de rechercher pourquoy Dieu donne plus de moyens aux uns qu'aux autres, pourquoy il ne fit entre les Tyriens et Sidoniens les merveilles qu'il fit en Corozaïn et Bethsaïda, puisqu'ilz en eussent si bien fait leur proffït, et en somme, pourquoy il tire a son amour plustost l'un que l'autre..

  A004000771 

 Et bien que le tressaint Esprit, parlant en l'Escriture Sainte, rende rayson en plusieurs endroitz de presque tout ce que nous sçaurions desirer, touchant ce que sa Providence fait en la conduite des hommes au saint amour et au salut eternel, si est-ce neanmoins qu'en plusieurs occasions il declare qu'il ne faut nullement se departir du respect qui est deu a sa volonté, de laquelle nous devons adorer le propos, le decret, le bon playsir et l'arrest; au bout duquel, comme souverain Juge et souverainement equitable, il n'est pas raysonnable qu'elle manifeste ses motifs, ains suffit qu'elle die simplement: et pour cause.

  A004000771 

 O Theotime mon ami, jamais, non jamais nous ne devons laisser emporter nostre esprit a ce tourbillon de vent follet, ni penser de treuver une meilleure rayson de la volonté de Dieu que sa volonté mesme, laquelle est souverainement raysonnable, ains la rayson de toutes [236] les raysons, la regle de toute bonté, la loy de toute equité.

  A004000771 

 Que si nous devons charitablement porter tant d'honneur aux decretz des cours souveraines composees de juges corruptibles de la terre et de terre, que de croire qu'ilz n'ont pas esté faitz sans motifs, quoy que nous ne les sachions pas, hé, Seigneur Dieu, avec quelle reverence amoureuse devons-nous adorer l'equité de vostre providence supreme, laquelle est infinie en justice et bonté!.

  A004000772 

 Ainsy, en mille lieux de la sacree Parole, nous trouvons la rayson pour laquelle Dieu a repreuvé le peuple Juif: Parce, disent saint Paul et saint Barnabas, que vous repousses la parole de Dieu et que vous vous jugés vous mesmes indignes de la vie eternelle, voyci nous nous tournons devers les Gentilz.

  A004000772 

 C'est pourquoy ce divin Apostre conclud en cette sorte le long discours qu'il en avoit fait: O profondité des richesses de la sagesse et science de Dieu! que ses jugemens sont incomprehensibles et ses voyes imperceptibles! Qui [237] connoist les pensees du Seigneur? ou qui a esté son conseiller? Exclamation par laquelle il tesmoigne que Dieu fait toutes choses avec grande sagesse, science et rayson, mais en telle sorte neanmoins, que l'homme n'estant pas entré au divin conseil duquel les jugemens et projetz sont infiniment eslevés au dessus de nostre capacité, nous devons devotement adorer ses decretz comme tres equitables, sans en rechercher les motifs qu'il retient en secret par devers soy, affin de tenir nostre entendement en respect et humilité par devers nous..

  A004000772 

 Et qui considerera en tranquillité d'esprit le IX, X et XI chapitre de l'Epistre aux Romains, verra clairement que la volonté de Dieu n'a point rejetté le peuple Juif sans rayson; mais neanmoins cette rayson ne doit point estre recherchee par l'esprit humain, qui, au contraire, est obligé de s'arrester purement et simplement a reverer le decret divin, l'admirant avec amour comme infiniment juste et equitable, et l'aymant avec admiration comme impenetrable et incomprehensible.

  A004000773 

 Escoute une fois et entens! N'es-tu pas tiré? prie affin que tu sois tiré.» «Certes, c'est asses au Chrestien vivant encor de la foy et ne voyant pas ce qui est parfait, mays sçachant seulement en partie, de sçavoir et croire que Dieu ne deslivre personne de la damnation sinon par misericorde gratuite, par Jesus Christ Nostre Seigneur, et qu'il ne damne personne sinon par sa tres equitable verité, par le mesme Jesus Christ Nostre Seigneur: mais de sçavoir pourquoy il deslivre celuy cy plustost que celuy la, recherche qui pourra une si grande profondité de ses jugemens, mais qu'il se garde du precipice;» car «ses decretz ne sont pas pour cela injustes, encor qu'ilz soyent secretz.» «Mais pourquoy deslivre-il donq ceux ci plustost que ceux la? Nous disons derechef: O homme, qui es tu qui respondes a Dieu? S es jugemens sont incomprehensibles et ses voÿes inconneües; et adjoustons ceci: Ne t'enquiers pas des choses qui sont au dessus de toy et ne recherche pas ce qui est au dela de tes forces.» «Or, il ne fait pas misericorde a ceux ausquelz, par une verité tres secrete et tres esloignee des pensees humaines, il juge qu'il ne doit pas departir sa faveur ou misericorde.» [238].

  A004000774 

 Et certes, cette response est bien solide; mais, suivant l'advis du divin saint Paul et de saint Augustin, nous ne nous devons pas amuser a cette consideration, laquelle, quoy que bonne, n'est pas toutefois comparable a plusieurs autres que Dieu s'est reservé et qu'il nous fera connoistre en Paradis.

  A004000774 

 Nous voyons quelquefois des enfans jumeaux, dont l'un naist plein de vie et reçoit le Baptesme, l'autre en naissant perd la vie temporelle avant que de renaistre a l'eternelle; l'un, par consequent, est heritier du Ciel, l'autre privé de l'heritage.

  A004000774 

 Or, pourquoy la divine Providence donne-elle des evenemens si divers a une si pareille naissance? Certes, on peut dire que la Providence de Dieu ne viole pas ordinairement les lois de la nature; si que l'un de ces bessons estant vigoureux, et l'autre estant trop foible pour supporter l'effort de la sortie du ventre maternel, celuy ci est mort avant que de pouvoir estre baptizé, et l'autre a vescu; la Providence n'ayant pas voulu empescher le cours des causes naturelles, lesquelles en cette occurrence auront esté la rayson de la privation du Baptesme en celuy qui ne l'a pas eu.

  A004000774 

 «Alhors,» dit saint Augustin, «ce ne sera plus chose secrette pourquoy l'un plustost que l'autre est eslevé, la cause estant esgale de l'un et de l'autre; ni pourquoy des miracles n'ont pas esté faitz parmi ceux entre lesquelz s'ilz eussent esté faitz ilz eussent fait penitence, et ont esté faitz parmi ceux qui n'estoyent pas pour croire.» Et ailleurs, ce mesme Saint, parlant des pecheurs dont Dieu laisse l'un en son iniquité et en releve l'autre: «Or, pourquoy il retient l'un,» dit-il, «et ne retient pas l'autre, il n'est pas possible de le comprendre ni loysible de s'en enquerir, puisqu'il suffit de savoir qu'il depend de luy qu'on demeure debout, et ne vient pas de luy qu'on tumbe;» et derechef: «Cela est caché et tres esloigné de l'esprit humain, au moins du mien.».

  A004000775 

 Et d'autant qu'il n'estoit pas expedient pour nostre salut que nous eussions connoissance de ces secretz, ains nous estoit plus utile de les ignorer pour nous tenir en humilité, pour cela Dieu ne les a pas voulu reveler, et mesme le saint Apostre n'a pas osé s'en enquerir, ains a tesmoigné l'insuffisance de nostre entendement pour ce sujet, lhors qu'il s'est escrié: O profondité des richesses de la sapience et science de Dieu! » Pourroit on parler plus saintement, Theotime, d'un si saint mystere? Aussi, ce sont les paroles d'un tressaint et judicieux Docteur de l'Eglise.

  A004000775 

 «Peut estre,» dit il, «que c'est par la prevision des biens qui se feront par celuy qui est tiré, entant qu'ilz proviennent aucunement de la volonté: mais de sçavoir dire quelz biens sont ceux, la prevision desquelz sert de motif a la divine volonté, ni je ne le sçay pas distinctement ni je ne m'en veux pas enquerir, et il n'y a point de rayson que de quelque sorte de convenance, de maniere que nous en pourrions dire quelqu'une, et c'en seroit une autre; c'est pourquoy nous ne sçaurions avec certitude marquer la vraye rayson ni le vray motif de la volonté de Dieu pour ce regard, car, comme dit saint Augustin, bien que la verité en soit tres certaine, elle est neanmoins tres esloignee de nos pensees, de sorte que nous n'en sçaurions rien dire d'asseuré, sinon par la revelation de Celuy auquel toutes choses sont conneües.

  A004000779 

 Aymons donq et adorons en esprit d'humilité cette profondité des jugemens de Dieu, Theotime, «la-quelle,» comme dit saint Augustin, «le saint Apostre ne descouvre pas, ains l'admire, quand il exclame: O profondité des jugemens de Dieu!» «Qui pourroit compter le sable de la mer, les gouttes de la pluye, et mesurer la largeur de l'abisme?» dit cet excellent esprit de saint Gregoire Nazianzene, «et qui pourra sonder la profondité de la divine sagesse, par laquelle elle a creé toutes choses et les modere comme elle veut et entend? Car de vray, il suffit qu'a l'exemple de l'Apostre, sans nous arrester a la difficulté et obscurité d'icelle, nous l'admirions: O profondité des richesses de la sagesse et de la science de Dieu! o que ses jugemens sont inscrutables et ses voÿes inaccessibles! Qui a conneu le sentiment du Seigneur? et qui a esté son conseiller?» Theotime, les raysons de la volonté divine ne peuvent estre penetrees par nostre esprit, jusques a ce que nous voyons la face de Celuy qui atteint de bout a bout fortement, et dispose toutes choses suavement, faisant tout ce qu'il fait en nombre, poids et mesure, et auquel le Psalmiste dit: Seigneur, vous aves tout fait en sagesse..

  A004000780 

 Combien de fois nous arrive-il d'ignorer comment et pourquoy les œuvres mesmes des hommes se font? Et donques, dit le mesme saint Evesque de Nazianze, «l'artisan n'est pas ignorant, encor que nous ignorons son artifice, ni de mesme, certes, les choses de ce monde [241] ne sont pas temerairement et imprudemment faites, encor que nous ne sachions pas leurs raysons.» Si nous entrons en la boutique d'un horloger, nous treuverons quelquefois un horologe qui ne sera pas plus gros qu'une orange, auquel il y aura neanmoins cent ou deux cens pieces, desquelles les unes serviront a la monstre, les autres a la sonnerie des heures et du resveille-matin; nous y verrons des petites roues dont les unes vont a droite, les autres a gauche, les unes tournent par dessus, les autres par bas, et le balancier qui a coups mesurés va balançant son mouvement de part et d'autre: et nous admirons comme l'art a sceu joindre une telle quantité de si petites pieces les unes aux autres, avec une correspondance si juste, ne sçachans ni a quoy chasque piece sert ni a quel effect elle est faitte ainsy, si le maistre ne le nous dit, et seulement en general nous sçavons que toutes servent pour la monstre ou pour la sonnerie.

  A004000780 

 On dit que les bons Indois s'amuseront des jours entiers aupres d'un horologe pour ouïr sonner les heures a point nommé, et ne pouvans deviner comme cela se fait, ilz ne dient pas pourtant que c'est sans art et rayson, ains demeurent ravis d'amour et d'honneur envers ceux qui gouvernent les horologes, les admirans comme gens plus qu'humains..

  A004000781 

 Et nous sçavons bien en general que ces pieces diversifiees en tant de sortes, servent toutes, ou pour faire paroistre comme en une monstre la tressainte justice de Dieu, ou pour manifester la triomphante misericorde de sa bonté, comme par une sonnerie de louange; mays de connoistre en particulier l'usage de chasque piece, ou comme elle est ordonnee a la fin generale, ou pourquoy elle est faite ainsy, nous ne le pouvons pas entendre, sinon que le souverain Ouvrier nous l'enseigne.

  A004000781 

 Or il ne nous manifeste pas son art, affin que nous l'admirions avec plus de reverence, jusqu'a ce qu'estans [242] au Ciel il nous ravisse en la suavité de sa sagesse, lhors qu'en l'abondance de son amour il nous descouvrira les raysons, moyens et motifs de tout ce qui se sera passé en ce monde au prouffit de nostre salut eternel..

  A004000781 

 Theotime, nous voyons ainsy cet univers, et sur tout la nature humaine, comme un horologe composé d'une si grande varieté d'actions et de mouvemens que nous ne sçaurions nous empescher de l'estonnement.

  A004000782 

 Croyons donq, que comme Dieu est le facteur et Pere de toutes choses, aussi en a-il le soin par sa providence qui serre et embrasse toute la machine des creatures, et sur tout croyons qu'il preside a nos affaires, de nous autres qui le connoissons, encor que nostre vie soit agitee de tant de contrarietés d'accidens: dont la rayson nous est inconneüe affin, peut estre, que ne pouvans pas arriver a cette connoissance, nous admirions la rayson souveraine de Dieu qui surpasse toutes choses; car, envers nous, la chose est aysement mesprisee qui est aysement conneüe, mais ce qui surpasse la pointe de nostre esprit, plus il est difficile d'estre entendu, plus aussi il nous excite a une grande admiration.» Certes, les raysons de la providence celeste seroyent bien basses si nos petitz espritz y pouvoyent atteindre; elles seroyent moins aymables en leur suavité et moins admirables en leur majesté, si elles estoyent moins esloignees de nostre capacité..

  A004000782 

 «Nous ressemblons,» dit derechef le grand Nazianzene, «a ceux qui sont affligés du vertigo ou tournoyement de teste: il leur est advis que tout tourne sans dessus dessous autour d'eux, bien que ce soit leur cervelle et imagination qui tournent, et non pas les choses; car ainsy, rencontrans quelques evenemens desquelz les causes nous sont inconneües, il nous semble que les choses du monde sont administrees sans rayson parce que nous ne la sçavons pas.

  A004000783 

 Exclamons donques, Theotime, en toutes occurrences, mais exclamons d'un cœur tout amoureux envers la providence toute sage, toute puissante et toute douce de nostre Pere eternel: O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu! O Seigneur Jesus, Theotime, que les richesses de la bonté divine sont excessives! Son amour envers nous est un abisme incomprehensible; c'est pourquoy il nous a preparé une [243] riche suffisance, ou plustost une riche affluence de moyens propres pour nous sauver, et pour les nous appliquer suavement il use d'une sagesse souveraine, ayant par son infinie science preveu et conneu tout ce qui estoit requis a cet effect.

  A004000783 

 Hé, que pouvons-nous craindre, ains, que ne devons-nous pas esperer, estans enfans d'un Pere si riche en bonté pour nous aymer et vouloir sauver, si sçavant pour preparer les moyens convenables a cela, et si sage pour les appliquer; si bon pour vouloir, si clairvoyant pour ordonner, si prudent pour executer!.

  A004000784 

 Ces jugemens sont incomprehensibles, ou, comme lit saint Gregoire Nazianzene, ilz sont inscrutables, c'est a dire, nous n'en sçaurions reconnoistre et penetrer les motifs; les voyes et moyens par lesquelz il les execute et conduit a chef ne peuvent estre discernés et reconneus, et, pour bon sentiment que nous ayons, nous demeurons en defaut a chasque bout de champ et en perdons la trace.

  A004000788 

 Certes, la vie d'un homme qui, tout alangouri, va petit a petit mourant dans un lit, ne merite presque plus que l'on l'appelle vie, puisque encor qu'elle soit vie, elle est toutefois tellement meslee avec la mort, qu'on ne sçauroit dire si c'est une mort encor vivante ou une vie mourante.

  A004000788 

 Et cet amour qui est en son declin et qui va perissant et defaillant, est appellé amour imparfait; parce que, encores qu'il soit entier en l'ame, il n'y est pas ce semble entierement, c'est a dire, il ne tient quasi plus a l'ame et est sur le point de l'abandonner.

  A004000788 

 Helas, que c'est un piteux spectacle, Theotime! Mais bien plus lamentable est l'estat d'une ame laquelle, ingrate a son Sauveur, va de moment en moment en arriere, se retirant de l'amour divin par certains degrés d'indevotion et de desloyauté, jusques a tant que, l'ayant du tout quitté, elle demeure en l'horrible obscurité de perdition.

  A004000788 

 La charité, tandis qu'elle est en nous, produit force actions d'amour envers Dieu, par le frequent exercice desquelles nostre ame prend une certaine habitude et coustume d'aymer Dieu, qui n'est pas la charité, ains seulement un pli et inclination que la multitude des actions a donné a nostre cœur.

  A004000788 

 Or, la charité estant separee de l'ame par le peché, il y reste maintefois une certaine ressemblance de charité qui nous peut decevoir et amuser vainement; et je vous diray que c'est.

  A004000789 

 Ainsy la charité, par la multitude des actes qu'elle produit, imprime en nous une certaine facilité d'aymer, laquelle elle nous laisse apres mesme que nous sommes privés de sa presence..

  A004000789 

 Apres avoir fait une longue habitude de prescher ou dire la Messe par election, il nous arrive maintefois en songe de parler et dire les mesmes choses que nous dirions en preschant ou celebrant: si que la coustume et habitude acquise par election et vertu, est en quelque sorte prattiquee par apres sans election et sans vertu, puisque les actions faites en dormant n'ont de la vertu, a parler generalement, qu'une apparente image, et en sont seulement des simulacres et representations.

  A004000790 

 Et de fait, il y avoit beaucoup a dire entre nos voix et celles-la: car quand nous disions une grande suite de motz elles n'en redisoyent que quelques uns, accourcissovent la prononciation des syllabes, qu'elles passoyent fort vistement et avec des tons et accens tout differens des nostres; et si, elles ne commençoyent a former ces motz qu'apres que nous les avions achevés de prononcer: en somme, ce n'estoyent [246] point des paroles d'un homme vivant, mais, par maniere de dire, des paroles d'un rocher creux et vain, lesquelles toutefois representoyent si bien la voix humaine de laquelle elles avoyent pris leur origine, qu'un ignorant s'y fust amusé et mespris..

  A004000790 

 J'ay veu, estant jeune escholier, qu'en un village proche de Paris, dans un certain puits, il y avoit une echo laquelle repetoit les paroles que nous prononcions la au pres, plusieurs fois.

  A004000790 

 Que si quelqu' idiot sans experience eust ouy ces repetitions de paroles, il eust creu qu'il y eust eu quelqu'homme au fond du puits qui les eust faites; mais nous sçavions des-ja, par la philosophie, qu'il n'y avoit personne dans le puits qui redist nos paroles, ains que seulement il y avoit quelques concavités, en l'une desquelles nos voix estans ramassees et ne pouvans passer outre, pour ne point perir du tout et employer les forces qui leur restoyent, elles produisoyent des secondes voix, et ces secondes voix, ramassees dans une autre concavité, en produisoyent des troisiesmes, et ces troisiesmes en pareille façon des quatriesmes, et ainsy consecutivement jusques a onze: si que ces voix-la faites dans le puits n'estoyent plus nos voix, ains des ressemblances et images d'icelles.

  A004000791 

 Et cela se fait de la sorte parce que cet amour humain, en l'absence de la charité, n'a plus aucune force surnaturelle pour porter l'ame a l'excellente action de l'amour de Dieu sur toutes choses..

  A004000791 

 Et quant au ton, la charité l'a fort esgal, doux et gracieux; mais cet amour humain va tous-jours ou trop haut es choses terrestres ou trop bas es celestes, et ne commence jamais sa besoigne qu'apres que la charité a cessé de faire la sienne: car tandis que la charité est en l'ame, elle se sert de cet amour humain, qui est sa creature, et l'employe pour faciliter ses operations, si que, pendant ce tems la, les œuvres de cet amour, comme d'un serviteur, appartiennent a la charité qui en est la dame.

  A004000791 

 Mays la charité estant esloignee, alhors les actions de cet amour sont du tout a luy et [247] n'ont plus l'estime et valeur de la charité; car, comme le baston d'Elisee, en l'absence d'iceluy, quoy qu'en la main du serviteur Giesi qui l'avoit receu de celle d'Elisee, ne faisoit nul miracle, aussi les actions faites en l'absence de la charité, par la seule habitude de l'amour humain, ne sont d'aucun merite ni d'aucune valeur pour la vie eternelle, quoy que cet amour humain ayt appris a les faire de la charité et ne soit que son serviteur.

  A004000791 

 Or je veux maintenant dire ainsy: quand le saint amour de charité rencontre une ame maniable et qu'il fait quelque long sejour en icelle, il y produit un second amour, qui n'est pas un amour de charité quoy qu'il provienne de la charité, ains c'est un amour humain, lequel neanmoins ressemble tellement la charité, qu'encores que par apres elle perisse en l'ame, il est advis qu'elle y soit tous-jours, d'autant qu'elle y a laissé apres soy cette sienne image et ressemblance qui la represente; en sorte qu'un ignorant s'y tromperoit, ainsy que les oyseaux firent en la peinture des raysins de Zeuxis, qu'ilz cuyderent estre des vrays raysins, tant l'art avoit proprement imité la nature.

  A004000795 

 Helas, mon Theotime, voyés, je vous prie, le pauvre Judas apres qu'il eut trahi son Maistre, comme il va rapporter l'argent aux Juifz, comme il reconnoist son peché, comme il parle honnorablement du sang de cet Aigneau immaculé: c'estoyent des effectz de l'amour imparfait que la precedente charité passee luy avoit laissé dans le cœur.

  A004000796 

 Quand la charité a regné quelque tems en une ame, on y treuve ses passees, sa piste, ses alleures, son vent, pour quelque tems apres qu'elle l'a quittee; mais petit a petit en fin tout cela s'esvanouit, et on perd toute sorte de connoissance que jamais la charité y ayt esté..

  A004000796 

 Quand le cerf a passé la nuit en quelque lieu, la [248] matinee mesme l'assentiment et le vent en est encor frais, le soir il est plus malaysé a prendre; mais a mesme que ses alleures sont vielles et dures, les chiens vont aussi perdant connoissance.

  A004000797 

 Nous avons veu des jeunes gens bien nourris en l'amour de Dieu, qui se detraquans, ont demeuré quelque tems au milieu de leur malheureuse decadence qu'on ne laissoit pas de voir en eux des grandes marques de leur vertu passee, et que, l'habitude acquise du tems de la charité repugnant au vice present, on avoit peyne durant quelques mois de discerner s'ilz estoyent hors de la charité ou non, et s'ilz estoyent vertueux ou vitieux; jusques a ce que le progres faisoit clairement connoistre que ces exercices vertueux ne prenoient pas leur origine de la charité presente, mais de la charité passee, non de l'amour parfait, mais de l'imparfait que la charité avoit laissé apres soy comme marque du logement qu'elle avoit fait en ces ames-la..

  A004000798 

 Que s'il ne peut faire les actions de l'amour parfait, il n'en est pourtant pas a mespriser, car la condition de sa nature est telle: ainsy les estoiles qui en comparayson du soleil sont fort imparfaites, sont neanmoins extremement belles regardees en particulier, et ne tenant point de rang en la presence du soleil elles en tiennent en son absence..

  A004000799 

 Or l'amour propre nous deçoit de mesme façon: pour peu que nous quittions la charité, il fourre en nostre estime cette habitude imparfaite, et nous prenons nostre contentement en elle comme si c'estoit la vraye charité, jusques a ce que quelque claire lumiere nous fasse voir que nous sommes abusés..

  A004000799 

 Si Jacob n'eust point abandonné sa parfaite Rachel et se fust tous-jours tenu pres d'elle au jour de ses noces, il n'eust pas esté trompé comme il fut; mais parce qu'il la laissa aller sans luy en la chambre, il fut tout estonné le matin suivant de treuver qu'en son lieu il n'avoit que l'imparfaite Lia, qu'il croyoit neanmoins estre sa chere Rachel: mais Laban l'avoit ainsy trompé.

  A004000799 

 Toutefois, quoy que cet amour imparfait soit bon en soy, il nous est neanmoins perilleux, pour autant que souvent nous nous contentons de l'avoir luy seul, parce [249] que, ayant plusieurs traitz exterieurs et interieurs de la charité, pensans que ce soit elle mesme que nous avons, nous nous amusons et estimons d'estre saintz, tandis qu'en cette vaine persuasion, les pechés qui nous ont privés de la charité croissent, grossissent et multiplient si fort qu'en fin ilz se rendent maistres de nostre cœur.

  A004000800 

 Hé Dieu, n'est-ce pas une grande pitié de voir une ame qui se flatte en cette imagination d'estre sainte, demeurant en repos comme si elle avoit la charité, se treuver toutefois en fin que sa sainteté est fainte, et que son repos n'est qu'une lethargie et sa joye une manie? [250].

  A004000804 

 Mais quel moyen, me dires vous, de discerner si c'est Rachel ou Lia, la charité ou l'amour imparfait, qui me donne les sentimens de devotion dont je suis touché? Si examinant en particulier les objetz des desirs, des affections et des desseins que vous aves presentement, vous en treuves quelqu'un pour lequel vous voulussies contrevenir a la volonté et au bon playsir de Dieu, pechant mortellement, c'est hors de doute que tout le sentiment, toute la facilité et promptitude que vous aves a servir Dieu n'a point d'autre source que de l'amour humain et imparfait; car si l'amour parfait regnoit en vous, o Seigneur Dieu! il romproit toute affection, tout desir, tout dessein duquel l'objet serait si pernicieux, et ne pourroit souffrir que vostre cœur le regardast..

  A004000805 

 Mais remarqués que j'ay dit cet examen devoir estre fait des affections que vous aves presentement; car il n'est pas besoin de vous imaginer celles qui pourroyent naistre par apres, puis qu'il suffit que nous soyons fideles es occurrences presentes, selon la diversité des tems, et que chasque saison a bien asses de son travail et de sa peyne..

  A004000806 

 Que si toutefois vous voulies exercer vostre cœur a la vaillance spirituelle par la representation de diverses rencontres et de divers assautz, vous le pourries utilement faire, pourveu qu'apres les actes de cette vaillance imaginaire que vostre cœur aurait fait, vous ne vous estimassies point plus vaillant; car les enfans d'Ephraïm, qui faisoyent merveilles a bien descocher leurs arcs es essays de guerre qu'ilz faisoyent entr'eux, [251] quand ce vint au fait et au prendre, au jour de la bataille, ilz tournerent le dos, et n'eurent seulement pas l'asseurance de mettre leurs fleches au trait ni de regarder la pointe de celles de leurs ennemis..

  A004000807 

 Mais si la desfiance se rendoit si demesuree qu'il nous semblast de n'avoir ni force ni courage, et que partant il nous arrivast du desespoir sur le sujet des tentations imaginees, comme si nous n'estions pas en la charité et grace de Dieu, il nous faut alhors faire resolution, malgré nostre sentiment et descouragement, de bien estre fideles en tout ce qui nous arrivera, jusques a la tentation qui nous met en peyne, et esperer que lhors qu'elle arrivera Dieu multipliera sa grace, redoublera son secours et nous fera toute l'assistance requise, et que ne nous donnant pas la force pour une guerre imaginaire et non necessaire, il nous la donnera quand ce viendra au besoin.

  A004000807 

 Quand donq on fait la prattique de cette vaillance par les occurrences futures ou seulement possibles, si on a un sentiment bon et fidele on en remercie Dieu, car ce sentiment est tous-jours bon, mais pourtant on demeure avec humilité entre la confiance et desfiance, esperant que moyennant l'assistance divine on feroit en l'occasion ce qu'on s'imagine, et toutefois, craignant que selon nostre misere ordinaire peut estre n'en ferions nous rien et perdrions courage.

  A004000808 

 Ainsy, mon cher Theotime, il n'est pas necessaire que nous ayons tous-jours le sentiment et mouvement du courage requis a surmonter le lion rugissant qui va ça et la rodant pour nous devorer; cela nous pourroit donner de la vanité et presomption: il suffit bien que nous ayons bon desir de combattre vaillamment, et une parfaite confiance que l'Esprit divin nous assistera de son secours lhors que l'occasion de l'employer se presentera..

  A004000808 

 En fin, en ces espouventemens pris pour la representation des assautz futurs, lhors qu'il nous semble que le cœur nous manque, il suffit de desirer du courage et se confier en Dieu qu'il nous en donnera quand il en sera tems.

  A004000808 

 Samson n'avoit certes pas tous-jours son [252] courage, ains il est marqué en l'Escriture, que le lion des vignes de Tamnatha venant a luy furieusement et rugissant, l'esprit de Dieu le saisit, c'est a dire, Dieu luy donna le mouvement d'une nouvelle force et d'un nouveau courage, et il mit en pieces le lion comme il enst fait un chevreau; et tout de mesme quand il desfit les mille Philistins qui le vouloyent desfaire en la campaigne de Lechi.

  A004000817 

 L'amour n'est autre chose, ainsy que nous avons dit, sinon le mouvement et escoulement du cœur, qui se fait envers le bien par le moyen de la complaysance que l'on a en iceluy; de sorte que la complaysance est le grand motif de l'amour, comme l'amour est le grand mouvement de la complaysance..

  A004000818 

 Nous sçavons par la foy que la Divinité est un abisme incomprehensible de toute perfection, souverainement infini en excellence et infiniment souverain en bonté; et cette verité que la foy nous enseigne, nous la considerons attentivement par la meditation, regardans cette immensité de biens qui sont en Dieu, ou tous ensemble [255] par maniere d'assemblage de toutes perfections, ou distinctement considerant ses excellences l'une apres l'autre: comme par exemple, sa toute puissance, sa toute sagesse, sa toute bonté, son eternité, son infinité.

  A004000818 

 O que beni soit a jamais mon Dieu dequoy il est si bon! hé, que je meure ou que je vive, je suis trop heureuse de sçavoir que mon Dieu est si riche en tous biens, que sa bonté est si infinie et son infinité si bonne..

  A004000818 

 Or, quand nous avons rendu nostre entendement fort attentif a la grandeur des biens qui sont en ce divin object, il est impossible que nostre volonté ne soit touchee de complaysance en ce bien, et lhors nous usons de nostre liberté et de l'authorité que nous avons sur nous mesmes, provoquans nostre propre cœur a repliquer et renforcer sa premiere complaysance par des actes d'approbation et res-jouissance: O, dit alhors l'ame devote, que vous estes beau, mon Bienaymé, que vous estes beau! vous estes tout desirable, ains vous estes le desir mesme; tel est mon Bienaymé, et il est l'Ami de mon cœur, o filles de Hierusalem.

  A004000819 

 Ainsy, appreuvans le bien que nous voyons en Dieu et nous res-jouissans d'iceluy, nous faysons l'acte d'amour que l'on appelle complaysance, car nous nous playsons du playsir divin infiniment plus que du nostre propre; et c'est cet amour qui donnoit tant de contentement aux Saintz quand ilz pouvoyent raconter les perfections de leur Bienaymé, et qui leur faisoit prononcer avec tant de suavité que Dieu estoit Dieu.

  A004000819 

 Il est Dieu de nostre cœur par cette complaysance, d'autant que par icelle nostre cœur l'embrasse et le rend sien; il est nostre heritage, d'autant que par cet acte nous jouissons des biens qui sont en Dieu, et comme d'un heritage nous en tirons toute sorte de playsir et de contentement.

  A004000819 

 Or sçachés, disoyent ilz, que le Seigneur il est Dieu; O Dieu, mon Dieu, mon Dieu, vous estes mon Dieu; J'ay dit au Seigneur, vous estes mon Dieu; Dieu de mon cœur, et mon Dieu est le lot de mon héritage eternellement.

  A004000821 

 O Dieu, quelle joye aurons nous au Ciel, Theotime, lhors que nous verrons le Bienaymé de nos cœurs, comme une mer infinie de laquelle les eaux ne sont que perfection et bonté! Alhors, comme des cerfs qui longuement pourchassés et malmenés, s'abouchans a une claire et fraische fontaine tirent a eux la fraischeur de ses belles eaux, ainsy nos cœurs, apres tant de langueurs et de desirs, arrivans a la source forte et vivante de la Divinité, tireront par leur complaysance toutes les perfections de ce Bienaymé, et en auront la parfaite jouissance par la res-jouissance qu'ilz y prendront, se remplissans de ses delices immortelles: et en cette sorte le cher Espoux entrera dedans nous comme dans son lit nuptial, pour communiquer sa joye eternelle a nostre ame; selon qu'il dit luy mesme, que si nous gardons la sainte loy de son amour, il viendra et fera son sejour en nous.

  A004000822 

 Cette ame, donques, avoit une telle complaysance et se sentoit tant honnoree en la bonté divine qui reluit en la vie, mort et passion du Sauveur, qu'il ne prenoit aucun playsir qu'en cet honneur; et c'est cela qui luy fait dire: Ja n'advienne que je me glorifie sinon en la Croix de mon Sauveur; comme il dit aussi, qu'il ne vivoit pas luy mesme, ains Jesus Christ vivoit en luy.

  A004000822 

 L'amour que le grand apostre saint Paul portoit a la vie, mort et passion de Nostre Seigneur fut si grand, qu'il tira la vie mesme, la mort et la passion de ce divin Sauveur dans le cœur de son amoureux serviteur, duquel la volonté en estoit remplie par dilection, sa memoyre par meditation et son entendement par contemplation.

  A004000822 

 Mays par quel canal et conduit estoit venu le doux Jesus dans le cœur de saint Paul? Par le canal de la complaysance, comme il le declaire luy mesme disant: Ja n'advienne que je me glorifie sinon en la Croix de Nostre Seigneur Jesus Christ; car, si vous y prenes bien garde, entre se glorifier en une personne et se complayre en icelle, prendre a gloire et prendre a playsir une chose, il n'y a pas autre difference sinon que celuy qui prend une chose a gloire, outre le playsir il adjouste l'honneur, l'honneur n'estant pas sans playsir, bien que le playsir puisse estre sans honneur.

  A004000826 

 En somme, l'aphorisme des medecins est vray, que ce qui est savouré nourrit; et celuy des philosophes: ce qui plaist, paist..

  A004000826 

 Nous nous paissons avec luy de sa douceur par le playsir que nous y prenons, et rassasions nostre cœur es perfections divines par l'ayse que nous en avons: et ce repas est un souper a cause du repos qui le suit, la complaysance nous faysant doucement reposer en la suavité du bien qui nous delecte et duquel nous repaissons nostre cœur; car, comme vous sçaves, Theotime, le cœur se paist des choses esquelles il se plaist, si que, en nostre langue françoise, on dit que l'un se paist de l'honneur, l'autre des richesses, comme le Sage avoit dit que la bouche des folz se paist d'ignorance; et la souveraine Sagesse proteste que sa viande, c'est a dire son playsir, n'est autre chose que de faire la volonté de son Pere.

  A004000826 

 O Dieu, que l'ame est heureuse qui prend son playsir a sçavoir et connoistre que Dieu est Dieu et que sa bonté est une infinie bonté; car ce celeste Espoux, par cette porte de la complaysance, entre en elle et soupe avec nous, comme nous avec luy.

  A004000827 

 Ainsy tirons nous le cœur de Dieu dedans le nostre, et il y respand son baume pretieux; et ainsy se prattique ce que la sainte Espouse dit avec tant d'allegresse: Le Roy de mon cœur m'a menee dans ses cabinetz; nous tressaillirons et nous res-jouirons en vous, nous ramentevans de vos mammelles plus aymables que le vin; les bons vous ayment. Car je vous prie, Theotime, qui sont les cabinetz de ce Roy d'amour, sinon ses tetins qui abondent en varieté de douceurs et suavités? La poitrine et les mammelles de la mere sont les cabinetz des tresors du petit enfant; il n'a point d'autres richesses que celles la, qui luy sont plus pretieuses que l'or et le topaze, plus aymables que le reste du monde..

  A004000827 

 Or le divin Espoux vient en son jardin quand il vient en l'ame devote, car, puisqu'il se plaist d'estre avec les enfans des hommes, ou peut il mieux loger qu'en la contree de l'esprit qu'il a fait a son image et [259] semblance? En ce jardin, luy mesme y plante la complaysance amoureuse que nous avons en sa bonté, et de laquelle nous nous paissons; comme de mesme sa bonté se plaist et se paist en nostre complaysance; ainsy que, derechef, nostre complaysance s'augmente dequoy Dieu se plaist de nous voir plaire en luy: de sorte que ces reciproques playsirs font l'amour d'une incomparable complaysance, par laquelle nostre ame, faite jardin de son Espoux et ayant de sa bonté les pommiers des delices, elle luy en rend le fruit; puisqu'il se plaist de la complaysance qu'elle a en luy.

  A004000827 

 Que mon Bienaymé vienne en son jardin, dit l'Espouse sacree, et qu'il y mange le fruit de ses pommes.

  A004000828 

 Ah, les justes et bons vous ayment! et comme pourroit-on estre bon et n'aymer pas une si grande bonté? Les princes terrestres ont leurs tresors es cabinetz de leur palais, leurs armes en leurs arsenalz: mays le Prince celeste, il a son tresor en son sein, ses armes dans sa poitrine; et parce que son tresor est sa bonté, comme ses armes sont ses amours, son sein et sa poitrine ressemble a celle d'une douce mere qui a deux beaux tetins comme deux cabinetz, riches en douceur de bon lait, armés d'autant de traitz pour assujettir le cher petit poupon comme il en peut faire de traittes en tettant..

  A004000828 

 Et tout ainsy que l'enfançon fait des petitz eslans du costé des tetins de sa mere et trepigne d'ayse de les voir descouvertz, comme la mere aussi de son costé les luy presente avec un amour tous-jours un peu empressé, de mesme l'ame devote ressent des tressaillemens et des eslans de joye nompareille pour le playsir qu'elle a de regarder les tresors des perfections du Roy de son saint amour, et sur tout quand elle void que luy [260] mesme les luy monstre par amour et qu'entre ses perfections celle de son amour infini reluit excellemment.

  A004000828 

 Hé, n'a-elle pas rayson, cette belle ame, de s'escrier: O mon Roy, que vos richesses sont aymables et que vos amours sont riches! Hé, qui en a plus de joye, ou vous qui en jouïsses, ou moy qui m'en res-jouïs? Nous tressaillirons d'allegresse en la souvenance de vostre sein et de vos tetins si leçons en toute excellence de suavité: moy, parce que mon Bienaymé en jouït, vous, parce que vostre bienaymee s'en res-jouït; car ainsy nous en jouissons tous deux, puisque vostre bonté vous fait jouir de ma res-jouissance, et mon amour me fait res-jouir de vostre jouissance.

  A004000828 

 L'ame, donques, qui contemple les tresors infinis des perfections divines en son Bienaymé, se tient pour trop heureuse et riche, d'autant que l'amour rend sien par complaysance tout le bien et contentement de ce cher Espoux.

  A004000829 

 Certes, la nature a logé les tetins en la poitrine affin que la chaleur du cœur y faisant la concoction du lait, comme la mere est la nourrice de l'enfant le cœur d'icelle en fust aussi le nourricier, et que le lait fust une viande toute d'amour, meilleure cent fois que le vin.

  A004000829 

 Le vin, Theotime, est le lait des raysins, et le lait est le vin des tetins: aussi l'Espouse sacree dit que son Bienaymé est raysin pour elle, mais raysin cyprin, c'est a dire d'une odeur excellente.

  A004000829 

 Moyse dit que les Israëlites pouvoyent boire le sang tres pur et tres bon du raysin; et Jacob, descrivant a son filz Judas la fertilité du lot qu'il auroit en la Terre promise, prophetisa sous cette figure la veritable felicité des Chrestiens, disant que le Sauveur laveroit sa robbe, c'est a dire la sainte Eglise, au sang du raysin, c'est a dire en son propre sang.

  A004000829 

 Notés cependant, Theotime, que la comparayson du lait et du vin semble si propre a l'Espouse sacree, qu'elle ne se contente pas de dire une fois que les mammelles de [261] son Espoux surpassent le vin, mais elle le repete par trois fois.

  A004000829 

 Or, le sang et le lait ne sont non plus differens l'un de l'autre que le verjus et le vin; car comme le verjus, meurissant par la chaleur du soleil, change de couleur, devient vin aggreable et se rend propre a nourrir, aussi le sang, assaisonné par la chaleur du cœur, prend la belle couleur blanche et devient une nourriture grandement convenable aux enfans..

  A004000830 

 Le lait, qui est une viande cordiale toute d'amour, represente la science et theologie mystique, c'est a dire le doux savourement provenant de la complaysance amoureuse que l'esprit reçoit lhors qu'il medite les perfections de la Bonté divine; mais le vin signifie la science ordinaire et acquise qui se tire a force de speculation, sous le pressoir de plusieurs argumens et disputes.

  A004000830 

 Or, le lait que nos ames succent es mammelles de la charité de Nostre Seigneur, vaut mieux incomparablement que le vin que nous tirons des discours humains: car ce lait prend son origine de l'amour celeste, qui le prepare a ses enfans avant mesme qu'ilz y ayent pensé; il a un goust amiable et suave, son odeur surpasse tous les parfums, il rend l'haleine franche et douce comme d'un enfant de lait, il donne une joye sans insolence, il enivre sans hebeter, il ne leve pas le sens, mais il le releve..

  A004000831 

 Helas, l'ame qui tient par amour son Sauveur entre les bras de ses affections, combien delicieusement sent-elle les parfums des perfections infinies qui se retreuvent en luy, et avec quelle complaysance dit-elle en soy mesme: Ah, voyci que la senteur de mon Dieu est comme la senteur d'un jardin fleurissant! hé, que ses mammelles sont pretieuses, respandans des parfums souverains! Ainsy l'esprit du grand saint Augustin, balançant entre les sacrés contentemens qu'il avoit a considerer d'un costé le mystere de la naissance de son Maistre, et de l'autre part le mystere de la Passion, s'escrioit tout ravi en cette complaysance:.

  A004000831 

 Quand le saint homme Isaac embrassa et baysa son cher enfant Jacob, il sentit la bonne odeur de ses [262] vestemens, et soudain, parfumé d'un playsir extreme: O, dit-il, voyci que l'odeur de mon filz est comme l'odeur d'un champ fleuri que Dieu a beni; l'habit et le parfum estoit en Jacob, mais Isaac en eut la complaysance et res-jouissance.

  A004000841 

 L'amour que nous portons a Dieu prend son origine de la premiere complaysance que nostre cœur sent soudain qu'il apperçoit la bonté divine, lhors qu'il commence a tendre vers icelle.

  A004000841 

 Or, quand nous accroissons et renforçons cette premiere complaysance par le moyen [263] de l'exercice de l'amour, ainsy que nous avons declaré es chapitres precedens, alhors nous attirons dedans nostre cœur les perfections divines, et jouissons de la divine bonté par la res-jouissance que nous y prenons, prattiquans cette premiere partie du contentement amoureux que l'Espouse sacree exprime disant: Mon Bien-aymé est a moy; mays parce que cette complaysance amoureuse estant en nous qui l'avons, ne laisse pas d'estre en Dieu en qui nous la prenons, elle nous donne reciproquement a sa divine bonté: si que par ce saint amour de complaysance nous jouissons des biens qui sont en Dieu comme s'ilz estoyent nostres, mays parce que les perfections divines sont plus fortes que nostre esprit, entrant en iceluy elles le possedent reciproquement; de sorte que nous ne disons pas seulement que Dieu est nostre par cette complaysance, mais aussi que nous sommes a luy..

  A004000842 

 L'herbe aproxis (ainsy que nous avons dit ailleurs) a une si grande correspondance avec le feu, qu'encor qu'elle en soit esloignee, soudain neanmoins qu'elle est a son aspect elle attire la flamme et commence a brusler, concevant son feu non tant a la chaleur qu'a la lueur de celuy qu'on luy presente.

  A004000842 

 Quand donques par cette attraction elle s'est unie au feu, si elle sçavoit parler ne pourroit-elle pas dire: Mon bienaymé feu est mien, puisque je l'ay attiré a moy et que je jouis de ses flammes; mais moy je suis aussi a luy, car si je l'ay tiré a moy, il me reduit en luy comme plus fort et plus noble: il est mon feu et je suis son herbe, je l'attire et il me brusle.

  A004000844 

 Le chef des Apostres, ayant dit en sa premiere Epistre que les anciens Prophetes avoient manifesté les graces qui devoient abonder parmi les Chrestiens, et entre autres choses la Passion de Nostre Seigneur et la gloire qui la devoit suivre, tant par la resurrection de son cors que par l'exaltation de son nom, en fin il conclud que les Anges mesmes desirent de regarder les mysteres de la redemption en ce divin Sauveur: auquel, dit-il, les Anges desirent regarder.

  A004000844 

 Mais comme donq se peut il entendre que les Anges qui voyent le Redempteur, et en iceluy tous les mysteres de nostre salut, desirent neanmoins encor de le voir? Theotime, ilz le voyent, certes, tous-jours, mais d'une veüe si aggreable et delicieuse que la complaysance qu'ilz en ont les assouvit sans leur oster le desir, et les fait desirer sans leur oster l'assouvissement; la jouissance n'est pas diminuee par le desir, ains en est perfectionnee, comme leur desir n'est pas estouffé, ains affiné par la jouissance..

  A004000844 

 Or en cette complaysance nous assouvissons tellement nostre ame de contentemens, que nous ne laissons pas de desirer de l'assouvir encor, et savourans la bonté divine nous la voudrions encor savourer; en nous rassasiant nous voudrions tous-jours manger, comme en mangeant nous nous sentons rassasier.

  A004000846 

 Les espritz perdus ont un mouvement eternel sans nul meslange de tranquillité; nous autres mortelz, qui sommes encor en ce pelerinage, avons tantost du repos, tantost du mouvement en nos affections; les espritz bienheureux ont tous-jours le repos en leurs mouvemens et le mouvement en leur repos, n'y ayant que Dieu seul qui ait le repos sans mouvement, parce qu'il est souverainement un acte pur et substantiel.

  A004000846 

 Or, bien que selon la condition ordinaire de cette vie mortelle nous n'ayons pas le repos en nostre mouvement, si est-ce toutefois, que lhors que nous faisons les essais des exercices de la vie immortelle, c'est a dire, que nous prattiquons les actes du saint amour, nous treuvons du repos dans le mouvement de nos affections et du mouvement au repos de la complaysance que nous avons en nostre Bienaymé, recevans par ce moyen des avant-goustz de la future felicité a laquelle nous aspirons..

  A004000847 

 Qui desire Dieu en le possedant, ne le desire pas pour le chercher, mais pour exercer cette affection dedans le bien mesme duquel il jouit; car le cœur ne fait pas ce mouvement de desir comme pretendant a la jouissance pour l'avoir, puisqu'il l'a des-ja, mais comme s'estendant en la jouissance laquelle il a; non pour obtenir le bien, mais pour s'y recreer et entretenir; non pour en jouir, mais pour s'y esjouir: ainsy que nous marchons et nous esmouvons pour aller en quelque delicieux jardin, auquel estans arrivés nous ne laissons pas de marcher et nous remuer derechef, non plus pour y venir, mais pour nous pourmener et passer le tems en iceluv; nous avons marché pour aller jouir de l'amenité du jardin, y estans, nous marchons pour nous esjouir en la jouissance d'iceluy..

  A004000847 

 S'il est vray que le cameleon vive de l'air, par tout [266] ou il va dans l'air il a dequoy se repaistre: que s'il se remue d'un lieu a l'autre, ce n'est pas pour chercher dequoy se rassasier, mais pour s'exercer dedans son aliment comme les poissons dedans la mer.

  A004000851 

 En somme, Theotime, l'ame qui est en l'exercice de l'amour de complaysance crie perpetuellement en son sacré silence: Il me suffit que Dieu soit Dieu, que sa bonté soit infinie, que sa perfection soit immense; que je meure ou que je vive il importe peu pour moy, puisque mon cher Bienaymé vit eternellement d'une vie toute triomphante.

  A004000851 

 La mort mesme ne peut attrister le cœur qui sçait que son souverain amour est vivant; c'est asses pour l'ame qui ayme, que celuy qu'elle ayme plus que soy mesme soit comblé de biens eternelz, puisqu'elle vit plus en celuy qu'elle ayme qu'en celuy qu'elle anime, ains qu'elle ne vit pas elle mesme, mais son Bienaymé vit en elle.

  A004000855 

 La compassion, condoleance, commiseration ou misericorde n'est autre chose qu'une affection qui nous fait participer a la passion et douleur de celuy que nous aymons, tirant la misere qu'il souffre dans nostre cœur: dont elle est appellee misericorde, comme qui diroit, une misere de cœur, comme la complaysance tire dedans le cœur de l'amant le playsir et contentement de la chose aymee.

  A004000856 

 Jacob ayant la triste, quoy que fause nouvelle de la mort de son cher Joseph, vous voyes quelle affliction il en sent: Ah, dit-il, je descendray en regret aux enfers, c'est a dire au Limbe, dans le sein d'Abraham, vers cet enfant..

  A004000857 

 La condoleance tire aussi sa grandeur de celle des douleurs que l'on void souffrir a ceux que l'on ayme, car, pour petite que soit l'amitié, si les maux qu'on void endurer sont extremes ilz nous font une grande pitié.

  A004000857 

 On void pour cela Cesar pleurer sur Pompee; et les filles de Hierusalem ne sceurent jamais s'empescher de pleurer sur Nostre Seigneur, bien que la pluspart d'entr'elles ne luy fussent pas grandement affectionnees; comme aussi les amis de Job, quoy que mauvais amis, firent des grans gemissemens voyans l'effroyable spectacle de son incomparable misere; et quel grand coup de douleur au cœur de Jacob, de penser que son cher enfant estoit trespassé d'une mort si cruelle comme est celle d'estre devoré d'une beste sauvage? Mais la commiseration, outre tout cela, se renforce merveilleusement par la presence de l'object miserable: pour cela la pauvre Agar s'esloignoit de son filz languissant, affin d'alleger en quelque sorte la douleur de compassion [269] qu'elle sentoit, disant: Je ne verray pas mourir l'enfant; comme au contraire Nostre Seigneur pleure voyant le sepulchre de son bienaymé Lazare et regardant sa chere Hierusalem; et nostre bon homme Jacob est outré de douleur quand il void la robbe ensanglantee de son pauvre petit Joseph..

  A004000858 

 Mais qu'est-ce a dire, il revescut ou il resuscita? Theotime, les espritz ne meurent de leur propre mort que par le peché, qui les separe de Dieu lequel est leur vraye vie surnaturelle, mais ilz meurent quelquefois de la mort d'autruy; et cela arriva au bon Jacob duquel nous parlons, car l'amour, qui tire dans le cœur de l'amant le bien et le mal de la chose aymee, l'un par complaysance, l'autre par commiseration, tira la mort de l'aymable Joseph dans le cœur de l'amant Jacob; et par un miracle impossible a toute autre puissance qu'a celle de l'amour, l'esprit de ce bon pere estoit plein de la mort de celuy qui estoit vivant et regnant, d'autant que l'affection ayant esté trompee devança l'effect..

  A004000858 

 Or, autant de causes aggrandissent la complaysance: a mesure que l'ami nous est plus cher, nous avons plus de playsir en son contentement, et son bien entre plus avant en nostre ame; que si le bien est excellent, nostre joye en est aussi plus grande; mais si nous voyons l'ami en la jouissance d'iceluy, nostre res-jouissance en devient extreme.

  A004000858 

 Quand le bon Jacob sceut que son filz vivoit, o Dieu quelle joye! son esprit revint en luy, il revescut et, par maniere de dire, il resuscita.

  A004000859 

 Ainsy donq il revescut d'une nouvelle vie, parce que la vie de son filz entra dans son esprit par complaysance et l'anima d'un contentement non pareil, duquel se treuvant assouvi et ne tenant plus conte d'aucun autre playsir en comparayson d'iceluy: Il me suffit, dit-il, si mon enfant Joseph est en vie.

  A004000859 

 O Dieu, Theotime, quelle joye, et que ce viellard l'exprime excellemment! car, que veut-il dire par ces paroles: Maintenant je mourray content, puisque j'ay veu ta face, sinon que son allegresse est si grande qu'elle est capable de rendre joyeuse et aggreable la mort mesme, qui est la plus triste et horrible chose du monde?.

  A004000859 

 [270] Mais quand de ses propres yeux il vid par experience la verité des grandeurs de ce cher enfant en Gessen, panché sur luy et pleurant asses long tems sur le col d'iceluy: Hé, dit-il, maintenant je mourray joyeux, mon cher filz, puisque j'ay veu vostre face et que vous vives encores.

  A004000860 

 Dites-moy, je vous prie, Theotime, qui ressent plus le bien de Joseph, ou luy qui en jouit, ou Jacob qui s'en res-jouit? Certes, si le bien n'est bien que pour le contentement qu'il nous donne, le pere en a autant et plus que le filz; car le filz, avec la dignité de vice-roy qu'il possede, a par consequent beaucoup de soin et d'affaires, mais le pere jouit par complaysance et possede purement ce qui est de bon en cette grandeur et dignité de son filz, sans charge, sans soin et sans peyne.

  A004000860 

 Je mourray joyeux, dit-il: helas, qui ne void son contentement? si la mort mesme ne peut troubler sa joye, qui la pourra donq jamais alterer? si son ayse vit emmi les detresses de la mort, qui la pourra jamais esteindre? L'amour est fort comme la mort, et les allegresses de l'amour surmontent les tristesses de la mort, car la mort ne les peut faire mourir, ains les avive: si que, comme il y a un feu qui par merveille se nourrit en une fontayne proche de Grenoble, ainsy que nous sçavons fort asseurement et que mesme le grand saint Augustin atteste, aussi la sainte charité est si forte qu'elle nourrit ses flammes et ses consolations emmi les plus tristes angoisses de la mort, et les eaux des tribulations ne peuvent esteindre son feu.

  A004000864 

 Les angoisses de mon Bienaymé m'ont toute decoloree: car, comme pourroit une fidele amante voir tant de tourmens en celuy qu'elle ayme plus que sa vie, sans en devenir toute transie, havee et dessechee de douleur? les pavillons des nomades, perpetuellement exposés aux injures de l'air et de la guerre, sont presque tous-jours frippés et couvertz de poussiere, et moy, toute exposee aux regretz que par condoleance je reçois des travaux nompareilz de mon divin Sauveur, je suis toute couverte de detresse et transpercee de douleur; mais parce que les douleurs de Celuy que j'ayme proviennent de son amour, a mesure qu'elles m'affligent par compassion elles me delectent par complaysance, car, comme [272] pourroit une fidele amante n'avoir pas un extreme contentement de se voir tant aymee de son celeste Espoux?.

  A004000864 

 Quand je voy mon Sauveur sur le mont des Olives, avec son ame triste jusques a la mort, hé, Seigneur Jesus, ce dis-je, qui a peu porter ces tristesses de la mort dans l'ame de la vie, sinon l'amour, qui excitant la commiseration, attira par icelle nos miseres dans vostre cœur souverain? Or une ame devote, voyant cet abisme d'ennuis et de detresses en ce divin Amant, comme peut elle demeurer sans une douleur saintement amoureuse? Mays considerant d'ailleurs que toutes les afflictions de son Bienaymé ne procedent pas d'aucune imperfection ni manquement de force, ains de la grandeur de sa treschere dilection, elle ne peut qu'elle ne se fonde toute d'un amour saintement douloureux, si qu'elle s'escrie: Je suis noyre de douleur par compassion, mais je suis belle d'amour par complaysance.

  A004000865 

 Que si je porte le deuil sur la Passion et Mort de mon Roy, toute haslee et noiree de regret, je ne laisse pas d'avoir une douceur incomparable de voir l'exces de son amour emmi les travaux de ses douleurs; et les tentes de Salomon, toutes brodees et recamees en une admirable diversité d'ouvrages, ne furent jamais si belles que je suis contente, et par consequent douce, amiable et aggreable en la varieté des sentimens d'amour que j'ay parmi ces douleurs.

  A004000866 

 Aussi ces grandes ames de saint François et sainte Catherine sentirent des amours nompareilles en leurs douleurs, et des douleurs incomparables en leurs amours lhors qu'elles furent stigmatisees, savourant l'amour joyeux d'endurer pour l'ami, que leur Sauveur exerça au supreme degré sur l'arbre de la Croix.

  A004000866 

 Car de mesme l'amoureuse complaysance que nous avons prise en l'amour de Nostre Seigneur, rend infiniment plus forte la compassion que [273] nous avons de ses douleurs, comme reciproquement, repassans de la compassion des douleurs a la complaysance des amours, le playsir en est bien plus ardent et relevé.

  A004000866 

 Ce fut cet amour, Theotime, qui attira sur l'amoureux seraphique saint François les stigmates, et sur l'amoureuse angelique sainte Catherine de Sienne les ardentes blesseures du Sauveur: la complaysance amoureuse ayant aiguisé les pointes de la compassion douloureuse, ainsy que le miel rend plus penetrant et sensible l'amertume de l'absynthe, comme au contraire la souefve odeur des roses est affinee par le voysinage des aulx qui sont plantés pres des rosiers.

  A004000867 

 Hé, veut dire le divin amoureux de l'ame, je suis chargé des peynes et sueurs de ma Passion, qui se passa presque toute, ou es tenebres de la nuit ou en la nuit des tenebres que le soleil s'obscurcissant fit au plus fort de son midy; ouvre donq ton cœur devers moy, comme les mereperles leurs escailles du costé du ciel, et je respandray sur toy la rosee de ma Passion, qui se convertira en perles de consolation.

  A004000867 

 Qui est cette rosee, et qui sont ces gouttes de la nuit, sinon les afflictions et peynes de sa Passion? Les perles, certes (comme nous avons dit asses souvent), ne sont autre chose que gouttes de la rosee que la fraicheur de la nuit espluÿe sur la face de la mer, receües dans les escailles des ouïtres ou mereperles.

  A004000871 

 En l'amour que Dieu exerce envers nous, il commence tous-jours par la bienveuillance, voulant et faisant en nous tout le bien qui y est, auquel par apres il se complait.

  A004000871 

 Il fit David selon son cœur par bienveuillance, puis il le treuva selon son cœur par complaysance; il crea premierement l'univers pour l'homme et l'homme en l'univers, donnant a chasque chose le degré de bonté qui luy estoit convenable, par sa pure bienveuillance, puis il appreuva tout ce qu'il avoit fait, treuvant que tout estoit tres bon, et se reposa par complaysance en son ouvrage..

  A004000872 

 Mais nostre amour envers Dieu commence, au contraire, par la complaysance que nous avons en la souveraine bonté et infinie perfection que nous sçavons estre en la Divinité, puis nous venons a l'exercice de la bienveuillance: et comme la complaysance que Dieu prend en ses creatures n'est autre chose qu'une continuation de sa bienveuillance envers elles, aussi la bienveuillance que nous portons a Dieu n'est autre chose qu'une approbation et perseverance de la complaysance que nous avons en luy..

  A004000873 

 Ah! mais pourtant, o le sacré Bienaymé de mon ame, je ne desire pas de pouvoir desirer aucun bien a vostre Majesté, ains je me complais de tout mon cœur en ce supreme degré de bonté que vous aves, auquel ni par desir ni mesme par pensee on ne peut rien adjouster; mais si ce desir estoit possible, o Divinité infinie, o Infinité divine, mon ame voudroit estre ce desir et n'estre rien autre que cela, tant elle desireroit de desirer pour vous ce qu'elle se complait infiniment de ne pouvoir pas desirer, puisque l'impuissance de faire ce desir provient de l'infinie infinité de vostre perfection qui surpasse tout souhait et toute pensee! Hé, que j'ayme cherement l'impossibilité de vous pouvoir desirer aucun bien, o mon Dieu, puisqu'elle provient de l'incomprehensible immensité de vostre abondance, laquelle est si souverainement infinie, que s'il se treuvoit un desir infini il serait infiniment assouvi par l'infinité de vostre bonté, qui le convertirait en une infinie complaysance..

  A004000873 

 Ne pouvans donq point faire aucun desir absolu pour Dieu, nous en faisons des imaginaires et conditionnelz en cette sorte: Je vous ay dit, Seigneur, vous estes mon Dieu, qui, tout plein de vostre infinie bonté, ne pouves avoir indigence ni de mes biens ni de chose quelconque; mais si, par imagination de chose impossible, je pouvois penser que vous eussies besoin de quelque bien, je ne cesserois jamais de vous le souhaitter au prix de ma vie, de mon estre et de tout ce qui est au monde.

  A004000873 

 Or cet amour de bienveuillance envers Dieu se pratique ainsy: nous ne pouvons desirer d'un vray desir aucun bien a Dieu, parce que sa bonté est infiniment plus parfaite que nous ne sçaurions ni desirer ni penser; le desir n'est que d'un bien futur, et nul bien n'est [275] futur en Dieu, puisque tout bien luy est tellement present que la presence du bien en sa divine Majesté n'est autre chose que la Divinité mesme.

  A004000873 

 Que si estant ce que vous estes et que vous ne pouves jamais cesser d'estre, il estoit possible que vous receussies quelqu'accroissement de bien, o bon Dieu, quel desir aurois-je que vous l'eussies! alhors, o Seigneur eternel, je voudrais voir convertir mon cœur en souhait et ma vie en souspir pour vous desirer ce bien la.

  A004000874 

 Ce desir, donques, par imagination de choses impossibles, peut estre quelquefois utilement prattiqué emmi les grans sentimens et ferveurs extraordinaires; aussi [276] dit-on que le grand saint Augustin en faisoit souvent de pareille sorte, eslançant par exces d'amour ces paroles: Hé, Seigneur, je suis Augustin et «vous estes Dieu; mais si toutefois ce qui n'est ni ne peut estre estoit, que je fusse Dieu et que vous fussies Augustin, je voudrois, en changeant de qualité avec vous, devenir Augustin affin que vous fussies Dieu.».

  A004000875 

 C'est encor une sorte de bienveuillance envers Dieu, quand, considerans que nous ne pouvons l'aggrandir en luy mesme, nous desirons de l'aggrandir en nous, c'est a dire de rendre de plus en plus et tous-jours plus grande la complaysance que nous avons en sa bonté.

  A004000875 

 Et Ihors, mon Theotime, nous ne desirons pas la complaysance pour le playsir qu'elle nous donne, mais parce seulement que ce playsir est en Dieu: car, comme nous ne desirons pas la condoleance pour la douleur qu'elle met en nos cœurs, mais parce que cette douleur nous unit et associe a nostre Bienaymé douloureux, ainsy n'aymons-nous pas la complaysance parce, qu'elle nous rend du playsir, mais d'autant que ce playsir se prend en l'union du playsir et bien qui est en Dieu; auquel pour nous unir davantage, nous voudrions nous complaire d'une complaysance infiniment plus grande, a l'imitation de la tressainte Reyne et Mere d'amour, de laquelle l' ame sacree magnifioit et aggrandissoit perpetuellement Dieu; et affin que l'on sceust que cet aggrandissement se faysoit par la complaysance qu'elle avoit en la divine Bonté, elle declare que son esprit avoit tressailli de contentement en Dieu son Sauveur.

  A004000879 

 Donques l'amour de bienveuillance nous fait desirer d'aggrandir en nous de plus en plus la complaysance que nous prenons en la bonté divine, et pour faire cet aggrandissement l'ame se prive soigneusement de tout autre playsir pour s'exercer plus fort a se playre en Dieu.

  A004000879 

 Le vray amant n'a presque point de playsir sinon en la chose aymee: ainsy toutes choses sembloyent ordure et boüe au glorieux saint Paul, en comparayson de son Sauveur; et l'Espouse sacree n'est toute que pour son Bienaymé: Mon cher Ami est tout a moy, et moy je suis toute a luy..

  A004000879 

 Un religieux demanda au devot frere Gilles, l'un des premiers et plus saintz compaignons de saint François, ce qu'il pourroit faire pour estre plus aggreable a Dieu, et il luy respondit en chantant: «L'une a l'un, l'une a l'un;» ce que par apres expliquant: «Donnes tous-jours,» dit-il, toute vostre ame, qui est une, a Dieu seul, qui est un.» L'ame s'escoule par les playsirs, et la diversité d'iceux la dissipe et l'empesche de se pouvoir appliquer attentivement a celuy qu'elle doit prendre en Dieu.

  A004000880 

 Mays il ne l'appelle pas plus tost par son nom, que toute fondue en playsir: Hé Dieu, dit elle, mon Maistre! Rien certes ne la peut assouvir, elle ne sçauroit se playre avec les Anges, non pas mesme avec son Sauveur s'il ne paroist en la forme en laquelle il luy avoit ravi son cœur.

  A004000880 

 Que si l'ame qui est en cette sainte affection rencontre [278] les creatures, pour excellentes qu'elles soyent, voire mesme quand ce seroyent les Anges, elle ne s'arreste point avec icelles, sinon autant qu'il faut pour estre aydee et secourue en son desir: Dites moy donques, leur fait elle, dites moy, je vous en conjure, aves vous point veu Celuy qui est l'Ami de mon ame? La glorieuse amante Magdeleine rencontra les Anges au sepulchre, qui luy parlerent sans doute angeliquement, c'est a dire bien suavement, voulans appayser l'ennuy auquel elle estoit; mais au contraire, toute espleuree, elle ne sceut prendre aucune complaysance ni en leur douce parole, ni en la splendeur de leurs habitz, ni en la grace toute celeste de leur maintien, ni en la beauté toute aymable de leurs visages, ains, toute couverte de larmes: Ilz m'ont enlevé mon Seigneur, disoit elle, et je ne sçai ou ilz me l'ont mis.

  A004000885 

 L'honneur, mon cher Theotime, n'est pas en celuy que l'on honnore, mays en celuy qui honnore; car, combien de fois arrive-il que celuy que nous honnorons n'en sçait rien et n'y a seulement pas pensé? combien de fois louons-nous ceux qui ne nous connoissent pas ou qui dorment? Et toutefois, selon l'estime commune des hommes et leur ordinaire façon de concevoir, il semble que c'est faire du bien a quelqu'un quand on luy fait de l'honneur, et qu'on luy donne beaucoup quand on luy donne des tiltres et des louanges; et nous ne faysons pas difficulté de dire qu'une personne est riche d'honneur, de gloire, de reputation, de louange, encor qu'en verité nous sachions bien que tout cela, est hors de la personne honnoree et que bien souvent elle n'en reçoit aucune sorte de prouffit, suivant ce mot attribué au grand saint Augustin: «O pauvre Aristote, tu es loué ou tu es absent, et tu es bruslé ou tu es present.» Quel bien revient il, je vous prie, a Cesar et Alexandre le Grand, de tant de vaines paroles que plusieurs vaines ames employent a leur louange?.

  A004000886 

 Dieu, comblé d'une bonté qui surmonte toute louange et tout honneur, ne reçoit aucun advantage ni surcroist de bien pour toutes les benedictions que nous luy donnons; il n'en est ni plus riche, ni plus grand, ni plus [281] content, ni plus heureux, car son heur, son contentement, sa grandeur et ses richesses ne sont ni ne peuvent estre que la divine infinité de sa bonté.

  A004000886 

 Toutefois, parce que, selon nostre apprehension ordinaire, l'honneur est estimé l'un des plus grans effectz de nostre bienveuillance envers les autres, et que par iceluy non seulement nous ne presupposons point d'indigence en ceux que nous honnorons, mais plustost nous protestons qu'ilz abondent en excellence, partant nous employons cette sorte de bienveuillance envers Dieu; qui non seulement l'aggree, mais la requiert comme conforme a nostre condition, et si propre pour tesmoigner l'amour respectueux que nous luy devons, que mesme il nous a ordonné de luy rendre et rapporter tout honneur et gloire..

  A004000887 

 Ainsy donq, l'ame qui a pris une grande complaysance en l'infinie perfection de Dieu, voyant qu'elle ne peut luy souhaiter aucun aggrandissement de bonté, parce qu'il en a infiniment plus qu'elle ne peut desirer ni mesme penser, elle desire au moins que son nom soit beni, exalté, loüé, honnoré et adoré de plus en plus.

  A004000896 

 Mais ce desir de loüer Dieu que la sainte bienveuillance excite en nos cœurs, Theotime, est insatiable; car l'ame qui en est touchee voudroit avoir des louanges infinies pour les donner a son Bienaymé, parce qu'elle void que ses perfections sont plus qu'infinies: si que, se treuvant bien esloignee de pouvoir satisfaire a son souhait, elle fait des extremes effortz d'affection pour en quelque sorte loüer cette bonté toute louable, et ces effortz de bienveuillance s'aggrandissent admirablement par la complaysance; car a mesure que l'ame treuve Dieu bon, savourant de plus en plus la suavité d'iceluy et se complaysant en son infinie beauté, elle voudroit aussi relever plus hautement les louanges et benedictions qu'elle luy donne.

  A004000896 

 Or, a mesure aussi que l'ame s'eschauffe a loüer la douceur incomprehensible de son Dieu, elle aggrandit et dilate la complaysance qu'elle prend en icelle, et par cet aggrandissement elle s'anime de plus fort a la louange: de sorte que l'affection de complaysance et celle de louange, par ces reciproques poussemens et mutuelles incitations qu'elles font l'une a l'autre, s'entredonnent des grans et continuelz accroissemens.

  A004000897 

 Ainsy les rossignolz se complaysent tant en leur chant, au rapport de Pline, que pour cette complaysance, quinze jours et quinze nuitz durant ilz ne cessent jamais de gazouiller, s'efforçans de tous-jours mieux chanter a l'envi les uns des autres; de sorte que lhors qu'ilz se desgoisent le mieux ilz y ont plus de complaysance, et cet accroissement de complaysance les porte a faire des plus grans effortz de mieux gringotter, augmentant tellement leur complaysance par leur chant et leur chant par leur complaysance, que maintefois on les void mourir, et leur gosier esclatter a force de chanter: oyseaux dignes du beau nom de philomele, puisqu'ilz meurent ainsy en l'amour et pour l'amour de la melodie..

  A004000898 

 O Dieu, mon Theotime, que le cœur ardemment pressé de l'affection de loiier son Dieu reçoit une douleur grandemént delicieuse et une douceur grandement douloureuse, quand, apres mille effortz de louange, il se treuve si court! Helas, il voudroit, ce pauvre rossignol, tous-jours plus hautement lancer ses accens et perfectionner sa melodie, pour mieux chanter les benedictions de son cher Bienaymé! A mesure qu'il lotie il se plait a louer, et a mesure qu'il se plait a loüer il se desplait de ne pouvoir encor mieux louer; et pour se contenter au mieux qu'il peut en cette passion, il fait toute sorte d'effortz, entre lesquelz il tombe en langueur: comme il advenoit au tres glorieux saint François, qui, emmi les playsirs qu'il prenoit a lotier Dieu et chanter ses cantiques d'amour, jettoit une grande affluence de larmes et laissoit souvent tomber de foiblesse ce que pour lhors il tenoit en main, demeurant comme un sacré philomele a cœur failli, et perdant souvent le respirer a force d'aspirer aux louanges de Celuy qu'il ne pouvoit jamais asses lotier..

  A004000899 

 Les cygales, Theotime, ont leur poitrine pleine de tuyaux, comme si elles [284] estoyent des orgues naturelles; et pour mieux chanter elles ne vivent que de la rosee, laquelle elles ne tirent pas par la bouche, car elles n'en ont point, ains la succent par une petite languette qu'elles ont au milieu de l'estomach, par laquelle elles jettent aussi, toutes, leurs sons avec tant de bruit qu'elles semblent n'estre que voix.

  A004000899 

 Mais oyés une similitude aggreable sur ce sujet, tiree du nom que ce saint amoureux donnoit a ses religieux; car il les appelloit cygales, a rayson des louanges qu'ilz rendoyent a Dieu emmi la nuit.

  A004000902 

 Que je n'aye aucune pensee.

  A004000916 

 Ainsy le glorieux Psalmiste, tout esmeu de la passion saintement desreglee qui le portoit a louer Dieu, va sans ordre, sautant du ciel a la terre et de la terre au ciel, appellant pesle mesle les Anges, les poissons, les montz, les eaux, les dragons, les oyseaux, les serpens, le feu, la gresle, le brouillatz, assemblant par ses souhaitz toutes les creatures, affin que toutes ensemble s'accordent a magnifier pieusement leur Createur: les unes celebrant elles mesmes les divines louanges, et les autres donnant le sujet de le louer par les merveilles de leurs differentes proprietés, lesquelles manifestent la grandeur de leur Facteur.

  A004000916 

 Si que ce divin Psalmiste royal ayant composé une grande quantité de [286] Pseaumes, avec cette inscription, Loués Dieu, apres avoir discouru parmi toutes les creatures pour leur faire les saintes semonces de benir la Majesté celeste, et parcouru une grande varieté de moyens et instrumens propres a la celebration des louanges de cette eternelle Bonté, en fin, comme tombant en defaillance d'haleyne, il conclud toute sa sacree psalmodie par cet eslan: Tout esprit loue le Seigneur; c'est a dire: Tout ce qui a vie, ne vive ni ne respire que pour benir le Createur, selon l'encouragement qu'il avoit donné ailleurs:.

  A004000923 

 Ainsy la celeste Espouse se sentant presque esvanouïe entre les violens essays qu'elle faysoit de benir et magnifier le bienaymé Roy de son cœur: Hé, crioyt elle a ses compaignes, ce divin Espoux m'a menee par la contemplation en ses celiers a vin, me faysant savourer les delices incomparables des perfections de son excellence, et je me suis tellement detrempee et saintement enivree par la complaysance que j'ay prise en cet abisme de beauté, que mon ame va languissant, blessee d'un desir amoureusement mortel [287] qui me presse de louer a jamais une si eminente bonté.

  A004000923 

 La complaysance tire les suavités divines dedans le cœur, lequel se remplit si ardemment qu'il en est tout esperdu; mais l'amour de bienveuillance fait sortir nostre cœur de soy mesme et le fait exhaler en vapeurs de parfums delicieux, c'est a dire en toutes sortes de saintes louanges; et ne pouvant neanmoins en tant pousser comme il desireroit: O, dit-il, que toutes les creatures viennent contribuer les fleurs de leurs benedictions, les pommes de leurs actions de graces, de leurs honneurs et de leurs adorations, affin que de toutes pars on sente les odeurs respandues a la gloire de Celuy duquel l'infinie douceur surpasse tout honneur, et que nous ne pouvons jamais bien dignement magnifier..

  A004000928 

 L'ame amoureuse voyant qu'elle ne peut assouvir le desir qu'elle a de louer son Bienaymé tandis qu'elle vit entre les miseres de ce monde, et sachant que les louanges qu'on rend au Ciel a la divine Bonté se chantent d'un air incomparablement plus aggreable: O Dieu, dit-elle, que les louanges respandues par ces bienheureux espritz devant le throsne de mon Roy celeste sont louables! que leurs benedictions sont dignes d'estre benites! o que de bonheur d'ouïr cette melodie de la tressainte eternité, en laquelle, par une tres souëfve rencontre de voix dissemblables et de tons dispareilz, se font ces admirables accors esquelz toutes les parties avançant les unes sur les autres par une suite continuelle et incomprehensible liayson de chasses, on entend de toutes pars retentir des perpetuelz alleluia! Voix pour leur esclat comparees aux tonnerres, aux trompettes, au bruit des vagues de la mer agitee; mais voix qui aussi pour leur incomparable douceur et suavité sont comparees a la melodie des harpes, delicatement et delicieusement sonnees par la main des plus excellens joueurs, et voix qui toutes s'accordent a dire le joyeux cantique paschal: Alleluia, loués Dieu, amen, loués Dieu.

  A004000929 

 O que ce temple est aymable, ou tout retentit en louanges! Que de douceur a ceux qui vivent en ce sacré sejour, ou tant de philomeles et rossignolz celestes chantent avec cette sainte contention d'amour les cantiques d'eternelle suavité!.

  A004000930 

 Le cœur, donq, qui ne peut en ce monde ni chanter ni ouïr les louanges divines a son gré, entre en des desirs nompareilz d'estre deslivré des liens de cette vie, pour aller en l'autre ou on loue si parfaitement le Bienaymé celeste: et ces desirs s'estans ainsy emparés du cœur, se rendent quelquefois si puissans et pressans dans la poitrine des amans sacrés, que, bannissans tous autres desirs, ilz mettent en degoust toutes choses terrestres et rendent l'ame toute alangourie et malade d'amour; voire mesme cette sainte passion passe aucune-fois si avant, que si Dieu le permet on en meurt..

  A004000931 

 Ainsy ce glorieux et seraphique amant saint François, ayant longuement esté travaillé de cette forte affection de louer Dieu, en fin en ses dernieres annees, apres qu'il eut asseurance, par une tres speciale revelation, de son salut eternel, il ne pouvoit contenir sa joye, et s'alloit de jour en jour consumant, comme si sa vie et son ame se fust evaporee, ainsy que l'encens, sur le feu des ardens desirs qu'il avoit de voir son Maistre pour le louer incessamment; en sorte que ces ardeurs prenant tous les jours des nouveaux accroissemens, son [290] ame sortit de son cors par un eslan qu'elle fit vers le Ciel; car la divine Providence voulut qu'il mourust en prononçant ces sacrees paroles: Hé, tires hors de cette prison mon ame, o Seigneur, affin que je benisse vostre nom; les justes m'attendent jusques a ce que vous me rendies la tranquillité desiree.

  A004000931 

 Theotime, voyés de grace cet esprit qui, comme un celeste rossignol enfermé dans la cage de son cors, clans laquelle il ne peut chanter a souhait les benedictions de son eternel amour, sçait qu'il gazouilleroit et prattiqueroit mieux son beau ramage s'il pouvoit gaigner l'air, pour jouir de sa liberté et de la societé des autres philomeles entre les gaves et fleurissantes collines de la contree bienheureuse; c'est pourquoy il exclame: Helas, o Seigneur de ma vie, hé, par vostre bonté toute douce, deslivrés-moy, pauvre que je suis, de la cage de mon cors, retirés-moy de cette petite prison, affïn qu'affranchi de cet esclavage je puisse voler ou mes chers compaignons m'attendent la haut au Ciel, pour me joindre a leurs chœurs et m'environner de leur joye! la, Seigneur, alliant ma voix aux leurs, je feray avec eux une douce harmonie d'airs et d'accens delicieux, chantant, louant et benissant vostre misericorde..

  A004000936 

 Nous allons donq montant en ce saint exercice, de degré en degré, par les creatures que nous invitons a louer Dieu, passans des insensibles aux raysonnables et intellectuelles, et de l'Eglise militante a la triomphante, en laquelle nous nous relevons entre les Anges et les Saintz jusques a ce que, au dessus de tous, nous ayons rencontré la tressainte Vierge, laquelle d'un air incomparable loue et magnifie la Divinité, plus hautement, plus saintement et plus delicieusement que tout le reste des creatures ensemble ne sçauroit jamais faire..

  A004000937 

 Ainsy, Theotime, entre tous les chœurs des hommes et tous les chœurs des Anges, on entend cette voix hautaine de la tressainte Vierge, qui, relevee au dessus de tout, rend plus de louange a Dieu que tout le reste des creatures; aussi le Roy celeste la convie tout particulierement a chanter: [292] Monstre-moy ta face, dit-il, o ma Bienaymee, que ta voix sonne a mes oreilles; car ta voix est toute douce, et ta face toute belle..

  A004000937 

 Estant il y a deux ans a Milan, ou la veneration des recentes memoires du grand Archevesque saint Charles m'avoit attiré avec quelques uns de nos ecclesiastiques, nous ouïsmes en diverses eglises plusieurs sortes de musiques; mais en un monastere de filles, nous ouïsmes une religieuse de laquelle la voix estoit si admirablement delicieuse, qu'elle seule respandoit incomparablement plus de suavité dans nos espritz que ne fit tout le reste ensemble, qui, quoy qu'excellent, sembloit neanmoins n'estre fait que pour donner lustre et rehausser la perfection et l'esclat de cette voix unique.

  A004000938 

 Il passe donq plus avant, et invite le Sauveur de louer et glorifier son Pere eternel de toutes les benedictions que son amour filial luy peut fournir; et lhors, Theotime, l'esprit arrive en un lieu de silence, car nous ne sçavons plus faire autre chose qu'admirer.

  A004000938 

 Le Pere eternel reçoit les louanges des autres comme senteurs de fleurs particulieres, mais au sentir des benedictions que le Sauveur luy donne, il s'escrie sans doute: O voyci l'odeur des louanges de mon Filz, comme l'odeur d'un champ plein de fleurs que j'ay beni.

  A004000938 

 Mays ces louanges que cette Mere d'honneur et de belle dilection, avec toutes les creatures ensemble, donne a la Divinité, quoy qu'excellentes et admirables, sont neanmoins si infiniment inferieures au merite infini de la bonté de Dieu, qu'elles n'ont aucune proportion avec iceluy; et partant, quoy qu'elles contentent grandement la sacree bienveuillance que le cœur amant a pour son Bienaymé, si est-ce qu'elles ne l'assouvissent pas.

  A004000938 

 O quel cantique du Filz pour le Pere! o que ce cher Bienaymé est beau entre tous les enfans des hommes! o que sa voix est douce, comme procedante des levres sur lesquelles la plenitude de la grace est respandue! Tous les autres sont parfumés, mais luy, il est le parfum mesme; les autres sont embaumés, mais luy, il est le baume respandu.

  A004000938 

 Ouy, mon cher Theotime, toutes les benedictions que l'Eglise militante et triomphante donne a Dieu, sont benedictions angeliques et humaines, car si bien elles s'addressent au Createur, toutefois elles procedent de la creature; mais celles du Filz, elles sont divines, car elles ne regardent pas seulement Dieu comme les autres, ains elles proviennent de Dieu, car le Redempteur est vray Dieu.

  A004000939 

 Ainsy, apres avoir ouï toutes les louanges que tant de differentes creatures, a l'envi les unes des autres, rendent unanimement a leur Createur, quand en fin on escoute celle du Sauveur, on y treuve une certaine infinité de merite, de valeur, de suavité, qui surmonte toute esperance et attente du cœur; et l'ame alhors, comme resveillee d'un profond sommeil et tout a coup ravie par l'extremité de la douceur de telle melodie: Hé, je l'entens; o la voix, la voix de mon Bienaymé! voix reyne de toutes les voix, voix au prix de laquelle les autres voix ne sont qu'un muet et morne silence.

  A004000939 

 Il a la veüe de chevreuil, pour penetrer plus avant que nul autre en la beauté de l'object sacré qu'il veut louer; il ayme la melodie de la gloire et louange de son Pere plus que tous, c'est pourquoy il fait des tressaillemens de louanges et benedictions au dessus de tous.

  A004000940 

 Fay que j'escoute ta voix, car je la veux allier avec la mienne; ainsy ta face sera belle et ta voix tres aggreable.

  A004000940 

 O quelle suavité a nos cœurs quand nos voix, unies et meslees avec celle du Sauveur, participeront a l'infinie douceur des louanges que ce Filz bienaymé rend a son Pere eternel! [295].

  A004000940 

 O si nous oyions ce divin cœur comme il chante d'une voix d'infinie douceur le cantique de louange a la Divinité! quelle joye, Theotime, quelz effortz de nos cœurs pour se lancer au Ciel affin de le tous-jours ouïr! Il nous y semond certes, ce cher Ami de nos ames: Sus, leve-toy, dit-il, sors de toy mesme, prens le vol devers moy, ma colombe, ma tres belle, en ce celeste sejour ou toutes choses sont en joye et ne respirent que louanges et benedictions.

  A004000940 

 Viens, et me monstre ta face: hé, je la voy maintenant sans que tu me la monstres; mais alhors et je la verray et tu me la monstreras, car tu verras que je te voy.

  A004000940 

 Viens, ma bienaymee toute chere, et pour me voir plus clairement, viens es mesmes fenestres par lesquelles je te regarde, viens considerer mon cœur en la caverne de l'ouverture de mon flanc, qui fut faite lhors que mon cors, comme une mayson reduite en masures, fut si piteusement demoli sur l'arbre de la Croix.

  A004000944 

 Car tout ainsy qu'estans en une chambre nous ne recevons pas la lumiere selon la grandeur de la clarté du soleil qui la respand, mays selon la grandeur de la fenestre par laquelle il la communique, de mesme les actions humaines du Sauveur ne sont pas infinies, bien qu'elles soyent d'infinie valeur, d'autant qu'encor que la Personne divine les fasse, elle ne les fait pas toutefois selon l'estendue de son infinité, mais selon la grandeur finie de son humanité par laquelle elle les fait: de sorte que comme les actions humaines de nostre doux Sauveur sont infinies en comparayson des nostres, aussi sont-elles finies en comparayson de l'essentielle infinité de la Divinité.

  A004000944 

 Elles sont d'infinie valeur, estime et dignité, parce qu'elles procedent d'une personne qui est Dieu, mais elles sont d'essence et nature finie, parce que Dieu les fait selon sa nature et substance humaine, qui est finie.

  A004000944 

 La louange donq qui part du Sauveur entant qu'il est homme, n'estant pas de tout point infinie, elle ne peut correspondre de toutes pars a la grandeur infinie de la Divinité a laquelle elle est destinee: c'est pourquoy, apres le premier ravissement d'admiration qui nous saisit quand nous avons rencontré une louange si glorieuse [296] comme est celle que le Sauveur donne a son Pere, nous ne laissons pas de reconnoistre que la Divinité est encor infiniment plus louable qu'elle ne peut estre louee, ni par toutes les creatures ni par l'humanité mesme du Filz eternel..

  A004000945 

 Ainsy, mon Theotime, a mesure que nous montons par bienveuillance vers la Divinité, pour entonner et ouïr ses louanges, nous voyons qu'il est tous-jours au dessus de toute louange, et finalement nous connoissons qu'il ne peut estre loué selon qu'il merite sinon par luy mesme, qui seul peut dignement esgaler sa souveraine bonté par une souveraine louange..

  A004000945 

 Que si c'est cette beauté de la lumiere qui provoque les alouettes a chanter, comme il est fort probable, ce n'est pas merveille si elles chantent plus clairement a mesure qu'elles volent plus hautement, s'eslevant esgalement en chant et en vol, jusques a tant que ne pouvant presque plus chanter elles commencent a descendre de ton et de cors, rabbaissant petit a petit leur vol comme leur voix.

  A004000946 

 Alhors nous exclamons: «Gloire soit au Pere, et au Filz, et au Saint Esprit;» et affin qu'on sçache que ce n'est pas la gloire des louanges creées que nous souhaittons a Dieu par cet eslan, ains la gloire essentielle et eternelle qu'il a en luy mesme, par luy mesme, de luy mesme, et qui est luy mesme, nous adjoustons: «Ainsy qu'il l'avoit au commencement, et maintenant, et tous-jours, et es siecles des siecles, Amen;» comme si nous disions par souhait: Qu'a jamais Dieu soit glorifié de la gloire qu'il avoit avant toute creature, en son infinie eternité et eternelle infinité.

  A004000946 

 Pour cela nous adjoustons ce verset de gloire a chasque Psalme et Cantique, selon la coustume ancienne de l'Eglise orientale, que le grand saint Hierosme supplia saint Damase, Pape, de vouloir establir de deça en Occident, pour protester que toutes les louanges humaines et [297] angeliques sont trop basses pour dignement louer la divine Bonté, et qu'affin qu'elle soit dignement louee, il faut qu'elle soit sa gloire, sa louange et sa benediction elle mesme..

  A004000947 

 Et bien que, au commencement, l'ame amoureuse eut eu quelque sorte de desir de pouvoir asses louer son Dieu, si est-ce que revenant a soy elle proteste qu'elle ne voudroit pas le pouvoir asses louer, ains demeure en une tres humble complaysance, de voir que la divine Bonté est si tres infiniment louable qu'elle ne peut estre suffisamment louee que par sa propre infinité..

  A004000947 

 O Dieu, quelle complaysance, quelle joye a l'ame qui ayme, de voir son desir assouvi, puisque son Bien-aymé se loue, benit et magnifie infiniment soy mesme! Mays en cette complaysance naist derechef un nouveau desir de louer, car le cœur voudroit louer cette si digne louange que Dieu se donne a soy mesme, l'en remerciant profondement et rappellant derechef toutes choses a son secours pour venir avec luy glorifier la gloire de Dieu, benir sa benediction infinie, et louer sa louange eternelle: si que, par ce retour et repetition de louange sur louange, il s'engage, entre la complaysance et la bienveuillance, en un tres heureux labyrinthe d'amour, tout abismé en cette immense douceur, louant souverainement la Divinité dequoy elle ne peut estre asses louee que par elle mesme.

  A004000954 

 Cet amour, donq, voudroit bien voir les merveilles de l'infinie bonté de Dieu, mays il replie les aysles de ce desir sur son visage, confessant qu'il n'en peut reussir; il voudroit aussi rendre quelque digne service, mays il replie le desir sur ses pieds, advoüant qu'il n'en a pas le pouvoir; et ne luy reste que les deux aysles de complaysance et bienveuillance, avec lesquelles il vole et s'eslance en Dieu..

  A004000954 

 Le cœur de l'homme n'est jamais tant inquieté que quand on empesche le mouvement par lequel il s'estend et resserre continuellement, et jamais si tranquille que quand il a ses mouvemens libres; de sorte que sa tranquillité est en son mouvement.

  A004000964 

 Or, le premier exercice consiste principalement en l'orayson, en laquelle se passent tant de divers mouvemens interieurs qu'il est impossible de les exprimer tous; non seulement a cause de leur quantité, mais aussi a rayson de leur nature et qualité, laquelle estant spirituelle ne peut estre que grandement desliee et presque imperceptible a nos entendemens.

  A004000965 

 Certes, si nos espritz vouloyent faire retour sur eux mesmes par les reflechissemens et replis de leurs actions, ilz entreroyent en des labyrinthes esquelz ilz perdroyent sans doute l'issue; et ce seroit une attention insupportable de penser quelles sont nos pensees, considerer nos considerations, voir toutes nos veües spirituelles, discerner que nous discernons, nons resouvenir que nous nous resouvenons: ce seroyent des entortillemens que nous [302] ne pourrions desfaire.

  A004000966 

 Nous ne prenons pas ici le mot d'orayson pour la seule priere ou «demande de quelque bien, respandue devant Dieu par les fideles,» comme saint Basile la nomme; mays comme saint Bonaventure, quand il dit que l'orayson, a parler generalement, comprend tous les actes de contemplation, ou comme saint Gregoire Nissene, quand il enseignoit que «l'orayson est un entretien et conversation de l'ame avec Dieu;» ou bien comme saint Chrysostome, quand il asseure que «l'orayson est un devis avec la divine Majesté;» ou en fin comme saint Augustin et saint Damascene, quand ilz disent que l'orayson est «une montee ou eslevement de l'esprit en Dieu.» Oue si l'orayson est un colloque, un «devis» ou une «conversation» de l'ame avec Dieu, par icelle donq nous parlons a Dieu et Dieu reciproquement parle a nous, nous aspirons a luy et respirons en luy, et mutuellement il inspire en nous et respire sur nous..

  A004000967 

 Elle s'appelle theologie, parce que, comme la theologie speculative a Dieu pour son object, celle ci aussi ne parle que de Dieu, mays avec trois differences: car, 1.

  A004000967 

 La speculative tend a la connoissance de Dieu, et la mystique a l'amour de Dieu; de sorte que celle la rend ses escholiers sçavans, doctes et theologiens, mays celle ci rend les siens ardens, affectionnés, amateurs de Dieu, et Philothees ou Theophiles.

  A004000967 

 Mays dequoy devisons-nous en l'orayson? quel est le sujet de nostre entretien? Theotime, on n'y parle que de Dieu; car, de qui pourroit deviser et s'entretenir l'amour que du bienaymé? Et pour cela, l'orayson et la theologie mystique ne sont qu'une mesme chose.

  A004000968 

 Le langage des amans est si particulier que nul ne l'entend qu'eux mesmes: Je dors, disoit l'amante sacree, et mon cœur veille; et voyla que mon Bienaymé me parle.

  A004000968 

 Or elle s'appelle mystique parce que la conversation y est toute secrette, et ne se dit rien en icelle entre Dieu et l'ame que de cœur a cœur, par une communication incommunicable a tout autre qu'a ceux qui la font.

  A004000968 

 Qui eut peu deviner que cette Espouse estant endormie eut neanmoins devisé avec son Espoux? Mays ou l'amour regne, on n'a point besoin du bruit des paroles exterieures ni de l'usage des sens pour s'entretenir et s'entreouïr l'un l'autre.

  A004000969 

 Pour cela l'amante celeste est appellee tourterelle, oyseau qui se plait es lieux ombrageux et solitaires, esquelz elle ne se sert de son ramage que pour son unique paron, ou le flattant tandis qu'il est en vie, ou le regrettant apres sa mort.

  A004000969 

 Pour cela, au Cantique, l'Espoux divin et l'Espouse celeste representent leurs amours par un continuel devis; que si leurs amis et amies parlent parfois emmi leur entretien, ce n'est qu'a la desrobbee et de sorte qu'ilz ne troublent point le colloque.

  A004000970 

 L'amour desire le secret, et quoy que les amans n'ayent rien a dire de secret ilz se playsent toutefois a le dire secretement: et c'est en partie, si je ne me trompe, parce qu'ilz ne veulent parler que pour eux mesmes, et disans quelque chose a haute voix il leur est advis que ce n'est plus pour eux seulz, partie parce qu'ilz ne disent pas les choses communes a la façon commune, ains avec des traitz particuliers et qui ressentent la speciale affection avec laquelle ilz parlent Le langage de l'amour est commun quant aux paroles, mais quant a la maniere et prononciation il est si particulier que nul ne l'entend sinon les amans.

  A004000971 

 Que la prunelle de ton œil ne se taise point, disoit le cœur desolé des habitans de Hierusalem a leur propre ville.

  A004000971 

 Voyes-vous, Theotime, que le silence des amans affligés parle de la prunelle des yeux et par les larmes? Certes, en la theologie mistique [305] c'est le principal exercice de parler a Dieu et d'ouïr parler Dieu au fond du cœur; et parce que ce devis se fait par des tres secretes aspirations et inspirations, nous l'appelions colloque de silence: les yeux parlent aux yeux et le cœur au cœur, et nul n'entend ce qui se dit que les amans sacrés qui parlent..

  A004000975 

 Au premier Psalme, l'homme est dit bienheureux, qui a sa volonté en la loy du Seigneur, et qui meditera en la loy d'iceluy jour et nuit; mais au second Psalme: Pourquoy ont fremi les nations, et les peuples pourquoy ont-ilz medité choses vaines? La meditation, donques, se fait pour le bien et pour le mal: toutefois, d'autant qu'en l'Escriture Sainte le mot de meditation est employé ordinairement pour l'attention que l'on a aux choses divines, affin de s'exciter a les aymer, il a esté, par maniere de dire, canonizé du commun consentement des theologiens, aussi bien que le nom d'ange et de zele, comme au contraire, celuy de dol et de demon a esté diffamé; si que maintenant, quand on nomme la medication, on entend parler de celle qui est sainte, et par laquelle on commence la theologie mystique..

  A004000976 

 Or toute meditation est une pensee, mais toute pensee n'est pas meditation, Maintefois nous avons des pensees [306] auxquelles nostre esprit s'attache sans dessein ni pretention quelcomque, par maniere de simple amusement, ainsy que nous voyons les mousches communes voler ça et la sur les fleurs sans en tirer chose aucune; et cette espece de pensee, pour attentive qu'elle soit, ne peut porter le nom de meditation, ains doit estre simplement appellee pensee.

  A004000977 

 Ainsy, plusieurs sont tous-jours songears, et attachés a certaines pensees inutiles sans sçavoir presque a quoy ilz pensent, et, ce qui est admirable, ilz n'y sont attentifs que par inadvertance et voudroyent ne point avoir telles cogitations; tesmoin celuy qui disoit: Mes pensees se sont dissipees, tourmentant mon cœur.

  A004000977 

 En somme, la pensee et l'estude se font de toutes sortes de choses; mays la meditation, ainsy que nous en parlons maintenant, ne regarde que les objetz la consideration desquelz nous peut rendre bons et devotz: si que la meditation n'est autre chose qu'une pensee attentive, reiteree ou entretenue volontairement en l'esprit, affin d'exciter la volonté a des saintes et salutaires affections et resolutions..

  A004000978 

 Car, mon cher Theotime, si jamais vous y aves pris garde, les petitz des arondelles ouvrent grandement leur bec quand ilz font leur piallement; et au contraire les colombes, entre tous les oyseaux, font leur grommelement a bec clos et enfermé, roulant leur voix dans leur gosier et poitrine, sans que rien en sorte que par maniere de retentissement et resonnement: et ce petit grommelement leur sert egalement pour exprimer leurs douleurs comme pour declarer leurs amours.

  A004000979 

 Ce qu'en l'un des passages est exprimé par le mot de mediter, est declairé en l'autre par celuy de repenser; et pour monstrer que la pensee reiteree et la meditation tend a nous esmouvoir aux affections, resolutions et actions, il est dit en l'un [309] et l'autre passage, qu'il faut repenser et mediter en la loy pour l'observer et prattiquer.

  A004000979 

 Dont Moyse advertissant le peuple de repenser les faveurs receues de Dieu, il adjouste cette rayson: Affin, dit il, que tu observes ses commandemens, et que tu chemines en ses voyes, et que tu le craignes; et Nostre Seigneur mesme fait ce commandement a Josué: Tu mediteras au livre de la Loy jour et nuit, affin que tu gardes et faces ce qui est escrit en iceluy.

  A004000979 

 En ce sens l'Apostre nous exhorte en cette sorte: Repenses a Celuy qui a receu une telle contradiction des pecheurs, affin que vous ne vous lassies, manquans de courage; quand il dit repenses, c'est autant comme s'il disoit, medités.

  A004000979 

 Et tost apres: Ma colombe, monstre moy ta face, que ta voix resonne a mes oreilles, car ta voix est douce et ta face tres bien seante et gracieuse; il veut dire, Theotime, que l'ame devote luy est tres aggreable quand elle se presente devant luy et qu'elle medite pour s'eschauffer au saint amour spirituel, ainsy que font les colombes pour s'exciter, et leurs parons, a leurs amours naturelz.

  A004000979 

 Mays affin qu'on sache que les colombes ne font [308] pas leur grunement seulement es occasions de tristesse, ains encor en celles de l'amour et de la joye, l'Espoux sacré, descrivant le primtems naturel pour exprimer les graces du primtems spirituel, La voix, dit-il, de la tourterelle a esté ouÿe en nostre terre; parce qu'au primtems la tourterelle commence a s'eschauffer d'amour, ce qu'elle tesmoigne par son ramage qu'elle respand plus frequemment.

  A004000979 

 Mays pourquoy veut il que nous meditions la sainte Passion? Non certes affin que nous devenions sçavans, mais affin que nous devenions patiens et courageux au chemin du Ciel.

  A004000980 

 La meditation n'est autre chose que le ruminement mystique, requis pour n'estre point immonde, auquel une des devotes bergeres qui suivoyent la sacree Sulamite nous invite; car elle asseure que la sainte doctrine est comme un vin pretieux, digne non seulement d'estre beue par les pasteurs et docteurs, mais d'estre soigneusement savouree, et par maniere de dire, maschee et ruminee: Ton gosier, dit elle, dans lequel se forment les paroles saintes, est un vin tres bon, digne de mon Bienaymé pour estre beu, et de ses levres et de ses dens pour estre ruminé.

  A004000981 

 Ainsy la celeste amante, comme une abeille mistique, va voletant, au Cantique des Cantiques, tantost sur les yeux, tantost sur les levres, sur les joues, sur la cheveleure de son Bienaymé, pour en tirer la suavité de mille passions amoureuses, remarquant par le menu tout ce qu'elle treuve de rare pour cela: de sorte que toute ardente de la sacree dilection, elle parle avec luy, elle l'interroge, elle l'escoute, elle souspire, elle aspire, elle l'admire; comme luy, de son costé, la comble de contentemens, l'inspirant, luy touchant et ouvrant le cœur, puis respandant en iceluy des clartés, des lumieres et des douceurs sans fin, mais d'une façon si secrette, que l'on peut bien parler de cette sainte conversation de l'ame avec Dieu comme le sacré Texte dit de celle de Dieu avec Moyse: que Moyse estant seul sur le coupeau de la montaigne, il parlait a Dieu et Dieu luy respondoit.

  A004000985 

 Theotime, la contemplation n'est autre chose qu'une amoureuse, simple et permanente attention de l'esprit aux choses divines; ce que vous entendres aysement par la comparayson de la meditation avec elle..

  A004000986 

 Car, comme les avettes parcourent le païsage de leur contree pour picorer ça et la et recueillir le miel, lequel ayant amassé elles travaillent sur iceluy pour le playsir qu'elles prennent en sa douceur, ainsy nous meditons pour recueillir l'amour de Dieu, mays l'ayant recueilli nous contemplons Dieu et sommes attentifs a sa bonté pour la suavité que l'amour nous y fait treuver.

  A004000986 

 Le desir d'obtenir l'amour divin nous fait mediter, mais l'amour obtenu nous fait contempler; car l'amour nous fait treuver une suavité si aggreable en la chose aymee, que nous ne pouvons assouvir nos espritz de la voir et considerer..

  A004000987 

 Et en somme, la meditation est mere de l'amour, mais la contemplation est sa fille: c'est pourquoy j'ay dit que la contemplation estoit une attention amoureuse, car l'on appelle les enfans du nom de leurs peres, et non pas les peres du nom de leurs enfans..

  A004000987 

 La veüe de tant de merveilles engendra dans son cœur un extreme amour, et cet amour produisit un nouveau desir de voir tous-jours plus et jouir de la presence de celuy auquel elle les avoit veües, dont elle s'escrie: Hé, que bienheureux sont les serviteurs qui sont tous-jours autour de vous et oyent vostre sapience! Ainsy nous commençons quelquefois a manger pour exciter nostre appetit, mays l'appetit estant resveillé nous poursuivons a manger pour contenter l'appetit; et nous considerons au commencement la bonté de Dieu pour exciter nostre volonté a l'aymer, mays l'amour estant formé dans nos cœurs, nous considerons cette mesme bonté pour contenter nostre amour, qui ne se peut assouvir de tous-jours voir ce qu'il ayme.

  A004000987 

 Voyés la reyne de Saba, Theotime, comme considerant par le menu la sagesse de Salomon en ses responces, en la beauté de sa mayson, en la magnificence de sa table, es logis de ses serviteurs, en l'ordre que tous ceux de sa cour tenoyent pour l'exercice de leurs charges, en leurs vestemens et maintiens, en la [312] multitude des holocaustes qu'ilz offroyent en la mayson du Seigneur, elle demeura toute esprise d'un ardent amour qui convertit sa meditation en contemplation, par laquelle estant toute ravie hors de soy mesme, elle dit plusieurs paroles d'extreme contentement.

  A004000988 

 Il est vray, Theotime, que comme l'ancien Joseph fut la couronne et la gloire de son pere, luy donna un grand accroissement d'honneurs et de contentemens et le fit rajeunir en sa viellesse, ainsy la contemplation couronne son pere, qui est l'amour, le perfectionne et luy donne le comble d'excellence; car l'amour ayant excité en nous l'attention contemplative, cette attention fait naistre reciproquement un plus grand et fervent amour, lequel en fin est couronné de perfections lhors qu'il jouit de ce qu'il ayme.

  A004000988 

 L'amour nous fait plaire en la veüe de nostre Bienaymé, et la veüe du Bienaymé nous fait plaire en son divin amour: en sorte que par ce mutuel mouvement de l'amour a la veüe et de la veüe a l'amour, comme l'amour rend plus belle la beauté de la chose aymee, aussi la veüe d'icelle rend l'amour [313] plus amoureux et delectable.

  A004000988 

 L'amour, par une imperceptible faculté, fait paroistre la beauté que l'on ayme, plus belle, et la veüe pareillement affine l'amour pour luy faire treuver la beauté plus aymable; l'amour presse les yeux de regarder tous-jours plus attentivement la beauté bienaymee, et la veüe force le cœur de l'aymer tous-jours plus ardemment..

  A004000992 

 Mais qui a plus de force, je vous prie, ou l'amour pour faire regarder le Bienaymé ou la veüe pour le faire aymer? Theotime, la connoissance est requise a la production de l'amour, car jamais nous ne sçaurions aymer ce que nous ne connoissons pas; et a mesure que la connoissance attentive du bien s'augmente, l'amour aussi prend davantage de croissance, pourveu qu'il n'y ayt rien qui empesche son mouvement.

  A004000992 

 Mays neanmoins, il arrive maintefois que la connoissance ayant produit l'amour sacré, l'amour ne s'arrestant pas dans les bornes de la connoissance qui est en l'entendement, passe outre et s'avance bien fort au dela d'icelle: si que, en cette vie mortelle, nous pouvons avoir plus d'amour que de connoissance de Dieu; dont le grand saint Thomas asseure que souvent «les plus simples et les femmes abondent en devotion,» et sont ordinairement plus capables de l'amour divin que les habiles gens et sçavans.

  A004000993 

 Le fameux abbé de Saint André de Verceil, maistre de saint Anthoine de Padoüe, en ses Commentaires sur saint Denys, repete plusieurs fois que «l'amour penetre ou la science exterieure ne sçauroit atteindre,» et dit que «plusieurs Evesques ont jadis penetré le mistere de la Trinité, quoy qu'ilz ne fussent pas doctes;» admirant sur ce propos son disciple saint Anthoine de Padoüe «qui, sans science mondayne, avoit une si profonde theologie mistique, que comme un autre saint Jean Baptiste on le pouvoit nommer une lampe luisante et ardente.» «Le bienheureux frere Gilles, des premiers compaignons de saint François, dit un jour a saint Bonaventure: O que vous estes heureux, vous autres doctes, car vous sçaves maintes choses par lesquelles vous loües Dieu; mays nous autres idiotz que ferons nous? Et saint Bonaventure respondit: La grace de pouvoir aymer Dieu suffit.

  A004000993 

 Lhors frere Gilles, entrant en ferveur, s'escria: O pauvre et simple femme, ayme ton Sauveur, et tu pourras estre autant que frere Bonaventure! Et la dessus il demeura trois heures en ravissement.».

  A004000994 

 La volonté, certes, ne s'apperçoit pas du bien que [315] par l'entremise de l'entendement, mais l'ayant une fois apperceu elle n'a plus besoin de l'entendement pour prattiquer l'amour, car la force du playsir qu'elle sent ou pretend sentir de l'union a son object, l'attire puissamment a l'amour et au desir de la jouissance d'iceluy.

  A004000994 

 Si que la connoissance du bien donne la naissance a l'amour, mais non pas la mesure; comme nous voyons que la connoissance d'une injure esmeut la cholere, laquelle, si elle n'est soudain estouffee, devient presque tous-jours plus grande que le sujet ne requiert: les passions ne suivant pas la connoissance qui les esmeut, mais la laissant bien souvent en arriere, elles s'avancent sans mesure ni limite quelcomque devers leur object..

  A004000995 

 Nous fouissons la terre pour treuver l'or et l'argent, employans une peyne presente pour un bien qui n'est encor qu'esperé, de sorte que la connoissance incertaine nous met en un travail present et reel; puis, a mesure que nous descouvrons la veine de la miniere, nous en cherchons tous-jours davantage et plus ardemment.

  A004000995 

 O combien est il vray, selon que saint Augustin s'escrioit, que «les idiotz ravissent les Cieux,» tandis que plusieurs sçavans s'abisment es enfers!.

  A004000995 

 Or cela arrive encor plus fortement en l'amour sacré, d'autant que nostre volonté n'y est pas appliquee par une connoissance naturelle, mays par la lumiere de la foy, laquelle nous asseurant de l'infinité du bien qui est en Dieu, nous donne asses de sujet de l'aymer de tout nostre pouvoir.

  A004000996 

 A vostre advis, Theotime, qui aymeroit plus la lumiere, ou l'aveugle né qui sçauroit tous les discours que les philosophes en font et toutes les louanges qu'ilz luy donnent, ou le laboureur qui d'une veüe bien claire sent et ressent l'aggreable splendeur du beau soleil levant? Celuy-la en a plus de connoissance, et celuy-ci plus de jouissance; et cette jouissance produit un amour [316] bien plus vif et animé que ne fait la simple connoissance du discours, car l'experience d'un bien nous le rend infiniment plus aymable que toutes les sciences qu'on en pourroit avoir.

  A004000996 

 Nous commençons d'aymer par la connoissance que la foy nous donne de la bonté de Dieu, laquelle par apres nous savourons et goustons par l'amour, et l'amour aiguise nostre goust et nostre goust affine nostre amour: si que, comme nous voyons entre les effortz des vens les ondes s'entrepresser et s'eslever plus haut, comme a l'envi, par le rencontre qu'elles font l'une de l'autre, ainsy le goust du bien en rehausse l'amour et l'amour en rehausse le goust, selon que la divine Sagesse a dit: Ceux qui me goustent auront encor appetit, et ceux qui me boivent seront encor alterés.

  A004000996 

 Qui ayma plus Dieu, je vous prie, ou le theologien Ocham, que quelques uns ont nommé le plus subtil des mortelz, ou sainte Catherine de Gennes, femme idiote? Celuy la le conneut mieux par science, celle ci par experience, et l'experience de celle ci la conduisit bien avant en l'amour seraphique, tandis que celuy la, avec sa science, demeura bien esloigné de cette si excellente perfection..

  A004000997 

 Avant que les petitz enfans ayent tasté le miel et le sucre, on a de la peyne a le leur faire recevoir en leurs bouches, mays apres qu'ilz ont savouré sa douceur, ilz l'ayment beaucoup plus qu'on ne voudroit et pourchassent esperdument d'en avoir tous-jours..

  A004000997 

 Nous aymons extremement les sciences avant que nous les sçachions, dit saint Thomas, «par la seule connoissance confuse et sommaire que nous en avons:» et il faut dire de mesme, que la connoissance de la bonté divine applique nostre volonté a l'amour; mais despuis que la volonté est en train, son amour va de soy mesme croissant par le playsir qu'il sent de s'unir a ce souverain bien.

  A004000998 

 Il faut neanmoins advoüer que la volonté attiree par la delectation qu'elle sent en son object, est bien plus fortement portee a s'unir avec luy quand l'entendement de son costé luy en propose excellemment la bonté, car elle y est alhors tiree et poussee tout ensemble; [317] poussee par la connoissance, tiree par la delectation: si que la science n'est point de soy mesme contraire, ains est fort utile a la devotion, et si elles sont jointes ensemble elles s'entr'aydent admirablement, quoy qu'il arrive fort souvent que, par nostre misere, la science empesche la naissance de la devotion, d'autant que la science enfle et enorgueillit, et l'orgueil, qui est contraire a toute vertu, est la ruine totale de la devotion.

  A004001002 

 Nous contons en meditant, ce semble, les perfections divines que nous voyons en un mistere; mais en contemplant nous en faysons une somme totale.

  A004001003 

 C'est pourquoy le divin Espoux estime tant que sa bienaymee le regarde d' un seul œil, et que sa perruque soit si bien tressee qu'elle ne semble qu' un seul cheveu; car, qu'est-ce regarder l'Espoux d' un seul œil, que de le voir d'une simple veüe attentive, sans multiplier les regars? et qu'est-ce porter ses cheveux ramassés, que de ne point respandre [319] sa pensee en varieté de considerations? O que bienheureux sont ceux qui, apres avoir discouru sur la multitude des motifs qu'ilz ont d'aymer Dieu, reduisans tous leurs regars en une seule veue et toutes leurs pensees en une seule conclusion, arrestent leur esprit en l'unité de la contemplation, a l'exemple de saint Augustin ou de saint Bruno, prononçans secrettement en leur ame, par une admiration permanente, ces paroles amoureuses: O bonté, bonté! O bonté tous-jours ancienne et tous-jours nouvelle! et a l'exemple du grand saint François, qui, planté sur ses genoux en orayson, passa toute la nuit en ces paroles: O Dieu, vous estes «mon Dieu et mon tout!» les inculquant continuellement, au recit du bienheureux frere Bernard de Quinteval, qui l'avoit ouy de ses oreilles..

  A004001003 

 La meditation est semblable a celuy qui odore l'œillet, la rose, le romarin, le thym, le jasmin, la fleur d'orange, l'un apres l'autre, distinctement; mais la contemplation est pareille a celuy qui odore l'eau de senteur composee de toutes ces fleurs: car celuy cy en un seul sentiment reçoit toutes les odeurs unies que l'autre avoit senti divisees et separees, et n'y a point de doute que cette unique odeur qui provient de la confusion de toutes ces senteurs, ne soit elle seule plus suave et pretieuse que les senteurs desquelles elle est composee, odorees separement l'une apres l'autre.

  A004001004 

 Il vid, dit l'Escriture, que la lumiere estoit bonne, que le ciel et la terre estoit une bonne chose; puis les herbes et plantes, le soleil, la lune et les estoiles, les animaux et en somme toutes les creatures, ainsy qu'il les creoit l'une apres l'autre, jusques a ce qu'en fin tout l'univers estant accompli, la divine meditation, par maniere de dire, se changea en contemplation; car, regardant toute la bonté qui estoit en son ouvrage, d'un seul trait de son œil, il vid, dit Moyse, tout ce qu'il avoit fait, et [320] tout estoit tres bon. Les pieces differentes considerees separement par maniere de meditation estoient bonnes, mays regardees d'une seule veüe toutes ensemble, par forme de contemplation, elles furent treuvees tres bonnes: comme plusieurs ruysseaux qui, s'unissans, font une riviere, qui porte des plus grandes charges que la multitude des mesmes ruysseaux separés n'eust sceu faire..

  A004001005 

 Apres que nous avons esmeu une grande quantité de diverses affections pieuses, par la multitude des considerations dont la meditation est composee, nous assemblons en fin la vertu de toutes ces affections; lesquelles de la confusion et meslange de leurs forces font naistre une certaine quintessence d'affection, et d'affection plus active et puissante que toutes les affections desquelles elle procede, d'autant qu'encor qu'elle ne soit qu'une, elle comprend la vertu et proprieté de toutes les autres, et se nomme affection contemplative..

  A004001006 

 Ainsy dit on entre les theologiens que les Anges plus eslevés en gloire ont une connoissance de Dieu et des creatures beaucoup plus simple que leurs inferieurs, et que les especes ou idees par lesquelles ilz voyent sont plus universelles; en sorte que ce que les Anges moins parfaitz voyent par plusieurs especes et divers regars, les plus parfaitz le voyent par moins d'especes et moins de traitz de leur veüe.

  A004001006 

 Certes, a mesure que l'eau s'esloigne de son origine, elle se divise et dissipe ses sillons, si avec un grand soin on ne la contient ensemble: et les perfections se separent et partagent a mesure qu'elles sont [321] esloignees de Dieu, qui est leur source; mais quand elles s'en approchent, elles s'unissent jusques a ce qu'elles soyent abismees en cette souverainement unique perfection, qui est l' unité necessaire et la meilleure partie, que Magdeleine choysit, laquelle ne luy sera point ostee..

  A004001010 

 Quelquefois nous regardons seulement a quelqu'une des perfections de Dieu, comme, par exemple, a son infinie bonté, sans penser aux autres attributz ou vertus d'iceluy; comme un espoux arrestant simplement sa veüe sur le beau teint de son espouse, qui par ce moyen regarderoit voirement tout son visage, d'autant que le teint est respandu sur presque toutes les pieces d'iceluy, et toutefois ne seroit attentif, ni aux traitz, ni a la grace, ni aux autres parties de la beauté: car de mesme quelquefois, l'esprit regardant la bonté souveraine de la Divinité, bien qu'il voye en icelle la justice, la sagesse, la puissance, il n'est neanmoins en attention que pour la bonté, a laquelle la simple veüe de sa contemplation s'addresse..

  A004001011 

 Quelquefois aussi nous sommes attentifs a regarder en Dieu plusieurs de ses infinies perfections, mais d'une veüe simple et sans distinction; comme celuy qui d'un trait d'œil, passant sa veüe des la teste jusques aux pieds de son espouse richement paree, auroit attentivement tout veu en general et rien en particulier, ne [322] sçachant bonnement dire, ni quel carquant ni quelle robbe elle portoit, ni quelle contenance elle tenoit ou quel regard elle faisoit, ains seulement que tout y estoit beau et aggreable: car ainsy, par la contemplation, 0u tire maintefois un seul trait de simple consideration sur plusieurs grandeurs et perfections divines tout ensemble; et n'en sçauroit-on toutefois dire chose quelcomque en particulier, sinon que tout est parfaitement bon et beau..

  A004001012 

 Et en fin, nous regardons d'autres fois, non plusieurs ni une seule des perfections divines, ains seulement quelqu'action ou quelqu'œuvre divine a laquelle nous sommes attentifs; comme, par exemple, a l'acte de la misericorde par lequel Dieu pardonne les pechés, ou a l'acte de la creation, ou de la resurrection du Lazare, ou de la conversion de saint Paul: ainsy qu'un espoux qui ne regarderoit pas les yeux, ains seulement la douceur du regard que son espouse jette sur luy, ne considereroit point sa bouche, mais la suavité des paroles qui en sortent.

  A004001012 

 Et lhors, Theotime, l'ame fait une certaine saillie d'amour, non seulement sur l'action qu'elle considere, mais sur Celuy duquel elle procede: Vous estes bon, Seigneur, et en vostre bonté apprenes moy vos justifications; Vostre gosier, c'est a dire la parole qui en provient, est très suave, et vous estes tout desirable; Helas, que vos paroles sont douces a mes entrailles, plus que le miel a ma bouche! Ou bien avec saint Thomas: Mon Seigneur et mon Dieu! et avec sainte Magdeleine: Rabboni! ha, mon Maistre!.

  A004001013 

 Mays, en quelle des trois façons que l'on procede, la contemplation a tous-jours cette excellence, qu'elle se fait avec plavsir, d'autant qu'elle presuppose que l'on a treuvé Dieu et son saint amour, qu'on en jouit et qu'on s'y delecte, en disant: J'ay treuvé Celuy que mon ame cherit, je l'ay treuvé et ne le quitteray point.

  A004001014 

 Et comme mangea-il son bornal avec son miel, sinon quand il vescut d'une vie nouvelle, reunissant son ame, plus douce que le miel, a son cors percé et navré de plus de trous qu'un bornai? Et lhors que, montant au Ciel, il prit possession de toutes les circonstances et dependances de sa divine gloire, que fit-il autre chose, sinon mesler le vin res-jouissant de la gloire essentielle de son ame avec le lait delectable de la felicité parfaite de son cors, en une sorte encor plus excellente qu'il n'avoit pas fait jusques a l'heure?.

  A004001014 

 L'Espoux divin, comme berger qu'il est, prepara un festin somptueux a la façon champestre pour son Espouse sacree, lequel il descrit en sorte que mystiquement il representoit tous les mysteres de la redemption humaine: Je suis venu en mon jardin, dit-il, j'ay moissonné ma myrrhe avec tous mes parfums; j'ay mangé mon bornai avec mon miel, j'ay meslé mon vin avec mon lait; mangés, mes amis, et beuvés, et vous enivres, mes treschers.

  A004001014 

 Theotime, hé! quand fut-ce, je vous prie, que Nostre Seigneur vint en son jardin, sinon quand il vint es tres pures, tres humbles et tres douces entrailles de sa Mere, pleynes de toutes les plantes fleurissantes des saintes vertus? Et qu'est-ce a Nostre Seigneur de moissonner sa myrrhe avec ses parfums, sinon assembler souffrances a souffrances jusques a la mort, et la mort de la croix? joignant par icelles merites a merites, tresors a tresors pour enrichir ses enfans spirituelz.

  A004001015 

 Sainte et sacree ivresse, qui, au contraire de la corporelle, nous aliene non du sens spirituel mais des sens corporelz; qui ne nous hebete ni abestit pas, ains nous angelise et, par maniere de dire, divinise; qui nous met hors de nous, non pour nous ravaler et ranger avec les bestes, comme fait l'ivresse terrestre, mais pour nous eslever au dessus de nous et nous ranger avec les Anges, en sorte que nous vivions plus en Dieu qu'en nous mesmes, estans attentifs et occupés par amour a voir sa beauté et nous unir a sa bonté..

  A004001016 

 Or, d'autant que pour parvenir a la contemplation nous avons pour l'ordinaire besoin d'ouïr la sainte parole, de faire des devis et colloques spirituelz avec les autres, a la façon des anciens anachoretes, de lire des livres devotz, de prier, mediter, chanter des cantiques, former des bonnes pensees; pour cela la sainte contemplation estant la fin et le but auquel tous ces exercices tendent, ilz se reduisent tous a elle, et ceux qui les prattiquent sont appellés contemplatifs; comme aussi cette sorte d'occupation est nommee vie contemplative a rayson de l'action de nostre entendement, par laquelle nous regardons la verité de la beauté et bonté divine avec une attention amoureuse, c'est a dire avec un amour qui nous rend attentifs, ou bien avec une attention qui provient de l'amour et augmente l'amour que nous avons envers l'infinie suavité de Nostre Seigneur.

  A004001020 

 Celuy, dit la bienheureuse Mere Therese de Jesus, qui a laissé par escrit que l'orayson de recueillement se fait comme quand un herisson ou une tortue se retire au dedans de soy, l'entendoit bien; hormis que ces bestes se retirent au dedans d'elles mesmes quand elles veulent, mais le recueillement ne gist pas en nostre volonté, ains il nous advient quand il plait a Dieu de nous faire cette grace..

  A004001020 

 Je ne parle pas icy, Theotime, du recueillement par lequel ceux qui veulent prier se mettent en la presence de Dieu, rentrans en eux mesmes, et retirans, par maniere de dire, leur ame dedans leur cœur pour parler a Dieu; car ce recueillement se fait par le commandement de l'amour, qui, nous provoquant a l'orayson, nous fait prendre ce moyen de la bien faire, de sorte que nous faysons nous mesmes ce retirement de nostre esprit.

  A004001021 

 Car tout ainsy qu'un nouvel esseim ou jetton de mousches a miel, lhors qu'il veut fuir et changer païs, est rappellé par le son que l'on fait doucement sur des bassins, ou par l'odeur du vin emmiellé, ou bien encor par la senteur de quelques herbes odorantes, en sorte qu'il s'arreste par l'amorce de ces douceurs et entre dans la ruche qu'on luy a preparee; de mesme Nostre Seigneur, prononçant quelque secrette parole de son amour, ou respandant l'odeur du vin de sa dilection plus delicieuse que le miel, ou bien evaporant les parfums de ses vestemens, c'est a dire quelques sentimens de ses consolations celestes en nos cœurs, et par ce moyen leur faysant sentir sa tres aymable presence, il retire a soy toutes les facultés de nostre ame, lesquelles se ramassent autour de luy et s'arrestent en luy comme en leur object tres desirable.

  A004001021 

 Et comme qui mettroit un morceau d'aymant entre plusieurs eguilles, verroit que soudain toutes leurs pointes se retourneroyent du costé de leur aymant bienaymé et se viendroyent attacher a luy, aussi lhors que Nostre Seigneur fait sentir au milieu de nostre ame sa tres delicieuse presence, toutes nos facultés retournent leurs pointes de ce costé la, pour se venir joindre a cette incomparable douceur..

  A004001021 

 Rien n'est si naturel au bien que d'unir et attirer a soy les choses qui le peuvent sentir, comme font nos ames, lesquelles tirent tous-jours et se rendent a leur tresor, c'est a dire a ce qu'elles ayment.

  A004001021 

 [326] Il arrive donq quelquefois que Nostre Seigneur respand imperceptiblement au fond du cœur une certaine douce suavité qui tesmoigne sa presence, et Ihors les puissances, voire mesme les sens exterieurs de l'ame, par un certain secret consentement se retournent du costé de cette intime partie ou est le tres aymable et trescher Espoux.

  A004001023 

 L'ame de cette Mere bienaymee se ramassa toute, sans doute, autour de cet Enfant bien-aymé, et parce que ce divin Ami estoit emmi ses entrailles sacrees, toutes les facultés de son ame se retirerent en elle mesme, comme saintes avettes dedans la ruche en laquelle estoit leur miel; et a mesure que la divine grandeur s'estoit, par maniere de dire, restressie et raccourcie dedans son ventre virginal, son ame aggrandissoit et magnifioit les louanges de cette infinie debonnaireté, et son esprit tressailloit de contentement dedans son cors (comme saint Jean dedans celuy de sa mere) autour de son Dieu qu'elle sentoit.

  A004001024 

 Car, comme la mereperle, ayant receu les gouttes de la fraiche rosee du matin, se resserre, non seulement pour les conserver pures de tout le meslange qui s'en pourroit faire avec les eaux de la mer, mais aussi pour l'ayse qu'elle ressent d'appercevoir l'aggreable fraicheur de ce germe que le ciel luy envoye; ainsy arrive-il a plusieurs saintz et devotz fideles, qu'ayans receu le divin Sacrement qui contient la rosee de toutes benedictions celestes, leur ame se resserre et toutes leurs facultés se recueillent, non seulement pour adorer ce Roy souverain nouvellement present d'une presence admirable a leurs entrailles, mais pour l'incroyable [328] consolation et rafraichissement spirituel qu'ilz reçoivent, de sentir par la foy ce germe divin de l'immortalité en leur interieur.

  A004001024 

 Or ce mesme contentement peut estre prattiqué par imitation entre ceux qui, ayans communié, sentent par la certitude de la foy ce que non la chair ni le sang, mais le Pere celeste leur a revelé: que leur Sauveur est en cors et en ame present d'une tres reelle presence a leur cors et a leur ame, par ce tres adorable Sacrement.

  A004001025 

 C'en est de mesme en cette sorte de recueillement de laquelle nous parlons; car a la seule presence de Dieu, au seul sentiment que nous avons qu'il nous regarde, ou des le Ciel ou de quelqu'autre lieu hors de nous, bien que pour lhors nous ne pensions pas a l'autre sorte de presence par laquelle il est en nous, nos facultés et puissances se ramassent et assemblent en nous mesmes pour la reverence de sa divine Majesté, que l'amour nous fait craindre d'une crainte d'honneur et de respect.

  A004001025 

 Il arrive quelquefois que toutes nos puissances interieures se resserrent et ramassent en elles mesmes, par l'extreme reverence et douce crainte qui nous saisit en consideration de la souveraine majesté de Celuy qui nous est present et nous regarde; ainsy que, pour distraitz que nous soyons, si le Pape ou quelque grand prince comparoit, nous revenons a nous mesmes et retournons nos pensees sur nous, pour nous tenir en contenance et respect.

  A004001025 

 Mays ce doux recueillement de nostre ame en soy mesme ne se fait pas seulement par le sentiment de la presence divine au milieu de nostre cœur, ains en quelle maniere que ce soit que nous nous mettions en cette sacree presence.

  A004001025 

 On dit que la veue du soleil fait recueillir les fleurs de la flambe, autrement appellee glay; parce qu'elles se ferment et resserrent en elles mesmes a la lueur du soleil, en l'absence duquel elles espanouissent, et se tiennent ouvertes toute la nuit.

  A004001026 

 Certes, je connois une ame a laquelle si tost qu'on mentionnoit quelque mystere ou sentence qui luy ramentevoit un peu plus expressement que l'ordinaire la presence de Dieu, tant en confession qu'en particuliere conference, elle rentroit si fort en elle mesme qu'elle avoit peyne d'en sortir pour parler et respondre; en telle sorte, qu'en son exterieur elle demeuroit comme destituee de vie et tous les sens engourdis, jusques a ce que l'Espoux luy permist.de sortir, qui estoit quelquefois asses tost et d'autres fois plus tard..

  A004001030 

 Et c'est cet aymable repos de l'ame que la bienheureuse vierge Therese, de Jesus appelle «orayson de quietude,» non guere differente de ce qu'elle mesme nomme «sommeil des puissances,» si toutefois je l'entens bien..

  A004001030 

 L'ame, estant donq ainsy recueillie dedans elle mesme en Dieu ou devant Dieu, se rend parfois si doucement attentive a la bonté de son Bienaymé, qu'il luy semble que son attention ne soit presque pas attention, tant elle est simplement et delicatement exercee; comme il arrive en certains fleuves, qui coulent si doucement et egalement, qu'il semble a ceux qui les regardent ou navigent sur iceux de ne voir ni sentir aucun mouvement, parce qu'on ne les voici nullement ondoyer ni flotter.

  A004001031 

 Certes, les amans humains se contentent parfois d'estre aupres ou a la veüe de la personne qu'ilz ayment, [330] sans parler a elle et sans discourir a part eux, ni d'elle ni de ses perfections; assouvis, ce semble, et satisfaitz de savourer cette bienaymee presence, non par aucune consideration qu'ilz fassent sur icelle, mais par un certain accoisement et repos que leur esprit prend en elle.

  A004001031 

 Mon Bienaymé est a moy et moy je suis a luy, qui paist entre les lys tandis que le jour aspire et que les ombres s'inclinent.

  A004001031 

 Voyés-vous, Theotime, comme la sainte Sulamite se contente de sçavoir que son Bienaymé soit avec elle, ou en son sein, ou en son parc, ou ailleurs, pourveu qu'elle sache ou il est: aussi est elle Sulamite, toute paisible, toute tranquille et en repos..

  A004001032 

 Et ce qui est encor plus admirable, c'est que la volonté n'apperçoit point cet ayse et contentement qu'elle reçoit, jouissant insensiblement d'iceluy; d'autant qu'elle ne pense pas a soy, mais a Celuy la presence duquel luy donne ce playsir: comme il arive maintefois que, surpris d'un leger sommeil, nous entr'oyons seulement ce que nos amis disent autour de nous ou ressentons les caresses qu'ilz nous font, presque imperceptiblement, sans sentir que nous sentons..

  A004001032 

 Or ce repos passe quelquefois si avant en sa tranquillité, que toute l'ame et toutes les puissances d'icelle demeurent comme endormies, sans faire aucun mouvement ni action quelcomque, sinon la seule volonté, laquelle mesme ne fait aucune autre chose sinon recevoir l'ayse et la satisfaction que la presence du Bienaymé luy donne.

  A004001033 

 Neanmoins l'ame qui en ce doux repos jouit de ce delicat sentiment de la presence divine, quoy qu'elle ne s'apperçoive pas de cette jouissance, tesmoigne toutefois clairement combien ce bonheur luy est precieux et aymable, quand on le luy veut oster ou que quelque chose l'en destourne: car alhors, la pauvre ame fait des plaintz, crie, voire quelquefois pleure, comme un petit enfant [331] qu'on a esveillé avant qu'il eust asses dormi, lequel, par la douleur qu'il ressent de son reveil, monstre bien la satisfaction qu'il avoit en son sommeil.

  A004001034 

 Et qu'est ce a dire, elle escoute? c'est a dire, elle est la comme un vaysseau d'honneur, a recevoir goutte a goutte la mirrhe de suavité que les levres de son Bienaymé distilloyent dans son cœur.

  A004001034 

 Et que fait elle donq? elle ne fait rien, ains escoute.

  A004001035 

 Les peintres peignent ordinairement le bienaymé saint Jean, en la cene, non seulement reposant, mais dormant sur la poitrine de son Maistre; parce qu'il y fut assis a la façon des Levantins, en sorte que sa teste tendoit vers le sein de son cher Amant, sur lequel, comme il ne dormoit pas du sommeil corporel, n'y ayant aucune vraysemblance en cela, aussi ne doute-je point que se treuvant si pres des mammelles de la douceur eternelle, il n'y fit un profond, mistique et doux sommeil, [332] comme un enfant d'amour qui, attaché au tetin de sa mere, allaite en dormant et dort en allaitant.

  A004001035 

 O Dieu, quelles delices a ce Benjamin, enfant de la joye du Sauveur, de dormir ainsy entre les bras de son Pere, qui, le jour suivant, comme le Benoni, enfant de douleur, le recommanda aux douces mammelles de sa Mere! Rien n'est plus desirable au petit enfant, soit qu'il veille ou qu'il dorme, que la poitrine de son pere et le sein de sa mere..

  A004001036 

 Il est mieux de dormir sur cette sacree poitrine que de veiller ailleurs, ou que ce soit..

  A004001036 

 Quand donques vous seres en cette simple et pure confiance filiale aupres de Nostre Seigneur, demeurés-y, mon cher Theotime, sans vous remuer nullement pour faire des actes sensibles ni de l'entendement ni de la volonté; car cet amour simple de confiance et cet endormissement amoureux de vostre esprit entre les bras du Sauveur, comprend par excellence tout ce que vous alles cherchant ça et la pour vostre goust.

  A004001040 

 Mais apres que la fraicheur du lait a aucunement appaysé la chaleur appetissante de leur petite poitrine, et que les aggreables vapeurs qu'il envoye a leur cerveau commencent a les endormir, Theotime, vous les verries fermer tout bellement leurs petitz yeux et ceder petit e petit au sommeil, sans [333] quitter neanmoins le tetin, sur lequel ilz ne font nulle action que celle d'un lent et presqu'insensible mouvement de levres, par lequel ilz tirent tous-jours le lait qu'ilz avalent imperceptiblement: et cela ilz le font sans y penser, mais non pas certes sans playsir, car si on leur oste le tetin avant que le profond sommeil les ait accablés, ilz s'esveillent et pleurent amerement, tesmoignans par la douleur qu'ilz ont en la privation qu'ilz avoyent beaucoup de douceur en la possession.

  A004001040 

 N'aves vous jamais pris garde, Theotime, a l'ardeur avec laquelle les petitz enfans s'attachent quelquefois au tetin de leurs meres quand ilz ont faim? On les void grommelans, serrer et presser de la bouche le chicheron, sucçans le lait si avidement que mesme ilz en donnent de la douleur a leurs meres.

  A004001040 

 Que si on incommode cette pauvre petite pouponne et qu'on luy veuille oster la poupette, d'autant qu'elle semble endormie, elle monstre bien alhors, qu'encor qu'elle dorme pour tout le reste des choses elle ne dort pas neanmoins pour celle la; car elle apperçoit le mal de cette separation et s'en fasche, monstrant par la.

  A004001040 

 le playsir qu'elle prenoit, quoy que sans y penser, au bien qu'elle possedoit.

  A004001041 

 Elle n'a plus besoin de s'amuser a discourir par l'entendement, car elle void d'une si douce veüe son Espoux present que les discours luy seroyent inutiles et superflus.

  A004001041 

 Mays dites moy, Theotime, l'ame recueillie en son Dieu, pourquoy, je vous prie, s'inquieteroit elle? n'a-elle pas sujet de s'accoiser et demeurer en repos? Car, que chercheroit elle? Elle a treuvé Celuy qu'elle cherchoit; que luy reste-il plus sinon de dire: J'ay treuvé mon cher Bienaymé, je le tiens et ne quitteray point.

  A004001041 

 Que si mesme elle ne le void pas par l'entendement elle ne s'en soucie point, se contentant de le sentir pres d'elle par l'ayse et satisfaction que la volonté en reçoit.

  A004001042 

 O Dieu eternel, quand par vostre douce presence vous jettes les odorans parfums dedans nos cœurs, parfums res-jouissans plus que le vin delicieux et plus que le miel, alhors toutes les puissances de nos ames entrent en un aggreable repos, avec un accoysement si parfait, qu'il n'y a plus aucun sentiment que celuy de la volonté, laquelle, comme l'odorat spirituel, demeure doucement engagee a sentir, sans s'en appercevoir, le bien incomparable d'avoir son Dieu present.

  A004001042 

 On ne se sert pas seulement du vin emmiellé pour retirer et rappeller les avettes dans les ruches, mays on s'en sert encor pour les appayser; car, quand elles font des seditions et mutineries entr'elles, s'entretuant et desfaisant les unes les autres, leur gouverneur n'a point de meilleur remede que de jetter du vin emmiellé au milieu de ce petit peuple effarouché; d'autant que les particuliers desquelz il est composé, sentans cette suave et aggreable odeur, s'appaysent, et s'occupans a la jouissance de cette douceur demeurent accoysés et tranquilles.

  A004001047 

 Il y a bien de la difference, Theotime, entre s'occuper en Dieu qui nous donne du [336] contentement, et s'amuser au contentement que Dieu nous donne..

  A004001047 

 Or tous ces espritz sont ordinairement sujetz d'estre troublés en la sainte orayson; car si Dieu leur donne le sacré repos de sa presence, ilz le quittent volontairement pour voir comme ilz se comportent en iceluy et pour examiner s'ilz y ont bien du contentement, s'inquietans pour sçavoir si leur tranquillité est bien tranquille et leur quietude bien quiete: si que, en lieu d'occuper doucement leur volonté a sentir les suavités de la presence divine, ilz employent leur entendement a discourir sur les sentimens qu'ilz ont; comme une espouse qui s'amuseroit a regarder la bague avec laquelle elle auroit esté espousee, sans voir l'espoux mesme qui la luy auroit donnee.

  A004001048 

 Et comme l'enfant qui, pour voir ou il a ses pieds, a osté sa teste du sein de sa mere, y retourne tout incontinent parce qu'il est fort mignard, ainsy faut il que si nous nous appercevons d'estre distraitz par la curiosité de sçavoir ce que nous faysons en l'orayson, soudain nous remettions nostre cœur en la douce et paysible attention de la presence de Dieu, de laquelle nous estions divertis.

  A004001048 

 Neanmoins il ne faut pas croire qu'il y ait aucun peril de perdre cette sacree quietude par les actions du cors ou de l'esprit qui ne se font ni par legereté ni par indiscretion; car, comme dit la bienheureuse Mere Therese, c'est une superstition d'estre si jaloux de ce repos, que de ne vouloir ni tousser, ni cracher, ni respirer, de peur de le perdre: d'autant que Dieu qui donne cette paix, ne l'oste pas pour telz mouvemens necessaires, ni pour les distractions et divagations de l'esprit quand elles sont involontaires; et la volonté estant une fois bien amorcee a la presence divine ne laisse pas d'en savourer les douceurs, quoy que l'entendement ou la memoire se soyent eschappés et desbandés apres des pensees estrangeres et inutiles..

  A004001049 

 la belle et chaste Rachel, jettant un cri, pleura de la vehemence de la consolation et tendreté qu'il sentoit: si que cette ame de laquelle je parle, ayant la seule volonté engagee, et l'entendement, memoire, ouïe et imagination libre, ressembloit, comme je pense, au petit enfant qui allaitant pourroit voir, ouïr et mesme remuer les bras, sans pour cela quitter son cher tetin..

  A004001050 

 Et notés qu'alhors la volonté retenue en quietude par le playsir qu'elle prend en la presence divine, elle ne se remue point pour ramener les autres puissances qui s'esgarent; d'autant que si elle vouloit entreprendre cela elle perdroit son repos, s'esloignant de son cher Bienaymé, et perdroit sa peyne de courir ça et la pour attrapper ces puissances volages, lesquelles aussi bien ne peuvent jamais estre si utilement appellees a leur devoir que par la perseverance de la volonté en la sainte quietude, car petit a petit toutes les facultés sont attirees par le playsir que [338] la volonté reçoit et duquel elle leur donne certains ressentimens, comme des parfums, qui les excitent a venir aupres d'elle pour participer au bien dont elle jouit..

  A004001054 

 Suivant ce que nous avons dit, la sainte quietude a donq divers degrés: car quelquefois elle est en toutes les puissances de l'ame, jointes et unies a la volonté; quelquefois elle est seulement en la volonté, en laquelle elle est aucunes fois sensiblement et d'autres fois imperceptiblement, d'autant qu'il arrive parfois que l'ame tire un contentement incomparable de sentir, par certaines douceurs interieures, que Dieu luy est present, comme il advint a sainte Elizabeth quand Nostre Dame la visita; et d'autres fois l'ame a une certaine ardente suavité d'estre en la presence de Dieu, laquelle pour lhors luy est imperceptible, comme il advint aux disciples pelerins qui ne s'apperceurent bonnement de l'aggreable playsir dont ilz estoyent touchés, marchans avec Nostre Seigneur, sinon quand ilz furent arrivés et qu'ilz l'eurent reconneu en la divine fraction du pain..

  A004001055 

 Aucunes fois elle le sent parler et luy parle reciproquement, mais si secrettement, si doucement, [339] si bellement, que c'est sans pour cela perdre la sainte paix et quietude: si que, sans se resveiller elle veille avec luy, c'est a dire, elle veille et parle a son Bienaymé, cœur [à cœur,] avec autant de suave tranquillité et de gracieux repos comme si elle sommeilloit doucement.

  A004001055 

 Et d'autres fois elle sent parler l'Espoux, mais elle ne sçauroit luy parler, parce que l'ayse de l'ouïr ou la reverence qu'elle luy porte la tient en silence, ou bien parce qu'elle est en secheresse et tellement alangourie d'esprit qu'elle n'a de force que pour ouïr et non pas pour parler; comme il arrive corporellement quelquefois a ceux qui commencent a s'endormir ou qui sont grandement affoiblis par quelque maladie..

  A004001056 

 Ains on se maintient en la [340] presence de Dieu, non seulement l'escoutant, ou le regardant, ou luy parlant, mais aussi attendant s'il luy plaira de nous regarder, de nous parler, ou de nous faire parler a luy; ou bien encor ne faysant rien de tout cela, mais demeurant simplement ou il luy plaist que nous soyons et parce qu'il luy plaist que nous y soyons.

  A004001056 

 Et remarqués, je vous prie, qu'il faut plus de soin pour se mettre en la presence de Dieu que pour y demeurer lhors que l'on s'y est mis, car pour s'y mettre il faut appliquer sa pensee et la rendre actuellement attentive a cette presence, ainsy que je le dis en l' Introduction; mais quand on s'est mis en cette presence, on s'y tient par plusieurs autres moyens, tandis que, soit par l'entendement, soit par la volonté, on fait quelque chose en Dieu ou pour Dieu: comme, par exemple, le regardant, ou quelque chose pour l'amour de luy; l'escoutant, ou ceux qui parlent pour luy; parlant a luy, ou a quelqu'un pour l'amour de luy, et faisant quelqu'œuvre, quelle qu'elle soit, pour son honneur et service.

  A004001056 

 Imagines vous, Theotime, que le glorieux apostre saint Jean eust dormi d'un sommeil corporel sur la poitrine de son cher Seigneur en la sainte cene, et qu'il se fust endormi par le.

  A004001056 

 Que si, a cette simple façon de demeurer devant Dieu, il luy plaist d'adjouster quelque petit sentiment que nous sommes tout siens et qu'il est tout nostre, o Dieu, que ce nous est une grace desirable et pretieuse!.

  A004001057 

 Et quoy donques! conclueroit on, tu ne desires rien sinon d'estre une immobile statue la dedans cette creuse niche? Non certes, diroit en fin cette sage statue, non, je ne veux rien estre sinon une statue, et tous-jours dedans cette niche tandis que mon sculpteur le voudra, me contentant d'estre ici et ainsy, puisque c'est le contentement de celuy a qui je suis et par qui je suis ce que je suis..

  A004001057 

 Et si l'on repliquoit: Mays pourquoy y demeures tu sans rien faire? Parce, diroit elle, que mon maistre ne m'y a pas placee affin que je fisse chose quelcomque, ains seulement affîn que j'y fusse immobile.

  A004001057 

 Et si on rechargeoit en cette sorte: Or dis-moy donq, statue, je te prie, tu ne vois point ton maistre, et comme prens tu du contentement a le contenter? Non certes, confesseroit elle, je ne le voy pas, car j'ay des yeux non pas pour voir, comme j'ay des pieds non pas pour marcher; mais je suis trop contente de sçavoir que mon cher maistre me void ici et prenne plavsir de m'y voir.

  A004001057 

 Mavs si l'on continuoit la dispute avec la statue et qu'on luy dist: Mays ne voudrois-tu pas bien avoir du mouvement pour t'approcher de l'ouvrier qui t'a fait, affin de luy faire quelque autre meilleur service? sans doute elle le nieroit et protesteroit qu'elle ne voudroit pas faire autre chose [341] sinon que son maistre le voulust.

  A004001057 

 Que si derechef on la pressoit en disant: Mays, pauvre statue, dequoy te sert-il d'estre la de la sorte? Hé Dieu! respondroit-elle, je ne suis pas icy pour mon interest et service, mais pour obeir et servir a la volonté de mon seigneur et sculpteur, et cela me suffit.

  A004001057 

 Si une statue que le sculpteur auroit nichee dans la galerie de quelque grand prince, estoit douee d'entendement, et qu'elle peust discourir et parler, et qu'on luy demandast: O belle statue, dis mov, pcurquoy es tu la dans cette niche? Parce, respondroit elle, que mon maistre m'y a colloquee.

  A004001058 

 Nous avons donq esté la, en la presence de son bon playsir, quoy que sans le voir et sans nous en appercevoir; si que nous pourrions dire, a l'imitation de Jacob: Vrayement j'ay dormi aupres de mon Dieu et entre les bras de sa divine presence et providence, et je n'en sçavois rien..

  A004001058 

 O vray Dieu, que c'est une bonne façon de se tenir en la presence de Dieu, d'estre et vouloir tous-jours et a jamais estre en son bon playsir! car ainsy, comme je pense, en toutes occurrences, ouy mesme en dormant profondement, nous sommes encor plus profondement en la tressainte presence de Dieu.

  A004001058 

 Ouy certes, Theotime, car si nous l'aymons, nous nous endormons non seulement a sa veue mais a son gré, et non seulement par sa volonté mais selon sa volonté; et semble que ce soit luy mesme, nostre Createur et Sculpteur celeste, qui nous jette la sur nos litz, comme des statues dans leurs niches, affin que nous nichions dans nos litz comme les oyseaux couchent dans leurs nids; puis a nostre resveil, si nous y pensons bien, nous treuvons que Dieu nous a tous-jours esté present, et que nous ne nous sommes pas non plus esloignés ni separés de luy.

  A004001059 

 Or cette quietude en laquelle la volonté n'agit que par un tres simple acquiescement au bon playsir divin, voulant estre en l'orayson sans aucune pretention que d'estre a la veue de Dieu selon qu'il luy plaira, c'est une quietude souverainement excellente, d'autant qu'elle est pure de toute sorte d'interest, les facultés de l'ame n'y prenant aucun contentement, ni mesme la volonté, sinon en sa supreme pointe, en laquelle elle se contente de n'avoir aucun autre contentement sinon celuy d'estre [342] sans contentement, pour l'amour du contentement et bon playsir de son Dieu, dans lequel elle se repose.

  A004001064 

 Le cœur du Sauveur, vraye perle orientale, uniquement unique et de prix inestimable, jetté au milieu d'une mer d'aigreurs incomparables au jour de sa Passion, se fondit en soy mesme, se resolut, desfit et escoula en douleur sous l'effort de tant d'angoisses mortelles; mays l'amour, plus fort que la mort, amollit, attendrit et fait fondre les cœurs encor bien plus promptement que toutes les autres passions..

  A004001064 

 On appelle cœur de fer, de boys ou de pierre celuy qui ne reçoit pas aysement les impressions divines, ains demeure en sa propre volonté, emmi les inclinations qui accompaignent nostre nature depravee; au contraire, un cœur doux, maniable et traittable est appellé un cœur fondu et liquefié: Mon cœur, dit David parlant en la personne de Nostre Seigneur sur la croix, mon cœur est fait comme de la cire fondue, au milieu de mon ventre: Cleopatra, cette infame reyne d'Ægypte, voulant encherir sur tous les exces et toutes les dissolutions que Marc Anthoine avoit fait en banquetz, fit apporter a la fin d'un festin qu'elle faysoit a son tour, un bocal de fin vinaigre, dedans lequel elle jetta une des perles qu'elle portoit en ses oreilles, estimee deux centz cinquante mille escus; puis la perle estant resolue, fondue et liquefiee, elle l'avala, et eust encor enseveli l'autre perle, qu'elle avoit en l'autre oreille, dans la cloaque de son vilain estomach, si Lucius Plancus ne l'eust empeschee.

  A004001065 

 L'amour avoit rendu l'Espoux fluide et coulant, dont l'Espouse l'appelle une huyle respandue; et voyla que maintenant elle asseure qu'elle mesme est toute fondue d'amour: Mon ame, dit-elle, s'est escoulee lhors que mon Bienaymé a parlé.

  A004001065 

 L'amour de l'Espoux estoit dans son cœur et sous ses mammelles comme un vin nouveau bien puissant qui ne peut estre retenu dans son tonneau, car il se respandoit de toutes pars; et parce que l'ame suit son amour, apres que l'Espouse a dit: Vos mammelles sont meilleures que le vin, respandant des unguens pretieux, elle adjouste: Vous aves nom, huyle respandue; et comme l'Espoux avoit respandu son amour et son ame dans le cœur de l'Espouse, aussi l'Espouse reciproquement verse son ame dans le cœur de l'Espoux.

  A004001065 

 Mon ame, dit l'amante sacree, s'est toute fondue a mesme que mon Bienaymé a parlé; et qu'est ce a dire, elle s'est fondue, sinon, elle ne s'est plus contenue en elle mesme, ains s'est escoulee devers son divin [344] Amant? Dieu ordonna a Moyse qu'il parlast au rocher, et il produiroit des eaux; ce n'est donq pas merveille si luy mesme fit fondre l'ame de son amante lhors qu'il luy parloit en sa douceur.

  A004001066 

 Et comme nous voyons que les nuees espaissies par le vent de midy, se fondant et convertissant en pluie ne peuvent plus demeurer en elles mesmes, ains tumbent et s'escoulent en bas, se meslant si intimement avec la terre qu'elles destrempent qu'elles ne sont plus qu'une mesme chose avec icelle, ainsy l'ame laquelle, quoy qu'amante, demeuroit encor en elle mesme, sort par cet escoulement sacré et fluidité sainte, et se quitte soy mesme, non seulement pour s'unir au Bienaymé, mais pour se mesler toute et se destremper avec luy..

  A004001066 

 Mays comme se fait cet escoulement sacré de l'ame en son Bienaymé? Une extreme complaysance de l'amant en la chose aymee produit une certaine impuissance spirituelle qui fait que l'ame ne se sent plus aucun pouvoir de demeurer en soy mesme; c'est pourquoy, comme un baume fondu, qui n'a plus de fermeté ni de solidité, elle se laisse aller et escouler en ce qu'elle [345] ayme: elle ne se jette pas par maniere d'eslancement ni elle ne se serre pas par maniere d'union, mais elle se va doucement coulant, comme une chose fluide et liquide, dedans la Divinité qu'elle ayme.

  A004001067 

 Vous voyes donq bien, Theotime, que l'escoulement d'une ame en son Dieu n'est autre chose qu'une veritable extase, par laquelle l'ame est toute hors des bornes de son maintien naturel, toute meslee, absorbee et engloutie en son Dieu: dont il arrive que ceux qui parviennent a ce saint exces de l'amour divin, estans par apres revenuz a eux, ne voyent rien en la terre qui les contente, et vivans en un extreme aneantissement d'eux mesmes demeurent fort alangouris en tout ce qui appartient aux sens, et ont perpetuellement au cœur la maxime de la bienheureuse vierge Therese de Jesus: «Ce qui n'est pas Dieu ne m'est rien.» Et semble que telle fut la passion amoureuse de ce grand ami du Bienaymé, qui disoit: Je vis, mais non pas moy, ains Jesus Christ vit en moy; et: Nostre vie est cachee avec Jesus Christ en Dieu.

  A004001068 

 L'ame escoulee en Dieu ne meurt pas; car, comme pourroit-elle mourir d'estre abismee en la vie? mais elle vit sans vivre en elle mesme, parce que, comme [346] les estoiles sans perdre leur lumiere ne luisent plus en la presence du soleil, ains le soleil luit en elles et sont cachees en la lumiere du soleil, aussi l'ame, sans perdre sa vie, ne vit plus estant meslee avec Dieu, ains Dieu vit en elle.

  A004001068 

 Telz furent, je pense, les sentimens des grans bienheureux Philippe Nerius et François Xavier, quand, accablés des consolations celestes, ilz demandoyent a Dieu qu'il se retirast pour un peu d'eux, puisqu'il vouloit que leur vie parust aussi encor un peu au monde, ce qui ne se pouvoit tandis qu'elle estoit toute cachee et absorbee en Dieu..

  A004001072 

 La tristesse, la crainte, l'esperance, la hayne et les autres affections de l'ame n'entrent point dans le cœur que l'amour ne les y tire apres soy.

  A004001072 

 Les autres affections entrent voirement aussi, mais c'est par l'entremise de l'amour, car c'est luy qui, perçant le cœur, leur fait le passage; ce n'est que la pointe du dard qui blesse, le reste aggrandit seulement la blesseure et la douleur..

  A004001072 

 Nous ne haïssons le mal sinon parce qu'il est contraire au bien que nous aymons; nous craignons le mal futur parce qu'il nous privera du bien que nous aymons.

  A004001072 

 Qu'un mal soit extreme, nous ne le haïssons neanmoins jamais, sinon a mesure que nous cherissons le bien auquel il est opposé.

  A004001073 

 Certes, Theotime, l'amour est ainsy aigredoux, et tandis que nous sommes en ce monde il n'a jamais une douceur parfaittement douce, parce qu'il n'est pas parfait ni jamais purement assouvi et satisfait; et neanmoins il ne laisse pas d'estre grandement aggreable, son aigreur affinant la suavité de sa douceur comme sa douceur aiguise la grace de son aigreur.

  A004001073 

 Les grenades, par leur couleur vermeille, par la multitude de leurs grains si bien serrés et rangés, et par leurs belles couronnes, representent naifvement, ainsy que dit saint Gregoire, la tressainte charité, toute vermeille a cause de son ardeur envers Dieu, comblee de toute la varieté des vertus, et qui seule obtient et porte la couronne des recompenses eternelles; mays le suc des grenades, qui, comme nous sçavons, est si agreable aux sains et aux malades, est tellement meslé d'aigreur et de douceur, qu'on ne sçauroit discerner s'il res-jouit le goust ou bien parce qu'il a son aigreur doucette, ou bien parce qu'il a une douceur aigrette.

  A004001073 

 Mais cela, comme se peut-il faire? On a veu tel jeune homme entrer en conversation, libre, sain et fort gay, qui ne prenant pas garde a soy, sent bien, avant que d'en sortir, que l'amour se servant des regars, des maintiens, des paroles, voire mesme des cheveux d'une imbecille et foible creature, comme d'autant de fleches, aura feru et blessé son chetif cœur en sorte que le voyla tout triste, morne et estonné.

  A004001074 

 Il est vray que cette douleur provient de l'amour, et partant c'est une amiable et aymable douleur, Oyes les eslans douloureux, mais amoureux, d'un amant royal: Mon ame a soif de son Dieu fort et vivant; hé, quand viendray-je et paroistray-je devant la face de mon Dieu? Mes larmes m'ont servi de pain nuit et jour, tandis qu'on me dit: ou est ton Dieu? Ainsy la sacree Sulamite, toute destrempee en ses douloureuses amours, parlant aux filles de Hierusalem: Helas, dit-elle, je vous conjure, si vous rencontres mon Ami, annoncés luy ma peyne, parce que je languis toute blessee de son amour.

  A004001074 

 piqué un enfant, certes, vous auries beau luy dire: ah, mon enfant, l'abeille qui t'a piqué c'est celle la mesme qui fait le miel que tu treuves si bon; car, il est vray, diroit-il, son miel est bien doux a mon goust, mais sa piqueure est bien douloureuse, et tandis que son eguillon est dedans ma joüe je ne puis m'accoyser; et ne voyes vous pas que ma face en est toute enflee? Theotime, certes l'amour est une complaysance, et par consequent il est fort aggreable, pourveu qu'il ne laisse point dedans nos cœurs l'eguillon du desir; mais quand il le laisse, il laisse avec iceluy une grande douleur.

  A004001075 

 Les premiers traitz que nous recevons de l'amour s'appellent blesseures, parce que le cœur qui sembloit sain, entier et tout a soy mesme tandis qu'il n'aymoit pas, commence, lhors qu'il est atteint d'amour, a se separer et diviser de soy mesme pour se donner a l'objet aymé: or cette division ne se peut faire sans douleur, puisque la douleur n'est autre chose que la division des choses vivantes qui se tiennent l'une a l'autre.

  A004001075 

 Mays, Theotime, parlant de l'amour sacré, il y a en [349] la prattique d'iceluy une sorte de blesseure que Dieu luy mesme fait quelquefois en l'ame qu'il veut grandement perfectionner: car il luy donne des sentimens admirables et des attraitz non pareilz pour sa souveraine bonté, comme la pressant et sollicitant de l'aymer; et lhors elle s'eslance de force comme pour voler plus haut vers son divin objet, mays demeurant courte parce qu'elle ne peut pas tant aymer comme elle desire, o Dieu! elle sent une douleur qui n'a point d'egale.

  A004001075 

 O miserable que je suis, disoit l'un de ceux qui ont experimenté ce travail, qui me delivrera du cors de cette mortalité? Alhors, si vous y prenes garde, Theotime, ce n'est pas le desir d'une chose absente qui blesse le cœur, car l'ame sent que son Dieu est present, il l'a des-ja menee dans son cellier a vin, il a arboré sur son cœur l'estendart de l'amour; mays quoy que des-ja il la voye toute sienne, il la presse, et descoche de tems en tems mille et mille traitz de son amour, luy monstrant par des nouveaux moyens combien il est plus aymable qu'il n'est aymé: et elle, qui n'a pas tant de force pour l'aymer que d'amour pour s'efforcer, voyant ses effortz si imbecilles en comparayson du desir qu'elle a pour aymer dignement Celuy que nulle force ne peut asses aymer, helas, elle se sent outree d'un tourment incomparable; car, autant d'eslans qu'elle fait pour voler plus haut en son desirable amour, autant reçoit-elle de secousses de douleur..

  A004001076 

 Ce cœur amoureux de son Dieu, desirant infiniment d'aymer, void bien que neanmoins il ne peut ni asses aymer ni asses desirer.

  A004001076 

 Or ce desir qui ne peut reuscir est comme un dard dans le flanc d'un esprit genereux; [350] mais la douleur qu'on en reçoit ne laisse pas d'estre aymable, d'autant que quicomque desire bien d'aymer, ayme aussi bien a desirer, et s'estimeroit le plus miserable de l'univers s'il ne desiroit continuellement d'aymer ce qui est si souverainement aymable: desirant d'aymer il reçoit de la douleur, mays aymant a desirer il reçoit de la douceur..

  A004001077 

 Que si cela n'estoit, leur amour seroit egalement delicieux et douloureux: delicieux pour la possession d'un si grand bien, douloureux pour l'extreme desir d'un plus grand amour.

  A004001077 

 Vray Dieu, Theotime, que vay-je dire! Les Bienheureux qui sont en Paradis, voyans que Dieu est encor plus aymable qu'ilz ne l'ayment, pasmeroyent et periroyent eternellement du desir de l'aymer davantage, si la tressainte volonté de Dieu n'imposoit a la leur le repos admirable dont elle jouit; car ilz ayment si souverainement cette souveraine volonté, que son vouloir arreste le leur et le contentement divin les contente, acquiesçans d'estre bornés en leur amour par la volonté mesme de laquelle la bonté est l'object de leur amour.

  A004001081 

 Jamais nous ne blessons un cœur de la blesseure d'amour, que nous n'en soyons soudain blessés nous mesmes.

  A004001081 

 Le pellican fait son nid en terre, dont les serpens viennent souvent piquer ses petitz: or quand cela arrive, le pellican, comme un excellent medecin naturel, de la pointe de son bec blesse de toutes pars ces pauvres poussins, pour avec le sang faire sortir le venin que la morseure des serpens a respandu par tous les endroitz de leurs cors; et pour faire sortir tout le venin il laisse sortir tout le sang, et par consequent il laisse ainsy mourir cette petite trouppe pellicane; mais les voyans mortz il se blesse soy mesme, et respandant son sang sur eux il les vivifie d'une nouvelle et plus pure vie: son amour les a blessés, et soudain par ce mesme amour il se blesse soy mesme.

  A004001081 

 Les avettes ne blessent jamais qu'elles ne demeurent blessees a mort: voyans aussi le Sauveur de nos ames blessé d'amour pour nous jusques a la mort, et la mort de la croix, comme pourrions-nous n'estre pas blessés pour luy! mais je dis blessés d'une playe d'autant plus douloureusement amoureuse que la sienne a esté amoureusement douloureuse, et que jamais nous ne le pouvons tant aymer que son amour et sa mort le requierent.

  A004001081 

 Quand l'ame void son Dieu blessé d'amour pour elle, elle en reçoit soudain une reciproque blesseure: Tu as blessé mon cœur, dit le celeste Amant a sa Sulamite; et Sulamite s'escrie: Dites a mon Bienaymé que je suis blessee d'amour.

  A004001081 

 Rien ne blesse tant un cœur amoureux que de voir un autre cœur blessé d'amour pour luy.

  A004001082 

 C'est encor une autre blesseure d'amour, quand l'ame sent bien qu'elle ayme Dieu et que neanmoins Dieu la traitte comme s'il ne sçavoit pas d'estre aymé, ou comme s'il estoit en desfiance de son amour; car alhors, mon cher Theotime, l'ame reçoit des extremes angoisses, luy estant insupportable de voir et sentir le seul semblant que Dieu fait de se desfier d'elle.

  A004001082 

 Et ce doux Maistre pour l'esprouver, et comme se desfiant d'estre aymé: Pierre, dit il, m'aymes tu? Ah, Seigneur, vous blesses ce pauvre cœur qui, grandement affligé, s'escrie amoureusement mais douloureusement: Mon Maistre, vous sçaves toutes choses, vous sçaves certes bien que je vous ayme.

  A004001082 

 Le pauvre saint Pierre avoit et sentoit son cœur tout rempli d'amour pour son Maistre, et Nostre Seigneur dissimulant de le sçavoir: Pierre, dit il, m'aymes tu plus que ceux ci? Hé, Seigneur, respond cet Apostre, vous sçaves que je vous ayme.

  A004001083 

 Helas, [353] cette pauvre ame qui sent bien qu'elle est resolue de plustost mourir que d'offencer son Dieu, mais ne sent pas neanmoins un seul brin de ferveur, ains au contraire une froideur extreme qui la tient toute engourdie, et si foible qu'elle tumbe a tous coups en des imperfections fort sensibles, cette ame, dis-je, Theotime, elle est toute blessee, car son amour est grandement douloureux de voir que Dieu fait semblant de ne voir pas combien elle l'ayme, la laissant comme une creature qui ne luy appartient pas; et luy est advis qu'emmi ses defautz, ses distractions et froideurs, Nostre Seigneur descoche contre elle ce reproche: Comme peux-tu dire que tu m'aymes, puisque ton ame n'est pas avec moy? ce qui luy est un dard de douleur au travers de son cœur; mais un dard de douleur qui procede d'amour, car si elle n'aymoit pas elle ne seroit pas affligee de l'apprehension qu'elle a de ne pas aymer..

  A004001083 

 Saint Pierre estoit bien asseuré que Nostre Seigneur, sachant tout, ne pouvoit pas ignorer combien il estoit aymé de luy; mais parce que la repetition de cette demande, M'aymes tu? a l'apparence de quelque desfiance, saint Pierre s'en attriste grandement.

  A004001084 

 Quelquefois cette blesseure d'amour se fait par le seul souvenir que nous avons d'avoir esté jadis sans aymer Dieu: «O que tard je vous ay aymé, Beauté antique et nouvelle!» disoit ce Saint qui avoit esté trente ans heretique.

  A004001085 

 L'amour mesme nous blesse quelquefois par la seule consideration de la multitude de ceux qui mesprisent l'amour de Dieu, si que nous pasmons de detresse pour ce sujet, comme faysoit celuy qui disoit: Mon zele, o Seigneur, m'a fait secher de douleur parce que mes ennemis n'ont pas gardé ta loy.

  A004001086 

 Mays, comme que ce soit, cecy est admirable es blesseures receües par le divin amour, que la douleur en est aggreable; et tous ceux qui la sentent y consentent, et ne voudroyent pas changer cette douleur a toute la douceur de l'univers.

  A004001086 

 Telle fut la sagette d'amour que Dieu descocha dans le cœur de la grande sainte Catherine de Gennes au commencement de sa conversion, dont elle demeura toute changee et comme morte au monde et aux choses creées pour ne vivre plus qu'au Createur.

  A004001086 

 Un Seraphin tenant un jour une fleche toute d'or, de la pointe de laquelle sortoit une petite flamme, il la darda dans le cœur de la bienheureuse Mere Therese, et la voulant retirer il sembloit a cette vierge qu'on luy arrachast les entrailles, la douleur estant si grande qu'elle n'avoit plus de force que pour jetter des foibles et petitz gemissemens; mais douleur pourtant si aymable, qu'elle eust voulu n'en estre jamais delivree.

  A004001090 

 C'est chose asses conneüe que l'amour humain a la force, non seulement de blesser le cœur, mais de rendre malade le cors jusques a la mort; d'autant que comme la passion et le temperament du cors a beaucoup de pouvoir d'incliner l'ame et la tirer apres soy, aussi les [355] affections de l'ame ont une grande force pour remuer les humeurs et changer les qualités du cors.

  A004001090 

 Et en fin c'est sa vie que d'estre «tous-jours indigent,» car si une fois il est rassasié il n'est plus ardent, et par consequent il n'est plus amour..

  A004001090 

 Mais outre cela, l'amour, quand il est vehement, porte si impetueusement l'ame en la chose aymee et l'occupe si fortement, qu'elle manque a toutes ses autres operations, tant sensitives qu'intellectuelles; si que, pour nourrir cet amour et le seconder, il semble que l'ame abandonne tout autre soin, tout autre exercice et soy mesme encores: dont Platon a dit que l'amour estoit «pauvre, deschiré, nud, deschaux, chetif, sans mayson, couchant dehors sur la dure, es portes, tous-jours indigent.» Il est «pauvre,» parce qu'il fait quitter tout pour la chose aymee; il est « sans mayson,» parce qu'il fait sortir l'ame de son domicile pour suivre tous-jours celuy qui est aymé; il est «chetif,» pasle, maigre et desfait, parce qu'il fait perdre le sommeil, le boire et le manger; il est «nud et deschaux,» parce qu'il fait quitter toutes autres affections pour prendre celles de la chose aymee; il couche «dehors sur la dure,» parce qu'il fait demeurer a descouvert le cœur qui ayme, luy faisant manifester ses passions par des souspirs, plaintes, louanges, soupçons, jalousies; il est tout estendu comme un gueux «aux portes,» parce qu'il fait que l'amant est perpetuellement attentif aux yeux et a la bouche de la chose qu'il ayme, et tous-jours attaché a ses oreilles pour luy parler et mendier des faveurs desquelles il n'est jamais assouvi: or, les yeux, les oreilles et la bouche sont les portes de l'ame.

  A004001091 

 Certes, je sçai bien, Theotime, que Platon parloit ainsy de l'amour abject, vil et chetif des mondains, mays neanmoins ces proprietés ne laissent pas de se treuver en l'amour celeste et divin; car, voyes un peu ces premiers maistres de la doctrine chrestienne, c'est a dire ces premiers docteurs du saint amour evangelique, et oyes ce que disoit l'un d'entr'eux qui avoit le plus eu de travail: Jusques a maintenant, dit-il, nous avons faim et soif, et sommes nuds, et sommes souffletés, [356] et sommes vagabonds; nous sommes rendus comme les ballieures de ce monde et comme la racleure et peleure de tous.

  A004001091 

 Comme s'il disoit: Nous sommes tellement abjectz, que si le monde est un palais nous en sommes estimés les ballieures; si le monde est une pomme nous en sommes la racleure.

  A004001091 

 Qui les avoit reduit, je vous prie, a cet estat sinon l'amour? Ce fut l'amour qui jetta saint François nud devant son Evesque et le fit mourir nud sur la terre, ce fut l'amour qui le fit mendiant toute sa vie; ce fut l'amour qui envoya le grand François Xavier, pauvre, indigent, deschiré, ça et la parmi les Indes et entre les Japponois; ce fut l'amour qui reduisit le grand Cardinal saint Charles, Archevesque de Milan, a cette extreme pauvreté, parmi toutes les richesses que sa naissance et sa dignité luy donnoyent, que, comme dit cet eloquent orateur d'Italie, monseigneur Panigarole, il estoit comme un chien en la mayson de son maistre, ne mangeant qu'un peu de pain, ne beuvant qu'un peu d'eau et couchant sur un peu de paille..

  A004001092 

 Hé, ne prenes pas garde a mon teint, car je suis voirement brune, d'autant que mon Bienaymé, qui est mon soleil, a dardé les rayons de son amour sur moy; rayons qui esclairent par leur lumiere, mais qui par leur ardeur m'ont rendue haslee et noyrastre, et me touchant de leur splendeur ilz m'ont ostee ma couleur.

  A004001092 

 Oyons, de grace, la sainte Sulamite, comme elle s'escrie presque en cette sorte: Quoy que, a rayson de mille consolations que mon amour me donne, je sois plus belle que les riches tentes de mon Salomon, je veux dire plus belle que le Ciel qui n'est qu'un pavillon inanimé de sa majesté royale, puisque je suis son pavillon animé, si suis-je neanmoins toute noyre, deschiree, poudreuse et toute gastee de tant de blesseures et de coups que ce mesme amour me donne.

  A004001092 

 [357] La passion amoureuse me fait trop heureuse de me donner un tel Espoux comme est mon Roy, mais cette mesme passion qui me tient lieu de mere, puisqu'elle seule m'a mariee et non mes merites, elle a des autres enfans qui me donnent des assautz et des travaux nompareilz, me reduisans a telle langueur, que comme d'un costé je ressemble une reyne qui est au costé de son roy, aussi de l'autre je suis comme une vigneronne qui dans une chetifve cabanne garde une vigne, et une vigne encor qui n'est pas sienne..

  A004001093 

 Ce grand serviteur de Dieu, homme tout seraphique, voyant la vive image de son Sauveur crucifié, effigiee en un Seraphin lumineux qui luy apparut sur le mont Alverne, il s'attendrit plus qu'on ne sçauroit imaginer, saisi d'une consolation et d'une compassion souveraine; car regardant ce beau miroüer d'amour que les Anges ne se peuvent jamais assouvir de regarder, helas, il pasmoit de douceur et de contentement! Mais voyant aussi d'autre part la vive representation des playes et blesseures de son Sauveur crucifié, il sentit en son ame ce glaive impiteux qui transperça la sacree poitrine de la Vierge Mere au jour de la Passion, avec autant de douleur interieure que s'il eust esté crucifié avec son cher Sauveur.

  A004001093 

 O Dieu, Theotime, si l'image d'Abraham [358] eslevant le coup de la mort sur son cher unique pour le sacrifier, image faite par un peintre mortel, eut bien le pouvoir toutefois d'attendrir et faire pleurer le grand saint Gregoire, Evesque de Nisse, toutes les fois qu'il la regardoit, hé, combien fut extreme l'attendrissement du grand saint François, quand il vid l'image de Nostre Seigneur se sacrifiant soy mesme sur la croix! image que non une main mortelle, mais la main maistresse d'un Seraphin celeste avoit tiree et effigiee sur son propre original, representant si vivement et au naturel le divin Roy des Anges, meurtri, blessé, percé, froissé, crucifié..

  A004001093 

 Qui pourroit jamais descrire les langueurs amoureuses des saintes Catherines de Sienne et de Gennes, ou de sainte Angele de Foligni, ou de sainte Christine, ou de la bienheureuse Mere Therese, ou de saint Bernard, ou de saint François? Et quant a ce dernier, sa vie ne fut autre chose que larmes, souspirs, plaintes, langueurs, definemens, pasmaysons amoureuses; mais rien n'est si admirable en tout cela, que cette admirable communication que le doux Jesus luy fit de ses amoureuses et pretieuses douleurs, par l'impression de ses playes et stigmates.

  A004001094 

 Car la memoire estoit toute destrempee en la souvenance de ce divin amour; l'imagination appliquee fortement a se representer les blesseures et meurtrisseures que les yeux regardoyent alhors si parfaitement bien exprimees en l'image presente; l'entendement recevoit les especes infiniment vives que l'imagination luy fournissoit, et en fin l'amour employoit toutes les forces de la volonté pour se complaire et conformer a la Passion du Bienaymé: dont l'ame sans doute se treuvoit toute transformee en un second Crucifix.

  A004001095 

 La mirrhe produit sa stacte et premiere liqueur comme par maniere de sueur et de transpiration, mais affin qu'elle jette bien tout son suc il la faut ayder par l'incision: de mesme, l'amour divin de saint François parut en toute sa vie comme par maniere de sueur, car il ne respiroit en toutes ses actions que cette sacree dilection; mais pour en faire paroistre tout a fait l'incomparable abondance, le celeste Seraphin le vint inciser et blesser, et affin que l'on sceust que ces playes estoyent playes de l'amour du Ciel, elles furent faittes, non avec le fer, mays avec des rayons de lumiere.

  A004001095 

 Mais de faire les ouvertures en la chair par dehors, l'amour qui estoit dedans ne le pouvoit pas bonnement faire: c'est pourquoy l'ardent Seraphin venant au secours, darda des rayons d'une clarté si penetrante, qu'elle fit reellement les playes exterieures du Crucifix, en la chair, que l'amour avoit imprimees interieurement en l'ame.

  A004001095 

 O vray Dieu, Theotime, que de douleurs amoureuses et que d'amours douloureuses! car non seulement alhors, mays tout le reste de sa vie, ce pauvre Saint alla tous-jours traisnant et languissant, comme bien malade d'amour..

  A004001096 

 Le bienheureux Philippe Nerius, aagé de quatre vingtz ans, eut une telle inflammation de cœur pour le divin amour, que la chaleur se faysant faire place aux costes, les eslargit bien fort et en rompit la quatriesme et cinquiesme, affin qu'il peust recevoir plus d'air pour se rafraichir.

  A004001096 

 Le bienheureux Stanislas Koska, jeune garçon de quatorze ans, estoit si fort assailli de l'amour de son Sauveur, que maintefois il tumboit en defaillance tout [360] pasmé, et estoit contraint d'appliquer sur sa poitrine des linges trempés en l'eau froide, pour moderer la violence de l'ardeur qu'il sentoit..

  A004001099 

 Que la douceur d'un retour.


05-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome V-Vol.2-Traitte de l'amour de Dieu.html
  A005000023 

 Chapitre XI. Que quelques uns entre les divins amans moururent encor d'amour.

  A005000025 

 Chapitre XIII. Que la très sacree Vierge, Mere de Dieu, mourut d'amour pour son Filz.

  A005000026 

 Chapitre XIV. Que la glorieuse Vierge mourut d'un amour extrêmement doux et tranquille.

  A005000030 

 Chapitre III. Comme nous nous devons conformer a la divine volonté que l'on appelle signifiee.

  A005000031 

 Chapitre IV. De la conformité de nostre volonté avec celle que Dieu a de nous sauver.

  A005000033 

 Chapitre VI. De la conformité de nostre volonté a celle que Dieu nous a signifiee par ses conseilz.

  A005000034 

 Chapitre VII. Que l'amour de la volonté de Dieu signifiee es commandemens nous porte a l'amour des conseilz 36.

  A005000035 

 Chapitre VIII. Que le mespris des conzeilz evangeliques est un grand péché.

  A005000036 

 Chapitre IX. Suite du discours commencé; comme chacun doit aymer, quoy que non pas prattiquer, tous les conseilz evangeliques, et comme néanmoins chacun doit prattiquer ce qu'il peut.

  A005000044 

 Chapitre II. Que l'union de nostre volonté au bon playsir de Dieu se fait principalement es tribulations 50.

  A005000047 

 Chapitre V. Que la sainte indifférence s'estend a toutes choses.

  A005000049 

 Chapitre VII. De l'indiference que nous devons prattiquer en ce qui regarde nostre avancement es vertus 57.

  A005000057 

 Chapitre XV. Du plus excellent exercice que nous puissions faire parmi les peines intérieures et extérieures de cette vie, en suite de l'indifference et trespas de la volonté.

  A005000060 

 De la douceur du commandement que Dieu nous a fait de l'aymer sur toutes choses 72.

  A005000061 

 Chapitre II. Que ce divin commandement de l'amour tend au Ciel, mais est toutefois donné aux fideles de ce monde 73.

  A005000065 

 Chapitre VI. Que l'amour de Dieu sur toutes choses est commun a tous les amans.

  A005000069 

 Chapitre X. Comme nous devons aymer la divine Bonté souverainement plus que nous mesmes.

  A005000073 

 Chapitre XIV. Du zele ou jalousie que nous avons pour Nostre Seigneur.

  A005000075 

 Chapitre XVI. Que l'exemple de plusieurs Saintz qui semblent avoir exercé leur zele avec cholere, ne fait rien contre l'advis du chapitre precedent.

  A005000077 

 De de la souveraine authorité que l'amour sacré tient sur toutes les vertus, actions et perfections de l'ame.

  A005000079 

 Chapitre II. Que l'amour sacré rend les vertus excellemment plus aggreables a Dieu qu'elles ne le sont par leur propre nature.

  A005000080 

 Chapitre III. Comme il y a des vertus que la presence du divin amour releve a une plus haute excellence que les autres 102.

  A005000083 

 Chapitre VI. De l'excellence du prix que l'amour sacré donne aux actions issues de luy mesme, et a celles qui procèdent des autres vertus.

  A005000084 

 Chapitre VII. Que les vertus parfaites ne sont jamais les unes sans les autres.

  A005000086 

 Chapitre IX. Que les vertus tirent leur perfection de l'amour sacré.

  A005000089 

 Chapitre XII. Comme le saint amour revenant en l'ame fait revivre toutes les œuvres que le péché avoit fait périr 117.

  A005000098 

 Chapitre XXI. Que la tristesse est presque tous-jours inutile, ains contraire au service du saint amour 131.

  A005000100 

 Que le progrès au saint amour ne depend pas de la complexion naturelle.

  A005000102 

 Chapitre III. Que pour avoir le désir de l'amour sacré il faut retrancher les autres désirs.

  A005000103 

 Chapitre IV. Que les occupations légitimés ne nous empeschent point de prattiquer le divin amour.

  A005000109 

 Chapitre X. Exhortation au sacrifice que nous devons faire a Dieu de nostre franc arbitre.

  A005000110 

 Chapitre XI. Des motifs que nous avons pour le saint amour.

  A005000112 

 Chapitre XIII. Que le mont de Calvaire est la vraye académie de la dilection.

  A005000157 

 Car il y a, certes, difference entre unir et joindre une chose a l'autre, et serrer ou presser une chose contre une autre ou sur une autre: d'autant que pour joindre et unir il n'est besoin que d'une simple application d'une chose a l'autre, en sorte qu'elles se touchent et soyent ensemble, ainsy que nous joignons les vignes aux ormeaux, et les jasmins aux treilles des berceaux que l'on fait es jardins; mais pour serrer et [5] presser il faut faire une application forte qui accroisse et augmente l'union: de sorte que serrer c'est intimement et fortement joindre, comme nous voyons que le lierre se joint aux arbres; car il ne s'unit pas seulement, mais il se presse et serre si fort à eux, que mesme il penetre et entre dans leurs escorces..

  A005000157 

 Nous ne parlons pas icy de l'union generale du cœur avec son Dieu, mais de certains actes et mouvemens particuliers que l'ame recueillie en Dieu fait par maniere d'orayson, affin de s'unir et joindre de plus en plus a sa divine bonté.

  A005000158 

 Mais toutefois ce pauvre petit fait bien ce qu'il peut de son costé, et se joint de toute sa force au sein maternel, non seulement consentant a la douce union que sa mere prattique, mais y contribuant ses foibles effortz de tout son cœur; et je dis ses foibles effortz, parce qu'ilz sont si imbecilles qu'ilz ressemblent presque plustost des essays d'union que non pas une union..

  A005000159 

 Ainsy donq, Theotime, Nostre Seigneur monstrant le tres aymable sein de son divin amour a l'ame devote, il la tire toute a soy, la ramasse, et, par maniere de dire, il replie toutes les puissances d'icelle dans le giron de [6] sa douceur plus que maternelle; puis, bruslant d'amour il serre l'ame, il la joint, la presse et colle sur ses levres de suavité et sur ses delicieuses mammelles, la baysant du sacré bayser de sa bouche et luy faisant savourer ses tetins meilleurs que le vin.

  A005000159 

 Alhors l'ame, amorcee des delices de ces faveurs, non seulement consent et se preste a l'union que Dieu fait, mays de tout son pouvoir elle coopere, s'efforçant de se joindre et serrer de plus en plus a la divine bonté; de sorte, toutefois, qu'elle reconnoist bien que son union et liayson a cette souveraine douceur depend toute de l'operation divine, sans laquelle elle ne pourroit seulement pas faire le moindre essay du monde pour s'unir a icelle..

  A005000160 

 Qu'est ce a dire, tenir collés les yeux, tenir attachees les aureilles et ravir les cœurs, sinon, unir et joindre fort serré les sens et puissances dont on parle, a leurs objectz? L'ame, donq, se serre et se presse sur son object quand elle s'y affectionne avec grande attention; car le serrement n'est autre chose que le progres et avancement de l'union et conjonction.

  A005000160 

 Quand on void une exquise beauté regardee avec grande ardeur, ou une excellente melodie escoutee avec grande attention, ou un rare discours entendu avec grande contention, on dit que cette beauté-la tient collés sur soy les yeux des spectateurs, cette musique tient attachees les aureilles, et que ce discours ravit les cœurs des auditeurs.

  A005000161 

 Comme, par exemple, l'ame ayant longuement demeuré au sentiment d'union par lequel elle savoure doucement combien elle est heureuse d'estre a Dieu, en fin accroissant cette union par un serrement et eslan cordial: Ouy, Seigneur, dira-elle, je suis vostre, toute, toute, toute, sans exception; ou bien: Hé, Seigneur, je le suis certes, et je le veux estre tous-jours plus; ou bien, par maniere de priere: O doux Jesus, hé tirés-moy tous-jours plus avant dans vostre cœur, affin que vostre amour m'engloutisse et que je sois du tout abismee en sa douceur..

  A005000161 

 Et si vous prenes garde aux petitz enfans [7] unis et jointz aux tetins de leurs meres, vous verres que de tems en tems ilz se pressent et serrent par des petite eslans que le playsir de tetter leur donne; ainsy, en l'orayson, le cœur uni a son Dieu fait maintefois certaines recharges d'union, par des mouvemens avec lesquelz il se serre et presse davantage en sa divine douceur.

  A005000162 

 Et puisque c'est une verité indubitable que le divin amour, tandis que nous sommes en ce monde, est un mouvement, ou au moins une habitude active et tendante au mouvement, lhors mesme qu'il est parvenu [8] a la simple union il ne laisse pas d'agir, quoy qu'imperceptiblement, pour l'accroistre et perfectionner de plus en plus..

  A005000162 

 Mais d'autres fois l'union se fait, non par des eslancemens repetés, ains par maniere d'un continuel insensible pressement et avancement du cœur en la divine bonté; car, comme nous voyons qu'une grande et pesante masse de plomb, d'airain ou de pierre, quoy qu'on ne la pousse point, se serre, enfonce et presse tellement contre la terre sur laquelle elle est posee, qu'en fin avec le tems on la treuve toute enterree, a cause de l'inclination de son poids qui par sa pesanteur la fait tous-jours tendre au centre, ainsy nostre cœur estant une fois joint a son Dieu, s'il demeure en cette union et que rien ne l'en divertisse, il va s'enfonçant continuellement, par un insensible progres d'union, jusques a ce qu'il soit tout en Dieu, a cause de l'inclination sacree que le saint amour luy donne, de s'unir tous-jours davantage a la souveraine bonté: car, comme dit le grand apostre de France, «l'amour est une vertu unitive,» c'est a dire, qui nous porte a la parfaite union du souverain bien.

  A005000163 

 Ainsy un sentiment de dilection, comme par exemple: Que Dieu est bon! estant entré dedans le cœur, d'abord il fait l'union avec cette bonté; mais estant entretenu un peu longuement, comme un parfum pretieux il penetre de tous costés l'ame, il se respand et dilate dans nostre volonté, et, par maniere de dire, il s'incorpore avec nostre esprit, se joignant et serrant de toutes pars de plus en plus a nous et nous unissant a luy.

  A005000163 

 Et c'est ce que nous enseigne le grand David quand il compare les sacrees paroles au miel; car, qui ne sçait que la douceur du miel s'unit de plus en plus a nostre sens par un progres continuel de savourement, lhors que le tenans longuement en la bouche, ou que l'avalans tout bellement, sa saveur penetre plus avant le sens de nostre goust? Et de mesme ce sentiment de la bonté celeste, exprimé par cette parole de saint Bruno: O Bonté! ou par celle de saint Thomas: Mon [9] Seigneur et mon Dieu! ou par celle de Magdeleine: Hé mon Maistre! ou par celle de saint François: «Mon Dieu et mon tout!» ce sentiment, dis je, demeurant un peu longuement dedans un cœur amoureux, il se dilate, il s'estend et s'enfonce par une intime penetration en l'esprit, et de plus en plus le detrempe tout de sa saveur, qui n'est autre chose qu'accroistre l'union; comme fait l'onguent pretieux ou le baume, qui, tumbant sur le coton, se mesle et s'unit tellement de plus en plus, petit a petit, avec iceluy, qu'en fin on ne sçauroit plus dire si le coton est parfumé ou s'il est parfum, ni si le parfum est coton ou le coton parfum.

  A005000163 

 Si vous beuves quelqu'exquise liqueur, par exemple, de l'eau imperiale, la simple union d'icelle avec vous se fera a mesme que vous la recevres, car la reception et l'union sont une mesme chose en cet endroit; mais par apres, petit a petit, cette union s'aggrandira par un progres imperceptiblement sensible, car la vertu de cette eau, penetrant de toutes pars, confortera le cerveau, revigorera le cœur et estendra sa force sur tous vos espritz.

  A005000168 

 L'union se fait quelquefois sans que nous y cooperions, sinon par une simple suite, nous laissans unir sans resistance a la divine bonté; comme un petit enfant amoureux du sein de sa mere, mais tellement alangouri qu'il ne peut faire aucun mouvement pour y aller ni pour se serrer quand il y est, mais seulement est bien [10] ayse d'estre pris et tiré entre les bras de sa mere et d'estre pressé par elle sur sa poitrine..

  A005000170 

 Car ainsy, lhors que nous voyons nostre esprit s'unir de plus en plus a Dieu sous des petitz effortz que nostre volonté fait, nous jugeons bien que nous avons trop peu de vent pour singler si fort, et qu'il faut que l'Amant de nos ames nous tire par l'influence secrette de sa grace, laquelle il veut nous estre imperceptible affin qu'elle nous soit plus admirable, et que, sans [11] nous amuser a sentir ses attraitz, nous nous occupions plus purement et simplement a nous unir a sa bonté..

  A005000170 

 Et quelquefois aussi, comme il nous a attirés insensiblement a l'union, il continue insensiblement a nous ayder et secourir, et nous ne sçavons comme une si grande union se fait, mais nous sçavons bien que nos forces ne sont pas asses grandes pour la faire: si que nous jugeons bien par la que quelque secrette puissance fait son insensible action en nous; comme les nochers qui portent du fer, lhors que, sous un vent fort foible, ilz sentent leurs vaysseaux singler puissamment, connoissent qu'ilz sont proches des montaignes de l'aymant qui les tirent imperceptiblement, et voyent en cette sorte un connoissable et perceptible avancement provenant d'un moyen inconneu et imperceptible.

  A005000170 

 Mais quand, suivans ses attraitz imperceptibles, nous commençons a nous unir a luy, il fait quelquefois le progres de nostre union, secourant nostre imbecillité et se serrant sensiblement luy mesme a nous: si que nous le sentons qu'il entre et penetre nostre cœur par une suavité incomparable.

  A005000170 

 Quelquefois il nous semble que nous commençons a nous joindre et serrer a Dieu avant qu'il se joigne a nous, parce que nous sentons l'action de l'union de nostre costé sans sentir celle qui se fait de la part de Dieu; lequel toutefois, sans doute, nous previent tous-jours, bien que tous-jours nous ne sentions pas sa prevention, car s'il ne s'unissoit a nous, jamais nous ne nous unirions a luy; il nous choisit et saisit tous-jours avant que nous le choisissions ni saisissions.

  A005000171 

 Aucunes fois cette union se fait si insensiblement que nostre cœur ne sent ni l'operation divine en nous ni nostre cooperation, ains il treuve la seule union insensiblement toute faite, a l'imitation de Jacob, qui, sans y penser, se treuva marié avec Lia; ou plustost comme un autre Samson, mais plus heureux, il se treuve lié et serré des cordes de la sainte union sans que nous nous en soyons apperceus.

  A005000171 

 D'autres fois nous sentons les serremens, l'union se faysant par des actions sensibles, tant de la part de Dieu que de la nostre..

  A005000172 

 Quelquefois l'union se fait par la seule volonté et en la seule volonté, et aucunes fois l'entendement y a sa part, parce que la volonté le tire apres soy et l'applique a son object, luy donnant un playsir special d'estre fiché a le regarder; comme nous voyons que l'amour respand une profonde et speciale attention en nos yeux corporelz pour les arrester a voir ce que nous aymons..

  A005000174 

 O beau petit Martial, que vous estes heureux d'estre saisi, pris, porté, uni, joint et serré sur la poitrine celeste du Sauveur et baysé de sa bouche sacree, sans que vous y cooperies qu'en ne faisant pas resistance a recevoir ces divines caresses! Au contraire, saint Simeon embrasse et serre Nostre Seigneur sur son sein, sans que Nostre Seigneur fasse aucun semblant de cooperer a cette union, bien que, comme chante la [12] tressainte Eglise, «le viellard portoit l'Enfant, mays l'Enfant gouvernoit le viellard.» Saint Bonaventure, touché d'une sainte humilité, non seulement ne s'unissoit pas a Nostre Seigneur, ains se retiroit de sa presence reelle, c'est a dire du tressaint Sacrement de l'Eucharistie, quand un jour oyant Messe, Nostre Seigneur se vint unir a luy, luy portant son divin Sacrement: or cette union faite, hé Dieu, Theotime, pensés de quel amour cette sainte ame serra son Sauveur sur son cœur! A l'opposite, sainte Catherine de Sienne, desirant ardemment Nostre Seigneur en la sainte Communion, pressant et poussant son ame et son affection devers luy, il se vint joindre a elle, entrant en sa bouche avec mille benedictions.

  A005000175 

 Et affin qu'on sçache que si on la tire un peu fortement par la volonté, toutes les puissances de l'ame se porteront a l'union: Tirés moy, dit-elle, et nous courrons; l'Espoux n'en tire qu'une, et plusieurs courent a l'union; la volonté est la seule que Dieu veut, mais toutes les autres puissances courent apres elle pour estre unies a Dieu avec elle..

  A005000175 

 Et pour monstrer que tous-jours toute l'union se fait par la grace de Dieu, qui nous tire a soy et par ses attraitz esmeut nostre ame et anime le mouvement de nostre union envers luy, elle s'escrie, comme toute impuissante: Tirés moy; mais pour tesmoigner qu'elle ne se laissera pas tirer comme une pierre ou comme un forçat, ains qu'elle cooperera de [13] son costé et meslera son foible mouvement parmi les puissans attraitz de son Amant: nous courrons, dit-elle, a l'odeur de vos parfums.

  A005000175 

 La sacree amante du Cantique parle comme ayant prattiquee l'une et l'autre sorte d'union: Je suis toute a mon Bienaymé, ce dit-elle, et son retour est devers moy; car c'est autant que si elle disoit: Je me suis unie a mon cher Ami, et reciproquement il se retourne devers moy pour, en s'unissant de plus en plus a moy, se rendre aussi tout mien; Mon cher Ami m'est un bouquet de myrrhe, il demeurera entre mes mammelles, et je le serreray sur mon sein, comme un bouquet de suavité; Mon ame, dit David, s'est serree a vous, o mon Dieu, et vostre main droite m'a empoigné et saisi.

  A005000176 

 Pour bien imprimer un cachet sur la cire, on ne le joint pas seulement, mais on le presse bien serré; ainsy veut-il que nous nous unissions a luy d'une union si forte et pressee que nous demeurions marqués de ses traitz..

  A005000177 

 O Dieu, quel exemple d'union excellente! Il s'estoit joint a nostre nature humaine par grace, comme une vigne a son ormeau, pour la rendre aucunement participante de son fruit; mays voyant que cette union s'estoit desfaite par le peché d'Adam, il fit une union plus serree et pressante en l'Incarnation, par laquelle la nature humaine demeure a jamais jointe en unité de personne a la Divinité; et affin que non seulement la nature humaine, mais tous les hommes peussent s'unir intimement a sa bonté, il institua le Sacrement de la tressainte Eucharistie, auquel un chacun peut participer pour unir son Sauveur a soy mesme, reellement et par maniere de viande.

  A005000181 

 Soit donques que l'union de nostre ame avec Dieu se face imperceptiblement, soit qu'elle se face perceptiblement, Dieu en est tous-jours l'autheur, et nul ne peut s'unir a luy s'il ne va a luy, ni nul ne peut aller a luy s'il n'est tiré par luy, comme tesmoigne le divin Espoux, disant: Nul ne peut venir a moy sinon que mon Pere le tire; ce que sa celeste Espouse proteste aussi, disant: Tirés moy, nous courrons a l'odeur de vos parfums..

  A005000182 

 Que si je m'approche de luy et me joins a luy, non pour aucune autre fin que pour estre proche de luy et jouïr de cette prochaineté et union, c'est alhors un approchement d'union pure et simple..

  A005000183 

 Ainsy plusieurs s'approchent de Nostre Seigneur: les uns pour l'ouïr, comme Magdeleine; les autres pour estre gueris, comme l'hemorroïsse; les autres pour l'adorer, comme les Mages; les autres pour le servir, comme Marthe; les autres pour vaincre leur incredulité, comme saint Thomas; les autres pour le parfumer, [15] comme Magdeleine, Joseph, Nicodeme; mais sa divine Sulamite le cherche pour le treuver, et l'ayant treuve ne veut autre chose que de le tenir bien serré, et le tenant ne jamais le quitter: Je le tiens, dit-elle, et ne l'abandonneray point.

  A005000183 

 En somme, la pretention de l'ame en cette union, n'est autre que d'estre avec son Amant..

  A005000183 

 Hé, ce ne sont pas les allegresses que je cherche, c'est luy mesme; et par tout mon cœur amoureux me fait rechercher d'estre unie a cet aymable Enfant, mon cher Bienaymé.

  A005000183 

 Hé, que cherches vous, o Mere de la vie, en ce mont de Calvaire et en ce lieu de mort? Je cherche, eust elle dit, mon Enfant qui est la vie de ma vie.

  A005000183 

 Jacob, dit saint Bernard, tenant Dieu bien serré le veut bien quitter, pourveu qu'il reçoive sa benediction; mais Sulamite ne le quittera point quelle benediction qu'il luy donne, car elle ne veut pas les benedictions de Dieu, elle veut le Dieu des benedictions, disant avec David: Qu'y a-il au Ciel pour moy et que veux-je sur la terre sinon vous? vous estes le Dieu de mon cœur et mon partage a toute eternité.

  A005000184 

 Et cet effect de l'amour fut mesme prattiqué entre David et Jonathas, car il est dit que l'ame de Jonathas fut collee a celle de David: aussi est-ce un axiome celebré par les anciens Peres, que l'amitié qui peut finir ne fut jamais vraye amitié, ainsy que j'ay dit ailleurs..

  A005000184 

 Mais quand l'union de l'ame avec Dieu est grandement tres estroitte et tres serree, elle est appellee par les theologiens inhesion ou adhesion, parce que par icelle l'ame demeure prise, attachee, collee et affigee a la divine Majesté, en sorte que malaysement peut elle s'en desprendre et retirer.

  A005000184 

 O Dieu, Theotime, combien plus doit estre attachee et serree l'ame qui est amante de son Dieu, quand elle est unie a la divinité de l'infinie Douceur et qu'elle est prise et esprise en cet object d'incomparables [16] perfections! Telle fut celle du grand vaysseau d'election qui s'escrioit: Affin que je vive a Dieu, je suis affigé a la croix avec Jesus Christ; aussi proteste-il que rien, non pas la mort mesme, ne le peut separer de son Maistre.

  A005000185 

 Ainsy l'ame laquelle, par l'exercice de l'union, est parvenue jusques a demeurer prise et attachee a la divine Bonté, n'en peut estre tiree presque que par force et avec beaucoup de douleur; on ne la peut faire desprendre: si on destourne son imagination, elle ne laisse pas de se tenir prise par son entendement; que si on tire son entendement, elle se tient attachee par la volonté; et si on la fait encor [17] abandonner de la volonté par quelque distraction violente, elle se retourne de moment en moment du costé de son cher object, duquel elle ne se peut du tout desprendre, renouant tant qu'elle peut les doux liens de son union avec luy par des frequens retours qu'elle fait, comme a la desrobbee; experimentant en cela la peyne de saint Paul, car elle est pressee de deux desirs: d'estre delivree de toute occupation exterieure pour demeurer en son interieur avec Jesus Christ, et d'aller neanmoins a l'œuvre de l'obeissance que l'union mesme avec Jesus Christ luy enseigne estre requise..

  A005000186 

 Or, la bienheureuse Mere Therese dit excellemment, que l'union estant parvenue jusqu'a cette perfection que de nous tenir pris et attachés avec Nostre Seigneur, elle n'est point differente du ravissement, suspension ou pendement d'esprit; mais qu'on l'appelle seulement union, ou suspension, ou pendement, quand elle est courte, et quand elle est longue on l'appelle extase ou ravissement: d'autant qu'en effect, l'ame attachee a son Dieu si fermement et si serree qu'elle n'en puisse pas aysement estre desprise, elle n'est plus en soy mesme, mais en Dieu; non plus qu'un cors crucifié n'est plus en soy mesme, mais en la croix, et que le lierre attaché a la muraille n'est plus en soy, mais en la muraille..

  A005000187 

 Imagines vous donques, que saint Paul, saint Denis, saint Augustin, saint Bernard, saint François, sainte Catherine de Gennes ou de Sienne sont encor en ce monde, et qu'ilz dorment de lassitude apres plusieurs travaux pris pour l'amour de Dieu; representes vous d'autre part quelque bonne ame, mais non pas si sainte comme eux, qui fust en l'orayson d'union a mesme tems: je vous [18] demande, mon cher Theotime, qui est plus uni, plus serré, plus attaché a Dieu, ou ces grans Saintz qui dorment, ou cette ame qui prie? Certes, ce sont ces admirables amans; car ilz ont plus de charité, et leurs affections, quoy qu'en certaine façon dormantes, sont tellement engagees et prises a leur Maistre qu'elles en sont inseparables.

  A005000187 

 Mays affin d'eviter tout equivoque, saches, Theotime, que la charité est un lien et un lien de perfection; et qui a plus de charité, il est plus estroittement uni et lié a Dieu.

  A005000187 

 Mays, ce me dires vous, comme se peut-il faire qu'une ame qui est en l'orayson d'union, et mesme jusques a l'extase, soit moins unie a Dieu que ceux qui dorment, pour saintz qu'ilz soyent? Voyci que je vous dis, Theotime: celle la est plus avant en l'exercice de l'union, et ceux ci sont plus avant en l'union; ceux ci sont unis et ne s'unissent pas, puisqu'ilz dorment, et celle la s'unit, estant en l'exercice et prattique actuelle de l'union..

  A005000187 

 Or, nous ne parlons pas de cette union qui est permanente en nous par maniere d'habitude, soit que nous dormions, soit que nous veillions; nous parlons de l'union qui se fait par l'action et qui est un des exercices de la charité et dilection.

  A005000188 

 Ah, Seigneur, puisque vostre cœur m'ayme, que ne me ravit il a soy puisque je le veux bien! Tires moy, et je courray a la suite de vos attraitz, pour me jetter entre vos bras paternelz et n'en bouger jamais es siecles des siecles.

  A005000188 

 Au demeurant, cet exercice de l'union avec Dieu se peut mesme prattiquer par des courtz et passagers mais frequens eslans de nostre cœur en Dieu, par maniere d'oraysons jaculatoires faites a cette intention: Ah, Jesus, qui me donnera la grace que je sois un seul esprit avec vous! En fin, Seigneur, rejettant la multiplicité des creatures, je ne veux que vostre unité! O Dieu, vous estes le seul un et la seule unité necessaire a mon ame! Helas, cher Ami de mon cœur, unisses ma pauvre unique ame a vostre tres unique bonté.

  A005000188 

 Hé, vous estes tout mien, quand seray-je tout vostre! L'aymant tire le fer et le serre: o Seigneur Jesus, mon Amant, soyes mon tire-cœur; serrés, pressés et unisses a jamais mon esprit sur vostre paternelle poitrine! Hé, puisque je suis fait pour vous, pourquoy ne suis-je pas en vous? Abismés cette goutte d'esprit que vous m'aves donnee, [19] dedans la mer de vostre bonté, de laquelle elle procede.

  A005000192 

 Et bien que les attraitz par lesquelz nous sommes attirés de la part de Dieu soyent admirablement doux, suaves et delicieux, si est-ce qu'a cause de la force que la beauté et bonté divine a pour tirer a soy l'attention et application de l'esprit, il semble que non seulement elle nous esleve, mays qu'elle nous ravit et emporte; comme au contraire, a rayson du tres volontaire consentement et ardent mouvement par lequel l'ame ravie s'escoule apres les attraitz divins, il semble que non seulement elle monte et s'esleve, mais qu'elle se jette et s'eslance hors de soy en la Divinité mesme.

  A005000192 

 Et c'en est de mesme en la tres infame extase ou abominable ravissement qui arrive a l'ame lhors que, par les amorces des playsirs brutaux, elle est mise hors de sa propre dignité spirituelle et au dessous de sa condition naturelle: car, entant que volontairement elle suit cette malheureuse volupté et se precipite hors de soy mesme, c'est a dire hors de l'estat spirituel, on dit qu'elle est en l'extase sensuelle; mais entant que les [20] appatz et allechemens sensuelz la tirent puissamment et, par maniere de dire, l'entraisnent dans cette basse et vile condition, on dit qu'elle est ravie et emportee hors de soy mesme, parce que ces voluptés bestiales la demettent de l'usage de la rayson et intelligence avec une si furieuse violence que, comme dit l'un des plus grans philosophes, l'homme estant en cet accident semble estre tumbé en epilepsie, tant l'esprit demeure absorbé et comme perdu.

  A005000192 

 L'extase s'appelle ravissement, d'autant que par icelle Dieu nous attire et esleve a soy; et le ravissement s'appelle extase, entant que par iceluy nous sortons et demeurons hors et au dessus de nous mesmes pour nous unir a Dieu.

  A005000192 

 O hommes, jusques a quand seres vous si insensés que de vouloir ravaler vostre dignité naturelle, descendans volontairement et vous precipitans en la condition des bestes brutes?.

  A005000193 

 L'admiration se fait en nous par le rencontre d'une verité nouvelle que nous ne connoissions pas ni n'attendions pas de connoistre; et si a la nouvelle verité que nous rencontrons est jointe la beauté et bonté, l'admiration qui en provient est grandement delicieuse.

  A005000194 

 Et d'autant que cette admiration, quand elle est forte, nous tient hors et au dessus de nous mesmes par la vive attention et application de nostre entendement aux choses celestes, elle nous porte par consequent en l'extase..

  A005000194 

 Et quelquefois, outre cela, Dieu donne a l'ame une lumiere non seulement claire, mais croissante comme l'aube du jour; et alhors, comme ceux qui ont treuvé une miniere d'or fouillent tous-jours plus avant pour treuver tous-jours davantage de ce tant desiré metail, ainsy l'entendement va de plus en plus s'enfonçant en la consideration et admiration de son divin objet; car ne plus ne moins que l'admiration a causé la philosophie et attentive recherche des choses naturelles, elle a aussi causé la contemplation et theologie mystique.

  A005000198 

 De mesme, quant au bien, [22] sa vraye image c'est la lumiere, sur tout en ce que la lumiere recueille, reduit et convertit a soy tout ce qui est (dont le soleil, entre les Grecs, est nommé d'une parole laquelle monstre qu'il fait que toutes choses soyent ramassees et serrees, rassemblant les dispersees, comme la bonté convertit a soy toutes choses), estant non seulement la souveraine unité, mays souverainement unissante, d'autant que toutes choses la desirent comme leur principe, leur conservation et leur derniere fin.

  A005000198 

 De sorte qu'en somme, le bon et le beau ne sont qu'une mesme chose, d'autant que toutes choses appetent le beau et le bon..

  A005000199 

 Ce discours, Theotime, est presque tout composé des paroles du divin saint Denis Areopagite: et certes, il est vray que le soleil, source de la lumiere corporelle, est la vraye image du bon et du beau; car, entre les creatures purement corporelles, il n'y a point de bonté ni de beauté egale a celle du soleil.

  A005000199 

 Comme beau, comblant nostre entendement de delices, il respand son amour dans nostre volonté; comme bon, remplissant nostre volonté de son amour, il excite nostre entendement a le contempler, [23] l'amour nous provoquant a la contemplation et la contemplation a l'amour: dont il s'ensuit que l'extase et le ravissement depend totalement de l'amour, car c'est l'amour qui porte l'entendement a la contemplation et la volonté a l'union.

  A005000199 

 De maniere qu'en fin il faut conclure avec le grand saint Denis, que «l'amour divin est extatique, ne permettant pas que les amans soyent a eux mesmes, ains a la chose aymee;» a rayson dequoy cet admirable apostre saint Paul, estant en la possession de ce divin amour et fait participant de sa force extatique, d'une bouche divinement inspiree, Je vis, dit-il, non plus moy, mays Jesus Christ vit en moy; ainsy, comme un vray amoureux sorti hors de soy en Dieu, il vivoit non plus sa propre vie, mays la vie de son Bienaymé, comme souverainement aymable..

  A005000200 

 Il est vray que, comme j'ay des-ja signifié, l'entendement entre quelquefois en admiration voyant la sacree delectation que la volonté a en son extase, comme la volonté reçoit souvent de la delectation appercevant l'entendement en admiration; de sorte que ces deux facultés s'entrecommuniquent leurs ravissemens, le regard de la beauté nous la faisant aymer, et l'amour nous la faisant regarder.

  A005000201 

 Toutefois, les deux extases, de l'entendement et de la volonté, ne sont pas tellement appartenantes l'une a l'autre que l'une ne soit bien souvent sans l'autre: car, [24] comme les philosophes ont eu plus de la connoissance que de l'amour du Createur, aussi les bons Chrestiens en ont maintefois plus d'amour que de connoissance; et par consequent l'exces de la connoissance n'est pas tous-jours suivi de celuy de l'amour, non plus que l'exces de l'amour n'est pas tous-jours accompaigné de celuy de la connoissance, ainsy que j'ay remarqué ailleurs.

  A005000205 

 En effect, Theotime, on a veu en nostre aage plusieurs personnes qui croyoient elles mesmes, et chacun avec elles, qu'elles fussent fort souvent ravies divinement en extase, et en fin, toutefois, on descouvroit que ce n'estoyent qu'illusions et amusemens diaboliques.

  A005000205 

 Mays ce qui est admirable, c'est que son extase passoit si avant qu'il ne sentoit mesme pas quand on luy appliquoit le feu, sinon apres qu'il estoit revenu a soy; et neanmoins, si quelqu'un parloit un peu fort et a voix claire, il l'entendoit comme de loin, et n'avoit aucune respiration.

  A005000206 

 Affin donq qu'on puisse discerner les extases divines d'avec les humaines et diaboliques, les serviteurs de Dieu ont laissé plusieurs documens; mays quant a moy, il me suffira pour mon propos de vous proposer deux marques de la bonne et sainte extase: l'une est que l'extase sacree ne se prend ni attache jamais tant a l'entendement qu'a la volonté, laquelle elle esmeut, eschauffe et remplit d'une puissante affection envers Dieu; de maniere que si l'extase est plus belle que bonne, plus lumineuse que chaleureuse, plus speculative qu'affective, elle est grandement douteuse et digne de soupçon.

  A005000206 

 Je ne dis pas qu'on ne puisse avoir des ravissemens, des visions, mesme prophetiques, sans avoir la charité; car je sçay bien que, comme on peut avoir la charité sans estre ravi et sans prophetiser, aussi peut-on estre ravi et prophetiser sans avoir la charité: mays je dis que celuy qui en son ravissement a plus de clarté en l'entendement pour admirer Dieu que de chaleur en la volonté pour l'aymer, il doit estre sur ses gardes, car il y a danger que cette extase ne soit fause et ne rende l'esprit plus enflé qu'edifié, le mettant [26] voirement, comme Saül, Balaam et Caïphe, entre les prophetes, mais le laissant néanmoins entre les repreuvés..

  A005000207 

 L'entiere observation des commandemens de Dieu n'est pas dans l'enclos des forces humaines, mais elle est bien pourtant dans les confins de l'instinct de l'esprit humain, comme tres conformes a la rayson et lumiere naturelle: de sorte que, vivans selon les commandemens de Dieu, nous ne sommes pas pour cela hors de nostre inclination naturelle.

  A005000207 

 La seconde marque des vrayes extases consiste en la troysiesme espece d'extase que nous avons marquee ci dessus, extase toute sainte, toute aymable et qui couronne les deux autres; et c'est l'extase de l'œuvre et de la vie.

  A005000207 

 Mays, outre les commandemens divins, il y a des inspirations celestes, pour l'execution desquelles il ne faut pas seulement que Dieu nous esleve au dessus de nos forces, mais aussi qu'il nous tire au dessus des instinctz et des inclinations de nostre nature; d'autant qu'encor que ces inspirations ne sont pas contraires a la rayson humaine, elles l'excedent toutefois, la surmontent et sont au dessus d'icelle: de sorte que lhors, nous ne vivons pas seulement une vie civile, honneste et chrestienne, mais une vie surhumaine, spirituelle, devote et extatique, c'est a dire une vie qui est en toute façon hors et au dessus de nostre condition naturelle..

  A005000208 

 Ne point desrobber, ne point mentir, ne point commettre de luxure, prier Dieu, ne point jurer en vain, aymer et honnorer son pere, ne point tuer, c'est vivre selon la rayson naturelle de l'homme; mais quitter tous nos biens, aymer la pauvreté, l'appeller et tenir en qualité de tres delicieuse maistresse, tenir les opprobres, mespris, abjections, persecutions, martyres pour des felicités et beatitudes, se contenir dans les termes d'une tres absolue chasteté, et en fin, vivre emmi le monde et en cette vie mortelle contre toutes les opinions et maximes du monde et contre le courant du fleuve de cette vie, par des ordinaires resignations, renoncemens et abnegations de nous mesmes, ce n'est pas vivre humainement, [27] mais surhumainement; ce n'est pas vivre en nous, mais hors de nous et au dessus de nous: et parce que nul ne peut sortir en cette façon au dessus de soy mesme si le Pere eternel ne le tire, partant cette sorte de vie doit estre un ravissement continuel et une extase perpetuelle d'action et d'operation..

  A005000209 

 La mort fait que l'ame ne vit plus en son cors ni en l'enclos d'iceluy; que veut donq dire, Theotime, cette parole de l'Apostre: Vous estes mortz? C'est comme s'il eust dit: Vous ne vives plus en vous mesme ni dedans l'enclos de vostre propre condition naturelle, vostre ame ne vit plus selon elle mesme, mays au dessus d'elle mesme.

  A005000209 

 Nostre vie nouvelle c'est l'amour celeste qui vivifie et anime nostre ame, et cet [28] amour est tout caché en Dieu et es choses divines avec Jesus Christ; car puisque, comme disent les lettres sacrees de l'Evangile, apres que Jesus Christ se fut un peu laissé voir a ses disciples en montant la haut au Ciel, en fin une nuee l'environna qui l'osta et cacha de devant leurs yeux, Jesus Christ donques est caché au Ciel en Dieu.

  A005000213 

 Ainsy saint Ignace, au rapport de saint Denis, disoit que son amour estoit crucifié; comme s'il eust voulu dire: Mon amour naturel et humain, avec toutes les passions qui en dependent, est attaché sur la croix, je l'ay fait mourir comme un amour mortel qui faisoit vivre mon cœur d'une vie mortelle; et comme mon Sauveur fut crucifié et mourut selon sa vie mortelle pour resusciter a l'immortelle, aussi je suis mort avec luy sur la croix selon mon amour naturel, qui estoit la vie mortelle de mon ame, affin que je resuscitasse a la vie surnaturelle d'un amour qui, pouvant estre exercé au Ciel, est aussi par consequent immortel..

  A005000213 

 Ainsy, Theotime, l'amour est le premier acte et principe de nostre vie devote ou spirituelle, par lequel nous vivons, sentons et nous esmouvons, et nostre vie spirituelle est telle que sont nos mouvemens affectifz; et un cœur qui n'a point de mouvement et d'affection, il n'a point d'amour, comme au contraire un cœur qui a de l'amour n'est point sans mouvement affectif.

  A005000213 

 L'ame est le premier acte et principe de tous les mouvemens vitaux de l'homme, et, comme parle Aristote, elle est «le principe par lequel nous vivons, sentons et entendons:» dont il s'ensuit que nous connoissons la diversité des vies selon la diversité des mouvemens, en sorte mesme que les animaux qui n'ont point de mouvement naturel sont du tout sans vie.

  A005000214 

 Bienheureux sont [30] ceux qui vivent une vie surhumaine, extatique, relevee au dessus d'eux mesmes, quoy qu'ilz ne soyent point ravis au dessus d'eux mesmes en l'orayson! Plusieurs Saintz sont au Ciel, qui jamais ne furent en extase ou ravissement de contemplation; car, combien de Martyrs et grans Saintz et Saintes voyons-nous en l'histoire n'avoir jamais eu en l'orayson autre privilege que celuy de la devotion et ferveur? Mais il n'y eut jamais Saint qui n'ayt eu l'extase et ravissement de la vie et de l'operation, se surmontant soy mesme et ses inclinations naturelles..

  A005000214 

 Car, quel bien peut avoir une ame d'estre ravie a Dieu par l'orayson, si en sa conversation et en sa vie elle est ravie des affections terrestres, basses et naturelles? Estre au dessus de soy mesme en l'orayson et au dessous de soy en la vie et operation, estre angelique en la meditation et bestial en la conversation, c'est clocher de part et d'autre, jurer en Dieu et jurer en Melchon, et en somme c'est une vraye marque que telz ravissemens et telles extases ne sont que des amusemens et tromperies du malin esprit.

  A005000214 

 Quand donques on void une personne qui en l'orayson a des ravissemens par lesquelz elle sort et monte au dessus de soy mesme en Dieu, et neanmoins n'a point d'extase en sa vie, c'est a dire ne fait point une vie relevee et attachee a Dieu, par abnegation des convoytises mondaines et mortification des volontés et inclinations naturelles, par une interieure douceur, simplicité, humilité, et sur tout par une continuelle charité, croyés, Theotime, que tous ses ravissemens sont grandement douteux et perilleux; ce sont ravissemens propres a faire admirer les hommes, mais non pas a les sanctifier.

  A005000215 

 Et qui ne void, Theotime, je vous prie, que c'est l'extase de la vie et operation de laquelle le grand Apostre parle principalement, quand il dit: Je vis, mais non plus moy, ains Jesus Christ vit en moy? car il l'explique luy mesme en autres termes aux Romains, disant que nostre viel homme est crucifié ensemblement avec Jesus Christ, que nous sommes mortz au peché avec luy, et que de mesme nous sommes resuscités avec luy pour marcher en nouveauté de vie, affin de ne servir plus au peché.

  A005000216 

 En la premiere vie nous vivons selon le viel homme, c'est a dire selon les defautz, foiblesses et infirmités que nous avons contractees par le peché de nostre premier pere Adam, et partant nous vivons au peché d'Adam, et nostre vie est une vie mortelle, ains la mort mesme; en la seconde vie nous vivons selon l' homme nouveau, c'est a dire selon les graces, faveurs, ordonnances et volontés de nostre Sauveur, et par consequent nous vivons au salut et a la redemption, et cette [31] nouvelle vie est une vie vive, vitale et vivifiante.

  A005000217 

 Estimés, dit saint Paul, que vous estes vrayement mortz au peché et vivans a Dieu, en Jesus Christ Nostre Seigneur..

  A005000221 

 Mais quelle resolution? Voyes, je vous prie, Theotime, comme il va gravement fichant et poussant sa conception dans nos cœurs: estimans ceci, dit il; et quoy? que si un est mort pour tous, donques tous sont morts; et Jesus Christ est mort pour tous.

  A005000221 

 Ouy, Theotime, rien ne presse tant le cœur de l'homme que l'amour.

  A005000221 

 Qu'est ce a dire, estimans ceci? c'est a dire, que la charité du Sauveur nous presse lhors principalement que nous estimons, considerons, pesons, meditons et sommes attentifs a cette resolution de la foy.

  A005000221 

 Si un homme sçait d'estre aymé de qui [32] que ce soit, il est pressé d'aymer reciproquement; mais si c'est un homme vulgaire qui est aymé d'un grand seigneur, certes il est bien plus pressé; mais si c'est d'un grand monarque, combien est-ce qu'il est pressé davantage? Et maintenant, je vous prie, sachans que Jesus Christ, vray Dieu eternel, tout puissant, nous a aymés jusques a vouloir souffrir pour nous la mort, et la mort de la croix, o mon cher Theotime, n'est ce pas cela avoir nos coeurs sous le pressoir et les sentir presser de force, et en exprimer de l'amour par une violence et contrainte qui est d'autant plus violente qu'elle est toute aymable et amiable? Mais, comme est-ce que ce divin Amant nous presse? La charité de Jesus Christ nous presse, dit son saint Apostre, estimans ceci.

  A005000222 

 Mais qu'est ce qu'il a desiré de nous sinon que nous nous conformassions a luy, affin, dit l'Apostre, que ceux qui vivent ne vivent plus desormais a eux mesmes, ains a Celuy qui est mort et resuscité pour eux.

  A005000222 

 Mais que s'ensuit il de cela? Il m'est advis que j'oye cette bouche apostolique, comme un tonnerre, qui exclame aux oreilles de nos cœurs: Il s'ensuit donques, o Chrestiens, ce que Jesus Christ a desiré de nous en mourant pour nous.

  A005000222 

 Vray Dieu, Theotime, que cette consequence est forte en matiere d'amour! Jesus Christ est mort pour nous, il nous a donné la vie par sa mort, [33] nous ne vivons que parce qu'il est mort, il est mort pour nous, a nous et en nous: nostre vie n'est donq plus nostre, mais a Celuy qui nous l'a acquise par sa mort; nous ne devons donq plus vivre a nous, mais a luy; non en nous, mais en luy; non pour nous, mais pour luy..

  A005000223 

 Mais ainsy que la flamme du feu commençoit a le saisir, l'aigle survint a grans traitz d'aysles, et voyant cet inopiné et triste spectacle, outree de douleur elle lascha ses serres, et abandonnant sa proye se vint jetter sur sa pauvre chere maistresse, et la couvrant de ses aysles comme pour la defendre du feu ou pour l'embrasser de pitié, elle demeura ferme et immobile, mourant et bruslant courageusement avec elle, l'ardeur de son affection ne pouvant ceder la place aux flammes et ardeurs du feu, pour ainsy se rendre victime et holocauste de son brave et prodigieux amour, comme sa maistresse l'estoit de la mort et des flammes..

  A005000223 

 Or advint il que cette jeune damoyselle mourut un jour, tandis que la pauvre aigle estoit au pourchas, et son cors, selon la coustume de ce tems et de ce païs-la, fut mis sur un buscher en public pour estre bruslé.

  A005000223 

 Une jeune fille de l'isle de Sestos avoit nourri une petite aigle, avec le soin que les enfans ont accoustumé d'employer en telles occupations.

  A005000228 

 Hé, que reste-il donq? quelle conclusion avons-nous plus a prendre, mon cher Theotime, sinon que ceux qui vivent ne vivent plus a eux mesmes, ains a Celuy qui est mort pour eux? c'est a dire, que nous consacrions au divin amour de la mort de nostre Sauveur tous les momens de nostre vie, rapportans a sa gloire toutes nos proyes, toutes nos conquestes, toutes nos œuvres, toutes nos actions, toutes nos pensees et toutes nos affections.

  A005000228 

 Voyons-le, Theotime, ce divin Redempteur, estendu sur la croix, comme sur son bucher d'honneur ou il meurt d'amour pour nous, mais d'un amour plus douloureux que la mort mesme, ou d'une mort plus amoureuse que l'amour mesme: hé, que ne nous jettons-nous en esprit sur luy, pour mourir sur la croix avec luy, qui, pour l'amour de nous, a bien voulu mourir! Je le tiendray, devrions nous dire si nous avions la generosité de l'aigle, et ne le quitteray jamais; je mourray avec luy et brusleray dedans les flammes de son amour, un mesme feu consumera ce divin Createur et sa chetifve creature; mon Jesus est tout mien et je suis toute sienne, je vivray et mourray sur sa poitrine, ni la mort ni la vie ne me separera jamais de luy..

  A005000233 

 L'amour est fort comme la mort: la mort separe l'ame du mourant d'avec son cors et d'avec toutes les choses du monde; l'amour sacré separe l'ame de l'amant d'avec son cors et d'avec toutes les choses du monde, et n'y a point d'autre difference sinon en ce que la mort fait tous-jours par effect ce que l'amour ne fait ordinairement que par l'affection.

  A005000233 

 Or je dis ordinairement Theotime, parce que quelquefois l'amour sacré est bien si violent, que mesme par effect il cause la separation du cors et de l'ame, faisant mourir les amans d'une mort tres heureuse, qui vaut mieux que cent vies..

  A005000234 

 Il y a eu de nostre aage, des tres grans personnages en vertu et doctrine, que l'on a treuvé mortz, les uns en un confessionnal, les autres oyans le sermon; et mesme on en a veu quelques uns tumber mortz au sortir de la chaire ou ilz avoyent presché avec grande ferveur: mortz toutes soudaines, mais non improuveues.

  A005000234 

 Le juste ne meurt jamais a l'improuveu, car c'est avoir bien prouveu a sa mort que d'avoir perseveré en la justice chrestienne jusques a la fin, mais il meurt bien quelquefois de mort subite ou soudaine; c'est pourquoy l'Eglise, toute sage, ne nous fait pas simplement requerir es Letanies, d'estre deslivrés de mort soudaine, mais «de mort soudaine et improuveue:» pour estre soudaine elle n'en est pas pire, sinon qu'elle soit encor improuveue.

  A005000234 

 Si des espritz foibles et vulgaires eussent veu le feu du ciel tumber sur le grand saint Simeon Stylite et le tuer, qu'eussent-ilz pensé sinon des pensees de scandale? mais l'on n'en doit toutefois point faire d'autre, sinon que ce grand Saint s'estant immolé [36] tres parfaitement a Dieu en son cœur, des-ja tout consumé d'amour, le feu vint du ciel pour parfaire l'holocauste et le brusler du tout; car l'abbé Julien, esloigné d'une journee, vit l'ame d'iceluy montant au Ciel, et fit jetter de l'encens a mesme heure pour en rendre graces a Dieu.

  A005000235 

 En un homme dormant, il semble que toutes ses habitudes dorment avec luy, et qu'elles se resveillent aussi avec luy; ainsy donq, l'homme juste mourant subitement, ou accablé d'une mayson qui luy tumbe dessus, ou tué par le foudre, ou suffoqué d'un catherre, ou bien mourant hors de son bon sens par la violence de quelque fievre chaude, il ne meurt certes pas en l'exercice de l'amour divin, mais il meurt neanmoins en l'habitude d'iceluy; dont le Sage a dit: Le juste, s'il [37] est prevenu de la mort, il sera en refrigere; car il suffit pour obtenir la vie eternelle de mourir en l'estat et habitude de l'amour et charité..

  A005000237 

 Jean Gerson, Chancelier de l'Université de Paris, homme si docte et si pieux, que, comme dit Sixtus Senensis, «on ne peut discerner s'il a surpassé sa [38] doctrine par la pieté ou sa pieté par la doctrine,» ayant expliqué les cinquante proprietés de l'amour divin marquees au Cantique des Cantiques, trois jours apres, monstrant un visage et un cœur fort vif, expira prononçant et repetant plusieurs fois, par maniere d'orayson jaculatoire, ces saintes paroles tirees du mesme Cantique: O Dieu, vostre dilection est forte comme la mort.

  A005000237 

 Saint Pierre Celestin, tout detrempé en des cruelles afflictions qu'on ne peut bonnement dire, estant arrivé a la fin de ses jours, se mit a chanter, comme un cygne sacré, le dernier des Pseaumes, et acheva son chant et sa vie en ces amoureuses paroles: Que tout esprit loüe le Seigneur.

  A005000241 

 Les saintz Evesques Stanislaus et Thomas de Cantorberi furent aussi tués pour un sujet qui ne regardoit pas la foy, mais la charité; et en fin une grande partie de saintes Vierges et Martyres furent massacrees pour le zele qu'elles eurent a garder la chasteté que la charité leur avoit fait dedier a l'Espoux celeste..

  A005000241 

 Mays pourtant il y a eu des Martirs qui moururent expressement pour la charité seule, comme le grand Precurseur du Sauveur, qui fut martyrisé pour la correction fraternelle; et les glorieux Princes des Apostres, saint Pierre et saint Paul, mais principalement saint Paul, moururent pour avoir converti a la sainteté et chasteté les femmes que l'infame Neron avoit desbauchees.

  A005000241 

 Tous les Martirs, Theotime, moururent pour l'amour divin; car, quand on dit que plusieurs sont mortz pour la foy, on ne doit pas entendre que ç'ait esté pour la foy morte, ains pour la foy vivante, c'est a dire animee de la charité.

  A005000242 

 Ainsy, mon cher Theotime, quand l'ardeur du saint amour est grande, elle donne tant d'assautz au cœur, elle le blesse si souvent, elle luy cause tant de langueurs, elle le fond si ordinairement, elle le porte en des extases et ravissemens si frequens, que par ce moyen l'ame presque toute occupee en Dieu, ne pouvant fournir asses d'assistance a la nature pour faire la digestion et nourriture convenable, les forces animales et vitales commencent a manquer petit a petit, la vie s'accourcit et le trespas arrive..

  A005000242 

 Le regret quelquefois empesche si longuement les affligés de [40] boire, de manger et de dormir, qu'en fin, affoiblis et alangouris ilz meurent; et lhors, le vulgaire dit qu'ilz sont mortz de regret, mais ce n'est pas la verité, car ilz meurent de defaillance de forces et d'exinanition: il est vray que cette defaillance leur estant arrivee a cause du regret, il faut advoüer, que s'ilz ne sont pas mortz de regret, ilz sont mortz a cause du regret et par le regret.

  A005000242 

 Mais il y en a, entre les amans sacrés, qui s'abandonnent si absolument aux exercices de l'amour divin, que ce saint feu les devore et consume leur vie.

  A005000243 

 O Dieu, Theotime, que cette mort est heureuse! que douce est cette amoureuse sagette qui, nous blessant de cette playe incurable de la sacree dilection, nous rend pour jamais languissans et malades d'un battement de cœur si pressant qu'en fin il faut mourir! De combien penses-vous que ces sacrees langueurs et les travaux supportés pour la charité avançassent les jours aux divins amans, comme a sainte Catherine de Sienne, a saint François, au petit Stanislas Koska, a saint Charles et a plusieurs centaines d'autres qui moururent si jeunes? Certes, quant a saint François, des qu'il eut receu les saintes stigmates de son Maistre, il eut de si fortes et penibles douleurs, tranchees, convulsions et maladies, qu'il ne luy demeura que la peau et les os, et sembloit plustost une anatomie ou une image de la mort, qu'un homme vivant et respirant encores.

  A005000247 

 L'ame attiree puissamment par les suavités divines de son Bienaymé, pour correspondre de son costé a ses doux attraitz, elle s'eslance de force et tant qu'elle peut devers ce desirable Ami attrayant; et ne pouvant tirer son cors apres soy, plustost que de s'arrester avec luy parmi les miseres de cette vie, elle le quitte et se separe, volant seule, comme une belle colombelle, dans le sein delicieux de son celeste Espoux: elle s'eslance en son Bienaymé, et son Bienaymé la tire et ravit a soy; et comme l'espoux quitte pere et mere pour se joindre a sa bienaymee, ainsy cette chaste espouse quitte la chair pour s'unir a son Bienaymé.

  A005000247 

 Mays ce qui appartient au souverain degré d'amour, c'est que quelques uns meurent d'amour; et c'est lhors que non seulement l'amour blesse l'ame en sorte qu'il la met en langueur, mays quand il la transperce, donnant son coup droit dans le milieu du cœur, et si fortement qu'il pousse l'ame dehors de son cors: ce qui se fait ainsy.

  A005000247 

 Or, c'est le plus violent effect que l'amour fasse en une ame, et qui requiert auparavant une grande nudité de toutes les affections qui peuvent tenir le cœur attaché ou au monde ou au cors; en sorte que, comme le feu ayant separé petit a petit l'essence de sa masse et l'ayant du tout espuree, fait en fin sortir la quintessence, aussi le saint amour [42] ayant retiré le cœur humain de toutes humeurs, inclinations et passions, autant qu'il se peut, il en fait par apres sortir l'ame, affin que par cette mort, pretieuse aux yeux divins, elle passe en la gloire immortelle..

  A005000248 

 Le grand saint François, qui en ce sujet de l'amour celeste me revient tous-jours devant les yeux, ne pouvoit pas eschapper qu'il ne mourust par l'amour, a cause de la multitude et grandeur des langueurs, extases et defaillances que sa dilection envers Dieu luy donnoit; mais, outre cela, Dieu qui l'avoit exposé a la veüe de tout le monde comme un miracle d'amour, voulut que non seulement il mourust pour l'amour, ains qu'il mourust encor d'amour.

  A005000248 

 Qui ne void, je vous prie, Theotime, que cet homme seraphique, qui avoit tant desiré d'estre martyrisé et de mourir pour l'amour, mourut en fin d'amour, ainsy que je l'ay expliqué ailleurs?.

  A005000248 

 Se voyant sur le point de son despart, il se fit mettre nud sur la terre, puis ayant receu un habit en aumosne, duquel on le vestit, il harangua ses freres, les animant a l'amour et crainte de Dieu et de l'Eglise, fit lire la Passion du Sauveur, puis commença avec une ardeur extreme a prononcer le Psalme CXLI: J'ay crié de ma voix au Seigneur, j'ay supplié de ma voix le Seigneur; et ayant prononcé ces dernieres paroles: O Seigneur, tires mon ame de la prison, affin que je benisse vostre saint nom; les justes m'attendent jusques a ce que vous me guerdonnies, il expira, l'an quarante cinquiesme de son aage.

  A005000249 

 Sainte Magdeleyne ayant l'espace de trente ans demeuré en la grotte que l'on void encor en Provence, ravie tous les jours sept fois et eslevee en l'air par les Anges, comme pour aller chanter les sept Heures canoniques en leur chœur, en fin un jour de Dimanche elle vint a l'eglise, en laquelle son cher Evesque saint Maximin la treuvant en contemplation, les yeux pleins de larmes et les bras eslevés, il la communia; et tost apres elle rendit son bienheureux esprit, qui derechef alla pour jamais aux pieds de son Sauveur, jouir de [43] la meilleure part, qu'elle avoit des-ja choisie en ce monde..

  A005000250 

 Ce que le medecin fit, et luy ayant tasté le poulz: «Il n'y a plus,» dit il, «aucun remede; devant que le soleil soit couché vous trespasseres.» «Mays que dires vous,» repliqua alhors le malade, «si je suis encor demain en vie?» «Je me feray Chrestien, je vous le prometz,» dit le medecin.

  A005000250 

 Puis, estant revenu en sa chambre et remis dans son lit, apres s'estre asses longuement entretenu par l'orayson avec Nostre Seigneur, il exhorta saintement les assistans a servir Dieu de tout leur cœur; et en fin voyant les Anges venir a luy, prononçant avec extreme suavité ces paroles: Mon Dieu, je vous recommande mon ame et la remetz entre vos mains, il expira; et le pauvre medecin converti, le voyant ainsy trespassé, l'embrassant et fondant en larmes sur iceluy: «O grand Basile, serviteur de Dieu,» dit-il, «en verité, si vous eussies voulu, vous ne fussies non plus mort aujourd'huy qu'hier.» Qui ne void que cette mort fut toute d'amour? Et la bienheureuse Mere Therese de Jesus revela apres son trespas, qu'elle estoit morte d'un assaut et impetuosité d'amour, qui avoit esté si violent que, la nature ne le pouvant supporter, l'ame s'en estoit allee avec le bienaymé object de ses affections.

  A005000250 

 Saint Basile avoit fait une estroitte amitié avec un grand medecin, juif de nation et de religion, en intention de l'attirer a la foy de Nostre Seigneur; ce que toutefois il ne peut onques faire jusques a ce que, rompu de jeusnes, veilles et travaux, estant arrivé a l'article de la mort, il s'enquit du medecin quelle opinion il avoit de sa santé, le conjurant de le luy dire franchement.

  A005000254 

 Et bien que le recit que je veux faire ne soit ni tant publié ni si bien tesmoigné comme la grandeur de la merveille qu'il contient le requerroit, il ne perd pas pour cela sa verité: car, comme dit excellemment saint Augustin, «a peyne sçait on les miracles,» pour magnifiques qu'ilz soyent, «au lieu mesme ou ilz se font,» et encor que ceux qui les ont veu les racontent, on a peyne de les croire; mays ilz ne laissent pas pour cela d'estre veritables, et en matiere de religion les ames bien faites ont plus de suavité a croire les choses esquelles il y a plus de difficulté et d'admiration..

  A005000254 

 Outre ce qui a esté dit, j'ay treuvé une histoire laquelle pour estre extremement admirable n'en est que plus croyable aux amans sacrés; puisque, comme dit le saint Apostre, la charité croid tres volontier toutes choses, c'est a dire elle ne pense pas aysement qu'on mente, et s'il n'y a des marques apparentes de fauseté en ce qu'on luy represente, elle ne fait pas difficulté de les croire, mais sur tout quand ce sont choses qui exaltent et magnifient l'amour de Dieu envers les hommes ou l'amour des hommes envers Dieu: d'autant que la charité, qui est reyne souveraine des vertus, se plaist, a la façon des princes, es choses qui servent a la gloire de son empire et domination.

  A005000255 

 De Bethleem il alla en Bethabara, et passa jusques au petit lieu de Bethanie, ou, se resouvenant que Nostre Seigneur s'estoit devestu pour estre baptisé, il se despouilla aussi luy mesme, et entrant dans le Jordain, se lavant et beuvant des eaux d'iceluy, il luy estoit advis d'y voir son Sauveur recevant le Baptesme par la main de son Precurseur, et le Saint Esprit descendant visiblement sur iceluy sous la forme de colombe, avec les cieux encor ouvertz, d'ou, ce luy sembloit, descendoit la voix du Pere eternel disant: Cestuy cy est mon Filz bienaymé auquel je me complais.

  A005000256 

 Il regarde la pauvre sacree Vierge, toute transpercee du glaive de douleur; puis il tourne les yeux sur le Sauveur crucifié, duquel il escoute les sept paroles avec un amour nompareil, et en fin le void mourant, puis mort, puis recevant le coup de lance et monstrant par l'ouverture de la playe son cœur divin, puis osté de la croix et porté au sepulcre, ou il va le suyvant, jettant une mer de larmes sur les lieux detrempés du sang de son Redempteur; si que il entre dans le sepulcre et ensevelit son cœur aupres du cors de son Maistre..

  A005000256 

 Si monte en fin ce devot pelerin sur le mont Calvaire, ou il void en esprit la croix estendue sur terre, et Nostre Seigneur tout nud que l'on renverse et que l'on cloue pieds et mains sur icelle tres cruellement; il contemple de suite comme on leve la croix et le Crucifié en l'air, et le sang qui ruisselle de tous les endroitz du divin cors pendu.

  A005000257 

 Puys, resuscitant avec luy, il va en Emaüs et void tout ce qui se passe entre le Seigneur et les deux disciples; et en fin, revenant sur le mont Olivet ou se fit le mistere de l'Ascension, et la, voyant les dernieres marques et vestiges des pieds du divin Sauveur, prosterné sur icelles et les baysant mille et mille fois avec des souspirs d'un amour infini, il commença a retirer a soy toutes les forces de ses affections, comme un archer retire la corde de son arc quand il veut descocher sa fleche; puis se relevant, les yeux et les mains tendus au ciel: «O Jesus,» dit il, « mon doux Jesus, je ne sçai plus ou vous chercher et suivre en terre; hé! Jesus, Jesus mon amour, accordes donq a ce cœur qu'il vous suive et s'en aille apres vous la haut.» Et avec ces ardentes paroles il lança quant et quant son ame au Ciel, comme une sacree sagette que, comme divin archer, [47] il tira au blanc de son tres heureux object.

  A005000258 

 Je voy bien, a la verité, que cette histoire est grandement extraordinaire et qui meriteroit un tesmoignage de plus grand poids; mais apres la tres veritable histoire du cœur fendu de sainte Claire de Montefalco, que tout le monde peut voir encor maintenant, et celle des stigmates de saint François, qui est tres asseuree, mon ame ne treuve rien de malaysé a croire parmi les effectz du divin amour..

  A005000262 

 Et comme pourroit-on donq imaginer que le cher Enfant de son cœur, son Nourrisson bienaymé, ne l'assistast a l'heure de son passage? Bienheureux sont les misericordieux, car ilz obtiendront misericorde.

  A005000262 

 On ne peut quasi pas bonnement douter que le grand saint Joseph ne fust trespassé avant la Passion et Mort du Sauveur, qui, sans cela, n'eust pas recommandé sa Mere a saint Jean.

  A005000262 

 Quand le Sauveur estoit encor petit enfant, le grand Joseph son Pere nourricier, et la tres glorieuse Vierge sa Mere, l'avoyent porté maintefois, et specialement au passage qu'ilz firent de Judee en Egypte et d'Egypte en Judee: hé, qui doutera donq que ce saint Pere, parvenu a la fin de ses jours, n'ayt reciproquement esté porté par son divin Nourrisson au passage de ce monde en l'autre, dans le sein d'Abraham, pour de la le transporter dans le sien, a la gloire, le jour de son Ascension? Un Saint qui avoit tant aymé en sa vie ne pouvoit mourir que d'amour; car son ame ne pouvant a souhait aymer son cher Jesus entre les distractions de cette vie, et ayant achevé le service qui estoit requis au bas aage d'iceluy, que restoit-il sinon qu'il dist au Pere eternel: O Pere, j'ay accompli l'œuvre que vous m'avies donnee en charge; et puis au Filz: O mon Enfant, comme vostre Pere celeste remit vostre cors entre mes mains au jour de vostre venue en ce monde, ainsy en ce jour de mon despart de ce monde je remetz mon esprit entre les vostres..

  A005000263 

 Car, a qui de tous les Seraphins appartient-il de dire au Sauveur: Vous estes mon vray Filz, et je vous ayme comme mon vray Filz? et a qui de toutes les creatures fut il jamais dit par le Sauveur: Vous estes ma vraye Mere et je vous ayme comme ma vraye Mere, vous estes ma vraye Mere toute mienne et je suis vostre vray Filz tout vostre? Si donques un serviteur amant osa bien dire, et le dit en verité, qu'il n'avoit point d'autre vie que celle de son Maistre, helas, combien hardiment et ardemment devoit exclamer cette Mere: Je n'ay point d'autre vie que la vie de mon Filz, ma vie est toute en la sienne, et la sienne toute en la mienne; car ce n'estoit plus union, ains unité de cœur, d'ame et de vie entre cette Mere et ce Filz..

  A005000263 

 Et je dis de Mere unique et d'Enfant unique, parce que tous les autres enfans des hommes partagent la reconnoissance de leur production entre le pere et la mere; mays en celuy cy, comme toute sa naissance humaine dependit de sa seule Mere, laquelle seule contribua, ce qui estoit requis a la vertu du Saint Esprit pour la conception de ce divin Enfant, aussi a elle seule fut deu et rendu tout l'amour qui provient de la.

  A005000263 

 Si les premiers Chrestiens furent ditz n'avoir qu' un cœur et une ame, a cause de leur parfaite mutuelle dilection; si saint Paul ne vivoit plus luy mesme, ains Jesus Christ vivoit en luy, a rayson de l'extreme union de son cœur a celuy de son Maistre, par laquelle son ame estoit comme morte en son cœur qu'elle animoit, pour vivre dans le cœur du Sauveur qu'elle aymoit; o [50] vray Dieu, combien est il plus veritable que la sacree Vierge et son Filz n'avoyent qu' une ame, qu' un cœur et qu'une vie, en sorte que cette sacree Mere, vivant ne vivoit pas elle, mais son Filz vivoit en elle! Mere la plus amante et la plus aymee qui pouvoit jamais estre; mays amante et aymee d'un amour incomparablement plus eminent que celuy de tous les ordres des Anges et des hommes, a mesure que les noms de Mere unique et de Filz unique sont aussi des noms au dessus de tous autres noms en matiere d'amour.

  A005000263 

 Telle, comme je pense, fut la mort de ce grand Patriarche, homme choisi pour faire les plus tendres et amoureux offices qui furent ni seront jamais faitz a l'endroit du Filz de Dieu, apres ceux qui furent pratiqués par sa celeste Espouse, vraye Mere naturelle de ce mesme Filz; de laquelle il est impossible d'imaginer qu'elle soit morte d'autre sorte de mort que de celle d'amour: mort la plus noble de toutes, et deue par consequent a la plus noble vie qui fut onques entre les creatures, mort de laquelle les Anges mesmes desireroyent de mourir s'ilz estoyent capables de mort.

  A005000263 

 production, de sorte que ce Filz et cette Mere furent unis d'une union d'autant plus excellente qu'elle a un nom different en amour par dessus tous les autres noms.

  A005000264 

 De mesme, Theotime, la Vierge Mere ayant assemblé en son esprit, par une tres vive et continuelle memoire, tous les plus aymables misteres de la vie et mort de son Filz, et recevant tous-jours a droit fil parmi cela les plus ardentes inspirations que son Filz, Soleil de justice, jettast sur les humains au plus fort du midi de sa charité, puis d'ailleurs faysant aussi de son costé un perpetuel mouvement de contemplation, en fin le feu sacré de ce divin amour la consuma toute, comme un holocauste de suavité; de sorte qu'elle en mourut, son ame estant toute ravie et transportee entre les bras de la dilection de son Filz.

  A005000264 

 Le phœnix, comme on dit, estant fort envielli, ramasse sur le haut d'une montaigne une [51] quantité de bois aromatiques, sur lesquelz, comme sur son lit d'honneur, il va finir ses jours; car lhors que le soleil au fort de son midi jette ses rayons plus ardens, cet tout unique oyseau, pour contribuer a l'ardeur du soleil un surcroist d'action, ne cesse point de battre des aysles sur son bucher jusques a ce qu'il luy ait fait prendre feu, et bruslant avec iceluy il se consume et meurt entre ces flammes odorantes.

  A005000265 

 Mays la douce Mere, qui aymoit plus que tous, fut plus que tous outrepercee du glaive de douleur: la douleur du Filz fut alhors une espee tranchante qui passa au travers du cœur de la Mere, d'autant que ce cœur de mere estoit collé, joint et uni a son Filz d'une union si parfaite, que rien ne pouvoit blesser l'un qu'il ne navrast aussi vivement l'autre.

  A005000265 

 Or cette poitrine maternelle estant ainsy blessee d'amour, non seulement ne chercha pas la guerison de sa blesseure, mays ayma sa blesseure plus que toute guerison, gardant cherement les traitz de douleur qu'elle avoit receu, a cause de l'amour qui les avoit descochés dans son cœur, et desirant continuellement [52] d'en mourir, puisque son Filz en estoit mort, qui, comme dit toute l'Escriture Sainte et tous les docteurs, mourut entre les flammes de la charité, holocauste parfait pour tous les pechés du monde..

  A005000269 

 On dit d'un costé que Nostre Dame revela a sainte Mathilde que la maladie de laquelle elle mourut ne fut autre chose qu'un assaut impetueux du divin amour; mais sainte Brigide et saint Jean Damascene tesmoignent qu'elle mourut d'une mort extremement paisible: et l'un et l'autre est vray, Theotime..

  A005000270 

 Ainsy, pour l'ordinaire, les Saintz qui moururent d'amour sentirent une grande varieté d'accidens et symptomes de dilection, avant que d'en venir au trespas; force eslans, force assautz, force extases, force langueurs, force agonies, et sembloit que leur amour enfantast par effort et a plusieurs reprises leur bienheureuse mort: ce qui se fit a cause de la debilité de leur amour, non encores absolument parfait, qui ne pouvoit pas continuer sa dilection avec une egale fermeté.

  A005000270 

 Les estoiles sont merveilleusement belles a voir et jettent des clartés aggreables, mais si vous y aves pris garde, c'est par brillemens, estincellemens et eslans qu'elles produisent leurs rayons, comme si elles enfantoyent la lumiere avec effort, a diverses reprises; soit que leur clarté estant foible ne puisse pas agir si continuellement avec egalité, soit que nos yeux imbecilles ne fassent pas leur veüe constante et ferme a cause de la grande distance qui est entr'eux et ces astres.

  A005000271 

 Ah non, Theotime, il ne faut pas mettre une impetuosité d'agitation en ce celeste amour du cœur maternel de la Vierge, car l'amour, de soy mesme, est doux, gracieux, paisible et tranquille: que s'il fait quelquefois des assautz, s'il donne des secousses a l'esprit, c'est parce qu'il y treuve de la resistance; mais quand les passages de l'ame luy sont ouvertz sans opposition ni contrarieté, il fait ses progres paisiblement, avec une suavité nompareille.

  A005000271 

 Car, comme l'on void les grans fleuves faire des bouillons et rejaillissemens avec grand bruit es endroitz raboteux, esquelz les rochers font des bancs et escueilz qui s'opposent et empeschent l'escoulement des eaux, ou au contraire, se treuvans en la plaine ilz coulent et flottent doucement, sans effort; de mesme le divin amour treuvant es ames humaines plusieurs empeschemens et resistances, comme a la verité toutes en ont, quoy que differemment, il y fait des violences, combattant les mauvaises inclinations, frappant le cœur, poussant la volonté par diverses agitations et differens effortz, affin de se faire faire place ou du moins outrepasser ces obstacles.

  A005000271 

 Mays ce fut tout autre chose en la tressainte Vierge, car, comme nous voyons croistre la belle aube du jour, non a diverses reprises et par secousses, ains par une certaine dilatation et croissance continue qui est presqu'insensiblement sensible, en sorte que vrayement on la void croistre en clarté, mais si egalement que nul n'apperçoit aucune interruption, separation ou discontinuation de ses accroissemens, ainsy le divin amour croissoit a chasque moment dans le cœur virginal de nostre glorieuse Dame, mais par des croissances douces, paisibles et continues, sans agitation, ni secousse, ni violence quelcomque.

  A005000271 

 Non, elle ne pasma pas d'amour ni de compassion aupres de la Croix de son Filz, encor qu'elle eut alhors le plus ardent et douloureux acces d'amour qu'on puisse imaginer; car, bien que l'acces fut extreme, si fut-il toutefois esgalement fort et doux tout ensemble, puissant et tranquille, actif et paisible, composé d'une chaleur aiguë mais suave..

  A005000272 

 Mais je dis qu'en cette celeste Mere, toutes les affections estoyent si bien rangees et ordonnees, que le divin amour exerçoit en elle son empire et sa domination tres paisiblement, sans estre troublee par la diversité des volontés ou appetitz, ni par la contrarieté des sens, parce que les repugnances de l'appetit naturel ni les mouvemens des sens n'arrivoyent jamais jusques au peché, non pas mesme jusques au peché veniel; ains au contraire, tout cela estoit saintement et fidelement employé au service du saint amour pour l'exercice des autres vertus, lesquelles, pour la pluspart, ne peuvent estre prattiquees qu'entre les difficultés, oppositions et contradictions..

  A005000273 

 Ainsy la glorieuse Vierge ayant eu part a toutes les miseres du genre humain, exceptees celles qui tendent immediatement au peché, elle les employa tres utilement pour l'exercice et accroissement [55] des saintes vertus de force, temperance, justice et prudence, pauvreté, humilité, souffrance, compassion: de sorte qu'elles ne donnoyent aucun empeschement, ains beaucoup d'occasions a l'amour celeste de se renforcer par des continuelz exercices et avancemens; et, chez elle, Magdeleyne ne se divertit point de l'attention avec laquelle elle reçoit les impressions amoureuses du Sauveur, pour toute l'ardeur et sollicitude que Marthe peut avoir: elle a choisi l'amour de son Filz, et rien ne le luy oste..

  A005000273 

 Les espines, selon l'opinion vulgaire, sont non seulement differentes mais aussi contraires aux fleurs, et semble que s'il n'y en avoit point au monde la chose en iroit mieux; qui a fait penser a saint Ambroise que sans le peché il n'en seroit point: mais toutefois, puisqu'il y en a, le bon laboureur les rend utiles et en fait des hayes et clostures autour des chams et jeunes arbres, ausquelz elles servent de defenses et rempars contre les animaux.

  A005000274 

 Et bien que cette sainte ame aymast extrememment son tressaint, tres pur et tres aymable cors, si le quitta-elle neanmoins sans peyne ni resistance quelconque, comme la chaste Judith, quoy qu'elle aymast grandement les habitz de penitence et de viduité, les quitta neanmoins et s'en despouilla avec playsir pour se revestir de ses habitz nuptiaux, quand elle alla se rendre victorieuse d'Holophernes, ou comme Jonathas, quand pour l'amour de David il se despouilla de ses vestemens.

  A005000274 

 Et c'est pourquoy, comme le fer s'il estoit quitte de tous empeschemens et mesme de sa pesanteur, seroit attiré fortement, mais doucement et d'une attraction egale, par l'aymant, en sorte neanmoins que l'attraction serait tous-jours plus active et plus forte a mesure que l'un seroit plus pres de l'autre et que le mouvement seroit [56] proche de sa fin, ainsy la tressainte Mere n'ayant rien en soy qui empeschast l'operation du divin amour de son Filz, elle s'unissoit avec iceluy d'une union incomparable, par des extases douces, paysibles et sans effort; extases esquelles la partie sensible ne laissoit pas de faire ses actions, sans donner pour cela aucune incommodité a l'union de l'esprit, comme reciproquement la parfaite application de son esprit ne donnoit pas fort grand divertissement aux sens.

  A005000274 

 Si que la mort de cette Vierge fut plus douce qu'on ne se peut imaginer, son Filz l'attirant suavement a l'odeur de ses parfums, et elle s'escoulant tres amiablement apres la senteur sacree d'iceux dedans le sein de la bonté de son Filz.

  A005000274 

 tous-jours maistresse paisible de toutes ses passions et toute exempte de la rebellion que l'amour propre fait a l'amour de Dieu.

  A005000282 

 L'Escriture appelle pour cela effeminés les hommes qui ayment esperdument les femmes pour leur sexe, parce que l'amour les transforme d'hommes en femmes, quant aux mœurs et humeurs..

  A005000282 

 Le tres devot et tres sage roy Salomon devint idolatre et fol quand il ayma les femmes idolatres et folles, et eut autant d'idoles que ses femmes en avoyent.

  A005000282 

 Le veritable amour n'est jamais ingrat, il tasche de complaire a ceux esquelz il se complait; et de la vient la conformité des amans, qui nous fait estre [59] telz que ce que nous aymons.

  A005000283 

 Celuy qui, attiré de la suavité des parfums, entre en la boutique d'un parfumier, en recevant le playsir qu'il prend a sentir ces odeurs il se parfume soy mesme, et au sortir de la il donne part aux autres du playsir qu'il a receu, respandant entr'eux la senteur des parfums qu'il a contractee: avec le playsir que nostre cœur prend en la chose aymee il tire a soy les qualités d'icelle, car la delectation ouvre le cœur comme la tristesse le resserre; dont l'Escriture sacree use souvent du mot de dilater, en lieu de celuy de res-jouir..

  A005000283 

 L'amour, dit saint Chrysostome, ou il treuve ou il fait la ressemblance; l'exemple de ceux que nous aymons a un doux et imperceptible empire et une authorité insensible sur nous, il est force ou de les quitter, ou de les imiter.

  A005000284 

 Ainsy, les disciples d'Aristote se plaisoyent a parler begue comme luy, et ceux de Platon tenoyent les espaules courbees, a son imitation; telle femme s'est retreuvee, au recit de Plutarque, de laquelle l'imagination et apprehension estoit si ouverte a toutes choses par la volupté, que regardant l'image d'un More elle conceut un enfant tout noir, d'un pere extremement blanc: et le fait des brebis de Jacob sert de preuve a cela.

  A005000284 

 En somme, le playsir que l'on a en la chose est un certain fourrier qui fourre dans le cœur amant les qualités de la chose qui plaist; et pour cela la sacree complaysance nous transforme en Dieu que nous aymons, et a mesure qu'elle est grande la transformation est plus parfaite: ainsy les Saintz, qui ont grandement aymé, ont esté fort vistement et parfaitement transformés, l'amour transportant et transmettant les mœurs et humeurs de l'un des cœurs en l'autre..

  A005000285 

 Chose estrange, mais veritable: s'il y a deux luths unisones, c'est a dire de mesme son et accord, l'un pres de l'autre, et que l'on joüe de l'un d'iceux, l'autre, quoy qu'on ne le touche point, ne laissera pas de resonner comme celuy duquel on joue; la convenance de l'un a l'autre, comme par un amour naturel, faisant cette correspondance.

  A005000285 

 Le grand Apostre dit, comme je pense en ce sens, que la loy n'est point mise aux justes; car en verité, le juste n'est juste sinon parce qu'il a le saint amour, et s'il a l'amour il n'a pas besoin qu'on le presse par la rigueur de la loy, puisque l'amour est le plus pressant docteur et solliciteur pour persuader au cœur qu'il possede l'obeissance aux volontés et intentions du bienaymé.

  A005000285 

 Nous avons repugnance d'imiter ceux que nous haïssons, es choses mesmes qui sont bonnes; et les Lacedemoniens ne voulurent pas suivre le bon conseil d'un meschant homme, sinon apres qu'un homme de bien l'auroit prononcé; au contraire, on ne peut s'empescher de se conformer a ce qu'on ayme.

  A005000290 

 La complaysance attire donq en nous les traitz des perfections divines selon que nous sommes capables de les recevoir; comme le miroüer reçoit la ressemblance du soleil, non selon l'excellence et grandeur de ce grand et admirable luminaire, mays selon la capacité et mesure de sa glace: si que nous sommes ainsy rendus conformes a Dieu..

  A005000292 

 Nous avons eu une extreme complaysance a voir que Dieu est souverainement bon; et partant nous desirons, par l'amour de bienveuillance, que tous les amours qu'il nous est possible d'imaginer soyent employés a bien aymer cette bonté.

  A005000292 

 Nous nous sommes delectés a considerer comme Dieu est non seulement le premier principe, mais aussi la derniere fin, Autheur, Conservateur et Seigneur de toutes choses; a rayson dequoy nous souhaitons que tout luy soit sousmis par une souveraine obeissance.

  A005000292 

 Or ce desir se prattique, selon la complaysance que nous avons en Dieu, en la façon qui s'ensuit.

  A005000293 

 Mais notés, Theotime, que je ne traitte pas ici de l'obeissance qui est deüe a Dieu parce qu'il est nostre Seigneur et Maistre, nostre Pere et Bienfacteur; car cette sorte d'obeissance appartient a la vertu de justice et non pas a l'amour.

  A005000293 

 Non, ce n'est pas cela dont je parle a present; car encor qu'il n'y eust ni enfer pour punir les rebelles, ni Paradis pour recompenser les bons, et que nous n'eussions nulle sorte d'obligation ni de devoir a Dieu (et ceci soit dit par imagination de chose impossible et qui n'est presque pas imaginable), si est ce toutefois, que l'amour de bienveuillance nous porteroit a rendre toute obeissance [63] et sousmission a Dieu par election et inclination, voire mesme par une douce violence amoureuse, en consideration de la souveraine bonté, justice et droiture de sa divine volonté.

  A005000294 

 Ainsy donques se fait la conformité de nostre cœur avec celuy de Dieu, lhors que par la sainte bienveuillance nous jettons toutes nos affections entre les mains de la divine volonté, affin qu'elles soyent par icelle pliees et maniees a son gré, moulees et formees selon son bon playsir.

  A005000294 

 Et en ce point consiste la tres profonde obeissance d'amour, laquelle n'a pas besoin d'estre excitee par menasses ou recompenses, ni par aucune loy ou par quelque commandement; car elle previent tout cela, se sousmettant a Dieu pour la seule tres parfaite bonté qui est en luy, a rayson de laquelle il merite que toute volonté luy soit obeissante, sujette et sousmise, se conformant et unissant a jamais en tout et par tout a ses intentions divines..

  A005000298 

 Et bien qu'en erité sa divine Majesté n'ayt qu'une tres unique et tres simple volonté, si est ce que nous la marquons de noms differens, suivant la varieté des moyens par lesquelz nous la connoissons; varieté selon laquelle nous sommes aussi diversement obligés de nous conformer a icelle.

  A005000298 

 La doctrine chrestienne nous propose clairement les verités que Dieu veut que nous croyions, les biens qu'il veut que nous esperions, les peynes qu'il veut que nous craignions, ce qu'il veut que nous aymions, les commandemens qu'il veut que nous fassions et les conseilz qu'il desire que nous suivions: et tout cela s'appelle la volonté signifiee de Dieu, parce qu'il nous a signifié et manifesté qu'il veut et entend que tout cela soit creu, esperé, craint, aymé et prattiqué..

  A005000299 

 C'est pourquoy Dieu, desirant que nous suivions sa volonté signifiee, il nous sollicite, exhorte, incite, inspire, ayde et secourt; mais permettant que nous resistions, il ne fait autre chose que de simplement nous laisser faire ce que nous voulons, selon nostre libre election, contre son desir et intention..

  A005000299 

 Or, d'autant que cette volonté signifiee de Dieu procede par maniere de desir et non par maniere de vouloir absolu, nous pouvons ou la suivre par obeissance, ou luy resister par desobeissance; car Dieu fait trois actes de sa volonté pour ce regard: il veut que nous puissions resister, il desire que nous ne resistions pas, et permet neanmoins que nous resistions si nous voulons.

  A005000299 

 Que nous puissions resister, cela depend de nostre naturelle condition et liberté; que nous resistions, cela depend de nostre malice; que nous ne resistions pas, c'est selon le desir de la divine Bonté.

  A005000300 

 Et toutefois, ce desir est un vray desir; car, comme peut on exprimer plus naifvement le desir que l'on a qu'un ami face bonne chere, que de preparer un bon et excellent festin, comme fit ce roy de la parabole evangelique, puis l'inviter, presser et presque contraindre, par prieres, exhortations et poursuites, de venir, de s'asseoir a table et de manger? Certes, celuy qui a vive force ouvriroit la bouche a un ami, luy fourreroit la viande dans le gosier et la luy feroit avaler, il ne luy donneroit pas un festin de courtoisie, mais le traitteroit en beste et comme un chappon qu'on veut engraisser.

  A005000300 

 Or c'en est de mesme de la volonté signifiee de Dieu, car par icelle Dieu desire d'un vray desir que nous facions ce qu'il declaire, et a cette occasion il nous fournit tout ce qui est requis, nous exhortant et pressant de l'employer: en ce genre de faveur on ne peut rien desirer de plus.

  A005000301 

 A quoy tendent les protestations que si souvent nous en faysons es saintes ceremonies ecclesiastiques: car pour cela nous demeurons debout tandis qu'on lit les leçons de l'Evangile, comme prestz d'obeir a la sainte signification de la volonté de Dieu que l'Evangile contient; pour cela nous baysons le livre a l'endroit de l'Evangile, comme adorans la sainte Parole qui declaire la volonté celeste.

  A005000301 

 La conformité donq de nostre cœur a la volonté signifiee de Dieu consiste en ce que nous voulions tout ce que la divine Bonté nous signifie estre de son intention, croyans selon sa doctrine, esperans selon ses promesses, craignans selon ses menasses, aymans et vivans selon ses ordonnances et advertissemens.

  A005000305 

 A cette intention il nous a faitz a son image et semblance par la creation, et s'est fait a nostre image et semblance par l'Incarnation, apres laquelle il a souffert la mort pour racheter toute la race des hommes et la sauver: ce qu'il fit avec tant d'amour, que, comme raconte le grand saint Denis, apostre de la France, il dit un jour au saint homme Carpus qu'il estoit «prest de patir encor une fois pour sauver les hommes,» et que cela luy seroit aggreable s'il se pouvoit faire sans le peché d'aucun homme..

  A005000305 

 Dieu nous a signifié en tant de sortes et par tant de moyens qu'il vouloit que nous fussions tous sauvés, que nul ne le peut ignorer.

  A005000306 

 Or, bien que tous ne se sauvent pas, cette volonté neanmoins ne laisse pas d'estre une vraye volonté de Dieu, qui agit en nous selon la condition de sa nature et de la nostre: car sa bonté le porte a nous communiquer liberalement les secours de sa grace, affin que nous parvenions au bonheur de sa gloire; mais nostre nature requiert que sa liberalité nous laisse en liberté de nous en prevaloir pour nous sauver, ou de les mespriser pour nous perdre..

  A005000307 

 J'ay demandé une chose, disoit le Prophete, et c'est celle la que je requerray a jamais: Que je voye la volupté du Seigneur et que je visite son temple.

  A005000307 

 Nostre sanctification est la volonté de Dieu et nostre salut son bon playsir: or, il n'y a nulle difference entre le bon playsir et la bonne volupté, ni par consequent donq entre la bonne volupté et la bonne volonté divine; ains la volonté que Dieu a pour le bien des hommes est appellee bonne parce qu'elle est amiable, propice, favorable, aggreable, delicieuse, et, comme les Grecs, apres saint Paul, ont dit, c'est une vraye philantropie, c'est a dire, une bienveuillance ou volonté toute amoureuse envers les hommes..

  A005000307 

 Rien n'est si aggreable et delicieux aux agens libres que de faire leur volonté.

  A005000308 

 Tout le temple celeste de l'Eglise triomphante et militante resonne de toutes pars les cantiques de ce doux amour de Dieu envers nous; et le cors tres sacré du Sauveur, comme un temple tressaint de sa Divinité, est tout paré de marques et enseignes de cette bienveuillance: c'est pourquoy, en visitant le temple divin, nous voyons ces aymables delices que son cœur prend a nous favoriser..

  A005000309 

 Regardons donq cent fois le jour cette amoureuse volonté de Dieu, et fondans nostre volonté dans icelle, escrions devotement: O Bonté d'infinie douceur, que vostre volonté est amiable! que vos faveurs sont desirables! Vous nous aves creés pour la vie eternelle, et vostre poitrine maternelle, enflee des mammelles sacrees d'un amour incomparable, abonde en lait de misericorde, soit pour pardonner aux penitens, soit pour perfectionner les justes: hé, pourquoy donq ne collons nous pas nos volontés a la vostre, comme les petitz enfans s'attachent au chicheron du tetin de leurs meres, pour succer le lait de vos eternelles benedictions!.

  A005000310 

 Il suffit de dire: je desire d'estre sauvé; mais il ne suffit pas de dire: je desire embrasser les moyens convenables pour y parvenir; ains il faut, d'une resolution absolue, vouloir et embrasser les graces que Dieu nous depart; car il faut que nostre volonté corresponde a celle de Dieu, et d'autant qu'elle nous donne les moyens de nous sauver, nous les devons recevoir, comme nous devons desirer le salut ainsy qu'elle le nous desire et parce qu'elle le desire..

  A005000310 

 Non seulement il veut, mais en effect [69] il nous donne tous les moyens requis pour nous faire parvenir au salut; et nous, en suite du desir que nous avons d'estre sauvés, nous devons non seulement vouloir, mais en effect accepter toutes les graces qu'il nous a preparees et qu'il nous offre.

  A005000310 

 Theotime, nous devons vouloir nostre salut ainsy que Dieu le veut: or il veut nostre salut par maniere de desir; et nous le devons aussi incessamment desirer en suite de son desir.

  A005000311 

 David acceptoit en particulier les afflictions, comme un acheminement a sa perfection, quand il chantoit en cette sorte: O qu' il m'est bon, Seigneur, que vous m'ayes humilié, affin que j'apprenne vos justifications, ainsy furent les Apostres joyeux es tribulations, dequoy ilz avoyent la faveur d'endurer des ignominies pour le nom de leur Sauveur.

  A005000311 

 Mais il arrive maintefois que les moyens de parvenir au salut, considerés en bloc ou en general sont aggreables a nostre cœur, et regardés en detail et particulier ilz luy sont effroyables: car n'avons nous pas veu le pauvre saint Pierre disposé a recevoir en general toutes sortes de peynes, et la mort mesme, pour suivre son Maistre, et neanmoins, quand ce vint au fait et au prendre, paslir, trembler et renier son Maistre a la voix d'une simple servante? Chacun pense pouvoir boire le calice de Nostre Seigneur avec luy, mais quand on le nous presente par effect, on s'enfuit, on quitte tout.

  A005000315 

 Le desir que Dieu a de nous faire observer ses commandemens est extreme, ainsy que toute l'Escriture tesmoigne: et comme le pouvoit il mieux exprimer que par les grandes recompenses qu'il propose aux observateurs de sa loy, et les estranges supplices dont il menasse les violateurs d'icelle? C'est pourquoy David exclame: O Seigneur, vous aves ordonné que vos commandement soyent trop plus observés..

  A005000316 

 Or, l'amour de complaysance, regardant ce desir divin, veut complaire a Dieu en l'observant; l'amour de bienveuillance, qui veut tout sousmettre a Dieu, sousmet par conseequent nos desirs et nos volontés a celle ci que Dieu nous a signifiee: et de la provient non seulement l'observation, mais aussi l'amour des commandemens, que David exalte d'un stile extraordinaire au Psalme cent et dix huitiesme, qu'il semble n'avoir fait que pour ce sujet:.

  A005000317 

 Que j'ayme vostre loy d'un tres ardent amour!.

  A005000320 

 Plus que l'or et l'esclat du topaze doré..

  A005000321 

 Que doux a mon palais sont vos sacrés langages!.

  A005000323 

 Mais pour exciter ce saint et salutaire amour des commandemens, nous devons contempler leur beauté, laquelle est admirable; car, comme il y a des œuvres [71] qui sont mauvaises parce qu'elles sont defendues, et des autres qui sont defendues parce qu'elles sont mauvaises, aussi y en a-il qui sont bonnes parce qu'elles sont commandees, et des autres qui sont commandees parce qu'elles sont bonnes et tres utiles: de sorte que toutes sont tres bonnes et tres aymables, parce que le commandement donne la bonté aux unes qui n'en auroyent point autrement, et donne un surcroist de bonté aux autres qui, sans estre commandees, ne laisseroyent pas d'estre bonnes.

  A005000323 

 O que doux et desirable est le joug de la loy celeste qu'un Roy tant aymable a establie sur nous!.

  A005000324 

 Ains, comme il y a des personnes qui, pour aggreable que soit un medicament, ont du contrecœur a le prendre, seulement parce qu'il porte le nom de medicament, aussi y a-il des ames qui ont en horreur les actions commandees, seulement parce qu'elles sont commandees; et s'est treuvé tel homme, ce dit on, qui ayant doucement vescu dans la grande ville de Paris l'espace de quatre vingtz ans sans en sortir, soudain qu'on luy eut enjoint de par le Roy d'y demeurer encor le reste de ses jours, il alla dehors voir les chams, que de sa vie il n'avoit desiré..

  A005000324 

 Plusieurs observent les commandemens comme on avale les medecines; plus crainte de mourir damnés, que pour le playsir de vivre au gré du Sauveur.

  A005000325 

 Et comme le pelerin qui va gayement chantant en son voyage adjouste voirement la peyne du chant a celle du marcher, et neanmoins, en effect, par ce surcroist de peyne il se desennuye et allege du travail du chemin, aussi l'amant sacré treuve tant de suavité aux commandemens, que rien ne luy donne tant d'haleyne et de soulagement en cette vie mortelle que la gracieuse charge des preceptes de son Dieu; dont le saint Psalmiste s'escrie: O Seigneur, vos justifications ou commandemens me sont des douces chansons en ce lieu de mon pelerinage.

  A005000325 

 On dit que les muletz et chevaux chargés de figues succombent incontinent au faix et perdent toute leur force: plus douce que les figues est la loy du Seigneur; mais l'homme brutal, qui s'est rendu comme le cheval et mulet, esquelz il n'y a point d'entendement, perd le courage et ne peut treuver des forces pour porter cet amiable faix.

  A005000326 

 Le divin amour nous rend donq ainsy conformes a la volonté de Dieu, et nous fait soigneusement observer ses commandemens en qualité de desir absolu de sa divine Majesté, a laquelle nous voulons plaire: si que cette complaysance previent, par sa douce et amiable violence, la necessité d'obeir que la loy nous impose, convertissant cette necessité en vertu de dilection et toute la difficulté en delectation.

  A005000330 

 C'est pourquoy l'amour de complaysance, qui nous oblige de plaire au Bienaymé, nous porte par consequent a la suite de ses conseilz; et l'amour de bienveuillance, qui veut que toutes les volontés et affections luy soyent sousmises, fait que nous voulons non seulement ce qu'il ordonne, mais ce qu'il conseille et a quoy il exhorte: ainsy que l'amour et respect qu'un enfant fidele porte a son bon pere le fait resoudre de vivre non seulement selon les commandemens qu'il impose, mais encor selon les desirs et inclinations qu'il manifeste..

  A005000331 

 Et Dieu ne veut pas qu'un chacun observe tous les conseilz, ains seulement ceux qui sont convenables, selon la diversité des personnes, des tems, des occasions et des forces, ainsy que la charité le requiert; car c'est elle qui, comme reyne de toutes les vertus, de tous les commandemens, de tous les conseilz et en somme de toutes les lois et de toutes les actions chrestiennes, leur donne a tous et a toutes le rang, l'ordre, le tems et la valeur..

  A005000331 

 Le conseil se donne voirement en faveur de celuy [74] qu'on conseille, affin qu'il soit parfait: Si tu veux estre parfait, dit le Sauveur, va, vens tout ce que tu as et le donne aux pauvres, et me suis; mais le cœur amoureux ne reçoit pas le conseil pour son utilité, ains pour se conformer au desir de Celuy qui conseille, et rendre l'hommage qui est deu a sa volonté: et partant, il ne reçoit les conseilz sinon ainsy que Dieu le veut.

  A005000332 

 Si ton pere ou ta mere ont une vraye necessité de ton assistance pour vivre, il n'est pas tems alhors de pratiquer le conseil de la retraitte en un monastere; car la charité t'ordonne que tu ailles en effect executer son commandement, d'honnorer, servir, ayder et secourir ton pere ou ta mere.

  A005000332 

 Tu es un prince, par la posterité duquel les sujetz de la couronne qui t'appartient doivent estre conservés en paix et asseurés contre la tyrannie, sedition et guerre civile; l'occasion donq d'un si grand bien t'oblige de produire en un saint mariage des legitimes successeurs: ce n'est pas perdre la chasteté, ou au moins c'est la perdre chastement, que de la sacrifier au bien public en faveur de la charité.

  A005000333 

 Il y a des circonstances qui les rendent quelquefois impossibles, quelquefois inutiles, quelquefois perilleux, quelquefois nuisibles a quelques uns, qui est une des intentions pour lesquelles Nostre Seigneur dit de l'un d'iceux ce qu'il veut estre entendu de tous: Qui peut le prendre, si le prenne; comme s'il disoit, ainsy que saint Hierosme expose: Qui peut gaigner et emporter l'honneur de la chasteté «comme un prix» de reputation, qu'il le prenne, car il est exposé a ceux qui courront vaillamment.

  A005000334 

 Quand donq la charité l'ordonne, on tire les moines et religieux des cloistres pour en faire des cardinaux, des prelatz, des curés, voire mesme on les reduit quelquefois au mariage pour le repos des royaumes, ainsy que j'ay dit ci dessus.

  A005000334 

 Que si la charité fait sortir des cloistres ceux qui par vœu solemnel s'y estoyent attachés, a plus forte rayson, et pour moindre sujet, on peut, par l'authorité de cette mesme charité, conseiller a plusieurs de demeurer chez eux, garder leurs moyens, se marier, voire de prendre les armes et aller a la guerre, qui est une profession si dangereuse..

  A005000335 

 En somme, c'est une eau sacree par laquelle le jardin de l'Eglise est fecondé, et bien qu'elle n'ait qu'une couleur sans couleur, les fleurs neanmoins qu'elle fait croistre ne laissent pas d'avoir une chacune sa couleur differente: elle fait des Martyrs plus vermeilz que la rose, des Vierges plus blanches que le lys; aux uns elle donne le fin violet de la mortification, aux autres le jaune des soucis du mariage, employant diversement les conseilz pour la perfection des ames qui sont si heureuses que de vivre sous sa conduite..

  A005000335 

 Que si quelqu'un [76] veut contester et luy demander pourquoy elle fait ainsy, elle respondra hardiment: Parce que le Seigneur en a besoin.

  A005000339 

 Certes, ce grand Roy, qui avoit son cœur fait selon le cœur de Dieu, savouroit si fort la parfaite excellence des ordonnances divines, qu'il semble que ce soit un amoureux espris de la beauté de cette loy comme de la chaste espouse et reyne de son cœur; ainsy qu'il appert par les continuelles louanges qu'il luy donne..

  A005000339 

 O Theotime, que cette volonté divine est aymable! o qu'elle est amiable et desirable! o loy toute d'amour et toute pour l'amour! Les Hebrieux par le mot de paix entendent l'assemblage et comble de tous biens, [77] c'est a dire la felicité; et le Psalmiste s'escrie: Qu'une paix plantureuse abonde a ceux qui ayment la loy de Dieu et que nul choppement ne leur arrive! comme s'il vouloit dire: O Seigneur, que de suavité en l'amour de vos sacrés commandemens! toute douceur delicieuse saisit le cœur qui est saisi de la dilection de vostre loy.

  A005000340 

 Ainsy l'ame qui ayme Dieu est tellement transformee en la volonté divine, qu'elle merite plustost d'estre nommee volonté de Dieu, qu'obeissante ou sujette a la volonté divine: dont Dieu dit par Isaïe qu'il appellera l'Eglise chrestienne d'un nom nouveau que la bouche du Seigneur nommera, marquera et gravera dans le cœur de ses fideles.

  A005000340 

 Au contraire le meschant, des le siecle, c'est a dire tous-jours, a rompu le joug de la loy de Dieu, et a dit: Je ne serviray point; c'est pourquoy Dieu dit qu'il l'a appellé des le ventre de sa mere transgresseur et rebelle; et parlant au roy de Tyr il luy reproche qu'il avoit mis son cœur comme le cœur de Dieu: car l'esprit revolté veut que son cœur soit maistre de soy mesme et que sa propre volonté soit souveraine comme la volonté de Dieu; il ne veut pas que la volonté divine regne sur la sienne, ains veut estre absolu et sans dependance quelcomque.

  A005000340 

 Ce qui fut parfaitement verifié en la [78] primitive Eglise, lhors que, comme dit le glorieux saint Luc, en la multitude des croyans il n'y avoit qu'un cœur et qu'une ame; car il n'entend pas parler du cœur qui fait vivre nos cors, ni de l'ame qui anime les cœurs d'une vie humaine, mais il parle du cœur qui donne la vie celeste a nos ames, et de l'ame qui anime nos cœurs de la vie surnaturelle: cœur et ame tres unique des vrays Chrestiens, qui n'est autre chose que la volonté de Dieu.

  A005000340 

 Il fut escrit de vous, o Sauveur de mon ame, que vous fissies la volonté de vostre Pere eternel; et par le premier vouloir humain de vostre ame, a l'instant de vostre conception, vous embrassastes amoureusement cette loy de la volonté divine et la mistes au milieu de vostre cœur pour y regner et dominer eternellement: hé, qui fera la grace a mon ame qu'elle n'ait point de volonté que la volonté de son Dieu!.

  A005000340 

 La vie, dit le Psalmiste, est en la volonté de Dieu: non seulement parce que nostre vie temporelle depend de la volonté divine, mais aussi d'autant que nostre vie spirituelle gist en l'execution d'icelle, par laquelle Dieu vit et regne en nous, et nous fait vivre et subsister en luy.

  A005000340 

 O Seigneur eternel, ne le permettes pas! ains faites que jamais ma volonté ne soit faite, mais la vostre.

  A005000340 

 Puis, expliquant ce nom, il dit que ce sera: ma volonté en icelle; comme s'il disoit qu'entre ceux qui ne sont pas Chrestiens un chacun a sa volonté propre au milieu de son cœur, mays parmi les vrays enfans du Sauveur chacun quittera sa volonté, et n'y aura plus qu'une volonté maistresse, regente et universelle qui animera, gouvernera et dressera toutes les ames, tous les cœurs et toutes les volontés; et le nom d'honneur des Chrestiens ne sera autre chose sinon: la volonté de Dieu en eux; volonté qui regnera sur toutes les volontés et les transformera toutes en soy, de sorte que les volontés des Chrestiens et la volonté de Nostre Seigneur ne soyent plus qu'une seule volonté.

  A005000340 

 Quand l'Espouse celeste veut exprimer l'infinie suavité des parfums de son divin Espoux, Vostre nom, luy dit elle, est un unguent respandu; comme si elle disoit: Vous estes si excellemment parfumé qu'il semble que vous soyes tout parfum, et qu'il soit a propos de vous appeller unguent et parfum, plustost qu'oint et parfumé.

  A005000341 

 O combien excellente est l'observation de la defense des injustes voluptés, en celuy qui a mesme renoncé aux plus justes et legitimes delices! O combien celuy la est esloigné de convoiter le bien d'autruy, qui rejette toutes richesses et celles mesme que saintement il pourroit garder! Que celuy est bien esloigné de vouloir preferer sa volonté a celle de Dieu, qui pour faire la volonté de Dieu s'assujettit a celle d'un homme!.

  A005000341 

 Or, quand nostre amour est extreme a l'endroit de la volonté de Dieu, nous ne nous contentons pas de faire seulement la volonté divine qui nous est signifiee es [79] commandemens, mais nous nous rangeons encor a l'obeissance des conseilz, lesquelz ne nous sont donnés que pour plus parfaitement observer les commandemens, auxquelz aussi ilz se rapportent, ainsy que dit excellemment saint Thomas.

  A005000342 

 David estoit un jour en son preside, et la garnison des Philistins en Bethleem; or il fit un souhait disant: O si quelqu'un me donnoit a boire de l'eau de la cisterne qui est a la porte de Bethleem! Et voyla qu'il n'eut pas plus tost dit le mot, que trois vaillans chevaliers partent de la, main et teste baissee, traversent l'armee ennemie, vont a la cisterne de Bethleem, puisent de l'eau et l'apportent a David; lequel, voyant le hazard auquel ces gentilzhommes s'estoyent mis pour contenter son appetit, ne voulut point boire cette eau conquise au peril de leur sang et de leur vie, ains la respandit en oblation au Dieu eternel.

  A005000342 

 Hé, voyés, je vous prie, Theotime, quelle ardeur de ces chevaliers au service et contentement de leur maistre! ilz volent et fendent la presse des ennemis, avec mille dangers de se perdre, pour assouvir un seul simple souhait que le Roy leur tesmoigne.

  A005000342 

 Le Sauveur, estant en ce monde, declara sa volonté en plusieurs choses par maniere de commandement, et en plusieurs autres il la signifia seulement par maniere de souhait: car il loua fort la chasteté, la pauvreté, l'obeissance et resignation parfaite, l'abnegation de la propre volonté, [80] la viduité, le jeusne, la priere ordinaire; et ce qu'il dit de la chasteté, que qui en pourroit emporter le prix qu'il le prinst, il l'a asses dit de tous les autres conseilz.

  A005000343 

 Certes, ainsy que tesmoigne le divin Psalmiste, Dieu n'exauce pas seulement l'orayson de ses fideles, ains il exauce mesme encor le seul desir d'iceux, et la seule preparation qu'ilz font en leurs cœurs pour prier, tant il est favorable et propice a faire la volonté de ceux qui l'ayment.

  A005000343 

 Et pourquoy donq reciproquement ne serons nous si jaloux de suivre la sacree volonté de Nostre Seigneur, que nous fassions non seulement ce qu'il commande, mais encores ce qu'il tesmoigne d'aggreer et souhaitter? Les ames nobles n'ont pas besoin d'un plus fort motif pour embrasser un dessein que de sçavoir que le Bienaymé le desire: Mon ame, dit l'une d'icelles, s'est escoulee soudain que mon Ami a parlé..

  A005000347 

 Dieu, au commencement du monde, commanda a la terre de germer l'herbe verdoyante faisant sa semence, et tout arbre fruitier faisant son fruit, un chacun selon son espece, qui eust aussi sa semence en soy mesme: et ne voyons nous pas par experience que les plantes et fruitz n'ont pas leur juste croissance et maturité que quand elles portent leurs graines et pepins, qui leur servent de geniture pour la production de plantes et d'arbres de pareille sorte? Jamais nos vertus n'ont leur juste stature et suffisance qu'elles ne produisent en nous des desirs de faire progres, qui, comme semences spirituelles, servent en la production de nouveaux degrés de vertus; et me semble que la terre de nostre cœur a commandement de germer les plantes des vertus qui portent les fruitz des saintes œuvres, une chacune selon son genre, et qui ayt les semences des desirs et desseins de tous-jours multiplier et avancer en perfection: et la vertu qui n'a point la graine ou le pepin de ces desirs, elle n'est pas en la suffisance et maturité.

  A005000347 

 Les paroles par lesquelles Nostre Seigneur nous exhorte de tendre et pretendre a la perfection sont si fortes et pressantes, que nous ne sçaurions dissimuler l'obligation que nous avons de nous engager a ce dessein: Soyes saintz, dit-il, parce que je suis saint; Qui est saint, qu'il soit encor davantage [81] sanctifié, et qui est juste, qu'il soit encor plus justifié; Soyes parfaitz ainsy que vostre Pere celeste est parfait.

  A005000347 

 Pour cela le grand saint Bernard escrivant au glorieux saint Guarin, abbé d'Aux, duquel la vie et les miracles ont tant rendu de bonne odeur en ce Diocese: «L'homme juste,» dit il, «ne dit jamais c'est asses, il a tous-jours faim et soif de la justice.» Certes, Theotime, quant aux biens temporelz, rien ne suffit a celuy auquel ce qui suffit ne suffit pas; car, qu'est ce qui peut suffire a un cœur auquel la suffisance n'est pas suffisante? Mais quant aux biens spirituelz, celuy n'en a pas ce qui luy suffit auquel il suffit d'avoir ce qui luy suffit, et la suffisance n'est pas suffisante, parce que la vraye suffisance es choses divines consiste en partie au desir de l'affluence.

  A005000347 

 Rien voirement n'est stable ni ferme [82] en ce monde, mais de l'homme il en est dit encor plus particulierement, que jamais il ne demeure en un estat:» il faut donques ou qu'il s'avance ou qu'il retourne en arriere..

  A005000348 

 C'est une heresie de dire que Nostre Seigneur ne nous a pas bien conseillés, et un blaspheme de dire a Dieu: Retire toy de nous, nous ne voulons point la science de tes voyes; mais c'est une irreverence horrible contre Celuy qui avec tant d'amour et de suavité nous invite a la perfection, de dire: je ne veux pas estre saint, ni parfait, ni avoir plus de part en vostre bienveuillance, ni suivre les conseilz que vous me donnés pour faire progres en icelle..

  A005000348 

 Neanmoins je dis bien que c'est un grand peché de mespriser la pretention a la perfection chrestienne, et encor plus de mespriser la semonce par laquelle Nostre Seigneur nous y appelle; mais c'est une impieté insupportable de mespriser les conseilz et moyens d'y parvenir que Nostre Seigneur nous marque.

  A005000348 

 Or, je ne dis pas, non plus que saint Bernard, que ce soit peché de ne prattiquer pas les conseilz: non certes, Theotime, car c'est la propre difference du commandement au conseil, que le commandement nous oblige sous peyne de peché, et le conseil nous invite sans peyne de peché.

  A005000349 

 Boire du vin contre l'advis du medecin, quand [83] on est vaincu de la soif ou de la fantasie d'en boire, ce n'est pas proprement mespriser le medecin ni son advis; mais dire: je ne veux point suivre l'advis du medecin, il faut que cela provienne d'une mauvaise estime qu'on a de luy.

  A005000349 

 On peut bien sans pecher ne suivre pas les conseilz pour l'affection que l'on a ailleurs: comme, par exemple, on peut bien ne vendre pas ce que l'on a et ne le donner pas aux pauvres, parce qu'on n'a pas le courage de faire un si grand renoncement; on peut bien aussi se marier, parce qu'on ayme une femme, ou qu'on n'a pas asses de force en l'ame pour entreprendre la guerre qu'il faut faire a la chair: mais de faire profession de ne vouloir point suivre les conseilz, ni aucun d'iceux, cela ne se peut faire sans mespris de Celuy qui les donne.

  A005000349 

 Or, quant aux hommes, on peut souvent mespriser leur conseil et ne mespriser pas ceux qui le donnent, parce que ce n'est pas mespriser un homme d'estimer qu'il ait erré: mais quant a Dieu, rejetter son conseil et le mespriser, cela ne peut provenir que de l'estime que l'on fait qu'il n'a pas bien conseillé; ce qui ne peut estre pensé que par esprit de blaspheme, comme si Dieu n'estoit pas asses sage pour sçavoir, ou asses bon pour vouloir bien conseiller.

  A005000353 

 Encor que tous les conseilz ne puissent ni doivent estre prattiqués par chasque Chrestien en particulier, si est ce qu'un chacun est obligé de les aymer tous, parce qu'ilz sont tous tres bons.

  A005000353 

 Mays de quel ami et de quelz conseilz parlons nous? O Dieu, c'est de l'Ami des amis, et ses conseilz sont plus aymables que le miel: l'ami c'est le Sauveur, ses conseilz sont pour le salut..

  A005000353 

 O que beni soit a jamais l' Ange du grand conseil, avec tous les advis qu'il donne et les exhortations qu'il fait aux humains! Le cœur est res-joui far les unguens et bonnes senteurs, dit Salomon, et par les bons conseilz de l'ami l'ame est adoucie.

  A005000353 

 Si vous aves la migraine et [84] que l'odeur du musque vous nuyse, laisseres vous pour cela d'avouer que cette senteur soit bonne et aggreable? Si une robbe d'or ne vous est pas avenante, dirés vous qu'elle ne vaut rien? Si une bague n'est pas pour vostre doigt, la jetteres vous pour cela dans la boüe? Loues donq, Theotime, et aymes cherement tous les conseilz que Dieu a donné aux hommes.

  A005000354 

 Res-jouissons nous, Theotime, quand nous verrons des personnes entreprendre la suite des conseilz que nous ne pouvons ou ne devons pas observer; prions pour eux, benissons-les, favorisons-les et les aydons, car la charité nous oblige de n'aymer pas seulement ce qui est bon pour nous, mais d'aymer encor ce qui est bon pour le prochain..

  A005000355 

 Nous tesmoignerons asses d'aymer tous les conseilz quand nous observerons devotement ceux qui nous seront convenables; car tout ainsy que celuy qui croid un article de foy d'autant que Dieu l'a revelé par sa parole, annoncee et declairee par l'Eglise, ne sçauroit mescroire les autres, et celuy qui observe un commandement pour le vray amour de Dieu est tout prest d'observer les autres quand l'occasion s'en presentera, de mesme celuy qui ayme et estime un conseil evangelique parce que Dieu l'a donné, il ne peut qu'il n'estime consecutivement tous les autres, puisqu'ilz sont aussi de Dieu.

  A005000355 

 Or, nous pouvons aysement en pratiquer plusieurs, quoy que non pas tous ensemble; car Dieu en a donné plusieurs affin que chacun en puisse observer quelques uns, et il n'y a jour que nous n'en ayons quelqu'occasion..

  A005000356 

 La charité requiert elle que pour secourir vostre père [85] ou vostre mere vous demeuries chez eux? conserves neanmoins l'amour et l'affection a vostre retraitte, ne tenes vostre cœur au logis paternel qu'autant qu'il faut pour y faire ce que la charité vous ordonne.

  A005000356 

 N'est il pas expedient a cause de vostre qualité que vous gardies la parfaite chasteté? gardes en donq au moins ce que sans faire tort a la charité vous en pourres garder.

  A005000356 

 Vous n'estes pas obligé de rechercher celuy qui vous a offencé, car c'est a luy de revenir a soy et venir a vous pour vous donner satisfaction, puisqu'il vous a prevenu par injure et outrage; mays alles neanmoins, Theotime, faites ce que le Sauveur vous conseille, prevenes-le au bien, rendes-luy bien pour mal, jettes sur sa teste et sur son cœur un brasier ardent de tesmoignages de charité, qui le brusle tout et le force de vous aymer.

  A005000356 

 Vous n'estes pas obligé par la rigueur de la loy de donner a tous les pauvres que vous rencontres, ains seulement a ceux qui en ont un tres grand besoin; mays ne laisses pas pour cela, suivant le conseil du Sauveur, de donner volontier a tous les indigens que vous treuveres, autant que vostre condition et les veritables necessités de vos affaires le permettront.

  A005000356 

 Vous pouves librement user du vin dans les termes de la bienseance; mais, selon le conseil de saint Paul a Timothee, n'en prenes que ce qu'il faut pour soulager vostre estomac..

  A005000357 

 En quoy excella ce grand saint Bernard de Menthon, originaire de ce Diocese, lequel estant issu d'une mayson fort illustre, habita plusieurs annees entre les jougs et cimes de nos Alpes, y assembla plusieurs compaignons pour attendre, loger, secourir, deslivrer des dangers de la tourmente les voyageurs et passans, qui mourroyent souvent entre les orages, les neiges et froidures, sans les hospitaux que ce grand ami de Dieu establit et fonda es deux montz qui pour cela sont appellés de son nom, Grand Saint Bernard, au Diocese de Sion, et Petit Saint Bernard en celuy de Tarentaise.

  A005000357 

 Visiter les malades qui ne sont pas en extreme necessité, c'est une louable charité; les servir, est encor meilleur; mais se dedier a leur service, c'est l'excellence de ce conseil, que les Clercs de la Visitation des infirmes exercent par leur propre Institut, et plusieurs dames en divers lieux: a l'imitation de ce grand saint Sanson, gentilhomme et medecin romain, qui, en la ville de Constantinople ou il fut fait prestre, se dedia tout a fait, avec une admirable charité, au service des malades en un hospital qu'il y commença et que l'empereur Justinien esleva et paracheva; a l'imitation des saintes Catherines de Sienne et de Gennes, de sainte Elizabeth de Hongrie et des glorieux amis de Dieu, saint François et le bienheureux Ignace de Loyola, qui, au commencement de leurs Ordres, firent cet exercice avec une ardeur et utilité spirituelle incomparable..

  A005000358 

 Le bienheureux portier de la prison de Sebaste, voyant l'un des quarante qui estoyent lhors martyrisés perdre le courage et la couronne du martyre, se mit en sa place sans que personne le poursuivit, et fut ainsy le quarantiesme de ces glorieux et triomphans soldatz de Nostre Seigneur.

  A005000358 

 Mille des anciens Martyrs en firent de mesme, et pouvans egalement eviter et subir le martyre sans pecher, ilz choisirent de le subir genereusement plustost que de l'eviter loysiblement: en ceux ci donq, le martyre fut un acte heroïque de la force et constance qu'un saint exces d'amour leur donna.

  A005000358 

 Que si en quelqu'occasion nous nous treuvons obligés de les exercer, cela arrive pour des occurrences rares et extraordinaires, qui les rendent necessaires a la conservation de la grace de Dieu.

  A005000358 

 Saint Adauctus, voyant que l'on conduisoit saint Felix au martyre: «Et moy,» dit il sans estre pressé de personne, «je suis aussi bien Chrestien que celuy ci, adorant le mesme Sauveur;» puis, baysant saint Felix, s'achemina avec luy au martyre et eut la teste tranchee.

  A005000362 

 Dieu ayant formé le cors humain du limon de la terre, ainsy que dit Moyse, il inspira en iceluy la respiration de vie, et il fut fait en ame vivante, c'est a dire en ame qui donnoit [89] vie, mouvement et operation au cors; et ce mesme Dieu eternel souffle et pousse les inspirations de la vie surnaturelle en nos ames, affin que, comme dit le grand Apostre, elles soyent faites en esprit vivifiant, c'est a dire en esprit qui nous face vivre, mouvoir, sentir, et ouvrer les œuvres de la grace, en sorte que Celuy qui nous a donné l'estre nous donne aussi l'operation.

  A005000362 

 Mais quant au souffle de Dieu, non seulement il eschauffe, ains il esclaire parfaitement, d'autant que l'Esprit divin est une lumiere infinie, duquel le souffle vital est appellé inspiration, d'autant que par iceluy cette supreme Bonté haleyne et inspire en nous les desirs et intentions de son cœur..

  A005000363 

 Et voulant voir par experience, le jour suivant, ce qu'il avoit appris par le recit de son compaignon, il treuva ces Peres dans leurs formes, rangés comme des statues de marbre en une suite de niches, immobiles a toute autre action qu'a celle de la psalmodie, qu'ilz faisoyent avec une attention et devotion vrayement angelique, selon la coustume de ce saint Ordre: si que ce pauvre jeune homme, tout ravi d'admiration, demeura pris en la consolation extreme qu'il eut de voir Dieu si bien adoré parmi les Catholiques, et se resolut, comme il fit par apres, de se ranger dans le giron de l'Eglise, vraye et unique Espouse de Celuy qui l'avoit visité de son inspiration, dans l'infame litiere de l'abomination en laquelle il estoit..

  A005000363 

 Lhors que j'estois jeune, a Paris, deux escoliers, dont l'un estoit heretique, passans la nuit au fauxbourg Saint Jacques, en une desbauche deshonneste, ouïrent sonner les Matines des Chartreux; et l'heretique demandant a l'autre a quelle occasion on sonnoit, il luy fit entendre avec quelle devotion on celebroit les offices sacrés en ce saint monastere: O Dieu, dit-il, que l'exercice de ces religieux est different du nostre! ilz font celuy des Anges, et nous celuy des bestes brutes.

  A005000364 

 Hé, Seigneur, disoit le fidele Eliezer, voyci que je suis pres de cette fontaine d'eau, et les filles des habitans de cette cité sortiront pour puiser de l'eau; la jeune fille, donq, a laquelle je diray: Panches vostre cruche affin que je boive, et elle respondra: Beuves, ains je donneray encor a boire a vos chameaux, c'est celle la que vous aves preparee pour vostre serviteur Isaac.

  A005000364 

 Les ames, certes, qui ne se contentent pas de faire ce que par les commandemens et conseilz le divin Espoux requiert d'elles, mais sont promptes a suivre les sacrees inspirations, ce sont celles que le Pere eternel a preparees pour estre espouses de son Filz bienaymé.

  A005000364 

 O que bienheureux sont ceux qui tiennent leurs cœurs ouvertz aux saintes inspirations! car jamais ilz ne manquent de celles qui leur sont necessaires pour bien et devotement vivre en leurs conditions, et pour saintement exercer les charges de leurs professions.

  A005000364 

 Quand nous ne sçavons que faire et que l'assistence [92] humaine nous manque en nos perplexités, Dieu alhors nous inspire; et si nous sommes humblement obeissans, il ne permet point que nous errions.

  A005000364 

 Theotime, Eliezer ne se laisse entendre de desirer de l'eau que pour sa personne, mais la belle Rebecca, obeissant a l'inspiration que Dieu et sa debonnaireté luy donnoyent, s'offre d'abbreuver encor les chameaux; pour cela elle fut rendue espouse du saint Isaac, belle fille du grand Abraham et grand mere du Sauveur.

  A005000368 

 Saint François ne fut pas seulement extreme en la prattique de la pauvreté, comme chacun sçait, mais il le fut encor en celle de la simplicité: il racheta un aigneau, de peur qu'on ne le tuast, parce qu'il representoit Nostre Seigneur; il portoit respect presqu'a toutes creatures, en contemplation de leur Createur, par une non accoustumee mais tres prudente simplicité; telles fois il s'est amusé a retirer les vermisseaux du chemin, affin que quelqu'un ne les foulast au passage, se resouvenant que son Sauveur s'estoit parangonné au vermisseau; il appelloit les creatures ses «freres et seurs,» par certaine consideration admirable que le saint amour luy suggeroit.

  A005000368 

 Saint [93] Hierosme recevant en son hospital de Bethleem les pelerins d'Europe qui fuyoient la persecution des Goths, ne leur lavoit pas seulement les pieds, mais s'abbaissoit jusques la que de laver encor et frotter les jambes de leurs chameaux, a l'exemple de Rebecca dont nous parlions n'a guere, qui non seulement puisa de l'eau pour Eliezer, mais aussi pour ses chameaux.

  A005000369 

 Il ne veut pas empescher, [94] non plus que Pharao, que les mistiques femmes d'Israël, c'est a dire les ames chrestiennes, enfantent des masles, pourveu qu'avant qu'ilz croissent on les tue: au contraire, dit le grand saint Hierosme, «entre les Chrestiens on n'a pas tant d'egard au commencement qu'a la fin.» Il ne faut pas tant avaler de viande qu'on ne puisse faire la digestion de ce que l'on en prend.

  A005000369 

 L'esprit seducteur nous arreste aux commencemens et nous fait contenter du primtems fleuri; mais l'Esprit divin ne nous fait regarder les commencemens que pour parvenir a la fin, et ne nous fait res-jouir des fleurs du primtems que pour la pretention de jouir des fruitz de l'esté et de l'automne..

  A005000369 

 Or, en cette sorte d'inspirations il faut observer les regles que nous avons donnees pour les desirs en nostre Introduction: il ne faut pas vouloir suivre plusieurs exercices a la fois et tout a coup, car souvent l'ennemi tasche de nous faire entreprendre et commencer plusieurs desseins, affin qu'accablés de trop de besoigne nous n'achevions rien et laissions tout imparfait.

  A005000369 

 Quelquefois mesmement il nous suggere la volonté d'entreprendre de commencer quelque excellente besoigne, laquelle il prevoit que nous n'accomplirons pas, pour nous destourner d'en poursuivre une moins excellente que nous eussions aysement achevee; car il ne se soucie point qu'on fasse force desseins et commencemens, pourveu qu'on n'acheve rien.

  A005000370 

 Le grand saint Thomas est d'opinion qu'il n'est pas expedient de beaucoup consulter et longuement deliberer sur l'inclination que l'on a d'entrer en une bonne et bien formee Religion; et il a rayson, car la Religion estant conseillee par Nostre Seigneur en l'Evangile, qu'est-il besoin de beaucoup de consultations? Il suffit d'en faire une bonne avec quelque peu de personnes qui soyent bien prudentes et capables de tel affaire, et qui nous puissent ayder a prendre une courte et solide resolution: mais, des que nous avons deliberé et resolu, et en ce sujet et en tout autre qui regarde le service de Dieu, il faut estre fermes et invariables, sans se laisser nullement esbranler par aucune sorte d'apparence de plus grand bien; car bien souvent, dit le glorieux saint Bernard, le malin nous donne le change, et pour nous destourner d'achever un bien il nous en propose un autre qui semble meilleur, lequel apres que nous avons commencé, pour nous divertir de le parfaire il en presente un troisiesme, se contentant que nous fassions plusieurs commencemens, pourveu que nous ne fassions point de fin.

  A005000371 

 Il arrive que l'on quitte quelquefois le bien pour chercher le mieux, et que laissant l'un on ne treuve pas l'autre: mieux vaut la possession d'un petit tresor treuvé, que la pretention d'un plus grand qu'il faut aller chercher.

  A005000371 

 L'inspiration est suspecte qui nous pousse a quitter un vray bien que nous avons present, pour en pourchasser un meilleur a venir.

  A005000372 

 Ainsy nostre ennemy voyant un homme qui, inspiré de Dieu, entreprend une profession et maniere de vie propre a son avancement en l'amour celeste, il luy persuade de prendre une autre voye, de plus grande perfection en apparence, et l'ayant desvoyé de son premier chemin il luy rend petit a petit impossible la suite du second, et luy en propose un troisiesme, affin que l'occupant en la recherche continuelle de divers et nouveaux moyens pour se perfectionner, il l'empesche d'en employer aucun, et par consequent de parvenir a la fin pour laquelle il les cherche, qui est la perfection.

  A005000372 

 Si l'oyseleur va droit au nid de la perdrix, elle se [96] presentera a luy et contrefera l'arrenee et boiteuse, et se lançant comme pour faire grand vol se laissera tout a coup tumber, comme si elle n'en pouvoit plus, affin que le chasseur, s'amusant apres elle et croyant qu'il la pourra aysement prendre, soit diverti de rencontrer ses petitz hors du nid; puis, comme il l'a quelque tems suivie et qu'il cuyde l'attrapper, elle prend l'air et s'eschappe.

  A005000376 

 Il se faut donq comporter ainsy, Theotime, es inspirations qui ne sont extraordinaires que d'autant qu'elles nous incitent a prattiquer avec une extraordinaire ferveur et perfection les exercices ordinaires du Chrestien; mais il y a d'autres inspirations que l'on appelle extraordinaires, non seulement parce qu'elles font avancer l'ame au dela du train ordinaire, mais aussi parce qu'elles la portent a des actions contraires aux lois, regles et coustumes communes de la tressainte Eglise, et qui partant sont plus admirables qu'imitables..

  A005000377 

 La sainte damoyselle que les historiens appellent Eusebe l'Estrangere quitta Rome, sa patrie, et s'habillant en garçon, avec deux autres filles, s'embarqua pour aller outre mer et passa en Alexandrie, et de la en l'isle de Co; ou se voyant en asseurance, elle reprint les habitz de son sexe, et se remettant sur mer elle alla au païs de Carie, en la ville de Milassa, ou le grand Paul, qui l'avoit treuvee en Co et l'avoit prise sous sa conduite spirituelle, la mena, et ou par apres estant devenu Evesque, il la gouverna si saintement qu'elle dressa un monastere et s'employa au service de l'Eglise, en l'office qu'en ce tems la on appelloit de diacresse, avec tant de charité qu'elle mourut en fin toute sainte, [98] et fut reconneüe pour telle par une grande multitude de miracles que Dieu fit par ses reliques et intercessions.

  A005000377 

 Les paroles du Saint n'eussent pas eu cette force, selon leur portee ordinaire, si Dieu n'y eust adjousté son inspiration: mais inspiration si extraordinaire qu'on croiroit que ce fut plustost une tentation, si le miracle de la reunion de ce pied coupé, fait par la benediction du Saint, ne l'eust authorisee..

  A005000377 

 Un jeune homme donna un coup de pied a sa mere, et touché de vive repentance s'en vint confesser a saint Anthoine de Padoüe, qui, pour luy imprimer plus vivement en l'ame l'horreur de son peché, luy dit entre autres choses: Mon enfant, «le pied» qui a servi d'instrument a vostre malice pour un si grand forfait, «meriteroit d'estre coupé;» ce que le garçon prit si a certes, qu'estant de retour chez sa mere, ravi du sentiment de sa contrition, il se coupa le pied.

  A005000379 

 Et bien qu'elle soit belliqueuse et guerriere, si est ce que tout ensemble elle est tellement paisible, qu'emmi les armees et batailles elle continue les accors d'une melodie nompareille: Que verres-vous, dit elle, en la Sulamite sinon les chœurs des armees? Ses armees sont des chœurs, c'est a dire des accors des chantres; et ses chœurs sont des armees, parce que les armes de l'Eglise et de l'ame devote ne sont autre chose que les oraysons, les hymnes, cantiques et pseaumes.

  A005000380 

 Au contraire, l'esprit malin est turbulent, aspre, remuant; et ceux qui suivent ses suggestions infernales, cuydans que ce soyent inspirations celestes, sont ordinairement connoissables parce qu'ilz sont inquietz, testus, fiers, entrepreneurs et remueurs d'affaires; qui [100] sous le pretexte de zele renversent tout sans dessus dessous, censurent tout le monde, tancent un chacun, blasment toutes les choses; gens sans conduite, sans condescendance, qui ne supportent rien, exerçans les passions de l'amour propre sous le nom de la jalousie de l'honneur divin..

  A005000385 

 Car lhors que les hermites espars parmi les desertz voysins d'Antioche sceurent la vie extraordinaire qu'il faysoit sur sa colomne, en laquelle il sembloit estre ou un Ange terrestre ou un homme celeste, ilz luy envoyerent un deputé d'entr'eux, auquel ilz donnerent ordre de luy parler de leur part en cette sorte: «Pourquoy est-ce, Simeon, que laissant le grand chemin de la vie devote, frayé par tant de grans et saintz devanciers, vous en suives un autre, inconneu aux hommes et tant esloigné de tout ce qui a esté veu et ouï jusques a present? Quittés, Simeon, cette colomne, et rangés-vous meshui avec les autres a la façon de vivre et a la methode de servir Dieu usitee par les bons Peres predecesseurs.» Que si Simeon acquiesçoit a leur advis, et pour condescendre a leur volonté se monstroit prompt a vouloir descendre, ilz donnerent charge au deputé de luy laisser la liberté de perseverer en ce genre de vie ja commencee, d'autant que par son obeissance, disoyent ces bons Peres, on pourra bien connoistre qu'il a entrepris cette sorte de vie par l'inspiration divine; mais, si, au contraire, il resistoit, et que mesprisant leur exhortation il voulust suivre sa propre volonté, ilz resolurent qu'il le failloit retirer par force et luy faire abandonner sa colomne.

  A005000385 

 Le deputé donq estant venu a la colomne, il n'eut pas si tost fait son ambassade, que le grand Simeon, sans delay, sans reserve, sans replique quelcomque, se print a vouloir descendre, avec une obeissance et humilité digne de sa rare sainteté; ce que voyant le delegué: «Arrestés,» dit-il, «o Simeon, demeurés la, perseverés constamment et ayes bon courage; poursuives vaillamment vostre entreprise, vostre sejour sur cette colomne est de Dieu.».

  A005000385 

 Tandis que l'incomparable Simeon Stylite estoit encor novice a Telede, il se rendit impliable a l'advis de ses superieurs qui le vouloyent empescher de prattiquer tant d'estranges rigueurs par lesquelles il sevissoit desordonnement contre soy mesme; si qu'en fin il fut pour cela chassé du monastere, comme peu susceptible de la mortification du cœur et trop addonné a celle du cors.

  A005000386 

 Mays voyés, Theotime, je vous prie, comme ces anciens et saintz anachoretes, en leur assemblee generale, ne treuvent point de marque plus asseuree de l'inspiration celeste, en un sujet si extraordinaire comme fut la vie de ce saint Stylite, que de le voir simple, doux et maniable sous les lois de la tressainte obeissance [102].

  A005000387 

 Mais y eut il jamais une plus illustre et sensible inspiration que celle qui fut donnee au glorieux saint Paul? Or, le chef principal d'icelle fut qu'il allast en la cité, en laquelle il apprendroit par la bouche d'Ananie ce qu'il avoit a faire: et cet Ananie, homme grandement celebre, estoit, comme dit saint Dorothee, Evesque de Damas.

  A005000387 

 Tous les prophetes et predicateurs qui ont esté inspirés de Dieu ont tous-jours aymé l'Eglise, tous-jours adheré a sa doctrine, tous-jours aussi esté appreuvés par icelle, et n'ont jamais rien annoncé si fortement que cette verité, que les levres du prestre gardoyent la science, et qu'on devoit requerir la loy de sa bouche: de sorte que les missions extraordinaires sont des illusions diaboliques, et non des inspirations celestes, si elles ne sont reconneües et appreuvees par les pasteurs qui sont de la mission ordinaire; car ainsy s'accordent Moyse et les Prophetes.

  A005000388 

 Et pour conclure tout ce que nous avons dit de l'union de nostre volonté a celle de Dieu qu'on appelle signifiee, presque toutes les herbes qui ont les fleurs jaunes, et mesme la cicoree sauvage qui les a bleues, les tournent tous-jours du costé du soleil et suivent ainsy son contour; mais l' heliotropium ne contourne pas seulement ses fleurs, ains encor toutes ses feuilles, a la suite de ce grand luminaire.

  A005000392 

 Saint Basile dit que la volonté de Dieu nous est tesmoignee par ses ordonnances ou commandemens, et que lhors il n'y a rien a deliberer, car il faut simplement faire ce qui est ordonné; mais que pour tout le reste il est en nostre liberté de choisir a nostre gré ce que bon nous semblera, bien qu'il ne faille pas faire tout ce qui est loysible, ains seulement ce qui est expedient: et qu'en fin, pour bien discerner ce qui est convenable, il faut ouïr l'advis du sage pere spirituel..

  A005000393 

 Car l'ennemi en toutes occurrences les met en doute si c'est la volonté de Dieu qu'elles facent une chose plustost qu'une autre: comme, par exemple, si c'est la volonté de Dieu qu'elles mangent avec l'ami ou qu'elles ne mangent pas, qu'elles prennent des habitz gris ou noirs, qu'elles jeusnent le vendredi ou le samedi, qu'elles aillent a la recreation ou qu'elles s'en abstiennent; en quoy elles consument beaucoup de tems, et tandis qu'elles s'occupent et embarrassent a vouloir discerner ce qui est meilleur, elles perdent inutilement le loysir de faire plusieurs biens, desquelz l'execution seroit plus a la gloire de Dieu que ne sçauroit estre le discernement du bien et du mieux auquel elles se sont amusees..

  A005000394 

 Il faut mesurer nostre attention a l'importance de ce que nous entreprenons: ce seroit un soin desreglé de prendre autant de peyne a deliberer pour faire un voyage d'une journee, comme pour celuy de trois ou quatre cens lieues..

  A005000394 

 Il y a mesme bien souvent de la superstition a vouloir faire cet examen; car, a quel propos mettra-on en difficulté s'il est mieux d'ouïr la Messe en une eglise qu'en une autre, de filer que de coudre, de donner l'aumosne a un homme qu'a une femme? Ce n'est pas bien servir un maistre, d'employer autant de tems a considerer ce qu'il faut faire comme a faire ce qui est requis.

  A005000394 

 On n'a pas accoustumé de peser la menue monnoye, ains seulement les pieces d'importance; le traffiq seroit trop ennuyeux et mangeroit trop de tems s'il failloit peser les solz, les liars, les deniers et les pittes: ainsy [105] ne doit on pas peser toutes sortes de menues actions pour sçavoir si elles valent mieux que les autres.

  A005000395 

 Il faut aller tout a la bonne foy et sans subtilité en telles occurrences, et, comme dit saint Basile, faire librement ce que bon nous semblera, pour ne point lasser nostre [106] esprit, perdre le tems et nous mettre en danger d'inquietude, scrupule et superstition.

  A005000395 

 Le choix de la vocation, le dessein de quelque affaire de grande consequence, de quelque œuvre de longue haleyne, ou de quelque despence bien grande, le changement de sejour, l'election des conversations, et telles semblables choses meritent qu'on pense serieusement ce qui est plus selon la volonté divine; mais es menues actions journalieres, esquelles mesme la faute n'est ni de consequence ni irreparable, qu'est il besoin de faire l'embesoigné, l'attentif et l'empesché a faire des importunes consultations? A quel propos me mettray-je en despence pour apprendre si Dieu ayme mieux que je die le Rosaire ou l'Office de Nostre Dame, puisqu'il ne sçauroit y avoir tant de difference entre l'un et l'autre qu'il faille pour cela faire une grande enqueste? que j'aille plustost a l'hospital visiter les malades qu'a Vespres? que j'aille plustost au sermon qu'en une eglise ou il y a indulgence? Il n'y a rien, pour l'ordinaire, de si apparemment remarquable en l'un plus qu'en l'autre, qu'il faille pour cela entrer en grande deliberation.

  A005000395 

 Or j'entens tous-jours quand il n'y a pas grande disproportion entre une œuvre et l'autre, et qu'il ne se rencontre point de circonstance considerable d'une part plus que de l'autre..

  A005000396 

 Et bien que les difficultés, tentations et diversités d'evenemens qui se rencontrent au progres de l'execution de nostre dessein, nous pourroyent donner quelque desfiance d'avoir bien choysi, il faut neanmoins demeurer ferme et ne point regarder tout cela, ains considerer que si nous eussions fait un autre choix nous eussions peut estre treuvé cent fois pis, outre que nous ne sçavons pas si Dieu veut que nous soyons exercés en la consolation ou en la tribulation, en la paix ou en la guerre.

  A005000404 

 Rien ne se fait, hormis le peché, que par la volonté de Dieu qu'on appelle volonté absolue et de bon playsir, que personne ne peut empescher, et laquelle ne nous est point conneüe que par les effectz, qui, estans arrivés, nous manifestent que Dieu les a voulus et desseignés..

  A005000405 

 Considerons en bloc, Theotime, tout ce qui a esté, qui est et qui sera; et, tous ravis d'estonnement, nous serons contrains d'exclamer a l'imitation du Psalmiste: O Seigneur, je vous loueray parce que vous estes excessivement magnifié; vos œuvres sont merveilleuses, et mon ame le reconnoist trop plus; Vostre [109] science est admirable au dessus de moy, elle prevaut, et je ne puis y atteindre.

  A005000406 

 Voyons les hommes et les Anges, et toute cette varieté de nature, de qualités, conditions, facultés, affections, passions, graces et privileges que la supreme Providence a establie en la multitude innombrable de ces intelligences celestes et des personnes humaines, esquelles est si admirablement exercee la justice et misericorde divine; et nous ne pourrons nous contenir de chanter avec une joye pleine de respect et de crainte amoureuse:.

  A005000414 

 Bienheureuses sont la pauvreté, la faim, la soif, la tristesse, la maladie, la mort, la persecution; car ce sont voirement des equitables punitions de nos fautes, mais punitions tellement trempees et, comme parlent les medecins, tellement aromatisees de la suavité, debonnaireté et clemence divine, que leur amertume est tres aymable.

  A005000414 

 Mais d'autant que les effectz de sa justice nous sont aspres et pleins d'amertume, il les adoucit tous-jours par le meslange de ceux de sa misericorde, et fait qu'emmi les eaux du deluge de sa juste indignation, l'olive verdoyante soit conservee, et que l'ame devote, comme une chaste colombe, l'y puisse en fin treuver, si toutefois elle veut bien amoureusement mediter a la façon des colombes.

  A005000414 

 Si que les Saintz, considerans d'une part les tourmens des damnés, si horribles et effroyables, ilz en louent la justice divine et s'escrient:.

  A005000419 

 mays voyans d'autre part que ces peynes, quoy qu'eternelles et incomprehensibles, sont toutefois moindres de beaucoup que les coulpes et crimes pour lesquelz elles sont infligees, ravis de l'infinie misericorde de Dieu: O Seigneur, diront ilz, que vous estes bon, puisqu'au plus fort de vostre ire vous ne pouves contenir le torrent de vos misericordes qu'elles n'escoulent leurs eaux dans les impiteuses flammes de l'enfer!.

  A005000428 

 O Dieu, neanmoins que vostre volonté soit faite, non seulement en l'execution de vos commandemens, conseilz et inspirations, qui doivent estre prattiqués par nous, mais aussi en la souffrance des afflictions et peynes qui doivent estre receües en nous, affin que vostre volonté fasse par nous, pour nous, en nous et de nous tout ce qu'il luy plaira..

  A005000428 

 Venons par apres a nous mesmes en particulier, et voyons une quantité de biens interieurs et exterieurs, [111] comme aussi un nombre tres grand de peynes interieures et exterieures que la Providence divine nous a preparees, selon sa tressainte justice et misericorde; et, comme ouvrans les bras de nostre consentement, embrassons tout cela tres amoureusement, acquiesçans a sa tressainte volonté, et chantans a Dieu, par maniere d'un hymne d'eternel acquiescement: Vostre volonté soit faite en la terre comme au Ciel.

  A005000432 

 Combien de fois nous est il arrivé d'avoir a contrecœur les remedes et medicamens tandis que le medecin ou l'apothicaire les presentoit, et que nous estans offertz par quelque main bienaymee, l'amour surmontant l'horreur, nous les recevions avec joye? Certes, ou l'amour oste l'aspreté du travail, ou il en rend le sentiment aymable.

  A005000433 

 Si les Martyrs eussent veu leurs tourmens hors ce bon playsir, comment eussent ilz peu chanter entre les fers et les flammes? Le cœur vrayement amoureux ayme le bon playsir divin, non seulement es consolations mais aussi es afflictions; ains il l'ayme plus en la croix, es peynes et travaux, parce que c'est la principale vertu de l'amour de faire souffrir l'amant pour la chose aymee..

  A005000434 

 Mais la doctrine chrestienne, qui est la seule vraye philosophie, a trois principes sur lesquelz elle establit tout son exercice: l'abnegation de soy mesme, qui est bien plus que de s'abstenir des playsirs; porter sa croix, qui est bien plus que de la supporter; suivre Nostre Seigneur, non seulement en ce qui est de renoncer a soy mesme et porter sa croix, mais aussi en ce qui est de la prattique de toutes sortes de bonnes œuvres.

  A005000435 

 Aymer les souffrances et afflictions pour l'amour de Dieu, c'est le haut point de la tressainte charité; car en cela il n'y a rien d'aymable que la seule volonté divine, il y a une grande contradiction de la part de nostre nature, et non seulement on quitte toutes les voluptés, mais on embrasse les tourmens et travaux..

  A005000436 

 Le malin ennemi sçavoit bien que c'estoit le dernier affinement de l'amour, quand, apres avoir ouÿ de la bouche de Dieu que Job estoit juste, droiturier, craignant Dieu, fuyant le peché et ferme en l'innocence, il estima tout cela peu de chose en comparayson de la souffrance des afflictions, par lesquelles il fit le dernier et plus grand essay de l'amour de ce grand [114] serviteur de Dieu.

  A005000437 

 Les biens sont volontier receus de tous, mais de recevoir les maux il n'appartient qu'a l'amour parfait, qui les ayme d'autant plus qu'ilz ne sont aymables que pour le respect de la main qui les donne..

  A005000437 

 Or, voyla toutefois le grand Job, comme roy des miserables de la terre, assis sur un fumier comme sur le throsne de la misere, paré de playes, d'ulceres, de pourriture, comme de vestemens royaux assortissans a la qualité de sa royauté, avec une si grande abjection et aneantissement que, s'il n'eust parlé, on ne pouvoit discerner si Job estoit un homme reduit en fumier, ou si le fumier estoit une pourriture en forme d'homme; or, le voyla, dis-je, le grand Job, qui s'escrie: Si nous avons receu des biens de la main de Dieu, pourquoy n'en recevrons nous pas aussi bien les maux? O Dieu, que cette parole est de grand amour! Il pese, Theotime, que c'est de la main de Dieu qu'il a receu les biens, tesmoignant qu'il n'avoit pas tant estimé les biens parce qu'ilz estoyent biens, comme parce qu'ilz provenoyent de la main du Seigneur: ce qu'estant ainsy, il conclud que donques il faut supporter amoureusement les adversités, puisqu'elles procedent de la mesme main du Seigneur, esgalement aymable lhors qu'elle distribue les afflictions comme quand elle donne les consolations.

  A005000438 

 Ainsy, certes, l'amour voulant aller a la volonté de Dieu parmi les consolations, il va tous-jours en [115] crainte, de peur de prendre le change, et qu'en lieu d'aymer le bon playsir de Dieu il n'ayme le playsir propre qui est en la consolation; mais l'amour qui tire chemin devers la volonté de Dieu en l'affliction, il marche en asseurance, car l'affliction n'estant nullement aymable en elle mesme, il est bien aysé de ne l'aymer que pour le respect de là main qui la donne.

  A005000438 

 C'est une marque asseuree de l'amour, dit la bienheureuse Angele de Foligny, «que de vouloir souffrir;» et le grand Apostre s'escrie qu'il ne se glorifie qu'en la croix, en l'infirmité, en la persecution..

  A005000438 

 Les chiens sont a tous coups en defaut au primtems, et n'ont quasi nul sentiment, parce que les herbes et fleurs poussent alhors si fortement leur senteur qu'elle outrepasse celle du cerf ou du lievre: parmi le primtems des consolations l'amour n'a presque nulle reconnoissance du bon playsir de Dieu, parce que le playsir sensible de la consolation jette tant d'attraitz dedans le cœur, qu'il en est diverti de l'attention qu'il devroit avoir a la volonté de Dieu.

  A005000443 

 Et c'est l'importance, que l'ame fait cette resignation parmi tant de trouble, entre tant de contradictions et repugnances, qu'elle ne s'apperçoit presque pas de la faire; au moins il luy est advis que c'est si languidement, que ce ne soit pas de bon cœur ni comme il est [117] convenable: puisque ce qui se passe alhors pour le bon playsir divin se fait non seulement sans playsir et contentement, mays contre tout le playsir et contentement de tout le reste du cœur; auquel l'amour permet bien de se plaindre, au moins de ce qu'il ne se peut pas plaindre, et de dire toutes les lamentations de Job et de Hieremie, mais a la charge que tous-jours le sacré acquiescement se fasse dans le fond de l'ame, en la supreme et plus delicate pointe de l'esprit.

  A005000443 

 Et cet acquiescement n'est pas tendre ni doux, ni presque pas sensible, bien qu'il soit veritable, fort, indomptable et tres amoureux; et semble qu'il soit retiré au fin bout de l'esprit, comme dans le dongeon de la forteresse, ou il demeure courageux, quoy que tout le reste soit pris et pressé de tristesse.

  A005000443 

 Il est ainsy, Theotime: l'ame est quelquefois tellement pressee d'afflictions interieures, que toutes ses facultés et puissances en sont accablees, par la privation de tout ce qui la peut alleger, et par l'apprehension et impression de tout ce qui la peut attrister; si que, a l'imitation de son Sauveur, elle commence a s'ennuyer, a craindre, a s'espouvanter, puis a s'attrister d'une tristesse pareille a celle des mourans, dont elle peut bien dire: Mon ame est triste jusques a la mort; et du consentement de tout son interieur elle desire, demande et supplie que, s'il est possible, ce calice soit esloigné d'elle, ne luy restant plus que la fine supreme pointe de l'esprit, laquelle, attachee au cœur et bon playsir de Dieu, dit par un tres simple acquiescement: O Pere eternel, mais toutefois ma volonté ne soit pas faite, ains la vostre.

  A005000443 

 La bienheureuse Angele de Foligny fait une admirable description des peynes interieures esquelles quelquefois elle s'estoit treuvee, disant que son ame estoit en tourment «comme un homme qui, pieds et mains liés, seroit pendu par le col et ne seroit pourtant pas estranglé, mais demeureroit en cet estat entre mort et vif, sans esperance de secours,» ne pouvant ni se soustenir sur ses pieds, ni s'ayder des mains, ni crier de la bouche, ni mesme souspirer ou plaindre.

  A005000448 

 Au contraire, si Jacob n'eust aymé en Rachel que l'alliance de Laban, a laquelle son pere Isaac l'avoit obligé, il eust autant aymé Lia que Rachel, puisque l'une et l'autre estoit esgalement fille de Laban, et par consequent la volonté de son pere eust esté aussi bien accomplie en l'une comme en l'autre; mais parce que, outre la volonté de son pere, il vouloit satisfaire a son goust particulier, amorcé de la beauté et gentillesse de Rachel, il se fascha d'espouser Lia et la print a contrecœur par resignation..

  A005000448 

 Certes, le cœur le plus indifferent du monde peut estre touché de quelque affection tandis qu'il ne sçait encor pas ou est la volonté de Dieu: Eliezer, estant arrivé a la fontaine de Haran, vid bien la vierge Rebecca et la treuva sans doute trop plus belle et aggreable; mais pourtant il demeura en indifference jusques a ce que, par le signe que Dieu luy avoit inspiré, il conneut que la volonté divine l'avoit preparee au filz de son maistre, car alhors il luy donna les pendans d'aureilles et les brasseletz d'or.

  A005000448 

 Or l'indifference est au dessus de la resignation, car elle n'ayme rien sinon pour l'amour de la volonté de Dieu; si que aucune chose ne touche le cœur indifferent, en la presence de la volonté de Dieu.

  A005000449 

 Le cœur indifferent n'est pas comme cela, car sachant que la tribulation, quoy qu'elle soit laide, comme une [119] autre Lia, ne laisse pas d'estre fille, et fille bienaymee du bon playsir divin, il l'ayme autant que la consolation, laquelle neanmoins en elle mesme est plus aggreable; ains il ayme encor plus la tribulation, parce qu'il ne void rien d'aymable en elle que la marque de la volonté de Dieu.

  A005000449 

 Qu'importe-il que la volonté de Dieu me soit presentee en la tribulation ou en la consolation? puisqu'en l'une et en l'autre je ne veux ni ne cherche autre chose que la volonté divine, laquelle y paroist d'autant mieux qu'il n'y a point d'autre beauté en icelle que celle de ce tressaint bon playsir eternel..

  A005000449 

 Si je ne veux que l'eau pure, que m'importe-il qu'elle me soit apportee dans un vase d'or ou dans un verre, puisqu'aussi bien ne prendrois-je que l'eau? ains je l'aymeray mieux dans le verre, parce qu'il n'a point d'autre couleur que celle de l'eau mesme, laquelle j'y vois aussi beaucoup mieux.

  A005000452 

 Que vos pavillons souhaitables,.

  A005000461 

 il vinst par apres a faire cette exclamation: «O Seigneur, neanmoins, si je suis encor requis au service du [120] salut de vostre peuple, je ne refuse point le travail; vostre volonté soit faite.» Admirable indiffErence de l'Apostre, admirable celle de cet homme apostolique! Ilz voyent le Paradis ouvert pour eux, ilz voyent mille travaux en terre; l'un et l'autre leur est indiffErent au choix, et n'y a que la volonté de Dieu qui puisse donner le contrepoids a leurs cœurs: le Paradis n'est point plus aymable que les miseres de ce monde si le bon playsir divin est Egalement la et icy; les travaux leur sont un Paradis si la volonté divine se treuve en iceux, et le Paradis un travail si la volonté de Dieu n'y est pas, car, comme dit David, ilz ne demandent ni au ciel ni en la terre que de voir le bon playsir de Dieu accompli: O Seigneur, qu'y a-il au ciel pour moy, ou que veux-je en terre sinon vous?.

  A005000462 

 Le cœur indifferent est comme une boule de cire entre les mains de son Dieu, pour recevoir semblablement toutes les impressions du bon playsir eternel; un cœur sans choix, egalement disposé a tout, sans aucun autre object de sa volonté que la volonté de son Dieu; qui ne met point son amour es choses que Dieu veut ains en la volonté de Dieu qui les veut: c'est pourquoy, quand la volonté de Dieu est en plusieurs choses, il choysit, a quel prix que ce soit, celle ou il y en a plus.

  A005000463 

 Il aymeroit mieux l'enfer avec la volonté de Dieu que le Paradis sans la volonté de Dieu: ouy mesme, il prefereroit l'enfer au Paradis, s'il sçavoit qu'en celuy la il y eust un peu plus du bon playsir divin qu'en celuy ci; en sorte que si, par imagination de chose impossible, il sçavoit que sa damnation fust un peu plus aggreable a Dieu que sa salvation, il quitteroit sa salvation et courroit a sa damnation..

  A005000468 

 Job, quant a la vie naturelle, fut ulceré d'une playe la plus horrible qu'on eut veu; quant a la vie civile, il fut moqué, baffoüé, vilipendé, et par ses plus proches; en la vie spirituelle, il fut accablé de langueurs, pressures, convulsions, angoisses, tenebres, et de toutes sortes d'intolerables douleurs interieures, ainsy que ses plaintes et lamentations font foy.

  A005000469 

 Et parmi tout cela, o Dieu, quelle indifference! leur tristesse est joyeuse, leur pauvreté est riche, leurs mortz sont vitales et leurs deshonneurs honnorables; c'est a dire, ilz sont joyeux d'estre tristes, contens d'estre pauvres, revigorés de vivre entre les perilz de la mort et glorieux d'estre avilis, parce que telle estoit la volonté de Dieu.

  A005000470 

 Ainsy nostre divin Sauveur fut affligé incomparablement en sa vie civile, condamné comme criminel de leze majesté divine et humaine, battu, foüetté, baffoüé et tourmenté, avec une ignominie extraordinaire; en sa vie naturelle, mourant entre les plus cruelz et sensibles tourmens que l'on puisse imaginer; en sa vie spirituelle, souffrant des tristesses, craintes, espouvantemens, angoisses, delaissemens et oppressions interieures qui n'en eurent ni n'en auront jamais de pareilles.

  A005000470 

 Car encor que la supreme portion de son ame fut souverainement [123] jouissante de la gloire eternelle, si est-ce que l'amour empeschoit cette gloire de respandre ses delices ni es sentimens, ni en l'imagination, ni en la rayson inferieure, laissant ainsy tout le coeur exposé a la merci de la tristesse et angoisse.

  A005000470 

 Ezechiel vid le simulachre d'une main qui le saisit par un seul flocquet des cheveux de sa teste, l'eslevant entre le ciel et la terre: Nostre Seigneur aussi, eslevé en la croix entre la terre et le ciel, n'estoit, ce semble, tenu de la main de son Pere que par l'extreme pointe de l'esprit, et, par maniere de dire, par un seul cheveu de sa teste, qui, touché de la douce main du Pere eternel, recevoit une souveraine affluence de felicité, tout le reste demeurant abismé dans la tristesse et ennuy; c'est pourquoy il s'escrie: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoy m'as tu delaissé?.

  A005000471 

 O que bienheureux est l'amour qui regne dans la cime de l'esprit des fideles, tandis qu'ilz sont entre les vagues et les flotz des tribulations interieures! [124].

  A005000471 

 On dit que le poisson qu'on appelle lanterne de mer, au plus fort des tempestes tient sa langue hors des ondes, laquelle est si fort luisante, rayonnante et claire, qu'elle sert de phare et flambeau aux nochers; ainsy, emmi la mer des passions dont Nostre Seigneur fut accablé, toutes les facultés de son ame demeurerent comme englouties et ensevelies dans la tourmente de tant de peynes, hormis la pointe de l'esprit, qui, exempte de tout travail, estoit toute claire et resplendissante de gloire et felicité.

  A005000475 

 On ne connoist presque point le bon playsir divin que par les evenemens, et tandis qu'il nous est inconneu il nous faut attacher le plus fort qu'il nous est possible a la volonté de Dieu qui nous est manifestee ou signifiee; mais soudain que le bon playsir de sa divine Majesté comparoit, il faut aussi tost se ranger amoureusement a son obeissance..

  A005000476 

 Ma mere ou moy mesme (car c'est tout un) sommes au lit malade: que sçay-je si Dieu veut que la mort s'en ensuive? Certes, je n'en sçay rien; mays je sçay bien pourtant, qu'en attendant l'evenement que son bon playsir a ordonné, il veut, par la volonté declairee, que j'employe les remedes convenables a la guerison: je le feray donq fidelement, sans rien oublier de ce que bonnement je pourray contribuer a cette intention.

  A005000476 

 Mays si c'est le bon playsir divin que le mal, victorieux des remedes, apporte en fin la mort, soudain que j'en seray certifié par l'evenement j'acquiesceray amoureusement en la pointe de mon esprit, nonobstant toute la repugnance des puissances inferieures de mon ame: Ouy, Seigneur, je le veux bien, ce diray je, parce que tel a esté vostre bon playsir; il vous a ainsy pleu et il me plaist ainsy a moy, qui suis tres humble serviteur de vostre volonté..

  A005000477 

 Admirable union de ce Patriarche avec celle de Dieu, qui croyant que ce fust le bon playsir divin qu'il sacrifiast son enfant, le voulut l'entreprit si fortement! admirable celle de l'enfant, qui se sousmit si doucement au glaive paternel, pour faire vivre le bon playsir de son Dieu au prix de sa propre mort!.

  A005000478 

 Quand Dieu luy ordonne de sacrifier cet enfant, il ne s'attriste point; quand il l'en dispense, il ne s'en res-jouit point: tout est pareil a ce grand cœur, pourveu que la volonté de son Dieu soit servie..

  A005000479 

 Ce fut esgalement la volonté de Dieu que saint Anthoine de Padoüe desirast le martyre et qu'il ne l'obtinst pas.

  A005000479 

 Le bienheureux Ignace de Loyola, ayant avec tant de travaux mis sus pied la Compaignie du nom de Jesus, de laquelle il voyoit tant de beaux fruitz et en prevoyoit encor plus de beaux a l'advenir, eut neanmoins le courage de se promettre que s'il la voyoit dissiper, qui seroit le plus aspre desplaysir qu'il peust recevoir, dans demi heure apres il en seroit resolu et s'accoyseroit en la volonté de Dieu.

  A005000479 

 Saint Louys, par inspiration, passe la mer pour conquerir la Terre sainte; le succes fut contraire, et il acquiesce doucement: j'estime plus la tranquillité de cet acquiescement, que la magnanimité du dessein.

  A005000480 

 Jonas fit la volonté de Dieu annonçant la subversion de Ninive, mais il mesla son interest et sa volonté propre avec celle de Dieu; c'est pourquoy, quand il void que Dieu n'execute pas sa prediction selon la rigueur des paroles dont il avoit usé en l'annonçant, il s'en fasche et murmure indignement.

  A005000480 

 Nous voulons que ce que nous entreprenons et manions reuscisse, mais il n'est pas raysonnable que [127] Dieu fasse toutes choses a nostre gré: s'il veut que Ninive soit menassee, et que neanmoins elle ne soit pas renversee, puisque la menasse suffit a la corriger, pourquoy Jonas s'en plaindra-il?.

  A005000480 

 O que bienheureuses sont telles ames, hardies et fortes aux entreprises que Dieu leur inspire, souples et douces a les quitter quand Dieu en dispose ainsy! Ce sont des traitz d'une indifference tres parfaite, de cesser de faire un bien quand il plait a Dieu, et de s'en retourner de moitié chemin quand la volonté de Dieu, qui est nostre guide, l'ordonne.

  A005000480 

 Que s'il eust eu pour seul motif de ses actions le bon playsir de la divine volonté, il eust esté aussi content de le voir accompli en la remission de la peine que Ninive avoit meritee, comme de le voir satisfait en la punition de la coulpe que Ninive avoit commise.

  A005000481 

 Le grand Psalmiste fait cette priere au Sauveur, comme par une acclamation de joye et de presage de victoire: O Seigneur, par vostre beauté et bonne grace, bandes vostre arc, marches heureusement et montes a cheval; comme s'il vouloit dire que par les traitz de son saint amour, descochés dans les cœurs humains, il se rendroit maistre des hommes pour les manier a son gré, tout ainsy qu'un cheval bien dressé.

  A005000481 

 Mais si cela est ainsy, il ne faudra donq rien affectionner, ains laisser les affaires a la mercy des evenemens? Pardonnés-moy, Theotime, il ne faut rien oublier de tout ce qui est requis pour faire bien reuscir les entreprises que Dieu nous met en main, mais a la charge que si l'evenement est contraire nous le recevrons doucement et tranquillement; car nous avons commandement d'avoir un grand soin des choses qui regardent la gloire de Dieu et qui sont en nostre charge, mais nous ne sommes pas obligés ni chargés de l'evenement, car il n'est pas en nostre pouvoir.

  A005000481 

 O Seigneur, vous estes le chevalier royal qui tournes a toutes mains les espritz de vos fideles amans: vous les pousses quelquefois a toute bride, et ilz courent a toute outrance es entreprises que vous leur inspires; et puis, quand il vous semble bon, vous les faites parer au milieu de la carriere, au plus fort de leur course.

  A005000482 

 Ainsy Dieu ne fut pas cause que David pecha, mais il luy infligea bien la peyne deüe a son peché; il ne fut pas la cause du peché de Saül, mais ouï bien qu'en punition la victoire perit entre les mains d'iceluy..

  A005000482 

 Il est vray, mon enfant, ta faute ne t'est pas advenue par la volonté de Dieu, car Dieu n'est pas autheur du peché; mays c'est bien pourtant la volonté divine que ta faute soit suivie de la defaite et du manquement de ton entreprise, en punition de ta faute: car si sa bonté ne luy peut permettre de vouloir ta faute, sa justice fait qu'il veut la peyne que tu en souffres.

  A005000483 

 Quand donques il arrive que les desseins sacrés ne reuscissent pas, en punition de nos fautes, il faut egalement detester la faute par une solide repentance, et accepter la peyne que nous en avons; car, comme le peché est contre la volonté de Dieu, aussi la peyne est selon sa volonté..

  A005000487 

 Dieu nous a ordonné de faire tout ce que nous pourrons pour acquerir les saintes vertus, n'oublions donq rien pour bien reuscir de cette sainte entreprise; mais apres que nous aurons planté et arrousé, sçachons que c'est a Dieu de donner l'accroissement aux arbres de nos bonnes inclinations et habitudes: [129] c'est pourquoy il faut attendre le fruit de nos desirs et travaux de sa divine providence.

  A005000487 

 Ne nous inquietons point pour nous voir tous-jours novices en l'exercice des vertus; car, au monastere de la vie devote, chacun s'estime tous-jours novice, et toute la vie y est destinee a la probation, n'y ayant point de plus evidente marque d'estre non seulement novice, mais digne d'expulsion et reprobation, que de penser et se tenir pour profés: car selon la regle de cet ordre la, non la solemnité, mais l'accomplissement des vœux rend les novices profés; or les vœux ne sont jamais accomplis tandis qu'il y a quelque chose a faire pour l'observance d'iceux, et l'obligation de servir Dieu et faire progres en son amour dure tous-jours jusques a la mort..

  A005000487 

 Que si nous ne sentons pas le progres et avancement de nos espritz en la vie devote tel que nous voudrions, ne nous troublons point, demeurons en paix, que tous-jours la tranquillité regne dans nos cœurs.

  A005000488 

 Connoisses-vous que vostre retardement au chemin des vertus est provenu de vostre coulpe? or sus, humilies-vous devant Dieu, implores sa misericorde, prosternes vous devant la face de sa bonté et demandes-luy en pardon, confesses vostre faute et cries-luy mercy a l'oreille mesme de vostre confesseur pour en recevoir l'absolution: mais cela fait, demeures en paix, et ayant detesté l'offence, embrasses amoureusement [130] l'abjection qui est en vous, pour le retardement de vostre avancement au bien..

  A005000488 

 Voire mais, me dira quelqu'un, si je connois que c'est par ma faute que mon avancement es vertus est retardé, comme pourray-je m'empescher de m'en attrister et inquieter? J'ay dit cecy en l' Introduction a la Vie devote, mais je le redis volontier parce qu'il ne peut jamais asses estre dit: il se faut attrister pour les fautes commises, d'une repentance forte, rassise, constante, tranquille, mais non turbulente, non inquiete, non descouragee.

  A005000490 

 Et cependant, Theotime, ce n'est pas l'amour celeste qui fait ce trouble, car il ne se fasche que pour le peché; c'est nostre amour propre, qui voudroit que [131] nous fussions exemptz de la peyne et du travail que les assautz de l'ire nous donnent: ce n'est pas la coulpe qui nous desplait en ces eslans de la cholere, car il n'y a du tout point de peché; c'est la peyne d'y resister qui nous inquiete..

  A005000490 

 Neanmoins elle est encor sujette aux assautz et premiers mouvemens de cette passion, qui sont certains eslans, esbranlemens et saillies du cœur irrité, que la paraphrase Caldaïque appelle tremoussemens, disant: Tremousses, et ne veuilles point pecher, ou nostre sacree version a dit: Courrouces-vous, et ne veuilles point pecher; qui est en effect une mesme chose, car le Prophete ne veut dire sinon que si le courroux nous surprend, excitant en nos cœurs les premiers tremoussemens de la cholere, nous nous gardions bien de nous laisser emporter plus avant en cette passion, d'autant que nous pecherions.

  A005000490 

 Or, bien que ces premiers eslans et tremoussemens ne soyent aucunement peché, neanmoins la pauvre ame qui en est souvent atteinte se trouble, s'afflige, s'inquiete, et pense bien faire de s'attrister, comme si c'estoit l'amour de Dieu qui la provoquast a cette tristesse.

  A005000490 

 Voyés cette bonne ame, je vous prie: elle a grandement desiré et tasché de s'affranchir de la cholere, en quoy Dieu l'a favorisee, car il l'a rendue quitte de tous les pechés qui procedent de la cholere; elle mourroit plustost que de dire un seul mot injurieux ou de lascher un seul trait de hayne.

  A005000491 

 C'est le Philistin que les vrays Israëlistes doivent tous-jours combattre, sans que jamais ilz le puissent abbattre: ilz le peuvent affoiblir, mais non pas aneantir; il ne meurt jamais qu'avec nous, et vit tous-jours avec nous.

  A005000491 

 Ces rebellions de l'appetit sensuel, tant en l'ire qu'en la convoitise, sont laissees en nous pour nostre exercice, affin que nous prattiquions la vaillance spirituelle en leur resistant.

  A005000491 

 Il est certes execrable et detestable, d'autant qu'il est issu du peché et tend perpetuellement au peché: c'est pourquoy, comme nous sommes appellés terre parce que nous sommes extraitz de la terre et que nous retournerons en terre, ainsy cette rebellion est appellee par le grand Apostre peché, comme provenue du peché et tendante au peché, quoy qu'elle ne nous rende nullement coulpables sinon quand nous la secondons et luy obeissons; dont le mesme Apostre nous advertit de faire en sorte que ce mal la ne regne point en nostre cors mortel, pour obeir aux convoitises d'iceluy.

  A005000491 

 Il ne nous defend pas de sentir le peché, mais seulement d'y consentir; il n'ordonne pas que nous empeschions le peché de venir en nous et d'y estre, mais il commande qu'il n'y regne pas.

  A005000491 

 Jamais on ne dira a une femme grosse qu'elle n'ayt pas envie de manger des choses extraordinaires, car cela n'est pas en son pouvoir; mais on luy dira bien qu'elle die ses appetitz, affin que s'ilz sont de chose nuisible on divertisse son imagination, et que telle fantasie ne regne pas en sa cervelle.

  A005000492 

 Et remarques en fin, que non seulement nous ne devons pas nous inquieter en nos tentations ni en nos infirmités, mais nous devons nous glorifier d'estre infirmes, affin que la vertu divine paroisse en nous, soustenant nostre foiblesse contre l'effort de la suggestion et tentation: car le glorieux Apostre appelle ses infirmités, les eslans et rejettons d'impureté qu'il sentoit, et dit qu'il se glorifioit en icelles, parce que si bien il les sentoit par sa misere, neanmoins, par la misericorde de Dieu, il n'y consentoit pas..

  A005000492 

 L'eguillon de la chair, messager de Satan, piquoit rudement le grand saint Paul pour le faire precipiter au peché: le pauvre Apostre souffroit cela comme une injure honteuse et infame, c'est pourquoy il l'appelloit un souffletement et baffoüement, et prioit Dieu qu'il luy pleust de l'en deslivrer; mais Dieu luy respondit: O Paul, ma grace te suffit, car ma force se perfectionne en l'infirmité. A quoy ce grand saint homme acquiesçant: Donques, dit il, volontier je me glorifieray en mes infirmités, affin que la vertu de Jesus Christ habite en moy.

  A005000492 

 Mais remarques, de grace, que la rebellion sensuelle est en cet admirable vaysseau d'election, lequel, recourant au remede de l'orayson, nous monstre qu'il nous faut combattre par ce mesme moyen les tentations que nous sentons.

  A005000492 

 Remarques encores, que si Nostre Seigneur permet ces cruelles revoltes en l'homme, ce n'est pas tous-jours pour le punir de quelque peché, ains pour manifester la force et vertu de l'assistance et grace divine.

  A005000493 

 Dieu veut que nous ayons des ennemis, Dieu veut que nous les repoussions: vivons donq courageusement entre l'une et l'autre volonté divine, souffrans avec patience d'estre assaillis, et taschans avec vaillance de faire teste et resister aux assaillans.

  A005000497 

 Adorons donq et benissons cette sainte permission: mais puisque la Providence qui permet le peché le hait infiniment, detestons-le avec elle, haïssons-le, desirans de tout nostre pouvoir que le peché permis ne soit point commis; et en suite de ce desir, employons tous les remedes qu'il nous sera possible pour empescher la naissance, le progres et le regne du peché, a l'imitation de Nostre Seigneur qui ne cesse d'exhorter, promettre, menasser, defendre, commander et inspirer parmi nous, pour destourner nostre volonté du peché, entant qu'il se peut faire sans luy oster sa liberté..

  A005000498 

 Mays quand le peché est commis, faysons tout ce qui est en nous affin qu'il soit effacé; comme Nostre Seigneur qui asseura Carpus, ainsy qu'il a ci devant esté noté, que s'il estoit requis, il subiroit derechef la mort pour delivrer une seule ame de peché.

  A005000498 

 Que si le pecheur s'obstine, pleurons, Theotime, souspirons, prions pour luy, avec le Sauveur de nos ames, qui, ayant jetté maintes larmes toute sa vie sur les pecheurs et sur ceux qui les representoyent, mourut en fin les yeux couvertz de pleurs et son cors tout detrempé de sang, regrettant la perte des pecheurs.

  A005000499 

 Cependant, pour obstinés que les pecheurs puissent estre, ne perdons pas courage de les ayder et servir; car, que sçavons nous si par aventure ilz feront penitence et seront sauvés? Bienheureux est celuy qui peut dire a ses prochains comme saint Paul: Je n'ay cessé ni jour ni nuit en vous admonestant un chacun de vous avec larmes; et partant je suis net du sang de tous, car je ne me suis point espargné que je ne vous aye annoncé tout le bon playsir de Dieu.

  A005000499 

 Tandis que nous sommes dans les bornes de l'esperance que le pecheur se puisse amender, qui sont tous-jours de mesme estendue que celles de sa vie, il ne faut jamais le rejetter, ains prier pour luy, et l'ayder autant que son malheur le permettra..

  A005000500 

 Car on ne sçauroit s'amuser a pleurer trop longuement les uns, que ce ne fust en perdant le tems propre et requis a procurer le salut des autres.

  A005000500 

 Il failloit, disent les Apostres aux Juifz, vous annoncer premierement la parole de Dieu; mais d'autant que vous la rejettes et vous tenes pour indignes du regne de Jesus Christ, voyci que nous nous retournons du costé des Gentilz; On vous ostera, dit le Sauveur, le Royaume de Dieu, et il sera donné a une nation qui en fera du fruit.

  A005000500 

 L'Apostre, certes, dit qu'il a une douleur continuelle pour la perte des Juifz; mais c'est comme nous disons que nous benissons Dieu en tout tems, car cela ne veut dire autre chose, sinon que nous le benissons fort souvent et en toutes occasions: et de mesme, le glorieux [135] saint Paul avoit une continuelle douleur en son cœur a cause de la reprobation des Juifz, parce qu'a toutes occasions il regrettoit leur malheur..

  A005000500 

 Mais, en fin finale, apres que nous avons pleuré sur les obstinés et que nous leur avons rendu le devoir de charité pour essayer de les retirer de perdition, il faut imiter Nostre Seigneur et les Apostres, c'est a dire, divertir nostre esprit de la, et le retourner sur des autres objectz et a d'autres occupations plus utiles a la gloire de Dieu.

  A005000501 

 Au reste, il faut adorer, aymer et louer a jamais la justice vengeresse et punissante de nostre Dieu, comme nous aymons sa misericorde, parce que l'une et l'autre est fille de sa bonté: car par sa grace il nous veut faire bons, comme tres bon, ains souverainement bon qu'il est; par sa justice il veut chastier le peché, parce qu'il le hait; or il le hait, parce qu'estant souverainement bon, il deteste le souverain mal qui est l'iniquité.

  A005000501 

 Et notés, pour conclusion, que jamais Dieu ne retire sa misericorde de nous que par l'equitable vengeance de sa justice punissante, et jamais nous n'eschappons la rigueur de sa justice que par sa misericorde justifiante: et tous-jours, ou punissant ou gratifiant, son bon playsir est adorable, aymable et digne d'eternelle benediction.

  A005000505 

 Mais il arrivoit quelquefois que le prince, pour essayer l'amour de cet aymable musicien, luy commandoit de chanter, et soudain, le laissant la en sa chambre, il s'en alloit a la chasse; mais le desir que le chantre avoit de suivre ceux de son maistre luy faisoit continuer aussi attentivement son chant comme si le prince eust esté present, quoy qu'en verité il n'avoit aucun playsir a chanter: car il n'avoit ni le playsir de la melodie, duquel sa surdité le privoit, ni celuy de plaire au prince, puisque [137] le prince estant absent ne jouissoit pas de la douceur des beaux airs qu'il chantoit..

  A005000505 

 Mais parce qu'il n'avoit aucun playsir en son chant ni au son de son luth, d'autant qu'estant privé de l'ouïe il n'en pouvoit appercevoir la douceur et beauté, il ne chantoit plus ni ne sonnoit du luth que pour contenter un prince duquel il estoit né sujet, et auquel il avoit une extreme inclination de complaire, accompaignee d'une infinie obligation pour avoir esté nourri des sa jeunesse chez lui: c'est pourquoy il avoit un playsir nompareil de luy plaire, et quand son prince luy tesmoignoit d'aggreer son chant il estoit tout ravi de contentement.

  A005000505 

 Un musicien des plus excellens de l'univers, et qui jouoit parfaitement du luth, devint en peu de tems si extremement sourd qu'il ne luy resta plus aucun usage de l'ouïe; neanmoins il ne laissa pas pour cela de chanter et manier son luth delicatement a merveilles, a cause de la grande habitude qu'il en avoit, que sa surdité ne luy avoit pas ostee.

  A005000514 

 Ainsy nos cœurs, au commencement de leur devotion, ayment Dieu pour s'unir a luy, luy estre aggreables, et l'imiter en ce qu'il nous a aymés eternellement; mays, petit a petit, estans duitz et exercés au saint amour, ilz prennent imperceptiblement le change, et en lieu d'aymer Dieu pour plaire a Dieu, ilz commencent d'aymer pour le playsir qu'ilz ont eux mesmes es exercices du saint amour, et en lieu qu'ilz estoyent amoureux de Dieu, ilz deviennent amoureux de l'amour qu'ilz luy portent: ilz sont affectionnés a leurs affections, et ne se playsent plus en Dieu, mais au playsir qu'ilz ont en son amour, se contentans en cet amour entant qu'il est a eux, qu'il est dans leur esprit et qu'il en procede; car encor que cet amour sacré s'appelle amour de Dieu parce que Dieu est aymé par iceluy, il ne laisse pas d'estre nostre parce que [138] nous sommes les amans qui aymons par iceluy.

  A005000514 

 Ce chantre donques, qui chantoit au commencement a Dieu et pour Dieu, chante maintenant plus a soy mesme et pour soy mesme que pour Dieu, et s'il prend playsir a chanter, ce n'est plus tant pour contenter l'aureille de son Dieu que pour contenter la sienne; et d'autant que le cantique de l'amour divin est le plus excellent de tous, il l'ayme aussi davantage, non a cause de l'excellence divine qui y est loüee, mais parce que l'air du chant en est plus delicieux et aggreable..

  A005000514 

 Or, qui ne void qu'ainsy faisant ce n'est plus Dieu que nous cherchons, ains que nous revenons a nous mesmes, aymant l'amour en lieu d'aymer le Bienaymé; aymant, dis-je, cet amour, non pour le bon playsir et contentement de Dieu, mays pour le playsir et contentement que nous en tirons nous mesmes.

  A005000514 

 Voyés, je vous prie, Theotime, ce que je veux dire: les jeunes petitz rossignolz s'essayent de chanter au commencement pour imiter les grans; mais estans façonnés et devenus maistres, ilz chantent pour le playsir qu'ilz prennent en leur propre gazouillement, et s'affectionnent si passionement a cette delectation, ainsy que j'ay dit ailleurs, qu'a force de pousser leurs voix leur gosier s'esclatte, dont ilz meurent.

  A005000518 

 De deux cantiques qui seront voirement l'un et l'autre [139] divin, il se peut bien faire que l'un sera chanté parce qu'il est divin, et l'autre parce qu'il est aggreable.

  A005000518 

 Le cantique est divin, mais le motif qui le nous fait chanter c'est la delectation spirituelle que nous en pretendons..

  A005000518 

 Vous connoistres bien cela, Theotime: car si ce rossignol mystique chante pour contenter Dieu, il chantera le cantique qu'il sçaura estre le plus aggreable a la divine Providence; mais s'il chante pour le playsir que luy mesme prend en la melodie de son chant, il ne chantera pas le cantique qui est le plus aggreable a la Bonté celeste, ains celuy qui est plus a son gré de luy mesme, et duquel il pense tirer plus de playsir.

  A005000519 

 Hé, vous vous trompés, mes chers amis, ne dites pas que c'est pour mieux aymer et servir Dieu: o nenni certes! c'est pour mieux servir vostre propre contentement, lequel vous-aymes plus que le contentement de Dieu.

  A005000519 

 La volonté de Dieu est en la maladie aussi bien et presqu'ordinairement mieux qu'en la santé: que si nous aymons mieux la santé, ne disons pas que c'est pour tant mieux servir Dieu; car, qui ne void que c'est la santé que nous cherchons en la volonté de Dieu, et non pas la volonté de Dieu en la santé..

  A005000519 

 Ne vois tu pas, dira-on a cet Evesque, que Dieu veut que tu chantes le cantique pastoral de sa dilection emmi ton troupeau, lequel en vertu de son saint amour il te commande par trois fois de paistre, en la personne du grand saint Pierre qui fut le premier des Pasteurs? Que me respondras-tu? qu'a Rome, qu'a Paris il y a plus de delices spirituelles, et qu'on y peut prattiquer le divin amour avec plus de suavité? O Dieu, ce n'est donq pas pour vous plaire que cet homme veut chanter, c'est pour le playsir qu'il prend a cela; ce n'est pas vous qu'il cherche en l'amour, c'est le contentement qu'il a es exercices du saint amour.

  A005000520 

 Il est aussi sans doute malaysé d'aymer Dieu qu'on n'ayme quant et quant le playsir que l'on prend en son amour; mais neanmoins il y a bien a dire entre le contentement que l'on a d'aymer Dieu parce qu'il est beau, et celuy que l'on a de l'aymer parce que son amour nous est aggreable.

  A005000520 

 Il est malaysé, je le confesse, de regarder longuement et avec playsir la beauté d'un mirouer qu'on [140] ne s'y regarde, ains qu'on ne se playse a s'y regarder soy mesme; mays il y a pourtant de la difference entre le playsir que l'on prend a regarder un mirouer parce qu'il est beau, et l'ayse que l'on a de regarder dans un mirouer parce qu'on s'y void.

  A005000520 

 Le soin mesme que nous avons a n'avoir point de distractions nous sert souvent de fort grande distraction; la simplicité es actions spirituelles est la plus recommandable.

  A005000520 

 Or, il faut tascher de ne chercher en Dieu que l'amour de sa beauté, et non le playsir qu'il y a en la beauté de son amour.

  A005000520 

 Voules vous regarder Dieu? regardes le donq et soyes attentive a cela; car si vous reflechisses et retournes vos yeux dessus vous mesme, pour voir la contenance que vous tenes en le regardant, ce n'est plus luy que vous regardes, c'est vostre maintien, c'est vous mesme.

  A005000521 

 Helas, soudain que la suavité et satisfaction qu'il prenoit en l'amour cessera, et que les secheresses arriveront, il quittera tout la, il ne priera plus qu'en passant: or, si c'estoit Dieu qu'il aymoit, pourquoy eust-il cessé de l'aymer, puisque Dieu est tous-jours Dieu? c'estoit donq la consolation Dieu qu'il aymoit, et non le Dieu de consolation..

  A005000521 

 Pourquoy penses vous, Theotime, qu'Ammon, filz de David, aymast si esperdument Tharaar que mesme il cuyda mourir d'amour? estimes vous que ce fut elle mesme qu'il aimast? Vous verres bien tost que non; car soudain qu'il eut assouvi son execrable desir, il la poussa cruellement dehors et la rejetta ignominieusement.

  A005000521 

 S'il eust aymé Thamar il n'eust pas fait cela, car Thamar estoit tous-jours Thamar; mais parce que ce n'estoit pas Thamar qu'il aymoit, ains l'infame playsir qu'il pretendoit en elle, soudain qu'il eut ce qu'il cherchoit, il la baffoüa felonnement et la traitta brutalement: son playsir estoit en Thamar, mais son amour estoit au playsir et non pas en Thamar; c'est pourquoy, le playsir passé, il eust volontier fait passer Thamar.

  A005000526 

 Car, comme j'ay dit, nostre musicien chantoit tous-jours sans tirer aucun playsir de son chant, puisque la surdité l'en empeschoit; et maintefois il chantoit aussi sans avoir le playsir de plaire a son prince, parce que le prince, luy ayant commandé de chanter, se retiroit ou alloit a la chasse, sans prendre ni le loysir ni le playsir de l'ouïr..

  A005000526 

 Le chantre duquel j'ay parlé, estant devenu sourd, n'avoit nul contentement a chanter que celuy de voir aucunefois son prince attentif a l'ouïr et y prendre playsir.

  A005000526 

 O que bienheureux est le cœur qui ayme Dieu sans aucun autre playsir que celuy qu'il prend de plaire a Dieu! car, quel playsir peut-on jamais avoir plus pur et parfait que celuy que l'on prend dans le playsir de la Divinité? Neanmoins, ce playsir de plaire a Dieu n'est pas a proprement parler l'amour divin, ains seulement un fruit d'iceluy, qui en peut estre separé ainsy qu'un citron de son citronnier.

  A005000527 

 Tandis, o Dieu, que je voy vostre douce face qui tesmoigne d'aggreer le chant de mon amour, helas, que je suis consolé! car, y a-il aucun playsir qui egale le playsir de bien plaire a son Dieu? Mais quand vous retires vos yeux de moy et que je n'apperçois plus la douce faveur de la complaysance que vous prenies en mon cantique, vray Dieu, que mon ame est en grande peyne! mais sans cesser pourtant de vous aymer fidelement et de chanter continuellement l'hymne de sa dilection, non pour aucun playsir qu'elle y treuve, car elle n'en a point, ains chante pour le pur amour de vostre volonté.

  A005000528 

 La seule satisfaction d'un prince present, ou de quelque personne fortement aymee, fait delicieuses les veillees, les peynes, les sueurs, et rend les hazards desirables: mais il n'y a rien de si triste que de servir un maistre qui n'en sçait rien, ou s'il le sçait ne fait nul semblant d'en sçavoir gré; et faut bien, en ce cas la, que l'amour soit puissant, puisqu'il se soustient luy seul, sans estre appuyé d'aucun playsir ni d'aucune pretention..

  A005000528 

 On a veu tel enfant malade manger courageusement, avec un incroyable degoust, ce que sa mere luy donnoit, pour le seul desir qu'il avoit de la contenter; et alhors il mangeoit sans prendre aucun playsir en la viande, mais non pas sans un autre playsir plus estimable et relevé, qui estoit le playsir de plaire a sa mere et de la voir contente.

  A005000529 

 Ainsy arrive-il quelquefois, que nous n'avons nulle consolation es exercices de l'amour sacré, d'autant que, comme chantres sourds, nous n'oyons pas nostre propre voix ni ne pouvons jouir de la suavité de nostre chant; ains au contraire, outre cela, nous sommes pressés de mille craintes, troublés de mille tintamarres que l'ennemy fait autour de nostre cœur, nous suggerant que peut estre ne sommes-nous point aggreables a nostre Maistre et que nostre amour est inutile, ouy mesme qu'il est faux et vain, puisqu'il ne produit point de consolation.

  A005000530 

 Et bien qu'elle n'ait pas perdu le courage, elle est pourtant si terriblement attaquee, que si elle est sans coulpe elle n'est pas sans peyne: car, pour comble de son ennuy, elle est privee de la generale consolation que l'on a presque tous-jours en tous les autres maux de ce monde, qui est l'esperance qu'ilz ne seront pas perdurables et que l'on en verra la fin; si que le cœur en ces ennuis spirituelz, tumbe en une certaine impuissance de penser a leur fin, et par consequent d'estre allegé par l'esperance.

  A005000530 

 La foy, certes, residente en la cime de l'esprit, nous asseure bien que ce trouble finira et que nous jouirons un jour du repos; mais la grandeur du bruit et des cris que l'ennemi fait dans le reste de l'ame, en la rayson inferieure, empesche que les advis et remonstrances de la foy ne sont presque point entendues, et ne nous demeure en l'imagination que ce triste presage: «Helas! je ne seray jamais joyeux.».

  A005000530 

 Mays ce qui accroist le mal en cette occurrence, c'est que l'esprit et supreme pointe de la rayson ne nous peut donner aucune sorte d'allegement; car cette pauvre portion superieure de la rayson, estant, toute environnee [144] des suggestions que l'ennemi luy fait, elle est mesme toute alarmee et se treuve asses embesoignee a se garder d'estre surprise d'aucun consentement au mal, de sorte qu'elle ne peut faire aucune sortie pour desengager la portion inferieure de l'esprit.

  A005000531 

 O Dieu, mon cher Theotime, mais c'est alhors qu'il faut tesmoigner une invincible fidelité envers le Sauveur, le servant purement pour l'amour de sa volonté, non seulement sans playsir, mais parmi ce deluge de tristesses, d'horreurs, de frayeurs et d'attaques, comme fit sa glorieuse Mere et saint Jean au jour de sa Passion, qui, entre tant de blasphemes, de douleurs et de detresses mortelles, demeurerent fermes en l'amour, lhors mesme que le Sauveur, ayant retiré toute sa sainte joye dans la cime de son esprit, ne respandoit ni allegresse ni consolation quelcomque en son divin visage, et que ses yeux alangouris et couvertz des tenebres de la mort ne jettoyent plus que des regards de douleur; comme aussi le soleil, des rayons d'horreur et d'affreuses tenebres.

  A005000535 

 Et cela, d'autant que la merveille de sa delivrance fut si grande qu'elle occupoit son esprit en telle sorte, qu'encor qu'il eust asses de sentiment et de connoissance pour faire ce qu'il faisoit, neanmoins il n'en avoit pas asses pour connoistre qu'il le faisoit reellement et tout de bon: il voyoit bien l'Ange, mais il ne s'appercevoit pas que ce fut d'une vraye et naturelle vision; c'est pourquoy il n'avoit nulle consolation de sa delivrance, jusques a ce qu'en revenant a soy: Maintenant, dit-il, je connois en verité que Dieu a envoyé son Ange, et m'a deslivré de la main d'Herodes et de toute l'attente du peuple Juif.

  A005000535 

 Voyla une grande varieté d'actions fort sensibles; et saint Pierre neanmoins, qui avoit esté esveillé avant toutes choses, ne pensoit pas que ce qui se faisoit par l'Ange fust vray, ains estimoit que ce fust une vision imaginaire: il estoit esveillé et ne pensoit pas l'estre, il s'estoit chaussé et vestu et ne sçavoit pas qu'il l'eust fait, il marchoit et n'estimoit.

  A005000536 

 C'est pourquoy le sacré Psalmiste exprime la grandeur de la consolation que les Israëlites eurent au retour de la captivité de Babylone, en ces paroles:.

  A005000536 

 Or il en est de mesme, Theotime, d'une ame qui est grandement chargee d'ennuis interieurs; car bien qu'elle ait le pouvoir de croire, d'esperer et d'aymer Dieu, et qu'en verité elle le fasse, toutefois elle n'a pas la force de bien discerner si elle croid, espere et cherit son Dieu, d'autant que la detresse l'occupe et accable si fort qu'elle ne peut faire aucun retour sur soy mesme pour voir ce qu'elle fait: et c'est pourquoy il luy est advis qu'elle n'a ni foy, ni esperance, ni charité, ains seulement des fantosmes et inutiles impressions de ces vertus la, qu'elle sent presque sans les sentir, et comme estrangeres, non comme domestiques de son ame.

  A005000536 

 Que si vous y prenes garde, vous treuveres que nos espritz sont tous-jours en pareil estat quand ilz sont puissamment occupés de quelque violente passion; car ilz font plusieurs actions comme en songe, et desquelles ilz ont si peu de sentiment qu'il ne leur est presque pas advis que ce soit en verité que les choses se passent.

  A005000541 

 Que nous pensions songer;.

  A005000543 

 et, comme porte la sainte version latine, apres les Septante: Nous fusmes faitz comme consolés; c'est a dire: l'admiration de la grandeur du bien qui nous arriva estoit si excessive qu'elle nous empeschoit de bien sentir la consolation que nous receusmes, et nous estoit advis que nous ne fussions pas veritablement consolés et que nous n'eussions pas une consolation en verité, ains seulement en figure et en songe..

  A005000544 

 Ainsy Magdeleyne, ayant rencontré son cher Maistre, n'en reçoit aucun allegement, d'autant qu'elle ne pensoit pas que ce fust luy, ains seulement le jardinier..

  A005000544 

 Helas, Theotime, que le pauvre cœur est affligé quand, comme abandonné de l'amour, il regarde par tout et ne le treuve point, ce luy semble.

  A005000544 

 Il ne le treuve point es sens exterieurs, car ilz n'en sont pas capables; ni en l'imagination, qui est cruellement tourmentee de diverses impressions; ni en la rayson, troublee de mille obscurités de discours et apprehensions estranges: et bien qu'en fin elle le treuve en la cime et supreme region de l'esprit, ou cette divine dilection reside, si est ce neanmoins qu'elle le mesconnoist, et luy est advis que ce n'est pas luy, parce que la grandeur des ennuis et des tenebres l'empeschent de sentir sa douceur; elle le void sans le voir et le rencontre sans le connoistre, comme si c'estoit en songe et en image.

  A005000545 

 Le Filz recommanda son esprit au Pere en cette [148] derniere et incomparable detresse; et nous, lhors que les convulsions des peynes spirituelles nous ostent toute autre sorte d'allegemens et de moyens de resister, recommandons nostre esprit es mains de ce Filz eternel qui est nostre vray Pere, et baissant la teste de nostre acquiescement a son bon playsir, consignons luy toute nostre volonté..

  A005000545 

 Mais que peut donq faire l'ame qui est en cet estat? Theotime, elle ne sçait plus comme se maintenir entre tant d'ennuis, et n'a plus de force que pour laisser mourir sa volonté entre les mains de la volonté de Dieu, a l'imitation du doux Jesus, qui, estant arrivé au comble des peynes de la croix que le Pere luy avoit prefigees, et ne pouvant plus resister a l'extremité de ses douleurs, fit comme le cerf qui hors d'haleyne et accablé de la mutte, se rendant a l'homme, jette les derniers abboys, la larme à l'œil.

  A005000549 

 Certes, nostre volonté ne peut jamais mourir, non plus que nostre esprit, mais elle outrepasse quelquefois les limites de sa vie ordinaire, pour vivre toute en la volonté divine: c'est lhors qu'elle ne sçait ni ne veut plus rien vouloir, ains elle s'abandonne totalement et sans reserve au bon playsir de la divine Providence, se meslant et detrempant tellement avec ce bon playsir, qu'elle ne paroist plus, mais est toute cachee avec Jesus Christ en Dieu, ou elle vit, non plus elle mesme, ains la volonté de Dieu vit en elle.

  A005000549 

 Et que devient la volonté humaine quand elle est entierement abandonnee au bon playsir divin? Elle [149] ne perit pas tout a fait, mais elle est tellement abismee et meslee avec la volonté de Dieu, qu'elle ne paroist plus et n'a plus aucun vouloir separé de celuy de Dieu..

  A005000549 

 Nous parlons avec une propreté toute particuliere de la mort des hommes, en nostre langage françois, car nous l'appelions trespas, et les mortz, trespassés; signifians que la mort entre les hommes n'est qu'un passage d'une vie a l'autre, et que mourir n'est autre chose sinon outrepasser les confins de cette vie mortelle pour aller a l'immortelle.

  A005000549 

 Que devient la clarté des estoiles quand le soleil paroist sur nostre orizon? elle ne perit certes pas, mais elle est ravie et engloutie dans la souveraine lumiere du soleil avec laquelle elle est heureusement meslee et conjointe.

  A005000550 

 Imaginés-vous, Theotime, le glorieux et non jamais asses loué saint Louys qui s'embarque et fait voyle pour aller outre mer; et voyes que la Reyne, sa chere femme, s'embarque avec sa Majesté.

  A005000550 

 Que si on eust repliqué: Donques, Madame, vous n'aves point de dessein en ce voyage? Non, eust-elle dit, je n'en ay point d'autre que d'estre avec mon cher seigneur et mari.

  A005000550 

 Voire mais, luy eust-on peu dire, il va en Egypte, pour passer en Palestine; il logera a Damiette, dans Acre et plusieurs autres lieux: n'aves vous pas intention, Madame, d'y aller aussi? A cela elle eust respondu: Non vrayement, je n'ay nulle intention sinon d'estre aupres de mon Roy, et les lieux ou il va me sont indifferens et de nulle consideration, sinon entant qu'il y sera; je vay sans desir d'aller, car je n'affectionne rien que la presence du Roy: c'est donq le Roy qui va, et qui veut le voyage, et quant a moy je ne vay pas, je suy; je ne veux pas le voyage, ains la seule presence du Roy; le sejour, le voyage et toute sorte de diversités m'estant tout a fait indifferentes..

  A005000551 

 De sorte que ce n'est pas proprement comme les serviteurs suivent leurs maistres, car encor que le voyage se fasse par la volonté de leur maistre, leur suite toutefois se fait par leur propre volonté particuliere, bien qu'elle soit une volonté suivante et servante, sousmise et assujettie a celle de leur maistre: si que tout ainsy que le maistre et le serviteur sont deux, aussi la volonté du maistre et celle du serviteur sont deux.

  A005000551 

 Et comme celuy qui est dans un navire ne se remue pas de son mouvement propre, ains se laisse seulement mouvoir selon le mouvement du vaysseau [150] clans lequel il est, de mesme, le cœur qui est embarqué dans le bon playsir divin ne doit avoir aucun autre vouloir que celuy de se laisser porter au vouloir de Dieu.

  A005000551 

 Mais la volonté qui est morte a soy mesme pour vivre en celle de Dieu, elle est sans aucun vouloir particulier, demeurant non seulement conforme et sujette, mais toute aneantie en elle mesme et convertie en celle de Dieu: comme on diroit d'un petit enfant qui n'a encor point l'usage de sa volonté, pour vouloir ni aymer chose quelcomque que le sein et le visage de sa chere mere; car il ne pense nullement a vouloir estre d'un costé ni d'autre, ni a vouloir autre chose quelcomque sinon d'estre entre les bras de sa mere, avec laquelle il pense estre une mesme chose, et n'est nullement en soucy d'accommoder sa volonté a celle de sa mere, car il ne sent point la sienne et ne cuyde pas d'en avoir une, laissant le soin a sa mere d'aller, de faire et de vouloir ce qu'elle treuvera bon pour luy..

  A005000552 

 C'est certes la souveraine perfection de nostre volonté que d'estre ainsy unie a celle de nostre souverain Bien, comme fut celle du Saint qui disoit: O Seigneur, vous m'aves conduit et mené en vostre volonté; car, que vouloit-il dire, sinon qu'il n'avoit nullement employé sa volonté pour se conduire, s'estant simplement laissé guider et mener a celle de son Dieu? [151].

  A005000554 

 Dieu m'a signifié qu'il vouloit que je sanctifiasse le jour du repos: puisqu'il veut que je le fasse, il veut donques que je le veuille faire, et que pour cela j'aye mon propre vouloir par lequel je suive le sien, me conformant et correspondant a iceluy.

  A005000554 

 Et c'est la façon avec laquelle nous devons tascher de nous comporter en la volonté du bon playsir divin, d'autant que les effectz de cette volonté du bon playsir procedent purement de sa providence, et sans que nous les fassions ilz nous arrivent.

  A005000554 

 Et nous autres, Theotime, comme petitz enfans du Pere celeste, nous pouvons aller avec luy en deux sortes: car nous pouvons aller, premierement, marchans des pas de nostre propre vouloir, lequel nous conformons au sien, tenans tous-jours de la main de nostre obeissance celle de son intention divine et la suivant par tout ou elle nous conduit; qui est ce que Dieu requiert de nous par la signification de sa volonté, car puisqu'il veut que je fasse ce qu'il m'ordonne, il veut que j'aye le vouloir de le faire.

  A005000554 

 Il est croyable que la tressainte Vierge Nostre Dame recevoit tant de contentement de porter son cher petit Jesus entre ses bras, que le contentement empeschoit la lassitude, ou du moins rendoit la lassitude aggreable: car, si de porter une branche d' agnus castus soulage les voyageurs et les delasse, quel allegement ne recevoit pas la glorieuse Mere de porter l'Aigneau de Dieu immaculé? Que si parfois elle le laissoit marcher sur ses pieds avec elle, le tenant par la main, ce n'estoit pas qu'elle n'eust mieux aymé de l'avoir pendant a son col sur sa poitrine, mais elle le faisoit pour l'exercer a former ses pas et a cheminer luy mesme.

  A005000554 

 Il est vray que nous pouvons bien vouloir qu'ilz arrivent selon la volonté de Dieu, et ce vouloir est tres bon; mais nous pouvons bien aussi recevoir les evenemens du bon playsir celeste par une tres simple tranquillité de nostre volonté qui, ne voulant chose quelcomque, acquiesce simplement a tout ce que Dieu veut estre fait en nous, sur nous et de nous..

  A005000555 

 Aussi ne prens-je point garde si elle va viste ou tout bellement, ni si elle va d'un costé ou d'autre, ni je ne m'enquiers nullement ou elle veut aller, me contentant que, comme que ce soit, je suis tous-jours entre ses bras, joignant ses amiables mammelles, ou je me repais comme entre les lys.

  A005000555 

 Et affin que vous le sachies, tandis que je suis parmi les delices de ces saintes caresses qui [153] surpassent toute suavité, il m'est advis que ma Mere est un arbre dé vie et que je suis en elle comme son fruit, que je suis son propre cœur au milieu de sa poitrine, ou son ame au milieu de son cœur: c'est pourquoy, comme son marcher suffit pour elle et pour moy, sans que je me mesle de faire aucun pas, aussi sa volonté suffit pour elle et pour moy, sans que je fasse aucun vouloir pour ce qui est d'aller ou de venir.

  A005000555 

 Et qui luy eust repliqué: Mais au moins, o trescher divin Enfant, vous vous voules bien laisser porter a vostre douce Mere? Non fay certes, eust-il peu dire, je ne veux rien de tout cela, ains, comme ma toute bonne Mere marche pour moy, aussi elle veut pour moy: je luy laisse egalement le soin et d'aller et de vouloir aller pour moy ou bon luy semblera; et comme je ne marche que par ses pas, aussi je ne veux que par son vouloir, et des que je me treuve entre ses bras je n'ay aucune attention ni a vouloir ni a ne vouloir pas, laissant tout autre soin a ma Mere hormis celuy d'estre sur son sein, de succer son sacré chicheron, et de me tenir bien attaché a son col tres aymable pour la bayser amoureusement des baysers de ma bouche.

  A005000555 

 O divin Enfant de Marie, permettes a ma chetifve ame cet eslan de dilection! Or alles donq, o cher petit Enfant tres aymable, ou plustost, n'alles pas, mais demeures ainsy saintement collé a la poitrine de vostre douce Mere; alles tous-jours en elle et par elle, ou avec elle, et n alles jamais sans elle tandis que vous estes enfant.

  A005000555 

 O que bienheureux est le ventre qui vous a porté et les mammelles que vous aves succees!.

  A005000556 

 Et notés qu'il dit toute nostre sollicitude, c'est a dire, [154] autant celle que nous avons de recevoir les evenemens comme celle de vouloir ou ne vouloir pas; car il aura soin du succes de nos affaires et de vouloir pour nous ce qui sera le meilleur..

  A005000556 

 Le Sauveur de nos ames eut l'usage de rayson des l'instant de sa conception au ventre de sa Mere, et pouvoit faire tous ces discours; ouy mesme le glorieux saint Jean, son Precurseur, des le jour de la sainte Visitation: et bien que l'un et l'autre, pendant ce tems-la et celuy de l'enfance, jouit de sa propre liberté pour vouloir et ne vouloir pas les choses, si est-ce qu'ilz laisserent le soin, en ce qui estoit de leur conduite exterieure, a leurs meres, de faire et vouloir pour eux ce qui estoit requis.

  A005000556 

 Theotime, nous devons estre comme cela, nous rendans pliables et maniables au bon playsir divin, comme si nous estions de cire, ne nous amusans point a souhaiter et vouloir les choses, mais les laissant vouloir et faire a Dieu pour nous ainsy qu'il luy plaira, jettans en luy toute nostre sollicitude, d'autant qu'il a soin de nous, ainsy que dit le saint Apostre.

  A005000557 

 O Theotime, que cette occupation de nostre volonté est excellente, quand elle quitte le soin de vouloir et choisir les effectz du bon playsir divin, pour louer et remercier ce bon playsir de telz effectz..

  A005000561 

 Benir Dieu et le remercier pour tous les evenemens que sa providence ordonne, c'est a la verité une occupation toute sainte; mays si, tandis que nous laissons le soin a Dieu de vouloir et faire ce qu'il luy plait en nous, sur nous et de nous, sans estre attentifs a ce qui se passe quoy que nous le sentions bien, nous pouvions [155] divertir nostre cœur et appliquer nostre attention en la Bonté et Douceur divine, la benissant non en ses effectz ni es evenemens qu'elle ordonne, mais en elle mesme et en sa propre excellence, nous ferions sans doute un exercice beaucoup plus eminent..

  A005000563 

 Et sur ces paroles elle s'endormit, tandis que son pere, jugeant [156] a propos de la saigner, disposa ce qui estoit requis; et venant a elle, ainsy qu'elle se resveilla, apres l'avoir interrogee comme elle se treuvoit de son sommeil, il luy demanda si elle vouloit pas bien estre saignee pour guerir.

  A005000563 

 La fille d'un excellent medecin et chirurgien estant en fievre continue, et sachant que son pere l'aymoit uniquement, disoit a l'une de ses amies: Je sens beaucoup de peine, mais pourtant je ne pense point aux remedes, car je ne sçai pas ce qui pourroit servir a ma guerison; je pourrois desirer une chose et il m'en faudroit une autre: ne gaigne-je donq pas mieux de laisser tout ce soin a mon pere, qui sçait, qui peut et qui veut pour moy tout ce qui est requis a ma santé? J'aurais tort d'y penser, car il y pensera asses pour moy; j'aurois tort de vouloir quelque chose, car il voudra asses tout ce qui me sera proffitable: seulement donq j'attendray qu'il veuille ce qu'il jugera expedient, et ne m'amuseray qu'a le regarder quand il sera pres de moy, a luy tesmoigner mon amour filial et luy faire connoistre ma confiance parfaite.

  A005000563 

 Mon pere, respondit elle, je suis vostre, je ne sçai ce que je dois vouloir pour guerir, c'est a vous de vouloir et faire pour moy tout ce qui vous semblera bon; car, quant a moy, il me suffit de vous aymer et honnorer de tout mon cœur, comme je fay.

  A005000563 

 Voyla donq qu'on luy bande le bras et que le pere mesme porte la lancette sur la veyne; mays tandis qu'il donne le coup et que le sang en sort, jamais cette aymable fille ne regarda son bras piqué, ni son sang sortant de la veyne, ains, tenant ses yeux arrestés sur le visage de son pere, elle ne disoit autre chose sinon parfois tout doucement: Mon pere m'ayme bien, et moy je suis toute sienne; et quand tout fut fait elle ne le remercia point, mais seulement repeta encor une fois les mesmes paroles de son affection et confiance filiale..

  A005000564 

 Or dites moy maintenant, mon ami Theotime, cette fille ne tesmoigna elle pas un amour plus attentif et plus solide envers son pere que si elle eust eu beaucoup de soin de luy demander des remedes a son mal, de regarder comme on luy ouvroit la veyne ou comme le sang couloit, et de luy dire beaucoup de paroles de remerciment? Il n'y a, certes, doute quelcomque en cela; car, si elle eust pensé a soy, qu'eust elle gaigné sinon d'avoir du souci inutile, puisque son pere en avoit asses pour elle? regardant son bras, qu'eust elle fait sinon recevoir de la frayeur? et remerciant son pere, quelle vertu eust elle prattiquee sinon celle de la gratitude? N'a elle pas donq mieux fait de s'occuper toute es demonstrations de son amour filial, infiniment plus aggreable au pere que toute autre vertu? [157].

  A005000565 

 Pourquoy te mesles tu de vouloir ou ne vouloir pas les evenemens et accidens du monde, puisque tu ne sçais pas ce que tu dois vouloir, et que Dieu voudra tous-jours asses pour toy tout ce que tu pourras vouloir, sans que tu t'en mettes en peine? Attens donq en repos d'esprit les effectz du bon playsir divin, et que son vouloir te suffise puisqu'il est tous-jours tres bon; car ainsy ordonna-il a sa bienaymee sainte Catherine de Sienne: «Pense en moy,» lui dit il, «et je penseray pour toy.».

  A005000566 

 Et si vous y prenes garde, l'attente de l'ame est vrayement volontaire, et toutefois ce n'est pas une action, mais une simple disposition a recevoir ce qui arrivera; et lhors que les evenemens sont arrivés et receuz, l'attente se convertit en consentement ou acquiescement, mais avant la venue d'iceux, en verité l'ame est en une simple attente, indifferente a tout ce qu'il plaira a la volonté divine d'ordonner..

  A005000566 

 Il est fort malaysé de bien exprimer cette extreme indifference de la volonté humaine qui est ainsy reduite et trespassee en la volonté de Dieu: car il ne faut pas dire, ce me semble, qu'elle acquiesce a celle de Dieu, puisque l'acquiescement est un acte de l'ame qui declaire son consentement; il ne faut pas dire non plus qu'elle accepte ni qu'elle reçoit, d'autant que accepter et recevoir sont de certaines actions qu'on peut en certaine façon appeller actions passives, par lesquelles nous embrassons et prenons ce qui nous arrive; il ne faut pas dire aussi qu'elle permet, d'autant que la permission est une action de la volonté, et par consequent un certain vouloir oysif qui ne veut voirement rien faire, mais veut pourtant laisser faire.

  A005000566 

 Il me semble donq plustost, que l'ame qui est en cette indifference et qui ne veut rien, ains laisse vouloir a Dieu ce qu'il luy plaira, doit estre ditte avoir sa volonté en une simple et generale attente; d'autant qu'attendre [158] ce n'est pas faire ou agir, ains demeurer exposé a quelqu'evenement.

  A005000567 

 Mays voyes, je vous prie, Theotime, que tout ainsy que nostre Sauveur, apres l'orayson de resignation qu'il fit au jardin des Olives et sa prise, se laissa manier et mener au gré de ceux qui le crucifierent, avec un abandonnement admirable de son cors et de sa vie entre leurs mains, aussi mit-il son ame et sa volonté, par une indifference tres parfaite, es mains de son Pere eternel.

  A005000567 

 Nostre Sauveur exprime ainsy l'extreme sous-mission de sa volonté humaine a celle de son Pere eternel: Le Seigneur Dieu, dit il, a ouvert mon aureille, c'est a dire, m'a annoncé son bon playsir touchant la multitude des travaux que je dois souffrir; et moy, dit il par apres, je ne contredis point, je ne me retire point en arriere. Qu'est ce a dire je ne contredis point, je ne me tire point en arriere? sinon: ma volonté est en une simple attente, et demeure disposee a tout ce que celle de Dieu ordonnera; en suite dequoy je baille et abandonne mon cors a la merci de ceux qui le battront, et mes joües a ceux qui les peleront, preparé a tout ce qu'ilz voudront faire de moy.

  A005000571 

 L'amour fit tout cela, Theotime: et c'est l'amour aussi qui, entrant en une ame affin de la faire heureusement mourir a soy et revivre a Dieu, la fait despouiller de tous les desirs humains et de l'estime de soy mesme, qui n'est pas moins attachee a l'esprit que la peau a la chair, et la desnue en fin des affections plus aymables, comme sont celles qu'elle avoit aux [160] consolations spirituelles, aux exercices de pieté et a la perfection des vertus, qui sembloyent estre la propre vie de l'ame devote..

  A005000571 

 Representons-nous le doux Jesus, Theotime, chez Pilate, ou, pour l'amour de nous, les gens d'armes, ministres de la mort, le devestirent de tous ses habitz l'un apres l'autre, et non contens de cela luy osterent encor sa peau, la deschirans a coups de verges et de foüetz; comme par apres son ame fut despouillee de son cors et le cors de sa vie par la mort qu'il souffrit en la croix: mais trois jours passés, par sa tressainte Resurrection, l'ame se revestit de son cors glorieux, et le cors de sa peau immortelle, et s'habilla de vestemens differens, ou en pelerin, ou en jardinier, ou d'autre sorte, selon que le salut des hommes et la gloire de son Pere le requeroit.

  A005000572 

 Car, comme la belle et chaste Judith avoit voirement dans ses cabinetz ses beaux habitz de feste, et neanmoins ne les affectionnoit point, ni ne s'en para jamais en sa viduité sinon quand, inspiree de Dieu, elle alla ruiner Holophernes, ainsy, quoy que nous ayons appris la prattique des vertus et les exercices de devotion, si est ce que nous ne les devons point affectionner ni en revestir nostre cœur sinon a mesure que nous sçavons que c'est le bon playsir de Dieu; et comme Judith demeura tous-jours en habit de deuil, sinon en cette occasion en laquelle Dieu voulut qu'elle se mist en pompe, aussi devons nous paisiblement demeurer revestus de nostre misere et abjection, parmi nos imperfections et foiblesses, jusques a ce que Dieu nous exalte a la prattique des excellentes actions..

  A005000572 

 Ouy, Theotime, le mesme Seigneur qui nous fait desirer les vertus en nostre commencement et qui nous les fait prattiquer en toutes occurrences, c'est luy mesme qui nous oste l'affection des vertus et de tous les exercices spirituelz, affin qu'avec plus de tranquillité, de pureté et de simplicité, nous n'affectionnions rien que le bon playsir de sa divine Majesté.

  A005000573 

 Car ayant tout renoncé, voire mesme les affections des vertus, pour ne vouloir ni de celles-la ni d'autres quelconques qu'autant que le bon playsir divin portera, il [161] nous faut revestir derechef de plusieurs affections, et peut estre des mesmes que nous avons renoncees et resignees; mais il s'en faut derechef revestir, non plus parce qu'elles nous sont aggreables, utiles, honnorables et propres a contenter l'amour que nous avons pour nous mesmes, ains parce qu'elles sont aggreables a Dieu, utiles a son honneur et destinees a sa gloire..

  A005000573 

 On ne peut longuement demeurer en cette nudité, despouillé de toute sorte d'affections: c'est pourquoy, selon l'advis du saint Apostre, apres que nous avons osté les vestemens du viel Adam, il se faut revestir des habitz du nouvel homme, c'est a dire de Jesus Christ.

  A005000574 

 Eliezer portoit des pendans d'aureilles, des brasseletz et des vestemens neufs pour la fille que Dieu avoit preparee au filz de son maistre; et par effect il les donna a la vierge Rebecca si tost qu'il conneut qu'elle estoit celle la.

  A005000574 

 Il faut des habitz neufs a l'espouse du Sauveur: si pour l'amour de luy elle s'est despouillee de l'affection ancienne qu'elle avoit a ses parens, au païs, a la mayson, aux amis, il faut qu'elle en prenne une toute nouvelle, affectionnant tout cela en son rang, non plus selon les considerations humaines, mais parce que l'Espoux celeste le veut, le commande et l'entend, et qu' il a mis un tel ordre en la charité.

  A005000574 

 Si on s'est desnué de la vielle affection aux consolations spirituelles, aux exercices de la devotion, a la prattique des vertus, voire mesme a nostre propre avancement en la perfection, il se faut revestir d'une autre affection toute nouvelle, aymant toutes ces graces et faveurs celestes non plus parce qu'elles perfectionnent et ornent nostre esprit, mays parce que le nom de Nostre Seigneur en est sanctifié, que son royaume en est enrichi et son bon playsir glorifié..

  A005000575 

 Ainsy saint Pierre s'habille dans la prison, non par son election, mais a mesure que l'Ange le luy commande: il met sa ceinture, puis ses sandales, puis ses autres vestemens.

  A005000575 

 Et le glorieux saint Paul, despouillé en un moment de toutes affections: Seigneur, dit-il, que voules vous que je face? c'est a dire: Que vous plait-il que j'affectionne, puisque me jettant a terre vous aves fait mourir ma volonté propre? Hé, Seigneur, mettes vostre bon playsir en sa place et m'enseignes de faire vostre volonté, car vous estes mon Dieu.

  A005000575 

 Theotime, quicomque a tout quitté pour Dieu ne doit [162] rien reprendre que comme Dieu le veut: il ne nourrit plus son cors sinon comme Dieu l'ordonne, affin qu'il serve a l'esprit; il n'estudie plus que pour servir le prochain et sa propre ame, selon l'intention divine; il prattique les vertus, non selon qu'elles sont plus a son gré, mais selon que Dieu le desire..

  A005000576 

 Dieu commanda au prophete Isaïe de se despouiller tout nud, et il le fit, marchant et preschant en cette sorte, ou trois jours entiers, comme quelques uns dient, ou trois ans, comme les autres pensent; puis il reprit ses habitz quand le terme que Dieu luy avoit prefigé fut passé.

  A005000584 

 En cela, Theotime, consiste la grandeur et primauté du commandement de l'amour divin que le Sauveur nomme le premier et le tres grand commandement.

  A005000584 

 Grand commandement, duquel la parfaite prattique dure en la vie eternelle, ains n'est autre chose que la vie eternelle!.

  A005000585 

 Mais voyés, Theotime, combien cette loy d'amour est aymable! Hé, Seigneur Dieu, ne suffisoit il pas qu'il vous pleust de nous permettre ce divin amour, comme Laban permit celuy de Rachel a Jacob, sans qu'il vous pleust encor de nous y semondre par exhortations, de nous y pousser par vos commandemens? Mais non, Bonté divine, affin que ni vostre grandeur, ni nostre bassesse, ni pretexte quelcomque ne nous retardast de vous aymer, vous nous le commandés.

  A005000585 

 O vray Dieu, si nous le sçavions entendre, mon cher Theotime, quelle obligation aurions-nous a ce souverain Bien qui non seulement nous permet, mais nous commande de l'aymer! Helas, o Dieu, je ne sçay pas si je dois plus aymer vostre infinie beauté qu'une si divine bonté m'ordonne d'aymer, ou vostre divine bonté qui m'ordonne d'aymer une si tres infinie beauté! O beauté, combien estes vous aymable, m'estant octroyee par une si immense bonté! o bonté, que vous estes amiable de me communiquer une si eminente beauté!.

  A005000586 

 Car a mesme que la claire et belle connoissance de la divine beauté aura penetré les entendemens de ces espritz infortunés, la divine justice ostera tellement la force a la volonté, qu'elle ne pourra nullement aymer cet object que l'entendement luy proposera et representera estre tant aymable; et cette veüe qui devoit engendrer un si grand amour en la volonté, en lieu de cela y fera naistre une tristesse infinie, laquelle sera rendue eternelle par la souvenance qui demeurera a jamais en ces ames perdues de la souveraine beauté qu'ilz auront veüe: souvenance sterile de tout bien, ains fertile de travaux, de peines, de tormens et de desespoirs immortelz; d'autant qu'en la volonté se treuvera tout ensemble une impossibilité, ains une effroyable et eternelle aversion et repugnance d'aymer cette tant desirable excellence.

  A005000586 

 Si que les miserables damnés demeureront a jamais en une rage desesperee, de sçavoir une perfection si souverainement aymable sans en pouvoir jamais avoir ni la jouissance ni l'amour, parce que tandis qu'ilz l'ont peu aymer ilz n'ont pas voulu: ilz brusleront d'une soif d'autant plus violente que le souvenir de cette source des eaux de la vie eternelle aiguisera leurs ardeurs; ilz mourront immortellement, comme des chiens, d'une faim [167] d'autant plus vehemente, que leur memoire en affinera l'insatiable cruauté par le souvenir du festin duquel ilz auront esté privés:.

  A005000590 

 Mais quoy que brasse en son courage.

  A005000593 

 Certes, je ne voudrois pas asseurer que cette veùe de la beauté de Dieu, que les malheureux auront comme en eloyse et a guise d'un esclair, doive estre de mesme clarté que celle des Bienheureux; mais elle sera pourtant si claire qu' ilz verront le Filz de l'homme en sa majesté, ilz verront Celuy qu'ilz ont percé, et par la veüe de cette gloire connoistront la grandeur de leur perte.

  A005000593 

 O si Dieu avoit defendu a l'homme de l'aymer, que de regretz es ames genereuses! que ne feroyent elles pas pour en obtenir la permission! David entra au hazard d'un combat extremement rude, pour avoir la fille du Roy; et qu'est ce que ne fit pas Jacob pour pouvoir espouser Rachel, et le prince Sichem, pour avoir Dina en mariage? Les damnés s'estimeroyent bienheureux s'ilz pensoyent de pouvoir quelque fois aymer Dieu, et les Bienheureux s'estimeroyent damnés s'ilz croyoient de pouvoir estre une fois privés de cet amour sacré..

  A005000594 

 Hé, vray Dieu, combien est desirable la suavité de ce commandement, Theotime, puisque si la divine volonté le faysoit aux damnés ilz seroyent en un moment delivrés de leur plus grand malheur, et que les Bienheureux ne sont Bienheureux que par la prattique d'iceluy! O amour celeste, que vous estes aymable a nos ames! et que benie soit a jamais la Bonté laquelle nous commande avec tant de soin qu'on l'ayme, quoy que son amour soit si desirable et necessaire a nostre bonheur que sans iceluy nous ne puissions estre que malheureux! [168].

  A005000598 

 Nous sommes donques destinés au contentement qui nous est promis en la vie immortelle, par ce commandement qui nous est fait en cette vie mortelle, en laquelle nous sommes, a la verité, obligés de l'observer tres estroittement, puisque c'est la loy fondamentale que le Roy Jesus a donné aux citoyens de la Hierusalem militante, pour leur faire meriter la bourgeoisie et la joye de la Hierusalem triomphante..

  A005000598 

 Si aucune loy n'est imfosee au juste, parce que, prevenant la loy et sans avoir besoin d'estre sollicité par icelle, il fait la volonté de Dieu par l'instinct de la charité qui regne en son ame, combien devons nous estimer les Bienheureux de Paradis libres et exemptz de toute sorte de commandemens, puisque, de la jouissance en laquelle ilz sont de la souveraine beauté et bonté du Bienaymé, coule et procede une tres douce mais inevitable necessité en leurs espritz, d'aymer eternellement la tressainte Divinité? Nous aymerons Dieu au Ciel, Theotime, non comme liés et obligés par la loy, mais comme attirés et ravis par la joye que cet object si parfaittement aymable donnera a nos cœurs; alhors la force du commandement cessera pour faire place a la force du contentement, qui sera le fruit et le comble de l'observation du commandement.

  A005000604 

 Et ne faut pas non plus, Theotime, que pendant l'enfance de nostre vie mortelle, nous laissions de faire ce qui est en nous, selon qu'il nous est commandé; puisque non seulement nous le pouvons, mais il est tres aysé, tout ce commandement estant de l'amour, et de l'amour de Dieu, qui, estant souverainement bon, est souverainement aymable.

  A005000604 

 Mais il ne faut pas pretendre a cet amour si extremement parfait, en cette vie mortelle, car nous n'avons pas encor ni le cœur, ni l'ame, ni l'esprit, ni les forces des Bienheureux: il suffit que nous aymions de tout le cœur et de toutes les forces que nous avons.

  A005000604 

 Tandis que nous sommes petitz enfans, nous sommes sages comme petitz enfans, nous parlons en petitz enfans, nous aymons comme petitz enfans; mais quand nous serons parfaitz la haut au Ciel, nous serons quittes de nostre enfance et aymerons Dieu parfaittement.

  A005000608 

 Or cela est ainsy, d'autant que le devoir par lequel on est tout aux uns n'est pas contraire au devoir par lequel on est tout aux autres..

  A005000610 

 Certes, Theotime, la haut en Paradis Dieu se donnera tout a nous, et non pas en partie, puysque c'est un tout qui n'a point de parties; mais il se donnera pourtant diversement, et avec autant de differences qu'il y aura de Bienheureux: ce qui se fera ainsy, parce que, se donnant tout a tous et tout a un chacun, il ne se donnera jamais totalement ni a pas un en particulier, ni a tous en general.

  A005000610 

 Je fay hommage au prince souverain et je le fay encor au subalterne: j'engage donq envers l'un et envers l'autre toute ma fidelité, et toutefois je ne l'engage pas totalement ni a l'un ni a l'autre; car en celle que je preste, au souverain je n'exclus pas celle du subalterne, et en celle du subalterne je ne comprens pas celle du souverain.

  A005000610 

 Le miel de Narbonne est tout doux, si est bien celuy de Paris: tous deux sont pleins de douceur, mais l'un neanmoins est plein d'une meilleure, plus fine et plus forte douceur; et bien que l'un et l'autre soit tout doux, ni l'un ni l'autre n'est pas toutefois totalement doux.

  A005000610 

 Or nous nous donnerons a luy selon la mesure qu'il se donnera a nous, car nous le verrons voirement tous face a face ainsy qu'il est en sa beauté, et l'aymerons de cœur a cœur ainsy qu'il est en sa bonté; mays tous toutefois ne le verront pas avec une egale clarté, ni ne l'aymeront pas avec une egale suavité, ains un chacun le verra et l'aymera selon la particuliere mesure de gloire que la divine providence luy a preparee.

  A005000610 

 Que si au Ciel, ou ces paroles, Tu aymeras le [172] Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, seront si excellemment prattiquees, on aura des si grandes differences en l'amour, ce n'est pas merveille si en cette vie mortelle il y en a beaucoup..

  A005000611 

 Qui ne sçait que l'on proffite en ce saint amour, et que la fin des Saintz est comblee d'un plus parfait amour que le commencement?.

  A005000612 

 Ains, il n'y a point de doute que David, pris a part, ne fut grandement dissemblable a soy mesme en cet amour; et qu'avec son second cœur, que Dieu crea net et pur en luy, et avec son esprit droit, que Dieu renouvella en ses entrailles par la tressainte pœnitence, il ne chantast beaucoup plus melodieusement le cantique de sa dilection, qu'il n'avoit jamais fait avec son cœur et son esprit premier..

  A005000612 

 O Seigneur, disoit David, je vous ay cherché de tout mon cœur; J'ay crié de tout mon cœur, Seigneur, exauces moy; et la sacree Parole tesmoigne que vrayement il avoit suivi Dieu de tout son cœur.

  A005000612 

 Tous troys l'aymerent un chacun de tout son cœur, mais pas un d'entr'eux, ni tous troys ensemble ne l'aymerent totalement, ains chacun en sa façon particuliere: si que, comme tous trois furent semblables en ce qu'ilz donnerent un chacun tout son cœur, aussi furent-ilz dissemblables tous trois en la maniere de le donner.

  A005000612 

 Voyes donq, Theotime, je vous prie, voyes comme David, Ezechias et Josias aymerent Dieu de tout leur cœur, et que neanmoins ilz ne l'aymerent pas tous troys egalement, puisque aucun de ces troys n'eut son semblable en cet amour, ainsy que dit le sacré Texte.

  A005000613 

 Qui le donne tout par le martire, qui tout par la virginité, qui tout par la pauvreté, qui tout par l'action, qui tout par la contemplation, qui tout par l'exercice pastoral; et tous le donnans tout par l'observance des commandemens, les uns pourtant le donnent avec moins de perfection que les autres.

  A005000613 

 Tous les vrays amans sont egaux en ce que tous donnent tout leur cœur a Dieu, et de toute leur force, mais ilz sont inegaux en ce qu'ilz le donnent tous diversement et avec des differentes façons; dont les uns donnent tout leur cœur de toute leur force moins parfaitement que les autres.

  A005000614 

 Il ayme Dieu comme son Dieu, sur toutes choses et plus que soy mesme; il ayme Rachel comme sa femme, sur toutes les autres femmes et comme luy mesme.

  A005000614 

 Ouy mesme Jacob, qui est appelle le saint de Dieu, en Daniel, et que Dieu proteste d'avoir aymé, confesse luy mesme qu'il avoit servi Laban de toutes ses forces.

  A005000615 

 De sorte, Theotime, que le prix de l'amour que nous portons a Dieu depend de l'eminence et excellence du motif pour lequel et selon lequel nous l'aymons, en ce que nous l'aymons pour sa souveraine infinie bonté, comme Dieu et selon qu'il est Dieu.

  A005000615 

 Or, une goutte de cet amour vaut mieux, a plus de force et merite plus d'estime que tous les autres amours qui jamais puissent estre es coeurs des hommes et parmi les choeurs des Anges; car tandis que cet amour vit, il regne et tient le sceptre sur toutes affections, faysant preferer Dieu en sa volonté a toutes choses indifferemment, universellement et sans reserve.

  A005000619 

 Tandis que le grand roy Salomon, jouïssant encor de l'Esprit divin, composoit le sacré Cantique des Cantiques, il avoit, selon la permission de ce tems-la, une grande varieté de dames et damoyselles dediees a son amour en diverses conditions et sous des differentes qualités.

  A005000619 

 il y en avoit une qui estoit uniquement l'unique amie toute parfaite, toute rare, comme une singuliere colombe, avec laquelle les autres n'entroyent point en comparayson, et que pour cela il appella de son nom, Sulamite.

  A005000620 

 Entre lesquelles il y en a qui, estant nouvellement delivrees de leurs pechés et bien resolues d'aymer Dieu, sont neanmoins encor novices, apprentisses, tendres et foibles: si que elles ayment voirement la divine suavité, mais avec meslange de tant d'autres differentes affections, que leur amour sacré estant encor comme en son enfance, elles ayment avec Nostre Seigneur quantité de choses superflues, vaynes et dangereuses.

  A005000620 

 Et comme un phœnix nouvellement esclos de sa cendre, n'ayant encor que des petites plumes fluettes et des poilz foletz, ne peut faire que des petitz eslans par lesquelz il doit estre dit sauter plustost que voler, ainsy ces tendres jeunes ames, nouvellement nees dans la cendre de leur pœnitence, ne peuvent encor pas prendre l'essor et voler au plein air de l'amour sacré, retenues dans une multitude de mauvaises inclinations et habitudes depravees que les pechés de la vie passee leur ont laissé.

  A005000621 

 D'autant que tout ainsy que les jeunes fillettes ayment voirement bien leurs espoux, si elles en ont, mais ne laissent pas d'aymer grandement les bagues et bagatelles, et leurs compaignes avec lesquelles elles s'amusent esperdument a jouer, danser et folastrer, s'entretenans avec les petitz oyseaux, petitz chiens, escuyrieux et autres telz jouetz, aussi ces ames jeunes et novices ayment certes bien l'Espoux sacré, mais avec une multitude de distractions et divertissemens volontaires: de sorte que l'aymant par dessus toutes choses, elles ne laissent pas [178] de s'amuser a plusieurs choses qu'elles n'ayment pas selon luy, ains outre luy, hors de luy et sans luy.

  A005000621 

 Or, ces ames sont nommees jeunes filles, au Cantique, d'autant qu'ayant senti l' odeur du nom de l'Espoux, qui ne respire que salut et pardon, elles l'ayment d'un amour vray, mais amour qui, comme elles, est en sa tendre jeunesse.

  A005000622 

 Dieu vouloit qu'Adam aymast tendrement Eve, mais non pas aussi si tendrement que pour luy complaire il violast l'ordre que sa divine Majesté luy avoit donné: il n'ayma pas donq une chose superflue ni de soy mesme dangereuse, mais il l'ayma avec superfluité et dangereusement.

  A005000622 

 Et ces ames qui n'ayment rien que ce que Dieu veut qu'elles ayment, mais qui excedent en la façon d'aymer, ayment voirement la divine Bonté sur toutes choses, mais non pas en toutes choses; car les choses mesmes qu'il leur est non seulement permis mais ordonné [179] d'aymer selon Dieu, elles ne les ayment pas seulement selon Dieu, ains pour des causes et motifs qui ne sont pas certes contre Dieu, mais bien hors de Dieu: de sorte qu'elles ressemblent au phœnix qui, ayant ses premieres plumes et commençant a se renforcer, se guinde des-ja en plein air, mais n'a pourtant encor asses de force pour demeurer longuement au vol, dont il descend souvent prendre terre pour s'y reposer.

  A005000622 

 L'amour de nos parens, amis, bienfacteurs, est de soy mesme selon Dieu, mais nous les pouvons aymer excessivement; comme aussi nos vocations, pour spirituelles qu'elles soyent, et nos exercices de pieté (que toutefois nous devons tant affectionner) peuvent estre aymés desreglement, lhors que l'on les prefere a l'obeissance et au bien plus universel, ou que l'on les affectionne en qualité de derniere fin, bien qu'ilz ne soyent que des moyens et acheminemens a nostre finale pretention, qui est le divin amour.

  A005000622 

 Mays il y a des ames qui, ayant des-ja fait quelque progres en l'amour divin, ont retranché tout l'amour qu'elles avoyent aux choses dangereuses, et neanmoins ne laissent pas d'avoir des amours dangereux et superflus, parce qu'elles affectionnent avec exces et par un amour trop tendre et passionné ce que Dieu veut qu'elles ayment.

  A005000622 

 Tel fut le pauvre jeune homme qui, ayant observé les commandemens de Dieu des son bas aage, ne desiroit pas les biens d'autruy, mais il affectionnoit trop tendrement ceux qu'il avoit; c'est pourquoy, quand Nostre Seigneur luy conseilla de les donner aux pauvres, il devint tout triste et melancholique: il n'aymoit rien que ce qui luy estoit loysible d'aymer, mais il l'aymoit d'un amour superflu et trop serré..

  A005000623 

 Et pour cela elles jouissent du lit nuptial du Salomon celeste, c'est a dire des unions, des recueillemens et des repos amoureux dont il a esté parlé au Livre V et VI; mais elles n'en jouissent pas en qualité d'espouses, parce que la superfluité avec laquelle elles affectionnent les choses bonnes, fait qu'elles n'entrent pas fort souvent en ces divines unions de l'Espoux, estant occupees et diverties pour aymer hors de luy et sans luy ce qu'elles ne devroyent aymer qu'en luy et pour luy.

  A005000627 

 Car ainsy ces ames n'ayment rien si ce n'est en Dieu, quoy que toutefois elles ayment plusieurs choses avec Dieu, et Dieu avec plusieurs choses.

  A005000627 

 Or il y a des autres ames qui n'ayment ni les superfluités ni avec superfluité, ains ayment seulement ce que Dieu veut et comme Dieu veut: ames heureuses, puisqu'elles ayment Dieu, et leurs amis en Dieu, et leurs ennemis pour Dieu; elles ayment plusieurs choses avec Dieu, mais pas une sinon en Dieu et pour Dieu; c'est Dieu qu'elles ayment non seulement sur toutes choses mais en toutes choses, et toutes choses en Dieu; semblables au phœnix parfaitement rajeuni et revigoré, que l'on ne void jamais qu'en l'air ou sur les coupeaux des montz qui sont en l'air.

  A005000627 

 Saint Luc recite que Nostre Seigneur invita a sa suite un jeune homme qui l'aymoit voirement bien fort, mais il aymoit encor grandement son pere, et pour cela vouloit retourner a luy; et Nostre Seigneur luy retranche cette superfluité d'amour et l'excite a un amour plus pur, affin que non seulement il ayme Nostre Seigneur plus que son pere, mais qu'il n'ayme son pere qu'en Nostre Seigneur: Laisse aux mortz le soin d'ensevelir leurs mortz, mais quant a toy, qui as treuvé la vie, va, et annonce le Royaume de Dieu.

  A005000628 

 Ame toute pure, qui n'ayme pas mesme le Paradis sinon parce que l'Espoux y est aymé; mais Espoux si souverainement aymé en son Paradis, que s'il n'avoit point de Paradis a donner il n'en seroit ni [182] moins aymable ni moins aymé par cette courageuse amante, qui ne sçait pas aymer le Paradis de son Espoux, ains seulement son Espoux de Paradis, et qui ne prise pas moins le Calvaire tandis que son Espoux y est crucifié, que le Ciel ou il est glorifié.

  A005000628 

 Celuy qui pese une des petites boulettes du cœur de sainte Claire de Montefalco y treuve autant de poids comme il en treuve les pesant toutes trois ensemble; ainsy le grand amour treuve Dieu autant aymable luy seul que toutes les creatures avec luy ensemble, d'autant qu'il n'ayme toutes les creatures qu'en Dieu et pour Dieu..

  A005000628 

 Mais en fin, au dessus de toutes ces ames, il y en a une tres uniquement unique, qui est la reyne des reynes, la plus aymante, la plus aymable et la plus aymee de toutes les amies du divin Espoux, qui non seulement ayme Dieu sur toutes choses et en toutes choses, mais n'ayme que Dieu en toutes choses, de sorte qu'elle n'ayme pas plusieurs choses, ains une seule chose, qui est Dieu; et parce que c'est Dieu seul qu'elle ayme en tout ce qu'elle ayme, elle l'ayme egalement par tout, selon que le bon playsir d'iceluy le requiert, hors de toutes choses et sans toutes choses.

  A005000628 

 Or, cette sacree amante n'ayme non plus son Roy avec tout l'univers que s'il estoit tout seul sans univers, parce que tout ce qui est hors de Dieu et n'est pas Dieu ne luy est rien.

  A005000628 

 Si ce n'est qu'Hester qu'Assuerus ayme, pourquoy l'aymera-il plus lhors qu'elle est parfumee et paree que lhors qu'elle est en son habit ordinaire? Si ce n'est que mon Sauveur que j'ayme, pourquoy n'aymeray-je pas autant la montaigne de Calvaire que celle de Tabor, puisqu'il est aussi veritablement en l'une qu'en l'autre? et pourquoy ne diray je pas aussi cordialement en l'une comme en l'autre: Il est bon d'estre icy? J'ayme le Sauveur en Egypte sans aymer l'Egypte; pourquoy ne l'aymeray-je pas au festin de Simon le Lepreux sans aymer le festin? et si je l'ayme entre les blasphemes qu'on respand sur luy sans aymer les blasphemes, pourquoy ne l'aymeray-je pas parfumé de l' unguent pretieux de Magdeleyne sans aymer ni l'unguent ni la senteur? C'est le vray signe que nous n'aymons que Dieu en toutes choses quand nous l'aymons egalement en toutes choses, puisqu'estant tous-jours egal a soy mesme, l'inegalité de nostre amour envers luy ne peut avoir origine que de la consideration de quelque chose qui n'est pas luy.

  A005000629 

 Car, je vous prie, Theotime, que devoit estre celuy qui de tout son cœur chantoit a Dieu:.

  A005000629 

 De ces ames si parfaites il y en a si peu, que chacune d'icelles est appellee unique de sa mere, qui est la Providence divine; elle est dite unique colombe, qui pour tout n'ayme que son colombeau; elle est nommee parfaite, parce qu'elle est rendue par amour une mesme chose avec la souveraine perfection; dont elle peut dire avec une tres humble verité: Je ne suis que pour mon Bienaymé, et il est tout tourné devers moy.

  A005000629 

 Or, il n'y a que la tressainte Vierge Nostre Dame qui soit parfaitement parvenue a ce degré d'excellence en l'amour de son cher Bienaymé; car elle est une colombe si uniquement unique en dilection, que toutes les autres estans mises aupres d'elle en parangon meritent plustost le nom de corneilles que de colombes.

  A005000632 

 Et que veux-je icy bas sinon toy rechercher?.

  A005000634 

 Ames rares et singulieres, qui n'ont plus aucune ressemblance avec les oyseaux dé ce monde, non pas mesme avec le phœnix, qui est si uniquement rare; ains sont seulement representees par cet oyseau que pour son excellente beauté et noblesse on dit n'estre pas de ce monde, ains du Paradis, dont il porte le nom: car ce bel oyseau desdaignant la terre, ne la touche jamais, vivant tous-jours en l'air; de sorte que lhors mesme qu'il veut se delasser, il ne s'attache aux arbres que par des petitz filetz ausquelz il demeure suspendu en l'air, hors duquel et sans lequel il ne peut ni voler ni reposer.

  A005000634 

 Et de mesme, ces grandes ames n'ayment pas, a proprement parler, les creaturès en elles mesmes, ains en leur Createur, et leur Createur en icelles: que si elles s'attachent par la loy de la charité a quelque creature, ce n'est que pour se reposer en Dieu, unique et finale pretention de leur amour; si que, treuvant Dieu es creatures et les creatures en Dieu, elles ayment Dieu et non les creatures, comme ceux peschent aux perles qui, treuvans les perles dans les ouïstres, n'estiment toutefois leur pesche que pour les seules perles..

  A005000635 

 Et de mesme il arrive quelquefois aux ames qui sont au rang des uniques et parfaites amantes, qu'elles se demettent et relaschent bien fort, voire mesme jusques a commettre des grandes imperfections et des fascheux pechés venielz; comme on void en plusieurs dissentions asses aigres, survenues entre des grans serviteurs de Dieu, ouï mesme entre quelques uns des divins Apostres, que l'on ne peut nier estre tumbés en quelques imperfections, par lesquelles la charité n'estoit pas certes violee, mais ouy bien toutefois la ferveur d'icelle.

  A005000635 

 Et lhors il faut confesser que ces arbres sont fructueux, autrement ilz ne seroyent pas bons; mais il ne faut pas nier non plus que quelques uns de leurs fruitz ne soyent infructueux, car qui niera que les chatons et le guy des arbres ne soit un fruit infructueux? Et qui niera que les menues choleres et les petitz exces de joye, de risee, de vanité et autres telles passions, ne soyent des mouvemens inutiles et illegitimes? et toutefois le juste en produit sept fois le jour, c'est a dire bien souvent.

  A005000635 

 Les ames qui, comme jeunes filles, sont encor [184] embarrassees de plusieurs affections vaines et dangereuses, ne laissent pas d'avoir quelquefois des sentimens de l'amour plus pur et supreme; mais parce que ce ne sont que des eloyses et esclairs passagers, on ne peut pas dire que ces ames soyent pour cela hors de l'estat des jeunes filles novices et apprentisses.

  A005000635 

 Or, d'autant neanmoins que ces grandes ames aymoient pour l'ordinaire Dieu de l'amour parfaitement pur, on ne doit pas laisser de dire qu'elles ont esté en l'estat de la parfaite dilection: car, comme nous voyons que les bons arbres ne produisent jamais aucun fruit veneneux, mais ouï bien du fruit verd ou vereux et taré, du guy et de la mousse, ainsy les grans Saintz ne produisent jamais aucun peché mortel, mais ouï bien des actions inutiles, mal meures, aspres, rudes et mal assaysonnees.

  A005000639 

 Y ayant tant de divers degrés d'amour entre les vrays amans, il n'y a neanmoins qu'un seul commandement d'amour qui oblige generalement et egalement un chacun d'une toute pareille et totalement egale obligation, quoy qu'il soit observé differemment et avec une infinie varieté de perfections, n'y ayant peut estre point d'ames en terre, non plus que d'Anges au Ciel, qui ayent entr'elles une parfaite egalité de dilection; puisque comme une estoile est differente d'avec l'autre estoile en clarté, ainsy en sera-il parmi les Bienheureux resuscités, ou chacun chante un cantique de gloire, et reçoit un nom que nul ne sçait sinon celuy qui le reçoit.

  A005000640 

 C'est l'amour qui doit prevaloir [186] sur tous nos amours et regner sur toutes nos passions: et c'est ce que Dieu requiert de nous, qu'entre tous nos amours le sien soit le plus cordial, dominant sur tout nostre cœur; le plus affectionné, occupant toute nostre ame; le plus general, employant toutes nos puissances; le plus relevé, remplissant tout nostre esprit, et le plus ferme, exerçant toute nostre force et vigueur.

  A005000640 

 Car, bien que la dilection soit un amour, si est ce qu'elle n'est pas un simple amour, ains un amour accompaigné de choix et d'election, ainsy que la parole mesme le porte, comme remarque le tres glorieux saint Thomas; car ce commandement nous enjoint un amour esleu entre mille, comme le Bienaymé de cet amour est exquis entre mille, ainsy que la bienaymee Sulamite l'a remarqué au Cantique.

  A005000640 

 Et parce que par iceluy nous choisissons et elisons Dieu pour le souverain object de nostre esprit, c'est un amour de souveraine election ou une election de souverain amour..

  A005000640 

 Ç'a esté un trait de la providence du Saint Esprit qu'en nostre version ordinaire, que sa divine Majesté a canonizee et sanctifiee par le Concile de Trente, le celeste commandement d'aymer est exprimé par le mot de dilection, plustost que par celuy d'aymer.

  A005000641 

 C'est cette supreme dilection qui met Dieu en telle estime dedans nos ames, et fait que nous prisons si hautement le bien de luy estre aggreables, que nous le [187] preferons et affectionnons sur toutes choses.

  A005000641 

 Escoute, Israël; ton Dieu il est seul Seigneur, et partant tu l'aymeras de tout ton cœur, de toute ton ame, de tout ton entendement et de toute ta force: parce que Dieu est seul Seigneur et que sa bonté est infiniment eminente au dessus de toute bonté, il le faut aymer d'un amour relevé, excellent et puissant au dessus de toute comparayson.

  A005000641 

 L'amour de Dieu est l'amour sans pair, parce que la bonté de Dieu est la bonté nompareille.

  A005000641 

 L'amour est comme l'honneur: car tout ainsy que les honneurs se diversifient selon la varieté des excellences pour lesquelles on honnore, aussi les amours sont differens selon la diversité des bontés pour lesquelles on ayme.

  A005000641 

 Or, ne voyes vous pas, Theotime, que quicomque ayme Dieu de cette sorte, il a toute son ame et toute sa force dediee a Dieu? puisque tous-jours et a jamais, en toutes occurrences, il preferera la bonne grace de Dieu a toutes choses, et sera tous-jours prest de quitter tout l'univers pour conserver l'amour qu'il doit a la divine Bonté.

  A005000645 

 On ne connoist pas tous-jours clairement, ni jamais tout a fait certainement, au moins «d'une certitude de foy,» si on a le vray amour de Dieu requis pour estre sauvé; mais on ne laisse pas pourtant d'en avoir plusieurs marques, entre lesquelles la plus asseuree et presque infallible paroist quand quelque grand amour des creatures s'oppose aux desseins de l'amour de Dieu: car alhors, si l'amour divin est en l'ame, il fait paroistre la grandeur du credit et de l'authorité qu'il a sur la volonté, monstrant par effect que non seulement il n'a point de maistre, mais que mesme il n'a point de compaignon, reprimant et renversant tout ce qui le contrarie, et se faisant obeir en ses intentions.

  A005000645 

 Quand la malheureuse trouppe des espritz diaboliques, s'estant revoltee contre son Createur, voulut attirer a sa faction [188] la sainte compaignie des espritz bienheureux, le glorieux saint Michel, animant ses compaignons a la fidelité qu'ilz devoyent a leur Dieu, crioit a haute voix, mais d'une façon angelique, parmi la celeste Hierusalem: Qui est comme Dieu? Et par ce mot il renversa le felon Lucifer avec sa suite, qui se vouloyent egaler a la divine Majesté; et de la, comme on dit, le nom fut imposé a saint Michel, puisque Michel ne veut dire autre chose sinon: Qui est comme Dieu? Et lhors que les amours des choses creées veulent tirer nos espritz a leur parti pour nous rendre desobeissans a la divine Majesté, si le grand amour divin se treuve en l'ame, il fait teste, comme un autre saint Michel, et asseure les puissances et forces de l'ame au service de Dieu par ce mot de fermeté: Qui est comme Dieu? quelle bonté y a-il es creatures, qui doive attirer le cœur humain a se rebeller contre la souveraine bonté de son Dieu?.

  A005000646 

 Lhors que le saint et brave gentilhomme Joseph conneut que l'amour de sa maistresse tendoit a la ruine de celuy qu'il devoit a son maistre: Ah, dit il, Dieu m'en garde de violer le respect que je dois a mon maistre qui se confie tant en moy! comment donq pourrois-je perpetrer ce crime et pecher contre mon Dieu? Tenes, Theotime, voyla trois amours dans le cœur de l'aymable Joseph, car il ayme sa dame, son maistre et Dieu; mais lhors que celuy de sa dame s'oppose a celuy de son maistre, il le quitte tout court et s'enfuit, comme il eust aussi quitté celuy de son maistre s'il eust esté contraire a celuy de son Dieu.

  A005000647 

 Et la sacree dilection, toutefois, ne laisse pas d'exceller au dessus de tous les autres amours, ainsy que les evenemens font voir quand la creature s'oppose au Createur; car alhors nous prenons le parti de la dilection sacree et luy sousmettons toutes nos autres affections..

  A005000647 

 La divine dilection veut bien que nous ayons des autres amours, et souvent on ne sçauroit discerner quel est le principal amour de nostre cœur; car ce cœur humain tire maintefois tres affectionnement dans le lit de sa complaysance l'amour des creatures, ains il arrive souvent qu'il multiplie beaucoup plus les actes de son affection envers la creature que ceux de sa dilection envers son Createur.

  A005000647 

 Mais quand ce vint a mettre ces deux amours en comparayson, le bon Abraham fit bien voir lequel estoit le plus fort; car Sarai ne luy eut pas plus tost remonstré qu'Agar la mesprisoit, qu'il luy respondit: Agar ta chambriere est en ta puissance, fais-en comme tu voudras; si que Sarai affligea des lhors tellement cette pauvre Agar qu'elle fut contrainte de se retirer.

  A005000648 

 On demande quelle est la plus excellente gloire d'un prince, ou celle qu'il acquiert en la guerre par les armes, ou celle qu'il merite en la paix par la justice; et il me semble que la gloire militaire est plus grande, et l'autre meilleure: ainsy qu'entre les instrumens, les tambours et trompettes font plus de bruit, mais les luths et les espinettes font plus de melodie; le son des uns est plus fort, et l'autre plus suave et spirituel.

  A005000648 

 Une des perles de Cleopatra valoit mieux que le plus haut de nos rochers, mais celuy ci est bien plus grand: l'un a plus de grandeur, l'autre plus de valeur.

  A005000649 

 Ainsy, quand un cœur ayme Dieu en consideration de son infinie bonté, pour peu qu'il ayt de cette excellente dilection, il preferera la volonté de Dieu a toutes choses, et en toutes les occasions qui se presenteront il quittera tout pour se conserver en la grace de la souveraine Bonté, sans que chose quelconque l'en puisse separer: de sorte qu'encor que ce divin amour ne presse ni n'attendrisse tous-jours pas tant le cœur comme les autres amours, si est ce qu'es occurrences il fait des actions si relevees et excellentes qu'une seule vaut mieux que dix millions d'autres.

  A005000649 

 Il est vray, Theotime, vous verres une mere tellement embesoignee de son enfant qu'il semble qu'elle n'ayt aucun autre amour que celuy la: elle n'a plus d'yeux que pour le voir, plus de bouche que pour le bayser, plus de poitrine que pour l'allaiter, ni plus de soin que pour l'eslever, et semble que le mari ne luy soit plus rien au prix de cet enfant; mais s'il failloit venir au choix de perdre l'un ou l'autre, on verroit bien qu'elle estime plus le mari, et que si bien l'amour de l'enfant estoit le plus tendre, le plus pressant, le plus passionné, l'autre neanmoins estoit le plus excellent, le plus fort et le meilleur.

  A005000649 

 Les connilles ont une fertilité incomparable; les elephantes ne font jamais qu'un veau, mais ce seul elephanteau vaut mieux que tous les connilz du monde: les amours que l'on a pour les creatures foisonnent bien souvent en multitude de productions; mais quand l'amour sacré fait son œuvre, il le fait si eminent qu'il surpasse tout, car il fait preferer Dieu a toutes choses sans reserve.

  A005000653 

 O mon cher Theotime, que la force de cet amour de Dieu sur toutes choses doit donq avoir une grande estendue! Il doit surpasser toutes les affections, vaincre toutes les difficultés et preferer l'honneur de la bienveuillance de Dieu a toutes choses; mais je dis a toutes choses absolument, sans exception ni reserve quelconque.

  A005000654 

 Et neanmoins il advint qu'en fin, pour je ne sçay quel sujet, cette amitié defaillit, et, selon la coustume, elle fut suivie d'une hayne encor plus ardente, laquelle regna quelque tems entre eux, jusques a ce que Nicephore, reconnoissant sa faute, fit trois divers essais de se reconcilier avec Saprice, auquel, tantost par les uns, tantost par les autres de leurs amis communs, il faisoit porter de sa part toutes les paroles de satisfaction et de sousmission qu'on pouvoit desirer.

  A005000654 

 Mais Saprice, impliable a ses semonces, refusa tous-jours la reconciliation avec autant de fierté comme Nicephore la demandoit avec beaucoup d'humilité; de maniere qu'en fin le pauvre Nicephore, estimant [192] que si Saprice le voyoit prosterné devant luy et requerant le pardon il en seroit plus vivement touché, il le va treuver chez luy, et se jettant courageusement a ses pieds: «Mon Pere,» luy dit-il, «hé, pardonnes moy, je vous supplie, pour l'amour de Nostre Seigneur.» Mais cette humilité fut mesprisee et rejettee comme les precedentes..

  A005000655 

 C'est pourquoy Dieu repoussa son present, et retirant sa misericorde de luy, permit que non seulement il perdist le souverain bonheur du martyre, mais qu'encor il se precipitast au malheur de l'idolatrie; tandis que l'humble et doux Nicephore, voyant cette couronne du martyre vacante par l'apostasie de l'endurci Saprice, touché d'une excellente et extraordinaire inspiration, se pousse hardiment pour l'obtenir, disant aux archers et bourreaux: «Je suis, mes amis, je suis en verité Chrestien et crois en Jesus Christ que cestuy cy [194] a renié; mettes moy donq, je vous prie, en sa place, et tranches moy la teste.» Dequoy les archers s'estonnant infiniment, ilz en portent la nouvelle au gouverneur, qui ordonna que Saprice fust mis en liberté et que Nicephore fust supplicié: et cela advint le neufviesme febvrier, environ l'an 260 de nostre salut, ainsy que recitent Metaphraste et Surius..

  A005000655 

 Ce pendant, voyla une aspre persecution qui s'esleve contre les Chrestiens, en laquelle Saprice, entre autres, estant apprehendé, fit merveilles a souffrir mille et mille tourmens pour la confession de la foy, et specialement lhors qu'il fut roulé et agité tres rudement dans un instrument fait expres, a guise de la vis d'un pressoir, sans que jamais il perdit sa constance: dont le gouverneur d'Antioche estant extremement irrité, il le condamna a la mort; en suite dequoy il fut tiré hors de la prison, en public, pour estre mené au lieu ou il devoit recevoir la glorieuse couronne du martyre.

  A005000655 

 Ce que Nicephore n'eut pas plus tost apperceu, que soudain il accourut, et ayant rencontré son Saprice, se prosternant en terre: Helas, crioit il a haute voix, «o martyr de Jesus Christ, pardonnés moy, car je vous ay offencé!» Dequoy Saprice ne tenant conte, le pauvre Nicephore, gaignant vistement le devant par une autre rue, vint derechef en mesme humilité, le conjurant de luy pardonner, en ces termes: «O martyr de Jesus Christ, pardonnes l'offence que je vous ay faite, comme homme que je suis, sujet a faillir; car voyla que des-ormais une couronne vous est donnee par Nostre Seigneur que vous n'aves point renié, ains aves confessé son saint nom devant plusieurs tesmoins.» Mais Saprice, continuant en sa fierté, ne luy respondit pas un seul mot, ains les bourreaux seulement, admirans la perseverance de Nicephore: «Onques,» luy dirent ilz, «nous ne vismes un si grand fol; cet homme va mourir tout maintenant, qu'as-tu besoin de son pardon?» A quoy respondant Nicephore: «Vous ne sçaves pas,» dit il, «ce que je demande au confesseur de Jesus Christ, mais Dieu le sçait.» [193] Or tandis Saprice arriva au lieu du supplice, ou Nicephore derechef s'estant jette en terre devant luy: «Je vous supplie,» faisoit-il, «o martyr de Jesus Christ, de me vouloir pardonner, car il est escrit: Demandés, et il vous sera octroyé.» Paroles lesquelles ne sceurent onques fleschir le cœur felon et rebelle du miserable Saprice qui, refusant obstinement de faire misericorde a son prochain, fut aussi par le juste jugement de Dieu privé de la tres glorieuse palme du martyre; car les bourreaux luy commandans de se mettre a genoux affin de luy trancher la teste, il commença a perdre courage et de capituler avec eux, jusques a leur faire en fin finale cette deplorable et honteuse sousmission: «Hé, de grace, ne me coupés pas la teste, je m'en vay faire ce que les Empereurs ordonnent, et sacrifier aux idoles.» Ce que oyant le pauvre bon Nicephore, la larme a l'œil, il se print a crier: «Ah, mon cher frere, ne veuilles pas, je vous prie, ne veuilles pas transgresser la loy et renier Jesus Christ; ne le quittes pas, je vous supplie, et ne perdes pas la celeste couronne que vous aves acquise par tant de travaux et de tourmens.» Mais helas! ce lamentable prestre, venant a l'autel du martyre pour y consacrer sa vie a Dieu eternel, ne s'estoit pas souvenu de ce que le Prince des Martyrs avoit dit: Si tu apportes ton offrande a l'autel, et tu te resouviens, y estant, que ton frere a quelque chose contre toy, laisse la ton offrande, et va premierement te reconcilier a ton frere, et alhors revenant, tu presenteras ton oblation.

  A005000656 

 Histoire effroyable et digne d'estre grandement pesee pour le sujet dont nous parlons; car aves vous veu, mon cher Theotime, ce courageux Saprice comme il estoit hardi et ardent a maintenir la foy, comme il souffre mille tourmens, comme il est immobile et ferme en la confession du nom du Sauveur tandis qu'on le roule et fracasse dans cet instrument fait a mode de vis, et comme il est tout prest de recevoir le coup de la mort pour accomplir le point le plus eminent de la loy divine, preferant l'honneur de Dieu a sa propre vie? Et neanmoins, parce que d'ailleurs il prefere a la volonté divine la satisfaction que son cruel courage prend en la hayne de Nicephore, il demeure court en sa course, et lhors qu'il est sur le point d'aconsuivre et gaigner le prix de la gloire par le martyre, il s'abbat malheureusement et se rompt le col, donnant de la teste dans l'idolatrie..

  A005000657 

 Il est donq vray, mon Theotime, que ce ne nous est pas asses d'aymer Dieu plus que nostre propre vie, si nous ne l'aymons generalement, absolument et sans exception quelconque, plus que tout ce que nous affectionnons ou pouvons affectionner.

  A005000657 

 Mais, ce me dires vous, Nostre Seigneur a-il pas assigné l'extremité de l'amour qu'on peut avoir pour luy, quand il dit que plus grande charité ne peut-on avoir que d'exposer sa vie pour ses amis? Il est certes vray, Theotime, qu'entre les particuliers actes et tesmoignages de l'amour divin il n'y en a point de si grand que de subir la mort pour la gloire de Dieu; neanmoins il est vray aussi que ce n'est qu'un seul acte et un seul tesmoignage, qui est voirement le chef d'œuvre de la charité, mais outre lequel il y en a aussi plusieurs autres que la charité [195] requiert de nous, et les requiert d'autant plus ardemment et fortement que ce sont des actes plus aysés, plus communs et ordinaires a tous les amans, et plus generalement necessaires a la conservation de l'amour sacré.

  A005000657 

 O miserable Saprice, oseries vous bien dire que vous aymies Dieu comme il faut aymer Dieu, puisque vous ne preferies pas sa volonté a la passion de la hayne et rancune que vous avies contre le pauvre Nicephore? Vouloir mourir pour Dieu c'est le plus grand, mais non pas certes le seul acte de la dilection que nous devons a Dieu; et vouloir ce seul acte en rejettant les autres, ce n'est pas charité, c'est vanité.

  A005000658 

 Agripine ayant apris que l'enfant qu'elle portoit seroit voirement Empereur, mais qu'il la feroit par apres mourir: «Qu'il me tue,» dit elle, «pourveu qu'il regne.» Voyes, je vous prie, le desordre de ce cœur follement maternel: elle prefere la dignité de son filz a sa vie.

  A005000658 

 Caton et Cleopatra aymerént mieux souffrir la mort que de voir le contentement et la gloire de leurs ennemis en leur prise; et Lucrece choisit de se donner impiteusement la mort, plustost que de supporter injustement la honte d'un fait auquel, ce semble, elle n'avoit point de coulpe.

  A005000658 

 Et quoy qu'il s'en treuve plusieurs qui pour la defense de l'ami engagent leurs vies, il ne s'en treuve qu'un en un siecle qui voulust engager sa liberté, ou perdre une once de la plus vaine et inutile reputation ou renommee du monde, pour qui que ce soit..

  A005000658 

 Mais l'esprit humain est foible, inconstant et bigearre; c'est pourquoy quelquefois les hommes choisissent plustost de mourir que de subir d'autres peynes beaucoup plus legeres, et donnent volontier leur vie pour des satisfactions extremement niaises, pueriles et vaines.

  A005000662 

 Vous sçaves, Theotime, quelles furent les amours de Jacob pour sa Rachel; et que ne fit il pas pour en tesmoigner la grandeur, la force et la fidelité, des lhors qu'il l'eut saluee aupres du puitz de l'abbreuvoir? Car jamais onques plus il ne cessa de mourir d'amour pour elle; et pour l'avoir en mariage il servit avec une ardeur nompareille sept ans entiers, luy estant encor advis que ce ne fut rien, tant l'amour adoucissoit les travaux qu'il supportoit pour cette bienaymee, de laquelle estant par apres frustré, il servit derechef encor sept ans durant pour l'obtenir, tant il estoit constant, loyal et courageux en sa dilection.

  A005000663 

 Car dites la verité, Theotime; fut-ce pas une estrange et tres volage legereté en Rachel, de preferer un bouquet de petites pommes aux chastes amours d'un si aymable mari? Si c'eust esté pour des royaumes, pour des monarchies; mais pour une chetifve poignee de mandragores! Theotime, que vous en semble?.

  A005000663 

 Ce que voyant Rachel: Faites moy part, dit elle a Lia, je vous prie, ma seur, des mandragores que vostre filz vous a donees.

  A005000663 

 La condition fut acceptee; et comme Jacob revenoit des chams sur le soir, Lia, impatiente de jouir de son eschange, luy alla au devant, et puis, toute comblee de joye: Ce sera ce soir, mon cher Seigneur mon ami, que vous seres pour moy, car j'ay acquis ce bonheur par le moyen des mandragores de mon enfant; et sur cela luy fit le recit de la convention passee entr'elle et sa seur.

  A005000663 

 La pauvre Lia n'avoit plus aucun lien d'amour avec Jacob [197] que celuy de sa fertilité, par laquelle elle luy avoit fait quatre enfans masles; le premier desquelz, nommé Ruben, estant allé aux chams en tems de moisson, il y treuva des mandragores, lesquelles il cueillit et dont par apre, estant de retour au logis, il fit present a sa mere.

  A005000663 

 Mais Jacob, que l'on sçache, ne sonna mot quelconque, estonné, comme je pense, et saisi de cœur entendant l'imbecillité et l'inconstance de Rachel, qui, pour si peu de chose, avoit quitté pour toute une nuit l'honneur et la douceur de sa presence.

  A005000663 

 Mais vous semble il, respondit Lia, que ce soit peu d'avantage pour vous de m'avoir ravi les amours pretieuses de mon mari, si vous n'aves encores les mandragores de mon enfant? Or sus, repliqua Rachel, donnes moy donq les mandragores, et qu'en eschange mon mari soit avec vous cette nuit.

  A005000663 

 Or, apres tout cela, qui suffisoit pour assujettir la plus fiere fille du monde a l'amour d'un amant si fidele, c'est une honte certes de voir la foiblesse que Rachel fit paroistre en l'affection qu'elle avoit pour Jacob.

  A005000664 

 Or Pline raconte que quand les chirurgiens en presentent le jus a boire a ceux sur lesquelz ilz veulent faire quelque incision, affin de leur rendre le coup insensible, il arrive maintefois que la seule odeur fait l'operation et endort suffisamment les patiens: c'est pourquoy la mandragore est une plante charmeresse, qui enchante les yeux, les douleurs, les regretz et toutes les passions par le sommeil.

  A005000665 

 Or, c'est pour de telles mandragores, chimeres et fantosmes de contentemens que nous quittons les amours de l'Espoux celeste: et comment donq pouvons nous dire que nous l'aymons sur toutes choses, puisque nous preferons a sa grace de si chetifves vanités?.

  A005000665 

 Theotime, les pompes, richesses et delectations mondaines peuvent-elles estre mieux representees? Elles ont une apparence attrayante, mais qui mord dans ces pommes, c'est a dire, qui sonde leur nature, n'y treuve ni goust ni contentement; neanmoins elles charment et endorment a la vanité de leur odeur, et la renommee que les enfans du monde leur donne estourdit et assomme ceux qui s'y amusent trop attentivement ou qui les prennent trop abondamment.

  A005000666 

 N'est ce pas une lamentable merveille de voir David, si grand a surmonter la hayne, si courageux a pardonner l'injure, estre neanmoins si furieusement injurieux en l'amour, que non content de posseder justement une grande multitude de femmes, il va iniquement usurper et ravir celle du pauvre Urie, et, par une lascheté insupportable, affin de prendre plus a souhait l'amour de la femme, il donne cruellement la mort au mari? Qui n'admirera le cœur de saint Pierre, si hardi entre les soldatz armés que luy seul de toute la trouppe de son Maistre met le fer au poing et frappe, puis, peu apres, est si couard entre les femmes, qu'a la seule parole d'une servante il renie et deteste son Maistre? Et comme peut on treuver si estrange que Rachel quittast les caresses de son Jacob pour des pommes [199] de mandragore, puisqu'Adam et Eve quitterent bien la grace pour une pomme qu'un serpent leur offre a manger?.

  A005000667 

 Celuy qui a dit: Tu ne tueras point, a dit aussi: Tu ne seras point luxurieux; que si tu ne tues point, mais tu commetz la luxure, ce n'est donq pas pour l'amour de Dieu que tu ne tues pas, ains c'est par quelqu'autre motif qui te fait choisir ce commandement plustost que l'autre: choix qui fait l'heresie en matiere de charité.

  A005000667 

 Les heretiques sont heretiques et en portent le nom, parce qu'entre les articles de la foy ilz choisissent a leur goust et a leur gré ceux que bon leur semble pour les croire, rejettans les autres et les desadvouans; et les Catholiques sont Catholiques, parce que, sans choix ni election quelconque, ilz embrassent avec egale fermeté et sans exception toute la foy de l'Eglise.

  A005000667 

 Si quelqu'un me disoit qu'il ne me veut pas couper un bras pour l'amour qu'il me porte, et neanmoins me venoit arracher un œil, ou me rompre la teste, ou me percer le cors de part en part: Hé, ce dirois-je, comme me dites vous que c'est par amour que vous ne me coupes pas un bras, puisque vous m'arraches un œil qui ne m'est pas moins pretieux, ou que vous me donnes de vostre espee a travers le cors, qui m'est encores plus dangereux? C'est une maxime, que «le bien provient d'une cause vrayement entiere, et le mal de chasque defaut.» Pour faire un acte de vraye charité, il faut qu'il procede d'un amour entier, general et universel, qui s'estende a tous les commandemens divins; que si nous manquons d'amour en un seul commandement, nostre amour n'est plus entier ni universel, et le cœur dans lequel il est ne peut estre dit vrayement amant, ni par consequent vrayement bon.

  A005000671 

 Aristote a eu rayson de dire que le bien est voirement aymable, mays a un chacun principalement son bien propre, de sorte que l'amour que nous avons envers autruy provient de celuy que nous avons envers nous mesmes; car comme pouvoit dire autre chose un philosophe qui non seulement n'ayma pas Dieu, mays ne parla mesme presque jamais de l'amour de Dieu? Amour de Dieu neanmoins qui precede tout amour de nous mesmes, voire selon l'inclination naturelle de nostre volonté, ainsy que j'ay declairé au premier Livre..

  A005000672 

 Ainsy les Bienheureux sont ravis et necessités, quoy que non forcés, d'aymer Dieu, duquel ilz voyent clairement la souveraine beauté; ce que l'Escriture monstre asses quand elle compare le contentement qui comble les cœurs de ces glorieux habitans de la Hierusalem celeste a un torrent et fleuve impetueux, duquel on ne peut empescher les ondes qu'elles ne s'espanchent sur les plaines qu'elles rencontrent..

  A005000672 

 La volonté, certes, est tellement dediee, et, s'il faut ainsy dire, elle est tellement consacree a la bonté, que si une bonté infinie luy est monstree clairement, il est impossible, sans miracle, qu'elle ne l'ayme souverainement.

  A005000673 

 Mais en cette vie mortelle, Theotime, nous ne sommes pas necessités de l'aymer si souverainement, d'autant que nous ne le connoissons pas si clairement.

  A005000673 

 Mais icy bas en terre, ou nous ne voyons pas cette souveraine bonté en sa beauté, ains l'entrevoyons seulement entre nos obscurités, nous sommes a la verité inclinés et allechés, mais non pas necessités de l'aymer plus que nous mesmes; ains plustost, au contraire, quoy que nous ayons cette sainte inclination naturelle d'aymer la Divinité sur toutes choses, nous n'avons pas neanmoins la force de la prattiquer, si cette mesme Divinité ne respand surnaturellement dans nos cœurs sa tressainte charité..

  A005000674 

 Hé, de grace, Theotime, la volonté toute destinee a l'amour du bien, comme en pourroit elle tant soit peu connoistre un souverain, sans estre de mesme tant soit peu inclinee a l'aymer souverainement? Entre tous les biens qui ne sont pas infinis, nostre volonté preferera tous-jours en son amour celuy qui luy est plus proche, et sur tout le sien propre; mais il y a si peu de proportion entre l'infini et le fini, que nostre volonté qui connoist un bien infini est sans doute esbranlee, inclinee et incitee de preferer l'amitié de l'abisme de cette bonté infinie a toute sorte d'autre amour et a celuy la encor de nous mesme..

  A005000674 

 Or il est vray pourtant que, comme la claire veüe de la Divinité produit infalliblement la necessité de l'aymer plus que nous mesmes, aussi l'entreveüe, c'est a dire la connoissance naturelle de la Divinité, produit infalliblement l'inclination et tendance a l'aymer plus que nous mesmes.

  A005000675 

 Je vous dois aymer comme mon premier principe, puisque je suis de vous; je vous dois aymer comme ma fin et mon repos, puisque je suis pour vous; je vous dois aymer plus que mon estre, puisque mon estre subsiste par vous; je vous dois aymer plus que moy mesme, puisque je suis tout a vous et en vous..

  A005000675 

 Mais sur tout cette inclination est forte parce que nous sommes plus en Dieu qu'en nous mesmes, nous vivons plus en luy qu'en nous, et sommes tellement de luy, par luy, pour luy et a luy, que nous ne sçaurions, de sens rassis, penser ce que nous luy sommes et ce qu'il nous est que nous ne soyons forcés de crier: Je suis vostre, Seigneur, et ne dois estre qu'a vous; mon ame est vostre, et ne doit vivre que par vous; ma volonté est vostre, et ne doit aymer que [202] pour vous; mon amour est vostre, et ne doit tendre qu'en vous.

  A005000676 

 Que s'il y avoit ou pouvoit avoir quelque souveraine bonté de laquelle nous fussions independans, pourveu que nous peussions nous unir a elle par amour, encor serions nous incités a l'aymer plus que nous mesmes, puisque l'infinité de sa suavité seroit tous-jours souverainement plus forte pour attirer nostre volonté a son amour que toutes les autres bontés, et mesme que la nostre propre..

  A005000677 

 Ce que je dis ainsy pour certains espritz chimeriques et vains qui, sur des imaginations impertinentes, roulent bien souvent des discours melancholiques qui les affligent grandement.

  A005000677 

 Mais quant a nous, Theotime, mon cher ami, nous voyons bien que nous ne pouvons pas estre vrays hommes sans avoir inclination d'aymer Dieu plus que nous mesmes, ni vrays Chrestiens sans prattiquer cette inclination: aymons plus que nous mesmes Celuy qui nous est plus que tout et plus que nous mesmes.

  A005000677 

 Mais si, par imagination de chose impossible, il y avoit une infinie bonté a laquelle nous n'eussions nulle sorte d'appartenance et avec laquelle nous ne peussions avoir aucune union ni communication, nous l'estimerions certes plus que nous mesmes; car nous connoistrions qu'estant infinie, elle seroit plus estimable et aymable que nous, et par consequent nous pourrions faire des simples souhaitz de la pouvoir aymer: mais, a proprement parler, nous ne l'aymerions pas, puisque l'amour regarde l'union; et beaucoup moins pourrions nous avoir la charité envers elle, puisque la charité est une amitié et l'amitié ne peut estre que reciproque, ayant pour fondement la communication et pour fin l'union.

  A005000681 

 Car c'est en cette qualité-la, Theotime, que nous appartenons a Dieu d'une si estroitte alliance et d'une si aymable dependance, qu'il ne fait nulle difficulté de se dire nostre Pere et nous nommer ses enfans; c'est en cette qualité que nous sommes capables d'estre unis a sa divine essence par la jouissance de sa souveraine bonté et felicité; c'est en cette qualité que nous recevons sa grace et que nos espritz sont associés au sien tressaint, rendus, par maniara de dire, participans de sa divine nature: comme dit saint Leon.

  A005000681 

 Et c'est donq ainsy, que la mesme charité qui produit les actes de l'amour [204] de Dieu, produit quant et quant ceux de l'amour du prochain: et tout ainsy que Jacob vid qu'une mesme eschelle touchoit le ciel et la terre, servant egalement aux Anges pour descendre comme pour monter, nous sçavons aussi qu'une mesme dilection s'estend a cherir Dieu et le prochain, nous relevant a l'union de nostre esprit avec Dieu et nous ramenant a l'amoureuse societé des prochains; en sorte toutefois, que nous aymons le prochain entant qu'il est a l'image et semblance de Dieu, creé pour communiquer avec la divine Bonté, participer a sa grace et jouir de sa gloire..

  A005000681 

 Pourquoy aymons nous Dieu, Theotime? «La cause pour laquelle on ayme Dieu,» dit saint Bernard, «c'est Dieu mesme;» comme s'il disoit que nous aymons Dieu parce qu'il est la tres souveraine et tres infinie bonté.

  A005000681 

 Pourquoy nous aymons-nous nous mesmes en charité? Certes, c'est parce que nous sommes l'image et semblance de Dieu.

  A005000682 

 Le jeune Tobie, accompaigné de l'ange Raphaël, ayant abordé Raguel son parent, auquel neanmoins il estoit inconneu, Raguel ne l'eut pas plus tost regardé, dit l'Escriture, que se retournant devers Anne, sa femme: Tenes, dit il, voyes combien ce jeune, homme est semblable a mon cousin.

  A005000682 

 Ne remarques vous pas que Raguel, sans connoistre le petit Tobie, l'embrasse, le caresse, le bayse, pleure d'amour sur luy? D'ou provient cet amour sinon de celuy qu'il portoit au viel Tobie le pere, que cet enfant ressembloit si fort? Beni sois tu, dit il: mays pourquoy? non point, certes, [205] parce que tu es un bon jeune homme, car cela je ne le sçay pas encor, mays parce que tu es filz et ressembles a ton pere, qui est un tres homme de bien..

  A005000683 

 Et c'est pourquoy non seulement le divin amour commande maintefois l'amour du prochain, mais il le produit et respand luy mesme dans le coeur humain comme sa ressemblance et son image; puisque tout ainsy que l'homme est l'image de Dieu, de mesme l'amour sacré de l'homme envers l'homme est la vraye image de l'amour celeste de l'homme envers Dieu..

  A005000684 

 Mais ce discours de l'amour du prochain requiert un traitté a part, que je supplie le souverain Amant des hommes vouloir inspirer a quelqu'un de ses plus excellens serviteurs, puisque le comble de l'amour de la divine bonté du Pere celeste consiste en la perfection de l'amour de nos freres et compaignons.

  A005000688 

 Comme l'amour tend au bien de la chose aymee, ou s'y complaysant si elle l'a, ou le luy desirant et pourchassant si elle ne l'a pas, aussi il produit la hayne, par laquelle il fuit le mal contraire a la chose aymee, ou desirant et pourchassant de l'esloigner d'icelle si elle l'a des-ja, ou le divertissant et empeschant de venir si elle ne l'a pas encor: que si le mal ne peut ni estre empesché ni estre esloigné, l'amour au moins ne laisse pas de le faire haïr et detester.

  A005000688 

 Or quand je parle du zele, j'entens encor parler de la jalousie, car la jalousie est une espece de zele; et, si je ne me trompe, il n'y a que cette difference entre l'un et l'autre, que le zele regarde tout le bien de la chose aymee pour en esloigner le mal contraire, et la jalousie regarde le [207] bien particulier de l'amitié pour repousser tout ce qui s'y oppose..

  A005000689 

 C'est pourquoy l'ardeur ou zele que nous avons d'estre aymés ne peut souffrir que nous ayons des rivaux et compaignons; et si nous nous imaginons d'en avoir, nous entrons soudain en la passion de jalousie, laquelle, certes, a bien quelque ressemblance avec l'envie, mays ne laisse pas pour cela d'estre fort differente d'avec elle..

  A005000689 

 Mais quand en particulier nous aymons ardemment d'estre aymés, le zele, ou bien l'ardeur de cet amour, devient jalousie; d'autant que l'amitié humaine, quoy qu'elle soit vertu, si est ce qu'elle a cette imperfection, a rayson de nostre imbecillité, qu'estant departie a plusieurs, la part d'un chacun en est moindre.

  A005000689 

 Quand donques nous aymons ardemment les choses mondaines et temporelles, la beauté, les honneurs, les richesses, les rangs, ce zele, c'est a dire l'ardeur de cet amour, se termine pour l'ordinaire en envie, parce que ces basses choses sont si petites, particulieres, bornees, finies et imparfaites, que quand l'un les possede, l'autre ne les peut entierement posseder: de sorte qu'estans communiquees a plusieurs, la communication en est moins parfaite pour un chacun.

  A005000690 

 L'envie est tous-jours injuste, mays la jalousie est quelquefois juste, pourveu qu'elle soit moderee; car les mariés, par exemple, n'ont ilz pas rayson d'empescher que leur amitié ne reçoive diminution par le partage? 2.

  A005000690 

 Mays la jalousie n'est nullement marrie que le prochain ayt du bien, pourveu que ce ne soit pas le nostre; car le jaloux ne seroit pas marri que son compaignon fust aymé des autres femmes, pourveu que ce ne fust pas de la sienne, voire mesme, a proprement parler, on n'est pas jaloux d'un rival sinon apres qu'on estime d'avoir acquise l'amitié de la personne aymee: que si avant cela il y a quelque [208] passion, ce n'est pas jalousie, mais envie.

  A005000690 

 Nous ne presupposons pas de l'imperfection en celuy que nous envions, ains au contraire nous l'estimons avoir le bien que nous luy envions; mais nous presupposons bien que la personne de laquelle nous sommes jaloux soit imparfaite, changeante, corruptible et variable.

  A005000690 

 Par l'envie nous nous attristons que le prochain ayt un bien plus grand ou pareil au nostre, encor qu'il ne nous oste rien de ce que nous avons; en quoy l'envie est desraysonnable, nous faysant estimer que le bien du prochain soit nostre mal.

  A005000690 

 Que si quelquefois on est envieux de l'amour qui est porté a quelqu'un, ce n'est pas pour l'amour, ains pour les fruitz qui en dependent: un envieux se soucie peu que son compaignon soit aymé du prince, pourveu qu'il ne soit pas favorisé ni gratifié es occurrences..

  A005000694 

 Dieu donques est jaloux, Theotime: mais quelle est sa jalousie? Certes, elle semble d'abord estre une jalousie de convoytise, telle qu'est celle des maris pour leurs femmes; car il veut que nous soyons tellement siens, que nous ne soyons en façon quelconque a personne qu'a luy: Nul, dit-il, ne peut servir a deux maistres.

  A005000694 

 Et si, il a rayson, ce grand Dieu tout uniquement bon, de vouloir tres parfaitement tout nostre cœur, [209] car nous avons un cœur petit, qui ne peut pas asses fournir d'amour pour aymer dignement la divine Bonté: n'est-il pas donques convenable que, ne luy pouvant donner tout l'amour qu'il seroit requis, il luy donne pour le moins tout celuy qu'il peut? Le bien qui est souverainement aymable ne doit-il pas estre souverainement aymé? Or, aymer souverainement, c'est aymer totalement..

  A005000695 

 C'est donq pour l'amour de nous qu'il veut que nous l'aymions, parce que nous ne pouvons cesser de l'aymer sans [210] commencer de nous perdre, et que tout ce que nous luy ostons de nos affections nous le perdons..

  A005000695 

 Cette jalousie neanmoins que Dieu a pour nous, n'est pas en effect une jalousie de convoytise, ains de souveraine amitié; car ce n'est pas son interest que nous l'aymions, c'est le nostre.

  A005000695 

 Nostre amour luy est inutile, mais il nous est de grand proffit, et s'il luy est aggreable c'est parce qu'il nous est profitable; car estant le souverain bien, il se plait a se communiquer par son amour, sans que bien quelcomque luy en puisse revenir; dont il s'escrie, se plaignant des pecheurs, par maniere de jalousie: Ilz m'ont laissé, moy qui suis source d'eau vive, et se sont fouï des cisternes, cistemes dissipees et crevassees, qui ne peuvent retenir les eaux.

  A005000695 

 Que si, par pensee de chose impossible, ilz eussent peu rencontrer quelqu'autre fontaine d'eau vive, je supporterois aysement leur departie d'avec moy, puisque je n'ay nulle pretention en leur amour que celle de leur bonheur; mais me quitter pour perir, m'abandonner pour se precipiter, c'est cela qui me fait estonner et fascher sur leur folie.

  A005000695 

 Voyés un peu, Theotime, je vous prie, comme ce divin Amant exprime delicatement la noblesse et generosité de sa jalousie: Ilz m'ont laissé, dit-il, moy qui suis la source d'eau vive; comme s'il disoit: Je ne me plains pas dequoy ilz m'ont quitté, pour aucun dommage que leur abandonnement me puisse apporter; car quel dommage peut recevoir une source vive si on n'y vient pas puiser de l'eau? laissera-elle pour cela de ruisseler et flotter sur la terre? mais je regrette leur malheur, dequoy m'ayant laissé, ilz se sont amusés a des puitz sans eaux.

  A005000696 

 Et la rayson de cette demande de l'Amant divin est que, comme la mort est si forte qu'elle separe l'ame de toutes choses et de son cors mesme, aussi l'amour sacré, parvenu jusques au degré du zele, divise et esloigne l'ame de toutes autres affections et l'espure de tout meslange; d'autant qu'il n'est pas seulement aussi fort que la mort, ains il est aspre, inexorable, dur et impiteux a chastier le tort qu'on luy fait quand on reçoit avec luy des rivaux, comme l'enfer est violent a punir les damnés: et tout ainsy que l'enfer, plein d'horreur, de rage et de felonnie, ne reçoit aucun meslange d'amour, aussi l'amour jaloux ne reçoit aucun meslange d'autre affection, voulant que tout soit pour le Bienaymé.

  A005000696 

 Et pour ne jouïr pas seulement des affections de nostre cœur, ains aussi des effectz et operations de nos mains, il veut estre encor comme un cachet sur nostre bras droit, affin qu'il ne s'estende et ne soit employé que pour les œuvres de son service.

  A005000696 

 Rien n'est si doux que le colombeau, mays rien si impiteux que luy envers sa colombelle, quand il a quelque jalousie.

  A005000696 

 Si jamais vous y aves pris garde, vous aures veu, Theotime, que ce debonnaire animal, revenant de l'essor et treuvant sa partie avec ses compaignons, il ne se peut empescher de ressentir un peu de desfiance qui le rend aspre et bigearre; de sorte que d'abord il la vient environner, grommelant, [211] morguant, trepignant et la frappant a trait d'aisles, quoy qu'il sçache bien qu'elle est fidelle et qu'il la voye toute blanche d'innocence..

  A005000696 

 Sulamite, certes, avoit son coeur tout plein de l'amour celeste de son cher Amant, lequel, quoy qu'il ayt tout, ne se contente pas, mais par une sacree desfiance de jalousie veut encor estre sur le cœur qu'il possede, et le cachetter de soy mesme, affin que rien ne sorte de l'amour qui y est pour luy et que rien n'y entre qui puisse y faire du meslange; car il n'est pas assouvi de l'affection dont l'ame de sa Sulamite est comblee, si elle n'est invariable, toute pure, toute unique pour luy.

  A005000697 

 Un jour sainte Catherine de Sienne estoit en un ravissement qui ne luy ostoit pas l'usage des sens, et tandis que Dieu luy faisoit voir des merveilles, un sien frere passa pres d'elle, qui faysant du bruit la divertit, en sorte qu'elle se retourna pour le regarder un seul petit moment.

  A005000698 

 C'est pourquoy elle n'est pas jalouse d'une jalousie interessee, mais d'une jalousie pure, qui ne procede d'aucune convoitise, ains d'une noble et simple amitié: jalousie laquelle par apres s'estend jusques au prochain, avec l'amour duquel elle procede; car, puisque nous aymons le prochain pour Dieu comme nous mesmes, nous sommes aussi jaloux de luy pour Dieu comme nous le sommes de nous mesmes, de sorte que nous voudrions bien mourir pour l'empescher de perir..

  A005000698 

 Celles la craignent, et celles ci aussi, mais differemment, dit saint Augustin: la chaste espouse craint l'absence de son espoux, l'adultere craint la presence du sien; «celle la craint qu'il s'en aille, et celle ci craint qu'il [212] demeure;» celle la est si fort amoureuse qu'elle en est toute jalouse, celle ci n'est point jalouse parce qu'elle n'est pas amoureuse; celle ci craint d'estre chastiee, et celle la craint de n'estre pas asses aymee, ains, en verité, elle ne craint pas a proprement parler de n'estre pas aymee, comme font les autres jalouses qui s'ayment elles mesmes et veulent estre aymees, mais elle craint de n'aymer pas asses Celuy qu'elle void estre tant aymable que nul ne le peut asses dignement aymer selon la grandeur de l'amour qu'il merite, ainsy que j'ay dit n'a guere.

  A005000698 

 Mais, Theotime, qui veut voir cette jalousie delicatement et excellemment exprimee, il faut qu'il lise les enseignemens que la seraphique sainte Catherine de Gennes a faitz pour declarer les proprietés du pur amour, entre lesquelles elle inculque et presse fort celle-ci: que l'amour parfait, c'est a dire l'amour estant parvenu jusques au zele, ne peut souffrir l'entremise ou interposition, ni le meslange d'aucune autre chose, non pas mesme des dons de Dieu, voire jusques a cette rigueur, qu'il ne permet pas qu'on affectionne le Paradis sinon pour y aymer plus parfaitement la bonté de Celuy qui le donne; de sorte que les lampes de ce pur amour n'ont point d'huile, de lumignon ni de fumee, elles sont toutes feu et flamme que rien du monde ne peut esteindre; et ceux qui ont ces lampes ardentes en leurs mains, ont la tressainte crainte des chastes espouses, non pas celle des femmes adulteres.

  A005000699 

 Or, comme le zele est une ardeur enflammee ou une inflammation ardente de l'amour, il a aussi besoin d'estre sagement et prudemment prattiqué; autrement, sous pretexte d'iceluy, on violeroit les termes de la modestie ou discretion, et seroit aysé de passer du zele a la cholere et d'une juste affection a une inique passion: c'est pourquoy, n'estant pas ici le lieu de marquer les conditions du zele, mon Theotime, je vous advertis que pour l'execution d'iceluy vous ayes tous-jours recours a celuy que Dieu vous a donné pour vostre conduite en la vie devote.

  A005000703 

 Theotime, qui veut bien voir quel zele ou quelle jalousie nous devons avoir pour Dieu, il ne faut sinon bien exprimer la jalousie que nous avons pour les choses humaines, et puis la renverser; car telle devra estre celle que Dieu requiert de nous pour luy..

  A005000703 

 Un chevalier desira qu'un peintre fameux luy fit un cheval courant, et le peintre le luy ayant presenté sur le dos et comme se vautrant, le chevalier commençoit a se courroucer, quand le peintre retournant l'image sans dessus dessous: Ne vous fasches pas, monsieur, dit-il; pour changer la posture d'un cheval courant en celle d'un cheval vautrant, il ne faut que renverser le tableau.

  A005000704 

 Imagines vous, Theotime, la comparayson qu'il y a entre ceux qui jouissent de la lumiere du soleil et ceux qui n'ont que la petite clarté d'une lampe: ceux la ne sont point envieux ni jaloux les uns des autres, car ilz sçavent bien que cette lumiere la est tres suffisante pour tous, que la jouissance de l'un n'empesche point la jouissance de l'autre, et que chacun ne la possede pas moins, encor que tous la possedent generalement, que si un chacun luy seul la possedoit en particulier; mays quant a la clarté d'une lampe, parce qu'elle est petite, courte et insuffisante pour plusieurs, chacun la veut avoir en sa chambre, et qui l'a est envié des autres.

  A005000704 

 Le bien des choses mondaines est si chetif et vil, que quand l'un en [214] jouit il faut que l'autre en soit privé; et l'amitié humaine est si courte et infirme, qu'a mesure qu'elle se communique aux uns elle s'affoiblit d'autant pour les autres: c'est pourquoy nous sommes jaloux et faschés quand nous y avons des corrivaux et compaignons.

  A005000704 

 Le cœur de Dieu est si abondant en amour, son bien est si fort infini, que tous le peuvent posseder sans qu'un chacun pour cela le possede moins, cette infinité de bonté ne pouvant estre espuisee, quoy qu'elle remplisse tous les espritz de l'univers; car apres que tout en est comblé, son infinité luy demeure tous-jours toute entiere, sans diminution quelcomque.

  A005000704 

 Le soleil ne regarde pas moins une rose avec mille millions d'autres fleurs que s'il ne regardoit qu'elle seule; et Dieu ne respand pas moins son amour sur une ame, encor qu'il en ayme une infinité d'autres, que s'il n'aymoit que celle la seule, la force de sa dilection ne diminuant point pour la multitude des rayons qu'elle respand, ains demeurant tous-jours toute pleine de son immensité..

  A005000705 

 Ainsy Phinees, outré d'un saint zele, transperça saintement d'un coup de glaive [216] cet effronté Israëlite et cette vilaine Madianite qu'il treuva en l'infame traffiq de leur brutalité; ainsy le zele qui devoroit le cœur de nostre Sauveur fit qu'il esloigna, et quant et quant vengea l'irreverence et prophanation que ces vendeurs et achetteurs faisoyent dans le Temple..

  A005000705 

 Ceux que vous haïsses, o Seigneur, ne les haïssois-je pas, et ne sechois-je pas de regret sur vos ennemis? Mon zele m'a fait pasmer, parce que mes ennemis ont oublié vos paroles.

  A005000705 

 Mays en quoy donq consiste le zele ou la jalousie que nous devons avoir pour la divine Bonté? Theotime, son office est premierement de haïr, fuir, empescher, detester, rejetter, combattre et abbattre, si l'on peut, tout ce qui est contraire a Dieu, c'est a dire a sa volonté, a sa gloire et a la sanctification de son nom.

  A005000706 

 Cette jalousie, Theotime, faisoit mourir et pasmer tous les jours ce saint Apostre: Je meurs, dit-il, tous les jours pour vostre gloire; Qui est infirme, que je ne sois aussi infirme? qui est scandalisé, que je ne brusle? Voyés, disent les Anciens, voyés quel amour, quel soin et quelle jalousie une mere-poule a pour ses poussins (car Nostre Seigneur n'a pas estimé cette comparayson indigne de son Evangile).

  A005000706 

 Eliezer eust esté extremement piqué de jalousie, s'il eust veu la chaste et belle Rebecca, qu'il conduisoit pour estre espousee au filz de son seigneur, en quelque peril d'estre violee, et sans doute il eust peu dire a cette sainte damoyselle: Je suis jaloux de vous de la jalousie que j'ay pour mon maistre, car je vous ay fiancee a un homme pour vous presenter une vierge chaste au filz de mon Seigneur Abraham.

  A005000706 

 La poule est une poule, c'est a dire un animal sans courage ni generosité quelcomque, tandis qu'elle n'est pas mere; mais quand elle l'est devenue elle a un cœur de lion, tous-jours la teste levee, [216] tous-jours les yeux hagards, tous-jours elle va roulant sa veüe de toutes pars, pour peu qu'il y ait apparence de peril pour ses petitz; il n'y a ennemi aux yeux duquel elle ne se jette pour la defense de sa chere couvee, pour laquelle elle a un souci continuel qui la fait tous-jours aller glossant et plaignant: que si quelqu'un de ses poussins perit, quelz regretz! quelle cholere! C'est la jalousie des peres et meres pour leurs enfans, des pasteurs pour leurs ouailles, des freres pour leurs freres.

  A005000706 

 Quel zele des enfans de Jacob, quand ilz sceurent que Dina avoit esté violee! Quel zele de Job, sur l'apprehension et crainte qu'il avoit que ses enfans n'offençassent Dieu! Quel zele de saint Paul pour ses freres selon la chair et pour ses enfans selon Dieu, pour lesquelz il avoit desiré d'estre exterminé comme criminel d'anatheme et d'excommunication! Quel zele de Moyse envers son peuple, pour lequel il veut bien, en certaine façon, estre rayé du livre de vie!.

  A005000707 

 C'est pourquoy la sainte Sulamite s'escrioit: O le Bienaymé de mon ame, monstres-moy ou vous reposes au midy, affin que je ne m'esgare et que je n'aille a la suite des trouppeaux de vos compaignons.

  A005000707 

 En la jalousie humaine nous craignons que la chose aymee ne soit possedee par quelqu'autre; mais le zele que nous avons envers Dieu fait que, au contraire, nous redoutons sur toutes choses que nous ne soyons pas asses entierement possedés par iceluy.

  A005000711 

 Ce bon pere de famille que Nostre Seigneur descrit en l'Evangile, conneut bien que les serviteurs ardens et violens sont coustumiers d'outrepasser l'intention de leur maistre; car les siens s'offrans a luy pour aller sarcler son champ affin d'en arracher l'ivroÿe: Non, leur dit-il, je ne le veux pas, de peur que d'adventure avec l'ivroye vous ne tiries aussi le froment..

  A005000711 

 D'autant que le zele est une ardeur et vehemence d'amour, il a besoin d'estre sagement conduit; autrement il violeroit les termes de la modestie et de la discretion.

  A005000711 

 David envoya Joab avec son armee contre son desloyal et rebelle enfant Absalon, lequel il defendit sur toutes choses qu'on ne touchast point, ordonnant qu'en toutes occurrences on eust soin de le sauver; mais Joab estant en besoigne, eschauffé a la poursuite de la victoire, tua luy mesme de sa main le pauvre Absalon, sans avoir esgard a tout ce que le Roy luy avoit dit.

  A005000711 

 Non pas certes que le divin amour, pour vehement qu'il soit, puisse estre excessif en soy mesme ni es mouvemens ou inclinations qu'il donne aux espritz; mays parce qu'il employe a l'execution de ses projetz l'entendement, luy ordonnant de chercher les moyens de les faire reuscir, et la hardiesse ou cholere pour surmonter les difficultés qu'il rencontre, il advient tres souvent que l'entendement propose et fait prendre des voyes trop aspres et violentes, et que la cholere ou audace, estant une fois esmeüe et ne se pouvant contenir dedans les limites de la rayson, emporte le cœur dans le desordre: en sorte que le zele est, par ce moyen, exercé indiscrettement et desreglement, qui le rend mauvais et blasmable.

  A005000712 

 Certes, Theotime, la cholere est un serviteur qui, estant puissant, courageux et grand entrepreneur, fait aussi d'abord beaucoup de besoigne; mais il est si ardent, si remuant, si inconsideré et impetueux, qu'il ne fait aucun bien que pour l'ordinaire il ne face quant et quant plusieurs maux.

  A005000712 

 La cholere est un secours donné de la nature a la rayson, et employé par la grace au service du zele pour l'execution de ses desseins, mais secours dangereux et peu desirable: car si elle vient forte elle se rend maistresse, renversant l'authorité de la rayson et les loix amoureuses du zele; que si elle vient foible, elle ne fait rien que le seul zele ne fist luy seul sans elle, et tous-jours elle tient en une juste crainte que, se renforçant, elle ne s'empare du cœur et du zele, les sousmettant a sa tyrannie, tout ainsy qu'un feu artificiel qui, en un moment, embrase un edifice et ne sait-on comme l'esteindre.

  A005000712 

 Or, ce n'est pas bon mesnage, disent nos gens des chams, de tenir des paons en la mayson, car encor qu'ilz chassent aux araignes et en desfont le logis, ilz gastent toutefois tant les couvertz et les toictz que leur utilité n'est pas comparable au grand degast qu'ilz font.

  A005000713 

 Or je dis qu'elle se sert du nom du zele, parce qu'elle ne sçauroit se servir du zele en [219] luy mesme; d'autant que c'est le propre de toutes les vertus, mais sur tout de la charité, de laquelle le zele est une dependance, d'estre «si bonnes que nul n'en peut abuser.».

  A005000714 

 Or, ayant fait ce bel exploit de zele il ne s'arresta pas la, mais en fit grande feste au grand saint Denis Areopagite par une lettre qu'il luy en escrivit, de laquelle il receut une excellente responce, digne de l'esprit apostolique dont ce grand disciple de saint Paul estoit animé: car il luy fit voir clairement que son zele avoit esté indiscret, imprudent et impudent tout ensemble, d'autant qu'encor que le zele de l'honneur deu aux choses saintes soit bon et louable, si est ce qu'il avoit esté prattiqué contre toute rayson, sans consideration ni jugement quelcomque, puisqu'il avoit employé les coups de pieds, les outrages, injures et reproches, en un lieu, en une occasion et contre des personnes qu'il devoit honnorer, aymer et respecter; si que le zele ne pouvoit estre bon, estant exercé avec un si grand desordre.

  A005000714 

 Un certain moyne nommé Demophile, estimant, a son advis, que ce pauvre penitent s'approchast trop du saint autel, entra en une cholere si violente que, se ruant sur luy a grans coups de pieds, il le poussa et chassa hors de la, injuriant outrageusement le bon prestre qui selon son devoir avoit doucement recueilli ce pauvre repentant; puis, courant a l'autel il en osta les choses tressaintes qui y estoyent et les emporta, de peur, comme il vouloit faire accroire, que par rapprochement du pecheur le lieu n'eust esté prophané.

  A005000715 

 Ce que ne pouvant si tost faire, il s'en despitoit et les maudissoit, jusques a ce qu'en fin, levant les yeux au ciel, il vid le doux et tres pitoyable Sauveur qui, par une extreme pitié et compassion de ce qui se passoit, se levant de son throsne et [221] descendant jusques au lieu ou estoyent ces deux pauvres miserables, leur tendoit sa main secourable, a mesme que les Anges aussi, qui d'un costé qui d'autre, les retenoyent pour les empescher de tomber dans cet espouvantable gouffre.

  A005000715 

 Mais oyes, Theotime, ce que Dieu fit pour corriger l'aspreté de la passion dont le pauvre Carpus estoit outré.

  A005000715 

 [220] Carpus, homme eminent en pureté et sainteté de vie, et lequel il y a grande apparence avoir esté Evesque de Candie, en conceut un si grand courroux qu'onques il n'en avoit souffert de tel; et se laissa porter si avant en cette passion que, s'estant levé a la minuit pour prier selon sa coustume, il concluoit a part soy qu'il n'estoit pas raysonnable que les hommes impies vescussent davantage, priant par grande indignation la divine Justice de faire mourir d'un coup de foudre ces deux pecheurs ensemble, le payen seducteur et le Chrestien seduit.

  A005000716 

 Ainsy y a-il des personnes qui ne pensent pas qu'on puisse avoir beaucoup de zele si on n'a beaucoup de cholere, n'estimans pas de pouvoir rien accommoder s'ilz ne gastent tout; bien qu'au contraire, le vray zele ne se serve presque jamais de la cholere, car, comme on n'applique pas le fer et le feu aux malades que lhors qu'on ne peut faire autrement, aussi le saint zele n'employe la cholere qu'es extremes necessités.

  A005000720 

 Il est vray certes, mon ami Theotime, que Moyse, Phinees, Helie, Mathathias et plusieurs grans serviteurs de Dieu se servirent de la cholere pour exercer leur zele en beaucoup d'occasions signalees: mays notes, je vous prie, que c'estoyent aussi des grans personnages, qui sçavoyent bien manier leurs passions et ranger leurs choleres; pareilz a ce brave capitaine de l'Evangile qui disoit a ses soldatz: Alles, et ilz alloyent; venes, et ilz venoyent.

  A005000720 

 Les chiens sages et bien appris tirent païs ou retournent sur eux mesmes selon que le piqueur leur parle, mais les jeunes chiens apprentifs s'egarent et sont desobeissans: les grans Saintz, qui ont rendu sages leurs passions a force de les mortifier par l'exercice des vertus, peuvent aussi tourner leur cholere a toute main, la lancer et la retirer ainsy que bon leur semble; mais nous autres, qui avons des passions indomtees, toutes jeunes, ou du moins mal apprises, nous ne pouvons lascher nostre [223] ire qu'avec peril de beaucoup de desordre, parce qu'estant une fois en campaigne on ne la peut plus retenir ni ranger comme il seroit requis..

  A005000720 

 Mais nous autres, qui sommes presque tous des certaines petites gens, nous n'avons pas tant de pouvoir sur nos mouvemens; nostre cheval n'est pas si bien dressé que nous le puissions pousser et faire parer a nostre guise.

  A005000721 

 Or un jour que Nostre Seigneur passoit en Samarie, il envoya en une ville pour y faire prendre son logis, mais les habitans, sachans que Nostre Seigneur estoit Juif de nation et qu'il alloit en Hierusalem, ne le volurent pas loger; ce que voyans saint Jean et saint Jaques, ilz dirent a Nostre Seigneur: Voules vous que nous commandions au feu qu'il descende et qu'il les brusle? Et Nostre Seigneur, se retournant devers eux, les tança, disant: Vous ne sçaves de quel esprit vous estes; le Filz de l'homme n'est pas venu pour perdre les ames, mais pour les sauver..

  A005000721 

 Saint Denis, parlant a ce Demophile qui vouloit donner le nom de zele a sa rage et furie: Celuy, dit il, qui veut corriger les autres, doit premierement «avoir soin d'empescher que la cholere ne deboute la rayson de l'empire et domination que Dieu luy a donné en l'ame, et qu'elle n'excite une revolte, sedition et confusion dans nous mesmes; de façon que nous n'appreuvons pas vos impetuosités poussees d'un zele indiscret, quand mille fois vous repeteries Phinees et Helie, car telles paroles ne pleurent pas a Jesus Christ quand elles luy furent dites par ses Disciples, qui n'avoyent pas encor participe de ce doux et benin esprit.» Phinees, Theotime, voyant un certain malheureux Israëlite offencer Dieu avec une Moabite, il les tua tous deux; Helie avoit predit la mort d'Ochosias, lequel, indigné de cette prediction, envoya deux capitaines l'un apres l'autre, avec chacun cinquante soldatz pour le prendre, et l'homme de Dieu fit descendre le feu du ciel qui les devora.

  A005000722 

 C'est cela donq, Theotime, que veut dire saint Denis a Demophile qui alleguoit l'exemple de Phinees et d'Helie; car saint Jean et saint Jaques, qui vouloyent imiter Helie a faire descendre le feu du ciel sur les hommes, furent repris par Nostre Seigneur, qui leur fit entendre que son esprit et son zele estoit doux, [224] debonnaire et gracieux, qui n'employoit l'indignation ou le courroux que tres rarement, lhors qu'il n'y avoit plus esperance de pouvoir profiter autrement.

  A005000724 

 Il ne se parle que de zele, et on ne void point de zele, ains seulement des mesdisances, des choleres, des haynes, des envies et des inquietudes d'esprit et de langue..

  A005000724 

 Le zele du salut des ames fait desirer la prelature, a ce que dit cet ambitieux; fait courir ça et la le moyne destiné au choeur, a ce que dit cet esprit inquiete; fait faire des rudes censures et murmurations contre les prelatz de l'Eglise et contre les princes temporelz, a ce que dit cet arrogant.

  A005000725 

 Le zele specieux est ambitionné, c'est celuy auquel chacun veut employer son talent; sans prendre garde que ce n'est pas le zele que l'on y cherche, mais la gloire et l'assouvissement de l'outrecuydance, cholere, chagrin et autres passions..

  A005000725 

 Premierement, en faysant des grandes actions de justice pour repousser le mal: et cela n'appartient qu'a ceux qui ont les offices publiqs de corriger, censurer et reprendre en qualité de superieurs, comme les princes, magistratz, prelatz, predicateurs; mays parce que cet office est respectable, chacun l'entreprend, chacun s'en veut mesler.

  A005000726 

 Ainsy l'Espouse celeste confesse que l'amour estant fort comme la mort, laquelle sapara l'ame du cors, le zele, qui est un amour ardent, est encor bien plus fort, car il ressemble a l'enfer qui sapara l'ame de la veue de Nostre Seigneur: mays jamais il n'est dit ni ne se peut dire que l'amour ou le zele soit semblable au paché, qui seul separe de la grace de Dieu.

  A005000726 

 Certes, le zele de Nostre Seigneur parut principalement a mourir sur la croix pour destruire la mort et le peché des hommes: en quoy il fut souverainement imité par cet admirable vaisseau d'election et de dilection, ainsy que le represente le grand saint Gregoire Nazianzene en paroles dorees; car, parlant de ce saint Apostre: «Il combat pour tous,» dit-il, «il respand des prieres pour tous, il est passionné de jalousie envers tous, il est enflammé pour tous, ains mesme il a osé plus que cela pour ses freres selon la chair; en sorte que, pour dire aussi moy mesme ceci fort hardiment, il desire par charité qu'iceux soyent mis en sa place aupres de Jesus Christ.

  A005000726 

 Et comme se pourroit il faire que l'ardeur de l'amour peust faire desirer d'estre saparé de la grace, puisque l'amour est la grace mesme, ou du moins ne peut estre sans la grace? Or le zele du grand saint Paul fut prattiqué en quelque sorte, ce me semble, par le petit saint Paul, je veux dire par saint Paulin, qui, pour oster un esclave de son esclavage, [228] se rendit esclave luy mesme, sacrifiant sa liberté pour la rendre a son prochain..

  A005000726 

 O excellence de courage et de ferveur d'esprit incroyable! il imite Jesus Christ qui pour nous fut fait malediction, qui prit nos infirmités et porta nos maladies; ou, affin que je parle plus sobrement, luy le premier apres le Sauveur ne refuse pas de souffrir et d'estre reputé impie a leur occasion.» Ainsy donq, Theotime, comme nostre Sauveur fut fouetté, condamné, crucifié, en qualité d'homme voué, destiné et dedié a porter et supporter les opprobres, ignominies et punitions deues a tous les pecheurs du monde, et a servir de sacrifice general pour le peché, ayant esté fait comme anatheme, separé et abandonné de son Pere eternel, de mesme [227] aussi, selon la veritable doctrine de ce grand Nazianzene, le glorieux Apostre saint Paul desira d'estre comblé d'ignominie, crucifié, separé, abandonné et sacrifié pour le peché des Juifz, affin de porter pour eux l' anatheme et la peine qu'ilz meritoyent.

  A005000727 

 «O que bienheureux est,» dit saint Ambroyse, celuy qui sçait la discipline du zele!» «Tres facilement,» dit saint Bernard, «le diable se jouera de ton zele si tu negliges la science;» «que donques ton zele soit enflammé de charité, embelli de science, affermi de constance.» Le vray zele est enfant de la charité, car c'en est l'ardeur: c'est pourquoy, comme elle, il est patient, benin, sans trouble, sans contention, sans hayne, sans envie, se res-jouissant de la verité.

  A005000731 

 Ayant si longuement parlé des actes sacrés du divin amour, affin que plus aysement et saintement vous en conservies la memoire je vous en presente un recueil et abbregé.

  A005000731 

 La charité de Jesus Christ nous presse, dit [229] le grand Apostre: ouy certes, Theotime, elle nous force et violente par son infinie douceur, prattiquee en tout l'ouvrage de nostre redemption, auquel s'est apparue la benignité et amour de Dieu envers les hommes; car, qu'est-ce que ce divin Amant ne fit pas en matiere d'amour?.

  A005000732 

 Celuy qui [230] habitoit en soy mesme habite maintenant en nous, et Celuy qui estoit vivant es siecles dans le sein de son Pere eternel fut par apres mortel dans le giron de sa Mere temporelle; Celuy qui vivoit eternellement de sa vie divine vescut temporellement de la vie humaine, et Celuy qui jamais eternellement n'avoit esté que Dieu sera eternellement a jamais encor homme, tant l'amour de l'homme a ravi Dieu et l'a tiré a l'extase!.

  A005000732 

 Il a esté en extase, non seulement en ce que, comme dit saint Denis, a cause de l'exces de son amoureuse bonté il devient en certaine façon hors de soy mesme, estendant sa providence sur toutes choses et se treuvant en toutes choses; mais aussi en ce que, comme dit saint Paul, il s'est en quelque sorte quitté soy mesme, il s'est vuidé de soy mesme, il s'est espuisé de sa grandeur, de sa gloire, il s'est demis du throsne de son incomprehensible majesté, et, s'il faut ainsy parler, il s'est aneanti soy mesme pour venir a nostre humanité nous remplir de sa Divinité, nous combler de sa bonté, nous eslever a sa dignité et nous donner le divin estre d'enfans de Dieu.

  A005000732 

 Il nous ayma d'amour de bienveuillance, jettant sa propre Divinité en l'homme, en sorte que l'homme fut Dieu.

  A005000732 

 Il s'unit a nous par une conjunction incomprehensible, en laquelle il adhera et se serra a nostre nature si fortement, indissolublement et infiniment, que jamais rien ne fut si estroittement joint et pressé a l'humanité qu'est maintenant la tressainte Divinité en la Personne du Filz de Dieu.

  A005000733 

 Ainsy fut-il triste et sua le sang de detresse au jardin des Olives, non seulement pour l'extreme douleur que son ame sentoit en la partie inferieure de sa rayson, mais aussi pour l'extreme amour qu'il nous portoit en la superieure portion d'icelle, la douleur luy donnant horreur de la mort et l'amour luy donnant un extreme desir d'icelle; en sorte qu'un tres aspre combat et une cruelle agonie se fit entre le desir [231] et l'horreur de la mort, jusques a grande effusion de sang, qui coula comme d'une vive source, ruisselant jusques a terre..

  A005000733 

 Il eut mille et mille langueurs amoureuses; car, d'ou pouvoyent proceder ces divines paroles: Je dois estre baptizé de baptesme; et comme suis-je angoissé et pressé jusques a ce que je l'accomplisse? Il ne voyoit l'heure d'estre baptizé en son sang et languissoit jusques a ce qu'il le fut, l'amour qu'il nous portoit le pressant affin de nous voir deslivrés par sa mort de la mort eternelle.

  A005000734 

 C'est pourquoy la mort du Sauveur fut un vray sacrifice, et sacrifice d'holocauste, que luy mesme offrit a son Pere pour nostre redemption; car encor que les peynes et douleurs de sa Passion fussent si grandes et fortes que tout autre homme en fust mort, si est ce que, quant a luy, il n'en fust jamais mort s'il n'eust voulu, et que le feu de son infinie [232] charité n'eust consumé sa vie.

  A005000734 

 Car, bien que les cruelz supplices fussent tres suffisans pour faire mourir qui que ce fut, si est ce que la mort ne pouvoit jamais entrer dans la vie de Celuy qui tient les clefs de la vie et de la mort, si le divin amour, qui manie ces clefs, n'eust ouvert les portes a la mort affin qu'elle allast saccager ce divin cors et luy ravir la vie; l'amour ne se contentant pas de l'avoir rendu mortel pour nous, s'il ne le rendoit mort.

  A005000734 

 Et partant il n'est pas dit que son esprit s'en alla, le quitta et se separa de luy; mais, au contraire, qu' il mit son esprit dehors, l'expira, le rendit et le remit es mains de son Pere eternel: si que saint Athanase remarque qu'il baissa la teste pour mourir, affin de consentir et pencher a la venue de la mort, laquelle autrement n'eust osé s'approcher de luy; et criant a pleine voix il remet son esprit a son Pere, pour monstrer que comme il avoit asses de force et d'haleyne pour ne point mourir, il avoit aussi tant d'amour qu'il ne pouvoit plus vivre sans faire revivre par sa mort ceux qui sans cela ne pouvoyent jamais eviter la mort, ni pretendre a la vraye vie.

  A005000735 

 Mays, Theotime, gardés bien pourtant de dire que cette mort amoureuse du Sauveur se soit faite par maniere de ravissement; car l'object pour lequel sa charité le porta a la mort n'estoit pas tant aymable qu'il peust ravir a soy cette divine ame, laquelle sortit donq de son cors par maniere d'extase, poussee et lancee par l'affluence et force de l'amour, comme l'on void la myrrhe pousser dehors sa premiere liqueur par sa seule abondance, sans qu'on la presse ni tire aucunement, selon ce que luy mesme disoit, ainsy que nous avons remarqué: Personne ne m'oste ni ravit mon ame, mais je la donne volontairement.

  A005000743 

 Certes, encor que ces vertus eussent beaucoup d'apparence, si est ce qu'en effect elles estoyent de peu de valeur, a cause de la bassesse de l'intention de ceux qui les prattiquoyent, qui ne travailloyent presque que pour l'honneur, ainsy que dit saint Augustin, ou pour quelqu'autre pretention fort legere, comme est celle de l'entretien de la societé civile, ou pour quelque petite [235] inclination qu'ilz avoyent au bien, laquelle ne rencontrant point de grande contrarieté, les portoit a des menues actions de vertu, comme par exemple, a s'entresaluer, a secourir les amis, vivre sobrement, ne point desrobber, servir fidelement les maistres, payer les gages aux ouvriers.

  A005000743 

 Et toutefois, quoy que cela fut ainsy mince et environné de plusieurs imperfections, Dieu en sçavoit gré a ces pauvres gens et les en recompensoit abondamment..

  A005000743 

 La vertu est si aymable de sa nature que Dieu la favorise par tout ou il la void.

  A005000744 

 Excuse qui n'eust pas esté a propos si ces sages femmes eussent esté Hebrieuses, et n'est pas croyable que Pharao eust donné une commission si impiteuse contre les Hebrieuses a des femmes Hebrieuses, de mesme nation et religion; et aussi Josephe tesmoigne qu'en effect elles estoyent Egyptiennes.

  A005000744 

 Les sages femmes auxquelles Pharao donna charge de faire perir tous les masles des Israëlites estoyent sans doute Egyptiennes et payennes, car s'excusant dequoy elles n'avoyent pas executé la volonté du Roy: Les femmes Hebrieuses, disoyent elles, ne sont pas comme les Egyptiennes, car elles sçavent l'art de recevoir les enfans, et devant que nous allions a elles, elles ont enfanté.

  A005000745 

 Donques, adjouste saint Hierosme au Commentaire, «nous apprenons que si les payens mesmes font quelque bien, ilz ne sont point laissés sans salaire par le jugement de Dieu.» Ainsy Daniel exhorta Nabuchodonosor infidele, de racheter [236] ses pechés par aumosnes, c'est a dire de se racheter des peynes temporelles deües a ses pechés, dont il estoit menacé.

  A005000745 

 Nabuchodonosor, roy de Babylone, avoit combattu en une guerre juste contre la ville de Tyr que la justice divine vouloit chastier; et Dieu dit a Ezechiel qu'en recompense il donneroit l'Egypte en proye a Nabuchodonosor et a son armee, parce, dit Dieu, qu'ilz ont travaillé pour moy.

  A005000745 

 Voyes-vous donq, Theotime, combien il est vray que Dieu fait estat des vertus, encor qu'elles soyent prattiquees par des personnes qui sont d'ailleurs mauvaises? S'il n'eust aggreé la misericorde des sages femmes et la justice de la guerre des Babyloniens, eust-il pris le soin, je vous prie, de les salarier? et si Daniel n'eust sceu que l'infidelité de Nabuchodonosor n'empescheroit pas que Dieu n'aggreast ses aumosnes, pourquoy les luy eust il conseillees? Certes, l'Apostre nous asseure que les payens, qui n'ont pas la foy, font naturellement ce qui appartient a la loy: et quand ilz le font, qui peut douter qu'ilz ne fassent bien et que Dieu n'en fasse conte? Les payens conneurent que le mariage estoit bon et necessaire, ilz virent qu'il estoit convenable d'eslever les enfans es artz, en l'amour de la patrie, en la vie civile, et ilz le firent: or je vous laisse a penser si Dieu ne treuvoit pas bon cela, puisqu'il avoit donné la lumiere de la rayson et l'instinct naturel a cette intention..

  A005000746 

 La rayson naturelle est un bon arbre que Dieu a planté en nous, les fruitz qui en proviennent ne peuvent estre que bons: fruitz qui en comparayson de ceux qui procedent de la grace sont a la verité de tres petit prix, mais non pas pourtant de nul prix, puisque Dieu les a prisés et pour iceux a donné des recompenses temporelles; ainsy que, selon le grand saint Augustin, il salaria les vertus morales des Romains de la grande estendue et magnifique reputation de leur Empire..

  A005000747 

 La naturelle rayson est grandement blessee et comme a moitié morte par le peché: c'est pourquoy, ainsy mal en point, elle ne peut observer tous les commandemens, qu'elle void bien pourtant estre convenables; elle connoist son devoir, mais elle ne peut le rendre, et ses yeux ont plus de clarté pour luy monstrer le chemin que ses jambes de force pour l'entreprendre..

  A005000748 

 Car les ennemis de l'homme sont ardens, remuans et en perpetuelle action pour le precipiter, et quand ilz voyent qu'il n'arrive point d'occasion de prattiquer les vertus ordonnees, ilz suscitent mille tentations pour nous faire tumber es choses prohibees; et lhors la nature, sans la grace, ne se peut garentir du precipice: car si nous vainquons, Dieu nous donne la victoire par Jesus Christ, ainsy que [238] dit saint Paul.

  A005000748 

 Le pecheur peut voirement bien observer quelques uns des commandemens par ci par la, ains il peut mesme les observer tous pour quelque peu de tems, lhors qu'il ne se presente point de sujet relevé auquel il faille prattiquer les vertus commandees, ou de tentation pressante de commettre le peché defendu: mais que le pecheur puisse vivre long tems en son peché sans en adjouster des nouveaux, certes cela ne se peut sans une speciale protection de Dieu.

  A005000748 

 Veillés et priés affin que vous n'entries point en tentation: si Nostre Seigneur nous disoit seulement, Veillés, nous penserions pouvoir asses faire de nous mesmes; mais quand il adjouste, priés, il monstre que s'il ne garde nos ames au tems de la tentation, en vain veilleront ceux qui les gardent..

  A005000752 

 Telles sont donques les vertus humaines, Theotime, lesquelles, quoy qu'elles soyent en un cœur bas, terrestre et grandement occupé de peché, elles ne sont neanmoins aucunement infectees de la malice d'iceluy, estant d'une nature si franche et innocente qu'elle ne peut estre corrompue par la societé de l'iniquité, selon qu'Aristote mesme a dit «que la vertu estoit une habitude de laquelle aucun ne peut abuser.» Que si les vertus, estant ainsy bonnes en elles mesmes, ne sont pas recompensees d'un loyer eternel lhors qu'elles sont prattiquees par les infideles ou par ceux qui sont en peché, il ne s'en faut nullement estonner: puisque le cœur pecheur duquel elles procedent n'est pas capable du bien [239] eternel, s'estant d'ailleurs destourné de Dieu, et que l'heritage celeste appartenant au Filz de Dieu, nul n'y doit estre associé qui ne soit en luy, et son frere adoptif; laissant a part que la convention par laquelle Dieu promet le Paradis ne regarde que ceux qui sont en sa grace, et que les vertus des pecheurs n'ont aucune dignité ni valeur que celle de leur nature, qui par consequent ne les peut relever au merite des recompenses surnaturelles, lesquelles pour cela mesme sont appellees surnaturelles, d'autant que la nature et tout ce qui en depend ne peut ni les donner ni les meriter..

  A005000753 

 C'est une des proprietés de l'amitié qu'elle rend aggreable l'ami et tout ce qui est en luy de bon et d'honneste; l'amitié respand sa grace et faveur sur toutes les actions de celuy que l'on ayme, pour peu qu'elles en soyent susceptibles; les aigreurs des amis sont des douceurs, les douceurs des ennemis sont des aigreurs.

  A005000753 

 Fendes donq vostre cœur par la sainte penitence, et mettes l'amour de Dieu dans la fente; puis, entes sur iceluy telle vertu que vous voudres, et les œuvres qui en proviendront seront parfumees de sainteté, sans qu'il soit besoin d'autre soin pour cela..

  A005000753 

 Mais les vertus qui se treuvent es amis de Dieu, quoy qu'elles ne soyent que morales et naturelles selon leur propre condition, sont neanmoins anoblies et relevees a la dignité d'œuvres saintes, a cause de l'excellence du cœur qui les produit.

  A005000753 

 Si vous entes [240] un rosier, et que dedans la fente du tige vous metties un grain de musque, les roses qui en proviendront seront toutes musquees.

  A005000754 

 Ainsy Dieu regarda au bon Abel premierement, et puis a ses offrandes; en sorte que les offrandes prirent leur grace et dignité devant les yeux de Dieu, de la bonté et pieté de celuy qui les presentoit.

  A005000754 

 Les Spartes ayans ouï une tres belle sentence de la bouche d'un meschant homme, n'estimerent pas qu'elle deut estre receüe si premierement elle n'estoit prononcee par la bouche d'un homme de bien: pour donq la rendre digne de reception, ilz ne firent autre chose que de la faire derechef proferer par un homme vertueux.

  A005000755 

 Car, comme ce grand prophete et prince Job, quoy qu'il fut issu de race payenne et habitant de la terre Hus, ne laissa pas d'appartenir a Dieu, ainsy les vertus morales, quoy que provenues d'un cœur pecheur, ne laissent pas d'appartenir a Dieu; mays quand ces mesmes vertus se treuvent en un cœur vrayement chrestien, c'est a dire doué du saint amour, alhors non seulement elles appartiennent a Dieu, mais elles ne sont point inutiles en Nostre Seigneur, ains sont rendues fructueuses et pretieuses devant les yeux de sa bonté.

  A005000755 

 Donques, mes chers freres, dit l'Apostre, soyes stables et immobiles, abondans en toute œuvre du Seigneur, sachans que vostre travail ne sera point inutile en Nostre Seigneur.

  A005000755 

 Et notés, Theotime, que toute œuvre vertueuse doit estre estimee œuvre du Seigneur, voire mesme quand elle seroit prattiquee par un infidele: car sa divine Majesté dit a Ezechiel que Nabuchodonosor et son armee avoyent travaillé pour [241] luy, parce qu'ilz avoyent fait une guerre legitime et juste contre les Tyriens; monstrant asses par la que la justice des injustes est sienne, tend a luy et luy appartient, bien que les injustes qui font la justice ne soyent pas siens, ne tendent pas a luy et ne luy appartiennent pas.

  A005000759 

 Ainsy, pour donner le goust de l'olive aux raysins, il ne faut que planter la vigne entre les oliviers, car sans s'entretoucher aucunement, par le seul voysinage, ces plantes feront un reciproque commerce de leurs saveurs et proprietés, tant elles ont une grande inclination et estroitte convenance l'une envers l'autre..

  A005000759 

 Car ces vertus, par leur propre condition, ont un si grand rapport a Dieu et sont si susceptibles des impressions de l'amour celeste, que pour les faire participer a la sainteté d'iceluy il ne faut sinon qu'elles soyent aupres de luy, c'est a dire en un cœur qui ayme Dieu.

  A005000760 

 Ainsy toutes les vertus reçoivent un nouveau lustre et une excellente dignité par la presence de l'amour sacré; mais la foy, l'esperance, la crainte de Dieu, la pieté, la penitence et toutes les autres vertus qui d'elles mesmes tendent particulierement a Dieu et a son honneur, elles ne reçoivent pas seulement l'impression du divin amour, par laquelle elles sont eslevees a une grande valeur, mais elles se penchent totalement vers luy, s'associant avec luy, le suivant et servant en toutes occasions: car en fin, mon cher Theotime, la Parole sacree attribue une certaine proprieté et force de sauver, de sanctifier et de glorifier, a la foy, a l'esperance, a la pieté, a la crainte de Dieu, a la penitence; qui tesmoigne bien que ce sont des vertus de grand prix, et qu'estant prattiquees en un cœur qui a l'amour de Dieu, elles se rendent excellemment plus fructueuses et saintes que les autres, [243] lesquelles de leur nature n'ont pas une si grande convenance avec l'amour sacré.

  A005000760 

 Certes, toutes les fleurs, si ce ne sont celles de l'arbre triste et quelques autres de naturel monstrueux, toutes, dis je, se res-jouissent, espanouissent et s'embellissent a la veüe du soleil, par la chaleur vitale qu'elles reçoivent de ses rayons; mais toutes les fleurs jaunes, et sur tout celle que les Grecs ont appellé heliotropium, et nous, tourne-soleil, non seulement reçoivent de la joye et complaysance en la presence du soleil, mais suivent par un amiable contour les attraitz de ses rayons, le regardant et se retournant devers luy depuis son lever jusques a son couchant.

  A005000760 

 Et celuy qui s'escrie: Si j'ay toute la foy, en sorte mesme que je transporte les montaignes, et je n'ay point la charité, je ne suis rien, il monstre bien, certes, qu'avec la charité, cette foy luy proffiteroit grandement.

  A005000761 

 C'est pourquoy, Theotime, entre toutes les actions vertueuses nous devons soigneusement prattiquer celles de la religion et reverence envers les choses divines, celles de la foy, de l'esperance et de la tressainte crainte de Dieu; parlans souvent des choses celestes, pensans et aspirans a l'eternité, hantant les eglises et services sacrés, faysans des lectures devotes, observans les ceremonies de la religion chrestienne: car le saint amour se nourrit a souhait parmi ces exercices, et respand sur iceux plus abondamment ses graces et proprietés qu'il ne fait sur les actions des vertus simplement humaines; ainsy que le bel arc-en-ciel rend odorantes toutes les plantes sur lesquelles il tumbe, mais plus que toutes incomparablement celles de l'aspalatus.

  A005000765 

 Et il arriva selon son souhait, car Bala conceut et enfanta plusieurs enfans sur les genoux de Rachel; qui les recevoit comme veritablement siens, d'autant qu'ilz estoyent procreés de deux cors, dont celuy de Jacob luy appartenoit par la loy du mariage, et celuy de Bala par obligation de service, et d'autant encores que leur generation avoit esté faitte par son ordonnance et volonté.

  A005000765 

 La belle Rachel, apres avoir grandement desiré d'avoir generation de son cher Jacob, fut rendue fertile par deux moyens, dont elle eut aussi des enfans de deux differentes façons; car au commencement de son mariage, ne pouvant avoir des enfans de son propre cors, elle employa, comme par emprunt, celuy de sa servante Bala, qu'elle tira a sa societé pour l'exercice des fonctions de son mariage, disant a son mari: J'ay Bala ma chambriere, prenés-la en mariage, entrés vers elle, affin qu'elle enfante sur mes genoux et que j'aye des enfans d'elle.

  A005000766 

 Je vous dis maintenant, mon cher Theotime, que la charité et dilection sacree, plus belle cent fois que Rachel, mariee a l'esprit humain, souhaite sans cesse de produire des saintes operations: que si au commencement elle n'en peut enfanter elle mesme de sa propre extraction par l'union sacree qui luy est uniquement propre, elle appelle les autres vertus, comme ses fïdeles servantes, et les associe a son mariage, commandant au cœur de les employer, affin que d'elles il fasse naistre des saintes operations; mais operations qu'elle ne laisse pas d'adopter et estimer siennes, parce qu'elles sont produites par son ordre et commandement et d'un cœur qui luy appartient, d'autant que, comme nous avons declairé ailleurs, l'amour est maistre du cœur, et par consequent de toutes les œuvres des autres vertus faites par son consentement.

  A005000766 

 L'autre est l'amour affectif ou affectueux, qui, comme un petit Benjamin, est grandement delicat, tendre, aggreable et aymable; mais en cela plus heureux que Benjamin, que la charité, sa mere, ne meurt pas en le produisant, ains prend, ce semble, une nouvelle vie par la suavité qu'elle en ressent..

  A005000767 

 Ainsy donques, Theotime, les actions vertueuses des enfans de Dieu appartiennent toutes a la sacree dilection: les unes, parce qu'elle mesme les produit de sa propre nature; les autres, d'autant qu'elle les sanctifie [246] par sa vitale presence; et les autres, en fin, par l'authorité et le commandement dont elle use sur les autres vertus, desquelles elle les fait naistre: et celles ci, comme elles ne sont pas, a la verité, si eminentes en dignité que les actions proprement et immediatement issues de la dilection, aussi excellent-elles incomparablement au dessus des actions qui ont toute leur sainteté de la seule presence et societé de la charité..

  A005000768 

 Ainsy, entre toutes les vertus, mon cher Theotime, la gloire de nostre salut et de nostre victoire sur l'enfer est deferee a l'amour divin, qui, comme prince et general de toute l'armee des vertus, fait tous les exploitz par lesquelz nous obtenons le triomphe: car l'amour sacré a ses actions propres, issues et procedees de luy mesme, par lesquelles il fait des miracles d'armes sur nos ennemis; puis, outre cela, il dispose, commande et ordonne les actions des autres vertus, qui pour cette cause sont nommees actes commandés ou ordonnés de l'amour; que si en fin quelques vertus font leurs operations sans son commandement, [247] pourveu qu'elles servent a son intention, qui est l'honneur de Dieu, il ne laisse pas de les advoüer siennes.

  A005000768 

 Mais pourtant, apres qu'on luy a donné toute la gloire en gros, on ne laisse pas d'en distribuer les pieces a chaque partie de l'armee, en disant ce que l'avant garde, le cors et l'arriere garde ont fait; comme les François, les Italiens, les Allemans, les Espagnolz se sont comportés; ouy mesme on loue les particuliers qui se seront signalés au combat.

  A005000768 

 Mais tous-jours reciproquement aussi, apres qu'on a eslevé ces vertus particulieres, il faut rapporter tout leur honneur a l'amour sacré, qui a toutes donne la sainteté qu'elles ont: car, que veut dire autre chose le glorieux Apostre, inculquant que la charité est benigne, patiente, qu' elle croid tout, espere tout, supporte tout, sinon que la charité ordonne et commande a la patience de patienter, et a l'esperance d'esperer, et a la foy de croire? Il est vray, Theotime, qu'avec cela il signifie encor que l'amour est l'ame et la vie de toutes les vertus; comme s'il vouloit dire, que la patience n'est pas asses patiente, ni la foy asses fidele, ni l'esperance asses confiante, ni la debonnaireté asses douce, si l'amour ne les anime et vivifie: et c'est cela mesme que nous fait entendre ce mesme vaysseau d'election, quand il dit que sans la charité rien ne luy proffite, et qu'il n'est rien; car c'est comme s'il disoit que sans l'amour il n'est ni patient, ni debonnaire, ni constant, ni fidele, ni esperant ainsy qu'il est convenable pour estre serviteur de Dieu, qui est le vray et desirable estre de l'homme.

  A005000768 

 Or, neanmoins, quoy qu'en gros nous disions, apres le divin Apostre, que la charité souffre tout, elle croid tout, elle espere tout, elle supporte tout, et en somme qu'elle fait tout, si est-ce que nous ne laissons pas de distribuer en particulier la louange du salut des Bienheureux aux autres vertus, selon qu'elles ont excellé en un chacun; car nous disons que la foy en a sauvé les uns, l'aumosne quelques autres, la temperance, l'orayson, l'humilité, l'esperance, la chasteté les autres, parce que les actions de ces vertus ont paru avec lustre en ces Saintz.

  A005000768 

 Que si mesme quelques troupes amies surviennent a l'improuveüe et se joignent a l'armee, on ne laissera pas d'attribuer l'honneur de leur faction au general, parce qu'encor qu'elles n'ayent pas receu ses commandemens, elles l'ont neanmoins servi, et suivi ses intentions.

  A005000768 

 Un grand general d'armee ayant gaigné une signalee bataille aura sans doute tout l'honneur de la victoire, et non sans cause; car il aura combattu luy mesme en teste de l'armee, pratiquant plusieurs beaux faitz d'armes, et pour le reste il aura disposé l'armee, puis ordonné et commandé tout ce qui aura esté executé: si que il est estimé d'avoir tout fait, ou par soy mesme en combattant de ses propres mains, ou par sa conduite, commandant aux autres.

  A005000772 

 «J'ay veu a Tivoli,» dit Pline, «un arbre enté de toutes les façons qu'on peut enter, qui portoit toutes sortes de fruitz; car en une branche on treuvoit des cerises, en une autre des noix, et es autres des raysins, des figues, des grenades, des pommes, et generalement toutes especes de fruitz.» Cela, Theotime, estoit admirable, mais bien plus encor de voir en l'homme chrestien la divine dilection sur laquelle toutes les vertus sont entees: de maniere que, comme l'on pouvoit dire de cet arbre qu'il estoit cerisier, pommier, noyer, grenadier, aussi l'on peut dire de la charité qu'elle est patiente, douce, vaillante, juste, ou plustost, qu'elle est la patience, la douceur et la justice mesme..

  A005000773 

 Et comme le tige communique sa saveur a tous les fruitz que les greffes produisent, en telle sorte que chasque fruit ne laisse pas de garder la proprieté naturelle du greffe duquel il est procedé, ainsy la charité respand tellement son excellence et dignité es actions des autres vertus, que neanmoins elle laisse a une chacune d'icelles la valeur et bonté particuliere qu'elle a de sa condition naturelle..

  A005000773 

 Or, les fruitz des arbres entés sont tous-jours selon le greffe, car si le greffe est de pommier il jettera des pommes, s'il est de cerisier il jettera des cerises, en sorte neanmoins que tous-jours ces fruitz-la tiennent du goust du tronc: et de mesme, Theotime, [249] nos actes prennent leur nom et leur espece des vertus particulieres desquelles ilz sont issus, mais ilz tirent de la sacree charité le goust de leur sainteté; aussi, la charité est la racine et source de toute sainteté en l'homme.

  A005000774 

 Ains, tant s'en faut que l'amour celeste oste aux vertus les preeminences et dignités qu'elles ont naturellement, qu'au contraire, ayant cette proprieté de perfectionner les perfections qu'elle rencontre, a mesure qu'elle treuve des plus grandes perfections elle les perfectionne plus grandement: comme le sucre es confitures assaisonne tellement les fruitz de sa douceur, que les addoucissant tous il les laisse neanmoins inegaux en goust et suavité, selon qu'ilz sont inegalement savoureux de leur nature; et jamais il ne rend les pesches et les noix ni si douces ni si aggreables que les abricotz et les mirabolans..

  A005000774 

 Ainsy, mon Theotime, si avec une egale charité l'un souffre la mort du martyre, et l'autre la faim du jeusne, qui ne void que le prix de ce jeusne ne sera pas pour cela egal a celuy du martyre? Non, Theotime; car, qui oseroit dire que le martyre en soy mesme ne soit pas plus excellent que le jeusne? Que s'il est plus excellent, la charité survenante ne luy ostant pas l'excellence qu'il a, ains la perfectionnant, luy laissera par consequent les avantages qu'il avoit naturellement sur le jeusne.

  A005000774 

 Certes, nul homme de bon sens n'egalera la chasteté nuptiale a la virginité, ni le bon usage des richesses a l'entiere abnegation d'icelles: et qui oseroit dire que la [250] charité survenante a ces vertus leur ostast leurs proprietés et privileges? puisqu'elle n'est pas une vertu destruisante et appauvrissante, ains bonifiante, vivifiante et enrichissante tout ce qu'elle treuve de bon es ames qu'elle gouverne.

  A005000774 

 Toutes les fleurs perdent l'usage de leur lustre et de leur grace parmi les tenebres de la nuit; mais au matin, le soleil rendant ces mesmes fleurs visibles et aggreables n'egale pas toutefois leurs beautés et leurs graces, et sa clarté, respandue egalement sur toutes, les fait neanmoins inegalement claires et esclattantes, selon que plus ou moins elles se treuvent susceptibles des effectz de sa splendeur: et la lumiere du soleil, pour egale qu'elle soit sur la violette et sur la rose, n'egalera jamais pourtant la beauté de celle la a la beauté de celle ci, ni la grace d'une marguerite a celle du lys; mays pourtant, si la lumiere du soleil estoit fort claire sur la violette, et fort obscurcie par les brouillars sur la rose, alhors sans doute elle rendroit plus aggreable aux yeux la violette que la rose.

  A005000775 

 Ainsy, les menues vertus de Nostre Dame, de saint Jean, des autres grans Saintz, estoyent de plus grand prix devant Dieu que les plus relevees de plusieurs Saintz inferieurs, comme beaucoup des petitz eslans amoureux des Seraphins sont plus enflammés que les plus relevés des Anges du dernier ordre; ainsy que le chant des rossignolz apprentifs est plus harmonieux incomparablement que celuy des chardonneretz les mieux appris..

  A005000775 

 Il est vray, toutefois, que si la dilection est ardente, puissante et excellente en un cœur, elle enrichira et perfectionnera aussi davantage toutes les œuvres des vertus qui en procederont.

  A005000775 

 On peut souffrir la mort et le feu pour Dieu sans avoir la charité, ainsy que saint Paul presuppose et que je declaire ailleurs; a plus forte rayson, on la peut souffrir avec une petite charité: or je dis, Theotime, qu'il se peut bien faire qu'une fort petite vertu ait plus de valeur en une ame ou l'amour sacré regne ardemment, que le martyre mesme en une ame ou l'amour est alangouri, foible et lent.

  A005000776 

 Ainsy, Theotime, les petites simplicités, abjections et humiliations esquelles les grans Saintz se sont tant pleus pour se musser et mettre leur cœur a l'abri contre la vayne gloire, ayant esté faites avec une grande excellence de l'art et de l'ardeur du celeste amour, ont esté treuvees plus agreables devant Dieu que les grandes ou illustres besoignes de plusieurs autres, qui furent faites avec peu de charité et de devotion..

  A005000776 

 Pireicus a la fin de ses ans ne peignoit qu'en petit volume et choses de peu, comme boutiques de barbiers, de cordonniers, petitz asnes chargés d'herbes, et semblables menus fatras; ce qu'il faisoit, comme Pline [251] pense, pour assoupir sa grande renommee: dont en fin on l'appella peintre de basse estoffe; et neanmoins, la grandeur de son art paroissoit tellement en ses bas ouvrages, qu'on les vendoit plus que les grandes besoignes des autres.

  A005000777 

 L'Espouse sacree blesse son Espoux avec un seul de ses cheveux, desquelz il fait tant d'estat qu'il les compare aux troupeaux des chevres de Galaad, et n'a pas plus tost loué les yeux de sa devote amante, qui sont les parties les plus nobles de tout le visage, que soudain il lotie la cheveleure, qui est la plus fresle, vile et abjecte; affin que l'on sceust qu'en une ame esprise du divin amour, les exercices qui semblent fort chetifs sont neanmoins grandement agreables a sa divine Majesté..

  A005000781 

 Mays, ce me dires vous, quelle est cette valeur, je vous prie, que le saint amour donne a nos actions? O mon Dieu, Theotime! certes, je n'aurois pas l'asseurance de le dire si le Saint Esprit ne l'avoit luy mesme declaré en termes fort expres par le grand apostre saint Paul, qui parle ainsy: Ce qui a present est momentanee [252] et leger de nostre tribulation, opere en nous sans mesure en la sublimité un poids eternel de gloire.

  A005000782 

 Et comme les graines qui ne produiroyent d'elles mesmes que des melons de goust fade, en produisent des sucrins et muscatz si elles sont detrempees en l'eau sucree ou musquee, ainsy nos cœurs qui ne sçauroyent pas projetter une seule bonne pensee pour le service de Dieu, estans detrempés en la sacree dilection par le Saint Esprit qui habite en nous, ilz produisent des actions sacrees qui tendent et nous portent a la gloire immortelle.

  A005000782 

 La verge d'Aaron estoit seche, incapable de fructifier d'elle mesme, mais lors que le nom du grand Prestre fut escrit sur icelle, en une nuit elle jetta ses feuilles, ses fleurs et ses fruitz.

  A005000782 

 Mays qui peut donner tant de vertu a ces momens passagers et a ces tribulations si legeres? L'escarlatte et la pourpre, ou fin cramoysi violet, est un drap grandement pretieux et royal, mais ce n'est pas a rayson de la laine, ains a cause de la teinture: les œuvres des bons Chrestiens sont de si grande valeur que pour icelles on nous donne le Ciel; mays, Theotime, ce n'est pas parce qu'elles procedent de nous et sont la laine de nos cœurs, ains parce qu'elles sont teintes au sang du Filz de Dieu; je veux dire, que c'est d'autant que le Sauveur sanctifie nos œuvres par le merite de son sang.

  A005000782 

 Nos œuvres comme provenantes de nous, ne sont que des chetifs roseaux, mais ces roseaux deviennent d'or par la charité, et avec iceux on arpente la Hierusalem celeste qu'on nous donne a cette mesure: car, tant aux hommes qu'aux Anges, on distribue la gloire selon la charité et les actions d'icelle, de sorte que la mesure de l'Ange est celle-là mesme de l'homme; et Dieu a rendu et rendra a un chacun selon ses œuvres, comme toute l'Escriture divine nous enseigne, laquelle nous assigne la felicité et joye eternelle du Ciel pour recompense des travaux et bonnes actions que nous aurons prattiquees en terre..

  A005000782 

 Nous sommes, quant a nous, branches seches, inutiles, infructueuses, qui ne sommes pas suffisans de penser quelque chose de nous mesme comme de nous mesme, mais toute nostre suffisance est de Dieu, qui nous a rendus officiers idoines et capables [253] de sa volonté; et partant, soudain que par le saint amour le nom du Sauveur, grand Evesque de nos ames, est gravé en nos cœurs, nous commençons a porter des fruitz delicieux pour la vie eternelle.

  A005000783 

 Or, ce n'est pas que nostre service luy soit ni necessaire ni utile; car apres que nous aurons fait tout ce qu'il nous a commandé, nous devons neanmoins advouer, par une tres humble verité ou veritable humilité, qu'en effect nous sommes serviteurs tres inutiles et tres infructueux a nostre Maistre, qui, a cause de son essentielle surabondance de bien, ne peut recevoir aucun proffit de nous; ains, convertissant toutes nos œuvres a nostre propre advantage et commodité, il fait que nous le servons autant inutilement pour luy que tres utilement pour nous, qui par des si petitz travaux gaignons des si grandes recompenses..

  A005000783 

 Recompense magnifique et qui ressent la grandeur du Maistre que nous servons, lequel, a la verité, Theotime, pouvoit, s'il luy eut pleu, exiger tres justement de nous nostre obeissance et service sans nous proposer aucun loyer ni salaire; puisque nous sommes siens par mille tiltres tres legitimes, et que nous ne pouvons rien faire qui vaille qu'en luy, par luy, pour luy et qui ne soit de luy.

  A005000784 

 Mays ne penses pas pourtant, Theotime, qu'en cette promesse il ayt tellement volu manifester sa bonté qu'il ayt oublié de glorifier sa sagesse, puisque au contraire il y a observé fort exactement les reges de l'equité, meslant admirablement la bienseance avec la liberalité: car nos œuvres sont voirement extremement petites et nullement comparables a la gloire, en leur quantité, mais elles luy sont neanmoins fort proportionnees en qualité, a rayson du Saint Esprit qui, habitant dans nos cœurs par la charité, les fait en nous, par nous et pour nous, avec un art si exquis, que les mesmes œuvres qui sont toutes nostres sont encor mieux toutes siennes, parce que, comme il les produit en nous, nous les produisons reciproquement en luy, comme il les fait pour nous, nous les faysons pour luy, et comme il les opere avec nous, nous cooperons aussi avec luy..

  A005000785 

 Ainsy l'huile de benediction versee sur le Sauveur, comme sur le chef de l'Eglise tant militante que triomphante, se respand sur la societé des Bienheureux, qui, comme la barbe sacree de ce divin Maistre, sont tous-jours attachés a sa face glorieuse, et distille encor sur la compaignie des fideles qui, comme vestemens, sont jointz et unis par dilection a sa divine Majesté; l'une et l'autre trouppe, comme composee de freres germains, ayant a cette occasion sujet de s'escrier: O que c'est une chose bonne et agreable de voir les freres bien ensemble, comme l'unguent qui descend en la barbe, la barbe d'Aaron, et jusques au bord de son vestement!.

  A005000785 

 Or le Saint Esprit habite en nous si nous sommes membres vivans de Jesus Christ, qui a rayson de cela disoit a ses Disciples: Qui demeure en moy et moy en luy, iceluy porte beaucoup de fruit; et c'est, [255] Theotime, parce que qui demeure en luy il participe a son divin Esprit, lequel est au milieu du cœur humain comme une vive source qui rejaillit et pousse ses eaux jusques en la vie eternelle.

  A005000786 

 Ainsy donq nos œuvres, comme un petit grain de moustarde, ne sont aucunement comparables en grandeur avec l'arbre de la gloire qu'elles produisent, mais elles ont pourtant la vigueur et vertu de l'operer, parce qu'elles procedent du Saint Esprit, qui, par une admirable infusion de sa grace en nos cœurs, rend nos œuvres siennes, les laissant nostres tout ensemble; d'autant que nous sommes membres d'un Chef duquel il est l'Esprit, et entés sur un arbre duquel il est la divine humeur.

  A005000786 

 Et parce qu'en cette sorte il agit en nos œuvres, et qu'en certaine façon nous operons ou cooperons en son action, il nous laisse pour nostre part tout le merite et proffit de nos services et bonnes œuvres, et nous luy en laissons aussi tout l'honneur et toute la louange, reconnoissans que le commencement, le progres et la fin de tout le bien que nous faysons depend de sa misericorde, par laquelle il est venu a nous et nous a prevenus, il est venu en nous et nous a assistés, il est [256] venu avec nous et nous a conduitz, achevant ce qu'il avoit commencé.

  A005000786 

 Mays, o Dieu, Theotime, que cette bonté est misericordieuse sur nous en ce partage! nous luy donnons la gloire de nos louanges, helas, et luy nous donne la gloire de sa jouissance, et en somme, par ces legers et passagers travaux nous acquerons des biens perdurables a toute eternité.

  A005000789 

 On dit que le cœur est la premiere partie de l'homme qui reçoit la vie par l'union de l'ame, et l'œil la derniere; comme au contraire, quand on meurt naturellement, l'œil commence le premier a mourir et le cœur le dernier.

  A005000789 

 Or, quand le cœur commence a vivre, avant que les autres parties soyent animees, sa vie, certes, est fort debile, tendre et imparfaite; mais a mesure qu'elle s'establit plus entierement dans le reste du cors, elle est aussi plus vigoureuse en chasque partie, et particulierement au cœur: et l'on void que la vie estant interessee en quelque membre, elle s'alangourit en tous les autres.

  A005000790 

 Encor bien, donques, qu'on puisse avoir quelques vertus separees des autres, si est-ce neanmoins que ce ne peut estre que des vertus languissantes, imparfaites et debiles: d'autant que la rayson, qui est la vie de nostre ame, n'est jamais satisfaite ni a son ayse dans une ame, qu'elle n'occupe et possede toutes les facultés et passions d'icelle; et lhors qu'elle est offencee et blessee en quelqu'une de nos passions ou affections, toutes les autres perdent leur force et vigueur, et s'alangourissent estrangement..

  A005000790 

 Toutes les vertus ne s'acquierent pas ensemblement en un instant, ains les unes apres les autres, a mesure que la rayson, qui est comme l'ame de nostre cœur, s'empare tantost d'une passion, tantost de l'autre, pour [257] la moderer et gouverner.

  A005000791 

 C'est donq un signe evident que ce cœur la n'est pas porté a la liberalité par le motif et la consideration de la rayson: dont il s'ensuit que cette liberalité qui semble estre vertu n'en a que l'apparence, puisqu'elle ne procede pas de la rayson, qui est le vray motif des vertus, ains de quelque autre motif estranger.

  A005000791 

 Il suffit bien vrayement a un enfant d'estre né dans le mariage pour porter parmi le monde le nom, les armes et les qualités du mari de sa mere; mais pour en porter le sang et la nature, il faut que non seulement il soit né dans le mariage, ains aussi du mariage: les actions ont le nom, les armes et marques des vertus, parce que naissant d'un cœur doué de rayson il est advis qu'elles soyent raysonnables; mais pourtant elles n'en ont ni la substance ni la vigueur si elles proviennent d'un motif estranger et adultere, et non de la rayson..

  A005000791 

 Or, si l'amour de la rayson possede et anime un esprit, il fera tout ce que la rayson voudra en toutes occurrences, et par consequent il prattiquera toutes les vertus.

  A005000791 

 Qui ayme une vertu pour l'amour de la rayson et honnesteté qui y reluit, il les aymera toutes, puisqu'en toutes il treuvera ce mesme sujet, et les aymera plus ou moins chacune, selon que la rayson y paroistra plus ou moins resplendissante.

  A005000791 

 Si Jacob aymoit Rachel en consideration de ce qu'elle estoit fille de Laban, pourquoy mesprisoit il Lia, qui estoit non seulement fille, ains fille aisnee du mesme Laban? Mais parce qu'il aymoit Rachel a cause de la beauté qu'il treuva en elle, jamais il ne sceut tant aymer la pauvre Lia, quoy que feconde et sage fille, d'autant qu'elle n'estoit pas si belle a son gré.

  A005000791 

 Voyés-vous, Theotime, toutes les vertus sont vertus par la convenance ou conformité qu'elles ont a la rayson; et une action ne peut estre dite vertueuse si elle ne procede de l'affection que le cœur porte a l'honnesteté et beauté de la rayson.

  A005000792 

 Il se peut donq bien faire que quelques vertus soyent en un homme auquel les autres manqueront; mais ce seront ou des vertus naissantes, encor toutes tendres, et comme des fleurs en bouton, ou des vertus perissantes, mourantes, et comme des fleurs fletrissantes: car en somme, les vertus ne peuvent avoir leur vraye integrité et suffisance qu'elles ne soyent toutes ensemble, ainsy que toute la philosophie et la theologie nous asseure.

  A005000792 

 Je vous prie, Theotime, quelle prudence peut avoir un homme intemperant, injuste et poltron, puisqu'il choisit le vice et laisse la vertu? Et comme peut-on estre juste sans estre prudent, fort et temperant, puisque la justice n'est autre chose qu'une perpetuelle, forte et constante volonté de rendre a un chacun ce qui luy appartient, et que la science par laquelle le droit s'administre est nommee jurisprudence, et que pour rendre a chacun ce qui luy appartient il nous faut vivre sagement et modestement, et empescher les desordres de l'intemperance en nous, affin de nous rendre ce qui nous appartient a nous mesmes? Et le [259] mot de vertu ne signifie-il pas une force et vigueur appartenante a l'ame en proprieté, ainsy que l'on dit les herbes et pierres pretieuses avoir telle et telle vertu ou proprieté? Mais la prudence est-elle pas imprudente en l'homme intemperant? La force sans prudence, justice et temperance n'est pas une force, mais une forcenerie; et la justice est injuste en l'homme poltron, qui ne l'ose pas rendre, en l'intemperant, qui se laisse emporter aux passions, et en l'imprudent, qui ne sçait pas discerner entre le droit et le tort.

  A005000793 

 Il est bien vray, Theotime, qu'on ne peut pas exercer toutes les vertus ensemble, parce que les sujetz ne s'en presentent pas tout a coup; ains il y a des vertus que quelques uns des plus saintz n'ont jamais eu occasion de prattiquer: car saint Paul premier hermite, par exemple, quel sujet pouvoit il avoir d'exercer le pardon des injures, l'affabilité, la magnificence, la debonnaireté? Mais toutefois, telles ames ne laissent pas d'estre tellement affectionnees a l'honnesteté de la rayson, qu'encor qu'elles n'ayent pas toutes les vertus quant a l'effect, elles les ont toutes quant a l'affection, estant prestes et disposees de suivre et servir la rayson en toutes occurrences, sans exception ni reserve..

  A005000794 

 Ainsy semble-il a plusieurs d'avoir des vertus, qui n'ont toutefois que des bonnes inclinations; et parce que ces inclinations sont les unes sans les autres, il est advis que les vertus le soyent aussi..

  A005000794 

 Combien y a-il de personnes qui, par leur condition naturelle, sont sobres, simples, douces, taciturnes, voire mesme chastes et honnestes? Or tout cela semble estre vertu, et n'en a toutefois pas le merite, non plus que les mauvaises inclinations ne sont dignes d'aucun blasme, jusques a ce que, sur telles humeurs naturelles, nous ayons enté le libre et volontaire consentement.

  A005000795 

 Certes, le grand saint Augustin, en une epistre qu'il escrit a saint Hierosme, monstre que nous pouvons avoir quelque sorte de vertu sans avoir les autres, et que neanmoins nous n'en pouvons point avoir de parfaites sans les avoir toutes; mais que quant aux vices on peut avoir les uns sans avoir les autres, ains il est impossible de les avoir tous ensemble: de sorte qu'il ne s'ensuit pas que qui a perdu toutes les vertus ait par consequent tous les vices, puisque presque toutes les vertus ont deux vices opposés, non seulement contraires a la vertu, mais aussi contraires entre eux mesmes.

  A005000799 

 sur l'entendement qu'on appelle prattique, c'est a dire qui discerne des actions qu'il convient faire ou fuir, la lumiere naturelle respand la prudence, qui incline nostre esprit a sagement juger du mal que nous devons eviter et chasser, et du bien que nous devons faire et pourchasser; 2.

  A005000800 

 Or ces quatre fleuves, ainsy separés, se divisent par apres en plusieurs autres, affin que toutes les actions humaines puissent estre bien dressees a l'honnesteté et felicité naturelle; mais outre cela, Dieu voulant enrichir les Chrestiens d'une speciale faveur, il fait sourdre sur la cime de la partie superieure de leur esprit une [262] fontaine surnaturelle que nous appelions grace, laquelle comprend voirement la foy et l'esperance, mais qui consiste toutefois en la charité, qui purifie l'ame de tous pechés, puis l'orne et l'embellit d'une beauté tres delectable et en fin espanche ses eaux sur toutes les facultés et operations d'icelle, pour donner a l'entendement une prudence celeste, a la volonté une sainte justice, a l'appetit de convoitise une temperance sacree, et a l'appetit irascible une force devote, affin que tout le cœur humain tende a l'honnesteté et felicité surnaturelle, qui consiste en l'union avec Dieu..

  A005000801 

 Mays si la sainte dilection ainsy respandue ne treuve point les vertus naturelles en l'ame, alhors elle mesme fait toutes leurs operations selon que les occasions le requierent.

  A005000801 

 Que si ces quatre courans et fleuves de la charité rencontrent en une ame quelqu'une des quatre vertus naturelles, ilz la reduisent a leur obeissance, se meslant avec elle pour la perfectionner, comme l'eau de senteur perfectionne l'eau naturelle quand elles sont meslees ensemble.

  A005000802 

 Certes, mon Theotime, Dieu a respandu en nos ames les semences de toutes les vertus, lesquelles [263] neanmoins sont tellement couvertes de nostre imperfection et foiblesse qu'elles ne paroissent point, ou fort peu, jusques a ce que la vitale chaleur de la dilection sacree les vienne animer et resusciter, produisant par icelles les actions de toutes les vertus: si que, comme la manne contenoit en soy la varieté des saveurs de toutes les viandes, et en excitoit le goust dans la bouche des Israëlites, ainsy l'amour celeste comprend en soy la diversité des perfections de toutes les vertus, d'une façon si eminente et relevee qu'elle en produit toutes les actions en tems et lieu, selon les occurrences.

  A005000802 

 Josué avoit les forces de plusieurs soldatz sous soy; mais Samson les avoit en soy, et pouvoit luy seul autant que Josué et plusieurs soldatz avec luy eussent peu tous ensemble.

  A005000802 

 Nous semons es jardins une grande varieté de graines, et les couvrons toutes de terre comme les ensevelissans, jusques a ce que le soleil plus fort les fasse lever et, par maniere de dire, resusciter, lhors qu'elles produisent leurs feuilles et leurs fleurs avec des nouvelles graines, une chacune selon son espece: en sorte qu'une seule chaleur celeste fait toute la diversité de ces productions par les semences qu'elle treuve cachees dans le sein de la terre.

  A005000803 

 Ainsy saint Thomas, en consideration de ce que saint Paul asseure que la charité est patiente, benigne, forte: «La charité,» dit il, fait et «accomplit les œuvres de toutes les vertus;» et saint Ambroise, escrivant a Demetrias, appelle la patience et les autres vertus, «membres de la charité;» et le grand saint Augustin dit que l'amour de Dieu comprend toutes les vertus et fait toutes leurs operations en nous.

  A005000803 

 Certes, le grand Apostre ne dit pas seulement que la charité nous donne la patience, benignité, constance, simplicité; mais il dit qu'elle mesme elle est patiente, benigne, constante: et c'est le propre des supremes vertus, entre les Anges et les hommes, de pouvoir non seulement ordonner aux inferieures qu'elles operent, mais aussi de pouvoir elles mesmes faire ce qu'elles commandent aux autres.

  A005000803 

 Voyci ses paroles: «Ce qu'on dit que la vertu est divisee en quatre» (il entend les quatre vertus cardinales), «on le dit, ce me semble, a rayson des diverses affections qui proviennent de l'amour: de maniere que je ne ferois nul doute de definir ces quatre vertus en sorte que la temperance soit l'amour qui se donne tout entier a Dieu; la force, un amour qui supporte volontier toutes choses pour Dieu; la justice, un amour servant a Dieu seul, et pour cela commandant droittement a tout ce qui est sujet a l'homme; la prudence, un amour qui choisit ce qui luy est profitable pour s'unir avec Dieu, et rejette ce qui est nuisible.».

  A005000804 

 Et pour conclusion, la charité est le fin or, et enflammé, que Nostre Seigneur conseilloit a l'Evesque de Laodicee d'achetter, lequel contient le prix de toutes choses, qui peut tout, qui fait tout..

  A005000808 

 Ce que repetant le Disciple [266] bienaymé: Qui observe les commandemens de Dieu, dit-il, la charité de Dieu est parfaite en iceluy; et: Celle cy est la charité de Dieu, que nous gardions ses commandemens.

  A005000808 

 La charité est donques le lien de perfection, puisqu'en elle et par elle sont contenues et assemblees toutes les perfections de l'ame, et que sans elle non seulement on ne sçauroit avoir l'assemblage entier des vertus, mais on ne peut mesme sans elle avoir la perfection d'aucune vertu.

  A005000808 

 Que si on ne peut garder les commandemens sans la charité, a plus forte rayson ne peut on sans icelle avoir toutes les vertus..

  A005000809 

 On peut, certes, bien avoir quelque vertu et demeurer quelque peu de tems sans offencer, encores que l'on n'ayt pas le divin amour; mais tout ainsy que nous voyons parfois des arbres arrachés de terre faire quelques productions, non toutefois parfaites ni pour long tems, de mesme un cœur separé de la charité peut voirement produire quelques actes de vertu, mais non pas longuement..

  A005000810 

 Les vertus ont leurs commencemens, leurs progres et leur perfection, et je ne nie pas que sans la charité elles ne puissent naistre, voire mesme faire progres; mays qu'elles ayent leur perfection pour porter le tiltre de vertus faittes, formees et accomplies, cela depend de la charité, qui leur donne la force de voler en Dieu, [267] et recueillir de la misericorde d'iceluy le miel du vray merite et de la sanctification des cœurs esquelz elles se treuvent..

  A005000812 

 Car, comme Aristote dit, que celuy qui desrobboit pour pouvoir commettre la fornication estoit plus fornicateur que larron, d'autant que son affection tendoit toute a la fornication, et ne se servoit du larcin que comme d'un passage pour y parvenir; ainsy, qui observe la chasteté pour obeir, il est plus obeissant que chaste, puisqu'il employe la chasteté au service de l'obeissance.

  A005000812 

 Les autres vertus se peuvent reciproquement entr'ayder et s'exciter mutuellement en leurs œuvres et exercices; car, qui ne sçait que la chasteté requiert et excite la sobrieté, et que l'obeissance nous porte a la liberalité, a l'orayson, a l'humilité? Or, par cette communication qu'elles ont entr'elles, elles participent aux perfections les unes des autres; car la chasteté observee par obeissance a double dignité, a sçavoir, la sienne propre et celle de l'obeissance; ains elle a plus de celle de l'obeissance que de la sienne propre.

  A005000812 

 Mais pourtant, du meslange de l'obeissance avec la chasteté ne peut reuscir une vertu accomplie et parfaite, puisque la derniere perfection, qui est l'amour, leur manque a toutes deux: de sorte que, si mesmes il se pouvoit faire que toutes les vertus se treuvassent ensemble en un homme et que la seule charité luy manquast, cet assemblage de vertus seroit voirement un cors tres parfaitement accompli de toutes ses parties, tel que fut celuy d'Adam quand Dieu de sa main maistresse le forma du limon de la terre, mais cors neanmoins qui seroit sans mouvement, sans vie et sans grace, [268] jusques a ce que Dieu inspirast en iceluy le spiracle de vie c'est a dire la sacree charité, sans laquelle rien ne nous profite..

  A005000813 

 Au demeurant, la perfection de l'amour divin est si souveraine qu'elle perfectionne toutes les vertus et ne peut estre perfectionnee par icelles, non pas mesme par l'obeissance, qui est celle laquelle peut le plus respandre de perfection sur les autres; car, encor bien que l'amour soit commandé et qu'en aymant nous prattiquions l'obeissance, si est ce neanmoins que l'amour ne tire pas sa perfection de l'obeissance, ains de la bonté de celuy qu'il ayme, d'autant que l'amour n'est pas excellent parce qu'il est obeissant, mais parce qu'il ayme un bien excellent.

  A005000813 

 Certes, en aymant nous obeissons comme en obeissant nous aymons; mais si cette obeissance est si excellemment aymable, c'est parce qu'elle tend a l'excellence de l'amour, et sa perfection depend non de ce qu'en aymant nous obeissons, mais de ce qu'en obeissant nous aymons: de sorte que tout ainsy que Dieu est egalement la derniere fin de tout ce qui est bon comme il en est la premiere source, de mesme l'amour, qui est l'origine de toute bonne affection, en est pareillement la derniere fin et perfection..

  A005000817 

 Ces anciens sages du monde firent jadis des magnifiques discours a l'honneur des vertus morales, ouy mesme en faveur de la religion; mais ce que Plutarque a observé es Stoïciens est encor plus a propos pour tout le reste des payens.

  A005000818 

 Pour Dieu, Theotime, je vous prie, quelle vertu pouvoyent avoir ces gens-la qui volontairement, et comme a prix fait, renversoyent toutes les lois de la religion? Seneque avoit fait un livre Contre les superstitions, dans lequel il avoit repris l'impieté payenne avec beaucoup de liberté: Or «cette liberté,» dit le grand saint Augustin, «se treuva en ses escritz et non pas en sa vie,» puisque mesme il conseilla «que l'on rejettast de cœur la superstition, mais qu'on ne laissast pas de la prattiquer es actions; car voicy ses paroles: Lesquelles superstitions le sage observera comme commandees par les lois, non pas comme aggreables aux dieux.» Comme pouvoyent estre vertueux ceux qui, comme rapporte saint Augustin, estimoyent «que le sage se devoit tuer quand il ne pouvoit ou ne devoit plus supporter» les calamités de cette vie? et toutefois ne vouloyent pas advouer que les calamités fussent miserables, ni les miseres calamiteuses, ains maintenoyent que le sage estoit tous-jours heureux et sa vie bien heureuse.

  A005000818 

 «O quelle vie bien heureuse,» dit saint Augustin, «pour laquelle eviter on a mesme recours a la mort! Si elle est bien heureuse, que n'y demeures-vous?».

  A005000819 

 Aussy, celuy d'entre les Stoïciens et capitaines qui, pour s'estre tué soy mesme en la ville d'Utique affin d'eviter une calamité qu'il estimoit indigne de sa vie, a esté tant loué par les cervelles profanes, fit cette action avec si peu de veritable vertu, que, comme dit saint Augustin, «il ne tesmoigna pas un courage qui voulut eviter la deshonnesteté, mais une ame infirme qui n'eut pas l'asseurance d'attendre l'adversité; car s'il eust estimé chose infame de vivre sous la victoire de Cesar, pourquoy eust il commandé d'esperer en la [270] douceur de Cesar? Comme n'eust-il conseillé a son filz de mourir avec luy,» si la mort estoit meilleure et plus honneste que la vie? Il se tua donq, ou parce qu'il envia a Cesar la gloire qu'il eust eu de luy donner la vie, ou parce qu'il apprehenda la honte de vivre sous un vainqueur qu'il haïssoit: en quoy il peut estre loué d'un gros, et encor, a l'adventure, grand courage, mais non pas d'un sage, vertueux et constant esprit.

  A005000820 

 Et quant a Lucrece (affin que nous n'oubliions pas aussi les valeurs du sexe moins courageux), ou elle fut chaste parmi la violence et le forcenement du filz de Tarquinius, ou elle ne le fut pas.

  A005000820 

 Si Lucrece ne fut pas chaste, pourquoy loue-on donq la chasteté de Lucrece? si Lucrece fut chaste et innocente en cet accident la, Lucrece ne fut elle pas meschante de tuer l'innocente Lucrece? «Si elle fut adultere, pourquoy est elle tant loüee? si elle fut pudique, pourquoy fut elle tuee?» Mais elle craignoit l'opprobre et la honte de ceux qui eussent peu croire que la deshonnesteté «qu'elle avoit soufferte violemment, tandis qu'elle estoit en vie, eust aussi esté soufferte volontairement si, apres icelle, elle fust demeuree en vie; elle eut peur qu'on l'estimast complice du peché, si ce qui avoit esté fait en elle vilainement estoit supporté par elle patiemment.» Et donq, faut-il, pour fuir la honte et l'opprobre qui depend de l'opinion des hommes, accabler l'innocent et tuer le juste? faut il maintenir l'honneur aux despens de la vertu, et la reputation au peril de l'equité? Telles furent les vertus des plus vertueux payens, envers Dieu et envers eux mesmes..

  A005000821 

 Et pour les vertus qui regardent le prochain, ilz foulerent aux pieds, et fort effrontement, par leurs lois mesmes, la principale, qui est la pieté; car Aristote, le plus grand cerveau d'entr'eux, prononce cette horrible [271] et tres impiteuse sentence: «Touchant l'exposition,» c'est a dire l'abandonnement «des enfans, ou leur education, la loy soit telle: qu'il ne faut rien nourrir de ce qui est privé de quelque membre; et quant aux autres enfans, si les lois et coustumes de la cité defendent qu'on n'abandonne pas les enfans, et que le nombre des enfans se multiplie a quelqu'un en sorte qu'il en ayt des-ja au double de la portee de ses facultés, il fa.ut prevenir et procurer l'avortement» Seneque, ce sage tant loüé: «Nous tuons,» dit il, «les monstres; et nos enfans, s'ilz sont manques, debiles, imparfaitz ou monstrueux, nous les rejettons et abandonnons.» De sorte que ce n'est pas sans cause que Tertulien reproche aux Romains qu'ilz exposoyent leurs enfans aux ondes, au froid, a la faim et aux chiens; et cela non par force de pauvreté, car, comme il dit, les presidens mesmes et magistratz prattiquoyent cette desnaturee cruauté.

  A005000822 

 Certes, si les payens ont prattiqué quelques vertus, ç'a esté pour la pluspart en faveur de la gloire du monde, et par consequent ilz n'ont eu de la vertu que l'action, et non pas le motif et l'intention.

  A005000822 

 Quelle vanité, je vous prie! Estant sur le point de mourir il dit a ses amis qu'il n'avoit peu jusques a l'heure les remercier asses dignement, et que partant il leur vouloit laisser un legat de ce qu'il avoit en soy de plus aggreable et de plus beau, et que s'ilz le gardoyent soigneusement ilz en recevroyent de grandes louanges; adjoustant que ce magnifique legat n'estoit autre chose que «l'image de sa vie.» Voyes-vous, Theotime, comme les abboys de cet homme sont puans de vanité?.

  A005000822 

 «La convoitise humaine a fait la force des payens,» dit le Concile d'Auranges, «et la charité divine a fait celle des Chrestiens.» Les vertus des payens, dit saint Augustin, ont esté non vrayes, mais vraysemblables, [272] parce qu'elles ne furent pas exercees pour la fin convenable, mais pour des fins perissables: «Fabritius sera moins puni que Catilina, non pas que celuy la fut bon, mays parce que celuy ci fut pire; non que Fabritius eut des vrayes vertus, mais parce qu'il ne fut pas si esloigné des vrayes vertus: si que, au jour du jugement, les vertus des payens les defendront, non affin qu'ilz soyent sauvés, mais affin qu'ilz ne soyent pas tant damnés.» Un vice estoit osté par un autre vice entre les payens, les vices se faysans place les uns aux autres sans en laisser aucune a la vertu; et pour ce seul unique vice de la vayne gloire ilz reprimoyent l'avarice et plusieurs autres vices, voire mesme quelquefois ilz mesprisoyent la vanité par vanité; dont l'un d'entr'eux, qui sembloit le plus esloigné de la vanité, foulant aux pieds le lit bien paré de Platon: Que fais tu, Diogene? luy dit Platon.

  A005000824 

 Ainsy nos anciens Peres ont appellé les vertus des payens vertus et non vertus tout ensemble: vertus, parce qu'elles en ont la lueur et l'apparence; non vertus, parce que non seulement elles n'ont pas eu cette chaleur vitale de l'amour de Dieu qui seule les pouvoit perfectionner, mais elles n'en estoyent pas susceptibles, puisqu'elles estoyent en des sujetz infideles.

  A005000824 

 Ilz les nomment ignees, de feu, charbons ou escarboucles, parce qu'ilz ressemblent au feu en lueur et splendeur; mays ilz les appellent sans feu ou, pour dire ainsy, ininflammables, parce que non seulement leur lueur n'a nulle chaleur, mais ilz ne sont nullement susceptibles de chaleur, et n'y a feu qui les puisse eschauffer.

  A005000824 

 «Y ayant de ce tems-la,» dit saint Augustin, «deux Romains grans en vertu, Cesar et Caton, la vertu de Caton fut de beaucoup plus approchante de la vraye vertu que celle de Cesar;» et ayant dit en quelque lieu que «les philosophes destitués de la vraye pieté avoyent resplendi en lumiere de vertu,» il s'en desdit au livre de ses Retractations, estimant que cette louange estoit trop grande pour les vertus si imparfaites comme furent celles des payens: qui, en verité, ressemblent à ces vers a feu et luisans qui ne sont luisans qu'emmi la nuit, et le jour venu perdent leur lueur; car de mesme, ces vertus payennes ne sont vertus qu'en comparayson des vices, mais en comparayson des vertus des vrays Chrestiens ne meritent nullement le nom de vertus..

  A005000825 

 Je veux bien, Theotime, qu'il y eust quelque fermeté de courage en Caton, et que cette fermeté fust louable en soy: mais qui veut se prevaloir de son exemple, il faut que ce soit en un juste et bon sujet; non pas se donnant la mort, mais la souffrant lhors que la vraye vertu le requiert, non pour la vanité de la gloire, mais pour la gloire de la verité: comme il advint a nos Martyrs, qui, avec des courages invincibles, firent tant de miracles de constance et valeur, que les Catons, les Horaces, les Seneques, les Lucreces, les Arries ne meritent certes nulle consideration en comparayson.

  A005000825 

 Parce neanmoins qu'elles ont quelque chose de bon, elles peuvent estre comparees aux pommes vereuses, car elles ont la couleur, et ce peu de substance qui leur reste, aussi bonne que les vertus entieres; mais le ver de la vanité est au milieu, qui les gaste: c'est pourquoy, qui en veut user doit separer le bon d'avec le [274] mauvais.

  A005000829 

 Le grand ami de Dieu, Abraham, n'eut de Sara, sa femme principale, que son trescher unique Isaac, qui seul aussi fut son heritier universel; et bien qu'il eust encor Ismael d'Agar, et plusieurs autres enfans de [275] Cetura, ses femmes servantes et moins principales, si est ce toutefois qu'il ne leur donna sinon quelques presens et legatz pour les des-jetter et exhereder, d'autant que n'estans pas advoüés de la femme principale ilz ne pouvoyent pas aussi luy succeder.

  A005000829 

 Non, Theotime, sans la charité, dit l'Apostre, tout cela ne serviroit de rien, ainsy que nous monstrons plus amplement ailleurs..

  A005000829 

 Or ilz ne furent pas advoüés parce que, quant aux enfans de Cetura ilz nasquirent tous apres la mort de Sara; et pour le regard d'Ismael, quoy que sa mere Agar l'eust conceu par l'authorité de Sara sa maistresse, toutefois, se voyant grosse, elle la mesprisa, et ne fit pas cet enfant sur les genoux d'icelle, comme Bala fit les siens sur les genoux de Rachel.

  A005000829 

 Theotime, il n'y a que les enfans, c'est a dire les actes, de la tressainte charité qui soyent heritiers de Dieu, coheritiers de Jesus Christ, et les enfans ou actes que les autres vertus conçoivent et enfantent sur ses genoux, par son commandement, ou au moins sous les aisles et la faveur de sa presence.

  A005000830 

 Or il y a de plus: quand en la production des actions des vertus morales la volonté se rend desobeissante a sa dame, qui est la charité, comme quand par l'orgueil, la vanité, l'interest temporel, ou par quelqu'autre mauvais motif les vertus sont destournees de leur propre nature, certes alhors ces actions sont chassees et bannies de la mayson d'Abraham et de la societé de Sara, c'est a dire, elles sont privees du fruit [276] et des privileges de la charité, et par consequent demeurent sans valeur ni merite: car ces actions la, ainsy infectees d'une mauvaise intention, sont en effect plus vicieuses que vertueuses, puisqu'elles n'ont de la vertu que le cors exterieur, l'interieur appartenant au vice qui leur sert de motif; tesmoin les jeusnes, offrandes et autres actions du Pharisien..

  A005000831 

 Et ce sont ces œuvres que les theologiens appellent mortifiees, parce qu'estant nees en vie, sous la faveur de la dilection, et comme un Ismael en la famille d'Abraham, elles perdent par apres la vie et le droit d'heriter, par la desobeissance [277] et rebellion suivante, de la volonté humaine qui est leur mere..

  A005000831 

 Mays en fin, outre tout cela, comme les Israëlites vescurent paisiblement en Ægipte durant la vie de Joseph et de Levi, et soudain apres la mort de Levi furent tiranniquement reduitz en servitude, d'ou provint le proverbe des Juifz: «L'un des freres trespassé, les autres sont oppressés» (selon qu'il est rapporté en la Grande Chronologie des Hebrieux, publiee par le sçavant Archevesque d'Aix, Gilbert Genebrard, que je nomme par honneur et avec consolation pour avoir esté son disciple, quoy qu'inutilement, lors qu'il estoit lecteur royal a Paris et qu'il exposoit le Cantique des Cantiques), de mesme les merites et fruitz des vertus, tant morales que chrestiennes, subsistent tres doucement et tranquillement en l'ame tandis que la sacree dilection y vit et regne, mais a mesme que la dilection divine y meurt, tous les merites et fruitz des autres vertus meurent quant et quant.

  A005000832 

 O Dieu, Theotime, quel malheur! Si le juste se destourne de sa justice et qu'il face l'iniquité, on n'aura plus memoire de toutes ses justices, il mourra en son peché, dit Nostre Seigneur en Ezechiel: de sorte que le peché mortel ruine tout le merite des vertus; car, quant a celles qu'on prattique tandis qu'il regne en l'ame, elles naissent tellement mortes qu'elles sont a jamais inutiles pour la pretention de la vie eternelle; et quant a celles que l'on a prattiquees avant qu'il fust commis, c'est a dire tandis que la dilection sacree vivoit en l'ame, leur valeur et merite perit et meurt soudain a son arrivee, ne pouvans conserver leur vie apres la mort de la charité qui la leur avoit donnee..

  A005000833 

 Le lac que les prophanes appellent communement Asphaltite, et les autheurs sacrés mer Morte, a une malediction si grande que rien ne peut vivre de ce que l'on y met: quand les poissons du fleuve Jordain l'approchent ilz meurent, si promptement ilz ne rebroussent contremont; les arbres de son rivage ne produisent rien de vivant, et bien que leurs fruitz ayent l'apparence et forme exterieure pareille aux fruitz des autres contrees, neanmoins, quand on les veut arracher, on treuve que ce ne sont que escorces et peleures pleines de cendres qui s'en vont au vent: marques des infames pechés pour la punition desquelz cette contree, peuplee de quatre cités plantureuses, fut jadis convertie en cet abisme de puanteur et d'infection; et rien aussi ne peut, ce semble, mieux representer le malheur du peché, que ce lac abominable qui prit son origine du plus execrable desordre que la chair humaine puisse commettre.

  A005000833 

 O Dieu, nullement, Theotime: car non seulement le peché est une œuvre morte, mays elle est tellement pestilente et veneneuse, que les plus excellentes vertus de l'ame pecheresse ne produisent aucune action vivante; et quoy que quelquefois les actions des pecheurs ayent une grande ressemblance avec les actions des justes, ce ne sont toutefois qu'escorces pleines de vent et de poussiere, regardees voirement et mesme recompensees par la Bonté divine de quelques presens temporelz, qui leur sont donnés comme aux enfans des chambrieres, mais escorces pourtant qui ne sont ni ne peuvent estre savourees ni goustees par la divine justice, pour estre salariees de loyer eternel.

  A005000834 

 De sorte que nous pouvons tous lancer cette veritable voix, a l'imitation du saint Apostre: Sans la charité je ne suis rien, rien ne me profite; et celle cy, avec saint Augustin: Mettes dans un cœur «la charité, tout proffite; ostés du cœur la charité, rien ne proffite.» Or je dis, rien ne proffite pour la vie eternelle, quoy que, comme nous disons ailleurs, les œuvres vertueuses des pecheurs ne soyent pas inutiles pour la vie temporelle; mays, Theotime mon amy, que proffite-il a l'homme s'il gaigne tout le monde temporellement et qu'il perde son ame eternellement? [279].

  A005000838 

 Car, comme le Sauveur, parlant de la petite Talithe de Jaïrus, dit qu'elle n'estoit pas morte, ains dormoit seulement, parce que devant estre soudain resuscitee, sa mort seroit de si peu de duree qu'elle ressembleroit plustost un sommeil qu'une vraye mort, ainsy les œuvres des justes, et sur tout des esleuz, que le peché survenu fait mourir, ne sont pas dites œuvres mortes, ains seulement amorties, mortifiees, assoupies ou pasmees, parce qu'au prochain retour de la sainte dilection elles doivent, ou du moins peuvent bien tost revivre et resusciter.

  A005000838 

 Les œuvres donques que le pecheur fait tandis qu'il est privé du saint amour, ne profitent jamais pour la vie eternelle, et pour cela sont appellees œuvres mortes; mais les bonnes œuvres du juste sont au contraire nommees vives, d'autant que le divin amour les anime et vivifie de sa dignité.

  A005000838 

 Mais comme [280] au retour du beau primtems, non seulement les nouvelles semences qu'on jette en terre a la faveur de cette belle et feconde sayson germent et bourgeonnent aggreablement, chacune selon sa qualité, mais aussi les vielles plantes que l'aspreté de l'hyver precedent avoit flestries, dessechees et amorties, reverdissent, se revigorent et reprennent leur vertu et leur vie; de mesme le peché estant aboli et la grace du divin amour revenant en l'ame, non seulement les nouvelles affections que le retour de ce sacré primtems apporte, germent et produisent beaucoup de merites et de benedictions, mais les œuvres fanees et flestries sous la rigueur de l'hyver du peché passé, comme deslivrees de leur ennemy mortel, reprennent leurs forces, se revigorent, et, comme resuscitees, fleurissent derechef et fructifient en merites pour la vie eternelle..

  A005000838 

 Que si, par apres, elles perdent leur vie et valeur par le peché survenant, elles sont dites œuvres amorties, esteintes ou mortifiees seulement; mais non pas œuvres mortes, si principalement on a esgard aux esleuz.

  A005000838 

 Un hyver rigoureux amortit toutes les plantes de la campaigne, en sorte que s'il duroit tous-jours elles aussi tous-jours demeureroyent en cet estat de mort.

  A005000839 

 Certes, le tressaint Concile de Trente veut que l'on anime les penitens retournés en la sacree dilection de Dieu eternel, par ces paroles de l'Apostre: Abondés en tout bon œuvre, sachans que vostre travail n'est point inutile en Nostre Seigneur; car Dieu n'est pas injuste pour oublier vostre œuvre et la dilection que vous aves monstree en son nom.

  A005000839 

 Or Dieu oublie les œuvres [281] quand elles perdent leur merite et leur sainteté par le peché survenant, et il s'en resouvient quand elles retournent en vie et valeur par la presence du saint amour: de sorte mesme que, affin que les fideles soyent recompensés de leurs bonnes œuvres, tant par l'accroissement de la grace et de la gloire future que par l'effectuelle jouissance de la vie eternelle, il n'est pas necessaire que l'on ne retombe point au peché, ains suffit, selon le sacré Concile, que l'on «trespasse en la grace» et charité de Dieu..

  A005000839 

 Telle est la toute puissance du celeste amour, ou l'amour de la celeste toute puissance: Si l'impie se destourne de son impieté et qu'il fasse jugement et justice, il vivifiera son ame; Convertisses vous et faites penitence de vos iniquités, et l'iniquité ne vous sera point a ruine, dit le Seigneur tout puissant; et qu'est-ce a dire, l'iniquité ne vous sera point a ruine, sinon que les ruines qu'elle avoit faites seront reparees? Ainsy, outre mille caresses que l'enfant prodigue receut de son pere, il fut restabli avec avantage en tous ses ornemens et en toutes les graces, faveurs et dignités qu'il avoit perdues; et Job, image innocente du pecheur penitent, reçoit en fin au double de tout ce qu'il avoit eu.

  A005000840 

 Que si neanmoins, par apres, ce pauvre homme tombé en peché se releve et retourne en l'amour divin par penitence, Dieu ne se resouviendra plus de son peché; et s'il ne se resouvient plus du peché, il se resouviendra donques des bonnes œuvres precedentes et de la recompense qu'il leur avoit promise, puisque le peché, qui seul les avoit ostees de la memoire divine, est totalement effacé, aboli, aneanti: si que alhors la justice de Dieu oblige sa misericorde, ou plustost la misericorde de Dieu oblige sa justice, de regarder derechef les bonnes œuvres passees, comme si jamais il ne les avoit oubliees; autrement le sacré penitent n'eust pas osé dire a son Maistre: Rendes moy l'allegresse de vostre salutaire, et me confirmes de vostre esprit principal. Car, comme vous voyes, non seulement il requiert une nouveauté d'esprit et de cœur, mais il pretend qu'on luy rende l'allegresse que le peché luy avoit ravie: or cette allegresse n'est autre chose que le vin du celeste amour, qui res-jouit le cœur de l'homme..

  A005000841 

 Ainsy tous-jours, es guerisons corporelles que Nostre Seigneur donnoit par miracle, non seulement il rendoit la santé, mais il adjoustoit des benedictions nouvelles, faysant exceller la guerison au dessus de la maladie; tant il est bonteux envers les hommes..

  A005000841 

 Et cet oubli des bonnes œuvres des justes, apres qu'ilz ont quitté leur justice et dilection, consiste en ce qu'elles nous sont rendues inutiles tandis que le peché nous rend incapables de la vie eternelle, qui est leur fruit; et partant, si tost que par le retour de la charité nous sommes remis au rang des enfans de Dieu, et par consequent rendus susceptibles de la gloire immortelle, Dieu se resouvient de nos bonnes œuvres anciennes, et elles nous sont derechef rendues fructueuses.

  A005000841 

 Il n'est pas raysonnable que le peché ayt autant de force contre la charité comme la charité en a contre le peché, car le peché procede de nostre foiblesse, et la charité de la puissance divine: si le peché abonde en malice pour ruiner, la grace surabonde pour reparer; et la misericorde de Dieu, par laquelle il efface le peché, s'exalte tous-jours et se rend glorieusement triomphante contre la rigueur du jugement, par lequel Dieu avoit oublié les bonnes œuvres qui precedoyent le peché.

  A005000842 

 Lhors que Nabuzardan destruisit Hierusalem et qu'Israël fut mené en captivité, le feu sacré de l'autel fut caché dans un puitz, ou il se convertit en boue; mais cette boue tiree du puitz et remise au soleil lhors du retour de la captivité, le feu mort resuscita, et cette boue fut convertie en flammes.

  A005000842 

 Mays que les œuvres saintes, qui comme douces abeilles font le miel du merite, estant noyees dans le peché puissent par apres revivre, quand, couvertes des cendres de la penitence, on les remet au soleil de la grace et charité, tous les theologiens le disent et enseignent bien clairement; et lhors il ne faut pas douter qu'elles ne soyent utiles et fructueuses comme avant le peché.

  A005000842 

 Quand l'homme juste est rendu esclave du peché, toutes les bonnes œuvres qu'il avoit faites sont miserablement oubliees et reduites en boue; mais au sortir de la captivité, lhors que par la penitence il retourne en la grace de la dilection divine, ses bonnes œuvres precedentes sont tirees du puitz de l'oubli, et, touchees des rayons de la misericorde celeste, elles revivent et se convertissent en flammes aussi claires que jamais elles furent, pour estre remises sur l'autel sacré de la divine approbation, et avoir leur premiere dignité, leur premier prix et leur premiere valeur.

  A005000842 

 Que les guespes, taons ou mouschons, et telz petitz animaux nuisibles, estans mortz puissent revivre et resusciter, je ne l'ay jamais veu, ni leu, ni ouӱ dire; mais que les cheres avettes, mousches si vertueuses, puissent resusciter, chacun le dit, et je l'ay maintefois [283] leu.

  A005000842 

 Que les iniquités et œuvres malignes puissent revivre apres que par la penitence elles ont esté noyees et abolies, certes, mon Theotime, jamais l'Escriture ni aucun theologien ne l'a dit, que je sache; ains le contraire est authorisé par la sacree Parole et par le commun consentement de tous les docteurs.

  A005000842 

 «On dit» (ce sont les paroles de Pline) «que gardant les cors mortz des mousches a miel qu'on a noyees, dans la mayson tout l'hyver, et les remettant au soleil le primtems suivant couvertes de cendre de figuier, elles resusciteront» et seront bonnes comme auparavant.

  A005000846 

 Les bestes ne pouvant connoistre la fin de leurs actions, tendent voirement a leur fin, mais n'y pretendent pas, car pretendre c'est tendre a une chose par dessein avant que d'y tendre par effect; elles jettent leurs actions a leur fin, mais elles ne projettent point, ains suivent leurs instinctz sans election ni intention.

  A005000846 

 Mais l'homme est tellement maistre de ses actions humaines et raysonnables qu'il les fait toutes pour quelque fin, et les peut destiner a une ou plusieurs fins particulieres, ainsy que bon luy semble: car il peut changer la fin naturelle d'une action, comme quand il jure pour tromper, puisqu'au contraire la fin du serment est d'empescher la tromperie; et peut adjouster a la fin naturelle d'une action quelqu'autre sorte de fin, comme quand, outre l'intention de secourir le pauvre a laquelle l'aumosne tend, il adjouste l'intention d'obliger l'indigent a la pareille..

  A005000847 

 Or, nous adjoustons quelquefois une fin de moindre perfection que n'est celle de nostre action, quelquefois aussi nous adjoustons une fin d'egale ou semblable perfection, et parfois encor une fin plus eminente et relevee.

  A005000847 

 de plaire a Dieu? qui sont trois diverses fins, dont la premiere est moindre, la seconde n'est pas presque plus excellente, et la troisiesme est beaucoup plus eminente [285] que la fin ordinaire de l'aumosne: si que nous pouvons, comme vous voyes, donner diverses perfections a nos actions, selon la varieté des motifs, fins et intentions que nous prenons en les faysant..

  A005000848 

 Cet autre se communie a Pasques pour ne point estre blasmé de son voysinage et pour obeir a Dieu; qui doute qu'il ne fasse bien? Mais s'il se communie autant ou plus pour eviter le blasme que pour obeir a Dieu, qui doute qu'il ne fasse impertinemment, egalant ou preferant le respect humain a l'obeissance qu'il doit a Dieu? Je puis jeusner le caresme, ou par charité affin de plaire a Dieu, ou par obeissance parce que l'Eglise l'ordonne, ou par sobrieté, ou par diligence pour mieux estudier, ou par prudence affin de faire quelque espargne requise, ou par chasteté affin de dompter le cors, ou par religion pour mieux prier.

  A005000848 

 Or, si je veux, je puis assembler toutes ces intentions et jeusner pour tout cela, mais en ce cas il faut tenir bonne police a ranger ces motifs: car si je jeusnois principalement pour espargner, plus que pour obeir a l'Eglise, plus pour bien estudier que pour plaire a Dieu, qui ne void que je pervertis le droit et l'ordre, preferant mon interest a l'obeissance de l'Eglise et au contentement de mon Dieu? Jeusner pour espargner est [286] bon; jeusner pour obeir a l'Eglise est meilleur; jeusner pour plaire a Dieu est tres bon: mais encores qu'il semble que de trois biens on ne puisse pas composer un mal, si est-ce que qui les colloqueroit en desordre, preferant le moindre au meilleur, il feroit sans doute un desreglement blasmable..

  A005000848 

 Prenons donq bien garde, Theotime, de ne point changer les motifs et la fin de nos actions qu'avec avantage et proffit, et de ne rien faire en ce traffiq que par bon ordre et rayson.

  A005000848 

 Tenes, voyla cet homme qui entre en charge pour servir le public et pour acquerir de l'honneur: s'il a plus de pretention de s'honnorer que de servir la chose publique, ou qu'il soit egalement desireux de l'un et de l'autre, il a tort et ne laisse pas d'estre ambitieux, car il renverse l'ordre de la rayson, egalant ou preferant son interest au bien public; mais si, pretendant pour sa fin principale de servir le public, il est bien ayse aussi parmi cela d'accroistre l'honneur de sa famille, certes, on ne le sçauroit blasmer, parce que non seulement ses deux pretentions sont honnestes, mais elles sont bien rangees.

  A005000850 

 Ilz suivent et prattiquent les vertus, non entant qu'elles sont belles et aymables, mais entant qu'elles sont aggreables a Dieu; ilz ayment leur felicité, non entant qu'elle est a eux, mais entant qu'elle plait a Dieu: ouy mesme ilz ayment l'amour duquel ilz ayment Dieu, non parce qu'il [287] est en eux, mais parce qu'il tend a Dieu; non parce qu'il leur est doux, mais parce qu'il plait à Dièu; non parce qu'ilz l'ont et le possedent, mais parce que Dieu le leur donne et qu'il y prend son bon playsir..

  A005000850 

 Or le souverain motif de nos actions, qui est celuy du celeste amour, a cette souveraine proprieté, qu'estant plus pur il rend l'action qui en provient plus pure: si que les Anges et Saintz de Paradis n'ayment chose aucune pour autre fin quelcomque que pour celle de l'amour de la divine Bonté et par le motif de luy vouloir plaire; ilz s'entr'ayment voirement tous tres ardemment, ilz nous ayment aussi, ilz ayment les vertus, mais tout cela pour plaire a Dieu seulement.

  A005000854 

 Or, venant donq a l'action, je me pousse au peril, prevenu partous ces motifs; mais pour les relever tous au degré de l'amour divin et les purifier [288] parfaitement, je diray en mon ame de tout mon cœur: O Dieu eternel, qui estes le trescher amour de mes affections, si la vaillance, l'obeissance au prince, l'amour de la patrie et la magnanimité ne vous estoyent aggreables, je ne suivrois jamais leurs mouvemens que je sens maintenant; mais parce que ces vertus vous plaisent j'embrasse cette occasion de les prattiquer, et ne veux seconder leur instinct et inclination sinon parce que vous les aymes et que vous le voules..

  A005000854 

 Par exemple, si je veux m'exposer vaillamment aux hazards de la guerre, je le puis considerant divers motifs: car le motif naturel de cette action c'est celuy de la force et vaillance, a laquelle il appartient de faire entreprendre par rayson les choses perilleuses; mais, outre celuy cy, j'en puis avoir plusieurs autres, comme celuy d'obeir au prince que je sers, celuy de l'amour envers le public, celuy de la magnanimité, qui me fait plaire en la grandeur de cette action.

  A005000854 

 Purifions donq, Theotime, tant que nous pourrons, toutes nos intentions: et puisque nous pouvons respandre sur toutes les actions des vertus le motif sacré du divin amour, pourquoy ne le ferons nous pas? rejettans es occurrences toutes sortes de motifs vicieux, comme la vayne gloire et l'interest propre, et considerans tous les bons motifs que nous pouvons avoir d'entreprendre l'action qui se presente alhors, affin de choisir celuy du saint amour, qui est le plus excellent de tous, pour en arrouser et detremper tous les autres.

  A005000855 

 Nous ne disons pas que nous allons a Lyon, mais a Paris, quand nous n'allons a Lyon que pour aller a Paris; ni que nous allons chanter, mais que nous allons servir Dieu, quand nous n'allons chanter que pour servir Dieu..

  A005000855 

 Qui desrobbe pour ivroigner, il est plus ivroigne que larron, selon Aristote; et celuy donques qui exerce la vaillance, l'obeissance, l'affection envers sa patrie, la magnanimité, pour plaire a Dieu, il est plus amoureux divin que vaillant, obeissant, bon citoyen et magnanime, parce que toute sa volonté, en cet exercice, aboutit et vient fondre dans l'amour de Dieu, n'employant tous les autres motifs que pour parvenir a cette fin.

  A005000856 

 Et lhors que nous entrons es exercices des [290] vertus, nous devons souvent dire de tout nostre cœur: Ouy, Pere eternel, je le feray parce qu'ainsy a-il esté aggreable de toute eternité devant vous..

  A005000856 

 Que si quelquefois nous sommes touchés de quelque motif particulier, comme, par exemple, s'il nous advenoit d'aymer la chasteté a cause de sa belle et tant aggreable pureté, soudain sur ce motif il faut respandre celuy du divin amour, en cette sorte: O tres honneste et delicieuse blancheur de la chasteté, que vous estes aymable, puisque vous estes tant aymee par la divine Bonté! Puis, se retournant vers le Createur: Hé, Seigneur, je vous requiers une seule chose, c'est celle que je recherche en la chasteté, de voir et prattiquer en icelle vostre bon playsir et les delices que vous y prenes.

  A005000857 

 Origene, certes, et Tertulien aymerent tellement la blancheur de la chasteté qu'ilz en violerent les plus grandes regles de la charité: l'un ayant choisi de commettre l'idolatrie plustost que de souffrir une horrible vilenie de laquelle les tyrans vouloyent souiller son cors, l'autre se separant de la tres chaste Eglise Catholique sa Mere, pour mieux establir, selon son gré, la chasteté de sa femme.

  A005000857 

 Qui ne sçait qu'il y a eu des pauvres de Lyon qui, pour louer avec exces la mendicité, se firent heretiques, et de mendians devindrent des faux belitres? Qui ne sçait la vanité des Enthousiastes, Messaliens, Euchites, qui quitterent la dilection pour vanter l'orayson? Qui ne sçait qu'il y a eu des heretiques qui, pour exalter la charité envers les pauvres, deprimoyent la charité envers Dieu, attribuant tout le salut des hommes a la vertu de l'aumosne, selon que saint Augustin le tesmoigne? quoy que le saint Apostre exclame que qui donne tout son bien aux pauvres, et il n'a pas la charité, cela ne luy proffite point..

  A005000858 

 Reduisons donques toutes les vertus a l'obeissance [290] de la charité: aymons les vertus particulieres, mais principalement parce qu'elles sont aggreables a Dieu; aymons excellemment les vertus plus excellentes, non parce qu'elles sont excellentes, mais parce que Dieu les ayme plus excellemment: ainsy le saint amour vivifiera toutes les vertus, les rendant toutes amantes, aymables et sur-aymables..

  A005000862 

 Affin que l'esprit humain suive aysement les mouvemens et instinçtz de la rayson pour parvenir au bonheur naturel qu'il peut pretendre, vivant selon les loix de l'honnesteté, il a besoin: 1.

  A005000863 

 Ainsy, Theotime, le Saint Esprit qui habite en nous, voulant rendre nostre ame souple, maniable et obeissante a ses divins mouvemens et celestes inspirations, qui [291] sont les loix de son amour, en l'observation desquelles consiste la felicité surnaturelle de cette vie presente, il nous donne sept proprietés et perfections, pareilles presque aux sept que nous venons de reciter, qui, en l'Escriture Sainte et es livres des theologiens, sont appellees dons du Saint Esprit.

  A005000863 

 l'entendement n'est autre chose que l'amour attentif a considerer et penetrer la beauté des verités de la foy, pour y connoistre Dieu en luy mesme, et puis, de la, en descendant, le considerer es creatures; 3.

  A005000863 

 la force est l'amour qui encourage et anime le cœur pour executer ce que le conseil a determiné devoir estre fait; 6.

  A005000863 

 la sapience n'est autre chose en effect que l'amour qui savoure, gouste et experimente combien Dieu est doux et suave; 2.

  A005000863 

 la science, au contraire, n'est autre chose que le mesme amour qui nous tient attentifs a nous connoistre nous mesmes et les creatures, pour nous faire remonter a une plus parfaite connoissance du service que nous devons a Dieu; 4.

  A005000863 

 pour conclusion, la crainte n'est autre chose que l'amour entant qu'il nous fait fuir et eviter ce qui est desaggreable a la divine Majesté..

  A005000864 

 nous joignons nostre volonté a Dieu pour savourer et experimenter les douceurs de son incomprehensible bonté: car, sur le sommet de cette eschelle, Dieu estant penché devers nous, il nous donne le bayser d'amour, et nous fait tetter les sacrees mammelles de sa suavité, meilleures que le vin..

  A005000865 

 nous taschons de leur imprimer la sainte pieté, affin que reconnoissans Dieu pour Pere tres aymable, ilz luy obeissent avec une crainte filiale; et au dernier degré nous les pressons de craindre les jugemens de Dieu, affin que meslant cette crainte d'estre damnés avec la reverence filiale, ilz quittent plus ardemment la terre pour monter au Ciel avec nous..

  A005000866 

 Et je metz ainsy cette double crainte es deux derniers degrés, pour accorder toutes les traductions avec la sainte et sacree edition ordinaire; car si en l'Hebrieu le mot de crainte est repeté par deux fois, ce n'est pas sans mystere, ains pour monstrer qu'il y a un don de crainte filiale, qui n'est autre chose que le don de pieté, et un don de la crainte servile, qui est le commencement de tout nostre acheminement a la souveraine sagesse..

  A005000866 

 La charité ce pendant comprend les sept dons, et ressemble a une belle fleur de lys, qui a six feuilles [293] plus blanches que la neige, et au milieu les beaux marteletz d'or de la sapience, qui poussent en nos cœurs les goustz et savouremens amoureux de la bonté du Pere nostre Createur, de la misericorde du Filz nostre Redempteur et de la suavité du Saint Esprit nostre Sanctificateur.

  A005000870 

 Ah, Jonathas, mon frere, disoit David, tu estois aymable sur l'amour des femmes! et c'est comme s'il eut dit: tu meritois un plus grand amour que celuy des femmes envers leurs maris.

  A005000870 

 C'est cette admirable amante qui voudroit ne point aymer les goustz, les delices, les vertus et les consolations spirituelles, de peur d'estre divertie, pour peu que ce soit, de l'unique amour qu'elle porte a son Bienaymé, protestant que c'est luy mesme et non ses biens qu'elle recherche, et criant a cette intention: Hé, monstres moy, mon Bienaymé, ou vous paisses et reposes au midy, affin que je ne me divertisse point apres les playsirs qui sont hors de vous..

  A005000870 

 Telle, certes, est la crainte de l'ame qui a [294] l'excellente dilection: car elle s'asseure tant de la souveraine bonté de son Espoux, qu'elle ne craint pas de le perdre, mais elle craint bien toutefois de ne jouir pas asses de sa divine presence et que quelqu'occasion ne le fasse absenter pour un seul moment; elle a bien confiance de ne luy desplaire jamais, mais elle craint de ne luy plaire pas autant que l'amour le requiert; son amour est trop courageux pour entrer voire mesme au seul soupçon d'estre jamais en sa disgrace, mais il est aussi si attentif qu'elle craint de ne luy estre pas asses unie: ouy mesme, l'ame arrive quelquefois a tant de perfection qu'elle ne craint plus de n'estre pas asses unie a luy, son amour l'asseurant qu'elle le sera tous-jours, mais elle craint que cette union ne soit pas si pure, simple et attentive comme son amour luy fait pretendre.

  A005000871 

 De cette sacree crainte des divines espouses, furent touchees ces grandes ames de saint Paul, saint François, sainte Catherine de Gennes et autres, qui ne vouloyent aucun meslange en leurs amours, ains taschoyent de le rendre si pur, si simple, si parfait, que ni les consolations ni les vertus mesmes ne tinssent aucune place entre leur cœur et Dieu; en sorte qu'elles pouvoyent dire: Je vis, mais non plus moy mesme, ains Jesus Christ vit en moy; «Mon Dieu m'est toutes choses;» Ce qui n'est point Dieu ne m'est rien; Jesus Christ est ma vie; «Mon amour est crucifié;» et telles autres paroles d'un sentiment extatique..

  A005000872 

 Ainsy la divine Bonté, voulant coucher en l'ame humaine une grande diversité de vertus et les rehausser en fin de son amour sacré, il se sert de l'eguille de la crainte servile et mercenaire, de laquelle, pour l'ordinaire, nos cœurs sont premierement piqués; mais pourtant elle n'y est pas laissee, ains, a mesure que les vertus sont tirees et couchees en l'ame, la crainte servile et mercenaire en sort, selon le dire du bienaymé Disciple, que la charité parfaite pousse la crainte dehors.

  A005000872 

 Cet ouvrage se fait a l'eguille, qu'elle passe par tout ou elle veut coucher la soye, l'or et l'argent; mais neanmoins l'eguille n'est point mise dans le satin pour y estre laissee, ains seulement pour y introduire la soye, l'or et l'argent, et leur faire passage: de façon qu'a mesure que ces choses entrent dans le fonds, l'eguille en est tiree et en sort.

  A005000872 

 Or, la crainte initiale ou des apprentifs procede du vray amour, mais amour encor tendre, foible et commençant; la crainte filiale procede de l'amour ferme, [295] solide et des-ja tendant a la perfection; mais la crainte des espouses provient de l'excellence et perfection amoureuse des-ja toute acquise: et quant aux craintes serviles et mercenaires, elles ne procedent voirement pas de l'amour, mais elles precedent ordinairement l'amour pour luy servir de fourrier, ainsy que nous avons dit ailleurs, et sont bien souvent tres utiles a son service.

  A005000872 

 Vous verres toutefois, Theotime, une honneste dame, qui, ne voulant pas manger son pain en oysiveté, non plus que celle que Salomon a tant loüee, couchera la soye en une belle varieté de couleurs sur un satin bien blanc, pour faire une broderie de plusieurs belles fleurs, qu'elle rehaussera par apres fort richement d'or et d'argent selon les assortissemens convenables.

  A005000876 

 De mesme, Theotime, tandis que la Providence divine fait la broderie des vertus et l'ouvrage de son saint amour en nos ames, elle y laisse tous-jours la crainte servile ou mercenaire, jusques a ce que la charité estant parfaite, elle oste cette eguille piquante, et la remet, par maniere de dire, en son peloton.

  A005000876 

 En cette vie, donques, en laquelle nostre charité ne sera jamais si parfaite qu'elle soit exempte de peril, nous avons tous-jours besoin de la crainte, et lhors que nous tressaillons de joye par amour nous devons trembler d'apprehension par la crainte:.

  A005000876 

 Toutefois, encor que la dame dont nous avons parlé ne veuille pas laisser l'eguille en l'ouvrage quand il sera fait, si est ce que, tandis qu'elle y a quelque chose a faire, si elle est contrainte de se divertir pour quelqu'autre occurrence, elle laissera l'eguille piquee dans l'œillet, la rose ou la pensee qu'elle brode, pour la treuver plus a propos quand elle retournera pour ouvrer.

  A005000881 

 Que vostre cœur sousmis, en tremblant le revere..

  A005000883 

 Dieu envoye souvent [à l'âme] la crainte servile, comme un autre Eliezer (Eliezer aussi veut dire ayde de Dieu), pour traitter le mariage entre elle et l'amour sacré; que si l'ame vient sous la conduite de la crainte, ce n'est pas qu'elle la veuille espouser, car en effect, si tost que l'ame rencontre l'amour, elle s'unit a luy et quitte la crainte..

  A005000884 

 Car l'ame, quoy que juste, se void maintefois attaquee par des tentations extremes, et l'amour, tout courageux qu'il est, a fort a faire a se bien maintenir, a rayson de la condition de la place en laquelle il se treuve, qui est le cœur humain, variable et sujet a la mutinerie des passions; alhors donq, Theotime, l'amour employe la crainte au combat, et s'en sert pour repousser l'ennemy.

  A005000884 

 Le brave prince Jonathas, allant a la charge sur les Philistins emmi les tenebres de la nuit, voulut avoir son escuyer avec soy, et ceux qu'il ne tuoit pas, son escuyer les tuoit: et l'amour, en voulant faire quelque entreprise hardie, il ne se sert pas seulement de ses propres motifs, ains aussi des motifs de la crainte servile et mercenaire; et les tentations que l'amour ne desfait pas, la crainte d'estre damné les renverse.

  A005000884 

 Si la tentation d'orgueil, d'avarice ou de quelque playsir voluptueux m'attaque: Hé, ce diray-je, sera-il bien possible que pour des choses si vaynes mon cœur voulust quitter la grace de son Bienaymé! Mais si cela ne suffit pas, l'amour excitera la crainte: Hé, ne vois-tu pas, miserable cœur, que secondant cette tentation, les effroyables flammes d'enfer t'attendent, et que tu perds l'heritage eternel du Paradis? On se sert de tout es extremes necessités; comme le mesme Jonathas fit, quand, passant ces aspres rochers qui estoyent entre luy et les Philistins, il ne se servoit pas seulement de ses pieds, mais gravissoit et grimpoit a belles mains comme il pouvoit.

  A005000885 

 Et comme celuy qui donne une grenade la donne voirement pour les grains et le suc qu'elle a au dedans, mais ne laisse pas pourtant de donner aussi l'escorce, comme une dependance d'icelle, de mesme, bien que le Saint Esprit, entre ses dons sacrés, confere celuy de la crainte amoureuse aux ames des siens, affin qu'elles craignent Dieu en pieté, comme leur Pere et leur Espoux, si est-ce, toutefois, qu'il ne laisse pas de leur donner encor la crainte servile et mercenaire, comme un accessoire de l'autre plus excellente.

  A005000885 

 Outre que, comme la peleure d'une pomme, qui est de peu d'estime en soy mesme, sert toutefois grandement a conserver la pomme qu'elle couvre, aussi la crainte servile, qui est de peu de prix en sa propre condition au regard de l'amour, luy est neanmoins grandement utile a sa conservation pendant les hazards de cette vie mortelle.

  A005000885 

 Tout ainsy donques que les nochers qui partent sous un vent favorable, en une sayson propice, n'oublient pourtant jamais les cordages, ancres et autres choses requises en tems de fortune et parmi la tempeste, aussi, quoy que le serviteur de Dieu jouisse du repos et de la douceur du saint amour, il ne doit jamais estre desprouveu de la crainte des jugemens divins, pour s'en servir entre les orages et assautz des tentations.

  A005000886 

 Or, bien que la crainte servile et mercenaire soit grandement utile pour cette vie mortelle, si est-ce qu'elle est indigne d'avoir place en l'eternelle, en laquelle il y aura une asseurance sans crainte, une paix sans desfiance, un repos sans soucy; mais les services neanmoins que ces craintes servantes et mercenaires auront rendu a l'amour y seront recompensés: de sorte que, si ces craintes, comme des autres Moyse et Aaron, n'entrent pas en la Terre de promission, leur posterité neanmoins et leurs ouvrages y entreront.

  A005000891 

 Tout ainsy que sa Majesté.

  A005000896 

 Aussi les tonnerres, tempestes, foudres, sont appellés voix du Seigneur par le Psalmiste, qui dit de plus qu' elles font la parole d'iceluy, parce qu'elles annoncent sa crainte et sont comme ministres de sa justice; et ailleurs, souhaittant que la divine Majesté se fasse redouter a ses ennemis: Lances, dit-il, des esclairs, et vous les dissiperes; descoches vos dards, et vous les troubleres; ou il appelle les foudres, sagettes et dards du Seigneur.

  A005000896 

 Certes, Platon, en son Gorgias et ailleurs, tesmoigne qu'entre les payens il y avoit quelque sentiment de crainte, non seulement pour les chastimens que la souveraine justice de Dieu prattique en ce monde, mais aussi pour les punitions qu'il exerce en l'autre vie sur les ames de ceux qui ont des pechés incurables.

  A005000896 

 Et devant le Psalmiste, la bonne mere de Samuel avoit des-ja chanté que les ennemis mesmes de Dieu le craindroyent, d'autant qu'il tonneroit sur eux des le Ciel.

  A005000896 

 Les esclairs, tonnerres, foudres, tempestes, inondations, tremble-terre et autres telz accidens inopinés excitent mesme les plus indevotz a craindre Dieu; et la nature, prevenant le discours en telles occurrences, pousse le cœur, les yeux et les mains mesmes devers le ciel pour reclamer le secours de la tressainte Divinité, selon le sentiment commun du genre humain, qui est, dit Tite Live, que ceux qui servent la Divinité prosperent, et ceux qui la mesprisent sont affligés.

  A005000896 

 «Ilz ignoroyent,» dit saint Hierosme, «la verité, mais ilz reconnoissoyent la Providence,» et creurent que c'estoit par jugement celeste qu'ilz se treuvoyent en ce danger; comme les Maltois, lhors qu'ilz virent saint Paul, eschappé du naufrage, estre attaqué par la vipere, creurent que [300] c'estoit par vengeance divine.

  A005000897 

 Le glorieux saint Thomas d'Aquin, estant naturellement sujet a s'effrayer quand il tonnoit, souloit dire, par maniere d'orayson jaculatoire, les divines paroles que l'Eglise estime tant: Le Verbe a esté fait chair.

  A005000897 

 Les Chrestiens, parmi les estonnemens que les tonnerres, tempestes et autres perilz naturelz leur apportent, invoquent le nom sacré de Jesus et de Marie, font le signe de la Croix, se prosternent devant Dieu, et font plusieurs bons actes de foy, d'esperance et de religion.

  A005000897 

 Mais cette crainte, toutefois, prattiquee par maniere d'eslan ou sentiment naturel, n'est ni louable ni vituperable en nous, puisqu'elle ne procede pas de nostre election: elle est neanmoins un effect d'une tres bonne cause, et cause d'un tres bon effect, car elle provient de la connoissance naturelle que Dieu nous a donné de sa providence, et nous fait reconnoistre combien nous dependons de la toute puissance souveraine, nous incitant a l'implorer; et se treuvant en une ame fidele, elle luy fait beaucoup de biens.

  A005000897 

 Sur cette [301] crainte, donq, le divin amour fait maintefois des actes de complaysance et de bienveuillance: Je vous beniray, Seigneur, car vous estes terriblement magnifié; Que chacun vous craigne, o Seigneur! O grans de la terre, entendés: servés Dieu en crainte, et tressailles pour hiy en tremblement..

  A005000898 

 Nous avons conceu de vostre crainte, o Dieu, et enfanté l'esprit de salut, est-il dit en Isaye; c'est a dire: Vostre face courroucee nous a espouvantés, et nous a fait concevoir et enfanter l'esprit de penitence, qui est l'esprit de salut; ainsy que le Psalmiste avoit dit: Mes os n'ont point de paix, ains tremblent devant la face de vostre ire.

  A005000899 

 Que si la crainte ne forclost pas la volonté de pecher, [302] ni l'affection au peché, certes elle est meschante et pareille a celle des diables, qui cessent souvent de nuire de peur d'estre tormentés par l'exorcisme, sans cesser neanmoins de desirer et vouloir le mal, qu'ilz meditent a jamais; pareille a celle du miserable forçat, qui voudroit manger le cœur du comite, quoy qu'il n'ose quitter la rame de peur d'estre battu; pareille a la crainte de ce grand heresiarque du siecle passé, qui confesse d'avoir haï Dieu, d'autant qu'il punissoit les meschans.

  A005000900 

 O si l'œil pouvoit voir, si l'aureille pouvoit ouïr, ou qu'il peust monter au cœur de l'homme ce que Dieu a preparé a ceux qui le [303] servent, hé, quelle apprehension auroit-on de violer les commandemens divins, de peur de perdre ces recompenses immortelles! quelles larmes, quelz gemissemens jetteroit on quand par le peché on les auroit perdues! Or, cette crainte neanmoins seroit blasmable si elle enfermoit en soy l'exclusion du saint amour; car qui dirait: je ne veux point servir Dieu pour aucun amour que je luy veuille porter, mais seulement pour avoir les recompenses qu'il promet, il ferait un blaspheme, preferant la recompense au Maistre, le bienfait au Bienfacteur, l'heritage au Pere, et son propre proffit a Dieu tout puissant; ainsy que nous avons plus amplement monstré au Livre second..

  A005000901 

 Mais en fin, quand nous craignons d'offencer Dieu, non point pour eviter la peyne de l'enfer ou la perte du Paradis, mais seulement parce que Dieu estant nostre tres bon Pere nous luy devons honneur, respect, obeissance, alhors nostre crainte est filiale, d'autant qu'un enfant bien né n'obeit pas a son pere en consideration du pouvoir qu'il a de punir sa desobeissance, ni aussi parce qu'il le peut exhereder, ains simplement parce qu'il est son pere; en sorte qu'encor que le pere serait viel, impuissant et pauvre, il ne laisserait pas de le servir avec egale diligence, ains, comme la pieuse cigoigne, il l'assisterait avec plus de soin et d'affection: ainsy que Joseph, voyant le bon homme Jacob son pere, vieux, necessiteux et reduit sous son sceptre, il ne laissa pas de l'honnorer, servir et reverer avec une tendreté plus que filiale, et telle, que ses freres l'ayant reconneüe, estimerent qu'elle opereroit encor apres sa mort, et l'employerent pour obtenir pardon de luy, disans: Vostre pere nous a commandé que nous vous dissions de sa part: Je vous prie d'oublier le crime de vos freres, et le peché et malice qu'ilz ont exercé envers vous.

  A005000902 

 Car, comme les jeunes garçons qui commencent a monter a cheval, quand ilz sentent leur cheval porter un peu plus haut, ne serrent pas seulement les genoux, ains se prennent a belles mains a la selle, mais quand ilz sont un peu plus exercés ilz se tiennent seulement en leurs serres, de mesme les novices et apprentifs au service de Dieu, se treuvans esperdus parmi les assautz que leurs ennemis leur livrent au commencement, ilz ne se servent pas seulement de la crainte filiale, mais aussi de la mercenaire et servile, et se tiennent comme ilz peuvent pour ne point deschoir de leur pretention.

  A005000902 

 Toutefois, quand il arrive que cette crainte filiale est jointe, meslee et detrempee avec la crainte servile de la damnation eternelle, ou bien avec la crainte mercenaire de perdre le Paradis, elle ne laisse pas d'estre fort aggreable a Dieu, et s'appelle crainte initiale, c'est a dire crainte des apprentifs, qui entrent es exercices de l'amour divin.

  A005000906 

 Ainsy, qui diroit: le fruit de la vigne c'est le raysin, le moust, le vin, l'eau de vie, la liqueur res-jouissant le cœur de l'homme, le breuvage confortant l'estomach, il ne voudroit pas dire que ce fussent des fruitz de differente espece, ains seulement qu'encor que ce ne soit qu'un seul fruit, il a neanmoins une quantité de diverses proprietés, selon qu'il est employé diversement..

  A005000906 

 Certes, la charité est l'unique fruit du Saint Esprit, mais parce que ce fruit a une infinité d'excellentes proprietés, l'Apostre, qui en veut representer quelques unes par maniere de monstre, parle de cet unique fruit comme de plusieurs, a cause de la multitude des proprietés qu'il contient en son unité, et parle reciproquement de tous ces fruitz comme d'un seul, a cause de l'unité en laquelle est comprise cette varieté.

  A005000906 

 Mays voyes, Theotime, que ce divin Apostre contant ces douze fruitz du Saint Esprit, il ne les met que pour un seul fruit; car il ne dit pas: les fruitz de [305] l'Esprit sont la charité, la joye, mais seulement: le fruit de l'Esprit est la charité, la joye.

  A005000907 

 L'Apostre donq ne veut dire autre chose sinon que le fruit du Saint Esprit est la charité, laquelle est joyeuse, paisible, patiente, benigne, bonteuse, longanime, douce, fidele, modeste, continente, chaste; c'est a dire, que le divin amour nous donne une joye et consolation interieure, avec une grande paix de cœur qui se conserve entre les adversités par la patience, et qui nous rend gracieux et benins a secourir le prochain par une bonté cordiale envers iceluy; bonté qui n'est point variable, ains constante et perseverante, d'autant qu'elle nous donne un courage de longue estendue, au moyen dequoy nous sommes rendus doux, affables et condescendans envers tous, supportans leurs humeurs et imperfections et leur gardant une loyauté parfaite, tesmoignans une simplicité accompaignee de confiance, tant en nos paroles qu'en nos actions, vivans modestement et humblement, retranchans toutes superfluités et tous desordres au boire, manger, vestir, coucher, jeux, passetems et autres telles convoitises voluptueuses [306] par une sainte continence, et reprimant sur tout les inclinations et seditions de la chair par une soigneuse chasteté: affin que toute nostre personne soit occupee en la divine dilection, tant interieurement, par la joye, paix, patience, longanimité, bonté et loyauté; comme aussi exterieurement, par la benignité, mansuetude, modestie, continence et chasteté..

  A005000908 

 Contentement lequel est si fort, que les eaux des tribulations et les fleuves des persecutions ne le peuvent esteindre; ains, non seulement il ne perit pas, mais il s'enrichit parmi les pauvretés, il s'agrandit es abjections et humilités, il se res-jouit entre les larmes, il se renforce d'estre abandonné de la justice et privé de l'assistance d'icelle lhors que, la reclamant, nul ne luy en donne; il se recree emmi la compassion et commiseration lhors qu'il est environné des miserables et souffreteux; il se delecte de renoncer a toutes sortes de delices sensuelles et mondaines pour obtenir la pureté et netteté de cœur; il fait vaillance d'assoupir les guerres, noises et dissensions, et de mespriser les grandeurs et reputations temporelles; il se revigore d'endurer toutes sortes de souffrances, et tient que sa vraye vie consiste a mourir pour le Bienaymé..

  A005000908 

 Mais, quand non seulement nous nous res-jouissons en cette divine dilection et jouissons de sa delicieuse douceur, ains que nous establissons toute nostre gloire en icelle, comme en la couronne de nostre honneur, alhors elle n'est pas seulement un fruit doux a nostre gosier, mais elle est une beatitude et felicité tres desirable; non seulement parce qu'elle nous asseure la felicité de l'autre vie, mais parce qu'en celle ci elle nous donne un contentement d'inestimable valeur.

  A005000908 

 Or, la dilection est appellee fruit entant qu'elle nous delecte et que nous jouissons de sa delicieuse suavité, comme une vraye pomme de Paradis recueillie de l'arbre de vie, qui est le Saint Esprit, enté sur nos espritz humains et habitant en nous par sa misericorde infinie.

  A005000909 

 En qualité de beatitude, elle nous fait prendre a faveur extreme et singulier honneur les affrontz, calomnies, vituperes et opprobres que le monde nous fait, et nous fait quitter, renoncer et rejetter toute autre gloire sinon celle qui procede du bienaymé Crucifix, pour laquelle nous nous glorifions en l'abjection, abnegation et aneantissement de nous mesmes; ne voulans autres marques de majesté que la couronne d'espines du Crucifix, le sceptre de son roseau, le mantelet de mespris qui luy fut imposé, et le throsne de sa Croix, sur lequel les amoureux sacrés ont plus de contentement, de joye, de gloire et de felicité, que jamais Salomon n'eut sur son throsne d'ivoire..

  A005000909 

 En qualité de don, la dilection nous rend souples et maniables aux inspirations interieures, qui sont comme les commandemens et conseilz secretz de Dieu, a l'execution desquelz sont employés les sept dons du Saint Esprit; si que la dilection est le don des dons.

  A005000909 

 En qualité de vertu, elle nous rend obeissans aux inspirations exterieures que Dieu nous donne par ses commandemens et conseilz, en l'execution desquelz on prattique toutes vertus; dont la dilection est la vertu de toutes les vertus.

  A005000914 

 C'en est de mesme des amateurs des richesses et des ambitieux de l'honneur; car ilz sont rendus esclaves de ce qu'ilz ayment, et n'ont plus de cœur en leur poitrine, ni d'ame en leurs cœurs, ni d'affections en leur ame que pour cela..

  A005000914 

 Ne voyons nous pas les hommes qui ont donné leur cœur en proye a l'amour vil et abject des femmes, comme ilz ne desirent que selon cet amour, ilz n'ont playsir qu'en cet amour, ilz n'esperent ni desesperent que pour ce sujet, ilz ne craignent ni n'entreprennent que pour cela, ilz n'ont a contrecœur ni ne fuyent que ce qui les en destourne, ilz ne s'attristent que de ce qui les en prive, ilz n'ont de cholere que par jalousie, ilz ne triomphent que par cette infamie.

  A005000915 

 Car en somme, cette sacree dilection est l'eau salutaire de laquelle Nostre Seigneur disoit: Celuy qui boira de l'eau que je luy donneray, il n'aura jamais soif.

  A005000915 

 Non vrayement, Theotime; qui aura l'amour de Dieu un peu abondamment, il n'aura plus ni desir, ni crainte, ni esperance, ni courage, ni joye que pour Dieu, et tous ses mouvemens seront accoysés en ce seul amour celeste..

  A005000915 

 Quand donq le divin amour regne dans nos cœurs, il assujettit royalement tous les autres amours de la volonté, et par consequent toutes les affections d'icelle, parce que naturellement elles suivent les amours; puis [309] il dompte l'amour sensuel, et le reduisant a son obeissance il tire aussi apres iceluy toutes les passions sensuelles.

  A005000916 

 L'amour divin et l'amour propre sont dedans nostre cœur comme Jacob et Esaü dans le ventre de Rebecca: ilz ont une antipathie et repugnance fort grande l'un a l'autre, et s'entrechoquent dedans le cœur continuellement; dont la pauvre ame s'escrie: Helas, moy miserable, qui me deslivrera du cors de cette mort, affin que le seul amour de mon Dieu regne paisiblement en moy? Mais il faut pourtant que nous ayons courage, esperans en la parole de Nostre Seigneur, qui promet en commandant, et commande en promettant la victoire a son amour; et semble qu'il dit a l'ame ce qu'il fit dire a Rebecca: Deux nations sont en ton ventre et deux peuples seront separés dans tes entrailles; et l'un des peuples surmontera l'autre, et l'aisné servira au moindre. Car, comme Rebecca n'avoit que deux enfans en son ventre, mais parce que d'iceux devoyent naistre deux peuples il est dit qu'elle avoit deux nations en son ventre, aussi l'ame ayant dedans son cœur deux amours, a par consequent deux grandes peuplades de mouvemens, affections et passions; et comme les deux enfans de Rebecca, par la contrarieté de leurs mouvemens luy donnoyent des grandes convulsions et douleurs de ventre, aussi les deux amours de nostre ame donnent des grans travaux a nostre cœur; et comme il fut dit qu'entre les deux enfans de cette dame le plus grand serviroit le moindre, aussi a-il esté ordonné que des deux amours de nostre cœur, le sensuel servira le spirituel, c'est a dire que l'amour propre servira l'amour de Dieu.

  A005000917 

 Mays quand fut-ce que l'aisné des peuples qui estoyent dans le ventre de Rebecca servit le puisné? Certes, ce ne fut jamais que lhors que David subjuga en guerre les Idumeens, et que Salomon les maistrisa en paix.

  A005000917 

 O quand sera-ce donques que l'amour sensuel servira l'amour divin? Ce sera lhors, Theotime, que l'amour armé, parvenu jusques au zele, asservira nos passions par la mortification, et bien plus, lhors que la haut au Ciel l'amour bienheureux possedera toute nostre ame en paix..

  A005000919 

 Mais donq, quelle methode doit on tenir pour ranger les affections et passions au service du divin amour? Les medecins methodiques ont tous-jours en bouche cette maxime, que «les contraires sont gueris par leurs contraires;» et les spagyriques celebrent une sentence opposee a celle la, disans que «les semblables sont gueris par leurs semblables.» Or, comme que c'en soit, nous sçavons que deux choses font disparoistre la lumiere des estoiles: l'obscurité des brouillas de la nuit, et la plus grande lumiere du soleil; et de mesme nous combattons les passions, ou leur opposant des passions contraires, ou leur opposant des plus grandes [311] affections de leur sorte.

  A005000919 

 S'il m'arrive quelque vayne esperance, je puis resister luy opposant ce juste descouragement: O homme insensé, sur quelz fondemens bastis tu cette esperance? Ne vois tu pas que ce grand auquel tu esperes est aussi pres de la mort que toy mesme? Ne connois tu pas l'instabilité, foiblesse et imbecillité des espritz humains? aujourd'huy, ce cœur duquel tu pretens est a toy; demain, un autre l'emportera pour soy.

  A005000921 

 L'appetit de manger est rendu grandement spirituel si, avant que de le prattiquer, on luy donne le motif de l'amour: Hé non, Seigneur, ce n'est pas pour contenter ce chetif ventre, ni pour assouvir cet appetit, que je vay a table, mais pour, selon vostre providence, entretenir ce cors que vous m'aves donné sujet a cette misere; ouy, Seigneur, parce qu'ainsy il vous a pleu.

  A005000921 

 Si j'espere l'assistance d'un ami, ne puis-je pas dire: Vous aves establi nostre vie en sorte, Seigneur, que nous ayons a prendre secours, soulagement et consolation les uns des autres; et parce qu'il vous plaist, j'employeray donq cet homme, duquel vous m'aves donnee l'amitié a cette intention.

  A005000921 

 Si la crainte est excessive: Hé, Dieu, Pere eternel, qu'est ce que peuvent craindre vos enfans et les poussins qui vivent sous vos aisles? Or sus, je feray ce qui est convenable pour eviter le mal que je crains; mais apres cela: Seigneur, je suis vostre, sauves moy, s'il vous plait; et ce qui m'arrivera je l'accepteray, parce que telle sera vostre bonne volonté.

  A005000921 

 Y a-il quelque juste sujet de crainte? Vous voules, o Seigneur, que je craigne, affin que je prenne les moyens convenables pour eviter cet inconvenient; je le feray, Seigneur, puisque tel est vostre bon playsir.

  A005000925 

 Pour l'ire, nous l'avons veu au discours du zele; pour le desespoir, sinon qu'on le reduise a la juste desfiance de nous mesmes, ou bien au sentiment que nous devons avoir de la vanité, foiblesse et inconstance des faveurs, assistances et promesses du monde, je ne voy pas quel service le divin amour en peut tirer..

  A005000928 

 Car, comme les araignes ne font jamais presque leurs toiles que quand le tems est blafastre et le ciel nubileux, de mesme cet esprit malin n'a jamais tant d'aysance pour tendre les filetz de ses suggestions [315] es espritz doux, benins et gays, comme il en a es espritz mornes, tristes et melancholiques; car il les agite aysement de chagrins, de soupçons, de haynes, de murmurations, censures, envies, paresse et d'engourdissement spirituel..

  A005000929 

 Finalement il y a une tristesse que la varieté des accidens humains nous apporte.

  A005000930 

 Certes, la tristesse de la vraye penitence ne doit pas tant estre nommee tristesse que desplaysir, ou sentiment et detestation du mal: tristesse qui n'est jamais ni ennuyeuse ni chagrine; tristesse qui n'engourdit point l'esprit, ains qui le rend actif, prompt et diligent; tristesse qui n'abbat point le cœur, ains le releve par la priere et l'esperance, et luy fait faire les eslans de la ferveur de devotion; tristesse laquelle, au fort de ses amertumes, produit tous-jours la douceur d'une incomparable consolation, suivant le precepte du grand saint Augustin: Que le penitent s'attriste tous-jours, mais que tous-jours il se res-jouisse de sa tristesse.

  A005000930 

 [316] «La tristesse,» dit Cassian, qui opere la solide penitence et l'aggreable repentance de laquelle on ne se repent jamais, elle «est obeissante, affable, humble, debonnaire, souëfve, patiente, comme estant issue et descendue de la charité: si que s'estendant a toute douleur de cors et contrition d'esprit, elle est, en certaine façon, joyeuse, animee et revigoree de l'esperance de son proffït; elle retient toute la suavité de l'affabilité et longanimité, ayant en elle mesme les fruitz du Saint Esprit que le saint Apostre raconte: Or les fruitz du Saint Esprit sont, charité, joye, paix, longanimité, bonté, benignité, foy, mansuetude, continence.» Telle est la vraye penitence, et telle la bonne tristesse, qui certes n'est pas proprement triste ni melancholique, ains seulement attentive et affectionnee a detester, rejetter et empescher le mal du peché pour le passé et pour l'advenir.

  A005000931 

 Si elle est accidentelle, nous recourrons a ce qui est marqué au huitiesme Livre, affin de voir combien les tribulations sont aymables aux enfans de Dieu, et que la grandeur de nos esperances en la vie eternelle doit rendre presque [317] inconsiderables tous les evenemens passagers de la temporelle..

  A005000931 

 Si elle est naturelle, nous la devons repousser, contrevenans a ses mouvemens, la divertissans par exercices propres a cela, et usans des remedes et façon de vivre que les medecins mesme jugeront a propos.

  A005000931 

 Si elle provient de tentation, il faut bien descouvrir son cœur au pere spirituel, lequel nous prescrira les moyens de la vaincre, selon ce que nous en avons dit en la quatriesme Partie de l' Introduction a la Vie devote.

  A005000932 

 Certes, il y a des actions qui dependent tellement de la disposition et complexion corporelle, qu'il n'est pas en nostre pouvoir de les faire a nostre gré; car un melancholique ne sçauroit tenir ni ses yeux, ni sa parole, ni son visage en la mesme grace et suavité qu'il auroit s'il estoit deschargé de cette mauvaise humeur; mais il peut bien, quoy que sans grace, dire des paroles gracieuses, honteuses et courtoises, et, malgré son inclination, faire par rayson les choses convenables, en paroles et en oeuvres de charité, douceur et condescendance.

  A005000940 

 Or je ne pense pas qu'il veuille dire que l'amour sacré soit distribué aux hommes ni aux Anges en suite, et moins encor en vertu des conditions naturelles; ni qu'il veuille dire que la distribution de l'amour divin soit faite aux hommes selon leurs qualités et habilités naturelles: car ce seroit desmentir l'Escriture, et violer la regle ecclesiastique par laquelle les Pelagiens furent declarés heretiques..

  A005000940 

 Un grand religieux de nostre aage a escrit que la disposition naturelle sert de beaucoup a l'amour contemplatif, et que les personnes de complexion affective et amante y sont plus propres.

  A005000941 

 Pour moy, je parle en ce Traitté, de l'amour surnaturel que Dieu respand en nos cœurs par sa bonté, et duquel la residence est en la supreme pointe de l'esprit; pointe qui est au dessus de tout le reste de nostre ame, et qui est independante le toute complexion naturelle.

  A005000941 

 [319] Et puis, bien que les ames enclines a la dilection ayent d'un costé quelque disposition qui les rend plus propres a vouloir aymer Dieu, d'autre part, toutefois, elles sont si sujettes a s'attacher par affection aux creatures aymables, que leur inclination les met autant en peril de se divertir de la pureté de l'amour sacré par le meslange des autres, comme elles ont de facilité a vouloir aymer Dieu: car le danger de mal aymer est attaché a la facilité d'aymer..

  A005000942 

 Il est pourtant vray que ces ames ainsy faites, estant une fois bien purifiees de l'amour des creatures, font des merveilles en la dilection sainte, l'amour treuvant une grande aysance a se dilater en toutes les facultés du cœur; et de la procede une tres aggreable suavité, laquelle ne paroist pas en ceux qui ont l'ame aigre, aspre, melancholique et revesche..

  A005000944 

 Il importe donq peu que l'on soit naturellement disposé a l'amour, quand il s'agit d'un amour surnaturel et par lequel on n'agit que surnaturellement.

  A005000948 

 Qu'est-ce qui presse si fort les avettes d'accroistre leur miel, sinon l'amour qu'elles ont pour luy? O cœur de mon ame, qui es creé pour aymer le bien infini, quel amour peux tu desirer sinon cet amour qui est le plus desirable de tous les amours? Helas, o ame de mon cœur, quel desir peux-tu aymer sinon le plus aymable de tous les desirs? O amour des desirs sacrés, o desirs du saint amour! o que j'ay convoité de desirer vos perfections!.

  A005000948 

 Un thresor ne suffit pas au gré de ce divin Amant, ains il veut que nous ayons tant de thresors que notre thresor soit composé de plusieurs thresors; c'est a dire, Theotime, qu'il faut avoir un desir insatiable d'aymer Dieu, pour joindre tous-jours dilection a dilection.

  A005000949 

 C'est nostre partie sensuelle et animale qui appete de manger, mais c'est nostre partie raysonnable qui desire cet appetit; et d'autant que la partie sensuelle n'obeit pas tous-jours a la partie raysonnable, il arrive maintefois que nous desirons l'appetit et ne le pouvons pas avoir.

  A005000949 

 Mais le desir d'aymer et l'amour dependent de la mesme volonté: c'est pourquoy, soudain que nous avons formé [321] le vray desir d'aymer, nous commençons d'avoir de l'amour; et a mesure que ce desir va croissant, l'amour aussi va s'augmentant.

  A005000949 

 O Dieu, qui nous fera la grace, Theotime, que nous bruslions de ce desir, qui est le desir des pauvres et la preparation de leur cœur, que Dieu exauce volontier! Qui n'est pas asseuré d'aymer Dieu, il est pauvre; et s'il desire d'aymer, il est mendiant, mais mendiant de l'heureuse mendicité de laquelle le Sauveur a dit: Bienheureux sont les mendians d'esprit, car a eux appartient le Royaume des deux..

  A005000949 

 Theotime, de sçavoir si nous aymons Dieu sur toutes choses il n'est pas en nostre pouvoir, si Dieu mesme ne le nous revele, mais nous pouvons bien sçavoir si nous desirons de l'aymer, et quand nous sentons en nous le desir de l'amour sacré, nous sçavons que nous commençons d'aymer.

  A005000950 

 Tel fut saint Augustin quand il s'escria: «O aymer! o marcher! o mourir a soy mesme! o parvenir a Dieu!» Tel saint François, disant: «Que je meure de ton amour,» o l'Ami de mon cœur, «qui as daigné mourir pour mon amour!» Telles sainte Catherine de Gennes et la bienheureuse Mere Therese, quand, comme biches spirituelles, pantelantes et mourantes de la soif du divin amour, elles lançoyent cette voix: Hé, Seigneur, donnés moy cette eau!.

  A005000955 

 Pourquoy penses-vous, Theotime, que les chiens en la sayson primtaniere perdent plus souvent qu'en autre tems la trace et piste de la beste? C'est parce, disent les chasseurs et les philosophes, que les herbes et fleurs sont alhors en leur vigueur; si que la varieté des odeurs qu'elles respandent estouffe tellement le sentiment des chiens, qu'ilz ne sçavent ni choisir ni suivre la senteur de la proye entre tant de diverses senteurs que la terre exhale.

  A005000956 

 Le lys n'a point de sayson, ains fleurit tost ou tard selon qu'on le plante plus ou moins avant en terre; car si on ne le pousse que trois doigtz en terre, il fleurira incontinent, mais si on le pousse six ou neuf doigtz, il fleurira aussi tous-jours plus tard a mesme proportion.

  A005000956 

 Si le cœur qui pretend a l'amour divin est fort enfoncé dans les affaires terrestres et temporelles il fleurira tard et difficilement; mais s'il n'est dans le monde que justement autant que sa condition le requiert, vous le verres bien tost fleurir en dilection et respandre son odeur aggreable..

  A005000957 

 Pour cela, les Saintz se retirerent es solitudes, affin que, despris des sollicitudes mondaines, ilz vacassent plus ardemment au celeste amour; pour cela, l'Espouse [323] sacree fermoit l'un de ses yeux, affin d'unir plus fortement sa veüe en l'autre seul, et viser plus justement par ce moyen au milieu du cœur de son Bienaymé qu'elle veut blesser d'amour; pour cela, elle mesme tient sa perruque tellement plicee et ramassee dans sa tresse, qu'elle semble n'avoir qu' un seul cheveu, duquel elle se sert comme d'une chaisne pour lier et ravir le cœur de son Espoux, qu'elle rend esclave de sa dilection.

  A005000962 

 La curiosité, l'ambition, l'inquietude, avec l'inadvertence et inconsideration de la fin pour laquelle nous sommes en ce monde, sont cause que nous avons mille fois plus d'empeschemens que d'affaires, plus de tracas que d'oeuvre, plus d'occupation que de besoigne; et ce sont ces embarrassemens, Theotime, c'est a dire les niaises, vaynes et superflues occupations desquelles nous nous chargeons, qui nous divertissent de l'amour de Dieu, et non pas les vrays et legitimes exercices de nos vocations.

  A005000964 

 Que veut mon cœur, sinon Dieu,.

  A005000969 

 Saint Bernard ne perdoit rien du progres qu'il desiroit faire en ce saint amour, quoy qu'il fut es cours et armees des grans princes, ou il s'employoit a reduire les affaires d'estat au service de la gloire de Dieu: il changeoit de lieu, mais il ne changeoit point de cœur, ni son cœur d'amour, ni son amour d'object; et, pour parler son propre langage, ces mutations se faisoyent en luy, mais non pas de luy, puisque, bien que ses [325] occupations fussent fort differentes, il estoit indifferent a toutes occupations et different de toutes occupations; ne recevant pas la couleur des affaires et des conversations, comme le cameleon celle des lieux ou il se treuve, ains demeurant tous-jours tout uni a Dieu, tous-jours blanc en pureté, tous-jours vermeil de charité et tous-jours plein d'humilité..

  A005000984 

 Mais ne voyes vous pas aussi que ces pauvres gens estoyent non seulement parmi les Babiloniens, ains encor captifs des Babiloniens? Quicomque est esclave [326] des faveurs de la cour, du succes du palais, de l'honneur de la guerre, o Dieu, c'en est fait, il ne sçauroit chanter le cantique de l'amour divin; mais celuy qui n'est en cour, en guerre, au palais, que par devoir, Dieu l'assiste, et la douceur celeste luy sert d'epitheme sur le cœur, pour le preserver de la peste qui regne en ces lieux la..

  A005000985 

 Dieu a soin de mesme de ceux qui ne vont a la cour, au palais, a la guerre, sinon par la necessité de leur devoir; et ne faut en cela ni estre si craintif que l'on abandonne les bonnes et justes affaires faute d'y aller, ni si outre-cuydé et presomptueux que d'y aller ou demeurer sans l'expresse necessité du devoir et des affaires..

  A005000985 

 Lhors que la peste affligea le Milannois, saint Charles ne fit jamais difficulté de hanter les maysons et toucher les personnes empestees: mais, Theotime, il les hantoit aussi et touchoit seulement et justement autant que la necessité du service de Dieu le requeroit; et pour rien il ne fust allé au danger sans la vraye necessité, de peur de commettre le peché de tenter Dieu.

  A005000990 

 Un jour sainte Françoise disoit l'Office de Nostre [327] Dame, et comme il advient ordinairement que s'il n'y a qu'une affaire en toute la journee c'est au tems de l'orayson que la presse en arrive, cette sainte dame fut appellee de la part de son mari pour un service domestique, et par quatre diverses fois pensant reprendre le fil de son Office, elle fut rappellee et contrainte de couper un mesme verset; jusques a ce que cette benite affaire, pour laquelle on avoit si empressement diverti sa priere, estant en fin achevee, revenant a son Office, elle treuva ce verset, si souvent laissé par obeissance et si souvent recommencé par devotion, tout escrit en beaux caracteres d'or, que sa devote compaigne madame Vannocie jura d'avoir veu escrire par le cher Ange gardien de la Sainte, a laquelle par apres saint Paul aussi le revela..

  A005000991 

 Le rossignol n'ayme pas moins sa melodie quand il fait ses pauses que quand il chante; le cœur devot n'ayme pas moins l'amour quand il se divertit pour les necessités exterieures que quand il prie: leur silence et leur voix, leur action et leur contemplation, leur occupation et leur repos chantent egalement en eux le cantique de leur dilection.

  A005000991 

 Quelle suavité, Theotime, de cet Espoux celeste envers cette douce et fidele amante! Mais vous voyes cependant que les occupations necessaires a un chacun selon sa vocation ne diminuent point l'amour divin, ains l'accroissent, et dorent, par maniere de dire, l'ouvrage de la devotion.

  A005000995 

 Il y a des ames qui font des grans projetz de faire des excellens services a Nostre Seigneur, par des actions eminentes et des souffrances extraordinaires, mais actions et souffrances desquelles l'occasion n'est pas presente ni ne se presentera peut estre jamais; et sur cela pensent d'avoir fait un trait de grand amour: en quoy elles se trompent fort souvent, comme il appert en ce que, embrassant par souhait, ce leur semble, des grandes croix futures, elles fuyent ardemment la charge des presentes, qui sont moindres.

  A005000997 

 Les avettes picorent dans les lys, les flambes et les roses, mais elles ne font pas moins de buttin sur les menues petites fleurs du romarin et du thim; ains elles y cueillent non seulement plus de miel, mais encor de meilleur miel, parce que dedans ces petitz vases, le [329] miel se treuvant plus serré, s'y conserve aussi bien mieux.

  A005000998 

 Ces condescendances aux humeurs d'autruy, ce support des actions et façons agrestes et ennuyeuses du prochain, ces victoires sur nos propres humeurs et passions, ce renoncement a nos menues inclinations, cet effort contre nos aversions et repugnances, ce cordial et doux aveu de nos imperfections, cette peyne continuelle que nous prenons de tenir nos ames en egalité, cet amour de nostre abjection, ce benin et gracieux accueil que nous faysons au mespris et censure de nostre condition, de nostre vie, de nostre conversation, de nos actions: Theotime, tout cela est plus fructueux a nos ames que nous ne sçaurions penser, pourveu que la celeste dilection le mesnage.

  A005001002 

 Si je jeusne, mais pour espargner, mon jeusne n'est pas de bonne espece; si c'est par temperance, mais que j'aye quelque peché [330] mortel en mon ame, le poids manque a cette œuvre, car c'est la charité qui donne le poids a tout ce que nous faysons; si c'est seulement par conversation et pour m'accommoder a mes compaignons, cette œuvre n'est pas marquee au coin d'une intention appreuvee: mais si je jeusne par temperance, et que je sois en la grace de Dieu, et que j'aye intention de plaire a sa divine Majesté par cette temperance, l'œuvre sera une bonne monnoye, propre pour accroistre en moy le thresor de la charité..

  A005001003 

 Ainsy y a il des ames qui font beaucoup de bonnes œuvres et croissent fort peu en charité, parce qu'elles les font ou froidement et laschement, ou par instinct et inclination de nature plus que par inspiration de Dieu ou ferveur celeste; et au contraire, il y en a qui font peu de besoigne, mais avec une volonté et intention si sainte, qu'elles font un progres extreme en dilection: elles ont peu de talent, mais elles le mesnagent si fidelement, que le Seigneur les en recompense largement.

  A005001003 

 C'est faire excellemment les actions petites que de les faire avec beaucoup de pureté d'intention et une forte volonté de plaire a Dieu; et lhors elles nous sanctifient grandement.

  A005001006 

 Ce sont les propres paroles du divin Apostre, lesquelles, comme dit le grand saint Thomas en les expliquant, sont suffisamment prattiquees quand nous avons l'habitude de la tressainte charité, par laquelle, bien que nous n'ayons pas une expresse et attentive intention de faire chasque œuvre pour Dieu, cette intention neanmoins est contenue couvertement en l'union et communion que nous avons avec Dieu, par laquelle tout ce que nous pouvons faire de bon est dedié avec nous a sa divine Bonté.

  A005001006 

 Il n'est pas besoin qu'un enfant demeurant en la mayson et puissance de son pere declaire que ce qu'il acquiert est acquis a son pere, car sa personne estant a son pere, tout ce qui en depend luy appartient aussi: il suffit aussi que nous soyons enfans de Dieu par dilection, pour rendre tout ce que nous faisons entierement destiné a sa gloire..

  A005001006 

 Tout ce que vous faites, et quoy que vous fassies en paroles et en œuvres, faites le tout au nom de Jesus Christ; Soit que vous mangies, soit que vous beuvies, ou que vous fassies quelque autre chose, faites le tout a la gloire de Dieu.

  A005001007 

 Il est donq vray, Theotime, que, comme nous avons dit ailleurs, tout ainsy que l'olivier planté pres de la [332] vigne luy donne sa saveur, de mesme la charité se treuvant aupres des autres vertus, elle leur communique sa perfection.

  A005001007 

 Mais il est vray aussi que, comme si l'on ente la vigne sur l'olivier il ne luy communique pas seulement plus parfaitement son goust, mais la rend encor participante de son suc, ne vous contentes pas aussi d'avoir la charité et avec elle la prattique des vertus, mais faites que ce soit par et pour elle que vous les prattiques, affin qu'elles luy puissent estre justement attribuees..

  A005001008 

 O que les actions des vertus sont excellentes quand le divin amour leur imprime son sacré mouvement, c'est a dire lhors qu'elles se font par le motif de la dilection! Mais cela se fait differemment..

  A005001008 

 Quand un peintre tient et conduit la main de l'apprentif, le trait qui en procede est principalement attribué au peintre; parce qu'encor que l'apprentif ait contribué le mouvement de sa main et l'application du pinceau, si est ce que le maistre a aussi de sa part tellement meslé son mouvement avec celuy de l'apprentif, qu'imprimant en iceluy, l'honneur de ce qui est de bien au trait luy est specialement deferé, encor qu'on ne laisse pas de louer l'apprentif a cause de la souplesse avec laquelle il a accommodé son mouvement a la conduite du maistre.

  A005001009 

 Telz tous ceux encor qui, a dessein, se procurent des profondes et puissantes resolutions de suivre la volonté de Dieu, faisans pour cela des retraittes de quelques jours, affin d'exciter leurs ames par divers [333] exercices spirituelz a l'entiere reformation de leur vie: methode sainte, familiere aux anciens Chrestiens, mais despuis presque tout a fait delaissee, jusques a ce que le grand serviteur de Dieu, Ignace de Loyola, la remit en usage du tems de nos peres..

  A005001010 

 Je sçai que quelques uns n'estiment pas que cette oblation si generale de nous mesme estende sa vertu et porte son influence sur les actions que nous prattiquons par apres, sinon a mesure qu'en l'exercice d'icelles nous appliquons en particulier le motif de la dilection, les dediant specialement a la gloire de Dieu.

  A005001010 

 Mais tous confessent neanmoins, avec saint Bonaventure, loué d'un chacun en ce sujet, que si j'ay resolu en mon cœur de donner cent escuz pour Dieu, quoy que par apres je fasse a loysir la distribution de cette somme, ayant l'esprit distrait et sans attention, toute la distribution neanmoins ne laissera pas d'estre faite par amour, a cause qu'elle procede du premier projet que le divin amour me fit faire de donner tout cela..

  A005001011 

 Mais de grace, Theotime, quelle difference y a-il entre celuy qui offre cent escuz a Dieu et celuy qui luy offre toutes ses actions? Certes'il n'y en a point, sinon que l'un offre une somme d'argent, et l'autre une somme d'actions.

  A005001012 

 Sur cette verité chacun devroit une fois en sa vie faire une bonne retraitte, pour en icelle bien purger son ame de tout peché, pour en suite faire une intime et solide resolution de vivre tout a Dieu, selon que nous avons enseigné en la premiere Partie de l' Introduction a la Vie devote; puis, au moins une fois l'annee, [334] faire la reveüe de sa conscience et le renouvellement de la premiere resolution, que nous avons marqué en la cinquiesme Partie de ce livre-la, auquel pour ce regard je vous renvoye..

  A005001013 

 Certes, saint Bonaventure advoüe qu'un homme qui s'est acquis une si grande inclination et coustume de bien faire que souvent il le fait sans speciale attention, ne laisse pas de meriter beaucoup par telles actions, lesquelles sont anoblies par la dilection, de laquelle elles proviennent comme de la racine et source originaire de cette heureuse habitude, facilité et promptitude..

  A005001017 

 Quand les paonnesses couvent en des lieux bien blancs, les pouletz sont aussi tous blancs; et quand nos intentions sont en l'amour de Dieu, lhors que nous projettons quelque bon oeuvre, ou que nous nous jettons en quelque vacation, toutes les actions qui s'en ensuivent prennent leur valeur et tirent leur noblesse de la dilection de laquelle elles ont leur origine: car, qui ne void que les actions qui sont propres a ma vocation ou requises a mon dessein, dependent de cette premiere election et resolution que j'ay faitte?.

  A005001018 

 Mais, Theotime, il ne se faut pas arrester la: ains, pour faire un excellent progres en la devotion, il faut non seulement au commencement de nostre conversion, et puis tous les ans, destiner nostre vie et toutes nos actions a Dieu, mais aussi il les luy faut offrir tous les jours, selon l'exercice du matin que nous avons enseigné [335] a Philothee; car en ce renouvellement journalier de nostre oblation nous respandons sur nos actions la vigueur et vertu de la dilection, par une nouvelle application de nostre cœur a la gloire divine, au moyen dequoy il est tous-jours plus sanctifié..

  A005001019 

 Et comme se pourroit il faire, je vous prie, qu'une ame laquelle a tous momens s'eslance en la divine Bonté, et souspire incessamment des paroles de dilection pour tenir tous-jours son cœur dans le sein de ce Pere celeste, ne fust pas estimee faire toutes ses bonnes actions en Dieu et pour Dieu? Celle qui dit: Hé, Seigneur, je suis vostre; Mon Bienaymé est tout mien, et moy je suis toute sienne; «Mon Dieu, vous estes mon tout;» O Jesus, vous estes ma vie; hé, qui me fera la grace que je meure a moy mesme, affin que je ne vive qu'a vous! O aymer! o s'acheminer! o mourir a soy mesme! o vivre a Dieu!» O estre en Dieu! O Dieu! ce qui n'est pas vous mesme ne m'est rien: celle la, dis-je, ne dedie-elle pas continuellement ses actions au celeste Espoux? O que bienheureuse est l'ame qui a une fois bien fait le despouillement et la parfaite resignation de soy mesme entre les mains de Dieu, dont nous avons parlé ci dessus; car par apres elle n'a a faire qu'un petit souspir et regard en Dieu pour renouveller et confirmer son despouillement, sa resignation et son oblation, avec la protestation qu'elle ne veut rien que Dieu et pour Dieu, et qu'elle ne s'ayme, ni chose du monde, qu'en Dieu et pour l'amour de Dieu..

  A005001020 

 Cela fait, desployans, s'il faut ainsy dire, et eslevans les bras de nostre consentement, embrassons cherement, ardemment et tres amoureusement, soit le bien qui se presente a faire, soit le mal qu'il nous faut souffrir, en consideration de ce que Dieu l'a voulu eternellement, pour luy complaire et obeir a sa providence..

  A005001020 

 Or cet exercice des continuelles aspirations est donq fort propre pour appliquer toutes nos œuvres a la dilection, mais principalement il suffit tres abondamment [336] pour les menues et ordinaires actions de nostre vie; car quant aux œuvres relevees et de consequence, il est expedient, pour faire un proffit d'importance, d'user de la methode suivante, ainsy que j'ay des-ja touché ailleurs.

  A005001021 

 C'est pourquoy, se representant la grandeur des peynes, travaux et hazards qu'il luy seroit force de subir pour ce sujet, il s'immola en esprit au bon playsir de Dieu, et baysant tendrement cette croix, il s'escria du fond de son cœur, a l'imitation de saint André: «Je te salue, o croix pretieuse,» je te salue, o tribulation bienheureuse! O affliction sainte, que tu es aymable, puisque tu es issue du sein amiable de ce Pere d'eternelle misericorde, qui t'a voulu de toute eternité et t'a destiné pour ce cher peuple et pour moy! O croix, mon cœur te veut, puisque celuy de mon Dieu t'a voulu; o croix, mon ame te cherit et t'embrasse de toute sa dilection! [337].

  A005001021 

 Voyes le grand saint Charles Ihors que la peste attaqua son diocese: il releva son courage en Dieu, et regarda attentivement qu'en l'eternité de la Providence divine ce fleau estoit preparé et destiné a son peuple, et que, emmi ce fleau, cette mesme Providence avoit ordonné qu'il eust un soin tres amoureux de servir, soulager et assister cordialement les affligés, puisqu'en cette occasion il se treuvoit le pere spirituel, pasteur et Evesque de cette province-la.

  A005001022 

 O Dieu, Theotime, que de tresors en cette prattique!.

  A005001026 

 Il sacrifia, certes, toutes les plus fortes affections naturelles qu'il pouvoit avoir, Ihors qu'oyant la voix de Dieu qui luy disoit: Sors de ton pais, et de ta parentee, et de la mayson de ton pere, et viens au païs que je te monstreray, il sortit soudain et se mit promptement en chemin, sans sçavoir ou il iroit.

  A005001027 

 Et comme il va montant, ce cher enfant luy dit: Mon pere! Et il luy respond: Que veux-tu, mon filz? Voyci, dit l'enfant, voyci le bois et le feu, mais ou est la victime de l'holocauste? A quoy le pere respond: Dieu se prouvoyra de la victime de l'holocauste, mon enfant.

  A005001027 

 Et tandis, ilz arrivent sur le mont destiné, ou soudain Abraham construit un autel, arrange le bois sur iceluy, lie son Isaac et le colloque sur le bucher; il estend sa main droite, empoigne et tire a soy le glaive, il hausse le bras, et comme il est prest de descharger le coup pour immoler cet enfant, l'Ange crie d'en haut: Abraham, Abraham; qui respond: Me voyci. Et l'Ange luy dit: Ne tue pas l'enfant, c'est asses; maintenant je connois que tu crains Dieu, et n'as pas espargné ton filz pour l'amour de moy.

  A005001027 

 Mays cecy n'est rien en comparayson de ce qu'il fit [338] par apres, quand Dieu l'appellant par deux fois et ayant veu sa promptitude a respondre, il luy dit: Prens Isaac ton enfant unique, lequel tu aymes, et va en la terre de vision, ou tu l'offriras en holocauste sur l'un des montz que je te monstreray. Car voyla ce grand homme qui part soudain avec ce tant aymé et tant aymable filz, fait trois journees de chemin, arrive au pied de la montaigne, laisse la ses valetz et l'asne, charge son filz Isaac du bois requis a l'holocauste, se reservant de porter luy mesme le glaive et le feu.

  A005001029 

 Car d'un costé c'est voirement une merveille, mais non pas si grande, de voir que Abraham, des-ja viel et consommé en la science d'aymer Dieu, et fortifié de la recente vision et parole divine, face ce dernier effort de loyauté et dilection envers un Maistre duquel il avoit si souvent senti et savouré la suavité et providence; mais de voir Isaac, au primtems de son aage, encor tout novice et apprentif en l'art d'aymer son Dieu, s'offrir, sur la seule parole de son pere, au glaive et au feu pour estre un holocauste d'obeissance a la divine volonté, c'est chose qui surpasse toute admiration..

  A005001030 

 Ne penses vous point que la douceur de cet enfant, portant son bois sur ses espaules et l'entassant par apres sur l'autel, fit fondre en tendreté les entrailles de ce pere? O cœur que les Anges admirent et que Dieu magnifie! Hé, Seigneur Jesus, quand sera-ce donq que vous ayant sacrifié tout ce que nous avons, nous vous immolerons tout ce que nous sommes? quand vous offrirons nous en holocauste nostre franc arbitre, unique enfant de nostre esprit? quand sera-ce que nous le lierons et estendrons sur le bucher de vostre Croix, de vos espines, de vostre lance, affin que, comme une brebiette, elle soit victime aggreable de vostre bon playsir, pour mourir et brusler du feu et du glaive de vostre saint amour? O franc arbitre de mon cœur, que ce vous sera chose bonne d'estre lié et estendu sur la Croix du divin Sauveur! que ce vous est chose [340] desirable de mourir a vous mesme, pour ardre a jamais en holocauste au Seigneur!.

  A005001031 

 Que si jamais nostre ame vouloit employer sa liberté contre nos resolutions de servir Dieu eternellement et sans reserve, o alhors, pour Dieu, sacrifions ce franc arbitre, et le faysons mourir a soy affin qu'il vive a Dieu.

  A005001031 

 Renonçons a cette malheureuse liberté, et assujettissons pour jamais nostre franc arbitre au parti de l'amour celeste; rendons nous esclaves de la dilection, de laquelle les serfs sont plus heureux que les rois.

  A005001031 

 Theotime, nostre franc arbitre n'est jamais si franc que quand il est esclave de la volonté de Dieu, comme il n'est jamais si serf que quand il sert a nostre propre volonté: jamais il n'a tant de vie que quand il meurt a soy mesme, et jamais il n'a tant de mort que quand il vit a soy.

  A005001035 

 Saint Bonaventure, le Pere Louys de Grenade, le Pere Louys du Pont, Frere Diegue de Stella ont suffisamment discouru sur ce sujet; je me contenteray de marquer seulement les pointz que j'en ay touché en ce Traitté..

  A005001037 

 motif est celuy de la providence naturelle de Dieu envers nous, de la creation et conservation, selon que nous disons au chapitre III du II e Livre..

  A005001040 

 motif est la gloire eternelle que la divine Bonté nous a destinee, qui est le comble des bienfaitz de Dieu envers nous; dont il est aucunement discouru des le chapitre IX jusques a la fin du Livre III..

  A005001045 

 Par exemple: O qu'aymable est ce grand Dieu, qui par son infime bonté a donné son Filz en redemption pour tout le monde! Helas, ouy, pour tous en general, mais en particulier encor pour moy, qui suis le premier des pecheurs! Ah! il m'a aymé; je dis, il m'a aymé moy, mais je dis moy mesme, tel que je suis, et s'est livré a la Passion pour moy!.

  A005001046 

 O Dieu, mon Theotime, quelle asses digne dilection pourrions nous avoir pour l'infinie bonté de nostre Createur, qui de toute eternité a projetté de nous creer, conserver, gouverner, racheter, sauver et glorifier tous en general et en particulier? Hé! qui estois-je lhors que je n'estois pas? moy, [343] dis-je, qui estant maintenant quelque chose, ne suis rien qu'un simple chetif vermisseau de terre.

  A005001047 

 Il faut considerer les bienfaitz divins en leur seconde source meritoire; car ne sçaves vous pas, Theotime, que le grand Prestre de la Loy portoit sur ses espaules et sur sa poitrine les noms des enfans d'Israël, c'est a dire, des pierres pretieuses esquelles les noms des chefs d'Israël estoyent gravés? Hé, voyes Jesus, nostre grand Evesque, et regardes-le des l'instant de sa conception; consideres qu'il nous portoit sur ses espaules, acceptant la charge de nous racheter par sa mort, et la mort de la croix.

  A005001047 

 Que je meure, pourveu qu'il vive; que je sois crucifié, pourveu qu'il soit glorifié! O amour souverain du cœur de Jesus, quel cœur te benira jamais asses devotement!.

  A005001048 

 Ainsy, dedans sa poitrine maternelle, son cœur divin prevoyoit, disposoit, meritoit, impetroit tous les bienfaitz que nous avons, non seulement en general pour tous, mais en particulier pour un chacun; et ses mammelles de douceur nous preparoyent le lait de ses mouvemens, de ses attraitz, de ses inspirations, et des suavités par lesquelles il tire, conduit et nourrit nos cœurs a la vie eternelle.

  A005001052 

 O Jesus mon Sauveur, que vostre mort est amiable, puisqu'elle est le souverain effect de vostre amour!.

  A005001052 

 Or en fin, pour conclusion, la Mort et Passion de Nostre Seigneur est le motif le plus doux et le plus violent qui puisse animer nos cœurs en cette vie mortelle: et c'est la verité que les abeilles mistiques font leur plus excellent miel dans les playes de ce Lyon de la tribu de Juda, esgorgé, mis en pieces et deschiré sur le mont de Calvaire; et les enfans de la Croix se glorifient en leur admirable probleme, que le monde n'entend pas: de la mort, qui devore tout, est sortie la viande de nostre consolation; et de la mort, plus forte que tout, est issue la douceur du miel de nostre amour.

  A005001053 

 Mays de quel exces, sinon de cet exces d'amour par lequel la vie fut ravie a l'Amant [345] pour estre donnee a la bienaymee? Si que, au cantique eternel, je m'imagine qu'on repetera a tous momens cette joyeuse acclamation:.

  A005001067 

 O amour eternel, mon ame vous requiert et vous choisit eternellement! Hé, «venes, Saint Esprit, et enflammes nos cœurs de vostre dilection.» Ou aymer ou mourir! Mourir et aymer! Mourir a tout autre amour pour vivre a celuy de Jesus, affin que nous ne mourions point eternellement; ains que vivans en vostre amour eternel, o Sauveur de nos ames, nous chantions eternellement: VIVE JESUS! J'ayme Jesus! Vive Jesus [346] que j'ayme! J'ayme Jesus, qui vit et regne es siecles des siecles.

  A005001068 

 Ces choses, Theotime, qui par la grace et faveur de la charité ont esté escrittes a vostre charité, puissent tellement s'arrester en vostre cœur que cette charité treuve en vous le fruit des saintes œuvres, non les feuilles des loüanges.

  A005001081 

 Le beau titre de ce Livre, la belle reputation, et la saine doctrine du Reverendissime Prelat, autheur d'iceluy, le grand profit qu'en rapporteront les belles et chrestiennes ames de toutes qualitez de personnes, et le temps qui s'est escoulé depuis qu'on a desiré qu'il veid le jour, font qu'il le doit voir, et il le merite, car ce n'est rien que doctrine Orthodoxe et Catholique qu'il enseigne..

  A005001087 

 En quoy les Ames devotes de ce siecle nous semblent avoir autant de saincte obligation à remercier et magnifier la Divine Bonté, qui a voulu accroistre et favorablement gratifier l'honneur de leurs ans de la precieuse jouissance de cet Œuvre, et de la desirable presence de l'Autheur qui l'a composé, comme celles des siecles passés, si on leur en eust donné advis, eussent eu de juste occasion de regretter que l'un et l'autre ait esté refusé et ait manqué à la gloire et au bien de leurs jours..

  A005001087 

 Et non seulement y avoir trouvé toutes choses conformes à la saincte Doctrine des saincts Peres et Docteurs de l'Eglise, et adjustees au niveau de la Foy Catholique, Apostolique, et Romaine: mais d'abondant confessons ingenuëment y avoir rencontré tant d'avantages pour l'entiere recommandation de l'Amour de Dieu, tant d'ordre et de lumiere à le faire aisément concevoir, tant d'attraicts si puissants à luy gaigner les Ames; que nous estimons que ce sublime et Divin subject a vrayement rencontré cette fois celuy qu'il luy falloit pour dignement le [349] manier et l'estaller en public: et que l'esclat de son excellence et grandeur eust tousjours esté plus sombre et moindre parmy les hommes, quant à sa parfaite cognoissance, si ce Reverendissime Prelat, esgalement sçavant et Religieux, n'eust employé son net esprit et sa riche plume à le traicter.

  A005001097 

 En consequence de l'approbation des Docteurs en Theologie, je consens pour le Roy, que ledict Livre soit imprimé et exposé en vente par Pierre Rigaud, avec deffences à tous autres fors ledict Rigaud de l'imprimer, sur peine de confiscation et amande arbitraire..

  A005001105 

 Et dautant que pour ce faire, il a cy devant faict de grands frais, et luy en convient encores faire, il nous a tres-humblement requis et supplié de luy en vouloir accorder la permission, et faire deffences à toutes personnes de le troubler en l'impression, et vente dudit livre, sur les peines qu'il nous plairra d'ordonner.

  A005001105 

 Et parce que d'icelles ledit suppliant pourra avoir à faire en plusieurs et divers endroits, nous voulons qu'au vidimus d'icelles faict sur le seel Royal, ou par l'un de nos amez et feaux Conseillers, Notaire, et Secretaire, foy soit adjoustee comme au present original, et en mettant un brief extrait d'icelle, au commencement ou à la fin de chacun exemplaire, il soit tenu pour bien et deuëment signifié, et comme si c'estoit l'original, afin qu'aucun n'en pretende cause d'ignorance.

  A005001105 

 Nous à ces causes desirant gratifier ledit Rigaud, et empescher qu'il ne soit privé de son travail et labeur, Vous mandons, ordonnons, et enjoignons par ces presentes, comme nous avons permis et permettons de grace speciale audit Rigaud, qu'il puisse imprimer ou faire imprimer, vendre et debiter, tant de fois que bon luy semblera, ledit livre, pendant le temps de Dix ans entiers et consecutifs, à compter du jour et datte que ledit livre sera achevé d'imprimer, faisant pour cet effect tres-expresses inhibitions, et deffences à tous Marchands, Libraires, et Imprimeurs, de nostre Royaume, de n'imprimer ou faire imprimer ledit livre, ny l'exposer en vante: sans l'exprez congé, et permission dudit Rigaud, ou de ceux qui auront droict de luy, sur peine de dix mille livres d'amande, applicable moitié à nous, et l'autre moitié audit suppliant, et confiscation des exemplaires qui seront treuvez avoir esté mis en vente contre la teneur des presentes; lesquels seront saisis et mis en nostre main, par le premier de nos Juges, Officiers, Huissiers, ou Sergents sur ce requis, luy monstrant ces presentes ou coppie d'icelles, deuëment collationnées: ausquels donnons pouvoir, commission et mandement special, de proceder a rencontre de tous ceux qui y contreviendront par toutes voyes deuës et raisonnables, nonobstant oppositions ou appellations quelconques, clameur de Haro, Chartre Normande, prise à partie et toutes autres Lettres à ce contraires, ausquelles nous avons derogé et derogeons par ces presentes.

  A005001128 

 Ainsy sçavons-nous bien que c'est l'homme qui void, qui oyt, qui parle, qui entend, qui se resouvient, qui veut et qui ayme; mais pour monstrer que cette varieté [355] d'operations se fait par diverses facultés et differens organes, nous disons que l'œil void, l'oreille oyt, la langue parle, l'entendement entend, la memoyre se resouvient et la volonté veut et ayme.

  A005001128 

 C'est pourquoy, encor que la volonté soit la faculté de nostr'ame qui tend et nous porte au bien, c'est toutefois nous, a proprement parler, qui par icelle nous esmouvons au bien et qui nous y complaysons, et qui avons avec iceluy cette grande convenance laquelle est le fondement de la complaysance et de l'amour..

  A005001128 

 D'autant que l'homme fait ses operations distinctes selon la distinction des facultés de son ame et des organes de son cors, nous attribuons a chasque faculté et a chasque organe les actions que nous faysons par icelles.

  A005001128 

 Or je dis ceci, Philothee, affin que vous sachies que la convenance au bien delaquelle la volonté reçoit complaysance, n'est pas une convenance de la seule volonté, mais de l'homme mesme avec le bien, laquelle neanmoins ne peut sentir avec complaysance que par la faculté que nous appelions volonté, car c'est l'homme qui a la convenance.

  A005001133 

 Ou bien, puis que la rayson n'est autre chose que la naturelle et essentielle puissance de discourir, disons quil y a 4 divers degrés en [la puissance de discourir,] qui sont comme quatre portions: la premiere est la puissance de discourir selon les choses experimentees; la 2 e est de discourir selon les sciences humaines; la 3.

  A005001133 

 «Je te cherchois,» dit S t Aug in, «hors de moy, et» je ne te treuvois point, par ce que «tu estois en moy.» Et en ce temple mistique, il y a quatre principales parties, ou plustost quatre diverses portions et differens degrés de rayson.

  A005001134 

 Au Sanctuaire toute la lumiere entroit par la porte; en ce degré on n'a point de lumiere que celle qui provient du discours que l'on a fait de la souveraine æquité, bonté et infinité de la volonté de Dieu, lequel discours produit, par maniere de consequence, cette simple veüe, quil faut aymer et acquiescer a la volonté de Dieu, et cette simple veue est toute la clarté qui esclaire en ce sanctuaire.

  A005001134 

 Le grand Prestre, entrant dedans le Sanctuaire, obscurcissoit encor cette lumiere qui entroit par la porte, jettant force parfums dans son encensoir, la fumee desquelz rebouschoit les rayons de clarté que l'ouverture de la porte pouvoit rendre; et cette simple veüe qui se fait en la supreme portion de l'ame est aussi obscurcie par les acquiescemens, renoncemens et resignations que l'ame fait en Dieu, ne voulant pas tant regarder et voir qu'offrir et acquiescer: de sorte que presque elle ferme les yeux, soudain qu'ell'a commencé a voir la volonté de Dieu, affin [que], sans s'amuser a la contempler et considerer, elle puisse tant mieux l'adorer, accepter, s'y complayre et acquiescer amoureusement par l'union de sa volonté propre a celle de son Dieu..

  A005001134 

 Nul n'entre au Sanctuaire que le grand Prestre; en cette pointe de l'ame les discours n'y entrent point, ains [357] seulement cette supreme et universelle et grande veûe, par laquelle nous connoissons que la volonté divine est souverainement bonne et digne d'estr'aymee en tout generalement et non pas seulement particulierement en quelque chose, et non pas seulement en general mais en particulier en chasque chose.

  A005001135 

 Car encor que la foy, l'esperance et la charité respandent leurs actions et divins mouvemens en toutes les facultés de l'ame, non seulement entant qu'ell'est raysonnable mais encor entant qu'ell'est sensitive, les conduysant toutes et gouvernant, et les assujettissant saintement et justement sous leur divin'authorité, si est ce que leur speciale residence, leur vray et naturel sejour est establi [358] en cette supreme cime de l'ame, des-laquelle, comme un'heureuse fontayne et source d'eau vive, elles s'espanchent par divers surgeons et ruysseaux, sur toutes les parties et facultés inferieures..

  A005001135 

 Et de mesme, en cette tres intime ou superieure portion de la faculté raysonnable, se treuvent la foy, representee par les tables escrittes par le doigt de Dieu, par lesquelles il declaire sa volonté; l'esperance, delaquelle les promesses aboutissent a la fleurissante vie cæleste; et la charité, plus douce que la manne a nostre cœur, plus prætieuse que l'or devant Dieu.

  A005001136 

 Aussi l'acte de la foy n'est pas un discours, mays un tres simple acquiescement de l'entendement aux choses revelees, et revelees non par une claire lumiere mays par une lumiere obscure, quoy que tres certaine; or l'acte de l'esperance n'est autre chose que le simple mouvement de la volonté a ce que la foy enseigne, entant quil nous est utile et promis, pour l'unir a nous et le rendre nostre; et l'acte de la charité, un mouvement de la volonté au bien que la foy nous monstre, entant quil est bon simplement, pour nous unir a iceluy et nous rendre siens.

  A005001136 

 De sorte que ces troys divines vertus ne sont point fondees sur le discours, ains sur l'acquiescement de l'entendement; elles ont vrayment leur assiete sur la supreme cime de l'ame, en laquelle ne se fait aucun discours ains une simple veiie et regard, par lequel l'entendement estant esclairé d'une lumiere extremement obscure mais infiniment certaine, non seulement il acquiesce a la certitude pour croire invariablement et tres fermement, mais aussi il acquiesce a l'obscurité, ne desirant pas sçavoir ni voir, ains croire simplement en toute asseurance et sousmission..

  A005001137 

 Voyla donq les deux portions de l'ame, que les Theologiens appellent superieure et inferieure, en chacune desquelles il y a deux degrés..

  A005001138 

 En ce sanctuaire de nostr'ame Dieu parle a nostre esprit, l'instruisant de ce quil faut croyre, esperer, aymer, non point par maniere de discours, mais par maniere d'inspiration et illustration ou illumination, luy proposant les saintes verités de la foy et, par maniere de dire, les luy faysant aucunement entrevoir parmi des obscurités, tenebres et nuages: en sorte que nostr'entendement en reçoit un'obscure connoissance, laquelle, quoy qu'obscure, est tellement aggreable a la volonté, qu'elle s'y complait grandement, et par sa complaysance porte l'entendement a un parfait acquiescement qu'il fait sans reserve ni exception quelcomque, croyant fermement ces sacrees verités de la foy, qu'il entrevoit aucunement et quil ne void nullement, qu'il entreconnoit et ne connoist pas, [359] c'est a dire qu'il ne sçait que par ouӱ dire, car, comme dit l'Apostre, la foy est par l'ouӱe.

  A005001139 

 C'est bien aynsi, chere Philothee, que la chose passe.

  A005001139 

 Mays faut il pas qu'en effect je sois infiniment belle, puisque [parmi] les noyres obscurités et au travers de tant de tenebres sombres, entre lesquelles je ne puis estre veiie ains seulement entreveüe, neanmoins encor suis-je si aggreable que le roy de l'ame, qui est l'esprit, m'ayme tres uniquement, et fendant la presse de toutes autres connoissances me reçoit et me loge dans sa plus belle chambre, et me fait asseoir comme reyne dans le trosne plus relevé de ses acquiescemens, d'ou je donne la loy et assujettis, comme mon captif, tout discours et tout sentiment humain.

  A005001139 

 Mon Dieu, ma Philothee, pourrois-je bien exprimer ceci? La foy est la grand'amie de nostr'entendement, si que elle peut bien dire aux sciences du monde, qui se veulent presque rendre ses compaignes, comme l'Espouse sacree disoit aux Cantiques: O discours humains, je suis brune, mais je suis belle: je suis brune, car je suis entre les brunes obscurités des simples revelations, qui me font paroistre noyre et me rendent presque mesconnoissable; mais je suis pourtant extremement belle en moy mesme, et qui me verroit icy bas comm'on me void la haut au Ciel, il verroit bien que je suis plus blanche que le lis.

  A005001140 

 Certes, rien n'est si croyable que la s te religion Chrestienne, mais néanmoins chacun ne la croit pas.

  A005001140 

 Or c'est en cet acquiescement que consiste l'acte de la foy, lequel acte est produit par nostr'esprit, mais esprit entant quil est esclairé d'une douce, souaive et aggreable lumiere divine, qui luy fait aggreer, et doucement mais tres puissamment et solidement adhasrer a la verité proposee, par maniere d'asseurance quil prend de sa tres certaine verité sur la revelation qui luy en est faite..

  A005001140 

 Quelle merveille fut ce que tant de merveilles miraculeuses furent faites par N. S r entre les Juifz, et que les Juifz entr'icelles creurent si peu a la sainte verité? Car ces merveilles rendoyent la doctrine de Celuy qui les faysoit infiniment croyable; mais dautant que les cœurs n'estoyent pas disposés a recevoir le don de la foy, et que sans la foy ce qui est le plus croyable n'est pas creu, partant ilz demeurerent en leur infidelité: ilz voyoyent le fond des argumens, et n'acquiesçoyent point a la conclusion.

  A005001141 

 Vous aves ouy dire peut estre, ma chere Philothee, qu'es Conciles generaux se font des grandes disputes et enquestes de la verité, par des raysons et argumens de theologie, et tandis que cet examen des raysons se fait il n'y a nul acquiescement ni des uns ni des autres a la verité; mays la chose estant debattue, les Peres du Christianisme, c'est a dire les Evesques, et mesme le primier et souverain Evesque, resoulvent de la difficulté, et la determination estant faite chacun acquiesce, pleynement, non point en vertu des raysons alleguees, mays en vertu de lauthorité du S t Esprit, qui a decerné et jugé par l'entremise de ses serviteurs.

  A005001142 

 Ell'a une couronne d'or au dessus, parce que la charité estant la couronne de l'ame, elle seule est aussi couronnee au Ciel.

  A005001142 

 Et la hauteur est de mesme, par ce que la charité regarde Dieu en haut: et quand a l'amour d'obeissance, elle acheve la [362] coudee, accomplissant les œuvres de commandement; mays quant a l'amour affectif elle ne fait qu'en commencer en ce monde, et par maniere de dire, elle n'a sa mesure qu'a demi, attendant de l'accomplir en lautre..

  A005001142 

 La largeur est d'une coudee et demi, parce que la charité s'estend au bien temporel et spirituel du prochain; mais au premier par mesure, et au second sans mesure, c'est pourquoy la coudee n'est qu'a demi.

  A005001142 

 Mays sur tout on y void l'Arche de l'alliance, qui represente la charité, par l'or, le prince des metaux, et qui est le plus pretieux et le prix des autres, parce que par la proportion quilz ont avec iceluy on les estime; et par le boys de Sethim, beau et incorruptible, par ce que la foy et l'esperance cesseront, les Sacremens se descouvriront, mays la charité demeurera parfaite en sa beauté au Ciel; au milieu de laquelle, comm'en ses entrailles, est la loy de Dieu, parce que la plus excellente action de l'amour se fait en obeissance.

  A005001142 

 Or les coudees representent naïfvement les œuvres, par ce que c'est la mesure qui se prend des le coude a la main, qui est la partie du bras qui sert immediatement a l'œuvre.

  A005001142 

 Sa longueur est de deux coudees et demi, pour la perseverance et longanimité entre les œuvres de la vie purgative, illuminative et unitive; et par ce que l'union ne se fait qu'a demi en ce monde, aussi la troysiesme mesure n'est que de demi coudee: ou bien la longanimité es œuvres requises a nostre perfection, au secours du prochain, au service de Dieu, et ce service n'a pas icy sa pleyne mesure.

  A005001146 

 ...entre Dieu et l'homme par la charité, l'amour de Dieu previent nostre cœur et produit en nous l'amour; et toutes les fois que cette Bonté cesse de jetter sa vertu dans nos cœurs, comm'il arrive tous-jours quand le peché divisant entre Dieu et nous fait ecclipser ce grand Soleil de justice, helas, alhors nous demeurons sans charité et sans amour.

  A005001146 

 C'est la vraye volonté de Dieu que nous ayons tous les moyens requis a faire nostre salut, aussi les avons nous tous suffisamment, et mesme, pour la plus part, nous les avons abondamment et surabondamment.

  A005001146 

 Et comm'est ce que sa bonté pourroit mieux tesmoigner la volonté qu'ell'a de nous sauver, que faysant pour nous une si riche provision des moyens necessaires a cet effect, les nous offrant si liberalement, et nous pressant si chaudement de les recevoir, de les embrasser et de les employer? Il est vray, [363] Philothee, que Dieu ne nous veut pas porter au salut, d'une volonté absolue et inevitable, sinon Ihors quil void la nostre suivre volontairement les attraitz de la sienne.

  A005001146 

 Hé, dit le divin Espoux de nos ames, retourne, retourne, Sullamite; retourne, retourne, affin que nous te regardions: certes, il desire que nous le regardions, et affin que nous le regardions il desire de nous regarder, sachant que nous ne sçaurions le regarder que premier il ne nous regarde, ni l'aymer que premier il ne nous ayme.

  A005001146 

 Il veut que nous y aillions, puisquil nous y exhorte, mais que nous y aillions volontairement et librement, selon la liberté et franchise de nostre volonté, laquelle il veut attirer et allecher affin qu'elle coure a l'odeur de ses parfuns, mays il ne veut pas la violenter ni necessiter; c'est pourquoy, bien quil veuille faire veritablement nostre salut, il ne le veut pas inevitablement faire..

  A005001146 

 attirer affin quil nous puisse aymer......................................................................................................................................................dit l'Apostre, que tous hommes soyentsauvés et viennent a la connoissance de la verité.

  A005001148 

 En ce que par cette volonté Dieu nous veut donner les moyens et commodités de nous sauver, ell'est tous-jours accomplie; car tous les hommes ont un vray et reel pouvoir d'estre ou de devenir enfans de Dieu, et par consequent ses heritiers, silz veulent.

  A005001148 

 Et par ce que quicomque veut donner les moyens propres et convenables qui conduisent a quelque fin, il veut aussi la fin pour laquelle il les donne, partant il est tout vray que Dieu, qui nous donne en effect toutes les commodités requises a nostre salut, veut aussi veritablement nostre salut que veritablement il nous en veut donner les moyens.

  A005001148 

 Mays avec cette difference toutefois, que quand aux [364] moyens il nous les donne a tous en effect, car, qui est celuy qui peut dire que la grace de Dieu luy soit refusee? mays quant au salut, sa divine Majesté ne le donne en effect qu'a [ceux] qui se prevalent des moyens quilz ont d'y parvenir: cette Bonté souveraine nous donnant les moyens du salut sans nous vouloir pour cela necessiter de les employer; il nous les met en main, mais il laysse en nostre liberté d'en user ou de n'en user point..

  A005001154 

 Ce n'est pas que les payens n'eussent des repentances et pœnitences quand ilz avoyent fait quelques fautes contre leurs amis; car, comme Ciceron dit, 4 Tuscul., quand Alexandre eut tué Clytus, a peine se peut il empescher de se tuer soymesme, tant la force de la penitence fut grande: tanta vis fuit poenitendi.

  A005001154 

 Certes, Tertulien, au fin commencement de son livre De la Pœnitence, tesmoigne que parmi [les payens] il y avoit quelque sorte de pœnitence, mais inutile et vaine, par ce que mesme ilz en faysoyent pour des choses bonnes..

  A005001154 

 Et Alcibiades, ainsy que dit S. Aug., I. 14. c. 8.

  A005001155 

 Mays de pœnitence pour avoir offencé Dieu, il y en a si peu d'apparence entre les Philosophes, que ceux qui ont esté les plus vertueux, comme les Stoiciens, ont asseuré que l'homme sage ne s'attristoit jamais, et en ont fait une maxime aussi insolente comme celle sur laquelle ilz l'ont fondee, que l'homme sage ne pechoit point.

  A005001156 

 C'est pourquoy cette vertu est une vertu morale, lhors que pour avoir offencé Dieu nous nous en repentons, demandons pardon, et pour reparation du peché excitons en nostre ame un volontaire desplaysir; mais elle ne laisse pas d'estre un vray don de Dieu, car bien que nous puissions avoir quelque sorte de repentance de nos pechés, entant que par iceux nous avons violé la loy naturelle et le dictamen rationis, l'ordonnance, la conduite et l'advis de la rayson, [si est] ce [que] quand nostre repentir se fait pour Dieu, et forclost [la volonté de pecher,] il ne peut [estre] que de Dieu, et vray don de Dieu..

  A005001156 

 Certes, la nature nous enseigne la repentance d'avoir [365] offencé l'ami et nous provoque a luy presenter nostre desplaysir et satisfaction, et a nous humilier, demander pardon, reparer par sousmission et chastiment la faute commise, laquelle contenant tous-jours en soy quelque mespris, nous estimons de reparer lhors que nous acceptons ou faysons quelque punition de nous mesme.

  A005001158 

 Que si la repentance [que nous avons conçeue] du peché n'est pas si grande qu'elle nous porte a vouloir satisfaire a celuy qui est offencé, et reparer l'injure au mieux quil se peut, ce n'est pas une vraye penitence, ains un foible commencement de pœnitence, une penitence foible, debile et sans vigueur..

  A005001159 

 Il y a donq une pœnitence humaine, par laquelle on se repent d'avoir mal fait quelque chose par ce que de soymesme le mal estant conneu desplait: ainsy, ceux qui font des fautes es œuvres de leur mestier se repentent de les avoir faites.

  A005001159 

 des Ethiques, c. 7, quand il dit que l'intemperant lequel choysit par deliberation de vaquer aux voluptés ne se peut repentir; dont «il est incorrigible, car qui ne se repend, quem non pœnitet, incurabilis est, il est incurable;» comme sil disoit que le peché sans pœnitence est incurable.

  A005001163 

 Avant que d'avoir fait une reveüe entiere.

  A005001171 

 Et ce pauvr'homme Epictete parle en sorte de la reprehension, repentance et condemnation que nous devons faire de nos fautes, quil est advis quil ayt eu en cela le sentiment du Christianisme, l. 4.

  A005001171 

 Et supra, Epict., I. 1. c. XIIII, enseigne que Dieu et «nostre bon Ange» sont presens a nos actions.

  A005001171 

 chap. XI. Et l. 1. c. XIIII, il veut que son Philosophe face un serment admirable a Dieu de ne jamais luy desobeir, ni de blasmer, accuser ou se plaindre de chose quelcomque qui arrive de sa part.

  A005001172 

 Et ceste repentance morale est attachee a la connoissance et amour de Dieu que la nature peut fournir, et [est] une dependance de la religion morale; et comme la nature peut fournir a l'homme plus de connoissance que d'amour des choses divines, ains en a fourni, ainsy que dit saint Paul des Philosophes, qui ayans conneu Dieu ne l'ont pas glorifié comme Dieu (y ayant plus d'aysance de bien penser que de bien dire, et infiniment plus de bien dire que de bien faire), aussi la nature a fourni plus de connoissance que Dieu estoit offencé par le peché, que de repentance pour reparation de l'offence.

  A005001172 

 Mays il suffit, pour oster quelques uns de nos plus sçavans Theologiens de doute, que non seulement la nature peut çonnoistre que Dieu est offencé par les pechés, mais qu'aussi elle l'a conneu, et a enseigné que pour cela il s'en failloit repentir..

  A005001173 

 Nous commençons par une profonde apprehension de cette verité et maxime, que, entant qu'en nous est, nous offençons Dieu par nos pechés, le mesprisons, luy desobeissons et nous rebellons a luy; que du costé de Dieu il s'en tient pour offencé, desagree, reprouve et abomine l'iniquité.

  A005001173 

 Or sachans que nous avons offencé Dieu, plusieurs motifs nous peuvent porter a la repentance, et bien souvent ilz s'entresuivent tous les uns apres les autres; comme quand, sous la conduite de quelque directeur, nous allons excitans la contrition par les meditations qui ont, a cet effect, esté mises en l' Introduction: et en effect, il est bon de faire cette suite pour plus profondement jetter les fondemens d'une parfaite resolution..

  A005001174 

 Nous considerons que Dieu, lequel nous avons offencé, a establi la punition rigoureuse de l'enfer pour les pecheurs, alaquelle nous serons condamnés si nous ne nous convertissons et faysons pœnitence; et cette consideration nous esmeut a nous repentir de nos pechés, les detester et rejetter de tout nostre cœur.

  A005001174 

 Nous pouvons considerer que par le peché nous demeurons forclos et privés du Paradis et gloire eternelle, et pour cela nous nous repentons et detestons le peché; et cette pœnitence est mercenaire..

  A005001175 

 Nous pouvons estre excités a repentance pour la defformité, laideur et desreglement du peché, selon que la foy nous enseigne cette difformité.

  A005001175 

 Par exemple, entant que par le peché la ressemblance et image de Dieu que nous avons est souillee, la dignité de nostre esprit deshonnorée, que nous sommes rendus semblables aux bestes insensees, que nous violons le devoir que nous avons d'honnorer Dieu entant quil est nostre Createur, nous perdons lhonneur de la societé des Saintz, nous nous associons et rendons sujetz du Diable, nous nous rendons esclaves de nos passions, renversans l'ordre et la police que Dieu avoit establie en nous, sousmettans la rayson a la passion, nous nous rendons ingratz a nostre bon Ange qui nous ayme tant: car ce sont tous des inconveniens et malheurs que nous sçavons par la foy provenir du peché.

  A005001176 

 Non, Philothee, car comme le grand Apostre a dit que sil donnoit son cors a bruler et tout son bien aux pauvres, et quil n'eut pas la charité cela ne luy prouffite de rien, aussi pouvons nous dire que quand nous aurions une repentance si grande que nous fondissions en larmes et que le regret nous fit pasmer, ains mourir tout a fait, et nous n'avons pas la charité, tout cela ne prouffite de rien pour la vie eternelle..

  A005001176 

 Quand donq nous sommes touchés par quelqu'un de ces motifz et qu'en vertu d'iceux nous detestons nos pechés, nous faysons une louable pœnitence (car la crainte de perdre ce que nous devons desirer ne peut estre que louable, et quand le desir d'une chose est louable, la crainte de son contraire est louable aussi: desirer le Paradis est chose louable; donques, craindre l'enfer est chose louable), mays imparfaite encor et laquelle ne suffit pas pour nous mettre en la grace de Dieu.

  A005001177 

 Or, ma chere Philothee, en toutes ces repentances le s t amour de Dieu n'y entre point; car ne voyes vous pas que c'est la crainte de la peyne, le desir du Paradis, l'interest de nostre ame, pour sa beauté interieure, son honneur, sa dignité, son propre bien, et, en un mot, nostre propre amour, quoy qu'amour s t et juste, qui nous porte a repentance, et non l'amour que nous devons a Dieu [369] comme au souverain bien et premiere bonté, alaquelle, comm'au supreme objet de nostre volonté et affection, nous devrions regarder simplement..

  A005001178 

 Et qui seroit le pere qui treuvast bonne la volonté d'un enfant, quand il dirait que si son pere ne luy avoit præparé un bon hæritage il l'offenceroit? Mays je dis que ces repentances que la consideration de nostre propre interest, quoy que spirituel et louable, produit en nous, n'enferment point et ne comprenent point encor l'amour [de] Dieu; elles ne le rejettent pas, mais elles ne le contiennent pas non plus; elles ne sont pas contre luy, mais elles sont encor sans luy; il n'en est pas exclus ou forclos, mais il n'y est enclos non plus.

  A005001178 

 Il y a, certes, bien de la difference entre dire: je suis dans la nef de l'eglise et ne veux pas entrer dans le chœur, et dire: je ne suis encor que dans la nef de l'eglise; car l'un a fait tout le chemin quil veut faire, et l'autre n'en a voirement pas fait davantage, mais il n'est ni hors de desir ni hors d'esperance d'en faire davantage.

  A005001178 

 Je ne dis pas que ces repentances rejettent l'amour de Dieu: non certes, Philothee, car si par exemple, quelqu'un se repentant d'offencer Dieu pour ce que par le peché il perd le Paradis, entendant et deliberant que si Dieu ne donnoit point de Paradis a ceux qui vivent bien, il ne voudroit pas bien vivre, helas, il commettroit un grand peché, car il præfereroit son interest et son bien propre a la bonté et Majesté divine; il aymeroit mieux le don que le Donnateur, qui seroit un'affection fort desordonnee et desreglee.

  A005001180 

 On craint plus d'estre damné pour des certains pechés que pour d'autres, et partant la repentance en vient plus tost que des autres.

  A005001180 

 Or cett'attrition imparfaite, et qui n'est que pour certains pechés, elle ne suffit nullement a la vraye pœnitence, car, comme dit le sacré Concile de Trente, elle doit estre de tous les pechés passés et forclorre tous les pechés a venir; et lhors, avec le tressaint Sacrement elle suffit, mais sans iceluy il faut avoir l'absolue contrition..

  A005001180 

 Or toutes ces repentances qui procedent de la crainte de l'enfer, du desir du Ciel, de la consideration des autres maux et inconveviens que le peché nous apporte, elles sont quelques fois si fortes [370] qu'elles arrachent de nos ames toutes les affections qu'elle avoit eues au peché, et la determinent a ne vouloir plus pecher: et lhors elles s'appellent attritions des pœnitens.

  A005001180 

 Que si elles ne sont pas si puissantes qu'elles nous desengagent du tout de l'affection du peché, ou elles ne sont pas attritions, ou elles sont attritions des impœnitens: car, par exemple, n'arrive-il pas maintefois qu'un homme se repentira estrangement d'un peché, comme d'avoir battu son pere ou sa mere, par ce que la difformité de ce peché, et lhorreur, et mesme les exaggerations et vehementes reprehensions d'iceluy quil ouira dire a un bon praedicateur, le toucheront, et neanmoins ne se repentira nullement de la fornication quil a commise? Il y a des pechés desquelz la vilenie et le malheur est plus sensible que des autres, et comme souvent ilz sont plus attrayans que les autres avant quilz soyent commis, ilz desplaysent aussi plus fort estans perpetrés.

  A005001181 

 En fin donq, nous pouvons detester le peché, non pour l'endommagement quil fait a nostr'ame delaquelle il souille la beauté, defigure l'image divine, non pour le desir d'avoir le Paradis, non pour la crainte d'estre damnés, mays par ce que le peché offence Dieu qui est souverainement bon, et souverainement bien aymable et souverainement bienaymé.

  A005001186 

 Car la souveraine bonté de Dieu estant le motif de nostre repentance, elle luy donne le mouvement, car elle ne seroit pas le motif si elle ne donnoit le mouvement: or, le mouvement que la bonté donne c'est le mouvement de l'amour, or le mouvement de l'amour c'est le mouvement d'union; c'est pourquoy la vraye repentance, bien quil ne soit pas advis et qu'on n'y voye pas l'amour, neanmoins ell'a le mouvement d'amour, et unit a Dieu.

  A005001186 

 Et comme nous voyons que le vin theriacal ne s'appelle pas theriacal par ce que la theriaque en elle mesme soit meslee avec ce vin, mais seulement par [ce] que la vertu et proprieté de la theriaque y est, et quil la contient et l'a en soy; de mesme la repentance, quand ell'est excellente, ne contient pas tous-jours l'amour en luy mesme et selon son action, mais bien que quelquefois l'amour ne se treuve pas en la repentance selon son action propre, il y est neanmoins tous-jours en sa vertu et proprieté.

  A005001187 

 Et cet amour qui donne mouvement a la repentance est un vray amour, mais non encor parfait, jusques a ce que son mouvement soit en son plus haut degré; car alhors, soudain l'amour parfait est produit en l'ame, c'est a dire la tresste vertu de charité qui rend l'ame toute chere a son Dieu.

  A005001187 

 Et ne faut pas treuver estrange, Philothee, que la vertu et force de l'amour naisse dedans la repentance avant que l'amour y soit du tout formé, [puisque nous voyons] que par la reflexion des rayons du soleil dardés sur la glace d'un mirouer, la chaleur, qui est la vertu et proprieté du feu, s'augmente petit [a petit] si fort, qu'en fin, avant qu'elle produise le feu elle brusle, en sorte que commençant a brusler elle produit le feu; ainsy l'ame qui considerant la souveraine Bonté reçoit les rayons de ses attraitz, [372] fayt reflection sur soymesme et sur ses pechés [avec une certaine chaleur] affective, qui est la proprieté de l'amour, lequel par apres jette ses flammes et fait son action manifeste et son operation formee.

  A005001188 

 Int, On considere combien Dieu est bon, et combien il est aymable pour cette bonté: O Seigneur, que vous estes bon! Confesses, confesses, o mon ame, a vostre Dieu quil est bon, qu'eternelle est sa misericorde.

  A005001188 

 On considere combien on est coulpable de cette coulpe: Estonnés vous, o cieux, et que ses portes se desolent extremement, car mon ame a fait deux maux; elle vous a quitté, o Dieu eternel, vous qui estes la source inespuisable des eaux vives de toute bonté, et se retourne du costé de la creature pour fouir et creuser des puis, puis crevassés et dissipés qui ne peuvent contenir aucunes eaux de vray contentement.

  A005001188 

 On considere que par le peché on offence cette divine bonté, on la mesprise, on se separe d'elle pour se joindre a la creature, on la quitte, et autant quil est en nous on la rejette.

  A005001193 

 En somme, les pechés venielz diminuent la charité en son exercice et non en sa substance, c'est a dire ilz ne diminuent pas la charité, mais l'exercice d'icelle, et notamment en ce que la charité requiert que nous rapportions nos actions a Dieu.

  A005001193 

 Le peché mortel n'abolist pas la lumiere naturelle, mais il la tient prisonniere, captive et esclave, en sorte qu'elle ne fait pas son operation; comme dit le grand Apostre, que les Philosophes detenoyent la verité en injustice, parce que connoissans la verité d'un seul Dieu ilz ne le glorifioyent pas comme Dieu, ains cachoyent et retenoyent l'efficace de la verité dans la multitude de leurs vices.

  A005001195 

 Certes, nous ne changeons pas d'esprit quand, estans assoupis de l'appetit de dormir, nous ne sçavons presque ce que nous faysons, et quand, estans bien esveillés, nous discourons sagement sur nos affaires; mais pourtant il semble que nous en ayons moins quand nous en avons moins l'usage, dautant que d'avoir une chose et n'en point user c'est l'avoir en vain.

  A005001195 

 Si que ces ames paresseuses et addonnees a leurs playsirs exterieurs ne gardent guere la charité, car ne pouvans guere demeurer en cette vie mortelle sans beaucoup de tentations, et ces vilz espritz ne s'exerçeans guere aux armes spirituelles, ni ne veillans pas sur leurs affections, elles se laissent aysement surprendre au peché; et comme.................................................

  A005001202 

 L'autre aussi futvivement touché de [375] la clarté et chaleur du soleil, qui au travers de[ses] paupieres fait certaine transparence comme des petitz esclairs autour de la prunelle de ses yeux fermés; mais non seulement il, n'ouvre pas les yeux, qu'au contraire, tournant le dos au soleil, il met sa face en terre, et se rendormant, passe-la sa journee, jusques a ce que, se voyant surpris de la nuit, il se plaint par des cris effroyables de quoy il demeure exposé a la merci des loups, ou mesme des lions rugissans, si toutefois ceci arriva en Affrique..

  A005001203 

 Qui ne void, ma chere Philothee, que si le premier de ces deux voyageurs se vantoit de s'estr'eveillé, d'avoir esté esclairé, d'avoir veu, comme si cela luy estoit arrivé de son industrie, on se mocqueroit de luy et on luy diroit: Miserable, es tu allé querir les rayons du soleil? leur as tu donné la force d'esclairer? est ce de toy quilz tiennent la proprieté quilz ont de rendre les choses visibles, et de donner aux yeux la commodité de voir? Il est vray que tu pouvois t'empescher d'ouvrir tes yeux, mays il n'est pas vray que sans eux tu les eusses ouvertz, ains il est vray que c'est eux qui te les ont fait ouvrir: ilz t'ont rendu voyant, et tu ne les as pas rendu visibles.

  A005001204 

 Mays, au contraire, si le second se plaignoit du soleil et disoit: Hé, qu'ay-je fait au soleil pour quoy il ne m'ayt pas fait voir sa lumiere comm'a mon compagnon, affin que je fisse mon voyage et ne demeurasse pas icy en ces effroyables tenebres? dites-moy, Philothee, ne prendrions nous pas la cause du soleil en main, et ne dirions nous pas a cet insensé: Chetif ingrat que tu es, qu'est ce que le soleil pouvoit faire qu'il n'ayt fait? les faveurs quil t'a faites ont esté de son costé esgales a celles de ton compaignon; que si les mesmes effectz ne s'en sont pas ensuivis, c'est que tu en as empeché la production: le soleil t'a abordé avec une lumiere egale, il t'a touché des mesmes rayons, il t'a jetté une mesme chaleur; et, malheureux que tu es, tu luy as tourné le dos pour dormir ton saoul..

  A005001210 

 Car, puis que le salut depend de la grace, pourquoy blasmera on de leur perte ceux qui n'ont pas eu la grace sans laquelle ilz ne pouvoyent eviter de perir? Mays sil est ainsy, disentles autres, que les repreuvés sont rejettes de la gloire par ce quilz ont rejetté la grace, silz sont abandonnés a la malediction par ce quilz ont abandonné la benediction, donques les esleuz ont une grande part a lhonneur de leur salut par ce quilz ont consenti a la grace, ont cooperé a l'inspiration et secondé le mouvement celeste.

  A005001210 

 Et c'est une excuse vulgaire de l'indevot, quil ne peut aymer Dieu autant quil desireroit, par ce que Dieu ne luy en fait pas la grace; et une tentation asses ordinaire, de penser que les devotz puissent rapporter leur devotion a leur diligence et leur diligence a leur gloire particuliere, comme silz avoyent rendue la grace effective et vigoureuse pour faire son operation en eux..

  A005001212 

 ...et a poussé en elle l'eau cordiale de l'inspiration, laquelle faysant son operation l'a remise en sentiment et revigoree: qu'y a-t-il en tout ceci qu'elle n'ayt receu? Que si elle repliquoit qu'au moins elle a receu les remedes: Ingrate que tu es, luy dirois-je, il est vray, tu as receu [377] les remedes; mais recevoir du bien n'est ce pas a l'indigent et souffreteux? ne suffit il pas pour t'oster tout sujet de vanité que tu n'as rien que tu n'ayes receu? Ouy, chetifve creature, tu as tout receu; et ce que tu ne consideres pas, c'est que tu as receu le pouvoir mesme de recevoir, qui est un bienfait tres particulier de ton Sauveur: car sans luy, non seulement tu n'ouvrois point la bouche, tu ne pensois point a ton salut, mais tu ne pouvois pas y penser, tant les ressortz du mouvement de ton ame estoyent empeschés du catharre de ton iniquité.

  A005001212 

 Que si tu n'as pas resisté a la faveur celeste comme tu pouvois faire: O insensee, tu n'as pas resisté, et tu le pouvois faire; mays n'es tu pas miserable de t'attribuer ta guerison et ta vie par ce que tu ne t'es pas tuee et precipitee? es tu bien si forcenee que de penser obliger ton Bienfacteur par ce que tu n'as pas rejetté son bienfait, et ne l'as pas offencé tandis quil t'obligeoit en te secourant?.

  A005001218 

 ...verra clairement quil confesse que la volonté de Dieu a eu des grans motifs et fortes raysons au decret de ce repoussement du peuple Juif, mays quil ne faut pas neanmoins en faire la recherche, ains que nous....................................................................................

  A005001224 

 Ainsy, dit cett'ame sacree: Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche, inspirant en moy le spiracle de la vie amoureuse, car ses mammelles sont meilleures que le vin; comme si elle vouloit dire: [Que je vive de ses] mammelles; car comme les meres donnent leur lait...... Sauveur me communique par sa bouche...... admirable? Il est meilleur que le............ revigore comme...............................

  A005001224 

 Cette attraction que l'amour [fait] de son Dieu a soy est pareille a celle que fait le petit enfant [des mammelles] de sa mere; sinon que les mammelles des meres tarissent et dessechent petit a petit, la ou la fontayne des perfections divines estant inespuisable et infinie ne diminue point, mais demeure tous-jours autant fœconde comme sil ne s'en tiroit rien.

  A005001226 

 Ainsy Cæsar pleure sur Pompé, et plusieurs des filles de Hierusalem pleuroyent sur Nostre Seigneur, bien que une partie d'entr'elles ne luy eusse pas grande affection.

  A005001226 

 Secondement, la commiseration prend sa grandeur de celle [de] l'object, car si les douleurs que nous voyons en autruy sont extremes, pour peu que nous l'aymions nous en avons pitié.

  A005001232 

 ...Car le langage de l'amour est commun quant aux paroles, mais quant a la façon il est si particulier que nul ne l'entend que [379] celuy que l'amour mesme instruit; et par une parole les amans signifient cent choses, ou silz ne signifient qu'une chose ilz la signifient si excellemment et avec tant de circonstances que c'est merveilles.

  A005001233 

 Douce et admirable science, qui s'apprend par conference avec son objet, en le savourant et goustant! Or il y a divers degrés de cette theologie mystique, ou bien de l'oraison, que je marqueray briefvement.

  A005001237 

 Au premier Psalme, l'homme est dit bienheureux, qui a toute son affection en la loy du Seigneur et qui meditera en la loy d'iceluy jour et nuit; c'est a [380] dire, qui desirant observer la loy de Dieu, il la meditera jour et nuit, affin que de la source de la meditation proviennent des ruisseaux continuelz d'affections, et des affections s'en ensuivent les actions.

  A005001237 

 Et par ce que les affections, quand elles sont fortes, produisent fort souvent des actions conformes, la meditation mesme produit par l'entremise des affections plusieurs actions: or elle se fait pour le bien et pour le mal.

  A005001237 

 Mays au second Psalme, ell'est prise en mauvaise part, pour l'attentive et ordinaire pensee des rebelles contre la fidelité deüe a N. S. le Roy Jesus: P our quoy ont fremi les nations, et les peuples pourquoy ont ilz medité choses vaines? Or neanmoins, par ce qu'en l'Escriture S te ce mot est pris le plus souvent en bonne part, pour l'attentive pensee qu'on a aux choses saintes pour s'exciter a les aymer, il est maintenant ordinairement tenu pour saint, a esté canonizé par le commun consentement des Theologiens, aussi bien que celuy d'ange et de zele, comm'au contraire, celuy de dæmon et de dol a esté diffamé; si que maintenant, quand ceux qui traittent des choses divines parlent de la meditation, ilz entendent celle qui est sainte, et par laquelle on commence la theologie mystique..

  A005001238 

 La pensee est comme les mousches, qui volent ça et la sur les fleurs sans amour ni dessein; l'estude comme les hanetons, qui mangent les feuilles et les fleurs indistinctement pour en vivre; la meditation comme l'abeille, qui de toutes les fleurs n'en retire que le miel qu'ell'emporte..

  A005001238 

 La pensee et l'estude est de tous objectz, mais la meditation, ainsy que nous en parlons maintenant, n'est qu'es objectz la consideration desquelz nous peut rendre meilleurs et plus devotz.

  A005001238 

 Saches donq, Philothee, que toute pensee n'est pas meditation: car, quand nous pensons a quelque chose sans aucun dessein de tirer prouffit de nostre pensee, nous faysons une simple pensee, et pour attentive qu'elle soit, elle n'est autre chose que pensee; que si nous pensons attentivement a quelque chose pour apprendre les causes, les effectz, les circonstances, cette pensee est nommee estude; mays quand nous pensons a quelque chose, non pour apprendre et nous instruire, mais pour nous affectionner en icelle, cela s'appelle mediter.

  A005001239 

 Ce qu'en l'un des passages est exprimé par le mot de mediter, en l'autre il est proposé par le mot de repenser, par ce que la meditation n'est autre chose qu'une pensee reiteree, attentive et entretenue volontairement; et affin qu'on sache que la meditation tend a esmouvoir les affections et a produire les actions, en l'un et en lautre passage il est dit quil faut mediter et repenser en la loy de Dieu pour l'observer.

  A005001239 

 Et c'est pourquoy celuy qui avoit dit: Je mediteray comme la colombe, pour exprimer d'autte façon sa conception il dit: Je repenseray, o mon Dieu, toutes mes annees en l'amertume de mon ame; car mediter n'est autre chose que repenser souvent en une chose pour quelque dessein qui regarde l'affection.

  A005001239 

 Mais pourquoy veut il que nous repensions et meditions en N. S r qui a tant souffert? Non certes affin que nous devenions sçavans, mais affin que nous devenions patiens comm'il l'a esté.

  A005001239 

 Nous meditons volontier ce que nous aymons, et par la meditation nous prouffitons en l'amour..

  A005001239 

 v. 3: Repenses a Celuy qui a souffert un telle contradiction ou persecution des pecheurs, affin que vous ne vous lassies, manquans de courage; quand il dit repenses, c'est autant comme sil disoit medites, consideres diligemment.

  A005001239 

 v. 5, Moyse avertit le peuple quil repense en son cœur les graces particulieres que Dieu luy avoit faittes, affin, dit il, que tu observes ses commandemens et que tu chemines en ses voyes, et que tu le craignes; et Dieu luymesme, Jos.

  A005001239 

 v. 8, dit a Josué: Tu mediteras au livre de la Loy jour et nuit, affin que tu gardes et faces ce qui est escrit en iceluy; alhors tu dresseras ta voye et l'entendras.

  A005001240 

 La meditation n'est autre chose que le ruminement mystique, requis pour n'estre point immonde, Levit.

  A005001247 

 Car premierement, nous meditons principalement affin de nous provoquer a l'amour de Dieu, mays nous contemplons par ce que nous aymons; car apres que nous avons treuvé l'amour par la meditation, cet amour nous fait treuver une si grande douceur en la chose aymee, que nous ne pouvons nous saouler de regarder et voir la chose aymee: le desir d'obtenir l'amour nous fait mediter, et l'amour obtenu nous fait: contempler..

  A005001250 

 Il est vray que le regard ayant excité l'amour, l'amour ne s'arreste pas es bornes jusques auxquelles le regard l'a poussé, car en ce monde nous pouvons avoir plus d'amour que de connoissance; dont S t Thomas asseure que «les plus simples et les femmes abondent en devotion,» et sont ordinairement plus capables de l'amour de Dieu.

  A005001250 

 S t Bonaventure, interrogé si une pauvre simple femme pourroit autant aymer Dieu que luy, respondit qu'oüy; dont S t Gilles fit un'exclamation admirable, quil faut voir, comm'encor ce que l'abbé de S t André de Verceil dit a S t Anthoine, qui est es Chroniques, sur ce sujet..

  A005001251 

 (Cela s'entend pourveu que ce soit une connoissance attentive, car les autres connoissances ne font rien sur la volonté, sinon peut estre la delecter en elles mesme).

  A005001251 

 Ammon se meurt pour Thamar: comment est ce que cest amour a pris un tel accroissement? Ce n'est pas par la connoissance, sans doute, car il ne l'avoit point excessivement admiree; que si l'entendement fut allé de pair avec la volonté, a mesme que la volonté estoit transportee a cett'extremité d'amour, l'entendement eut esté transporté en l'extremité de l'admiration.

  A005001251 

 La connoissance est requise a la production de l'amour, car jamais la volonté ne sçauroit aymer une chose qu'elle ne connoist pas, et a mesure que la connoissance croist, nostr'amour s'augmente davantage, sil n'y a rien qui empesche son mouvement naturel.

  A005001251 

 Mays comme se peut-il faire que l'amour passe la connoissance? car la volonté ne se peut porter qu'aux choses conneües.

  A005001251 

 Mays pourtant il arrive souvent que la volonté esmeüe par la connoissance passe plus avant, et par le propre playsir qu'elle ressent d'estre appliquee a son object aymable elle s'avance extremement en l'amour; n'ayant plus besoin pour cela de l'action [de] l'entendement, ains seulement de la force du sentiment qu'ell'a de son bien, duquel l'union l'attire puissamment a soy par la propre jouissance.

  A005001251 

 Ne voyons nous pas, Philothee, que la cholere esmeüe par la connoissance de quelqu'injure fort legere, si promptement elle n'est bridee, elle passe tout outre et devient infiniment plus grande que le sujet ne requiert? La connoissance donne la naissance aux passions, mais non pas la mesure.

  A005001251 

 [384] Il est vray, la volonté ne connoit pas le bien que par l'entremise [de] l'entendement; mais apres qu'elle l'a conneu, elle mesme en sent le playsir, et le playsir la porte plus avant en l'amour: si que en mangeant, l'appetit va croissant.

  A005001252 

 Adjoustes que nous autres Chrestiens n'appliquons pas nostre volonté par la connoissance du discours, ni de la doctrine et science, mais par la connoissance de la foy, laquelle nous asseurant de l'infinité de la bonté divine, nous donne asses de mouvement pour nous la faire aymer de tout nostre pouvoir, encor que nous n'en ayons que cett'obscure mais certaine connoissance.

  A005001252 

 Et comme nous voyons que l'on creuse et fouit la terre pour treuver les minieres d'or et d'argent avec une peyne fort grande, employant une peyne presente et effectuelle pour un tresor esperé, et qu'une connoissance de simple conjecture nous met en un veritable travail, puis a mesure que nous en treuvons nous en cherchons tous-jours davantage et nous eschauffons davantage, ainsi, a mesure que nous aymons nous allons croissans en amour.

  A005001252 

 O combien est il vray, ainsy que s t Augustin s'escrie, que «les indoctes ravissent les Cieux,» tandis que plusieurs doctes perissent en enfer!.

  A005001253 

 C'est pourquoy, apres que la connoissance de la foy nous a provoqué [386] au commencement de l'amour, la connoissance de l'experience, par laquelle nous goustons, touchons et voyons la bonté de Dieu sous la conduite de l'amour, produit en nous un autr'amour plus grand; puis cet amour un goust plus excellent, et ce goust un amour plus eminent.

  A005001253 

 Ceux qui me goustent auront encor faim, et ceux qui me boivent auront encor soif. Qui goustoit plus Dieu, ou le bon Guillaume Ocham, que quelques uns ont estimé le plus subtil des mortelz, ou S te Cath.

  A005001253 

 Qui ayme plus la lumiere et qui l'estime plus: ou celuy qui estant né aveugle et n'ayant jamais joüy des effectz de cette noble clarté sçauroit neanmoins tous les discours qu'en font les Philosophes et toutes les louanges que les sçavans luy donnent, ou celuy qui avec une veüe bien claire sent et ressent l'aggreable splendeur d'un beau soleil levant? Celuy-lâ, certes, en a plus de science, celui [ci] plus de jouissance; celuy [la] en a une certaine connoissance morte, ou pour le moins languissante, celuy ci une connoissance vive, animee, et qui respand dans le cœur un amour fort affectionné.

  A005001254 

 La connoissance du bien le fait naistre, mais estant nay il vit et croist par la delectation qui l'attire et luy donne force; ainsy que nous voyons es petitz enfans, auxquels il faut de la persuasion pour leur faire recevoir dans leurs bouches le miel et le sucre, mays despuis quilz l'ont tasté et senti la douceur, ilz l'ayment esperdument..

  A005001254 

 ad 2, ou il apporte un'instance inevitable: Nous aymons, dit-il, extremement les sciences avant que de les sçavoir, «pour la connoissance sommaire et confuse que nous en avons;» «il en faut,» dit il, «dire de mesme de l'amour de Dieu.» La connoissance de la bonté applique la volonté a l'amour, mais despuis que l'amour est en train, il va par apres croissant par le playsir quil reçoit et ressent, sans qu'il soit besoin d'autre persuasion ni connoissance.

  A005001255 

 Ce n'est donq pas par nature mays par accident, a cause de nostre vanité, que la science empesche la devotion..

  A005001255 

 Il faut pourtant bien advoüer que quand non seulement la volonté est delectee par son object, mais que l'entendement eh connoist la bonté plus parfaitement, la volonté est bien plus fortement portee et attachee; car ell'est poussee et tiree tout ensemble a son objet, poussee par l'entendement, tiree par la delectation: et partant, «si l'homme» sçavant, dit S t Th., 2.

  A005001255 

 Mays il arrive pourtant fort souvent que la science, par nostre misere, empesche la naissance de la devotion dedans nos cœurs; d'autant que la science emfle et enorgueillit l'homme, et l'orgueil est ennemi capital de toute vertu, mais particulierement de la devotion.

  A005001255 

 ad 3, «sousmet parfaitement son sçavoir a Dieu, par cela mesme la devotion en est augmentee;» tesmoignant [que] la science n'est point contraire de soymesme, ains est utile a la devotion, et quand elles sont jointes ensemble elles s'entr'aydent admirablement.

  A005001260 

 D'autrefois, il regarde plusieurs attributz et est attentif a les regarder, mais comme d'une veüe totalement uniforme et sans distinction; comme celuy qui regardant l'espouse d'un seul trait d'œil quil feroit, passant sa veue des la teste jusques aux pieds, n'auroit rien regardé distinctement, quoy qu'il auroit tout veu attentivement, et ne sçauroit dire autre, ni quel carquant ni quelle robbe elle porte, ni quelles bagues, ni quelz yeux, ni quelle bouche, ni quelles mains, ains sçauroit seulement dire que tout est beau et qu'ell'est toute belle: car ainsy on regarde la toute puissance, la toute justice, la toute sagesse de Dieu, non point distinctement, mays d'une simple veüe qui tire son regard d'un seul trait sur ces attributz, sans nulle interruption; et neanmoins ne sçauroit dire rien en particulier, ains seulement en general que tout est bon, quil [388] est tout beau, quil est tout desiderable, ainsy que Dieu mesme fit au commencement du monde: car il vid la bonté de tout ce quil faysoit separement et qu'un chacun ouvrage estoit bon; puis, d'un seul trait de son regard, il vid que tout estoit tres bon..

  A005001266 

 63, qui a laissé par escrit que l'orayson de recueillement est comme quand un herisson ou une tortue se retire au dedans de soy, l'entendoit bien; hormis que ces bestes ci rentrent dedans soy quand elles veulent, mais le recueillement ne gist pas en nostre volonté, mais seulement quand il plait a Dieu de nous faire cette grace.

  A005001266 

 Car on n'entend pas parler de ce recueillement que tous ceux qui veulent prier doivent faire, rentrant en eux mesme comme l'enfant prodigue, et retirant par maniere de dire l'ame dedans le cœur pour parler a N. S.; mais d'un recueillement qui se fait, non par le commandement de l'amour, mais en vertu de l'amour: c'est l'amour qui le fait luy mesme, et ne le fait pas faire..

  A005001267 

 Car tout ainsy que les nouveaux esseims et jettons d'abeilles, lors qu'ilz veulent fuir et changer païs, sont revoqués et rappellés, ou par le son que l'on fait en battant doucement sur des bassins, ou par l'odeur du vin doux et emmiellé, ou par la senteur des herbes odorantes, en sorte qu'elles entrent par telz allechemens dedans les ruches; de mesme N. S r, ou par une douce voix quil fait dans le fin fons du cœur, ou par [389] certaine speciale suavité quil y produit, il rappelle et ramasse les facultés de l'ame, et les amorce pour penser a luy..

  A005001268 

 Il n'est rien de si naturel au bien que d'unir et attirer a soy.

  A005001268 

 Les facultés estant donques esparses et dissipees en varieté d'occupations exterieures, ne, retourneroyent jamais d'elles mesmes au dedans de l'ame si elles n'avoyent quelque sentiment que le Bien-aymé y est: elles le cherchent, et ne s'apperçoivent pas quil est au milieu d'elles, mays il leur parle, il leur dit que c'est luy, et soudain elles se retournent a luy.

  A005001268 

 Les fleurs de la flambe ou du glay, tant blanches que bleues, se ferment a la lueur du soleil; c'est, comme je pense, pour posseder et mieux recueillir sa chaleur vitale qu'elles sentent au milieu d'elles: ainsy les ames qui sentent en leur fond la lueur et chaleur du S t Esprit, pour en jouir se ramassent en elles mesmes..

  A005001268 

 Nostre ame va ou est son amour et son tresor; que si elle sent son tresor au dedans de soy, elle se ramasse toute en soymesme et retire a soy toutes ses facultés pour le mieux posseder et savourer.

  A005001268 

 Ou bien il respand quelques odeurs de ses vestemens qui les advertit de sa presence; et tout a coup elles se ramassent au tour de luy, comme qui mettroit un morceau d'aymant au milieu de plusieurs eguilles, il verroit que soudain toutes les pointes de ces eguilles se retourneroyent du costé de cet aymant bienaymé et se viendroyent joindre et attacher a luy: car ainsy, quand par quelque sorte de douceur ou de sentiment interieur nostre Seig r fait appercevoir sa presence au milieu de l'ame, toutes les facultés retournent leurs pointes de ce costé la pour se venir joindre a luy.

  A005001269 

 Ainsy Magdeleyne va cherchant le Sauveur, et estant proche de luy quant au lieu, toutes ses affections estoyent esparses a le chercher ça et la autour du monument; mays soudain que le Sauveur luy fait sçavoir sa presence par le seul mot: Maria, toute son ame esparse se ramasse a ses pieds par un'autre parole: Rabboni.

  A005001269 

 Il ne se peut dire combien alhors l'ame se fasche de sortir hors de soymesme, par ce qu'ell'a au milieu de soy son Bienaymé; c'est pourquoy elle voudroit n'avoir ni des yeux, ni des aureilles, ni les autres sens exterieurs, par lesquels, comme par des portes ouvertes, il semble que les facultés sortent et s'en vont hors de l'ame; elle diroit volontier comme S t Pierre: O qu' il est bon que nous soyons icy; Je tiens Celuy que mon ame ayme, je le tiens et ne le quitteray point..

  A005001269 

 Quel bonheur, Philothee, quelle suavité de sentir Dieu au milieu de son ame! Quand le tressaint Sacrement est dedans nous, et que par la tressainte foy et meditation nous apprehendons vivement la veritable et admirable presence de ce divin Espoux, il nous ramasse fort souvent a soy et retire toutes nos facultés: Revertere, revertere, Sulamitis; il nous attire par le miel de sa sapience comm'un autre Salomon autour de son trosne.

  A005001270 

 Car ainsy, Dieu respandant dedans le cœur le vin, plus doux que le miel, de son s t amour, et en faysant sentir l'odeur a nos facultés, vous les voyes, par cet aymable attrait, rentrer dedans le cœur comme dedans leur ruche, doucement et delicieusement..

  A005001270 

 Or ce recueillement, comme vous voyes, se fait par la douceur dont nostre cœur est touché, sentant en quelque sorte la presence de son bien au milieu de soy; c'est pourquoy il se fait doucement, par une aggreable inclination, par un doux retour, par une delicieuse retraitte que le playsir interieur fait faire aux facultés, et ne treuve rien qui l'exprime mieux que la retraitte des abelles qui se fait par la douce amorce [de] l'odeur du vin emmiellé.

  A005001271 

 C'est cela que quelques uns appellent introversion, c'est a dire retour de l'ame en soymesme et au dedans de soy mesme, y appercevant le S t Esprit qui l'attire insensiblement par des attraitz secretz mais delicieux, dont il appelle ses puissances et les rameyne en dedans comme les repliant sur elles mesme..

  A005001271 

 L'ame est plus ou ell'ayme qu'ou ell'anime: et ou estoit le Bien Aymé de cette Bienaymee, sinon dedans ses entrailles, dans ses flancz? c'est pourquoy toute son ame estoit ramassee dedans elle mesme, et a mesure que la divine Majesté s'estoit, par maniere de dire, restressie et appetissee dedans son ventre virginal, son ame aggrandissoit et magnifioit son infinie bonté, son esprit tressailloit en Dieu son Sauveur, c'est a dire en ses entrailles, ou Dieu estoit.

  A005001273 

 C'est la ferveur que la rencontre du Bienaymé excite en nous..

  A005001273 

 Tel fut celuy de Magdeleyne lhors qu'ell'aborda N. S r chez le Pharisien: elle ne cesse de bayser, de pleurer, de laver, de torcher, d'oindre; sa poitrine semble une mer agitee d'amour, ce ne sont que vagues de souspirs, de sanglotz, de pantelemens.

  A005001274 

 Telles sont les ferveurs du grand S t Aug in en ses Confessions; ou vous voyes fort souvent des souspirs, des exclamations et des traitz amoureux dont l'un n'attend pas l'autre, mais semblent a une girandole de feus artificielz qui jettent de toutes pars des flammes: car ainsy, en cette ferveur, l'ame jette un meslange et confusion d'actions et passions amoureuses, sans autre methode que celle que l'empressement lui suggere, qui est de se haster et ne tenir aucune methode.

  A005001275 

 Il luy faut pardonner si elle commence sans methode, car l'amour n'en a point d'autre que l'ardeur.

  A005001275 

 Mays ayes compassion a sa passion, ell'est transportee d'amour: c'est pourquoy elle s'excuse en disant que le vin des mammelles, ou les mammelles, c'est a dire les amours, plus fortz que le vin, l'ont enivree.

  A005001275 

 Oyes, Philothee, cette S te Sulamite: elle veut d'abord bayser son Espoux avant que l'avoir mesme salué, elle ne fait point d'avant propos.

  A005001276 

 Cette ferveur est representee par celle du moust qui boillonne dedans son tonneau, ainsy qu'Eliu le dit en Job, 32, v. [18,] 19: Je suis tout plein de paroles, dit il, et l'esprit de mes entrailles me presse; voyci que [393] mon ventre est comme du moust qui n'a point de respirait, qui romp les tonneaux pour neufs quilz soyent..

  A005001276 

 La ferveur s'appelle ferveur pour cela, dautant qu'elle pousse ses bouillons sans ordre ni mesure, comme la liqueur que le feu fait bouïllonner, et partant est comparee a l'ivresse: Ilz seront enivrés de l'abondance de vostre mayson, et les abbreuverés du torrent de vostre volupté.

  A005001277 

 Ce qui nous fait ainsy recueillir c'est une certaine reverence sensible qui saysit nostre cœur, comme nous voyons que, pour distraitz que nous soyons, si nous sçavons que le Roy nous regarde, nous rentrons en nous mesme pour nous bien tenir en sa presence avec le respect convenable.

  A005001277 

 Et quand l'ame reçoit souvent ce bonheur, que Dieu luymesme la ramasse et recueillit ses facultés pour estre attentive a sa divine Majesté, on appelle cela l'estat de recueil ou recueillement.

  A005001277 

 Il arrive que quelquefois cette Bonté celeste nous envoye certaine douceur qui nous fait resserrer en nous mesme et ramasser nos puissances au dedans de nous, affin que de toute nostre ame nous adorions nostre Souverain, lequel nous est proposé hors de nous, soit au Ciel, soit en la terre.

  A005001277 

 Le recueillement c'est comme les ouistres et meres perles, qui, ayant receu les goustes du ciel, lafraiche rossee du matin, se resserrent pour la conserver non meslee, et pour l'ayse qu'elles ressentent d'appercevoir cette fraicheur si douce, et ce germe que le ciel leur envoie..

  A005001277 

 Mays ce recueillement ne se fait pas seulement par ce sentiment de la presence de Dieu au fond de nostre ame lhors que les puissances se recueillent autour du Bienaymé, ains aussi quand nous nous mettons en la presence de Dieu en quelle façon que ce soit.

  A005001278 

 Et je connois un'ame dedans laquelle si tost que l'on jettoit quelque parole de l'amour de Dieu, soit qu'elle se confessast, soit encor hors de confession, on voyoit qu'elle rentroit si fort en soymesme qu'ell'avoit peyne d'en sortir pour parler et respondre; de sorte mesme que tout son exterieur demeuroit comme destitué de vie, et tous ses sens sans action et comm'engourdis..

  A005001279 

 C'est ce « sommeil des puissances» dont parle la M. Therese, par lequel les facultés de l'ame sont totalement sans action, hormis la volonté, laquelle pourtant ne fait autre chose que recevoir le contentement de la presence du Bienaymé, demeurant tout'accoisee et satisfaite et assovie: assovissement et satisfaction neanmoins qu'elle n'apperçoit point, mais dont elle jouit en une certaine façon imperceptible; car elle ne pense point a son contentement ni a son bonheur, ains seulement a la presence de son Bienaymé, qui est la source de son contentement: comme il arrive quelquefois qu'un leger sommeil nous surprenant, nous entr'oyons seulement ce que ceux que nous aymons disent aupres de nous, ou ressentons quelque sorte de caresses qu'ilz nous font, ainsy quil arriva a la tressainte Sulamite quand elle disoit: Je dors, mays mon cœur veille; voyla que mon Bienaymé me dit: Sus, leve toy..

  A005001279 

 Et c'est cela, a mon advis, que la B. vierge Therese appelle «orayson de quietude,» et qui ressemble a cet exercice d'amour que mesme les amans humains font, lhors que, ne parlans point a la personne qu'ilz ayment, ilz se contentent d'estre au lieu ou ell'est, proche d'elle, prenans simplement playsir a cette presence, sans discourir ni sur la beauté ni sur les perfections de l'object aymé, assovis, ce semble, et satisfaitz d'estr'aupres d'iceluy, savourans cette seule presence, non par aucun discours, mais par une tres simple attention quilz ont a cette presence, en laquelle ilz ont leur contentement et repos.

  A005001279 

 Quelquefois, l'ame estant ainsy toute ramassee en elle mesme, ou [394] devant Dieu, si elle se represente Dieu hors d'elle mesme, ou autour de Dieu, si elle se le represente et le sent dedans soy mesme, ell'entre en une si grande paix, en un repos si tranquille, et ressent un'attention si delicate, si amiable et si douce, quil semble que son attention ne soit presque pas attention, tant ell'est presqu'imperceptible et exercee delicatement.

  A005001279 

 Voyes comm'elle dit ailleurs; Mon Bienaymé est a moy et moy a luy, qui se paist entre les lys, tandis que le jour aspire et que les ombres s'inclinent; elle le laisse paistre, et se contente de sçavoir quil est la pour elle et elle pour luy.

  A005001280 

 Alhors il arrive que l'ame fait des plaintz, crie, voire pleure, tout ainsy que fait un petit enfant, lequel, si on l'esveille avant quil ayt achevé son sommeil, en s'esveillant crie, gemit et pleure; et bien quil ne sentit pas en dormant le bien quil recevoit du sommeil, neanmoins il le tesmoigne asses par la douleur quil ressent de son reveil præcipité, involontaire et contraint: que si on l'eut laissé assovir de sommeil, il se fut reveillé joyeux et sans pleur.

  A005001280 

 Dont ce divin Berger adjure les compaignes de sa pudique Bergere, par les chevreulz et cerfs des chams, qu'elles n'esveillent point sa bienaymee jusques a ce que d'elle mesme elle s'esveille et qu'elle le veuille..

  A005001280 

 Et jamais elle ne connoist le contentement dont elle jouït, sinon quand on le luy veut oster, ou que quelque chose l'en [395] destourne; car alhors, par une douloureuse separation ou interruption de cette si grande suavité, elle commence a s'appercevoir du grand playsir qu'ell'avoit a son attention et en cette prætieuse presence, laquelle elle possedoit simplement, sans y penser ni faire reflexion, par le seul contentement et satisfaction de sa volonté.

  A005001280 

 Or, l'ame qui est en ce doux sommeil et qui n'a que la seule simple attention delicieuse de son Espoux, ne voudroit jamais partir de la, ni changer ce repos, non pas mesme au plus grand bien de ce monde.

  A005001281 

 Et que fait elle? ell'escoute seulement les paroles de son Bienaymé.

  A005001281 

 Marthe murmure, Marthe passe et repasse dedans la salette tout'empressee; Magdeleyne n'y pense point, elle demeure la, recevant la mirhe odorante que nostre Seig r luy instille goute a goute dedans le cœur; dont l'Espoux sacré, jaloux de l'amoureux sommeil de cette espouse, ne veut point que Marthe l'eveille, comme sil luy eut dit: N'esveille point ma bienaymee jusques a ce qu'elle le veuille..

  A005001282 

 Mais [396] apres que la fraicheur du lait a aucunement appaysé la chaleur appetissante de leur petite poitrine, et que les douces vapeurs quil envoye au cerveau commencent a les endormir, Philothee, vous les verries fermer leurs petitz yeux tout bellement et ceder au sommeil, sans quilz facent plus aucun'autre action que celle d'un lent et tendre mouvement des levres, avec lequel ilz succent et avalent imperceptiblement le lait, sans y penser certes, mais non pas sans playsir, car si [on] leur oste ce bien ilz s'esveillent et pleurent amerement; si que tesmoignans de l'aigreur en la privation, ilz font asses connoistre qu'ilz avoyent de la douceur en la possession.

  A005001282 

 N'aves vous jamais veu (et j'emprunte cette similitude d'une des plus grandes Sulamites de cet aage, la mere Therese), ou n'aves jamais pris garde, ma chere Philothee, aux petitz enfans, qui, s'attachans a la mammelle de leur mere, grommelent au commencement, succent ardamment, pressent des levres et serrent si fort le sucheron et tetin, que mesme ilz font douleur a leur mere.

  A005001282 

 Que si on incommode ce cher enfant, et que, par ce quil semble endormi, on veuille luy oster le testin, il monstre bien alhors quil ne dort pas pour ce regard, quoy quil dorme pour tout le reste; car il apperçoit le mal de cette privation, qui tesmoigne bien quil savouroit le bien de la jouissance.

  A005001283 

 O Dieu, Philothee, quil estoit heureux, ce divin enfant, de dormir dans le sein de son Pere, lequel aussi, le jour suivant, le recommanda comm'un enfant de lait a sa Mere! Il vaut mieux dormir dans le sein de Dieu que de veiller par tout ailleurs..

  A005001284 

 (Ces deux exemples sont admirables et les faut bien faire valoir.) Elle n'a pas besoin de la memoire, car ell'a present son object; elle n'a pas besoin de l'imagination, car qu'est-il besoin de s'imaginer celuy que l'on a en presence reelle? Car imaginer n'est autre chose que se representer une chose en image, quoy qu'image interieure, et celuy qui a le cors n'a pas besoin de regarder l'image, ains l'image luy seroit une diversion.

  A005001284 

 Elle ne luy demande rien, car elle ne veut que luy qu'ell'a treuvé; elle ne cherche plus rien, car ell'a treuvé Celuy qu'elle cherchoit; elle ne s'amuse pas a discourir par l'entendement, par ce qu'elle void d'une veüe simple et si douce son Bienaymé, que le discours la divertiroit et mettroit en travail: et mesme quelquefois elle ne le void point par l'entendement, et ne se soucie point de le voir, se contentant de le sentir par le seul ayse de la volonté, comme la S te Vierge, qui ayant N. S. en son ventre, le sentoit sans le voir, ou comme S te Elizabeth qui, sans le voir, jouissoit du fruit de sa presence en la Visitation.

  A005001284 

 Or cett'orayson de quietude se fait ainsy: l'ame ayant ramassé ses puissances et sentant qu'ell'est unie avec son Espoux, elle n'a [397] plus sujet de s'empresser, car ell'a treuvé Celuy que son cœur ayme, elle n'a plus a faire que de dire: Je le tiens et ne l'abandonneray point.

  A005001284 

 Si que la seule volonté est celle qui doucement et suavement attire, comm'en tettant, le contentement de cette presence..

  A005001285 

 Ainsy, lhors que Dieu jette dedans nostr'ame la suavité de sa presence, son vin res-jouissant le cœur de l'homme, emmiellé de cette douceur incomparable, toutes les facultés de l'ame demeurent accoysees, bien que la seule volonté, comme l'odorat spirituel, demeure occupee, sans action, au sentiment de ce celeste playsir..

  A005001287 

 Il y a bien de la difference, Philothee, entre aymer Dieu qui me donne du contentement et aymer le contentement que Dieu me donne..

  A005001287 

 O Dieu, Philothee, quilz font une grande faute! car ilz troublent volontairement le doux repos que Dieu leur avoit donné, et en lieu de s'occuper en l'amour de Dieu ilz s'occupent en l'amour d'eux mesme; en lieu de se tenir attentifs a Dieu ilz sont attentifz a eux mesmes, et ne se tenant plus a Dieu qui les contentoit, ilz s'attachent au contentement quil leur donne: comme si un esclave que le roy auroit attaché a soy par une chaisne d'or pour le sauver, en lieu de considerer la bonté de ce prince consideroit la valeur de la chaisne.

  A005001288 

 Et comme l'enfant, si pour quelque occasion avoit levé sa teste du giron de sa mere pour voir ou il a les pieds, y retournerait soudain, ainsy faut il que nous estans ainsy distraitz par cette curiosité de sçavoir ce que nous faysons, nous remettions soudain nostre cœur en cette douce et paysible attention que nous avions a la presence de Dieu.

  A005001288 

 Mays pourtant il ne faut pas croire qu'il y ait peril de perdre cette sainte quietude par les actions ni du cors ni de l'esprit qui ne se font point par legereté ni par indiscretion; car il faut croire la B. M. Therese, laquelle estime que c'est superstition d'estre si jaloux de cette quietude que de ne vouloir ni tousser, ni cracher, ni respirer, pour la mieux conserver: car, certes, Dieu qui donne cette paix ne l'oste pas pour telz mouvemens exterieurs, non, ni mesme pour les distractions et evagations involontaires de l'esprit; car la volonté estant une fois bien amorcee ne laisse pas de savourer le fruit de cette quietude, quoy que l'entendement ou la memoire s'eschappent..

  A005001289 

 Nous avons veu un'ame extremement attachee a Dieu, [399] avoir neanmoins eu l'entendement tellement libre, qu'ell'entendoit fort distinctement ce qui se disoit autour d'elle et s'en resouvenoit, bien que toutefois il luy fut impossible de pouvoir respondre ni de se desprendre de Dieu; auquel ell'estoit occupee par l'application de la volonté en telle sorte, qu'elle ne pouvoit estre retiree de cette douce occupation sans une douleur extreme qui la provoquait au gemissement: et semble que ce fut comm'un enfant qui, ayant la bouche au tetin de sa mere, pourroit voir, ouïr et mesme remuer les bras pour prendre quelque chose, sans toutefois se desprendre du sucheron, ni cesser de tetter..

  A005001290 

 Volonté laquelle n'a garde de se fascher de la distraction des autres facultés, car a mesure qu'elle voudrait avoir soin de les empescher et se fascheroit de leur divertissement, elle se divertirait elle mesme de son objet, perdrait son contentement, et en lieu de la quietude aupres de Dieu, elle se mettrait a la course apres les autres puissances, lesquelles aussi bien elle ne sçauroit ramener plus puissamment que perseverant en sa paix, alaquelle petit a petit en fin les autres reviennent par la douceur que la volonté reçoit, delaquelle elle leur communique certains ressentimens, comme des odeurs, qui les attirent au retour..

  A005001291 

 Aucunefois mesme l'ame est en cette paix sans avoir aucun'autre satisfaction que de sçavoir qu'ell'est aupres de Dieu, et n'y a nul autre contentement que d'y estre par ce que Dieu a aggreable qu'elle y soit.

  A005001291 

 Autrefois, elle sent parler l'Espoux, mais elle ne sçauroit luy parler, ou par ce que l'ayse de l'ouïr ou la [400] reverence qu'elle luy porte l'en empesche, ou par ce qu'ell'est en secheresse et n'a de force que pour escouter et non pour ouïr..

  A005001292 

 Car imagines vous quil ne leur eut dit sinon: Demeures icy, ou que, quand il leur dit: Dormes et vous reposes, il leur eut enjoint de dormir, et quil n'eut pas dit cela pour les reprendre, leur permettant de dormir au tems auquel il sçavoit bien quilz ne le pourroyent pas faire: car en ce cas-la, silz fussent demeurés-la dormans, ilz eussent esté en la presence de leur Maistre, qui n'estoit guere loin, sans le sentir en façon quelcomque; et l'enfant qui dort dans le giron de sa mere est certes en sa presence, sans neanmoins s'en appercevoir.

  A005001292 

 D'autrefois, ni elle ne sent aucun signe de la presence, ni elle n'oyt, ni elle ne parle, mays simplement elle sçait qu'ell'est avec Dieu, que Dieu luy est present et quil luy plait qu'elle demeure la en sa presence, comme les Apostres ausquelz N. S r dit au jardin des Olives: Demeures icy, veilles.

  A005001292 

 Et notes, Philothee, qu'il y a difference entre se mettre en la presence de Dieu et se tenir ou estre en la presence de Dieu: car pour s'y mettre il faut appliquer son ame et la rendre actuellement attentive a cette presence, ainsy que je le dis en l' Introduction; mais apres qu'on s'est mis en la presence de Dieu, on s'y tient et on y persevere tous-jours tandis qu'ou par l'entendement ou par la volonté on fait quelque chose en Dieu ou pour Dieu: comme, par exemple, regardant Dieu ou quelque chose pour son amour; ou bien ne le regardant pas ni aucune chose pour son amour, mais luy parlant; ou mesme ne regardant ni ne parlant mais l'escoutant; ou encor ne regardant, ni ne parlant, ni n'escoutant, mais attendant sil nous regardera ou sil nous parlera; ou en fin, ne faysant rien de tout cela, mais simplement demeurant ou il nous a mis, par ce quil nous y a mis.

  A005001292 

 Que si a cette simple demeure se joint quelque sentiment que nous sommes a Dieu et quil est nostre tout, c'est une grace extremement grande que nous recevons..

  A005001293 

 Et quoy! donques tu ne desires rien sinon d'estre statue, lâ dedans cette niche? Non vrayement, sinon que mon maistre ne voulut plus que je fusse cela; mais tandis quil luy plait que je ne soys autre chose qu'une statue, je ne veux aussi estre que cela..

  A005001293 

 Mays que fay tu lâ? Je n'y fay rien, car mon maistre ne m'y a pas placee affin que je fisse chose quelcomque, mais seulement [401] affin que j'y fusse.

  A005001293 

 Pour quoy ne te remues tu point? Par ce, repliqueroit elle, quil veut que j'y sois immobile.

  A005001293 

 Si une statue que le statuaire auroit mise en une niche dans une sale ou galerie, avoit du discours, et qu'elle peut parler, et qu'on luy demandast: Pourquoy es tu lâ dans cette niche? Par ce, diroit elle, que mon maistre m'y a colloquee.

  A005001294 

 Mon Dieu, chere Philothee, que c'est une bonne façon de se tenir en la presence de Dieu, que d'estre en son bon playsir et y demeurer volontairement! Pour moy, je pense que nous nous tenons en la presence de Dieu mesmement en dormant, car nous nous endormons a sa veue, a son gré et selon sa volonté; et semble qu'il nous jette la sur le lit comme des statues dans leurs niches, et nous nichons dans nos lictz comme les oyseaux dans leurs nids.

  A005001294 

 Nous avons donq tous-jours continué d'estre en sa presence, quoy que les yeux clos et fermés et sans que nous nous en soyons apperceu; et nous dirions volontier comme Jacob: Vrayement Dieu est icy, et je n'en sçavois rien..

  A005001294 

 Quand nous nous esveillons, nous treuvons que nous sommes presens a Dieu, qui ne s'est point esloigné de nous, ni nous de luy.

  A005001295 

 Or cette quietude en laquelle la volonté n'agit que par un simple acquiescement a la volonté de Dieu est souverainement excellente, par ce qu'ell'est pure de tout l'interest des facultés de l'ame, qui ne jouissent d'aucun contentement, ni mesme la volonté, sinon en sa supreme pointe, par laquelle elle se contente de n'avoir aucun contentement que d'estre sans contentement pour l'amour du contentement de Dieu.

  A005001299 

 Je ne parle pas icy de l'union generale que l'amant a avec la chose aymee et alaquelle l'amour tend, mais je parle d'une certaine union par laquelle l'ame recueillie en Dieu, comme nous avons dit cy devant, avec toutes ses puissances, elle se joint et unit a son object bienaymé, et demeure comme toute collee en luy..

  A005001300 

 Alhors l'union est parfaitte, et celle que l'enfant fait procede de celle de la mere; en sorte que cett'union tant serree et pressee n'est qu'une seule, qui procede de la mere et de l'enfant, mais de l'enfant en telle sorte que tout procede pourtant de la mere: car elle l'a attiré a soy, elle l'a embrassé, elle l'a appliqué a cett'union, elle l'a incité; et les forces de l'enfant sont si foibles quil n'eut sceu se serrer si fort a sa mere si elle ne l'eut serré, si que ce quil fait ressemble plustost un essay d'union qu'une union..

  A005001301 

 Ainsy, treschere Philothee, N. S. attirant un'ame a soy par l'orayson de recueillement dont nous avons parlé, et ayant ramassé toutes ses puissances sur le sein de sa bonté plus que maternelle, et, par maniere de dire, l'ayant toute repliee devers luy, il la joint, et la serre et colle sur soy et sur son visage.

  A005001302 

 Qu'est ç'a dire, tenir collée, tenir attache et ravir, sinon unir fort serré? L'ame se serre donq et se presse sur ses objects quand elle s'y affectionne, et se presser et serrer a l'object n'est autre chose que s'unir de plus fort; car presser et serrer une chose contr'un'autre ou sur un'autre n'est autre chose que la joindre et unir davantage; le serrement et pressement c'est le progres et perfection, accroissement et augmentation de l'union..

  A005001303 

 Car il y a difference entre joindre une chose a un'autre, et serrer ou presser une chose contr'un'autre et sur un'autre: car joindre et unir se fait par une simple application d'une chose, comme nous joignons, en sorte qu'elles se touchent, les vignes ou le jasmin aux arbres; mais presser et serrer se fait par un'application forte qui accroist et augmente l'union et conjunction: si que serrer c'est fortement et intimement joindre, comme le lierre se joint a un arbre; car il le serre et le presse si fort, que mesme il penetre et entre dedans son escorce..

  A005001303 

 Or icy donques (et ceci doit estre au commencement du chap.) nous ne parlons pas de l'union generale du cœur avec Dieu, mais de certains actes particuliers que le cœur fait, pour non seulement estr'uni, mais estre plus uni, plus serré et plus joint a Dieu.

  A005001304 

 Ainsy les pelerins desirans que nostre Seigneur demeurast en Emaüs, qui aussi le vouloyt bien, non seulement ilz appliquerent leur persuasion pour le faire demeurer avec eux, disans: Seigneur, demeures avec nous, car la nuit s'approche, il se fait tard, mais ilz le presserent et le serrerent a force, le contraignans d'un'amiable contrainte de demeurer.

  A005001304 

 Voyes un enfant pendu au col de sa mere, demeurer uni et joint a ses mammelles: si vous y prenes garde, de tems en tems il se pressera et serrera par des sursaultz de mouvemens que le playsir de tetter luy donne; ainsy un cœur aymant Dieu, demeure tous-jours uni par affection a sa divine Majesté, mais pourtant, en certaines occasions, il fait certain accroissement d'union, par un mouvement avec lequel il se serre et presse davantage en Dieu.

  A005001305 

 Quelquefois il nous semble que nous prevenons N. S r, bien qu'en effect nous devons tous-jours fermement croire et protester que sil ne nous tiroyt insensiblement nous ne nous mouvrions nullement a nous aprocher de luy.

  A005001306 

 Quelquefois cett'union se fait encor avec l'entendement, qui de plus en plus se serre a Dieu, non pour l'entendre, mais pour estre avec son object, par ce que la volonté le tire apres soy et l'applique a cela, l'amour respandant dans l'entendement ce playsir special d'estre fiché en Dieu; comme nous voyons quil respand une profonde et speciale attention en nos yeux pour regarder fixement ce que nous aymons, quoy que les yeux d'ailleurs eussent d'autres objectz plus aggreables..

  A005001311 

 Ainsy mesme l'ame de Jonathas est ditte collee a l'ame de David; et, comme dit S t Aug in, celuy entendoit bien la force de l'amour qui disoit a son ami: a Dieu, «la moytié de mon ame;» car quand l'amitié est parfaite ell'est indissoluble, inseparable et æternelle, ainsy que je l'ay dit ailleurs..

  A005001311 

 En fin, quand cett'union est non seulement tres serree et estroitte, mais que la chose unie peut malaysement estre separee et desprise, [comme une] greffe qui s'attache a l'arbre, elle s'appelle par le grand s t Thomas et les Theologiens inhæsion ou adhæsion, parce que par cett'union non seulement on est fort uni et serré, mais on est attaché, affigé, collé a la chose, on se tient a elle, on est pris l'un a l'autre en sorte quil y a peyne de s'en desprendre; comm'il [arrive] quand la chose qui se prend a un'autre est visqueuse et gluante, ou qu'elle [est] attachee par des cloux ou par plusieurs neuds et liens entrelacés.

  A005001311 

 Or l'union de nostre ame a Dieu est lhors en sa perfection quand nous sommes tellement saysis de sa bonté que non seulement elle nous tire a soy, non seulement elle nous joint a soy, non seulement elle nous serre a soy, mais elle nous attache et se prend tellement a nous que nous ne nous en pouvons desprendre.

  A005001311 

 Telle fut l'union de celuy qui disoit: Christo confixus sum cruci; Je suis affigé et cloüé a la croix pour Jesus Christ (vide locum et Commentar.); et ailleurs: Qui nous separera de la charité de Jesus Christ? Je suis asseuré que ni la mort, ni les angoisses, et cœt.

  A005001312 

 Ilz sont plus estroittement unis en effect et en affection encores, car leurs affections, quoy que dormantes, sont toutes engagees indissolublement a l'amour de leur Maistre; mays pourtant cett'ame qui est la en l'orayson, ell'est plus avant en l'exercice de l'union qu'eux.

  A005001312 

 Mays en cet endroit nous ne parlons pas du lien permanent par lequel nostr'ame est attachee a Dieu en vertu des resolutions que la sainte charité nous donne: c'est sans doute, Philothee, que la charité est un lien et lien de perfection; et qui a plus de charité, il est plus attaché a Dieu, plus indissolublement, plus inseparablement, plus estroittement.

  A005001312 

 Philothee, imagines vous donques que (il importe que vous m'entendies) S t Paul, S t Augustin, S t Denis, S t François, S te Catherine de Sienne ou de Genes sont encor en ce [406] monde, et quilz dorment de lassitude apres plusieurs travaux pris pour l'amour de Dieu; representes vous d'autre part quelque bonn'ame, mais non si s te comm'eux, car il y en a peu qui leur soient comparables, qui est en l'orayson d'union a mesme tems: je vous demande, chere Philothee, qui est plus joint a Dieu, plus uni, plus attaché? O Dieu, vous me confesseres que ce sont ces heureux personnages; car leur charité, qui est, comme l'un d'eux tesmoigne, le lien de perfection, est bien plus grande et plus forte que celle de cett'autre ame qui est en l'orayson d'union.

  A005001313 

 Ainsy un'ame qui est en l'exercice de l'union, et qui est parvenue jusques a l'inhæsion, si on la retire de cet exercice ell'en ressent de la douleur; elle ne se peut oster de la: si on destourne son entendement, elle se tient a la volonté; et si on la fait encor desprendre de la volonté, l'occupant a quelque exercice fort divertissant de celuy la, elle retourne a tous momens du costé de son cher object, faysant des traitz d'union [407] comm'a la desrobbee; experimentant la peyne et le serrement de cœur du grand S t Pol, car ell'est pressee de deux desirs: l'un d'estre delivree de l'occupation alaquelle on l'appelle, et demeurer avec Jesus Christ; l'autre, d'aller neanmoins a l'œuvre de l'obeissance que l'union mesme avec Jesus Christ luy enseigne estre plus requise..

  A005001313 

 Or c'est de cet exercice que nous parlons icy, lequel quand Dieu nous le donne jusques a [ce] signe de perfection que ce nous est une grande peyne et difficulté de nous en retirer, que nous ne pouvons qu'avec douleur nous en desprendre, et quil semble a nostr'ame qu'ell'est attachee et collee a son Dieu, alhors nous disons qu'ell'est en l'union d'adhæsion ou inhæsion.

  A005001314 

 Or la Mere Therese dit excellemment que cett'union estant parvenue jusque a cette perfection que nous venons de dire, elle n'est point differente de l'extase, suspension ou pendement; mais que seulement on l'appelle union ou suspension quand ell'est courte, extase et ravissement quand ell'est longue: car en effect, l'ame attachee a son Dieu, si serré que toutes ses puissances sont employees a cela, elle n'est plus en soy mesme, mais en Dieu; comm'un cors crucifié n'est plus en soymesme, mais en la croix.

  A005001315 

 Abismes cette goutte d'eau dedans l'ocean de vostre bonté, affin qu'elle ne soit plus qu'en vous! Puysque vostre cœur m'ayme et me veut pour soy, hé, pourquoy ne me ravit il, puis que je le veux bien? Tires moy, je courray a la suite de vos attraitz, et me jetteray dedans vostre sein paternel pour n'en bouger es siecles des siecles.

  A005001315 

 Ah, qui me donnera la grace que je sois un esprit avec vous! En fin, Seigneur, l'unité m'est necessaire; pourquoy me troublerois-je en la multiplicité des choses? Hé, doux Ami de mon ame, que cett'unique soit pour l'Unique! Unisses ma pauvr'uniqu'ame a vostre unique bonté! Hé, vous estes tout mien, quand seray-je toute vostre! O cher aymant, tires ce fer a vous! soyes mon tire cœur comme l'aymant est un tire fer.

  A005001315 

 Il ne reste plus que de vous advertir que comme tous les exercices d'amour se prattiquent, ou par des oraysons et operations spirituelles de longue duree, ou par des oraysons et eslancemens courtz, passagers et frequens, ainsy cet exercice de l'union avec Dieu se prattique egalement es longues oraysons et contemplations, et es courtes et enflammees oraysons jaculatoires et elevations de cœur appliquees a cett'intention.

  A005001319 

 Voyes, je vous prie, Philothee, l'eau, le vin, l'huile et toutes choses liquides: si vous les respandes dans un vaisseau, elles n'auront point de bornes que celles que le vaisseau leur donnera, ni point de figure que la figure du vaisseau; si le vaisseau est quarré elles le seront aussi, sil est rond ou triangulaire elles auront la mesme figure, de sorte qu'on peut dire que ces choses liquides n'ont ni figure ni bornes aucunes que les bornes et figures de ce qui les contient..

  A005001320 

 L'ame n'en est pas de mesme par nature: non certes, Philothee, car ell'a ses figures, ses bornes et limites spirituelles, en sorte que elle n'est pas aysement pliable ni maniable par autruy.

  A005001320 

 Le cœur du Sauveur, vraye perle orientale, uniquement unique en valeur, fut de mesme en la Passion; car, jetté au milieu de tant d'aigreurs, il se fondit en soymesme, et se resolut et desfit emmi les angoisses, c'est a dire, il fut si angoissé quil fut angoisse luy mesme, n'ayant ni figure ni bornes que celles de l'angoisse mesme.

  A005001320 

 Mays l'amour, egal, ains surmontant la mort en force et pouvoir, amollit quelquefois et attendrit les cœurs et les ames beaucoup plus que les ennuys..

  A005001320 

 Que veut il exprimer, ce Sauveur de nos ames, sinon qu'il respandit tant de sang quil ressembloit que ce fut comme un seau d'eau que l'on respand, et que ses os furent tous demis et disloqués de leur place, et que son cœur, c'est a dire l'ame quant a la partie inferieure, parmi tant de tourmens, estoit sans subsistence, fondu et dissoult en tristesse? Cleopatra, cett'infame reyned Ægipte, faisant des festins a l'envi avec Marc Antoyne, voulant encherir sur tous les exces et les dissolutions que Marc Anthoyne avoit fait, fit apporter a la fin de son festin un bocal de fin vinaigre, dedans lequel elle jetta une des perles qu'elle pourtoit a ses oreilles, estimee de valoir 250.000 escus; puis la perle s'estant resolüe et liquefiee, elle l'avala, et en eut fait de mesme de lautre perle qu'ell'avoit en lautre oreille si Lucius Plantius ne l'eut empeschée.

  A005001320 

 Voyes, je vous prie, ma chere Philothee, ce que David avoit præsagé de N. S. et de son cœur, parlant en la personne d'iceluy pour le tems de sa Passion, au Psal. 21.

  A005001321 

 Et affin que vous sachies que cette fonte et cest escoulement est reciproque, voyes, Philothee, ce que l'Espouse dit: Tes mammelles, dit-elle, sont meilleures que le vin, jettant l'odeur des parfums plus parfaitz.

  A005001321 

 Et comme Dieu dit a Moyse quil parlast au rocher et il produiroit des eaux, [et] que le rocher se fut fondu et converti en eau si Moyse luy eut parlé, ainsy le Bienaymé parlant a l'amante, son ame s'est fondue et toute convertie en liqueur.

  A005001321 

 Et comme le s t Espoux respand son amour et son ame en celle de l'Espouse, aussi reciproquement l'Espouse sacree respand la sienne apres l'Espoux: Mon ame s'est fondue, dit elle; c'est a dire: comme l'on void que le vent meridional soufflant sur la neige des montaignes la fait fondre, et se fondant elle quitte sa place, sortant d'elle mesme pour ruisseler es vallees, ainsy la parole de mon Bienaymé, venant comm'un vent en mon ame, la fait fondre d'amour, et ell'est sortie d'elle mesme, s'escoulant apres son amant (par ce qu'en l'Hebrieu et Caldaique et es Sept, il y a: Anima mea egressa est, ut dilectus meus locutus est; vide Sa, Rio, Ghisler, Lyranus.) Ou bien: mon ame a esté comm'un bornai ou cousteau de cire, qui, touché des rays ardens du soleil, sortant de soymesme, de sa forme, de son estre, flue et s'ecoule devers l'endroit dont il est touché; car ainsy mon ame s'est escoulee du costé de la voix de mon bienaymé..

  A005001321 

 Et comme le vin, plus il est fort moins il peut estre retenu dans le tonneau quil ne s'espanche et ne sorte par dessus, ainsy l'amour de l'Espoux ne pouvoit demeurer en son cœur quil ne se respandit; et parce que l'amour ne va pas sans l'ame, l'ame mesme de l'Espoux s'estoit respandue, dont ell'adjouste: Vostre nom est un'huile respandue; vous ne respandes pas seulement vos affections, mais vous estes vous mesme un baume respandu.

  A005001321 

 L'amour avoit rendu fluide et coulant l'Espoux, que pour cela l'amante appelle huile ou baume respandu; maintenant ell'asseure qu'aussi elle est devenue toute liquide et fluide, disant que son ame s'est fondue Ihors que son Bienaymé a parlé.

  A005001321 

 Les mammelles signifient l'amour, qui a son siege dans [le] cœur et dans la poitrine; or cest amour est plus fort [410] et meilleur que le vin, respandant un odeur admirable en suavité.

  A005001321 

 Mon ame, dit l'amante sacree, s'est fondue a mesme que mon Amant a parlé.

  A005001322 

 Ainsy l'ame laquelle, quoy qu'aymante, demeuroit neanmoins en elle mesme, par cette liquefaction elle sort hors de soymesme et se laisse escouler en son Bien Aymé, non seulement pour s'unir a luy, mays pour se mesler et imbiber toute a luy, en sorte que ce ne soit plus qu'une chose avec luy; ainsy que de l'eau naphe et de l'eau rose meslees ensemble se fait une seule eau de senteur..

  A005001322 

 Elle commence par une parfaite complaysance que l'amant prend en la chose aymee; cette complaysance engendre une certaine impuissance spirituelle qui fait que l'ame ne se sent plus aucune force ni vigueur pour se tenir en elle mesme, ne pouvant plus demeurer en soy ou elle n'a plus aucun'attention ni playsir, ains comm'un baume fondu qui n'a plus aucune subsistence, elle se laisse tout'aller et s'escoule toute en son amant: elle ne se jette pas, ni elle ne se joint pas, ni elle ne se serre pas, mais elle tumbe, par maniere de dire, et flue, comm'une cire fondue, en ce qu'ell'ayme; elle ne peut se soustenir en elle mesme, ains se dissout et se deffait, s'escoulant toute dans le cœur qu'ell'ayme.

  A005001322 

 Mays voyes comme le vent meridionnal les ramasse et les fait fondre, en sorte qu'elles se desfont et convertissent toutes en eau; lhors, ne se pouvant maintenir en elles mesme, elles tumbent et s'escoulent en bas, non seulement se joignant a la terre, mais se meslant intimement et s'imbibant avec la terre qu'elles destrempent, si que de la terre et d'elles ne sont plus deux choses, mais une seule chose composee de ces deux elemens.

  A005001322 

 Ne voyes vous pas, Philothee, les nuees comm'elles demeurent la en l'air suspendues, comme si elles estoyent attachees au ciel? elles demeurent en elles mesme et se soustiennent, en sorte que quelquefois elles semblent des rideaux [411] qui sont tendus pour nous cacher le ciel.

  A005001323 

 Et aussi, ceux qui sont tumbés en cet exces d'amour en ressentent les effectz de l'extase, car, revenuz a eux mesme, ilz ne touchent plus ni voyent les playsirs de la terre qu'avec degoust, ont un extreme aneantissement d'eux mesme, n'estiment rien que le Ciel, et demeurent extremement alangouris quant aux sens exterieurs, et voudroyent ne jamais estre revenus a eux mesme, sil playsoit ainsy a Dieu, ains avoir perseveré en ce meslange, ou plustost abismement d'eux mesme en Dieu.

  A005001323 

 Il semble que telle fut la passion amoureuse qui fit dire au grand s t Paul: Je vis, mais non plus moy, ains Jesuschrist vit en moy; et quand il disoit ailleurs: Nostre vie est cachee en Dieu avec Jesuschrist.

  A005001323 

 Or la verité est que cette liquefaction, cet escoulement d'un'ame en Dieu, est a proprement parler une grande et veritable extase, par laquelle l'ame est toute hors de ses propres bornes, hors de son propre maintien, et se treuve toute absorbee et engloutie et comme toute meslee en son Dieu, ainsy qu'une goutte d'eau qui tumbe dans un grand vaisseau de vin.

  A005001327 

 L'amour est la source et racine de toutes les passions de l'ame, comme nous avons dit ailleurs; et par ce que l'amour qu'un esprit donne a l'autre perce puissamment jusques a ce quil ayt treuvé son centre, et que le centre de l'amour ou il establit son siege, ou est sa place, n'est autre chose que le fin fond de la volonté, partant l'amour blesse, et a guise d'une sagette se fourre soymesme dedans l'ame.

  A005001327 

 Les autres passions n'entrent dedans le cœur que par l'entremise de l'amour, mais l'amour entre luy mesme par sa propre force; et par ce que l'amour est la premiere passion du cœur, c'est luy seul qui le blesse: la tristesse, la crainte, la hayne ne piquent le cœur que par l'amour.

  A005001327 

 Pourquoy, je vous prie, Philothee, haissons-nous le mal sinon par ce que nous aymons le bien? pourquoy nous attristons nous des maux apprehendés comme presens sinon par ce quilz nous privent du bien? pourquoy craignons nous le mal futur sinon par ce que nous desirions et esperions le bien? C'est l'amour seul qui nous donne toutes les passions, c'est luy aussi qui nous blesse et navre le cœur..

  A005001327 

 Rien ne penetre plus avant dans le cœur que l'amour, car il outrepasse tous les sens, et l'entendement mesme, et va percer jusques au fin fons de la volonté et se fait faire place a toutes les autres affections de l'ame.

  A005001328 

 Il est vray que quicomque est amoureux, il est blessé d'amour, et les premiers traitz d'amour que l'on sent au cœur se peuvent appeller blesseures, [413] par ce que l'amour transperce soudainement, et a l'heure que moins l'on y pense.

  A005001328 

 Mays cette blesseure d'amour n'est pas seulement appellee blesseure par ce que, comm'un trait ou dard descoché sur nos cœurs, elle penetre jusques au fons intime de l'esprit, mais aussi parce qu'elle est douloureuse et en verité pique l'ame.

  A005001329 

 Car tout ainsy que si une abeille avoit piqué le visage d'un enfant, vous auries beau luy dire: ah, mon cher enfant, c'est l'abeille mesme qui a fait le miel que tantost vous avés gousté avec tant de playsir; il vous diroit: il est vray, mais son eguillon m'a percé, et tandis quil est dans ma joue je ne puis vivre en repos; ne voyes vous pas comme ma joue en est emflee? Aussi il est vray que l'amour est un mouvement de complaysance, pourveu quil ne nous laisse point l'eguillon du desir; mais quand il le laisse, sans doute nous avons un'extreme douleur, mais parce que c'est une douleur d'amour ell'est aymable et amiable.

  A005001329 

 Hé, qui me delivrera du cors de cette mort? Voyes cet autre amoureux: Mon ame a soif de son Dieu fort et vivant; hé, quand viendray-je et apparoistray-je devant la face de mon Dieu? Mes larmes ont esté mon pain nuit et jour, tandis qu'on me dit: ou est ton Dieu? Voyes la sacree Sullamite comm'elle parle aux filles de Hierusalem: Helas, dit elle, je vous conjure, si vous rencontres mon Bienaymé, de luy annoncer ma peyne, par ce que je languis et suis blessee d'amour.

  A005001330 

 (Il faut mettre ceci par comparayson. Une ville prise par les Romains, lhors que les soldatz de Rome se sont renduz les plus fortz, ilz arborent l'estendart, et cœt.; ainsy le Roy paysible des cœurs, Jesus Christ, ayant pris le cœur de sa chere Sulamite et l'ayant remply de mille passions amoureuses, il mit l'estendart d'amour sur son cœur.) Or lhors, tout'amoureuse qu'ell'est, il la presse, et descoche de tems en tems mille traitz d'amour, par exces, luy monstrant combien il est encor plus aymable qu'elle ne l'ayme: et elle, qui n'a pas tant de force pour aymer que d'amour pour s'efforcer d'aymer davantage, voyant ses effortz n'estre pas asses fortz pour aymer selon son desir Celuy que nulle force ne peut asses aymer, helas, elle se sent toute blessee; et autant d'eslancemens qu'elle fait, autant elle reçoit de secousses d'amour.

  A005001330 

 Ell'est attiree puissamment, et elle se sent impuissante a voler ou est sa proye, par ce qu'ell'est encor attachee aux miseres de cette vie mortelle; la voyla donq terriblement tourmentee: O miserable homme que je suis,qui me delivrera du cors de cette mortalité? Alhors ce n'est pas le desir de chose absente, car elle sent son Espoux present, il l' a menee en son cellier a vin, il a arboré sur son cœur l'estendart de l'amour, comme sur une ville pleyne de passions amoureuses.

  A005001330 

 Les [414] premiers traitz que nous recevons de l'amour s'appellent blesseures, par ce que le cœur qui sembloit sain et entier et tout a soy mesme tandis quil n'aymoit pas, il commence a recevoir du tourment, a se separer et diviser de soymesme pour se donner a l'objet aymé: or la douleur se fait par la division des choses qui se treuvent l'un'a l'autre et sont unies.

  A005001330 

 Mays il y a une sorte de blesseure que Dieu luy mesme fait, par l'entremise neanmoins de l'amour, dans les cœurs quil veut rendre excellens.

  A005001331 

 Il le pique et le presse d'amour, il reçoit une grand'affliction et blesseure d'amour; dont il respond amoureusement, mais douloureusement: Seig r, vous sçaves toutes choses, vous sçaves que je vous ayme..

  A005001331 

 Le pauvre Saint estoit desja tout rempli d'amour, car la pœnitence le luy avoit redonné, et nostre Seig r le presse: Pierre, m'aymes tu? Tu sçais, Seig r, que je t'ayme. Pierre, m'aymes tu? Hé, Seig r, je vous ayme, vous le sçaves bien.

  A005001332 

 Et le desir qui ne peut reuscir est comm'un dard dans les flancz d'un courage genereux; mays pourtant la douleur que l'on en reçoit est une douleur aggreable, car quicomque desire d'aymer, il ayme aussi a desirer, et s'estimeroit le plus miserable homme du monde sil ne desiroit pas d'aymer ce quil voyd estre si souverainement aymable: il desire d'aymer, voyla sa douleur; mays il ayme a desirer, voyla sa consolation..

  A005001332 

 O Dieu, quelle peyne a un'ame, mais que cette peyne est aymable! car ce cœur aymant desire d'aymer, et void bien quil ne peut ni asses aymer ni asses desirer.

  A005001333 

 Vray Dieu, Philothee, que vay-je dire! Les Bienheureux qui sont au Ciel n'ont pas tous un egal amour, et voyans tous neanmoins que Dieu est plus aymable qu'ilz ne l'ayment ni l'aymeront jamais, sans doute ilz periroyent et pasmeroyent eternellement d'un desir d'aymer davantage, si la tressainte volonté de Dieu, quilz voyent avoir si misericordieusement et surabondamment recompensé leurs merites par l'amour (je parle des esleuz qui ont esté en usage de franc arbitre), ne leur imposoit l'admirable repos dont ilz jouissent; car ilz ayment si uniquement la volonté de Dieu, que le contentement de Dieu les contente et sa volonté arreste la leur, et acquiescent parfaitement d'estre bornés en leur amour pour l'amour de la volonté divine.

  A005001334 

 D'autrefois Dieu blesse l'ame d'amour, luy faysant voir combien il l'ayme; car rien ne blesse tant le cœur amoureux que de voyr le cœur de son amant blessé d'amour pour luy.

  A005001334 

 Jamais nous ne blessons un cœur d'amour que nous n'en soyons atteintz, et de voir un cœur blessé cela nous sert de blesseure: c'est pourquoy les ames devotes, quand elles considerent que Dieu est touché, ains blessé d'amour pour elles, elles en reçoivent une reciproque blesseure, dautant plus grande qu'elles voyent de ne pouvoir jamais tant aymer que l'amour divin le requiert..

  A005001334 

 Voyes vous le pellican? Ainsy que, ramassant en un'histoire ce qui se dit de luy, on le peut recueillir, il blesse par amour ses petitz, car il fait son nid en terre, si que les serpens les viennent souvent piquer: or quand cela arrive, le pellican vient, et comme pour faire sortir le venin avec leur sang, il les tue de son propre bec; puis, se blessant soymesme, il les vivifie de son sang.

  A005001335 

 Helas! alhors l'ame, quoy qu'asseuree, ressent neanmoins des cruelles douleurs; car comme ceux qui ont des extremes aversions et répugnances a quelque chose n'en peuvent seulement pas [417] voir les ombres et les figures, non pas mesm'ouir les noms, aussi un'ame extremement amoureuse ne peut mesmement pas souffrir les semblans que Dieu fait de se desfier de nostre amour.

  A005001335 

 Un jour on faysoit des exorcismes sur une personne possedëe, et le malin esprit estant pressé de respondre quel estoit son nom, il dit quil estoit «ce malheureux privé d'amour.» S te Catherine de Genes, qui estoit la presente, se sentit esmouvoir toutes les entrailles entendant le mot de privation d'amour: et comme les demons voyans le seul signe de l'amour de Dieu, oyans le seul nom de son amour, qui est Jesus et la Croix, tremblent, sont tourmentés et fuyent, par ce quilz haissent souverainement l'amour qui fit incarner le Filz de Dieu, ainsy ceux qui aiment Dieu tremoussent aux moindres signes ou paroles qui representent la privation de cet amour, comme sont ces paroles de desfiance: M'aymes-tu? car encor que nous sachions qu'elles ne sont pas de desfiance, neanmoins, par ce qu'elles en ont l'apparence, elles nous affligent..

  A005001335 

 Un'autre blesseure d'amour est quand l'ame sçait qu'ell'ayme Dieu, mais Dieu la traitte comme sil ne sçavoit pas que l'ame est en amour; et bien qu'elle sache bien que Dieu n'est pas en desfiance de son amour, neanmoins il la traitte en sorte quil semble estre en desfiance.

  A005001336 

 Quelque fois cette blesseure d'amour se fait par le seul souvenir du tems que nous avons esté sans aymer Dieu, d'ou, ce semble, procedoit cette voix de S t Augustin: «O que tard je t'ay» reconneu, «Beauté antique!» Car la vie est plus ennuyeuse que la mort a ceux qui connoissent que la vie est sans vie tandis qu'on vit sans aymer la vraye vie..

  A005001337 

 D'autrefois cette blesseure se fait par la seule consideration de la multitude de ceux qui mesprisent l'amour de Dieu qui est tant aymable, si que ilz pasment de douleur, comme celuy qui disoyt: Mon zele me fait secher de douleur par ce que mes ennemis n'ont pas gardé ta loy.

  A005001337 

 Et s t Franç s, estant entré dans une chapelle, pleuroit, crioit et se lamentoyt si haut que les passans croyoient qu'on le battit, et y accoururent; et il leur dit: Helas, «je pleure par ce que mon Sauveur a tant enduré, et personne n'y pense» En somme, l'amour, comme l'abeille, d'un mesme eguillon pique et fait le miel en cent façons.† [418].

  A005001338 

 Certes, l'amour est ainsy aigredoux, et tandis que nous sommes en ce monde il n'a jamais sa douceur pure, par ce quil n'y est pas parfait ni assovi; neanmoins il ne laisse pas d'estr'aggreable, et son aigreur mesme rend plus aymable sa douceur, comme sa douceur rend son aigreur extremement suave..

  A005001339 

 Telle fut la sagette d'amour que Dieu descocha dedans le cœur de la grande s te Catherine de Gennes au premier commencement de sa conversion, dont elle demeura toute changee, et comme toute morte au monde et aux choses creées pour n'aymer plus que le Createur..

  A005001339 

 «Il n'y a point de travail,» dit s t Augustin, «ou il y a de l'amour, ou sil y a du travail c'est un travail bienaymé.» Un Seraphim tenoit un jour une sagette toute d'or, de la pointe de laquelle sortoit une petite flamme: il la darda dedans le cœur de la B. Therese, et la voulant retirer il sembloit a la vierge qu'on luy arrachast les entrailles; et la douleur en fut si grande qu'elle n'avoit de force que pour jetter des foibles et petitz gemissemens, mays douleur si aggreable, que jamais elle n'eut voulu en estre delivree.

  A005001339 

 † Et ce qui est admirable c'est que les cœurs blessés de l'amour, non seulement sentent la douleur, mays y consentent, et ne voudroyent pour chose du monde ne l'avoir pas.

  A005001340 

 Et outre cela, l'amour porte si puissamment l'ame en son objet, que quand il est vehement ell'est tellement occupee par luy qu'elle manque a toutes ses autres operations, tant sensitives qu'intellectuelles; de sorte que pour [419] nourrir mieux cet amour, l'ame semble abandonner tout autre soin, tout'autr'action et soymesme encores: dont Platon a dit que l'amour estoit «pauvre, chetif, deschiré, nud, deschaux, sans mayson, couchant dehors sur la dure, es portes, tous-jours indigent.» Il est « pauvre,» par ce quil quitte tout pour la chose aymee; il est «chetif,» pasle et maigre, par ce quil fait perdre le sommeil, le manger et le boire; il est «nud et deschaux,» par ce quil n'a aucune affection, sinon celles de la chose aymee; il est «sans mayson,» par ce quil n'habite point dedans l'amant, mais suit tous-jours la chose aymee; il couche «dehors sur la dure,» par ce quil ne peut demeurer couvert, ains se manifeste et descouvre par des souspirs, plaintes, afflictions desordonnees, louanges, soupçons, jalousies; il est «es portes» tout estendu comm'un gueux, tant par ce quil est tout occupé a regarder, ouïr et parler a celuy quil ayme (et les yeux, les oreilles et la bouche sont les portes du cœur), comme encor, par ce qu'il est tous-jours aux oreilles de la chose aymee, ou a ses yeux, pour mendier des faveurs nouvelles, sans que jamais il en puisse estr'assovi.

  A005001340 

 Et si, c'est sa vie que d'estre «indigent,» car si une fois il est rassassié il n'est plus en ardeur, et par consequent n'est plus amour..

  A005001340 

 Les cors mesme de ceux qui sont blessés d'amour en demeurent malades, affoiblis et alangouris, comme l'on vid Ammon malade presqu'a mort pour l'amour de Tamar; et c'est chose asses conneüe que l'amour humain a la force non seulement de blesser le cœur, mais de rendre le cors malade jusques a la mort: ce qui se fait par la liayson que l'ame a avec le cors, [d'autant] que comme la passion et le temperament du cors a beaucoup de pouvoir de tirer l'ame a soy, aussi les passions de l'ame ont une grande force pour remuer les humeurs et changer les qualités du cors.

  A005001341 

 Je sçai que Platon parle la de l'amour vil et abject, mays pourtant toutes ces proprietés se treuvent encor en l'amour noble et divin.

  A005001341 

 Voyes les [Apostres], deschaux, nuds, pauvres, indigens, parmi les ondes de la mer, sur la dure, mendians; et en somme tellement aneantis au monde, [que] si le monde est une mayson ilz en sembloyent les ballieures, sil est une pomme ilz en sembloyent les peleures; comme dit cet Apostre qui pour avoir plus souffert que nul autre le pouvoit aussi mieux dire.

  A005001342 

 Hé, ne prenes pas garde que suis brune, car mon Bienaymé, qui est mon soleil, a dardé ses rayons amoureux sur moy; rayons qui m'esclairent, mais qui me rendent haslee et bruslee, et ce mesme soleil qui me donne sa clarté m'oste ma couleur.

  A005001342 

 L'amour qui me rend si heureuse que de me donner un si excellent ami comm'est mon Salomon, a des autres enfans qui me donnent des assaux et me reduisent a telle langueur, que comme d'un costé je ressemble a une reyne qui est a costé de son roy, d'autre part je ressemble a une vigneronne qui dans une vile cabanne garde les vignes; et si encor ne gardé je pas ma vigne, car toutes mes douleurs amoureuses sont encor dediees a mon Bienaymé..

  A005001342 

 Oyes la tressainte Sullamite comm'elle s'escrie: Quoy qu'a rayson de mille consolations que mon amour me donne, je sois plus belle que ne furent jamais les riches pavillons de Salomon, plus belle certes que le Ciel mesme, car il est la tente inanimee du Roy, et je suis son pavillon animé, je suis neanmoins noyre, deschiree, poudreuse et toute gastee de tant de blesseures et des coups que ce mesm'amour me donne.

  A005001343 

 C'est chose admirable de voir les langueurs amoureuses de s te Catherine de Sienne et de Gennes, de s te Angele de Foligni, de la Bienheureuse Mere Therese; mays qui pourrait jamais exprimer les merveilles des effectz que l'amour celeste fit au cœur et au cors de s t François? Car sa vie n'est presque que de larmes, de souspirs, de plaintes amoureuses: et en fin vous voyes un Seraphin qui le stigmatise et le blesse par des rayons sortans des endroitz de l'ouverture du flanc, et des pertuis des mains et des pieds d'un'image de Jesus Christ crucifié quil portoit; de sorte que cinq playes demeurent imprimees en ce bienaymé serviteur, es mesmes endroitz esquelz son Maistre les avoit receues pour nous rachetter.

  A005001343 

 L'histoire dit que cet homme seraphique voyant l'image de son Seigneur crucifié entre les aisles du Seraphin qui la portoit, il s'attendrit infiniment.

  A005001343 

 O Dieu, ma chere Philothee, imagines vous cett'image que non Appelles, mais N. S. mesme, ou un Seraphin par son [421] commandement, avoit taillee au Ciel en la presence de tous les Anges.

  A005001343 

 Quel portrait admirable tiré aupres du vif et sur son propre original, par des maistresses mains ou des mains tant maistresses en cet art! o comme elle representoit naifvement et au naturel ce divin Roy des Anges, meurtri, froissé, blessé, tué, sur l'arbre de la croix! Que si l'image d'Abraham assenant le coup du sacrifice sur son unique Isaac, image faite en terre et par une main terrestre, eut le pouvoir de tous-jours attendrir et faire pleurer le grand s t Greg.

  A005001344 

 Ne void on pas les brebis de Laban, comm'estant en amour leur imagination porte coup sur leurs petitz aigneletz, pour les faire blancz ou taquettés selon les baguettes qu'elles regardent en ce tems-lâ? Et defait, les femmes grosses, ayant l'imagination affinee par l'amour, que ne font elles pas es cors de leurs enfans? Une forte imagination fait blanchir en une nuit un homme, detraque sa santé et toutes ses humeurs.

  A005001344 

 Or, si l'amour terrestre a ce pouvoir, qu'est ce que ne pourra pas le celeste? [422].

  A005001344 

 Si que, la memoire toute destrempee en la souvenance de cet amour blessé et blessant, l'imagination appliquee puissamment a s'imaginer les blesseures que les yeux voyoyent si parfaitement representees en cette image, l'entendement recevant les especes infiniment vives que l'imagination luy fournissoit, et enfin l'amour employant toutes les forces de la volonté pour se complaire en la compassion et rendre conforme a son Bienaymé, toute l'ame sans doute se treuva transformee en un second Crucifix.

  A005001345 

 Et a ce grand desir de conformité, a cet effort d'amour que l'ame de cet admirable amant faysoit pour se blesser soymesme et blesser son cors des playes du Sauveur, l'amour souverain et divin envoya le secours du Seraphin, qui cooperant aux essais et eslancemens que l'ame faysoit interieurement pour blesser son cors par son action exterieure, il ouvrit la chair de ce divin homme, la blessant es endroitz quil desiroit.

  A005001345 

 Et de mesme, chere Philothee, l'amour du grand saint François parut en toute sa vie comme par maniere de sueur; mais affin quil parut tout a fait, le celeste Seraphim le vient inciser et blesser, et pour monstrer que c'estoyent playes de l'amour celeste, il le blesse non avec le fer, mays avec un rayon de clarté.

  A005001345 

 O Dieu, que de douleurs amoureuses et que d'amours douleureuses!.

  A005001345 

 Ou bien, on sait que l'arbrisseau du baume a pour son fruit cette pretieuse liqueur qui est la plus odorante et excellente de toutes, mais ce fruit il ne le peut produire que le maistre ne vienne luy donner l'incision.

  A005001346 

 Dont le premier a une si vehemente inflammation de cœur, que la chaleur se faysant faire place aux costes, les eslargit et en rompit la quatriesme et cinquiesme, affin quil peut recevoir plus d'air pour se rafraichir; et le second, a cause des flammes de l'amour assaillant, tumboit en defaillance et se pasmoit, et estoit contraint d'appliquer des linges trempés en l'eau froide, pour moderer son ardeur.

  A005001346 

 Nerius et le B. Stanislas Kosca, l'un et lautre languissans d'un'ardeur excessive d'amour envers Dieu, pour la multitude des traitz enflammés que le celeste Amant descochoit dans leurs coeurs.

  A005001352 

 Et la rayson est par ce que nos ames n'ont pas asses d'amour pour aymer dignement ce s t Amant, et voulant partager leur amour elles le destruysent; joint qu'estant souverainement aymable, rien ne doit tenir rang egal a luy dedans nostre cœur: c'est pourquoy il le veut tout, c'est a dire, que toutes nos autres affections soyent dependentes, ou au moins sujettes, ou, au fin moins, inferieures a celle que nous luy portons..

  A005001352 

 Premierement, par maniere de convoytise, car il veut que nous soyons tellement siens que nous ne soyons nullement a personne qu'a luy: Nul, dit il, ne peut servir a deux maistres.

  A005001353 

 Ainsy Dieu se plaint: Ilz m'ont laissé, moy qui suis source d'eau vive, et se sont fouï des cisternes, cisternes dissipees qui ne peuvent contenir les eaux. Il nous veut donq tout pour soy, affin que nous vivions, et ne perissions point; qui est un vray amour d'amitié.

  A005001353 

 Ainsy, Dieu ne veut point de corrival par ce que nous n'en pouvons point recevoir qu'en nous perdant, et tout ce que nous luy ostons de nostr'amour nous le perdons..

  A005001353 

 Voyons nous pas, Philothee, un pere ou une mere extremement jaloux de leur fille? voire mesme un frere? Quel regret a Absalom quand il vit Tamar violee, a Jacob et ses enfans quand Dina fut defleuree! Ce n'estoit pas qu'ilz eussent praetention sur l'une ni sur lautre, mais c'estoit par ce que les aymans d'un vray amour d'amitié ilz desiroyent qu'elles fussent exemptes de mal.

  A005001354 

 Mays quant a nous autres, nous avons de la jalousie pour Dieu en un'autre façon, car nous ne voulons pas quil n'ayme plusieurs choses avec nous, ains toutes les choses; et a mesure que nous l'aymons davantage, nous desirons quil ayme plusieurs autres avec nous, dautant que son cœur infini et son amour immense est plus que suffisant pour aymer toutes les creatures quil luy plait, en sorte que l'amour quil porte a toutes ne soit point diminué par celuy quil porte a une chacune, ni celuy quil porte a une chacune, par celuy quil porte a toutes..

  A005001355 

 Chacun possede la lumiere du soleil tout ainsy que si un seul la possedoit; ils en ont tous abondamment, et partant on n'est point envieux l'un sur lautre pour cela, comme si elle ne suffisoit pas pour tous: mays quant a la lumiere de la lampe, par ce qu'ell'est insuffisante pour plusieurs, chacun la veut avoir toute pour sa chambre ou pour son logis.

  A005001355 

 Imagines vous, Philothee, la comparayson quil y a entre ceux qui possedent la lumiere du soleil et ceux qui n'ont que la petite clarté d'une lampe.

  A005001355 

 Le cœur de l'homme est si petit que Dieu le veut tout avoir; mais le cœur de Dieu est si grand que tous le peuvent posseder, egalement ou inegalement, sans que l'un soit contraire a lautre.

  A005001355 

 Le soleil regarde autant une fleur avec mille millions d'autres que sil ne regardoit que celle lâ..

  A005001356 

 Ainsy, donq, l'amour fait une s te jalouzie et cree en nous un zele lequel estant vray fait des merveilles: car, procedant de l'amour, il n'agit que pour l'amour et par l'amour; et partant, plus il est excellent, plus il est doux; plus il est fort, plus il est suave et discret.

  A005001356 

 C'est la jalousie pour laquelle David se mouroit, et pour laquelle tant de gens sont mors, affin d'empescher le peché, et non seulement la damnation des ames; comme s t Jean Bape, s t Pierre et s t Paul, et mill'autres, par ce que le peché estoit contraire a la gloire de Dieu et a sa volonté.

  A005001356 

 C'est la jalouzie pour laquelle nous voudrions que toutes choses, mais sur tout nostre ame fut unie inseparablement a Dieu, qui faysoit dire: Ni la mort, ni l'angoisse, ni les choses presentes.

  A005001356 

 L'amour est une passion de complaysance laquelle engendre la hayne du mal contraire a ce que nous aymons; et comme l'amour tend au bien de la chose aymee, ou s'y complaysant si elle l'a, ou le luy desirant et pourchassant si elle ne l'a pas, aussi ce mesm'amour engendre la hayne laquelle fuit le mal contraire a la chose aymee, ou le haissant simplement, ou desirant et pourchassant de l'esloigner et oster si elle a des-ja le mal, ou desirant de l'empescher et divertir si elle ne l'a pas..

  A005001356 

 Le zele est une passion amoureuse que les Philosophes n'ont pas bien conneüe, car ilz ont creu que c'estoit une mesme chose avec l'envie; au moins Aristote le definit: «Une tristesse du bien d'autruy par ce que nous ne l'avons pas,» qui est, en effect, la vraye definition de l'envie.

  A005001356 

 Mays nos sacrés Theologiens ont bien veu que le zele [425] appartenoit a l'amour, ains n'est qu'un'ardeur de l'amour; car, quand l'amour est excellent et quil est parvenu jusques a vouloir oster et esloigner tout ce qui est contraire a la chose aymee, il s'appelle zele.

  A005001356 

 Nostre jalousie donq consiste en ce que nous desirons que rien ne soit contraire a Dieu, a sa volonté, a sa gloire.

  A005001357 

 Ainsy, le grand S t Denys dit que les sages Theologiens appellent Dieu jaloux, ou, s'il faut ainsy parler, zelant, par ce quil est excessif en l'amour quil porte a toutes choses, et par ce quil excite le desir amoureux a la jalousie, c'est a dire, par ce quil ayguise si fort le desir d'aymer en ses creatures qu'en fin il les rend saintement jalouses de luy.

  A005001357 

 Le zele donq, a proprement parler, est l'ardeur de l'amour qui s'oppose a tout ce qui est contraire au bien que nous aymons.

  A005001358 

 Au contraire, voyes ce pere, qui, comme Job, va transissant de crainte que ses enfans, engagés es conversations du monde, n'offencent Dieu; voyes cette mere, qui n'oste point les yeux de dessus sa fille, de peur qu'elle ne s'egare et s'engage en quelque commerce deshonneste: c'est le zele qui les porte, mais zele qui provient du juste amour que les pere et mere ont pour leurs enfans, qui les fait desirer que tout vice soit esloigné d'eux.

  A005001358 

 Ce qu'estant ainsy, le zele est tel que l'amour duquel il procede ou duquel il est l'ardeur: si l'amour est grand, le zele est grand; si l'amour est bon, le zele est bon; si l'amour est mauvais, le zele est mauvais.

  A005001358 

 Si c'est un pere fol ou une mere folle, ilz auront un zele folastre de ne vouloir point que leurs enfans soyent devancés en habitz, en pompes, en vanités..

  A005001358 

 Voyes cet artisan: il hume le gain avec [426] un'avidité non pareille; si son voysin commence a gaigner, il en seche de regret et le descrie tant quil peut pour l'empescher de s'avancer: c'est quil croid que le gain de son voysin diminue le sien.

  A005001359 

 Cependant sa jalousie s'estend a vouloir que rien ne tienne rang en nostr'amour que par luy et pour l'amour de luy, ou au moins sous luy..

  A005001359 

 Mays quant au zele que Dieu a pour nous, c'est quil veut tout nostre cœur pour luy, par ce que c'est nostre souverain bien que nous soyons tout entierement siens; car, quand a luy, il ne tire nulle utilité de nostr'amour, ell'est toute pour nous.

  A005001360 

 Car le zele n'estant autre chose que l'amour entant quil nous fait rejetter et repousser le mal contraire a la chose aymee, il se sert de toutes les passions et affections de nostre ame, tant de la partie convoitante comme de l'irascible, pour executer son entreprise.

  A005001360 

 De la, le zele devorant la s te poitrine de N. S r luy fit esloigner, et quant et quant vanger, l'irreverence et prophanation du Temple que les vendeurs et achetteurs y commettoyent; de la, le zele de Phinees qui d'un coup de poignard transperça cet effronté Israelite et sa Madianite quil avoit treuvé en l'infame Commerce de leur charnalité; Nu.

  A005001360 

 Et quant au zele que nous avons pour Dieu, il consiste en ces pointz.

  A005001360 

 Par ce que nous l'aymons souverainement nous devons aussi hair tout ce qui luy est contraire, entant quil luy est contraire; et non seulement le hair, mais le fuir; et non seulement le fuir, mays l'empescher d'estre si nous pouvons; et non seulement l'empescher d'estre, mais si nous ne pouvons pas l'empescher, estre extremement marris quil soyt; et non seulement estre marris, mays avoir une s te affection d'ire pour vanger, entant quil nous appartient, la contrarieté faite a Dieu.

  A005001361 

 Quels tourmens, Philothee, quelz exces d'amour ont eu les serviteurs de Dieu pour les ames! Qui est infirme que je ne le sois? qui est scandalisé que je n'en brusle? Ce zele ou jalousie des ames est representé, ainsy que nos peres ont dit, par la continuelle peyne que la poule a pour ses poussins.

  A005001361 

 Voyes quel amour de mere, quel souci, quelle jalousie; ell'est tous-jours la teste levee, tous-jours les yeux agards qu'elle roulle de toutes pars pour voir si quelque peril arrive a ses petitz; elle devient courageuse et ne craint aucun ennemi qu'elle ne se jette a ses yeux pour les defendre; elle craint neanmoins tous-jours que mal n'arrive a sa petite trouppe, c'est pourquoy, comme tous-jours en peyne, elle va tous-jours glossant et plegnant.

  A005001361 

 effect du zele que nous avons pour Dieu, c'est un'ardeur que nous avons pour la pureté des ames qui sont ses espouses, comme le grand s t Paul disoit aux Cor. 2. c. II. initio: Je suis jaloux de vous de la jalousie de Dieu, par ce que je vous ay promis a un homme, de vous representer une vierge chaste a Jesuschrist; vide s t Th.

  A005001362 

 C'est pourquoy [la] s te Sulamite s'escrioyt: O celuy que mon ame cherit, monstre moy ou tu reposes au mydi, affin que je ne m'esgare et que j'aille vagabonde apres les trouppeaux de tes compaignons.

  A005001362 

 C'est pourquoy elle s'escrie: Hé Dieu, qu'y a il au ciel pour moy et que desire-je autre que vous sur la terre? [428] Dieu de mon cœur et mon heritage! C'est pourquoy on quitte tout, et sachant que S t Paul a dit que les mariés ont leur cœur partagé par ce quilz doivent plaire a leurs parties, on se resoult a la chasteté sainte, on estime toutes choses comm'un fumier affin de gaigner nostre Seigneur, on quitte tout ce qui peut mettre division en nostre cœur: les honneurs, les richesses, les playsirs..

  A005001362 

 effect du zele envers Dieu est bien contraire a la jalousie humaine, car en lieu que nous craignons que la chose aimee ne soit possedee par quelqu'autre et qu'elle ne soit divisee, le zele envers Dieu nous fait craindre que nous mesme ne l'aymions pas asses purement et uniquement, et que nous ne soyons en quelque sorte divisés ou partagés selon l'esprit.

  A005001363 

 C'est une tressainte reverence que l'amour produit, qui nous fait souverainement desirer d'estr'agreables a Dieu et ne permettre que nous perdions aucun'occasion de luy estre tous-jours plus aggreables.

  A005001363 

 Mays en quoy consiste cette crainte? La jalousie que nous avons pour Dieu ne nous met point en peyne si Dieu en ayme des autres ou sil ne nous ayme pas bien, mais si nous ne l'aymons pas bien nous mesme, si nous avons chose qui luy puisse desplaire.

  A005001364 

 Au commencement il faut dire que le zele est un effect de l'amour.

  A005001364 

 Qu'il est tel que l'amour dont il procede; sil procede de l'amour propre il est mauvais, turbulent, aigre: comme le feu selon la matiere en laquelle il ard.

  A005001364 

 Quand nous aymons ardemment les choses corporelles, le zele qui s'en ensuit se termine pour l'ordinaire en envie, par ce que les choses corporelles et exterieures, comme la beauté, la gloire, les richesses, les honneurs, les rangs, sont si particulieres et bornees, finies et imparfaites, que [429] quand l'un les possede il empesche lautre de les posseder si pleynement, et estant communiquees a plusieurs la communication en est moins parfaite pour un chascun.

  A005001365 

 C'est pourquoy la jalousie n'est pas peché de soy mesme, bien que, procedant d'un amour imparfait et de chose estimee imparfaite, perissable, sujette a changement, maintefois elle trouble, et cause mille pechés.

  A005001365 

 L'envie s'attriste que le prochain ayt un bien pareil ou plus grand que nous, encor quil nous laisse le nostre, nous estant advis que l'avantage quil a, ou la ressemblance au nostre, nous oste la gloire ou le contentement que nous aurions au nostre: en quoy l'envie est desraysonnable, vivant d'imagination, et ne voulant que le prochain jouisse du sien, quoy que justement et saintement.

  A005001365 

 La jalouzie n'est jamais qu'en matiere d'amour; et l'envie est en toutes matieres, d'honneur, de richesse, de beauté, et, comme je pense, elle ne regarde pas l'amour sinon qu'avec l'amour il y ait quelqu'autre consideration, d'estime, d'honneur, de preference: c'est a dire, elle ne regarde pas tant l'amour que les fruitz de l'amour; mais la jalouzie regarde droittement l'amour, et non les fruitz de l'amour..

  A005001365 

 Mays la jalousie n'est nullement marrie que chacun jouisse du sien, ains seulement lhors que la jouissance du compaignon empesche la nostre; car un homme, pour jaloux quil soit, ne sera jamais marri que celuy duquel il est jaloux soit aymé des autres femmes, pourveu que ce ne soit pas de la sienne: non pas mesme nous ne sommes pas jaloux, a proprement parler, de nos corrivaux, tandis que nous n'estimons d'avoir acquise l'amitié de la personne aymee (que si il y a de la passion pour cela, c'est une passion d'envie), mais oüy bien lhors que nous l'avons [430] acquise et que nous nous desfions qu'un autre ne l'emporte.

  A005001365 

 Or la jalousie a beaucoup de ressemblance avec l'envie; c'est pourquoy plusieurs definissent l'une comme lautre, disans que l'envie est une jalousie.

  A005001365 

 l'envie est tous-jours injuste, mays la jalousie est quelquefois juste, pourveu qu'elle soit moderee; car les mariés ont rayson d'empescher que leur amour ne soit point partagé, et par consequent d'estre jaloux l'un de lautre.

  A005001366 

 Et la rayson est parce que, comme la mort est si forte qu'elle separe l'ame de toutes choses et de son cors [431] (mesme, l'amour, aussi puissant qu'elle, separe l'ame de toutes affections et la rend pure de tout meslange: dautant que ce n'est pas un simple amour, mais un amour zelé et jaloux, lequel est aussi aspre, dur et animé a chatier le tort qu'on luy fait, admettant avec luy quelque corrival, comme l'enfer a punir les damnés; et comme l'enfer, plein d'horreur, de hayne, ne reçoit aucun meslange d'amour, aussi l'amour ne reçoit aucun meslange d'autre affection.

  A005001366 

 Et pour monstrer quil veut non seulement jouïr de nostre cœur et de toutes ses affections, mais aussi de nos œuvres et operations, il veut estre comm'un cachet sur nos bras, affin quilz ne s'estendent et ne s'employent que pour luy, ou au moins selon luy.

  A005001366 

 Il faut dire la difference quil y a entre la jalousie que Dieu a pour nous et celle que nous avons pour luy, et la rayson de la difference.

  A005001366 

 La difference quil y a entre le zele et jalousie que nous avons pour Dieu, et le zele et jalousie que nous avons pour les hommes; car c'est comme le cheval de Pausô, tout y va a la renverse.

  A005001366 

 Nous voulons tout l'amour d'un'ame pour nous icy, [la] nous desirons quil ayme un chacun; nous voudrions exclurre tous les rivaux icy, nous voudrions que tout le monde aymast lâ: le zele et la jalousie craignent la dissipation [ici], la elles ne la craignent nullement, etc. 6.

  A005001366 

 Qui vid jamais une plus aspre vengeance que celle dont les enfans de Jacob userent contre Sichem pour le violement de Dina, de l'integrité delaquelle ilz avoyent rayson d'estre jaloux, puisqu'elle estoit leur seur? Certes, lhors que Dieu s'est pleynement donné a un'ame par amour, il en est infiniment jaloux, et chastie asprement les infidelités qu'elle commet.

  A005001366 

 Rien n'est si doux que le colombeau, mays rien n'est si impiteux envers sa colombelle, laquelle, pour la seule desfiance quil en a, quoy que sans sujet, il morgue et frappe de l'aisle, grommelant autour d'elle, lhors quil a demeuré quelque tems absent..

  A005001366 

 Voyes vous, Philothee, Sullamite avoit le cœur tout plein de l'amour de son unique Bienaymé, qui est l' affluence des delices; or, affin que jamais cette divine affection n'en sorte et qu'onques aucun autre amour n'y entre, ains qu'il demeure pur et net de tout autre meslange, ce celeste Bienaymé l'advertit disant: Je suis dedans ton cœur et sur ton cœur, car j'en suis l'habitateur et le maistre; je suis emmi ton cœur comme le cœur de ton cœur; mais je veux encor estre sur ton cœur comme le chef de ton cœur, affin que rien n'y entre que ce que j'y mettray, et que seul je le possede parfaitement.

  A005001367 

 Un jour S te Catherine de Siene estant ravie d'un ravissement qui ne luy ostoit pas l'usage des sens, tandis que Dieu luy monstroit ses merveilles, un sien frere passa pres d'elle, et par le bruit quil fit la provoqua a se retourner devers luy et le regarder un seul petit moment, apres lequel elle remit ses yeux sur le divin objet dont sort Espoux l'avoit gratifiee.

  A005001368 

 Ainsy, Philothee, l'Apostre, jaloux des ames des Chorinthiens, proteste que ce n'est pas pour luy quil est jaloux, mais pour son Maistre: Je suis jaloux de vous, ou, sil faut ainsy dire, je vous jalouze de la jalousie de Dieu, par ce que je vous ay promis a luy de vous preenter une vierge chaste.

  A005001368 

 Mays voyes cette jalousie delicatement exprimee par S te Catherine de Genes presqu'en tous les enseignemens des proprietés du pur amour qu'elle donne si admirablement; car il ne se peut rien adjouster a ce qu'elle dit pour monstrer que l'amour parfait, c'est a dire parvenu jusques au zele, ne peut souffrir l'interposition ni le meslange d'aucune autre affection dans le cœur quil possede, non pas mesme des dons de Dieu, car il ne veut pas mesme qu'on [432] affectionne le Paradis sinon pour y plus aymer Dieu.

  A005001368 

 Ses lampes n'ont point d'huile ni de cire, elles sont toutes feu et flammes ardentes, que l'eau de tout le monde ne sçauroit esteindre.

  A005001369 

 Non pas certes que le s t amour, pour vehement quil soit, puisse estre excessif en soymesme ni en ses inclinations; mais par ce quil employe a l'execution de ses ordonnances l'entendement, auquel il commande de chercher les moyens de faire reuscir ses intentions, et la hardiesse et cholere pour les prattiquer, il advient que souvent l'entendement prend des voyes insolentes, trop aspres et violentes, et que l'audace ou cholere estant esmeüe fait plus [433] qu'on ne luy commande, et que par ainsy le zele est exercé indiscrettement et desreglement, dont il devient mauvais..

  A005001370 

 Le zele donq estoit bon, mais l'exercice en fut extremement desreglé, ainsy comme recite le mesme S t Denys en la response a Demophile, [où il] fournit un autre admirable exemple d'un zele indiscret, non faute de science, mais par exces de la cholere que le zele avoit excité..

  A005001370 

 Or, ayant fait ce bel exploit de zele, il ne se peut tenir de s'en vanter au grand s t Denys Areopagite par une lettre quil luy escrivit, de laquelle il receut une admirable responce, digne certes de l'esprit apostolique dont ce grand disciple de s t Paul estoit animé: car il luy fait voir clairement que son zele a esté un zele indiscret, imprudent et impudent tout ensemble; car encor que le zele du respect des choses saintes soit bon et louable, si est ce quil le prattiqua contre toute rayson, sans consideration ni jugement quelcomque, employant des coups de pied, des outrages et des injures, en un lieu, en un'occasion et contre des personnes quil ne devoyt luymesme regarder qu'avec honneur et amour.

  A005001370 

 Un certain moyne nommé Demophile, voyant ce pœnitent s'approcher trop pres, a son advis, du s t autel, entra en un zele si ardent, quil se rua sur luy et le chassa a grands coups de pieds, injuriant et outrageant cruellement le prestre qui selon son devoir recevoit doucement et amiablement ce pauvre pœnitent; puis, courant a l'autel, en osta les choses tressaintes qui y estoyent, c'est a dire le divin Sacrement de l'Eucharistie, et les emporta, de peur, comm'il cuydoit, que par rapprochement du pecheur le lieu n'eut esté prophané.

  A005001371 

 Carpus, homme excellent en pureté et sainteté, et lequel il y a grande apparence avoir esté Evesque de Candie, en eut un tel desplaysir qu'onque en sa vie il n'en avoit souffert de tel; et se laissa porter si avant par [434] cette passion que, s'estant levé selon sa coustume pour prier a la minuit, plein d'un'indignation implacable, il concluoyt a part soy quil n'estoit pas raysonnable que les hommes impies vescussent plus long tems, et sur cela prioit que sans misericorde il fit mourir d'un coup de foudre ces deux hommes ensemble.

  A005001371 

 Mais oyes, Philothee, ce que Dieu fit pour remedier a cette passion de Carpus, delaquelle il estoit tout outré.

  A005001371 

 Or consideres, je vous prie, ma chere Philothee, la violence de l'indignation de Carpus; car il racontoit luymesme a s t Denis quil ne tenoit compte de contempler N. S. et les Anges qui se monstroyent au Ciel, tant [il] prenoit playsir a voir en bas la detresse effroyable de ces deux miserables, se faschant seulement de ce quilz tardoyent tant a perir: si que il s'essayoyt de les precipiter luy mesme, ce que ne pouvant si tost faire, il s'en despitoit et les maudissoit.

  A005001373 

 Ce bon pere de famille que N. S. descrit en l'Evangile, conneut bien cet inconvenient ordinaire aux serviteurs rudes et ardens; car s'offrans a luy pour sarcler son champ et arracher l'ivroÿe, et luy disans: Voules vous que nous l'allions recueillir? non, dit-il, de peur que d'adventure avec l'ivroye vous n'arrachies aussi le froment..

  A005001373 

 David envoya Joab avec son armee contre Absalon, son filz rebelle, et defendit sur toutes choses que l'on ne le tuast point, ains qu'on le sauvast; mays Joab, estant en besoigne, sans avoir egard a l'intention du Roy, tua luymesme Absalon de sa main.

  A005001374 

 Il est vray qu'estant puissant et courageux, il fait d'abord beaucoup de besoigne; mais il est aussi si ardant, si rude, si remuant, si inconsideré, si indiscret, qu'ordinairement il ne fait point de bien qu'il ne face quant et quand beaucoup de maux Ce n'est pas bon mesnage, disent nos œconomes, de tenir des paons, car si bien ilz chassent aux araignes et en desfont les maysons, ilz gastent tant les couvertz et le toict, que leur besoigne [436] n'est pas comparable a leur degast.

  A005001374 

 La cholere est un secours de la rayson et du zele pour l'assister en l'execution de ses desseins, mais secours dangereux et peu desirable: car si elle vient forte elle se rend maistresse, et viole toutes les loix du zele et de la rayson; et si elle vient foible, elle ne fait rien que le seul zele ne fit sans elle, et tous-jours elle donne de la peine parce qu'on a juste sujet de craindre qu'elle ne croisse et s'empare du cœur et du zele, pour l'assujettir a sa tyrannie, car c'est un feu artificiel qui embrase en un moment et qu'on ne sçait comm'esteindre quand il est allumé.

  A005001375 

 2, tuant l'egyptien; ce que fit Helie, 3.

  A005001375 

 25, et combien Dieu l'eut aggreable; ce que fit le grand Mathathias, 1.

  A005001375 

 Je sçai ce que Phinees fit, Nu.

  A005001375 

 Les chiens sages et bien appris tirent pais et retournent sur eux mesme selon que le piqueur leur parle, mais les apprentis et jeunes chiens s'esgarent et sont desobeissans: les grans personnages, qui ont rendu sages leurs passions a force de l'exercice des vertus, les peuvent employer selon qu'ilz veulent; mais nous autres, qui avons des passions indomtees, toutes jeunes et apprentisses, nous ne les pouvons employer qu'avec peril..

  A005001375 

 Mays consideres, Philothee, que c'estoyent des grans personnages, qui sçavoyent manier leur cholere et qui avoyent plein pouvoir sur leurs passions; pareilz a ce digne cappitaine evangelique qui disoyt a ses soldatz: Ailes, et ilz alloyent; venes, et ilz venoyent.

  A005001375 

 Mays nous autres, qui sommes presque tous des petites gens, nous n'avons pas tant d'authorité; nostre cheval n'est pas si bien dressé que nous le puissions pousser et faire parer quand il nous plait.

  A005001376 

 Les occasions d'employer la cholere estoyent si solemnelles, si esclattantes et si pressantes, et l'exces des crimes si grand, qu'il n'y avoit nul danger qu'on peut exceder au chatiment; si que la [437] cholere pouvoit prendre toute son estendue, et son exces ne pouvoit exceder la coulpe contre laquelle le zele l'employoit.

  A005001379 

 Mays l'amour propre nous trompe souvent, et prætent le zele pour exercer ses passions sous un honnorable praetexte; et parce que le zele se sert quelquefois de la cholere, la cholere en contre-change se sert souvent du nom de zele pour s'excuser et couvrir son ignominie: car de se servir du zele mesme, en verité, cela ne se peut; dautant que c'est le propre de toutes les vertus, mais surtout de la charité, d'estre «si bonnes que nul ne peut en abuser.» Et y a des personnes qui ne pensent pas y avoir autre sorte de zele que la cholere, ni autre instrument du zele que l'ire, et qui ne pensent rien accommoder s'ilz ne gastent tout; ou, au contraire, le vray zele n'employe la cholere que fort rarement et es extremes maux, car comm'on n'applique le feu et le fer aux malades que rarement et quand on ne peut moins faire, aussi le zele n'employe la cholere qu'es extremités..

  A005001380 

 La cholere fait que l'on prend l'un pour lautre, l'ennemi pour l'inimitié, le pecheur pour le peché.

  A005001380 

 Le zele doit estre discret, et rien n'offusque tant l'entendement [438] que la cholere; la discretion, discernement et distinction sont requises pour le juste zele, mais la cholere trouble, obscurcit, confond toutes choses.

  A005001380 

 Le zele requiert que celuy qui repousse l'injure faite a Dieu ayt charge de ce faire; la cholere pousse souvent ceux qui ne doivent pas sinon compatir, pleurer, demander a Dieu le remede.

  A005001380 

 Math., «le zele qui refuse le pardon c'est une fureur plustost qu'un zele:» ainsy Lamech tua Cain, pensant que ce fut une beste; Simon le lepreux blasme Magdeleyne comme pecheresse, qui estoit des-ja sainte.

  A005001381 

 Dicit ergo Paulus: Optabam pro Judeis tanquam damnatum mori, et pro eis non modo mori sed dira quœque pati et ignominiosa; non solummortem, sed mortem crucis, mortem ignominia ac probris omnibus pejorem.

  A005001382 

 C., que luy disoyent ses Disciples qui n'avoyent pas encor participé de ce bon, doux et benin esprit.» Voyes vous, Philothee, Phinees voyant un Israelite se souiller de luxure avec une Moabite il les tua tous deux; Helie avoit prædit la mort d'Ochozias, lequel, indigné de cette prædiction, envoya deux cappitaines de cinquante hommes l'un apres lautre pour le prendre, et il fit descendre le feu du ciel qui les devora, et tous leurs compaignons.

  A005001382 

 Et le grand s t Denis dit excellemment a Demophile, que celuy qui veut corriger les autres doit premierement «avoir soin d'empescher que lacholere ne deboute la rayson de l'empire et domination que Dieu luy a donné en l'ame, et qu'elle n'excite une revolte et sedition et confusion dans nous mesme.» Et apres, il dit au mesme: «De façon que nous n'appreuvons pas vos impetuosités poussées d'un zele indiscret, quand mille fois vous repeteries Phinees et Helie; car telles paroles ne pleurent pas a Jes.

  A005001382 

 Or un jour que nostre Seigneur passoit au pais de Samarie, il envoya en une ville pour y apprester son logis, mais les bourgeois, sachans que N. S. estoit Juif de nation et quil alloit en Hierusalem, ne le voulurent pas loger; ce que [440] voyans S t Jean et S t Jaques, ilz dirent a N. S.: Voules vous que nous commandions au feu quil descende et quil les brusle? Et N. S. se retournant devers eux les tança, disant: Vous ne sçaves de quel esprit vous estes; le Filz de l'homme n'est pas venu pour perdre les ames, mais pour les sauver..

  A005001383 

 C'est cela, Philothee, que S t Denis veut representer a Demophile qui alleguoyt l'exemple de Phinees et d'Helie; car S t Jean et S t Jaques, qui vouloyent imiter Helie, furent repris par N. S., qui leur fit entendre que son esprit et son zele estoit un esprit et un zele doux, debonaire et benin, et qui n'employoit la vengeance et cholere que tres rarement, et lhors qu'il n'y avoit plus esperance de pouvoir prouffiter autrement.

  A005001384 

 En fin, la discretion qui accompaigne le vray zele luy fait non seulement discerner que c'est quil doit entreprendre, mays comment il le doit entreprendre; elle ne fait pas seulement choysir un juste sujet, mays des moyens convenables pour empescher le mal et conserver le bien..

  A005001385 

 Les pigeons sont rudes aux colombelles de la jalousie quilz ont, quoy que sans occasion; car ilz les battent a coup de bec et les tancent, groignans du gozier, grondans, grunelant du gozier, et par apres, comme s'en repentans, ilz les environnent, les baysans et flattans, estans en ruït.

  A005001385 

 Voyes ce que j'ay dit de s te Catherine de Sienne et de Genes..

  A005001389 

 Apres cela, imagines vous encor, je vous supplie, ce divin Sauveur resusciter: cette ame celeste reprend son cors, et le cors a mesm'instant sa peau, puis reprend des habitz, ou formés par miracle ou autrement, car il parut a ses disciples allans en Emaus, et a Magdeleyne, habillé en pelerin et en jardinier, selon que la gloire de son Pere et le salut des ames le requeroit.

  A005001389 

 Et de cette jalouzie provient la tressainte nudité du cœur et le parfait despouillement de l'amour pur, car la jalouzie est comme la mort qui nous despouille de tout, c'est a dire l'ame de son cors et de tout; et comme l'ame despouillee de son cors ne le reprend jamais que Dieu ne le luy rende par la resurrection, ainsy l'ame despouillee de toutes affections par le saint amour ne les reprend jamais que Dieu ne le luy ordonne.

  A005001390 

 O que tell'ame est heureuse d'estre ainsy toute nue devant son Dieu! o comm'elle peut dire en verité avec le s t homme Job: Je fus infuse toute nue dans mon cors, et toute nue je me represente a luy; Dieu m'avoit donné beaucoup de biens et m'avoit permis de me revestir de plusieurs affections, maintenant il me les a ostees; ainsy quil a pleu a Dieu il a esté fait, le nom tress t de Dieu soit beni..

  A005001391 

 Ainsy l'ame desnuee, par un absolu despouillement et renoncement es mains de l'amour divin, de l'amour du pais, de la mayson, du pere, de la mere, des enfans, de lhonneur mondain, de l'estime, de la conversation, de la consolation interieure et spirituelle, de l'inclination a tel ou tel exercice spirituel, helas! alhors elle ne sçait plus que faire.

  A005001391 

 Alhors elle [444] reprend, selon qu'elle connoist estre la volonté de Dieu, l'affection, par exemple, de son cors, pour le nourrir affin quil puisse cooperer avec elle au service de Dieu; des enfans, affin quilz soyent eslevés en la crainte de Dieu; du pauvre, pour le soulager; de l'ignorant, pour l'instruire; de prier, d'estudier, de prescher; et le tout par ce que Dieu le veut, et tandis quil le veut, et comm'il le veut.

  A005001391 

 Elle n'espouse point d'affection, ains elle les prattique, indifferente pour en prendre d'autres et quitter celles-la soudain que Dieu le voudra, ne se voulant revestir que des habitz que Dieu luy marquera et selon quil luy marquera..

  A005001391 

 Et tel semble que fut l'estat de s t Paul, car il tumba a terre, sans veüe, sans mouvement, sans action ni interieure ni exterieure; et pour monstrer que son ame estoit toute desnuee en un absolu despouillement de toute affection et volonté, il dit a N. S r: Seigneur, que voules vous que je face? Comme sil vouloit dire: Je ne puis plus rien faire ni exterieurement ni interieurement, ma volonté ne peut plus rien vouloir que ce que vous voudres qu'elle veuille; que voules vous que je veuille? quelles affections vous plait il que je prenne? et quand, et comment? L'ame donq dit: Seigneur, puisque vous m'aves despouillé de moymesme et de ma volonté, Doce me facere voluntatem tuam, quia Deus meus es tu.

  A005001391 

 Mays par ce que demeurer en l'estat de cette parfaite nudité on ne le peut longuement en ce monde, apres tous ces despouillemens et cett'heureuse mort, il se faut revestir, mais non plus des habitz du viel homme dont on s'est despouillé, ains des habitz d'un homme nouveau; non plus d'un cors mortel, ni d'une peau mortelle, ni d'habitz perissables, mais d'un cors resuscité et d'affections divines, celestes; affections non plus venantes de nostre propre election, mais affections emanees et procedees du pur amour de Dieu.

  A005001391 

 Que si son pere luy disoit: reprens ta robbe, et puis metz ton pourpoint dessus, et puis ta chemise dessus, il le ferait selon le commandement, et non plus par election; comme s t Pierre prid ses sandales, puis sa robbe, a mesure que l'Ange le luy disoit.

  A005001392 

 L'Ange commanda a s t Pierre quil mit premier ses sandales, et il les mit les premieres, encor que ce ne soit pas l'ordinaire de prendre les souliers avant que de s'habiller: ainsy, aux uns Dieu commande d'enseigner avant que d'estudier, comm'il fit aux Apostres, a s t François, a Isaie, et ilz le firent; aux autres d'estudier avant qu'enseigner, et ilz le font.

  A005001392 

 O que bienheureux sont les pauvres d'esprit! Bienheureux sont les nuds d'esprit, car Dieu les revestira comm'il revest les lis, d'ornemens plus beaux que ne furent onques ceux de Salomon.

  A005001398 

 Cependant, cette admiration tenant l'ame hors de soymesme, attentive aux choses celestes, elle la met en extase et en ravissement: et souvent il arrive que la volonté estant touchee de l'amour et de la delectation sacree qui en provient, l'entendement entre en admiration de voir cette douceur; et reciproquement il advient maintefois que l'entendement estant en admiration pour quelque nouvelle veue et connoissance des beautés celestes, la volonté entre en amour de sentir le contentement et assovissement de l'entendement; et qu'ainsy ces deux facultés s'entreprestent l'un'a lautre et se communiquent mutuellement leur ravissement: le regard de la beauté nous fait aymer, et l'amour pareillement nous fait regarder.

  A005001398 

 Et comme l'admiration est cause de la philosophie et attentive consideration des choses, ainsy que les Philosophes ont tesmoigné, aussi l'admiration est cause de la theologie mystique et de la contemplation.

  A005001398 

 Que si Dieu l'arreste en la premiere admiration, il ne laisse pas de s'attacher, ne pouvant s'assovir de voir ce quil n'a encor point [445] veu.

  A005001399 

 Et tous-jours vous sçaurés que l'extase de l'amour est la meilleure, car lautre ne nous fait pas meilleurs si ell'est seule, le s t Apostre disant: Si je connoissois tous les misteres et toute science, et je n'ay pas la charité, je ne suis rien. C'est pourquoy le malin esprit peut extasier, pour parler ainsy, et ravir l'entendement, representant des merveilleuses intelligences qui le tiennent suspens, et par le moyen de telles illusions il peut provoquer la volonté a certaine [446] sorte d'amour imparfait, tendre et fort aggreable a la nature; comm'en effect il a souvent abusé plusieurs personnes par de telles amorces et faulses extases..

  A005001399 

 Neanmoins, les deux extases ne sont pas tellement appartenantes l'un'a lautre que l'une ne soit souvent sans lautre: car, comme les Philosophes ont eu plus de connoissance de la Divinité quilz n'ont eu d'amour pour elle, aussi les simples Chrestiens ont souvent plus d'amour que de connoissance; et par consequent l'exces de la connoissance n'est pas tous-jours suivi de l'exces de l'amour, non plus que l'exces de l'amour de celuy de la connoissance.

  A005001401 

 Je ne dis pas quil ne se puisse faire qu'on ayt des ravissemens, des visions, voire qu'on puisse avoir l'esprit de prophetie sans avoir la charité; car c'est chose certaine que comm'on peut avoir la charité sans estre ravi, aussi on peut estre ravi, avoir des visions et prophetiser sans avoir la charité: mays je dis que celuy qui a plus de clarté en l'entendement, par le ravissement, que de chaleur en la volonté pour aymer Dieu, il doit estre en grand peyne [447] et souci, ou que son ravissement ne soit naturel, ou quil soit procuré par le malin, ou quil n'en devienne plus enflé qu'edifié, et quil ne soit, comme Saul, Balaam et Caiphe, entre les prophetes, et non entre les esleuz..

  A005001401 

 Mays pour moy, il me suffira de vous en proposer deux principales marques, de la vraye extase divine: l'un'est que la vraye extase s'attache plus a la volonté qu'a l'entendement, elle l'esmeut et eschauffe, et remplit d'une puissante affection envers Dieu; si que quand l'extase est plus belle que bonne, plus lumineuse que chaleureuse, plus speculative qu'affective, ell'est grandement a soupçonner.

  A005001401 

 Or les extases pouvant arriver et naturellement, et par l'artifice du malin esprit, et surnaturellement par la grace divine, on apporte plusieurs marques des vrayes extases, que la bien heureuse Mere Therese deduit en ses livres, et le P. Ribera, homme excellent, traitte asses amplement cette matiere, apres le grand Gerson, es deux premiers chapitres de la Vie de la mesme Sainte; le P. Ber.

  A005001402 

 C'est lhors que nous ne vivons pas selon nostre rayson naturelle, mais au dessus; lhors que nous ne nous contentons pas de vivre selon les vertus civiles et morales, mais selon les perfections divines et chrestiennes; lhors que, renonçans mesme aux choses loysibles, nous passons outre a une vie plus relevee que la vie humaine.

  A005001402 

 Mays, outre les commandemens, il y a des conseilz et des inspirations evangeliques, qui nous eslevent a une vie qui, a la verité, n'est pas contraire, mais qui excede et surpasse toute l'inclination naturelle: et lhors que nous prattiquons ces conseilz et inspirations nous faysons une vie surhumaine, c'est a dire une vie qui est hors et au dessus de nostre condition naturelle..

  A005001402 

 Voyes-vous, Philothee, les commandemens de Dieu sont tous conformes a la rayson mesme naturelle, et bien quilz ne puissent pas estre exactement observés par les seules forces de la nature, si est ce que nostre nature nous incline a les vouloir observer.

  A005001404 

 C'est cela que le grand Apostre enseignoit aux Rhodiens: Vous estes mortz, et vostre vie est cachee en Dieu avec Jesuschrist.

  A005001404 

 C'est pourquoy icy nous n'aymons rien que pour le Ciel et Jesus Christ; et quand Jesus Christ qui est nostre vie, c'est a dire nostr'amour, apparoistra au jour du jugement, alhors nous apparoistrons avec luy en gloire; c'est a dire, nostr'amour nous glorifiera et monstrera sa felicité et splendeur.

  A005001404 

 Il colloque en Dieu toutes ses consolations, tous ses playsirs, toutes ses richesses, tous ses honneurs, et cependant les couvre, affin qu'on ne les voye pas, d'humilité, d'abjection; si que, avec Jesus Christ, il couvre (comme Jesus Christ qui cacha sa Divinité) sa gloire, sa felicité sous l'ignominie de la croix: ainsy nous cachons nostre vie, c'est a dire nostre esperance, nostre consolation, la grace abondante, sous la croix.

  A005001404 

 On dit cela de plusieurs animaux, quilz changent leur estre plusieurs fois, et que leur premier estre meurt pour faire place au second.

  A005001405 

 Et comme Aristote dit que l'ame est «le principe par lequel nous vivons, sentons et entendons,» aussi l'amour [449] est le principe par lequel nous vivons affectivement ou moralement, nous sentons et entendons, et nous sommes telz qu'est nostre amour.

  A005001405 

 Et comme l'on connoist la vie des animaux par leur mouvement, et les animaux qui sont sans vie sont sans mouvement naturel, en sorte que la vie semble consister au mouvement, dont les choses mortes n'ont nul mouvement, aussi un cœur sans amour n'a point de mouvement moral, et on connoit la vie morale du cœur par ses mouvemens affectifs: en sorte quil semble la vie estre le principe de tous les mouvemens naturelz et animaux, comme l'amour, vie morale, est le principe de tous les mouvemens moraux; et comme en l'ame gist la vie naturelle de l'homme, aussi en l'amour gist la vie morale..

  A005001405 

 Or, que l'amour soit la vie morale de l'ame il appert par ce que c'est le principe de tout mouvement affectif et moral, comme l'ame est le premier acte et le premier principe de tous les mouvemens vitaux de l'homme.

  A005001406 

 S t Ignace disoit: Amor meus crucifixus est; c'est a dire: Jesuschrist estant crucifié, j'ay crucifié avec luy mon amour, et par consequent toutes mes affections sont crucifiees avec luy qui est ma vie et mon amour; j'ay crucifié ma chair et tout son amour, avec toutes les passions et convoytises qui en dependent; mon amour naturel est crucifié, attaché a la Croix de mon Sauveur, ou je l'ay fait mourir par ce que c'estoit un amour mortel et une vie mortelle: et comme N. S. fut crucifié et mourut selon sa vie mortelle pour resusciter selon l'immortelle, aussi je suis mort avec luy sur la croix a ma vie morale mortelle de mon ame, et suis resuscité a la vie morale immortelle..

  A005001407 

 Qu'importe-il pour le bien [450] d'un'ame qu'elle soit ravie en Dieu par l'orayson, et que sa vie soit ravie par la terre en sa conversation? En somme, estre au dessus de soymesme en l'orayson et au dessous de soymesme en la vie et en l'action, c'est un meslange de contrarietés trop extremes.

  A005001408 

 6, quand il dit que nostre viel homme est crucifié ensemblement avec Nostre Seigneur, et que nous sommes morts au peché avec luy, et que de mesme nous sommes resuscités avec luy pour marcher en nouveauté de vie, affin de ne servir plus au peché.

  A005001410 

 Or, quicomque a cette nouvelle vie parfaitement, il ne vit plus ni en soy, ni pour soy, ni a soy, ains il vit en N. S. Estimes, dit s t Paul, que vous estes vrayement morts au peché et vivans a Dieu, en J. C. N. S..

  A005001411 

 Mais quand nous presse elle le plus? Æstimantes (hebraismus), lhors que nous estimons et pensons attentivement; elle nous presse, œstimans, lhors que nous sommes estimans, que nous estimons, ceci.

  A005001411 

 Voyes, je vous prie, comm'il va bellement fichant son argument: lhors, dit, que nous estimons ceci; et quoy? que si un est mort pour tous, donques tous sont morts.

  A005001412 

 C. est mort pour nous, nostre vie nous est donnee par sa mort, nous ne vivons que par ce quil est mort, nous luy devons donques toute nostre vie: nostre vie n'est donq plus nostre, mais a Celuy qui est mort pour nous; nostre vie ne doit plus estre qu'en luy, a luy et pour luy, puisqu'il est mort en nous, pour nous et a nous..

  A005001412 

 O Dieu, Philothee, que cette consequence est forte! ell'est inevitable.

  A005001412 

 Que s'ensuit il de la? Il s'ensuit donques, exclame de tout cœur l'Apostre, que ceux qui vivent, ne vivent plus desormais a eux mesme, mais a Celuy qui est mort pour eux.

  A005001413 

 Or il advint que cette jeune damoyselle mourut, et son cors, selon la coustume de ce tems et de ce pais-la, fut mis sur un buscher pour estre bruslé.

  A005001413 

 Une jeune fille (Pline, 1. X, c. 5.) de l'isle de Sestos avoit nourri une aigle petite, avec le soin que les enfans ont accoustumé d'employer en telles occasions.

  A005001414 

 Ah, Philothee, Nostre Seigneur nous a nourris des nostre [452] jeunesse! Mays que dis-je? Suscepisti me de utero matris meœ; in te projectus sum ex utero.

  A005001414 

 Que reste-il, sinon que ceux qui vivent ne vivent plus a eux mesme, que nous rapportions toutes nos proyes, toutes nos œuvres, toutes nos intentions et actions a ce sauverain Seigneur, et que nous consacrions a son amour tous les momens de nostre vie; et que le considerans sur la croix comme sur son bucher d'honneur, ou il brusle d'amour et meurt d'un amour douloureux plus que la mort mesme, ou d'une mort plus amoureuse que l'amour, nous nous jettions sur luy en la croix, nous nous crucifions sur luy, et mourions courageusement pour l'amour de Celuy qui, pour l'amour de nous, a bien voulu mourir..

  A005001419 

 Car il ne met division entre l'esprit et l'ame, entre l'ame et le cors que pour monstrer a chascun son rang et son office, affin que l'ame soit sujette a l'esprit, et la chair a l'ame, et l'esprit a Dieu; comme font les maistres de camp ou mareschaux, qui divisent l'armee en plusieurs bataillons, non pour les separer, ains pour les mieux ranger, et unir a un mesme effect et a mesme dessein, de sorte que la distinction sert a l'union.

  A005001419 

 L'amour, qui est aussi fort que la mort, nous divise d'avec le monde, d'avec tout ce qui est au monde, et passe jusques a faire la division entre l'ame et l'esprit, et [453] par maniere [de dire,] nous divise nous mesme de nous mesme, c'est a dire, nostr'homme interieur d'avec l'exterieur.

  A005001419 

 Mays bien que l'amour ordinairement ne face la division qu'en cette maniere, si est ce que quelquefois il fait non seulement la distinction ou division, mais il separe tout affait l'ame d'avec le cors, en sorte quil donne la mort..

  A005001419 

 Mays pourtant l'amour qui fait tant de divisions, ne separe pas ordinairement l'ame d'avec son cors, ains permet que l'ame et le cors demeurent jointz et liés ensemble, se contentant de rendre le cors spirituel et l'ame spirituelle.

  A005001420 

 Tous les esleuz meurent en l'amour de Dieu; car l'amour de Dieu et la grace n'estant non plus differens que le feu entant quil est lumineux et beau, et le feu entant quil est chaud et ardent, qui ne meurt en l'amour de Dieu ne meurt pas en la grace de Dieu, et qui meurt hors de la grace de Dièu il n'est pas esleu, car ceux la seulz sont esleuz desquelz Dieu praevoit quilz mourront en sa grace.

  A005001421 

 Tous les Martirs meurent pour l'amour de Dieu: car si bien on dit quilz meurent pour la foy, c'est a dire pour ne point renoncer la foy ou pour la soustenir, si est ce quilz ne mourroyent pas pour la foy si la charité ne les animoyt et silz n'aymoyent la foy; or ilz n'aymeroyent pas la foy silz n'aymoyent Celuy que la foy annonce.

  A005001422 

 Mays ceux que l'amour de Dieu consume petit a petit, les extasiant, fondant leur cœur, les allanguissant, leur ostant le boyre et le manger, et en somme abbregeant leur vie, ilz meurent par l'amour: car comme ceux que le regret ou desplaysir empesche de [454] manger et de dormir, petit a petit tumbent en defaillance de forces et en fin meurent (ilz ne meurent pas de regret, mais par le regret, car ilz meurent de foiblesse: le regret les empesche de manger et dormir, le defaut du manger et dormir les affoiblit, et en fin, destitués de force naturelle, ilz meurent); ainsy l'amour de Dieu occupant grandement l'esprit des saintz amants, petit a petit la digestion et les autres functions animales et vitales manquent a leur office; l'ame ne leur pouvant asses fournir de forces a rayson du divertissement qu'ell'a sur l'object de l'amour, en fin la mort s'en ensuit.

  A005001422 

 O Dieu, que c'est une mort heureuse que de mourir par l'amour! [Heureux] celuy auquel l'amour cause ainsy la mort! Quelle douce sajette qui nous fait tant perdre de sang qu'en fin nous en mourons!.

  A005001423 

 Ce qui se fait par maniere de ravissement, lhors que l'ame attiree par son object amoureux, affin de se joindre de plus pres, ne pouvant tirer apres soy le cors, elle s'eslance de son costé et l'object la ravit du sien, en telle sorte qu'elle le quitte; et pour s'unir a son Bienaymé elle quitte sa bienaymee chair, l'amour attirant et tirant aussi durement et fortement l'ame que l'enfer pour la faire tenir separee du cors.

  A005001423 

 Et comme nous voyons que le feu, enfermé et pressé dedans l'artillerie ou dans une mine, separe la basle de l'artillerie ou un boulever tout entier de la terre, romp et fracasse tout pour sortir et pousser en haut, ainsy l'amour estant fort enflammé, enfermé et serré dans un cœur, il pousse enfin l'ame dehors et la separe de son cors, luy donnant par ce moyen le coup de la mort.

  A005001423 

 Il faut qu'elle puisse dire avec David: Dirupisti, Domine, vincula mea, tibi sacrificabo hostiam laudis; et que l'amour luy face comme l'Ange fit a s t Pierre, quil luy frappe fortement dans le cœur et face tumber tous ses liens.

  A005001423 

 Mays mourir d'amour c'est lhors que l'amour mesme, non seulement comm'un dard nous blesse en quelqu'endroit, que nous perdions le sang et en fin en mourions, mays quand il nous blesse droit dedans le cœur et pousse nostre ame dehors de son cors.

  A005001423 

 Ou bien, comme le feu dans le boys separe les parties ignees et aeriennes, les evaporant en fumee, et laisse la les matieres terrestres et grossieres; ou comme la force du feu separe dans l'allambiq l'eau naphe du cors des fleurs, ainsy l'amour, quand il est enflammé, separe l'ame du cors: ce qui est le plus violent effect que l'amour face en un'ame, et faut que l'ame qui est ainsy tiree hors du cors soit grandement deschargee de toutes sortes d'affections pesantes, terrestres et corporelles, et qu'elle ne tienne plus a rien du monde.

  A005001424 

 Il est dedans leur ame, mais alhors, pour l'ordinaire, il n'est pas en exercice et ne fait pas d'action, car estant en un homme dormant, il semble qu'il dorme aussi, comme toutes les autres habitudes, de science, de prudence, de foy, d'esperance; car alhors la science est en un homme dormant, car sil la perdoit en s'endormant, il faudroit quil retournast a l'escole pour l'apprendre: on la treuve en se resveillant, et la foy et l'esperance et toutes les autres vertus, desquelles la condition naturelle est que quand nous les avons nous nous en puissions servir quand nous voulons, et qu'elles ne nous servent pas sinon que nous voulions.

  A005001424 

 Or il arrive maintefois que les gens de bien et les esleuz meurent de mort soudaine, et lhors qu'en effect ilz ne pensoyent pas a Dieu, comme font ceux qui meurent apoplectiques ou letargiques, ou qui meurent de mal de chaud, en resverie et frenesie: car bien que les saintz et esleuz ne meurent jamais de mort improuveue, par ce que toute leur vie n'est presque qu'une meditation de la mort, si est [ce] quilz meurent bien de certains genres de mort esquelz ilz n'ont pas l'usage de rayson, ni par consequent l'usage [456] de la charité et de l'amour.

  A005001424 

 Or, ceux ci sont bienheureux, mourans en la charité et en l'amour de Dieu, quoy que non pas en l'usage de l'amour, parce quilz meurent en Dieu; car, comme dit le Sage, Sap. 4.

  A005001424 

 Si des foibles espritz eussent veu tumber le feu du ciel et tuer le grand S t Symeon Stilite ilz eussent esté grandement scandalisés, comme furent, au siecle passé, quelques religieux du monastere dans lequel le vertueux et tres pieux Jean Thaulere mourut, ayans veu les horribles gestes et convulsions dont il fut agité pendant quil agonizoit et tendoit au trespas; dont ilz furent par apres desabusés par le recit d'une vision qui leur fut fait, par laquelle il apparoissoit de sa felicité, quoy que la bonté et pureté de sa vie passee les en deut asses asseurer..

  A005001425 

 Qui recite aussi une pareille fin du s t Hommebon, Cremonnois, qui mourut oyant Messe, planté sur ses genoux, si doucement que personne ne s'en apperceut, jusques a ce qu'a la fin on vit quil ne se levoit point pour l'Evangile, contre sa coustume, et en le regardant on vid quil estoit trespassé emmi le Sacrifice de l'amour divin, en la posture de l'amour..

  A005001425 

 S t Hierosme mourut exhortant ses chers enfans spirituelz d'aymer Dieu, le prochain et la vertu; S t Ambroyse, devisant doucement avec son Sauveur qui l'estoit venu visiter un peu avant son trespas, ainsy que S t Bassian, Ev.

  A005001426 

 Il y a de l'apparence que s te Cath e de Sienne mourut en l'amour, par l'amour et d'amour, comme l'on peut recueillir de sa vie.

  A005001426 

 Jean Gerson, Chancelier de l'Université de Paris, homme si docte et si pieux que, comme dit Sixte Siennois, «on ne sçauroit discerner sil a surmonté sa doctrine par la pieté ou la pieté par la doctrine,» trois jours apres avoir escrit des 50 proprietés de l'amour divin marquees au Cantique des Cantiques, il mourut, le visage et le cœur fort vif, repetant plusieurs fois, par maniere d'eslancement d'esprit en Dieu: Fortis ut mors dilectio tua.

  A005001426 

 S t Jean l'Evangeliste, entrant dedans sa propre sepulture sans avoir aucun sentiment de maladie, et avec ces paroles: Mon Seig r J. C., soyes avec moy, et prenant doucement et amoureusement congé de ceux qui l'avoyent accompaigné, par ces paroles: La paix soit avec vous, mes freres, et se couchant sur son manteau comme pour faire un delicieux sommeil, environné d'une grande lumiere; ou soit quil mourut reellement, ou soit quil mourut de la mort mistique, ou soit que son ame fut separee du cors, ou que tout entier il fut separé du commerce commun des hommes et que son ame ravie et absorbee laissast pour un tems son cors comme mort, si est ce pourtant quil passa en l'amour et d'amour.

  A005001427 

 Car des lhors quil eut receu les douloureuses stigmates de son Maistre, il eut de si fortes et penibles tranchees, convulsions et maladies, qu'il ne luy demeura que la peau et les os, et sembloit une vraye anatomie vivante de la mort.

  A005001427 

 Et sur le point de son trespas, il se mit nud sur la terre, receut encor un habit en aumosme, duquel il fut par apres vestu, il exhorta ses freres a l'amour et crainte de Dieu et de son Eglise, fit lire la Passion, puis commença a dire avec extreme devotion le Psal. 141: J'ay crié a haute voix au Seigneur, de ma voix j'ay supplié le Seigneur; et ayant prononcé ces dernieres paroles: Seig r, tires mon ame de la prison, [459] affin que je confesse vostre s t nom; les justes m'attendent jusques a ce que vous me recompensies, il expira, l'an 45 de son aage.

  A005001427 

 Qui ne void que non seulement il mourut en amour, mais par l'amour et d'amour? mais il mourut encor pour l'amour, car il desira les souffrances de l'amour, pour l'amour quil portoit a son Seig r..

  A005001428 

 Quant a S te Magdeleyne, elle mourut d'amour, car ayant l'espace de trente ans demeuré en la S te Baume ou grotte que l'on void en Provence, ravie tous les jours sept fois par les Anges, qui l'eslevoyent en l'air pour oüir leur celeste musique, en fin un jour de Dimanche elle vint en un'eglise, en laquelle son cher s t Maximin, Evesque, la treuvant en orayson, eslevee en l'air, les bras estendus en haut, les yeux pleins de larmes, il la communia; et bien tost apres elle rendit l'esprit.

  A005001429 

 Mays quant a s t Joseph, il m'est impossible de douter quil ne mourut non seulement en l'amour, mais par l'amour et d'amour; car qui croiroit que le cher Enfant de son cœur, son Sauveur et son Dieu, ne l'assistast pas a l'heure de son trespas, et quil ne mourut pas entre les bras de Celuy quil avoit si souvent porté entre les siens? Beati misericordes: il avoit tant receu de douceurs, de misericorde, de charité, de ce bon Pere nourricier lhors quil vint au monde, quil ne pouvoit quil ne luy rendit la pareille.

  A005001429 

 Son ame ne pouvant pas aymer son Sauveur a souhait parmi les distractions [460] de cette vie, et tout le service pour lequel N. S. l'avoit pris pour luy tenir lieu de vray pere estant achevé, il dit, ou explicitement ou virtuellement, au Pere eternel: O Pere, j'ay achevé l'œuvre que vous m'avies donné en charge; et puis, se tournant vers son Filz: Mon Filz, je remetz mon esprit entre vos mains, comme vostre Pere eternel avoit remis vostre cors entre les miennes..

  A005001430 

 de Civit. c. 8, les miracles qui se font, pour illustres qu'ilz soyent, «a peyne les sçait on au lieu mesme ou ilz se font,» et encor que ceux qui les ont veu les racontent, on a peyne de les croire; mays pour cela ilz ne laissent pas d'estres veritables, et en matiere de religion les ames bien faites ont plus de suavité a croire les choses esquelles il y a plus de difficulté et d'admiration..

  A005001431 

 Or, avant que de commencer ce s t exercice, avant toutes choses il se confessa et communia devotement; il alla en Nazareth, au lieu ou l'Ange annonça a la tressainte Vierge la tres sacree Incarnation, et ou se fit l'adorable conception du Verbe eternel; et lâ, il se mit a contempler l'abisme de la Bonté celeste qui avoit daigné prendre chair humaine pour retirer l'homme de sa perdition.

  A005001431 

 [De Bethleem il alla en Bethabara, et passa jusques au petit [461] lieu de Bethanie,] ou, se resouvenant que N. S. s'estoit descouvert pour estre baptisé, se despouillant aussi, et se lavant dedans les mesmes eaux et en beuvant, il luy estoit advis d'y voir encor N. S., environné d'Anges, estre baptisé par son Praecurseur.

  A005001433 

 Et poussant ses paroles au Ciel, il y lança quant et quand son ame, bienheureuse sagette, que l'amour sacré, comme un divin archer, tira dedans le blanc de [462] son celeste object! Ses compaignons et serviteurs voyans cet accident, estonnés et dolens, courent au medecin, qui venant, treuve qu'en effect il estoit mort; et pour faire jugement sur les causes d'une mort tant inopinee, s'enquiert de quelle complexion, de quelles meurs et humeurs estoit ce brave defunct, auquel on respondit quil estoit d'un naturel tout aggreable, doux, amiable, devot a merveilles et grandement ardent en l'amour de Dieu.

  A005001433 

 Puys, en sortant comme resuscité avec luy, il va en Emaus avec les deux pelerins, et en fin il retourne sur le mont Olivet ou se fit le mistere de l'Ascension; et la, prosterné sur les marques et vestiges des pieds du Sauveur, qui les y laissa imprimees admirablement, il les bayse de sa bouche comme sil eut voulu y coller ses levres; et apres avoir retiré a soy toutes les forces de son amour, comme un archer fait la chorde de son arc quand il veut descocher sa fleche, se relevant, les yeux et les mains tendus au ciel: «Ah mon doux Jesus,» dit il, «je ne sçai plus ou vous suivre en la terre; accordes, de grace, a ce cœur, que maintenant il vous suive et aille vers vous au Ciel.

  A005001433 

 «Sans doute donques,» dit le medecin, «son cœur s'est esclatté d'exces et de ferveur d'amour et de joye.» Et pour mieux s'asseurer en son jugement il l'ouvrit, et treuva ce brave cœur tout ouvert, et ce sacré mot gravé au dedans: «Jesus mon amour!» L'amour donques fit en ce cœur l'office de la mort, separant l'ame du cors, et, sans autre concurrence de cause, l'amour donna la mort, mays mort d'amour, plus aymable que cent mille vies..

  A005001434 

 Et le medecin le voyant mort, se jetta sur sa poitrine, et fondant en larmes et souspirs: «En verité,» dit il tout haut, «o serviteur de Dieu, Basile, si vous eussies voulu, vous ne fussies non plus mort maintenant que quand je vous vis hier que vous ne mourustes pas.».

  A005001434 

 S t Basile avoit fait un'extreme amitié avec un grand medecin juif, en intention de l'attirer a la foy de N. S.; ce que neanmoins il ne peut onques faire jusques a ce que, estant arrivé a l'article de la mort, il s'enquit du medecin quell'opinion il avoit de sa santé: lequel, luy ayant tasté le poulz, respondit quil n'y avoit plus de remede, et que devant que le soleil fut couché il ne seroit plus en vie.

  A005001434 

 «Mays que dires vous,» dit alhors s t Basile, «si j'y suis encor demain?» «Je me feray Chrestien, je vous le prometz,» dit le medecin.

  A005001435 

 Car, a qui de tous les Seraphins appartient il de dire a N. S.: Vous estes mon Filz, et je vous ayme comme mon Filz? et a qui fut il jamais dit par N. S., de toutes les creatures: Vous estes ma Mere, et je vous ayme comme ma Mere, mays comme ma Mere toute mienne, et comme ma Mere a qui je suis tout sien? En somme, si jamais il y eut une si grande union entre un serviteur extremement amoureux de son maistre quil peut dire de n'avoir point d'autre vie que celle de son maistre, l'union de la Vierge avec son Filz pouvoit bien faire cet effect, car ce n'estoit plus union mais unité entre cette si douce Mere et ce Enfant delicieux..

  A005001435 

 Cette tressainte Vierge n'avoit qu'une mesme vie avec son Filz; et si jamais il fut dit avec verité par S t Luc que les premiers Chrestiens n'avoyent qu' un [463] cœur et qu'un'ame, et par S t Pol, quil vivoit voirement luy mesme, mais non plus luymesme, ains Nostre Seig r vivoit en luy, a rayson de l'extreme union d'amour que ce divin Apostre sentoit entre son cœur et celuy de son Maistre, par laquelle son ame estoit morte ou ell'animoit et vive ou ell'aymoit, combien plus veritable est il que la Mere et le Filz n'avoyent qu'une mesme vie, et que la Mere ne vivoit que de la vie de son Filz! Mere la plus aymante et la plus aymee qui pouvoyt jamais estre; mays amour de Filz et de Mere plus eminent, parfait et superexcellent que celuy, non de s t Paul seulement, mais des Cherubins et Seraphins, et encor de tous amours imaginables, dautant que les noms de mere et de filz sont excellens en matiere d'amour au dessus de tout autre nom.

  A005001435 

 En fin, quant a N. D., il m'a tous-jours esté impossible de croire qu'elle mourut d'autre mort que de la mort d'amour; car c'est la plus noble mort de toutes, et qui est deue a la plus noble vie de toutes celles des pures creatures, et les Anges desireroyent de mourir, silz avoyent dequoy pouvoir mourir, de cette s te mort.

  A005001435 

 Mays noms qui conviennent uniquement a cette Mere et a ce Filz, puisque toutes les autres meres partagent avec le pere la production de leurs enfans, et les enfans reciproquement la reconnoissance qu'ilz doivent a rayson de leur production entre le pere et la mere; mays icy toute la production du Filz, en ce qui dependoit de la generation humaine, appartient a la Mere, qui seule a donné le concours a la vertu du S t Esprit pour la conception de ce divin Enfant: si que leur amour et leur union est dautant plus excellente qu'ell'a un nom different de tous les autres amours.

  A005001436 

 Le phœnix envielly, ramasse sur le haut de quelque montaigne une quantité de boys aromatiques, sur lesquels, comme sur son lit d'honneur, il va finir ses jours; car lhors que le soleil au fort de son midi jette ses rayons plus ardans, cet unique oyseau battant des aysles pour contribuer son mouvement a l'action du soleil, il fait que son bucher odorant prend feu, et s'allumant entierement le consume et reduit en cendre.

  A005001437 

 Elle fut blessee d'amour lhors que la mort de son Filz outreperça l'ame de la Mere du glaive de douleur, car cette douleur estoit l'espee de l'amour.

  A005001443 

 Il faut mesurer nostre soin et attention a l'importance de ce que nous entreprenons: c'est une desreglee attention d'estre autant en peyne a deliberer pour un voyage d'une lieue comme pour celuy de cent lieues..

  A005001444 

 Le choix de la vocation, l'entreprise de quelqu'affaire de grande consequence ou de quelqu'occupation de longue haleyne, de quelque grande despence, le choix de l'habitation et sejour, l'election des conversations et amitiés, et telles semblables choses meritent qu'on regarde avec extrem'affection ce que Dieu veut de nous, et que l'on s'essaye de bien reconnoistre la volonté de Dieu; conferer des charges, entreprendre des grans voyages.

  A005001444 

 Mays es menues actions ordinaires et qui ne sont pas de grande consequence, esquelles mesme la faute seroit aysement reparable quand il y en auroit, il n'est pas besoin de plus grand'attention pour discerner ce que Dieu veut, que celle qui est ordinaire et par laquelle on n'est point arresté; ains il se faut contenter de ce que d'abord l'amour de Dieu et du prochain nous suggere.

  A005001444 

 Que je visite plus tost un malade qui a besoin de consolation que d'aller recevoir moy mesme quelque consolation au sermon, il y a peu de difference; je feray donq ce qui me semblera meilleur d'abord, sans lasser mon esprit a disputer.

  A005001444 

 Si ma profession ne m'oblige pas a l'office des Heures canoniques, qu'est il besoin que je me mette en peyne sil est mieux de dire tous les jours l'Office de N. D. ou le Rosaire? [465] L'un et lautre est bon, et n'y sçauroit avoir tant de difference entre l'un et lautre quil faille pour cela faire un grand examen, lequel tandis que je ferois, j'aurois des-ja dit ou l'un ou l'autre des deux.

  A005001445 

 Car si bien les difficultés et evenemens qui s'en ensuivront sembleront nous donner desfiance d'avoir bien choysi, neanmoins c'est faute de voir ce qui fut arrivé faysant un autre choix, qui eut esté cent fois pis; et encor, c'est que nous ne sçavons pas si Dieu veut que nous soyons exercé en la consolation par le bon succes, ou en la patience et abjection par le mauvais..

  A005001447 

 C'est l'occean de la perfection divine qui fait que Dieu void tout et prouvoit a tout; et comme rien n'est caché a la chaleur du soleil, qui penetre jusques dans les entrailles de la terre pour cooperer a la generation des mineraux, aussi rien n'est hors la providence divine: elle void tout, elle dispose tout; et comme le soleil esclaire tous les yeux de ceux qui le regardent, aussi parfaitement comme sil n'en esclairoit qu'un, ainsy Dieu prouvoit....

  A005001447 

 Voyes les lis des chams, et toutes les fleurs de la varieté et multitude desquelles la terre est diapree au primtems: elles n'ont pas une seule feuille que la providence de [466] Dieu ne la leur ayt ordonnee.

  A005001447 

 Voyes vous ces petitz moyneaux? ilz semblent estre de fort peu de consideration en comparayson du reste du monde, pas un neanmoins ne meurt que par le decret de la providence de Dieu.

  A005001452 

 C'est un plus grand amour de recevoir aggreablement les maladies, incommodités, pauvretés, injures que Dieu nous envoye.

  A005001452 

 Car c'est le haut point de la philosophie chrestienne, qui surmonte celle des Stoiques, d'aggreer, par un acquiescement de la supreme pointe de l'esprit, que toutes les facultés de l'ame et tout ce qui est en elle soit affligé, ou par la privation des vertus et qualités qui les peuvent res-jouir, ou par des [467] apprehensions et impressions de celles qui les peuvent attrister.

  A005001452 

 Dont l'ame, a l'imitation de celle de son Sauveur, commence a s'ennuyer, puis a craindre, puis a s'espouvanter, puis a s'attrister, en sorte qu'elle peut dire qu'elle est triste jusques a la mort: dont l'ame tout entiere, et du consentement de toutes ses facultés et puissances tant exterieures qu'interieures, raysonnables et intellectuelles, desire, demande et prie qu'on esloigne d'elle ce calice; et ne luy reste plus que la fine supreme pointe de l'esprit, laquelle touchant Dieu et estant tout attachee a luy, dit par un simple acquiescement: Vostre volonté soit faite.

  A005001452 

 Et l'importance est qu'elle dit cela parmi tant de trouble, de contradiction et de repugnances, qu'a peyne s'apperçoit on qu'elle le die; au moins, parmi de si grans tourmens, il semble a l'ame que ce qui se dit, se dit languidement et comm'a demi, qu'on ne le die pas de bon cœur, puisqu'on le dit sans playsir, sans contentement, et contre le consentement de tout le reste du cœur..

  A005001453 

 Or l'amour, voyant que Dieu veut telles souffrances nous arriver, permet bien a l'ame de se plaindre dequoy mesme elle ne se peut plaindre, et de dire toutes les lamentations de Job, mais en fin il fait tous-jours l'acquiescement dans le fond du cœur, et un acquiescement amoureux, bien que non pas tendre; mais amoureux d'un amour fort, indomptable, et lequel retiré dans la pointe de l'esprit, comme dans le dongeon de la forteresse, quoy que tout le reste soit pris et coupé, demeure courageux et acquiesce parfaitement a la volonté divine.

  A005001453 

 S te Angele de Foligni fait un'admirable similitude, disant que son ame estoit en tel tourment quelquefois «comme un homme qui, pieds et mains liés, seroit pendu par le col et ne serait pourtant pas estranglé, mais demeurerait en cet estat entre mort et vif, sans avoir aucun'esperance d'estre delivré ni estre secouru,» ne pouvant ni s'appuyer des pieds, ni s'ayder des mains, ni crier de la bouche, non pas mesme se plaindre ni jetter de souspirs.

  A005001454 

 Bref, l'amour ayme l'amer et le doux a cause de la volonté de Dieu, dont l'un et lautre procede; mais il ayme plus l'amer, par ce quil n'est aymable que pour la volonté de Dieu; si que l'amour, [468] sans crainte de mesprendre, se peut abandonner a la suite de [la] volonté divine en l'amer, ce qu'elle n'oseroit faire entre les douceurs, lesquelles estant aymables et en Dieu et en elles mesmes, il est souvent advis qu'on les ayme pour Dieu, et on les ayme pour elles mesmes.

  A005001454 

 Or, la pureté de l'amour divin requiert que nous n'aymions en toute chose que la volonté de Dieu, sans meslange de propre interest..

  A005001455 

 Job, sans doute, ne fait en ses travaux que l'acte de resignation: Si nous avons receu, dit-il, des biens de la main du Seigneur, pourquoy ne soutiendrons nous les peynes quil nous envoye? Il parle de les soustenir, de supporter, de tolerer, d'endurer..

  A005001456 

 La resignation ayme beaucoup de choses outre la volonté de Dieu, mays elle prefere la volonté de Dieu; mais l'indifference oublie tellement tout autre amour, qu'ou il s'agit de la volonté de Dieu elle n'ayme rien ni ne veut rien que cette volonté, d'autant qu'elle treuve la volonté de Dieu si aymable que le reste en comparayson ne tient point de rang, c'est a dire ne luy est nullement aymable: si que aucune chose ne touche le cœur indifferent, en presence de la volonté de Dieu..

  A005001456 

 Mays l'indiSerence de nostre volonté en la volonté de Dieu passe bien plus avant; car elle ne treuve rien d'aymable que la volonté de Dieu, et par tout ou la volonté de Dieu se treuve egale elle est egalement contente.

  A005001457 

 Par exemple: si Jacob n'eust aymé en l'alliance de Laban que la volonté d'Isaac son pere, il eust esté aussi content d'espouser Lia que Rachel; mais parce que, outre la volonté de son pere, il vouloit satisfaire a la sienne, il se fascha d'espouser Lia..

  A005001458 

 Le cœur indifferent n'ayant esgard qu'a la volonté de Dieu, reçoit egalement et sans difference ce que Dieu luy envoye, mal ou bien; et bien que la tribulation, comme une autre Lia, soit laide, neanmoins, parce que la volonté du Pere celeste est autant accomplie [469] en elle comme en la consolation, il l'ayme autant comme la consolation, ains d'autant plus qu'il n'y voit rien d'aymable que la seule volonté de Dieu.

  A005001458 

 Que m'importe-il que la volonté de Dieu soit faite ou par la consolation ou par la tribulation, puisque je ne cherche que cette volonté? ains, je l'aymeray mieux en la tribulation, parce qu'elle n'a point d'autre beauté que la volonté de Dieu..

  A005001461 

 ...de mesme son desir le fait souspirer pour le Ciel; neanmoins, se doutant que la volonté de Dieu ne fut quil demeurast au travail de ce monde: O que vos tabernacles sont aymables, Seigneur Dieu des armees! a peu qu'a force de les souhaiter, mon ame ne tumbe en defaillance; «neanmoins, si adhuc populo tuo sum necessarius, je ne refuse point le travail; hé, Seigneur, vostre volonté soit faitte.» Comme sil eut voulu dire: Si vostre volonté pour moy est en mes travaux et non encor en Paradis, o Dieu, je prefere mes travaux au Paradis.

  A005001461 

 L'indifference nous porte a l'exclamation de David: O Dieu de mon cœur, et le seul heritage que je prœtens! Qu'y a-il au ciel pour moy, et que veux-je en terre sinon vous? Qui ne cherche que Dieu, ni en terre parmi les miseres, ni au Ciel parmi les fœlicités, qu'est ce qui ne luy est pas indifferent?.

  A005001462 

 Ell'est en la modestie observee entre les consolations, et en la patience exercee parmi les tribulations: le cœur indifferent choysira le dernier, parce quil y a plus de la volonté de Dieu; parce que n'ayant aucun autre objet que la volonté de Dieu, par tout ou il la void et a mesure quil en void, il s'y porte sans consideration d'aucune autre chose, puysqu'en la presence de Dieu rien ne le touche, il oublie tout et ne tient conte de rien.

  A005001462 

 En somme, le cœur indifferent est comm'un cœur de cire pour Dieu, affin de recevoir avec egale facilité toutes les impressions quil plait a sa divine Providence luy donner; c'est un cœur pliable, sans nulle resistence entre les mains de Dieu; c'est un cœur qui n'a point de choix, egalement disposé a tout ce que la volonté de Dieu veut, n'ayant autre object de sa volonté que celle de Dieu; qui n'a point d'amour aux choses que Dieu veut, ains seulement a la volonté de Dieu: c'est pourquoy, pour peu quil voye la volonté de Dieu inclinée d'une part, encor quil y en ayt de l'autre part, sans avoir nulle sorte d'egard a tout le reste il court ou la volonté de Dieu semble plus grande.

  A005001463 

 Il aymeroit mieux l'enfer avec la volonté de Dieu que le Paradis sans la volonté de Dieu, ouy mesme que le Paradis avec un peu moins de la volonté de Dieu; en sorte que, par imagination de chose impossible, sil sçavoit que sa damnation fut un peu plus aggreable a Dieu que sa salvation, il aymeroit mieux sa damnation que sa salvation..

  A005001463 

 Les cœurs mondains sont de diverses humeurs: les uns suivent les honneurs, et ou il y a plus d'honneur ilz y courent plus ardemment, au travers de mille dangers, mille peynes, mille maux; les autres suivent l'utilité, et sans avoir egard a chose quelcomque, ou il y en a plus, ilz y vont plus impetueusement; les autres suivent la volupté, au peril de lhonneur, des biens et de la santé; et «chacun est tiré de ce qui luy plait.» Le cœur indifferent n'a point d'autr'attrait que la volonté de Dieu, si que les tourmens, les travaux luy sont inconsiderables en presence de la volonté de Dieu.

  A005001464 

 Le cœur indifferent applique les remedes a ses maux, qu'il sçait estr'ordonnés de Dieu et selon quilz luy sont ordonnés; mais que le mal vainque les remedes, ou que les remedes vainquent le mal, ce luy est chose indifferente: et parce quil sçait que l'evenement luy fait connoistre la volonté de Dieu, si tost quil void l'evenement, il l'ayme et l'embrasse cherement comm'effect de la Providence divine..

  A005001466 

 ...j'acquiesceray, et non seulement avec patience, ains avec amour; je cheriray cette volonté de Dieu, nonobstant la repugnance de toute la partie inferieure de mon ame: Ouy, Pere eternel, parce que tel est vostre bon playsir..

  A005001468 

 Que bienheureuses sont telles ames, hardies a commencer, souples et douces a cesser pour Dieu! C'est pourtant un point d'indifference tres parfaite, de cesser a bien faire quand il plait a Dieu..

  A005001470 

 ... marches heureusement et montes a cheval; comme sil voulut dire que par les traitz de son amour il se rendroit maistre des cœurs, pour les manier, contourner et pousser comm'un piqueur feroit un cheval excellent; Psal. 44, v. 6..

  A005001471 

 Ainsy ne fut il pas autheur que David respandit le sang innocent d'Urie, mais il imposa bien a David, pour peyne de ce peché, la dilation de l'edification du Temple, ne voulant pas quil en reuscit; et ne fut pas cause du peché de Saul, mais ouï bien qu'en peyne de son peché la victoire perit entre ses mains..

  A005001471 

 Il est vray, mon enfant, ta faute ne t'est pas advenue par la volonté de Dieu, car Dieu n'est pas autheur du peché; mays c'est bien pourtant la volonté de Dieu que de ta faute s'en ensuive la defaite de ton entreprise, car Dieu est autheur de la peyne: sa bonté fait quil ne peut estr'autheur, ni vouloir le peché, et sa justice fait quil veut la peyne.

  A005001472 

 Quand donques il arrive que pour nos pechés les entreprises ne reuscissent pas, il faut detester par vraye penitence nostre peché, et accepter par amour la peyne du peché; dautant que le peché est contre la volonté de Dieu, et la peyne selon sa volonté..

  A005001474 

 Cor. 6, nous renvoye a toutes ces indifferences, voulant que nous nous monstrions vrays serviteurs de Dieu en fort grande patience es tribulations, es necessités, es angoisses, es blessures, es prisons, es seditions, es travaux, es veillees, es jeusnes; en chasteté, en science, en longanimité, en suavité au S t Esprit; en charité non fainte, en parole de verité, en la vertu de Dieu; par les armes de justice a droitte et a gauche; par la gloire et l'abjection, par l'infamie et bonne renommee; comme seducteurs, et neanmoins veritables comm'inconneus et toutefois conneus; comme mourans, et voyci nous vivons; comme chastiés, et toutefois non tués; comme tristes, et toutefois tous-jours joyeux; comme pauvres, et toutefois enrichissans plusieurs; comme n'ayans rien, et toutefois possedans toutes choses..

  A005001474 

 En agissant, pour nous employer es œuvres que Dieu veut, selon les inspirations, advis et conseilz.

  A005001474 

 En souffrant ce quil plait a Dieu, ou es biens de la vie civile, ou en ceux de la naturelle, ou en ceux de la surnaturelle, ou en tous trois ensemblement: a l'exemple de Job, qui, quant a la vie civile, fut mocqué, baffoüé et tenu pour fol par ses plus chers amis, qui est le haut point de mortification; quant a la vie naturelle, fut ulceré de l'ulcere le plus dur de tous, et de tant de sortes de maladies quil ne s'en peut exprimer davantage; en la spirituelle, souffrant des abandonnemens, des langueurs, des pressures, convulsions, estraintes, angoisses et douleurs spirituelles insupportables, ainsy que ses plaintes et lamentations font foy.

  A005001475 

 Voyes en fin son indifference au combat a droite et a gauche, et sur tout comme leur tristesse est joyeuse, leur pauvreté riche, leur mort vitale, leurs deshonneurs honnorables; c'est a dire, comm'ilz sont joyeux d'estre tristes, contens d'estre pauvres, vivans d'estre revigorés par les perilz de la mort, et glorieux d'estre avilis: qui tesmoigne bien que leurs afflictions et tribulations [473] n'arrivoyent pas jusques a la cime de l'esprit, en laquelle nostre volonté faysant hommage a celle de Dieu, se resjouit de la voir prattiquee, soit en la tribulation, soit en la consolation..

  A005001475 

 Voyes encores comme le s t Apostre met les souffrances avant les vertus: il dit premierement que nous devons servir Dieu en patience es tribulations, es necessités; puis il adjouste, en chasteté, en prudence.

  A005001477 

 Faysons de nostre costé tout ce que nous pourrons pour les acquerir, n'oublions rien pour cette entreprise, car cela est de nostre devoir, c'est une volonté signifiee de Dieu que nous fassions cela soigneusement, diligemment et constamment; mais les fruitz de ce soin, de cette diligence, ce ne sont pas des volontés signifiees, ce sont des effectz de la volonté effective de Dieu: c'est pourquoy il faut demeurer en une simple attente de l'evenement de nos diligences, pour le recevoir tel qu'il plaira a Dieu nous le donner, sans nous inquieter pour cela..

  A005001478 

 Si donques il vous vient en la pensee que par vostre faute vous n'avances pas en la vertu, demandes pardon a Dieu, humilies vous devant sa misericorde; cela fait, demeures en paix, et ayant detesté vostre faute, embrasses amoureusement l'evenement de la retardation des vertus..

  A005001478 

 Voire, dirés vous, mais si c'est par ma faute que mon avancement en la vertu est retardé, comment ne m'inquieteray je pas? Je l'ay souvent dit en l' Introduction, qu'il ne faut pas avoir un repentir inquiet, mays rassis, ferme, constant.

  A005001483 

 Quand nostre cœur, Philothee, ayme son Dieu et quil s'apperçoit de cet amour, quil escoute et entend son chant, quil a le sentiment de l'amour quil porte a Dieu, et des vertus et saintes passions et [474] affections que cet amour produit, o Dieu, Philothee, que ce cœur est amoureux de son amour, quil est affectionné a ses affections, quil a de playsir a complaire a Dieu, quil a de suavité en son cantique de dilection! C'est lhors quil apperçoit la presence de l'Espoux; et un contentement se respand en toutes ses facultés, plus delicieux que l'odeur du baume et que tous les parfums.

  A005001484 

 Il est vray que le cantique de Dieu estant plus excellent, il l'ayme davantage, non par ce que Dieu est plus excellent, mais par ce que son cantique est plus excellent.

  A005001484 

 Si je n'ayme mon amour que par ce quil tend a Dieu, Philothee, j'ayme Dieu en mon amour et mon amour en Dieu; mais si j'ayme mon amour qui tend en Dieu par ce quil est mien, par ce que c'est moy qui ayme, par ce que cest amour qui va vers Dieu sort de moy, part de mon cœur, par ce quil nayt en moy et qu'en fin c'est mon amour (dautant qu'estant amour de Dieu comme de son object, il est amour de mon cœur comme de son sujet), qui ne void que ce n'est plus Dieu que je regarde, mays que de Dieu je suis revenu a moymesme, et que j'ayme cest amour par ce quil est mien, non par ce quil est a Dieu? L'amour de Dieu m'avoit emporté a Dieu, il m'avoit tiré de moymesme pour me complaire en Dieu, et maintenant, l'amour de moymesme me rapporte a moymesme pour me complaire en ma complaysance, pour aymer non plus Dieu, mays mon amour de Dieu: et dautant que c'est l'amour de Dieu que j'ayme, qui est le plus aggreable amour de tous, l'amour que j'en ay m'amuse plus aggreablement, plus fortement et intimement.

  A005001486 

 Car si nostre chantre chante pour Dieu, il chantera plus volontier le cantique que Dieu desirera le plus de luy; mais sil chante pour le playsir quil prend a chanter, il ne chantera pas le cantique qui est plus aggreable a Dieu, ains celuy qui luy est plus aggreable a luy mesme.

  A005001486 

 La maniere de connoistre si c'est l'amour de Dieu en tant quil est nostre, que nous aymons, ou si c'est l'amour de Dieu en tant quil est a Dieu et quil tend a Dieu, c'est de voir si nous sommes en indifference pour les exercices de l'amour de Dieu.

  A005001487 

 Il est vray, mais ce n'est donq pas pour Dieu, c'est pour cette suavité que tu travailles; ce n'est pas Dieu, c'est son amour que tu aymes.

  A005001487 

 Mais, mes chers amis, Dieu ne veut pas que tu chantes ce cantique-lâ, il veut que tu chantes celuy de ta vocation, parmi le travail...................................................................................................

  A005001487 

 Ne vois tu pas, dira-on a cet Evesque, que Dieu te veut en ton diocæse, puis quil t'en a donné la charge, et non pas a la cour, ni mesme a Romme parmi ces delices spirituelles? Ouy; mais, icy dira-il, je prattique l'amour divin a Romme avec plus de suavité.

  A005001493 

 Le cœur indifferent ne travaillant plus pour aucun playsir, non pas mesme pour le plus pur playsir qu'on puisse avoir, qui est le playsir de plaire a Dieu, il ne travaille que pour l'amour de la volonté de Dieu: amour pur, desnué et quitte de toute autre sorte d'interest.

  A005001496 

 Autre chose est avoir la volonté conforme et vouloir ce que Dieu veut; autre chose, avoir la volonté aneantie et convertie en celle de Dieu, car on ne veut plus, mays on laisse que Dieu veuille pour nous..

  A005001497 

 Seigneur, je ne veux rien de tous les evenemens, car je vous les laisse vouloir pour moy a vostre gré; mais au lieu de m'occuper a vouloir ces evenemens, j'occuperay ma volonté a vous benir de ces evenemens, car il est tous-jours [477] meilleur de s'occuper entierement a l'amour filial, puisqu'il est plus cher au Pere que cent mille autres vertus..

  A005001498 

 O allés, belle ame, ou plustost n'allés jamais, mais demeures ainsy une mesme chose avec vostre cher Espoux; allés tous-jours en luy, n'allés jamais que par luy.

  A005001498 

 O chere ame, que vous estes heureuse de n'employer point vostre volonté a vouloir, mays a jouir de ce que plus vous pouvies vouloir, desirer et souhaiter, qui sont les suaves amour! de vostre Espoux..

  A005001499 

 Mais dites-moy, chere ame, vous vous treuves par tout ou vostre Espoux veut? Ouy, je m'y treuve par son vouloir et non pas par le mien, car je n'en ay point que le sien.

  A005001500 

 C'est la façon en laquelle Nostre Seigneur exprime par Isaïe les sentimens et peynes de sa Passion: Dominus Deus aperuit, etc. Voyla qu'il proteste qu'il les attend avec une sousmission la plus douce, la plus tranquille qu'il est possible: Je ne contredis point, dit-il, ni je ne dis que je les [accepte,] mais je laisse mon esprit entre vos mains; ni je ne vay au devant, ni je ne fuis, mais je les attens, prest a tout ce qu'il vous plaira faire de moy; et comme j'ay laissé mon cors entre les mains des cruelz executeurs de la volonté des Juifz et de Pilate, comme une petite brebis qui est entre les mains et a la mercy de celuy qui la tond, qui se laisse tourner en toutes postures sans resistance, aussi, o Pere eternel, remetz-je et abandonne mon esprit entre vos mains, affin que vous exercies vostre volonté sainte sur iceluy a vostre gré, sans contradiction ni resistance quelconque..

  A005001500 

 Il ne faut pas dire, ce me semble, qu'elle fait un acquiescement, ni qu'elle accepte, ni mesme qu'elle reçoit, car la reception semble estre une action passive ou une passion active: il semble plustost que l'ame, sans rien faire, est en une simple attente, qui n'est qu'une disposition a laisser faire.

  A005001501 

 C'est proprement remettre son esprit entre les mains de Dieu que de demeurer ainsy dans sa volonté, sans attention, sans election, sans vouloir ni resistance, ne se servant de sa volonté ni de son entendement pour chose quelconque que pour voir Dieu, pour jouir de ses delicieux amours et caresses..

  A005001506 

 ...gloire d'un monarque, ou celle quil acquiert en la guerre par les armes, ou celle quil merite en la paix par la justice? Sans doute, la gloire militaire est plus grande, mais celle de la paix est meilleure; comme le bruit du tambour et le son des trompettes est bien plus grand que celuy du luth ou de l'espinette, mais celuy ci est aussi meilleur, plus suave et delicieux.

  A005001506 

 Un'once de baume ne respandra pas tant d'odeur que fera une livre d'huile d'aspic, mais pourtant l'odeur du baume sera tous-jours meilleure et plus prætieuse..

  A005001507 

 Car cet amour par lequel on ayme Dieu en qualitéde Dieu, si bién il ne presse pas tant l'ame, et n'est pas si ardent comme les autres amours pour multiplier les actes d'amour, si est ce qu'es occurrences il fait des actions si relevees qu'une seule vaut mieux que dix millions d'autres.

  A005001507 

 Et comme une des perles de Cleopatra valoit mieux que tous les rochers de nos montaignes, bien que ceux ci soyent plus gros, plus pesans, plus hautz et de plus d'usage, ainsy un brin de vray amour de Dieu vaut mieux que tous les autres amours de nos cœurs, pour pressans et ardens qu'ilz soyent.

  A005001507 

 Il est vray, Philothee, vous verres une mere tellement embesoignee de son enfant, qui semble qu'elle n'ayt aucun autre amour que celuy la: elle n'a plus d'yeux que pour le regarder, ni plus de baysers que pour le caresser, ni plus de soin que pour l'eslever, ni plus de poitrine que pour l'alaiter, et semble qu'ell'ayt quitté l'amour du mari pour celuy de l'enfant; mays pourtant, sil failloit venir au choix de perdre ou l'un ou lautre, alhors on verroit bien qu'ell'estime plus son mari que dix enfans, et que si bien l'amour de l'enfant estoit le plus empressé, le plus tendre, le plus passionné, lautre neanmoins estoit le plus excellent, le plus fin et le meilleur.

  A005001507 

 Les chiennes font plusieurs petitz d'une littee, et les lionnes n'en font jamais qu'un; mais aussi c'est un lyon que les lionnes font, qui est plus estimable que cent mille chiens..

  A005001508 

 Car, voyes vous pas, Philothee, que quicomque ayme Dieu de cette sorte, il a tout son cœur, toute son ame, toutes ses puissances et toutes ses forces dedié a Dieu? puis que toutes fois et quantes quil sera requis quitter tout pour son amour, il le fera sans reserve quelcomque..

  A005001508 

 En quoy donq consiste l'excellence de ce vray amour de Dieu au dessus de tous autres amours? En ce que cet amour, quoy que moins sensible et pressant que les autres, il met Dieu en tell'estime dedans nos ames et fait que nous le prisons si hautement, que nous quitterions plus tost toutes choses que de le quitter, le preferans a tout et le cherissans sur tout, lhors que nous sommes reduitz a la necessité ou de le quitter ou de quitter tout autre chose: et c'est l'amour d'excellence ou l'excellence de l'amour qui nous est commandé.

  A005001509 

 C'est un argument mal composé; l'homme est tout a Dieu, il doit aymer Dieu de tout son cœur, donques il ne doit aymer que Dieu.

  A005001509 

 L'enfant est tout a son pere, et si, il est tout a sa mere; et ne s'ensuit pas que pour estre tout a l'un il ne soit pas tout a lautre, ni ne s'ensuit pas qu'outre cela il ne soit tout a son prince, car l'une de ces totalités ne forclost pas lautre; ains, estant tout a l'un, il peut estre tout a lautre.

  A005001509 

 Mays il est bien vray que qui doit aymer Dieu de tout son cœur ne doit rien aymer qui puisse oster son cœur a Dieu ou qui soit contraire a cet amour; c'est pourquoy entre les amans il y a de la difference, et bien que tous ceux qui ont le vray [480] amour de Dieu Tayment par consequent de tout leur cœur, de toute leur ame, de toute leur force.......

  A005001511 

 Ainsy, au reng des uniques et parfaites amantes, il arrive quelques fois que cet amour si relevé cesse pour un peu, et l'on prattique seulement l'amour des reynes, ou celluy des simples amies, ou mesme celuy des fillettes, jusques a commettre des pechés venielz, par des affections qui, n'estant pas contraires a l'amour de Dieu, sont neanmoins outre cet amour et sans l'amour de Dieu.

  A005001511 

 Car, comme nous voyons que les bons arbres ne produisent jamais du fruit veneneux, mais en produisent bien neanmoins de vert et inutile, qui ne meurit point, ainsy l'homme de bien ne produit jamais des actions de peché mortel, mais ouï bien des actions mal meures, aspres et inutiles du peché veniel.

  A005001511 

 En pas un rang neanmoins, ces amours ne sont sans meslange des amours des autres rangs: car au premier, ou l'ame est encor tout'adonnee aux pechés venielz par l'amour qu'ell'a a plusieurs vaines, impertinentes et dangereuses choses, il se peut faire, ains il se fait ordinairement, que quelques petitz rayons de l'amour du second, troysiesme, voyre quatriesme rang, s'y treuvent; mais c'est quelquefois, et foiblement.

  A005001511 

 Je ne dis pas que celuy qui fait ces actions ou qui a ces affections soit sans l'amour de Dieu, mais je dis que les affections quil a sont hors et sans l'amour de Dieu; c'est pourquoy elles sont pechés venielz, desquelz personne, que l'on soit asseuré, n'a jamais esté exempt, sinon la très uniquement unique parfaite Mere du Sauveur.

  A005001512 

 Y ayant donques tant de degrés d'amantz, qui tous doivent observer la loy de Dieu et estre sauvés par ce chemin, N. S. a establi un commandement qui les regarde tous et les oblige tous; lequel est aussi observé par un chacun des esleuz, quoy que differemment et avec une infinie varieté de perfections; n'y ayant peut estre point d'ames en terre, non plus que d'Anges ni d'estoiles au ciel, qui ayent un'absolue egalité et parité de perfection et de charité..

  A005001513 

 Et neanmoins, c'est toute nostre ame qui ayme, tout nostre cœur, quoy que non pas totalement, toute nostre force, quoy que non pas totalement, ains selon qu'elle peut tendre a nostre Seigneur, et que nous en sommes les maistres; car nostr'ame entant que vegetante et sensuelle, elle n'est pas nostre par obeissance, ni moralement, ains la seule ame intellectuelle et spirituelle..

  A005001513 

 Mays notes que quand il est dit que nous devons aymer de toutes nos forces, de tout nostre cœur, de toute nostre puissance, cela s'entend [481] de tout le cœur, de toute l' ame, de toute la force qui est capable d'aymer Dieu, et entant qu'ell'en est capable: de sorte que cela regarde, non l'appetit sensuel, non les forces de la partie inferieure, mays seulement la partie spirituelle de l'ame; tant par ce qu'elle seule est en nostre absolue puyssance, lautre estant pour l'ordinaire rebelle contre nostre rayson, qu'aussi par ce qu'ell'est incapable d'aymer Dieu, qui, estant un object spirituel, ne peut estre aussi aymé que par le cœur entant quil est spirituel.

  A005001514 

 Ce chapitre doit estre grandement addouci par la demonstration de la suavité de ce commandement, affin que les heretiques le lisant, voyent la clarté de la doctrine chrestienne, et boivent cett'eau sucree imperceptiblement; et partant il le faut remplir de paroles affectives et extatiques.

  A005001514 

 Helas! aussi, quel honneur que Dieu ne nous permette pas seulement, mais nous commande de l'aymer! Il doit estre mis au commencement pour la definition de la charité, et monstrer que cet amour n'est pas seulement un'amitié mais une dilection, et non seulement une dilection mais une charité, car c'est un amour d'excellence.

  A005001514 

 Il faudra donq premierement dire que le nom d'amour, selon que dit s t Denis, convient extremement bien; 2.

  A005001514 

 S t Denis et S t Aug in dient que plusieurs ont estimé que le nom d'amour panchoit plus tost a signifier l'amour charnel que le spirituel; et que pour cela il est mieux, es choses sacrees, d'user du mot de dilection que de celuy d'amour, mays S t Denis......................................................

  A005001514 

 que ce n'est pas seulement un amour, mais une amitié de dilection; 4.

  A005001514 

 que ce n'est pas seulement un'amitié d'excellence, mais de parfaite excellence et sureminence.

  A005001514 

 que ce n'est pas seulement un'amitié, mais un'amitié d'excellence, et par consequent une charité; 5.

  A005001514 

 que ce n'est pas seulement une dilection, mais un'amitié; 3.

  A005001519 

 Dieu a fait sourdre et jaillir le fleuve de la rayson et lumiere naturelle, delaquelle il est dit: La lumiere de vostre visage est marquee sur nous; et ce fleuve que Dieu fait sourdre pour arrouser tout l'homme en toutes ses facultés et exercices se divise en quatre chefs, selon les quatres parties ou regions de nostre ame, qui produisent les actions humaines et libres.

  A005001519 

 Or l'homme, sans doute, est le paradis du Paradis mesme, puis que le Paradis terrestre n'estoit fait que pour estre le sejour de l'homme, comme l'homme a esté fait pour estre le sejour de Dieu.

  A005001520 

 Et non seulement cela, mais en vertu de la charité qui la rend active, elle respand sur les puissances de nostr'ame certaines vertus qui sont de mesme espece, ou au moins toutes semblables aux quatre vertus cardinales, et pour cela elles portent leurs noms: sur l'entendement elle pousse une prudence sainte, sur la volonté une justice sacree, sur l'appetit de la convoitise une temperance religieuse, et sur l'appetit irascible une force devote; si que par ces quatre fleuves toutes les actions humaines sont addressees par la charité a l'honnesteté et felicité surnaturelle, qui consiste en l'union avec Dieu..

  A005001520 

 Et puis ces quatre fleuves se separent en plusieurs autres, affin que toutes les actions humaines soyent bien addressees par la rayson a l'honnesteté et felicité naturelle.

  A005001520 

 Or, outre cela, Nostre Seigneur voulant favoriser l'homme pieux, affin de rendre le paradis du cœur humain plus aggreable et delicieux, il fait sourdre sur la cime de la partie superieure de nostre ame une fontaine surnaturelle que nous appelions grace, composee de la foy, esperance et charité, qui espanche ses eaux sur toute nostre ame et l'arrouse tout entierement, la rendant gracieuse, amene et grandement aymable a sa divine Majesté.

  A005001521 

 Et d'autant que ces vertus qui fluent de la charité comme de leur source sont superieures aux quatres vertus cardinales, si elles les rencontrent en quelqu'ame elles les reduysent a l'obeissance de la charité, se meslent avec elles, et les perfectionnent comme le vin perfectionne l'eau avec laquelle il se mesle.

  A005001521 

 La comparayson estant meilleure de l'odeur des roses, sur laquelle les autres odeurs en l'affinant s'affinent elles mesme, quoy que plus excellentes qu'elles, dont on employe ou les roses, ou l'eau rose, ou le jus de rose en presque toutes les eaux odorantes: car ainsy les vertus morales, saintes, [484] perfectionnent les vertus naturelles, et en les perfectionnant s'en affinent elles mesme, et agissent plus excellemment avec icelles que sans icelles.

  A005001521 

 Que si elles ne trouvent point de vertus naturelles en l'ame ou la charité les produit, elles suppleent a leur defaut; y ayant cette difference entre le meslange du vin et de l'eau et celuy des vertus infuses et acquises, que le vin seul est meilleur que l'eau, ou les vertus infuses estans seules, ne sont pas si bonnes comme quand elles sont meslees avec les acquises, la grace ne destruisant point la nature, ains la perfectionnant sans qu'elle perde rien de sa force.

  A005001527 

 Il est bien raysonnable que l'œuvre de Dieu soit plus excellente que celle de l'homme, et qu'ell'estende sa force plus avant a destruire son contraire.

  A005001527 

 La grace est un œuvre de Dieu, c'est pourquoy la reparation qu'elle fait est bien plus grande que n'est la ruine du peché, lequel est nostre œuvre.

  A005001527 

 Le peché ruine nostr'ame, et les actions bonnes que nous avons faites præcedemment sont par luy non exterminees mais mortifiees; elles ont encor leur estre, mais infructueux pour nous quant a la vie eternelle: que si la grace revient, qui est un œuvre de Dieu, non seulement elle vivifie nostre ame, mais toutes œuvres que le peché avoit mortifiees; et outre cela elle ne mortifie pas seulement la vie mortelle du peché, mais elle l'abolit entierement.

  A005001529 

 Ainsy le feu de l'autel, caché par le commandement de Jeremie Ihors que Nabusardan destruisit Hierusalem et le Temple, et qu'Israel fut mené en captivité sous Sedechias, s'esteignit et se convertit en boüe; mays cette boüe estant de rechef tiree du puitz par ordre de Neemie, lhors du retour de la captivité, et remise au soleil, le feu mort resuscita, et cette boue se convertit en flammes.

  A005001529 

 Et Ihors que nous sommes rendus esclaves du peché, nos œuvres bonnes sont deplorablement oubliees, reduites en boüe, amorties [485] et estouffees; mais apres nostre captivité, Ihors que par la pœnitence nous retournons en grace, nos œuvres sont tirees du puis de l'oubli, et, touchees des rayons de la charité, elles revivent et se convertissent en flammes aussi claires qu'au paravant, pour estre remises sur l'autel, et avoir leur premiere valeur; videatur locus.

  A005001533 

 Ainsy il est bien mieux que la charité croye, espere, souffre, que de souffrir seulement en charité; un amour souffrant, qu'une souffrance aymante: car quand la souffrance est aymante elle communique sa vertu, qui est moindre, a l'amour; mais quand l'amour est souffrant il communique sa vertu, qui est grande, a la souffrance.

  A005001533 

 Il faut avouer que quand la charité non seulement se treuve en l'ame qui fait les actions des vertus, mays qu'elle mesme les ordonne, elle les rend incroyablement plus nobles, car la vertu alhors est comme un instrument que la charité employe.

  A005001533 

 Voulés-vous donq grandement prouffiter? Ne vous contentés pas de faire toutes vos œuvres en charité, comme l'Apostre commande, mays, comme luy mesme conseille, faites tout en son nom: Soit que vous beuvies, mangies, soit que vous fassies quelque autre chose, faites tout au nom de N. S. Ouvrés, salués, aymes, serves pour Dieu..

  A005001535 

 Ces oraysons jaculatoires peuvent servir a cela: Hé, Seigneur, je suis vostre; Mon Ami est mien, et moy je suis sienne; Ma vie c'est Jesus Christ; O Seigneur, ou que je ne face rien, ou que tout soit a vostre gloire; et, Gloria Patri et Filio; Non nobis, Domine, non nobis.

  A005001535 

 O que bienheureux sont ceux qui sçavent faire le despouillement de soy mesme duquel nous avons parlé ci dessus! car par ce moyen ilz, n'ont qu'a faire un petit souspir ou un petit regard en Dieu, pour tesmoignage qu'ilz confirment leurs despouillemens et qu'ilz ne veulent rien qu'en Dieu et pour Dieu, et qu'ilz ne s'ayment eux mesmes, ni chose du monde, que pour cela.

  A005001535 

 Puis, dire qu'il faut donques faire cet exercice tous les ans, la protestation tous les moys, l'exercice du [486] matin tous les jours, et parmi la journee plusieurs eslancemens de cœur et plusieurs oraysons jaculatoires, par lesquelles le feu de la charité s'enflamme de plus en plus et brusle comm'en holocauste toutes nos actions a la gloire de Dieu; et s'accoustumer a faire toutes choses au nom de Dieu, comme est de travailler pour Dieu, saluer pour Dieu, aymer pour Dieu, servir pour Dieu, estant impossible qu'une personne fort affectionnee a Nostre Seigneur ne puisse dire en verité, que comme sa personne est a Dieu, aussi sont toutes ses actions: les pecheurs le disent aussi, mays ilz mentent, ou les affectionnés disent la verité.


06-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome VI-Les vrays entretiens spirituels.html
  A006000013 

 Auquel est declarée l'obligation des Constitutions de la Visitation de Sainte Marie, et les qualités de la devotion que les Religieuses cludit Ordre doivent avoir.

  A006000015 

 Sur la fuite de Nostre Seigneur en Egypte, où il est traitté de la fermeté que nous devons avoir parmi les accidens du monde.

  A006000018 

 Demande II. Que c'est de faire toutes choses en esprit d'humilité, ainsi que les Constitutions l'ordonnent 32.

  A006000023 

 Auquel est traitté de la Modestie de la façon de recevoir les corrections et du moyen d'affermir tellement son esprit en Dieu que rien ne l'en puisse destourner.

  A006000028 

 Contre le propre jugement et la tendreté que l'on a sur soy-mesme.

  A006000029 

 Auquel on demande en quoy consiste la parfaite determination de regarder et suivre la volonté de Dieu en toutes choses, et si nous la pouvons trouver et suivre és volontés des Superieurs, égaux ou inferieurs, que nous voyons proceder de leurs inclinations naturelles ou habituelles; et de quelques poincts notables touchant les confesseurs et predicateurs. 99.

  A006000031 

 Auquel on demande comment et par quel motif il faut donner sa voix, tant aux filles que l'on veut admettre à la Profes sion, qu'à celles que l'on reçoit au Novitiat.

  A006000044 

 A. Recueil de ce que nostre bien-heureux Pere dit à nostre Sœur Claude Simplicienne, Religieuse en nostre Monastere d'Annessy.

  A006000047 

 D. Ce que nostre saint Fondateur nous dit dans son dernier voyage à Paris, en presence d'un de Messieurs ses freres et d'une autre personne de ses amis, nous disant a Dieu.

  A006000049 

 F. Dernier Entretien de nostre tres-saint et bien-heureux Pere, sur plusieurs questions que nos cheres Sœurs de Lyon luy firent deux jours avant sa bien-heureuse mort, le jour de saint Estienne, 1622. 162.

  A006000056 

 A. Comme il faut prendre garde que le desir que nous avons de tout quitter ne soit point vain et par flatterie 176.

  A006000073 

 Nous confessons neantmoins (ce que tout le monde croira facilement d'un ouvrage qui est passé par des mains si indignes que les nostres) que quielque diligence et quelque soin que nous y ayons apporté, il ne nous a pas esté possible de faire ce recueil si exactement qu'il ne nous soit eschappé beaucoup de choses excellentes, et que celles que nous avons retenues n'ayent aussi perdu beaucoup de leur force et des advantages qu'elles avoyent en sortant d'une si digne et si venerable bouche.

  A006000073 

 Nous les recueillions sincerement, et redigions par escrit apres qu'il les avoit achevé de faire; et comme nous en avions alors la memoire toute fraiche, et que chacune de nos Sœurs en rapportoit une partie, nous taschions, en assemblant toutes les pieces, de les ajuster le mieux qu'il nous estoit possible pour en former un corps.

  A006000073 

 Que si bien ils ne sont pas elabourés à l'égal du reste de ses livres, si les discours n'en sont pas si bien tissus, s'il se rencontre quelque chose qui pourroit sembler a quelqu'un moins digne de son eminente doctrine et de la reputation que ses autres œuvres luy ont acquise, ce n'est pas de merveille, car jamais il ne les a veus ni leus; et vous sçavez que les enfans sevrés de la mammelle de leur mere avant le temps, ne se portent pas si bien que ceux qui en sont entierement nourris: tousjours il y a de la compassion aux enfans qui naissent apres le decés de leur pere..

  A006000073 

 Toutesfois, il nous sera permis de dire avec toute verité, qu'une [1] grande partie des enseignemens qu'il nous a laissés y sont si naïfvement deduits et si fidelement rapportés, que quiconque aura eu le bon-heur de l'entendre ou qui sera versé en la lecture de ses livres, y recognoistra aussi tost son esprit, et ne fera point de difficulté de mettre ces Entretiens, sinon au rang des autres œuvres, qui sont immediatement sorties de ses mains, au moins au rang de celles qui ont en quelque façon l'honneur de luy appartenir.

  A006000073 

 Voyci les vrays Entretiens que nostre bien-heureux Pere nous a faits en divers temps et en diverses occasions.

  A006000074 

 Certes, ce bien-heureux Pere de nos ames n'eust oncques pensé que ses familiers Entretiens deussent avoir autre jour que celuy de nostre parloir, auquel, avec une incroyable naïfveté et familiarité, il respondoit à nos petites demandes: aussi n'estoit-ce pas nostre resolution de les communiquer au public, ains seulement en conserver les menus escrits pour la consolation particuliere de nos maisons, à l'usage desquelles ils estoient destinés.

  A006000074 

 Certes, nous voulons croire de nostre prochain, que ç'a esté un bon zele, plustost qu'aucune autre consideration, qui l'a induit à les mettre au jour: mais nous ne sçaurions luy estre si indulgentes que nous ne nous plaignions charitablement de luy, non de nous avoir osté ce qui sembloit estre nostre (car nous n'avons rien à nous, et les biens spirituels le sont encor moins que les autres parce qu'ils doivent estre plus communiqués), mais d'avoir soustrait ces Entretiens d'une telle sorte, que, les tirant avec peine, il a esté impossible qu'il ne les ayt mis en pieces et qu'il ne les ayt donnés par lambeaux comme il les avoit pris.

  A006000074 

 Et mesmes, que ce sont des copies recopiées plusieurs fois par des filles, lesquelles y ont adjousté quantité de petites choses, ramassées par cy par là, qui avoyent esté dites à des particulieres, mais non comme le Bienheureux les a dites, faute de memoire: en suite de quoy, celuy qui les a soustraits a esté contraint de substituer en la place de ce qui luy manquoit beaucoup de choses estrangeres, qu'il a adjoustées pour la liaison du discours, lesquelles ont apporté un si grand changement à l'ouvrage qu'à peine est-il recognoissable, ainsi qu'il sera aysé de remarquer par la conference des deux impressions..

  A006000075 

 C'est le souhait continuel que nous faisons pour vous et pour nous, qui sommes en JESUS CHRIST,.

  A006000075 

 Jouissons toutes ensemble de ces si utiles et agreables Entretiens; conservons-nous dans l'esprit de nostre Regle par leur frequente et attentive lecture, mais sur tout par la pratique fidele des saints enseignemens dont ils sont pleins: et à mesure qu'on les exprime extérieurement, imprimons-les profondement dans nos cœurs, à fin qu'ils n'en soient jamais effacés, et que nous ne soyons pas un jour obligées de rendre compte d'un si precieux talent, si nous ne l'avons fait profiter.

  A006000075 

 Neantmoins, ayant tousjours esté un des Salutaires conseils et desirs de nostre bien-heureux Pere, Instituteur et Fondateur, et qu'il nous a declaré dans l'un de ses Entretiens, que l'esprit de nos maisons fust communiqué au prochain, pour donc ne pas frustrer du fruict des saintes instructions que nous avons receuës, l'obeissance et la charité veut que nous en fassions part au public: elle ordonne aussi qu'ils nous soyent particulierement dediés, comme à celles à qui ils sont particulierement propres, puisque c'est à nous à qui nostre bien-heureux Pere les a faits.

  A006000075 

 Nous esperons que nostre bien-heureux Pere, qui nous l'a donné de la part de Nostre Seigneur, nous obtiendra de sa divine bonté le moyen de le bien employer, et de nous en servir pour sa gloire et pour le salut de nos ames.

  A006000075 

 Peut estre y trouverez-vous quelques choses qui sont si particulieres pour nos maisons, que vous jugerez n'estre pas à propos de les publier si librement, l'esprit du monde n'estant pas tousjours disposé à recevoir [3] les escrits de pieté avec la simplicité et la reverence qui leur est dette.

  A006000093 

 Mais pourtant, si quelqu'une les violoit volontairement, à dessein, avec mespris, ou bien avec scandale tant des Sœurs que des estrangers, elle commettroit sans doute une grande offense; car on ne sçauroit exempter de coulpe celle qui avilit et deshonore les choses de Dieu, desment sa profession, renverse la Congregation, et dissipe les fruits de bon exemple et de bonne odeur qu'elle doit produire envers le prochain: si bien qu'un tel mespris volontaire seroit en fin suivi de quelque grand chastiment du Ciel, et specialement de la privation des graces et dons du Saint Esprit, qui sont ordinairement ostés à ceux qui abandonnent leurs bons desseins et quittent le chemin auquel Dieu les a mis.

  A006000094 

 De là il s'ensuit que celuy qui viole l'ordonnance ou desobeit par mespris, non seulement il desobeit, mais il veut desobeir; non seulement il fait la desobeissance, mais il la fait avec intention de desobeir.

  A006000095 

 Car qui mange contre le commandement, consequemment ou ensemblement, il commet desobeissance, quoy que s'il la pouvoit eviter en mangeant il ne la voudroit pas commettre; comme celuy qui [6] en beuvant trop voudroit bien ne s'enivrer pas, quoy que neantmoins en beuvant il s'enivre: mais celuy qui mange par mespris de la Regle et par desobeissance, veut la desobeissance mesme, en sorte qu'il ne feroit pas l'œuvre ni ne la voudroit pas s'il n'estoit esmeu à ce faire par la volonté qu'il a de desobeir.

  A006000095 

 Il s'ensuit encor, que celuy qui desobeit par quelque allechement ou surprise de passion voudroit bien pouvoir contenter sa passion sans desobeir, et à mesme temps qu'il prend plaisir, par exemple, à manger, il est marri que ce soit avec desobeissance; [mais celuy qui desobeit par desobeissance et mespris n'est pas marri de desobeir, ains au contraire il prend son plaisir à desobeir: de maniere qu'en l'un] la desobeissance suit ou accompaigne l'œuvre, mais en l'autre, la desobeissance precede l'œuvre et luy sert de cause et de motif, quoy que par friandise.

  A006000095 

 L'un dit: je desobeis parce que je veux manger cet abricot que je ne puis manger sans desobeir; et l'autre dit: je le mange parce que je veux desobeir, ce que je feray en mangeant.

  A006000095 

 L'un donc desobeit voulant une chose à laquelle la desobeissance est attachée, et l'autre desobeit voulant la mesme chose parce que la desobeissance y est attachée.

  A006000096 

 Or, ceste desobeissance formelle et ce mespris des choses bonnes et saintes n'est jamais sans quelque peché, pour le moins veniel, non pas mesme és choses qui ne sont que conseillées: car bien qu'on puisse ne point suivre les conseils des choses saintes, par l'élection d'autres choses, sans aucunement offenser, si est-ce qu'on ne peut pourtant les laisser par mespris et contemnement, sans offense; d'autant que tout bien ne nous oblige pas à le suivre, mais ouy bien à l'honorer et estimer, et par consequent, à plus forte raison, à ne le point mespriser et vilipender..

  A006000097 

 Davantage, il s'ensuit que celuy qui viole la Regle et Constitutions par mespris, il l'estime vile et inutile, qui est une tres grande presomption et outrecuidance: ou bien, s'il l'estime utile et ne veut pas pourtant se sousmettre à icelle, alors il rompt son dessein avec grand interest du prochain, auquel il donne scandale et [7] mauvais exemple, il contrevient à la societé et promesse faite à la compagnie, et met en desordre une maison devote, qui sont des tres grandes fautes..

  A006000098 

 Mais à fin que l'on puisse aucunement discerner quand une personne viole les Regles ou l'obeissance par mespris, en voicy quelques signes:.

  A006000101 

 Quand elle conteste que la Regle ou commandement n'est pas à propos..

  A006000102 

 Quand elle tasche de tirer les autres au mesme violement et leur oster la crainte d'iceluy, leur disant que ce n'est rien, qu'il n'y a point de danger..

  A006000103 

 Ces signes, pourtant, ne sont pas si certains que quelquefois ils n'arrivent pour d'autres causes que pour celle du mespris: car il peut arriver qu'une personne se mocque de celuy qui la reprend, pour le peu d'estime qu'elle fait de luy, et qu'elle persevere par infirmité, et qu'elle conteste par despit et colere, et qu'elle desbauche les autres pour avoir des compaignes et excuser son mal.

  A006000104 

 Car lors que l'esprit de l'homme ne se conduit que selon ses inclinations et aversions, qu'arrive-il qu'une perpetuelle inconstance, et varieté de fautes? Hier j'estois joyeux, le silence me desagreoit, et la tentation me suggeroit que j'estois oyseux; aujourd'huy que je seray melancolique, elle me dira que la recreation et entretien est encore plus inutile: hier, que j'estois en consolation, le chanter me plaisoit; aujourd'huy, que je suis en secheresse, il me deplaira, et ainsi des autres..

  A006000104 

 Mais, mon Dieu, qui ne void la tromperie! car ce que l'un estimera peu, l'autre l'estimera beaucoup, et reciproquement; de maniere qu'en une compagnie l'un ne tiendra compte d'une regle, et le second en mesprisera une autre, le troisiesme une autre: ainsi tout sera en desordre.

  A006000104 

 Si faut-il que j'adjouste un mot d'une tentation qui peut arriver sur ce poinct: c'est que quelquefois une [8] personne n'estime pas d'estre desobeissante et libertine quand elle ne mesprise qu'une ou deux regles, lesquelles luy semblent de peu d'importance, pourveu qu'elle observe toutes les autres.

  A006000105 

 De sorte que, qui veut vivre heureusement et parfaitement il faut qu'il s'accoustume à vivre selon la raison, les Regles et l'obeissance, et non selon ses inclinations ou aversions; et qu'il estime toutes les Regles, qu'il les honore et qu'il les cherisse, au moins par la volonté superieure: car s'il en mesprise une maintenant, demain il en mesprisera une autre, et l'autre jour encore une autre, et dés qu'une fois le lien du devoir est rompu, tout ce qui estoit lié, petit à petit s'esparpille et dissipe..

  A006000106 

 Ne plaise pas à Dieu que jamais aucune des Filles de la Visitation s'esgare si fort du chemin de l'amour de Dieu, qu'elle s'aille perdre dedans ce mespris des Regles, par desobeissance, dureté et obstination de cœur; car, que luy pourroit-il arriver de pis ni de plus malheureux? attendu mesme qu'il y a si peu de regles particulieres et propres de la Congregation; la pluspart et quasi toutes estant, ou bien des regles generales qu'il faudroit qu'elles observassent en leurs maisons du monde si elles vouloient vivre tant soit peu avec honneur, reputation et crainte de Dieu, [9] ou bien qui regardent la manifeste bienseance d'une maison devote ou les officieres en particulier..

  A006000107 

 Que si quelquefois il leur arrive quelque dégoust ou aversion des Constitutions et reglemens de la Congregation, elles se comporteront en mesme sorte qu'il se faut comporter envers les autres tentations, corrigeant l'aversion qu'elles ont par la raison, et par bonne et forte resolution de la partie superieure de l'ame, attendant que Dieu leur envoye de la consolation en leur chemin, et leur fasse voir (comme à Jacob, lors qu'il estoit las et recreu en son voyage) que les Regles et methode de vie qu'elles ont embrassées sont la vraye eschelle par laquelle elles doivent, à guise d'Anges, monter à Dieu par charité, et descendre en elles mesmes par humilité..

  A006000109 

 Et quant aux violements de la Regle qui ne se font point par pure desobeissance ni par mespris, s'ils se font par nonchalance, infirmité, tentation ou negligence, on s'en pourra et devra confesser comme de peché veniel, ou bien comme de chose où il y peut avoir peché veniel: car, bien qu'il n'y ait aucune sorte de peché en vertu de l'obligation de la Regle, il y en peut neantmoins avoir à raison de la negligence, nonchalance, precipitation ou autres tels defauts, puisqu'il arrive rarement que voyant un bien propre à nostre [10] avancement, et notamment estant invitees et appellées à le faire, nous le laissions volontairement sans offenser; car tel delaissement ne procede que de negligence, affection depravée ou manquement de ferveur, et s'il nous faut rendre compte des paroles qui sont vrayement oyseuses, combien plus d'avoir rendu oyseuse et inutile la semonce que la Regle nous fait à son exercice!.

  A006000110 

 J'ay dit qu'il arrive rarement de n'offenser pas Dieu quand nous laissons volontairement de faire un bien propre à nostre avancement, parce qu'il se peut faire qu'on ne le laisse pas volontairement, ains par oubli, inadvertance, surreption; et lors il n'y a aucun peché, petit ni grand, sinon que la chose que nous oublions fust de si grande importance que nous fussions obligés de nous tenir attentifs pour ne point tomber en oubli, inadvertance et surreption.

  A006000112 

 Il faut croire qu'à mesure que le divin amour fera progres és ames des Filles de la Congregation, il les rendra tousjours plus exactes et soigneuses à l'observation de leurs Constitutions, quoy que d'elles mesmes elles n'obligent point sous peine de peché mortel ni veniel; car si elles obligeoient sous peine de la mort, combien estroittement les observeroit-on? Or, l'amour est fort comme la mort; donques les attraits de l'amour sont aussi puissans à faire executer une resolution comme les menaces de la mort.

  A006000112 

 Le zele, dit le sacré Cantique, est dur et ferme comme l'enfer; les ames, donques, qui ont le zele, feront autant et plus en vertu d'iceluy, qu'elles ne feroient pour la crainte de l'enfer: si bien que les Filles de la Congregation, par la suave violence de l'amour, observeront autant exactement leurs Regles, Dieu aydant, que si elles y estoient obligées sous peine de damnation eternelle..

  A006000113 

 En somme, elles auront perpetuelle memoire de ce que dit Salomon aux Proverbes, XIX: Qui garde le commandement garde son ame, et qui neglige sa voye il mourra: or vostre voye c'est la sorte de vie en laquelle Dieu vous a mises.

  A006000113 

 Je ne dis rien icy de l'obligation que nous avons à l'observance des vœux; car il est tout evident que qui transgresse absolument la Regle és vœux essentiels de pauvreté, chasteté et obeissance, peche mortellement, et feroit-on le mesme, contrevenant à la closture.

  A006000114 

 Que les Sœurs fassent profession particuliere de nourrir leurs cœurs en une devotion intime, forte et genereuse..

  A006000115 

 Je dis intime, en sorte qu'elles ayent la volonté conforme aux bonnes actions exterieures qu'elles feront, soit petites ou grandes; que rien ne se fasse par coustume, mais par election et application de volonté; et si quelquefois l'action exterieure previent l'affection interieure, à cause de l'accoustumance, qu'au moins l'affection la suive de pres.

  A006000115 

 Les Filles de la Congregation ont fort peu de regles pour l'exterieur, peu d'austerités, peu de ceremonies, peu d'Offices: que donques elles y accommodent volontiers et amoureusement leurs cœurs, faisant naistre l'exterieur de l'interieur, et nourrissant l'interieur par l'exterieur; car ainsi le feu produit la cendre, et la cendre nourrit le feu..

  A006000115 

 Si avant que m'incliner corporellement à mon Superieur je n'ay pas fait l'inclination interieure, par une humble election de luy estre soubmis, qu'au moins cette election accompagne ou suive de pres l'inclination exterieure.

  A006000116 

 Il faut encor que cette devotion soit forte: 1.

  A006000122 

 Forte à se tenir independante des tendretés, douceurs et consolations qui nous proviennent tant de Dieu que des creatures, pour ne point nous laisser engager par icelles..

  A006000124 

 Car encor que nous ne courions pas, il suffit que, Dieu aydant, nous courrons: ceste Congregation, non plus que les autres Religions, n'estant pas une assemblée de personnes parfaites, mais de personnes qui pretendent de se perfectionner; non de personnes courantes, mais de personnes qui pretendent courir, et lesquelles pour cela apprennent premierement à marcher le petit pas, puis à se haster, puis à cheminer à demi course, puis en fin à courir..

  A006000124 

 Et ne faut jamais se fascher si d'abord on [14] ne court pas apres le Sauveur, pourveu que l'on die tousjours: Tirez moy, et que l'on ayt le courage bon pour dire: Nous courrons.

  A006000124 

 Le divin Amant de nos ames nous laisse souvent comme englués dans nos miseres, à fin que nous sçachions que nostre delivrance vient de luy, et que, quand nous l'aurons, nous la tenions chere, comme un don precieux de sa bonté.

  A006000125 

 C'est un advertissement que le grand Apostre saint Paul, fait aux Romains, XIV: L'un, dit-il, croid de pouvoir manger de tout; l'autre, qui est infirme, mange des herbes: que celuy qui mange ne mesprise point celuy qui ne mange pas, et que celuy qui ne mange pas ne juge point celuy qui mange.

  A006000125 

 Ceste devotion genereuse ne mesprise rien, et fait que, sans trouble ni inquietude, nous voyons un chacun cheminer, courir et voler diversement, selon la diversité des inspirations et varieté des mesures de la grace divine qu'un chacun reçoit.

  A006000125 

 Que chacun abonde en son sens: celuy qui mange, mange en Nostre Seigneur, et celuy qui ne mange pas, ne mange pas en Nostre Seigneur; et tant l'un que l'autre rendent graces à Dieu. Les Raglas ne commandent pas beaucoup de jeunes, neantmoins il se pourra faire que quelques unes, pour des nacessités particuliares, obtiendront l'obedience d'en faire davantage: que celles qui jeuneront ne mesprisent point celles qui mangent, ni celles qui mangent celles qui jeuneront.

  A006000126 

 Mais aussi, celles qui ont telles inclinations et aversions se doivent bien garder de dire des paroles, ni donner aucune sorte de signe d'avoir à desgout que les autres fassent mieux, car elles feroient une grande impertinence: ains, considerant leur foiblesse, elles doivent regarder les mieux faisantes avec une [16] sainte, douce et cordiale reverence; car ainsi elles pourront tirer autant de proffit de leur imbecillité par l'humilité qui en naistra, que les autres en tirent par leurs exercices.

  A006000126 

 Pourveu que celuy qui jeune, jeune pour Dieu, et que celuy qui ne jeune pas, ne jeune pas aussi pour Dieu, elle est toute satisfaite tant de l'un que de l'autre.

  A006000126 

 Que Marthe soit active, mais qu'elle ne contrerolle point Magdelaine; que Magdelaine contemple, mais qu'elle ne mesprise point Marthe, car Nostre Seigneur prendra la cause de celle qui sera censurée..

  A006000126 

 Que si ce point est bien entendu et bien observé, il conservera une merveilleuse tranquillité et suavité en la Congregation.

  A006000126 

 Que si mesme il arrivoit qu'une personne mangeast, non pas pour Dieu, mais par inclination, ou qu'elle ne fist pas la discipline, non pas pour Dieu, mais par naturelle aversion, encor faudroit-il que celles qui font les exercices contraires ne la jugeassent point; ains que, sans la censurer, elles suivissent leur chemin doucement et suavement, sans mespriser ni juger au prejudice des infirmes, se ressouvenant que si en ces occasions les unes secondent peut estre trop mollement leurs inclinations et aversions, en des autres occurrences les autres en font bien de mesme.

  A006000127 

 Et pour conclusion, elles s'essayeront d'avoir un cœur souple et maniable, soubmis et aisé à condescendre en toutes choses loisibles, et à monstrer en toute entreprise l'obeissance et la charité, pour ressembler à la colombe qui reçoit toutes les lueurs que le soleil luy donne.

  A006000128 

 Advoüons franchement que les autres Congregations sont meilleures, plus riches et plus excellentes, mais non pas pourtant plus aymables ni desirables pour nous, puisque Nostre Seigneur a voulu que ce fust nostre patrie et nostre barque, et que nostre cœur fust marié à cest Institut; suivant le dire de celuy auquel quand on demanda quel estoit le plus agreable sejour et le meilleur aliment pour l'enfant: Le sein, dit-il, et le lait de sa mere; car bien qu'il y ait de plus beaux seins et de meilleurs laits, si est ce que pour luy il n'y en a point de plus propre ni de plus aymable.

  A006000128 

 Ainsi les femmes doivent preferer leurs maris à tout autre, non en honneur, mais en affection; ainsi chacun prefere son païs aux autres, en amour non en estime, et chaque nocher cherit plus le vaisseau dans lequel il vogue que les autres, quoy que plus riches et mieux fournis.

  A006000132 

 Ce mot tant celebre entre les Anciens, « Cognois-toy toy-mesme, » encores qu'il s'entende de la cognoissance de la grandeur et excellence de l'ame, [19] pour ne la point avilir et prophaner en des choses indignes de sa noblesse, il s'entend aussi de la cognoissance de nostre indignité, imperfection et misere: d'autant que tant plus que nous nous cognoistrons miserables, tant plus nous nous confierons en la bonté et misericorde de Dieu; car, entre la misericorde et la misere, il y a une certaine liaison si grande, que l'une ne se peut exercer sans l'autre.

  A006000132 

 Or, je responds que non seulement l'ame qui a la cognoissance de sa misere peut avoir une grande confiance en Dieu, mais qu'elle ne peut avoir une vraye confiance qu'elle n'ayt la cognoissance de sa misere; car ceste cognoissance et confession de nostre misere nous introduit devant Dieu, Ainsi tous les grands Saints, comme Job, David et les autres, commençoient toutes leurs prieres par la confession de leur misere et indignité; de sorte que c'est une tres-bonne chose de se recognoistre pauvre, vil, abject, et indigne de comparoistre en la presence de Dieu.

  A006000132 

 Si Dieu n'eust point creé l'homme, il eust esté vrayement tout bon, mais il n'eust point esté actuellement misericordieux d'autant que la misericorde ne s'exerce qu'envers les miserables..

  A006000133 

 Ce ne seroit pas grande chose de s'estre aneanti et despouillé de soy-mesme (ce qui se fait par des actes de confusion), si ce n'est oit pour se donner tout à Dieu, ainsi que saint Paul nous l'enseigne quand il dit: Despoüillez-vous du vieil homme, et vous revestez du nouveau; car il ne faut pas demeurer nud, ains se revestir de Dieu.

  A006000133 

 Ce petit reculement ne se fait que pour mieux s'eslancer en Dieu par un acte d'amour et de confiance, car il ne se faut pas confondre tristement et avec inquietude: c'est l'amour propre qui donne ces confusions-là, parce que nous sommes marris de n'estre pas parfaits, non tant pour l'amour de Dieu que pour l'amour de nous-mesmes..

  A006000133 

 Il est bien bon de se deffier de soy-mesme, mais de quoy nous serviroit-il de le faire, sinon pour jetter toute nostre confiance en Dieu et nous attendre à sa misericorde? Les fautes et les infidelités que nous commettons tous les jours nous doivent bien apporter de la honte et confusion lors que nous voulons approcher de Nostre Seigneur: et ainsi lisons-nous qu'il y a des grandes ames, comme sainte Catherine de Sienne et la Mere Therese, qui lors qu'elles estoient tombées en quelque defaut, avoient de ces grandes confusions; [20] aussi est il bien raisonnable qu'ayant offencé Dieu nous nous retirions un peu par humilité, et demeurions confus, car si seulement nous avons offencé un amy, nous avons bien honte de l'aborder: mais il n'en faut pas demeurer là, car ces vertus d'humilité, d'abjection et de confusion, sont des vertus mitoyennes, par lesquelles nous devons monter à l'union de nostre ame avec son Dieu.

  A006000133 

 Vous voyez donc que tant plus nous nous cognoissons miserables, tant plus nous avons occasion de nous confier en Dieu, puisque nous n'avons rien de quoy nous confier en nous mesmes.

  A006000134 

 Et il est tousjours [21] en nostre pouvoir de faire de ces actes, et quoy que nous ayons de la difficulté, il n'y a pourtant pas de l'impossibilité; et c'est en ces occasions là et parmi ces difficultés, que nous devons tesmoigner de la fidelité à Nostre Seigneur; car bien que nous fassions ces actes sans goust et sans aucune satisfaction il ne s'en faut pas mettre en peine, puisque Nostre Seigneur les ayme mieux ainsi.

  A006000134 

 Et ne dites pas que vous le dites voirement, mais que ce n'est que de bouche; car si le cœur ne le vouloit, la bouche n'en diroit pas un mot.

  A006000134 

 Et si bien vous ne sentez pas une telle confiance, si ne faut-il pas laisser d'en faire les actes, et dire à Nostre Seigneur: Encore, mon Seigneur, que je n'aye aucun sentiment de confiance en vous, je sçay pourtant que vous estes mon Dieu, que je suis toute vostre, et n'ay esperance qu'en vostre bonté; ainsi je m'abandonne toute entre vos mains.

  A006000135 

 J'ay accoustumé de dire que le throsne de la misericorde de Dieu c'est nostre misere: il faut donc, d'autant que nostre misere sera plus grande avoir aussi une plus grande confiance..

  A006000135 

 Voila donc pour la conclusion de ce premier poinct, qu'il est tres-bon d'avoir de la confusion quand nous avons la cognoissance et sentiment de nostre misere et imperfection; mais qu'il ne faut pas s'arrester là, ni pour cela tomber en descouragement, ains relever son cœur en Dieu par une sainte confiance, le fondement de laquelle doit estre en luy et non pas en nous; d'autant que nous changeons et il ne change jamais, et demeure tousjours aussi bon et misericordieux quand nous sommes foibles et imparfaits que quand nous sommes forts et parfaits.

  A006000136 

 Ce n'est donc que pour cela qu'il faut faire cest abandonnement, lequel autrement seroit inutile, et ressembleroit ceux des anciens philosophes, qui ont fait des admirables abandonnemens de toutes choses et d'eux-mesmes, pour une vaine preétention de s'adonner à la philosophie: comme Epictete, tres-renommé philosophe, lequel estant esclave de condition, à cause de sa grande sagesse on le vouloit affranchir; mais luy, par un renoncement le plus extreme de tous, ne voulut point sa liberté et demeura ainsi volontairement en son esclavage, avec une telle pauvreté, qu'apres sa mort on ne luy trouva rien qu'une lampe, qui fut vendue bien cher à cause qu'elle avoit esté à un si grand homme.

  A006000136 

 Il faut donques sçavoir qu'abandonner nostre ame et nous laisser nous mesmes n'est autre chose que quitter et nous deffaire de nostre propre volonté pour la donner à Dieu: car il ne nous serviroit de guere, comme j'ay desja dit, de nous renoncer et [22] delaisser nous-mesmes, si ce n'estoit pour nous unir parfaitement à la divine Bonté.

  A006000137 

 Ce que j'entens selon la partie superieure de nostre ame, car il n'y a point de doute que l'inferieure et l'inclination naturelle tendra tousjours plustost du costé de l'honneur que du mespris, des richesses que [23] de la pauvreté; quoy qu'aucun ne puisse ignorer que le mespris, l'abjection et la pauvreté ne soient plus agreables à Dieu que l'honneur et l'abondance de beaucoup de richesses.

  A006000137 

 De mesme, je ne sçay pas si l'année qui vient tous les fruits de la terre seront tempestés: s'il arrive qu'ils le soient, ou qu'il y ayt de la peste, ou autres tels evenemens, il est tout evident que c'est le bon plaisir de Dieu, et partant je m'y conforme.

  A006000137 

 Il arrivera que vous n'aurez pas de la consolation en vos exercices: il est certain que c'est le bon plaisir de Dieu, c'est pourquoy il faut demeurer avec une extreme indifference entre la desolation et la consolation; de mesme en faut-il faire en toutes les choses qui nous arrivent, és habits qui nous sont donnés, és viandes qui nous sont presentées.

  A006000137 

 La volonté de son bon plaisir regarde les evenemens des choses que nous ne pouvons pas prevoir: comme, par exemple, je ne sçay pas si je mourray demain, je voy que c'est le bon plaisir de Dieu, et partant je m'abandonne à son bon plaisir et meurs de bon cœur.

  A006000138 

 Ainsi les Saints qui sont au Ciel ont une telle union avec la volonté de Dieu, que s'il y avoit un peu [25] plus de son bon plaisir en enfer ils quitteroient le Paradis pour y aller.

  A006000138 

 Il faut de plus remarquer qu'il y a des choses esquelles il faut joindre la volonté de Dieu signifiée à celle de son bon plaisir: comme si je tombe malade d'une grosse fievre, je voy en cest evenement que le bon plaisir de Dieu est que je demeure en indifference de la santé ou de la maladie; mais la volonté de Dieu signifiée est que moy, qui ne suis pas sous l'obeissance, j'appelle le medecin et que j'applique tous les remedes que je puis (je ne dis pas les plus exquis, mais les communs et ordinaires), et que les Religieux, qui sont sous un Superieur, reçoivent les remedes et traittement qui leur sont presentés, en simplicité et soubmission; car Dieu le nous a signifié en ce qu'il donne la vertu aux remedes, la Sainte Escriture le nous enseigne en plusieurs endroits et l'Eglise l'ordonne.

  A006000138 

 Or cela fait, que la maladie surmonte le remede, ou le remede surmonte le mal, il en faut estre en parfaite indifference, en telle sorte que si la maladie et la santé estoient là devant nous et que Nostre Seigneur nous dist: Si tu choisis la santé je ne t'en osteray pas un grain de ma grace, si tu choisis la maladie je ne te l'augmenteray pas aussi de rien, mais au choix de la maladie il y a un peu plus de mon bon plaisir; alors l'ame qui s'est entierement delaissée et abandonnée entre les mains de Nostre Seigneur choisira sans doute la maladie, pour cela seulement qu'il y a un peu plus du bon plaisir de Dieu; ouy mesme quand ce seroit pour demeurer toute sa vie dans un lict, sans faire autre chose que souffrir, elle ne voudroit pour rien du monde desirer un autre estat que celuy-là.

  A006000139 

 Il est vray, vouloit-il dire, que tout est consommé et que j'ay tout accompli ce que vous m'avez commandé; mais pourtant, si telle est vostre volonté que je demeure encore sur ceste croix pour souffrir davantage, j'en suis content; je remets mon esprit entre vos mains, vous en pouvez faire tout ainsi qu'il vous plaira.

  A006000139 

 Nous en devons faire de mesme, mes tres-cheres filles, en toute occasion, soit que nous souffrions ou que nous jouissions de quelque contentement, nous laissant ainsi conduire à la volonté divine, selon son bon plaisir, sans jamais nous laisser preoccuper de nostre volonté particuliere..

  A006000140 

 Car jamais nous ne sommes reduits à telle extremité, que nous ne puissions tousjours respandre devant la divine Majesté des parfums d'une sainte sousmission à sa tres-sainte volonté, et d'une continuelle promesse de ne le vouloir point offencer.

  A006000140 

 Et voila comme je desire que nous cheminions, mes cheres filles..

  A006000140 

 Nostre Seigneur ayme d'un amour extremement tendre ceux qui sont si heureux que de s'abandonner ainsi totalement à son soin paternel, se laissant gouverner par sa divine providence, sans s'amuser à considerer si les effets de ceste providence leur seront utiles, profitables, ou dommageables; estant tout asseurés que rien ne leur sçauroit estre envoyé de ce cœur paternel et tres-aymable, ni qu'il ne permettra que rien leur arrive [26] de quoy il ne leur fasse tirer du bien et de l'utilité, pourveu que nous ayons mis toute nostre confiance en luy et que de bon cœur nous disions: Je remets mon esprit, mon ame, mon corps et tout ce que j'ay entre vos benites mains, pour en faire selon qu'il vous plaira.

  A006000140 

 Quelquefois Nostre Seigneur veut que les ames choisies pour le service de sa divine Majesté se nourrissent d'une resolution ferme et invariable de perseverer à le suivre parmi les desgousts, secheresses, repugnances et aspretés de la vie spirituelle, sans consolations, saveurs, tendretés et sans goust, et qu'elles croyent de n'estre dignes d'autre chose, suivant ainsi le divin Sauveur avec la fine pointe de l'esprit, sans autre appuy que celuy de sa divine volonté qui le veut ainsi.

  A006000142 

 Ainsi ceste ame qui s'est delaissée n'a autre chose à faire qu'à demeurer entre les bras de Nostre Seigneur comme un enfant dans le sein de sa mere, lequel, quand elle le met en bas pour cheminer, il chemine jusques à tant que sa mere le reprenne, et quand elle le veut porter il luy laisse faire.

  A006000142 

 Que si nous reservons quelque chose, de laquelle nous ne nous confions pas en luy, il nous la laisse, comme s'il disoit: Vous pensez estre assez sages pour faire ceste chose-là sans moy, je vous laisse gouverner, vous verrez comme vous vous en trouverez.

  A006000143 

 Or je dis en premier lieu, qu'il n'arrive jamais, pour abandonnés que nous [28] soyons, que nostre franchise et la liberté de nostre arbitre ne nous demeurent, de sorte qu'il nous vient tousjours quelque desir et quelque volonté; mais ce ne sont pas des volontés absolues et des desirs formés, car si tost qu'une ame qui s'est delaissée au bon plaisir de Dieu apperçoit en soy quelque volonté, elle la fait incontinent mourir en la volonté de Dieu..

  A006000143 

 Vous dites maintenant, s'il est bien possible que nostre volonté soit tellement morte en Nostre Seigneur que nous ne sçachions plus ce que nous voulons ou ce que nous ne voulons pas.

  A006000144 

 Vous voudriez aussi sçavoir si une ame encore bien imparfaite pourroit demeurer utilement devant Dieu avec ceste simple attention à sa sainte presence en l'oraison Et je vous dis que si Dieu vous y met, vous y pouvez bien demeurer, car il arrive assez souvent que Nostre Seigneur donne ces quietudes et tranquillités à des ames qui ne sont pas bien purgées; mais tandis qu'elles ont encore besoin de se purger, elles doivent, hors l'oraison, faire des remarques et des considérations necessaires à leur amendement; car, quand bien Dieu les tiendroit tousjours fort recueillies, il leur reste encor assez de liberté pour discourir avec l'entendement sur plusieurs choses indifferentes: pourquoy donc ne pourront-elles pas considerer et faire des resolutions pour leur amendement et pour la pratique des vertus? Il y a des personnes fort parfaites ausquelles Nostre Seigneur ne donne jamais de telles douceurs ni de ces quietudes, qui font tout avec la partie superieure de leur ame, et font mourir leur volonté dans la volonté de Dieu à vive force et avec la pointe de la raison: et ceste mort icy est la mort de la croix, laquelle est beaucoup plus excellente et plus genereuse que l'autre, que l'on doit plustost appeller un endormissement qu'une mort; car ceste ame qui s'est embarquée dans la nef de la providence de Dieu se laisse aller et vogue doucement, comme une personne qui dormant dans un vaisseau sur [29] une mer tranquille ne laisse pas d'avancer.

  A006000145 

 Il faut qu'elle soit fondée sur l'infinie bonté de Dieu et sur les merites de la Mort et Passion de Nostre Seigneur Jesus Christ, avec ceste condition de nostre part, que nous ayons et cognoissions en nous une entiere et ferme resolution d'estre tout à Dieu, et de nous abandonner du tout et sans aucune reserve à sa providence.

  A006000145 

 Il ne faut pas aussi entendre qu'en toutes ces choses icy de l'abandonnement et de l'indifference nous n'ayons jamais des desirs contraires à la volonté de Dieu, et que nostre nature ne repugne aux evenemens de son bon plaisir; car cela peut souvent arriver.

  A006000145 

 Je desire toutesfois que vous remarquiez que je ne dis pas qu'il faille sentir ceste resolution d'estre ainsi toute à Dieu, mais seulement qu'il la faut avoir et cognoistre en nous, parce qu'il ne faut pas s'amuser à ce que nous sentons ou que nous ne sentons pas, d'autant que la pluspart de nos sentimens et satisfactions ne sont que des amusemens de nostre amour propre.

  A006000150 

 Cet Evangile est plein d'une quantité de belles conceptions: je me contenteray de quelques unes, qui nous serviront d'un autant agreable que profitable entretien.

  A006000150 

 Nous celebrons l'octave de la feste des saints Innocens, auquel jour la sainte Eglise nous fait lire l'Evangile qui traitte comme l' Ange du Seigneur dit au glorieux saint Joseph en songe, c'est à dire en dormant, qu'il prist l'Enfant et la Mere et qu'il s'enfuist en Egypte; d'autant qu'Herodes, jaloux de sa royauté, cherchoit Nostre Seigneur pour le mettre à mort, de crainte qu'il ne la luy ostast, et estant rempli de colere, dequoy les Roys Mages n'estoient point retournés par devers luy en Jerusalem, il commanda que l'on fist mourir tous les petits enfans au dessous de l'âge de deux ans, croyant que Nostre Seigneur s'y trouveroit, et par ce moyen il s'asseureroit de la possession de son royaume.

  A006000151 

 Ainsi Dieu a voulu diversifier les saisons, et que l'esté fust suivi de l'automne et l'hiver suivi du printemps, pour nous monstrer que rien n'est permanent en ceste vie, que les choses temporelles sont perpetuellement muables, inconstantes et sujettes au changement: et le defaut de la cognoissance de ceste verité est, comme j'ay dit, ce qui nous rend muables et changeans en nos humeurs; d'autant que nous ne nous servons pas de la raison que Dieu nous a donnée, laquelle raison nous rend immuables, fermes et solides, et partant semblables à Dieu..

  A006000151 

 Je commence par la premiere remarque que fait le grand saint Jean Chrysostome, qui est de l'inconstance, varieté et instabilité des accidens de ceste vie mortelle.

  A006000151 

 O que ceste consideration est utile! car le defaut d'icelle est ce qui nous porte au descouragement et bijarrerie d'esprit, inquietude, varieté d'humeurs, inconstance et instabilité en nos resolutions; car nous ne voudrions pas rencontrer en nostre chemin nulle difficulté, nulle contradiction et nulle peine; nous Voudrions avoir tousjours des consolations sans secheresses ni aridités, des biens sans meslange d'aucun mal, la santé sans maladie, le repos sans travail, la paix sans trouble.

  A006000152 

 En l'affliction il ne se desespere point, ains il attend la consolation; en la maladie il ne se tourmente point, mais il attend la santé, ou s'il void qu'il soit tellement mal que la mort s'en deust ensuivre, il benit Dieu, esperant le repos de la vie immortelle qui suit celle-cy.

  A006000152 

 Il est dit que l'homme sage, c'est à dire l'homme qui se conduit par la raison, se rendra maistre absolu des astres.

  A006000152 

 Lors que Dieu eut creé nos premiers parens, il leur donna une entiere domination sur les poissons de la mer et sur les animaux de la terre, et par consequent leur donna la cognoissance de chacune espece, et les moyens de les dominer et s'en rendre le maistre et seigneur.

  A006000152 

 Qu'est-ce à dire cela, sinon que par l'usage de la raison il demeurera ferme et constant en la diversité des accidens et evenemens de ceste vie mortelle? Que le temps soit beau ou qu'il pleuve, que l'air soit calme ou que le vent souffle, l'homme sage ne s'en soucie pas, sçachant bien que rien n'est stable et permanent en ceste vie, et que ce n'est pas icy le lieu de repos.

  A006000152 

 Que s'il rencontre la pauvreté il ne s'en afflige pas, car il sçait bien que les richesses ne sont point en ceste vie sans la pauvreté; s'il est mesprisé, il sçait bien que l'honneur icy bas n'a point de permanence, ains est ordinairement suivi du deshonneur ou du mespris.

  A006000153 

 C'est un abus tres-grand que de ne vouloir point souffrir [34] ou sentir de mutations et changemens en nos humeurs, tandis que nous ne nous gouvernerons point par la raison, et que nous ne voudrons pas nous laisser gouverner.

  A006000153 

 Dieu a donné à l'homme la raison pour le conduire, mais pourtant il y en a peu qui la laissent maistriser en eux; au contraire, ils se laissent gouverner par leurs passions, lesquelles devroient estre subjettes et obeissantes à la raison selon l'ordre que Dieu requiert de nous..

  A006000153 

 Mais il ne faut pas seulement considerer ceste varieté, changement, mutation et instabilité és choses transitoires et materielles de ceste vie mortelle; nullement, ains il les faut considerer encor estre aussi dans le succes de nostre vie spirituelle, où la fermeté et constance est d'autant plus necessaire, que la vie spirituelle est relevée au dessus de la vie mortelle et corporelle.

  A006000154 

 Et non seulement ils sont bijarres et inconstans en cela, mais ils le sont mesme en leur conversation: ils veulent que l'on s'accommode à leurs humeurs, et ne se veulent point accommoder à celles des autres; ils se laissent emporter à leurs inclinations et particulieres affections et passions, sans que pourtant cela soit estimé vicieux parmi les mondains, et pourveu qu'ils n'incommodent pas beaucoup l'esprit du prochain, on ne les tient pas [35] pour bijarres et inconstans.

  A006000154 

 Et pourquoy cela? non pour autre chose, sinon d'autant que c'est un mal ordinaire parmi les mondains.

  A006000155 

 Et que veut dire cela? n'est-elle pas autant capable d'estre aymée aujourd'huy qu'elle estoit hier? Si nous regardions à ce que nous dicte la raison, nous verrions qu'il falloit aymer ceste personne parce que c'est une creature qui porte l'image de la divine Majesté; ainsi nous aurions autant de suavité en sa conversation que nous en avions eu autrefois..

  A006000155 

 Maintenant je suis joyeux parce que toutes choses me succedent selon ma volonté; tantost je seray triste parce qu'il me sera arrivé une petite contradiction que je n'attendois pas.

  A006000155 

 Maintenant nous voulons une chose, et demain nous en voudrions une autre; ce que je voy faire à un tel ou à une telle à ceste heure me plaist; tantost cela me desplaira en telle sorte que cela sera capable de me faire concevoir de l'aversion.

  A006000155 

 Mais ne sçaviez-vous pas que ce n'est point icy le lieu où le plaisir se trouve pur, sans meslange de desplaisir, que ceste vie est meslée de semblables accidens? Aujourd'huy que vous avez de la consolation en l'oraison, vous estes encouragée et bien resolue de servir Dieu; mais demain, que vous serez en secheresse, vous n'aurez point de cœur pour le service de Dieu: Mon Dieu, je suis si alangourie et abattue, dites-vous.

  A006000155 

 Or dites-moy un peu, si vous vous gouverniez par la raison, ne verriez-vous pas que s'il estoit bon de servir Dieu hier, qu'il est encore tres-bon de le servir aujourd'huy, et qu'il sera tres-bon de le servir demain? car c'est tousjours le mesme Dieu, aussi digne d'estre aymé quand vous estes en secheresse que quand vous estes en consolation.

  A006000156 

 Mais cela ne provient sinon dequoy on se laisse conduire à son inclination, à ses passions ou affections, pervertissant ainsi l'ordre que Dieu avoit mis en nous, que tout seroit subjet à la raison; car si la raison ne domine sur toutes nos puissances, sur nos facultés, nos passions, inclinations, affections, et en fin sur tout ce qui sera de nous, qu'en arrivera-t'il sinon une continuelle vicissitude, inconstance, varieté, changement, bijarrerie, qui nous fera tantost estre fervens, et peu apres lasches, negligens et paresseux; tantost joyeux, et puis melancoliques? Nous serons tranquilles une heure, et puis inquiets deux jours; bref, nostre vie se passera en faineantise et perte de temps..

  A006000157 

 Donc par ceste premiere remarque, nous sommes incités et semonds à considerer l'inconstance et varieté des succes, tant aux choses temporelles qu'aux choses spirituelles, à fin que par l'evenement des rencontres qui pourroient effaroucher nos esprits, comme estant choses nouvelles et non preveües, nous ne perdions point courage, ne nous laissant emporter à l'inegalité d'humeur parmi l'inegalité des choses qui nous arrivent; ains, que sousmis à la conduite de la raison que Dieu a mise en nous, et à sa providence, nous demeurions fermes, constans et invariables en la resolution que nous avons faite de servir Dieu constamment, courageusement, hardiment et ardemment, sans discontinuation quelconque.

  A006000158 

 Si je parlois devant des personnes qui ne m'entendissent pas, je tascherois de leur inculquer le mieux qu'il me seroit possible ce que je viens de dire; mais vous sçavez que j'ay tousjours tasché de vous inculquer bien avant dans la memoire ceste tres-sainte egalité d'esprit, comme estant la vertu la plus necessaire et particuliere de la Religion.

  A006000158 

 Tous les anciens Peres des Religions ont visé particulierement à faire que ceste egalité et stabilité d'humeurs et d'esprit regnast dans leurs monasteres; pour cela ils ont establi les Statuts, Constitutions et Regles, à fin que les Religieux s'en servissent comme d'un pont pour passer de la continuelle egalité des exercices qui y sont marqués, et auxquels ils se sont assubjettis, à ceste tant aymable et desirable egalité d'esprit, parmi l'inconstance et inegalité des accidens qui se rencontrent tant au chemin de nostre vie mortelle que de nostre vie spirituelle..

  A006000159 

 Le grand saint Chrysostome dit: O homme, qui te fasches dequoy toutes choses ne te succedent pas comme tu voudrois, n'as-tu point de honte de voir que cela que tu voudrois ne s'est pas mesme trouvé dans la famille de Nostre Seigneur? Considere, je te prie, la vicissitude, le changement et la diversité des succes qui s'y rencontrent.

  A006000159 

 Nostre Dame reçoit la nouvelle qu'elle concevroit du Saint Esprit un fils, qui seroit Nostre Seigneur et Sauveur: quelle joye, quelle jubilation pour elle en ceste heure sacrée de l'Incarnation du Verbe eternel! Peu apres, saint Joseph s'apperçoit qu'elle est enceinte, et sçachant bien que ce n'estoit pas de luy qu'elle l'estoit, ô Dieu, quelle affliction! en quelle detresse ne fut-il pas! Et Nostre Dame, quelle extremité de douleur et affliction ne ressentit-elle pas en son ame, voyant son cher Espoux sur le point de la quitter, sa modestie ne luy permettant de descouvrir à saint Joseph l'honneur et la grace dont Dieu l'avoit gratifiée! Un peu apres ceste bourrasque passée, l'Ange [38] ayant descouvert à saint Joseph le secret de ce mystere, quelle consolation ne receurent-ils pas!.

  A006000160 

 Et ne sçavez-vous pas que les Egyptiens sont ennemis des Israëlites? qui nous recevra? Et semblables choses, que nous eussions bien alleguées à l'Ange si nous eussions esté en la place de saint Joseph; lequel ne dit pas un mot pour s'excuser de faire l'obeissance, ains il partit à la mesme heure, et fit tout ce que l'Ange luy avoit commandé..

  A006000160 

 Lors que Nostre Dame produit son Fils, les Anges annoncent sa naissance, les pasteurs et les Roys Mages le viennent adorer: je vous laisse à penser quelle jubilation et quelle consolation d'esprit n'eurent-ils pas parmi tout cela! Mais attendez, car ce n'est pas tout.

  A006000160 

 O que ce fut sans doute un sujet de douleur tres-grand à Nostre Dame et à saint Joseph! O que l'Ange traitte bien saint Joseph en vray Religieux! Prens l'Enfant, dit-il, et la M ere, et fuis en Egypte, et y demeure jusques à ce que je te le die. Qu'est-ce que cecy? Le pauvre saint Joseph n'eust-il pas peu dire: Vous me dites que j'aille, ne sera-t'il pas assez à temps de partir demain au matin? où voulez-vous que j'aille de nuict? Mon equipage n'est pas dressé; comment voulez-vous que je porte l'Enfant? auray-je les bras assez forts pour le porter continuellement en un si long voyage? Quoy? entendez-vous que la Mere le porte à son tour? helas! ne voyez-vous pas bien que c'est une jeune fille, qui est encore si tendre? Je n'ay ni cheval ni argent pour faire le voyage.

  A006000161 

 Et premierement nous sommes enseignés qu'il [39] ne faut nulle remise et delai en ce qui regarde l'obeissance; c'est le fait du paresseux que de retarder, et dire, comme saint Augustin dit de soy-mesme: Tantost, « encor un peu, » et puis je me convertiray.

  A006000161 

 O que nous avons grand tort de permettre que Dieu envoye et renvoye heurter et frapper à la porte de nos cœurs par plusieurs fois, avant que nous luy voulions ouvrir et luy permettre d'y demeurer! car il est à craindre que nous l'irritions et contraignions de nous abandonner..

  A006000161 

 Pourquoy non à ceste heure, qu'il nous inspire et nous pousse? C'est que nous sommes si tendres sur nous-mesmes que nous craignons tout ce qui semble nous oster de nostre repos, qui n'est autre chose que nostre tardiveté et faineantise, desquelles nous ne voulons point estre retirés par la sollicitation d'aucuns objects qui nous attirent à sortir de nous-mesmes; et nous disons quasi comme le paresseux, lequel se plaignant dequoy on le vouloit faire sortir de sa maison: Comment sortiray-je? dit-il, car il y a un lion sur le grand chemin, et les ours sont sur les advenues, qui sans doute me devoreront.

  A006000162 

 De plus, il faut considerer la grande paix et egalité d'esprit de la tres-sainte Vierge et de saint Joseph, en leur constance parmi l'inegalité si grande des divers accidens qui leur arrivoient, ainsi que nous avons dit.

  A006000162 

 Il nous le faut dire et redire plusieurs fois, à fin de le mieux graver dans nos esprits, que l'inegalité des accidens ne doit jamais porter nos ames et nos esprits dans l'inégalité d'humeur; car l'inegalité d'humeur ne provient d'autre source que de nos passions, inclinations ou affections immortifiées, et elles ne doivent point avoir de pouvoir sur nous tandis qu'elles nous inciteront à faire, delaisser ou desirer aucune chose, pour petite qu'elle puisse estre, qui soit contraire à ce que la raison nous dicte qu'il faut faire ou delaisser pour plaire à Dieu..

  A006000163 

 Il faut premierement sçavoir que quand on dit l'Ange du Seigneur, il ne faut pas entendre que ce soit comme l'on dit de nous autres, l'Ange d'un tel ou d'une telle; car cela veut dire nostre Ange gardien, qui a soin de nous de la part de Dieu; mais Nostre Seigneur, qui est le roy et la guide des Anges mesmes, n'a pas besoin, ou n'avoit pas besoin durant le cours de sa vie mortelle d'un Ange gardien.

  A006000163 

 Je passe à la seconde consideration que je fais sur ceste parole de l'Ange du Seigneur, qui dit à saint Joseph: Prens l'Enfant, et ce qui s'ensuit.

  A006000163 

 Sur quoy je desire que nous remarquions l'estime que nous devons faire du soin, du secours, de l'assistance et de la direction de ceux que Dieu met autour de nous pour nous aider à marcher seurement en la voye de la perfection.

  A006000164 

 Car l'homme est un abregé du monde, ou, pour mieux dire, un petit monde, auquel se rencontre tout ce que l'on void au grand monde universel: les passions representent les bestes et les animaux qui sont sans raison; les sens, les inclinations, les affections, les puissances, les facultés de nostre ame, tout cela a sa signification particuliere; mais je ne me veux pas arrester à cela, ains je veux suivre mon discours commencé..

  A006000164 

 Nous sommes en ceste vie comme dessus de la glace, trouvant à tous propos des occasions propres pour faire trebucher et tomber, tantost au chagrin, ores en des murmures, un peu apres en des bijarreries d'esprit qui feront que l'on ne pourra rien faire qui nous puisse contenter; et puis nous entrons en degoust de nostre vocation, la melancolie nous suggerant que nous ne ferons jamais rien qui vaille; et que sçay-je? semblables choses et accidens qui se rencontrent en nostre petit monde spirituel.

  A006000164 

 Pour expliquer cecy familierement: l'on changea d'offices et d'aydes ces jours passés; que signifient ces aydes que l'on vous donne? pourquoy vous les [41] donne-t'on? Saint Gregoire dit que nous devons faire en ce miserable monde ce que font ceux qui cheminent sur la glace, pour nous tenir fermes et solides à l'entreprise que nous faisons de nous sauver ou de nous perfectionner; car il dit qu'ils se prennent par la main ou par dessous les bras, à fin que si quelqu'un d'entre eux glisse, il puisse estre retenu par l'autre, et puis que l'autre puisse estre retenu par luy quand il sera esbranlé pour tomber à son tour.

  A006000165 

 Donc, les aydes que l'on nous donne sont pour nous ayder à nous tenir fermes en nostre chemin, à fin de nous empescher de tomber, ou si nous tombons, qu'elles nous aydent à nous relever.

  A006000165 

 Nos aydes sont nos bons Anges visibles, ainsi que nos saints Anges gardiens le sont invisibles: nos aydes font visiblement ce que nos bons Anges font interieurement; car elles nous advertissent de nos defauts, elles nous encouragent en nos foiblesses et laschetés, elles nous excitent à la poursuite de nostre entreprise pour parvenir à la perfection, elles nous empeschent par leurs bons conseils de tomber, et nous aydent à nous relever quand nous sommes cheus en quelque precipice d'imperfection ou defaut.

  A006000165 

 O Dieu, avec quelle franchise, cordialité, sincerité, simplicité et fidelle confiance ne devons-nous pas traitter avec ces aydes qui nous sont données de la part de Dieu pour nostre avancement spirituel! Non certes autrement que comme avec nos bons Anges: nous les devons regarder tout de mesme, car nos bons Anges sont appellés nos Anges gardiens parce qu'ils sont chargés de nous assister de leurs inspirations, de nous defendre en nos perils, de nous reprendre en nos defauts, de nous exciter en la poursuite de la [42] vertu; ils sont chargés de porter nos prieres devant le throsne de la majesté, bonté et misericorde de Nostre Seigneur, et de nous rapporter l'interinement de nos requestes; et les graces que Dieu nous veut faire, il nous les fait par l'entremise ou intercession de nos bons Anges.

  A006000165 

 Or, voyez donc l'estat que nous devons faire de leur assistance et du soin qu'elles ont pour nous..

  A006000166 

 Ne pouvoit-il pas bien dire à l'oreille de son beau-pere saint Joseph: Allons nous en en Egypte, nous y serons tel temps? puisque c'est une chose toute asseurée qu'il avoit l'usage de raison dés l'instant de sa conception aux entrailles de la tres-sainte Vierge; mais il ne vouloit pas faire ce miracle de parler devant que le temps fust venu.

  A006000166 

 Ne pouvoit-il pas bien l'inspirer au cœur de sa tres-sainte Mere ou de son bien-aymé Pere putatif saint Joseph, Espoux de la tres-sacrée Vierge? pourquoy donc ne fit-il pas tout cela plustost que d'en laisser la [43] charge à l'Ange, qui estoit beaucoup inferieur à Nostre Dame? Cecy n'est pas sans mystere.

  A006000166 

 Nostre Seigneur ne voulut rien entreprendre sur la charge de saint Gabriel, lequel ayant esté commis de la part du Pere eternel pour annoncer le mystere de l'Incarnation à la glorieuse Vierge, fut dés lors comme econome general de la maison et famille de Nostre Seigneur, pour en avoir soin dans les succes et accidens divers qui s'y devoient rencontrer, et empescher que rien ne survinst qui peust abreger la vie mortelle de nostre petit Enfant nouveau né: c'est pourquoy il advertit saint Joseph de l'emporter promptement en Egypte pour eviter la tyrannie d'Herodes, qui faisoit dessein de le faire mourir.

  A006000167 

 Estoit-il plus qualifié, et doué de quelque grace speciale ou particuliere? Cela ne se peut, veu que Nostre Seigneur est Dieu et homme tout ensemble, et que Nostre Dame, estant sa Mere, a par consequent plus de grace et de perfection que tous les Anges ensemble: neantmoins l'Ange commande, et il est obei.

  A006000167 

 Et maintenant nous autres, serons-nous si osés de dire que nous nous gouvernerons bien nous mesmes, comme n'ayans plus besoin de direction ni de l'ayde de ceux que Dieu nous a donnés pour nous conduire, ne les estimant assez capables pour nous? Dites-moy, l'Ange estoit-il plus que Nostre Seigneur ou Nostre Dame? avoit-il meilleur esprit et plus de jugement? Nullement.

  A006000167 

 Il n'y a point de doute qu'il en estoit de mesme qu'en celle des [44] esperviers, où les femelles sont maistresses et valent mieux que les masles.

  A006000167 

 Mais je suis plus que l'Ange, pouvoit-elle dire, et que saint Joseph.

  A006000167 

 Ne vous semble-t'il pas que l'Ange commet une grande indiscretion de s'adresser plustost à saint Joseph qu'à Nostre Dame, laquelle est le chef de la maison, portant avec elle le thresor du Pere eternel? n'eust-elle pas eu raison de s'offencer de ceste procedure et façon de traitter? Sans doute elle eust peu dire à son Espoux: Pourquoy iray-je en Egypte, puisque mon Fils ne m'a point revelé que je le deusse faire, ni moins l'Ange ne m'en a parlé? Or Nostre Dame ne dit rien de tout cela, elle ne s'offence point dequoy l'Ange s'adressa à saint Joseph, ains elle obeit tout simplement parce qu'elle sçait que Dieu l'a ainsi ordonné; elle ne s'informe point pourquoy, ains il luy suffit que Dieu le veut ainsi, et qu'il prend plaisir que l'on se sousmette sans consideration.

  A006000167 

 Qui pourroit entrer en doute que Nostre Dame ne valust mieux que saint Joseph, et qu'elle n'eust plus de discretion et de qualités propres pour le gouvernement que son Espoux? Neantmoins, l'Ange ne s'adresse point à elle de tout ce qui est requis de faire, soit pour aller ou pour venir, ni en fin pour quoy que ce soit.

  A006000168 

 Mais qui m'asseurera que c'est la volonté de Dieu? Nous voudrions que Dieu nous revelast toutes choses par des secrettes inspirations.

  A006000168 

 Ne voyez-vous pas que Dieu prend plaisir de traitter ainsi avec les hommes, pour leur apprendre la tres-sainte et tres-amoureuse sousmission? Saint Pierre estoit un vieil homme, rude et grossier, et saint Jean, au contraire, estoit jeune, doux, agreable; et neantmoins Dieu veut que saint Pierre conduise les autres et soit le Supérieur universel, et que saint Jean soit [45] l'un de ceux qui sont conduits et qui luy obeissent.

  A006000168 

 Nous voudrions, par adventure, estre enseignés et instruits par Dieu mesme, par la voye des extases ou ravissemens et visions, et que sçay-je, moy? semblables niaiseries que nous forgeons en nos esprits, plustost que de nous sousmettre à la voye tres aymable et commune d'une sainte sousmission à la conduite de ceux que Dieu nous a donnés, et à l'observance de la direction tant des Regles que des Superieurs..

  A006000168 

 À quelle raison donne-t'on ceste charge? pourquoy a-t'on dit cela? à quelle fin fait-on une telle chose à celle cy plustost qu'à l'autre? Grande pitié, dés qu'une fois on s'est laissé aller à esplucher tout ce que l'on void faire! Que ne faisons nous pas pour perdre la tranquillité de nos cœurs? Il ne nous faut point d'autres raisons sinon que Dieu le veut ainsi, et cela nous doit suffire.

  A006000169 

 Qu'il nous suffise donc de sçavoir que Dieu veut que nous obeissions, sans nous amuser à la consideration de la capacité de ceux à qui nous devons obeir; ainsi nous assujettirons nos esprits à marcher tout simplement en la tres heureuse voye d'une sainte et tranquille humilité, qui nous rendra infiniment agreables à Dieu..

  A006000170 

 Il faut maintenant passer à la troisiesme consideration, qui est une remarque que j'ay fait sur le [46] commandement que l'Ange fit à saint Joseph de prendre l'Enfant et la Mere, et s'en aller en Egypte, et y demeurer jusques à tant qu'il l'advertist de s'en retourner.

  A006000170 

 Le pauvre saint Joseph n'eust-il pas eu raison de faire quelque replique? Vous me dites que je parte; est-ce si promptement? Tout à ceste heure: pour nous monstrer la promptitude que le Saint Esprit requiert de nous lors qu'il nous dit: Leve toy, sors de toy-mesme et de telle imperfection.

  A006000170 

 O que le Saint Esprit est ennemy des remises et delais!.

  A006000170 

 Vrayement l'Ange parloit bien briefvement, et traittoit bien saint Joseph en bon Religieux: Va, et n'en reviens point que je ne te le die.

  A006000171 

 Certes, tous les anciens Religieux ont esté admirables en ceste confiance qu'ils ont eue, que Dieu leur pourvoiroit tous jours de ce qu'ils auroyent besoin pour l'entretien de leur vie, laissant tout le soin d'eux-mesmes à la divine Providence..

  A006000171 

 Considerez, je vous supplie, le grand patron et modele des parfaits Religieux, saint Abraham, voyez comme Dieu le traitte: Abraham, sors de ta terre et de ta parenté, et va à la montagne que je te monstreray.

  A006000171 

 Il ne dit rien de tout cela, ains se confia pleinement que Dieu y pourvoiroit; ce qu'il fit, quoy que petitement, leur faisant trouver de quoy s'entretenir simplement, ou par le mestier de saint Joseph, ou mesme par des aumosnes que l'on leur faisoit.

  A006000171 

 Que dites-vous, Seigneur, que je sorte de la ville? mais dites moy donc si j'iray du costé de l'orient ou de l'occident? Il ne fait nulle replique, ains part de là tout promptement, et s'en va où l'Esprit de Dieu le [47] conduisoit, jusques en une montagne qui a esté appellée depuis Vision de Dieu, d'autant qu'il receut des graces grandes et signalées en ceste montagne, pour monstrer combien la promptitude en l'obeissance luy est agreable.

  A006000171 

 Saint Joseph n'eust-il pas peu dire à l'Ange: Vous me dites que je meine l'Enfant et la Mere; dites-moy donc, s'il vous plaist, de quoy les nourriray-je en chemin? car vous sçavez bien, mon seigneur, que nous n'avons point d'argent.

  A006000172 

 Est-ce si grande merveille de nous voir broncher quelquefois? Mais je suis si miserable, si remplie d'imperfection! Le cognoissez-vous bien? benissez Dieu dequoy il vous a donné ceste cognoissance, et ne vous lamentez pas tant: vous [48] estes bien-heureuse de cognoistre que vous n'estes que la misere mesme.

  A006000172 

 Il n'y? certes que le trop grand soin que nous avons de nous-mesmes qui nous fasse perdre la tranquillité de nostre esprit et qui nous porte à des humeurs bijarres et inegales, car dés que quelques contradictions nous arrivent, voire quand nous appercevons seulement un petit trait de nostre immortification, ou quand nous commettons quelque defaut, pour petit qu'il soit, il nous semble que tout est perdu.

  A006000173 

 Grande pitié, certes! Mais je suis si souvent en secheresse! cela me fait croire que je ne suis point bien avec Dieu, qui est si plein de consolation.

  A006000173 

 Je vous laisse à penser donc quelle estoit la douleur du pauvre saint Joseph, et de Nostre Dame encore, quand elle se vid en l'estime que pouvoit avoir d'elle celuy qu'elle aymoit si cherement et duquel elle sçavoit estre si cherement aymée: la jalousie le faisoit languir, ne sçachant quel parti prendre; il se resolvoit, plustost que de blasmer celle [49] qu'il avoit tousjours tant honorée et aymée, de la quitter, et s'en aller sans dire mot..

  A006000173 

 Nous avons des tendretés sur nos corps qui sont grandement contraires à la perfection; mais plus, sans comparaison, celles que nous avons sur nos esprits.

  A006000173 

 Se peut-il imaginer une affliction plus extreme que celle que saint Joseph ressentit lors qu'il s'apperceut que la glorieuse Vierge estoit enceinte, sçachant bien que ce n'estoit pas de son fait? Son affliction et sa detresse estoit d'autant plus grande que la passion de l'amour est plus vehemente que les autres passions de l'ame; et de plus, en l'amour, la jalousie est l'extremité de la peine, ainsi que le declare l'Espouse au Cantique des Cantiques: L'amour, dit-elle, est fort comme la mort, car l'amour fait les mesmes effets en l'ame qu'au corps la mort; mais la jalousie est dure comme l'enfer.

  A006000173 

 Voire, c'est bien dit: comme si Dieu donnoit tousjours des consolations à ses amis! A-t'il jamais esté pure creature si digne d'estre aymée de Dieu, et qui l'ait esté davantage, que Nostre Dame et saint Joseph? voyez s'ils sont tousjours en consolation.

  A006000174 

 Je le croy, mais est-elle comparable à celle de laquelle nous venons de parler? Il ne se peut; et si cela est, considerez, je vous prie, si nous avons raison de nous en plaindre et lamenter, puisque saint Joseph ne se plaint point, ni n'en tesmoigne rien en son exterieur: il n'en est point plus amer en sa conversation, il n'en fit pas la mine à Nostre Dame, il ne la traitta point mal; ains simplement il souffre sa peine, et ne veut faire autre chose que la quitter: Dieu sçait ce qu'il pouvoit faire en ce sujet.

  A006000174 

 Mais, direz-vous, je sens bien la peine que me cause ceste tentation ou mon imperfection.

  A006000174 

 Mon aversion, dira quelqu'un, est si grande envers ceste personne, que je ne luy sçaurois presque parler qu'avec une grande peine, ceste action me desplaist si fort! C'est tout un, il n'en faut point pourtant entrer en bijarrerie contre elle, comme si elle en pouvoit mais; ains il se faut comporter comme Nostre Dame et saint Joseph: il faut estre tranquille en nostre peine, et laisser le soin à Nostre Seigneur de nous l'oster quand il luy plaira Il estoit bien au pouvoir de Nostre Dame d'apaiser ceste bourrasque, mais elle ne le voulut pourtant pas faire, ains laissa pleinement l'issue de ceste affaire à la divine Providence..

  A006000175 

 Ce sont deux cordes egalement discordantes et necessaires d'estre accordées que la chanterelle et la basse, à fin de bien jouer du luth; il n'y a rien de plus discordant que le haut avec le bas: neantmoins, sans l'accord de ces deux cordes, l'harmonie du luth ne peut estre agreable.

  A006000175 

 De mesme, en nostre luth spirituel, ce sont deux choses egalement discordantes et necessaires d'estre accordées, d'avoir un grand soin de nous perfectionner, et n'avoir point de soin de nostre perfection, ains le laisser entierement à Dieu: je veux dire, qu'il [50] faut avoir le soin que Dieu veut que nous ayons de nous perfectionner, et neantmoins luy laisser le soin de nostre perfection.

  A006000175 

 Dieu veut que nous ayons un soin tranquille et paisible, qui nous fasse faire ce qui est jugé propre par ceux qui nous conduisent, et aller fidellement tousjours avant dans le chemin qui nous est marqué par les Regles et Directoires qui nous sont donnés; et quant au reste, que nous nous en reposions en son soin paternel, taschant tant qu'il nous sera possible de tenir nostre ame en paix, car la demeure de Dieu a esté faite en paix, et au cœur paisible et bien reposé.

  A006000175 

 Mais quand elle est troublée, inquietée et agitée des diverses bourrasques des passions, et que l'on se laisse gouverner par elles et non par la raison qui nous rend semblables à Dieu, lors nous ne sommes nullement capables de representer la belle et tres-aymable image de Nostre Seigneur crucifié, ni la diversité de ses excellentes vertus, ni nostre ame ne peut pas estre capable de luy servir de lict nuptial.

  A006000175 

 Vous sçavez que quand le lac est bien calme et que les vents n'agitent point ses eaux, le ciel, en une nuict bien sereine, y est si bien representé avec les estoiles, que regardant en bas l'on void aussi bien la beauté du ciel que si on la regardoit en haut: de mesme, quand nostre ame est bien accoisée, et que les vents du soin superflu, inegalité d'esprit et inconstance ne la troublent et inquietent point, elle est fort capable de porter en elle l'image de Nostre Seigneur.

  A006000176 

 Je remarque en fin que l'Ange dit à saint Joseph qu'il demeurast en Egypte jusques à ce qu'il l'advertist de revenir, et que le bon Saint ne luy dit point: Et quand sera-ce, Seigneur, que vous me le direz? pour nous enseigner que quand on nous fait commandement d'embrasser quelque exercice, il ne faut pas dire: Sera-ce pour long temps? ains il le faut embrasser tout simplement, imitant la parfaite obeissance d'Abraham, lors que Dieu luy commanda de luy sacrifier son fils.

  A006000177 

 Allez tout simplement en Egypte parmi la grande quantité d'ennemis que vous y aurez, car Dieu qui vous y fait aller vous y conservera, et vous n'y mourrez point; où au contraire, si vous [52] demeurez en Israël où est l'ennemy de vostre propre volonté, sans doute il vous y fera mourir.

  A006000177 

 Et ne sçavez-vous pas ce que je vous ay desja dit autrefois et qu'il n'est pas mauvais de redire, que la vertu ne requiert pas que nous soyons privés de l'occasion de trebucher en l'imperfection qui luy est contraire? « Il ne suffit pas, » dit Cassian, « pour estre patient et bien doux en soy-mesme, d'estre privé de la conversation des hommes; car il m'est arrivé, estant en ma cellule tout seul, de me passionner quand mon fusil ne prenoit pas feu, » tellement que je le jettois par colere..

  A006000177 

 Il ne seroit pas bien de prendre des charges et offices par sa propre election, de crainte que nous n'y fissions pas nostre devoir: mais quand c'est par obeissance, n'apportons jamais nulle excuse; car Dieu est pour nous, et nous fera profiter davantage en la perfection que si nous n'avions rien à faire.

  A006000177 

 Je concluds par la simplicité que pratiqua saint Joseph en s'en allant, sur le commandement de l'Ange, en Egypte, où il estoit asseuré de trouver autant d'ennemis qu'il y avoit d'habitans en ce païs-là.

  A006000177 

 Ne pouvoit-il pas bien dire: Vous me faites emporter l'Enfant; vous nous faites fuir un ennemy, et vous nous allez mettre entre les mains de mille et mille autres que nous trouverons en Egypte, d'autant que nous sommes d'Israël.

  A006000184 

 Ainsi la pluspart des amitiés que font les hommes n'ayant pas une bonne fin, et ne se conduisant pas par la raison, ne meritent aucunement le nom d'amitié..

  A006000184 

 Ainsi les bestes ont de l'amour, mais ne peuvent [54] avoir de l'amitié, puisqu'elles sont irraisonnables: elles ont de l'amour entre elles, à cause de quelque correspondance naturelle; voire mesme elles ont de l'amour pour l'homme, ainsi que l'experience le fait voir tous les jours, et divers autheurs en ont escrit des choses admirables: comme ce qu'ils disent de ce dauphin, lequel aymoit si esperduement un jeune enfant qu'il avoit veu par plusieurs fois sur le bord de la mer, que cest enfant estant mort, le dauphin mourut luy-mesme de desplaysir.

  A006000184 

 Mais cela ne se doit pas appeller amitié, d'autant qu'il faut que la correspondance de l'amitié se trouve entre les deux qui s'ayment, et que ceste amitié se contracte par l'entremise de la raison.

  A006000184 

 Pour satisfaire à vostre demande, et faire bien entendre en quoy consiste l'amour cordial duquel les Sœurs se doivent aymer les unes les autres, il faut sçavoir que la cordialité n'est autre chose que l'essence de la vraye et sincere amitié, laquelle ne peut estre qu'entre personnes raisonnables, et qui fomentent et nourrissent leurs amitiés par l'entremise de la raison; car autrement ce ne peut estre amitié, ains seulement amour.

  A006000185 

 Aussi ces amitiés que les mondains contractent par ensemble, ou pour quelque interest particulier ou pour quelque sujet frivole, sont des amitiés grandement sujettes à perir et à se dissoudre; mais celle qui est entre les freres est tout au contraire, car elle est sans artifice, et partant fort recommandable.

  A006000185 

 C'est pourquoy les anciens Chrestiens de la primitive Eglise s'appelloient tous freres; et ceste premiere ferveur s'estant refroidie entre le commun des Chrestiens, l'on a institué les Religions, dans lesquelles on a ordonné que les Religieux s'appelleroient tous freres et sœurs, pour marque de la sincere et vraye amitié cordiale qu'ils se portent ou qu'ils se doivent porter, et comme il n'y a point d'amitié comparable à celle des freres, toutes les autres amitiés estant ou inegales ou faites avec artifice (comme celles que les personnes mariées ont par ensemble, lesquelles ils ont faites par des contracts escrits et prononcés par des notaires, ou bien par des promesses simples).

  A006000185 

 Cela donc estant ainsi, je dis que c'est pour ce sujet que les Religieux s'appellent freres, et partant ont un amour qui merite veritablement le nom d'amitié non commune, ains d'amitié cordiale, c'est à dire d'une amitié qui a son fondement dans le cœur..

  A006000185 

 Il faut de plus, outre l'entremise de la raison, qu'il y ayt une certaine correspondance, ou de vocation ou de pretention ou de qualité, entre ceux qui contractent de l'amitié: ce que l'experience nous enseigne clairement, car n'est-il pas vray qu'il n'y a point de plus vraye amitié ni de plus forte que celle qui est entre les freres? L'on n'appelle pas l'amour que les peres portent à leurs enfans amitié, ni celuy que les enfans ont pour leurs peres, parce qu'il n'y a pas ceste correspondance dont [55] nous parlons, ains sont differens: l'amour des peres estant un amour majestueux et plein d'authorité, et celuy des enfans pour leurs peres, un amour de respect et de sousmission; mais entre les freres, à cause de la ressemblance de leur condition, la correspondance de leur amour fait une amitié ferme, forte et solide.

  A006000186 

 Ce qui est dit de Dieu se doit aussi entendre de l'amour du prochain, pourveu toutesfois que l'amour de Dieu surnage tousjours au dessus et tienne le premier rang: mais apres, nous devons aymer nos Sœurs de toute l'estendue de nostre cœur, et ne nous contenter pas de les aymer comme nous-mesme, ainsi que les commandemens de Dieu nous obligent; mais nous les devons aymer plus que nous-mesme, pour observer les regles de la perfection evangelique, qui requiert cela de nous.

  A006000186 

 Ceci est grandement considerable: Aymez-vous ainsi que je vous ay aymés; car cela veut dire, plus que vous-mesme.

  A006000186 

 Et tout ainsi qu'il a fait tout ce qui se pouvoit pour nous, excepté de se damner (car il ne le pouvoit ni devoit faire, parce qu'il ne pouvoit pecher, qui est cela seul qui nous conduit à la damnation), il veut, et la regle de la perfection le requiert, que nous fassions tout ce que nous pouvons les uns pour les autres, excepté de nous damner; mais hors de là, nostre amitié doit estre si ferme, cordiale et solide, que nous ne [57] refusions jamais de faire ou de souffrir quoy que ce soit pour nostre prochain et pour nos Sœurs..

  A006000186 

 Et tout ainsi que Nostre Seigneur nous a tousjours preferés à luy-mesme, et le fait encor autant de fois que nous le recevons au tres-saint Sacrement, se faisant nostre viande, de mesme veut-il que nous ayons un amour tel les uns pour les autres, que nous preferions tousjours le prochain à nous.

  A006000186 

 Il faut donques que nous sçachions que l'amour a son siege dans le cœur, et que jamais nous ne pouvons [56] trop aymer nostre prochain ni exceder les termes de la raison en cest amour, pourveu qu'il reside dans le cœur; mais quant aux tesmoignages de cest amour nous pouvons bien faillir et exceder, passant outre les regles de la raison.

  A006000186 

 Le glorieux saint Bernard dit que « la mesure d'aymer Dieu est de l'aymer sans mesure, » et qu'en nostre amour il n'y doit avoir aucunes bornes, ains il luy faut laisser estendre ses branches autant loin comme il pourra le faire.

  A006000186 

 Nostre Seigneur a dit cela luy-mesme: Aymez-vous les uns les autres ainsi que je vous ay aymés.

  A006000187 

 Il ne faudroit pas aussi si frequemment user de caresses, et à tout propos dire des paroles emmiellées, les jettant à belles poignées sur les premieres qu'on rencontre; car tout ainsi que si l'on mettoit trop de sucre sur une [58] viande elle tourneroit à dégoust, à cause qu'elle seroit trop douce et trop fade, de mesme les caresses trop frequentes seroyent rendues dégoustantes et l'on ne s'en soucieroit plus, sçachant que cela se fait par coustume.

  A006000187 

 Je dis qu'il faut user de caresses en certains temps; car il ne seroit pas à propos d'estre aupres d'une malade avec autant de gravité que l'on seroit ailleurs, ne la voulant non plus caresser que si elle estoit en pleine santé.

  A006000187 

 L'affabilité est celle qui respand une certaine suavité dans les affaires et communications serieuses que nous avons les uns parmi les autres; la bonne conversation est celle qui nous rend gratieux et agreables dans les recreations et communications moins serieuses que nous avons avec nostre prochain.

  A006000187 

 Or, la vertu d'affabilité se tient entre le trop et le trop peu, faisant des caresses selon la necessité de ceux avec lesquels on traitte, conservant neantmoins une gravité suave, selon que les personnes et les affaires desquelles on traitte le requierent.

  A006000187 

 Toutes les vertus, ainsi que vous sçavez, ont deux vices contraires, qui sont les extremités de la vertu; la vertu donc d'affabilité est au milieu de deux vices: de la gravité ou trop grande seriosité, et d'une trop grande mollesse à caresser et dire des paroles frequentes qui tendent à la flatterie.

  A006000188 

 Ainsi voyons-nous qu'il ne nous faut pas estonner si nous ne sommes pas esgalement doux et suaves, pourveu que nous aymions nostre prochain de l'amour du cœur, selon toute son estendue, et comme Nostre Seigneur nous a aymés: c'est à dire plus que nous-mesmes, le preferant tousjours à nous en toutes choses dans l'ordre de la sainte charité, et ne luy refusant jamais rien que nous puissions contribuer [60] pour son utilité, excepté de nous damner, ainsi que nous avons desja dit.

  A006000188 

 C'est bien la verité, que nous devons tous avoir ceste pretention d'atteindre et donner droit dans le blanc de la vertu, laquelle nous devons desirer ardemment: [59] mais pourtant nous ne devons pas perdre courage quand nous ne rencontrons pas droittement l'essence de la vertu, ni nous estonner, pourveu que nous donnions dans le rond, c'est à dire au plus pres que nous pourrons; car c'est une chose que les Saints mesmes n'ont pas sceu faire en toutes les vertus, n'y ayant que Nostre Seigneur et Nostre Dame qui l'ayent peu faire.

  A006000188 

 Il faut pourtant tascher de rendre autant que nous pourrons les tesmoignages exterieurs de nostre affection conformément à la rayson; rire avec les rians, pleurer avec ceux qui pleurent..

  A006000188 

 Il n'y a rien de plus doux que saint Augustin, ses escrits sont la douceur et suavité mesme; au contraire, saint Hierosme estoit extremement austere: pour en sçavoir quelque chose, voyez-le en ses epistres, il se courrouce quasi tousjours.

  A006000188 

 La vertu de bonne conversation requiert que l'on contribue à la joye sainte et moderée, et aux entretiens gratieux qui peuvent servir de consolation ou de recreation au prochain, en sorte que nous ne luy causions point d'ennuy par nos contenances refrongnées et melancoliques, ou bien refusant de nous recreer au temps qui est destiné pour ce faire.

  A006000188 

 Neantmoins, tous deux estoient grandement vertueux; mais l'un avoit plus de douceur, l'autre une plus grande austerité de vie, et tous deux (quoy que non pas esgalement ni doux ni rigoureux) ont esté des grands Saints.

  A006000188 

 Nous avons desja traitté de ceste vertu en l'Entretien de la Modestie; voila pourquoy je passe outre, et dis que c'est une chose fort difficile de rencontrer tousjours le blanc auquel on vise.

  A006000189 

 Ainsi, mes cheres filles, il faut tesmoigner que nous aymons nos Sœurs et que nous nous plaisons avec elles, pourveu que la sainteté accompagne tousjours les tesmoignages que nous leur rendons de nostre affection, et que Dieu n'en puisse pas, non seulement estre offensé, mais qu'il en puisse estre glorifié et loué.

  A006000189 

 C'estoit la coustume d'user des baisers quand les Chrestiens se rencontroyent; Nostre Seigneur usoit aussi envers ses Apostres de ceste forme de salutation, ainsi que nous apprenons en la trahison de Judas.

  A006000189 

 Je dis qu'il faut tesmoigner que nous aymons nos Sœurs (et cecy est la seconde partie de la question) sans user de familiarité indecente: la Regle le dit, mais voyons ce qu'il faut faire de cecy.

  A006000189 

 Le mesme saint Paul qui nous enseigne de faire que nos affections soient tesmoignées saintement, veut et nous enseigne de le faire gratieusement, nous en donnant l'exemple: Saluez, dit-il, un tel, qui [61] sçait bien que je l'ayme de cœur, et un tel, qui doit estre asseuré que je l'ayme comme mon frere, et en particulier sa mere, qui sçait bien qu'elle est aussi la mienne..

  A006000189 

 Rien, sinon que la sainteté paroisse en nostre familiarité et tesmoignage d'amitié, ainsi que le dit saint Paul en l'une de ses Epistres: Saluez-vous, dit-il, avec le baiser saint.

  A006000190 

 C'est à ceux qui ont plus besoin de nous auxquels nous devons tesmoigner nostre amour plus particulierement; car c'est là où nous monstrons mieux que nous aymons par charité, que non pas en aymant ceux qui nous donnent plus de consolation que de peine.

  A006000190 

 Et en cecy il faut proceder selon que l'utilité du prochain le requiert.

  A006000190 

 Je dis à cela, que bien que nous soyons obligés d'aymer davantage ceux qui sont plus vertueux, de l'amour de complaisance, nous ne les devons pas pourtant plus aymer de l'amour de bienveuillance, et ne leur devons pas tesmoigner plus de signes d'amitié; et cela pour deux raisons.

  A006000190 

 La premiere est que Nostre Seigneur ne l'a pas fait, ains il semble qu'il ayt plus monstré d'affection aux imparfaits qu'aux parfaits, puisqu'il a dit qu'il n'estoit pas venu pour les justes, ains pour les pecheurs.

  A006000190 

 Mais hors de là, il faut tascher de faire que nous aymions tous esgalement, puisque Nostre Seigneur n'a pas dit: Aymez ceux qui sont plus vertueux, ains indifferemment: Aymez-vous les uns les autres ainsi que je vous ay aymés, sans en exclure aucun, pour imparfait qu'il soit..

  A006000190 

 On demande sur ce sujet si on oseroit tesmoigner davantage d'affection à une Sœur que l'on estime plus vertueuse, que non pas à une autre.

  A006000191 

 Il se peut faire qu'une Sœur laquelle vous verrez chopper fort souvent et commettre force imperfections, sera plus vertueuse et plus agreable à Dieu (ou pour la grandeur du courage qu'elle conserve parmi ses imperfections, ne se laissant point troubler ni inquieter de se voir si sujette à tomber, ou bien par l'humilité qu'elle en retire, ou encores par l'amour de son abjection) que non pas une autre laquelle aura une douzaine de vertus, ou naturelles ou bien acquises, et laquelle aura moins d'exercice et de travail, et par consequent peut estre, moins de courage et d'humilité que non pas l'autre que l'on void si sujette à faillir.

  A006000191 

 La seconde raison pour laquelle nous ne devons pas rendre des tesmoignages d'amitié aux uns plus qu'aux autres, et ne devons nous laisser aller à les aymer davantage, est que nous ne pouvons pas juger qui sont [62] les plus parfaits et qui ont le plus de vertu; car les apparences exterieures sont trompeuses, et bien souvent ceux qui vous semblent estre les plus vertueux (comme j'ay dit autre part) ne le sont pas devant Dieu, qui est celuy-là seul qui peut les recognoistre.

  A006000191 

 Saint Pierre fut choisi pour estre le chef des Apostres, quoy qu'il fust sujet à beaucoup d'imperfections, en sorte qu'il en commettoit mesme apres qu'il eut receu le Saint Esprit; mais parce que nonobstant ces defauts, il avoit tous jours un grand courage et ne s'en estonnoit point, Nostre Seigneur le rendit son lieutenant et le favorisa par dessus tous les autres, de sorte que nul n'eust eu raison de dire qu'il ne meritoit pas d'estre precipué et avantagé par dessus saint Jean ou les autres Apostres..

  A006000192 

 Et toutes doivent sçavoir que nous les aymons de cest amour du cœur; et partant il n'est pas besoin d'user de tant de paroles, que nous les aymons cherement, que nous avons une certaine inclination à les aymer particulierement, [63] et autres semblables; car pour avoir une inclination pour une plus que pour les autres, l'amour que nous luy portons n'en est pas plus parfait, ains peut estre, plus sujet à changement à la moindre petite chose qu'elle nous fera.

  A006000192 

 Il faut donc nous tenir en l'affection que nous devons avoir pour nos Sœurs le plus esgalement que nous pourrons, pour les raisons susdites.

  A006000192 

 Que si tant est qu'il soit vray que nous ayons de l'inclination à en aymer une plustost que l'autre, nous ne devons nous amuser à y penser, et encor moins à le luy dire; car nous ne devons pas aymer par inclination, ains aymer nostre prochain, ou parce qu'il est vertueux, ou pour l'esperance que nous avons qu'il le deviendra, mais principalement parce que telle est la volonté de Dieu..

  A006000193 

 C'est à ce souverain degré de l'amour du prochain que les Religieux et Religieuses, et nous autres qui sommes consacrés au service de Dieu, sommes appellés; car, ce [64] n'est pas assez d'assister le prochain de nos commodités temporelles, ce n'est pas encor assez, dit saint Bernard, d'employer nostre propre personne à souffrir pour cest amour: mais il faut passer plus avant, nous laissant employer pour luy par la tres-sainte obeissance, et par luy tout ainsi que l'on voudra, sans que jamais nous y resistions.

  A006000193 

 Car quand nous nous employons nous-mesmes, et par le choix de nostre propre volonté ou propre election, cela donne tousjours beaucoup de satisfaction à nostre amour propre; mais à nous laisser employer es choses que l'on veut, et que nous ne voulons pas, c'est à dire que nous ne choisissons pas, c'est là où gist le souverain degré de l'abnegation: comme quand nous voudrions prescher, on nous envoye servir les malades; quand nous voudrions prier pour le prochain, on nous envoye servir le prochain.

  A006000193 

 En quoy il nous apprend que de s'employer, voire de donner sa vie pour le prochain, n'est pas tant que de se laisser employer au gré des autres, ou par eux ou pour eux; et ce fut ce qu'il avoit appris de nostre doux Sauveur sur la croix.

  A006000193 

 O mieux vaut tousjours, sans comparaison, ce que l'on nous fait faire (j'entends ce qui n'est pas contraire à Dieu et qui ne l'offense point) que ce que nous faisons ou choisissons à faire nous-mesme..

  A006000193 

 Or pour bien tesmoigner que nous l'aymons, il faut luy procurer tout le bien que nous pouvons, tant pour l'ame que pour le corps, priant pour luy, et le servant cordialement quand l'occasion s'en presente: d'autant que l'amitié qui se termine en belles paroles n'est pas grand'chose, et n'est pas s'aymer comme Nostre Seigneur nous a aymés, lequel ne s'est pas contenté de nous asseurer qu'il nous aymoit, mais a voulu passer plus outre, en faisant tout ce qu'il a fait pour preuve de son amour.

  A006000193 

 Saint Paul parlant à ses enfans tres-chers: Je suis tout prest, dit-il, à donner ma vie pour vous et à m'employer si absolument que je ne veux faire aucune reserve, pour vous tesmoigner combien je vous ayme cherement et tendrement: ouy mesme, vouloit-il dire, je suis prest à laisser faire pour vous ou par vous tout ce que l'on voudra de moy.

  A006000194 

 Aymons-nous donc bien les uns les autres, et nous servons pour cela de ce motif qui est si preignant pour nous exciter à ceste sainte dilection, que Nostre Seigneur sur la croix respandit jusques à la derniere goutte de son sang sur la terre, comme pour faire un ciment sacré duquel il vouloit cimenter, unir, conjoindre et attacher toutes les pierres de son Eglise, qui sont les fidelles, les uns avec les autres, à fin que ceste union fust tellement forte qu'il ne s'y trouvast jamais aucune division, tant il craignoit que ceste division ne causast la damnation eternelle..

  A006000195 

 Et neantmoins nostre doux [65] Sauveur avoit des pensées d'amour pour eux, nous en donnant un exemple du tout inimaginable en ce qu'il excuse ceux qui le crucifioyent et l'injurioyent d'une rage toute barbare, et cherche des inventions pour faire que son Pere leur pardonne en l'acte mesme du peché et de l'injure.

  A006000195 

 Le support des imperfections du prochain est un des principaux points de cest amour: Nostre Seigneur nous l'a monstré sur la croix, lequel avoit un cœur si doux envers nous et nous aymoit si cherement; nous, dis-je, et ceux mesme qui luy causoyent la mort, et qui estoyent en l'acte du peché le plus enorme que jamais homme puisse faire, car le peché que les Juifs commirent fut un monstre de meschanceté.

  A006000195 

 O que nous sommes miserables nous autres mondains! car à peine pouvons-nous oublier une injure que l'on nous a faite, long temps apres que nous l'avons receuë.

  A006000196 

 Il faut de plus remarquer que l'amour cordial est attaché à une vertu qui est comme une dependance de cest amour, et c'est une confiance toute enfantine.

  A006000196 

 Il ne se faut pas donc estonner ni descourager quand nous commettons des imperfections et des defauts devant nos Sœurs; ains au contraire, il faut estre bien aises que nous soyons recognuës pour telles que nous sommes.

  A006000196 

 Je ne dis pas que si on avoit quelque don extraordinaire de Dieu il faille le dire à tout le monde, non; mais quant à nos petites consolations et nos petits biens, [66] je voudrois que l'on ne fist pas les reservées, ains que, quand l'occasion s'en presenteroit, non par forme de jactance ou vanterie, ains de simple confiance, l'on se les communiquast rondement et naïfvement les unes aux autres; et pour ce qui regarde nos defauts, que nous ne nous missions pas en peine de les couvrir; car pour ne les laisser pas voir au dehors ils n'en sont pas meilleurs.

  A006000196 

 Les Sœurs ne croiront pas pour cela que vous n'en ayez point, et vos imperfections seront peut estre plus dangereuses que si elles estoyent descouvertes et qu'elles vous causassent de la confusion, ainsi qu'elles font à celles qui sont plus faciles à les laisser paroistre à l'exterieur.

  A006000196 

 Les enfans quand ils ont quelque belle plume ou quelque autre chose qu'ils estiment jolie, ils ne sont pas en repos qu'ils n'ayent rencontré tous leurs petits compagnons pour leur monstrer leur plume et faire qu'ils ayent part à leur joye; comme aussi ils veulent qu'ils ayent part à leur douleur, car dés lors qu'ils ont un peu de mal au bout du doigt ils ne cessent de le dire à tous ceux qu'ils rencontrent, à fin que l'on les plaigne et qu'on souffle un peu sur leur mal.

  A006000196 

 Or je ne dis pas qu'il faille estre tout à fait comme ces enfans; mais je dis que ceste confiance doit faire que les Sœurs ne soyent pas chiches de communiquer leurs petits biens et petites consolations à leurs Sœurs, ne craignant pas aussi que leurs imperfections soyent remarquées par elles.

  A006000196 

 Vous aurez fait une faute ou une lourdise, il est vray; mais c'est devant vos Sœurs qui vous ayment cherement, et partant qui vous sçauront bien supporter en vostre defaut, et en auront plus de compassion sur vous que de passion contre vous.

  A006000197 

 En fin pour conclusion de ce discours, il faut se ressouvenir tousjours que, pour quelque manquement de suavité que l'on commet quelques fois par mesgarde, l'on ne se doit pas fascher ni juger que l'on n'ayt point de cordialité; car l'on ne laisse pas d'en avoir.

  A006000201 

 Dites-vous, ma fille, si vous devez rire au chœur et au refectoire, quand, sur quelque rencontre inopinée, les autres rient? Je vous dis que dans le chœur il ne faut nullement contribuer à la joye des autres; ce n'en est pas le lieu, et ce defaut doit estre vivement corrigé.

  A006000201 

 Pour le refectoire, si je m'appercevois que toutes rient, je rirois avec elles; mais si j'en voyois une douzaine sans rire, je ne rirois pas et ne me mettrois point en peine d'estre appellée trop serieuse..

  A006000203 

 Ce que j'ay dit que nous devons rendre nostre amour si esgal envers les Sœurs, que nous en ayons autant pour les unes que pour les autres, cela veut dire autant que nous le pouvons; car il n'est pas en nostre pouvoir d'avoir autant de suavité en l'amour que nous avons pour celles à qui nous avons moins d'alliance et correspondance d'humeur, qu'avec les autres, avec lesquelles nous avons de la sympathie.

  A006000205 

 Comme aussi, pour dire une chose qui se peut dire en douze paroles, j'en dis vingt de gayeté de cœur et sans nul besoin; cela est inutile, sinon, toutesfois, que cette multiplication se fist par l'ignorance de celle qui parle, qui ne se sçait pas autrement expliquer, alors il n'y a pas peché..

  A006000205 

 Voulez-vous sçavoir ce qui seroit oyseux? Si lors que l'on doit parler de choses serieuses et saintes, une Sœur venoit à raconter un songe ou quelque conte fait à plaisir; alors son discours n'auroit point de fin, et par consequent seroit inutile.

  A006000206 

 Je ne voudrois pas que l'on fist scrupule quand on auroit passé toute une recreation à parler de choses indifferentes; une autre fois l'on parlera de choses bonnes..

  A006000206 

 Mais quant à la recreation, il ne faut point croire que ce soient paroles inutiles que les petites choses indifferentes [69] que l'on y dit, d'autant que c'est à une fin tres-sainte et tres-utile; les Sœurs ont besoin de se recreer, et sur tout il faut bien faire faire la recreation aux Novices.

  A006000207 

 De dire une parole de joyeuseté qui la mortifie un peu, pourveu que cela ne l'attriste, si je l'avois fait sans intention, mais par simple recreation, je ne m'en confesserojs pas.

  A006000207 

 Deux ou trois paroles en passant, puis l'on se radresse, cela ne merite pas seulement que l'on y prenne garde.

  A006000211 

 L'humilité, c'est de faire quelque acte pour s'humilier; l'habitude est d'en faire à toute rencontre et en toutes occasions qui s'en presentent; mais l'esprit d'humilité est de se plaire en l'humiliation, de rechercher l'abjection et l'humilité parmi toutes choses: c'est à dire, qu'en tout ce que nous faisons, disons ou desirons, nostre but principal soit de nous humilier et avilir, et que nous nous plaisions à rencontrer nostre propre abjection en toutes occasions, en aymant cherement la pensée.

  A006000211 

 Pour mieux entendre cecy il faut sçavoir que comme il y a difference entre l'orgueil, la coustume de l'orgueil, et l'esprit de l'orgueil (car si vous faites un acte d'orgueil, voila l'orgueil; si vous en faites des actes à tout propos et à toute rencontre, c'est la coustume de l'orgueil; si vous vous plaisez en ces actes et les recherchez, c'est l'esprit d'orgueil), de mesme, il y a difference entre l'humilité, l'habitude de l'humilité, et l'esprit d'humilité.

  A006000211 

 Voila que c'est que faire toutes choses en esprit d'humilité, et c'est autant que qui diroit, rechercher l'humilité et l'abjection en toutes choses..

  A006000212 

 C'est une bonne pratique d'humilité de ne regarder [71] les actions d'autruy que pour en remarquer les vertus et non jamais les imperfections; car tandis que nous n'en avons point de charge il ne faut point tourner nos yeux de ce costé là, ni moins nostre consideration.

  A006000212 

 Es choses evidemment mauvaises, il nous faut avoir compassion et nous humilier des defauts du prochain comme des nostres propres, et prier Dieu pour leur amendement, d'un mesme cœur que nous ferions pour le nostre si nous estions sujets aux mesmes defauts.

  A006000212 

 Il faut tousjours interpreter en la meilleure part qu'il se peut ce que nous voyons faire à nostre prochain; et és choses douteuses, il nous faut persuader que ce que nous avons apperceu n'est point mal, ains que c'est nostre imperfection qui nous cause telle pensée, à fin d'eviter les jugemens temeraires sur les actions d'autruy, qui est un mal tres dangereux et lequel nous devons souverainement detester.

  A006000213 

 Mais que pourrons-nous faire, dites-vous, pour acquerir cet esprit d'humilité tel que nous avons dit? O! il n'y a point d'autre moyen pour l'acquerir que pour toutes les autres vertus, qui ne s'acquierent que par des actes reiterés..

  A006000214 

 L'humilité nous fait aneantir en toutes les choses qui ne sont pas necessaires pour nostre advancement en la grace, comme seroit de bien parler, avoir un beau maintien, de grands talents pour le maniement des choses exterieures, un grand esprit, de l'eloquence, et semblables; car en ces choses exterieures il faut desirer que les autres y fassent mieux que nous.

  A006000218 

 Pour bien entendre que c'est, et en quoy consiste ceste force et generosité d'esprit que vous me demandez, il faut premierement respondre à une question que vous m'avez fait fort souvent, sçavoir, en quoy consiste la vraye humilité, d'autant qu'en resolvant ce poinct je me feray mieux entendre parlant du second, qui est de la generosité d'esprit de laquelle vous voulez que maintenant je traitte..

  A006000219 

 C'est donc avec grande raison que l'humilité ne fait point d'estat de tous ces biens là.

  A006000219 

 Ce que pour mieux entendre, il faut sçavoir qu'il y a en nous deux sortes de biens: les uns qui sont en nous et de nous, et les autres qui sont en nous, mais non pas de nous.

  A006000219 

 Et ceste estime que l'humilité fait de tous ces biens, à sçavoir de la foy, de l'esperance et de la charité, est le fondement de la generosité de l'esprit..

  A006000219 

 Et qu'il ne soit ainsi, y a-t'il rien de moins asseuré que les richesses, qui dependent du temps et des saisons? que la beauté, qui se ternit en moins de rien? il ne faut qu'une dertre sur le visage pour en oster l'esclat; et pour ce qui est des sciences, un petit trouble de cerveau nous fait perdre et oublier tout ce que nous en sçavions.

  A006000219 

 L'humilité donc n'est autre chose qu'une parfaite recognoissance que nous ne sommes rien qu'un pur neant, et elle nous fait tenir en ceste estime de nous-mesmes.

  A006000219 

 Mais d'autant qu'elle, nous fait plus abaisser et humilier par la cognoissance de ce que nous sommes de nous-mesmes, par le peu d'estime qu'elle fait de tout ce qui est en nous et de nous, d'autant aussi nous fait-elle grandement estimer à cause des biens qui sont en nous, et non pas de nous, qui sont la foy, l'esperance, l'amour de Dieu, pour peu que nous en ayons, comme aussi une certaine capacité que Dieu nous a donnée de nous unir à luy par le moyen de la grace; et quant à nous autres, nostre vocation, qui nous donne asseurance, autant que nous la pouvons avoir en ceste vie, de la possession de la gloire et felicité eternelle.

  A006000219 

 Or, l'humilité nous empesche de nous glorifier et estimer à cause de ces biens là, d'autant qu'elle n'en fait non plus de cas que d'un neant et d'un rien; et en effet, cela se doit par raison, n'estant point des biens stables et qui nous rendent plus agreables à Dieu, ains muables et sujets à la fortune.

  A006000219 

 Quand je dis que nous avons des biens qui sont de nous, je ne veux pas dire qu'ils ne viennent de Dieu et que nous les ayons de nous-mesmes; car en verité, de nous-mesmes nous n'avons autre chose que la misere et le neant: mais je veux dire que ce sont des biens que Dieu a tellement mis en nous qu'ils semblent estre de nous; et ces biens sont la santé, les richesses, [74] les sciences, et autres semblables.

  A006000220 

 Il y a des personnes qui s'amusent à une fausse et niaise humilité qui les empesche de regarder en eux ce que Dieu y a mis de bon.

  A006000220 

 Ils ont tres-grand tort; car les biens que Dieu a mis en nous veulent estre recognus, estimés et grandement honnorés, et non pas tenus au mesme rang de la basse estime que nous devons faire de ceux qui sont en nous et qui sont de nous.

  A006000220 

 Vous voyez donc que ces deux vertus d'humilité et de generosité sont tellement jointes et unies l'une à l'autre, qu'elles ne sont jamais et ne peuvent estre separées.

  A006000221 

 Et ainsi elle fait ce discours en elle-mesme: si Dieu m'appelle à un estat de perfection si haute qu'il n'y en ayt point en ceste vie de plus relevée, qu'est-ce qui me pourra empescher d'y parvenir, puisque je suis tres-asseurée que Celuy qui a commencé l'œuvre de ma perfection la parfera? Mais prenez garde que tout cecy se fait sans aucune presomption, d'autant que ceste confiance n'empesche pas que nous ne nous tenions tousjours sur nos gardes, de crainte de faillir; ains elle nous rend plus attentifs sur nous-mesmes, plus vigilans et soigneux de faire ce qui nous peut servir pour l'avancement de nostre perfection..

  A006000221 

 L'humilité qui ne produit point la generosité est indubitablement fausse, car apres qu'elle a dit: Je ne puis rien, je ne suis rien qu'un pur neant, elle cede tout incontinent la place à la generosité de l'esprit, laquelle dit: Il n'y a rien et il n'y peut rien avoir que je ne puisse, d'autant que je mets toute ma confiance en Dieu qui peut tout; et dessus ceste confiance, elle entreprend courageusement de faire tout ce qu'on luy commande.

  A006000221 

 Mais remarquez que je dis, tout ce qu'on luy commande ou conseille, pour difficile qu'il soit; car je vous puis asseurer qu'elle ne juge pas que faire des miracles luy soit chose impossible, luy estant commandé d'en faire.

  A006000221 

 Que si elle se met à l'execution du commandement en simplicité de cœur, Dieu fera plustost [76] miracle que de manquer de luy donner le pouvoir d'accomplir son entreprise, parce que ce n'est point sur la confiance qu'elle a en ses propres forces qu'elle l'entreprend, ains elle est fondée sur l'estime qu'elle fait des dons que Dieu luy a faits.

  A006000222 

 Il est vray, vouloit-elle dire, que je ne suis en aucune façon capable de ceste grace, eu esgard à ce que je suis de moy-mesme; ains entant que ce qui est de bon en moy est de Dieu et que ce que vous me dites est sa tres-sainte volonté, je croy qu'il se peut et qu'il se fera; et partant, sans aucun doute, elle dit: Me soit fait ainsi que vous dites..

  A006000222 

 La tres sainte Vierge Nostre Dame nous fournit à ce sujet un exemple tres-remarquable lors qu'elle prononça ces mots: Voicy la servante du Seigneur, me soit fait selon ta parole; car en ce qu'elle dit qu'elle est servante du Seigneur, elle fait un acte d'humilité le plus grand qui se peut faire, d'autant qu'elle oppose aux louanges que l'Ange luy donne, qu'elle sera Mere de Dieu, que l'enfant qui sortira de ses entrailles sera appellé le Fils du Tres-Haut, dignité la plus grande que l'on eust peu jamais imaginer, elle oppose, dis-je, à toutes les louanges et grandeurs sa bassesse [77] et son indignité, disant qu'elle est servante du Seigneur.

  A006000222 

 Mais prenez garde que dés qu'elle a rendu le devoir à l'humilité, tout incontinent elle fait une pratique de generosité tres excellente, disant: Me soit fait selon ta parole.

  A006000223 

 Apres cest acte de confiance se devroit immediatement faire celuy de generosité, disant: Puisque je suis tres asseuré que la grace de Dieu ne me manquera point, je veux encore croire qu'il ne permettra pas que je manque à correspondre à sa grace.

  A006000223 

 Pareillement, à faute de ceste generosité, il se fait fort peu d'actes de vraye contrition; d'autant qu'apres nous estre humiliés et confondus devant la divine Majesté en consideration de nos grandes infidelités, nous ne venons pas à faire cest acte de confiance, nous relevant le courage par une asseurance que nous devons avoir que la divine Bonté nous donnera sa grace, pour desormais luy estre fidelles et correspondre plus parfaitement à son amour.

  A006000223 

 Si donc il est ainsi, qui m'asseurera que je ne manqueray point à la grace desormais, puisque je luy ay manqué tant de fois par le passé? Je responds que la generosité fait que l'ame dit hardiment et sans rien craindre: Non, je ne seray plus infidelle à Dieu; et parce qu'elle sent en son cœur ceste resolution de ne l'estre jamais, elle entreprend sans rien craindre tout ce qu'elle sçait la pouvoir rendre [78] agreable à Dieu, sans exception d'aucune chose; et entreprenant tout, elle croid de pouvoir tout, non d'elle-mesme, ains en Dieu auquel elle jette toute sa confiance; et pour ce elle fait et entreprend tout ce qu'on luy commande et conseille..

  A006000224 

 Et à fin que vous entendiez mieux cecy, il faut distinguer, comme j'ay accoustumé de vous dire, la partie superieure de nostre ame d'avec l'inferieure.

  A006000224 

 Je responds que la generosité d'esprit ne nous permet jamais d'entrer en aucun doute.

  A006000224 

 Mais nous autres, nous sommes si joyeux que rien plus, de tesmoigner que nous sommes bien humbles et que nous avons une basse estime de nous-mesmes, et semblables choses, qui ne sont rien moins que la vraye humilité, laquelle ne nous permet jamais de resister au jugement de ceux que Dieu nous a donnés pour nous conduire..

  A006000224 

 Or, quand je dis que la generosité ne nous permet point de douter, c'est quant à la partie superieure; car il se pourra bien faire que l'inferieure sera toute pleine de ces doutes, et aura beaucoup de peine à recevoir la charge ou l'employ que l'on nous donne; mais de tout cela, l'ame qui est genereuse s'en mocque et n'en fait aucun estat, ains se met simplement en l'exercice de ceste charge, sans dire une seule parole ni faire aucune action pour tesmoigner le sentiment qu'elle a de son incapacité.

  A006000225 

 Et de plus, Isaïe luy dit que pour preuve de la verité de ce qu'il luy disoit, qu'il demandast à Dieu un signe au ciel ou bien en la terre, et qu'il le luy donneroit.

  A006000225 

 Il offença Dieu en refusant d'obeir au Prophete que Dieu luy avoit envoyé pour luy signifier sa volonté..

  A006000225 

 J'ay mis dans le livre de l' Introduction un exemple qui sert à mon sujet et qui est fort remarquable: c'est du roy Achaz, lequel estant reduit à une tres-grande affliction par la rude guerre que luy faisoyent deux autres roys lesquels avoient assiegé Hierusalem, Dieu commanda au prophete Isaïe de l'aller consoler de sa part, et luy promettre qu'il emporteroit la victoire et [79] demeureroit triomphant de ses ennemis.

  A006000225 

 Lors, Achaz se mesfiant de la bonté de Dieu et de sa liberalité: Non, dit-il, je ne le feray pas, d'autant que je ne veux pas tenter Dieu. Mais le miserable ne disoit pas cela pour l'honneur qu'il portoit à Dieu; car au contraire, il refusoit de l'honnorer, parce que Dieu vouloit estre glorifié en ce temps là par des miracles, et Achaz refusoit de luy en demander un qu'il luy avoit signifié qu'il desireroit faire.

  A006000226 

 Je dis qu'il ne vous faut pas tous-jours croire quand vous dites, poussées peut estre de découragement, que vous estes des miserables et toutes remplies d'imperfections; non plus qu'il ne faut pas croire que vous n'en ayez point quand vous n'en dites rien, estant pour l'ordinaire telles que vos œuvres vous font paroistre.

  A006000226 

 L'on ne sçauroit, pendant que l'on ne sent point de malice en son cœur, tromper l'esprit des Superieurs..

  A006000226 

 Mais vous me dites, que possible vous avez plusieurs miseres interieures et de grandes imperfections que vos Superieurs ne cognoissent pas, et qu'ils se fondent sur les apparences exterieures par lesquelles vous avez peut estre trompé leurs esprits.

  A006000226 

 Nous ne devons donc jamais mettre en doute que nous ne puissions faire ce qui nous est commandé, d'autant que ceux qui nous commandent cognoissent bien nostre capacité.

  A006000226 

 Vos vertus se cognoissent par la fidelité que vous avez à les pratiquer, et de mesme les imperfections se recognoissent par les actes.

  A006000227 

 Mais j'entends bien la finesse: c'est que nous craignons de n'en pas sortir à nostre honneur; nous avons nostre reputation en si grande recommandation, que nous ne voulons point estre tenus pour apprentifs en l'exercice de nos charges, ains pour maistres et maistresses qui ne font jamais des fautes..

  A006000227 

 Mais vous me dites que l'on void plusieurs Saints qui ont fait grande resistance pour ne pas recevoir les [80] charges que l'on leur vouloit donner.

  A006000227 

 Or, ce qu'ils en ont fait n'a pas esté seulement à cause de la basse estime qu'ils faisoyent d'eux-mesmes, mais principalement à cause de ce qu'ils voyoient que ceux qui les vouloyent mettre en ces charges se fondoyent sur des vertus apparentes, comme sont les jeusnes, les aumosnes, les penitences et aspretés du corps, et non sur les vrayes vertus interieures, qu'ils tenoyent closes et couvertes sous la sainte humilité.

  A006000227 

 Puis, ils estoyent poursuivis et recherchés par des peuples qui ne les cognoissoyent point que par reputation.

  A006000228 

 Ces tendretés se nourrissent des vaines reflexions [81] que nous faisons sur nous-mesmes, principalement quand nous avons bronché en nostre chemin par quelque faute; car ceans, par la grace de Dieu, l'on ne tombe jamais du tout, nous ne l'avons encore point veu, mais l'on bronche; et au lieu de s'humilier tout doucement, et puis se redresser courageusement, comme nous avons dit, l'on entre en la consideration de sa pauvreté, et dessus cela l'on commence à s'attendrir sur soy-mesme.

  A006000228 

 Et par apres, l'on passe au découragement qui nous fait dire: O non, il ne faut plus rien esperer de moy, je ne feray jamais rien qui vaille, c'est perdre le temps que de me parler; et là dessus, nous voudrions quasi que l'on nous laissast là, comme si l'on estoit bien asseuré de ne pouvoir jamais rien gagner avec nous.

  A006000228 

 Hé, mon Dieu, que je suis miserable! je ne suis propre à rien.

  A006000228 

 Les Filles de la Visitation sont toutes appellées à une tres-grande perfection, et leur entreprise est la plus haute et la plus relevée que l'on sçauroit penser; d'autant qu'elles n'ont pas seulement pretention de s'unir à la volonté de Dieu, comme doivent avoir toutes les creatures, mais de plus, elles pretendent de s'unir à ses desirs, voire mesme à ses intentions, je dis avant mesme qu'elles soyent presque signifiées; et s'il se pouvoit penser quelque chose de plus parfait et un degré de plus grande perfection que de se conformer à la volonté de Dieu, à ses désirs et à ses intentions, elles entreprendroyent [82] sans doute d'y monter, puisqu'elles ont une vocation qui les y oblige.

  A006000228 

 Mon Dieu, que toutes ces choses sont esloignées de l'ame qui est genereuse et qui fait une grande estime, comme nous avons dit, des biens que Dieu a mis en elle! Car elle ne s'estonne point, ni de la difficulté du chemin qu'elle a à faire, ni de la grandeur de l'œuvre, ni de la longueur du temps qu'il y faut employer, ni en fin du retardement de l'œuvre qu'elle a entreprise.

  A006000228 

 Vous entendez maintenant assez que c'est que l'esprit de force et de generosité que nous avons tant d'envie de voir ceans, à fin d'en bannir toutes les niaiseries et tendretés, qui ne servent qu'à nous arrester en nostre chemin et nous empescher de faire progres en la perfection.

  A006000229 

 Et cela, parce qu'elle considere que Celuy qui luy a donné les consolations est Celuy-là mesme qui luy envoye les afflictions; lequel luy envoye les unes et les autres poussé du mesme amour, qu'elle recognoist estre tres-grand, parce que par l'affliction interieure de l'esprit il pretend de l'attirer à une tres-grande perfection, qui est l'abnegation de toute sorte de consolations en ceste vie, demeurant tres-asseurée que Celuy qui l'en prive icy bas ne l'en privera point eternellement là haut au Ciel..

  A006000229 

 Mais outre ce que nous avons dit de ceste generosité, il faut encore dire cecy, qui est que l'ame qui la possede reçoit également les secheresses et les tendresses des consolations, les ennuys interieurs, les tristesses, les accablemens d'esprit, comme les ferveurs et les prosperités d'un esprit bien plein de paix et de tranquillité.

  A006000230 

 Escoutez ces paroles qu'il dit sur la croix: Mon Dieu, mon Dieu, fourquoy m'avez-vous abandonné? Il estoit reduit à l'extremité, car il n'y avoit que la fine pointe de son esprit qui ne fust accablé de langueurs; mais remarquez qu'il se prend à parler à Dieu, pour nous montrer qu'il ne nous seroit impossible de le faire..

  A006000230 

 Hé, pour Dieu! considerons que Nostre Seigneur et nostre Maistre a bien voulu estre exercé par ces ennuys interieurs, mais d'une façon incomparable.

  A006000230 

 Le sacré Concile de Trente a determiné cela, et nous sommes obligés de croire que Dieu et sa grace ne nous abandonnent jamais en telle sorte que nous ne puissions recourir à sa bonté et protester que, contre tout le trouble de nostre ame, nous voulons estre toutes à luy et que nous ne le voulons point offencer.

  A006000230 

 Mais remarquez que tout cecy est en la partie supreme de nostre ame; et parce que la partie inferieure n'en apperçoit rien et qu'elle [83] demeure tousjours en sa peine, cela nous trouble et nous fait estimer bien miserables: et sur cela, nous commençons à nous attendrir dessus nous mesmes, comme si c'estoit une chose bien digne de compassion que de nous voir sans consolation.

  A006000230 

 Vous me direz que l'on ne peut pas emmy ces grandes tenebres faire ces considerations, veu qu'il semble que nous ne pouvons pas seulement dire une parole à Nostre Seigneur.

  A006000231 

 Et qu'importe? Nous sommes certes comme des enfans, lesquels sont bien aises d'aller dire à leur mere qu'ils ont esté piqués d'une abeille, à fin que la mere les plaigne et souffle sur le mal qui est desja gueri; car nous voulons aller dire à [84] nostre Mere que nous avons esté bien affligées, et agrandir nostre affliction, la racontant toute par le menu, sans oublier une petite circonstance qui nous puisse faire un peu plaindre.

  A006000231 

 Mais vous me dites que si vous n'y faites point d'attention, que vous ne vous en souviendrez pas pour le dire.

  A006000231 

 Qui est mieux en ce temps, dites-vous, de parler à Dieu de nostre peine et de nostre misere, ou bien de luy parler de quelque autre chose? Je vous dis qu'en cecy, comme en toute sorte de tentations, il est mieux de divertir nostre esprit de son trouble et de sa peine, parlant à Dieu de quelque autre chose, que non pas de luy parler de nostre douleur; car indubitablement, si nous le voulons faire, ce ne sera point sans un attendrissement que nous ferons sur nostre cœur, agrandissant tout de nouveau nostre douleur, nostre nature estant telle qu'elle ne peut voir ses douleurs sans en avoir une grande compassion.

  A006000232 

 Il faut regarder meurement si ce doute a quelque fondement; peut estre qu'environ un quart d'heure, durant ces deux jours, vous avez esté un peu negligente à vous divertir de vostre sentiment: si cela est, dites tout simplement que vous avez esté negligente durant un quart d'heure à vous divertir d'un mouvement de colere que vous avez eu, sans adjouster que la tentation a duré deux jours, si ce n'est que vous le vouliez dire, ou pour tirer de l'instruction de vostre confesseur, ou bien pour ce qui est de vos reveuës; car alors il est tres-bon de le dire.

  A006000232 

 Mais il me vient en doute que je n'y aye fait quelque faute.

  A006000232 

 Mais pour les confessions ordinaires, il seroit mieux de n'en point parler, puisque vous ne le faites que pour vous satisfaire; et si bien il vous en vient un peu de peine ne le faisant pas, il la faut souffrir comme une autre à laquelle vous ne pourriez pas mettre remede.

  A006000232 

 Vous me dites maintenant que lors que vous avez eu quelque grand sentiment de colere ou de quelque autre tentation, il vous vient tousjours du scrupule si vous ne vous en confessez.

  A006000236 

 Dieu luy avoit promis que sa generation seroit multipliée comme les estoilles du ciel et comme le sablon de la mer, et cependant il reçoit le commandement de tuer son fils Isaac.

  A006000236 

 Entre les louanges que les Saints donnent à Abraham, saint Paul releve celle-cy au dessus de toutes les autres: qu' il creut en l'esperance contre l'esperance mesme.

  A006000236 

 Grande certes [86] fut son esperance, car il ne voyoit en aucune façon rien en quoy il la peust appuyer, sinon sur la parole que Dieu luy avoit donnée.

  A006000236 

 Le pauvre Abraham ne perdit son esperance pourtant, ains il espera contre l'esperance mesme, que si bien il obeissoit au commandement qui luy estoit fait de tuer son fils, Dieu ne lairroit pas pourtant de luy tenir parole.

  A006000236 

 O mon Dieu, que nous serions heureux si nous pouvions nous accoustumer à faire ceste response à nos cœurs lors qu'ils sont en soucy de quelque chose: Nostre Seigneur y pourvoira; et qu'apres cela nous n'eussions plus d'anxieté, de trouble ni d'empressement, non plus qu'Isaac! car il se tut apres, croyant que le Seigneur y pourvoiroit, ainsi que son pere luy avoit dit..

  A006000236 

 O que c'est un vray et solide fondement que la parole de Dieu, car elle est infaillible! Abraham sort donc pour accomplir la volonté de Dieu avec une simplicité nompareille; car il ne fit non plus de consideration ni de replique que lors que Dieu luy avoit dit qu'il sortist de sa terre et de sa parenté, et qu'il allast au lieu qu'il luy monstreroit, sans le luy specifier, à fin qu'il s'embarquast plus simplement dans la barque de sa divine providence.

  A006000237 

 Allez, leur dit-il, et ne pensez ni de quoy vous mangerez, ni de quoy vous boirez, ni de quoy vous vous vestirez, ni mesme ce que vous aurez à dire estant devant les grands seigneurs et magistrats des provinces par où vous passerez; car en chaque occasion vostre Pere celeste vous fournira de tout ce qui vous sera necessaire.

  A006000237 

 Considerons, je vous supplie, ce que Nostre Seigneur et nostre Maistre dit à ses Apostres [87] pour establir en eux ceste sainte et amoureuse confiance: Je vous ay envoyés par le monde sans besaces, sans argent et sans nulles provisions, soit pour vous nourrir, soit pour vous vestir; quelque chose vous a-t'elle manqué? Et ils dirent: Non.

  A006000237 

 Grande est certes la confiance que Dieu requiert que nous ayons en son soin paternel et en sa divine providence: mais pourquoy ne l'aurions-nous pas, veu que jamais personne n'y a peu estre trompé? Nul ne se confie en Dieu, qui ne retire les fruicts de sa confiance.

  A006000237 

 Ne pensez point à ce que vous aurez à dire, car il parlera en vous et vous mettra en la bouche les paroles que vous aurez à dire.

  A006000237 

 Pensez-vous que Celuy qui a bien soin de pourvoir de nourriture aux oyseaux du ciel et aux animaux de la terre, qui ne sement ni ne recueillent rien, vienne jamais à s'oublier de pourvoir de tout ce qui sera necessaire à l'homme qui se confiera pleinement en sa providence, puisque l'homme est capable d'estre uni à Dieu nostre souverain bien?.

  A006000238 

 Car, qu'est-ce que Dieu desire de vous sinon ce qu'il ordonna à ses Apostres et ce pourquoy il les envoya par le monde, qui estoit ce que Nostre Seigneur mesme estoit venu faire en ce monde, qui fut pour donner la vie aux hommes? et non seulement cela, dit-il, mais à fin qu'ils vescussent d'une vie plus abondante, qu'ils eussent la vie et une vie meilleure, ce qu'il a fait en leur donnant la grace.

  A006000238 

 Certes, mes cher es filles, cecy vous doit estre un motif de grande consolation, que Dieu se veuille servir de vous pour une œuvre si excellente que celle à laquelle vous estes appellées, et vous vous en devez tenir grandement honnorées devant la divine Majesté.

  A006000238 

 Et n'ayez nul souci si vostre travail sera suivi du fruict que vous en pretendez, car ce n'est pas à vous que l'on demandera le fruict, ains seulement si vous vous serez employés fidellement à bien cultiver ces terres steriles et seches; l'on ne vous demandera pas si vous aurez bien recueilli, ains seulement si vous aurez eu soin de bien ensemencer..

  A006000238 

 Les Apostres furent envoyés de Nostre Seigneur par toute la terre pour le mesme sujet, car Nostre Seigneur leur dit: Ainsi que mon Pere m'a envoyé, je vous envoye; allez, et donnez la vie aux hommes.

  A006000238 

 Mais ne vous contentez pas de cela: faites qu'ils vivent, et d'une vie plus parfaite par le moyen de la doctrine que vous leur enseignerez; ils auront la vie en croyant à ma parole que vous leur exposerez, mais ils auront une vie plus abondante par le bon exemple que vous leur donnerez.

  A006000239 

 ; mais vous ne lairrez pas d'exercer l'office apostolique en la communication de vostre maniere de vie, ainsi que je viens de dire..

  A006000239 

 De mesme, mes cheres filles, estes-vous maintenant commandées d'aller çà et là en divers lieux, pour faire [89] que les araes ayent la vie, et qu'elles vivent d'une meilleure vie: car, qu'est-ce que vous allez faire sinon tascher de donner cognoissance de la perfection de vostre Institut, et par le moyen de ceste cognoissance attirer plusieurs ames à embrasser toutes les observances qui y sont comprises et encloses? Mais sans prescher et conferer les Sacremens et remettre les pechés, ainsi que faisoyent les Apostres, n'allez-vous pas donner la vie aux hommes? mais, pour parler plus proprement, n'allez-vous pas donner la vie aux filles? puisque peut estre cent et cent filles qui se retireront à vostre exemple dans vostre Religion, se fussent perdues demeurant au monde, lesquelles iront jouïr au Ciel, pour toute eternité, de la felicité incomprehensible.

  A006000239 

 Et n'est-ce pas par vostre moyen que la vie leur sera donnée, et qu'elles vivront d'une vie plus abondante, c'est à dire d'une vie plus parfaite et plus agreable à Dieu? vie qui les rendra capables de s'unir plus parfaitement à la divine Bonté, car elles recevront de vous les instructions necessaires pour acquerir le vray et pur amour de Dieu, qui est ceste vie plus abondante que Nostre Seigneur est venu donner aux hommes.

  A006000239 

 J'ay apporté, dit-il, le feu en la terre, qu'est-ce que je demande ou que je pretends, sinon qu'il brusle? Et en un autre endroit, il commande que le feu brusle incessamment sur son autel, et que pour cela il ne soit jamais esteint, pour monstrer avec quelle ardeur il desire que le feu de son amour soit tousjours allumé sur l'autel de nostre cœur.

  A006000239 

 O Dieu, quelle grace est celle que Dieu vous fait! il vous rend apostresses, non en la dignité, ains en l'office et au merite.

  A006000239 

 Vous ne prescherez pas, non, car [90] vostre sexe ne le permet, bien que sainte Magdelaine et sainte Marthe sa sœur l'ayent fait.

  A006000240 

 N'importe, allez sans faire discours, car Dieu vous donnera ce que vous aurez à dire et à faire quand il en sera temps.

  A006000240 

 Que si vous n'avez point de vertu, ou que vous n'en apperceviez point en vous, ne vous mettez pas en peine; car si vous entreprenez pour la gloire de Dieu et pour satisfaire à l'obeissance la conduite des ames ou quelque autre exercice quel qu'il soit, Dieu aura soin de vous, et sera obligé de vous pourvoir de tout ce qui vous sera necessaire, tant pour vous que pour celles que Dieu vous donnera en charge..

  A006000241 

 Il est vray, c'est une chose de grande consequence et de grande importance que celle que vous entreprenez; mais pourtant vous auriez tort si vous n'en esperiez un bon succes, veu que vous ne l'entreprenez pas par vostre choix, ains pour satisfaire à l'obeissance.

  A006000242 

 De mesme, s'il vous arrive des consolations, recevez-les avec esprit de gratitude et de [92] recognoissance envers la divine Bonté; que si vous n'en avez point, ne les desirez point, ains taschez de tenir vostre cœur preparé pour recevoir les divers evenemens de la divine Providence, et d'un mesme cœur autant qu'il se peut.

  A006000242 

 Je veux dire, en un mot, ne desirez rien, ains laissez-vous vous-mesmes et tous vos affaires pleinement et parfaitement au soin de la divine Providence; laissez-luy faire de vous tout de mesme que les enfans se laissent gouverner à leurs nourrices: qu'elle vous porte sur le bras droit ou sur le gauche tout ainsi qu'il luy plaira, laissez-luy faire, car un enfant ne s'en formaliserait point; qu'elle vous couche ou qu'elle vous leve, laissez-luy faire, car c'est une bonne mere, qui sçait mieux ce qu'il vous faut que vous-mesmes.

  A006000242 

 Je veux dire, si la divine Providence permet qu'il vous arrive des afflictions ou mortifications, ne les refusez point, ains acceptez-les de bon cœur, amoureusement et tranquillement; que si elle ne vous en envoye point, ou qu'elle ne permette pas qu'il vous en arrive, ne les desirez point ni ne les demandez point.

  A006000242 

 Non, mes cheres filles, ne demandez rien et ne refusez rien; recevez ce que l'on vous donnera, et ne demandez point ce que l'on ne vous presentera point ou que l'on ne vous voudra pas donner: en ceste pratique vous trouverez la paix pour vos ames.

  A006000242 

 Ouy, mes cheres Sœurs, tenez vos cœurs en ceste sainte indifference de recevoir tout ce que l'on vous donnera, et de ne point desirer ce que l'on ne vous donnera pas.

  A006000242 

 Vous ne sçauriez croire, sans en avoir l'experience, combien ceste pratique apportera de profit en vos ames; car au lieu de vous amuser à desirer ces moyens et puis ces autres de vous perfectionner, vous vous appliquerez plus simplement et fidellement à ceux que vous rencontrerez en vostre chemin..

  A006000243 

 C'est un des principaux fruicts de la Religion que ceste sainte union qui se fait par la charité, union qui est telle, que de plusieurs cœurs il n'en est fait qu'un cœur, et de plusieurs membres il n'en est fait qu' un corps; tous sont tellement faits un en Religion, que tous les Religieux d'un Ordre ne sont, ce semble, qu'un seul Religieux.

  A006000243 

 Et pourquoy cela? La raison en est toute evidente, d'autant que si celles qui sont au chœur pour chanter les Offices n'y estoient pas, les autres y seroyent en leur place; s'il n'y avoit point de Sœurs domestiques pour apprester le disner, les Sœurs du chœur y seroyent employées; si une telle Sœur n'estoit pas Superieure, il y en auroit une autre.

  A006000243 

 Jettant mes yeux sur le sujet de vostre despart et sur les ressentimens inevitables que vous aurez toutes en vous separant les unes des autres, j'ay pensé que je vous devois dire quelque petite chose qui peust amoindrir ceste douleur, quoy que je ne veuille dire qu'il ne soit loisible de pleurer un peu; car il le faut faire, d'autant qu'on ne s'en pourroit pas tenir, ayant demeuré si doucement et si amoureusement assez long temps ensemble en la pratique des mesmes exercices, ce qui a tellement uni vos cœurs, qu'ils ne peuvent sans doute souffrir nulle division ni separation.

  A006000244 

 C'est peu [94] de chose que ceste separation corporelle, aussi bien la faudroit-il faire un jour, veuillons nous ou non; mais la separation des cœurs et desunion des esprits, c'est cela seul qui est à redouter.

  A006000244 

 Le Religieux n'a rien à luy en son particulier, à cause du vœu sacré qu'il a fait de la pauvreté volontaire; et par la profession sainte que les Religieux font de la tres-sainte charité, toutes leurs vertus sont communes, et tous sont participans des bonnes œuvres les uns des autres, et jouiront du fruict d'icelles, pourveu qu'ils se tiennent tousjours en charité et en l'observance des Regles de la Religion en laquelle Dieu les a appellés: si que celuy qui est en quelque office domestique ou en quelque autre exercice quel que ce soit, contemple en la personne de celuy qui est en oraison au chœur; celuy qui repose participe au [95] travail qu'a l'autre, qui est en exercice par le commandement du Superieur..

  A006000244 

 Mais ce qui nous doit faire aller et demeurer de bon cœur, mes cheres filles, c'est la certitude presque infaillible que nous devons avoir que ceste separation ne se fait que quant au corps, car quant à l'esprit vous demeurerez tousjours tres uniquement unies.

  A006000244 

 O Dieu, quelle union est celle qu'il y a entre chaque Religieux d'un mesme Ordre! union telle, que les biens spirituels sont autant pesle-meslés et reduits en commun comme les biens exterieurs.

  A006000244 

 Or quant à nous autres, non seulement nous demeurerons tous jours unis par ensemble, mais bien plus, car nostre union s'ira tous les jours plus perfectionnant, et ce doux et tres-aymable lien de la sainte charité sera tousjours de plus en plus serré et renoué à mesure que nous nous avancerons en la voye de nostre propre perfection; car nous rendant plus capables de nous unir à Dieu, nous nous unirons davantage les uns aux autres, si qu'à chaque Communion que nous ferons nostre union sera rendue plus parfaite, car nous unissant avec Nostre Seigneur nous demeurerons tousjours plus unis ensemble: aussi la reception sacrée de ce Pain celeste et de ce tres-adorable Sacrement s'appelle Communion, c'est à dire comme union.

  A006000245 

 Toutes, sans doute, mes cheres filles, avez besoin de beaucoup de vertus et de soin de les pratiquer tant pour s'en aller que pour demeurer: car comme celles qui s'en vont ont besoin de beaucoup de courage et de confiance en Dieu pour entreprendre amoureusement et avec esprit d'humilité ce que Dieu desire d'elles, vainquant tous les petits ressentimens qui leur pourroyent venir de quitter la maison en laquelle Dieu les a premierement logées, les Sœurs qu'elles ont si cherement aymées et la conversation desquelles leur apportoit tant de consolation en l'ame, la tranquillité de leur retraitte qui est si chere, les parens, les cognoissances, et que sçay-je moy? plusieurs choses auxquelles la nature s'attache tandis que nous vivons en ceste vie; celles qui demeurent ont de mesme besoin et necessité de courage, tant pour perseverer en la pratique de la sainte sousmission, humilité et tranquillité, qu'aussi pour se preparer de sortir quand il leur sera commandé, puisque ainsi que vous voyez, vostre Institut, mes cheres Sœurs, va s'estendant de toutes parts en tant de divers lieux.

  A006000246 

 Il me semble, certes, quand je regarde et considere le commencement de vostre Institut, qu'il represente bien l'histoire d'Abraham; car comme Dieu luy eut donné parole que sa race seroit multipliée comme les estoilles du firmament et comme le sablon de la mer, il luy commanda neantmoins de luy sacrifier son fils par lequel la promesse de Dieu devoit estre accomplie; Abraham espera, et s'affermit en son esperance contre l'esperance mesme, et son esperance ne fut point vaine, ains fructueuse.

  A006000246 

 Mais qui eust peu croire cela, puisqu'en les enserrant dans leur petite maison nous ne pensions à autre chose que de les faire mourir au monde? Elles furent sacrifiées, ains elles se sacrifierent elles-mesmes volontairement; et Dieu se contenta tellement de leur sacrifice, qu'il ne leur donna pas seulement une nouvelle vie pour elles-mesmes, ains une vie si abondante qu'elles la peuvent par sa grace communiquer à plusieurs ames, ainsi que l'on void maintenant..

  A006000247 

 Il me semble, certes, que ces trois premieres Sœurs sont grandement bien representées par les trois grains de bled qui se trouverent emmi la paille qui estoit sur le chariot de Triptolemus, laquelle servoit à conserver ses armes; car estant portée en un païs où il n'y avoit point de bled, ces trois grains furent pris et jettés en terre, lesquels en produirent d'autres en telle quantité que dans peu d'années toutes les terres de ce païs-là en furent ensemencées.

  A006000247 

 La providence de nostre bon Dieu jetta de sa main benite ces trois filles dans la terre de la Visitation; et apres avoir demeuré [97] un temps cachées aux yeux du monde, elles ont fait le fruict que l'on void maintenant, de sorte que dans peu de temps tous ces païs seront faits participans de vostre Institut.

  A006000247 

 Quelle grace, je vous prie, d'estre employées au service des ames que Dieu ayme si cherement, et pour lesquelles sauver Nostre Seigneur a tant souffert! Certes, c'est un honneur nompareil et duquel vous devez, mes cheres filles, faire un tres-grand estat: et pour vous y employer fidellement, ne plaignez ni peine, ni soin, ni travail, car tout vous sera cherement recompensé, bien qu'il ne faille pas se servir de ce motif pour vous encourager, ains de celuy de vous rendre plus agreables à Dieu et d'augmenter d'autant plus sa gloire..

  A006000248 

 Allez donc, et demeurez courageusement pour cest exercice, et ne vous amusez point à regarder que vous ne voyez point en vous ce qui est necessaire, je veux dire les talens propres aux charges auxquelles vous serez employées.

  A006000248 

 En fin, mes cheres filles, retenez cherement et fidelement ce que je vous ay dit, soit pour ce qui regarde l'interieur, soit pour ce qui regarde l'exterieur: ne veuillez rien que ce que Dieu voudra pour vous, embrassez amoureusement les evenemens et les divers effects de son divin vouloir, sans vous amuser nullement à autre chose.

  A006000248 

 Il est mieux que nous ne les voyions point en nous, car cela nous tient en humilité et nous donne plus de sujet de nous mesfier de nos forces et de nous-mesmes, et fait que nous jettons plus absolument toute nostre confiance en Dieu.

  A006000248 

 Ne nous amusons point à desirer ni à pretendre rien, laissons-nous tout à fait entre les mains de la divine Providence, qu'elle fasse de nous ce qu'il luy plaira; car à quel propos desirer une chose plustost qu'une autre? tout ne nous doit-il pas estre indifferent? Pourveu que nous plaisions à Dieu, et que nous aymions sa divine volonté, cela nous doit suffire.

  A006000248 

 Quand la charge que l'on nous donne est honnorable devant les hommes, tenons-nous humbles devant Dieu; quand elle est plus abjecte devant les hommes, tenons-nous plus honnorés devant la divine Bonté.

  A006000248 

 Quant à moy, j'admire comment il se peut faire que nous ayons plus d'inclination d'estre employés à une chose qu'à une autre, estant en Religion principalement, où une charge et une besogne est autant agreable à Dieu qu'une autre, puisque c'est l'obeissance qui donne le prix à tous les exercices de la Religion.

  A006000248 

 Tant que nous n'avons pas besoin de la pratique d'une vertu, il est mieux que nous ne l'ayons pas; quand nous en aurons besoin, [98] pourveu que nous soyons fidelles en celles dont nous avons presentement la pratique, tenons-nous asseurés que Dieu nous donnera chaque chose en son temps.

  A006000249 

 Apres cecy, que vous sçaurois-je plus dire, mes cheres Sœurs, puisqu'il semble que tout nostre bonheur soit compris en ceste toute aymable pratique? Je vous representeray l'exemple des Israëlites, avec lequel je finiray.

  A006000249 

 Et comme les jeunes filles sont amoureuses des bonnes odeurs, ainsi que dit la sacrée amante au Cantique des Cantiques, que le nom de son Bien-Aymé est comme une huile ou un baume qui respand de toutes parts des odeurs infiniment agreables, et c'est pourquoy, [100] adjouste-t'elle, les jeunes filles l'ont suivi, attirées de ses divins parfums, faites, mes cheres Soeurs, que comme parfumeuses de la divine Bonté, vous alliez si bien respandant de toutes parts l'odeur incomparable d'une tres-sincere humilité, douceur et charité, que plusieurs jeunes filles soyent attirées à la suite de vos parfums, et embrassent vostre sorte de vie, par laquelle elles pourront comme vous, jouïr en ceste vie d'une sainte et amoureuse paix et tranquillité de l'ame, pour, par apres, aller jouïr de la felicité eternelle en l'autre..

  A006000249 

 Grand cas de l'esprit humain! comme si Dieu les eust laissés sans conduite, ou qu'il n'eust point eu de soin de les regir, gouverner et defendre! Ils s'adresserent donc au Prophete, lequel leur promit de le demander pour eux à Dieu, ce qu'il fit; et Dieu, irrité de leur demande, leur fit response qu'il le vouloit bien, mais qu'il les advertissoit que le roy qu'ils auroyent prendroit telle domination et authorité sur eux, qu'il leur leveroit leurs enfans: et quant aux fils, qu'il feroit les uns dizeniers, les autres soldats et capitaines; et quant à leurs filles, il feroit les unes cuisinieres, les autres boulanger es, les autres parfumeuses.

  A006000249 

 Mais qu'est-ce que je veux dire? Rien autre, sinon qu'il me semble que la divine Majesté vous a choisies, vous autres qui vous en allez, comme des parfumeuses ou parfumieres: ouy certes, car vous estes commises de sa part pour aller respandre les odeurs tres-suaves des vertus de vostre Institut.

  A006000250 

 Apprenez de luy tout ce que vous aurez à faire, ne faites rien sans son conseil; car c'est l'Amy fidelle qui vous conduira et gouvernera et aura soin de vous, ainsi que de tout mon cœur je l'en supplie.

  A006000250 

 Ne craignez pas que rien vous manque, car il sera tousjours avec vous tant que vous n'en choisirez point d'autre; ayez seulement un grand soin d'accroistre vostre amour et vostre fidelité envers sa divine Bonté, vous tenant le plus pres de luy qu'il vous sera possible, et tout vous succedera en bien.

  A006000250 

 Vostre Congregation est comme une ruche d'abeilles, laquelle a desja jetté divers essaims; mais avec ceste difference neantmoins que, les abeilles sortant pour aller se retirer en une autre ruche et là commencer un mesnage nouveau, chaque essaim choisit un roy particulier sous lequel elles militent et font leur retraite: mais quant à vous, mes cheres ames, si bien vous allez dans une ruche nouvelle, c'est à dire que vous allez commencer une nouvelle maison de vostre Ordre, neantmoins vous n'avez tousjours qu'un mesme Roy, qui est Nostre Seigneur crucifié, sous l'authorité duquel vous vivrez en asseurance par tout où vous serez.

  A006000254 

 Ainsi void on que l'Espouse, au Cantique des Cantiques, est souventesfois nommée de ce nom, et à bon droit certes, car il y a une grande correspondance entre les qualités de la colombe et celles de l'amoureuse colombelle de Nostre Seigneur..

  A006000254 

 Et considerant que le Saint Esprit est l'amour du Pere et du Fils, j'ay pensé que je vous devois donner des loix toutes d'amour, lesquelles j'ay prises des colombes, en consideration de ce que le Saint Esprit avoit bien voulu prendre la forme de colombe, et d'autant plus aussi que toutes les ames qui sont dediées au service de la divine Majesté sont obligées d'estre comme des chastes et amoureuses colombes.

  A006000254 

 Vous m'avez demandé quelques loix nouvelles à ce commencement d'année, et pensant à celles que je vous devois donner pour vous estre utiles et agreables, j'ay jetté les yeux de ma consideration sur l'Evangile [102] d'aujourd'huy, lequel fait mention du Baptesme de Nostre Seigneur et de la glorieuse apparition du Saint Esprit en forme de colombe, sur laquelle apparition je me suis arresté.

  A006000255 

 Les loix des colombes sont toutes infiniment agreables, et c'est une meditation tres-suave que de les considerer.

  A006000255 

 Mais en troisiesme lieu, mon Dieu, que la loy de la douceur est agreable! car elles sont sans fiel et sans amertume.

  A006000255 

 Quelle plus belle loy, je vous prie, que celle de l'honnesteté! car il n'y a rien de plus honneste que les colombes, elles sont propres à merveille; bien qu'il n'y ait rien de plus sale que les colombiers et les lieux où elles font leurs nids, neantmoins on ne vid jamais une colombe salie: elles ont tousjours leur pennage lis et qu'il fait grandement bon voir au soleil.

  A006000256 

 Mais j'ay consideré que si je vous donnois quelques loix que vous eussiez desja, vous n'en feriez pas grande estime: j'en ay donc choisi trois tant seulement, qui sont d'une utilité nompareille estant bien observées, et qui apportent une tres-grande suavité à l'ame qui les considere, parce qu'elles sont toutes d'amour et extremement delicates pour la perfection de la vie spirituelle; ce sont trois secrets qui lont d'autant plus excellens pour acquerir la perfection qu'ils sont moins cognus de ceux qui font profession de l'acquerir, au moins de la plus grande partie..

  A006000257 

 Et pendant tout ce temps-là la colombe ne va nullement à la cueillette pour se nourrir, ains elle en laisse tout le soin à son cher paron, lequel luy est si fidelle que non seulement il va à la queste des grains pour la nourrir, mais aussi il luy apporte de l'eau dans son bec pour l'abreuver; il a un soin nompareil que rien ne manque de ce qui luy est necessaire, et si grand que jamais il ne s'est veu colombe morte faute [104] de nourriture en ce temps-là.

  A006000257 

 Mais quelles sont-elles donc ces loix? La premiere que j'ay fait dessein de vous donner est celle des colombes qui font tout pour leur colombeau et rien pour elles; il semble qu'elles ne dient autre chose sinon: Mon cher colombeau est tout pour moy, et je suis toute à luy; il est tousjours tourné de mon costé pour penser en moy, et moy je m'y attends et m'y asseure: qu'il aille donc chercher, ce bien-aymé colombeau, où il luy plaira, si n'entreray-je point en défiance de son amour, ains je me confieray pleinement en son soin.

  A006000257 

 Vous aurez peut-estre veu, mais non pas remarqué, que les colombes tandis qu'elles couvent leurs œufs, elles ne bougent de dessus jusques à ce que leurs petits colombeaux soyent esclos, et quand ils le sont, elles continuent de les couver et fomenter tandis qu'ils en ont besoin.

  A006000258 

 Et ne faudroit pas jamais douter que Dieu nous manquast, car son amour est infini pour l'ame qui se repose en luy.

  A006000258 

 Hé! ne voyez-vous pas que la colombe ne pense qu'à son bien-aymé colombeau et à luy plaire, en ne bougeant de dessus ses œufs? et cependant rien ne luy manque, luy, en recompense de sa confiance, prenant tout le soin d'elle.

  A006000258 

 O que la colombe est heureuse d'avoir tant de confiance en son cher paron! c'est ce qui la fait vivre en paix et en une merveilleuse tranquillité.

  A006000258 

 O que nous serions heureux si nous faisions tout pour nostre aymable Colombeau qui est le Saint Esprit! car il prendroit le soin de nous; et à mesure que nostre confiance par laquelle nous nous reposerions en sa providence seroit plus grande, plus aussi son soin s'estendroit sur toutes nos necessités.

  A006000258 

 O quelle agreable et profitable loy est celle-cy, de ne rien faire que pour Dieu et luy laisser tout le soin de nous-mesmes! Je ne dis pas seulement pour ce qui regarde le temporel, car je n'en veux pas parler où il n'y a que nous autres, cela s'entend assez sans le dire; mais je dis pour ce qui regarde le spirituel et l'avancement de nos ames en la perfection.

  A006000259 

 Ce desir est celuy que nous avons apporté venant en Religion, qui est d'embrasser les vertus religieuses, c'est l'une des branches de l'amour de Dieu et l'une des plus hautes qui soit en cest arbre divin; mais ce desir ne se doit pas estendre plus loin que les moyens qui nous sont marqués dans nos Regles et Constitutions pour parvenir à ceste perfection que nous avons pretendu d'acquerir en nous obligeant à la poursuite; ains il le faut couver et fomenter tout le temps de nostre vie, à fin de faire que ce desir devienne un beau petit colombeau qui puisse ressembler à son Pere, qui est la perfection mesme.

  A006000259 

 Et ce pendant, n'ayons autre attention que de nous tenir sur nos œufs, c'est à dire ramassés dans les moyens qui nous sont prescrits pour nostre perfection, laissant tout le soin de nous-mesmes à nostre unique et tres-aymable Colombeau, qui ne permettra pas que rien nous manque de ce qui nous sera necessaire pour luy plaire..

  A006000259 

 Mais qu'est-ce que nos œufs, lesquels il faut que nous couvions jusques à ce qu'ils soyent esclos pour avoir des petits colombeaux? Nos œufs sont nos desirs, lesquels estant bien couvés et fomentés, les colombeaux en proviennent, qui sont les effets de nos desirs; mais entre nos desirs, il y en a un qui est sureminent au dessus de tout autre, et qui merite grandement d'estre bien couvé et fomenté pour plaire à nostre divin paron le Saint Esprit, lequel veut tousjours estre appellé l'Espoux sacré de nos ames, tant sa bonté et son amour est grand envers nous.

  A006000260 

 C'est une grande pitié, certes, de voir des ames, dont le nombre n'est que trop grand, qui pretendant à la perfection s'imaginent que tout consiste à faire une grande multitude de desirs, et s'empressent beaucoup à [106] chercher ores ce moyen et tantost un autre pour y parvenir, et ne sont jamais contentes ni tranquilles en elles-mesmes; car dés qu'elles ont un desir, elles taschent vistement d'en concevoir un autre, et semble qu'elles sont comme les poules, lesquelles n'ont pas si tost fait un œuf qu'elles en chargent aussi tost un autre, laissant là celuy qu'elles ont fait sans le couver, de sorte qu'il n'en reussit point de poussin.

  A006000261 

 Ces anxietés d'esprit que nous avons pour avancer nostre perfection et pour voir si nous avançons ne sont nullement agreables à Dieu, et ne servent qu'à satisfaire l'amour propre, qui est un grand tracasseur qui ne cesse jamais d'embrasser beaucoup, bien qu'il ne fasse guere.

  A006000261 

 Il est vray, c'est à nous de bien cultiver, mais c'est à Dieu de faire que nostre travail soit suivi d'un bon succes.

  A006000261 

 Il semble que ces ames empressées à la queste de leur perfection ayent mis en oubli, ou qu'elles ne sçachent pas ce que dit Jeremie: O pauvre homme, que fais-tu de te confier en ton travail et en ton industrie? Ne [107] sçais-tu pas que c'est à toy voirement de bien cultiver la terre, de la labourer et ensemencer, mais que c'est à Dieu de donner l'accroissement aux plantes et faire que tu ayes une bonne recolte et la pluye favorable à tes terres ensemencées? Tu peux bien arroser, mais pourtant tout cela ne te serviroit de rien si Dieu ne benissoit ton travail et ne te donnoit, par sa pure grace et non par tes sueurs, une bonne recolte: dépens donc entierement de sa divine bonté.

  A006000261 

 La sainte Eglise le chante en chaque feste des saints Confesseurs: Dieu a honnoré vos travaux en faisant que vous en tirassiez du fruict; pour monstrer que de nous mesmes nous ne pouvons rien sans la grace de Dieu, en laquelle nous devons mettre toute nostre confiance, n'attendant rien de nous mesmes.

  A006000261 

 Une bonne œuvre bien faite avec tranquillité d'esprit vaut beaucoup mieux que plusieurs faites avec empressement..

  A006000262 

 Il y a quelque temps qu'il y eut des saintes Religieuses qui me dirent: Monsieur, que ferons-nous ceste année? L'année passée nous jeusnasmes trois jours de la semaine, et nous faisions la discipline autant: que ferons-nous maintenant le long de ceste année? il faut bien faire quelque chose davantage, tant pour rendre graces à Dieu de l'année passée, comme pour aller tousjours croissant en la voye de Dieu.

  A006000262 

 L'année passée, vous jeusniez trois jours de la semaine et vous faisiez la discipline trois fois; si vous voulez tousjours doubler vos exercices, ceste année la semaine y sera entiere; mais l'année qui vient comment ferez-vous? il faudra que vous fassiez neuf jours en la semaine, ou bien que vous jeusniez deux fois le jour..

  A006000263 

 Lire force livres spirituels, [109] sur tout quand ils sont nouveaux, bien parler de Dieu et de toutes les choses les plus spirituelles pour nous exciter, disons-nous, à devotion, ouïr force predications, faire des conferences à tout propos, communier bien souvent, se confesser encores plus, servir les malades, bien parler de tout ce qui se passe en nous pour manifester la pretention que nous avons de nous perfectionner, et au plus tost qu'il se pourra: ne sont-ce pas là des choses fort propres pour nous perfectionner et parvenir au but de nos desseins? Ouy, pourveu que tout cela se fasse selon qu'il est ordonné, et que ce soit tousjours avec dependance de la grace de Dieu; c'est à dire que nous ne mettions point nostre confiance en tout cela, pour bon qu'il soit, ains en un seul Dieu, qui nous peut seul faire tirer le fruict de tous nos exercices..

  A006000263 

 Nous n'avons pas assez de chaleur spirituelle pour bien digerer tout ce que nous embrassons pour nostre perfection, et cependant nous ne voulons pas nous retrancher de ces anxietés d'esprit que nous avons à tant desirer de beaucoup faire.

  A006000264 

 Estoit-ce les [110] Communions qu'il faisoit ou les Confessions? il n'en fit que deux en sa vie.

  A006000264 

 Estoit-ce les conferences ou les predications? il n'en avoit point, et ne vid nul homme dans le desert que saint Antoine, qui l'alla visiter à la fin de sa vie.

  A006000265 

 Mais que veut dire donc que mangeant si peu de ces viandes spirituelles qui nourrissent nos ames à l'immortalité, ils estoyent neantmoins tousjours si en bon point, c'est à dire si forts et courageux pour entreprendre l'acquisition des vertus, et parvenir à la perfection et au but de leur pretention? Et nous autres, qui mangeons beaucoup, sommes tousjours si maigres, c'est à dire si lasches et languissans à la poursuite de nos entreprises, et semble, sinon tant que les consolations spirituelles marchent, que nous n'avons nul courage ni vigueur au service de Nostre Seigneur? Or il faut donc imiter ces saints Religieux, nous appliquant à nostre besogne, c'est à dire à ce que Dieu requiert de nous selon nostre vocation, fervemment et humblement, et ne penser qu'en cela, n'estimant pas de trouver nul moyen de nous perfectionner meilleur que celuy-là.

  A006000266 

 J'adjouste aussi humblement, à fin que l'on n'ayt point de sujet de s'excuser; car ne dites pas: Je n'ay point d'humilité, il n'est pas en mon pouvoir de l'avoir; car le Saint Esprit, qui est la bonté mesme, la donne à qui la luy demande.

  A006000266 

 Non pas de celle que vous entendez, quant au sentiment, laquelle Dieu donne à qui bon luy semble, et qui n'est pas en nostre pouvoir d'acquerir quand il nous plaist.

  A006000267 

 Ainsi leurs livres, leurs predications rapportoyent des fruicts merveilleux; et nous autres qui nous confions en nos belles paroles, en nostre bien dire et en nostre doctrine, toutes nos peines s'en vont en fumée et ne rendent autre fruict que de vanité.

  A006000267 

 Il faut donc, pour conclusion de ceste premiere loy que je vous donne, vous confier pleinement en Dieu et faire tout pour luy, quittant entierement le soin de vous-mesmes à vostre cher Colombeau, lequel usera d'une prevoyance nompareille sur vous; et d'autant que vostre confiance sera plus vraye et plus parfaite, sa providence sera plus speciale..

  A006000267 

 Jamais l'on n'estudia tant que l'on fait maintenant.

  A006000268 

 Elles disent donc: Plus l'on m'en oste et plus j'en fais; et pour vous faire mieux entendre ce que je veux dire, je vous presente un exemple.

  A006000268 

 Il ne se plaint point que Dieu lui ayt osté les moyens qu'il avoit de faire tant de bonnes œuvres, ains il dit avec la colombe: Plus l'on m'en oste et plus j'en fais; non des aumosnes, car il n'a pas de quoy, mais en ce seul acte de sousmission et de patience qu'il fit se voyant privé de tous ses biens et de ses enfans, il fit plus qu'il n'avoit fait par toutes les grandes charités qu'il faisoit durant le temps de sa prosperité, et se rendit plus agreable à Dieu en ce seul acte de patience, qu'il n'avoit fait en tant et tant de bonnes œuvres qu'il avoit faites durant sa vie; car il falloit avoir un amour plus fort et genereux pour cest acte seul, qu'il n'avoit esté besoin pour tous les autres mis ensemble..

  A006000268 

 J'ay pensé de vous donner pour seconde loy la parole que disent les colombes en leur langage: Plus l'on m'en oste et plus j'en fais, disent-elles.

  A006000268 

 Qu'est-ce à dire cela? C'est que lors que leurs petits colombeaux sont un peu gros, le maistre du colombier les leur vient oster, et soudain elles se mettent à en couver des autres; mais si on ne les leur oste pas, elles s'amusent aupres de ceux-là longuement, et partant elles en font moins.

  A006000269 

 Il nous en faut donc faire de mesme pour observer ceste aymable loy des colombes, nous laissant despouiller par nostre souverain Maistre de nos petits colombeaux, c'est à dire des moyens d'executer nos desirs, quand il luy plaist de nous en priver, pour bons qu'ils soyent, sans nous plaindre ni lamenter jamais de luy comme s'il nous faisoit grand tort; ains nous devons nous appliquer à doubler, non nos desirs ni nos exercices, mais la perfection avec laquelle nous les faisons, taschant par ce moyen de gagner plus par un seul acte, comme indubitablement nous ferons, que nous ne ferions pas avec cent autres faits selon nostre propension et affection.

  A006000269 

 Mais las! nous n'en faisons rien; car quand sa Bonté nous prive de la consolation qu'il nous souloit donner en nos exercices, il semble que tout est perdu, [114] et qu'il nous oste les moyens de faire ce que nous avons entrepris..

  A006000269 

 Nostre Seigneur ne veut pas que nous portions sa croix sinon par le bout, et il veut estre honnoré comme les grandes dames, lesquelles font porter la queue de leurs robes; il veut pourtant que nous portions la croix qu'il nous met sur les espaules, qui est la nostre mesme.

  A006000270 

 Je vous asseure, dit-elle, que je le suis bien tant, que j'en perds presque le courage de passer outre en la pretention de ma perfection.

  A006000270 

 Les mortifications, dit-elle, ne me coustoyent rien durant ce temps-là, ains ce m'estoyent des consolations; les obeissances m'estoyent des allegresses; je n'avois pas si tost ouy le premier son de la cloche, que j'estois levée; je ne laissois point passer de pratique de vertu, et tout cela je le faisois avec une paix et tranquillité tres-grande: mais maintenant que je suis en desgoust et que je suis ordinairement en secheresse en l'oraison, je n'ay nul courage, ce me semble, pour mon amendement, je n'ay point ceste ardeur que je soulois avoir en mes exercices; en fin, la gelée et la froidure est passée chez moy.

  A006000270 

 O que ce sont là des œufs bien aymables! et tout cela est bien bon, et les petits colombeaux ne manquent point, qui sont les effects; car, qu'est-ce qu'elle ne fait pas? Ses œuvres de charité sont en si grand nombre! sa modestie paroist devant toutes les Sœurs, elle est d'une edification nompareille, elle se fait admirer de tous ceux qui la voyent ou qui la cognoissent.

  A006000270 

 O que j'ay? je suis si alangourie! rien ne me peut contenter, tout m'est à desgoust, je suis maintenant si confuse! Mais de quelle confusion? car il y en a de deux sortes: l'une qui conduit à l'humilité et à la vie, et l'autre, au desespoir et par consequent à la mort.

  A006000270 

 Plus donc l'on m'en oste et plus j'en fais: c'est la seconde loy que je desire grandement de vous voir observer..

  A006000270 

 Un seul acte fait avec secheresse d'esprit vaut mieux que plusieurs faits avec une grande tendreté, parce que, comme j'ay desja dit en parlant de Job, il se fait avec un amour plus fort, quoy qu'il ne soit pas si tendre ni si agreable.

  A006000270 

 Voyez, je vous prie, ceste pauvre ame, comment elle se lamente de sa disgrace; [115] son mescontentement paroist jusques sur son visage, elle a sa contenance abattue et melancolique, et s'en va toute pensive, et si confuse que rien plus.

  A006000271 

 C'est cette tres-sainte egalité d'esprit, mes cheres ames, que je vous souhaitte: je ne dis pas l'egalité d'humeur ni d'inclination, je dis l'egalité d'esprit; car je ne fais, ni desire que vous fassiez nul estat des tracasseries que fait la partie inferieure de nostre ame, qui est celle qui cause les inquietudes et bijarreries, quand la partie superieure ne fait pas son devoir en se rendant maistresse, et ne fait pas bon guet pour découvrir ses ennemis, ainsi que le Combat spirituel dit qu'il faut faire, à fin qu'elle soit promptement advertie des remuemens et assauts que luy fait la partie inferieure, qui naissent de nos sens et de nos inclinations et passions, pour luy faire la guerre et l'assujettir à ses loix.

  A006000271 

 La troisiesme loy des colombes que je vous presente, c'est qu'elles pleurent comme elles se resjouïssent; elles ne chantent tousjours qu'un mesme air, tant pour leurs cantiques de resjouïssance que pour ceux où elles se lamentent, c'est à dire pour se plaindre et manifester leur douleur.

  A006000271 

 Voyez-les perchées sur les branches, où elles pleurent la perte qu'elles ont faite de leurs petits que la belette ou la chouette leur a desrobés (car quand c'est quelqu'autre qui les leur prend que le maistre de la colombiere, elles sont fort affligées); voyez-les aussi quand le paron vient à s'approcher d'elles, qu'elles sont toutes consolées: elles ne changent point d'air, ains [116] font le mesme grommellement pour preuve de leur contentement, qu'elles font pour manifester leur douleur.

  A006000272 

 Job, duquel nous avons desja parlé en la seconde loy, nous fournit encor d'un exemple en ce sujet, car il ne chanta tous-jours que sur un mesme air tous les cantiques qu'il a composés, qui ne sont autres que l'histoire de sa vie.

  A006000272 

 Mais ne faisons point comme ceux qui pleurent quand la consolation leur manque, et ne font que chanter quand elle est revenue, en quoy ils ressemblent aux singes et magots, qui sont, tousjours mornes et furieux quand il fait un temps pluvieux et sombre, et ne cessent de gambader et sauter quand le temps est beau..

  A006000272 

 O que ceste ame sainte estoit bien une chaste et amoureuse colombelle, grandement cherie de son cher Colombeau! Ainsi puissions-nous faire, mes cheres filles, qu'en toutes occasions nous prenions les biens, les maux, les consolations et afflictions de la main du Seigneur, ne chantant tousjours que le mesme cantique tres-aymable: Le nom de Dieu soit beni, tousjours sur l'air d'une continuelle egalité; car si ce bonheur nous arrive, nous vivrons avec une grande paix en toutes occurrences.

  A006000272 

 Qu'est-ce qu'il disoit lors que Dieu faisoit multiplier ses biens, luy donnoit des enfans, et en fin luy envoyoit à souhait selon qu'il l'eust peu desirer en ceste vie? que disoit-il, sinon: Le nom de Dieu soit beni? C'estoit son cantique d'amour qu'il chantoit en toute occasion; car voyez-le reduit à l'extremité de l'affliction: qu'est-ce qu'il fait? il chante son cantique [117] de lamentation sur le mesme air que celuy qu'il chantoit par resjouïssance: Nous avons receu, dit-il, les biens de la main du Seigneur, pourquoy n'en recevrons-nous les maux? Le Seigneur m' avoit donné des enfans et des biens, le Seigneur me les a ostés, son saint nom soit beni.

  A006000273 

 Ayant fait tout pour nostre Bien-Aymé dés ceste vie, il aura soin de nous pourvoir de son eternelle gloire [118] pour recompense de nostre confiance; et là nous verrons le bon-heur de ceux qui, quittans tout le soin superflu et inquiet que nous avons ordinairement sur nous-mesmes et sur nostre perfection, se seront adonnés tout simplement à leur besogne, s'abandonnans sans reserve entre les mains de la divine Bonté pour laquelle seule ils auront travaillé: leurs travaux seront en fin suivis d'une paix et d'un repos qui ne se peut expliquer, car ils reposeront pour jamais dans le sein de leur Bien-Aymé.

  A006000273 

 L'amour donc que nous portons à Nostre Seigneur nous sollicitera de les observer et garder, à fin que nous puissions dire, à l'imitation de la belle colombe du souverain Colombeau, qui est l'Espouse sacrée: Mon Bien-Aymé est tout mien, et moy je suis toute pour luy, ne faisant rien que pour luy plaire; il a tousjours son cœur tourné de mon costé par prevoyance, comme j'ay le mien tourné de son costé par confiance.

  A006000273 

 Voila donc les trois loix que je vous donne, lesquelles neantmoins estant loix toutes d'amour n'obligent que par amour.

  A006000276 

 Les petites affections du tien et du mien sont des restes du monde, où il n'y a rien de si pretieux que cela; car c'est la souveraine felicité du monde d'avoir beaucoup de choses propres et de quoy on puisse dire: cecy est mien.

  A006000276 

 Mais il faut bien en cecy, comme en toute autre chose, faire difference entre les inclinations et affections; car quand ces choses ne sont que des inclinations et non pas des affections, il ne s'en faut point mettre en peine, parce qu'il ne depend pas de nous de n'avoir point de mauvaises inclinations, ouy bien des affections.

  A006000276 

 Or ces mouvemens arrivent parce que l'on n'a pas mis toutes ses volontés en commun, qui est pourtant une chose qui se doit faire entrant en Religion; car chaque Sœur devroit laisser sa volonté propre hors la porte pour n'avoir que celle de Dieu..

  A006000276 

 Or, ce qui nous rend affectionnés à ce qui est nostre, c'est la grande estime que nous faisons de nous-mesmes; car nous nous tenons pour si excellens que, dés qu'une chose nous appartient nous l'en estimons davantage, et le peu d'estime que nous faisons des autres fait que nous avons à contre-cœur ce qui leur a servi; mais si nous estions bien humbles et despouillés de nous-mesmes, que nous nous tinssions pour un neant devant Dieu, nous ne ferions aucun estat de ce qui nous seroit propre, et nous estimerions extremement honorés d'estre servis de ce qui auroit esté à l'usage d'autruy.

  A006000277 

 Bien-heureux celuy qui n'auroit autre volonté que celle de la Communauté, et qui en prendroit chaque jour dans la bourse commune pour ce qui luy feroit besoin.

  A006000277 

 C'est ainsi que se doit entendre ceste parole sacrée de Nostre Seigneur: N'ayez point souci du lendemain.

  A006000277 

 Elle ne regarde pas tant ce qui est du vivre ou du vestir comme des exercices spirituels; car qui vous viendroit demander: Que voulez-vous faire demain? vous respondriez: Je ne sçay; aujourd'huy je feray une telle chose qui m'est commandée, demain je ne sçay pas ce que je feray parce que je ne sçay pas ce que l'on me commandera.

  A006000278 

 C'est pourquoy il faut faire des considerations et sur sa condition et sur toutes les choses qui en dependent en detail; puis en particulier, renoncer tantost à une de nos volontés propres, tantost à une autre, jusques à tant que nous en soyons entierement despouillés.

  A006000278 

 Et ce vray despouillement se fait par trois degrés: le premier est l'affection du despouillement, qui s'engendre en nous par la consideration de la beauté de ce despouillement; le second degré est la resolution qui suit l'affection, car nous nous resolvons aisément à un bien que nous affectionnons; le troisiesme est la pratique, qui est le plus difficile..

  A006000278 

 Or, il ne faut pas seulement vouloir en general la desappropriation, mais en particulier; car il n'y a rien de si aisé que de dire de gros en gros: Il faut renoncer à nous-mesmes et quitter nostre propre volonté; mais quand il faut venir à la pratique, c'est là où gist la difficulté.

  A006000279 

 Les biens exterieurs sont toutes les choses que nous avons laissées hors de la Religion: les maisons, les possessions, les parens, amis et choses semblables.

  A006000279 

 Pour en faire le despouillement, il les faut renoncer entre les mains de Nostre Seigneur, et puis demander les affections qu'il veut que nous ayons pour eux; car il ne faut pas demeurer sans affections, ni les avoir esgales et indifferentes, il faut aymer chacun en son degré; la charité donne le rang aux affections.

  A006000280 

 Les seconds biens sont ceux du corps: la beauté, la santé et semblables choses qu'il faut renoncer; et puis, il ne faut plus aller au miroir regarder si on est belle, ni se soucier non plus de la santé que de la maladie, au moins quant à la partie superieure; car la nature se ressent tousjours, et crie quelquefois, specialement quand l'on n'est pas bien parfait.

  A006000281 

 Or, il s'en faut despouiller tout à fait, et ne vouloir autre honneur que l'honneur de la Congregation, qui est de chercher en tout la gloire de Dieu, ni autre estime ou reputation que celle de la Communauté, qui est de donner bonne edification en toutes choses.

  A006000282 

 De mesme, à la rencontre de ceux que nous aymons, il ne se peut pas faire que nous ne soyons esmeus de joye et de contentement; c'est pourquoy cela n'est point contraire à la vertu.

  A006000282 

 Il faut icy remarquer que le contentement que nous ressentons à la rencontre des personnes que nous aymons, et les tesmoignages d'affection que nous leur rendons en les voyant ne sont point contraires à ceste vertu de despouillement, pourveu qu'ils ne soyent point desreglés, et qu'estans absens, nostre cœur ne coure point apres [123] eux; car, comment se pourroit-il faire que les objets estans presens les puissances ne soyent point esmeuës? C'est comme qui diroit à une personne à la rencontre d'un lion ou d'un ours: n'ayez point peur.

  A006000282 

 Je dis bien plus, que si j'ay envie de voir quelqu'un pour quelque chose utile et qui doit reussir à la gloire de Dieu, si son dessein de venir est traversé et que j'en ressente un peu de peine, voire mesme que je m'empresse un peu pour divertir les 'occasions qui le retiennent, je ne fais rien de contraire à la vertu du despouillement, pourveu que je ne passe point jusques à l'inquietude..

  A006000283 

 Ainsi vous voyez que la vertu n'est pas une chose si terrible qu'on s'imagine.

  A006000283 

 C'est une faute que plusieurs font: ils se forment des chimeres en l'esprit, et pensent que le chemin du Ciel est estrangement difficile; en quoy ils se trompent et ont bien tort, car David disoit à Nostre Seigneur que sa loy estoit trop douce; et à mesure que les meschans la publioyent dure et difficile, ce bon Roy disoit qu'elle estoit plus douce que le miel.

  A006000284 

 Il est vray, mes cheres Sœurs, que l'on ne sçauroit jamais parvenir à la perfection tandis que l'on a de l'affection à quelque imperfection, pour petite qu'elle soit, voire mesme quand ce ne seroit qu'avoir une pensée inutile; et vous ne sçauriez croire combien cela porte de mal à une ame, car dés que vous aurez donné à vostre [124] esprit la liberté de s'arrester à penser à une chose inutile, il pensera par apres à des choses pernicieuses: il faut donc couper court au mal dés que nous le voyons, pour petit qu'il soit.

  A006000284 

 Il faut aussi examiner à bon escient s'il est vray, comme il nous semble quelquefois, que nous n'ayons point nos affections engagées: par exemple, si quand l'on vous loue vous venez à dire quelque parole qui agrandisse la louange que l'on vous donne, ou bien quand vous la recherchez par paroles artificieuses, disant que vous n'avez plus la memoire ou l'esprit si bon que vous souliez avoir pour bien parler, hé! qui ne void que vous pretendez que l'on vous die que vous parlez tousjours extremement bien? Cherchez donc au fond de vostre conscience si vous y pouvez trouver de l'affection à la vanité.

  A006000284 

 Or, nos affections sont si pretieuses, puisqu'elles doivent estre toutes employées à aymer Dieu, qu'il faut bien prendre garde de ne les pas loger en des choses inutiles; et une faute, pour petite qu'elle puisse estre, faite avec affection, est plus contraire à la perfection que cent autres faites par surprinse et sans affection,.

  A006000284 

 Vous pourrez aussi facilement cognoistre si vous estes attachée à quelque chose lors que vous n'aurez pas la commodité de faire ce que vous avez proposé; car si vous n'y avez point d'affection, vous demeurerez autant en repos de ne la pas faire comme si vous l'eussiez faite, et au contraire, si vous vous en troublez, c'est la marque que vous y avez mis vostre affection.

  A006000285 

 Il y a encor une autre raison qui rend ces premieres amitiés dont nous avons parlé moindres que les secondes: c'est qu'elles ne sont pas de durée, parce que la cause en estant fresle, dés qu'il arrive quelque traverse, elles se refroidissent et alterent; ce qui n'arrive pas à celles qui sont fondées en Dieu, parce que la cause en est solide et permanente..

  A006000285 

 Je vous dis briefvement qu'il y a certains amours qui [125] semblent extremement grands et parfaits aux yeux des creatures, qui devant Dieu se trouveront petits et de nulle valeur, parce que ces amitiés ne sont point fondées en la vraye charité, qui est Dieu, ains seulement en certaines alliances et inclinations naturelles, et sur quelques considerations humainement louables et agreables.

  A006000285 

 Or, les actes de charité qui se font autour de ceux que nous aymons de ceste sorte sont mille fois plus parfaits, d'autant que tout tend purement à Dieu; mais les services et autres assistances que nous faisons à ceux que nous aymons par inclination sont beaucoup moindres en merite, à cause de la grande complaisance et satisfaction que nous avons à les faire, et que, pour l'ordinaire, nous les faisons plus par ce mouvement que par l'amour de Dieu.

  A006000286 

 Ainsi ceux qui n'ont rien d'aymable sont bien-heureux, car ils sont asseurés que l'amour que l'on leur porte est excellent, puisqu'il est tout en Dieu..

  A006000286 

 De maniere que quand ceux auxquels je fais ces caresses sçauroyent que je les leur fais parce que je leur ay de l'aversion, ils ne s'en devroyent point offencer, ains les estimer et cherir davantage que si elles partoyent d'une affection sensible; car les aversions sont naturelles, et d'elles-mesmes ne sont pas mauvaises quand nous ne les suivons pas; au contraire, c'est un moyen de pratiquer mille sortes de bonnes vertus, et Nostre Seigneur mesme nous a plus à gré quand avec une extreme repugnance nous luy allons baiser les pieds, que si nous y allions avec beaucoup de suavité.

  A006000286 

 Et cela ne se doit point appeller duplicité ou simulation, car si bien j'ay un sentiment contraire, il n'est qu'en la partie inferieure, et les actes que je fais, c'est avec la force de la raison, qui est la partie principale de mon ame.

  A006000286 

 Les caresses mesmes et signes d'amitié que nous faisons contre nostre propre [126] inclination aux personnes auxquelles nous avons de l'aversion, sont meilleures et plus agreables à Dieu que celles que nous faisons attirés de l'affection sensitive.

  A006000286 

 Si vous prenez, dit-elle, un verre, et que vous l'emplissiez dans une fontaine, et que vous beuviez dans ce verre sans le sortir de la fontaine, encor que vous beuviez tant que vous voudrez, le verre ne se vuidera point; mais si vous le tirez hors de la fontaine, quand vous aurez beu, le verre sera vuide.

  A006000287 

 Ce n'est donc pas pour Dieu [127] que vous l'aymez, car ceste derniere personne est aussi bien à Dieu que la premiere, et vous la devriez davantage aymer, car il y a davantage à faire pour Dieu.

  A006000287 

 Il est vray que là où il y a davantage de Dieu, c'est à dire plus de vertu, qui est une participation des qualités divines, nous y devons plus d'affection: comme par exemple, s'il se trouve des ames plus parfaites que celle de vostre Superieure, vous les devez aymer davantage pour ceste raison là; neantmoins nous devons aymer beaucoup plus nos Superieurs parce qu'ils sont nos peres et nos directeurs..

  A006000287 

 Souvent nous pensons aymer une personne pour Dieu, et nous l'aymons pour nous-mesmes; nous nous servons de ce pretexte, et disons que c'est pour cela que nous l'aymons, mais en verité nous l'aymons pour la consolation que nous en avons: car n'y a-t'il pas plus de suavité de voir venir à vous une ame pleine de bonne affection, qui suit extremement bien vos conseils et qui va fidelement et tranquillement dans le chemin que vous luy avez marqué, que d'en voir une autre toute inquietée, embarrassée et foible à suivre le bien, et à qui il faut dire mille fois une mesme chose? sans doute vous aurez plus de suavité.

  A006000288 

 Autant en faut-il dire pour ce qui regarde le temporel; car pourveu que la maison soit accommodée, nous ne devons pas nous soucier si c'est par nostre moyen ou par un autre.

  A006000288 

 Comme par exemple, je me trouve à une porte avec une plus jeune que moy, et je me retire pour luy donner le devant; à mesure que je pratique ceste humilité, elle doit avec douceur pratiquer la simplicité, et essayer à une autre rencontre de me prevenir.

  A006000288 

 De mesme, si je luy donne un siege ou me retire de ma place, elle doit estre contente que je fasse ce petit gain, et par ce moyen elle en sera participante; comme si elle disoit: Puisque je n'ay peu faire cest acte de vertu, je suis bien aise que ceste Sœur l'ayt fait.

  A006000288 

 Et non seulement il n'en faut pas estre marrie, mais il faut estre disposée à contribuer tout ce que nous pouvons pour cela, jusques à nostre peau, s'il en estoit besoin; car, pourveu que Dieu soit glorifié, nous ne nous devons pas soucier par qui; de telle sorte que [128] s'il se presentoit une occasion de faire quelque œuvre de vertu et que Nostre Seigneur nous demandast qui nous aymerions mieux qui la fist, il faudroit respondre: Seigneur, celle qui la pourra faire plus à vostre gloire.

  A006000288 

 Quant à ce que vous me demandez, s'il faut estre bien aise qu'une Sœur pratique la vertu aux despens d'une autre, je dis que nous devons aymer le bien en nostre prochain comme en nous-mesmes, et principalement en Religion où tout doit estre parfaitement en commun, et ne devons point estre marris qu'une Sœur pratique quelque vertu à nos despens.

  A006000289 

 Ainsi nous ne pouvons pas juger de nostre avancement, mais ouy bien de celuy d'autruy; car nous n'osons pas nous asseurer, quand nous faisons une bonne action, que nous l'ayons faite avec perfection, d'autant que l'humilité le nous defend.

  A006000289 

 Je responds que nous ne cognoistrons jamais nostre propre perfection, car il nous arrive comme à ceux qui navigent sur mer; ils ne sçavent pas s'ils avancent, mais le maistre pilote, qui sçait l'air où ils navigent, le cognoist.

  A006000289 

 Or, encor que nous puissions juger de la vertu d'autruy, si ne faut-il pourtant jamais determiner qu'une [129] personne soit meilleure qu'une autre, parce que les apparences sont trompeuses; et tel qui paroist fort vertueux à l'exterieur et aux yeux des creatures, devant Dieu le sera moins qu'un autre qui paroist beaucoup plus imparfait.

  A006000293 

 La seconde qui porte le nom de modestie, est l'interieure bien-seance de nostre entendement et de nostre volonté: celle-cy a de mesme deux vices opposés, qui sont la curiosité en l'entendement, la multitude des desirs de sçavoir et d'entendre toutes choses et l'instabilité en nos entreprises, passant d'un exercice à un autre sans nous arrester à rien; l'autre vice, c'est une certaine stupidité et nonchalance d'esprit, qui ne veut pas mesme sçavoir ni apprendre les choses necessaires pour nostre [131] perfection, imperfection qui n'est pas moins dangereuse que l'autre.

  A006000293 

 La troisiesme sorte de modestie consiste en nostre conversation et en nos paroles, c'est à dire en nostre façon de parler et de converser avec le prochain, evitant les deux imperfections qui luy sont opposées, à sçavoir, la rusticité et la babillerie: la rusticité qui nous empesche de contribuer quelque chose pour l'entretien de l'honneste conversation; la babillerie qui nous fait tellement parler que nous ostons le temps aux autres de parler à leur tour.

  A006000293 

 Vous demandez que c'est que la vraye modestie.

  A006000294 

 La modestie donques nous assujettit tousjours et tout le temps de nostre vie, à cause que les Anges nous sont tousjours presens, et Dieu mesme, pour les yeux duquel nous nous tenons en modestie..

  A006000294 

 Un grand Saint l'escrivit à un sien disciple, disant qu'il se couchast modestement en la presence de Dieu, ainsi comme feroit celuy à qui Nostre Seigneur, estant encor en vie, commanderoit de dormir et se coucher en sa presence; et bien, dit-il, que tu ne le voyes pas et n'entendes pas le commandement qu'il t'en fait, ne laisse pas de le faire tout de mesme que si tu le voyois, parce qu'en effet il t'est present et te garde pendant que tu dors.

  A006000295 

 Ceste vertu est aussi fort recommandée à cause de l'edification du prochain, et vous asseure que la simple modestie exterieure en a converti plusieurs, ainsi qu'il arriva à saint François, lequel passa une fois par une ville avec une si grande modestie en son maintien que, sans qu'il dist une seule parole, il y eut grand nombre de jeunes gens qui le suivirent, attirés de ce seul exemple, pour estre instruits de luy.

  A006000295 

 Et ce qu'il dit à son disciple saint Timothée, qu' il faut que l'Evesque soit orné, s'entend qu'il soit orné de modestie et non pas de riches vestemens, à fin que par son maintien modeste, il baille confiance à chacun de l'aborder, évitant également la rusticité comme la legereté, à fin que donnant la liberté aux mondains de l'approcher, ils ne croyent pas qu'il soit mondain comme eux..

  A006000295 

 La modestie est une predication muette; c'est une vertu que saint Paul recommande fort particulierement aux Philippiens, chapitre quatriesme, leur disant: Faites que vostre modestie paroisse devant tous les hommes.

  A006000296 

 Car dites-moy, celuy qui ne voudroit point rire à la recreation sinon comme l'on rit hors ce temps-là, ne seroit-il pas importun? Il y a des gestes et des contenances qui seroyent immodestie hors de ce temps-là, qui là ne le sont [133] nullement; de mesme, celuy qui voudroit rire lors que l'on est parmi les occupations serieuses, et relascher son esprit comme l'on fait tres-raisonnablement en la recreation, ne seroit-il pas estimé leger et immodeste? L'on doit aussi observer le lieu, les personnes, les conversations esquelles on est, mais tout particulierement la qualité de la personne.

  A006000296 

 La modestie d'une femme du monde est autre que celle d'une Religieuse: une fille qui estant dans le monde voudroit tenir la veuë aussi basse comme nos Sœurs, ne seroit pas estimée, non plus que nos Sœurs si elles ne la tenoyent plus basse que les filles du monde.

  A006000297 

 Il est vray, dit le Pere, je l'ay bien remarqué; mais c'est un bon homme qui a vescu long temps au monde, il a apporté ceste contenance de la cour: que feroit-on là? Il l'excusoit, car il luy faschoit de le fascher en le reprenant d'une chose si legere, où il n'y avoit point de peché; mais d'ailleurs, il avoit envie de l'en faire corriger, car il n'avoit que cela où l'on peust trouver à redire.

  A006000297 

 Il faut que je vous die une chose que je lisois ces jours passés, parce qu'elle regarde le discours que nous faisons de la modestie.

  A006000297 

 Le Pere donc faisant la correction à Pastor, le bon Arsenius se jetta en terre aux pieds du Pere, demandant humblement pardon, disant que si bien on ne l'avoit pas remarqué, qu'il avoit neantmoins [135] tousjours fait ceste faute là, que c'estoit sa contenance ordinaire de la cour, qu'il en demandoit penitence.

  A006000297 

 Le Religieux Pastor dit lors: O mon Pere, ne vous mettez point en peine, il n'y aura pas grande façon à le luy dire, il en sera bien aise; et pour cela, demain, s'il vous plaist, à l'heure de l'assemblée je me mettray de la mesme façon que luy, et vous m'en ferez la correction devant tous, et ainsi il entendra qu'il ne le faut pas faire.

  A006000297 

 Or, un jour que tous les Peres estoyent assemblés pour faire une conference spirituelle (car ç'a esté de tout temps qu'il s'en est fait entre les personnes pieuses), il y eut quelqu'un des Peres qui advertit le Superieur qu'Arsenius commettoit ordinairement une immodestie, en ce qu'il croisoit une jambe dessus l'autre.

  A006000298 

 De plus, je remarque la bonté d'Arsenius à se rendre coulpable et sa fidélité à s'en corriger, bien que ce fust une chose si legere qu'elle n'estoit pas mesme une immodestie estant en la cour, quoy qu'elle le fust estant parmi ces Peres.

  A006000298 

 En apres, remarquez que ce n'est pas un mauvais jugement de penser que le Superieur fait la correction à un autre de quelque faute que vous faites comme luy, à fin que sans vous reprendre, vous-mesme vous en amendiez; mais il faut s'humilier profondement, voyant qu'il vous recognoist foible, et sçait bien que vous ressentiriez la correction s'il la vous faisoit.

  A006000298 

 Il faut aussi aymer cherement ceste abjection, et s'humilier comme fit Arsenius, confessant que l'on est coulpable de la mesme faute, pourveu que l'on s'humilie tousjours en esprit de douceur et tranquillité..

  A006000298 

 Je regarde aussi que nous ne nous devons point estonner si nous avons encor quelque vieille habitude du monde, puisqu'Arsenius avoit celle-là apres avoir demeuré long temps au desert en la compagnie de ces Peres.

  A006000298 

 L'on ne peut pas estre si tost défait de toutes ses imperfections; il ne faut jamais s'estonner d'en voir beaucoup en soy, pourveu que l'on ayt la volonté de les combattre.

  A006000299 

 De mesme, la modestie interieure maintient les puissances de nostre ame en tranquillité et modestie, evitant, comme j'ay dit, la curiosité de l'entendement, sur lequel elle exerce principalement son soin, retranchant aussi à nostre volonté la multitude des desirs, la faisant appliquer saintement à ce seul un que Marie a choisi et qui ne luy sera point osté, qui est la volonté de plaire à Dieu.

  A006000299 

 Je vous dis donc que la seconde, qui est l'interieure, fait les mesmes effets en l'ame que celle que nous avons dit fait au corps.

  A006000299 

 Je voy bien que vous desirez que je parle encor des autres vertus de modestie.

  A006000299 

 Mieux vaut s'attacher à Dieu comme Magdelaine, se tenant à ses pieds, luy demandant qu'il nous donne son amour, que de penser comment et par quel moyen nous le pourrons acquerir.

  A006000300 

 J'ay dit que ceste vertu s'occupe principalement à assujettir l'entendement; et cela parce que la curiosité que nous avons naturellement est tres dangereuse, et fait que nous ne sçavons jamais parfaitement une chose, d'autant que nous ne mettons pas assez de temps pour la bien apprendre.

  A006000300 

 Or, ceste subjection de l'entendement est de tres-grande [137] importance pour nostre perfection, car à mesure que la volonté s'affectionne à une chose, si l'entendement luy vient monstrer la beauté d'une autre, il la divertit de la premiere..

  A006000301 

 Les abeilles n'ont aucun arrest tandis qu'elles n'ont point de roy, elles ne cessent de voleter par l'air, de se dissiper et esgarer, n'ayant presque nul repos en leur ruche; mais dés aussi tost que leur roy est né, elles se tiennent ramassées toutes autour de luy, et ne sortent que pour la cueillette et par le commandement de leur roy.

  A006000301 

 Mais dés que nos ames ont choisi Nostre Seigneur pour leur Roy unique et souverain, ces puissances s'accoisent à guise de chastes avettes ou abeilles mystiques, se rangent aupres de luy, et ne sortent jamais de leur ruche sinon pour la cueillette des exercices de charité que ce saint Roy leur commande de pratiquer à l'endroit du prochain; et soudain apres, se remettent dans la modestie et en ce saint accoisement tant aymable, pour mesnager et ramasser le miel des saintes et amoureuses conceptions et affections qu'elles tirent de sa presence sacrée.

  A006000302 

 Je lisois ces jours passés la Regle que saint Augustin a faite pour les Religieuses, où il dit expressement que les Sœurs ne lisent jamais aucuns livres que ceux qui leur seront donnés par la Superieure; et apres il fit le mesme commandement à ses Religieux, tant il avoit de cognoissance du mal qu'apporte la curiosité de vouloir sçavoir autre chose que ce qui nous est necessaire pour mieux servir Dieu, qui est certes fort peu de chose; car si vous marchez en simplicité par l'observance de vos Regles, vous servirez parfaitement Dieu, sans vous espancher ou rechercher de sçavoir autres choses.

  A006000302 

 La science n'est pas necessaire pour aymer Dieu, ainsi que dit saint Bonaventure; car une simple femme est autant capable d'aymer Dieu comme les plus doctes hommes du monde.

  A006000303 

 Ces ames icy, au moins, ont du contentement en elles-mesmes par l'imagination qu'elles ont d'estre saintes, bien que leur contentement soit vain.

  A006000303 

 Je me souviens, sur le propos du danger qu'il y a en la curiosité de vouloir sçavoir tant de moyens de se perfectionner, d'avoir parlé à deux personnes religieuses, de deux Ordres bien reformés, l'une desquelles, à force de lire les livres de la bienheureuse Therese, apprit si bien à parler comme elle, qu'elle sembloit estre une petite Mere Therese; et elle le croyoit, s'imaginant tellement tout ce que la Mere sainte Therese avoit fait pendant sa vie, qu'elle croyoit en faire tout de mesme [139] jusques à avoir des bandemens d'esprit et des suspensions des puissances, tout ainsi comme elle lisoit que la Sainte avoit eu, si qu'elle en parloit fort bien.

  A006000303 

 L'une de ces filles vivoit contente en sa sainteté imaginaire et ne recherchoit ni desiroit autre chose, et l'autre vivoit mescontente à cause que sa.

  A006000303 

 Mais l'autre Religieuse que j'ay dit avoir cognuë estoit bien de differente humeur, d'autant qu'elle n'avoit jamais de contentement, à cause de l'avidité qu'elle avoit de chercher et desirer la voye et la methode de se perfectionner; et encore qu'elle travaillast pour cela, neantmoins il luy sembloit qu'il y avoit tousjours quelque autre façon de se perfectionner que celle que l'on luy enseignoit.

  A006000304 

 Au reste, il faut remarquer que la modestie exterieure de laquelle nous avons parlé, sert de beaucoup à l'interieure et à acquerir la paix et tranquillité de l'ame.

  A006000304 

 La preuve s'en fait en tous les saints Peres qui ont fait profession tres-grande de l'oraison; car ils ont tous jugé que la posture la plus modeste y aydoit beaucoup, comme se tenir à genoux, les mains jointes ou les bras en croix.

  A006000305 

 Il y a des paroles qui seroyent immodestie en tout autre temps qu'en celuy de la recreation, où justement et avec bonne raison on doit relascher un peu l'esprit; et qui ne voudroit parler ni laisser parler les autres sinon de choses hautes et relevées en ce temps-là, feroit une immodestie; car n'avons-nous pas dit que la modestie regarde le temps, les lieux et les personnes? A ce propos, je lisois l'autre jour que saint Pachome, d'abord qu'il fut entré au desert pour mener une vie monastique, eut de grandes tentations, et les malins esprits luy apparoissoyent souvent en diverses manieres.

  A006000305 

 Le bon Saint levant les yeux et voyant ceste folie, se representa Nostre Seigneur crucifié en l'arbre de la croix; eux, voyans que le Saint s'appliquoit au fruict de l'arbre et non à la feuille, s'en allerent tous confus et honteux..

  A006000305 

 Saint Pachome, qui recognut bien que c'estoyent des fanfares de l'esprit malin, [141] se print à sousrire, disant: Vous vous mocquez de moy; mais je le seray, s'il plaist à Dieu.

  A006000307 

 Il y a une chose qui semble nous contrarier en ce point, en la Vie de saint Hilarion; car un jour parlant à quelque gentilhomme qui l'estoit allé voir, il luy dit « qu'il n'y avoit point d'apparence de rechercher la netteté en un cilice, » voulant dire qu'il ne falloit point rechercher de la netteté en nos corps, qui ne sont que charognes puantes et toutes pleines d'infection: mais cela estoit plus admirable en ce grand Saint, que non pas imitable.

  A006000307 

 Voila ce que j'avois à dire de la modestie..

  A006000308 

 D'empescher que le sentiment de colere ne s'esmeuve en nous et que le sang ne nous monte au visage, jamais cela ne sera; bien-heureux serons-nous [143] si nous pouvons avoir ceste perfection un quart d'heure avant que mourir.

  A006000308 

 Je vous asseure, ma chere fille, que vous le renvoyez peut estre comme font les citoyens d'une ville dans laquelle se fait la nuict une sedition, quand ils chassent les seditieux et ennemis; mais ils ne les mettent pas hors de la ville, si bien qu'ils se vont cachant de rue en rue, jusques à ce que le jour vient, qu'ils se jettent sur les habitans et demeurent en fin maistres.

  A006000308 

 Mais de garder la secheresse d'esprit, en sorte que nous ne parlions pas apres que le sentiment est passé, avec autant de confiance, de douceur et de tranquillité qu'auparavant, ô cela il faut avoir grand soin de ne le pas faire.

  A006000308 

 Vous ne voulez pas avoir du sentiment, mais aussi vous ne voulez pas sousmettre vostre jugement qui vous fait croire que la correction a esté faite mal à propos, ou bien qu'elle a esté faite par passion ou chose semblable: qui ne void que ce seditieux se jettera sur vous et vous accablera de mille sortes de confusions, si promptement vous ne le chassez bien loin?.

  A006000308 

 Vous rejettez le sentiment que vous avez de la correction qui vous est faite, mais non pas si fortement et soigneusement qu'il ne se cache en quelque petit coin de vostre cœur au moins quelque partie du sentiment.

  A006000309 

 Mais que faut-il faire en ce temps-là? Il faut se resserrer aupres de Nostre Seigneur et luy parler de quelque autre chose.

  A006000309 

 Mais vostre sentiment ne s'accoise pas, ains il vous suggere de regarder le tort que l'on vous fait.

  A006000309 

 O Dieu! ce n'est pas le temps de sousmettre son jugement, pour luy faire croire et confesser que la correction est bonne et qu'elle a esté faite bien à propos; ô non! c'est apres que vostre ame sera raccoisée et tranquillisée; car pendant le trouble il ne faut dire ni faire aucune chose, sinon demeurer fermes et resolus de ne consentir point à nostre passion, pour raison que [144] nous eussions de le faire; car jamais nous ne manquerions de raisons en ce temps-là, il nous en viendroit à la foule: mais il n'en faut pas escouter une seule, pour bonne qu'elle puisse sembler, ains se tenir proche de Dieu, comme j'ay dit, nous divertissant, apres nous estre humiliés et sousmis devant sa Majesté, luy parlant d'autre chose..

  A006000310 

 Mais remarquez ce mot que je me plais grandement à dire à cause de son utilité: humiliez-vous d'une humilité douce et paisible, et non pas d'une humilité chagrine et troublée; car c'est nostre malheur, nous portons devant Dieu des actes d'humilité despiteux et ennuyeux, et par ce moyen nous ne raccoisons pas nos esprits, et ces actes sont infructueux.

  A006000310 

 Mais si au contraire, nous faisions ces actes devant la divine Bonté avec une douce confiance, nous sortirions de là tous rasserenés et tranquilles, et desavouerions bien facilement apres toutes les raisons, bien souvent et pour l'ordinaire irraisonnables, que nostre jugement et nostre amour propre nous suggere, et nous irions avec autant de facilité parler à ceux qui nous ont fait la correction ou contradiction comme auparavant.

  A006000310 

 Tout cela provient du mesme mal que nous avons dit; que vous doit-il importer que l'on vous parle d'une façon ou d'une autre, pourveu que vous fassiez vostre devoir?.

  A006000310 

 Vous vous surmontez bien, dites-vous, à leur parler; mais s'ils ne vous parlent pas ainsi que vous desirez, cela redouble la tentation.

  A006000311 

 Or, quelle apparrence y a-t'il, je vous prie, que nous autres nous estonnions de nous voir prompts à la colere, et si nous ressentons quand on nous reprend ou que l'on nous fait quelque contradiction? Il faut donc tirer exemple de ces Saints, lesquels se surmonterent incontinent, l'un recourant à la priere, et l'autre demandant humblement pardon à son frere, et ne firent rien ni l'un ni l'autre, en faveur de leur ressentiment, mais s'amenderent et en firent profit..

  A006000311 

 Saint Pachome, apres avoir vescu quatorze ou quinze ans és deserts en grande perfection, eut une revelation de Dieu qu'il gaigneroit une grande quantité d'ames, et que plusieurs viendroyent dans les deserts se ranger sous sa conduite.

  A006000311 

 Saint Pachome, tout saint qu'il estoit, eut tellement du sentiment de ceste correction qu'il se tourna de l'autre costé, à fin, si je ne me trompe, que sa contenance ne fist paroistre son ressentiment.

  A006000312 

 Vous me dites que vous acceptez de bon cœur la correction, que vous l'approuvez et trouvez juste et raisonnable; mais que cela vous donne une certaine confusion à l'endroit de la Superieure, parce que vous l'avez faschée ou luy avez donné occasion de se fascher; que cela vous oste la confiance de vous approcher d'elle, nonobstant que vous aymiez l'abjection qui vous revient de la faute.

  A006000312 

 Vous ne sçavez peut estre pas qu'il y a en nous-mesmes un certain monastere dont l'amour propre est superieur, et partant il impose des penitences; et ceste peine est la penitence qu'il vous impose pour la faute que vous avez faite d'avoir fasché la Superieure, parce que peut estre elle ne vous estimera pas tant comme elle eust fait si vous n'eussiez pas failli..

  A006000313 

 C'est assez parlé pour celles qui reçoivent la correction; il faut que je die un mot pour celles qui la font.

  A006000313 

 Donc, outre qu'elles doivent avoir une grande discretion pour bien prendre le temps et la saison de la faire avec toutes les circonstances deuës, elles ne doivent jamais s'estonner ni offencer de voir que.

  A006000314 

 C'est le moyen de bien faire tout ce que nous faisons que d'estre bien attentifs à la presence de Dieu; car aucun de nous ne l'offencera, voyant qu'il nous regarde.

  A006000314 

 Ce n'est pas cela que vous demandez, je le voy bien; mais comment vous pourriez faire pour affermir tellement vostre esprit en Dieu, que rien ne l'en puisse destacher ni retirer.

  A006000314 

 Il semble mesme que sa divine Bonté nous dit: Dormez et reposez, et ce pendant j'auray les yeux sur vous pour vous garder et defendre [148] du lion rugissant, qui va tousjours autour de vous pour penser vous deffaire.

  A006000314 

 Ma chere fille, vostre proposition m'est fort agreable, d'autant qu'elle porte sa response avec elle: il faut faire ce que vous dites, aller à Dieu sans regarder ni à droite ni à gauche.

  A006000314 

 Pardonnez-moy, ma fille, la moindre mousche de distraction ne retire pas vostre esprit de Dieu, ainsi que vous dites, car rien ne nous retire de Dieu que le peché; et la resolution que nous avons faite le matin de tenir nostre esprit uni à Dieu et attentif à sa presence, fait que nous y demeurons tousjours, voire mesme quand nous dormons, puisque nous le faisons au nom de Dieu et selon sa tres-sainte volonté.

  A006000314 

 Vous dites que ce n'est pas encor cela que vous demandez, mais que c'est que vous pourriez faire pour empescher que la moindre mousche ne retirast vostre esprit de Dieu ainsi qu'elle fait; vous voulez dire la moindre distraction.

  A006000314 

 Voyez donc si nous n'avons pas raison de nous coucher modestement, ainsi que nous avons dit.

  A006000315 

 C'en est de mesme de la peine que nous avons le long de la journée d'arrester nostre esprit en Dieu et és choses celestes, pourveu que nous ayons le soin de retirer nostre esprit pour l'empescher de courir apres ces mousches et papillons, comme fait une mere à l'endroit de son enfant.

  A006000315 

 Elle void que ce pauvre petit s'affectionne à courir apres les papillons, pensant de les attrapper; elle le retire et retient incontinent par le bras, luy disant: Mon enfant, tu te morfondras à courir apres ces papillons au soleil, il vaut mieux que tu demeures aupres de moy.

  A006000315 

 Et que faire là, sinon prendre patience et ne nous lasser point de nostre travail, puisqu'il est pris pour l'amour de Dieu?.

  A006000315 

 Pour ce qui est de l'oraison, elle ne nous est pas moins utile ni moins agreable à Dieu pour y avoir beaucoup de distractions; ains elle nous sera peut estre plus utile que si nous y avions beaucoup de consolations, parce qu'il y a plus de travail, pourveu neantmoins que nous ayons la fidelité de nous retirer de ces distractions et n'y laissions point arrester nostre esprit volontairement.

  A006000316 

 Il leur semble que quand elles ne sentent pas Dieu, qu'elles ne sont pas en sa presence, et cela est une ignorance; car une personne qui va souffrir le martyre pour Dieu, et neantmoins elle ne pensera point en Dieu pendant ce temps-là, sinon en sa peine, quoy qu'elle n'ayt point le sentiment de la foy elle ne laisse pas de meriter en faveur de sa premiere resolution, et faire un acte de grand amour.

  A006000316 

 Il y a bien à dire d'avoir la presence de Dieu (j'entends estre en sa presence), et d'avoir le sentiment de sa presence; il n'y a que Dieu seul qui nous puisse faire ceste grace; car de vous donner les moyens d'acquerir ce sentiment, il ne m'est pas possible..

  A006000316 

 J'ay remarqué que plusieurs ne font point de difference entre Dieu et le sentiment de Dieu, entre la foy et le sentiment de la foy; qui est un tres-grand defaut.

  A006000316 

 Mais si je ne me trompe, quand nous disons que nous [149] ne pouvons trouver Dieu, et qu'il nous semble qu'il est si loin de nous, nous voulons dire, que nous ne pouvons avoir du sentiment de sa presence.

  A006000317 

 Demandez-vous comment il faut faire pour se tenir tousjours avec un grand respect devant Dieu, comme estans tres-indignes de ceste grace? Il n'y a point d'autre moyen de le faire que comme vous le dites: regarder qu'il est nostre Dieu, et que nous sommes ses foibles creatures, indignes de cest honneur; comme faisoit saint François, qui passa toute une nuict interrogeant Dieu en ces termes: « Qui estes-vous, et qui suis-je? » En fin, si vous me demandez: Comment pourray-je faire pour acquerir l'amour de Dieu? je vous diray: En le voulant aymer; et au lieu de vous appliquer à penser et demander comment vous pourrez faire pour unir vostre esprit à Dieu, que vous vous mettiez en la pratique par une continuelle application de vostre esprit à Dieu, et je vous asseure que vous parviendrez bien plus [150] tost à vostre pretention par ce moyen-là que non pas par aucune autre voye; car à mesure que nous nous dissipons nous sommes moins recueillis, et partant moins capables de nous unir et joindre avec la divine Majesté, qui nous veut tout sans reserve.

  A006000317 

 Il me semble que ceux auxquels on demande le chemin du Ciel ont grande raison de dire comme ceux qui disent que pour aller à un tel lieu il faut tousjours aller, mettant l'un des pieds devant l'autre, et que par ce moyen on parviendra où l'on desire.

  A006000317 

 Il y a certes des ames qui s'occupent tant à penser comment elles feront, qu'elles n'ont pas le temps de faire; et toutesfois, en ce qui regarde nostre perfection, qui consiste en l'union de nostre ame avec la divine Bonté, il n'est question que de peu sçavoir et de beaucoup faire.

  A006000318 

 C'est que vous voudriez que je vous enseignasse une voye de perfection toute faite, en sorte qu'il n'y eust qu'à la mettre sur la teste, comme vous feriez vostre robbe, et que par ce moyen vous vous trouvassiez parfaite sans peine, c'est à dire que je vous donnasse la perfection toute faite; car ce que je dis, qu'il faut faire, n'est pas trouvé agreable à la nature; ce n'est pas ce [151] que nous voudrions.

  A006000318 

 Certes, nous nous trompons; car il n'y a point de plus grand secret que de faire et travailler fidellement en l'exercice du divin amour, si nous pretendons de nous unir au Bien-Aymé..

  A006000318 

 Il vous semble que la perfection est un art, que si l'on pouvoit trouver son secret l'on l'aurait incontinent sans peine.

  A006000318 

 Mais voicy une finesse qu'il faut que vous me permettiez de vous descouvrir, sans toutesfois vous offencer.

  A006000318 

 O certes, si cela estoit en mon pouvoir, je serois le plus parfait homme du monde; car si je pouvois donner la perfection aux autres sans qu'il fallust rien faire, je vous asseure que je la prendrois premierement pour moy.

  A006000319 

 Ces ames qui veulent gouster de toutes les methodes et de tous les moyens qui nous conduisent ou peuvent conduire à la perfection, en font de mesme; car l'estomac de leur volonté n'ayant pas assez de chaleur pour digerer et mettre en pratique tant de moyens, il se fait une certaine crudité et indigestion qui leur oste la paix et tranquillité d'esprit aupres de Nostre Seigneur, qui est cest un necessaire, que Marie a choisi, et ne luy sera point osté.

  A006000319 

 Ceux qui estans au festin, vont piquotant chaque mets et en mangent de tous un peu, se detraquent fort l'estomac, dans lequel il se fait une si grande indigestion que cela les empesche de dormir toute la nuict, ne pouvant faire autre chose que cracher.

  A006000319 

 Mais je voudrais bien que l'on remarquast que quand je dis qu'il faut faire, j'entends tousjours parler de la partie superieure de nostre ame; car pour toutes les repugnances de l'inferieure il ne se faut non plus estonner que les passans font des chiens qui abbayent de loin.

  A006000320 

 Il n'y a point de meilleur moyen, ma fille, que de les mettre en pratique.

  A006000320 

 Mais vous dites que vous demeurez tousjours si foible, qu'encor que vous fassiez souvent des fortes resolutions de ne pas tomber en l'imperfection dont vous desirez de vous amender, l'occasion se presentant vous ne laissez pas de donner du nez en terre.

  A006000320 

 Passons maintenant à l'autre demande que vous m'avez fait, sçavoir est, comment vous pourrez faire pour bien affermir vos resolutions et faire qu'elles reussissent en effect.

  A006000320 

 Voulez-vous que je vous die pourquoy nous demeurons si foibles? c'est parce que nous ne voulons pas nous abstenir des viandes mal saines; comme si une personne laquelle voudroit bien n'avoir point de mal d'estomac, demandoit à un medecin comment elle pourroit faire.

  A006000320 

 Vous ne sçauriez estre forte à supporter courageusement la correction pendant que vous mangerez de la viande de l'estime propre.

  A006000321 

 Au reste, ce n'est pas estre foible de tomber quelquesfois en des pechés veniels, pourveu que nous nous en relevions tout incontinent par un retour de nostre ame en Dieu, nous humiliant tout doucement.

  A006000321 

 Il faut que nous ayons deux égales resolutions: l'une, de voir croistre des mauvaises herbes en nostre jardin, et l'autre, d'avoir le courage de les voir arracher et les arracher nous-mesmes; car nostre amour propre ne mourra point pendant que nous vivrons, lequel est celuy qui fait ces impertinentes productions.

  A006000321 

 Il ne faut pas que nous pensions pouvoir vivre sans en faire tousjours quelques uns, car il n'y a eu que Nostre Dame qui ayt eu ce privilege.

  A006000322 

 En fin il faut sçavoir que nous ne devons jamais cesser de faire des bonnes resolutions, encore que nous voyons bien que selon nostre ordinaire nous ne les pratiquons pas, voire, quand bien nous verrions qu'il est impossible de les pratiquer quand l'occasion s'en presentera; et cela, il le faut faire avec plus de fermeté que si nous sentions en nous assez de courage pour reussir de nostre entreprise, disant à Nostre Seigneur: Il est vray que je n'auray pas la force de faire ou supporter telle chose de moy-mesme, mais je m'en resjouïs, d'autant que ce sera vostre force qui le fera en moy; et sur cest appui, allez à la bataille courageusement, et ne doutez point que vous n'en rapportiez la victoire.

  A006000322 

 Et pourquoy cela, sinon parce que Nostre Seigneur voyant qu'elles ne se feroyent pas grand mal en tombant, les a laissées marcher toutes seules, ce qu'il n'a pas fait lors qu'elles estoyent dans les precipices des grandes tentations, d'où il les a tirées par sa main toute-puissante.

  A006000322 

 Nostre Seigneur fait envers nous tout de mesme comme un bon pere ou une bonne mere, laquelle laisse marcher son enfant tout seul lors qu'il est sur une douce prairie où l'herbe est grande, ou bien dessus la mousse, parce que si bien il vient à tomber, il ne se fera pas grand mal; mais aux mauvais et dangereux chemins elle le porte soigneusement entre ses bras.

  A006000323 

 Remarquons pour conclusion, que tout ce que nous avons dit en cest Entretien sont des choses assez delicates pour la perfection; et partant, que nulle de vous autres qui les avez entendues n'ayt à s'estonner si elle ne se trouve parvenue à ceste perfection, puisque, par la grace de Dieu, vous avez toutes le courage bon pour y vouloir pretendre.

  A006000327 

 Mais ce second appartient plustost à l'humilité, douceur et charité qu'à l'obeissance; car celuy qui est humble pense que tous les autres le surpassent et sont beaucoup meilleurs que luy, de sorte qu'il se les rend superieurs et croid leur devoir obeir..

  A006000328 

 Mais quant à l'obeissance qui regarde les Superieurs que Dieu a establis sur nous pour nous gouverner, elle est de justice et de necessité, et se doit rendre avec une entiere sousmission de nostre entendement et de nostre volonté.

  A006000328 

 Nostre inclination naturelle nous porte tousjours au desir de commander et nous donne une aversion d'obeir; et neantmoins il est certain que nous avons beaucoup de capacité pour obeir, et peut estre n'en avons-nous point pour commander..

  A006000328 

 Or, ceste obeissance de l'entendement se pratique lors qu'estans commandés nous acceptons et approuvons le commandement, non seulement avec la volonté mais aussi avec nostre entendement, approuvant et estimant la chose commandée, et la jugeant [157] meilleure que toute autre chose que l'on nous eust peu commander sur ceste occasion.

  A006000328 

 Quand on est parvenu là, alors on ayme tellement à obeir, que l'on desire insatiablement d'estre commandé, à fin que tout ce que l'on fait soit fait par obeissance; et cecy est l'obeissance des parfaits, et celle que je vous desire, laquelle procede d'un pur don de Dieu, ou bien est acquise avec beaucoup de temps et de travail par une quantité d'actes souvent reiterés et produits à vive force, par le moyen desquels nous acquerons l'habitude.

  A006000329 

 Cassian rapporte qu'estant au desert il se mettoit quelquefois en colere, et que prenant la plume pour escrire, si elle ne marquoit pas il la jettoit: de sorte, dit-il, qu'il ne sert de rien d'estre seul, puisque nous portons la colere avec nous.

  A006000329 

 En termes theologiques, la paresse s'appelle tristesse spirituelle, et c'est cela qui empesche de faire l'obeissance courageusement et promptement La troisiesme est la perseverance; car il ne suffit pas que l'on agrée le commandement et que pour quelque espace de temps l'on l'execute, si l'on n'y persevere, puisque c'est ceste perseverance qui obtient la couronne..

  A006000329 

 L'obeissance plus ordinaire a trois conditions: la premiere c'est d'agréer la chose que l'on nous commande et y plier doucement nostre volonté, aymant à estre commandés; car ce n'est pas le moyen de nous rendre vrays obeissans de n'avoir personne qui nous commande, comme de mesme ce n'est pas le moyen d'estre doux que de demeurer seul dans un desert.

  A006000330 

 C'est un acte de grande humilité de faire toute sa vie par obeissance un mesme exercice qui soit abject, car il peut arriver force tentations que l'on seroit bien capable de quelque chose de plus grand.

  A006000330 

 Il y a des moines qui ont perseveré avec une patience incroyable à ne faire toute leur vie qu'un mesme exercice, comme le bon Pere Jonas qui ne fit jamais en sa vie autre chose, outre le jardinage, que des nattes, et s'estoit tellement habitué à cela qu'il les faisoit sa fenestre fermée, en meditant et faisant oraison; l'un ne luy empeschoit point l'autre, de sorte qu'on le trouva mort les genoux croisés et sa natte attachée dessus: il mourut en faisant ce qu'il avoit fait toute sa vie.

  A006000330 

 Si nous voulions suivre tous les mouvemens de nostre esprit, ou qu'il nous fust possible de le faire sans qu'il y eust du scandale ou du deshonneur, nous ne verrions autre chose que des changemens: ores nous voudrions estre en [159] une condition, et peu apres nous en chercherions une autre, tant ceste inconstance de l'esprit humain est extravagante; mais il la faut arrester avec les forces de nos premieres resolutions, à fin de vivre également parmi les inégalités de nos sentimens et des evenemens..

  A006000331 

 Or, pour mieux nous affectionner à l'obeissance, lors que nous nous trouverons tentés, il faut faire des considerations de son excellence, de sa beauté et de son merite, voire de son utilité, pour nous encourager à passer outre: cela s'entend pour les ames qui ne sont pas encore bien establies en l'obeissance; mais quand il n'est question que d'une simple aversion ou dégoust dela chose commandée, il faut faire un acte d'amour et se mettre à la besogne.

  A006000332 

 Car encore que nous obeissions avec repugnance et quasi comme forcés par l'obligation de nostre condition, nostre obeissance ne laisse pas d'estre bonne en vertu de nostre premiere resolution; mais elle est d'une valeur et d'un merite infiniment grand quand elle est faite avec les conditions que nous avons dites; car une chose, pour petite qu'elle soit, estant faite avec une telle obeissance, est de tres-grande valeur..

  A006000332 

 Cela procede de ce qu'il nous fasche d'assujettir nostre entendement, car c'est la derniere piece que nous sousmettons, et neantmoins il est entierement necessaire que nous assujettissions nostre pensée à certains objets; de maniere que quand on nous marque des exercices ou pratiques de vertu, il faut que nous demeurions en ces exercices et que nous y assujettissions nostre esprit.

  A006000332 

 Je n'appelle pas manquer à la perseverance quand nous faisons quelques petites interruptions, pourveu que nous ne quittions pas tout à fait; comme ce n'est pas manquer à l'obeissance de manquer à quelques unes de ses conditions, attendu que nous ne sommes pas obligés sinon à la substance des vertus et non pas aux conditions.

  A006000333 

 L'obeissance est une vertu si excellente que Nostre Seigneur a voulu conduire tout le cours de sa vie par obeissance, ainsi qu'il a dit tant de fois qu'il n'estoit pas venu pour faire sa volonté, ains celle de son Pere; et l'Apostre dit qu'il s'est fait obeissant jusques à la mort, et la mort de la croix, et a voulu joindre au merite infini de sa charité parfaite l'infini merite d'une parfaite obeissance.

  A006000333 

 La charité cede à l'obeissance, parce que l'obeissance depend de la justice: aussi est-il meilleur de payer ce que l'on doit que de faire l'aumosne; cela veut dire qu'il est mieux de faire [161] l'obeissance qu'un acte de charité par nostre propre mouvement..

  A006000334 

 Car, par exemple, si allant en un lieu je trouve une Sœur et qu'elle me die que j'aille ailleurs, la volonté de Dieu en moy est que je fasse ce qu'elle veut, plustost que ce que je veux; que si j'oppose mon opinion à la sienne, la volonté de Dieu en elle est qu'elle me cede, et ainsi de toutes choses qui sont indifferentes.

  A006000334 

 Mais s'il arrive que sur ceste premiere opinion toutes deux voulussent ceder, il ne faudroit pas demeurer là sur ceste contestation, ains regarder lequel seroit le plus raisonnable et meilleur, et puis le faire simplement; et faut que cela soit conduit par la discretion, car il ne seroit pas à propos de quitter une chose qui seroit de necessité pour condescendre à une chose indifferente.

  A006000334 

 Que si je ne pouvois l'obmettre ou la remettre, et que ce qu'elle voudrait de moy ne fust [162] pas necessaire, je ferois ce que j'avois premierement entrepris, et puis, s'il se pouvoit, je regaignerois la commodité de faire ce que la Sœur desiroit de moy..

  A006000334 

 Si je voulois faire une action de grande mortification, et qu'une autre Sœur me vinst dire que je ne la fisse pas ou que j'en fisse une autre, je remettrois en un autre temps, s'il estoit possible, mon premier dessein pour faire sa volonté, et puis apres je paracheverois mon entreprise.

  A006000335 

 A quel propos donc ceste Sœur ne voudra-t'elle pas que je fasse ce dont elle me prie, pource seulement qu'elle a recognu que j'y ay de la repugnance? elle doit aymer que je fasse ce profit pour mon ame.

  A006000335 

 Non, c'est l'amour propre qui ne voudroit pas que j'eusse seulement une moindre pensée qu'elle est importune; je l'auray bien pourtant, encore que je ne m'y arreste pas.

  A006000335 

 Que s'il arrive qu'une Sœur nous requiere de faire quelque chose, et que par surprise nous tesmoignions d'y * avoir de la repugnance, il ne faut pas que la Sœur s'en ombrage ni fasse semblant de le cognoistre, ni qu'elle prie de ne le faire pas; car il n'est pas en nostre puissance d'empescher que nostre couleur, nos yeux et nostre contenance ne tesmoignent le combat que nous avons au dedans, encore que la raison veuille bien faire la chose; car ce sont des messagers qui viennent sans que l'on les demande, et qui, encore qu'on leur die retournez, n'en font rien pour l'ordinaire.

  A006000335 

 Si neantmoins au signe de ma repugnance je joins des paroles qui tesmoignent apertement que je n'ay point d'envie de faire ce dont ceste Sœur me prie, elle peut et doit me dire doucement que je ne le fasse pas, quand ce sont personnes égales; car il faut que ceux qui ont authorité tiennent ferme et fassent plier leurs inferieurs.

  A006000335 

 Si toutesfois j'avois l'experience que ce fust un esprit qui ne fust pas encore capable de ceste façon de traitter, j'attendrois pour quelque temps, jusques à tant qu'elle fust mieux disposée..

  A006000336 

 Il faut souffrir avec patience le retardement de nostre perfection, faisant tousjours ce que nous pouvons pour nostre avancement, et de bon cœur..

  A006000336 

 Nous devons tous estre capables des defauts les uns des autres, et ne faut en façon quelconque s'estonner d'en rencontrer; car si nous demeurons quelque temps sans tomber en faute, nous serons par apres un autre temps que nous ne ferons que faillir et ferons plusieurs grandes imperfections, de la suite desquelles il faut profiter par l'abjection qui nous en revient.

  A006000337 

 Ce seroit un grand bien si nous pouvions estre humbles tout aussi tost que nous avons desiré de l'estre, sans autre peine.

  A006000337 

 Demeurez donc, ma chere fille, parfaitement abandonnée à sa conduite, sans aucune exception ni reserve quelconque, toute, toute, et le laissez faire, jettant sur sa bonté tout le soin du corps et de l'ame, demeurant ainsi toute resignée, remise et reposée en Dieu, sous la conduite des Superieurs, sans soin que d'obeir..

  A006000337 

 Il faut que nous nous accoustumions à rechercher [164] l'evenement de nostre perfection selon les voyes ordinaires, en tranquillité de cœur, faisant tout ce que nous pouvons pour acquerir les vertus par la fidelité que nous aurons à les pratiquer une chacune selon nostre condition et vocation; et demeurons en attente pour ce qui regarde de parvenir tost ou tard au but de nostre pretention, laissant cela a la divine Providence, laquelle aura soin de nous consoler au temps qu'elle a destiné de le faire; et quand mesme ce ne seroit qu'à l'heure de nostre mort, il nous doit suffire, pourveu que nous rendions nostre devoir en faisant tousjours ce qui est en nous et à nostre pouvoir.

  A006000337 

 Nous aurons tousjours assez tost ce que nous desirons, quand nous l'aurons et qu'il plaira à Dieu de nous le donner.

  A006000337 

 O qu'heureux sont ceux qui vivans en l'attente, ne se lassent point d'attendre! Ce que je dis pour plusieurs, lesquels ayans le desir de se perfectionner par l'acquisition des vertus les voudroyent avoir tout d'un coup, comme si la perfection ne consistoit qu'à la desirer.

  A006000338 

 Or, le moyen d'acquerir ceste souplesse à la volonté d'autruy est de faire souvent en l'oraison des actes d'indifference, et puis les venir mettre en pratique lors que l'occasion s'en presentera; car ce n'est pas assez de se despouiller devant Dieu, d'autant que cela se faisant seulement avec l'imagination, il n'y a pas grand affaire; mais quand il le faut faire en effet, et que venans de nous donner tout à Dieu nous trouvons une creature qui nous commande, il y a bien de la difference, et c'est là où il faut monstrer son courage..

  A006000340 

 Bref, il faut avoir bon courage et ne dependre que de Dieu; car le caractere des Filles de la Visitation est de regarder en toutes choses la volonté de Dieu et la suivre..

  A006000340 

 En fin, la charité donne le prix et la valeur à toutes nos œuvres, de maniere que tout le bien que nous ferons il le faut faire pour l'amour de Dieu, et le mal que nous eviterons, il le faut eviter pour l'amour de Dieu.

  A006000340 

 Les actions bonnes que nous ferons, qui ne nous sont pas particulierement commandées et qui ne peuvent tirer leur merite de l'obeissance, il le leur faut donner par la charité, encore que nous les pouvons toutes faire par obeissance.

  A006000340 

 Si neantmoins une grande œuvre est faite avec autant de charité que la petite, sans doute celuy qui la fait a beaucoup plus de merite et de recompense.

  A006000341 

 Par exemple, si vous aviez devotion, Vous trouvant devant le saint Sacrement, de dire trois fois le Pater à l'honneur de la sainte Trinité, et que l'on vous vinst appeller pour faire quelque autre chose, il faudroit se lever promptement et aller faire ceste action à l'honneur de la sainte Trinité, au lieu de dire vos trois Pater..

  A006000341 

 Que si quelquefois pendant le silence il nous vient devotion de dire un Ave maris stella ou un Veni Creator Spiritus ou quelque autre chose, il n'y a point de difficulté que nous ne le puissions dire et qu'il ne soit bon; mais il faut bien prendre garde que cecy se fasse sans prejudice d'un plus grand bien.

  A006000341 

 Vous m'avez autresfois demandé si l'on pouvoit faire des prieres particulieres: et je responds que quant à ces petites prieres qu'il vous vient quelquefois devotion de faire, il n'y a point de mal, pourveu que l'on ne [166] s'y attache pas, en sorte que ne les disant pas il vous en vienne du scrupule, ou que vous fissiez dessein de dire tous les jours, ou un an durant ou certain temps, quelque oraison à vostre fantasie; car cela, il ne le faut pas.

  A006000342 

 Or, si vous pensez que ce soit le Saint Esprit qui vous inspire de faire ces petites pratiques, il vous sçaura bon gré que vous en demandiez congé, voire mesme que vous ne les fassiez pas si l'on ne le vous permet, d'autant [167] que rien ne luy est tant agreable que l'obeissance religieuse.

  A006000342 

 Si l'on vous prie de le faire, il faut respondre que vous demanderez congé de le faire; mais si l'on se recommande simplement à vos prieres, vous pouvez respondre que vous le ferez volontiers, et en mesme temps eslever vostre esprit en Dieu pour ceste personne-là.

  A006000347 

 L'obeissance aveugle a trois proprietés ou conditions, dont la premiere est qu'elle ne regarde jamais le visage des Superieurs, ains seulement leur authorité; la seconde, qu'elle ne s'informe point des raisons ni des motifs que les Superieurs ont de commander telle ou telle chose, luy suffisant de sçavoir qu'ils l'ont commandée, et la troisiesme, qu'elle ne s'enquiert point des moyens qu'il faut qu'elle tienne pour faire ce qui est commandé, s'asseurant que Dieu, par l'inspiration duquel on luy a fait ce commandement, luy donnera bien le pouvoir de l'accomplir; mais au lieu de s'enquerir comment elle fera, elle se met à faire..

  A006000348 

 Donques l'obeissance religieuse, qui doit estre aveugle, se sousmet amoureusement à faire tout ce qui luy est commandé, tout simplement, sans regarder jamais si le commandement est bien ou mal fait, pourveu que celuy qui commande ait le pouvoir de commander, et que le commandement serve à la conjonction de nostre esprit avec Dieu; car hors de là, jamais le vray obeissant ne fait aucune chose.

  A006000349 

 L'obeissance amoureuse presuppose que nous avons l'obeissance aux commandemens de Dieu..

  A006000349 

 L'on en void beaucoup d'autres qui se sont precipités à la mort, comme celuy qui se jetta dans une fornaise ardente; mais tous ces exemples doivent estre [171] admirés et non pas imités, car vous sçavez assez qu'il ne faut jamais estre si aveugle que de penser agréer à Dieu en contrevenant à ses commandemens.

  A006000349 

 Or, je sçay bien que plusieurs ont fait des choses contre les commandemens de Dieu par l'instinct de cette obeissance, laquelle ne veut pas seulement obeir aux commandemens de Dieu et des Superieurs, mais aussi à leurs conseils et à leurs inclinations.

  A006000349 

 Sainte Apollonie se jetta dans le feu que les impies ennemis de Dieu et du nom Chrestien avoyent preparé pour l'y mettre et la faire mourir.

  A006000350 

 Helas! vous ne faites rien plus que les mondains, car ils en font bien de mesme; et non seulement ils obeissent aux commandemens de ceux qu'ils ayment, mais ils n'estimeroyent pas leur amour bien satisfait s'ils ne suivoyent encor au plus pres qu'ils peuvent leurs inclinations et affections, ainsi que fait le vray obeissant, tant à l'endroit de ses Superieurs comme de Dieu mesme.

  A006000350 

 Nostre Seigneur, Nostre Dame et saint Joseph nous ont fort bien enseigné ceste façon d'obeir, au voyage qu'ils firent de Nazareth en Bethlehem; car Cesar ayant fait un edict, que tous ses subjets allassent au lieu de leur naissance pour y estre enroollés, ils y allerent amoureusement pour satisfaire à ceste obeissance, bien que Cesar fust payen et idolastre: Nostre Seigneur voulant monstrer par là que nous ne devons jamais regarder au visage de ceux qui commandent, pourveu qu'ils ayent le pouvoir de commander..

  A006000350 

 On dit que ceste obeissance est aveugle parce qu'elle obeit également à tous les Superieurs.

  A006000350 

 Tous les anciens Peres ont grandement blasmé ceux lesquels ne se vouloyent pas sousmettre à l'obeissance de ceux qui estoyent de moindre qualité qu'eux; ils leur demandoyent: Quand vous obeissiez à vos Superieurs, pourquoy le faisiez-vous? estoit-ce pour l'amour de Dieu? Nullement, car cestui-cy ne tient-il pas la mesme place de Dieu parmi nous que faisoit l'autre? Sans doute, il est vicaire de Dieu, et Dieu nous commande par sa bouche, et nous fait entendre ses volontés par ses ordonnances, comme il faisoit par la bouche de l'autre.

  A006000350 

 Vous obeissez donc aux Superieurs parce que vous leur avez de l'inclination et pour le respect de leurs personnes.

  A006000351 

 Dieu l'appelle et luy dit: Abraham, sors de ta terre et de ta parenté, c'est à dire hors de ta ville, et t'en va au lieu que je te monstreray.

  A006000351 

 Hé! ne pouvoit-il pas bien dire: Seigneur, vous me dites que je sorte hors de la ville; dites moy donc, s'il vous plaist, de quel costé je sortiray.

  A006000351 

 O certes, le vray obeissant ne fait pas des [174] discours; il se met simplement en besogne, sans s'enquerir d'autre chose que d'obeir..

  A006000352 

 Il n'eust rien cousté à Nostre Seigneur de luy dire luy mesme ce qu'il luy fit dire par Ananias, mais il vouloit que nous cognussions par cest exemple combien il ayme l'obeissance aveugle, puisqu'il semble qu'il n'aveugla saint Paul que pour le rendre vray obeissant..

  A006000352 

 Il semble que Nostre Seigneur mesme nous ayt voulu monstrer combien ceste sorte d'obeissance luy estoit agreable, lors qu'il s'apparut à saint Paul pour le convertir; car l'ayant appelle par son nom, il le fit cheoir par terre et l'aveugla.

  A006000353 

 Ainsi le vray obeissant croid simplement de pouvoir faire tout ce qu'on luy peut commander, parce qu'il tient que tous les commandemens [175] viennent de Dieu, ou sont faits par son inspiration, lesquels ne peuvent estre impossibles à raison de la puissance de Celuy qui commande..

  A006000353 

 Ce pauvre aveugle ne pouvoit-il pas bien s'estonner du moyen dont Nostre Seigneur usoit pour le guerir, et luy dire: Helas! que me faites-vous? si je n'estois pas aveugle, cela serait capable de me faire perdre la veuë.

  A006000354 

 A ceste response, Naaman commença à se dépiter et dire: N'y a-t'il pas des eaux en nostre pays aussi bonnes que celles qui sont au fleuve Jourdain? et n'en voulut rien faire.

  A006000354 

 Cettui-cy estant ladre, s'en alla trouver Elisée pour estre gueri, parce que tous les remedes dont il avoit usé pour recouvrer sa premiere santé ne luy avoyent de rien servi.

  A006000355 

 Elle sçait que le chemin par lequel elle doit aller est la Regle de la Religion et les commandemens des Superieurs; elle prend ce chemin en simplicité [176] de cœur, sans pointiller si ce seroit mieux de faire ainsi ou ainsi: pourveu qu'elle obeisse, tout luy est égal, car elle sçait bien que cela suffit pour estre agreable à Dieu, pour l'amour duquel elle obeit purement et simplement..

  A006000356 

 Ce fut la marque que print Eliezer pour cognoistre la fille que Dieu avoit determinée pour estre l'espouse du fils de son maistre.

  A006000356 

 Il dit donc ainsi en soy-mesme: Celle à qui je demanderay à boire et qui me dira: J'en donneray non seulement à vous, mais je puiseray encor de l'eau pour vos chameaux, ce sera celle là que je recognoistray estre digne espouse du fils de mon maistre.

  A006000356 

 La charité et l'obeissance ont une telle union ensemble qu'elles ne se peuvent separer: l'amour nous fait obeir promptement, car pour difficile que soit la [177] chose commandée, celuy qui a l'obeissance amoureuse l'entreprend amoureusement, parce que l'obeissance estant une principale partie de l'humilité qui ayme souverainement la sousmission, l'obeissant par consequent ayme le commandement, et dés qu'il l'apperçoit de loin, quel qu'il puisse estre, soit-il selon son goust ou non, il l'embrasse, il le caresse et le cherit tendrement..

  A006000357 

 A quoy le Pere respondit fort doucement: Bien, mon Frere, vous n'avez pas voulu obeir simplement et promptement; mais que voulez-vous gager que l'arbre sera plus obeissant que vous? Ce qui arriva; car le lendemain on le trouva tout sec, et ne porta jamais fruict.

  A006000357 

 Ce grand Saint, qui ne desiroit pas moins de dresser ses Religieux à une totale mortification des sens comme à la mortification interieure des passions et inclinations, appella Jonas et luy commanda que le lendemain il ne manquast à couper le figuier; à quoy le pauvre Jonas repliqua: Hé, mon Pere, encor faut-il un peu supporter ces jeunes gens; il les faut bien recréer en quelque chose; ce n'est pas pour moy que je le veux conserver.

  A006000357 

 Il y a dans la Vie de saint Pachome un exemple de ceste promptitude à l'obeissance que je vous veux dire.

  A006000357 

 Le pauvre [178] Jouas disoit fort veritablement que ce n'estoit pas pour luy qu'il vouloit garder le figuier; car on remarqua que de soixante et quinze ans qu'il vesquit en la Religion et qu'il fut jardinier, il n'avoit jamais tasté aucun fruict de son jardin, mais il en estoit fort liberal à l'endroit des Freres.

  A006000358 

 A son exemple, il nous faut apprendre d'estre grandement prompts en l'obeissance, car il ne suffit pas au cœur amoureux de faire ce qu'on luy commande ou que l'on luy tesmoigne de desirer, s'il ne le fait promptement; il ne peut voir l'heure assez tost venue pour accomplir ce que l'on a ordonné, à fin que l'on luy commande de nouveau quelque autre chose.

  A006000358 

 Ils furent extremement prompts à suivre le desir du roy; ainsi void-on que tant de grands Saints ont fait pour suivre les inclinations et les desirs qu'il leur sembloit que le Roy des roys, Nostre Seigneur, avoit.

  A006000358 

 Nous sommes obligés de secourir nostre prochain quand il est en extreme necessité; neantmoins, parce que l'aumosne est un conseil de Nostre Seigneur, plusieurs font volontiers l'aumosne autant que leur moyen le leur permet.

  A006000358 

 Quel commandement, je vous supplie, a fait Nostre Seigneur, qui obligeast sainte Catherine de Sienne à boire ou lescher avec la langue la pourriture qui sortoit de la playe de ceste pauvre femme qu'elle servoit? et saint Louis, roy de France, de manger avec les ladres le reste de leur potage pour leur donner courage de manger? Certes, ils n'estoyent aucunement obligés à cela; mais sçachant que Nostre Seigneur aymoit et avoit tesmoigné de l'inclination à l'amour de la propre abjection, pensant luy faire plaisir de suivre son inclination, ils faisoyent ces choses, quoy que tres-repugnantes à [179] leurs sens, avec un tres-grand amour.

  A006000359 

 De mesme, quand je m'apperçois que le Superieur desire quelque chose de moy, il faut que je me rende prompt à le faire, sans aller espluchant si je pourray cognoistre qu'il ayt quelque inclination que je fasse [180] quelque autre chose; car cela osteroit la paix et tranquillité de cœur, qui est le principal fruict de l'obeissance amoureuse..

  A006000359 

 Donc, celuy qui pour suivre l'inclination que Nostre Seigneur a tesmoigné que l'on secourust les pauvres, voudrait aller de ville en ville pour les chercher, qui ne sçait que pendant qu'il sera en une il ne servira pas ceux qui seront en l'autre? Il faut aller en ceste besogne en simplicité de cœur; faire l'aumosne quand j'en rencontre l'occasion, sans m'aller amusant par les rues de maison en maison, pour sçavoir s'il y aura point de pauvre que je ne cognoisse pas.

  A006000359 

 Mais il faut que je vous advertisse icy d'une tromperie en laquelle on pourroit tomber: car si ceux qui voudroyent entreprendre la pratique de ceste vertu fort exactement, vouloyent tousjours se tenir en attention pour pouvoir cognoistre les desirs et les inclinations de leurs Superieurs ou de Dieu, ils perdroyent le temps infailliblement; car par exemple, tandis que je m'enquerrois quel est le desir de Dieu, je ne m'occuperais pas à me tenir en repos et tranquillité aupres de luy, qui est le desir qu'il a maintenant, puisqu'il ne me donne rien autre chose à faire.

  A006000360 

 En ces paroles, jusques à la mort, est presupposé qu'il a esté obeissant tout le temps de sa vie, pendant lequel on ne void autre chose que des traits d'obeissance rendue par luy, tant à ses parents qu'à plusieurs autres, voire mesme à des impies et meschans; et comme il commença par ceste vertu, de mesme il paracheva par elle le cours de ceste vie mortelle..

  A006000361 

 C'est une tres-grande vertu de perseverer si longuement en un tel exercice; car de faire joyeusement une chose que l'on commande pour une fois, tant que l'on voudra, cela ne couste rien; mais quand on vous dit: vous ferez tousjours cela, et tout le temps de vostre vie, c'est là où il y a de la vertu et où gist la difficulté.

  A006000361 

 Le bon Religieux Jonas nous fournit deux exemples sur le sujet de la perseverance; et bien qu'il n'obeist si promptement au commandement que saint Pachome luy donna, c'estoit neantmoins un Religieux de grande perfection: car dés qu'il entra en Religion jusques à la mort il continua en l'office de jardinier, sans jamais le changer durant soixante et quinze ans qu'il vescut en ce monastere; et l'autre exercice auquel il persevera aussi toute sa vie, comme je vous ay dit cy-devant, fut de faire des nattes de joncs entrelacés avec des feuilles [181] de palmes, tellement qu'il mourut en les faisant.

  A006000361 

 Voila donc ce que j'avois à vous dire touchant l'obeissance, sinon encore ce mot, que l'obeissance est d'un si grand prix qu'elle est compagne de la charité; et ces deux vertus sont celles qui donnent le prix et la valeur à toutes les autres, de sorte que sans elles toutes les autres ne sont rien.

  A006000362 

 Assez meurt martyr qui bien se mortifie; c'est un plus grand martyre de perseverer toute sa vie en obeissance, que non pas de mourir tout d'un coup par un glaive.

  A006000362 

 De là à quelque temps, l'on eut nouvelles propres à sa consolation, car un certain Sarrasin, chef de voleurs, vint en une montagne proche du monastere; sur quoy saint Pachome l'appella à soy [183] et luy dit: Or sus, mon fils, l'heure est venue que vous avez tant desirée; allez à la bonne heure couper du bois en la montagne.

  A006000362 

 En fin il adora leur idole, et ces meschans se mocquans de luy le battirent tres-bien, et puis le laisserent revenir en son monastere, où estant arrivé plus mort que vif, tout pâle et transi, saint Pachome qui luy estoit allé au devant luy dit: Eh bien, mon fils, [184] comme va? qu'y a-t'il que vous estes si défait? Lors, le pauvre Religieux, tout honteux et confus parce qu'il avoit de l'orgueil, ne pouvant supporter de se voir avoir fait une si grande faute, se jetta en terre et confessa sa faute; à quoy le Pere remediant promptement, faisant prier les Freres pour luy et luy faisant demander pardon à Dieu, le remit en bon estat, et puis luy donna de bons advertissemens, disant: Mon fils, souviens-toy qu'il vaut mieux avoir de petits desirs de vivre selon la Communauté, et ne vouloir que la fidelité à l'observance des Regles sans entreprendre ni desirer autre chose que ce qui y est compris, que non pas avoir de grands desirs de faire des merveilles imaginaires, qui ne sont bons qu'à enfler nos cœurs d'orgueil et nous faire mesestimer les autres, pensant bien estre quelque chose plus qu'eux.

  A006000362 

 Helas! ce pauvre Religieux, si vaillant en imagination, se voyant l'espée à la gorge: Hé, de grace, dit-il, ne me tuez pas, je feray tout ce que vous voudrez; ayez pitié de moy! je suis encor jeune, ce seroit dommage de borner le cours de mes jours.

  A006000362 

 Je ne demande autre chose, respondit-il, que de mourir pour Dieu, et semblables responses.

  A006000362 

 Le Religieux, qui asseuroit que son desir procedoit du Saint Esprit, ne rabattit rien de son ardeur, incitant tousjours le Pere qu'il fist priere que son desir fust accompli.

  A006000362 

 Le Religieux, tout esperdu de joye, s'en va chantant et psalmodiant à la loüange de Dieu, et luy rendant action de graces dequoy il avoit bien daigné luy faire l'honneur de luy donner ceste occasion de mourir pour son amour; en fin il ne pensoit rien moins que de faire ce qu'il fit.

  A006000362 

 Le Saint luy disoit: Mon fils, mieux vaut vivre en obeissance, et mourir tous les jours en vivant par une continuelle mortification de soy-mesme, que de martyriser nostre imagination.

  A006000362 

 Mais passant plus outre, et laissant à part l'obeissance generale aux commandemens de Dieu et parlant de l'obeissance religieuse, je dis que si le Religieux n'obeit, il ne sçauroit avoir aucune vertu, parce que c'est l'obeissance qui le rend principalement Religieux, comme estant la vertu propre et particuliere de la Religion.

  A006000362 

 O qu'il fait bon vivre à l'abri de la sainte obeissance, plustost que nous retirer d'entre ses bras pour chercher ce qui nous semble plus parfait! Si tu te fusses contenté, ainsi que je t'avois dit, de te bien mortifier en vivant, lors que tu ne voulois rien moins que la mort, tu ne fusses pas tombé comme tu as fait; mais bon courage, souviens-toy de vivre desormais en sousmission, et t'asseure que Dieu t'a pardonné.

  A006000362 

 Or, voicy que ces voleurs l'ayant apperceu, vindrent droit à luy et commencerent à l'empoigner et menacer.

  A006000362 

 en une humilité et sousmission exemplaire, vint trouver [182] saint Pachome et luy dit, transporté de grande ferveur, qu'il avoit un tres-grand desir du martyre, qu'il ne seroit jamais content que cela n'arrivast, qu'il le supplioit bien humblement de vouloir prier Dieu à fin qu'il l'accomplist.

  A006000363 

 Je dis encor cecy, que l'obeissance n'est point de moindre merite que la charité; car donner un verre d'eau par charité, cela vaut le Ciel, Nostre Seigneur mesme le dit: faites-en autant par obeissance, vous gaignerez le mesme.

  A006000363 

 La moindre petite chose faite par obeissance est tres-agreable à Dieu: mangez par obeissance, vostre manger est plus agreable à Dieu que les jeusnes des anachoretes s'ils sont faits sans obeissance; reposez-vous par obeissance, vostre repos est plus meritoire et plus agreable à Dieu que non pas le travail volontaire.

  A006000364 

 De mesme le vray obeissant, que l'on luy commande cecy ou cela, il ne s'en met point en peine; pourveu que l'on luy commande, et qu'il soit tousjours entre les bras de l'obeissance, je veux dire en l'exercice de l'obeissance, il est content.

  A006000364 

 Le vray obeissant vivra doucement et paisiblement comme un enfant qui est entre les bras de sa chere mere, lequel ne se met point en soin de ce qui luy pourra survenir; que la mere le porte sur le bras droit ou sur le gauche, il ne s'en soucie pas.

  A006000364 

 Quel bonheur plus utile et desirable que cela? Certes, le vray obeissant, pour dire cela en passant, ayme ses Regles, les honnore et les estime uniquement comme le vray chemin par lequel il doit s'acheminer à l'union de son esprit avec Dieu; et partant il ne se départ [186] jamais de ceste voye, ni de l'observance des choses qui y sont dites par forme de direction, non plus que de celles qui y sont commandées.

  A006000365 

 Celles qui ne voudroyent pas s'assujettir aux conseils et à la direction contreviendroyent à l'obeissance amoureuse; et ce seroit tesmoigner une grande lascheté de coeur et avoir bien peu d'amour pour Dieu, [189] que de ne vouloir faire que ce qui nous est commandé et rien davantage.

  A006000365 

 O non, ma fille: les Superieurs, [187] non plus que les confesseurs, n'ont pas tousjours intention d'obliger les inferieurs par les commandemens qu'ils font, et quand ils le veulent faire, ils usent du mot de commandement sur peine de desobeissance; et alors les inferieurs sont obligés d'ober sur peine de peché, bien que le commandement fust fort leger et de chose de peu; mais autrement non.

  A006000365 

 Vous demandez maintenant si vous estes obligées sur peine de peché, de faire tout ce que les Superieurs vous disent que vous fassiez; comme quand vous rendez compte, s'il faut que vous teniez pour commandement tout ce que la Superieure vous dit, qui est propre à vostre avancement.

  A006000366 

 Bien que les Superieurs fussent ignorans et conduisissent leurs inferieurs selon leur ignorance, voire [190] par des voyes scabreuses et dangereuses, les inferieurs se sousmettans à tout ce qui n'est point manifestement peché, ni contre les commandemens de Dieu et de sa sainte Eglise, je vous peux asseurer qu'ils ne peuvent jamais errer.

  A006000366 

 Nostre Seigneur a promis que le vray obeissant ne se perdra jamais; non certes, celuy qui suivra indistinctement la volonté et direction des Superieurs que Dieu establira sur luy.

  A006000366 

 O certes, nous ne pouvons pas empescher que la pensée ne nous en vienne, mais de s'y arrester, c'est ce qu'il ne faut point faire; car si Balaam fut bien instruit par une asnesse, à plus forte raison devons-nous croire que Dieu qui nous a donné ceste Superieure, fera bien qu'elle nous enseignera selon sa volonté, bien que peut estre ce ne sera pas selon la nostre.

  A006000366 

 Si aujourd'huy que vous avez une Superieure fort estimée, tant pour sa qualité que pour ses vertus, vous luy obeissez de bon cœur, demain que vous en aurez une autre qui ne sera pas tant estimée vous ne luy obeissez pas de si bon cœur qu'à l'autre, luy rendant bien pareille obeissance, mais n'estimant pas tant ce qu'elle vous dit et ne le faisant pas avec tant de satisfaction, hé! qui ne void que vous obeissez à l'autre par vostre inclination et non pas purement pour Dieu? car si cela estoit, vous auriez autant de plaisir et feriez autant d'estime de ce que ceste-cy vous dit, comme vous faisiez de ce que l'autre vous disoit..

  A006000366 

 Vous me demandez si l'on ne pourroit pas bien penser lors qu'on vous change de Superieure, qu'elle n'est pas si capable que celle que vous aviez et qu'elle n'a pas tant de cognoissance du chemin par lequel il vous faut conduire.

  A006000367 

 C'est sans doute que j'auray plus de satisfaction, quant à la partie inferieure de mon ame, de faire ce qu'une Superieure me commande à laquelle j'ay de l'inclination, que non pas à faire ce que l'autre [191] me dit à laquelle je n'en ay du tout point; mais pourveu que j'obeisse également quant à la partie superieure il suffit, et mon obeissance vaut mieux quand j'ay moins de plaisir à la faire, parce que c'est là où nous monstrons que c'est pour Dieu et non pour nostre plaisir que nous obeissons.

  A006000367 

 Il n'y a rien de plus commun clans le monde que ceste façon d'obeir à ceux que l'on ayme; mais pour l'autre, elle est extremement rare et ne se pratique qu'és Religions..

  A006000367 

 J'ay accoustumé de dire souvent une chose que tous-jours il est bon de dire parce qu'il le faut tousjours observer, qui est que toutes nos actions se doivent pratiquer selon la partie superieure; car c'est ainsi qu'il faut vivre en ceste maison, et non jamais selon nos sens et nos inclinations.

  A006000368 

 Bien que l'on voye pour l'ordinaire en toutes les Religions les Novices fort exacts et mortifiés, ce n'est pas qu'ils soyent plus obligés que les Profés: ô non, car ils ne le sont encore nullement, ains ils perseverent en obeissance pour parvenir à la grace de la profession; mais les Profés y sont obligés en vertu des vœux qu'ils ont faits, lesquels il ne suffit pas d'avoir faits pour estre Religieux, si on ne les observe.

  A006000368 

 Mais hors de là, les inferieurs doivent tousjours croire et faire confesser à leur propre jugement que les Superieurs font tres-bien et qu'ils ont bonne raison de le faire; car autrement ce seroit se faire Superieur et rendre le Superieur inferieur, puisque nous nous rendrions examinateurs de sa cause.

  A006000368 

 Mais, pourriez-vous dire, n'est-il pas permis de desapprouver ce que ceste Superieure icy fait, ni de dire ou penser pourquoy elle fait des ordonnances que l'autre ne faisoit pas? O certes, non jamais, mes cheres filles; ains il faut approuver tout ce que les Superieures font ou disent, permettent ou defendent, pourveu qu'il ne soit manifestement contre les commandemens de Dieu, car alors il ne faut ni obeir ni approuver cela.

  A006000368 

 Non, il faut plier les espaules sous le fardeau de la sainte obeissance, croyant que ces deux Superieures ont eu bonne raison de faire le commandement qu'elles ont fait, quoy que different et contraire l'un à l'autre.

  A006000368 

 Nostre Seigneur se monstra plus exact en sa mort qu'en son enfance à se laisser manier et plier, ainsi que j'ay dit tantost.

  A006000368 

 [192] Mais ne seroit-il point loisible à une fille qui a desja vescu longuement en Religion, et qui y a rendu de grands services, de se relascher un peu à l'obeissance, au moins en quelque petite chose? O bon Dieu! que seroit cela, sinon faire comme un maistre pilote qui ayant amené sa barque au port, apres avoir longuement et peniblement travaillé pour la sauver des perils de la tourmente et des vagues de la mer, voudrait en fin, estant arrivé au port, rompre son navire et se jetter luy-mesme dans la mer? Ne le jugeroit-on pas bien fol? car s'il vouloit faire cela, il ne se devoit pas tant travailler pour amener la barque jusqu'au port.

  A006000369 

 La premiere est qu'une Sœur peut aller dire: Bon Dieu, ma Sœur, que nostre Mere vient de me bien mortifier! toute joyeuse dequoy elle a esté digne de ceste mortification, et dequoy la Superieure luy a fait faire ce petit gain pour son ame, luy disant bien son fait sans l'espargner; et partant elle en donne la joye à sa Sœur à fin qu'elle luy aide à en benir Dieu.

  A006000369 

 La seconde façon en laquelle l'on le peut dire est pour se soulager: elle trouve la mortification ou correction bien pesante, elle s'en va un peu descharger sur sa Sœur à qui elle le dit, laquelle la plaignant luy ostera une partie de sa charge; et ceste façon n'est desja pas tant supportable que la premiere, parce que l'on commet une imperfection en se plaignant.

  A006000369 

 Mais la troisiesme seroit tout à fait mauvaise, qui est de le dire par forme de murmure et de despit, et pour faire cognoistre que la Superieure a eu tort; or de ceste façon, je sçay bien que l'on ne le fait pas en ceste maison, par la grace de Dieu..

  A006000369 

 Or, je responds que cecy se peut dire en trois sortes.

  A006000370 

 D'aller aussi dire: Je viens de parler à nostre Mere, je suis aussi seche que j'estois auparavant, il n'y a que s'attacher à Dieu; pour moy je ne retire aucune consolation [194] des creatures, j'ay esté moins consolée que je n'estois; cela n'est pas à propos.

  A006000370 

 La Sœur à laquelle on dit cecy devroit respondre fort doucement: Ma chere Sœur, que ne vous estiez-vous bien attachée à Dieu, ainsi que vous dites qu'il faut faire, avant qu'aller parler à nostre Mere, et vous n'auriez pas du mescontentement dequoy elle ne vous a pas consolée.

  A006000370 

 Mais en ce sens-là que vous dites, qu'il se faut bien attacher à Dieu, prenez garde que cherchant Dieu au defaut des creatures il ne se veuille laisser trouver; car il veut estre cherché avant toutes choses et au mespris de toute chose.

  A006000370 

 Parce que les creatures ne me contentent pas, je cherche le Createur: ô non! le Createur merite bien que je quitte tout pour luy; aussi veut-il que nous le fassions.

  A006000370 

 Quand donc nous sortons de devant la Superieure toutes seches et sans avoir receu une seule goutte de consolation, il faut que nous emportions nostre secheresse comme un baume precieux, comme l'on fait des affections que l'on reçoit en la sainte oraison, comme un baume, dis-je, et que nous ayons un grand soin de ne pas laisser respandre ceste liqueur precieuse qui nous a esté envoyée du Ciel comme un don tres-grand, à fin de parfumer nostre cœur de la privation de la consolation que nous pensions rencontrer és paroles de la Superieure..

  A006000371 

 Il vous semble que les Superieurs ont la consolation sur le bord des levres et qu'ils la respandent facilement dans le cœur de ceux qu'ils veulent, ce qui n'est pas neantmoins; car ils ne peuvent pas tousjours estre de mesme humeur non plus que les autres.

  A006000371 

 Mais il y a une chose à remarquer sur ce sujet, qui est que quelquefois l'on porte un cœur sec et dur lors que l'on va parler à la Superieure, lequel ne peut estre capable d'estre arrousé ni humecté de l'eau de la consolation, d'autant qu'il n'est nullement susceptible de ce que la Superieure dit; et encore qu'elle parle fort bien selon vostre necessité, neantmoins il ne le vous semble pas.

  A006000371 

 Tantost nous serons consolés, et d'icy à un peu nous aurons le cœur sec, et de telle sorte que les paroles de consolation nous ajusteront extremement cher à dire..

  A006000371 

 Une autre fois que vous aurez le cœur tendre et bien disposé, elle ne vous dira que trois ou quatre paroles, beaucoup moins utiles pour vostre perfection que les autres n'estoyent, qui vous consoleront; et pourquoy? parce que vostre cœur estoit disposé à [195] cela.

  A006000372 

 Donques, quand il vous vient envie de juger si une chose est bien ou mal ordonnée, tranchez ce discours à vostre propre jugement; et quand peu apres on vous dira qu'il faut faire une telle chose de telle façon, ne vous amusez point à discourir ou discerner si elle ne seroit point mieux autrement, faisant accroire à vostre jugement que la chose ne pourroit jamais estre mieux faite, que de la façon que l'on vous a dit.

  A006000372 

 Parce que l'entendement et le jugement representent à la volonté que cela ne se doit pas, ou qu'il faut user d'autres moyens pour faire ce que l'on dit, que ceux qui nous sont marqués, elle ne peut se sousmettre, d'autant qu'elle fait tousjours plus d'estat des raisons que le propre jugement luy monstre que non pas d'aucune autre, car chacun croid que son propre jugement est le meilleur.

  A006000372 

 Si l'on vous donne quelque exercice, ne permettez pas à vostre jugement de discerner s'il vous sera propre ou non; et prenez garde que, si bien vous faites la chose ainsi qu'elle est commandée, bien souvent [196] le propre jugement n'obeit pas, je veux dire ne se sousmet pas, car il n'approuve pas le commandement: ce qui est pour l'ordinaire cause de la repugnance que nous avons de nous sousmettre à faire ce que l'on veut de nous.

  A006000372 

 Vous me demandiez encor que j'eusse à vous dire quel estoit l'exercice propre à faire mourir le propre jugement; à quoy je responds que c'est de luy retrancher fidelement toutes sortes de discours és occasions où il se veut rendre maistre, luy faisant connoistre qu'il n'est que valet; car, mes cheres filles, ce n'est que par les actes reiterés que nous acquerons les vertus, bien qu'il y ayt eu quelques ames auxquelles Dieu les a données toutes en un moment.

  A006000373 

 Ce docteur, [197] recevant le commandement, sousmit si absolument son jugement qu'il ne voulut point esclaircir son affaire pour se justifier, ains au contraire il creut qu'il avoit tort et qu'il s'estoit laissé tromper à son propre jugement; et montant en chaire, il leut tout haut ce que le Pape luy avoit escrit, print son livre, le déchira en pieces, puis il dit tout haut que ce que le Pape avoit jugé sur ce fait avoit esté fort bien jugé; qu'il approuvoit de tout son cœur la censure et correction paternelle qu'il avoit daigné luy faire, comme estant tres-juste et tres-douce à luy qui meritoit d'estre rigoureusement chastié, et qu'il s'estonnoit grandement comme il avoit esté si aveugle que de s'estre laissé tromper à son propre jugement en chose si manifestement mauvaise.

  A006000373 

 Il n'estoit nullement obligé de faire cecy, parce que le Pape ne le commandoit pas, ains seulement qu'il eust à rayer de dessus son livre certaine chose qui n'avoit pas semblé bonne; car, ce qui est bien remarquable, elle n'estoit pas heretique, ni si manifestement erronée qu'elle ne peust estre defendue.

  A006000374 

 Abigaïl sçachant le dessein de David, s'en alla le lendemain au [199] devant de luy avec des presens pour l'appaiser, usant de ces termes: Monseigneur, que voudriez-vous faire à un fol? hier que mon mary estoit ivre, il parla mal, mais il parla en ivrogne et comme un fol.

  A006000374 

 David sçachant cecy: Vive Dieu! dit-il, il me la payera, le mescognoissant qu'il est du bien que je luy ay fait de sauver ses troupeaux et empescher qu'aucune chose ne luy fust faite.

  A006000374 

 Faire avouer que ce qui est commandé est bon, l'aimer et l'estimer comme une chose qui nous est bonne et utile au dessus de toute autre, ô c'est à cela que le jugement se trouve retif; car il y en a plusieurs qui disent: je feray bien cela ainsi que vous dites, mais je voy bien qu'il seroit mieux autrement.

  A006000374 

 Helas! que faites-vous? si vous nourrissez ainsi le jugement, sans doute il vous enyvrera; car il n'y a point de difference entre une personne enyvrée et celuy qui est plein de son propre jugement.

  A006000374 

 Il faut faire les mesmes excuses d'une personne ivre et de nostre propre jugement; car l'un n'est pas guere plus capable de raison que l'autre.

  A006000374 

 L'on void encor assez souvent des sens mortifiés, parce que la propre volonté se mesle de les mortifier, et ce seroit une chose honteuse de se monstrer retifs à l'obeissance: que diroit-on de nous? mais de propre jugement, fort rarement on en trouve de bien mortifiés.

  A006000374 

 Par malheur, ce pauvre homme estoit ivre, et commençant à parler en ivrogne, dit que David, apres avoir mangé ses voleries, envoyoit chez luy pour le ruiner comme les autres, et qu'il ne leur donneroit aucune chose.

  A006000375 

 C'est sans doute, ma fille, qu'il le faut faire; car à quel propos verrez-vous une tache en vostre Sœur, sans vous essayer de la luy oster par le moyen d'un advertissement? Il faut neantmoins estre discrette en ceste besogne; car il ne seroit pas temps d'advertir une Sœur tandis que vous la verrez indisposée ou pressée de melancholie, car il seroit dangereux qu'elle ne rejettast d'abord l'advertissement si vous le luy faisiez.

  A006000375 

 Si une Sœur vous dit des paroles qui ressentent le murmure, et que d'ailleurs ceste Sœur ayt le cœur en douceur, sans doute il faut que tout confidemment vous luy disiez: Ma Sœur, cela n'est pas bien fait; mais si vous vous appercevez qu'il y ayt quelque passion esmeuë dans son cœur, alors il faut destourner le propos le plus [200] dextrement que l'on peut.

  A006000375 

 Vous dites que vous craignez d'advertir si souvent une Sœur des fautes qu'elle fait, parce que cela luy oste l'asseurance et la fait plustost faillir à force de craindre.

  A006000378 

 La simplicité donc n'est autre chose qu'un acte de charité pur et simple qui n'a qu'une seule fin, qui est d'acquerir l'amour de Dieu, et nostre ame est simple lors que nous n'avons point d'autre pretention en tout ce que nous faisons.

  A006000378 

 La vertu de laquelle nous avons à traitter est si necessaire que, bien que j'en aye souventesfois parlé, vous avez neantmoins desiré que j'en fisse un Entretien tout entier.

  A006000378 

 Or, il faut en premier lieu sçavoir que c'est que ceste vertu de simplicité.

  A006000378 

 Vous sçavez que nous appelions communément une chose simple quand elle n'est point brodée, doublée ou bigarrée; par exemple nous disons: voila une personne qui est habillée bien simplement, parce qu'elle ne porte point de façon ou de doublure en son habit, je dis de doublure façonnée ou qui se voye, ains sa robbe et son habit n'est que d'une estoffe; et cela est une robbe simple.

  A006000379 

 Et ainsi elle doubloit ceste premiere fin de l'amour de Dieu en son exercice, de plusieurs autres petites pretentions, desquelles elle fut reprise de Nostre Seigneur: Marthe, Marthe, tu te troubles de plusieurs choses, bien qu' une seule soit necessaire, qui est celle que Magdelaine a choisie et qui ne luy sera point ostée. Cest acte donc de charité simple qui fait que nous ne regardons et n'avons autre visée en toutes nos actions que le seul desir de plaire à Dieu est la part de Marie, qui est seule necessaire, et c'est la simplicité, vertu laquelle est inseparable de la charité, d'autant qu'elle regarde droit à Dieu, sans que jamais elle puisse souffrir aucun meslange de propre interest, autrement ce ne seroit plus simplicité; car elle ne peut souffrir aucune doublure des creatures ni aucune consideration d'icelles, Dieu seul y trouve place..

  A006000379 

 L'histoire tant commune des hostesses de Nostre Seigneur, Marthe et Magdelaine, est grandement remarquable pour ce sujet; car ne voyez-vous pas que Marthe, bien que sa fin fust louable de vouloir bien traitter Nostre Seigneur, ne laissa pas d'estre reprise par ce divin Maistre? d'autant qu'outre la fin tres-bonne qu'elle avoit en son empressement, elle regardoit encor Nostre Seigneur entant qu'homme; et pour cela elle croyoit qu'il fust comme les autres, auxquels un seul mets ou une sorte d'apprest ne suffit pas, et c'estoit cela qui faisoit qu'elle s'esmouvoit grandement à fin d'apprester plusieurs mets.

  A006000380 

 Apprenez de la colombe à aymer Dieu en simplicité de cœur, n'ayant qu'une seule pretention et une seule fin en tout ce que vous ferez; mais n'imitez pas seulement la simplicité de l'amour des colombes en ce qu'elles n'ont tousjours qu'un paron pour lequel elles font tout et auquel seul elles veulent complaire, mais imitez-les aussi en la simplicité qu'elles pratiquent en l'exercice et au tesmoignage qu'elles rendent de leur amour; car elles ne font point tant de choses ni tant de mignardises, ains elles font simplement leurs petits gemissemens à l'entour de leurs colombeaux, et se contentent de leur tenir compagnie quand ils sont presens..

  A006000380 

 Les payens, voire ceux qui ont le mieux parlé des autres vertus, n'en ont eu aucune cognoissance, non plus que de l'humilité; car de la magnificence, de la liberalité, de [203] la constance, ils en ont fort bien escrit; mais de la simplicité et de l'humilité, rien du tout.

  A006000380 

 Nostre Seigneur mesme est descendu du Ciel pour donner cognoissance aux hommes tant de l'une que de l'autre vertu, autrement ils eussent tousjours ignoré ceste doctrine si necessaire.

  A006000381 

 La simplicité bannit de l'ame le soin et la sollicitude que plusieurs ont inutilement pour rechercher quantité d'exercices et de moyens pour pouvoir aymer Dieu, ainsi qu'ils disent; et leur semble, s'ils ne font tout ce que les Saints ont fait, qu'ils ne sçauroyent estre contens.

  A006000381 

 La simplicité embrasse voirement les moyens que l'on prescrit à un chacun selon sa vocation pour acquerir l'amour de Dieu, de sorte qu'elle ne veut point d'autre motif pour acquerir ou estre incitée à la recherche de cest amour que sa fin mesme, autrement elle ne seroit pas parfaitement simple; car elle ne peut souffrir autre regard, pour parfait qu'il puisse estre, que le pur amour de Dieu qui est sa seule pretention.

  A006000381 

 Mais pourquoy plustost à ceste heure qu'à une autre? C'est parce que la cloche ayant sonné, si je n'y vay pas je seray remarquée.

  A006000381 

 Or, ce que nous [204] disons qu'il n'y a point d'art, n'est pas pour mespriser certains livres qui sont intitulés: L'Art d'aymer Dieu; car ces livres enseignent qu'il n'y a point d'autre art que de se mettre à l'aymer, c'est à dire se mettre en la pratique des choses qui luy sont agreables, ce qui est le seul moyen de trouver et acquerir cest amour sacré, pourveu que ceste pratique s'entreprenne en simplicité, sans trouble et sans sollicitude.

  A006000381 

 Par exemple, si on va à l'Office, et que l'on demande: Où allez-vous? Je vay à l'Office, respondra-t'on.

  A006000381 

 Pauvres gens! ils se tourmentent pour trouver l'art d'aymer Dieu, et ne sçavent pas qu'il n'y en a point d'autre que de l'aymer; ils pensent qu'il y ayt certaine finesse pour acquerir cest amour, lequel neantmoins ne se trouve qu'en la simplicité.

  A006000382 

 L'astuce est un amas d'artifices, de tromperies, de malices, et c'est par le [205] moyen de l'astuce que nous trouvons des inventions pour tromper l'esprit du prochain et de ceux avec lesquels nous avons à faire, pour les conduire au poinct que nous pretendons, qui est de leur faire entendre que nous n'avons autre sentiment au coeur que celuy que nous leur manifestons par nos paroles, ni autre cognoissance sur le sujet dont il s'agit; chose qui est infiniment contraire à la simplicité, qui requiert que nous ayons l'interieur entierement conforme à l'exterieur..

  A006000382 

 Or, avant que passer outre, il faut descouvrir une tromperie qui est en l'esprit de plusieurs touchant ceste vertu; car ils pensent que la simplicité soit contraire à la prudence, et qu'elles soyent opposées l'une à l'autre, ce qui n'est pas; car jamais les vertus ne se contrarient l'une l'autre, ains ont une union tres-grande par ensemble.

  A006000383 

 Apres que l'ame simple a fait une action qu'elle juge se devoir faire, elle n'y pense plus; et s'il luy vient à la pensée ce que l'on dira ou que l'on pensera d'elle, elle retranche promptement tout cela, parce qu'elle ne peut souffrir aucun divertissement en sa pretention, qui est de se tenir attentive à son Dieu pour accroistre en elle son amour.

  A006000383 

 Il est vray que par fois nous avons des grandes émotions en nostre interieur sur la rencontre d'une correction ou de quelqu'autre contradiction; mais ceste émotion ne provient pas de nostre volonté, ains tout ce ressentiment se passe en la partie inferieure; la partie superieure ne consent point à tout cela, ains elle aggrée, accepte et trouve bonne ceste rencontre.

  A006000383 

 Je n'entends pas pourtant de dire qu'il faille tesmoigner en nos émotions, des passions à l'exterieur ainsi que nous les avons en l'interieur; car ce n'est pas contre la simplicité de faire bonne mine en ce temps-là, ainsi que l'on pourroit penser.

  A006000383 

 Mais ne seroit-ce point tromper ceux qui nous verroyent, dites-vous, d'autant que, quoy que nous fussions fort immortifiées, ils croiroyent que nous serions fort vertueuses? Ceste reflexion, ma chere Sœur, sur ce que l'on dira ou [206] que l'on pensera de vous, est contraire à la simplicité; car nous avons dit qu'elle ne vise qu'à contenter Dieu et nullement les creatures, sinon entant que l'amour de Dieu le requiert.

  A006000383 

 Nous avons dit que la simplicité a son regard continuel en l'acquisition de l'amour de Dieu; or l'amour de Dieu requiert de nous que nous retenions nos sentimens, et que nous les mortifions et aneantissions, c'est pourquoy il ne requiert pas que nous les manifestions et fassions voir au dehors.

  A006000384 

 De mesme en est-il de ce que l'on pourroit dire, s'il n'est pas permis de se servir de la prudence pour ne pas descouvrir aux Superieurs ce que l'on penseroit les pouvoir troubler, ou nous-mesmes en le disant; car la simplicité ne regarde sinon s'il est expedient de dire ou de faire telle chose, et puis là dessus elle se met à la faire, sans perdre le temps à considerer si le Superieur se trouble, ou bien encor moy, si je luy dis quelque pensée que j'ay eu de luy, ou qu'il ne se trouble pas, ni moy aussi.

  A006000384 

 S'il est expedient pour moy de le dire, je ne laisseray pas de le dire tout simplement, en arrive apres ce que Dieu voudra.

  A006000385 

 Mais d'où pensons-nous que vienne ce trouble, sinon du manquement de simplicité, d'autant que l'on s'amuse souvent à penser: que dira-t'on ou que pensera-t'on? au lieu de penser à Dieu et à ce qui nous peut rendre plus agreables à sa Bonté..

  A006000385 

 Si je sçay qu'allant en quelque compagnie l'on me dira quelque parole qui me troublera et m'esmouvera, je ne dois pas eviter d'y aller; ains je m'y dois porter, armé de la confiance que je dois avoir en la protection divine, qu'elle me fortifiera pour vaincre ma nature contre laquelle je veux faire la guerre.

  A006000386 

 Au surplus, les Superieurs doivent estre parfaits, ou du moins ils doivent faire les oeuvres des parfaits; et partant ils ont les oreilles ouvertes pour recevoir et entendre tout ce que l'on leur veut dire, sans s'en mettre beaucoup en peine.

  A006000386 

 Ceste vertu a une grande affinité avec l'humilité, laquelle ne permet pas que l'on aye mauvaise opinion de personne que de nous-mesmes..

  A006000386 

 Et si vous en demeurez en peine, ce n'est que l'immortification qui fait cela; car à quel propos diray-je ce qui n'est pas necessaire pour mon [208] utilité, en laissant ce qui me peut plus mortifier? La simplicité, comme nous avons desja dit, ne cherche que le pur amour de Dieu, lequel ne se trouve jamais si bien qu'en la mortification de nous-mesmes; et à mesure que la mortification croist, nous nous approchons d'autant plus du lieu où nous devons trouver son divin amour.

  A006000386 

 La simplicité ne se mesle pas de ce que font ou feront les autres, elle pense à soy; encore n'a-t'elle pour soy que les pensées qui sont vrayement necessaires, car quant aux autres, elle s'en destourne tousjours promptement.

  A006000386 

 Mais de plus, je pense, quant à moy, qu'il est meilleur et plus expedient de dire à la Superieure les pensées qui nous mortifient le plus, que non pas plusieurs autres qui ne servent de rien, sinon pour accroistre l'entretien que vous faites avec elle.

  A006000386 

 Mais si je dis une telle chose, j'en demeureray plus en peine que devant que l'avoir dite.

  A006000387 

 Elle ne se trouble de rien; elle se tient coye et tranquille en la confiance qu'elle a que Dieu sçait son desir, qui est de luy plaire, et cela luy suffît..

  A006000387 

 Il faut estre fort naïf en la conversation; il ne faut pourtant pas estre inconsideré, d'autant que la simplicité [209] suit tousjours la regle de l'amour de Dieu.

  A006000387 

 Mais bien qu'il vous arrivast de dire quelque petite chose qui semblast n'estre pas si bien receüe de toutes comme vous voudriez, il ne faudroit pas pour cela s'amuser à faire des reflexions et examens sur toutes vos paroles; ô non, car c'est l'amour propre sans doute qui nous fait faire ces enquestes, si ce que nous avons dit et fait est bien receu; mais la sainte simplicité ne court pas apres ses paroles ni ses actions, ains elle en laisse l'evenement à la divine Providence, à laquelle elle s'attache souverainement.

  A006000387 

 Que si elle y rencontre quelque occasion de pratiquer quelque vertu, elle s'en sert soigneusement comme d'un moyen propre pour parvenir à sa perfection qui est l'amour de Dieu, mais elle ne s'empresse point pour les rechercher; elle ne les mesprise point aussi.

  A006000388 

 Nous tenons ce defaut de nostre bonne mere Eve, car elle en fit bien autant lors que le malin esprit la tentoit de manger du fruict defendu; elle dit que Dieu leur avoit defendu de le toucher, au lieu de dire qu'il leur avoit defendu de le manger.

  A006000388 

 [211] L'on ne dit pas que vous ne pensiez point à vostre avancement, non; mais que vous n'y pensiez pas avec empressement..

  A006000389 

 C'est aussi manquer de simplicité de faire tant de considerations quand nous nous voyons faire des defauts les uns aux autres, pour sçavoir si ce sont des choses necessaires à dire à la Superieure; car dites-moy, la Superieure n'est-elle pas capable de cela, et de juger s'il est requis d'en faire la correction ou non? Mais que sçay-je moy à quelle intention ceste Sœur aura fait telle chose? dites-vous.

  A006000389 

 Car bien que peut estre ceste personne se passionne et se trouble apres l'advertissement que vous luy aurez fait, vous n'en estes pas cause, ce n'est que son immortification.

  A006000389 

 Il faut voirement observer et attendre le temps convenable pour faire la correction, car la faire sur le champ est un peu dangereux; mais hors de là il faut faire en simplicité ce que nous sommes obligés de faire selon Dieu, et cela sans scrupule.

  A006000389 

 Il se peut bien faire que son intention soit bonne; aussi ne devez-vous pas accuser son intention, mais son action exterieure, s'il y a de l'imperfection.

  A006000389 

 La Superieure ne doit pas laisser de corriger les Sœurs parce qu'elles ont de l'aversion à la correction; car peut estre tant que nous vivrons nous en aurons tousjours, d'autant que c'est une chose totalement contraire à la nature de l'homme d'aymer d'estre avili et corrigé; mais ceste aversion ne doit pas estre favorisée de nostre volonté laquelle doit aymer l'humiliation.

  A006000389 

 Ne dites pas aussi que la chose est de peu de consequence, et qu'elle ne vaut pas d'aller mettre ceste pauvre Sœur en peine, car tout cela est contraire à la simplicité.

  A006000390 

 Car, je vous prie, y a-t'il jamais eu une vocation plus speciale que celle de saint Paul, en laquelle Nostre Seigneur luy parla luy-mesme pour le convertir? et neantmoins il ne voulut pas l'instruire, ains le renvoya à Ananie, disant: Va-t'en, tu trouveras un homme qui te dira, ce que tu auras à faire.

  A006000390 

 Et bien que saint Paul eust peu dire: Seigneur, et pourquoy non vous-mesme ne le direz-vous pas? il ne le dit pas pourtant, ains s'en alla tout simplement faire comme il luy estoit commandé.

  A006000390 

 Et nous autres penserons estre plus favorisés de Dieu que saint Paul, croyans qu'il [214] nous veut conduire luy-mesme sans l'entremise d'aucune creature.

  A006000390 

 Il y a des ames qui ne veulent, à ce qu'elles disent, estre conduites que par l'Esprit de Dieu, et leur semble que tout ce qu'elles s'imaginent soit des inspirations et des mouvemens du Saint Esprit, qui les prend par la main et les conduit en tout ce qu'elles veulent faire, comme des enfans, en quoy certes elles se trompent fort.

  A006000390 

 La conduite de Dieu pour nous autres, mes tres-cheres filles, n'est autre que l'obeissance, car hors de là il n'y a que tromperie..

  A006000390 

 Vous voulez que je vous die un mot de la simplicité que nous devons avoir à nous laisser conduire selon l'interieur, tant à Dieu que par nos Superieurs.

  A006000391 

 C'est bien une chose certaine que tous ne sont pas conduits par un mesme chemin; mais aussi n'est-ce pas à un chacun de nous de cognoistre par quel chemin Dieu nous appelle.

  A006000391 

 Il ne faut pas dire qu'ils ne nous cognoissent pas bien, car nous devons croire que l'obeissance et la sousmission sont tousjours les vrayes marques de la bonne inspiration; et quoy qu'il puisse arriver que nous n'ayons point de consolation és exercices que l'on nous fait faire, et que nous en ayons beaucoup aux autres, ce n'est pas par la consolation que l'on juge de la bonté de nos actions.

  A006000391 

 Vous retirerez plus d'utilité de ce que vous ferez suivant la direction de vos Superieurs, que non pas en suivant vos instincts interieurs, qui ne proviennent pour l'ordinaire que de l'amour propre qui, sous couleur de bien, recherche de se complaire en la vaine estime de nous-mesmes..

  A006000392 

 C'est bien la vraye verité que vostre bien dépend de vous laisser conduire et gouverner par l'Esprit de Dieu [215] sans reserve, et c'est cela que pretend la vraye simplicité que Nostre Seigneur a tant recommandée: Soyez simples comme des colombes, dit-il à ses Apostres; mais il ne s'arreste pas là, leur disant de plus: Si vous n'estes faits simples comme un petit enfant, vous n'entrerez point au Royaume de mon Pere.

  A006000392 

 Elle ne neglige voirement rien de ce qu'elle rencontre en son chemin, mais aussi elle ne s'empresse point à rechercher d'autres moyens de se perfectionner que ceux qui luy sont prescrits.

  A006000392 

 L'ame qui a la parfaite simplicité n'a qu'un amour, qui est pour Dieu; et en cest amour elle n'a qu'une seule pretention, qui est celle de reposer sur la poitrine du Pere celeste, et là, comme un enfant d'amour, faire sa demeure, laissant entierement tout le soin de soy-mesme à son bon Pere, sans que jamais plus elle se mette en peine de rien, sinon de se tenir en ceste sainte confiance; non pas mesme les desirs des vertus et des graces qui luy sembloyent estre necessaires ne l'inquietent point.

  A006000392 

 Mais à quoy servent aussi les desirs si pressans et inquietans des vertus dont la pratique ne nous est pas necessaire? La douceur, l'amour de nostre abjection, l'humilité, la douce charité et cordialité envers le prochain, l'obeissance, sont des vertus dont la pratique nous doit estre commune, d'autant qu'elle nous est necessaire, parce que la rencontre des occasions nous en est frequente; mais quant à la constance, à la magnificence, et telles autres vertus que peut estre nous n'aurons jamais occasion de pratiquer, ne nous en mettons point en peine; nous n'en serons pas pour cela moins magnanimes ni genereux.

  A006000392 

 Un enfant, pendant qu'il est bien petit, est reduit en une grande simplicité qui fait qu'il n'a autre cognoissance que de sa mere; il n'a qu'un seul amour, qui est pour sa mere, et en cest amour une seule pretention, qui est le sein de sa mere: estant couché dessus ce sein bien-aymé, il ne veut autre chose.

  A006000393 

 Helas! nos satisfactions et consolations ne satisfont pas les yeux de Dieu, ains elles contentent seulement ce miserable amour et soin que nous avons de nous-mesmes, hors de Dieu et de sa consideration.

  A006000393 

 Les enfans, certes, que Nostre Seigneur nous marque devoir estre le modelle de nostre perfection, n'ont ordinairement aucun soin, sur tout en la presence de leurs peres et meres; ils se tiennent attachés à eux, sans se retourner à regarder ni leurs satisfactions ni leurs consolations, qu'ils prennent à la bonne foy et en jouissent en simplicité, sans curiosité quelconque d'en considerer les causes ni les effets, l'amour les occupant assez sans qu'ils puissent faire autre chose.

  A006000393 

 Vous me demandez comme les ames qui sont attirées en l'oraison à ceste sainte simplicité et à ce parfait abandonnement en Dieu se doivent conduire en toutes leurs actions? Je responds que non seulement en l'oraison, mais en la conduite de toute leur vie, elles doivent marcher invariablement en esprit de simplicité, abandonnant et remettant toute leur ame, leurs actions et leurs succés au bon plaisir de Dieu, par un amour de parfaite et tres-absolue confiance, se delaissant à la mercy et au soin de l'amour eternel que la divine Providence a pour elles.

  A006000394 

 Cest exercice d'abandonnement continuel de soy-mesme és mains de Dieu comprend excellemment toute la perfection des autres exercices en sa tres-parfaite simplicité et pureté; et tandis que Dieu nous en laisse l'usage, nous ne devons point le changer.

  A006000394 

 Mais n'est-ce pas un amour bien pur, bien net et bien simple, puisqu'elles ne se purifient pas pour estre pures, elles ne se parent pas pour estre belles, ains seulement pour plaire à leur Amant, auquel si la laideur estoit aussi agreable, elles l'aymeroient autant que la beauté? Et si, ces simples colombes n'employent pas un soin ni fort long ni aucunement empressé à se laver et parer, car la confiance que leur amour leur donne d'estre grandement aymées, quoy qu'indignes (je dis la confiance que leur amour leur donne en l'amour et en la bonté de leur Amant), leur oste tout empressement et desfiance de ne pas estre assez belles; outre que le desir d'aymer, plustost que de se parer et preparer à l'amour, leur retranche toute curieuse sollicitude et les fait contenter d'une douce et fidelle preparation, faite amoureusement et de bon cœur..

  A006000396 

 Apres que nous aurons dit cela, mes [218] tres-cheres filles, que reste-t'il sinon d'expirer et mourir de la mort de l'amour, ne vivant plus à nous-mesmes, mais Jesus Christ vivant en nous? Alors cesseront toutes les inquietudes de nostre cœur, provenantes du desir que l'amour propre nous suggere et de la tendreté que nous avons en nous et pour nous, qui nous fait secrettement empresser à la queste des satisfactions et perfections de nous-mesmes; et embarqués dans les exercices de nostre vocation, sous le vent de ceste simple et amoureuse confiance, sans nous appercevoir de nostre progrés, nous le ferons grandement; sans aller, nous avancerons, et sans nous remuer de nostre place nous tirerons païs, comme font ceux qui singlent en haute mer sous un vent propice.

  A006000397 

 Helas! qui regarde le prochain hors de là, il court fortune de ne l'aymer ni purement, ni constamment, ni esgalement; mais là, qui ne 1'aymeroit, qui ne le supporteroit, qui ne souffriroit ses imperfections, qui le trouverait de mauvaise grace, qui le trouverait ennuyeux? Or, il y est ce prochain, mes tres-cheres filles, dans la poitrine du Sauveur; il est là comme tres-aymé et tant aymable que l'Amant meurt d'amour pour luy.

  A006000398 

 Avant que finir, il faut dire un mot de la prudence du serpent; car j'ay bien pensé que si je parlois de la simplicité de la colombe, l'on me jetteroit viste le serpent dessus.

  A006000398 

 De mesme devons-nous faire, exposant tout au peril quand il est requis, pour conserver en nous sain et entier Nostre Seigneur et son amour; car il est nostre chef, et nous sommes ses membres: et cela est la prudence que nous devons avoir en nostre simplicité..

  A006000398 

 Plusieurs ont demandé quel estoit le serpent duquel Nostre Seigneur vouloit que nous apprinssions la prudence.

  A006000400 

 La vraye vertu de prudence doit estre veritablement pratiquée, d'autant qu'elle est comme un sel spirituel qui [221] donne goust et saveur à toutes les autres vertus; mais elle doit estre tellement pratiquée des Filles de la Visitation, que la vertu d'une simple confiance surpasse tout; car elles doivent avoir une confiance toute simple, qui les fasse demeurer en repos entre les bras de leur Pere celeste et de leur tres-chere Mere Nostre Dame, devant estre asseurées qu'ils les protegeront tousjours de leur soin tres-aymable, puisqu'elles sont assemblées pour la gloire de Dieu et l'honneur de la tres-sainte Vierge.

  A006000404 

 C'est une chose tres-difficile que celle que vous me demandez: quel est l'esprit de vos Regles et comme vous le pourrez prendre.

  A006000404 

 Or, premier que de parler de cest esprit, il faut que vous sçachiez que veut dire cela, avoir l'esprit d'une Regle; car nous entendons ordinairement dire: un tel Religieux a le vray esprit de sa Regle..

  A006000405 

 Allant donc en Hierusalem, il voulut passer par une ville de Samarie, mais les Samaritains ne le voulurent pas permettre; dequoy saint Jacques et saint Jean entrerait en colere, et furent tellement indignés contre les Samaritains de l'inhospitalité qu'ils faisoyent à leur Maistre, qu'ils luy dirent: Maistre, voulez-vous que nous fassions tomber le feu du ciel pour les abysmer et les chastier de l'outrage qu'ils vous font? Et Nostre Seigneur leur respondit: Vous ne sçavez de quel esprit vous estes, voulant dire: Ne sçavez-vous pas que nous ne sommes plus au temps d'Helie qui avoit un esprit de rigueur? Et bien qu'Helie fust un tres-grand serviteur de Dieu, et qu'il fist bien en faisant ce que vous voulez faire, neantmoins vous autres ne feriez pas bien en l'imitant, d'autant que je ne suis pas venu pour punir et confondre les pecheurs, ains pour les attirer doucement à penitence et à ma suite..

  A006000405 

 Il est dit que saint Jean Baptiste estoit venu en l'esprit et vertu d'Helie, et pour cela, qu'il reprenoit hardiment et rigoureusement les pecheurs, les appellant engeance de viperes et telles autres paroles.

  A006000405 

 L'autre exemple que nous trouvons en l'Evangile, qui sert à [223] nostre propos, est que Nostre Seigneur voulant aller en Hierusalem, ses disciples l'en dissuadoyent, parce que les uns avoyent affection d'aller en Capharnaum, les autres en Bethanie, et ainsi taschoyent de conduire Nostre Seigneur au lieu où ils vouloyent aller; car ce n'est pas d'aujourd'huy que les inferieurs veulent conduire leurs maistres selon leur volonté.

  A006000405 

 Mais Nostre Seigneur qui estoit tres-facile à condescendre, raffermit toutefois son visage, car l'Evangeliste use de ces mesmes mots, pour aller en Hierusalem, à fin que les Apostres ne le pressassent plus de n'y pas aller.

  A006000407 

 Au contraire, l'esprit particulier des autres est voirement de s'unir à Dieu et au prochain, mais c'est par le moyen de l'action, quoy que spirituelle.

  A006000407 

 D'autres ont un autre esprit, et c'est une chose fort necessaire de sçavoir quel est l'esprit particulier de chaque Religion et assemblée pieuse; ce que pour bien cognoistre, il faut considerer la fin pour laquelle elle a esté commencée et les divers moyens de parvenir à ceste fin.

  A006000407 

 Il y a la generale en toutes les Religions, comme nous avons dit; mais c'est de la particuliere de laquelle je parle, et à laquelle il faut avoir un si grand amour qu'il n'y ayt chose aucune que nous puissions cognoistre qui soit conforme à ceste fin, que nous ne l'embrassions de tout nostre cœur..

  A006000407 

 Ils s'unissent bien encor à Dieu par l'oraison; mais neantmoins leur fin principale est celle que nous venons de dire, de tascher de convertir les ames et les unir à Dieu.

  A006000407 

 Les uns s'unissent à Dieu et au prochain par la contemplation, et pour cela ont une tres-grande solitude et ne conversent que le moins qu'ils peuvent parmi le monde, non pas mesmes les uns avec les autres, si ce n'est en certain temps; ils s'unissent aussi avec le prochain par le moyen de l'oraison, en priant Dieu pour luy.

  A006000408 

 Avoir l'amour de la fin de nostre Institut, sçavez-vous [226] que c'est? C'est estre exactes à l'observance des moyens de parvenir à ceste fin, qui sont nos Regles et Constitutions, et estre fort diligentes à faire tout ce qui en dépend et qui sert à les observer plus parfaitement: cela, c'est avoir l'esprit de nostre Religion.

  A006000408 

 Mais Dieu, à qui seul appartient de faire ces assemblées de pieté, les a fait reussir en la façon que nous voyons qu'elles sont; car il ne faut jamais croire que ce soyent les hommes qui, par leur invention, ayent commencé ceste façon de vie si parfaite comme est celle de la Religion: c'est Dieu par l'inspiration duquel ont esté composées les Regles, qui sont les moyens propres pour parvenir à ceste fin generale à tous les Religieux, de s'unir à Dieu, et au prochain pour l'amour de Dieu..

  A006000408 

 Mais il faut que ceste exacte et ponctuelle observance soit entreprise en simplicité de cœur, je veux dire qu'il ne nous faut pas vouloir aller au delà, par des pretentions de faire plus qu'il ne nous est marqué dans nos Regles; car ce n'est pas par la multiplicité des choses que nous faisons que nous acquerons la perfection, mais c'est par la perfection et pureté d'intention avec laquelle nous les faisons.

  A006000408 

 Quant à la fin de vostre Institut, il ne la faut pas chercher en l'intention des trois premieres Sœurs qui commencerent, non plus que celle des Jesuites au premier dessein qu'eut saint Ignace; car il ne pensoit à rien moins qu'à faire ce qu'il a fait par apres, comme de mesme saint François, saint Dominique et les autres qui ont commencé des Religions.

  A006000409 

 Chacun sçait que les richesses et les biens de la terre sont des puissans attraits pour dissiper l'ame, tant pour la trop grande affection qu'elle y met, que pour les sollicitudes qu'il faut avoir pour les garder, voire pour les accroistre, d'autant que l'homme n'en a jamais assez selon ce qu'il desire.

  A006000409 

 Il en fait tout de mesme à la chair et à toutes ses sensualités et plaisirs, tant licites qu'illicites, par le vœu de chasteté, qui est un tres-grand moyen de s'unir à Dieu tres-particulierement; d'autant que ces plaisirs sensuels allentissent et affoiblissent grandement les forces de l'esprit, dissipent le cœur et l'amour que nous devons à Dieu, et que nous luy donnons entierement par ce moyen, ne nous contentant pas de sortir de la terre de ce monde, mais sortans encore de la terre de nous-mesme, c'est à dire renonçans aux plaisirs terrestres de nostre chair.

  A006000409 

 Mais beaucoup plus parfaitement nous unissons-nous à Dieu par le vœu d'obeissance, d'autant que nous renonçons à toute nostre ame, à toutes ses puissances, ses volontés et toutes ses affections, pour nous sousmettre et assujettir non seulement à la volonté de Dieu, mais à celle de nos Superieurs, laquelle nous devons tousjours regarder comme estant celle de Dieu mesme; et cecy est un tres-grand renoncement, à cause des continuelles productions des petites volontés que fait nostre amour propre.

  A006000410 

 Et si bien les austerités sont bonnes en elles-mesmes et sont des moyens de parvenir à la perfection, elles ne seroyent pas pourtant bonnes chez vous, d'autant que ce seroit contre les Regles..

  A006000410 

 Or, pour venir en particulier à la fin pour laquelle nostre Congregation de la Visitation a esté erigée, et [228] par icelle comprendre plus aisement quel est l'esprit particulier de la Visitation, j'ay tousjours jugé que c'estoit un esprit d'une profonde humilité envers Dieu et d'une grande douceur envers le prochain; d'autant qu'ayant moins de rigueur pour le corps, il faut qu'il y avt tant plus de douceur de cœur.

  A006000410 

 Tous les anciens Peres ont determiné que, où l'aspreté des mortifications corporelles manque, il y doit avoir plus de perfection d'esprit; il faut donc que l'humilité envers Dieu et la douceur envers le prochain supplée en vos maisons à l'austerité des autres.

  A006000411 

 L'esprit de douceur est tellement l'esprit de la Visitation, que quiconque y voudroit introduire plus d'austerités qu'il n'y a pas maintenant, destruiroit incontinent la Visitation; d'autant que ce seroit faire contre la fin pour laquelle elle a esté dressée, qui est pour y pouvoir recevoir les filles et femmes infirmes, qui n'ont pas des corps assez forts pour entreprendre, ou qui ne sont pas inspirées et attirées de servir et s'unir à Dieu par la voye des austerités que l'on fait és autres Religions.

  A006000411 

 La bien-heureuse Mere sainte Therese dit admirablement bien le mal qu'apportent ces petites entreprises de vouloir faire plus que la Regle n'ordonne et que la Communauté ne fait; et particulierement si c'est la Superieure, le mal en sera plus grand; car tout aussi tost que ses filles s'en appercevront, elles voudront incontinent faire le mesme, et elles ne manqueront pas de raison pour se persuader qu'elles le feront bien, les unes poussées de zele, les autres pour luy complaire, et tout cela servira de tentation à celles qui ne pourront ou ne voudront pas faire de mesme..

  A006000411 

 Vous me direz peut estre: S'il arrive qu'une Sœur ayt une complexion robuste, peut-elle pas bien [229] faire des austerités plus que les autres, avec la permission de la Superieure, en sorte que les autres Sœurs ne s'en apperçoivent pas? je responds à cela qu'il n'y a point de secret qui ne passe secrettement à une autre; et ainsi de l'une à l'autre l'on vient à faire des Religions dans les Religions et des petites ligues, et puis tout se dissipe.

  A006000412 

 Et s'il se rencontre des Sœurs qui ayent des corps forts et robustes, à la bonne heure; il ne faut pas [230] pourtant qu'elles veuillent aller plus viste que celles qui sont foibles..

  A006000412 

 Il ne faut jamais introduire, permettre ni souffrir ces particularités en Religion, excepté neantmoins en certaines necessités particulieres; comme s'il arrivoit qu'une Sœur fust pressée de quelque grande vexation ou tentation, alors ce ne seroit pas un extraordinaire de demander à la Superieure de faire quelques penitences plus que les autres; car il faut user de la mesme simplicité que font les malades, qui doivent demander les remedes qui leur semblent les pouvoir soulager.

  A006000412 

 Que s'il y avoit une Sœur qui fust si genereuse et courageuse que de vouloir parvenir à la perfection dans un quart d'heure, faisant plus que la Communauté, je luy conseillerois qu'elle s'humiliast et se sousmist à ne vouloir estre parfaite que dans trois jours, allant le train des autres.

  A006000413 

 A quoy respondit le bon Jacob: Mon seigneur et mon frere, il n'en sera pas ainsi, s'il vous plaist, d'autant que je meine mes enfans, et leurs petits pas exerceroyent ou abuseroyent de vostre patience; quant à moy, qui y suis obligé, je mesure mes pas aux leurs.

  A006000413 

 Et mesmes, il n'y a pas long temps que mes brebis ont agnelé; les agneaux encore tendres ne pourroyent pas aller viste, et tout cela vous arresteroit trop en chemin.

  A006000413 

 Il estoit à pied, et ce voyage luy fut heureux, comme il se void assez par les benedictions qu'il receut de Dieu tout le long du chemin; car il vid et parla plusieurs fois aux Anges et au Seigneur des Anges et des hommes; et en fin il fut mieux partagé que son frere, qui estoit si bien accompagné..

  A006000414 

 Accommodons-nous donc volontiers avec les infirmes qui y peuvent estre receuës, et je vous asseure que nous n'arriverons pas plus tard pour cela à la perfection; ains au contraire, ce sera cela mesme qui nous y conduira plus tost, parce que n'ayant pas beaucoup à faire nous nous appliquerons à le faire avec la plus grande perfection qu'il nous sera possible.

  A006000414 

 Et c'est en quoy nos œuvres sont plus agreables à Dieu, d'autant qu'il n'a pas esgard à la multiplicité des choses que nous faisons pour son amour, comme nous avons tantost dit, ains seulement à la ferveur de la charité avec laquelle nous les faisons.

  A006000414 

 Je trouve, si je ne me trompe, que si nous nous determinons à vouloir parfaittement observer nos Regles, nous aurons assez de besogne sans nous charger davantage, d'autant que tout ce qui concerne la perfection de nostre estat y est compris..

  A006000414 

 Si nous voulons que nos voyages soyent benis de la divine Bonté, assujettissons-nous volontiers à l'exacte et ponctuelle observance de nos Regles, et cela en simplicité de cœur, sans vouloir doubler les exercices, ce qui seroit aller contre l'intention de l'Instituteur et la fin pour laquelle la Congregation a esté erigée.

  A006000415 

 Il y a certes moins à faire à estre exacte en l'observance des Regles, que non pas de les vouloir observer en partie..

  A006000415 

 La bien-heureuse Mere sainte Therese dit que ses filles estoyent tellement exactes, qu'il falloit que les Superieures eussent un tres-grand soin de ne rien dire [232] qui ne fust tres-bon à faire, parce que, sans autre semonce, elles se portoyent incontinent à le faire, et que pour plus parfaitement observer leurs Regles, elles estoyent pointilleuses à la moindre petite dependance.

  A006000415 

 La fille fut si prompte à partir de la main, que si on ne l'eust arrestée, elle s'alloit jetter dans un puits.

  A006000416 

 Aujourd'huy que la Communauté communie, il vous suggerera qu'il faut que par humilité vous demandiez de vous en abstenir, et lors que le temps de s'humilier viendra, il vous persuadera de vous resjouïr et de demander la Communion pour cest effet; et ainsi il ne seroit jamais fait.

  A006000416 

 De mesme nous autres, il ne faut pas que nous tenions pour un bon vent, c'est à dire pour inspiration, tant de petites volontés qui nous viennent, ores de demander à communier, tantost de faire oraison, tantost une autre chose; car nostre amour propre, qui recherche tousjours sa satisfaction, demeurerait entierement content de tout cela, et principalement de ces petites inventions, et ne cesseroit de nous en fournir tousjours de nouvelles.

  A006000416 

 Il ne faut point tenir pour inspiration les choses qui sont hors de la Regle, si ce n'est en [234] cas si extraordinaires, que la perseverance nous fasse cognoistre que c'est la volonté de Dieu, comme il s'est trouvé, pour ce qui est de la Communion, en deux ou trois grandes Saintes, les directeurs desquelles vouloyent qu'elles communiassent tous les jours.

  A006000416 

 Je ne puis assez dire de quelle importance est ce poinct, d'estre ponctuel à la moindre chose qui sert à plus parfaitement observer la Regle, comme aussi de ne vouloir rien entreprendre davantage, sous quelque pretexte que ce soit, parce que c'est le moyen de conserver la Religion en son entier et en sa premiere ferveur; et le contraire de cela est ce qui la destruit et fait décheoir de sa premiere perfection.

  A006000416 

 Je trouve que c'est un tres-grand acte de perfection de se conformer en toutes choses à la Communauté et de ne s'en départir jamais par nostre propre choix; car outre, que c'est un tres-bon moyen pour nous unir avec le prochain, c'est encore cacher à nous-mesmes nostre propre perfection..

  A006000416 

 Mais quant à certaines petites ferveurs que nous avons aucunes fois, qui sont passageres et qui pour l'ordinaire sont des effets de nostre nature, lesquelles nous font desirer la Communion, il ne faut point avoir esgard à cela, non plus que les mariniers n'en ont point à un certain vent qui se leve à la pointe du jour, lequel est produit des vapeurs qui s'eslevent de la terre et n'est pas de durée, ains cesse tout aussi tost que lesdites vapeurs sont un peu surlevées et dissipées; et partant, le patron du navire qui le cognoist, ne crie point au vent et ne desploye point les voiles pour voguer à la faveur d'iceluy.

  A006000416 

 Vous me [233] demandez s'il y auroit plus de perfection à se conformer tellement à la Communauté, que mesme l'on ne demandast point à faire de Communion extraordinaire? Qui en doute, mes cheres filles? si ce n'est en certains cas, comme seroit és festes de nostre Patron ou du Saint auquel nous avons eu devotion toute nostre vie, ou quelque necessité fort pressante.

  A006000417 

 Elle ne veut point faire des choses excellentes et extraordinaires qui la pourroyent faire estimer des creatures; et par ainsi elle se tient fort basse en elle-mesme et n'a pas des grandes satisfactions, car elle ne fait rien de sa propre volonté, ni rien de plus que les autres, et ainsi toute sa sainteté est cachée à ses yeux: Dieu seul la void, qui se delecte en sa simplicité, par laquelle elle ravit son cœur et s'unit à luy.

  A006000417 

 Il y a une certaine simplicité de cœur en laquelle consiste la perfection de toutes les perfections, et c'est ceste simplicité qui fait que nostre ame ne regarde qu'à Dieu, et qu'elle se tient toute ramassée et resserrée en elle-mesme pour s'appliquer avec toute la fidelité qui luy est possible à l'observance de ses Regles, sans s'espancher à desirer ni vouloir entreprendre de faire plus que cela.

  A006000418 

 En fin, quand nous sommes à ramer, il le faut faire par mesure; ceux qui rament sur mer ne sont pas si tost battus pour ramer un peu laschement, que s'ils ne donnent les coups de rame par mesure.

  A006000418 

 Jamais il ne faut ni penser ni croire que pour ne faire rien de plus que les autres et suivre la Communauté, [235] nous ayons moins de merite.

  A006000418 

 L'on doit tascher d'eslever les Novices toutes également, faisant les mesmes choses, à fin que l'on rame justement; et si bien toutes ne le font pas avec égale perfection, nous ne sçaurions qu'y faire, cela se trouve en toutes les Communautés..

  A006000418 

 O non, car la perfection ne consiste point és austerités; encore que ce soyent des bons moyens d'y parvenir, et qu'elles soyent bonnes en elles-mesmes, neantmoins pour nous elles ne le sont pas, parce qu'elles ne sont pas conformes à.

  A006000418 

 nos Regles ni à l'esprit d'icelles, estant une plus grande perfection de se tenir dans leur simple observance et suivre la Communauté, que vouloir aller au delà.

  A006000419 

 A cela je vous responds que ce n'est pas une regle generale qu'il faille faire tout ce à quoy on a de la repugnance, non plus que de s'abstenir des choses auxquelles on a de l'inclination; car si une Sœur a de l'inclination à dire l'Office divin, il ne faut pas qu'elle laisse d'y assister sous pretexte de se vouloir mortifier.

  A006000419 

 Au demeurant, le temps des festes qui est laissé en liberté pour faire ce que l'on veut, chacune le peut employer selon sa devotion; mais il est vray pourtant, qu'ayant demeuré trois heures, vcire plus dans le chœur avec la Communauté, il est beaucoup à craindre que le quart d'heure que vous y demeurez davantage ne soit un petit morceau que vous donnerez à vostre amour propre..

  A006000419 

 Mais, dites-vous, c'est par mortification que vous demeurez un peu plus dans le chœur aux jours de feste que les autres, parce que le temps vous y a desja bien [236] duré durant deux ou trois heures de suitte que toutes y ont demeuré.

  A006000420 

 Et non seulement cela, mais aussi de reunir le prochain avec Dieu, ce que nous faisons par la voye que nous luy presentons, laquelle est toute douce et facile, aucune fille n'estant rejettée faute de force corporelle, pourveu qu'elle ayt volonté de vivre selon l'esprit de la Visitation, qui est, comme j'ay dit, un esprit d'humilité envers Dieu et de douceur de cœur envers le prochain: et c'est cest esprit qui fait nostre union tant avec Dieu qu'avec le prochain.

  A006000420 

 Mais remarquez que ce que j'ay dit plusieurs fois, qu'il faut estre fort ponctuelles à l'observance des Regles et à la moindre petite dependance, ne se doit pas entendre d'une ponctualité de scrupule: ô non, car cela n'a pas esté mon intention; mais d'une ponctualité de chastes espouses, qui ne se contentent pas d'éviter de desplaire à leur celeste Espoux, ains veulent faire tout ce qu'elles peuvent pour luy estre tant soit peu plus agreables.

  A006000420 

 Par la douceur de cœur nous nous unissons avec le prochain par une exacte et ponctuelle conformité de vie, de mœurs et d'exercices, ne faisant ni plus ni moins que ceux avec lesquels nous vivons et que ce qui nous est marqué en la voye en laquelle Dieu nous a mis ensemble, employant et arrestant toutes les forces de nostre ame à les faire avec toute la perfection qui nous sera possible.

  A006000421 

 Il sera fort à propos que je vous propose quelque exemple remarquable pour vous faire comprendre combien est agreable à Dieu de se conformer à la Communauté en toutes choses: escoutez donc ce que je vay vous dire.

  A006000421 

 Ils [238] pouvoyent facilement s'en exempter sans que personne s'en apperceust, car ne pouvoit-elle pas s'en aller en Nazaret, au lieu de s'en aller en Hierusalem? Mais elle ne le fait pas), ains tout simplement elle suit la communauté.

  A006000421 

 L'Apostre saint Paul a fort bien dit qu' il falloit que Nostre Seigneur fust semblable en toutes choses à ses freres, hormis le peché.

  A006000421 

 Pourquoy pensez-vous que Nostre Seigneur et sa tres-sainte Mere se soyent sousmis à la loy de la presentation et purification, sinon à cause de l'amour qu'ils portoyent à la communauté? Certes, cest exemple devroit suffire pour esmouvoir les Religieux à suivre exactement leur Communauté, sans jamais s'en départir; car ni le Fils ni la Mere n'estoyent aucunement obligés à ceste loy: non l'Enfant, parce qu'il estoit Dieu, non la Mere, parce qu'elle estoit Vierge toute pure.

  A006000422 

 Et David dit que Dieu a commandé que ses commandemens fussent [239] trop bien gardés.

  A006000422 

 L'on ne sçauroit aymer le commandement si l'on n'ayme celuy qui le fait; à mesure que nous aymons et estimons celuy qui fait la loy, à mesure nous nous rendons exacts à l'observer.

  A006000422 

 Vous sçavez bien que la colombe se tient en asseurance aupres de ces eaux parce qu'elle y void les ombres des oyseaux de proye qu'elle redoute, et soudain qu'elle les void, elle prend la fuite et ainsi ne peut estre surprise.

  A006000422 

 Voyez-vous comme il veut que l'on soit ponctuel à l'observance d'iceux? Ainsi certes le font tous les vrays amans, car ils n'evitent pas seulement la prevarication de la loy, mais ils evitent aussi l'ombre de la prevarication; et c'est pourquoy l'Espoux dit que son Espouse ressemble à une colombe qui se tient le long des fleuves qui coulent doucement, et dont les eaux sont cristallines.

  A006000423 

 Il faut donc estre extrêmement ponctuelles en l'observance des loix et des regles qui nous sont données par Nostre Seigneur, mais sur tout en ce poinct de suivre en toutes choses la Communauté; et se faut bien garder de dire que nous ne sommes pas tenues d'observer ceste Regle, ou commandement particulier de la Superieure, d'autant qu'il est fait pour les foibles, et que nous sommes fortes et robustes; ni, au contraire, que le commandement est fait pour les fortes, et que nous [240] sommes foibles et infirmes.

  A006000423 

 Je vous conjure, si vous estes fortes, que vous vous affaiblissiez pour vous rendre conformes aux infirmes; et si vous estes foibles je vous dis: Efforcez-vous pour vous adjuster avec les fortes.

  A006000423 

 O Dieu! il ne faut rien moins que cela en une Communauté.

  A006000423 

 Voyez-vous comme saint Paul quand il est avec les infirmes, il est infirme et prend volontiers les commodités necessaires à leurs infirmités pour leur bailler confiance d'en faire de mesme? Mais quand il se trouve avec les forts, il est comme un geant pour leur donner du courage; et s'il se peut appercevoir que son prochain soit scandalisé de quelque chose qu'il fasse, si bien il luy est licite de la faire, neantmoins il a un tel zele de la paix et tranquillité de son cœur, qu'il s'abstient volontiers de la faire..

  A006000424 

 Mais, me direz-vous, maintenant que c'est l'heure de la recreation, j'ay un tres-grand desir d'aller faire oraison pour m'unir plus immediatement avec la souveraine Bonté.

  A006000424 

 Ne puis-je pas bien penser que la loy qui ordonne de faire la recreation ne m'oblige pas, puisque j'ay l'esprit assez jovial de moy-mesme? O non, [241] il ne faut non plus le penser que le dire; si vous n'avez pas besoin de vous recreer, il faut neantmoins faire la recreation pour celles qui en ont besoin.

  A006000424 

 Par exemple, le jeusne du Caresme est commandé pour un chacun; ne vous semble-t'il pas que ceste loy soit injuste, puisque l'on modere ceste injuste justice donnant des dispenses à ceux qui ne la peuvent pas observer? De mesme en est-il és Religions: le commandement est également pour tous, et nul de soy-mesme ne s'en peut dispenser; mais les Superieurs moderent la rigueur selon la necessité d'un chacun..

  A006000425 

 Et faut bien se garder de penser que les infirmes soyent plus inutiles en Religion que les forts, ou qu'ils fassent moins et ayent moins de merite, parce que tous font également la volonté de Dieu.

  A006000425 

 Les mousches à miel nous monstrent l'exemple de ce que nous disons, car les unes sont employées à la garde de la ruche, et les autres sont perpetuellement au travail de la cueillette; celles toutesfois qui demeurent dans la ruche ne mangent pas moins de miel que celles qui ont la peine de l'aller picorant sur les fleurs, Ne vous semble-t'il pas que David fit une loy injuste lors qu'il commanda que les soldats qui garderoyent les hardes eussent également part au butin avec ceux qui iroyent à la bataille et qui en reviendroyent tous chargés de coups? Non certes, elle n'estoit point injuste, d'autant que ceux qui gardoyent les hardes les gardoyent pour ceux qui combattoyent, et ceux qui estoyent en la bataille [242] combattoyent pour ceux qui gardoyent les hardes: aussi ils meritoyent tous une mesme recompense, puisqu'ils obeissoyent tous également au Roy.

  A006000428 

 Chacun a des propres opinions; mais cela ne nous empesche pas de parvenir à la perfection, pourveu que nous ne nous y attachions pas ou que nous ne les aymions pas, car c'est seulement l'amour de nos propres opinions qui est infiniment contraire à la perfection; et c'est ce que j'ay tant de fois dit, que l'amour de nostre propre jugement est l'estime que l'on en fait, est la cause qu'il y a si peu de parfaits.

  A006000428 

 Je feray ce que vous me commandez, en la façon que vous me dites, respondra-t'il; mais... Ils demeurent tousjours sur leur mais, qui vaut autant à dire qu'ils sçavent bien qu'il seroit mieux autrement.

  A006000428 

 Nul ne peut douter, mes cheres filles, que cecy ne soit fort contraire à la perfection, car il produit pour l'ordinaire des inquietudes d'esprit, des bijarreries, des murmures, et en fin il nourrit l'amour de sa propre estime; de maniere donc que la propre opinion ni le propre jugement ne doit pas estre aymé ni estimé..

  A006000428 

 Si un prince commande quelque chose à un courtisan, il ne refusera jamais d'obeir; mais d'avouer que le commandement soit bien [244] fait cela arrive rarement.

  A006000428 

 Sur quoy je responds qu'estre sujet à avoir des propres opinions ou n'y estre pas, est une chose qui n'est ni bonne ni mauvaise, d'autant que cela est tout naturel.

  A006000429 

 Mais il faut que je vous die qu'il y a des personnes qui doivent former leurs opinions, comme sont les Evesques, les Superieurs qui ont charge des autres, et tous ceux qui ont gouvernement; les antres ne le doivent nullement faire, si l'obeissance ne le leur ordonne; car autrement ils perdroyent le temps qu'ils doivent employer à se tenir fidellement aupres de Dieu.

  A006000431 

 C'est une chose admirable que Nostre Seigneur ayt permis que plusieurs choses clignes veritablement d'estre escrites, que les saints Apostres ont faites, soyent demeurées cachées sous un profond silence, et que ceste imperfection que le grand saint Paul et saint Barnabe commirent ensemble ayt esté escrite; c'est sans doute une speciale providence de Nostre Seigneur, qui l'a voulu ainsi pour nostre instruction particuliere.

  A006000431 

 Si donc les Superieurs vouloyent changer d'opinion à tous rencontres, ils seroyent estimés legers et imprudens en leur gouvernement; mais aussi, si ceux qui n'ont point de charges vouloyent estre attachés à leurs opinions, les voulant maintenir et faire recevoir, ils seroyent tenus pour opiniastres; car c'est une chose toute asseurée que l'amour de la propre opinion degenere en opiniastreté, s'il n'est fidelement mortifié et retranché: nous en voyons l'exemple mesme entre les Apostres.

  A006000432 

 Il y a certes des grands esprits qui sont fort bons, mais qui sont tellement sujets à leurs opinions et les estiment si bonnes que jamais ils n'en veulent démordre; et il faut bien prendre garde de ne les leur demander à l'impourveüe, car apres il est presque impossible de leur faire cognoistre et confesser qu'ils ont failli, d'autant qu'ils se vont enfonçant si avant en la recherche des raisons propres à soustenir ce qu'ils ont une fois dit estre bon, qu'il n'y a plus de moyen, s'ils ne s'adonnent à une excellente perfection, de les pouvoir faire dédire.

  A006000432 

 Ils ne s'arment pas à la defense quand on leur oppose quelque contrarieté ou quelque contraire opinion à celle qu'ils ont jugée pour bonne et bien asseurée, ainsi que nous avons dit du grand saint Thomas.

  A006000432 

 Par ainsi, nous voyons que c'est une chose naturelle que d'estre sujet à ses opinions..

  A006000433 

 D'estre donc sujets à faire estime de nostre propre jugement, et pour cela de s'enfoncer à la recherche des raisons propres à soustenir ce que nous avons une fois compris et trouvé bon, est une chose toute naturelle; mais de s'y laisser aller et s'y attacher, seroit une imperfection notable.

  A006000433 

 Et, bien que cela fust une imperfection, ils ne laisserent pas pour cela d'estre grands Saints et fort agreables à Dieu; ce qui nous apprend que nous ne nous devons pas troubler quand nous appercevons en nous des imperfections ou des inclinations contraires à la vraye vertu, pourveu qu'on ne se rende pas opiniastre à vouloir perseverer en icelles; car et sainte Paule et les autres qui se rendirent opiniastres, quoy que ce fust en peu de chose, ont esté reprehensibles en cela.

  A006000433 

 La grande sainte Paule estoit opiniastre à soustenir l'opinion qu'elle s'estoit formée de [247] faire des grandes austerités, plustost que de se sousmettre à l'advis de plusieurs qui luy conseilloyent de s'en abstenir; et de mesme plusieurs autres Saints, lesquels estimoyent qu'il falloit grandement macerer le corps pour plaire à Dieu, en sorte qu'ils refusoyent pour cela d'obeir au medecin et de faire ce qui estoit requis à la conservation de ce corps perissable et mortel.

  A006000433 

 Les personnes melancoliques y sont d'ordinaire plus attachées que ceux qui sont d'humeur joviale et gaye, car ceux-cy sont aisement tournés à toute main et faciles à croire ce qu'on leur dit.

  A006000433 

 Quant à nous autres, il ne faut jamais que nous laissions tellement former nos opinions, que nous n'en desprenions volontiers quand il est de besoin, soit que nous soyons obligés ou non de les former.

  A006000434 

 Il est bien vray que nous ne pouvons pas empescher ce premier mouvement de complaisance qui nous vient quand nostre opinion est approuvée et suivie, car cela ne se peut éviter, mais il ne se faut pas amuser à ceste complaisance; il faut benir Dieu, puis passer outre sans se mettre en peine de la complaisance, non plus que d'un petit ressentiment de douleur qui vous viendroit si vostre opinion n'estoit pas suivie ou trouvée bonne.

  A006000434 

 Il faut mesme opiner aucune fois sur les opinions des autres et remonstrer les raisons sur quoy nous appuyons les nostres; mais il faut que cela se fasse modestement et humblement, sans mespriser l'advis des autres, ni contester pour faire recevoir les nostres..

  A006000434 

 Vous me dites: Que faut-il donc faire pour mortifier ceste inclination? Il luy faut retrancher la nourriture.

  A006000434 

 Vous vient-il en pensée qu'on a tort de faire faire cela de la sorte, qu'il seroit mieux ainsi que vous l'avez conceu? détournez-vous de ceste pensée, en disant en vous-mesme: Helas! qu'ay-je à faire de telle chose, puisqu'elle ne m'est pas commise? Il est tousjours beaucoup [248] mieux fait de s'en détourner ainsi tout simplement, que non pas rechercher des raisons en nostre esprit pour nous faire croire que nous avons tort; car au lieu de le faire, nostre entendement, qui est preoccupé de son jugement particulier, nous donneroit le change; de sorte qu'au lieu d'aneantir nostre opinion, il nous donneroit des raisons pour la maintenir et faire recognoistre pour bonne.

  A006000435 

 Donques, la chose qui a esté proposée estant determinée, il n'en faut plus parler, non plus qu'y penser, sinon que ce fust une chose notablement mauvaise; car alors, s'il se pouvoit trouver encore quelque invention pour en détourner l'execution ou y mettre remede, il le faudroit faire le plus charitablement qu'il se pourroit et le plus insensiblement, à fin de ne troubler personne, ni mespriser ce qu'ils auroyent trouvé bon..

  A006000435 

 Sans doute que ce seroit là nourrir et maintenir nostre inclination, et par conséquent commettre de l'imperfection; car c'est [249] la vraye marque que l'on ne s'est pas sousmis à l'advis des autres et que l'on prefere tousjours le sien particulier.

  A006000437 

 C'est, comme j'ay dit plusieurs fois, la derniere chose que nous quittons, et toutesfois c'est une des choses la plus necessaire à quitter et renoncer pour l'acquisition de la vraye perfection; car autrement nous n'acquerrons pas la sainte humilité, qui nous empesche et nous defend de faire aucune estime de nous ni de tout ce qui en dépend; et partant, si nous n'avons la pratique de ceste vertu en grande recommandation, nous penserons tousjours estre quelque chose de meilleur que nous ne sommes, et que les autres nous en doivent de reste.

  A006000437 

 Car si nous ne les estimons pas, nous n'en serons pas si amoureux; et si nous ne les aymons pas, nous ne nous soucierons guere qu'elles soyent approuvées, et ne serons pas si legers à dire: Les autres croiront ce qu'ils voudront, mais quant à moy... Sçavez-vous que veut dire ce quant à moy? Rien autre sinon: Je ne me sousmettray point, ains je seray ferme en ma resolution et en mon opinion.

  A006000437 

 Voila donc ce que j'avois à vous dire sur le sujet de la premiere question, par laquelle nous avons esté enseignés que d'avoir des opinions n'est pas une chose [250] contraire à la perfection, mais ouy bien d'avoir l'amour de nos propres opinions et l'estime par consequent.

  A006000438 

 Ce que pour mieux entendre, il faut que je vous ressouvienne de ce que vous sçavez tres-bien, que nous avons deux amours en nous, l'amour affectif et l'amour effectif; et cela est tant en l'amour que nous avons pour Dieu qu'en celuy que nous avons pour le prochain et pour nous-mesmes encore; mais nous ne parlerons que de celuy du prochain, et puis nous retournerons à nous-mesmes..

  A006000438 

 Si vous ne me demandez rien davantage, nous passerons à la seconde question, qui est si la tendreté que nous avons sur nous-mesmes nous empesche beaucoup au chemin de la perfection.

  A006000439 

 Considerez, je vous prie, la difference de ces deux amours; car bien que vous ayez veu la tendreté que ce pere a pour son petit, il ne laisse pourtant pas de faire dessein de le mettre hors de sa maison et le faire chevalier de Malte, destinant son aisné pour son heritier et successeur de ses biens.

  A006000439 

 Les theologiens ont accoustumé pour faire bien comprendre la difference de ces deux amours, de se servir [251] de la comparaison d'un pere lequel a deux fils, dont l'un est un petit mignon encor tout enfant, de bonne grace, et l'autre est un homme fait, brave et genereux soldat, ou bien a quelque autre condition telle que l'on voudra.

  A006000439 

 Regardez, je vous prie, qu'est-ce qu'il ne permet pas à ce petit poupon de faire autour de luy: il le dorlotte, il le baise, il le tient sur ses genoux et entre ses bras avec une suavité nompareille, tant pour l'enfant que pour luy.

  A006000439 

 Si cest enfant a esté piqué d'une abeille, il ne cesse de souffler sur le mal jusques à tant que la douleur soit apaisée; si son fils aisné avoit esté piqué de cent abeilles, il n'en daigneroit tourner son pied, bien qu'il l'ayme d'un amour grandement fort et solide.

  A006000440 

 En fin, il n'y a qu'eux qui soyent à plaindre, et pleurent tendrement sur eux-mesmes, si qu'ils taschent d'esmouvoir ceux qu'ils voyent à compassion; ils ne se soucient guere que l'on les estime patiens, pourveu que l'on les croye bien malades et affligés: imperfection certes propre aux enfans, et si je l'ose dire, aux femmes, et encor entre les hommes, à ceux qui sont d'un courage effeminé et peu courageux; car entre les genereux ceste imperfection ne s'y rencontre point.

  A006000440 

 Et apres cela, ne pouvoir souffrir que l'on nous estime tendres, n'est-ce pas l'estre grandement?.

  A006000440 

 L'amour que nous avons pour nous-mesmes est de ceste sorte, affectif et effectif.

  A006000440 

 Mais il y en a d'autres qui s'ayment plus de l'amour affectif, et ce sont ceux qui sont fort tendres d'eux-mesmes, et qui [252] ne font jamais que se plaindre, dorloter, mignarder et conserver, et lesquels craignent tant tout ce qui leur peut nuire que c'est grande pitié.

  A006000441 

 A la fin, il arriva [253] par malheur que les Sœurs remarquerent en elle une imperfection corporelle, qui fut cause qu'elles commencerent à mettre en doute si pour cela on la devoit renvoyer.

  A006000441 

 Certes, ceste fille me toucha; ô qu'elle n'estoit gueres tendre sur elle-mesme! Je ne me peus tenir de dire que je voudrois de bon cœur avoir le mesme defaut naturel, et avoir le courage de le dire devant tout le monde avec la mesme simplicité qu'elle fit devant moy..

  A006000441 

 Je confesse que nos Sœurs ont bien grande raison de ne me pas vouloir recevoir, car je suis insupportable en mon defaut; mais je vous supplie de m'estre favorable, vous asseurant, si elles me reçoivent, exerçant ainsi leur charité en mon endroit, que j'auray un grand soin de ne les point incommoder, me sousmettant de tres-bon cœur à faire le jardin, ou à estre employée à d'autres offices quels qu'ils soyent qui me tiennent esloignée de leur compagnie, a fin que je ne les incommode point.

  A006000441 

 Je me souviens d'une histoire, dés que je passay en revenant de Paris en une maison religieuse, qui sert à mon propos; et certes, j'eus plus de consolation en ce rencontre que je n'en avois eu en tout mon voyage, bien que j'eusse fait rencontre de beaucoup d'ames fort vertueuses; mais ceste-cy me consola entre toutes.

  A006000441 

 Or, quand je fus là, le differend me fut remis pour ceste pauvre bonne fille, qui est de bonne maison; elle fut amenée devant moy, où estant, elle se mit à genoux: Il est vray, Monsieur, dit-elle, que j'ay une telle imperfection, qui est certes assez honteuse (la nommant tout haut avec une simplicité grande).

  A006000442 

 Elle n'avoit pas tant de peur d'estre mesestimée, comme plusieurs autres, et n'estoit pas si tendre sur [254] soy-mesme; elle ne faisoit pas toutes ces considerations vaines et inutiles: Que dira la Superieure si je luy dis cecy ou cela? Mais si je luy demande quelque soulagement elle dira ou pensera que je suis bien tendre.

  A006000442 

 Il se peut bien faire, ma chere fille, que la Superieure ayant assez d'autres choses en l'esprit, n'a pas tousjours attention à rire ou parler fort gracieusement quand vous luy dites vostre mal; et c'est ce qui vous fasche, et vous oste, dites-vous, la confiance de luy aller dire vos incommodités.

  A006000443 

 Ce n'est donc à autre dessein ni intention, bien que l'on n'y pense pas expressément, sinon à fin d'estre un peu plainte par ceste Sœur, et cela fait grand bien à l'amour propre.

  A006000443 

 Il ne faut pas estre aussi si tendres, que de vouloir tousjours dire toutes les incommodités que nous avons, quand elles ne sont pas d'importance: un petit mal de teste ou un petit mal de dens, qui sera peut estre bien tost passé, si vous le voulez porter pour l'amour de Dieu, il n'est pas besoin de l'aller dire pour vous faire un peu plaindre.

  A006000443 

 O ma chere fille, si cela estoit que vous le voulussiez souffrir pour l'amour de Dieu, comme vous pensez, vous ne l'iriez pas dire à une autre que vous sçavez bien qui se sentira obligée à declarer vostre mal à la Superieure; et par ce moyen vous aurez en biaisant le soulagement que tout à la [255] bonne foy vous eussiez mieux fait de demander simplement à celle qui vous pouvoit donner congé de le prendre; car vous sçavez bien que la Sœur à qui vous dites que la teste vous fait bien mal, n'a pas Je pouvoir de vous dire que vous vous alliez coucher.

  A006000443 

 Or, si c'est par rencontre que vous le dites, les Sœurs vous demandant peut estre comment vous vous portez à ceste heure là, il n'y a point de mal, pourveu que vous le disiez tout simplement, sans l'agrandir ou vous lamenter; mais hors de là, il ne faut le dire qu'à la Superieure ou à la Maistresse.

  A006000443 

 Peut estre que vous ne le direz pas à la Superieure ou à celle qui vous peut faire prendre du soulagement, mais ouy plus facilement aux autres, parce, dites-vous, que vous voulez souffrir cela pour Dieu.

  A006000444 

 Et si elle dit apres que vous ne laissiez pas pourtant, vous irez tout simplement; car il faut observer tousjours une grande simplicité en toutes choses.

  A006000444 

 Je croy bien que vous prenez plus de plaisir et de confiance de dire vostre mal à celle qui n'est point chargée de vous faire prendre du soulagement qu'à celle qui a ce soin et ce pouvoir; car tandis que vous faites ainsi, chacun plaint ma Sœur telle, et se met-on en besogne pour pourvoir de remedes, au lieu que si vous le disiez à la Sœur qui a charge de vous, il faudroit entrer en sujetion de faire ce qu'elle ordonneroit: et cependant, c'est ceste benite sujetion que nous evitons tousjours de tout nostre cœur, l'amour propre recherchant d'estre gouvernante de nous-mesme et maistresse de nostre propre volonté.

  A006000444 

 Mais si je dis à la Superieure, repliquerez-vous, que j'ay mal à la teste, elle me dira [256] que je m'aille coucher.

  A006000445 

 Mais voyant une Sœur qui a quelque peine en l'esprit, ou quelque incommodité, n'avoir pas la confiance ou le courage de se surmonter à vous le venir dire, et vous appercevant bien que, faute de le faire, cela la porte à quelque humeur melancolique, devez-vous l'attirer ou bien la laisser venir d'elle-mesme? A cela, il faut que la consideration gouverne; car quelque fois il faut condescendre à leur tendreté en les appellant et s'informant qu'il y a, et d'autres fois il faut mortifier ces petites bijarreries en les laissant, comme qui diroit: Vous ne voulez pas vous surmonter à demander le remede propre à vostre mal, souffrez-le donc, à la bonne heure; vous meritez bien cela..

  A006000446 

 Ceste tendreté est beaucoup plus insupportable és choses de l'esprit que non pas és corporelles; et si, elle est par malheur plus pratiquée et nourrie par les personnes spirituelles, lesquelles voudroyent estre saintes du premier coup, sans vouloir neantmoins qu'il leur couste rien, non pas mesme les souffrances des combats que leur cause la partie inferieure, par les ressentimens qu'elle a és choses contraires à la nature; et cependant, veuillons ou non, il faudra que nous ayons le courage de souffrir, et par consequent de resister à ces efforts tout le temps de nostre vie en plusieurs rencontres, si nous ne voulons faire banqueroute à la perfection que nous avons entreprise.

  A006000446 

 Je desire grandement [257] que l'on distingue tousjours les effets de la partie superieure de nostre ame d'avec les effets de la partie inferieure, et que nous ne nous estonnions jamais des productions de l'inferieure, pour mauvaises qu'elles puissent estre; car cela n'est nullement capable de nous arrester en chemin, pourveu que nous nous tenions fermes en la partie superieure, pour aller tousjours avant au chemin de la perfection, sans nous amuser et perdre le temps à nous plaindre que nous sommes imparfaits et dignes de compassion, comme si on ne devoit faire autre chose que de plaindre nostre misere et infortune d'estre si tardifs à venir à chef de nostre entreprise..

  A006000447 

 Que si neantmoins il nous eschappe d'y faire des fautes, par cy par là, ne nous arrestons pourtant pas; mais relevons nostre courage pour estre plus fidelles à la premiere occasion, et passons outre, faisant du chemin en la voye de Dieu et au renoncement de nous-mesmes..

  A006000448 

 Il faut dire cela ainsi, [258] tout simplement: J'ay plusieurs choses en l'esprit, mais je ne sçay que c'est.

  A006000448 

 Or, que vous doit-il soucier qu'elle le pense ou qu'elle ne le pense pas? pourveu que vous fassiez vostre devoir, dequoy vous mettez-vous en peine? Ce que dira-t'on si je fais cecy ou cela? ou qu'est-ce que la Superieure pensera? est grandement contraire à la perfection quand on s'y arreste; car il faut tousjours se souvenir en tout ce que je dis, que je n'entens point parler de ce que fait la partie inferieure, car je n'en fais nul estat; c'est donc à la partie superieure que je dis qu'il faut mespriser ces que dira-t'on ou que pensera-t'on?.

  A006000448 

 Vous craignez, dites-vous, que la Superieure ne pense que vous n'ayez pas la confiance de le luy dire.

  A006000448 

 Vous demandez en apres, si la Superieure vous voyant plus triste que d'ordinaire, vous demande que vous avez, et vous voyant prou de choses en l'esprit qui vous faschent, vous ne pouvez pourtant dire ce que c'est, comment il faut que vous fassiez.

  A006000449 

 Cela vous vient quand vous avez rendu compte, parce que vous n'avez pas assez dit de fautes particulieres: vous pensez, dites-vous, que la Superieure dira ou pensera que vous ne luy voulez pas tout dire.

  A006000449 

 Et comme apres la confession il n'est pas temps de s'examiner pour voir si on a bien dit tout ce que l'on a fait, ains c'est le temps de se tenir attentif aupres de Nostre Seigneur en tranquillité, avec lequel nous nous sommes reconciliés, et luy rendre graces de ses bien-faits, n'estant nullement necessaire de faire la recherche de ce que nous pourrions avoir oublié, de mesme en est-il apres avoir rendu compte: il faut dire tout simplement ce qui nous vient; apres, il n'y faut plus penser.

  A006000449 

 Or, dites-moy, faudroit-il dire: Si je me confesse de telle chose, que dira mon confesseur ou que pensera-t'il de moy? Nullement; il pensera et dira ce qu'il voudra; pourveu qu'il m'ayt donné l'absolution et que j'aye rendu mon devoir, il me suffit.

  A006000450 

 Il faut bien apprendre à souffrir un peu genereusement ces petites choses auxquelles nous ne pouvons pas mettre du remerle, estant des productions, pour l'ordinaire, de nostre nature imparfaite: comme sont ces inconstances d'humeurs, de volontés, de desirs, qui produisent tantost un peu de chagrin, tantost une envie de parler et puis, tout pour un coup, une aversion grande de le faire, et choses semblables, auxquelles nous sommes sujets et le serons tant que nous vivrons en ceste vie perissable et passagere.

  A006000450 

 Il ne faut pas aussi estre si tendre à vouloir tout dire, ni recourir aux Superieurs pour crier holà! à la moindre petite peine que vous avez, laquelle peut estre sera passée dans un quart d'heure.

  A006000450 

 Mais quant à ceste peine que vous dites que vous avez, et laquelle vous oste le moyen de vous tenir attentive à Dieu si vous ne l'allez incontinent dire à la Superieure, je vous dis qu'il faut remarquer qu'elle ne vous oste pas peut estre l'attention à la presence de Dieu, ains plustost la suavité de ceste attention.

  A006000450 

 Or, si ce n'est que cela, si vous avez bien le courage et la volonté, ainsi que vous dites, de la souffrir sans rechercher du soulagement, je vous dis que vous ferez tres-bien de le faire, quoy qu'elle vous apportast un peu d'inquietude, pourveu qu'elle ne fust pas trop grande; mais si elle vous ostoit le moyen de vous tenir proche de Dieu, à ceste heure-là il la faudroit aller dire à la Superieure, non pas pour vous soulager, mais pour gagner chemin en la presence de Dieu, bien qu'il n'y auroit pas grand mal de le faire pour vous soulager..

  A006000451 

 Au reste, il ne faut pas que nos Sœurs soyent tellement attachées aux caresses de la Superieure, que dés qu'elle [260] ne leur parle pas à leur gré elles tirent viste consequence que c'est qu'elles ne sont pas aymées.

  A006000451 

 L'on ne dit point: Helas! j'ay offencé Dieu, il faut recourir à sa bonté et esperer qu'il me fortifiera; on dit: O je sçay bien que Dieu est bon; il n'aura pas égard à mon infidelité, il recognoist trop bien nostre infirmité; mais nostre Mere... Nous revenons tousjours là pour continuer nos plaintes..

  A006000451 

 Mes cheres Sœurs, tout ce marrissement se fait par le commandement d'un certain pere spirituel qui s'appelle l'amour propre, qui commence à dire: Comment, avoir ainsi failli! qu'est-ce que dira ou pensera nostre Mere de moy? ô il ne faut rien esperer de bon de moy! je suis une pauvre miserable, je ne pourray jamais rien faire qui puisse contenter nostre Mere; et semblables belles doleances.

  A006000452 

 Faisons du mieux que nous pourrons pour ne fascher personne; mais apres cela, s'il arrive que par vostre infirmité vous les mescontentiez quelque fois, recourez soudain à la doctrine que je vous ay si souvent preschée et que j'ay tant d'envie de graver en vos esprits.

  A006000452 

 Humiliez-vous soudain devant Dieu en recognoissant vostre fragilité et foiblesse, et puis reparez vostre faute, si elle le merite, par un acte d'humilité à l'endroit de la personne que vous avez peu fascher; et cela fait, ne vous troublez jamais, car nostre pere spirituel qui est l'amour de Dieu, nous le defend, en nous enseignant qu'apres que nous avons fait, l'acte d'humilité, ainsi que je dis, nous rentrions en nous-mesmes pour caresser tendrement et cherement ceste abjection bien-heureuse qui nous revient d'avoir failli, et ceste bien-aymée reprehension que la Superieure nous fera..

  A006000452 

 Mais aussi il dit par apres: Ne servez point vos maistres à l'œil, voulant dire qu'ils se gardent bien de rien faire de plus estant à la veuë des maistres, qu'ils feroyent estant absens, parce que l'œil de Dieu les void tousjours, auquel on doit avoir un grand respect pour ne rien faire qui luy puisse déplaire; et en ce faisant ne nous mettre pas en grande peine ni souci de vouloir tousjours contenter les hommes, car il n'est pas en nostre pouvoir.

  A006000453 

 Il faut avec simplicité rapporter une fois nos raisons, si elles nous semblent bonnes; mais au partir de là, acquiescer sans plus de repliques à ce que l'on nous dit, et par ainsi faire mourir nostre jugement, que nous estimons si sage et prudent au dessus de tout autre..

  A006000453 

 Nous avons deux amours, deux jugemens et deux volontés; et partant il ne faut faire nul estat de tout ce que l'amour propre, le jugement particulier ou la propre volonté nous suggerent, pourveu que nous fassions regner l'amour de Dieu au dessus de l'amour propre, le jugement des Superieurs, voire des inferieurs et egaux, au dessus du nostre, le reduisant au petit pied; ne se contentant pas de faire assujettir nostre volonté, en faisant tout ce que l'on veut de nous, mais assujettissant le jugement à croire que nous n'aurions nulle raison [262] de ne pas estimer que cela soit justement et raisonnablement fait, dementant ainsi absolument les raisons qu'il voudroit apporter, pour nous faire accroire que la chose qui nous est commandée seroit mieux faite autrement qu'ainsi que l'on nous dit.

  A006000454 

 C'est la marque d'un cœur tendre et d'une devotion molle, de se laisser aller à tous les petits rencontres de contradiction: n'ayez pas peur que ces niaiseries d'humeur melancolique et despiteuse soyent jamais parmi nous; nous avons trop bon courage, graces à Dieu; nous nous appliquerons tant à faire desormais, qu'il y aura grand plaisir de nous voir.

  A006000454 

 Cependant, mes cheres filles, purifions bien nostre intention, à fin que faisant tout pour Dieu, pour son honneur et gloire, nous attendions nostre recompense de luy seul.

  A006000454 

 O Dieu! ma Mere, nos Soeurs sont tellement resolues d'aymer la mortification, que ce sera une chose agreable de les voir: la consolation ne leur sera plus rien au prix de l'affliction, des secheresses, des repugnances, tant elles sont desireuses de se rendre semblables à leur Espoux.

  A006000458 

 Il faut sçavoir que la determination de suivre la volonté de Dieu en toutes choses sans exception est contenue dans l'Oraison dominicale, en ces paroles que nous disons tous les jours: Vostre volonté soit faite en la terre comme au Ciel.

  A006000459 

 Aux commandemens de Dieu et de l'Eglise il faut necessairement que chacun obeisse, parce que c'est la volonté de Dieu absolue, qui veut qu'en cela nous obeissions si nous voulons estre sauvés.

  A006000459 

 C'est un conseil de quitter tout pour suivre Nostre Seigneur desnué de toutes choses; c'est un conseil de prester et de donner l'aumosne: dites-moy, celuy qui a quitté tout d'un coup ce qu'il avoit, dequoy peut-il faire l'aumosne puisqu'il n'a rien? Il faut doncques suivre les conseils que Dieu veut, que nous suivions, et ne pas croire qu il les ayt tous donnés à fin que nous les [265] embrassions tous.

  A006000459 

 Or, la pratique des conseils qu'il faut que nous pratiquions nous autres, sont ceux qui sont compris dans nos Regles..

  A006000459 

 Ses conseils, il veut bien que nous les observions, mais non pas d'une volonté absolue, ains seulement par maniere de desir; c'est pourquoy nous ne perdons pas la charité et ne nous separons pas de Dieu pour n'avoir pas le courage d'entreprendre l'obeissance des conseils.

  A006000460 

 Il ne veut pas aussi que nous attendions que luy-mesme nous manifeste ses volontés ou qu'il nous envoye des Anges pour les nous enseigner; mais sa volonté est que nous recourions, és choses douteuses et d'importance, à ceux qu'il a establis sur nous pour nous conduire, et que nous demeurions totalement sousmis à leur conseil et à leur opinion en ce qui regarde la perfection de nos ames.

  A006000460 

 Nous avons dit de plus que Dieu nous signifie sa volonté par ses inspirations; il est vray, mais pourtant il ne veut pas que nous discernions de nous-mesmes si ce qui nous est inspiré est sa volonté, ni moins qu'à tort et à travers nous suivions ses inspirations.

  A006000460 

 Voila donc comment Dieu nous manifeste sa volonté que nous appelions volonté signifiée..

  A006000461 

 Ce que pour vous mieux faire entendre, il faut que je vous die ce que j'ay leu ces jours passés dans la Vie du grand saint Anselme, où il est dit que durant tout le temps qu'il fut Prieur et Abbé de son Monastere, il fut extremement aymé d'un chacun, parce qu'il estoit fort [266] condescendant, se laissant plier à la volonté de tous, non seulement des Religieux, mais aussi des estrangers.

  A006000461 

 Et à ceste volonté de Dieu, nous devons tousjours estre prests de nous sousmettre en toutes occurrences, és choses desagreables comme és agreables, en la mort comme en la vie, en fin en tout ce qui n'est point manifestement contre la volonté de Dieu signifiée, car celle-cy va devant; et c'est en cecy que nous respondons à la seconde partie de la demande.

  A006000461 

 Or, ceste grande souplesse et condescendance du Saint n'estoit pas approuvée de tous, bien qu'il fust fort aymé de tous; si bien qu'un jour, quelques-uns de ses Freres luy voulurent remonstrer que cela n'alloit pas bien selon leur jugement, et qu'il ne devoit pas estre si souple et condescendant à la volonté de tout le monde, ains qu'il devoit faire plier sous sa volonté ceux qu'il avoit en charge..

  A006000462 

 De plus, j'ay une autre consideration, qui est, qu'apres ce qui est de la volonté de Dieu qu'il a signifiée, je ne puis mieux cognoistre la volonté de son bon plaisir, ni plus asseurement, que par la voix de mon prochain; car Dieu ne me parle point, moins m'envoye-t'il des Anges pour me declarer ce qui est de son bon plaisir.

  A006000462 

 Dieu me commande la charité envers le prochain; c'est une grande charité de se conserver en union les uns avec les autres, et pour cela je ne trouve point de meilleur moyen que d'estre doux et condescendant.

  A006000462 

 Il n'y a pas grand interest que je m'aille coucher ou que je demeure levé, que j'aille là ou que je demeure icy; mais il y auroit bien de l'imperfection de ne pas en cela me sousmettre à mon prochain..

  A006000462 

 Les pierres, les animaux, les plantes ne parlent point; il n'y a donc que l'homme qui me puisse manifester la volonté de mon Dieu, et partant je m'attache à cela tant que je puis.

  A006000462 

 Mais ma principale consideration est de croire que Dieu me manifeste ses volontés par celles de mes Freres, et partant j'obeis à Dieu toutes et quantes fois que je leur condescens en quelque chose.

  A006000462 

 Outre cela, Nostre Seigneur n'a-t'il pas dit que si nous ne sommes faits comme un petit enfant nous n'entrerons point au Royaume des cieux? Ne vous estonnez donc point si je suis doux et facile à condescendre comme un enfant, puisqu'en cela je ne fais que ce qui m'a esté ordonné par mon Sauveur.

  A006000462 

 Sçachez donc que me ressouvenant que Nostre Seigneur a commandé que nous fissions aux autres ce que nous voudrions qui nous fust fait, je ne peux faire autrement; car je voudrois que Dieu fist ma volonté, et partant je fais volontiers celle de mes Freres et de mes prochains, à fin [267] qu'il plaise à ce bon Dieu de faire quelquesfois la mienne.

  A006000463 

 Je ne pense pas que si on eust voulu qu'il eust fait quelque chose contre cela, qu'il l'eust fait, ô [268] nullement; mais apres cela, sa regle generale estoit, en ces choses indifferentes, de condescendre à tout et à tous.

  A006000463 

 Le glorieux saint Paul, apres avoir dit que rien ne le separera de la charité de Dieu, ni la mort ni la vie, non pas mesme les Anges, ni tout l'enfer s'il se bandoit contre luy n'en auroit pas le pouvoir: Je ne sçache rien de meilleur, dit-il, que de me rendre tout à tous, rire avec les rians, pleurer avec ceux qui pleurent, et en fin me rendre un avec un chacun.

  A006000464 

 A quoy le bien-heureux Pere respondit: Mon Frere, si Dieu permet que l'enfant ayt de la vanité, peut estre qu'en recompense il me donnera de l'humilité; et quand il m'en aura donné, j'en pourra y par apres donner à cest enfant.

  A006000464 

 Il y eut quelque Religieux qui luy dit: Mon Pere, vous faites deux maux condescendant à la volonté de cest enfant, car vous l'exposez au danger d'avoir de la vanité et vous gastez vos nattes; car elles estoyent mieux ainsi que vous les faisiez.

  A006000464 

 O que c'est un grand bien, mes Sœurs, d'estre ainsi pliables et faciles à estre tournés à toute main!.

  A006000464 

 Saint Pachome faisant un jour des nattes, il y eut un enfant lequel regardant ce que faisoit le Saint, luy dit: O mon Pere, vous ne faites pas bien; ce n'est pas ainsi qu'il faut faire.

  A006000465 

 Il faut donc se sousmettre tousjours à faire tout ce que l'on veut de nous pour faire la volonté de Dieu, pourveu qu'il ne soit pas contraire à sa volonté qu'il nous a signifiée en la maniere susdite..

  A006000465 

 Mais comment par parole? Le conseil de l'abnegation de soy-mesme, qu'est-ce autre chose sinon renoncer en toute occasion à sa propre volonté et à son jugement particulier, pour suivre la volonté d'autruy et se sousmettre à tous, excepté tousjours ce en quoy l'on offenceroit Dieu? Mais, pourriez-vous dire, je vois clairement que ce que l'on veut que je fasse procede d'une volonté humaine et d'une inclination naturelle; et partant, Dieu n'a pas inspiré ma Mere ou ma Sœur de me faire faire une telle chose.

  A006000465 

 Non, peut estre que Dieu ne luy aura pas inspiré cela, mais ouy bien à vous de le faire, et y manquant, vous contrevenez à la determination de faire la volonté de Dieu en toutes choses, et par consequent au soin que vous devez avoir de vostre perfection.

  A006000465 

 Or, non seulement les Saints nous ont enseigné ceste pratique de la sousmission de nostre volonté, mais aussi Nostre Seigneur mesme, tant par exemple que par parole.

  A006000466 

 Car pourquoy feray-je plustost la volonté de ma Sœur que la mienne? la mienne n'est-elle pas aussi conforme à celle de Dieu en ceste legere occurrence que la sienne? Pour quelle raison dois-je croire que ce qu'elle me dit que je fasse soit plustost une inspiration de Dieu que la volonté qui m'est venue de faire une autre chose?.

  A006000466 

 Ce n'est pas aussi de ceste sorte de volonté que l'on demande s'il s'y faut sousmettre, car on n'en doute nullement; mais de celles qui sont hors de propos et desquelles nous ne cognoissons pas la raison pourquoy l'on veut cela de nous, c'est où il va du bon.

  A006000467 

 O Dieu! mes cheres Sœurs, c'est icy où la divine Majesté nous veut faire gaigner le prix de la sousmission; car si nous voyions bien tousjours que l'on a raison de nous commander ou de nous prier de faire une telle chose, nous n'aurions pas grand merite en la faisant, ni grande repugnance, parce que sans doute toute nostre ame aquiesceroit volontiers à cela; mais quand les raisons nous sont cachées, c'est lors que nostre volonté repugne, que nostre jugement regimbe, et ressentons la contradiction.

  A006000467 

 Or, c'est en ces occasions qu'il se faut surmonter, et avec une simplicité toute enfantine se mettre en besogne sans discours ni raison, et dire: Je sçay bien que la volonté de Dieu est que je fasse plustost la [271] volonté de mon prochain que la mienne, et partant je me mets à la pratique, sans regarder si c'est la volonté de Dieu que je me sousmette à faire ce qui procede de passion et inclination, ou bien vrayement par une inspiration ou mouvement de la raison; car pour toutes ces petites choses il faut marcher en simplicité.

  A006000467 

 Quelle apparence, je vous prie, y auroit-il de faire une heure de meditation pour cognoistre si c'est la volonté de Dieu que je boive quand l'on m'en prie, ou que je m'en abstienne par penitence ou sobrieté, et semblables petites choses lesquelles ne sont dignes de consideration, et principalement si je voy que je contenteray tant soit peu le prochain en les faisant?.

  A006000468 

 C'est pourquoy, encore que nous cognussions qu'ils eussent des inclinations naturelles, voire mesme des passions, par les mouvemens desquelles ils commanderoyent quelquefois ou reprendroyent les defauts de leurs inferieurs, il ne s'en faudroit nullement estonner, car ils sont hommes comme les autres, et par consequent sujets à avoir des inclinations et des passions; mais il ne nous est pas permis de faire jugement que ce qu'ils nous commandent [272] parte de leur passion et inclination, et c'est chose qu'il se faut garder de faire.

  A006000468 

 Es choses de consequence, il ne faut non plus perdre le temps à les considerer, mais il s'en faut addresser à nos Superieurs, à fin de sçavoir d'eux ce que nous avons à faire; apres quoy, il n'y faut plus penser, ains s'arrester absolument à leur opinion, puisque Dieu nous les a donnés pour la conduite de nostre ame en la perfection de son amour.

  A006000468 

 Neantmoins, si nous cognoissions palpablement que cela fust, il ne faudroit pas laisser d'obeir tout doucement et amoureusement, et se sousmettre avec humilité à la correction..

  A006000468 

 Que si l'on doit ainsi condescendre à la volonté d'un chacun, beaucoup plus le doit-on faire à celle des Superieurs, lesquels nous devons tenir et regarder parmi nous comme la personne de Dieu mesme; aussi sont-ils ses lieutenans.

  A006000469 

 C'est voirement une chose bien dure à l'amour propre que d'estre sujet à toutes ces rencontres, Il est vray; mais ce n'est pas aussi cest amour là que nous devons contenter ni escouter, ains seulement le tres-saint amour de nos ames, Jesus, qui demande de ses cheres espouses une sainte imitation de la parfaite obeissance qu'il rendit, non seulement à la tres-juste et bonne volonté de son Pere, mais aussi à celle de ses parens, et qui plus est, de ses ennemis lesquels sans doute suivirent leurs passions aux travaux qu'ils luy imposerent; et cependant le bon Jesus ne laisse de s'y sousmettre doucement, humblement, amoureusement.

  A006000469 

 Et nous verrons assez que ceste parole de Nostre Seigneur qui ordonne que l'on prenne sa croix, doit estre entendue de recevoir de bon cœur les contradictions qui nous sont faites à tous rencontres par la sainte obeissance, bien qu'elles soyent legeres et de peu d'importance..

  A006000470 

 Et bien que sa ferveur l'eust fait desirer de faire ce que les autres faisoyent, elle pourtant n'en tesmoignoit rien; car quand on luy commandoit de s'aller coucher, elle y alloit simplement, sans replique, estant asseurée qu'elle jouïroit aussi bien de la presence de son Espoux dans son lict par obeissance, que si elle eust esté au chœur avec ses Sœurs et compagnes.

  A006000470 

 Et pour tesmoigner de la grande paix et tranquillité d'esprit qu'elle acquit en ceste pratique, Nostre Seigneur revela à sainte Mechtilde sa compagne, que si on le vouloit trouver en ceste vie que l'on le cherchast premierement au tres-saint Sacrement de l'autel, et puis apres dans le cœur de sainte Gertrude.

  A006000470 

 Il ne s'en faut pas estonner, puisque l'Espoux dit au Cantique des Cantiques que le lieu où il se repose est au midy.

  A006000470 

 Que pensez-vous donc que faisoit la pauvre fille pour devenir sainte? Rien autre chose que de se [273] sousmettre bien simplement à la volonté de la Mere.

  A006000470 

 Sainte Gertrude fut faite Religieuse en un monastere où il y avoit une Superieure laquelle recognoissoit fort bien que la bien-heureuse Sainte estoit d'une complexion foible et delicate; c'est pourquoy elle la faisoit traitter plus delicatement que les autres Religieuses, ne luy laissant pas faire les austerités que l'on avoit de coustume de faire en ceste Religion.

  A006000471 

 Et non seulement cela, mais encores il les faut regarder comme lieutenans de Dieu en terre; et partant, encor qu'il leur arrivast quelquesfois de se monstrer hommes, commettant quelques imperfections, comme demandant quelque chose curieuse qui ne seroit pas de la confession, comme seroit vos noms, si vous faites des penitences, pratiquez des vertus et quelles elles sont, si vous avez quelques tentations et choses semblables, je voudrois respondre selon qu'ils [274] le demandent, bien qu'on n'y soit pas obligé; car il ne faut pas leur dire qu'il ne vous est pas permis de leur dire autre chose que ce dont vous vous estes accusées.

  A006000471 

 O non, jamais il ne faut user de ceste défaitte, car cela n'est pas vray; vous pouvez dire tout ce que voudrez en confession, pourveu que vous ne parliez que de ce qui regarde vostre particulier, et non pas ce qui concerne, le general de vos Sœurs.

  A006000471 

 Premierement, je voudrois qu'on portast un grand honneur aux confesseurs; car, outre que nous sommes fort obligés d'honnorer le sacerdoce, nous les devons regarder comme des Anges que Dieu nous envoye pour nous reconcilier avec sa divine Bonté.

  A006000471 

 Que si vous craignez de dire quelque chose de ce qu'ils vous demandent, de peur de vous embarrasser, comme seroit de dire que vous avez des tentations, si vous apprehendez de les dire, au cas qu'ils les voulussent sçavoir par le menu, vous pourrez leur respondre: J'en ay, mon Pere, mais par la grace de Dieu, je ne pense pas y avoir offencé sa Bonté; mais jamais ne dites qu'on vous a defendu de vous confesser de cecy ou de cela.

  A006000472 

 S'il arrive qu'ils vous donnent quelque conseil contre vos Regles et vostre maniere de vivre, escoutez-les avec humilité et reverence, et puis vous ferez ce que vos Regles permettront et non autre.

  A006000472 

 Si par son defaut il vous arrivoit quelque chose en confession, vous pourriez dire tout simplement à la Superieure que vous desirez bien, s'il luy plaisoit, de vous confesser à quelque autre, sans dire autre chose; car ainsi faisant, vous ne descouvrirez pas l'imperfection du confesseur, et si, aurez la commodité de vous confesser à vostre gré.

  A006000473 

 Il faut que la colere soit déreglée, ou qu'elle nous porte à des actions déreglées, pour estre peché.

  A006000473 

 Je veux dire que celles qui n'auront rien remarqué qui fust digne de l'absolution, dissent quelque peché particulier; car de dire qu'on s'accuse d'avoir eu plusieurs mouvemens de colere, de tristesse et ainsi des autres, cela n'est pas à propos; car la colere et la tristesse sont des passions, et leurs [276] mouvemens ne sont pas pechés, d'autant qu'il n'est pas en nostre pouvoir de les empescher.

  A006000473 

 Troisiesmement, je voudrois fort que les Sœurs de ceans prinssent un grand soin de particulariser leurs pechés en la confession.

  A006000474 

 Dites seulement le mal que vous avez fait, et non pas la cause et ce qui vous y a poussée; et jamais, ni directement ni indirectement, ne descouvrez le mal des autres en accusant le vostre, et ne donnez jamais sujet au confesseur de soupçonner qui c'est qui a contribué à vostre peché.

  A006000474 

 Je voudrois bien, de plus, que l'on eust un grand soin d'estre bien veritables, simples et charitables en la confession (veritable et simple est une mesme chose): dire bien clairement ses fautes, sans fard, sans artifice, faisant attention que c'est à Dieu que nous parlons, auquel rien ne peut estre celé; fort charitables, ne meslant aucunement le prochain en vostre confession.

  A006000474 

 Par exemple, ayant à vous confesser dequoy vous avez murmuré en vous-mesme ou bien avec les Sœurs de ce que la Superieure vous a parlé trop sechement, n'allez pas dire que vous avez murmuré de la correction trop brusque qu'elle vous a fait, mais simplement que vous avez murmuré contre la Superieure.

  A006000474 

 Vous avez eu des pensées d'imperfection sur le prochain, des pensées de vanité, voire mesme de plus mauvaises; vous avez eu des distractions en vos oraisons; si vous vous y estes arrestées deliberément, dites-le à la bonne foy, et ne soyez pas contentes de dire que vous n'avez pas apporté assez de soin à vous tenir recolligées durant le temps de l'oraison; mais si vous avez esté negligentes à rejetter une distraction, dites-le, car ces accusations generales ne servent de rien à la confession..

  A006000475 

 Certes, on a beaucoup d'obligation de le faire; car il semble que ce soyent des messagers celestes qui viennent de la part de Dieu pour nous enseigner le chemin de salut.

  A006000475 

 De mesme faut-il faire de la parole de Dieu: ne point regarder qui est-ce qui la nous apporte ou qui est-ce qui la nous declare; il nous doit suffire que Dieu se sert de ce predicateur pour la nous enseigner.

  A006000475 

 Et puisque nous voyons que Dieu l'honnore tant que de parler par sa bouche, comment est-ce que nous autres pourrions manquer d'honnorer et de respecter sa personne?.

  A006000475 

 Il les faut regarder comme tels, et non pas comme des simples hommes; car, quoy qu'ils ne parlent pas si bien que les hommes celestes, il ne faut pourtant rien rabattre de l'humilité et reverence avec laquelle nous devons recevoir la parole de Dieu, qui est tousjours la mesme, aussi pure, aussi sainte que si elle estoit dite et proferée par les Anges.

  A006000475 

 Je remarque que quand j'escris à une personne sur du mauvais papier, et par consequent avec un mauvais caractere, elle me remercie avec autant d'affection que quand je luy escris sur du meilleur papier et [278] avec de plus beaux caracteres.

  A006000479 

 Aussi feroit-on un tres-grand mal d'aller dire à un confesseur: J'ay bien encore quelque faute, mais ma Superieure m'a defendu de m'en confesser; car outre que cela n'est nullement vray, vous obligez le confesseur à vous faire dire ceste faute, à laquelle peut estre, ne cognoissant [279] ni le fond ni l'estat de vostre ame, ni la rondeur de vostre maniere de vie, il y croira trouver du peché, et se mettra à blasmer la Superieure d'imprudence, d'ignorance et d'un mauvais gouvernement, murmurant contre vostre Institut, lequel en verité vous donne autant ou plus de liberté pour la conscience qu'en puissent avoir aucunes Religieuses.

  A006000479 

 Et premierement je vous dis que c'est une liberté toute sainte et de la sacrée enfance spirituelle enseignée en l'Evangile, que celle que vous avez d'aller demander en simplicité de cœur à la Superieure, ou Directrice quant aux Novices, en quelle façon vous vous confesserez de certaines choses où quelquefois vous vous trouvez embrouillées.

  A006000479 

 Jamais vos Superieures ne vous pressent de leur dire ce que vous ne leur voulez pas dire, ni jamais elles ne vous defendent de dire ce que vous voulez dire de vostre conscience à vos confesseurs ordinaires et extraordinaires..

  A006000479 

 Or, quand l'on vous dira que l'on ne croit pas qu'il y ait matiere de confession, l'on ne vous dit pas pour cela de ne vous en confesser point.

  A006000480 

 Mais je vous ay aussi dit que vous n'avez aucune obligation sur peine de peché de tout dire à la Superieure; beaucoup moins estes-vous gehennées à ne dire point cecy ou cela au confesseur; [280] dites-luy à la bonne heure tout ce que vous voudrez, mais ne parlez que de vous et de ce qui appartient à la confession..

  A006000480 

 Mais les fantasies de l'esprit humain sont estranges, pour peu que l'on les escoute! Je vous ay dit maintesfois, mes tres-cheres filles, que c'est la voye du Ciel que la simplicité, que les Superieures sont les lieutenantes de Dieu; celles qui vont à cœur ouvert, franchement et confidemment avec elles, ont trouvé le grand secret pour maintenir la tranquillité et la paix de l'esprit, et elles n'en trouveront gueres ailleurs.

  A006000480 

 Que si vous demeurez si longuement en confession, que toute la Communauté en soit incommodée, et que la Superieure vous die que vous deviez demander à vous confesser la derniere, selon l'ordre de la maison, à fin que les Sœurs qui doivent aller selon leur rang ordinaire n'en soyent pas incommodées, elle ne vous demande pas pour cela: Que dites-vous, ou que ne dites-vous pas? Elle ne fait nul mal de vous ressouvenir qu'il faut que tout aille par ordre en la maison de Dieu.

  A006000481 

 Il est vray, mes tres-cheres filles, qu'il se trouve des confesseurs fort doctes, qui ont confessé long temps et tres-dignement les seculiers, lesquels toutesfois n'entendront pas les Filles de la Visitation ni les personnes qui font profession d'une grande spiritualité, parce que les fautes sont si minces, et d'une certaine couleur assez difficile à discerner, qu'ils prendront des petites aversions pour des grosses malveillances, des petits destours d'amour propre pour des grands mensonges, des petites inclinations pour des attaches fort mauvaises.

  A006000481 

 Les Sœurs qui s'apperçoivent par la correction que le confesseur leur fait qu'il ne les entend pas, feront bien de luy dire avec humilité: Mon Pere, je n'ay pas sceu me faire entendre; ce n'est pas ce que vostre Reverence comprend que je veux dire, c'est en telle et telle façon qu'il se doit entendre.

  A006000482 

 O que les ames religieuses ont un grand advantage par dessus les mondains, estant dehors des occasions de ces grandes desunions, parce qu'il n'y a que le peché mortel qui nous desunisse de Dieu.

  A006000483 

 Je voudrois que l'on procedast simplement et franchement, purement pour Dieu, avec une vraye detestation de ses fautes et entiere volonté de s'amender..

  A006000483 

 L'on peut commettre en confession quatre grands manquemens: le premier, quand l'on y va plustost pour [281] se descharger que pour plaire à Dieu; l'on est si satisfait quand on a bien dit ses raisons, meslant le defaut des autres pour nous mieux faire entendre! Et c'est par ceste voye que les pechés se commettent bien souvent en confession.

  A006000483 

 Le deuxiesme, c'est quand on va dire au confesseur de beaux discours ageancés de belles paroles, raconter une grande histoire pour se faire estimer et croire que l'on est bien esclairé, faisant semblant d'exagerer les fautes; et par ce moyen, d'une bien grosse, l'on fait tant qu'elle est bien petite et qui ne donne pas cognoissance au confesseur de l'estat de l'ame.

  A006000483 

 Le troisiesme manquement est que l'on y va avec tant de finesse et couverture, qu'au lieu de s'accuser l'on s'excuse par une grande recherche de soy-mesme, craignant que l'on ne voye la totalité du defaut; cela est tres-dangereux, qui le feroit volontairement.

  A006000484 

 Il faut discerner en s'accusant, les petites obeissances d'avec les importantes, les choses d'ordonnance d'avec celles de conseil; car les confessions doivent estre tellement nettes et entieres que rien plus.

  A006000485 

 Mais qui ne void que ce n'est ni les Regles ni les Constitutions qui font le peché, ains le mouvement de paresse par lequel vous desobeissez? Dites donc franchement vos mouvemens et vos fautes, particularisant quelles elles sont, quand elles sont un peu grosses et tirent consequence..

  A006000486 

 Il se faut confesser de ce que l'on fait surtout quand on a du sentiment; comme de dire quelque parolle non premeditée, il y peut avoir du peché.

  A006000486 

 La difference qu'il y a entre le peché veniel et l'imperfection, c'est que l'imperfection est une surprise et inadvertance, et au peché, nostre volonté y concourt..

  A006000486 

 Si en suite d'un prompt mouvement de sentiment je jette là une plume, je ne suis pas obligé de m'en confesser; bien que si ces promptitudes m'arrivent souvent, je les diray en ma reveuë generale, pour en tirer instruction.

  A006000488 

 Apres l'avoir confessée deux ou trois fois avec beaucoup d'attention, en fin je dis une fois à ceste bien-heureuse que je ne luy pouvois donner l'absolution, parce que les choses dont elle s'accusoit n'estoyent que minces imperfections et non peché, et luy en fis dire un qu'elle eust fait autres-fois, comme vous faites à la Visitation.

  A006000488 

 Elle s'estonna fort que je luy dis ne trouver pas peché veniel, et me remercia grandement de luy avoir donné ceste lumiere, m'asseurant qu'elle n'avoit jamais pensé à ceste distinction; par où vous voyez que cela est difficile, puisque ceste ame si sainte et si esclairée estoit neantmoins dans ceste ignorance..

  A006000488 

 En voicy un exemple: je viens vous dire qu'une telle personne vous salue, se recommande à vous, m'a parlé de vous avec estime, et de tout cela il n'en est rien: voilà un peché veniel tres-volontaire; mais je raconte quelque chose, et dans mon discours il se glisse quelques paroles qui ne sont pas du tout veritables, dont je ne m'apperçois qu'apres les avoir dites: voila une imperfection dont je ne suis pas obligé de me confesser, sinon que je n'eusse rien autre.

  A006000488 

 Il faut que je vous die une chose qui m'arriva à Paris, confessant la bien-heureuse Marie de l'Incarnation, qui estoit encore seculiere.

  A006000489 

 Ouy vrayement, ma tres-chere fille, vous pouvez vous approcher de la Communion avec un peché veniel, sinon que par humilité vous vous en voulussiez priver avec congé, ou bien demander licence de vous confesser; mais certes, je repugne fort que l'on se confesse plus souvent que les autres, cela ne sert qu'à donner soupçon que l'on a quelque grande chose..

  A006000490 

 Ce qui fait que la benediction [284] des Evesques efface les pechés veniels, c'est à cause de l'humilité et acte de sousmission que font ceux qui la demandent.

  A006000490 

 L'on fait une grande perte que de perdre la Communion.

  A006000490 

 Si neantmoins le scrupule est grand et la faute grosse, la Superieure trouvant bon que vous vous retiriez de la Communion, faites-le doucement, par reverence envers la grandeur et pureté de Dieu.

  A006000493 

 Mais en nos entretiens familiers, je viens en qualité de chirurgien, n'apportant que des emplastres et cataplasmes pour appliquer sur les playes de mes cheres filles; et, bien qu'elles crient un peu holà, je ne lairray pas de presser ma main pour faire mieux tenir l'emplastre, et les guerir par ce moyen.

  A006000493 

 Mais icy entre nous autres, mes cheres filles, nous sçavons bien que cela est impossible; c'est pourquoy nous ne craignons point de nous scandaliser en disant franchement nos petites infirmités.

  A006000493 

 Ne voyez-vous pas que quand je presche au choeur devant les seculiers, comme [286] barbier, je ne fay point de mal? Je ne jette que des parfums, je ne parle que des vertus et des choses propres à consoler nos ames; je joüe un peu du flageolet, parlant des louanges que nous devons rendre à Dieu.

  A006000493 

 Si je fay quelque incision, ce ne sera pas sans que mes filles en ressentent de la douleur; mais je ne m'en soucie pas, je ne suis icy que pour cela; et les mondains n'en seroyent pas capables, à cause de l'erreur qu'ils se sont forgée que les personnes religieuses et vouées à la perfection ne doivent point avoir d'imperfection.

  A006000494 

 La premiere demande est: Qu'est-ce qu'aversion? Les aversions sont certaines inclinations qui sont aucunefois naturelles, lesquelles font que nous avons un certain petit contre-cœur à l'abord de ceux envers qui nous les avons, qui empesche que nous n'aymons pas leur conversation, s'entend que nous n'y prenons pas du plaisir, comme nous ferions en celle de ceux envers lesquels nous avons une inclination douce, qui nous les fait aymer d'un amour sensible, parce qu'il y a une certaine alliance et correspondance entre nostre esprit et le leur..

  A006000495 

 Faites en l'experience en un petit agnelet qui ne fait que naistre: monstrez-luy la peau d'un loup; quoy qu'il soit mort, il se mettra à fuir, il beelera, il se cachera sous les flancs de sa mere; mais monstrez-luy un cheval, qui est bien une plus grosse beste, il ne s'en espouvantera nullement, ains il se jouera avec luy.

  A006000495 

 Il faut donc confesser que ceste inclination d'aymer les uns plus que les autres est naturelle; et l'on le void mesmes aux bestes, lesquelles n'ayant point de raison, ont toutesfois de l'aversion et de l'inclination naturellement.

  A006000495 

 La raison de cela n'est autre, sinon que le naturel luy donne de l'alliance avec l'un et de l'aversion à l'autre..

  A006000495 

 Or, pour monstrer que cecy est naturel, d'aymer les [288] uns par inclination et non pas les autres, ne void-on pas que si deux hommes entrent dans un tripot où deux autres jouent à la paume, d'abord ceux qui entrent auront de l'inclination que l'un gaigne plustost que l'autre? Et d'où vient cela, puisqu'ils ne les ont jamais veus ni l'un ni l'autre, ni n'en avoyent jamais ouy parler, ne sçachant point si l'un est plus vertueux que l'autre? c'est pourquoy ils n'ont point de raison d'en affectionner plus l'un que l'autre.

  A006000496 

 Ay-je de l'aversion de converser avec une personne, laquelle je sçay bien estre de grande vertu et avec laquelle je puis beaucoup profiter? il ne faut pas que je suive mon aversion qui me fait eviter de la rencontrer; il faut que j'assujettisse ceste inclination à la raison qui me doit faire rechercher sa conversation, ou au moins y demeurer [289] avec un esprit de paix et de tranquillité quand je m'y rencontre.

  A006000496 

 Or, de ces aversions naturelles il n'en faut pas faire grand cas, non plus que des inclinations, pourveu que nous sousmettions le tout à la raison.

  A006000497 

 Mais le malheur est que nous voulons trop bien cognoistre si nous avons raison ou non d'avoir aversion à quelque personne.

  A006000497 

 O jamais il ne faut s'amuser à ceste recherche; car nostre amour propre, qui ne dort jamais, nous dorera si bien la pillule qu'il nous fera accroire qu'elle est bonne; je veux dire qu'il nous fera voir qu'il est vray que nous avons certaines raisons lesquelles nous sembleront bonnes, et puis, celles-là estans approuvées de nostre propre jugement et de l'amour propre, il n'y aura plus de moyen de nous empescher de les trouver justes et raisonnables.

  A006000497 

 Quel remede à ces aversions, puisque nul n'en peut estre exempt, pour parfait qu'il soit? Ceux qui sont d'un naturel aspre auront de l'aversion à celuy qui sera fort doux, et estimeront ceste douceur une trop grande mollesse, bien que ceste qualité de douceur soit la plus universellement aymée.

  A006000498 

 Mais il les faut combattre et abattre quand on void que le naturel passe plus outre, et nous veut faire departir de la sousmission que nous devons à la raison, qui ne nous permet jamais de rien faire en faveur de nos aversions, non plus que de nos inclinations quand elles sont mauvaises, de crainte d'offencer Dieu.

  A006000498 

 Or, quand nous ne faisons autre chose en faveur de nos aversions que de parler un peu moins agreablement que nous ne ferions à une personne pour laquelle nous aurions de grands sentimens d'affection, ce n'est pas grande chose; ains il n'est presque pas en nostre pouvoir de faire autrement, quand nous sommes en l'émotion de ceste passion; l'on auroit tort de requerir cela de nous..

  A006000499 

 De vouloir lire pour contenter la curiosité, est une marque que nous avons encore un peu l'esprit leger, et qu'il ne s'amuse pas assez à faire le bien qu'il a apprins en ces petits livres de la pratique des vertus; car ils parlent fort bien de l'humilité et de la mortification, que l'on ne pratique pourtant pas lors que l'on ne les accepte pas de bon cœur..

  A006000499 

 Je dis bien plus, car je vous asseure que nous prendrions plaisir à ne lire jamais qu'un mesme livre, pourveu qu'il fust bon et qu'il parlast de Dieu; ains, quand il n'y auroit que ce seul nom de Dieu nous serions contens, puisque nous trouverions tousjours assez de besogne à faire, apres l'avoir leu et releu plusieurs fois.

  A006000499 

 La seconde demande est: Comment on se doit comporter en la reception des livres que l'on nous donne à lire? La Superieure donnera à une des Sœurs un livre qui traitte fort bien des vertus; mais parce qu'elle ne l'ayme pas, elle ne fera point de profit de sa lecture, ains elle le lira avec une negligence d'esprit; et la raison est, qu'elle sçait desja sur le doigt ce qui est comprins dans [291] ce livre, et qu elle auroit plus de desir que l'on luy en fist lire un autre.

  A006000499 

 Or je dis que c'est une imperfection de vouloir choisir ou desirer un autre livre que celuy que l'on nous donne, et.

  A006000499 

 Si nous lisions pour profiter, et non pas pour nous contenter, nous serions également satisfaits d'un livre comme d'un autre; au moins accepterions-nous de bon cœur tous ceux que nostre Superieure nous donneroit pour lire.

  A006000499 

 c'est une marque que nous lisons plustost pour satisfaire à la curiosité de l'esprit, que non pas pour profiter de nostre lecture.

  A006000500 

 Mais le mal d'où procede tout cecy est que nous cherchons tousjours nostre propre satisfaction, et non pas nostre plus grande perfection.

  A006000500 

 Or de dire: Parce que je ne l'ayme pas, je n'en feray point de profit, ce n'est pas une bonne consequence, non plus que de dire: Je le sçay desja tout par cœur, je ne sçaurois prendre plaisir à le lire.

  A006000500 

 Si d'aventure l'on a esgard à nostre infirmité, et que la Superieure nous mette au choix du livre que nous voudrons, alors nous le pouvons choisir avec simplicité; mais hors de là, il faut demeurer tousjours humblement sousmise à tout ce que la Superieure ordonne, soit qu'il soit à nostre gré ou non, sans jamais tesmoigner les sentimens que nous pourrions avoir qui seroyent contraires à ceste sousmission..

  A006000500 

 Si on vous en donne un que vous avez desja leu plusieurs fois, humiliez-vous, et vous asseurez [292] que c'est Dieu qui le veut ainsi à fin que vous vous amusiez plus à faire qu'à apprendre, et que sa Bonté vous le donne pour la seconde et troisiesme fois parce que vous n'avez pas fait vostre profit de la premiere lecture.

  A006000500 

 Vous donne-t'on un livre que vous sçavez desja tout ou presque tout par cœur? benissez-en Dieu, d'autant que vous comprendrez plus facilement sa doctrine.

  A006000501 

 Car la vertu de force et la force de la vertu ne s'acquiert jamais au temps de la paix, et tandis que nous ne sommes pas exercés par la tentation de son contraire.

  A006000501 

 Ceux qui sont fort doux tandis qu'ils n'ont point de contradiction, et qui n'ont point acquis ceste vertu l'espée au poing, ils sont voirement fort exemplaires et de grande edification; mais si vous venez à la preuve, vous les verrez incontinent remuer, et tesmoigner que leur douceur n'estoit pas une vertu forte et solide, ains imaginaire plustost que veritable..

  A006000501 

 Quand on me dit: Voila une telle à laquelle on ne void jamais commettre d'imperfection, je demande incontinent: A-t'elle quelque [293] charge? Si l'on me dit que non, je ne fais pas grand estat de sa perfection; car il y a bien difference entre la vertu de celle-cy et celle d'une autre laquelle sera bien exercée, soit interieurement par les tentations, soit exterieurement par les contradictions qu'on luy fait.

  A006000501 

 Quant au premier poinct, c'est sans doute que vous ne vous devez nullement estonner de voir quelques imperfections ceans, de mesme qu'aux autres maisons religieuses pour parfaites qu'elles soyent; car vous ne le serez jamais tant que vous n'en fassiez tousjours quelques-unes par cy par là, selon que vous serez exercées.

  A006000502 

 Bien souvent il arrive que nos passions dorment et demeurent assoupies; et si pendant ce temps-là nous ne faisons provision de forces pour les combattre et leur resister, quand elles viendront à se réveiller, nous serons vaincus au combat.

  A006000502 

 Certes, il y a beaucoup de gens qui se trompent grandement en ce qu'ils croyent [294] que les personnes qui font profession de la perfection ne devroyent point broncher en des imperfections, et particulierement les Religieux, parce qu'il leur semble qu'il ne faille qu'entrer en la Religion pour estre parfaits, ce qui n'est pas; car les Religions ne sont pas pour amasser des personnes parfaites, mais des personnes qui ayent le courage de pretendre à la perfection..

  A006000502 

 Il faut tousjours demeurer humbles et ne pas croire que nous ayons les vertus, encore que nous ne fassions pas, au moins que nous cognoissions, des fautes qui leur sont contraires.

  A006000503 

 Bien est-il vray que Nostre Seigneur tira du bien de leur dispute; car au lieu qu'ils n'eussent presché qu'en un endroit de la terre, ils jetterent la semence de l'Evangile en divers lieux..

  A006000503 

 Et non seulement saint Pierre, mais encore saint Paul et saint Barnabé, lesquels voulant aller prescher l'Evangile, eurent une petite dispute ensemble, parce que saint Barnabé vouloit mener avec eux Jean Marc qui estoit son cousin: saint Paul estoit d'opinion contraire et ne vouloit pas qu'il allast avec eux, et saint Barnabé ne vouloit pas ceder à la volonté de saint Paul; et ainsi ils se separerait et allerent prescher, saint Paul en une contrée, et saint Barnabé en l'autre avec son cousin Jean Marc.

  A006000503 

 Mais outre cela, dés qu'il fut confirmé en grace par la reception du Saint Esprit, encore fit-il une faute qui fut jugée de telle importance, que saint Paul escrivant aux Galates, leur dit qu'il luy avoit resisté en face parce qu'il estoit reprehensible.

  A006000503 

 Mais que faudroit-il faire si l'on voyoit de l'imperfection aux Superieures aussi bien qu'aux autres? ne faudroit-il pas s'en estonner? car on ne met pas des Superieures imparfaites, dites-vous.

  A006000504 

 En un mot, mes cheres filles, ressouvenons-nous des paroles du grand Apostre saint Paul: La charité ne pense point de mal; voulant dire que dés qu'elle le void elle s'en destourne, sans y penser ni s'amuser à le considerer..

  A006000504 

 Ne pensons pas, tandis que nous serons en ceste vie, de pouvoir vivre sans commettre des imperfectoins; car il ne se peut, soit que nous soyons Superieurs, soit que nous soyons inferieurs, puisque nous sommes tous hommes, et par consequent avons tous besoin de croire ceste verité comme tres-asseurée, à fin que nous ne nous estonnions pas de nous voir tous sujets à des imperfections.

  A006000504 

 Nostre Seigneur nous a ordonné de dire tous les jours ces paroles qui sont au Pater: Pardonnez-nous [296] nos offences, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offencés; et n'y a point d'exception en ceste ordonnance, parce que nous avons tous besoin de le faire.

  A006000504 

 Vous vous estonnez dequoy venant parler à la Superieure, elle vous dit quelque parole moins douce que l'ordinaire, parce qu'elle a peut estre la teste toute pleine de soucis et affaires; vostre amour propre s'en va tout troublé, au lieu de penser que Dieu a permis ceste petite secheresse à la Superieure pour mortifier vostre amour propre, qui recherchoit que la Superieure vous caressast un peu, recevant amiablement ce que vous luy vouliez dire.

  A006000505 

 Et, bien que l'on retranche l'acte exterieur d'humilité, de crainte de fascher la pauvre Sœur qui l'est desja assez, il ne faut pas laisser de faire l'interieur.

  A006000505 

 Mais si la Sœur estoit un peu troublée en le disant, la Superieure ne devroit pas faire semblant de rien, mais destourner ce propos, et neantmoins cacher l'abjection dans son cœur; car il faut bien prendre garde que nostre amour propre ne nous fasse perdre l'occasion de voir que nous sommes imparfaits, et de nous humilier.

  A006000505 

 Or, je dis que ce qu'elle [297] doit faire en ceste occasion c'est de s'humilier et recourir à l'amour de son abjection.

  A006000505 

 Que si au contraire la Sœur n'estoit point troublée en s'accusant, je trouverois bien bon que la Superieure advoüast librement qu'elle a failli, s'il est vray; car si le jugement est faux, il est bon qu'elle le die avec humilité, reservant tousjours neantmoins precieusement l'abjection qui luy revient de ce qu'on la juge defaillante..

  A006000505 

 Vous me demandez de plus, touchant ce poinct, si la Superieure ou la Directrice ne doit point tesmoigner de repugnance que les Sœurs voyent ses defauts, et que c'est qu'elle doit dire quand une fille se vient accuser tout simplement à elle de quelque jugement ou pensée qu'elle a fait, qui la marque d'imperfection; comme seroit si quelqu'une avoit pensé que la Superieure auroit fait une correction avec passion.

  A006000506 

 Mais le pauvre homme fut [298] bien trompé, car la passion de la joye ressuscita tellement, qu'apres les badineries il parvint aux dissolutions, de sorte qu'on se resolut de le chasser du monastere; ce que l'on eust fait sans un de ses Freres Religieux, lequel se rendit pleige pour Sylvain, promettant qu'il s'amenderoit: ce qui arriva, et fut depuis un grand Saint.

  A006000506 

 Vingt ans apres, il pensa qu'il pouvoit bien faire quelque badinerie sous pretexte de recréer les Freres, croyant que ses passions fussent desja tellement mortifiées qu'elles n'eussent plus le pouvoir de le faire passer au delà d'une simple recreation.

  A006000506 

 Voila donc, mes cheres Sœurs, comment il ne se faut jamais oublier de ce que nous avons esté, à fin que nous ne devenions pires, et ne pas penser que nous soyons parfaits quand nous ne commettons pas beaucoup d'imperfections..

  A006000506 

 Voyez-vous, ceste petite vertu de l'amour de nostre abjection ne doit jamais s'esloigner de nostre cœur d'un pas, parce que nous en avons besoin à toute heure, pour avancés que nous soyons en la perfection, d'autant que nos passions renaissent, voire quelquesfois apres que nous avons vescu longuement en la Religion et apres avoir fait un grand progres en la perfection, ainsi qu'il advint à un Religieux de saint Pachome, nommé Sylvain, lequel estant au monde estoit comedien de profession; et, s'estant converti et fait Religieux, il passa l'année de sa probation, voire plusieurs autres apres, avec une mortification fort exemplaire, sans que l'on luy vist jamais faire aucun acte de son premier mestier.

  A006000507 

 Nous ferons donc tousjours quelques fautes; mais il faut faire en sorte qu'elles soyent rares et qu'il ne s'en voye que deux en cinquante ans, ainsi qu'il ne s'en vid que deux en autant de temps que vesquirent les Apostres apres qu'ils eurent receu le Saint Esprit.

  A006000508 

 De mesme, la Superieure ne doit pas tesmoigner de l'estonnement si l'on void ses fautes, mais elle doit observer [299] l'humilité et la douceur avec laquelle saint Pierre receut la correction que luy fit saint Paul, nonobstant qu'il fust son Superieur.

  A006000508 

 Les Sœurs ne doivent pas s'estonner dequoy la Superieure commet des imperfections, puisque saint Pierre, tout Pasteur qu'il estoit de la sainte Eglise et Superieur universel de tous les Chrestiens, tomba bien en defaut, et tel qu'il en merita correction, ainsi que dit saint Paul.

  A006000509 

 Je vous diray à cela que les Superieurs doivent estre grandement affables aux seculiers à fin de leur profiter, et doivent de bon cœur leur donner une partie de leur temps.

  A006000509 

 La Religion est une ruche mystique toute pleine d'abeilles celestes, lesquelles sont assemblées pour mesnager le miel des celestes vertus; et pour cela il faut que la Superieure, qui est entre elles [300] comme leur roy, soit soigneuse de les tenir de pres pour leur apprendre la façon de les acquerir et conserver.

  A006000509 

 Les abeilles sortent bien voirement de leur ruche, mais ce n'est que par necessité ou utilité, et demeurent peu sans y retourner; et principalement le roy des abeilles ne sort que rarement, comme quand il se fait un essaim d'abeilles, qu'il est tout environné de son petit peuple.

  A006000509 

 O certes, il n'est pas besoin de cela, car s'ils se tiennent dedans pour bien faire ce qui est de leur charge, ils ne doivent point douter que Nostre Seigneur ne pourvoye assez leur Congregation des amis qui leur sont necessaires..

  A006000509 

 Si ne faut-il pas neantmoins qu'elle manque pour cela à converser avec les personnes seculieres quand la necessité ou la charité le requiert; mais hors de là, il faut que la Superieure soit courte avec les seculiers.

  A006000509 

 Vous demandez en quatriesme lieu, s'il arrivoit un jour qu'une Superieure eust tant d'inclination de complaire aux personnes seculieres, sous pretexte de leur profiter, qu'elle en laissast le soin particulier qu'elle doit avoir des filles qui sont en sa charge, ou bien qu'elle n'eust pas assez de temps pour faire ce qui est des affaires de la maison, à cause qu'elle demeureroit trop longuement au parloir, si elle ne seroit pas obligée de retrancher ceste inclination, encore que son intention fust bonne.

  A006000510 

 Mais s'il fasche à la Superieure de rompre compagnie quand on sonne les Offices pour y aller, de crainte de mescontenter ceux avec qui elle parle? Il ne faut pas estre si tendre; car si ce ne sont des personnes de grand respect, ou bien qui ne viennent que fort rarement ou qui sont de loin, il ne faut pas quitter les Offices ni l'oraison, si la charité ne le requiert absolument.

  A006000510 

 Quant aux visites ordinaires des personnes desquelles on se peut librement dispenser, la Portiere doit dire que nostre Mere ou les Sœurs sont en l'oraison ou à l'Office; s'il leur plaist d'attendre ou de [301] revenir, Mais s'il arrive que pour quelques grandes necessités l'on aille au parloir pendant ce temps là, qu'au moins l'on reprenne du temps apres pour refaire l'oraison, tant qu'il se pourra; car de l'Office, nul ne doute que l'on ne soit obligé de le dire..

  A006000511 

 Bien que par tout on la doive regarder comme une personne particuliere et à laquelle on doit porter un tres-grand respect, si ne faut-il pas qu'elle soit singuliere en aucune chose, que le moins qu'il se pourra.

  A006000511 

 Or, pour le regard de la derniere question, qui est si l'on ne doit pas tousjours faire quelque petite particularité à la Superieure de plus qu'au reste des Sœurs, tant au vestir qu'au manger, elle sera tantost resolue; car en un mot, je vous dis que non, en façon quelconque, si ce n'est de necessité, ainsi comme l'on fait à chacune des Sœurs.

  A006000512 

 Il y a de la superfluité en ceste jalousie, laquelle il faut retrancher; car à quel propos, je vous prie, vouloir celer au prochain ce qui luy peut profiter? Je ne suis pas de ceste opinion, car je voudrois que tout le bien qui est en la Visitation fust recognu et sceu d'un chacun, Et pour cela, j'ay tousjours esté de cest advis, qu'il seroit bon de faire imprimer les Regles et Constitutions, à fin que plusieurs les voyant en puissent tirer quelque utilité.

  A006000512 

 Soyez grandement soigneuses de conserver l'esprit de la Visitation, mais non pas en sorte que ce soin empesche de le communiquer charitablement et avec simplicité au prochain, à chacun selon leur capacité; et ne craignez pas qu'il se dissipe par ceste communication, car la charité ne gaste jamais rien, ains elle perfectionne toute chose.

  A006000516 

 O Dieu, ma fille, se plaindre! n'ay-je pas dit à Philothée, que « pour l'ordinaire, qui se plaint peche »? Or, de se plaindre à la Superieure quand une Sœur nous a mortifiée, cela est tolerable à une fille imparfaite; mais se plaindre à une Sœur de ce que la Superieure nous a mortifiée, je n'ay rien à dire là-dessus, parce que sans marchander il s'en faut amender, si quelqu'une y estoit inclinée.

  A006000517 

 A plus forte raison sommes-nous obligés de couvrir ceux du prochain, luy en faisant toutes-fois la correction fraternelle, ainsi que la Constitution vous enseigne.

  A006000517 

 Car voyez-vous, mes tres-cheres filles, [305] nous pouvons bien dire nos pechés veniels haut et clair à tout le monde pour nous humilier, mais non nos pechés mortels, parce que nous ne sommes pas maistres de nostre reputation.

  A006000517 

 D'aller dire à une Sœur que la Superieure a dit cecy et cela d'elle, c'est une faute plus griefve que l'on ne pense, et la Superieure la doit fortement reprendre, faisant voir à sa Communauté la grandeur de ce manquement et la beauté de la vertu contraire; mais tousjours, que la defaillante ne soit point nommée.

  A006000517 

 Je vous dis que non, mes cheres filles, et que la Superieure ne vous le doit pas demander.

  A006000518 

 Au nom de Dieu, mes cheres filles, que jamais cela ne se fasse.

  A006000518 

 Certes, nous devrions avoir une si cordiale jalousie de la paix et tranquillité de nos cheres Sœurs, que nous ne devrions jamais rien faire ni dire qui les puisse fascher; or, rien ne peut tant affliger une pauvre fille que de croire que la Superieure est faschée d'elle [306] ou contre elle.

  A006000518 

 Feray-je donques pas un grand peché de luy aller faire un rapport de quelque petit mot que la Superieure aura dit par mesgarde, lequel estant redit paioistra grand, et tiendra ce pauvre cœur en peine et en douleur? Celle qui feroit cela feroit deux maux: elle contreviendroit doublement à la charité et parleroit en particulier.

  A006000518 

 Je ne voudrois pas mesme, generalement parlant, que l'on nommast à la Superieure les Sœurs qui parleroyent contre elle; bien luy dirois-je que l'on desapprouve telle et telle chose qu'elle fait, mais je ne luy dirois point qui fait ce desapprouvement; car, mes cheres filles, si nous n'avons la ferveur et pureté de la charité, nous n'aurons jamais la perfection..

  A006000519 

 Vous dites, si une Sœur n'avoit pas la confiance de parler à la Superieure, ou à l'Assistante en son absence, pour declarer le secret de son cœur, où neantmoins elle auroit besoin d'estre éclaircie, qu'est-ce qu'elle doit faire? Mes tres-cheres filles, il faut que la Superieure, ou l'Assistante en son absence, luy donne tres-facilement et cordialement permission de parler à qui elle voudra d'entre les Sœurs, sans en tesmoigner ni aversion ni secheresse de cœur, bien qu'il soit vray que si la Sœur continue, elle seroit imparfaite; car elle est obligée à regarder Dieu en ses Superieures et en ce qu'elles luy disent, et des particulieres ne la pourront servir si utilement.

  A006000520 

 Il ne faut pas tant esplucher pour le regard du jeusne; l'Eglise veut que l'on penche tousjours plustost à la charité qu'à l'austerité.

  A006000520 

 Nullement, mes cheres filles; mais je vous diray pourtant, que les Superieurs et Superieures approuvés du Pape peuvent pour la necessité, dispenser de certains commandemens de l'Eglise.

  A006000520 

 Ouy, mes cheres filles, si apres avoir representé une fois qu'il vous semble n'avoir pas assez de mal pour ne pas jeusner, la Superieure vous dit neantmoins que si, vous, obeissez sans scrupule; que si elle dit que vous fassiez selon que vous [308] jugerez et que vous vous sentirez, faites-le avec une sainte liberté..

  A006000521 

 Il faut que je vous die encore, mes cheres filles, que la sainte Eglise n'est point si rigoureuse que l'on pourroit penser.

  A006000525 

 Deux choses sont requises pour donner sa voix comme il convient à telles personnes: la premiere, que ce soit à des personnes bien appellées de Dieu; la seconde, qu'elles ayent les conditions requises pour nostre maniere de vivre.

  A006000525 

 Quant au premier poinct, qu'il faut qu'une fille soit bien appellée de Dieu pour estre receuë en Religion, il faut sçavoir que quand je parle de cest [310] appel et vocation, je n'entens pas parler de la vocation generale, telle qu'est celle par laquelle Nostre Seigneur appelle tous les hommes au Christianisme, ni encor de celle de laquelle il est dit en l'Evangile que plusieurs sont appelles, mais peu sont esleus.

  A006000526 

 Ainsi en voyons-nous qui viennent par despit et ennuy en Religion; et quoy qu'il semble que ces vocations ne soyent pas bonnes, neantmoins on en a veu qui estans ainsi venus, ils ont fort bien reussi au service de Dieu.

  A006000526 

 D'autres sont incités d'entrer en [311] Religion par quelque desastre et infortune qu'ils ont eu au monde, d'autres par le defaut de la santé ou beauté corporelle; et quoy que ceux-cy ayent des motifs qui de soy ne sont pas bons, neantmoins Dieu s'en sert pour appeller telles personnes.

  A006000526 

 Mais parlant plus particulierement de la vocation religieuse, je dis que plusieurs sont bien appelles de Dieu en la Religion, mais il y en a peu qui maintiennent et conservent leur vocation; car ils commencent bien, mais ils ne sont pas fidelles à correspondre à la grace, ni perseverans en la pratique de ce qui peut conserver leur vocation et la rendre bonne et asseurée.

  A006000527 

 Or, de ceste grande varieté de vocations, s'ensuit que c'est une chose bien difficile que de recognoistre les vrayes vocations; et neantmoins c'est la premiere chose qui est requise pour donner sa voix, de sçavoir si la fille proposée est bien appellée et si sa vocation est bonne..

  A006000528 

 Comment donc, parmi une si grande varieté de vocations et par de si differens motifs, pourra-t'on recognoistre la bonne d'avec la mauvaise, pour n'estre point trompés? C'est une chose voirement de grande importance que ceste-cy, et laquelle est bien difficile; neantmoins elle ne l'est point tant que nous soyons entierement destitués de moyens pour recognoistre la bonté d'une vocation.

  A006000528 

 Doncques la bonne vocation n'est autre chose qu'une volonté ferme et constante qu'a la personne appellée de vouloir servir Dieu en la maniere et au lieu auquel sa divine Majesté l'appelle; et cela est la meilleure marque que l'on puisse avoir pour cognoistre quand une vocation est bonne..

  A006000528 

 Or, entre plusieurs que je pourrois alleguer, j'en diray un seul comme le meilleur de tous.

  A006000529 

 Ce n'est pas donques par ces divers mouvemens et sentimens qu'il faut juger de la fermeté et constance de la volonté au bien que l'on a une fois embrassé; mais ouy bien si parmi ceste varieté de divers mouvemens la volonté demeure ferme à ne point quitter le bien qu'elle a embrassé, encor qu'elle sente le dégoust ou le refroidissement en l'amour de quelque vertu, et qu'elle ne laisse pour cela de se servir des moyens qui luy sont marqués pour l'acquerir.

  A006000529 

 Mais remarquez que, quand je dis une volonté ferme et constante de servir Dieu, je ne dis pas qu'elle fasse dés le commencement tout ce qu'il faut faire en sa vocation, avec une fermeté et constance si grande qu'elle soit exempte de toute repugnance, difficulté ou dégoust [312] en ce qui en dépend.

  A006000529 

 Non, je ne dis pas cela; ni moins que ceste fermeté et constance soit telle qu'elle la rende exempte de faire des fautes, ni que pour cela elle soit si ferme qu'elle ne vienne jamais à chancelier ni varier en l'entreprise qu'elle a faite de pratiquer les moyens qui la peuvent conduire à la perfection.

  A006000529 

 O non certes, ce n'est pas ce que je veux dire; car tout homme est sujet à telle passion, changement et vicissitude, et tel aymera aujourd'huy une chose qui en aymera demain une autre; un jour ne ressemble jamais l'autre.

  A006000529 

 Tellement que pour avoir une marque d'une bonne vocation, il ne faut pas une constance sensible, mais qui soit en la partie superieure de l'esprit et laquelle soit effective..

  A006000530 

 Doncques, pour sçavoir si Dieu veut que l'on soit Religieux, il ne faut pas attendre qu'il nous parle sensiblement, ou qu'il nous envoye quelque Ange du Ciel pour nous signifier sa volonté; ni moins est-il besoin d'avoir des revelations sur ce sujet.

  A006000530 

 Il est bien vray que je l'ay eue beaucoup plus forte que je n'ay à ceste heure; mais comme elle n'est pas de durée, cela me fait croire qu'elle n'est pas bonne..

  A006000530 

 Je voudrois bien, dit une de ces filles, mais je ne sçay pas si c'est la volonté de Dieu que je sois Religieuse, d'autant que l'inspiration que je sens à ceste heure n'est pas, ce me semble, assez forte.

  A006000530 

 Quand elles ont les premiers mouvemens un peu forts, rien ne leur est difficile, il leur semble qu'elles franchiront toutes les difficultés; mais quand elles sentent ces vicissitudes, et que ces sentimens ne sont plus si sensibles en la partie inferieure, il leur semble que tout est perdu et qu'il faille tout quitter: l'on veut et l'on ne veut pas; ce que l'on sent alors n'est pas suffisant pour faire quitter le monde.

  A006000531 

 Certes, quand je rencontre telles ames, je ne m'estonne point de ces dégousts et refroidissemens, ni moins crois-je que pour iceux leur vocation ne soit pas bonne.

  A006000531 

 O non, dit-elle, car je sens tous jours je ne sçay quoy qui me fait tendre de ce costé-là; mais ce qui me met en peine c'est que je ne sens pas ce mouvement si fort qu'il faudroit pour une telle resolution.

  A006000532 

 Car bien que ceux-cy viennent à Dieu comme despités contre le monde qui les a faschés, ou bien à cause de quelques travaux et afflictions qui les ont tourmentés, si ne laissent-ils pas de se donner à Dieu d'une franche volonté; et bien souvent telles personnes reussissent bien au service de Dieu et deviennent des grands Saints, et quelques fois plus grands que ceux qui y sont entrés par des vocations plus apparentes..

  A006000532 

 Car, combien que Dieu soit tout-puissant et peut tout ce qu'il veut, si est-ce qu'il ne veut point nous oster la liberté qu'il nous a une fois donnée; et quand il nous appelle à son service, il veut que ce soit de nostre bon gré que nous y allions, et non par force ni par contrainte.

  A006000532 

 Les uns ont esté appellés pour avoir ouy les paroles sacrées de l'Evangile, comme saint François et saint Antoine, lesquels l'ont esté [315] oyans dire ces paroles: Va, vends tout ce que tu as et le donne aux pauvres, et me suis; et: Quiconque veut venir apres moy, qu'il renonce à soy-mesme, prenne sa croix et me suive.

  A006000533 

 Ce pauvre gentilhomme fut si honteux et confus d'un tel accident, que tout en colere il se resolut en cest instant-là de se faire Religieux, disant: O traistre monde, tu t'es mocqué de moy, mais je me mocqueray aussi de toy; tu m'as joué de ceste-cy, mais je t'en joüeray aussi d'une autre, car je n'auray jamais part avec toy, et dés ceste heure je me resous de me faire Religieux.

  A006000533 

 Vous aurez leu ce que raconte Platus, d'un gentilhomme brave selon le monde, lequel s'estant un jour bien paré et frisé, estant sur un beau cheval bien empannaché, taschoit par tous moyens de plaire aux dames qu'il muguettoit; et comme il bravoit, voila que son cheval le renverse par terre au milieu de la fange, d'où il sortit tout sale et crotté.

  A006000534 

 Il y en a encor d'autres desquels les motifs ont esté [317] encor plus mauvais que cestuy-cy.

  A006000535 

 D'autres ont une grande quantité d'enfans: Et bien, disent-ils, il faut descharger la maison et envoyer ceux-cy en Religion, à fin que les aisnés ayent tout et qu'ils puissent paroistre.

  A006000535 

 Il y en a encor d'autres de qui la vocation n'est de soy pas meilleure que ceste-cy: c'est de ceux qui vont en Religion à cause de quelque defaut naturel, comme pour estre boiteux, borgnes, ou pour estre laids, ou pour avoir quelque autre pareil defaut; et, ce qui semble encor le pire, c'est qu'ils y sont portés par leurs peres et meres, lesquels bien souvent, lors qu'ils ont des enfans borgnes, boiteux, ou autrement defectueux, les laissent au coin du feu et disent: Cecy ne vaut rien pour le monde, il le faut envoyer en Religion; il luy faut procurer quelque benefice, ce sera autant de descharge pour nostre maison.

  A006000536 

 Et tout ainsi qu'une personne qui ne sçait que c'est de la menuyserie, voyant quelque bois tortu en la boutique d'un menuysier, s'estonneroit de luy entendre dire que c'est pour faire quelque beau chef-d'œuvre (car, diroit-il, si cela est comme vous dites, combien de fois faudra-t'il passer le rabot par dessus, avant que d'en pouvoir faire un tel ouvrage?) ainsi, pour l'ordinaire, la divine Providence fait des beaux chefs-d'œuvre avec ces intentions tortues et sinistres, comme il fait entrer [319] en son festin les boiteux et les aveugles, pour nous faire voir qu'il ne sert de rien d'avoir deux yeux ou deux pieds pour aller en Paradis; qu'il vaut mieux aller en Paradis avec une jambe, un œil, un bras que d'en avoir deux et se perdre.

  A006000537 

 Car c'est chose certaine que, quand Dieu appelle quelqu'un à une vocation, il s'oblige par consequent, par sa providence divine, de luy fournir toutes les aydes requises pour se rendre parfait en sa vocation..

  A006000537 

 D'où vient donc, qu'estant si bien appellé, il ne persevera pas en sa vocation? O c'est qu'il abusa de sa liberté, et ne voulut pas se servir des moyens que Dieu luy donnoit pour ce sujet; mais au lieu de les embrasser et d'en user à son profit, il s'en servit pour en abuser et pour les rejetter, et, en ce faisant, il se perdit.

  A006000538 

 Or, quand je dis que Nostre Seigneur s'oblige, il ne [320] faudroit pas penser que ce soit nous qui l'ayons obligé à ce faire en suivant sa vocation, car on ne sçauroit l'obliger; mais Dieu s'oblige soy-mesme par soy-mesme, poussé et provoqué à ce faire par les entrailles de son infinie bonté et misericorde; tellement que, me faisant Religieux, Nostre Seigneur s'est obligé de me fournir tout ce qui est necessaire pour estre bon Religieux, non point par devoir, mais par sa misericorde et providence infinie; tout ainsi qu'un grand roy, levant des soldats pour faire la guerre, sa prevoyance et prudence requiert qu'il prepare des armes pour les armer; car, quelle apparence y auroit-il de les envoyer combattre sans armes? Que s'il ne le fait pas, il est taxé d'une grande imprudence, Or, la divine Majesté ne manque jamais de soin ni de prevoyance touchant cecy; et pour le nous mieux faire croire, elle s'y est obligée, en sorte qu'il ne faut jamais entrer en opinion qu'il y ayt de sa faute quand nous ne faisons pas bien: voire, sa.

  A006000538 

 Remarquez aussi que quand je dis que Dieu s'est obligé de donner à ceux qu'il appelle toutes les conditions requises pour estre parfaits en leur vocation, je ne dis pas qu'il les leur donne tout à coup et à l'instant qu'ils entrent en Religion.

  A006000539 

 Ne laissez pas pour cela, si vous voyez qu'elle ayt ceste volonté constante de vouloir servir Dieu et se perfectionner, de luy donner vostre voix; car si elle veut recevoir les aydes que Nostre Seigneur infailliblement luy donnera, elle perseverera.

  A006000539 

 Que si, apres quelques années, elle perd la perseverance, à son dam! vous n'en estes pas la cause, ains elle-mesme.

  A006000540 

 Ces filles en font ainsi: elles font tant de prieres, tant de reverences, elles tesmoignent tant de bonne volonté, que l'on ne peut bonnement les esconduire; et en effet, l'on n'y doit pas faire trop grande consideration, ce me semble, Je dis cecy pour l'interieur, car certes, il est bien difficile en ce temps-là de le pouvoir cognoistre, principalement des filles qui viennent icy de loin; tout ce que l'on peut faire à celles-cy, c'est de sçavoir qui elles sont, et telles choses qui regardent le temporel et l'exterieur, puis leur ouvrir la porte et les mettre à leur premier essay.

  A006000540 

 Parlez-leur: elles feront tout ce que l'on voudra.

  A006000540 

 Quant à la seconde, qui est de sçavoir les conditions que doivent avoir les filles, premierement, que l'on reçoit ceans, en second lieu, celles que l'on reçoit au Novitiat, et en troisiesme lieu, celles que l'on reçoit à la Profession, je n'ay guere à dire dessus la premiere reception, car l'on ne peut pas beaucoup cognoistre ces filles qui viennent avec une si bonne mine.

  A006000540 

 Si c'est des filles qui soyent du lieu, l'on peut observer leur façon, et par la conversation que l'on a avec elles, recognoistre quelque chose de leur interieur; mais je trouve qu'il est encor bien malaisé, car elles viennent tousjours en la meilleure mine et posture qui se peut..

  A006000541 

 Et que la prudence humaine ne me vienne point icy dire: Et s'il se presentoit tous-jours telle sorte de gens, les faudroit-il tous jours recevoir? et si toutes estoyent aveugles ou malades, qui les serviroit? Or, ne vous mettez point en peine de cela, car il n'arrivera pas: laissez-en le soin à la divine Providence qui sçaura bien y pourvoir, et y appeller les fortes, necessaires à leur service.

  A006000541 

 Et voila ce que j'avois à dire touchant ceste premiere reception..

  A006000541 

 Or, il me semble que pour ce qui est de la santé [324] corporelle et infirmités du corps, l'on n'y doit point faire ou fort peu de consideration, d'autant qu'en ces maisons l'on y peut recevoir les foibles et imbecilles aussi bien que les fortes et robustes, puisqu'elles ont esté faites en partie pour elles; pourveu que ce ne soyent des infirmités si pressantes qu'elles les rendent tout à fait incapables d'observer la Regle et inhabiles à faire ce qui est de ceste vocation.

  A006000542 

 Et, bien qu'elles ayent de la repugnance à ces remedes et les prennent avec grande difficulté, cela ne veut rien dire, pourveu qu'elles ne laissent pas d'en user; car les medecines sont tousjours ameres au goust, et n'est pas possible qu'on les reçoive avec la suavité que l'on feroit si elles estoyent bien appetissantes; mais avec tout cela elles ne laissent pas de faire leur operation, et quand elles la font meilleure, c'est lors qu'elles font le plus de travail et de peine.

  A006000543 

 Or donc, on ne doit pas laisser de recevoir au Novitiat les filles, quoy qu'elles ayent beaucoup de mauvaises habitudes, le cœur rude et grossier, et qu'elles témoignent beaucoup de passions, pourveu que telles filles veuillent estre gueries.

  A006000543 

 Or, il n'y a point de doute que celles-cy n'ayent plus de peine et de difficulté que celles qui auront le naturel plus doux et traittable, et qu'elles seront plus sujettes à faire des fautes, que d'autres qui seront mieux nourries; mais neantmoins, si elles veulent bien estre gueries et tesmoignent une volonté ferme à vouloir recevoir les remedes, [326] quoy qu'il leur couste, à celles-là je donnerois ma voix nonobstant ces cheutes; car ces filles-là, apres beaucoup de travail, font de grands fruicts en la Religion, deviennent des grandes servantes de Dieu et acquierent une vertu forte et solide, car la grace de Dieu supplée au defaut; et n'y a point de doute que souvent où il y a moins de la nature, il y a plus de la grace.

  A006000544 

 La premiere, que les filles que l'on reçoit à la Profession soyent saines, non de corps, comme j'ay desja dit, mais de cœur et d'esprit; je veux dire, qui ayent le cœur bien disposé à vivre en une entiere souplesse et sousmission.

  A006000544 

 La seconde, que ces filles ayent l'esprit bon: or, quand je dis un bon esprit, je n'entends pas dire de ces grands esprits qui sont pour l'ordinaire vains et [327] pleins de propre jugement, de suffisance, et qui estans au monde estoyent des boutiques de vanité; qui viennent en Religion non point pour s'humilier, mais comme si elles y vouloyent faire des leçons de philosophie et theologie, voulant tout conduire et gouverner.

  A006000544 

 Quand doncques je parle d'un esprit bon, j'entends parler des esprits bien faits et bien sensés, et encor des mediocres, qui ne sont ni trop grands ni trop petits; car tels esprits font tousjours beaucoup, sans que pour cela ils le sçachent.

  A006000545 

 Car bien que nonobstant cela elle ne laisse pas de faire des fautes, et mesmes assez grandes, il ne faut pas pourtant luv refuser sa voix; car bien qu'en l'année de son Novitiat elle doive travailler en la reformation de ses mœurs et habitudes, ce n'est pas à dire pour cela qu'elle ne doive point faire de cheute, ni qu'elle doive à la fin de son Novitiat estre parfaite.

  A006000545 

 Et sur cecy je finiray mon discours, si ce n'est que l'on me demande encore quelque chose..

  A006000545 

 Je veux dire par là que les cheutes ne doivent pas estre cause que l'on rejette une fille, [329] quand parmi tout cela elle demeure avec une forte volonté de se radresser et de se vouloir servir des moyens que l'on luy donne pour ce sujet.

  A006000545 

 La troisiesme chose qu'il faut observer c'est si la fille a bien travaillé en son année de Novitiat, si elle a bien souffert et profité des medecines que l'on luy a donné, si elle a bien fait valoir les resolutions qu'elle fit entrant en son Novitiat de changer ses mauvaises humeurs et inclinations; car l'année du Novitiat luy a esté donnée pour cela.

  A006000545 

 Que si l'on void qu'elle ayt perseveré fidelement en sa resolution, et que sa volonté demeure ferme et constante pour continuer, et qu'elle se soit appliquée à se reformer et former selon les Regles et Constitutions, et que ceste volonté luy dure, voire de vouloir tousjours mieux faire, c'est un bon [328] signe et bonne condition pour luy donner sa voix.

  A006000545 

 Tous disoyent et promettoyent merveilles, voire mesme de suivre Nostre Seigneur à la mort et dans la prison; mais la nuict de la Passion, que l'on vint prendre leur bon Maistre, tous l'abandonnerent.

  A006000545 

 Voila ce que j'avois à dire touchant les conditions que les filles que l'on veut recevoir à la Profession doivent avoir, et ce que les Sœurs doivent observer pour leur donner leur voix.

  A006000546 

 L'on demande donc en premier lieu, s'il se trouvoit une fille qui fust fort sujette à se troubler pour des petites choses, et que son esprit fust souvent plein de chagrin et d'inquietude, et qu'elle ne tesmoignast parmi cela guere d'amour pour sa vocation, et que neantmoins, cela estant passé, elle promist de faire des merveilles, qu'est-ce qu'il faudroit faire? Il est tout certain qu'une telle fille estant ainsi changeante n'est pas propre pour la Religion; mais parmi tout cela ne veut-elle point estre guerie? car si cela n'est, il la faut congedier.

  A006000546 

 Or, si apres luy avoir fait bien entendre ce qu'il faut qu'elle fasse pour son amendement, elle ne le fait pas ains se rend incorrigible, il la faut rejetter; sur tout parce que ses fautes, ainsi que vous dites, ne procedent pas faute de jugement ni de pouvoir comprendre en quoy consiste la vraye vertu, ni moins encore ce qu'il faut qu'elle fasse pour son amendement; mais que c'est par le defaut de la volonté, qui n'a point de perseverance ni de constance à faire et à se servir de ce qu'elle sçait estre requis pour son amendement; encore qu'elle dise quelquefois qu'elle fera mieux, neantmoins ne le fait pas, ains persevere [330] en ceste inconstance de volonté, je ne luy donnerois pas ma voix..

  A006000547 

 Or, si cela est, il leur faut ouvrir la porte; car puisqu'elles sont malades, et qu'elles ne veulent point qu'on les traitte ni qu'on leur applique les remedes propres à leur donner la guerison, l'on void clairement que, faisant ainsi, elles se rendent incorrigibles et ne donnent point d'espoir de pouvoir estre gueries.

  A006000547 

 Pour ce qui est de la tendreté, tant sur l'esprit que sur le corps, c'est l'un des grands empeschemens qui soyent en la vie religieuse; et partant il faut avoir un tres-grand soin de ne pas recevoir celles qui en sont démesurément atteintes, parce qu'elles ne veulent point estre gueries, refusans de se servir de ce qui leur peut donner la santé..

  A006000547 

 Vous dites encor qu'il y en a de si tendres, qu'elles ne peuvent supporter qu'on les corrige, sans se troubler, et que cela les rend souvent malades.

  A006000548 

 L'on demande en second lieu, qu'est-ce que l'on doit juger d'une fille qui tesmoigne par ses paroles qu'elle se repent d'estre entrée en Religion? Certes, si elle persevere en ces dégousts de sa vocation et à se repentir, et que l'on voye que cela la rende lasche et negligente à se former selon l'esprit de sa vocation, il la faut mettre dehors.

  A006000548 

 Mais quand l'on void que ceste fille use de son propre jugement, et que sa volonté est seduite et gastée, perseverant à son dégoust, alors la chose est en mauvais estat et quasi sans remede; il la faut renvoyer..

  A006000548 

 Neantmoins, il faut considerer que cela peut arriver ou par une simple tentation ou pour exercice: et cela se peut cognoistre par le profit qu'elle fera de telle pensée, dégoust ou repentir, quand avec [331] simplicité elle se descouvrira de telle chose et qu'elle sera fidelle à se servir des remedes que l'on luy donnera là dessus; car Dieu ne permet jamais rien pour nostre exercice, qu'il ne veuille que nous en tirions profit, ce qui se fait tousjours quand l'on est fidelle à se descouvrir et, comme j'ay dit, simple à croire et à faire ce que l'on nous dit: et cecy est la marque que l'exercice est de Dieu.

  A006000549 

 Voyez-vous, ceste inclination est la derniere piece de nostre renoncement; car avant que l'on puisse arriver à ce point de n'avoir aucune inclination à l'une plus qu'à l'autre, et que ces affections soyent tellement mortifiées qu'elles ne paroissent point, il y faut du temps.

  A006000550 

 En fin, direz-vous, si le sentiment des autres Sœurs estoit tout contraire à ce que l'on sçait, et qu'il nous vinst inspiration de dire quelque chose que nous avons recognu qui est à l'advantage de la Sœur, faudroit-il laisser de le dire? Non, quoy que le sentiment des autres soit tout contraire au vostre et que vous soyez seule en ceste opinion; car cela pourra servir encor aux autres pour se resoudre à ce qu'elles doivent faire.

  A006000550 

 Or, ceste inclination que vous avez, que les autres donnent leur voix ou qu'elles ne la donnent pas, combien que vous donniez ou ne donniez pas la vostre, doit estre mesprisée et rejettée comme une autre tentation.

  A006000551 

 En fin, pour toutes les imperfections que les filles apportent du monde il faut garder ceste regle: quand [335] l'on void qu'elles s'amendent, combien qu'elles ne laissent pas de commettre des fautes, il ne faut pas les rejetter, car par l'amendement elles font voir qu'elles ne veulent pas demeurer incorrigibles.

  A006000555 

 Avant que sçavoir comment il nous faut preparer pour recevoir les Sacremens et quel fruict nous en devons tirer, il est necessaire de sçavoir que c'est que Sacremens et leurs effects.

  A006000556 

 Et premierement, il est tres-necessaire que nous sçachions pourquoy c'est que, recevant si souvent ces deux Sacremens, nous ne recevons pas aussi les graces qu'ils ont accoustumé d'apporter aux ames qui sont bien preparées, puisque ces graces sont jointes aux Sacremens.

  A006000556 

 Nous ne parlerons maintenant que de deux: de celuy de la Penitence, et de l'Eucharistie.

  A006000557 

 Or, l'intention est pure lors que nous recevons les Sacremens, ou faisons quelque autre chose quelle qu'elle soit, pour nous unir à Dieu et pour luy estre plus agreables, sans aucun meslange de propre interest.

  A006000557 

 Quant à la pureté d'intention, c'est une chose totalement necessaire, non seulement en la reception des Sacremens, mais encor en tout ce que nous faisons.

  A006000557 

 Vous cognoistrez cela si, quand vous desirez de vous communier, l'on ne le vous permet pas; ou bien si apres la sainte Communion vous n'avez point de consolation, et que pour cela vous ne laissez pas de demeurer en paix, sans consentir aux attaques qui pourroyent vous en venir.

  A006000557 

 [338] Mais si, au contraire, vous consentez à l'inquietude dequoy l'on vous a refusé de communier, ou dequoy vous n'avez pas eu de la consolation, qui ne void que vostre intention estoit impure, et que vous ne cherchiez de vous unir à Dieu, ains aux consolations, puisque vostre union avec Dieu se doit faire sous la sainte vertu d'obeissance? Et tout de mesme, si vous desirez la perfection d'un desir plein d'inquietude, qui ne void que c'est l'amour propre, qui ne voudroit pas que l'on vist de l'imperfection en nous? S'il estoit possible que nous peussions estre autant agreables à Dieu estans imparfaits comme estans parfaits, nous devrions desirer d'estre sans perfection, à fin de nourrir en nous par ce moyen la tres-sainte humilité..

  A006000558 

 Certes, nous devrions aller aux Sacremens avec beaucoup d'attention, tant sur la grandeur de l'œuvre, comme sur ce que chaque Sacrement demande de nous.

  A006000559 

 La troisiesme preparation c'est l'humilité, qui est une vertu fort necessaire pour recevoir abondamment les graces qui découlent par les canaux des Sacremens; parce que les eaux ont bien accoustumé de couler plus vistement et plus fortement quand les canaux sont posés en des lieux panchans et tendans en bas..

  A006000560 

 Je dis sans reserve, d'autant que nostre misere est si grande que nous nous reservons tousjours quelque chose.

  A006000560 

 Mais, outre ces trois preparations, je vous veux dire en un mot que la principale est l'abandonnement total de nous-mesmes à la mercy de Dieu, sousmettans sans [339] reserve quelconque nostre volonté et toutes nos affections à sa domination.

  A006000560 

 O ce n'est pas là le moyen de faire ceste union, que de se reserver toutes ses volontés, pour belle apparence qu'elles ayent; car Nostre Seigneur se voulant donner tout à nous, veut que reciproquement nous nous donnions entierement à luy, à fin que l'union de nostre ame avec sa divine Majesté soit plus parfaite, et que nous puissions dire veritablement, apres ce grand parfait entre les Chrestiens: Je ne vis plus moy, ains c'est Jesus Christ qui vit en moy..

  A006000560 

 O mon Dieu, puisque je suis tout vostre, que j'aye tousjours des consolations à l'oraison.

  A006000560 

 Voire, c'est bien ce qu'il nous faut pour estre unis à Dieu, qui est la pretention que nous avons! et jamais ils ne demandent des tribulations ou mortifications.

  A006000561 

 Certes, la cause pourquoy nous ne recevons pas la grace de la sanctification (puisqu'une seule Communion bien faite [340] est capable et suffisante pour nous rendre saints et parfaits) ne provient sinon de ce que nous ne laissons pas regner Nostre Seigneur en nous comme sa bonté le desire.

  A006000561 

 Et pour monstrer combien il le desire, il dit à son amante sacrée qu'elle le mette comme un cachet sur son cœur, à fin que rien n'y puisse entrer que par sa permission et selon son bon plaisir.

  A006000561 

 Faisons donc de nostre costé ce qui est de nostre pouvoir pour nous bien preparer à recevoir ce Pain supersubstantiel, nous abandonnant totalement à la divine Providence, non seulement pour ce qui regarde les biens temporels, mais principalement les spirituels, respandant en la presence de la divine Bonté toutes nos affections, desirs et inclinations, pour luy estre entierement sousmis; et nous asseurons que Nostre Seigneur accomplira de son costé la promesse qu'il nous a faite de nous transformer en luy, eslevant nostre bassesse jusques à estre unie avec sa grandeur..

  A006000561 

 La seconde partie de ceste preparation consiste à vuider nostre cœur de toutes choses, à fin que Nostre Seigneur le remplisse tout de luy-mesme.

  A006000561 

 Or, je sçay bien que le milieu de vos cœurs est vuide, autrement ce seroit une trop grande infidelité: je veux dire que nous avons non seulement rejetté et detesté le peché mortel, ains toute sorte d'affection mauvaise; mais las! tous les coins et recoins de nos cœurs sont pleins de mille choses indignes de paroistre en la presence de ce Roy souverain, lesquelles ce semble, luy lient les mains à fin de l'empescher de nous départir les biens et les graces que sa bonté avoit desire de nous faire, s'il nous eust trouvés preparés.

  A006000562 

 Et pour ce qui est des vertus, aucune fois il est plus à propos et meilleur pour nous de ne les pas avoir en habitude que si nous les avions, pourveu toutesfois que nous en fassions les actes à mesure que les occasions s'en presentent; car la repugnance que nous sentons à pratiquer quelque vertu nous doit servir pour nous humilier, et l'humilité vaut tousjours mieux que tout cela..

  A006000562 

 L'on peut bien communier pour diverses fins: comme pour demander à Dieu d'estre delivrés de quelque tentation ou affliction, soit pour nous ou pour nos amis, [341] ou pour demander quelque vertu, pourveu que ce soit sous ceste condition de nous unir par ce moyen plus parfaitement à Dieu, ce qui n'arrive pourtant pas bien souvent; car au temps de l'affliction l'on est ordinairement plus uni à Dieu, parce que l'on se ressouvient plus souvent de luy.

  A006000563 

 Cela s'entend, que vous ayez l'intention de prier Dieu qu'il donne la vertu ou la grace que vous luy demandez pour vous, à tous ceux qui en ont la mesme necessité, et que ce soit tousjours pour vous unir davantage avec luy; car autrement nous ne devons demander ni desirer aucune chose ni pour nous ni pour le prochain, puisque c'est la fin pour laquelle les Sacremens sont institués.

  A006000563 

 En fin, il faut qu'en toutes les prieres et demandes que vous ferez à Dieu, vous ne les fassiez pas seulement pour vous, ains que vous observiez de dire tousjours nous, comme Nostre Seigneur nous l'a enseigné en l'Oraison dominicale, où il n'y a ni mien, ni mon, ni moy.

  A006000563 

 Il faut donc que nous correspondions à [342] ceste intention de Nostre Seigneur, les recevant pour ceste mesme fin..

  A006000564 

 Et ne faut pas que nous pensions que communiant ou priant pour les autres nous y perdions quelque chose, sinon que nous offrissions à Dieu ceste Communion ou priere pour la satisfaction de leurs pechés, car alors nous ne satisferions pas pour les nostres.

  A006000564 

 Et si une personne ne faisoit pas attention de faire quelque chose pour la satisfaction de ses pechés, la seule attention qu'elle auroit de faire tout ce qu'elle fait pour le pur amour de Dieu suffiroit pour y satisfaire, puisque c'est une chose asseurée que qui pourroit faire un acte excellent de charité, ou un acte d'une parfaite contrition, satisferoit pleinement pour tous ses pechés..

  A006000564 

 La priere que nous avons faite pour eux augmente nostre merite, tant pour la recompense de la grace en ceste vie, que de la gloire en l'autre.

  A006000564 

 Mais pourtant le merite de la Communion et de la priere nous demeureroit, car nous ne sçaurions meriter la grace les uns pour les autres: il n'y a que Nostre Seigneur qui l'ayt peu faire.

  A006000565 

 Ne voyez-vous pas qu'il est dit que quiconque s'humiliera sera exalté? estre exalté c'est estre advancé.

  A006000565 

 Si vous devenez par le moyen de la tres-sainte Communion, fort douce (puisque c'est la vertu qui est propre à ce Sacrement, [343] qui est tout doux, tout suave, tout miel), vous retirerez le fruict qui luy est propre, et ainsi vous vous advancerez; mais si, au contraire, vous ne devenez point plus humble ni plus douce, vous meritez que l'on vous leve le pain, puisque vous ne voulez pas travailler..

  A006000565 

 Vous le cognoistrez si vous vous advancez par les vertus qui leur sont propres: comme si vous tirez de la Confession l'amour de vostre propre abjection et l'humilité, car ce sont les vertus qui luy sont propres; et c'est tousjours par la mesure de l'humilité que l'on recognoist nostre advancement.

  A006000566 

 Bien qu'il y ayt de la mortification à le demander, il ne faut pas laisser pour cela; car les filles qui entrent en la Congregation n'y entrent que pour se mortifier, et les croix qu'elles portent les en doivent faire ressouvenir.

  A006000566 

 Je voudrois bien que l'on allast simplement quand il nous viendroit le desir de communier, le demandant à la Superieure avec resignation d'accepter humblement le refus, si on le nous fait; et si on nous octroye nostre demande, aller à la Communion avec amour.

  A006000566 

 Que si l'inspiration venoit à quelqu'une de ne pas communier si souvent que les autres, à cause de la cognoissance qu'elle a de son indignité, elle le peut demander à la Superieure, attendant le jugement qu'elle en fera, avec une grande douceur et humilité..

  A006000567 

 Il faut avoir des esprits genereux qui ne s'attachent qu'à Dieu seul, sans s'arrester aucunement à ce que nostre partie inferieure veut, faisant regner la partie superieure de nostre ame, puisqu'il est entierement en nostre pouvoir, avec la grace de Dieu, de ne jamais consentir à l'inferieure.

  A006000567 

 Je voudrois aussi que l'on ne s'inquietast point quand l'on entend parler de quelque defaut que nous avons ou de quelque vertu que nous n'avons pas; mais que nous benissions Dieu dequoy il nous a découvert le moyen d'acquerir la vertu et de nous corriger de l'imperfection, et puis prendre courage de nous servir de ces moyens.

  A006000568 

 Pour tant de petits et legers defauts, vous en pouvez parler avec Nostre Seigneur toutes les fois que vous les appercevrez: un abaissement d'esprit, un souspir suffit pour cela..

  A006000569 

 Je vous dis qu'il ne faut presque point de temps pour le bien faire, puisqu'il ne faut autre chose que se prosterner devant Dieu en esprit d'humilité et de repentance de l'avoir offencé..

  A006000570 

 Et non seulement en ceste occasion, mais aussi entrant à tous nos exercices, à fin que nous apportions à chacun d'iceux l'esprit qui luy est propre; car il ne seroit pas à propos d'aller à l'Office comme à la recreation: à la recreation il faut porter un esprit amoureusement joyeux, et en l'Office, un esprit serieusement amoureux.

  A006000570 

 Je le veux bien; et je vous dis premierement qu'il faut se preparer pour le dire, dés l'instant que l'on entend la cloche qui nous y appelle, et faut, à l'imitation de saint Bernard, demander à nostre cœur que c'est qu'il va faire.

  A006000570 

 Quand l'on dit: Deus in adjutorium meum intende, il faut penser que Nostre Seigneur nous dit reciproquement: Et vous, soyez attentifs à moy..

  A006000570 

 Vous desirez en second lieu que je vous parle de l'Office.

  A006000571 

 Et tout ainsi qu'un homme qui parleroit à un roy se rendroit" fort attentif, craignant de faire quelque faute; que si nonobstant tout son soin il luy advenoit d'en faire, il rougiroit incontinent, tout de mesme en devons-nous faire à l'Office, nous tenant dessus nos gardes, crainte de faillir.

  A006000571 

 Il faut aussi considerer que nous faisons le mesme office que les Anges, quoy qu'en divers langage, et que nous sommes devant le mesme Dieu devant lequel les Anges tremblent.

  A006000571 

 Mais s'il nous arrive d'en faire plusieurs, et que cela continue, il y a de l'apparence que nous n'avons pas conceu un vray desplaisir de nostre premiere faute; et c'est ceste negligence qui nous devroit apporter beaucoup de confusion, non pas à cause de la presence de la Superieure, mais pour le respect de celle de Dieu qui nous est present, et de ses Anges.

  A006000571 

 Or, c'est presque une regle generale, que quand nous faisons si souvent une mesme faute, c'est signe qu'on manque d'affection de s'en amender; et si c'est une chose de laquelle on nous ayt souventefois adverties, il y a de l'apparence que l'on neglige l'advertissement..

  A006000571 

 Que celles qui entendent quelque peu ce qu'elles disent à l'Office employent fidellement ce talent selon le bon plaisir de Dieu, qui le leur a donné pour les ayder à se retenir recueillies par le moyen des bonnes affections qu'elles en pourront tirer; et que celles qui [345] n'y entendent rien se tiennent simplement attentives à Dieu, ou bien qu'elles fassent des eslancemens amoureux tandis que l'autre chœur dit le verset et qu'elles font les pauses.

  A006000571 

 Que s'il nous arrive d'y faire quelque manquement, il faut s'en humilier sans s'en estonner, puisque ce n'est pas chose estrange, et que nous en faisons bien ailleurs.

  A006000572 

 En apres, il ne faut pas avoir du scrupule de laisser en tout un Office deux ou trois versets par mesgarde, pourveu que l'on ne le fist à dessein.

  A006000572 

 Que si vous dormez [346] le long d'une bonne partie de l'Office, encor que vous disiez les versets de vostre chœur, vous estes obligée de le redire; mais quand l'on fait des choses qui sont necessaires d'estre faites en l'Office, comme de tousser ou cracher, ou bien que la maistresse des ceremonies parle pour ce qui est de l'Office, alors on n'est point obligé de le redire..

  A006000573 

 Quand l'on entre au chœur, l'Office estant un peu commencé, il faut se mettre en son rang avec les autres et suivre l'Office avec elles; et apres qu'il est dit, il faut reprendre ce que le chœur avoit desja dit devant que vous y fussiez, finissant où vous l'avez pris; sinon, il faut dire bas ce que le chœur a dit, puis, l'ayant atteint, continuer avec luy en cas que vostre assistance y soit vrayement necessaire..

  A006000574 

 Car il ne faut pas tousjours penser que l'on a eu de la negligence quand la distraction a esté longue, car il se pourra bien faire qu'elle nous durera le long d'un Office sans qu'il y ayt de nostre faute; et pour mauvaise qu'elle fust, il ne faudroit pas s'en inquieter, ains en faire des simples rejets de temps en temps devant Dieu.

  A006000574 

 Il ne faut pas redire son Office pour avoir esté distraitte en le disant, pourveu que ce ne soit pas volontairement; et encor que vous vous trouvassiez à la fin de quelque Psalme sans estre bien asseurée si vous l'avez dit, parce que vous avez esté distraitte sans y penser, ne laissez pas de passer outre, vous humiliant devant Dieu.

  A006000574 

 Je voudrois que jamais on ne se troublast pour les mauvais sentimens que l'on a, mais que l'on s'employast courageusement et fidelement pour n'y point consentir, puisqu'il y a bien de.

  A006000575 

 Je ne dis pas qu'il ne faille se servir des methodes qui sont remarquées; mais l'on ne s'y doit pas attacher, comme font ceux qui pensent n'avoir jamais bien fait leurs oraisons s'ils ne font leurs considerations devant les affections que Nostre Seigneur leur donne, qui est pourtant la fin pour laquelle nous faisons les considerations.

  A006000575 

 Telles personnes ressemblent à ceux qui se trouvant au lieu où ils pretendent d'aller, s'en retournent parce qu'ils n'y sont pas venus par le chemin que l'on leur a enseigné..

  A006000575 

 Vous voulez que je vous die quelque chose de l'oraison Plusieurs se trompent grandement, croyant qu'il [347] faut beaucoup de methode pour la bien faire, et s'empressent pour trouver un certain art qu'il leur semble estre necessaire de sçavoir, ne cessant jamais de subtiliser et pointiller autour de leur oraison pour voir comme ils la font ou comme ils la pourront faire à leur gré; et pensent qu'il ne faille tousser ni se remuer durant icelle, de crainte que l'Esprit de Dieu ne se retire: folie certes tres-grande, comme si l'Esprit de Dieu estoit si delicat qu'il dépendist de la methode et contenance de ceux qui font l'oraison.

  A006000576 

 Or, ce n'est pas aussi de celle-là que j'entens parler, ains de celle qui fait que la partie supreme et la pointe de nostre esprit se tient basse et en humilité devant Dieu, en recognoissance de son infinie grandeur et de nostre profonde petitesse et indignité..

  A006000577 

 Car pourveu que nous ajustions tousjours nostre volonté avec celle de la divine Majesté, demeurans dans une simple attente et disposition pour recevoir les evenemens de son bon plaisir avec amour, soit en l'oraison ou és autres occurrences, il fera que toutes choses nous seront profitables et agreables aux yeux de sa divine Bonté.

  A006000577 

 Ce sera donc bien faire l'oraison, mes cheres filles, que de se tenir en paix et tranquillité aupres de Nostre Seigneur, ou à sa veuë, sans autre desir ni pretention que d'estre avec luy et de le contenter..

  A006000577 

 Il faut aussi avoir une grande determina.ti.on de n'abandonner jamais l'oraison, pour aucune difficulté qui s'y puisse rencontrer, et n'y aller avec aucune preoccupation de desirs d'y estre consolée et satisfaite; car cela ne seroit pas rendre nostre volonté unie et ajustée à celle de Nostre Seigneur, qui veut qu'entrant à l'oraison nous soyons resolus de souffrir la peine des continuelles distractions, secheresse et dégoust qui nous y [348] surviendront, demeurans aussi constantes que si nous y avions eu beaucoup de consolation et de tranquillité; puisque c'est une chose certaine que nostre oraison ne sera pas moins agreable à Dieu, ni à nous moins utile pour estre faite avec plus de difficulté.

  A006000578 

 C'est le Maistre souverain que le Pere eternel a envoyé au monde pour nous enseigner ce que nous devions faire; et partant, outre l'obligation que nous avons de nous former sur ce divin Modelle, nous devons grandement estre exactes à considerer ses actions pour les imiter, parce que c'est l'une des plus excellentes intentions que nous puissions avoir pour tout ce que nous faisons que de les faire parce que Nostre Seigneur les a faites; c'est à dire, pratiquer les vertus parce que nostre Pere les a pratiquées et comme il les a pratiquées.

  A006000578 

 Ce que pour bien comprendre, il les faut fidelement peser, voir et considerer en l'oraison; car l'enfant qui ayme bien son pere a une grande affection de se rendre conforme à ses humeurs et l'imiter en tout ce qu'il fait..

  A006000578 

 c'est une chose fort rare que l'on ne puisse profiter sur la consideration de ce que Nostre Seigneur a fait.

  A006000579 

 Elles peuvent demeurer ainsi utilement, cela est bon; mais generalement parlant, il faut faire que toutes les filles commencent par la methode d'oraison qui est la plus seure, et qui porte à la reformation de vie et changement de mœurs, qui est celle que nous disons qui se fait autour des mysteres de la Vie et de la Mort de Nostre Seigneur: on y marche en asseurance.

  A006000579 

 Il est vray ce que vous dites, qu'il y a des ames lesquelles ne peuvent s'arrester ni occuper leurs esprits sur aucun mystere, estant attirées à certaine simplicité toute douce qui les tient en grande tranquillité devant [349] Dieu, sans autre consideration que de sçavoir qu'elles sont devant luy et qu'il est tout leur bien.

  A006000579 

 Il se faut donc appliquer tout à la bonne foy autour de nostre Maistre, pour apprendre ce qu'il veut que nous fassions.

  A006000579 

 Les saints Peres ont bissé plusieurs considerations pieuses et devotes desquelles l'on peut se servir pour ce sujet; car puisque ces saints et grands personnages les ont bien faites, qui n'osera s'en servir, et qui osera refuser de croire pieusement ce que tres-pieusement ils ont creu? Il faut aller asseurément apres ces personnages de telle authorité.

  A006000579 

 Mais l'on ne s'est pas contenté de ce qu'ils ont laissé, ains plusieurs personnes ont fait quantité d'autres imaginations; et c'est de celles-là dont il ne se faut pas servir à la meditation, d'autant que cela peut prejudicier..

  A006000580 

 Je ne veux pas dire qu'il faille avoir des grands sentimens et consolations pour cela, bien que quand Dieu nous les donne, nous soyons obligés d'en faire nostre profit et correspondre à son amour Mais quand il ne nous les donne pas il ne faut pas manquer de fidelité, ains vivre selon la raison et la volonté divine, et faire nos resolutions avec la pointe de nostre esprit et partie superieure de nostre ame, ne laissant de les effectuer et mettre en pratique pour aucune secheresse, repugnance ou contradiction qui se puisse presenter.

  A006000580 

 Nous devons faire nos resolutions en la ferveur de l'oraison, lors que le Soleil de justice nous esclaire et nous incite par son inspiration.

  A006000580 

 Voila quant à la premiere façon de mediter, que plusieurs grands Saints ont pratiquée comme tres-bonne, quand elle est faite comme il faut.

  A006000581 

 Mais pour les autres manieres d'oraison plus relevée, sinon que Dieu les donne absolument, je vous prie que l'on ne s'y ingere point de soy-mesme et sans l'advis de ceux qui conduisent..

  A006000581 

 Or ceste façon icy est bien plus haute et meilleure que la premiere, et si, elle est plus sainte et plus asseurée; c'est pourquoy il s'y faut porter facilement, pour peu d'attrait que l'on y ayt, observant en tout degré d'oraison de tenir son esprit dans une sainte liberté pour suivre les lumieres et mouvemens que Dieu nous y donnera.

  A006000585 

 Bien que tous les justes soyent justes et égaux en justice, neantmoins il y a une grande disproportion entre les actes particuliers de leur justice; ainsi que represente la robe de l'ancien Joseph, laquelle estoit longue jusques aux talons, recamée d'une belle varieté de fleurs.

  A006000585 

 Chaque juste a la robe de la justice qui luy bat jusques aux talons, c'est à dire, toutes les facultés et puissances de l'ame sont couvertes de justice, et l'interieur et l'exterieur ne representent que la justice mesme, estant justes en tous leurs mouvemens et actions tant interieures qu'exterieures.

  A006000585 

 Il avoit toutes les vertus, mais non pas en un si haut degré les unes que les autres.

  A006000585 

 Le grand saint Paul hermite fut juste d'une justice tres-parfaite, et si neantmoins nul [352] ne peut douter qu'il n'exerça jamais tant de charité envers les pauvres comme saint Jean qui fut pour cela appelle l'Aumosnier, ni n'eut jamais les occasions de pratiquer la magnificence; et partant, il n'avoit pas ceste vertu en un si haut degré que plusieurs autres Saints.

  A006000585 

 Le juste est fait semblable à la palme, ainsi que la sainte Eglise nous fait chanter en chaque feste des saints Confesseurs; mais comme le palmier a une tres-grande varieté de proprietés particulieres au dessus de tous les autres arbres, comme estant le prince et le roy des arbres tant pour la beauté que pour la bonté de son fruict, de mesme il y a une tres-grande varieté de justice.

  A006000585 

 Mais pourtant, si faut-il confesser que chaque robe est recamée de diverses belles varietés de fleurs, dont l'inégalité ne les rend pas moins agreables ni moins recommandables.

  A006000586 

 Cela estant donc ainsi presupposé, je remarque trois proprietés particulieres qu'a la palme, entre toutes les autres qui sont en tres-grand nombre, lesquelles proprietés conviennent mieux au Saint dont nous celebrons la feste, qui est, ainsi que la sainte Eglise nous fait dire, semblable à la palme.

  A006000586 

 O quel Saint est le glorieux saint Joseph! Il n'est pas seulement Patriarche, ains le coryphée de tous les Patriarches; il n'est pas simplement Confesseur, mais plus que Confesseur, car dans sa confession sont encloses les dignités des Evesques, la generosité des Martyrs et de tous les autres Saints.

  A006000587 

 Le palmier, qui est le masle, ne porte point de fruict, et si neantmoins il n'est pas infructueux, car la palme femelle ne porteroit point de fruict sans luy et sans son aspect; [353] de sorte que si la palme femelle n'est plantée aupres du palmier masle, et qu'elle ne soit regardée de luy, elle demeure infructueuse et ne porte point de dattes, qui est son fruict; et si, au contraire, elle est regardée du palmier et est à son aspect, elle porte quantité de fruicts.

  A006000588 

 Dieu ayant destiné de toute eternité, en sa divine providence, qu' une Vierge concevroit un Fils qui seroit Dieu et homme tout ensemble, voulut neantmoins que ceste Vierge fust mariée.

  A006000588 

 Mais, ô Dieu! pour quelle raison, disent les saints Docteurs, ordonna-t'il deux choses si differentes, estre vierge et mariée tout ensemble? La pluspart des Peres disent que ce fut pour empescher que Nostre Dame ne fust calomniée des Juifs, lesquels n'eussent point voulu exempter Nostre Dame de calomnie et d'opprobre, et se fussent rendus examinateurs de sa pureté; et que, pour conserver ceste pureté et ceste virginité, il fut besoin que la divine Providence la commist à la charge et en la garde d'un homme qui fust vierge, et que ceste Vierge conceust et enfantast ce doux fruict de vie, Nostre Seigneur, sous l'ombre du saint mariage.

  A006000588 

 Saint Joseph donc fut comme un palmier, lequel ne portant peint de fruict n'est pas toutefois infructueux, ains a beaucoup de part au fruict de la palme femelle; non que saint Joseph eust contribué aucune chose pour ceste sainte et glorieuse production, sinon la seule ombre du mariage, qui empeschoit Nostre [354] Dame et glorieuse Maistresse de toutes sortes de calomnies et des censures que sa grossesse luy eust apportées.

  A006000589 

 Et tout ainsi comme l'on void un miroir opposé aux rayons du soleil recevoir ses rayons tres-parfaitement, et un autre miroir estant mis vis à vis de celuy qui les reçoit, bien que le dernier miroir ne prenne ou reçoive les rayons du soleil que par reverberation, les represente pourtant si naïfvement que l'on ne pourroit presque pas juger lequel c'est qui [355] les reçoit immediatement du soleil, ou celuy qui est opposé au soleil, ou celuy qui ne les reçoit que par reverberation; de mesme en estoit-il de Nostre Dame, laquelle [était] comme un tres-pur miroir opposé aux rayons du Soleil de justice, rayons qui apportoyent en son ame toutes les vertus en leur perfection, perfections et vertus qui faisoyent une reverberation si parfaite en saint Joseph, qu'il sembloit presque qu'il fust aussi parfait ou qu'il eust les vertus en un si haut degré comme les avoit la glorieuse Vierge nostre Maistresse..

  A006000589 

 O quelle divine union entre Nostre Dame et le glorieux saint Joseph! union qui faisoit que ce Bien des biens eternels, qui est Nostre Seigneur, fust et appartinst à saint Joseph ainsi qu'il appartenoit à Nostre Dame; non selon la nature qu'il avoit pris dans les entrailles de nostre glorieuse Maistresse, nature qui avoit esté formée par le Saint Esprit du tres-pur sang de Nostre Dame, ains selon la grace, laquelle le rendoit participant de tous les biens de sa chere Espouse, et laquelle faisoit qu'il alloit merveilleusement croissant en perfection; et c'est par la communication continuelle qu'il avoit avec Nostre Dame, qui possedoit toutes les vertus en un si haut degré que nulle autre pure creature n'y sçauroit parvenir; neantmoins le glorieux saint Joseph estoit celuy qui en approchoit davantage.

  A006000590 

 Mais en particulier, pour nous tenir en nostre propos commencé, en quel degré pensons-nous qu'il eust la virginité, qui est une vertu qui nous rend semblables aux Anges? Si la tres-sainte Vierge ne fut pas seulement Vierge toute pure et toute blanche, ains (comme chante la sainte Eglise aux respons des leçons des Matines, « Sainte et immaculée virginité, » etc.) elle estoit la virginité mesme, combien pensons-nous que celuy qui fut commis de la part du Pere eternel pour gardien de sa virginité, ou pour mieux dire, pour compagnon, puisqu'elle n'avoit pas besoin d'estre gardée d'autre que d'elle-mesme, combien, dis-je, devoit-il estre grand en ceste vertu? Ils avoyent fait vœu tous deux de garder virginité tout le temps de leur vie, et voila que Dieu veut qu'ils soyent unis par le lien d'un saint mariage, non pas pour les faire dédire ni se repentir de leur vœu, ains pour les reconfirmer et se fortifier l'un l'autre de perseverer en leur sainte entreprise; c'est pourquoy ils le firent encores de vivre virginalement ensemble tout le reste de leur vie..

  A006000591 

 Il dit donc ainsi: Nostre sœur, ceste petite fillette, helas, qu'elle est petite! [356] elle n'a point de mammelles: que luy ferons-nous au jour qu'il luy faudra parler? Que si c'est un mur faisons-luy des boulevars d'argent, et si c'est une porte, il la nous faut renforcer et doubler d'ais de cedre ou de quelque bois incorruptible.

  A006000591 

 Nostre sœur elle est petite, elle n'a point de mammelles, c'est à dire, elle ne pense point au mariage, car elle n'a ni sein ni soin pour cela: que luy ferons-nous au jour qu'il luy faudra parler? Qu'est-ce à dire cela: au jour qu'il luy faudra parler? le divin Espoux ne luy parle-t'il pas tousjours quand il luy plaist? Au jour qu'il luy faudra parler, cela veut dire, de la parole principale, qui est quand on parle aux filles de les marier; d'autant que c'est une parole d'importance, puisqu'il y va du choix et de l'élection d'une vocation et d'un estat auquel il faut par apres demeurer.

  A006000591 

 Que si c'est, dit le sacré Espoux, un mur, faisons-luy des boulevars d'argent; si c'est une porte, au contraire que nous la veuillions enfoncer, nous la doublerons ou renforcerons d'ais de cedre, qui est un bois incorruptible..

  A006000592 

 La tres-glorieuse Vierge estoit une tour et des murailles bien hautes dans l'enclos desquelles l'ennemy ne pouvoit nullement entrer, ni nulle sorte de desirs autres que de vivre en parfaite pureté et virginité.

  A006000592 

 Qu'est-ce que le glorieux saint Joseph, sinon un fort boulevard qui a esté establi au dessus de Nostre Dame, puisqu'estant son Espouse, elle luy estoit sujette et il avoit soin d'elle? Au contraire donques que saint Joseph fust establi au dessus de Nostre Dame pour luy faire rompre son vœu de virginité, il luy a esté donné pour compagnon d'icelle, et à fin que la pureté de Nostre Dame peust plus admirablement perseverer en son integrité sous le voile et l'ombrage du saint mariage et de la sainte union qu'ils avoyent par ensemble.

  A006000592 

 Que luy ferons-nous? car elle doit estre mariée, Celuy qui luy a donné ceste resolution de la virginité l'ayant ainsi [357] ordonné.

  A006000592 

 Si la tres-sainte Vierge est une porte, dit le Pere eternel, nous ne voulons pas qu'elle soit ouverte, car c'est une porte orientale par laquelle nul ne peut entrer ni sortir; au contraire, il la faut doubler et renforcer de bois incorruptible, c'est à dire, luy donner un compagnon en sa pureté, qui est le grand saint Joseph, lequel devoit pour cest effet surpasser tous les Saints, voire les Anges et les Cherubins mesmes en ceste vertu tant recommandable de la virginité, vertu qui le rendit semblable au palmier, ainsi que nous avons dit..

  A006000593 

 Car encor que la palme soit le prince des arbres, elle est neantmoins le plus humble, ce qu'elle tesmoigne en ce qu'elle cache ses fleurs au printemps où tous les autres arbres les font voir, et ne les laisse paroistre qu'au gros des chaleurs.

  A006000593 

 En quoy ils courent la mesme risque que les arbres qui sont prompts au printemps de jetter leurs fleurs, comme sont les amandiers; car si d'aventure la gelée les surprend, ils perissent et ne portent point de fruict..

  A006000593 

 Je dis, selon mon propos, qu'il se fait une juste ressemblance et conformité entre saint Joseph et la palme en leur vertu, vertu qui n'est autre que la tres-sainte humilité.

  A006000593 

 Passons à la seconde proprieté et vertu que je trouve au palmier.

  A006000594 

 Au contraire, les justes tiennent tousjours toutes leurs fleurs resserrées dans l'estuy de la tres-sainte humilité, et ne les font point paroistre, tant qu'ils peuvent, jusques aux grosses chaleurs, lors que Dieu, ce divin Soleil de justice, viendra à réchauffer puissamment leurs coeurs en la vie eternelle, où ils porteront à jamais le doux fruict de la felicité et de l'immortalité.

  A006000594 

 De mesme en fait l'ame juste, car elle tient cachées ses fleurs, c'est à dire ses vertus, sous le voile de la tres-sainte humilité jusques à la mort, en laquelle Nostre Seigneur les fait esclorre et les laisse paroistre au dehors, d'autant que les fruicts ne doivent pas tarder à paroistre..

  A006000594 

 La palme ne laisse point voir ses fleurs jusques à tant que l'ardeur vehemente du soleil vienne à faire fendre ses gaines, estuis ou bourses dans lesquelles elles sont encloses, apres quoy, soudain elle fait voir son fruict.

  A006000595 

 Mais quelles dignités, mon Dieu! estre gouverneur de Nostre Seigneur, et non seulement cela, mais estre encor son Pere putatif, mais estre Espoux de sa tres-sainte Mere! O vrayement je ne doute nullement que les Anges ravis d'admiration, ne vinssent troupes à troupes le considerer et admirer son humilité, lors qu'il tenoit ce cher Enfant dans sa pauvre boutique, où il travailloit de son mestier pour nourrir et le Fils et la Mere qui luy estoyent commis..

  A006000596 

 Il n'y a point de doute, mes cheres Sœurs, que saint Joseph ne fust plus vaillant que David et n'eust plus de sagesse que Salomon; neantmoins, le voyant reduit en l'exercice de la charpenterie, qui eust peu juger cela s'il n'eust esté esclairé de la lumiere celeste, tant il tenoit resserrés tous les dons signalés dont Dieu l'avoit gratifié? Mais quelle sagesse n'avoit-il pas, puisque Dieu luy donnoit en charge son Fils tres-glorieux et qu'il estoit choisi pour estre son gouverneur? Si les princes de la terre ont tant de soin, comme estant une chose tres-importante, de donner un gouverneur qui soit des plus capables à leurs enfans, puisque Dieu pouvoit faire que le gouverneur de son Fils fust le plus accompli homme du monde en toutes sortes de perfections, selon la dignité et excellence de la chose gouvernée, qui estoit son Fils tres-glorieux, Prince universel du ciel et de la terre, comment se pourroit-il faire que l'ayant peu il ne l'ayt voulu et ne l'ayt fait? Il n'y a donc nul doute que saint Joseph n'ayt esté doué de toutes les graces et de tous les dons que meritoit la charge que le Pere eternel luy vouloit donner, de l'œconomie temporelle et domestique de Nostre Seigneur et de la conduite de sa famille, qui n'estoit composée que de trois, qui nous representent le mystere de la tres-sainte et tres-adorable Trinité.

  A006000596 

 Non qu'il y ayt de la [360] comparaison, sinon en ce qui regarde Nostre Seigneur, qui est l'une des Personnes de la tres-sainte Trinité, car quant aux autres ce sont des creatures; mais pourtant nous pouvons dire ainsi, que c'est une trinité en terre qui represente en quelque façon la tres-sainte Trinité.

  A006000597 

 Ce seul exemple suffit pour le bien entendre: il s'en va en son païs et en sa ville de Bethlehem, et nul n'est rejetté de tous les logis que luy, au moins que l'on sçache; si qu'il fut contraint de se retirer et conduire sa chaste Espouse dans un estable, parmi les bœufs et les asnes.

  A006000597 

 Je sçay bien, vouloit-il dire, que si je me jette en la mer, je periray; mais toy, qui es tout-puissant, marcheras sur les eaux sans danger; c'est pourquoy je te supplie de te retirer de moy, et non pas que je me retire de toy..

  A006000597 

 Mieux vaut que je l'abandonne secrettement à cause de mon indignité, et que je n'habite point davantage en sa compagnie.

  A006000597 

 O en quelle extremité estoit reduite son abjection et son humilité! Son humilité fut la cause, ainsi que l'explique saint Bernard, qu'il voulut quitter Nostre Dame quand il la vid enceinte; car saint Bernard dit qu'il fit ce discours en soy-mesme: Et qu'est cecy? Je sçay qu'elle est vierge, car nous avons fait, un vœu par ensemble de garder nostre virginité et pureté, à quoy elle ne voudroit aucunement manquer; d'ailleurs je voy qu'elle est enceinte et qu'elle est mere: comment se peut faire que la maternité se trouve en la virginité, et que la virginité n'empesche point la maternité? O Dieu! dit-il en soy-mesme, ne seroit-ce point peut estre ceste glorieuse Vierge dont les Prophetes asseurent qu'elle concevra et sera Mere du Messie? O si cela est, à Dieu ne plaise que je demeure avec elle, moy qui en suis si indigne.

  A006000597 

 Sentiment d'une humilité admirable, et laquelle fit escrier saint Pierre dans la nacelle où il [361] estoit avec Nostre Seigneur, lors qu'il vid sa toute-puissance manifestée en la grande prise qu'il fît de poissons, au seul commandement qu'il leur avoit fait de jetter les filets dans la mer: O Seigneur, dit-il, tout transporté d'un semblable sentiment d'humilité que saint Joseph, retire-toy de moy, car je suis un homme pecheur, et partant ne suis pas digne d'estre avec toy.

  A006000598 

 En quoy nous voyons combien l'humilité est necessaire pour la conservation de la virginité, puisqu'indubitablement aucun ne sera du celeste banquet et du festin nuptial que Dieu prepare aux vierges en la celeste demeure, sinon entant qu'il sera accompagné de ceste vertu.

  A006000598 

 Mais si saint Joseph estoit soigneux de tenir resserrées ses vertus sous l'abri de la tres-sainte humilité, il avoit un soin tres-particulier de cacher la pretieuse perle de sa virginité; c'est pourquoy il consentit d'estre marié, à fin que personne ne la peust cognoistre, et que dessous le saint voile du mariage il peust vivre plus à couvert.

  A006000599 

 Cette boite d'albastre est donques l'humilité, dans laquelle nous devons, à l'imitation de Nostre Dame et de saint Joseph, resserrer nos vertus et tout ce qui nous peut faire estimer des hommes, nous contentans de plaire à Dieu et demeurans sous le voile sacré de l'abjection de nous-mesmes, attendans, ainsi que nous avons dit, que Dieu venant pour nous retirer au lieu de seureté, qui est la gloire, fasse luy-mesme paroistre nos vertus pour son honneur et gloire..

  A006000599 

 De mesme, les ames justes craignant de perdre le prix et la valeur de leurs bonnes œuvres, les resserrent ordinairement dans une boite; mais non dans une boite commune, non plus que les onguens pretieux, ains dans une boite d'albastre, telle que celle que sainte Magdelaine respandit ou vuida sur le chef sacré de Nostre Seigneur lors qu'il la restablit en la virginité non essentielle mais reparée, laquelle est quelquefois plus excellente, estant acquise et restablie par la penitence, que non pas celle qui n'ayant point receu de tare est accompagnée de moins d'humilité.

  A006000599 

 L'on ne tient pas les choses pretieuses, sur tout les onguens odoriferans, à l'air; car, outre que ces odeurs viendroyent à s'exhaler, les mousches les gasteroyent et feroyent perdre leur prix et leur valeur.

  A006000600 

 J'ay accoustumé de dire, que si une colombe (pour rendre la comparaison plus conforme à la pureté des Saints dont je parle) portoit en son bec une datte laquelle elle laissast tomber dans un jardin, diroit-on pas que le palmier qui en viendroit appartient à celuy à qui est le jardin? Or, si cela est ainsi, qui pourra douter que le Saint Esprit ayant laissé tomber ceste divine datte, comme un divin Colombeau, dans le jardin clos et fermé de la tres-sainte Vierge, jardin seellé, et environné de toutes parts des hayes du saint vœu de virginité et chasteté toute immaculée, lequel appartenoit au glorieux saint Joseph comme la femme ou l'espouse à l'espoux, qui doutera, dis-je, ou qui pourra dire que ce divin palmier qui porte des fruicts qui nourrissent à l'immortalité, n'appartienne quant et quant à ce grand saint Joseph, lequel pourtant ne s'en esleve point davantage, n'en devient point plus superbe, ains en devient tousjours plus humble?.

  A006000600 

 Mais quelle plus parfaite humilité se peut-il imaginer que celle de saint Joseph? Je laisse à part celle de Nostre Dame, car nous avons desja dit que saint Joseph recevoit un grand accroissement en toutes les vertus par forme de reverberation que celles de la tres-sainte Vierge faisoyent en luy.

  A006000601 

 O Dieu, qu'il faisoit bon voir la reverence et le respect avec lequel il traittoit tant avec la Mere qu'avec le Fils! S'il avoit bien voulu quitter la Mere, ne sçachant encor tout à fait la grandeur de sa dignité, en quelle admiration et profond aneantissement estoit-il par apres, quand il se voyoit estre tant honnoré que Nostre Seigneur et Nostre Dame se rendissent obeissans à ses volontés et ne fissent rien que par son commandement! Cecy est une chose qui ne se peut comprendre; c'est pourquoy il nous faut passer à la troisiesme proprieté que je remarque estre en la palme, qui est [364] la vaillance, constance et force, vertus qui se sont trouvées en un degré fort eminent en nostre Saint..

  A006000602 

 Elle monstre sa vaillance en ce que ses feuilles sont faites comme des espées, et semble en avoir autant pour batailler, comme elle porte de feuilles..

  A006000602 

 La palme monstre sa force et sa constance en ce que, plus elle est chargée, et plus elle monte en haut et devient plus haute; ce qui est tout contraire non seulement aux autres arbres mais à toutes autres choses, car plus l'on est chargé, et plus l'on s'abaisse contre terre.

  A006000602 

 Mais la palme monstre sa force et sa constance en ne se sousmettant ni abaissant jamais pour aucune charge que l'on mette sur elle; car c'est son instinct de monter en haut, et partant elle le fait sans que l'on l'en puisse empescher.

  A006000603 

 C'est certes à tres-juste raison que saint Joseph est dit ressembler à la palme; car il fut tousjours fort, vaillant, constant et perseverant.

  A006000603 

 La force, c'est ce qui fait que l'homme resiste puissamment aux attaques de ses ennemis; mais la vaillance est une vertu qui fait que l'on ne se tient pas seulement prest pour combattre ni pour resister quand l'occasion s'en presente, mais que l'on attaque l'ennemy à l'heure mesme qu'il ne dit mot.

  A006000603 

 Nous appelions un homme constant, lequel se tient ferme et preparé à souffrir les assauts de ses ennemis, sans s'estonner ni perdre courage durant le combat; mais la perseverance regarde principalement un certain ennuy interieur qui nous arrive en la longueur de nos peines, qui est un ennemy aussi puissant que l'on en puisse rencontrer.

  A006000603 

 Or, la perseverance fait que l'homme mesprise cest ennemy en telle sorte qu'il en demeure victorieux, par une continuelle égalité et sousmission à la volonté de Dieu.

  A006000604 

 Le diable est tellement ennemy de l'humilité, parce que, manque de l'avoir, il fut dechassé du Ciel et precipité aux enfers (comme si l'humilité pouvoit mais dequoy il ne l'a pas voulu choisir pour compagne inseparable), qu'il n'y a invention ni artifice duquel il ne se serve pour faire decheoir l'homme de ceste vertu, et d'autant plus qu'il sçait que c'est une vertu qui le rend infiniment agreable à Dieu; si que nous pouvons bien dire: Vaillant et fort est l'homme qui, comme saint Joseph, persevere en icelle, parce qu'il demeure tout ensemble vainqueur du diable et du monde, qui est rempli d'ambition, de vanité et d'orgueil..

  A006000604 

 Pour ce qui est de sa constance, combien je vous prie, la fit-il paroistre lors que voyant Nostre Dame enceinte, et ne sçachant point comment cela se pouvoit faire, mon Dieu, quelle detresse, quel ennuy, quelle peine d'esprit n'avoit-il pas? Neantmoins il ne se plaint point, il n'en est point plus rude ni plus mal gratieux envers son Espouse, il ne la maltraitte point pour cela, demeurant aussi doux et aussi respectueux en son endroit qu'il souloit estre.

  A006000605 

 O combien cest ennuy dont nous parlons le devoit presser! veu mesmement que l'Ange ne luy avoit point dit le temps qu'il y devoit estre, si qu'il ne pouvoit s'establir nulle demeure asseurée, ne sçachant quand l'Ange luy commanderoit de s'en retourner..

  A006000605 

 Quant à la perseverance, contraire à cest ennemy interieur qui est l'ennuy qui nous survient en la continuation des choses abjectes, humiliantes, penibles, des mauvaises fortunes, s il faut ainsi dire, ou bien és divers accidens qui nous arrivent, ô combien ce Saint fut [366] esprouvé de Dieu et des hommes mesmes en son voyage! L'Ange luy commande de partir promptement et de mener Nostre Dame et son Fils tres-cher en Egypte, le voila que soudain il part sans dire mot; il ne s'enquiert pas: Où iray-je? quel chemin tiendray-je? de quoy nous nourrirons-nous? qui nous y recevra? Il part d'aventure avec ses outils sur son dos, à fin de gaigner sa pauvre vie et celle de sa famille à la sueur de son visage.

  A006000606 

 Il estoit en une terre non seulement estrangere, mais ennemie des Israëlites, d'autant que les Egyptiens se ressentoyent encor dequoy ils les avoyent quittés, et avoyent esté cause qu'une grande partie des Egyptiens avoyent [367] esté submergés lors qu'ils les poursuivoyent.

  A006000606 

 Il y demeura l'espace de cinq ans, comme la pluspart croyent, sans qu'il s'informast de son retour, s'asseurant que Celuy qui avoit commandé qu'il y allast, luy commanderoit derechef quand il s'en faudrait retourner, à quoy il estoit tousjours prest d'obeir.

  A006000606 

 Si saint Paul a tant admiré l'obeissance d'Abraham lors que Dieu luy commanda de sortir de sa terre, d'autant que Dieu ne luy dit pas de quel costé il iroit, ni moins Abraham ne luy demanda pas: Seigneur, vous me dites que je sorte, mais dites-moy donc si ce sera par la porte du midy ou du costé de la bise, ains il se mit en chemin, et alloit selon que l'Esprit de Dieu le conduisoit, combien est admirable ceste parfaite obeissance de saint Joseph! L'Ange ne luy dit point jusques à quand il demeureroit en Egypte, et il ne s'en enquiert pas.

  A006000607 

 Que saint Joseph ayt esté en toutes occasions tousjours parfaitement sousmis à la divine volonté, nul n'en peut douter.

  A006000608 

 Apres quoy il se sousmettoit tres-humblement à la volonté de Dieu en la continuation de sa pauvreté et de son abjection, sans se laisser aucunement vaincre ni terrasser par l'ennuy interieur, lequel sans doute luy faisoit maintes attaques; mais il demeuroit tousjours constant en la soumission laquelle, comme toutes ses autres vertus, alloit continuellement croissant et se perfectionnant; ainsi que de Nostre Dame, laquelle gaignoit chaque jour un surcroist de vertus et de perfections qu'elle prenoit en son Fils tres-saint, lequel ne pouvant croistre en aucune chose, d'autant qu'il fut dés l'instant de sa conception tel qu'il est et sera eternellement, faisoit que la sainte famille en laquelle il estoit alloit tousjours croissant et avançant en perfection, Nostre Dame tirant sa perfection de sa divine Bonté, et saint Joseph la recevant, comme nous avons desja dit, par l'entremise de Nostre Dame..

  A006000609 

 Et s'il est vray, ce que nous devons croire, qu'en vertu du tres-saint Sacrement que nous recevons, nos corps ressusciteront au jour du jugement, comment pourrions-nous douter que Nostre Seigneur ne fist monter quant et luy au Ciel, en corps et en ame, le glorieux saint Joseph qui avoit eu l'honneur et la grace de le porter si souvent entre ses benits bras, bras auxquels Nostre Seigneur se plaisoit tant? O combien de baisers luy donnoit-il fort tendrement de sa benite bouche pour recompenser en quelque façon son travail!.

  A006000609 

 Maintenant que vous devez aller au Ciel, conduisez-moy avec vous: je vous receus en ma famille, recevez-moy maintenant en la vostre, puisque vous y allez.

  A006000609 

 Que nous reste-t'il plus à dire maintenant, sinon que nous ne devons nullement douter que ce glorieux Saint n'ayt beaucoup de credit dans le Ciel aupres de Celuy qui l'a tant favorisé que de l'y eslever en corps et en ame; ce qui est d'autant plus probable que nous n'en avons nulle relique ça bas en terre, et il me semble que nul ne peut douter de ceste verité; car, comme eust peu refuser ceste grace à saint Joseph Celuy qui luy avoit esté si obeissant tout le temps de sa vie? Sans doute que Nostre Seigneur descendant au Limbe, fut arraisonné par saint Joseph en ceste sorte: Mon Seigneur, ressouvenez-vous, s'il vous plaist, que quand vous vinstes du Ciel en terre je vous receus en ma maison, en ma famille, et que dés que vous fustes né je [369] vous receus entre mes bras.

  A006000610 

 Il nous obtiendra, si nous avons confiance en luy, un saint accroissement en toutes sortes de vertus, mais specialement en celles que nous avons trouvé qu'il avoit en plus haut degré que toutes autres, qui sont la tres-sainte pureté de corps et d'esprit, la tres-aymable vertu d'humilité, la constance, vaillance et perseverance; vertus qui nous rendront victorieux en ceste vie de nos ennemis, et qui nous feront meriter la grace d'aller jouïr en la vie eternelle des recompenses qui sont preparées à ceux qui imiteront l'exemple que saint Joseph leur a donné estant en ceste vie; recompense qui ne sera rien moindre que la felicité eternelle, en laquelle nous jouirons de la claire vision du Pere, du Fils et du Saint Esprit.

  A006000614 

 La question que nostre Mere me fait, de vous declarer, mes cheres filles, la pretention que l'on doit avoir pour entrer en Religion, est bien la plus importante, la plus necessaire et la plus utile qui se puisse faire.

  A006000614 

 Une autre dira: Mon Dieu, que l'on chante bien là dedans! Les autres y viennent pour y rencontrer la paix, les consolations et toutes sortes de douceurs, disant en leur pensée: Mon Dieu, que les Religieuses [371] sont heureuses! elles sont hors du bruit de pere, de mere, qui ne font autre chose que crier; on ne sçauroit rien faire qui les contente, c'est tousjours à recommencer.

  A006000615 

 Il faut, par necessité, que ce soit Dieu qui bastisse la cité, ou autrement, bien qu'elle fust bastie, il la faudroit ruiner.

  A006000615 

 Je veux croire, mes cheres filles, que vos pretentions sont toutes autres, et partant que vous avez toutes bon cœur et que Dieu benira ceste petite troupe commençante.

  A006000616 

 Je dis donc, mes cheres filles, que nostre unique pretention doit estre de nous unir à Dieu comme Jesus Christ s'est uni à Dieu son Pere, qui a esté en mourant sur la croix; car je n'entens point vous parler de ceste union generale qui se fait par le Baptesme, où les Chrestiens s'unissent à Dieu en prenant ce divin Sacrement et caractere du Christianisme, et s'obligent à garder ses commandemens, ceux de la sainte Eglise, s'exercer aux bonnes œuvres, pratiquer les vertus de la foy, esperance et charité; et partant leur union est valable, et peuvent justement pretendre au Paradis, S'unissant par ce moyen à Dieu comme à leur Dieu, ils ne sont point obligés à davantage; ils ont atteint leur but par la voye generale et spacieuse des commandemens.

  A006000616 

 Mais quant à vous, mes cheres filles, il n'en va pas ainsi; car outre ceste commune obligation que vous avez avec tous les Chrestiens, Dieu, par un amour tout special, vous a choisies pour estre ses cheres espouses..

  A006000617 

 C'est estre reliées à Dieu par la continuelle mortification de nous-mesmes, et ne vivre que pour Dieu, nostre propre cœur servant tousjours à sa divine Majesté, nos yeux, nostre langue, nos mains et tout le reste le servant continuellement.

  A006000617 

 C'est pourquoy vous voyez que la Religion vous fournit de moyens tous propres à cest effet, qui sont l'oraison, les lectures, silence, retraitte du propre cœur pour se reposer en Dieu seul, elancemens continuels à Nostre Seigneur.

  A006000617 

 Et parce que nous ne sçaurions arriver à cela que par une continuelle pratique de mortification de toutes nos passions, inclinations, humeurs et aversions, nous sommes obligés à veiller continuellement sur nous-mesmes [373] à fin de faire mourir tout cela.

  A006000617 

 Il faut sçavoir comment, et que c'est d'estre Religieuses.

  A006000617 

 Pesez bien le tout; le temps est encore long pour y penser, avant que vos voiles soyent teints en noir; car je vous declare, mes cheres filles, et je ne vous veux point flatter, quiconque desire vivre selon la nature, qu'il demeure au monde; et ceux qui sont determinés de vivre selon la grace, viennent en la Religion, laquelle n'est autre chose qu'une escole de l'abnegation et mortification de soy-mesme: c'est pourquoy vous voyez qu'elle vous fournit de plusieurs outils de mortification, tant interieurs qu'exterieurs..

  A006000617 

 Sçachez, mes cheres filles, que si le grain de froment tombant en terre ne meurt, il demeurera tout seul; mais s'il pourrit, il rapportera au centuple: la parole de Nostre Seigneur y est toute claire, sa tres-sainte bouche l'ayant elle-mesme prononcée.

  A006000618 

 Mais, mou Dieu! me direz-vous, ce n'est pas cela que je cherchois; je pensois qu'il suffisoit pour estre bonne Religieuse, d'avoir desir de bien faire l'oraison, avoir des visions et revelations, voir des Anges en forme d'homme, estre ravie en extase, aymer bien la lecture des bons livres.

  A006000618 

 N'estoit-ce pas estre bien humble de parler si doucement à ses compagnes des choses de devotion, raconter les sermons estant chez soy, traiter doucement avec ceux du logis, sur tout quand ils ne contredisoyent point? Certes, mes cheres filles, cela estoit bon pour le monde; mais la Religion veut que l'on fasse des œuvres dignes de sa vocation, c'est à dire, mourir à soy-mesme en toutes choses, tant à ce qui est bon à nostre gré [374] qu'aux choses mauvaises et mutiles.

  A006000618 

 Pensez-vous que ces bons Religieux du desert qui sont parvenus à une si grande union avec Dieu, y soyent arrivés en suivant leurs inclinations? Certes nenny; ils se sont mortifiés es choses les plus saintes, et bien qu'ils eussent grand goust à chanter les divins cantiques, à lire, prier et autres choses, ils ne le faisoyent point pour se contenter eux-mesmes.

  A006000619 

 Et comme il ne faut pas que le laboureur se fasche, puisqu'il ne merite pas d'estre blasmé pour n'avoir point recueilli une bonne prise, pourveu neantmoins qu'il ayt eu soin de cultiver bien la terre et de la bien ensemencer, de mesme le Religieux ne doit point se fascher s'il ne recueille pas si tost les fruicts de la perfection et des vertus, pourveu qu'il ayt une grande fidelité de bien cultiver la terre de son cœur, en retranchant ce qu'il apperçoit estre contraire à la [375] perfection à laquelle il s'est obligé de pretendre, puisque nous ne serons jamais parfaitement gueris que nous ne soyons en Paradis..

  A006000619 

 Il est bien vray, certes, que les ames religieuses reçoivent mille suavités et contentemens parmi les mortifications et les exercices de la sainte Religion, car c'est principalement à elles que le Saint Esprit départ ses pretieux dons.

  A006000619 

 L'office des Religieux doit estre de bien cultiver leur esprit, pour en déraciner toutes les mauvaises productions que nostre nature depravée fait bourjonner tous les jours, si bien qu'il semble qu'il y ayt tousjours à refaire.

  A006000619 

 Mais il faut avoir un courage invincible pour ne nous point lasser avec nous-mesmes, parce que nous aurons tousjours quelque chose à faire et à retrancher.

  A006000619 

 Partant, elles ne doivent rechercher que Dieu et la mortification de leurs humeurs, passions et inclinations en la sainte Religion, car si elles cherchent autre chose, elles n'y trouveront jamais la consolation qu'elles pretendent.

  A006000620 

 Je dis donc qu'il faut mourir à fin que Dieu vive en nous, car il est impossible d'acquerir l'union de nostre ame avec Dieu par un autre moyen que par la mortification.

  A006000620 

 Je vous asseure de la part de Dieu, que si vous estes fidelles à faire ce qu'elles vous enseignent, vous parviendrez sans doute au but que vous devez pretendre, qui est de vous unir à Dieu.

  A006000620 

 La Religion tolere bien que nous apportions nos mauvaises habitudes, passions et inclinations, mais non pas que nous vivions selon icelles.

  A006000620 

 Quand vostre Regle vous dit « que l'on demande les livres à l'heure assignée, » pensez-vous que ce soit pour l'ordinaire ceux qui vous contentent le plus que l'on vous donne? Nullement, ce n'est pas là l'intention de la Regle; et ainsi des autres exercices.

  A006000620 

 Remarquez que je dis faire, car l'on n'acquiert [376] pas la perfection en croisant les bras; il faut travailler à bon escient à se dompter soy-mesme, et vivre selon la raison, la Regle et l'obeissance, et non pas selon les inclinations que nous avons apportées du monde.

  A006000620 

 Vous devez sçavoir que nulle personne sage ne met point le vin nouveau dans un vieil vaisseau; la liqueur du divin amour ne peut entrer où le vieil Adam regne, il faut de necessité le destruire.

  A006000621 

 Bien-heureux serons-nous si un quart d'heure devant que mourir nous nous trouvons revestus de ceste robbe! Toute nostre vie sera bien employée si nous l'occupons à y coudre tantost une piece, tantost une autre; car ce saint habit ne se fait pas avec une piece seulement, il est requis qu'il y en ayt plusieurs.

  A006000621 

 Je vous en dis de mesme de la sainte humilité et douceur, fondement de ceste Congregation: Dieu nous les donnera infailliblement, pourveu que nous ayons bon cœur et fassions nostre possible pour les acquerir.

  A006000621 

 Vous estimez peut estre que la perfection se doit trouver toute faite, et qu'il ne faille faire autre chose que de la mettre sur nostre teste comme une autre robbe; nenny, mes cheres filles, nenny, il n'en va pas ainsi.

  A006000622 

 Faisons ainsi ce que nous pourrons, Dieu se contentera, et nos Superieurs aussi.

  A006000622 

 Je vous ay dit plusieurs fois que la Religion est une escole où l'on apprend sa leçon: le maistre ne requiert pas tousjours que les escoliers sçachent sans faillir leur leçon, il suffit qu'ils ayent attention de faire leur possible pour l'apprendre.

  A006000622 

 La Religion ne fait pas grand triomphe de façonner un esprit tout fait, une ame douce et tranquille en elle-mesme; mais elle estime grandement de reduire à la vertu les ames fortes en leurs inclinations, car ces ames-là, si elles sont fidelles, elles passeront les autres, acquerant par la pointe de l'esprit ce que les autres ont sans peine..

  A006000622 

 Vos passions parfois vous font teste, et pour cela vous direz: Je ne suis pas propre pour la Religion à cause que j'ay des passions; non, mes cheres filles, il n'en va pas ainsi.

  A006000622 

 Vous me dites, ma Mere, que nos Sœurs les Pretendantes sont de bonne volonté, mais que la force leur manque pour faire ce qu'elles voudroyent, et qu'elles ressentent leurs passions si fortes, qu'elles craignent bien de commencer à marcher.

  A006000623 

 Le monde se trompe en ceste pensée, Dieu ne rejette rien de ce où la malice ne se rencontre point; car dites-moy, je vous prie, que peut [378] mais une personne d'estre de telle ou telle temperature, sujette à telle ou telle passion? Le tout gist donc aux actes que nous en faisons par ce mouvement, lequel dépend de nostre volonté, le peche estant si volontaire que sans nostre consentement il n'y a point de peché.

  A006000623 

 On ne requiert pas de vous que vous n'ayez point de passions; il n'est pas en vostre pouvoir, et Dieu veut que vous les ressentiez jusques à la mort pour vostre plus grand merite; ni mesme qu'elles soyent peu fortes, car ce seroit dire qu'une ame mal habituée ne peut estre propre à servir Dieu.

  A006000623 

 Posez le cas que la colere me surprenne.

  A006000624 

 Ces deux jeunes ames que voicy, dont l'une passe un peu seize ans, l'autre n'en a que quinze, elles ont peu à tuer; aussi leur [379] esprit n'est pas quasi né: mais ces grandes ames qui ont experimenté plusieurs choses et ont gousté les douceurs du Paradis, c'est à elles à qui appartient de bien tuer et aneantir leurs passions..

  A006000624 

 Lors que Moyse descendit de la montagne d'où il venoit de parler à Dieu, il vid le peuple qui ayant fait un veau d'or, l'adoroit.

  A006000625 

 Pour celles que vous dites, ma Mere, qui ont de si grands desirs de leur perfection qu'elles veulent passer toutes les autres en vertu, elles font bien de consoler un peu leur amour propre; mais elles feront prou de suivre la Communauté en bien gardant leurs Regles, car c'est la droite voye pour arriver à Dieu.

  A006000625 

 Vous estes bien heureuses, mes cheres filles, au prix de nous autres dans le monde; lors que nous demandons le chemin, l'un dit: C'est à droite, l'autre: C'est à gauche, et en fin le plus souvent on nous trompe; mais vous autres, vous n'avez qu'à vous laisser porter.

  A006000625 

 Vous ressemblez à ceux qui cheminent sur mer; la barque les porte, et ils demeurent là dedans sans soin; en se reposant ils marchent, et n'ont que faire de s'enquerir s'ils sont bien en leur chemin.

  A006000626 

 Mais remarquez [380] que je vous dis: Marchez par l'observance ponctuelle et fidelle, car qui mesprisera sa voye sera tué, dit Salomon..

  A006000627 

 Elles ont raison de le dire et il est veritable; mais il est vray aussi que si cest attrait vient de Dieu, il les conduira à l'obeissance sans doute.

  A006000627 

 Mais prenez garde que s'il vous vient quelque goust interieur et caresse de Nostre Seigneur, de ne vous y attacher pas; c'est comme un peu d'anis confit que l'apothicaire met sur la potion amere du malade: il faut que le malade avale la medecine bien amere, pour sa santé, et bien qu'il prenne de la main de l'apothicaire ces grains sucrés, il faut par necessité qu'il ressente par apres les amertumes de la purgation..

  A006000627 

 Vous dites, ma Mere, que nos Soeurs disent: Cela est bon de marcher par les Regles, mais c'est la voye generale.

  A006000628 

 Tout nostre bon-heur consiste en la perseverance: je vous y exhorte, mes cheres filles, [381] de tout mon cœur, et prie sa Bonté qu'il vous comble de grace et de son divin amour en ce monde, et nous fasse tous jouïr en l'autre de sa gloire, A Dieu, mes cheres filles, je vous emporte toutes dans mon cœur; de me recommander à vos prieres ce seroit chose superflue, car je croy de vos pietés que vous n'y manquez point.

  A006000628 

 Vous voyez donc clairement quelle est la pretention que vous devez avoir pour estre dignes espouses de Nostre Seigneur, et pour vous rendre capables de l'espouser sur le mont de Calvaire.

  A006000632 

 Je luy dis que si j'estois Religieux, je pense que je ferois cecy: je ne demanderois point à communier plus souvent que la Communauté le fait; je ne demanderois point à porter la haire, le cilice, la ceinture, à faire des jeusnes extraordinaires, ni disciplines, ni aucune autre chose; je me contenterois de suivre en tout et par tout la Communauté.

  A006000632 

 Je veux peu de choses; [383] ce que je veux, je le veux fort peu; je n'ay presque point de desirs, mais si j'estois à renaistre je n'en aurois point du tout.

  A006000632 

 Ma Mere, je parlois un jour à une excellente Religieuse qui me demandoit si ayant desir de communier plus souvent que la Communauté on le peut demander à la Superieure.

  A006000632 

 Si j'estois debile et que l'on ne me fist manger qu'une fois le jour, je ne mangerois qu'une fois le jour, sans penser si je serais debile ou non.

  A006000633 

 Je dis donc qu'il ne faut rien demander ni rien refuser, mais se laisser entre les bras de la Providence divine, sans s'amuser à aucun desir, sinon à vouloir ce que Dieu veut de nous.

  A006000633 

 Saint Paul pratiqua excellemment cest abandonnement au mesme instant de sa conversion; quand Nostre Seigneur l'eut aveuglé, il dit tout incontinent: Seigneur, que vous plaist-il que je fasse? et dés lors il demeura dans l'absolue dépendance de ce que Dieu ordonneroit de luy.

  A006000634 

 Vous me dites, s'il ne faut pas desirer les vertus, et que Nostre Seigneur a dit: Demandez, et il vous sera donné.

  A006000635 

 Il est tousjours meilleur de ne rien desirer, mais se tenir preste pour recevoir celles que l'obeissance nous imposera; et fussent-elles honnorables ou abjectes, je les prendrois et recevrois humblement sans en dire un seul mot, sinon que l'on m'interrogeast, et lors je respondrois simplement la verité comme je la penserais..

  A006000635 

 Mais pour l'employ exterieur, ne pourroit-on pas, dites-vous, desirer les charges basses parce qu'elles sont plus penibles et qu'il y a plus à faire et à s'humilier pour Dieu? Ma fille, David disoit qu'il aymoit mieux estre abject en la maison du Seigneur, que d'estre grand parmi les pecheurs; et: Il est bon, Seigneur, dit-il, que vous m'ayez humilié, à fin d'apprendre vos justifications. Or neantmoins, ce desir est fort suspect et peut estre une cogitation humaine.

  A006000635 

 Que si bien maintenant vous vous sentez la force de souffrir la mortification et l'humiliation, que sçavez-vous si vous l'aurez tousjours? Bref, il faut tenir le desir des charges, quelles qu'elles soyent, basses ou honnorables, pour tentation.

  A006000635 

 Que sçavez-vous si ayant desiré les charges basses, vous aurez la force d'agreer les abjections qui s'y rencontrent? il vous y pourra venir beaucoup de desgousts et d'amertumes.

  A006000636 

 Ceste bonne femme, estant dans le lict avec une grosse fievre, pratiqua plusieurs vertus; mais celle que j'admire le plus est ceste grande remise qu'elle fit d'elle-mesme à la providence de Dieu et au soin de ses superieurs, demeurant en sa fievre, tranquille, paisible et sans aucune inquietude, ni sans en donner à ceux qui estoyent aupres d'elle.

  A006000636 

 Heureux seront les Religieux et Religieuses qui feront ceste grande et absolue remise entre les mains de leurs Superieurs, lesquels, par le motif de la charité, les serviront et pourvoiront soigneusement à tous leurs besoins et necessités, car la charité est plus forte et presse de plus pres que la nature..

  A006000636 

 O Dieu, qu'elle estoit heureuse, ceste bonne femme! Certes, elle meritoit bien que l'on prinst soin d'elle, comme firent aussi les Apostres qui pourveurent à sa guerison sans en estre sollicités par elle, ains par la charité et commiseration de ce qu'elle souffroit.

  A006000636 

 Or, ceste grande remise que nostre malade fait d'elle-mesme entre les mains de ses superieurs, fait qu'elle ne s'inquiete point, ni ne se met en soucy de sa santé ni de sa guerison: elle se contente de souffrir son [385] mal avec douceur et patience.

  A006000637 

 Ceste chere malade sçavoit bien que Nostre Seigneur estoit en Capharnaum, qu'il guerissoit les malades; cependant elle ne s'inquietoit point ni ne se mettoit en peine pour luy envoyer dire ce qu'elle souffroit.

  A006000637 

 Elle voit Nostre Seigneur dans sa maison, comme souverain Medecin, mais elle ne le regarde pas comme tel, si peu elle pensoit à sa guerison; ains elle le consideroit comme son Dieu, à qui elle appartenoit tant saine que malade, estant aussi contente malade que possedant une pleine santé.

  A006000637 

 Nostre febricitante ne fait aucun cas de sa maladie, elle ne s'attendrit point à la raconter, elle la souffre sans se soucier que l'on la plaigne ni que l'on procure sa guerison; elle se contente que Dieu la sçache, et ses Superieurs qui la gouvernent.

  A006000637 

 O combien plusieurs eussent usé de finesses pour estre gueris de Nostre Seigneur, et eussent dit qu'ils demandoyent la santé pour le mieux servir, craignant que quelque chose ne luy manquast! Mais ceste bonne femme ne pensoit rien moins que cela, faisant voir sa resignation en ce qu'elle ne demanda point sa [386] guerison.

  A006000637 

 Or, ceste inquietude d'esprit que l'on a emmi les souffrances et maladies (à laquelle sont sujets non seulement les personnes du monde, mais aussi bien souvent les Religieux), part de l'amour propre et desreglé de soy-mesme.

  A006000638 

 En quoy certes elle tesmoigna une grande vertu et le profit qu'elle avoit fait de sa maladie, de laquelle estant quitte, elle ne veut user de sa santé que pour le service de Nostre Seigneur, s'y employant au mesme instant qu'elle l'eut recouvrée.

  A006000638 

 Il ne suffit pas d'estre malade et d'avoir des afflictions puisque Dieu le veut; mais il le faut estre comme il le veut, quand il le veut, autant de temps qu'il veut et en la façon qu'il luy plaist que nous le soyons, ne faisant aucun choix ni rebut de quelque mal ou affliction que ce soit, tant abjecte ou deshonnorable nous puisse-t'elle sembler; car le mal et l'affliction sans abjection enfle bien souvent le cœur au lieu de l'humilier.

  A006000638 

 Mais quand on a du mal sans honneur, ou que le deshonneur mesme, l'avilissement et l'abjection sont nostre mal, que d'occasions d'exercer la patience, l'humilité, la modestie et la douceur d'esprit et de cœur! Ayons donc un grand soin, comme ceste bonne femme, de tenir nostre cœur en douceur, faisant profit comme elle de nos maladies; car elle se leva si tost que Nostre Seigneur eut chassé la fievre, et le servit à table.

  A006000639 

 Chose estrange! il n'ignoroit pas que c'estoit un breuvage qui augmentoit sa peine; neantmoins il le prit tout simplement, sans rendre tesmoignage que cela le faschoit ou [387] qu'il ne l'eust pas trouvé bon; pour nous apprendre avec quelle sousmission nous devons prendre les remedes et viandes présentées, quand nous sommes malades, sans rendre tant de tesmoignages que nous en sommes dégoustés et ennuyés, voire mesme quand nous serions en doute que cela accroistroit nostre mal.

  A006000639 

 En fin, c'est grande compassion combien nous sommes peu imitateurs de la patience de nostre Sauveur, lequel s'oublioit de ses douleurs et ne taschoit point de les faire remarquer par les hommes, se contentant que son Pere celeste, par l'obeissance duquel il les souffroit, les considerast, et appaisast son courroux envers la nature humaine pour laquelle il patissoit..

  A006000639 

 Helas! si nous avons tant soit peu d'incommodité nous faisons tout au contraire de ce que nostre doux Maistre nous a enseigné, car nous ne cessons de nous lamenter, et ne trouvons pas assez de personnes, ce semble, pour nous plaindre et raconter nos douleurs par le menu.

  A006000639 

 Nostre mal, quel qu'il soit, est incomparable, et celuy que les autres souffrent n'est rien au prix; nous sommes plus chagrins et impatiens qu'il ne se peut dire; nous ne trouvons rien qui aille comme il faut pour nous contenter.

  A006000640 

 Ainsi, nous ne devons rien desirer ni rien refuser, ains souffrir et recevoir esgalement tout ce que la providence de Dieu permettra nous arriver.

  A006000640 

 Dites-vous ce que je desire qui vous demeure le plus engravé dans l'esprit, à fin de le mettre en pratique? Hé! que vous diray-je, mes tres-cheres filles, sinon ces deux cheres paroles que je vous ay desja tant recommandées: Ne desirez rien, ne refusez rien? En ces deux [388] mots je dis tout, car ce document comprend la pratique de la parfaite indifference.

  A006000640 

 Voyez le pauvre petit Jesus en la creche: il reçoit la pauvreté, nudité, la compagnie des animaux, toutes les injures du temps, le froid et tout ce que son Pere permet luy arriver.

  A006000649 

 Nous soubsignez Docteurs en la sacrée Faculté de Theologie à Paris; certifions avoir leu diligemment les v de feu Messire FRANÇOIS DE SALES d'heureuse memoire, Evesque et Prince de Geneve, par luy faicts de vive voix, aux Religieuses de l'Ordre de la Visitation de saincte Marie, pour leur instruction, et direction, et par icelles Religieuses colligez, et redigez par escrit pour leur usage; lesquels ressentent son homme d'Oraison, et parfaitement interieur, et sont conformes aux Regles et maximes de l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine: Et d'iceux on peut tirer tres-utilement la parabole de ce que toute sorte de personnes, tant Regulieres que Seculieres, doivent pratiquer pour bien employer les graces de nostre Dieu, devenir grandes en vertu, redresser les inclinations de la nature, et porter courageusement le joug de nostre Seigneur.

  A006000667 

 Et d'autant que depuis le sieur EVESQUE DE GENEVE, Frere dudit deffunct, et les Superieures dudit Ordre de la Visitation nostre Dame, Nous ont fait entendre le contraire; et que tel livre supposé faict prejudice à la Religion, et à la memoire du defïunct, dont nous devons avoir un soing particulier.

  A006000667 

 Nous vous mandons, et par ces presentes, signees de nostre main, enjoignons que vous ayez à faire saisir et arrester tous les Exemplaires dudit livre, en quelque part qu'ils seront trouvez, et que vous contraigniez et fassiez contraindre tous ceux qui s'en trouveront saisis, de les vous delivrer, par toutes voyes dettes et raisonnables, pour estre lesdits Exemplaires supprimez, faisant faire, comme nous faisons par ces dictes presentes, tres-expresses deffences à tous Libraires et Imprimeurs, de reimprimer ledict livre, nonobstant ledict Privilege. et permission, que nous avons revoqué, revoquons, et à peine de confiscation des exemplaires, de cinq cens livres d'amande et autre plus grande peine s'il y eschet; nonobstant oppositions, ou Appellations quelconques, pour lesquelles ne sera differé, et dont si aucunes interviennent, Nous avons reservé et reservons la cognoissance, à Nous et à nostre Conseil, et icelle interditte à tous autres Juges.

  A006000667 

 Sur ce qui nous a esté remonstré: Que depuis quelque temps, il a esté mis en lumiere un livre intitulé, Entretiens et Colloques spirituels, de defunct FRANÇOIS DE SALES, Evesque et Prince de Geneve, Fondateur des Religieuses de la Visitation Saincte Marie; imprimé avec Privilege obtenu de Nous, comme ayant ledit livre esté tiré au vray de l'Original de l'Autheur.

  A006000681 

 A ces causes, apres qu'il nous est apparu, par l'acte d'Approbation des Docteurs en Theologie, cy attaché soubs le contre-seel de nostre Chancellerie, qu'il n'y a rien audict Livre de contraire à la Religion Catholique, Apostolique et Romaine; Avons au susdict Exposant permis et octroyé, permettons et octroyons par ces presentes de faire imprimer en nostre Royaume ledict Livre, sans qu'aucuns autres Imprimeurs que celuy qui sera par luy nommé, puissent imprimer, vendre, ny distribuer ledict Livre, durant le temps de six ans; Faisant pareillement defence à tous Imprimeurs, d'imprimer à l'advenir aucunes des Œuvres dudict feu sieur Evesque, cy devant imprimées, et à imprimer, sans l'expies consentement dudict Exposant, sur peine d'amende arbitraire, confiscations desdicts Livres, et de tous despens, dommages, et interests.

  A006000681 

 Mais craignant que d'autres Imprimeurs que celuy qu'il a choisy pour cest effect, vueillent imprimer, ou exposer en vente lesdicts Entretiens Spirituels, comme il a esté cy devant faict, au prejudice de la verité, et de la memoire de leur Autheur: Il nous a supplié, et requis luy octroyer nos lettres sur ce necessaires.

  A006000681 

 Nostre amé et feal Conseiller en nos Conseils, le sieur JEAN FRANÇOIS DE SALES Evesque et Prince de Geneve, Nous a fait remonstrer: Que le feu sieur Evesque de Geneve son frere, desireux de l'avancement en la vertu des Religieuses de l'Ordre de la Visitation de nostre Dame, par luy fondées, et establies en ce Royaume, avoit souvent eu avec elles plusieurs Entretiens des choses spirituelles, tendant à leur instruction et edification, lesquels ayans esté jugés par lesdictes Religieuses, non seulement utiles poulies ames retirees du monde; mais aussi pour toutes sortes de conditions: Elles eurent soing de les recueillir diligemment, pour les faire quelque jour imprimer, et donner au public; et à ceste fin les auroyent à present mis és mains dudit Exposant.

  A006000695 

 A quelles fins, et en conformité dudit pouvoir et Privilege, donné comme dict est par le Roy à mondict Seigneur le Reverendissime Evesque, il a transporté, comme il cede, et transporte purement au sieur Vincent de Cœursilly Libraire de la ville de Lyon, absent, moy Notaire pour luy stipulant; à sçavoir le mesme Privilege, et pouvoir d'imprimer, ou faire imprimer Les vrays Entretiens du bien heureux FRANÇOIS DE SALES Evesque et Prince de Geneve, son Frere et predecesseur, et de directement y proceder tout ainsi, et à la mesme forme que feroit mondit Seigneur, si present y estoit, sans permettre aucun abus; ains que le tout soit faict vrayement, et nettement, le mettant en son vray lieu et place, en conformité dudit Privilege: le faisant et constituant en cest endroit son vray Procureur special, et irrevocable, pour faire les informations requises et necessaires, avec eslection de domicile, informer, soubs et avec toutes provisions, sermens, obligations, renonciations, et clauses requises.

  A006000698 

 Nous Michel Favre, Official deputé en l'Evesché de Geneve, certifions à tous qu'il appartiendra, que maistre Claude Decrouz, Notaire, bourgeois d'Annessy, qui a receu et stipulé l'acte de transport, et remission de Privilege sus escrit, est Notaire Ducal en Genevois, et qu'aux Actes, et Contrats par luy receus, et stipulez, foy y est adjoustée en jugement, et dehors, vivant ledit Notaire en bonne fame, vie, et reputation, ainsi que tout notoire.

  A006000730 

 Et qu'y ferois-je, ma fille? pas si bien que vous sans doute, car je ne [397] vaux rien; mais il me semble qu'avec la grace de Dieu, je me tiendrois si attentif à la pratique des petites et menues observances qui sont introduites ceans, que par ce moyen je tascherois de gaigner le cœur de Dieu.

  A006000730 

 Je fermetois et ouvrirois les portes bien doucement parce que nostre Mere le veut, et nous voulons bien faire tout ce qu'elle veut que l'on fasse.

  A006000730 

 Je parlerois bien doucement, et y ferois une attention particuliere parce que la Constitution l'ordonne.

  A006000730 

 Que dites-vous, ma chere fille Claude Simplicienne? que vous voulez tenir ma place ceans et faire ce que j'y ferois si j'y estois.

  A006000731 

 O il me semble que je l'aymerois bien de tout mon cœur, ce bon Dieu, et qu'à cela j'appliquerais tout mon esprit, et à bien observer les Regles et Constitutions.

  A006000731 

 O ma chere fille Simplicienne, il le faut bien faire le mieux que nous pourrons: [398] n'est-il pas vray que nous nous sommes faites Religieuses pour cela nous deux? Je suis certes bien aise qu'il y ayt une Sœur ceans qui veuille tenir ma place et estre Religieuse pour moy, mais j'ayme bien que ce soit ma Sœur Claude Simplicienne, car je l'ayme bien ma Sœur Claude Simplicienne..

  A006000731 

 Si l'on m'employoit à quelque chose ou que l'on me donnast une charge, je l'aymerois bien et tascherois de faire tout à propos; si l'on ne m'employoit en rien et que l'on me laissast là, je ne me meslerois de chose quelconque que de bien faire l'obeissance et bien aymer Nostre Seigneur.

  A006000732 

 Mais il ne nous faut pas estonner de nos fautes, car que pouvons-nous sans l'ayde de ce bon Dieu? rien du tout.

  A006000732 

 Or sus, faisons donc le mieux que nous pourrons; rien ne nous doit empescher de bien faire tout ce qui est marqué dans nos Constitutions, car nous le pouvons avec la grace de Nostre Seigneur.

  A006000732 

 Voulez-vous que je vous die encore, ma tres-chere fille? Il m'est advis que je serois bien joyeux, et que je ne m'empresserais jamais; cela, Dieu mercy, je le fais desja, car jamais je ne m'empresse, mais je le ferois encore mieux..

  A006000733 

 Et qu'avons-nous [399] en ce monde autre chose à faire que cela? Rien du tout, nous sçavons tout ce qui est requis que nous sçachions pour cela, et à ceste heure il nous faut quitter nous-mesmes.

  A006000733 

 Je me tiendrais bien bas et petit, je m'humilierois et ferois les pratiques selon les rencontres; et si je ne m'estois pas humilié, je m'humilierois au moins de ce que je ne me serois pas humilié.

  A006000734 

 Mais sçavez-vous encore, ma chere fille Simplicienne? j'espere que je laisserois bien faire de moy tout ce que l'on voudrait, et lirais souvent les chapitres De l'Humilité et De la Modestie, de nos Constitutions.

  A006000738 

 Et que c'est que je ferois? Je n'en sçay rien: qu'en peux-je sçavoir? Je ne ferois pas si bien que vous, car je suis un poltron, je ne vaux rien moy; [397] mais il m'est advis qu'avec la grace de Dieu, je me rendrois si attentif à la pratique des vertus et menues observances qui sont introduites là dedans, que par ce moyen je tascherois de gaigner le cœur de Nostre Seigneur.

  A006000738 

 J'ouvrirois et fermerois les portes bien doucement parce que nostre Mere l'a ainsi ordonné; car nous voulons bien faire tout ce que nous sçavons qu'elle veut que l'on fasse.

  A006000738 

 Je parlerois bien doucement et bas tousjours; j'y ferois attention particuliere parce que les Constitutions l'ordonnent.

  A006000738 

 O de cela il m'est advis que je le ferois.

  A006000738 

 Vous dites que vous feriez ce que je ferois si j'estois là dedans, ma chere fille.

  A006000739 

 Il m'est advis que si je m'estois donné une bonne fois à Nostre Seigneur en ceste sorte, comme on fait lors qu'on fait Profession, que je luy laisserais bien tout le soin de moy-mesme et de tout ce qui me regarde; je le laisserois faire de moy tout ce que l'on voudroit, au moins ce me semble.

  A006000739 

 O cela il nous le faut bien faire le [398] mieux que nous pourrons, car à ceste heure, nous deux nous nous faisons Religieux pour cela: n'est-il pas bien vray? Je suis bien aise qu'il y ayt une Sœur Claude Simplicienne, car je l'ayme de tout mon cœur ma Sœur Claude Simplicienne.

  A006000739 

 Si on m'employoit à quelque chose, ou que l'on me donnast une charge, je l'aymerois bien et tascherois de bien faire tout ce à quoy je serais employé; et si on ne m'en donnoit point, qu'on me laissast là, à ceste heure je ne [me] meslerois de rien que de bien faire l'obeissance et bien aymer Nostre Seigneur; il m'est advis que je l'aymerois bien de tout mon cœur.

  A006000739 

 Voulons-[nous] pas bien faire nous deux? Taschons de faire du mieux que nous pourrons..

  A006000740 

 Il m'est advis que si j'estois là dedans je serois bien joyeux; je serois si content d'avoir tous mes exercices marqués! Mais je ne m'empresserois jamais, ô non; cela je le ferois encore bien, ce me semble, car dés à ceste heure je ne m'empresse jamais, je fais desja cela..

  A006000740 

 Pour bien faire, entreprenons de bien mortifier nos humeurs et inclinations un peu bien à la bonne foy et tout de bon, car nous n'avons rien autre qui nous puisse empescher de bien faire que cela.

  A006000741 

 A ceste heure nous n'avons rien à faire que ce qui est escrit pour nous.

  A006000741 

 C'est bien peu ce que nous laissons au monde, mais puisque c'est tout ce que nous pouvions avoir, c'est tout quitter.

  A006000741 

 Et tousjours je tascherois le mieux que je pourrois de faire toutes mes actions en la presence de Dieu, avec le plus d'humilité et d'amour qu'il me seroit possible, car on apprend ceans à faire ainsi, n'est-il pas vray? Et qu'avons-nous à faire nous autres que cela? [399] rien du tout.

  A006000741 

 Il m'est advis que je me tiendrois bien bas et petit au prix des autres.

  A006000741 

 Je m'humilierois en faisant les pratiques de vertu et d'humilité mesmes, selon les rencontres; et si je ne sçavois pas m'humilier, je m'humilierois encore de ce que je ne sçaurois pas m'humilier.

  A006000741 

 Si nous avons bien eu le courage de quitter ce que nous avions au monde, il en faut bien plus avoir pour nous quitter nous-mesmes.

  A006000748 

 Le premier degré de l'humilité c'est la cognoissance de soy-mesme, c'est à dire lors que par le tesmoignage de nostre propre conscience et par la lumiere que Dieu respand dans nostre esprit, nous cognoissons que nous ne sommes rien que pauvreté, que misere et abjection.

  A006000749 

 La recognoissance donques c'est de dire et publier quand il en est besoin, ce que nous cognoissons de nous; mais cela s'entend de le dire avec un vray sentiment de nostre neant, car il s'en trouve une infinité qui ne font autre chose que s'humilier en paroles.

  A006000749 

 O Jesus, vous respondront-ils, excusez-moy, je ne vaux rien et ne suis que la misere mesme et imperfection; mais ce pendant ils sont extremement ayses de s'entendre louer, et encor plus si vous le croyez comme vous le dites.

  A006000749 

 Parlez à une femme la plus vaine du monde, à un courtisan de mesme humeur, dites-leur voir: Mon Dieu, que vous estes braves, que vous avez de merite! je ne vois rien qui approche de vostre perfection.

  A006000749 

 Voila donc comme ces termes d'humilité ne sont que sur le bout des levres et ne partent nullement de l'intime du cœur; car si vous les preniez au mot sur leurs fausses humiliations ils s'en offenceroyent, et voudroyent que tout sur le champ on leur fist reparation d'honneur.

  A006000750 

 Le troisiesme degré est d'avouer et confesser nostre vileté et abjection quand les autres la descouvrent: car souventesfois nous disons bien nous-mesmes, voire avec sentiment, que nous sommes pervers et miserables, mais nous ne voudrions pas qu'un autre nous devançast en ceste declaration; et si l'on le fait, non seulement nous n'y prenons pas plaisir, mais de plus nous nous en piquons, qui est une vraye marque que nostre humilité n'est pas parfaite ni de la fine.

  A006000751 

 Puisque nous avouons que nous ne sommes rien, il faut estre bien ayses que l'on le croye, que l'on le die et que l'on nous traitte comme vils et miserables..

  A006000761 

 Je mediteray comme la colombe et mes yeux seront fatigués en contemplant le ciel, parce que la colombe mangeant les grains qu'elle amasse, elle esleve souvent ses yeux au ciel: c'est pourquoy les yeux de l'Espouse sont comparés aux yeux de la colombe, pour signifier que les espouses de Jesus Christ, meditant, mangeant et travaillant, doivent souvent eslever les yeux au Ciel où est leur Bien-Aymé..

  A006000762 

 Il luy fut respondu qu'elle recognust ce qu'elle estoit, parce que si elle ne se recognoissoit, il ne demeureroit pas avec elle..

  A006000763 

 A mesure que l'on s'abaisse par humilité, à mesure l'on croist en vertu, et non plus.

  A006000763 

 La rose represente l'amour et charité; elle a ses feuilles incarnates, toutes faites en façon de cœurs: telles doivent estre toutes les actions des espouses de Jesus Christ, ayant autant de cœurs que de feuilles et autant de feuilles que de cœurs; c'est à dire des cœurs pleins d'amour; et de feuilles, pour le peu d'estime qu'elles doivent avoir de tout ce qu'elles font.

  A006000764 

 Bien-heureuse sera l'ame qui pourra dire en verité à l'heure de la mort, à l'imitation de Nostre Seigneur: Tout est consommé, j'ay fait tout ce que j'ay peu pour m'avancer au service de Dieu..

  A006000765 

 Il faut garder nos cœurs purs et nets comme un temple sacré auquel Dieu fait sa residence, et avoir tous les jours et à toutes heures la serpe à la main pour couper et retrancher les inutilités qui naissent à l'entour de nos cœurs, qui sont comme la terre qui a tousjours besoin d'estre sarclée et emondée; et faut estre resolu de plustost mourir mille fois que d'offenser Dieu à son escient.

  A006000765 

 Il ne faut pas desirer d'estre delivré de ses imperfections, sinon parce qu'elles desplaisent à Dieu; car il est bon, pour nous tenir en humilité et resignation, que sa volonté soit faite ou nous les ostant ou nous les laissant, pourveu qu'il soit glorifié en icelles..

  A006000766 

 Dieu ne differe jamais sa misericorde lors que la confiance et diligence y operent; et il faut, pour obeir parfaitement, avoir mortifié son propre jugement..

  A006000766 

 Il ne se faut pas humilier pour estreexalté, mais il se faut humilier parce que Dieu s'est humilié.

  A006000766 

 L'on n'est en Religion que pour conserver en nous l'image et semblance de Dieu sans intermission, et le moyen de le faire, c'est d'estre continuellement en sa presence et former toutes nos actions au modele des siennes.

  A006000766 

 Les ames bien-heureuses qui sont au Ciel ne se resjouïssent rien tant que de parler de la Mort et Passion de Nostre Seigneur, par laquelle elles ont acquis la gloire qu'elles possedent.

  A006000767 

 La fin pour laquelle nous faisons l'oraison ne doit estre que pour nous unir à Dieu.

  A006000769 

 Quand nous faisons des fautes il ne s'en faut point descourager, car cela ne provient que de l'amour propre; au contraire, nos imperfections nous doivent servir d'eschelle pour monter au Ciel.

  A006000770 

 La femme vertueuse est d'autant plus excellente dans sa vertu, que son sexe semble estre fresle et fragile..

  A006000772 

 C'est une des plus grandes graces que nous puissions recevoir de Nostre Seigneur que la cognoissance de ce que nous sommes, par quelque voye que ce soit..

  A006000773 

 La meilleure preparation que nous pouvons faire pour bien celebrer les festes, c'est de bien faire ce que nous faisons..

  A006000775 

 Ce n'est pas humilité de se recognoistre miserable, c'est seulement n'estre pas beste; mais c'est humilité de vouloir et desirer que l'on nous tienne et que l'on nous traitte pour tels..

  A006000777 

 Apres que Nostre Seigneur se fut transfiguré, les disciples ne virent plus que luy: en tout ce que nous faisons nous ne devons rien voir que Nostre Seigneur..

  A006000777 

 Il est meilleur pour nous d'estre sur le mont de Calvaire avec Nostre Seigneur crucifié, que sur celuy de Thabor où il fut transfiguré.

  A006000778 

 Quand nous sommes en la presence de Dieu nous devons avoir deux attentions: l'une à luy, et l'autre à ce que nous faisons..

  A006000779 

 Aussi saint Paul disoit: Encor que ma conscience ne me remorde de rien, si ne suis-je pas pourtant juste; [404] et Job disoit: Si je suis simple et juste, mon ame ne le peut sçavoir.

  A006000779 

 David reconneut son peché par celuy que luy proposa le Prophete Nathan sous le nom d'autruy.

  A006000779 

 Il faut tascher de faire de bons et fervens actes, car un de ceux-là vaut mieux que dix des autres.

  A006000779 

 Il n'y a rien, dit saint Bernard, qui ayt tant d'efficace pour meriter, retenir et conserver la grace de Dieu que d'estre trouvé devant luy en tout temps humble et craintif.

  A006000779 

 Il ne faut jamais penser qu'on aye bien fait une action, encor que nous l'ayons faite avec toute la perfection qu'il nous a esté possible, parce que nous ne sçavons pas ce qu'elle est devant Dieu; la propre volonté ne vaut rien devant luy.

  A006000779 

 Il ne faut pas pourtant vouloir aller par une autre voye que celle qu'il plaist à Dieu nous conduire, soit à pied, soit en barque; mais il faut avoir ceste resolution de se monstrer fidelle aux occasions, car nous sommes des geans à pecher et des nains à bien faire.

  A006000780 

 Les mortifications qui ne sont point apprestées à la sauce de nostre propre volonté sont les meilleures et plus excellentes, et aussi celles que l'on rencontre par les rues sans y penser et que l'on ne cherche pas, et celles qui nous sont journalieres quoy que petites..

  A006000782 

 La parole de Dieu est une charge; les predicateurs en sont chargés avant que de l'avoir annoncée, et les auditeurs en demeurent, chargés apres qu'ils l'ont ouÿe..

  A006000784 

 Nostre Seigneur est si amoureux de l'humilité qu'il met au hazard que nous perdions toutes les autres vertus pour conserver celle-cy..

  A006000787 

 Il faut tousjours que les Filles de la Visitation se tiennent pour novices, recevant avec humilité d'un chacun les advis qui font arriver le plus tost à la perfection.

  A006000787 

 Nos resolutions ne sont que des avortons, si nous ne venons aux effects.

  A006000789 

 La cause pourquoy nous ne faisons pas nostre profit de l'usage frequent des Sacremens c'est parce que nous n'y portons pas un esprit vuide et despouillé, et qu'apres les avoir receus nous nous retournons endormir en nos miseres..

  A006000790 

 Il nous faut bien recognoistre nostre neant, mais il n'y faut pas demeurer, car nous ne nous aneantissons que pour nous unir à nostre tout qui est Dieu.

  A006000791 

 Il faut aller à l'Office divin avec un cœur angelique et divin, puisque nous faisons ça bas ce que les Anges font au Ciel.

  A006000792 

 La vraye simplicité consiste à tenir sa memoire, son entendement et sa volonté vuides de toute chose, fors que de Dieu..

  A006000793 

 Il faut pour acquerir les vertus vrayes et solides, ne regarder que Nostre Seigneur en tout ce que nous faisons..

  A006000794 

 Ceux-là sont tiedes qui vont lentement au service de Dieu et comme par coustume, disant: Allons tousjours; pourveu que nous arrivions une fois à la perfection, ce sera assez.

  A006000794 

 Il n'y a rien que Dieu ayt tant à contre-cœur que la negligence, c'est pourquoy il dit qu'il vomira les tiedes.

  A006000800 

 Les Filles de la Visitation doivent estre fort fermes en la foy, humbles dans la conversation, honnestes de paroles, justes és jugemens sur les deportemens du prochain, equitables és actions, [406] misericordieuses és œuvres, reglées és mœurs, patientes et courageuses és tribulations, maladies et infirmités, souples à tous les desseins et volontés de Dieu en toutes choses, douces et condescendantes au prochain, zelées pour la gloire de Dieu, ne cherchant qu'à luy plaire, unies inseparablement à son amour par une fidelité inviolable à ne s'attacher qu'à luy seul, à se tenir en sa presence, à le preferer à tout par un amour de surestime: c'est là l'esprit de vostre Congregation, mes cheres filles, et l'heritage que je vous laisse en vous disant le dernier adieu, avec ce souhait que vous soyez à jamais unies..

  A006000809 

 La premiere fois qu'il arriva il nous entretint environ une heure et demie de la tranquillité d'esprit, avec ressentiment de devotion, et nous dit plusieurs fois qu'il ne falloit jamais se mettre en peine de rien, ni perdre la paix du cœur pour chose qui nous peust arriver; que pour luy il choisiroit plustost d'estre logé au coin d'une chambre, avec repos, que d'estre dans la Cour parmi le tracas des honneurs et richesses; et pour cela il tesmoigna de desirer d'estre logé dans la chambre de Monsieur Brun, nostre confesseur.

  A006000809 

 Nous luy dismes plusieurs fois qu'il en recevrait beaucoup d'incommodités; il dit tousjours que non, et qu'il serait mieux qu'il ne meritoit, et de plus, qu'il serait proche de ses cheres filles.

  A006000809 

 » Et nous [407] dit avec une façon si pleine d'humilité et de douceur: « Je voy bien que vous avez envie de vous defaire de moy; mais, je vous prie, permettez que je loge là, et ne vous mettez nullement en peine que je ne sois pas bien; car en verité je couche à Neci dans une chambre qui est dix fois plus froide que celle-là.

  A006000810 

 De mille larmes que l'on jette en ces occasions-là, il y en a bien peu de veritables, et cela se fait fort souvent par imitation; en fin cela sent la fille.

  A006000810 

 Il est tres vray que ces pleurs et larmes sont fort suspectes.

  A006000810 

 Il faut avoir un amour solide qui ne depende point de ces tendretés; le vray amour ayme autant loin que pres, et ne s'attache pas à ce qui est d'humain; en fin la grace ne produit point tout cela.

  A006000810 

 Les filles sont grandement sujettes à telles imperfections, sur tout quand elles recognoissent que les Superieures sont tendres et qu'elles prennent plaisir qu'on leur tesmoigne ces petites affections.

  A006000810 

 Que les filles regardent leurs Superieures, tandis qu'elles les ont, comme tenant la place de Dieu, sans s'amuser à tant d'inclinations humaines qui ne sont rien moins que la vraye vertu.

  A006000810 

 Si bien il est dit que sainte Therese pleuroit beaucoup à la mort de quelque serviteur de Dieu, elle ne doit pas estre imitée en cela, car il faut seulement imiter les vertus des Saints.

  A006000810 

 « Je le veux bien, » dit-il, « mais il faut attendre que nostre Mere y soit.» Il s'estendit fort à parler du desnuement qu'il faut avoir en ces changemens-là: « Bien des larmes, » dit-il, « qui se jettent en ce temps-là, ne proviennent que d'amour propre, de flatterie et de la crainte que l'on a qu'on ne pense que l'on n'est pas de bon naturel et que l'on n'ayme pas assez; et tout cela ne sont que des petites dissimulations, où il y peut avoir du mensonge aussi bien qu'en nos paroles.

  A006000811 

 Il respondit avec une fermeté d'esprit extraordinaire: « Ma fille, ceste pensée ne fut jamais qu'humaine; j'ay passé deux jours et deux nuits à y penser, parce que nostre Mere m'avoit escrit qu'on luy en avoit parlé, mais je ne vois aucune apparence à cela.

  A006000811 

 Nous luy demandasmes s'il n'avoit point quelque pretention à fin que l'esprit de douceur et de simplicité qui se pratique parmi nous y fust conservé et qu'il y eust quelque liaison entre nos maisons; que plusieurs personnes avoyent pensé qu'une Generale serviroit grandement à cela.

  A006000811 

 Nous sçavons qu'il a traitté de ceste affaire avec les Reverends Peres Jesuites, qui ont esté de mesme sentiment; de quoy il tesmoigna d'estre fort ayse, disant que les affaires de Dieu se font tousjours avec difficulté.

  A006000811 

 Tout depend de la fidelité que l'on a de s'unir à Dieu par la fidelité à l'observance des Regles et Constitutions; et on a beau rechercher des moyens, rien ne maintiendra la compagnie que la fidelité d'une chacune à garder ses Regles.

  A006000811 

 » Et il dit encore qu'il n'avoit rien à desirer, sinon que Dieu donnast à nos Monasteres l'esprit d'union et [409] d'humilité.

  A006000812 

 Il me tesmoigna d'en estre fasché, et me dit: « Mon Dieu, ma fille, n'ayez point ces desirs; il y a peu de personnes qui sçachent trouver la veine de la vraye pauvreté, laquelle consiste à ne rien desirer, mais se contenter de ce peu que Dieu veut que nous ayons.

  A006000812 

 Nous luy demandasmes comme il se falloit comporter pour les affaires temporelles, veu que tout le monde nous portoit à nous y affectionner et attacher; et que si nous voulions nous en desprendre, tous nous contrarioyent en cela, et que l'on me mettoit au devant les monasteres bien bastis et rentés, que le nostre ne l'estoit pas.

  A006000812 

 Que nos Sœurs seroyent bien heureuses si elles estoyent pauvres et avoyent besoin de quelque chose..

  A006000812 

 « Il est vray, ma fille, que le monde craint la pauvreté; mais que faire à cela? Il faut tesmoigner simplement que nous ne voulons point nous y attacher, ni perdre la tranquillité de l'esprit pour les biens de ce monde.

  A006000812 

 » A ce propos on luy dit que le logis de nostre Prince Cardinal avoit esté bruslé, et qu'il avoit perdu six mille escus de vaisselle d'argent; et je luy dis que c'estoit grand dommage, que cela nous feroit grand bien pour bastir nostre eglise.

  A006000813 

 » Il dit encor: « Si l'on venoit un jour à faire difficulté de recevoir les infirmes en nos maisons, je retournerois et ferois tant de bruit par vos dortoirs, que je ferois sçavoir que l'on fait contre mon intention.

  A006000814 

 Il nous dit que non, et qu'il aymoit mieux que la maison fust incommodée et eust besoin de quelque chose, que de permettre aux filles ces affections qui ne nourrissent que trop leur amour propre, non pas mesme pour la sacristie, quoy qu'elle fust pauvre.

  A006000814 

 Nous luy dismes si c'estoit son intention que les filles demandassent à leurs parens, quand ils sont riches et que les maisons estoyent incommodées.

  A006000814 

 Que s'ils donnoyent, il falloit recevoir humblement, et ne rien demander, non pas mesme desirer, si ce n'est en quelque occasion rare et particuliere; il est tousjours mieux de se tenir en la pauvreté..

  A006000815 

 Et je luy dis que j'avois souvent du scrupule et remords de conscience de ce que je n'estois pas assez ferme pour les choses temporelles, craignant que les parens ne donnassent pas assez à leurs filles par [410] ma faute et que la maison ne fust pauvre.

  A006000815 

 Il dit que ouy, tout de mesme qu'elle le permettrait à une Sœur.

  A006000816 

 Il me dit apres: « Nostre Mere desire que j'escrive sur les maximes du Fils de Dieu; je les honnore, je les revere et les respecte de tout mon cœur, mais je ne les pratique pas.

  A006000816 

 Le Fils de Dieu a dit: Si on vous demande vostre manteau, donnez encore vostre robe; si je le veux faire, on me dit que j'ay grand tort, que je ne me laisseray rien, que je suis desja assez pauvre.

  A006000816 

 Le Fils de Dieu a dit: Soyez debonnaires; et l'on veut que je me fasche; si je ne le fais, on l'attribue à bestise.

  A006000817 

 Il dit que ouy, « selon les maximes du Fils de Dieu.

  A006000818 

 Et qu'ont à faire les servantes de Dieu d'estre importunées de mes infirmités? n'est-il pas mieux cent fois qu'elles demeurent en leur quietude et repos, que d'estre employées dans le tracas? Voyez-vous, ma fille, il est grandement important de ne point donner ceste ouverture aux confesseurs.

  A006000818 

 Je ne voudrais pas pourtant que vous commençassiez par celuy que vous avez maintenant; il est si bon et facile, qu'à mon advis il n'y a point de difficulté avec luy.

  A006000818 

 Luy parlant s'il trouvoit bon qu'en nos maisons on nourrist les confesseurs, il respondit: « Pour moy, si j'estois confesseur de Sainte Marie, ce que je ne merite pas (il est vray que je ne le merite pas; ce bien seroit le plus grand bonheur pour moy que je peusse jamais esperer, que de me voir confesseur de la Visitation et deschargé de toute autre chose), mais si cela estoit, j'aymerois mieux me nourrir comme je pourrois, que de donner l'incommodité aux Religieuses de m'apprester mes repas, et leur donner cognoissance de mes imperfections quand je serais ennuyé, degousté et un peu difficile aux viandes.

  A006000819 

 Il est vray, ma fille, que je ne trouve jamais à redire aux viandes, tant que je puis, sinon quelquefois qu'elles sont trop bonnes: ne faut-il pas faire ainsi, ma fille? Vous craignez qu'il ne fasse mal au cœur de nos Sœurs, de manger des entrées de table [411] faites des restes; il me fait mal à moy d'en entendre parler, mais d'en manger, jamais..

  A006000820 

 Ce que je dis aux Constitutions de ne point mettre de poupées sur l'autel, est parce que pour l'ordinaire elles sont mal faites et c'est une grande perte de temps, et que les filles naturellement se plaisent à cela; mais pour des anges et cherubins vous en pouvez mettre sans scrupule.

  A006000820 

 Il y a deux choses à corriger en vostre sacristie, car cecy estant la seconde Maison, je desire que tout y aille bien comme en la nostre d'Annessy.

  A006000820 

 La pauvreté et la simplicité vous sont grandement recommandées; neantmoins, vous dites qu'il y a des Sœurs qui sur ce que je dis aux Constitutions, que la Congregation a un interest nompareil que la charge de la Sacristie soit passionement bien exercée, entendent qu'il faille avoir des grandes sollicitudes à fin que rien n'y manque et qu'il y ayt quantité de belles besognes.

  A006000820 

 La premiere, c'est que vostre cingule est trop beau, il n'est pas assez simple; il suffit qu'il y ayt deux rubans avec le grand cordon, les autres sont superflus.

  A006000820 

 O Dieu, est-il possible qu'on prenne si mal les choses, et qu'on suive si fort ses inclinations! N'ont-elles point remarqué en tant d'endroits des Constitutions, la tranquillité qui leur est tant recom mandée, laquelle ne se doit jamais perdre pour chose que ce soit? J'ay remarqué ces affections à nos Sœurs d'Annessy: quand elles ont des charges, elles ne voudroyent pas que rien leur manquast, et quand elles ne les ont plus, elles ne s'en soucient pas.

  A006000820 

 Vostre aube est trop passementée; il ne faut point [de passementerie] dessus ni dessous les manches; suffit que ce soit aux coutures, et encor, qu'elle soit bien petite.

  A006000821 

 Nous luy dismes un jour que nous craignions qu'il y eust bien du danger, quand les Superieures n'auroyent pas l'esprit de la Regle, « Que feriez-vous là? si elles sont fidelles à les observer, Dieu le leur donnera avec le temps.

  A006000821 

 » Nous luy dismes: Monseigneur, il me semble qu'ayant confiance en Dieu il ne manque pas de donner la lumiere pour les charges, et que la charité est toute chose.

  A006000822 

 Parlant des Superieures qui demeurent trop long temps au parloir, il dit: « Je ne l'approuve nullement; mais que faire à cela? ».

  A006000823 

 Parlant de la deposition d'une Superieure de laquelle les Sœurs avoyent esté grandement touchées, et ne pouvoyent s'accoustumer de l'appeller ma Sœur, ains tousjours Mere, il respondit d'une face tout à fait aymable: « Qu'elles l'appellent ma Grand Mere, si elles veulent, je ne sçaurois qu'y faire; mais cependant, je voy que ces filles n'honnorent ni n'observent leurs Regles et Constitutions.

  A006000824 

 Il respondit: « Nos paroles ne font pas des miracles; il faut s'adonner à la pratique que les Constitutions nous enseignent: elles disent prou comme il faut faire, mais les filles ont tant de petites volontés, qu'elles ayment mieux suivre qu'obeir! Et que faire là? Il faut laisser pleurer les filles et tesmoigner les affections qu'elles ont, car elles penseroyent qu'on croiroit qu'elles n'ont point d'amour, si elles ne tesmoignoyent tout cela, qui n'est que foiblesse de filles..

  A006000825 

 Et puis, dequoy nous mettons-nous tant en peine d'estre aymés des creatures, pourveu que l'on le soit du Createur? Comme cela nous est tres asseuré, cela nous doit suffire..

  A006000825 

 Il ne faut rien dire ni faire pour estre aymés ni estimés des creatures, ni pour estre mesprisés, et faut croire que si les creatures ne nous ayment pas icy bas, elles nous aymeront au Ciel où nous nous verrons tous.

  A006000826 

 Quand on vous demande si vous direz tousjours le petit Office, dites que ouy, parce que vous esperez d'en obtenir la permission du Pape, et que vous l'avez desja pour dix ou douze ans; et c'est mon intention et mon desir que vous le disiez tousjours; mais si on me contrarioit je laisserois faire.

  A006000827 

 Il dit qu'il apprenoit en la theologie, qu'il ne le falloit pas faire, mais que nous le pouvons sans qu'il y eust de mal; que la methode qu'on nous avoit donnée nous le permet parce que nous ne sçavons pas discerner quand il y a du peché, c'est pourquoy nous donnons une generalité.

  A006000827 

 Mais que pour les confessions ordinaires il n'en faut pas beaucoup dire; le plus, deux ou trois.

  A006000828 

 L'on s'en peut accuser ainsi: Je m'accuse d'avoir fait quelque action par le mouvement du sentiment que j'avois à quelque chose que l'on faisoit contre mon inclination ou par impatience.

  A006000828 

 Nous pouvons bien nous confesser quand nous avons du sentiment de quelque chose et quand nous avons fait quelque action en suite, quoy que legere, comme de dire quelque parole, car il y [413] peut avoir du peché.

  A006000829 

 Ce n'est pas chose contraire à la bonne volonté de retourner tousjours aux mesmes fautes, pourveu que ce ne soit pas volontairement.

  A006000829 

 Et quant à l'acte de contrition, il dit que pour le bien faire il faut avoir un regret du mal passé et une resolution de ne le plus commettre, et le detester de tout son cœur.

  A006000830 

 De se rire un peu d'une Sœur, de dire quelque parole qui la mortifie un peu, [il n'y a point de mal,] pourveu que cela ne l'attriste pas, car il ne le faudrait pas faire; mais si cela arrivoit, il ne s'en faut pas confesser, quand on l'aurait fait par simple recreation.

  A006000830 

 Et quand bien mesme on n'aurait pas pensé de la faire pour Dieu, il n'en faudrait point recevoir de scrupule, car l'intention generale suffit, quoy que pourtant au commencement il faut tascher de la dresser.

  A006000830 

 Il faut aller fort simplement, à la franche marguerite, et bien faire la recreation; que si nostre attention estoit en quelque chose, il l'en faudrait oster, si elle nous empeschoit de la faire.

  A006000830 

 Il la faut bien faire faire aux Novices, et il est de tres-grande importance que les filles la fassent bien..

  A006000830 

 Les propos saintement joyeux sont quand il n'y a point de mal en ce que l'on dit, et qui ne regarde point l'imperfection d'autruy, car cela il ne le faut pas faire, ni parler du monde et de choses messeantes.

  A006000831 

 Quand nous avons des pensées de mesestime contre le prochain, il n'y a point de mal quand nous ne les rejettons pas faute d'attention; suffit que nous les rejettions quand nous nous en appercevons.

  A006000831 

 Si on le fait, ne vous en mettez pas en peine, non plus que si on vous mesprisoit, et n'amusez point vostre esprit à tout cela..

  A006000831 

 [414] Et quant à ce que vous me demandez s'il faut laisser de dire ses peines ou quelque chose qui feroit voir du bien en nous, crainte que vous avez de ne le pas sçavoir dire, et que vous donnez plustost suget de vous faire estimer que de vous accuser: ô ma fille, il se faut tousjours descouvrir naïfvement et simplement, tant du bien du mal, pourveu que vous n'ayez pas intention de vous faire estimer.

  A006000832 

 Et s'il vous semble que vous vous amendez de vos imperfections plustost pour la repugnance que vous avez de ce qu'on vous reprend, que pour Dieu, ne faites nul estat de cela; dressez vostre intention, et il n'y aura point de mal.

  A006000832 

 Il n'est pas mal de revenir quelquefois sur soy-mesme, pourveu que ce soit pour nous humilier, comme de penser en nostre ingratitude, mais il faut tousjours se tourner à Dieu; car, comme je dis en quelque lieu, ce n'est pas proprement faire oraison, que de tousjours reflechir sur soy, puisque l'oraison est une eslevation de nostre esprit en Dieu pour s'unir à luy.

  A006000832 

 Il suffit de faire toutes vos actions pour Dieu tout simplement; et quand mesme vous n'auriez pas pensé de dresser vostre intention avant que de faire et commencer vostre action, il suffit de le faire apres, et n'en recevez aucun scrupule: l'intention generale que nous faisons le matin suffit.

  A006000832 

 On est bien heureux d'avoir ceste sainte affection de servir à Dieu, et ne faut point faire d'estat de n'avoir pas le sentiment que nous desirerions en son service.

  A006000832 

 Quand nous faisons quelque chose pour Dieu, c'est estre en sa presence; le desir que nous avons de nous tenir en sa presence nous sert [d'attention à la] presence de sa Bonté.

  A006000832 

 Que si ce que nous faisons nous tire hors de nostre attention à Dieu, et qu'il soit necessaire, il ne s'en faut pas mettre en peine.

  A006000833 

 Allez tout simplement, sans croire que vous vous servez du pretexte de l'obeissance pour vous satisfaire; quand vostre volonté n'y est pas il n'y a nul danger, c'est trop subtiliser..

  A006000834 

 Et ne dites jamais que vous ne pouvez pas faire quelque chose, car nous pouvons tousjours quand nous voulons: ce seroit dire que Nostre Seigneur eust mis quelque impossibilité, ce qui n'est pas.

  A006000834 

 Il ne me fasche pas que l'on dorme à l'oraison, pourveu que l'on fasse ce que l'on peut pour se resveiller.

  A006000837 

 Ce n'est rien du sentiment qui nous vient d'estre accusée, pourveu que nostre volonté soit ferme à aymer son abjection.

  A006000837 

 Il est tousjours mieux de tenir nostre ame en confiance en Dieu qu'en crainte, quoy que nous le fassions pour nous humilier.

  A006000839 

 La fidelité de l'ame envers Dieu consiste à estre parfaitement resignée à sa sainte volonté, à endurer patiemment tout ce que sa [416] Bonté permet nous arriver, faire tous nos exercices en l'amour et pour l'amour, et sur tout l'oraison, en laquelle il se faut entretenir avec Nostre Seigneur fort familierement de nos petites necessités, les luy representer et luy demeurer sousmise en tout ce qui luy plaira faire de nous; estre bien obeissante, faire tout ce que l'on nous commande, de bon cœur, encor que nous y sentions de la repugnance; estre fidelle à partir si tost que la cloche nous appelle, et rejetter les distractions qui nous arrivent en l'oraison et à l'Office; conserver une grande pureté de cœur, car c'est là où Dieu habite, et non pas dans les cœurs pleins de vanité et de presomption d'eux-mesmes, au contraire il les chastie et punit rigoureusement.

  A006000840 

 Quand nous regardons à escient les imperfections des autres, ô Dieu, ma chere fille, cela est bien mal, il ne le faut pas faire; mais quand quelquefois nous les voyons, il s'en faut destourner, et penser tout doucement au Paradis et aux perfections de Dieu et de Nostre Seigneur, de Nostre Dame et des Saints et Saintes et des Anges, et quelquefois nous regarder nous-mesme, nostre indignité et nostre bassesse; et quand ces pensées nous viennent, nous nous devons humilier et aneantir jusques au centre de la terre, voyant que nous ne sommes que des petits vermisseaux, et nous voulons esplucher les actions des autres qui sont les espouses de Nostre Seigneur! Nous devons bien faire voir à nostre cœur sa foiblesse, nous faisant à nous-mesme une petite reprimande à fin d'estre sur nos gardes à l'advenir.

  A006000842 

 Pour nous bien preparer pour l'oraison il faut y aller avec une grande humilité et recognoissance de nostre neant, invoquant l'assistance du Saint Esprit et celle de nostre bon Ange, et se tenir bien coye durant ce temps-là, en la presence de Dieu, croyant qu'il est plus en nous que nous-mesme; et, bien que nostre oraison soit privée de discours et consideration, il n'y a nul danger, car elle ne depend point du discours ni de la consideration.

  A006000842 

 Quand ces pensées vous arrivent, il faut faire un simple abaissement de vostre esprit devant Dieu, de tous vos pechés, sans les particulariser, car ce seul acte suffit; pour l'ordinaire ces pensées ne nous servent que de distraction..

  A006000843 

 Faisant quelques œuvres où il y faut mettre son attention, il faut de temps en temps remettre son esprit en Dieu; et quand nous y avons manqué il s'en faut humilier, et de l'humilité aller à Dieu, et de Dieu à l'humilité, avec confiance, luy parlant comme l'enfant fait à sa mere, car il sçait bien ce que nous sommes..

  A006000846 

 Il ne faut jamais dire que nous ne pouvons pas faire quelque chose, mais vous faites bien de dire qu'il vous semble; car on peut tout en la grace de Dieu, lequel ne nous laisse pas en nos necessités..

  A006000846 

 O qu'il est bien raisonnable que nous nous privions des contentemens du monde pour Dieu, puisqu'il se prive de sa gloire pour nous.

  A006000847 

 L'on peut tousjours porter son visage gay parmi les Sœurs; le mal qu'on sent ne l'empesche pas, si ce n'est quelquefois que l'on a les yeux abattus..

  A006000848 

 O ma chere fille, gardez-vous de ces reflexions, car il est impossible que l'Esprit de Dieu demeure en un esprit qui veut sçavoir tout ce qui se passe en luy.

  A006000851 

 Il faut avoir un grand courage, car, ma chere fille, vous estes fille de Jesus Christ crucifié, vous ne devez donc avoir pretention en ceste vie, que celle de l'union de vostre ame avec Dieu.

  A006000852 

 Il faut avoir une grande constance en nos ennuis, car pendant que nous serons en ceste vie nous ne serons pas tousjours en mesme estat, cela ne se peut..

  A006000853 

 La vertu de nostre premiere offrande que nous avons faite en nous sacrifiant à Nostre Seigneur suffit, encore que nous n'ayons pas ceste attention à luy offrir tout ce que nous faisons.

  A006000853 

 Les sentimens ne sont point necessaires pour la perfection que nous desirons; car Nostre Seigneur estant au Jardin, delaissé de toute consolation, ne laissa pas pour cela d'accomplir la volonté de son Pere..

  A006000854 

 Quant au bon et vray gouvernement, il ne depend point des talens naturels, mais de la grace surnaturelle, laquelle donne beaucoup plus parfaitement l'experience qui est necessaire, que ne fait toute la sagesse et prudence humaine, quoy qu'avec moins d'esclat, en quoy consiste son excellence..

  A006000855 

 Les Constitutions vous enseignent ce que vous devez faire: demandez tout simplement, sans scrupule, ce qui vous est necessaire..

  A006000856 

 Conservez bien le desir que vous avez d'observer vos Regles, car elles sont toutes d'amour; ressouvenez-vous que vous ne manquerez pas de difficultés, mais ne perdez pas courage, esperez en Dieu, et vous jettez entre les bras de sa divine Providence.

  A006000856 

 Il faut croire que tout ce que nous souffrons est peu devant Dieu; il faut penser le moins que nous pouvons à ce que nous souffrons..

  A006000856 

 Il n'y a chemin plus asseuré que celuy de la souffrance, pourveu qu'on souffre avec amour, douceur et patience, et par là on pourra imiter Nostre Seigneur et tous les Saints.

  A006000857 

 Vous vous pouvez bien destourner du sentiment de la delectation qui vous vient en prenant les choses qui vous sont necessaires; comme qui passeroit par une rue et rencontreroit beaucoup de boüe, il ne feroit rien autre que prendre un autre chemin: et ainsi devons-nous faire, sans y penser davantage..

  A006000861 

 Il est vray que la charité donne le prix à nos œuvres, et n'y a que Dieu qui la puisse donner; attendez-la plus de luy que de vous-mesme.

  A006000862 

 Il est bon que vous n'aymiez guere à parler de vous-mesme; le moins qu'on le peut faire, soit en bien soit en mal, c'est le meilleur..

  A006000864 

 Il importe peu que la parole de Dieu soit dite d'un style haut ou bas; ce n'est qu'une recherche humaine, qui ne veut en tout que l'excellence..

  A006000866 

 Il importe grandement de nourrir les filles aux verités et clartés de la foy; encore qu'elles ayent de la peine, il ne faut pas laisser de les eslever à cela, et ne leur pas permettre de s'amuser à ces tendretés et sentimens qui ne sont rien moins que la vraye vertu.

  A006000867 

 Vostre entrée en Religion est pour l'amour de Dieu; soyez indifferente par quelles voyes il plaira à sa Bonté vous conduire, soit par la consolation, affliction ou abjection; vous meritez autant d'un costé que de l'autre.

  A006000868 

 L'humiliation n'est pas si mauvaise que nous pensons, elle ne nous fera pas tant de mal que nous pensons et qu'il nous semble; ne la craignons pas tant.

  A006000868 

 La peine que nous avons de souffrir l'abjection, la crainte d'estre humiliée, sont des imperfections auxquelles nous sommes tous sujets; il ne faut point s'en estonner, mais prendre bon courage et mettre son cœur en Dieu, ne desirant autre chose que de luy plaire.

  A006000868 

 Ne vous estonnez pas de la vanité, combattez-là fidellement; pourveu que vous ne fassiez rien en suite, il n'y a point de mal..

  A006000868 

 Soyez bien ayse de celles qui se presentent à vous, recevez-les de bon cœur, avec amour; recevez, aymez et embrassez l'aneantissement et abjection; que vos affections soyent en Jesus Christ crucifié.

  A006000870 

 Je suis si ayse, quand on me demande où je suis logé, de dire que c'est chez le jardinier de nos Filles de Sainte Marie..

  A006000871 

 Et quand les tentations d'envie viennent de ce que nos Soeurs font mieux, ou sont plus aymées que nous, il faut tordre son cœur comme une serviette pour le faire venir à la raison..

  A006000872 

 Or, pour le froid, sçavez-vous quand il le faut souffrir? c'est quand la Superieure vous envoye au jardin cueillir des herbes et que vous fussiez en danger que les mains vous gelassent sur la plante; il ne faudrait pas laisser de le faire, parce que c'est l'obeissance..

  A006000873 

 Il faut avoir un grand support de nos Sœurs et les ayder et soulager [en] tout ce que nous pouvons, et ne pas croire qu'elles ayent peu de mal, car ce n'est pas à nous à faire ce discernement..

  A006000875 

 Vous m'avez dit encore, comme s'entend ce que disent les Constitutions: de ne se servir de nostre cœur, ni de nos yeux, ni de nos paroles, que pour le service de l'Espoux celeste, et non pour le service des humeurs et inclinations humaines? O ma fille, que vous me parlez d'une perfection que bien peu de gens pratiquent, bien qu'ils le doivent tous faire.

  A006000875 

 Voyez-vous, ma fille, par exemple, voila deux de nos Sœurs: l'une que vous aymerez bien, et l'autre à laquelle vous n'aurez pas tant d'inclination à l'aymer, et par ce moyen vous ne la regarderez pas de si bon cœur que l'autre que vous aymez bien; au contraire, si vous l'aymiez bien purement pour Dieu, vous regarderiez d'aussi bon cœur celle que vous n'aymez pas comme celle que vous aymez bien, et luy souhaiteriez autant de bien qu'à l'autre..

  A006000876 

 Il est vray que j'ayme grandement tout le monde, notamment les ames simples.

  A006000876 

 Pour ce qui est de l'honneur qu'il vous semble que je porte à un chacun, la civilité nous apprend cela, et puis j'y suis porté naturellement; je n'ay jamais sceu faire comme plusieurs personnes font, auxquelles il semble, quand elles sont eslevées en [422] quelque dignité, qu'elles se doivent faire honnorer de tout le monde; et quand elles escrivent elles ne veulent mettre, sinon aux personnes de grand respect, « tres-humble » et « bien humble.

  A006000876 

 » Et moy je le mets à tout le monde, sinon que j'escrive à Pierre ou à François mes laquais, qui penseroyent que je me mocquerois d'eux, si je leur mettois « tres-humble serviteur.

  A006000878 

 Je n'ay rien de bon en moy que cela.

  A006000878 

 Luy tesmoignant que je desirois bien fort de prendre son esprit de condescendance à son imitation, je luy dis qu'il se rencontroit souventesfois que l'Office sonnoit et qu'il falloit aller au parloir, et que mesme le jour de Noël j'avois perdu Compiles pour une chose legere et de peu d'importance.

  A006000879 

 Il nous tesmoigna une fois qu'il desiroit que la fondation de Besançon se fist, et il nous dit qu'il estoit bien ayse que nos Sœurs s'estendissent, parce qu'elles vivent avec beaucoup de paix et douceur..

  A006000880 

 Luy disant une fois que nous desirions grandement en ceste maison de prendre son esprit, il nous respondit: « Dieu vous en garde! prenez celuy de Dieu et de saint Augustin.

  A006000882 

 Il nous dit que ce qu'il avoit mis dans les Constitutions cela n'estoit pour autre cause que pour celles qui n'ont pas la confiance de le dire à elle-mesme, mais que les plus confidentes sont les meilleures..

  A006000882 

 Nous luy demandasmes si c'estoit l'intention des Constitutions de [423] dire à la Suprrieure ce que l'on pense [d'elle], parce qu'elles nous envoyent à l'Ayde de la Suprrieure.

  A006000883 

 Il nous dit: « Que ne nous l'avez-vous envoyée à Nessy! ».

  A006000883 

 » Je luy dis que je n'avois jamais osé en recevoir une en ceste ville, à cause qu'on ne l'approuvoit pas.

  A006000884 

 Je vous raconteray ce qui m'arriva une fois avec un bon Religieux, lequel desiroit fort de faire des penitences et mortifications au dessus de la Communauté; je luy parlay tout au long du bonheur de la suivre en tout, et le priay de se mettre en la pratique, ce qu'il fit; et à quelque temps de là, il me vint trouver et me remercia de grande affection, et me dit que j'estois causede son bien.

  A006000884 

 O que celles qui ont une grande affection de suivre en tout et par tout la Communauté sont heureuses! Dieu leur a fait une grande grace.

  A006000885 

 Luy parlant qu'il y a quelques fois des filles naturellement sobres et qui pour l'ordinaire ne mangent que le tiers de leurs portions, s'il falloit leur dire resolument de manger davantage, il nous respondit qu'il seroit mieux de souffrir quelque temps un peu de peine à s'accoustumer, parce qu'il le falloit ainsi à cause qu'il leur pourroit nuire avec le temps.

  A006000885 

 Saint Bernard dit qu'il y a peu de personnes qui se rencontrent semblables à la conduite, mais pourtant, que celle de la douceur et suavité est la plus utile; qu'on avoit beau faire et regarder de quel costé que l'on voudrait, il faut tousjours venir là..

  A006000886 

 J'ay aussi presque une mesme aversion au desir que les Superieures ont de descharger leur maison par le moyen des fondations; car tout cela depend du sens humain et de la peine que chacune a à porter son fardeau..

  A006000886 

 Je vois que toutes les Superieures desirent de voir les filles maussades et fantasques esloignées de leurs monasteres: car c'est la condition de l'esprit humain de ne se delecter qu'aux choses plaisantes.

  A006000886 

 Mais je suis tout à fait d'advis qu'on n'ouvre point la porte au changement de monastere aux filles qui le desireront, ains seulement pour celles qui sans le desirer seront pour quelqu'autre raison legitime envoyées par les Superieurs; car autrement [424] le moindre desplaisir qui arriveroit à une fille seroit capable de l'inquieter et luy faire prendre le change, et au lieu de se changer, elle penserait d'avoir suffisamment remedié à son mal que d'avoir changé de monastere.

  A006000887 

 Ce sera eternellement mon sentiment qu'on ne laisse jamais de recevoir les filles infirmes en la Congregation, sinon que ce fussent des infirmités marquées aux Regles et Constitutions.

  A006000895 

 Comme il entra, il dit: « Bonsoir, mes cheres filles, je viens icy pour vous dire le dernier adieu et m'entretenir un peu avec vous, parce que la Cour et le monde me desrobent le reste.

  A006000895 

 En fin, mes cheres filles, il s'en faut aller; je viens finir la consolation que j'ay receue jusques à present avec vous: qu'avons-nous à dire? Rien plus, sans doute.

  A006000895 

 Il est vray que les filles ont tousjours beaucoup de repliques.

  A006000896 

 Il est escrit que saint Antoine passa toute l'année de son novitiat à considerer les vertus de ses Freres et, comme une soigneuse abeille, cueilloit sur chaque fleur d'icelles le miel qui luy estoit necessaire.

  A006000896 

 Il respondit que non, que cela n'estoit pas contraire à la simplicité et qu'il estoit bon de le faire; mais que qui voudroit regarder leurs vertus pour esplucher celles qui sont plus vertueuses que les autres, ou à fin de censurer et murmurer de leurs vertus pour y trouver à redire, ce serait là où il y aurait du mal.

  A006000896 

 Les vertus de Dieu, entant que Dieu, sont si excellentes, que pour satisfaire à nostre foiblesse il s'est voulu faire homme pour nous monstrer l'exemple de ce que nous devons faire, à fin que nous le puissions imiter.

  A006000896 

 On luy demanda s'il n'estoit pas mieux et plus simple de regarder les vertus de Dieu que non pas celles des Superieures et des Soeurs.

  A006000897 

 Quand les inferieures cognoissent que la Superieure est un peu vaine et qu'elle se plaist à estre louée et aymée, elles la louent plustost à fin que la Superieure les ayme que non pas pour autre fin; mais si elles voyoient que la Superieure rechignast et fist mauvaise mine quand elles la louent, elles ne seroyent pas si promptes à le faire.

  A006000897 

 ne s'en faut pas estonner, parce que où il y a amas de filles il y a aussi amas de louanges et de flatteries..

  A006000897 

 » Que faut-il donc faire, Monseigneur, quand on nous loüe? « Il s'en faut aller à Dieu et les laisser là; mais pour les inferieures, quand la Superieure loüe quelques bonnes actions qu'elles ont faites, il ne faut pas qu'elles s'en aillent; il est quelquefois necessaire de le faire, mais pour les Superieures elles ne doivent pas permettre cela en façon quelconque.

  A006000898 

 Ce n'est pas en Religion que l'on doit chercher et desirer les charges honnorables; les mondains et ceux qui sont à la Cour ne font autre chose que de courir apres les dignités et preeminences, aussi la Cour n'est faite que pour cela; mais quand cela arrive en Religion, c'est signe que l'on n'est pas bien desnué ni mortifié..

  A006000898 

 De les desirer, cela est bien mal, comme aussi de s'en mettre en peine; c'est une foiblesse que d'amuser son esprit en cela, sur tout quand elles sont honnorables.

  A006000898 

 Il n'y a nul doute que l'on ne nourrisse bien son amour propre là dedans.

  A006000898 

 Nous sommes si ayses d'avoir quelque charge pour surexceller par dessus les autres, comme d'estre Superieure ou Assistante, à fin de faire voir là son bel esprit, car ma Sœur ordonne et dispose si bien! nous sommes si ayses de faire voir que nous sçavons fort bien ordonner.

  A006000898 

 Ouy, ma Sœur, nostre amour propre ayme tant que l'on voye la beauté de nostre esprit: ma Sœur est si douce quand elle est eslevée par dessus les autres et que personne ne luy dit rien; tout le monde remarque sa vertu.

  A006000899 

 Il faut bien prendre garde aussi qu'il y a des ames qui ont si grand peur que le desir des charges entre en leur esprit, qu'elles sont tousjours en apprehension et inquietude, et n'ont jamais l'esprit tranquille ni reposé; car ce pendant qu'elles s'amusent à l'apprehension, elles tiennent leur cœur ouvert, et le diable y jette par ce moyen la tentation dedans.

  A006000899 

 Il ne faut non plus craindre qu'il nous en vienne, pourveu que nous tenions tous-jours nostre volonté superieure ferme en Dieu; et au lieu de nous amuser à de vaines craintes, il nous faut tenir nostre cœur en Dieu et nous unir à luy: car en fin il ne faut rien desirer ni rien refuser, mais se laisser entre les bras de la Providence divine, sans s'amuser à aucun desir sinon en ce que Dieu veut faire de nous.

  A006000899 

 Il ne se faut pas mettre en peine quand nous sentirons des desirs en nous; tant que nous vivrons, nostre nature nous les produira.

  A006000899 

 Saint Paul pratiqua excellemment cest abandonnement au mesme instant de sa conversion; quand Nostre Seigneur l'eut aveuglé, il dit tout promptement: Seigneur, que vous plaist-il que je fasse? et demeura indifferent à tout ce que Dieu ordonneroit de luy.

  A006000900 

 De desirer les basses, cela est encor passable; neantmoins, ce desir est suspect, car saint Paul escrivant à un sien disciple, luy defend entre autres choses de ne point occuper son cœur à aucun vain desir, tant il avoit de cognoissance de ce defaut, et que cela retarde nostre avancement.

  A006000900 

 Il faut tenir le desir des charges, tant des unes que des autres, honnorables et abjectes, pour tentation; car il est tousjours mieux de ne rien desirer, mais de se tenir preste pour faire l'obeissance.

  A006000900 

 Il vaut mieux estre en sa cellule par obeissance, faisant un petit ouvrage, ou lisant, ou faisant que sçay-je moy quoy; et si on le fait avec plus d'amour que ne fait celle qui est à la cuisine, qui a beaucoup de peine et se brusle les yeux, si elle le fait avec moins d'amour, l'autre a plus de merite: car ce n'est pas par la multiplicité de nos œuvres que nous plaisons à Dieu, mais par l'amour avec lequel nous les faisons..

  A006000900 

 Ouy, ma fille, car David disoit qu'il aymoit mieux estre abject en la maison du Seigneur que d'estre grand parmi les pecheurs, et disoit: Il est bon, Seigneur, que vous m'ayez humilié, à fin d'apprendre vos justifications.

  A006000900 

 Que si peut estre vous vous sentez la force de souffrir la mortification et humiliation, vous ne sçavez si vous l'aurez tousjours.

  A006000900 

 Que sçavez-vous si apres avoir desiré ces charges basses et humbles vous aurez la force d'agreer les abjections et humiliations qui s'y rencontreront? Il vous pourroit venir beaucoup de degoust et d'amertume de l'humiliation.

  A006000900 

 Vous demandez si on ne peut pas desirer des charges basses, parce qu'elles sont penibles, et semble qu'il y ayt plus à faire pour Dieu et plus de merite que de demeurer en sa cellule.

  A006000901 

 C'est une façon de parler des chasseurs, que quand les chiens ont le sentiment diverti et rempli de divers gousts, ils perdent facilement la mutte.

  A006000901 

 Et ne faut point faire ces jugemens, où il y a plus de merite; pour nous autres il n'y faut point regarder, et je n'ayme point cela de vouloir tousjours regarder au merite, car les Filles de Sainte Marie ne doivent faire leurs actions que pour la plus grande gloire de Dieu.

  A006000902 

 Ce n'est pas cela que je veux dire, Monseigneur, de regarder où il y a plus de merite; mais seulement parce qu'aux charges penibles il semble qu'il y ayt plus à faire pour Dieu que d'estre en sa cellule.

  A006000902 

 Il arrive assez souvent qu'on est aussi uni à Dieu par l'action que dans la solitude; mais en fin, je reviens tousjours: où il y a plus d'amour il y a plus de perfection..

  A006000902 

 Je vous dis bien plus: voila une personne qui souffre le martyre pour Dieu avec une once d'amour, elle merite beaucoup, car on ne sçauroit donner davantage que sa vie; mais une autre personne qui ne souffrira qu'une chiquenaude avec deux onces d'amour aura beaucoup plus de merite, parce que c'est la charité et l'amour qui donne le prix à tout.

  A006000902 

 Que si une Sœur estant en la cuisine, tenant la poële sur le feu, a plus d'amour et de charité que l'autre, le feu materiel ne le luy ostera point, au contraire, il luy aydera à estre plus agreable à Dieu.

  A006000902 

 Vous sçavez que la contemplation est meilleure que l'action et vie active; mais si en la vie active il s'y trouve plus d'union, elle est meilleure.

  A006000902 

 « Ce n'est pas par la grandeur de nos actions que nous plaisons à Dieu, comme j'ay desja dit, mais par l'amour avec lequel nous les faisons; car une Sœur qui sera en sa cellule, ne faisant qu'un petit ouvrage, meritera plus qu'une autre qui aura bien de la peine, si elle le fait avec moins d'amour.

  A006000903 

 Il ne faut pas desirer sa cellule quand on n'y peut pas estre, mais faire ce que l'on fait pour Dieu et retrancher de son esprit tous ces desirs.

  A006000903 

 O mon Dieu, quand sera-ce que nos Sœurs n'auront plus tant de desirs, et qu'elles s'amuseront à faire et à ne rien vouloir que ce que Dieu veut, la volonté duquel nous est signifiée par nos Regles et Superieurs!.

  A006000903 

 Que si vous estes bien ayse par lascheté de courage de coudre en vostre cellule, à fin de n'avoir pas tant de peine, ce desir n'a pas une bonne fin.

  A006000903 

 Tous ces desirs ne proviennent que de la nature et ne servent que d'inquietude aux esprits et à contenter nostre amour propre, sous le pretexte de faire beaucoup pour Dieu.

  A006000904 

 Il est dangereux que l'amour propre nous le fasse dire, de crainte que nous avons de ne la pas bien faire, pour nous excuser quand nous viendrons à y manquer, à fin que l'on en soit adverti; cela est bien dangereux et suspect.

  A006000904 

 Si l'on me donnoit des charges honnorables ou abjectes, je les prendrais et les recevrais avec humilité sans en dire un seul mot, ni n'en parlerais en façon quelconque, sinon que l'on m'en interrogeast; car alors je dirais simplement la verité comme je me sentirais, sans autre chose..

  A006000904 

 Vous demandez si quand on ne se sent pas la force de faire une charge avec douceur d'esprit, parce que l'on y a beaucoup de repugnance, s'il le faudroit dire à la Superieure ou l'accepter tout simplement.

  A006000904 

 [Bien] que nous le fassions sous pretexte d'humilité, il ne l'est nullement; au contraire, cela est contre l'humilité.

  A006000905 

 Ouy, il les faut dire tout simplement; mais pour toutes ces petites choses qui passent par l'esprit sans s'y arrester, je trouverois meilleur que l'on passast tout cela entre Dieu et soy, parce qu'il n'est pas digne d'attention.

  A006000905 

 Si chacun vouloit choisir en Religion les charges à sa phantasie, que seroit-ce sinon faire chacun sa volonté? Que nous doit-il importer d'avoir de la peine aux charges, puisqu'elles nous sont imposées par nos Superieurs qui nous representent Dieu? David disoit: J'ay esté fait comme une beste de charge pour porter les commandemens du Seigneur; en quoy il nous fait bien voir la sousmission que nous devons tousjours avoir en tout ce qui nous est ordonné de Dieu et de nos Superieurs..

  A006000906 

 Mais il y a ceste difference entre Nostre [430] Seigneur et nous, que volontairement il vouloit ressentir pour l'amour de nous, s'en pouvant exempter entant que Dieu; mais nous ne le pouvons, encore qu'il soit contraire à nostre volonté..

  A006000906 

 Nostre Seigneur nous en a voulu donner l'exemple au jardin des Olives, voulant sentir des mouvemens contraires à sa partie superieure; bien que sa volonté fust conforme à celle de son Pere eternel, il ne laissoit pas de ressentir.

  A006000906 

 Que nous doit-il soucier si nous sentons de la peine, pourveu que nous fassions nostre devoir? Laissons aboyer ce mastin contre la lune, il ne nous peut rien faire si nous ne voulons.

  A006000907 

 Par exemple: si le desir me venoit d'estre Pape et que la papauté m'occupast l'esprit, je ne ferois que m'en rire, et me divertirois en pensant qu'il fait bon en la vie eternelle, que Dieu est aymable, que ceux qui sont au Ciel sont heureux de jouïr de luy; et ainsi faisant, je me divertirois genereusement et noblement, car lors que le diable me mettroit dans l'esprit le desir de la papauté je parlerais à Dieu de sa bonté, et choses semblables..

  A006000907 

 Qui en doute, ma chere fille, qu'il ne vaut mieux parler à Nostre Seigneur en se divertissant simplement, que de disputer et s'opiniastrer avec le diable? La simplicité est tousjours preferable en tout.

  A006000907 

 Vous demandez s'il ne seroit pas mieux de se divertir simplement, que de contester avec son esprit et s'opiniastrer à vouloir rejetter [la tentation].

  A006000908 

 Qui en doute, ma chere fille, qu'il ne soit mieux de s'estre tenu ainsi en la presence de Dieu, plustost que de tant flechir et reflechir sur ce qui se passe dedans nous et autour de nous? Vous demandez si on se sentoit un grand scrupule, ne pouvant accoiser son esprit, à cause que ces desirs et tentations ont tant duré, si on s'en pourrait confesser.

  A006000908 

 Vous le pouvez, si vous le voulez, et dire: Je m'accuse d'avoir eu deux ou trois jours une tentation de vanité que je suis en doute de n'avoir pas rejettée.

  A006000910 

 L'on demande si une Novice, d'abord qu'elle entre dans la maison, se jettoit dans ceste indifference de ne rien desirer ni refuser, s'il n'y aurait point à craindre que cela ne fust plustost par lascheté et negligence d'esprit qu'autrement, et si elle ne ferait pas mieux de s'adonner à l'humilité et autres vertus qui luy sont necessaires.

  A006000910 

 Pleust à Dieu qu'il y en eust plusieurs qui fussent conduites par ceste voye, car n'ayant rien dans l'esprit que ce seul desir de plaire à Dieu, elles feroyent toutes choses avec perfection, sans se mettre en peine [de ce] qu'on penseroit d'elles.

  A006000910 

 « O non, ma chere fille, si elle estoit conduite par ce chemin il n'y auroit rien à craindre, car ne desirant que l'amour de Dieu elle pratiquerait toutes les vertus et tout ce qui est necessaire pour [431] plaire à Dieu; car l'amour de Dieu surpasse toutes les vertus.

  A006000911 

 Cela fait si grand bien à l'amour propre, à fin que l'on cognoisse que nous leur sommes bien obligées.

  A006000911 

 En fin ce ne sont que foiblesses de filles..

  A006000911 

 L'on demande si ce n'est pas une marque que nous suivons nostre sentiment de laisser de se mettre proche d'une Sœur à la recreation quand elle nous a advertie.

  A006000911 

 Pour les larmes, il y a des naturels qui ne s'en peuvent pas empescher, et nous sommes quelquesfois si ayses de pleurer, sur tout quand on nous change de Superieure, pour monstrer que ma Sœur une telle n'est pas desnaturée et qu'elle le ressent bien.

  A006000911 

 « Ce seroit apertement nourrir son sentiment que de le faire.

  A006000912 

 La premiere, d'y aller purement pour s'unir à Dieu par le moyen de la grace que l'on reçoit en ce Sacrement.

  A006000912 

 Les Religieux ont en cela un grand advantage par dessus les mondains, estans hors des occasions de ces grandes desunions, parce qu'il n'y a que le peché mortel qui nous desunisse de Dieu.

  A006000912 

 Que voulez-vous que je vous die? vous le sçavez desja tant; mais j'ayme bien pourtant que l'on me fasse ces demandes icy.

  A006000913 

 En ces descharges qui tirent à la longue devant le confesseur, il est dangereux que nous ne meslions les defauts des autres avec les nostres, ce qu'il ne faut point faire.

  A006000913 

 Il nous semble que nous avons l'esprit si content quand nous nous sommes bien deschargés, et pensons que cela suffit, comme si nostre paix et repos dependoit de cela.

  A006000913 

 Il se commet en confession quatre grands manquemens: le premier, c'est d'y aller pour se descharger et soulager, plustost que pour plaire à Dieu et s'unir à luy.

  A006000913 

 Je voudrois que l'on die simplement et franchement les choses comme elles sont.

  A006000913 

 Le troisiesme manquement c'est qu'ils y vont avec tant de finesse et de couverture, qu'au lieu de s'accuser ils y vont pour s'excuser par une grande recherche d'eux-mesmes, craignant que l'on ne voye leurs fautes: or, cela est tres-pernicieux, qui le voudroit faire volontairement.

  A006000914 

 Pour ce qui regarde les petits manquemens, c'est autre chose, car disant au confesseur: Je m'accuse dequoy j'ay manqué à deux obeissances legeres et de peu d'importance, cela le tient en repos, sçachant que ce n'est pas grande chose..

  A006000914 

 Vous mettez les confesseurs en peine, ils ne vous entendent pas, et pensent que les petites fautes soyent quelques grandes choses.

  A006000914 

 « Ma fille, vostre demande est de tres-grande importance; les confessions doivent estre tellement nettes et entieres que rien plus.

  A006000915 

 Comme par exemple: la [433] cloche nous appelle le matin, qui est la voix de Dieu, et je demeure un quart d'heure apres qu'elle aura sonné; qui ne void qu'en cela ce n'est pas la Regle ni les Constitutions qui nous font faire le peché (car c'est un peché veniel cela), mais le mouvement de paresse par lequel nous desobeissons? Et pour la Regle, ma fille, il n'y a nul doute que les fautes que l'on fait contre ne soyent plus grandes que celles que l'on fait contre les Constitutions; car les Regles sont les fondemens de la Religion, et les Constitutions ne sont que des marques et des traces pour nous faire mieux observer la Regle.

  A006000916 

 Dites-vous, ma fille, si à la recreation on a suivi quelque passion et fait quelque chose en suite d'icelle, comme de contester en quelque chose legere et de recreation, sans s'en appercevoir qu'apres que cela est fait, s'il y a matiere de confession? O non, ma fille, il n'y en a point en ce qui se fait par surprise et simple recreation; mais si vous ne vous sousmettez pas interieurement, il s'en faut confesser.

  A006000916 

 Il n'y a que la volonté determinée qui fasse le peché.

  A006000917 

 Apres l'avoir confessée deux ou trois fois, elle s'accusa à moy de plusieurs imperfections; et ayant tout dit, je luy dis que je ne luy pouvois pas donner l'absolution parce qu'en ce dont elle s'accusoit il n'y avoit pas matiere d'absolution: ce qui l'estonna grandement, parce qu'elle n'avoit jamais fait ceste distinction du peché d'avec l'imperfection.

  A006000917 

 Elle me remercia [434] de la cognoissance que je luy avois donnée de ce que jusques alors elle avoit ignoré.

  A006000917 

 Vous voyez donc combien cela est difficile, car bien que ceste ame fust fort esclairée, elle avoit neantmoins demeuré si long temps en ceste ignorance.

  A006000917 

 Voyant cela, je luy fis adjouster un peché qu'elle avoit fait autrefois, ce que vous faites vous autres.

  A006000918 

 Et l'imperfection est quand nous faisons quelque faute par surprise sans volonté deliberée, comme par exemple, si je fais un conte à la recreation et que dans mon discours il s'y glisse quelques paroles qui ne soyent pas tout à fait veritables, ne m'en appercevant point qu'apres qu'il seroit fait, cela n'est point peché mais imperfection, et n'est nullement besoin de m'en confesser.

  A006000918 

 Par exemple: si je venois ceans demander la Superieure et que je luy dise que je la viens voir de la part de la Princesse qui la salue, et chose semblable, et que de tout cela il n'en fust rien et que seulement j'eusse fait cest ageancement en mon esprit, cela n'est pas de grande importance; mais je l'aurois fait volontairement, c'est cela qui fait le peché veniel.

  A006000918 

 Toutesfois, n'ayant rien autre on le pourrait faire; mais il faut tousjours dire un peché que l'on a fait au monde, parce que vous n'auriez pas matiere d'absolution.».

  A006000918 

 Vous demandez que c'est que peché veniel et imperfection.

  A006000919 

 Il respond: « O Jesus, ouy, ma fille, sinon que par humilité vous vous en voulussiez priver.

  A006000919 

 L'on demande si sçachant veritablement que l'on a des pechés veniels, si l'on peut s'approcher de la sainte Communion sans se confesser, parce que, Monseigneur, vous avez dit qu'ils font une petite separation entre Dieu et l'ame.

  A006000919 

 Mais je n'approuve point que l'on se confesse outre les jours que la Communauté le fait, parce que cela ne peut donner que des soupçons aux autres que l'on a fait quelque grande chose.

  A006000919 

 » Ne pourroit-on pas demander de se confesser hors de la Communauté? « Si c'est un jour que la Communauté se doive confesser, vous le pouvez demander; si on ne le vous permet pas, demeurez en paix, sinon que vostre conscience vous remorde trop: alors vous vous en pouvez priver avec congé.

  A006000920 

 Il me souvient à ce propos d'Arsenius, lequel commettoit ceste petite immodestie que vous sçavez; et de vray, la douceur avec laquelle ces saints Peres le reprirent est admirable, et fait bien voir comme l'on doit faire la correction doucement, particulierement aux vieilles personnes..

  A006000920 

 Une Sœur replique si ayant leu quelque chose d'utile pour une Sœur qui aurait fait quelque manquement de quoy nostre lecture traitteroit, et que l'on dist sa lecture pour l'amour d'elle, s'il y aurait du mal de le faire.

  A006000922 

 Quand la Superieure dit: Dites-moy, ma Sœur, vous avez fait une telle chose? si vous ne l'avez pas fait il faut respondre simplement et humblement la verité; si elle vous reitere que vous l'avez fait, faites deux actes, l'un de sousmission, et l'autre d'abjection parce que l'on croid que vous avez manqué.».

  A006000922 

 Vous demandez ce qu'il faut faire quand la Superieure dit quelque chose que l'on n'a pas fait.

  A006000923 

 Les autres sont trop tendres et trop libres et prennent fort volontiers leurs soulagemens; à celles-cy il ne les faut point presser, il suffit bien que l'on leur donne ce qu'elles demandent.

  A006000923 

 Mais je vous diray bien que les Superieures se sentent obligées à une sainte austerité en l'observance de la Regle; cela les rend plus retenues.

  A006000924 

 Il leur semble que quand elles ne sentent pas Dieu, elles ne sont pas en sa presence.

  A006000924 

 « J'ay remarqué en toutes nos Maisons que nos filles ne font point de difference entre Dieu et le sentiment de Dieu, entre la foy et le sentiment de la foy; qui est un tres-grand defaut et une ignorance.

  A006000925 

 Nous n'avons rien à desirer que l'union de nostre ame avec Dieu.

  A006000934 

 Mais il faut au commencement examiner la source de nostre aversion, qui souvent se trouve proceder de nostre imperfection; parce que quand le mal est cogneu il est plus facile à guerir, et l'ayant recogneu il faut mortifier la passion d'où il procede..

  A006000934 

 Tandis que nous ne favorisons point nos aversions, elles nous sont une tribulation, laquelle il faut souffrir comme une autre.

  A006000935 

 Or, ayant appliqué ces remedes, ne vous mettez point en peine mais souffrez de bon cœur sans desirer d'estre delivrée de vostre affliction, demeurant sousmise au bon plaisir de Dieu, qui est que vous soyez ainsi exercée..

  A006000935 

 Or, en toutes aversions, il faut observer de ne diminuer point les actes de charité envers la personne à laquelle nous avons aversion; il la faut servir, luy parler, la caresser, non seulement comme si nous ne luy en avions point, mais davantage, et en cela nous tesmoignerons nostre fidelité à Dieu et obeirons à sa volonté signifiée, qui est que, contre toute nostre repugnance, nous nous surmontions, ainsi que j'ay dit, à la caresser.

  A006000936 

 Celles-cy sont les moins mauvaises, quoy que tousjours il y ayt de l'imperfection, car si quelqu'un fait quelque chose qui n'est pas bien, il faut le regarder avec compassion et non pas en concevoir de l'aversion.

  A006000936 

 Il arrive quelquefois que l'on a de l'aversion non pas aux personnes mais aux actions d'icelles.

  A006000936 

 Mais s'ils avoyent de l'aversion esgalement à tout ce qu'ils verroyent faire qui offenseroit Dieu, cela proviendroit d'un bon zele; neantmoins il seroit par apres dangereux de passer de l'aversion de l'action à l'aversion de la personne; et en ceste sorte, encor que pour l'ordinaire elle n'oste pas la charité, elle en oste la suavité..

  A006000936 

 Un exemple: il y en a qui [438] ont une grande inclination à la propreté, et concevront de l'aversion contre une personne malpropre, et feront une correction plus aspre pour ceste messeance que non pas pour quelque grand peché; or, cela est une grande imperfection.

  A006000937 

 Mais si nostre aversion continue et que nous fassions quelque action ou disions des paroles par ce motif, alors il y a du mal, car despuis que le cœur le pousse jusques à la bouche, c'est signe que la volonté est coulpable et qu'elle n'a pas reprimé le premier mouvement..

  A006000937 

 Or, ce n'est pas à dire que quand l'aversion est un peu forte nous puissions tousjours parler avec la mesme allegresse que si nous avions une amitié suave; car si bien il est en nostre pouvoir de parler et faire toutes autres actions, il ne nous est pas pourtant possible de les faire avec un visage aussi gracieux que si nous n'avions point ceste difficulté.

  A006000937 

 Or, quand il ne s'ensuit point autre chose de nos aversions sinon qu'en parlant à ceste personne nous ne sommes pas du tout si gays ou que nous destournons un peu nos yeux de dessus elle, cela n'est pas grand cas; il y a seulement matiere d'abaissement et d'humiliation, mais non pas de confession.

  A006000939 

 Il la faut laisser gronder, et ne pas suivre ses volontés, faisant tousjours regner la raison, qui veut que nous nous surmontions en toutes les occasions pour plaire à Dieu et observer le point de nos Regles qui dit qu'il se faut aymer cordialement..

  A006000939 

 Il y a tousjours un petit mot à dire sur le sujet des aversions, bien que non pas pour nous arrester beaucoup, car nous l'avons desja dit d'autres fois qu'il ne se faut pas estonner si l'on ne rit pas de si bonne grace que si l'on n'en avoit point, non plus que quand on se trouve mal; car en ces deux occasions, pourveu que l'on se sousrie un peu et que l'on ne tienne pas sa contenance refrognée quand on nous parle, nous nous devons contenter; car quand la [439] passion est fort esmeue il est bien difficile de faire meilleure mine, au moins avec ceux auxquels nous avons de l'aversion ou quand le mal nous presse.

  A006000939 

 Or bien, nous avons souventesfois dit cecy, c'est pourquoy il suffit que nous sçachions qu'il faut marcher selon la partie superieure en la voye de nostre perfection, et ne nous pas soucier des esmotions de la partie inferieure; autrement nous serions en perpetuel chagrin et inquietude d'esprit, et ne ferions pas grand avancement.

  A006000948 

 Il arrive pourtant quelquefois que nous y avons de l'aversion par la mauvaise inclination de nos esprits; de façon que l'un se desplaira de voir seulement baiser terre, l'autre de voir dire une coulpe, ou quelque autre mortification.

  A006000948 

 Il faut regarder avec beaucoup d'honneur et d'estime toutes les choses de nostre Institut et toutes les actions de mortification, de pieté et devotion qui y sont conformes et que les Superieurs permettent.

  A006000948 

 La nonchalance fait que nous n'avons pas le courage de faire les mortifications, ni de desirer que l'on nous y [440] exerce, c'est pourquoy nous avons aversion à les voir faire aux autres; et le descouragement nous fait ennuyer et dire: Mon Dieu, la grande peine! ce n'est jamais fait, je ne vis jamais tant de choses, c'est tousjours à recommencer.

  A006000948 

 Mais ce defaut est en toutes les personnes spirituelles que j'ay jamais cogneuës, par la nonchalance et descouragement.

  A006000949 

 Les mortifications que nous choisissons, encores qu'elles soyent repugnantes à nostre nature, depuis que nous en avons fait l'election, il n'y a plus de difficulté parce que nostre nature en tire de la vanité; mais celle qui est faite par nos Superieurs, il la faut recevoir comme de la main de Dieu, avec honneur et humilité.

  A006000949 

 Mais s'il arrivoit que cela nous tombast en la pensée, il faut le recevoir par forme de tribulation, avec douceur, et regarder tousjours la main de Dieu; car encores qu'il ne soit pas autheur du mal et de ceste passion, puisqu'elle devoit arriver, Nostre Seigneur la prend de sa main et la pose dessus nous, pour nous faire meriter par la souffrance de la tribulation..

  A006000950 

 Et cela est mal, car nous devons toutes estre en ce continuel exercice de charité, de contribuer tout ce qui nous est possible pour le bien les unes des autres; car tout doit estre en commun, voire Nostre Seigneur mesme: il ne veut pas que nous l'ayons en particulier, il veut tellement estre en particulier qu'il soit à tous en commun, et tellement en commun qu'il soit à tous en particulier..

  A006000950 

 Nous devons grandement aymer de faire et voir faire aux Soeurs tout ce qui leur peut profiter et les avancer à la perfection, et en faire beaucoup d'estime; car ces petites pratiques, encor qu'elles semblent de peu de valeur, sont plus utiles que les grandes.

  A006000951 

 Cela tient l'esprit en repos et nous oste le doute et la crainte d'avoir consenti; car à l'examen, trouvant que l'on a fait ces choses-là, l'on est en asseurance autant que l'on y peut estre en ceste vie..

  A006000951 

 Quand l'on est tenté de quelque tentation où il y a danger de [441] pecher, et qu'elle dure, pour s'empescher d'offencer Dieu il faut souventefois faire quelque acte qui tesmoigne que l'on n'y consent pas: comme seroit de baiser terre, lever les mains jointes contre le ciel avec ceste intention, et dire quelques paroles à Nostre Seigneur, et choses semblables.

  A006000959 

 Et si bien j'ay laissé la liberté à Philothée de le faire ou de ne le pas faire, selon qu'elle jugera luy estre convenable, s'occupant durant icelle à des autres prieres, soit mentales ou vocales, je l'ay fait parce que je ne la cognois pas tousjours ceste Philothée; mais cest exercice me semble estre meilleur pour estre plus conforme à l'intention de la sainte Eglise.

  A006000959 

 Outre le bien que vous ferez en vous assubjettissant à l'entendre comme les autres, puisque tout doit aller d'un mesme air à la Visitation, vous observerez de plus le conseil du grand saint Bernard, lequel dit qu'il faut, aux prieres communes, joindre nostre attention à l'intention pour laquelle elles sont faites.

  A006000959 

 « Vous voulez sçavoir, mes cheres filles, si vous ne feriez pas mieux de vous conformer à la Communauté faisant l'exercice de la Messe en disant vostre chapelet, que non pas à faire une autre sorte d'oraison durant le temps qu'on la dit.

  A006000960 

 Et estant demandé à nostre bien-heureux Pere s'il estoit mieux pour nous autres qui entendons ce que nous disons aux Offices, d'appliquer simplement nostre attention à Dieu, ou bien de suivre le sens des paroles que nous prononçons, il respondit qu'il aymoit mieux qu'on s'appliquast à suivre le sens de ce que l'on dit, d'autant que c'est se conformer à l'intention de celuy lequel, par inspiration de la divine Majesté, les a composées.

  A006000968 

 C'est une grande pitié, certes, que la Superieure dise: Faites ce qu'il vous plaira, quand on luy demande pour luy parler.

  A006000969 

 En l'ancienne Loy, Dieu ne vouloit point que l'holocauste luy fust offerte, si premier elle n'estoit escorchée: de mesme, nos cœurs ne seront jamais si propres pour estre immolés et sacrifiés à l'honneur de la divine Majesté, que quand ils seront bien escorchés de leur vieille peau, qui sont nos habitudes, nos inclinations, nos repugnances, les affections superflues que nous avons sur nous-mesme et pour nostre propre volonté..

  A006000969 

 Mais dites-vous, ma chere fille, si les Sœurs ont une Superieure qui ne les reçoive point avec l'esprit de suavité quand elles viennent à elle, soit quand elles ont besoin de luy parler ou qu'elles demandent quelque congé, et par ce moyen leur oste la confiance de recourir à elle en leurs necessités, s'il leur seroit point permis de s'adresser à celle qui tient sa place et son authorité quand elle n'y est pas, sous le pretexte de ne pas tant importuner la Superieure, et de plus, à fin d'avoir le congé que peut estre elle ne leur donneroit pas? O non certes, ma chere Sœur, l'on ne doit pas faire cela, sinon que la Superieure fust tellement empeschée que l'on l'incommodast bien de luy parler.

  A006000969 

 Mais elle me refuse pour l'ordinaire tout ce que je luy demande.

  A006000969 

 O c'est là que je vous attendois, car c'est tousjours nostre rendez-vous general que de revenir à nous-mesme; nous ne sommes jamais assez aymées ou estimées de la Superieure, qui est une chose tres-importante pour nostre consolation.

  A006000969 

 Que nous doit-il importer, pourveu que nous rendions nostre devoir en son endroit, qu'elle nous ayme ou qu'elle ne nous ayme pas? O dà, ma chere fille, je ne dis pas qu'il faille dire par esprit de mespris de la Superieure que nous ne nous soucions pas qu'elle nous ayme, ains plustost par mespris de nous-mesme, et [443] avec intention de nous despouiller de ceste vaine affection que nous avons d'estre aymées.

  A006000970 

 C'est un grand cas! mais j'ay une si puissante repugnance d'aller parler à ceste heure à la Superieure pour la croyance que j'ay qu'elle me mortifiera.

  A006000970 

 Ce seroit une chose grandement agreable si l'on pouvoit faire que la Superieure eust tousjours le miel sur les levres pour distiller sa suavité et sa douceur dans le cœur de celles qui luy voudroyent parler, et que ce fust tousjours.

  A006000970 

 Mais ce qu'elle me dit ne me sert de rien pour ma consolation, à ceste heure que j'ay le cœur en amertume; et c'est peut estre parce qu'elle ne me parle pas assez gracieusement selon que je desirerois.

  A006000970 

 O sans doute, c'est cela; mais que faut-il faire? il se faut mocquer de tout cela comme estant des enfances.

  A006000971 

 Mais si les Sœurs ne doivent pas perdre la confiance de s'adresser à la Superieure, encor qu'elles y ayent de la repugnance, de mesme la Superieure ne doit pas s'abstenir de leur commander ou ordonner quelque chose, encor que les Sœurs luy tesmoignent de la repugnance; sinon qu'appercevant une grande et puissante aversion en la Sœur, elle trouvast bon de differer un peu de temps à l'exercer en la mortification, car il ne faut pas estre tousjours si rigoureux.

  A006000971 

 Mon Dieu, que les Sœurs qui auroyent une Superieure qui ne les aymeroit pas seroyent heureuses! bien que cela ne se puisse, car la Superieure ayme tousjours les Sœurs de cest amour effectif dont nous avons parlé, leur procurant tout le bien qu'elle peut par l'exercice de sa charge, selon qu'elle y est obligée; mais de cest amour effectif, tendre et mignard que nous desirons si cherement, c'est de celuy-là que je veux dire; car moins la Superieure nous aymera de ceste sorte, et moins d'amusement nous aurons autour [444] de cest amour, si que nous aurons plus de temps pour nous occuper de Nostre Seigneur et pour nous tenir retirées aupres de Dieu qui doit estre nostre soin particulier..

  A006000972 

 Car, comme l'amour de la propre opinion, quand elle s'attache és choses de la foy, nous fait tomber en heresie et nous rend malheureux (comme il advint aux Anges qui, s'estans trop attachés à l'opinion qu'ils avoyent formée qu'ils devoyent estre quelque chose davantage qu'ils n'estoyent, furent par leur opiniastreté à soustenir et aymer leur opinion rendus, d'Anges glorieux, diables, eternellement damnés et eternellement attachés au mal, si que jamais plus ils ne s'en peuvent desprendre; où au contraire les Anges pour s'estre sousmis, se sont tellement attachés à Dieu que jamais ils n'en peuvent estre destachés, car ayans par la subtilité de leur esprit une fois penetré le fond de quelque verité ils n'en demordent jamais), de mesme, si nous n'apprenons à negliger et nous mocquer de la varieté de l'esprit humain, nous perdrons le temps à nous tourmenter en nous voyant si esloignés de ceste egalité apres laquelle nous aspirons, et de laquelle pourtant nous ne jouirons point absolument tandis que nous serons en ceste vie, ceste grace estant reservée aux esprits bienheureux là haut au Ciel.

  A006000972 

 Et bien que, comme je viens de dire, nous ne la puissions pas avoir absolument en sa perfection en ceste vie, nous devons pourtant tascher de l'avoir au plus haut degré que nous pourrons..

  A006000972 

 Il nous faut user du mesme remede pour nous divertir de ces petites tricheries d'humeur, de chagrin, d'aversion, que nous avons dit touchant la premiere question du renoncement de la propre opinion, par un simple divertissement de nostre esprit, pour parler à Dieu d'autre chose.

  A006000973 

 Les personnes qui font estai de servir Dieu le plus fidelement qu'elles peuvent, ne sont pas exemptes de l'ambition, non, mais elles l'exercent aux desirs des choses interieures, souhaitans les vertus au plus haut degré de leur perfection; [445] mais l'amour tendre et affectif ayant plus de pouvoir sur elles que non pas sur les mondains, les fait amuser à ce desir sans s'appliquer soigneusement et laborieusement à la recherche de venir à chef de leur pretention et sainte entreprise, parce qu'il leur cousteroit cher de renoncer à soy-mesme en tant d'occasions.

  A006000973 

 Or sus, n'avons-nous pas assez dit touchant ceste tendreté que nous avons sur nous-mesme, tant de l'interieur qui regarde l'esprit, comme des choses qui regardent le corps? Les plus spirituels s'ayment bien aussi de l'amour effectif; car nous avons dit que les mondains s'ayment grandement de cest amour, se souhaitans par une affection pleine d'ambition tant de biens et tant d'honneurs qu'ils n'en sont jamais contens.

  A006000973 

 Repugner à nos repugnances, decliner de nos inclinations, mortifier nos affections, mortifier le propre jugement et renoncer à la propre volonté, ce sont choses que l'amour affectif et mignard que nous nous portons à nous-mesme ne nous peut permettre sans crier: holà, que cela fait de la peine! Et cela est cause que nous ne faisons rien..

  A006000974 

 C'est sans doute qu'il ne se faut pas plaindre de tels petits rencontres, car si nous nous en plaignons c'est une marque que nous ne les aymons pas, et partant nous ne rendons pas nostre devoir à la sainte pauvreté.

  A006000974 

 Ce n'est pas estre pauvre de n'avoir point d'argent quand nous n'en avons pas besoin et que rien ne nous manque.

  A006000974 

 Il y a certes des personnes qui sont tousjours en necessité, parce qu'ils ont besoin de tant de choses pour les contenter que c'est grande pitié; et c'est ceux-cy qui sont pauvres, pourveu qu'ils ne se procurent pas tant de choses, parce qu'ils ont de la disette de ce qu'ils n'ont pas et qu'il semble qu'ils devroyent avoir..

  A006000974 

 Nostre glorieux Pere saint Augustin dit dans vos Regles que celuy-là est plus heureux lequel n'a pas besoin de beaucoup, que celuy qui a besoin de beaucoup de choses de quoy les autres se passent bien.

  A006000975 

 Ce que j'ay dit à Philothée est bon pour estre pratiqué par les Religieux, excepté certains chapitres, comme sont ceux qui regardent le mariage, les danses, les jeux, et semblables; mais tout le reste est tres-bon.

  A006000975 

 Mais si l'on me donnoit des [446] chausses qui fussent si estroittes qu'il me fallust demeurer un demi quart d'heure à les chausser, j'en demanderois d'autres, plustost que de perdre le temps là tous les matins; mais pour porter quelque chose mal accommodée ou qui me blesseroit, un peu, je n'en voudrais rien dire.

  A006000976 

 Il est vray que c'est estre bien pauvre d'observer cecy; mais je vous asseure que c'est un grand secret pour acquerir la perfection, et si caché neantmoins, qu'il y a peu de personnes qui le sçachent, ou, s'ils le sçavent, qui en fassent leur proffit.

  A006000976 

 Il y en a qui demandent des croix, et ne leur semble jamais que Nostre Seigneur leur en donnera assez pour satisfaire à leur ferveur; moy je n'en demande point, seulement je desire de me tenit prest pour porter celles qu 'il plaira à sa Bonté de m'envoyer, le plus patiemment et humblement que je pourray.

  A006000976 

 J'ay dit en deux ou trois lieux de la France, une chose que je m'en vay vous dire maintenant: c'est que pour parvenir à la perfection il faut vouloir peu et ne demander rien.

  A006000976 

 J'en ferais de mesme si j'estois en Religion: je ne demanderais du tout rien, sinon que je fusse malade, car il faut que les malades demandent confidemment leurs petites necessités.

  A006000976 

 Je ne demanderais pas mesme de communier, excepté en certains jours que la coustume semble nous obliger de le demander, comme celuy de la reception à l'habit, de la Profession, de la feste du Patron; et je demanderais aussi une aiguille et du filet quand on me commanderait de faire quelque ouvrage, car le commandement qui m'est fait de faire l'ouvrage m'oblige à demander ce qui est requis pour le faire.

  A006000976 

 Non certes, ma chere fille, je ne demanderais point des mortifications; je me tiendrais prest pour bien recevoir celles que vous me feriez, mais je n'en demanderais point.

  A006000976 

 Quant à moy, si j'estois Religieuse je ne demanderais rien, au moins si j'estois de l'humeur que je suis maintenant.

  A006000977 

 En fin j'aymerois mieux porter une petite croix de paille que l'on me mettrait sur les espaules sans mon choix, que non pas d'en aller couper une bien grande dans un bois avec beaucoup de travail, et la porter par apres avec une grande peine; et je croirois, comme il seroit veritable, estre plus agreable à Dieu avec la croix de paille que non pas avec celle que je me serais fabriquée avec plus de peine et de sueur, parce que je la porterais avec plus de satisfaction pour [447] l'amour propre qui se plaist tant à ses inventions et si peu à se laisser conduire et gouverner en simplicité, qui est ce que je vous desire le plus.

  A006000977 

 Faire tout simplement tout ce qui nous est commandé, ou par les Regles, ou par les Constitutions, ou bien par nos Superieurs, et puis nous tenir en repos pour tout le reste, tant pres de Dieu que nous pourrons..

  A006000977 

 Vous faites bien de demander à pestrir parce que vous vous sentez assez forte pour cela; mais moy je le ferais de bon cœur quand on me le commanderait, mais autrement je n'y penserais pas.

  A006000978 

 Je mangerais tousjours ce qui se rencontrerait de mon costé, et selon mon appetit ou necessité, et puis je laisserais le reste, bien que ce fust ce qui seroit plus à mon goust; mais si j'avois bien du degoust, je choisirais ce que je pourrais mieux manger: hors de là, je prendrais sans choix ce qui me seroit donné et au mesme ordre qu'il me seroit donné..

  A006000978 

 Quand l'on me donnerait ce que j'aymerois bien, je le mangerais avec actions de graces; quand on ne m'en donnerait pas je ne m'en soucierais pas.

  A006000978 

 Que dites-vous, ma chere fille, que sur ce que j'ay dit tantost qu'il se faut mortifier fidellement, si vous devez vous abstenir ordinairement de manger telle ou telle viande que vous aymez fort? Si c'estoit moy je ne le ferois pas, car nous sommes obligés, par la parole sacrée de Nostre Seigneur, de manger ce que l'on nous mettra devant; et cela se fait sans choix.

  A006000979 

 Celles qui ne le voudront faire peuvent demander ce qu'elles auront besoin, d'autant que les Regles le permettent, et cela n'est pas contre la pauvreté ainsi que vous dites; mais aussi n'est-il pas selon icelle ni selon la perfection à laquelle vous estes obligées de pretendre.

  A006000979 

 En demandant vos commodités vous ne faites pas mal, pourveu que vous ne vous rendiez trop exactes à la recherche d'icelles et que vous vous teniez tousjours dans les termes de l'observance pour ce regard; mais aussi perdez-vous par ce moyen les occasions de pratiquer les vertus qui sont fort propres à la condition de vie à laquelle Dieu vous a appellées.

  A006000979 

 Non, ma chere Sœur, la charité ne requiert pas que les Sœurs se tiennent en attention pour recognoistre et remarquer si quelque chose ne manque point à quelques unes, tandis qu'elles n'en ont point de charge; mais si elles apperçoivent quelque necessité en une Sœur elles doivent en advertir la Superieure tout simplement, sans l'agrandir ni la diminuer, non plus que si c'estoit pour elles-mesmes..

  A006000980 

 A cela, ma chere fille, je vous responds que ce qui a esté fait pour ce regard jusques à present n'a pas esté mal; mais si est-ce pourtant que desormais il ne le faut plus faire.

  A006000980 

 Vous demandez si c'est manquer à l'observance et faire mal que de choisir une serviette plus deliée pour la Superieure, et ne luy donner pas celle qui se rencontre, sans choix, comme l'on fait aux [448] autres Sœurs.

  A006000981 

 De quel costé que ce soit, ne nous lassons point de faire et souffrir beaucoup pour Nostre Seigneur, auquel soit à jamais rendu grace, gloire et louange par tous les siecles des siecles.

  A006000981 

 Il faut donc conclure maintenant et clore nostre Entretien par la recommandation de la simplicité et generosité d'esprit: marcher tousjours en la voye de nostre propre perfection sans nous amuser en chemin, quel rencontre de contradiction que nous puissions faire, soit de nos propres imperfections, repugnances ou passions immortifiées, soit des autres exercices qui proviennent d'ailleurs.

  A006000994 

 Je vous asseure que je n'y ay rien escrit que par son inspiration.

  A006000994 

 La premiere qu'il m'a donnée a esté de bastir une sainte retraitte pour des filles infirmes de corps et saines d'esprit; c'est pourquoy je ne veux pas qu'on introduise d'autres austerités que celles qui sont marquées.

  A006000994 

 Quand Nostre Seigneur me fit l'incomparable grace d'entrer dans nostre Institut, il n'y avoit encore que six Religieuses, qui vivoyent comme des Anges en pureté et en amour, et qui estoyent gratifiées de plusieurs graces extraordinaires en l'oraison, en sorte que l'on auroit oublié de prendre les necessités du corps, si nostre saint Fondateur ne nous eust fait comprendre qu'il desiroit que nous fussions aussi promptes à obeir au premier coup de cloche pour aller au refectoire, aux recreations et au coucher, comme au resveil et à l'Office, nous disant: « Mes cheres filles, le mesme Dieu qui vous appelle à l'Office et à l'oraison, vous appelle à la refection et au repos; et comme je desire que vous soyez des filles mortifiées à toutes propres volontés, je souhaitte qu'à tout moment du jour et de la nuit vous viviez en esprit de sacrifice interieur, ce qui vous tiendra place de disciplines, jeusnes, cilices, etc. Et je vous asseure, mes [filles] tres-aymées de nostre commun Maistre, que vous ravirez son cœur estant fidelles à toutes les pratiques de vos Regles, car elles ne sont point ouvrage d'homme mais du Saint Esprit.

  A006000996 

 » Il adjousta: « Commençons icy ceste pratique; ma Sœur Peronne Marie et ma Sœur Marie Jacqueline, approchez-vous, mettez-vous à genoux, et que ma Sœur Peronne Marie demande le pardon.

  A006000998 

 Je desire fort qu'on ne parle point de la mangeaille parmi nous; mangeons à la bonne foy ce qui nous sera presenté, qu'il soit à nostre goust ou non; pourveu que nostre sac à vers se soustienne, c'est assez.

  A006000998 

 « Il faut, mes cheres filles, » nous dit-il, « s'edifier des vertus de nos Sœurs, sans en rire ni leur en parler, crainte que la vanité leur en fasse perdre le merite.

  A006001000 

 Je sçay que les Peres Jesuites, s'ils se rencontrent cent fois le jour, ils tirent tousjours le bonnet; et pour vous, vous vous ferez l'enclin de la teste seulement lors que vous vous rencontrerez; et pour observer plus d'esloignement des manieres du monde, aux seculieres vous ferez des enclins.

  A006001001 

 C'est pourquoy, à fin qu'il n'y ayt point de ces preeminences parmi nous qui sommes petites, on tirera les rangs, mettant dans les billets des Saints, i à l'un, à l'autre 2, ainsi de suite, selon le nombre que vous serez.

  A006001001 

 Les Peres Jesuites les tirent tous les moys, mais nous nous nous contenterons que ce soit tous les ans.

  A006001001 

 « Il a passé icy un Pere Feuillant, » reprit le Saint, « qui m'a dit qu'il y avoit des Religieuses en Italie tellement attachées à leurs chapelets, images et estuis ou choses semblables, qu'il s'en est trouvé qui auroyent mieux aymé sortir de leur couvent que de les quitter, C'est pourquoy j'ay pensé qu'il faudrait changer toutes ces [452] choses entre vous, à fin de ne s'attacher qu'à Dieu; et pour cela il faut choisir le dernier jour de l'an, quand on tire les Saints.

  A006001005 

 « La sobrieté est de manger selon sa necessité, rien de plus, chacune selon sa portée; les melancoliques pour l'ordinaire mangent plus que les autres.

  A006001013 

 Pour vous faire operer tout cecy, sa misericorde vous donne son Saint Esprit qui habite en vous estant en sa grace, à fin que vous soyez aydées par sa lumiere et son amour à fin d'operer le tout à sa gloire..

  A006001013 

 Pourquoy pensez-vous, mes filles, que Dieu vous a mises au monde, et sur tout appellées à la sainte Religion, sinon à fin que [453] vous y soyez des hosties d'holocaustes à sa divine Majesté et des victimes qui se consomment chaque jour en son saint amour? Ce qui vous oblige à destruire en vous tout ce qui s'oppose à la perfection et à l'union avec Dieu, autant que vous pourrez, sur tout l'amour propre, la propre volonté, la recherche de l'honneur, la satisfaction des sens.

  A006001021 

 « Je rends graces à mon Dieu, » adjousta-t'il, « de ce qu'il veut estre servi en ce lieu, et je m'en vay content de laisser une Communauté que j'espere estre agreable à ses yeux et qu'il benira.

  A006001021 

 « Mais sçachez, ma fille, » adjousta-t'il, « que ce ne sera pas sans me faire violence, car je vois le monde d'un certain œil que Dieu me fait la grace de devenir tousjours plus simple et moins mondain parmi les artifices de la Cour.

  A006001021 

 » Et il dit à la Superieure qu'il avoit beaucoup plus senti de devotion en son Monastere que despuis son despart de Paris.

  A006001027 

 Honorez-les, admirez-les, et d'ailleurs contentez vous de ce peu que Dieu vous donne; c'est assez pour vous.

  A006001027 

 Il y a bien difference entre le nid de l'arondelle et celuy du cinnamologue, oyseau d'Arabie, d'autant que l'un n'est plastré que de bouë, que de pailletes, que de festus; là où l'autre est charpenté sur les hautes branches des arbres, de bois de canelle, de cinnamome et autres materiaux aromatiques.

  A006001027 

 Souvenez vous en fin que les Sœurs de saincte Marie sont semblables aux violettes entre les fleurs, qu'elles sont basses, petites et de couleur moins esclattante, et que la divine Majesté les a plantees pour son service et pour rendre un peu de bonne odeur en son Eglise.

  A006001030 

 Ah! Dieu vous donne une occasion de practiquer la patience: voudriez-vous bien la laisser eschapper? peut estre que de vostre vie vous n'en rencontrerez une semblable; peut estre que ce sera le dernier service que vous rendrez à sa divine Majesté.

  A006001030 

 Chacun se mit en devoir d'en chercher, et de tous les quartiers quasi de la Chrestienté, les Evesques, les Cardinaux et les Princes en envoyerent si grande quantité, que l'on fut contraint d'escrire en divers endroits qu'il y en avoit plus qu'il ne falloit.

  A006001030 

 Faites vous resolution d'estre chaste? Ouy; ô bien, je le seray, et quoy qu'il en puisse arriver, je mourray plustost que de consentir à la moindre impureté du monde: que le diable arme ses puissances, je ne le craindray point; je suis plus forte que luy, Dieu est mon Pere et il combatra pour moy.

  A006001030 

 Faut-il avoir la douceur? O bien, que la colere renverse mon pauvre cœur sans dessus dessous, que la teste me fume de tous costez, que mon sang bouillonne ainsi qu'un pot sur le feu, je ne laisseray pourtant d'estre gracieuse et douce tout ce qui se peut; et toutes les raisons que la nature me presentera pour sa descharge, je les estrangleray, je n'en escouteray pas une.

  A006001030 

 Je me trouvay à Rome lors que le Pape Clement VIII fut attaint de la maladie dont il mourut; elle estoit fort venimeuse, et tellement que les medecins jugerent que le souverain remede pour la chasser [455] consistoit à trouver du besouar, bien fin et bien asseuré.

  A006001030 

 O qu'il se trouvera de vertus comme cela, quand Dieu manifestera les secrets des cœurs! Telle personne croit d'en avoir maintenant bonne provision, qui à cette heure-là ne verra que du vent, je veux dire en trois mots, qu'il faut avoir la perfection, mais celle qui est vraye et solide.

  A006001030 

 Seneque a mis en avant un beau mot (je voudrois que ce fut sainct Augustin qui l'eut dit): que la perfection de l'homme gist à sçavoir bien souffrir toutes choses, comme si elles luy arrivoient par son election.


07-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome VII-Vol.1-Sermons.html
  A007000081 

 II — Sur le désir que Dieu a de notre salut.

  A007000126 

 Au reste, c'est aujourd'huy que non seulement les vieux mais aussi les jeunes doivent prescher, puysqu'il a esté prophetizé de ce jour que prophetabunt filii vestri et filiæ vestræ, et juvenes vestri visiones videbunt.

  A007000126 

 Je viens et me presente icy avec l'esprit de sousmission et obeissance selon lequel je desire marcher tout le tems de ma vie, lequel, encores qu'il soit favorable a toutes sortes d'entreprises, si est ce neantmoins que j'ay sujet de craindre que quelqu'un ne dise de moy ce qu'aujourd'huy a grand tort les Juifz ont dict des [1] Apostres a sçavoir, Musto plenus est iste: il faut bien dire que celuy cy soit enyvré de quelque temerité, qui, en tel tems, en tel lieu, et en son novitiat ecclesiastique, ose monter en ceste chaire apres de si grans peres.

  A007000126 

 Mays je dis au contraire que le tems m'invite a prescher, puysque je vois que omnes cœperunt loqui magnalia Dei, et que ce jourd'huy est le commencement de toute prædication.

  A007000126 

 On me dira que cela s'entend de ceux qui avoyent receu le Saint Esprit; hé bien, pourquoy ne le recevray je pas avec vous? Si feray certes, si comme les Apostres et disciples nous nous mettons unanimement avec devotion a prier Dieu cum Maria Matre Jesu, laquelle [2] affin qu'elle nous assiste de son intercession, mes Freres, a ce mien commencement, jettons nous plus fervemment que jamais a ses piedz et la saluons; et puys, in nomine Domini laxabo rete.

  A007000126 

 Que si les peres et meres, quoy qu'ilz prisent plus les aisnés, ilz caressent neantmoins et cherissent plus tendrement les plus petitz, je vous accorde, Messieurs, que comme la rayson le veut bien, vous prisies plus tous les autres prædicateurs; mays je demande par droit de petitesse et de minorité d'estre cheri, et qu'on prenne en bonne part mes affections au lieu auquel j'ay jetté les premieres semences du fruict duquel maintenant je vous offre les premices.

  A007000128 

 En l'incomprehensible et beaucoup plus indicible abisme de ceste eternité en laquelle regne glorieusement la Majesté divine, le Pere eternel, regardant sa propre substance et infinité, conceut en son entendement et produisit, parla et dict une parolle ou un Verbe, representant et exprimant si parfaittement sa substance, essence et divinité, qu'a ce Verbe il communiqua sa propre essence et divinité, engendrant en ceste maniere son Filz aussi vrayement Dieu que le Pere, et par la mesme divinité que le Pere.

  A007000128 

 Si que ce Filz est vrayement « Dieu de Dieu, lumiere de lumiere: » il est Dieu, puysqu'il a l'infinie divinité pour son essence et substance; il est « Dieu de Dieu, » pour ce que ceste divinité ou essence divine, il l'a receüe par la feconde communication que son Pere eternel luy en faict eternellement, comme il luy en fit eternellement, l'engendrant et enfantant de son ventre, devant qu'il y eust aucun lucifer entre les Anges au Ciel spirituel et invisible, ny aucune belle estoille ou diane entre les estoilles au ciel corporel et visible: Ex utero ante luciferum genui te; Ps.

  A007000129 

 Adam, ainsy qu'il est escrit au commencement de la Genese, fut doué d'une telle sagesse, que donnant les noms a chaque chose il exprimoit fort vivement sa proprieté.

  A007000129 

 Mays Dieu le Pere voulant exprimer et dire ce qu'il entendoit, consideroit et pensoit de soy mesme, comme s'il se fust voulu donner un nom propre et se nommer soy mesme, il dict un mot, une parolle, un Verbe qui le representa si naïfvement et exprima si vivement ce qui estoit en luy, que ce Verbe fut un autre luy mesme, et fut « vray Dieu de vray Dieu; » non [3] pas qu'il y eust deux dieux, mais parce qu'il y eut deux Personnes participantes d'une seule, et simple, et indivisible, et totale divine essence..

  A007000131 

 Dequoy si je voulois parler davantage, on pourroit bien dire a bon droit de moy ce qu'aujourd'huy les Juifz disoyent sans rayson des Apostres: Musto plenus est iste, c'est a dire: il faut bien que cestuy ci soit enyvré d'une grande presomption de vouloir expliquer les interieures operations de Dieu, qui sont voylëes de leur infinité en telle façon que l'œil de l'homme n'y peut approcher que de bien loin.

  A007000131 

 Grand a la verité, et parfaict fut l'amour que l'Espouse portoit a l'Espoux au Cantique des Cantiques (chap. 5 ), puysqu'a sa parolle son ame sembloit se fondre et dissoudre comme faict la cire aux rayons du soleil: Anima mea liquefacta est, cum dilectus meus loquutus est.

  A007000131 

 Je m'arreste donques, mes Freres, et ce que j'en ay voulu dire ç'a esté pour monstrer en quelque façon qui est Celuy duquel nous celebrons la feste, qui est le Saint Esprit et Amour, procedant eternellement du Pere et du Filz, vray Dieu avec le Pere et le Filz; et encores pour vous donner a entendre que de toute eternité ce Saint Esprit venoit, par ceste incomprehensible procession et respiration, du cœur du Pere et du Filz, combien qu'il ne soit pas venu, ou par maniere de dire arrivé, et que ceste mission n'aye esté bien accomplie qu'a tel jour qu'aujourd'huy, il y a environ 1559 ans.

  A007000132 

 Ce que nous voulant enseigner lhors qu'elle parle de la creation des choses en leur estre naturel, parlant de celle de l'homme, elle introduit la Majesté divine en ses troys Personnes, disant: Faisons l'homme a nostre sem blance car si une seule Personne eust creé l'homme, elle eust dict: Je fais, et non pas: Faisons, comme nous trouvons escrit: Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram. Et David chante: Benedicat nos Deus, Deus noster, benedicat nos Deus; Dieu nous benie, Dieu nostre, Dieu nous benie; ne reprenant par troys fois ce nom de Dieu sinon pour nous monstrer que non seulement le Pere benit, non [5] seulement le Filz benit, mais encores le Saint Esprit, et tous trois ensemble sont ceux qui benissent.

  A007000132 

 Que si l'obscurité de ce que j'ay dict avoit destourné vostre attention, revenes et escoutes devotement.

  A007000132 

 Tout ce que la sainte Trinité opere et fait hors d'elle mesme, en realité, toutes les troys Personnes y communiquent et operent sans division ou distinction quelconque.

  A007000133 

 Donq, encores que l'operation merveilleuse et puyssante qui a esté faitte es cœurs de l'Eglise naissante a tel jour qu'aujourd'huy, aye esté faitte egalement par le Pere, le Filz et le Saint Esprit, neantmoins, parce qu'en icelle reluit une principale bonté, misericorde et magnifique liberalité, on ne dict pas que toute la Trinité soit venue sur les Apostres, mays on dict et on celebre la descente du glorieux Saint Esprit: a la charge que vous ne vous imagineres pas que pour cela il aye changé de lieu pour descendre; car estant Dieu, il est tellement par tout par « essence, presence et puyssance, » que est in mundo non inclusus, extra mundum non exclusus.

  A007000137 

 Et comme des gourmans, nous disons qu'ilz ont l'ame en la panse, et de certaine nation, qu'elle a l'ame au bout des doigtz, pour ce que ne monstrant d'ailleurs guere de bon entendement, elle en faict plus paroistre es ouvrages manuelz, ainsy (et vaille la comparayson tant qu'elle pourra) nous disons le Saint Esprit descend la ou il faict quelque particuliere operation et participation de ses graces, ou pour le moins quelque nouvelle demonstration, comme quand il descendit sur Nostre Seigneur en son Baptesme; car la il ne communiqua pas nouvelle grace, Jesus en ayant la plenitude des sa conception, mais il donna seulement l'attestation de sa grandeur..

  A007000137 

 Tout de mesme donques, Dieu est par tout le monde, vivifiant tout; et comme nous disons l'ame estre en la teste pour les principales operations qu'elle y faict, aussi disons nous que nostre Dieu est au Ciel pour les principales operations qu'il y faict, monstrant sa gloire ouvertement.

  A007000137 

 Vous sçaves bien que nostre ame est par tout le cors et toute en toutes les parties d'iceluy; autrement elle ne seroit pas spirituelle, ou nostre cors seroit mort en la partie en laquelle l'ame ne seroit pas.

  A007000138 

 Vous sçaves maintenant ce que c'est a dire quand on dict que le Saint Esprit est descendu sur les Apostres, et que cela n'est autre sinon qu'il y a faict quelques signalëes et grandes operations.

  A007000139 

 Mays maintenant Dieu se faisant ouÿr par le bruit d'un grand vent, il remet la force es courages apostoliques et la constance que le peché leur avoit osté..

  A007000139 

 Ne sçaves vous pas que le plus souvent, l'esté principalement, avant que pleuvoir il tonne et fait vent? Ainsy aujourd'huy il tonne et fait vent, pour monstrer qu'il veut pleuvoir les douces pluyes des consolations du Saint Esprit, ainsy qu'il est escrit: Flabit spiritus ejus, et fluent aquæ.

  A007000140 

 Alhors ces pauvres laboureurs en plus grand soucy, avec plus de souspirs et affligees affections, estendans leurs mains noyres au ciel, empoignans la chandelle beniste, prient le Createur de destourner son ire, representans la misere de la pauvre famille, si ceste nuëe vient a l'effect dont elle menace; quand voicy que goutte a goutte ceste nuëe descend toute en pure eau, et abbreuve ces si alterees campaignes a souhait, ressemblant plustost a une grosse rosëe qu'a une impetueuse pluÿe.

  A007000140 

 Lhors le laboureur a bien dequoy louer Dieu de voir son jardin et campaignes reverdoyer plus que jamais, les fleurs se redresser, et tous les fruictz, par maniere de dire, reprendre l'haleyne que la chaleur leur avoit ostëe, et representer aux pauvres semeurs le banquet prætendu d'une abondante cueillette..

  A007000140 

 Mais voicy un vent impetueux et chaud, lequel ramassant toutes [8] les exhalaisons ja relevees, trame une grosse et noire nuëe qui semble voyler tout le ciel, dedans laquelle s'engendrant le tonnerre et brillant les esclairs, semble que bien tost, au lieu d'apporter soulagement aux fruictz de la terre, elle fracassera par le foudre, la gresle et la tempeste ce peu de biens que la secheresse a laissé sur la terre, et semble menacer les hommes d'une totale ruine.

  A007000141 

 Mais ce bruit, ce vent, ceste impetuosité, au lieu de frayeur se changea en une douce pluye des graces celestes, qui abbreuva si a souhait leurs courages, que des lhors il ne se parla plus de secheresse, ni d'aridité, ni de fletrisseure; car il leur arriva ce qui est dict de l'homme de bien par le saint roy David, lequel dict: Tanquam lignum quod plantatum est secus decursus aquarum, quod fructum suum dabit in tempore suo; et folium ejus non defluet, et omnia quæcumque faciet prosperabuntur..

  A007000142 

 Mais c'est asses parlé de ce premier signe pour le peu de tems que nous avons; venons a parler du second, qui fut des langues de feu ou comme de feu.

  A007000143 

 Au commencement je trouve que Spiritus Domini ferebatur super aquas, en la premiere formation du monde.

  A007000143 

 C'est a dire le chaos ou monde elementaire, ou bien le globe des eaux qui couvroit toute la face de la terre, estant creé, le saint Esprit de Dieu estoit porté par dessus, pour donner a ce chaos informe, a cest element infecond telle fecondité que, sans l'eau desormais, ni plante ni animal ne peust estre engendré: de maniere qu'il veut quasi dire qu'il couvoit et fecondoit les eaux, affin qu'elles produisent les animaux aquatiques [10] et servent a la production de toute chose animëe.

  A007000143 

 Et d'autant que le feu est plus noble que l'eau, d'autant est ceste reformation plus grande que la formation; et d'autant que le feu est plus actif que l'eau et plus puyssant, reduisant en feu quasi tout ce qui luy est præsenté en un moment, ce que l'eau ne fait pas, aussi y a il plus de puyssance et de majesté a reformer le monde qu'a le former, a le renouveller qu'a le creer.

  A007000143 

 Et devant que l'œuvre de la reparation aye esté faitte, combien a il cousté de sang a Jesus Christ mesme, vray Dieu et vray homme? Devant qu'oser dire et s'asseurer de ceste grande parolle: Consummatum est, combien de peynes a il enduré? ains quelles peynes n'a il pas enduré et souffert?.

  A007000144 

 Et quoy que le rien fust infiniment ennemy de Dieu, estant tout a fait de party contraire le neant et le sauverain Estre, si est ce neantmoins que n'ayant aucune puyssance, et le rien ne pouvant rien faire avec sa nulle puyssance, le tout qui estoit Dieu, au simple projet de sa volonté, mettoit en fuite le rien, changeant sa neantise en un bon estre, lhors qu'il faisoit les creatures..

  A007000144 

 Et respondent tous qu'en la formation du monde les choses furent faites du rien, et ne falloit faire autre que destruire le rien pour donner estre aux choses, lequel rien ne faisoit point de resistance a la volonté de Dieu, mays luy obeissoit, se changeant en estre a la simple parolle du Createur: Ipse dixit, et facta sunt; mandavit, et creata sunt.

  A007000144 

 Or les theologiens, non contens de sçavoir resolument que plus admirable a esté la Majesté divine en la reformation qu'en la formation du monde, ains que plus est admirable la justification du simple et seul pecheur, laquelle neantmoins se faict tous les jours en cent mille lieux du Christianisme, non contens, dis je, de le sçavoir, ilz demandent entr'eux le pourquoy, affin par apres de pouvoir rendre conte aux curieux de leur dire, et de faire mieux connoistre aux hommes la grace que Dieu leur [11] faict quand il les appelle a pœnitence.

  A007000145 

 O combien de resistance trouve Dieu en ceste besoigne! Que si vous me demandes: Hé, qui est si osé et si temeraire que de faire resistance a Dieu, et qui le peut faire? Saint Pol ne dict il pas en ce chapitre scabreux et qui ne devroit estre leu que des doctes (c'est aux Rom., 9 ): Voluntati ejus quis resistit? et au Psalm.

  A007000146 

 Des choses que Dieu veut estre faites, il veut les unes [12] estre faites sans nostre consentement, et en celles cy tousjours il est obei: telle est la production des choses, la pluye, neige, tempeste, les maladies et afflictions.

  A007000146 

 Et quant a celles cy, il est tousjours obei au Ciel, et partant Deus autem noster in cœlo; omnia quæcumque voluit fecit. Mays en terre, il n'y est pas tousjours obei; autrement, dites moy, qu'aurions nous besoin de demander Fiat voluntas tua sicut in cœlo et in terra? Et d'ou vient, me dires vous, ceste difference entre les volontés qui sont au Ciel et celles qui sont en la terre? En peu de parolles je vous le diray: c'est que les volontés celestes et heureuses sont tellement appuyëes sur la volonté de Dieu, que l'une ne se peut mouvoir sans l'autre, et n'ont pas la liberté de contrarieté, c'est a dire de mal faire, ains seulement de bien faire: grace et gloire tout ensemble..

  A007000147 

 C'est la perfection du franc arbitre que, ne pouvant mal faire, il aille et suive volontairement le bien, et d'estre tellement appuyé qu'il ne puisse jamais descheoir.

  A007000147 

 Mays nous autres, pendant que nous sommes en ce malotru monde, nous ne sommes pas ainsy appuyés; mays affin que nous puissions mieux meriter selon la suavité de la divine disposition, nous sommes tellement appuyés de la grace de Dieu, que nous puissions descheoir: la grace nous fait vaincre nostre infirmité et nous fortifie dans l'amour et la prattique du bien, nous laissant neantmoins tousjours en danger de tomber.

  A007000147 

 Que si quelques uns en ce monde, comme la Sainte Vierge, ont esté tousjours sans cheoir par speciale grace de Dieu, encores ne sont ilz pas semblables aux Bienheureux, n'estant necessités a bien faire tousjours et en toutes façons comme les Bienheureux.

  A007000148 

 Ainsy Dieu en la constitution et reformation des choses jura, par maniere de dire, sur son immutabilité, que si nous voulons voguer sur la nacelle de l'Eglise parmi l'eau amere de ce monde, il nous conduiroit en Paradis.

  A007000148 

 Dieu pourroit bien nous creer en Paradis, nous y mettre des l'enfance, en tout tems; mais nostre nature requiert qu'il nous fasse ses cooperateurs, et que « Celuy qui nous fit sans nous, ne nous sauve pas sans nous.

  A007000148 

 Il le desire, il le commande, il nous exhorte, il nous menace; mays de nous y conduire sans que nous nous aydions, il ne le peut pas faire, puysqu'il a juré le contraire.

  A007000148 

 Un seigneur a juré que si vous prenes la peyne de ramer sur un batteau jusques a un certain lieu, de la, il vous conduira en un autre lieu plein de toute amenité, pour, le reste de vostre vie, y jouÿr de tous playsirs.

  A007000148 

 [13] Il desire infiniment que vous le fassies, il vous le commande, il vous excite, il vous menace, il faict tout effort pour vous faire prendre l'aviron en main et voguer; cependant, pour ce qu'il a juré de ne vous pas faire ce bien que vous ne ramies, si vous ne rames, quoy qu'il le desire, il ne fera rien pour vous.

  A007000148 

 » C'est icy ou je respondray a vostre demande: Qui peut resister, qui veut resister a Dieu? Je le veux demander a mon ame, luy proposant les doutes que j'ay en cecy, et si vous faites mes demandes chacun a la vostre, vous ouyres de belles responses en vous mesme..

  A007000149 

 Ce n'est donq pas merveille si le Saint Esprit ayant fecondé les eaux pour l'institution du monde, il a voulu feconder le feu pour la restitution d'iceluy; car besoin estoit de plus d'efficace pour le r'habiller que pour le faire..

  A007000149 

 Et ceste autre voix: Pænitet me fecisse hominem, [14] ah, bon Dieu, elle seroit suffisante de nous fendre les cœurs, s'ilz estoyent de chair; car nostre Dieu ne se plaint pas d'avoir faict l'homme pour la creation, car quand il l'eut creé, vidit cuncta quæ fecerat, et erant valde bona; mais pour la peyne que devoit avoir son Filz faict homme a le reformer, dont il dict: Tactus dolore cordis intrinsecus.

  A007000149 

 O mon ame, ma chere moitié, n'as tu jamais ouy en toy mesme le Seigneur ton Dieu te commander: Ambula coram me, et esto perfectus? Ouy sans doute; et luy as tu jamais respondu: Recede a nobis, viam mandatorum tuorum nolumus? O combien de fois, avec tant de pechés, as tu rejetté les inspirations de Dieu; combien de fois luy as tu fait resistance! Ah, la lamentable voix que Dieu rend par Isaye, se plaignant de nous autres: Tota die expandi manus meas ad populum non credentem, et contradicentem mihi.

  A007000150 

 J'eusse peu aller recherchant ce que ce son faict au ciel, porté par le vent, et ce feu signifie par tous les coins de l'Escriture; mais je l'ay trouvé tout en un Psalme si gravement descrit, que ce seroit peyne de le chercher ailleurs: c'est le Psalme 28..

  A007000151 

 Il appelle icy les nuëes eaux, a cause que des nuëes se faict la pluÿe et les eaux, comme s'il vouloit dire: Factus est repente de cœlo sonus tanquam advenientis spiritus vehementis; car le tonnerre ne se faict pas sans nuages.

  A007000151 

 Il dict donques que le Dieu de majesté, le mesme Dieu qui se monstra tant terrible sur la montaigne de Sinaï, a faict un son vehement sur les eaux et nuages en l'air.

  A007000151 

 Qu'est ce que la consommation du Tabernacle, sinon la mission du Saint Esprit qui consomma et perfectionna le tabernacle de l'Eglise Chrestienne? Donques est il dict en ce Psalme: Vox Domini super aquas; Deus majestatis intonuit; vox Domini super aquas multas.

  A007000152 

 Et spiritu oris ejus; et par le Saint Esprit, qui est respiré par la bouche et sapience du Pere comme un souspir d'amour, toute leur vertu a esté perfectionnëe et tellement establie, que des lhors, selon la plus probable opinion, non seulement quant a la foy, qui est chose certaine, mais mesme quant aux mœurs, les Apostres ne firent onques faute.

  A007000152 

 Si que les Apostres estans comme les çieux de l'Eglise, on peut bien dire d'eux: Verbo Domini cœli firmati sunt, et spiritu oris ejus omnis virtus eorum; les deux apostoliques, par l'influence desquelz Jesus Christ, comme premier mouvant, nous communique sa foy et ses graces, ont esté confirmés par la parolle de ce Verbe de Dieu, lhors qu'il les laissa pour monter au Ciel, leur faisant ses beaux advertissemens.

  A007000153 

 Donq ceste voix, ce son, estoit signe que par la parolle de Dieu portee par la voix des Apostres, l'idolatrie avec ses adhaerans seroit bouleversee comme les veaux qui paissent au Liban et que in omnem terram exibit sonus eorum, et in fines orbis terræ verba eorum; et que portæ inferi non prævalebunt adversus eam; et que reges erunt nutritii Ecclesiæ et principes pulverem ejus lingent..

  A007000153 

 Il va poursuyvant, que les Apostres fortifiés par cest Esprit desracineront la gloire et vanité mondaine: Et comminuet eas tanquam vitulum Libani; c'est a [16] dire, le Seigneur ayant consolé, conforté, corroboré avec ce son, ce vent et ce feu les cœurs des Apostres, par leur ministere il fracassera, il fera sauter, il dissipera cedros Libani, c'est a dire les plus haut eslevés mescreans et infidelles: et ainsy est il advenu, mes Freres.

  A007000154 

 Il appelle desert le lieu ou estoyent les Apostres, ou les Apostres mesmes, pour ce que l'Eglise dict:.

  A007000154 

 Il s'ensuit au mesme Psalme: Vox Domini intercidentis flammam ignis; c'est a dire, ce son qui replevit totam domum Dei, est intercidentis flammam ignis; ce son, dis je, dispersa une flamme de feu en plusieurs parties, selon qu'il est dict: Sedit supra singulos eorum, pour demonstrer que la parolle evangelique portëe par les Apostres, devoit faire part a chacun du saint feu duquel Nostre Seigneur disoit: Ignem [17] veni mittere in terram, c'est a dire de charité ou de foy vive.

  A007000154 

 O que ce n'est pas sans cause que le Prophete royal dict: Ignitum eloquium tuum, Domine, et servus tuus dilexit illud; car par la parole de Dieu nos ames sont du tout enflammees en son amour et a l'extirpation de toutes nos imperfections.

  A007000159 

 Ainsy semble il que par ce son vehement Nostre Seigneur aye voulu faire enfanter les saintes prædications a ses Apostres, et par le [18] moyen de ses Apostres a tout le monde, lesquelz estoyent comme engrossés de la connoissance d'un vray Dieu et Sauveur par plusieurs conjectures naturelles et du paganisme; dequoy je me rapporte a Eusebe, De Præparatione Evangelica.

  A007000159 

 Mes Freres, les biches ont tellement grande difficulté de faonner ou faire leurs petitz, que jamais elles n'en viendroyent a bout si les tonnerres ne leur faisoyent poser de frayeur ou qu'elles n'usassent d'une herbe appellee siselle; et ainsy en l'hebrieu, au lieu que nous avons: præparantis cervos, il y a: parturire facientis.

  A007000160 

 Ce n'est pas sans cause que vous voyes les Apostres comparés aux biches, car les biches ne sont point armees de branches et cornes comme les cerfz; aussi les Apostres estoyent nudz d'armes corporelles, ne combattant le monde qu'avec la faim, soif et tribulation.

  A007000161 

 Et de cest enfantement des Apostres que s'ensuit il? Deus revelabit condensa; il s'ensuit que le sombre et touffu bois et forest de l'ignorance et aveuglement du monde a esté esclairci et descouvert, les arbres en ont esté abattus et rués par terre, si qu'apres ceste descouverte il n'y a personne qui puisse plus dire: Quis ostendit nobis bona? car par tout le son de la trompette evangelique a esté ouÿ, pour nous advertir de quel costé nous nous devons jetter a la retraitte, et par [19] tout il y a des autelz dressés a sa Majesté et des temples, si que in templo ejus omnes dicent gloriam..

  A007000162 

 Si que, comme ce premier deluge nettoya, reforma et renouvella la terre, aussi cestuy [cy] la remet, la reforme et la renouvelle, dont nous chantons: Emitte Spiritum tuum et creabuntur, et renovabis faciem terræ; et desormais sedebit rex Dominus in æternum, c'est a dire Jesus Christ, qui regnabit in domo Jacob, et regni ejus non erit finis..

  A007000163 

 Dominus virtutem populo suo dabit, Dominus benedicet populo suo in pace. O Seigneur Dieu, o doux Jesus, que dis je? Dominus virtutem, etc.

  A007000163 

 En paix, mon Dieu, et que feres vous de nous, Seigneur, qui sommes en guerre?.

  A007000164 

 Je ne m'amuseray donq pas a vous persuader de desirer le Saint Esprit, mays plustost je vous mettray en avant ce qu'il faut faire de nostre costé, comme il se faut disposer a le recevoir; car, disposés que nous serons, infalliblement selon sa sainte bonté, il arrivera en nous avec toutes ses benedictions..

  A007000164 

 Mes Freres, ores que vous aves ouy quelque chose de l'infinité des graces que le Saint Esprit communiqua a sa venue, et quoy que ce que j'ay dict soit peu en comparayson de ce qui en est, si est ce que je ne crois pas que vous ne desirassies extremement une venue du Saint Esprit sur vous autres; ou si vous estes si durs que de ne la pas desirer, je vous oseray bien dire a l'imitation de saint Pol, pour la premiere fois que j'ay eu cest honneur que de vous parler de la part de Dieu: O insensati Allobroges, usquequo gravi corde? Mais je ne le dis pas, ne pouvant croire tant de mal de [20] ceux auxquelz je desire tant de bien.

  A007000165 

 Regardons un peu comme les Apostres estoyent disposés quand ilz le receurent; ilz estoyent tout de mesme que quand ilz revindrent de l'Ascension.

  A007000166 

 Ainsy voulons nous dire que le juste vit selon la foy, selon qu'elle enseigne, ex præscripto fidei; et aussi, qu'il vit du gain qu'il faict en la foy, c'est a dire des œuvres bonnes et qui sont selon la foy..

  A007000166 

 Il faut apprendre que si nous voulons recevoir le Saint Esprit, il nous faut multiplier et enrichir les douze articles de la foy par l'observation et execution des dix commandemens de la loy.

  A007000166 

 Je vous diray un sens aysé a nostre propos, et que peut estre ne sçaves vous pas encores, et neantmoins saint et veritable.

  A007000166 

 Mays non; nous voulons dire que le malade, il vit selon la diete ordonnëe par le medecin, selon la regle, selon la maniere; et l'advocat, qu'il vit du gain (ou juste ou injuste, selon que l'advocat a l'ame bonne ou mauvaise), du gain qu'il faict par le moyen de ses livres.

  A007000166 

 Ne dict on pas que les advocatz vivent de leurs livres, de leur estude? Leurs livres et l'estude sont viandes de Caresme, apres Pasques on n'en mange pas; il n'y a si bon secretaire qui ne laissast son maistre a telle condition de viande.

  A007000166 

 Ne dict on pas: « Æger [21] ex dieta vivit, et regula medici; » le malade vit de la diete, il vit de la regle, il vit de la maniere que le medecin luy a baillëe? Certainement ce ne sont pas bons restaurans que la diete, la regle, la maniere escritte; les apoticaires n'y gaigneront gueres.

  A007000166 

 Nous croyons tous, mays fort peu font ce que la foy et creance leur apprend.

  A007000167 

 Jamais Dieu ne cessera de nous chastier, jusques a ce que nous cessions de pecher, dict l'Apostre saint Pol: Tu autem secundum impænitens cor tuum, etc. Et ceste impcenitence vient d'une certaine courtoysie que chacun a envers soy mesme; que chacun se flatte, chacun est prest ad excusandas excusationes in peccatis, chacun rejette la cause de nos maux sur le peché d'autruy, et non sur les siens, comme l'on devroit; et me semble, a ouÿr les discours que l'on va faisant en Savoye, que je vois jouer au change..

  A007000167 

 Pendant que la guerre dure, il ne faut pas attendre le Saint Esprit, car pendant que la guerre dure c'est signe que nos pechés durent: Et factus est in pace locus ejus.

  A007000167 

 Que ferons nous, mes Freres, nous qui sommes, comme j'avois commencé a vous dire, en guerre? Mes Freres, la guerre est un fleau de Dieu, et pendant que nous en sommes chastiés, il nous faut croire que c'est pour nos pechés; car si in terra pax est hominibus bonæ voluntatis, donques, bellum hominibus malæ voluntatis; car, comme inter bonæ voluntatis et malæ voluntatis, il n'y a point d'entre-deux, il n'y en a point aussi entre bellum et pax.

  A007000168 

 Chacune prend sa couleur, et est obligëe de la garder du change, si que, si le jeu estant commencé on dict que le vert change, celle qui a pris le vert, dira: ce n'est pas le vert qui change, c'est le gris; celle qui a le gris: ce n'est pas le gris qui change, c'est le bleu; celle qui a le bleu semblablement s'en descharge et dict: ce n'est pas le bleu qui change, c'est le blanc; et passent ainsy le tems a rejetter l'une sur l'autre le change, tant qu'il se faut retirer et que la conversation est rompue..

  A007000169 

 Et que faut il faire? Il faut bannir le peché de nous; il nous faut faire la paix avec Dieu, et nous aurons bien tost apres la paix en la terre..

  A007000169 

 Il me semble, mes Freres, qu'en Savoye nous nous entretenons tous au jeu du change: car si vous parles au peuple, la noblesse aura le change, laquelle avec sa lascheté n'ose rien remonstrer; si l'on parle a la noblesse, [23] les ministres de justice auront le change, qui se meslent de l'autruy; si l'on parle aux justiciers, les soldatz auront le change, qui sont trop desbordés; si l'on parle aux soldatz, les cappitaines auront le change, qui les conduisent et retiennent leurs payes, ou sont si avaricieux que pour desrobber eux mesmes ilz permettent a leurs soldatz de desrobber.

  A007000169 

 Parles aux cappitaines, les princes auront le change, qui ont tort de vouloir faire la guerre sans argent, ou qui n'advisent pas d'y mettre l'ordre au moins mal; et aucuns crient que tout le mal vient des peuples qui ne sont pas asses reformés.

  A007000170 

 Disons donques tous, et que chacun parle pour soy, [24] faisons chacun pour nous en nous eslevant a Dieu: Pater, peccavi in cœlum et coram te; Tibi soli peccavi, et malum coram te feci.

  A007000170 

 Donques, omnes declinaverunt; que personne ne s'excuse d'estre cause des malheurs de nostre aage: nous avons tous part a la peyne et fascherie, nous avons tous part a la coulpe..

  A007000170 

 Et quel peché faut il chasser? Ah, que je me garderay bien de me contredire; vous ne me prendres pas en ma parole.

  A007000170 

 Je n'ay garde de dire qu'il faille chasser le peché des autres, affin de ne pas jouer au change aussi bien que les autres; mais je vous prieray que chacun die comme moy, et que chacun parle a sa conscience propre et non pas a celle des autres.

  A007000170 

 O mon ame, n'est ce pas toy qui es cause de ce mal, qui as faict tant de pechés sur pechés, tant d'offenses, tant de laschetés que justement l'ire de Dieu est tombëe sur tout un peuple? Ne sçais tu pas qu'autrefois, s'ilz se fussent trouvé dix hommes de bien, le bon Dieu, pour leur respect, eust gardé toute une ville de ruine (au Gen., 18 )? Ah, que peut estre manquoit il le dixiesme en ce païs; que si tu te fusses reformé, peut estre eusses tu accompli le nombre: o quel grand bien! Et ne me respons pas: Pourquoy les autres n'y ont ilz advisé? car ilz en ont plus affaire que toy.

  A007000171 

 Je ne parleray qu'a moy mesme, de peur qu'il ne semble que je veuille jouer au change.

  A007000171 

 Jonas estant commandé d'aller a Ninive prescher, fut desobeyssant et s'en alloit ailleurs par mer; la tempeste s'esleva tellement, que le maistre et patron du navire resolut d'en jetter un en mer: le sort tomba sur Jonas, et quoy que ce fust sort, si est ce qu'il fut a propos; car apres, stetit mare a fervore suo.

  A007000171 

 O grand Patron de la navire ecclesiastique, Jesus Christ, si c'est faute de ma pœnitence que cest orage s'est eslevé, que la nef se va rompant, jettes moy, Seigneur, dans la mer; la mer est la pœnitence amere, dans laquelle estant jetté, faites que je sois receu dans le ventre de la baleyne, c'est a dire de l'esperance, sans laquelle [25] le repentir n'est qu'une bourrasque de desespoir; en ceste esperance j'y demeureray trois jours, de contrition, confession et satisfaction, et alhors, Seigneur, cessabit m are a fervore suo.

  A007000171 

 Que si non seulement propter me tempestas hæc orta est, sed propter hunc totum populum, changes nos volontés mauvayses en bonnes, et nos courages mauvais en bons: Cor mundum crea in me, Deus.

  A007000171 

 Seigneur Jesus Christ, faites encor que de nous, sit cor unum et anima una; car alhors erit tranquillitas magna.

  A007000172 

 C'est le vray tems de demander, maintenant que tout le monde est a la besace; car il est escrit au Psalme 9: Desiderium pauperum exaudivit Dominus..

  A007000173 

 Que devons nous demander a Dieu, mes Freres? Tout ce qui est pour son honneur et le salut de nos ames, et en un mot l'assistance du Saint [26] Esprit: Emitte Spiritum tuum et creabuntur; et en ce tems icy, la paix et la tranquillité: Fiat pax in virtute tua; Rogate quæ ad pacem sunt Hierusalem.

  A007000174 

 Et de fait, ce sont les prieres que Nostre Seigneur fit en croix desquelles parle saint Pol, aux Heb., 5: In diebus carnis suæ, preces supplicationesque cum clamore valido et lacrymis offerens, exauditus est pro sua reverentia.

  A007000174 

 Et pour obtenir le Saint Esprit, il faut remercier Dieu le Pere qui l'envoye, de ce qu'il l'a envoyé sur nostre chef Jesus Christ Nostre Seigneur son Filz, entant qu'homme, [et] que ex plenitudine ejus omnes accepimus; de ce qu'il l'a envoyé sur ses Apostres pour nous le communiquer par leurs mains.

  A007000174 

 Il nous faut remercier le Filz, lequel entant que Dieu l'envoye pareillement sur ceux qui se disposent; mays sur tout, il le faut remercier de ce qu'entant qu'homme il nous a merité la grace de recevoir le Saint Esprit.

  A007000174 

 O comme Jesus Christ merita la venue du Saint Esprit! Ce fut lhors qu'il rendit l'esprit en inclinant son chef adorable: Et inclinato capite, emisit spiritum; car donnant son dernier souspir et esprit au Pere, il merita que le Pere envoyast son Saint Esprit sur son cors mistique.

  A007000174 

 O que tousjours sois tu beny, o doux Jesus..

  A007000175 

 A l'oraison, il faut y adjouster l'obsecration, c'est a dire l'adjurer en vertu de quelque chose qui luy plaise: et premierement, par sa mesme bonté, motif esgal a luy mesme; secondement, par son Filz Nostre Seigneur, vray mediateur entre Dieu et les hommes, et unique quant a la mediation principale, essentielle et naturelle, ainsy que faict tousjours l'Eglise, quoy que les hæretiques la calomnient; troysiesmement, par ses Saintz qui sont mediateurs par intercession et dependance: Memento, Domine, David, etc. (vous autres particulierement par le glorieux saint Pierre, saint François, saint Dominique, saint Jacques, saint Maurice), et sur tout par le merite et par l'amour qu'il porte a sa sainte Mere, la glorieuse Vierge Marie; et cecy ce sera accomplir la quatriesme condition pour recevoir le Saint Esprit, car ce sera estre cum Maria Matre Jesu.

  A007000176 

 L'Evangeliste dict bien qu'il y avoit des hommes et des femmes, a fin de monstrer que tous devons attendre le Saint Esprit; mays il nomme celle cy, pour monstrer qu'elle estoit plus que femme, comme la Dame des Apostres, et partant il ne dict pas qu'elle fut avec les Apostres, mays les autres estoyent avec elle et sa suite.

  A007000177 

 Que ces suffisans donques se retirent, qui ont peur que nous ne faisions trop d'honneur a la Vierge; car elle est digne de tout l'honneur qui appartient a la pure creature, tant spirituelle que corporelle.

  A007000179 

 Mais de cecy, une autre fois; il faudra que vous me facies ce bien que de m'assister pour ouyr des louanges de ceste Vierge un peu plus amplement; et ce pendant je la prieray qu'elle me rende capable.

  A007000179 

 Serves la, honnores la, affin que Celuy qui vient a nous par elle, nous reçoive par elle: Per te nos « suscipiat, qui per te » ad nos venit.

  A007000188 

 Il pourroit sembler estrange a quelqu'un, mes chers auditeurs, que vous ayant apporté du pain la semaine passëe en ceste chaire, vous disant: Hic est panis qui de cœlo descendit (Joan., 6 ), maintenant je ne vous y apporte qu' une pierre, disant: Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam; et neantmoins, quand je vous invitay a ceste exhortation, je vous promis une semblable refection spirituelle que celle que je vous presentay alhors.

  A007000188 

 Non, je ne m'abuse point, car je vous apporte ceste pierre sur la parole toute puyssante de Nostre Seigneur, laquelle nous asseure que ceste pierre nous doit tous repaistre: Petre, amas me? Tu scis, Domine, quia amo te.

  A007000189 

 Addressons nous a nostre tres glorieuse Dame la Sainte Vierge, et la prions qu'elle dise a son divin Filz, non pour le tenter mays pour le glorifier: Dic ut petra [31] hæc panis fiat; et soyes asseurés que si la semaine passëe Nostre Seigneur cibavit vos ex adipe frumenti (Psal. 80 ), maintenant, de petra melle saturabit vos.

  A007000192 

 Mais peut estre me dires vous que l'Eglise ne tient pas que ceux qui meurent martirs soyent mortz, mays vivans, et estime que, passans a une meilleure vie, on a grande occasion de se resjouyr en leur mort; et pour ce que leur nativité estant accompaignëe de peché elle les amene aux miseres, et leur mort les mene a la gloire, on celebre leur nativité le jour qu'ilz meurent..

  A007000192 

 Omnia tempus habent: tempus nascendi, et tempus moriendi, dict l'Escriture Sainte: dont je prens occasion d'admirer que l'Eglise Catholique nostre Mere, aye commandé, et non sans rayson, que dedans l'octave d'une si grande resjouyssance comme est celle de la nativité de saint Jan, on celebrast la glorieuse memoyre du martire de saint Pierre, grand gouverneur de l'Eglise militante; car si, comme dict l'Escriture, musica in luctu importuna narratio est, s'il y a tems de mourir et tems de naistre, pourquoy donques a on meslé eh une mesme octave la mort de saint Pierre avec la naissance de saint Jan? Certes, mes chers auditeurs, il sera bien aysé de trouver responce a ce doute et satisfaire a ceste admiration.

  A007000193 

 Mais si la nativité des Saintz est miserable, et leur [32] mort glorieuse, pourquoy, a une chose glorieuse comme est la mort, donne on le nom miserable de nativité? Je trouve qu'il y a tant de similitude entre la nativité de saint Jan et la mort de saint Pierre, que toutes deux se doivent appeller mort ou toutes deux nativité; car il n'y a nulle apparence que deux choses si semblables doivent avoir diversité de noms.

  A007000193 

 Mays aujourd'huy je ne veux pas m'arrester sur ces choses pour vous les prouver; je ne prendray que ce qui fait a mon propos pour la solemnité de ce jour..

  A007000194 

 Quand je considere que l'Eglise nostre Mere nous propose en la joyeuse octave de la nativité de saint Jan la solemnité de la mort douloureuse de saint Pierre, sçachant qu'elle est conduitte du Saint Esprit, je crois qu'elle le faict pour quelque similitude et rapport qu'il y a entre la mort de l'un et la nativité de l'autre; pensëe en laquelle je suys d'autant plus confirmé, que je vois que la mesme Eglise appelle aussi bien naissance la mort de saint Pierre que la nativité de saint Jan, voyant que non seulement en la mort, mays encores en leur vie mesme, j'y trouve certaine alliance et grande ressemblance, quoy qu'en certains pointz il y aye de la dissimilitude, comme il y en a tousjours entre les choses du Viel et du Nouveau Testament..

  A007000195 

 Certes, quand j'ay leu au Genese que Dieu fit deux grans luminaires au ciel, l'un pour præsider et esclairer le jour et l'autre pour la nuict, incontinent j'ay pensé que c'estoyent ces deux grans Saintz, saint Jan et saint Pierre; car ne vous semble il pas que saint Jan soit le grand luminaire de la Loy mosaïque, laquelle n'estoit qu'une ombre ou comme une nuict au regard de la clairté de la Loy de grace, puysqu'il estoit plus que prophete? Encores qu'il ne fust pas lumiere, toutesfois il portoit tesmoignage de la lumiere, par [33] quelque participation de la lumiere laquelle in tenebris lucet; Joan., I.

  A007000195 

 Et vous semble il pas que saint Pierre soit Evangelii luminare majus, puysque c'est luy qui præest diei Evangelii? lesquelz deux luminaires ont esté mis au ciel ecclesiastique par Celuy qui l'a faict et formé, qui est Jesus Christ Nostre Seigneur..

  A007000196 

 Ce que je ne dis pas pour vous faire entendre que saint Jan ne sceust bien la verité, mais affin que vous sçachies que comme saint Pierre, qui estoit le luminaire qui præsidoit au jour, parle ouvertement, aussi saint Jan, pour s'accommoder au tems auquel il præsidoit, qui estoit le tems des ombres et des figures, il parle plus couvertement..

  A007000196 

 Hé, penses vous pas qu'ilz s'entreregardoyent quand l'un disoit: Ecce agnus Dei, et que l'autre disoit: Tu es Christus Filius Dei vivi? Il est vray que la confession de saint Jan ressent encores quelque chose de la nuict de l'ancienne Loy, quand il appelle Nostre Seigneur aigneau, car il parle de la figure; mais celle de saint Pierre ne ressent rien que le jour, quia Joannes præerat nocti, et Petrus diei.

  A007000197 

 Au commencement du monde, on trouve que Spiritus Dei ferebatur super aquas; Gen., I.

  A007000197 

 [34] Ainsy me semble il qu'en la reformation du monde, Nostre Seigneur fecondoit les eaux, lhors que ambulabat juxta mare Galilææ; et avec la parolle qu'il dict a saint Pierre et a saint André: Venite post me, il fit esclorre parmy les coquilles maritimes saint Pierre et saint André; Matth., 4.

  A007000198 

 Et voicy que Nostre Seigneur, l'unique Sapience du Pere eternel, retire le grand chef de l'Eglise militante, saint Pierre, des eaux aupres de la mer de Cesarëe; lequel on pourroit bien appeller Moyse, puysqu'il a esté retiré des eaux comme Moyse.

  A007000198 

 Pharao avoit commandé aux sages-femmes des Hebrieux qu'elles tuassent tous les enfans masles d'Israël; la mere de Moyse, l'ayant enfanté et gardé troys moys, en fin ne le pouvant plus cacher, elle le mit en un panier de joncs qu'elle accommoda le mieux qu'elle peut, puys l'exposa parmi certaines herbes aquatiques au bord de l'eau; et la fille de Pharao y venant pour se baigner, l'appercevant, le fit prendre, et voyant que ce petit enfant estoit fort beau, par bonheur elle le fit nourrir par sa mere propre; et parce qu'elle l'avoit retiré des eaux, elle l'appella Moyse, c'est a dire retiré; Exod., 1 et 2.

  A007000198 

 Vous apperceves vous point du mistere que contient ceste histoire? Moyse estoit chef de la Synagogue, et fut a cest effect sauvé et retiré des eaux par la providence de Dieu.

  A007000199 

 Celle de saint Pierre a esté pareillement praedicte; mais il y a ceste grande difference, que l'Ange prædict celle de saint Jan, et celle de saint Pierre fut praedicte par Nostre Seigneur..

  A007000199 

 Je trouve premierement que la nativité de saint Jan a esté prædicte par l'Ange: Et multi in nativitate ejus gaudebunt; Luc., I.

  A007000199 

 Mais considerons maintenant la ressemblance de ces deux nativités de saint Jan et de saint Pierre, a condition toutesfois que nous ne ferons que toucher ce qui sera de saint Jan, pour nous arrester davantage en ce qui est de saint Pierre, puysque c'est en ce jour que nous celebrons sa feste.

  A007000200 

 Le rabbin Saadias dict que l'aigle voletant parmy le feu, et puys se jettant dans la mer, renouvelle ses aisles et sa jeunesse.

  A007000200 

 Saint Jan nasquit pour finir la Loy mosaïque, saint Pierre mourut pour commencer l'Eglise Catholique; non que saint Pierre fust le commencement fondamental de l'Eglise, ny saint Jan la fin de la Synagogue, car c'est Nostre Seigneur, lequel mit fin a la Loy de Moyse, disant sur la croix: Consummatum est (Joan., 19 ), et resuscitant, il commença l'Eglise nouvelle; car comme il se renouvella luy mesme, aussi renouvella il son Eglise: il se renouvella, dis je, resuscitant revestu d'immortalité, luy qui s'estoit auparavant revestu de nostre mortalité: Et habitu inventus ut homo, etc.; Philip., 2.

  A007000201 

 Mais quel encens penses vous que saint Pierre offroit au Seigneur quand il luy respondit: Domine, tu scis quia amo te? odeur qui seule est aggreable a sa divine Majesté..

  A007000203 

 Et de ceste seconde sorte, nous n'avons que la Vierge sacrëe, de laquelle David dict, Psal. 84: Benedixisti, Domine, terram tuam, avertisti captivitatem Jacob.

  A007000203 

 Mais sçaches que les Saintz sont sanctifiés en cinq manieres.

  A007000203 

 est de ceux qui ne sont pas saintz sinon contingemment, et sans aucune necessité que par la volonté de Dieu; neantmoins ilz le sont tousjours.

  A007000203 

 par necessité de consequence: c'est ainsy que fut sanctifié Nostre Seigneur, lequel estant Filz naturel de Dieu, ne pouvoit qu'il ne fust saint; et parce qu'il estoit saint par nature, il s'appelle saint par excellence: Sanctus vocabitur Filius Dei (Luc., I ); estant l'un des trois Sanctus, Sanctus, Sanctus (Isa., 6 ), que les Seraphins que vit Isaye repetent sans cesse dans le Ciel en l'honneur de la tressainte Trinité.

  A007000203 

 sorte est de ceux qui sont sanctifiés d'une sanctification commune a tous les [37] justes avant que de mourir, desquelz il est dict, Sap., 3: Justorum animæ in manu Dei sunt.

  A007000204 

 Le mesme peut on dire de la sanctification de saint Pierre, qui se fit dans le cenacle, ou la Sainte Vierge estoit aussi presente, a la descente du Saint Esprit; tellement que l'on peut dire de luy comme de saint Jan: Exultavit infans, puysque saint Pierre auparavant, comme enfant, n'avoit quasi jamais parlé, et tout aussi tost, aperiens os suum Petrus, il commença a prescher et convertir les ames a milliers..

  A007000204 

 Or, pour vous monstrer le rapport qu'il y a entre saint Jan et saint Pierre, je trouve que la Sainte Vierge fut presente a leur sanctification.

  A007000205 

 O deux luminaires ardens de predication, fayorises de vos saintes intercessions mon enfance, affin qu'il plaise a Dieu se servir de moy en ce ministere, ad dandam scientiam salutis plebi ejus, in remissionem peccatorum eorum (Luc., I ), et que je puisse tellement avoir les levres ouvertes de la part de Nostre Seigneur, que os meum annuntiet laudem ejus; recte docere, et [38] æ doceo opere complere, ne cum aliis prædicaverim ipse reprobus efficiar..

  A007000206 

 C'est une chose a quoy je ne puys bonnement respondre; seulement je vous diray que vous imities la sainteté de l'un et de l'autre, et puys vous le sçaures quand vous seres dans le Ciel.

  A007000207 

 Au reste, l'Eglise appelle nativité la mort de saint Pierre, pource que dans la mort il a trouvé la vie; mays la mort de saint Jan ne se pourroit pas appeller nativité, d'autant qu'il luy fallut aller aux Limbes, le Ciel n'estant pas encores ouvert pour lhors.

  A007000207 

 Mais je ferois tort au passage de la Sainte Escriture que j'ay cité au commencement de ce sermon, si je m'arrestois davantage a poursuyvre les ressemblances qui sont entre la nativité de saint Jan et la mort de saint Pierre, puysque j'ay tant d'occasion de faire une comparayson plus haute, c'est a sçavoir entre la mort de saint Pierre et celle de nostre divin Sauveur..

  A007000208 

 C'est que Dieu nous attribue ces noms pour nous humilier et nous monstrer sa charité; le diable nous les attribue pour nous faire tomber dans la superbe, et par ce moyen nous separer de la charité.

  A007000208 

 En fin ces noms donnés aux hommes monstrent plustost la gloire de Dieu que celle des hommes: il a tant de bonté que de nous vouloir rendre semblables a luy, autant que nostre bassesse le peut porter..

  A007000208 

 Et que personne ne vienne dire que toutes comparaysons sont odieuses et qu'il n'y a point de rapport entre le Maistre et le serviteur, puysque Nostre Seigneur ne fait point de difficulté de se mettre en comparayson avec [39] les bergers, avec les moutons, avec les vignes, avec les pierres.

  A007000208 

 Mais remarques cecy: car Dieu nous appelle dieux; le diable nous appelle dieux, quoy que non pas absolument, disant: Eritis sicut dii, scientes bonum et malum.

  A007000209 

 Il ne faut donq pas, mes chers auditeurs, avec nostre petit entendement contreroller et sindiquer quand nous voyons que l'Eglise donne a certains grans Saintz, notamment a nostre glorieuse Maistresse, des tiltres excellens.

  A007000209 

 Les autres noms de ceste sainte Vierge s'entendent par proportion et participation, comme quand nous l'appelions nostre refuge, nostre esperance, parce qu'elle l'est en effect, bien que ce ne soit que par participation et par le moyen de son credit.

  A007000210 

 ; et partant il dict apres, par deux fois: Sequere me. La premiere, apres qu'il luy eut praedict sa mort: Cum hoc dixisset, dicit ei: Sequere me, Joan., 21; comme s'il eust voulu dire: Tu seras crucifié, pour te monstrer que tu ne repaistras pas seulement mes brebis de ma parolle, mais encores de mon exemple; sois donq pasteur, mon vicaire et mon lieutenant.

  A007000210 

 Lautrefoys il luy dict: Sequere me, quand il se fut informé que deviendroit saint Jan: saint Jan demeurera comme il me plaira; quant a toy, il faut que tu me suives, non seulement au vicariat et gouvernement de mon Eglise, mays encores en mourant sur une croix comme moy..

  A007000210 

 Nostre Seigneur ayant dict a saint Pierre que quand il seroit viel il estendroit ses mains et seroit lié et mené la ou il ne voudroit pas, il luy dict: Sequere me.

  A007000210 

 Saint Augustin demande pourquoy Nostre Seigneur dict a saint Pierre: Sequere me; il respond que c'est comme s'il luy eust voulu dire: Quant a toy, Pierre, tu me suyvras non seulement a la mort, mais encor quant a la façon de la mort; en quoy Euthymius s'accorde, quoy que Theophylacte entende par ces parolles, que Nostre Seigneur luy vouloit dire: Sis vicarius meus.

  A007000211 

 Et neantmoins Papias (au recit d'Eusebe), disciple des Apostres, nous en asseure, apportant pour tesmoignage que saint [41] Pierre date sa premiere Epistre de Babylone, c'est a dire de Rome, interpretation laquelle est suyvie du grand saint Hierosme, au traitté qu'il a faict Des hommes illustres.

  A007000211 

 Et pour cela, remarques que saint Pierre ne dict pas: L'Eglise de Babylone vous salue, mays: Salutat vos Ecclesia in Babylone coelecta.

  A007000212 

 Lhors ce grand Saint, avec son ordinaire simplicité, luy demanda ou il alloit: « Domine, quo vadis? » auquel Nostre Seigneur respondant: « Vado Romam, iterum crucifigi, » saint Pierre par ces paroles conneut que Nostre Seigueur vouloit estre crucifié en sa personne, puysqu'il a dict: Quod uni ex minimis meis fecistis, mihi fecistis; Matth., 25.

  A007000212 

 Or, tout ce que je vous ay dict est rapporté par des autheurs irreprochables, a l'opinion desquelz il n'y a homme de bon jugement qui ose s'opposer.

  A007000213 

 Ainsy me semble-il qu'il aye fait en sa reformation; car voulant que saint Pierre fust le president et gouverneur universel de son Eglise, qu'il commandast tant a ceux qui sont dans les eaux de ce monde comme a ceux qui se retirent en la Religion pour voler en l'air de la perfection, il le voulut rendre semblable a luy, et me semble qu'il dict: Faciamus eum ad imaginem nostram, c'est a dire, semblable a Jesus crucifié; c'est pourquoy il luy dict: Sequere me..

  A007000214 

 Combien plus, dis je, penses vous que ce divin Sauveur fust espris de l'amour de saint Pierre, qui estoit comme son image, plongé dans les eaux de la tribulation du martire? Nonne oportuit, dict il aux disciples d'Emaüs, Christum pati, et ita intrare in gloriam suam? Luc., 24; de mesme je diray: Nonne oportuit Petrum pati, et ita intrare in gloriam Domini sui? Ouy sans doute, car Nostire Seigneur luy avoit dict: Sequere me; viens a la gloire, mays comme moy..

  A007000214 

 Ne penses vous pas que Nostre Seigneur regardast saint Pierre en son martire, puysque oculi ejus in pauperem respiciunt? Il le voyoit comme dans les eaux d'amertume et de tribulation, crucifié les piedz en haut, en sorte qu'il estoit comme son vray pourtrait.

  A007000215 

 Regardes en la Passion: vous trouveres que Nostre Seigneur ne pouvant porter sa croix, tant il estoit accablé de tourmens, on fit venir un certain homme pour luy ayder, lequel l'alloit suyvant, portant la croix sur ses espaules.

  A007000215 

 Simon Cyreneen porte la croix pour monstrer que nostre Simon auroit en main la Croix de Nostre Seigneur, comme un sceptre, pour commander en l'Eglise militante et pour endurer..

  A007000216 

 D'icy je vous puys conduire a l'intelligence d'une autre difficulté, que je vous veux esclaircir: c'est que Nostre Seigneur voulant donner le gouvernement de sa bergerie a saint Pierre, il l'appelle tousjours Simon Joannis, non pas Pierre, encores que luy mesme luy eust changé de nom.

  A007000216 

 D'où vient cela? Un excellent docteur de nostre tems croit que c'estoit a fin que saint Pierre fust adverti de ne point s'enorgueillir, et qu'il se souvinst de ce qu'il estoit devant que Nostre Seigneur l'appellast Pierre; mays il y a, comme j'estime, un plus profond mystere.

  A007000216 

 Quand Nostre Seigneur voulut monstrer a saint Pierre qu'il le vouloit faire chef de l'Eglise, il luy dict: Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam; en quoy, comme il luy communiquoit la charge de son troupeau, aussi luy donnoit il l'un de ses noms qui signifie puyssance; car le nom de Pierre est un des noms que l'Escriture attribue a Nostre Seigneur: Petra autem erat Christus, I Cor., 10; Lapis quem reprobaverunt ædificantes, hic factus est in caput anguli Epist.

  A007000217 

 Escoutes ce que dict l'Apostre: Factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis; Philip., 2.

  A007000217 

 Et quel nom de martyre, de passion et de souffrance avoit Nostre Seigneur? Le nom que nous devrions tous avoir au cœur pour nous encourager a l'observation des commandemens divins: c'est le nom d'obeyssant.

  A007000217 

 Le nom de Simon en hebrieu veut dire obeyssant; donques Nostre Seigneur qui luy communiqua le nom de puyssance quand il luy promit la puyssance, luy communique maintenant son nom de passion et de souffrance quand il luy prædit sa mort: si bien que l'on peut dire que Petrus factus est Simon usque ad mortem..

  A007000218 

 De vray, c'estoit un peché que la crainte de la mort luy fit commettre; mays ilz feroyent mieux de se garder de pecher que d'exagerer ainsy la faute de saint Pierre.

  A007000218 

 Or, il me semble que ce grand Saint estant sur la croix, disoit a telles gens ces parolles que saint [46] Pol disoit aux Galates: De cætero nemo mihi molestus sit; ego enim stigmata Domini mei in corpore meo porto; comme s'il vouloit dire: Que personne ne me vienne plus reprocher mon peché; car, outre que je m'en suis lavé dans mes larmes, maintenant je fais preuve de ma fidelité, reparant par ma mort la faute que j'avois commise par la crainte de la mort..

  A007000218 

 Saint Pierre une fois fit le courageux, disant a Nostre Seigneur: Etiam si oportuerit me mori tecum, non te negabo (Matt., 26 ); puys, a la voix d'une chambriere, il le renia troys foys, et ayant reconneu son peché, tout incontinent il se retira pour le pleurer amerement; et non seulement alhors, mays il le pleura toute sa vie, ainsy que dict saint Clement, de sorte qu'il pouvoit bien dire: Seigneur, vous m'arrouseres de l'hyssope de la contrition, et je seray nettoyé de mon peché; vous me laveres dans l'eau de mes larmes, et je seray plus blanc que la neige.

  A007000219 

 Avant que de finir, je veux satisfaire a la curiosité de ceux qui pourroyent demander pourquoy saint Pierre voulut mourir la teste en bas.

  A007000219 

 La seconde, pource que Nostre Seigneur avoit les piedz contre la terre, pour monstrer qu'il estoit venu du Ciel en terre; saint Pierre a les piedz contre le ciel, pour monstrer qu'il alloit de la terre au Ciel.

  A007000220 

 Et de mesme que dessus une pierre fut escritte la loy mosaïque, aussi sur ceste pierre vivante fut escritte la loy evangelique.

  A007000220 

 Il est dict que ce [47] Roy fit chercher des pierres pour fonder son temple, et qu'on les fit esquarrer; Nostre Seigneur ayant choysi nostre saint Apostre pour estre apres luy la premiere pierre du fondement de son Eglise, il la fit esquarrer en croix.

  A007000220 

 Saint Pierre en outre renversa la teste contre terre pour monstrer que, s'en allant au Ciel, il laissoit neantmoins sa succession en terre, de laquelle Nostre Seigneur luy dict: Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam. Imagines vous que saint Pierre est le premier fondement apres Jesus Christ; puys ses successeurs se sont fondés successivement sur luy, comme pierres angulaires qui tiennent ensemble le bastiment de l'Eglise.

  A007000220 

 Si vous estes en doute comme il faut entendre ceste loy evangelique, alles a ceste pierre pour apprendre comme il faut croyre: sur quoy je ne m'arresteray pas beaucoup, pour le prouver amplement, ne m'estant proposé pour sujet de ceste exhortation que la mort de saint Pierre, me contentant de vous apporter pour le present une seule rayson, mais qui est fondamentale..

  A007000221 

 L'Eglise est une monarchie, et partant il luy faut un chef visible qui la gouverne comme le sauverain lieutenant de Nostre Seigneur; car autrement, quand Nostre Seigneur dict: Die Ecclesiæ, a qui parlerions nous, ou comment conserverions nous l'unité de la foy? Et quand une personne se voudroit emanciper, qui la pourroit reduire au bercail? Comment pourroit on empescher qu'il n'y eust de la division dans l'Eglise? Autrement, lhors que, comme dict saint Hierosme, « totus orbis se Arianum esse miratus est, » comment se fust il converty? Omne regnum in se divisum desolabitur; Luc., 11..

  A007000222 

 C'est donq chose certaine que l'Eglise doit avoir un lieutenant general; or voyons maintenant quel il peut estre.

  A007000222 

 Et laissant a part le consentement universel de tous les siecles, notamment des huict premiers, ainsy qu'il se voit clairement dans la Visible Monarchie de Sander, voyci une rayson puyssante: pource que jamais il n'y a eu Evesque qui ait pensé d'estre sauverain et [48] commun pasteur de toute l'Eglise, que les successeurs de saint Pierre, et jamais on n'a mis en doute ni proposé qu'aucun autre le fust; sur tout maintenant il n'y a Evesque en tout le Christianisme qui s'attribue ceste qualité, et duquel on propose qu'il soit pasteur general, sinon le Pape.

  A007000222 

 Non autre, certes, que saint Pierre et ses successeurs.

  A007000222 

 Que dirons nous donq? Il n'y en a point qui ayent jamais pretendu de l'estre que les successeurs de saint Pierre; il n'y en a point qui le pretendent, il n'y en a point de qui on aye jamais eu ceste pensëe que du Pape; c'est une des verités que l'Eglise a tousjours creu: et d'autre part il faut qu'il y en aye un; donques c'est luy sans doute.

  A007000223 

 La rayson en est bien aysëe a donner: c'est que Dieu avoit dessein de prendre les Gentilz pour son peuple, abandonnant l'ingrate nation des Juifz, non en la destituant des secours necessaires pour son salut, mays luy ostant les privileges qu'il luy avoit concedés, desquelz elle s'estoit rendue indigne.

  A007000223 

 Ne sçaves vous pas ce que les Apostres saint Pol et saint Barnabé disent es Actes, parlant aux Juifz: Vobis primum oportebat loqui Mot Dei, sed quia repellitis illud, ecce convertimur ad Gentes? Et ne sçaves vous pas ce que disoit [49] Osee en son second chapitre: Et dicam non populo meo: Populus meus es tu; et ipse dicet: Deus meus es tu? C'est dequoy parle saint Pol en son 9.

  A007000224 

 C'est asses parlé sur la mort de saint Pierre; que vous laisseray je pour prattique? La premiere chose a quoy je vous exhorte est de remercier Dieu de ce qu'il nous a donné une telle pierre, sur laquelle nous appuyant, nous ne tomberons jamais.

  A007000224 

 Croyons donques simplement, sous-mettons nostre entendement a la foy que Nostre Seigneur a fondé sur ceste pierre, car portæ inferi non prævalebunt adversus eam; Matt., 16; Christus rogavit pro Petro ut non deficeret fides ejus; Luc., 22.

  A007000224 

 Et la seconde, pour la reformation de nostre entendement, je desirerois que nous fussions simples et fermes en la foy que la sainte Eglise nous enseigne, croyant fermement tout ce qui est escrit en ceste pierre, car je vous ay dict que la lo.y evangelique y estoit escritte.

  A007000224 

 Quand il survient quelquefois des fantasies es choses de la foy, certaynes petites suffisances, imaginations et pensëes d'infidelité, que feres vous? Si vous les laisses entrer dans vostre esprit, elles vous troubleront et osteront la paix; rompes et venes fracasser ces pensëes et imaginations contre ceste pierre de l'Eglise, et dites a vostre entendement: Ah, mon entendement, Dieu ne vous a pas commandé de vous repaistre vous mesme; c'est a ceste pierre et a ses successeurs a qui cela appartient, donq: Beatus vir qui allidet parvulos suos ad petram..

  A007000225 

 Ainsy me semble il que font plusieurs, lesquelz n'ayans que trop de vivacité en l'entendement, et pas asses de jugement, veulent neantmoins tout sçavoir, tout contreroller, et sur tout les matieres theologiques; car la seule theologie, dict saint Hierosme, est celle dont un chacun se veut mesler.

  A007000225 

 Ainsy voudrois-je que ceux qui pensent sçavoir quelque chose, et, appuyés sur ceste imagination, laissent croistre la pointe et vivacité de leur esprit, par un certain raysonnement humain, si longue, que, par une certaine presomption d'eux mesmes, ilz ne veulent plus recevoir la saine doctrine de l'Eglise, qu'ilz viennent briser leur raysonnement [51] contre ceste pierre: Beatus qui allidet parvulos suos ad petram.

  A007000225 

 Et notes que le Psalmiste ne dict pas simplement parvulos, mays parvulos suos.

  A007000225 

 Les autheurs qui ont traitté de la nature des animaux disent que l'aigle a le bec si vif et luy croist tellement, que souvent il l'empesche de prendre sa nourriture, et asseurent qu'elle ne meurt jamais sinon pour avoir le bec trop long et trop crochu.

  A007000225 

 Mais quel remede a cela? Il faut qu'ilz fassent ce que dict saint Augustin que faict l'aigle, laquelle rompt et casse la pointe de son bec en le frappant contre la pierre; apres quoy, estant delivrëe de cest empeschement, elle commence a mieux manger.

  A007000225 

 Pourquoy? parce que les pensëes d'infidelité sont nostres, et les pensëes de fidelité sont de Dieu: Non sumus sufficientes cogitare aliquid ex nobis tanquam ex nobis, sed omnis sufficientia nostra ex Deo est; 2.

  A007000226 

 Et quand on vient aux pieds du prestre pour les confesser, qu'est ce autre chose sinon apporter les petitz de sa volonté a la pierre? Et notes encores, mes chers auditeurs, qu'il dict parvulos suos, pour nous monstrer qu'il ne faut pas attendre que nos pechés soyent inveterés pour les confesser; car quand ilz sont inveterés, il est tres difficile de les bien declairer et encores plus de s'en amender: Quoniam tacui, dict David, inveteraverunt ossa mea.

  A007000227 

 Je sçay que vous desires tous extremement la paix, c'est pourquoy je vous diray avec le Prophete royal: Si vous la voules obtenir, addresses vous a Dieu par prieres et oraysons: Rogate quæ ad pacem sunt Hierusalem.

  A007000227 

 Or, puysqu'il n'y a personne si saint qui ne contrevienne quelquefois a la loy de Dieu, au moins tesmoignons que nous aymons ceste loy, en demandant pardon a Dieu, et venant briser nos pechés par la confession et pœnitence aux pieds du prestre, comme a une pierre fondëe sur la pierre de la foy: Beatus vir qui allidet parvulos suos ad petram..

  A007000228 

 En fin je desirerois que nous fussions tous crucifiés a l'exemple de saint Pierre.

  A007000229 

 Ainsy j'estime que saint Pierre se trouvant sous la croix, o qu'il fut content lhors qu'il vid le commandement que Nostre Seigneur luy avoit fait de le suivre, accomply; lhors il vid ses desirs satisfaitz.

  A007000229 

 Ainsy puissions nous tous mourir, mes chers auditeurs, crucifiés en la Croix de Nostre Seigneur, affin de suivre en la vie æternelle Celuy que nous suivrons en la mort.

  A007000229 

 Aussi, si tost que Nostre Seigneur le rencontrant luy eut dict qu'il seroit crucifié, il retourna tout incontinent dedans ceste ville, a cause du grand desir qu'il avoit d'estre a [53] l'ombre de ce saint arbre de la croix; il ne dict rien a son divin Maistre et ne s'arresta point a s'entretenir davantage avec luy, ains s'en retourna au mesme instant.

  A007000229 

 On trouve que saint André son frere vesquit deux jours sur la croix, enseignant le peuple, monstrant bien que cest arbre estoit l'arbre de vie et que sur cest arbre la mort avoit esté vaincue; de maniere que je pense qu'a l'exemple d'Helie, saint Pierre demanda a Nostre Seigneur qu'il retirast son ame: Petivit animæ suæ ut moreretur.

  A007000229 

 Quand Helie fuyant la persecution de Jezabel, eut fait une journëe de chemin, se trouvant sous un genevrier, il est dict que petivit animæ suæ ut moreretur, et ait: Sufficit mihi, Domine; toile animam meam.

  A007000230 

 Je sousmetz tousjours a vos pieds ce que jamais je diray en la chaire et hors d'icelle; car vous estes ceste pierre sur laquelle a esté fondëe l' Eglise de Jesus Christ, auquel soit honneur et gloire par tous les siecles des siecles.

  A007000246 

 Si l'ancienne Sinagogue, par le commandement de Dieu, celebroit si solemnellement le premier jour de chasque mois, qu'on appelloit neomenie, en reconnoissance du gouvernement et solicitude que Dieu a des hommes, il me semble, que nous avons tout'occasion a ce premier jour du mois d'aoust de solemniser la feste que nostre Mere l'Eglise nous y presente, puysque elle se faict en contemplation d'un miracle auquel reluit tres [55] clairement la faveur et assistence de Dieu aux prieres de son Eglise, sa providence sur le chef general d'icelle, et la misericorde que sa Majesté a usëe vers le paganisme (duquel nous sommes la race) en [la] translation de son Eglise d'entre les Hebreux aux Gentilz..

  A007000247 

 Et si les Romains anciens solemnisoyent ce premier jour a lhonneur de leur Empereur Auguste, duquel le nom mesme fut donné a ce mois, ne vous semble il pas raisonnable que changeant le corporel au spirituel et le mondain au Christianisme, au lieu de la feste de l'Empereur paien, nous faisions feste a lhonneur de Dieu, sous le nom de son lieutenant general, vray Empereur de l'Eglise militante, tres auguste, tressainct et tres grand Prince des Apostres, et par la grace de Dieu protecteur et patron de ceste nostre Eglise pastorale?.

  A007000248 

 Et puisque entre toutes les festes qu'on celebre de cest arch'Apostre, nos peres ont choisy pour leur particuliere celebrité ceste journëe neomenie et calende, je vous veux dire et vous diray ce qu'en cas pareil dict le Psalmiste roial: Buccinate in neomenia tuba, in insigni die solemnitatis vestræ; Sonnes en ce premier jour du mois, de la trompe en grand liesse, puisque c'est le jour signalé que vous aves choisi pour honnorer vostre Patron solemnellement.

  A007000249 

 Et a cest'intention ay je esté dedié par la benediction episcopale que je viens de recevoir, par laquelle, quand je l'ay ouÿe, il me sembloit entendre que Dieu me dict: Quasi tuba exalta vocem tuam.

  A007000249 

 Mais affin que je ne vous invite pas au son de la trompe sans trombe, me voicy tout tel que je suys, que je m'offre a vous tres affectionnement pour vous servir de trombe.

  A007000249 

 Soustenes moy, et inspires et soufles puyssamment, par les souspirs et devotions que vous jetteres aux pieds de la glorieuse Vierge pour impetrer la faveur du Saint Esprit, saluant ceste Dame, Mere de Dieu, du salut que le mesme Dieu luy fit fayre; et par ainsy, non seulement, comme je vous disois, vous sonneres de la trombe en ce renouveau du mois, mays ce que vous dict le mesme Psalmiste: Laudate Deum in sono tubæ.

  A007000251 

 Despuys n'ay je eu cest honneur de vous parler de la part de Dieu, que je vous rapportay ces paroles de nostre Maistre a son disciple saint Pierre: Cum esses junior, cingebas te et currebas ubi volebas; cum autem senueris, alius cinget te, et ducet quo non vis; et vous dis que ces dernieres paroles furent accomplies en la mort de ce glorieux Prince, lhors quil fut lié pour estre crucifié.

  A007000251 

 Et pour parler clairement, je crois que si les dernieres paroles, alius cinget te, s'entendent de la mort de saint Pierre, comm'il [57] n'en faut pas douter, les præcedentes s'entendent de l'emprisonnement du mesme, que l'Eglise celebre aujourdhuy.

  A007000251 

 Je sçay bien que cela se peut entendre de la jeunesse et premieres annees de saint Pierre, esquelles il se ceignoit et se promenoit ou il vouloit; si est ce neantmoins que les dernieres paroles estant misterieuses et s'entendant de la mort de saint Pierre, je crois encores que ces praecedentes couvrent quelque mistere.

  A007000251 

 Mays les parolles praecedentes, je ne vous dis poinct quand elles furent verifiëes; ce que je fis affin de laisser toutes choses en leurs places.

  A007000251 

 Mesmes qu'icy il y a bien de la consideration, car il met l'un au passé, l'autre au futur, quoy que et l'un et l'autre fusse futur, pour monstrer la notable distance quil y devoit avoir entre l'un et l'autre accident..

  A007000254 

 Ce n'est pas peu de consolation quand on endure [58] quelque chose, de se resouvenir que celuy pour lequel on endure en sçait gré.

  A007000256 

 De plus, quand les Apostres voyoient estre advenu le tems de la tribulation prædicte par Nostre Seigneur ainsy infalliblement, ce leur estoit un'arre que le tems de la recompence prædict, Et gaudium vestrum nemo tollet a vobis, Gaudete et exultate, quoniam merces, viendroit aussy infalliblement.

  A007000257 

 Calice et couppe pleyne de si prætieuse liqueur que Nostre Seigneur aillieurs, parlant non selon le goust de la partie inferieure, mays selon le goust de la partie superieure, il prend a poinct d'honneur [59] qu'on le veuille empescher de le boire: Calicem quem dedit mihi Pater, non vis ut bibam illum?.

  A007000257 

 Car n'est ce pas une grande consolation de sçavoir qu'on doit estre si grand aupres de son Maistre que de boire dedans sa couppe mesme? La couppe de Nostre Seigneur c'est la tribulation: Potestis bibere calicem quem ego bibiturus sum? Calice qui est si praetieux que le Pere æternel ne voulut jamais le changer pour son Filz, lequel, comme sil eut esté trop puyssant et fumeux pour la bouche de la partie inferieure de son humanité, il s'excusoit de le boire, se sousmettant neantmoins a la volonté du Pere.

  A007000257 

 Mays outre tout cela, qui est pour monstrer que la praediction de Nostre Seigneur apportoit grande consolation a l'heure de la tribulation, ell'apportoit encores consolation tout le tems de la vie.

  A007000258 

 Car si vous regardes l'histoire du mistere du jourdhuy, vous verres que saint Pierre estant commandé de l'Ange de se ceindre, præcingere, fecit sic, il se ceignit.

  A007000258 

 Ce n'est donq pas peu de faveur que Nostre Seigneur faict a saint Pierre de luy praedire ainsy particulierement et sa mort et sa prison.

  A007000258 

 N'est ce pas ce que Nostre Seigneur luy avoit prædict: Cum esses junior, cingebas te? Et, ambulabas ubi volebas, lhors que les liens de saint Pierre estans rompus par l'Ange, exiens sequebatur; et pouvoit bien dire partant de la prison: Dirupisti vincula, etc..

  A007000259 

 Les liens donques de saint Pierre, aussi bien que sa mort, furent praedicts.

  A007000259 

 Mays non seulement ilz furent praedicts, mays encores sont tracés au modelle de la Passion de Nostre Seigneur, aussi bien que sa mort; si que, encores quand aux liens, il semble que Nostre Seigneur dict a saint Pierre: Sequere me.

  A007000259 

 Vous sçaves bien que Nostre Seigneur fut envoyé lié et garrouté par devant Herodes, et puys fut renvoyé a Pilate; ainsy, affin que saint Pierre verifiast le sequere me de Nostre Seigneur, il fut prisonnier par devant Herodes, et puis de la, renvoyé a Pilate, c'est a dire au maistre de Pilate, l'Empereur romain..

  A007000260 

 Ce que saint Hierosme remarque avoir esté figuré en la mort de saint Jan, duquel on trancha la teste; car il estoit figure de la Sinagogue, de laquelle le chef, Nostre Seigneur, a esté separé.

  A007000260 

 Saint Jaques meurt en Judëe, mays saint Pierre est delivré; pour ce que saint Jaques n'est pas la pierre sur laquelle Nostre Seigneur a fondé son Eglise.

  A007000261 

 Saint Pierre suit, ne sachant [61] bonnement si c'estoit un songe; et passans jusques a la porte de fer, elle s'ouvrit d'elle mesme, et ayant faict quelque chemin, l'Ange disparut, et saint Pierre, retourné a soy mesme, il dict: C'est maintenant que je sçay que Nostre Seigneur a envoyé son Ange, et m'a delivré de la main d'Herodes et de toute l'attente du peuple des Juifz..

  A007000261 

 Voyant que cela plaisoit aux Juifz, il voulut mesmes prendre saint Pierre, lequel estant pris fut mis en prison.

  A007000262 

 Herodes eut une fois peur que Nostre Seigneur ne fut Roy pour le deposseder de son royaume, et ceste peur luy a tousjours duré et dure jusques a huy.

  A007000263 

 Ah, ja Dieu ne playse que jamais ce malheur arrive en Savoÿe; non, non.

  A007000263 

 Croyes que si en quelques uns est verifié: Erunt reges nutritii tui, en plusieurs il est verifié: Principes persecuti sunt me gratis.

  A007000263 

 Il faut fayre ceste resolution, que non inveniet Deum in die judicii Patrem, qui in terra Ecclesiam non reveretur ut matrem.

  A007000263 

 Le grand philosophe chrestien, Justin le Martir, en l'Apologie a Antonin, rejette l'erreur d'aucuns qui se faisoient acroire que l'Eglise vouloit lever le magistrat seculier, et sous ce pretexte, la persecutoient.

  A007000263 

 Qui me contemnunt erunt ignobiles: ja Dieu ne plaise que nous nous procurions les malheurs pour la mauvaise affection qu'on a a l'Eglise, que nos praedecesseurs ont fuis et evités, et surmontés et chassés par leur devotion.

  A007000264 

 C'est luy qui ne seche jamais et rend bon fruict en son tems, puysque de son fruict se repaissent les ouailles du Seigneur, et a l'abril de ses feuilles, elles sont gardees et du chaud et du froid; car c'est d'elles que parle le Psalmiste: Sol non uret te per diem, neque luna per noctem..

  A007000267 

 Mays je crois que saint Pierre a esté trop hardi ci devant pour dormir maintenant; je crois quil dormoit d'asseurance, comme quand le mesme, Psalme 3, apres avoir dict: Domine, quid multiplicati sunt qui tribulant me? monstrant que pour tout cela il ne perdoit poinct courage, il dict: Ego dormivi et soporatus sum, et exurrexi..

  A007000268 

 Ne sçaves vous pas que Nostre Seigneur voulant former Eve de la coste d'Adam, il l'endormit et tira une de ses costes? Ainsy Dieu voulant ce jourdhuy envoyer saint Pierre [64] a Romme fonder son Eglise, il le faict dormir et frapper au costé, comme sil vouloit dire: Leve toy vistement, et sache que comme sur la coste d'Adam je luy fonday son espouse, ainsy sur toy je fonderay et ædifieray mon Eglise a Romme.

  A007000277 

 Ainsy il me semble, Messieurs, que l'Evangile du jourd'huy soit un vray fleuve, arrousant en ceste journee toute l'Eglise, vray paradis terrestre, de celestes pensees, de considerations devotes et divines consolations; duquel fleuve nous pouvons bien dire: Fluminis impetus lætificat civitatem Dei.

  A007000277 

 C'est de ces quattre fleuves que je voudrois bien vous faire boire maintenant; mais ni je ne le puis faire, ni il ne vous prouffiteroit de rien, si Nostre Seigneur n'y apporte sa benediction, pour laquelle impetrer employons la faveur de la glorieuse Vierge, disant Ave Maria..

  A007000277 

 En ce delectable sejour que Dieu prepara pour nos premiers parens, et puys pour tous nous autres si le peché ne nous en eust chassés, il y avoit un fleuve pour arrouser ceste beniste contree, lequel sortant de la, se departoit en quattre diverses courses.

  A007000279 

 C'est ce que le grand Docteur de nostre Gentilisme, aux Romains, 5, proteste, disant: Ubi abundavit delictum, superabundavit et gratia.

  A007000279 

 C'est une chose bien certaine et qui nous devroit bien consoler, que Jesus Christ Nostre Seigneur et Maistre, en toute rigueur de justice, avec un juste prix, a payé et satisfait a Dieu son Pere ce que nous avions merité de peyne pour tous nos pechés, et non seulement pour tous les nostres, mays pour tous ceux de tout le monde.

  A007000280 

 Ainsy nostre Sauveur voyant que la divine Majesté de son Pere avoit extremement a cœur ceste bague ou dragme, la nature humaine, sans s'informer ni du prix ni d'autre chose, de premier abord pour nous racheter, il presente, d'une tres pure et tres liberale affection, un prix que ni nous ni les Anges ne valons pas, une satisfaction beaucoup plus grande que tous les pechés du monde n'avoyent peu meriter; d'ou saint Pol, en la 1.

  A007000281 

 Ainsy Nostre Seigneur voyant la nature humaine empestëe du peché, pour la delivrer, il debourse l'inestimable thresor de ses bontés, sans regarder que toute la nature humaine ne vaut pas la moindre piece d'iceluy.

  A007000281 

 Mays en ceste similitude se rencontre une grande dissimilitude: c'est qu'encores que la tablette ne vaille pas les cent escuz, l'espouse neantmoins vaut cent mille fois et infiniment plus, au lieu que la nature humaine, laquelle doit estre guerie, ne vaut rien au prix du sang de Nostre Seigneur..

  A007000281 

 Ou bien disons que Nostre Seigneur a faict comme le bon mary, lequel voyant sa chere moitié atteinte de peste, sçachant quelque expert medecin qui en sceust guerir avec des tablettes, il va, et poussé d'une extreme affection de voir sa compaigne guerie, il offre cent beaux escuz de ces tablettes, sans s'amuser a considerer que les ingrediens d'icelles ne valent pas trois solz.

  A007000282 

 Ce cheval estoit affollé par son [68] peché: que faict nostre Sauveur? Sans regarder a la valeur de ce cheval, il donne un prix qui vaut infiniment plus, et pour nourrir ce chien caignardier, il tue l' aigneau qui est luy mesme..

  A007000282 

 Disons donques plustost que Nostre Seigneur a faict comme le cavalier lequel ayant un cheval faict a sa façon et qu'il ayme fort, l'appellant son favori, ce cheval estant piqué ou foulé, ou bien ayant quelque aposteme, ce cavalier pour le guerir, sans regarder a la valeur du cheval, employe en drogues plus que le cheval ne valut jamais.

  A007000283 

 Grande consignation fut celle par laquelle Nostre Seigneur consigna es mains de la justice paternelle tout son prætieux sang, duquel la moindre goutte valoit plus que tous les mondes que tu te pourrois imaginer, o mon Frere, ne sçauroyent valoir.

  A007000283 

 Ou bien disons que Nostre Seigneur ressemble au pere qui ayant son filz saysi pour crime, sans regarder a autre chose, donne au prince pour delivrer son filz plus que toutes les amendes a toute rigueur ne pouvoyent monter.

  A007000283 

 Ou bien plustost disons que le cavalier voit son cheval saysi par les mains de justice; c'est son bon cheval, c'est son sauve-l'amy: il va, il consigne tout incontinent trois et quatre foys autant que le cheval vaut, affin qu'il n'amaigrisse.

  A007000284 

 Aristote, en ses Ethic., liv. 5, chap. 5, dict que « si quelque grand personnage frappe, il ne le faut pas frapper; si on le frappe, il faut estre non seulement refrappé, mays encor griefvement chastié.

  A007000284 

 Et de vray, qu'est ce faire satisfaction d'honneur, sinon faire et exhiber honneur? Or est-il que l'honneur est plus grand a proportion de celuy qui le rend; car le moindre honneur que faict un prince vaut plus sans comparayson que tous les honneurs que sçauroit rendre un homme de basse condition, d'autant que « honor est in honorante » (I Ethic., chap. 3), l'honneur est dans celuy qui le rend..

  A007000284 

 La satisfaction est d'autant plus grande et plus valable que la personne qui la faict est grande, signalëe et de plus de merite.

  A007000284 

 Mays s'il m'envoye son filz propre, lequel me faict satisfaction et me prie ne me plus tenir pour offencé, c'est un grand honneur; ceste satisfaction est plus grande que l'injure ne pouvoit estre.

  A007000284 

 » Pourquoy? d'autant qu'injurier [69] un grand est plus de peché qu'injurier un petit, et la moindre satisfaction que faict un grand vaut mieux que toutes les injures qu'il peut faire: ainsy quand on auroit receu un soufflet d'un grand, s'il monstre d'en estre fasché, c'est asses.

  A007000285 

 Disons donques: si l'honneur est d'autant plus grand que celuy qui le faict est grand, si la satisfaction est d'autant plus grande que celuy qui la faict est grand, quelle devra estre la satisfaction, quel l'honneur de celuy qui est infiniment grand? L'honneur rendu, la satisfaction faitte par un personnage infini ne peut estre sinon infinie.

  A007000285 

 Et ne me dites pas que le Filz de Dieu a satisfait selon la nature humaine, car je vous l'accorde, pour parler a la scholastique, si vous dites ut quo; si vous dites ut quod je vous le nie, « quia actiones, » dit le philosophe, « sunt suppositorum.

  A007000285 

 Je sçay bien que l'offence avoit quelque infinité a rayson de la personne offencëe, qui estoit infinie; mais c'est une infinité qui n'est pas tant aprincipio intrinseco comme celle qui se prend de l'agent..

  A007000286 

 Entendes bien ceci: estant esgal a son Pere, il s'abbaissa et aneantit jusques a la mort, qui est la moindre de toutes les creatures, n'estant que privation; et partant, Dieu son Pere luy donne un nom qui est au dessus de tout nom, a sçavoir le nom de Jesus, qui signifie Sauveur, comme s'il disoit: Il est justement Sauveur, puysqu'estant infini, avec son infinie satisfaction, il a payé en toute rigueur..

  A007000286 

 O donques que David pouvoit bien dire: Quia apud Dominum misericordia et copiosa apud eum [70] redemptio; vers nostre Seigneur, il y a une grande misericorde et une satisfaction ample et excellente.

  A007000287 

 C'est ce qui faict dire a Hieremie que Nostre Seigneur sera appellé Dominus justus noster: il l'est bien justement, puysqu'il a payé si cherement nostre rançon.

  A007000287 

 Jamais vous ne vous trouvastes plus esbahis que si vous lises deux passages qui sont en Job.

  A007000287 

 Je ne sçaurois que vous dire, sinon que ces parolles sont dites en la personne de Nostre Seigneur (ainsy qu'estime saint Gregoire, au septiesme de ses Morales, chap. 2), lequel a rayson de son infinie dignité, pouvoit bien dire que la moindre de ses peynes estoit sans comparayson plus considerable que tous les pechés de ses membres, qu'il appelle siens.

  A007000287 

 Mais au dernier chapitre c'est bien chose plus admirable de voir que Nostre Seigneur dict que Job a [71] parlé droittement et justement devant luy, et commande a ses amis qu'ilz le prennent pour intercesseur.

  A007000288 

 C'est ainsy que parlent les deux luminaires de la theologie, saint Thomas, Docteur angelique, et mon fervent et seraphique Pere saint Bonaventure, desquelz le premier dict que la redemption de Nostre Seigneur « a esté mesme surabondante et plus que suffisante.

  A007000288 

 Huguenotz, que dites vous de nous autres? vous semble il pas que nous reconnoissons comme il faut la grace de Nostre Seigneur, sa redemption et mediation? A vostre advis, ceste façon de discourir de la redemption ressent elle pas de la vraye Espouse de Jesus Christ? Nous parlons bien plus magnifiquement de ce mystere que vous, et vous faites les bons valetz.

  A007000289 

 Mais sur tout, c'est de la foy que se doit entendre Beati oculi, comme s'il vouloit dire: Bienheureux estes vous, car vous aves en presence le desiré et attendu Redempteur; bienheureux de ce que vous aves l'object de vostre beatitude ou vous commences de regarder; mais vous n'aures pas ceste beatitude si vous ne croyes ce que vous voyes.

  A007000289 

 Qui void et ne croid n'est bienheureux que comme les Juifz; qui croid et ne void est bienheureux comme il fut dit a saint Thomas: Beati qui non viderunt et crediderunt; qui void et croid est bienheureux encores comme saint Thomas, qui vid premierement, et puys creut; mais qui croid et void: Beati oculi, etc. Donq le fondement de toute beatitude c'est la satisfaction de Nostre Seigneur surabondante; la veuë du cors de Nostre Seigneur est la beatitude de nos yeux corporelz praeparëe; mais ny l'un ny l'autre ne nous profitera de rien, si nous ne l'appliquons a nous mesmes par la foy, esperance, charité et par les Sacremens..

  A007000289 

 rayson pour laquelle Nostre Seigneur a dict: Beati oculi, etc., est prise encores de ce mesme Docteur seraphique: pource que la gloire principale des yeux corporelz sera de voir Jesus Christ, et de l'ouye, de l'ouyr; en l'autre monde sera parfaitte pour lhors ceste gloire qui n'a esté ici que commencëe, dont Job a dict: Credo quod Redemptor meus vivit, et in carne mea videbo Deum Salvatorem meum: quem oculi mei [72] conspecturi sunt.

  A007000290 

 Donques, quoy que le sang immaculé soit prest, nous ne serons jamais heureux si nous ne croyons: c'est le commencement de nostre bonheur.

  A007000290 

 Saint Jan dict bien que Nostre Seigneur dedit eis potestatem filios Dei fieri; mais qu'adjouste-il? His qui credunt in nomine ejus; et ailleurs: Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum, etc., ut omnis qui credit in eum non pereat, sed habeat vitam æternam.

  A007000291 

 Et partant il ne dict pas omnes, mais multi, d'autant que quelques Prophetes ont eu si particuliere revelation des mysteres evangeliques, qu'ilz semblent plustost Evangelistes que Prophetes: David, Hieremie, Esaye, Moyse.

  A007000291 

 Je vous ay desja dit que ceste beatitude s'entend principalement de la foy favorisëe de la præsence et confirmëe par experience, et je vous dis davantage qu'il s'entend d'une foy distincte et bien expliquee.

  A007000292 

 Je vous en diray tout autant, Messieurs: Beati oculi qui vident. Combien penses vous qu'il y a de peuples qui voudroyent voir ce que vous voyes? Combien de Catholiques es [74] Allemaignes et en Angleterre, qui voudroyent avoir les commodités de leur salut, voir et ouÿr ce que vous oyes les Caresmes? Combien es Indes y a il de peuples lesquelz, ayans seulement senti quelque petite fumëe de l'Evangile, par le bon exemple des Chrestiens qui trafiquent avec eux, se sont convertis? Ilz n'ont pas encores eu ce bien d'avoir ceste bonne nouvelle que Jesus Christ est nay et mort pour nostre salut et resuscité pour nostre glorification; ilz n'ont point de Prælat qui aye soin d'eux, ilz n'ont personne qui les conduise au bien croire ni au bien faire, monstrant bien leur affection en ce qu'ilz se convertissent a milliers avec grande pœnitence..

  A007000292 

 O que c'est une grande benediction que de bien croire.

  A007000293 

 Gardons que ces gens ne s'eslevent contre nous au jour du jugement.

  A007000293 

 Qui pourroit jamais lire sans larmes ce qu'on escrit du bon capitaine Anthoyne de Paive, qui convertit si tost les roys des Mazacariens, des Sianiens et Supaniens? Et qui ne se trouvera le cœur saysi, considerant la premiere conversion si soudaine et si grande que firent trois Peres de l'Ordre de saint Dominique en Conge? Qui ne dira avoir esté bienheureux les travaux de tant de prestres et Religieux qui sont allés prescher es Indes, puysqu'ilz ont trouvé la terre des cœurs humains si fertile et traittable, que, a une seule rosëe de la parolle de Dieu, elle germe et bourgeonne toutes sortes de fleurs chrestiennes? Cela nous doit faire pleurer de consolation d'un costé, de voir Dieu receu en ces contrëes, et pleurer de detresse de l'autre costé, de nous voir recevoir si abondamment ses graces sans rendre aucun fruict.

  A007000294 

 Je diray encores que c'est une grande honte d'avoir veu les Indiens si catholiques qu'ilz croyent tout sans douter a la simple parole des prestres, et nous, qui sommes nourris et nays en l'Eglise, voulons tout contreroller.

  A007000294 

 Quant aux traditions ecclesiastiques, n'y a il pas en l'Evangile: [75] Qui vos audit me audit? Si quis Ecclesiam non audierit, etc.? Ut scias quomodo oporteat te conversari in domo Dei, quce est columna et firmamentum veritatis? Rogavi pro te, Petre? Jamais je ne cesseray de vous prier, Messieurs, pour l'affection que j'ay au service de vos ames, que vous taschies a vous acquerir une grande simplicité en la foy, croyant et voulant inviolablement croire ce que l'Eglise croit; ce sera vostre consolation en la mort..

  A007000294 

 Si nous voulons que pour nostre foy il nous soit dict: Beati oculi, il faut croire tout Jesus Christ, tout son Evangile.

  A007000295 

 Or, ce pendant que Nostre Seigneur dict ces paroles, tout a propos arriva un docteur de la loy, qui, pour le tenter, demanda: Maistre, qu'est ce qu'il faut faire pour avoir la vie eternelle? Je dis tout a propos, non pour l'intention de cestuy cy, qui estoit mauvaise, mays pour les paroles qu'il dict: Domine, quid faciendo? etc., lesquelles de soy estoyent tres bonnes et a propos; car Nostre Seigneur ayant loué le bien croire des Apostres, cestuy cy l'interroge du bien faire: Domine, quid faciendo? Laissons a part l'intention; ces paroles sont pleines d'esperance.

  A007000296 

 Non, non, il ne le faut pas penser sans rien faire, mays en faysant: Domine, quid faciendo? Et de vray, qui croit bien ce dont nous avons discouru au commencement, comme n'esperera il de Dieu toute sorte de biens? Qui connoist combien Dieu a faict pour nous, et qui croit aux peynes que Nostre Seigneur a endurëes pour nous, il ne peut qu'il ne soit en bonne esperance: ainsy la Magdeleyne, [76] ut cognovit quod Jesus accubuisset, attulit alabastrum.

  A007000296 

 Notes que je dis bien esperer, pour ce qu'il y en a qui pensent que sans rien faire, on les portera en Paradis.

  A007000296 

 Pourquoy s'appelle il Jesus, sinon affin que in nomine ejus levemus manus nostras?.

  A007000297 

 Ainsy faict cestuy ci; car esperant que Nostre Seigneur luy donneroit la vie eternelle, et la desirant, il dict: Domine, quid faciendo? etc., ou au moins il dict une parolle laquelle de soy monstre l'un et l'autre.

  A007000297 

 Et de vray, de quoy devrions nous avoir plus de desir que de la vie eternelle? S'il se trouvoit un medecin si fortuné qui trouvast quelque herbe qui peust asseurer cinquante ans de vie, mon Dieu, comme chacun y courroit, on n'y espargneroit rien.

  A007000297 

 Que si cinquante ans de vie seroyent tant recherchés et desirés, o combien devrions nous desirer la vie eternelle, vie sans mort, vie vrayement vie! Combien de fois irions nous trouver ce medecin, luy demandant: Domine, quid faciendo, vitam quinquagenariam possidebo? O que n'allons nous souvent a Nostre Seigneur, disant: Domine, pellem pro pelle, et omnia quæ habet homo dabit pro anima sua.

  A007000297 

 Que veut dire que nous n'y pensons point? Nous devrions tousjours avoir dies æternos devant nous, et il n'y a rien, qu'en contemplation d'iceux nous ne deussions faire.

  A007000298 

 C'est ceste vie eternelle de laquelle Nostre Seigneur [77] en la Genese vouloit esmouvoir Caïn quand il luy dict: Nonne, si bene egeris, recipies? C'est ceste vie eternelle, pour le desir de laquelle le bon homme Jacob s'appelle pelerin en la Genese, 47: Les jours, respond-il au Roy, du pelerinage de ma vie, que bons que mauvais, sont de cent trente ans, qui n'approchent encores pas de ceux de mes prædecesseurs, esquelz ilz ont vescu sur la terre; dont David dict: Memor fui dierum antiquorum, et annos æternos in mente habui.

  A007000299 

 En ceste ville, il y avoit un homme docte et riche, qui, de peur d'estre converti par iceluy, ne le vouloit pas aller ouÿr, comme plusieurs font; il arriva neantmoins que l'ayant ouÿ une fois sur ces parolles: Video cælos apertos, le jour de saint Estienne, il se convertit et se fit Religieux.

  A007000300 

 C'est avec ceste vie eternelle que je voudrois incliner vos courages, pour l'affection que j'ay et le service que je dois a vos ames, de vous ranger a une devote et vertueuse Confraternité, dressëe par plusieurs ecclesiastiques et personnes d'honneur, pour vostre edification et [78] reformation de vos consciences.

  A007000301 

 Et comment ce que Paris, avec son œil clairvoyant de Sorbonne, a receu avec tant de contentement, une petite cervelle le voudra contreroller? Mays pour coupper chemin a toutes murmurations, ce que son Altesse et nos Princes honnorent tant a Turin et par tout, le voudrions nous censurer? Et s'il faut conclure en termes plus fortz, ce que le Saint Siege apostolique, regle infallible de bien faire, a confirmé de son authorité... [79].

  A007000301 

 Que si d'adventure quelqu'un de ces sçavans rafroidis au vent de la bise venoit en vostre ville, et en murmuroit ou la vouloit calomnier, gardes de luy prester consentement, Messieurs d'Annessy; car nul n'en peut mesdire, personne n'en peut murmurer qu'il ne peche, pour ce que, quand bien ce seroit invention nouvelle, si est-ce qu'apres que vostre Prælat l'a authorizëe, vous la deves honnorer, non pas la mespriser pour cela.

  A007000301 

 Respondes, âmes devotes et courageuses, a ceux qui en gausseront: Patres nostri annuntiaverunt nobis, non seulement parce que Monseigneur le Reverendissime et ceux qui l'ont dressëe sont peres qui ayment autant vos ames que vous le pouves souhaitter, mays pour ce que l'institution est ancienne, et y en a de toutes semblables a Paris, Lyon, Tholose, Avignon, par toute la France et l'Italie.

  A007000311 

 4, le peuple hebreu sentit tant de consolation que tout le peuple tumbant sur sa face loua et benit Dieu qui les avoit ainsy prosperé, quelle joÿe, quelle consolation devrons nous recevoir aujourdhuy en la memoyre de l'Exaltation de la tressainte [Croix,] laquelle, ayant esté terrassëe et abbatue par les infidelles, [80] fut en semblable jour, par ce grand cappitayne Hæraclius, relevëe et redressëe? D'autant plus grande pour vray, mes Freres, doit estre nostre consolation qu'en cest ancien Temple ne furent onques offerts que veaux, boucqs, aigneaux; mays sur la Croix, le Filz aeternel de Dieu.

  A007000311 

 Cest ancien Temple ne fut onques taint d'autre sanc que de bestes brutes, mays ceste Croix fut arrosëe du sanc de l'Autheur et Consommateur de tous sacrifices.

  A007000311 

 O ceste Croix devance d'une grande traitte toute la magnificence de l'ancien Temple, d'autant que le sacrifice qui a esté offert sur icelle surpasse tous ceux qui furent faicts dans ce Temple..

  A007000311 

 Si apres que ce grand Judas Maccabeus eut reædifié le Temple de cest'ancienne Sinagogue, comm'on trouve 1.

  A007000312 

 C'est pourquoy, comme l'ancien [peuple] fit feste en commemoration de ce benefice, aussy l'Eglise la faict en commemoration de cestuy ci, ayant bien plus d'occasion de priser l'abjection de ceste Croix, que l'ancien, la magnificence de son Temple.

  A007000312 

 Que si nous voulons considerer la convenance quil y a eu entre l'ædification du Temple de Salomon et l'Exaltation de ceste sainte Croix, je suys asseuré que les devotz y en trouveront plus de deux mays je me contenteray d'en dire une.

  A007000312 

 Que si, comme les bons Juifz ont tousjours tasché a rebastir, ainsy les bons Chrestiens ont tousjours eu a cœur l'Exaltation.

  A007000314 

 Et qui n'honorera la Croix que Nostre Seigneur a tant honorëe? Multifariam multisque modis; [81] novissime, Aman pres de Mardochëe: Hoc honore condignus quem rex voluerit honorare.

  A007000315 

 Les Hebreux faysoyent feste au renouveau de la lune pour la delivrance d'Isaac, et pour ce que on trouva le mouton arresté es espines; les trombes estoient de corne, et les Juifz de præsent l'apellent la feste des cornes.

  A007000316 

 Facent les huguenotz ce quilz voudront, comme les chiens qui s'attaquent a la pierre, que quand a nous, tousjours nous prædicamus Christum, etc. Nous ne sçavons autre: Absit mihi.

  A007000318 

 Je vis jamais chose qui se rapportat mieux a un'autre que le therebinthe qui estoit aupres de la ville de Sichem, rencontré par Jacob quand il alloit en Bethel, au pied duquel il enterra tous les idoles des siens.

  A007000328 

 Car encores que l'Evangile semble avancer son histoire d'une paralysie corporelle, neantmoins Nostre Seigneur parle et guerit principalement la spirituelle, disant au paralytique: Confide, fili; et semble que sa premiere visëe estoit sur la paralysie spirituelle, mays que, a l'occasion des murmures que faisoyent les Juifz, il aye jetté l'œil sur la corporelle.

  A007000328 

 Or, ce discours de la paralysie spirituelle est bien l'un des plus necessaires que vous puissies ouÿr.

  A007000328 

 Puysque par l'absence juste, comme je crois, de celuy qui vous devoit presenter la collation spirituelle de la part du maistre de ceans qui est Jesus Christ, j'ay encores eu ceste charge de vous entretenir de quelque discours spirituel, j'ay choysi celuy que l'Evangile me met en main de prime face, c'est a dire de la paralysie spirituelle et de la guerison d'icelle.

  A007000328 

 [85] Plaise a Dieu que je le puysse aussi bien faire comme il est utile et prouffitable, quoy que peut estre il ne soit pas des plus aggreables qu'on puysse faire; car il y a en cest aage une infinite de paralytiques spirituelz lesquelz ne pensent pas l'estre, et ne cherchent point la guerison d'une si estrange maladie, auxquelz je puys bien dire ce qui est porte par un Prophete: Ossa arida, audite Mot Domini; oyes un peu que c'est de vostre mal..

  A007000330 

 Et de fait, nos theologiens disent que le peche est contre nature et contre rayson..

  A007000330 

 J'ay dict le mouvement naturel, parce que comme la paralysie corporelle n'empesche pas le mouvement exterieur du cors, mays seulement l'interieur et propre, ainsy la spirituelle n'empesche pas le mouvement de nostre ame a la creature; mays il ne luy est pas naturel, car son mouvement est a Dieu: Ibunt de virtute in virtutem, donec videatur Deus deorum in Sion.

  A007000330 

 Or, la paralysie spirituelle, parlant avec proportion, est une maladie causee par la saysie et occupation que le peche faict des nerfz spirituelz, c'est a dire des desirs de nostre ame, empeschant la communication et influence des inspirations divines en nos consciences, et par consequent le mouvement naturel de nostre ame et le sentiment des choses celestes.

  A007000331 

 C'est le propre effect de ceste paralysie d'empescher de travailler ceux qu'elle a saysis, pour la sayson a venir; dont tous nos maux arrivent, si que nous pouvons bien dire avec le Prophete: Ab aquilone omne malum panditur; car ne nous pouvans mouvoir, nous ne pouvons chercher le bien ny fuir le mal.

  A007000331 

 Vrayement nous sommes tous pecheurs; nous pouvons dire que aquæ intraverunt usque ad animam meam.

  A007000332 

 Et puys, ceste maladie a une tres mauvaise condition, c'est qu'elle est presque incurable, aussi bien que la paralysie corporelle; non pas que le sauverain Medecin ne le sçache et ne le puisse faire, mais parce que ceux qui en sont atteintz ne sentant pas leur mal, pour la pluspart, ilz n'ont point de recours au medecin si quelqu'un ne les y porte, comme vous voyes aujourd'huy; car, comme dict le Prov., 26, v. 16: Sapientior sibi videtur piger, septem viris loquentibus sententias.

  A007000333 

 Car les uns se font accroire de n'estre point malades, encores qu'ilz se sentent bien detraqués; les autres ayment mieux demeurer malades que de gouster l'amertume de la medecine..

  A007000333 

 Maintenant, pour nous garder de ceste maladie et purger ceste humeur, si elle estoit par adventure en nous, il faut un peu voir ses causes particulieres; et combien qu'elles soyent en grand nombre, si est-ce que celles qui sont mieux assaysonnëes au lieu et a l'aage ou nous sommes, sont ces deux icy: une flatteuse et trompeuse excuse qu'on se forge en ses pechés, et une grande lascheté de courage.

  A007000334 

 Que penses vous que faict l'artisan qui survend sa marchandise, et lequel a tout propos jure, se maudit, etc., affin de vendre troys foys autant, et dict que c'est un gain honneste qu'il faict en homme de bien? Il cherche des excuses ad excusandas excusationes in peccatis, et c'est pour luy que David a adjousté: Qui jurat proximo suo, etc.; et Dieu: Non furtum facies.

  A007000336 

 C'est pour cela que David a laissé par escrit: Exitus aquarum deduxerunt oculi mei, quia non custodierunt legem tuam.

  A007000336 

 L'usurier va il pas se trompant luy mesme, avec dix mille excuses pour faire mentir l'Escriture qui dict que telles sortes de gens n'iront point in tabernaculum Domini? Les prestres se flattent ilz pas avec des dispenses, quoy que le nemo potest duobus dominis inservire soit escrit en grosse lettre? Les dames se flattent elles pas, n'aymant point leurs maris, se playsant d'estre courtisees, s'excusant qu'elles ne font point d'actes contraires a leur honneur? Se plaisent elles point de passionner cestuy ci et celuy la, s'excusant que nonobstant, elles ne voudroyent pour rien violer la loy de leur mariage? C'est pour cela que Nostre Seigneur dict: Non concupisces.

  A007000337 

 C'est le vice auquel vous voyes tant de gens qui ne se veulent mouvoir au bien ny retirer du mal, pource que cela leur semble malaysé.

  A007000337 

 S'il faut se confesser: O que cela est fascheux, o que c'est une chose mal savoureuse! et ne considerent pas qu'il n'est pas des pechés comme des fruictz qui meurissent sur l'arbre et puys tombent d'eux mesmes, mais qu'au contraire, plus ilz demeurent en l'ame, tant plus malaysé est il de les arracher.

  A007000337 

 Si tu sçavois, aussi bien que tu ne penses pas, combien Nostre Seigneur t'attend en grande affection! Tobie envoyant en Rages l'Ange a Gabel, luy dict: Scis quoniam numerat pater meus dies, et si tardavero una die plus, contristabitur anima ejus..

  A007000338 

 Ne faites pas de vostre ame comme Jonas faysoit de Ninive, qu'il ne pensoit pas devoir venir que malaysement a pœnitence; et cependant, incontinent qu'elle ouyt: Adhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur, elle se convertit..

  A007000339 

 Cela te semble il chose si difficile qu'il ne la faille faire pour un si grand bien? C'est chose toute arrestëe que nisi manducaveritis carnem Filii hominis, non habebitis vitam in vobis.

  A007000339 

 Certainement la peyne est legere; mais si tu ne veux prendre peyne aucune, je te diray: Si quis non vult operari, non manducet, ny le pain du cors ny le pain de l'ame, comme indigne de vivre; mais asseure toy que anima effeminata esuriet; ainsy que dict David: Et aruit cor meum, quia oblitus sum comedere panem meum.

  A007000339 

 Je suys homme de conversation, et ne puys que je ne me trouve en des lieux ou il me faut faire le bon compaignon.

  A007000339 

 Que diray je? Si on parle de frequenter les Sacremens, ilz confessent que cela est bon; mays je ne sçaurois prendre la peyne, il faut cecy, il faut cela.

  A007000339 

 Tellement, que de ces paralytiques [91] spirituelz on peut bien dire que trepidaverunt timore ubi non erat timor; et avec ceste reprehension: Dereliquerunt me fontem aquæ vivæ, et foderunt sibi cisternas dissipatas, quæ continere non valent aquas..

  A007000340 

 Ne sçaves vous pas que le froid est gueri et chassé par le chaud? Or, toute sorte de chaleur ne guerit pas ce mal.

  A007000340 

 Que si quelqu'un se doute d'y tomber, comme nous avons tous occasion de la craindre, je vous veux donner un remede, duquel pourront encores user ceux qui sont desja tombés paralytiques, pour se guerir.

  A007000340 

 Voyes vous les maux que faict ceste paralysie, qui nous garde de cheminer a Dieu? vous aves veu ce que c'est.

  A007000342 

 O donques, consideres ce que vous faites, et vous achemines au bien: Contendite intrare per angustam portam.

  A007000363 

 Naguère, en ces fêtes de Noël qui viennent de passer, vénérables Pères, la solennité même de ces jours me rappelait à la sollicitude que je dois avoir pour mon âme, et me faisait penser à la meilleure manière de passer chrétiennement et saintement ce qui me reste de cette vie mortelle.

  A007000364 

 Bien que le sens littéral soit différent, ne pourrait-on pas facilement, grace à l'esprit qui vivifie, appliquer ces paroles à ceux qui cherchent à présider avant d'avoir siégé? Les fruits précoces et printaniers ne peuvent être conservés longtemps sans se corrompre..

  A007000364 

 Ce mot de saint Bernard, le melliflueux Prévôt de Clairvaux, me venait à l'esprit: Malheur au jeune homme qui devient profès avant d'être novice, et cette parole encore plus grave du roi David: C'est en vain que vous vous levez avant le jour; levez-vous après vous être reposés, vous qui mangez le pain de la douleur.

  A007000364 

 [Ce qui me donnait grandement à craindre...] Il me semblait que c'était une chose bien nouvelle, hardie et périlleuse pour moi, soldat ignorant, inexpérimenté et inconnu dans la milice chrétienne, d'être honoré de la Prévôté à l'entrée même du noviciat ecclésiastique, de sorte que l'on peut presque dire que je suis préposé avant d'être posé, parfait avant d'être fait, et qu'une haute dignité reluit dans une grande indignité, comme une escarboucle dans la boue.

  A007000365 

 Ce n'est donc pas sans raison que je m'adressais ce reproche: Est-ce ainsi, ô François, que toi, le dernier de tous, par le mérite, le talent et la vertu tu prétends être préposé aux premiers? Ne sais-tu pas que les honneurs sont extrêmement périlleux et onéreux? Longtemps j'ai été effrayé par ces voix [95] intérieures, je méditais ces mots du Prophète: O Dieu, j'ai entendu vos paroles et j'ai craint..

  A007000366 

 C'est ainsi que mes transports proviennent de ma joie comme mes craintes venaient de mon anxiété..

  A007000366 

 De sorte que se réalise en moi cette parole: Sers le Seigneur avec crainte et réjouis-toi en lui avec tremblement.

  A007000366 

 Oui, votre aimable et douce présence, Pères vénérables, me ranime et me réconforte à tel point qu'il serait difficile de dire ce qui m'a le plus vivement impressionné, de la terreur que j'éprouvais ou du bonheur que je ressens.

  A007000367 

 Cette anxiété était causée par ce que j'achève maintenant de vous manifester; mais je vois que j'ai tremblé où il n'y avait aucun sujet de crainte.

  A007000367 

 Mais moi qui suis préposé à ceux dont la modestie, la force, la prudence, la charité l'emportent sur celles qu'on pourrait désirer dans le Prélat le plus accompli, en sorte que chacun d'eux mériterait d'être Prévôt, quelle crainte puis-je avoir en cette occasion? Pourquoi m'arrêter à mon jeune âge, à mon inexpérience, à mon manque de talents, puisque dans mes fonctions je n'aurai jamais à user d'admonitions, de [96] mesures de discipline ou de correction? A moins que, comme disaient les anciens, on ne veuille « instruire Minerve, » ou, selon notre proverbe, « prêcher saint Bernard » ou parler latin parmi les Cordeliers, au milieu desquels nous sommes.

  A007000371 

 Et on serait en droit d'appliquer à toute notre société ce texte: Pour vos pères, des enfants vous sont nés; c'est-à-dire: par une malheureuse vicissitude, [97] les hommes de premier ordre que vous avez eus pour pères et Prévôts ont été remplacés par des jeunes gens, presque des enfants..

  A007000372 

 C'est ainsi que nous lui rapportons plus facilement « ces biens qui procèdent tous de lui.

  A007000372 

 Tout cela, mes Pères, n'est que trop vrai; mais je vous supplie de répéter avec moi pour notre consolation: Dieu a coutume de choisir ce qu'il y a de plus infime en ce monde pour confondre ce qui est fort, et généralement, c'est de la bouche des enfants et de ceux qui sont encore à la mamelle qu'il tire sa plus parfaite louange.

  A007000415 

 « O Dieu qui venez de m'élever à cette charge, que votre puissance me garde toujours, afin que j'évite tout péché dans l'exercice de mes fonctions, et que l'accomplissement de vos lois si justes soit le motif et la règle de mes pensées, de mes paroles et de mes œuvres.

  A007000416 

 Vénérables Pères, je débute par cette prière que j'ai déjà répétée plusieurs fois, et que je me propose de répéter désormais plus souvent encore.

  A007000417 

 Il pourrait toutefois être ébranlé et compromis par [100] suite de soupçons défavorables que je vous inspirerais.

  A007000417 

 Voici l'entreprise que je propose à vos délibérations; elle est aussi grande que difficile, elle n'est pourtant pas plus impossible qu'elle n'est indigne de nous: il s'agirait de recouvrer Genève, ce siège antique de votre assemblée.

  A007000418 

 Entre plusieurs difficultés qu'offrait ma traversée sur cette mer, la première, non moins grave et plus proche que toutes les autres, fut ma nomination par le bon plaisir du Souverain Pontife, à la Prévôté du Chapitre de l'Eglise Cathédrale de Saint-Pierre de Genève..

  A007000419 

 Bien que le sens littéral concerne un autre objet, ne pourrait-on pas facilement, grâce à l'esprit qui vivifie, appliquer ces paroles à ceux qui cherchent à présider avant d'avoir siégé, et qui, semblables à des fruits printaniers et hâtifs, ne peuvent être conservés longtemps sans se corrompre? [101].

  A007000419 

 Ignorant, inexpérimenté, simple soldat, me voir à l'entrée même du noviciat ecclésiastique, honoré d'une telle dignité, être préposé avant d'avoir été posé, parfait avant d'être fait! Et je me rappelai cette parole de David: C'est en vain que vous vous levez avant le jour; levez-vous après vous être reposés.

  A007000420 

 A sa tête, siégeait l'Apôtre qui tient les clefs du Ciel, et il m'adressait ce grave reproche: Quel est donc, pauvre François, l'esprit qui t'anime? Eh quoi, le dernier de tous par la science, les vertus et le talent, tu prétends être préposé aux premiers! Ne sais-tu pas que les honneurs sont extrêmement onéreux? Ne crains-tu pas cette sommation dont l'époque est incertaine, il est vrai, mais assurément prochaine: Rends compte de ton administration? Ces paroles m'émurent à tel point dans l'intime de mon être, que, serait-il même utile de me remémorer cette émotion, je n'aurais pas de termes assez forts pour l'exprimer.

  A007000421 

 Oui, la présence de votre tout aimable et bienveillante assemblée, Pères vénérables, me ranime et me réconforte à tel point qu'il serait difficile de dire ce qui m'a le plus vivement impressionné, de la terreur que j'éprouvais ou du bonheur que je ressens..

  A007000428 

 C'est ainsi que nous lui rapportons plus facilement « ces biens qui procèdent tous de lui.

  A007000428 

 Rappelez-vous, je vous prie, et considérez que Dieu choisit ordinairement ce qu'il y a de plus infime et de plus infirme en ce monde pour confondre ce qui est fort, et que, généralement, c'est de la bouche des [103] enfants et de ceux qui sont à la mamelle qu'il tire sa plus parfaite louange.

  A007000428 

 » O Dieu immortel, que vos voies sont éloignées de nos voies! O suprême Protecteur des petits, vous pouvez, des pierres, susciter des enfants d'Abraham.

  A007000429 

 Je répéterai donc sincèrement, quoique dans une condition différente et bien inférieure, ce que disait autrefois le plus sage des hommes: Je suis l'être le plus insensé et je ne possède pas la sagesse des hommes; je n'ai pas appris la sagesse, je ne connais pas la science des saints.

  A007000429 

 Mais aussitôt après, je relèverai mon âme avec David: Parce que je n'ai pas connu les lettres, j'entrerai dans les puissances du Seigneur.

  A007000430 

 Si vous l'agréez, je lèverai cet obstacle aux espérances que vous pourriez concevoir de moi..

  A007000432 

 Que vouliez-vous, ô Pères, que je fisse en de telles conjonctures? Rejeter absolument cette faveur? je voyais dans cette conduite je ne sais quoi d'ingrat, de grossier, de méprisant pour ceux qui m'avaient obtenu cette dignité.

  A007000432 

 Si, au contraire, vous ne me trouviez pas indigne, j'inclinais promptement les épaules sous ma charge, assuré que votre décision m'indiquait la voie à suivre..

  A007000433 

 Si vous voulez vous libérer de toute responsabilité, il ne vous reste qu'à aider et soutenir ma faiblesse par vos conseils et votre exemple, à suppléer par votre charité aux qualités qui me manquent, et je sens trop combien nombreuses elles sont! Soyez persuadés que Dieu vous a ordonné, comme à ses Anges, de me garder en toutes mes voies, de me porter dans vos mains, afin que je ne me heurte pas à cette table de pierre [sur laquelle sont gravés les dix commandements du Seigneur] sur laquelle il est écrit: Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et le serviras lui seul; et portant ainsi les fardeaux les uns des autres, nous accomplirons la loi du Christ.

  A007000433 

 Veuillez croire que je recevrai toujours humblement, dans le Seigneur, les avis de chacun d'entre vous, de telle sorte que si vous n'avez tous qu'un seul Prévôt, moi seul je paraisse en avoir autant que je compte de [106] Chanoines, et que je sois moins appelé préposé aux Chanoines que Prévôt des Chanoines..

  A007000434 

 Dans une de leurs fréquentes communications épistolaires, le grand Augustin écrivait à Jérôme (je cite deux brillantes lumières de l'Eglise): « Bien que, comme titre honorifique, l'épiscopat soit supérieur au simple sacerdoce, cependant, sous bien des rapports, Augustin est inférieur à Jérôme.

  A007000435 

 C'est sur ce camp, vaillants Compagnons d'armes, que vous devez fixer vos regards; et ce que votre fidélité doit à Dieu, à l'Eglise, à la Patrie, à vos autels et à vos foyers, lorsque l'occasion s'en offrira, faites-le, montrez-le, accomplissez-le.

  A007000435 

 Que notre camp soit le camp du Dieu dont les [107] trompettes font entendre, avec des accents pleins de douceur, ce chant: Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu des armées.

  A007000435 

 Vous entrevoyez enfin, je pense, toute l'étendue du plan que je vous propose pour reconquérir Genève..

  A007000436 

 C'est par la faim et la soif, endurées non par nos adversaires mais par nous-mêmes, que nous devons repousser l'ennemi.

  A007000436 

 C'est par la prière que nous le chasserons; car ce genre de démons, vous le savez, ne peut être chassé que par la prière et le jeûne.

  A007000436 

 [Que l'exemple d'Holopherne nous apprenne, je vous prie, la meilleure manière d'emporter une ville d'assaut...] Voulez-vous une méthode facile pour emporter rapidement une ville d'assaut? Je vous prie de l'apprendre de l'exemple d'Holopherne: il est bien permis, en effet, de retourner contre l'ennemi ses propres armes et d'en tirer profit, comme l'a si bien démontré Plutarque.

  A007000437 

 C'est à cause de nous que le nom de Dieu est blasphémé chaque jour parmi les nations, et c'est avec pleine raison que le Seigneur s'en plaint si amèrement par ses Prophètes.

  A007000437 

 Voilà l'eau de contradiction qui me paraît étancher la soif brûlante des hérétiques, boisson vraiment digne de ceux qui la prennent; c'est notre iniquité que boivent ces hommes iniques, ainsi qu'il est écrit: Ils boivent l'iniquité comme l'eau..

  A007000438 

 Faisons refluer à leur source les courants de nos péchés, et là, comme desséchés par le Soleil éternel dans notre propre cœur, que ces courants n'offrent plus de cette eau de scandale ni à nos ennemis ni à nous.

  A007000438 

 Mais puisqu'il en est ainsi, mes Compagnons d'armes, puisqu'ils regardent les actions d'autrui et non les leurs, arrêtons le cours de cette eau, je vous prie; que chacun veille à ce que sa source privée ne coule pas jusqu'à l'ennemi.

  A007000439 

 C'est par cette charité que doivent frapper nos têtes de ligne.

  A007000439 

 Il est une éternelle cité dont on a dit tant de choses glorieuses, qui est défendue par une position si haute et si avantageuse, que la vue elle-même ne la peut découvrir; or, nous savons que l'on peut s'emparer de cette cité céleste par la prière et les bonnes œuvres.

  A007000440 

 Nous laisserait-elle donc insensibles cette douleur que nous devrions éprouver au sujet d'un exil d'autant plus lourd et moins honorable que nos péchés à tous en prolongent la durée? Les Israëlites s'assirent sur les rives des fleuves de Babylone, et pleurèrent au souvenir de Sion.

  A007000440 

 Que ferons-nous donc, Chanoines de Genève? Ne sommes-nous pas exilés et pèlerins sur une terre étrangère, celle que nous habitons et foulons aux pieds? Asseyons-nous [110] donc sur ces rivages des fleuves de Babylone, c'est-à-dire de la confusion, des péchés; pleurons au souvenir de cette Sion genevoise, jadis si glorieuse des trophées du Christ, et aujourd'hui, pour les crimes de notre époque et de nos ancêtres, gisant accablée sous la plus honteuse servitude de l'hérésie..

  A007000441 

 Ainsi, par la miséricorde de Dieu, nous recouvrerions les biens que nos ancêtres perdirent par son juste jugement..

  A007000441 

 Je voudrais que nous comprissions ainsi ce passage: nous, Chanoines, comme sénateurs de l'Eglise, nous imiterions les vieillards d'Israël, et nous réserverions aux vierges de Sainte Claire, survivantes aussi du clergé de Genève, le rôle des vierges de Juda.

  A007000441 

 L'exemple que Jérémie nous cite de ces mêmes Israëlites, nous montre la tristesse que Genève, perdue pour le Christ et pour nous, devrait nous inspirer: Ils se sont assis sur la terre, les vieillards de la fille de Sion; ils ont couvert de cendre leurs têtes, ils se sont revêtus de cilices; les vierges de Juda ont baissé leurs têtes vers la terre.

  A007000442 

 Bons signes, mes Collègues, bons signes! Conduite providentielle qui rappelle à nos ennemis l'usurpation de nos sièges, nous excite à recouvrer notre bien, par un heureux retour, et à choisir notre sépulture dans le même tombeau que nos ancêtres.

  A007000442 

 En un mot, car il faut terminer ce discours, nous devons vivre d'après la règle chrétienne, de telle sorte que nous soyons Chanoines, c'est-à-dire réguliers, et enfants de Dieu, non seulement de nom mais encore d'effet..

  A007000448 

 Quant à vous, je vous rends d'immortelles actions de grâces, Illustrissime et Révérendissime Prélat, pour avoir, par votre très auguste présence, relevé l'éclat de cette assemblée où je compte mes plus chers amis, ceux que j'aime plus que le miel et le rayon de miel, plus que l'or et la topaze.

  A007000460 

 O sang, sang prætieux! Qui prætendra donques ignorance de l'intention de l'Eglise? Elle proteste que tout vient de Dieu.

  A007000460 

 Voyla comment, en sa premiere effusion de sang, on l'apelle Jesus, par ce que par son sang, comme par la mer Rouge, il nous devoit sauver.

  A007000469 

 Certes, l'Eglise propose au commencement le plus brief [Evangile], mais plein de substance; je ne diray que ce qui faict a propos..

  A007000469 

 Je prie Dieu de tout mon cœur, auditoire devot, que comm'il luy a pleu de vous « fair'arriver au beau commencement de ce jour, » de ceste semayne, de ce mois et de cest'annëe, qu'il vous veuille « garder sain et sauve; » affin que le servans et honorans tousjours renouvellés en vos consciences, vos « œuvres et pensëes commencent par » iceluy, qui est Dieu benit es siecles.

  A007000491 

 Seigneur, arrouses de la douce pluÿe de vostre grace ceste vostre vigne, affin que la houë et la pesle y puyssent bien entrer; rendes la traittable, et donnes a cest indigne vigneron la force et l'addresse d'oster les espines et superfluités des mauvaises opinions que le tems y pourroit avoir apporté, a celle fin qu' en son tems elle vous rende le fruict, et le vigneron en puysse avoir le denier promis, qui est ce jour perpetuel.

  A007000497 

 O saint Prophete, o grand pasteur d'Israël, o advisé Moyse, o digne ambassadeur de Dieu, digne secretaire de Dieu, que tu sçavois bien les conditions requises et fondamentales a une telle charge! Il se tient indigne, il demande le nom, il demande des signes..

  A007000499 

 C'est icy, mes Freres, la pierre de touche a laquelle vous connoistres si ceux qui se vantent de la parole de Dieu sont vrays ou faux prophetes; car il n'y a jamais eu secte qui n'aye tousjours dict qu'elle parloit de la part de Dieu, et que ses preschementeries estoyent les [121] vrayes paroles de Dieu, et ne se soit vantëe de l'Escriture: [ainsi] Luther, Calvin et tous les autres, a l'imitation du diable, lequel voulant tenter Jesus Christ luy allegue l'Escriture: Angelis suis mandavit de te.

  A007000501 

 Mais affin que nous sçachions la volonté de Nostre Seigneur en cecy: Sicut misit me Pater, et ego mitto vos, subjungit: Accipite Spiritum Sanctum; Joan., 20, post Resur.

  A007000503 

 Il atteste sa mission par miracles, et proteste que sans les miracles sa mission n'estoit pas justement prouvëe au peuple; de maniere qu'il dict en saint Jan, 14: Parole quæ loquor vobis, a meipso non loquor; et incontinent: Alioquin propter ipsa opera credite; et au 15: Si opera non fecissem in eis, quæ nemo alius fecit, peccatum non haberent..

  A007000503 

 Que diray je? Nostre Seigneur, apres avoir esté prædict avec tant de circonstances, encores veut il monstrer sa mission, et se targue tousjours d'icelle, disant tantost: Sicut misit me Pater (20. Jo. ), Doctrina mea non est mea, sed ejus qui misit me (7. Jo. ); et puys [123] il s'escrie: Et me scitis, et unde sim scitis, et a meipso non veni.

  A007000503 

 Tous les Prophetes ne parlent que de luy, tellement qu'il pouvoit bien dire: Scrutamini Scripturas; illæ testimonium perhibent de me.

  A007000503 

 Voyla donques comme il se targue de sa mission, de laquelle il n'avoit besoin de faire autre preuve que par l'Escriture; car il avoit esté si formellement praedict, qu'on le pouvoit bien reconnoistre.

  A007000504 

 Tirons donques ceste conclusion tres certaine, [1.] que la mission est necessaire, comme dict saint Pol, Ro., 10: Quomodo invocabunt in quem non crediderunt? quomodo credent quem non audiverunt? quomodo audient sine prædicante? Quomodo prædicabunt nisi mittantur? [124].

  A007000505 

 Ce que Calvin confesse, [ Instit.,] l. 4, c. 3..

  A007000506 

 Quicomque allegue mission extraordinaire la doit prouver; car quelle regle pourrions nous tenir, s'il ne falloit que dire? Ainsy Moyse, saint Jan; et Nostre Seigneur mesme le prouve..

  A007000507 

 Que jamais mission extraordinaire ne fut bonne qui ne soit approuvëe de l'ordinaire.

  A007000507 

 Saint Jan ne fut il pas approuvé par les scribes et prestres qui envoyerent ceste noble legation: Tu quis es? et jamais ne trouverent que bonne sa doctrine.

  A007000508 

 Et ne faut point dire que l'ordinaire manque quelquefois, car regni ejus non erit finis.

  A007000509 

 En fin, que recueillons nous? Puysque nos hæretiques ne nous sçavent dire d'ou ilz viennent ny qui les a envoyés, il se faut garder de les ouÿr; car assumunt linguas suas, et aiunt: Dicit Dominus.

  A007000509 

 Et pouvons bien dire d'eux ce que saint Pol prædict aux prestres Ephesiens, aux Act., 20, les voulant laisser: Ego scio quoniam post discessionem meam intrabunt lupi rapaces in vos, non parcentes gregi; et ex vobis ipsis exurgent viri loquentes perversa, ut abducant discipulos post se. 1.

  A007000510 

 Et comme ce seroit grand peché que chacun se voulust mesler de la premiere, aussi ce seroit grand peché que chacun ne suivist la seconde.

  A007000511 

 N'attendes pas caresme prenant, car que sçaves vous si vous le verres? Ducunt in bonis dies suos; in puncto in infernum descendunt.

  A007000512 

 Quelles occasions n'avons nous point de sortir de nostre paresse? tant de maux que nous voyons tous les jours, etc. Nostre Seigneur faict comme le pere qui, tenant les verges en main, dict a ses enfans lesquelz il chastie: Ne seres vous jamais sages?.

  A007000515 

 Il est juste que ceux qui estans appelles l'ont suivi en ce monde, le suivent en l'autre: Ut ubi ego sum, illic sit et minister meus, et accipiat mercedem; Ego sum merces tua magna nimis.

  A007000525 

 Environnes la une foys le jour durant six jours; le septiesme, environnes la sept fois; et en ces environnemens, mettes ordre que l'on porte l'Arche, et devant [130] icelle, aillent sept prestres avec des trompettes sonnant.

  A007000525 

 Et au dernier environnement, Ihors que les prestres auront sonné plus longuement et puissamment, que tout le peuple crie tant qu'il pourra, et les murailles tomberont, et chacun entrera par l'endroit ou il se trouvera, par dessus les murailles.

  A007000529 

 C'est ceste ville laquelle, plus que toute autre, se peut vanter que le sçavoir de son bastisseur a esté rendu admirable en son edification, selon le dire du Psalmiste: Mirabilis facta est scientia tua ex me; c'est d'elle qu'on peut dire: Gloriosa dicta sunt de te, civitas Dei..

  A007000529 

 Qui trouvera mauvais que j'appelle l'ame de l'homme une ville, puysque les philosophes l'ont bien appellëe un petit monde, puysqu'elle est « l'abbregé » de toutes les perfections « du monde, » recueillant en soy tous les grades plus parfaitz d'iceluy, comme tout le plus beau d'une province se retrouve en la ville principale d'icelle? En ceste ame encores, vous semble il pas qu'il y ayt un magazin qui vaut plus que tous ceux d'Anvers ou de Venise, puysque la memoyre retire toutes les idees de tant de varietés de choses? Vous semble il pas qu'il y ayt un brave ouvrier, puysqu'en l'entendement possible, toutes choses s'y font en des especes incomparables? Vous semble il pas qu'il y ayt un ouvrier, lequel avec cent millions d'yeux et de mains, comme un autre Argus, faict plus d'ouvrage que tous les ouvriers du monde, puysqu'il n'y a rien au monde qu'il ne represente? qui est l'occasion qui a faict dire aux philosophes que l'ame estoit tout en puyssance.

  A007000530 

 C'est le peché qui empesche que Dieu ne se rende maistre de nos ames, et ne peut entrer en nous, ains demeure a la porte: Ego st o ad ostium et [132] pulso.

  A007000530 

 Or, ceste forteresse a esté vendue au diable lhors que le peché l'a environnëe; dont le diable a esté appellé le prince de ce monde.

  A007000531 

 C'est de ces murailles que nous pouvons dire: Ascendite muros ejus, et dissipate, comme dict Nostre Seigneur de Hierusalem; Hier., 5..

  A007000531 

 Que si celles de Hiericho tomberent au son des trompettes des prestres, celles-ci doivent tomber encores au son de la trompette evangelique et la prædication de la parolle de Dieu, suivant ce que sa Majesté dict a Hieremie: Ecce dedi Mot meum in ore tuo; constitui te super gentes, ut evellas, et destruas, et disperdas, et dissipes, et ædifices, et plantes; c. I. Ainsy David se fit maistre de Sion, suivant ce qu'il dict: Ego autem constitutus sum rex ab eo super Sion montent sanctum ejus, prædicans præceptum ejus.

  A007000533 

 Je voudrois qu'elle fust comme celle des bons prædicateurs, qui est, comme dict saint Pol: Prædicamus autem Jesum Christum crucifixum; Judæis quidem scandalum, etc.; et aussi que l'intention fust de recevoir en son cœur Jesus Christ.

  A007000533 

 Ou sont ceux qui ne vont a la prædication par curiosité de voir les façons et les paroles? Que diries vous de ce malade lequel sçachant qu'en un jardin il y a l'herbe qui le peut guerir, n'y va que pour voir quelques fleurettes? Semblables a Herodes, qui ne desiroit de voir Nostre Seigneur que par curiosité, et le mesprisa; aussi mesprisent-ilz les prædicateurs quand ilz en ont passé leur fantasie, comme les femmes grosses, qui non par faim, mais par fantasie, desirent des viandes.

  A007000533 

 Quant a l'intention, mes Freres, je voudrois qu'elle fust a l'avenant de celle de Nostre Seigneur, lequel ne nous a pas voulu parler pour autre fin que pour nous [133] sauver: Ut fides sit ex auditu, et omnis qui credit in eum non pereat, sed habeat vitam æternam.

  A007000535 

 La seconde disposition qu'il faut avoir pour bien ouyr la parole de Dieu, c'est l'attention; car il y en a plusieurs qui viennent au sermon pour faire leur proffit, mais y estant, ou en dormant ou en causant ou en pensant ailleurs, ilz ne sont pas attentifz; auxquelz, quand ilz sont de retour, si l'on demande que c'est qu'ilz ont rapporté du sermon, ilz peuvent bien respondre qu'ilz en sont revenuz gens de bien, pour en avoir rapporté les oreilles ou leur chapeau.

  A007000536 

 Ah, que le Psalmiste n'estoit pas de ceste façon: Audiam quid loquatur in me Dominus Deus.

  A007000536 

 Jonæ, 1, Dieu fait un grand vent sur mer, si que chacun s'addresse a Dieu, et Jonas dort.

  A007000536 

 L'attention est si requise, que souvent l'intention defaillant, l'attention proffite.

  A007000536 

 Or, cecy n'est pas une petite incivilité, que Dieu parlant a nous, nous ne voulions l'escouter, ne plus ne moins que si nous parlions a Dieu sans y penser; de maniere que de ceux la Nostre Seigneur dict: Populus hic auribus me honorat, cor autem eorum longe est a me.

  A007000538 

 Vistes vous jamais un plus prompt jugement que celuy que fit David, lhors que Natan luy parla de sa faute en la personne d'un tiers? Peut estre n'eust il pas esté si facile s'il eust parlé directement a luy mesme.

  A007000539 

 La troisiesme [cause] d'ou il vient, c'est que la parolle de Dieu chasse le peché de l'ame, et l'homme qui se plaist au peché la trouve amere lhors qu'elle le sollicite: Ad tempus credunt, et in tempore tentationis recedunt.

  A007000540 

 Les autres, avec si peu d'attention, que la parolle de Dieu ne va pas jusques au cœur: Et natum aruit, quia non habebat humorem.

  A007000540 

 O que Nostre Seigneur pourroit bien faire les lamentations de Job: Quis mihi tribuat auditorem? Qui me donnera un auditeur de ceux que je desire, qui in corde bono et optimo audiens Mot retineat, et fructum afferat in patientia? Qui habet aures audiendi, audiat.

  A007000541 

 Nostre Josué entrera dedans avec tous ses dons, et y tuera toutes nos mauvaises habitudes, mortifiant toute nostre ame. Il n'y aura que Raab de sauvëe: Raab, nostre foy, laquelle ne faisoit point d'oeuvres que bastardes.

  A007000554 

 Enseignement lequel a esté entendu de ceste façon de tous nos anciens Peres, du college mesmes des Apostres, et semini ejus in secula, et a esté ainsy interpreté per os sanctorum qui [ a ] Christo sunt prophetarum; lhors que par « tradition de main en main, » ilz ont observé tres etroittement et commandé le sainct jeusne de Caresme, affin qu'en ce tems la on fit particulierement pœnitence, pour s'approcher dignement autant qu'on peut du Royaume des cieux, ou ne se rendre pas incapables d'iceluy, s'approchant de nous par la communication du præcieux Cors de Nostre Seigneur, vive memoyre de la mort de Nostre Seigneur et de sa Croix, par laquelle le Royaume de Dieu, qui n'estoit qu'a Dieu seul, a esté mesme communiqué aux hommes..

  A007000555 

 Et c'est de ce voyage, c'est de ce pelerinage duquel je veux discourir, et quasi vous conduire de logis en logis, par la main de la consideration, jusques au lieu que vous deves desirer..

  A007000555 

 Et pour nous en approcher, estans en la mer de ce monde, entre les flotz et les bourrasques de nos propres pechés, esquelz nous sommes tumbés par le miserable naufrage que nous avons faict par nostre faute, de l'innocence baptismale, il faut que nous [empoignons] nous jettions dedans l'esquif de pœnitence, seul refuge, seule consolation en ces dangers; sur lequel, quoy que [nous] ne soyons sans crainte, regret, souspirs, faim et autres telles peynes, si est que nous sommes seurs d'arriver, si nous [140] avons bon courage, au port desiré de la Croix, et par apres de la gloire.

  A007000555 

 Nous sommes advisés que, si nous voulons, le Royaulme des cieux, vraÿe terre de promission, est pour nous; il ne faut que sortir d'Egipte et fayre pœnitence, que bien tost nous y arriverons.

  A007000555 

 Qui est la rayson pour laquelle, devant choysir quelque proufitable discours avec lequel je peusse conduyre pas a pas, a journëes rompues, vos ames au pied de la Croix au mont Calvaire par affection, et au saint Cors et Sang de Nostre Seigneur par realité, et vous y faire aborder heureusement, j'ay choysi ces saintes paroles, par lesquelles nous sommes advisés que le Royaume de Dieu s'approchant, si nous voulons [y] avoyr part, il faut que de nostre costé nous nous approchions de luy.

  A007000556 

 Mays pour ce que le chemin par lequel nous devons passer est un grand desert de pœnitence, avant toutes choses je vous veux dire un peu des conditions et qualités d'iceluy, affin que vous ne soyes pas si nouveaus par apres des choses que nous y verrons par le menu; et puys, nous regarderons de nous acheminer.

  A007000565 

 Puys, regardant en haut, et voyant le Ciel ouvert avec la clef de la Croix, il monte sur la colline d'esperance, toute fleurie et pleyne de l'odeur des olives de grace et des lauriers de gloire; et c'est alors que l'ame souspire, c'est alors que les espris se resveillent pour aller en Paradis, pour sortir du peché.

  A007000566 

 Mays imagines vous que l'espervier sceust parler et quil eust rayson, ou plustost que quelqu'un parlast pour luy; ne diroit il pas au maistre: Laschez moy, je vous prie, je ne m'iray point esgarant, je retourneray tousjours a vous? O l'ame devote ayant rayson, se sentant lier, n'est pas comme l'oyseau qui ne faict que battre, mays regardant son Maistre, elle s'addresse a luy: Seigneur, deslie moy; Seigneur, filia mea male a demonio vexatur; Ad te, Domine, levavi animam meam, Deus meus in te confido, non erubescam..

  A007000567 

 Comment donques ay je bien eu le courage d'offencer une si grande bonté? Ja n'advienne que desormais je retourne a une si grande iniquité..

  A007000567 

 O si j'eusse esté si sage que d'obeir a ses commandemens, que je jouyrois bien de ses faveurs.

  A007000568 

 Et cela, l'a il faict de bon cœur? De si bon cœur que desiderio desideravit hoc Pascha.

  A007000568 

 Pourquoy donques [144] en ce jardin d'Olives ou je suys venu avec luy, se contriste il? Pour te monstrer quil endure reallement, et d'autre costé, voyant que tu mesprises ainsy sa redemption et quil y a si peu de gens qui en face conte.

  A007000568 

 Que si peut estre tu ne peux pas monter au Ciel pour aller contempler la bonté de Dieu, regarde la en son miroir: Miroir de la bonté de Dieu est la Passion du Sauveur Jesus.

  A007000569 

 Si vous n'y estes encores, chemines toute cest'huitayne en ceste desplaysance de vos pechés, et je suys asseuré que, aydant Dieu, vous y arriveres, et entendres la douce voix du Sauveur: O anima, magna est fides tua; fiat tibi sicut vis.

  A007000569 

 Sus donques, debout, o mon ame: Si Dieu t'a tant aymé que pour te laver de tes pechés il a envoyé son Filz, regrette, lamente, pleure les pechés que tu as commis, et desormais n'abandonne jamais un si bon Maistre.

  A007000587 

 Comme le chasseur ayant donné la chasse et le cours au cerf et a la biche, la va attendre aupres de quelque fontayne ou elle a accoustumé de s'abbreuver (car ceste sorte d'animal est sujette a la soif estrangement), pour la prendre apres que la froideur de l'eau l'aura engourdie, suivant le dire du Psalmiste: Comme le cerf crie vers la fontayne, ainsy mon ame vous souhaite, o mon Dieu, tout de mesme Nostre Seigneur, en l'histoire de l'Evangile du jourdhuy, s'en va aupres d'une fontayne attendre une pauvre pecheresse alterëe par son iniquité, affin de la prendre d'une tres glorieuse chasse, apres qu'avec ses saintz discours il l'a engourdie aux mouvemens de son peché et de sa concupiscence.

  A007000588 

 Les disciples de Nostre Seigneur baptizoyent une grande multitude de personnes en Judee, et beaucoup plus que saint Jan Baptiste n'avoit fait; dequoy Nostre Seigneur s'appercevant les Scribes et Pharisiens estre irrités, pour l'envie qu'ilz avoyent sur luy, et n'estant encores venu le tems de sa Passion, voyant le peu de proffit qu'il faisoit en Judee, et pour donner commencement a sa sainte prædication, il s'en alla en Galilee et s'arresta en Capharnaum, qui estoit sur les limites de Zabulon et Nephtali, suivant la prophetie d'Isaye: Primo tempore alleviata est terra Zabulon, et terra Nephtali.

  A007000591 

 Et ce pendant que ce celeste Chasseur se repose, voicy venir la pauvre miserable biche, mays bien tost heureuse et trois fois heureuse Samaritaine, qui venoit a l'eau: Venit autem mulier de Samaria haurire aquam.

  A007000591 

 Heureuse Rebecca, qui venant a la fontaine y trouvas le valet d'Abraham qui te rendit espouse d'Isaac; mais [148] plus heureuse Samaritaine, qui venant a l'eau maintenant, y trouves Nostre Seigneur qui, de pecheresse que tu estois, te rend sa fille et son espouse..

  A007000592 

 Ceste femme donques luy reproche cela, comme disant: Vous autres Juifz, tenes les Samaritains pour excommuniés; et comme donques me demandes vous a boire? Elle sçait bien que ce n'est pas commerce que de demander un peu d'eau, mais elle luy dict cela par reproche.

  A007000592 

 Or, il entre en propos avec elle, parce que ses disciples estoyent allés en la ville acheter des viandes; Discipuli enim ejus abierant in civitatem ut cibos emerent.

  A007000592 

 Voicy l'occasion que Nostre Seigneur prend de sauver ceste ame; car la, pres de la fontaine, il luy dict: Da mihi bibere, Donnes moy a boire. Nostre Seigneur, pour avoir occasion de nous faire du bien, nous demande les oeuvres de misericorde.

  A007000593 

 Si tu eusses conneu et l'un et l'autre, le don du Pere, et que c'est moy qui suis ce don la..

  A007000593 

 Si tu sçavois le don de Dieu que le Pere a donné au monde; Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum unigenitum daret, ut omnis qui credit, etc., habeat vitam æternam.

  A007000597 

 Elle croid que Nostre Seigneur est plus grand que Jacob et donne une meilleure eau, mais elle la demande pour le temporel, encores non esclairëe..

  A007000610 

 S'il vous plaist de regarder les sept parolles que Nostre Seigneur dict a la Samaritaine, vous verres en icelles comme une petite nuëe, grosse d'une [153] sainte pœnitence, qui, puys apres, grossira et fera venir une grande trouppe de Samaritains.

  A007000611 

 Je crois que vous sçaves l'histoire de la resuscitation de l'enfant de la devote Sunamite, faite par Helisee.

  A007000611 

 Mais il vous faut resouvenir de deux choses que je disois vendredy: 1.

  A007000611 

 que l'occasion fit reconnoistre Nostre Seigneur pour prophete a la Samaritaine; 2.

  A007000611 

 que les Juifz tenoyent les Samaritains pour hseretiques et payens; mais je ne vous dis pas au long les raysons..

  A007000612 

 De ce schisme, ne vint que mal en Israël.

  A007000612 

 Or, il est croyable que tous n'abandonnerent pas, mays en demeura quelques uns, et autres retournerent, dont les Samaritains demeurerent ainsy.

  A007000612 

 Reg., 11, qui seroit long a raconter, Hieroboam, de peur que les dix tribuz de son obeyssance ne reprinssent l'affection de leur roy naturel, Roboam, s'ilz alloyent reconnoistre le Temple et l'ordinaire succession des prestres en Hierusalem, il fit un temple des faux dieux en Samarie, et fit des prestres du vulgaire, qui n'estoyent pas de la succession legitime de Levi.

  A007000613 

 11, c. 8; [7.] mais sur tout, c'est parce qu'ilz estoyent schismatiques, et avoyent dressé autel contre autel, ayant faict un temple au mont de Garisin, et des prestres autres que de la succession ordinaire, dont vint la dispute devant le roy d'Egypte, qui adjugea pour les Hebreux (Josephe, l. 11 et 13); et qu'ilz ne recevoyent que les cinq Livres de Moyse, le Pentateuche, du reste ilz s'en mocquoyent.

  A007000613 

 parce que parmi eux regnoit le Gentilisme avec la vraye religion, et chascun se gouvernoit comme bon luy sembloit.

  A007000614 

 Mais parce qu'il luy faschoit de s'arrester sur ce discours, elle le destourne sur une dispute de la religion; car c'est l'ordinaire des religions vicieuses que de mettre force disputes en avant, et que les peuples s'en veulent aussi bien mesler que les autres.

  A007000615 

 Et c'estoit la question qui estoit entre les Juifz et les Samaritains, que ceste femme propose.

  A007000628 

 Mes Freres, c'est ce que je desire faire aujourd'huy, et que toutesfois je ne puys, si Nostre Seigneur mesme ne monte sur ma langue, comme sur l'asnesse, pour l'addresser et conduire dans la Hierusalem de vos consciences.

  A007000628 

 Qui me donnera maintenant la grace de vous dire en si bonne façon la douce nouvelle de la venue que Nostre Seigneur doit bien tost faire en vos consciences par la sainte Communion, que vous luy allies au devant par desir et devotion, jettant les robbes de vos ames et les rameaux de vos affections, par mortification? O que ce seroit bien faire la memoyre de ce glorieux triomphe, puysque nous triompherions nous mesmes de nostre plus grand ennemy, qui est nostre chair, comme vrays enfans et hæritiers de ceste auguste et triomphante Majesté du Sauveur.

  A007000630 

 Cest incomparable miroir de patience, que Dieu appelle par honneur son serviteur, Job, en son septiesme chapitre, dict une sentence digne d'æternelle memoire: Militia est hominis vita super terram.

  A007000631 

 Ilz ne pensent pas autre chose, sinon que ceste horrible et affreuse Megere, la guerre, ceste ruine commune des republiques, ceste perte de l'Estat, soit une favorable occasion de s'accommoder, volant, pillant, saccageant, assassinant impunement, s'y jouant aux despens du pauvre homme, comme l'on feroit au roy despouillé, avec toute sorte de liberté, sans crainte de la justice, laquelle se ressentant fort de sa viellesse en nostre miserable aage, est fort foible en tout tems, mays principalement en tout tems de guerre.

  A007000631 

 Si donques Job eust dict: In militia est vita hominis super terram, encores eust-on pensé d'y avoir quelque repos; mays non, il dict que la mesme vie est une guerre.

  A007000632 

 Et vrayement, c'est pitié que de ceste guerre; car estant entre de si grans amis comme l'esprit et la chair, y a il rien de plus deplorable? Saint Pol, Rom., 7, se lamentant de ceste guerre, apres avoir au long descrit les assaultz qu'il sentoit en soy mesme, il s'ecrie: Infelix ego homo, quis me liberabit de corpore mortis hujus? Qui me delivrera? car je ne m'en peux deffaire.

  A007000632 

 Mais quand il dict: Militia est vita hominis, il veut dire non seulement que nous sommes en guerre, mays que nous mesmes nous sommes guerre: Militia, etc. Et de vray, qui regardera bien les diversités de mouvement, et les assaultz que faict l'esprit contre la chair, je suys asseuré qu'il dira que Militia, etc.

  A007000632 

 Que feray je? dict l'ame combattante.

  A007000632 

 S'il eust dict que nostre vie a la guerre continuelle sur la terre, encores eust ce esté moins, car on peut bien avoir la guerre et avoir son ayse; on peut faire tant de victoires, on peut estre si fort qu'on n'aÿe point d'occasion de craindre.

  A007000633 

 C'est pour vray indubitablement que si l'esprit n'avoit affaire qu'avec la chair seulement, il en seroit bien tost le vainqueur; car il est beaucoup plus fort et adroit: Spiritus quidem promptus est, caro autem infirma; Marc., 14.

  A007000633 

 L'un de ces troys au Deut., est fort et puyssant; que sera ce des troys ensemble? Dict le divin Prescheur, Eccl., IV: Funiculus triplex difficile rumpitur..

  A007000634 

 Mais encores seroit ce peu si ceste chair n'avoit point d'intelligence dans nostre ame; car c'est chose certaine que jamais nous ne serions vaincuz.

  A007000635 

 Que diray je plus? ceste chair a telle intelligence en nous mesmes, que pourveu qu'elle connoisse nos forces, incontinent elle nous ruine.

  A007000635 

 Qui diroit jamais qu'elle nous ostast mesmes les saintes vertus, et les nous rendist ennemies? Mais que penses vous? Si elle connoist qu'il y en aye en nous, elle sollicite tant, que nous nous en vantons, nous en prisons, et par ce moyen deviennent poison; car estant comme le moust et le bon vin doux, si elles sont esventees elles s'aigrissent.

  A007000636 

 O mes Freres, caro concupiscit adversus spiritum, etc. L'esprit engendre tant de bons desirs, la chair tant de mauvais, et les uns combattent si asprement les autres, que bien souvent, comme celuy qui a [161] la colique, on crie: Quis me liberabit a corpore mortis hujus? Comme il est dict de Rebecca, Genes., 25 chap. Voyes vous la guerre dangereuse de nostre vie? Militia est vita hominis super terram..

  A007000637 

 Que ferons nous? Courage, il faut combattre.

  A007000637 

 Que si ainsy est, que ferons nous, mes Freres? D'apaiser l'ennemy, il n'est pas possible, il est inexorable; car qui plus le flatte, plus l'aigrit: Qui amat animam suam, perdet eam; Cum loquebar illis, impugnabant me gratis; Ps.

  A007000637 

 Que si nous nous trouvons foibles a l'occasion de nos factions domestiques, il ne faut perdre courage pour cela, mays appeller quelque secours, faire quelque alliance..

  A007000638 

 Or, je ne sçache que quatre potentatz en tout l'univers: le monde avec toutes ses ambitions, honneurs, pompes, vanités; l'enfer avec tous ses diables; la chair avec toutes ses voluptés, delices, playsirs et passetems; Nostre Seigneur avec tous ses Anges et les Saintz.

  A007000641 

 Quatriesmement, une grande diligence a nous servir des moyens que Nostre Seigneur nous a mis en main, pour monstrer que nous nous fions en luy, non pas en nous.

  A007000642 

 Il me semble que l'Eglise dict les paroles de Job, 29: Quis mihi tribuat, ut sim juxta menses pristinos, secundum dies quibus Deus custodiebat me? sicut fui in diebus adolescentiæ meæ, quando secreto Deus erat in tabernaculo meo? Il faut que je vous die que cum sancto sanctus eris; Psalm.

  A007000643 

 Coupans les branches d'arbres, ilz monstrent qu'il faut combattre la concupiscence; ce qu'ilz jettent leurs vestemens aux pieds de Nostre Seigneur, monstre qu'ilz n'ont nulle confiance en eux mesmes, comme s'ilz osoyent dire: Non nobis; ce qu'ilz crient Hosanna, monstre qu'ilz se fient en la seule protection divine, et se veulent servir du premier moyen; ce qu'ilz vont jusques au mont des Olives et qu'ilz le menent dans leur ville, monstre la reception que nous luy devons faire.

  A007000643 

 En ceste façon, nous pourrons porter les palmes comme eux en signe de victoire, vainqueurs de nostre chair, que nous porterons comme trophëes aux pieds de l'Aigneau qui y regne, comme a Celuy pour qui et en qui nous aurons triomphé, qui est Jesus Christ qui vit et regne es siecles, et vous benie.

  A007000643 

 Faire paix, nous ne pouvons; reculer, encores moins: il faut donques combattre; que si nous sommes foibles, regardons de prendre secours.

  A007000651 

 C'est le discours que j'ay entrepris, mays que je ne puys bien faire, ny vous, bien escouter, si le Saint Esprit ne nous assiste.

  A007000651 

 La joye fut sans doute bien grande en l'arche de Noë, quand la colombe, peu auparavant sortie comme pour espier l'estat auquel estoit le monde, revint en fin portant en son bec le rameau d'olive, signal bien asseuré de la cessation des eaux, et que Dieu avoit redonné au monde le bonheur de sa paix.

  A007000651 

 Sans doute que leurs ames furent alhors pleinement trempëes de consolation: Gavisi sunt discipuli viso Domino.

  A007000653 

 Elles sont necessaires, mais maintenant; car au Ciel, il ne demeure que la charité.

  A007000653 

 Nostre Seigneur ne faict autre chose que nous bien enseigner ces trois leçons: comme il faut croire, esperer et aymer; mays sur tout en ces quarante jours esquelz il conversa apres sa resurrection avec ses Apostres, et plus particulierement en l'apparition recitëe aujourd'huy..

  A007000654 

 Helas, que leur foy estoit esbranlëe! La pauvre Magdeleine le va cherchant parmi les mortz pour l'embaumer, et croit qu'on l'aye desrobbé; les Apostres sont telz, que visa sunt illis deliramenta, et non crediderunt illis, c'est a dire aux dames qui l'avoyent appris des Anges; les deux pelerins disent: Sperabamus; le grand saint Thomas crie: Non credam.

  A007000655 

 Le bon David ne savoit se remuer dans [168] les armes de Saül; pendant que nostre ame est chargëe du cors mondain, elle ne se peut bien mouvoir.

  A007000656 

 C'est grand cas que d'estre separé de Dieu; on est timide, on perd la force: telz estoyent les Apostres, telle la Magdeleine.

  A007000656 

 O je ne voudrois pas que nous fussions sans esperance, mays je voudrois bien que nous pleurassions quand nous perdons Dieu.

  A007000669 

 Nous y voulons addresser nos pleurs et nos cris, nous ne voulons autre nourriture que les fruictz de la Croix: Absit que nous nous glorifiions en aucune autre chose.

  A007000669 

 Si le prophete Jonas se consola tant au lierre que Nostre Seigneur luy avoit præparé, que l'Escriture dict: Et lætatus est Jonas super hedera lætitia magna, quelle doit estre l'allegresse des Chrestiens en la tressainte Croix de Nostre Seigneur, sous laquelle ilz sont bien plus a l'ombre que Jonas n'estoit sous le lierre; ilz sont mieux defendus et contregardés que Jonas ne fut par le lierre: Absit mihi, etc. Or, disons donques: Que Jonas se resjouisse au lierre; qu'Abraham fasse festin aux Anges sous l'arbre (Gen., 18 ); qu'Ismaël soit exaucé sous l'arbre au desert (Gen., 21 ); qu'Helie soit nourry sous le genevre en la solitude (3. Reg., 19 ): quant a nous, nous ne voulons autre ombre que celle de la Croix, autre festin que celuy qui nous y est praeparé.

  A007000670 

 Mais en la Croix de Nostre Seigneur, o quelle gloire! Si Celuy la qui estoit si grand qu'il estoit Dieu, y constitue son exaltation, sa clarification, s'il l'appelle la porte de sa gloire, que vous reste il a faire et que me reste il a dire, sinon: Hoc sentite in vobis quod et in Christo Jesu, qui cum in forma Dei esset, non rapinam arbitratus est se esse æqualem Deo, sed semetipsum exinanivit; propter quod, etc.?.

  A007000671 

 Car, que diray-je jamais de plus admirable que ce que je vay dire? que Nostre Seigneur mesme a appris en ce livre une chose qu'il n'avoit jamais sceu, une leçon qu'il n'avoit jamais appris en toute son æternité.

  A007000671 

 Et ne trouves pas estrange que je vous renvoye a ce livre pour y apprendre vostre leçon, car c'est le plus excellent livre de tous ceux qui jamais furent composés: et partant, qui desire la gloire de la [173] science, qu'il s'approche avec la sainte pensëe et qu'il lise ce saint livre; il y apprendra la plus profonde doctrine qui fut onques.

  A007000671 

 Lises de grace en ceste Croix, et vous y apprendres la gloire que Nostre Seigneur a pris en icelle.

  A007000671 

 Si donq on se veut glorifier en sçavoir, que ce soit en ce livre du Nouveau Testament..

  A007000672 

 Saint Pol, racontant aux Hebrieux, 9, comme l'Ancien Testament fut dedié, il dict que Moyse ayant leu tous les commandemens de la Loy, prenant le sang des veaux et boucs, avec l'eau et la laine pourprine, et l'hyssope, ipsum quoque librum et omnem populum aspersit. Mais omnia in figura contingebant illis; et ou est le livre que Nostre Seigneur a aspersé de son sang, au Nouveau Testament, sinon la Croix, en laquelle Nostre Seigneur ayant leu tous les commandemens de la Loy, qui n'est autre sinon: Diliges Dominum, etc., Mandatum novum do vobis, ut diligatis vos invicem, crie a haute voix: Pater, ignosce illis; In manus tuas, etc.? Il asperse tout le monde de son sang par l'institution des saintz Sacremens, particulierement de celuy de l'Autel..

  A007000673 

 Et vous, o mon tressaint et seraphique docteur Bonaventure, qui me sembles n'avoir eu autre papier que la Croix, autre plume que la lance, autre encre que le sang de mon Sauveur, quand vous aves escrit vos divins Opuscules.

  A007000674 

 Mais que nous sert il de produire tant de tesmoins en une chose si claire? Nostre Seigneur ne veut que nous apprenions autre chose plus particulierement que la debonnaireté et l'humilité.

  A007000675 

 C'est la le premier sujet que nous avons de nous glorifier en la Croix..

  A007000675 

 Je me suis estendu sur ceste premiere glorification que nous devons avoir en la Croix, pour vous conjurer d'y [175] penser et repenser tous les jours le plus souvent que pourres, et parmi la nuict toutes les fois que vous vous esveilleres.

  A007000676 

 Voicy maintenant la seconde glorification: c'est que nostre salut y est, c'est la ou Nostre Seigneur nous a sauvés; car combien que toutes les actions de sa vie, jusques aux plus petites, ayent esté infiniment suffisantes pour operer nostre salut, neantmoins la volonté de Dieu son Pere et la sienne a esté de ne l'accomplir qu'en la Croix.

  A007000678 

 Or, ce royaume luy est acquis naturellement et par merite sur l'arbre de la Croix: Propter quod et Deus exaltavit illum, etc.; ut in nomine Jesu omne genu flectatur, etc. A cause de quoy, a sa mort tout l'univers se revest de deuil et proteste que son Roy est mort, etc. Qui fut prædict par David, Psal. 95: Commoveatur a facie ejus universa terra; dicite in gentibus quia Dominus regnavit a ligno.

  A007000679 

 Ja n'advienne donq que je me glorifie, etc. [177].

  A007000679 

 Quelle gloire pour nous, auditoire chrestien, que par la Croix et en la Croix nous ayons esté transferés du royaume d'enfer en celuy du Ciel, que Nostre Seigneur, le meilleur Roy du monde, nous ayt esté donné; mais quelle gloire que nous mesmes y soyons faitz roys et hæritiers du Royaume celeste.

  A007000679 

 Vous sentes vous point adoucir le cœur quand on vous dict que vous estes roys? S'il vous plaist, dites donques: O toutes les richesses du monde ne sont en rien comparables a ceste royauté, car elles perissent, on n'en peut jouir; mais celles la sont purement nostres.

  A007000680 

 Ceste estime qu'on faict de la Croix plaist infiniment au Crucifix; et jamais nous ne l'honnorons qu'en intention d'honnorer le Crucifix, et vous conseille, pour vostre consolation, que quand vous verres la Croix, vous regardies tousjours le Crucifix en icelle.

  A007000680 

 Il suffit que nous n'adorons pas la Croix pour l'amour d'elle, mais pour l'amour de Celuy a qui elle appartient.

  A007000681 

 Disons donques que ce saint bois de la Croix est singulierement venerable; car s'il est escrit, Psal. 131: Adorabo in loco ubi steterunt pedes ejus, comme n'honnorerons nous pas ubi stetit totum corpus? Et partant, il s'ensuit: Surge, Domine, in requiem, etc. Et si on faysoit, dict saint Hierosme, tant d'honneur au tabernacle, etc., combien plus au bois de la Croix, sur lequel a esté estendu le cors de Dieu incarné, qui a esté arrousé, teint et penetré de son sang [178] prætieux.

  A007000682 

 Quand Constantin alla a la guerre, il ouÿt de [Dieu] la voix: « In hoc signo vinces; » ainsy veut il que nous vainquions: « Filii tui armis triumphare jussisti.

  A007000694 

 Es lieux bien ordonnés, les femmes obeissent et prennent le nom du mari; ainsy faut il que la chair soit spirituelle, non l'esprit charnel..

  A007000694 

 Ne penses pas que le Saint Esprit soit d'autre nature.

  A007000694 

 Nostre Seigneur n'a esté servi des Anges que deux fois, que je me souvienne, immediatement: au jardin d'Olivet, et au desert apres le jeusne.

  A007000704 

 Ainsy trouve je que le pauvre Miphiboseth, au 2.

  A007000704 

 Je sçay bien ce que dict le bon homme Urie, chap. XI, 2 Reg., a David.

  A007000704 

 Que si un si grand Seigneur nous eut invité sans autre, encores devrions nous y aller le prenant a honneur, nous devant sentir honnorer.

  A007000710 

 Le pain renforce, si que en l'Escriture, il s'appelle [183] firmamentum; au Psal. 104: Et vocavit famem super terram, et omne firmamentum panis contrivit; et ailleurs: Et panis cor hominis confirmet.

  A007000712 

 C'est ce que dict saint Chrisostome, au rapport de saint Thomas, que « nous sommes terribles au diable, sortans de ceste cæleste Table.

  A007000712 

 Ce pain nous corrobore mesmes contre les ennemis; si que de ce pain, nous pouvons dire: Parasti in conspectu meo mensam, adversus eos qui tribulant me; comme l'interprete Cyp., ad Cæcilium.

  A007000712 

 Le pain jamais ne nous renforce, que par la reaction nous ne perdions.

  A007000724 

 Mais sur tout lhors qu'il se faict appeller Jesus, car les medecins ne guerissent pas tousjours, et partant il ne le faut pas qualifier medecin, mays Sauveur, d'autant que ses receptes sont infallibles..

  A007000724 

 On void souventesfois es bonnes et grosses villes, et peut estre l'aures vous bien remarqué, qu'arrivant quelque signalé operateur, il faict incontinent publier son arrivëe, et les maladies desquelles il faict profession de guerir plus particulierement, affin que ceux qui en sont travaillés viennent au secours vers luy.

  A007000725 

 Concluons donques pertinemment par tout son discours, que son playsir est de ramener les pecheurs a sa misericorde..

  A007000725 

 Hé, qui voudries vous donques qui les receust? N'est ce pas l'honneur au medecin d'estre recherché des malades, et d'autant plus que leurs maladies sont incurables? Nostre Seigneur, non tant pour repousser la temerité de ces Pharisiens, que pour nous donner courage de nous approcher de luy, rejette bien loin par similitudes ceste consideration pharisaïque.

  A007000726 

 Mays pensons y premierement un peu de pres, affin que le desir de nous approcher de Nostre Seigneur nous vienne d'autant plus grand; et puys nous verrons les moyens de nous en approcher, et les consolations que nous aurons en ce saint approchement, affin que reconnoissant le bannissement auquel les pechés constituent l'ame, nous nous ostions au plus tost de peché si nous y sommes, nous nous gardions de jamais y retourner, et nous approchions tousjours de plus pres de Nostre Seigneur.

  A007000728 

 C'est vrayement la proprieté des pecheurs que de s'esloigner de Dieu tant qu'il est possible.

  A007000728 

 Je trouve admirable et profonde la description que le saint personnage et langoureux prophete Job faict des pecheurs, quand il les qualifie en ceste façon: Qui dixerunt Deo: Recede a nobis, scientiam viarum tuarum nolumus (cap. 21 ); Retire toy, va t'en, destourne toy de nous, nous ne voulons point sçavoir tes chemins. O belle façon de parler, o description pleine de doctrine! Pour dire les pecheurs, il dict ceux qui ont dict a Dieu: Retire toy de nous.

  A007000729 

 C'est en cest esloignement que consiste le mal principal du peché, c'est a dire qu'il nous separe de Dieu; de maniere qu'en l'escole l'on est d'accord que Ite, est le mot principal de la sentence de Nostre Seigneur: Ite.

  A007000729 

 Ce sont les deux maux [187] du peché, que disent les theologiens: Aversio a Deo, et conversio ad creaturam; se separer, se retirer, s'esgarer, s'esloigner et fourvoyer de Dieu, et se joindre, accointer, s'allier et unir a la creature.

  A007000729 

 De maniere qu'en saint Luc, 13, parlant des pecheurs obstinés, il dict qu'il leur sera dict: Discedite a me, omnes operarii iniquitatis, et tesmoigne que ibi erit fletus et stridor dentium..

  A007000730 

 Mais voicy le gros de la difficulté: comme se peut il faire que nous soyons esloignés de Dieu luy mesme qui est par tout, et ne sçaurions trouver un recoin, pour caché qu'il soit, que sa Majesté n'y soit? Saint Pol aux Atheniens, Act., 17: Non longe abest ab unoquoque nostrum; in ipso enim vivimus, movemur et sumus..

  A007000731 

 Ilz voudroyent que jamais Dieu ne les vist, qu'il ne pensast point a eux, qu'il ne fust point parmi eux.

  A007000732 

 Ainsy le chetif prodigue et l'infortuné Absalon (2. Reg., 14 ), comme sont ilz receus de leurs peres? Et sans cela, que deviendrions nous? car omnes declinaverunt; Omnis homo mendax; Si dixerimus quoniam peccatum, etc. Eccli., 17: Revertere ad Dominum, et avertere ab injustitia tua; Quam magna misericordia Domini, et propitiatio illius convertentibus ad se.

  A007000732 

 Quelles douleurs, quelz regretz! Car ce que dict le grand saint Augustin est tres vray: « Fecisti nos, Domine, ad te, et inquietum est cor nostrum donec requiescat in te.

  A007000732 

 » O quelle division de l'homme, au regard de son Dieu, au regard de luy mesme! Mays il y a ceste seule consolation parmy ceste grande desolation; c'est qu'encores que le pecheur soit loin de Dieu, il peut revenir a luy et estre bien receu.

  A007000733 

 C'estoit pour figurer que ce second et veritable David devoit laisser approcher de luy les pauvres et necessiteux, les affligés et les miserables, ceux qui gemissent sous le pesant fardeau des infirmités corporelles, et beaucoup plus ceux qui sont accablés sous l'espouvantable fardeau du peché..

  A007000734 

 Qui va par vent en un païs, ne revient que par vent contraire.

  A007000735 

 En quoy les prædicateurs sont advertis de faire ce que dict saint Pol de luy mesme: Omnibus omnia factus sum.

  A007000736 

 Mais, o miserables que nous sommes, bien souvent nous sommes appellés, et nous faisons la sourde oreille: Vocavi, et renuistis; nous sommes attirés, et nous nous opiniastrons contre luy.

  A007000741 

 N'attendons plus: Hora est jam nos de somno surgere, puysque nous sçavons que peccatores recipit.

  A007000741 

 Sortons, sortons de ceste Egypte; approchons-nous de Nostre Seigneur; faysons provision de bonnes œuvres; [192] que les piedz de nos affections soyent nudz; revestons nous d'innocence; ne nous contentons pas de crier misericorde, sortons de l'Egypte: Egredimini de Babylone, fugite a Chaldæis.

  A007000750 

 Celuy que vous estes venuz adorer, Jesus Christ vostre Seigneur et le mien, vous doint si bien faire ce pour quoy vous estes venuz, que vous recevies abondamment grace, paix et benediction de sa part, et luy, tout honneur et gloire de la vostre es siecles des siecles.

  A007000750 

 En quoy, affin de vous y ayder selon mon petit pouvoir, et vous donner quelques instructions pour vous faire benir Dieu, je vous ay apporté les parolles de David: Ecce nunc, etc., asseuré que je suis que si vous le benisses bien, il vous bénira de benedictions inestimables..

  A007000752 

 C'est ainsy que vivent les manouvriers, et que les peres et meres demandent obeissance a leurs enfans et les appellent leurs; et neantmoins, le pere et la mere ne font pas du tout les enfans, car l'ame n'est pas de leur facture, ni les ouvriers ne font entierement ce qu'ilz font, car si le drapier faict le drap, il ne faict pas la laine.

  A007000752 

 Souvenes vous donques, mes Freres, devant toutes choses, que Celuy en la præsence duquel vous estes est vostre naturel, absolu et sauverain Seigneur; car c'est a luy a qui est la terre et tout ce qui est en la terre.

  A007000752 

 [194] Il est vostre Seigneur et Maistre, parce que c'est luy qui vous a faict et formé; il n'y a point de plus juste tiltre pour posseder quelque chose que de l'avoir faite.

  A007000753 

 Et non seulement nous sommes a luy et il est nostre Seigneur pource qu'il nous a produitz, mays encores pource qu'il nous a achetés bien cherement et cent mille fois davantage que nous ne valons.

  A007000753 

 Le diable nous avoit osté a nostre naturel Seigneur, et encores qu'il n'eust nul droit, si est ce que Nostre Seigneur nous acheta, et acheta ce qui estoit sien affin de nous faire plus siens, si plus siens nous pouvions estre.

  A007000753 

 » La moindre goutte du sang de Nostre Seigneur valoit plus que nous; et neantmoins, affin de nous rendre plus siens, il le voulut tout donner: Copiosa apud eum redemptio.

  A007000754 

 Adjoustes que vous vous estes donnés a Nostre Seigneur au Baptesme, si qu'on peut bien dire que vous estes a luy: Sicut jurastis Domino, votum vovistis Deo Jacob.

  A007000754 

 Ceste cy soit la premiere consideration et fondamentale que je propose..

  A007000756 

 Et d'autant plus deves vous estre humbles, qu'estans ses taillables a misericorde, vous l'aves si souvent offencé; dont vous deves avoir si grande confusion, que d'humilité et de honte, vous retournies au neant auquel vous esties, en un nul estre, nulle vertu, nulle qualité, avant que Dieu vous tirast du miserable estat ou vous esties parmi le neant pour vous faire ses serviteurs.

  A007000756 

 Premierement, que si vous estes devant vostre Seigneur par tant de raysons, vous deves estre en toute reverence et humilité, considerant que tout ce que vous aves vous le tenes de luy, et pensant que vous luy deves autant d'honneur comme il y a de distance du rien a l'infinité.

  A007000756 

 Si donques estant devant Nostre Seigneur, en reconnoissance que vous estes ses sujetz et serviteurs, vous vous baisses et inclines le cors jusques a la terre de laquelle vous aves esté pris, baisses vos ames par humilité devant vostre Dieu, jusques au rien duquel vous estes la race..

  A007000757 

 Et de vray, comme dict saint Pol: Quis plantat vineam et de fructu ejus non edit? Si Jesus Christ nous a planté, n'est ce pas la rayson que nous luy rapportions tout le service que nous pourrons?.

  A007000757 

 Il veut dire: Je le sers si humblement que je ressemble un cheval mené par la bride apres vous, o mon Dieu.

  A007000757 

 L'autre conclusion qu'il faut tirer, c'est qu'estant descendus au rien, remontant a l'estre que Dieu nous a baillé, et considerant de poinct en poinct combien nous sommes dependans de Dieu et combien nous sommes obligés a le servir, il nous faut faire une exclamation a nostre ame: Nonne Deo subjecta erit anima mea? [196] Comment, si Dieu m'a creëe, et non seulement creëe, mays rachetëe d'entre les mains d'un si cruel et barbare tyran, avec tant de sang, si je luy ay voué et presté fidelité, qui me levera jamais de son service? Escoutes comme David estoit en ceste resolution: Quasi jumentum factus sum apud te, et ego semper tecum.

  A007000758 

 De maniere qu'encores a rayson de cecy, nous sommes obligés a servir Dieu, et ceux qui ne le serviront pas en recevront un terrible reproche au jour du jugement; car c'est pour cela qu'il est dict que totus orbis pugnabit contra insensatos.

  A007000758 

 Mays outre, tout cela, il y a une autre rayson: c'est que nous nous servons de toutes les creatures, et icelles nous servent volontier, en intention que nous servions Dieu pour elles; car elles, ne pouvant pas servir Dieu, lequel estant esprit ne peut estre servi que par esprit, elles nous servent a celle fin que nous servions Dieu tant en leur nom qu'au nostre.

  A007000760 

 La on ne sert plus Dieu visitant les malades, la on ne visite point les prisonniers, la on ne jeusne plus, la on ne faict plus l'aumosne, la on ne reschauffe plus les refroidis, la on ne vestit plus les nudz, pource que hyems transiit et recessit.

  A007000760 

 On n'entend autre chose au Ciel que Alleluia.

  A007000760 

 Or est-il qu'entre toutes les façons de servir Dieu, [la meilleure] c'est de le servir en la façon qu'il est servi en Paradis; car c'est luy qui nous enseigne a demander que son service soit fait en la terre comme au Ciel; car il n'y a pas difference entre servir Dieu et faire sa volonté.

  A007000760 

 Que si nous voulons sçavoir comme [197] Dieu est servi au Ciel, escoutes David: Beati qui habitant in domo tua, Domine; in sæcula sæculorum laudabunt te.

  A007000761 

 Dequoy j'entre en admiration comme il se peut faire que l'homme ou l'Ange ayment Dieu, et comme Dieu s'ayme soy mesme; car si aymer est desirer du bien a une personne, comme voules vous qu'on ayme Dieu a qui on ne sçauroit desirer aucun bien? Car, puysque Dieu est toute sorte de bien, on ne luy sçauroit desirer aucun bien qu'il ne l'aye plus parfaittement qu'on ne sçauroit desirer; et si il l'a, pourquoy le desirera-on? Et puys, au bout de tout cela, le bien en Dieu est essentiel; de maniere que comme ce seroit chose hors de propos de s'amuser a desirer qu'un Ange soit Ange, puysque c'est sa nature d'estre Ange, et de desirer que les Maures soyent noirs, puysque c'est leur nature, aussi semble il hors de propos de desirer que Dieu ayt quelque bien, puysqu'il a tout bien par nature..

  A007000762 

 La consequence n'en vaut rien; la rayson est pource que la continuation de l'estre a l'Ange n'est pas naturelle et essentielle, et partant on la luy peut desirer, non celle qu'il a, ains celle qui est a venir; mays a Dieu, son æternité luy est autant essentielle que sa bonté.

  A007000763 

 L'ame regardant en Dieu l'infiny merite de sa bonté, et que d'ailleurs en ce sauverain Estre rien ne manque, mays y est plus parfaittement quod factum est ( in ipso vita erat ), elle ne desire pas qu'autre bien luy arrive, pource qu'il est impossible.

  A007000763 

 Quand il l'est, encores qu'il cesse de desirer, il n'est pas moins amy; mais au lieu du desir, il faict un acte de contentement, d'ayse et de resjouyssance du grade que l'amy possede.

  A007000763 

 Un amy desireroit que son amy fust roy.

  A007000764 

 L'homme qui est arrivé a ce signe, voyant que sa louange est petite, il va cherchant par tout: Benedicite omnia opera Domini; et ne trouvant asses, Renuntiate quia amore langueo.

  A007000764 

 Mays quoy, il void que tous les sacrifices et holocaustes ne sont point aggreables sans la gace: Non delectaberis; alioquin dedissem utique.

  A007000764 

 Peut estre encores que ce cœur n'estant asses brisé et contrit, il en offre un qui est si noble et si affligé, qu'on ne le sçauroit refuser.

  A007000766 

 Desormais nous vous benirons; mays affin de ce faire, assistes le magistrat ecclesiastique et seculier, delivres nous d'ennemis, donnes nous la paix, affin que vous demeuries avec nous, quia factus est in pace locus tuus, a fin que de manu inimicorum nostrorum liberati, serviamus tibi.

  A007000778 

 Ce n'est asses pour estre tesmoin de verité d'alleguer l'Escriture; car qui allegua jamais plus que les Arriens? Les Libertins mesmes, pour monstrer qu'il ne faut point d'Escriture, alleguent l'Escriture, contre lesquelz mesme Calvin escrit; le diable mesme..

  A007000799 

 Mais y a il que douter qu'il ne nous faille pleurer? Quid existis in desertum videre? Erat lucerna lucens et ardens, et nous n'avons tenu le chemin.

  A007000804 

 Ceux qui se sont departis jusques a present de l'Eglise, ont pris diverses excuses par les deux extremités pour couvrir la faute qu'ilz avoyent faite de n'y point demeurer et la mauvaise affection de n'y point retourner; car les uns ont dict qu'elle estoit invisible; les autres confessant l'Eglise visible, ont dict qu'elle pouvoit defaillir et manquer pour certain tems; et partant, qu'encores que leur eglise semblast nouvelle pour n'avoir pris succession de personne, elle ne l'estoit toutesfois pas, ains estoit l'ancienne, morte et esteinte pour certain tems, puys par eux resuscitëe et ce sacré feu continuel, r'allumé: voulans les uns faire l'Eglise tellement parfaitte, qu'elle soit toute spirituelle et invisible; les autres, la faire si imparfaitte, que non seulement elle soit visible, mays encores corruptible: semblables a leurs anciens devanciers hæretiques, desquelz les uns vouloyent tellement diviniser Nostre Seigneur qu'ilz nioyent son humanité, les autres tellement l'humaniser, qu'ilz en nioyent la divinité.

  A007000804 

 Mays tout cecy ne sont qu'occasions recherchëes pour pallier et masquer l'abomination de la division qu'ilz ont faitte en l'Eglise, laquelle donnant des tesmoignages de sa visibilité et de son incorruption, pendant que les sectaires devisent ainsy d'elle, elle comparoist par tous les lieux de la [206] terre sur l'ancien et le nouveau monde, et par tout se faict voir et regarder en ses serviteurs et prædicateurs, pour tesmoignage tres asseuré de sa visibilité et pour attester de son incorruption.

  A007000804 

 Quoy que vielle, elle faict paroistre qu'elle est aussi pleine de force, de fermeté et de vistesse que jamais, resistant vaillamment a tous ses ennemis, ne s'esbranlant pour aucun assaut pour impetueux qu'il soit, courant par tout le monde annoncer l'Evangile de son Espoux..

  A007000805 

 Or, ce qu'elle mesme faict voir par experience, je m'efforceray a vous le faire voir par discours, produisant les bons et indubitables tiltres qu'elle a pour sa visibilité et incorruption, qui est le gros du proces que nous avons avec nos adversaires.

  A007000805 

 Prions Dieu qu'il nous fasse la grace que tout soit a son honneur, et Nostre Dame qu'il luy plaise nous favoriser de son intercession.

  A007000807 

 L'Eglise donques, auditoire chrestien, faict asses paroistre par effect qu'elle est visible, incorruptible et immortelle, se faysant voir par tout, toute telle qu'elle avoit esté prædicte par Nostre Seigneur, ses Apostres et les Prophetes: et me semble bien que ceste preuve la seule pouvoit suffire a qui ne voudroit pas estre contentieux et opiniastre.

  A007000808 

 Et pour le premier point, je demande a nos adversaires ou ilz trouveront jamais en l'Escriture que l'Eglise soit invisible; ou trouveront ilz que quand il est parlé d'Eglise, il s'entende une assemblëe ou convocation invisible? Jamais cela ne fut, jamais ilz ne le trouveront..

  A007000809 

 18, passant en Cesaree, il est dict que salutavit Ecclesiam.

  A007000809 

 Ilz trouveront bien, Num. 20, 4, que le peuple se plaignant de Moyse au desert Sin a faute d'eau, il dict: Cur eduxisti ecclesiam in solitudi nem? Mais qui [207] ne void que ceste assemblæe estoit visible? Ilz trouveront, Actes, 20, que saint Pol allant de Chio en Hierusalem, ne voulant passer par Ephese de peur d'y arrester trop, voulant faire le jour de Pentecoste en Hierusalem, des Milette il envoya appeller les anciens de l'Eglise, et en une exhortation qu'il leur fit: Attendite vobis, et universo gregi, in quo vos Spiritus Sanctus posuit episcopos regere Ecclesiam Dei, quam acquisivit sanguine suo.

  A007000810 

 Et que veulent ilz devenir? Au commencement, pour prendre crédit, on n'oyoit autre parole, sinon: Mot Domini, Mot Domini; et maintenant, sans aucune apparence de l'Escriture, ains contre la phrase ordinaire de l'Escriture, ilz veulent faire une chimere en l'Eglise..

  A007000810 

 Je demande donques, mes Freres, si nos adversaires ne trouvent point de passage ou l'Eglise soit prise pour un cors invisible, n'est ce pas vouloir l'emporter sans l'Escriture? Que si au contraire, il se trouve plusieurs passages ou il est parlé de l'Eglise, et que tous s'entendent d'une assemblëe visible, vouloir contester au contraire n'est ce pas aller contre l'Escriture? Quand donq ilz vous allegueront ce fantosme, niant l'Eglise estre visible, demandes leur un passage de l'Escriture ou l'Eglise veuille dire chose invisible.

  A007000811 

 C'est donques chose certaine que l'Eglise est visible, par les tesmoignages de l'Escriture, d'autant que par tout ou l'Escriture nomme l'Eglise, elle entend une assemblëe visible..

  A007000811 

 Mais dites moy, de grace, si l'Eglise est invisible, pourquoy sera ce que Nostre Seigneur nous dira, Matt., 18: Dic Ecclesiæ; si Ecclesiam non audierit, sit [208] tibi tanquam ethnicus et publicanus? Quelle sorte d'addresse seroit celle cy: Dis le a l'Eglise? Comme voules vous qu'on s'addresse a l'Eglise si on ne la voit, si on ne la connoist? 1.

  A007000812 

 Ce que Nostre Seigneur interprete de son tems: Spiritus Domini super me; Luc., 4, v. 18..

  A007000813 

 Mais sur tout les comparaysons et les noms que donne l'Escriture a l'Eglise doivent estre bien remarqués.

  A007000814 

 Secondement, despuis ce verset jusques a la fin, le Psalmiste se lamente que Dieu differe tant ceste execution, et ce pendant son peuple est tourmenté..

  A007000815 

 Donques en ce verset, il parle de ce que devoit estre [210] le Christianisme et l'Eglise, et la compare a troys des plus nobles et illustres choses du monde.

  A007000815 

 Que comme l'arc en ciel, quoy qu'il ne soit qu'une nuë, si est ce que recevant les rayons du soleil il est rendu tres beau et apparent, ainsy l'Eglise, quoy que ce ne soit qu'une assemblëe d'hommes, si est ce que recevant l'assistance du Saint Esprit, elle est tres belle et tres remarquable, etc., en son unité, en sa pureté, en sa stabilité et perpetuité..

  A007000815 

 Secondement, a la lune; mays parce que la lune ecclipse quelquefois et tousjours tout a fait, il adjouste: Sicut luna perfecta in æternum.

  A007000816 

 21, comme disant: A te proficiscitur, de vous depend, la louange que je reçoy en la grande Eglise, ou la loüange qui vous est rendue par mon incarnation.

  A007000816 

 Au Psal. 2, apres que Dieu le Pere luy a dict ceste grande parolle: Ego hodie genui te, il [211] luy dict: Postula a me, et dabo tibi gentes hæreditatem tuam, possessionem tuam terminos terræ. Au Pseau.

  A007000816 

 Mays ou est ce que nos adversaires ont leur esprit en cest endroit? Ne voyent ilz pas qu'ilz mesprisent le merite de la Passion de Nostre Seigneur? Isa., 53: Pro eo quod laboravit anima ejus, ideo dispertiam ei plurimos, et fortium dividet spolia; pro eo quod tradidit in mortem animam suam, et cum sceleratis reputatus est.

  A007000817 

 De maniere que je puis bien dire a ceux qui font ceste Eglise ainsy cachëe et invisible, ce que saint Optatus escrivoit, lib. 2 contra Parmen.

  A007000818 

 Dites moy ou est la vraye prædication sinon en l'Eglise? et ou la chercheray je si je ne sçay ou est l'Eglise? Ou est la vraye administration des Sacremens sinon en l'Eglise? et ou voules vous que je les cherche si ceste Eglise est invisible et cachëe? Le jour de Pentecoste, le Saint Esprit vint il pas en l'Eglise, et toute ceste assemblëe estoit ce pas un cors visible? Mesme le Saint Esprit tient l'Eglise visible a tel poinct que, pour s'accommoder a sa visibilité, luy mesme qui est invisible, s'apparut a elle en forme visible.

  A007000821 

 Ce qui semble donner a entendre que l'Eglise ne comprend que les seulz esleuz, lesquelz ne sont conneuz que de Dieu.

  A007000821 

 Mays combien que la sainteté et les esleuz ne soyent conneuz que de Dieu, combien qu'elle soit l'Eglise du Sauveur qu'on ne void pas, n'est il pas vray que l'Eglise est ce champ qui comprend la bonne semence et la zizanie; qu'elle est ceste grange laquelle enferme le grain et la paille; qu'elle est ceste grande mayson dont parle saint Pol, ou il y a des vaysseaux prætieux et des vaysseaux vilz et abjectz, et que la separation ne sera faite qu'a la fin du monde, lhors que de militante elle deviendra triomphante?.

  A007000822 

 Ces pauvres desvoyés sont semblables aux Apostres lhors qu'ilz se trompoyent en Nostre Seigneur, qui se trouvant au milieu d'eux et leur disant: Pax vobis, encores croyoient ilz que ce fust un fantosme.

  A007000823 

 Or sus, mes Freres, que retirerons nous de tout ce discours? Premierement, une asseurance en la doctrine de l'Eglise, qu'elle est visible; 2.

  A007000833 

 C'est sans doute que Dieu qui a basti ceste Eglise, l'a bastie si bien et si fermement qu'elle doit estre perdurable; ce que je prouveray maintenant avec de tres preignantes raysons, pour les occasions que je vous diray tost apres.

  A007000833 

 Le glorieux secretaire de Dieu dict en ce lieu que l'Eglise est une cité nouvelle, paree et ornee de Dieu comme une espouse pour son espoux.

  A007000833 

 O quelle seroit ceste espouse accompaignëe d'autant de perfections que luy desireroit son espoux! Penses donques, je vous prie, quelle doit estre ceste sainte cité que Dieu s'est præparëe luy mesme comme une espouse.

  A007000833 

 Prions Dieu que ce soit a son honneur et gloire, employant a ceste intention l'intercession de la Vierge.

  A007000833 

 Si son espoux la façonnoit a sa volonté, je crois qu'il la feroit la plus belle, la plus vertueuse, la plus saine et de la plus longue vie qu'on se pourrait imaginer; car il n'est telle affection que de l'espoux vers l'espouse, quoy que souvent au progres du mariage, on change de volonté par le malheur de nostre mauvaise nature.

  A007000834 

 Je crois que vous sçaves, auditeurs chrestiens, que lhors qu'il pleut a Dieu creer le monde, voyant sa divine Majesté la terre et l'eau remplie d'animaux, il les benit tous, et leur donna force en leur nature, chacun en son espece, de continuer leur race jusques a la fin du monde; [de] mesme quand il eut creé l'homme, il le benit, et luy donna la mesme perfection et condition: si que des lhors on ne trouvera pas que jamais aucune sorte d'animaux aye manqué de race; et quant a nous autres, chacun sçait bien que par la ligne droitte et continuation perpetuelle, nous sommes tous descendus, de pere en filz sans interruption, de ce premier pere auquel Dieu donna la force et le commandement de multiplication.

  A007000835 

 Et qui diroit autrement, il feroit tort au sang de Jesus Christ, lequel n'a pas eu moins d'efficace pour fonder son Eglise a perpetuité, que le sang d'Adam a entretenir les generations des hommes; car ne sçaves vous pas que comme Adam a laissé une generation perpetuelle en son sang, aussi Jesus Christ a laissé une generation au sien? Que si le monde dure encores au sang d'Adam, pourquoy ne [216] durera aussi l'Eglise au sang de Jesus Christ? C'est ce que vouloit dire le grand David: Deus fundavit eam in æternum (Pseau. 47); Magnus Dominus et laudabilis nimis, in civitate Dei nostri..

  A007000835 

 Or, en cas pareil, mes Freres, quand il pleut a Dieu recreer le monde et fonder son Eglise, il la benit tellement que jamais ceste generation sienne ne devoit manquer ou faillir en aucune façon: de maniere que la vraÿe Eglise qui est maintenant, doit estre descendue de pere en filz par ceste generation spirituelle de ce second Adam, Nostre Seigneur et Maistre.

  A007000836 

 Mays, je vous prie, seroit il bien seant que Nostre Seigneur eust respandu son sang pour reconcilier son Eglise a Dieu son Pere, et puys qu'en fin ceste Eglise fust tellement abandonnëe qu'elle vinst a estre du tout perdue? Certes, un tel Mediateur merite une paix perpetuelle, une alliance tres estroitte, dont Isaye dict: Et fœdus perpetuum feriam eis, parlant du Christianisme..

  A007000837 

 C'est ce que veut dire saint Pol, Ephes., 4: Et ipse dedit quosdam quidem apostolos, alios prophetas, alios evangelistas, alios pastores et doctores; ad consummationem sanctorum, in opus ministerii, in ædificationem corporis Christi, donec occurramus omnes in unitatem fidei et agnitionis Filii Dei.

  A007000837 

 Non, non, il ne faut pas dire que l'Eglise soit jamais morte; son Espoux est mort pour elle affin qu'elle ne mourust point.

  A007000838 

 Ce qui est davantage [218] confirmé par l'Ange, lhors qu'il annonçoit l'Incarnation a Nostre Dame, disant que Nostre Seigneur seroit grand, et seroit appellé Filz du Tres Haut; et le Seigneur Dieu luy donnera le throsne de David son pere, et il regnera sur la mayson de Jacob æternellement, et son regne sera sans fin; Luc., 1.

  A007000838 

 Donq, avec ceste verge de la sainte Loy, domine au milieu de tes ennemis, qu'est ce a dire sinon que tousjours ceste Eglise seroit stable et visible, en laquelle Nostre Seigneur regneroit et domineroit, voire parmi les plus grandes bourrasques et tempestes des afflictions? Il n'y aura donq jamais tempeste qui empesche Nostre Seigneur de regner en l'Eglise; car autrement il ne domineroit pas parmi ses ennemis, mays demeureroit sans seigneurie et domination en ce monde.

  A007000839 

 Quelle fermeté d'assistance! Spiritum veritatis; comme souffriroit il le mensonge? Et en saint Matthieu, 28: Ego vobiscum sum usque ad consummationem sæculi, ou ouvertement il promet son assistance particuliere a l'Eglise, passage lequel a esté entendu anciennement pour la presence de Nostre Seigneur au Saint Sacrement; mais comme que ce soit, Nostre Seigneur monstre qu'il y aura tousjours une vraÿe Eglise, en laquelle il sera; et s'il est avec elle, qui sera contre elle?.

  A007000840 

 Que voudroit on davantage pour la verification de ceste perpetuité? Les Propheties et les Evangiles en sont tout pleins.

  A007000841 

 Ceste verité est si claire et si puyssante, que Calvin mesme s'en est laissé eschapper la confession, Inst., liv. 4, sur les parolles desja alleguëes, ou il confesse l'assistance perpetuelle avoir esté promise a l'Eglise, y adjoustant une bonne rayson: car, dict il, ce seroit peu que l'Evangile et le Saint Esprit nous eust esté une fois donné, s'il ne demeuroit tousjours avec nous.

  A007000841 

 Voyes vous la force de la verité, comme il la confesse? Mais voicy que vous me dires: Si Calvin confesse ceste verité, pourquoy la prouves vous si exactement? Je vous respons que le mensonge est inconstant et la doctrine de Calvin aussi.

  A007000842 

 Les autres donques voyant qu'il n'y avoit point d'honneur de dire, ou qu'il n'y avoit point d'Eglise, ou qu'elle estoit invisible, ont dict qu'au tems qu'ilz s'esleverent il n'y avoit plus aucune Eglise, mais que tout estoit apostasie, idolatrie et superstition; qu'elle estoit morte et esteinte, pleine d'erreurs, et que par eux elle a esté resuscitëe: et contre ceux cy, j'ay monstré maintenant que ce feu est inextinguible, car voyes vous pas la consequence?.

  A007000842 

 On demande a nos adversaires si quand ilz commencerent ceste nouvelle doctrine, il y avoit point d'Eglise de Nostre Seigneur, ou non: les uns respondent qu'ouy, les autres que non.

  A007000842 

 S'ilz disent que non, on leur dict: Vous esties donques damnés, car « non potest habere Deum patrem, » etc.; et partant il ne vous faut pas suivre.

  A007000843 

 Et quand on leur dict qu'elle n'estoit pas donques la vraye Eglise puisque la vraye Eglise doit estre perpetuelle, ilz nient cecy, et disent que quand Calvin commença il n'y avoit point d'Eglise, qu'elle estoit cheute en ruyne, et qu'ilz l'ont rebastie et reformëe.

  A007000843 

 Et tout cecy se faict et se dict pource qu'alhors il n'y avoit point d'Eglise que Catholique Papiste qu'ilz nomment; qui a faict dire a Du Bartas que l'Eglise estoit ceste grande paillarde de l'Antechrist.

  A007000843 

 Voyci qui les presse de pres, voyci qui ruine tout leur bastiment, voyci qui faict sauter, ruine et sappe la tour de Babel: c'est pourquoy ilz cherchent de tous costés ouverture pour s'eschapper, disant tantost que leur eglise a tousjours esté, et quand on demande ou elle estoit il y a cent ans, ilz disent qu'elle estoit invisible; tantost ilz disent qu'elle n'estoit pas.

  A007000844 

 Davantage, je n'ay pas seulement prouvé que la leur n'est pas la vraye Eglise, mays aussi que c'est la nostre; car il ne se trouve point d'Eglise, de toutes celles qui confessent Jesus Christ, qui aye continué sans interruption, sinon la nostre Catholique Romaine..

  A007000844 

 Voyla qui me faict arrester a prouver contre eux ces [221] verités, lesquelles estant bien certaynes et asseurees, il est bien certain et asseuré aussi que l'eglise des adversaires, qui n'a pas esté visible avant cinquante ou soixante ans, et qui n'a point esté tousjours, n'est pas la vraye Eglise et par consequent que tous ceux qui sont en icelle sont hors de leur salut æternel, s'ilz ne s'amendent.

  A007000845 

 Donques de la consideration de la durëe de ceste Eglise nous devons nous eslever a la durëe de la triomphante, et penser que le Royaume du ciel est eternel; puys, penser combien jusques a present nous avons esté mal advisés d'avoir quitté ce Royaume la auquel nous avons part, pour un rien, pour un petit peché, et qui sommes si lasches de ne point prendre peyne pour avoir ce Paradis qui dure eternellement.

  A007000845 

 Mais qu'apprendrons nous icy en ceste verité? Nous apprendrons a louer Dieu qui a laissé au monde une Eglise perpetuelle, a laquelle en tout tems on peut recourir pour y faire son salut; puys, montant de ceste Eglise que nous voyons ça bas, a celle que nous ne voyons pas, la haut, nous exciterons en nous le desir de la vie eternelle, comme dict l'Apostre, 2 Cor., 4: Non contemplantibus nobis quæ videntur, sed quæ non videntur.

  A007000855 

 Cecy estant proposé, voicy le gros de nostre difficulté; car nos adversaires veulent dire que nous prenons en la Cene le prætieux Cors de Nostre Seigneur, spirituel, c'est a dire par foy, et en apprehension ou volonté ou intelligence; comme qui diroit: j'ay tousjours mon espoux en mon cœur, l'y auroit spirituellement mays non reellement.

  A007000855 

 Et quand a l'Eglise Catholique, elle tient que Nostre Seigneur est receu reellement et spirituellement, et que comme reellement il entra en la salle les portes fermëes, ainsy entre il dans nostre cors; mays comme il entra en la salle en façon d'esprit, sans ouverture des portes, sans estre veu ni apperceu jusques a tant qu'il fut au milieu des Apostres, ainsy il entre en nous en façon d'esprit sans occuper place, estre veu ni apperceu..

  A007000856 

 Premierement, parce que Dieu peut tout.

  A007000856 

 Secondement, parce que le cors de Nostre Seigneur entrant en la salle estoit vray cors, et entra sans estre veu ni apperceu, sans ouvrir les portes, sans occuper place; ainsy sortit il du sepulchre, ainsy monta il au Ciel, tout sur la nature des cors, ainsy chemina il sur les ondes..

  A007000856 

 Troisiesmement, je vous advise que Dieu peut faire qu'un vray cors soit en un lieu ou y vienne (car l'un vaut l'autre) sans estre veu ni apperceu, et sans autres [224] conditions corporelles, et ne lairra pas le cors d'estre reellement et d'effect, vray et reel cors.

  A007000857 

 Car saint Pol expressement tesmoigne que ce saint Sacrement ne fut pas ni la cene ou souper, ni une partie de la cene: Similiter et calicem, postquam cœnavit (1 Corinth. 11 ); ainsy saint Luc, 22.

  A007000857 

 Quatriesmement, je vous advise qu'encores que j'use de ce mot de Cene, ce n'est pas pourtant que j'approuve ceste appellation; non pas parce qu'elle n'est pas en l'Escriture, car on se sert de plusieurs motz qui ne sont pas en l'Escriture, mays parce qu'elle est presque contraire, ou præsupposant chose contraire a l'Escriture.

  A007000858 

 Or, tout cela dict par maniere de præparatoire, je vous diray les tres preignans et inevitables motifz que nous devons avoir pour nous arrester fermement en ladicte creance de la realité..

  A007000860 

 Secondement, que s'il estoit loysible d'interpreter ainsy les passages de l'Escriture, elle seroit comme une giroëtte.

  A007000861 

 Caro Christi in sepulchro quid proderat in triduo? et tamen erat; et puys la matiere en est fause, si on l'entend de la chair de Nostre Seigneur: car, si sa robbe guerissoit, que devoit faire sa chair? En fin, il n'y a pas Caro mea non prodest, comme en l'affirmative: Caro mea est pro mundi vita..

  A007000861 

 Troisiesmement, que nos adversaires n'ont pas une seule negation pour eux.

  A007000863 

 Il praefere ceste viande a la manne: or, la manne de soy estoit eccellente et signifioit; que si ce pain n'a autre que signifier il est moins que la manne, car de soy il n'est si excellent.

  A007000873 

 Et c'est cela que je maintiens:.

  A007000873 

 Ni la ceremonie et forme; nom plus que celle des advérsaires, qui font le matin, ou on dict l'Epistre aux Chorinth., ou on ne lave point les pieds; mays a sçavoir si en la Cene Nostre Seigneur fit le sacrifice.

  A007000873 

 Quand on demande si Nostre Seigneur et les Apostres ont dict Messe, il ne faut pas chercher le mot, non plus que celuy de Sacrement, de Trinité, de Cene, mais la chose.

  A007000880 

 Parce que cela est plus a la gloire de Dieu.

  A007000900 

 Affin donques que nous le puyssions entendre, invoquons l'assistance du Saint Esprit, etc. Ave Maria..

  A007000900 

 Ainsy Nostre Seigneur desirant extremement de parachever l'œuvre de nostre redemption, s'avoisinant le tems de sa Passion, il en faict des discours et prædictions a ses Apostres en plusieurs lieux, et particulierement en la portion evangelique que [231] l'Eglise nostre Mere nous propose aujourd'huy pour l'entretien de nos ames, ou Nostre Seigneur, comme grand Cappitaine, traitte avec ses Apostres de la victoire qu'il devoit remporter sur le peché et ses complices; mays auparavant il discourt de l'aspre bataille de sa Passion, ce que les Apostres ne comprirent pas pour l'heure.

  A007000900 

 Quand un prince tient la prise de quelque ville ou quelque notable victoire asseurëe, vous le voyes a tous propos parler de la bataille, et ne cessons jamais de parler de ce que nous attendons et desirons; ce que sçauroyent bien dire les voyageurs qui, desirans leur arrivëe en quelque ville, ne trouvent personne a qui ilz ne demandent combien le chemin est loin.

  A007000902 

 Ceste Espouse, ames chrestiennes, ou c'est l'Eglise, ou c'est l'ame devote qui est en l'Eglise; et comment que ce soit, par ces paroles qu'elle dict par le sage Salomon, elle monstre que Nostre Seigneur, vray Espoux et de l'ame et de l'Eglise, luy estoit perpetuellement en memoyre, comme le plus aymé de tous les aymés et le plus aymable de tous les aymables.

  A007000902 

 Vous sçaves que l'amitié est ennemie mortelle de l'oubly, dont les Anciens quand ilz la peignoyent, luy mettoyent pour devise sur ses habitz: « Æstas et hyems, procul et prope, mors et vita; » comme si elle n'oublioit ni en prosperité ni en adversité, ni près ni loin, ni en la vie ni en la mort..

  A007000903 

 La chere Espouse donques dict que son Amy luy sera comme un faisceau de myrrhe sur son cœur, pour monstrer qu'elle se resouviendroit [232] a jamais des amertumes de sa Passion douloureuse: Fasciculus myrrhæ, etc. Ce qui est encores dict avec extreme elegance par le prophete royal David, Psal. 44: Myrrha et gutta, et cassia a vestimentis tuis; ex quibus delectaverunt te filiæ regum in honore tuo; car le Prophete parlant au Messie, il luy dict: La myrrhe et la goutte d'icelle, et la casse, c'est a dire l'odeur de ces prætieuses liqueurs, vient de tes vestemens.

  A007000903 

 Qui sont vestemens du Sauveur, sinon son cors et son ame, comme dict l'Apostre, Philipp., 2: Formam servi accipiens, in similitudinem hominum factus, et habitu inventus ut homo? Et ce cors icy et l'ame mesme ne respirent que l'odeur de myrrhe, c'est a dire de grandes consolations provenantes d'un fondement douloureux, qui est la Passion, lesquelz vestemens viennent des maysons d'ivoire tres pures du Ciel et de la glorieuse Vierge..

  A007000904 

 C'est donq la continuelle odeur que sentent les Saintz et l'Eglise, que la consolation de la Passion.

  A007000905 

 Mays parce que sur ce fait on a voulu censurer l'Eglise, et nos adversaires ont voulu dire qu'il y avoit de la superstition, il nous faut un peu arrester pour voir leurs raysons, et ne penser pas que ce soit hors de propos; car les raysons que les adversaires tiennent estre les principales contre l'usage du signe de la Croix sont sans aucune force.

  A007000906 

 La premiere est que l'adversaire soustient qu'il n'en faut point faire, et s'il y en a de faites, les rompre et les gaster.

  A007000907 

 Dites moy, au nom de Dieu, pourquoy ne sera elle aussi utile en signe comme en parole? Et qui ne voit que s'il est utile aux fidelles de leur ramentevoir la Passion de Jesus Christ par paroles, il le sera aussi de la leur representer par signes?.

  A007000908 

 Je sçay bien que Calvin et les autres cités chez Marlorat [234] interpretent: « Signum, id est, Filius ipse hominis, » qui tam manifeste parebit ac si edito signo omnium in se oculos convertisset.

  A007000908 

 Nostre Seigneur mesme honnorera sa Croix; pourquoy non nous? Or, qu'il soit vray, en saint Matthieu, 24, il est dict entre les autres signes et prodiges qui arriveront au jour du jugement, que signum apparebit Filii hominis in cœlo.

  A007000909 

 Car Eusebe raconte que Constantin le Grand la vit, comme luy mesme recite, avec ces motz: « In hoc signo vinces; » Euseb., l. 1.

  A007000909 

 Mais outre ceste apparition, nous en avons d'autres, lesquelles, quoy que non si authentiques, sont neantmoins dignes de foy.

  A007000910 

 Par ce que l'Eglise en a prattiqué des les premiers siecles: tesmoin saint Denis, 4, 5, 6 de sa Hier.

  A007000910 

 Tertul., lib. De Cor. mil., dict, que les fidelles faisoyent le signe de la Croix « a chaque pas, » « ad omnem progressum, » etc..

  A007000911 

 Vous semble il pas que nous avons rayson de suivre [235] plustost la prattique de l'ancienne Eglise que les difficultés de ces nouveaux venuz? Or, quelles raysons, je vous prie, proposent ilz?.

  A007000912 

 Mais si le signe et l'instrument de la douleur que Nostre Seigneur souffrit est detestable, la douleur mesme et la Passion de Nostre Seigneur le seroit bien davantage.

  A007000912 

 Que la Croix fut dommageable a Nostre Seigneur, donques elle est detestable.

  A007000913 

 Parce que l'enfant seroit fol, qui se plairoit a voir le gibet ou son pere auroit esté pendu; ne pensons donques plus a la Passion.

  A007000916 

 Cest escabeau est le Temple, comme disent les Chaldeens; c'est l'Arche de l'alliance, comme disent les Hebrieux: et comme que ce soit, c'est tousjours pour nous, et on infere de la efficacement, que ceste sainte figure est digne d'estre honnorëe, puysqu'elle est consacrëe a Dieu..

  A007000916 

 [2.] Que tout ce qui est dedié a Dieu soit digne d'estre honnoré, on le prouve parce que l'Escriture l'appelle quasi par tout saint.

  A007000918 

 Parce que la Croix nous a esté comme le sceptre et siege royal de Nostre Seigneur.

  A007000918 

 Si donq la Croix est le signe du pouvoir et royaume de Nostre Seigneur, pourquoy, etc. Que si le buysson ou Dieu comparut meritoit ce respect, etc. Si l'Arche d'alliance, comme il est dict Psalm.

  A007000920 

 Parce qu'en sa figure, qui estoit le serpent d'airain (Nu., 21 ), elle fut honnorëe avant que d'estre; pourquoy non en sa memoyre apres avoir esté? Jo., 3: Et sicut exaltavit Moyses serpentem, ita exaltari oportet Filium hominis..

  A007000921 

 Parce que ceste veneration est tres ancienne en l'Eglise.

  A007000930 

 Et nos plus proches devanciers, suyvant le sacré ton de leurs ayeulz en une devotieuse harmonie, chantoyent a tous coups, en tous lieux Ave Maria, pensans se rendre tres aggreables au Roy celeste, honnorans reveremment sa Mere, et ne sçachans ou rencontrer maniere plus propre pour l'honnorer qu'en imitant les honneurs et respectz que Dieu mesme luy avoit decreté et accommodé selon son bon playsir, pour l'en faire honnorer, le jour que sa divine Majesté voulut tant honnorer en ceste Vierge tout le reste des hommes, que de se faire homme luy mesme.

  A007000931 

 Vous resouvenes vous pas que quand David sonnoit de sa harpe, le malin esprit se retiroit de Saul, comme vaincu de la douce [240] melodie? Ainsy ce malin esprit, ennemy conjuré de tout accord et union, estant entré en possession de certains cerveaux leg'ers, discordans et sans harmonie, parlant par leurs bouches, il dict mille injures et blasphemes contre l'usage de ceste sainte Salutation..

  A007000932 

 Calvin, en son Harmonie Evangelique, nous appelle superstitieux, tant pour saluer une absente que pour nous mesler du mestier d'autruy; nous accusant au surplus en cest endroit d'enchantement, disant que nous sommes mal appris, nous servans de ceste Salutation comme de priere, ores que ce ne soit qu'une simple congratulation.

  A007000932 

 En fin, toute leur reprehension contient trois poinctz: premierement, que c'est un attentat du ministere des Anges de dire la Salutation angelique, puysque nous n'en avons pas charge; secondement, que c'est superstition de saluer une absente; tiercement, que c'est une lourdise de penser prier avec ceste sainte Salutation.

  A007000932 

 O les terribles gens que voyla! ilz gaigneroyent mieux de dire tout en un mot que c'est mal faict pource que l'Eglise le commande, laquelle ne faict rien a leur gré..

  A007000933 

 Il met pour execration de ne point saluer et ne point dire Ave; la ou que dirons nous de ceux qui ne veulent point saluer Marie, sinon qu'ilz l'haïssent? De mesme saint Pol a ses Philip., 4: Salutate omnem sanctum in Christo Jesu; comme s'il vouloit que cela fust deu aux saintz et vertueux, que d'estre salués..

  A007000933 

 Je laisse a part Aman qui prit a mespris ce que Mardochee ne le saluoit pas; car encores qu'au commencement il voulut estre adoré, si est ce qu'apres il ne se plaint que de ce qu'il ne le saluoit.

  A007000933 

 Je ne m'amuseray pas a vous dire que c'est que salutation, ni moins a vous dire que c'est un office chrestien que de s'entresaluer l'un l'autre.

  A007000933 

 Mays je vous diray bien que ne pas saluer une personne quand on la connoist, est une protestation de mespris, d'indignation et abomination.

  A007000933 

 Or, je dis avec l'Eglise que c'est saintement faict d'honnorer et saluer ceste sainte Vierge, de la saluer du Salut angelique, et que le Salut angelique contient une tres belle et devote orayson.

  A007000934 

 Si donques Marie n'apporte point que de bonne doctrine, n'ayant jamais rien dict en l'Evangile que saintement, pourquoy nous defendra on de la saluer? Si elle est sainte et la plus sainte, pourquoy ne la saluerons nous? Est ce la doctrine que Nostre Seigneur nous a appris, disant tant de fois: Pax vobis, pax vobis? Et en saint Matthieu, 28, rencontrant les Maries: Avete, leur dict il..

  A007000935 

 Que dites vous du Psalmiste quand il dict: Me expectant sancti, donec retribuas mihi? Quomodo expectant retributionem nisi sciant opera?.

  A007000935 

 Reg., 5, Giezi dixit Heliseus: Nonne cor meum in præsenti erat quando reversus est homo de curru suo in occursum tui? [242] Et y a du playsir au chap. suivant, de voir comme Helisee dict au roy d'Israël tout ce que le roy de Syrie arrestoit en son cabinet secret.

  A007000936 

 Or, estant ainsy arresté que c'est chose sainte de saluer la Vierge, je vous demande quelle salutation pourroit on trouver plus sainte que celle cy? l'Autheur saint, les parolles saintes.

  A007000937 

 Mais qui diroit jamais les saintz mouvemens que reçoit le cœur devot en ceste sainte Salutation? Ceste Salutation repræsente le tressaint mistere de l'incarnation, et partant l'Eglise adjouste aux paroles de l'Ange, qui portent desja ce mistere gravé, celles de sainte Elizabeth: Benedictus fructus ventris tui, pour le repræsenter encores plus expressement.

  A007000952 

 C'est un viel axiome entre les philosophes que tout homme desire de sçavoir: « Omnis homo natura scire desiderat, » dict Aristote; en quoy l'esprit humain est si ardent, que l'ennemy ne sceut trouver tentation plus grande pour decevoir nostre premier pere que de luy proposer: Eritis sicut dii, scientes bonum et malum, Vous seres comme des dieux, sçachans le bien et le mal; Genes., 3.

  A007000952 

 Et affin de leur aiguiser ce desir, il leur dict: Adhuc multa, etc.; puys, pour les combler d'une certaine, et magnifique esperance et consolation, il leur dict: Cum autem venerit ille Spiritus veritatis, etc.; puys, parce que la science peut nuire a qui l'a s'il ne la rapporte a bonne fin, il leur adjouste: Ille me clarificabit, quia de meo accipiet. Mays ce pendant Nostre Seigneur monstre par ces paroles que personne ne peut estre capable de la celeste doctrine sinon par la faveur du Saint Esprit.

  A007000954 

 Ainsy le second peuple ou la seconde mayson, qui est l'Eglise evangelique, n'a qu'une entrëe en son oracle; mays ceste [245] entrëe a deux portes non moins riches que ces anciennes.

  A007000954 

 Mais l'unique entrëe de cest oracle c'est la parolle de Dieu; car nous ne pouvons pas entrer en cest auditoire de Dieu, que ce ne soit per Mot Dei..

  A007000955 

 C'est signe qu'il avoit beaucoup dict de choses quand il dict qu'il en a encor beaucoup a leur dire; et puisque nous n'avons point ces choses-la en escrit, c'est signe qu'il y a beaucoup plus de paroles dites que d'escrites.

  A007000955 

 Cor., 13: Si linguis hominum loquar, etc., charitatem autem non habuero, nihil sum, etc. Voyla donq le moyen d'entrer en l'oracle de la foy chrestienne, c'est d'entendre la parole escrite et la Tradition; et c'est ce que Nostre Seigneur vouloit dire en ces paroles que j'ay prises a interpreter, car il dict: Adhuc habeo.

  A007000955 

 Il y a de beaux ouvrages qui s'advancent, parce que ceste parole tend aux saintes œuvres.

  A007000955 

 Tout y est couvert d'or; ceste couverture sont les œuvres de charité, parce que la foy sans la charité est morte, 1.

  A007000957 

 Quant au premier, j'auray bien tost faict; car comme les Traditions donnent authorité a l'Escriture, ainsy que je monstreray bien tost, de mesme les Escritures donnent authorité aux Traditions, comme deux huis qui s'entrejoignent, comme les deux cherubins qui s'entreregardoyent au propitiatoire..

  A007000958 

 : Tout le monde ne pourroit comprendre ce que Nostre Seigneur a faict.

  A007000958 

 Multa habeo vobis dicere, etc.; or, de cela nous n'avons que bien peu.

  A007000959 

 Thess., 2: Itaque, fratres, tenete Traditiones quas accepistis, sive per sermonem, sive per Epistolam nostram: autant l'un que l'autre.

  A007000961 

 » Et post: « Quod [248] autem si neque Apostoli scripta quidem reliquissent, nonne oportebat sequi ordinem Traditionis quem tradiderunt iis quibus committebant Ecclesias? » etc. Il dict que « plusieurs nations sans escrit gardent l'ancienne Tradition escritte dans leur cœur.

  A007000964 

 Que diray je des adversaires? Combien ont ilz de Traditions? Le Dimanche, par tout l'observation d'iceluy; Pasques, l'Ascension en quelques lieux; le Baptesme des petitz enfans, les parrains, l'imposition des noms, donner la cene le matin, se marier devant le ministre.

  A007000965 

 Quant au II e, je dis les Traditions estre necessaires: [1.] pour authentiquer l'Escriture; car qui nous a dict qu'il y a des Livres canoniques? L'Alcoran dict bien qu'il a esté envoyé du ciel, mais qui le croit? Qui nous a dict l'Evangile de saint Marc, etc., plustost que celuy de [249] saint Thomas et de saint Bartholomé? Pourquoy ne reçoit on l'Epistre qui porte le tiltre ad Laodicenses puysque saint Pol aux Coloss., c. ult., atteste leur avoir escrit, plustost que celle aux Hebrieux? Pourquoy croiray je que l'Evangile de saint Marc est celuy de saint Marc qu'on monstre maintenant?.

  A007000966 

 Calvin, livre premier de son Institution, chap. septiesme, dict que « le Saint Esprit [rend un témoignage secret; »] mais quelle folie! C'est pourquoy saint Basile a eu rayson de dire, lib. De Spiritu Sancto, cap.

  A007000968 

 Pour le nombre des Sacremens; car qui m'a dict que le lavement des piedz que fit Nostre Seigneur ne fut pas Sacrement et le Baptesme le fut? et qui m'a dict qu'il falloit mettre du vin au calice? etc..

  A007000969 

 Nous avons plusieurs articles de foy par la, comme: [1.] que le Baptesme des hæretiques est bon; 2.

  A007000971 

 1, mediate, per Spiritum Sanctum in Ecclesia præsidentem; per Apostolos, ut jejunium Quadragesimæ et alia multa, vel per Ecclesiam, comme il y en a beaucoup, et ont la mesme authorité que les loix escrittes.

  A007000976 

 Et par ce moyen s'en vont a neant tous ces passages que nos adversaires ont accoustumé de nous objecter: Non addetis ad Mot quod ego præcipio vobis, Deut., 4 et 12; Gal., 1: Sed licet nos, aut Angelus de cœlo evangelizet vobis præter quam quod evangelizavimus vobis, etc..

  A007000976 

 Premierement, se souvenir que les Traditions sont paroles de Dieu comme l'Evangile, etc.; non jamais contraires a l'Escriture.

  A007000977 

 Que tout ce qui est necessaire a l'Eglise, est contenu en l'Escriture, non explicite, mays bien radicaliter.

  A007000978 

 Que nos Traditions ne sont pas humaines, mais divines.

  A007000989 

 Entre les signalëes faveurs que la bonté de Dieu fit a son bon serviteur Abraham nostre grand pere, l'une fut a mon advis, des plus grandes, lhors qu' en la vallee de Mambré, sa divine Majesté le vint visiter en son tabernacle visiblement, ainsy que raconte le Genese, chap. 18; car quel homme estoit ce qu'Abraham, affin que vous le visities? Apparuit ei Dominus in convalle Mambre.

  A007000989 

 Il est bien dict au commencement du Genese, que Dieu dict: Faciamus hominem ad imaginem et [254] similitudinem nostram, par lesquelles paroles la Trinité de ce Facteur estoit monstrëe; mays jamais l'apparition n'en avoit esté faitte devant Abraham, dont avec merite on a appellé justement Abraham pere des croyans, comme ayant eu une si signalëe revelation de ce mistere fondamental de nostre foy: Apparuit Dominus; « tres vidit, et unum adoravit.

  A007000989 

 » Et affin que nous n'ignorions pas que ce fut une apparition d'un Dieu en Trinité, apres qu'Abraham eut veu ces troys, il en adore l'unité: « Tres vidit, et unum adoravit, » dict la Glose; et Abraham leur parlant: Domine, si inveni gratiam in oculis tuis, ne transeas servum tuum, sed afferam pauxillum aquæ, ut laventur pedes vestri, et requiescite sub arbore.

  A007000990 

 Ainsy levons les yeux vers ceste lumiere æternelle, a celle fin qu'elle daigne nous illuminer de son Esprit, et qu'en sa clairté nous puissions voir de ce saint mistere ce que nous en devons connoistre et ce qu'il luy plaira nous en faire voir, affin de le croire, le croyant y esperer, y esperant l'aymer, et qu'ainsy vrayement « gloire soit au Pere et au Filz et au Saint Esprit.

  A007000990 

 C'est ainsy que va et l'histoire et le mystere.

  A007000990 

 Et maintenant, auditoire devot, le mesme Seigneur se presente a nous pour nous visiter, un par essence en trinité de personnes, non plus par une exterieure apparition, mais [par] une interne illumination de la foy, en ceste bonne vallëe de l'Eglise, puysqu'aujourd'huy l'Eglise celebre une grande solemnité a la gloire de la toute puyssante, toute bonne et infinie Trinité, Pere, Filz et Saint Esprit, affin de graver en nostre courage l'honneur et l'hommage supreme que nous luy devons.

  A007000990 

 Gloria Patri, etc. Nous luy rendons la gloire si nous croyons, esperons et aymons ceste supreme essence en sa tres glorieuse Trinité, si nous prions les troys Personnes de demeurer avec nous, si nous lavons leurs pieds, si nous les invitons sous l'arbre, ce que comme on le doive faire, je prætens vous le monstrer briefvement.

  A007000990 

 » Ce que pour obtenir avec plus d'abondance, employons y le credit de la Fille du Pere, de la Mere du Filz et de l'Espouse du Saint Esprit.

  A007000992 

 C'est l'article fondamental de toute nostre foy chrestienne, que celuy pour la celebration duquel l'Eglise solemnise ceste journëe, a sçavoir la sainte Trinité des Personnes divines.

  A007000992 

 Car encores qu'il semble que ceste sainte Trinité se doive reduire a l'unité de l'essence, d'autant que selon nostre façon d'entendre l'un soit premier que l'autre, si est ce que l'article de l'unité d'un Dieu n'est pas si propre aux Chrestiens que celuy de la Trinité, d'autant que plusieurs ont conneu Dieu et son unité, qui n'estoyent pas Chrestiens.

  A007000992 

 Mays quant a l'article de la tressainte Trinité, il est tellement particulier aux Chrestiens, que mesme le peuple Hebrieu n'en avoit pas pour la pluspart connoissance expresse, [et] que jamais les payens n'y estoyent arrivés: qui occasionne saint Hierosme a s'escrier en l'epistre ad Paulinum « Hoc doctus Plato nescivit, [256] hoc eloquens Demosthenes ignoravit.

  A007000993 

 O comme nous devrions donques encores en ce tems miserable celebrer ceste sainte feste et dire: Gloria Patri, etc. Penses vous pas que nos adversaires se soyent contentés de renverser l'Eglise? Superbia eorum qui te oderunt ascendit semper; Psalm.

  A007000993 

 Si donques ceste feste a esté instituëe pour tant et de si justes raysons, avec combien de devotion la devons nous [257] celebrer, maintenant que les causes de son institution sont renouvellees..

  A007000994 

 Gloria Patri, etc. Je trouve que nous pouvons souhaitter la gloire au Pere, au Filz et au Saint Esprit en deux façons: ou la gloire qui leur est naturelle et essentielle, ou l'exterieure et denominative.

  A007000995 

 Penses quelle gloire a un tres bon pere d'avoir un filz qui luy ressemble parfaittement; mais s'il le ressembloit tant que ce fust un autre luy mesme, ah quelle consolation! J'ay veu des peres qui avoyent quelque vertu, o combien ilz estoyent consolés d'avoir des enfans vertueux, etc. C'est ceste gloire qui [258] merite d'estre celebrëe a jamais: Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto, etc.

  A007000996 

 Chantons donques: Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto, etc. Je sçay bien que vous n'entendes pas ce mistere, ni moy aussi, mays il me suffit que nous le croyions tant mieux; et ce que j'en ay dict n'est pour autre fin que pour vous le representer davantage, et vous ayder a le croire plus distinctement.

  A007000996 

 Il y a certains exemples qui nous pourroyent ayder a en concevoir quelque chose; mais il y a tant a redire, que, sans nous amuser a autre, nous nous contenterons de sçavoir que c'est la foy catholique « ut unum Deum in Trinitate, et Trinitatem in unitate veneremur.

  A007000997 

 Et tout de mesme, Spiritui Sancto, qui signifie un respir d'amour reciproque et mutuel, pour signifier que le Pere et le Filz se regardans et s'aymans mutuellement, produisent ceste troisiesme Personne par ce regard et cest amour reciproque..

  A007000997 

 Gloria, en singulier, en [259] parlant des troys, pource que ces troys Personnes ont la mesme gloire; Patri et Filio, pource que, combien que ces deux Personnes soyent un seul et mesme Dieu, et que le Pere regarde son Filz comme un autre luy mesme, il y a neantmoins ceste distinction, que le Pere a la divinité par luy mesme, et le Filz, par la communication du Pere: et sans cela, ni l'un ne seroit Pere, ni l'autre ne seroit Filz, ains ces deux noms seroyent des noms faintz et sans fondement.

  A007000997 

 Nous chanterons tousjours Gloria Patri, d'autant plus encores que Calvin et Beze et leurs hæresies, veulent que toutes les trois Personnes ayent leur divinité de soy et non par communication; qui est un blaspheme estrange, car ainsy il n'y auroit ni Filz ni Saint Esprit.

  A007000998 

 L'autre blaspheme, c'est qu'ilz ne veulent recevoir le nom de Trinité; et leur rayson est, d'autant que Trinité ne veut dire que les Personnes; la personne ne veut dire que residence et proprieté; residence et proprieté n'est pas Dieu.

  A007000998 

 O malheur de nostre aage, o vanité, o arrogance de l'esprit humain, qui entreprend de disputer des verités si eslevees par de si foibles raysons! Ce mot de personne, o Calvinistes, signifie bien plus que vous ne dites, et les docteurs sçavent que personne est le suppost d'une nature intelligente, que c'en est le proprietaire et le possesseur; tellement qu'une Personne divine, c'est celuy qui possede et a en propre la nature divine..

  A007000999 

 Et quant a ceste belle objection que ce mot n'est pas latin, ignores vous encores que quand il a pleu a Dieu, en l'exces de son amour, nous descouvrir de nouvelles verités, il a fallu chercher de nouveaux motz pour les exprimer? Ignores vous que les motz sont faictz pour les choses, et non les choses pour les motz, et qu'il se faut bien garder d'assujettir les choses aux parolles, et beaucoup plus de renoncer aux choses les plus saintes et les plus divines pour ne pas rencontrer dans le langage usité parmi les Romains des dictions qui les signifient? Suyvant ceste maxime de vostre eschole, il faudroit encores rejetter le mistere fondamental de nostre salut, [260] l'Incarnation du Verbe æternel, pource que ce mot d'incarnation ne se trouve point dans la pure latinité.

  A007000999 

 O malheureux et infortunés docteurs, qui ayment mieux estre latins que chrestiens! C'est une des ruses du diable, qui, sous couleur de quelque plus grande pureté de latin, tend a nous enlever la creance des premiers et plus importans misteres de nostre sainte religion.

  A007001000 

 » Ne laissons pas donques de chanter: « Pater de cœlis Deus, miserere nobis; » ne laissons pas de dire que les trois Personnes sont adorables et suradorables, pour la gloire essentielle et interieure, et pour la gloire exterieure et attribuee..

  A007001001 

 C'est lhors que nous procurons que Dieu soit glorifié: Ut videant opera vestra bona et glorificent Patrem vestrum..

  A007001001 

 On appelle la gloire appropriee celle qui vient a Dieu, non de ses ouvrages interieurs mays exterieurs, ainsy [261] que David dict: Cœli enarrant gloriam Dei, etc.; et comme dict saint Pol, I. Cor., 10: Omnia in gloriam Dei facite.

  A007001002 

 Et c'est principalement de ceste gloire que nous entendons Gloria Patri, etc., non la luy desirans comme chose absente, mays nous resjouyssans en icelle.

  A007001002 

 Glorificate et portate Deum in corpore vestro, dict saint Pol, I. Cor., 6; et en ceste façon, lhors que nous disons Gloria Patri, etc., nous disons tout autant comme: Fiat voluntas tua sicut in cœlo et in terra.

  A007001002 

 Quant a la gloire essentielle, il n'y a personne qui la puisse alterer, pource que Ego sum qui sum; gloriam meam alteri non dabo.

  A007001003 

 Ceste gloire est exterieure et se peut entendre de deux sortes; car pour tous les biens nous devons rendre gloire au Pere, au Filz et au Saint Esprit, mays particulierement pour la mort de Nostre Seigneur et le benefice de la Redemption, pource que Deus sic dilexit mundum, ut Filium suum unigenitum daret.

  A007001005 

 Maintenant, permettes moy que j'use familierement de vostre auditoire.

  A007001029 

 Ceux que Dieu a unis, que l'homme ne les sépare point.

  A007001037 

 Confirme tes frères (ce n'est pas un simple précepte, c'est l'institution d'un confirmateur, comme le: Croissez et multipliez-vous dit aux poissons, etc.); pour enlever toute défiance aux pasteurs et aux brebis, j'ai prié afin que ta foi ne défaille pas..

  A007001038 

 Le propre des hérétiques est de perdre ce que le Siège Romain avait acquis, de dissiper ce qu'il avait amassé: exemples en Allemagne..

  A007001041 

 De même plus tard, au temps de Moïse; la maison de David, Bethléem même, etc. Ainsi, au tems de l'Evangile, c'est de la maison de Pierre que l'on doit attendre le Christ glorificateur; c'est en elle qu'on recevra le Christ.

  A007001041 

 Les fidèles furent donc certains que le Messie devait naître d'Abraham.

  A007001058 

 Et pour autant que la principale rayson que les adversaires praetendent avoir pour abandonner l'Eglise gist en ce different, je me suys proposé de vous remonstrer le mieux quil me sera possible les raysons de l'Eglise; ce que je feray avec tel ordre que vostre esprit ne sera pas beaucoup empesché a les retenir, et la probation en demeurera tres manifeste et tres claire..

  A007001058 

 Pendant que tantost l'un tantost l'autre a respondu selon son propre sens et advis, quoy [268] que saint Pol aÿe faict ceste quæstion comm'un'exclamation d'une verité indubitable, bonté de Dieu! quelle dissipation s'est ensuyvie, quelle grande confusion de langages s'est faite parmi le monde.

  A007001058 

 Sur ceste quæstion prise et faite en tout autre sens et façon qu'elle ne fut faicte par ce bienheureux Apostre, s'est fondëe ceste grande Babilone que nous voyons en ce miserable siecle.

  A007001059 

 Cinquiesmement, je monstreray que ce Sacrement est non seulement Sacrement, mays Sacrifice; sixiesmement, je monstreray la convenance, et respondray aux raysons contrayres, et iray poursuyvant selon que Dieu me donnera les moyens..

  A007001060 

 Au reste, je vous adjure, Catholiques, par Celuy auquel vous esperes, que vous oÿes attentivement et devotement ces miens sermons, pour rendre tesmoignage a la foy en laquelle vos ayeulz et devanciers sont morts.

  A007001060 

 Et laysses en arriere toute sorte de passion humayne en cecy; ne regardes a la familiarité que vous aves en l'un parti ou en l'autre, mays seulement ou l'Escriture, la rayson et la vraÿe theologie battra.

  A007001060 

 Et selon que vous verres, resoulves vous, toutes choses layssees, a vous declairer pour le bon parti..

  A007001060 

 Et vous autres, Messieurs, qui suyves le parti contraire, je vous adjure par vostre salut et le sang du Sauveur, que vous venies ouir les raysons de l'Eglise Catholique, affin qu'on ne puysse dire de vous que vous l'aves condamnee sans l'avoir ouÿe.

  A007001060 

 Mays je ne voudroys pas que vous pensassies qu'en ces sermons je veuille alleguer ce que j'en pourrois dire; non, je ne diray que ce qui me semblera de plus singulier [269] et pregnant.

  A007001060 

 Que qui voudra me demander des doutes, soit par escrit ou autrement, il m'obligera infiniment a luy, et le prendray a singuliere faveur, et tascheray a luy fayre en contrechange toute bonne satisfaction avec toute charité et respect.

  A007001063 

 13, belle et tres elegante sur toutes les autres, quand ayant dict que la perfection et plenitude de la loy est la dilection, il rend ceste rayson de son [dire]: Et hoc scientes tempus, quia hora est jam nos de somno surgere; propior est enim nunc salus, quam cum credidimus.

  A007001064 

 On se leve, pour ce que la Loy ancienne estoit toute couchëe sur la terre, et le peuple y estoit merveilleusement attaché a terre; dont les promesses sont: Bona terræ comedetis.

  A007001064 

 il compare les Juifz a des hommes dormans et les autres aux veillans: Il est tems, dict il, que nous levions du sommeil.

  A007001065 

 Considerons donques maintenant qu'est ce que doit estre le Sacrement de l'Eucharistie, la Cene, en l'Eglise de Jesuchrist.

  A007001065 

 De tout cecy je tire consequence que les figures de l'Ancien Testament ne doyvent rien approcher de l'excellence de ce qui nous est donné en leur lieu au Nouveau, nomplus que l'homme dormant au pris du veillant, croire et jouir, la nuict et le jour, l'ombre et le cors, la figure et la chose figurëe.

  A007001065 

 Regardons un peu les figures d'icelle; et si elles ont eu quelque chose d'excellent, considerons que doit avoir ce qu'elles repræsentoyent.

  A007001067 

 Et quoy donq, feres vous les misteres plus grans de l'Ancien que du Nouveau? Si la Cene n'est qu'une signification, ell'est beaucoup moindre que ceste figure.

  A007001067 

 Sans doute que l'aigneau en ceste façon repraesentoit je ne sçay quoy mieux que le pain.

  A007001068 

 La manne estoit si admirable, que le peuple demandoit: Manhu? Manhu? mays quelle merveille seroit ce en ce pain? etc. Calvin mesme, 1.

  A007001068 

 Or, monstres moy quand ce pain a esté sur la croix sil n'est que figure..

  A007001068 

 » Mays outre cela, ne sçaves vous pas que le man fut mis sur l'autel, au tabernacle? ad Heb.

  A007001069 

 8; ou il est dict que Dieu ordonna deux sortes de sacrifices: l'un, veau, se bruloit hors la ville, hors les tentes, et cestuy ci est accompli en la Passion; l'autre, aigneau, se mangeoit en la ville.

  A007001081 

 Les saintes reliques des Martirs, que Nostre Seigneur a voulu estre recommandables et honnorables par beaucoup de tesmoignages..

  A007001083 

 Int, Nostre Seigneur a tesmoigné en l'Escriture Sainte combien il veut que les reliques soyent honnorables:.

  A007001084 

 Et Jacob encores ne voulut que son cors demeurast en Egipte (la mesme); dont Joseph le porta ensevelir avec honneur.

  A007001085 

 ; que saint Hierosme produict contre Vigilance ad Riparium..

  A007001086 

 Cap. 23, Josias renversant les idoles et les sepulcres, [275] en Bethel, voyant un sepulcre, il demanda que c'estoit; auquel estant respondu que c'estoyt un sepulchre d'un prophete, il dict: Nemo commoveat.

  A007001087 

 Il ne tient pas aux reformeurs que ceste prophetie ne soit rendue menteuse.

  A007001106 

 6, Noë prædicavit pœnitentiam et irridebant eum, comedentes et bibentes (Matt. 24 ), ainsy que signifie saint Pierre en 2 can..

  A007001115 

 La fin vient, elle vient la fin; elle s'est avancée contre toi; voici qu'elle vient; je te châtierai selon l'iniquité de tes voies, et tu sauras que je suis le Seigneur qui frappe.

  A007001115 

 Voici que le jour du Seigneur viendra, cruel et plein d'indignation.

  A007001117 

 Je ne crois pas que jamais plus chaud'alarme fut donnee que celle que les Prophetes donnent aux hommes pour le jour du jugement, ce pendant que l'un crie, Is.

  A007001124 

 Leur argument prouve que saint Pierre n'estoit pas Apostre.

  A007001173 

 Le calice de bénédiction que nous bénissons, n'est-il pas la communication du sang du Christ? et le pain que nous rompons, n'est-il pas la participation au corps du Christ? Saint Paul ne parle pas de participation par la foi, car en soi le pain n'est rien, mais il dit que le pain est la participation..

  A007001175 

 De même, les Ubiquitaires semblent ne plus voir autre chose que le Christ.

  A007001175 

 Les Ubiquitaires ressemblent au peuple d'Israël révolté qui disait: Notre âme est languissante, nos yeux ne voient plus que la manne.

  A007001213 

 Rupert dit très bien (liv. III de la Trinité, chap. VII et VIII): « Le serpent est moqueur: ses réponses sont vagues, ce qui lui permet de soutenir qu'il a dit vrai alors même que la parole de Dieu s'est accomplie.

  A007001213 

 » Ainsi les hérétiques veulent en savoir autant que Dieu: ils n'y réussissent pas, et ils prétendent que la puissance divine ne saurait dépasser leur intelligence..

  A007001214 

 Il est présent par la foi, en figure, etc.: et pendant que vous insistez sur sa présence, vous vous apercevez qu'ils nient positivement cette présence.

  A007001214 

 Or, c'est toujours par de purs sophismes que nos adversaires traitent de ce mystère.

  A007001215 

 Ce passage: La chair ne sert de rien, ne prouve rien, pas plus que cet autre: Ni la chair, ni le sang ne posséderont le royaume de Dieu. Quant à ces mots: C'est l'esprit qui vivifie, les paroles que je dis, etc., ils ne répugnent pas au [290] sens des textes cités, car ils ne leur sont ni contradictoires ni contraires.

  A007001215 

 Celui qui me mange vit lui-même par [ moi ]. Nul ne peut s'écarter du sens propre de toutes ces affirmations, à moins que l'Ecriture ne l'y force par des textes contraires.

  A007001216 

 Notre interprétation est confirmée: [1.] par le fait que les quatre Evangélistes exposent ce dogme de la même manière, sans rien ajouter qui nous oblige à le comprendre autrement, ce qu'ils ne manquent pas de faire lorsqu'il y a lieu: Détruisez ce temple; mais il disait cela du temple de son corps.

  A007001217 

 Par le fait que Jésus-Christ a parlé trois fois de ce Sacrement: quand il l'a promis en termes précis (nous exposerons ces paroles Dimanche); quand il l'a donné à la dernière Cène; quand il en a instruit Paul: En dernier lieu, il m'a parlé à moi, qui ne suis qu'un avorton; ce ne fut pourtant pas alors que le Seigneur l'instruisit, ce fut lors de son ravissement au troisième ciel. De là vient ce ton solennel de Paul: Car j'ai reçu moi-même du Seigneur..

  A007001218 

 Par le fait que l'Eglise l'a toujours cru ainsi, comme le prouvent le Concile de Nicée, le soulèvement de l'Eglise contre Bérenger et l'aveu même des adversaires..

  A007001219 

 Par le fait que cette interprétation exalte la puissance, la sagesse, la bonté de Jésus-Christ, et augmente notre bonheur..

  A007001220 

 Mais les paroles mêmes du texte et les arguments que nous en tirerons vous feront mieux saisir beaucoup de points..

  A007001221 

 Jésus-Christ marche habituellement pas à pas, Pour montrer à la Vierge que rien n'est impossible à Dieu, il lai donne l'exemple de la femme stérile; pour prouver son pouvoir de remettre les péchés, il guérit les maladies du corps; et ainsi des autres.

  A007001222 

 De la comparaison qu'il établit entre la manne et sa chair: Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts; voici le pain qui descend du ciel, afin que si quelqu'un en mange il ne meure point.

  A007001222 

 Si quelqu'un, etc. Mais quel est ce pain? Le pain que je donnerai c'est ma chair, etc.

  A007001225 

 D'une autre comparaison: Comme le Père qui m'a envoyé vit et que je vis par mon Père, ainsi celui qui me mange vivra lui-même par moi.

  A007001225 

 Je vis par mon Père, parce que j'ai sa substance; donc, de la même manière, etc. C'est une comparaison entre les mystères de la Trinité, de l'Incarnation et de l'Eucharistie..

  A007001226 

 ; pour lever tout scandale, Jésus ne fait autre chose que de prononcer un serment..

  A007001226 

 Le serment est la conclusion de toute la discussion. C'est le même Dieu qui fit serment à Abraham, à David, etc. Or, les paroles que l'on confirme par un serment doivent être claires et conformes au sens qu'y attachent ceux qui interrogent, s'ils ont le droit d'interroger; et les disciples avaient ce droit.

  A007001229 

 J'en ai parlé ailleurs, je le sais; je résumerai cependant ici ce que j'ai dit, et j'y ajouterai quelques points dignes d'être connus..

  A007001230 

 Cette présence est produite par l'action de l'intellect et de la mémoire; car l'amour fait l'extase, il sort de soi-même, il est transporté: l'âme est plutôt où elle aime, etc. Et c'est le mode de présence de Jésus-Christ chez tous les croyants, en quelque lieu qu'ils croient, quelle que soit leur nourriture.

  A007001231 

 Dans l'Incarnation, quelques-uns prétendaient que le Verbe s'était changé en chair; Athanase les condamna par ces mots: « [Le Christ] est un, non par une confusion de substances, mais par une unité de personne.

  A007001231 

 De Saintes, Répétition II, chap. X.: Sabellius soutenait l'unité de personne dans la Trinité; Arius, qu'il n'y avait d'unité que par l'accord mutuel des trois Personnes.

  A007001231 

 Quant à la Résurrection, les Sadducéens ne l'entendaient que d'une manière charnelle, et s'en moquaient.

  A007001231 

 » D'autres, comme les Valentiniens, soutenaient que le Verbe n'avait pris que l'apparence de notre chair.

  A007001233 

 Je dis la vérité dans le Christ Jésus, je ne mens point, ma conscience me rendant ce témoignage dans l'Esprit-Saint, que je ressens une grande tristesse et une continuelle douleur dans mon cœur.

  A007001252 

 On est invité à la Cène chrétienne parce que tout est prêt et que la nourriture est exquise.

  A007001253 

 De plus, nous avions dit que le Christ avait parlé trois fois de son Sacrement: lorsqu'il le promit, lorsqu'il l'institua, lorsqu'il en instruisit saint Paul.

  A007001253 

 Notre question était: l'Eucharistie contient-elle le corps vrai, naturel de Jésus-Christ, vraiment et réellement présent? Nous avons répondu: oui, parce que Jésus-Christ l'a dit expressément, et que nos adversaires ne peuvent rien opposer à notre [297] affirmation.

  A007001255 

 Il est étonnant que de toutes les interprétations, ils n'aient trouvé que celle qui est un tissu de blasphèmes.

  A007001255 

 Jésus confirme son assertion lorsqu'il dit: Mais il y en a parmi vous qui ne croient point, c'est-à-dire qui ne croient pas que cette chair est pleine d'esprit..

  A007001255 

 L'âme ne pleure pas, ne file pas, c'est pourtant l'âme, etc. C'est l'esprit qui vivifie, mais il ne vivifie que par la chair.

  A007001255 

 [1.] N'est-ce pas d'une manière toute spéciale que, dans l'Eucharistie, nous mangeons le corps du Christ, la chair du Christ? Tous l'avouent.

  A007001256 

 C'est donc, d'après l'usage universel, un mot générique; il indique des choses qui se ressemblent par leur forme et leur destination plutôt que par la matière.

  A007001256 

 Dans le pain, en effet, il y a deux éléments: la matière et la forme; il n'est nullement nécessaire que la matière soit toujours la même; c'est comme [299] si on disait: sirop, collyre, potage, médecine.

  A007001256 

 Mais pourquoi Jésus l'avait-il employé? Je réponds que le mot pain peut signifier des aliments d'espèces et de substances absolument différentes.

  A007001256 

 Nos adversaires objectent que l'Eucharistie est appelée pain, et surtout par saint Paul, etc. Je réponds, 1.

  A007001256 

 que Paul emploie ce terme de pain, parce que Jésus-Christ l'avait aussi employé.

  A007001276 

 Ils lui dirent: Fais ce que tu as dit.

  A007001276 

 Tirer l'exorde de la réception faite à Dieu en la personne des Anges, par Abraham qui lui dit dans la vallée de Mambré: Seigneur, si j'ai trouvé grâce, etc. ne poursuis pas ta route sans t'arrêter auprès de ton serviteur; j'apporterai un peu d'eau pour laver vos pieds, et vous vous reposerez sous l'arbre; je vous servirai aussi un peu de pain, et vous reprendrez vos forces, puis vous poursuivrez votre route; car c'est pour cela que vous êtes venus vers votre serviteur.

  A007001279 

 Et pour procéder avec ordre, nous établirons de nouveau que Jésus-Christ est bien réellement présent sous les espèces du pain et du vin.

  A007001279 

 Je fais habituellement observer que Jésus-Christ a par deux fois enseigné sa doctrine sur ce point: d'abord en instituant le Sacrement, comme le rapportent les Evangélistes; 2.

  A007001302 

 Or, cette proposition: Le pain que je donnerai c'est ma chair, peut se retourner en celle-ci: Ma chair est ce pain que je donnerai, le présent est, rapproché du futur je donnerai, réclame ce sens..

  A007001303 

 Attendez donc la fin et vous comprendrez que ceux qui étaient aveugles ont recouvré la vue.

  A007001303 

 De même que Jésus-Christ en parlant, ne s'est pas arrêté au mot ceci, ainsi, pour comprendre, nous ne devons pas nous arrêter à ce mot..

  A007001303 

 Les aveugles voient: que signifie le mot aveugles? [303] Non pas les aveugles, car eux ne voient pas; non pas ceux qui voient, car ils ne sont pas aveugles.

  A007001303 

 Les termes n'ont un sens que lorsque la proposition est achevée, surtout s'ils sont vagues et indéterminés; de même, lorsqu'ils sont généraux, si on leur attribue une signification particulière.

  A007001303 

 Que signifiait ceci? Non pas le corps, il n'était pas encore dans le Sacrement, il indiquait donc le pain; donc, le pain est le corps du Christ.

  A007001307 

 Saint Cyprien, De la Cène: « Ce même pain des Anges que nous mangeons ici-bas sous les voiles sacramentels, au Ciel, nous nous en nourrirons plus véritablement, sans l'entremise du corps, sans Sacrement.

  A007001312 

 Afin que nous n'ayons pas horreur; saint Ambroise, liv. VI des Sacrements, chap. 1..

  A007001320 

 Combien donques est il important que la terre soit bien disposëe a recevoir ceste sainte semence..

  A007001321 

 Il verroit que c'est Nostre Seigneur: [306] Exit qui seminat seminare semen suum.

  A007001321 

 Je m'efforceray de traitter de cecy; mays il faut que ce soit Dieu, parce que c'est semen suum, etc..

  A007001321 

 O comment est ce que se disposeroit ce cœur, ceste terre, s'il consideroit qui est celuy qui seme, exit qui seminat.

  A007001321 

 S'il consideroit a quelle intention, il verroit que c'est affin que fructum afferamus in patientia.

  A007001321 

 S'il consideroit qui est celuy qui reçoit ceste semence, il verroit que c'est un cœur qui n'est que terra, pulvis, cinis; le semeur le mettroit en attention, la terre en humilité l'intention du semeur en action.

  A007001323 

 Ainsy vous diray-je au commencement, que semen est Mot Dei.

  A007001323 

 Outre ce, ne confesseront ilz pas que le semeur en ceste parabole est Nostre Seigneur? Mays ou trouveront ilz que Nostre Seigneur aÿe jamais escrit [307] l'Evangile? Quand donques il dict Semen est Mot Dei, il entend de la parole non escritte, mais preschëe..

  A007001323 

 Que si elle est escritte, ce n'a pas esté pour abolir la prædication, mais plustost pour l'accommoder et enrichir; contre ceste sotte façon de parler de plusieurs qui disent qu'il ne faut rien croire qui ne soit escrit, et que l'Escriture suffit sans autre parole de Dieu; que chacun la peut entendre et y doit chercher la resolution de sa foy.

  A007001323 

 Si donques ce n'estoit pas de l'Escriture, et il n'y a point d'autre parole de Dieu que l'Escriture, semen non esset Mot Dei.

  A007001324 

 Que si vous voules voir plus clairement, voyes premierement en quelle façon se reçoit ceste semence: Hi sunt, dict il, qui in corde bono audientes Mot retinent.

  A007001325 

 Et de fait, pourquoy auroit laissé Nostre Seigneur (ad Ephes., 4 ) alios, pastores et doctores, si nous n'avions besoin que sa parole fut annoncëe par ceux qui parlent de sa part et en son esprit?.

  A007001328 

 Que si on ne peut entendre sans ouyr, et que cest ouyr soit necessaire au salut, avec combien d'attention [308] faut il escouter la parole qui n'est pas parole humaine, mais parole de Dieu.

  A007001329 

 Je trouve dans l'Evangile que Nostre Seigneur a crié six fois.

  A007001329 

 Semen est Mot Dei; et comme la semence entre en la terre et ne demeure pas sur terre, ainsy faut il que la parole de Dieu, etc. Audiam quid loquatur in me Dominus Deus; Ps.

  A007001333 

 Luc., 10: Maria etiam sedens secus pedes Domini audiebat Mot illius, parce que semen est Mot Dei.

  A007001346 

 Encores que tant au ciel qu'en la terre Dieu soit tousjours par une parfaitte præsence en tous lieux comme il dict par Hierem., 23: Cœlum et terrain ego impleo, et ce que saint Pol dict, Act., 17: Non longe abest ab unoquoque nostrum; in ipso enim vivimus movemur et sumus, si est-ce neantmoins qu'il y a certains lieux lesquelz luy estant consacrés, sont appellés mayson de Dieu, habitation, lieu, temple, tabernacle, non pas pour ce qu'il soit plus la qu'ailleurs (parlant de Dieu en sa divinité), mays pour ce que la il confere particulierement ses graces et benedictions, et la il faict plus de demonstration de sa gloire..

  A007001347 

 Ce que nos adversaires ne voulant entendre, pour trouver occasion de se separer d'avec l'Eglise leur douce Mere et faire mesnage a part, affin de mieux seconder les impressions de leurs cervelles, ilz ont dict a ceux qui leur ont voulu prester l'oreille, que nous disions Dieu n'estre pas par tout et n'ouÿr pas nos oraysons par tout, ains qu'en l'eglise il avoit « l'oreille plus pres de nous, » pour user des termes de leur maistre.

  A007001347 

 Mays ce sont pures impostures, et en cest endroit comme par tout, ilz voudroyent faire accroire que leur Mere est folle, affin de se soustraire de son obeyssance.

  A007001347 

 Nous sçavons bien que Dieu est par tout, et que prope est invocantibus eum ou que ce soit; neantmoins nous sçavons bien aussi qu'il assiste particulierement aux lieux qui luy sont dediés, y respandant plus liberalement ses graces, estant de son bon playsir que la il soit adoré..

  A007001347 

 [312] C'est de l'Eglise que vous aves appris, huguenotz, ce que vous sçaves, si vous en sçaves quelque chose, de l'incomprehensibilité et immensité de Dieu.

  A007001348 

 En fin il faut bien que sa divine Majesté assiste plus la qu'ailleurs, puysque Salomon demande, ut exaudias preces servi tui in loco isto.

  A007001349 

 Je sçay bien que quelque fois saint Pol a dict que Dieu n'habitoit aux temples; mays c'estoit aux Atheniens qui croyoient aux idoles, pour leur monstrer qu'il n'y avoit qu'un Dieu qui remplissoit le ciel et la terre, sans avoir necessité de temples.

  A007001349 

 Pourquoy donques sont ilz plustost appelés jours de Dieu que les autres? Ah, me dires vous, parce que Dieu se les est reservés.

  A007001349 

 Si pour ce que Dieu est en tous lieux il n'a point de lieu qui luy soit plus sacré l'un que l'autre, dites moy, pourquoy ferons nous aucunes festes? car s'il est en tous lieux, aussi est il en tous tems.

  A007001350 

 D'icy est venue la reverence grande que de tout tems les fidelles ont porté aux eglises, et que Nostre Seigneur a enseignëe, disant: Domus mea, etc. David: Dilexi decorem domus tuæ.

  A007001350 

 Mais c'est une regle generale que voyant l'Escriture affermer une chose d'un costé et la nier de l'autre, on ne doit pas entendre la negation absolument, mays seulement avec quelque condition; ainsy quand il nie estre au temple, cela s'entend y estre comme des choses creëes, lesquelles sont tellement en un lieu qu'elles ne sont pas en l'autre.

  A007001350 

 Mays sur tout les Chrestiens y doivent avoir une plus grande reverence que les autres; car si les Juifz portoyent tant d'honneur a leur Temple dans lequel on ne sacrifioit que des animaux, quelle reverence doivent avoir les Chrestiens lesquelz sçavent que l'eglise est le lieu auquel est sacrifié Jesus Christ, ou le cors de Nostre Seigneur est reservé, si que nous pouvons bien dire ce que le bon homme Jacob disoit quand Dieu luy eut faict part de ses merveilles: Vere Dominus est in loco isto; Gen., 28..

  A007001351 

 En quoy encores elle nous instruit de ce que nous devons faire affin que Jesus Christ fasse son habitation chez nous; car nous sommes les temples de Dieu, pour lesquelz les autres temples ont esté faictz: Nescitis quia templum Dei estis, et Spiritus Dei habitat in vobis? Saint Luc dict donques que Nostre Seigneur traversant la ville de Hieri cho, voicy qu'un homme appellé Zachee, prince des publicains, fort riche, vouloit voir Nostre Seigneur quel homme c'estoit.

  A007001351 

 Et c'est ce de quoy il me semble que nostre Mere l'Eglise nous veuille principalement donner advis, lhors qu'en l'Evangile elle nous propose un grand effect de la præsence de Nostre Seigneur en quelque lieu, par l'exemple de ce qui se fit en la personne de Zachee.

  A007001351 

 Voyes vous comme il faut que Nostre Seigneur vienne le premier a nous? S'il n'eust entré en Hiericho, jamais Zachee ne le seroit allé trouver, dont il dict bien [315] par, apres: Venit enim Filius hominis quærere et salvum facere quod perierat..

  A007001352 

 Icy Zachee fait diligence et se haste, mays il sera bon, a mon advis, que nous y arrestions un peu..

  A007001352 

 Zachee donques s'appercevant que Nostre Seigneur estoit entré en la ville, a cause du grand peuple qu'il voyoit se presser pour rapprocher, voyant qu'il ne le pouvoit voir parmi la presse, estant petit homme, il s'encourt devant, et monte sur un arbre de figue folle. Il n'est pas comme plusieurs qui pour les choses de Dieu ne remueroyent pas les pieds; mays il est ardent de ne pas laisser perdre ceste commodité.

  A007001353 

 Ainsy plusieurs estans couchés parmi leur meschanceté, sentent que Dieu frappe a la porte, ilz font des sourds; apres, ilz voudroyent se confesser, qu'il faut passer outre, et sçachans la beauté de la vertu, ilz font comme le paresseux: Vult et non vult piger; 13 Proverbes.

  A007001353 

 C'est icy ou il nous faut apprendre nostre leçon; car il y en a plusieurs qui voudroyent bien se ranger a servir Dieu, mays ilz y vont si laschement, que pour cela seul ilz sont reprehensibles.

  A007001353 

 Il appelle Zachee par son nom, luy faysant paroistre que c'estoit luy qui nomme toutes choses par leur nom et qui connoist toutes choses, et qu'il estoit Dieu; car Zachee ne l'avoit jamais veu, ni Nostre Seigneur Zachee, et en le voyant il l'appelle par son nom, Zachee.

  A007001353 

 Qui est ce qui ne juge devoir servir Dieu, et qui est ce d'entre les Chrestiens qui, [316] sçachant les grandes recompenses que Dieu donne a ses serviteurs, ne desire le servir? Mais quoy, ilz perdent tout le merite en ce qu'ilz retardent trop, et font comme l'Espouse es Cantiques, laquelle sentant son Espoux a la porte, fit difficulté de se lever pour luy ouvrir; apres, elle voulut luy ouvrir, mays il ne s'y trouva plus; elle le chercha, et ne le trouva plus.

  A007001354 

 C'est bien ce que dict le Sage aux Proverbes, 28: Viri mali non cogitant judicium.

  A007001354 

 Ne sçaves vous pas que Joab respondit a Abner (2 des Rois, 2 )? Il l'avoit poursuivi si vivement, qu'Abner voyant le soleil couché, et que neantmoins Joab poursuivoit tousjours a les battre, il s'escria: Num usque ad internecionem tuus mucro desæviet? Et ait Joab: Vivit Dominus, si locutus fuisses mane, recessisset populus persequens.

  A007001355 

 Mes Freres, vous voudries bien que vous fussies sauvés, mays recevoir Nostre Seigneur quand il vous appelle, rien moins; faire restitution et pœnitence, abandonner l'occasion de pecher, rien moins.

  A007001356 

 O que je pourrois bien dire a plusieurs ce que le bon Moïse mourant reprochoit aux Israëlites, Deuteronome, 31: A die quo egressus es de Ægypto, semper adversus Dominum contendisti.

  A007001364 

 Elle est plus desirable que l'or et le topaze, plus douce que le sucre et le miel, elle resjouït l'esprit et esclaire les yeux, comme chante David..

  A007001364 

 Que si cela se peut dire de toute sorte de verité, combien plus, je vous supplie, mes chers Freres, de la verité qui est la premiere et la plus excellente de toutes, je dis de la verité chrestienne, au prix de laquelle toutes les autres verités ne sont presque pas tant verités que vanités; « verité plus belle que ne fut onques ceste fameuse Helene, » pour la beauté de laquelle moururent tant de Grecz et de Troyens, dict saint Augustin, puysque pour l'amour d'icelle sont mortz infiniment plus de gens d'honneur et de Martirs tressaintz.

  A007001365 

 C'est en somme ce que je pretens faire en ce premier sermon: proposer la verité fort clairement, et pour la mieux faire paroistre, poser aupres d'elle les mensonges qui luy sont opposés.

  A007001365 

 C'est pour ceste rayson que desirant, en ces sermons suivans, prouver la verité du tressaint Sacrement de l'autel, j'ay creu que je ne pouvois mieux commencer, o mes tres chers Freres, que vous faisant voir clairement et distinctement la veritable doctrine de l'Eglise; doctrine si claire et si souëfve, que vos entendemens, au premier regard de sa beauté, la recevront, je m'en asseure, avec un amour et playsir incroyable, et la reconnoistront asses a son propre maintien et a sa grace pour estre fille de Dieu, sortie d e sa bouche et conceuë au sein de son infinie sagesse.

  A007001365 

 Implorons donques premierement son assistance par l'entremise de sa tressainte Mere, que nous saluerons a l'accoustumee, disant Ave.

  A007001365 

 Mais aussi, si aupres d'icelle je vous fais voir la face du mensonge contraire, je ne doute nullement que la laydeur incroyable de celuy cy ne vous face beaucoup plus admirer et cherir la beauté de celle-la.

  A007001365 

 Tenes vos yeux ouvertz, o Chrestiens; voyes ceste belle verité autant desirable que nulle autre qui soit en l'Evangile, mays si grande et relevëe que ni vous ni moy n'en sçaurions soustenir l'esclat si Celuy qui l'a revelëe ne nous est propice.

  A007001366 

 La premiere sorte est reelle, mays grossiere, naturelle et charnelle; la seconde est spirituelle, metaphorique et peu veritable; la troisiesme est autant reelle que la premiere, autant spirituelle que la seconde, elle est plus admirable que la premiere et plus admirable que la seconde.

  A007001366 

 Or je trouve que, parlant generalement, un cors ne peut estre present ni estre appliqué ou conjoinct a un autre, ni par consequent estre mangé, qu'en troys sortes: reellement et non spirituellement, spirituellement et non reellement, reellement et spirituellement tout ensemble.

  A007001367 

 Ainsy furent mangés par les lyons reellement et charnellement les gens que le Roy d'Assyrie avoit amené pour peupler la Samarie, et les enfans qui injurierent Helisëe, par les ours.

  A007001367 

 C'est bien asses pour ce point; je crois que vous m'aves entendu, puysque je ne vous parle que d'une façon de presence et de manducation ordinaire, naturelle et charnelle..

  A007001368 

 Maintenant, mes Freres, il faut que je vous dise que les Capharnaïtes ayans ouÿ que nostre Redempteur avoit si souvent inculqué et repliqué en un sermon qu'il leur faisoit, qu'il failloit manger sa chair et boire son sang, que sa chair estoit vrayement viande, que le pain qu'il donneroit estoit sa chair pour la vie du monde, ilz creurent qu'il voulust donner sa chair en ceste premiere sorte, c'est a dire reellement (car ses parolles estoyent si preignantes qu'ilz n'en pouvoyent douter), mays charnellement; car ilz pensoyent qu'il la voulust donner morte, par pieces et morceaux, grossiere, obscure, espaisse, corruptible, pesante, palpable, visible, et que par consequent il failloit qu'ilz la deschirassent et maschassent comme les antropophages ou mangegens, cannibales et margajas, qui s'entremangent les uns les autres comme l'on mange la chair des moutons et brebis.

  A007001369 

 Et a qui est ce que les cheveux ne dresseroyent d'horreur et que la chair ne frissonneroit s'il luy failloit manger un cors humain et boire le sang d'un homme? Mais d'autant plus cela pouvoit sembler fort cruel aux auditeurs de Nostre Seigneur, que et luy et eux aussi estoyent Juifz de nation et de religion.

  A007001369 

 Ilz appellent les parolles de Nostre Seigneur dures, c'est a dire aspres, rudes, estranges, cruës, par ce qu'entendans que Nostre Seigneur leur voulust faire manger sa chair et boire son sang charnellement et selon l'estre naturel et ordinaire de la chair et du sang, a la verité cela leur sembloit fort crud, barbare et extravagant.

  A007001369 

 Or, entre les Juifz, la chair humaine estoit tellement hors d'usage, que mesme en touchant un cors mort on estoit contaminé et souillé devant le monde; et quant au sang il estoit tellement prohibé, que mesme il n'estoit pas loysible, selon la Loy, de manger de celuy des bestes.

  A007001369 

 Quelle merveille donques si ces pauvres gens, oyans que Nostre Seigneur vouloit donner sa chair et son sang pour viande et breuvage, s'en estonnerent si fort, estimans qu'il la voulust donner toute morte, et en sa propre forme et condition naturelle et charnelle? Intelligence trop grossiere a la verité, et qui procedoit d'une grande lourdise..

  A007001370 

 La primitive Eglise esparse sur toute la face de la terre, faisoit une profession si ouverte parmy ses enfans de manger reellement le cors du Filz de Dieu et de boire son sang, que les parolles avec lesquelles elle le declairoit estans venues aux oreilles des payens et autres ennemis du Sauveur, ilz en prenoyent occasion de calomnier les Chrestiens et les accuser de l'antropophagie, c'est a dire de manger les petitz enfans, les esgorger et deschirer a belles dens, et [324] disoyent qu'en leur Sacrement et mistere ilz faisoyent leur festin de chair humaine a la cyclopique: « Dicimur, » dict Tertullien en son Apologet., « sceleratissimi de sacramento infanticidii, et pabulo inde; On nous appelle tres criminelz, » dict il, « du sacrement de l'homicide des enfans et du repas qui s'en faict.

  A007001370 

 » Et de fait, Pline second en l'epistre qu'il escrit a Trajan et qui est citëe par Tertullien, monstre bien que les Chrestiens avoyent esté accusés de ce crime; car il les en descharge, s'il est bien consideré..

  A007001371 

 Ceste calomnie dura jusques au tems de Minutius Fœlix, qui recite les paroles d'un certain Cecilius, lequel en accusoit encor les Chrestiens: accusation fort vilaine a la verité, mays de laquelle la fauseté est aucunement excusable en ces anciens ennemis de l'Eglise; car nos anciens peres confessoyent ouvertement qu'ilz mangeoyent le cors de Nostre Seigneur, et les sacrëes Escritures le declairent si ouvertement, que les payens, ou entr'escoutans les Chrestiens parler, ou entrevoyans les Escritures, ne pouvoyent ignorer que l'Eglise n'eust ceste croyance.

  A007001371 

 Et, outre cela, nos Chrestiens se tenoyent si serrés et couvertz en la celebration de ce mistere, que mesme ilz ne permettoyent pas aux catechumenes de le voir; si que les payens oyans dire absolument que les Chrestiens mangeoyent la chair du Filz de Dieu, et ne sçachans ni pouvans deviner que ce fust autrement qu'avec une façon charnelle, ilz accusoyent les Chrestiens d'un crime d'antropophagie..

  A007001372 

 Combien de fois nous objectent ilz que si nous mangeons reellement le cors de Nostre Seigneur, donques il faut que nous le deschirions, maschions et rongions; et de la, ilz passent a des argumens si insolens et extravagans, qu'il n'est pas possible de plus.

  A007001372 

 Mais qui peut trouver [excusable] ceste accusation en ce tems, auquel l'impudence a bien osé passer si avant que de reprendre ceste mesme calomnie pour en deshonnorer les Catholiques? Et qui ont esté ces impudens? me dires vous.

  A007001372 

 Mais y a il jamais eu en l'hæresie effronterie plus arrogante que celle la?.

  A007001373 

 Il dict: Ma chair est vrayement viande, mays qui mange ma chair il a la vie eternelle; que s'il n'avoit dict que cela, l'interpretation des Capharnaïtes eust eu quelque apparence, puysqu'il ne parloit que de la chair simplement.

  A007001373 

 Non, jamais cela ne fut dict ni pensé par Nostre Seigneur, que l'on mangeroit sa chair charnellement, grossierement et comme l'on mange les chairs mortes et perissables.

  A007001373 

 Or en fin, tout cela n'est que calomnie, vous le sçaves bien, mes tres chers Freres.

  A007001373 

 Or il ne se donneroit pas soy mesme tout entierement, s'il ne donnoit que sa chair seule et morte..

  A007001374 

 Mays sur tout Nostre Seigneur avoit rejetté disertement ceste intelligence grossiere et toute charnelle par ces parolles: Spiritus est qui vivificat, caro non prodest quidquam; verba quæ locutus sum vobis spiritus et vita sunt; C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne prouffite de rien; les paroles que je vous [326] ay dites sont esprit et vie. Paroles saintes, paroles divines, paroles infiniment excellentes et propres a desraciner ceste lourde et grossiere intelligence de la manducation charnelle du cors de Nostre Seigneur, et ce, par deux beaux moyens que nos anciens Peres en ont doctement tiré et deduit.

  A007001379 

 Je vous disois Dimanche, mes tres chers auditeurs, que toutes les difficultés que nos adversaires mettent en la creance de la realité du cors et sang de Nostre Seigneur au tressaint Sacrement se peuvent reduire a ces deux doutes que firent les Juifz et les Disciples a Jesus Christ Nostre Seigneur, quand il leur enseignoit la verité de cest article (en saint Jan, 6).

  A007001379 

 L'un estoit: Quomodo potest hic nobis carnem suam dare ad manducandum? L'autre estoit: Durus est hic sermo, et quis potest eum audire? Car toutes les oppositions qu'on nous faict tendent la, ou que ceste realité n'a peu estre instituëe et faitte, ou qu'il n'a pas esté convenable; et semble que tous les lieux qu'ilz sont allés recherchans en l'Escriture ne leur servent que d'une confirmation pour ces deux doutes.

  A007001379 

 Or, je commençay a prouver que Dieu le pouvoit, tant par la commune regle de sa toute puyssance, que par des preuves particulieres touchant la pluralité des lieux d'un mesme cors.

  A007001379 

 Puys je commençay a vous monstrer que la façon en laquelle Nostre Seigneur estoit en ce Sacrement, n'estoit aucunement dure ni horrible, ains tres suave et gratieuse..

  A007001380 

 Maintenant, en la poursuite de ce mesme discours, je monstreray: [1.] qu'il n'y a nulle impossibilité en ce saint Sacrement, qu'un cors soit en un lieu sans y occuper place et garder ceste extension exterieure que nous voyons estre naturellement es autres cors; 2.

  A007001380 

 je deduiray de tout ce que j'ay dict l'adoration de ce saint Sacrement..

  A007001380 

 que [328] la transsubstantiation n'est aucunement impossible, ains tres veritable en ce Sacrement; 3.

  A007001381 

 Affin que ceste priere soit receuë de sa divine Bonté, joignons y l'intercession de Nostre Dame.

  A007001381 

 O Seigneur, je loüeray de tout mon cœur vostre toute puyssance pourveu que vous ouvries mes levres a vos loüanges; j'adoreray vostre Majesté au saint Sacrement, pourveu que vous ternes tousjours vos paroles en mon cœur: car vos paroles m'instruiront que vous y estes Homme Dieu, reellement et veritablement, et que ceste vostre praesence n'est non plus impossible a vostre volonté, quoy qu'incomprehensible a nos foibles entendemens, que le reste de vos œuvres admirables.

  A007001384 

 L'autre qualité que nous concevons estre en la chose qui est en quelque lieu, c'est qu'elle y occupe une place, c'est a dire qu'elle y soit tellement, que la ou elle est nulle autre chose y puisse estre avec elle; elle remplit tellement le lieu ou elle est, qu'autre chose n'y puisse avoir lieu..

  A007001384 

 L'une c'est la præsence, que la chose estant en un lieu y soit præsente, et ceste qualité n'est autre qu'estre en un lieu: de façon qu'estre praesent en un lieu n'est autre sinon y estre; estre absent, c'est n'y estre pas.

  A007001385 

 Ces deux conditions, a nostre grossiere façon de penser, nous semblent estre tellement liëes l'une avec l'autre, qu'elles ne peuvent estre aucunement separëes; et nous [329] est bien advis que quand une chose est en un lieu, elle y occupe place, et partant qu'une autre chose n'y peut estre avec elle.

  A007001385 

 Je veux dire une chose peut estre tres parfaitement præsente en un lieu sans y occuper lieu; ains les choses, d'autant que plus parfaittement elles sont præsentes a quelque lieu, moins elles y occupent de place: dequoy les exemples vous feront foy..

  A007001385 

 Or neantmoins la chose n'est pas ainsy, car il y a grande difference entre estre præsent et occuper de façon que l'un peut bien estre sans l'autre.

  A007001386 

 La majesté de Dieu est tellement par tout, que saint Pol a dict: Non longe est ab unoquoque nostrum; in ipso enim vivimus, movemur et sumus; Act., 17.

  A007001386 

 Or, quoy qu'il soit praesent a toutes choses, si est ce qu'il n'occupe aucun lieu ou place: ainsy les Anges n'occupent aucune place en eux [mêmes], de façon que des legions entieres de diables se sont trouvëes en un cors.

  A007001387 

 Et voicy maintenant la difficulté ouverte entre nous et nos adversaires; car nous disons que comme la præsence est ordinairement separëe de l'occupation de lieu es choses spirituelles, aussi le peut elle estre es choses corporelles par la toute puyssance de Dieu.

  A007001387 

 Ilz le nient, et nous le prouvons; et nostre premiere preuve se prend de ce que nous disions Dimanche, comme reciproquement ce que nous prouvions Dimanche se peut prouver par ce que nous dirons maintenant, estant la nature des verités de s'entr'ayder l'une l'autre.

  A007001388 

 Nous disions Dimanche, et le prouvasmes suffisamment, qu'un seul cors peut estre en deux lieux; donques deux cors peuvent estre en un lieu, n'y ayant non plus de difficulté que deux cors n'ayent qu'un lieu, que de dire que deux lieux n'ayent qu'un mesme cors.

  A007001388 

 Voyes vous, il dict que tout cela est impossible aux hommes; mays ni cela ni autre chose n'est impossible a Dieu.

  A007001389 

 Ah mon Dieu, que ce que l'esprit humain hait est bien haï! qu'est ce qu'il ne va rechercher pour s'excuser? Voyes en saint Luc, 24, comme ses disciples s'esmerveillerent de ceste soudaine apparition, et voyant les portes bien fermëes, ilz pensoyent voir un esprit; comme nos adversaires, lesquelz quand on leur dict que Nostre Seigneur n'occupe point de lieu, ilz pensent que ce ne soit pas son cors.

  A007001389 

 Je proteste, mes Freres, que ces [331] gloses et interpretations ne sont point en l'Escriture.

  A007001390 

 Si les bons anciens eussent pensé que ces eschappatoires eussent esté solides, ilz s'en fussent servis contre les Marcionites qui objectoyent le passage de saint Jan pour prouver que le cors de Nostre Seigneur estoit fantastique, comme le tesmoigne saint Cirille sur ce lieu.

  A007001391 

 A quelque prix que ce soit, ilz veulent ce qu'ilz ont dict une fois soit vray; ilz ayment mieux blesser la virginité de la Mere de Dieu que confesser leur faute.

  A007001391 

 Certes, Jovinien a esté tenu pour hæretique, entr'autres pour avoir dict que Nostre Dame avoit perdu sa virginité enfantant son Filz.

  A007001391 

 En ceste entrëe icy, Seigneur, comme comparustes vous au milieu des hommes? Sans doute que vous y entrantes, la porte virginale de Nostre Dame vostre sainte Mere estant tres bien fermëe, car elle fut Vierge en l'enfantement et apres; jamais il n'y eut aucune corruption ny en sa tressainte ame ny en son cors.

  A007001391 

 Mais quoy, o mon Dieu, o mon Sauveur, o mon Maistre, permettes moy que je parle de la premiere entrëe que vous fistes en ce monde, en laquelle non vous, mais les Anges pour vous, vous voyant parmi les hommes, petit enfant, pauvret, nud et pleurant, chanterent: Gloria in altissimis Deo, et in terra pax hominibus bonæ voluntatis.

  A007001391 

 Voyes vous, mes Freres, Nostre Seigneur avec son vray cors sort hors du ventre de sa Mere sans aucune fraction ni ruption de sa virginité; ne failloit il pas donques que ce fut sans occuper [332] place, et qu'il passast par ce cors virginal par penetration de dimension? A Dieu ne playse que je die ce que nos adversaires respondent en cest endroit; c'est chose hors de respect.

  A007001391 

 chapitre, dict et proteste que la Mere de Dieu seroit Vierge, non seulement concevant, mays enfantant: Ecce Virgo concipiet et pariet; et en nostre Symbole: « Natus ex Maria Virgine.

  A007001392 

 Saint Matthieu, 28, saint Marc, 16: l'Ange leva la pierre apres que Nostre Seigneur fut resuscité; donques, il sortit a travers la pierre sans y occuper aucune place..

  A007001393 

 Affin que la guerison ne fust attribuee a l'anneau du Juif, incontinent l'anneau tombe aux piedz de ceste femme sans estre rompu, ni le lien desnoüé ou rompu, ainsy, dict saint Augustin, qu'on doit croire Nostre Seigneur estre sorti du ventre virginal sans aucune rupture.

  A007001393 

 Voudries vous bien, Messieurs, que je me servisse du tesmoignage de saint Augustin au 22. livre de la Cité de Dieu, chap. 8? La il est dict que Petronie eut un anneau d'un certain Juif, ou il y avoit une pierre pour la guerir de certaine maladie qu'elle avoit; l'anneau estoit tres bien lié et attaché a un lien, bien fort et ferme; elle s'en va au sepulchre de saint Estienne.

  A007001394 

 Nos adversaires ne sçavent que dire; ilz voyent nos raysons bien establies sur l'Escriture, dans laquelle ilz sont allés recherchant s'il y avoit rien qui peust servir a leur negation; et voyans qu'il n'y avoit rien, [333] ilz se sont jettés sur la philosophie, et ont voulu monstrer que cela estoit impossible.

  A007001394 

 Si je voulois rapporter les raysons qu'alleguent Pierre Martyr et Calvin, je n'aurois jamais faict, quoy qu'il me seroit tres aysé de leur respondre en philosophie et a la scholastique; mays je n'ay que faire de me mettre sur la philosophie, quand j'ay la parole de Dieu pour moy.

  A007001395 

 On me dira: Comme se peut il faire qu'il y soit invisible et impalpable? Cela est aysé; car quand on voulut jetter Nostre Seigneur du sommet de la montaigne, il passa a travers d'eux sans y estre ni veu ni apperceu; quand, apres la resurrection, il laissa ses disciples en Emails, il disparut devant eux et ne le virent plus, encor qu'auparavant ilz le vissent et que leurs yeux fussent ouvertz..

  A007001396 

 Un cors peut estre en un lieu sans qu'on le puisse voir et connoistre qu'il y soit, comme il appert par les exemples que je viens d'apporter..

  A007001397 

 Ceux qui ont suivi le parti de Luther pour combattre l'Eglise ont opinion qu'en ce Sacrement il n'y aye point de changement au pain, ains que le pain y demeure; et neantmoins confessent que le vray cors de Nostre Seigneur y est.

  A007001397 

 [2.] Mays il y a encor une difficulté; car nos adversaires ne voulans abandonner leur quomodo, demandent: Comme se peut il faire qu'une chose qui estoit n'a gueres pain, soit, maintenant la chair de Nostre Seigneur? Il se peut faire par un changement total de substance en substance, que l'on appelle fort proprement du mot de transsubstantiation.

  A007001398 

 Et en Exod., 7, la verge d'Aaron n'est [335] elle pas veritablement convertie en couleuvre? car l'Escriture dict que ce que les autres firent fut par sorcellerie, mays que ce que fit Aaron fut veritable.

  A007001399 

 Donq ce n'est plus pain si c'est le cors de Nostre Seigneur; car si ce qu'il prit en ses benistes mains n'estoit pas changé, il ne failloit pas dire que ce fut autre chose que ce qui estoit auparavant.

  A007001399 

 Il ne faut pas dire que son cors y soit et le pain aussi; car qui vendroit un sac, moitié froment, moitié avoine, et dirait: Achetes cecy, car c'est froment, sans doute qu'il tromperoit le monde et seroit reputé pour avoir dict mensonge.

  A007001399 

 Il ne faut pas donq dire que Nostre Seigneur disant: Cecy est mon cors, le pain y soit encores.

  A007001399 

 Quand donques il dict: Hoc est corpus meum, il monstre clairement que le pain avoit esté changé..

  A007001401 

 Et quant a l'Escriture, tout ce qu'ilz nous sçavent objecter, c'est premierement que ce nom de transsubstantiation n'est point en l'Escriture; a quoy je respons que ni le mot de Trinité, ni Omoousios, ni Theotocos.

  A007001401 

 Il suffit que la chose est en l'Escriture, encores que le mot n'y soit pas..

  A007001402 

 Secondement, ilz disent que ce Sacrement est appellé pain; mais je respons que ce n'est pas parce qu'il y ayt du pain, mais parce qu'il y a apparence de pain exterieure, ou bien parce qu'il a esté faict du pain, ou parce qu'il a les effectz et proprietés du pain, ou parce que, selon la coustume des Hebrieux, toute sorte de viande a esté appellëe pain (comme on voit de la manne qui a esté appellëe pain, Exode, 16, dont Nostre Seigneur n'a pas dict: Caro mea vere est panis, mays vere est cibus, qui est le mesme que quand il dict: Ego sum panis vivus), et que l'Escriture ayt accoustumé d'appeller les choses du nom de celles la desquelles elles ont esté faites, ainsy qu'il est aysé a voir Exod., 7, ou la verge d'Aaron estant convertie en serpent ne laisse d'estre appellëe verge; au Genes., 3, ou l'homme faict et tiré de poudre, ne laisse d'estre appellé poudre..

  A007001403 

 Tiercement, ilz disent que ceste opinion de transsubstantiation est nouvelle, mais ilz ont tres grand tort; car, a la verité, elle a de tout tems esté en l'Eglise.

  A007001404 

 Car a la verité, puysque c'est Jesus Christ et que Jesus Christ est Dieu, qui ne l'adorera je vous prie, aussi bien la qu'au Ciel, puysqu'il est escrit en saint Matthieu, 4: Dominum Deum tuum adorabis, et illi soit servies? car Nostre Seigneur, ou qu'il soit, il y veut estre [338] adoré.

  A007001404 

 [3.] D'ou s'ensuit la troysiesme proposition que j'avois avancëe: que ce Sacrement, entant qu'il contient Nostre Seigneur, est adorable, que l'on le doit adorer.

  A007001405 

 Or affin que tout d'un coup je prouve que Nostre Seigneur est reellement selon sa chair en ce tressaint Sacrement, et tout ensemble qu'il l'y faut adorer, l'un ne pouvant estre sans l'autre, ni qu'il y soit adoré s'il n'y est pas, ni qu'il y soit sans y estre adoré par l'Eglise, qui est jalouse de rendre a son Espoux tout honneur, je vous prie de regarder combien ceste affaire est convenable, puysque ceste adoration ayant esté preveüe par David, il en tressaute de consolation au Pseaume 21, et chante: Manducaverunt et adoraverunt omnes pingues terræ.

  A007001406 

 Et affin qu'il ne semble pas que ce soit une nouveauté, ains qu'on connoisse que l'adoration de l'Eucharistie a tousjours esté en l'Eglise, et par consequent qu'on a tousjours creu fermement qu'en icelle est le vray cors de Nostre Seigneur, oyes un peu le tesmoignage de quelques grans Peres..

  A007001407 

 Puys, la mesme, il raconte d'un autre qui avoit appris par vision que ceux qui prenoyent ce saint Sacrement deuëment a la fin de leur vie, avoyent des Anges autour de leurs cors qui les accompaignoyent jusques au Ciel.

  A007001409 

 Saint Gregoire Nazianzene, oratione in laudem sororis suæ Gorgoniæ, raconte que sa seur « estant malade d'une maladie prodigieuse, vint de nuict a l'autel [340] se prosternant, et priant Celuy qui est adoré sur iceluy; omnibusque nominibus appellans, atque omnium rerum quas fecerat commonefaciens, » quid fecerit audite: « caput cum clamore et lacrymis [altari] admovens, se non nisi reddita sanitate discessuram minitans, » etc. Ainsy elle fut guerie..

  A007001418 

 Le pain que nous rompons, n'est-ce pas.

  A007001422 

 Les Catholiques respondent qu'ouy, parce, disent ilz, que accepimus a Domino, quoniam Dominus Jesus, in qua nocte tradebatur, accepit panem, et gratias agens, fregit et dixit: Accipite et manducate, hoc est corpus meum; Nous avons appris du Seigneur que le Seigneur Jesus, la nuict en laquelle il fut livré, prit du pain, et rendant graces, il le rompit et dict: Prenes et manges, cecy est mon cors. C'est en cest article, auditeurs, ou je vous desire attentifz, si jamais vous le fustes, pour entendre nos raysons, vous conjurant de laisser toute passion pour bien juger en une cause si importante; et je suis asseuré que, le tout meurement consideré, vous feres jugement en faveur des Catholiques, tant leurs raysons devancent en fermeté, en sainteté, en solidité et en bonté celles des adversaires..

  A007001422 

 Les adversaires de l'Eglise Catholique respondent a ceste interrogation que non, parce que Jesus Christ leur a dict: Caro non prodest quicquam; La chair ne prouffite de rien.

  A007001423 

 Je prie, si jamais je priay humblement et d'affection, que Celuy qui faict la bouche des enfans diserte, daigne par sa bonté me donner l'entendement de bien sonder ses tesmoignages: Da mihi intellectum, et [342] scrutabor legem tuam, et custodiam illam in toto corde meo; et a vous, mes tres chers auditeurs, qu'il incline vos coeurs es tesmoignages de sa parolle; car en ceste difficulté je vois les ennemys qui m'attendent avec une trouppe de doutes et questions humaines: Me expectaverunt peccatores ut perderent me, testimonia tua intellexi; mays l'intelligence de vos commandemens m'en delivre.

  A007001423 

 Pendant que l'un me veut tirer par la voye des figures, l'autre de l'ubiquité, l'autre des effectz, faites, Seigneur, que j'aÿe pour ma guide vostre seule parolle, et qu'elle me soit phare en ceste navigation: Lucerna pedibus meis Mot tuum, et lumen semitis meis.

  A007001425 

 De peur que par un praejugé et supposition fause vos entendemens ne soyent atteintz de quelque passion contre nous, chers auditeurs, pendant qu'on vous pourrait avoir faict accroire que le differend qui est entre nous et nos adversaires ne gist en autre, sinon en ce qu'ilz ne veulent rien croire que ce qui est es Escritures, et [que] nous voulions fonder nostre doctrine ailleurs que sur icelles, je vous supplie de croire qu'en ce particulier differend (ni en pas un autre aussi, non plus qu'eux) nous ne voulons ceder a eux en l'honneur que nous avons juré aux Saintes Escritures; mays que tout au contraire nous protestons ne vouloir le demesler que par la seule, pure et expresse parolle de Dieu, ainsy que nous fismes Dimanche.

  A007001425 

 Nous ne voulons icy que l'Escriture..

  A007001425 

 Si donques on vous a dict que l'Eglise n'alleguoit que l'authorité des hommes, si on vous a dict qu'elle laissoit en arriere l'Escriture, je vous prie de vous en desabuser, et croire que l'Escriture [343] a tousjours esté en nos mains, et que ce riche thresor n'a esté gardé que par l'Eglise, et que nos adversaires ne l'ont eu que de nous.

  A007001426 

 Entrons, je vous prie, en matiere, et vous verres clairement la verité de ce que je dis..

  A007001426 

 Nous sommes donq desja d'accord en ce poinct, quj est que ce differend ne se decide que par l'Escriture; mais c'est en l'interpretation que gist nostre controverse et dispute; car nous apportons de beaux et bons passages de l'Escriture, et eux en apportent de ceux qu'ilz peuvent penser estre telz.

  A007001428 

 Cor., 11; en tous lesquelz lieux Nostre Seigneur parlant de la viande qu'il donnoit instituant la manducation de la Cene, ilz rapportent qu'il dict que c'estoit son cors, par des paroles si expresses qu'elles ne le sçauroyent estre davantage, dont elle tire ceste claire rayson: Dieu l'a dict, Dieu ne peut mentir, donques il y est.

  A007001428 

 Il dict qu'ilz ne se doivent ainsy entendre comme nous pensons; nous disons que si.

  A007001428 

 L'adversaire respond que Dieu ne l'a pas dict; nous monstrons ses propres motz.

  A007001428 

 Voyla nostre differend: qui entend mieux les Escritures? Si je puys monstrer clairement que nous [344] sommes bien fondés, il s'ensuivra que les adversaires le seront d'autant moins, qu'ilz viennent combattre le possesseur de bonne foy..

  A007001431 

 Or, les Sacremens doivent estre institués en arolles claires; donques, etc. La mineure se prouve par rayson: parce que l'usage du Sacrement nous doit estre aysé et commun a tous; donq chacun doit entendre ce qui en est.

  A007001433 

 De plus, l'intention de Nostre Seigneur en sa sainte Cene, faysant son testament, estoit de laisser un gage a son Espouse de l'amour qu'il luy portoit, amour si grand que de vouloir mourir pour elle.

  A007001433 

 En fin, vous semble il qu'un morceau de pain soit un present digne d'un tel Seigneur? et voules vous que nous soyons tousjours serviteurs, n'ayant pour hæritage qu'une figure, comme les Mosaïques?.

  A007001433 

 En outre, Nostre Seigneur n'avoit que son cors et son sang; car Filius hominis non habet ubi caput suum reclinet; donques faisant son testament et laissant des legs a ses amys, il ne pouvoit laisser que son cors et son sang.

  A007001434 

 Est lex et dogma; atqui leges et dogmata numquam tradi debent obscure, ainsy que dict saint Augustin, lib. 2, de Doct.

  A007001439 

 Voyla les raysons generales par lesquelles il appert [346] que nous sommes bien fondés a les interpreter en leur sens expres et formel, non figuré et metamorphosé..

  A007001442 

 J'ay veu une Bible imprimëe en françois, despuys que je suis en ce pais, ou il y a: C'est cy mon cors.

  A007001442 

 Premiere interpretation, d'André Carlostade: « Hoc, id est, hic, » et dict que le Pere cæleste le luy a revelé; dont Luther a intitulé un livre: Contra cælestes Prophetas.

  A007001443 

 Mays Luther, pour monstrer qu'il avoit autant d'esprit que les autres pour se mocquer des Sacremens, en son livre Quod verba Domini firmiter stent, dict: « Meum, quia omnia mea sunt.

  A007001443 

 Une autre est de Zuingle, qui allegue une vision d'un je ne sçay qui, blanc ou noir, qui luy dict que est vouloit dire significat.

  A007001444 

 Par ou il appert que l'institution de ce grand mistere consistant en quattre paroles, il n'y en a aucune qui n'aye esté attaquëe avec grande audace et sacrilege par les superbes ennemis de la foy, trop attachés a leur sens et propre rayson.

  A007001473 

 Parce que l'amour est fort comme la mort..

  A007001477 

 46, voyes l'excuse que Joseph præpare pour ses gens.

  A007001506 

 Qu'ai-je dû faire de plus pour ma vigne que je n'aie fait? Pourquoi mourrez-vous, maison d'Israel? car je ne veux point la mort de celui qui meurt, dit le Seigneur: revenez et vivez..

  A007001507 

 Méprises-tu les richesses de sa [355] bonté? Ignores-tu que la bénignité de Dieu t'attire à pénitence? Je me tiens à la porte.

  A007001508 

 Bien que nous soyons plusieurs, nous ne sommes qu' un seul corps dans le Christ. Ne savez-vous pas qu'un peu de ferment [ corrompt ] toute, etc. Saint Augustin, sur le Ps.

  A007001517 

 Membres de membre.Je ne sais que choisir.

  A007001517 

 Mes petits enfants, pour qui je ressens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous.

  A007001540 

 La manne ne descendit pas jusqu'à ce que la farine d'Egypte, etc. L'aigle aquatique a une patte d'oie et l'autre d'aigle.

  A007001541 

 Le sacrifice que Dieu désire est un esprit affligé; vous ne dédaignerez pas, ô Dieu, un cœur contrit et humilié.

  A007001551 

 La bénignité et l'humanité de notre Sauveur est apparue, etc. Levez-vous, Seigneur mon Dieu, selon le précepte que vous avez établi, etc..

  A007001552 

 Levez-vous, Seigneur, dans votre colère, et dominez au milieu de vos ennemis; et levez-vous, Seigneur mon Dieu, selon le précepte que vous avez établi.

  A007001552 

 Oh si vous ouvriez les deux, si vous descendiez! Les montagnes s'écouleraient devant votre face; elles fondraient comme si elles étaient consumées par le feu, les eaux s'embraseraient, afin que votre nom fût connu parmi les Gentils.

  A007001553 

 Alors l'âme s'élève, Annoncez à mon Bien-Aimé que je languis [359] d'amour.

  A007001554 

 Voici mon commandement, c'est que vous vous aimiez.

  A007001558 

 14, apres avoir monstré la betise de qui navige porté sur le bois et neantmoins la adore l'idole, parce que navem artifex fabricat, tua, Pater providentia gubernat, puis: Ab initio cum perirent superbi gigantes, spes orbis terrarum ad ratem confugiens, remisit sæculo semen nativitatis Benedictum enim est lignum illud per quod fit justitia..

  A007001564 

 Il la jeta, et elle fut changée en serpent, de sorte que Moïse s'enfuyait.

  A007001564 

 Le Seigneur dit: Que tiens-tu en ta main? Une verge.

  A007001565 

 Le sang du Christ parle plus avantageusement que le sang d'Abel.

  A007001568 

 C'est Jésus de Nazareth le crucifié que vous cherchez.

  A007001568 

 Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras, parce que l'amour est fort comme la mort et le zèle de l'amour inflexible comme l'enfer; ses lampes, etc. Si la mère oubliait, etc. Voici que je t'ai écrit dans mes mains. [361].

  A007001575 

 Et c'est ce que Nostre Seigneur enseigne: Pater noster..

  A007001575 

 ad Cor., 12, saint Pol dict que nous sommes tous membres d'un mesme cors; dont il tire une conclusion conforme a ce quil escrit aux Galath., 6: Alter alterius onera portate, etc.

  A007001577 

 2 nt: affin que tous, tant que nous sommes, reconnoissions nous sommes freres, comme dict saint Augustin, et que partant, sit nobis cor unum et anima una; Act., 4.

  A007001578 

 [1.] Par ce que la il faict sa gloire; 2.

  A007001578 

 par ce que la seul on le voit; 3.

  A007001578 

 par ce que le ciel est le plus admirable de ses ouvrages: Cœli enarrant; [Ps.] 18..

  A007001579 

 D'ou nous apprenons que Sursum corda, et quil faut prier de grand'ardeur.

  A007001592 

 J'écouterai ce que le Seigneur me dira intérieurement.

  A007001592 

 Le peuple dit: Qu'est toute chair pour qu'elle entende la voix du Dieu vivant?... Tu diras: Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur [364] écoute.

  A007001592 

 N'était-il pas tout brûlant? etc. Est-ce que vous voulez éprouver celui qui [ parle ] en moi? Quoi que tu trouves, mange-le.

  A007001592 

 Qui me donnera un auditeur? Un peuple que je ne connais pas m'a servi; en écoutant de ses oreilles il m'a obéi.

  A007001593 

 Après que Dieu s'est plaint amèrement des péchés de Jérusalem: Montez sur ses murs et renversez-les.

  A007001593 

 Jour et nuit l'iniquité l'environnera sur ses murs, et le travail est au milieu d'elle ainsi que l'injustice.

  A007001593 

 L'environnera, parce que comme les murs garantissent la ville des étrangers, ainsi le péché sépare de Dieu qui est pressé de frapper à la porte, et maintient sous la puissance du diable, à qui le pécheur appartient.

  A007001594 

 Pendant que les prêtres sonnent de la trompette, Josué dit au peuple: Vous ne crierez point, et votre voix ne sera point entendue, et aucune parole ne sortira de votre bouche.

  A007001603 

 C'est le sujet de l'Evangile que je traitteray maintenant; mays que l'Esprit Saint qui assista a Nostre Seigneur pour ce combat, m'assiste pour vous bien instruire, et vous pour me bien escouter, ce que nous luy devons demander par les intercessions de Nostre Dame.

  A007001603 

 Description que l'Eglise nous fait aujourd'huy pour nous donner courage a semblable execution, car nous devons suivre ce nostre Cappitaine qui se bat aujourd'huy, et nostre vie n'est qu' un perpetuel combat sur la terre.

  A007001603 

 Il faut se battre a bon escient: l'exemple de Nostre Seigneur est devant nos yeux, l'ennemy n'est pas invincible; si nous taschons de suivre nostre Maistre, sans doute que la victoire nous en demeurera.

  A007001603 

 Voicy bien la description du duel le plus grand et le plus memorable qui fut jamais veu: les parties sont tres puissantes de costé et d'autre, hardies et courageuses a toute extremité, les armes dangereuses, l'inimitié irreconciliable; la fin ne peut estre que la victoire, car il n'y a point de composition qui puisse terminer ce combat.

  A007001605 

 Mais il n'y a que l'honnesteté qui soit justement proportionnee a nostre volonté; car, que la volonté s'estende tant qu'elle voudra sur le desir de l'honnesteté, jamais elle ne sera que bonne et louable; que si elle s'addonne a l'utilité et au playsir hors certaine mesure et limites, elle en demeure mauvaise.

  A007001632 

 Après le baptême, pour montrer que tout Chrétien est appelé à la lutte..

  A007001633 

 Avant la prédication, pour montrer que la vie du prédicateur est sujette aux tentations..

  A007001634 

 Jésus se retire sur la montagne pour montrer que les tentations suivent l'homme partout..

  A007001643 

 Afin que les yeux, les oreilles, tous les sens du corps jeûnassent.

  A007001649 

 Pour nous apprendre que nul n'est exempt de combat.

  A007001651 

 Pour nous enseigner la manière de vaincre, et afin que Celui qui nous porte secours, nous instruisît par son exemple..

  A007001659 

 Pour indiquer que le jeûne dispose admirablement à percevoir les choses spirituelles.

  A007001683 

 Et voici que le tentateur lui dit:.

  A007001708 

 Derechef, l'effect deuxiesme de ceste priere est que ces femmes receurent une plus grande faveur qu'elles ne demandoyent; elles ne demandoyent que la guerison du Lazare leur frere, et Nostre Seigneur le resuscita..

  A007001711 

 Ainsy le Prophete royal atteste que quand Nostre Seigneur affligeoit les Hebrieux, ilz retournoyent a luy: Cum occideret eos, quærebant eum, et diluculo veniebant ad eum; Ps.

  A007001713 

 Nostre Seigneur est loin; elles envoyent seulement dire: Ecce quem amas infirmatur; Celuy que vous aymes est malade..

  A007001744 

 Toutes les nations espéreront en lui, et son sépulcre sera glorieux: ce qui est entendu du Christ dans l'Epître aux Romains, chap. XV. Je vous salue, Marie, etc. Il y a une prière par manière d'insinuation: Seigneur, voilà que celui que vous aimez est malade.

  A007001745 

 (Quiconque s'humilie sera exalté. Mon esprit n'était-il pas présent lorsque l'homme est revenu de son char à ta rencontre? Ayant été fait d'autant supérieur aux Anges, que le nom qu'il a reçu en partage est bien différent du leur. Car auquel des [377] Anges a-t-il jamais dit? etc. Et encore: Je serai son Père, et il sera mon Fils? Voici le jour que le Seigneur a fait..

  A007001747 

 Je voyais toujours le Seigneur en ma présence, parce qu'il est à ma droite afin que je ne sois pas ébranlé.

  A007001747 

 Vous ne laisserez point mon âme dans l'enfer, vous ne permettrez point que votre Saint voie la corruption.

  A007001749 

 Ce que Jacob ayant entendu, il s'éveilla comme d'un profond sommeil, cependant il ne les croyait pas; eux, au contraire, lui rapportaient toute la suite de la chose.

  A007001749 

 Et quand il vit les chariots et tout ce que Joseph avait envoyé, son esprit se ranima, et il dit: Il me suffit si mon fils vit encore..

  A007001750 

 Nul n'est couronné sinon celui qui, etc. Entends ce que je dis; Nul ne sera couronné sinon celui qui aura légitimement combattu..

  A007001762 

 Elle courut donc à Simon Pierre et à l'autre disciple que Jésus aimait, et leur dit: Ils ont enlevé le Seigneur du sépulcre, et nous ne savons où ils l'ont mis.

  A007001763 

 Alors ses nombreux enfants s'étant assemblés, il ne voulut point recevoir de consolation, [380] mais il dit: Je descendrai en pleurant vers mon fils dans l'enfer... L'enfant ne parait pas, et moi, oh irai-je?... Mon fils Absalom, Absalom mon fils, qui me donnera que je meure moi-même pour toi? Absalom mon fils, mon fils Absalom..

  A007001763 

 Que veux-tu? pourquoi cries-tu? Il répondit: Vous m'avez enlevé mes dieux que je me suis faits, et vous dites: que? importe?... Et ayant déchiré ses vêtements, il se couvrit d'un cilice, pleurant son fils pendant longtemps.

  A007001764 

 Tu sais que mon père compte les jours.

  A007001776 

 Mais, o comme ces deux induisent, etc.; car qu'est ce quil y a de plus difficile? Que la substance soit sans ses accidens? Pourquoy plus tost? etc. Que les accidens sans substance? Et en la manne, gustus erat quasi similæ cum melle; bien plus: tout goust; Sap. 16.

  A007001777 

 Levain des Phariseens et d'Herodes; pensent que ce soit pour avoir oublié le pain.

  A007001794 

 Il me revient seulement de vous dire que saint Jaques, duquel nous faysons aujourdhuy la feste, a mille similitudes avec Jacob et [384] Josué, desquelles je diray quelques unes, si elles se rencontrent sur les chemins de mon discours.

  A007001794 

 Mays au moins y a il celle cy, que Jacob porta deux noms, car il fut encor appellé Israel; Josué en eut deux, car il fut nommé Osee.

  A007001839 

 Notabilis similitudo: les bales pesantes du plomb descendent, mays le feu les faict monter es artilleries; ainsy nos œuvres ne monteroyent, sans l'assistence de ce feu de charité que Nostre Seigneur est venu mettre au monde..

  A007001840 

 O pecheurs, il me semble que je vois mon Seigneur sur la montaigne de Calvaire, qui regarde si nous retournons point a luy.

  A007001857 

 Les bienfaits de Dieu à notre égard sont si nombreux, que, pussions-nous vivre sans fin et le servir de toutes manières, nous n'égalerions pas sa libéralité; et après tout cela, nous devrions dire: Nous sommes des serviteurs inutiles.

  A007001857 

 Mais, que ne devrions-nous pas faire pour la gloire du Ciel? [ Les souffrances ] ne sont pas dignes d'être comparées....

  A007001857 

 Nous devrions avoir autant de sollicitude que Tobie.

  A007001857 

 Sachez que le Seigneur est Dieu; c'est lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes. Donc, tout ce que nous sommes, nous le tenons de lui.

  A007001857 

 Si je vous appartiens parce que vous m'avez créé, combien plus parce que vous m'avez créé une seconde [396] fois! Mais que ne devrions-nous pas faire pour éviter l'enfer? Il m'a mené et ramené.

  A007001867 

 Afin que ce soit un vêtement nuptial.

  A007001876 

 Elle fut favorablement accueillie lhors que je la prononçay devant plusieurs grans princes et princesses, et en la presence de ceste fille aisnee de l'Astree françoise, je veux dire de ce grand oracle de la France, de ce Parlement de Paris, Cour des pairs, et premier des Parlemens de France, lequel y assista en cors, comme aussi les autres chambres et cours souveraines, a celle fin que Paris, mais toute la France conneust l'estime qu'elle fait des merites du prince decedé, et que l'on sceust qu'elle advoüoit l'obligation que toute la Chrestienté a a sa memoire.

  A007001876 

 J'attendois de voir imprimee l'orayson funebre prononcee aux superbes funerailles faittes en Lorraine avec tant de magnificence pour honnorer la sepulture de Monseigneur vostre pere, esperant que par ce moyen je serois facilement excusé de mettre celle cy sous la presse; mais cest espoir ne m'estant reusci, et ne pouvant plus differer d'obeyr a qui a pouvoir de me commander, au moins esperé-je d'estre beaucoup plus aysement excusé si je laisse sortir ceste orayson si mal polie et avec tant de defautz, quand on considerera que c'est par une humble obeyssance.

  A007001876 

 Je sçay bien que ce bonheur m'arriva pour le sujet que je traittois, auquel je ne pouvois contribuer que de l'affection, de laquelle aussi je ne pouvois pas manquer puisqu'elle m'est hereditaire, mon pere, mon ayeul et mon bisayeul ayans eu l'honneur d'avoir esté nourris [398] pages et presque le reste de leur vie, en la mayson des tres illustres princes de Martigues, les pere, ayeul et bisayeul de Madame vostre mere, au service desquels leur fidelité a tous-jours rencontré beaucoup de faveur..

  A007001877 

 Bref, ce discours ne vous representera les belles actions de Monseigneur vostre pere que pour vous consoler.

  A007001877 

 Comme donq je fis ce discours pour obeyr a Madame vostre mere, aussi le laisse-je maintenant sortir en public pour satisfaire a vostre desir, vous suppliant tres humblement de vous en servir pour respondre a toutes les raysons que vostre perte vous pourroit suggerer contre la consolation, car il est dressé a ceste intention.

  A007001877 

 Fous y verres qu'encores que Dieu le nous eust laissé davantage, vous n'eussies pourtant gueres jouy du bien de sa presence; car il avoit tant de charité, qu'il eut tous-jours privé de ce contentement son espouse et sa fille, pour ne point frustrer de son secours l'Eglise sa mere et l'espouse de son Dieu.

  A007001877 

 Il vous fera resouvenir que vous estes fille d'un si grand prince, sa fille unique, sa chere fille; mays il adjoustera que vous estes fille de son esprit et de sa foy plus que de son cors, puysqu'il vous a receuë de Dieu par les prieres du grand saint François, duquel aussi vous portes le nom, et que par ce vous estes plus obligee de vous resjouyr en la vie et gloire de son esprit, que de regretter la mort de son cors.

  A007001877 

 Loues donq la bonté de Dieu, je vous supplie, de ce qu'il vous a fait naistre d'un si bon pere, et qu'il vous a laissé pour vostre conduitte une si vertueuse grand'mere et une si grande mere; et moy, je supplieray sa divine Majesté qu'elle vous donne les benedictions que Monseigneur vostre pere vous a desirees, pour le voir la haut en Paradis apres avoir heureusement fini la course de ceste vie, en laquelle je vous supplie tres humblement de m'advoüer,.

  A007001877 

 Vous y verres que la vie de Monseigneur vostre pere a esté l'une des plus belles et accomplies entre celles des princes des derniers siecles, et comparable a celle des plus excellens de l'antiquité.

  A007001886 

 Et certes, je serois bien honteux si, en la consideration d'un sujet si lamentable, je me trouvois seul avec l'asseurance de pouvoir parler autrement que par larmes et sanglotz..

  A007001886 

 Je ne le devrois pas aussi; car si je devois exprimer la grandeur de la perte qu'en reçoit tout le Christianisme, ce seroit sur vostre face, Messieurs, que je tirerais, comme un [400] autre Timanthe, le voyle du silence, puisque je ne vois en toute ceste triste compaignie que ses plus chers et fidelles amis, ou ses plus intimes et affectionnés serviteurs.

  A007001886 

 Je ne le pourrais pas, parce que la perte que nous avons faitte avec toute l'Eglise est si grande, qu'estant extremement sensible elle en est d'autant plus indicible; aussi est il tres difficile de trouver asses de passion pour exprimer un grand dueil.

  A007001886 

 Si Dieu me donnoit autant d'esprit pour discourir et force a bien dire que j'en desirerois maintenant, pour le service de ceste action publique que nous celebrons pour honnorer la memoire du grand Philippe Emmanuel de Lorraine duc de Mercœur, lieutenant general de l'Empereur en ses armees d'Hongrie, je ne pourrois pas pourtant ni ne devrois vous representer, tres illustre et chrestienne assemblee, la justice du regret que nous avons pour son trespas.

  A007001887 

 Il ne m'est donques pas necessaire de vous esmouvoir a regretter ce prince, puisque c'est vous qui y aves le principal interest, et qui, plus sensibles aux affections du public, connoisses trop bien la perte que nous avons faite.

  A007001887 

 Ne vaut il pas beaucoup mieux cesser d'affliger ceux qui sont affligés * et mettre peyne d'essuyer vos pleurs, que de les exciter? Aussi, quand je vois devant et tout autour de moy le feu de tant de flambeaux allumés, signe ordinaire de l'immortalité, et que je me trouve revestu de blanc, couleur et marque de gloire, je connois bien que mon office n'est pas maintenant (et je vous supplie, Messieurs, de ne le pas desirer de moy), de vous representer les raysons que nous avons eu de regretter et plaindre, mays plustost celles que nous avons de finir nos regretz par le commencement de la consideration du bien dont jouyt ce grand prince par son trespas, affin que le sujet que nous avons de nous resjouyr attrempe et modere la violence du ressentiment que nous avons de ceste grande perte, quoy que je sçache que l'on doit permettre quelque chose a la pieté, mesme contre le devoir, et qu'en une douleur extreme c'est une partie du mal que d'ouÿr des consolations..

  A007001888 

 En quoy neanmoins je ne feray rien contre la juste apprehension que j'ay du defaut que je reconnois en moy et de discours et d'eloquence; car la consolation que je vous puis donner depend du mesme principe duquel procede la cause de nostre affliction.

  A007001888 

 Permettes moy, je vous supplie, puysqu'aussi bien les larmes que nous espandons pour nos amis nous meneront plustost a eux qu'elles ne nous les rameneront, et que les pleurs apres la mort sont de tardives preuves d'amitié, permettes moy, dis je, Messieurs, que je revoque vos [401] espritz a la consolation, plustost que de les provoquer a une plus grande affliction.

  A007001889 

 Aussi, s'il ne failloit plustost recevoir avec humilité les commandemens des grans que d'en esplucher les motifz, j'aurois a mon advis rayson de m'estonner du choix que l'on a fait de moy pour parler en ceste occasion, en ceste assemblee et en ce lieu.

  A007001889 

 En ceste occasion, que j'estime aussi digne d'une grande eloquence qu'aucune autre qui se soit presentee en ce siecle; en ceste assemblee, qui est presque toute la fleur de ce grand royaume; et en ce lieu, auquel mille beaux espritz eussent ambitieusement recherché de faire paroistre tout leur art et science de bien dire, et de respandre mille belles fleurs d'eloquence sur l'estoffe d'un si riche sujet..

  A007001889 

 Soit donq que je jette les yeux sur son bien pour nous consoler ou sur nostre mal pour nous affliger, je ne puys eschapper de l'abisme de ses vertus infinies, dont la grandeur et l'esclat est insupportable a la foiblesse de mes yeux.

  A007001890 

 Mais que sçay je si a l'adventure j'auray rencontré la rayson de ce choix? Les couleurs de l'eloquence, les fleurs des paroles, l'esmail des sentences n'est peut estre pas convenable ni au dueil ni aux funerailles:.

  A007001894 

 Que si ce discours est pauvrement paré, c'est pour rendre plus d'honneur et de reverence au prince qu'il celebre, comme quelques peuples du Nouveau Monde envoyent leurs deputés a leur roy au moindre equipage qu'il leur est possible, pour rendre de tant plus remarquable leur bassesse et humilité en comparayson de la gloire et majesté de leur roy..

  A007001894 

 [402] Que s'il est ainsy, me voicy riche d'affection, de simplicité et de fidelité pour entreprendre le discours des vertus du prince decedé, lequel j'envoye de bon cœur a son ame, c'est a dire a cest esprit que j'espere, mays que je crois estre au Ciel, et a celuy lequel estant en terre n'est pourtant qu'une mesme ame avec luy, non plus que par le mariage ilz ne furent qu'un mesme cors icy bas.

  A007001895 

 Au surplus je vous desire, Messieurs, autant de bienveuillance en mon endroit que j'ay de confiance en vostre bonté; pour ce peu que j'ay a parler d'une si belle vie comme fut icelle de ce prince, vous seres bien tost consolés en sa mort.

  A007001896 

 Mays, helas, que nous sommes trompés! Ilz sont en la paix et au repos de la vraye et constante vie, et nous sommes bien avant dans la mort, en laquelle nous nous enfonçons tous-jours de plus en plus jusques a tant que nous l'ayons passee..

  A007001896 

 Nous ressemblons a ceux qui vont sur mer le long de la rade et terre a terre: il leur est advis que les arbres les laissent et se reculent d'eux, et que le navire dans lequel ilz sont portés est du tout immobile et sans changer de place; car il nous semble que ceux qui sont [403] decedés de ce monde sont tous-jours en la mort et que nous sommes en la vie.

  A007001896 

 O si nous pouvions comprendre les verités que nous recevons par la foy, combien nous serions aysement consolés en la mort de ceux auxquelz nous avons quelque devoir d'amitié ou d'honneur! Sapientiam loquimur inter perfectos.

  A007001897 

 Nous mourons tous les jours, et nostre vie s'en va par pieces et morceaux, comme cest animal des Indes, lequel estant de sa nature terrestre, petit a petit et piece a piece perd du tout son estre naturel et devient entierement poisson; car ainsy, piece a piece, nous changeons ceste vie mortelle, jusques a tant que par une entiere et finale mutation, que nous appelions mort, nous ayons du tout acquise une vie immortelle..

  A007001898 

 Et certes, comme les ratz du Nil se forment petit a petit, et ne reçoivent la vie en tous leurs membres ensemblement, aussi les philosophes sont bien d'accord que nous ne vivons pas tout a coup ni ne mourons pas en un moment, puysqu'ilz disent que le cœur est le premier membre qui vit en nous et le dernier qui meurt.

  A007001899 

 Ah que nous sommes donq bien trompés quand nous appelions mortz ceux qui ont passé ceste vie mortelle, et vivans ceux qui la passent encor! Nous nommons vivans ceux qui meurent, parce qu'ilz n'ont pas achevé [404] de mourir, et ceux qui ont achevé de mourir, nous les apppellons mortz.

  A007001899 

 Mais si nous les voyions maintenant qu'ilz en sont delivrés, mon Dieu, que nous serions honteux de les avoir appellés mortz, et que nous serions en peyne de trouver des belles parolles pour exprimer l'excellence de la vie en laquelle ilz sont arrivés! Aussi nostre langue françoise ne les appelle pas mortz, mais trespassés, protestant asses que la mort n'est qu'un passage et trait, au dela duquel est le sejour de la gloire..

  A007001899 

 Nous imitons les peintres qui ne sçavent representer les Anges qu'avec des cors, parce que jamais ilz ne furent veuz autrement; car ainsy n°us nommons les deffunctz mortz, parce que nous ne les avons jamais veuz sinon en la mort de ceste vie ou en la vie de ceste mort.

  A007001900 

 Il n'est pas si loin de nous que nous pensons; il y est allé, selon le vulgaire des hommes, en un moment, car la mort, a leur advis, ne dure pas davantage; mais selon les sages, il a mis quarante trois ans en ce voyage..

  A007001900 

 Que si nous n'avions la veuë si debile, nous le verrions bien loin au dela de la mort, en ce jardin celeste ou il jouît des consolations eternelles.

  A007001901 

 Helas, que ce terme est court! La pluspart de nous a desja beaucoup plus employé d'annees; les uns n'y vont pas si viste que les autres, mais presque tous neanmoins y vont tousjours plus viste qu'ilz ne voudroyent.

  A007001901 

 Nous avons mille peynes et travaux pour parvenir ou il est; pourquoy serons nous faschés qu'il y soit arrivé? Pourquoy pleurerons nous tant le trespas de ce prince, lequel pleureroit, s'il estoit en lieu de larmes, avec beaucoup plus de rayson le retardement du nostre, que nous n'avons pas pleuré l'avancement du sien? Nolo vos ignorare de dormientibus, ut non contristemini, sicut et cæteri qui spem non habent.

  A007001902 

 Bref, par la hauteur et latitude des actions que nous faysons ça bas, ilz mesurent les distances et estendues de la gloire que nous aurons en ce grand mont celeste: Prout gessit unusquisque in corpore suo, sive bonum, sive malum..

  A007001902 

 Mays leurs phœnomenes et inspections sont du tout opposees et contraires; car les astrologues predisent ce qui doit arriver en terre, par l'inspection des rencontres et divers mouvemens qui se font au ciel; nos theologiens au contraire ne praedisent sinon ce qui se fait au Ciel, par la consideration des œuvres que l'on fait en terre.

  A007001902 

 Mays par ce que ceste consolation que je vous presente est fondee sur la certayne esperance que nous avons que nostre trespassé est receu en la main droitte de son Dieu avec tous les justes, Justorum animæ in manu Dei sunt, voyons je vous supplie, le sujet que nous avons d'une confiance tant asseuree.

  A007001903 

 Mays ne penses pas, je vous supplie, que je veuille entreprendre de vous representer fleur a fleur et piece a piece, l'esmail d'une si belle vie: les perfections de ce prince se peuvent plustost admirer qu'imiter, desirer qu'esperer, envier qu'acquerir; c'est pourquoy j'ay peur d'offencer sa memoire, disant trop peu de ce qui ne se peut asses louer.

  A007001903 

 Que si je raconte quelques unes de ses vertus, ce ne sera pas pour donner lumiere [407] au soleil, comme l'on dit, ni que je presume de le pouvoir dignement louer, mais seulement pour faire reconnoistre a tout le monde que ce n'est pas sans grande rayson que l'on l'a regretté avec des pleurs si extraordinaires, que l'on honnore tant sa memoire, et que l'on a une si grande esperance qu'il est maintenant en la gloire de son Dieu.

  A007001903 

 Si donques nous sçavons quelles ont esté les actions de l'ame de ce grand prince pendant qu'elle estoit en ce monde, et que, jointe a son cors, elle nous donnoit le bonheur de sa conversation, nous aurons asseurance par ceste inspection de ce qu'elle est au Ciel; que s'il nous reste aucun desir d'aspirer a ce siege de gloire, nous aurons un riche exemplaire et beau sujet d'imitation.

  A007001904 

 J'imiteray donq les cosmographes, qui en leurs mappemondes ne marquent que des pointz pour des villes, des lignes pour des montaignes, et layssent a l'imagination son office pour se representer le reste.

  A007001904 

 Je ne diray des genereuses actions et belles qualités de ce prince, sinon celles que le tems par lequel mon discours doit estre limité me permettra de dire.

  A007001905 

 O saint et celeste Esprit, o bel Ange de lumiere et de paix, qui fustes assigné a ce prince pour protecteur de son ame, et qui aves esté fidelle tesmoin des bonnes actions que Dieu luy a inspirees et que vous aves sollicitees, je suis vostre humble serviteur et devot; [408] suggeres maintenant a ma foible memoire ce que vous en jugerés de plus digne d'honneur et d'imitation..

  A007001908 

 Du costé paternel, qui tient le premier lieu en la consideration civile, il estoit de ceste royale mayson de Lorraine, dont l'origine est si tres ancienne, que, comme [409] estant de tems immemorable, les escrivains n'ont pas encor sceu demeurer d'accord de son commencement, comme les habitans d'Ægipte ne sçavent se resoudre de l'origine du Nil.

  A007001908 

 Mays tous s'accordent bien que ç'a esté une pepiniere plantureuse et feconde d'une grande quantité d'empereurs et de roys, et des plus genereux princes de toute la Chrétienté, et qu'il n'y a contree en laquelle elle n'aye heureusement planté les lauriers et les palmes de sa valeur et pieté..

  A007001910 

 C'est un roy d'or couronné de bois, beaucoup meilleur que les rois de bois couronnés d'or, lequel regne comme un autre David sur la montaigne de Sion, preschant et annonçant la foy de son Dieu.

  A007001910 

 Mais qui ne sçait que les deux ducz de Lorraine, René premier et second, en furent rois? Et par ce, passons outre mer, et voyons l'heureuse Palestine en laquelle nostre redemption fut faitte; nous y contemplerons ce trois fois grand Godefroy de Bouillon, lequel ayant quitté son païs et ses biens, et mesme vendu son duché de Bouillon, pour chasser les infidelles de la Terre Sainte, y alla armé de zele et de religion, brave et conquerant, et comme un autre Josué il establit la foy au peril de son sang au lieu ou le Sauveur avoit respandu le sien pour la planter et faire le salut des hommes.

  A007001911 

 D'elle sont sortis plusieurs Amés, Louys, Humbertz, Pierres, Philibertz et autres grans princes, entre lesquelz l'un des Amés, par sa force et valeur, delivra l'isle de Rhodes de la servitude des infidelles, et l'asseura pour le Christianisme entre les mains des chevaliers de saint Jean de Hierusalem, lesquelz desirans que la posterité de leur protecteur receust des lhors quelques marques de l'obligation qu'ilz luy avoyent, communiquerent les armes [411] de leur milice, qui sont de gueules en une croix d'argent, a toute la mayson de Savoye, laquelle les a cherement retenues, non tant en memoire de la valeur de ce grand ancestre, que comme un signe sacré qui peust servir de protestation perpetuelle que ceste race est toute dediee a la defense de l'honneur de la Croix, comme elle a fait voir en la Moree, en Cypre et en plusieurs autres lieux ou elle a porté les armes avec non moins de pieté que de valeur..

  A007001911 

 La mayson de Saxe, l'une des plus puissantes et anciennes de toute l'Allemagne, ayant fourni a l'empire plusieurs grans empereurs, electeurs, defenseurs et conducteurs d'armes, produisit, il y a plusieurs centaines d'annees, le prince Berard, tres vaillant et tres catholique, lequel donna heureux commencement a la serenissime mayson de Savoÿe, laquelle, d'aage en aage sans interruption, a continué jusques a present autant magnanime que constante en la religion.

  A007001911 

 Mays quelle mere pouvoit on rencontrer pour le filz de telz peres? Digne et belle rencontre, affin que de tous costés son origine fust pleine de splendeur.

  A007001912 

 De ceste claire source, laquelle outre infinies alliances reciproques qu'elle a eu avec tous les potentatz du monde, mesmement avec ceste couronne tres chrestienne, avoit donné n'a gueres une mere au grand roy François, de ceste serenissime mayson, dis-je, sortit une tres vertueuse princesse, Jeanne de Savoye, fille de Philippe et seur de Jacques, ducz de Genevois et de Nemours, deux aussi vaillans et vertueux princes que nostre siecle en aÿe veu.

  A007001914 

 Et a la verité, l'extraction sert de beaucoup et a un grand pouvoir sur nos desseins, voire sur nos actions mesmes, soit pour la sympathie des passions que nous empruntons souvent de nos predecesseurs, soit pour la memoire que nous conservons de leur prouesse, soit aussi pour la bonne et plus curieuse nourriture que nous en recevons..

  A007001914 

 Mais a la verité, je ne me fusse pas arresté a vous ramentevoir la gloire de ses predecesseurs, laquelle a mon advis est la moindre partie de la sienne, si luy mesme n'en eust fait un grand cas pour s'animer a la vertu; car en la resolution qu'il print d'aller en Hongrie, il alleguoit entre ses autres raysons, que ses predecesseurs paternelz et maternelz luy avoyent laissé comme en heritage ceste sainte volonté, et qu'ilz le conduisoyent par leur exemple, comme par la main, au chemin de ce saint voyage.

  A007001914 

 Tellement qu'il m'a esté bien-seant de parler de son extraction, quoy qu'il semble a plusieurs que la noblesse estant chose hors de nous, nos seules actions soyent nostres.

  A007001915 

 Donques le duc de Mercœur considerant qu'il y a autant de difference entre la vertu et la noblesse qu'entre la lumiere et la splendeur, l'une esclàirante de soy et l'autre d'emprunt, louant Dieu d'avoir moyen de rendre ses actions plus exemplaires, il a tous-jours eu soin de ne rien faire qui peust obscurcir ou amoindrir la grande splendeur que la generosité de ses ancestres luy avoit acquis; et entant qu'il luy a esté possible, il l'a non seulement conservee, mais de beaucoup augmentee..

  A007001916 

 Saint Paul partage le devoir d'un Chrestien en trois [413] vertus: en la sobrieté que nous appelions temperance, en la justice et en la pieté: Ut sobrie, juste et pie vivamus, dit-il; la temperance au regard de nous mesmes, la justice quant au prochain, et la pieté pour ce qui concerne le service de Dieu..

  A007001917 

 Aussi n'ignoroit il pas que les voluptés ne nous embrassent que pour nous estrangler, et que pour cela nostre ame ne doit point autrement regarder nostre cors que comme les fers de sa captivité.

  A007001917 

 Il estoit donq des plus temperans en son vivre, attendu qu'il ne mangeoit que comme par force et ne beuvoit presque que de l'eau.

  A007001917 

 Il ne fut pas moins temperant aux autres voluptés corporelles, dont il avoit borné l'usage dans les loix d'un chaste mariage et par le devoir que les princes ont de laisser ça bas de la posterité; vertu rare en un siecle si depravé, en un aage si vigoureux, en un cors si beau et tant accompli, et en la commodité que la cour et ses appas luy offroit.

  A007001917 

 Pour moy, je tiens qu'il n'est pas plus difficile qu'un fleuve passe par la mer sans se saler, que de demeurer en la cour sans y apprendre et prattiquer des mœurs corrompues.

  A007001919 

 Ah, menus playsirs, que vous estes devenus grans, ayant fait naistre en ce prince le playsir de l'immortalité!.

  A007001919 

 Bref, il ne touchoit la terre que des piedz, comme la mere perle se conserve pure et nette au fond de la mer, ne sortant jamais de sa coquille que pour recevoir sa nourriture de la rosee du ciel.

  A007001919 

 Car il avoit une exacte connoissance et prattique des mathematiques, que le fameux Bressius luy avoit enseignees; il avoit aussi l'usage de l'eloquence et la grace de bien exprimer ses belles conceptions, non seulement en ceste nostre langue françoise, mays mesme en allemande, italienne et espagnole, esquelles il estoit beaucoup plus que mediocrement disert; et neanmoins il n'employa jamais son bien dire en choses vaines, ou pour mieux dire, il ne voulut abuser de ce beau talent que Dieu luy avoit si liberalement departi, ains il l'employa a la persuasion des choses utiles, louables et vertueuses.

  A007001919 

 Et ce que je prise le plus, il estoit fort instruit en ceste partie de la theologie morale qui nous enseigne les regles de bien establir la conscience.

  A007001919 

 Tellement que le tems qui luy restoit pour son playsir, il l'employoit partie a l'orayson et partie a la lecture des bons livres, au moyen dequoy il s'estoit acquis la connoissance de trois sciences non seulement bien-seantes, mays presque necessaires a la perfection d'un prince chrestien.

  A007001920 

 Et de fait, il n'employa jamais sa cholere qu'en la guerre, ou pour maintenir le respect et l'honneur qui luy estoyent necessaires pour faire les grans services que le Christianisme attendoit de luy; en quoy il imitoit les abeilles qui font le miel pour les amis et piquent tres vivement leurs ennemis..

  A007001920 

 Or, que pouvoit-on attendre d'une telle moderation et temperance qui luy estoit naturelle, sinon « une perpetuelle volonté de n'offencer personne et de rendre a chacun ce qui luy appartient, » qui est ce que nous [415] appelions justice? Quand l'a-on jamais veu maltraitter ou offencer personne? Ses domestiques tesmoignent que c'estoit la douceur et patience mesme.

  A007001921 

 Il ne craignoit rien tant que de voir entrer en ses coffres ou des exactions indeuës ou des deniers mal acquis ou l'or du sanctuaire; au contraire, il en faysoit sortir beaucoup de bonnes et de belles aumosnes pour les pauvres et de grandes liberalités pour les autres.

  A007001921 

 Il ne s'attribuoit rien de ses richesses que la puissance de les dispenser, sçachant bien que la lueur de l'or et celle de l'espee ne nous doivent non plus esblouir l'une que l'autre..

  A007001922 

 Quant a l'honneur et le respect, il en rendoit soigneusement a un chacun ce qu'il sçavoit luy en appartenir, et n'en faysoit perdre a aucun, pour peu que ce fust, ni par mesdisance ni par outrage.

  A007001923 

 A ce saint autel de la religion il avoit consacré son ame, voué son cors, dedié toute sa fortune, et pouvoit bien dire avec ce grand Roy: Deus, docuisti me a juventute mea; In te projectus sum ex utero; [416] car si nous considerons les desirs de la jeunesse, ce n'ont esté que les fleurs des fruitz qu'il a fait paroistre en son plein aage..

  A007001925 

 Chose a la verité admirable, que l'on ne luy voyoit passer une journee sans ouÿr la sainte Messe, si une necessité extreme ne l'en empeschoit, sans dire l'Office de Nostre Dame et son chapelet, sans faire l'examen de sa conscience et le soir et le matin, mettant ordre, comme grand cappitaine qu'il estoit, aux sentinelles de son ame pour la garder de la surprise de ses ennemis.

  A007001925 

 Mais la louange d'avoir si bien nourri ses premieres inclinations a la vertu parmi tant de rencontres et d'occasions doit estre fort consideree en ce prince, veu que, comme nous avons ja dit, ni la cour ni la guerre, ennemies jurees de la devotion, quoy qu'aydees des secrettes amorces de la jeunesse, beauté et commodités de cest excellent prince, ne peurent jamais rien gaigner dessus son ame, laquelle il maintenoit tous-jours pure parmi tant d'infections.

  A007001926 

 Ces exercices ordinaires luy servans comme d'une continuelle preparation a la Communion, il n'oublioit pas aux festes solemnelles de faire une entiere reveuë de toutes ses actions pour s'esprouver soy mesme avec une severité extreme, a celle fin de recevoir plus dignement le tressaint Sacrement de l'Eucharistie auquel il avoit une devotion inestimable, se croyant beaucoup plus asseuré de la victoire en guerre quand il rencontroit ou attaquoit les ennemis de l'Eglise le jeudy, pour estre l'institution de ce saint Sacrifice, ou bien le samedy, jour que nos peres ont destiné a l'honneur de Nostre Dame..

  A007001927 

 Au surplus, il vouloit que les choses sacrees, et particulierement les paroles de la Sainte Escriture, fussent tenues en respect et devotion, et ne s'offensoit jamais tant que quand il oyoit tirer en sens profane les motz que le Saint Esprit a donnés pour nostre sanctification.

  A007001927 

 Je laisse a part les confessions et communions qu'il faysoit allant a la guerre, puisque ceux qui s'exposent ordinairement au danger du trespas sont obligés de se confesser et mettre en bon estat, s'ilz ne veulent que la mort temporelle soit suivie de l'eternelle.

  A007001928 

 Si je voguois, par [418] maniere de dire, sur l'infinité de vos louanges, o grand duc, j'aurois beau naviger a voile françoise, je chercherois terre en vain; aussi suis je si jaloux de vostre gloire que je serois bien marry qu'on peust trouver quelque fin au los de vos merites..

  A007001929 

 Mais cecy estant a la veuë d'un chacun, comme aussi les aumosnes publiques que les grans font pour le bon exemple qu'ilz doivent aux moindres, il faysoit plusieurs autres aumosnes secrettes, de l'argent qu'il reservoit pour ses menus playsirs.

  A007001929 

 Puysque vous attendes, Messieurs, que je continue, et qu'il le faut, je diray que quant a ses biens temporelz, ilz estoyent tous dediés au service de la religion Catholique: tesmoins les bastimens d'eglises, monasteres, chapelles et services bastis et fondés, ores en l'honneur du Saint Sacrement, ores en l'honneur de la Vierge, de laquelle il estoit si devot qu'il ne sçavoit jamais pres de luy aucune eglise ou chapelle dediee a ceste thresoriere de graces, qu'il ne la visitast et n'y eslargist quelque aumosne.

  A007001930 

 Je dis donq que, quelque jeune qu'il ait esté, estant accompaigné et doué des vertus susdites, il a tous-jours fait reconnoistre et remarquer en luy de grandes arrhes de sa pieté et prudence a venir: prudence tant requise en un chef de guerre que chacun sçait, attendu qu'elle est la memoire des choses passees, le jugement des futures et la disposition des presentes..

  A007001931 

 Despuis lequel tems jusques a ce qu'il alla chercher des nouveaux lauriers jusques a l'un des coins du septentrion, il s'est trouvé, selon la diversité des occurrences, en plusieurs sieges, assaillant et defendant en diverses armees, rencontres et batailles, ou Dieu l'a tellement favorisé que jamais il n'a eu conduitte qu'elle n'ayt esté suivie d'une heureuse victoire; dont j'aurois a dire de luy beaucoup plus de choses que le tems qui m'est prefix, voire que la vie d'un homme ne pourroit suffire a reciter; mais je ne puis sinon esbaucher et desseigner grossierement l'idee d'un genereux prince chrestien, que le grand duc de Mercœur a exprimé en soy mesme par tant de vertus et de braves exploitz d'armes qu'il a produit..

  A007001931 

 Mais cependant, si tost que l'aage le luy permit, il ne laissa passer aucune occasion de s'employer aux armes qu'il n'aÿe embrassé avec beaucoup d'honneur et de merite, comme a la charge faitte a Dormans contre les reystres, en Brouage, a la Fere et par tout ailleurs, mesme au siege d'Issoire, ou, commandant a l'une des batteries, il donna un signe tres certain de sa grandeur future en la profession des armes.

  A007001931 

 Que restoit il donq a ce prince pour dedier a Dieu, sinon son cors et sa vie? Ce qu'il fit par le desir continuel qu'il eut des sa plus tendre jeunesse de faire la guerre [419] contre les infidelles, desir que Dieu luy a donné la grace d'assovir avec la gloire que la Hongrie et tout le Christianisme sçait et tesmoigne.

  A007001932 

 Et combien que je peusse dire icy en termes generaux et d'une haleyne, qu'en toutes les parties de sa vie il a fait paroistre en luy toutes les qualités qui se peuvent desirer en un grand prince pour le rendre parfait, toutesfois, pour parler plus distinctement, il me sera plus a propos de ne vous faire plus attendre la monstre de la piece, laquelle, comme elle a esté la derniere de sa vie, a aussi esté la plus glorieuse pour luy, la plus aggreable pour sa memoire et la plus utile a la republique chrestienne, et en laquelle, comme en une riche tapisserie, vous verres la tisseure d'autant de faitz d'armes et de vertus que l'œil de vos entendemens en sçauroit desirer..

  A007001933 

 Et sçachant que l'ennemy s'approchoit avec une armee de cent cinquante mille hommes pour assieger Strigonie, ville tres importante, il l'alla incontinent visiter, et l'asseura si bien de sa presence, par l'offre qu'il fit de s'y enfermer et l'ordre qu'il donna pour la conservation des fortz qu'on estoit sur le point d'abandonner, que les ennemis estant advertis de son arrivee et resolution, changerent de dessein et tirerent droit contre nostre armee, a la teste de laquelle ilz trouverent tout aussi tost ce grand prince, qui leur eut fait des lhors ressentir les effectz de sa presence, s'il eut eu autant de pouvoir et de commandement en l'armee chrestienne qu'il y en a eu despuys, ainsy qu'il fut reconneu par la perte des occasions qui, selon son advis, devoyent estre embrassees..

  A007001933 

 On ne parloit plus que des progres de l'armee turquesque et de son cimeterre, quand, le vray Soleil de justice suscita ce vaillant et genereux prince, qui volontairement et librement, je ne diray pas seulement de gayeté mais encores de pieté de cœur, part de son païs, et, comme un autre Machabee, se rend en l'armee chrestienne au commencement du mois d'octobre, l'annee 1599.

  A007001934 

 Avant que de les accepter, il les presenta au Roy, a l'obeissance duquel il avoit tant voué d'affection et de service qu'il n'estimoit rien d'honnorable que ce qui seroit authorisé de ses commandemens.

  A007001936 

 A peyne estoit-il arrivé, que voyant Canise assiegee de six ou sept vingt mille Turcz, apres avoir soigneusement mis ordre a tout ce qu'il jugeoit a propos pour son dessein, et sur tout ayant tiré promesse des princes et seigneurs du païs qu'il auroit la commodité des vivres necessaires pour l'entretenement de son armee, la teste eslevee en la confiance qu'il avoit en son Dieu, il la baissa par apres contre l'ennemy, s'achemine contre ceste puyssante armee, et de son premier effort en emporte une partie, qui l'attendoit avec force canons sur les avenues et passages, en un lieu fort avantageux pour l'ennemy et ou il s'estoit fort bien retranché.

  A007001937 

 Le jour suivant, le Turc voulant reconquerir ce qu'il avoit perdu, ne fit qu'augmenter sa honte par la perte qu'il fit de sept mille autres Turcz, et d'un fort ou l'on trouva treize autres pieces de canon qui servirent despuis contre l'ennemy, pendant sept jours entiers que nostre general garda le champ de bataille qu'il avoit gaigné, lequel il eut conservé davantage, si la necessité des vivres qui survint par la faute de ceux du païs qui manquerent a leur promesse n'eut donné sujet aux gens du conseil de l'Empereur et a toute l'armee de le presser, voire contraindre par leur importunité de se retirer, ce que neanmoins il ne voulut faire qu'ilz ne luy eussent donné leurs advis signés.

  A007001937 

 Si que l'on peut bien dire que si ce grand general eust esté secouru de vivres par ceux qui le devoyent faire, comme il secouroit [422] la ville par ses armes, elle eust indubitablement esté conservee:.

  A007001941 

 puysque pendant tout le tems que nostre armee demeura en ce champ de bataille (qui n'estoit esloigné de la ville que d'une portee de canon et que d'une mousquetade du camp et retranchement de l'ennemy), il ne fut fait aucun effort ni tiré un seul coup de canon contre la ville..

  A007001942 

 Mais, mon Dieu, qu'il faisoit bon voir ce grand general demeurer a la queue de son armee, qui estoit presque destituee de tous ses autres chefz et reduitte a six ou sept mille hommes, la faim ayant fait retirer le reste, et amuser le Turc par escarmouches pendant qu'elle faisoit sa retraitte l'espace de cinq a six lieues, et jusques a ce qu'il l'eut entierement degagee d'une grande quantité de mauvais passages; combattant tantost a pied, tantost a cheval, se trouvant ores en teste de l'avant garde, ores a la queue de l'arriere garde, faysant l'office non seulement de general, mais de mareschal de camp, de general de l'artillerie, de sergent majeur, de colonnel, et bref ayant luy seul sur les bras le faix et la charge de ceste si perilleuse et tant admirable retraitte, en laquelle il se trouva plusieurs fois aux mains et meslee, donnant secours aux siens, signamment en une assistance fort remarquable qu'il donna a son arriere-garde laquelle s'en alloit desconfite par la furieuse charge de cinquante mille chevaux turcz, quoy que courageusement combattuz par le vaillant comte de Chaligny sous les heureux auspices de son frere et general, qui le secourut en fin si a propos, que les Turcz, battuz et repoussés, firent les premiers une autant honteuse retraitte que celle de nostre armee fut glorieuse, pour avoir esté faitte avec une poignee de gens que nostre general sauva et garantit heureusement des effortz [423] d'une si effroyable multitude, avec le butin de plusieurs pieces de canon..

  A007001943 

 Et peu apres, faysant courir le bruit d'aller assieger Bude, apres avoir usé de plusieurs beaux stratagemes, en fin il se logea devant la ville neuve et a la portee du canon d'Albe-Royale, ville principale de la basse Hongrie, saisit toutes les avenues, s'y retranche et dresse sa batterie, et l'attaque si furieusement de tous costés, se mettant luy mesme avec cinquante chevaux-legers françois a la teste d'un regiment d'infanterie, si a propos et si vaillamment, faysant office de cappitaine et soldat tout ensemble, que les ennemis, apres [avoir] long tems rendu combat, perdent en fin autant de leur courage que nostre general en donnoit aux siens, qui le voyans a leur teste, forcent l'ennemy et le menent battant jusques a la porte de la vielle ville, les murailles de laquelle ayant luy mesme reconneu, et despuis fait battre jusques a ce qu'il y eust breche raysonnable, il presente l'assaut qui fut bravement soustenu par les assiegés, jusques a ce que ce grand prince se presentant avec ses gentilz-hommes armés de toute piece, anima tellement les assaillans, que l'ennemy fut contraint d'abandonner la breche et se trouva si fort pressé, qu'une grande quantité de Turcz se precipita dans les fossés, et l'autre partie se retira dans les maysons ou estoyent leurs poudres, auxquelles ayans mis le feu par desespoir, ilz firent mourir plusieurs des nostres avec eux.

  A007001944 

 C'est ainsy, Messieurs, que ce grand guerrier, autant digne d'estre surnommé Mars que Mercure, n'entreprenoit pas ce qui estoit facile, mays facilitoit ce qu'il entreprenoit.

  A007001944 

 Ce que je dis pour l'importance et force d'Albe-Royale, en laquelle autrefois les rois d'Hongrie estoyent couronnés et ensepulturés; place si forte, que le grand Soliman amena en personne deux cent mille hommes pour la prendre, et si, ne s'en peut rendre maistre qu'apres un siege de trois mois, et par composition, il y a environ soixante ans, durant lesquelz elle a tellement esté fortifiee, que trois divers sieges d'armees chrestiennes y ayant esté long tems n'en ont rapporté que de la perte et du dommage, jusques a ce que nostre trespassé, qui estoit de la race de ceux par lesquels si souvent salus facta est in Israel, comme il est dict des Machabees, y porta son espee, son courage et sa prudence pour s'en rendre heureusement le maistre en moins de douze jours, Dieu luy ayant reservé ceste conqueste et la delivrance des os et sepultures des anciens rois de Hongrie, avec lesquelz il avoit l'extraction commune de la grande mayson de Saxe..

  A007001945 

 Or l'ennemy s'approchoit, faysant demonstration de tirer droit a Albe-Royale pour la reprendre comme il en avoit l'ordre, et pensoit le pouvoir aysement faire d'autant que les munitions de guerre et les vivres [425] avoyent esté presque consumés par le feu, et une grande partie des murailles ruinees tant par la batterie des nostres que par les mines des siens.

  A007001946 

 Apres lequel exploit nostre armee demeura six jours a la campaigne; et le grand duc de Mercœur ne voyant plus aucun ennemy autour de luy, vint avec le merite de mille palmes et d'autant de lauriers en la ville de Vienne, ou il fut receu avec la joye, les acclamations et benedictions que l'on peut penser, et avec autant d'appareil que l'on eust sceu faire pour l'Empereur en cas pareil..

  A007001946 

 Il me seroit, a la verité, du tout impossible de vous representer par parolles la valeur et prudence avec laquelle ce prince attaquoit les escarmouches avec l'armee des ennemis, desengageant ceux qui parfois s'engageoyent temerairement, regaignant les logis et petitz fortz occupés par les Turcz, faysant paroistre pendant dix sept jours entiers que les deux armees furent presque en continuel combat, un parfait assemblage de toutes les parties requises en un grand chef d'armees, et principalement en trois grandes journees esquelles il combattit si heureusement, qu'il y gaigna plusieurs canons et fit un carnage de Turcz des plus signalés qui se soit fait en nostre aage; auquel, entre plusieurs autres chefz, Mechmet Kiaïa bascha de Bude et le bascha de Caiaie demeurerent mortz, desquelz les testes furent envoyees [426] pour estre baillees en eschange de plusieurs Chrestiens.

  A007001947 

 Il sçavoit que le fruit des belles et saintes actions c'est de les avoir faittes, et que hors de la vertu il n'y a point de loyer digne d'elle; c'est pourquoy il n'en desiroit point d'autre que la gloire de nostre Dieu.

  A007001948 

 Voyla donq quelque chose que ce grand general a fait en Hongrie; car de vouloir dire tout, ni le tems, ni ma voix, ni le lieu ne le permettent pas.

  A007001953 

 Il avoit tousjours en son armee des Peres Capucins, lesquelz portans une grande croix, non seulement animoyent les soldatz, mais aussi apres la confession generale que tous Catholiques faisoyent en signe de contrition, ilz leur donnoyent la sainte benediction.

  A007001953 

 Mays sur tout c'estoit une chose belle de voir ce general exhorter ses cappitaines a la constance, leur remonstrer que s'ilz mouroyent ce seroit avec le merite du martyre, et parler a un chacun en sa propre langue, françois, allemand, italien.

  A007001953 

 Quelles merveilles si telles armees sont suivies de si grans effectz? A la verite, Guillaume Tyrien dict que les exploitz de Godefroy estoyent entierement semblables et qu'ilz procedoyent d'une pareille conduitte..

  A007001954 

 De peur que ce courage se relaschast par le repos, il l'a exercé despuis son enfance jusques a la fin par des labeurs et dangers continuelz, avec tel heur neanmoins, que tant de hazardeuses secousses ne luy ont esté qu'une escole de vertu et une occasion de gloire.

  A007001954 

 Et semble certainement, a voir le progres de [428] sa vie, que Dieu luy ayt excité expres ces exercices, et qu'en fin il y eut appellé tant de sortes de nations pour tesmoins, a celle fin qu'elles y remarquassent le spectacle d'une extreme valeur et d'un extreme bonheur..

  A007001955 

 Ah, que les François sont braves quand ilz ont Dieu de leur costé! qu'ilz sont vaillans quand ilz sont devotz! qu'ilz sont heureux a combattre les infidelles! Leo qui omnibus insultat animalibus, solos pertimescit gallos, disent les naturalistes.

  A007001955 

 Aussi plusieurs estiment que ce sera un de vos rois, o France, qui donnera le dernier coup de la ruyne a la secte de ce grand imposteur Mahomet..

  A007001955 

 C'est grand cas que la presence de ce cappitaine françois ayt peu arrester la course des armees turquesques, et qu'a son aspect leur lune se soit eclipsee.

  A007001955 

 Je m'en resjouys avec vous, o belle France, et loué soit nostre Dieu que de vostre arsenal soit sortie une espee si vaillante, et que l'Empire soit venu a la queste d'un lieutenant general a la cour de vostre grand Roy, auquel c'est une grande gloire d'estre le plus grand guerrier d'un royaume duquel sortent des princes qui au reste du monde sont estimés et tenuz les premiers.

  A007001956 

 Mais parce que la vie doit estre comme une image dont toutes les parties doivent estre belles, et que la conclusion est la plus remarquable partie de l'œuvre, voyons un peu, je vous supplie, quelle fin eut une si belle vie.

  A007001957 

 Je luy avois fait vœu d'aller a sa sainte mayson de Lorette pour y honnorer la grandeur de sa Mere; mais puisqu'il luy plaist, je changeray le dessein de mon voyage pour honnorer au Ciel celle que je desirois honnorer sur la terre.

  A007001957 

 Me voicy arrivé par sa grande misericorde a la fin de ceste vie mortelle; sa toute bonté ne veut pas que j'arreste plus longuement parmi tant de miseres.

  A007001958 

 Et comme l'on void que le mouvement naturel est tous-jours plus fort en la fin qu'au commencement, aussi sa devotion et pieté en ceste derniere action fit tout l'effort de ses saintz mouvemens.

  A007001958 

 Il ne l'eut pas plus tost veu, que tout languissant et foible de cors, mays fort et ferme d'esprit, ayant « plus de foy que de vie, » il se jetta hors de son lict, et se prosternant en terre il adora son Sauveur, plein de larmes, de parolles devotes et de mouvemens religieux, luy presente son ame et luy dedie son cœur, puys le reçoit avec toute l'humilité et la ferveur que sa grande foy luy peut suggerer en ce dernier passage.

  A007001958 

 Mais parce qu'il n'y a aucun exercice de la foy catholique a Noremberg, l'on luy denia ce dernier bien qu'il desiroit plus que tout autre, toutesfois avec mille protestations et excuses, et entr'autres que le mesme avoit esté refusé a la reyne Elizabeth quand elle vint en France.

  A007001958 

 Neanmoins, pour tesmoigner le respect que son merite avoit acquis sur tous ceux qui se disent Chrestiens, il fut permis a son aumosnier d'aller prendre le tressaint Sacrement et [430] Viatique en quelque eglise catholique pour le luy apporter; et particulierement d'autant qu'il avoit resolu de se faire porter hors de la ville pour l'aller recevoir, quand mesme il eust deu avancer son trespas, tant il desiroit estre refectionné de ceste viande celeste et divine.

  A007001959 

 O trespas, que tu nous prives de grandes choses! Si nous croyons le desir des siens, voire de tous les gens de bien, ce grand prince a fort peu vescu; si nous mesurons la grandeur de ses actions, il a asses vescu; si nous mesurons la misere du tems, il a trop vescu; si nous regardons la memoire de ses beaux exploitz, il vivra aeternellement..

  A007001959 

 Quand je dis que le duc de Mercœur est decedé, je dis aussi un grand duc et grand prince; mais ce qui est plus que tout cela et ou le monde ne peut atteindre, je dis ensemble un grand selon Dieu, grand en foy et religion, grand en vertu et preudhommie, grand en douceur et debonnaireté, grand en merites et bienfaitz, grand en prudence et en conseil, grand en reputation et honneur devant Dieu et devant les hommes, grand en toutes sortes et manieres.

  A007001960 

 Et comme il advient en un grand fleuve dont l'embouchure est estroitte, qu'avec plus d'impetuosité il se desgorge en la mer, ou [à] l'arbre qui veut mourir, que pour la derniere fois il porte du fruit plus que l'ordinaire, les vertus qui auparavant faisoyent en luy leurs fonctions a part, tant qu'il a vescu en ce monde, se sont icy jointes ensemble pour luy faire dire avec saint Paul: Cum infirmor, tunc potens sum, pour marcher au devant de luy, servir de fanal dans les tenebres du trespas, et pour faire que cest arbre, sur les rameaux duquel tant d' oyseaux ont reposé et a l'abri duquel tant d'animaux ont repeu, tombant du costé du midy, c'est a dire en estat de grace et de gloire, y demeure eternellement.

  A007001961 

 Que vous semble il maintenant, Messieurs, de la vie et du deces de ce prince? Sa vie merite elle pas d'estre celebree par des louanges immortelles? Vous est il advis qu'il faille regretter le trespas de celuy qui a si bien vescu? Il a receu la mort de bon cœur, et vous en voules detester la nouvelle? Non, non; quicomque vous a [432] dict qu'il estoit mort vous a trompés, ceux qui ont si bien vescu ne meurent jamais.

  A007001962 

 Au lieu donques que ce prince disoit estant icy: « Plus de foy que de vie, » maintenant il chante pour cantique: Tout de vie et point de foy..

  A007001962 

 Il eut a la verité tous-jours « plus de foy que de vie; » car sa foy fut tous-jours maistresse de sa vie.

  A007001962 

 Il ne vivoit que de foy; son ame estoit la vie de son cors, sa foy la vie de son ame.

  A007001962 

 Voyes qu'il ne fait la guerre que selon que la foy le luy suggere, pour la religion et l'Eglise, en vœux et devotions.

  A007001962 

 Voyes qu'il ne vit qu'a mesure que sa foy le luy permettoit, sobre, juste et devot.

  A007001963 

 Hé, qui sera ce courageux Helisee qui la recueillira? Qui sera ce brave prince qui, marchant sur les pas de ce grand conducteur d'armees, avec « plus de foy que de vie, » poursuivra les victoires qu'il a si bien commencees contre les ennemis du Crucifix? Permettes moy que je vous expose une mienne pensee.

  A007001963 

 Non, croyes-moy, je vous supplie, qu'il n'a point de plus grand soucy que celuy que je dis..

  A007001963 

 Si l'esprit de ce prince a quelque soin de nous, comme il n'en faut pas douter, je crois que c'est principalement pour le desir qu'il a que quelqu'un luy succede [433] qui puisse comme luy porter pour sa devise: « Plus de foy que de vie.

  A007001964 

 Il me semble que je le voy nous arraisonnant avec une grace celeste presque en ces termes: Quis consurget mihi adversus malignantes? aut quis stabit mecum adversus operantes iniquitatem? Je suis maintenant en ceste vie heureuse ou la foy n'arrive point, ou il n'y a plus d'esperance, car la clarté a chassé la foy, et la jouissance a banni l'esperance.

  A007001964 

 Je voy ce que j'ay creu, je tiens ce que j'ay esperé; mais la charité m'accompaigne, laquelle me fait tous-jours desirer l'exaltation de l'Eglise et l'extermination de ses ennemis.

  A007001965 

 Mais encores me semble-il qu'il vous parle, Madame sa tres chere vefve, et a vous, Messieurs ses parens, et qu'il vous dit ces paroles: Regardes ou je suis, je vous supplie: je suis au lieu que j'ay tant desiré, auquel je me console en mes travaux passés qui m'ont acquis ceste gloire presente; pourquoy ne vous consoles vous avec moy? Quand j'estois avec vous, vous faisies profession de vous resjouïr avec moy de toutes mes consolations, [434] mesmement des caduques et illusoires: hé, ne suis-je pas tous-jours celuy-la? Pourquoy vous affliges vous donques de mon trespas, puysqu'il m'a donné tant de gloire? Non, je desire de vous tout autre chose que ces regretz; si vous aves des larmes, gardes les pour pleurer vos pechés et les malheurs de vostre siecle..

  A007001966 

 Pour moy, je le considere en cest estat; car encor que je m'imagine que ce grand prince a esté pecheur, au moins comme le sont ceux qui tombent sept fois le jour, et qu'a l'adventure il a eu besoin de quelque purgation selon la severité du juste jugement divin, si est ce que d'ailleurs, considerant sa belle vie: helas, dis je, est il possible que celuy duquel Dieu s'est servi pour delivrer tant d'ames de la captivité des infidelles, soit encor privé de la jouissance de la pleine et triomphante liberté?.

  A007001967 

 Que si neanmoins le secret inscrutable de nostre Dieu vous avoit encores confiné, o devot et genereux esprit, pour quelque tems au sejour de purgation, voicy que nous vous donnons nos prieres et oraysons, nos jeusnes et nos veilles et tout ce que nous pouvons, et sur tout ces saintz Sacrifices, aflin qu'ilz vous soyent appliqués.

  A007002014 

 Pour mériter: Que celui qui est juste, se justifie encore..

  A007002017 

 « Pour que pas un seul mot ne pût souiller ta vie.

  A007002033 

 Et lhors la resjouyssance fut si grande en Hierusalem, que le sang des sacrifices ruisseloit par les rues, l'air estoit couvert des nuages de tant d'encensemens et suffumigations, et les maysons et places retentissoyent des cantiques et psaumes que l'on chantoit par tout en musique et sur les instrumens harmonieux.

  A007002034 

 C'est presque le sujet que j'ay a traitter devant vous, o peuple, mays que je ne puis bien traitter si je n'obtiens l'assistance du Saint Esprit.

  A007002034 

 Mais, mon Dieu, si la reception de ceste ancienne Arche fut si solemnelle, quelle devons nous penser avoir esté celle de la nouvelle Arche, je dis de la tres glorieuse Vierge Mere du Filz de Dieu, au jour de son Assumption? O joye incomprehensible! o feste pleine de merveilles, et qui fait que les ames devotes, les vrayes filles de Sion, s'escrient par admiration: Quæ est ista quæ ascendit? Qui est celle cy laquelle monte du desert? Et pour vray, ces pointz sont admirables: la Mere de la vie est morte, la morte est resuscitee et montee au lieu de la vie.

  A007002036 

 Dieu mit au ciel deux luminaires au commencement, l'un desquelz fut appellé par grand excellence le grand luminaire, et l'autre fut nommé le moindre; le grand pour esclairer et præsider au jour, et le moindre pour esclairer et præsider a la nuict; car encores que nostre Createur voulust qu'il y eust vicissitude de jour et de nuict, et que les tenebres succedassent a la lumiere, si est ce qu'estant lumiere luy mesme, il ne voulut pas que les tenebres et la nuict demeurassent du tout privees de lumiere; dont ayant creé le grand luminaire pour le jour, il en crea un moindre pour la nuict, affin que l'obscurité des tenebres fust encores meslee et attrempee par le moyen de sa clarté..

  A007002037 

 Le plus grand c'est son Filz Jesus Christ nostre Sauveur et Maistre, abisme de lumiere, source de splendeur, vray Soleil de justice; le moindre, c'est la tressainte Mere de ce grand Filz, Mere toute glorieuse, toute resplendissante et vrayement plus belle que la lune.

  A007002037 

 Mais en fin, quand l'heure fut venue en laquelle ce pretieux soleil devoit se coucher et porter ses rayons a l'autre hemisphere de l'Eglise qui est le Ciel et la trouppe angelique, que pouvoit-on attendre sinon les obscurités d'une nuict tenebreuse? La nuict aussi arriva tout aussi tost et succeda au jour; car tant d'afflictions et persecutions qui survindrent aux Apostres, qu'estoit ce qu'une nuict? Mais ceste nuict eut encor son luminaire qui l'esclaira, affin que ses tenebres fussent plus tolerables; car la bienheureuse Vierge demeura en terre parmi les disciples et fidelles.

  A007002037 

 chapitre des Actes et au 1 er, tesmoigne que Nostre Dame estoit avec les disciples au jour de la Pentecoste, et qu'elle perseveroit avec eux en orayson et communion; dont quelques errans sont convaincus de faute en ce qu'ilz ont estimé qu'elle mourut avec son Filz, a cause des parolles de Simeon qui avoit prædit que le glaive transperceroit son ame; mais je declaireray bien tost ce passage, et monstreray par le vray sens que Nostre Dame ne mourut pas avec son Filz..

  A007002038 

 C'est le moins, dis je, d'autant que les autres, avec beaucoup de probabilité, la font passer jusques a 72, mais cela importe bien peu.

  A007002038 

 Il nous suffit de sçavoir que ceste sainte Arche de la nouvelle alliance demeura ainsy en ce desert du monde, sous les tentes et pavillons, apres l'Ascension de son Filz..

  A007002038 

 Quelques heretiques dirent, tout aussi tost que Nostre Seigneur fut mort et monté au Ciel, qu'il n'avoit pas eu un cors naturel et humain, mais fantastique.

  A007002038 

 [441] par la a verifier ce que nous chantons d'elle: « Cunctas haereses interemisti; Tu as ruyné, o Vierge, et destruit toutes les heresies.

  A007002038 

 » Elle vesquit donques apres la mort de sa vie, c'est a dire de son Filz, et apres son Ascension, et vesquit asses longuement, bien que le nombre des annees ne soit pas bien asseuré; mais le moins ne peut estre que de quinze ans, qui auroit fait arriver son aage a 63 ans.

  A007002039 

 Ces trois Saintz ne sont pas mortz, et neanmoins ne sont pas exemptz de la loy du trespas, parce que s'ilz ne sont mortz ilz mourront au dernier tems, sous la persecution de l'Antichrist, comme il appert au chap. 11 de l'Apoc.

  A007002039 

 Il est vray que l'Escriture nous enseigne en termes generaux que tous les hommes meurent, et n'y en a pas un qui soit exempt du trespas, mais elle ne dit pas que tous les hommes sont mortz, ni que tous ceux qui ont vescu soyent des-ja trespassés; au contraire elle en excepte quelques uns, comme Helie qui sans mourir fut transporté sur le chariot de feu, et Enoch qui fut ravi par Nostre Seigneur avant qu'il aye senti la mort; et encores saint Jean Evangeliste, comme je pense estre le plus probable selon la parole de Dieu, ainsy que je vous ay remonstré cy devant, le jour de sa feste en may.

  A007002039 

 Mais la verité est qu'elle est morte et trespassee aussi bien que son Filz et Sauveur, car encor que cela ne se peut prouver par l'Escriture, si est ce que la tradition et l'Eglise, qui sont d'infallibles tesmoins, nous en asseurent..

  A007002039 

 Que si cela est certain comme il l'est, il est aussi tres certain qu'en fin ceste sainte Dame mourut; non que l'Escriture le tesmoigne, car je ne trouve aucune parole en l'Escriture ou il soit dit que la Vierge soit morte; la seule tradition ecclesiastique est celle-la qui nous en asseure, et la sainte Eglise, laquelle le confirme en l'orayson secrette qu'elle dit au saint office de la Messe de ceste feste.

  A007002040 

 Quelle mort fut tant hardie que d'oser attaquer la Mere de la vie, et celle de laquelle le Filz avoit vaincu et la mort et sa force qui est le peché? Soyes attentifz, mes tres chers auditeurs, car ce point est digne de consideration.

  A007002041 

 La rayson fondamentale est parce que Nostre Dame n'avoit qu'une mesme vie avec son Filz, elle ne pouvoit donq avoir qu'une mesme mort; elle ne vivoit que de la vie de son Filz, comme pouvoit-elle mourir d'autre mort que de la sienne? C'estoyent a la verité deux personnes, Nostre Seigneur et Nostre Dame, mais en un cœur, en une ame, en un esprit, en une vie; car si le lien de charité lioit et unissoit tellement les Chrestiens de la primitive Eglise, que saint Luc asseure qu'ilz n'avoyent qu' un cœur et une ame (aux Actes, 4 ), combien avons nous plus de rayson de dire et croire que le Filz et la Mere, Nostre Seigneur et Nostre Dame, n'estoyent qu' une ame et qu'une vie?.

  A007002041 

 Ma response est en un mot que Nostre Dame Mere de Dieu est morte de la mort de son Filz.

  A007002042 

 C'est pourquoy, si saint Paul ne vivoit que de la vie de Nostre Seigneur, Nostre Dame aussi ne vivoit que de la mesme vie, mais plus parfaitement, mais plus excellemment, mais plus entierement..

  A007002042 

 O peuple, ceste union, ce meslange et liaison de cœurs estoit grande qui faysoit dire telles parolles a saint Paul, mais non pas comparable avec celle qui estoit entre le cœur du Filz Jesus et celuy de la Mere Marie; car l'amour que Nostre Dame portoit a son Filz surpassoit celuy que saint Paul portoit [443] a son Maistre, d'autant que les noms de mere et de filz sont plus excellens en matiere d'affection que les noms de maistre et de serviteur.

  A007002042 

 Oyes le grand Apostre saint Paul; il sentoit telle union et liaison de charité entre son Maistre et luy, qu'il fait profession de n'avoir point d'autre vie que celle du Sauveur: Vivo ego, etc.; Je vis, mais non ja moy, ains Jesus Christ vit en moy.

  A007002043 

 Que si elle vivoit de sa vie, aussi est-elle morte de sa mort.

  A007002050 

 Le glaive d'amour, duquel Nostre Seigneur parle: Non veni mittere pacem, sed gladium; Je ne suis [444] pas venu mettre la paix, mais le glaive, qui est le mesme que quand il dit: Ignem veni mittere; Je suis venu mettre le feu. Et au Cantique des Cantiques, l'Espoux estime que l'amour soit une espee par laquelle il a esté blessé, disant: Tu as blessé mon cœur, ma seur, mon espouse. De ces trois glaives fut transpercee l'ame de Nostre Dame en la mort de son Filz, et principalement du dernier qui comprend les deux autres..

  A007002051 

 Ce n'est donques pas merveille si je dis que les douleurs du Filz furent les espees qui transpercerent l'ame de la Mere..

  A007002051 

 L'amour a accoustumé de faire recevoir les contre coups des afflictions de ceux que l'on cherit: Quis infirmatur, et ego non infirmor? Qui est malade, que je ne le sois? qui reçoit un coup de douleur, que je n'en reçoive le contre coup? dit le saint Apostre; et neanmoins l'ame de saint Paul ne touchoit pas de si pres au reste des fidelles, comme l'ame de Nostre Dame touchoit et attouchoit de fort pres, et de si pres que rien plus, a Nostre Seigneur, a son ame et a son cors, duquel elle estoit la source, la racine, la Mere.

  A007002051 

 Le cors de Nostre Dame n'estoit pas joint et ne touchoit pas a celuy de son Filz en la Passion; mais quant a son ame, elle estoit inseparablement unie a l'ame, au cœur, au cors de son Filz, si que les coups que le beny cors du Sauveur receut en la croix ne firent aucune blesseure au cors de Nostre Dame, mais ilz firent des grans contre coups en son ame, dont il fut verifié ce que Simeon avoit prædit.

  A007002052 

 Car quant a son amour, o comme il vous blessa, lhors que vous voyies mourir un Filz qui vous aymoit tant et que vous adories tant! Quant a sa douleur, comme elle vous toucha vivement, touchant si mortellement tout vostre playsir, vostre joye, vostre consolation! Et quant a ses paroles si douces et si aigres tout ensemble, helas, ce vous furent autant de vens et d'orages pour enflammer vostre amour et vos douleurs, et pour agiter le navire de vostre cœur presque brisé en la tempeste d'une mer tant amere! L'amour fut l'archer, car sans luy la douleur n'eust pas eu asses de mouvement pour atteindre vostre ame; la douleur fut l'arc qui lançoit les paroles interieures et exterieures, comme autant de dars qui n'avoyent autre but que vostre cœur..

  A007002052 

 Lhors je puis bien dire avec verité, o sainte Vierge, que vostre ame fut transpercee de l'amour, de la douleur et des paroles de vostre Filz.

  A007002053 

 Helas, comme fut il possible que des sagettes tant amoureuses fussent si douleureuses? Ainsy les eguillons emmiellés des abeilles font extreme douleur a ceux qui en sont piqués, et semble que la douceur du miel avive la douleur de la pointe.

  A007002053 

 Quelle plus douce parole que celle qu'il dit a sa Mere et a saint Jean, paroles tesmoins asseurés de la constance de son amour, de son soin, de son affection a ceste sainte Dame; et neanmoins ce furent des paroles qui sans doute luy furent extremement douleureuses.

  A007002053 

 Rien ne nous fait tant ressentir la douleur d'un amy que les asseurances de son amour..

  A007002054 

 Ce fut donq lhors que l'ame de Nostre Dame fut transpercee du glaive.

  A007002054 

 Et quoy, me dires-vous, mourut elle alhors? J'ay des-ja dit que quelques uns qui l'ont ainsy voulu dire ont fort [446] erré, et que l'Escriture tesmoigne qu'elle estoit encor vivante au jour de la Pentecoste, et qu'elle persevera avec les Apostres aux exercices de l'orayson et communion, et de plus que la tradition est qu'elle vescut plusieurs annees despuis.

  A007002054 

 Mais oyes, je vous prie: n'arrive il pas souvent qu'une biche est blessee par le veneur, et que neanmoins elle s'eschappe avec son coup et sa playe, et va mourir bien loin du lieu ou elle a esté blessee et plusieurs jours apres? Ainsy certes Nostre Dame fut blessee et atteinte du dard de douleur en la Passion de son Filz sur le mont de Calvaire, et ne mourut toutefois pas a l'heure, mays porta longuement sa playe de laquelle en fin elle mourut.

  A007002054 

 O playe amoureuse! o blesseure de charité, que vous fustes cherie et bienaymee du cœur que vous blessastes!.

  A007002055 

 Aristote raconte que les chevres sauvages de Candie (Pline en dit de mesme des cerfz) ont une malice et ruse, ou plustost un instinct admirable; car estant transpercees d'une flesche elles recourent au dictamon, par le moyen duquel la flesche est expulsee et rejettee du cors.

  A007002055 

 Au contraire la Sainte Vierge se sentant blessee, cherit et garda soigneusement les traitz dont elle estoit outrepercee et ne voulut jamais les repousser; ce fut sa gloire, ce fut son triomphe, et partant elle desira d'en mourir et en mourut en fin: si [447] que elle mourut de la mort de son Filz, bien qu'elle n'en mourut pas sur l'heure..

  A007002055 

 Mays qui est le Chrestien qui n'ayt esté quelquefois blessé du dard de la Passion du Sauveur? Qui est le cœur qui ne soit atteint, considerant son Sauveur fouetté, tourmenté, garrouté, cloué, couronné d'espines, crucifié? Mays je ne sçay si je le dois dire, que la pluspart des Chrestiens ressemblent aux hommes de Candie desquelz parlant l'Apostre, il dit: Cretenses mendaces, ventres pigri, malæ bestiæ; Les Candiotz sont menteurs, ventres coüars, mauvaises bestes. Au moins puis je bien dire que plusieurs ressemblent aux chevres sauvages de Candie; car ayant esté blessés et atteins en leur ame de la Passion du Sauveur, ilz recourent incontinent au dictamon des consolations mondaines, par lequel les dars de l'amour divin sont rejettés et repoussés de leur memoire.

  A007002057 

 Elle attendit l'heure, heure bienheureuse pour nous, a laquelle l'amour luy fit l'entree et luy livra Nostre Seigneur piedz et mains cloué; si que ce que la mort n'eut peu faire, l'amour, aussi fort qu'elle, l'entreprit et le fit.

  A007002057 

 Il est mort d'amour, ce Sauveur de mon ame; la mort n'y pouvoit rien que par le moyen de l'amour: Oblatus est quia ipse voluit..

  A007002057 

 L'amour desiroit que la mort entrast en Nostre Seigneur, a fin que par sa mort il peust se respandre en tous les hommes; la mort desiroit d'y entrer, mais elle ne pouvoit d'elle mesme.

  A007002057 

 O Chrestiens, l'amour est aussi fort que la mort: Fortis ut mors dilectio.

  A007002058 

 Et saint Athanase note qu'il baissa la teste avant que de mourir: Inclinato capite, emisit spiritum, pour appeller la mort, laquelle autrement n'eust osé s'approcher.

  A007002058 

 Mais non, il ne voulut pas; l'amour qu'il nous portoit comme une Dalila luy osta toute sa force, et se laissa volontairement mourir; et partant il n'est pas dit que son esprit sortit de luy, mais qu'il le rendit: Emisit spiritum.

  A007002059 

 Il est donq mort d'amour, et c'est ce qui fait que son sacrifice de la croix fut un holocauste, parce qu'il y fut consumé par ce feu, invisible mais d'autant plus ardent, de sa divine charité qui le rend sacrificateur en ce sacrifice, et non les Juifz ou Gentilz qui le crucifierent, d'autant qu'ilz n'eussent sceu luy donner la mort par leurs actions, si son amour, par le plus excellent acte de charité qui fut onques, n'en eust permis et commandé le dernier effect, puysque tous les tourmens qu'ilz luy firent fussent demeurés sans effect, s'il n'eust voulu leur permettre la prise sur sa vie et leur donner force sur luy: Non haberes potestatem adversum me, nisi datum tibi esset desuper..

  A007002060 

 Elle ne faisoit que languir, sa vie n'estoit plus qu'en defaillances et ravissemens, elle se fondoit en elle mesme par tant de chaleurs, si que elle pouvoit bien dire ordinairement: Stipate me floribus, fulcite me malis, quia amore langueo; Appuyes moy de fleurs, environnes moy de pommes, car je languis d'amour.

  A007002060 

 O que l'amour divin est bien plus actif et puyssant! Son object, son principe est bien plus grand; c'est pourquoy ce n'est pas chose estrange si je dis que Nostre Dame en mourut.

  A007002060 

 Or, puysqu'il est certain que le Filz est mort d'amour et que la Mere est morte de la mort du Filz, il ne faut pas douter que la Mere ne soit morte d'amour.

  A007002061 

 O mort, que fais tu dans ce cors? estimes tu de le pouvoir garder? Ne te souvient il point que le Filz de ceste Dame dont tu possedes le cors, t'a vaincu, t'a battu, t'a rendu son esclave? Ah, ja n'advienne qu'il te laisse en la gloire de ceste tienne victoire; tu sortiras tantost autant honteusement comme tu y es superbement, et l'amour qui t'a logé en ceste sainte place [450] par un certain exces, revenant a soy mesme dans bien peu, t'en ostera la possession..

  A007002062 

 Ah, si tant de vierges, comme sainte Catherine de Sienne, sainte Claire de Montefalco, ont bien eu ceste grace, pourquoy non Nostre Dame, laquelle ayma son Filz et sa mort et sa croix incomparablement plus que ne firent onques tous les Saintz et les Saintes? Aussi n'estoit elle plus qu'amour, et en nostre langage, l'anagramme de Marie n'est autre chose que aimer: aimer c'est Marie, Marie c'est aimer.

  A007002062 

 Le phœnix assemble des busches de bois aromatiques, et les posant sur la cime d'un mont, fait sur ce buscher un si grand mouvement de ses aisles, que le feu s'en allume aux rayons du soleil.

  A007002063 

 Ah, cela se croit des cors d'Helie et Enoch lesquelz, comme il est dit en l'Apocalypse, mourront, mais pour trois jours seulement et sans corruption; combien plus de la Vierge, de laquelle la chair immaculee a une si estroitte alliance avec celle du Sauveur, qu'on ne sçauroit imaginer aucune imperfection en l'une que le deshonneur ne rejaillisse [451] sur l'autre.

  A007002063 

 Mais comme le phœnix resuscite bien tost apres sa mort et reprend une nouvelle et plus heureuse vie, ainsy ceste bienheureuse Vierge ne demeura gueres (ce ne fut au plus que trois jours) sans resusciter; son cors ne fut point sujet a la corruption apres la mort, cors qui n'en receut jamais pendant sa sainte vie.

  A007002064 

 Le pontife Abiathar s'estoit rangé a la sedition d'Adonias, ou estant descouvert et surpris: Tu devois mourir, dit Salomon, mais parce que tu as porté l'Arche de l'alliance devant mon pere, tu ne mourras pas.

  A007002064 

 N'est il pas vray que nonobstant ces regles, plusieurs resusciterent au jour de la resurrection, Multa corpora sanctorum qui dormierant resurrexerunt? Et pourquoy non la Vierge, a laquelle, dit le grand Anselme, nous ne devons refuser aucun privilege ni honneur qui soit accordé a aucune creature simple?.

  A007002065 

 Et si quelqu'un veut contredire, nous avons a luy respondre, comme fit en cas pareil l'Apostre: Si quis videtur contentiosus esse, nos talem consuetudinem non habemus, neque Ecclesia Dei; Que s'il y a quelqu'un qui semble estre contentieux, nous n'avons point telle coustume, ni aussi l'Eglise de Dieu..

  A007002065 

 Mais en fin, si l'on me presse pour sçavoir quelle certitude nous avons de la resurrection de la Vierge, je respondray que nous en avons tout autant que de son trespas.

  A007002065 

 Mays nous qui sommes Chrestiens, croyons, asseurons et preschons qu'elle est morte, et bien tost resuscitee, parce que la tradition le porte, parce que l'Eglise le tesmoigne.

  A007002066 

 C'est ce que tesmoigne l'Eglise, appellant ceste feste Assumption, fondee sur la mesme tradition par laquelle elle est asseuree de la mort et resurrection..

  A007002066 

 Le Filz qui receut son cors et sa chair de sa Mere venant en ce monde, ne permit pas que sa Mere demeurast ici bas, ni selon le cors ni selon l'ame; mais bien tost apres qu'elle eut payé le tribut general de la mort, il la tira apres soy au royaume de son saint Paradis.

  A007002066 

 Or, ce n'est pas asses de croire qu'elle est resuscitee, car il faut encor establir en nostre ame qu'elle n'est pas resuscitee pour mourir lautre fois comme fit le Lazare, mais pour suivre son Filz au Ciel, comme firent ceux qui resusciterent au jour que Nostre Seigneur resuscita; Math., 27.

  A007002067 

 Et certes, les cigoignes ont ceste naturelle pieté envers leurs peres et meres desja caduques et vieux, que lhors que l'aspreté de la sayson et du tems les contraint a faire passage et retraitte en lieu plus chaud, elles les saisissent, s'en chargent et les portent sur leurs aysles, pour en quelque façon contrechanger le benefice qu'elles ont reçeu en leur education.

  A007002067 

 Il ne faut pas douter que le Sauveur n'aye voulu observer ce commandement qu'il a fait a tous les enfans, au plus haut point de perfection que l'on peut imaginer.

  A007002067 

 Leves vous en ce commandement que vous aves fait, et ne permettes pas que ce cors qui vous a engendré sans corruption en reçoive maintenant par la mort; mais resuscités le et le saisisses sur les aysles de vostre puissance et bonté, pour le transporter du desert de ce monde bas en ce lieu de felicité immortelle.

  A007002067 

 Mays qui est l'enfant qui ne resuscitast sa bonne mere, s'il pouvoit, et ne la mist en Paradis apres qu'elle seroit decedee? Ceste Mere de Dieu mourut d'amour, et l'amour de son Filz la resuscita; et en ceste consideration laquelle, comme vous voyes, est toute raysonnable, nous disons aujourd'huy: Quæ est ista quæ ascendit de deserto, deliciis affluens, innixa super Dilectum suum? C'est le sujet de nostre feste, c'est l'occasion de ceste grande allegresse que tous les saintz celebrent en l'Eglise militante et triomphante..

  A007002067 

 Nostre Seigneur avoit reçeu son cors de celuy de sa Mere, et avoit esté porté longuement en son sacré ventre, entre ses chastes bras, et mesme lhors que par l'aspreté de la persecution il fallut faire [453] passage et retraitte en Egypte.

  A007002067 

 Vous aves commandé l'assistance des enfans a l'endroit de leurs peres vieux, et l'aves gravé si avant en la nature que les cigoignes mesmes en prattiquent la loy.

  A007002068 

 Quand le patriarche Joseph receut son bon pere Jacob au royaume d'Egypte en la cour de Pharao, outre le favorable accueil que le roy mesme luy fit, ne doutes pas que les principaux courtisans ne luy allassent au devant et ne fissent toutes sortes de demonstrations d'une grande resjouyssance.

  A007002069 

 Aussi fut-ce la plus belle et magnifique entree qui fut jamais veuë au Ciel apres celle de son Filz; car quelle ame y fut jamais receuë si pleyne de perfections, si [454] richement paree en vertus et privileges? Elle monte du desert du monde inferieur, mais neanmoins tant parfumee de dons spirituelz que le Ciel, hors la personne de son Filz, n'a rien de comparable.

  A007002069 

 Mais la Vierge montant au Ciel en la cour de son Filz, y porta tant d'or de charité, tant de parfums de dévotion et vertus, tant de pierres pretieuses de patience et souffrances qu'elle avoit supportees pour son nom, que tout cela reduit en merites, on peut bien dire que jamais on n'en porta tant au Ciel, jamais on n'en presenta tant a son Filz comme fit ceste sainte Dame..

  A007002070 

 Et si bien par la penitence nous sommes restablis, si voyes vous qu'il y a bien du mauvais mesnage en nos affaires, car nous perdons beaucoup de tems; et si, nos forces demeurent affoiblies apres le peché, et mesme apres la penitence, si que nostre amas ne peut estre grand.

  A007002070 

 Mais nostre sainte Dame ayant esté comblee de grace en sa conception, des qu'elle eut l'usage de sa rayson n'a jamais cessé de prouffiter et croistre de plus en plus en toutes sortes de vertus et de graces, si que l'amas d'icelles en fut incomparable: Multæ filiæ congregaverunt divitias, sed tu supergressa es universas; Plusieurs ames ont assemblé des richesses, mais vous les aves toutes surpassees..

  A007002070 

 Voules vous voir clair en ceste doctrine? Sçaches qu'en matiere de bonnes œuvres, il n'y a personne qui commence si tost a en faire ni qui continue si diligemment comme fit Nostre Dame; car quant a nous autres, nous commençons bien tard a en faire, et si nous en faysons, bien souvent nous les perdons par le peché et ne continuons pas; si que l'amas ne s'en trouve pas fort grand, car bien qu'a l'adventure nous assemblons quelques deniers de merite, ce n'est que quelquefois, et bien souvent nous jouons et dissipons nostre argent en un coup de peché.

  A007002071 

 Nostre Seigneur venant en ce monde chercha la plus basse place qui y fut et n'en trouva point de plus basse par humilité que la Vierge; maintenant il la remonte en la plus haute du Ciel par gloire.

  A007002071 

 Pharao defera tant a Joseph, que son pere estant arrivé en Egipte, il luy dit: Ton pere et tes freres sont venus vers toy; le païs d'Egipte est a ton commandement, fais habiter ton pere et tes freres en la meilleure terre; Gen., 47.

  A007002072 

 Aves-vous pas remarqué que la reyne de Saba portant tant de [456] choses pretieuses en Hierusalem, les offrit toutes a Salomon? Ah, tous les Saintz en font de mesme, et particulierement la Vierge; toutes ses perfections, toutes ses vertus, toutes ses felicités sont rapportees, consacrees et dediees a la gloire de son Filz qui en est la source, l'autheur et le consommateur: Soli Deo honor et gloria; tout revient a ce point.

  A007002072 

 C'est la conclusion de toutes les louanges que l'Eglise donne saintement aux Saintz, et sur tout a la Vierge; car nous les rapportons tous-jours a l'honneur de son Filz, par la force et vertu duquel elle monte et a receu la plenitude des delices.

  A007002072 

 Elle dit en fin que ceste sainte Dame montant du desert, abondante en delices, est appuyee sur son Bienaymé.

  A007002072 

 Mais voyons le reste de la sentence que nous avons choisie pour sujet.

  A007002072 

 Si vous dites qu'elle est une colomne de fumee souëfve et gratieuse, dites tout aussi tost que le feu de ceste fumee c'est la charité de son Filz; le bois c'est la Croix d'iceluy.

  A007002072 

 Si vous l'appelles rose pour son extreme charité, son vermeil ne sera que le sang de son Filz.

  A007002072 

 Voules-vous que Nostre Dame soit un lys de pureté et d'innocence? Ouy, elle l'est a la verité; mais ce lys a sa blancheur du sang de l'Aigneau auquel elle a esté blanchie, comme les estolles de ceux qui dealbaverunt eas in sanguine Agni, qui les ont lavees au sang de l'Aigneau.

  A007002073 

 Aux uns elle remonstre que la Vierge est creature, mais si sainte, mais si parfaitte, mais si parfaittement alliee, jointe et unie a son Filz, mais tant aymee et cherie de Dieu, qu'on ne peut bien aymer le Filz que pour l'amour de luy on n'ayme extremement la Mere, et que pour l'honneur du Filz on n'honnore excellemment la Mere.

  A007002073 

 Et pour tesmoigner la pureté de l'intention de l'Eglise en l'honneur qu'elle rend a la Vierge, je vous represente deux heresies contraires, qui ont esté contre le juste honneur de Nostre Dame: l'une par l'exces, qui nommoit Nostre Dame deesse du Ciel et luy offroit sacrifice, et celle-ci fut maintenue par les Collyridiens; l'autre par le defaut, qui rejettoit l'honneur que les Catholiques font a la Vierge, et celle-ci fut des Antidicomarites.

  A007002073 

 L'Eglise qui va tous-jours par le chemin royal et se tient dans le milieu de la vertu, ne combattit pas moins les uns que les autres, mais determinant contre les uns que la Vierge n'estoit que creature et que partant on ne devoit luy faire aucun sacrifice, elle establit contre les autres que neanmoins ceste sainte Dame, pour avoir esté Mere du Filz de Dieu, devoit estre reconneuë d'un honneur special, infiniment moindre que celuy de son Filz, mays infiniment plus grand que celuy de tous les autres Saintz.

  A007002073 

 Mais aux autres elle dit: le sacrifice est le supreme honneur de latrie qui ne doit estre porté qu'au Createur; et ne voyes-vous pas que la Vierge n'est pas la creatrice, mais une pure creature, quoy que tres excellente?.

  A007002074 

 Et pour moy, j'ay accoustumé de dire qu'en certaine façon la Vierge est plus creature de Dieu et de son Filz que le reste du monde; pour autant que Dieu a creé en elle beaucoup plus de perfections qu'en tout le reste des creatures, qu'elle est plus rachetee que tout le reste des hommes, parce qu'elle a esté rachetee non seulement du peché, mays du pouvoir et de l'inclination mesme du peché, et que racheter la liberté d'une personne qui devroit estre esclave, avant qu'elle le soit, est une grace plus grande que de la racheter apres qu'elle est captive.

  A007002074 

 Tant s'en faut que nous voulions mettre en comparayson absolue le Filz avec la Mere, comme nos adversaires croyent ou font semblant de croire pour le persuader au peuple..

  A007002075 

 Bref, nous la nommons belle, et belle plus que tout le reste des creatures, mais belle comme la lune qui reçoit sa clarté de celle du soleil, car elle reçoit sa gloire de celle de son Filz.

  A007002075 

 Et certes, de soy elle n'estoit pas digne d'aucun honneur, elle estoit sans odeur; mais puysque ce grand arc du ciel, ce grand signe de la reconciliation de Dieu avec les hommes, vint petit a petit a fondre sur ceste sainte espine, premierement par grace des sa conception, puys par filiation, se rendant entierement son Filz et reposant en son pretieux ventre, la suavité en a esté si grande que nulle autre plante n'en a jamais tant eu, suavité qui est tant aggreable a Dieu, que les prieres qui en sont parfumees ne sont jamais debouttees ni inutiles; mais tous-jours l'honneur en revient a son Filz duquel elle a receu son odeur..

  A007002075 

 La Vierge fut l'espine de ce buysson ardent mais non bruslé, que vit le grand Moyse: « Rubum quem viderat Moyses, conservatam agnovimus tuam sanctam virginitatem, » dit l'Eglise.

  A007002076 

 Le Sauveur est advocat de justice, car il plaide pour nous, alleguant le droit et rayson de nostre cause; il produit nos pieces justificatives, qui ne sont autres que sa redemption, que son sang, que sa croix; il confesse a son Pere que nous sommes debiteurs, mais il fait voir qu'il a payé pour nous.

  A007002076 

 Si Jesus Christ prie au Ciel, il prie en sa vertu; mais la Vierge ne prie que comme nous en la vertu de son Filz, mais avec plus de credit et de faveur.

  A007002076 

 Voyes-vous pas que tout cela revient a l'honneur de son Filz et en magnifie la gloire? [459].

  A007002077 

 Et reginæ laudaverunt eam: et non seulement le peuple, mais les ames plus relevees, les prelatz, les docteurs, les princes et monarques l'ont loüee et magnifiee; et comme les oyseaux commencent a gazouiller chacun en son ramage a la pointe du jour, ainsy tous se sont evertués a celebrer ses honneurs, comme elle mesme l'avoit præveu, disant: Beatam me dicent omnes generationes, a la suitte desquelz tous les fidelles doivent, et vous le deves plus particulierement, o Parisiens, l'invoquer et luy obeyr, qui sont les deux premiers honneurs que nous luy pouvons rendre et qu'elle nous a invité a luy rendre..

  A007002078 

 Je trouve que Nostre Dame ne parla que deux fois aux hommes pour ce qui en est recité en l'Evangile: l'une, quand elle salua Elisabeth, et lhors c'est sans doute qu'elle pria pour elle, car le salut des fidelles se fait par prieres.

  A007002078 

 La seconde fut quand elle parla aux serviteurs des noces, en Cana de Galilee, et lhors elle ne dit sinon: Faites tout ce que mon Filz vous dira.

  A007002079 

 Ceste Vierge, o peuple, vous demande sur tout pour la plus asseuree demonstration de vostre devotion en son endroit, que vous ayes son Filz pour Roy de vostre cœur et de vostre ame, qu'il regne en vous et que ses commandemens soyent mis en execution.

  A007002079 

 Mais elle ne demeura gueres morte, mais fut resuscitee, et monta du desert de ce monde la haut en Paradis, ou elle est au supreme degré de toutes les creatures; et tout cela pour la plus grande gloire de son Filz, pour laquelle elle prie pour nous et nous demande que nous luy soyons fidelles serviteurs..

  A007002079 

 O Chrestiens, voulons nous que la Vierge nous exauce? exauçons la.

  A007002079 

 Or, ses commandemens sont en un mot, que vous facies la volonté [460] de son Filz: Omnia quæcumque dixerit vobis, facite.

  A007002079 

 Un jour Bethsabee vint a David avec beaucoup d'humilité et de reverence, pour luy faire une requeste et supplication; mais en fin elle ne demandoit pour tout, sinon que son filz Salomon fust roy apres son pere, et successeur de la couronne.

  A007002079 

 Voules vous qu'elle vous escoute? escoutes la; elle vous demande de tout son cœur et pour tout contrechange de ses affections, que vous soyes obeyssans serviteurs de son Filz.

  A007002081 

 O tres sacree et tres heureuse Dame, qui estes au plus haut du Paradis de felicité, helas, ayes pitié de nous qui sommes au desert de misere; vous estes en l'abondance des delices, et nous sommes en l'abisme des desolations; impetres nous la force de bien porter toutes afflictions, et que nous soyons tous-jours appuyés sur vostre Bien-aymé, seul appuy de nos esperances, seule recompense de nos travaux, seule medecine de nos maux.

  A007002123 

 Que le péché ne règne point.

  A007002129 

 Pline dit que les lis sont toujours inclinés; le lis des vallées, comme le Christ.

  A007002130 

 Ainsi préparé, il devait être roi; comme David qui de ses actions privées concluait à ce que devaient être ses actes publics..

  A007002131 

 Il est vrai que les rois aux mœurs dépravées et corrompues sont des rois, que Dieu donne dans sa fureur; mais combien plus [465] heureux est l'état gouverné par un roi sage! Vos lis parleront par analogie, ces lis qui, d'après saint Ambroise, fleurissent et conservent leur éclat même quand la tige et les feuilles sont desséchées; leur épanouissement toutefois est bien plus beau quand ils sont entourés de feuilles printanières..

  A007002132 

 Et d'abord, il eut affaire avec les grands du royaume qui troublaient l'état; il les terrassa ou les soumit, et bientôt les apaisa: Comme le lis entre les épines. Dès que la question militaire eut été réglée, semblable à Melchisédech, roi de Salem (de la justice et de la pair.): que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines, la justice.

  A007002133 

 Craignant que ses sujets pauvres fussent délaissés, il entendait leurs causes en personne deux fois la semaine, en un lieu convenable, quelquefois sous un arbre, pour se rendre plus accessible aux paysans: il s'est fait tout à tous..

  A007002134 

 Ce qu'il observait aussi pour les aumônes, afin que les plus dignes fussent récompensés selon leur mérite..

  A007002135 

 Hélas! que son peuple a dégénéré! Les commerçants n'ont plus de conscience, les nobles, plus de religion..

  A007002138 

 Il ne permet pas, par vénération pour la sainte Croix, que ses enfants soient parés de fleurs le vendredi; et à vous, ô Parisiens, il légua une partie de cette sainte Croix, il vous légua la couronne d'épines, afin que le lis fût entre les épines.

  A007002138 

 Louis méprisait tous les biens de ce monde; il affirmait qu'il préférait mourir plutôt que de commettre un péché mortel..

  A007002139 

 O heureuse France, combien longtemps l'Epoux s'est nourri parmi tes lis! [467] Combien de royaumes, de provinces, etc. Dieu fasse que tes lis ne se flétrissent jamais, mais toi veille à ne les jamais perdre..

  A007002159 

 Grecz tiennent que la pasture du fresne est poison aux bestes qui ne ruminent.

  A007002159 

 Pline a veu un serpent choisir le feu plustost que le fresne; l. 16. c. XIII..

  A007002159 

 Serpent pose sa peau et rajeunit, a recours au fenouil, et pour esclarcir sa vëue, ilz (sic) despouillent premierement leur teste; item, se sentant amorty et que ses escailles se tiennent l'un'a l'autre, il se frotte au genevrier; [l.] 8. c. 27.

  A007002172 

 Que la tempête ne me submerge pas, que l'abîme ne m'engloutisse pas, que le puits ne referme pas sa bouche sur moi.

  A007002172 

 » Je voyais un cep, etc. Retirez-moi de la fange afin que je n'enfonce point; délivrez-moi de ceux qui me haïssent et du profond des eaux.

  A007002173 

 Que la fornication ne soit pas même nommée.

  A007002173 

 Quelle force plus que celle de l'amour nous prive de nos biens? La chaleur des rayons du soleil nous oblige à rejeter nos vêtements; mais cet astre même revêt les arbres de fleurs et de feuilles.

  A007002173 

 Saraï très chaste dans le mariage: Après que je suis devenue vieille et que mon seigneur est aussi vieux, penserai-je au plaisir? Et cependant, elle était encore très belle: Abimélech.

  A007002196 

 C'est grâce aux miséricordes du Seigneur que nous n'avons pas été consumés.

  A007002199 

 Aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l'Archange et au son de la trompette de Dieu, le Seigneur même descendra du ciel, et ceux qui seront morts dans le Christ ressusciteront les premiers.

  A007002199 

 Car ainsi que la trompette sonna sur le mont Sinaï lorsque la loi fut donnée, de même sonnera-t-elle lorsque le Législateur examinera si la loi a été gardée.

  A007002199 

 Voici que je vais vous dire un mystère: A la vérité, nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés.

  A007002200 

 Job, dans la loi de nature, témoigne, en conformité avec nous, de sa foi à l'article de notre résurrection; bien que celle-ci se puisse faire par Dieu seul.

  A007002200 

 O voix terrible! Que cette voix retentisse à nos oreilles, comme dit saint [475] Jérôme.

  A007002200 

 Que vois-tu, Jérimie?... Charbon, or.


08-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome VIII-Vol.2-Sermons.html
  A008000129 

 Les Israélites n'usèrent jamais d'aliment plus solide que lorsqu'ils se nourrissaient de la manne; ils murmurent cependant et en demandent Un autre: Jésus s'était illustré par mille miracles, et cependant ils en exigent encore..

  A008000131 

 Afin de comprendre ce point, notez que Dieu a coutume de faire des miracles pour accréditer ses paroles, surtout lorsqu'il annonce quelque chose de nouveau.

  A008000131 

 Il en est de même du Christ, qui déclare ses miracles si nécessaires que si je n'avais pas fait, [dit-il,] parmi eux des œuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient point de peché.

  A008000133 

 Auguste: Oh que je voudrais! [3].

  A008000133 

 Mais l'interprétation est très difficile, Et il ne lui sera donné d'autre signe que celui du Prophète Jonas. 1 re interprétation, celle d'un grand nombre: c'est-à-dire la résurrection du Christ, etc. Mais il y a là de nombreuses difficultés; car la résurrection [du Christ] n'était pas plus un signe pour eux que Son ascension ou [la résurrection] des morts, etc. 2 me.

  A008000152 

 Ou bien parce que les Juifs et les Gentils sont aveugles, boiteux d'un pied, desséchés spirituellement.

  A008000155 

 Plusieurs donc pensent que le Christ l'avait interrogé sur sa maladie et même sur les causes de son mal, voilà pourquoi Jésus dit: Ne pèche plus désormais.

  A008000178 

 Je crois que le sens littéral est celui-ci: vous laissez de côté le vrai Messie, vous me chercherez dans d'autres, etc. Mais comme on entend aussi ce passage de leur mort dans le péché, voyons:.

  A008000180 

 Est-ce que je veux la mort de l'impie, et non qu'il se convertisse et qu'il vive? Convertissez-vous et faites pénitence de toutes vos iniquités, et l'iniquité ne causera pas votre ruine.

  A008000182 

 1 re raison: Parce que c'est Dieu qui a été offensé.

  A008000182 

 3 me: Parce que le pécheur a une volonté éternelle de pécher; car s'il pèche sachant qu'il est mortel, que ne ferait-il pas s'il se savait immortel? Il les a abandonnés aux désirs de leur cœur, etc..

  A008000182 

 J'ai péché contre vous seul, etc., afin que vous soyez reconnu juste, etc. 2 me: Parce que le pécheur se constitue en un état dans lequel par la nature même de son acte il doit éternellement demeurer.

  A008000184 

 [La première cause est] que la pénitence est fausse.

  A008000185 

 Que Dieu est bon à Israël! Que vos paroles sont douces à mon palais! [8].

  A008000185 

 Voici que je meurs, à quoi me servira mon droit d'aînesse? A proportion de la multitude des douleurs de mon cœur, vos consolations ont réjoui mon âme.

  A008000205 

 Le Fils de l'homme viendra dans la gloire de son Père, et alors il rendra à chacun. [9] Tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère, et... du juste... qui rendra, etc. Voil'a que je viens bientôt, et ma récompense est avec moi, pour rendre à chacun.

  A008000206 

 Car tout ce que nous avons vient de notre Dieu; c'est donc par Dieu que nous sommes utiles.

  A008000206 

 Saint Augustin: Parce que nous sommes esclaves par nature, nous ne méritons que par la volonté de Dieu.

  A008000206 

 Saint Bède: Nous avons moins mérité que nous ne recevrons; au delà de notre mérite.

  A008000236 

 Nulle union plus grande que celle de la nourriture.

  A008000237 

 C'est pour cela que nous sommes tous frères, parce que par le même corps et le même sang nous sommes nourris pour la vie éternelle..

  A008000240 

 A la Passion: Toutes les fois que vous le ferez, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne.

  A008000244 

 Je ne craindrai point les maux parce que vous allez avec moi..

  A008000244 

 Que le pain fortifie le cœur de l'homme.

  A008000268 

 convaincra de péché? et aussi qui a prêché et fait retentir comme une trompette la parole de Dieu: Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous point? Rien ne vous empeche de croire, puisque je vous dis la vérité et que vous ne trouverez rien dans ma vie qui n'y soit conforme.

  A008000269 

 Eh! Seigneur, c'est parce que vous dites la vérité qu'on ne peut accepter votre doctrine.

  A008000270 

 Quand les enfants jouent, si seulement le père de l'un d'entre eux tousse légèrement, lors même que tous les autres n'y prendraient pas garde, son fils l'entend.

  A008000271 

 Ces maudits aussi entendaient à ce moment; on dit que celui qui n'obéit pas n'entend pas.

  A008000271 

 Comment connaissez-vous que quelqu'un est sourd, sinon quand les paroles ne l'atteignent pas? Près de la fontaine, Eliézer donne à Rébecca des pendants d'oreilles du poids de deux sicles, et des bracelets du poids de dix sicles..

  A008000271 

 Pratiquez la parole et ne l'écoutez pas seulement, vous trompant vous-mêmes, etc. Venez, descendons et confondons leur langue, afin que l'un n'entende pas la parole de l'autre; afin [17] qu'il n'entende pas, c'est-à-dire, qu'il ne comprenne pas.

  A008000273 

 Les Juifs répondirent et lui dirent: Ne disons-nous pas avec raison que vous êtes un Samaritain et qu'un démon est en vous? Ces paroles-ci sont bien les propos du diable, c'est-à-dire, des blasphèmes, des paroles infernales.

  A008000274 

 Il se retira de devant la face du Seigneur. [ Leur face ] est devenue plus noire que le charbon.

  A008000274 

 Le sacrifice que Dieu désire est un esprit affligé, un cœur contrit, etc. Excitez-vous à la componction dans vos lits.

  A008000274 

 Mais le cœur de David fut frappé de remords et il dit: J'ai beaucoup péché en cette action; que votre main, je vous en prie, se tourne contre moi.

  A008000274 

 Que l'homme se détourne de sa mauvaise voie.

  A008000291 

 Il estoit certes bien raysonnable que ce Sauveur exalte en croix fut exalte en gloire.

  A008000291 

 Or sus, c'est chose extremement douce que de bien croire et l'un et l'autre.

  A008000296 

 Courage donc! Des yeux de l'âme, contemplons son Ascension; et, de crainte que nos yeux soient éblouis, demandons à Dieu la grâce qui nous permettra de le voir, par l'entremise de Celle dont il s'est servi pour se rendre visible aux hommes.

  A008000297 

 C'est ce que font tous les Sacramentaires de notre époque.

  A008000298 

 Et pour en venir à notre sujet, de notre temps, relativement au mystère de l'Eucharistie, les Ubiquitaires déclarent que Jésus est partout, d'autres, qu'il n'est nulle part en ce monde, mais seulement hors de ce monde, au Ciel; ceux-là nient qu'il soit monté, ceux-ci qu'il soit demeuré..

  A008000298 

 S'agit-il [21] de la pénitence, Novat enseigne qu'aucune n'est suffisante, Pélage, que la plus légère suffit.

  A008000299 

 Et il en est ainsi presque toujours, comme dans ce cas: c'est un article de foi que Jésus «est monté aux cieux,» il n'est donc pas dans l'Eucharistie; mais l'Eglise dit: oui, il est là-haut, et il est dans l'Eucharistie.

  A008000299 

 Il faut s'en tenir à la parole de Dieu écrite, donc rejeter les Traditions; l'Eglise dit: Gardez les Traditions que vous avez reçues, soit par nos discours, soit par notre Epître.

  A008000299 

 Pourquoi? Parce que Celui qui pouvait faire l'un et l'autre a affirmé l'un et l'autre; et il n'a pas promis et refusé.

  A008000300 

 Dieu est plus grand que notre cœur.

  A008000301 

 La manne tombait la nuit, pour que les Israélites ne vissent pas son mode de production, mais qu'une fois produite ils y crussent: crois au fait sans rechercher comment il s'est produit..

  A008000301 

 Manhu? qu'est ceci? C'est le [23] p ain que le Seigneur a donné a manger.

  A008000302 

 Or, il y a treize cents ans que saint Chrysostôme s'en rapportait à ce miracle; Du Sacerdoce, liv. III. «O miracle,» s'écriait-il, «ô bonté de Dieu! Celui qui siège là-haut avec le Père, en ce moment même, se livre à toutes les mains, se donne lui-même à tous ceux qui veulent le recevoir et l'embrasser.» Et hom.

  A008000304 

 Mais pourquoi ne nous entraine-t-il pas? L'aimant attire le fer, pourvu que n'y mettent obstacle ni un diamant interposé, ni une substance graisseuse, ni l'ail.

  A008000317 

 Et dans les étoiles, c'est-à-dire dans les affections: ô Dieu! tout changera; les affections dépravées tomberont, ainsi que l'amour des biens passagers, etc. Et sur la terre la détresse des nations: dans la chair, détresse des sens.

  A008000318 

 Je m'élève vers vous, car c'est vous qui arrosez d'eau les montagnes, afin que les arbres de la campagne et les cèdres du Liban soient rassasiés; les passereaux y feront leurs nids.

  A008000331 

 Le grand amour que Nostre Seigneur porte a Nostre Dame et par lequel il se rend tout sien, est cause que Nostre Dame reciproquement est toute sienne, et par consequent qu'elle n'a peu contracter aucun peché.

  A008000331 

 Vous voyes que je vay faire un discours tout d'amour, mais que je ne puis faire si le Saint Esprit, amour celeste, ne m'inspire, et que Celle qui par luy a receu plus d'amour que nulle creature ne m'en impetre la grace.

  A008000344 

 Mon Bien-Aimé est à moi et moi je suis à lui; il se repaît parmi les lis, jusqu'à ce que le jour paraisse et que les ombres s'inclinent.

  A008000345 

 Comme le Christ est l'Epoux, bien que nous ne puissions douter de son amour, cependant, pour notre consolation, voyons les témoignages d'amour de Jésus envers sa Mère..

  A008000347 

 «Et que tu gardes la moitié de mon âme.».

  A008000349 

 Deuxième signe d'amour; aux Philippiens, I: Parce que je vous ai dans mon cœur; c'est l'union intime.

  A008000349 

 Je chercherai celui que chérit mon âme.

  A008000350 

 Denis l'Aréopagite, liv. IV des Noms Divins, dit que le Christ subit une extase en entrant dans le sein de la Vierge: C'est moi qui suis sortie de la bouche du Très-Haut, engendrée la première avant toute créature.

  A008000351 

 Il est double: celui de concupiscence, comme le zèle de qui prétend aux dignités; parce que ce bien est limité, ce zèle s'appelle envie.

  A008000351 

 Pour la maison de Dieu: Qui est scandalisé sans que je brûle? Zèle du Christ pour la Vierge: Pose-moi comme un sceau sur ton cœur.

  A008000368 

 J'ajoute que l'opinion contraire est soutenue par saint Hyppolite, et par saint Ambroise [dans son Commentaire] sur saint Luc, et qu'elle se prouve par quatre arguments..

  A008000371 

 L'Ange qui se tenait debout sur la mer et sur la terre: Il faut encore que tu prophétises a un grand nombre de nations, de peuples, d'hommes de diverses langues et de rois..

  A008000372 

 Par ce texte: [ Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe? ].

  A008000401 

 Voila que l'Ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil et dit.

  A008000403 

 Prends l'Enfant et sa Mère et fuis eu Egypte, et restes-y jusqu'à ce que je te parle.

  A008000403 

 Tel luxurieux s'est confessé et a reçu le Christ, et voici qu'Hérode lui envoie une pensée honteuse ou des séductions; et voilà que l'Ange accourt et dit: Fuis, fuis.

  A008000403 

 Un autre s'est accusé d'avoir blasphémé, et il a reçu l'Enfant; Hérode lui fait [34] dire! Joue, etc. Veillez pendant que le Christ est encore faible; prenez garde, soyez prudents..

  A008000405 

 Et lors même que le monde paraîtrait crucifié en toi, crains; car souvent il feint d'être crucifié, comme le polype dont parle Grenade.

  A008000405 

 Quand vous serez crucifiés au monde et que le monde sera crucifié en vous, Dieu sera immortel en votre âme.

  A008000406 

 Les uns cherchent Jésus comme l'Epouse: J'ai trouvé Celui que chérit mon âme, je le tiens et je ne le laisserai point aller.

  A008000407 

 Toutefois, Dieu veut que nous soyons ordinairement instruits par les hommes [35] et non par les Anges.

  A008000409 

 Ils s'élèvent et croient que les richesses exaltent; les richesses les dépriment..

  A008000410 

 [36] David dit: Le jour parle au jour, et la nuit instruit la nuit; afin que je rende mes vœux chaque jour.

  A008000411 

 Bon Dieu! et nous, nous voulons que tout prospère, que tout nous sourie! [37].

  A008000437 

 Grande fête que celle où l'Eglise des Gentils est acceptée par le Christ et reçoit le Christ.

  A008000437 

 Pour contempler ce mystère nous ne voulons d'autre étoile que Marie..

  A008000437 

 Si Abraham fit un festin le jour où Isaac fut sevré, c'est aujourd'hui une grande fête parce que les Gentils sont sevrés de l'idolâtrie et viennent au Christ et à la Maison de pain.

  A008000440 

 De là, ce bassin d'airain où se lavaient les prêtres; de là, ce soin que les prêtres de l'ancienne Loi avaient pour la propreté.

  A008000443 

 Bon Dieu! qui sait si tu vieilliras? Un autre dit: Si j'étais Capucin je ferais des sacrifices à Dieu; honore Dieu du bien que tu as.

  A008000443 

 Dieu se contente de tout: Abel donne de ses troupeaux, et celui qui n'avait que des poils de chèvre pouvait les offrir.

  A008000443 

 Donne ce que tu as; la valeur de ton présent se mesure sur ce que tu as à donner.

  A008000443 

 Strabus, auteur de la Glose ordinaire, dit qu'ils donnèrent ce que leur pays d'Arabie leur fournissait.

  A008000444 

 Saint Augustin [dit que les Mages donnèrent] de l'or, comme à un roi; de l'encens, comme à un Dieu; de la myrrhe, comme à un mortel.

  A008000444 

 Saint Bernard dit qu'ils firent ces présents parce que Jésus était pauvre, logé dans une étable, frêle et délicat.

  A008000448 

 C'est pourquoi je veux te donner le seul bien que je possède, moi-même; je te prie d'agréer ce don et de croire que les autres, quoiqu'ils donnent beaucoup, se réservent encore davantage.

  A008000448 

 Eschine, pauvre auditeur, lui dit: Pour moi, je ne trouve rien qui soit digne de toi, et c'est en cela que je me reconnais pauvre.

  A008000448 

 Socrate répondit: Ton présent n'est petit que dans ta propre estime.

  A008000448 

 [41] J'aurai donc soin de te restituer un jour à toi-même meilleur que tu n'étais.».

  A008000449 

 O temps heureux ou l'on croyait jamais donner assez! Pour exalter la gloire du temple de la Bienheureuse Vierge, ne craignez pas que l'Eglise reçoive trop; aussi a-t-elle réprimé les Collyridiens.

  A008000489 

 Souviens-toi, ô homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière..

  A008000490 

 Ecoutons chanter le Christ, notre philomèle: Thésaurisez, etc. Entendons la voix de l'Eglise, cette tourterelle qui chante sur notre terre: «Souviens-toi, ô homme,» que tu es cendre et que tu retourneras en cendre.

  A008000490 

 Les grenouilles, dans les marais, pouvaient coasser de bonheur en ce temps de pluies et de brouillards, mais voici que la céleste philomèle et la tourterelle se félicitent réciproquement de ce temps sec du jeûne et de ces jours sereins de la pénitence; leur chant nous réjouit par l'harmonie si suave de ses accents de pénitence et d'espoir.

  A008000490 

 Oh I viens, viens, temps favorable; venez, venez, jours de salut: que vos instants se [43] convertissent en heures, vos heures en jours, vos jours en semaines, vos semaines en mois, vos mois en années, vos années en siècles et vos siècles en perpétuelles éternités.

  A008000490 

 Voici que d éjà l'hiver est passé, la pluie a cessé et s'est retirée; cet hiver qui porte à la chair et décharné les âmes, qui avait terni toute cette beauté spirituelle de la terre et des âmes, qui avait alangui les cœurs, qui avait produit cette malheureuse averse de plaisirs indignes.

  A008000491 

 Comment donc l'homme, c'est-à-dire ma misère, approchera -t-il de votre cœur sublime, c'est-à-dire de vos richesses et de vos trésors? Comment irai-je de la poussière et de la cendre jusqu'au Ciel? Ah! mon Avocate, échelle du Ciel, montagne de Dieu, lien par lequel la grandeur de Dieu s'unit à ma misère, faites donc que par vous ma misère s'approche de Dieu.

  A008000491 

 Eh bien! ce trésor secret, ouvrez-le nous, car voici que votre fils grossi, pour ainsi dire, et débordant de la trop grande abondance de ses trésors, s'écrie: Thésaurisez des trésors dans le Ciel..

  A008000491 

 Je vous confesse, ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, que je suis poussière et cendre, et pourtant, je veux amasser les trésors de votre parole, non seulement pour moi, mais aussi pour mes enfants bien-aimés.

  A008000491 

 Qui donc les y a recélés? N'est-ce pas vous, ô Vierge? Mais dites-moi, ô Mère très aimante, [45] pour qui les mères cachent-elles des trésors, si ce n'est pour leurs enfants? C'est donc pour nous que vous les avez cachés.

  A008000491 

 «Malheureux! que ferai-je?» En moi tous les trésors de la misère et de l'abjection sont recélés ou plutôt manifestés; en vous, au contraire, sont cachés et maintenant même se manifestent tous les trésors de la sagesse et de la science.

  A008000492 

 O Seigneur Dieu, souvenez-vous que nous sommes poussière et que nous retournons en poussière.

  A008000492 

 O bonne Mère, ouvrez-nous ce que vous avez caché, mais de nouveau dès que nous aurons thésaurisé, cachez ces trésors en nous, comme vous les avez cachés en votre Fils.

  A008000492 

 Seigneur, il n'existe au Ciel que des trésors de sagesse, de science et de bonté; mais vous les possédez tous, ils sont tous en vous; pourquoi donc dites-vous: Thésaurisez? Livrez-nous vous-même vos trésors, et nous thésauriserons; et puisque votre Mère, comme trésorière, cache des trésors, ordonnez-lui de nous les ouvrir.

  A008000492 

 Vous montrez votre puissance contre une poussière que le vent de la mort emporte de la face de la terre, et vous poursuivez une paille sèche? Pardonnez, pardonnez-nous, Seigneur, et nous ferons pénitence.

  A008000494 

 Mais comme l'âme est supérieure au corps et [47] que le traitement de celui-ci n'est qu'en vue de la grâce qui en revient à l'âme, parlons d'abord des trésors qu'il faut amasser..

  A008000496 

 C'est une sainte avarice des enfants de Dieu que de ne jamais se rassasier de bonnes œuvres.

  A008000496 

 Il faut qu'elles soient nombreuses; nul n'appelle trésor une seule pièce d'or; c'est ce que Notre-Seigneur montre en disant: Thésaurisez des trésors, car, quoiqu'il y ait là un hébraïsme, cet hébraïsme marque bien la quantité, la grandeur.

  A008000496 

 Maintenant, que veut signifier le Seigneur par les paroles de notre texte? II est clair qu'il parle du jeûne, de la prière et de l'aumône, dont il est question dans tout ce chap. vi.

  A008000496 

 Mais pour que ces œuvres méritent le nom de trésor, trois conditions doivent concourir, 1.

  A008000497 

 Que ferez-vous donc? Pendant ce Carême, entendez la parole de Dieu, nourrissez-vous du Verbe dans l'Eucharistie, jeûnez, faites l'aumône, visitez les pauvres: voilà vos grandes œuvres.

  A008000497 

 Vous verrez bien les abeilles se poser sur les roses, les lis et les plus grandes fleurs; mais elles ne récoltent pas moins sur le thym, le romarin et les autres moindres fleurettes, et leur travail y est plus fructueux, à cause de la multitude de ces fleurs, et parce que le miel, dans ces petits vases, se conserve mieux et s'évapore moins.

  A008000499 

 Alors montre-moi ta face, que ta voix retentisse à mes oreilles; alors, ta face sera belle et gracieuse, et ta voix douce.

  A008000499 

 Mon désir est donc que vous soyez tous joyeux de ce temps de jeûne quadragésimal, et que vous vous confessiez dès le début, afin que vos œuvres soient d'or et capables de vous former des trésors..

  A008000499 

 Montrez-vous joyeux; prenez votre visage des bonnes fêtes, Saint Chrysostôme: Le Christ est la tête que [51] nous oignons par notre pitié pour les pauvres, etc.; lave ton visage, c'est-à-dire ta conscience.

  A008000499 

 Ne m'entonne aucun cantique avant que j'aie vu ton visage.

  A008000500 

 D'où il s'ensuit: Afin que les hommes ne voient pas que tu jeûnes, mais seulement ton Père qui voit dans le secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

  A008000500 

 Il te rendra ce que tu fais en sa grâce, non cette œuvre même, mais sa récompense.

  A008000500 

 J'ai levé mes yeux vers vous qui habitez dans les cieux; comme les yeux des esclaves sont fixés sur les mains de leurs maîtres, etc. [52] Les yeux sont fixés sur les mains parce que tout ce que la main du maître indique, la main de l'esclave l'entreprend; et l'œil avertit de ce qui est à faire.

  A008000501 

 Voici que déjà l'hiver est passé, comme au début..

  A008000503 

 Ainsi l'Eglise vous immole-t-elle aujourd'hui: «Souviens-toi, ô homme, que tu es poussière,» etc.; ensuite, elle vous vivifie: Thésaurisez, etc..

  A008000503 

 «On dit que ces oiseaux tuent leurs petits en leur donnant comme des soufflets avec le bec, ensuite, ils les pleurent trois jours, enfin, la mère se fait une blessure et les arrose de sang; cette rosée les ranime.

  A008000504 

 Le brouillard est la connaissance confuse de Dieu, qu'il répand comme la cendre, c'est-à-dire, selon la connaissance que nous avons de nous-mêmes.

  A008000504 

 Leur conversion les rend comme laine, de sorte que par la pénitence ils entrent dans la texture de la robe mystique du Christ.

  A008000505 

 Il est donc dit que le Christ condamnerait le péché par le péché, c'est-à-dire l'œuvre du péché qui est la mortalité, par la mort elle-même, etc. Sous ce cilice il cachait la vie immortelle et la divinité.

  A008000505 

 Il humiliait son âme dans le jeûne, quand il voyait que personne ou presque personne ne se convertissait.

  A008000506 

 Ainsi le Christ, tout couvert des merites de sa Passion, nous appelle, et, en nous appelant, il nous blesse pour que nous recourions à ses merites.

  A008000506 

 J'ajoute que le Christ blesse les cœurs par sa parole afin de les ramener à lui et de les guérir; tel ce chasseur qui après avoir [56] blessé les cerfs de Créte leur offre un dictame qui les guerit.

  A008000506 

 Noter en passant que les fléches doivent viser au cceur..

  A008000507 

 Il est étonnant que de si petites pierres soient vendues si cher, comme la perle de Cléopâtre; mais c'est une convention parmi les hommes qui attribue à ces pierreries une valeur relative de plusieurs milliers de pièces d'argent.

  A008000507 

 Pour que nos ceuvres soient meritoires, il faut qu'un pacte intervienne.

  A008000527 

 Et afin que ses enfants observent cette règle: Mes Frères [dit-elle,] l'heure est venue, etc. C'est l'enthymème de saint Paul: Notre salut est maintenant plus proche que lorsque nous avons cru; la nuit passe et le jour [59] approche; donc l'heure est venue de nous lever de notre sommeil.

  A008000527 

 Lorsque le Christ vient au-devant de l'Eglise, celle-ci descend par l'humilité et se couvre du manteau de la pénitence; c'est ainsi, en effet, que l'on doit aller au-devant du Christ.

  A008000529 

 Saint Jérôme, dans les Règles des Moines: Soit que je mange, etc. L'heure est venue..

  A008000530 

 L'Apôtre dit aux Corinthiens: Le temps est court, etc. Pour les avantages que procure la pensée du jugement particulier, voir dans Canisius: De la Mort.

  A008000530 

 Saint Jean l'Aumônier avait la coutume de discourir [60] fréquemment sur la mort, pour convertir ceux qui venaient à lui, et rapportait les paroles de saint Siméon Stylite au sujet d'une révélation que celui-ci avait eue sur les assauts que les démons livrent aux mourants, etc. L'heure est venue.

  A008000532 

 Voilà que notre Chef vient lui-même.

  A008000533 

 Parce que je connais mon iniquité, et mon péché est toujours devant moi.

  A008000550 

 Or, voici que le Christ vient à notre recherche et l'Eglise nous invite à bien le recevoir: Il y aura des signes, etc. Combien est utile la crainte de Dieu; combien juste la crainte du jugement..

  A008000551 

 Saint Jérôme demande pour quelle cause il est dit de la crainte seule que le Seigneur l'en remplira, et il répond: Parce que la crainte est nécessaire à tous, et que sa pleine source devait être en Celui qui devait la dispenser à tous.

  A008000572 

 Que nous prenons et qui nous prennent.

  A008000577 

 Nous, nous remettons les péchés, nous déclarons que ce même Christ est venu, nous ne le montrons pas seulement du doigt comme l'Agneau du sacrifice, mais nos mains le présentent comme victime consommée et comme nourriture, et personne ne vient! Cette nation se lèvera..

  A008000577 

 Que faisait Jean-Baptiste au désert? Il baptisait en figure et les peuples étaient purifiés; il prêchait la pénitence et la rémission des péchés, il annonçait Celui qui devait venir.

  A008000578 

 Ah! de grâce, pourquoi ta vie est-elle du vent? Saint Chrysostôme dit très bien: «Il en est qui sont irascibles par tempérament, d'autres par suite d'une longue infirmité deviennent chagrins; de même, quelques-uns sont changeants par nature, d'autres le deviennent en suivant leurs mauvais penchants.» Presque tout ce que vous jetez dans l'eau tiède s'amollit, ainsi l'âme qui s'abandonne à la mollesse, etc. Jérusalem a excessivement péché, c'est pourquoi elle a perdu sa stabilité.

  A008000578 

 Que disent les hommes? Voilà ce que nous demandons tous.

  A008000578 

 Saint Augustin, dans son livre De la Doctrine Chrétienne, cité par saint Thomas, dit: «User des choses de cette vie avec plus de rigueur que les honnêtes gens qui vous entourent dénote la crainte de l'intempérance ou la tendance au scrupule; en user avec excès est preuve de prétention (comme ces histrions qui, tout misérables qu'ils sont, se couvrent d'habits royaux) ou de corruption.».

  A008000579 

 Plus qu'un Prophète, parce que Jean n'a pas seulement prédit, il a encore montré; ange par son office, non par nature..

  A008000580 

 Ainsi au jour du jugement, il redira comme il dit aujourd'hui de saint Jean: Qu'êtes-vous allés voir dans le monde? Pour qui furent vos prévoyances et vos soins? Pour des roseaux, pour des hommes mollement vêtus, pour des prophètes? Oui, plus que des prophètes, car ils annoncèrent l'avenir et s'y préparèrent.

  A008000581 

 En ce temps-ci, le diacre et le sous-diacre portent à la Messe des planètes ou chasubles dont la partie antérieure est repliée, pour signifier qu'avant la venue [du Messie] les mystères [66] n'avaient pas encore été révélés et que les anciens n'avaient qu'un sacerdoce incomplet; mais lorsqu'ils exercent leurs fonctions, ils dépouillent ce vêtement, parce que le voile fut ôté des yeux de Jean et des membres de la Synagogue, contemporains du Christ qui annoncèrent sa venue..

  A008000581 

 Il dit que Jean dans sa prison, c'est la Synagogue dans les ténèbres de l'ignorance et les yeux voilés; aussi envoie-t-il un message au Christ pour en recevoir la lumière.

  A008000582 

 1 re opinion, celle de Tertullien qui porterait à croire que saint Jean fut privé non seulement de l'esprit prophétique, mais encore de l'esprit de foi.

  A008000583 

 2 e opinion, celle de saint Ambroise, toute mystique, laisse à penser ce que je viens de dire plus haut, dans cette colonne..

  A008000585 

 4 e, celle des auteurs que cite saint Ambroise, peut s'entendre de l'amour désordonné et charnel de ces hommes qui empêchent leurs fils de se faire prêtres ou religieux, ou les autres de s'adonner aux pratiques de dévotion..

  A008000604 

 C'est cela que dit l'Evangile: Erunt signa, etc., et in terris pressura gentium.

  A008000604 

 Comm'en un'assemblee publique et solemnelle, apres que chacun s'est retire, tous les serviteurs qui portoyent les flambeaux les esteignent, et par tout l'hostel on va commandant qu'on ammortisse les torches, ainsy, lhors que le moncle finira et que les habitans seront mors, [68] Dieu fera esteindre les flambeaux du ciel: Sol obscurabitur et luna non dabit lumen suum.

  A008000604 

 O Dieu, que le commencement du monde est admirable, et comme Dieu prent la peyne de ranger toutes choses! Mays, o Dieu, que sa fin est espouventable, lhors que Dieu troublera et renversera tout! Comme quand un roy veut habiter un palais, on tend les tapisseries, on estale les meubles, ainsy quand Dieu mit l'homme au monde.

  A008000605 

 Ainsi le Concile de Trente a-t-il défini contre [69] Luther que notre justification même, c'est-à-dire notre disposition à être justifiés, commence quelquefois par la crainte..

  A008000605 

 Devant votre face (version des Septante, d'après Sa, dans votre crainte, parce que nous vous craignons ) nous avons conçu et comme enfanté l'esprit, c'est-à-dire l'amour.

  A008000605 

 Mais pourquoi veut-il que nous craignions? Afin que nous aimions, parce que la crainte est le commencement de la sagesse.

  A008000607 

 Bien plus, cette crainte même serait péché, parce qu'il jugerait le châtiment plus à craindre que la faute et que Dieu, et qu'il estimerait son avantage au-dessus de tout et de Dieu même.

  A008000625 

 Etes-vous Celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre? En ce peu de mots, saint Jean exprime les deux plus beaux titres du Christ: qui doit venir et que nous attendons.

  A008000626 

 (Qu'il vienne est à noter.) Que Celui qui doit être envoyé vienne, c'est-à-dire, Celui qui doit venir.

  A008000626 

 Le sceptre ne sera pas ôté de Juda ni le chef de sa postérité, jusqu'à ce que vienne Celui qui doit être envoyé, Siloh. Ce mot a différentes significations, selon la diversité des racines: son fils, pacifique, envoyé; les Septante: jusqu'à ce que vienne Celui pour lequel il a été gardé, c'est-à-dire le sceptre.

  A008000627 

 Celui que nous attendons.

  A008000627 

 Que Dan devienne une couleuvre sur le chemin, un céraste (couleuvre à quatre cornes) dans le sentier, mordant la corne du pied du cheval, afin que le cavalier tombe à la renverse.

  A008000628 

 Parce que la bonté est de soi communicative; de là cette maxime: Il est plus heureux de donner que de recevoir.

  A008000628 

 Pourquoi cette attente? Parce que nous avions besoin du Sauveur, pour de nombreux motifs.

  A008000639 

 Aussi, ces lampes ardentes qui sortoyent des potz casses estoyent un signe mistique que bien tost la gloire d'Israel et le triomphe de la victoire sortiroit d'entre les cors mortz et abbatuz des Madianites, dequoy la trompette les advertissoit..

  A008000639 

 Quand Gedeon entreprit la celebre bataille qui est descritte au Livre des Juges, chap. 7, il commanda aux troys cens soldatz d'eslite qu'il avoit pris pour compaignons d'une si dign'entreprise, de ne point employer d'autres armes que le son des trompettes et de la clarte des lampes ardantes qu'un chacun d'eux portoit en sa main.

  A008000640 

 Et dixi: Quid clamabo? Oüy, Seigneur, je veux crier; mays que crieray-je? Clama, clama, ne cesses; Crie, crie, ne cesse point: Omnis caro fænum («Memento homo;» confringite lagenas ), et omnis gloria ejus sicut flos agri; exsiccatum est fænum, etc., et cecidit flos ( et in pulverem reverteris ).

  A008000640 

 Vous dormes, non pas, au milieu de vos grossieres et terrestres affections? et voyci que ce divin Capitaine nous commande que nous sonnions haut et cler de nos trompettes, et que nous facions tout par tout retentir nos clerons: Vox dicentis mihi, clama; quasi tuba exalta vocem tuam.

  A008000641 

 C'est le sujet general des prædicateurs, la mort et la vie; mais c'est le sujet particulier que je doys traitter en cette journee.

  A008000641 

 Mays prions affin que je parle des paroles celestes, et que vous oyes avec un'attention convenable, et employons les prieres de la tressainte Vierge.

  A008000641 

 Mes auditeurs, escoutes avec reverence les paroles que je vous porte; car c'est en qualite d'ambassadeur extraordinaire de Dieu que je vous parle.

  A008000641 

 Mes chers auditeurs, si j'apporte en cette chaire autre desir de gloire que le desir de la gloire de Dieu, si j'y viens pour autre passion que pour la Passion du Sauveur, si j'ay prætention d'autre issue que de celle de vostre salut, que ma langue se replie en derriere, et demeur'attachee a mon gosier, que ma bouche soit dessechee et comm'une fontaine tarie qui ne peut point respandre ses eaux.

  A008000656 

 Pulvis, pulvis, pulvis, quid gloriaris? On se mire avant que de sortir; nul ne fait l'examen de sa conscience.

  A008000662 

 Et moi, je demande à l'Eglise ma Mère: Que crierai-je? «Souviens-toi, ô homme.» 2.

  A008000662 

 Mais dit-il, que crierai-je? Je suis prêt à crier, mais quoi? Crie: Toute chair est de l'herbe.

  A008000662 

 Mais que crierai-je? Dis aux cités de Juda: Voici votre Dieu, et sa récompense est avec lui, etc..

  A008000663 

 Ou bien l'exorde sera ainsi qu'il suit: Le Seigneur me fit voir, et voici deux paniers pleins de figues, placés devant le Temple du Seigneur, et le Seigneur me dit: Que vois-tu, Jérémie? Et je dis: Des figues, etc. De même, mes auditeurs, dans l'office de ce jour très solennel, je croyais voir le Seigneur me montrer deux paniers, celui des Prophéties et celui de l'Evangile; et il semblait me dire: Que vois-tu, Jérémie? Je vois les deux espèces de figues dont doivent se nourrir les peuples.

  A008000663 

 Quelles figues? Les amères, très amères: [77] «Souviens-toi, ô homme, que tu es poussière;» convertissez-vous à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les pleurs et les gémissements.

  A008000664 

 Et l'un d'eux sortit, etc. Or, il me semble que le Christ m'a dit comme à un de ses domestiques et indignes serviteurs: Prends la grande marmite.

  A008000665 

 C'est pourquoi voici que notre Elisée dit: Apporte -moi de la farine; sers-nous l'Evangile, qui n'est autre qu'un grain de froment (c'est-à-dire le Christ lui-même broyé et [78] manifesté par divers enseignements); et il la mit dans la marmite, joignit l'Evangile à la Prophétie, et dit: Verses-en pour tout le monde.

  A008000665 

 Voici l'amertume: «Souviens-toi, ô homme;» dans le jeûne, les pleurs et les gémissements; mais voilà que la mort qui suit n'est plus amère: c'est la possession d'un trésor au Ciel.

  A008000666 

 Indiquez-moi, ô vous que chérit mon âme, où vous paissez, oit vous reposez au midi; c'est-à-dire, quelle est l'âme que vous aimez, qui fait vos délices, en qui vous vous délectez, en qui vous nourrissez vos affections que vous placez en elle comme dans un lit, de crainte que, ignorant la manière de vous plaire, je ne commence à m'égarer dans les affections mondaines des mondains.

  A008000667 

 Comme s'il disait: Veux-tu être en sûreté, ne te détourne pas après de nombreux amants; commence par la connaissance de toi-même, et tiens pour certain que si tu t'ignores, ô la plus belle d'entre les femmes, tu suivras les traces de tes troupeaux, c'est-à-dire de tes diverses affections, tu paîtras tes chevreaux, c'est-à-dire les affections mauvaises, près des tentes d'hommes étrangers qui se glorifient d'être mes rivaux, et paissent les âmes, mais de vent..

  A008000668 

 Ajoutez iniquité sur iniquité, et qu'ils n'entrent point; c'est-à-dire, ils n'entreront point, vous ajouterez.) Or, nous vivons à l'égard de nous-même dans une double ignorance, ainsi que les philosophes ont donné une double signification à cet axiome: «Connais-toi toi-même.» Socrate, en effet, dans l'Alcibiade de Platon, dit que la connaissance de nous-même consiste dans la connaissance de l'excellence de notre âme; d'autres disent que c'est la connaissance de notre bassesse quant au corps; pusillanimité et orgueil..

  A008000668 

 Que leur habitation devienne diserte, c'est-à-dire, deviendra.

  A008000669 

 Pour expliquer le second sens, rappelons que Dieu dès l'origine nous a donné le nom d'Adam: Il les créa mâle et femelle, et leur donna le nom d'Adam, qui signifie terrestres, formés de boue, comme le dit saint Grégoire de Nysse, De la Création de l'homme, chap. XXII. Du limon de la terre; afin qu'à notre nom qui rappelle la terre, nous nous souvenions de la mort: o Souviens-toi, ô homme.» Mais nous nous en souvenons assez, dis-tu.

  A008000670 

 Donc, dès que la femme est créée, il vient et dit: Pourquoi Dieu vous a-t-il commandé de ne pas manger du fruit de tous les arbres du paradis? Voyez la ruse: Pourquoi a-t-il commandé? Parce qu'il est le Seigneur; c'est lui qui nous a faits, et nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes.

  A008000671 

 De peur que nous ne mourions.

  A008000671 

 Je ne veux pas, [dit le tentateur,] que tu penses le mal, mais écoute ses paroles; ne t'y fie pas, mais écoute comme il chante bien ce jeune homme; ferme les yeux sur ces obscénités, je le veux, mais vois, pour le charme littéraire, comme il écrit élégamment..

  A008000671 

 Ne savez-vous pas que le plus souvent les démons ne demandent pas de grandes choses aux devins et aux magiciens, mais un [83] poil de barbe, une rognure d'ongle? Si tu les donnes, tu es pris.

  A008000673 

 Or, Dieu voyant que l'homme avait péché par oubli de la mort, lui intime cette sentence: Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, jusqu'il ce que tu retournes dans la terre d'où tu as été tiré; car tu es poussière et [ tu retourneras ] en poussière.

  A008000673 

 Poussière, poussière, poussière, pourquoi te glorifies-tu? On se mire avant que de sortir; nul ne fait l'examen de sa conscience.

  A008000694 

 Le héraut devant Joseph, afin que tous fléchissent le genou devant lui.

  A008000694 

 Personne ne doute, d'après saint Bernard, qu'il ne soit beaucoup plus grand que le premier Joseph..

  A008000695 

 Que Joseph ait été préposé à cette maison, c'est de toute évidence; c'est à lui seul, en effet, que l'Ange [86] apporte le message de la fuite et du retour.

  A008000695 

 Tu seras préposé à ma maison, et quand tu ouvriras la bouche pour commander, tout le peuple obéira; c'est par le trône royal seulement que j'aurai sur toi la préséance.

  A008000697 

 Que ferons-nous a notre sœur au jour où il lui faudra parler? etc. Il se repaît entre les lis.

  A008000726 

 Job, répondant à Baldad le Suhite, parle de la puissance et de la providence divines, et entre autres choses il loue souverainement Dieu de ce que son esprit a orné les cieux, et que, de sa main créatrice, il a mis au jour Vartificieuse couleuvre.

  A008000728 

 C'est ainsi que le Ciel est appelé mer de verre, et plus explicitement: Mais la cité elle-même était en or pur, semblable au verre très clair.

  A008000730 

 O Dieu! que cette providence est admirable à l'égard des serpents! Ils se [90] purifient les yeux avec du fenouil, renouvellent leur jeunesse en se dépouillant de leur vieille peau, guérissent leurs blessures, comme plusieurs le croient, avec du serpolet.

  A008000731 

 D'après la version des Septante, dans Sa, c'est par l'ordre de Dieu que fut tué le dragon apostat.

  A008000732 

 Le démon lui-même est créature de Dieu; il fut formé comme les autres pour orner les cieux, bien que sa malice ait causé sa perte.

  A008000733 

 Un temple est l'image du Ciel: aussi nos ancêtres ornèrent-ils les temples des images des Saints, comme Dieu avait orné l'ancien temple de chérubins, afin que l'image des habitants du Ciel fût dans l'image du Ciel.

  A008000734 

 Pourquoi demeure-t-il dans sa malice? Parce que sa nature surpasse toutes les autres.

  A008000735 

 Voyez les pères et les mères; ils pèchent s'ils rient en voyant leurs enfants s'abandonner à de mauvais propos, aux pires débuts de la vanité; le Seigneur tressera des cordes, et ces mêmes enfants accableront leurs parents d'autant de douleurs, etc. «On n'est blessé que par soi-même.» La pauvreté ne blessa pas Job, ne blessa pas saint François; ce n'est pas elle non plus qui te blesse, c'est ton impatience.

  A008000736 

 Que dis-je, mes Frères? Soyez dans l'épouvante! Celui qui n'épargna pas les Anges pour une seule mauvaise pensée conçue dans le temple, comment vous pardonnera-t-il, à vous qui y poussez des éclats de rire? Pour moi, je [94] voudrais donner jusqu'à mon sang pour que vous abandonnassiez tout péché, mais je vous conjure surtout de respecter les temples; vous, nobles de la cité, vous, femmes, etc. Chambéry est le modèle de toute la Savoie.

  A008000756 

 Seigneur, voila que celui que vous aimez est malade..

  A008000758 

 Si tu n'es pas exaucé, c'est ou que tu n'es pas pauvre, ou que tu n'as pas préparé ton cœur.

  A008000759 

 Les Pères citent l'exemple d'Anne: Il arriva que, comme elle multipliait ses prières devant le Seigneur, Héli observait le mouvement de ses lèvres, etc. Ainsi ces femmes, [Marthe et Marie,] exposent eu peu de mots leurs nécessités.

  A008000760 

 Avant-hier, il est vrai, notre aveugle disait: Nous savons que Dieu n'exauce pas les pêcheurs.

  A008000760 

 Bien remarquer que Jésus aimait Marthe et sa sœur Marie, et Lazare.

  A008000761 

 Dieu a vraiment besoin de notre misère: Ayez pitié de moi parce que je suis infirme; et notre misère a besoin de la miséricorde de Dieu; Bienheureux l'homme dont le secours vient de vous; il a disposé des ascensions dans son cœur.

  A008000761 

 La mort de Lazare que nous considérons présentement symbolise la même vérité.

  A008000761 

 Mais voyez cette admirable prière: Voilà que celui que vous aimez est malade.

  A008000761 

 Mais, il est plus heureux de donner que de recevoir.

  A008000761 

 «Que je vous connaisse et que je me connaisse.» «Qui êtes-vous, et qui suis-je?» Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, parce que mon âme s'est confiée en vous.

  A008000762 

 En Hésébon sont des yeux en pleurs, parce que Dieu prend sur lui la douleur et se livre à des considérations qui excitent les larmes..

  A008000787 

 Citer alors ce que saint Grégoire de Nysse dit d'Abraham, [Ibid.,] liv. II, folio 274: Mais qui, je vous prie, pourrait sans pleurer voir l'image du Crucifié? Voici que nous voyons le corps du Christ suspendu, déchiré de toutes parts, ses yeux chargés de larmes, ses lèvres pleines de fiel et d'absinthe, sa tète ceinte d'une couronne, et le sang coulant en abondance de tous les membres de son corps.

  A008000787 

 Comme Vestiana parait sa dépouille mortelle des ornements que la coutume a réservés aux vierges: «Voilà quel joyau,» dit-elle, «est suspendu au collier qui entoure le cou de la Sainte,» etc. [Gretser, De la Croix,] liv. I, [100] folio 198.

  A008000787 

 Que d'images s'offrent à vos regards! Je souhaiterais qu'il nous arrivât ce qui advint à sainte Macrine.

  A008000788 

 O Jésus, purifiez, réchauffez, perfectionnez, rendez conformes à vous ceux que vous avez marqués de votre lumière, rachetés par votre sang..

  A008000791 

 Saint Jérôme, sur le Psaume XCVIII, saint Augustin, [101] Sermons du Temps, serai, LXXIX, disent que c'était la figure de la Croix.

  A008000792 

 Raisons pour lesquelles Jésus a été crucifié: pour que le remède répondît au mal; pour que l'humilité, etc., pour que la rédemption fut abondante, pour qu'elle fût connue de tous..

  A008000793 

 Car la charité du Christ nous presse, considérant ceci, que si un seul est mort pour tous, donc tous sont morts.

  A008000793 

 Et le Christ est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui est mort pour eux.

  A008000794 

 Que sont ces plaies au milieu de vos mains? Et il dira: J'ai reçu ces plaies dans la maison de ceux qui m'aimaient.

  A008000807 

 Elle avoit son cœur dilaté en sorte que viam mandatorum Domini currebat..

  A008000819 

 Voilà que tous admirent la Vierge qui monte.

  A008000820 

 Mortifiez vos membres qui sont sur la terre. Eh bien! voici que l'humanité admire dans l'Eglise triomphante la mortification de cette Vierge, qui est comme une colonne de fumée de parfums de myrrhe d'abord, et c'est la mortification, d'encens, et c'est la prière, et enfin de toutes les poudres du parfumeur..

  A008000821 

 Aussi saint Paul s'écrie-t-il: Malheureux [104] homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? Mais la Bienheureuse Vierge monte toujours; elle ne s'arrêta jamais, semblable à ces animaux d'Ezéchiel, dont c hacun marchait devant sa face, et ne se retournait point lorsqu 'il marchait.

  A008000821 

 Ils montent jusqu'aux cieux et descendent jusqu'aux abîmes, parce que tantôt ils font le bien, tantôt ils pèchent mortellement.

  A008000822 

 Annoncez à mon Bien-Aimé que je languis d'amour.

  A008000822 

 Malheur a moi parce que mon exil a été prolongé! J'ai habité avec les habitants de Cédar.

  A008000822 

 O Dieu immortel! quelle vie que celle de cette Vierge et quelle mort! Mais éprouva-t-elle des douleurs? Oui, des douleurs d'amour.

  A008000824 

 Que ma prière monte comme l'encens en votre présence.

  A008000827 

 [1.] Maintenant dans le Ciel elle monte librement, parce que par la loi naturelle elle tend en haut.

  A008000851 

 Voyant que les Juifs refusaient, il invita les bons et les méchants, le reste des Juifs et les païens.

  A008000853 

 Dans l'Apocalypse, à l'Ange de Laodicée: Je te conseille d'acheter de moi de l'or éprouvé au feu, afin de t'enrichir et de te revêtir d'habits blancs, pour que la confusion de ta nudité ne paraisse..

  A008000853 

 Mais Dieu lui fit des vêtements de peau, ce que quelques-uns entendent de la mortification et de la pénitence, et que nous entendons de la charité et des mérites du Christ, afin que nous fussions couverts du vêtement fait de la laine de l'Agneau immolé.

  A008000854 

 C'était une robe longue qui descendait jusqu'à terre pour préserver son talon, [la fin de sa vie,] auquel le démon tendait des embûches: «Sors, mon âme, que crains-tu?» Elle était parfumée, c'est-à-dire que les exemples du Saint en attirèrent un grand nombre à la vie monastique.

  A008000854 

 Celui d'Esther, à queue, et qui [110] appartient aux Saints en tant que [par leurs exemples] ils communiquent leurs vertus [à ceux qui viennent après eux.] Il descend jusqu'aux pieds, comme les deux autres; car à quoi bon porter une robe qui ne descendrait pas jusqu'au talon, quand c'est surtout à notre talon que le démon, vrai serpent, tend ses embûches? Mais cette robe fait plus que de couvrir les pieds, elle se prolonge encore vers ceux qui suivent, comme celle d'Esther.

  A008000872 

 De même que par la désobéissance d'un seul homme beaucoup ont été constitués pêcheurs, de même aussi par l'obéissance d'un seul homme beaucoup sont justifiés..

  A008000872 

 [112] L'orgueil est le commencement de tout péché. Tobie à son fils: Ne laisse jamais l'orgueil dominer dans ton esprit ou dans ta parole, car c'est par lui que toute perdition a pris commencement.

  A008000873 

 Adam et Eve avaient été créés en grâce et jouissaient d'une félicité parfaite; et voilà que le démon, l'antique serpent, voulut les ruiner.

  A008000873 

 Ainsi les hérétiques: Pourquoi l'Eglise vous ordonne-t-elle de ne pas lire toute l'Ecriture? Pourquoi [113] défend-elle de se marier? Pourquoi, de manger des aliments créés par Dieu? etc. La femme lui répondit: Nous mangeons du fruit des arbres qui sont dans le paradis; mais pour le fruit de l'arbre qui est au milieu du paradis, Dieu nous a commandé de n'en point manger et de n'y point toucher, de peur que nous ne mourions.

  A008000873 

 En conséquence, je puis commencer mon discours par les contrastes que toute l'antiquité a remarqués entre Marie et Eve.

  A008000873 

 Et le serpent dit à la femme: Vous ne mourrez point; car Dieu sait qu'en quelque jour que ce soit que vous en mangiez, vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal.

  A008000873 

 Je crains que de même que le serpent séduisit Eve par ses artifices, ainsi vos esprits se corrompent et que vous dégénériez de la simplicité qui est dans le Christ..

  A008000873 

 Les Pères donnent, relativement au péché du premier homme et de la première femme, de très beaux enseignements que nous devons considérer.

  A008000873 

 Si le mari ou le père dit: Je ne veux pas que tu parles à un tel; hélas, dit-on, il veut que je ne parle à personne.

  A008000901 

 Jésus déclare donc qu'il retourne à son Père pour envoyer l'Esprit-Saint, et que l'Esprit-Saint étant venu, par des preuves, ou plutôt par une grande lumière intérieure, il convaincra le monde du péché, de la justice et du jugement.

  A008000902 

 Jusqu'ici tous l'avaient entendu ainsi, et je m'étonne que ceux-là même qui ignorent le plus les questions théologiques prétendent l'expliquer autrement.

  A008000903 

 Comme de petits enfants dans le Christ, je vous ai nourris de lait et non d'aliments solides, parce que vous n'en étiez pas capables, et à présent même vous ne l'êtes pas encore, parce que vous êtes encore charnels.

  A008000903 

 Dans l'Epître aux Hébreux, au sujet de Melchisédech: de qui, dit-il, nous avons de grandes choses à dire (c'est-à-dire en grand nombre), et difficiles à expliquer, parce que vous êtes devenus incapables de les entendre.

  A008000903 

 Les Epîtres et les écrits des Apôtres renferment aussi bien des points difficiles; et saint Pierre parlant des Epîtres de saint Paul et des enseignements qui y sont proposés: Dans lesquelles, dit-il, il y a quelques passages difficiles a entendre, que des hommes ignorants et légers détournent pour leur propre perte a de mauvais sens, ainsi que les autres Ecritures.

  A008000904 

 Il n'est pas nécessaire, par exemple, de savoir que le chien de Tobie avait une queue, ou que saint Paul avait un manteau qu'il laissa à Troade, chez [117] Carpus.

  A008000906 

 Nul d'entre vous ne me demande: Où allez-vous? parce que nul ne veut savoir la science de la Croix ou se priver de consolation.

  A008000915 

 [119] Or sus, je ne veux point vous expliquer maintenant davantage mon sentiment ni ma consolation de me revoir aupres de vous, mon cher peuple; il me suffit que j'y sois, et que me voyci en cette si celebre feste pour vous en expliquer le mistere briefvement.

  A008000930 

 Il faut dire vrai, l'amour [du père] pour les enfant» est admirable, encore plus pour les fils selon la grâce que pour les fils selon la nature.

  A008000930 

 Lorsque les oiseaux n'ont pas de petits dans leur nid, ils voltigent d'arbre en arbre, s'y arrêtent et chantent merveilleusement tantôt ici, tantôt là; mais ont-ils nid et couvée, c'est à peine s'ils chantent ailleurs que sur l'arbre où reposent ce nid et cette couvée.

  A008000932 

 Que mon Bien-Aimé vienne en son jardin.

  A008000933 

 Avant que Benjamin fût venu dans le royaume de son frère Joseph, celui-ci envoyait bien aux siens quelques provisions alimentaires; mais dès qu'il eut vu Benjamin, il envoya des chariots, des robes et tout ce qui était nécessaire.

  A008000985 

 (Signaler, en passant, les murmures des enfants d'Israël: librement sortis de l'Egypte, comme sortent du monde la plupart des religieux, ils sont à peine au désert, c'est-à-dire dans l'abandon, qu'ils murmurent et se ressouviennent des plaisirs du monde.) Ce soir vous saurez que le Seigneur vous a conduits hors de la terre d'Egypte, et, au [124] matin, vous verrez la gloire du Seigneur.

  A008000985 

 L'Eglise, par ces paroles, nous donne à entendre que le Christ est semblable à la manne; et il en est ainsi au double point de vue, 1.

  A008000985 

 On y lit à peu près les paroles dont se servit Moïse pour annoncer aux Israélites la pluie de la manne: «Aujourd'hui,» dit-il, « vous saurez que le Seigneur viendra, et, au matin, vous verrez sa gloire.» Rappeler l'historique du fait jusqu'aux paroles de Moïse.

  A008000986 

 Ainsi le Christ naîtra aujourd'hui, pendant la nuit, d'une manière incompréhensible aux esprits humains; il descendra du Ciel tout entier, y compris son corps, car, s'il en a pris la substance dans le sein de la Vierge, c'est par la vertu du Très-Haut couvrant Marie de son ombre, et par l'intervention du Saint-Esprit que cette substance a été formée et qu'elle paraît au jour d'une manière toute céleste, comme la lumière vient du ciel et le Verbe émane du Père.

  A008000987 

 Cieux, versez votre rosée d'en-haut et que les nuées pleuvent le Juste; que la terre s'ouvre et qu'elle [125] germe le Sauveur.

  A008000989 

 La naissance de Jésus-Christ, ou plutôt le tout petit Jésus a une saveur spéciale pour tous ceux qui le veulent goûter: pour les pasteurs, parce qu'il est Pasteur; pour les rois, parce qu'il est Roi; pour Siméon, parce qu'il est Prêtre; pour Anne la prophétesse, parce qu'il est Prophète; pour tous enfin, mais surtout pour les âmes dévotes, pour les religieux et pour les oblats, parce que lui-même est excellemment dévot, religieux et oblat.

  A008000995 

 Son silence est admirable; car les autres enfants se taisent parce qu'ils ne savent pas parler; lui, parce que ce n'est pas le temps de parler mais de se taire..

  A008000996 

 Du reste, ce sont des animaux qu'il aime, parcs que l'un porte le joug, l'autre le fardeau; l'un est laborieux, l'autre chargé; et Jésus dira: Venez à moi vous tous qui travaillez et êtes chargés, et je vous soulagerai..

  A008000997 

 Voyez la douceur de cet Enfant: plus fort que Samson, il veut pourtant [127] être emmaillotté; il se montre aimable au milieu d'animaux qui le sont si peu.

  A008000999 

 Aussi bien, d'après Aristote, les enfants ne rient-ils avant le quarantième jour que par prodige, comme il est arrivé pour Zoroastre, «le malheureux qui rit en naissant.» De même les religieux commencent à se purifier par la pénitence; or, quarante est le nombre de la pénitence parfaite; cette durée atteinte, ils rient, c'est-à-dire sont consolés..

  A008000999 

 La raison mystique est qu'ils naissent pour mourir et pour souffrir beaucoup; aussi plusieurs ont observé que le premier vagissement des garçons est a, celui des filles hé, premières lettres des noms d'Adam et d'Eve, auteurs de tant de misères qui nous accablent.

  A008001013 

 Sed antequam ordiamur, prions la plus aymable, la plus aymee et la plus aymante Espouse, affin que nous puissions parler du plus aymable, du plus ayme et du plus aymant Espoux..

  A008001027 

 Voici que parmi bien des sujets se présente la mémoire du bienheureux Joseph, objet de dévotion pour vous et pour moi.

  A008001028 

 Trois noms sont donnés à saint Joseph dans l'Evangile, car il est appelé Epoux de Marie, Père du Christ (c'est le nom que lui donne la Bienheureuse Vierge: Votre père et moi vous cherchions tout affligés ), et homme [130] juste.

  A008001029 

 Ceux qui soignent les éléphants ne mettent jamais d'habits de couleur éclatante, parce que ces animaux sont excités par le feu, comme le taureau par la pourpre.

  A008001029 

 Pour honorer le mariage et sauvegarder la modestie ou la pudeur de la Vierge en naissant d'une personne mariée, et pour que, tout en étant vraiment épouse, elle cachât sa virginité sous les feuilles du mariage.

  A008001029 

 Que l'épouse s'abstienne de ce qui peut irriter l'époux..

  A008001030 

 J'ai, dit Rachel, ma servante Bala; prends-la, afin qu'elle enfante sur mes genoux, et que j'aie par elle des fils.

  A008001030 

 Le Christ était de la même lignée que saint Joseph.

  A008001032 

 Il en était ainsi pour l'épouse qui avait trompé son mari, ou celle qui, dans la ville, s'était laissée surprendre par un autre que par son mari.

  A008001032 

 Pourquoi? Parce que c'était un péché contre la chose publique; et Dieu punit les péchés de la chair, etc. Pharaon et toute sa cour sont punis par la peste, au témoignage de [132] Josèphe, et en Gérara, Abimélech.

  A008001032 

 Un jeune homme accusé d'adultère, demanda à Thalès de Milet s'il lui était permis de se disculper au moyen d'un parjure: «Il n'y a pas,» répondit le philosophe, «de parjure pire que l'adultère.» [133].

  A008001044 

 Que de raysons d'allegresse entre les Juifs quand la belle et chaste Hester fut receue au palais, a la chambre, au lit et en la societé royale d'Assuerus; quell'asseurance pour leur nation, quel honneur, et quelz contentemens.

  A008001045 

 Ce fut un songe, mais, o mon cher peuple, ce n'est pas en songe, c'est en la sainte veille de ma consideration, [134] que contemplant l'histoire de la vie et de l'Assomption de la Vierge, video fontem parvum, Virginem humilem, qui crevit in fluvium ( Fluminis impetus lætificat civitatem Dei; Aquæ multæ; Si quis sitit, veniat ad me et bibat ), in fluvium passionum et afflictionum, et in lucem solemque conversus est, hodie in Assumptione: Quæ est ista quæ progreditur quasi aurora consurgens, pulcra ut luna, electa ut sol? Et quod mirabilius, lux ista et iste sol in aquas plurimas redundavit; quia ubi Virgo ascendit, plurimæ per ejus præces gratiæ nobis factæ sunt..

  A008001053 

 Et ita constituta est ad intercedendum pro nobis, ut omnes omnino Sancti aiunt (non sane eo modo que Filius, qui intercedit seipso); et multa in ejus favorem conceduntur, ut testatur universa Ecclesia.

  A008001054 

 Vous vous moques de Nostre [138] Seigneur, et de son nom et de ses volontes; et puis vous dites que vous estes devotz de la Mere.

  A008001064 

 Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive ), comme un fleuve de souffrances et d'afflictions, puis se changea en lumière et en soleil au jour de son Assomption: Quelle est celle-ci qui s'avance comme l'aurore lorsqu'elle se lève, belle comme la lune, choisie comme le soleil? Et, chose plus admirable encore, cette lumière, ce soleil se répandit en eaux très abondantes; c'est-à-dire que depuis son Assomption, la Vierge, par ses prières, nous a obtenu de très nombreuses grâces..

  A008001066 

 L'Eglise tient le chemin royal du milieu; elle professe que Marie ne fut pas immortelle, mais qu'elle mourut, et pourtant qu'elle jouit d'un privilège spécial....

  A008001066 

 Les Antidicomarianites et Nestorius affirmaient que la chair de la Bienheureuse Vierge avait subi la décomposition du tombeau, et qu'elle [135] n'avait été l'objet d'aucun privilège; les Collydiriens au contraire, faisaient de Marie une déesse immortelle.

  A008001067 

 Je vous adjure par les chevreuils et les cerfs des champs, si vous trouvez mon Bien-Aimé, annoncez-lui que je languis d'amour.

  A008001067 

 Probablement à 63 ans, plus probablement à 72, d'après ce que dit saint Denis, Des Noms Divins, chap. III; car saint Denis ne se convertit qu'en l'an 52 du Seigneur, comme le remarque Baronius.

  A008001068 

 Et il est vrai qu'il est statué que les hommes doivent mourir une fois.

  A008001068 

 Son corps est aussi au Ciel: Vous ne permettrez point que votre Saint voie [136] la corruption... David: Que lui sera-t-il donné? Le roi Venrichira de grandes richesses, il lui donnera sa fille et il rendra la maison de son père exempte du tribut en Israël.

  A008001069 

 (Jacob voyant son fils: Maintenant je mourrai joyeux, puisque j'ai vu ta face et que je te laisse vivant après moi.) Et il baisa, etc. Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche... Il leur donna tous les biens de l'Egypte.

  A008001069 

 Amenez votre père et venez a moi, et je vous donnerai tous les biens de l'Egypte, afin que vous vous nourrissiez de la moëlle de la terre.

  A008001070 

 Et ce cortège d'Anges n'est point une fiction, car le Christ dit lui-même que l'âme de Lazare fut escortée par les Anges; à combien plus forte raison l'âme et le corps de la Vierge! Ensuite elle chanta son Magnificat..

  A008001071 

 C'est ainsi qu'elle fut établie pour intercéder en notre faveur; tous les Saints, sans exception, l'affirment (non pas assurément qu'elle demande de la même manière que son Fils qui intercède par lui-même); et beaucoup de grâces nous sont accordées par sa faveur, comme l'atteste l'Eglise entière.

  A008001071 

 Et voici que désormais toutes les générations m'appelleront bienheureuse.

  A008001095 

 Tout est saint en cette Vierge, et ni a rien que d'admirable, de pur, de net, de blanc, que Libanus, id est, albus; et etiam tota hæc genealogia in populo honorificato.

  A008001099 

 Et omnes simul, afferte ou des oeilletz, ou plus tost des oeillades interieures de la meditation; afferte des pensees sans nombre, et voyes que cette fille est nee pour nostre bonheur, voyes qu'ell'est l'amante de nos coeurs, nostre chere Dame, les delices des Anges, et la dilection du Pere, du Filz et du Saint Esprit.

  A008001105 

 Il exprime les misères de cette vie d'après une certaine hypothèse; comme le Christ: S'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi... Le jour de la mort est préférable au jour de la naissance.

  A008001105 

 L'homme, d'après Pline, ne connaît par nature que les gémissements.

  A008001105 

 Misère de la naissance des hommes: L'homme né de la femme vit peu de temps, etc.; Job, chap. XIV. Job dit de lui-même chap. III: Périssent le jour où je suis né et la nuit où l'on a dit: Un homme est né. Il maudit, c'est-à-dire il affirme que ce jour a été mauvais et plein de misères; Sa.

  A008001107 

 Saint Augustin dit que par leurs pleurs, les enfants prophétisent les misères qui les attendent..

  A008001109 

 Nous devrions certes, nous aussi, avoir la fièvre à chaque anniversaire de notre naissance: une fièvre causée par la crainte que notre [141] vie ne soit le prélude de la mort éternelle, à cause de l'abus que nous avons fait du temps.

  A008001113 

 Au contraire, Ochosias, Joas, Amasias sont omis, parce que, idolâtres et impénitents, ils firent la pire des morts..

  A008001113 

 Toutefois, voici quatre femmes qui font exception: Thamar, Raab, Ruth, Bethsabée; mais ces femmes sont expressément nommées, disent saint Jérôme, saint Chrysostôme et autres, parce que le Christ, «qui venait pour les pécheurs,» etc. Elles furent pénitentes.

  A008001114 

 Remarquez, très chers pécheurs, que si vous vous repentez, quels qu'aient été vos péchés, vous pourrez être fils de la Vierge qui dans sa généalogie compte plusieurs pécheresses.

  A008001140 

 Bien que Calepin et Maldonat diffèrent un peu d'opinion entre eux et avec d'autres auteurs, il n'importe, car la différence des deux expressions ne porte que sur le plus et sur le moins.

  A008001141 

 L'homme a été créé à la ressemblance de Dieu; donc, l'amour du prochain tend à ce que nous aimions en lui la ressemblance et l'image de Dieu, c'est-à-dire [que nous contribuions] à rendre cette image et cette ressemblance de plus en plus parfaite.

  A008001142 

 La [148] plupart des interprètes unissent les deux mots nouveau et sien, parce qu'il était dit dans l'ancienne Loi: Tu aimeras ton prochain comme toi-même, mais dans la nouvelle: comme je vous ai aimés, c'est-à-dire, plus que soi-même.

  A008001142 

 Le sien, celui que lui-même avait souverainement observé.

  A008001142 

 Tolet entend par le mot sien cet amour spécial qui doit régner entre les Chrétiens en tant que Chrétiens.

  A008001144 

 Qu'as-tu que tu n'aies reçu? Il y a plus: Qu'as-tu que tu n'aies dérobé? Nous sommes redevables au Christ de ses grâces, de ses Sacrements, de son sang: il nous a tout donné..

  A008001145 

 «On n'est blessé que par soi-même.» Si un cheval t'avait donné un coup de pied, serais-tu raisonnable de vouloir le lui rendre? En fait, cependant, il t'a plus nui que l'homme qui t'aurait donné un soufflet.

  A008001146 

 Comme les injures seraient bientôt réduites à rien «si ceux qu'elles ne touchent pas s'en plaignaient autant que ceux à qui elles s'attaquent!» Et ceux-ci: «O homme, ne tue pas Crésus.» [150].

  A008001167 

 Oh! que l'affliction est bonne, puisqu'elle amène au Christ et les riches et les pauvres! Si ce chef de la synagogue avait eu sa fille en pleine santé, comme c'était sa fille unique, il l'eût dorlottée avec sa mère.

  A008001168 

 Il faut de plus véritablement prier; or, nos prières sont plutôt des simulacres de prières que des prières.

  A008001168 

 Un prince te dit: Celui qui m'apportera un diamant, etc., et pour un diamant tu lui apportes du simple cristal; le prince ne donnera pas d'argent, parce que tu n'as pas apporté de diamant..

  A008001169 

 En troisième lieu, ce chef a pu employer ces deux expressions: d'abord, celle que donne saint Marc; ensuite, après l'arrivée d'un nouveau messager, celle de saint Matthieu..

  A008001169 

 Parce que, Seigneur, ma fille est a l'extrémité; saint Marc.

  A008001232 

 De même l'Eglise: «O Emmanuel, notre Roi et Législateur, attente des nations et objet de leur désir, venez nous sauver, Seigneur notre Dieu.» De même encore Jacob, en bénissant Joseph: Les bénédictions de ton père ont été corroborées par celles de ses ancêtres, jusqu'à ce que vienne le désir des collines éternelles, c'est-à-dire le Christ.

  A008001232 

 L'Eglise, dans l'oraison de la Messe d'aujourd'hui, appelle cette vigile l'attente de la Rédemption et du Rédempteur: «O Dieu, qui nous réjouissez chaque année par l'attente de notre Rédemption.» Et Jacob avait déjà prédit que le Sauveur serait l'attente des nations.

  A008001233 

 Admirable attente de la Vierge: Qui me donnera de vous avoir pour frère, allaité au sein de ma mère, afin que je vous trouve dehors, que je vous baise et.

  A008001233 

 que désormais personne ne me méprise? Préparez donc vos cœurs au Seigneur..

  A008001234 

 Admirable fécondité qui n'empêche pas la virginité, admirable virginité que sanctifie la fécondité..

  A008001234 

 Le Christ a deux natures, la divine et l'humaine; celle-là incarnée, celle-ci empruntée, sans que l'une éclipse ni détruise l'autre.

  A008001235 

 D'autres enfin comme les Anges, qui en s'éloignant ne s'éloignent pas, semblables aux excellents prédicateurs (car ils adorèrent le Seigneur, d'après ce qui est dit: Et que tous ses Anges l'adorent ), ils se retirent pour prêcher à d'autres, sans toutefois s'éloigner parce qu'ils demeurent en esprit..

  A008001263 

 La verge d'Aaron a fleuri, et c'est un grand miracle que de voir l'eau jaillir du rocher....

  A008001266 

 Voir le sermon de 1609; y faire cependant quelques légers changements, afin que l'idée puisse paraître nouvelle.

  A008001289 

 2 me condition; qu'elle procède d'un motif chrétien: J'ai craint parce que j'étais nu.

  A008001289 

 Dieu: Qui t'a appris que, etc. La verge de Moïse saisie par l'extrémité.

  A008001289 

 Mais, demanderas-tu, suffit-il que le motif de l'attrition soit chrétien? Cela ne suffit pas.

  A008001312 

 Deux sortes d'hérétiques: les [166] Euchites et Messaliens qui prétendaient que la prière est tout, et qu'elle seule est nécessaire, et les Pélagiens qui, au contraire, en niaient la nécessité.

  A008001313 

 On l'emploie dans un sens général, et c'est l'acception que lui attribue saint Bonaventure quand il dit: «L'oraison comprend tous les actes de la vie contemplative.» D'après saint Grégoire de Nysse, «c'est une conversation avec Dieu.» D'après saint Chrysostôme, «c'est un colloque avec Dieu.» Saint Damascène: «Une ascension de l'âme en Dieu.» Saint Augustin: Une ascension de l'âme qui monte des choses terrestres aux choses célestes.

  A008001313 

 Qu'est-ce que la prière? Ce mot a deux acceptions: [1.] il est employé dans le sens strict et signifie alors demande; c'est la demande faite à Dieu de tout ce que nous désirons de lui; or, nous demandons de trois manières (voir l'Inventaire des vertus).

  A008001338 

 Qui est infirme sans que je sois infirme? Saint Bernard.

  A008001339 

 A cause de David, etc., Dieu donna à Abiam un fils, Asa, parce que David avait fait ce qui était droit aux yeux du Seigneur et qu'il ne s'était point détourné de tout ce qu'il lui avait commandé, excepté en ce qui concernait Urie l'Héthéen.

  A008001339 

 Mais remarquez que je ne dis pas que le vrai [170] pénitent ne puisse pas retomber; je dis seulement que ne pas retomber est un signe excellent de conversion..

  A008001354 

 PENDANT QUE NOS SOLDATS LIVRAIENT BATAILLE AUX ESPAGNOLS POUR UNE SUPPLICATION PUBLIQUE.

  A008001370 

 Dans cette prédication générale, de quoi parlerai-je avec plus de convenance que de la pénitence, sujet par lequel commence, duquel traite et auquel aboutit tout l'Evangile? Saint Jean, dans l'église duquel je suis, m'y invite, ainsi que l'Evangile [qui se lit aujourd'hui,] selon le rite lyonnais et selon le romain; on y trouve ces mots: Désormais tu prendras les hommes; et j'y suis encore invité par la consécration de ce maître-autel, car l'autel lui-même, au sens mystique, représente le cœur: Or, le vrai sacrifice est un esprit affligé.

  A008001371 

 Ceux que vous avez haïs, Seigneur, ne les haïssais-j'e pas? J'ai haï les hommes iniques. [ Mon zèl e] m'a fait sécher.

  A008001371 

 Hélas! que de maux a attirés le péché! Soyez frappés de stupeur, etc. Le lac Asphaltite, mer Morte.

  A008001372 

 C'est ainsi que chante le Psalmiste: Ceignez votre glaive; vos flèches sont acérées, les peuples tomberont a vos pieds.

  A008001373 

 En tout lieu on sacrifie, et une oblation pure est offerte a mon nom, parce que mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur.

  A008001373 

 Si tu présentes ton offrande a l'autel et que là tu te souviennes que, etc. Feu de Néhémie.

  A008001389 

 Assurément, un Dieu irrité ne pouvait être apaisé que par le Christ à venir.

  A008001389 

 C'est pourquoi, comme les parents de l'Enfant le portaient [au Temple]: C'est maintenant, Seigneur, que vous laisserez aller votre serviteur..

  A008001389 

 Et d'Abel il est écrit dans l'Epître aux Hébreux: C'est par la foi qu'Abel offrit a Dieu une hostie meilleure que celle de Caïn, c'est-à-dire des premiers-nés et de ce qu'il y avait de plus gras [ dans son troupeau ].

  A008001389 

 Il est hors de doute que Caïn offrit au Seigneur les fruits de la terre; mais l'Ecriture ne dit pas que ce fussent les prémices.

  A008001389 

 Si nous portons ainsi le Christ avec nous, il n'est rien que nous n'obtenions par un tel holocauste.

  A008001390 

 C'est pourquoi le Christ dit: Celui qui est pur n'a besoin que de se laver les pieds.

  A008001390 

 Mais comment doit-il être offert? Après que les jours de la purification sont accomplis.

  A008001390 

 Que vos pieds soient lavés.

  A008001419 

 Car le Seigneur ne laissera pas la verge des pécheurs sur l'héritage des justes, de peur que les justes n'étendent leurs mains vers l'iniquité..

  A008001422 

 Aussi David dit-il: Mes pieds ont presque chancelé parce que j'ai été ému de zele contre les méchants, voyant la paix des pécheurs.

  A008001422 

 C'est pourquoi ils sont devenus superbes; ils se sont couverts de leur iniquité et de leur impiété, et ils ont dit: Comment Dieu le sait-il, et le Très-Haut en a-t-il connaissance? Voilà que ces pêcheurs eux-mêmes vivant dans l'abondance, ont acquis des richesses.

  A008001422 

 Et j'ai dit: C'est donc inutilement que j'ai purifié mon cœur... Pourquoi la voie des impies est-elle prospère?.

  A008001423 

 Au jugement, dit-il, ceux dont la domination est injuste seront déchus, et le Seigneur changera de main (il distinguera les brebis des boucs ), il préférera Ephraïm à Manassès, bien que celui-ci soit l'aîné.

  A008001424 

 Ne laissera pas: il permet, il est vrai, que les impies régnent, mais en attendant j'ai attendu, et il m'a écouté.

  A008001427 

 C'est pourquoi ils sont devenus superbes; ils se couvrent de leur iniquité et de leur impiété, et ils ont dit: Comment Dieu le sait-il, et le Très-Haut en a-t-il connaissance? Voila que [ ces pécheurs ] eux-mêmes vivant dans l'abondance, ont obtenu des richesses.

  A008001427 

 Et j'ai dit: C'est donc inutilement que j'ai purifié mon cœur et que j'ai lavé mes mains parmi les innocents, puisque j'ai été affligé tout le jour et châtié dès le matin.

  A008001427 

 J'ai pensé pénétrer ce mystère, mais un grand travail s'offre à moi, jusqu'à ce que j'entre dans le sanctuaire de Dieu et que je comprenne leur fin dernière... Voir le Psaume XXXVI..

  A008001427 

 Si je disais: Je parlerai ainsi, voilà que je réprouverais la race de vos enfants.

  A008001430 

 Je répète ce que dit saint Augustin dans tous les endroits de son Commentaire sur les Psaumes où il parle des cœurs droits.

  A008001430 

 Le coeur droit est celui qui est en harmonie avec Dieu, droiture et justice même; c'est pourquoi tout ce que Dieu veut est agréable à ce cœur, seraient-ce des tribulations et des afflictions, et il les reçoit comme des bienfaits.

  A008001431 

 Dites au juste que tout est bien.

  A008001431 

 Les tribulations sont vraiment un bien, et c'est pour cela que le Seigneur les a aimées.

  A008001432 

 Saint Augustin résout ainsi la difficulté: J'ai pensé pénétrer ce mystère; mais un grand travail s'offre à moi, jusqu'à ce que j'entre dans le sanctuaire de Dieu.

  A008001433 

 Aussi c'est avec raison que le Psalmiste dit: Faites du bien, Seigneur, aux bons et à ceux qui ont le cœur droit; faites ce bien non pas de la manière que nous jugeons, mais selon votre volonté et selon qu'il sera trouvé bon à vos yeux, même en ce monde, fût-ce en nous donnant des croix, des tribulations, etc., et dans la vie future où se trouve le bien absolu: Entre dans ton repos, parce que le Seigneur t'a comblé de bienfaits.

  A008001434 

 Du reste, ceux-là sont bons que le Dieu bon fait bons.

  A008001434 

 Mais n'est-ce pas une même chose être bon et avoir le cœur droit? Il existe certes une bonté naturelle: J'avais reçu en partage une bonne âme, et devenant bon de plus en plus, je suis parvenu a conserver un corps sans souillure. Et je ne me souviens pas d'avoir lu dans l'Ecriture qu'un homme soit appelé bon de la bonté surnaturelle, bien que j'aie trouvé le mot de bonne volonté.

  A008001434 

 Nul n'est bon si ce n'est Dieu seul, c'est-à-dire que la bonté est une propriété absolue et intrinsèque à l'être.

  A008001435 

 Mais pour ceux qui se détournent dans les voies obliques, le Seigneur les joindra a ceux qui commettent l'iniquité: que la paix soit sur Israël..

  A008001436 

 Le premier pécheur, le diable, prit la forme d'un serpent, parce que les pécheurs, comme les serpents, se replient sur eux-mêmes, ne s'avancent pas directement, et détournent leur tête tantôt à droite, tantôt à gauche.

  A008001438 

 C'est pour cela que Pereira, Viegas, Corneille disent avec saint Jerome qu' Israël signifie prince avec Dieu ou de Dieu.

  A008001438 

 Que la paix soit sur Israël.

  A008001455 

 A peyne Isaac avoit acheve son propos et Jacob estant sorti, voyci Esau arrive, et apporte des viandes de sa chasse apprestees a son pere, disant: Levés vous, mon pere, et manges de la chasse de vostre filz, affin que vostr'ame me benisse ................................................ [191].

  A008001461 

 Alors Isaac lui dit: Apporte-moi de ta chasse, o mon fils, afin que mon âme te bénisse.

  A008001461 

 Dès qu'Isaac eut senti le parfum de ses vêtements, [188] il dit en le bénissant: Voici que l'odeur de mon fils est comme l'odeur d'un champ fertile que le Seigneur a béni..

  A008001462 

 Ce que signifient cette nourriture et ce breuvage, c'est-à-dire l'Eucharistie et les bonnes œuvres, surtout l'aumône.

  A008001463 

 Afin que mon âme te bénisse.

  A008001463 

 D'après Péreira ce serait un hébraïsme qui signifie de tout cœur, ou bien l'âme est prise pour l'homme: afin que je te bénisse.

  A008001463 

 De même, être devant le soleil, c'est être éclairé; et s'il pèche envers toi, devant toi, a le même sens que contre vous; en votre présence équivaut à devant [189] vous, et pareillement signifie [quelquefois] contre vous.

  A008001463 

 Rébecca rapportant cette parole dit: afin que je te bénisse devant le Seigneur; c'est-à-dire, selon Péreira, du consentement et par la grâce du Seigneur.

  A008001464 

 Oleaster dit que voir se rapporte à tous les sens, comme: Tu m'as vu, vois aussi le reste, c'est-à-dire, sens-le.

  A008001465 

 Et notre Jacob dit au chap. XXVIII: La dîme de tout ce que vous me donnerez, je vous l'offrirai.

  A008001465 

 Faire remarquer que les peuples doivent nourrir ceux qui leur donnent la nourriture spirituelle.

  A008001465 

 Saint Thomas démontre très clairement ce fait en disant que dans la loi de nature les prêtres étaient les aînés, et que par suite, ils recevaient une part d'héritage deux fois plus grande, comme on peut le constater pour Joseph et Jacob..

  A008001466 

 L'existence de ce précepte dans l'ancienne Loi est évidente: Je donne la dîme de tout ce que je possède.

  A008001467 

 Il est vrai que le droit divin n'indique pas dans quelle proportion on doit subvenir aux besoins du prêtre, mais l'exemple de ceux qui suivaient la loi naturelle le détermine à peu près.

  A008001467 

 La raison en est, comme dit saint Thomas, que le nombre dix est un nombre parfait, et qu'aller au-delà c'est recommencer.

  A008001514 

 Considérons, mes frères et mes coopérateurs, que nos brebis sont celles de notre Père.

  A008001514 

 Noter d'abord ce que j'ai omis dans une autre leçon pour tracer le portrait du vrai pasteur, 1.

  A008001514 

 Remarquons que Rachel est avec les brebis de son père; nous aussi nous devons être avec les brebis, par amour et bienveillance, d'esprit et de cœur: L'âme est là où elle aime.

  A008001515 

 Comme, en effet, Rachel abreuvait ses troupeaux au puits, on peut croire qu'elle tirait elle-même l'eau qui leur était nécessaire, parce, surtout, que ce fait eut lieu non seulement dans le même pays, sur le même sol, mais aussi peut-être au puits même auprès duquel Rébecca fut promise.

  A008001515 

 Noter en second lieu que Jacob nous donne la première signification du mariage qu'il devait contracter avec Rachel, en la choisissant pendant qu'elle s'attachait à paître ses troupeaux, et auprès de la fontaine où elle avait coutume de venir.

  A008001516 

 Mais le Christ, qui est le Seigneur lui-même, donne avant que nous ne demandions, car nous ne demanderions pas s'il ne nous enseignait intérieurement à demander: Vous l'avez prévenu des bénédictions de douceur.

  A008001516 

 Nous, confesseurs et pasteurs, qui sommes serviteurs, nous ne vous donnons les pendants d'oreilles des paroles de l'absolution ou de la purification (source de joie et d'allégresse pour les oreilles de notre coeur, d'où le texte: les os humiliés tressaillent) que lorsque vous nous avez donné des signes de componction, que vous nous avez sensiblement abreuvés du témoignage de votre contrition.

  A008001517 

 Noter en quatrième lieu l'intérêt et le dévouement que Jacob témoigne aussitôt pour le troupeau; c'est que, dit l'Ecriture, il savait que ces brebis étaient celles de son oncle Laban.

  A008001517 

 Nous devons porter à tout ce qui concerne Dieu un amour et un honneur analogues à celui que nous avons pour Dieu lui-même.

  A008001518 

 ( Le venin de l'aspic est sous leurs lèvres.) Par ses conséquences: tels sont les baisers fréquents entre jeunes gens; parce que, bien qu'au début ils se donnent sans dessein tout à fait mauvais, toutefois, par suite de la fragilité humaine, ils tournent au détriment de la pudeur; car il est étonnant combien ce feu s'allume vite.

  A008001518 

 Avant d'embrasser Rachel, Jacob lui avait déclaré qu'il était son cousin, bien que cela ne soit dit qu'ensuite, par récapitulation; 2.

  A008001518 

 Jacob, sachant que Rachel était sa cousine, se précipita pour l'embrasser sans attendre son consentement.

  A008001519 

 Le baiser est un symbole d'amitié parce que la bouche est le canal par lequel se déversent toute l'âme et tout le cœur..

  A008001522 

 De même, anciennement avaient lieu des veilles parce que les Chrétiens étaient lumière dans le Seigneur; on les a supprimées aujourd'hui de peur que les ténèbres ne nous surprennent..

  A008001522 

 Il n'y avait alors que des brebis, il y a aujourd'hui des boucs à l'haleine fétide: Leur gorge est un sépulcre ouvert.

  A008001526 

 Si on le voulait, on pourrait rapporter ici le trait que Marulus cite de saint Loup, dans le chapitre de la fuite du jugement téméraire..

  A008001527 

 Mais il est peu probable que ce fût pour cette raison, quoique le récit de Lyranus soit probable.

  A008001527 

 Noter en sixième Heu: Pourquoi Jacob pleura-t-il? Les Hébreux, d'après Lyranus, disent que ce fut à cause de sa pauvreté et de son mauvais équipage, comme il est dit plus haut dans l'histoire d'Eliphaz.

  A008001528 

 Noter en septième lieu que Rachel courut aussitôt annoncer cette rencontre à Laban.

  A008001528 

 O prudente jeune fille, plût à Dieu que toutes vous imitassent! Quelqu'un vous caresse, pour ne pas être déçues allez aussitôt le dire à votre père ou à votre mère.

  A008001528 

 S'il en était ainsi, pour parler franchement, il n'y aurait pas tant de filles trompées; mais voilà, elles ne parlent que lorsqu'il n'en est plus temps.

  A008001532 

 Pourquoi Rébecca, Rachel, Séphora, épouses de trois illustres Patriarches, ont-elles été rencontrées au bord de l'eau? Parce que l'Eglise doit épouser le Christ dans les eaux du Baptême.

  A008001571 

 Et que pouvois-je rencontrer de plus desirable?.

  A008001591 

 Or la charité, qui est le mouvement de notre souverain Pontife, replie parfois notre vie, et présentement m'applique à vous pour un temps, moi sonnette d'une autre grenade, quoique vous ayez une sonnette bien supérieure; et voici donc que retentit à vos oreilles ma sonnerie et le son de ma voix, etc..

  A008001594 

 Immole à Dieu un sacrifice de louange, etc. Le sacrifice de louange m'honorera, et c'est là, dans cette louange, que se trouve le chemin qui conduit à la vue du salut de Dieu.

  A008001594 

 J'ai dit au Seigneur, vous etes mon Dieu, parce que vous n'avez pas besoin de mes biens; l'homme engendre par indigence, Dieu n'a pas créé par ce motif, mais par l'abondance de sa bonte qui est communicative.

  A008001596 

 Et au Cantique: Que verrez-vous dans la Sulamite, sinon les chœurs des camps? Mais cette guerre est pacifique, la paix triomphe: c'est dans la paix de l'âme qu'on remporte la victoire sur le démon, et dans le trouble de l'âme [205] le démon triomphe.

  A008001598 

 Parmi ces cantiques donc, il faut preferer le dernier a cause de son Auteur; ensuite, le Magnificat; en troisieme lieu, le Gloria in excelsis; quatriemement, le Nunc dimittis, parce que le Christ etait present; cinquie mement, le cantique de Zacharie..

  A008001599 

 Le [207] Lydien, pour apaiser les esprits (voir à la page suivante); tel est le Psaume: Lætatus sum in his quæ dicta sunt milii; le Nunc dimittis, chanté par Siméon pour reposer son esprit, fatigué par une longue attente; le cantique que les Enfants chantaient dans la fournaise pour se réconforter, et celui d'Anne, mère de Samuel.

  A008001601 

 Premièrement, à l'Introït de la Messe: C'est vers vous que j'ai élevé mon âme, mon Dieu, je me confie en vous, c'est le cantique Lydien; bientôt après: La nuit passe, cantique Phrygien; ensuite: Il y aura des signes, chant Myssolydien.

  A008001601 

 Une préparation est en effet nécessaire; et comme l'Eglise veut que nous soyons prêts, elle exerce sur nous une triple action.

  A008001620 

 A ces mots: Dieu d'Israël, j'ai montré que le vrai Dieu était l'objet du culte d'Israël.

  A008001621 

 Israël était le peuple spécial de Dieu parce que Dieu avait choisi Israël et l'avait radieté de la servitude d'Egypte; secondement, pour la cause relatée au verso du folio 154.

  A008001659 

 Nul doute que cette corne de salut ne soit la puissance royale et rédemptrice du Christ Notre-Seigneur, dont il est parlé au Psaume CXXXI: C'est là que je ferai paraître la corne de David, j'ai préparé une lampe à mon Christ.

  A008001659 

 On disait parmi les anciens payens qu'une chèvre appelée Amalthée, ayant creusé la terre avec sa corne, découvrit un immense trésor dont fut enrichi le chevrier, si bien que la corne d'Amalthée devint proverbiale pour désigner l'abondance des biens temporels.

  A008001661 

 Et rien n'y contredit dans ce [213] qui est dit de David: J'ai trouvé David, mon serviteur, je l'ai oint de mon huile sainte; il se peut en effet que Samuel, pour sacrer David, ait pris l'huile sainte du Tabernacle, comme Sadoc le fit pour Salomon, sans cependant qu'il ait employé une corne du tabernacle, car il a pu se servir d'une corne qui était à son usage.

  A008001661 

 Il est certain toutefois que Salomon et Joas ont été oints de l'huile sainte du tabernacle..

  A008001661 

 L'Ecriture, en effet, enseigne expressément que le Seigneur dit à Samuel: Prends ta corne et remplis-la d'huile.

  A008001661 

 Peut-être aussi n'a-t-il pas pris de l'huile du tabernacle, mais on appelait sanctifiée et sainte l'huile que Dieu avait ordonné de répandre ou que le Prophète avait bénite.

  A008001661 

 Pinéda, par exemple, ainsi que Lyranus et Abulensis, estime qu'elle était d'or (chap. VI, liv. II, Préliminaires de l'Histoire de Salomon ).

  A008001661 

 Quoique Abulensis et Pinéda pensent que le petit vase était d'or, Sa toutefois, et, s'il m'est permis d'alléguer les pires auteurs, les pasteurs de Genève, déclarent qu'il s'agit d'une fiole, que Lyranus prétend avoir été carrée.

  A008001661 

 il me revient en mémoire que Samuel apporta une corne pleine d'huile et oignit David au milieu de ses frères.

  A008001662 

 Mais tout ainsi que les prêtres sont des anges préposés au gouvernement spirituel, ainsi les rois sont moins des hommes que des anges délégués au gouvernement temporel.

  A008001662 

 Oints de la même huile, rois et prêtres doivent marcher de concert, de telle sorte néanmoins que les prêtres gardent toujours le premier rang, [214] car l'huile leur a été d'abord immédiatement destinée, et que les rois soient leurs auxiliaires, puisque l'huile ne leur est appliquée que par dispense et par extension.

  A008001662 

 Quoi qu'il en soit, l'huile sainte employée pour le sacre des rois démontre que les rois doivent être saints et qu'ils sont adjoints aux prêtres, qu'ils sont leurs collaborateurs et leurs associés.

  A008001663 

 Au reste, nous ne lisons pas qu'aucun roi, sauf David et Salomon, ait été oint avec la corne d'huile, ce que je crois fort digne d'être observé.

  A008001664 

 Comme dans l'onction de David et de Salomon, c'est par la corne que le royaume a été fondé dans la maison de David, ainsi, par le mot corne de salut, le Prophète indique que c'est dans la maison de David qu'a été fondé le royaume du salut.

  A008001664 

 De là viennent ces mots: C'est là que je ferai paraître la corne de David, mots qui ont peut-être le même sens..

  A008001664 

 Et nous a suscité une corne de salut, c'est-à-dire, le royaume du salut; car puisque le roi David a été oint de l'huile de la corne, c'est avec raison que le royaume est désigné par la corne, royaume de salut.

  A008001664 

 Et que le Prophète fasse allusion à ce règne, il est facile de le conclure de ce qu'il ajoute: dans la maison de David son serviteur.

  A008001665 

 A ce passage, Maldonat dit que le roi est appelé corne parce qu'il est la gloire et le défenseur de l'Etat, comme la corne est la force, la puissance, l'ornement des animaux qui la portent.

  A008001665 

 C'est là que je ferai paraître la corne de David; fils de l'huile ou riche en parfums: Votre nom est une huile répandue; et Dieu vous a oint d'une manière plus excellente que ceux qui participeront à votre gloire, afin que tous les rois puisent l'huile de leur onction en vous, comme en une corne première, que vous soyez appelé Roi des rois et Seigneur des seigneurs, et que tous les rois reçoivent de votre plénitude, selon votre [216] prophétie: Par moi régnent les rois, etc. Mais cette corne qui est le Christ, est appelée fils de l'huile, c'est-à-dire qu'elle est remplie d'huile; comme fils d'iniquité, fils de péché, signifie plein d'iniquité.

  A008001665 

 Origène (voir son témoignage dans la Chaîne d'or ), Rupert, Haimon, Théophylacte, Eusèbe (liv. IV des Démonstrations, chap. XV), d'après Rio (Adage DCXCI de la I re Partie), appliquent au Christ ce passage d'Isaïe, et disent que le Christ est à la fois la corne et le fils de l'huile, parce que Dieu l'a oint de l'huile de la joie, que le Christ est oint et que son nom est un parfum répandu..

  A008001666 

 De plus, Tolet, au même endroit, et Bellarmin, sur le Psaume LXXX, pensent que ce verset: Sonnez de la trompette en ce premier jour du mois, ne s'applique qu'à la fête des trompettes, parce que les autre néoménies n'avaient rien de très solennel et que l'on n'observait le repos sabbatique qu'à la seule néoménie de septembre où se rencontrait la fête des trompettes.

  A008001666 

 Il faut remarquer que les trompettes au son desquelles on annonçait le jubilé étaient de cornes de bélier; c'est l'opinion de la plupart des hommes savants, bien que Ribéra (liv. V sur le Temple, chap. XXIV, n° 9 et suivants) pense qu'elles étaient de cornes de taureau.

  A008001666 

 Mais le même Tolet dit, liv. VI de sa Somme, chap. XXIV, qu'on avait coutume au jubilé de faire résonner les cornes de bélier et que d' obel on fit le mot jubilé.

  A008001667 

 On pourrait dire que la harpe est la foi; le psaltérion, l'espérance; la trompette battue au marteau, la pénitence; celle de corne, la charité, qui contient la jubilation, et aussi parce que la corne est la force, la défense, la gloire de l'animal..

  A008001667 

 Qu'est-ce que susciter la corne du salut, sinon faire retentir la trompette ou la prédication du salut, suivant cette parole: Elève ta [218] voix comme la trompette? Voici, en effet, le vrai jubilé, le temps de la rémission par la rédemption universelle: Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant les jours de salut.

  A008001668 

 C'est ainsi que les trompettes évangéliques, les Apôtres, renversent les murs de Jéricho: Leur bruit s'est répandu dans toute la terre.

  A008001668 

 Cependant, avant toutes les trompettes, voici Jean qui devance tous les autres, envoyé par le Père au-devant du Fils ou en face du Fils: c'est la voix de celui qui crie dans le désert, etc. Arriver par cette parole à l'Evangile du Dimanche et [219] commencer de cette manière: Pour dire aussi un mot de l'Evangile et de cette illustre trompette, il est étonnant que Jean ne semble pas reconnaître dans le Christ cette corne que Dieu a suscitée, etc..

  A008001669 

 Au Psaume où nous avons: C'est là que je ferai paraître la corne de David, l'hébreu porte: Je ferai pousser.

  A008001669 

 En hébreu: J'ai humilié ma corne dans la poussière; voir la grande Bible, en marge, à l'astérisque, et l'hébreu: En ce jour-la, je ferai repousser la corne de la maison d'Israël, et je t'ouvrirai la bouche au milieu d'eux, et ils sauront que c'est moi qui suis le Seigneur.

  A008001670 

 Après avoir déposé leurs bois, les cerfs se cachent; ils se recèlent dans leurs forts et buissons, etc. Hélas! Adam se cacha parce qu'il avait perdu la grâce et sa dignité; Jonas s'enfuit, et David s'écrie: Détournez votre face de mes péchés, etc.; jusqu'à ce que vienne le Désiré des collines éternelles.

  A008001671 

 Ainsi le visage de Moïse était entouré de rayons de lumière semblables à des cornes, afin que les enfants d'Israël ne pussent regarder sur sa face.

  A008001674 

 C'est avec beaucoup d'unanimité que les commentateurs appliquent ce passage à la Croix.

  A008001675 

 Au reste, que personne ne m'importune plus, car je porte en mon corps les stigmates du Seigneur Jésus.

  A008001675 

 Pour moi, a Dieu ne plaise que je me glorifie si ce n'est dans la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde m'est crucifié, et moi, au monde.

  A008001675 

 Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit.

  A008001695 

 La question est: pourquoi plutôt la maison de David que celle de Salomon, ou de Roboam, d'Ezéchias, de Josaphat, de Josias? Nous répondons que le règne de David fut le plus illustre..

  A008001696 

 Dans la première onction il reçut un cœur pur et un esprit droit ( Vous avez aimé la justice et haï l'iniquité ); dans la seconde, le saint esprit de prophétie; dans la troisième, l'esprit parfait; et comme le Christ, il a été oint d'une manière plus excellente que ceux qui devaient participer a sa gloire.

  A008001723 

 Aussi est-il écrit que l'Agneau a été immolé dès l'origine du monde.

  A008001724 

 Ce n'est pas en vain que l'Eglise est appelée Epouse de l'Agneau, et le temps évangélique, la plénitude des temps.

  A008001724 

 Ce n'est pas en vain que saint Paul s'écrie: Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant les jours de salut; et encore: La bonté et l'humanité de Dieu notre Sauveur est apparue; et aux Hébreux: Nous avons un autel dont ceux qui servent dans le tabernacle n'ont pas le droit de manger..

  A008001724 

 Toutefois, pour nous Chrétiens, c'est d'une manière beaucoup plus absolue que nous sommes délivrés de nos ennemis.

  A008001725 

 De même, les armes spirituelles que nous fournissent les Sacrements l'emportent de beaucoup sur les anciennes.

  A008001727 

 Les paroles [230] que je vous dis sont esprit et vie.

  A008001727 

 Que chacun sache posséder saintement son corps.

  A008001727 

 Que l'homme ne sépare point ce que Dieu a uni.

  A008001748 

 Quel est ce testament de Dieu? comment s'en souvient-il? que signifie: accomplir ses miséricordes envers nos pères?.

  A008001749 

 Car je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée et qu'ils ont tous passé la mer, qu'ils ont tous été baptisés sous Moïse dans la nuée et dans la mer, qu'ils ont tous mangé la même nourriture.

  A008001749 

 Ce mot testament est un mot aimé de notre interprète latin et des Septante, bien que le mot hébreu berith signifie proprement alliance.

  A008001749 

 Ce testament est un contrat parce qu'il est fait sous la condition que nous ne serons pas ingrats; ce contrat est un testament parce qu'il n'a sa force qu'après la mort.

  A008001749 

 Et ensuite: Donc, que celui qui croit être debout prenne garde de tomber.

  A008001749 

 Et pourquoi? Parce que dans l'alliance de Dieu avec les hommes, les plus grands biens promis ne seront donnés qu'à la mort du testateur et que cette volonté de Dieu tire toute sa force et son effet de la [232] mort.

  A008001749 

 Noter: Et que vous ne deveniez point idolâtres comme quelques-uns d'entre eux; ne commettons point la fornication; ne murmurez point, etc. Ils commirent la fornication, et il en tomba vingt-trois mille.

  A008001749 

 Or, toutes ces choses ont été des figures de ce qui nous regarde, afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises comme ils les convoitèrent.

  A008001750 

 Le souverain bien ne peut changer, parce que tout changement est en mieux ou en mal.

  A008001751 

 Le changement, c'est-à-dire que vous paraissez avoir changé de dessein sur votre Christ.

  A008001751 

 Tant que nous sommes dans l'attente, le temps nous dure: Où sont vos anciennes miséricordes, ô Seigneur, telles que vous les avez jurées à David dans votre vérité? Souvenez-vous, Seigneur, de l'opprobre (que j'ai gardé dans mon sein) que vos serviteurs ont souffert de la part d'un grand nombre de nations; de ce que nos ennemis ont reproché, Seigneur, de ce qu'ils ont reproché le changement de votre Christ.

  A008001752 

 La grâce de Dieu noire Sauveur est apparue à tous les hommes, nous enseignant, etc. [ Lorsque ] la bénignité et l'humanité de Dieu notre Sauveur est apparue, ce n'est point par les œuvres de justice que nous avons faites, qu'il nous a sauvés, mais selon sa miséricorde.

  A008001753 

 Je rattache la fin au début: Dieu nous a fait miséricorde, car il s'est lui-même donné à nous, comme un gage plus précieux que tout.

  A008001790 

 Mais il y a deux sortes de dignités: l'une qui enlève l'obstacle ou le péché mortel, et ceux qui n'ont pas cette dignité, non seulement ne sont pas dignes, mais sont indignes; l'autre dignité résulterait d'une sorte de proportion entre le mérite du communiant et un si grand [236] mystère; et cette dignité, ni les Anges ni les hommes ne la peuvent avoir, parce que devant le Seigneur personne n'est justifié, et en parlant de cette dignité, la Bienheureuse Vierge elle-même dirait: Seigneur, je ne suis pas digne..

  A008001791 

 Après que vous aurez tout fait, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles. Le Seigneur dit de Jean: Un Prophète, oui, je vous le dis, plus qu'un Prophète; mais Jean répond: Je ne le suis pas.

  A008001791 

 Je ne suis pas digne que vous entriez.

  A008001791 

 Les anciens disent: Seigneur, il est digne que vous lui accordiez cette grâce, car il nous a même construit une synagogue; cette dignité est de convenance, elle est selon votre miséricorde, dignité relative et non pas équivalente.

  A008001792 

 D'après Maldonat, les anciens ne suivirent pas les intentions du centurion, et contre la fidélité aux termes de l'ambassade, ils ajoutèrent: Il est digne que vous lui accordiez cette grâce, tandis qu'il affirmait n'en être pas digne.

  A008001793 

 C'est de ce mot que je tirerai mon exorde pour les Grenoblois (dans l'église de Saint-André, les sermons commencent le jeudi après les Cendres): Me voici dans Capharnaüm, c'est-à-dire dans le champ de pénitence.

  A008001793 

 Cependant vous ne le guérirez pas si je n'ai la foi; eh bien! je l'ai, car nous avouons n'être pas dignes que vous entriez sous le toit de notre cœur, mais dites seulement une parole.

  A008001793 

 Et pour vous et vers vous, dans ce champ de pénitence, je m'écrierai: Seigneur, mon serviteur, mon peuple, mien, non que j'aie autorité sur lui, mais par l'affection que je lui porte, gît paralysé dans votre maison, et il souffre extrêmement, mais venez et guérissez-le.

  A008001793 

 Voici que je vous apporte la parole du Seigneur; mais vous, Seigneur, parlez, et non pas moi.

  A008001794 

 C'est la vraie raison, mais le mystère est que le Christ ait fréquemment habité le champ de pénitence.

  A008001794 

 Haimon, d'après saint Thomas, dit que Capharnaum signifie campagne de graisse ou champ de consolation; mais il faut croire aux plus autorisés..

  A008001794 

 Il est vrai que «saint Augustin, Strabus, Lyranus, Hugues, Bède estiment que Capharnaum est appelée cité du Christ parce qu'elle était la capitale de la Galilée, comme on appelle romain celui qui est soumis au pouvoir de Rome ou qui est né dans cette ville.» Saint Chrysostome, Euthymius, Théophylacte disent qu'elle est ainsi appelée parce que le Christ y habitait fréquemment; c'est aussi l'opinion des pasteurs de Genève.

  A008001796 

 Le Seigneur a pensé de détruire le mur, etc. Parce que le Seigneur pensa, et il accomplit tout ce qu'il avait dit.

  A008001796 

 Toutefois, Dieu parle pour ce qui doit être fait sur-le-champ, mais il pense pour ce qu'il ne fera que plus tard et en quelque sorte progressivement selon les vues de sa Providence..

  A008001797 

 Philémon était un noble Rhodien ou Colossien, à qui son esclave, Onésime, avait causé quelque dommage (je ne sais de quelle manière; était-ce par vol, par négligence ou bien parce que en s'évadant, il l'avait privé de ses services?) car saint Paul dit: S'il t'a fait tort, impute-le-moi.

  A008001797 

 Voir surtout dans l'Epître à Philémon, Onésime, entrailles du grand Paul, que l'Apôtre veut [240] être considéré comme frère parce qu'il avait cru dans le Seigneur.

  A008001798 

 Constantin le Grand défendit de marquer le front d'un stigmate, parce que le visage de l'homme est considéré comme représentant l'image de Dieu.

  A008001798 

 Pline dit que de son temps, à Rome, la culture des champs était ordinairement réservée à des esclaves stigmatisés; ces caractères étaient empreints sur le front ou sur le visage.

  A008001798 

 Valentinien rendit une loi par laquelle il défendait de baptiser les histrions, sinon à leur dernière heure, parce que le théâtre était interdit aux Chrétiens, et que ces esclaves du théâtre ou de la scène amusaient [241] le peuple, et comme des esclaves publics, s'appliquaient aux inepties du théâtre.

  A008001799 

 L'esclave fait en quelque sorte partie du maître, bien qu'il ne lui soit pas uni (Aristote, Politiques ), c'est-à-dire que le maître s'en sert comme d'un instrument distinct de sa personne..

  A008001801 

 Saint Bernard écrit, épitre CCXCII e, à un homme qui avait osé détourner un novice de la vie religieuse: « Plût a Dieu que tu eusses la sagesse et l'intelligence et que tu prévisses tes fins dernières! Tu goûterais les choses de Dieu, tu comprendrais les choses du monde, tu prévoirais les supplices de l'enfer; tu aurais horreur de l'enfer, tu aspirerais aux choses d'en-haut, et tout ce qui regarde le mal du monde, tu le mépriserais.».

  A008001802 

 Pour écarter absolument les hommes de discorde de la ville où l'on doit vivre en parfaite union; pour [242] signifier le jugement particulier qui aura Heu au sortir de cette vie; pour déclarer que les disputes sont indignes des citoyens..

  A008001803 

 Jusqu'à quand les pensées nuisibles demeureront-elles en toi? Parfois le démon ne veut pas l'acte du péché, de peur que le pécheur surpris en faute ne fasse pénitence; mais il veut des pensées, des désirs longuement entretenus, des omissions, des paroles, des murmures..

  A008001805 

 Cette erreur affectée de l'intelligence est plus dangereuse que celle de la volonté.

  A008001805 

 Ne pas pardonner c'est faiblesse humaine; mais dire que le pardon est pusillanimité, c'est être heretique.

  A008001806 

 Que le péché ne règne point dans votre corps mortel; lorsque le péché règne, il bat monnaie et donne leur prix aux pièces d'argent; il donne du prix aux vices.

  A008001807 

 Cependant, ô mon âme, sois soumise à Dieu, puisque c'est de lui que vient ma patience; il veut que tu souffres l'injure, mais, pour la supporter, il est prêt à te donner la patience..

  A008001807 

 [243] Tertullien, Apologétique: «Le Chrétien n'est l'ennemi de personne.» Afin que vous soyez les fils de votre Père.

  A008001808 

 Saint Chrysostôme dit à ce sujet: Dieu nous ordonne d'aimer nos ennemis pour que l'amour ne reste pas oisif, car les amis sont si peu nombreux que si nous n'aimions que les amis, nous aimerions un très petit nombre de personnes..

  A008001809 

 L'Evangéliste avertit prudemment que cette colère tombe non sur les hommes, mais sur leur coupable aveuglement; si elle le peut, la colère repousse le mal, sinon, elle se change en tristesse..

  A008001822 

 Zeuxis fit une luite ou il print grand playsir, et escrivit dessous «qu'elle seroit plus tost enviee qu'imitee.» Et ecce Evangelistæ nobis pugnam tanquam in tabula pingunt, quæ ne doit point estre enviee ains aymee, parce que son issue est heureuse pour nous; et non seulement elle doit estre aymee, mais imitee..

  A008001833 

 Craintes des petitz enfans: il ny a rien de si grande consolation que l'observance de la discipline ecclesiastique.

  A008001845 

 Or voici que les Evangélistes nous peignent, comme dans un tableau, une lutte qui.

  A008001846 

 Que nul, lorsqu'il est tenté, ne dise que c'est le Seigneur qui le tente, car Dieu ne tente point pour le mal.

  A008001847 

 Ainsi, saint Antoine se moquait des tentations de luxure, etc., que le diable lui suggérait; saint Martin s'écriait: «Arrière, [246] bête cruelle!» Ainsi, les Tentyrites domptent par leur seule haleine les crocodiles dont ils se servent comme de chevaux..

  A008001847 

 Il dit que ce doute passa sans se fixer: «Tel un glaive qu'on brandit devant un homme le fait trembler sans le blesser, ainsi le doute effleura seulement l'âme de la Vierge, et passa comme une ombre.» Embellir cette comparaison: attaquez à l'épée un homme revêtu d'une cuirasse d'impénétrable acier ou dure comme du diamant, le coup porte à faux, ne pénètre pas, mais tourne la poitrine, il coule, il glisse.

  A008001848 

 C'est ainsi que saint Jérôme déclare avoir ressenti les révoltes de la chair au milieu du désert.

  A008001851 

 C'est pour cela [248] que Madeleine, forte entre toutes, recherche le Christ sépulture; et saint Pierre après sa pénitence, et saint Paul, et saint Augustin.

  A008001853 

 Et ce que dit Barradas de la troisième tentation ne s'y oppose pas; car Satan avait pris et porté le Seigneur, et bien qu'il eût emprunté cette forme, il espérait que le Seigneur pourrait croire en lui; de plus, il jouait le rôle d'un ennemi désespéré..

  A008001856 

 Tous les Pères observent que c'est le propre des hérétiques de citer les bonnes paroles dans un mauvais sens.

  A008001858 

 Mais [la prétention qu'ont] les [250] enfants d'imiter leurs parents n'a rien de ridicule; sans quoi ils ne devraient jamais commencer à parler parce qu'ils ne peuvent d'abord parler aussi vite que leur mère; ni à marcher, parce qu'ils ne peuvent faire des pas égaux à ceux de leur père.

  A008001858 

 Noter que Calvin se moque des Catholiques parce que, dans un zèle qu'il appelle outré, ils veulent imiter le Christ.

  A008001859 

 O festin des Anges! Que le Seigneur mon Dieu soit béni, lui qui dresse mes mains au combat et mes doigts à la guerre.

  A008001887 

 C'est l'opinion de Barradas que je préfère suivre parce que c'est la plus commune.

  A008001887 

 Il est statué que les hommes doivent mourir une fois.

  A008001888 

 Aussitôt que le [253] signal aura été donné par la voix de l'Archange et au son de la trompette de Dieu, le Seigneur même descendra du ciel, et ceux qui seront morts dans le Christ ressusciteront les premiers.

  A008001888 

 En un moment, en un clin d'œil, au son de la dernière trompette; car la trompette sonnera, etc. Et ce sera juste; dans l'ancienne Loi, en effet, on faisait un usage fréquent de la trompette: pour la guerre, comme à Jéricho, pour convoquer le peuple, pour les fêtes; c'est au son de la trompette que furent promulgués les commandements.

  A008001888 

 Voici que je vais vous dire un mystère: A la vérité, nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés.

  A008001889 

 C'est d'une manière mystérieuse [254] qu'on entendra ces paroles: «Levez-vous, morts,» parce que les corps ressusciteront sur-le-champ; mais ces autres: «Venez au jugement,» seront entendues réellement, parce que déjà la résurrection aura eu lieu.

  A008001889 

 O voix terrible! Que cette voix retentisse à mes oreilles comme elle résonnait à celles de saint Jérôme, ainsi qu'il le dit lui-même à ses moines, d'après Suarez.

  A008001890 

 Déjà, dans la loi de nature, Job disait: Je crois que mon Rédempteur est vivant, et que dans ma chair, etc. Marthe affirme la même foi, conforme d'ailleurs aux lumières naturelles, car l'âme, n'ayant pas travaillé seule, a droit de réclamer son complément.

  A008001890 

 Restait à trouver qui le lui donnerait, et voici que c'est Dieu..

  A008001891 

 De la même fournaise sortent une matière plus pure que la brise, et des bois noirs et des charbons.

  A008001891 

 Que vois-tu? Une verge qui veille, pleine d'yeux, comme celle de l'amandier, fleurie, précoce; une chaudière bouillante.

  A008001915 

 D'ailleurs, il faut que les Juifs soient jugés les premiers.

  A008001915 

 Le Maître des Sentences se moque de cette interprétation parce que le nom même de Josaphat signifie jugement de Dieu; mais l'opinion [257] énoncée ci-dessus n'en est pas moins certaine.

  A008001916 

 (Le livre de vie, dans l'Apocalypse, XX, c'est la vie du Christ.) Je regardais jusqu'à ce que des trônes fussent placés, et l'Ancien des jours s'assit, etc.; le jugement se tint et les livres furent ouverts: «Le livre écrit sera présenté.».

  A008001916 

 Et l'Apôtre: Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous, etc.; c'est pourquoi ne jugez pas avant le temps, jusqu'à ce que vienne le Seigneur qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et qui manifestera les secrètes pensées des cœurs... Et je vis un grand trône blanc, et quelqu'un assis dessus, en présence duquel la terre et le ciel s'enfuirent, et leur place ne se trouva plus; et je vis les morts, grands et petits, debout devant le trône; et les livres furent ouverts, et un autre livre fut encore ouvert, qui est le livre de vie (c'est-à-dire, qui est [258] la vie); et les morts furent jugés sur ce qui était écrit dans les livres selon leurs œuvres.

  A008001917 

 En ce jour-là je scruterai Jérusalem avec des lampes (Saint Bernard: S'il en est ainsi pour Jérusalem, quelle sera la fin de Babylone! Jérusalem, c'est-à-dire les Saints: les péchés mêmes des Saints seront découverts, mais à leur grande consolation; et ils diront: C'est grâce aux miséricordes du Seigneur que nous n'avons pas été consumés); et je visiterai les hommes enfoncés dans leur lie, qui disent en leurs cœurs: Le Seigneur ne fera pas de bien, il ne fera pas de mal.

  A008001918 

 Histoire de Joseph: [ Ils se dirent ] les uns aux autres: C'est justement que [259] nous souffrons tout ceci, parce que nous avons péché contre notre frère; voyant les angoisses de son âme quand il nous suppliait, nous ne l'avons pas écouté; c'est pour cela que cette tribulation a fondu sur nous. Et Ruben de répondre: Ne vous ai-je pas dit: Ne péchez pas contre cet enfant? et vous ne m'avez pas écouté; voilà que son sang nous est redemandé..

  A008001944 

 Rien de plus incroyable que ce que nous ne voulons pas croire; la rigueur du jugement excite la haine de tout homme pervers, Nous l'oublions volontairement, ou bien nous nous [261] bornons à de vaines et subtiles conjectures sur ce qui doit arriver en ce jour.

  A008001944 

 Une génération méchante et adultère qui abandonne le vrai culte pour vouer son amour à l'étranger; elle peut demander un miracle, mais il ne lui sera point donné d'autre signe que celui du Prophète Jonas..

  A008001945 

 Maldonat, après saint Hilaire, si je ne me trompe, dit que ces mots signe de Jonas, signifient absence de signe, car Jonas n'a fait aucun prodige; il a seulement dit: Encore quarante jours et Ninive sera détruite. Et le signe de la condamnation: jugement par comparaison avec les Ninivites.

  A008001945 

 Quel est ce signe? La plupart pensent que le signe de Jonas est la résurrection.

  A008001946 

 C'est donc à bon droit que seront condamnés les méchants, et ils n'auront rien à objecter à une aussi juste sentence; mais avant que nous l'entendions [je veux vous confier une pensée qui m'est familière].

  A008001947 

 Ou plutôt je me figure voir à ce jugement ce qu'on vit au Jourdain quand Israël sortait de l'Egypte: Les eaux supérieures grossissaient et s'élevaient semblables à une montagne (d'où le mot du Psaume: Montagnes, vous avez bondi comme des béliers; ce qui signifie que des montagnes de flots s'agitaient et semblaient danser), tandis que les eaux inférieures descendaient à la mer du Désert, c'est-à-dire à la mer Morte, au lac Asphaltite (belle comparaison, car le Jourdain est précisément le fleuve du jugement).

  A008001948 

 Et lorsque je l'eus vu, je tombai a ses pieds comme mort: cependant, il ne devait juger que les sept Evèques.

  A008001949 

 (Que dites-vous, hommes pervers? Voici qu'on récompense [264] les œuvres de miséricorde: Les livres furent ouverts et les morts furent jugés, d'après ces livres, selon leurs œuvres.) Ils fondront de douceur à ces paroles.

  A008001976 

 L'Eglise nous enseigne que la prière est nécessaire et que, seule, elle ne suffit pas.

  A008001976 

 O toute-puissance de la prière! Deux hérésies pourtant se sont élevées à ce sujet: celle des Euchites et des Messaliens qui disaient que la prière suffit; et celle des Pélagiens, dont la plupart prétendaient que nous n'avons pas besoin de prier.

  A008001977 

 Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que j'ai crié tout le jour vers vous; réjouissez l'âme de votre serviteur, parce que c'est vers vous, Seigneur, que j'ai élevé mon âme. De même: C'est vers vous que j'ai élevé mon âme; mon Dieu, je me confie en vous, je ne [267] rougirai point.

  A008001977 

 Et dans le Cantique: Quelle est celle-ci qui monte du désert comme une colonne de fumée de parfums de myrrhe et d'encens? Toutefois, cette élévation est mentale, non matérielle, elle est relative à son objet, non au lieu; c'est également ce que signifient ces mots: «En haut les cœurs,» Quelle étonnante sottise ou méchanceté de la part des Calvinistes quand ils nous objectent ces paroles: «En haut les cœurs,» comme si «en haut» s'entendait au sens littéral! Ils ne veulent pas distinguer entre prier matériellement devant une image et prier moralement devant cette image.

  A008001978 

 Aye$ pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme.

  A008001978 

 Elle montre premièrement sa misère, parce que la misère attire la miséricorde.

  A008001979 

 Hélas! Celui qui a créé l'oreille n'entendra pas? Celui qui a façonné l'œil ne considère pas? O Verbe de Dieu, vous ne répondez pas une parole? Parfois, l'amour fait la sourde oreille (Pierre, m'aimes-tu? Pierre, m'aimes-tu?) afin que nous criions plus fort..

  A008001981 

 Dès que [la Chananéenne] a levé le cerf de son fort, de son buisson: Elle crie après nous, [disent les Apôtres]; elle nous invoque, c'est-à-dire, elle vous prie par notre entremise.

  A008001981 

 [269] (Les pauvres crient après nous: «Ce que vous dévorez nous appartient; toutes vos dépenses inutiles sont un vol cruel que vous nous faites.») Mais la femme répond: Oui, car les petits chiens, etc..

  A008001982 

 A cause de cette parole, va, qu'il te soit fait selon ce que tu veux: il rend les abois.

  A008001982 

 O femme! Voici que l'Ange est vaincu.

  A008002011 

 D'après l'opinion commune des anciens, cette appellation vient de ce que les brebis offertes au Temple y étaient lavées, ou du moins on y lavait leurs intestins; aussi, saint Jérôme, au livre Des Lieux hébraïques, dit-il que de son temps cette piscine était encore rougie et comme teinte de sang.

  A008002011 

 D'autres, d'après Barradas, disent que si Bethsaïda s'écrit par un sin, il signifie maison d'effusion; si par un sade, maison des chasseurs.

  A008002012 

 Et saint Pierre: Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé..

  A008002012 

 Voici que j'ai été conçu dans l'iniquité.

  A008002013 

 Voilà de l'eau; qui empêche que je ne sois baptisé? Argument [272] contre les Séleuciens, d'après lesquels la matière du Baptême était le feu, et contre les Flagellants, selon lesquels cette matière était le sang..

  A008002014 

 «Que Pierre baptise, que Paul baptise, c'est le Christ lui-même qui baptise.» Et [saint Paul] aux Ephésiens: Le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier, la purifiant par le baptême d'eau dans la parole de vie..

  A008002015 

 Le serviteur qui plonge [dans l'eau régénératrice], c'est le prêtre, ministre ordinaire du Baptême; mais, ainsi que les hérétiques eux-mêmes le reconnaissent (car tout en nous regardant comme idolâtres et antichrétiens, ils ne rebaptisent cependant pas ceux que nous avons baptisés), tout homme, fùt-il infidèle, peut en être le ministre extraordinaire, comme l'Eglise l'a défini au Concile de Florence, contre saint Cyprien et Cécilien.

  A008002018 

 Celui qui descendait le premier était guéri; d'après le Concile de Nicée, [le Baptême est] «pour la rémission des péchés.» Le Christ n'en guérit qu'un, il ne sauve que le seul Chrétien Catholique..

  A008002020 

 Plusieurs des commentateurs pensent que le Christ interrogea le malade sur lès causes et la durée de son infirmité, et que le malade confessa ses péchés; c'est pour cela que Jésus lui dit: Ne pèche plus désormais..

  A008002023 

 Voir un excellent passage dans les notes sur la vie de Jacob, où il est question du baiser que Jacob donna à Rachel, auprès du puits.

  A008002047 

 Oh! que ne puis-je vous dépeindre au vif par mes paroles cette glorieuse Transfiguration! Assurément, vous voudriez avec Pierre, établir votre demeure [sur le Thabor]; mais du moins nous en esquisserons quelque chose, afin surtout que vous entendiez le Fils, c'est-à-dire, afin que vous observiez ses préceptes..

  A008002048 

 De là, ces paroles à l'Ange de Pergame: Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ce que l'Esprit dit aux Eglises: Je donnerai au vainqueur une manne cachée, et je lui donnerai une pierre blanche, et un nom nouveau écrit sur la pierre, lequel nul ne connaît que celui qui le reçoit..

  A008002048 

 Et Isaïe: L'œil n'a point vu, hors vous seul, ô Dieu, ce que vous avez préparé a ceux qui vous attendent. Ainsi les enfants d'Israël ne pouvaient regarder le visage de Moïse.

  A008002048 

 Mais comme il est écrit: Que l'œil n'a point vu, que l'oreille n'a point entendu, que le cœur de l'homme n'a point conçu ce que Dieu a préparé a ceux qui l'aiment.

  A008002049 

 Et de même que nous connaissons quelque peu la configuration de l'Amérique et ce qui concerne ce pays par les descriptions que nous en ont faites ceux qui l'ont visité, ainsi connaissons-nous cette gloire que nous révèle ici le Seigneur de la gloire.

  A008002049 

 Toutefois, pour avoir l'espérance [du Ciel], il fallait que nous en connussions quelque chose, que nous en eussions dans l'Evangile un avant-goût... Saint Jean Damascène dit: Par cette ouverture, le Christ nous montre la splendeur de la lumière.

  A008002050 

 Selon Boèce, la béatitude «est cet état que rend parfait la réunion de tous les biens.» Mais d'après saint Augustin, «l'homme heureux est celui qui possède tout ce qu'il veut et qui ne veut rien de mauvais.» La béatitude essentielle est dans l'intelligence qui jouit du beau et dans la volonté qui jouit du bien..

  A008002051 

 Mais, prise d'une manière relative, elle s'applique aussi à nous; la béatitude est alors «l'état que rend parfait la réunion de tous les biens» qui nous conviennent.

  A008002052 

 J'entends ainsi ce passage: l'image de Dieu dort, maintenant que nous la voyons comme par un miroir, en énigme; mais lorsqu'elle s'éveillera, que nous la verrons vivante, face à face, alors nous serons bienheureux.

  A008002052 

 Nous ne voyons pas le visage de l'homme qui dort, parce que nous ne voyons pas le visage de ce [278] visage, c'est-à-dire les yeux.

  A008002052 

 Rien de ce qui est moins que Dieu ne peut remplir une âme capable de posséder Dieu..

  A008002053 

 Alors nous dirons: Que vous êtes beau, mon Bien-Aimé, que vous êtes beau! de là provient l'amour.

  A008002084 

 Est-ce que je veux la mort de l'impie, dit le Seigneur, et non plutôt qu'il se convertisse et qu'il vive? Convertissez-vous et faites pénitence de toutes vos iniquités, et l'iniquité ne causera pas votre ruine.

  A008002085 

 D'où vient, Israël, que tu habites dans la terre de tes ennemis? Tu as vieilli dans une terre étrangère, tu t'es souillé avec les morts, c'est-à-dire tu [281] as vécu parmi les morts; tu es devenu semblable a ceux qui descendent en enfer.

  A008002086 

 Là où je vais, vous ne pouvez venir, c'est-à-dire: Je vais a mon Père par une voie dure et par une pénitence rédemptrice ( ce que je n'ai pas pris, je l'ai pourtant payé ); et vous ne pouvez venir, c'est-à-dire vous ne voulez pas, parce que vous êtes d'en-bas et du monde.

  A008002088 

 Esaü: Voici que je meurs, a quoi me servira mon droit d'aînesse? Remède: Goûtez et voyez.

  A008002120 

 Aussi, saint Cyprien, liv. IV, épître IX e, fait-il remarquer que les prêtres ne sont jamais réprimandés sous ces noms de Scribes et de Pharisiens, pour pervers et ambitieux qu'ils aient été..

  A008002120 

 Il est évident que le mot chaire signifie ici l'autorité d'enseigner, et s'asseoir dans la chaire, avoir mission d'enseigner.

  A008002121 

 Cette chaire est appelée chaire de Moïse, parce que la doctrine contenue dans la Loi ou plutôt la Loi elle-même a été donnée à Moïse sur le Sinaï, et, prêtre lui-même, il a, par l'ordre du Seigneur, institué le sacerdoce lévitique dans la personne d'Aaron.

  A008002121 

 Elle est nommée aussi Chaire de Pierre, parce que Pierre était chef des Apôtres, comme ses successeurs le sont des Evêques, «afin qu'un chef étant établi, toute occasion de schisme fût ôtée.» Ainsi la Loi ancienne n'avait qu'un seul grand Prêtre, et aux Israélites, toutes choses arrivaient en figures..

  A008002121 

 Et cette chaire est appelée Apostolique parce que la doctrine et l'autorité ont été conférées aux Apôtres sur le mont Sion, au jour de la Pentecôte.

  A008002122 

 Saint Augustin enseigne (liv. IV de la Doctrine Chrétienne, chap. XXVII, et liv. XVI contre Fauste, chap. XXIX) que par [285] la puissance même de cette chaire, aucun de ceux qui venaient s'y asseoir pour y enseigner ne pouvait prêcher l'erreur.

  A008002123 

 Mais quand peut-on dire qu'il enseigne ex cathedra? Est-ce lorsqu'il parle dans un Concile général seulement, ou encore en d'autres cas? C'est une question que je ne puis résoudre faute de temps, et que je ne veux pas résoudre parce qu'elle est hors de propos.

  A008002123 

 Nous Catholiques, en effet, nous écoutons bien le Pape, même quand il décrète par sa seule autorité et en dehors d'un Concile, au lieu que les hérétiques ne veulent entendre ni Pape ni Concile..

  A008002124 

 Caïphe, en effet, [286] le plus méchant des hommes, porta un jugement très sacré: Il est avantageux, qu'un seul homme meure pour le peuple, afin que toute la nation ne périsse pas.

  A008002124 

 De même que ni Luther ni les autres n'eussent erré s'ils avaient enseigné dans la chaire et par l'autorité de Pierre; mais dès qu'ils commencèrent à enseigner en dehors de cette autorité, ils tombèrent dans les plus graves erreurs..

  A008002124 

 l'infaillibilité de la Synagogue qui ne tomba jamais dans l'erreur; bien que les mœurs fussent extrêmement corrompues, la doctrine demeura toujours intacte.

  A008002125 

 Aussi est-il dit dans les Actes: Il a paru bon à l'Esprit-Saint et à nous; ce qui indique que l'Esprit-Saint était le Chef invisible de tout le Concile.

  A008002125 

 Notons que saint Paul avait dit auparavant: Que l'Evêque gouverne bien sa maison; or ici, il appelle l'Eglise, maison de Dieu; Dieu est donc préposé sur sa propre maison qui est l'Eglise, afin de la bien gouverner.

  A008002125 

 Voir ce passage: Je t'écris ces choses, quoique j'espère aller bientôt te voir, afin que si je tarde, tu saches comment tu dois te conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Eglise du Dieu vivant, la colonne et le firmament de la vérité.

  A008002127 

 Grande donc est la dignité du sacerdoce! Que disent les hommes du Fils de l'homme («Vous qui n'êtes pas des hommes, mais des dieux»)? Qui vous écoute m'écoute.

  A008002127 

 Que les hommes nous regardent comme ministres du Christ, etc..

  A008002129 

 Double amour: l'un affectif, en signe duquel le grand Prêtre portait sur la poitrine les noms des enfants d'Israël; l'autre effectif, et qui porte même les méchants et les brebis perdues; de là vient que les noms des enfants d'Israël étaient aussi gravés sur deux onyx fixés à l'huméral..

  A008002129 

 O Dieu! il faut aimer les brebis pour le Christ et non pour la vanité; non pour en être honoré, mais pour que le Christ soit honoré par elles.

  A008002156 

 Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré.

  A008002157 

 Etrange rusticité et importunité de l'ambition! Le Seigneur méditait sa croix et sa mort, et voici que cette femme accourt, préoccupée de l'idée de la gloire et des honneurs: Un récit inopportun est comme une musique pendant le deuil..

  A008002158 

 Et après la Résurrection, il voulut garder de cette Passion le plus éclatant souvenir, tant dans l'Eglise militante que dans l'Eglise triomphante: ici-bas, dans l'Eucharistie: Vous annoncerez la mort du Seigneur; au Ciel, dans les stigmates qu'il conserve..

  A008002158 

 Et comme nous parlons sans cesse de ce que nous désirons le plus, car la main indique la partie qui souffre, la langue indique l'amour [dont on est animé], ainsi le Christ parle continuellement de sa Passion.

  A008002158 

 Parmi les véhéments désirs du Christ, entre tous ceux qui pressèrent son cœur, le plus ardent fut celui qu'il exprimait ainsi; Je suis venu jeter le feu [291] dans le monde, et que veux-je sinon qu'il s'allume? Je dois être baptisé d'un baptême, et comme je me sens pressé jusqu'à ce qu'il s'accomplisse! Le feu de la charité s'allume au baptême de la Passion, et le baptême de la Passion se consomme dans le feu de la charité.

  A008002159 

 Aussi, d'une part, le Christ est-il toujours appelé crucifié, et de l'autre, nous, prédicateurs, répétons constamment: J'ai estimé ne rien savoir que Jésus.

  A008002159 

 C'est Jésus de Nazareth que vous cherchez.

  A008002159 

 Convaincue de ces vérités, l'Eglise réveille très fréquemment chaque jour le souvenir de la Passion du Seigneur, dans les temples, sur les routes, partout; et c'est pour cela que nous portons des croix au cou (Macrine et Vestiane), que nous honorons chaque vendredi.

  A008002159 

 Nous ne comprenons pas ce que nous ne voulons pas comprendre; nous cherchons des divertissements et nous les excusons..

  A008002160 

 Saint Marc dit que les fils s'approchèrent aussi.

  A008002161 

 Quelque chose: Maître, nous voulons que vous nous accordiez tout ce que nous vous demanderons.

  A008002161 

 Toujours à notre avis, ce que nous sollicitons doit être compté pour rien..

  A008002162 

 Jésus lui dit: Que veux-tu? Ordonnez que [ mes deux fils ] soient assis, etc. Oh, grande et ambitieuse demande! Démocrate, déjà vieux.

  A008002163 

 Quels temps que les nôtres!.

  A008002163 

 Vous ne savez ce que vous demandez; pouvez-vous, etc. Présomption.

  A008002164 

 La vocation de Lia fut mauvaise, Lia toutefois fut plus fidèle que Rachel.

  A008002176 

 Que si toutefois il y a un petit ruisseau entr'elles et leurs petitz, elles ne passeront qu'avec extreme difficulte, et mesme n'y veulentelles pas mettre le pied.

  A008002180 

 Appian Alexandrin recite que les Parthes, mis en fuite, etc. (vide Similitudines), presses de faim, mangerent une herbe qui leur faysoit oublier toufautre chose, etc., et perdans le sens ilz vomissoyent et mouroyent.

  A008002196 

 Ainsi ces hommes de richesses ont dormi leur sommeil; ils dépouillent celui-ci de ses biens, ils dévorent celui-là, etc... Et: Malheur a vous qui joignez maison à maison et qui ajoutez champ à champ jusqu'à ce que le lieu vous manque; est-ce que vous habiterez seuls au milieu de la terre?.

  A008002197 

 C'est pourquoi Isaac bénissant Jacob lui dit: Que le Seigneur te donne la rosée du ciel et la graisse de la terre, l'abondance de froment et de vin, etc. Ainsi Job: Le Seigneur m'a donné, etc..

  A008002200 

 Hélas, hélas! que faites-vous? [Vous vous exposez] à un grand péril.

  A008002201 

 Qui est celui-ci et nous le louerons? L'avare est aussi pauvre de ce qu'il a que de ce qu'il n'a pas..

  A008002202 

 Dans la mauvaise répartition de ses biens: tel notre riche qui n'avait [299] de fortune que pour lui, pour ses plaisirs et la vaine gloire.

  A008002234 

 Dans cette parabole, le Seigneur montre qu'il est Fils de Dieu, héritier de toutes choses, que les Scribes, les Pharisiens et les Prêtres le crucifieront et que le Royaume de Dieu leur sera enlevé.

  A008002234 

 Il démontre ensuite très clairement la perpétuité de l'Eglise et ses autres caractères que nous examinerons rapidement..

  A008002235 

 C'est-à-dire que, semblable aux vignerons, le Seigneur a arraché les ronces et les épines, les Madianites, les Jébuséens, les Phéréséens, les Chananéens, afin d'établir son peuple dans la terre promise et de l'y implanter comme une vigne.

  A008002235 

 Personne ne doute que la vigne dont parle le Seigneur ne soit la Synagogue.

  A008002236 

 C'est la foi, en effet, qui distingue le peuple fidèle de tous les autres (les hérétiques, les catéchumènes, les schismatiques sont hors de l'Eglise), tant que la foi règne, les hommes sont considérés comme faisant partie de la vigne; et bien que les excommuniés et les schismatiques soient rejetés, on ne les rejette que pour les engager à rentrer, mais les hérétiques se sont jugés eux-mêmes.

  A008002236 

 Ce lien, cette règle ce n'est pas tant la foi en elle-même que les dogmes de foi..

  A008002236 

 La haie signifie par conséquent la profession, le lien, l'autorité [302] publique et la règle commune de la foi, que les hérétiques s'efforcent de détruire.

  A008002239 

 Les vignerons de la Synagogue tuèrent [303] les Prophètes que le Seigneur leur envoyait (comme on peut le voir dans Barradas [ Commentaire sur la Concordance des Evangiles,] liv. V, chap. XXIII du premier tome); ils furent sciés, lapidés, tués par le tranchant du glaive: Isaïe fut scié, Jérémie lapidé, Ezéchiel massacré à Babylone par le juge du peuple d'Israël, Amos le fut par le prêtre Amasias, etc..

  A008002240 

 Bien que ces vignerons fussent très méchants, jamais Dieu ne leur enleva la haie, le pressoir, la tour et la vigne, sinon lorsqu'apparut l'héritier qu'ils mirent à mort.

  A008002241 

 Iscariote périt: il est de la tribu d'Issachar (ou bien son nom dériverait de sechar, mot qui signifie en syriaque, bourse), et voilà que Pierre se levant au [304] milieu des frères: [ Qu'un autre reçoive ] son épiscopat.

  A008002241 

 [2.] Remarquez que les agriculteurs auxquels est louée la vigne ne changent pas, mais demeurent les mêmes jusqu'à la fin; ils sont les mêmes, non en personne sans doute, mais par la succession: succession ecclésiastique.

  A008002243 

 Il n'ôtera pas le royaume, mais il nous ôtera nous-mêmes du royaume parce que nous ne produisons aucun fruit.

  A008002277 

 Les théologiens enseignent que certains péchés sont contre le Père, d'autres, contre le Fils, d'autres, contre le Saint-Esprit; ils s'expriment ainsi en vue des perfections attribuées spécialement à chacune des divines Personnes, et cela d'après le double rapport de ressemblance et d'opposition avec ce qui arrive dans l'ordre naturel..

  A008002278 

 Par ressemblance.] La puissance, en tant que vertu de principe, s'attribue au Père; c'est pour cela qu'un péché de faiblesse est appelé péché contre le Père.

  A008002279 

 D'ordinaire, les pères sont moins forts que les fils, les fils moins instruits que les pères, et le souffle indique la violence, la véhémence.

  A008002280 

 Parce que tu as entendu la voix de ta femme, etc. La femme que vous m'avez donnée.

  A008002280 

 Saint Paul aux Corinthiens: Mais je crains que de même que le serpent séduisit Eve par ses artifices, ainsi vos esprits se corrompent, et dégénèrent de la simplicité qui est dans le Christ... Le serpent m'a trompée, et j'ai mangé.

  A008002281 

 Par orgueil, elle se complut en cette parole: Vous serez comme des dieux; ensuite, elle crut qu'elle ne mourrait pas, et que la menace de Dieu ne devait pas être entendue à la lettre, comme elle l'avait tout d'abord comprise, et alors elle se décida à manger du fruit.

  A008002283 

 Ce ne fut, à mon avis, qu'un péché véniel, d'après ce passage du III0 Livre des Rois: Il ne s'était point détourné de tout ce que Dieu lui avait commandé, excepté en ce qui concernait Urie l'Héthéen.

  A008002284 

 Saint Paul pécha par ignorance: C'est pourquoi j'ai obtenu miséricorde parce que j'ai agi par ignorance; saint Pierre pécha par faiblesse; Judas, par malice.

  A008002285 

 Quoiqu'on distingue les péchés de faiblesse de ceux de malice ou d ignorance, ce n'est pas qu'il n'y ait en tout péché quelque ignorance, c est-à-dire quelque inconsidération (d'après ce mot d'Aristote: «Tout pécheur est ignorant»), et aussi quelque malice, sinon il n'y aurait pas de péché (car [309] il est de l'essence même du péché que la malice intervienne au moins dans la cause, et il doit y avoir quelque culpabilité dans l'ignorance pour qu'elle soit imputée à péché).

  A008002286 

 Ne pouvant nier les miracles, ceux du moins qui nous sont racontés par les plus sérieux auteurs, comme serait saint Augustin, ils prétendent que ces prodiges sont des stratagèmes du démon..

  A008002287 

 C'est ainsi que nous pouvons la déclarer impossible aux hommes, même au moyen de la grâce ordinaire, mais non pas impossible à Dieu.

  A008002287 

 La conversion du pécheur est toujours une grande œuvre, mais on ne l'appelle miracle que si elle est opérée d'une manière merveilleuse et non commune.

  A008002287 

 Or, le Christ appelle ce péché irrémissible parce qu'il ne peut être remis que par un miracle.

  A008002311 

 [ Faites ici ] d'aussi grandes choses que nous avons entendu dire, etc..

  A008002313 

 Un jour que le Christ était à Nazareth, il entra dans la synagogue et, après la lecture du Livre d'Isaïe, il instruisit le peuple, de sorte que tous étaient dans l'admiration et lui rendaient témoignage; inutilement toutefois, car ils disaient: N'est-ce pas là le fils du charpentier? n'est-ce pas la le charpentier? D'où lui vient cette sagesse? etc. Lui, qui les voyait s'entretenir ensemble, savait ce qu'ils disaient et leur répondit: Vous m'appliquerez sans doute, etc. Et saint Marc conclut: Il ne pouvait faire la aucun miracle, si ce n'est qu'il guérit quelques [311] malades en leur imposant les mains; et il s'étonnait de leur incrédulité.

  A008002314 

 En effet, Dieu offrit toujours son secours à Israël, mais Israël ne s'en prévalut pas, et c'est pourquoi Dieu dit: Ta perte vient de toi, Israël, tu es cause de ta perte parce que tu négliges le secours que je te présente..

  A008002314 

 Il est dans l'Ecriture deux vérités que Dieu veut surtout nous inculquer et qu'il nous enseigna toujours dans l'Eglise: la première est que si nous nous perdons, c'est par notre faute; la seconde, que nous ne devons notre salut qu'à Dieu.

  A008002315 

 C'est à vous qu'il a fallu premièrement annoncer la parole de Dieu, il est vrai; mais puisque vous la rejetez et que vous vous jugez indignes de la vie éternelle, voilà que nous nous tournons vers les Gentils..

  A008002315 

 D'où vient, Israël, que tu habites la terre de tes ennemis? N'y [312] a -t-il point de baume en Galaad, ou n'y a-t-il pas la.

  A008002315 

 Ne dis pas: Dieu est cause que [ la sagesse ] est loin de moi, car il dépend de toi de ne pas faire ce qu'il hait.

  A008002315 

 Puis il ajoute: Ta perte, [etc.,] comme s'il disait: Je te châtierai parce que tu n'as pas voulu te convertir.

  A008002317 

 Dieu laisse, en effet, à l'homme sa liberté: celui qui vous a créé sans vous, ne vous sauvera pas sans vous; il vous a fait sans que vous le sachiez, il ne vous sauvera pas sans que vous le vouliez..

  A008002317 

 Saint Marc dit cependant: Il ne pouvait faire aucun miracle à cause de leur incrédulité, c'est-à-dire qu' il ne le pouvait pas parce que leur incrédulité y [313] mettait obstacle; ce n'eût été ni équitable, ni juste, dans les conditions ordinaires.

  A008002338 

 Qui hominem corripit dum est iratus, c'est vouloir mettre un'escluse a un torrent deborde; il faut attendre que les eaux soyent basses.

  A008002350 

 Car la cause finale de la correction est de gagner son frère; or, c'est d'après la fin qu'il se propose que l'ouvrier prend toutes ses mesures..

  A008002351 

 C'est ainsi que saint Paul a repris saint Pierre: Céphas étant venu à Antioche, je lui résistai en face, parce qu'il était répréhensible; car bien que saint Pierre eût à peine commis un péché véniel en cette occasion, néanmoins saint Paul le reprit à cause des graves conséquences que pouvait avoir sa faute, «et pour que le premier en dignité fût aussi le premier en humilité,» «La différence d'opinions sur une même chose n'a jamais nui à l'amitié entre honnêtes gens.» Mais celui qui corrige doit être juste, c'est-à-dire irrépréhensible; sinon, on pourrait lui répondre: Médecin, guéris-toi toi-même.

  A008002351 

 Que le juste me reprenne.

  A008002352 

 Ce passage condamne les censeurs importuns, tels que les Pharisiens: Pourquoi vos disciples, etc., car ils ne se lavent pas les mains pour [316] manger du pain.

  A008002352 

 Et il ne suffit pas que les péchés soient mortels, il faut qu'il soit possible de les corriger, c'est-à-dire que nous puissions espérer que notre correction produira l'amendement [de celui que nous reprenons].

  A008002352 

 La cause matérielle, [ou la matière de la correction fraternelle,] c'est le péché mortel, car c'est par ce péché seulement que notre frère se perd: le médecin ne donne pas de remède pour le moindre malaise, pour la piqûre d'un moucheron.

  A008002353 

 Si les péchés sont véniels, mais très dangereux ou très fréquents, et que notre frère y soit fortement attaché, nous pouvons le reprendre, mais nous n'y sommes pas tenus.

  A008002355 

 Faire la réprimande avec compassion: Qui est infirme sans que je sois infirme? qui est scandalisé sans que je brûle? Je me suis fait tout à tous, avec une affection maternelle.

  A008002355 

 Que le juste me reprenne dans sa bonté, et il me corrigera, mais que l'huile du pécheur ne parfume pas ma tête.

  A008002356 

 Corriger un homme en colère, c'est vouloir mettre une écluse à un torrent débordé; il faut attendre que les eaux soient basses... Toutes choses ont leur temps..

  A008002356 

 Quant au temps: saint Grégoire fait remarquer qu'Abigaïl attendit que l'ivresse de Nabal fût passée.

  A008002357 

 Ne reprends point durement un homme plus âgé que toi, mais supplie-le comme s'il était ton père.

  A008002357 

 Reprendre avec humilité un supérieur ou quelqu'un de plus âgé que soi.

  A008002388 

 C'est, en effet, le Christ Notre-Seigneur qui est l'auteur de la doctrine chrétienne: or, [1.] lui-même n'a rien écrit, si ce n'est quelques caractères lorsqu'il absolvait [320] la femme adultère; caractères qu'il n'a pas même voulu que nous connussions, et que, pour ce motif, il traça sur la terre.

  A008002389 

 Ainsi encore saint Paul: Gardez les Traditions que vous avez apprises soit par nos discours, soit par notre Epître.

  A008002389 

 Jésus-Christ nous l'enseigne lorsqu'il dit: Qui vous écoute m'écoute, et en cent lieux ( Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.

  A008002389 

 Si l'on en croyait les hérétiques, ce dépôt serait la grâce de Dieu que Timothée reçut pour bien remplir ses fonctions; mais les mots suivants montrent toute la sottise, toute la fausseté de cette interprétation.

  A008002389 

 Tous les mots sont énergiques: combattre vigoureusement, s'évertuer, non seulement combattre, mais combattre avec vigueur et vaillamment, faire plus que combattre; [ transmise ] une fois, pas deux; pour la foi toujours absolument la même, transmise par la Tradition, par la Tradition..

  A008002394 

 Que penser du livre d'Hermès ou du Pasteur, de l'Evangile des Nazaréens, de celui de saint Thomas?.

  A008002394 

 Voir en outre ce passage de l'Apôtre aux Hébreux, [touchant Melchisédech]: De qui nous avons de grandes choses à dire, et difficiles a expliquer, parce que vous êtes devenus incapables de les entendre.

  A008002427 

 Nous traiterons brièvement aujourd'hui les points que nous avons omis hier concernant la Tradition, et nous ne sortirons pas de notre plan, car le célibat des prêtres est l'une des plus importantes Traditions de l'Eglise, et il nous fallait nécessairement en parler au début de notre Evangile.

  A008002428 

 J'ai limité mon sujet à la doctrine chrétienne et j'ai montré qu'au début elle avait été transmise par la Tradition, non par l'Ecriture; et bien que dans la suite elle ait été écrite, elle ne l'a pas été en entier.

  A008002428 

 Nous sommes contraints à faire cet aveu par le fait même, [1.] que nous possédons les Ecritures; car sans la Tradition, nous ne saurions pas que nous avons les Ecritures..

  A008002428 

 Vous aurez remarqué, je pense, que je ne suis pas remonté jusqu'aux traditions qui nécessairement étayaient la religion jusqu'à Moïse, le premier [325] écrivain sacré, ni aux traditions qui régnaient parmi les Hébreux, c'eût été trop long.

  A008002429 

 Que nous en avons tel nombre; car comment savons-nous que l'Epître aux Laodicéens et les Epîtres à Sénèque ne sont pas de vraies Epîtres de saint Paul, sinon par la Tradition? Et puis, ces mots de l'Apôtre lui-même [au sujet de Melchisédech]: De qui nous avons de grandes choses à dire, et difficiles à expliquer.

  A008002430 

 Evidemment, si l'on admet la Tradition, il y a très peu de vérités que l'on ne puisse tirer de l'Ecriture; mais sans la [326] Tradition, on n'en peut presque rien tirer de certain.

  A008002434 

 Pour établir la différence entre les diverses traditions ecclésiastiques que nous devons néanmoins toutes respecter, mais dans la mesure indiquée par l'Eglise..

  A008002435 

 La Tradition n'ajoute donc rien, elle procède à la manière de ceux qui extraient la liqueur de la myrrhe et du baume, non pas avec un couteau de fer, mais avec du verre, de la pierre, de l'os, de l'ivoire, ou un autre bois; de même que les abeilles tirent le miel de la fleur; mais les hérétiques, semblables à des araignées, tirent de l'Ecriture fiel et poison, non pas que l'Ecriture contienne du poison, mais parce qu'ils en convertissent le sens en poison.

  A008002435 

 Nous devons remarquer que nulle tradition ne contredit à l'Ecriture (car l'une et l'autre viennent du même Dieu); toutes les traditions au contraire sont [327] conformes à l'Ecriture.

  A008002437 

 Ainsi, c'est de foi que le chien de Tobie avait une queue.

  A008002437 

 L'Ecriture l'emporte en ce que tout en elle est canonique, même la ponctuation.

  A008002437 

 Quant à la Tradition, pourvu que le sens et la conclusion soient les mêmes, peu importent les mots.

  A008002462 

 En effet, il était déjà ordonné dans l'Exode de retrancher du peuple tout violateur du Sabbat; Moïse et Aaron ne savaient toutefois quelle peine infliger à cet homme qui [330] ramassait du bois, soit que cette violation de la Loi leur parût légère, soit qu'ils ne sussent de quel genre de mort la punir.

  A008002462 

 Mais il faut se rappeler que tous ces péchés étaient opposés à la vertu de religion, cette [331] reine de toutes les vertus morales, qui consiste dans la constante et perpétuelle volonté de rendre à Dieu, autant qu'il se peut, l'honneur qui lui est dû..

  A008002463 

 Jamais le Seigneur n'avait frappé qui que ce fût, et même lorsqu'on s'empara de lui, il ne voulut pas qu'on frappât personne, et reprit Pierre lorsqu'il frappait; mais ici, enflammé de zèle, etc..

  A008002466 

 Hélas! que nous sommes peu révérencieux dans l'église, nous-mêmes ecclésiastiques! Voir l'épître de saint Jérôme à Héliodore au sujet de Népotien.

  A008002466 

 Oh! que je voudrais voir des Ambroise commandant aux Théodose, des Chrysostôme réprimandant des Eudoxie, des Hilaire corrigeant des Constance!.

  A008002497 

 Parler ensuite de la question posée par les disciples et que saint Chrysostôme appelle avec raison, grossière et indiscrète.

  A008002499 

 Quelquefois les afflictions sont envoyées pour prémunir contre le péché: De peur que la grandeur des révélations ne m'élevât..

  A008002503 

 Il faut donc alors faire pénitence; [335] ensuite imiter David: Je me suis tu et n'ai pas ouvert la bouche, parce que c'est vous qui l'avez fait; détournez de moi vos coups.

  A008002503 

 Je n'ai point péché, et cependant mon œil ne voit que des sujets d'amertume..

  A008002503 

 Lorsque nous sommes frappés, nous devons faire ce que firent les matelots dont il est parlé au Livre de Jonas: Venez, dirent-ils, jetons le sort, pour savoir d'où ce malheur a pu nous venir.

  A008002504 

 Mais quand les autres sont frappés, il ne faut pas juger qu'ils le sont pour leurs péchés, comme le faisaient les amis de Job, la femme de Tobie et les barbares [dont il est question] dans les Actes, chap. XXVIII. Un esclave éthiopien portait un objet recouvert d'un voile; interrogé sur ce qu'il portait: «Je ne l'aurais pas voilé,» dit-il, «si j'avais voulu vous le faire connaître.» Euclide, questionné sur la nature de Dieu et sur ce qui lui est le plus agréable, répondit: «J'ignore le reste, mais ce que je n'ignore pas, c'est qu'il hait les curieux.».

  A008002505 

 Bien plus, n'eût-il pas été aveugle, que le Christ, par ses remèdes, l'eût rendu aveugle pour le moment.

  A008002505 

 L'obéissance des Chrétiens doit être aveugle parce que la foi ne voit pas, mais elle croit, et plus son objet est obscur, plus elle s'y complaît; elle se délecte dans les vérités difficiles à comprendre.

  A008002505 

 Naaman: Abana et Pharphar, fleuves de Damas, ne sont-ils pas meilleurs?... Que cette malédiction tombe sur moi, mon fils, écoute seulement ma voix et apporte ce que j'ai dit.

  A008002506 

 Regardons cet aveugle circulant sur les chemins publics, les yeux souillés de boue; ne lui dirait-on pas: Où vas-tu, malheureux? ne vois-tu pas que ce médecin veut se jouer de toi? Il poursuivit quand même sa route, il alla, il se lava, il vit.

  A008002507 

 J'ai noté en passant, que le paralytique guéri à la piscine probatique avait contracté son infirmité en punition de ses péchés; aussi le Christ le guérit-il comme il guérit les pécheurs, c'est-à-dire en lui demandant son consentement: Veux-tu être guéri? Mais il ne parle pas de la même manière à celui-ci, parce que son infirmité n'était pas la suite de ses péchés..

  A008002509 

 Ce mendiant est guéri par le médecin, parce que le médecin aime les mendiants; pour nous, bien que nous soyons aveugles, comme nous ne mendions pas, nous ne sommes pas guéris par le Médecin céleste qui comble de biens les affamés et renvoie les riches les mains vides.

  A008002509 

 J'ai dit que cet aveugle se tenait à la porte comme un tableau d'attente; ainsi Apelles traça une ligne sur le tableau de Protogène, etc. [338].

  A008002539 

 Au contraire: Ne sais-tu pas que la bénignité de Dieu t'attend à pénitence! Mais je donnerai trois règles d'après lesquelles nous devons procéder dans ces conjonctures..

  A008002539 

 Il a été enlevé, de peur que son esprit ne fût corrompu par la malice, ou que l'illusion ne déçût son âme.

  A008002539 

 Vous avez entendu hier les disciples demander: Maître, qui a péché, celui-ci ou ses parents? Question qui est évidemment grossière et impertinente, car comment un enfant aurait-il pu, avant de naître, commettre un [340] péché en punition duquel il naîtrait aveugle? Mais au sujet du jeune homme de Naïm, on pouvait soulever la question: Qui a péché, celui-ci ou sa mère, pour qu'il soit mort si prématurément? C'est une opinion commune parmi les hommes [que la mort prématurée est une punition du péché]: ainsi le croyaient, par exemple, la femme de Tobie; Job, qui dit pourtant: Je n'ai point péché; Marthe: Seigneur, si vous eussiez été ici, [etc.] Néanmoins, c'est quelquefois même par bonté que Dieu retire les hommes de ce monde: Ayant plu à Dieu, il est devenu son bien-aimé, et Dieu l'a transféré d'entre les pécheurs parmi lesquels il vivait.

  A008002540 

 Même silence s'il s'agit d'un autre homme, à moins que la charité ne nous oblige à parler.

  A008002540 

 Rappeler l'histoire d'Aman, qui voulait faire pendre Mardochée, etc. Ce qui nous oblige à cette réserve c'est que très souvent nous nous trompons; il en fut ainsi des barbares, Actes, XXVIII. [340] 3.

  A008002541 

 Et bien que plusieurs prétendent qu'elle était coupable, néanmoins cela est peu croyable; car il arrive assez souvent que les mères perdent leur fils unique.

  A008002544 

 A cette occasion, je vous rappelle que le souvenir de la mort vous est tout-à-fait nécessaire.

  A008002546 

 Il ne l'affirme pas d'une manière absolue; par qui serait-il [341] cru? mais il assure que ce ne sera pas d'un jour à l'autre.

  A008002546 

 ainsi que dit le vieux proverbe.

  A008002580 

 Que diront-ils? Comment es-tu tombé, Lucifer, toi qui te levais dès le matin? Celui auquel il avait été dit: Tu monteras au ciel de l'Église, j'élèverai ton trône sur les astres de Dieu, tu t'assiéras sur la montagne du testament, tu monteras sur la hauteur des nues, tu seras semblable au Très-Haut, c'est-à-dire tu seras son vicaire.

  A008002581 

 Assurément, mes Frères, ce fait étonne; mais pour le comprendre, remarquez [344] que les hommes tombent dans le péché, comme dans la maladie, de deux manières.

  A008002581 

 C'est ainsi que, en bien des circonstances, le péché provient du choc subit des passions; mais ce péché dure peu et se guérit plus facilement..

  A008002581 

 Ou bien par un mouvement soudain de concupiscence; c'est le cas de Judas à l'égard de Thamar, car saint Augustin, liv. XXII contre Fauste, chap. LXIV, croit que Judas et Thamar ont péché, aussi bien que Moïse (voir chap. LXX).

  A008002582 

 C'est ce que dit [le fils de] Sirach: L'homme saint demeure dans la sagesse, comme le soleil; mais l'insensé est changeant comme la lune; ce qui peut s'expliquer de deux manières.

  A008002585 

 il fut violemment irrité et son visage fut abattu, de là vient la question que Dieu lui adressa: Pourquoi ton visage est-il abattu? 4.

  A008002586 

 il advint que David se leva de son lit après midi, de son lit où il dormait par paresse; 3.

  A008002587 

 Oubli des choses célestes: Le Seigneur s'irrita contre Salomon parce que son âme s'était détournée du Seigneur Dieu d'Israël.

  A008002590 

 Hélas! nous présumons trop de nous-mêmes; il ne suffit pas de reconnaître que nous tenons tout de Dieu, il faut encore ne pas croire que nous ayons beaucoup.

  A008002592 

 Priez afin que vous n'entriez point en tentation.

  A008002594 

 Mais il le nia devant tous, disant: Je ne le suis pas; femme, je ne le connais pas, je ne sais ni ne connais ce que tu veux dire.

  A008002595 

 Enfin un parent de celui à qui il avait coupé l'oreille [lui dit]: Ne t'ai-je pas vu dans le jardin avec lui? Il le nia de nouveau: O homme, je ne sais ce que tu dis; il commença a faire des imprécations et a jurer: Je ne connais point cet homme dont vous parler..

  A008002596 

 O langue impudente, tu dis ce que tu ne sais pas, et en le disant, tu commences à le croire, et en le croyant, tu l'affirmes, et en l'affirmant, ta conviction s'affermit.

  A008002625 

 L'audace des Apôtres et de Pierre fut répréhensible; car, ou ils pensèrent que le Christ ferait des miracles, et alors ce fut de la vanité de dire: Si nous frappions du glaive? ou ils ne le pensèrent pas, et alors leur témérité fut inopportune.

  A008002625 

 On peut appliquer à ceux que troublent les passions, les paroles du Psaume CVI au sujet des navigateurs; de même l'histoire de Barach et de Sisara, car Sisara, après une grande crainte, s'endormit dans la plus profonde sécurité..

  A008002626 

 Ce fut donc par témérité que Pierre entra sans armes dans le vestibule et dans la cour; car ces lieux sont dangereux et pestilentiels.

  A008002626 

 O cour, que de Pierres tu immoles! Dans la cour, tous conspirent contre Pierre.

  A008002629 

 Ce qui étonne c'est que la crainte ait été assez forte pour pousser Pierre à un double ou à un triple reniement avec serment et anathème: c'est l'effet de la convoitise et du dérèglement des passions.

  A008002629 

 Pourquoi Naboth dit-il: Que Dieu me soit propice? C'est parce qu'il n'était permis aux Juifs de vendre leurs biens que jusqu'au temps du [354] jubilé.

  A008002629 

 Voyez Achab malade, ressemblant à Alexandre en pleurs et à Aman, irrité de ce que le seul Mardochée ne fléchissait pas les genoux..

  A008002631 

 Ce n'est donc pas dans l'absence mais dans le règlement des passions que consiste la perfection; les passions sont au cœur ce que les cordes sont à une harpe: il faut qu elles soient ajustées afin que nous puissions dire: Je vous louerai sur la harpe..

  A008002631 

 Je laisse de côté les causes générales pour lesquelles Dieu permet le péché (voir [Bellarmin], liv. III, chap. II De la perte de la grâce et de l'état du péché ), et je dis que le Christ voulait réfuter d'avance les Apathistes: Euthimius, Palladius, Evagrius de Pont, qui affirmaient que les Saints et les justes étaient exempts de toute perturbation.

  A008002632 

 A l'Ange de Philadelphie: Garde ce que tu as, de peur qu'un autre ne reçoive ta couronne.

  A008002632 

 Il voulait confondre ceux qui disent que les fidèles ne peuvent pécher et [355] sont sûrs de leur salut.

  A008002632 

 Que celui qui est debout prenne garde de tomber.

  A008002632 

 Qui, en effet, était plus affermi que Pierre, soutenu par l'Eucharistie et par tant d'avertissements du Christ? Néanmoins il tomba.

  A008002632 

 Saint Grégoire à Grégoria, camériste de l'Impératrice: «Tu as demandé une chose aussi inutile que difficile.» Rappeler l'histoire des quarante Martyrs, à la vigile desquels je prononce ce sermon.

  A008002633 

 Parce que la gloire de Dieu éclate davantage par le repentir des pécheurs: Plus grande est la joie, etc.; or, les Saints ne se réjouissent que de la plus grande gloire de Dieu.

  A008002634 

 Avant d'être humilié j'ai péché; c'est pour cela que j'ai gardé votre parole.

  A008002634 

 Saint Paul aussi s'humilie: C'est une vérité certaine et digne d'être entièrement reçue, que le Christ est venu pour sauver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier.

  A008002634 

 «Afin que celui qui était le premier en dignité, fût le premier en humilité.» [357].

  A008002656 

 A ces paroles: Et aussitôt, comme il parlait encore, le coq chanta de nouveau; et le Seigneur se retournant regarda Pierre, et Pierre se ressouvint de la parole que le Seigneur Jésus lui avait dite..

  A008002657 

 De là ces paroles: Adam, où [358] es-tu? Et à Caïn irrité: Si tu fais bien, ne [ recevras-tu pas la récompense] D'où vient, Israël, que tu habites la terre des étrangers? Tu as vieilli dans une terre étrangère, tu f es souillé avec les morts, tu es devenu semblable à ceux qui descendent en enfer; tu as abandonné la source de la sagesse.

  A008002657 

 Dieu vit toutes les choses qu'il avait faites, et elles étaient très bonnes... Est-ce que je veux la mort de l'impie? dit le Seigneur... Dieu ne veut pas que personne périsse... Que nul lorsqu'il est tenté, ne dise, etc. Ta perte vient de toi, Israël; c'est seulement en moi qu'est ton bien.

  A008002658 

 Voilà la grâce prévenante: Dieu n'est aimé que s'il aime [le premier].

  A008002659 

 Dieu envoie sa grâce suffisante: Ne dis pas: Dieu est cause que [la grâce] est loin de moi..

  A008002685 

 C'est ainsi que, dans un but opposé, agissent les méchants: Je me confie au Seigneur, car voici que les pécheurs ont tendu l'arc, ils ont disposé leurs flèches dans le carquois, pour frapper dans l'obscurité ceux qui ont le cœur droit. 2.

  A008002685 

 [Elle part] de loin, parce que les pécheurs se sont éloignés.

  A008002716 

 Pourquoi ce mélange de jour et de nuit? ( Si vous cherchez, cherchez bien.) Parce que vous ne cherchez pas sérieusement; vous voulez et vous ne voulez pas.

  A008002716 

 Que de fois, en effet, nous disons: Je veux me convertir, et cependant nous ne nous convertissons pas! C'est le reproche qu'adresse Isaïe aux Iduméens: Malheur accablant de Duma, c'est-à-dire, de [364] la partie de l'Idumée qui est située au sud; il me crie de Séir.

  A008002717 

 Oh! quelle heureuse pénitence en Madeleine! Ayant su que Jésus était à table, etc.: voilà la grâce prévenante; elle apporta aussitôt, etc.: voilà la grâce coopérante..

  A008002717 

 Une fois entrée, la grâce appelle le consentement, et dès qu'il s'est présenté, elle offre à son hôte des vases d'argent, c'est-à-dire la crainte, et d'or, c'est-à-dire l'amour; bientôt elle le revêt d'un très ferme propos, c'est-à-dire que, de l'amour ébauché, elle le conduit à cet amour puissant qui se propose de persévérer même jusqu'à la mort.

  A008002719 

 Ceux qui se convertissent à la mort, comme le larron et d'autres fort peu nombreux, ont eu la persévérance équivalente; car, à parler exactement, ils ne persévèrent [367] pas, mais leur conversion équivaut à la persévérance qui n'est rien autre que la conversion.

  A008002719 

 Que celui qui est debout prenne garde de tomber.

  A008002720 

 Exemple de l'arche de Noé: il était aussi facile d'y entrer que de rester dehors, mais ils ne voulurent pas entrer..

  A008002720 

 Il est vrai que la grâce de Dieu nous est nécessaire, mais aussi jamais elle ne nous manque: Ils ont été rebelles à la lumière.

  A008002720 

 La grâce ne te fait pas plus défaut que la nature.

  A008002720 

 Rien n'est plus futile que ce raisonnement.

  A008002720 

 Voici la première: Si par nous-mêmes nous ne pouvons rien, celui qui est condamné l'est parce que Dieu ne l'a pas aidé? Voici que je meurs de soif.

  A008002721 

 Les larmes sont donc bonnes, car elles sont [368] un effet de la contrition; mais parce que ce sentiment n'obéit pas toujours à la raison, la tristesse extérieure n'est pas nécessaire, l'intérieure suffit..

  A008002760 

 Dans mon dernier sermon que je fis ici le lundi de la Pentecôte, c'était pour moi, disais-je, le temps de parler, parce que des langues de feu nous avaient été données, à nous, successeurs des Apôtres; mais c'est [370] aujourd'hui le temps de parler bien plus haut, car si c'était alors la fête des langues, c'est maintenant le temps de la voix, parce que nous célébrons le Saint qui est la voix de Celui qui crie.

  A008002760 

 Il faut donc parler aujourd'hui, puisque, tout muet qu'il est, Zacharie parle, de sa langue paralysée, pour louer cette voix que la voix du Seigneur a louée.

  A008002760 

 Mais de même qu'Alexandre ne voulait être peint que par le pinceau d'Apelles, je crains bien que Jean ne veuille être loùé que par la voix du Christ.

  A008002761 

 Comment me tairais-je en présence d'une si grande cause de joie? La circonstance d'ailleurs est opportune, car c'est l'anniversaire du premier sermon que je vous adressai, il y a vingt-cinq ans complets.

  A008002761 

 Oh! plaise à Dieu que ce soit à votre avantage! etc..

  A008002761 

 Vous voyez déjà, mes très chers Frères, que je veux mêler à mes paroles quelque chose de la joie de notre paix.

  A008002762 

 Jean étant né, tous s'émerveillaient de cette miraculeuse naissance: la mère était stérile et n'était plus en âge d'avoir des enfants, le père avait perdu la voix et l'avait recouvrée, et tous se disaient les uns aux autres: Que pensez-vous que sera cet enfant? Et Zacharie prophétisant: Et toi, dit-il, tu seras appelé le Prophète du Très-Haut, etc., car tu précéderas, c'est-à-dire, tu seras le Prophète, le Précurseur.

  A008002763 

 Celui-ci est Prophète, et plus que Prophète.

  A008002765 

 Et le Christ [donna cet ordre] à ceux qui devaient prêcher l'Evangile: En quelque maison que vous entriez, etc., dites: Paix à cette maison; c'est-à-dire, la paix de l'Evangile, l'Evangile de paix.

  A008002765 

 On voit que d'après ce passage toute la science du salut tend à la voie de l a [373] paix, c'est-à-dire à la voie et à la vie chrétienne dont la paix est le caractère, en quatre manières.

  A008002766 

 Bien que cette paix soit surtout spirituelle, cependant elle est aussi temporelle; car la loi évangélique exclut toute guerre: Ils transformeront leurs glaives en socs et leurs lances en faulx.

  A008002767 

 L'Ange adressa ces paroles à Gédéon: Que la paix soit avec toi, tu ne mourras pas; il bâtit un autel au Seigneur et il l'appela: Paix du Seigneur..

  A008002767 

 Mais combien nous sommes heureux! Voici que la paix nous arrive contre toute attente, et pour la plus grande gloire de notre Prince qui a mesuré son épée avec celle du plus puissant Roi.

  A008002769 

 Que celui qui a deux tuniques en donne une à celui qui n'en a point.

  A008002770 

 Rendez le jugement et la justice ( La justice et la paix se sont embrassées ), et aimez les pauvres: Que celui qui a deux tuniques en donne une à celui qui n'en a point. [375].

  A008002792 

 Zeuxis peignit une image admirable, de laquelle il déclara qu'elle serait «plutôt admirée qu'imitée.» Et voici que l'Eglise vous met sous les yeux l'Assomption [de la Sainte Vierge], voulant que vous l'admiriez et l'imitiez..

  A008002793 

 Saint Bernard, dans son sermon n° pour la veille de la Nativité du Seigneur, dit que «l'avancement dans la vie spirituelle est semblable à un voyage.» Bienheureux l'homme dont le secours vient de vous; il a disposé des ascensions [376] dans son cœur, dans la vallée de larmes, dans le lieu qu'il a fixé.

  A008002814 

 Nous avons conçu, nous avons été comme en travail, et nous avons enfanté l'esprit; nous n'avons pas mis notre salut dans la terre, c'est pour cela que les habitants de la terre ne sont pas tombés.

  A008002814 

 Nous n'avons pas mis notre salut, c'est-à-dire, nous n'avons pas mis l'espérance [378] de notre salut dans la terre; nous avons été comme en travail, parce que le péchèur s'attriste et se réjouit de sa douleur.

  A008002817 

 Or nous savons que, etc. Car ceux qu'il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes a l'image de son Fils, afin qu'il fût lui-même le premier-né entre beaucoup de frères.

  A008002818 

 Les enfants ont été prêts a sortir du sein de leur mère, et elle n'a pas eu la force de les enfanter... Avant qu'elle fût en travail elle a enfanté, avant que [379] vînt le temps de son enfantement elle a mis au monde un enfant mâle; qui a jamais ouï une telle chose, et qui a vu rien de semblable? Saint Jean Damascène, De la Foi orthodoxe, liv. IV, chap. XV, interprète ce passage de la Sainte Vierge..

  A008002819 

 Mes petits enfants, pour qui je ressens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous... As-tu observé les biches lorsqu'elles enfantent? Elles se courbent pour produire leur fruit et elles le mettent au jour, et elles poussent des rugissements.

  A008002820 

 Saint Bernard dit que nous devons être des mères..

  A008002822 

 Celui qui fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère et ma sœur et ma mère: mon frère, parce que moi-même je le rends tel; et également ma sœur, pour comprendre les deux sexes; et ma mère, parce qu'il m'a conçu dans son cœur et ensuite il m'enfante.

  A008002823 

 Parce que c'est vous qui m'avez tiré du sein de ma mère....

  A008002841 

 Je présuppose que le Christ nous a apporté le salut éternel, et, partant, ne nous a délivrés que des ennemis du salut; 2.

  A008002844 

 Grande tentation [de Jean]; comme celle de l'ange, elle éveille une correspondance dans l'intime de l'amour-propre; c'est pourquoi l'ange, sans être attaqué extérieurement par la tentation, etc. Celle qu'il soutient est plus forte que la tentation de nos premiers parents... Oh! si elle nous était offerte, que ferions-nous? [Les envoyés de la Synagogue] étaient pjêts à croire tout ce qu'il dirait..

  A008002845 

 Quoi donc? que dis-tu de toi-même, afin que [ nous donnions ] une réponse, [etc.] Je suis la voix de Celui qui crie dans le désert, etc. Voyez l'abaissement: Je ne suis pas digne de délier la courroie, etc..

  A008002871 

 Cependant les Juifs eux-mêmes avouent que notre version représente le texte original, mais qu'il ne faut pas en conclure que les femmes pieuses offraient leurs miroirs, ordinairement d'airain, parce que déjà elles avaient rejeté la vanité pour vaquer au service de Dieu et du Temple).

  A008002871 

 Oh! [qu'il serait à souhaiter] que les dames offrissent semblablement les miroirs dorés et ornés dans lesquels elles se regardent si sottement pour appliquer sur leur visage la céruse et autres fards!.

  A008002872 

 Dans cette milice, dit saint Chrysostôme dans sa VIII e homélie sur saint Matthieu, «les femmes ont souvent combattu plus vaillamment que les hommes.» Saint Ambroise, livre I Des Vierges, les appelle invincibles et infatigables soldats de la chasteté..

  A008002873 

 Or, il est certain que la bienheureuse Geneviève, ainsi que beaucoup d'autres Saintes, n'a pas donné de ces miroirs, puisqu'elle n'en avait pas; mais elle a donné un miroir mystique dans l'admirable exemple qu'elle nous a laissé, à nous qui voulons nous laver et nous purifier; miroir dans lequel nous voyons notre visage intérieur dont nous devons prendre soin.

  A008002874 

 Dieu a choisi ce qui est insensé selon le monde pour confondre les sages; Dieu a choisi ce qui est infirme selon le monde pour confondre ce qui est fort; Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable selon le monde, et les choses qui ne sont pas pour détruire celles qui sont, afin que nulle chair ne se glorifie en sa présence... De peur que la grandeur des révélations ne m'élevât, il m'a été donné un aiguillon, etc. Et il m'a dit: Ma grâce te suffit.

  A008002874 

 La grâce du Christ éclate dans le sexe [faible] et infirme, afin que la grâce divine soit réellement grâce.

  A008002874 

 Où est le sage? où est le scribe? où est l'investigateur de ce siècle? Dieu n'a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde? Ce qui paraît folie en Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort que les hommes.

  A008002874 

 [Faire allusion à la chute] des Anges: Afin que nulle chair ne se glorifie en sa présence.

  A008002898 

 Jésus levant les yeux au ciel dit: Mon Père, l'heure est venue; glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie..

  A008002900 

 Ayant été fait d'autant supérieur aux Anges, que le nom qu'il a repu en partage est bien différent du leur; car auquel des Anges a-t-il jamais dit? [etc.] Qu'il a constitué héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles.

  A008002900 

 Comme les pères font tout en vue de leurs enfants, car ils thésaurisent pour eux, ainsi que dit saint Paul, de même Dieu le Père a tout fait pour son Fils, parce que, selon la remarque de Corneille, le Fils de Dieu, en tant que Dieu, est héritier naturel, et en tant qu'homme il a été constitué héritier..

  A008002924 

 Sanctus Franciscus Fratri: «Et a cause des biens que j'attens,» etc. Bernardus, D e Convers., ad Cler.: « Non sunt condignæ ad culpam praeteritam quae remittitur, ad consolationem quae immittitur, ad gloriam quae promittitur.» Redemptori, Creatori, Glorificatori..

  A008002934 

 Donc, pendant une heure, puisque c'est l'espace de temps destiné à cette manducation spirituelle, nous [391] mangerons autant que nous pourrons, et nous dirons: premièrement, que Dieu nous a destiné un certain travail à accomplir; secondement, qu'à ce travail il a préparé une récompense; et en troisième lieu, que la récompense sera proportionnée au travail accompli..

  A008002934 

 Parabole très célèbre et très féconde, mais qui offre une si grande moisson de considérations pieuses, que si nous voulions toutes les recueillir, la journée n'y suffirait pas.

  A008002935 

 L'homme naît pour le travail (d'après Cal., pour travailler dans la Loi), et l'oiseau pour voler... Parce que tu mangeras le fruit du travail de tes mains... Mais chacun recevra son propre salaire selon son travail... Nous vous déclarons ceci: si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange point... Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front... Or, faisant le lien, ne nous lassons point, car nous moissonnerons en son temps.

  A008002936 

 Ne savez-vous pas que ceux qui courent [392] dans la lice? etc.; courez de telle sorte que vous remportiez le prix. Saint Bernard à Guérin: « Il a exulté comme un géant pour parcourir sa carrière; on ne saisit pas celui qui court si l'on ne court aussi vite que lui.» J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi; reste [à recevoir] la couronne de justice qui m'est réservée..

  A008002938 

 C'est par la foi que Moïse devenu grand, nia d'être fils de la fille de Pharaon, préférant être affligé avec le peuple de Dieu plutôt que de goûter pour un temps le plaisir du péché, estimant l'opprobre du Christ une richesse plus grande que le trésor des Egyptiens, parce qu'il envisageait la récompense.

  A008002938 

 Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu, car il faut que celui qui s'approche de Dieu croie qu'il est, et qu'il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent.

  A008002939 

 Saint François au Frère: «Et à cause des biens que j'attends,» etc. Saint Bernard, Aux Ecclésiastiques, sur la Conversion: «Elles ne sont pas dignes d'être comparées à la faute passée qui est remise, à la consolation qui est communiquée, à la gloire qui est promise.» [Nous souffrons pour notre] Rédempteur, pour notre Créateur, pour notre Glorifîcateur..

  A008002959 

 Les Gentils, qui ne vivent pas selon la raison, semblables aux chameaux, après avoir déposé le joug de l'idolâtrie, entrent plus facilement que les Juifs.

  A008002959 

 Saint Chrysostôme, sur saint Matthieu: Les chameaux difformes figurent les âmes des Gentils; le Fils de Dieu est l' aiguille dont la pointe est la Divinité, la partie plus épaisse, l'humanité; et c'est par l'ouverture de sa Passion que nous entrons.

  A008002962 

 Saint Jérôme et saint Chrysostôme pensent que le mot impossible est employé hyperboliquement et signifie seulement très difficile: Si l'Ethiopien peut changer de peau, etc..

  A008002990 

 Je le conclurai en demandant l'eau que demandait la Samaritaine, ce qui me permettra de dire un mot de l'Evangile de la férié.

  A008002990 

 Mais pour que je parle avec profit de votre Père, je m'adresse, Seigneur, à votre piété filiale: «Nous vous en supplions, Seigneur, que les mérites de l'Epoux de votre sainte Mère nous soient en aide, et que les grâces que nous ne pouvons obtenir par nous-mêmes nous soient accordées par son intercession;» et à vous, ô Vierge, je dis, Ave Maria, etc..

  A008002990 

 Quelle sainte et aimable solennité, mes auditeurs! Quelle église (temple) sainte et digne de vénération, dédiée à un saint et aimable Patriarche! O saint Joseph, «je ne sais de quelles louanges vous honorer, parce que vous avez» pressé dans vos bras «Celui que les cieux ne peuvent contenir.» Et voici le premier éloge que ce jour met en lumière et que chante l'Eglise dans l'office de la Messe: Le juste fleurira comme le palmier.

  A008002993 

 En l'Arabie que, pour la benigne influence du ciel qui la rend fertile en toutes sortes d'arbres aromatiques, on appelle Heureuse, il y a, ce disoyent les Anciens, cet oyseau tout a fait admirable, et si rare quil est unique, qu'on appelle phoenix.

  A008002993 

 Or, on dit, apres la revolution de plusieurs siecles il devient si charge des infirmites de sa viellesse en sorte qu'a peine peut il voler, et sa vie alhors luy semble tellement mortelle qu'il ne peut pas mesme esperer de vivre que par la mort; de sorte quil assemble et, etc., et se fait un bucher, etc. Or, apres il vole, il vit gay et joyeux, et avec une jeunesse toute vitale il passe un'autre nouvelle suite de siecles, etc. Telle est la narration des Anciens, non seulement prophanes mais aussi chrestiens; de saint Basile, saint Ambroyse et cent autres.

  A008002994 

 Certes, il est vray, mes treschers auditeurs, que le pecheur envielli en son iniquite, etc., il se doit faire un bucher, et exciter un feu qui le reduise en cendre et le face devenir vermisseau de poenitence; puis de cet estat la il passe a la justice, et comme un autre phoenix il vole, il est gay, et se peut dire quil sacrifie le sacrifice de justice: Sacrificabo sacrificium justitiae; Introibo ad altare Dei, ad Deum qui laetificat juventutem meam..

  A008002995 

 Mays pourquoy vous dis-je ceci? Parce, mes treschers auditeurs, que Tertullien, 1.

  A008002995 

 carnis, a ainsy entendu nostre verset et la comparayson qui y est: Justus ut palma fiorebit; car ayant treuve le mot de phoenix en la version des 72: Justus ut phoenix florebit, il y a dit que le poenitent parvenu a la parfaite resipiscence et poenitence, il se treuve tout rajeuni et comme resuscite a la grace..

  A008002996 

 Et de fait, bien que phoenix en grec signifie ce rare et admirable oyseau duquel nous avons parle, si est ce quil signifie aussi la palme: la palme estant le phoenix des arbres comme le phoenix est la palme des oyseaux, avec beaucoup de similitude de l'un a l'autre, hormis que la palme n'est pas si rare que le phcenix, ni le phoenix si fertile que la palme..

  A008002996 

 Mais, bien que 1'authorite de ce grand personnage merite beaucoup d'honneur en ce quil a dit de bon sens, si est ce neanmoins quil nous faut attacher a la version ordinaire canonizee par la sainte Eglise, laquelle est justificata in semetipsa.

  A008002997 

 Disons donques que David a dit: Justus ut palma florebit, parlant de la vraye palme; car qui ne void que sa comparayson est des arbres de la palme et du cedre? Sicut cedrus; et puis, florebit, et plantatus, etc. [399].

  A008002998 

 Mays il me semble que tout cela est commun a tous les justes, bien qu'il appartient tres particulierement et avantageusement au glorieux saint Joseph.

  A008002999 

 Cum esset desponsata Mater Jesu Maria Joseph, antequam convenirent, etc. Non, le palmier ne faeconde pas la palme, c'est le soleil qui la faeconde; mais la nature a volu observer cette ceremonie, peut estre seulement pour nous acheminer par cette similitude a ce que nous disons maintenant.

  A008002999 

 La premiere, que les palmes sont de deux sortes: les unes sont males, que nous pourrons appeller palmiers, et les autres femelles, qui retiennent le nom de palme.

  A008002999 

 O Dieu! vous voyes des-ja la plus part ce que je veux dire, mays il est expedient que je l'explique pour les simples.

  A008002999 

 [400] Mays le Saint Esprit a voulu observer cette ceremonie, que la tressainte Vierge ne conceut pas qu'a l'aspect et a l'ombre du sacre mariage, mariage totalement virginal et qui «virginitatem Matris non minuit sed sacravit;» et c'est ce qui exalte merveilleusement saint Joseph, destre le vray mari d'une si sainte Espouse.

  A008003023 

 Mais, bien que notre homme extérieur se détruise, cependant l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour..

  A008003024 

 Dans son sein: Heureuses les entrailles qui vous ont porté, et les mamelles que vous avez sucées; dans son esprit: Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et qui la gardent.

  A008003035 

 En verité, en verité, je vous dis, que si vous demandes quelque chose au Pere en mon nom, il vous le donnera..

  A008003049 

 Mais nous ne pouvons parler de la prière que si Dieu nous instruit; disons donc avec les Apôtres: Seigneur, enseignez-nous à prier..

  A008003049 

 Or, entre autres, il leur donne cette consolation, que, s'il les quitte quant à sa présence temporelle, néanmoins, les couvrant toujours de sa protection, il les défendra et les exaucera.

  A008003054 

 Beau passage, dans l'Exode: Pourquoi cries-tu vers moi? Saint Bernard, sermon XVI e sur le Psaume XC, dit: «C'est une clameur aux oreilles de Dieu, qu'un ardent désir.» Auprès de Dieu le cri ne vaut pas autant que l'amour.

  A008003054 

 Cassiodore, sur le Psaume XVI, déclare que «la prière est parfaite quand l'objet de cette prière, la langue, la vie, la pensée crient à la fois.».

  A008003055 

 C'est ainsi que les anciens princes fondaient, que les hommes pieux fondent encore des monastères où toujours on prie, et où, avec ceux qui prient, eux-mêmes prient toujours; de même Saul agissait par les mains de ceux qui lapidaient, etc. [407].

  A008003057 

 Ne savez-vous pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi? Nous demandons bien aux Saints, mais non d'une manière absolue, nous demandons qu'ils appuient nos prières par les leurs.

  A008003058 

 La prière est toute-puissante, car «il est vraiment digne et juste» que le Fils soit exaucé du Père.

  A008003078 

 Il faut entendre dans ce sens ce que le même saint Paul dit des vases, et de Jacob et d'Esau; car un passage donne peut-être lumière pour l'interprétation de l'autre..

  A008003078 

 Voir dans les Actes des Apôtres, saint Paul appelé vase d'élection, non seulement parce que Dieu le prédestinait à la gloire, comme il y prédestine les autres élus, mais parce qu'il le destinait soit à une éminente grâce de celles qui sont appelées gratum faciens, soit à une grâce spéciale gratis data, et qu'il l'appelait à une mission extraordinaire.

  A008003080 

 C'est le style de l'Ancien Testament d'annoncer que l'Incarnation aura lieu aussitôt, et qu'elle ne tardera pas.

  A008003080 

 Ces expressions indiquent une durée courte non pas en soi, mais relativement à nos mérites, car nous méritions que le Messie ne vînt jamais.

  A008003083 

 Noter cela pour comprendre soit le grand avantage qu'il y a d'être avec Marie, soit la préséance d'honneur qui place Marie au-dessus de tous, comme étant la plus digne; car nous ne disons pas que le prince voyage ou est avec son courtisan, nous disons que celui-ci est avec son prince..

  A008003084 

 Les premières paroles concernant la chute du genre humain ont été dites à la femme; les premières concernant la réparation furent dites à Marie, celles du moins que rapportent les Evangélistes; mais il faut en croire autant de celles prononcées par Jésus-Christ, puisque sa Mère a contribué à lui faire acquérir la science expérimentale ou exercitative..

  A008003085 

 Le prêtre commence la prédication en traçant le signe de la Croix, pour montrer que ses paroles seront non pas mondaines mais célestes.

  A008003087 

 Ces mots: L'aîné servira le plus jeune, comme l'observe avec raison saint Augustin, ne peuvent s'appliquer aux personnes que moralement, comme par exemple lorsque Esaii a servi Jacob en le persécutant.

  A008003087 

 La Genèse ne raconte pas sa mort parce que les Saintes Ecritures s'attachent seulement à ce qui concerne le peuple choisi.

  A008003090 

 Dans ceste pensee je dis: O mon Dieu, quelle [414] consolation et jubilation de cœur doivent avoir les Chrestiens, considerant l'exaltation de la sainte Croix, laquelle ayant esté terrassee et abbatue par les infidelles, fut relevee et redressee par ce genereux cappitaine Heradius! Certes, nostre joye doit estre d'autant plus grande, qu'en cest ancien Temple il n'y fut jamais offert que des veaux, des boucs, des aigneaux, etc.; mays sur la Croix et en la Croix, le Filz eternel de Dieu s'est offert et immolé..

  A008003090 

 J'ay plusieurs fois consideré qu'apres que le grand Judas Machabee eut reedifié le Temple de l'ancienne Sinagogue, la nation hebraïque sentit tant de consolation, que tous les peuples tombans en face louerent et benirent Dieu qui les avoit ainsy prosperé.

  A008003091 

 Ceste Croix devance d'une grande traitte la magnificence de l'ancien Temple, de tout autant que le sacrifice de la sainte Croix surpasse tous les autres; et il n'y a point de bons Chrestiens qui ne doivent aymer plus tendrement la pauvreté, l'abjection et les douleurs de la Croix de Jesus Christ que les anciens Juifz n'aymoyent les richesses, la magnificence et les delices de leur Temple..

  A008003091 

 L'ancien Temple ne fut jamais teint d'autre sang que des bestes, mais ceste sainte Croix a esté teinte du sang de l' Autheur et consommateur de tous les sacrifices.

  A008003093 

 J'ay estimé, dit il, ne rien sçavoir que mon Jesus crucifié.

  A008003093 

 Ja n'advienne que je me glorifie en quelque autre chose qu'en la croix de mon Jesus: et ne croyes pas, mes chers Galates, que j'aye d'autre vie que celle de la croix; [415] car je vous asseure que je voy et sens tellement par tout la croix de mon Sauveur, que par sa grace je suis du tout crucifié au monde, et le monde m'est crucifié.

  A008003096 

 D'où le Chrestien doit inferer que ce n'est pas asses d'honnorer la Croix, s'il ne l'ayme; de la bayser, s'il ne l'embrasse par une cordiale et ferme resolution, non seulement d'aymer le Crucifix, mais encores la crucifixion de cœur..

  A008003097 

 Ceste croix de pasteur est la premiere que Jesus a portee; je le prouverais facilement par sa creche, par ses courses, par ses lassitudes et sueurs proche du puitz de la Samaritaine, et par son charitable soin pour ceux mesme qui le tourmentoyent..

  A008003097 

 Quelques contemplatifz ont medité que Jesus Christ, dans la boutique de saint Joseph et en ses trente ans de son adorable vie cachee, s'occupoit quelquefois a faire des croix pour toutes sortes de personnes; et j'ose de sa part en presenter a tous.

  A008003099 

 A Messieurs de la noblesse, je donne la croix de la modestie, le bon usage du tems par des occupations d'esprit bonnes et saintes, autant relevees par dessus les œuvres manuelles des roturiers, que leur condition leur donne de preeminence, et leur naissance d'advantage sur les autres.

  A008003101 

 A ceux du tiers estat, j'offre la croix de l'humilité, du travail et labeur de leurs mains, croix que Dieu a attachee a leur naissance, mais sanctifiee par l'usage que Jesus Christ a fait du mestier de charpenterie; et il fait [417] dire de soy mesme par son Prophete: Je suis dans le labeur et dans le travail des ma jeunesse.

  A008003101 

 Ceste croix du travail est tres salutaire pour ayder les hommes au salut eternel, parce que l'oysiveté estant la mere des vices, une necessaire et bonne occupation delivré l'ame de mille fantasies qui sont la source des pechés, et la tient dans une aymable innocence et bonne foy..

  A008003102 

 Aux jeunes gens, je destine la croix de l'obeissance, de la chasteté et de la retenue en leurs deportemens; croix salutaire qui crucifie les fougues d'un jeune sang qui commence a bouillir et d'un courage qui n'a pas encores la prudence pour guide, qui rendra en fin nos jeunes gens capables de porter le tres suave joug de Nostre Seigneur, en quelque condition que son inspiration les appelle..

  A008003103 

 Aux viellars, je presente la croix de la patience, de la douceur et du sage conseil, croix qui requiert un cœur armé de courage, car ilz ne trouveront dans cest aage avancé et refroidy que labeur et douleur sur la terre: c'est le dire de David..

  A008003104 

 Il y a si grand nombre de croix pour les personnes mariees et chargées de famille qu'il n'est pas besoin de leur en destiner de particulieres; neanmoins, celle que je leur presente plus volontier c'est le support mutuel, l'amitié fidelle et non interrompue par des amours estrangers, et le soin de l'eslevation des enfans; en donnant bon exemple a toute la famille, ne se pas rendre criminel des crimes d'autruy..

  A008003106 

 Ceux qui refusent de prendre humblement et porter vertueusement les croix que Dieu leur presente en ceste vie auront en l'autre le partage de Judas..

  A008003106 

 Heureux ceux qui ne fuyent point la croix! Judas, ce perfide disciple, mena son infernale troupe pour prendre [418] Jesus et le faire clouer a la croix; mais quant a luy, le malheureux, il refusa entierement la croix, ne voulant pas seulement celle de la sainte contrition et penitence que Jesus Christ luy offrait.

  A008003106 

 Le glorieux saint Anthoine vid un jour toute la terre couverte de pieges et de filetz; et il me semble, que de mes yeux interieurs, je la vois toute parsemee de croix.

  A008003107 

 Certes, les travaux, les injures, les tribulations que nous recevons sont des croix de vray larron, et nous les avons bien meritees, et nous devons humblement dire comme ce bienheureux larron: Nous recevons dans nos souffrances ce que nous avons merité par nos offences.

  A008003107 

 Le grand roy Salomon dit, que tout ce qui se passe sous le soleil est vanité et affliction d'esprit; cela presupposé, il n'y a point d'homme sous le soleil qui puisse eviter la croix et la souffrance.

  A008003109 

 Regardant donq la sainte Croix de Jesus avec un cœur plein d'amour et de reverence, je feray ces eternelles et inviolables resolutions: O mon Jesus, Bien Aymé de mon ame, permettes-moy que, comme un bouquet de myrrhe, je vous serre sur mon sein, et que je bayse le pied de ceste sainte Croix, teinte de vostre pretieux sang, et que je vous dise que ma bouche, qui est si [419] heureuse que de bayser vostre sainte Croix, s'abstiendra desormais de mesdisance, de murmure et de lasciveté.

  A008003110 

 Ma volonté, qui s'est sousmise aux loix de la sainte Croix et a l'amour de Jesus Christ crucifié, ne haïra jamais personne, parce que Jesus son Bien Aymé est mort d'amour pour tous..

  A008003111 

 En fin, mon zele sera de planter la Croix en mon cœur, en mon entendement, en mes yeux, en mes oreilles, en ma bouche, en tous mes sens interieurs et exterieurs, affin que rien n'y entre ni en sorte qui ne soit contraint de demander congé a la sainte Croix.

  A008003120 

 C'est ainsi que Jésus-Christ voulant employer les Apôtres comme une terre où le grain de l'Evangile porterait du fruit au centuple, comme des pierres qui serviraient de fondement à l'édifice de [421] son Eglise, comme des clefs qui ouvriraient le Royaume des cieux, comme des coupes bien ciselées dans lesquelles le vin de la divine parole devait être bu, commença par leur reprocher leur incrédulité..

  A008003122 

 Les enfants d'Israël murmurent dans le désert parce qu'ils manquaient de pain; ils doutent que Dieu puisse leur préparer une table dans le désert; et le Seigneur s'irrite de leur défiance, le courroux du ciel s'allume contre eux: Male locuti sunt de Deo, dixerunt: Nunquid poterit Deus parare mensam in deserto? Ignis accensus est in Jacob, et ira ascendit in Israel.

  A008003122 

 Mais qu'est-ce que Jésus-Christ reproche à ses Apôtres? C'est leur incrédulité.

  A008003122 

 Moïse frappe deux fois le rocher, l'eau coule avec abondance; mais parce que son frère et lui avaient eu quelque doute, Dieu leur déclare qu'ils n'entreront point dans la terre promise: Quia non credidistis mihi, non introducetis hospopulos in terram quam dabo eis.

  A008003122 

 Qu'est-ce que l'homme, pour qu'il entreprenne de mesurer sur sa faible intelligence le pouvoir et les mystères de Dieu? Aussi, voyez comment le Seigneur punit ce péché.

  A008003122 

 Zacharie doute, et l'Ange lui dit: Ecce eris tacens, et non poteris loqui usque in diem quo hœc fiant, pro eo quod non credidisti verbis meis; Parce que vous n'avez pas cru, vous perdrez l'usage de la parole jusqu'à la naissance de votre fils.

  A008003123 

 C'est ainsi que dans une autre occasion il reprit saint Thomas de n'avoir pas cru au témoignage des autres Apôtres: Noli esse incredulus; Ne soyez pas incrédule, lui dit-il.

  A008003123 

 Les ministres protestants veulent bien que les simples se fient à leur parole, quoiqu'ils reconnaissent pouvoir se tromper sur le sens de la Sainte Ecriture..

  A008003124 

 Après que Notre-Seigneur eut fait ce reproche à ses Apôtres, il leur commanda de prêcher l'Evangile: Prædicate Evangelium omni creaturæ; il ne leur ordonna pas de l'écrire, mais de le prêcher.

  A008003124 

 C'est en entendant la prédication que la foi s'est établie dans le monde: Quis credidit auditui nostro? Fides ex auditu.

  A008003128 

 C'est le cantique des Bienheureux, ainsi que nous l'apprenons de saint Jean.

  A008003129 

 Alleluia! oh! que cette courte prière est excellente! qu'elle est énergique! Car elle ne signifie pas simplement: Louez Dieu, mais elle exprime les louanges divines d'une manière ineffable, avec l'accent de l'amour, avec l'enthousiasme du cœur; c'est un langage céleste qu'on ne peut traduire en aucune langue; c'est un cri d'allégresse, un ravissement d'admiration, l'élan de la plus vive reconnaissance..

  A008003130 

 Il y a l'amour qui jouit, c'est celui des Bienheureux; et il y a aussi l'amour qui désire, c'est notre partage; et l'un et l'autre chantent Alleluia, parce que l'un et l'autre ne peuvent retenir les transports de leur joie à la vue de l'Agneau debout devant le trône comme immolé: Vidi Agnum stantem tanquam occisum..

  A008003133 

 Ces plaies sont les sources d'eau vive que l'amour du Sauveur nous a creusées clans son propre corps, et dont il a été écrit par Isaïe que nous y puiserons avec joie les grâces les plus abondantes: Haurietis aquas in gaudio de fontibus Salvatoris.

  A008003138 

 Et si elle célèbre maintenant l'auguste sacrifice de la Messe au milieu d'un concert harmonieux d' Alleluia, ce n'est pas pour que ses enfants oublient que l'oblation de la céleste Victime est la plus vive représentation du sacrifice de la Croix.

  A008003138 

 Quand l'Eglise nous fait chanter des cantiques d'allégresse en l'honneur de Jésus ressuscité, ce n'est pas pour que nous bannissions de notre esprit l'attendrissant souvenir de ses tourments et de ses supplices, ni pour que nous cessions de verser des larmes sur ses cruelles souffrances.

  A008003138 

 Toujours elle veut que la Croix soit le grand objet de nos adorations et de nos hommages..

  A008003139 

 Ce serait donc s'écarter de son esprit que de penser, qu'en ce temps d'une sainte joie, il faut s'abstenir de [426] prêter l'oreille avec une vive émotion aux coups redoublés des bourreaux qui percent les pieds et les mains de Jésus, qui déchirent sa chair adorable, qui ouvrent ses veines, qui meurtrissent cruellement ses nerfs.

  A008003139 

 L'Eglise nous invite toujours à fixer nos yeux sur le Crucifix qui nous représente Jésus élevé en croix; tout le poids de son corps qui ne porte que sur ses plaies, sa chair et ses veines qui se déchirent de plus en plus, ses nerfs qui se brisent, et ses os qui se disloquent les uns après les autres en sorte qu'on peut les compter, comme l'avait prédit le Prophète: Dinumeraverunt omnia ossa mea..

  A008003140 

 Ah! s'écrie saint Bonaventure, si une épine seulement nous blesse le pied, nous jetons des cris de douleur; et comment donc serions-nous insensibles aux maux extrêmes qu'a soufferts notre Chef et notre Seigneur! «Quare magis compateris parvae puncturae pedis tui, quam gravissimae morti Domini tui!» Quoi! dit encore le même Saint, nous ne pourrions soutenir la vue d'un tourment affreux exercé, je ne dis pas sur un parent ou sur un ami, je ne dis pas sur un homme inconnu, mais sur un vil animal; et nous verrions sans douleur l'excès des maux que souffre notre Dieu! «Si videres animal brutum ita affligi, humano affectu compatereris, quanto magis Domino Deo!».

  A008003141 

 Que sera-ce donc, ajoute le saint Docteur, si nous réfléchissons que nos péchés sont les bourreaux de Jésus-Christ, que c'est pour nos crimes qu'il a été cloué à la croix, que ce sont nos iniquités qui lui ont fait ces plaies si humiliantes et si douloureuses! Quelle profonde tristesse, quelle vive componction, quelle contrition amère ne doit pas s'emparer de notre cœur! «In dolore enim Domini nostri Jesu Christi, debemus intime sibi condolere et compati.

  A008003143 

 «Ce n'est pas que nous nous réjouissions de ses ignominies et de ses douleurs;» non, non, elles feront toujours la matière de nos gémissements et de nos larmes, mais nous sommes saisis de joie à la vue des admirables effets qu'a produits le sang précieux qui coule de ses plaies; nous bénissons mille et mille fois la tendre affection, l'amour ardent qu'il nous a témoigné en mourant sur la croix pour notre salut: «Non quod gaudeat de ejus vilitate et Passione, sed de ejus effectu affectuque, et amoris manifestatione.».

  A008003144 

 «Quel est le grand de la terre qui n'éprouverait pas la joie la plus vive, s'il était aimé du roi à un tel point que ce monarque fût prêt à donner sa vie pour lui! A combien plus forte raison, nous qui sommes des hommes si méprisables, de si infâmes esclaves, des pécheurs si abominables, devons-nous tressaillir de joie en voyant le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, notre Créateur et notre Dieu, Jésus, nous aimer jusqu'à s'immoler lui-même pour nous par la mort la plus ignominieuse et la plus cruelle! Quis princeps in regno cernens se tantum a rege diligi ut paratus esset mori pro ipso, non gauderet et exsultaret! Quanto magis nos vilissimi homines, et nefandissimi peccatores et servi, gaudere debemus et exsultare, cum videmus Regem regum et [428] Dominum dominantium et Creatorem nostrum Jesum nos ita continue diligere, ut immolaverit seipsum pro nobis in tam turpi et vilissima morte!».

  A008003145 

 Ah! nous pouvons bien assurer qu'il nous aime infiniment plus que nous ne nous aimons nous-mêmes.

  A008003146 

 «Ah! Seigneur Jésus, je vous en conjure, percez mon cœur de vos divines blessures, enivrez-moi de votre sang, afin que dans cette ivresse surnaturelle, de quelque côté que je me tourne, je vous voie toujours crucifié; qu'à mes yeux tout paraisse rougi de votre sang, en sorte que, uniquement occupé de vous, je ne puisse rien trouver que vous, je ne puisse rien considérer que vos plaies sacrées: Domine Jesu Christe, cor meum tuis vulneribus saucia, et tuo sanguine inebria mentem meam, ut quocumque me vertam, semper te videam crucifixum, et quidquid aspexero, in sanguine tuo mihi appareat rubricatum, ut sic in te totus tendens, nihil praeter te valeam invenire, nihil nisi tua vulnera valeam intueri.».

  A008003153 

 Ces eaux sont les grâces que Jésus-Christ nous a méritées par son sang précieux.

  A008003153 

 Nous apprenons de l'Apôtre saint Paul que Jésus-Christ était figuré par la pierre salutaire, le rocher mystérieux d'où Moïse fit couler des eaux abondantes pour désaltérer le peuple d'Israël: Bibebant autem de spiritali consequente eos petra; petra autem erat Christus.

  A008003153 

 « Les trous de la pierre » par lesquels coulent ces eaux divines sont, dit saint Bernard, «les plaies sacrées du Sauveur: Foramina petrae, vulnera Christi.» Allons puiser avec confiance dans ces sources de bénédiction; nous y trouverons une eau vive que Jésus nous a préparée pour nous fortifier contre tous les dangers, et pour former au dedans de nous une fontaine dont l'eau rejaillisse jusqu'à la vie éternelle: Aqua quam ego dabo ei, fiet in eo fons aquae salientis in vitam aeternam..

  A008003156 

 Ce n'est plus une créature faible et timide que le moindre péril épouvante; c'est un héros intrépide qui ne respire que le bonheur de souffrir et de mourir pour Jésus.

  A008003156 

 Quel admirable spectacle! Dès que la colombe a établi son nid dans les trous de la pierre, elle y puise une force et un courage invincible.

  A008003157 

 Là j'entonnerai le cantique du salut: Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dissipés: Exsurgat Deus et dissipentur inimici ejus.

  A008003157 

 Mais la pierre n'est-elle à servir d'habitation qu'à ces âmes généreuses? Ah! l'Esprit-Saint m'apprend encore que les hérissons, c'est-à-dire les âmes infirmes, y trouvent un refuge et un asile: « Petra refugium [431] herinaciis.

  A008003157 

 «Et revera ubi tuta firmaque infirmis securitas et requies, nisi in vulneribus Salvatoris? Tanto illic securior habito, quanto ille potentior est ad salvandum.» En vain le monde frémissant de rage m'attaque avec fureur; en vain la chair rebelle me livre de violents assauts; en vain le démon artificieux me dresse des embûches perfides, je ne tomberai jamais, pourvu que, caché dans les plaies de Jésus, je m'appuie sur cette pierre ferme.

  A008003158 

 Quelle plus grande miséricorde en effet que de donner sa vie pour d'infâmes criminels condamnés au supplice! «In quo enim clarius quam in vulneribus tuis eluxisset, quod tu, Domine, suavis et mitis, et multœ misericordiœ? Majorem enim miserationem nemo habet quam ut animam suam ponat quis pro addictis morti et damnationi.» Par la large ouverture que la lance fit au côté de mon bon Maître, [432] je pénètre jusqu'à son cœur; là je me repose dans les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, et j'y prends abondamment tout ce qui me manque pour payer ce que je dois à sa justice: «Ego fidenter quod ex me mihi deest, usurpo mihi ex visceribus Domini, quoniam misericordiae affluunt.».

  A008003158 

 Quelquefois la pensée des jugements de Dieu jette l'alarme dans ma conscience; je me sens effrayé par la multitude et l'énormité de tant de péchés que j'ai autrefois commis; mais aussitôt, pour me rassurer, je me jette dans les blessures du Seigneur, car je sais qu' il a été blessé pour nos iniquités: «Peccavi peccatum grande, turbatur conscientia, sed non perturbabitur, quoniam vulnerum Domini recordabor; nempe vulneratus est propter iniquitates nostras.» Là je lis écrit de son sang le mystère de son amour, j'adore le témoignage précieux de son immense miséricorde.

  A008003163 

 La troisième, la plus spacieuse et la plus chère à mon cœur, sera dans la plaie que la lance fit à son côté.


09-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome IX-Vol.3-Sermons.html
  A009000062 

 « Vous sçaurez aujourd'huy que le.

  A009000067 

 Et non seulement cela s'est fait en l'Eglise, ains encores en l'ancienne Loy, le jour du Sabbat estant tousjours precedé de plusieurs preparations que l'on faisoit le jour devant..

  A009000067 

 La tres sainte Eglise a accoustumé de nous preparer dès la veille des grandes solemnités, à fin que nous venions à estre plus capables de reconnoistre les grans benefices que nous avons receus de Dieu en icelles.

  A009000068 

 C'est pourquoy il prit soin de faire que les Israëlites se preparassent par la consideration d'un si grand benefice, pour se rendre plus dignes de le recevoir.

  A009000068 

 Ces paroles sont tirées de celles que Moyse addressa aux enfans d'Israël lors qu'il sceut le jour que Dieu avoit destiné pour leur donner la manne dans le desert.

  A009000068 

 De mesme l'Eglise nous disant: « Vous sçaurez aujourd'huy que le Seigneur viendra» demain, ne pretend autre chose sinon de faire que nous enfoncions nos entendemens en la consideration de la grandeur du mystere de la tres sainte Nativité de Nostre Seigneur.

  A009000068 

 Il parle ainsy comme si le Seigneur devoit venir en sa propre gloire, bien que nous sçachions tous que Dieu ne va et ne vient pas comme s'il avoit un corps, car il est immuable, ferme et solide, sans mouvement aucun; neanmoins Moyse use de ces termes pour monstrer que le benefice de la manne estoit si grand qu'il sembloit que Dieu deust venir luy mesme pour la porter et distribuer aux enfans d'Israël.

  A009000068 

 La tres sainte Eglise nous voulant donques faire preparer en la vigile du saint jour de Noël, et, comme une mere tres aymable, ne nous voulant laisser surprendre d'un si grand mystere, nous dit ces paroles: « Vous sçaurez aujourd'huy que Nostre Seigneur viendra» demain; qui est autant à dire: Il naistra demain, et vous le verrez tout petit enfant couché dans une creche.

  A009000068 

 Les ayant fait assembler il leur parla donques ainsy: Vous sçaurez au soir que le Seigneur vous a retirés de la terre d'Egypte, et au matin vous verrez la gloire du Seigneur; qui est autant que s'il eust dit: Il viendra demain au matin.

  A009000069 

 Alexandre le Grand estant à l'article de la mort, ses courtisans, fols, insensés et flatteurs, luy vindrent dire: «Sire, quand te plaist-il que nous te fassions dieu?» Lors Alexandre monstra bien, en la response qu'il leur fit, qu'il n'estoit pas si fol comme eux: «Vous me ferez dieu quand vous serez bienheureux,» leur respondit-il.

  A009000069 

 Car ils pensoyent que si bien il y avoit un Dieu supreme qui est le premier principe de toutes choses, il pouvoit neanmoins y avoir plusieurs dieux, ou du moins des hommes qui, participant en quelque façon aux qualités divines, se pouvoyent appeller dieux.

  A009000069 

 Ce que pour mieux faire, nous humilierons premierement nos entendemens, reconnoissans qu'ils ne sont nullement capables de pouvoir penetrer dans le fond de la grandeur de ce mystere, qui est un mystere vrayement chrestien.

  A009000069 

 Comme s'il eust voulu dire: Il n'appartient pas à des hommes malheureux, perissables et mortels de faire des dieux, qui ne peuvent estre que bienheureux et immortels..

  A009000069 

 Entre les payens, cet instinct qu'ils avoyent que Dieu fust homme et que l'homme fust Dieu leur a fait faire des choses estranges, jusques là qu'ils croyoient, au moins quelques-uns, de se pouvoir faire dieux et se faire adorer comme tels du reste des hommes.

  A009000069 

 Je dis chrestien, d'autant que nuls que les Chrestiens n'ont jamais sceu comprendre comme il se pouvoit faire que Dieu fust homme et que l'homme fust Dieu.

  A009000069 

 Tous les hommes ont tousjours eu une certaine inclination à croire que cela se peust et qu'il se feroit; mais pourtant, nuls que les Chrestiens ne sont parvenus à connoistre comme il se pourroit faire.

  A009000070 

 Les Chrestiens ont esté plus esclairés, et ont eu l'honneur de sçavoir que l'homme a esté fait Dieu et que Dieu s'est fait homme, bien qu'ils ne soyent pas capables de comprendre la grandeur du mystere de l'Incarnation et de la tres sainte Nativité de Nostre Seigneur, car c'est un mystere caché dans l'obscurité des tenebres de [3] la nuit; non pas que le mystere soit tenebreux en soy mesme, car Dieu n'est que lumiere.

  A009000070 

 Mais comme l'on voit que nos yeux ne sont pas capables de regarder la lumiere ou la clarté du soleil sans s'obscurcir (de sorte qu'apres s'estre voulu appliquer à regarder cette lumiere nous sommes contrains de les fermer, n'estant pas capables de rien voir pour quelque temps), de mesme, ce qui nous empesche de comprendre le mystere de la tres sainte Nativité de Nostre Seigneur n'est pas qu'il soit tenebreux en soy mesme, ains parce qu'il n'est que lumiere et clarté.

  A009000071 

 C'est donques en l'obscurité de la nuit que Nostre Seigneur naquit et se fit voir a nous comme un petit enfant couché dans une creche, ainsy que nous le verrons demain..

  A009000071 

 Ce benefice n'est autre que la grace qui nous sert pour acquerir la jouissance de la gloire et felicité, de laquelle [4] nous estions privés pour jamais sans ce don qu'il nous a fait de sa grace.

  A009000071 

 Dieu faisoit pleuvoir de nuit la manne dans le desert pour les enfans d'Israël; et à fin que les Israëlites eussent plus de sujet de luy en sçavoir gré, il voulut dresser luy mesme le festin et la table, car vous avez entendu que Moyse dit: Vous sçaurez que le Seigneur vous a retirés de l'Egypte, et au matin vous verrez sa gloire.

  A009000071 

 Dieu voulant de mesme faire un benefice signalé et incomparablement aymable aux hommes qui vivent sur la terre comme en un desert, où ils ne font que souspirer et aspirer pour la jouissance de la terre promise qui est nostre patrie celeste, vient luy mesme en personne nous l'apporter, et ce au plus fort de la nuit.

  A009000071 

 Et puis, pour monstrer qu'il les servoit honnorablement comme on sert maintenant les princes, à plats couverts, il faisoit pleuvoir une petite rosée qui conservoit la manne jusqu'au matin que les Israëlites la venoyent promptement cueillir avant que le soleil fust levé.

  A009000072 

 Chacun sçait que les anciens Peres de l'Eglise, les Patriarches et les Prophetes ont tous regardé ceste estoille polaire et dressé leur navigation à sa faveur.

  A009000072 

 L'estoille de mer c'est l'estoille du pole vers laquelle tend tousjours l'aiguille marine; c'est par elle que les nochers sont conduits sur mer et qu'ils peuvent connoistre où tendent leurs navigations.

  A009000072 

 La tres sainte Vierge produisit son Fils virginalement, ainsy que les estoilles produisent leur lumiere.

  A009000073 

 Quelle apparence, je vous prie, y a-t-il que Nostre Seigneur deust violer l'integrité de sa Mere, luy qui ne l'avoit choisie sinon parce qu'elle estoit vierge? Luy qui estoit la pureté mesme eust-il peu diminuer ou entacher la pureté de sa tres sainte Mere? Nostre Seigneur est engendré et produit virginalement de toute eternité du sein de son Pere celeste; car si bien il prend la mesme divinité de son Pere eternel, il ne la divise pourtant pas, ains demeure un mesme Dieu avec luy.

  A009000073 

 Tous les Prophetes ont sceu que la Vierge concevroit et enfanteroit un enfant qui serait Dieu et homme tout ensemble; elle concevroit, mais par la vertu du Saint Esprit; elle concevroit son Fils virginalement et l'enfanterait de mesme virginalement.

  A009000074 

 C'est donc à juste rayson que la tres sainte Vierge a un nom qui signifie estoille, car tout ainsy que les estoilles produisent leur lumiere virginalement et sans en recevoir aucun detriment en elles mesmes, ains en paroissent plus belles à nos yeux, de mesme Nostre Dame produisit cette lumiere inaccessible, son Fils tres beni, sans en recevoir aucun detriment ni souiller aucunement sa pureté virginale; mais avec cette difference neanmoins, qu'elle le produit sans effort ni secousse et violence quelconque, ce que ne font pas les estoilles, ainsy que l'on voit, car elles produisent leur lumiere par secousses et, ce semble, avec violence et forcement..

  A009000074 

 Il est bon pourtant de s'en servir pour fondement des meditations que nous faisons sur le mystere de la Nativité de Nostre Seigneur.

  A009000075 

 Ce qui nous represente les trois substances qui se trouvent en ce tres beni Enfant que nous verrons demain couché dans une creche.

  A009000075 

 Je remarque en second lieu que la manne avoit trois sortes de gousts qui luy estoyent propres et particuliers, outre ce qu'elle avoit tous les gousts que l'on eust peu souhaiter; car si les enfans d'Israël avoyent envie de manger du pain, la manne avoit le goust du pain; s'ils desiroyent de manger des perdrix et autre telle chose quelle qu'elle fust, la manne avoit quant et quant ce goust là.

  A009000075 

 La pluspart des Peres sont en doute si tous, tant les mauvais que les bons, participoyent à cette faveur; mais que cela soit ou non, la manne avoit le goust particulier ou la saveur de la farine, du miel et de l'huile.

  A009000078 

 Mais à fin que je ne m'arreste pas tant sur ces deux premiers points qui servent pour l'exercice de nostre entendement, je passe outre pour parler du troisiesme qui contient quelque petite chose propre à enflammer nostre volonté..

  A009000078 

 O que ce pain a un goust incomparablement delectable pour les [7] ames qui le mangent dignement! Quelle delectation, je vous prie, de se nourrir du pain descendu du ciel, du pain des Anges! Toutefois, ce qui le rend plus delectable est l'amour avec lequel il nous est donné par Celuy mesme qui est le don et le donateur tout ensemble.

  A009000079 

 Je remarque en passant que de tout le peuple alors en grand nombre à Bethleem, il n'y eut que des simples bergers qui vindrent visiter Nostre Seigneur, et puis apres eux les Rois Mages, qui vindrent de fort loin pour adorer et prester hommage à nostre nouveau Roy couché dans une creche.

  A009000080 

 Mais qu'est-ce que representent ces bergers? Les uns disent qu'ils representent les pasteurs de l'Eglise, comme sont les Evesques, les Superieurs des Religions, les curés et tous ceux qui ont charge d'ames; c'est l'opinion d'une [8] partie des saints Peres que Nostre Seigneur revele plus particulierement ses mysteres à ceux-là, d'autant qu'ils sont commis de la part de Dieu pour les faire puis apres entendre à leur troupeau, aux ames qui leur sont commises.

  A009000080 

 Mais remarquez qu'il n'y eut que les bergers qui veilloyent sur leur troupeau qui eurent l'honneur et la grace d'ouïr cette gracieuse nouvelle de la naissance de Nostre Seigneur, pour nous monstrer que si nous ne veillons sur le troupeau que Dieu nous a donné en charge, qui est comme j'ay dit, nos passions, nos inclinations, les facultés de nostre ame, pour les faire repaistre dans quelque saint pasturage et les tenir rangées et en leur devoir, nous ne meriterons point d'ouïr cette nouvelle tant aymable de la naissance du Sauveur, et ne serons pas capables de l'aller visiter dans la creche où sa tres benite Mere le posera demain..

  A009000080 

 Pourquoy pensez-vous que les Anges s'addresserent aux bergers plustost qu'à nul autre qui fust en Bethleem? Non pour autre cause, sinon parce que Nostre Seigneur, estant venu comme Pasteur et le Roy des pasteurs, ne vouloit favoriser que ses semblables.

  A009000080 

 Quelques autres disent que ces bergers representent les Religieux et tous ceux qui font profession de pretendre à la perfection.

  A009000081 

 Helas, nous estions indignes de sçavoir comme quoy nous les devions bien conduire et ranger; mais Nostre Seigneur, comme bon Pasteur et berger tres aymable de nos ames, qui sont ses brebis pour lesquelles il a tant fait, vient nous enseigner luy mesme ce que nous devons faire.

  A009000081 

 O Dieu, quelle bonté de cet aymable Sauveur! Il s'est sousmis à faire tout ce que font les autres enfans, pour ne paroistre autre chose qu'un pauvre petit poupon, sujet à la necessité et loy de l'enfance.

  A009000081 

 O que c'est un mystere grandement suave que celuy de la tres sainte Nativité de Nostre Seigneur! Tous et un chacun y peut rencontrer un grand sujet de consolation; mais plus ceux qui seront mieux preparés et qui auront, à l'imitation de ces bergers, bien veillé sur leur troupeau.

  A009000081 

 O que nous serons heureux si nous l'imitons fidellement et si nous suivons l'exemple qu'il nous vient donner.

  A009000082 

 Et tout ainsy que nous le voyons emmaillotté et serré dans des bandelettes et maillots par sa tres benite Mere, il entend de nous inciter à bander et serrer toutes nos passions, affections, inclinations, et en fin toutes nos puissances tant interieures qu'exterieures, nos sens, nos humeurs et tout ce que nous sommes, dans les maillots de la sainte obeissance, pour ne vouloir jamais plus nous gouverner ni user de nous mesmes, de crainte d'en mesuser, sinon autant que l'obeissance nous le pourra permettre..

  A009000082 

 Je considere que, outre cette rayson pour laquelle Nostre Seigneur voulut estre bandé et emmaillotté et sujet à sa tres sainte Mere, de telle sorte qu'il se laisse manier, porter et emmaillotter tout ainsy qu'il luy plaist, sans tesmoigner nulle repugnance, il y a encores un autre sujet qui l'a meu à ce faire: c'est pour nous apprendre à gouverner et regir nostre troupeau spirituel, c'est à dire nos passions, nos affections et les facultés de nostre ame.

  A009000082 

 Or, tout cecy Nostre [10] Seigneur veut que nous apprenions de luy à le ranger sous la domination de la rayson.

  A009000082 

 Toutes les autres puissances, facultés et passions semblent estre sujettes à ces deux facultés et ne se remuent que par leur commandement.

  A009000083 

 Helas, Nostre Seigneur ne pouvoit pas mesuser de sa volonté ni de sa liberté; neanmoins il a voulu que tout fust caché sous les maillots, et la science et la sapience eternelle, avec tout ce qu'il avoit entant que Dieu, esgal à son Pere, comme l'usage de rayson, le pouvoir de parler et bref tout ce qu'il devoit faire ayant atteint l'aage de trente ans.

  A009000083 

 Tout sans reserve fut clos et caché sous le voile de la sainte obeissance qu'il portoit à son Pere, qui l'obligeoit à n'estre en rien dissemblable aux autres enfans, ainsy que dit saint Paul, qu' il a esté de besoin qu'il fust en tout semblable à ses freres..

  A009000083 

 Voyez de grace ce tres doux Enfant lequel se laisse tellement gouverner et conduire par sa tres benite Mere qu'il semble veritablement qu'il ne puisse en façon quelconque faire autrement; ce n'est pour autre sujet, mes cheres ames, sinon pour nous monstrer ce que nous devons faire, principalement les Religieuses qui ont voué leur obeissance.

  A009000084 

 Mais comme les bergers ne [11] l'allerent pas voir sans doute sans luy porter quelques petits agnelets, il ne faut pas que nous y allions les mains vides, ains il nous faut porter quelque chose.

  A009000084 

 O qu'il nous sçaura bon gré de ce present, mes cheres Sœurs, et que la tres sainte Vierge le recevra avec une grande consolation pour le desir qu'elle a de nostre bien; ce divin Enfant nous regardera sans doute de ses yeux benins et gracieux pour recompense de nostre present, et pour tesmoignage du plaisir qu'il en recevra.

  A009000084 

 O que nous serons heureux si nous visitons ce cher Sauveur de nos ames; nous en recevrons une consolation nompareille, et tout ainsy que la manne avoit le goust qu'un chacun eust peu desirer, de mesme chacun peut trouver de la consolation en visitant ce Poupon tres aymable..

  A009000084 

 Qu'avons nous de plus à dire sinon que le mystere de la Nativité de Nostre Seigneur est un mystere de la Visitation? Comme la tres sainte Vierge fut visiter sa cousine sainte Elizabeth, de mesme il nous faut aller fort souvent le long de cette octave visiter le divin Poupon couché dans la creche, et là nous apprendrons de ce souverain Pasteur des bergers à conduire, gouverner et ranger nos troupeaux, de sorte qu'ils soyent aggreables à sa Bonté.

  A009000084 

 Qu'est-ce, je vous prie, que nous pourrions porter à ce divin Berger qui luy fust plus aggreable que le petit agnelet de nostre amour, qui est la principale partie de nostre troupeau spirituel, car l'amour est la premiere passion de l'ame.

  A009000086 

 Anne, mere de Samuel, demeura longuement sans avoir des enfans, ce qui luy causoit une si grande bigearrerie que l'on ne la trouvoit jamais de mesme humeur; car quand elle voyoit des femmes qui s'esjouissoyent avec leurs enfans, elle se lamentoit et se chagrinoit dequoy elle n'en avoit pas, et quand elle en voyoit quelques unes qui se plaignoyent de leurs enfans, elle se resjouissoit dequoy Dieu ne luy en donnoit point; mais dès qu'elle eut le petit Samuel, dès lors on ne la vit jamais plus inegale.

  A009000086 

 Nous avions quelques excuses [12] sans doute de nous chagriner et estre changeans en nos humeurs tandis que nous n'avions pas cet Enfant tant aymable qui nous vient de naistre ou qui naistra demain; mais desormais il ne nous sera plus loysible, puisque en luy consiste tout le sujet de nostre joye et de nostre bonheur..

  A009000087 

 Les abeilles n'ont aucun arrest tandis qu'elles n'ont point de roy: elles ne cessent de voleter par l'air, de se dissiper et esgarer, n'ayans presque nul repos dans leur ruche; mais dès aussi tost que leur roy est né, elles se tiennent ramassées tout autour de luy et ne sortent que pour la cueillette et, ce semble, par le commandement ou congé de leur roy.

  A009000088 

 C'est la grace que je vous desire, mes cheres ames, que de vous tenir bien proches de ce sacré Sauveur qui vient pour nous ramasser tout autour de luy, à fin de nous tenir tousjours sous l'estendart de sa tres sainte protection, soit comme le pasteur a soin de ses brebis et de son troupeau, soit comme le roy des abeilles, qui en a un tel soin que l'on dit qu'il ne sort jamais de sa ruche sans estre entouré de tout son petit peuple.

  A009000088 

 Sa Bonté nous veuille faire la grace que nous entendions sa voix, ainsy que les brebis celle du pasteur, à fin que le reconnoissant pour nostre souverain Pasteur, nous ne nous esgarions et n'escoutions celle de l'estranger qui se tient pres de nous comme un loup infernal, en intention de nous perdre et de nous devorer; et que de mesme nous puissions avoir la fidelité de nous tenir sousmis, obeissans et sujets à ses volontés et commandemens, ainsy que les avettes font avec leur roy, à fin que par ce moyen nous commencions à faire dès cette vie ce que moyennant la grace de Dieu nous ferons eternellement au Ciel, où nous conduisent le Pere et le Fils et le Saint Esprit.

  A009000093 

 Cela est autant à dire que se purifier ou purger soy mesme.

  A009000093 

 Il y a une telle conformité entre les Evangiles de ces deux festes, que j'ay bien voulu des deux en tirer la petite exhortation que je m'en vay faire.

  A009000093 

 Mais comme en eust-elle eu besoin, veu qu'elle avoit produit son Fils plus purement que ne fait l'estoille son rayon, rayon qui rend l'estoille d'autant plus belle à nos yeux qu'elle le produit plus frequemment? Elle vient donques, nostre sacrée Maistresse, non pour se purifier en elle mesme, ains seulement en l'imagination de plusieurs qui, ne sçachans pas qu'elle estoit exempte d'observer la Loy, eussent murmuré dequoy elle ne l'observoit pas..

  A009000093 

 Mais expliquons un peu que signifie renoncer à soy mesme.

  A009000093 

 Nous trouvons en celuy d'aujourd'huy que Nostre Seigneur dit ces trois mots auxquels sont comprises toute la doctrine et perfection chrestienne: Qui voudra venir apres moy, qu'il renonce à soy mesme, prenne sa croix et qu'il me suive.

  A009000093 

 Or, nostre chere Dame et Maistresse n'avoit point besoin de purification, elle qui estoit plus belle que le soleil, plus pure que la lune et plus admirable que l'aurore.

  A009000093 

 [15] Nostre Dame nous en monstre un exemple admirable, car l'Evangeliste dit que les jours estans venus ou passés de sa purification, selon la Loy de Moyse, elle vint au Temple pour offrir son Fils avec deux colombes ou tourterelles.

  A009000094 

 Elle n'eut non plus besoin de purification dès cette heure là; mais nous autres, il est tres necessaire que nous sçachions cette verité, qui est que tant que nous serons en cette miserable vie nous aurons tousjours besoin de nous purifier et de renoncer à nous mesme, et cette vie ne nous est donnée pour autre fin.

  A009000094 

 Il se sert de nos sens, et il est si malicieux que dès que nous luy ostons le pouvoir de faire ses operations en celuy de la veüe, il se saisit de celuy de l'ouÿe, et ainsy des autres; bref, nous sommes au temps qu'il faut travailler..

  A009000095 

 Nous avons deux nous mesmes, et avons desja veu que renoncer à soy mesme c'est se purifier soy mesme.

  A009000095 

 Or, quel est ce nous mesme qu'il faut purifier, puisque nous en avons deux, lesquels neanmoins ne font qu'une seule personne? Nous avons un nous mesme qui est tout celeste, lequel nous fait faire les bonnes œuvres; c'est cet instinct que Dieu nous [16] a donné pour l'aymer et pour aspirer à la jouissance de la Divinité en la gloire eternelle.

  A009000095 

 Voyons un peu maintenant que veut dire Nostre Seigneur par cette parole: Qui veut venir apres moy, qu'il renonce à soy mesme.

  A009000096 

 Il faut renoncer à l'homme terrestre pour fortifier le celeste, et c'est une chose asseurée qu'à mesure que l'un s'affoiblira, l'autre sera renforcé..

  A009000096 

 Il ne se faut point tromper, pensant pouvoir aller apres Nostre Seigneur sans renoncer tout à fait et sans reserve à ce nous mesme, car non seulement Nostre Dame nous a baillé exemple de le faire, mais le Sauveur mesme nous l'a enseigné en sa Mort et Passion, renonçant à l'inclination qu'il avoit de vivre, pour s'assujettir à la volonté de son Pere, en se rendant obeissant jusques à la mort et à la mort de la croix; et c'est ainsy qu'il faut que nous fassions.

  A009000096 

 Je veux dire qu'il faut renoncer à ce mauvais nous mesme pour l'assujettir à l'autre, qui est la rayson et partie superieure de l'ame, qui tend tousjours au vray bien par l'instinct que Dieu luy a donné; car il ne serviroit de rien de renoncer à soy mesme pour en demeurer là; les philosophes d'autrefois l'ont fait admirablement, mais cela ne leur a de rien servi.

  A009000097 

 C'est assez parler sur ce premier point, puisque nous sommes enseignés que renoncer à soy mesme n'est autre chose que se purifier et se purger de tout ce qui se fait par l'instinct de nostre amour propre, lequel, nous le sçavons, produira tousjours, tandis que nous serons en cette vie, des rejetons qu'il faudra couper et retrancher, tout ainsy qu'il faut faire à la vigne; car il ne se faut pas contenter d'y mettre une fois la main, mais il faut la couper en un temps, puis apres la despouiller de ses feuilles, et ainsy plusieurs fois l'année il faut avoir la main à la serpe pour retrancher les superfluités.

  A009000098 

 Au renoncement de nous mesme nous faisons encor quelque chose qui nous contente, parce que c'est nous mesmes qui agissons, mais icy il faut prendre la croix telle qu'on nous l'impose; et en cecy il y a desja moins de nostre choix, c'est pourquoy c'est un point de perfection de beaucoup plus grand que le precedent.

  A009000098 

 Lors qu'il voulut mourir pour nous racheter et pour satisfaire à la volonté de son Pere, il ne choisit point sa croix, ains receut humblement celle que les Juifs luy avoyent preparée..

  A009000098 

 Nostre Seigneur dit que l'on prenne sa croix.

  A009000098 

 Nostre Seigneur et tres cher Maistre nous a tres bien monstré comme il ne faut pas que nous choisissions la croix, ains qu'il faut que nous la prenions et portions telle qu'elle nous est presentée.

  A009000098 

 Passons au second point, qui est qu'il faut prendre sa croix apres que l'on a renoncé à soy mesme.

  A009000098 

 Voulez-vous sçavoir en un mot que cela signifie? C'est autant à dire que: Prenez et recevez de bon cœur toutes les peines, contradictions, afflictions et mortifications qui vous arriveront en cette vie.

  A009000099 

 D'autre part, il estoit cruellement travaillé et tourmenté en son corps, car il nous asseure qu'il fut fouetté par trois fois, de sorte que les traces en paroissoyent sur ses espaules; apres, qu'il fut lapidé et que l'on remarquoit encores les coups; puis, qu'il fut submergé, et ainsy des autres tourmens qu'il endura.

  A009000099 

 Escoutons un peu son grand Apostre saint Paul, lequel nous asseure que rien ne le separera de son Maistre parce qu'il est marqué de sa marque, et qu'en quelle part qu'il aille il sera tousjours reconneu pour estre des siens.

  A009000100 

 Je diray bien davantage: il y a quelquefois plus de vertu à porter une croix de paille que non pas une croix bien pesante, parce qu'il faut plus appliquer son attention, de crainte de la perdre.

  A009000100 

 Je veux dire qu'il peut y avoir plus de vertu à retenir une parolle qui nous a esté defendue par nos Superieurs, ou bien à ne pas lever la veùe pour regarder quelque chose que l'on a bien envie de voir, que non pas de porter la haire, parce que dès qu'on l'a sur le dos il n'est plus besoin d'y penser; mais en ces menues obeissances il faut avoir une grande attention pour n'y pas faillir..

  A009000100 

 Par exemple, un Religieux se sousmettroit volontiers à faire des grandes austerités, comme de jeusner, porter la haire, faire des rudes disciplines, et tesmoigneroit de la repugnance à obeir lors qu'on luy commande de ne pas jeusner, ou bien de prendre du repos, et telles choses auxquelles il semble y avoir plus de recreation que de peine.

  A009000101 

 Et pour tesmoignage de la grande paix et tranquillité d'esprit qu'elle acquit en cette pratique, Nostre Seigneur revela à sainte Mechtilde sa compagne, que si on le vouloit trouver en cette vie, on le cherchast premierement au saint Sacrement de l'autel, et puis apres dans le cœur de sainte Gertrude.

  A009000101 

 Et, quoy que peut estre sa ferveur l'eust bien fait desirer de faire ce que les autres faisoyent, elle pourtant n'en tesmoignoit rien; car quand on luy commandoit de s'aller coucher, elle y alloit simplement, sans replique, estant asseurée qu'elle jouiroit aussi bien de la presence de son Espoux dans son lit par obeissance, que si elle eust esté au chœur avec les Sœurs ses compagnes.

  A009000101 

 Il ne s'en faut pas estonner, puisque l'Espoux, au Cantique des Cantiques, dit que le lieu où il se repose est au midy.

  A009000101 

 Nous voyons donques assez que cette parolle de Nostre Seigneur qui ordonne qu'on prenne sa croix, se doit entendre de recevoir de bon cœur les contradictions et mortifications qui nous sont faites à tous rencontres, bien qu'elles soyent legeres et de peu d'importance.

  A009000101 

 Que pensez-vous que faisoit la pauvre fille pour devenir sainte? Non certes autre chose que de se sous-mettre bien simplement à la volonté de la Mere.

  A009000101 

 Sainte Gertrude fut faite Religieuse en un monastere où il y avoit une Abbesse ou Superieure laquelle reconnoissoit fort bien que la bienheureuse [19] Sainte estoit d'une complexion foible et fort delicate; c'est pourquoy elle la faisoit traitter plus delicatement que non pas les autres Religieuses, tant pour le vestir que pour la nourriture, et ne luy laissoit pas faire les austerités qu'on avoit accoustumé de faire en cette Religion.

  A009000102 

 Et tout de mesme des maladies; ils voudroyent avoir celles que Dieu a données à un autre et non pas celles qu'ils ont..

  A009000102 

 Il dit la nostre, pour nous empescher de suivre l'extravagance de plusieurs lesquels quand on leur fait quelque mortification s'en faschent, disant: Si l'on m'eust fait celle-là que l'on a fait à un tel je la souffrirois volontiers.

  A009000102 

 Il faut que nous en fassions de mesme lors que ces sirenes de propre volonté, de repugnances et raysons de l'amour propre nous viendront chanter aux oreilles pour nous conjurer de leur obeir; il faut, dis je, nous attacher fortement à l'arbre du navire, qui n'est autre chose que la croix, nous resouvenant que Nostre Seigneur, pour le second point de la perfection, nous ordonne de prendre nostre croix.

  A009000102 

 O Seigneur Dieu, me direz-vous, il faut estre grandement sur ses gardes pour ne la point suivre, cette propre volonté, et n'escouter point ce que nostre amour propre desire, car ils font des artifices pour attirer nostre attention.

  A009000103 

 Au premier, qui est de renoncer à nous mesme, doivent estre mises, comme nous l'avons dit, ces deux esgales et invariables resolutions, à sçavoir mon, de se resoudre à avoir tous-jours quelque chose à purger et mortifier pendant que nous serons en ce monde, puisque nostre purgation ne se doit finir qu'avec nostre vie; et l'autre, d'avoir bon courage pour ne point nous estonner d'avoir beaucoup à faire, ains de travailler tousjours le plus fidellement que nous pourrons.

  A009000103 

 C'est que, si vous perseverez le long de vostre vie, à la fin il vous mettra devant luy; là vous jouirez de la claire veüe de sa face, il s'entretiendra familierement avec vous comme l'amy avec son amy, et cet entretien durera eternellement.

  A009000103 

 Il faut que nous sçachions qu'il y a difference entre aller apres Nostre Seigneur et le suivre.

  A009000103 

 Nostre Seigneur adjouste que l'on prenne sa croix, et pour conclusion qu'on le suive.

  A009000104 

 Bienheureuses sont les ames qui sçavent bien cette pratique de s'offrir à Dieu, et toutes leurs actions, en l'union de ce Sauveur! Mais considerons aussi un peu cette autre prattique d'union que fit la Sainte Vierge avec saint Simeon et Anne la prophetesse; car si bien les Evangelistes ne parlent point de cette derniere, il est pourtant probable qu'elle eut l'honneur de tenir le Sauveur de nos ames entre ses bras, puisqu'elle avoit excellemment bien renoncé à soy mesme, bien porté sa croix et avoit esperé et aspiré tant de temps apres la venue du Seigneur qu'elle voyoit de ses yeux.

  A009000105 

 Je remarque que plusieurs portent Nostre Seigneur, mais en diverses façons.

  A009000118 

 Et Nostre Seigneur luy respondit: Je ne le feray pas, car il [23] est escrit que l'homme ne vit pas seulement du pain, mais de toute parole qui part de la bouche de Dieu..

  A009000118 

 Le diable, qui le tenoit de pres pour sçavoir de quel costé il le pourroit attaquer, s'en apperceut par quelque signe exterieur que Nostre Seigneur fit.

  A009000119 

 Hé, tu dis qu'il y a tant de peine à obeir et que tu y sens tant de repugnance; ne te fasche pas, fais de cette pierre du pain.

  A009000119 

 Il faut que nous sçachions que le diable donne souvent cette tentation aux ames les plus pieuses, plus retirées et plus adonnées au service de Dieu; aussi est-ce celles-là particulierement qu'il cherche, car il sçait bien qu'il aura plus d'honneur, c'est à dire d'honneur infernal, pour l'acquisition d'une de ces ames, que non pas de beaucoup d'autres moins pieuses; et il fait cela aussi pour la haine perpetuelle qu'il porte à Dieu.

  A009000119 

 Tu as de l'ennuy à faire maintenant l'oraison; va, prens un livre et cherches y de la consolation, tu la feras bien une autre fois que tu y seras attirée; promene-toy un peu, cela te recreera..

  A009000120 

 Aussi Nostre Seigneur n'a-t-il pas voulu operer ce miracle parce que son Pere ne l'avoit pas fait.

  A009000120 

 Il faut regarder l'intention de la divine Majesté au temps de la tentation; non pas que nous puissions penser ni dire que c'est Dieu qui nous tente; oh non, car il ne le peut, ains il permet que nous soyons tentés et exercés.

  A009000120 

 Le vray enfant de Dieu mangeroit plustost la pierre que de la convertir en pain.

  A009000120 

 O Dieu, que faites-vous, cheres ames? Ne changez pas la pierre en pain, convertissez-la plustost en eau, car vostre Pere, qui est Dieu, l'a bien fait pour desalterer les enfans d'Israël; mais il n'en a jamais tiré du pain, ains a plustost fait descendre la manne du ciel.

  A009000120 

 Vaines sont les pensées des personnes du monde qui croyent que les ames pieuses ne sont point tentées; mais plus vaines et frivoles sont les plaintes et complaintes que les ames devotes font de leurs tentations et aridités, puisqu'elles peuvent beaucoup gagner par icelles..

  A009000121 

 Ils entendent raconter que les Saints ont accompli des œuvres admirables: les uns se sont precipités pour estre martyrisés pour Dieu, les autres ont jeusné les semaines entieres, et ainsy des autres.

  A009000121 

 Or, le diable estant rejetté par nostre Maistre ne perdit pas courage, ains le prit et le porta sur le pinacle du Temple, et luy dit: Si tu es Fils de Dieu, jette toy en bas, car il est escrit que les Anges te porteront entre leurs bras, de peur que tu ne heurtes de ton pied à la pierre. Et Nostre Seigneur ne le voulut pas pour plusieurs raysons, dont en voicy une: ce fut pour nous monstrer que si bien nous sommes portés par le diable en un lieu haut et sureminent comme est la Religion, par quelques intentions perverses, voire mesme de despit, que nous n'en devons pas descendre, ains y devons demeurer, car Dieu sçaura bien convertir nostre mauvaise intention en une bonne.

  A009000122 

 Il faut que chacun marche en sa voye: la voye des Saints estoit de faire ce qu'ils faisoyent, mais la vostre c'est de parvenir, ou tascher de parvenir à la perfection peu à peu, et non pas tout d'un coup comme vous voudriez.

  A009000122 

 Il ne faut donc pas faire ce que vous dites, que vous aymez mieux employer à vostre sanctification quarante jours de jeusne que de traisner tant à vous perfectionner.

  A009000130 

 Or cela estant, nous voyons clairement que le mystere de la Transfiguration ne fut point un miracle, ains une cessation de miracle, puisque les dots de gloire qui enrichissoyent la partie superieure de cette benite ame estoyent aussi deües à la partie inferieure qui n'en jouissoit toutefois aucunement, ains estoit abandonnée et delaissée à la merci de toutes nos misere et calamités; tout ainsy qu'une grande source [27] rejaillissant au sommet d'une haute montagne, retiendroit ses eaux sans s'escouler par les vallons.

  A009000131 

 C'est vrayement par le moyen de l'oraison que l'on parvient à la perfection, et saint Bernard, apres en avoir marqué d'autres, dit que celuy ci les surpasse tous.

  A009000131 

 Les quatre considerations que je m'en vay deduire vous monstreront assez si vous faites de l'avancement, puisque ce sont des excellens degrés de perfection..

  A009000131 

 Plusieurs ames devotes demanderont peut estre comment est-ce que nous connoistrons que nous nous avançons à l'oraison, et par le moyen de l'oraison, à la perfection.

  A009000132 

 La premiere consideration est celle cy: Jesus estant monté sur la montagne se mit à prier, et estant en priere il fut transfiguré, et sa face devint plus reluisante que le soleil et ses vestemens blancs comme la neige.

  A009000132 

 Or, nous connoissons que nostre oraison est bonne et que nous nous avançons en icelle, si, lors que nous en sortons, nous avons, à l'imitation de Nostre Seigneur, la face reluisante comme le soleil et nos habits blancs comme la neige; je veux dire, si nostre face reluit de charité et nostre corps de chasteté.

  A009000132 

 Si, au sortir de l'oraison, vous avez un visage renfrogné et chagrin, l'on voit assez que vous n'avez pas fait l'oraison comme vous deviez..

  A009000133 

 La seconde consideration est sur ce que les Apostres virent Moyse et Elie qui parloyent à Nostre Seigneur de l'exces qu'il devoit faire en Hierusalem.

  A009000133 

 Non certes, il ne faut pas dire comme saint Pierre: Il est bon que nous soyons icy, mais: Il est bon que nous passions par icy pour aller à la montagne de Calvaire..

  A009000133 

 Nostre Seigneur parle donques de sa Passion et de sa Mort parce que c'est le souverain acte de son amour; aussi les Bienheureux, en la gloire eternelle, ne parleront ni ne se resjouiront de rien tant que de cette mort.

  A009000133 

 Nostre divin Maistre faisoit ses exces bien d'autre façon que non pas nous autres; car nous, nous jettons de bas en haut.

  A009000133 

 Quel exces? Celuy ci, que Dieu descende de sa gloire supreme.

  A009000133 

 Voyez-vous, emmy la Transfiguration l'on parle de la Passion; car cet exces n'estoit autre que la Passion.

  A009000135 

 Aujourd'huy il se veut transfigurer et faire voir un eschantillon de sa gloire à ses trois Apostres, il se met en oraison et en extase, et y estant, il fut veu la face plus reluisante que le soleil et ses vestemens plus blancs que neige; et c'est nostre premiere consideration.

  A009000135 

 Et voyci comme nous sommes enseignés que tous, de quelle condition qu'ils soyent, doivent prier et faire oraison, car c'est là où principalement ce divin Maistre nous parle.

  A009000135 

 Je dis bien neanmoins que si vous voulez bien faire vostre devoir, il faut que vous priiez Dieu, et c'est en l'oraison que nous apprenons à bien faire ce que nous faisons.

  A009000135 

 Je fais la troisiesme sur ce que l'on entendit la voix du Pere eternel qui dit: Celuy ci est mon Fils bien aymé, escoutez-le.

  A009000135 

 Je ne dis pas que nous devons faire autant d'oraison les uns que les autres, car il ne seroit pas à propos que ceux qui ont beaucoup d'affaires demeurassent aussi longuement en oraison que les Religieux.

  A009000136 

 L'une est neanmoins plus profitable que l'autre; comme de mesme il y a plus de profit à accomplir la volonté de Dieu, ou bien à l'aymer en quelque evenement qui nous contrarie, que non pas à [30] escouter parler Nostre Seigneur emmy la consolation que l'on reçoit aucunefois en l'oraison..

  A009000137 

 Cecy est le souverain degré de la perfection, de ne voir plus que Nostre Seigneur en quoy que nous fassions.

  A009000137 

 Il ne faut cependant voir que Dieu, ne chercher plus que luy, ni avoir aucune affection que pour luy, et nous serons bienheureux.

  A009000137 

 Les Apostres estans relevés (car ils tomberent sur leur face entendant la voix du Pere eternel), ne virent plus que Jesus seul.

  A009000144 

 Et pour ce faire, je considere premierement pourquoy il choisit cet animal pour faire sa parade et s'en servir en cet appareil royal, veu que l'asnesse est un animal immonde et grandement desplaisant à cause de sa tardiveté et paresse, vice que Nostre Seigneur a tellement en horreur, que s'addressant à un Evesque il luy mande: Mieux vaudroit pour toy que tu fusses froid ou chaud; mais parce que tu es tiede je te vomiray.

  A009000145 

 Mais d'autant qu'il n'y a creature si malheureuse qui n'ait quelque chose de bon, l'asnesse a une grande simplicité: elle est sans artifice, sans destour et sans fiel; c'est pour cela que Nostre Seigneur l'a choisie, car il n'y a point de vertu que Dieu ayme tant et qui l'attire davantage dans une ame que la simplicité.

  A009000146 

 La verité n'est autre chose sinon nous monstrer tels en l'exterieur que nous sommes en l'interieur; car le mensonge gist à dire ou à faire quelque chose contraire à nostre sentiment interieur.

  A009000146 

 Pour entendre que c'est que simplicité, nous devons premierement sçavoir qu'il y a trois vertus qui ont un tel cousinage et ressemblance qu'il semble n'y avoir point de difference entre elles: la verité, la pureté et la simplicité.

  A009000146 

 Un autre exemple: aller à l'oraison pour adorer Dieu, et y joindre l'intention d'obtenir des consolations, qui ne voit que cela est impur? La pureté donques n'a qu'une seule intention, ou au moins n'en conserve point d'impure et qui ne tende à la gloire de Dieu..

  A009000147 

 Cecy est la parfaite simplicité, de n'avoir en tout ce que l'on fait qu'une seule et unique pretention de plaire à Dieu, et c'est ce que Nostre Seigneur voulut enseigner à ses Apostres quand il leur recommanda d'estre prudens comme le serpent et simples comme la colombe.

  A009000147 

 Je sçay bien, vouloit-il dire, que conversant parmi les hommes il faut que vous ayez de la prudence pour assembler diverses sortes de pretentions, mais aussi je veux que vous soyez simples, en les reduisant toutes en une, qui est ma plus grande gloire..

  A009000147 

 L'Espoux, au Cantique des Cantiques, nous le fait bien voir quand il asseure que son Espouse luy a ravi le cœur par un de ses yeux et par un de ses cheveux; voulant dire: Ma mie, ma toute chere, ma colombe, tu m'as regardé de tes deux yeux, mais maintenant tu as fermé l'œil gauche avec lequel tu voyois les recompenses eternelles, parce que [33] tu en es toute asseurée en perseverant en mon amour; tu ne regardes donques plus que moy, ni ne penses plus qu'en moy, car tes cheveux, à sçavoir tes pensées, tu les as toutes reduites en une qui est pour moy, c'est pourquoy tu m'as ravi le cœur.

  A009000148 

 C'est pourquoy il la reprend, car si elle eust eu simplement soin de le bien servir, elle n'eust pas assemblé tant de pretentions pour que tout fust en bon ordre, et n'eust pas esté reprise.

  A009000148 

 Le trouble et l'inquietude que l'on a, voire mesme pour ce qui est de l'avancement de nos ames en la perfection, est contraire à la parfaite simplicité, puisque cette vertu consiste en une certaine tranquillité de cœur et paix interieure de l'ame qui se tient comme Magdeleine aux pieds de Nostre Seigneur, tandis que Marthe s'empresse.

  A009000149 

 Mais ces bonnes gens ne disent mot, ains vont simplement; et ils rencontrerent aussi des bonnes gens et bien simples, car ayant deslié l'asnesse, ceux à qui elle estoit demanderent seulement: Que voulez vous faire? Et les Apostres respondant: Le Seigneur en a besoin, ils ne repliquerent pas un mot.

  A009000149 

 Nostre Sauveur donques, voulant estre monté sur une asnesse pour entrer en Hierusalem, dit à deux de ses Apostres: Allez vous-en au village qui est proche, entrez en une telle maison, desliez l'asnesse et l'asnon, et me les amenez; et si l'on vous dit quelque chose, dites que le Seigneur en a besoin.

  A009000149 

 O que cecy devroit faire grand honte à tant de personnes qui sont si curieuses qu'elles veulent sçavoir le pourquoy de tout ce que Dieu fait! Qu'il vous suffise que le Seigneur en a besoin..

  A009000150 

 Desliez l'asnesse et l'asnon; et c'est ce que je considere secondement.

  A009000150 

 Et que nul ne demande pourquoy Dieu veut tout l'amour, car on ne le sçauroit dire, sinon parce qu'il en a besoin pour faire des choses si excellentes et si grandes en l'ame qui le luy donne tout, que nul esprit humain ne les peut sçavoir ni comprendre..

  A009000150 

 Nul ne peut comprendre le bonheur d'une ame qui est desliée et conduite à Nostre Seigneur par le moyen de la grace; mais, o Dieu, combien plus grand est le bonheur de celle de qui l'on deslie encores l'amour! Et pourquoy deslier l'ame et l'amour? Parce que le Seigneur en a besoin: de l'ame pour la sauver, et de l'amour pour luy estre reservé.

  A009000150 

 Qu'est-ce que deslier l'ame? C'est la deslier et destacher du peché par le moyen d'une bonne confession; car chacun sçait que l'ame qui est en estat de peché est attachée et engagée dans les liens et filets du diable.

  A009000150 

 Qu'est-ce que deslier l'asnesse et l'asnon? C'est deslier l'ame et l'amour qui est son asnon.

  A009000151 

 Il faut honnorer et estimer toutes les vertus parce qu'elles nous rendent fort aggreables à Dieu, et non pas les prattiquer et nous y affectionner parce que nostre esprit y a quelque correspondance..

  A009000151 

 L'heresie n'est autre chose sinon le choix que l'on fait d'accorder creance à quelques uns des articles de la foy, ne voulant pas croire les autres.

  A009000151 

 Mais, o Dieu, il faut que cet amour soit pur, qu'il nous fasse entreprendre la prattique de toutes les vertus [35] egalement, et non pas selon nostre choix; car bien souvent nous nous faschons dequoy nous avons fait quelque legere faute en la vertu que nous affectionnons, et ne nous mettons point en peine d'avoir fait un defaut beaucoup plus grand en une autre vertu qui sera peut estre plus excellente.

  A009000152 

 Chacun sçait que la palme est donnée aux martyrs en signe de la victoire qu'ils ont remportée sur tous leurs ennemis; mais l'olive represente les confesseurs qui ont beaucoup fait pour la gloire de Dieu en temps de paix, car aussi l'olive est le hieroglifique de la paix.

  A009000152 

 Ils sont en un continuel combat contre leurs ennemis, qui sont leurs propres passions et inclinations, desquelles en fin ils demeurent [36] maistres, les assujettissant toutes à la rayson, qui n'est pas une petite victoire, ains est plus grande que de conquerir et gagner plusieurs villes..

  A009000152 

 On le voit en ce que Dieu estant apaisé apres avoir si justement puni les hommes par le deluge, il envoya à Noé, qui estoit dans l'arche, une branche d'olivier par la colombe.

  A009000153 

 Je fais la quatriesme consideration sur ce que ce peuple jettoit ses habits par les rues où passoit Nostre Seigneur, pour embellir le pavé.

  A009000153 

 Que representent, je vous supplie, ces habits jettés sous les pieds du Sauveur? En latin, habit et habitude c'est la mesme chose; or ces bonnes gens nous apprennent que si nous voulons bien honnorer nostre divin Maistre entant que nous le pouvons, il faut que nous jettions devant luy et sousmettions à ses pieds toutes nos habitudes, tant bonnes que mauvaises.

  A009000153 

 Qui, je vous prie, trouverons-nous qui jette ses vertus aux pieds de Nostre Seigneur, se sousmettant à ne les vouloir posseder que pour l'en honnorer, et ne les voulant avoir pour son contentement particulier ou bien pour en estre estimé?.

  A009000154 

 Un jour que les princes d'Israël estoyent tous reunis, Dieu parla à Elisée, luy commandant d'envoyer un fils des Prophetes en cette assemblée pour sacrer roy l'un de ces princes.

  A009000155 

 Ce que je veux dire est qu'apres que ce fils de Prophete eut fait sa charge en la façon qu'on luy avoit commandée, il se retira, sans craindre qu'on le jugeast ni fol ni incivil, et sans faire aucune chose pour eviter l'abjection qui luy devoit venir en obeissant simplement, preferant ainsy la simplicité de l'obeissance à sa reputation..

  A009000155 

 [37] Mays cecy n'est pas tout ce que je veux dire.

  A009000156 

 Cecy n'est pas encores tout ce que je pretens de remarquer en cette histoire; le voicy.

  A009000156 

 Celuy qui avoit esté creé roy, s'en retourna à l'assemblée et dit aux autres princes: Cet enfant que vous avez veu qui m'a parlé, n'est point fol comme vous croyez; et leur raconta tout ce qui s'estoit passé entre eux deux.

  A009000156 

 Cet exemple confirme ce que j'ay ja dit, et de plus nous sommes enseignés que si nous voulons crier veritablement vive le Roy, il faut que nous nous despouillions de tout, voire mesme que nous aneantissions toutes nos passions, humeurs et inclinations, les sousmettant avec tout nostre estre aux pieds de la divine Majesté pour estre parfaitement sujets à sa sainte volonté; car l'on ne peut dire vive le Roy, pendant qu'il y a des rebelles en son royaume.

  A009000161 

 Chose admirable que Dieu nous ayt tant aymés que de laisser mourir son Fils pour nous, qui avions merité la mort! Nostre Maistre ne s'est pas contenté de mourir pour nous d'une mort commune, mais a choisi la plus pleine d'abjection et d'ignominie qui se pouvoit jamais penser.

  A009000161 

 Nostre Seigneur a choisi la mort de la croix pour nous tesmoigner son amour, d'autant que l'amour qu'il avoit pour nous ne pouvoit se satisfaire en choisissant une mort plus douce.

  A009000161 

 O Dieu, [39] que vos secrets jugemens sont admirables et incomprehensibles! Admirables et tres grans sont ceux que nous sçavons et comprenons, mais bien plus, sans nulle comparaison, sont grans et aymables ceux que nous ne sçavons pas.

  A009000161 

 Oh! il ne faut pas penser que Nostre Seigneur ait voulu mourir seulement pour nous racheter, car un seul de ses souspirs, à cause de la dignité et merite du Souspirant, suffisoit pour nous sauver et delivrer des mains de nos ennemis; mais cet amour infini ne pouvoit pas estre content s'il ne mouroit de l'amour mesme.

  A009000161 

 Or, puisqu'il est certain qu'il est mort d'amour pour nous, le moins que nous devions faire pour luy c'est de vivre d'amour.

  A009000161 

 Rien ne tesmoigne tant l'amour que de mettre sa vie pour la chose aymée, comme Nostre Seigneur mesme l'a dit.

  A009000162 

 Encor ne sera-ce pas grand chose, puisque nostre misere est si grande que cela seul luy appartient..

  A009000162 

 L'autre rayson pour laquelle Nostre Seigneur et nostre Maistre a choisi la mort de la croix est pour nous enseigner la prattique de l'humilité, estant bien convenable que nostre orgueil fust confondu par la vertu contraire.

  A009000162 

 O Dieu, que cecy est admirable, que le Verbe eternel s'aneantisse et se demette de sa propre gloire pour des creatures qui correspondent si peu à son amour! Il s'est rendu obeissant jusques à la mort, et jusques à la mort de la croix; il est bien raysonnable que nous luy soyons obeissans jusques à la mort, voire jusques à la mort de la croix, pour luy tesmoigner nostre amour.

  A009000163 

 C'est pourquoy, voulant mourir, il ne choisit pas d'estre estouffé ni estranglé, qui est une mort bien plus courte que celle de la croix; nous monstrant par ce choix que nous ne nous devons point ennuyer de la longueur ni de la quantité de nos souffrances, voire durassent-elles jusques à la fin de nostre vie, puisqu'elles ne sçauroyent jamais approcher ni entrer en comparaison avec celles qu'il a endurées pour nous.

  A009000163 

 Et si bien nous commettons des imperfections en combattant, il ne s'en faut point estonner ni perdre courage, tant que nous avons la volonté de nous amender..

  A009000163 

 Nous aurions voirement rayson d'en demeurer surpris si nous nous appuyions en nos forces, mais il faut se confier en la vertu de Dieu qui est pour nous si nous combattons pour son amour, et dire à l'imitation de son Apostre: Je suis plus fort lors que je me sens plus foible.

  A009000163 

 Un souspir eslancé devant son Pere suffisoit pour nous sauver, comme j'ay desja dit; mais sa Bonté voyoit bien qu'il failloit qu'il nous donnast exemple de tout ce que nous devions faire.

  A009000164 

 C'est le second fruit de la meditation de la Passion que ce despouillement, car le premier c'est l'amour.

  A009000164 

 Et moy je vous asseure que rien n'est si propre pour nous conduire à une entiere resolution de nous despouiller, que la consideration de l'incomparable despouillement et nudité du Sauveur crucifié..

  A009000164 

 La premiere rayson fut pour ce que, par sa mort, il vouloit remettre l'homme en l'estat d'innocence, et les habits que nous portons sont la marque du peché.

  A009000164 

 Mais la principale rayson fut pour nous enseigner comment il faut, si nous voulons luy plaire, nous despouiller et reduire nostre cœur en la mesme nudité qu'estoit son sacré corps, le despouillant de toutes sortes d'affections et pretentions, à fin qu'il n'ayme ni desire autre que luy.

  A009000165 

 Je considere que les Juifs, ayant crucifié Nostre Seigneur tout nud, luy laisserent la couronne d'espines sur la teste, et je crois, quoy que leur intention ne fust pas telle, que c'estoit pour tesmoigner que si bien il paroissoit tant mesprisé et deshonnoré, il ne laissoit pas d'estre vrayement Roy.

  A009000165 

 La Sainte Escriture raconte que pendant que ce malheureux garçon Absalon s'enfuyoit pour se sauver de devant ses ennemis (car il avoit perdu la bataille), ses cheveux estans grans s'entortillerent autour d'un arbre où il fut retenu.

  A009000165 

 Mais nostre Maistre voulut qu'on luy laissast cette couronne pour nous monstrer qu'il faut que nous ayons nos testes couronnées d'espines par une entiere mortification de nostre propre jugement, opinions, passions, humeurs et propre volonté; car c'est en la teste que l'ame fait ses principales fonctions.

  A009000166 

 C'est l'amour effectif que Nostre Seigneur demande, et c'est celuy-là, avec l'amour affectif, qu'il nous a monstré sur la croix, joignant fort bien l'un de ces amours à l'autre..

  A009000166 

 Cela appartient aux esprits foibles de dependre de ces sentimens qui ne servent pour l'ordinaire que d'amusement.

  A009000166 

 Que me reste-t-il plus à adjouster, sinon à vous convier d'escouter ce que saint Paul nous recommande aujourd'huy, qui est que nous taschions de ressentir en nous ce que nostre Maistre a ressenti en ce jour pour nous? Qu'est-ce que ce grand Saint veut dire? Veut-il que nous ressentions un amour purement affectif pour Nostre Seigneur sur la croix? veut-il que nous pleurions de compassion? O non, ce n'est pas ce que le Sauveur demande de nous que l'amour affectif qui nous fait jetter des larmes ou nous cause tant de desirs sans effects; l'enfer est plein de ces desirs.

  A009000166 

 Vaines sont ces tendretés, que nous voudrions pourtant avoir comme si nostre bien dependoit d'elles; il ne les faut ni desirer ni rechercher.

  A009000167 

 De plus, il faut que nous gardions ce ressentiment le reste de nostre vie, sans vouloir jamais estre consolés de la mort de nostre divin Sauveur, ains que nos esprits gardent ce continuel regret, et soyent morts par la continuelle mortification de leurs superfluités, à l'imitation du grand saint Ignace qui disoit que l'on ne pensast pas qu'il vescust, puisqu'il avoit crucifié son amour, ou que son amour estoit crucifié.

  A009000167 

 Il s'est vuidé de luy mesme; il faut que nous le fassions aussi, nous aneantissant jusques à nostre rien, et nous vuidant tant qu'il nous sera possible de toutes nos passions, inclinations, aversions, repugnances au bien.

  A009000167 

 Mais voulez-vous sçavoir ce qu'il a ressenti et ce que saint Paul veut que nous ressentions avec luy? C'est cet aneantissement.

  A009000168 

 Allez donques, et aymez tellement Celuy qui est mort pour nous unir à luy et pour nous tesmoigner son amour, que rien ne puisse vivre en vous que luy, à fin que vous puissiez dire avec saint Paul: Je vis, mais non pas moy, ains Jesus Christ vit en moy.

  A009000168 

 En fin, l'amour a fait mourir nostre Maistre, il ne reste plus sinon que nous vivions d'amour pour luy; mais non pas d'un amour tel quel, ains d'un amour semblable au sien (je ne dis pas esgal, car il ne se peut), d'un amour fort et courageux qui croisse emmi les contradictions, sans se lasser jamais de combattre pour ce divin Amant..

  A009000168 

 Et comment ce divin Sauveur ne seroit-il l'amour de nos ames, veu qu'il est leur Espoux, et tout particuliement celuy des Religieuses? car les anciens Peres disent tout clair et hardiment qu'elles ont esté espousées par le Fils de Dieu, et fondent sur cette alliance les relations speciales que Dieu le Pere et Nostre Dame contractent avec elles.

  A009000168 

 Ne trouvez donques pas estrange si je dis qu'il faut que nos esprits soyent en continuel regret de la mort de nostre Maistre, puisque c'est la mort de nostre amour.

  A009000169 

 Apres qu'il eut conquis la Terre Sainte pour la foy de Nostre Seigneur (car pour lors les infidelles la possedoyent), on voulut mettre une couronne d'or sur son chef; mais luy, commençant à s'escrier, la refusa disant: A Dieu ne plaise que je sois couronné d'une couronne d'or, où mon Sauveur et mon Maistre a esté couronné d'espines! Ha Dieu, il n'en sera pas ainsy; apportez-m'en une d'espines, telle que celle de mon Maistre, et j'en orneray mon chef.

  A009000169 

 O que ce roy estoit grand en pieté! il le [44] monstra bien par cette action.

  A009000169 

 Si nous choisissons en cette vie la couronne d'espines, indubitablement nous aurons celle d'or apres nostre mort, en l'eternité des Bienheureux, où nous jouirons pleinement de l'amour de ce cher Sauveur, qui ne desire rien tant que de nous voir brusler de ce feu sacré duquel il a dit qu'il l'a apporté en terre et qu'il ne l'a fait sinon à fin qu'il brusle.

  A009000174 

 Saint Bernard, duquel la memoire est douce à ceux qui ont à parler de l'oraison, escrivant à un Evesque luy mandoit que tout ce qui luy estoit necessaire estoit de bien dire (s'entend d'enseigner, de parler), puis de bien faire en donnant bon exemple, en fin de vacquer à l'oraison.

  A009000175 

 Nous disons seulement qu'elle est tellement utile et necessaire que sans icelle nous ne sçaurions parvenir à aucun bien, d'autant qu'au moyen de l'oraison nous sommes enseignés à bien faire toutes nos actions..

  A009000175 

 Remarquons d'abord en passant que, si bien nous condamnons certains heretiques de nostre temps qui tiennent que l'oraison est inutile, nous ne pretendons pas neanmoins, avec d'autres heretiques, qu'elle est seule suffisante pour nostre justification.

  A009000176 

 Aussi importe-t-il peu d'en sçavoir les noms, et je voudrois que jamais l'on ne demandast ni le nom ni quelle oraison l'on a; car s'il est vray, comme le dit saint Anthoine, que l'oraison en laquelle on s'apperçoit que l'on prie est imparfaite, aussi celle que l'on fait sans sçavoir comment on la fait et sans refleschir sur ce que l'on demande, monstre assez que l'ame est fort occupée en Dieu, et par consequent cette oraison est fort bonne.

  A009000176 

 J'ay donques approuvé le desir qui m'esmeut à parler [46] de l'oraison, bien que ce ne soit pas mon dessein d'expliquer chaque espece d'icelle, parce que l'on en sçait plus par experience qu'il ne s'en peut dire.

  A009000176 

 Pour maintenant je ne parleray que de la cause finale; mais avant que d'entrer dans le sujet de l'oraison, il faut que je dise trois ou quatre petites choses qu'il est bon de sçavoir..

  A009000177 

 Ainsy nostre entendement passant d'une pensée à une autre, bien que ces pensées soyent de Dieu, si elles n'ont une fin, loin d'estre bonnes elles sont inutiles et nuisibles et apportent un grand empeschement à l'oraison..

  A009000177 

 La simple pensée est lors que nous allons courant sur une grande diversité de choses, sans aucune fin, comme font les mouches qui se vont posant sur les fleurs sans en pretendre tirer aucun suc, ains s'y posent seulement parce qu'elles s'y rencontrent.

  A009000178 

 Une autre action de nostre entendement est l'estude, et celle cy se fait lors que nous considerons les choses seulement pour les sçavoir, pour les bien entendre et pour en pouvoir bien parler, sans avoir autre fin que de remplir nostre memoire; et en cela nous ressemblons aux hannetons qui se vont posant sur les roses, non pour autre fin que pour se saouler et se remplir le ventre.

  A009000179 

 De mesme, la meditation se fait lors que nous arrestons nostre entendement sur un mystere duquel nous pretendons tirer des bonnes affections, car si nous n'avions cette intention ce ne seroit plus meditation, ains estude.

  A009000179 

 Il faut sçavoir que tous les oyseaux ont accoustumé d'ouvrir le bec lors qu'ils chantent ou gazouillent, hormis la colombe, laquelle fait son petit chant ou gemissement retenant sa respiration au dedans d'elle, et par le groulement et retour qu'elle fait de son haleine sans la laisser sortir, en reussit son chant.

  A009000179 

 Il vouloit dire: Lors que le petit de l'arondelle est tout seul et que sa mere est allée querir l'Herbe chelidoine pour luy faire recouvrer la veuë, il crie, il piole, d'autant qu'il ne sent plus sa mere proche de luy et qu'il ne voit goutte.

  A009000179 

 Pour sçavoir que c'est que meditation il faut entendre les paroles du roy Ezechias lors que la sentence de mort luy fut prononcée, laquelle fut despuis revoquée par sa penitence: Je crieray, dit-il, comme le poussin de l'arondelle, et mediteray comme la colombe au plus fort de ma douleur.

  A009000180 

 Celle qui se fait par authorité ne se doit non plus appeller priere; aussi voit-on que si une personne qui a beaucoup d'authorité [48] dessus nous, comme sont peres, seigneurs ou maistres, use de ce mot de priere, nous luy disons incontinent: Vous pouvez commander, ou: Vos prieres me servent de commandement.

  A009000180 

 La demande qui se fait par justice ne se peut pas appeller priere, bien que nous usions de ce mot, parce que nous demandons une chose qui nous est deüe.

  A009000180 

 Mais entre la meditation et la contemplation il y a une petition qui se fait, lors que apres avoir medité la bonté de Nostre Seigneur, son amour infini, sa toute puissance, nous entrons en confiance de luy demander et le prier de nous donner ce que nous desirons.

  A009000180 

 Mais la vraye priere est celle qui se fait par grace, lors que nous demandons une chose qui ne nous est point deüe, et que nous la demandons à quelqu'un de fort sureminent par dessus nous, comme est Dieu..

  A009000181 

 La quatriesme action de nostre entendement est la contemplation, laquelle n'est autre chose que se complaire au bien de Celuy que nous avons conneu en la meditation et que nous avons aymé par le moyen de cette connoissance.

  A009000182 

 Ce que pour mieux entendre, nous dirons que quand nous voulons faire quelque chose, nous regardons tousjours à la fin premier qu'à l'œuvre.

  A009000182 

 Nous devons sçavoir premierement que toutes choses sont creées pour l'oraison, et que lors que Dieu crea l'Ange et l'homme il le fit à fin qu'ils le louassent eternellement là haut au Ciel, bien que ce soit la derniere chose que nous ferons, si derniere se peut appeller ce qui est eternel.

  A009000182 

 Par ces petits oyselets [49] on represente les Religieux et Religieuses qui se sont volontairement renfermés ès monasteres pour chanter les louanges de leur Dieu; aussi leur principal exercice doit estre l'oraison et d'obeir à cette parole que Nostre Seigneur dit en l'Evangile: Priez sans cesser..

  A009000182 

 Par exemple, si nous faisons bastir une eglise et que l'on nous demande pourquoy nous la faisons faire, nous respondrons que c'est pour nous y retirer, et là dedans chanter les louanges de Dieu; neanmoins ce sera la derniere chose que nous ferons.

  A009000183 

 Les anciens Chrestiens qui estoyent eslevés par saint Marc l'Evangeliste estoyent si assidus à l'oraison, que pour cela plusieurs des anciens Peres les surnommerent les supplians, et d'autres les appellerent medecins, parce que par le moyen de l'oraison, ils trouvoyent remede à tous leurs maux.

  A009000183 

 Les philosophes payens disoyent que l'homme est un arbre renversé, d'où nous pouvons conclure combien l'oraison est necessaire à l'homme, puisque l'arbre n'ayant suffisamment de terre pour couvrir ses racines, ne peut subsister; aussi l'homme qui n'a une particuliere attention aux choses celestes, ne sçauroit non plus subsister.

  A009000183 

 Or l'oraison, suivant la pluspart des Peres, n'est autre chose qu'une «eslevation d'esprit aux choses celestes;» d'autres disent que c'est une demande; mais les deux opinions ne se contrarient point, car en eslevant nostre esprit à Dieu, nous luy pouvons demander ce qui nous semble estre necessaire..

  A009000184 

 La cause finale de l'oraison ne doit donques pas estre de vouloir ces tendretés et consolations que Nostre Seigneur donne aucunefois, puisque l'union ne consiste pas en cela, ains au vouloir de Dieu.

  A009000184 

 La principale demande que nous devons faire à Dieu c'est l'union de nos volontés à la sienne, et la cause finale de l'oraison consiste à ne vouloir que Dieu.

  A009000189 

 La question seroit bien tost resolue si nous disions que tous les hommes peuvent prier et que tous le doivent faire, mais à fin de mieux satisfaire les esprits nous traitterons cette matiere plus au long..

  A009000190 

 Or, Dieu ne peut rien demander par grace, ains tout par authorité; de plus, il ne peut avoir besoin de rien, d'autant qu'il possede toutes choses: c'est donques tout asseuré que Dieu ne peut ni ne doit prier.

  A009000190 

 Premierement, il faut que nous sçachions que Dieu ne peut point prier, puisque la priere est une demande qui se fait par grace et qu'elle exige de nous une connoissance que nous avons besoin de quelque chose, car l'on n'a pas accoustumé de demander ce qu'on possede desja.

  A009000191 

 Aussi voit-on que les advocats n'ont pas accoustumé de demander par grace, ains selon la justice, les droits desquels ils traittent.

  A009000191 

 Ils fondent leur opinion sur ce que ce divin Sauveur dit à ses Disciples: Je m'en vay à mon Pere, mais je ne dis pas que je prieray; et ils adjoustent: S'il ne dit pas qu'il va prier, pourquoy le dirons-nous, nous autres? L'autre partie des Peres tiennent que Nostre Seigneur prie, parce que son bien-aymé a escrit, en parlant de son Maistre, que nous avons un Advocat aupres du Pere.

  A009000191 

 Plusieurs des anciens Peres, et mesme saint Gregoire Nazianzene, enseignent que Nostre Seigneur Jesus Christ ne peut non plus prier (entant que Dieu il est tout evident, puisqu'il est un mesme Dieu avec son Pere; nous en avons desja parlé).

  A009000191 

 Pourtant, c'est une verité toute asseurée que si bien Nostre Seigneur demande ce qu'il veut par justice, il ne laisse pas, entant qu'homme, de s'humilier devant son Pere, luy parlant avec une si grande reverence et faisant de plus profonds actes d'humilité que jamais creature n'a sceu ni n'a peu faire; si que sa demande se peut appeller priere..

  A009000191 

 [51] Neanmoins les uns et les autres ne se contrarient pas, bien qu'il le semble, en la diversité de leurs opinions; car il est certain que Nostre Seigneur Jesus Christ ne doit point prier, mais peut, par justice, demander à son Pere ce qu'il veut.

  A009000192 

 Nous trouvons en quelques endroits de l'Escriture que le Saint Esprit a prié et qu'il a fait oraison.

  A009000193 

 C'est pourtant une chose toute claire que les Saints et les hommes qui sont en Paradis prient, puisque les Anges avec lesquels ils sont prient..

  A009000193 

 Mais pour les hommes qui sont au Ciel nous n'en avons pas tant de tesmoignages, parce que devant que Nostre Seigneur fust mort, ressuscité et monté au Ciel il n'y avoit point d'hommes en Paradis; ils estoyent tous au sein d'Abraham.

  A009000194 

 Il est vray que les grans pecheurs ont beaucoup de difficulté à faire [52] l'oraison.

  A009000194 

 Il n'y a que le diable qui ne la puisse faire, parce qu'il n'y a que luy seul qui soit incapable d'amour..

  A009000194 

 Ils ressemblent aux petits oyseaux lesquels dès qu'ils ont pris leurs panaches peuvent voler d'eux mesmes par le moyen de leurs aisles; mais s'ils se viennent poser sur le glu qu'on leur a preparé pour les prendre, qui ne voit que cette humeur visqueuse leur serrera les aisles et qu'apres ils ne pourront pas voler? Ainsy en arrive-t-il aux pecheurs, lesquels se meslent et se posent dessus l'humeur visqueuse des vices, si qu'ils se laissent tellement serrer au peché qu'ils ne peuvent se guinder au Ciel par l'oraison.

  A009000194 

 Je dis qu'ouy, et que pas un ne se peut excuser de le faire, non pas mesme les heretiques.

  A009000195 

 Je sçay bien que les anciens qui traittent cette matiere en rapportent beaucoup: les uns en comptent quinze, les autres, huit.

  A009000195 

 Mais puisque ce nombre est si grand, je me restreins et n'en diray que trois.

  A009000196 

 Et si bien aucuns des docteurs interpretent ainsy cette parole: Bienheureux les pauvres d'esprit, ces deux interpretations ne sont pas contraires, parce que tous les pauvres sont mendians s'ils ne sont glorieux, et tous les mendians sont pauvres s'ils ne sont avaritieux.

  A009000196 

 Il faut donques, pour bien faire oraison, que nous reconnoissions que nous sommes pauvres et que nous nous humiliions grandement; car ne voyez-vous pas qu'un tireur d'arbalete quand il veut descocher un grand trait, plus il veut tirer haut et plus il tire la corde de son arc en bas? Ainsy faut-il que nous fassions quand nous voulons que nostre priere aille jusqu'au Ciel; il faut que nous nous approfondissions par la connoissance de nostre rien.

  A009000196 

 Parlons d'abord de la premiere qui n'est autre que cette mendicité spirituelle de laquelle Nostre Seigneur dit: B ienheureux sont les mendians d'esprit, car à eux appartient le Royaume des cieux.

  A009000196 

 [53] David nous advertit de le faire par ces paroles: Quand tu voudras faire oraison, dit-il, approfondis-toy tellement en l'abisme de ton neant, que tu puisses par apres sans difficulté descocher ta priere comme une sagette jusque dans les Cieux..

  A009000197 

 Ne voyez-vous pas que les grans voulant faire monter une fontaine au plus haut de leurs chasteaux, vont prendre la source de cette eau en quelque lieu fort eslevé, puis la conduisent par des tuyaux, la faisant descendré autant qu'ils veulent qu'elle monte? car autrement l'eau ne monteroit jamais.

  A009000198 

 Cecy represente l'esperance, car si bien la myrrhe jette une odeur suave, elle est pourtant amere à gouster; aussi l'esperance est-elle suave entant qu'elle nous promet de jouir un jour de ce que nous desirons, mais elle est amere parce que nous ne sommes pas en la jouissance de ce que nous aymons.

  A009000198 

 L'encens est bien plus proprement le symbole de l'esperance, parce qu'estant mis dessus le feu il jette tousjours sa fumée en haut; aussi faut il que l'esperance soit posée dessus la charité, [54] autrement ce ne seroit plus esperance, ains presomption.

  A009000198 

 L'esperance se guinde comme une sagette jusques à la porte du Ciel, mais elle n'y peut pas entrer parce qu'elle est une vertu toute de la terre; si nous voulons que nostre oraison penetre le Ciel il faut aiguiser la fleche avec la meule de l'amour..

  A009000199 

 Les Anges disent que l'Espouse est appuyée sur son Bien-Aymé; aussi avons-nous veu que pour derniere condition, il faut estre enté sur Jesus Christ crucifié.

  A009000199 

 Mais quelles sont ses feuilles? Ce n'est autre chose que l'esperance que nous avons de nostre salut par le moyen de la Mort du Sauveur.

  A009000200 

 Aussi ne faut-il point aller à l'oraison que nous n'en soyons arrosés, au moins s'en faut-il arroser dès le matin en sa premiere priere.

  A009000200 

 Demeurons donques au pied de cette Croix, et n'en partons point que nous ne soyons tout detrempés du sang qui en descoule.

  A009000200 

 Et ainsy, encores que nous soyons revestus de laine, s'entend que nous fassions de bonnes oeuvres, entant qu'elles sont de nous elles n'ont aucun prix ni valeur si elles ne sont teintes dans le sang de nostre Maistre, le merite duquel les rend aggreables à la divine Majesté..

  A009000200 

 Mais qu'est-ce estre revestu de ce sang? Ne sçavez-vous pas que l'on dit: Voyla un homme qui [55] est revestu d'escarlatte; et l'escarlatte est un poisson.

  A009000201 

 Ainsy, nous autres, ayant appresté cet Aigneau sans macule et l'ayant presenté au Pere eternel pour rassasier son goust, lors que nous luy demanderons sa benediction, il dira, si nous sommes revestus du sang de Jesus Christ: La voix que j'entens est de Jacob, mais les mains, qui sont nos mauvaises œuvres, sont d'Esaü; neanmoins, à cause de la suavité que j'ay à sentir l'odeur de sa robe, je luy donne ma benediction.

  A009000201 

 Et ayant senti la robe parfumée il dit: La bonne odeur que j'ay senti a causé tant de suavité à mon odorat, que je donne la benediction à mon fils.

  A009000201 

 Jacob demandant la benediction, Isaac se print à luy toucher les mains, puis s'escria tout haut: Ha, que je suis en grand peine! la voix que j'entens est de mon fils Jacob, mais les mains que je touche sont d'Esaü.

  A009000201 

 Lors que Jacob voulut avoir la benediction de son pere Isaac, sa mere luy fit apprester un cabri en la sauce de la venaison, parce qu'Isaac l'aymoit; mais de plus elle luy fit mettre des gans de poils, parce qu'Esaü, le fils aisné à qui appartenoit la benediction, estoit tout velu.

  A009000206 

 Nous avons monstré que la fin de l'oraison est nostre union avec Dieu et que tous les hommes qui sont en la voye de salut peuvent et doivent prier; mais il nous demeura un scrupule en nostre derniere exhortation, à sçavoir mon, si les pecheurs peuvent estre exaucés, car ne voyez-vous pas que l'aveugle-né duquel il est parlé en l'Evangile, et que Nostre Seigneur illumina, dit à ceux qui l'interrogeoyent que Dieu n'exauçoit point les pecheurs? Mais laissons-le dire, car il parloit encores comme aveugle..

  A009000207 

 La priere de tels pecheurs ne sçauroit estre bonne, parce que nul ne peut dire Jesus sinon en la vertu du Saint Esprit, et nul ne peut appeller Dieu Pere, qu'il ne soit adopté pour son fils.

  A009000207 

 Ne sçavez-vous pas aussi que nul ne peut avoir acces vers le Pere que par la vertu du nom de son Fils, comme luy mesme a dit que tout ce que l'on demanderoit à son Pere en son nom on l'obtiendroit Les prieres du pecheur impenitent ne sont donc point aggreables à Dieu..

  A009000207 

 Or, c'est une chose asseurée que les pecheurs impenitens ne sont point exaucés, d'autant qu'ils veulent croupir en leurs pechés; aussi leurs oraisons sont-elles en abomination devant Dieu.

  A009000208 

 Nous avons des preuves en quantité que les prieres des pecheurs penitens sont aggreables à la divine Majesté, mais je me contenteray de vous apporter l'exemple du publicain, lequel monta au Temple pecheur et en sortit justifié par le merite de l'humble priere qu'il fit..

  A009000208 

 Qui est-ce à vostre advis qui luy donne ce repentir d'avoir offensé Dieu, sinon le Saint Esprit, puisque nous ne sçaurions avoir une bonne pensée pour nostre salut s'il ne nous la donne? Mais ce pauvre homme n'a-t-il rien fait de son costé? Si a, certes; escoutez les paroles de David: Seigneur, dit-il, vous m'avez regardé lors que j'estois en la fondriere de mon peché, vous m'avez ouvert le cœur et je ne l'ay pas refermé, vous m'avez tiré et je me suis laissé aller, vous m'avez poussé et je n'ay pas reculé.

  A009000209 

 La matiere de l'oraison est de demander à Dieu tout ce qui est bien; mais il faut que nous sçachions qu'il y a deux sortes de biens, les biens spirituels et les biens corporels ou temporels.

  A009000210 

 Je sçay bien qu'on interprete ces paroles en cette façon, sçavoir est, que les predicateurs preschant au peuple ont le miel dessous la langue, et parlant à Dieu par la priere qu'ils font pour le peuple, ils ont le lait [58] dessous la langue.

  A009000210 

 Le miel est une liqueur qui descend du ciel parmi la rosée, et tombant dessus les fleurs elle prend le goust d'icelles, comme font toutes les liqueurs que l'on met dans des vaisseaux qui ont quelque sorte de goust.

  A009000210 

 Plusieurs se trompent en ce qu'ils pensent que le miel soit fait seulement du suc des fleurs.

  A009000211 

 Entre les biens spirituels il y en a de deux sortes: les uns nous sont necessaires pour nostre salut, et ceux cy nous les devons demander à Dieu simplement et sans condition, car il nous les veut donner; les autres biens, quoy que spirituels, nous les devons demander sous les mesmes conditions que les biens corporels, sçavoir, si c'est la volonté de Dieu et si c'est pour sa plus grande gloire; et sous ces conditions nous pouvons tout demander.

  A009000211 

 Les autres biens spirituels sont les extases, les ravissemens, les douceurs et consolations, toutes lesquelles choses nous ne devons point requerir de Dieu que sous condition, parce qu'elles ne sont aucunement necessaires pour nostre salut..

  A009000211 

 Nous avons dit qu'il y a deux sortes de biens que nous pouvons demander en icelle, les biens spirituels et les biens corporels.

  A009000211 

 Or, ces biens spirituels necessaires pour nostre salut, signifiés par le miel que l'Espouse a dessous la langue, sont la foy, l'esperance, la charité et les autres vertus qui nous conduisent à celles là.

  A009000212 

 Il y en a qui pensent que s'ils estoyent doués de sapience ils seroyent bien plus capables pour aymer Dieu, et cela n'est pas.

  A009000212 

 Lors, saint Bonaventure luy respondit que la science ne luy aydoit point à aymer Dieu, et qu'une simple femme le pouvoit autant aymer que les plus doctes hommes du monde..

  A009000212 

 Vous vous resouviendrez bien qu'une fois le frere Gilles s'en alla trouver saint Bonaventure et luy dit: O que vous estes heureux, mon Pere, d'estre si sçavant, car vous pouvez bien plus aymer [59] Dieu que nous autres qui sommes ignorans.

  A009000213 

 C'est ce que nous pouvons et devons demander à la divine Majesté sans condition..

  A009000213 

 Mais qui ne voit la tromperie de ceux qui sont tous-jours apres leur pere spirituel pour se plaindre dequoy ils n'ont point de ces tendretés et consolations en leurs oraisons? Ne voyez-vous pas que si vous en aviez vous ne pourriez eschapper à la vaine gloire, et ne sçauriez empescher que vostre amour propre ne s'y compleust, en sorte que vous vous amuseriez plus aux dons qu'au Donateur? C'est donques une grande misericorde que Dieu vous fait de ne vous en point donner; et ne faut pas perdre courage pour cela, puisque la perfection ne consiste pas à avoir de ces gousts et tendretés, ains à avoir nostre volonté unie à celle de Dieu.

  A009000214 

 Ainsy faut-il que nous fassions quand nous voudrons demander au Pere eternel son Paradis, l'aggrandissement de nostre foy, son amour, toutes lesquelles choses il nous veut donner, pourveu que nous portions la police de la part de son Fils, c'est à dire que nous luy demandions tousjours au nom et par les merites de Nostre Seigneur..

  A009000215 

 Jesus Christ nous fait dire: Donnez-nous nostre pain quotidien, parce que dessous ce nom de pain tous les biens temporels sont compris.

  A009000215 

 Nous devons donc demander premierement que son nom soit sanctifié, c'est à dire qu'il soit reconneu et adoré par tous les hommes; en suite de quoy nous demandons ce qui nous est le plus necessaire, à sçavoir que son Royaume nous advienne, que nous puissions estre des habitans du Ciel; et puis, que sa volonté soit faite.

  A009000215 

 Nous devons estre grandement sobres à demander ces biens icy, et devrions beaucoup craindre en les demandant, parce que nous ne sçavons si Nostre Seigneur ne nous les donnera point en son courroux.

  A009000216 

 Il est dit que saint Jean estant au desert ne se nourrissoit que de locustes, ou sauterelles et cigales, qu'il ne mangeoit point de raisin, ni ne beuvoit cervoise ou chose qui peust enivrer.

  A009000216 

 Je ne m'arresteray pas sur tout cela, ains seulement sur ce qu'il ne mangeoit que des locustes ou cigales..

  A009000217 

 De mesme peut-on dire que ceux qui donnent l'aumosne, qui visitent les malades et s'exercent à toutes telles bonnes œuvres font oraison, et ces mesmes bonnes actions demandent à Dieu recompense..

  A009000217 

 L'on ne sçait si les cigales sont celestes ou terrestres, car elles se jettent continuellement du costé du ciel, mais aussi elles retombent parfois sur terre; elles se nourrissent de la rosée qui tombe du ciel et vont tous-jours chantant, et ce que l'on entend n'est autre chose qu'un retentissement ou gazouillement qui se fait dans leurs intestins.

  A009000217 

 L'on ne sçavoit s'il estoit celeste ou terrestre, car si bien il touchoit aucunefois la terre pour prendre ses necessités, il se relevoit soudain et se jettoit du costé du Ciel, se nourrissant plus des viandes [61] celestes que non pas des terrestres.

  A009000217 

 Ne voyez-vous pas sa grande abstinence? Il ne mangeoit que des locustes et ne beuvoit que de l'eau, encores bien sobrement.

  A009000218 

 Ce n'est pas faire oraison que de marmotter quelque chose entre ses levres si l'attention du cœur n'y est jointe; car pour parler il faut avoir premierement conceu en son interieur ce qu'on veut dire.

  A009000218 

 Ce n'est pas que Nostre Seigneur exauçast la priere du perroquet; non, car c'est un oyseau immonde, aussi n'estoit-il pas bon pour les sacrifices; neanmoins il permit cela pour monstrer combien cette oraison luy est aggreable.

  A009000218 

 Il y a la parole interieure et la parole vocale, laquelle fait entendre ce que l'interieure a premierement prononcé.

  A009000218 

 La priere n'est autre chose que parler à Dieu; or il est certain que parler à Dieu sans estre attentif à luy et à ce qu'on luy dit, est une chose qui luy est fort desaggreable.

  A009000218 

 Les prieres de ceux qui les font comme ce papegay sont en abomination à Dieu qui regarde plus au cœur de celuy qui prie que non pas aux paroles qu'il dit..

  A009000218 

 Un saint personnage raconte que l'on avoit appris à un perroquet ou papegay à reciter l' Ave Maria; cet oyseau ayant une fois pris le vol, un espervier vint fondre sur luy; mais le perroquet se prenant à repeter l' Ave Maria, l'espervier le laissa aller.

  A009000219 

 Celles qui sont commandées sont le Pater et la Creance que nous devons reciter tous les jours, car Nostre Seigneur nous le fait bien entendre quand il dit: Donnez-nous aujourd'huy nostre pain quotidien; cela nous monstre qu'il le faut demander tous [62] les jours.

  A009000219 

 Celles qui sont seulement recommandées sont les Pater ou Rosaires qui sont ordonnés pour gagner les indulgences; laissant de les dire nous ne pechons pas, mais nostre bonne Mere l'Eglise, pour monstrer qu'elle desire que nous les disions, donne des indulgences à ceux qui les recitent.

  A009000219 

 Et si vous me dites que vous n'avez point prié d'aujourd'huy, je vous respondray que vous ressemblez aux bestes.

  A009000219 

 Il faut que nous sçachions que les oraisons vocales sont de trois sortes: les unes sont commandées, les autres recommandées, les autres libres et de bonne volonté.

  A009000219 

 Les prieres de bonne volonté sont toutes celles que l'on fait outre celles dont nous venons de parler..

  A009000220 

 Bien que les prieres que l'on fait volontairement soyent fort bonnes, les recommandées sont de beaucoup meilleures, parce que la sainte vertu de la souplesse y intervient.

  A009000220 

 C'est comme si nous disions: Vous desirez, ma bonne mere l'Eglise, que je fasse cela; et encores que vous ne me le commandiez pas, je suis bien ayse de le faire pour vous contenter.

  A009000221 

 Avec quelle attention n'y [63] devrions-nous donc pas assister, puisque les Anges sont presens et repetent là haut en l'Eglise triomphante ce que nous disons ça bas!.

  A009000221 

 Les communes sont les Messes, les Offices et celles que nous faisons en temps de calamités.

  A009000221 

 O Dieu, que nous devrions venir avec beaucoup de reverence à ces Offices, mais tout autrement preparés que non pas pour les prieres particulieres, parce qu'en celles cy nous ne traittons avec Dieu que de nos affaires, ou si nous prions pour l'Eglise nous le faisons par charité; mais aux prieres communes nous prions pour tous en general.

  A009000222 

 C'est une chose que j'ay souventefois pesée, que saint Pierre, saint Jacques et saint Jean, apres avoir veu Nostre Seigneur en sa Transfiguration, ne laisserent pas de le quitter en sa Mort et Passion..

  A009000222 

 Mais peut estre dirons nous que si nous avions veu une fois les Anges à nos Offices nous y apporterions plus d'attention et de reverence.

  A009000223 

 Nous ne devrions jamais venir aux Offices, principalement nous autres qui les disons en chant, sans faire des actes de contrition, et sans demander l'assistance du Saint Esprit, premier que de les commencer.

  A009000223 

 O que nous sommes heureux de commencer à faire ça bas ce que nous ferons eternellement au Ciel, où nous conduisent le Pere, le Fils et le Saint Esprit.

  A009000228 

 Quand nous allons immediatement à Dieu nous protestons de sa bonté et de sa misericorde en laquelle nous mettons toute nostre confiance; mais quand nous prions mediatement et que nous implorons l'assistance de Nostre Dame, des Saints et Esprits bienheureux, c'est à fin d'estre mieux receus de la divine Majesté, et alors nous protestons de sa grandeur et toute puissance, et de la reverence que nous luy devons..

  A009000229 

 J'ay desir d'adjouster encores un mot au discours que je fis l'autre jour de la reverence exterieure que nous devons avoir en faisant oraison.

  A009000229 

 Nostre Mere l'Eglise marque toutes les postures qu'elle veut que nous tenions en recitant l'Office: ores elle nous veut debout, ores assis et puis à genoux, ores descouverts et ores couverts; [65] mais toutes ces façons et postures ne sont autres choses que prieres.

  A009000229 

 Que pensez-vous, je vous prie, que signifient les rameaux que nous portions aujourd'huy en nos mains? Non autre, sinon que nous demandons à Dieu qu'il nous rende victorieux par le merite de la victoire que Nostre Seigneur remporta sur l'arbre de la Croix..

  A009000230 

 Et ne voyez-vous pas que le Sauveur mesme priant son Pere se prosterne en terre?.

  A009000230 

 Quand nous sommes aux Offices il faut que nous observions de nous tenir en la posture qui nous est marquée dans nos messels; mais en nos oraisons particulieres, quelle reverence y devons-nous garder? Nous sommes devant Dieu comme aux communes, bien qu'aux communes nous devons avoir un soin particulier à cause de l'edification du prochain; la reverence exterieure ayde beaucoup à l'interieure.

  A009000231 

 Bref, il faut que tout l'homme prie.

  A009000231 

 David dit que toute sa face prioit, que ses yeux estoyent tellement [66] attentifs à regarder Dieu qu'il avoit la veue toute attenuée, et sa bouche baillante comme un oyselet qui attend que sa mere le vienne rassasier.

  A009000231 

 Je pense que vous sçavez que le grand saint Paul hermite demeura plusieurs dizaines d'années dans le desert, et saint Anthoine l'estant allé voir, le trouva en oraison; apres il luy parla, puis se retira.

  A009000231 

 Mais l'estant venu visiter pour la seconde fois, il le trouva en la mesme posture que la premiere, la teste levée et les yeux bandés contre le ciel, les mains jointes, et planté sur ses deux genoux.

  A009000231 

 Ouy mesme la posture d'estre gisant est bonne, et semble que d'elle mesme elle prie; car ne voyez-vous pas le saint homme Job couché sur son fumier, faire une priere si excellente qu'elle merite que Dieu l'escoute? Or, cela soit dit ainsy..

  A009000231 

 Saint Anthoine l'ayant desja long temps attendu, commença à s'estonner parce qu'il ne l'entendoit point souspirer comme il avoit accoustumé de faire, il leve les yeux, et le regardant à la face, il trouva qu'il estoit mort, et sembloit que son corps qui avoit tant prié estant en vie, priast encores apres sa mort.

  A009000232 

 En ce Temple il y avoit premierement un porche, qui estoit destiné pour les Gentils, à fin que personne ne peust s'excuser d'adorer.

  A009000232 

 Le second estage estoit destiné pour les Juifs, tant hommes que femmes, bien que par apres on fit une separation pour eviter les scandales qui pouvoyent arriver estant ainsy meslés.

  A009000233 

 En nos ames il y a le premier estage, lequel est une certaine connoissance que nous avons par le moyen des sens, comme par nos yeux nous connoissons que tel objet est vert, rouge ou jaune.

  A009000233 

 Le quatriesme et le Sancta Sanctorum, c'est la fine pointe de nostre ame, que nous appelions esprit; [67] et pourveu que cette fine pointe regarde tousjours à Dieu, nous ne nous devons point troubler..

  A009000233 

 Le troisiesme estage est la connoissance que nous avons par la foy.

  A009000233 

 Mais apres, il y a un degré ou estage qui est desja un peu plus haut, à sçavoir, une connoissance que nous avons par le moyen de la consideration; par exemple, un homme qui aura esté maltraitté en un lieu cherchera, par le moyen de la consideration, comme il pourra faire pour n'y pas retourner.

  A009000234 

 Ainsy il semble aucunefois quel'ame s'en aille toute du costé du midy, tant elle est agitée de distractions; que neanmoins la fine pointe de l'esprit regarde tousjours à son Dieu, qui est son nord.

  A009000234 

 Les navires qui sont sur la mer ont toutes une aiguille marine laquelle estant touchée de l'aimant regarde tous-jours l'estoille polaire, et encores que la barque s'en aille du costé du midy, l'aiguille marine ne laisse pourtant pas de regarder tousjours à son nord.

  A009000234 

 Les personnes les plus avancées ont aucunefois de si grandes tentations, mesme de la foy, qu'il leur semble que toute l'ame consent, tellement elle est troublée; elles n'ont que cette fine pointe qui resiste, et c'est cette partie de nous-mesme qui fait l'oraison mentale, car bien que toutes ses autres facultés et puissances soyent remplies de distractions, l'esprit, sa fine pointe, fait l'oraison..

  A009000235 

 La premiere se fait par voye de meditation, en cette sorte: nous prenons un mystere, par exemple Nostre Seigneur crucifié, et puis nous l'estant ainsy representé, nous considerons ses vertus: l'amour qu'il a porté à son Pere, lequel luy a fait souffrir la mort, et la mort de la croix, plustost que de luy desplaire, ou pour mieux dire, à fin de luy complaire; la grande douceur, humilité et patience avec laquelle il souffrit tant d'injures; en fin sa grande charité à l'endroit de ceux qui le mirent à mort, priant pour eux emmy ses plus grandes douleurs.

  A009000236 

 Il trouva tout bon le regardant piece à piece, mais voyant tout ce qu'il avoit fait ensemble, il dit que tout estoit tres bon..

  A009000237 

 L'Espouse, au Cantique des Cantiques, apres avoir loué son Bien-Aymé pour la beauté de ses yeux, de ses levres, bref de tous ses membres l'un apres l'autre, elle conclut en cette sorte: O que mon Bien-Aymé est beau, o que je l'ayme, il est mon tres cher! C'est icy la contemplation, car à force de considerer mystere apres mystere combien Dieu est bon, nous venons à faire comme les cordons de nos bateaux.

  A009000237 

 Quand l'on rame fortement, ces cordons se chauffent tellement que si l'on ne les mouille le feu s'y prendroit; mais nostre ame s'eschauffant à aymer Celuy qu'elle a reconneu tant aymable, continue à le regarder parce qu'elle se complaist tousjours davantage à le voir tant beau et tant bon..

  A009000238 

 L'Espoux conclut par apres: Enivrez-vous, mes tres chers; et qu'est-ce qu'il veut dire? Vous sçavez bien que l'on n'a pas accoustumé de mascher le vin, ains on ne fait que l'avaler; ce qui nous represente la contemplation en laquelle on ne masche plus, ains on ne fait qu'avaler.

  A009000238 

 Or, quand il dit: Mangez, mes bien-aymés, il veut dire meditez; car ne sçavez-vous pas que pour rendre la viande capable d'estre avalée il la faut premierement mascher et amenuiser, et la jetter tantost d'un costé de la bouche et tantost de l'autre? Ainsy faut il que nous fassions des mysteres de Nostre Seigneur: il faut que nous les maschions et roulions plusieurs fois dans nostre entendement, premier que d'eschauffer nostre volonté et passer à la contemplation.

  A009000238 

 Vous avez assez medité que je suis bon, semble dire l'Espoux divin à sa bien-aymée, regardez-moy, et vous delectez à voir que je le suis..

  A009000239 

 Saint François passa une nuit à repeter: Vous estes «mon tout.» Il prononçoit ces parolles estant en contemplation, comme voulant dire: Je vous ay consideré piece à piece, o mon Seigneur, et j'ay trouvé que vous estiez tres aymable; maintenant je vous regarde et vois que vous estes «mon tout.» Saint Bruno se contentoit de dire: O bonté! Et saint Augustin: «O beauté ancienne et nouvelle!» Vous estes ancienne parce que vous estes eternelle, mais vous estes nouvelle parce que vous apportez une nouvelle suavité à mon cœur.

  A009000240 

 Celle que repetoit saint François est excellente, bien que ce fust une parole de contemplation, parce qu'elle continuoit comme un fleuve qui va tousjours coulant.

  A009000240 

 Il est vray que de dire à Dieu: Vous estes «mon tout,» et vouloir quelque autre chose que luy, ce ne seroit pas bien, parce qu'il faut que les paroles soyent conformes aux sentimens du cœur.

  A009000240 

 Mais dire à Dieu: Je vous ayme, encores que nous n'ayons pas un grand sentiment d'amour, nous ne devons pas laisser de le dire, parce que nous voulons et avons un grand desir de l'aymer..

  A009000240 

 Qui vous empesche de luy parler au fond de vostre cœur, puisqu'il n'importe que [70] vous luy parliez mentalement ou vocalement? Dites des paroles courtes mais ferventes.

  A009000240 

 Vous me dites que vous n'avez pas le temps de faire deux ou trois heures d'oraison; qui vous en parle? Recommandez-vous à Dieu dès le matin, protestez que vous ne le voulez point offenser, et puis vous en allez à vos affaires, resolue de faire neanmoins plusieurs eslevations de vostre esprit en Dieu, voire emmi les compagnies.

  A009000241 

 Les saints Peres qui vivoyent au desert, ces anciens et vrays Religieux, estoyent si soigneux de faire ces oraisons et eslancemens, que saint Hierosme raconte que quand on alloit les visiter on entendoit l'un qui disoit: Vous estes, o mon Dieu, tout ce que je desire; l'autre: Quand seray-je tout vostre, o mon Dieu? et l'autre repetoit: Deus in adjutorium meum intende.

  A009000242 

 Ainsy cet Espoux veut-il dire: Quoy que ma bien-aymée soit fort occupée, si ne laisse-t-elle pas de me regarder d'un œil, me protestant par ce regard qu'elle est toute mienne.

  A009000242 

 L'Espoux dit au Cantique des Cantiques que sa bien-aymée luy a ravi le cœur par un de ses yeux et par un de ses cheveux qui pend dessus son col.

  A009000242 

 Quand un mari et une femme ont des affaires en leur mesnage qui les contraignent de se separer, s'il arrive [71] par hasard qu'ils se rencontrent, ils se regardent un peu en passant, mais ce n'est que d'un œil, parce que, se rencontrant de costé, l'on ne peut pas bonnement le faire des deux.

  A009000243 

 O que nous serons heureux si nous parvenons jamais au Ciel; car nous y mediterons, regardant et considerant toutes les œuvres de Dieu par le menu, et nous les trouverons toutes bonnes; nous contemplerons, les voyant toutes ensemble tres bonnes, et nous nous eslancerons eternellement en luy.

  A009000248 

 Je remarque que l'Evangile raconte les imperfections et pechés de ce bienheureux Saint, et l'une de ses plus grandes tares, qui est, comme l'on tient, son ambition et presomption, au lieu de raconter ses perfections, vertus et excellences; au lieu de le louer et exalter, il semble qu'il le blasme et vitupere.

  A009000249 

 Certes, cette bonne Mere ne veut pas que nous nous estonnions et mettions en peine de ce que nous avons esté, des grans pechés que nous avons commis autrefois, ni de nos miseres presentes; o non, pourveu que nous ayons maintenant une resolution ferme et inviolable d'estre tout à Dieu et d'embrasser à bon escient la perfection et tous les moyens qui nous peuvent faire avancer en l'amour sacré, faisant que cette resolution soit efficace et produise des œuvres.

  A009000249 

 Non certes, nos miseres et nos foiblesses, pour grandes qu'elles soyent et ayent esté, ne nous doivent pas descourager, mais nous doivent faire abaisser et nous jetter entre les bras de la misericorde divine, laquelle sera d'autant plus glorifiée en nous que nos miseres seront plus grandes, si nous venons à nous en relever; ce que nous devons esperer de faire moyennant sa sainte grace..

  A009000250 

 Le grand saint Chrysostome parlant de saint Paul le loue le plus pertinemment qu'il se peut, et avec tant d'honneur et d'estime que c'est chose admirable de voir comme il raconte ses vertus, perfections, excellences, les prerogatives et graces desquelles Dieu l'a orné et enrichi.

  A009000250 

 Mais apres tout cecy, ce mesme Saint, pour faire voir que ces dons ne venoyent pas de luy, mais de la bonté infinie de la divine Majesté qui l'avoit fait ce qu'il estoit, il parle de ses defauts et raconte exactement ses pechés et imperfections, disant: Voyez-vous ce petit bossu et contrefait (car il estoit petit de stature comme de mauvaise mine), comme Dieu en a fait un vaisseau d'election; ce grand pecheur et grand persecuteur des Chrestiens, comme il l'a rendu de loup aigneau; ce chagrin, cet opiniastre, cet orgueilleux et ambitieux, comme il l'a comblé et rempli de tant de graces et benedictions, le rendant si humble et charitable qu'il dit de soy qu'il est le moindre et le plus petit des Apostres et le plus grand des pecheurs, et qu'il se fait tout à tous pour les gagner tous.

  A009000251 

 Il est vray qu'il les aymoit grandement, specialement saint Jean, son bien-aymé Disciple, qui estoit le cœur le plus aymable que l'on peust s'imaginer.

  A009000252 

 Ce divin Sauveur la voyant luy dit: Que demandez-vous? Et elle respondit: Une petite chose ay-je à vous demander, Seigneur.

  A009000252 

 Il s'en trouve fort peu, voire mesme entre les plus spirituels, qui regardent purement Dieu sans rechercher leur propre contentement, ne desirant que le contenter et non se contenter soy mesme..

  A009000252 

 Or, c'est l'amour propre qui faisoit cela; [75] elle n'avoit garde de luy dire: Je veux une telle chose, octroyez-moy cette grace; o non, car l'amour propre est plus sage et discret que cela, il fait faire des preambules et harangues bien composées, avec une humilité feinte et fausse, à fin que l'on pense que nous sommes bien braves et prudens.

  A009000253 

 Et ses enfans qui estoyent avec elle adjousterent: Nous voulons, Seigneur, que tout ce que nous vous demanderons vous nous le donniez.

  A009000253 

 Il luy dit donques: Que voulez vous? car le Sauveur ne se plaisoit point à tant de discours, luy qui ayme uniquement la simplicité.

  A009000253 

 La pluspart de nous autres, si nous nous examinons bien, nous trouverons que nos demandes sont grandement impures et imparfaites: si nous sommes à l'oraison, nous voulons que Dieu nous parle, qu'il nous vienne visiter, consoler et recreer, nous luy disons qu'il fasse cecy, qu'il nous donne cela; et s'il ne le fait pas, quoy que pour nostre plus grand bien, nous nous en inquietons, troublons et affligeons..

  A009000253 

 Voyez-vous que nostre misere est grande! Nous voulons que Dieu fasse nostre volonté, et nous ne voulons pas faire la sienne sinon lors qu'elle se trouve conforme à la nostre.

  A009000255 

 Lors que nous trouvons quelque chose en nous qui n'est pas conforme à la volonté de nostre cher Sauveur, nous nous devons prosterner devant luy, et luy dire que nous detestons et desavouons cela et tout ce qui est en nous qui luy peut desplaire et qui est contraire à son amour, luy promettant de ne vouloir rien que ce qui sera conforme à son bon playsir et vouloir divin..

  A009000256 

 Ils ne sçavoyent ce qu'ils demandoyent, de vray, puisqu'au Ciel il n'y a point de gauche, car c'est là où sont les damnés qui sont privés de la presence de Dieu; il n'y a que la dextre où sont les Bienheureux qui jouissent et jouiront eternellement de l'Essence divine qui les comblera de toute sorte de contentement et felicité.

  A009000256 

 Nostre Seigneur respondit donc à cette femme et à ses enfans: Vous ne sçavez ce que vous demandez.

  A009000256 

 Nous ne sçavons ce que nous demandons lors que nous disons à Nostre Seigneur qu'il fasse nostre volonté et qu'il nous donne ce que nous desirons.

  A009000256 

 O non certes, car ne sçavez-vous pas, mes cheres ames, que tout nostre bien et bonheur depend d'estre entierement abandonné à la Providence divine, ne cherchant que son bon playsir, estant parfaitement sousmis à sa tres sainte volonté, [77] nous resjouissant de la voir accomplir en nous et en toutes creatures, quoy que ce soit avec des afflictions et des souffrances? Nous avons quelquefois affection et inclination à prattiquer les vertus qui sont selon nostre volonté.

  A009000256 

 Par exemple, une personne qui sera malade, si nous luy disons: Mon enfant, ne sçavez-vous pas bien que les peines et souffrances prises avec patience et sousmission au vouloir divin sont uniquement aggreables à sa Majesté? Ouy, vous respondra-t-elle, mais je voudrois estre au chœur pour prier Dieu comme les autres, je voudrois faire des penitences et mortifications et les actions de vertu comme eux, avec ferveur et sentiment.

  A009000257 

 Le divin Sauveur dit à ses Apostres sur ce sujet de l'ambition de ces deux Saints: Ne pensez pas que pour avoir des preeminences et dignités en mon Royaume vous ayez pour cela plus de gloire et d'amour.

  A009000257 

 O non, car ma Mere qui n'a pas esté esleüe à telle dignité, ne lairra pourtant d'avoir infiniment plus de gloire et d'amour au Ciel que vous et d'autres aussi..

  A009000257 

 Vous autres que j'ay choisis et esleus pour estre as sis sur des throsnes pour juger avec moy au jour du jugement, vous n'en serez pas plus haut et n'aurez pas plus de gloire pour cela.

  A009000258 

 Saint Jacques fut martyr effectif, car Dieu luy fit la grace de mourir pour son amour, quoy que saint Jean ne laissa pas d'avoir la recompense et couronne du martyre..

  A009000258 

 Saint Jean fut martyr de la premiere maniere, Dieu ne permettant pas qu'il fust martyr effectif, ains seulement de volonté et affection; car l'huile bouillant qu'on avoit preparé pour le mettre, et dedans lequel on le mit, ne luy fit aucun mal, ains luy fut aussi doux et suave que si c'eust esté un bain des plus aggreables.

  A009000259 

 Et il adjousta: Sçavez-vous que c'est que boire mon calice? Ne pensez pas que ce soit avoir des dignités, des faveurs et consolations, o non certes; mais boire mon calice c'est participer à ma Passion, endurer des peines et souffrances, des clous, des espines, boire le fiel et le vinaigre..

  A009000260 

 Nous pouvons estre martyrs et le boire, non en deux et trois jours mais toute nostre vie, nous mortifiant continuellement, comme font et doivent faire les Religieux et Religieuses que Dieu a appellés en la Religion pour porter sa croix et estre crucifiés avec luy.

  A009000260 

 O que ces faveurs sont grandes! Que nous devons estimer à grand bonheur de porter la croix et estre crucifiés avec nostre doux Sauveur! Les Martyrs beuvoyent tout d'un coup ce calice, les uns en une heure, les autres en deux et trois jours, d'autres en un moys.

  A009000261 

 Lors que quelque grande princesse ou seigneur meurt d'une mort inopinée, on ouvre son corps pour voir de quelle maladie il est mort, et quand on a trouvé la cause de son trespas l'on est content et ne passe-t-on pas plus outre.

  A009000261 

 Nostre Seigneur estant sur l'arbre de la croix, il dit avant que de rendre l'esprit ces paroles, mais d'une voix haute, esclattante et ferme: Mon Pere, je recommande mon esprit entre vos mains, et rendit son esprit tout incontinent en les prononçant; l'on ne pouvoit croire qu'il fust mort, l'ayant ouy parler tout à l'heure d'une voix si forte qu'il ne sembloit pas qu'il [79] deust si tost mourir; de sorte que le capitaine des soldats vint pour sçavoir s'il estoit vrayement trespassé, et voyant qu'il l'estoit, il commanda qu'on luy donnast un coup de lance au costé; ce que l'on fit, et donna-t-on droit contre son cœur.

  A009000262 

 Certes, les ames devotes ne doivent point avoir d'autre cœur que celuy de Dieu, point d'autre esprit que le sien, point d'autre volonté que la sienne, point d'autres affections que les siennes ni d'autres desirs que les siens, en somme elles doivent estre toutes à luy..

  A009000262 

 J'admire cette grace incomparable dequoy il changea de cœur avec elle; car auparavant elle prioit ainsy: «Seigneur, je vous recommande mon cœur,» mais despuis elle disoit: «Seigneur, je vous recommande vostre cœur,» de sorte que le cœur de Dieu estoit son cœur.

  A009000262 

 La premiere est à fin qu'on vist les pensées de son cœur, qui estoyent des pensées d'amour et de dilection pour nous, ses bien aymés enfans et cheres creatures, qu'il a creées a son image et semblance, à fin que nous vissions combien il desire de nous donner de graces et benedictions, et son cœur mesme, comme il fit à sainte Catherine de Sienne.

  A009000262 

 Nostre Seigneur voulut que son costé fust ouvert pour plusieurs raysons.

  A009000263 

 La seconde rayson est à fin que nous allions à luy avec toute confiance, pour nous retirer et cacher dedans son costé, pour nous reposer en luy, voyant qu'il l'a ouvert pour nous y recevoir avec une benignité et amour nom-pareil, si nous nous donnons à luy et que nous nous abandonnions entierement et sans reserve à sa bonté et providence..

  A009000264 

 L'autre rayson est parce qu'il n'est pas expedient que l'on voye le cœur des bons, de peur qu'ils ne tombent en vanité ou que cela ne donne de la jalousie aux autres.

  A009000264 

 La premiere, pour ce que l'on auroit horreur de descouvrir dans les cœurs des meschans et grans pecheurs des choses si sales, horribles et tant de miseres; car sainte Catherine, qui avoit receu ce don de Dieu, de [80] penetrer les consciences et connoistre les pechés les plus secrets, en avoit une si grande horreur, qu'il failloit qu'elle se destournast pour s'empescher de les voir.

  A009000264 

 Or, en Nostre Seigneur il n'y avoit rien à craindre que l'on vist son cœur, parce qu'il n'y avoit rien en luy qui peust donner de l'horreur, puisqu'il estoit si pur, si saint et la pureté mesme; il ne pouvoit point aussi tomber en vanité, luy qui estoit l'Autheur de la gloire..

  A009000265 

 Nous en sommes de mesme, car nous faisons en esprit de beaux exploits et de belles resolutions, nous imaginant que nous faisons choses et autres pour Dieu; mais quand ce vient aux occasions, nous tournons le clos et manquons de courage et de fidelité..

  A009000265 

 Voyez-vous, lors que nous avons des chaleurs, des bons sentimens et consolations il nous semble que nous ferons des merveilles; mais aux moindres petites occasions, nous choppons et donnons du nez en terre.

  A009000266 

 Certes, lors qu'il nous vient de ces [81] ardens desirs de faire de grandes choses pour Dieu, nous devons alors plus que jamais nous approfondir en l'humilité et defiance de nous mesmes et en la confiance en Dieu, nous jettant entre ses bras, reconnoissant que nous n'avons nul pouvoir pour effectuer nos resolutions et bons desirs, ni faire chose quelconque qui luy soit aggreable; mais en luy et avec sa grace toutes choses nous seront possibles.

  A009000266 

 Nous autres qui voulons acheter le Ciel, et faire ce grand bastiment et edifice de la perfection, nous sommes des fols lors que nous ne considerons pas si nous avons de quoy payer et ce qu'il faut donner pour l'avoir; faute de cette consideration, nous demeurons court en chemin..

  A009000267 

 En fin nous ne l'acquerrons jamais par une autre voye; il nous faut vendre tout pour avoir cette precieuse perle de l'amour sacré que Dieu se prepare à nous donner, si nous sommes fidelles à travailler pour l'acquerir.

  A009000268 

 Nous devons servir la divine Majesté le mieux et le plus fïdellement que nous pourrons, observant exactement ses commandemens, ses conseils et ses volontés, et avec le plus de perfection, de pureté et d'amour qu'il nous sera possible, et ne nous point enquerir de la recompense qu'il nous donnera, laissant cela à sa Bonté qui ne manquera pas de nous recompenser d'une gloire infinie et incomprehensible, se donnant soy mesme à nous pour recompense, tant il fait d'estat et a aggreable ce que nous faisons pour luy.

  A009000274 

 L'on a tousjours fait de grandes solemnités à la reception des ames qui se sont consacrées à Dieu pour le servir en Religion; mais je remarque que l'on en a tousjours fait davantage pour celle des filles que non pas pour celle des hommes; et pour moy je crois que c'est parce qu'estant d'un sexe plus fragile, l'on doit d'autant plus admirer et solemniser la force qu'elles ont à se desprendre de toutes les choses de la terre.

  A009000275 

 Mais pourquoy donques, s'il est vray que vous l'estimez tant, ne vous retirez-vous en Religion pour appartenir plus entierement à Nostre Seigneur et le servir plus parfaitement, puisque vous n'avez point de legitime occasion de demeurer dans le monde? O Dieu, je ne me puis destacher de telles et telles choses que j'ayme tant; je le desirerois bien, mais je ne puis.

  A009000275 

 Mais à fin que les uns et les autres ayent occasion de s'humilier, il faut que nous reconnoissions que nostre force et nostre courage ne vient pas de nous, car le grand Apostre saint Paul dit que toute nostre suffisance vient du Ciel.

  A009000275 

 [85] Confessez donques que vous manquez de force et de courage et que vous vous laissez surmonter par des ames que vous estimiez plus foibles et plus fragiles que vous.

  A009000276 

 Chose fort admirable que la diversité des attraits du Saint Esprit! L'Espouse, au Cantique des Cantiques, dit à son divin Espoux: Ton nom, o mon Bien-Aymé, est comme un huile et un baume respandu; il donne une si bonne odeur par toute la terre, que les jeunes filles t'ont desiré.

  A009000276 

 Mais que pensez-vous que soyent ces odeurs qui les attirent? O que cette divine amante, et nous aussi, avons bien rayson de nous estonner, car ces odeurs ne sont autre chose sinon les croix, les espines, les clous, la lance.

  A009000276 

 O Dieu, quelle merveille est celle-cy, que Nostre Seigneur se fasse desirer et attire les ames à sa suite par le moyen de tout ce qui est si rude et si affreux au sens humain!.

  A009000276 

 O que grand est le bonheur des jeunes filles qui desirans Nostre Seigneur se viennent toutes consacrer à son amour! Je n'entens pas, par ce mot de jeunes, parler de celles qui le sont d'aage, bien que le bonheur de celles cy soit tres grand de pouvoir dedier leurs premieres et meilleures années au service de la divine Majesté; ains je veux dire celles qui sont encores tendres et jeunes à la devotion.

  A009000277 

 Bref, il faut que vous mouriez à la propre volonté, à la volupté et à la vanité..

  A009000277 

 Vous ne possederez plus rien en propre, l'on ne preschera plus vos louanges, il ne sera plus fait aucune mention de vous, non plus que si vous n'estiez plus au monde.

  A009000277 

 Vous viviez en l'esperance d'avoir des biens que les anciens philosophes ont voulu appeller de fortune, à sçavoir les richesses, les honneurs, les grandeurs, les preeminences; desormais il faut mourir à cela.

  A009000278 

 Et pour monstrer que ce n'est pas par mon choix, il faut que vous sçachiez que si la volonté de mon Pere eust esté que je fusse mort d'une autre mort que celle de la croix, ou bien que j'eusse vescu en delices, je me serois trouvé tout aussi prompt que j'ay fait, parce que je n'estois pas venu en ce monde pour faire ma volonté, mais celle de mon Pere qui m'a envoyé.

  A009000278 

 Et pourquoy tout cela? C'est peut estre pour patir, et par ce moyen sauver les hommes; ou, par adventure, l'ay-je fait par mon choix? O non, pardonnez-moy, la seule cause pour laquelle j'ay fait tout ce que j'ay fait, ç'a esté pour me sousmettre à la volonté de mon Pere qui estoit telle.

  A009000278 

 Mourir à la volonté, o que ce point est necessaire! l'on ne sçauroit assez peser sa necessité.

  A009000278 

 O Dieu, si nostre cher Sauveur, dont la volonté ne pouvoit estre que tousjours absolument parfaitte, et partant ne pouvoit choisir aucune chose qui ne fust tres aggreable à son Pere, n'a point voulu vivre selon icelle, comme est-ce donques que nous autres [86] aurons bien la hardiesse de laisser vivre la nostre, le choix de laquelle, pour l'ordinaire, gaste toutes nos œuvres?.

  A009000278 

 Un jour le grand saint Basile considerant cecy, se demanda: Ne seroit-il pas possible de servir Dieu parfaitement faisant de grandes et rudes penitences et austerités, voire de grandes œuvres pour Nostre Seigneur, conservant sa propre volonté? Et soudain apres, il s'imagina que Nostre Seigneur et tres sacré Maistre luy respondoit: Je me suis vuidé de ma propre gloire, je suis descendu du Ciel, j'ay pris sur moy toutes les miseres humaines, et en fin finale je suis mort, et de la mort de la croix.

  A009000279 

 Apres avoir donné des rares exemples de vertu à l'ordre clerical, estant chanoine de Besançon, il fut esleu d'un commun consentement Archevesque de cette ville; et bien que son humilité faisoit qu'il s'en croyoit indigne, il ne laissa pas de l'accepter, parce que le Superieur commandoit, le Pape ordonnoit, et le commun consentement du peuple luy faisoit connoistre que c'estoit la volonté de Dieu.

  A009000279 

 Mieux vaudroit mesme estre eslevé en dignités contre nostre volonté (et il y aurait sans comparaison plus d'humilité à les accepter), que non pas de les refuser par nostre choix et eslection, nous en reconnoissant indignes.

  A009000280 

 Bref, il faut que vous mouriez à vostre vie civile, leur repetons-nous, car, ainsy que nous avons desja dit, vous n'aurez plus de reputation, l'on ne parlera plus de vous que comme d'une personne morte; aussi vous revestira-t-on du sac noir qui vous en doit faire resouvenir..

  A009000280 

 En fin, point de vraye vertu sans la mort de la propre volonté, et saint Bernard nous dit tout court que rien ne brusle en enfer que la propre volonté.

  A009000280 

 Les habits que nous leur donnons font assez entendre tout cela, mais particulierement le voile que nous leur mettons dessus la teste, lequel leur monstre qu'elles ne se doivent plus servir de leurs sens ni de leurs puissances [87] pour aucune chose de la terre, ains que, comme des filles mortes, rien ne devra plus vivre en elles de tout ce qui y a vescu jusques à l'heure presente.

  A009000280 

 Vous aviez accoustumé de porter la veüe haute et les yeux tousjours ouverts pour regarder toutes choses; desormais il la faudra porter basse, n'ouvrant les yeux que pour la necessité et non point pour le service de la curiosité.

  A009000281 

 Mais pourquoy ainsy mourir à toutes choses, et si particulierement à soy mesme? Non certes pour autre sujet sinon à fin que Jesus Christ vive en vous.

  A009000282 

 C'est un grand talent que celuy de vivre chrestiennement et en l'observance des commandemens de Dieu; neanmoins celuy qui en a receu deux, c'est à dire qui avec celuy cy a receu celuy de vouloir pretendre à la perfection de la vie chrestienne, est desja beaucoup plus favorisé; mais, o Dieu, combien grand est le bonheur de celuy qui a receu en outre les trois talens auxquels sont encloses toutes les perfections chrestiennes! Ce sont ces trois principaux conseils de Nostre Seigneur: l'obeissance, [88] la chasteté et la pauvreté; ce sont ces trois vœux effectuels qui nous unissent à Dieu (je dis effectuels, et non pas seulement voués).

  A009000282 

 Ce pendant, je considere qu'en l'Evangile d'aujourd'huy, qui est celuy des talens que le seigneur bailla à ses serviteurs lors qu'il alla faire son voyage, il est rapporté qu'il en donna un, puis deux, puis cinq.

  A009000282 

 Par ces trois vœux nous luy consacrons et dedions tout ce que nous avons: par celuy de pauvreté nous donnons nos biens et toutes les pretentions que nous avions d'en posseder; par celuy de chasteté nous donnons nostre corps, et par celuy d'obeissance nous donnons nostre ame avec toutes ses puissances..

  A009000287 

 Hé certes, ce n'est pas sans rayson, d'autant que de la devotion de Nostre Seigneur naist tout incontinent celle de sa tres sacrée Mere, et nul ne peut aymer l'un sans l'autre.

  A009000287 

 Il me semble mesme que l'histoire que l'Eglise nous presente en ce jour a une tres grande correspondance avec cet Evangile..

  A009000287 

 La sainte Eglise a accoustumé de nous faire lire cet Evangile aux festes de Nostre Dame, mais tout particulierement aujourd'huy que nous en celebrons une à son honneur.

  A009000287 

 Nostre Seigneur parlant les paroles de la vie eternelle, une femme s'esleva d'entre le peuple, disant: Bienheureux est le ventre qui t'a porté et les mammelles que tu as succèes.

  A009000288 

 Ce bien heureux Jean s'en alla declarer sa revelation au Pape, et il se trouva que celuy-cy avoit eu le mesme signe.

  A009000288 

 Les trois revelations estans confrontées, on visita le lieu, on remarqua la place, et lors on y bastit l'eglise qui y est encores aujourd'huy et que l'on nomme Sainte Marie Majeure..

  A009000289 

 Cette bonne femme s'estant escriée: Bienheureux est le ventre qui t'a porté et les mammelles que tu as succées, Nostre Seigneur respondant dit: Il est vray; comme qui diroit: Voire! mais bienheureux sont ceux qui escoutent la parole de Dieu et la gardent, c'est à sçavoir, qui la mettent en effect.

  A009000290 

 De mesme quand nostre divin Maistre dit, parlant des Superieurs: Qui vous escoute m'escoute et celuy qui vous mesprise me mesprise, c'est comme s'il disoit: Je tiens que [91] ceux qui vous obeissent c'est à moy qu'ils obeissent; et ceux qui mesprisent vos paroles ne s'en voulant pas servir, je tiens que ce sont mes paroles mesme qu'ils mesprisent..

  A009000290 

 Ne voyez-vous pas qu'il ne dit pas seulement estre bienheureux ceux qui escoutent sa parole, ains adjouste ceux qui l'observent? Dieu monstre assez qu'il ne juge pas qu'on l'escoute si on ne l'effectue avec affection de sousmission et d'obeissance; aussi se plaint-il de son peuple parce que luy ayant parlé, il n'en a pas esté ouy; c'est à dire qu'ils n'ont pas mis en effect ses paroles, d'autant qu'ils l'avoyent bien ouy de leurs oreilles.

  A009000290 

 Or, cela ne suffit pas, car il veut que nous l'escoutions avec le dessein d'en faire nostre proffit.

  A009000291 

 De mesme, si nous voulons avoir soin de garder nostre cœur des suggestions et distractions du malin esprit, il faut, au sortir de la predication, le garnir d'aspirations et oraisons jaculatoires sur le sujet d'icelle, invoquant la divine Misericorde pour nous fortifier à fin de mettre en effect ce que nous avons affectionné..

  A009000291 

 Et à fin que les distractions ne viennent se poser sur nostre cœur et troubler nostre repos, il nous faut faire ce que fit Salomon en son Temple: tout le couvert estoit d'or, mais redoutant que les oyseaux ne le salissent venant à se nicher et reposer dessus, il le fit garnir de pointes, moyennant lesquelles le toit ne pouvoit estre endommagé.

  A009000291 

 J'adjouste maintenant que, outre l'intention que nous y devons avoir apportée d'en vouloir faire nostre proffit et l'attention durant icelle, nous devons par apres demeurer quelque temps renfermés dans le fond de nostre ame, je veux dire recueillis, pour ruminer ce que nous avons entendu.

  A009000292 

 O que c'est une bonne chose que la priere! Mais le bonheur de ce saint homme ne consistoit pas à sçavoir la volonté de Dieu, s'il ne l'eust incontinent suivie comme il fit.

  A009000292 

 O que ceux là sont heureux qui estans inspirés, comme ce bien heureux Jean et sa femme, de se dedier et consacrer à Dieu avec tout ce qu'ils possedent, ont recours à la priere pour connoistre en quel lieu ils le pourront faire pour sa plus grande gloire et pour l'honneur de [92] nostre tres digne Maistresse; car, ainsy que nous l'avons desja declaré, point de devotion pour Dieu sans affection de plaire à Nostre Dame..

  A009000293 

 Que veut-il signifier ce divin Amant, sinon que Nostre Dame a porté tous les Chrestiens en son sein? Et si bien elle ne produit que ce grain duquel il est escrit que s'il n'est jettè en la terre il demeurera seul, et s'il y est jetté et couvert il germera et en produira plusieurs, à qui est ce, je vous prie, doit-on attribuer la production de ces autres grains, sinon à celle qui a produit le premier, Nostre Seigneur estant Fils naturel de Nostre Dame? Bien qu'elle n'ait porté que luy en effect clans son sein, elle a pourtant porté tous les Chrestiens en la personne de son divin Fils, car ce beni grain nous a tous produits par sa mort; de mesme la datte estant plantée produit la palme de laquelle viennent par apres quantité d'autres dattes; et pourquoy ne dira-t-on pas que ces dattes appartiennent à la premiere dont la palme est sortie?.

  A009000294 

 Bienheureux est le ventre qui t'a porté et les mammelles que tu as succèes.

  A009000294 

 Il a, nostre tres cher Maistre, des mammelles tres douces et tres delectables, comme nous le tesmoigne sa divine Espouse, disant: O mon Bien-Aymé, que tes mammelles sont douces! Elles sont meilleures que le vin de tous les contentemens de ce monde.

  A009000294 

 O Dieu, que nous devons d'honneur, d'amour et d'affection à Nostre Dame, tant parce qu'elle est Mere de nostre Sauveur que parce qu'elle est encores la nostre!.

  A009000295 

 Il se trouve beaucoup de personnes qui estans chrestiennes protestent qu'elles veulent dedier et offrir à Dieu [93] tout ce qu'elles ont, tout ce qu'elles sont, parce qu'elles connoissent que tout luy appartient, et aymeroyent mieux mourir que de l'offenser mortellement.

  A009000296 

 Ainsy ces benites ames ne veulent pas [94] seulement se tourner et abandonner à Dieu à demi, mais tout entieres; elles mesmes et tout ce qui en depend: les feuilles des vaines esperances que le monde donne, la fleur de leur pureté et les fruits de tout ce qu'elles feront et possederont à jamais..

  A009000296 

 Ces ames donques qui sont si genereuses que de se venir toutes abandonner à Dieu sans aucune reserve, se jettant sous les loys de la Religion et se liant si estroittement que jamais plus elles ne s'en peuvent desprendre, font non seulement comme toutes les fleurs jaunes qui se vont tousjours tournant du costé du soleil, mais aussi comme celle qu'on appelle tourne-soleil, laquelle ne se contente pas de tourner sa fleur, ses feuilles et sa tige contre iceluy, ains encores, par une secrette merveille, tourne aussi sa racine qui est dessous terre.

  A009000296 

 Cet estat est certes le plus parfait apres celuy de ceux qui sont sous le caractere de la consecration episcopale, d'autant que l'on ne s'en peut plus departir.

  A009000296 

 Le martyre n'est pas un estat à cause de sa briefveté, ains se doit plustost appeller une voye courte et passagere, que non pas un estat.

  A009000297 

 Elles disent à Nostre Seigneur, à l'imitation du grand saint Paul: Seigneur, que vous plaist-il que je fasse? Et ayant dit cela, elles se sousmettent à la conduite de leurs Superieurs, pour ne jamais plus estre maistresses d'elles mesmes ni de leur volonté, evitant par ce moyen la sentence du grand saint Bernard qui asseure que «celuy qui se gouverne soy mesme est gouverné par un grand sot.» Hé, pourquoy voudrions-nous estre maistres de nous mesme pour ce qui regarde l'esprit, puisque nous ne le sommes pour ce qui est du corps? Ne sçavons-nous pas que les medecins lors qu'ils sont malades appellent d'autres medecins pour juger des remedes qui leur sont propres? De mesme les advocats ne plaident pas leur cause, d'autant que l'amour propre a accoustumé de troubler la rayson..

  A009000298 

 Je considere maintenant que ce ne fut pas sans rayson que la neige fut la marque de la verité de la revelation faite à ce bon homme Jean et sa femme.

  A009000298 

 Je laisse tout plein d'autres proprietés, comme seroit de dire qu'elle ne tombe jamais dessus la mer, au moins dessus la haute mer; et je pourrois adjouster que de mesme la sacrée et particuliere inspiration de se donner à Dieu sans reserve ne tombe point sur les ames qui voguent sur la haute mer de ce miserable monde et qui y sont eslevées sur les plus hautes dignités.

  A009000298 

 Je sçay bien qu'il s'en est trouvé, comme [95] sainte Magdeleine, saint Matthieu et les autres; de mesme un saint Louys, une sainte Elizabeth; mais tous ceux-là sont rares, et partant nous pouvons bien dire que si cette bienheureuse inspiration y tombe, c'est tres rarement..

  A009000299 

 Escoutez le Psalmiste royal David, lors que se plaignant à Dieu dequoy son ame estoit devenue par le peché plus noire qu'un ethiopien, il le prie qu'il luy plaise l'arrouser de son hyssope, et par ce moyen elle sera rendue plus blanche que la neige..

  A009000299 

 Nous faisons comparaison de la blancheur de la neige à la blancheur d'une ame pure parce qu'elle surpasse toute autre blancheur; et qu'il ne soit vray, vous le verrez demain en l'Evangile où il est dit que Nostre Seigneur estant transfiguré, ses vestemens devinrent blancs comme neige.

  A009000300 

 C'est en effect une certaine liqueur de misericorde qui retire le pecheur de son iniquité et la luy pardonne; mais l'autre de ses mammelles dont il nourrit les parfaits et les perfectionne tousjours davantage, jette une liqueur plus douce que le miel et plus suave que le nectar et l'ambroisie; elle est toute sucrée.

  A009000300 

 Comme s'il vouloit dire que nul ne jouira des cheres caresses ni des delicieux playsirs de Nostre Seigneur, que ceux qui renonceront à tous les vains playsirs de la chair et du monde, puisqu'on ne sçauroit posseder les uns et les autres tout ensemble.

  A009000300 

 Il est pourtant veritable que le Sauveur ayant deux mammelles, nourrit tous ses enfans de la misericorcle qui en distille.

  A009000300 

 Le saint Prophete disoit au Seigneur: Une chose vous ay-je demandée, c'est celle que je requiers encores, que vous me meniez en vostre saint temple, à fin que là je jouisse de vostre volupté.

  A009000300 

 Or, les ames divinement appellées à l'estat de Religion sont rendues blanches comme la neige, car par le vœu de chasteté elles renoncent à tous les playsirs de la chair, tant licites que illicites; et par apres leur viennent en contreschange les playsirs et contentemens de l'esprit.

  A009000302 

 Et si bien il semble que la neige ne puisse reschauffer la terre à cause de sa froideur, elle ne laisse pas de la rendre feconde pour la cause que je viens de dire, car le grain se garde seurement dessous.

  A009000302 

 Faire toutes ces choses ainsy, c'est obeir; au grand Apostre qui dit: Soit que vous mangiez, soit que vous beuviez, faites tout au nom de Dieu.

  A009000302 

 Les paysans et ceux qui labourent la terre asseurent que lors qu'il tombe mediocrement de la neige en hiver, la prise en sera plus belle l'année suivante, d'autant qu'elle empesche la terre des grandes gelées.

  A009000303 

 O que le bonheur de pouvoir obeir en tout ce que nous faisons est grand!.

  A009000304 

 Et il ne faut point douter que s'estans conformées en cette vie à l'obeissance de leur Maistre qui a mieux aymé mourir que de desobeir, elles ne soyent receües amoureusement de luy pour jouir avec luy eternellement de sa gloire, où nous conduisent le Pere et le Fils et le Saint Esprit.

  A009000304 

 Mais sçavez-vous bien d'où procede le bonheur de ces ames religieuses? De ce qu'elles ont obei à ces paroles que Nostre Seigneur leur a dites en la personne de son grand Prophete David: Escoute, ma fille, vois et incline ton oreille, oublie ton peuple et la maison de ton pere.

  A009000311 

 C'est [100] ce qu'ils desirent, sçachant que nous avons esté creés pour cela.

  A009000311 

 En fin ils ne cessent de nous donner des inspirations pour le salut et perfection de nostre ame en la dilection de l'amour divin, jusques à ce que nous parvenions à la patrie celeste pour demeurer eternellement en leur compagnie.

  A009000311 

 Ils presentent nos oraisons à la divine Bonté pour les faire exaucer; si nous sommes lasches ils excitent nostre cœur à l'amour de la vertu pour nous la faire embrasser, ils nous fortifient et nous obtiennent la force et le courage à fin que nous la pratiquions; si nous sommes tristes et en adversité ils sont aupres de nous pour nous resjouir et exhorter à la patience.

  A009000311 

 Ils sont si jaloux de nostre bonheur, qu'ils se resjouissent quand ils voyent que nous sommes fidelles à Dieu et que nous correspondons à son amour; et quand nous ne le faisons pas, s'ils pouvoyent avoir du desplaysir ils en auroyent..

  A009000311 

 Nostre Seigneur veut et desire que nous honnorions les Anges, particulierement le glorieux saint Michel duquel nous celebrons aujourd'huy la feste; car il a donné ce Prince de la milice celeste pour special protecteur à son Eglise.

  A009000312 

 Or, puisque nous avons tant d'obligations à tous ces Esprits celestes pour les grans bienfaits que nous recevons d'eux et les bons offices qu'ils nous rendent en nous obtenant tant de graces de la divine Bonté, voyons maintenant que nous pourrions faire pour leur estre aggreables, pour les consoler et resjouir en reconnoissance de tant de faveurs..

  A009000313 

 Cette resolution doit estre cuite sous la cendre de l'humilité, parce que sans cette vertu nous ne pouvons estre aggreables à Dieu ni aux Esprits angeliques, nostre edifice tombera par terre et nos resolutions ne seront point efficaces; car nous ne pouvons rien sans Nostre Seigneur.

  A009000313 

 Chacun sçait que le pain est une chose universelle dont on mange avec toutes sortes de viandes.

  A009000313 

 Le pain que nous devons donner à manger aux Anges, c'est une resolution forte, genereuse et invincible de vouloir servir, honnorer et aymer Dieu, non seulement toute nostre vie, mais jusques à l'eternité.

  A009000313 

 Sa Bonté desire que nous nous rendions parfaits et signalés en cette vertu à son imitation, nous l'ayant singulierement recommandée, disant que nous apprenions de luy «non à former la machine du monde, [101] à ressusciter les morts et à faire des miracles» (nous en pourrions faire sans luy estre aggreables, comme nous luy pouvons estre aggreables sans faire ces prodiges et grandes choses); «mais il a dit que nous apprinssions de luy à estre doux et humbles de cœur.» Donc, cette resolution forte doit estre le pain universel que nous devons manger avec toutes sortes de viandes, s'entend que nous devons avoir en toutes nos actions; et par le moyen d'icelle il nous faut demeurer fermes et stables en nos exercices et en tout ce que nous entreprenons pour la gloire de sa divine Majesté..

  A009000314 

 Encores que les oyseaux viennent souvent en la terre et y demeurent, on ne laisse pas de les appeller oyseaux du ciel; ainsy, ces personnes religieuses, quoy qu'elles soyent en la terre elles n'y ont point leur cœur, car elles le lancent si souvent du costé du Ciel et ont leurs desirs, affections et pensées tellement tournés vers Dieu, ne visant qu'à luy complaire, que ce ne sont plus des poissons, mais des oyseaux du Ciel.

  A009000314 

 Nous sommes tous des poissons regenerés par l'eau baptismale, car nous voguons tous dans la mer de ce monde; mais, mon Dieu, il y en a qui sont bien heureux! Ce sont ceux que la divine Bonté retire du monde, les faisant devenir de poissons, oyseaux, et les mettant en la Religion comme dans une cage.

  A009000315 

 Il ne faut point penser que nous soyons plus aggreables à Dieu par un autre exercice que par celuy-cy, car sa volonté est que nous fassions celuy-là; partant nous le devons faire de bon cœur, et non pas en desirer un autre, où nous ne trouverons peut estre pas sa volonté mais la nostre, et ce, à nostre confusion..

  A009000315 

 Les personnes du monde ne sont point en un estat stable, car pour grande que soit la dignité en laquelle elles se trouvent eslevées, elles en peuvent descheoir; mais les ecclesiastiques et Religieux sont en un estat stable, parce que, par le moyen des vœux qu'ils font, ils se lient estroittement à Dieu, en sorte qu'ils ne peuvent plus demordre de leur resolution.

  A009000315 

 Lors que nous avons choisi par inspiration divine un estat ou condition, [102] si bien nous y avons esté portés par quelque mauvaise fin, intention et affection impure, Dieu sçaura sans doute convertir le mal en bien, si nous luy sommes fidelles.

  A009000315 

 Nous devons donques demeurer stables, sans permettre à nostre esprit de varier ou penser que nous servirions mieux Nostre Seigneur et ferions mieux nostre salut en une autre Religion.

  A009000315 

 Quand nous serions en une autre Religion nous voudrions encor estre en une autre, et ainsy nous ne ferions que changer.

  A009000316 

 Ha, je ne dis pas que nous puissions empescher cela et que nous n'ayons point de tentations, mais je dis qu'il faut, avec [103] la partie superieure de nostre ame, nous serrer aupres de Dieu et demeurer fermes en nos resolutions.

  A009000316 

 Il y a des personnes si bigearres! Plusieurs parlent de la bigearrerie, mais peu sçavent que c'est que d'estre bigearre: je veux l'expliquer et donner à entendre.

  A009000316 

 Les bigearres ce sont des personnes qui n'ont point de stabilité et fermeté en leurs resolutions, qui ne font autre chose que varier et faire divers desseins, sans les effectuer avec la maturité et consideration convenables; c'est pourquoy elles changent à tous propos sans s'arrester à rien.

  A009000317 

 Vous sçavez que chacun vit et se nourrit mieux en mangeant de la chair parce qu'elle a plus de rapport avec la substance de nos corps.

  A009000318 

 Si nous avons fait dessein de servir Nostre Seigneur et d'estre tout à luy, on aura beau nous contrarier, le monde au'ra beau nous dire que nous descendions de la croix et que nous serons aussi bien enfans de Dieu demeurant au monde qu'en nous mettant en Religion; si nous sommes ses vrays enfans, nous nous tiendrons en la fermeté de nos resolutions et persevererons jusques à la fin en l'humilité et au service de cette divine Majesté..

  A009000319 

 Cela nous monstre que nous devons faire nos resolutions en la ferveur du cœur, lors que le Soleil de justice nous esclaire et nous incite par son inspiration.

  A009000319 

 Mais quand il ne les donne pas il ne faut pas que nous manquions de fidelité à sa douce bonté, car nous devons vivre selon la rayson et la volonté divine, et faire nos resolutions avec la pointe de nostre esprit et partie superieure de nostre ame, ne laissant de les effectuer et mettre en prattique pour quelque secheresse et repugnance que nous ayons, ni pour aucune contradiction qui se presente.

  A009000320 

 Ce veau rosti que nous devons donner aux Anges à l'imitation d'Abraham, c'est nostre cœur que nous devons rostir et escorcher par le moyen de la mortification, pour l'offrir à Dieu, pur, net et vuide de nostre propre volonté et amour propre.

  A009000320 

 Et combien que nous n'en venions pas à bout durant nostre vie, nous en viendrons à bout à nostre mort, et remporterons la victoire si nous perseverons à le mortifier, car nous ne le pouvons pas faire mourir tout à fait.

  A009000320 

 Mais nous ne les pouvons pas imiter en cela; ce qu'ils ont fait en un moment, il faut que nous taschions de le faire en toute nostre vie..

  A009000321 

 Si on luy demande pourquoy elle fait cela, elle respondra que c'est à fin de monter plus legerement et à son ayse cette montaigne.

  A009000321 

 Si vous leur demandez pourquoy, elles diront que c'est à fin de s'unir plus promptement à la divine Bonté et monter plus legerement à la perfection de son amour, car c'est une montaigne difficile que celle cy, parce que c'est la montaigne de Calvaire, de croix et d'afflictions; neanmoins elle est suave, douce et aggreable pour les ames genereuses et fortes.

  A009000322 

 Avec quel amour s'employent-ils en cet office, quelle douceur exercent-ils autour des petits enfans! Si vous leur demandez ce qu'ils font aupres de ces berceaux, veu que ces enfans n'ont point l'usage de rayson et ne sont capables de faire le bien ou de correspondre à leurs inspirations, ils vous diront qu'ils leur donnent du lait, et qu'à mesure qu'ils vont croissant ils leur donnent de plus grandes inspirations.

  A009000322 

 Avec quelle benignité nous supportent-ils en nos defauts et imperfections, sans jamais se lasser de nos foiblesses et miseres! Dès l'instant de nostre naissance ils prennent soin de nous, la divine Bonté nous ayant tant aymés que de toute eternité elle a ordonné que nous eussions chacun un bon Ange pour nous garder en nostre peregrination.

  A009000322 

 Le beurre et le miel que nous devons donner aux Esprits bienheureux c'est une grande douceur, support du prochain et affabilité, en quoy nous les devons imiter; car il n'y a rien de si doux, de si gracieux et affable qu'un Ange.

  A009000323 

 Ils leur doivent donner du lait lors qu'elles sont encores foibles et tendres en la devotion; et à mesure qu'elles vont croissant et qu'elles sont plus fortes, ils leur doivent presenter du pain, c'est à dire leur aggrandir le courage pour les faire croistre et avancer en la perfection de l'amour divin et aux vrayes et solides [107] vertus, les y excitant plus par leurs exemples que par leurs paroles..

  A009000323 

 L'on n'a pas accoustumé de nourrir les petits enfans d'autre chose que de lait, et quand ils deviennent grans et commencent à avoir des dents on leur donne du pain et du beurre; car on ne leur baille pas le beurre tout seul, on attend qu'ils puissent manger du pain pour leur en mettre dessus.

  A009000324 

 Il faut prendre garde de traitter ces ames doucement, de peur qu'elles ne mordent, car elles ont des dents; elles ont leurs passions si fortes que quand on les contrarie elles regimbent..

  A009000325 

 Je voudrois que ceux qui en parlent et les preschent s'estudiassent à les prattiquer et non pas seulement à les expliquer..

  A009000325 

 Mais, mon Dieu, qui n'admirera l'humilité des Esprits angeliques en les voyant abaissés en des offices si vils que de servir les hommes, non seulement ceux qui ont l'usage de rayson et qui sont capables de correspondre à leurs inspirations, mais encores les petits enfans? O qu'ils ont bien compris la leçon de leur Maistre: Apprenez de moy que je suis doux, debonnaire et humble de cœur.

  A009000325 

 Nous voulons qu'on regarde en nous tout ce qui est excellent, les qualités, offices et charges auxquelles nous sommes eslevés, que l'on nous estime pour cela, quoy que vrayement nous n'en soyons pas plus à estimer ni plus grans devant Dieu; et nous voulons au contraire qu'on ignore nostre vileté et qu'on ne regarde jamais nostre misere, nos defauts et imperfections.

  A009000325 

 Plusieurs parlent de l'humilité et des autres vertus, mais fort peu sçavent en quoy elles consistent; neanmoins c'est le principal que de le [108] sçavoir par prattique, plustost que par science speculative.

  A009000326 

 Ceux qui sont eslevés en l'estat de prestrise ont une grande grace et sont bien heureux de manier et toucher le precieux corps de Celuy que les Anges voyent et que neanmoins ils ne touchent pas comme eux.

  A009000326 

 Ils ont aussi le pouvoir de remettre les pechés; ce sont les tresoriers de l'Eglise et dispensateurs des tresors que la divine Bonté y a laissés, à sçavoir des Sacremens qui nous conferent la grace..

  A009000327 

 L'Ange regarda aussi saint Jean comme estant creé à l'image et semblance du Fils de Dieu; car despuis que ce divin Sauveur de nos ames se vestit de nostre humanité il a tant honnoré les hommes! Avant l'Incarnation du Verbe eternel, Abraham et d'autres Prophetes adoroyent les Anges, et ceux cy le leur permettoyent; mais despuis, ils portent tant de respect aux hommes qu'ils ne le veulent pas souffrir.

  A009000327 

 L'humilité de cet Ange faisoit qu'il se consideroit comme serviteur de Dieu et non pas comme un Prince du Ciel, ne regardant en soy que ce qui estoit vil et abject.

  A009000328 

 Bienheureuses donques sont les ames humbles d'une [109] humilité vraye; car, tant de reverences qu'il vous plaira, tant de paroles d'humilité que vous voudrez, tout cela est peu de chose si vous n'avez au cœur l'humilité vraye et sincere, qui vous fasse connoistre vostre vileté, vos miseres, defauts et imperfections, vous reconnoissant la plus miserable de toutes les creatures et vous sousmettant de bon cœur à toutes pour l'amour de Nostre Seigneur.

  A009000328 

 Et si vous avez la charité et que vous n'ayez point d'humilité, vous n'avez pas veritablement la charité; car ces deux vertus ont une si grande sympathie et liaison entre elles que l'une ne va point sans l'autre.

  A009000328 

 Il en est comme de l'amour de Dieu et du prochain: ce sont deux amours qui ne vont point l'un sans l'autre, et à mesure que nous aymons plus Dieu, aussi aymons-nous plus le prochain..

  A009000328 

 Si vous distribuez tout vostre bien aux pauvres, si vous me dites que vous travaillez beaucoup pour la gloire de Dieu et pour convertir les ames à luy, et que vous donnez vostre vie et vostre corps pour estre bruslé, je vous diray que tout cela n'est rien si vous n'avez la charité.

  A009000329 

 C'est un mets tres aggreable et delicieux que nous donnerons à ces Esprits celestes qui seront fort resjouis de voir que nous les imitons en cette vertu de douceur et affabilité..

  A009000329 

 Le miel a une douceur grandement douce; ainsy faut il que nostre charité soit non point feinte et apparente, mais vraye et sincere, elle doit partir d'un cœur tout benin, debonnaire, doux et affable.

  A009000330 

 C'est l'Espoux de nos ames, suivons ses traces et vestiges; lors que nous demeurerons aupres de luy nous serons là comme en un rempart asseuré, ayant [110] nostre recours et refuge en ses sacrées playes, desquelles il fera distiller son sang pretieux pour le respandre sur nous et nous appliquer le merite d'iceluy à fin de nous rendre aggreables à la divine Majesté..

  A009000330 

 Cela nous represente que nous devons faire toutes nos actions, soit de boire, manger, travailler, marcher et parler, à l'abri de l'arbre de la Croix et en presence des Anges, ayant tousjours devant les yeux le divin Sauveur crucifié, pour nous mirer en luy et nous conformer à sa vie, nous moulant sur ce divin portrait, l'imitant au plus pres qu'il nous sera possible selon nostre petit pouvoir.

  A009000342 

 et combien grande est la gloire que.

  A009000346 

 Et moy, ayant à vous parler en cette solemnité des Saints, j'ay pensé me servir des mesmes parolles de ce grand Apostre et de les vous addresser, pour vous exciter par icelles à rehausser vos cœurs et vos pensées à la consideration de la gloire et felicité eternelle que Dieu a preparée à ceux qui le craignent et ayment [112] en cette vie, et pour vous inciter par ce discours à mespriser et retirer vos affections de toutes les choses creées, puisque, comme l'escrit saint Jean en son Apocalypse, le ciel et la terre passeront, c'est à sçavoir que tout ce qui est ça bas prendra fin..

  A009000347 

 En premier lieu, celuy qui le faisoit estoit roy de cent vingt sept provinces, et il y fut present, d'autant que c'est une des principales pieces du convive que celuy qui le fait y prenne part, mais sur tout lors que c'est une personne de qualité royale.

  A009000347 

 Là il est raconté que le roy Assuerus fit un festin le plus admirable qui se puisse voir et entendre, car toutes les conditions requises et qui se peuvent souhaitter en un banquet pour le rendre insigne et remarquable se trouverent en iceluy.

  A009000348 

 En ce festin de l'Aigneau sans macule, comme dit saint Jean, se rencontre tout ce que nous avons remarqué en celuy d'Assuerus; mais en une façon beaucoup plus excellente, parce qu'en iceluy sont jointes ensemblement toutes les conditions requises pour rendre un banquet magnifique et du tout admirable.

  A009000348 

 Je n'ay point trouvé d'histoire et de discours plus propre pour vous representer la gloire et felicité des Saints que ce banquet du roy Assuerus, puisque cette felicité n'est autre qu'un festin ou banquet auquel nous sommes invités et où ceux qui sont receus sont rassasiés et assouvis de toutes sortes de delices.

  A009000348 

 Les assistans et personnes qui servent ce sont les Anges, Archanges et autres Esprits celestes que Dieu a nommés et destinés à ce service.

  A009000348 

 Mais certes, [113] quand je viens à comparer ce banquet à celuy du roy Assuerus, je trouve que celuy-là n'est rien au prix de celuy-cy; aussi n'y a-t-il rien à quoy il puisse estre parangonné.

  A009000349 

 Mais outre cette gloire essentielle il y en a encores une accidentelle, qui est celle que les Bienheureux reçoivent par accident, comme les damnés, outre la peine du dam, en ont encores une autre que l'on appelle du sens..

  A009000349 

 Or, c'est une chose toute claire et hors de doute et de controverse que la felicité des Bienheureux, ainsy que les theologiens enseignent, consiste en la vision de Dieu, comme au contraire la peine des damnés qu'on appelle du dam, consiste en la privation de cette claire vision.

  A009000350 

 L'on voit en cette gloire des choses si relevées et excellentes que Dieu, avec l'infinité de sa toute puissance, n'en peut pas produire de plus grandes.

  A009000351 

 Rien n'est plus grand que Dieu avec l'infinité de sa puissance, et il ne peut rien creer de plus haut que luy mesme; car s'il pouvoit creer quelqu'autre plus grand ou plus haut que luy il ne seroit pas Dieu, puisque Dieu est un Estre par dessus tout estre, que nul ne peut esgaler.

  A009000352 

 La seconde chose est la maternité de la Sainte Vierge, qui est l'œuvre la plus excellente que la toute puissance du Seigneur puisse operer en une simple creature; car, comme pouvoit-il l'eslever plus haut que de la faire Mere de Dieu, c'est à dire de luy mesme?.

  A009000354 

 C'est là qu'ils reçoivent la mesure pleine, et comble, et qui regorge de toutes parts, parce que la joye et liesse dont ils jouissent en cette gloire essentielle par la connoissance des plus profonds mysteres les rassasie tres parfaittement.

  A009000354 

 Hé, combien pensez-vous qu'ils ressentent de suavité en la claire veuë du mystere ineffable de la tres sainte Trinité, de l'eternité du Pere, du Fils et du Saint Esprit? Quelle joye de comprendre que le Fils n'est pas moindre que le Pere, que le Pere pour estre Pere n'est point plus grand que le Fils, et que le Saint Esprit est en tout esgal au Pere et au Fils! Quelle suavité de voir que le Fils est eternel et aussi ancien que le Pere, et le Saint Esprit aussi bien que le Pere et le Fils, et que ces trois Personnes ayant une mesme essence, ne font qu'un seul Dieu!.

  A009000354 

 Ils voyent en icelle la grandeur et excellence de la maternité de la Vierge, et encores quelle et combien grande est la gloire que Dieu donne à ses esleus.

  A009000355 

 Ce qui monstre que Dieu luy fit connoistre de ce divin mystere tout ce qui s'en peut connoistre en cette vie, si que cette verité demeura si fort gravée en son cœur et en son esprit, qu'il eut dès lors une [116] singuliere devotion au sacré mystere de l'adorable Trinité, se fondant de joye toutes les fois qu'il en avoit le souvenir.

  A009000355 

 Je lisois hier en la Vie du bienheureux Ignace, fondateur des Jesuites, que Dieu luy descouvrit un jour le mystere de l'ineffable et tres adorable Trinité, de laquelle vision il receut tant de clarté et de lumiere en son entendement qu'il en faisoit despuis des discours les plus relevés qui se puissent entendre; et demeura plusieurs jours à escrire ce qu'il avoit appris, remplissant divers cahiers des choses plus hautes et plus subtiles qui soyent en la theologie.

  A009000355 

 Que si ce Saint receut tant de consolation par cette vision, quelle pensez-vous doit estre celle des Bienheureux en la claire veuë de ce mystere ineffable?.

  A009000356 

 Quelle felicité et quelle joye de voir encores le fruit et l'utilité de l'usage des Sacremens, car c'est là où l'on conçoit comment la grace se communique par iceux selon la correspondance que l'on y apporte; comme les uns la reçoivent, les autres la rejettent, comme Dieu donne sa grace efficace aux uns, comme il la refuse à quelques autres sans leur faire tort.

  A009000357 

 De qui sont ces paroles? Non d'autre que de Dieu mesme qui les dira au cœur de l'ame fidelle et bienheureuse, laquelle, par un amour reciproque, respondra ces [117] gracieuses et douces parolles del'Espouse: Mon Ami est tout à moy et je suis toute à luy; il est à cette heure tout mien, et je seray desormais toute sienne.

  A009000357 

 Et quelles paroles d'amour disent-ils? Telles que celles cy: Tu seras tousjours avec moy et je seray tousjours avec toy; je ne m'esloigneray jamais pour peu que ce soit; tu seras desormais tout à moy et je seray aussi tout à toy; tu es tout mien et je seray tout tien.

  A009000357 

 Mais quel langage est-ce qu'ils tiennent et de quel parler se servent-ils? Leur parler et leur langage n'est autre que celuy d'un pere avec ses enfans, il est tout filial et plein d'amour; car, comme ce lieu est la demeure des enfans de Dieu, aussi leur langage est-il tout filial et plein de dilection, puisque le Ciel est le lieu d'amour et que nul n'y entre qu'il n'aye la charité et qu'il n'ayme Dieu.

  A009000357 

 Que si estant encores en cette vallée de misere, l'Espouse prononçoit ces parolles d'amour avec tant de suavité, o Dieu, quelle joye et quelle jubilation pensons-nous que sera celle des Bienheureux en ce dialogue qu'ils feront en cette felicité?.

  A009000358 

 En cette gloire essentielle, l'entendement demeurera tout plein de clarté et de connoissance, tant de l'estre et grandeur de Dieu que de ce que le Sauveur a fait et souffert pour nous, des graces qu'il nous a communiquées, comme de tous les plus hauts et profonds mysteres de la tres sainte Trinité, de l'Incarnation et de tout ce qui concerne la divinité et humanité de Nostre Seigneur, ainsy que de ce qui regarde Nostre Dame..

  A009000359 

 Que si estant un jour en l'eglise de Chastillon sur Seine, meditant la sacrée Nativité de Nostre Seigneur, son entendement et toutes ses facultés furent tellement englouties en la contemplation d'icelle, et avec tant de consolation et admiration qu'il fut tout [118] absorbé, demeurant quelques jours sans se pouvoir desprendre ni retirer, quelque violence qu'il se peust faire, en quel abisme, je vous prie, l'entendement de l'homme se perdra-t-il en la claire veue non seulement de la Nativité du Sauveur, mais de tous les divins mysteres? La volonté sera alors en cette union inseparable avec son Dieu, sans que jamais elle puisse faire aucune resistance à icelle, ains accomplira tousjours sans aucune repugnance tout ce qui sera de son divin vouloir..

  A009000360 

 Et quelle est cette pierre blanche qui sera donnée à l'ame bienheureuse, sinon Jesus Christ, vraye pierre angulaire, lequel se donnera à chaque Bienheureux par cette douce communication qu'il fera de soy mesme? Quant à la blancheur de cette pierre, ce n'est autre que la candeur et pureté de Nostre Seigneur, vray Aigneau sans macule.

  A009000360 

 Je les rassasieray, dit Dieu, d' une manne celeste qui les assouvira, et outre cela je donneray à chacun une pierre blanche en laquelle il y aura escrit un nom que personne n'entendra que celuy qui le recevra.

  A009000360 

 Mais quel sera le nom qui sera gravé en cette pierre? Certes, il n'y a point de doute que nous sommes comme des caracteres gravés en l'humanité du Sauveur: il nous a escrits en ses mains, car ces clous qui les percent nous ont gravés en icelles; et de mesme la lance nous a escrits en son cœur en luy ouvrant le costé..

  A009000360 

 Reste maintenant la memoire, qui sera toute pleine de Dieu et des biens qu'il nous a faits en cette vie, et mesme du peu de service que nous luy avons rendu au prix de ces grans salaires et recompenses.

  A009000361 

 Ha, mes cheres Sœurs, c'est icy le comble de la felicité des Bienheureux, de sçavoir que cette felicité sera eternelle et ne prendra jamais fin.

  A009000361 

 Mais cette pensée m'est venue ce soir considerant ce que je vous devois dire: la parolle escritte en cette pierre blanche, que personne ne sçait que celuy qui la reçoit, n'est autre qu'une parolle filiale, une parolle d'amour, telle que celles dont nous avons parlé: Je suis tout à toy et tu es toute à moy; tu ne te separeras [119] jamais de moy et je ne m'esloigneray jamais de toy.

  A009000361 

 Mais les Bienheureux possedent la felicité avec une plenitude de joye libre de toute crainte et apprehension, ils ne peuvent avoir aucune peur de perdre le bien dont ils jouissent, car ils sont asseurés que leur gloire sera eternelle et ne leur pourra jamais estre ostée..

  A009000362 

 Certes, je n'ay jamais leu ce trait en la Vie de cette grande Sainte que je n'en aye esté grandement touché, nonobstant toute ma misere et la dureté et aspreté de mon cœur.

  A009000362 

 Or, si la pensée que le regne de Dieu est eternel cause au cœur humain tant de liesse spirituelle, quelle pensez-vous doit estre la joye des Esprits celestes en l'asseurance qu'ils ont de la perpetuité de leur gloire? Voyla pour ce qui est de la gloire essentielle des Bienheureux..

  A009000362 

 Vous aurez leu, je m'asseure, en la Vie de la bienheureuse Mere Therese, la devotion qu'elle avoit à ouÿr le Credo de la sainte Messe, selon que l'Eglise le chante, mais particulierement elle estoit attentive à ces paroles: Cujus regni non erit finis, qui veulent dire: «Son royaume sera eternel;» et en la consideration de cette eternité, elle se fondoit toute en larmes pleines d'une extreme joye.

  A009000363 

 Cette gloire accidentelle vient de plusieurs choses, mais specialement de la contemplation et claire vision de tous les habitans du Ciel; car vous sçavez que tous n'ont pas de la gloire esgalement, ains en degrés differens: les uns en ont plus que les autres, mais neanmoins tous sont contens et rassasiés.

  A009000364 

 Si vous les regardez, ils sont tous deux vestus de drap d'or et sont contens, d'autant qu'un chacun en a suffisamment pour son habillement; et quoy que le premier qui en a sept aunes en ayt plus que celuy qui n'en a que trois ou quatre, si est-ce que celuy cy ne luy en porte aucune envie, parce qu'il y a autant de drap en sa robbe qu'il luy en faut pour le couvrir.

  A009000364 

 Voyla un bon pere de famille qui habille de drap d'or deux siens enfans; neanmoins tous deux n'estans pas de mesme taille et grandeur, il en faut plus à l'un qu'à l'autre; il en faudra six ou sept aunes à l'un, et à l'autre il n'en faudra que trois ou quatre.

  A009000365 

 Tous en cette vie n'entendent pas esgalement le son et accord d'une musique: celuy qui a l'ouïe un peu dure ne peut pas si bien remarquer tout ce qui se fait en icelle pour rendre la melodie en sa perfection, quoy qu'il entende et sçache la musique, comme celuy qui a l'oreille plus subtile; et bien que le premier se resjouisse en la suavité qu'il prend à ouyr cette musique, si est-ce toutefois qu'il ne ressent pas une suavité aussi grande que celuy qui a l'ouye plus subtile, quoy que tous deux soyent contens..

  A009000366 

 Le soleil n'est pas esgalement regardé d'un chacun, et neanmoins tous se contentent de sa lumiere en recevant ce qu'ils en peuvent supporter; car celuy qui a les yeux chassieux ne peut recevoir les rayons du soleil avec la mesme clarté que fait celuy qui a la veue bien nette.

  A009000366 

 Toutefois, et les uns et les autres sont satisfaits, bien que le contentement des uns soit beaucoup plus excellent que celuy des autres..

  A009000367 

 Elle compare donques le Paradis à une grande salle, laquelle seroit toute pleine et environnée de beaux tableaux et de mirouers: or, adjouste-t-elle, quand on viendroit à se regarder dans l'un de ces mirouers on verrait celuy dans lequel on se regarde et on se verrait soy mesme, et avec cela on verrait avec un singulier playsir tous les tableaux et tous les mirouers de cette salle; mais ce qui est davantage, on y appercevroit aussi ce que les autres mirouers representent en leur particulier.

  A009000367 

 Et qu'est-ce ce mirouer où l'on voit tout ce que je vous ay dit, sinon l'essence de Dieu dans lequel on le contemple et connoist on luy mesme tel qu'il est? Dans cette mesme essence on se connoist soy mesme avec tout ce qu'on a receu, et en icelle on voit encores la gloire de tous les autres Saints, tous leurs merites, tout ce qu'ils ont fait et souffert et toutes les graces et faveurs qui leur ont esté octroyées.

  A009000369 

 C'est ce que nous fait entendre la Sainte Escriture quand elle nomme Nostre Seigneur le Dieu des dieux, c'est à dire le Dieu de tous ces petits dieux, des Saints qui sont en Paradis..

  A009000369 

 Il aura l'impassibilité qui ne peut estre offensée ni alterée aucunement, sans jamais estre sujet à la maladie ni incommodité, et sa clarté sera plus belle que celle du soleil.

  A009000369 

 Il aura une telle subtilité qu'il ne sera empesché d'aucun obstacle, une agilité telle qu'il n'y aura trait d'arbalete qui aille si viste; et comme il sera plus subtil que le rayon du soleil, de mesme sera-t-il aussi agile que les mouvemens de l'esprit, et il ira plus viste que le vent.

  A009000369 

 Outre cela, nos corps seront glorieux apres la resurrection (je dis les nostres, avec cette presupposition que je fais tousjours, sçavoir, si Dieu nous fait la misericorde d'estre du nombre de ses esleus); ils auront, comme nos ames, les quatre dons de la gloire: la subtilité, l'agilité, l'impassibilité et la clarté.

  A009000370 

 Contentez vos entendemens à les considerer, mes cheres Sœurs, à fin que par les beautés et excellences que vous y descouvrirez vous veniez à les aymer et desirer.

  A009000370 

 Je vous pensois encores dire un mot sur toutes les autres circonstances qui se retrouvent au banquet de ce grand Assuerus, Nostre Seigneur; mais je voy que l'heure passe, c'est pourquoy je finis ce discours parce que je suis appellé autre part, et aussi parce qu'il ne faut pas abuser de vostre patience.

  A009000370 

 Que me reste-t-il, mes cheres Sœurs, sinon de vous exciter derechef par ces parolles de saint Paul à relever vos cœurs et vos pensées à ces [123] biens que nul œil n'a veu, ni oreille entendu, ni cœur d'homme pensé, et que Dieu a preparé à ceux qui l'ayment en cette vie.

  A009000370 

 Soyez constantes à mediter ce divin mystere de Nostre Seigneur et de nostre Redemption, à ce que, par la connoissance que vous en acquerrez, vostre volonté vienne à l'aymer; car il faut aymer ce bien en terre pour l'aymer eternellement là sus au Ciel, parce qu'il n'y a point de Ciel pour celuy qui n'a point de charité..

  A009000371 

 Contentez donques vostre volonté ça bas en terre, aymant autant que l'on peut aymer.

  A009000371 

 En fin travaillez avec fidelité en cette vie et perseverez jusques à la fin, à ce que vous puissiez estre congregées et unies avec les bienheureux Esprits en cette felicité eternelle, pour aymer et jouir de la divine Majesté pour toute eternité, qui est ce que je vous souhaitte de tout mon cœur.

  A009000371 

 Il n'y a point de façon ni de mesure pour aymer: la façon d'aymer Dieu c'est de l'aymer plus que tout et au delà de tout.

  A009000371 

 Remplissez-la encores du souvenir de vos fautes et infidelités pour vous en humilier et amender, et des benefices que vous avez receus de Dieu pour l'en remercier; et si vous avez receu des graces, resouvenez vous-en pour les bien cultiver et conserver, vous disposant à l'augmentation et accroissement d'icelles.

  A009000371 

 «La mesure,» comme dit saint Bernard, «est de ne point avoir de mesure.» Remplissez vostre memoire de toutes ces choses et la contentez en Dieu, luy retranchant tous les souvenirs et images de ce qui n'est point Dieu, et la nourrissez de ces divins mysteres, tant de l'enfance du Sauveur que de tout le reste de sa vie, mort et passion.

  A009000376 

 Ainsy que l'on ne vit jamais tant de parfums dans la ville de Hierusalem comme elle y en porta quant et soy pour offrir à ce grand roy, de mesme, jamais tant de parfums et tant de baume ne furent presentés à Dieu en son Temple comme la tres sainte Vierge en porte aujourd'huy avec elle; jamais aussi la divine Majesté n'avoit jusques alors receu un si excellent et tant aggreable present comme celuy des bien heureux saint Joachim et sainte Anne.

  A009000377 

 Il ne faut pas croire que ce privilege ayant esté donné à saint Jean, la Sainte Vierge en ait esté privée..

  A009000377 

 Mais avec quelle ferveur d'esprit pensez-vous que cette bien heureuse Infante du Ciel desiroit de quitter la mayson de ses pere et mere, pour se plus absolument dedier et consacrer au service de son Espoux celeste qui l'attiroit et amorçoit par l'odeur de ses parfums, ainsy que le dit la Sulamite: O mon Bien-Aymé, ton nom est comme un baume ou huile respandu, c'est pour quoy les jeunes filles t'ont desiré et sont allées apres toy; ains tu n'es pas seulement parfumé, tu es le parfum mesme et le baume.

  A009000378 

 Chose admirable qu'estans si asseurés que nous ne sçaurions discourir beaucoup sans chopper [126] et faire des fautes, nous soyons neanmoins tousjours si avides et prompts à le faire, voire mesme de ce que nous ignorons! Et puis nous trouvons estrange qu'ès Religions il y ait des heures où le silence soit imposé et que l'on ne puisse point parler..

  A009000378 

 Document admirable, excellent et profitable que celuy ci, lequel je ne puis celer à cause de son utilité.

  A009000378 

 Et nous autres qui à peine avons l'usage de rayson à l'aage de quarante ans, tellement sommes-nous irraisonnables, pretendons faire les entendus et parler avant que sçavoir begayer; et à force de vouloir monstrer que nous sommes sçavans et sages, nous ne pouvons cacher nostre folie.

  A009000378 

 Le Sauveur s'estant revestu de nostre chair ne voulut point se departir des loix de l'enfance; partant il fit ses croissances et toutes ses petites actions comme les autres enfans, tout ainsy que s'il n'eust peu faire autrement.

  A009000379 

 C'est un acte de simplicité admirable que celuy de cette glorieuse Pouponne qui, attachée aux mammelles de sa mere, ne laisse pas neanmoins de s'entretenir avec la divine Majesté.

  A009000379 

 Elle s'abstint de parler jusques à son temps, et encores alors ne le faisoit elle que comme les autres enfans de son aage, quoy qu'elle parlast tousjours fort à propos.

  A009000380 

 J'ay voulu dire cecy en passant à fin de vous bailler sujet de vous entretenir le reste de cette journée à considerer la suavité de ce voyage; à fin aussi de vous esmouvoir à escouter ce divin cantique que nostre glorieuse Princesse entonne si melodieusement, et ce avec les oreilles de vostre devotion, car le tres heureux saint Bernard dit que la devotion est l'oreille de l'ame..

  A009000380 

 O Dieu, quelle melodie! o qu'elle l'entonna mille fois plus gracieusement que ne firent jamais les Anges; de quoy ils furent tellement estonnés, que troupe à troupe, ils venoyent pour escouter cette celeste harmonie et, les cieux ouverts, ils se penchoyent sur les balustres de la salle de la Hierusalem celeste pour regarder et admirer [127] cette tres aymable Pouponne.

  A009000380 

 O mon Dieu, que j'eusse bien desiré de me pouvoir vivement representer la consolation et suavité de ce voyage despuis la mayson de Joachim jusques au Temple de Hierusalem! Quel contentement tesmoignoit cette petite Infante voyant l'heure venue qu'elle avoit tant desirée! Ceux qui alloyent au Temple pour y adorer et offrir leurs presens à la divine Majesté chantoyent tout le long de leur voyage; et pour cet effect, le royal Prophete David avoit composé tout expres un Psalme que la sainte Eglise nous fait dire tous les jours au divin Office.

  A009000381 

 De mesme Abraham fit un grand et solemnel festin, non en la naissance de son fils Isaac, ains au jour qu'il fut sevré parce, disent les uns, que l'enfant estant encores si tendre, il n'y avoit pas matiere de si grande joye à cause du danger et peril de mort où sont les enfans en cet aage si foible; ou bien, comme les autres tiennent, parce que le festin estant fait en la faveur d'Isaac, il estoit bien raysonnable qu'il y prist part et qu'il mangeast avec la compaignie, ce qu'il n'eust peu faire avant ce temps là, auquel il avoit cinq ans.

  A009000381 

 Il n'y avoit pas non plus de la disproportion de demeurer si long temps à la mammelle, veu l'aage avancé que l'on atteignoit alors.

  A009000382 

 Elle nous tesmoigne par là qu'elle desire que tous les ans au moins une fois, nous nous recueillions et reconfirmions les vœux et promesses que nous avons faites à la divine Majesté; mais sur tout les Religieux et nous autres qui luy sommes particulierement dediés et consacrés sans que nous nous en puissions desdire..

  A009000382 

 Il est donc tres à propos que les Religieux fassent tous les ans une feste particuliere au jour de leur dedicace [128] et de leur entrée en Religion.

  A009000382 

 Mais d'autant qu'ils ne doivent rien avoir de particulier, nous avons trouvé expedient que les Sœurs de ceans solemnisent cette commemoration en un mesme jour.

  A009000383 

 Certes, il est tres veritable, et ce jour est d'autant plus plein de contentement que nous avons plus de connoissance du bonheur qu'il y a d'estre absolument dedié à Dieu..

  A009000383 

 Et en cecy se voit verifié ce qu'en avoit predit le grand Prophete David, que plusieurs vierges seroyent amenées apres elle au temple du Roy, à fin de luy estre offertes et consacrees à son imitation, pour servantes perpetuelles.

  A009000383 

 Il dit qu'elles viendront et seront amenées avec joye et exultation; c'est donques un jour de joye et de consolation que celuy de la commemoration de nostre dedicace à la divine Bonté.

  A009000384 

 Mais lors que le saint Prophete declare que plusieurs vierges seront amenées apres Nostre Dame, il ne veut pas en exclure les vefves, car elles ne seront pas rejettées de cette bien heureuse trouppe pour avoir perdu leur virginité, puisque cette perte se peut reparer par l'humilité.

  A009000385 

 Et tout ainsy qu'un homme qui joue excellemment du luth a accoustumé d'en taster toutes les cordes de temps en temps pour voir si elles ont point besoin d'estre rebandées ou bien laschées, à fin de les rendre bien accordantes selon le ton qu'il leur veut donner, de mesme il est necessaire que tous les ans au moins une fois, nous tastions et considerions toutes les affections de nostre ame pour voir si elles sont bien accordées pour entonner le cantique de la gloire de Dieu et de nostre propre perfection.

  A009000386 

 C'est une chose tres necessaire que celle-cy, nostre misere estant si grande que nous faisons tousjours quelque perte spirituelle, et ne venons que trop ordinairement à descheoir de nos propos.

  A009000386 

 Mais d'autant que nous avons presché ces années passées en cette mesme journée sur le sujet du renouvellement de nos ames, ramassons maintenant nostre discours revenans à nous mesmes, et voyons que c'est qu'il faut faire pour nous bien renouveller.

  A009000387 

 Il est vray qu'il ne faut pas nous en estonner, d'autant [130] que tout ce qui est en ce monde est fait ainsy; voire mesme il semble que le soleil aye besoin de recommencer sa course tous les ans une fois, à fin de reparer le deschet que paraissent avoir receu le long de l'année les lieux qui n'ont pas l'aspect bon.

  A009000387 

 Ne vous est-il pas advis que la terre descheoit en hiver, et quand ce vient le printemps qu'elle veut regaigner les pertes qu'elle a faites le long des grandes froidures? Nous en devons faire de mesme nous autres, faisant nostre course comme le soleil sur toutes les affections et passions de nos ames, pour regaigner les pertes causées par leur immortification le long de l'année.

  A009000387 

 Puis, venant au printemps, qui est le temps de nos renouvellemens, nous devons prendre courage pour reparer le deschet que nous avons fait au temps des froidures de nos laschetés..

  A009000388 

 Pour bien faire ces renouvellemens il faut observer trois points que je considere en la Presentation de nostre glorieuse Maistresse.

  A009000389 

 Ils marchent pendant leur enfance comme ceux qui sortans d'une ville vont tout droit quelque temps; mais au bout de ce peu de temps ils trouvent que le chemin se fourche et partage en deux; il est à leur pouvoir de prendre à droite ou à gauche, selon que bon leur semble, pour aller où ils desirent.

  A009000389 

 Les enfans ne sont ni bons ni mauvais, car ils ne sont non plus capables de choisir le bien que le mal.

  A009000389 

 Quant au premier point, à sçavoir qu'elle vient se dedier à Dieu en son enfance, comme pourrions-nous faire cela, veu que nous ne sommes plus en cet aage là et que nous n'y sçaurions jamais plus retourner, car le temps perdu ne se peut recouvrer? Dites-vous qu'il n'y a plus de remede? O pardonnez-moy, il y a du remede en toutes choses.

  A009000389 

 Si la virginité est reparée par l'humilité et si la chaste vefve est rendue vierge glorieuse et triomphante, pourquoy voulez-vous que nous ne puissions regaigner le temps perdu, par la ferveur et diligence à bien employer celuy que nous avons presentement? Il est tres veritable que le bonheur de ceux qui se sont dediés et consacrés à la divine Majesté dès leur adolescence est tres grand, d'autant plus que Dieu le desire et s'y complaist grandement, se plaignant du contraire lors [131] qu'il dit par son Prophete que les hommes sont tellement pervertis que dès leur adolescence ils ont quitté sa voye et ont pris le chemin de perdition.

  A009000390 

 Il est tres certain que la divine Bonté desire le temps de nostre jeunesse comme estant le plus propre pour nous employer en son service.

  A009000390 

 Mais pensez-vous que la jeunesse soit tousjours prise et entendue de nostre aage, et que la divine Espouse veuille parler de celles qui sont jeunes d'années, lors qu'elle dit au Cantique des Cantiques que les jeunes ames ont desiré son celeste Espoux et sont allées apres luy attirées de l'odeur de ses parfums? O non, sans doute, ains elle parle de celles qui sont jeunes de ferveur et de courage, et qui viennent nouvellement consacrer au service de son saint amour non seulement tous les momens de leur vie, mais aussi toutes leurs actions, sans reserve d'aucune.

  A009000390 

 Mais, me direz-vous, quel est le temps le plus propre pour nous dedier et consacrer tout à Dieu, apres que nous avons passé nostre adolescence? Oh, quel il est? c'est le temps present, tout à cette heure; c'est le vray temps, car celuy qui est passé n'est plus nostre, le futur n'est pas non plus en nostre pouvoir, c'est donques le moment present qui est le meilleur..

  A009000391 

 Et tout [132] ainsy que les cerfs qui courent si legerement, redoublent neanmoins le pas lors qu'ils sont pressés du veneur et vont d'une si grande vistesse qu'il semble quasi qu'ils volent, de mesme devons-nous tascher de courir en nostre voye; mais au temps de nostre renouvellement et de la reconfirmation de nos resolutions nous ne devons pas seulement courir ains aussi voler, et pour cela demander avec le saint Prophete des aisles de colombe, à fin qu'à tire d'aisles nous volions sans nous arrester jusques à ce que nous allions reposer dans les trous du mur de la sainte Hierusalem, je veux dire que nous soyons tout unis à Nostre Seigneur crucifié sur le mont de Calvaire par une parfaite conformité de vie..

  A009000391 

 Mais que faut-il que nous fassions pour regaigner le temps perdu? Je l'ay desja dit, il le faut regaigner par la ferveur et diligence à courir en nostre voye.

  A009000392 

 Car lors que saint Joachim et sainte Anne trouvoyent quelque plaine ils la posoyent en terre pour la faire marcher, et alors cette glorieuse Infante du Ciel eslevoit ses petits doigts pour prendre la main de son papa et de sa maman, de crainte de faire quelque mauvais pas; mais soudain qu'ils rencontroyent quelque chemin raboteux, ils la prenoyent incontinent entre leurs bras.

  A009000392 

 Et c'est icy la seconde remarque que je fais en cette sainte Presentation, et le second point auquel nous devons imiter nostre glorieuse Princesse, pour bien nous presenter de nouveau à fin de bien reoffrir à son divin Fils ce que nous luy avons une fois dedié et consacré, à sçavoir nous mesme, par le moyen des vœux que nous venons maintenant renouveller, c'est à dire renouer; car cette sainte coustume de renouveller nos vœux sert encores à reparer les manquemens que nous pourrions avoir commis en les faisant..

  A009000392 

 Mais j'ay aussi consideré que nostre glorieuse Dame et Maistresse venant pour se dedier à Dieu, fut portée par ses pere et mere une partie du chemin, et l'autre partie elle vint avec ses petits pieds, tousjours aydée neanmoins.

  A009000393 

 Et ne voit-on pas ordinairement que ceux qui ont abandonné sa main paternelle ne font pas un seul pas qu'ils ne choppent et donnent du nez en terre? Sa Bonté nous veut bien conduire et tenir, mais elle veut aussi que nous formions nos petits pas, faisant, aydés de sa grace, ce que nous pouvons de nostre costé.

  A009000394 

 Ce sont les Sacremens, car dites-moy, je vous prie, que nous couste-t-il d'entendre ces parolles: «Je t'absous de tous tes pechés,» ou bien de recevoir le tres saint Sacrement dans lequel est comprise toute la suavité du Ciel et de la terre? Et bien qu'il faille prononcer les parolles de la consecration que Nostre Seigneur a commandées, qu'est-ce que cela pour faire venir nostre souverain Maistre à la voix d'un prestre, pour meschant et indigne qu'il soit, se renclore sous ces especes pour nostre bonheur? N'est-ce pas nous porter entre ses bras que de nous permettre de nous unir à luy en ces deux façons? Quand donques vous viendrez dire: «Je renouvelle et reconfirme de tout mon cœur les vœux que j'ay faits à mon Dieu,» le Sauveur vous conduira par la main, d'autant que vous prononcerez ces paroles et ferez quelque chose de vostre part; mais soudain que nous vous [134] communierons, il vous prendra entre ses bras, faisant en vous cette œuvre toute ouvrée..

  A009000394 

 Mais Nostre Seigneur nous ayant menés par la main, faisant avec nous des œuvres pour lesquelles il demande nostre cooperation, il nous porte par apres et fait en nous des œuvres toutes ouvrées, je veux dire auxquelles il semble que nous ne fassions rien.

  A009000395 

 Elle dit: Tirez-moy, pour monstrer qu'elle ne peut rien d'elle mesme si elle n'est tirée et aydée de sa faveur; et pour monstrer qu'elle veut correspondre à ses attraits volontairement et sans estre violentée, elle adjouste: nous courrons; pour peu que vous nous tendiez la main pour nous tirer, nous ne cesserons point de courir, jusques à ce que vous nous ayez pris entre vos bras et unis à vostre Bonté..

  A009000395 

 O qu'heureuses sont les ames qui font ainsy leur voyage et qui ne partent des bras de la divine Majesté, sinon pour marcher et faire de leur costé ce qu'elles pourront en l'exercice des vertus et des bonnes œuvres, tenant tousjours neanmoins la main de Nostre Seigneur; car il ne faut pas que nous pensions estre suffisans pour rien faire de bien de nous-mesmes.

  A009000396 

 C'est ainsy qu'il faut que nous nous donnions nous autres, car le Sauveur ne veut pas que nous fassions ce que luy mesme ne peut faire, qui est de se donner à nous en partie.

  A009000396 

 Helas! est-ce si grande chose? N'y a-t-il pas quelquefois plus de consolation que de mescontentement de le faire? Il faut se priver du mariage.

  A009000396 

 Je sçay bien que les gens du monde se donnent à Dieu à leur façon, mais je ne parle pas pour eux maintenant, ains pour nous qui luy sommes dediés et consacrés.

  A009000396 

 O Dieu, tout bien consideré, qu'est-ce que nous quittons? Le tracas du mesnage où le plus souvent les choses vont de travers et contre nostre volonté.

  A009000396 

 Passons maintenant au troisiesme point qui est que nostre glorieuse Maistresse se donna et abandonna toute sans aucune reserve à la divine Majesté.

  A009000396 

 Que [135] faut-il de plus quitter? Les conversations? Helas! je suis tres asseuré que l'on n'y a pour l'ordinaire que du mescontentement, car ou l'on ne nous a pas assez honnorés selon que nous le desirions, ou l'on ne nous a pas assez cheris, ou l'on a dit quelque chose qui nous a despieu; en un mot, les playsirs que l'on y a sont le plus souvent tres degoustans à nostre goust mesme..

  A009000396 

 Sa bonté est si grande qu'il se veut tout donner à nous; de mesme veut-il, et il est bien raysonnable, que nous nous donnions à luy sans restriction.

  A009000397 

 Comme s'il eust dit: Considere ton nom, et tu trouveras qu'il signifie uni, seul; or, par ce mot, seul, je n'entens pas d'estre retiré et sequestré dans un desert, mais c'est à sçavoir que pour estre bon moine il ne faut avoir que Dieu pour objet en tout ce que nous faisons; et cela c'est estre seul..

  A009000397 

 Il me souvient à ce propos qu'il faut tout quitter pour estre bonne Religieuse, qu'il y eut un senateur lequel fut inspiré de Dieu d'abandonner le monde, car il pensoit que pour evader les perils des vagues de la mer de ce miserable siecle il failloit surgir au port de la vie monastique.

  A009000397 

 Je ne dis pas nostre amour propre, car nous ne le pouvons faire mourir qu'en mourant nous mesmes, il vivra tant que nous vivrons; mais il suffit qu'il ne regne pas en nous.

  A009000397 

 Or, que luy en arriva-t-il? Le bienheureux saint Basile, qui l'aymoit grandement à cause de sa pieté et bonne vie, sçachant cela, luy escrivit une lettre qui contenoit ces mots: O pauvre homme, qu'as-tu fait? Tu as quitté l'estat de senateur et les fonctions de ta charge, et partant tu n'es plus senateur; et neanmoins tu n'es pas un bon moine.

  A009000398 

 Dieu ne se contente pas de nos offrandes quand elles ne sont pas accompagnées de celle de nostre propre cœur, car il est comme l'aigle qui se repaist plus pleinement du cœur des oyseaux qu'elle prend pour sa proye que non pas des autres parties de leur corps.

  A009000398 

 Voulez-vous devenir une bonne fille de la Visitation? Il faut tout quitter, non seulement ce qui est hors de soy mais soy mesme, et estre absolument sevrée de la [136] propre volonté que nous aymons tendrement comme si elle estoit nostre mere.

  A009000399 

 Ce que reconnoissant par apres, il fut si miserable qu'au lieu de se prendre à soy mesme de sa faute et de se reconnoistre, il s'en prit au pauvre Abel, l'offrande duquel avoit esté fort aggreable à la divine Bonté parce qu'il s'estoit premierement offert luy mesme, et puis son sacrifice.

  A009000399 

 L'exemple de Caïn monstre assez la verité de ce que nous disons; car ayant fait son sacrifice, il ne fut pas aggreable à la Divinité comme celuy de son frere Abel, non seulement parce qu'il avoit mal partagé, offrant le moindre et le pire de ses troupeaux, mais aussi parce qu'il n'avoit pas donné son cœur; partant il n'avoit pas bien fait son sacrifice, d'autant que Dieu vouloit premierement son cœur.

  A009000400 

 Si vous faites cela aussi parfaitement que nous venons de dire en cette journée de vos renouvellemens, à l'imitation de Nostre Dame et glorieuse Maistresse, elle vous acheminera au Ciel, en excitant vos cœurs à chanter en cette vie le Laudate Dominum omnesgentes, invitant un chacun à glorifier la divine Majesté.

  A009000405 

 Il y a des festes que la sainte Eglise celebre beaucoup plus solemnellement que d'autres.

  A009000406 

 Gedeon estant extremement affligé pour la rude et pressante guerre que luy faisoyent ses ennemis qui l'avoyent environné de toutes parts, Dieu, dont la bonté est incomparable, en eut compassion et luy envoya un Ange pour le consoler.

  A009000406 

 Lors le pauvre Gedeon luy respondit, pressé de son affliction: S'il est vray ce que tu dis que le Seigneur est avec moy, pourquoy donques, avec luy, suis-je environné de tant de miseres? Nous en pouvons bien dire autant aujourd'huy.

  A009000406 

 S'il est vray, comme il est, que la tres sainte Vierge et saint Joseph ont Nostre Seigneur avec eux, pourquoy donques les voyons-nous si remplis de crainte qu'ils se rendent fuyars pour l'apprehension d'un homme terrien, quoy qu'ils ayent avec eux le Dieu de [139] la majesté infinie, par l'ordonnance duquel toutes choses se font et ont esté faites?.

  A009000407 

 Hé Dieu, que luy eust-il cousté à ce beni Enfant, qui aymoit si cherement sa tres sacrée Mere et saint Joseph son Pere nourricier, de leur dire un petit mot à l'oreille pour les advertir d'eschapper à la furie d'Herode en s'en allant en Egypte, mais d'estre sans crainte parce qu'il ne leur arriveroit aucune mesaventure? Il ne le fit pourtant pas, ains attendit que l'Ange saint Gabriel vinst reveler au glorieux saint Joseph qu'il failloit fuir..

  A009000407 

 Je sçay bien que les docteurs demeurerent fort estonnés l'entendant parler dans le Temple, lors qu'il fit paroistre un petit eschantillon de cette science tant incomparable qu'il possedoit; mais c'est la seule fois qu'il le fit durant son enfance, la tenant close et cachée sous un tres profond silence tout le reste de ce temps là.

  A009000407 

 La rayson de cette conduite est que Nostre Seigneur ne voulut aucunement user de son pouvoir ou de son authorité, ni paroistre autre qu'un petit enfant sujet aux loix de l'enfance, ne parlant qu'en son temps comme les autres; et luy, qui non seulement entant que Dieu mais aussi entant qu'homme sçavoit toutes choses, cette grace luy ayant esté infuse dès l'instant de sa conception, luy qui estoit rempli d'une science pleine et entiere, ne voulut neanmoins en rien tesmoigner.

  A009000409 

 Or, voyons comme Nostre Seigneur a prattiqué admirablement cette abnegation durant tout le temps de son enfance; mais pour le mieux comprendre, nous en ferons trois points que j'approprieray aux trois vertus desquelles tous les Religieux font les vœux, à sçavoir, la pauvreté, la chasteté et l'obeissance..

  A009000409 

 Revenons à nostre propos et au sujet que j'ay devant mes yeux, qui est le vray exemplaire de la vie religieuse, et disons apres les Peres, que la discipline monastique peut estre toute reduite sous ce mot d'abnegation.

  A009000410 

 Davantage, l'amour que [141] nostre cher Maistre portoit à la pauvreté luy fit prendre et garder tousjours le nom de Nazareth, parce que c'estoit une petite ville mesprisée et tellement rejettée que l'on ne croyoit pas, comme le dit mesme Nathanaël, que quelque chose de bon peust estre trouvé en Nazareth.

  A009000410 

 Et en premier lieu, se peut-il voir ou penser une pauvreté plus pauvre que celle du Sauveur? Voyez comme il renonce à la maison de son Pere et de sa Mere, voire mesme devant sa naissance, car il vient au monde en une ville laquelle si bien elle luy appartenoit en quelque façon, puisqu'il estoit de la lignée de David, neanmoins il renonce tellement à tout, que le voyla reduit dans une estable destinée à la retraitte des bestes.

  A009000410 

 Il eust bien peu se faire appeller de Bethleem, ou bien de Hierusalem, mais il ne voulut pas, tant pour cette cause que pour d'autres que nous dirons tantost..

  A009000410 

 Quelles necessités pensez vous qu'il souffrit au voyage d'Egypte et durant le temps qu'il y demeura? Bref, sa pauvreté fut si grande qu'elle passa jusques à la mendicité; il ne vivoit que d'aumosnes, car chacun sçait que les beaux-peres ne sont pas obligés de nourrir les enfans de leur femme, et neanmoins Nostre Seigneur estoit nourri du travail de son Pere nourricier et de celuy de sa Mere qui gaignoyent leur vie à la sueur de leur visage; ainsy, ce divin Enfant ne pouvant gaigner la sienne, recevoit l'aumosne de saint Joseph.

  A009000411 

 Elle dit que Nostre Dame estant en une grande abstraction, le vit tout d'un coup couché sur la terre, tout nud, et que soudain elle le prit et le mit dans ses langes et bandelettes.

  A009000411 

 En fin, il n'y a rien en luy qui trouve du contentement, sinon un peu le goust, recevant ce lait tres sacré venu du Ciel que sa tres benite Mere luy fait tirer de ses mammelles, car il faut confesser qu'il estoit meilleur que le vin le plus delicieux; mais cela ne duroit que jusques à ce qu'il eust passé le gosier..

  A009000411 

 Quant à l'odorat, vray Dieu! quelle suavité, quel parfum pensez-vous que l'on puisse avoir dans une estable? Lors que les enfans des grans roys naissent, quoy qu'ils ne soyent que des miserables hommes comme les autres, l'on met tant de parfums, l'on fait tant de ceremonies; et pour nostre Sauveur, qui n'est pas seulement homme ains Dieu tout ensemble, il ne se fait rien de tout cela! Quelle musique pour recreer son ouye? Un bœuf et un asne qui chantent pour magnifier la naissance de ce Roy celeste.

  A009000411 

 Vous sçavez sans doute la revelation que sainte Brigitte eut de la naissance de ce divin Sauveur.

  A009000412 

 Herode estant mort, il faut qu'il s'en retourne d'Egypte; il auroit peu dire à sa Mere ou à saint Joseph qui l'aymoient si tendrement: Ma chere Mere, ou, mon Pere, retournons nous-en quand il vous plaira, car Herode que vous craignez est mort; mais non, il attend que l'Ange le revele à saint Joseph..

  A009000412 

 Il faut fuir devant Herode, il n'en dit mot, mais attend que l'Ange l'ordonne.

  A009000412 

 Il fut obeissant à la nature mesme, ne voulant faire ses croissances ni parler que comme les autres enfans.

  A009000412 

 Il ne se monstre en son exterieur qu'un petit enfant comme les autres; luy, de qui les Anges sont illuminés et esclairés et par qui ils entendent et comprennent toutes choses, ne fait aucunes revelations, ains laisse que les messagers celestes les viennent faire à son Pere nourricier.

  A009000412 

 O abnegation non plus ouye que celle cy! estant à son pouvoir d'operer des miracles, il n'en fait point.

  A009000412 

 Quant au troisiesme point, à sçavoir l'abnegation de soy mesme, qui a jamais peu parvenir à un si entier renoncement pour se laisser conduire selon la volonté de ses Superieurs? O Dieu, c'est en ce point que ce divin Enfant s'est bien monstré vray Religieux! Saint Joseph [142] et Nostre Dame sont ses Superieurs, ils le menent, ils le portent d'un lieu à un autre, et il leur laisse faire sans jamais dire un seul mot.

  A009000413 

 Ne voyla-t-il pas une merveille tres grande, que ce tres saint Enfant ayt tellement renoncé et abandonné le soin de soy mesme pour se laisser conduire selon la volonté de ses Superieurs, qu'il n'ayt pas seulement voulu prononcer une petite parole pour avancer leur despart? Document certes tres remarquable: Nostre Seigneur est rempli de toutes les sciences, ains il est la science et la sagesse mesme; neanmoins il tient un continuel silence, tandis que l'ordinaire des personnes du monde est que si elles ont une once de sçavoir on ne les peut tenir de parler, tant elles ont envie de se faire estimer sçavantes..

  A009000415 

 C'est certes justement que tous les hommes prennent le nom du lieu de leur naissance et non pas celuy du lieu de leur conception, d'autant que pendant qu'ils sont dans le ventre de leur mere on ne sçait encor ce qui en arrivera, on ne peut asseurer si ce sera un enfant mort ou vif, bref, on ignore quelle issue il aura; mais Nostre Seigneur print à bon droit le nom du lieu de sa conception parce que dès cet instant il fut homme parfait comme en l'aage de trente trois ans auquel il mourut..

  A009000415 

 Nostre Seigneur print le nom de Nazareen, outre la rayson que nous avons dite, parce que ce mot signifie fleur, fleuri; ces filles viennent donques à l'odeur de cette fleur.

  A009000416 

 Revenons à nostre seconde rayson pour laquelle il voulut prendre et retint ce nom de Nazareen qui vaut autant à dire que fleur.

  A009000417 

 Cecy nous doit faire comprendre que les afflictions, tenebres interieures et ennuys d'esprit, qui sont quelquefois si grans entre les personnes les plus spirituelles et qui font profession de la devotion, qu'il leur semble presque d'estre du tout abandonnées de Dieu, ne les reduisent jamais neanmoins à telles extremités, qu'elles ne [145] puissent tousjours respandre devant la divine Majesté des parfums d'une sainte sousmission à sa tres sacrée volonté et d'une continuelle promesse de ne le vouloir point offencer..

  A009000417 

 Il choisit en outre la rose entre toutes les autres fleurs pour l'amour qu'il portoit à la sainte pauvreté parce qu'il n'y a rien de plus pauvre que la rose: elle n'a que des espines et ne requiert point, comme nous avons dit, que l'on s'employe apres elle pour la cultiver.

  A009000417 

 Le lys peut croistre sans artifice aussi bien que la rose, comme on le voit en certains païs; et cecy nous monstre l'amour que Nostre Seigneur portoit à la simplicité, car il ne veut pas estre appellé du nom des fleurs des jardins qui sont cultivées avec tant de soin et d'artifice.

  A009000418 

 On leur asseure qu'elles seront eternellement unies avec la divine Majesté, mais apres avoir renoncé entierement à elles mesmes, à toutes leurs passions, affections et inclinations, faisant une absolue transmigration, car nous leur disons: Si vous avez aymé à vivre selon vostre propre volonté et à faire estime de vostre propre jugement, desormais il ne le faudra plus, ains rien plus estimer que l'obeissance et la sousmission; il faudra reduire tant qu'il vous sera possible vos passions à neant, pour ne vivre plus selon icelles ains selon la perfection qui vous sera enseignée..

  A009000418 

 On leur promet les consolations que Dieu a accoustumé de donner à ceux qui le servent fidellement, consolations qui sont tres grandes, voire mesme dès cette vie, mais à condition qu'elles renonceront à tous les playsirs sensuels, pour licites qu'ils puissent estre.

  A009000418 

 On ne trompe jamais ces ames qui se viennent presenter pour estre offertes et sacrifiées à la divine Bonté; car on leur promet qu'elles jouiront des richesses de la felicité eternelle, mais à condition qu'elles renonceront d'abord aux terriennes et perissables; on leur dit qu'il faut quitter la mayson de ses parens et sa patrie d'effect et d'affection, pour n'en avoir jamais plus que celle de Nostre Seigneur, qui est la Religion en laquelle elles entrent.

  A009000419 

 Et pour conclusion, nous ne leur promettons pas qu'elles seront espouses de Nostre Seigneur glorifié sinon apres qu'elles l'auront esté de Nostre Seigneur crucifié, non plus que nous ne leur presentons pas la couronne d'or sinon apres qu'elles auront pris celle d'espines..

  A009000419 

 Nous leur mettons un voile sur la teste pour leur monstrer qu'elles seront cachées aux yeux du monde, et si par le passé elles ont affecté d'estre conneuës et estimées, desormais il ne se fera plus aucune mention d'elles; le voile empeschera que l'on sçache si elles sont belles, de bonne grace, ou aggreables, et partant il faut renoncer à l'affection qu'elles pourroyent avoir à tout cela.

  A009000420 

 En fin nous leur disons que la Religion est «un mont de Calvaire» où les amateurs de la Croix se tiennent et font leur demeure.

  A009000420 

 Et tout ainsy que les abeilles rejettent et abhorrent tous les parfums estrangers, c'est à dire qui ne proviennent point des fleurs sur lesquelles elles cueillent leur miel (et qu'ainsy ne soit, portez leur du musc ou de la civette, et vous les verrez incontinent se resserrer et fuir cette senteur, parce qu'elle provient de la chair), de mesme les amans de la Croix rejettent toutes sortes de senteurs, je veux dire de consolations terriennes et mondaines, que le diable, le monde et la chair leur presentent, pour n'odorer jamais plus aucun parfum que celuy qui provient de la croix, des espines, des fouets, de la lance de Nostre Seigneur.

  A009000420 

 Nostre Seigneur en fait de mesme; mais sçavez-vous ce qu'il donne, au lieu des faisans et des perdrix? Des mortifications, des humiliations, des mespris, des douleurs et des peines interieures, lesquelles nous font presque douter que nous ne soyons tout à fait abandonnés de sa bonté..

  A009000420 

 Toutes ces choses sont les atours et les bagues que l'Espoux donne à son Espouse, d'autant qu'elles sont les plus riches pieces de son cabinet.

  A009000421 

 Il faut que je dise encores cette admirable condition des abeilles: c'est qu'elles sont si fidelles à leur roy, [147] que lors qu'il vient à mourir elles se mettent tout autour de son corps et mourroyent plustost que de le quitter; si leur gouverneur ne venoit pour les faire retirer, indubitablement elles ne s'en separeroyent jamais.

  A009000421 

 Les gouverneurs des abeilles spirituelles font tout au contraire; car, comme celuy-là prend peine de les esloigner de crainte qu'elles ne meurent autour de leur roy, ceux cy ont un tres grand soin de faire que les ames demeurent autour du corps de leur Roy mort, c'est à dire proches de Nostre Seigneur mort et crucifié, aupres duquel nous devons nous tenir fidellement tout le temps de nostre vie pour considerer l'amour qu'il nous a porté, et qui l'a fait mourir pour nous à fin que nous vescussions pour son amour et en son amour.

  A009000428 

 La feste que nous celebrons en ces jours est tres solemnelle, tant pour son antiquité comme à cause des grans mysteres qu'elle comprend et qu'elle nous represente.

  A009000428 

 Le Seigneur commanda qu'en reconnoissance on celebrast la feste de la Pentecoste, cinquante jours apres Pasques, en action de graces d'un si signalé bienfait; et pour la mieux solemniser, il marqua ce qu'il vouloit qu'on fist en icelle, à sçavoir, que l'on offrist au Temple deux pains faits du blé nouveau, deux beliers, des petits aignelets et un bouc.

  A009000428 

 Vous ne sçavez peut estre pas comme elle fut instituée par Dieu mesme lors que les enfans d'Israël furent sortis de l'Egypte et delivrés de la captivité.

  A009000429 

 Ainsy sommes nous, nous autres, quand nous sommes baptizés, environnés de mille sortes d'inclinations tendantes au mal; mais beaucoup plus miserablement lors que, par nostre malheur, nous venons à suivre ces mauvais penchans et affections depravées.

  A009000429 

 Mais à quoy bon tout cecy, sinon pour servir de preface au discours que je m'en vay vous faire? Tous les Chrestiens en leur Baptesme sont offerts à la divine Majesté comme des javelles à la feste de Pasques.

  A009000429 

 Pasques ne signifie autre chose que passage; et les hommes font un passage tres heureux en leur Baptesme, car ils passent de la tyrannie et servitude du diable à la grace de l'adoption des enfans de Dieu.

  A009000430 

 Cette fin donques n'est autre que pour nous bailler sujet de meriter davantage par ce moyen, travaillans courageusement pour l'amour de Dieu à nous surmonter nous mesme..

  A009000430 

 Il s'en trouve en effect qui disent: Il est vray que je suis colere, mais que voulez-vous que j'y fasse? c'est mon naturel.

  A009000430 

 O Dieu, l'on ne regarde pas la fin pour laquelle la divine Bonté a permis qu'en punition du peché de nostre premier pere plusieurs mauvaises inclinations nous soyent demeurées apres le Baptesme, bien que la grace nous y soit donnée suffisamment pour nous surmonter.

  A009000430 

 Qui ne voit la tromperie de nostre amour propre? Comme si par la bonté de Dieu, il n'estoit pas en nostre pouvoir de nous surmonter et vivre contre nos inclinations, et selon la rayson qui nous enseigne qu'il ne les faut pas escouter! Une autre dira: Il est vray, je suis un peu vaine, mais c'est mon inclination de me parer et desirer d'estre louée et estimée; je ne sçaurois que faire à cela.

  A009000431 

 Lors les Chrestiens ainsy fortifiés par ce moyen, se viennent par apres offrir au jour de la Pentecoste comme des pains faits avec le nouveau froment des inviolables resolutions qu'ils ont prises de plustost mourir que d'offenser Dieu volontairement.

  A009000431 

 Mais les Apostres ont fait cette offrande bien plus entierement et plus parfaittement que nul autre, d'autant qu'ils ont prattiqué la perfection beaucoup plus excellemment que nul autre.

  A009000431 

 Pour cet effect, apres que nous avons l'usage de la rayson, nous recevons le Sacrement de Confirmation par [150] lequel nous nous enroollons sous l'estendart de la divine Majesté, à fin de combattre en valeureux soldats pour la gloire de son nom.

  A009000432 

 Aussi voit-on que le Saint Esprit vint sur eux en forme de langues de feu, comme voulant les rendre de vrays holocaustes, tout sacrifiés et consacrés sans reserve au service de sa dilection; car ce feu sacré consomma en eux toutes les superfluités qu'ils avoyent apportées quant et eux en la feste de Pasques, c'est à dire lors qu'ils se mirent à la suite de Nostre Seigneur..

  A009000433 

 En fin les Apostres prattiquerent la perfection selon l'exemple que leur Maistre, Nostre Seigneur, leur avoit enseigné..

  A009000433 

 Ils paracheverent encores l'offrande que Dieu requeroit en la feste de Pentecoste, se sacrifiant comme des boucs, je veux dire conversant avec les pecheurs et voulant estre tenus pour tels comme le reste des hommes.

  A009000433 

 Mais le Saint Esprit venant en forme de feu, les rendit immuables et invariables en la dilection sacrée, fortifiant de telle sorte la paste de leurs resolutions, que jamais despuis ils ne peurent la quitter ni perdre.

  A009000433 

 Vous sçavez que pour faire du pain il est necessaire de petrir la farine, la joignant et l'unissant avec l'eau, et en fin il la faut cuire; car la paste est maniable et pliable avant d'estre cuite, mais apres elle est impliable, ferme et dure.

  A009000434 

 Les anciens Peres ont distingué par ces deux pains les deux amours, affectif et effectif; les autres ont dit que ces deux pains signifient nostre propre jugement ou entendement et nostre propre volonté; et cecy, à mon advis, est la meilleure interpretation et qui fait plus à mon propos.

  A009000434 

 Mais il faut que je donne l'interpretation à cette offrande.

  A009000435 

 Ces trois vertus furent tellement [152] estimées et prisées comme estans les trois principales pour l'acquisition de la perfection, que tous les premiers Chrestiens en faisoyent profession à l'imitation des Apostres.

  A009000435 

 Ils offrirent les aignelets de toutes leurs affections, à fin de n'en avoir jamais plus que pour l'amour celeste.

  A009000435 

 Le monde a accoustumé de nous faire imaginer que les richesses, les honneurs et les commodités sont des biens desirables; ils y renoncerent pour jamais, faisant estime de la pauvreté comme d'une chose tres prisable.

  A009000435 

 Mais apres que cette premiere ferveur fut esteinte, il n'y eut plus que des particuliers qui suivissent cette perfection evangelique; et d'autant qu'il y a une extreme difficulté de s'y adonner demeurant dans le monde, ceux qui veulent faire cette genereuse entreprise en sortent et se viennent renfermer dans les monasteres..

  A009000436 

 Il est certain que tous les hommes, en quelle vocation qu'ils soyent, se peuvent et se doivent dedier et donner à Nostre Seigneur; mais il y a voirement grande difference entre les offrandes de ceux qui demeurent au monde et de ceux qui le quittent tout à fait pour se consacrer plus absolument à l'exercice du divin amour..

  A009000436 

 Or, me voicy maintenant au point que j'avois à traitter, car tout ce que nous avons dit n'a esté que pour mieux entendre ce que je m'en vay deduire.

  A009000437 

 Elles assujettissent, il est vray, toutes les puissances de leur ame, toutes leurs affections, passions et inclinations et en fin tout elles mesmes à la regle de la perfection par l'exercice continuel de l'obeissance aux Regles et Constitutions de leur Institut; mais c'est une sujetion si douce et si aymable qu'elle donne mille fois plus de consolation que non pas la liberté que les mondains ont de vivre selon leur volonté, liberté qui à proprement parler est une tyrannie, d'autant que pour l'ordinaire elle les porte à faire ce que leur conscience leur dicte qu'il faut eviter pour vivre selon Dieu..

  A009000437 

 En fin on s'essaye tant que l'on peut durant cette année de leur noviciat, de les rendre capables de venir faire cette derniere offrande d'elles mesmes en laquelle, par le moyen des vœux, elles se lient totalement et sans s'en pouvoir jamais desdire au service de la divine Majesté, service qui est voirement plus honnorable que les royautés et les empires.

  A009000437 

 On les fait entrer quant et quant en l'exercice d'une obeissance continuelle, de la mortification de la propre volonté, de l'abnegation du propre jugement; on ne leur parle que «de la mortification des sens et de toutes les» inclinations «humaines;» en fin on vient à leur faire connoistre combien leurs imaginations estoyent vaines d'estimer que les biens, les richesses, les honneurs fussent choses desirables.

  A009000437 

 On ne les trompe point en leur promettant des consolations, bien que la moindre qu'elles goustent vaille mieux sans nulle comparaison que toutes celles que le monde presente, mises ensemble.

  A009000437 

 On tasche de bouleverser toutes leurs affections, [153] pour qu'elles n'en ayent jamais plus que pour Dieu et selon sa tres sainte volonté.

  A009000438 

 Elles ont aussi receu le don de science, discernant le bonheur qu'il y a de se dedier absolument à Dieu plustost que de demeurer [154] au monde.

  A009000438 

 Elles ont receu le don de sapience, savourant combien le Seigneur est doux et suave, et combien ses voyes sont aymables, quoy que rudes et aspres au sens humain.

  A009000439 

 Elles suivront constamment les conseils de ceux que Dieu leur a donnés pour leur conduitte, se rendans souples à suivre leurs volontés; elles sont resolues de faire les œuvres des ames fortes et genereuses, n'ayans pas moindre pretention que de parvenir au plus haut point de la perfection chrestienne, sans se descourager au bien, mais s'appuyans et s'asseurans en la faveur et protection de la divine Bonté, qui ayant commencé l'œuvre de leur perfection la parachevera, moyennant qu'elles luy soyent fidelles..

  A009000439 

 Si tous ces dons ont esté ainsy octroyés à ces ames, comme nous venons de le dire, elles sont aussi fort resolues de les prattiquer, rejettant toute autre delectation que celle de gouster combien le Seigneur est doux et suave, et combien les voyes par lesquelles on va à luy, c'est à sçavoir par lesquelles nous nous unissons à sa Majesté, sont delectables.

  A009000440 

 Elles seront fidelles à la prattique du don de pieté, regardant et honnorant Dieu comme leur Pere, d'autant qu'il veut que nous l'appellions de ce nom tant aymable; puis elles feront tout ce qui sera en leur pouvoir pour luy plaire, tenant les prochains pour enfans de Dieu comme elles, et par consequent pour leurs freres, à fin d'exercer plus parfaittement toute sorte de pieté et d'offices de charité en leur endroit.

  A009000441 

 Mais dites-moy, je vous supplie, que reste-t-il à ces ames bienheureuses qui se sont ainsy disposées pour se sacrifier entierement et sans aucune reserve au service de l'amour celeste, sinon que le Saint Esprit, qui leur a desja fait tant de dons, descende maintenant en forme de feu sur leur sacrifice pour le consommer, ou, pour mieux dire selon nostre premier discours, qu'il vienne cuire les pains qu'elles ont petris, puisqu'ils sont tout prests à estre mis dans le four? La paste a esté preparée le long de leur année de noviciat, en suite des resolutions qu'elles ont prises de se laisser froisser et moudre tant par la sainte obeissance que par la mortification de leur propre jugement et volonté, qui sont les deux pains que Nostre Seigneur demande des ames religieuses.

  A009000442 

 Ces premieres resolutions, jointes avec les vœux qu'elles viennent faire, par lesquels elles s'obligent pour le reste de leur vie à la prattique de tout ce que nous venons de dire, sont le pain sacré qui doit estre cuit, affermi, et rendu impliable et immuable par le feu sacré du Saint Esprit, qui est l'amour de nos ames.

  A009000454 

 Abiit in montana: elle monta dans les montagnes de Juda et entreprit le voyage, quoy que long et difficile; car, comme disent plusieurs autheurs, la ville en laquelle demeuroit [157] Elizabeth est esloignée de Nazareth de vingt sept lieues; d'autres disent un peu moins, mais c'estoit tousjours un chemin assez malaysé pour cette si tendre et delicate Vierge, parce que c'estoit à travers des montagnes..

  A009000454 

 Ayant appris par le mesme saint Gabriel que sa cousine Elisabeth avoit en sa viellesse conceu un fils, elle la voulut aller voir, comme estant sa parente, et à dessein de la servir et soulager en sa grossesse, car elle sçavoit que c'estoit le vouloir divin; et au mesme instant, dit l'Evangeliste saint Luc, elle sortit de Nazareth, petite ville de Galilée où elle demeuroit, pour s'en aller en Judée à la mayson de Zacharie.

  A009000454 

 Nostre tres aymable et non jamais assez aymée Dame et Maistresse, la glorieuse Vierge, n'eut pas plus tost donné son consentement aux paroles de l'Ange saint Gabriel, que le mystere de l'Incarnation fut accompli en elle.

  A009000455 

 Neanmoins, quelques uns ont voulu soustenir qu'il se trouva en son dessein quelque sorte de curiosité; car il est vray que c'estoit une merveille non ouye que sainte Elizabeth, laquelle n'avoit jamais eu d'enfans et estoit sterile, eust conceu en sa viellesse.

  A009000455 

 Ou bien, disent-ils, il se peut faire qu'elle eust quelque doute de ce que l'Ange luy avoit annoncé; ce qui n'est pas, et saint Luc les condamne et refute en la parole qu'il escrit en son chapitre premier, que sainte Elizabeth voyant entrer la Vierge s'escria: Vous estes bienheureuse parce que vous avez creu.

  A009000455 

 Sentant donques l'inspiration divine, elle s'y achemina, non point portée d'aucune sorte de curiosité de voir si ce que l'Ange luy avoit dit seroit bien vray, car elle n'en doutoit nullement, ains estoit tout asseurée que la chose estoit telle qu'il luy avoit declaré.

  A009000456 

 Elle y alla pour voir cette grande merveille ou cette grande grace que nostre Dieu avoit fait à cette bonne vielle et sterile, de concevoir un fils en sa sterilité, car elle sçavoit bien qu'en l'ancienne Loy c'estoit une chose blasmable d'estre infeconde; mais parce que ceste bonne femme estoit vielle, elle alla aussi pour la servir en cette sienne grossesse et luy donner tout le soulagement qui luy estoit possible.

  A009000456 

 Quatriesmement, elle sçavoit que cette visite apporteroit un comble de benedictions en la maison de Zacharie, qui redonderoit jusques à l'enfant qui estoit dans le ventre de sainte Elizabeth, lequel seroit sanctifié par sa venue.

  A009000456 

 Secondement, ce fut pour luy reveler le tant haut mystere de l'Incarnation qui s'estoit operé en elle; car Nostre Dame n'ignoroit pas que sa cousine Elizabeth estoit personne juste, fort bonne, craignant Dieu et desirant ardemment la venue du Messie promis en la Loy pour racheter le monde, et que ce luy seroit une tres grande consolation d'apprendre que les divines promesses estoyent accomplies et que le temps desiré [158] par les Prophetes et les Patriarches estoit ja venu.

  A009000456 

 Troisiesmement, elle y alla aussi pour redonner la parole à Zacharie qui l'avoit perdue par son incredulité à la prediction de l'Ange, lors qu'il luy dit que sa femme concevroit un fils qui se nommeroit Jean.

  A009000456 

 Voyla les raysons, et plusieurs autres que je pourrois rapporter; mais je n'aurois jamais fait..

  A009000457 

 Au demeurant, ne pensez-vous point, mes tres cheres Sœurs, que ce qui incita plus particulierement nostre glorieuse Maistresse à faire cette visite ce fut sa charité tres ardente et une tres profonde humilité qui la fit passer avec cette vistesse et promptitude les montagnes de Judée? O certes, mes cheres Sœurs, ce furent ces deux vertus qui la pousserent et luy firent quitter sa petite Nazareth, car la charité n'est point oysive: elle bouillonne dans les cœurs où elle regne et habite, et la tres sainte Vierge en estoit toute remplie, d'autant qu'elle avoit l'amour mesme en ses entrailles.

  A009000457 

 Sa charité la pressoit aussi de s'esjouir avec cette bonne vielle de ce que le Seigneur l'avoit benie d'une telle benediction, que de sterile et infeconde qu'elle estoit, elle conceust et portast celuy qui devoit estre le Precurseur du Verbe incarné..

  A009000458 

 Mais comme il n'eust pas esté raysonnable que celuy qui estoit choisi pour preparer les voyes du Seigneur fust entaché du peché, Nostre Dame alla promptement à ce qu'il fust sanctifié, et que ce sacré Enfant qui estoit Dieu, à qui seul appartient la sanctification des ames, peust operer en cette visite celle du glorieux saint Jean, le purifiant et retirant du peché originel; ce qu'il fit avec une telle plenitude que plusieurs docteurs soustiennent hardiment que jamais il ne pecha veniellement, bien que quelques autres tiennent l'opinion contraire..

  A009000459 

 La charité fut donques cause que la tres sainte Vierge coopera à cette sanctification.

  A009000459 

 Mais ce n'est pas merveille que son cœur sacré fust tout rempli d'amour et de desir du salut des hommes, puisqu'elle portoit en ses chastes entrailles l'amour mesme, le Sauveur et Redempteur du monde; et me semble que c'est à elle que l'on doit appliquer ces paroles du Cantique des Cantiques: Ton chef ressemble au mont Carmel.

  A009000459 

 Mais que veut entendre ce divin Amant quand il dit que le chef de sa bien-aymée ressemble au mont Carmel? Le mont Carmel est tout diapré de fleurs tres odoriferantes, et les arbres qui se trouvent sur iceluy ne portent que des parfums.

  A009000459 

 Que signifient ces fleurs et ces parfums sinon la charité, qui est une vertu tres belle et odoriferante, laquelle n'est jamais seule dans une ame? Et bien que l'on approprie ces paroles du Cantique à l'Eglise, qui est la vraye Espouse de Nostre Seigneur, en laquelle comme en un mont Carmel abondent toutes sortes de fleurs de vertus et qui est odoriferante en toute sainteté et perfection, si est-ce que l'on peut encor entendre cecy de la sacrée Vierge qui est la fidelle Espouse du Saint Esprit.

  A009000459 

 Voyez, lors que le divin Espoux descrit la beauté de son Espouse par le menu, il commence par son chef.

  A009000460 

 C'est elle que Dieu a regardée avec une complaisance toute particuliere; car, qui a jamais peu donner complaisance à Nostre Seigneur que celle qui estoit accomplie en toutes sortes de vertus? Avec la charité elle estoit douée d'une profonde humilité, ainsy que le tesmoignent ces parolles qu'elle dit lors que sainte Elizabeth la loua: Parce que Dieu a regardé l'humilité de sa servante, toutes les nations la loueront et appelleront bienheureuse..

  A009000460 

 Elle avoit conceu Celuy qui estant tout amour l'avoit rendue l'amour mesme; tellement qu'on luy peut appliquer mieux qu'à nul autre ces parolles du Cantique des Cantiques, lors que l'Espoux sacré, contemplant sa bien-aymée en son doux repos, fut saisi d'une sainte complaisance qui luy fit adjurer les filles de Hierusalem de ne la point esveiller, disant: Filles de Hierusalem, je vous adjure par les chevreuils et chevres des champs de ne pas esveiller ma bien-aymée qui est en l'amour, qu'elle ne le veuille ou desire.

  A009000460 

 Mais les rabbins et quelques autres semblent encor mieux faire entendre que le divin Espoux, parlant du chef de sa bien-aymée, veut signifier la charité; car ils traduisent: Ton chef ressemble à l'escarlatte.

  A009000461 

 Entre ceux qui tiennent cette opinion, on trouve Maldonat, et quelques autres encor; car, adjoustent-ils, bien que la Vierge eust une tres profonde humilité, si ne s'estimoit-elle pas humble, ni moins vouloit-elle parler de l'humilité, d'autant que cette parole eust esté contraire à l'humilité mesme.

  A009000461 

 Mais quand elle dit: Il a regardé l'humilité de sa servante, elle veut signifier la vileté, misere et abjection qu'elle voyoit en elle mesme, en ce qui estoit de sa nature et du neant dont elle estoit sortie; c'est en ce sens qu'elle asseuroit que Dieu avoit regardé l'humilité de sa servante, car le vray humble, disent ces docteurs, ne croit ni ne voit jamais qu'il a la vertu d'humilité..

  A009000461 

 Plusieurs docteurs pensent que quand Nostre Dame dit que Nostre Seigneur avoit regardé l'humilité de sa servante elle n'entendoit pas parler de la vertu d'humilité qui estoit en elle.

  A009000462 

 Ainsy la glorieuse Vierge ne manqua point d'humilité, ni ne fit aucune faute contre icelle quand elle [162] asseura que Dieu avoit regardé l'humilité de sa servante, non plus que saint Paul quand il s'escrioit: Qui est-ce qui me pourra separer de la charité? car elle sçavoit qu'entre toutes les autres vertus, celle-là touche et attire le cœur de Dieu..

  A009000462 

 Certes, il n'y a point de doute en cela, bien que, quand il dit: Qui me separera de la charité de mon Dieu, il faille entendre, moyennant la grace de Dieu.

  A009000462 

 D'autres tiennent l'opinion contraire, et celle-cy est la plus probable; ils pensent que Nostre Dame entendoit parler de la vertu d'humilité, et qu'elle connoissoit bien que c'estoit cette vertu qui avoit attiré le Fils de Dieu dans ses entrailles.

  A009000462 

 Il n'y a donc point de doute qu'elle sçavoit que cette vertu estoit en elle, et cela sans danger de la perdre, parce qu'elle reconnoissoit que l'humilité qu'elle voyoit en elle n'estoit pas d'elle.

  A009000462 

 Le grand Apostre saint Paul ne confessoit-il pas qu'il avoit la charité, par des parolles si asseurées qu'il semble parler avec plus de presomption que d'humilité? Il disoit: Qui est-ce qui me separera de la charité de Jesus Christ? Sera-ce les chaisnes, les tribulations, la mort, la croix, le feu, le glaive? Non, rien ne me pourra separer de la charité de Dieu qui est en Jesus Christ.

  A009000462 

 Voyez-vous avec quelle asseurance parle cet Apostre? S'il confesse que rien ne le pourra separer de là charité de son Dieu, il faut donques qu'il croye avoir la charité.

  A009000463 

 Ainsy Nostre Seigneur considera bien la varieté et beauté des vertus de Nostre Dame, qui la rendoyent extrement belle, mais lors que le Pere eternel jetta les yeux sur ses sandales ou souliers, il en fut tellement espris qu'il se laissa gaigner et luy envoya son Fils, lequel s'incarna en ses tres chastes entrailles..

  A009000463 

 L'Espoux, au Cantique des Cantiques, apres avoir consideré par le menu son Espouse, jetta ses yeux sur sa chaussure et sur sa demarche, ce qui le contenta si fort qu'il confessa en estre tout espris: Oh, dit-il, ta chaussure m'est aggreable; que tu as de bienseance en ton marcher! Nous lisons aussi en la Sainte Escriture que quand Judith alla trouver Holophernes elle s'estoit extremement bien parée; son visage estoit doué de la plus rare beauté qui se puisse voir, ses yeux estincelans, ses levres pourprines, ses cheveux esparpillés et flottans sur ses espaules.

  A009000463 

 Neanmoins, Holophernes ne fut prins ni par les yeux, ni par les levres, ni par les cheveux de Judith, ni d'aucunes des choses que je vous ay dit estre en elle; mais quand il jetta ses yeux sur ses sandales et chaussures, qui, comme nous pouvons penser, estoyent recamées d'or avec une fort bonne grace, il en demeura tout espris et touché.

  A009000464 

 C'est cette bassesse que Dieu regarda en la sacrée Vierge, et de ce regard proceda tout son bonheur; [163] ainsy, dit-elle, à cause de cela, elle sera publiée bienheureuse par toutes les creatures, de generation en generation.

  A009000464 

 Et qu'est-ce que ces sandales et cette chaussure de la Vierge, sinon son humilité representée par les souliers, qui sont les plus vils accoustremens dont on se sert pour l'ornement du corps, car ils sont tousjours contre terre, foulant la fange et la boue.

  A009000464 

 Nostre Dame donques, disant que Dieu avoit regardé son humilité, faisoit reflexion sur elle mesme tant à cause de sa nature que de l'estre qu'elle avoit, ce qui fit qu'elle s'humilia..

  A009000465 

 Abraham dont la foy estoit si grande et qui ne pouvoit mesconnoistre les dons de Dieu en luy, confessa neanmoins, comme il est escrit en la Genese, n'estre que poudre et cendre.

  A009000465 

 Ainsy la Vierge, considerant sa vie qui estoit toute sainte et toute pure, la trouva bonne, et voyant en soy l'humilité elle peut dire en ce sens que Dieu avoit regardé son humilité; mais aussi en l'autre sens, voyant son neant, elle dit qu'il avoit regardé sa bassesse, sa vileté et son abjection, et que pour cela elle en seroit appellée bienheureuse..

  A009000466 

 Or, tant en une maniere comme en l'autre, elle parla avec une si grande humilité qu'elle fit bien voir qu'elle tenoit tout son bonheur de ce que Dieu avoit jetté les yeux sur sa petitesse; c'est pourquoy on luy peut approprier ces parolles du Cantique des Cantiques: Dum esset Rex in accubitu suo, nardus mea dedit odorem suum; Ma bien-aymée m'est un nard qui respand une tres odoriferante odeur.

  A009000467 

 Ce n'est pas qu'il ne voulust reconnoistre sa Mere, mais il vouloit faire entendre que ce n'estoit pas seulement pour l'avoir porté en son sein qu'elle estoit aggreable à Dieu, ains plustost par l'humilité avec laquelle elle accomplissoit sa volonté en toutes choses..

  A009000467 

 Comme s'il vouloit dire: Il est vray que ma Mere est bien heureuse parce qu'elle m'a porté en son ventre; mais elle l'est bien davantage pour l'humilité avec laquelle elle a ouÿ les paroles de mon Pere celeste et les a gardées.

  A009000467 

 Et en un autre endroit, lors qu'on luy vint annoncer que sa Mere le demandoit, ce divin Maistre respondit que ceux là estoyent sa mere, ses freres et ses sœurs qui faisoyent la volonté de son Pere.

  A009000467 

 Son divin Fils en rendit mesme tesmoignage lors que cette bonne femme voyant le miracle qu'il venoit de faire et s'appercevant du murmure des Juifs, se leva et cria à haute voix: Bienheureux le ventre qui t'a porté et les mammelles que tu as succées; à quoy le Sauveur respondit: Plus heureux est celuy qui entend la parole de Dieu et la garde.

  A009000468 

 Elle marchoit aussi hastivement parce que sa pureté virginale l'incitoit à ce faire pour estre toist retirée, car les vierges doivent demeurer cachées et ne paroistre que le moins qu'elles peuvent parmi le tumulte du monde..

  A009000468 

 Exurgens Maria; elle se leve promptement et va hastivement par les montagnes de Judée, car l'Enfant duquel elle estoit grosse ne l'incommodoit aucunement, d'autant qu'il n'estoit pas semblable aux autres; partant la Vierge n'en ressentoit pas l'incommodité des autres femmes, lesquelles sont pesantes et [165] ne peuvent marcher à cause de la pesanteur de l'enfant qu'elles portent, parce que ces enfans sont pecheurs.

  A009000468 

 L'Evangeliste dit donc que la Vierge se leva hastivement et monta les montagnes de Judée, pour monstrer la promptitude avec laquelle on doit correspondre aux inspirations divines; car c'est le propre du Saint Esprit, lors qu'il touche un cœur, d'en chasser toute la tepidité: il ayme la diligence et promptitude, il est ennemy des remises et dilayemens dans l'execution des volontés divines.

  A009000468 

 Mais je vois que l'heure s'en va passer, ce qui me fera finir et parachever le peu de temps qui reste sur l'histoire de cet Evangile, car elle est extremement belle et de grande suavité à entendre raconter, ce me semble.

  A009000469 

 Il y a mille beaux documens sur toutes ces choses, mais je ne fais que passer et parachever cette histoire.

  A009000469 

 Quelles graces et faveurs pensez-vous, mes cheres Sœurs, tomberent sur la mayson de Zacharie lors que la Vierge y entra? Si Abraham receut tant de graces pour avoir hebergé trois Anges en sa mayson, si Jacob apporta tant de benedictions à Laban, quoy que celuy ci fust meschant homme, si Loth fut delivré de l'embrasement de Sodome pour avoir logé deux Anges, si le Prophete Elie remplit tous les vaysseaux de la pauvre vefve, si Elisée ressuscita l'enfant de la Sunamite, en fin si Obededom receut tant de faveurs du Ciel pour avoir abrité chez luy l'Arche d'alliance, quelles graces et combien de bénédictions celestes tomberent sur la mayson de Zacharie en laquelle entra l'Ange du grand conseil, ce vray Jacob et divin Prophete, la vraye Arche d'alliance, Nostre Seigneur enclos dans le ventre de Nostre Dame!.

  A009000469 

 Saint Luc dit bien que Marie salua Elisabeth, mais quant à Zacharie il s'en taist, d'autant que la virginité de Nostre Dame ne luy permettoit de saluer les hommes, et elle nous vouloit enseigner que les vierges ne sçauroyent avoir trop de soin de conserver leur pureté.

  A009000470 

 Certes, toute la mayson en fut comblée de joye: l'enfant tressaillit, le pere recouvra la parole, la mere fut remplie du Saint Esprit et receut le don de prophetie, [166] car voyant cette sainte Dame entrer dans sa mayson elle s'escria: D'où me vient cecy que la Mere de mon Dieu me soit venue visiter? Voyez-vous, elle la nomme Mere avant qu'elle ait enfanté, ce qui est contre la coustume ordinaire, d'autant qu'on n'appelle point meres les femmes avant leur enfantement, parce que souvent elles enfantent malheureusement.

  A009000470 

 Mais sainte Elizabeth sçavoit bien que la Vierge enfanteroit heureusement, et partant elle ne fait point de difficulté de l'appeller Mere avant qu'elle le soit, car elle est asseurée qu'elle le sera, et non Mere d'un homme seulement, mais de Dieu, et par consequent Reyne des hommes et des Anges; pour ce, elle s'estonne qu'une telle Princesse la soit allée visiter..

  A009000471 

 Certes, ce n'est pas merveille si saint Jean tressaillit de joye à la venue de son Sauveur, puisque Nostre Seigneur dit en parlant aux Juifs: Abraham vostre pere s'est resjoui voyant en esprit prophetique mon jour advenir que vous voyez.

  A009000471 

 De plus, elle adjouste que l'enfant qu'elle porte a tressailli de joye à son arrivée.

  A009000471 

 Et si tous les Prophetes desiroyent le Messie promis en la Loy et se resjouissoyent sçachant que tout s'accomplirait en son jour, combien plus devons-nous penser que saint Jean fut rempli d'allegresse voyant au travers le sein de sa mere le vray Messie promis, le Desiré des Patriarches, qui le venoit visiter pour commencer [167] par luy l'œuvre de nostre Redemption en le retirant du bourbier du peché originel!.

  A009000471 

 Pour ce qui devoit advenir, elle vit par ce mesme esprit que la Vierge seroit benite entre toutes les femmes, et le proclama; elle parla aussi du present, l'appellant Mere de Dieu.

  A009000471 

 Puis elle dit: Vous estes bienheureuse, Madame, parce que vous avez creu; et de plus, vous estes benite par dessus toutes les femmes.

  A009000471 

 Vous avez creu que la vierge et la sterile concevroyent, qui est une chose qui surpasse le cours de nature: voyla pour le passé, qu'elle sceut par esprit prophetique.

  A009000471 

 Vous estes bienheureuse d'avoir creu à tout ce que l'Ange vous a dit, parce que vous avez fait voir en cela que vous avez plus de foy qu'Abraham.

  A009000472 

 Ah! que d'actions de graces devez-vous à ce Seigneur pour tant de faveurs! Que vous le devez escouter avec grande attention et executer fïdellement et promptement ses divines volontés!.

  A009000472 

 O combien, mes tres cheres Sœurs, devez-vous estre comblées de joye lors que vous estes visitées par ce divin Sauveur au tres saint Sacrement de l'autel, et par les graces interieures que vous recevez journellement de sa divine Majesté par tant d'inspirations et paroles qu'il dit à vostre cœur; car il est tousjours à l'entour frappant et vous parlant de ce qu'il veut que vous fassiez pour son amour.

  A009000473 

 La tres sainte Vierge entendant ce que sa cousine Elizabeth disoit à sa louange, s'humilia et rendit de tout la gloire à Dieu; puis confessant que tout son bonheur, comme j'ay dit, procedoit de ce qu'il avoit regardé l'humilité de sa servante, elle entonna ce beau et admirable cantique Magnificat, cantique qui surpasse tous ceux qui avoyent esté chantés par les autres femmes: plus excellent que celuy de Judith, plus beau sans nulle comparaison que celuy que chanta la sœur de Moyse apres que les enfans d'Israël eurent passé la mer Rouge et que Pharaon et les Egyptiens furent ensevelis dans ses eaux, en somme plus beau que ceux qui ont esté chantés par Simeon et par tous les autres dont l'Escriture fait mention..

  A009000474 

 O mes cheres Sœurs, qui avez cette Vierge pour Mere, filles de la Visitation Nostre Dame et de sainte Elizabeth, que vous devez avoir un grand soin de l'imiter, sur tout en son humilité et charité, qui sont les principales vertus qui luy firent faire cette Visitation.

  A009000474 

 Que si vous le faites fidellement et humblement en ce monde, indubitablement vous chanterez au Ciel, avec la mesme Vierge, Magnificat; et benissans par ce sacré cantique la divine Majesté, vous serez benites d'elle à toute eternité, où nous conduisent le Pere et le Fils et le Saint Esprit.

  A009000491 

 C'est certes tres à propos que Nostre Seigneur dit que le Royaume des cieux est semblable à un marchand, lequel cherchant des perles en trouve en fin une d'un prix et d'une valeur si excellente au dessus de toutes les autres, qu'il va et vend tout ce qu'il a pour l'acheter.

  A009000491 

 De mesme en font tous les hommes, car chacun cherche la felicité et le bonheur, neanmoins personne ne le trouve que celuy qui rencontre cette perle orientale du pur amour de Dieu, et qui l' ayant trouvée, vend tout ce qu'il a pour l'avoir..

  A009000491 

 Il veut nous faire entendre par cette similitude que les negociateurs du Ciel sont semblables à ce marchand; car, si vous y prenez garde, ils font un mesme negoce, je veux dire, ils negocient de mesme façon.

  A009000492 

 Le malheur est que les hommes constituent la felicité chacun en ce qu'il ayme: les uns aux richesses, les autres aux honneurs; mais ils se trompent bien, car tout cela n'est point capable d'assouvir et contenter leur cœur.

  A009000492 

 On en voit l'experience en Alexandre qu'on appelle le Grand, lequel apres avoir assujetti à son empire presque toute la terre, ne fut neanmoins pas satisfait; car un fol philosophe luy ayant fait accroire qu'il y avoit encores d'autres mondes que celuy cy, il se mit à pleurer dequoy il croyoit ne les pouvoir conquerir.

  A009000492 

 Saint Bernard le dit fort bien: Ton ame, o homme, est de grande estendue, et nulle chose ne la peut remplir ni satisfaire que Dieu seul.

  A009000493 

 La pauvre Sainte, toute esprise de l'amour de son Maistre, retourna pour le chercher devant que nul autre, apres qu'il fut mort et mis dans le sepulcre; mais ne l'ayant trouvé, ains des Anges, elle ne se peut contenter, bien qu'ils fussent tres beaux et habillés à l'angelique.

  A009000493 

 Les hommes, pour grans qu'ils soyent et pour magnifiquement ornés qu'ils puissent estre, ne sont rien aupres des Anges, leur lustre n'a point d'esclat et ne sont pas dignes de comparoistre en leur presence; aussi voit-on que jamais ils n'ont apparu aux hommes sans que ceux ci ne soyent tombés dessus leur face, n'estans pas capables de supporter la splendeur et l'esclat de la beauté angelique.

  A009000494 

 Elle va, elle tourne tout autour d'eux, et ils l'interrogent: Femme, pourquoy pleures-tu? et que cherches-tu? Ils m'ont prins mon Maistre, respond elle, et je ne sçay où ils l'ont mis.

  A009000494 

 Les Anges luy demandent: Pourquoy pleures-tu? comme s'ils eussent voulu dire: N'as-tu pas bien sujet de te resjouir et d'essuyer tes larmes en nous voyant? Quoy, la splendeur et beauté de nos faces, l'esclat de nos vestemens, nostre magnificence plus grande que celle de Salomon, n'est-elle pas capable de t'apaiser? O certes non, mon cœur ne se peut contenter à moins que de Dieu.

  A009000494 

 Magdeleine ayme mieux son Maistre crucifié que les Anges glorifiés..

  A009000494 

 Magdeleine ne s'amuse point autour de ces celestes Esprits, ni à la beauté de leur visage, ni à la blancheur de leurs vestemens, ni moins encores à leur maintien plus que royal.

  A009000495 

 Et apres, elle adjouste que les gardes de la ville l'ont toute blessée.

  A009000495 

 L'Espouse, au Cantique des Cantiques, dit que son Bien-Aymé ayant frappé à sa porte passa outre; et elle, ayant ouvert et ne le trouvant pas, s'en va apres luy pour le chercher, puis rencontrant les gardes de la ville elle leur demande si elles ont point veu son Bien-Aymé: Hé, de grace, si vous le rencontrez, annoncez-luy que je languis d'amour.

  A009000495 

 L'amante sacrée dit que les gardes l' ont blessée parce qu'elles l'ont arrestée, car rien ne blesse tant un cœur qui ayme Dieu que de se voir retenu loin de Dieu.

  A009000495 

 Tous ceux qui pratiquent l'amour sacré sçavent que ses blesseures sont diverses et qu'il blesse les cœurs en plusieurs façons, dont l'une est d'estre arresté et empesché de demeurer en ce qu'il ayme.

  A009000495 

 Tout cecy n'est que pour servir de preface à ce discours..

  A009000496 

 Le pur amour de Dieu est cette perle pretieuse que les negociateurs du Ciel trouvent, et pour laquelle acheter il faut qu'ils vendent tout ce qu'ils ont.

  A009000496 

 Nous voyons que ces anciens Chrestiens qui ne se contentoyent pas d'observer les commandemens de Dieu, mais aussi se mettoyent à la prattique exacte de ses conseils, quittoyent tout sans reserve; si que l'on pouvoit veritablement bien asseurer qu'ils n'avoyent qu' un cœur et qu' une ame, car le mot de tien et de mien n'estoit jamais entendu parmi eux..

  A009000497 

 Les Religieux et Religieuses ont esté de tout temps fort loués et estimés à cause de ce parfait abandonnement de toutes choses; mais laissons les Religieux et ne parlons que des Religieuses, puisqu'il est plus à mon propos..

  A009000497 

 Mais escoutez, je vous prie, le maistre de tous et le Prince des Apostres: Voicy, dit-il à Nostre Seigneur, que nous avons tout quitté; quelle recompense en aurons-nous? Sur quoy le grand saint Bernard luy parle en ces termes: O pauvre saint Pierre, comme vous pouvez-vous ainsy vanter d'avoir tout quitté, et quelle rayson avez-vous d'exagerer l'abandonnement que vous avez fait, disant que vous avez quitté toutes choses, puisque vous n'estiez qu'un pauvre pescheur et n'aviez quitté qu'une petite barque et des rets? A quoy il respond luy mesme: C'est assez tout quitter et abandonner que de ne se reserver point de pretentions au monde, et qui plus est, de se quitter et abandonner soy mesme.

  A009000498 

 Il les recommande tant les unes que les autres, à cause du grand renoncement qu'elles ont fait de tout ce qui est sur la terre, tant de ce qu'elles possedoyent comme des pretentions qu'elles pouvoyent avoir, comme aussi à cause de leur parfait renoncement à elles mesmes..

  A009000498 

 Le grand saint Augustin fait reproche aux Manicheens dequoy en leur religion ils n'ont rien de semblable ni qui approche tant soit peu la vertu des vierges renfermées dans les monasteres, lesquelles sont pures comme des colombes et font vœu d'une perpetuelle chasteté; mais sur tout il extolle ce renoncement de toutes choses, disant qu'elles ont tellement quitté tout ce qu'elles avoyent qu'elles n'ont rien en particulier, et que jamais les mots pernicieux de mien et de tien ne s'entendent parmi elles.

  A009000499 

 C'est une pretention bien haute que de conquerir le pur amour de Dieu, qui est la perle pretieuse que vous cherchez et que vous avez trouvée, laquelle neanmoins ne se peut acheter qu'au prix de toutes choses.

  A009000499 

 C'est à ce renoncement parfait que vous estes appellées maintenant, mes tres cheres filles.

  A009000500 

 Escoutez l'Espouse au Cantique des Cantiques, laquelle dit que si quelqu'un donne toute sa substance pour Dieu, pour son pur amour, il ne l'estimera rien, croyant de n'avoir gueres donné pour une perle si pretieuse.

  A009000500 

 Je sçay bien pourtant qu'ils mettent leur metal au feu, puis ils le reduisent en poudre, et apres ils le font passer par la coupelle et le purifient derechef, asseurant que s'ils le pouvoyent tant purifier qu'il ne restast qu'une certaine matiere ou liqueur qui est descendue du ciel, il leur seroit facile de parvenir, ou ils seroyent parvenus au bout de leur pretention..

  A009000500 

 La pretention de tous les Religieux n'est point moindre que de se transformer tout en Dieu, pretention digne certes d'un cœur genereux, et pretention que nous devrions tous avoir.

  A009000500 

 Mais resouvenons-nous que ceux qui entreprennent de [174] transmuer et transformer le metal en or, il faut qu'ils ayent une grande peine et qu'ils y apportent un tres grand soin, encores ne sçay-je s'ils le peuvent faire ou non.

  A009000500 

 Nous avons ce nous mesme exterieur que saint Paul appelle viel homme; nous avons encor l'autre nous mesme, qui est nostre propre jugement et nostre propre volonté, et en ce nous mesme icy consiste le nœud de l'affaire.

  A009000501 

 Chacun sçait qu'il n'y a rien de plus vil dans une mayson que les balayeures, si que l'on ne voit l'heure qu'elles en soyent dehors.

  A009000501 

 De mesme les ames qui ont fait cette genereuse entreprise de se transformer toutes en Dieu, helas! que ne faut-il pas qu'elles fassent pour s'aneantir, se confondre et se delaisser, jusques à ce qu'elles soyent tellement purifiées que rien ne leur demeure que la seule liqueur celeste qui est en elles, à sçavoir, l'image et la semblance de la divine Majesté.

  A009000501 

 De mesme, dit saint Paul, on ne voit l'heure que l'on nous oste de devant les yeux des hommes, tant ils nous ont en horreur.

  A009000501 

 Puys il adjouste: Nous sommes tenus comme la peleure d'une pomme, car si le monde est une pomme nous en sommes estimés la peleure que l'on jette là comme une chose de neant..

  A009000501 

 Quelles persecutions, quelles mortifications, quelles sortes d'abjections, de tourmens et de douleurs n'a-t-il pas souffert? Escoutez ce qu'il escrit: Jusques à cette heure nous avons esté blasphemés, persecutés à outrance, injuriés et mesprisés, jusques là que nous sommes tenus et estimés comme les balayeures de ce monde.

  A009000501 

 Voyez ce que saint Paul fit pour pouvoir dire veritablement ces paroles: Je ne vis plus moy, ains c'est Jesus Christ qui vit en moy.

  A009000502 

 Il est vray, mes cheres filles, mais si la difficulté vous estonne, je vous presente trois petites considerations qui yous feront connoistre l'entreprise estre plus facile que vous ne pensez et qui vous serviront de consolation..

  A009000502 

 Pour parvenir donques à cette transformation à laquelle nous pretendons, il sera necessaire que nous soyons aussi reduits à neant, rejettés, mesprisés et mortifiés comme le rebut du monde.

  A009000503 

 Dites luy hardiment: «Commandez, Seigneur, à nos ames tout ce qu'il vous plaira, et nous donnez que nous le fassions.» Donnez-nous le desir de parvenir à vous, de faire tout ce qui sera aggreable à vostre Bonté, et accomplissez ce nostre desir.

  A009000503 

 La premiere est que Celuy qui vous appelle à la conqueste de son tres pur amour est assez puissant pour vous ayder.

  A009000503 

 Vous nous appeliez, faites par vostre grace que nous allions; vous avez commencé l'œuvre de nostre perfection, nous ne voulons jamais douter que vous ne la paracheviez..

  A009000504 

 C'est en quoy le nostre doit de mesme paroistre, non pas tant à faire, [176] comme à laisser faire en nous et de nous tout ce que l'on voudra; et non seulement à Nostre Seigneur, mais aussi à nos Superieurs, nous rendant maniables, souples et humbles comme des petits enfans, car nostre grandeur gist en nostre petitesse et nostre exaltation en nostre humiliation..

  A009000504 

 Il faut que nous soyons esgaux en courage aux petits enfans, c'est à dire humbles comme eux.

  A009000504 

 Je vous ay dit que vous aviez besoin d'une grande magnanimité pour parvenir au bout de vostre entreprise; mais en quoy pensez vous que consiste cette magnanimité de courage? Certes, c'est en la petitesse de courage.

  A009000504 

 Vous l'aurez d'autant plus grand que vous serez plus petites en vous mesmes.

  A009000504 

 Voyez, il ne fait autre chose que de laisser faire de luy tout ce qu'on veut; la magnanimité de son courage consiste à se laisser manier au gré de la volonté d'un chacun.

  A009000505 

 Ce sont ces vertus qui luy firent sans doute meriter d'estre, apres sa tes sacrée Fille, avantagée de plus de graces que nulle autre femme, et en particulier d'appartenir de si pres à l'humanité tres sainte de nostre doux Sauveur et Maistre......................................................................................................................................

  A009000505 

 La troisiesme consideration qui vous doit estre de grande consolation, c'est l'honneur que vous avez de venir faire vos offrandes sous la protection de la glorieuse mere de la tres sainte Mere de Dieu, laquelle, comme une mere perle, demeura erami la mer de ce monde sans recevoir aucune goutte d'eau salée, je veux dire, sans estre aucunement abreuvée des vains playsirs terrestres, ains vescut tousjours tres saintement en la prattique de toutes sortes de vertus.

  A009000510 

 Il y a des milliers de considerations à faire sur ce sujet; mais je me restreins et n'en diray que deux, à sçavoir mon, comment cette sacrée Vierge receut Nostre Seigneur et Maistre lors qu'il descendit du Ciel en terre, et comment son divin Fils la receut lors qu'elle quitta la terre pour aller au Ciel..

  A009000511 

 Cet Evangile traitte de ce que Nostre Seigneur passant par un village nommé Bethanie, entra en une maison qui estoit à une femme nommée Marthe, laquelle avoit une sœur nommée Marie Magdeleine.

  A009000511 

 L'Evangile que nous avons dit aujourd'huy à la sainte Messe nous fournit assez de matieres pour l'une et l'autre des propositions.

  A009000511 

 Marthe, qui desiroit que tous fussent aussi soigneux qu'elle de servir le Sauveur, luy dit en se plaignant qu'il commandast à sa sœur de luy ayder, pensant qu'il n'estoit pas necessaire que personne demeurast aupres de luy, d'autant qu'il se sçauroit assez entretenir tout seul.

  A009000512 

 Ces deux femmes representent Nostre Dame: Marthe, en la reception que la sacrée Vierge fit de son divin Fils et au soin qu'elle en eut tandis qu'il fut en cette vie mortelle, et Marie, en la reception qui luy fut faite par son Fils là haut en sa gloire.

  A009000512 

 O Dieu, quel soin n'eut elle pas de fournir Nostre Seigneur de tout ce qui luy estoit necessaire pendant qu'il fut petit! Quel empressement, ou pour mieux dire, quelle diligence ne fit-elle pas pour eviter le courroux d'Herode! Que ne fit-elle pour le sauver de tant de perils et mesaventures dont il fut menacé!.

  A009000513 

 Marie se taisoit et se tenoit aux pieds de son Maistre, elle n'avoit qu'un soin qui estoit de posseder sa presence; de mesme il semble que nostre digne Maistresse n'eust que ce soin.

  A009000513 

 Partant, elle est comme en une parfaite indifference: Arrive tout ce qui pourra, semble-t-elle dire, pourveu que je sois tousjours aupres de luy et que je le possede, je suis contente puisque je ne veux et ne cherche que luy..

  A009000514 

 Or, nous autres sommes si miserables, que rarement avons-nous du soin sans empressement et sans trouble.

  A009000514 

 Remarquez, je vous prie, que Nostre Seigneur reprend Marthe parce qu'elle s'empresse, et non pas de ce qu'elle a du soin.

  A009000514 

 Un autre qui aura grande affection à l'oraison mentale, si bien il semble que cecy ne regarde que l'esprit, il ne lairra pas de s'empresser et d'en estre troublé si on l'en retire pour l'occuper à quelqu'autre chose..

  A009000515 

 Dites moy maintenant, si Marthe n'eust eu soin que de plaire à Nostre Seigneur, se fust-elle tant embesoignée? Non certes, car un seul mets bien appresté suffisoit pour sa nourriture, veu mesme qu'il prenoit plus de playsir qu'on l'escoutast comme faisoit Marie.

  A009000515 

 Et parce qu'elle aymoit grandement sa sœur, elle desiroit qu'elle s'embesoignast comme elle pour servir son tres cher Maistre, qui neanmoins prenoit plus de playsir à l'exercice de Marie, dans le cœur de laquelle il distilloit, par le moyen de ses paroles, des graces plus grandes que nous ne sçaurions penser..

  A009000515 

 Marthe, avec le dessein et souci de pourvoir à ce qu'il failloit à nostre Maistre, avoit encores un peu de propre estime qui la poussoit à monstrer et desirer que l'on vist la courtoisie et affabilité avec laquelle elle recevoit ceux qui luy faisoyent l'honneur de la venir voir, se respandant toute au service propre au traittement exterieur du [180] Sauveur; et la bonne fille pensoit estre bonne servante de Dieu par ce moyen-là et s'estimoit estre quelque chose.

  A009000516 

 Cecy correspond à la response qu'il fit à cette femme dont il est parlé en l'Evangile: Vous dites bien que bienheureux est le ventre qui m' a porté et les mammelles que j'ay succees; mais moy je vous dis que bienheureux sont ceux qui escoutent la parole de Dieu et la gardent.

  A009000516 

 Or, ces personnes qui s'affectionnent et s'embesoignent comme Marthe à faire quelque chose pour Nostre Seigneur, pensent estre bien devotes et croyent que cet empressement soit vertu; ce qui n'est pourtant pas, ainsy que luy mesme le fait entendre: Une seule chose est necessaire, qui est d'avoir Dieu et de le posseder.

  A009000516 

 Si je ne cherche que luy, que me doit-il importer que l'on me fasse faire cecy ou cela? Si je ne veux que sa volonté, que m'importera-t-il que l'on m'envoye en Espagne ou en Irlande? Et si je ne cherche que sa croix, pourquoy me faschera-t-il que l'on m'envoye aux Indes, aux terres neuves ou aux vielles, puisque je suis asseuré que je la trouveray par tout?.

  A009000517 

 Ce fut avec un amour et gloire incomparable, avec une magnificence d'autant plus grande au dessus de tous les Saints, que ses merites surpassoyent tous les leurs..

  A009000518 

 Il s'en trouveroit assez qui s'estonneroyent, disant: Comment est-ce que Nostre Seigneur, qui aymoit si tendrement et si fortement sa sainte Mere, ne luy donna le privilege de ne point mourir? Puisque la mort est la peine du peché, et qu'elle n'en avoit jamais fait aucun, pourquoy est-ce qu'il la laissa mourir? O mortels, que vos pensées sont contraires à celles des Saints, que vos jugemens sont esloignés de ceux de la divine Majesté! Ne sçavez vous pas que la mort n'est plus ignominieuse, ains qu'elle est pretieuse despuis que Nostre Seigneur et Maistre se laissa attacher par elle sur l'arbre de la croix? Ce n'eust point esté un advantage ni un privilege pour la Sainte Vierge de ne point mourir, ains elle avoit tousjours desiré la mort dès qu'elle la vit dans les bras et dans le cœur mesme de son tres sacré Fils.

  A009000518 

 La mort est si suave et si desirable que les Anges s'estimeroyent heureux de pouvoir mourir; et les Saints ont esté heureux de la souffrir et y ont ressenti beaucoup de consolation, parce que nostre divin Sauveur qui est nostre vie s'estoit laissé en proye à la mort..

  A009000518 

 Mais avant que de parler de sa reception au Ciel, il nous faut dire comme et de quelle mort elle mourut.

  A009000518 

 Vous sçavez tous l'histoire de son glorieux trespas; je suis pourtant tousjours poussé de faire le recit des [181] mysteres que nous celebrons, à cause des grossiers et simples auditeurs.

  A009000519 

 Elle a tousjours esté la Mere de la belle dilection; l'on ne remarque point de ravissemens ni d'extases en sa vie, parce que ses ravissemens ont esté continuels; elle a aymé d'un amour tousjours fort, tousjours ardent, mais tranquille, mais accompagné d'une grande paix.

  A009000519 

 L'on a accoustumé de dire que telle est la vie telle est la mort: de quelle mort pensez-vous donques que mourut la Sainte Vierge, sinon de la mort d'amour? O c'est une chose indubitable qu'elle mourut d'amour, mais je ne dis pas cecy parce qu'il est escrit.

  A009000520 

 L'heure donques estant venue pour la tres glorieuse Vierge de quitter cette vie, l'amour fit la separation de son ame d'avec son corps, la mort n'estant autre chose que cette separation.

  A009000520 

 Sa tres sainte ame s'envola droit au Ciel; car qu'est-ce, je vous prie, qui l'en eust peu empescher, veu qu'elle estoit toute pure et n'avoit jamais contracté aucune souilleure de peché? Ce qui nous empesche nous autres quand nous mourons d'y aller tout droit comme Nostre Dame, c'est que nous avons presque tous en nos pieds de la poussiere ou des souilleures qu'il est necessaire que nous allions laver et purger en ce lieu que l'on nomme Purgatoire, devant que d'entrer au Ciel..

  A009000521 

 Il leur viendra en fantasie de ne pas vouloir que le lieu de leur reunion soit clair, ains ils le veulent sombre et obscur, et cela pour faire quelque balet, ou que sçay-je moy quoy, qui paroistra davantage en l'obscurité.

  A009000521 

 Nous trouvons en beaucoup de lieux de la Sainte Escriture que les lampes representent les Saints, lampes qui ont jetté des continuelles exhalaisons de bons exemples devant les hommes et qui ont esté tousjours ardentes du feu de l'amour de Dieu.

  A009000521 

 O que ces lampes ont respandu des odeurs suaves devant la divine Majesté durant le cours de leur vie, mais beaucoup plus à l'heure de la mort.

  A009000523 

 Il dit que Jesus Christ a esté eslevé d'autant plus haut au dessus de tous les Cherubins et autres Esprits angeliques que son nom est relevé par dessus tous les autres noms.

  A009000523 

 Mais avec quel triomphe, mais avec quelle magnificence croyez-vous qu'elle fut accueillie de son Fils bien aymé en contreschange de l'amour avec lequel elle l'avoit receu venant en terre? Il faut bien croire qu'il ne fut pas mesconnoissant, ains qu'il la recompensa d'un degré de gloire d'autant plus grand au dessus de tous les Esprits bienheureux, que ses merites surpassoyent ceux de tous les Saints ensemble.

  A009000524 

 Il estoit certes bien convenable que ce corps tres pur ne fust aucunement entaché de corruption, puisque celuy de Nostre Seigneur avoit esté tiré de ses chastes entrailles et y avoit reposé neuf moys durant..

  A009000524 

 L'ame tres sainte de Nostre Dame ayant quitté son corps tres pur, il fut porté au sepulcre et rendu à la terre ainsy que celuy de son Fils, car il estoit bien raysonnable que la Mere n'eust pas plus de privilege que le Fils.

  A009000524 

 Mais tout ainsy que Nostre Seigneur ressuscita au bout de trois jours, elle ressuscita de mesme au bout de trois jours; differemment neanmoins, d'autant que le Sauveur [184] ressuscita de sa propre puissance et authorité, et Nostre Dame ressuscita par la toute puissance de son Fils qui commanda à l'ame benite de sa tres sainte Mere de s'aller reunir à son corps.

  A009000525 

 L'Arche de l'alliance dans laquelle estoyent les tables de la Loy ne pouvoit estre atteinte d'aucune corruption, d'autant qu'elle estoit faite de bois de cedre qui est incorruptible; combien estoit-il plus raysonnable que cette Arche en laquelle avoit reposé le Maistre de la Loy, fust exempte de toute corruption? La resurrection de la tres sainte Vierge est declarée par ces paroles: Levez-vous, Seigneur, vous, et l'Arche de vostre sanctification.

  A009000525 

 Quant à nos corps, ils sont, le veuillons-nous ou non, reduits en poussiere, et c'est le tribut que nous devons et qu'il faut que nous payions tous à cause du peché que nous commismes tous en Adam.

  A009000526 

 Je ne sçay si vous aurez remarqué que le petit David, avant qu'entreprendre la bataille contre Goliath, s'informa soigneusement parmi les soldats de ce que l'on donneroit bien à celuy qui vaincroit et terrasseroit ce grand geant, ennemy des enfans de Dieu.

  A009000526 

 On luy respondit que le roy avoit promis de grandes richesses à celuy qui seroit si heureux que de le surmonter.

  A009000527 

 Neanmoins il n'eust pas encores esté satisfait si l'on n'eust adjousté que sa maison seroit exempte de tribut.

  A009000527 

 Nostre Seigneur et Maistre venant en ce monde s'informa, comme son grand pere David, que c'est que l'on donneroit à celuy qui vaincroit ce puissant Goliath, le diable, que luy mesme appelle prince du monde, à cause du grand pouvoir qu'il avoit avant l'Incarnation du Verbe.

  A009000527 

 Or, la fille du Roy, c'est à dire de Dieu, n'est autre chose que la gloire.

  A009000528 

 Et pendant que Marthe soignoit pour nourrir le corps de son Maistre, Marie quittoit tout autre soin pour celuy de nourrir et sustenter son ame, ce qu'elle faisoit en escoutant Nostre Seigneur..

  A009000528 

 Il est dit en l'Evangile que Marthe, en la maison de laquelle entra Nostre Seigneur, s'empressoit et alloit [186] deça delà pour le bien traitter, tandis que M arie estoit aux pieds du Sauveur, où elle escoutoit sa parole.

  A009000528 

 Que nous reste-t-il maintenant à dire sinon de voir si nous ne pourrons point en quelque façon imiter l'Assomption de nostre glorieuse et tres digne Maistresse? Quant au corps, nous ne le pouvons point faire jusques au jour du jugement dernier, où les corps des Bienheureux ressusciteront glorieux, et ceux des reprouvés pour estre eternellement damnés.

  A009000529 

 Il y en a extremement peu qui n'en ayent, pour spirituels qu'ils soyent; et d'autant qu'on est plus spirituel, d'autant plus l'envie est-elle fine et comme imperceptible; elle fait ses actes si dextrement que l'on a prou peine de les remarquer.

  A009000529 

 Maistre, dit-elle, permettez-vous que ma sœur ne m'ayde point et qu'elle me laisse tout le soin de la maison? commandez-luy qu'elle vienne m'ayder.

  A009000529 

 Quand on loue quelqu'un et qu'on reserve un peu de la louange que nous savons qui luy est deue, qu'est-ce qui fait cela sinon l'envie que nous avons de ses vertus? Mais Marthe fait son petit coup et jette son petit trait d'envie par forme de joyeuseté, et cette cy est la plus fine.

  A009000530 

 Escoutez des Religieux quand ils parlent de leur Institut, ils l'estiment tousjours au dessus de tous les autres: Il est vray, disent-ils, que cet Ordre dont vous parlez est de grande perfection, mais le mien est tousjours quelque chose davantage.

  A009000530 

 Et ainsy, entendant qu'on loue quelqu'un, nous avançons quelque petit mot en passant à fin que l'on revienne à nous mesme..

  A009000530 

 Mais parlons encores un peu de ces petits traits d'envie que produit nostre amour propre, lesquels sont certes comme des petits renardeaux qui vont fracassant et gastant les vignes.

  A009000530 

 Un autre dira: Je suis miserable et ne puis rien faire qui vaille; mais une telle predication que je fis... et ne se feindra point d'avancer ces mots lors qu'on loue la predication de quelque autre.

  A009000531 

 Il faut que nous sçachions qu'il y a deux parties en nous qui ne font qu'un homme: il y a l'homme exterieur et l'homme interieur.

  A009000531 

 L'homme exterieur c'est celuy que nous voyons, qui regarde, qui parle, qui touche, qui gouste, qui escoute; c'est celuy cy qui s'empresse en l'exercice des vertus lesquelles concernent le commandement de l'amour du prochain, tandis que l'homme interieur prattique l'amour de Dieu.

  A009000531 

 Les anciens philosophes ont dit qu'il faut regarder à la fin premier qu'à l'œuvre; mais nous autres faisons tout au contraire, car nous nous empressons à l'exercice de l'œuvre que nous avons entreprise, plustost que de considerer quelle en doit estre la fin..

  A009000532 

 La fin de nostre vie c'est la mort; nous devrions donques penser soigneusement quelle doit estre nostre mort et que c'est qui en doit reussir, à fin de faire correspondre nostre vie à la mort que nous desirons; car c'est chose asseurée que telle est nostre vie telle sera nostre mort, telle est nostre mort telle a esté nostre vie..

  A009000533 

 Elle en fait de mesme à ses yeux, car elle leur met leur chaperon naturel, qui sont les paupieres, à fin qu'ils ne voyent que ce qu'il faut.

  A009000533 

 Voyez-vous cette personne qui a dessein de la prattiquer? Elle commence à faire pacte avec ses yeux qu'ils ne regarderont que pour les choses necessaires et non point autrement; et pour cela elle leur fera comme aux esperviers que l'on chaperonne quand on ne leur veut pas donner le vol et à fin de les porter plus aysement sur le poing.

  A009000534 

 Quelle attention ne faut-il pas pour prattiquer la patience et pour ne point eschapper en la colere! Cassien escrit qu'il ne suffit pas de fuir les occasions de parler et converser avec les hommes; aussi n'est-ce pas le moyen d'acquerir la vertu que d'en eviter l'exercice, d'autant qu'il rapporte de luy mesme que, estant seul dans le desert, lors qu'il se levoit la nuit et qu'il prenoit son fusil pour allumer sa chandelle, si le caillou ne vouloit pas faire feu il se mettoit en colere et le jettoit contre terre..

  A009000535 

 Quelles brides ne faut-il pas mettre à la langue pour l'empescher de courir par les rues comme un cheval eschappé et d'entrer en la maison du prochain, voire mesme dans sa vie, ou pour la censurer et [189] contreroller, ou bien pour luy oster tousjours un peu de l'estime que nous sçavons luy estre deuë..

  A009000536 

 Mais quel remede, me direz-vous, pour ne pas avoir tant de soin, puisqu'il faut que je m'exerce en la vertu? O certes, ce soin, pourveu qu'il soit sans anxieté et empressement, est tres louable.

  A009000537 

 A mesure que l'un de ces amours croist, l'autre aussi croist; de mesme, si l'un diminue, l'autre ne tardera pas à diminuer.

  A009000537 

 Si vous avez l'amour de Dieu, ne vous mettez point en peine ni en souci de prattiquer les autres vertus, d'autant qu'il ne se presentera point d'occasion de vous y exercer que sans soin vous ne le fassiez; je dis quelle vertu que ce soit: de patience, de douceur, de modestie, et ainsy des autres..

  A009000539 

 C'est pourquoy les trouppes angeliques s'escrioyent comme tout estonnées: Qui est celle cy qui monte du desert appuyée sur son Bien-Aymé? Par où nous pouvons entendre que si bien Nostre Dame montoit au Ciel comme estant toute pure, nonobstant sa pureté, elle estoit neanmoins appuyée sur les merites de son Fils, en vertu desquels merites elle entra en la gloire.

  A009000539 

 Il semble que l'Assomption de Nostre Dame fut en certaine façon plus glorieuse et triomphante que non pas l'Ascension de Nostre Seigneur, d'autant qu'à l'Ascension il n'y avoit que des Anges qui luy vinssent au devant, mais en l'Assomption de sa tres sainte Mere le Roy des Anges y vint luy mesme.

  A009000556 

 A quoy nostre divin Maistre respondit: Tu aymeras le Seigneur ton Dieu d'un amour de dilection, de tout ton cœur, de toute ton ame, de tout ton esprit, de toute ta pensée, de toutes tes forces et en fin de tout ce que tu as et de tout ce que tu es..

  A009000556 

 Or, d'autant que la dedicace de nostre cœur à la divine Majesté se fait par l'amour, je suivray mot à mot ce que Nostre Seigneur dit en [192] l'Evangile qui court cette semaine à un docteur de la loy qui luy demanda quel estoit le plus grand commandement.

  A009000556 

 Si j'eusse eu le temps, j'eusse parlé d'une certaine dedicace pieuse qui se fait par la frequentation du temple, c'est à dire de l'eglise; mais je ne parleray pour cette heure que de la dedicace du cœur, asseuré que je suis que les ames pour lesquelles je presche maintenant y prendront plus de playsir.

  A009000557 

 Hé Dieu, n'est-il pas bien raysonnable que cet amour domine et tienne le donjon au dessus de tous les autres, qu'il regne et commande et que tout luy soit sujet? Aymer le Seigneur d'un amour d'election, c'est cela, c'est le choisir entre mille, comme l'Espouse du Cantique des Cantiques: Mon Bien-Aymé est beau à merveille, toutes sortes de perfections sont en luy, je l'ay choisi entre mille, c'est à dire entre un nombre infini, pour mon Bien-Aymé et mon choisi..

  A009000557 

 Il faut considerer toutes ces paroles l'une apres l'autre parce qu'elles meritent d'estre pesées au poids du sanctuaire, pour la grande jalousie que Nostre Seigneur tesmoigne avoir que nous l'aymions uniquement et parfaitement, autant que nous le pouvons faire en cette vie, ainsy que je diray tantost.

  A009000557 

 Il ne se contente pas, certes, d'estre aymé d'un amour commun, ainsy que nous faisons nos semblables, mais d'un amour d'election, choisi et esleu entre tous les autres, en sorte que tous les amours que nous avons pour les creatures ne soyent que des images en comparaison de celuy qu'il veut que nous luy portions.

  A009000558 

 Mais dites-moy, de grace, se peut-il rencontrer un objet plus excellent que la Divinité mesme? Laissant à pari son incomparable beauté, considerons son indicible bonté qui nous a par tant et tant de façons tesmoigné [193] qu'elle nous ayme et desire infiniment que nous l'aymions.

  A009000558 

 O que ce commandement d'aymer Dieu est aymable!.

  A009000558 

 Qu'est-ce qui peut davantage esmouvoir nostre volonté à aymer que de se voir si parfaitement aymée? Mais de qui? De Dieu mesme.

  A009000559 

 Il n'y a que Nostre Dame qui ait eu ce privilege de pouvoir aymer Dieu en cette vie sans interruption quelconque, car tandis qu'elle dormoit, son esprit ne laissoit pas d'agir et de s'eslancer en Dieu.

  A009000559 

 Il y a certains fols et insensés qui ont voulu soustenir qu'il estoit impossible de l'observer tant que nous serons en cette vie, en quoy ils ont grandement erré, d'autant que Nostre Seigneur n'eust jamais donné le commandement à l'homme s'il ne luy eust donné quant et quant le pouvoir de l'accomplir.

  A009000559 

 Mais, disent quelques autres, Dieu veut que nous l'aymions de tout nostre cœur, de tout nostre esprit, de toutes nos forces, de toute nostre pensée, et ainsy de tout nostre pouvoir: et comme donques le pourrons nous faire en cette vie, puisqu'il faut que nous aymions nos peres, nos meres, nos femmes et nos enfans? Comment, nostre amour estant partagé, pourrons-nous aymer Dieu de toutes nos forces? Cela ne se peut, dites-vous.

  A009000559 

 O pauvres gens, que vous monstrez bien qui vous estes, et que vous avez des esprits, mais non pas pour penetrer les choses de Dieu, ni les comprendre et connoistre pour telles qu'elles sont.

  A009000559 

 Si Nostre Seigneur nous eust commandé de l'aymer comme font les Bienheureux là haut au Ciel, vous auriez quelque rayson de dire que nous ne le pouvons pas, d'autant qu'ils l'ayment d'un amour ferme, stable et constant, sans interruption quelconque; ils le benissent perpetuellement, et par ainsy ils sont en un continuel exercice de leur amour; ce que nous ne pouvons pas faire nous autres, car il faut que nous dormions, et pendant ce temps là nostre amour cesse son exercice.

  A009000561 

 Et comment, me direz-vous, pourrons-nous faire pour satisfaire à ce divin commandement de l'amour de Dieu tandis que nous serons en cette vie, puisque vous asseurez que nous le pouvons accomplir selon le desir de la divine Bonté? Il est vray sans doute, nous le pouvons, mais pour le vous mieux faire entendre je me serviray d'une similitude..

  A009000562 

 Ce n'est pas sans rayson, mes chers auditeurs, que les peintres peignent l'amour en archer, qui descoche incessamment des fleches dans le cœur des mortels pour les blesser et navrer de ses aymables traits.

  A009000562 

 L'amour est tout suave quand il s'applique à un objet digne d'estre choisi entre mille, comme nous avons dit; car l'amour bas et caduc qui s'attache à la creature au prejudice de l'honneur que nous devons à l'amour du Createur, au contraire qu'il soit [195] doux et suave, il est desaggreable à merveille et remplit le cœur de celuy qui le possede de trouble, d'empressement et d'inquietude..

  A009000562 

 L'autre porte non seulement son arc bandé, ains encores la fleche est tendue dessus, à fin que selon les rencontres il n'ayt qu'à la descocher.

  A009000563 

 Ils tiennent tousjours l'arc de cette resolution bandé, prests à descocher la fleche de leur fidelité en tous les rencontres où il sera besoin de faire paroistre que l'amour qu'ils luy portent est le supreme entre tous les autres amours, faisant tousjours ceder l'amour de la creature à celuy du Createur, voire mesme celuy qu'ils ont pour leur pere, mere, femme et enfans; heureux qu'ils sont, certes, de conserver ceste fidelité à Dieu, car ainsy faisant ils l'aymeront suffisamment pour ne point entrer en sa disgrace..

  A009000563 

 L'amour que le vulgaire des hommes porte à Dieu, s'entend les Catholiques, est semblable à ce premier archer que nous nous sommes representé, car ils sont resolus de mourir plustost que d'offencer mortellement la divine Majesté en prevariquant ses commandemens.

  A009000564 

 Ces ames donques que je dis estre comparables au second archer, sont celles qui se retirent du commun du peuple pour mener une vie plus parfaite, soit qu'elles s'en sequestrent tout à fait ou non, et qui ne se contentent pas de vivre selon l'observance des commandemens de Dieu, mais passant plus outre, embrassent la prattique de ses conseils; partant elles descochent le plus souvent qu'elles peuvent des traits et des sagettes dans le cœur de la divine Majesté par des eslancemens fervens et affectionnés de leur esprit.

  A009000564 

 Elles sont semblables à ce second archer que nous nous sommes imaginé, qui non seulement tient son carquoy plein de fleches et son arc tout prest pour tirer, mais il tire fort souvent, mettant le moins de distance qu'il peut entre chaque coup; il n'attend pas la necessité, ains il lance ses traits à toutes les apparences de necessité.

  A009000564 

 Mais il y a des ames plus nobles et genereuses qui, sçachans que la suffisance ne suffit pas en ce qui est d'aymer Dieu, passent plus outre.

  A009000564 

 Pensez-vous que ce soit pour luy defendre de tirer ses sagettes qu'il parle ainsy? O non, sans doute, c'est plustost pour la blesser reciproquement, car vous m'advouerez que c'estoit bien la blesser amoureusement, mais d'une blesseure neanmoins douloureuse, que de luy dire qu'elle destourne ses yeux de dessus luy..

  A009000565 

 Cette seconde façon d'aymer Dieu est celle que nous pouvons exercer en cette vie et à laquelle nous devons tous pretendre; car quant à la troisiesme, qui est representée par cet archer qui tire sans cesser, elle appartient aux ames des Bienheureux qui jouissent de la claire veue de la Divinité en Paradis.

  A009000566 

 Il est vray, me direz-vous, mais est-ce assez aymer Dieu que se contenter de l'aymer comme ceux qui observent ses commandemens? O sans doute, qui se contenteroit de cela sans desirer de l'aymer davantage, je veux dire sans avoir la pretention d'accroistre son amour envers la divine Bonté, il ne l'aymeroit pas assez; car n'avons-nous pas veu que la suffisance n'est pas suffisante? En effect, ce n'est pas icy comme aux desirs que l'on a d'acquerir des honneurs et des richesses, parce que, en ces sortes de choses, rien ne sçauroit contenter ni assouvir la soif insatiable de celuy à qui la suffisance ne suffit pas.

  A009000566 

 [197] La Divinité ne peut estre suffisamment aymée que d'elle mesme; c'est pourquoy nostre soif de l'aymer ne pourra jamais estre assouvie.

  A009000567 

 En paroles, cela est tres clair, car jamais il ne s'estendit tant à parler sur aucun sujet comme sur celuy de son amour envers nous et du desir qu'il a que nous l'aymions.

  A009000567 

 Mais, o Dieu, considerons un peu quel est cet amour que le Seigneur nous porte et duquel nous sommes si cherement aymés.

  A009000567 

 Puis, parlant de sa mort: Nul n'ayme d' un plus grand amour que celuy qui met son ame pour son ami, c'est à sçavoir qui donne sa propre vie.

  A009000567 

 Voyez combien il est jaloux de nostre amour: Tu aymeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton ame, de toute ta pensée, de toutes tes forces, de tout ton esprit et de tout ce que tu es, c'est à dire de tout ton pouvoir.

  A009000568 

 L'aymer de tout ce que nous sommes, c'est luy abandonner tout nostre estre pour demeurer totalement sousmis à l'obeissance de son amour..

  A009000568 

 L'aymer de toute nostre pensée, c'est penser en luy le plus souvent que nous pouvons.

  A009000568 

 Ne vous semble-t-il pas, mes cheres ames, que nous ayons une tres grande obligation à contreschanger autant que nous le pouvons cet amour sacré et incomparable duquel nous avons esté et sommes aymés de Nostre Seigneur? C'est sans doute que nous le devons; au moins [198] devons-nous avoir affection de le faire.

  A009000569 

 De mesme en est-il en cet amour sacré: la fidelle amante s'essaye par tous les moyens possibles de rencontrer par tout son cher Bien-Aymé tout seul, pour luy lancer dans le cœur quelques traits [199] de sa passion amoureuse et luy rendre quelque petit tesmoignage de son amour, quand ce ne seroit que de luy pouvoir dire: Vous estes tout mien, et moy je suis toute vostre..

  A009000569 

 L'amour, comme dit le grand Apostre de la France, tend à l'union; si que l'amour unit d'une union presque inseparable les cœurs de ceux qui s'ayment, quand l'amour est pur, car autrement nous n'en voulons pas parler.

  A009000569 

 La premiere, si vous vous plaisez fort en sa presence, car vous sçavez que l'amour recherche tous-jours la presence de celuy qu'il ayme.

  A009000569 

 Les amans cherchent tousjours de parler secrettement, bien que ce qu'ils ont à dire ne soyent pas des secrets ou choses qui meritent d'estre tenues pour tels.

  A009000569 

 Mais vous seriez bien ayses de sçavoir comment vous pourrez connoistre si vous aymez Dieu ainsy que nous venons de dire.

  A009000570 

 Il faut voirement aymer quelque chose avec Dieu, mais d'un amour qui n'aille point de pair, ains soit tousjours prest à estre rejetté entant que sa divine Majesté le desirera..

  A009000570 

 Nostre capacité d'aymer est petite tandis que nous sommes en cette vallée de miseres, et partant nous ne devons pas laisser dissiper nostre amour, ains le tenir ramassé tant qu'il nous sera possible pour l'employer à aymer un sujet tant aymable comme est celuy dont nous parlons.

  A009000570 

 Une autre marque pour connoistre si vous aymez bien Dieu, est si vous n'aymez pas beaucoup d'autres choses avec luy, ainsy que j'ay dit (mais cela s'entend d'un amour fort et puissant); car vous sçavez que quand on ayme beaucoup de choses ensemble, c'est les aymer d'un amour moins fort et moins parfait.

  A009000571 

 Ainsy faisant, nous nous resjouirons davantage des dons que Dieu fera à leurs ames, de sa grace, des vertus et benedictions celestes, que non pas des honneurs, richesses et biens caducs et perissables qui leur pourroyent arriver.

  A009000571 

 Aymer le prochain pour le Ciel c'est luy procurer des graces et des benedictions par le moyen de nos prieres, voire encores l'encourageant à l'exercice des vrayes vertus, tant par paroles que par exemples.

  A009000571 

 La troisiesme et la principale marque que je vous donne pour connoistre si vous aymez bien Dieu est que vous aymerez aussi bien le prochain; car nul ne peut dire en verité qu'il ayme Dieu s'il hait le prochain, ainsy que l'asseure le grand Apostre saint Jean.

  A009000571 

 Mais Dieu nous ayme pour le Ciel, partant il ayme plus l'ame que le corps; de mesme devons-nous faire nous autres.

  A009000571 

 Mais encor, quel pensez vous qu'il soit? C'est un amour ferme, constant, invariable, qui, ne s'attachant point aux niaiseries, ni aux qualités ou conditions des personnes, n'est pas sujet au changement ni aux aversions comme celuy que nous nous portons les uns les autres, qui pour l'ordinaire se dissipe et s'alangourit sur une mine froide ou qui n'est pas si correspondante à nostre humeur comme nous desirerions.

  A009000571 

 Nostre Seigneur nous ayme sans discontinuation (je ne parle pas de ceux qui sont en estat de peché mortel, car le lieu où je suis ne le requiert pas); il nous supporte en nos defauts et en nos imperfections, sans neanmoins les aymer ni les favoriser: il faut donques que nous en [200] fassions de mesme à l'endroit de nos freres, ne nous lassant jamais de les supporter, prenant bien garde toutefois de ne favoriser ni aymer leurs imperfections, ains d'en rechercher l'extermination tant qu'il nous sera possible, ainsy que fait la divine Bonté.

  A009000578 

 C'est le souhait que l'Eglise fait aux benedictions, en mettant le voile aux vierges, comme nous vous dirons tantost en vous le donnant, ma tres chere fille: «Le Seigneur vous veuille despouiller du viel homme pour vous revestir du nouveau.» Et cecy est comme un avant propos de ce que je veux traitter..

  A009000578 

 Pensant à ce que je devois prendre pour la ceremonie que nous allons celebrer, qui est de recevoir nostre Sœur la Pretendante au Noviciat, j'ay trouvé que ces paroles des Epistres de saint Paul, escrivant aux Ephesiens et Colossiens, viennent fort à mon propos: Soyez renouvellés en justice et verité; despouillez-vous du viel homme pour vous revestir du nouveau en Nostre Seigneur Jesus Christ.

  A009000579 

 Les uns par desespoir, ne sçachant plus que faire au monde; le monde ne voulant plus d'eux, ils s'en viennent en [202] Religion.

  A009000580 

 Ceux qui viennent pour d'autres intentions que celle cy se trompent grandement.

  A009000580 

 Il n'y faut point venir pour avoir du bon temps, d'autant qu'il se faut mortifier en tout ce à quoy la nature pouvoit prendre du playsir au monde, renoncer à sa propre volonté pour suivre en tout celle des autres, renoncer à son propre jugement, surmonter ses inclinations, ses passions, pour se sousmettre parfaittement aux Superieurs, en somme se despouiller du viel homme, de nous mesme, de nostre chair, de nos habitudes que nous avons tant suivies au monde..

  A009000581 

 Je me souviens qu'au temps où j'estois jeune garçon, l'on ne voyoit point tant de pompe, les enfans alloyent vestus plus simplement; mais à cette heure il faut tant despendre [203] de choses pour la vanité que rien plus; les dames de Paris sont tousjours à songer à inventer de nouvelles vanités pour despendre le bien de leurs maris.

  A009000581 

 Qu'est-ce que vivre selon le viel homme? C'est vivre comme les mondains: ils convoitent perpetuellement les richesses pour en avoir tousjours davantage, ils n'en sont jamais assouvis; ils pourchassent les grandeurs à fin d'estre estimés par dessus tous; ils suivent leur playsir brutal, sensuel et infame, sans s'arrester; veulent estre maistres d'un chacun et ne recevoir la correction de personne; ayment leur propre chair et leurs commodités en tout.

  A009000581 

 Voyla le viel homme que saint Paul dit qu'il faut crucifier, pour vivre selon le nouveau en justice et verité..

  A009000582 

 En Religion on doit vivre en une parfaitte chasteté, contraire à la liberté de la chair et du sang; en une parfaitte pauvreté, contraire aux richesses et commodités dont le monde fait tant de cas; mortifier son jugement, qui est une chose bien difficile, l'affection que l'on a pour son propre repos, l'ayse que l'on prend à l'oraison avec Dieu pour jouir de ses suavités.

  A009000582 

 Nous avons receu d'eux le peché et toutes les passions que nous avons: la colere, la convoitise qui nous fait desirer des biens, des honneurs; l'amour à la propre estime, la tendreté sur soy rnesme qui fait que l'on ayme tant la liberté et que l'on n'ayme pas la sujetion.

  A009000583 

 Encores que cette derniere pretention paroisse bonne, ce n'est pourtant pas l'intention pour laquelle les Religions sont instituées: c'est à fin de servir plus parfaittement à Dieu et se despouiller du viel homme pour se revestir du nouveau, car entrant en Religion il n'y faut point apporter les coustumes du monde.

  A009000583 

 O ma chere fille, si vous voulez demeurer en Religion il n'y faut point apporter les moeurs du monde, mais vous despouiller du viel homme: de ces petites esmotions de colere que l'on ressent quand on nous reprend, car personne n'ayme la correction; de ces tendretés sur nous mesme quand on nous contrarie, de ces larmes de compassion et ces petits ressentimens d'impatience aux contradictions qu'on nous fait sur nos humeurs et inclinations, de la propre estime de nous mesme, du desir d'estre estimé de bonne mayson et quelque chose de plus que les autres.

  A009000583 

 Saint Basile escrivant à Syncleticus, qui de senateur s'estoit fait Religieux, il luy mandoit: O mon frere, qu'as-tu fait? «Tu as desfait un senateur et tu n'as pas fait un Religieux.» Tu n'es plus senateur, car tu as quitté cette charge; tu n'es pas bon Religieux, d'autant que tu vis avec les coustumes que tu as portées du monde.

  A009000584 

 Aussi lors que saint Paul pria Nostre Seigneur de le delivrer de ses infirmités, il luy respondit: Paul, ma grace te suffit, car ma vertu se perfectionne en ton infirmité.

  A009000584 

 Ce n'est rien de quitter ces habits exterieurs que nous voyons pour prendre ceux de la Religion, si nous ne prenons les habitudes et les mœurs d'icelle.

  A009000584 

 Combien a-t-on veu de personnes devenir saintes sous des habits de soye, de satin, de velours, de drap d'or? tesmoin sainte Radegonde reyne de France, sainte Elizabeth reyne d'Hongrie, sainte Elizabeth reyne de Portugal, et tant d'autres; de maniere que ce n'est rien de quitter ses habits exterieurs si on ne se revest des nouveaux en justice et verité.

  A009000584 

 L'Eglise fait encores cette priere: Dieu «vous veuille despouiller du viel homme et vous reveste du nouveau,» pour nous monstrer que toute nostre force vient de [205] Dieu.

  A009000584 

 Qu'est ce à dire cela: ma vertu se perfectionne en ton infirmité? C'est à dire en nostre foiblesse, lors que nous croyans plus infirmes pour entreprendre le bien, nous nous appuyons totalement en Dieu, reconnoissans nostre petitesse et que nous ne pouvons rien de nous mesmes sans la grace divine.

  A009000585 

 Il prend le livre, et l'ouvrant il trouve l'Epistre que l'Apostre escrivoit aux Romains: Ne soyez ivrognes, ne soyez faiseurs de banquets, fuyez la conversation des femmes, et ce qui s'ensuit.

  A009000585 

 Un jour estant en un jardin sous un figuier, il entendit comme des voix de petits enfans, qui chantoyent si melodieusement que jamais il n'en avoit ouy de pareilles.

  A009000586 

 Revestez-vous donc aussi, ma chere fille, des habits et habitudes de ce sacré Fils du Pere eternel, à fin que vous puissiez meriter la grace de recevoir sa benediction..

  A009000587 

 O que bienheureuses sont les ames qui entrent en Religion à cette supreme fin, pour cueillir les fleurs des graces de Dieu et jouir apres de leurs fruits au Ciel! Mais ceux qui sont venus pour d'autres motifs il ne faut pas qu'ils perdent courage, car on peut tousjours redresser son intention, la bonifier et la rendre meilleure, pourveu qu'on se despouille bien du viel homme, comme nous avons dit, et qu'on prenne les habitudes de la Religion..

  A009000588 

 Or sus, ma tres chere fille, demeurez en paix, et vous revestez de l'homme nouveau, ainsy que nous vous dirons en vous mettant le voile, et vous recevrez la benediction que l'Eglise donne à cette intention.

  A009000595 

 Ce que sçachant, le roy fut fort fasché, et appellant à soy de ses gentilshommes il leur commanda de s'en aller par la ville et par toutes les avenues des chemins pour inviter [208] tous les pauvres, tant malades que sourdsmuets, boiteux, aveugles, bossus et contrefaits, sans en laisser un seul auquel ils ne dissent: Le roy vous prie de venir en son festin..

  A009000595 

 Je diray courtement et en passant ce que contient l'Evangile.

  A009000595 

 L'histoire que la sainte Eglise nous presente pour nous servir de consideration le long de cette semaine est une parabole que Nostre Seigneur proposa aux Juifs pour leur faire reproche de leur infidelité et de leur malice.

  A009000595 

 Le Sauveur preschant dit que le Royaume des cieux estoit semblable à un roy qui, voulant faire les noces de son fils, fit preparer un grand festin, lequel estant dressé, il envoya ses serviteurs aux invités pour leur dire qu'ils vinssent, d'autant que le banquet estoit prest; et ils s'excuserent.

  A009000596 

 Ce que voyant, le roy ordonna qu'il fust pris et lié pieds et mains et jetté aux tenebres exterieures.

  A009000596 

 Le roy luy parla en ces termes: Ami, comment as-tu esté si impudent et inconsideré que d'entrer en une compagnie si honnorable sans ta robe nuptiale? Et le pauvre homme ne repliqua rien; il demeura muet, car il n'eut point d'excuse.

  A009000596 

 Puis la conclusion de cet Evangile est que Nostre Seigneur adjousta: Beaucoup sont appelles, mais peu sont choisis..

  A009000597 

 Les autres, ne refusans pas du tout de venir aux noces, dilayent neanmoins et disent que ce sera tantost; et ces sortes de gens courent la mesme fortune que les premiers, d'autant qu'ils ne [209] peuvent pas s'asseurer d'avoir le temps auquel ils se promettent d'aller à ce divin banquet.

  A009000597 

 Les uns, comme les plus malheureux, ne refusent pas seulement d'y venir, s'excusans sur leurs affaires, mais ils mesprisent, rejettent et maltraittent les inspirations que le Seigneur leur envoye comme des messagers celestes.

  A009000597 

 Voyla le contenu de la parabole, laquelle je ne m'amuseray pas à expliquer selon le sens litteral, parce qu'il regarde la prediction que nostre divin Sauveur faisoit de la reprobation des Juifs et de l'election des Gentils, qui, comme borgnes, boiteux, bossus et impotens, furent amenés au festin des noces du Fils du Roy par la predication du saint Evangile qui leur fut faitte tant par les Apostres que par Nostre Seigneur mesme.

  A009000598 

 Et premierement, je considere que ce festin auquel nous sommes invités par le souverain Roy de gloire, c'est le festin de la Croix, qui est dressé sur la montagne de Calvaire où se celebre la solemnité des fiançailles de Jesus Christ avec nos ames.

  A009000598 

 Il seroit hors de propos de m'arrester sur ce sujet, et partant je passe au troisiesme sens de la parabole que je declareray un peu au long; puis j'adjousteray quatre mots sur la robe nuptiale qu'il faut avoir pour aller au festin des noces de Nostre Seigneur.

  A009000598 

 Je dis des fiançailles, parce que la consommation de nostre mariage eternel ne se fera qu'en l'eternité et en la possession de la beatitude, où nous serons tellement unis avec la divine Bonté que jamais nous n'en pourrons estre separés.

  A009000598 

 Mais tandis que nous demeurons en cette vie miserable, nous ne sommes que fiancés, et pouvons tousjours estre rejettés si nous manquons de fidelité à nostre Espoux, ce que nous faisons toutes fois et quantes que nous venons à pecher mortellement.

  A009000598 

 Neanmoins, rien n'est si capable de nous rendre dignes de rejet que les defauts qui se commettent contre la charité..

  A009000599 

 Elle avoit quantité de filles, cette sainte amante, qui consideroyent soigneusement tous les traits de passion amoureuse que son divin Amant et elle s'entrecommuniquoyent, et partant elle s'escrie en cette sorte: O filles de Hierusalem, hé de grace, je vous supplie de mettre toutes la teste aux fenestres pour considerer mon Bien-Aymé au jour de sa joye, et voir la couronne dont sa mere l'a couronné au jour de ses fiançailles.

  A009000599 

 Mais, me demanderez-vous, comme osez-vous appeller le jour de la Passion jour des noces de Nostre Seigneur, puisque le jour où on celebre des noces est ordinairement un jour de consolation, de playsir et de joye? Il est vray; mais ne pensez pas que ce soit moy seul qui dise cecy, ni de moy mesme, car sa divine Espouse le dit elle mesme au Cantique des Cantiques.

  A009000600 

 Ces parolles de l'Espouse sont entendues diversement par les Peres, car une partie d'iceux disent que cette couronne estoit la sacrée humanité de Nostre Seigneur, et que sa tres sainte Mere la luy avoit donnée pour en orner le chef de sa divinité.

  A009000600 

 De mesme, la tres sainte humanité estoit beaucoup moindre que la divinité du Sauveur, mais neanmoins sa divine Majesté s'est voulu servir de cette humanité sacrée pour nous faire connoistre la grandeur de sa sagesse, bonté et misericorde; et par ainsy elle a esté comme une couronne royale qui nous a fait comprendre en quelque façon, selon nostre capacité, la dignité du chef qu'elle a environné et orné..

  A009000600 

 En quoy certes ils ont tres grande rayson, car chacun sçait que la couronne est un ornement de teste et un ornement royal, mais pourtant beaucoup moindre en valeur que la teste qui la porte et qui en est parée.

  A009000601 

 Le reste des Peres qui ont consideré les parolles de l'Espouse tiennent que lors qu'elle invitoit ces filles de Sion à regarder la couronne de son Bien-Aymé, de laquelle sa mere [la Synagogue] l'avoit couronné au jour de sa joye et de son allegresse, elle entendoit parler de la couronne d'espines qu'il portoit au jour de sa Passion.

  A009000601 

 Mais si cela est, pourquoy dit-elle au jour de sa joye, puisque c'est au jour de sa douleur et de sa mort, ainsy que luy mesme le declare: Mon ame est triste jusques à la mort? Mon Dieu, qu'est-ce que cecy, qu'emmi une si grande allegresse il se trouvast une si grande tristesse! O certes, la tristesse et la joye ne sont pas incompatibles ensemble, de sorte qu'elles se pouvoyent facilement rencontrer toutes deux en l'ame de Nostre Seigneur le jour de sa Passion.

  A009000601 

 Nul ne doit douter qu'il n'y eust en son ame deux portions: l'une superieure, qui embrassoit volontairement la mort pour satisfaire à la volonté divine à laquelle elle estoit parfaittement unie; l'autre inferieure, qui craignoit la mort et les ignominies de la croix: si que l'allegresse et la tristesse avoyent toutes deux trouvé place en cette ame tres sainte..

  A009000602 

 Si cela est, qui peut douter que le jour de la Passion du Sauveur ne fust le jour de sa joye et de son allegresse? car ne voyez-vous pas les fleurs qui sortent et commencent à bourgeonner autour de la Croix, presage certain des fruits que devoit rendre cet arbre de vie? je veux dire les merites de cette mort, produisans les doux fruits de la salvation des hommes qui espereroyent en ces merites? Que si la joye de la femme est de produire beaucoup d'enfans, combien de sujets de resjouissanee Nostre Seigneur et Maistre eut-il au jour de sa Mort et Passion, puisque ce fut en iceluy qu'il fut fait Pere de tous les enfans des hommes, et leur acquit la grace pour cette vie passagere et la gloire pour la vie eternelle..

  A009000602 

 [211] Vous sçavez que chaque chose se resjouit lors qu'elle produit son fruit; si que l'on dit qu'au printemps la terre semble se resjouir, les arbres commençans à produire des fleurs qui sont des presages de la production des fruits.

  A009000603 

 Et comment celuy du Pere eternel, puisqu'il voyoit mourir son Fils de la mort naturelle? Ne vous semble-t-il pas que ce fut plustost le jour de sa douleur que non pas celuy de son allegresse? Hé, non certes, mes cheres ames, il ne nous doit pas sembler ainsy.

  A009000603 

 La rayson nous le monstre, puisque ce fut alors que Dieu rendit le fruit de sa justice, de sa charité et de sa misericorde envers les hommes.

  A009000603 

 Outre cela, quel playsir pensez-vous qu'il eut de voir son Fils attaché sur la croix pour obeir à sa divine Majesté? Chacun sçait le contentement que les peres reçoivent en l'obeissance que leurs enfans leur rendent; et plus ceux cy se monstrent sujets et obeissans à leurs volontés plus aussi ils reçoivent de complaisance à les aymer.

  A009000604 

 Cela estant ainsy, qui peut douter que le jour de la Passion de Nostre Seigneur et Maistre ne soit un jour de joye et de delices pour les Anges et pour les hommes, puisque c'est en iceluy qu'il a fait paroistre le grand amour qu'il nous portait, comme il l'asseure luy mesme: Nul n'a plus grand amour que celuy qui met son ame, c'est à dire sa vie, pour celuy qu'il ayme..

  A009000604 

 Je sçay bien que quelques docteurs tiennent que c'est la veue de la Divinité qui fera cette felicite; mais pourtant l'un ne contrarie pas beaucoup à l'autre, d'autant que cette veue sacrée est ce qui nous excitera à des ardeurs incomparables pour l'aymer.

  A009000604 

 L'amour que Dieu porte aux Bienheureux en Paradis et que ces ames bienheureuses portent à la divine Majesté est ce qui fait leur felicité.

  A009000604 

 Partant, et la connoissance que nous aurons des grandeurs de Dieu, et l'amour que nous luy porterons et qu'il nous portera seront le sujet de nostre bonheur eternel.

  A009000604 

 Quant aux hommes et aux Anges, nul ne peut douter que ce ne fust le jour de leur joye par excellence au dessus de tous les autres.

  A009000605 

 Mais, me demanderez vous, pourquoy dites vous que la Croix est un festin auquel nous sommes tous invités, sans en excepter pas un? Hé, ne voyez-vous pas les mets delicieux qui nous y sont preparés? Voyez et considerez de grace la souveraine misericorde que Dieu y presente aux hommes; remarquez, je vous supplie, que c'est là où nous sont preparés et offerts tous les secours necessaires pour parvenir à la gloire..

  A009000606 

 Chose estrange! la table du roy estoit toute pleine, et cependant il n'arresta sa veüe que sur un seul, qui avoit esté si impudent que d'y venir avec ses habits de tous les jours; il s'irrita contre cet homme et le fit jetter pieds et mains liés aux tenebres exterieures.

  A009000606 

 Nous venons tous au festin de la Croix, car par la grace de Dieu nous esperons d'estre sauvés par [213] les merites de Nostre Seigneur crucifié; mais le malheur est que nous n'y venons pas tous avec la robe nuptiale, de sorte que plusieurs en sont bannis et jettés dans les flammes eternelles..

  A009000607 

 Les robes de noces que l'on faisoit du temps de nos peres estoyent extremement amples.

  A009000607 

 Mais qu'est-ce que cette robe nuptiale? C'est la tres sainte charité, car ainsy les Peres l'ont determiné; c'est la charité, mais une charité ample, large et d'une grande estendue.

  A009000608 

 Me voyci maintenant à ce que je voulois dire, et pour ne laisser plus vos attentions en suspens, je vous declareray que cette robe d'Esther represente fort bien la robe nuptiale de laquelle il faut que les ames soyent revestues pour estre trouvées aggreables par le grand Assuerus, par nostre divin Sauveur; mais principalement les Religieux et Religieuses qui luy sont presentées pour estre ses espouses et qui pretendent de parvenir à son lit nuptial..

  A009000609 

 Je remarque premierement qu'il faut que cette robe, c'est à dire la charité dont elles doivent estre revestues, soit une charité large et clans laquelle elles se puissent tourner à l'ayse.

  A009000609 

 La charité des personnes du monde est si estroitte que rien n'y sçauroit entrer que la simple observance des commandemens de Dieu; car quant aux conseils ils ne peuvent entrer en cette robe.

  A009000610 

 Les manches des robes des Religieuses sont larges du costé des mains pour monstrer que les parolles ne suffisent pas, ains qu'il faut des œuvres; elles sont larges en sorte qu'elles puissent tenir les bras croisés dedans, pour monstrer que dès qu'elles ont fait quelques bonnes actions, quelques actes de vertu, il faut remettre la main dans la manche, c'est à dire il faut cacher cette prattique de vertu pour en eviter la louange, et ne vouloir qu'elle soit remarquée que de leur Espoux auquel seul elles desirent de plaire..

  A009000610 

 Que represente cela, je vous prie, sinon qu'elles sont abondantes en parolles et ont fort peu d'œuvres? Oh, moy je suis une fille de bien et d'honneur; mais de bonnes actions qui soyent conformes à ces parolles, point, ou du moins peu.

  A009000611 

 Au lieu de tout cela, on donne un voile aux Religieuses, qui rejettent toutes ces vanités; et de mesme que leur divin Espoux est couronné d'une couronne d'espines, comme estant le Roy des miserables, ainsy couvrent-elles leurs testes du voile d'abjection et du mespris non seulement de toutes les vanités, mais aussi d'elles mesmes, pour estre plus conformes à leur Bien-Aymé..

  A009000612 

 J'ay dit que la robe de la chaste Esther estoit longue et traisnante, de sorte qu'il failloit que l'une de ses filles la portast apres elle.

  A009000612 

 Les Religieux et Religieuses doivent avoir cette robe tres grande, ce qui represente le bon exemple; et ne se faut pas contenter quelle aille jusqu'en terre et jusqu'à la fin de leur vie, mais aussi qu'elle passe plus outre; que l'odeur de leur sainteté charge celles qui viennent apres elles, qu'il y ait tousjours une bonne brassée de leurs bons exemples propre à estre portée, par imitation, par tous ceux qui entendront parler d'elles..

  A009000612 

 Que pensez-vous que je veuille [215] signifier par cela? Puisque cette robe represente la robe nuptiale que nous devons apporter au banquet et festin de la Croix, il faut que nostre charité soit longue et traisnante, qu'elle soit perseverante jusqu'à la fin de nos jours.

  A009000613 

 Aussi faut-il que les ames qui doivent estre presentées au Roy souverain par les attraits et inspirations celestes soyent appuyées sur l'esperance de participer aux merites de la Mort et Passion de Nostre Seigneur; car en s'appuyant sur leurs bonnes œuvres elles ne sçauroyent marcher ni le faire seurement pour parvenir au festin nuptial de leur tres cher Espoux.

  A009000613 

 Or cet Espoux divin requiert de nous que nous connoissions et reconnoissions que tout ce que nous pourrions faire ou souffrir en cette vie mortelle ne sçauroit estre capable de nous meriter les delices eternelles qu'il a preparées pour ceux qui l'ayment, si ces mesmes œuvres ou souffrances ne sont unies et conjointes avec les siennes, lesquelles seules peuvent sanctifier les nostres et nous obtenir la jouissance de sa divine presence, jouissance qui fera nostre felicité en la gloire de la bienheureuse eternité.

  A009000618 

 Mais je ne veux ni dois entreprendre ce discours sans avoir jetté le fondement de l'esperance que j'ay de vous dire quelque chose qui vous soit utile et profitable en l'assistance du Saint Esprit, par l'intercession de la Sainte Vierge, luy presentant le Salut angelique..

  A009000618 

 Mes tres cheres Sœurs, ayant un mot à vous dire de la part de Nostre Seigneur, je ne puis vous entretenir plus utilement que de vous parler des medecins et des malades, puisqu'il est à mon propos à cause de la feste que nous celebrons aujourd'huy de deux grans Martyrs et medecins tant du corps que de l'esprit.

  A009000620 

 C'est la verité que plus nous croirons et confesserons que nous sommes infirmes, d'autant plus tost nous serons gueris et rendus sains.

  A009000620 

 Comme au contraire, si nous croyons que nous sommes sains, robustes et gaillars, c'est alors que nous sommes plus mal et en plus grand danger; car ceux qui sont malades et ne croyent pas l'estre, ne veulent point suivre les ordonnances du medecin ni prendre aucun medicament, pensans qu'ils n'en ont pas besoin, et partant ils ne guerissent point, ains viennent à mourir.

  A009000622 

 La sainte Eglise est une boutique d'apothicaire, toute pleine de medicamens pretieux et salutaires, qui sont les saints Sacremens que nostre Sauveur et Maistre luy a laissés pour nous guerir de nos infirmités.

  A009000622 

 Par le Sacrement de Penitence nous recevons l'absolution de tous nos pechés tant mortels que veniels; car encor que la confession regarde seulement les pechés mortels, si est-ce que les veniels sont suffisante matiere d'absolution, et il est tres bon de s'en confesser.

  A009000622 

 Par le Sacrement de l'Eucharistie nous sommes unis et conjoins à la divine Bonté et recevons la vraye vie de nos ames; car ne sçavez-vous pas que le divin Sauveur a dit: Celuy qui me mange vivra eternellement? En fin il en est de mesme des autres Sacremens qui en une certaine façon nous lavent tous de nos iniquités..

  A009000624 

 Il y a aussi d'autres ames qui servent Dieu si langoureusement et negligemment que c'est pitié; elles tombent [219] à tout propos en des imperfections et n'ont point de courage pour s'en relever.

  A009000624 

 Ne voyez-vous pas le grand Apostre saint Paul, tout ravi qu'il avoit esté jusqu'au troisiesme Ciel, confesser qu'il est infirme et malade de corps et d'esprit? Oyez-le s'escrier: Qui me delivrera du corps de cette mortalité? Que veut-il signifier de grace, sinon: Qui me delivrera de mes maladies et infirmités?.

  A009000624 

 Que veut dire, je vous prie, ce mot de Chrestien, sinon oint et embaumé, c'est à sçavoir que l'on se tient pour malade et infirme? de sorte qu'il faut advouer que veritablement nous le sommes.

  A009000624 

 Si ces anciens Peres, qui, à ce que rapporte Philon le Juif, estoyent si fervens et zelés au service de leur Createur et à travailler pour l'aggrandissement de sa gloire, s'ils venoyent maintenant parmi nous, ils seroyent honteux de voir que nous appellans Chrestiens nous le sommes si peu.

  A009000625 

 De mesme, encores qu'il semble que ce soit marque de bonne santé d'avoir quantité de sang, neanmoins s'il y en a trop grande abondance, cela nous pourrait causer quelque maladie.

  A009000625 

 La maladie corporelle arrive quelquefois lors qu'il y a quelque desordre en nous, que les humeurs s'espanchent par tout le corps et que quelque humeur froide tombe sur le foie; cela donne des douleurs d'estomach.

  A009000626 

 Nous voyons par ces paroles que ce grand Saint appelle toutes les ames des Chrestiens generalement, espouses de ce grand Dieu.

  A009000626 

 Quand je considere le bonheur de ces ames que Dieu a choisies de toute eternité pour les mettre en la sainte Religion, à fin de «vaquer» plus soigneusement à la purgation de leurs maladies et imperfections pour acquerir «la perfection du divin amour,» j'ay de la jalousie pour elles, d'autant qu'elles sont tres particulierement les espouses de l'Espoux celeste.

  A009000627 

 Les femmes du monde ayment voirement Dieu, mais leur amour est partagé, car elles ayment leur mari, leurs enfans, leurs moyens; elles desirent d'en acquerir davantage, tellement que leurs affections estans engagées en tant de choses, elles sont beaucoup diverties de la pureté de l'amour divin et sacré.

  A009000627 

 Mais les ames religieuses ont mille fois plus de facilité parce que leur amour n'est point partagé; elles le logent tout en leur celeste Espoux, qui est l'unique objet de leurs affections et pretentions, auquel elles se sont entierement dediées et consacrées pour estre siennes à toute eternité, sans reserve ni exception; elles n'ont autre desir que de l'aymer et de luy plaire et taschent d'aneantir leur amour propre pour faire vivre et regner l'amour de Dieu, car ces deux amours ne peuvent compatir ensemble.

  A009000627 

 Vous sçavez que deux roys ne peuvent subsister ensemble en un mesme royaume; de sorte que nous devons renoncer et aneantir l'amour propre qui nous cause tant de mal, de troubles, d'inquietudes et chagrins, pour laisser posseder nostre cœur au saint amour qui nous comblera de contentement, d'une paix et tranquillité nompareille..

  A009000628 

 Lors qu'ils furent arrivés au sommet de la montagne il commença à les instruire, nous donnant à entendre qu'il faut que ceux qui veulent enseigner les autres montent premierement à la montagne de la perfection à fin que leurs enseignemens ayent plus d'efficace.

  A009000628 

 Regardons, je vous prie, nostre Sauveur en l'Evangile d'aujourd'huy: il monte sur la montagne avec une grande multitude de peuple qui le suivoit pour estre gueris de leurs maladies, car il sortoit de luy comme une celeste liqueur qui guerissoit; tellement que les uns s'approchoyent pour le voir, d'autres pour l'ouyr parler, d'autres pour toucher le bord de ses vestemens et d'autres pour odorer cette divine odeur à fin d'estre gueris.

  A009000629 

 Les mondains se font gloire de ne point pardonner et faire misericorde; et Jesus Christ enseigne: Bienheureux les misericordieux, car ils obtiendront misericorde, nous monstrant par là que si nous ne faisons misericorde elle ne nous sera pas faite.

  A009000629 

 Nostre Seigneur est tout au contraire du monde; car les mondains ne tiennent pour bienheureux que les riches, parce qu'avec les richesses on fait tout ce qu'on veut.

  A009000630 

 Allez tant que vous voudrez par tout le monde prescher la pauvreté; qui vous entendra? Exaltez tant qu'il vous plaira la sainte humilité; à qui, je vous prie, la persuaderez-vous? Criez et recriez tant que vous pourrez que bienheureux sont les pauvres; personne ne le veut estre pour tout cela, sinon ceux à qui le Saint Esprit a donné le don de sapience, par lequel il fait gouster à leurs ames la douceur qu'il y a au service de Dieu et en la prattique des vertus.

  A009000630 

 De sorte que ces ames religieuses reçoivent mille suavités et contentemens parmi la pauvreté, la mortification et les exercices de la Religion, car c'est principalement à elles que ce divin Esprit depart ses pretieux dons; partant elles ne doivent rechercher que Dieu et la mortification de leurs passions en la Religion, car si elles y cherchent autre chose elles n'y trouveront jamais la consolation qu'elles pretendent..

  A009000631 

 Certes, nous ne serons jamais parfaittement gueris que nous ne soyons en Paradis; car si nous corrigeons maintenant un defaut, tantost il en faudra corriger un second, et puis il en viendra d'autres.

  A009000631 

 Il nous faut donques avoir un grand courage pour ne nous point lasser en ce travail, et une grande patience avec nous mesme, parce que nous aurons tousjours quelque chose à faire et à retrancher en nous.

  A009000631 

 Ils disent qu'il y a la voye purgative, illuminative et unitive; mais moy, pour abreger, j'ay tousjours accoustumé de dire qu'il ne faut que nous purger de nos imperfections, d'autant que c'est une chose infaillible qu'en desracinant de nous le vice, [223] la vertu y entrera.

  A009000632 

 Helas! je considere la fidelité que nous avons tous jurée à la divine Majesté aux saints fonts du Baptesme et comme il s'en trouve peu qui la gardent! Voyez, je vous prie, ces deux Saints dont nous celebrons aujourd'huy la feste, saint Cosme et saint Damien, lesquels subirent tant de tourmens et aymerent mieux mourir que de fausser la foy et loyauté deuë à leur Createur, disant un petit ouy.

  A009000632 

 Nous en devrions tous faire de mesme si nous estions tels que nous devons estre..

  A009000633 

 L'humilité nous est tellement necessaire, que sans icelle nous ne pouvons estre aggreables à Dieu ni avoir aucune autre vertu, pas mesme la charité qui perfectionne tout, car elle est si conjointe à l'humilité que ces deux vertus ne peuvent estre separées; elles ont une si grande sympathie ensemble que l'une ne va point sans l'autre.

  A009000633 

 Que pensez-vous que ce soit, la pauvreté d'esprit? Ce n'est autre chose que la tres sainte humilité, parce que la richesse d'esprit c'est la vanité, l'orgueil et presomption qui font que nous nous enflons et estimons estre riches, quoy qu'à la verité nous soyons tres pauvres.

  A009000633 

 Si vous me dites que vous avez la charité et que vous n'avez pas l'humilité, je vous respondray que vous mentez; si vous [224] asseurez que vous avez l'humilité et que vous n'avez pas la charité, vous ne dites rien qui vaille.

  A009000634 

 Bon, tout cela est bon; mais a-t-elle de la charité et de l'humilité? car si elle n'en a, je ne fais point d'estat de tout le reste; ses vertus ne sont que des fantosmes et non des vrayes et solides vertus.

  A009000634 

 Cela est bon quand Dieu les donne; mais que fait-elle encores pour estre si sainte que vous dites? Elle donne souvent l'aumosne.

  A009000634 

 Lors que les mondains voyent une personne devote ils disent incontinent qu'elle est sainte; et si vous leur demandez: Pourquoy est-elle sainte? Parce, vous respondront-ils, qu'elle demeure long temps aux eglises, qu'elle recite quantité de chapelets et entend beaucoup de Messes.

  A009000635 

 En fin, mes cheres Soeurs, vous voyez que sans l'humilité et la charité nous ne sommes rien.

  A009000636 

 La sainte et vraye humilité fait que l'ame se tient fort rabaissée devant Dieu.

  A009000636 

 Non seulement elle se reconnoist pour telle en soy mesme, mais ce qui est plus parfait, elle veut, desire et se resjouit que tout le monde la regarde et traitte pour telle.

  A009000636 

 Voyant qu'elles n'estoyent rien qui vaille et qu'elles ne meritoyent pas que le monde les regardast, elles se sont retirées pour estre estimées de luy viles et abjectes..

  A009000637 

 Ne sçavez-vous pas que le grand saint Paul dit que luy et les autres Apostres, parce qu'ils servoyent leur Maistre et mesprisoyent le monde, estoyent reputés des mondains comme les excremens du monde, les balayeures et peleures des pommes, qui sont des choses si viles et que l'on jette là? Voyez comme il parle, ce divin [226] Apostre: J'ay reputé toutes choses fange et ordure pour gaigner Jesus Christ et sa bonne grace.

  A009000638 

 Lors que quelque personne de qualité entre en une mayson honnorable, les damoyselles qui y sont se vont cacher l'une deçà, l'autre delà, parce qu'elles ne sont pas parées selon leur desir; ainsy ces ames religieuses s'enfuyent en la Religion, de peur qu'on ne les voye, parce qu'elles pensent n'avoir rien qui merite qu'on les regarde et qu'on tienne compte d'elles.

  A009000638 

 On doit s'estimer vil, pauvre et vuide de tout bien, et y venir avec cette croyance que l'on n'est rien, que l'on ne vaut rien; c'est pourquoy on se cache, comme ne meritant pas d'estre regardé de Dieu ni des creatures.

  A009000639 

 Quand je vois que la plus grande partie des hommes ne respirent rien moins que l'humilité, qu'ils la fuyent pour rechercher les honneurs, les charges relevées et les grandes dignités, qu'ils sont pleins de presomption et de superbe, mon Dieu, cela m'est insupportable! Et ne sçavez-vous pas, o mondains, que le mauvais riche pour s'estre enflé d'orgueil, comme il tesmoigna en mesprisant le pauvre Lazare, est maintenant aux enfers pour toute eternité? Mais lors que ces personnes du monde vont [227] un peu aux eglises entendre la sainte Messe, qu'elles communient à Pasques et font quelque aumosne, elles pensent pour cela estre saintes, tellement qu'il ne faut plus que les canonizer et les mettre sur les autels.

  A009000639 

 Sçavez-vous pas, pauvres gens, que puisque vous n'avez point de charité et d'humilité tout cela n'est rien?.

  A009000640 

 D'où pensez-vous que viennent ces relasches et desordres de certaines maysons religieuses? C'est certes parce que l'humilité n'y est pas.

  A009000640 

 Et pourquoy pensez-vous que l'humilité n'y est pas? C'est parce que cette infortunée parolle tien et mien n'en est pas bannie; car dès que la communauté et pauvreté n'est pas observée, la presomption et superbe y entre aussi tost, d'autant qu'il n'y a rien qui nous enfle tant que les richesses, par lesquelles nous avons dequoy dire tien et mien.

  A009000640 

 La sainte pauvreté sert grandement pour nourrir et conserver l'humilité, parce qu'il n'y a rien qui nous humilie et abaisse tant que d'estre pauvre, de sorte que l'humilité est tenue fort à couvert par le moyen de la pauvreté et communauté..

  A009000641 

 Voyez le grand saint Augustin comme il veut qu'elle soit exactement observée, car il defend tres absolument que l'on ayt «chose quelconque, pour petite qu'elle soit,» non pas mesme une epingle en particulier, ains que tout soit en commun, en sorte que ce mot de tien et mien en soit entierement banni; que les portions et tout le reste soit esgal autant que la necessité le pourra permettre, parce qu'es Religions où toutes choses ne sont communes il y a des portions particulieres.

  A009000642 

 Bienheureuses sont donques les ames auxquelles Dieu a fait tant de misericorde que de les avoir appellées à une Religion où la sainte communauté est exactement observée, car elles ont certes plus de moyens et de facilité pour acquerir la tres sainte humilité; et partant, ayant l'humilité elles ont par consequent la vraye pauvreté d'esprit à laquelle est jointe et attachée la felicité eternelle, puisque Nostre Seigneur et Maistre la leur a promise disant: Bienheureux sont les pauvres d'esprit, c'est à sçavoir les humbles, d'autant que le Royaume des cieux est à eux..

  A009000642 

 Le grand saint François aymoit uniquement cette vertu de pauvreté, et beaucoup plus qu'un amant n'ayma [228] jamais son amante, et que le grand Alexandre n'ayma jamais ses richesses.

  A009000643 

 Helas! voyez comme les mondains se comportent quand ils veulent mettre quelques uns de leurs enfans en Religion: ils regardent pour l'ordinaire d'y mettre les plus laids, inutiles et contrefaits, quoy que Nostre Seigneur veuille tousjours le plus beau et le meilleur, comme il est aussi raysonnable de le luy donner.

  A009000643 

 Toutes les ames religieuses sont en l'estat de perfection, quoy que pour cela elles ne soyent pas tousjours toutes en la perfection.

  A009000644 

 En fin, touchant cet amour infini, comme se pourroit-il faire que nous ne l'aymassions reciproquement? Comment pourrions-nous toucher et voir son humilité extreme, sans nous humilier et nous aneantir nous mesme? Touchant sa patience, douceur et benignité, nous deviendrons patiens, doux et benins.

  A009000644 

 Or, pour abreger et reduire tout en un seul point, je desire de vous donner une methode par laquelle vous pourrez facilement mettre en prattique tout ce que nous avons dit cy dessus.

  A009000649 

 L'Evangile que la sainte Eglise nous propose en la feste d'aujourd'huy est composé de deux parties qui tendent toutes deux à la louange de la tres sainte Vierge, de laquelle nous celebrons la Presentation au Temple.

  A009000649 

 La premiere est que Nostre Seigneur preschant, une femme se prit à crier tout haut, luy parlant en cette sorte: Bienheureux est le ventre qui t'a porté et les mammelles que tu as succées.

  A009000650 

 La felicité n'est pas attachée à la dignité ni donnée selon icelle, ains selon la mesure de l'union que nous avons avec la divine volonté; de façon que si l'on pouvoit separer la dignité de Mere de Dieu d'avec la parfaite sousmission qu'avoit la tres sacrée Vierge à sa sainte volonté, elle auroit eu le mesme degré de gloire et la mesme felicité qu'elle a maintenant au Ciel.

  A009000650 

 Mais comme si le Sauveur eust voulu encherir et non pas diminuer la louange que l'on rendoit à sa tres sainte [231] Mere, il poursuit le cantique d'honneur qui estoit entonné par sainte Marcelle à la faveur de Nostre Dame, disant: Il est vray, mais plus heureuse encores est-elle d'avoir escouté la parole de mon Pere et de l'avoir gardée.

  A009000652 

 Nostre Dame ne peut jamais descheoir de la premiere grace qu'elle receut de la souveraine Majesté parce qu'elle alla tousjours adherant à la divine volonté, si qu'elle meritoit sans cesse de nouvelles graces; et plus elle en recevoit, plus son ame se rendoit capable d'adherer à Dieu, en sorte qu'elle s'unissoit plus que jamais et affermissoit sa premiere conjonction avec luy.

  A009000652 

 Pour cela elle voulut se retirer au Temple, non qu'elle en eust besoin pour elle mesme, ains pour nous enseigner que nous autres estans sujets au changement, nous nous devons servir de tous les moyens possibles pour bien affermir et conserver nos bonnes resolutions tant interieures qu'exterieures.

  A009000652 

 Quant à elle, il suffisoit, pour perseverer en son bon propos, qu'elle se fust donnée à Dieu dès le premier moment de sa vie, sans qu'elle eust besoin pour cela de sortir de la mayson de son pere; elle n'avoit rien à craindre que les objets exterieurs la peussent jamais divertir; mais, comme une bonne Mere, elle nous vouloit enseigner que nous ne devions rien negliger pour bien asseurer nostre vocation, ainsy que saint Pierre nous exhorte..

  A009000652 

 Si donc on peut trouver du changement en la tres sainte Vierge, ce n'est que pour s'unir davantage et croistre autant qu'il se pouvoit en toutes sortes de vertus pour rendre invariable la resolution qu'elle avoit faite d'estre toute à Dieu.

  A009000653 

 On rapporte que c'estoit chose belle à voir comme elle montoit joyeusement les quinze marches du Temple..

  A009000653 

 Pour reconnoissance de cette grace, elle se dedia et consacra dès lors si absolument à son service, que la parole qu'elle donna à la divine Majesté fut irrevocable.

  A009000654 

 Elle venoit avec un cœur nompareil se donner à Dieu sans reserve, et semble que si elle eust osé, elle eust dit volontiers aux bonnes dames qui eslevoyent ces filles qu'on dedioit au Seigneur dans le Temple: Me voyci entre vos mains comme une boule de cire, faites de moy tout ce que vous voudrez, je ne feray nulle resistance.

  A009000654 

 Saint Joachim et sainte Anne la portoyent vrayement pour satisfaire au vœu qu'ils avoyent fait à Dieu de la luy offrir dans son Temple; mais cette benite Enfant y venoit aussi poussée de sa propre volonté, et, bien que pour se tenir dans les bornes de l'enfance elle ne l'eust point manifestée, l'heure neanmoins luy tardoit fort de se voir absolument toute consacrée au service de la divine Majesté.

  A009000655 

 Au commencement de sa Passion il monstra sa toute puissance lors que, comme lion de la tribu de Juda, il se prit à rugir cette parole: Ego sum, c'est moy, quand les Juifs le cherchant, il leur demanda: Qui cherchez-vous? Ils luy respondirent: Jesus de Nazareth.

  A009000655 

 Elle commença dès lors à imiter son Fils qui devoit estre si sousmis à la volonté d'un chacun, que si bien il estoit à son pouvoir de resister à tous, il ne le voulut pourtant jamais faire.

  A009000655 

 Mais soudain, les ayant fait relever, il cacha derechef sa toute puissance sous le manteau d'une sainte mansuetude et debonnaireté; si que dès lors ils l'empoignerent et le conduisirent à la mort sans que plus ils vissent en luy aucune resistance, leur permettant de non seulement le tondre comme un doux aignelet, mais encores de luy [234] oster jusqu'à sa propre peau.

  A009000656 

 Elle obeit plus parfaitement à la parolle de Dieu que nulle autre, aussi se donna-t-elle plus absolument à luy que nulle autre.

  A009000656 

 Et qu'est-ce que Dieu demande de nous? Escoutez-le, de grace, ce sacré Sauveur de nos ames: Mon enfant, donne-moy ton cœur, va-t-il repetant à un chacun de nous..

  A009000656 

 Mais qu'est-ce, je vous prie, que nous donner tout à Dieu? C'est ne se reserver aucune chose qui ne soit pour Dieu, non pas mesme une seule de nos affections ou de nos desirs.

  A009000657 

 As-tu un cœur bon? donne-le tel qu'il est, car c'est ce que la divine Bonté demande.

  A009000657 

 Car, helas! ne sçavons-nous pas que tout ce qui est remis entre ses mains divines est converti en bien? Ton cœur est-il de terre, de boue ou de fange, ne crains point de le remettre entre les mains de Dieu; quand il crea Adam il prit bien un peu de terre et puis il en fit une ame vivante.

  A009000657 

 Il ne veut sinon ce que nous sommes et ce que nous avons..

  A009000657 

 Mais, me dira-t-on, comment cela se peut-il faire que je donne à Dieu mon cœur qui est tout plein de pechés et d'imperfections? comment pourroit-il luy estre aggreable, puisqu'il est tout rempli de desobeissances à ses volontés? Hé, pauvre homme, de quoy te fasches-tu? pourquoy refuses-tu de le luy donner tel qu'il est? N'entens-tu pas qu'il ne dit point: Donne-moy un cœur pur comme celuy des Anges ou de Nostre Dame, mais: Donne-moy ton cœur? C'est le tien propre qu'il demande; donne-le tel qu'il est.

  A009000658 

 En l'ancienne Loy Dieu avoit ordonné qu'un chacun visitast son Temple, mais il defendit que personne n'y vinst les mains vuides, ni pauvres ni riches.

  A009000658 

 Le Seigneur vous a enrichies de sa grace, il veut que vous luy apportiez ce que vous avez..

  A009000658 

 Mais que les ames riches en saintes pretentions de faire de grandes choses pour Dieu ne viennent pas apporter l'offrande des pauvres, car il ne s'en contenteroit pas.

  A009000658 

 Pourtant il ne vouloit pas que tous fissent une esgale offrande, car il vouloit que les riches, comme opulens, offrissent selon [235] leurs richesses et les pauvres, selon leur pauvreté; de sorte qu'il ne se fust pas contenté si les riches eussent fait des offrandes convenables aux pauvres, parce que cela eust ressenti l'avarice, non plus qu'il n'eust pas esté content que les pauvres eussent fait l'offrande des riches, d'autant que c'eust esté presomption.

  A009000658 

 Que les seculiers viennent offrir à la divine Majesté l'affection et la volonté qu'ils ont de suivre ses commandemens; Dieu s'en contentera et ils seront bien heureux, puisque s'ils les observent fidellement ils seront sauvés.

  A009000659 

 Nostre Dame fait aujourd'huy une offrande telle que Dieu desirait, car outre la dignité de sa personne qui surpasse toutes les autres apres son Fils, elle offre tout ce qu'elle est et tout ce qu'elle a; et c'est ce que Dieu demande.

  A009000659 

 O mondains, jouissez, si bon vous semble, de vos biens, pourveu que vous ne fassiez tort à personne; prenez les playsirs licites et permis par la tres sainte Eglise, faites vos volontés en tant et tant d'occurrences, Dieu vous permet tout cela.

  A009000659 

 Oh que bien heureux sommes-nous donques nous autres, qui, par le moyen des vœux que nous avons faits, luy avons tout dedié, et nos corps et nos cœurs et nos moyens, renonçant aux richesses par le vœu de pauvreté, aux playsirs de la chair par celuy de chasteté, et à nostre propre volonté par celuy d'obeissance.

  A009000659 

 Prenons garde qu'il ne peut pas estre trompé; si nous disons que nous voulons tout donner, faisons-le absolument, sous peine d'estre chastiés comme Ananie et sa femme Saphire qui mentirent au Saint Esprit..

  A009000660 

 Pour nous, au contraire, à cause de la continuelle vicissitude et varieté de nos affections et humeurs, il est necessaire qu'à toute heure, tous les jours, tous les moys et toutes les années nous reconfirmions et renouvellions les vœux et les paroles que nous avons prononcées d'estre tout à Dieu.

  A009000661 

 Car, je vous prie, qui est celuy qui au jour solemnel de Pasques ne se renouvelle tout entier par des saintes affections et resolutions de mieux faire, voyant Nostre Seigneur tout renouvellé en sa Resurrection? Qui est le Chrestien qui ne renouvelle point son cœur au jour de la Pentecoste, où il considere que Dieu envoye du Ciel un nouvel esprit sur ceux qui l'ayment, et au jour de la Toussaint où la sainte Eglise nous represente la gloire et felicité des Esprits bienheureux, apres laquelle nous souspirons et pour laquelle nous esperons? En fin, qui peut estre de si petit courage qu'il ne s'efforce de se renouveller au jour de Noël, où l'on voit le Sauveur de nos ames fait petit enfant tant aymable qui vient pour nous racheter?.

  A009000662 

 Et comme le pourrions-nous mieux faire que par des reconfirmations du dessein que nous avons et du choix que nous en avons fait? Vous avez donques, mes cheres ames, mis aujourd'huy un clou à vostre vocation par le renouvellement de vos vœux en presence de la divine Majesté, qui demande cela de vous en reconnoissance du don sacré qu'elle vous a fait à mesme temps d'elle mesme..

  A009000663 

 Adjoustons neanmoins encores ce mot, qui est qu'elle fut obeissante à la divine Majesté, non seulement à ses commandemens, ains à ses volontés et à ses inspirations; et c'est en quoy il faut que nous prenions garde, mes cheres ames, de l'imiter au plus pres qu'il nous sera possible.

  A009000663 

 Ce que je dis parce qu'il s'en trouve fort peu qui le fassent fidellement, et beaucoup qui protestent le vouloir faire.

  A009000663 

 Ouy, pourveu que rien ne vous manque.

  A009000663 

 Prenez garde que nostre divin Maistre ne voulut estre redouté qu'une fois en sa vie, ainsy que je l'ay desja touché, quand il dit à ceux qui le voulurent prendre au jardin des Olives: C'est moy.

  A009000663 

 Quand on leur presche la douceur, parce que Nostre Seigneur a dit: Apprenez de moy que je suis doux et humble de cœur, il y en a peu qui ne respondent: Mais ceux qui sont doux ne se font pas assez craindre.

  A009000664 

 Il ne faut non plus d'exemption en cette obeissance qu'en l'offrande que Dieu veut que nous luy fassions de nous mesme, car si Nostre Dame n'eust pas esté aggreable à la divine Majesté sans cette absolue obeissance, comme Nostre Seigneur le monstre par la louange qu'il luy donna apres celle de cette benite femme mentionnée en nostre Evangile, beaucoup moins le serons-nous, nous autres.

  A009000664 

 Pourtant, mes cheres Soeurs, bien que nul autre que la Sainte Vierge puisse avoir cet honneur d'estre Mere de Nostre Seigneur en effect, nous devons neanmoins tascher d'en meriter le nom par l'obeissance à la volonté de Dieu.

  A009000664 

 Vous sçavez que le Sauveur preschant un jour dans le Temple les parolles de la vie eternelle, Nostre Dame estant à la porte, quelqu'un luy vint dire que sa Mere et ses freres le demandoyent (car il y avoit encores quelques uns de ses parens qu'il appelloit ses freres); à quoy il respondit: Qui est ma mere et qui sont mes freres? Ce sont ceux qui font la volonté de mon Pere qui est au Ciel .......................................................

  A009000671 

 Nostre Seigneur ayant enseigné à ses Apostres la perfection de la loy evangelique, disant: Bienheureux sont les pauvres d'esprit, bienheureux les debonnaires, bienheureux ceux qui pleurent, et la suite, il adjousta: Vous estes le sel de la terre; ce que l'on attribue non seulement aux Apostres, mais aussi à tous leurs successeurs, tel que fut le grand saint Ambroise duquel la sainte Eglise celebre aujourd'huy la feste.

  A009000672 

 De mesme, si le feu du Saint Esprit, l'amour de Dieu, touche une ame et la choisit pour y faire sa demeure, vous appercevrez tout aussi tost que l'amour terrestre, caduc et perissable commencera à s'esteindre, à mourir et perir, en fin à luy quitter la place..

  A009000672 

 La premiere est que le sel est composé de feu, et si neanmoins il esteint le feu; la seconde, qu'il donne goust et saveur [240] à la viande; et la troisiesme, qu'il preserve de corruption et putrefaction la chair, le poisson et autres choses qui ne peuvent estre bonnement gardées sans estre salées.

  A009000672 

 Que le sel soit composé de feu, et qu'il esteigne neanmoins le feu, faites-en l'espreuve.

  A009000673 

 C'est de ce feu dont Nostre Seigneur parloit lors qu'il dit: J'ay apporté le feu du Ciel en terre, et que veux-je sinon qu'il brusle? O Dieu, quelle grace d'estre touché de ce feu tres beni, car jamais plus on ne se plaist ès ardeurs qui luy sont contraires..

  A009000673 

 Car qui ne voit que non seulement ils ont esté touchés, mais esclairés et enflammés du feu du Saint Esprit, en sorte qu'ils n'ont autre attention que d'exterminer et aneantir l'amour charnel et perissable? Qu'est-ce, je vous supplie, qui auroit peu esteindre le feu de la convoitise des richesses ou des honneurs, que les Religieux et Religieuses renoncent pour jamais en faisant le vœu de pauvreté, s'ils n'eussent esté touchés de cette flamme sacrée et tres aymable de l'amour de Dieu, qui les a tirés d'entre le peuple pour les mettre ès lieux où plus à souhait ils peussent monstrer les effects de son infinie misericorde exercée en leur endroit? O Dieu, qu'ils sont heureux d'avoir donné entrée à ce feu celeste! car tout ainsy que le feu du ciel esteint celuy de la terre, de mesme le feu sacré exterminera et consommera celuy de la concupiscence qui regne et domine en nostre chair.

  A009000673 

 Remarquez donques, je vous prie, combien il est vray que les Religieux et Religieuses sont le sel de la terre (s'entend pourveu qu'ils soyent bons Religieux), puisqu'ils ont cette premiere condition du sel.

  A009000674 

 Or, ce sel qui assaisonne tout ce que nous faisons, c'est la sagesse et discretion.

  A009000674 

 Quelle plus grande sagesse, je vous supplie, que celle des Religieux qui connoissans leur foiblesse pour demeurer dans le monde, emmi les continuelles occasions de se perdre, s'en retirent pour plus à souhait servir Dieu fidellement? Ils ont esté touchés de ce feu du Saint Esprit lequel leur a fait connoistre, par un petit rayon de sa lumiere, qu'ils ont plusieurs maladies spirituelles auxquelles il faut remedier pour ne point tomber au peril de la mort eternelle..

  A009000675 

 Ces bigearreries, ces propres volontés qui ne se veulent point sousmettre, ces jugemens particuliers, ces intentions impures qui ruinent et gastent toutes nos meilleures actions, ces laschetés et cette negligence d'esprit qui n'a point de cœur pour la pretention de la perfection, [242] qu'est-ce autre chose que des maladies contractées par nostre ame en la communication que nous avons eue avec le peché?.

  A009000675 

 L'Eglise n'est autre chose qu'un hospital où il y a plusieurs sortes d'infirmeries pleines de malades; car les pecheurs ne sont-ce paà des malades? Mais comme aux hospitaux il y a tousjours quelque infirmerie ou chambre pour les convalescens, de mesme les Religions sont destinées aux ames relevées qui desirent grandement de se rendre quittes des maladies qu'elles ont apportées du monde et que Nostre Seigneur par sa grace leur a fait connoistre.

  A009000675 

 Les Religieux ont esté appellés d'un nom grec qui a deux significations, dont l'une vaut autant à dire que remediateur, medecin, remede et medecine.

  A009000676 

 C'est en cette façon que tous peuvent estre appellés et estre par consequent dignes successeurs des Apostres; car si bien tous ne preschent pas et n'administrent pas les Sacremens, qui sont les remedes dont se sert la sainte Eglise pour la guerison de ses malades, tous neanmoins peuvent et doivent prescher d'exemple; et cette predication ne sera peut estre pas moins utile que l'autre.

  A009000676 

 Et comme les medecins jugent que le repos et la tranquillité aydent beaucoup à recouvrer plus promptement la santé, de mesme les Religieux se retirent au port de la tranquillité qui est la Religion, pour plus aysement acquerir la santé de leurs ames qui est la sainteté..

  A009000676 

 Or, les Religieux et Religieuses recherchent la guerison de ces maladies, car si bien ils ne sont pas tenus d'estre parfaits, ils sont neanmoins obligés de tendre à la perfection, puisque en faisant des vœux, nous autres tant ecclesiastiques que Religieux, nous nous obligeons quant et quant de tascher de tout nostre pouvoir d'acquerir la perfection et de vivre selon icelle.

  A009000677 

 L'autre explication ou signification du nom qu'on leur a donné est cultivateur, qui est autant à dire que laboureur.

  A009000677 

 Qu'est ce que l'office du Religieux sinon de bien cultiver son esprit, pour en desraciner toutes les mauvaises productions que nostre nature depravée fait bourgeonner tous les jours, si qu'il semble qu'il soit tousjours à refaire? Et comme il ne faut pas que les laboureurs se faschent, puisqu'ils ne meritent pas d'estre blasmés, pour n'avoir recueilli une bonne prise, pourveu neanmoins qu'ils ayent eu soin de bien cultiver la terre et de bien ensemencer, de mesme le Religieux ne doit point se fascher s'il ne recueille pas si tost les fruits de la perfection et des [243] vertus, pourveu qu'il aye une grande fidelité pour bien cultiver la terre de son cœur en retranchant ce qu'il apperçoit estre contraire à la perfection à laquelle il est obligé de pretendre, et faisant ce qu'il voit devoir estre fait pour l'acquisition des vertus..

  A009000678 

 Mais, je vous supplie, considerez un peu la folie des mondains lesquels estans fort malades n'estiment pourtant pas l'estre, ains ils se louent de la meilleure santé du monde, bien que leurs maladies soyent telles qu'ils sont prests à tomber dans la fosse de la mort eternelle.

  A009000679 

 Les Religieux ayans esté esclairés par le Saint Esprit constituent toute leur sagesse en la tres sainte sousmission, sujetion, humilité et mespris d'eux mesmes, car ils ont fort bien consideré que c'est l'abus de leur liberté qui a fait [244] descendre les Anges du Ciel et les a precipités en l'abisme de l'enfer, où ils seront eternellement esclaves de ses peines eternelles..

  A009000679 

 Les Religieux ne veulent pas estre si insensés que ceux cy, lesquels le sont d'autant plus qu'ils ne le pensent pas estre, ains s'estiment si sages qu'ils ne tiennent nul compte des autres hommes, ne les croyant pas mesme capables de leur servir de planche, eu esgard à leur grande sagesse et preudhommie.

  A009000679 

 Mais, o Dieu, que leur folie est grande de se vouloir gouverner eux mesmes! Escoutez le grand saint Bernard qui demande à l'un de ceux cy: Dis-moy, je te prie, qui est ton maistre? Je le suis moy mesme.

  A009000681 

 Mais quel est ce sel qui donne goust et saveur à toutes nos actions et sans lequel elles ne sçauroyent meriter que Nostre Seigneur les trouve bonnes ni aggreables à sa bonté? C'est la sainte obeissance qui les rend aussi meritoires de la vie eternelle; ouy, mesme une action qui de soy n'est nullement bonne et de nul merite, si elle est faite par obeissance elle devient bonne, et les indifferentes sont rendues meritoires et aggreables à Dieu.

  A009000681 

 Pourtant ils sçavent [245] bien que ce temps là est principalement donné pour la priere et pour rendre graces à Nostre Seigneur des mysteres qui y sont representés..

  A009000682 

 Et ainsy du manger; ils n'y vont que pour la mesme fin et parce que la cloche les appelle.

  A009000682 

 Or les Religieux et ceux qui vivent vertueusement et sagement dans le monde n'agissent pas de la sorte, car ils ne font chose quelconque que par obeissance.

  A009000683 

 C'est pourquoy il est fort à propos de nous lier et engager à la poursuite des biens eternels par le moyen du vœu que nous faisons de l'obeissance à la volonté de Dieu qui nous est signifiée par ses commandemens, ses conseils, nos Regles et les ordonnances des Superieurs..

  A009000683 

 O que c'est une grande sagesse de ne s'estimer pas assez sage pour se conduire soy mesme! Je sçay bien que si nous nous laissions gouverner par la rayson elle nous meneroit bien avant dans le Ciel; mais le peché a tellement gasté et tracassé nos puissances interieures, que la partie inferieure de nostre ame a pour l'ordinaire plus de pouvoir pour nous tirer au mal que non pas la partie superieure pour nous [246] faire tendre du costé du bien.

  A009000683 

 Pourquoy pensez-vous que le Seigneur en l'ancienne Loy eust commandé aux Israelites qu'ils se gardassent bien de luy offrir aucun sacrifice où ils ne missent du sel? Nostre divin Maistre reconfirma ce mesme commandement par sa sacrée bouche, pour nous monstrer qu'il vouloit que tous nos sacrifices fussent offerts avec une grande sagesse et consideration.

  A009000684 

 C'est donques à eux que Nostre Seigneur dit: Vous estes le sel de la terre..

  A009000685 

 O Dieu, si nous autres qui sommes drdiés au service de la divine Bonté faisions la centiesme partie des choses que les courtisans des rois et des princes font pour eux, indubitablement nous serions tous saints.

  A009000685 

 Que de veilles insupportables et autres travaux tant du corps que de l'esprit! Et cependant, ces pauvres gens perdent pour la pluspart toute leur peine, faute de relever leurs intentions et de le faire parce que les rois et les princes tiennent la place de Dieu quant aux choses temporelles, et que partant il les faut honnorer et servir de bon cœur.

  A009000687 

 Dieu vous fasse la grace d'enfanter Nostre Dame ainsy que vous l'avez conceue, c'est à sçavoir de bien mettre en effect vos resolutions et vos desirs..

  A009000687 

 O que vous estes heureuses, mille fois plus que les imperatrices et les reynes, non seulement parce qu'apres avoir esté espouses de Jesus crucifié en cette vie vous le serez de Jesus glorifié là haut en sa gloire, mais aussi parce que la Croix du Sauveur est mille fois, et sans comparaison, plus honnorable que les sceptres et couronnes et les royaumes tout entiers de ce monde perissable.

  A009000687 

 Que vous avez bien conceu Nostre Dame en la veille de sa Conception! car, qu'est-ce autre chose concevoir la sacrée Vierge sinon concevoir la volonté et le desir de l'imiter en ses vertus? Elle estoit si droite en ses intentions qu'elle ne voulut point donner son consentement d'estre Mere de Dieu que premier elle n'eust consideré si c'estoit la divine volonté; mais l'ayant [248] reconneuë elle dit: Fiat; me soit fait selon ta parole.

  A009000688 

 Oh que vostre pretention est masle et genereuse, et qu'elle vous rendra grandement aggreables à la mesme Vierge, qui sera vostre protectrice pourveu que vous luy soyez fidelles.

  A009000688 

 Vous allez devenir esclaves bien aymées de son Fils tres beni Nostre Seigneur, car que voulons-nous signifier quand nous jettons la croix au col de ces filles, ainsy que vous verrez tantost? Que nous les attachons à la Croix de Nostre Seigneur, pour passer le reste de leurs jours sur le mont de Calvaire à fin d'y considerer le renoncement parfait et les travaux qu'il a soufferts pour nous, nous excitant par ce moyen à cette continuelle attention de faire tout pour luy, et preserver ainsy nos actions de la corruption et putrefaction qu'elles contractent en la communication des intentions obliques et impures.

  A009000693 

 Dieu dit comme il fait et fait comme il dit; en quoy il nous monstre qu'il ne nous faut pas contenter de bien dire, mais qu'il faut que nous ajustions les effects à nos propositions et les œuvres à nos parolles si nous luy voulons estre aggreables; et tout ainsy que son dire est faire, il veut de mesme que nostre dire soit incontinent suivi du faire et de l'execution de nostre bon propos.

  A009000693 

 Ils signifioyent ainsy que l'homme de bien et vertueux a non seulement une langue pour dire beaucoup de bonnes choses, mais que cette langue estant appliquée sur son cœur, il ne parle sinon à mesure que son cœur le veut, c'est à sçavoir, il ne dit sinon des paroles qui procedent premierement de son cœur, qui le porte quant et quant à l'operation et aux effects de ses paroles.

  A009000693 

 Pour cela, quand les anciens vouloyent representer l'homme de bien, ils se servoyent de la comparaison d'une pesche sur laquelle ils appliquoyent une feuille de pescher, parce que la pesche a la forme d'un cœur et la feuille du pescher celle de la langue.

  A009000693 

 Pour le mesme sujet, les quatre-animaux n'avoyent pas seulement des aisles pour voler, mais aussi des mains au dessous d'icelles, à fin de nous donner à entendre que nous [250] ne nous devons pas contenter d'avoir des aisles pour voler au Ciel par des saints desirs et speculations, si avec cela nous n'avons des mains qui nous portent aux œuvres et à la prattique de nos desirs, estant chose asseurée que les seuls bons propos et saintes resolutions ne nous conduiront point en Paradis, s'ils ne sont accompagnés des effects conformes à iceux..

  A009000694 

 La premiere consideration est sur l'exemple d'une profonde et veritable humilité que nostre divin Sauveur et la glorieuse Vierge nous donnent; la seconde, sur l'obeissance qui est entée sur l'humilité; et en troisiesme lieu, sur la methode excellente qu'ils nous enseignent pour bien faire l'oraison..

  A009000694 

 Neanmoins, parce qu'il devoit estre mis devant nos yeux comme un souverain et incomparable patron auquel nous nous devions conformer en toutes choses, autant que la foiblesse de nostre nature le peut permettre, il voulut observer la Loy et s'y assujettir, et sa tres benite Mere à son exemple, ainsy que nous voyons en l'Evangile d'aujourd'huy, qui nous propose la purification de Nostre Dame et la presentation de Nostre Seigneur au Temple.

  A009000694 

 Nostre Seigneur donques pour confirmer cette verité, vient aujourd'huy au Temple pour y estre offert à Dieu son Pere, s'assujettissant à l'observance de la Loy que jadis il avoit donnée à Moyse, escritte sur les tables de pierre.

  A009000694 

 Sur ce sujet je fais trois considerations auxquelles je ne m'arresteray pas beaucoup, ains ne feray que les toucher en passant, les laissant par apres ruminer à vos esprits, comme des animaux mondes, pour en faire une bonne et heureuse digestion.

  A009000695 

 Et premierement, quelle humilité plus grande et plus profonde se peut-il imaginer que celle que Nostre Seigneur et Nostre Dame pratiquent en venant au Temple, [251] l'un pour y estre offert comme tous les autres enfans des hommes pecheurs, et l'autre se venant purifier? C'est chose certaine que Nostre Seigneur ne pouvoit estre obligé à cette ceremonie, puisqu'il estoit la pureté mesme et qu'elle ne regardoit que les pecheurs.

  A009000695 

 Neanmoins, et l'Enfant et la Mere, nonobstant leur incomparable pureté, se viennent aujourd'huy presenter au Temple comme s'ils eussent esté pecheurs ainsy que le reste des hommes.

  A009000695 

 Quant à Nostre Dame, quelle necessité avoit-elle de se purifier, puisqu'elle n'estoit ni ne pouvoit estre souillée, ayant receu une grace si excellente dès l'instant de sa conception que celle des Cherubins et des Seraphins ne luy est nullement comparable? car si bien Dieu les prevint de sa grace dès leur creation pour les empescher de tomber en peché, neanmoins ils n'y furent pas confirmés dès cet instant en sorte qu'ils ne peussent plus prevariquer, ains le furent par apres en vertu du choix qu'ils firent de se servir de cette premiere grace, et par la volontaire sousmission de leur franc arbitre.

  A009000696 

 Mais quant aux vertus particulieres, il n'y en a point de si grande ni de si necessaire que l'humilité.

  A009000696 

 O Dieu, quelle grandeur de Nostre Seigneur et de Nostre Dame qui est sa Mere! Que c'est une consideration belle, et la plus utile et profitable que nous sceussions faire que celle cy, de l'humilité que le Sauveur a si cherement aymée! Il semble qu'elle ait esté sa bien aymée et qu'il ne soit descendu du Ciel pour venir en terre que pour l'amour d'elle.

  A009000697 

 Il a dit luy mesme: Il n'y a point de plus grand amour que de mettre sa vie pour la chose aymée.

  A009000697 

 L'Apostre saint Paul, pour nous faire concevoir en quelque façon l'amour que nostre Sauveur portoit à cette sainte vertu, dit qu' il s'est humilié jusques à la mort et à la mort de la croix, comme voulant dire: Mon Maistre ne s'est pas humilié seulement pour un temps ou pour quelques actions particulieres, ains jusques à la mort, c'est à sçavoir dès l'instant de sa conception et puis tout le temps de sa vie jusques à la mort; et non seulement jusques là, mais il l'a voulu mesme pratiquer en mourant.

  A009000697 

 Nostre Seigneur l'a tellement cherie qu'il a mieux aymé mourir que d'en laisser la prattique.

  A009000698 

 Il ne se faut pas amuser à la prattique d'une certaine humilité de contenances et parolles, qui consiste à dire que nous ne sommes rien et à faire tant de reverences et d'humiliations exterieures que vous voudrez, et que sçay-je moy, choses semblables qui ne sont rien moins que l'humilité mesme.

  A009000699 

 Certes, s'estimans desja assez sages, ils se trouvent estre bien sots, car ne voyent-ils pas que Nostre Seigneur s'est humilié jusques à la mort, c'est à dire tout le temps de sa vie? O que ce divin Maistre de nos ames sçavoit bien que son exemple nous estoit necessaire, car il n'avoit nul besoin de s'abaisser, et neanmoins il a voulu perseverer à ce faire parce que la necessité estoit en nous.

  A009000699 

 Il y en a plusieurs qui se trompent grandement en ce qu'ils pensent que l'humilité ne soit propre à pratiquer [253] que par les novices et commençans, et que dès qu'ils ont fait un peu de chemin en la voye de Dieu ils se peuvent bien relascher en cette prattique.

  A009000699 

 O que la perseverance est grandement requise en ce sujet, car combien en a-t-on veu qui ayans fort bien commencé en la prattique de l'humilité se sont perdus faute de perseverance.

  A009000700 

 Ce n'est point mal de se considerer soy mesme pour glorifier Dieu des dons qu'il nous a faits, pourveu que nous ne passions à la vanité et complaisance sur nous mesmes.

  A009000700 

 Cependant il faut tousjours demeurer dans les termes et limites d'une sainte et amoureuse reconnoissance envers Dieu de qui nous dependons et qui nous a faits ce que nous sommes..

  A009000701 

 Le roy Saul que ne fit-il pas au commencement de son regne? L'Escriture dit qu'il estoit en l'innocence d' un enfant d'un an; et cependant il se pervertit de telle sorte par son orgueil qu'il merita d'estre reprouvé de Dieu.

  A009000701 

 Nostre Seigneur, comme un bon et amoureux medecin de nos ames, prend le mal en sa racine, et au lieu de [254] l'orgueil il vient premierement planter la belle et utile plante de la tres sainte humilité, vertu qui est d'autant plus necessaire que son vice contraire est plus general entre tous les hommes.

  A009000702 

 Ce n'est pas grand chose ni un abaissement de grande importance que celuy que font les petits en comparaison de celuy des geants.

  A009000702 

 De mesme ce n'est pas grand chose de nous voir [255] abaisser et humilier nous autres qui ne sommes que des neants et qui ne meritons que l'abjection et l'aneantissement; mais nostre cher Sauveur et la sacrée Vierge qui sont comme des geants d'une grandeur et hauteur incomparable, leurs humiliations sont d'un prix inestimable.

  A009000702 

 Mais nous autres miserables qui, comme des rats, des chats et autres tels animaux, ne faisons que ramper et nous traisner sur la terre, dès que nous nous sommes abaissés ou humiliés en quelques legeres occurrences, nous nous relevons tout incontinent, faisons les hautains et recherchons d'estre estimés quelque chose de bon..

  A009000703 

 Aussi est-elle la base et le fondement de tout l'edifice de nostre perfection, lequel ne peut subsister ni s'eslever que par le moyen de la prattique d'une profonde, sincere et veritable reconnoissance de nostre petitesse et imbecillité, qui nous porte à un vray aneantissement et mespris de nous mesmes..

  A009000703 

 Donc, pour conclusion de ce premier point (car il faut estre court, d'autant que le sujet se presente fort souvent), nous sommes enseignés par nostre divin Maistre de l'estime que nous devons faire [256] de la tres sainte humilité qui a tousjours esté sa bien cherie.

  A009000703 

 Je sçay bien qu'elle entendoit ainsy, que Dieu avoit regardé sa petitesse et sa bassesse, mais c'est en cela mesme que nous reconnoissons davantage sa profonde et sincere humilité.

  A009000703 

 Prenez, je vous prie, une fille d'Eve: comme quoy n'est-elle pas ambitieuse de l'honneur et de se faire estimer? Certes, si bien ce mal est general entre les hommes, cependant il semble que ce sexe y soit plus enclin que tout autre.

  A009000704 

 Nous pouvons, ainsy que nous l'avons fait pour l'humilité, dire les mesmes paroles de saint Paul: Nostre Seigneur s'est fait obeissant jusques à la mort, et à la mort de la croix; il ne fit jamais rien que par obeissance tout le temps de sa vie, ce qu'il nous manifeste luy mesme quand il dit: Je ne suis point venu pour faire ma volonté, ains celle de Celuy qui m'a envoyé.

  A009000704 

 Passons au second point, et disons que nostre divin Sauveur et sa tres benite Mere ont tousjours accompagné leur humilité d'une parfaite obeissance; obeissance qui eut tant de puissance sur l'un et sur l'autre qu'ils ont plus aymé mourir, et de la mort de la croix, que de manquer d'obeir.

  A009000705 

 Apres, elle persevera tousjours en obeissance, ainsy que nous voyons aujourd'huy, puisqu'elle vient au Temple pour obeir à la loy de la purification, bien qu'elle n'eust nulle necessité de l'observer ni son Fils non plus, comme nous l'avons desja touché au premier point; ains c'estoit une [257] obeissance purement volontaire, et pour estre volontaire et non necessaire elle n'en estoit pas moindre.

  A009000705 

 Cette vertu est compagne inseparable de l'humilité; elles ne se trouvent point l'une sans l'autre, car l'humilité fait que nous nous sousmettons à obeir..

  A009000705 

 Elle a mesme si cherement aymé cette vertu, que son sacré Fils avoit entée comme un divin greffe sur le tronc de la sainte humilité, qu'elle n'en a point recommandé d'autre aux hommes.

  A009000705 

 Elle a tellement estimé cette vertu, que si bien elle avoit fait vœu de virginité, neanmoins elle se sousmit au commandement qui luy fut fait de se marier.

  A009000705 

 Il ne se trouve point en l'Evangile qu'elle ait parlé, sinon aux noces de Cana en Galilée lors qu'elle dit: Faites ce que mon Fils vous dira, preschant ainsy l'observance de l'obeissance.

  A009000706 

 Ce que je dis pour certaines personnes lesquelles, estans resolues de ne point commettre quelques pechés, ne se soucient pas d'eviter les tesmoignages qu'elles rendent qu'elles les commettroyent volontiers si elles osoyent..

  A009000706 

 Elle vient donques aujourd'huy au Temple pour lever tout ombrage aux hommes qui l'auroyent peu considerer, et pour nous monstrer encores que nous ne nous devons pas contenter d'eviter les pechés ains l'ombre des pechés, ne nous arrestans pas non plus à la resolution que nous avons faite de ne point commettre tel ou tel peché, mais fuir mesme les occasions qui nous pourroyent servir de tentation d'y tomber.

  A009000707 

 O combien cet exemple que Nostre Seigneur et Nostre Dame nous donnent de la tres sainte obeissance nous [258] devroit inciter à nous sousmettre absolument et sans aucune reserve à l'observance de tout ce qui nous est commandé, et ne nous pas contenter de cela, mais observer encores les choses qui nous sont conseillées pour nous rendre plus aggreables à la divine Bonté! Mon Dieu, est-ce si grand chose de nous voir obeir, nous autres qui ne sommes nés que pour servir, puisque le Roy supreme à qui toutes choses doivent estre sujettes s'est bien voulu assujettir à l'obeissance? Recueillons donques cet exemple sacré que nous donnent le Sauveur et la glorieuse Vierge, et apprenons à nous sousmettre, à nous rendre souples, maniables et faciles à tourner à toutes mains par la tres sainte obeissance, et non pas pour un temps ni pour certains actes particuliers, ains pour tousjours, tout le temps de nostre vie jusques à la mort..

  A009000708 

 Il est fort bon de faire des considerations, mais non pas de s'attacher tellement à une methode ou à une autre qu'on pense que tout depende de nostre industrie..

  A009000708 

 Je ne dis pas qu'il ne faille se servir des methodes qui sont marquées; mais l'on ne s'y doit pas attacher et les affecter tellement que nous mettions toute nostre confiance en icelles, comme ceux qui pensent que pourveu qu'ils fassent tousjours leurs [259] considerations devant les affections, tout va bien.

  A009000708 

 Les uns pensent qu'il ne faille tousser ni se remuer, de crainte que l'Esprit de Dieu ne se retire: folie tres grande, comme si l'Esprit de Dieu estoit si delicat qu'il dependist de la methode ou de la contenance de ceux qui font l'oraison.

  A009000709 

 Ce seroit une horrible meschanceté de vouloir exclure Nostre Seigneur Jesus Christ de nostre oraison et de la penser bien faire sans son assistance, puisque c'est une chose indubitable que nous ne pouvons estre aggreables au Pere eternel sinon entant qu'il nous regarde à travers son Fils nostre Sauveur; et non seulement les hommes, mais encor les Anges, car si bien il n'en est pas le Redempteur, il est neanmoins leur Sauveur et ils ont esté confirmés en grace par luy.

  A009000709 

 Et tout ainsy comme quand on regarde au travers d'un verre rouge ou violet, tout ce qu'on voit paroist à nos yeux de la mesme couleur, le Pere eternel nous regardant au travers de la beauté et bonté de son Fils tres beni nous trouve beaux et bons selon qu'il nous desire; mais sans cet artifice nous ne sommes que laideur et la difformité mesme..

  A009000709 

 Il n'y a point d'autre finesse, et sans cette condition jamais nos oraisons ne vaudront rien ni ne pourront estre receues de Dieu; car le divin Maistre l'a dit luy mesme: Nul ne peut aller à mon Pere que par moy.

  A009000709 

 Il n'y a qu'une seule chose necessaire pour bien faire l'oraison, qui est d'avoir Nostre Seigneur entre nos bras; cela estant, elle est tousjours bien faitte de quelle façon que nous nous y prenions.

  A009000709 

 L'oraison n'est autre chose qu'une «eslevation de nostre esprit en Dieu,» que nous ne pouvons nullement faire de nous mesmes.

  A009000710 

 J'ay dit que l'oraison est «une eslevation en Dieu.» Il est vray, car si bien en allant à Dieu nous rencontrons les Anges ou les Saints en nostre chemin, nous n'eslevons pas nostre esprit à eux ni ne leur addressons pas nos [260] oraisons, comme l'ont voulu dire meschamment les heretiques; ains seulement nous les prions de joindre leurs oraisons aux nostres et en faire une sainte confusion, à fin que par ce sacré meslange les nostres soyent mieux receues de la divine Bonté, qui les a tousjours aggreables si nous menons quant et nous son cher Benjamin, ainsy que firent les enfans de Jacob quand ils allerent voir leur frere Joseph en Egypte.

  A009000711 

 Il est plus probable que ce fut saint Joseph que non pas la sacrée Vierge, pour deux raysons, dont l'une est que les peres venoyent offrir leurs enfans, comme y ayans plus de part que la mere mesme; l'autre, que les femmes n'estans pas encores purifiées n'osoyent pas approcher de l'autel où se faisoyent les offrandes.

  A009000711 

 Mais quoy qu'il en soit, il n'importe pas beaucoup; il suffit que saint Simeon receut ce tres beni Poupon entre ses bras, ou des mains de Nostre Dame ou bien de saint Joseph.

  A009000711 

 Nostre cher petit frere c'est ce beni Poupon que Nostre Dame vient aujourd'huy apporter au Temple et qu'elle remet elle mesme ou par l'entremise de saint Joseph au bon viellard Simeon.

  A009000712 

 Ces quatre conditions sont necessaires pour bien faire l'oraison, puisqu'il les faut avoir premier que nous puissions tenir Nostre Seigneur entre nos bras, en quoy consiste la vraye oraison..

  A009000712 

 L'Eglise nous fait chanter que saint Simeon estoit juste, qu'il estoit timoré.

  A009000713 

 C'est bien dit; vous ne voulez donques pas ajuster vostre volonté à celle de Dieu qui veut que vous y ayez des secheresses et des sterilités? cela n'est pas estre juste.

  A009000713 

 Cela est bon, Dieu vous veuille acheminer au but de vostre desir et entreprise; mais dites-moy, je vous prie, qu'est-ce que vous y allez faire? Je m'en vay demander à Dieu des consolations.

  A009000713 

 Helas, ne voyez-vous pas que tout cela n'est pas rendre vostre volonté capable d'estre unie et ajustée à celle de Nostre Seigneur, qui veut qu'entrant à l'oraison vous soyez resolue d'y souffrir la peine des continuelles distractions, secheresses et degousts qui vous y surviendront, demeurant aussi contente que si vous y aviez beaucoup de consolations et de tranquillité, puisque c'est une chose certaine que vostre oraison ne sera pas moins aggreable à Dieu, ni à vous moins utile, pour estre faite avec plus de difficultés.

  A009000713 

 Il faut que je me fasse mieux entendre.

  A009000713 

 Pourveu que nous ajustions nostre volonté avec celle de la divine Majesté [262] en toutes sortes d'evenemens, soit en l'oraison ou ès autres occurrences, nous ferons tousjours nos oraisons et toutes autres choses utilement et aggreablement aux yeux de sa Bonté..

  A009000713 

 Quant à nous autres, nous sommes d'autant moins capables de faire la tres sainte oraison, que nous avons nostre volonté moins unie et ajustée avec celle de Nostre Seigneur.

  A009000714 

 Ce seroit certes un grand bien si nous pouvions estre humbles tout aussi tost que nous avons desiré de l'estre, sans autre peine; ou bien si un Ange pouvoit un jour remplir une sacristie de vertus et de la perfection mesme, et que nous n'eussions à faire que d'entrer là dedans et nous revestir d'icelle comme nous ferions d'une robe; certes, ce seroit bien aggreable.

  A009000714 

 Et quand mesme ce ne seroit qu'à l'heure de nostre mort, cela nous doit suffire, pourveu que nous rendions nostre devoir en faisant tousjours ce qui est en nous et en nostre pouvoir.

  A009000714 

 La seconde condition que nous trouvons estre necessaire pour bien faire l'oraison est que nous attendions, comme le bon saint Simeon, la redemption d'Israël, c'est à dire que nous vivions en l'attente de nostre propre perfection.

  A009000714 

 Mais cela ne se pouvant, il faut que nous nous accoustumions à rechercher l'evenement de nostre perfection selon les voyes ordinaires, en tranquillité de cœur, faisant tout ce que nous pouvons pour acquerir les vertus par la fidelité que nous aurons à les pratiquer, un chacun selon nostre condition et vocation; et demeurons en attente pour ce qui regarde de parvenir tost ou tard au but de nostre pretention, laissant cela à la divine Providence, laquelle aura soin de nous consoler, comme saint Simeon, au temps qu'elle a destiné de le faire.

  A009000714 

 Nous aurons tousjours assez tost ce que nous desirons, quand nous l'aurons lors qu'il plaira à Dieu de nous le donner.

  A009000714 

 O qu'heureux sont ceux qui vivans en attente ne se lassent point d'attendre! Ce que je dis pour plusieurs lesquels ayans le desir de se perfectionner par l'acquisition des vertus les voudroyent avoir toutes d'un coup, comme si la perfection ne consistoit qu'à la desirer.

  A009000715 

 Or, ce n'est pas de celle cy que j'entens parler, ains de celle qui fait que la partie supreme et la pointe de nostre esprit se tient basse et en humilité devant Dieu, en reconnoissance de son infinie grandeur et de nostre profonde petitesse et indignité.

  A009000716 

 En quatriesme lieu, il est dit que le Saint Esprit estoit en saint Simeon et qu'il faisoit sa demeure en luy; ce fut pour cela qu'il merita de voir Nostre Seigneur et de le tenir entre ses bras.

  A009000716 

 Grand cas que ce divin Esprit ne fasse nulle reserve pour n'habiter point en nous, que celle de la feintise et artifice! Il faut donc estre simples et naïfs, si nous voulons qu'il vienne en nous, et par apres Nostre Seigneur; car le Saint Esprit semble estre le fourrier de nostre Sauveur Jesus Christ, et comme il procede de luy de toute eternité entant que [264] Dieu, il semble qu'il luy rende son change, Nostre Seigneur procedant de luy entant qu'homme..

  A009000716 

 Il est donques necessaire que nous donnions place en nous au Saint Esprit, si nous voulons que Nostre Dame ou saint Joseph nous donne à tenir et porter entre nos bras ce divin Sauveur de nos ames auquel consiste tout nostre bonheur, puisque nous ne pouvons avoir acces vers son Pere celeste que par son entremise et par sa faveur.

  A009000716 

 Or, que faut-il faire pour donner place en nous au Saint Esprit? L'Esprit du Seigneur a esté respandu sur toute la terre; mais pourtant il est dit en un autre endroit qu'il n'habite point en un cœur feint et dissimulé.

  A009000717 

 Que nous reste-t-il donc plus à dire maintenant, sinon qu'ayant dès cette vie perissable et mortelle le Saint Esprit en nous, nous tenant en grand respect et reverence devant la divine Majesté en attendant avec sous-mission l'evenement de nostre perfection et ajustant, autant qu'il nous sera possible, nostre volonté à celle de Dieu, nous aurons le bonheur de porter le Sauveur entre nos bras, et au moyen de cette grace nous serons bienheureux eternellement.

  A009000722 

 O bien aymés et tres chers Atheniens, leur disoit ce grand predicateur de la Croix, ce Dieu que vous ne connoissez point encores et que tout maintenant je vous veux faire connoistre n'est autre que Dieu le Pere tout puissant, qui a envoyé son Fils ça bas en terre pour prendre nostre nature humaine; en icelle, bien qu'il fust Dieu comme son Pere, de mesme nature et essence que luy, ce divin Fils a neanmoins souffert la mort, et la mort de la croix, pour satisfaire à la justice de Dieu son Pere justement indigné contre les hommes en suite du peché de nos premiers parens, peché qui nous eust sans doute causé à tous la mort eternelle.

  A009000723 

 Et moy, mes tres cheres [266] Sœurs, ayant à vous entretenir icy quelque peu de temps, j'ay jetté les yeux de ma consideration sur le tiltre que j'ay veu non au dessus de l'autel des Atheniens, mais au dessus de cet autel incomparable sur lequel nostre Sauveur et Maistre s'est offert pour nous à Dieu son Pere en sacrifice tres aggreable et d'une suavité nompareille, autel qui n'est autre que la Croix, laquelle despuis a tousjours esté honnorée comme tres pretieuse et adorable.

  A009000723 

 Non pas que je vous veuille parler d'un Dieu inconneu, car grace à sa bonté nous le connoissons; mais certes, je pourrois bien parler d'un Dieu mesconneu.

  A009000723 

 Or, ayant consideré le tiltre placé sur icelle, j'ay pensé qu'à l'imitation du predicateur de la Croix, je ne devois pas rechercher autre sujet pour fondement de ce que je vous devois dire.

  A009000724 

 Oh que c'est une chose utile que cette reconnoissance! Car veritablement, au dire de plusieurs, Abraham, Isaac et Jacob eussent eu quelque excuse s'ils n'eussent pas reconneu la divine Majesté, d'autant qu'ils ne l'avoyent pas conneue si clairement que nous, qui sommes hors d'excuse, ayans appris de Dieu mesme ce qu'il est, par la divine bouche de Nostre Seigneur qui est, comme nous avons dit, un mesme Dieu avec son Pere.

  A009000725 

 Or je n'entens pas vous parler, mes cheres Sœurs, avec combien d'ignominies, de douleurs, d'amertumes, d'angoisses, de vituperes, d'affronts, de mespris nostre divin Maistre souffrit la mort, ni moins vous faire un narré de la cruauté envenimée avec laquelle les Juifs l'attacherent à la croix; car vous sçavez que je vous ay tousjours fait entendre que c'est la moindre consideration en la Passion de nostre Sauveur que celle cy, et celle sur laquelle vous vous devez moins arrester, puisque l'affection de compassion sur ses souffrances est la moins utile.

  A009000725 

 Si nous avons des larmes, pleurons tout simplement, car nous ne les sçaurions jetter pour un plus digne sujet; mais ne nous arrestons pas là, passons à des considerations plus utiles selon que le requiert le patir de nostre Sauveur..

  A009000726 

 Et les Juifs: Que son sang soit respandu sur nous et sur nos enfans.

  A009000726 

 Pilate ayant escrit le tiltre de la croix: Ce que j'ay escrit est escrit, dit-il; il est ainsy, reconfirmant cette verité..

  A009000726 

 Quelle sentence plus belle et plus vraye peut estre prononcée, que celle du plus meschant d'entre tous les hommes, ce miserable Caïphe: Il est requis qu'un homme meure (c'est à dire, un homme le plus excellent d'entre tous les hommes), de peur que tous les autres ne perissent, que toutes les gens ne perissent.

  A009000726 

 Qui eust jamais pensé que des paroles si saintes eussent esté prononcées par la miserable bouche d'un si meschant homme qu'estoit Pilate? Pourtant elles furent tres veritables, et Nostre Seigneur les confirma pour telles en sa Passion, ainsy que nous verrons en la suite de nostre discours.

  A009000727 

 Mais que veulent donc signifier ces divines paroles? Premierement, Jesus est autant à dire que Sauveur; deuxiesmement, de Nazareth, ville fleurissante, fleurie; en troisiesme lieu, il est dit que Nostre Seigneur estoit Roy: trois qualités qui luy sont extremement bien deuës..

  A009000728 

 Aussi tost que les Anges eurent peché ils furent en mesme temps confirmés en leur malice par la volontaire election qu'ils firent du mal et de ce qui pouvoit estre desaggreable à Dieu; si que dès lors il n'y eut plus d'esperance pour eux de s'en pouvoir desprendre.

  A009000728 

 Dès qu'ils eurent esleu le peché ils furent rendus ses esclaves; ils furent cloués et attachés de telle façon à la perdition que jamais plus il ne leur sera possible de s'en destacher.

  A009000728 

 Mais dès que l'homme eut mangé du fruit defendu de l'arbre de science du bien et du mal, Nostre Seigneur, c'est à dire la seconde Personne de la sainte Trinité, resolut de venir racheter ce pauvre homme au prix de son tres pretieux sang, se revestant de la nature humaine qu'il unit inseparablement à sa Personne divine pour se rendre capable de patir et mourir ainsy qu'il a fait..

  A009000728 

 Mais il faut confesser que les hommes ont un sujet d'une consolation inexplicable en cette Mort et Passion de Nostre Seigneur; car si bien il est le Sauveur des Anges il n'est pas pourtant leur Redempteur, mais ouy bien des hommes.

  A009000729 

 Ce n'est pas de la vie corporelle que nous entendons parler, car nul n'en peut douter, ains de la vie spirituelle.

  A009000729 

 O que cette rayson est puissante pour nous faire dedier totalement au service de cet amour celeste duquel nous avons esté si cherement favorisés, et si je l'ose dire, au dessus des Anges mesmes..

  A009000729 

 O quelle pensée suave et aggreable plus qu'il ne se peut dire, quelle joye, quelle douceur de cœur, quelle delectation doit causer à l'homme cette verité, que Nostre Seigneur est son Redempteur et qu'il tient la vie de luy! La vie luy a esté donnée à fin qu'il la donnast à un chacun et que tous la tinssent de luy comme il la tenoit de son Pere.

  A009000730 

 Mon Dieu, que ces parolles sont admirables! Considerez, je vous prie, la douceur du cœur de nostre Maistre, et voyez comme la charité recherche des artifices pour parvenir au but de sa pretention qui est la gloire de Dieu et le salut du prochain.

  A009000730 

 Mon Pere, s'escrie nostre cher Sauveur; comme s'il eust voulu dire: Je suis vostre Fils, resouvenez-vous que vous estes mon Pere, et partant que vous ne me devez rien refuser.

  A009000731 

 Et pour cela, plusieurs font leur testament en pleine santé craignant que l'effort des douleurs mortelles ne leur oste le moyen de manifester leurs intentions à leur trespas.

  A009000732 

 Le Sauveur ne voulant prononcer son testament qu'en la croix et un peu avant que de mourir, appliqua neanmoins son sceau et cachetta son testament avant toutes autres choses.

  A009000732 

 Les hommes, pour monstrer que ce qui est escrit est leur volonté et qu'ils entendent qu'il soit ainsy fait, le cachettent de leur sceau, mais ils ne l'appliquent qu'apres que tout est parachevé.

  A009000732 

 Son sceau n'est autre que luy mesme, ainsy qu'il l'avoit fait dire à Salomon parlant en sa personne à l'ame devote: Mets moy comme un sceau sur ton cœur et comme un cachet sur ton bras.

  A009000733 

 Puis il fit son testament, manifestant ses dernieres volontés sur la croix un peu avant que de mourir, à fin qu'un chacun des hommes qui devoyent estre ses coheritiers au Royaume de son Pere celeste fussent grandement bien instruits, tant de ce qu'ils devoyent faire comme de l'affection incomparable qu'il avoit pour eux.

  A009000734 

 Mais maintenant il en donne un exemple du tout inimaginable: il excuse ceux-là mesme qui le crucifioyent et l'injurioyent d'une rage toute barbare, et cherche des inventions pour faire que son Pere leur pardonne, et cela en l'acte mesme du peché et de l'injure.

  A009000734 

 O que nous sommes miserables nous autres, car à peine pouvons-nous oublier une injure dix ans apres qu'elle nous a esté faite; ouy mesme il s'en est trouvé qui à l'heure de la mort ne pouvoyent ouïr parler de ceux dont ils avoyent receu quelque outrage et ne leur vouloyent pardonner.

  A009000734 

 O que voicy un document incomparable d'une parfaite charité! Aymez-vous les uns les autres comme je vous ay aymès, disoit-il souvent preschant au peuple ou à ses Apostres, de telle sorte qu'il sembloit n'avoir point tant d'affection pour autre chose que pour inculquer cette tres sainte dilection.

  A009000734 

 Son testament, mes cheres ames, n'est autre que les divines paroles qu'il prononça estant en la croix.

  A009000735 

 Cette priere si admirable porta un tel fruit que plusieurs d'entre eux se convertirent: aucuns tout sur le champ, confessant, apres l'avoir ouïe, que cela estant tout à fait au dessus de la nature humaine, il estoit veritablement Fils de Dieu.

  A009000735 

 Mais pourtant plusieurs ne rendirent pas sur l'heure mesme leur vie par leur conversion, ains porterent le coup de ces divines sagettes des remords interieurs jusques à la Pentecoste, jour auquel, en la premiere predication de saint Pierre, se convertirent bien trois mille personnes, entre lesquelles estoyent indubitablement plusieurs de ceux qui se trouverent à la mort de nostre Sauveur; conversion [272] qui appartenoit au merite de cette tant admirable priere qu'il fit à son Pere celeste en l'acte mesme des injures et meschancetés que ses ennemis luy faisoyent souffrir..

  A009000736 

 Chose estrange certes, en mesme temps que les hommes pervers et malheureux vomissoyent contre sa divine Majesté et contre celle de son Pere ces blasphemes insupportables: S'il est tout puissant comme il dit, et se confie en son Pere qui l'a envoyé, qu'il l'appelle maintenant et qu'il le sauve; s'il veut que nous croy ions en luy, qu'il se sauve maintenant soy mesme; il dit qu'il restablira le Temple en trois jours, et semblables paroles vrayement diaboliques, Nostre Seigneur, dis-je, à mesme temps eslançoit vers Dieu des souspirs de compassion et des parolles plus douces que le miel et le sucre à fin qu'il leur pardonnast leurs forfaits et leur donnast sa grace.

  A009000737 

 Mais outre la grace qu'il octroye aux pecheurs, il la demande pour eux à son Pere celeste avec une charité si artificieuse qu'il ne l'appelle point son Dieu ni Seigneur, comme nous verrons qu'il fera cy apres en parlant pour soy, ains il l'appelle mon Pere, sçachant bien que ce mot si tendre estant prononcé par l'amour cordial, est plus respectueux que celuy de mon Seigneur, et que partant il seroit plus tost exaucé.

  A009000737 

 je ne demande pas que vous me pardonniez à moy, car je suis monté sur le comptoir de la croix à fin de satisfaire à toutes leurs dettes; et pour que vous ne leur demandiez rien et que vostre bonté leur pardonne je respandray jusques à la derniere goutte de mon sang, bien qu'une seule fust suffisante.

  A009000738 

 Mais il faut remarquer en passant que l'un des larrons se convertit et l'autre non.

  A009000738 

 Nous en pourrions bien faire autant toutes fois et quantes que nous recevons quelque affliction.

  A009000739 

 Et ce fut la premiere fois qu'il le promit, à ce que l'on sçache.

  A009000739 

 Il n'y a que Nostre Dame, saint Jean Baptiste, saint Joseph et quelques autres qui ayent esté exempts de peché et prevenus de la grace qui les a empeschés d'y tomber.

  A009000739 

 Le Ciel n'est presque rempli que de penitens.

  A009000739 

 Peu auparavant il demandoit que la grace fust donnée aux pecheurs; maintenant il donne la gloire aux penitens.

  A009000740 

 Les Martyrs ont esté penitens en respandant leur sang dans lequel ils ont esté lavés comme dans un bain de penitence; tous les tourmens qu'ils ont soufferts n'ont esté que des actes de penitence.

  A009000740 

 Tous sans exception ont eu besoin du merite du sang respandu par Nostre Seigneur, lequel, comme je crois, jettoit des odeurs et des parfums si excellens, tant devant la Majesté du Pere eternel que devant les hommes, qu'il estoit presqu'impossible qu'il ne fust reconneu pour estre le sang non d'un homme seulement, mais d'un homme Dieu..

  A009000741 

 Il m'est advis que ce sang tres sacré estoit comme l'encens lequel estant jetté dessus le feu respand de toutes parts autour d'iceluy sa fumée odoriferante, voire exhale cette fumée en haut; ainsy le sang de Nostre Seigneur distillant de son corps tres sacré en terre jusques à la derniere goutte, jettoit des parfums de tous costés.

  A009000741 

 N'est-ce pas une vraye marque que Nostre Seigneur estoit vrayement nostre Sauveur, puisqu'il promet si absolument la gloire qu'il ne differe point de la donner, ains dit aujourd'huy? O parolle de grande consolation pour les pecheurs penitens, car ce que sa Bonté a fait pour le bon larron elle le fera pour tous les autres enfans de la Croix qui sont les Chrestiens.

  A009000741 

 O heureux enfans de la Croix, puisque vous [275] estes asseurés qu'au mesme temps que vous serez penitens et vous repentirez de vos pechés, nostre Sauveur sera vostre Redempteur et vous donnera la gloire!.

  A009000742 

 Regardant donques de ses yeux pleins de compassion sa tres benite Mere, qui estoit debout au pied de la croix avec son bien aymé disciple, il ne luy voulut pas donner la grace ou la demander pour elle, car elle la possedoit desja fort excellemment, ni moins luy promettre la gloire, car elle en estoit toute asseurée; mais il luy donna une certaine union de cœur et amour tendre pour le prochain, cet amour des uns pour les autres qui est un don des plus grans que sa bonté fasse aux hommes..

  A009000743 

 Nostre divin Maistre nous enseignoit par là que si nous voulons avoir part en son testament et aux merites de sa Mort et Passion, il faut que nous nous aymions tous les uns les autres de cet amour tendre et grandement cordial du fils envers la mere et de la mere envers le fils, qui est en quelque façon plus grand que non pas celuy des peres..

  A009000744 

 En quoy certes ont grand tort ceux qui pensent qu'elle fut tellement outrée de douleur qu'elle en demeura pasmée; car sans doute cela n'est point, ains elle demeura ferme et constante, bien que son affliction fust la plus grande que jamais femme aye ressenti pour la mort de son enfant, parce qu'il ne s'en est jamais trouvé qui ayt eu autant d'amour qu'elle en avoit pour Nostre [276] Seigneur, non seulement parce qu'il estoit son Dieu, mais aussi parce qu'il estoit son Fils tres cher et tres aymable..

  A009000744 

 Il nous faut remarquer que Nostre Dame estoit debout au pied de la croix.

  A009000745 

 Elle demeura donc, cette tres glorieuse Mere, ferme, constante et parfaittement sousmise au bon playsir de Dieu, qui avoit decreté que Nostre Seigneur mourroit pour le salut et redemption des hommes..

  A009000745 

 Grande fut la constance de la tres sainte Vierge et du bien aymé Disciple; c'est pourquoy celuy cy fut favorisé du don que sa bonté luy fit de sa tres sainte Mere, Mere la plus aymable qu'il soit possible d'imaginer.

  A009000745 

 L'amour de Nostre Dame estoit vrayement plus fort et plus tendre qu'il ne se peut dire, et par consequent sa douleur plus vehemente que toute autre en la Mort et Passion de Jesus Christ; mais comme cet amour estoit selon l'esprit, conduit et gouverné par la rayson, il ne produisit point de mouvement desreglé en l'affliction qu'elle ressentit se voyant privée de son Fils, qui luy causoit une consolation incomparable.

  A009000746 

 Il nous faut passer outre, car je n'ay pas le temps de m'arrester beaucoup sur ce sujet, bien que je prendrais playsir de finir sur cette sainte delicatesse spirituelle, c'est à dire cet amour cordial et tendre que nostre cher Maistre desire tant que nous ayons les uns pour les autres.

  A009000747 

 Le doux Sauveur de nos ames [277] voulut qu'on le nommast Jesus de Nazareth pource que Nazareth est interpreté ville fleurie ou fleurissante; et luy mesme, au Cantique des Cantiques, avoit voulu estre appellé la fleur des champs et le lys des vallées.

  A009000747 

 Mais dites-moy, Nostre Seigneur n'estoit-il pas sur icelle une fleur plustost fletrie, fanée et passée que non pas fleurie? Regardez-le, de grace, comme il ose se nommer fleuri, puisqu'il est si transi, tout couvert et sali de crachats infects et puants, les yeux haves et ternis, sa face meurtrie de coups, pasle et decolorée à force de douleurs et d'avoir respandu son sang tres beni.

  A009000747 

 Mais il ne se monstra pas seulement digne du nom de Jesus, ains encores de celuy de Nazareen; et cecy est le deuxiesme point de nostre discours et la deuxiesme parolle de ce tiltre sacré que j'ay regardé et consideré sur l'autel de la Croix, dedié non au Dieu inconneu mais au Dieu mesconneu.

  A009000747 

 Or, pour nous monstrer qu'il n'estoit pas seulement une fleur, ains qu'il estoit un bouquet composé de l'assemblage des plus belles et plus odoriferantes fleurs que l'on sceust rencontrer, il a voulu garder le nom de fleurissant sur l'arbre de la croix.

  A009000748 

 Ces quatre fleurs ne sont autre que quatre vertus des plus remarquables et des plus necessaires.

  A009000748 

 Elles seroyent trop longues à vous les rapporter toutes, c'est pourquoy je me contenteray d'en remarquer quatre tant seulement, lesquelles je ne feray que toucher en passant, les laissant par apres considerer le reste de cette journée à une chacune de vous autres, à fin que leurs odeurs tres aggreables puissent parfumer toutes vos ames et les embaumer d'un saint propos de les odorer souventesfois, ainsy que le Sauveur le desire pour vostre avancement en la perfection.

  A009000748 

 O mes cheres Filles, grandes et belles à merveille sont les fleurs que cette benite plante de la Mort et Passion de Nostre Seigneur fit esclore et espanouir tandis qu'il estoit sur la croix.

  A009000749 

 Quant à la premiere, Nostre Seigneur ne prattiqua-t-il pas au temps de sa Passion l'humilité la plus profonde, la plus veritable et sincere qui se puisse imaginer, ains [278] la plus inimaginable, dans tous les tourmens et abjections qu'il endura? Ne prattiqua-t-il pas cette vertu tout le temps de sa vie? Elle fut certes tres grande en ce que se pouvant faire appeller Hierosolymitain ou bien de Bethleem, ville où il estoit né et qui appartenoit à son grand pere David, il ne le voulut neanmoins pas, pour monstrer qu'il choisissoit tout au contraire des grans de ce monde, lesquels prennent les noms les plus honnorables qu'ils peuvent.

  A009000750 

 Cette fleur estoit fletrie par les douleurs mortelles dont il estoit desja environné, de sorte qu'il sembloit expiré, car durant tout ce temps là il ne dit pas un seul mot, ains observa un tres profond silence par l'espace de trois heures; d'où vient que l'on a tousjours ordonné quelques heures de silence en tous les monasteres bien reformés, pour imiter celuy de Nostre Seigneur en la croix..

  A009000750 

 En quoy certes je m'imagine que la lune fit un extreme playsir aux estoilles, à fin qu'elles eussent l'honneur de venir respandre leur lumiere en la presence de ce vray Soleil de justice, qui sans doute sembloit s'estre ecclipsé tant sa couleur estoit ternie.

  A009000750 

 Or, les Evangelistes nous disent que soudain que nostre Sauveur eut prononcé les trois premieres paroles que nous avons remarquées, les tenebres se firent sur toute la face de la terre par l'espace de trois heures et le soleil s'ecclipsa, non que cette ecclipse fust naturelle, ains elle arriva extraordinairement.

  A009000751 

 Il ne faut neanmoins pas entendre que le Pere celeste l'eust abandonné d'un abandon tel qu'il eust retiré sa protection paternelle pour un Fils tant aymable, car cela ne se peut, puisqu'il estoit joint et uni à la Divinité.

  A009000751 

 Mais que pensez-vous qu'il faisoit, ce doux Sauveur de nos ames, durant ce silence? Il rentroit en soy mesme et consideroit le mystere de son abjection; car l'humilité, qu'est-ce autre chose sinon un rentrement en nous mesme pour nous considerer plus meurement? Et que cela ne soit ainsy il nous le fait entendre par ce qu'il dit par apres: Mon Dieu, mon Dieu, pour quoy m'avez vous delaissé? Ayant consideré sa pauvreté, non tant [279] exterieure que beaucoup plus interieure, il eslança cette parole de parfaite humilité, faisant connoistre sa disette, son abjection et son delaissement.

  A009000752 

 Mais encores, que pensons-nous que nostre doux Sauveur fist durant ce long silence? Pour moy je crois sans doute qu'il regardoit tous les enfans de la Croix, et tous les hommes voirement bien, mais plus specialement ceux qui tireroyent du fruit de sa Mort et Passion.

  A009000752 

 Non, cette haine ne se peut trouver qu'au cœur des hommes forcenés de desespoir et de rage à cause des vehementes douleurs qu'ils souffrent; et cela fait que quelquefois ils haïssent Dieu et sont du tout incapables de l'aymer.

  A009000752 

 O Dieu, quelle douceur du cœur de nostre Maistre qui nous aymoit si cherement; nous, dis-je, et ceux mesme qui estoyent en l'acte du peché le plus enorme que jamais homme puisse faire! car il n'y a point de plus grand peché que de haïr Dieu qui n'est en façon quelconque capable d'estre haï en soy mesme.

  A009000753 

 Cecy appartient desja à la seconde fleur que nous avons pris à considerer, qui est la patience.

  A009000753 

 Or, cette parolle que nous disions nagueres ne fut nullement prononcée pour se plaindre, ains seulement pour nous enseigner comme au fort de nos peines interieures, delaissemens et abandonnemens spirituels nous nous devons addresser à Dieu et ne nous plaindre qu'à luy mesme qui seul doit voir nostre affliction, ne souffrant pas que les hommes s'en apperçoivent sinon le moins qu'il se peut..

  A009000754 

 Et en outre, quel devoit estre l'attendrissement que luy causoit la douleur de sa tres sainte Mere qui l'aymoit si cherement? Les cœurs du Fils et de la Mere se regardoyent avec une compassion nompareille, mais aussi avec une generosité et constance incomparables; car ils ne se plaignoyent point, ils ne destournoyent point leur veue l'un de dessus l'autre pour rendre leur peine moins sensible, ains ils se regardoyent [281] fixement.

  A009000754 

 Mais quelle fut la douleur de nostre Maistre oyant ces detestables blasphemes que ses ennemis vomissoyent contre luy et contre son Pere celeste, et voyant que leur rage ne se pouvoit assouvir à force de le tourmenter? Sans doute, cela luy outreperçoit le cœur plus sensiblement encores que les clous ne perçoyent ses pieds et ses tres benites mains.

  A009000755 

 Chose estrange! il n'ignoroit pas que c'estoit un breuvage qui augmenteroit ses peines, neanmoins il le prit tout simplement, sans rendre nul tesmoignage que cela luy faschoit ou qu'il ne l'eust pas trouvé bon, pour nous apprendre avec quelle sousmission nous devons prendre ce qui nous est ordonné quand nous sommes malades, voire quand nous serions en doute que cela pourroit accroistre nostre mal; et de mesme devons-nous faire des viandes qui nous sont presentées, sans rendre tant de tesmoignages que nous en sommes degoustés et ennuyés..

  A009000756 

 En fin c'est grande compassion de voir combien nous sommes peu observateurs de la patience de nostre Sauveur, lequel s'oublioit de ses souffrances et ne taschoit point de les faire remarquer [282] par les hommes, se contentant que son Pere celeste, par l'obeissance duquel il les enduroit, les considerast, et apaisast son courroux envers la nature humaine pour laquelle il patissoit..

  A009000756 

 Helas! si nous avons tant soit peu de mal nous faisons tout au contraire de ce que nostre tres doux Maistre nous a enseigné, car nous ne cessons de nous lamenter et de nous plaindre; nous ne trouvons pas assez de gens, ce semble, pour leur raconter toutes nos douleurs par le menu.

  A009000756 

 Nostre mal, pour petit qu'il soit, est incomparable, et ceux que les autres souffrent ne sont rien en comparaison; nous sommes plus chagrins et impatiens qu'il ne se peut dire; nous ne trouvons rien qui aille comme il faut pour nous contenter.

  A009000757 

 Je passe outre et remarque la troisiesme vertu que Nostre Seigneur nous presente sur la croix, comme une fleur tres aggreable: c'est la tres sainte perseverance, vertu sans laquelle nous ne sçaurions estre dignes du fruit de sa Mort et Passion; car ce n'est pas tout de bien commencer si l'on ne persevere jusques à la fin, puisque c'est chose asseurée que l'estat auquel nous nous trouverons à la fin de nos jours, lors que Dieu coupera le fil de nostre vie, sera celuy où nous demeurerons pour toute eternité.

  A009000757 

 O l'admirable parolle que celle cy: Tout est consommé! c'est à sçavoir: Il ne reste plus rien à faire de ce qui m'a esté commandé.

  A009000757 

 Que les Religieux et Religieuses seroyent heureux si à la fin de leur vie ils pouvoyent dire bien veritablement avec le Sauveur: Tout est consommé; j'ay fait tout ce qui m'estoit commandé soit par les Regles, soit par les Constitutions ou par les ordonnances des Superieurs; j'ay persevere fidellement en tous mes exercices, il ne me reste plus rien à faire..

  A009000758 

 Il est vray, vouloit-il dire, que tout est consommé et que j'ay tout accompli ce que vous m'aviez commandé; mais pourtant, si telle est vostre volonté que je demeure encor davantage sur cette croix pour souffrir plus long temps, j'en suis content; je remets mon esprit entre vos mains, vous en pouvez faire tout ainsy qu'il vous plaira.

  A009000758 

 Mais plus excellente que toute autre est la quatriesme vertu, car elle est la cresme de la charité, l'odeur de l'humilité, le merite, ce semble, de la patience et le fruit de la perseverance; grande est cette vertu, et seule digne d'estre prattiquée des plus chers enfans de Dieu: c'est la tres aymable indifference.

  A009000759 

 Nostre Seigneur ayme donques d'un amour extremement tendre ceux qui sont si heureux que de s'abandonner entierement en son soin paternel, se laissant gouverner par sa divine providence comme il luy plaist, sans s'amuser à considerer si les effects de cette providence leur sont utiles, profitables ou dommageables; estant tout asseuré que rien ne nous sçauroit estre envoyé de ce cœur paternel et tres aymable, ni qu'il ne permettra que rien nous arrive de quoy il ne nous fasse tirer du bien et de l'utilité, pourveu que nous ayons mis toute nostre confiance en luy, et que de bon cœur nous disions: Je remets mon esprit entre vos mains; et non seulement mon esprit, mais mon ame, mon corps et tout ce que j'ay, à fin que vous en fassiez selon qu'il vous plaira..

  A009000760 

 Et en cecy il sera verifié que tres raysonnablement et veritablement Nostre Seigneur doit estre appellé Roy, troisiesme qualité que Pilate luy bailla, et que la bonté de nostre Maistre a bien voulu luy estre donnée jusques à present; car il veut que nous demeurions absolument et sans reserve sousmis à ses volontés.

  A009000761 

 Il veut que nous apprenions de luy ces vertus en la consideration de sa Mort et Passion, et desire que nous luy tesmoignions par icelles nostre amour et nostre fidelité, puisque ç'a esté en les pratiquant qu'il nous a monstré l'excellence et l'ardeur du sien envers nous qui en estions si indignes.

  A009000761 

 Mais quelles sont-elles ces lois de nostre Roy? O quelles elles sont, mes cheres Sœurs? C'est tout ce que je viens de dire, qu'il a observé le premier pour nous donner exemple: la tres sainte humilité, la generosité, la patience, la constance et invariable perseverance, et en fin la tres aymable et excellente vertu d'indifference.

  A009000761 

 Nous luy devons nos corps, nos cœurs et nos esprits à fin qu'il en fasse comme de choses siennes, et que jamais nous ne les employions pour contrevenir à ses lois divines.

  A009000761 

 Or, puisqu'il est nostre Roy, il faut sousmettre tout ce que nous avons à son service.

  A009000761 

 Que le nom de Jesus soit eternellement beni! Amen.

  A009000771 

 Comme s'il eust voulu dire: Qu'y a-t-il que vous estes si craintifs et affligés? Si c'est le doute que ce que je vous ay promis de ma resurrection n'arrive point, pax vobis, demeurez en paix, la paix soit faite en vous, car je suis ressuscité.

  A009000771 

 Hors de l'observance de l'Evangile et de l'obeissance à l'Eglise il ne se trouve que guerre et que trouble, ainsy que nous dirons tantost.

  A009000771 

 La premiere est celle du saint Evangile et de l'Eglise; car l'Evangile et l'Eglise ne sont que paix, que douceur, que tranquillité.

  A009000771 

 La seconde paix est celle que les saints Peres ont distinguée en trois parties: la paix avec Dieu, [286] la paix les uns avec les autres et la paix avec nous mesme.

  A009000771 

 La troisiesme est celle que nous possederons en la vie eternelle.

  A009000772 

 Grand certes est le chastiment que Dieu tire de nous lors qu'il nous laisse entre les mains de nos ennemis, qu'il retire son divin secours et ne nous tient plus en sa tres sainte protection.

  A009000773 

 Gedeon demeura bien estonné de ces parolles et respondit: Hé, comment est-il possible que ce que vous dites soit vray? Vous m'asseurez que le Seigneur est avec moy; si cela estoit, comme seroit-il possible que je fusse saisi et environné de tant d'afflictions? Le Seigneur est le Dieu de paix, et je ne suis qu'en [287] guerre et en trouble.

  A009000773 

 Grand cas de la tromperie du monde et des hommes qui croyent que là où est Nostre Seigneur l'affliction et la peine n'y peut estre, ains que la consolation y abonde tousjours.

  A009000773 

 Or cela n'est pas; au contraire, en l'affliction et en la tribulation Dieu se tient plus pres de nous, d'autant que nous avons plus besoin de sa protection et de son secours..

  A009000773 

 Puis il luy dit de quitter son occupation, de prendre les armes contre les Madianites et que sans faute il remporteroit la victoire et terrasseroit ses ennemis.

  A009000774 

 Bien, dit Gedeon, je crois ce que vous m'annoncez, mais à fin d'en estre plus certain je voudrois qu'il vous pleust m'en donner quelques signes par lesquels je puisse reconnoistre que veritablement il arrivera tout ainsy que vous m'asseurez.

  A009000774 

 C'estoit l'opinion du vulgaire, quoy que fausse, car l'experience l'avoit demonstré en plusieurs, qu'un homme vivant ne pouvoit voir un Ange sans mourir.

  A009000774 

 Ce que Gedeon fit tout promptement, et ayant tué le chevreau et l'ayant accommodé avec une bonne sauce, print de la farine et fit des tourtes cuites sous la cendre.

  A009000774 

 Despuis il esleva un autel au lieu où il luy avoit parlé, lequel il nomma Domini pax, c'est à dire la paix du Seigneur, [288] parce que la paix luy avoit esté annoncée de la part de Dieu en ce lieu là..

  A009000774 

 Le Seigneur est avec toy, dit l'Ange, nonobstant que tu sois affligé.

  A009000774 

 Mais s'estant un peu rasseuré il reprint cœur et forces, et fit ce qui luy estoit commandé par l'Ange, que jusques à cette heure il avoit tenu pour quelque prophete passager.

  A009000774 

 Puis l'Ange disparut; ce que voyant Gedeon: Oh, dit-il, je suis mort, car j'ay veu un Ange.

  A009000774 

 Vous me dites, poursuit-il, que je prenne les armes et que je demeureray victorieux; hé, ne sçavez-vous pas que je suis le moindre de tous les hommes? C'est tout un, respond l'Ange, Dieu veut que ce soit toy qui delivres les Israelites de l'affliction en laquelle ils sont.

  A009000775 

 En cette mort il fut fait peché pour nous, ainsy que dit saint Paul; c'est à sçavoir, luy qui estoit impeccable fut rendu comme un pecheur devant la face de Dieu son Pere, ayant par sa bonté non ouye pris sur luy toutes nos iniquités à fin de satisfaire pour nous à la justice divine..

  A009000775 

 Il n'y a point de cloute, mes cheres ames, que la Croix ne represente merveilleusement bien cet autel sur lequel fut offert le sacrifice de la paix, et lequel fut nommé ensuite la paix du Seigneur; ou que plustost le sacrifice de Gedeon et son autel ne fust la figure de celuy que Nostre Seigneur et Maistre accomplit sur la croix, puisque ce sacrifice a esté appellé le sacrifice d'accoisement et de pacification; car les hommes ayant esté pacifiés avec Dieu, receurent la paix en eux mesmes au moyen de la grace que le Sauveur leur acquit par sa Mort et Passion.

  A009000776 

 En l'ancienne Loy il n'estoit pas si expressement dit que l'on celebrast la Pasque en mangeant un aigneau, que l'on ne peust prendre un chevreau au lieu d'un aigneau, si qu'on se servoit de l'un ou de l'autre.

  A009000776 

 Mais en cette Pasque ou en ce sacrifice que celebra Nostre Seigneur au jour de sa Passion, il s'offrit luy mesme non seulement comme un aigneau tout doux, tout benin, gracieux et plein de pureté, mais aussi comme un chevreau qui porte les pechés de son peuple.

  A009000777 

 Et tout ainsy que par ce signe Gedeon demeura confirmé en l'esperance de l'evenement de la paix et de la victoire qu'il devoit remporter sur les Madianites, comme l'Ange le luy avoit predit, de mesme le sacrifice de la Croix [289] estant consommé et Nostre Seigneur ayant dit: Mon Pere, je remets mon esprit entre vos mains, les hommes furent soudain confirmés en l'esperance que les Prophetes leur avoyent donnée par tant de siecles, que la paix seroit un jour faite en eux, et que l'ire de Dieu estant accoisée par le moyen de ce sacrifice, qui est un sacrifice de pacification, ils seroyent rendus victorieux et triomphans de leurs ennemis..

  A009000778 

 C'est ce que nostre divin Maistre vouloit signifier à ses Apostres par ces paroles: La paix soit avec vous, voyci mes pieds et mes mains, leur monstrant un signe certain que la paix leur estoit asseurée par le moyen de ses playes.

  A009000778 

 Comme s'il eust voulu dire: Qu'avez-vous? Je vois bien, mes Apostres, que vous estes tout craintifs et peureux; mais desormais vous n'en avez plus aucun sujet, car je vous ay acquis la paix que je vous donne.

  A009000778 

 N'ayez point peur, car j'ay fait la paix entre mon Pere celeste et les hommes, et c'est en ce sacrifice que j'ay offert à la divine Bonté sur l'arbre de la croix que s'est accomplie cette sainte reconciliation.

  A009000778 

 Non seulement mon Pere me la doit parce que je suis son Fils, mais encores parce que je l'ay achetée au prix de mon sang et de ces playes que je vous monstre.

  A009000778 

 Vous avez donques sceu que j'ay esté battu, couronné d'espines, navré dès la teste jusques aux pieds et attaché à la croix, que j'ay souffert toutes sortes d'opprobres, de derelictions et d'ignominies, et qu'en somme mes ennemis bandés contre moy m'ont fait endurer mille tourmens.

  A009000779 

 Tout ce que je donne à mes plus chers, c'est la paix; c'est pourquoy, Pax vobis, et à tous ceux qui croiront en moy..

  A009000779 

 Vous sçavez que ma grandeur ne consiste point en la possession des biens de la terre, puisque je n'en ay point eu tout le temps de ma vie; mais pour toutes richesses j'ay la paix, qui est le legat eternel que je vous ay fait en me departant d'avec vous et lequel je vous reconfirme encores.

  A009000780 

 Allez, leur avoit-il dit auparavant, annoncez aux hommes les choses que je vous ay apprises, et entrant aux maisons dites: La paix soit ceans.

  A009000780 

 Comme s'il eust voulu dire: Annoncez d'abord en entrant ès maisons que vous n'y allez pas pour y mettre la guerre, mais pour y apporter la paix de ma part, et que quiconque vous recevra demeurera en paix; au contraire, quiconque vous rejettera aura indubitablement la guerre.

  A009000781 

 En somme, le saint Evangile ne traitte presque par tout que de la paix; et comme il commence par la [291] paix, de mesme il finit par la paix pour nous enseigner que c'est l'heritage que le Seigneur Dieu nostre Maistre a laissé à ses enfans qui sont en la sujetion de la tres sainte Eglise, nostre bonne Mere et son Espouse tres chere..

  A009000781 

 Et par apres il ne presche que la paix: Je vous donne ma paix, dit le Sauveur parlant à ses Apostres, je vous baille ma paix, mais je ne la vous donne pas comme le monde la donne, ains comme mon Pere me la donne.

  A009000781 

 Le saint Evangile, comme la sainte Eglise, n'est que paix.

  A009000781 

 Mais moy je ne vous promets pas la paix tant seulement, ains je vous la donne; et non pas une paix telle quelle, ains telle que je l'ay receue de mon Pere, par laquelle vous surmonterez tous vos ennemis et en demeurerez victorieux.

  A009000782 

 C'est à cette fin que nostre divin Maistre institua le tres saint et tres auguste Sacrement de l'Eucharistie, à fin que comme nostre paix avoit esté faite avec son Pere celeste par le sacrifice qu'il luy offrit luy mesme sur la croix, il fust semblablement apaisé par ce divin sacrifice autant de fois qu'il seroit offert à sa justice irritée.

  A009000782 

 Mais comme despuis nous nous sommes tant de fois rendus rebelles et desobeissans à ses divins commandemens et avons perdu, autant de fois que nous sommes tombés au peché, cette paix que Jesus Christ nous avoit acquise, nous avions besoin d'un nouveau moyen de reconciliation.

  A009000782 

 Quant au premier point, nous avons desja dit que c'est par le moyen de la Mort et Passion de Nostre Seigneur que nous avons esté reconciliés avec Dieu.

  A009000783 

 La paix n'appartient qu'aux enfans de l'Eglise, il est vray; car tous les autres n'ont point les moyens de reconciliation que nostre Sauveur nous a donnés pour nous remettre en la bonne grace de Dieu son Pere autant de fois que nous la perdons, bien que veritablement nous la perdions par nostre faute.

  A009000785 

 Touchez, dira-t-il Dimanche à saint Thomas, touchez de vos doigts les playes de mes pieds et de mes mains; mettez, si bon vous semble, toute vostre main dans mon costé, et voyez que je suis bien moy mesme; ayant fait cela, ne soyez plus incredule mais fidelle.

  A009000785 

 Voyez mes playes et sçachez que je les ay receues en terrassant et vainquant vos ennemis, lesquels j'ay desconfits et exterminés.

  A009000786 

 Car, d'où vient, je vous prie, [293] tant de pauvreté que plusieurs souffrent, sinon des miserables pretentions que les autres ont d'accroistre leurs biens et d'estre riches, quoy que ce soit aux despens du prochain? Les uns ont trop et les autres n'ont rien.

  A009000786 

 Le defaut d'icelle est la source de tous les malheurs, afflictions et miseres que l'on voit en ce monde parmi les hommes.

  A009000787 

 Bref, rien ne fait la guerre à l'homme que l'homme mesme.

  A009000787 

 Il n'y a rien qui ne puisse estre rangé et gouverné par l'homme que le seul homme; car si bien le pouvoir que Dieu avoit donné à Adam au paradis terrestre sur tous les animaux a receu quelque deschet par le peché, si est-ce pourtant que l'homme peut dompter les bestes les plus farouches, par l'entremise de la rayson dont Dieu l'a doué, ainsy que l'experience s'en fait tous les jours.

  A009000787 

 Que craindroyent-ils? de quoy auroyent-ils peur? Des lions? Nullement; car, comme nous disions tout à cette heure, ils auroyent suffisamment d'industrie en eux mesmes pour eviter leur rage et celle de tous les autres animaux, pour brutaux qu'ils puissent estre..

  A009000788 

 C'est ce qu'il a le plus inculqué à ses Apostres; si que le glorieux saint Paul dit ne vouloir sçavoir ni prescher autre chose que Jesus Christ crucifié, qui nous a pacifiés et donné cette paix par laquelle nous luy soyons rendus semblables en toutes choses, à luy, dis-je, qui est le Prince de paix, et qui a fait la paix tant en la terre qu'au Ciel.

  A009000788 

 Et si bien il apparut aux deux disciples allant en Emmaus, lesquels estoyent sortis de la ville de Hierusalem qui represente la paix, [294] estant appellée vision de paix, nous ne devons pourtant pas croire que ce qu'il a fait pour ces deux il le veuille faire pour tous.

  A009000788 

 Nostre Seigneur sçachant fort bien la grande necessité que les hommes en avoyent, n'a rien tant presché que cette paix qui procede de l'amour qu'il nous a tant recommandé d'avoir les uns pour les autres.

  A009000789 

 L'esprit n'a pour toutes ses forces que trois soldats qui combattent pour luy, et lesquels encores font à tous propos des faux bonds et des cheutes en la fidelité qu'ils doivent à leur capitaine, se rangeant du costé de la chair pour combattre pour elle contre l'esprit mesme qui est leur maistre..

  A009000789 

 La troisiesme condition de cette paix est que nous l'ayons avec nous mesme ou en nous mesme; ce que pour mieux entendre il faut sçavoir ce que nous asseure tres bien le grand Apostre, que nous avons deux parties en nous lesquelles se font une perpetuelle guerre: l'esprit et la chair.

  A009000790 

 Le monde, le diable et la chair ayans bandé toutes leurs forces contre luy ne peuvent aucunement l'espouvanter; ils brouilleront bien quelque chose, se servant des autres facultés de l'ame, mais pourtant, en vertu de la paix que Nostre Seigneur nous a acquise, ils ne sçauroyent nullement luy nuire.

  A009000790 

 Or, si ces soldats estoyent fideles, l'esprit n'auroit aucune crainte, ains il se moqueroit de ses ennemis, comme font ceux qui, ayans des munitions suffisantes, se trouvent au donjon d'une forteresse imprenable; et ce, bien que les ennemis soyent aux fauxbourgs, voire que la ville fust prinse, ainsy qu'il arriva en la citadelle de Nice, devant laquelle les forces de trois grans princes n'estoyent pas capables d'estonner ceux qui estoyent au donjon.

  A009000791 

 Ce sont les vrayes armes des Chrestiens que la paix; avec icelle ils demeureront victorieux en tous combats.

  A009000791 

 Lors que l'entendement se tient ferme en la croyance des choses que la foy nous enseigne ou que Nostre Seigneur nous a apprises, il a une force incomparable au dessus de celle de la chair, laquelle n'est que foiblesse au prix de celle là.

  A009000791 

 Mais quand il vient à escouter les raysons et les harangues que la chair luy represente pour le destourner de cette attention aux divines verités, incontinent tout est perdu; l'experience s'en fait tous les jours..

  A009000791 

 Mais si elle manque, et que cette intelligence entre l'esprit et l'entendement, la memoire et la volonté vienne à defaillir, tout est perdu; indubitablement l'homme perira.

  A009000792 

 En somme, tout ce que la chair desire est absolument contraire à l'esprit qui, estant esclairé de la lumiere celeste, ne peut s'empescher de voir que ces raysons inspirées par la chair sont bestiales et impertinentes, et qu'il ne les sçauroit approuver.

  A009000792 

 La chair dicte miserablement à l'entendement que les pauvres ne sont pas estimés; il escoute ces opinions, le voyla perdu.

  A009000792 

 Nous disons voirement tous [296] que nous avons la foy, mais nous ne la monstrons pas par les œuvres.

  A009000792 

 Nul ne peut douter que nostre cher Maistre n'ayt dit: Bienheureux les pauvres et ceux qui souffrent persecution; et l'entendement, au lieu de demeurer fermement attentif à cette verité, va recevoir la suggestion que la chair luy represente qu'il faut avoir des biens et beaucoup, à fin de luy donner ses ayses et commmodités: voyla quant et quant la guerre.

  A009000792 

 Si nous voulons garder en nous mesme la paix parmi la guerre il faut tenir l'entendement fermement attaché aux verités que Nostre Seigneur nous a enseignées, et l'empescher d'escouter ou recevoir les opinions et raysons humaines..

  A009000793 

 Et la pauvrette, au lieu de se tenir ferme en la parolle que le Seigneur luy avoit donnée, escouta et consentit à cette perverse proposition, qui fut cause qu'elle perit et son mari avec elle.

  A009000793 

 Il luy eust bien mieux valu, et à nous aussi, qu'elle eust respondu à l'ennemy: Miserable, laisse-nous demeurer en la bassesse et humilité en laquelle nous avons esté creés, plustost que de nous proposer un eslevement duquel tu as esté precipité.

  A009000793 

 Mais soudain que Lucifer vit que son ambition outrecuidée l'avoit perdu, il presenta cette mesme tentation à nostre pauvre mere Eve, l'asseurant qu'elle ne mourroit point, bien que Dieu l'eust dit, ains qu'elle seroit semblable à luy en mangeant du fruit defendu.

  A009000793 

 O que le pauvre Adam eust esté heureux de demeurer seul et sans estre marié, car il n'eust pas encouru l'indignation de Dieu en prevariquant son commandement!.

  A009000794 

 Au lieu de l'arrester et attacher à se conduire en tout selon que Nostre Seigneur nous l'a enseigné, nous nous servons des considerations de la sagesse humaine laquelle nous represente qu'il faut bien estre discret, et moderer les choses selon la prudence pour que tout aille bien.

  A009000794 

 Certes, on ne sçait plus de [297] quel biais prendre ces personnes qui se servent de cette fausse prudence, parce que, faute de simplifier leur entendement, elles ne veulent pas entendre les raysons qu'on leur donne et en apportent cent contraires pour soustenir leurs opinions, quoy que bien souvent mauvaises; dès qu'elles s'y sont une fois attachées, l'on ne sçait plus que faire avec elles..

  A009000794 

 Et cependant c'est tout au contraire, car c'est à fin que tout aille mal.

  A009000794 

 Nos entendemens sont ordinairement si pleins de raysons, d'opinions et de considerations suggerées par l'amour propre que cela cause de grandes guerres en l'ame.

  A009000795 

 Ce tres bon Maistre voyant les Apostres entortillés en diverses considerations et doutes de l'accomplissement de ses parolles, n'ayans pas la patience d'attendre que le soir du jour auquel il avoit dit qu'il ressusciteroit fust venu (estans seulement au matin ils commençoyent à douter), Pax vobis, leur dit-il; vostre entendement soit pacifié par le rejet de tant de reflexions.

  A009000795 

 Servez-vous de la prudence, car elle est bonne, mais servez-vous-en comme d'un cheval: montez dessus, et la tournez à toutes mains, donnez-luy cent coups d'esperons, jusques à tant que vous l'ayez rangée et domptée pour la rendre sousmise à la simplicité de Nostre Seigneur.

  A009000796 

 Donques le premier sujet qui cause en nous la guerre et qui en chasse la paix n'est autre chose que le manquement de [298] foy et d'asseurance ès parolles de Nostre Seigneur, et la facilité avec laquelle nous escoutons la multitude des raysons de la prudence humaine..

  A009000796 

 Grand cas de l'esprit humain! Nostre Seigneur a dit: Tout ce que vous demanderez en mon nom vous sera donné; neanmoins, parce que nous ne le recevons pas si promptement que nous voudrions, incontinent nous sommes chancelans en la foy de cette promesse.

  A009000796 

 Oh! patience, le jour n'est pas passé; ce n'est que le matin, et vous doutez.

  A009000796 

 Oh! pensoyent-ils en eux mesmes, que nous eussions esté heureux si nous eussions eu un Maistre immortel! et plusieurs telles raysons par lesquelles ils monstroyent qu'ils estoyent en doute de l'effect de la promesse du Sauveur; et partant il leur dit pour les accoiser: La paix soit avec vous.

  A009000797 

 Je sçay bien que l'esperance est en la volonté, mais je veux dire ainsy pour maintenant.

  A009000797 

 La pluspart des troubles que nous avons en nostre ame viennent dequoy l'imagination de la chair presente des souvenirs à l'imagination de l'esprit, lesquels estans receus par nostre memoire, nous nous laissons aller à de vaines craintes de n'avoir pas assez de cecy et de cela, au lieu de nous occuper à nous resouvenir des promesses que Nostre Seigneur nous a faites, et ainsy demeurer fermes en cette confiance que tout perira plustost que ces promesses viennent à manquer, et partant les inquietudes arrivent.

  A009000798 

 C'est grand pitié du desgat que ce manquement de paix fait en l'ame; au lieu que nous jouirions d'un grand repos si la memoire demeuroit ferme au souvenir des promesses divines qui nous asseurent non seulement de la fidelité de Dieu, mais encor de son soin tendre et amoureux pour tous ceux qui se confient en luy et ont logé en sa bonté toutes leurs esperances.

  A009000798 

 Que nous serions heureux si nous nous occupions aussi des promesses que non seulement au Baptesme, mais, la pluspart d'entre nous, par le moyen des vœux, nous avons faites à Dieu de luy estre fidelles et de ne nous arrester jamais qu'à ce qui nous pourra rendre plus aggreables à ses yeux! Si les Religieux et Religieuses accomplissoyent les promesses qu'ils ont faites d'observer fidellement leurs Regles et Constitutions et de suivre les conseils qui leur seront donnés, ils possederoyent, dis-je, la paix en leurs ames, Nostre Seigneur viendrait en eux et leur dirait: Paix vous soit, comme il fit à ses Apostres..

  A009000799 

 Bref, nostre volonté est si pleine de pretentions et de desseins que bien souvent elle ne fait rien que s'amuser à les regarder l'un apres l'autre, ou bien tous à la fois, au lieu de s'occuper à en faire reussir quelques uns des plus profitables..

  A009000799 

 La chair a des ruses nompareilles pour vaincre l'esprit et l'attirer à ses bestiales inclinations; mais le principal ennemy de la volonté et ce qui la fait estre si lasche que de quitter l'esprit qui est comme son tres cher espoux, c'est la multitude des desirs que nous avons de cecy et de cela.

  A009000799 

 Neanmoins elle est si lasche que bien souvent elle se laisse gaigner aux persuasions de la chair, se rendant à ses efforts, bien qu'elle sçache que la chair est le plus dangereux ennemy de l'homme; c'est cette felone Dalila qui tue meschamment le pauvre Samson qui l'aymoit si cherement.

  A009000800 

 Combien? je n'en ay que deux.

  A009000800 

 De mesme, pourriez-vous bien dire, en aymant Dieu je rencontre plusieurs autres choses, comme les livres, les vertus, [300] l'oraison, le prochain que j'ayme voirement bien; cependant mon dessein principal estant de n'aymer que Dieu, fait que j'ayme toutes ces choses et que je m'en sers, mais ce n'est qu'en passant, pour m'exciter à l'aymer davantage, et tousjours plus parfaitement, car tel est mon vouloir et je n'en veux jamais point d'autre..

  A009000800 

 Mais ne voyez-vous point l'air qui est entre elle et vous? Non, me direz-vous, parce que je ne regarde que cette muraille; et bien que ma veiie passe et traverse parmi l'air qui est d'icy là, neanmoins je ne le vois pas, d'autant que je n'y arreste pas ma veüe.

  A009000800 

 Mais, me repliquerez-vous, ne faut-il pas vouloir aymer le prochain? Puisque vous dites qu'il ne faut aymer que Dieu et ne vouloir que luy seul, pourquoy donques tant de livres spirituels, tant de predications et tous les autres exercices de devotion? Un exemple vous fera entendre cecy: vous regardez cette muraille qui est blanche, et je vous demande ce que vous voyez.

  A009000801 

 En fin finale, si nous voulons avoir la paix en nous mesme il ne faut avoir qu'une seule volonté, ainsy que nous avons dit, non plus que saint Paul qui ne pretendoit sçavoir et prescher qu'une seule chose, Nostre Seigneur Jesus Christ crucifié.

  A009000802 

 Mais, mon Dieu, quelle paix est celle cy, et qu'elle est differente de celle que le monde donne! Les mondains se vantent aucunesfois d'avoir la paix, mais c'est une paix fausse, laquelle est en fin suivie d'une tres grande guerre.

  A009000802 

 O pauvres gens, dequoy vous troublez-vous? n'avez-vous pas avec vous le Sauveur qui est la vraye paix? Alors Jesus leur dit: Que craignez-vous, gens de petite foy? n'ayez point peur.

  A009000802 

 Son bien aymé Apostre saint Pierre en fit tout de mesme apres luy, car il dormoit paisiblement quand l'Ange le vint tirer de la prison, le soir devant le jour auquel on le devoit faire mourir; tant les vrays amis de Dieu sont tranquilles et possedent la paix que Nostre Seigneur leur a acquise..

  A009000803 

 La tempeste estant grande et les matelots ne sçachant plus que faire pour eviter le peril eminent auquel ils se voyoient presque reduits, s'en vont au fond du navire, où trouvant le pauvre Jonas qui dormoit, non d'un sommeil de paix mais d'un sommeil de detresse, ils luy dirent: Quoy, miserable, tu dors en cette affliction! Et s'estant enquis d'où il estoit: Oh! respondit-il, je suis un miserable homme qui fuis de devant la juste indignation de Dieu irrité contre moy.

  A009000804 

 Les enfans de la paix font une continuelle guerre à la chair qui leur cause des attaques tres violentes, laquelle n'a pourtant pas le pouvoir de troubler leur repos, non plus que le diable et le monde, ainsy que nous avons desja dit..

  A009000804 

 Mais beaucoup plus vraye et plus grande est celle que possedent [302] ceux qui ne vivent pas seulement selon les commandemens, ains en l'observance des conseils et selon la regle de la vertu, car la vraye paix se trouve en la parfaite mortification.

  A009000805 

 Nous pouvons bien affoiblir la chair, nostre principal ennemy, qui nous poursuit de si pres que jamais il ne nous abandonne; mais pourtant nous ne le pouvons abattre ni terrasser tout à fait, parce que c'est l'un de ces goujats et coquins que Dieu a laissés en vie pour nous exercer, bien qu'ils ne nous puissent nuire.

  A009000806 

 Il faut que je vous raconte sur ce sujet un bel exemple que je lisois l'autre jour dans les Vies des Peres nouvellement recueillies.

  A009000806 

 Le bon Pere loua son dessein et luy respondit: Mon fils, quant [303] à vous enseigner la voye de vous perfectionner je le feray de bon cœur, mais que vous soyez parfait si tost que vous voudriez, je ne le puis pas promettre; car en cette mayson nous n'avons pas de perfection toute faite, ains il faut que chacun fasse la sienne..

  A009000807 

 Ce pauvret pensoit que la perfection luy seroit donnée comme l'on donne l'habit de Religion, mais il fut bien trompé, car le bon Pere poursuivant son discours luy dit: Mon fils, la perfectionne s'acquiert pas tout d'un coup comme vous pensez; l'on n'y sçauroit parvenir si promptement.

  A009000807 

 Ce que le jeune homme ayant entendu, il promit qu'il le feroit.

  A009000807 

 Lors le bon Pere adjousta: Mon fils, il faut que trois ans durant, outre la generale prattique de toutes les vertus, vous entrepreniez de soulager tous les freres; de sorte que, par exemple, si vous rencontrez le cuisinier qui va puiser de l'eau ou qui va querir ou fendre du bois, vous y alliez pour luy.

  A009000807 

 Ne voyez-vous pas qu'en l'eschelle de Jacob il y avoit des eschellons par lesquels il failloit monter de l'un à l'autre jusques à tant que l'on fust au haut bout auquel on rencontroit la poitrine du Pere celeste? Et avant que d'aller succer ses divines mammelles il faut monter de degré en degré, car la perfection que vous desirez ne se trouve pas toute faite.

  A009000807 

 Puis si vous en rencontrez d'autres qui sont chargés, vous preniez leur charge et les soulagiez en la portant pour eux; bref, que vous vous rendiez le valet de tous en les servant en toute chose, sans reserve.

  A009000807 

 Si vous la voulez avoir un jour, je vous enseigneray bien comme elle s'acquiert, pourveu, mon fils, que vous ayez bon courage et que vous fassiez fidellement ce que je vous diray.

  A009000808 

 O Dieu, dit le pauvre garçon, quoy, n'est-il pas encores fait? faut-il encores recommencer? est-il requis de faire si souvent des noviciats? trois ans ne suffiront-ils pas? Helas, je pensois estre parfait en le voulant, et cependant il y a encores tant à faire! Apres qu'il eut bien fait ses plaintes, le bon maistre ne s'en estonnant pas beaucoup, commença à l'encourager disant que puisqu'il avoit desja tant fait il failloit poursuivre, que la perfection estoit un si grand bien qu'il ne failloit pas regretter la peine ni le temps que l'on employe à l'acquerir..

  A009000808 

 Vous avez bien et fidellement fait ce que je vous ay commandé ces trois années, il est vray, mais il ne faut pas s'arrester là.

  A009000809 

 Ce qu'il promit d'accomplir, et le fit fort fidellement, bien qu'il ne manquast pas d'exercice; car le bon Pere donna le mot du guet aux Religieux pour l'esprouver comme il failloit, si qu'à tous propos il estoit en peine de faire des presens, d'autant que les mespris, mortifications et humiliations ne luy manquoyent point..

  A009000809 

 La prattique que le Pere luy recommanda fut de recevoir si bien les mortifications, mespris, corrections et humiliations que jamais il ne manquast de faire quelque service ou quelque present à ceux qui les luy procureroyent, et cela tout promptement; et s'il n'avoit rien autre chose à donner, qu'il fist des bouquets pour leur presenter, ou des stolles, ou telles et semblables choses.

  A009000810 

 Et ce qui leur faisoit prendre opinion qu'il l'estoit, fut que tandis que ces soldats le traittoyent comme j'ay dit, il avoit? une joye telle dans le cœur qu'elle paroissoit sur sa face, et à mesure qu'on luy disoit plus d'injures il sembloit estre plus joyeux et content.

  A009000810 

 Le Pere donques le fit tout barbouiller et le mena dans une ville qui estoit proche de là, à la porte de laquelle il y avoit des soldats qui n'avoyent pas autre chose à faire qu'à [305] regarder les passans et prendre d'eux sujet de rire, de maniere que si tost qu'ils virent ce pauvre jeune homme ils commencerent à se mettre apres luy: qui le brocardoit de parolles, qui venoit jusques aux coups, d'autres l'injurioyent; bref, ils s'en jouoyent tout ainsy que s'il eust esté fol.

  A009000811 

 Lors le bon novice respondit: Certes, il me semble que j'ay bien rayson de rire et d'estre content, car je possede la paix en mon ame parmi toutes les attaques et risées que vous me faites; mais de plus, j'ay un grand sujet de contentement, car en verité vous m'estes bien plus doux et gracieux que n'a pas esté mon maistre que vous voyez là, lequel m'a icy amené; car il m'a tenu trois ans en telle sujetion, qu'il failloit que je fisse quelque present à tous ceux qui me maltraittoyent pour recompense de l'offence qu'ils m'avoyent faitte.

  A009000811 

 Voyez-vous, Nostre Seigneur permet tousjours que les vertus de ses vrays amis et serviteurs soyent reconneues par quelques-uns.

  A009000812 

 C'est la vraye paix, mes cheres ames, que je vous desire, qui se conserve, ains qui s'accroist emmi la guerre et les tourbillons des vents des persecutions, [306] humiliations, mortifications et contradictions que nous rencontrons en cette vie mortelle, afflictions et peines qui seront en fin suivies des consolations et repos eternel, pourveu que nous les ayons souffertes avec paix interieure à l'imitation de ce bon Religieux.

  A009000812 

 Grande estoit la paix que ce jeune homme possedoit en son ame, puisque les injures, les moqueries et les risées d'une trouppe desbauchée ne l'avoyent nullement esbranlé.

  A009000812 

 Or, telle paix ne s'acquiert en cette vie que par l'union de l'entendement, de la memoire et de la volonté avec l'esprit, ainsy que nous avons monstré tantost; de plus, elle ne se peut trouver hors de la sainte Eglise, ainsy que l'experience nous l'enseigne tous les jours, et en fin finale elle ne se rencontrera jamais qu'en l'obeissance du saint Evangile lequel n'est que paix.

  A009000819 

 En la primitive Eglise on celebroit la feste d'aujourd'huy fort solemnellement, parce que c'estoit la feste des nouveaux convertis et catechisés; c'est pourquoy on l'appelle le Dimanche blanc, d'autant que les nouveaux baptizés se revestoyent à tel jour de robes toutes blanches.

  A009000819 

 Jadis, en l'ancienne Loy, l'on n'avoit pas accoustumé de faire feste à la naissance des enfans, comme on fait en beaucoup de lieux, ains seulement quand on les sevroit, ainsy que nous apprenons en l'histoire d'Abraham, lequel ne fit pas de festin à la naissance d'Isaac son cher fils, ains au jour qu'on le retira de la mammelle et qu'on le sevra.

  A009000819 

 Les Chrestiens ne doivent pas solemniser le jour de leur naissance, ains celuy de leur renaissance, qui est celuy de leur Baptesme; c'est pour cette cause que le grand saint Louys roy de France ne vouloit pas estre appellé Louys de France, mais Louys de Poissy, parce que c'estoit le lieu où il avoit esté baptizé et celuy de sa naissance spirituelle..

  A009000820 

 La grace que nous recevons au jour de nostre Baptesme est certes grande, car nous sommes rendus enfans de Dieu.

  A009000820 

 Mais grande est aussi la grace que Dieu nous fait au jour où il nous reçoit pour estre entierement dediés [308] à son service, car c'est une nouvelle renaissance spirituelle en laquelle, comme la pluspart des Peres tiennent, nous sommes remis en l'innocence premiere; c'est à dire, qu'au mesme instant où ceux qui se dedient tout à fait au service de Nostre Seigneur font cette offrande d'eux mesmes, ils sont rendus purs comme des enfans qui viennent d'estre baptizés..

  A009000821 

 Ce n'est donques pas sans juste rayson que l'on a accoustumé de faire des grandes solemnités en la reception ou Profession des Religieux et Religieuses, puisque ce n'est pas seulement le jour où ils sont sevrés et retirés de la mammelle, de la jouissance des consolations terrestres et perissables, à fin d'estre sustentés de viandes plus solides et qui les nourrissent à l'immortalité, le bon Pere celeste les fortifiant petit à petit par l'exercice des vertus appartenantes aux plus forts, telles qu'elles se trouvent en Religion.

  A009000821 

 Ce n'est pas non plus seulement pour ce que c'est le jour de leur naissance spirituelle auquel ils reçoivent la grace divine et renouvellent les promesses qu'ils ont faittes, ou que l'on a fait pour eux en leur Baptesme, de vivre selon les commandemens de Dieu; mais ils solemnisent beaucoup plus parfaittement et se resjouissent davantage en cette journée, d'autant que c'est celle de leur renaissance.

  A009000821 

 Ce que pour mieux faire, ils embrassent la vie religieuse en laquelle ils peuvent plus facilement qu'en nulle autre, demeurer inviolables en leurs resolutions..

  A009000822 

 Cependant, la Religion est un continuel exercice de mortification, de renoncement et despouillement de soy mesme; il faut crucifier la chair avec toutes ses sensualités, la propre volonté avec tous ses desirs, renoncer au monde et à toutes les [309] choses terrestres pour n'aspirer plus qu'apres les biens eternels et n'avoir plus autre desir que de plaire à Dieu, plus de volonté que la sienne et celle des Superieurs qui ont la charge des Religieux..

  A009000822 

 Grande donques, pour toutes les raysons que nous venons de dire, doit estre la joye de ces ames qui se presentent aujourd'huy à fin d'estre dediées au service amoureux de la divine Bonté.

  A009000823 

 Il me semble que j'ay entendu vos cœurs, mes tres cheres Filles, dire telles ou semblables paroles à Nostre Seigneur, que vous venez maintenant choisir pour vostre Espoux et «l'unique objet de vostre dilection:» Il est vray, mon Seigneur et mon Dieu, qu'en la Religion on ne presche que la mortification tres entiere de nous mesme à fin d'obeir à cette semonce sacrée que vous avez faite: Quiconque veut estre parfait il est requis et necessaire qu'il renonce à soy mesme, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive.

  A009000823 

 Lors que nous venons en Religion l'on ne nous amorce point par les promesses des consolations, comme fait le monde quand il veut attirer quelqu'un à sa suite; l'on ne nous fait point d'offre de biens terrestres, ni des honneurs, grandeurs ou dignités, ains des humiliations, des abjections, et au lieu des consolations on nous presente des mortifications.

  A009000823 

 Nonobstant tout cela, nous ne laisserons pas de nous venir ranger sous l'estendart de vostre sainte protection, estans tres asseurées que puisque vostre Bonté nous a appellées à cette maniere de vie plus parfaite que la commune des mondains, voire de ceux qui font profession de vivre tres chrestiennement dans le monde, vostre mesme Bonté nous fortifiera et nous baillera la grace de bien faire ce que nous entreprenons aujourd'huy pour la gloire de vostre saint nom et pour le salut de nos ames; car nous croyons fermement que, selon la parolle de vostre saint Apostre, si nous mourons avec vous en cette vie, nous ressusciterons avec vous en la gloire..

  A009000824 

 C'est une chose des plus necessaires pour nostre salvation que de faire de saintes conversations en cette vie, car, à dire vray, nous sommes quasi pour l'ordinaire tels que ceux que nous aymons et pratiquons..

  A009000824 

 O qu'il est bon, dit le saint Prophete, que les freres habitent par ensemble! Ouy certes, d'autant qu'ils s'entreporteront les uns les autres au bien.

  A009000825 

 C'est grand cas des personnes libertines et qui ne veulent point avoir d'autres lois que celles que la propre volonté leur dicte.

  A009000825 

 Incredulité tres grande! Malheur qui ne luy arriva que pource qu'il avoit quitté la conversation tres sainte des Apostres et de Nostre Dame mesme, pour aller vagabond à la promenade, sous pretexte de quelqu'affaire qui n'estoit pas sans doute si necessaire qu'elle ne peust bien estre remise jusques apres le temps que Nostre Seigneur leur avoit marqué, auquel ils le devoyent voir ressuscité.

  A009000825 

 Pendant qu'il estoit absent, Nostre Seigneur s'apparut aux autres Apostres; et luy, ayant ouÿ d'eux tous la grace qu'ils avoyent receüe, il dit qu'il ne croiroit point que son Sauveur fust ressuscité s'il ne le voyoit et ne mettoit ses doigts dans les trous de ses playes, et ne fourroit toute sa main dans l'ouverture de son costé.

  A009000827 

 Grande fut la tristesse et l'ennuy que receut saint Thomas quand il ouyt que ses compagnons avoyent veu Nostre Seigneur, et il se laissa tellement preoccuper l'esprit et l'entendement de cette passion, qu'il commença à s'opiniastrer et croire que cela n'estoit pas; et plus on vouloit le retirer de son incredulité, plus aussi il s'opiniastroit à soustenir qu'il n'en croiroit rien.

  A009000827 

 Il est bien aysé à dire, vous respondra-t-elle, qu'il se faut et que l'on peut se divertir, mais nenny, c'est une chose impossible.

  A009000827 

 Le chagrin offusque et trouble le jugement, de sorte que tandis qu'il est en l'ame elle est en extreme danger de commettre de grans defauts, parce qu'il fait que l'on rejette tout en ce temps là, et la correction et l'instruction, bref, tout ce qui est contraire à son opinion erronée..

  A009000827 

 Parlez, je vous supplie, à une personne preoccupée de chagrin, elle ne croit point ce que vous luy dites.

  A009000827 

 Quant au premier point, c'est une chose toute claire que le chagrin produit l'incredulité, car la preuve s'en fait tous les jours.

  A009000828 

 C'est le propre de l'orgueil d'entraisner nos ames à mille sortes de maux, mais principalement à celuy de nous faire [312] tellement attacher à nostre propre jugement, que nous soyons opiniastres à ne le point sousmettre à celuy d'autruy, pour authorité qu'il puisse avoir sur nous.

  A009000828 

 Cette vanité de faire estime de son propre jugement produit l'incredulité et la mesestime des jugemens des autres, et fait que l'on raysonne en cette sorte: Pourquoy m'assujettiray-je à croire que ce que l'on me dit est vray? Ne l'aurois-je pas aussi bien compris ou sceu comme les autres? O que les ames qui faisans estime d'elles mesmes se laissent ainsy gouverner par leur propre jugement sont en grand danger! Nous le voyons en l'exemple du pauvre saint Thomas qui faillit se perdre..

  A009000828 

 La seconde source de l'incredulité de saint Thomas fut l'orgueil et la vanité; car s'estimant aussi capable de cette grace que tous les autres, il pensoit: Et pourquoy seroit-il apparu à tous sinon à moy? S'il estoit vray qu'il fust ressuscité, je l'aurois veu aussi bien que les autres; ne suis-je pas autant qu'eux? Vanité tres grande qui le porta à commettre un tel peché.

  A009000829 

 Or, de ces deux sources de son peché proceda le desespoir; car, poussé du chagrin et de l'orgueil, il perdit l'esperance que Nostre Seigneur accompliroit la promesse qu'il leur avoit faitte de ressusciter apres trois jours, d'autant qu'il ne l'avoit pas veu.

  A009000829 

 Son chagrin faisoit qu'il ne vouloit pas croire ce qu'on luy asseuroit; l'orgueil luy faisoit dire que si son Maistre ne se monstroit à luy comme il vouloit, avec les conditions qu'il luy marquoit, il ne croiroit pas, et le desespoir survenant le rendit opiniastre en son obstination..

  A009000830 

 L'orgueil ou la vanité ne leur peut permettre un petit defaut que tout incontinent ils n'entrent en de grans troubles qui les portent par apres au desespoir: O Dieu, il ne faut plus rien attendre de moy, je ne feray jamais rien qui vaille! C'est bien dit; hé, pensiez-vous estre si brave que de ne point faillir? En toutes sortes d'arts il faut estre apprentif, premier que d'estre maistre..

  A009000831 

 Nostre Seigneur tout bon et tout misericordieux, ne pouvant plus souffrir que cette chere brebis de son troupeau demeurast errante et vacillante en la foy, vient tout doux et debonnaire trouver saint Thomas en presence des autres Apostres, et apres les avoir salués selon son [313] accoustumée, disant: Paix vous soit, il s'addresse au plus malade de tous.

  A009000831 

 Peril tres grand, certes, auquel il avoit esté reduit par le defaut de la paix de l'entendement, de la memoire et de la volonté, paix de laquelle estans privés, l'ame et l'esprit courent grande risque de se perdre, ainsy que nous disions l'autre jour..

  A009000831 

 Voyez, je vous supplie, comme amiablement il contrecarre de point en point son incredulité; car premierement il l'appelle par son nom et luy dit: Thomas, mets ton doigt dans les ouvertures de mes mains, et fourre si tu veux toute ta main dans la playe de mon costè, et prens si tu veux mon cœur (car, bien qu'il ne die pas: Prens mon cœur, il semble qu'il le vouloit signifier, luy donnant liberté de le toucher); considere que l'esprit n'a ni chair ni os, et reconnois que je suis moy mesme.

  A009000832 

 C'est donc pour la conserver ou acquerir que ces ames viennent maintenant se dedier au service de la divine Majesté, resolues qu'elles sont de luy consacrer si entierement leurs cœurs, leurs corps et de plus leurs volontés, qu'elles ne s'en puissent jamais plus servir que pour suivre en toutes choses la volonté de Dieu qui leur sera signifiée par la direction des Regles et Constitutions de la Religion, direction qui les conduira à l'entiere mortification d'elles mesmes, «pour le service de la dilection» de leur celeste Espoux.

  A009000847 

 Certes, ce fut un tres grand don que le Pere celeste fit au monde lors qu'il luy donna son propre Fils, comme il a dit luy mesme, et apres luy son grand Apostre saint Paul: Si le Pere eternel a bien tant aymé le monde que de luy avoir donné son propre Fils, pourquoy ne luy donnera-t-il pas tout autre don avec celuy là?.

  A009000848 

 Bien qu'en l'ancienne Loy il octroyast de tres grans presens à son peuple, toutefois ce n'estoit que par mesure; mais en la nouvelle, dès qu'il revit son cher Benjamin, c'est à dire, dès que Nostre Seigneur fut entré en sa gloire, il ouvrit sa main pour respandre ses dons et ses faveurs sur tous les fidelles, ainsy qu'il estoit escrit qu'il deverseroit son Esprit sur toute chair, à sçavoir sur tous les hommes, et non point seulement sur les Apostres..

  A009000848 

 De mesme voyons-nous que le Pere eternel a fait en ce jour.

  A009000849 

 Ne sçavez-vous pas qu'il est dit que le Sauveur receut des graces infinies et que les dons du Saint Esprit reposerent sur son chef? Et pourquoy cela, puisque estant la grace mesme il n'en avoit ni pouvoit avoir nulle sorte de necessité? Ce ne fut donques sinon pour nous faire entendre que toutes les graces et benedictions celestes nous devoyent estre distribuées par luy, les laissant couler sur nous qui sommes membres de l'Eglise de laquelle il est le Chef.

  A009000849 

 Que pensez-vous que veuille signifier ce Bien-Aymé de nos ames, sinon qu'il desire ardemment que son Espouse luy ouvre promptement la [316] porte de son cœur, à fin qu'il y puisse respandre les dons et les graces qu'il avoit si abondamment receus de son pere comme une rosée et liqueur tres pretieuse..

  A009000850 

 Les Apostres l'avoyent desja receu lors que Nostre Seigneur soufflant sur eux leur dit: Recevez le Saint Esprit, les constituant prelats de son Eglise et leur donnant le pouvoir de lier et deslier les ames; mais ce ne fut pas avec la gloire et magnificence qu'ils le receurent aujourd'huy, et ne leur laissa pas de tels effects.

  A009000850 

 Mais le present qu'il fait en ce jour à son Eglise doit estre tenu pour le plus excellent, d'autant que c'est le Pere et le Fils qui l'envoyent..

  A009000850 

 Voyons donques maintenant comment Dieu envoya son Saint Esprit sur tous les hommes qui se trouverent assemblés au cenacle, lesquels estoyent au nombre de six vingts et parloyent tous selon que le Saint Esprit leur donnoit.

  A009000851 

 Les presens sont estimés grans selon l'amour avec lequel ils sont faits; or, celuy ci n'est pas seulement fait avec un grand amour, ains c'est l'amour mesme qui est donné, car chacun doit sçavoir que le Saint Esprit est l'amour du Pere et du Fils.

  A009000851 

 Mais ce que nous disons que le Saint Esprit nous a esté donné par le Pere et par le Fils, ne se doit pas entendre qu'il soit separé ni de l'un ni de l'autre, parce qu'il ne se peut, n'estant qu'un seul et vray Dieu indivisible; ains nous voulons dire que Dieu nous a donné sa divinité, bien que ce soit en la personne de son Saint Esprit.

  A009000852 

 Le Saint Esprit fut [317] fort convenablement envoyé sous la forme et figure de langues et de langues de feu parce que c'est en la langue que l'Eglise a toute sa force.

  A009000852 

 Qui ne sçait qu'elle opere tous ses mysteres par la langue? La predication se fait par la langue; dans le saint Baptesme, sans lequel nul ne peut estre sauvé, il est necessaire que la langue intervienne pour donner à l'eau la force de laver nos pechés et iniquités; de mesme le tres saint Sacrifice de la Messe ne se peut celebrer que par le ministere de la langue..

  A009000853 

 Nous avons desja dit qu'il y a enclos en celuy ci sept autres dons, que nous appelions de crainte, science, pieté, force, conseil, entendement et sapience.

  A009000853 

 Par la suite que nous ferons de ces sept dons en remontant comme par une eschelle, nous connoistrons si nous avons receu le Saint Esprit ou non, puisqu'il a accoustumé de les communiquer aux ames dans lesquelles il descend et qu'il trouve preparées pour le recevoir..

  A009000854 

 Cette crainte ne leur a pourtant point fait eviter le peché ni l'iniquité pource qu'ils n'avoyent pas receu le Saint Esprit; car la crainte qui s'appelle don du Saint Esprit non seulement nous fait redouter les divins jugemens, la mort et l'enfer, mais elle nous fait craindre Dieu comme nostre Seigneur et nostre Juge, et partant nous porte à fuir le mal et tout ce que nous sçavons luy estre desaggreable.

  A009000854 

 Et comme nous voyons qu'une fiole est remplie de quelque eau sans qu'elle en aye aucune necessité, puisqu'elle est si dure que mesme elle n'en est pas penetrée, ainsy nostre beni Sauveur fut rempli de la crainte du Seigneur, non point pour luy, car il ne s'en pouvoit servir, ains seulement pour la respandre sur ses freres..

  A009000854 

 Le don de crainte est le plus universel, car nous voyons que les meschans mesme ont de la crainte et frayeur entendans parler de la mort, du jugement et des peines eternelles.

  A009000854 

 Nous devons donc sçavoir qu'il en fut rempli pour la respandre sur un chacun de nous, tant parfaits qu'imparfaits, parce que les parfaits doivent craindre de [318] descheoir de leur perfection, et les imparfaits de ne la pouvoir acquerir.

  A009000854 

 Que veut dire cecy? car nostre Maistre n'avoit point besoin de crainte.

  A009000854 

 Remarquons, je vous prie, qu'il est dit que les dons du Saint Esprit, de sapience et les autres, reposerent sur le chef de nostre divin Sauveur, et puis ensuite qu'il fut rempli de la crainte du Seigneur.

  A009000855 

 Il ne faut pas beaucoup parler de la crainte, principalement au lieu où je suis, puisqu'on ne s'en doit servir que pour venir au secours de l'amour quand il le requiert.

  A009000855 

 Il ne faut pas non plus se tenir dans la crainte, ni moins la tenir dans nos cœurs, car c'est la place de l'amour, ains seulement la laisser à la porte de nostre cœur, à fin qu'elle soit preste pour secourir l'amour, ainsy que j'ay dit.

  A009000857 

 Mais il ne nous serviroit de gueres d'avoir le desir de plaire à Dieu et la crainte de luy desplaire si le Saint Esprit ne nous octroyoit le troisiesme don, qui est celuy de science, par lequel nous apprenons que c'est que vertu et que c'est que vice, ce qui est aggreable à Dieu et ce qui luy est desaggreable.

  A009000858 

 Il est aussi tres necessaire que le Saint Esprit nous baille le quatriesme don qui est celuy de la force, car autrement les precedens ne nous serviroyent de rien, puisqu'il ne suffit pas d'avoir la volonté d'eviter le mal et celle de faire le bien, encores moins de connoistre l'un et l'autre, si nous ne mettons la main à l'œuvre.

  A009000858 

 Voyez-le se vautrer, et pleurer lors qu'un certain philosophe luy vint dire qu'il y avoit encores d'autres mondes que celuy qu'il avoit subjugué et assujetti: il eut un tel regret de ne les pouvoir conquerir qu'il ne s'en peut resoudre..

  A009000858 

 [319] Pour cela nous avons une grande necessité de la force; mais il faut que nous sçachions en quoy elle consiste.

  A009000860 

 Mais estans ainsy resolus et fortifiés pour embrasser la vraye prattique des vertus, il faut que nous ayons le don de conseil pour choisir celles qui nous sont le plus necessaires selon nostre vocation; car, bien qu'il soit [320] tousjours bon de prattiquer les vertus, si faut-il pourtant les sçavoir prattiquer par ordre.

  A009000860 

 Que sçay-je moy, si en telle occasion il ne sera point plus expedient que je ne prattique la patience sinon interieurement et non pas exterieurement, ou bien si je dois joindre l'une avec l'autre? Il faut donques avoir le don de conseil à fin de suivre l'exercice que le don de force et de courage nous a fait commencer, et pour que nous ne nous trompions point nous mesmes, choisissant les vertus selon nos inclinations et non selon nostre necessité, regardant seulement à l'escorce et non point à la vraye essence des vertus..

  A009000861 

 Mais remarquez, je vous supplie, que je dis par la meditation et oraison, et non par la curiosité, speculation et estude, comme font les theologiens; car une simple et pauvre femmelette sera plus capable de le faire que non pas les plus excellens docteurs qui auront moins de pieté.

  A009000861 

 Vous voyez donques bien clairement les effects du don d'entendement, lequel, outre ce que nous avons dit, nous fait comprendre la verité des mysteres de nostre foy et combien il nous est necessaire de regarder à la vraye essence des vertus et non pas à l'apparence exterieure seulement, combien aussi il nous est utile de suivre les verités conneues, soit par le don de conseil ou par celuy d'entendement..

  A009000862 

 Or, le Saint Esprit n'a pas accoustumé de laisser l'ame à laquelle il a bien voulu octroyer ces six dons que nous venons d'expliquer, sans y adjouster celuy de sapience, c'est à dire de la «savoureuse science,» luy donnant un goust, une saveur, une estime, bref un [321] contentement en la prattique des maximes de la perfection chrestienne qu'elle a reconneues par le don d'entendement.

  A009000863 

 David dit que les cieux annoncent la gloire de Dieu.

  A009000863 

 Il adjouste que les jours et les nuits se laissent la charge l'un à l'autre d'annoncer la gloire de Dieu.

  A009000863 

 Il veut entendre que la beauté des cieux et du firmament convie les hommes à admirer la grandeur du Createur et à prescher ses merveilles.

  A009000863 

 Je finis par cette consideration que tous ceux qui estoyent dans le cenacle receurent le Saint Esprit et parloyent tous selon que le mesme Saint Esprit leur donnoit; mais non pas tous d'une mesme façon, n'ayans pas tous esté commis pour prescher l'Evangile comme saint Pierre et les autres Apostres; car nous ne pouvons pas nier qu'il n'y eust des femmes, puisque l'Evangeliste escrit qu' ils estoyent six vingts avec Nostre Dame et les autres femmes.

  A009000863 

 Mais il faut que nous sçachions qu'il y a un parler qui se fait sans dire mot; c'est le bon exemple.

  A009000863 

 Or, ils parloyent selon que le Saint Esprit leur donnoit, c'est à dire, ceux qui ne preschoyent publiquement s'entrencourageoyent les uns les autres à louer Dieu.

  A009000863 

 Qui ne sçait que lors que nous regardons le ciel en une nuit bien sereine, nous sommes excités à admirer et adorer la toute puissance et sapience de Celuy qui l'a parsemé de tant de belles estoiles? Il en est de mesme lors que nous voyons un beau jour esclairé de la lumiere du soleil, voire quand le mesme Seigneur nous envoye la pluye, puisqu'elle sert à produire les plantes..

  A009000864 

 N'est-ce pas une plus grande merveille de voir une ame decorée de plusieurs grandes vertus que non pas le ciel decoré d'estoiles? Les jours se donnent charge l'un à l'autre d'annoncer la gloire de Dieu; et qui ne sçait que les Saints en ont fait de mesme, se resignant leurs vertus les uns aux autres? A saint Anthoine succeda saint Hilarion, à saint Hilarion d'autres Saints, et ils iront ainsy tousjours perseverant..

  A009000864 

 Que veux-je dire par tout cecy, sinon que nous, qui [322] sommes plus que les cieux et que tout ce qui est creé, puisque le tout a esté fait pour nous et non point nous pour eux, sommes beaucoup plus capables d'annoncer la gloire de Dieu que non pas les cieux ou les astres.

  A009000869 

 Apres que saint Augustin a raconté ce grand conteste et divorce, ce grand combat et contention qu'il avoit sur le point de sa conversion, en ses deux parties, l'inferieure et la superieure, combat le plus grand qui se puisse voir, appercevant en fin les yeux de la misericorde qui desja le regardoyent, il s'escrie au commencement du Livre neufviesme de ses Confessions: O Seigneur, vous avez regardé vostre serviteur et le fils de vostre servante.

  A009000869 

 Ayant donques à m'entretenir avec vous, quel meilleur sujet pourrois-je prendre que ces paroles du Psalmiste: Dirupisti, et ce qui suit? Mais pour rendre mon discours plus familier, je le diviseray en trois points: au premier nous verrons quels sont les liens desquels saint Augustin estoit lié; au second, quel sacrifice de louange il a offert à Nostre Seigneur; et au troisiesme, quel est ce calice du salutaire..

  A009000869 

 Puis apres, sentant la main puissante de Dieu qui le deslioit, il poursuit avec ces paroles qui sont du Psalme CXV: Dirupisti vincula mea; O Seigneur, vous m' avez deslié des liens de mes pechés, et que feray-je en reconnaissance d'une telle faveur? Je vous sacrifieray un sacrifice de louange, je boiray le calice de vostre salutaire et invoquer ay le nom du Seigneur.

  A009000870 

 J'estois, escrit-il, lié et enchaisné des chaisnes et liens d'une maudite volupté, avec une volonté enferrée qui faisoit que de mon plein gré je me vautrois dans mes vicieuses habitudes..

  A009000870 

 Je ne m'arresteray pas à vous en beaucoup parler, car vous avez ce livre où vous le lirez avec bien plus de playsir, parce que vous y verrez les choses tout au long, mieux que je ne les vous sçaurois rapporter.

  A009000871 

 Ces cadenes ne sont autre chose que le peché qui nous rend non seulement esclaves de nos passions, mais encores du demon; et nul ne nous en peut deslier que la main puissante de Dieu.

  A009000871 

 Ces liens, comme dit le mesme saint Augustin, nous sont merveilleusement bien representés par les chaisnes et manottes de fer dont saint Pierre fut lié en la prison; car, bien qu'il fust emprisonné pour la justice, ses liens neanmoins ne laissent pas de nous representer le peché qui, comme manottes et chaisnes de fer, tient le pecheur si estroittement enserré qu'autre que Dieu ne le peut desenchaisner..

  A009000872 

 Les seconds liens sont du monde, et ne sont autres que la sensualité et volupté, liens grandement dangereux et difficiles à rompre..

  A009000873 

 Ceux de fer, comme dit nostre grand Pere saint Augustin, ne sont autres que la crainte des jugemens, de la mort et de l'enfer; ces menaces que nous lisons dans l'Evangile et celles par lesquelles l'Apostre saint Paul espouvantoit les roys et les princes, les laboureurs et artisans, les petits et les grans, leur disant: Je vous advertis qu'il y a un souverain Juge [325] des vivans et des morts, et c'est à luy à qui vous rendrez compte.

  A009000874 

 Et que ne firent pas Alype et ses autres amis pour l'en destourner, le persuadant de se marier, à fin, par ce moyen, de changer en licites ses playsirs illicites.

  A009000874 

 Que si bien il n'est pas si grand que le blaspheme et la haine de Dieu, si est-il le plus difficile de tous à s'en depetrer et desbrouiller..

  A009000875 

 Et qu'est-ce que la rhetorique et humanité humaine, sinon une escole de vanité? Il estoit donques maistre de la vanité, et il le confesse luy mesme.

  A009000876 

 On ne les voit presque jamais sur terre, ains elles se guindent tousjours en haut; aussi les naturalistes disent que c'est le roy des oyseaux, non à cause de sa beauté mais pour sa generosité..

  A009000877 

 C'est ainsy que fit saint Augustin apres sa conversion: il changea la beauté de son esprit en bonté, ou plustost joignit la bonté avec la beauté, car certes ç'a esté le phenix entre les Docteurs, et l'on partage la [327] gloire entre saint Thomas d'Aquin et saint Augustin, l'un pour la theologie en general, l'autre pour la scholastique en particulier..

  A009000877 

 Et que faire à cela? Les beaux esprits sont sujets à telles vanités et folies; mais un bon esprit fait, comme j'ay dit, des œuvres bonnes et solides, ne s'enfle ni glorifie point, ains se tient tousjours bas et humble.

  A009000878 

 (Il n'estoit pas de grande extraction, mais ouy bien d'une bonne famille, quoy que pauvre. Il avoit des freres et des sœurs; il confesse luy mesme et n'a point honte de le declarer, qu'il fut entretenu aux estudes par un gentilhomme. O Dieu, cela ne se diroit pas par un homme de nostre temps!) Or, il estoit avaritieux.

  A009000878 

 C'est un puissant lien que celuy cy; car, par le moyen de son gain, il avoit de grandes pretentions et esperances de s'enrichir et avancer..

  A009000879 

 O Dieu, qu'il failloit bien une main toute puissante pour le deslier de tant et de si fortes chaisnes! Helas! qui pourroit concevoir les combats et convulsions qu'enduroit cette pauvre ame lors qu'elle vouloit reprendre sa liberté et se desfaire des fers et manottes dont elle estoit enferrée? Mais lors que Dieu, par sa misericorde infinie, eut touché ces liens, se sentant en liberté, il commença, comme tout ravi, à chanter le cantique des misericordes divines et s'escria saisi d'estonnement: Dirupisti vincula mea! O Seigneur, mon Dieu, vous m'avez desliè des fers et cadenes de mes passions, vicieuses coustumes et habitudes.

  A009000881 

 O Dieu, comme apres sa conversion ce glorieux Saint estoit contrit et humilié, combien rabaissé et plein de reconnoissance des graces qu'il avoit receuës de la souveraine Bonté! Avec quel ressentiment de dilection s'escrioit-il: Que rendray-je au Seigneur pour tant de biens qu'il m'a faits? Puis, cherchant en soy avec un esprit tout plein d'une humble et amoureuse gratitude, il disoit: Je luy sacrifieray un sacrifice de louange..

  A009000882 

 Louer la divine Majesté est un acte que tout homme est obligé de faire et duquel personne ne se peut exempter.

  A009000882 

 On ne peut nier le devoir qu'un chacun a de louer Dieu à cause de ses bienfaits, non plus que l'on ne sçauroit nier qu'il y a un Dieu createur et gouverneur du monde.

  A009000882 

 Que veut il signifier par ces paroles? (Elles sont prises d'une de ces phrases hebraïques qui ont certes une proprieté admirable pour bien representer ce qu'elles expriment.) Il y a mille interpretations sur icelles, mais je me contenteray de celle cy.

  A009000882 

 Sacrifier un sacrifice de louange n'est autre chose que louer et glorifier Dieu pour ses misericordes.

  A009000882 

 Tous les bons Chrestiens le font lors qu'ils assistent aux Offices ou vont aux eglises pour connoistre Dieu, le louer [329] et adorer, et lors que parmi leurs autres occupations ils le benissent et invoquent..

  A009000883 

 Ils se retirent pour cela de la meslée du monde, se dedient et consacrent au service de Nostre Seigneur, et là ils offrent un sacrifice de louange, qui n'est autre chose que de dire de cœur et d'esprit ce qu'ils disent de bouche, accompagnant leurs chants, psalmodies, hymnes et cantiques d'une amoureuse et douce attention qui recrée le Bien-Aymé de nos ames..

  A009000884 

 C'est ce que le divin Espoux a signifié lors que parlant de l'Espouse au Cantique des Cantiques, il dit: Ma bien-aymée, ma mie qui est parmi vous et que vous connoissez, laquelle s'est donnée toute à moy, ne prend playsir qu'à me louer et me repaistre des fruits de son jardin; et non contente de m'en donner les fruits, elle me donne encores l'arbre.

  A009000884 

 Et qui est cette Sulamite sinon l'ame devote? Qu'est-ce que des chœurs sinon des lieux designés pour chanter les louanges divines? Donc, l'ame devote qui s'essaye de louer et glorifier Dieu ressemble à des chœurs.

  A009000885 

 Ce que voyant, le grand Archange saint Michel s'escria: Qui est comme Dieu? qui est comme Dieu? Ce qu'il repeta souventesfois, et fut suivi de tous les autres Esprits bienheureux qui respondirent de chœur en chœur ce mesme mot: Qui est comme Dieu? et donnerent par ce moyen la fuite à Lucifer et à ses complices.

  A009000885 

 Certes, il n'y a point de meilleur moyen que celuy cy pour donner la fuite au diable, parce que le miserable ne peut supporter les louanges de Dieu ni de le voir adorer et glorifier..

  A009000885 

 Si le diable pouvoit louer la divine Majesté il ne seroit pas diable; et on voit en ce grand divorce et rebellion qui se fit au Ciel, duquel nous ne dirons point icy la cause ni comme il advint, que le diable ne devint diable que parce qu'il ne voulut pas louer son Createur.

  A009000886 

 En somme, aux livres et traittés qu'il a faits sur la grace, il en parle avec tant d'efficace et d'un style si haut et si eloquent qu'il surpasse tous les autres Docteurs, de sorte que l'on voit clairement combien il l'aymoit et prisoit..

  A009000886 

 Il estoit si devot à cette divine grace qu'il ne se pouvoit rassasier non seulement de l'exalter, mais encores de parler et escrire à sa louange; il refute d'une eloquence admirable ces heretiques qui en nient l'efficacité, et par ses escrits et disputes demontre que leurs doctrines sont des resveries.

  A009000886 

 Or, nous pouvons dire que l'ame de saint Augustin fut cette amante Sulamite parce que dès l'instant de sa conversion il ne cessa jamais de louer Dieu, de jour, de nuit, en beuvant, en mangeant, en parlant, en escrivant, chantant les cantiques de sa misericorde et de sa grace.

  A009000887 

 Qu'est-ce en effect que l'Eglise de Dieu sinon des chœurs et des armées, et qui sont ces chœurs sinon, comme j'ay desja dit, tous les Chrestiens qui [331] chantent continuellement les louanges divines en toutes sortes d'estats et de conditions? Saint Louys (duquel nous avons celebré la feste ces jours passés), le plus grand Saint entre les roys et le plus grand roy entre les Saints, estoit arrivé au plus haut point de la perfection chrestienne.

  A009000887 

 Toutefois, par ces chœurs et ces armées nous devons entendre particulierement les Religieux et ecclesiastiques, lesquels non seulement louent Dieu par psalmes, hymnes et cantiques, ains de plus, tant par les sermons que par les fonctions propres à leur estat, taschent d'attirer les autres à la connoissance de la verité, à fin de les exciter à louer Dieu..

  A009000888 

 C'est grand cas que cette prudence humaine pretend tout gouverner et en veut tous-jours à ceux qui ont choisi la vie contemplative.

  A009000888 

 Et que la prudence humaine ne vienne point apporter icy ses raysons et dire: Oh! cela est bon pour les ecclesiastiques, predicateurs et docteurs, lesquels par leurs labeurs continuels assistent au public; mais à quoy servent ceux qui sont enfermés dans ces cloistres? A rien; ils sont inutiles à l'Eglise de Dieu.

  A009000888 

 Ils ne sçavent pas que le Seigneur se plaist en ces cloistres et lieux retirés.

  A009000888 

 Le chant des Religieux n'est pas si haut que celuy des autres, mais il est plus melodieux; ils ressemblent aux oyseaux qui sont dans des cages pour recreer leur maistre par leur gazouillement..

  A009000889 

 [332] Il y en a d'autres qui ne font que chanter, mais d'un air si melodieux que Nostre Seigneur y prend playsir..

  A009000890 

 Et de plus, c'est le playsir de ce seigneur: n'est-il pas maistre de son bien pour en faire ce qu'il luy plaist? Cessez donques vos murmures, et que cela vous suffise puisqu'il le veut ainsy..

  A009000890 

 Et qu'est-ce que cela? disoyent les uns; à quoy servira cet estourneau? car ils l'appelloyent ainsy.

  A009000890 

 Hé, pauvres gens, que vous estes grossiers et terrestres! Il est vray que les chevaux eussent esté utiles, mais ce petit estourneau ne l'est pas moins parce que, dans cette cage, il n'a autre soin et estude que de resjouir son maistre par son chant melodieux; il est mesme trescontent de perdre sa liberté pour demeurer en cette prison toute sa vie à fin de donner du contentement à son seigneur.

  A009000891 

 Et non seulement cela, mais de plus, ceux qui travaillent pour l'Eglise sont merveilleusement fortifiés pour s'acquitter de leurs fonctions et perseverer aux travaux qui les accompagnent, par cette douce harmonie, c'est à dire par les prieres que les ames religieuses appliquent pour ce sujet..

  A009000892 

 Ce qu'il fit estant Evesque, assemblant [333] une multitude de prestres auxquels il donna sa Regle, entant sur un mesme tige la Religion et l'estat seculier, en telle sorte que ses prestres estoyent Religieux et ses Religieux estoyent prestres.

  A009000893 

 Pour bien qu'on leur fasse ils se font accroire que cela leur est deu, et ne pensent pas qu'on leur puisse rien donner gratuitement; ains, s'ils reçoivent quelques graces, ils croyent qu'ils les ont meritées par quelque signalé service..

  A009000893 

 Telles sortes de gens sont tres superbes et infectés d'une dangereuse maladie, car il leur semble que nul ne les sçauroit obliger, mais ils croyent au contraire qu'ils peuvent obliger tout le monde.

  A009000894 

 O Dieu, que c'est un vice espouvantable que cette ingratitude! Saint Augustin n'en estoit nullement entaché, mais au contraire il se sentoit tellement redevable à ce bien aymé Sauveur de nos ames qui l'avoit deslié des liens de ses pechés et vicieuses habitudes, qu'il se perdoit en la consideration de l'amour qu'il portait à son souverain Bienfacteur et Liberateur.

  A009000894 

 Souvent en ses meditations son ame se fondoit d'amour pour Celuy qui luy avoit fait de si grandes misericordes; voire, il fut tellement enivré des douceurs et suavités de cet amour, que, comme en ce qui est de la theologie il partage la gloire avec saint Thomas, aussi la partage-t-il avec saint Bernard en ce qui est de la dilection sacrée.

  A009000895 

 O Dieu, que c'est une grande suavité! On sent des presseures de cœur, des sentimens d'amour que le Saint Esprit donne comme grains sucrés ainsy qu'à des petits enfans pour nous attirer.

  A009000895 

 Oh, adjoustoit-il, où estois-je? où estoit ma liberté avant que vous l'eussiez liée de ces douces chaisnes qui me tiennent à present en cette bienheureuse esclavitude?.

  A009000896 

 Aussi est-ce la derniere chose que nous quittons, et qui nous fait plus de peine à renoncer.

  A009000896 

 C'est une piece si excellente que le diable n'y peut toucher; il tourne, brouille et roule bien tout à l'entour, mais il ne la sçauroit forcer.

  A009000896 

 Dieu mesme qui nous l'a donnée ne la veut point avoir par force, et quand il demande que nous la luy donnions il veut que ce soit franchement et de nostre bon gré.

  A009000896 

 Voyez-vous, il ne parle que de sa liberté; si bien est-ce la plus riche piece de l'homme, car, comme j'ay dit, c'est la vie de nostre cœur; c'est donc le plus pretieux don que nous puissions faire.

  A009000897 

 Je beuvois et mangeois, dit-il, sans sçavoir que je mangeois; je dormois, sans sçavoir que je faisois; je trouvois en tout le goust de l'amour de mon Sauveur..

  A009000897 

 O Dieu, qui pourroit descrire ce parfait abandonnement, cet entier delaissement que saint Augustin fit à la divine Bonté de soy et de sa propre vie, qui n'est [335] autre que cette liberté? Je suis tout ravi quand je lis en ses Confessions ce qu'il en dit.

  A009000898 

 C'est ce que je voulois declarer par mon troisiesme point: Je boiray le calice de mon salutaire; mais il n'est pas moyen d'en parler, car le temps est desja passé.

  A009000898 

 Je diray seulement que cet amour ne se lasse point de patir; il fait agir en tout temps.

  A009000900 

 Que nous serions heureux si nous observions cecy! Il s'en trouve prou qui cherissent leurs amis, mais ils ne les ayment pas en Dieu, car ils commettent de grandes injustices pour les favoriser, et les ayment aux despens de l'honneur et gloire de Dieu.

  A009000900 

 Saint Augustin disoit une parole que nous devrions tous graver sur le frontispice de nos chambres ou plustost de nos cœurs: O Dieu, dit-il, qu'il seroit à souhaiter que l'on n'aymast que vous, qu'on vous aymast en toutes choses et qu'on n'aymast aucune chose sans vous! Mais, o glorieux Saint, vous voulez que l'on n'ayme que Dieu; ne faut-il pas aussi aymer ses amis? Ouy, mais en Dieu.

  A009000901 

 En fin (car il faut que je finisse) ce grand Saint, estant [337] parfaittement mort et aneanti en soy mesme, se plaint à Nostre Seigneur en ces termes: O Seigneur, faites que je meure à fin que je ne meure pas! Monstrez moy vostre face, o mon Dieu.

  A009000901 

 Mais sçachant qu'homme mortel ne peut voir Dieu, il demande de mourir à fin de ne pas mourir; comme s'il disoit: L'amour que vous m'avez donné pour vous est si grand que vivre sans vous m'est une mort; c'est pourquoy, Seigneur, faites que je meure à fin que je ne meure pas, car vous voir c'est ma vie.

  A009000902 

 Quelque personne luy ayant un jour demandé ce que certes il n'avoit pas, il luy respondit franchement: Je n'ay pas ce que vous me demandez.

  A009000903 

 Avant que de finir, disons encores ce mot que saint Augustin escrit en un autre endroit: O Dieu, est-il possible que l'on sçache que vous estes Dieu et que l'on ne vous ayme pas! Certes, c'est chose pitoyable en cet aage que nous sçachions que Dieu est Dieu, que nous le croyions et que nous ne l'aymions pas.

  A009000903 

 C'est ce que Nostre Seigneur dit comme en se plaignant: Si quelqu'un m'ayme, qu'il me suive.

  A009000903 

 Si quelqu'un m'ayme; voyez-vous, il monstre en cela que le nombre de ceux qui l'ayment est petit..

  A009000904 

 Et moy, mes cheres Sœurs, vous ayant dit quelque chose de ce grand saint Augustin, et me trouvant à la fin de cette mienne exhortation sur sa mort et parfaite abnegation, je paracheveray, non point de peur que vous mouriez d'une semblable mort, mais bien de crainte de vous ennuyer par un trop long discours; car ayans esté une partie du jour attentives à chanter l'Office divin, vous voudrez apres cette predication que vous avez entendue avec attention, faire quelque chose de ce que nous avons dit de ce glorieux Pere, lequel vous admirerez et imiterez.

  A009000904 

 Je vous repeteray ce qu'un predicateur disoit un jour à ses auditeurs, les entretenant du trespas d'un grand Saint: Je finiray, concluoit-il, de peur qu'en vous parlant de la mort d'un tel (et il le nomma), je ne vous fasse mourir, voyant l'attention avec laquelle vous avez ouy ce que j'en ay touché.

  A009000904 

 Pour vous laisser suivre vostre Office, je finiray donques en vous disant: Que Celuy qui a beni ce glorieux Saint vous benisse, que Celuy qui l'a sanctifié vous sanctifie, et que Celuy qui l'a glorifié vous glorifie là haut, par tous les siecles des siecles.

  A009000909 

 C'est une verité qui a tant et tant de fois esté dite par la Sainte Escriture et par les anciens Peres, que la perfection chrestienne n'est autre chose qu'une abnegation du monde, de la chair et de la propre volonté, qu'il semble qu'elle n'aye plus besoin d'estre repetée.

  A009000909 

 Ce grand Pere de la vie spirituelle, Cassian, parlant de cette perfection, dit que la base et le fondement d'icelle n'est qu'une parfaite abnegation de toutes les volontés humaines.

  A009000909 

 Et saint Augustin, traittant de ceux qui se consacrent à Dieu pour tendre à cette perfection, escrit: Ces gens icy que sont-ils, sinon une assemblée de personnes qui vont en la milice, à la guerre et au combat contre le monde, la chair et soy mesme? [340].

  A009000910 

 Lors que Dieu crea Adam il le fit pere de tout le genre humain, des hommes et des femmes esgalement; neanmoins il crea la femme, que nous appelions nostre mere Eve, qui est comme la capitainesse du sexe feminin.

  A009000910 

 Or, bien que le Pere eternel l'aye constitué et declaré gouverneur d'icelle et qu'il en soit unique et souverain Capitaine, si est-ce qu'il s'est trouvé tant de douceur et clemence dans le cœur de nostre cher Maistre qu'il a voulu que d'autres participassent à la gloire d'estre chefs de cette milice, mais sur tout la sacrée Vierge, laquelle en a esté comme la capitainesse principalement du sexe feminin, quoy que Nostre Seigneur ne laisse pas pour cela d'en estre Maistre et gouverneur absolu, et d'une façon souveraine.

  A009000911 

 Ce n'est pas que Moyse ne fust gouverneur et conducteur de toute l'armée esgalement, des femmes comme des hommes; neanmoins Marie sa sœur participoit à cette gloire, d'autant qu'elle estoit comme la conductrice de celles de son sexe.

  A009000911 

 Ce que voyant, Moyse entonna son beau cantique avec un ressentiment interieur inconcevable, s'accompagnant de fifres, de hautbois, tambours et flageolets.

  A009000911 

 Et lors que, par inspiration divine, il commanda à toute son armée de passer à travers la mer Rouge pour eschapper la furie et tyrannie de Pharaon qui la poursuivoit, la mer se separant laissa le chemin sec et libre aux Israëlites, et engloutit et submergea les Egyptiens.

  A009000912 

 C'est pourquoy il faut que nous regardions comment cette sainte Vierge a vaillamment triomphé de ces trois adversaires, dès sa premiere entrée en cette vie ou en sa sainte nativité.

  A009000912 

 Certes, cette glorieuse Dame a esté un mirouer et abbregé de la perfection chrestienne; mais bien que Dieu l'aye fait passer par tous les estats et degrés pour servir d'exemple à tous les hommes, si est-elle le particulier modele de la vie religieuse..

  A009000912 

 O que leur entreprise est grande! car c'est un combat et une continuelle guerre qu'elles livrent au monde, à la chair et à elles mesmes, sous l'estendart et protection de nostre tres chere Maistresse.

  A009000913 

 Elle fut presentée au Temple en sa jeunesse, n'ayant que trois ans, pour apprendre aux peres et meres avec quel soin ils doivent eslever leurs enfans et avec quelle affection ils les doivent instruire en la crainte de Dieu et les porter à son service.

  A009000913 

 La divine Providence l'a donc fait passer par tous les estats à fin que toutes les creatures puissent puiser en elle, comme en une mer de grace, ce qu'elles auront besoin pour se bien former et dresser en leur condition..

  A009000914 

 Et qu'est-ce que le monde sinon une affection desreglée que l'on a aux biens, à la vie, aux honneurs, dignités, preeminences, propre estime et semblables bagatelles apres lesquelles les mondains courent et desquelles ils se rendent idolatres? Je ne sçay comme cela est arrivé, mais le monde est tellement entré dans le cœur de l'homme, que l'homme est devenu monde et le monde homme.

  A009000914 

 Et saint Augustin parlant du monde dit: Qu'est-ce que le monde? Ce n'est autre chose que l'homme; et l'homme, qu'est-ce autre chose que le monde? Comme s'il vouloit dire: L'homme a tellement mis et attaché ses affections aux honneurs, richesses, dignités, preeminences et propre estime qu'il a pour cela perdu le nom d'homme et receu celuy de monde; et le monde a si fort tiré à soy les affections et appetits de l'homme qu'il ne s'est plus appellé monde mais homme..

  A009000915 

 C'est de ce monde ou de ces hommes que le grand Apostre parle lors qu'il escrit: Le monde n'a point conneu Dieu, et pour ce il ne l'a point receu ou voulu entendre ses loix, ni moins les recevoir et garder, d'autant qu'elles sont entierement contraires aux siennes.

  A009000915 

 O Dieu, que c'est une chose difficile que de se rendre bien quitte de ce monde! Nos affections sont tellement embrouillées en iceluy et nostre cœur en est tellement sali qu'il faut un grand soin pour le bien laver et nettoyer, si nous ne voulons qu'il en demeure tous-jours souillé et enlaidi.

  A009000915 

 Plusieurs pensent avoir desja beaucoup fait et travaillé en l'exercice du renoncement et abnegation du monde; mais helas! ils se trouvent bien trompés en cecy, car pour peu que Ton se regarde de pres on se trouve tout apprentif, et voit-on que tout [343] ce que l'on a fait n'est rien au prix de ce qu'on devroit avoir fait et de ce qu'on doit faire..

  A009000916 

 Le grand saint François entrant dans une eglise ouyt ces paroles de l'Evangile: Va, vens tout ce que tu as et le donne aux pauvres, et me suis; il obeit et commença sa Regle par cette abnegation.

  A009000917 

 Le predicateur exhortoit vivement le peuple à ne point s'arrester à ses pompes et vanités, disant: Je vous prie, mes tres chers freres, de ne vous point attacher au monde de cœur ni d'affection, car le ciel et la terre passeront, et tout ce qui se trouve en iceux; ce qu'il vous presente n'a qu'un peu d'apparence, mais certes, ce ne sont que des fleurs qui passent et sont ja toutes fletries.

  A009000917 

 Si vous voulez demeurer au monde, servez-vous des choses qui se trouvent en iceluy, usez-en et en prenez ce qui est requis pour vostre usage; mais, pour Dieu, ne vous y affectionnez pas, ni vous y attachez en sorte que vous veniez à oublier les biens celestes et eternels pour lesquels vous estes creés, car toutes ces choses passeront.

  A009000918 

 Ce que sçachant le grand saint Basile, il luy escrivit une lettre qui contenoit ces lignes et luy mandoit: Pere Syncleticus, quid fecisti? Que fais-tu ou qu'as-tu fait? Tu as quitté le monde et ton estat de senateur pour te faire moine; mais qu'as-tu fait? Tu n'es à cette heure ni moine ni senateur.

  A009000918 

 Il est vray que c'est beaucoup de quitter le monde et se retirer de ses tracas pour se mettre en quelque Religion, comme font ces filles; mais certes, il faut non seulement en retirer le corps, ains aussi le cœur.

  A009000918 

 Il faut que je vous die à ce propos ce que je me souviens d'avoir leu.

  A009000918 

 Tu n'es pas senateur d'autant que tu as quitté ton estat pour te faire moine, et partant il n'est plus à toy; tu n'es pas moine parce qu'avec tes affections tu vas courant apres ce qui est du monde.

  A009000919 

 O Dieu, la sacrée Vierge Nostre Dame et Maistresse le fit si absolument et parfaittement en sa nativité que c'est chose admirable.

  A009000920 

 Car, parmi ces applaudissemens et cette exaltation, la voyez-vous rabaissée et ne voulant paroistre que comme un enfant simple et ordinaire, combien qu'elle eust l'aage de rayson dès l'instant mesme de sa conception.

  A009000921 

 Concluons donques, d'apres ce grand Saint, que le plus haut tiltre qu'on puisse donner à la Sainte Vierge c'est de l'appeller Mere de Dieu..

  A009000921 

 Elle n'eut pas l'usage de rayson en la mesme façon que nostre Sauveur, cela n'appartenoit qu'à luy seul; mais elle l'eut en une façon plus excellente que saint Jean Baptiste, d'autant qu'elle estoit choisie pour une dignité plus grande que n'estoit celle de ce Saint.

  A009000921 

 Il est vray que saint Jean devoit estre Precurseur du Fils de Dieu, mais la sacrée Vierge estoit esleuë pour estre la Mere de Dieu.

  A009000922 

 Aristote dit que les abeilles naissent comme des petits vers, puis il leur vient des aisles et en fin elles deviennent abeilles; mais leur roy ne naist pas en cette sorte, ains il naist comme roy.

  A009000922 

 Et pour ce, quand on demande aux philosophes: Qu'est-ce que l'homme? ils respondent: C'est un animal raysonnable.

  A009000922 

 Or, il n'y a point de doute qu'estant esleuë pour une plus haute dignité que celle de saint Jean, elle n'ayt eu l'usage de rayson en une façon plus excellente.

  A009000923 

 Et qui ne s'estonnera de voir cette celeste Enfant dans ce berceau, estant capable de connoissance et d'amour, discourant et adherant à Dieu, et en cette adhesion vouloir et accepter d'estre tenue et traittée de tous comme un simple enfant et en tout semblable aux autres? O Dieu, quel renoncement de la gloire, du faste et appareil du monde est celuy cy! et ce avec un tel deguisement que cette merveille n'estoit point conneue.

  A009000923 

 Ils font autant d'estat du verre que du cristal, du cuivre que de l'or, d'un faux rubis que d'un fin; ils quitteroyent quelque chose de bien pretieux pour une pomme.

  A009000923 

 Les enfans sont aggreables en leur enfance et innocence, car ils n'affectionnent rien, ils ne sont attachés à rien, ils ne [347] sçavent que c'est de ces points d'honneur, de reputation ou de vitupere.

  A009000923 

 Mais en la Sainte Vierge qui, paraissant petit enfant et faisant tout ce qu'ils font, a neanmoins les mesmes discours et rayson que lors qu'elle mourut, o Dieu, c'est une chose qui est non seulement aymable et aggreable, ains tres admirable.

  A009000924 

 Il n'y a point de doute que celuy cy ne soit encores plus difficile que l'autre, aussi est-il d'un degré plus haut.

  A009000924 

 Qui est cet ennemy dont parle saint Paul? C'est la chair que nous portons tousjours avec nous, et soit que nous beuvions, soit que nous mangions ou que nous dormions, tousjours cette chair nous accompagne et tasche de nous tromper.

  A009000925 

 Et quoy que sa chair sacrée fust tres sujette à l'esprit et ne fist jamais aucune rebellion, si est-ce qu'il n'a pas laissé de la mortifier, pour nous donner exemple et nous enseigner comme nous devons traitter la nostre qui repugne à l'esprit.

  A009000925 

 La leçon que nostre cher Maistre nous donne en cecy est que nous ne transformions point [348] nostre esprit en chair pour puis apres mener une vie brutale et non humaine, mais que nous transformions nostre chair en esprit pour mener une vie toute spirituelle et divine.

  A009000925 

 O Dieu, si Nostre Seigneur a traitté si rudement sa chair tres sainte, qui n'avoit aucune mauvaise inclination, nous qui en avons une tant desloyale, traistreuse et maligne, refuserons-nous et serons-nous lasches à la mortifier pour l'assujettir à l'esprit? Et, voyant ce que fait nostre Chef et Capitaine, serons-nous des soldats couards et foibles de courage?.

  A009000926 

 Il est vray que les petits enfans font mille actes de renoncement, car on leur en fait faire en cent et cent façons; le trop grand soin que l'on a d'eux est cause qu'on ne suit jamais leurs affections et inclinations.

  A009000926 

 Voyez-vous ce pauvre enfant, il tiendra une pomme, et de crainte qu'il la mange et que puis apres il en soit malade, on la luy oste, et souvent à grande force.

  A009000927 

 Et pour ne parler à present que de saint Nicolas Tolentin, son vray et legitime fils, ce grand Saint fit le renoncement de la chair en une façon du tout admirable, traittant son corps si rudement et avec tant de severité dès qu'il [349] fut Religieux jusques à la fin de sa vie, qu'il doit en cela estre plustost admiré qu'imité..

  A009000927 

 Le glorieux Pere saint Augustin a tousjours esté heureux en ses enfans, tant du sexe feminin que masculin, c'est à dire en ses Religieux et Religieuses; car ils ont tous tasché de le suivre et imiter de fort pres.

  A009000928 

 Et que dit-il? Oublie ton peuple et la mayson de ton pere.

  A009000928 

 On ne leur voit point aussi les oreilles, pour leur apprendre qu'elles n'en doivent avoir que pour entendre ces paroles de l'Espoux sacré: Audi filia; Escoute, ma fille, vois et me preste l'oreille.

  A009000928 

 Or, quoy que ces filles pretendent au Ciel comme au lieu où est l'unique objet de leur cœur, si est-ce qu'on ne leur fait point lever les yeux pour le regarder, mais ouy bien la terre où elles ne veulent point s'arrester.

  A009000928 

 Que veut signifier ce silence qu'elles gardent, sinon qu'elles ne doivent plus avoir de langue que pour chanter avec Moyse ce beau cantique de la divine misericorde, qui les a non seulement retirées comme des Israelites de la tyrannie de Pharaon, c'est à dire du diable qui les tenoit en esclavage et servitude, mais encores qui n'a point permis qu'elles fussent englouties dans les ondes de la mer Rouge de leurs iniquités..

  A009000929 

 Des deux autres on en vient encores à bout, mais de celuy cy il s'agit de se quitter soy mesme, c'est à dire son propre esprit, sa propre ame, son propre jugement, voire en des choses bonnes et qui mesme semblent estre meilleures que celles qu'on nous ordonne, pour s'assujettir en tout à la conduite d'autruy, c'est icy où il y va du bon.

  A009000929 

 Ne vous y trompez donques pas, car si vous venez en Religion avec vostre esprit propre, vous y aurez souvent du trouble et des convulsions, d'autant que vous y trouverez un esprit entierement contraire au vostre et qui l'ira tousjours contrepointant jusques à ce qu'il vous en ayt entierement rendues quittes.

  A009000929 

 Neanmoins c'est à quoy l'on vise en Religion, car en cela consiste la perfection chrestienne, de tellement mourir à soy mesme que l'on puisse dire avec l'Apostre: Je ne vis pas moy, mais c'est Jesus Christ qui vit en moy.

  A009000929 

 Or, les exercices de ce renoncement doivent estre continuels, car tant que vous vivrez vous trouverez tous-jours de quoy renoncer à vous mesme; et ce renoncement sera d'autant plus excellent que vous le ferez avec plus de ferveur.

  A009000929 

 Partant il faut avoir bon courage et y entrer avec cette determination, que si bien vous souffrez quelque chose, vous ne vous en estonnerez point parce qu'il n'en peut estre autrement..

  A009000929 

 Quant au troisiesme renoncement, qui est le plus important de tous, à sçavoir de renoncer à soy mesme, [350] il est bien plus difficile que les deux autres.

  A009000930 

 Comme s'il disoit: Bien que je sois homme de chair, je ne vis point selon la chair ains selon l'esprit; et non selon l'esprit propre, mais selon celuy de Jesus Christ qui vit et regne en moy.

  A009000930 

 Il est vray que tout nostre bonheur consiste en cette sujetion de nostre propre esprit, comme au contraire tout nostre malheur vient du defaut d'icelle..

  A009000931 

 Les devots qui sont dans le monde font en quelque maniere les deux premiers renoncemens dont nous avons parlé, mais pour celuy cy, o certes, il se fait seulement en Religion; car bien que les seculiers renoncent au monde et à la chair et qu'ils s'assujettissent en certaine façon, ils retiennent tousjours quelque chose, et tous se reservent au moins la liberté du choix des exercices spirituels.

  A009000932 

 Elle en vient jusques là que de voir mourir son Fils et son Dieu sur le bois de la croix, demeurant ferme et debout au pied d'icelle, s'assujettissant à ce qui estoit du divin vouloir en adherant à la volonté du Pere eternel.

  A009000932 

 O Dieu, quelle abnegation est celle cy! Il est vray que le cœur tendrement amoureux de cette dolente Vierge estoit transpercé de vehementes douleurs; et qui pourroit [352] exprimer les peines et convulsions qui se passoyent alors dans ce cœur sacré! Neanmoins nous voyons qu'il suffit à cette sainte Dame de sçavoir que c'estoit la volonté du Pere eternel que son Fils mourust et qu'elle le vist mourir, pour la faire tenir debout au pied de la croix comme aggreant et acceptant cette mort..

  A009000933 

 C'est sur ce bois que nostre cher Sauveur et souverain Capitaine a fait ce parfait renoncement de luy mesme; c'est à cette croix que tous les Saints se sont attachés, ce sont ces douleurs qu'ils ont pris pour sujet particulier de leurs oraisons; et certes, le vray Religieux doit tousjours avoir la Croix et le Crucifix devant ses yeux pour apprendre de luy à se bien quitter et renoncer.

  A009000933 

 Et bien que la bonté de Nostre Seigneur soit si grande que de faire quelquefois gouster la douceur de sa Divinité, accordant quelque grace et faveur aux ames, si est-ce que pour cela nous ne nous devons point oublier des amertumes qu'il a souffert pour [353] nous en son humanité; car je l'a y dit et le diray et ne me lasseray jamais de le redire, la Religion «est un mont de Calvaire» où il se faut crucifier avec Nostre Seigneur et Maistre pour regner «avec luy.».

  A009000933 

 Saint Augustin explique donques que l'amande a trois choses remarquables: la premiere c'est la bourse qui est toute bourrue, la seconde c'est l'escorce ou le bois qui environne le noyau, la troisiesme c'est le noyau.

  A009000933 

 Saint Augustin, parlant de la verge de Jessé, apres avoir fait un long et beau discours que je ne rapporteray pas à cause de sa longueur, car il nous faudroit du temps infiniment, dit que cette verge ressembloit à l'amande; ce qu'il applique à Nostre Seigneur.

  A009000934 

 Estant donques tout transformé ès douleurs de Nostre Seigneur, il merita que ce divin Sauveur s'apparust à luy à l'heure de sa mort, appuyé d'un des bras sur la sacrée Vierge et de l'autre sur saint Augustin.

  A009000934 

 Lors Jesus Christ luy dit: Viens, mon «fidelle serviteur,» qui m'as si bien servi sous la Regle que j'avois donnée à ton Fondateur; «viens posseder la couronne qui t'est preparée.».

  A009000935 

 En ce faisant vous aurez sans doute la mesme faveur que saint Nicolas receut de Nostre Seigneur, de Nostre Dame et de saint Augustin, puisque vous estes filles d'un mesme Pere et d'une mesme Mere que luy.

  A009000935 

 O que vous serez heureuses, mes cheres Filles, si vous faites ce renoncement absolu du monde, de la chair et de vous mesme, et si vous vivez desormais en l'exacte observance des Regles et Constitutions qui vous ont esté données de la part de Dieu.

  A009000942 

 L'honneur que la sainte Eglise a tousjours porté à la sacrée Vierge a esté cause qu'outre les festes qu'elle solemnise le long de l'année, elle en fait encores une particuliere qui est celle que nous celebrons aujourd'huy; je veux dire que l'Eglise, pour monstrer le grand honneur et amour qu'elle professe pour cette sainte Dame, luy dedie le samedi de chaque semaine quand en iceluy il n'escheoit point de feste double..

  A009000943 

 Voyez-vous par où commence cette femme qui veut louer Nostre Seigneur? Par le ventre qui l' a porté et par les mammelles qui l'ont allaitté; comme si elle eust voulu dire, poussée de la grande estime qu'elle avoit conceue de la grandeur et excellence de nostre divin Maistre: O qu' heureux [355] sont le ventre qui t'a porté et les mammelles que tu as succées! et par consequent, que la Dame qui a esté esleue pour ta mere est bienheureuse!.

  A009000944 

 Et quoy que ma Mere soit bienheureuse d'estre Mere de Dieu, neanmoins elle l'est en quelque façon davantage pour avoir entendu cette parole et l'avoir gardée..

  A009000944 

 Voyla pourquoy, o femme, il est vray ce que tu dis; mais d'autant que le sein et les mammelles que tu loues n'ont point d'intelligence et par consequent ne meritent point de louanges, je t'asseure que bienheureux sont ceux qui entendent la parole de Dieu et la gardent.

  A009000945 

 J'ay desja plusieurs fois, et mesme en ce lieu icy, parlé sur ce sujet, mais il me reste quelques choses à dire qui me semblent bien à propos touchant l'action que nous allons faire à present.

  A009000945 

 Laissant donques les premieres paroles prononcées par Nostre Seigneur pour considerer la derniere, je diviseray ce mien discours en trois points: au premier nous verrons que c'est qu'ouyr la parole de Dieu; au second, comme il la faut garder; au troisiesme, comment sont bienheureux ceux qui l'oyent et qui la gardent..

  A009000945 

 Or, bien que le texte de cet Evangile soit fort court, neanmoins si je me voulois arrester sur toute l'histoire d'iceluy je serois extremement long.

  A009000946 

 Ce n'est pas que l'on n'entende bien les semonces qui nous sont faites tant par les predicateurs que par les Superieurs; l'on en est mesme quelquefois touché, mais pour la pluspart des Chrestiens ces enseignemens ne font que passer par une oreille et sortir par l'autre..

  A009000947 

 Il est vray que nous sommes Chrestiens, mais helas, nous nous contentons d'en porter le nom sans ouyr comme tels cette parole sacrée, car nous y apportons si peu d'attention, de foy et de devotion qu'elle ne peut faire ses effects dans nos cœurs.

  A009000947 

 Ils ont beau crier, exhorter, se peiner, si la vertu de Dieu ne les anime et que de vostre costé vous n'y apportiez quelque disposition, rien ne vous en demeurera dans le cœur..

  A009000947 

 Sans doute, ce nom de Chrestien veut que nous y croyions; cependant cette croyance et cette foy est toute endormie; voyla pourquoy ce qu'on nous presche et enseigne ne nous profite point.

  A009000948 

 Cependant saint Hierosme, fidelle interprete de la Sainte Escriture, tient que ce fut vrayement Dieu, mais par le ministere des Anges.

  A009000948 

 Ces bienheureux Esprits annoncent aux hommes les divins vouloirs avec une telle force que leurs paroles sont en quelque façon [357] operatives et apportent quant et elles un certain respect et reverence.

  A009000948 

 En tesmoignage dequoy tous ceux que la divine Majesté a tant favorisés en leur enseignant ses volontés et son bon playsir par le moyen de ces glorieux messagers, se sont tousjours grandement humiliés, les uns se jettant par terre en signe de profond abaissement, les autres escoutant avec crainte et tremeur ce qui leur estoit dit par iceux.

  A009000948 

 Il est escrit que Dieu parla à Moyse sur la montagne de Sina cœur à cœur, bouche à bouche; toutefois il est dit aussi ailleurs que Dieu ne parla jamais à aucun homme.

  A009000948 

 Que s'ils parlerent à Moyse, suivant l'opinion de ce Docteur, o Dieu, combien grans furent les effects que leurs paroles opererent en iceluy!.

  A009000948 

 Voire, il y en a qui les ont voulu adorer, pensans voir Dieu mesme qui leur partait, tant estoit grande la majesté de ces celestes Esprits et merveilleux les effects que leurs paroles operoyent dans les cœurs, le Seigneur s'en servant pour fidelles interpretes de ses volontés.

  A009000950 

 Ce sont ces advertissemens que Nostre Seigneur a prononcés en cent endroits de la Sainte Escriture: Va, vens tout ce [358] que tu as et me suis.

  A009000950 

 Certes, il est tres vray que le fond du cœur est reservé à Dieu seul et qu'il n'y a que luy qui le puisse penetrer.

  A009000950 

 Ils ont penetré et sondé le fond de leur cœur, et leur ont fait quitter tout ce qu'elles avoyent pour suivre Nostre Seigneur où il les appelloit; et ce contre l'esprit et jugement du monde qui condamne et tient pour folie le tiltre de bienheureux que nostre divin Maistre donne aux pauvres d'esprit.

  A009000950 

 Mais, mon Dieu, que cette divine parole est admirable! elle s'escoule dans l'ame avec tant de douceur, elle la penetre, l'embrase et demeure en icelle.

  A009000951 

 Et quoy, dit-il, vous vous estonnez que l'Empereur qui n'est qu'un homme comme un autre m'ayt escrit et envoyé un de ses ambassadeurs, et vous ne vous estonnez point que Nostre Seigneur nous parle dans la Sainte Escriture? Voire, non content de cela, il nous envoye ses messagers, qui sont ses Anges, pour nous faire entendre ses volontés, et de plus il vient encores luy mesme s'incarner et demeurer sur cette terre pour nous enseigner en propre personne.

  A009000951 

 Helas! qui est-ce qui nous couvre les yeux de fange, pour n'admirer point ces merveilles et pour nous estonner si fort de ce que font les hommes à l'endroit de leurs semblables? Cet estonnement de saint Antoine ne procedoit d'autre cause sinon de la connoissance qu'il avoit du grand bien et honneur qui nous revient d'entendre la parole de Dieu.

  A009000951 

 Un jour le grand saint Antoine ayant receu des lettres de l'Empereur et voyant ses Religieux tout estonnés de l'honneur que ce prince luy faisoit, il les reprint en leur monstrant leur aveuglement.

  A009000952 

 Et comment? Dans la bouche de nostre ame qui n'est autre que les oreilles du corps par lesquelles elle vient jusqu'à nous; car tout ainsy que l'on ne sçauroit manger les viandes corporelles sans les avoir premierement receuës dans la bouche, aussi ne sçaurions-nous mascher, c'est à dire mediter la parole de Dieu, sans l'avoir bien ouye.

  A009000952 

 Qu'est-ce [359] que la mascher sinon la mediter? En latin, mediter n'est autre chose que mascher; il n'y a autre difference sinon que le mot mascher est employé pour les choses corporelles, et celuy de mediter pour les spirituelles.

  A009000953 

 C'est une chose si importante de bien mediter cette divine parole que le Seigneur en l'Ancien Testament ne vouloit point recevoir en son sacrifice les animaux qui ne ruminoyent pas.

  A009000953 

 Ce sont des animaux qui engloutissent la viande sans la mascher, et pour cela Dieu les rejettoit en l'ancienne Loy, comme au contraire il aggreoit ceux qui ruminent, tels que les taureaux et aigneaux lesquels luy estoyent ordinairement offerts et immolés.

  A009000953 

 O Dieu, si l'on sçavoit l'importance de ce point! Helas, il y a tant de personnes qui entendent la divine parole! mais que font-elles sinon l'engloutir comme des corbeaux, ours et lions, sans la ruminer? De là vient que tant de gens se perdent, qui pour cela sont appellés immondes et ne sont point propres pour le sacrifice.

  A009000954 

 Ce que saint Bernard entendoit fort bien lors qu'il exhortoit ses Religieux à garder diligemment ce pain sacré de la parole de Dieu: Soyez bien soigneux de garder vostre pain, si vous en avez, leur disoit-il; mettez-le en quelque lieu où il ne vous puisse estre desrobé par les larrons.

  A009000954 

 Ne peut il pas aussi estre mangé par les rats ou par les souris? Que si vous voulez bien faire, vous le devez manger, et non seulement cela, mais en faire aussi une bonne digestion par le moyen de laquelle vous le convertissiez en vostre propre substance..

  A009000954 

 Voyez-vous, pour que les viandes nous profitent il faut faire une bonne digestion par le moyen de laquelle elles aillent en l'estomach et se convertissent en sang, qui passant par toutes les veines se change puis apres en nous mesme.

  A009000955 

 Certes, il se trouve des estomachs si indigestes que si tost qu'ils ont receu les alimens ils les rejettent.

  A009000955 

 Il faut donques bien digerer ce que nous meditons, en tirant de bons desirs, de bonnes affections et resolutions, lesquelles nous cacherons ensuite en un coin de nostre cœur pour nous en servir aux occasions et les prattiquer en toutes sortes [361] de rencontres, en telle sorte que nous ne soyons plus nous mesme, mais que les affections et resolutions prises en l'oraison paroissent en toute nostre vie..

  A009000956 

 O Dieu, que nous serions heureux si estans appellés à une vocation nous meditions et digerions tellement son excellence, que par la grande estime que nous en ferions et le grand amour avec lequel nous pratiquerions nos Regles et Constitutions, nous vinssions à la convertir en nostre propre substance, en sorte que, laissant d'estre ce que nous sommes, nous devinssions nostre vocation mesme! O que bienheureux sont ceux qui oyent la parole de Dieu et la gardent!.

  A009000957 

 Ce n'est donques pas le pain seul qui nourrit l'homme; non certes, mais c'est la parole de Dieu qui non seulement sustente l'ame comme estant la viande qui luy est propre, ains sa vertu passe encor au corps, luy conservant une certaine force [362] et vigueur que le pain materiel ne luy peut pas donner.

  A009000957 

 Lors que Dieu punit les hommes par le fleau de la famine, nous voyons que quoy qu'ils mangent une grande quantité de pain ils ne sont point rassasiés, d'autant que la benediction de Dieu n'est pas sur iceluy; mais pour peu qu'il y ayt de pain beni par le Seigneur il rassasie l'homme.

  A009000957 

 Lors que Satan tenta Nostre Seigneur au desert et luy dit qu'il changeast ces pierres en pain pour subvenir à sa faim, Jesus luy respondit: L'homme ne se nourrit pas seulement de pain, ains de toute parole de Dieu.

  A009000958 

 Elle mesme a confessé en son sacré cantique que pour ce sujet elle seroit appellée bienheureuse de generation en generation; et Nostre Seigneur semble aussi le vouloir faire entendre en la response par laquelle il contreschangea la louange que cette femme donnoit à son ventre et à ses mammelles..

  A009000958 

 Et pour commencer par la sacrée Vierge, comme celle qui l'a mieux escoutée et gardée, que diray-je sinon emprunter pour ce sujet les paroles de ce grand saint Hierosme en l'epistre qu'il escrit à Eustochium sur la mort de sa mere Paula? Si toutes les parties de mon corps se convertissoyent en langues, si tous mes nerfs resonnoyent en voix humaines, je ne publierois encores assez dignement combien la Sainte Vierge est bienheureuse pour avoir entendu et gardé la parole de Dieu, car elle l'a fait avec tant de perfection que pour cela elle a esté dite bienheureuse par la bouche de sainte Elizabeth, qui estoit poussée de l'Esprit Saint.

  A009000959 

 Certes, il n'avoit ni saint Bonaventure ni saint Thomas, et tels autres autheurs ecclesiastiques, ni Ciceron, ni rien moins que tout cela; cependant il enseignoit une doctrine bonne, vraye et solide.

  A009000959 

 Il est vray, c'est en cecy que consiste la beatitude tant en cette vie comme en l'autre, puisque nous ne serons bienheureux qu'autant que nous nous serons convertis en cette divine parole.

  A009000959 

 Le grand saint François fut admirable en la digestion qu'il fit des maximes sacrées qu'il entendit en l'Evangile, car il se convertit absolument et les changea tellement en soy qu'il n'estoit plus luy mesme, ains estoit devenu ce que ces maximes signifioyent.

  A009000959 

 O Dieu, qu'il estoit heureux d'avoir si bien digeré cette sainte parole jusques à estre tout transformé en icelle! Saint Jean [363] Baptiste qui entra si jeune dans le desert, s'estoit-il pas tellement transformé en la penitence que son langage, sa voix, ses habits, tout son exterieur et interieur ne preschoyent que penitence? Voyla donques comme l'on peut justement dire: Bienheureux ceux qui escoutent la parole de Dieu et qui la gardent..

  A009000959 

 Qu'y avoit-il de si pauvre, de si humble que saint François? Il se cachoit, et Dieu le rehaussoit; il s'appauvrissoit, et Dieu l'enrichissoit.

  A009000960 

 Et que l'on ne pense pas que les vocations puissent venir d'autres que de Dieu.

  A009000960 

 Je sçay bien que plusieurs (je veux dire quelques-uns) entrent en Religion poussés ou forcés par les hommes, et ceux-là veritablement ne sont pas meus par l'Esprit de Dieu; aussi en arrive-t-il souvent de grans malheurs, et si la divine misericorde ne touche ces pauvres cœurs ils viennent non pas à se convertir en leur vocation mais à la corrompre.

  A009000960 

 O non certes, les hommes ont beau nous exciter; qu'ils fassent tout ce qu'ils pourront, qu'ils employent toute leur rhetorique et philosophie pour persuader à une ame d'entrer en Religion, de faire choix d'une vocation, tout leur travail sera inutile; il faut que Dieu touche et parle à ce cœur.

  A009000960 

 O que vous estes heureuses, mes cheres Filles, car vous estes du nombre de celles qui ont entendu cette divine parole de Celuy qui seul peut penetrer les cœurs.

  A009000960 

 Or, vivans licentieusement dans la Religion, que doivent-ils attendre que la damnation? O Dieu, qu'il vaudroit bien mieux qu'ils fussent demeurés au monde pour s'y sauver, puisqu'on le peut faire en gardant les divins commandemens..

  A009000961 

 Mais ces filles sont venues parce que Dieu les a appellées, car c'est luy qui va touchant ceux qu'il luy plaist pour les conduire où il veut.

  A009000961 

 Nostre regle n'est autre que la volonté de Dieu, à laquelle nous devons ajuster la nostre en la renonçant et mortifiant.

  A009000961 

 Que vous reste-t-il plus sinon de bien entendre et garder la parole divine, à sçavoir vos Regles et Constitutions, et vous convertir tellement en elles que vous soyez desormais vostre vocation mesme? Les Religieuses ne doivent avoir autre soin que celuy là, d'autant que dans leurs Regles et Constitutions elles voyent la volonté de Dieu qui leur [364] signifie et monstre ce qu'elles ont à faire pour parvenir à la perfection et union avec sa divine Majesté.

  A009000961 

 Vous voyez que quand on veut joindre deux pieces de bois l'on y apporte la regle, ensuite on retranche ce qui est superflu, puis on les ajuste; et ainsy des pierres que l'on taille pour mettre en quelque edifice, et lors on dit: Voyla qui est bien ajusté.

  A009000966 

 Les uns parlent de la gloire des Saints et de leur felicité, les autres, autant utilement que louablement, discourent de leurs vertus et sainteté par laquelle ils ont acquis cette felicité.

  A009000967 

 Cette communion se peut comprendre et expliquer en diverses façons, comme nous voyons en la Sainte Escriture; mais nous vous monstrerons qu'elle se doit sur tout entendre de deux sortes d'amours lesquels se declarent beaucoup mieux quand on parle de ce qui concerne Nostre Seigneur que non pas les creatures.

  A009000967 

 Comment donques ferons-nous pour l'aymer d'un amour de bienveuillance? Nous ne pouvons exercer ces actes que par imagination de chose impossible, comme en luy disant que si nous luy pouvions souhaitter plus de gloire et de perfection qu'il n'en a, nous le luy desirerions et procurerions s'il estoit en nostre pouvoir.

  A009000967 

 On peut donc exercer cet amour envers Dieu, mais pour celuy de bienveuillance il semble impossible, car puisqu'il est infini et l'infinité mesme, on ne luy sçauroit souhaitter plus de sainteté et de perfection qu'il n'en a. Il est immense en grandeur, il surpasse infiniment en gloire les Cherubins et Seraphins, les Vertus, les Throsnes, tous les Anges et Esprits celestes; il a plus de perfection que tous les Saints et Saintes ensemble, et toute la leur, voire mesme celle de la glorieuse Vierge Marie, n'est rien en comparaison de celle du Fils de Dieu.

  A009000967 

 Par l'amour de complaisance nous nous complaisons au bien que possede celuy que nous aymons, et par l'amour de bienveuillance nous luy en desirons lus qu'il n'en a. On peut aymer Dieu de ces deux manieres.

  A009000968 

 Cette charité n'est autre que la communion des Saints, et quand nous mourrons nous serons plus unis avec eux que nous ne sommes pas avec les plus chers amis que nous ayons ça bas en terre..

  A009000968 

 Ne pensez pas que quoy que les Bienheureux soyent au Ciel et que nous soyons miserables mortels en terre, que cela empesche cette communion.

  A009000968 

 Quand nous disons: «Je crois en la communion des Saints,» cela monstre que leurs biens [367] nous sont communs, c'est à dire que nous participons à tous les biens qu'ils ont au Ciel, et que les Saints participent aux petits biens que nous autres mortels avons icy bas.

  A009000969 

 C'est pourquoy aujourd'huy nous faisons la feste de tous en general, non seulement des Saints, mais encores des Seraphins, des Cherubins, et de tous les Anges, lesquels se resjouissent en cette solemnité, louant Dieu des graces qu'il a octroyées aux Bienheureux que nous festons.

  A009000969 

 Car, comme il est dit en tant d'endroits de la Sainte Escriture, il y a des Anges au Ciel en telle quantité que le nombre en est inconcevable; et quoy qu'il en tombast la troisiesme partie dans l'enfer avec Lucifer (car il est escrit que dans sa cheute il tira apres soy le tiers des estoilles du Ciel, c'est à sçavoir des Esprits angeliques), neanmoins le nombre de ceux qui sont restés fidelles est si grand qu'il est impossible de le concevoir.

  A009000969 

 En outre de tous ces celestes Esprits, la multitude des ames bienheureuses est si grande que le denombrement n'en peut estre fait; car, combien pensez vous qu'il y a eu de Saints despuis la creation du monde jusques à maintenant? C'est une chose qui ne se peut dire.

  A009000969 

 Les biens auxquels nous participons par ce moyen sont inexplicables, tant à cause de leur grandeur que de la multitude innombrable d'Anges et d'ames bienheureuses qu'il y a dans la gloire.

  A009000969 

 Saint Hierosme, parlant de la multitude des Saints qui sont au Ciel, dit que si l'Eglise vouloit faire la feste de tous les Martyrs il y en auroit chaque jour de l'année sept cents de ceux que l'on sçait asseurement avoir esté martyrisés; or, combien y en a-t-il qu'on ne [368] connoist pas! Et s'il y a tant de Martyrs, combien y aura-t-il de Docteurs, de Confesseurs et autres? Le nombre en est indicible.

  A009000970 

 C'est cette complaisance qui fait la communion des Saints, car à mesure que nous nous complaisons aux biens qu'ils ont nous en sommes faits participans, la complaisance ayant cette vertu de tirer à soy la chose aymée pour se la rendre propre.

  A009000971 

 C'est de la mesme maniere que se prattique l'amour de complaisance envers les Saints..

  A009000971 

 J'ay dit que cet amour de complaisance est la cause principale de la beatitude des Saints, car, tout en parlant tousjours avec estime et respect de ceux qui tiennent l'opinion contraire, je pense [369] que la cause principale de la gloire des Bienheureux ne consiste pas en l'entendement par lequel ils voyent et connoissent Dieu, mais en la volonté par laquelle ils l'ayment de cet amour de complaisance; et j'estime qu'en cela gist leur felicité.

  A009000972 

 L'amour de bienveuillance envers iceux se peut aussi pratiquer sans difficulté; car bien qu'ils soyent tous rassasiés et contens en la beatitude qu'ils possedent et que nous ne puissions accroistre leur gloire essentielle, laquelle consiste à voir Dieu face à face et à l'aymer souverainement, si est-ce que nous leur pouvons causer un accroissement de gloire accidentelle et partant pratiquer l'amour de bienveuillance.

  A009000973 

 Nous disons donc que l'homme est composé d'ame et de corps; et, bien que la mort, qui est entrée au monde par le peché, les separe, cependant nous esperons et croyons en «la resurrection de la chair,» par laquelle nos miserables corps seront reunis à nos ames, et par cette reunion ils participeront à leur gloire et felicité, ou à leur peine et condamnation eternelle.

  A009000973 

 Pour faire un homme parfait il faut qu'il aye une ame et un corps; et quoy que ce soit l'ame qui fait l'homme, neanmoins Dieu à la creation l'unit avec un corps organisé.

  A009000974 

 (Dieu desire de sauver tout le monde. C'est à nous de nous servir de la liberté qu'il nous a donnée pour choisir le Paradis ou non, cela depend de nous; que si nous le choisissons, il nous octroye suffisamment de graces pour y parvenir.) Vostre royaume nous advienne.

  A009000974 

 Car que signifient ces paroles: Vostre royaume nous advienne, sinon que nous representons le desir que nous avons de la reunion des ames avec leurs corps? Comme si nous disions: Seigneur, vostre royaume est desja venu, il est fait et preparé pour les Saints, il est preparé pour tous; et non seulement pour tous ceux qui sont saints, mais encores pour ceux qui ne le sont pas.

  A009000974 

 L'Eglise exerce donc en ce jour l'amour de complaisance et de bienveuillance à l'endroit des Saints, et se resjouissant de la gloire que desja ils possedent, elle les congratule et provoque ses enfans à s'y complaire et à glorifier Dieu qui les a sanctifiés.

  A009000974 

 Mais elle veut encor que tous ses enfans la desirent et demandent; ce que nous faisons tous les jours en l'Oraison Dominicale ou Pater noster, en laquelle nous souhaittons aux Saints cette resurrection.

  A009000974 

 Mais, vostre royaume nous advienne, c'est à sçavoir, ce royaume que vous avez fait pour les ames et pour les corps; que cette resurrection de la chair se fasse, car les Saints ont encores leurs corps en terre, et partant ils ne sont pas entierement glorifiés.

  A009000975 

 Ils louent Dieu en luy mesme de ce qu'il est Dieu et des biens qu'il a en soy et de soy, de la veuë desquels ils ont une parfaite complaisance; ils le louent encores de ce qu'il les a faits saints, reconnoissant que leur sainteté procede de luy comme de son principe et cause fondamentale, et luy en donnent toute la gloire.

  A009000975 

 Outre ces actes de bienveuillance que nous exerçons a l'endroit des Saints, il y en a encores deux autres qui dependent immediatement de nostre cooperation, par [371] lesquels nous pouvons correspondre aux desirs qu'ils ont, et par cette correspondance leur causer une gloire accidentelle qu'ils n'auroyent point sans cela.

  A009000975 

 Puis ils se felicitent aussi les uns les autres de ce qu'ils sont bienheureux et de ce que Dieu les a sanctifiés, prenant un singulier playsir à voir comment il leur a fait sentir les effects de sa grande et infinie misericorde..

  A009000976 

 Et quoy que les louanges que nous donnons à Dieu doivent estre continuelles et invariables, neanmoins ce sera tousjours avec quelque pause; car il n'y a homme, pour saint qu'il soit, qui ose dire qu'il a sa volonté si collée et unie à celle de Dieu qu'il n'en peut point estre separé un seul moment ou distrait par aucun accident de cette vie, ni qui puisse tenir son cœur si attentif à louer Dieu, qu'il ne fasse quelque interruption en l'exercice de l'amour et benediction qu'il luy doit..

  A009000976 

 Mais quand nous disons qu'ils souhaittent que nous louions le Seigneur comme eux il ne faut pas entendre que ce soit en tout et par tout, parce qu'ils le benissent sans cesse, sans se reprendre ni discontinuer, et ils sçavent bien que, à cause de l'infirmité de nostre nature, nous ne le pouvons faire.

  A009000976 

 Or, les Saints nous ayment souverainement, et desirent que nous fassions ça bas en terre ce qu'ils font là haut au Ciel, c'est à dire que nous louions incessamment et perpetuellement Dieu.

  A009000977 

 L'Eglise, non plus que les Saints, ne pretend pas que nous louions tousjours le Seigneur sans intermission, ni moins encores que nous passions les nuits entieres ou tous les jours en prieres; ains tousjours signifie que nous le fassions le plus souvent que nous pourrons, que nous rejettions frequemment nos cœurs en luy, que nous le louions en quelque temps et heure de la nuit et du jour, comme il se fait en l'Eglise.

  A009000977 

 Les uns disent: Louez Dieu perpetuellement; et en d'autres endroits: Que Dieu soit loué de jour et de nuit; mais il faut entendre cecy en cette façon.

  A009000978 

 La sainte Eglise en fait de mesme lors qu'elle celebre leurs festes: elle loue Dieu en eux, car qui voudroit celebrer la feste de tous les Saints à leur honneur et non à celuy de Dieu ne feroit rien d'aggreable ni à Dieu ni aux Saints mesmes, puisqu'ils ne peuvent recevoir de gloire sinon de voir que le Seigneur est exalté en eux et eux en luy..

  A009000978 

 Les Saints desirent donques que nous le magnifiions en la terre comme ils font au Ciel, mais selon nostre condition et la portée de nos esprits; que nous chantions et souhaittions que tous chantent comme eux: Saint, Saint, Saint, et que tous correspondent à ses desirs.

  A009000978 

 Mais apres que nous avons correspondu à ce desir qu'ont les Bienheureux de nous voir louer le Seigneur, nous devons encores les congratuler eux mesmes de ce qu'ils sont Saints et benir Dieu en eux; et c'est icy un autre acte de bienveuillance en leur endroit.

  A009000978 

 Or, lors que nous faisons tels souhaits nous leur causons une gloire accidentelle, laquelle ils n'auroyent pas si nous ne magnifiions Dieu et si nous ne desirions qu'il le fust de tous.

  A009000979 

 Quand nous taschons de nous perfectionner de plus en plus, de procurer la sanctification [373] des autres, contribuant de nostre costé tout ce que nous pouvons, que nous desirons que tous louent et benissent Dieu, puisque tous le peuvent et doivent faire, que tous soyent saints, puisque tous le peuvent estre, nous causons une gloire accidentelle aux Bienheureux, laquelle ils n'auroyent pas sans cela.

  A009000979 

 Un autre acte de bienveuillance que nous pouvons exercer envers les Saints est de correspondre au desir qu'ils ont que nous devenions saints comme eux; et quand nous correspondons à ce desir nous leur donnons un surcroist de gloire.

  A009000980 

 Il y a encores un autre amour qui est l'amour d'imitation; et pour celuy cy il est necessaire d'avoir de la sympathie avec ceux que l'on ayme.

  A009000980 

 La passion de l'amour est la premiere et la plus forte qui soit en l'ame; de là vient que l'amour nous rend tellement propre ce que nous aymons, que nous disons communement que les biens de la chose aymée sont plus à celuy qui ayme qu'à celuy qui les possede.

  A009000980 

 La sympathie est une certaine participation que nous avons aux passions de ceux que nous aymons; et cet amour d'imitation fait que nous attirons en nous les vertus ou les vices que nous voyons en eux.

  A009000980 

 La sympathie fait que le colere a de l'inclination pour le colere, le fier et arrogant pour le fier et arrogant.

  A009000980 

 Mais que veut dire sympathie? Les gens du monde l'entendent bien, mais vous qui n'estes pas du monde, peut estre ne l'entendrez vous pas si je ne le vous dis.

  A009000980 

 Voyla que c'est que sympathie..

  A009000981 

 Belle rayson! comme qui vous diroit: Vostre pere estoit fol, il faut donques que vous le soyez aussi, car on connoistra à cela la sympathie que vous avez avec luy..

  A009000981 

 C'est à cause d'icelle que plusieurs gens du monde trouvent de grandes difficultés à se resoudre de s'amender de quelques vices auxquels ils sont sujets.

  A009000981 

 Dites à une personne qu'il est expedient qu'elle se corrige de la colere ou de la fierté, ou qu'elle quitte un point d'honneur dont elle est si amoureuse qu'elle s'esleve bien fort si tost qu'on la touche en sa reputation (c'est une chose dequoy tous les hommes sont tellement jaloux qu'il semble qu'ils ne soyent nés que pour se faire estimer, louer et aymer; aussi applique-t-on son principal soin à acquerir des honneurs et de la renommée devant tous).

  A009000981 

 Je tiens cela de race, c'est la [374] sympathie que j'ay avec mon pere, car il estoit colere et cherissoit la gloire comme je fais.

  A009000981 

 Or, dites à telles gens ce qu'il faut faire contre ce vice là; que vous respondra-t-on? C'est mon naturel d'estre colere et d'aymer l'honneur.

  A009000982 

 Bien que nous ayons dit que cet amour d'imitation vient d'une certaine sympathie des uns avec les autres, il ne faut pas entendre neanmoins que les ambitieux de l'honneur et gloire humaine s'accordent mieux avec ceux qui sont coleres et fiers qu'avec ceux qui ne le sont pas.

  A009000982 

 C'est ainsy que parle le monde..

  A009000982 

 Mais ils ont de la ressemblance, et l'on dit en effect: Voyla deux hommes aussi coleres l'un que l'autre; et ils se plaisent à se rencontrer, prenant de là occasion de faire voir leur vaillance à se surmonter.

  A009000983 

 Les Grecs aymoient tant leur Empereur qu'ils desiroyent que leurs enfans ressemblassent à sa personne; pour cela, quand ils venoyent au monde ils taschoyent de leur façonner tant qu'ils pouvoyent la face à la ressemblance de celle de leur Empereur..

  A009000983 

 Or, que l'amour nous rende semblables à ceux que nous aymons, cela se pourroit monstrer par mille exemples.

  A009000984 

 C'est ce que l'Eglise nous represente aujourd'huy quand en l'Evangile de la sainte Messe elle nous propose le sermon que Nostre Seigneur fit sur la montagne, où il parle des huit beatitudes.

  A009000984 

 Il s'addressa à ses Apostres pour nous faire voir que c'estoit pour eux et ceux qui les ensuivroyent qu'il prononçoit principalement la premiere et la derniere des beatitudes: Bienheureux les pauvres d'esprit, bienheureux ceux qui sont persecutés pour la justice; car ils devoyent pratiquer cette pauvreté d'une façon speciale, et souffrir plusieurs persecutions comme personnes dediées plus particulierement à Nostre Seigneur.

  A009000984 

 Or, ce n'est pas sans sujet que l'Evangeliste remarque qu' il ouvrit sa bouche sacrée, pour nous monstrer que sa divine Bonté nous vouloit dire quelque chose de grand, et nous enseigner une doctrine qui n'avoit point encores esté ouye.

  A009000984 

 Puis, regardant le reste du peuple il dit: Bienheureux ceux qui pleurent, qui ont faim et soif de justice, qui sont purs et nets de cœur; monstrant par là que ces conseils evangeliques estoyent non seulement pour les Apostres, mais pour tous, puisque tous doivent faire penitence, tous doivent estre purs et nets de cœur.

  A009000985 

 Celuy-là en est bien esloigné qui ne veut point avoir d'indigence, et qui ambitionne l'honneur d'estre pauvre pourveu que rien ne luy manque.

  A009000985 

 Je ne nie pas que les gens de cette sorte ne soyent facilement heureux, neanmoins ce n'est pas en ce sens que Jesus Christ a proclamé bienheureux les pauvres d'esprit; mais il entendoit parler de la pauvreté qu'il a pratiquée luy mesme et de celle qu'exerceroyent ceux qui, apres avoir tout quitté, supporteroyent volontiers [376] les incommodités et mesayses qu'elle tire apres soy.

  A009000985 

 Les uns ont pensé que quand le Sauveur dit: Bienheureux les pauvres d'esprit, il entendoit parler de ceux qui sont simples et qui n'ont guere d'intelligence.

  A009000985 

 Plusieurs veulent bien embrasser la pauvreté pourveu qu'ils ayent tout ce qui leur est necessaire, mais ce n'est pas de tels pauvres d'esprit que Nostre Seigneur parle, ni à qui il promet le Royaume des cieux..

  A009000986 

 Nostre divin Maistre ayant prononcé ces beatitudes, le monde en a prononcé d'autres et a dit: Bienheureux les riches, car la richesse fait que l'on n'a besoin de rien, que l'on est honnoré, que l'on gaigne des proces; en un mot, les riches sont bienheureux, car ils n'ont besoin de personne et chacun a à faire d'eux.

  A009000987 

 Et quelle pauvreté fut celle du grand Apostre, lequel apres avoir tout quitté pour l'amour de son Maistre voulut servir les Corinthiens et autres pour rien! En effect, [377] apres avoir presché, sué et souffert pour l'Evangile et pour monstrer la voye du salut, il ne vouloit point vivre des aumosnes des Chrestiens, ains du travail de ses mains et à la sueur de son corps; car il travailloit pour gaigner sa vie, disant: Pour monstrer combien j'ayme mon Maistre pour l'amour duquel je vous sers, et que la peine que je prens n'est point pour m'enrichir de vos moyens, ains purement pour l'amour de Celuy à qui je sers, je ne veux pas qu'apres vous avoir aydé à vous sauver vous me nourrissiez de vos aumosnes comme vous faites les autres Apostres, ains je veux gaigner ma vie à la sueur de mon front et vous servir pour rien, vous donnant ainsy tout ce que j'ay.

  A009000987 

 Il dit tout ce que j'ay, parce que ce qu'il gaignoit estoit à luy; et toutefois il n'en mettoit rien en espargne, ains s'en servoit seulement pour son entretien.

  A009000987 

 Je veux donques, mes chers enfans, estre battu pour vostre salut, flagellé, garrotté et emprisonné, non par moy mesme mais par les autres et à leur gré, donnant tout ce que j'ay pour vous, sans reserver ni mon corps ni ma peau..

  A009000987 

 Par exemple, je me veux non seulement discipliner, ains je veux souffrir que d'autres me disciplinent; car si je me disciplinois tout seul, quand j'en aurois assez il seroit en mon pouvoir de m'arrester et ne passer plus outre; mais me laissant discipliner par d'autres à leur gré, encores que je fusse tout meurtri ils ne laisseront pas pour cela de frapper.

  A009000988 

 Car que pensez-vous qui aye fait supporter avec tant de suavité l'aspreté des deserts à nos anciens Peres, en sorte qu'elle leur sembloit peu de chose, sinon cette pauvreté qu'ils cherissoyent si tendrement que rien plus? Saint François [378] n'en estoit-il pas passionné comme un jeune homme de sa maistresse qu'il aymeroit grandement? Aussi l'appelloit-il sa dame et estoit-il tousjours en attention pour en ressentir les incommodités, prenant en icelles tous ses delices.

  A009000988 

 Travaillez donques avec fidelité en cette vie, mes cheres Filles, et perseverez jusques à la fin, à ce que vous puissiez estre congregées et unies avec les bienheureux Esprits en cette felicité, pour aymer et jouir de Dieu à toute eternité.

  A009000988 

 Voyla une parfaite pauvreté; et c'est de celle là que Nostre Seigneur a dit: Bienheureux les pauvres d'esprit.

  A009000999 

 Cette divine Majesté avoit donc commandé à Moyse que l'on fist une cuve d'airain, laquelle on rempliroit d'eau, à fin que les prestres de la Loy s'y lavassent les pieds et les mains avant que d'aller offrir les sacrifices; et que pour l'embellissement d'icelle on l'entourast toute de miroüers tels qu'estoyent ceux des dames juifves.

  A009000999 

 Je m'arresteray seulement à trois de leurs conceptions, à sçavoir: premierement, que signifie cette cuve et ce que nous devons entendre par icelle; deuxiesmement, pourquoy elle estoit entre les deux tabernacles; troisiesmement, que veulent representer les mirouers dont elle estoit environnée..

  A009000999 

 Or, nos anciens Peres ont fait un si grand nombre d'interpretations sur cette cuve et [380] sur ces mirouers, que si je voulois dire un mot de chacune il m'y faudroit employer l'heure toute entiere.

  A009001000 

 Certes ils ont bien quelque rayson, car personne ne sçauroit entrer au tabernacle interieur, qui n'est autre que le Ciel, sans passer par l'exterieur qui est l'Eglise, à laquelle appartient cette cuve pleine des eaux baptismales où il faut estre trempé et lavé.

  A009001000 

 Ces eaux purifient, justifient et effacent toutes les taches du peché dont les hommes sont souillés; et pour offrir et sacrifier à Nostre Seigneur quelque victime et holocauste il est tellement necessaire d'estre lavé de cette eau, par effect ou du moins par un tres ardent desir d'icelle, que sans cela toutes les offrandes et oblations ne sont pas offrandes mais execrations..

  A009001000 

 Quant au premier point, une grande partie des anciens Peres disent que cette cuve representoit le Baptesme, et que pour cela elle estoit posée entre le tabernacle exterieur et l'interieur.

  A009001001 

 C'est une regle si generale que celle cy que pas un n'en peut estre exempt, sinon la tres sacrée [381] Vierge, laquelle n'ayant point peché n'avoit point besoin d'expiation; et neanmoins elle n'est pas entrée au Ciel par une autre porte que par celle de la Redemption.

  A009001001 

 Quelques autres Peres tiennent que cette cuve represente la penitence, et ceux cy approchent de la verité encores de plus pres, ce me semble; car qu'est-ce autre chose la penitence sinon des eaux dans lesquelles il est du tout expedient que nous lavions nos pieds et nos mains, je veux dire nos œuvres et affections souillées et tachées de tant de pechés et imperfections? O mes cheres arnes, il est vray que la seule porte pour entrer au Ciel est la Redemption, sans laquelle nous n'y eussions jamais eu d'acces; mais à fin que cette Redemption nous soit appliquée il faut que nous fassions penitence.

  A009001001 

 Voyla pourquoy, disent nos Peres, cette cuve estoit entre les deux tabernacles, l'exterieur et l'interieur, pour signifier que les eaux de la penitence sont entre le tabernacle exterieur de l'Eglise militante, et l'interieur de la triomphante, et que pour passer de la militante à la triomphante il faut se laver dans ces eaux..

  A009001002 

 Certes ils ont rayson, car cette doctrine n'est autre que l'eau dont quiconque boira n'aura plus soif, et, comme dit Nostre Seigneur, elle rejaillira jusques à la vie eternelle.

  A009001002 

 D'autres ont dit que cette cuve representoit la doctrine evangelique.

  A009001002 

 Que personne ne se trompe en cecy, pensant arriver à ce tabernacle interieur pour y sacrifier des sacrifices de louange sans se laver dans ces eaux ou se mouler sur cette doctrine; car nul ne peut estre sauvé en se faisant des lois selon son caprice ou fantasie ou se contentant de la loy naturelle.

  A009001002 

 Sans cela nous ne pouvons faire aucune oblation ni sacrifice; et moins encores pouvons-nous estre sauvés sinon en croyant cette doctrine chrestienne et nous formant selon icelle; c'est là que nous voyons ce que nous devons croire, demander et esperer.

  A009001002 

 Vous voyez donques que cette cuve placée entre les deux tabernacles represente le Baptesme, la penitence et la doctrine evangelique, qui sont les liens par lesquels l'Eglise militante est unie à la triomphante.

  A009001003 

 Certes, un jour viendra où nous ressusciterons, et ces corps mortels que nous portons, maintenant sujets à la corruption, seront immortels, tout spirituels et reformés sur celuy de Nostre Seigneur.

  A009001003 

 Nous autres avons aussi deux tabernacles: l'un exterieur qui est ce corps que nous portons, et l'autre interieur, qui est l'ame par laquelle nous vivons.

  A009001003 

 Quels sont ces tresors sinon nos ames qui, comme des tabernacles interieurs, sont cachées dans nos corps? Mais tout ainsy que l'ame anime et donne la vie au corps, aussi la doctrine evangelique la nourrit et vivifie, luy fournissant la lumiere et la force pour la conduire et la faire arriver à cet autre tabernacle plus interieur où habite le Tres Haut.

  A009001004 

 Car bien que nous n'ayons pas besoin de miroüers comme ces dames hebreuses, pour mirer nos corps qui pourriront avec les chiens et autres animaux, neanmoins nous devons tous-jours avoir devant les yeux les mirouers des vertus et exemples des Saints pour former et dresser sur iceux toutes nos actions..

  A009001004 

 Ceux cy nous representent les exemples des Saints, qui ayans receu la doctrine chrestienne, l'ont pratiquée si parfaitement et au pied de la lettre, que nous pouvons dire que les histoires de leur vie sont autant de mirouers qui ornent et enrichissent cette cuve de la Loy evangelique.

  A009001004 

 Et tout ainsy que cette Loy les a ornés et enrichis, et que s'estans plongés dans icelle ils se sont purifiés et rendus capables d'offrir à la divine Bonté des sacrifices d'un prix et valeur inestimable, ils luy ont aussi, de leur costé, fait ce que faisoyent à cette cuve les mirouers des dames hebreuses et juifves; car ils l'ont embellie par la pratique des preceptes et conseils qu'ils ont puisés en icelle, nous laissant à imiter des admirables exemples, qui sont comme des mirouers dans lesquels nous [383] nous pouvons continuellement regarder.

  A009001005 

 Elle a un grand avantage par dessus tous les Bienheureux, qui est qu'elle s'est donnée et totalement dediée au service de Dieu dès l'instant de sa conception, puisqu'il n'y a nul doute qu'elle n'ayt esté toute pure et n'ayt eu l'usage de rayson dès que son ame fut mise en ce petit corps formé dans les entrailles de sainte Anne..

  A009001005 

 Me voyci maintenant sur le sujet de la feste de nostre tres chere Mere et Maistresse que nous celebrons aujourd'huy; car, je vous prie, quel plus beau et pretieux mirouer vous sçauroit-on presenter que celuy-cy? N'est-ce pas le plus excellent qui soit en la doctrine evangelique? N'est-ce pas elle qui l'a le plus ornée et enrichie, tant par ce qu'elle mesme a prattiqué que par les exemples admirables qu'elle nous a laissés? Certes, il n'y a point de Saint ni de Sainte qui luy puisse estre parangonné, car cette glorieuse Vierge surpasse en dignité et excellence non seulement les Saints, mais aussi les plus hauts Seraphins et Cherubins.

  A009001006 

 Comme cette glorieuse Vierge devoit naistre de pere et de mere ainsy que les autres enfans, aussi semble-t-il que, comme eux, elle devoit estre tachée du peché originel; mais la divine Providence en ordonna tout au contraire, et estendant sa main tres sainte la retint, de peur qu'elle ne tombast dans ce precipice.

  A009001006 

 Elle luy donna l'usage de la rayson et la foy par laquelle Nostre Dame conneut Dieu et creut tout ce qui estoit de la verité, en sorte que, remplie de cette clarté, elle se dedia et consacra toute à la divine Majesté, mais d'une façon tres parfaite.

  A009001006 

 Les theologiens nous asseurent que Nostre Seigneur jettant un rayon de sa lumiere et de sa grace dans l'ame de saint Jean Baptiste lors qu'il estoit encor aux entrailles de sainte Elizabeth, le sanctifia et luy [384] donna l'usage de rayson avec la foy, par laquelle ayant reconneu son Dieu dans le ventre de la tres sainte Vierge il l'adora et se consacra à son service.

  A009001006 

 Que si le Sauveur fit une telle grace à celuy qui devoit estre son precurseur, qui pourra douter que non seulement il ayt fait la mesme faveur, mais qu'il n'ayt avantagé d'un privilege beaucoup plus grand et tout particulier celle qu'il avoit choisie pour estre sa Mere? Pourquoy ne l'auroit-il pas sanctifiée dès le sein maternel aussi bien que saint Jean?.

  A009001007 

 C'est donc une chose toute asseurée que dès l'instant de sa conception Dieu la rendit toute pure, toute sainte, avec l'usage parfait de la foy et de la rayson en une façon du tout admirable et qui ne peut assez estre admirée; car il avoit fait cette pensée de toute eternité parce que ses cogitations sont tres hautes, et ce qui n'avoit jamais peu entrer en l'entendement des hommes, Dieu l'avoit medité avant tous les temps.

  A009001007 

 Oh combien de faveurs, graces et benedictions la divine Bonté versa dans le cœur de la glorieuse Vierge! Mais elles estoyent si secrettes et interieures que personne n'en pouvoit rien connoistre qu'elle qui les experimentoit, et encores sa mere sainte Anne; car il est croyable qu'à l'instant que le Seigneur respandit tant de graces dans l'ame de cette benite Enfant, la mere s'en ressentit, et receut de grandes douceurs et consolations spirituelles à cause de sa Fille qui en estoit comblée..

  A009001008 

 Je ne parleray pas à cette heure ni de ce que nostre tres chere Mere et Maistresse fit en sa conception et nativité, ni des benedictions qu'elle y receut; je ne veux traitter que de cette feste en laquelle elle se vint offrir et consacrer au service du Temple.

  A009001008 

 O Dieu, qu'elle fut heureuse, car elle n'avoit que trois ans quand elle quitta sa patrie et la mayson de son pere.

  A009001009 

 Cette glorieuse Vierge se comportoit en ce bas aage avec tant de sagesse et discretion en la mayson de ses parens qu'elle leur donnoit de l'estonnement, si qu'ils jugerent bien, tant par ses discours que par ses actions, que cette Enfant n'estait pas comme les autres, mais qu'elle avoit l'usage de rayson, et partant qu'il failloit anticiper le temps et la conduire au Temple pour servir le Seigneur avec les autres filles qui y estoyent pour ce sujet.

  A009001010 

 Ce Psalme est certes admirable et tout emmiellé à cause des paroles de louange et benediction qu'il donne à la divine Majesté; aussi le Prophete royal disoit: Je me sers de ce cantique comme d'une douce recreation pour entonner et psalmodier aux trois divers temps que je vay au Temple, selon qu'il est ordonné par la Loy.

  A009001010 

 Mais qui pourroit expliquer avec quel ressentiment d'amour et de dilection le disoit cette sainte Vierge, veu que ce sacré cantique ne traitte d'autre chose que de la Loy et volonté de Dieu, pour à laquelle obeir elle s'acheminoit au Temple?.

  A009001010 

 O Dieu, combien estoyent grans les souspirs et eslans d'amour et de dilection que jetta cette petite Pucelle ainsy que ses pere et mere, mais elle sur tout, comme celle qui alloit pour se sacrifier derechef à son divin Espoux qui l'appelloit et luy avoit inspiré cette retraitte, non seulement à fin de la recevoir comme son espouse, ains encores pour la preparer à estre sa mere! Oh qu'elle alloit doucement chantant ce cantique sacré du Psalmiste: Beati immaculati in via.

  A009001011 

 Elle s'y offrit et consacra avec telle ferveur, amour et humilité que les Anges et plus hauts Seraphins qui se promenoyent sur le balustre et galerie du Ciel en demeuroyent tout ravis, s'estonnant comme en la terre il se peust trouver une creature si pure, et qu'une ame revestue de corps humain peust faire une offrande et oblation si parfaite.

  A009001011 

 Il est vray que l'on pouvoit bien dire d'elle ce que le Saint Esprit raconte de la reyne de Saba quand elle fut voir Salomon: Elle vint chargée de tant de nard et de parfums que jamais il ne s'en estoit veu en Hierusalem autant que ce que cette reyne en apporta.

  A009001012 

 La premiere est celle dont nous parlons à cette heure; l'autre est celle par laquelle on correspond promptement aux secrettes inspirations de Dieu lors que, se rendant tout à fait au premier mouvement et attrait d'icelles, en [387] quelque temps et aage que Nostre Seigneur nous appelle, l'on quitte tout pour le suivre..

  A009001012 

 Mais encores que toutes les ames puissent pretendre et desirer ce bonheur, neanmoins toutes n'en reçoivent pas la grace; c'est pourquoy j'ay accoustumé de dire qu'il y a deux sortes d'enfance.

  A009001012 

 O que bienheureuses sont les ames qui, à l'imitation de cette sacrée Vierge, se dedient comme des primices au service de Nostre Seigneur dès leur jeunesse! O qu'elles sont heureuses de s'estre retirées du monde avant que le monde les ayt conneùes, car n'ayans point esté mariées, ni par consequent flestries par l'ardeur de la concupiscence, elles donnent une odeur de grande suavité par leurs vertus et bonnes œuvres.

  A009001013 

 C'est donques une grande feste que celle que nous celebrons aujourd'huy, en laquelle cette petite Pucelle s'est allée presenter au Temple en sa tendre jeunesse et à la premiere semonce de l'inspiration.

  A009001013 

 C'est pour vous, mes cheres Sœurs, un jour grandement solemnel, d'autant qu'en iceluy vous vous venez offrir à la divine Majesté, à l'imitation de cette glorieuse Vierge, ou plustost renouveller l'offrande que vous luy avez desja faite..

  A009001013 

 Nous lisons mesme qu'elle a tousjours esté celebrée des cathoques orientaux, bien qu'en Orient la solemnité s'en fust un peu refroidie; mais despuis que le Pape Sixte Quint l'a restablie, l'Eglise la solemnise et en fait l'office.

  A009001014 

 Au plus fort de ces blasphemes et injures une femme esleva sa voix (laquelle les saints Peres disent estre sainte Marcelle, mais comme l'Evangeliste ne la nomme pas, il vaut mieux dire seulement que c'estoit une femme), et surprise d'admiration pour le divin Maistre s'escria: Bienheureux le ventre qui t'a porté et les mammelles que tu as succées! Alors le peuple tout estonné se tut, et le Sauveur se retournant du costé de cette femme lu y respondit: Plustost bienheureux ceux qui escoutent la parole de Dieu et la gardent.

  A009001014 

 Il est donques dit que Nostre Seigneur preschant au peuple qui le suivoit, et le voulant illuminer et esclairer, il faisoit à cet effect plusieurs miracles.

  A009001014 

 Les Pharisiens, pleins d'envie, commencerent à murmurer et à le calomnier, disant que ce n'estoit pas en son nom qu'il operoit ces choses, ains par la puissance du prince des tenebres.

  A009001014 

 Mais vous me direz: Declarez-nous un peu comme et avec quelle perfection nostre divine Maistresse fit son offrande, à ce que nous l'imitions; car estans ses filles nous serons bien ayses de la suivre.

  A009001014 

 Voyez-vous, en cette feste nous n'avons point d'autre Evangile que celuy qui se lit toutes les fois qu'on fait l'office de Nostre Dame; or, vous trouverez en iceluy tout ce qu'il faut faire pour l'imiter.

  A009001015 

 Et Nostre Seigneur luy respondit: Il est vray que le ventre qui m' a porté est bienheureux et les mammelles que j'ay succées sont bienheureuses; car quel plus grand bonheur pouvoit arriver à une femme que de porter dans son sein Celuy qui est esgal au Pere, «Celuy que les cieux ne peuvent comprendre?» O que veritablement ce sein dans lequel le Fils de Dieu a pris chair humaine est heureux, et que cette Vierge a receu d'honneur ayant donné son plus pur sang pour former la sacrée humanité du Sauveur de nos ames! Partant, il est bien vray, o femme, ce que tu dis que non seulement ce sein, mais encores les mammelles que j'ay succées sont bienheureuses, d'autant qu'elles ont nourri Celuy qui sustente toutes les creatures.

  A009001015 

 Or bien que je me souvienne de vous avoir desja entretenues trois ou quatre fois sur ce sujet et sur cet Evangile, si est-ce que c'est un puits où il y a tant à prendre que je ne me peux lasser d'en parler ni de puiser dans sa profondité ce qui est propre pour nostre instruction.

  A009001016 

 Il n'appartient qu'à la sacrée Vierge; car tout ainsy qu'entant que Dieu je n'ay qu'un Pere sans mere, ainsy entant qu'homme devois-je avoir une Mere sans pere; et comme je n'ay qu'un Pere au Ciel, aussi ne devois-je avoir qu'une Mere en terre: cela a esté ordonné de toute eternité par mon Pere celeste.

  A009001016 

 Neanmoins je te dis maintenant que quoy que ma Mere soit si heureuse parce qu'elle m'a porté dans son ventre et que j'ay succé ses mammelles, elle l'est beaucoup plus parce qu'elle a ouÿ la parole de Dieu et l'a gardée.

  A009001016 

 O que ce que tu dis, femme, est veritable! Ces chastes entrailles ressemblent à l'Arche dans laquelle estoyent la manne, la verge et les tables de la Loy de Moyse.

  A009001016 

 O que ce sein donc est bienheureux, semble dire Nostre Seigneur, puisqu'il est plus pretieux [389] que l'Arche d'alliance; et partant, que cette femme est bienheureuse, parce qu'elle est ma Mere.

  A009001016 

 Qu'est-ce que cette manne sinon le Fils de Dieu qui est descendu du Ciel? N'est-il pas aussi cette verge et ces tables de la Loy? Ouy, il est la pierre vive; sur son propre corps ont esté escrits et gravés les dix commandemens de la loy de grace avec les burins des clous, de la lance et des fouets.

  A009001017 

 Comme s'il disoit: Ne te contente pas d'escouter l'inspiration divine et de t'abaisser pour la mieux ouÿr, mais retire ton cœur et tes affections de ta patrie et de tes parens, viens au lieu que je te monstreray, et je convoiteray ta beauté..

  A009001017 

 Et pour laisser toute autre parole et ne parler que de celle de la vocation, o Dieu, combien a-t-elle esté fidelle en cecy! Voyla que le Seigneur luy dit à l'oreille, ou plustost à l'interieur du cœur: Audi filia; Escoute, ma fille, preste moy l'oreille, oublie ta patrie et quitte la mayson de ton pere, et le Roy convoitera ta beauté.

  A009001017 

 Oublie ta patrie et retire-toy de la mayson de tes parens, viens en la terre que je te monstreray, et le Roy convoitera ta beauté.

  A009001018 

 L'on fait tant d'examens, il faut tant considerer, il faut parler aux uns et aux autres pour sçavoir si l'inspiration est vraye, si elle vient de Dieu, il faut tant esplucher toutes choses! Certes, il est bon de bien considérer et discerner quelle est l'inspiration, mais apres ce regard, sortez et allez en la terre que Dieu vous monstre; n'escoutez point tant de discours, ne prestez point l'oreille à tant de raysons que l'on vous apporte, n'usez point de tant de dilayemens, car vous vous mettez en grand peril; ne vous endormez point, soyez prompts.

  A009001018 

 O sainte, divine et admirable semonce que Dieu fait au cœur de tant de creatures, et qui a esté escoutée et entendue par un grand nombre! Cependant je ne sçay [390] comment cela est arrivé, plusieurs ont ouy la parole sacrée de la vocation et ne sont pourtant point sortis ni allés où Dieu les appelloit.

  A009001019 

 Ils sont bien tous, en la cour et en la presence du prince, lequel regarde les uns, jette des œillades plus particulieres sur les autres, rit contre cestuy cy, parle à celuy là, donne des dignités aux uns, favorise les autres, que sçay-je moy, telles ou semblables choses qui se passent tous les jours parmi les cours des roys.

  A009001019 

 Mais il y en a que le prince favorise bien davantage et auxquels il tesmoigne un plus particulier amour: ce sont ceux qu'il fait entrer dans son cabinet pour s'entretenir avec eux, leur descouvrir ses secrets et leur communiquer ses conceptions.

  A009001020 

 Tous les Chrestiens sont ces princes et chevaliers qui demeurent en la cour de ce souverain Roy Nostre Seigneur, qui n'est autre que l'Eglise.

  A009001021 

 C'est ce que vouloit signifier Isaïe quand il disoit qu'il croyoit en la parole du Seigneur et qu'il graveroit son nom en son cœur; c'est à sçavoir qu'il entendroit l'inspiration et la volonté de Dieu et la garderoit dans son cœur.

  A009001021 

 En fin elles peuvent estre aussi entendues de l'inspiration et volonté divine; car c'est le propre des vrays fidelles de porter le sacré nom de Jesus gravé dans leur cœur, non avec un burin autre que les clous, lance et espines qui percerent son saint corps; et de plus, tout bon Chrestien doit escouter et garder la parole de Dieu, ouyr son inspiration et faire sa volonté..

  A009001021 

 Je sçay qu'il y a diverses interpretations sur cecy, car les uns tiennent que par ce nom l'on doit entendre le saint et sacré nom de Jesus qui signifie Sauveur, par lequel il est venu sauver le monde, nom qui est demeuré gravé en son Eglise et dans le cœur de tous les vrays enfans d'icelle.

  A009001021 

 Les autres ont voulu dire que ces paroles d'Isaïe se devoyent interpreter de l'Eglise mesme.

  A009001022 

 Mais helas, c'est un grand malheur que si peu entendent comme il faut ces saintes inspirations! Plusieurs vivent au monde et usent des richesses, honneurs et dignités dont la loy divine permet d'user, mais non point d'abuser; ils ajustent aux commandemens de Dieu leur affection pour la jouissance des biens et dignités, [392] quoy qu'il ne leur faille pas parler des conseils, d'autant qu'ils se contentent seulement d'eviter ce qui les peut condamner.

  A009001023 

 Hé, disent-ils, je me donneray à Dieu, mais non pas si absolument que le monde n'y aye encores quelque part.

  A009001023 

 Je rendray à Dieu ce qui luy est deu, mais je me reserveray ce qui est deu au monde, à sçavoir les yeux, les cheveux, que sçay-je moy, telles autres bagatelles, sans toutefois rien faire en cela qui soit contraire à la loy divine.

  A009001025 

 Or, bien que la douceur que vous recevrez par le regard et consideration de la vie de Nostre Dame tombe dans un vaysseau d'argile, elle ne lairra pas d'estre d'une suavité admirable, car le baume mis dans un vaysseau de terre est aussi suave que dans une fiole de cristal..

  A009001026 

 Et pourquoy? Parce que je feray aussi bien la volonté de Dieu en y allant et demeurant qu'en m'en revenant.

  A009001026 

 Mais lors que vous reviendrez ne serez-vous pas bien plus joyeuse qu'en y allant? O non certes.

  A009001026 

 O Dieu, je n'ay point de patrie que celle d'accomplir la volonté divine.

  A009001026 

 O admirable exemple d'obeissance que celuy-cy!.

  A009001027 

 La premiere est que pour obeir parfaitement il faut aymer Dieu qui commande; la seconde c'est qu'il faut aymer la chose commandée.

  A009001027 

 Tous les manquemens que nous faisons à l'obeissance procedent pour l'ordinaire du defaut de ces deux conditions.

  A009001028 

 On ordonnera à une fille (pour ne parler à cette heure que de vostre sexe) d'aller faire oraison ou tel autre exercice qu'elle goustera.

  A009001028 

 Qui ne voit qu'elle n'ayme pas Dieu qui commande, ains seulement la chose commandée? car si elle aymoit Dieu qui commande elle aymeroit autant le Donateur des contrarietés que le Donateur des consolations..

  A009001029 

 D'où vient cela sinon de ce que nous ne regardons pas Dieu qui nous envoye le commandement, et que pour l'aggreer nous prenons garde si celuy qui nous l'apporte est vestu de vert ou de gris, et quelle est sa mine et contenance? Or, il ne faut pas faire cela, mais recevoir l'obeissance comme volonté divine, n'importe par qui elle nous soit signifiée, aymant Dieu qui ordonne, prenant ce commandement et le mettant sur nostre teste, c'est à dire dans le fond de nostre volonté, pour l'accepter et executer avec fidelité.

  A009001029 

 Il a une mine si froide, si seche que l'on ne trouve nulle suavité à ce qu'il commande.

  A009001029 

 Que si nostre cœur repugne à la chose commandée, il le faut flatter et la luy faire aggreer tout doucement.

  A009001030 

 Ainsy, mes cheres Filles, vous venez faire vos renouvellemens comme Nostre Dame nous l'enseigne en cette Presentation; car bien qu'elle n'eust point besoin de se renouveller, d'autant que n'ayant point peché elle ne pouvoit descheoir, neanmoins la divine Providence permit pour nostre instruction qu'elle reconfirmast à ce jour le sacrifice qu'elle luy avoit fait en sa conception.

  A009001030 

 Par vos renouvellemens, mes cheres Filles, vous allez reprendre de nouvelles forces et rebander tous vos arcs pour le service et dilection de Nostre Seigneur; car certes, tant que nous vivrons nous aurons besoin de nous renouveller et relever.

  A009001030 

 Tous les Saints ont fait ainsy, et mesme ce renouvellement se prattiquoit en l'ancienne Loy, d'autant que nostre nature est de soy si infirme que facilement elle se refroidit et vient à descheoir.

  A009001041 

 L'Evangile que nous lisons à la Messe de ce jour est divisé en trois parties desquelles nous parlerons maintenant.

  A009001041 

 La premiere est comme quoy saint Jean estant en prison pour la verité, envoya deux de ses disciples à Nostre Seigneur pour sçavoir s'il estoit le Messie promis ou s'ils en devoyent attendre un autre; la seconde est la response que leur fit le Sauveur; et la troisiesme, de ce qu'il dit apres que les disciples de saint Jean s'en furent retournés..

  A009001042 

 C'est une chose admirable que nos anciens Peres, qui ont esté si clairvoyans et ont eu de si grandes lumieres pour expliquer et developper les plus grandes et obscures difficultés que presente la Sainte Escriture, se soyent neanmoins tous trouvés estonnés sur le premier point de cet Evangile pour sçavoir comme se doit entendre cela, que saint Jean qui connoissoit Nostre Seigneur envoya [398] ses disciples pour apprendre s'il estoit ce grand Prophete, ce Messie promis, ou s'ils en devoyent attendre un autre.

  A009001043 

 Or, qu'il sceust bien que Celuy à qui il envoyoit faire la demande estoit vrayement le Messie, cela est indubitable, car il le conneut estant encores dans le ventre de sa mere, et n'y a aucun Saint qui ayt eu une plus grande lumiere et intelligence du mystere de l'Incarnation que ce glorieux saint Jean.

  A009001044 

 Pourquoy donques, disent nos anciens Peres, estant en prison et entendant parler des grans prodiges et miracles que faisoit nostre divin Maistre, envoye-t-il ses disciples pour sçavoir de luy quel il est, si c'est luy qui doit venir ou s'ils en attendroyent un autre? Certes, tous sont admirables à demesler cette difficulté, et si je vous voulois rapporter la multitude et varieté de leurs opinions sur ce sujet, il me faudroit employer beaucoup de temps qui nous desroberoit ce que nous avons à deduire pour nostre utilité.

  A009001044 

 Voyla comme il connoissoit bien Nostre Seigneur, et il n'y a point de cloute qu'il ne chancella jamais en rien que ce fust, de la croyance et asseurance qu'il avoit de sa venue.

  A009001045 

 C'est ce que va disant en un sien Psalme le royal Prophete David, grand et divin poëte: Seigneur, vous avez de loin considere mon sentier et mes voyes.

  A009001045 

 Comme s'il disoit: Bien que je sois fin comme un renard, vous avez neanmoins conneu toutes mes finesses.

  A009001045 

 J'ay esté comme un cerf qui a couru et sautelé par les fourrés les plus entourés de ronces et d'espines, mais vous estes ce divin chasseur qui de loin avez remarqué mes pas et mes vestiges; vous m'avez apperceu au lieu où j'estois, d'autant que vos yeux voyent et penetrent tout.

  A009001045 

 Je ne sçaurois eschapper de devant vostre face; que feray-je donc, o Seigneur?.

  A009001045 

 L'on n'interroge pas tousjours pour sçavoir, disent ces saints Peres, ni moins parce que l'on ignore ce que l'on demande, mais l'on fait des questions pour plusieurs autres causes et raysons; car autrement la divine Majesté ne feroit jamais aucune question aux hommes, d'autant qu'elle sçait tout et ne peut ignorer chose quelconque.

  A009001045 

 Que feray-je pour me cacher de vous? Si je monte au Ciel vous y estes, et là je vous trouveray beaucoup plus present que moy mesme.

  A009001045 

 Si, comme l'aube du jour et la belle aurore, je m'en vay courant sur les eaux, vous y serez plus tost que moy.

  A009001046 

 La premiere, à fin de leur faire confesser leurs pechés, comme il fit lors que Adam eut transgressé son commandement.

  A009001046 

 Mais encores que Dieu sçache toutes choses, il n'a pas laissé de faire plusieurs questions aux hommes; non point qu'il ignorast ce qu'il leur demandoit, mais sa divine Providence l'a fait pour trois diverses causes.

  A009001046 

 Une partie des [400] Peres tiennent que s'il eust advoué son peché quand Dieu l'appella, s'il eust frappé sa poitrine et dit un bon peccavi, le Seigneur luy eust pardonné et ne l'eust pas chastié par le fleau dont il le menaçoit et duquel il a puni luy et tous ses descendans.

  A009001047 

 Il ne leur demanda donques point quels estoyent leurs discours parce qu'il ignoroit de quoy ils parloyent, mais bien à fin que, confessant leur ignorance et leurs doutes, ils peussent estre instruits et esclaircis..

  A009001048 

 Et pourquoy, Seigneur, le luy demandez-vous? ne sçavez-vous pas bien quelle est la cause de sa douleur et ce qu'elle cherche? Certes, il le sçavoit tres bien; aussi ce n'est point pour l'apprendre qu'il l'interroge, d'autant que toutes choses luy sont tres claires et manifestes.

  A009001048 

 Mais nostre cher Sauveur, qui sçait que la nature humaine est sujette aux larmes, ne laisse pas [401] de s'enquerir de cette femme pourquoy elle pleure.

  A009001048 

 Puis, passant un peu plus avant, elle apperceut Nostre Seigneur, en forme de jardinier, lequel luy demanda encores: Femme, pourquoy pleures-tu? que cherches-tu? Certes, ce n'estoit pas merveille que les Anges fussent estonnés de voir pleurer Magdeleine ni moins qu'ils luy en demandassent la rayson, car ils ne sçavent comme l'on pleure; et bien que mistiquement l'on dise que les Anges pleurent, la Sainte Escriture s'exprime ainsy pour representer la terreur de quelque chose formidable, car en effect ils ne pleurent point.

  A009001050 

 A la naissance de nostre Sauveur, les Anges allerent trouver les pasteurs pour leur annoncer sa venue, chantans avec une melodie merveilleusement aggreable ces sacrées paroles que l'Eglise repete si souvent: Gloria in excelsis Deo.

  A009001050 

 C'est pourquoy nostre glorieux Saint, apres avoir long temps presché la venue de Nostre Seigneur à ses disciples, les envoye maintenant à luy à fin que non seulement ils le connoissent, mais encores qu'ils le fassent connoistre aux autres.

  A009001050 

 Les maistres et ceux qui gouvernent et ont charge des ames ne doivent chercher ni procurer sinon que Celuy qu'ils preschent et au nom duquel ils enseignent soit conneu de tous.

  A009001050 

 Mais lors qu'ils voulurent confirmer la merveille qu'ils leur faisoyent entendre ils leur dirent: Allez le voir, et alors vous croirez et tiendrez pour certain ce que nous vous annonçons; car il n'y a point de moyen ni de signe asseuré pour trouver Dieu que Dieu mesme.

  A009001051 

 C'est ce que vouloit dire le grand Apostre escrivant aux Corinthiens: Mes petits enfans, que j'ay conceus et gaignés à Jesus Christ parmi tant de peines, fatigues et travaux, pour lesquels j'ay souffert tant de douleurs et de convulsions, je vous asseure que je ne vous enseigne point pour vous attirer à moy, ains pour vous attirer à mon Seigneur Jesus Christ..

  A009001051 

 Car que vouloit-il signifier sinon: Ouoy que je vous presche et enseigne, ce n'est point pour vous attirer à moy, mais bien à Jesus Christ duquel je suis la voix; c'est pourquoy je vous addresse à luy.

  A009001051 

 Comme s'il vouloit dire: Je ne me contente pas de vous asseurer que c'est Celuy que nous attendons, mais je vous envoye à fin que vous soyez instruits par luy mesme.

  A009001052 

 Au contraire, les serviteurs de Dieu ne preschent et n'enseignent ceux qu'ils conduisent que pour les porter à Dieu, tant par leurs paroles que par [403] leurs œuvres.

  A009001052 

 C'est ce que fait aujourd'huy saint Jean et à quoy tous les Superieurs doivent bien prendre garde, car ils ne proffiteront jamais qu'en portant et envoyant leurs disciples à Nostre Seigneur pour sçavoir de luy quel il est, et apprendre de luy mesme à le connoistre et faire tout ce qu'il faut pour son amour et service..

  A009001052 

 Ils les attirent à eux par leurs paroles et leur langage composé, ne se servant pour ce sujet que de la babillerie et caquetterie, et par ce moyen seduisent plusieurs esprits foibles.

  A009001053 

 Ce qu'entendant saint Jean, et voyant que l'amour et l'estime que ses disciples luy portoyent alloyent au mespris de Jesus Christ, il les envoye à cette divine Majesté pour estre instruits et informés de la verité..

  A009001053 

 La troisiesme raysort pour laquelle saint Jean envoya ses disciples à Nostre Seigneur fut à fin de les destacher de sa personne, de peur qu'ils ne vinssent à un si grand abus que de faire plus d'estat de luy que du Sauveur; car se plaignant à saint Jean comme ils se plaignoyent à Nostre Seigneur: Maistre, disoyent-ils, toy et nous tes disciples, avec les Pharisiens nous jeusnons, nous sommes mal vestus et faisons grande penitence; mais cet homme, ce grand Prophete qui opere tant de merveilles parmi nous n'en fait pas ainsy.

  A009001054 

 Ce n'est donques pas que saint Jean doutast en aucune façon que Nostre Seigneur fust le Messie, qu'il luy envoya ses disciples luy faire une telle demande, ains pour leur bien et utilité, pour le faire connoistre à tout le monde, pour ne point les attirer à soy, mais pour les en destacher, à fin que voyant les merveilles que Jesus Christ operoit, ils vinssent à en concevoir l'estime qu'il failloit.

  A009001054 

 Il les luy pouvoit mander pour l'adorer et reconnoistre, mais s'accommodant à leur foiblesse et infirmité, il les envoye seulement luy demander qui il est, et s'il est Celuy qui doit venir ou s'ils doivent en attendre un autre. Certes, il faut que ceux qui gouvernent les ames se fassent tout à tous, comme dit [404] l'Apostre, pour les gaigner tous: qu'ils soyent doux avec les uns et severes avec les autres, enfans avec les enfans, forts avec les forts, foibles avec les foibles, en somme, ils ont besoin d'une grande discrétion pour s'accommoder à un chacun..

  A009001057 

 Et que l'on ne die point: Vous ne me parlez pas tant pour ma perfection qu'à celuy là.

  A009001057 

 Je crois bien, vous n'avez point encores de dents! Ne voyez-vous pas que si l'on vous donnoit les mesmes pratiques qu'on conseille aux autres vous ne pourriez les mascher? Oh, il me semble que j'ay assez de dents, dites-vous.

  A009001057 

 Mais certes, vous en aurez d'autant moins que vous croyez en avoir davantage.

  A009001057 

 Or, escrit ce saint Pere, lors que le grand Apostre dit: Je suis avec vous comme une mere nourrice, que veut-il signifier sinon qu'il fait à l'endroit de ses disciples ce qu'une [mere nourrice fait à l'endroit de ses enfans? Il est certes necessaire que ceux qui gouvernent les ames ayent une grande industrie pour les sçavoir toutes conduire comme il convient, selon leur capacité et portée.

  A009001058 

 (Il compte icy comme un miracle que les pauvres sont evangelisés.) Ces docteurs disent que le Sauveur n'opera pas beaucoup de prodiges devant les disciples de saint Jean, mais que les Apostres leur rapporterent ceux qu'il faisoit.

  A009001058 

 Dites à Jean ce que vous avez veu et ce que vous avez ouy: les aveugles voyent, les sourds entendent, les boiteux marchent droit, les ladres sont gueris, les morts ressuscitent, les pauvres sont evangelisés.

  A009001058 

 Il est tres certain que les Apostres avoyent une grande suavité à raconter à ces deux disciples les œuvres admirables de leur bon Maistre; mais Nostre Seigneur [406] ne laissa pas pourtant de faire beaucoup de miracles en leur presence, c'est pourquoy il leur respond: Dites à Jean ce que vous avez veu et entendu..

  A009001058 

 La seconde partie de nostre Evangile c'est la responce que Nostre Seigneur fit aux disciples de Jean.

  A009001059 

 O admirable humilité de nostre cher Sauveur qui vient pour confondre nostre orgueil et destruire nostre superbe! On luy demande: Qui es-tu? Et il ne respond autre chose sinon: Dites ce que vous avez veu et entendu, pour nous apprendre que ce sont nos œuvres et non point nos paroles qui rendent tesmoignage de ce que nous sommes, et que nous sommes pleins d'orgueil..

  A009001059 

 Or, je vous responds: Dites ce que vous avez veu et entendu.

  A009001059 

 Quelques uns de nos anciens Peres, je veux dire saint Hilaire et saint Chrysostome, s'arrestent sur cette responce que Nostre Seigneur fit lors qu'on l'interrogea qui il estoit.

  A009001060 

 Certes, il n'est besoin de faire monstre de toutes ces bagatelles pour prouver que vous estes gentilhomme.

  A009001060 

 En fin, ce sont nos œuvres ou bonnes ou mauvaises qui nous font ce que nous sommes, et c'est par icelles que nous devons estre reconneus..

  A009001060 

 Mais quand on vous fait cette question: Qui estes-vous? il faudroit pouvoir respondre: Dites que vous avez veu un homme doux, cordial, humain, protecteur des vefves, pere des pupiles et orphelins, charitable et benin envers ses sujets.

  A009001060 

 Qui estes-vous? Il faut faire voir de quelle extraction, de quelle race, il faut faire paroistre les lettres de noblesse, que sçay-je, moy? telles folies et niaiseries; il faut examiner si ses ancestres sont descendus d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.

  A009001060 

 Si vous avez veu et entendu cela, dites asseurement que vous avez trouvé un bon gentilhomme.

  A009001060 

 Si vous vous addressez à un Evesque: Qui estes-vous? il devroit pouvoir se rendre ce tesmoignage: Dites que vous avez veu un homme qui fait bien et deuement sa charge; et alors asseurez-vous qu'il est vrayement Evesque.

  A009001061 

 C'est une grande misere qu'estans ce que nous sommes nous voulons neanmoins paroistre, et marchons sur la pointe des pieds à fin de nous faire voir à tout le monde.

  A009001061 

 Ce n'est pas que je veuille entendre que quand on nous demande qui nous sommes il ne faille dire que l'on est Chrestien.

  A009001061 

 Disons donques librement que nous ne sommes rien, que nous ne pouvons ni ne sçavons rien.

  A009001061 

 Mais helas, que verra-t-on quand on nous verra? Un peu de poussiere et un corps qui sera bientost reduit en corruption..

  A009001061 

 Ne vous contentez donc pas lors qu'on vous interroge vous disant: Qui estes-vous? de respondre comme les petits enfans au catechisme: Je suis Chrestien; mais vivez en telle sorte que l'on puisse adjouster qu'on a veu un homme qui ayme Dieu de tout son cœur, qui garde les commandemens de la Loy, qui frequente les Sacremens, et telles autres choses dignes d'un vray Chrestien.

  A009001061 

 O non certes, c'est le plus beau tiltre que nous nous puissions donner, et j'ay tousjours eu une particuliere devotion à cette grande sainte Blandine, qui fut martyrisée à Lyon et dont Eusebe rapporte la vie.

  A009001062 

 Dites à Jean que les aveugles voyent.

  A009001062 

 O Dieu, quel plus grand aveuglement que le nostre! Estans si pleins d'abjection et misere, nous voulons cependant estre estimés quelque chose! Qui nous aveugle de la sorte sinon nostre amour propre lequel, outre qu'il est aveugle de soy mesme, aveugle encores celuy en qui il demeure? Ceux qui ont peint Cupidon luy ont bandé les yeux, disant que l'amour est aveugle.

  A009001063 

 Aussi adjouste-t-il: Dites à Jean que les boiteux marchent droit..

  A009001063 

 Il s'en trouve beaucoup qui ont les deux parties gastées, et ceux icy boitent des deux costés; les autres ne clochent que d'un seul.

  A009001063 

 Il y en a qui ne sont pas avaricieux, mais ils ont la partie irascible si forte que lors qu'elle n'est pas bien sousmise à la rayson ils se troublent et ressentent vivement les moindres choses qui leur sont faites; ils s'eslevent et recherchent tousjours des inventions pour se venger d'une petite parole ou d'un petit tort qui leur aura esté fait.

  A009001063 

 La partie concupiscible convoite des biens, des honneurs, des dignités et preeminences, des voluptés et mignardises; ce qui fait que l'homme devient cupide, avaricieux, et par ce moyen il cloche de ce costé là.

  A009001063 

 Soit que les infirmes dont parle Nostre Seigneur fussent boiteux des deux costés ou d'un seulement, cela n'importe gueres; mais la pluspart de ceux qui vivent en ce monde sont boiteux des deux costés.

  A009001064 

 Ainsy font ces lepreux spirituels: quoy qu'ils soyent tout couverts d'un nombre infini de petites et menues imperfections, ils sont si hautains qu'ils ne veulent point qu'on les voye ni moins qu'on les touche, et pour peu que vous les repreniez ils se retournent pour vous mordre..

  A009001064 

 L'on n'a pas la fievre ni quelque grande maladie dangereuse, mais le corps est tellement entaché de cette lepre qu'il en est tout foible et abattu; je veux dire que l'on n'a pas de grandes imperfections et qu'on ne fait pas de grandes fautes, mais on en commet tant de petites et l'on fait tant de petits manquemens que le cœur en demeure tout langoureux et affoibli.

  A009001066 

 C'est cette parole sacrée qui ressuscite les morts; c'est en escoutant les predications que l'on reçoit de bons mouvemens, que l'on passe du peché à la grace; c'est aussi par le moyen de la lecture que le cœur est vivifié et prend tousjours nouvelle force et vigueur..

  A009001067 

 Aussi pouvons-nous dire avec verité que non seulement les pauvres sont evangelisés mais qu'ils ont evangelisé, Dieu se servant d'eux pour porter la verité par tout le monde..

  A009001067 

 Or, soit qu'il se doive [410] entendre ainsy ou autrement, c'est quasi une mesme chose; mais j'ayme mieux m'en tenir au texte de nostre Evangile et dire avec Nostre Seigneur que les pauvres sont evangelisés.

  A009001068 

 Il est vray que nostre cher Sauveur et Maistre estoit bien venu pour enseigner aux grans et petits, doctes et ignorans, neanmoins on l'a quasi tousjours trouvé parmi les pauvres et simples.

  A009001068 

 Mais l'Esprit de Dieu fait tout le contraire; il rejette les superbes et [411] converse avec les humbles, et Nostre Seigneur met cecy au nombre des miracles: Dites à Jean que les pauvres sont evangelisès..

  A009001068 

 O que l'Esprit de Dieu est different de celuy du monde qui ne fait estat que de ce qui paroist et a de l'esclat! Les anciens philosophes ne vouloyent recevoir en leurs escoles sinon ceux qui avoyent un bel esprit et un bon jugement; que s'ils ne les rencontroyent pas tels ils disoyent librement: Ce n'est pas là un tableau propre pour mon pinceau.

  A009001068 

 On ne prend playsir que d'estre parmi les beaux esprits; encores qu'ils soyent hautains, fiers et superbes, n'importe, l'esprit du monde supporte bien cela.

  A009001069 

 Mais quoy, que dites-vous, Seigneur? Comme se pourroit-il faire que vous voyant operer tant de prodiges, vous voyant exercer les oeuvres d'une si grande charité et misericorde, l'on peust se scandalizer? Je seray, dit ce Seigneur, l'opprobre des hommes et le rebut du peuple; je seray scandale aux Juifs et pierre de tresbuchement aux Gentils.

  A009001070 

 En somme, il n'y a point d'autre porte pour entrer au Ciel que l'humiliation et la mortification..

  A009001070 

 Tant d'extases, tant d'eslevations d'esprit, tant d'eslancemens et ravissemens que vous voudrez; ravissez mesme, si vous le pouvez, le cœur du Pere eternel; si avec cela vous ne demeurez en la Croix du Sauveur et ne vous exercez en la mortification de vous mesme, je vous dis que tout le reste n'est rien, qu'il s'en ira tout en fumée et vanité, et vous demeurerez vuides de tout bien, sujets et disposés à vous scandalizer avec les Juifs de la Passion de Nostre Seigneur.

  A009001071 

 Ou'ils estoyent remplis de grandes lumieres et connoissances touchant la venue de Nostre Seigneur! Qu'ils s'alloyent doucement entretenais de ces grans miracles et merveilles qu'il avoit faits en leur presence, et des choses qui leur avoyent esté racontées par les Apostres! Comme ils furent sortis, le Sauveur se tourna du costé du peuple qui l'environnoit et leur dit: Qui estes-vous allés voir au desert? Peut estre que vous y aurez veu un roseau, exposé aux orages et tempestes, ou bien un rocher immobile au milieu de la mer? (De mesme peut-on dire: Qui avez-vous veu au desert, ou en Religion? car desert signifie Religion, et la Religion n'est autre chose qu'un desert.) Donc, qui estes-vous allés voir? Peut estre y aurez-vous trouvé des roseaux? O non, saint Jean n'est point un roseau, car il est demeuré ferme comme un rocher au milieu de toutes les vagues et tempestes des tribulations..

  A009001072 

 Ainsy ils aymoient grandement saint Jean et n'avoyent pas besoin que Nostre Seigneur le louast devant eux, car il y avoit danger qu'ils ne vinssent à le surestimer au Sauveur.

  A009001072 

 La premiere, parce que ces bons disciples estoyent trop attachés à leur maistre; ils en estoyent tout en œuvre, et l'estime qu'ils en avoyent estoit si grande qu'ils l'avoyent preferé à Jesus Christ, lors qu'ils luy dirent: Toy et nous tes disciples nous jeusnons et faisons de grandes penitences, mais ce Prophete qui est parmi nous n'en fait pas.

  A009001072 

 Mais pourquoy Nostre Seigneur ne loue-t-il pas son Precurseur en la presence de ses disciples? Nos anciens Peres disent que ce fut pour deux raysons.

  A009001073 

 L'autre rayson est parce que nostre divin Maistre n'estoit point flatteur.

  A009001074 

 Mais quand ils furent partis, il dit aux Juifs: Qui estes-vous allés voir au desert? Considerez cet homme que vous avez veu, ou plustost cet ange revestu d'un corps humain.

  A009001074 

 Vous n'avez point veu un roseau, car saint Jean est tel en l'adversité qu'en la prosperité; tel dans la prison parmi les persecutions que dans le desert parmi les applaudissemens; autant joyeux en l'hiver de l'adversité qu'au printemps de la prosperité; il fait les mesmes fonctions en la prison qu'il faisoit au desert..

  A009001075 

 En fin nous sommes variables et ne sçavons ce que nous voulons.

  A009001075 

 Il faut tant d'affaires pour nous bien faire prendre une parole qui n'est pas selon nostre gré, que par apres l'on ne peut remettre ce cœur; il y faut appliquer tant d'emplastres! [414] Mon Dieu, quelle pitié, et quelle bigearrerie est la nostre! O non certes, il n'y a point d'esgalité parmi nous, et toutefois c'est l'une des choses les plus necessaires qui soyent en la vie spirituelle.

  A009001075 

 Il se trouve des personnes si bigearres qui lors que le temps est beau il n'y a rien de si joyeux, et quand il est pluvieux, rien de si triste.

  A009001076 

 Dites que vous avez veu un homme doux, charitable et zelé pour la gloire de Dieu; un vigilant pasteur, en fin un homme accompli en toutes vertus et qui s'acquittoit soigneusement de tous les devoirs de sa charge, ayant les deux portions de l'ame si bien reglées qu'il n'avoit point de haine que pour le peché ni d'amour que pour la dilection de nostre cher Sauveur..

  A009001076 

 Il estoit françois, c'est à dire il naquit en France, bien que saint Augustin le trouvast à Milan.

  A009001076 

 Mais je veux achever en disant du glorieux saint Ambroise, duquel nous commencerons cette nuit à celebrer la feste, ce que Nostre Seigneur dit de saint Jean Baptiste: Vous n'avez point veu un roseau dans le desert.

  A009001076 

 Si nous demandons à ce glorieux Saint: Tu quis es? Qui es-tu? Il nous sera sans doute respondu: Dites ce que vous avez veu et entendu.

  A009001077 

 Dites donques ce que vous avez veu et entendu; car la renommée de ce grand Saint s'estendoit par tout, de maniere que des gens doctes et bien experimentés venoyent de fort loin pour entendre sa doctrine..

  A009001077 

 Et il monstra bien que, sans avoir esgard ni à roy ni à empereur, il demeureroit ferme à exercer ce qui estoit de sa charge.

  A009001077 

 Et quand on luy representoit que c'estoit un empereur à qui il s'en prenoit, comme tesmoignoit-il par ses paroles qu'il n'avoit esgard qu'à la gloire de Dieu! Que ne dit-il pas à ceux qui, sur ce [415] sujet, luy representoyent la faute de David! Eh bien, respondoit-il, vous me parlez de la faute de David, mais vous ne m'alleguez rien de sa penitence.

  A009001077 

 Toutefois, bien que grandement doux et clement, si estoit-il fort severe à punir et reprendre ce qui estoit digne de reprehension, sans se laisser flechir par aucune consideration quelle qu'elle fust.

  A009001078 

 Que si nous voulons sçavoir quels nous sommes, il nous faut regarder quelles sont nos œuvres, reformant ce qui n'est pas bien et perfectionnant ce qui est bon, à fin qu'imitant ces deux glorieux Saints en leurs vertus, nous jouissions avec eux de la gloire là haut au Ciel.

  A009001078 

 Voyla comme il est vray que l'homme se connoist par ses œuvres.

  A009001090 

 C'est d'icelle que Lucifer se servit pour tenter nos premiers peres, d'autant qu'il se dit que l'ambition estoit la plus violente de toutes, puisqu'elle l'avoit fait tres-bucher du Ciel aux enfers.

  A009001090 

 Et comment semblables à Dieu? Oh! c'est que mangeant de ce fruit vous aurez, comme Dieu, la connoissance du bien et du mal.

  A009001090 

 Il ne leur dit pas qu'ils luy seroyent esgaux, car qui peut estre comme Dieu? C'est une chose impossible que celle là, et si le miserable eust tenté Adam et Eve en cette sorte, ils eussent facilement conneu sa tromperie, parce qu'estans encor en la justice originelle ils estoyent doués de grandes lumieres et connoissances.

  A009001090 

 Or, cette [417] ambition leur donna si avant au cœur que, presumans de participer à la science et sapience divines, ils se laisserent seduire par le tentateur et descheurent par ce moyen de la justice originelle..

  A009001090 

 S'il faut en juger par toutes sortes d'arts, mestiers et professions, nous confesserons que la premiere et plus forte tentation c'est l'ambition, l'orgueil et l'outrecuidance.

  A009001090 

 Sçachant donc ainsy par sa propre experience comme l'orgueil et l'ambition sont une puissante amorce, il en usa pour tenter nos premiers parens, leur proposant le fruit defendu avec une telle outrecuidance qu'il les asseura que s'ils en mangeoyent ils seroyent semblables à Dieu.

  A009001091 

 Les autres tiennent que la cause de leur cheute fut l'envie; car ces esprits voyans comment le Seigneur devoit creer l'homme, comme il vouloit enrichir la nature humaine et comme il se devoit communiquer à cette nature s'incarnant et s'unissant à icelle d'une union hypostatique, en sorte que ces deux natures ne feroyent qu'une personne, ils furent touchés d'envie et marris de ce que le Createur pensoit relever cette nature par dessus la leur, et se dirent: Pourquoy Dieu voulant sortir de soy mesme pour se communiquer, ne choisit-il pas plustost la nature angelique et seraphique pour faire cette communication? n'est-elle pas plus noble et excellente que l'autre? Et de là ils vindrent à estre pleins de jalousie, d'ambition et d'orgueil, et tresbucherent miserablement..

  A009001091 

 Les theologiens philosophant sur la cause de la cheute de Lucifer et des autres anges, disent que ce fut une certaine complaisance spirituelle qu'ils eurent en eux mesmes, laquelle leur causa un tel orgueil par la connoissance de la grandeur et excellence de leur nature, qu'ils voulurent avec une outrecuidance insupportable estre comme Dieu, mettre leur siege à l'esgal du sien.

  A009001092 

 Quand l'ennemy est descouvert et qu'on voit que la tentation vient d'un adversaire, on doute que la chose qu'il nous dicte ou à quoy il nous [418] sollicite soit suspecte.

  A009001092 

 Voyci donques qu'il s'esleva contre luy une tentation d'orgueil et d'ambition, la plus forte et la plus rude que l'on se puisse imaginer; car remarquez, je vous prie, qu'elle ne luy fut point presentée par l'ennemy en personne et qu'elle ne vint point immediatement de luy.

  A009001093 

 Il est tout asseuré que si Adam et Eve avoyent conneu leur tentateur ils ne se seroyent pas laissés seduire.

  A009001093 

 Mais cet esprit malin sçachant que s'il ne se couvroit lors qu'il veut donner un assaut, et s'il ne prenoit quelque masque ou figure d'amy il ne feroit jamais son coup, il use tousjours d'artifice; de là vient qu'il en seduit tant par ses ruses et tromperies.

  A009001094 

 L'homme, par son orgueil et outrecuidance, a perdu la justice originelle en laquelle il estoit creé et s'est fait un enfer ça bas en terre; car les maux que ses vices traisnent apres eux ne sont qu'un enfer, lesquels d'une peine temporelle conduisent aux eternelles..

  A009001094 

 Voyla comme nous pouvons dire que l'ambition, l'orgueil et l'outrecuidance sont descendus du Ciel dans le paradis terrestre, et du paradis terrestre dans le monde, duquel ils ont fait un enfer terrestre.

  A009001095 

 Et pourquoy? Non pour autre chose que pour sçavoir si saint Jean estoit le Christ Fils de Dieu, le Messie qu'ils attendoyent, à fin de luy rendre l'honneur qui luy estoit deu..

  A009001095 

 Or, voyci que l'une des plus fortes, subtiles et dangereuses tentations qui se puissent voir s'addresse à saint Jean, non par des ennemis, comme j'ay desja dit, ni par des gens revestus de quelque masque d'hypocrisie, mais par ses amis, envoyés à luy de Hierusalem par les princes et docteurs de la Loy.

  A009001096 

 Remarquez un peu, je vous prie, les fantasies de l'esprit humain: ils attendoyent le Messie, ils voyoient que toutes les propheties estoyent accomplies, car ils avoyent en main la Sainte Escriture; le Sauveur estoit venu et alloit parmi eux enseignant sa doctrine, faisant des miracles, et confirmant tout ce qu'il disoit par ses œuvres; neanmoins, au lieu de le reconnoistre, ils en vont chercher un autre..

  A009001097 

 Nos anciens Peres remarquent que quand ces envoyés luy dirent cette parolle: Qui es-tu? ils ne vouloyent pas seulement sçavoir qui il estoit, mais encores s'il estoit le Messie attendu; car autrement saint Jean ne leur eust pas respondu qu'il n'estoit pas le Christ, s'il n'eust creu qu'ils venoyent à fin de le reconnoistre pour tel.

  A009001099 

 C'est par luy que les demons commencerent d'estre, car avant sa cheute il n'y en avoit point..

  A009001099 

 Les Anges estans au Ciel ont recherché non pas d'estre dieux, car Lucifer estoit trop bon philosophe pour commettre une telle incongruité; il comprenoit bien qu'il ne le pouvoit, que c'estoit une chose impossible.

  A009001099 

 Son ambition n'arriva point jusques là; il sçavoit que Dieu seroit tousjours le premier et auroit quelque superintendance par dessus luy, car en somme il est Dieu et Lucifer ne pretendoit pas estre tel.

  A009001100 

 Neanmoins, entendans de ce viel serpent que s'ils venoyent à manger du fruit defendu ils seroyent semblables à Dieu, la seule proposition que leur fit Satan leur toucha le cœur en telle sorte qu'ils vindrent à s'oublier du commandement et de la defense du Seigneur.

  A009001100 

 O que l'ambition et l'orgueil sont de fortes et dangereuses amorces pour seduire l'homme et luy faire transgresser la loy de Dieu! Il est donques bien vray, comme dit le grand saint Ambroise, que qui veut entrer au combat et en la guerre contre le vice il faut necessairement qu'il soit revestu et par tout armé de l'humilité..

  A009001102 

 Combien fut grande cette tentation et combien grande aussi l'humilité avec laquelle il la repoussa! Mais remarquez, je vous prie, comme les envoyés des princes des prestres luy parlent: Nous sommes icy mandés de la part des Scribes et Pharisiens et de toute la republique pour vous dire que les propheties sont accomplies et que le temps est arrivé auquel nous doit venir le Messie.

  A009001102 

 En somme, nous croyons que vous estes le Messie promis.

  A009001102 

 Il est vray que nous voyons parmi nous beaucoup de personnes qui vivent bien et sont fort vertueuses, mais il nous faut confesser que nos yeux n'en ont point veu qui soyent semblables à vous ou desquelles nos cœurs goustent les œuvres comme nous goustons les vostres.

  A009001102 

 Que si cela est, nous vous supplions de ne point nous le dissimuler et cacher davantage, car nous sommes venus pour vous rendre l'honneur que vous meritez.

  A009001103 

 Ces Scribes et Pharisiens declarent qu'ils attendent le Messie promis, le Desiré des nations, et Celuy que Jacob nomme le Desir des collines eternelles.

  A009001103 

 Ces prestres et Levites ont donques rayson de dire que toutes les propheties sont accomplies et que le temps est venu auquel ils doivent voir Celuy qui a esté le Desiré de toutes les nations..

  A009001103 

 Je sçay bien que c'estoyent des erreurs; mais nous voyons ainsy le desir que Dieu avoit infus dans tous les cœurs de l'Incarnation de son Fils, de cette union de la nature divine avec l'humaine.

  A009001103 

 Les anciens Peres expliquans ces paroles disent qu'elles nous representent le desir que les Anges avoyent de l'Incarnation; d'autres tiennent que par icelles nous devons entendre le desir que Dieu avoit de toute eternité d'unir la nature humaine avec la divine, desir qu'il communiqua aux Anges et aux hommes, quoy qu'en differentes façons.

  A009001103 

 Les uns, tels que les Patriarches et les Prophetes, [422] le souhaittoyent ardemment, et par les souspirs qu'ils jettoyent au Ciel ils demandoyent l'Incarnation du Fils de Dieu.

  A009001103 

 Que signifie donc ce bayser sinon l'union hypostatique de la nature humaine avec la divine? Les autres le desiroyent, mais comme imperceptiblement; car de tout temps l'on a veu les hommes enclins à rechercher une Divinité, et ne pouvans se faire un Dieu humanisé, parce que cela appartenoit à Dieu seul, ils recherchoyent des inventions pour faire des deités.

  A009001104 

 Oh que l'esprit de saint Jean estoit esloigné de celuy de ce siecle! Il n'usa point de beaux discours pour respondre à ces ambassadeurs, il se contenta seulement de respondre qu'il n'estoit pas le Christ.

  A009001104 

 Or, ils demandent à saint Jean: Qui es-tu? n'es-tu point le Christ que nous attendons? Et il confessa et ne nia point qu'il ne l'estoit pas.

  A009001105 

 Hé, folie, niaiserie! Qui est celuy là? Oh qui il est? A l'entendre c'est un saint Pierre! Il a peut estre vescu quatre cents ans devant cet Apostre; et que sçay-je, telles autres sottises.

  A009001105 

 Nous faisons tout au contraire de ce que fit le glorieux saint Jean qui ne se contenta pas de rejetter celle qui ne luy appartenoit pas, ains encores il refusa celle qu'il pouvoit justement recevoir..

  A009001105 

 Quelque petit gentilhomme s'estimera estre de bon lieu, brave cavalier; on luy demandera: Qui es-tu? Il respondra ce que son imagination luy dicte: Je suis un brave seigneur, un vaillant cavalier, d'une telle mayson ou d'une telle race.

  A009001106 

 Comme donques est-ce que saint Jean estant venu en l'esprit d'Elie, peut il declarer avec verité qu'il ne l'est pas? Et il n'est pas menteur non plus qu'il ne l'eust esté s'il eust dit estre Elie.

  A009001106 

 Il sçavoit qu'il estoit escrit qu'avant le jour du Seigneur un grand Prophete, un excellent homme nommé Elie s'esleveroit parmi le peuple, qu'il viendroit l'enseigner et le disposer à l'avenement du souverain Juge; il vit donques que s'il disoit estre Elie ils pourroyent le prendre pour le Messie promis, voyla pourquoy il le nia et respondit: Je ne le suis pas.

  A009001106 

 O merveilleuse humilité que celle cy! [424] Il ne rejette pas seulement ce qui ne luy appartient pas (c'est le premier degré de l'humilité de ne vouloir point admettre ni moins rechercher d'estre tenu et estimé pour ce que l'on n'est pas), mais passant plus outre et trouvant une façon de parler en laquelle sans faire tort à la verité il pouvoit encores repousser l'honneur qui luy appartenoit, il le fit promptement, sans disputer ni se servir de beaucoup de discours; ains franchement et librement il dit: Non, je ne le suis pas.

  A009001107 

 Mais comment saint Jean pouvoit-il faire cette troisiesme negation avec verité, luy qui estoit non seulement Prophete, ains plus que Prophete? Nostre Seigneur le dit tout haut de sa propre bouche au peuple Juif; comme donques ose-t-il affirmer: Non sum, je ne le suis pas? Tous les anciens Peres, admirans les trois negations de ce glorieux Saint, s'estonnent de celle-cy et disent que ce fut en icelle que saint Jean alla aux dernieres extremités, et que pour peu qu'il eust passé plus avant, il eust menti: neanmoins il ne le fit pas..

  A009001108 

 Je sçay bien qu'il y a diverses opinions sur cecy, à sçavoir, qui seroit ce grand personnage; mais la plus commune estoit qu'iceluy ne seroit autre que le Fils de Dieu.

  A009001108 

 Mais comment pouvoit-il asseurer n'estre pas Prophete, sçachant bien qu'il l'estoit et que Dieu mesme l'avoit declaré? Voyez-vous, il estoit encor promis en la Loy au peuple Juif qu' un grand Prophete luy seroit envoyé.

  A009001108 

 Mais parce que en toutes vos demandes vous visez à un mesme but, qui est de me reconnoistre pour le Messie promis, je vous dis que je ne suis ni le Christ, ni Elie, ni Prophete.

  A009001108 

 Saint Jean, s'appercevant qu'on ne luy demandoit pas simplement s'il estoit Prophete, et que s'il disoit qu'il l'estoit ils le croiroyent ce grand Prophete promis et le reconnoistroyent pour tel, il le nia, voyant que sans mentir il pouvoit encores respondre qu'il ne l'estoit pas.

  A009001108 

 [425] Comme s'il eust voulu dire: Si vous me demandiez seulement qui je suis, je vous respondrois simplement; si vous vouliez sçavoir si je suis un simple Prophete, je vous advouerois franchement que je le suis, et mesme que je suis envoyé pour preparer les voyes au Messie.

  A009001109 

 Et il n'y a point de doute que l'on peut parler sans aucune crainte de mentir avec cet artifice et prudente dissimulation; les theologiens sont tous d'accord sur ce sujet..

  A009001109 

 Neanmoins voyant qu'en ce sens que nous avons dit, il pouvoit asseurer qu'il ne l'estoit pas, pour eviter l'honneur qu'on luy vouloit rendre, honneur qui devoit estre deferé à Dieu seul, il respondit: Je ne le suis pas.

  A009001109 

 Voyla donques comme saint Jean rembarra cette tentation d'orgueil et d'ambition, et comme l'humilité luy donna des inventions admirables pour ne point admettre ni recevoir l'honneur qu'on luy vouloit rendre, dissimulant et niant d'estre ce que veritablement il estoit; car il n'y a point de doute qu'il ne fust Elie et Prophete, voire plus que Prophete, Dieu l'ayant declaré luy mesme.

  A009001110 

 Hé, folie! vous vous moquez du monde en disant cela; comme si Dieu pouvoit estre honnoré par le peché! Non, cela n'est pas; il ne faut jamais mentir pour honnorer Dieu, et c'est une sottise et grande ignorance que celle là.

  A009001110 

 Mais plusieurs ayans mal entendu cecy, s'en sont servi, et n'ont point pensé mentir en disant beaucoup de choses fort esloignées de la verité; et mesme il en est qui sont arrivés jusques là que de croire qu'ils pouvoyent proferer des menteries quand il s'agissoit de la gloire de Dieu.

  A009001110 

 Oh, respondent-ils, il est vray, mais c'est pour honnorer Dieu que j'ay dit un tel mensonge.

  A009001110 

 Regardez, saint Jean n'a pas agi ainsy, car il pouvoit avec verité respondre comme il fit, ainsy que je vous l'ay monstré.

  A009001111 

 A la verité, les ambassadeurs ont besoin de patience, et c'est une grande vertu que celle cy, laquelle est du tout necessaire non seulement aux ambassadeurs mais à tous les Chrestiens; aussi j'ay accoustumé de dire que la patience est la vraye vertu des Chrestiens..

  A009001111 

 Or ces ambassadeurs tout estonnés repartirent: Si tu n'es pas le Christ, ni Elie, ni Prophete, pourquoy est-ce que tu baptises, pourquoy as-tu des disciples et fais-tu des œuvres si merveilleuses? En quel esprit les fais-tu? Certes, tu as beau te cacher et dissimuler, tes œuvres nous font bien voir que tu es quelque chose de grand, c'est pourquoy dis-le-nous, à fin que nous sçachions ce que nous rapporterons à ceux qui nous ont envoyés.

  A009001112 

 (La langue hebraïque est certes admirable, elle est toute divine; c'est celle cy que Nostre Seigneur parloit quand il estoit en ce monde, et selon quelques Docteurs, c'est celle que les Bienheureux parlent là haut au Ciel. Les phrases hebraïques ont tousjours une merveilleuse grace en tout ce qu'elles expriment.) Il confessa et ne le nia pas.

  A009001113 

 A ce propos, je diray ces deux mots de la confession, bien que je l'aye touché d'autres fois en d'autres eglises; mais peut estre que ceux qui m'entendoyent ne sont pas icy et que quelques uns sont morts du despuis.

  A009001113 

 Et voyla comme nous nions estre coulpables de la faute que nous accusons..

  A009001113 

 Que veux-je dire, sinon que plusieurs se vont confesser de leurs defauts, mais en telle sorte qu'en s'accusant ils s'excusent, disant plusieurs parolles pour monstrer que si bien ils ont fait la faute qu'ils advouent, ils ont eu rayson de la faire.

  A009001113 

 Voyez-vous pas qu'en confessant vostre faute vous la niez? Dites donques: Ç'a esté par ma malice, par mon impatience et mauvais naturel, ou en suite de mes passions et inclinations mal mortifiées que j'ay commis telle et telle faute.

  A009001114 

 Il n'en faut pas faire ainsy, ains il se faut confesser clairement et nettement, mettant la faute dessus nous, nous tenans pour vrayement coulpables, sans nous mettre en souci de ce que l'on dira ou pensera.

  A009001114 

 Mais avant que de faire ou aller au lieu qui leur est marqué elles feront mille retours et regards.

  A009001114 

 Sans se soucier que l'on diroit ou penseroit, il est allé droitement devant Dieu, et n'a point fait comme ceux qui vont et ne vont pas.

  A009001114 

 Voyla ce que je suis, devons-nous dire.

  A009001115 

 O noble vertu d'humilité tant necessaire à l'homme en cette basse terre! Ce n'est pas sans rayson qu'on dit [428] qu'elle est la base de toutes les vertus, car sans elle il n'y en a point; et bien qu'elle ne soit pas la premiere, la charité et l'amour de Dieu la surpassant en dignité et excellence, si est-ce que la charité a une telle convenance et sympathie avec l'humilité, qu'elles ne vont jamais l'une sans l'autre..

  A009001116 

 C'est elle qui prepare les voyes; c'est une voix qui crie: Applanissez le chemin du Seigneur; et tout ainsy que Jean Baptiste vint devant le Messie, il faut aussi que l'humilité vienne vuider les cœurs pour puis apres recevoir la charité, car elle ne pourra jamais demeurer en une ame que l'humilité ne luy aye premierement preparé le logis..

  A009001116 

 Il rapporte donques que plusieurs de ces bons Religieux estans assemblés et parlans les uns avec les autres (c'estoit une conference spirituelle, un entretien familier), l'un d'eux louoit hautement l'obeissance, un autre la charité, un troisiesme la patience.

  A009001116 

 Je vous raconteray à ce propos, puisqu'il fait à mon sujet, un beau trait que j'ay leu avec playsir ès Vies des Peres tout fraischement imprimées; l'autheur les a recueillies fort curieusement et soigneusement.

  A009001116 

 L'un d'entre eux ayant ouy ce que tous ses freres alleguoyent sur les vertus, dit: Pour moy, il me semble que l'humilité est la premiere de toutes et la plus necessaire; et il fit cette comparaison qui revient bien à mon propos.

  A009001117 

 Comme s'il vouloit dire: O pauvres gens, que vous estes bien trompés en moy! Vous pensez que je suis le Messie parce que je suis tout nud, c'est à dire que je ne suis pas vestu comme les autres hommes, mon vestement estant tissu de poils de chameaux.

  A009001117 

 Je ne mange point de pain ni de viande, et ne me nourris que de sauterelles et du miel sauvage que les avettes m'apportent; je ne bois point de vin, je n'ay point de mayson, ains j'habite clans le desert avec les bestes; je suis sur le fleuve Jourdain, baptizant avec de l'eau et preschant la penitence, et pour cela vous croyez que je suis le Messie.

  A009001117 

 Or je vous dis que je ne le suis pas, mais seulement la voix de celuy qui crie au desert.

  A009001117 

 Vous voulez sçavoir qui je suis: je vous dis que je ne suis rien qu'une voix.

  A009001118 

 Hé bien, c'est ce que je suis et rien davantage.

  A009001118 

 Mais comment saint Jean se pouvoit-il plus abaisser que de dire qu'il n'estoit qu'une voix? car la voix n'est qu'une fumée, qu'une exhalaison qui s'en va en l'air mener quelque peu de bruit et puis disparoist.

  A009001118 

 Mais à mesure qu'il s'abaisse, Dieu l'exalte et crie tout haut qu' il est Prophete et plus que Prophete; il l'appelle encores Ange, disant: Voicy que j'envoye mon Ange, et iceluy preparera ta voye.

  A009001118 

 Si vous allez clans ce desert, vous trouverez des echos parmi ces rochers; que si vous parlez ils vous respondront, d'autant que vos voix entrans dans la concavité de la montagne il s'y forme une parole semblable à la vostre.

  A009001118 

 Vous croyez que je suis le Messie, et moy je vous proteste que je ne suis pas mesme homme, ains moins qu'homme, car je ne suis qu'une simple voix.

  A009001119 

 C'est ce que vostre glorieuse Maistresse nostre Dame et Mere a chanté en son divin cantique: Deposuit, etc. Ceux qui s'exaltent seront humiliés; ceux qui veulent mettre leur siege sur les nuées seront rabaissés, et les pauvres qui s'abaissent et humilient seront exaltés.

  A009001119 

 Certes, c'est de tout temps que la divine Sapience a regardé les humbles de bon œil, qu'elle a humilié ceux qui s'exaltent et rehaussé ceux qui s'humilient.

  A009001119 

 Elles veulent se preferer à tous, s'estiment plus doctes, plus sçavantes que nul autre et leur semble qu'elles n'ont point besoin de maistre; cependant telles gens sont pour l'ordinaire grandement ignorans, mais on ne leur oseroit dire, car ils presument d'eux mesmes à merveille.

  A009001120 

 Il ne doit pas seulement estre regardé des prelats et predicateurs, mais encores des Religieux et Religieuses qui doivent considerer son humilité et mortification pour estre, à son exemple, des voix les uns parmi les autres, criant que l'on prepare les voyes et que l'on applanisse le chemin du Seigneur, à ce que, le recevant en cette vie, nous jouissions de luy en l'autre, où nous conduisent le Pere et le Fils et le Saint Esprit.

  A009001137 

 C'est ce que disoit le grand Apostre saint Paul aux Corinthiens.

  A009001137 

 Comme s'il disoit: Vous voulez sçavoir qui je suis? Je ne suis que la voix de celuy qui crie au desert, c'est à [432] dire, je ne suis pas celuy qui crie, mais seulement la voix de celuy qui crie.

  A009001137 

 Humilité grande, à la verité, qui ne peut mieux estre exprimée que par ces paroles de saint Jean l'Evangeliste: Il confessa et ne nia point qu'il n'estoit pas le Christ.

  A009001137 

 Le glorieux saint Jean, ainsy que je vous le monstray Dimanche, donna suffisamment et excellemment des preuves et tesmoignages de son humilité lors qu'il fut enquis s'il estoit le Christ, Elie ou Prophete; car sçachant que Moyse parlant de la venue de Nostre Seigneur dit qu'il devoit venir un grand Prophete, et voyant que les Juifs croyoient que ce fust luy qui estoit promis, il advoua franchement: Non sum, je ne le suis pas.

  A009001137 

 Ne recevez point mes paroles comme paroles d'homme, mais comme paroles de Dieu, car je vous dis en verité que ce n'est point moy qui enseigne, ains Dieu par moy..

  A009001137 

 Pensez-vous, leur escrivoit-il, que ce soit moy qui vous parle? Oh non, mais c'est Dieu qui vous parle par ma bouche.

  A009001138 

 Comme s'il disoit: Ce n'est pas moy qui crie en ce desert: Faites penitence, ains c'est Dieu qui le vous dit par moy, et je ne suis que la voix, la trompette par laquelle il vous donne à entendre comment vous vous devez preparer à faire penitence et vous disposer à sa venue.

  A009001138 

 Mais parce que je crie et presche en ce desert, vous voulez sçavoir qui je suis: je vous proteste que je ne suis que la voix de Celuy qui crie.

  A009001138 

 Voyla ce que je suis; vous devez donc escouter mes paroles non comme miennes mais comme de Dieu qui vous parle par ma bouche, car je suis la voix de Celuy qui crie au desert.

  A009001140 

 Et notez icy (je le diray en passant), que personne ne peut estre receu en dignité et prelature si la sacrée parole ne tombe sur luy, c'est à sçavoir s'il n'est choisi et esleu de Dieu.

  A009001141 

 C'est en ce sens que se doivent entendre ces mots de l'Evangile: La parole du Seigneur est tombée sur Jean, fils de Zacharie, lequel fut choisi par la divine Sapience pour estre le Precurseur de nostre divin Sauveur.

  A009001141 

 Nous sommes enseignés par là que lors que Dieu depart quelque charge à ceux qu'il a choisis pour son service, comme sont les predicateurs, ils doivent soigneusement s'appliquer à leur devoir et communiquer aux autres ce qu'ils ont receu et ce que Dieu leur a donné pour ce sujet.

  A009001141 

 Secondement, cette parole signifie que le Seigneur luy donna un office auquel il devoit travailler pour les autres en leur annonçant la penitence.

  A009001142 

 Car qu'eust-il servi aux Israëlites que Dieu leur eust envoyé la manne au desert pour leur nourriture, s'ils ne l'eussent point voulu recueillir et ramasser? Et que leur eust-il profité de la recueillir s'ils ne l'eussent point voulu manger pour s'en substanter? Certes, quand la divine Providence fit tomber la manne du ciel elle obligea les enfans d'Israël à se lever le matin pour l'aller recueillir avant que le soleil parust; et non seulement cela, mais encores de la manger et avaler pour en estre nourris et substantés.

  A009001142 

 Et pour ce faire, il est necessaire de bien mascher et digerer ce que l'on a ouy et recueilli, et tascher d'en faire une bonne digestion.

  A009001142 

 Je viens icy pour vous prescher, mais si je suis obligé de vous apporter la divine parole, [434] vous l'estes par consequent de l'escouter, et non seulement cela, ains encores de bien entendre et prattiquer ce que l'on vous enseigne.

  A009001142 

 Mais comme il estoit obligé de crier que l'on preparast les voyes, que l'on applanist les sentiers et les chemins du Seigneur, le peuple auquel il s'addressoit estoit de mesme obligé de l'ouyr, de recevoir le baptesme qu'il luy presentoit et de faire ce qu'il luy disoit; car si le predicateur a le devoir de vous prescher, vous avez aussi celuy de l'escouter et de bien recevoir ce qu'il vous annonce de la part de Dieu.

  A009001143 

 Donques, si cela est, comment osons-nous remettre l'execution et la prattique de ce que nous avons ouy qui doit servir à nostre conversion, puisque de ce moment auquel nous entendons ce qui est propre à nostre amendement depend toute nostre vie? Voyla la premiere rayson pour laquelle nous ne profitons pas des choses qui nous sont dites et enseignées..

  A009001143 

 Hé, pauvres gens que nous sommes, ne voyons-nous pas bien que ces remises sont la cause de nostre mort et de nostre ruine, et que nostre bien consiste en ce jourd'huy? La vie de l'homme est ce jourd'huy auquel il vit; car qui se peut promettre qu'il vivra jusques au lendemain? O certes, personne quel qu'il soit.

  A009001143 

 La premiere est que si bien on lescoute et on en est interieurement touché, l'on en differe l'execution jusques au lendemain.

  A009001143 

 Nostre vie consiste en ce jourd'huy, en ce moment que nous vivons, et nous ne nous en pouvons promettre ni asseurer d'autre que celuy dont nous jouissons, pour brief qu'il puisse estre.

  A009001144 

 Hé, pauvres gens, que voulez-vous faire de tout cela? Oh, nous voulons user de prevoyance, nous le trouverons à nostre besoin; quand nous serons vieux nous nous en sçaurons bien servir.

  A009001144 

 La seconde est une avarice spirituelle qui fait que l'on recherche et procure de sçavoir beaucoup, qu'on est soigneux de faire un grand amas de choses de devotion.

  A009001144 

 O Dieu, ne sçavez-vous pas que Nostre Seigneur voulant esloigner l'avarice et toute sollicitude du cœur de ses disciples, leur commanda de vivre au jour la journée et de n'avoir point souci du lendemain?.

  A009001145 

 Certes, entre les ordonnances que Dieu fit aux enfans d'Israël il leur enjoignit de ne recueillir qu'une mesure de manne, à sçavoir ce qui estoit suffisant pour la prebende et portion d'un chacun.

  A009001145 

 Et quels sont ces vers sinon les vifs et puissans remords de conscience qui piqueront et rongeront l'ame au souvenir et à la veue de tant de moyens et d'occasions qu'on a eus de servir Dieu? Quels remords de conscience aura-t-on à l'heure de la mort, voyant le nombre de documens, advis et instructions qui nous ont esté donnés [436] pour nostre perfection! Ce seront les plus grandes douleurs que l'on ressentira que celles cy.

  A009001145 

 Il est vray que dans les viandes qui sont gardées il s'y engendre des vers, et pour moy je crois que les vers qui rongent les consciences des damnés ne sont point les moindres, ains les plus grandes peines qu'ils souffrent.

  A009001145 

 Je vous l'expliqueray le plus familierement qu'il me sera possible; mais pour ce faire il faut que briefvement je vous en rapporte l'histoire..

  A009001145 

 Mais outre cela, il commanda qu'aucun n'en gardast pour le lendemain et que pas un n'en recueillist plus qu'il n'estoit marqué à dessein d'en faire provision, car il s'y engendreroit des vers et elle tourneroit à corruption.

  A009001145 

 Vivez au jour la journée, mangez ce que l'on vous donne et vous en nourrissez bien par les prattiques que vous en ferez, et laissez le soin du reste à la divine Providence, car elle vous pourvoira assez selon vostre besoin; usez bien seulement de ce qui vous est donné et soyez libres de tout autre souci.

  A009001146 

 C'est une chose merveilleusement suave que de lire les escrits de ce saint Prophete; ses paroles sont toutes emmiellées et fluides, et accompagnées d'une science incomparable; dès son premier chapitre on descouvre un style admirable, et certes, c'est un fleuve et torrent d'eloquence..

  A009001146 

 Du temps que Tibere Cesar estoit Empereur, qu'Herode estoit roy de la Galilée, que Ponce Pilate presidoit en Hierusalem, qu'Anne et Caïphe estoyent princes des prestres et siegeoyent dans la chaire de Moyse, Dieu envoya son Prophete lequel fut sa voix qui crioit au desert: Applanissez le chemin du Seigneur, faites penitence, car le salut est proche.

  A009001147 

 Ce que voyant par avance, le Prophete Isaïe, avec une divine poesie, entonna ces belles paroles: Consolamini, consolamini.

  A009001147 

 Et pour cela, disoit ce grand Prophete, applanissez vos voyes, redressez vos chemins, à fin que Cyrus ramenant le peuple en la terre de promission ne trouve point de [437] tortuosités.

  A009001147 

 Lors donc que le peuple d'Israël fut mené en servitude par les Gentils et envoyé prisonnier parmi les Persans et Medes, le bon Cyrus, apres une longue captivité, se resolut de le retirer de cette servitude et le ramener en la terre de promission.

  A009001147 

 O peuple d'Israël, consolez-vous, mais je vous dis encor une fois que vous vous consoliez, et d'une consolation qui ne sera point vaine ni inutile, sur ces paroles que je vous fais entendre: Parce que sa malice et meschanceté est arrivée à son comble, ses iniquités luy seront pardonnées.

  A009001147 

 Que veut-il signifier? pourquoy le Prophete dit-il que Dieu pardonnera au peuple d'Israël pour ce qu'ils sont venus au comble de leur malice?.

  A009001148 

 Les anciens Peres enseignent que ces parolles se doivent entendre en cette sorte: Lors qu'ils sont au plus fort de leurs travaux et afflictions, qu'ils sentent le plus le faix de leurs iniquités en cet esclavage et servitude, apres les avoir punis de leur meschanceté par ce fleau de tribulations, je les ay regardés et en ay eu compassion; et au comble de leur malice, c'est à sçavoir au plus mauvais de leurs journées, je me suis contenté de ce qu'ils ont souffert pour leurs pechés, et à cause de cela leurs iniquités leur seront pardonnées.

  A009001148 

 Que veut-il entendre par ces paroles sinon: Mes jours, c'est à dire ces jours que je vis, sont courts, car ils ne font que passer; ils ne sont rien qu' une ombre, c'en est aussi tost fait; mais ils sont mauvais parce qu'ils sont chargés et suivis de tant de travaux que cette vie presente apporte avec soy, qu'encores qu'ils soyent courts ils ne laissent d'estre pleins de malice.

  A009001149 

 Une autre façon d'entendre ces paroles: Parce que leur malice est venue à son comble leurs iniquités leur seront pardonnées, est celle-cy: Lors qu'ils sont venus au comble, au midy, au plus haut point de leur meschanceté et ingratitude, lors qu'il semble qu'ils n'ayent aucune souvenance de leur Dieu ni plus de memoire de ses bienfaits, leurs iniquités leur seront pardonnées; c'est à dire, en ce temps là auquel ils meriteroyent d'estre precipités, Dieu leur pardonnera et ne se souviendra plus de leur meschanceté.

  A009001150 

 A la verité, ce sont de grans effects de la bonté de Dieu de departir ses graces à ses creatures, de leur pardonner continuellement les fautes qui journellement sont commises contre luy et de recompenser de si petits services par de si grandes faveurs; de sorte que celuy qui correspond à la premiere grace se dispose à recevoir la seconde, et correspondant à la seconde il se prepare à obtenir la troisiesme, puis de la troisiesme à une quatriesme, et ainsy consecutivement, selon le dire de la theologie scholastique, qui est tres veritable.

  A009001150 

 Car les theologiens enseignent que Dieu ne manque jamais de son costé; que si l'ame est fidelle à correspondre aux premieres graces elle se dispose à recevoir les secondes, troisiesmes et quatriesmes, et par cette correspondance elle se rendra digne de participer à de grans biens et d'obtenir de signalées faveurs.

  A009001151 

 En somme, le monde estoit arrivé au plus haut point de sa malice; [439] et ce fut alors que Dieu vint pour le racheter et nous delivrer de la tyrannie du peché et servitude de nostre ennemy, sans estre esmeu à ce faire que par son immense bonté qui le porta à se communiquer en cette sorte..

  A009001151 

 Lors qu'il vint en ce monde c'estoit au temps où les hommes estoyent au plus fort de leur malice, lors que les Juifs vivoyent sans roy et que les lois estoyent entre les mains d'Anne et Caïphe, hommes meschans, lors que Herode regnoit et que Ponce Pilate presidoit; ils n'avoyent point de prestres, du moins ceux qu'ils avoyent ne valoyent rien, c'estoyent de mauvaises gens que tous ces miserables là.

  A009001151 

 Mais quand, outre ce que dessus, sa Providence a voulu faire des esclats plus grans de cette misericorde, ç'a esté une chose admirable, car il n'a voulu qu'aucun motif l'induisist à ce faire; ains, sans estre poussé d'autre cause que de sa seule bonté, il s'est communiqué en une façon du tout merveilleuse.

  A009001152 

 Ce fut alors que Nostre Seigneur contrepointa sa meschanceté et ingratitude par une debonnaireté et misericorde infinie, le touchant et luy pardonnant toutes ses iniquités au temps mesme où il l'avoit le plus demerité.

  A009001152 

 Quand est-ce qu'il pardonna à saint Paul? Lors qu'il estoit au comble de sa malice, ses iniquités luy furent pardonnées; car chacun sçait qu'au temps de sa conversion cet Apostre estoit en sa plus grande haine et furie contre Jesus Christ, si que, ne pouvant assouvir sa rage contre luy, il tournoit son courroux sur l'Eglise, mais avec une telle fureur qu'il en escumoit comme un fol et forcené lequel est hors de soy mesme.

  A009001153 

 Helas, son peché eust esté en quelque façon excusable s'il l'eust commis en gardant ses brebis, quand il estoit berger; mais que David aye tant offensé Dieu apres en avoir receu des graces si singulieres, apres tant de clartés, de lumieres et de faveurs, luy qui estoit selon le cœur de [440] Dieu, par lequel il avoit fait tant de merveilles et prodiges, luy qui avoit tousjours esté nourri dans le sein de la douce clemence et misericorde divine, soit venu jusques là que de commettre de si grans forfaits et qu'il soit demeuré un an entier sans en avoir la connoissance, o certes, c'est une chose qui estonne grandement..

  A009001153 

 Lors que les pecheurs sont le plus endurcis en leurs pechés, qu'ils sont venus à un tel point qu'ils vivent comme s'il n'y avoit pas de Dieu, de Paradis ni d'enfer, c'est alors que le Seigneur leur descouvre les entrailles de sa pitié et douce misericorde.

  A009001154 

 C'est chose admirable que l'esprit humain ne veuille point qu'on voye ses fautes, en sorte que quand il en a fait il les pense couvrir en commettant de plus oriefves.

  A009001154 

 David s'essaya de faire enivrer le bon Urie, et en cette faute il y avoit encores plus de malice que dans la premiere.

  A009001154 

 Mais n'ayant pas bien reussi en son dessein, car Urie estoit un honneste homme, brave cavalier qui ne pouvoit estre surpris en un tel vice, il s'avisa et resolut, pour cacher cette faute, d'en commettre une troisiesme plus griefve que les deux premieres, c'est à dire de le faire perdre.

  A009001154 

 Quoy que ce lieutenant fust bon, il se crut obligé d'obeir aux commandemens du Roy, et il fit ce qu'il desiroit, soit en une façon soit en l'autre.

  A009001155 

 Mais quel changement, quelle metamorphose fut cette conversion, car ce grand Roy reconnoissant sa faute, ne fit que gemir et deplorer son aveuglement; l'on n'entendoit sortir de sa bouche que des peccavi, et criant misericorde au Seigneur il alloit tousjours disant: Miserere mei, Deus.

  A009001155 

 Quel plus grand esclat voudriez-vous de la divine misericorde? car alors que David estoit au comble de sa malice, Dieu luy pardonna ses iniquités.

  A009001156 

 Certes, il est vray que la meilleure disposition pour l'avenement du Sauveur c'est de faire penitence; il faut tous passer par là, et comme nous sommes tous pecheurs, aussi avons-nous tous besoin de cette penitence.

  A009001156 

 Puisque le Seigneur est proche que faut-il faire pour se preparer à cet avenement? Saint Jean le nous enseigne en ses predications, disant: Faites penitence, car le Seigneur est proche.

  A009001156 

 Quant à ce qu'il adjouste: Preparez les voyes, applanissez les chemins, bien que ces parolles ayent esté prononcées au sujet du grand Cyrus qui devoit ramener les Israelites de la captivité en la terre de promission, si est-ce que le principal but du Prophete estoit de parler de l'avenement de Nostre Seigneur.

  A009001156 

 Saint Jean donques preschant la penitence et annonçant au peuple que le Sauveur estoit proche, se sert de ces parolles mesmes du Prophete: Je suis, dit-il, la voix de celuy qui crie au desert: Applanissez le chemin du Seigneur.

  A009001157 

 Applanissez, dit-il, le chemin du Seigneur, remplissez les vallées, abaissez les monts et les collines, d'autant qu'ils font bien de la peine aux voyageurs, ainsy que les fossés et vallées.

  A009001157 

 Il en prend tout de mesme en l'exercice de nostre vie, où il y a tant de monts, de vallées et de tortuosités; tout cela ne peut estre redressé que par la penitence.

  A009001158 

 Les vallées que le glorieux saint Jean veut que l'on remplisse ne sont autres que la crainte, laquelle, quand elle est trop grande, nous porte au descouragement par les regards sur les pechés commis.

  A009001158 

 Remplissez les vallées, c'est à sçavoir, remplissez vos cœurs de confiance et d'esperance parce que le salut est proche.

  A009001159 

 Crains, mais espere; crains, de peur que tu ne deviennes superbe et orgueilleuse, mais espere, de peur que tu ne tombes au descouragement et desespoir.

  A009001159 

 La bonne sainte Thaïs (il faut que je vous die cecy parce que je viens de m'en souvenir et qu'il fait à mon propos), s'addressant un jour à saint Paphnuce luy dit: Hé, mon Pere, que dois-je faire? le souvenir de ma miserable vie m'espouvante.

  A009001159 

 La crainte et l'esperance ne doivent point estre l'une sans l'autre, d'autant que si [443] la crainte n'est accompagnée d'esperance elle n'est pas crainte ains desespoir, et l'esperance sans la crainte est presomption.

  A009001160 

 Il disoit asseurement: Seigneur, je te rends graces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes: je paye les dismes, je jeusne tant de fois la semaine, et autres choses semblables qu'il alleguoit.

  A009001160 

 J'aurois encores à dire plusieurs choses sur ce sujet, mais je me contenteray de ce que je vous en ay touché, qui suffira pour ce coup..

  A009001161 

 Qu'est-ce que cela sinon une grande presomption de la part de ces ames qui prennent occasion de la bonté divine pour croupir dans leurs pechés? Hé! ne sçavent-elles pas qu'encores que Dieu soit infiniment misericordieux, aussi est-il infiniment juste, et que quand sa misericorde est irritée elle provoque sa justice?.

  A009001161 

 Tout ainsy que le marinier, quand il conduit sa nacelle a tousjours l'œil sur l'aiguille marine, et que ceux qui conduisent ces petites barques tiennent tousjours le timon, de mesme devons-nous avoir sans cesse l'œil ouvert pour embrasser les actes de la penitence et pour nous y exercer.

  A009001162 

 Mon Dieu, que c'est une chose merveilleusement suave que de considerer la vie de nostre cher Sauveur et Maistre, car l'on y voit reluire cette parfaite esgalité parmi tant de divers accidens! Certes, personne ne l'a eue en telle perfection que luy et la sacrée Vierge nostre Mere, qui seule, apres son Fils, a esté sans peché.

  A009001163 

 En somme, qu'est-ce que l'on voit parmi nous? Rien autre chose que bigearrerie et inesgalité..

  A009001163 

 O Dieu, que ce seroit une chose amiable et suave de voir en un homme cette esgalité d'humeur! Nous en sommes tant esloignés, nous sommes si variables et inconstans! L'on trouvera des personnes qui estans de bonne humeur sont encores d'une conversation aggreable; mais tournez la main, vous les trouverez chagrines et inquietes.

  A009001163 

 Tel aura maintenant le cœur en douceur, mais pour peu que vous attendiez il sera aigre et aspre.

  A009001164 

 Ce sont les chemins que nous devons redresser pour l'avenement de Nostre Seigneur; et pour le bien faire, il nous faut aller à l'escole du glorieux saint Jean Baptiste, et nous mettre, ou plustost le prier de nous recevoir, au nombre de ses disciples; car voyez-vous, ce grand Saint les envoya au Sauveur pour estre instruits de luy, il les remit entre ses mains et Nostre Seigneur les garda, car apres la mort de saint Jean ils furent ses disciples.

  A009001169 

 De là vient que lors qu'on considere ces mysteres l'on fait souvent des erreurs; car, comme pouvons-nous mediter ce que nous ne connoissons pas? C'est pour cela qu'en ces maysons l'on enseigne le catechisme aux novices, à ce qu'elles sçachent ce qu'elles doivent croire et comme elles doivent entendre ce qu'elles meditent.

  A009001169 

 Je ne parleray pas doctement en ce lieu du mystere de l'Incarnation, ains tout simplement à fin que l'on me puisse facilement comprendre.

  A009001169 

 Pour ce faire, je diviseray mon discours en trois points: au premier nous verrons qui a fait le mystere de l'Incarnation; au second, [447] que c'est que l'Incarnation; au troisiesme, pourquoy l'Incarnation a esté faite..

  A009001170 

 Et, bien que la tres sainte Trinité soit intervenue en ce mystere, neanmoins il n'y a que la seconde Personne qui se soit incarnée.

  A009001170 

 Premierement, nous sçavons que c'est le Pere qui nous a donné son Fils, car nous lisons que Dieu a tant aymé le monde qu'il luy a donné son Fils unique.

  A009001171 

 C'est ainsy que nous pouvons entendre comment les trois Personnes de la tres sainte Trinité se sont aydées au mystere de l'Incarnation, quoy qu'il n'y ait eu que le Fils qui se soit revestu de nostre nature.

  A009001171 

 Et combien que l'on attribue la puissance au Pere, la sapience au Fils et la bonté au Saint Esprit, neanmoins le Pere n'est pas luy seul tout puissant, ains le Fils et le Saint Esprit le sont aussi.

  A009001171 

 L'on nomme encores la premiere Personne, qui est le Pere, Seigneur et «Createur du ciel et de la terre;» ce n'est pas à dire pour cela que le Fils et le Saint Esprit ne soyent aussi bien createurs que le Pere, puisqu'ils n'ont tous trois qu'une mesme puissance avec laquelle ils ont fait et creé toutes choses.

  A009001171 

 Mais encores que les autres l'habillent, il ne laisse pas pourtant de faire quelque chose, il remue les bras et les mains pour s'ayder; cependant, de ces trois personnes il ne demeure que le prince d'habillé.

  A009001171 

 Or, quand on vous demandera qui a fait ce grand mystere, vous respondrez que c'est la tres sainte Trinité, mais qu'il n'y a que la seconde Personne qui ayt pris nostre humanité..

  A009001171 

 Tout ce que cette adorable Trinité opere hors de soy se doit attribuer aux trois Personnes divines, car ce que fait le Pere, le Fils et le Saint Esprit le font aussi, [448] d'autant que bien qu'ils soyent trois Personnes ils ne sont toutefois qu'un seul Dieu, n'ayant qu'une mesme sapience, puissance et bonté.

  A009001171 

 Voyla un prince que l'on habille de sa pourpre ou robe royale.

  A009001172 

 C'est de part et d'autre le mesme Dieu homme [449] qui estoit dans les entrailles de la Vierge; de sorte que la manne, qui a esté figure du Sacrement de l'Eucharistie, le sera aussi bien du mystere de l'Incarnation.

  A009001172 

 Je sçay bien que c'estoit aussi une figure de l'Eucharistie, ainsy que le disent nos anciens Peres; cependant, entre ce mystere et celuy de l'Incarnation il n'y a que cette difference, qu'en la Nativité l'on voit Dieu incarné en sa propre personne, et en l'Eucharistie nous le voyons en une forme plus couverte et en une façon plus obscure.

  A009001172 

 Le second point est: Qu'est-ce que l'Incarnation? Ce n'est autre chose que l'union hypostatique de la nature humaine avec la divine, union si estroitte que bien qu'il y ayt deux natures en ce petit Enfant qui va naistre, elles ne font qu'une personne.

  A009001172 

 Or, que cela soit ainsy ou, comme d'autres tiennent, que Dieu la fist luy mesme sans se servir de l'ayde d'aucune creature, l'une et l'autre opinion se peut bien appliquer au mystere de l'Incarnation; car en iceluy Dieu se servit de l'Ange Gabriel pour annoncer ce mystere à Nostre Dame, et d'autre part ce ne furent point les Anges qui firent cette oeuvre admirable, mais la tres sainte Trinité seule, sans le concours d'aucune creature..

  A009001173 

 Le miel ne vient point de la terre ains du ciel; c'est une liqueur qui tombe sur les fleurs, et quand il tombe dans quelque belle fleur il s'y conserve merveilleusement bien, en sorte que les avettes l'y viennent recueillir avec une subtilité nompareille et s'en nourrissent.

  A009001174 

 Cecy represente la seconde substance de Nostre Seigneur, à sçavoir sa tres sainte ame, car l'ame ne vient point de la terre, d'autant que nos peres et meres ne contribuent rien pour sa creation.

  A009001174 

 Il n'en prit pas du corps de Nostre Seigneur comme de celuy des autres hommes, lequel demeure quarante jours sans estre animé dans les entrailles de la mere, estant là comme une masse de chair; mais aussi tost que le consentement de la glorieuse Vierge fut donné, le Saint Esprit forma le corps du Sauveur, et en mesme temps sa tres sainte ame vint l'animer.

  A009001175 

 Or le pain vient de la terre, cela est tout clair et manifeste; car le blé que nous nommons froment croist de la terre, et c'est d'iceluy que l'on fait le pain.

  A009001176 

 Je n'ignore pas que de tout temps l'on a sceu qu'il y avoit une Divinité, tous les anciens philosophes l'ont confessé; mais cette connoissance estoit si obscure qu'elle ne meritoit pas d'estre appellée de ce nom.

  A009001176 

 O admirable invention de la providence de Dieu! Cette divine Majesté voyant que la Divinité n'estoit pas conneue des hommes voulut s'incarner et joindre avec la nature humaine, à fin que sous ce manteau de l'humanité, la Divinité peust estre reconneue.

  A009001177 

 Certes, en cette Incarnation il a fait voir ce qui n'eust jamais peu entrer ni estre compris de l'esprit humain, c'est à dire que Dieu fust homme et que l'homme fust Dieu; l'immortel mortel, l'impassible passible, sujet au chaud, au froid, à la faim, à la soif; l'infini fini, l'eternel temporel; en somme, l'homme divinisé et Dieu humanisé, en sorte que Dieu sans laisser d'estre Dieu soit homme, et l'homme sans laisser d'estre homme soit Dieu; tellement qu'on peut dire que les Mages qui bayserent les pieds de ce petit Enfant nouveau né, bayserent les pieds de Dieu.

  A009001177 

 Ces deux natures sont tellement unies par ensemble que l'on peut prononcer sans blasphemer: Ce sang est le sang de Dieu, le sang de l'Aigneau mort pour les pechés des hommes; Dieu a esté flagellé, fouetté; les mains de Dieu ont esté tendues et clouées à la croix.

  A009001177 

 Mais comment de Dieu? car Dieu entant que Dieu n'a point de corps; et s'il n'a point de corps comme est-ce que les Mages luy ont baysé les pieds? Neanmoins il en est ainsy à cause de cette union des deux natures qui ne font qu'une personne.

  A009001177 

 Or, ce n'est pas à dire que Dieu ayt souffert tout cela, ni qu'il ayt respandu du sang ou estendu ses bras en la croix; car Dieu est impassible, il n'a point enduré ces choses entant que Dieu, d'autant qu'en la Passion la Divinité n'a point souffert, la Divinité n'a point estendu ses mains en la croix, elle n'a point respandu de sang, car en Dieu il n'y a ni sang, ni bras, ni mains; mais on parle ainsy, et avec verité, à cause de cette estroitte union de la nature humaine avec la divine..

  A009001178 

 Ainsy, à cause de cette si estroitte union que la nature divine et la nature humaine ont ensemble, on vient à parler des deux comme s'il n'y en avoit qu'une seule, disant: Pourquoy ne souffriray-je telle chose puisque Dieu l'a soufferte?.

  A009001178 

 Comment cet homme peut-il dire qu'il estend le bras ou qu'il a mal au bras, veu qu'il n'a ni bras ni jambes, l'ame estant une substance toute spirituelle? Au contraire, si voyant l'homme qui parle et qui discourt, vous le regardez en tant que corporel et non spirituel, vous vous estonnerez, veu qu'il n'appartient qu'à une substance spirituelle de pouvoir discourir et comprendre.

  A009001178 

 Il est donques vray que je suis une creature raysonnable, et si je le niois je mentirois.

  A009001178 

 Or voyez-vous, si cet homme qui plaint le bras ou qui discourt n'estoit composé que de corps ou d'ame seulement, il ne discourroit pas ni ne plaindroit pas, mais à cause de cette estroitte union entre la nature du corps et celle de l'ame, lesquelles estans deux ne font toutefois qu'une personne, l'on dit avec verité que cet homme, ou autrement cet animal raysonnable, a mal à la jambe, qu'il parle et discourt, meslant tellement ces deux natures qu'on parle des deux comme s'il n'y en avoit qu'une.

  A009001178 

 Vous verrez une personne qui a mal à la jambe; si vous regardez [452] seulement l'ame de cette personne, vous direz promptement: Comme est-ce que cette creature qui est spirituelle peut dire qu'elle a mal à la jambe? car l'ame n'a point de jambes, et c'est l'ame qui fait l'homme.

  A009001179 

 Cependant, quoy que ces deux natures soyent si unies, c'est neanmoins sans prejudice l'une de [453] l'autre; car le fer pour estre jetté dans le feu ne laisse pas d'estre fer, et le feu pour estre dans le fer ne laisse pas d'estre feu.

  A009001179 

 Prenez une lame de fer et la jettez dans une fournaise bien ardente, puis prenez les pinces et la retirez de là; vous verrez que cette lame qui nagueres estoit fer seulement, est à present toute enflammée, en sorte que vous ne sçauriez discerner si c'est fer ou feu, car ce fer est tellement enflammé qu'il paroist plustost feu que fer, tant ces deux natures se sont meslées ensemble; si bien que vous pouvez dire que ce feu est un feu enferré et ce fer un fer embrasé.

  A009001179 

 Que si vous voulez voir cecy plus clairement, mettez de l'eau sur ce fer chaud et vous verrez qu'il retournera en sa premiere forme..

  A009001180 

 La Divinité c'est le brasier ardent dans lequel a esté jettée l'humanité, et cette humanité a esté dès lors tellement jointe avec la Divinité qu'elle a participé à la nature divine, en telle sorte que l'homme a esté fait Dieu et Dieu a esté fait homme, sans que pour cela la nature divine et la nature humaine ayent laissé d'estre ce qu'elles estoyent auparavant.

  A009001180 

 Mais il y a une difference en cette similitude: en jettant de l'eau sur le fer embrasé le feu le quitte et le laisse en sa premiere forme toute seule, tandis qu'en l'union de la Divinité avec l'humanité il n'en prend pas ainsy; car despuis que la nature divine a esté jointe avec l'humaine elle ne s'en est jamais separée par aucune eau de tribulation que l'on ayt jettée dessus, ains elles sont tousjours demeurées tres estroittement unies et d'une union indissoluble et inseparable.

  A009001180 

 Or, comme le fer que l'on tire de la fournaise ne s'appelle plus fer seulement, ains fer embrasé, et le feu, un feu enferré, aussi disons-nous qu'en l'Incarnation Dieu est humanisé et l'homme divinisé.

  A009001180 

 Voyla donques comme vous pourrez entendre que c'est que l'Incarnation..

  A009001181 

 C'est une chose admirable que de l'esprit humain! Il dit donques au Seigneur: Je prendray une toison, c'est à sçavoir une tonsure de mouton ou de brebis, et l'estendray sur la plate terre; si la rosée vient à tomber dessus et que le matin je trouve la toison toute trempée sans que la terre soit mouillée, je tiendray cela pour un signe tres certain que vous me serez favorable et que [454] nous aurons la victoire sur nos ennemis.

  A009001181 

 Gedeon trouvant la toison toute trempée de la rosée en telle sorte que Teau surnageoit par dessus, la prit, la fit tordre pour en espuiser l'eau jusqu'à ce qu'elle fust toute seche (et il en sortit une grande quantité), puis il entreprit la bataille et en eut une heureuse issue..

  A009001181 

 Il mit donques une toison sur la place, et, merveille qui monstre la bonté de Dieu, la rosée tomba du ciel en si grande abondance que la toison en fut trempée de toutes parts; et neanmoins la terre qui estoit dessous demeura si seche qu'il sembloit qu'elle eust esté battue par l'espace de plusieurs jours.

  A009001182 

 La Divinité, qui est cette divine rosée, n'a jamais quitté la toison de l'humanité ni en la vie ni en la mort; elle a tousjours esté avec le corps et l'ame de Nostre Seigneur, et mesme apres sa mort, bien que le corps et l'ame fussent separés, la Divinité est demeurée unie avec l'un et l'autre: avec l'ame du Sauveur aux Limbes, et avec son corps sacré dans le sepulcre.

  A009001182 

 Que represente cette toison sinon l'humanité de Nostre Seigneur, sur laquelle la rosée celeste de la Divinité est tombée en si grande abondance que l'humanité a esté divinisée? Mais il y a une difference entre cette similitude et l'Incarnation, car on ne sçauroit jamais trouver de comparaison si ronde qu'il n'y reste quelque chose à arrondir.

  A009001183 

 L'esponge figure l'humanité sacrée de nostre Sauveur, et la mer sa Divinité, laquelle a tellement imbeu l'humanité qu'il n'y a pas une petite partie au corps ni en l'ame de Nostre Seigneur qui n'ayt esté remplie de la Divinité, sans que pour cela cette nature humaine ayt laissé d'estre ce qu'elle estoit.

  A009001183 

 Les poetes fabuleux disoyent pour certaine rayson que c'estoit une incivilité de parler de l'esponge.

  A009001183 

 Mais certes, despuis que les Juifs la presenterent à Nostre Seigneur lors qu'il dit en sa Passion qu'il avoit soif, et que cette esponge eut touché les levres sacrées de ce [455] divin Sauveur, elle fut canonizée, et dès lors aussi on n'a point fait de difficulté de la nommer dans les discours des choses saintes, et ce n'a plus esté une incivilité d'en parler mais au contraire une chose honnorable et bienseante; c'est pourquoy je m'en serviray pour vous faire entendre que c'est que l'Incarnation.

  A009001183 

 Mais remarquez cecy, que bien que la mer soit dans toutes les parties de l'esponge, celle-cy n'est point par toute l'estendue de la mer, car la mer est un grand et vaste ocean qui ne peut estre compris par l'esponge.

  A009001183 

 Vous voyez par ces similitudes que c'est que l'Incarnation; quand donques on vous demandera que c'est que ce mystere, vous respondrez: C'est une telle union de la nature humaine avec la divine, une telle jonction de la Divinité avec l'humanité, que par icelle l'homme est fait Dieu et Dieu est fait homme, en prenant sa nature..

  A009001184 

 Avant l'Incarnation les hommes vivoyent ainsy que des bestes brutes, courant apres les dignités et voluptés de cette vie comme les chevaux, chiens et tels autres animaux font apres ce qu'ils appetent.

  A009001185 

 Lors donques que l'homme vivoit brutalement, Nostre Seigneur l'est venu retirer d'entre les animaux, il luy a donné des exemples d'une admirable sobrieté et, pour peu de jugement et de rayson qu'on ayt eu, il n'y a personne qui le sçachant n'en ayt esprouvé quelque sorte de ressentiment..

  A009001186 

 Ce livre estoit intitulé la sainte volonté de Dieu; or, pendant toute sa vie, Nostre Seigneur ne fit autre chose que lire, prattiquer et garder tout ce qu'il y trouva escrit, ajustant ses volontés à celles de son Pere celeste, comme il le dit luy mesine: Je suis venu non pour faire ma volonté, ains celle de Celuy qui m'a envoyé..

  A009001187 

 Il se priva dès lors, par une entiere soustraction, de toutes les consolations qu'il pouvoit recevoir en cette vie, ne se reservant que celles dont il ne se pouvoit priver, faisant que la partie inferieure de l'ame souffrist et fust sujette pour nostre salut et redemption aux tristesses, peines, craintes, apprehensions et frayeurs; et tout cela, non par force ni pour ne pouvoir faire autrement, mais volontiers et de son plein gré à fin de nous monstrer son amour..

  A009001187 

 Nostre cher Sauveur vit donques à l'instant de son Incarnation tous les fouets et escourgées, tous les clous et espines, toutes les injures et blasphemes que l'on devoit vomir contre luy, en somme tout ce qu'il devoit souffrir.

  A009001187 

 O que nous serions heureux si nous lisions bien dans ce livre et que toute nostre preoccupation fust d'accomplir la volonté de Dieu par le renoncement et entiere abnegation de la nostre, n'ayant d'autre soin que de l'ajuster à la sienne! Ce seroit le moyen d'obtenir de sa Bonté tout ce que nous voudrions, car celuy qui n'a autre souci que de faire la volonté divine obtient d'elle tout ce qu'il requiert, et à mesure qu'il accomplit cette sainte volonté, Dieu fait la sienne ainsy qu'il est escrit: Le Seigneur fait la volonté de ceux qui le craignent, comme vous avez veu qu'il fit tout ce que voulut Gedeon quand il luy demanda un signe.

  A009001188 

 Aussi Nostre Seigneur merita plus en jettant un seul souspir amoureux que ne firent jamais tous les Saints et Saintes ou que tous les Cherubins et Seraphins; et Dieu fut plus honnoré par un seul acte d'amour et d'adoration que la tres benite ame du Sauveur fit à l'instant de sa creation, qu'il ne l'a esté et ne le sera jamais par toutes les creatures angeliques et humaines.

  A009001188 

 Certes, ce n'est pas que toutes ces souffrances fussent [458] necessaires pour nous sauver, car un seul acte d'amour, un seul souspir amoureux sortant de son sacré cœur estoit d'un prix, d'une valeur et d'un merite infinis.

  A009001189 

 C'est pourquoy l'on a tousjours accoustumé de dire à ces filles quand elles entrent au Monastere, que la Religion «est une escole de l'abnegation de toutes les volontés,» une croix où il se faut crucifier, en somme, qu'il y faut venir pour patir et non point pour y estre consolées.

  A009001189 

 Et qu'est-ce que vous faites? Vous vous trompez si vous pensez y venir pour y estre consolée, pour y gouster et y recevoir des douceurs spirituelles.

  A009001189 

 O Dieu, il ne faut pas chercher [459] cela, car cette façon d'agir est insupportable à ceux qui sçavent tant soit peu que c'est que la devotion.

  A009001189 

 Que si Dieu vous donne des consolations ou grains de dragées, baysez-luy la main et le remerciez tres humblement, mais ne vous arrestez point à cela, ains passez outre et vous humiliez..

  A009001189 

 Si vous voulez du sucre et de la dragée, allez en querir chez les apothicaires; car l'on ne mange icy que des viandes ameres et fascheuses à la chair, lesquelles sont toutefois profitables au cœur.

  A009001190 

 Certes, c'est une grande pitié que l'on voye Nostre Seigneur tant souffrir, se soustraire à tous les playsirs et consolations qu'il pouvoit recevoir parmi ses souffrances, ne se servant que de ce dont il ne se pouvoit priver, et que nous autres nous soyons tant amateurs de ces gousts qu'il semble que l'on ne travaille que pour en avoir! Pour peu qu'on en ayt l'on s'amuse tant à les regarder et les sentir que l'on ne fait rien qui vaille.

  A009001190 

 Ces douceurs ne servent que d'amusement à certaines ames trop avides et desireuses de telles choses.

  A009001191 

 Nous nous pourrons bien servir de ces paroles considerant le mystere de l'Incarnation, et dire: Ce mystere est si haut et si profond que nous n'y entendons rien; tout ce que nous en sçavons et connoissons est extremement beau, mais nous croyons que ce que nous ne comprenons pas l'est encores davantage.

  A009001191 

 O que c'est une belle chose à considerer que le mystere tres haut et tres [460] profond de l'Incarnation de nostre Sauveur! Mais tout ce que nous en pouvons entendre et comprendre par le discours n'est rien, et pouvons bien dire à ce propos ce que disoit un sage qui lisoit un livre tres haut et obscur d'un ancien philosophe (je ne me souviens pas de son nom); il advoua franchement: Ce livre est si docte et difficile que je n'y entens presque rien; le peu que je comprens est extremement beau, mais je crois que ce que je n'entens pas l'est plus encores.

  A009001196 

 Vos mammelles sont meilleures que le.

  A009001198 

 suaves que les onguens les plus exquis..

  A009001201 

 Or, avant que de dire comment, il faut sçavoir que par les mammelles sont representées les affections, parce qu'elles avoisinent le cœur et sont assises sur iceluy, et que du cœur sortent les affections de douceur, de mansuetude et de charité vers les pauvres, les infirmes et les petits enfans; aussi donne-t-on premierement la mammelle aux petits enfans, [462] qui sont vrayement pauvres, puisqu'ils n'ont rien et ne peuvent en aucune maniere gaigner leur vie, de sorte que si on ne leur donnoit la mammelle ils mourroyent incontinent..

  A009001202 

 La longanimité nous signifie la patience avec laquelle il attend les pecheurs à penitence; et la debonnaireté, l'amour et la compassion avec laquelle il les reçoit lors que, pleins de contrition et de larmes, ils viennent, à l'imitation de sainte Magdeleine, luy bayser les pieds par la conversion de leur cœur et de leurs affections, c'est à dire par un veritable regret de leurs pechés..

  A009001202 

 Premierement, si ces paroles sont de l'Espouse, c'est à dire de l'ame devote à l'Espoux, qui est Nostre Seigneur, vrayement elle a bien rayson de luy tenir ce propos; car les mammelles de Nostre Seigneur sont infiniment meilleures que le vin de tous les contentemens terrestres.

  A009001203 

 O que cette longanimité et debonnaireté de Nostre Seigneur reduit et ramene bien mieux les ames à leur devoir, et a beaucoup plus d'efficace et de pouvoir pour les retirer du peché que n'ont pas les corrections des hommes lesquelles sont signifiées par le vin! Nous en avons plusieurs exemples, entre lesquels en voicy deux signalés.

  A009001204 

 Car encores que les mammelles de Nostre Seigneur soyent tres douces et meilleures mille fois que le vin des delices mondaines, neanmoins nous ne nous en approcherions jamais s'il ne nous attiroit par le moyen de ses divines odeurs..

  A009001204 

 Mais apres que l'Espouse luy a dit: Meliora sunt ubera tua vino; Vos mammelles sont meilleures que le vin, elle adjouste: Fragrantia unguentis optimis; car elles respandent des odeurs tres suaves, qui ne sont autres que les saintes inspirations que Nostre Seigneur va respandant dans les cœurs des fidelles, par lesquelles il les sollicite à se convertir et retirer leurs affections des choses de la terre.

  A009001205 

 Ainsy en est-il des consolations du monde; car au commencement et pour un peu vous y trouverez certain goust qui vous donnera quelque sorte de suavité grossiere et impure, laquelle en fin finale se terminera en aspreté et amertume, et si apres vous [464] y retournez cent fois, vous n'y trouverez plus que du degoust.

  A009001205 

 Avons-nous esté consolés aupres de Nostre Seigneur, retournons-y si souvent que nous voudrons, nous y trouverons tousjours de nouvelles consolations; car cette source de sa poitrine sacrée est inepuisable et ne se tarit jamais, de sorte que c'est avec tres grand sujet que nous pouvons dire que ses mammelles sont infiniment meilleures que le vin de tous les contentemens du monde..

  A009001205 

 Quelques Docteurs ont encores interpreté ces paroles: Meliora sunt ubera tua, etc., en une autre maniere, entendant par les mammelles de Nostre Seigneur les consolations celestes et divines; car qui ne sçait que les consolations divines sont infiniment meilleures que le vin des consolations de la terre? Aussi n'est-ce pas merveille si les unes sont comparées au lait et les autres au vin, d'autant que le vin, comme vous sçavez, se tire du raisin.

  A009001206 

 Certes, tu as rayson, c'est une chose tres bonne, tres excellente et desirable que celle que tu demandes; mais ce n'est pas assez, car tes mammelles sont meilleures que le vin, c'est à dire qu'il est meilleur d'assister le prochain et porter le lait de la sainte exhortation aux foibles et ignorans que d'estre tousjours occupé en des hautes contemplations, de sorte que quelquefois il faut quitter l'un pour l'autre.

  A009001206 

 Or maintenant, si ces paroles sont addressées par l'Espoux à l'Espouse, que pensez vous qu'il luy veuille dire? Saint Bernard explique ce passage admirablement bien.

  A009001206 

 Osculetur me osculo oris sui; Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche, dit cette Espouse à son Bien-Aymé; bayser qui ne signifie autre chose, au dire de ce grand Saint, que le doux repos de la contemplation, où l'ame, par une affection amoureuse, desengagée de toutes les choses de la terre, s'occupe à considerer et contempler les beautés de son celeste Espoux, sans se resouvenir d'assister le prochain et le secourir dans ses necessités; à quoy ce divin Espoux, qui veut que la charité soit bien ordonnée, luy respond: Tu desires, ma sœur et ma bien-aymée, que je te bayse d'un bayser de ma bouche à fin de t'unir à moy par la contemplation.

  A009001207 

 Mais si ce sont les compagnes de l'Espouse qui luy disent: Meliora sunt ubera tua vino; Tes mammelles sont meilleures que le vin, le mesme saint Bernard l'explique en cette sorte: O que vous estes heureuse, nostre chere compagne, de jouir ainsy des chastes et amoureux baysers de vostre celeste Espoux! Mais ce pendant que vous estes ainsy submergée dans cet ocean de delices, nous autres chetifves demeurons privées de l'ayde et du secours qui nous est necessaire, au defaut duquel nous sommes en danger de nous perdre; donques, vos mammelles sont meilleures que le vin..

  A009001208 

 Or, quelles sont les mammelles que les compagnes de l'Espouse desirent si ardemment, et sans lesquelles elles ne peuvent subsister ni se maintenir? La premiere est la mammelle de compassion, par laquelle l'on supporte et l'on a pitié des foibles, des infirmes et des pecheurs; ce qui fait qu'avec une grande charité on leur compatit, on les console, et on les flatte et caresse pour les attirer à Dieu et leur ayder doucement à se retirer du mauvais estat auquel ils sont plongés: en un mot, par cette compassion on se fait en certaine façon semblable à eux pour les gaigner plus facilement, et c'est la marque de la vraye devotion et de la bonne oraison, que de se faire, à l'exemple du grand Apostre, tout à tous, pour les gaigner tous..

  A009001209 

 Il arrive quelquefqis que nous nous trouvons le cœur tout aride; mais si nous celebrqns avec reverence et devotion le saint Sacrifice de la Messe, ou que nous assistions aux divins offices, ou fassions une bonne oraison, nous en sortons avec la poitrine si remplie de charité et de saintes affections, qu'il semble que nous ne pouvons durer que nous n'ayons trouvé quelqu'un pour luy faire part des consolations que nous ayons receuës de la main liberale de Nostre Seigneur..

  A009001209 

 Voulez-vous sçavoir si vous avez fait une bonne oraison, et si vous avez baysé Nostre Seigneur du bayser de la bouche? regardez si vous avez la poitrine pleine de douces et charitables affections envers le [466] prochain, et si vostre coeur est disposé de le secourir en tputes ses necessités et le supporter amoureusement en toutes sortes d'occasions; car l'oraison qui nous enfle et nous fait presumer d'estre quelque chose de plus que les autres, et qui nous porte à mespriser le prochain comme imparfait, nous le faisant corriger de ses defauts avec arrogance et sans compassion, n'est pas bonne et n'est point faite en charité, verité et sincerité.

  A009001210 

 La seconde mammelle que desirent les compagnes de l'Espouse est la mammelle de congratulation, par laquelle on se console et resjouit du bien et avancement du prochain comme du sien propre.

  A009001211 

 Nous avons un rare et excellent exemple de cecy au glorieux saint Paul, quand il disoit avec un cœur plein d'une ardente charité: Je meurs tous les jours pour vous, o Corinthiens; Quotidie morior propter vestram [467] gloriam; c'est à dire: L'extreme soin et le grand desir que j'ay de vostre salut, me fait mourir tous les jours.

  A009001212 

 Ce qu'entendant ce grand serviteur de Dieu, touché d'une affection paternelle et despouillé de son propre interest, levant les mains et les yeux au Ciel où son cœur avoit desja pris place, il dit ces belles paroles: Domine, si adhuc populo tuo sum necessarius, non recuso laborem; O Seigneur, quoy que par vostre grace je me voye prest à jouir du bien apres lequel j'ay tant souspiré, neanmoins, si je suis encores necessaire à ces ames pour leur salut, je ne refuse point de demeurer davantage en cet exil, je me resigne entierement à vostre tres sainte volonté.

  A009001213 

 Voyla en fin quelles sont les mammelles de l'Espouse et de l'Espoux; voyla les fruits d'une parfaitte oraison, laquelle se fait non seulement à certaines heures et à certains temps limités, mais encores par des eslevations d'esprit et des eslancemens du cœur en Dieu, que l'on appelle oraisons jaculatoires, et par des actes frequens d'union de nostre volonté avec celle de Dieu, qui se peuvent faire à tous momens et en toutes sortes d'occasions..

  A009001214 

 Certes, la crainte d'enfer est un motif des plus puissans que nous puissions avoir pour nous tenir en bride et nous empescher de transgresser la loy de Dieu, c'est pourquoy cette crainte est bonne; mais pour les espouses ce motif est trop grossier et trop bas, car elles ne veulent point d'autre mammelle que celle de l'amour..

  A009001214 

 Mais outre ce que nous avons dit pour l'explication de ce passage: Meliora sunt ubera tua vino, fragrantia unguentis optimis; Vos mammelles sont meilleures que le vin, et respandent des odeurs plus suaves que les onguens les plus exquis, plusieurs Docteurs qui ont escrit sur ce sujet disent que par ces mammelles nous sont representés les deux Testamens: à sçavoir, par la mammelle gauche l'Ancien Testament, qui contenoit une loy de crainte, et par la mammelle droite le Nouveau Testament, qui contient une loy toute d'amour; et disent qu'avec ces deux mammelles il faut eslever les enfans de l'Eglise, qui sont les Chrestiens, d'autant qu'il les faut soustenir par la crainte et les animer par l'amour, lequel sans la crainte vient aysement à se relascher, et la crainte sans l'amour abat et allanguit le cœur et l'esprit.

  A009001215 

 D'autres Docteurs ont dit que les mammelles de Nostre Seigneur nous representent la foy et les Sacremens.

  A009001215 

 La foy nous est donnée par la parole: Fides ex auditu, auditus autem per Mot Dei; car la parole de [469] Dieu est un lait qui nourrit les ames, et nous ne pouvons avoir la foy que par cette divine parole, ni participer aux saints Sacremens si nous ne sommes fideles à croire ce qu'elle nous enseigne..

  A009001216 

 Et David mesme, duquel l'ame estoit vrayement espouse, puisqu'il estoit selon le cœur de Dieu, confesse neanmoins qu'il se servoit de ce motif: Inclinavi cor meum ad faciendas justificationes tuas in aeternum propter retributionem; O Seigneur, dit-il, j'ay incliné mon cœur à garder vos commandemens à cause des grandes recompenses que vous donnez à ceux qui les observent..

  A009001216 

 Mais je n'aurois jamais fait si je me voulois estendre sur toutes les considerations que font les Docteurs sur ce passage: je m'arresteray seulement sur les deux suivantes, et diray que les mammelles de Nostre Seigneur sont l'esperance et l'amour.

  A009001216 

 Or, ces deux mammelles sont proprement celles des espouses; car encores que l'esperance des recompenses eternelles ne soit pas un motif si noble et si excellent que celuy de l'amour, il est pourtant quelquefois expedient de s'en servir pour nous animer à l'amour.

  A009001217 

 Et alors il est bon de retourner nostre cœur à la mammelle de l'esperance, pour l'encourager et conforter, l'asseurant qu'il jouira un jour de ce qu'il ayme, et que si maintenant ce divin Espoux semble s'absenter, ce ne sera pas pour tousjours.

  A009001217 

 Il arrivera quelquefois que nous aurons de l'amour autant ou plus que jamais, et neanmoins nous croyons le contraire, d'autant que nous n'en avons pas le sentiment.

  A009001217 

 O certes, il y a bien de la difference entre l'amour qui nous fait operer le bien, et le sentiment de l'amour, je veux dire ce sentiment qui remplit nostre ame et nostre esprit d'une grande satisfaction et donne à nostre cœur une consolation si sensible, que quelquefois elle rejaillit jusques au dehors.

  A009001217 

 Or, quand Dieu nous soustrait ce sentiment, il ne faut pas se descourager ni penser que nous n'avons point d'amour, pourveu que nous ayons une forte resolution de ne luy vouloir jamais desplaire, qui est ce en quoy consiste le parfait et veritable amour.

  A009001218 

 Mais l'Espouse, toute esprise de l'amour de son divin Espoux, ne se contente pas de l'esperance de le posseder un jour en la gloire eternelle, ains elle veut encores jouir de sa presence des cette vie mortelle; et à fin d'obtenir ce bien, voyez quelle diligence elle fait pour le trouver, apres que par la negligence qu'elle eut à luy ouvrir sa porte il fut passé outre: Surgam, et Circuibo civitatem, per vicos et plateas quaeram quem diligit anima mea; Je me leveray, dit-elle, et chercheray celuy que mon ame cherit, par toutes les rués et les carrefours de la cité.

  A009001218 

 Non, dit Jacob, je ne vous laisseray point aller que vous ne m'ayez donné vostre benediction; Non dimittam te, nisi benedixeris mihi.

  A009001218 

 Or, cette benediction que Jacob demandoit si instamment nous signifie l'esperance de jouir de Dieu en la vie future.

  A009001218 

 Voyez, je vous prie, avec quelle promptitude elle court apres luy, et comme elle passe parmi les gardes de la ville, sans craindre aucune difficulté; puis en fin l'ayant trouvé, voyez avec quelle ardeur elle se jette à ses pieds, et l'embrassant par les genoux:, toute transportée de joye: Inveni quem diligit anima mea, tenui eum nec dimittam, donec introducam illum in domum matris meae; Ah, je le tiens, dit-elle, le Bien-Aymé de mon ame, je ne le laisseray point aller que je ne l'aye introduit dans la mayson de ma mere..

  A009001219 

 En fin, dit-elle, j'ay trouvé celuy que j'ayme, je le tiens et ne lé quitteray point que je ne l'aye introduit en [471] la mayson de ma mere, qui est la Hierusalem celeste, qui n'est autre que le Paradis; et là encores je ne le quitteray point, car non seulement je ne le voudray pas quitter, mais je seray alors si parfaittement unie avec luy, que jamais aucune chose ne m'en pourra separer.

  A009001219 

 Mais considerez, je vous prie, l'ardent amour de cette Espouse: certes, rien ne la peut contenter que la presence de son Bien-Aymé; elle ne veut point de benedictions, ni ne s'arreste point à l'esperance des biens à venir comme Jacob; elle ne veut que son Dieu, et pourveu qu'elle le possede elle est contente.

  A009001220 

 Je dis en premier lieu que pour tetter les mammelles de Nostre Seigneur, il se faut rendre semblable aux petits enfans; car vous sçavez que ce n'est qu'à eux à qui on donne les mammelles.

  A009001220 

 Nous avons, ce me semble, bien monstré par ce que nous avons dit quelles sont les mammelles de Nostre Seigneur; il faut maintenant sçavoir comment et de quelle sorte on les peut tetter.

  A009001221 

 Certes, si nous n'avons un grand desir de l'amour divin nous ne l'obtiendrons jamais; car comment pourrions-nous l'obtenir et recevoir des consolations de Nostre Seigneur, venant à luy nostre entendement tout distrait, nostre memoire remplie et occupée de mille choses vaines et inutiles, et [472] nostre volonté attachée aux choses de la terre? Il faut donques avoir l'estomach de nos ames vuide, si nous voulons tetter les mammelles de Nostre Seigneur et recevoir ses saintes graces, ainsy que Nostre Dame nous l'apprend en son sacré Cantique, quand elle dit que Dieu a rempli de biens ceux qui avoyent faim, mais que pour les riches, c'est à dire ceux qui estoyent pleins et rassasiés des choses de la terre, il les a rejettés et ne leur a rien donné: Esurientes implevit bonis, et divites dimisit inanes; paroles par lesquelles cette Sainte Vierge nous apprend que Dieu ne communique ses graces et ne remplit de biens sinon ceux qui ont cette faim spirituelle, et qui sont vuides d'eux mesmes et des choses terrestres et mondaines.

  A009001221 

 Mais quelle est la faim de l'ame? Elle n'est autre que le desir.

  A009001221 

 Vous voyez quelquefois des enfans qui ne veulent point prendre la mammelle parce qu'ils ont l'estomach tout rempli de catarrhe, de maniere que n'ayans point de faim, on ne les peut faire tetter, quoy que la nourrice les provoque et leur presente son sein.

  A009001222 

 Cela veut dire que si nous n'avons la simplicité, douceur et humilité d'un petit enfant, et si nous ne nous reposons par une entiere resignation et parfaite confiance entre les bras de Nostre Seigneur, comme l'enfant entre les bras de sa mere, nous n'entrerons point en son Royaume..

  A009001222 

 L'Escriture Sainte nous enseigne que quand ce divin Sauveur de nos ames estoit en ce monde conversant avec les hommes, il caressoit les petits enfans, les embrassoit et prenoit entre ses bras, comme il fit le petit saint Martial, ou saint Ignace martyr, suivant l'opinion de plusieurs Docteurs, qui disent que Nostre Seigneur le tenant un jour entre ses bras et le considerant, il se tourna vers ses disciples et leur dit: En verité, si vous n'estes faits comme ce petit enfant, vous n'entrerez point au Royaume des cieux; Amen dico vobis, nisi efficiamini et conversi fueritis sicut parvulus [473] iste, non intrabitis in Regnum caelorum.

  A009001223 

 Il veut dire: Encor que vous m'ayez eslevé à des honneurs et à des faveurs si grandes que de me porter dessus vostre poitrine et me donner vos divines mammelles à succer, neanmoins je n'ay point eslevé mon regard en choses hautes, ni n'ay point retiré mes yeux de dessus la terre, qui est mon origine et en laquelle je dois retourner, ains j'ay tous-jours porté la veuë basse, en la consideration de mon neant et de mon abjection; mon cœur ne s'est point enflé d'orgueil pour les grandes graces que vous m'avez faites.

  A009001224 

 Si je ne me suis abaissé et humilié, dit-il, voicy, o Seigneur, ce que je veux qui m'arrive: Sicut ablactatus est super matre sua, ita retributio in anima mea; C'est que vous me separiez de vous et me retiriez vos sacrées mammelles, et je demeureray comme l'enfant sevré avant le temps, qui ne fait plus que languir, pleurer, gemir, se lamenter et regretter sa perte; si donques je n'ay tousjours esté bas, vil et abject à mes yeux et à mon propre jugement, ainsy soit-il fait à mon ame.

  A009001224 

 Voyla ce que le Prophete veut qu'il luy arrive, s'il ne marche devant Dieu en esprit d'humilité.

  A009001224 

 [474] O certes, il est vray que cette vertu a un pouvoir incomparable par dessus toutes les autres de nous eslever à Dieu et nous rendre capables de succer ses divines mammelles, lesquelles il ne donne qu'aux petits et humbles de cœur; c'est pourquoy je vous exhorte, mes cheres Filles, pour finir ce discours, de vous exercer fidelement en la prattique de cette vertu; car par icelle vous recevrez de tres grandes graces en cette vie, et parviendrez en fin en la gloire eternelle, où nous conduise le Pere, le Fils et le Saint Esprit.


10-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome X-Vol.4-Sermons.html
  A010000061 

 C'est sur iceluy que je vous parleray en ce petit discours; car de le faire sur saint Antoine il n'y auroit point d'apparence, veu qu'il en a esté excellemment parlé au grand sermon, auquel on a dit presque tout ce qui s'en pouvoit dire.

  A010000061 

 Je m'arresteray donques sur le dernier où il est fait mention du premier miracle [1] ou, selon saint Jean, du premier signe que Nostre Seigneur fit pour manifester sa gloire.

  A010000061 

 Je sçay bien neanmoins que plusieurs raysons et disputes s'eslevent de part et d'autre entre quelques Docteurs pour monstrer que ce miracle ne fut pas le premier que fit Nostre Seigneur; mais puisque non seulement saint Jean l'atteste, ains encores saint Ambroise, et que la pluspart des autres anciens Peres tiennent cette opinion, nous nous y arresterons et la suivrons.

  A010000061 

 L'Evangeliste declare que ce fut icy le premier signe que Jesus fit pour manifester sa gloire.

  A010000061 

 Nous lisons en la Messe d'aujourd'huy deux Evangiles: l'un est celuy des Confesseurs; l'autre, celuy du premier miracle que fit Nostre Seigneur aux noces de Cana en Galilée.

  A010000062 

 Ce tres haut mystere de l'Incarnation est si profond que jamais il n'estoit entré et ne pouvoit entrer dans l'esprit des anciens payens et philosophes; voire mesme les docteurs de la Loy de Moyse, quoy qu'ils maniassent la Sainte Escriture, ne l'ont peu comprendre parce qu'il estoit invisible et d'une telle hauteur qu'il surpasse tous les entendemens humains et angeliques.

  A010000062 

 Disons d'abord que ce miracle fut le premier signe que le Sauveur luy mesme donna pour manifester sa gloire.

  A010000062 

 Il se fit encor d'autres miracles en cette Incarnation, dont le plus grand est que le Verbe divin fut conceu et naquit d'une femme, que cette femme fut vierge et mere tout ensemble.

  A010000062 

 Je sçay bien qu'il les faisoit aussi entant que Dieu, car ce que fait le Pere, le Fils et le Saint Esprit l'operent de mesme; mais quant au miracle de Cana c'est proprement le Fils qui le fait..

  A010000062 

 Mais bien que ces signes fussent faits pour manifester la gloire de Nostre Seigneur, ce n'estoit pas luy qui les operoit, ains le Pere et le Saint Esprit les faisoyent pour luy.

  A010000062 

 Mais ce miracle estoit invisible, secret et occulte; c'estoit une œuvre si haute qu'elle surpasse infiniment tout ce que les Anges et Archanges en peuvent comprendre, et partant ce n'estoit pas un signe qui manifestast la gloire de Dieu comme celuy qui se fit aux noces de Cana en Galilée, ainsy que dit l'Evangeliste.

  A010000062 

 Nous le croyons bien en cette vie mortelle parce que la foy nous l'enseigné, mais là haut au Ciel [2] nous le verrons et ce sera une partie de nostre eternelle felicité.

  A010000063 

 En deuxiesme lieu, il faut expliquer ce qu'avancent les anciens Peres, à sçavoir, que nostre divin Sauveur fit plusieurs prodiges (et il est tres probable, car diverses histoires en sont toutes remplies) pendant qu'il demeura en Egypte et mesme en la mayson de ses parens; mais ils furent tres secrets et invisibles, parce que Nostre Seigneur n'estoit point conneu en ce temps-là; de sorte que, bien qu'il en operast un grand nombre, le signe de Cana en Galilée, duquel parle l'Evangeliste, fut vrayement le premier qu'il fit pour manifester sa gloire..

  A010000064 

 Et cela, non point pour vous l'enseigner, car vous le croyez assez, non point pour vous confirmer et affermir en vostre croyance, car vous voudriez mourir pour maintenir cette verité, mais pour resjouir vostre [3] cœur et luy causer une certaine suavité que l'on trouve en parlant de ces grans mysteres..

  A010000064 

 Mais quelle consideration tirerons-nous de cecy pour la consolation do nostre foy? Voyez-vous, ce premier miracle se fit par la conversion et transmutation de l'eau en vin, tout ainsy que le dernier operé par Jesus Christ en ce sejour mortel fut le changement du vin en son sang au tres saint Sacrement de l'Eucharistie.

  A010000065 

 C'est pourquoy les Egyptiens voulant representer la Divinité et la faire comprendre en quelque façon, ils peignoyent un serpent qui mordoit sa queue, ce que faisant, il estoit tout rond et ne se pouvoit voir en iceluy ni commencement ni fin: sa teste, qui estoit le commencement, touchoit la fin qui estoit la queue.

  A010000065 

 Quand Dieu crea Adam il donna le premier signe de cette creation en changeant le limon de la terre au corps de l'homme; de mesme, lors que Jesus Christ le recrea, le premier signe de cette recreation fut la transformation d'une substance en une autre, le changement de l'eau en vin.

  A010000065 

 Remarquez comme il a tousjours fait le commencement tel que la fin, et le merveilleux rapport qui existe entre l'une et l'autre.

  A010000066 

 Elle estoit en une douce, amoureuse et suave contemplation lors que, sans qu'elle s'en apperceust, le Sauveur sortit de ses entrailles; mais estant revenue à soy, elle le vit tout nud, elle le prit et l'enveloppa de langes et petits drapelets.

  A010000066 

 Il naquit en pleurant ainsy que les autres enfans qui tous passent par là, car il ne s'en est jamais veu aucun qui ne soit né en pleurant, sinon Zoroastre, qui fut un tres meschant homme, «lequel se prit à rire en naissant.» Mais Nostre Seigneur n'est pas né en riant, ains en pleurant et gemissant, comme le tesmoigne un passage de l'Escriture qu'on luy peut bien appliquer, quoy que ce passage regarde Salomon, lequel parlant de soy dit: Bien que je sois un roy grand et admirable, si est-ce que je suis né sur la terre comme les autres enfans, en pleurant et gemissant.

  A010000068 

 L'Apostre dit que le Chrestien est nourri de la chair vivante et du sang du Dieu vivant, ce qui est vray; et quoy que cette verité repugne à nos sens qui n'y peuvent rien voir, neanmoins nous le croyons et mesme avec d'autant plus de suavité que nos sens en connoissent moins.

  A010000068 

 La divine Providence voyant comme ce mystere sacré de l'Eucharistie estoit obscur, nous a fourni mille et mille preuves de cette verité en cent et cent lieux tant de l'Evangile que de l'Ancien Testament; Nostre Seigneur luy mesme en a donné des lumieres et intelligences si grandes que c'est chose admirable de voir ce que plusieurs ont escrit sur ce sujet, le traittant d'une façon si claire et intelligible que l'on est tout ravi en l'entendant et lisant.

  A010000068 

 Nous croyons cette verité et ce mystere, qui est le plus grand et le plus obscur de tous avec Celuy de l'Incarnation; toutefois, parce que la foy nous l'enseigne, nous croyons que Jesus Christ est en ce tres saint Sacrement en corps et en ame.

  A010000069 

 Au reste, plusieurs des anciens Peres pensent que Nostre Seigneur et sa tres sainte Mere estans invités, les Apostres le furent aussi à cause d'eux.

  A010000069 

 C'est chose admirable des diverses opinions qu'il y a sur cecy; mais laissons leurs raysons et nous tenons à ce que dit l'Evangeliste.

  A010000069 

 Ils y allerent; mais comment? O certes, il est croyable que la Sainte Vierge s'y rendit dès la veille, car lors qu'il se fait des noces, les dames et parentes n'y vont pas le jour mesme mais dès la veille, et non seulement pour estre receues, ains encor pour ayder à recevoir les autres invités, et par ce moyen faire honneur à l'espouse.

  A010000069 

 On dispute si ces noces furent celles de saint Jean ou d'un autre; mais laissons cela, il nous importe peu; tant y a que nostre cher Maistre et Nostre Dame furent conviés.

  A010000069 

 Or, on peut penser que cette sainte Dame, qui estoit grandement humble, y alla ainsy dès la veille pour rendre ce bon office à l'espoux et à l'espouse..

  A010000070 

 Et sur ce on conclut le mariage, lequel estant fait l'on trouve que ce qu'on a dit n'est pas.

  A010000070 

 Les noces de Cana ne furent pas ainsy, parce que le mensonge ne se peut point trouver là où est Nostre Seigneur.

  A010000070 

 O combien pensez-vous que ces noces furent [7] modestes! Sans doute la presence du Sauveur faisoit que l'on estoit grandement retenu..

  A010000071 

 C'est peut estre par tel moyen que cela vint aux oreilles des dames, lesquelles se prindrent à deviser par ensemble de ce qu'il faudroit faire.

  A010000071 

 Cecy soit dit comme un petit mot d'instruction que je vous vay donnant en passant..

  A010000071 

 Il est croyable en effect que ces noces estoyent de gens pauvres, c'est pourquoy Nostre Seigneur y fut invité; il est vray, car il se plaist tant à traitter et converser avec les pauvres qu'il les favorise tousjours.

  A010000071 

 Les serviteurs en furent un peu esmeus et effrayés, et voyant que les flacons s'en alloyent vuides, ils commencerent à en parler entr'eux pendant qu'ils versoyent le vin.

  A010000071 

 Mais que fera cette sainte Dame, car elle ne porte point d'argent pour faire acheter du vin? Son Fils n'en a point, non plus qu'elle; sur quoy fonde-t-elle donques son esperance de remedier à cette necessité? O certes, elle sçavoit qu'elle avoit amené avec elle Celuy qui est tout puissant et dont elle connoissoit la grande charité et misericorde, par laquelle il pourvoiroit infailliblement au besoin de ces pauvres gens.

  A010000071 

 Or, je ne sçay comment cela arriva; si est-il vray que le vin commença à faillir.

  A010000071 

 Que si ce cher Sauveur de nos ames se plaist à la rencontrer ès maisons des grans et parmi les noces, quel sera son contentement de la voir dans les Religions où l'on fait vœu de la garder! combien se plaira-t-il d'y trouver l'indigence parmi la suffisance, je veux dire, non pas le defaut des choses necessaires, mais neanmoins que l'on y est pauvre des superflues.

  A010000072 

 Ces bonnes gens qui vous ont invité s'en vont tomber en une grande ignominie si vous ne les secourez; mais je sçay que vous estes tout puissant, que vous pourvoirez à leur necessité et empescherez qu'ils ne reçoivent une telle honte et abjection.

  A010000072 

 Comme si elle eust [8] voulu dire: Mon Seigneur et mon Fils, ces gens icy sont pauvres, et quoy que la pauvreté soit grandement aymable et vous soit fort aggreable, si est-ce qu'elle est de soy grandement honteuse, car elle reduit souvent son hoste à d'extremes mespris et confusions devant le monde.

  A010000072 

 Remarquez un peu ce que fait et dit cette tres sainte Dame: Mon Seigneur, ils n'ont point de vin.

  A010000073 

 Priere certes tres excellente, en laquelle cette sainte Dame parle à Nostre Seigneur avec la plus grande reverence et humilité qui se peut imaginer; car elle s'en va à son Fils non point avec asseurance ni avec des paroles pleines de presomption, comme font plusieurs personnes indiscretes et inconsiderées; mais, avec une humilité tres profonde, elle luy represente la necessité de ces noces, tenant pour tout asseuré qu'il y pourvoira, ainsy que nous le dirons bien tost..

  A010000074 

 C'est donques une bien bonne priere que celle cy de se contenter de representer ses necessités à Nostre Seigneur, les mettre devant les yeux de sa bonté et le laisser faire, avec asseurance qu'il nous exaucera selon nos besoins, luy disant à l'exemple de la Vierge, quand on se trouve aride, desolé et desconforté: Seigneur, me [9] voicy, pauvre fille que je suis, desolée, affligée, pleine de secheresses et aridités.

  A010000074 

 Mais que demandez-vous? Hé que je demande? vous sçavez bien ce de quoy j'ay besoin; il me suffit de vous faire voir ce que je suis, c'est à vous de pourvoir à mes miseres et necessités selon qu'il vous plaira..

  A010000074 

 Me voicy, Seigneur, pauvre homme que je suis, le plus pauvre de tous les hommes et rempli de pechés.

  A010000075 

 En l'Oraison Dominicale que nous disons tous les jours, nous demandons premierement que le Royaume de Dieu nous advienne, comme le but et la fin à laquelle nous visons, et puis, que sa volonté soit faite, comme l'unique moyen pour nous conduire à cette beatitude; mais outre cela, nous faisons une autre requeste, à sçavoir, qu'il nous donne nostre pain quotidien.

  A010000075 

 Je sçay bien toutefois que l'on peut prier Dieu non seulement pour le spirituel mais aussi pour le temporel; il n'y a nul doute que cela ne se puisse et doive faire, puisque Nostre Seigneur le nous a luy mesme enseigné.

  A010000075 

 Par quoy nous sommes enseignés qu'il n'y a point de doute ni de difficulté que l'on ne puisse et doive requerir de Dieu ses necessités spirituelles et temporelles..

  A010000076 

 C'est bien fait de demander l'humilité, car ce doit estre nostre chere vertu que celle là; c'est une chose bonne de demander et souspirer apres le divin amour, mais neanmoins je vous dis que cette demande que vous faites de l'humilité et de l'amour n'est pas bonne; car ne voyez-vous pas que vous ne desirez pas l'humilité, ains le sentiment de l'humilité? Vous voulez sçavoir et sentir si vous estes humble, si vous avez l'humilité.

  A010000076 

 Il y a deux manieres de les demander à Nostre Seigneur: l'une est en la façon que fit la Vierge; l'autre est de le prier qu'il nous donne telle ou telle chose ou qu'il nous delivre de quelque mal, avec cette condition toutefois, qu'il fasse en cela sa volonté et non la nostre.

  A010000076 

 Mais je demande encor l'humilité, car je ne suis point humble, et neanmoins je vois que l'on ne sçauroit rien faire sans cette chere vertu; je demande aussi l'amour de Dieu, cette sacrée dilection [10] qui rend toutes choses si douces et faciles.

  A010000076 

 Que requerez-vous, ma chere fille? Je demande des consolations.

  A010000077 

 Ce n'est que du manque de sentimens dont nous nous plaignons, car nous voulons tout gouster et savourer.

  A010000077 

 Vous verrez alors comme vous aymez Dieu, et gousterez la douceur de son amour; mais en cette vie le Seigneur veut que nous vivions entre la crainte et l'esperance, que nous soyons humbles et que nous l'aymions sans le sçavoir..

  A010000077 

 Vous vous trompez; dites plustost: Je voudrois avoir les extases, les sentimens d'amour et d'humilité d'une sainte Therese, d'une sainte Catherine de Sienne, car ce n'est point l'amour que vous demandez, ains le sentiment et la suavité de cet amour.

  A010000078 

 Ce qu'elle fit paroistre lors que, apres icelle, son cœur demeura tout plein d'une sainte confiance, disant à ceux qui servoyent: Vous avez ouy ce que mon Fils m'a respondu, et pour cela, vous qui n'entendez pas le langage de l'amour, pourrez entrer en doute qu'il ne m'ayt esconduite.

  A010000078 

 Mais, o Dieu, qui est si hardi que d'y vouloir mettre la pointe de son esprit, pour aigu et subtil qu'il puisse estre, à fin d'en comprendre le vray sens, sans avoir receu la lumiere d'en haut pour cela? Cette responce estoit toute amoureuse, et la Sainte Vierge qui le sçavoit bien s'en sentit la plus obligée mere qui aye jamais esté.

  A010000079 

 Et quant aux yeux, les larmes qui en deseoulent sont des preuves de l'amour; c'est en cette façon que le Psalmiste donnoit des tesmoignages du sien lors qu'il respandoit une grande abondance de larmes devant son Dieu..

  A010000079 

 Il y a parmi les Docteurs une grande varieté d'opinions sur ces paroles de Nostre Seigneur: Femme, qu'avez-vous à demesler avec moy? Aucuns disent qu'il vouloit signifier: Qu'avons-nous à faire, vous et moy, de nous mesler de cela? Nous ne sommes que des invités, nous ne devons donc point avoir soin de ce qui manque; et plusieurs semblables raysons.

  A010000079 

 Mais demeurons fermes en celle que la pluspart des Peres tiennent, laquelle est que le Sauveur respondit à sa sainte Mere: Qu'ay-je à demesler avec vous? pour apprendre aux personnes qui sont constituées en quelque benefice ecclesiastique, de prelature et autres telles dignités, à ne se point servir de ces charges pour gratifier les parens selon la chair et le sang, ou faire en leur faveur chose aucune qui soit [12] tant soit peu repugnante à la loy de Dieu; car ils ne se doivent jamais oublier jusques là qu'à leur occasion ils viennent à s'esloigner de la droiture avec laquelle ils sont tenus à exercer leurs offices.

  A010000079 

 Or, nostre divin Maistre voulant faire cette leçon au inonde, se servit du cœur de la tres sainte Vierge; en quoy certes il luy donna des preuves tres grandes de son amour, comme s'il disoit: Ma tres chere Mere, en vous respondant: Qu'avez-vous à demesler avec moy? je ne veux point vous esconduire en vostre demande; car qu'est-ce que peut refuser un tel Fils à une telle Mere, la plus aymée et la plus aymante qui ayt jamais esté? Mais d'autant que vous m'aymez parfaitement, aussi vous aymé-je souverainement; et cet amour que je vous porte et celuy duquel je sçay que vous m'aymez m'a fait prevaloir de la fermeté de vostre cœur pour donner cette leçon au monde, estant tout asseuré que ce cœur tres amoureux ne s'en esmouvra point.

  A010000080 

 Aussi cette divine Amante, la tres sacrée Vierge, prit les paroles de Nostre Seigneur comme un faisceau de myrrhe qu'elle mit entre ses mammelles, au milieu de son amour; elle receut la goutte qui descouloit de cette myrrhe, laquelle raffermit son cœur en telle sorte qu'en entendant la responce qui aux autres sembloit un refus, elle creut sans aucun doute que le Sauveur luy avoit accordé ce qu'elle luy demandoit; et pour cela elle dit aux officiers: Faites tout ce qu'il vous dira.

  A010000081 

 Cependant, Dieu avoit veu de toute eternité que Rebecca concevroit et auroit des enfans, mais avec cette condition qu'elle les obtiendroit par ses prieres; et si elle n'eust prié avec son mary Isaac elle n'eust point conceu.

  A010000081 

 Il est vray aussi que Dieu avoit determiné de toute eternité l'heure et l'instant de faire deux grans miracles: celuy de l'Incarnation et celuy de donner au monde le premier signe pour la manifestation de sa gloire; mais c'estoit d'une façon generale et non point en sorte qu'estant prié il ne peust avancer cette heure.

  A010000081 

 Quant à ces paroles: Mon heure n'est pas encores venue, quelques-uns ont pensé que Nostre Seigneur entendoit que le vin n'estoit pas encores failli.

  A010000081 

 Voyant donc qu'ils ne pouvoyent avoir des enfans à cause de sa sterilité, elle et son mary s'enfermerent en une chambre et prierent si fervemment que Dieu les ouyt, les exauça, et Rebecca devint grosse de deux jumeaux, Esau et Jacob.

  A010000081 

 Voyla Rebecca et Isaac qui desiroyent tous deux des enfans; mais le malheur estoit que Rebecca estant sterile n'en pouvoit naturellement avoir.

  A010000081 

 veu que la Sainte Vierge le conjureroit de haster le moment de sa venue au monde, et que l'exauçant, il s'incarneroit plus tost qu'il n'eust fait si elle n'eust prié..

  A010000082 

 C'est aussi de cette heure que depend nostre conversion et transmutation, et l'on doit avoir un grand soin de s'y bien disposer, a fin que Nostre Seigneur venant, nous puissions estre prests à bien correspondre à sa grace..

  A010000082 

 Il en est tout de mesme de ce premier miracle que Nostre Seigneur a fait aujourd'huy aux noces de Cana en Galilée.

  A010000082 

 Mon heure n'est pas encores venue, dit-il à sa sainte Mere, mais puisque je ne vous puis rien refuser, j'avanceray cette heure pour faire ce que vous me demandez.

  A010000082 

 O que bienheureuse est l'heure de la divine Providence en laquelle Dieu a voulu nous departir tant de graces et de biens! O que bienheureuse est l'ame qui attendra avec patience et qui se preparera pour correspondre avec fidelité à icelle quand elle arrivera! Certes, ce fut l'heure de la Providence divine celle en laquelle la Samaritaine se convertit.

  A010000083 

 Ces officiers furent tres soigneux de faire ce que la sacrée Vierge leur avoit ordonné, car si tost que le commandement fut fait ils remplirent ces cruches si pleines, que, comme nous lisons dans le Texte sacré, l'eau alloit surnageant tout autour.

  A010000083 

 J'ay veu une de ces cruches à Paris en une mayson de Religieux de l'Ordre de Cisteaux: elles sont fort grandes et ont en icelles des caracteres hebreux, mais je ne les leus pas, parce que je ne la vis que de loin.

  A010000083 

 Lors Nostre Seigneur dit une parolle interieure que personne n'entendit, et à l'instant toute cette eau fut changée en tres bon vin.

  A010000083 

 Vin tres excellent que celuy cy dont nous sommes nourris, car c'est par la reception du corps et du sang du Sauveur que nous sont appliqués les merites de sa Mort et Passion..

  A010000084 

 D'aller chercher les raysons de telles disputes cela n'est point propre pour nous; mais tenons-nous à cette heure du costé de ceux qui disent qu'il y a des licornes et que leur poudre a la proprieté de chasser le venin.

  A010000084 

 Tous peuvent avoir de cette poudre aussi bien que les princes; neanmoins ces derniers ont cet advantage par dessus les autres qu'on leur fait des gobelets de cette corne, et ils prennent dans iceux la poudre de la licorne.

  A010000085 

 Il nous la faut inviter à nostre festin, d'autant que là où est le Fils et la Mere le vin n'y manque point; car elle dira infailliblement: Mon Seigneur, cette mienne fille n'a point de vin.

  A010000085 

 Mais avant de finir, disons que puisque Nostre Dame a tant de credit, il nous faut addresser à elle, à ce qu'elle represente nos necessités à son Fils.

  A010000085 

 Mais, mes cheres ames, quel vin demandez-vous? O certes, non autre que celuy des consolations, c'est celuy que nous voulons et pas un autre.

  A010000085 

 Or voyez-vous, si la Vierge eust demandé du vin à fin que ceux qui estoyent aux noces s'enivrassent, sans doute Nostre Seigneur n'eust point operé cette transmutation de l'eau en vin..

  A010000085 

 Voyla une bonne femme qui a un fils malade; o Dieu, il faut employer le Ciel et la terre, car cet enfant est unique, c'est le fruit de mon sein, c'est [16] en luy que j'ay mis toute mon esperance; et quand les remedes humains n'y peuvent plus rien on recourt aux vœux qu'on fait aux Saints.

  A010000086 

 Ces officiers furent grandement prompts à accomplir tout ce qu'il leur commanda, ainsy que nostre divine Maistresse leur avoit conseillé.

  A010000086 

 En somme, mes cheres Sœurs, prattiquez bien ce qui vous a esté enseigné jusqu'à present et vous reposez en la providence de Dieu, car il ne manquera pas de vous fournir ce que vous aurez besoin.

  A010000086 

 Faisons bien ce que le Sauveur nous dira, remplissons bien nos cœurs de l'eau de penitence, et l'on nous changera cette eau tepide en vin de fervent amour; faites soigneusement ce que vous avez aujourd'huy entre les mains, et demain on vous ordonnera autre chose.

  A010000086 

 Si nous voulons que Nostre Dame demande à son Fils qu'il change l'eau de notre tepidité au vin de son amour il nous faut faire tout ce qu'il nous dira; c'est icy un bon point.

  A010000086 

 Voulez-vous estre bien recueillie en l'oraison? Tenez-vous hors de l'oraison comme si vous y estiez et n'employez pas le temps à des reflexions inutiles tant sur vous que sur ce qui se passe autour de vous; ne vous amusez pas à des niaiseries.

  A010000093 

 Or, d'autant que cette similitude renferme et enclot une milliace d'advis et documens tres excellens pour parvenir à la perfection chrestienne, je m'en serviray pour ce petit discours auquel nous verrons qui est ce negociateur qui cherchoit des perles, quelle est cette perle et ce qu'il faut faire pour l'avoir..

  A010000094 

 Ce n'est pas seulement le commencement, mais aussi la fin de la doctrine d'Aristote, que tout homme cherche à estre bienheureux; et ce philosophe a tres bien dit qu'il y a dans l'homme un certain mouvement naturel qui tend à la felicité.

  A010000094 

 L'avare la cherche dans les richesses, [18] mais il ne l'y sçauroit trouver, d'autant que les richesses ne sont qu'amertume; d'autres la cherchent dans les voluptés, mais ils ne l'y peuvent rencontrer, car les voluptés sont plus propres aux bestes qu'aux hommes, et au lieu de contenter le cœur elles l'abrutissent; d'autres recherchent leur felicité dans les honneurs et satisfactions de cette vie, mais ils ne l'y trouvent pas non plus, car tous les playsirs sont sujets à mille vicissitudes et accidens, et ceux qui possedent le plus de ces biens l'experimentent journellement; les plus grans roys et princes le ressentent mesme tous les jours, voire bien souvent avec plus de rigueur que le reste des hommes..

  A010000094 

 Quant au premier point, tous les hommes sont ces marchans et negociateurs qui cherchent des perles, lesquelles ne sont autre chose que la felicité et beatitude.

  A010000094 

 Que s'il s'en rencontre quelques uns qui ne sont pas bienheureux, ce n'est pas faute de cette pretention generale, ains de la particuliere; car bien qu'ils tendent à cette felicité, si est-ce qu'ils la mettent en des choses où elle ne se trouve pas.

  A010000095 

 C'est ce que vouloit signifier le royal Prophete par ces paroles: Qui me monstrera le bien apres lequel j'halette et souspire? Comme s'il vouloit dire: O Seigneur, tout homme appete le bien et desire qui le luy monstre; et je ne suis pas du nombre de ceux qui ne l'appetent pas, car j'ay bien observé en moy un certain instinct naturel qui me porte et me fait tendre au bonheur.

  A010000095 

 En un autre endroit le mesme Psalmiste s'escrie: O Dieu, mon cœur s'est tout resjoui quand il a sceu que vous estiez sa felicité; et nostre grand Pere saint Augustin dispit: «O Dieu, mon cœur est creé pour vous, il n'aura jamais repos ni tranquillité qu'il ne jouisse de vous.» Nous voyons par ces paroles comme le cœur humain tend naturellement à Dieu qui est sa beatitude.

  A010000095 

 Mais je passe ce premier point sans en dire davantage, parce que ce n'est pas là où je me veux arrester.

  A010000095 

 Voicy en cette parabole d'admirables documens pour la perfection chrestienne, que nous verrons clairement prattiqués en la vie de sainte Brigide dont nous celebrons aujourd'huy la feste en ce diocese.

  A010000096 

 A cause du rapport et de la convenance qu'elle a avec l'homme, il estoit en quelque façon raysonnable que Dieu luy donnast cette felicité; il y avoit encores de la bienseance que l'homme la possedast, voyla pourquoy il s'obligea de la luy bailler.

  A010000096 

 Elle a une telle convenance et rapport avec le cœur de l'homme qu'il ne sçauroit trouver de repos qu'en la possedant; de mesme, si je l'ose dire, elle, par un amour reciproque, ne semble pas estre vraye felicité qu'entant que l'homme la possede, car Dieu l'a faite pour la jouissance de l'homme, et la luy a tellement promise qu'il s'est obligé de la luy donner.

  A010000096 

 Il est vray que l'homme est ereé pour la felicité et la felicité pour l'homme; car l'homme ne peut estre content s'il ne jouit de la felicité, et la felicité, ce semble, ne peut estre felicité si l'homme ne la possede.

  A010000096 

 Or, bien que cette promesse n'ayt pour fondement que sa bonté, il s'ensuit neanmoins que cette obligation est de justice, mais d'une justice toute misericordieuse, car c'est par pure misericorde que Dieu s'est engagé de donner sa gloire à sa creature, gloire qui n'est autre que l'union de nos ames avec luy..

  A010000097 

 C'est un beau nom que celuy de moine, nom [20] tout mysterieux qui nous fait cette belle leçon de tendre à l'union, de nous relier et restreindre pour pouvoir justement aspirer à la felicité..

  A010000097 

 La charité donques produit l'union icy bas; c'est elle qui retire et resserre les affections, qui relie et reunit tout ce qui est desuni, en somme c'est par cette union temporelle que l'on arrive à l'eternelle.

  A010000097 

 La grace nous y dispose, et la charité est comme la racine qui engendre et cause l'union; à mesure que nous aurons plus de grace en cette vie, nous aurons aussi plus de gloire au Ciel, et par consequent plus d'union.

  A010000097 

 Mais pour y parvenir, il faut, pendant que nous sommes en cette vie, prendre, embrasser et rechercher les moyens qui nous y peuvent conduire.

  A010000098 

 Cependant, non seulement celles-là se vendent si cher, mais encores les diamans, qui ne sont point propres à sa santé, ains au contraire y nuisent, lesquels s'achetent neanmoins les quinze cens escus; et cela ne vient que de l'estime qu'on en fait..

  A010000098 

 Mais quelles sont ces perles sinon les vertus et bonnes œuvres qui sont comme des perles et pierres pretieuses? Or, d'où vient que les pierreries ont un si grand prix parmi les hommes? Leur beauté et esclat les rend sans doute aggreables et prisables, mais ce n'est pas là la principale cause de leur valeur, ouy bien l'estime qu'on en fait parmi les mortels.

  A010000098 

 N'est ce pas une chose horrible et espouvantable de voir cette ehontée Cleopatra porter attachées à ses oreilles deux perles qui valoyent cinq mille escus? N'est ce pas un prodige et une estrange fantasie des humains que ces pierreries qu'ils estiment pretieuses et qui ne sont en effect que des pierres, soyent arrivées à une telle estime parmi eux qu'on vienne à vendre un diamant les cinq cens escus et davantage? N'est ce pas, dis-je, une grande folie? Certes, quand ces pierres, pour pretieuses qu'elles puissent estre, seroyent achetées un escu, c'est tout ce qu'elles vaudroyent, excepté celles qui peuvent servir à la santé de l'homme.

  A010000099 

 Et non content de cela, il est venu ça bas en terre comme un divin negociateur pour chercher ces pierres pretieuses, s'exerçant à la prattique des vertus, leur baillant encores un plus [21] beau lustre par ce moyen, à dessein de nous en rendre amoureux, à ce que, les recherchant et nous adonnant à la conqueste d'icelles, nous puissions obtenir la vie eternelle qui leur est reservée; car c'est aux vertus et bonnes œuvres qu'elle se donne, voyla pourquoy tous les Chrestiens les cherchent..

  A010000099 

 Neanmoins ce n'est point do cette beauté que depend leur plus haute valeur, ains de l'estime qu'elles ont devant Dieu, qui en fait un si grand estat qu'il leur a promis la felicité, c'est à dire la vie eternelle.

  A010000100 

 Il traverse la mer, il souffre mille et mille fatigues pour acquerir un bien qu'il appete et dont il a besoin pour s'enrichir; mais il ne l'a pas plus tost, que la chose mesme en quoy il constituoit sa felicité le fatigue et ennuye.

  A010000100 

 Le voyla donques à la recherche d'une autre, laquelle ayant encores acquise avec mesme et voire plus grande peine que la premiere, elle luy cause neanmoins aussi du degoust et de la fascherie, ce qui luy en fait derechef poursuivre une autre; de sorte que ce pauvre homme pensant trouver dans ces biens apparens la felicité apres laquelle son cœur parpille, il n'y rencontre que fiel et amertume.

  A010000100 

 Que s'il y en a quelques uns qui ne les trouvent pas, c'est qu'ils les cherchent et les pensent trouver où elles ne sont point, à sçavoir dans les richesses, dans les honneurs et voluptés; aussi sont-ils pour l'ordinaire trompés, car les vertus ne se tiennent pas emmi ces choses, on les y rencontre difficilement, et de plus, ces richesses, ces honneurs et voluptés n'apportent qu'amertume, degoust et fascherie.

  A010000100 

 Regardez un marchand: que ne fait-il pas pour accroistre son bien? O Dieu, c'est une chose incroyable et inconcevable quel travail il endure.

  A010000101 

 De là vient que quoy que nos cœurs soyent [22] creés pour la felicité et qu'ils tendent à icelle, plusieurs n'y arrivent point, parce qu'ils ne font pas ce qui les y peut conduire..

  A010000101 

 Les Chrestiens sont donques ces chercheurs de perles et pierres pretieuses: ils en cherchent plusieurs, ils s'essayent de faire diverses bonnes œuvres; mais helas, miserables que nous sommes, apres beaucoup de peine et de travail pour trouver les vertus et faire des bonnes œuvres, nous n'en trouvons point et pour l'ordinaire n'en exerçons aucune, d'autant que nous ne les recherchons pas où elles sont et que nous ne faisons pas nos bonnes œuvres en la façon requise pour les rendre valables et meritoires.

  A010000102 

 Et quelle est cette perle unique, quelle est cette unique perfection? Non autre que la perfection evangelique; il faut vendre tout ce que l'on a à fin de l'acheter, selon le dire de Nostre Seigneur: Va, vens tout ce que tu as et me suis..

  A010000103 

 C'est ce qu'on fait venant en Religion, par un entier renoncement de toutes les vanités du monde et de ce que l'on y possedoit; car il faut tout quitter, sans se reserver aucune chose pour petite qu'elle soit..

  A010000103 

 Or, bien que tous les Chrestiens doivent rechercher cette perle et vendre tout ce qu'ils ont pour l'acquerir, chacun selon sa vocation, si est-ce que les Religieux, les Religieuses et les personnes dediées à Nostre Seigneur y sont obligés d'une obligation plus estroitte et particuliere.

  A010000103 

 Quoy que cette perle soit la perfection chrestienne, si est-ce que nous pouvons dire encores plus proprement que la perfection religieuse est la vraye perle evangelique, pour laquelle acheter il faut tout quitter, et en une façon bien plus speciale que pour la perfection chrestienne, car pour celle cy on la peut acquerir en gardant les commandemens de Dieu; mais pour la perfection religieuse il ne faut pas seulement garder les preceptes, ains aussi les conseils, les [23] secrettes inspirations et les mouvemens interieurs.

  A010000104 

 Or, il ne faut pas agir de la sorte, d'autant que Dieu ne pouvant estre trompé, il vous en prendroit comme à Ananias et à sa femme; pensant tromper Dieu vous vous trouveriez trompés vous mesmes.

  A010000105 

 (Il est hors de doute qu'il y a des lieux où les hommes naissent plus beaux qu'ailleurs. Or, l'Escosse a cet advantage par dessus les autres païs du monde, mais d'en vouloir deduire les raysons il n'est pas à propos icy; tout cela importe peu, pourveu que nous allions en Paradis c'est assez.).

  A010000105 

 Sainte Brigide fit cecy avec une admirable perfection, et pour le vous faire mieux entendre, je vous rapporteray sommairement l'histoire de sa vie, parce qu'il est necessaire, combien que vous la puissiez lire en des livres et [24] y voir tout ce que j'ay à dire.

  A010000107 

 (Je sçay que plusieurs ne veulent pas nommer ces biens futurs biens de fortune, voire mesme le grand saint Augustin, parce que les payens appelloyent un de leurs dieux, le dieu de [25] Fortune; mais despuis ce temps, la chose a esté raccommodée, ou pour mieux dire spiritualisée, de sorte qu'on les appelle communement de ce nom.).

  A010000107 

 C'est beaucoup fait que d'avoir quitté les pretentions et esperances; il est mesme plus malaysé de s'en desprendre que des biens que l'on possede.

  A010000107 

 Elle renonça donques à tous les honneurs, richesses et playsirs que le monde luy presentoit, et aux biens de fortune, c'est à dire à ces biens à venir qui sont si difficiles à delaisser.

  A010000107 

 Il s'en trouve beaucoup en effect qui possedent peu de chose, mais ils ont de si grandes pretentions et belles esperances que difficilement y peuvent-ils renoncer.

  A010000108 

 Elle auroit peu estre duchesse, marquise et mesme princesse, car puisque l'amour releve les amans, la fille de basse qualité espousée à un grand seigneur est faite telle que son mary, c'est à dire, elle perd la bassesse de son extraction pour participer et estre transformée en celle de son espoux.

  A010000108 

 Elle refusa cet honneur avec les richesses qui l'accompagnoyent; elle rejetta, pour suivre l'attrait de la grace, les playsirs et voluptés que telles choses luy presentoyent, nonobstant qu'elle vist bien qu'en les acceptant elle seroit, selon le monde, la plus heureuse fille qui se puisse rencontrer..

  A010000109 

 Quant à la force il n'en est quasi point parlé entre le sexe feminin, c'est un don duquel il ne se prise gueres; de là vient la mollesse et grande tendreté des femmes qui sont si fades et delicates qu'il ne faut que la piqueure d'une mouche pour leur faire prendre le lit; voyla pourquoy elles ne se soucient pas beaucoup du don de force.

  A010000110 

 Entre autres choses, elle m'a advoué qu'elle se lavoit d'eau fraische, puis s'en alloit demeurer les trois heures entieres [26] au serein jusqu'à ce que son visage fust tout congelé.

  A010000110 

 Et que dirons-nous des femmes de Venise qui, apres avoir lavé leurs cheveux, se vont percher sur les toits les heures entieres aux rayons du soleil pour faire devenir leurs cheveux blonds, et de celles qui portent des emplastres sur leur visage tout le long de la semaine pour les arracher le Dimanche, à fin de paroistre blanches et aggreables aux yeux de quelques fous? En somme, c'est une chose estrange de ce que ce sexe met en œuvre pour conserver sa beauté; c'est pourquoy, d'autant plus qu'il est curieux de cecy, d'autant plus le renoncement que l'on en fait est excellent..

  A010000110 

 Puisque nous ne sommes icy que des gens de connoissance, je vous parleray tout franchement.

  A010000111 

 Dès lors, ceux qui la recherchoyent n'en firent plus d'estat et la quitterent entierement; ce que voyant son pere, et que par cet accident il estoit frustré de l'esperance qu'il avoit de faire de bonnes alliances, il la rejetta aussi, la chassa hors de sa mayson et se resolut de la rendre Religieuse.

  A010000111 

 Elle fit donques une priere tres fervente à son Espoux, le suppliant de luy oster cette beauté corporelle à fin que plus aysement elle peust conserver la spirituelle; ce qu'il luy accorda, car elle ne demandoit cela que pour sa gloire.

  A010000111 

 Voyez-vous que c'est du monde? Quand elle estoit belle et recherchée des plus grans du païs son pere la tenoit chez luy à cause du bien et advantage qu'il eu attendoit; mais la trouvant changée, oh! il la faut envoyer en Religion, elle ne vaut rien pour le monde..

  A010000111 

 Voyla qu'il luy tomba une defluxion sur un œil qui le luy fondit dans la teste et le luy enfonça, et l'humeur se jetta en telle sorte en cette concavité que puis apres s'espanchant sur toute sa face, elle la rendit extremement laide et difforme.

  A010000112 

 A mesme temps Dieu luy rendit la lumiere corporelle et sa premiere beauté, mais en une façon beaucoup plus excellente que la premiere; car son celeste Espoux voyant que pour acquerir son amour et acheter cette perle de la perfection religieuse elle avoit quitté sa santé et sa beauté, il l'en favorisa bien plus pleinement qu'elle ne l'eust peu esperer.

  A010000113 

 Je feray bien telle chose, mais je vois qu'il seroit mieux autrement; mon Dieu, on me dit que je la fasse ainsy, et cependant je vois que j'en [28] tirerois beaucoup plus de proffït si je la faisois en cette sorte; un tel exercice me seroit bien plus proffitable pour mon avancement que non pas cet autre.

  A010000113 

 Mais ce n'est pas tout, il y a encores une autre piece aussi difficile à quitter que l'autre: c'est le propre jugement.

  A010000113 

 Quant à l'abnegation de la propre volonté j'ay tous-jours accoustumé de dire que c'est la principale piece de nostre renoncement; c'est par où il faut commencer et finir, car la volonté propre n'est qu'une formiliere de petits vouloirs, inclinations et humeurs, lesquelles on doit toutes assujettir à l'obeissance et à la rayson; autrement elles font un desordre et rebellion tant à la loy et volonté de Dieu qu'à celle des Superieurs.

  A010000114 

 C'est ce que nous a voulu faire entendre le grand Apostre lors qu'il disoit: Je sens en moy deux lois, la loy de la chair et celle de l'esprit, lesquelles sont toutes contraires l'une à l'autre; ce qui me fait souvent gemir et m'escrier: O moy miserable, qui me delivrera de ce corps de mort? car je sens un appetit en ma chair qui appete le mal que mon esprit abhorre.

  A010000114 

 Certes, quand le jugement et la volonté propres sont renoncés, tout est fait; mais il faut bien travailler pour en arriver là, et ne pas s'estonner des difficultés ou de la peine que l'on esprouve tant pour les ruiner comme pour acquerir les vertus, car on ne les sçauroit avoir sans travail.

  A010000114 

 Nous pouvons juger par ces parolles du violent combat que ce saint Apostre tant favorisé de Dieu souffroit en sa chair, qui repugnoit à l'esprit..

  A010000114 

 Or, de penser parvenir à ce point de perfection sans peine et d'obtenir les vertus sans difficulté, c'est une heresie plustost qu'autre chose, car la sainte Eglise a declaré, et c'est une verité infaillible, que l'homme sera toute sa vie sujet à des passions, changemens et vicissitudes; de sorte que pour aller contre ces passions, pour demeurer ferme et esgal parmi ces variations et marcher avec la pointe de l'esprit et de la rayson, il faut de necessité supporter du travail et de la peine.

  A010000115 

 Quand est-ce que nous vendons tout ce que nous possedons pour acquerir cette perle sinon quand nous nous dedions au service de Dieu? Quand on prend l'habit de Religion on commence [29] à tout rejetter, on quitte les biens, les honneurs, les parens, renoncemens fort difficiles à faire pour quelques uns; et neanmoins l'amour et amitié des proches est bien foible et fade parce que, s'il n'a point d'autre fondement que la nature, il se perd pour le moindre accident qui arrive.

  A010000116 

 C'est pourquoy la correction regne en toute Religion bien reformée et y est perpetuellement prattiquée; de là vient le bon ordre qu'on y trouve, d'autant que par icelle on redresse, nettoye et corrige tout ce qui ne va pas bien ou qui est tant soit peu imparfait.

  A010000116 

 Pour nous autres mondains personne ne nous reprend; nous marchons par les grandes rues de ce monde avec des robes toutes boueuses, et pas un ne nous dit mot ni s'essaye de nous nettoyer; on nous laisse aller nostre chemin sans nous rien dire, ce qui fait que nous demeurons tousjours tout crotteux.

  A010000117 

 Au reste, quand mesme nous quitterions de grans biens [30] pour aller souffrir en Religion toutes les disettes et les incommodités que la pauvreté traisne apres soy, o Dieu, que ce seroit bien peu au prix de ce que Nostre Seigneur a quitté pour nous! car ne pouvant estre pauvre au Ciel, où il n'y a ni peut avoir aucune disette, il s'est humanisé et il est venu en ce monde endurer la plus grande pauvreté des choses necessaires à l'usage de sa vie, et ce, pour nous enrichir et donner des preuves de son amour..

  A010000117 

 On renonce à ce qui est inutile et se contente-t-on du necessaire pour l'entretien de la vie, embrassant la sainte sobrieté qui retranche le superflu et donne ce qui fait besoin, sans permettre que l'on en souffre aucune grande disette; car si on trouve en quelque lieu ce qui est requis pour la conservation de cette vie miserable, c'est bien en la Religion où il se depart plus soigneusement que par tout ailleurs.

  A010000117 

 Or, bien que cela se commence à prattiquer quand on se dedie au service de Dieu, si est-ce qu'il se fait bien plus entierement quand on prononce les vœux.

  A010000118 

 Je vous dis derechef que vous serez heureuse, ma chere Fille, si vous vous donnez tellement à Dieu que desormais vous viviez non plus selon vos humeurs et fantasies, mais selon les Regles et Constitutions et la volonté de ceux qui vous gouverneront..

  A010000118 

 O que vous serez heureuse, ma chere Fille, si aujourd'huy que vous voulez vous dedier à Dieu vous vous donnez toute à luy sans aucune reserve, et si, à l'imitation de sainte Brigide, vous quittez et renoncez toutes choses pour acheter cette perle unique de la perfection religieuse! Vous serez bienheureuse si de bon cœur vous venez chercher en cette mayson la vraye paix et tranquillité d'esprit, qui consiste et se trouve non pas dans les consolations ou mignardises, comme plusieurs pensent lesquels se trompent, mais dans le renoncement parfait et absolu de vostre propre volonté et jugement, en la sujetion et sousmission de vostre liberté, vous laissant conduire et gouverner par autruy.

  A010000119 

 Or, si vous voulez qu'il vous accorde cela, donnez-luy aussi ce qu'il vous demande, qui est que vous gardiez sa loy et obeissiez à ses conseils..

  A010000119 

 Or, vous ayant sommairement raconté la vie de sainte Brigide, il est bien raysonnable que je vous die encores quelques uns de ses miracles; je vous en rapporteray seulement deux qui sont propres à ce sujet, avec lesquels je fermeray ce discours.

  A010000119 

 Si vous voulez qu'il vous octroye ce que vous desirez, donnez-luy donques ce qu'il vous demande.

  A010000119 

 Vous le priez que sa volonté soit faite, car c'est en icelle que consiste tout nostre bien; puis encores, que son Royaume nous advienne pour jouir de cette eternelle felicité apres laquelle nos cœurs aspirent et parpillent continuellement.

  A010000120 

 Ce qui arriva soudain, parce que Dieu vouloit tout ce que la Sainte souhaittoit.

  A010000120 

 Lors le premier trempa ses mains dans cette eau fraische et commença de laver son compagnon qui devint plus blanc que la neige.

  A010000120 

 Mais celuy qui estoit net ne se soucia point de l'autre, ains se voyant si blanc: O Dieu, respondit-il, je ne l'oserois pas toucher, car à cette heure que je suis gueri il est dangereux que si je le touche je ne devienne derechef lepreux.

  A010000121 

 Mais à quel propos ce miracle, et pourquoy est-ce que je le dis? Parce qu'il est beau et qu'il me semble devoir [32] estre rapporté à cause des excellens documens qui y sont compris.

  A010000121 

 Voyez-vous ce que fait cette Sainte, guidée de l'Esprit de Dieu, pour guerir ces lepreux? Elle leur dit: Lavez-vous les uns les autres.

  A010000122 

 C'est la leçon que noir, l'ait aujourd'huy sainte Brigide quand elle commande à ces ladres de se laver les uns les autres..

  A010000122 

 C'est par là qu'on recouvre sa premiere santé et que le corps de la Religion demeure net et libre de toute tache et macule.

  A010000124 

 Cette fille donc recouvra la veuë, et quand elle vit ce merveilleux luminaire du soleil, la beauté des choses creées, tant du ciel que de la terre, elle fut remplie d'une grande admiration et consolation.

  A010000124 

 Et Nostre Seigneur luy accorda de redevenir aveugle, luy donnant en mesme temps une clarté interieure si grande, que despuis elle renonça à toutes choses et s'adonna en telle sorte à l'oraison et contemplation qu'elle vescut et mourut fort saintement..

  A010000124 

 Mais elle se sentit aussi tost esclairée d'une autre lumiere qui eschaufïa son cœur et qui luy fit appeter les biens eternels et perdurables, beaucoup plus excellens que ceux qu'elle appercevoit par ses sens; et lors, considerant combien cette veuë corporelle la pourroit empescher et retarder au dessein d'acquerir le souverain bien qui est Dieu, elle desira de la perdre une autre fois pour jouir plus pleinement de la veuë spirituelle.

  A010000125 

 O Dieu, que cette Urie fut heureuse de tout delaisser pour tout avoir; car quittant la veuë elle quitta vrayement tout, d'autant que c'est la chose la plus pretieuse au corps de l'homme, celle que l'on conserve le plus soigneusement et que l'on craint davantage de perdre.

  A010000125 

 O que vous serez heureuse, ma chere Fille, si vous quittez vostre veuë et si vous renoncez à tout pour tout avoir, embrassant en telle sorte la vraye mortification de vos sens et passions, que mesprisant toutes les choses temporelles et transitoires, [34] vous recherchiez avec cette bonne Urie les biens eternels et perdurables! Si vous vous livrez toute à Dieu et luy donnez tout ce qu'il vous demande, il vous octroyera tout ce qu'il est luy mesme et ne vous refusera rien de ce que vous requerrez de luy.

  A010000133 

 Il est dit dans l'Evangile sacré que ce bon Maistre se transporta, avec la multitude qui le suivoit, de la mer de Galilée sur la montagne, en un lieu escarté et desert.

  A010000133 

 La mer de Galilée signifie le monde avec ses tracas et remuemens, où l'on a grande peine à entendre Nostre Seigneur, c'est à dire ses inspirations, si l'on ne va sur la montagne et qu'on ne se retire en la mayson de Dieu; car pourquoy ne peut-on pas parler en secret parmi les rues de Lyon, sinon à cause que l'on fait trop de bruit? Ainsy malaysement peut-on ouyr les paroles que le Sauveur dit au fond de nostre cœur au milieu de [36] tant d'embarrassemens.

  A010000133 

 Mais, mes cheres Filles, nostre bon Dieu vous a tant aymées qu'il vous a fait entendre son inspiration sacrée malgré ces tracas, encores que vous luy fissiez la sourde oreille et que possible vous n'y pensiez pas..

  A010000134 

 Il faut que vous sçachiez que nous naissons tous enfans d'ire et de perdition, mais par le Baptesme nous sommes transportés en l'estat de grace.

  A010000134 

 Mes cheres Filles, vous avez mieux fait que tous ceux-là, car encores qu'ils se puissent sauver chacun selon sa vocation, bien qu'avec grande peine, ils sont si enfoncés dans la terre, dans les richesses, dans les vanités, que malaysement ils s'acquittent de leurs devoirs envers Dieu; bienheureux neanmoins sont-ils si, parmi tant d'empeschemens, ils suivent Nostre Seigneur selon leur capacité.

  A010000134 

 Neanmoins ils ne se soucient point des conseils que Nostre Seigneur donne, lesquels sont: Qui veut venir apres moy, qu'il renonce à soy mesme, prenne sa croix et me suive, et tant d'autres beaux enseignemens qui nous peuvent faire arriver à la perfection.

  A010000134 

 Tous se peuvent sauver en observant les commandemens; et pourtant il y en a si peu dans le Christianisme qui s'adonnent à la veritable vertu! Grace à Dieu il y a par tout des Chrestiens: en France, en Europe, en Asie, en Afrique, en fin dans tous les païs du monde; mais le malheur est qu'il y en a si peu qui fassent profession de vrays Chrestiens que c'est grand pitié.

  A010000135 

 Je ne dis pas aussi que vous n'en aurez point, parce que je mentirois, car je sçay bien que vous en aurez; mais pourtant il n'y faut pas venir à cette intention, mes cheres Filles, ains pour y faire la volonté de Dieu et pour luy estre tant soit peu plus aggreables..

  A010000135 

 Passons à la seconde consideration, car je ne veux pas estre long à fin que vous puissiez mieux faire vostre proffit de cette petite exhortation.

  A010000135 

 Si nous voulons que Nostre Seigneur ayt soin de nous il le faut suivre emmi les croix et les espines.

  A010000136 

 Ainsy vos mains, vous ne les tiendrez plus dans des manchons, vous ne prendrez plus tant de peine pour les entretenir, mais les employerez à tout ce que l'obeissance ordonnera.

  A010000136 

 Il ne vous sera point loysible d'ouyr des choses inutiles, non pas mesme ce que vous pouviez bonnement entendre dans le monde; car il faut tout quitter en la Religion pour se dedier tout entiere à la plus grande gloire de Dieu.

  A010000136 

 Sçachez qu'il faudra mortifier vos «sens exterieurs» et interieurs: vostre memoire, vous ne la devrez plus occuper sinon à ce qui est de l'obeissance, oubliant ce que vous sçaviez au monde, quoy qu'il fust bon, pour apprendre ce que l'on voudra; et quant à vostre volonté, il la faudra conformer à celle de vos Superieurs.

  A010000137 

 Examinez bien si vous avez le courage d'entreprendre ce que nous venons de dire.

  A010000137 

 Mais souvenez-vous que quand Nostre Seigneur vit la multitude qui l'avoit suivi avec tant de peine, il en eut compassion et luy prepara un banquet; ainsy, mes cheres Filles, si vous avez une grande fidelité à marcher apres luy tant en l'affliction qu'en la consolation, il vous preparera un festin là haut au Ciel, car pendant cette vie il le faut suivre en la souffrance et parmi les tentations..

  A010000137 

 Vous avez vostre volonté libre pour faire ce que vous voudrez, sortir ou [38] demeurer.

  A010000139 

 Il ne faut pas faire comme les charbonniers lesquels, encores qu'ils soyent tout noircis et maschurés ne s'en soucient point, se contentant d'avoir des yeux et un nez et de paroistre hommes; de mesme les gens du monde pensent que quand ils se [39] gardent des gros pechés ils font assez.

  A010000139 

 Mais il y a une autre sorte de vie plus parfaite que tout cela, laquelle est une escole de la perfection, où l'on est plus totalement et plus facilement à Nostre Seigneur: c'est la vie monastique et religieuse que vous avez choisie à fin de vous rendre plus aggreables à sa divine Majesté, car il ne faut point avoir d'autre pretention.

  A010000139 

 Mais les courtisans du roy, au contraire, sont tousjours apres à se parer et mirer pour voir s'ils n'ont rien de mal accommodé; ainsy, pour estre aggreables à Nostre Seigneur, il faut avoir un grand soin de ne laisser rien entrer en nostre ame qui la puisse salir et enlaidir, car ce celeste Espoux est si jaloux de nostre cœur qu'il ne veut pas que rien le possede sinon luy qui est la consolation mesme, et sans lequel tout n'est qu'amertume.

  A010000139 

 Si vous luy estes fidelles, les Regles vous seront du miel, les Constitutions du sucre et les mortifications des roses; l'obeissance vous sera un doux repos et vous vivrez comme des vrayes espouses de Jesus Christ crucifié; et de mesme qu'on appelle reynes les espouses des roys, vous, on vous appellera les crucifiées, parce que vostre Espoux c'est Jesus Christ crucifié, pendant cette vie, mais en l'autre il sera Jesus Christ glorifié.

  A010000139 

 Vous serez bienheureuses si vous y perseverez et si vous tenez toutes choses pour un vray neant; et vous souvenez que ce que vous avez quitté n'est rien au prix de ce que vous possedez.

  A010000149 

 meilleures que le vin et respandent les.

  A010000153 

 La divine amante, jettant un profond souspir, se print à dire: Qu'il me bayse, ce cher Ami de mon ame, qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche, car tes mammelles sont meilleures que le vin, respandant des odeurs grandement aggreables.

  A010000154 

 Il luy fut donné par son celeste Espoux au jour de l'Annonciation que nous celebrons aujourd'huy, au mesme moment qu'elle eslança ce souspir tres amoureux: Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche! Ce fut alors que cette divine union du Verbe eternel avec la nature humaine, representée par ce bayser, se fit dans les entrailles sacrées de la glorieuse Vierge..

  A010000154 

 Les Peres, considerant cette parolle du Cantique des Cantiques que l'Espouse addresse à son Espoux: Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche, disent que ce bayser qu'elle desire si ardemment n'est autre que [41] l'execution du mystere de l'Incarnation de Nostre Seigneur, bayser tant attendu et souhaitté pendant une si longue suite d'années par toutes les ames qui meritent le nom d'amantes.

  A010000155 

 Cela estant donc ainsy presupposé par maniere de preface à ce que nous avons a deduire, nous ferons une petite meditation sur la suite des paroles que la divine amante dit à son Bien-Aymé, par lesquelles elle luy donne des louanges admirables..

  A010000155 

 Mais quand est-ce que ce divin bayser fut donné à cette Espouse incomparable? Au mesme instant qu'elle respondit à l'Ange cette parole tant desirée: Qu'il me soit fait comme vous dites.

  A010000155 

 O consentement digne de grande resjouissance pour les hommes, d'autant que c'est le commencement de leur bonheur eternel.

  A010000155 

 Voyez, de grace, comme cette divine Amante exprime delicatement ses amours: Qu'il me bayse, c'est à dire: Que ce Verbe qui est la parole du Pere, sortant de sa bouche, vienne s'unir à moy par l'entremise du Saint Esprit, qui est le souspir eternel de l'amour du Pere envers son Fils et du Fils reciproquement envers son Pere.

  A010000156 

 En effect, les mammelles representent les affections, d'autant qu'elles sont posées sur le cœur et, ainsy que disent les medecins, [42] le lait dont elles sont remplies est comme la moelle de l'amour maternel des meres envers leurs enfans, cet amour le produisant pour leur nourriture..

  A010000156 

 Premierement, apres avoir demandé cet amoureux bayser elle adjouste: Car tes mammelles sont meilleures que le vin, respandant des odeurs fort suaves.

  A010000156 

 Ton lait ou tes amours, veut-elle donc signifier, sont meilleures que le vin.

  A010000157 

 Les amours de Nostre Seigneur ont, au dessus de tous les playsirs terriens, une force incomparable et une proprieté indicible pour recreer le cœur humain, non seulement plus que toute autre chose, ains rien n'est capable de luy donner un parfait contentement que le seul amour de Dieu.

  A010000157 

 Or, dit la chere amante, tes amours qui sont tes mammelles, o mon Bien-Aymé, produisent une certaine liqueur odoriferante qui recrée merveilleusement mon ame, si que je n'estime nullement la bonté des vins plus pretieux et delicats des playsirs de la terre; ils ne sont rien en comparaison, ce sont plustost des ennuis.

  A010000158 

 Il avoit presque la seigneurie universelle de toute la terre, il en estoit quasi maistre absolu, de sorte que tout le monde observoit le silence en sa presence et les princes n'osoyent souffler mot; tout trembloit, par maniere de parler, sous son authorité, pour la grande reverence qu'on luy portoit.

  A010000158 

 L'exemple d'Alexandre, que les mondains appellent le Grand, certifie assez mon dire.

  A010000158 

 Mais de quoy? Hé, disoit-il, parce que, y ayant plusieurs mondes, il n'en avoit pas conquis entierement un seul; si qu'il desesperoit de ne les pas tous avoir en sa domination.

  A010000159 

 N'estimeroit-on pas bien fol et de [43] peu de jugement un marchand qui travailleroit beaucoup à faire quelque commerce dont il ne luy reviendroit que de la peine? Donques, je vous prie, ceux dont l'entendement estant esclairé de la lumiere celeste sçavent asseurement qu'il n'y a que Dieu seul qui puisse donner un vray contentement à leurs cœurs, ne font-ils pas un trafic inutile logeant leurs affections aux creatures inanimées ou bien à des hommes comme eux? Les biens terriens, les maysons, l'or et l'argent, les richesses, voire les honneurs, les dignités que nostre ambition nous fait rechercher si esperduement, ne sont-ce pas des trafics vains? Tout cela estant perissable, n'avons-nous pas grand tort d'y loger nostre cœur, puisque, au lieu de luy donner un vray repos et quietude, il luy fournit des sujets d'empressement et d'inquietude tres grande, soit pour les conserver si on les a, soit pour les accroistre ou acquerir si on ne les a pas?.

  A010000160 

 Je passe plus avant et veux que nous aymions les Anges; parlant communement, quel gain en tirerons-nous? car ce sont comme nous des creatures, esgalement sujettes à Dieu, nostre commun Createur.

  A010000160 

 Je veux que nous logions nos affections et nostre amour aux hommes, qui sont creatures animées, capables de rayson; qu'est-ce qui nous en reviendra? Nostre trafic ne sera-t-il pas vain, puisqu'estans hommes comme nous, esgaux en la nature, ils ne peuvent que nous rendre un contreschange en nous aymant parce que nous les aymons? Mais ce sera tout, car n'estans pas plus que nous, nous ne ferons nul profit, et ne recevrons pas plus que nous ne leur donnons: nous leur donnerons nostre amour et ils nous donneront le leur, et l'un pour l'autre.

  A010000160 

 Les Cherubins et les Seraphins n'ont aucun pouvoir de nous aggrandir ni de nous donner un contentement parfait, d'autant que Dieu s'est reservé cela, ne voulant pas que nous trouvions a loger nostre amour hors de luy, tant il en est jaloux..

  A010000161 

 Or, le Pape pensant en soy mesme par quel moyen il le pourroit ravoir, s'avisa de cet artifice: il fit escrire à tous les princes et à tous les grans que si ce chantre s'en alloit presenter à eux ils ne le receussent point à leur service, jugeant que ne trouvant point d'autre meilleure retraitte, le pauvre chantre retourneroit en fin à luy.

  A010000161 

 Quoy que ce chantre fust tant cheri de son maistre, il ne laissa pas d'estre fantasque, de sorte qu'il luy prit un jour une fantasie de s'en aller et de sortir de sa cour, ce qu'il fit, laissant son bon maistre fort marry de sa sortie.

  A010000162 

 Et si bien ce chantre revient plus [45] souvent par force que par amour, au lieu de le rebrouer il ne laisse pas de le recevoir et de luy donner le mesme office qu'auparavant en sa chapelle, voire mesme, ce semble, davantage..

  A010000162 

 Folie insupportable! car quel bonheur, ains quel honneur, quelle grace et quel sujet d'un parfait contentement que d'estre aymé de Dieu et de demeurer en la mayson de sa divine Majesté, c'est à dire d'avoir logé en luy tout nostre amour, sans autre pretention que de luy estre aggreable! Et cependant, voyla que ce cœur humain se laisse emporter à sa fantasie et s'en va de creature en creature, de mayson en mayson pour voir s'il ne pourra point trouver quelqu'un qui le veuille recevoir et luy donner du contentement parfait; mais en vain, car Dieu, qui s'est reservé ce chantre pour luy seul, a commandé à toutes les creatures, de quelque nature qu'elles soyent, de ne luy donner satisfaction ni consolation quelconque, à fin que par ce moyen il soit contraint de retourner à luy qui est ce Maistre bon d'une incomparable bonté.

  A010000163 

 Dieu a mis en nostre pouvoir l'acquisition de son pur amour qui nous peut infiniment relever au dessus de nous mesme, il le donne à qui luy donne le sien; pourquoy donques nous amusons-nous autour des creatures, esperant quelque chose au trafic que nous ferons en la recherche de leurs affections?.

  A010000163 

 O que la bonté de nostre Dieu est grande! C'est pourquoy l'Espouse à juste rayson s'escrie: O mon Bien-Aymé, que meilleures sans comparaison sont tes mammelles, que tes amours et tes delices sont mille fois plus aggreables que celles de la terre! car les creatures, fussent-elles des plus hautes et relevées et des Anges mesme, fussent-elles des freres ou des sœurs, elles ne nous sçauroyent satisfaire ni contenter.

  A010000164 

 O que cette sainte Amante, nostre Dame et Maistresse, avoit bien gousté la douceur de ces divines mammelles lors qu'en l'abondance des consolations qu'elle recevoit en la contemplation, toute transportée d'ayse et d'un contentement indicible, elle se prit à les louer! Elle nous incite par son exemple à quitter toute autre pretention des satisfactions de la terre, à fin d'avoir l'honneur et la grace de les succer, et recevoir le lait de la misericorde qui en distille goutte à goutte sur ceux qui s'en approchent pour le recevoir..

  A010000165 

 Je ne veux [46] pas dire cependant que si celles qui l'ont donné à quelqu'un viennent à l'en retirer pour le consacrer à Dieu, que ce sacré Espoux ne le reçoive de bon cœur et qu'il n'accepte ce don de leurs affections; mais pourtant il aggrée grandement ces jeunes ames qui se dedient tout à fait à la perfection de son amour.

  A010000165 

 Mais l'Espouse ne s'arreste pas là, car poursuivant elle dit que le nom de son Bien-Aymé est comme un huile respandu, composé de plusieurs excellentes odeurs, lesquelles ne se peuvent imaginer, voulant signifier: Mon Bien-Aymé n'est pas seulement parfumé, ains il est le parfum mesme; c'est pourquoy, adjouste-t-elle, les jeunes filles t'ont aymé.

  A010000165 

 O Dieu, quelle grace de reserver tout nostre amour pour Celuy qui nous recompense si bien en nous donnant le sien! En donnant nostre amour aux creatures nous ne recevons nul gain, d'autant qu'elles ne nous rendent pas plus que nous ne leur donnons; mais nostre divin Sauveur nous donne le sien, qui est comme un baume pretieux lequel respand des odeurs souveraines en toutes les facultés de nostre ame..

  A010000165 

 Qu'est-ce que la divine amante desire que nous entendions par ces jeunes filles? Les jeunes filles representent en ce sujet certaines jeunes ames qui n'ayans encores logé leur amour nulle part, sont merveilleusement propres à aymer le celeste Amant de nos cœurs, Nostre Seigneur Jesus Christ.

  A010000165 

 Ton nom, poursuit la sainte Espouse, respand des odeurs si delicates que les jeunes filles t'ont aymé, te dediant toutes leurs amours et toutes leurs affections.

  A010000166 

 Elle est cette unique fillette qui a plus excellemment aymé le divin Espoux que jamais nulle creature n'a fait ni fera; car elle commença à l'aymer dès l'instant de sa conception glorieuse aux entrailles de la bonne sainte Anne, se donnant à Dieu et luy dediant son amour dès qu'elle commença d'estre..

  A010000166 

 O que cette jeune fillette Nostre Dame ayma souverainement le divin Espoux! Aussi en fut-elle souverainement aymée, car à mesme temps qu'elle se donna à luy et luy consacra son cœur, qui fut lors qu'elle prononça ces paroles: Voicy la servante du Seigneur, me soit fait comme vous dites, ou comme il luy plaira, voyla que soudain il descendit dans ses chastes entrailles et se rendit fils de celle qui se nommoit sa servante.

  A010000166 

 Or, je sçay bien que nul ne peut jamais parvenir à un si haut degré de perfection que de dedier aussi absolument son amour à Dieu et à la suite de sa divine volonté comme lit Nostre Dame; mais pourtant nous ne devons pas laisser de le desirer, et commencer le plus tost et le plus parfaittement possible selon nostre capacité, qui est incomparablement moindre que celle de cette sainte Vierge.

  A010000167 

 Les saints Peres s'arrestent à considerer ce que cette Espouse veut signifier par ces paroles: Tirez-moy et nous courrons, d'autant que c'est comme si elle disoit: Bien que vous ne tiriez que moy, nous serons toutefois plusieurs qui courrons.

  A010000167 

 Quelques-uns pensent que quand elle prie son Bien-Aymé de la tirer, elle proteste par là qu'elle a besoin d'estre prevenue de sa grace sans laquelle nous ne pouvons rien faire; mais quand elle adjouste nous courrons, c'est à sçavoir, vous et moy, mon Bien-Aymé, nous courrons par ensemble.

  A010000168 

 Aussi, sans l'ayde de cette divine grace et des Constitutions que l'on garde ceans sous la conduite de nostre sacrée Mere et Maistresse la Sainte Vierge, elles ne parviendroyent jamais à ce haut degré d'espouses de Jesus Christ.

  A010000168 

 Nous voicy maintenant à l'autre partie de nostre exhortation, qui est la Profession et dedicace que ces filles viennent faire de leur cœur à la divine Majesté, dedicace et offrande qu'elles n'eussent pourtant jamais eu volonté de faire si le souverain Espoux de nos ames ne les eust attirées et prevenues de sa grace.

  A010000169 

 Les Religieuses que font-elles autre chose sinon de se tenir dans leurs chambres? ains, non contentes de cela, elles s'enfoncent en elles mesmes pour demeurer plus seules, et par ce moyen se rendre plus capables de jouir de la conversation de leur Espoux.

  A010000169 

 Mais vous avez beau vous cacher, les Anges vous sçauront bien trouver; ne voyez-vous pas que Nostre Dame estant toute seule fut bien trouvée par saint Gabriel?.

  A010000169 

 Nous ferons nostre troisiesme consideration sur ce que Nostre Dame fut trouvée toute seule dans sa chambre quand l'Ange la vint saluer et luy apporter cette [48] heureuse et tant gracieuse nouvelle de l'Incarnation du Verbe de Dieu dans ses saintes et chastes entrailles.

  A010000170 

 Elles se ramassent en elles mesmes parce que tout leur soin est en cette beauté interieure, pour laquelle conserver et accroistre elles sont tousjours attentives à fin de retrancher à tout propos ce qui la pourroit tant soit peu ternir ou enlaidir.

  A010000170 

 La beauté de la fille de Sion est au dedans, dit le Psalmiste, parce qu'elle sçait bien que le divin Espoux regarde luy seul le dedans, tandis que les hommes ne voyent que le dehors.

  A010000170 

 Les vierges et les Religieuses ne sont jamais mieux à leur contentement que lors qu'elles sont toutes seulettes pour contempler à leur ayse la beauté du celeste Amant.

  A010000170 

 Nous en voyons la preuve en ce que Nostre Dame le prattiquant et demeurant retirée merita au mesme temps d'estre choisie pour Mere de Dieu..

  A010000171 

 Cette sacrée Vierge lut donques une tres parfaite Religieuse, ainsy que nous avons dit; aussi est-elle la particuliere protectrice des ames qui se dedient à Nostre Seigneur.

  A010000171 

 Mais considerons un peu à part, je vous prie, les vertus qu'elle prattiqua et fit paroistre plus excellemment que toutes autres au jour de sa glorieuse Annonciation, vertus que je ne feray que marquer en passant et [49] puis je finiray.

  A010000172 

 Je toucheray seulement ces trois points, laissant le surplus aux considerations que vous ferez une chacune en particulier le long de cette octave..

  A010000172 

 La virginité et absolue chasteté est une vertu angelique; mais bien qu'elle appartienne plus particulierement aux Anges qu'aux hommes, si est-ce pourtant que la pureté de Nostre Dame surpassa infiniment celle des Anges, ayant trois grandes excellences au dessus de la leur, mesme de celle des Cherubins et Seraphins.

  A010000173 

 C'est à son imitation, comme nous l'avons dit, que les vierges ont voué leur chasteté; mais la virginité de cette divine Mere a encores cette proprieté de restablir et reparer celle mesme qui auroit esté souillée et tachée en quelque temps de leur vie.

  A010000173 

 L'Escriture Sainte tesmoigne que du temps qu'elle vivoit elle appel la desja une grande quantité de vierges, si que plusieurs l'accompagnoyent par toutou elle alloit: sainte Marthe, sainte Marcelle, les Marie et tant d'autres.

  A010000173 

 La pureté et virginité de Nostre Dame eut cette excellence, ce privilege et cette sureminence au dessus de celle des Anges, que ce fut une virginité feconde.

  A010000173 

 Mais en particulier, n'est-ce point par son moyen et par son exemple que sainte Magdeleine, qui estoit comme un chaudron noirci de mille sortes d'immondicités et le receptacle de l'immondicité mesme, fut par apres enroollée sous l'estendart de la pureté de Nostre Dame, estant convertie en une fiole de cristal toute resplendissante et transparente, capable de recevoir et retenir les plus pretieuses liqueurs et les eaux plus salutaires?.

  A010000174 

 Et non seulement elle produit elle mesme, mais elle fait encores que la virginité qu'elle engendre en produise des autres; car une ame qui se dedie parfaittement au divin service ne sera jamais seule, ains en attirera plusieurs à son exemple, à la suite des parfums qui l'ont attirée elle-mesme; c'est pourquoy l'amante sacrée dit à son Bien-Aymé: Tirez-moy et nous courrons..

  A010000174 

 La virginité de nostre divine Maistresse n'est donc point sterile comme celle des Anges, ains elle est tellement [50] feconde que dès l'instant qu'elle fut vouée à Dieu jusqu'à maintenant elle a tousjours fait de nouvelles productions.

  A010000175 

 De plus, la virginité de Nostre Dame surpassa celle des Anges parce que ceux cy sont vierges et chastes par nature.

  A010000175 

 Les Anges ne sont nullement louables de ce qu'ils sont vierges et chastes, car ils ne peuvent pas estre autrement; mais nostre sacrée Maistresse a une virginité digne d'estre exaltée, d'autant qu'elle est choisie, esleue et vouée; et si bien elle fut mariée à un homme, ce ne fut point au prejudice de sa virginité, parce que son mari estoit vierge, et avoit comme elle voué de l'estre tousjours.

  A010000175 

 O que cette tres sainte Dame ayma cherement cette vertu! c'est pourquoy elle en fit le vœu, elle s'accompagna tous-jours de vierges et les favorisa particulierement..

  A010000175 

 Or, on n'a pas accoustumé de louer une personne de ce qu'elle a naturellement, d'autant que cela estant sans election, ne merite par consequent point de louanges.

  A010000176 

 A Dieu ja ne plaise que nous pensions que cette espreuve ressemble aux nostres, car estant toute pure et la pureté mesme, elle ne pouvoit [51] recevoir les attaques que nous recevons et qui nous tourmentent nous autres qui portons la tentation en nous.

  A010000176 

 Elles sont si importunes que le grand Apostre saint Paul escrit qu'il pria par trois fois Nostre Seigneur de les luy oster, ou bien d'en moderer de telle sorte la fureur qu'il peust y resister sans offense et sans cheute..

  A010000176 

 On trouvera peut estre estrange ce que je dis, que la pureté de Nostre Dame a esté esprouvée et combattue; mais pourtant cela est, et d'une espreuve tres grande.

  A010000177 

 Ce qu'il dit s'appercevant que la pudeur virginale de Nostre Dame commençoit à entrer en peine.

  A010000177 

 Et tout ainsy que la sacristaine d'une eglise a un grand soin de bien fermer les portes, de peur que l'on ne vienne à despouiller ses autels, et regarde tousjours autour d'iceux si on n'a point pris quelque chose, de mesme la pudeur des vierges est sans cesse aux aguets pour voir si rien ne viendra point attaquer leur chasteté ou mettre en peril leur virginité, de laquelle elle est extremement jalouse; et dès qu'elle apperçoit quelques choses noires, quand ce ne seroit que l'ombre du mal, elle s'esmeut et se trouble comme fit la tres auguste Marie..

  A010000177 

 Hé, ne le remarquons-nous pas en ce qu'elle commença à craindre et se troubler, si que saint Gabriel le connoissant luy dit: Marie, ne crains point; car si bien, vouloit-il signifier, vous me voyez en forme d'homme, je ne le suis pourtant pas, ni moins vous veux-je parler de leur part.

  A010000178 

 Bien qu'elles se puissent trouver l'une sans l'autre, comme on voit communement dans le monde, où plusieurs personnes mariées vivent humblement, si faut-il confesser pourtant que ces deux vertus ne sçauroyent subsister l'une sans l'autre ès vierges, c'est à dire ès filles..

  A010000178 

 Certes, elle estoit familiere avec les Anges, mais elle n'avoit neanmoins jamais esté louée par eux [52] jusqu'à cette heure là, d'autant que ce n'est point leur coustume de louer personne, si ce n'est quelquefois pour encourager en quelque grande entreprise.

  A010000178 

 Mais elle ne fut pas seulement vierge par excellence au dessus de tous autres, tant Anges qu'hommes, ains encores plus humble que tous autres; ce qu'elle monstra excellemment bien le jour de l'Annonciation.

  A010000178 

 Oyant donc saint Gabriel luy donner une louange si extraordinaire, cela la mit en souci, pour monstrer aux filles qui prennent playsir à estre cajolées qu'elles courent grande fortune de recevoir quelque tare en leur virginité et pureté; car l'humilité est compagne de la virginité, et tellement compagne que la virginité ne demeurera jamais longuement en l'ame.

  A010000179 

 Elle se voyoit eslevée à la plus haute dignité qui jamais fut et sera; car quand il plairoit à Dieu de recreer derechef plusieurs mondes, il ne sçauroit pourtant faire qu'une pure creature fust plus que la Mere de Dieu.

  A010000179 

 Et pour monstrer qu'elle l'estoit et qu'elle la vouloit estre: Qu'il me soit fait, dit-elle, tout ainsy qu'il luy plaira, s'abandonnant à la merci de sa divine volonté, protestant que par son choix et par son election elle se tiendra tousjours en bassesse et qu'elle conservera l'humilité comme compagne inseparable de la virginité..

  A010000179 

 Nostre Dame estant rassurée par l'Ange et ayant appris ce que Dieu vouloit faire d'elle et en elle, fit ce souverain acte d'humilité disant: Voicy la servante du Seigneur, me soit fait selon ta parole.

  A010000180 

 Ce n'est pas à dire que d'elles mesmes elles ne puissent descendre et monter tout à la fois; ce que ne faisoyent pas ces Anges, car ils montoyent pour descendre derechef.

  A010000180 

 L'humilité semble nous esloigner de Dieu qui est appuyé sur le haut de l'eschelle, parce qu'elle nous fait tousjours descendre pour nous avilir, mespriser et ravaler; mais neanmoins c'est tout au contraire, car à mesure que nous nous abaissons, nous nous rendons plus capables de monter au sommet de cette eschelle où nous rencontrons le Pere eternel..

  A010000180 

 Mais si ces deux vertus se peuvent trouver l'une sans l'autre, cette separation ne peut exister entre l'humilité et la charité, car elles sont indivisibles et tellement conjointes et unies ensemble que jamais l'une ne se rencontre sans l'autre, pourvoi qu'elles soyent vrayes et non feintes Dès que l'une cosse de faire son acte, l'autre la suit immediatement; dès que l'humilité s'est abaissée, la charité se releve contre le Ciel.

  A010000181 

 Nostre Dame s'humilia et se reconneut indigne d'estre eslevée à la haute dignité de Mere de Dieu; c'est pour cela qu'elle fut rendue sa Mere, car elle n'eut pas plus tost fait la protestation de sa petitesse, que, s'estant abandonnée à luy par un acte de charité incomparable, elle devint Mere du Tres Haut, qui est le Sauveur de nos ames..

  A010000182 

 Si nous faisons ainsy, mes cheres Filles, et que nous unissions la virginité avec l'humilité, l'accompagnant soudain de la tres sainte charité qui nous eslevera au haut de l'eschelle mystique de Jacob, nous serons indubitablement receus dans la poitrine du Pere eternel, qui nous comblera de mille sortes de consolations celestes.

  A010000185 

 ... Sans [la grâce] nous ne pouvons rien faire, ainsy que nous l'asseure la divine amante, quand elle dit: Trahe me, tirez-moy, à quoy elle adjouste: Curremus, nous courrons.

  A010000186 

 Ames tres cheres, lesquelles la glorieuse Vierge regardoit quand elle disoit: Nous courrons, asseurant son Bien-Aymé que plusieurs suivroyent son estendart pour batailler sous son authorité contre toutes sortes d'ennemis pour la gloire de son nom..

  A010000186 

 La tres sainte Vierge fut tirée seule et la premiere par le celeste Espoux pour se consacrer et se dedier totalement à son service, car elle fut la premiere qui consacra son corps et son ame par le vœu de virginité à Dieu; mais soudain qu'elle fut tirée elle tira quantité d'ames, qui luy ont fait offre d'elles mesmes pour marcher sous ses auspices sacrés en l'observance d'une parfaite et inviolable virginité et chasteté; si que despuis qu'elle a tracé le chemin, il a tousjours esté couvert et chargé d'ames qui se sont venues consacrer par les vœux au service de la divine Majesté.

  A010000187 

 Oh! si la Mere de Dieu eust esté de la nature angelique, combien les Cherubins et les Seraphins s'en glorifieroyent et tiendroyent honnorés! Nostre Dame est bien aussi l'honneur, le prototype et le patron des hommes et des femmes qui vivent vertueusement, et des vefves; mais pourtant nul ne peut nier que les filles n'ayent une certaine alliance avec elle plus particuliere que non pas le reste des hommes, parce que cette ressemblance de la virginité, qui est du sexe et de la condition, y apporte une grande capacité et un grand advantage pour s'en approcher de plus pres..

  A010000188 

 Et pour moy, je pense que ce qu'on a fait de tout temps une feste plus grande pour leur entrée et Profession en Religion qu'on ne fait pas pour les hommes, n'est pour autre rayson sinon que le sexe estant plus fragile et faisant un acte de si grande vaillance comme est celuy qu'elles font entrant en Religion, qu'il requiert aussi plus d'honneur, et Dieu merite plus d'estre honnoré et admiré en cette solemnité, que non pas en la [55] profession que les hommes font de vivre en Religion.

  A010000189 

 Au contraire on leur dit, soit qu'elles veuillent faire Profession ou entrer au noviciat: Il vous faudra aller sur «le mont de Calvaire,» où, avec Nostre Seigneur, il faudra que vous soyez «crucifiées,» attachant et crucifiant vostre entendement pour restreindre toutes vos pensées, pour n'en admettre volontairement aucunes que [56] celles qui vous seront marquées selon la vocation que vous choisissez.

  A010000189 

 Il faudra de mesme crucifier vostre memoire, pour n'admettre jamais aucun ressouvenir de ce que vous avez laissé au monde.

  A010000189 

 Il faudra en fin que vous crucifiiez et attachiez à la Croix de Nostre Seigneur vostre volonté particuliere, pour n'en avoir jamais plus pour vous en servir à vostre gré, ains il vous faudra vivre en parfaitte sousmission et obeissance tout le temps de vostre vie..

  A010000189 

 Les hommes qui entrent en Religion y entrent bien pour y vivre en obeissance selon les Regles et Statuts d'icelle; mais si faut-il confesser que le renoncement qu'ils font de leur liberté n'est pas si extreme que celuy des filles, d'autant qu'ils ont encores la liberté de sortir, d'aller de couvent en couvent, de prescher, de confesser et faire ainsy plusieurs autres exercices qui leur servent de divertissement.

  A010000189 

 Où les filles qui se viennent dedier à Dieu, rejettent et abandonnent tout cela, renonçant à cette derniere piece que la nature veuille quitter, qui est la liberté; si que nous pouvons bien dire que ces filles font une chose au dessus de la nature, estant besoin que Dieu leur donne une force surnaturelle pour faire cet acte si parfait de se dedier à son divin service par un renoncement si grand comme est celuy qu'elles font.

  A010000190 

 Dites-moy donques, s'il vous plaist, n'est-ce pas un acte de tres grande consideration, et digne d'estre honnoré, que celuy que font ces filles en passant outre, bien qu'on ne leur represente que croix, qu'espines, que lances, que clous et en fin que mortifications en la Religion? O ames grandement genereuses et qui monstrez qu'en verité vous bataillez et marchez sous les auspices de nostre sainte et glorieuse Maistresse, qui est la tres sainte Vierge! O sans doute, il faut bien que ces filles ayent consideré que c'est le propre de l'amour de rendre leger ce qui est pesant, doux ce qui est amer et facile ce qui est insupportablement difficile sans amour.

  A010000190 

 Vostre glorieux Pere saint Augustin a grandement bien exprimé cette verité, disant que celuy qui ayme ne trouve rien de fascheux, de difficile ou de trop grand travail: «Le travail,» dit-il, «ne se trouve point en l'amour, ou s'il s'y trouve, c'est un travail bien aymé.».

  A010000191 

 Allez donc, mes cheres Filles, ou plustost venez amoureusement vous dedier à Dieu et au service de son tres pur amour; et bien que vous rencontriez du travail, la peine vous en sera bien aymée, en l'asseurance que vous contenterez Dieu et vous rendrez aggreables à vostre chere Patronne, laquelle bien qu'elle n'aye pas eu le nom de Religieuse, n'a pas laissé pourtant d'en pratiquer les exercices, et laquelle, bien qu'elle soit Protectrice de tous les hommes et de chaque vocation en general, s'est neanmoins rendue particuliere Protectrice des vierges qui se sont dediées au service de son Fils en la Religion, d'autant qu'elle a esté comme une Abbesse qui leur a monstré l'exemple de tout ce qu'elles [57] devoyent faire pour vivre religieusement.

  A010000191 

 Et qu'ainsy ne soit, je vous presenteray seulement trois points à considerer, sur lesquels je ne feray que passer en courant, pour preuve de mon dire, que je trouve dans l'Evangile de ce jour, auquel il est dit que l'Ange s'addressant à cette sainte Vierge pour luy annoncer le mystere incomparable de l'Incarnation du Verbe eternel, il la trouva en Galilée, et en la ville de Nazareth, retirée et seule dans sa chambre..

  A010000192 

 Ceux qui sont passagers font la transmigration, d'autant qu'ils passent d'un lieu à l'autre, comme font les arondelles et les rossignols qui ne demeurent pas ordinairement en ces quartiers, ains ils n'y sont qu'au temps des chaleurs et du printemps, et l'hiver venant ils font la transmigration, se retirans aux autres pais où le printemps et les chaleurs sont en mesme temps que nous avons icy les froidures de l'hiver; mais nostre printemps revenant, ils reviennent et font derechef la transmigration, c'est à dire le passage d'une contrée à l'autre, nous venant recreer par leur petit gazouillement..

  A010000192 

 Quant au premier point, qui est que Nostre Dame estoit au pais de Galilée, Galilée est une diction hebraïque qui vaut autant à dire que transmigration.

  A010000192 

 Sur quoy il faut que vous sçachiez qu'il y a de deux sortes d'oyseaux, les uns qui sont passagers et les autres qui ne le sont pas.

  A010000193 

 Les Religieux et Religieuses ne sont-ils pas au païs de transmigration, et ne font-ils pas le passage du monde en la Religion, comme en un lieu de printemps, pour chanter les divines louanges et pour s'exempter de souffrir les froidures et les gelées du monde? Hé! n'est-ce pas pour cela qu'ils entrent en la Religion, où il n'y a que printemps et que chaleur, le Soleil de justice dardant fort ordinairement ses rayons sur les cœurs des Religieux, lesquels il n'eschauffe pas moins en les esclairant qu'il les esclaire en les eschauffant? Et qu'est-ce que le monde sinon un hiver extremement froid, où il n'y a que des ames gelées et froides comme glace? J'entens ceux qui estans au monde vivent selon les lois du monde, car je sçay bien qu'on peut vivre parfaittement en toutes sortes de vocations, mesme dans le monde, aussi bien [58] qu'en Religion; et pourveu qu'on le veuille, l'on peut en tous lieux parvenir à un tres haut degré de perfection.

  A010000193 

 Mais pour parler selon que nous voyons estre le plus ordinaire, l'on ne rencontre presque au monde que des cœurs de glace, tant ils sont froids et peu eschauffés de ce feu supresme dont tous les autres feux prennent leur origine et leur chaleur.

  A010000194 

 L'amour ne dit jamais: C'est assez, sufficit; il veut que l'on aye le courage de vouloir tousjours aller plus avant en la voye des volontés du Bien-Aymé..

  A010000194 

 Nostre Dame donques, comme les Religieuses, estoit au païs de transmigration; mais, o Dieu, qu'elle fit admirablement bien cette transmigration, passant d'un degré de perfection en un autre degré plus haut! Bref, sa vie ne fut autre chose qu'un passage continuel de vertu en vertu, en quoy toutes les Religieuses la doivent imiter le plus parfaittement qu'elles pourront, puisqu'elles sont celles qui l'approchent de plus pres que tout le reste des creatures; car c'est sans doute qu'elles sont de ces vierges dont parle le Psalmiste quand il dit qu'elles seront amenées au Roy, les plus proches d'elle: Adducentur Regi virgines post eam, proximae ejus.

  A010000195 

 La seconde remarque que je fais sur les paroles de l'Evangile est que Nostre Dame fut trouvée par l'Ange en la cité de Nazareth.

  A010000195 

 O que cette cité represente bien à propos la Religion! car qu'est-ce que la Religion, sinon une maison ou une cité fleurie et toute parsemée de fleurs, d'autant qu'on n'y fait chose quelconque, quand on y vit selon les Regles et Statuts d'icelle, que ce ne soyent autant de fleurs? Les mortifications, les humiliations, les oraisons, bref, tous les exercices, qu'est-ce autre chose que des pratiques de vertus, qui sont comme de belles fleurs qui [59] respandent une odeur extremement suave devant la divine Majesté? Or, qu'est-ce que la Religion sinon un parterre tout semé de fleurs tres aggreables à la veuë et d'odeur tres salutaire à ceux qui les veulent odorer?.

  A010000196 

 A qui appartiennent, je vous prie, tant de fleurs dont l'Eglise a esté remplie et a esté tant embellie et ornée, sinon à la tres sainte Vierge, l'exemple de laquelle les a toutes produites? Et n'est-ce pas par son moyen que l'Eglise a esté parsemée des roses des Martyrs invincibles en leur constance, des soucis de tant de saints Confesseurs et des violettes de tant de saintes Vefves, qui sont petites, humbles et basses comme ces fleurs, mais qui respandent une tres bonne et suave odeur? Et en fin, n'est-ce pas à elle à qui appartiennent plus particulierement tant de lys blancs, tant de puretés et de virginités toutes candides et toutes innocentes? d'autant que ç'a esté à son exemple que tant de vierges ont consacré leurs cœurs et leurs corps à la divine Majesté, par une resolution et un vœu tres indissoluble de conserver leur virginité et pureté..

  A010000196 

 Et ne sçavez-vous pas que c'est elle qui est ce jardin clos et fermé du Cantique, lequel en est tout emperlé et esmaillé? Hortus conclusus, soror mea sponsa, hortus conclusus; repetition qui n'est pas sans mysteres.

  A010000197 

 O quelle divine Abbesse! O que ces Religieuses estoyent heureuses d'avoir esté instituées par cette divine Doctoresse [60].

  A010000202 

 Mais s'il ayme souverainement ce qui est uni et conjoint, il est ennemy de la desunion, car ce qui est desuni est imparfait, la desunion n'estant causée que par l'imperfection.

  A010000202 

 Or, celle cy est si excellente que tous les philosophes n'ont point encores fini ni resolu leur admiration, en voyant comme Dieu a conjoint l'ame et le corps, mais d'une jonction tellement estroitte que le corps, sans laisser d'estre corps, et l'esprit, sans laisser d'estre esprit, ne font neanmoins qu'une seule personne.

  A010000203 

 Ce sont donc deux extremités que celles icy, et deux grans contraires; neanmoins Dieu a operé dans le ventre de la Vierge une si admirable conjonction de ces deux natures, qu'elles n'ont fait qu'une personne, en sorte que l'homme est Dieu, et Dieu, sans laisser d'estre Dieu, est homme..

  A010000203 

 Jamais la pensée d'une telle et si admirable jonction n'eust osé entrer dans l'esprit d'aucun Ange, Cherubin ni Seraphin, car ces deux natures divine et humaine sont si esloignées l'une de l'autre, il y a une si grande distance entre icelles, qu'onques aucune creature angelique n'eust peu penser que Dieu eust voulu faire cette union.

  A010000203 

 La premiere est celle de [61] la nature divine avec la nature humaine dans ses sacrés flancs, laquelle est si eslevée qu'elle surpasse infiniment tout ce que les entendemens humains et angeliques en peuvent concevoir ou comprendre.

  A010000203 

 Mais ce n'est pas de cette union naturelle de l'ame et du corps en Nostre Dame que je veux parler, d'autant qu'elle est generale et commune au reste des hommes; ains je me veux arrester sur trois autres unions merveilleuses que Dieu a fait en elle.

  A010000205 

 L'humilité fait tout le contraire; elle [62] rabaisse l'ame au dessous d'elle mesme et de toutes les creatures, ayant cela de propre, que plus elle est grande plus elle ravale à ses propres yeux l'ame dans laquelle elle demeure.

  A010000206 

 Il est vray que nul autre que Dieu ne pouvoit faire l'union de ces deux vertus; mais luy, qui n'est qu' un seul Dieu, veut et ayme l'unité, et se plaist à monstrer la grandeur de son pouvoir en faisant de si admirables jonctions.

  A010000206 

 Or, il a uni la charité et l'humilité en la Sainte Vierge de telle sorte qu'il n'y sçauroit avoir en elle de charité sans humilité ni d'humilité sans charité; la charité demeurant humble et l'humilité charitable, la charité rehaussant l'ame par dessus toutes creatures et par dessus elle mesme, et l'humilité la rabaissant au dessous de toutes, ces deux vertus demeurant neanmoins tellement conjointes que l'une ne peut subsister sans l'autre..

  A010000207 

 C'est sur cette derniere union que je m'arresteray, laquelle me donnera entrée dans le sujet de cette feste; car qu'est-ce que la Visitation de Nostre Dame à sainte Elizabeth sinon un assemblage de l'humilité et de la charité, ou un sommaire des effects de ces deux vertus pratiquées par la Sainte Vierge envers sa cousine? L'humilité et la charité n'ont qu'un seul objet qui est Dieu, à l'union duquel elles tendent; neanmoins elles passent de Dieu au prochain, et c'est là où elles se perfectionnent.

  A010000207 

 Certes, nostre tres glorieuse Maistresse pratiqua ces deux vertus en un souverain degré au temps de l'Incarnation, lors que l'Ange Gabriel luy avant annoncé ce mystere ineffable, elle respondit: Voicy la servante du Seigneur, me soit fait selon ta parole; car pendant qu'il la declaroit Mere de Dieu et Reyne des Anges et des hommes, qu'il luy faisoit entendre qu'elle estoit eslevée par dessus toutes les creatures angeliques et humaines, elle s'abaissa aux pieds [63] de toutes, disant: Voicy la chambriere du Seigneur.

  A010000207 

 Humilité grande que celle cy! La Sainte Vierge eut alors une telle et si claire connoissance de la misere de nostre nature et de la distance qu'il y a entre Dieu et l'homme, que, se voyant rehaussée et esleue au dessus de tous, elle se rabaissa au plus profond de son neant devant les incomprehensibles et inespuisables abismes de l'immense bonté de Dieu..

  A010000208 

 Il est vray qu'elle ne s'humilia jamais si profondement que quand elle dit: Voicy la servante du Seigneur; mais apres avoir fait des actes d'une si parfaite humilité et aneantissement et estre descendue le plus bas qu'elle pouvoit, elle produit consecutivement des actes de charité, en adjoustant: Me soit fait selon ta parole; car en donnant son consentement et acquiescement à ce que l'Ange luy annonçoit que son Dieu demandoit d'elle, elle fit paroistre la plus grande charité qui se peut imaginer.

  A010000209 

 Ce qu'elle nous fait entendre elle mesme par ces paroles de son sacré Cantique: Parce que le Seigneur a regardé ma vileté, ma bassesse et ma misere, toutes les nations m'appelleront bienheureuse.

  A010000209 

 Comme si elle eust voulu dire à sainte Elizabeth: Vous me proclamez bienheureuse, et il est vray que je le suis; mais tout mon bonheur procede de ce que Dieu a regardé ma vileté et mon abjection.

  A010000209 

 De l'amour de Dieu procede celuy du prochain; et à mesure, disoit le grand Apostre, que ton amour sera grand envers Dieu il le sera aussi à l'endroit de tes freres.

  A010000209 

 Saint Jean nous enseigne cecy lors qu'il escrit: Comme est-il possible que tu aymes Dieu que tu ne vois point, si tu n'aymes pas ton prochain que tu vois?.

  A010000209 

 [64] Cependant, Nostre Dame ne se contenta pas de s'estre ainsy humiliée devant la divine Majesté, car elle sçavoit bien que l'humilité et la charité ne sont en leur perfection si elles ne viennent à passer au prochain.

  A010000210 

 Donc, si nous voulons monstrer que nous aymons bien Dieu, et si nous voulons qu'on nous croye quand nous l'asseurons, il nous faut bien aymer nos freres, les servir et ayder en leurs besoins.

  A010000210 

 En quoy elle fait paroistre une grande humilité et charité; car dès qu'elle se vit Mere de Dieu elle s'humilia jusques là que de se mettre tout aussi tost en chemin pour aller secourir et assister cette bonne femme.

  A010000210 

 O Dieu, quelle douceur et suavité ressentoit-elle en son cœur par la connoissance de cette merveille! O que de saints devis et d'amoureux colloques entre le Fils et la Mere!.

  A010000211 

 Mais quelle humilité est celle cy! Elle s'en va pour estre chambriere et servante de celle qui luy estoit en tout et par tout inferieure; car jaçoit que sainte Elizabeth fust de noble extraction, puisqu'elle estoit de la lignée de Levi, estant mariée au grand prestre, et que touchant sa mere elle appartenoit à la maison de David, si est-ce que pour tout [65] cela elle n'estoit rien au prix de la Vierge.

  A010000211 

 Nostre Dame est Reyne du Ciel et de la terre, des Anges et des hommes; et encores ces tiltres que nous luy donnons ne servent qu'à ayder nos pauvres entendemens à se la representer en quelque façon qui nous fasse un peu comprendre sa grandeur, d'autant qu'elle est souverainement plus grande que tout ce que l'on en peut dire.

  A010000211 

 O mon Dieu, que grande et profonde estoit cette humilité, laquelle elle fit encor paroistre en saluant sa cousine, car l'Evangeliste remarque que Nostre Dame, comme la plus humble, la salua la premiere..

  A010000211 

 Que si nous luy voulons donner un nom digne de son excellence il nous la faut nommer Mere de Dieu; car ce mot est si sureslevé que tous les tiltres, les louanges et eloges que nous luy sçaurions donner sont compris dans iceluy.

  A010000211 

 Quelle humilité est-ce donques que celle de la Sainte Vierge, puisqu'alors qu'elle est choisie et declarée pour Mere du Verbe eternel, elle se dit la servante du Seigneur, et comme chambriere, sort et s'en va servir cette bonne Elizabeth en sa viellesse.

  A010000212 

 Mais que de benedictions et de graces entrerent en cette maison avec la sacrée Vierge! Ce qui se connoist par les parolles de sainte Elizabeth, laquelle avec un esprit de prophetie s'escria d'une voix claire et intelligible: D'où me vient ce bonheur que la Mere de mon Dieu vienne me visiter? Puis, poursuivant elle dit: Vous estes bienheureuse parce que vous avez creu.

  A010000212 

 O Dieu, qui pourroit comprendre les douceurs et suavités qui s'escoulerent dans le cœur de sainte Elizabeth en cette Visitation? Comme est-ce qu'elle meditoit ce grand mystere de l'Incarnation et les graces et faveurs que le Seigneur luy avoit accordées? Que de paroles amoureuses, que de divins colloques faisoit saint Jean dès le sein de sa mere avec son cher Maistre [66] qu'il reconnoissoit et adoroit dans celuy de Nostre Dame! Que de benedictions et de lumieres ce cher Sauveur de nos ames respandoit dans le cœur de son Precurseur! Il luy avança donc à cette heure l'usage de rayson; mais je ne vous en diray rien pour le present parce que je me souviens fort bien de vous en avoir desja parlé autrefois..

  A010000212 

 Ouy, ce fruit est non seulement beni, ains c'est luy qui donne toutes benedictions; et vostre venue m'a apporté tant de liesse et de consolation, que l'enfant a tressailli de joye dans mon sein.

  A010000213 

 Il failloit bien que saint Jean reconneust le Sauveur dans les entrailles de Nostre Dame, puisqu'à son arrivée il tressaillit de joye dans celles de sa mere; il failloit bien aussi qu'ill'aymast, car on ne tressaille point de joye pour la venue de ceux qu'on ne connoist et qu'on n'ayme point.

  A010000213 

 Le premier est que saint Jean eut l'usage de rayson; le second, qu'il fut sanctifié dans le sein de sa mere, et le troisiesme, qu'il fut rempli de science et de la connoissance «le Dieu et des divins mysteres, ce qui est cause qu'il l'ayma, l'adora et tressaillit de joye.

  A010000213 

 Nous autres nous sommes bien vivans dans le sein maternel, mais pourtant nous n'avons pas l'usage de nos facultés; nous y sommes comme des masses de chair, et quoy que nous ayons nos sens, nous ne pouvons pourtant pas nous en servir.

  A010000214 

 Mais que fait Nostre Dame parmi toutes ces louanges et benedictions? Elle n'agit point comme les femmes du monde, lesquelles si on les hausse, au lieu de s'humilier elles se rehaussent encores davantage.

  A010000215 

 Quelles impertinences et extravagances ne fit-elle pas pour s'eslever? Et Eve, la premiere femme, pour avoir seulement ouy dire qu'elle estoit creée à l'image de Dieu, ne presuma-t-elle pas tant d'elle mesme que de se vouloir rendre semblable à luy, escoutant et faisant pour ce sujet tout ce que luy suggeroit l'ennemy?.

  A010000216 

 Lors que l'Ange l'appelle Mere de Dieu, s'enfonçant dans l'abisme de son neant, elle se dit sa chambriere, et lors que sainte Elizabeth la proclame bienheureuse et benite entre les femmes, elle respond que cette benediction procede de ce que le Seigneur a regardé sa bassesse, sa petitesse et son abjection.

  A010000216 

 Mais la sacrée Vierge est venue pour regaigner par son humilité ce que cette premiere Eve avoit perdu par son orgueil; elle contrecarre donques par cette vertu la fierté et presomption d'icelle.

  A010000216 

 [68] O Dieu, que l'humilité de cœur est un bon signe en la vie spirituelle! Que c'est une bonne marque qu'on reçoit efficacement les graces divines quand ces graces abaissent et humilient, et qu'on voit que tant plus elles sont grandes, tant plus elles aneantissent profondement le cœur devant Dieu et les creatures, en sorte que, comme la Sainte Vierge, l'on tient tout son bonheur de ce que les yeux de la divine Bonté ont regardé nostre vileté et misere!.

  A010000218 

 Je sçay bien qu'Elizabeth estoit une sainte matrone qui avoit desja l'Esprit Saint en elle; comme est-ce donques que se doit entendre cecy, qu'elle le receut à la venue de la Vierge? Il n'y a point de doute qu'elle ne le receust alors, car les effects admirables qu'il opera en elle en fournissent de suffisantes preuves.

  A010000218 

 Or, bien qu'Elizabeth eust une mesure pleine de la grace du Saint Esprit, neanmoins à la vealation de la Vierge, elle en receut une comblée, foulée et qui regorgeoit de toutes parts, d'autant que la grace se donne en telle sorte pendant cette vie qu'il y peut tousjours avoir de l'accroissement et augmentation [69] en la communication d'icelle.

  A010000219 

 Certes, en telles choses on peut dire: J'en ay raysonnablement, je me contente, j'en ay à suffisance; mais en ce qui est des biens spirituels, oh! il ne faut jamais penser, tandis que nous sommes en cet exil, que nous en ayons assez, ains il se faut disposer continuellement à recevoir une augmentation de grace..

  A010000219 

 Le monde a une certaine ambition d'acquérir des richesses, des honneurs, et ne dit jamais: C'est assez; combien qu'il soit aveugle en cecy, car pour peu qu'il en possedast il en auroit suffisamment, veu que le trop de gloire, de biens et de dignités cause la mort et perte de nos ames.

  A010000220 

 Nostre Dame va donques pour visiter sainte Elizabeth; mais cette visite ne fut point inutile ni semblable à celles qui se font par les dames de ce temps, seulement par ceremonie, esquelles on tesmoigne bien souvent des affections plus grandes qu'on ne les sent pas et où l'on discourt frequemment des uns et des autres, si que l'on en sort avec des consciences interessées.

  A010000220 

 Saint Hierosme parlant de la devote Proba, descrit merveilleusement bien l'inutilité des visites des dames romaines, disant que ces bonnes matrones ne faisoyent autre que se visiter, [70] et que la pluspart de ces visites estoyent superflues et temps mal employé, ce qu'il deplore en cette epistre.

  A010000221 

 La premiere chose que fit cette Sainte fut de s'humilier profondement, car voyant la Vierge elle s'escria: D'où me vient cecy que la Mere de Dieu me vienne visiter? Voyla le premier fruit de la grace de Dieu, qui est l'humilité; aussi, sa visite incline l'ame à s'aneantir en la connoissance de la bonté divine et en celle de son neant et demerite..

  A010000222 

 Aussi, bien qu'on doive à la sacrée Vierge un culte et un honneur plus grand qu'à tous les autres Saints, neanmoins il ne faut pas qu'il soit esgal à celuy que l'on rend à Dieu.

  A010000222 

 En quoy vous voyez que le second effect du Saint Esprit est de nous faire demeurer fermes en la foy et d'y confirmer les autres; puis de retourner à Dieu, reconnoissant qu'il est la source de imites les graces.

  A010000222 

 Il est vray, semble dire sainte Elizabeth la Vierge, que vous estes benite entre toutes les femmes, mais il est vray aussi que cette benediction [71] vous vient du fruit de vostre sein, lequel est le Maistre des benedictions; car on ne benit pas le fruit à cause de l'arbre, ains l'arbre à cause de la bonté de son fruit.

  A010000222 

 Je dis cecy pour refuter l'heresie de quelques uns lesquels ont voulu soustenir qu'il la failloit honnorer en la mesme façon que Nostre Seigneur, ce qui est faux; car on doit adorer Dieu seul par dessus et au dessus de toutes choses, et puis rendre un honneur tout particulier à Nostre Dame comme Mere de nostre Sauveur et cooperatrice de nostre salut.

  A010000222 

 Secondement, Elizabeth dit: O que vous estes heureuse parce que vous avez creu! Et par apres: Vous estes benite entre toutes les femmes, et le fruit de vostre ventre est beni.

  A010000223 

 En troisiesme lieu, Elizabeth dit que son enfant a tressailli de joye dans son sein; et c'est la troisiesme marque de la visite du Saint Esprit que la conversion interieure, le changement de vie en une meilleure.

  A010000224 

 C'est pour cela qu'il a tellement uni l'Eglise militante avec la triomphante, que les deux n'en font qu'une, n'ayans qu'un Seigneur qui les regit, conduit, gouverne et nourrit, quoy qu'en [72] differentes manieres; aussi nous addressons-nous à luy pour luy demander nostre pain quotidien, tant celuy qui est necessaire au corps que celuy qui est requis à la nourriture de l'ame.

  A010000224 

 Certes, nous nous devons servir d'elle comme d'une mediatrice aupres de son Fils pour obtenir ce divin Esprit; et bien que nous puissions aller à Dieu directement et luy demander ses graces sans employer à cette fin l'entremise des Saints, neanmoins la divine Providence n'a pas voulu qu'il en passast ainsy; mais elle a fait encores une autre union, car Dieu est un, comme je vous ay dit au commencement, aussi ayme-t-il ce qui est uni.

  A010000224 

 Considerez cependant que le Sauveur voulant faire cette union, a voulu et ordonné que nous nous servissions de l'invocation des Saints.

  A010000224 

 Il a voulu que ceux-cy fussent servis par les Esprits celestes, et que la conversion des hommes fust pour iceux une augmentation de gloire à cause de cette union..

  A010000224 

 Mais remarquez que sainte Elizabeth receut le Saint Esprit par le moyen de la Vierge.

  A010000225 

 Mais, me direz-vous, comme est-ce que les hommes peuvent causer de la joye aux Anges? n'ont-ils pas en la vision de Dieu une parfaite beatitude? De cecy il n'y a nul doute; neanmoins, la Sainte Escriture ne tesmoigne-t-elle pas qu' il se fait plus de feste au Ciel pour un pecheur converti que pour nonante neuf justes? par lesquelles parolles vous voyez la joye des Anges sur la conversion d'un pecheur.

  A010000225 

 Or, quand je dis que les Anges font feste au Ciel et se resjouissent, il faut aussi l'entendre des Saints qui sont avec eux; car si bien l'Evangile ne parle que des bienheureux Esprits, c'est parce que devant la Passion de Nostre Seigneur il n'y avoit encores point d'hommes dans le Ciel; mais despuis que les Saints y sont entrés ils ont esté tellement unis avec les Anges qu'ils participent à leur joye sur le retour des pecheurs.

  A010000226 

 Certes, quand nous parlons d'eux nos cœurs doivent estre prosternés par terre, car il y a une si grande distance entre nous et ces Esprits celestes qu'il ne se peut imaginer; et neanmoins un si grand rapport, que tout ainsy que la terre ne peut rien produire sans les influences du ciel, aussi ne pouvons-nous rien de nous mesmes si nous ne sommes assistés des Saints.

  A010000226 

 Il est vray pourtant qu'à une telle et si grande Vierge il ne faut pas aller demander des bagatelles, comme quelques uns font: par exemple, d'estre plus riche, plus belle, et semblables niaiseries; car tout ainsy que ce seroit incivilité de se servir de l'entremission d'un grand prince pour obtenir du roy ou de l'empereur quelque chose de vil prix, aussi seroit-ce une incivilité en la vie spirituelle de se servir de l'entremise de nostre glorieuse Reyne pour des choses basses et caduques.

  A010000226 

 Il n'y a point de doute que nous ne puissions demander à Dieu, par l'intercession de Nostre Dame, non [73] seulement les biens spirituels, tels que les vertus, ains aussi les temporels.

  A010000227 

 Et pourquoy? Pour estre consolée, car c'est une chose si douce d'avoir des consolations! Je voudrois bien avoir quelque extase, quelque ravissement; je souhaitterois volontiers que cette sacrée Vierge se monstrast à moy.

  A010000227 

 O Dieu, dira-t-on, je voudrois bien que la Vierge me visitast.

  A010000227 

 O que c'est une chose aymable et proffitable que d'estre visité par cette sainte Dame, car sa visite nous apporte tousjours beaucoup de benedictions.

  A010000227 

 [74] Mais que faire pour estre parente de nostre amiable Souveraine? O Dieu, il y a mille moyens pour cela.

  A010000228 

 Je finiray par deux exemples, et bien que le temps soit desja passé, neanmoins un petit quart d'heure en fera la rayson.

  A010000229 

 Je ne sçay si je l'ay desja racontée en ce lieu, je n'en ay pas bonne memoire; mais encores que je l'aye ja dite, je ne laisseray pas de la repeter, parce que je ne suis pas devant des personnes si degoustées qu'elles ne puissent entendre deux fois une mesme chose; car ceux qui ont bon appetit mangent bien d'une mesme viande deux fois.

  A010000229 

 Mais il faut que j'adjouste aussi ce mot, d'autant qu'il peut estre bon et utile.

  A010000230 

 Ses parens la prindrent et luy demanderent quelle estoit la cause de cela; elle leur respondit que Nostre Dame s'estoit apparue à elle avec une troupe de vierges et luy avoit dit de n'estre plus coquette, mais modeste, parce qu'elle la viendroit querir au bout de trente jours pour l'emmener avec elle.

  A010000230 

 Tu ne vivras plus que trente jours, car je te viendray querir et t'emmeneray avec ces vierges.

  A010000231 

 C'est la vraye marque de la divine visite que la transformation.

  A010000231 

 Nous voudrions bien avoir des revelations, mais que ce fust par forme de recreation, pour passer le temps, parce que c'est une chose bien douce et aggreable; or, Dieu ne les donne pas ainsy, il faut tousjours qu'il nous en couste quelque chose.

  A010000231 

 Qui eust dit à la Vierge: Hé bien, Madame, comme est-ce que vous laissez tant souffrir cette petite fille? Il est [76] requis, eust-elle respondu, que ceux qui veulent avoir part à mes visites y mettent tousjours quelque chose du leur.

  A010000232 

 De plus, si vous voulez que la Vierge vous visite comme la petite Muse, il faut faire une transformation interieure, laquelle ne se peut operer sans endurer quelque chose, ce qui nous est representé par la chaleur de la fievre que supporta cette enfant.

  A010000237 

 De là naissent les inquietudes que nous experimentons sans cesse en cette vie mortelle et qui nous sont comme naturelles.

  A010000237 

 L'esprit de l'homme est tousjours inquiet, il est en de continuelles agitations en la recherche des biens humains et apparens, ce qui fait que ne trouvant point de contentement en ceux qu'il rencontre, il demeure plein de trouble.

  A010000238 

 Cette verité paroist claire et manifeste ès Israëlites, ce peuple choisi et esleu de Dieu; car qui en a esté plus favorisé, aymé et caressé que ce peuple? Dieu le traittoit avec tant de bonté que c'est merveille; il le conduisoit par le desert avec autant de soin qu'une nourrice fait ses petits quand elle les mene esgayer par les campagnes.

  A010000238 

 Grand cas de l'esprit humain! Les Israëlites avoyent esté conduits dans le desert avec mille sollicitudes par Moyse et Aaron, Dieu leur avoit fourni abondamment tout ce qui leur laisoit besoin, et les miserables ne font par apres que murmurer et se plaindre de ce qu'ils n'ont point de roy.

  A010000238 

 Mais ce peuple ingrat, grossier et mesconnoissant n'estoit [78] point content, ains s'amusoit à la recherche d'un bien où il peust trouver plus de suavité; et quoy que le Seigneur fust, par maniere de dire, descendu du Ciel pour eux et leur eust donné des preuves plus que suffisantes de l'amour qu'il leur portoit, ils ne laisserent pour cela d'estre pleins de murmures et de chagrin.

  A010000239 

 Neanmoins ils ne laissent de penser et desirer de quitter ce bien pour en rechercher un meilleur, quoy qu'en vain, d'autant que c'estoit vouloir l'impossible.

  A010000239 

 Or, les princes du peuple de Dieu ne faisoyent pas comme ceux de cette heure, parce que le Seigneur leur communiquoit tellement son Esprit qu'ils ne commandoyent ni ordonnoyent que ce qu'ils sçavoyent estre de la divine volonté, laquelle ils connoissoyent par le moyen des Prophetes et souverains Prestres de la Loy auxquels ils s'addressoyent.

  A010000240 

 C'est bien la rayson que puisque vous voulez un autre roy que moy, vous gardiez ses ordonnances..

  A010000241 

 Il ne prendra point ceux que vous voudrez, mais ceux qu'il voudra, et vous n'aurez pas le pouvoir de les employer selon vos desseins, car il vous les enlevera et s'en servira comme il trouvera bon.

  A010000241 

 Or, quelles seront les lois et constitutions que ce roy donnera aux Israelites? Les voyci: Vous aurez, dit le Seigneur, un roy qui prendra vos fils: il fera les uns ses charretiers et carrossiers, les autres ses cuisiniers, d'autres ses soldats et corps de garde; en somme il vous les ostera et s'en servira en sorte que leur vie se passera en continuelle servitude et esclavage.

  A010000242 

 Bien que cette prophetie de Samuel aux Israelites fust pour leur tesmoigner l'ire et l'indignation de Dieu, si estoit-elle encores une figure de ce que Nostre Seigneur devoit faire en la loy de grace parmi le peuple chrestien, ses vrays enfans et sujets, auxquels, comme Roy, il devoit donner des lois qui ne sont autres que ses saints commandemens.

  A010000242 

 Et il agit ainsy envers tous les Chrestiens; mais pour ne parler à cette heure que des femmes, nous dirons que Nostre Seigneur en appelle plusieurs à son service.

  A010000242 

 Or, ce que ce roy faisoit à l'endroit des enfans d'Israël nous represente les diverses [80] vocations par lesquelles nostre divin Maistre appelle ses creatures à son service, non point en usant de tyrannie comme ce prince terrien, mais doucement et avec des entrailles pleines de misericorde.

  A010000244 

 Grande Sainte que celle cy! Elle apprestoit son manger, et vous entendrez d'icy à huit jours le glorieux saint Luc qui voulant hautement la louer dit qu'elle preparoit le pain du Seigneur, qu'elle le traittoit en samayson et avoit un soin tres grand que rien ne luy manquast; si qu'il l'en reprit un jour comme nous verrons cy apres.

  A010000246 

 Elle se rendit donques à luy pour l'aymer encores davantage, et avec cette «sainte impudence,» comme dit saint Augustin, elle entra en la mayson du Pharisien où elle sçavoit que son doux Maistre estoit, et se jettant à ses pieds, elle pleura ses pechés en telle sorte qu'ils luy furent tous pardonnés.

  A010000246 

 Par consequent il se communiqua à elle en une façon tres intime et abondante, tellement que de grande pecheresse qu'elle estoit elle devint une grande Sainte..

  A010000247 

 J'ay dit une grande pecheresse, car en louant sainte Magdeleine il ne faudroit pas estre flatteur et donner a entendre qu'elle n'estoit pas si grande pecheresse que le monde la croit.

  A010000247 

 Mais helas, elle avoit tellement plongé toutes ses affections et pensées dans la vanité et sensualité, que pour y entre entortillée de la sorte il ne se peut qu'elle ne commist des fautes tres griefves..

  A010000250 

 Ce n'est pas de ces pecheurs que sainte Magdeleine est la reyne, ains de ceux qui veulent sortir de leur iniquité; car ayant esté pecheresse, comme nous avons dit et comme l'Evangile nous l'enseigne, elle sortit de son peché et en demanda pardon à Dieu avec une vraye contrition et ferme resolution de le quitter, provoquant ainsy tous les pecheurs à imiter son exemple.

  A010000250 

 Quant à sa penitence, combien a-t-elle esté genereuse! combien pleura-t-elle ses pechés, que n'a-t-elle fait pour les effacer et pendant la vie et apres la mort du Sauveur! Elle a jette des larmes en si grande abondance qu'elles surpassent celles de David lequel disoit: Je pleurois nuit et jour mon iniquité en telle sorte que mon lit nageoit dans le torrent des eaux que je respandois.

  A010000251 

 La Sainte Escriture ne parle et ne nous remet rien tant devant les yeux que la penitence des Ninivites, laquelle fut si grande que c'est chose admirable de voir ce qu'ils firent et les effects operés par les paroles de Jonas.

  A010000251 

 Mais quoy que cette expiation fust si generale, je trouve que celle de la Magdeleine l'est encores plus.

  A010000252 

 Dieu luy donna en recompense un amour tres fort et ardent, accompagné d'une tres grande pureté; et tout ainsy que le divin Espoux luy navroit le cœur, de mesme luy blessoit-elle le sien par des desirs, souspirs et eslans amoureux.

  A010000252 

 Elle l'ayma autant que les Seraphins, ains elle fut encores plus admirable qu'eux en cet amour, parce qu'ils ont l'amour sans peine et le conservent aussi sans peine; mais cette Sainte l'acquit avec beaucoup de sueur et de soin et le conserva avec crainte et sollicitude.

  A010000252 

 Il faut croire qu'elle disoit souvent ces paroles de l'Espouse: Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche, bayser tant desiré de la nature humaine, tant demandé par les Patriarches et Prophetes, qui n'est autre que l'Incarnation et l'union de la nature divine avec l'humaine: c'est cette estroitte union apres laquelle cette sainte amante souspiroit.

  A010000253 

 La voyla aux pieds de son Maistre pendant que sa bonne sœur Marthe s'empressoit à fin d'apprester ce qu'il failloit pour le vivre du Seigneur.

  A010000253 

 Une seule chose est necessaire, qui est celle que Marie a choisie; sçache donques que si tu la viens desapprouver, tu encourras toy mesme le blasme.

  A010000253 

 Voyez donques comment sainte Magdeleine est reyne des justes; car qu'est-ce qui la pouvoit rendre plus juste que cette dilection, jointe avec sa grande humilité et componction qui la faisoit tousjours estre aux pieds du Sauveur? Aussi l'aymoit-il de l'amour tendre et delicat dont il ayme les justes, lequel estoit cause qu'il ne pouvoit souffrir qu'on la touchast ou reprist de quelque chose sans prendre son parti.

  A010000254 

 Que vous serez heureuses, mes cheres ames, si vous la suivez; car elle donne exemple à tous, mais particulierement aux Religieuses, pour ne parler à cette heure que d'elles.

  A010000254 

 Sainte Magdeleine se peut donc nommer à bon droit la reyne de tous les Chrestiens en la façon que nous avons monstrée.

  A010000255 

 Mais d'autant que les tracas du monde refroidissent et mettent en hazard la charité, l'on entre en Religion.

  A010000256 

 Cette Sainte fut admirable en cecy, parce que dès l'instant de sa conversion jusques à la mort elle ne quitta point les pieds de son bon Maistre.

  A010000256 

 Il est vray qu'une fois elle prit cette confiance amoureuse d'espandre son nard et rompre sa boëte sur son auguste chef, à fin que de là il s'espanchast sur son sacré corps et descendist par tout; mais elle s'estoit premierement jettée à ses pieds, et puis elle y retourna incontinent.

  A010000257 

 Là elle mena une vie plus divine qu'humaine, estant sept fois le jour eslevée par les Anges, sans que pour cela son cœur sortist des pieds de son Sauveur..

  A010000257 

 O qu'il estoit heureux! Et que vous serez heureuses, mes cheres Filles, si toute vostre vie vous ne quittez pour rien que ce soit ces sacrés pieds, si vous vivez en humilité et sousmission, imitant et suivant vostre reyne, et encores plus la Reyne de toutes les reynes, la sacrée Vierge, nostre chere Maistresse, à laquelle sainte Magdeleine fut si devote qu'elle ne l'abandonna jamais.

  A010000258 

 Nous voyons que les hommes estans offencés exigent qu'on leur satisfasse selon l'offence; par exemple, si on leur a desrobé un escu, ils veulent qu'on leur rende un escu; si on a apporté dommage à autruy, il requiert satisfaction à l'esgal de la perte qu'on a causée..

  A010000258 

 O que vous serez heureuses si vous faites des sacrifices entiers de vous mesme à la divine Majesté, si vous ne vous reservez l'usage d'aucune chose, pour petite qu'elle soit! [88] Dieu vous demande cela.

  A010000259 

 Ce n'est point trop exiger de nous que cela, car si nous avons tant fait pour le monde, nous laissant attirer par ses vains attraits, que ne devons-nous faire pour les attraits de la grace qui sont si doux et si suaves? Certes, ce n'est pas nous faire tort que de demander cela de nous; c'est pourquoy, comme on a employé son cœur, son ame, ses affections, ses yeux, ses paroles, ses cheveux pour le monde, il les faut aussi employer et sacrifier au service de la dilection sacrée..

  A010000259 

 Il leur fait les mesmes demandes, à sçavoir, qu'on luy rende, autant qu'on peut, à l'esgal de la faute commise; c'est à dire, il veut que nous fassions autant pour luy que nous avons fait pour le monde.

  A010000259 

 Or, bien que cette loy soit entierement abolie entre les hommes, si se prattique-t-elle encores aujourd'huy entre Nostre Seigneur et ceux qui se consacrent à luy.

  A010000260 

 Il leur est facile de se divertir des cogitations coulpables, parce que n'ayans plus d'occasion presente et estans en des lieux où elles ne voyent rien que des sujets pieux, où elles ne lisent que des bons livres, où elles n'entendent parler que de Dieu et des choses spirituelles, elles s'en rendent plus facilement quittes..

  A010000260 

 Or, que nous representent-ils, sinon les pensees non seulement mauvaises, mais aussi [89] inutiles, lesquelles il faut couper et retrancher? C'est ce que doivent entendre ces filles quand on les leur coupe; car pourquoy pensez-vous qu'on tonde les Religieuses? On dit que cela est sain; je le crois, mais cette cy n'est pas la principale cause, ains pour leur apprendre que comme elles sont retirées des objets qui leur pourroyent donner des mauvaises pensées, elles ne doivent non plus courir apres les choses vaines et mondaines qu'elles ont laissées, mais oublier tout pour s'appliquér totalement à Dieu.

  A010000260 

 Qu'est ce que les cheveux? C'est ce qu'il y a de plus vil et abject au corps humain, les excremens de la nature, une superfluité et chose de nul prix; on n'en tient aucun compte, non pas mesme de ceux des roys, car on les foule aux pieds comme n'ayant nulle valeur, et neanmoins l'esprit humain constitue sa gloire en iceux.

  A010000261 

 Et pourquoy? Hé Dieu, parce que je ne fais pas ce que je veux.

  A010000261 

 Grande misere que celle cy! Vous verrez une femme tout esplorée; on luy demande: De quoy pleurez-vous? Oh! je pleure mon mari qui est mort.

  A010000261 

 Il est vray que la nature est un peu excusable: vous verrez, par exemple, une fille qui sera bien melancolique; et qui n'excusera cela? Une autre sera bien joyeuse, et pour ce elle excedera quelquefois à rire; cela est supportable.

  A010000261 

 Mais cela n'est encores rien, il faut de plus sacrifier ses yeux; car pourquoy croyez-vous qu'on vous aye mis des voiles sur la teste, sinon à fin de vous apprendre à ne vous plus servir de vos yeux pour voir et pleurer que quand la grace vous y excitera, et non pour les niaiseries et tendretés pour lesquelles les femmes sont sujettes aux larmes, larmes folles et vaines, certes! Je voudrois bien faire telle chose, mais je ne peux.

  A010000261 

 Que faire à cela? Oh! il faut pleurer.

  A010000261 

 Une autre pleure de ce que sa mayson est bruslée; hé, pauvres gens, pensez-vous esteindre par vos larmes le [90] feu qui a desja bruslé vostre mayson? Toutes telles et semblables larmes sont vaines et inutiles; il ne s'en faut donc plus servir, ains mortifier ces tendretés et mollesses.

  A010000262 

 C'est par les yeux et par les cheveux que le divin Espoux dit au Cantique des Cantiques que son Espouse luy a navré le cœur; neanmoins les paroles qui sortent de la bouche expriment bien mieux encores que les yeux les mouvemens et sentimens interieurs.

  A010000262 

 Il est vray pourtant que la langue exprime mieux le courroux et ressentiment que les yeux..

  A010000262 

 Mais en ces accidens, la langue vient tesmoigner ce qui est du mouvement du cœur: Hé! dit-elle, vous avez fait tel jugement de mon regard; neanmoins je vous asseure que je n'ay rien moins pensé que cela.

  A010000263 

 Elle avoit adverti son bon Maistre de sa maladie; mais iceluy vint quatre jours apres cette mort, et la bonne Sainte, croyant que desja [91] le defunct seroit pourri, pleura pour la grande affliction qu'elle sentoit de se voir separée de luy.

  A010000264 

 Hé, respond-elle, je ne sçay où ils l'ont mis; je pleureray et ne cesseray de pleurer jusques à ce que je l'aye rencontré.

  A010000264 

 Oh! cela ne me console point, car ce ne sont pas les Anges que je cherche, mais mon Maistre.

  A010000264 

 Voyez vous comme elle nous apprend à ne chercher que Dieu, à ne pleurer sinon pour son absence causée par nos pechés, ou bien de quoy il est si peu conneu et glorifié du prochain.

  A010000265 

 Avec ce que dessus, il faut encores offrir le parfum.

  A010000265 

 En effect, l'une des grandes miseres de l'esprit humain est que chacun s'en fait accroire, et vous ne sçauriez penser combien il est difficile de se rendre quitte de ce parfum.

  A010000265 

 Grande folie que celle cy! Ensuite on se surestime par dessus les autres et l'on vient par apres à dire: Je suis d'une telle mayson et celle là d'une telle..

  A010000265 

 Qu'est-ce que le parfum? C'est une chose excellente; aussi, celuy qui est parfumé ressent quelque chose d'excellent.

  A010000266 

 Du temps de saint Benoist, il en arriva de mesme à un de ses Religieux, lequel estant de bonne mayson s'en souvint en une occasion où il rendoit quelque service au Saint, si que son cœur en fut plein de murmures; car son glorieux Pere luy ayant fait tenir la chandelle pendant qu'il laisoit quelque chose, il commença à penser: Moy qui suis de telle mayson et famille, il me faut icy tenir la chandelle devant un homme qui est de plus basse condition que moy! Mais le Saint connoissant sa pensée, luy dit ce qu'il failloit, et ce Religieux rentrant en soy mesme reconneut sa faute.

  A010000266 

 Il faut que j'adjouste encores cecy: je ne peux supporter cette grande mollesse de la fille du mareschal de Brissac, laquelle est morte maintenant, mais saintement.

  A010000266 

 Or, cette estime de soy est le parfum que l'on doit offrir..

  A010000267 

 O que vous serez heureuses si vous faites ce sacrifice entier, no vous servant plus de vos pensées, de vos paroles, de vos yeux ni de vos parfums «que pour le service de la dilection de» vostre Espoux.

  A010000267 

 Voyez-vous, la Religion «est un mont de Calvaire,» on ne vous y a pas receues pour vous y donner des consolations; o non certes, car on ne demande rien moins de vous que d'estre crucifiées.

  A010000268 

 Elle le pria de les porter à Theophile, qui les ayans receues les admira et demeura tout esperdu; ensuite il se convertit, confessant que Jesus Christ estoit le vray Dieu vivant.

  A010000268 

 Et qui n'aymeroit sainte Dorothée? Comme on la menoit au martyre, un advocat nommé Theophile, qui estoit present, luy ayant ouy asseurer que là où estoit Jesus Christ et où elle alloit il y avoit des pommes en toute saison et des roses qui ne flestrissoyent jamais, il luy dit, comme en se moquant d'elle: Dorothée, faites-moy tant de faveur que de m'envoyer du jardin de vostre Espoux de ces roses et de ces pommes dont vous nous faites si grand cas.

  A010000268 

 Il faut donques avoir bon courage en une si haute entreprise commencée en la feste d'une si vaillante guerriere, car bien que vous n'en portiez pas le nom, elle ne laissera pas d'estre vostre protectrice.

  A010000269 

 Et qui n'aymeroit saint Bonaventure pour sa grande humilité? Qui ne s'estonneroit de celle qu'il prattiqua lors que, ayant eu commandement des Cardinaux d'eslire un Pape tel qu'il voudroit, ou d'accepter luy mesme le siege pontifical, à cause des grandes difficultés qu'il y avoit à se resoudre sur ce choix, non seulement il refusa cette souveraine dignité, mais de plus il ne voulut pourvoir aucun de ses parens ni amis, ains nomma Pape, Thibaut, vicomte de Plaisance, qui estoit à la guerre et parmi les armes.

  A010000270 

 Et sainte Agnes, qui, aagée seulement de treize ans, triompha du monde et de la chair, donnant son sang pour son Espoux celeste! O que vous serez heureuses si voir, imitez ces Saints et Saintes en leur mespris des creatures et d'eux mesmes! Il faut de necessité faire une parfaite abnegation pour parvenir à la perfection, et ne penser plus au monde ni à vos parens; je veux dire aux maysons desquelles vous estes sorties, car je n'entens pas que vous oubliiez de prier pour eux..

  A010000271 

 Et ne dites point: O Dieu, tousjours vivre icy! et le moyen? (Peut estre que cela ne vous viendra pas en teste pendant vostre noviciat, mais puis apres il pourroit survenir des fantosmes qui vous estonneront.) Ressouvenez-vous des paroles de saint Paul: J'ay tellement mesprisé le inonde que je le tiens comme un pendu et il me tient comme un pendard; je suis crucifié au monde et le monde m'est crucifié; je n'ay pas de vie pour moy, ni pas un bouton pour le monde; car si bien je vis, je ne vis pas moy, mais c'est Jesus Christ qui vit en moy.

  A010000271 

 Il dit que le monde luy est crucifié et qu'il est crucifié au monde; puis, en suite de cela: Je vis, mais plustost je ne vis pas, ains c'est Jesus Christ qui vit en moy.

  A010000271 

 Je vis de la mort; or, c'est la mort de moy mesme qui fuit que mon Sauveur vit en moy.

  A010000271 

 Que vous serez heureuses si vous mourez de la mort de saint Paul, pour vivre sa vie, mourant à vous mesme à ce que Jesus Christ vive en vous..

  A010000272 

 Puissiez-vous, mes cheres Filles, estre toutes des Marie, c'est à dire des lumieres par vos bons exemples, et ayder les autres par vos prieres à parvenir au port de salut; des mers, pour recevoir les amples benedictions que Dieu communique à ceux qui se consacrent à son service; ameres, avalant et devorant les difficultés qui se rencontrent en l'exercice de la vie spirituelle; des dames exaltées, pour avoir excellemment mortifié vos puissances, vos appetits, vos sens et inclinations, leur commandant d'un pouvoir absolu; illustrées par la lumiere celeste, et illustratrices par une vraye humilité et mortification..

  A010000272 

 Que vous serez heureuse si vous vous rendez simple et douce comme un aigneau! Or sus, Agnes, ainsy soit-il.

  A010000273 

 Cherchez-le tousjours et ne cessez jusques à ce que vous l'ayez trouvé; cherchez-le pendant cette vie mortelle, non point glorifié, mais mort et crucifié.

  A010000275 

 Ce que voyant ce Jardinier, qui estoit Celuy-là mesme qu'elle cherchoit, ne pouvant davantage laisser navrer de son amour le unir de cette amante, l'appella: Marie.

  A010000275 

 Mais Celuy que vous cherchez est mort; comme pourrez-vous porter un corps mort qui est tres pesant? Oh! eust-elle dit, l'amour me donne assez de force pour l'aller prendre et pour m'en charger.

  A010000276 

 Et, comme Magdeleine, vous respondrez: Rabboni, mon Maistre! Maistre que nous avons suivi, Maistre auquel nous avons obei, Maistre auquel nous nous sommes conformées, et pour et avec lequel nous nous sommes «crucifiées, pour apres cette vie estre glorifiées avec luy» en l'eternité de la vie bienheureuse, et là chanter avec nostre reyne sainte Magdeleine les cantiques eternels par tous les siecles des siecles.

  A010000276 

 Ne vous estonnez point de sa pesanteur; et si bien il vous semble que vous estes trop foibles pour vous changer d'un mort crucifié, aggrandissez vostre courage et ne laissez de prester vos espaules, car la glorieuse Magdeleine vous viendra au secours, et joignant ses espaules avec les vostres, son amour avec le vostre, vous triompherez de toutes les difficultés et demeurerez victorieuses.

  A010000287 

 Ce pauvre jeune homme sentoit en son cœur de rudes combats, d'autant qu'il abusoit miserablement de tous les dons de nature et de grace que le Seigneur luy avoit liberalement departis; car estant entre autres choses doué d'un grand esprit, d'un bon jugement accompagné d'une heureuse memoire, il s'en servoit pour se bander contre Dieu, comme il raconte luy mesme, disant: Je me servois de mon esprit humain pour resister au divin.

  A010000288 

 C'est cela que saint Augustin croyoit entendre..

  A010000288 

 Là, pressé de cette violente conteste qui se passoit entre son homme interieur et l'exterieur, il commença, comme un autre saint Paul, d'exprimer sa douleur par les paroles du mesme Apostre: Qui me delivrera de ce corps de mort, et qui m'affranchira de cette incomparable convulsion que je ressens ès deux parties de mon ame? Oh! qui me delivrera de cette chair si contraire à l'esprit? Hé, Seigneur, disoit-il (car ce sont ses propres mots, comme il raconte luy mesme au livre de ses Confessions ), jusques à quand, jusques à quand serez-vous courroucé contre moy? jusques à quand vous souviendrez-vous de mes pechés? O cieux, jusques à quand serez-vous irrités contre moy? jusques à quand y aura-t-il un si grand divorce entre vous et moy, et quand vous reconcilierez-vous avec mon ame? Au plus fort de ses plaintes, il entendit chanter ces paroles derriere la muraille où il estoit: «Prens et lis, prens et lis;» puis, prestant l'oreille pour mieux escouter, il ouyt encores: «Prens et lis.» Et pensant en soy mesme si ce ne seroit point une compagnie de filles qui repetoit cette chanson, il taschoit de se resouvenir s'il n'en couroit point pour lors auxquelles on trouvast ces paroles: «Prens et lis.» Car, comme vous sçavez, et si vous ne le sçavez pas vous l'apprendrez, en toutes les villes il court tousjours quelques chansons parmi le vulgaire et menu peuple, qui certes devroyent plustost estre mesprisées qu'escoutées.

  A010000289 

 Or, oyant cette frequente repetition, il prit le livre des Epistres de saint Paul qui estoit aupres de luy, et l'ouvrant, sans aucune pensée ni souci de ce qu'il faisoit, il leut ces paroles que j'ay prises pour mon theme: Non in commessationibus, et ce qui suit.

  A010000291 

 Les uns n'ont rien eu en eux que de saint, suave et aggreable; ils ont fait des commencemens tres fervens, des progres et des fins pretieuses.

  A010000292 

 Aussi n'est-ce pas sans mystere que la divine Providence voulut qu'il se convertist tout à fait à l'ombre d'un figuier, pour monstrer que si bien le debut de sa vie avoit esté rude et tres mauvais, neanmoins ses fruits estans venus à maturité, elle deviendroit ensuite tres pretieuse..

  A010000292 

 Mais estans meurs, il n'y a rien de si doux et gracieux que la figue, laquelle est alors d'autant plus aggreable au goust qu'elle estoit insipide en son commencement.

  A010000292 

 Mais pour ne vous parler que d'une, à fin d'estre plus court, considerez la vigne.

  A010000292 

 Ses fleurs sont non seulement belles à la veue, ains propres à resister au venin du serpent; et son fruit, qui n'estant encores meur ne laisse de servir à l'usage de l'homme (car c'est d'iceluy que l'on fait le verjus tres utile à sa santé), va tousjours faisant des accroissemens jusques à ce qu'il soit arrivé à sa maturité, en laquelle il nous rend alors du vin tres proffitable [101] et aggreable.

  A010000293 

 Voyez vous comment le Saint Esprit va de prime abord mettre le coup de lancette dans l'apostume de son cœur, comme en la source et origine de toute sa maladie? Car il est vray, ainsy que saint Augustin le raconte luy mesme, qu'il estoit grandement adonné à ce detestable peché de la chair; il luy sembloit impossible de se passer de ces playsirs sensuels et illicites, qui estoyent la cause des plus grandes resistances qu'il faisoit à l'Esprit de Dieu, ne se pouvant resoudre à quitter ces voluptés ni à se desvelopper de ces liens..

  A010000294 

 Aussi estoyent-ils fiers, bien qu'avec cette difference, qu'Alexandre ne vouloit point recevoir de louanges que pour des choses de grande valeur en elles mesmes, tandis que pour les menues actions qu'il faisoit ou pour les qualités qui estoyent en luy il n'en pretendoit point; au contraire, Philippe ne tiroit sa gloire que des actions basses et petites, comme à bien sçavoir jouer du luth et telles autres bagatelles..

  A010000294 

 Il contestoit encores avec ceux esquels il conversoit, parce que, comme il estoit doué d'un grand et bel esprit, il ne vouloit ceder à personne, ains pretendoit tousjours avoir le dessus.

  A010000294 

 Il s'efforçoit avec un style d'heretique, tel qu'il estoit, de renverser [102] ceux, qui defendoyent la verité, d'autant qu'il avoit plus d'esgard aux erreurs de sa secte qu'au sens de l'Escriture Sainte laquelle a un langage plus simple que celuy des Manicheens.

  A010000294 

 Or, quoy que son esprit fust non seulement beau ains encores bon et accompagné d'un excellent naturel, si est-ce qu'il avoit enté sur iceluy une tres mauvaise plante, à sçavoir la vanité et appetit de sa propre gloire, qui le rendoit hautain, querelleur, envieux, contentieux et tellement amateur de son excellence qu'il surpassoit en cecy les Philippe et les Alexandre desquels les humanistes parlent tant, nous les representant esgaux en la vaine gloire.

  A010000296 

 Il escrit qu'estant encor petit il se vantoit et glorifioit de ce qu'il desroboit les fruits des jardins de ses voysins, s'en estimant d'autant plus que le larcin, quoy que leger, estoit subtil et secret; car en le racontant il faisoit voir les ruses et inventions de son esprit..

  A010000296 

 Remarquez un peu que c'est des miseres de l'esprit [103] humain, en quelle extremité va la desbordée jeunesse et de quoy se prisent les troupes des escoliers qui vivent sans crainte et sans retenue.

  A010000297 

 C'est pourquoy nous lisons en la Sainte Escriture que tous ceux qui ont esté chastiés pour le premier ont esté aussi taxés du second.

  A010000297 

 Or, il est bien croyable que son fils participoit à cette inclination et affection de sa mere; tout ainsy que nous autres ne participons que trop à cette nature qui nous est si voysine.

  A010000298 

 Nous dirons un mot sur chacune, bien que courtement et briefvement, car je ne feray que les toucher, vous les laissant ruminer et digerer à part vous, chacune à vostre loysir..

  A010000298 

 Par les vertus opposées à nos vices nous connoistrons les habitudes de l'homme et celles de Nostre Seigneur, celles desquelles il nous faut despouiller d'avec celles que nous devons revestir et dont il faut nous couvrir.

  A010000298 

 Qu'est-ce se devestir de ses habits pour se revestir de Jesus Christ? Despouillez-vous, dit l'Apostre, de vos habitudes, qui sont vos vestemens; car les vestemens environnent de toutes parts celuy qui en est couvert, et les habitudes en font de mesme au cœur que les vestemens au corps.

  A010000299 

 C'est en quoy saint Augustin l'a tout particulierement prattiquée, il l'a aussi fort recommandée à ses en fans, taschant de la leur inculquer si avant dans l'esprit que c'est chose admirable de voir comme il en parle dans sa Regle en termes tres expres, par lesquels il defend que nul ne «puisse avoir, sous quel pretexte [105] «que ce soit,» aucune «chose en proprieté.» De sorte que pour estre vray enfant de saint Augustin il faut avoir un grand amour à la pauvreté..

  A010000300 

 Aussi est-ce pour cela que ce Saint l'avoit dressée.

  A010000300 

 C'est sous cette Regle que plusieurs Ordres se sont mis du despuis, car elle est si douce et suave qu'elle peut servir à toutes sortes de personnes.

  A010000300 

 Mais tant aux uns qu'aux autres de ses enfans spirituels, il preschoit grandement la pauvreté, ne voulant pas mesme que les livres auxquels ils estudioyent fussent en particulier, ains ordonna qu'on les demandast à l'obeissance et qu'on les rendist à celuy qui en avoit le soin..

  A010000300 

 Vous sçavez toutes comme il l'a cherie, car il ne voulut aucune richesse; et quoy qu'il exerçast une noble profession, qu'il fust d'une honneste mayson, et qu'avec la grandeur de son esprit et sa singuliere eloquence il peust acquerir beaucoup d'honneurs et de biens, parce que l'eloquence estoit grandement recherchée et estimée en ce temps là, il renonça et quitta neanmoins tout cela, se retirant en un logis champestre où il vivoit en une extreme pauvreté.

  A010000301 

 Ce que ce bon peuple faisoit, car il luy sembloit que ses charités n'estoyent point bonnes si elles ne passoyent par les mains de ce saint et digne Prelat.

  A010000301 

 Maintenant donques je vous prie de les ayder de vos moyens, les leur communiquant liberalement de vos propres mains, ou bien me donnez les aumosnes que vous leur voulez bailler et je les leur distribueray.

  A010000301 

 O certes, il failloit bien, pour traitter en cette sorte, que ce fust entre un cœur de pere et des cœurs de fils: un cœur de pere en saint Augustin, et de fils en ses sujets.

  A010000301 

 Quand il n'avoit plus rien pour leur donner il s'addressoit à son peuple et luy disoit avec une simplicité, candeur et liberté du tout admirable: Mon tres cher peuple, je n'ay plus rien pour pourvoir aux miseres des pauvres, j'ay donné [106] tout ce que j'avois, j'ay mesme vendu les ornemens de l'eglise pour ce sujet.

  A010000301 

 Remarquez, je vous prie, la candeur et simplicité de ses paroles, la grande confiance et liberté avec laquelle il parloit à son troupeau et l'estime que celuy cy en avoit.

  A010000302 

 C'est ce que vous mediterez, car je ne fais que passer sur ces considerations..

  A010000302 

 Je ne parle pas de la frugalité de sa table ni de sa pauvreté en ses vestemens, qui estoyent tousjours de vile estoffe; car bien qu'il s'habillast honnestement selon que requeroit sa charge episcopale, si est-ce que le reste de ses habits estoit tres pauvre.

  A010000302 

 Tant en son manger qu'en son vestir il se contentoit de ce qui estoit necessaire pour l'entretien de la vie humaine; aussi, à l'imitation du grand Apostre, il ne demandoit que du pain et de l'eau pour son entretenement et une robe pour couvrir sa nudité, disant avec le mesme saint Paul, que tout le reste c'estoyent des superfluités.

  A010000303 

 Donques nostre glorieux Pere parut plus beau en cette vertu que s'il ne l'eust point flestrie; aussi la garda-t-il avec un soin et une diligence nompareille, s'esloignant fort soigneusement de tout ce qui luy estoit contraire..

  A010000303 

 La seconde chose que dit saint Paul, est celle cy: Revestez-vous de la chasteté et priez.

  A010000303 

 N'ayant pas sa virginité, il estoit d'autant plus [107] jaloux de conserver sa chasteté, en sorte qu'il surpasse plusieurs vierges; tout ainsy que sainte Magdeleine, laquelle, toute impure qu'elle avoit esté auparavant, surpassa neanmoins en chasteté plusieurs vierges en leur virginité, et n'y en a pas une qui ayt tant esté honnorée en sa virginité comme sainte Magdeleine l'a esté en sa chasteté, hormis la sacrée Vierge qui est hors de toute comparaison.

  A010000304 

 Je sçay bien que le jeusne, la haire, la discipline et la sobrieté (qui ne consiste pas seulement à retrancher la gourmandise, mais encores à se priver des viandes exquises et par trop nourrissantes, à se contenter de ce qui est necessaire et à user d'alimens simples et grossiers), je sçay bien, dis-je, que tout cela est bon pour conserver la chasteté infuse dans une ame; mais certes, ce seroit peu s'il n'estoit accompagné de l'humble priere, parce que c'est à l'humilité que sont attachés tous les dons de Dieu.

  A010000304 

 Que faut-il donques faire pour acquerir et attirer ce don des mains de Dieu, puisque nul ne peut estre chaste si le Seigneur ne luy en fait la grace? Priez, dit l'Apostre; c'est à dire, demandez-la en esprit de profonde humilité, car c'est par la priere que vous l'obtiendrez, et que, l'ayant receuë, vous la conserverez.

  A010000305 

 Ce que ce glorieux Saint fit voir lors qu'estant interrogé quelle estoit la premiere vertu il respondit: C'est l'humilité.

  A010000305 

 Cette vertu, vouloit-il dire, bien que petite en apparence, est neanmoins la plus grande, sans icelle toutes les autres ne sont rien; et de mesme que l'orgueil et la vaine gloire est la pepiniere de tous les pechés et la mere nourrice de tous les vices, l'humilité est la nourrice de toutes les vertus..

  A010000306 

 Chacun sçait que saint Augustin est l'un des grans esprits qu'on ayt jamais veu et qu'il estoit encores doué d'une science admirable.

  A010000306 

 Je n'ignore pas qu'ès escoles les uns disent que Platon estoit le plus grand esprit, d'autres, que c'estoit Ciceron.

  A010000306 

 Mais en dehors de cela, il est notoire à tous que saint Augustin est tenu pour le plus grand esprit entre nos anciens Peres, lesquels ne se feignent point de l'appeller le phœnix des Docteurs..

  A010000307 

 Il avoit une tare en son sçavoir, il ignoroit la langue grecque; car bien qu'elle soit plus moëlleuse en son sens que la langue latine, si est-ce que le style n'en est pas si delicat, et pour cela saint Augustin, qui s'arrestoit plus au style qu'au sens, ne la voulut pas apprendre lors qu'il estudioit.

  A010000307 

 Il possedoit asseurement plus de science que nul autre Docteur, car il en estoit le phœnix; cependant son humilité estoit plus grande encores: voyez-le vous mesmes, je vous prie.

  A010000307 

 Vous aurez ouy dire que l'humilité se trouve rarement avec la science qui d'elle mesme enfle, mais encores moins avec une aussi haute science que celle de saint Augustin; neanmoins elle estoit chez luy accompagnée d'une si profonde humilité qu'on ne sçait s'il avoit plus [109] de science que d'humilité ou plus d'humilité que de science.

  A010000309 

 Et que dit-il à saint Hierosme? Je sçay bien, luy escrit-il, que le prestre est moindre que l'Evesque, et que moy qui suis Evesque je Mur.

  A010000309 

 Mais remarquez cette humilité: Et partant, adjouste-t-il, je me sousmets et reçois de bon coeur la censure et correction que tu me fais, confessant que lu as juste rayson de me la faire..

  A010000309 

 Que fait alors nostre glorieux Saint? Il reçoit la reprehension avec une admirable sousmission.

  A010000309 

 plus que toy qui n'es que simple prestre; cependant cela regarde seulement la dignité que nous tenons en l'Eglise de Dieu, car pour le reste je sçay, o Hierosme, que tu m'es superieur.

  A010000311 

 Certes, nous serions bien heureux nous autres si nous empoignions le test de la correction pour nettoyer les ordures de nos consciences; mais vous estes bien plus heureuses, mes cheres Sœurs, d'habiter en une mayson où l'on fait la correction avec tant d'exactitude que par le moyen d'icelle on vous corrige des moindres petites imperfections.

  A010000312 

 Mais à qui donques? A tous les hommes en general: jeunes et vieux, doctes et ignorans; à ceux qui admireront son humilité et s'en edifieront, et à ceux qui se mocqueront de luy et qui s'en scandalizeront; aux hommes et aux femmes; en somme il veut que la miserable vie qu'il a menée en sa jeunesse soit declarée et manifestée à toute creature.

  A010000312 

 O Dieu, que la sainteté de nostre temps est esloignée de celle-là, car elle [112] ne consiste qu'à cacher ses fautes, mesme au confesseur.

  A010000313 

 C'est un advertissement «Un le grand saint Augustin donnoit à tout le monde en general de ne se point appuyer sur ses merites ni de penser que l'on puisse entrer au Ciel par sa propre industrie, sans estre aydé de la grace divine.

  A010000313 

 Il refutoit ainsy l'heresie des Pelagiens, tant par ses disputes que par son livre De la Grace, où il monstre que nous ne pouvons rien sans icelle..

  A010000313 

 Or, dit l'Apostre, ne vous revestez point de soye, de peau de buffle ni de chameau, mais revestez-vous des habitudes de Jesus Christ, de la Passion de Nostre Seigneur, revestez-vous du sang du Sauveur; et tout ainsy que les vestemens environnent le corps, environnez aussi tout vostre cœur et vos affections du Sauveur, c'est à dire ne vous appuyez point sur vos merites, mais sur les merites de sa Mort et Passion.

  A010000314 

 Il semble que le Ciel nous soit deu seulement pour ce que nous meritons en prattiquant ce que nous devons prattiquer ou en omettant ce qu'il ne convient pas de faire.

  A010000314 

 Ne faites pas ce que vous faites pour avoir beaucoup de merites et ne vous informez point si vous en aurez en faisant cecy ou cela.

  A010000314 

 Non, mes cheres Sœurs, n'ayez point de pretention ni pour le Ciel ni pour la terre que par les merites du sang et de la mort de nostre Sauveur.

  A010000314 

 Nous le devrions tous avoir gravé en nostre esprit, d'autant que parmi les hommes l'on n'entend autre chose sinon: Vous aurez bien du merite à faire cecy ou à laisser cela; ou encores: Je meriteray ou ne meriteray rien en cecy ou en cela.

  A010000314 

 Oh! je vous en prie, ne dites point cela, mes cheres Sœurs, si vous voulez estre vrayes filles non seulement de la Vierge, car c'est sous icelle que vous estes erigées, mais encores de saint Augustin, puisque vous estes sous sa Regle..

  A010000315 

 Appuyez-vous tousjours sur les merites du sang de Nostre Seigneur, et apres avoir tout fait fidellement, dites que vous estes serviteurs inutiles.

  A010000315 

 Ne dites point: Voyla un homme qui par ses œuvres aura bien du merite; mais plustost: O que Dieu a fait de grandes graces à cette personne là! O que grande a esté sa misericorde en son endroit! N'ayez point d'autre fin que de chercher la gloire de Dieu, car c'est pour cela que vous estes entrées en Religion, et non pas seulement pour vous retirer du tracas du monde; les philosophes payens faisoyent bien ce renoncement, à fin d'avoir par ce moyen plus de temps pour vaquer à l'estude des sciences humaines.

  A010000315 

 O les pretieux vestemens que ceux qui sont faits du sang du Sauveur, sans lequel toutes nos œuvres ne sont point meritoires! Il est vray qu'en donnant un verre d'eau pour l'amour de [114] Dieu on merite la vie eternelle; mais d'où prend-il sa valeur sinon (le la Passion du Sauveur qui rend meritoire cet acte de charité? Haussant donques vos cœurs et vos affections, n'estimez point meritoires les desirs de la chair, c'est à dire les desirs de ceux qui vivent en cette chair, mais fondez toutes vos esperances en ceux du Fils de Dieu, qui vit et regne en l'eternité avec le Pere et le Saint Esprit.

  A010000315 

 Que si vous le confessez, Nostre Seigneur ne le dira pas, car il vous recompensera à l'esgal de la fidelité que vous aurez eue à son service; et quoy que vous ne travailliez pas pour les merites, vous ne lairrez pas d'en avoir au Ciel la recompense.

  A010000324 

 Et vous, mes tres cheres Filles, ayant aujourd'huy fait la sainte Profession, j'ay formé cette imagination que vous estes saluées de cette mesme salutation et que l'on vous peut addresser ces paroles que le grand Apostre a mis dans ses Epistres: Luc, le tres excellent et tres cher medecin, vous salue, parce que cette sorte de salutation est merveilleusement propre tant pour vostre Profession que pour vostre condition, comme aussi pour la condition de celles qui demeurent au lieu où vous estes.

  A010000324 

 Or, il vous salue en ces deux qualités a fin que vous appreniez et deveniez non seulement medecineuses et guerisseuses, mais encores peintresses, puisque la profession que vous faites et la Religion où vous estes n'est autre chose, comme disent les anciens Peres, qu'une maladiere, une assemblée de guerisseurs et de gens qui ne font que se medeciner et guerir.

  A010000324 

 Saint Luc vous salue donques en qualité de medecin et encores de peintre; car bien que saint Paul ne le nomme pas peintre, si est-ce que selon la tradition ecclesiastique il l'estoit, comme le disent saint Damascene et Nicephore; et c'est luy qui a peint la sacrée Vierge, nostre [116] Mere et Maistresse.

  A010000324 

 Saint Paul escrivant aux Colossiens, de Rome où il estoit, les saluoit de la part du glorieux saint Luc; et entre toutes les autres salutations que l'on trouve dans cette Epistre on y remarque celle cy: Luc, le bien aymé disciple, le tres excellent et tres cher medecin, vous salue.

  A010000325 

 Il ne faut donques point perdre courage de se traitter, car c'est là nostre mestler et exercice pour tout le temps que nous serons en cette vallée de miseres.

  A010000325 

 Je dis qu'ils se guerissent continuellement parce qu'ils sont continuellement malades; car tandis que nous sommes en cette vie mortelle, tant plus nous guerissons tant plus nous deseouvrons d'infirmités en nous.

  A010000325 

 Quant au premier, je me souviens fort bien vous en avoir desja parlé et vous avoir monstré que la Religion est une maladrerie toute pleine de gens malades, qui sont neanmoins tous medecins, car ils se guerissent les uns les autres, voire aussi eux mesmes, et ce continuellement, malades; disant et purgeant de leurs defauts.

  A010000325 

 Que si bien l'on en voit quelques uns qui ayent une longue santé, quoy que penchante tousjours de quelque costé, l'on dit que c'est un presage d'une future grande maladie..

  A010000326 

 Mais comme elles ne peuvent aller si juste qu'il n'y en ayt tousjours quelqu'une qui passe l'autre, il s'ensuit que la santé ne se voit presque jamais pleine et entiere, ains penche tousjours de quelque costé..

  A010000326 

 Or, quand ces quatre humeurs sont en bon ordre tout va bien, et l'on jouit d'une pleine santé; comme au contraire, quand l'une predomine sur [117] l'autre on est malade, et à mesure que la predomination est grande la maladie l'est aussi.

  A010000327 

 En temps de carnaval on verra des joyes et liesses qui se monstrent par des actions badines et folastres, et bien tost apres vous verrez des tristesses et ennuis si extremes que c'est chose horrible et, ce semble, irremediable.

  A010000327 

 Quand l'une de ces passions predomine sur les autres elle cause des maladies en l'ame; et parce qu'il est extremement difficile de les tenir en regle, de là vient que les hommes sont bigearres et variables, et que l'on ne voit que fantasies, inconstances et niaiseries parmi eux.

  A010000328 

 Je sçay bien qu'il y en a de mortelles: ce sont celles auxquelles on neglige d'appliquer ce que l'on connoist estre necessaire pour s'en guerir et purifier.

  A010000328 

 Les salutations qui se font par lettres ne sont que des souhaits exprimés par les amis absens; et quel souhait plus utile et profitable pour le coeur se peut-il faire que celuy de la paix? C'est en icelle que consiste le plus haut point de la vie spirituelle, et c'est pour l'acquerir et conserver qu'il faut continuellement veiller et travailler; car despuis la cheute de nos premiers parens nostre ame est demeurée une terre seche et sterile ne peut porter ni produire aucun fruit de bonnes oeuvres si l'on n'a soin de la cultiver..

  A010000328 

 Or, le principal remede à tout cecy c'est de veiller continuellement sur son cœur et sur son esprit pour tenir les passions en regle et sous l'empire de la rayson; autrement on ne verra que bigearreries et inesgalités.

  A010000328 

 Pour obvier à tel [118] inconvenient les Peres de la vie spirituelle ont opposé à ces passions la paix et tranquillité interieure, d'où naist cette douce esgalité de cœur et d'esprit tant recommandée et inculquée par les anciens Chrestiens, ainsy que le tesmoigne la salutation qu'ils se faisoyent par ces paroles: La paix soit avec vous.

  A010000329 

 Il y faut souvent avoir l'oeil et la main pour en arracher les espines et chardon qu'elle jette perpetuellement, et ne s'y faut [120] point lasser ni ennuyer, si l'on ne veut que ces mauvaises herbes viennent à tout ruiner et perdre.

  A010000329 

 Le bon jardinier ne doit pas seulement se contenter de dresser son parterre, mais il faut qu'il y remette la main en deux ou trois temps et qu'à tout propos il veille sur iceluy pour destruire les continuelles productions que fait cette terre, lesquelles viendroyent à estouffer ces chiffres et compartimens qu'il a faits avec tant de peine..

  A010000329 

 Mais despuis qu'il eut peché et que la terre fut maudite, elle n'a plus rien produit de soy mesme que des ronces et espines; si que pour en tirer ce qui est necessaire à la vie de l'homme, il la faut cultiver à force de bras et à la sueur de son corps, puis l'ensemencer.

  A010000330 

 Cet exercice est necessaire à tous les mortels, n'y ayant homme si parfait qui n'ayt besoin de travailler, tant pour accroistre la perfection que pour la conserver, d'autant que nul ne se peut dire maistre de ses passions ou pretendre n'estre plus sujet à leur detraquement..

  A010000330 

 Que s'il faut user de ce soin et patience apres les jardins materiels, à plus forte rayson en faudra-t-il avoir, mes cheres Filles, à cultiver la terre et le jardin de vos cœurs et de vos esprits, tant pour en arracher les mauvaises herbes de vos inclinations, habitudes et passions, que les nouvelles et continuelles productions que l'amour propre fournit; c'est à dire les chagrins, bigearreries, inquietudes, fantasies et telles autres niaiseries qui attaquent à tout propos nos pauvres esprits, et qui, si l'on n'y prend garde, gastent et ruinent tout ce qui est de beau et de bon dans le parterre de nos ames.

  A010000331 

 Aussi l'esgalité et constance que l'on a en l'observance des exercices de la Religion cause cette paix et tranquillité d'esprit qui conduit à la perfection..

  A010000331 

 C'est pour cela qu'il n'y a point parmi eux cette varieté d'exercices ni de façon de proceder que nous voyons entre les mondains: ceux cy jeusneront aujourd'huy et feront demain festin; ils se leveront aujourd'huy à la pointe du jour, et demain ils demeureront fort tard au lit avec [120] une grande poltronnerie; en somme, tout ce qu'ils font n'est qu'inconstance, inesgalité et changement de mœurs et de conduite.

  A010000331 

 Mais quoy que tous les Chrestiens soyent obligés de se medeciner en cette sorte, si est-ce que cecy est plus propre aux Religieux, lesquels doivent reluire par dessus les seculiers en cette si desirable esgalité.

  A010000333 

 C'est assez dit sur ce premier point de la salutation que ce glorieux Evangeliste vous fait en qualité de medecin; passons au deuxiesme, qui est qu'il vous salue en qualité de peintre.

  A010000333 

 Neanmoins il en avoit fait plusieurs autres, car je sçay bien que l'on n'est pas maistre en cet art sans avoir fait plusieurs portraits; mais il n'a laissé que celuy de Nostre Dame.

  A010000333 

 O que vous serez heureuses, mes cheres Filles, si apres avoir bien medeciné et purgé vos cœurs vous venez à peindre sur iceux! Et quoy? O Dieu, rien autre que Nostre Seigneur crucifié, à l'imitation de sainte Claire de Montefalco qui, par une vive imagination et affection d'amour et compassion interieure, imprima en son cœur l'image de la Croix de son Sauveur.

  A010000334 

 C'est pourquoy je laisseray de costé ce sujet pour vous dire que la salutation que saint Luc vous addresse en qualité de peintre n'est qu'un advertissement qu'il vous donne de peindre dans vos cœurs.

  A010000334 

 Et quoy encores? Rien autre chose, mes cheres Filles, que la face de la tres sainte Vierge.

  A010000334 

 Mais il faut que je vous dise ce qui s'observe pour faire un beau portrait et pour tirer au vif la face de ceux que l'on veut peindre; c'est ce que saint Luc a prattiqué et ce que nous devons prattiquer nous mesmes pour l'imiter..

  A010000334 

 Que vous serez heureuses si vous en faites de mesme, et ce, par une vive et meure consideration de ses vertus et perfections, les imprimant en vostre cœur par une affection amoureuse, meditant sa sainte vie et conformant la vostre à icelle.

  A010000335 

 Mais helas! cela ne se fait pas, car venant en Religion on y apporte des cœurs marqués de tant de traits, je veux dire qu'ils sont si rudes, grossiers, aigres, mal façonnés et peu civilisés que c'est pitié de les voir.

  A010000335 

 O qu'on seroit heureux si on entroit en Religion comme une toile ou autre matiere bien nette et bien disposée à recevoir tous les traits que l'on nous voudroit donner, si on y entroit sans aucune affection aux biens et commodités, contre la pauvreté; aux playsirs et delicatesses, contre la chasteté; aux volontés et desirs particuliers, contre l'obeissance, sans aucun attachement au monde, à ses vanités et sensualités.

  A010000335 

 Premierement, il est necessaire que la chose sur laquelle on veut peindre soit nette et qu'il n'y ayt sur icelle [122] aucune autre peinture; car si cela estoit, il la faudroit d'abord laver, d'autant qu'elle seroit incapable de recevoir les traits du visage que l'on pretend tirer.

  A010000336 

 C'est de ces personnes que les anciens Peres parlent avec tant de severité; car celuy qui quitte le monde et retient en son cœur les affections du monde est du tout incapable de recevoir les traits de la grace et les consolations celestes.

  A010000336 

 D'autre viennent avec des affections mondaines ou grandement contraires à l'esprit de religion; que si l'on ne se despouille de ces choses on ne possedera jamais la vraye paix des enfans de Dieu.

  A010000336 

 Mais voicy, ce semble, qui est un peu plus gracieux: on quitte bien les affections de ce siecle, mais on se reserve un certain amour pour soy qui nous fait tant chercher ce qui nous est propre et fuir ce qui nous incommode! On ayme tant sa vie et son propre interest, on a si grand peur de mourir! O la grande mollesse et tendreté que celle cy! Il faut certes se bien purger et laver de semblables choses à fin d'estre disposé à recevoir les traits de la face de Nostre Dame.

  A010000337 

 Devotion imaginaire et niaise, nullement sortable à leur condition, et tellement meslée d'amour propre, que ces personnes mesmes, non plus que les autres, ne peuvent discerner ce que c'est de cela, et ne sçait-on si l'amour propre est leur devotion ou si leur devotion est amour propre; fantasie et niaiserie, devotion fade, molle, effeminée et propre aux femmes de peu de courage.

  A010000337 

 Il se faut donques purger de telles choses, bien que bonnes en apparence, et s'assujettir à la conduite d'autruy, embrassant la simplicité et l'humilité qui se trouvent parmi les considerations basses des choses ordinaires, et non point se complaire dans les subtiles, excellentes et qui sont au delà de la portée de nos esprits..

  A010000337 

 Par où vous voyez que pour estre bonnes peintresses il ne suffit pas de purger vos cœurs de tout ce qui est mauvais, mais encores de toutes autres teintures desquelles vous les auriez voulu enrichir.

  A010000338 

 Combien de mariages verrions nous se dissoudre s'ils n'estoyent affermis par le Sacrement qui empesche de varier en cette sorte de vie! Combien d'ecclesiastiques verrions nous quitter le sacerdoce et s'oublier de la promesse qu'ils ont faite à Dieu en recevant l'ordre de prestrise! O Dieu, quel bonheur d'avoir eu necessité d'estre attachés par ces vœux pour vous garder fidelité! car sans cette necessité nous n'eussions jamais esté disposés à recevoir les traits de la peinture spirituelle, d'autant que nous eussions tousjours esté mobiles et sans aucune fermeté en nos resolutions..

  A010000338 

 La troisiesme condition requise pour peindre est que ce qui est preparé pour recevoir la peinture soit attaché en sorte qu'il ne se puisse point remuer, ains demeure ferme et immobile à fin de recevoir les traits du pinceau.

  A010000338 

 O que vous serez heureuses, mes cheres Filles, si maintenant que vous venez de faire et prononcer vos vœux, vous demeurez attachées avec une invariable fermeté à la Croix de nostre Sauveur et à vostre vocation! car alors, comme sur des tableaux d'attente, on retracera dans vos cœurs et vos esprits la face de Nostre Dame.

  A010000338 

 [124] Vous estes donques fixées par vos trois vœux comme avec trois clous, pour ne jamais varier ni chanceler en en l'election que vous avez faite de cette vocation.

  A010000339 

 Il faut donques qu'ils ferment [125] le vanteau en quittant cette lumiere naturelle ou imaginaire, à fin de recevoir la surnaturelle que Dieu communique en l'obscurité de l'humilité interieure..

  A010000339 

 La quatriesme chose requise pour bien peindre c'est d'estre en un lieu obscur et où il n'y ayt pas trop de clarté; que s'il y en a trop, le sage peintre ferme le vanteau de la fenestre et ne laisse ouvert qu'un petit guichet, d'autant qu'une trop grande lumiere l'empesche de bien asseoir son pinceau et de bien remarquer le visage qu'il veut tirer.

  A010000339 

 O que bienheureux sont ceux qui n'apportent pas en Religion de beaux et grans entendemens! Ceux cy sont les meilleurs, parce que n'ayans pas tant de lumiere naturelle ils sont plus propres pour recevoir celle du Saint Esprit qui leur est communiquée par autruy.

  A010000340 

 Je sçay bien que l'on peut peindre la face d'une personne à son insu, mais cela appartient à de grans esprits et personnes fort experimentées en leur art..

  A010000340 

 La cinquiesme chose necessaire pour bien tirer un portrait c'est que le peintre regarde plus d'une fois celuy qu'il veut tirer à fin de bien imprimer en son imagination toute la forme et les traits de sa face, et que celuy qu'on tire arreste sa veuë sur quelque objet.

  A010000340 

 Or, saint Luc observa tout cecy en peignant Nostre Dame, car il la regarda et fut regardé d'elle, et pour cela il failloit bien que la Sainte Vierge s'apperceust quand il la tira.

  A010000341 

 Elle, qui estoit une mere toute douce et benigne, condescendit facilement à ce que ses enfans luy demandoyent, d'autant qu'elle sçavoit fort bien que cecy ne faisoit aucune breche à son humilité.

  A010000341 

 Il y en a un seul, que je sçache, qui l'aye fait: c'est Apelles, si cherement aymé d'Alexandre le Grand, qui peignit sur le champ un homme qui luy avoit despieu en quelque chose.

  A010000341 

 Mais il est plus probable que saint Luc se servit pour faire le portrait de la Sainte Vierge de la façon ordinaire des peintres, et qu'il la pria, ou quelque autre pour luy, de se laisser tirer.

  A010000341 

 Quelques uns ont pensé que c'est en cette façon que le glorieux saint Luc prit la face de la Vierge, car, dit-on, elle estoit si humble que l'on n'eust jamais osé la prier de se laisser tirer; cela fait, ce semble, un peu tort à son humilité, si que le bienheureux Disciple deut prendre son portrait comme en cachette.

  A010000342 

 O mon Dieu, que de suavités receut ce Saint en son interieur, arrestant sa veuë sur le front de la bienheureuse Vierge; et non seulement sur le front, ains aussi sur tout ce doux et beni visage.

  A010000342 

 Quelle pudicité virginale y apperceut-il! Que si les filles, pour peu qu'elles soyent de bon naturel, monstrent leur pudeur en leur face, rougissant pour la moindre parole qu'on leur dise, o Dieu, quel pensez-vous devoit estre celle qui se voyoit en la face de cette sainte Vierge lors qu'elle estoit regardée de son peintre? Que d'admirables vertus il descouvrit en ce pudique et chaste regard! Quel contentement de considerer celle qui est plus belle que le Ciel ou que la pleine diaprée de la varieté de tant de fleurs, et qui surpasse en beauté les Anges et les hommes! Mais qui pourroit penser l'humilité avec laquelle saint Luc la pria de le regarder, et la douceur et simplicité avec laquelle Nostre Dame le fit? O que de lumieres il receut par ce regard sacré, que son cœur demeura enflammé de son amour, que de connoissances il tira quand les yeux de cette douce Vierge s'arresterent sur luy! Ils imprimerent alors en son cœur un si grand amour de la pureté qu'il y persevera constamment tout le temps de sa vie et garda le celibat..

  A010000343 

 Il luy mandoit encores comme deux qui estoyent venus avec luy l'avoyent quitté, ne l'ayant voulu suivre en la prison, et que le seul Luc demeuroit avec luy.

  A010000343 

 O Dieu, quelle suavité recevoit aussi nostre glorieux Saint de la compagnie de saint Paul! combien de secrets luy reveloit-il, luy qui avoit esté ravi jusques au troisiesme Ciel! Il est certain que saint Luc avoit beaucoup appris de cet Apostre, car mesme en ses escrits il dit qu'il n'a pas veu tout ce qu'il rapporte, mais bien qu'il l'a ouÿ..

  A010000343 

 Or, quoy que ce grand Apostre estant en prison et escrivant à son cher disciple [127] Timothée pour se consoler avec luy, le saluast luy disant: Je suis icy tout seul, ce n'est pas qu'il fust le seul qui creust en Jesus Christ, car il y en avoit plusieurs, mais il vouloit signifier qu'il estoit seul dans les fers.

  A010000344 

 Il a donques esté l'Evangeliste de cette glorieuse Vierge, et a plus escrit d'elle que nul autre.

  A010000344 

 Je finis, mais avant je vous diray encores cecy, que la Sainte Vierge enseigna entre autres choses à cet Evangeliste la sainte humilité tant necessaire aux Religieuses, particulierement aux Filles de la Visitation qui ont une obligation particuliere à la prattique de cette vertu.

  A010000344 

 Mais il rapporte dans le sien des [128] mysteres plus simples, qui peuvent estre entendus par les Anges et par les hommes, pour nous apprendre que nous devons mediter et considerer ces mysteres simples et humbles, et non ceux qui sont au delà de nostre capacité.

  A010000344 

 O Dieu, combien suave, douce, humble, tranquille est celle qui converse souvent avec la Sainte Vierge! que sa conversation est esgale, paisible et aggreable!.

  A010000344 

 Saint Luc n'a pas esté seulement instruit de saint Paul, mais encores de nostre divine Maistresse, laquelle luy apprit à escrire avec un style humble, quoy que plein d'une admirable science, et à traitter des mysteres bas et cachés, comme de celuy de la Nativité de Nostre Seigneur, faisant voir ce petit Enfant dans les langes et maillots, parmi le foin et la paille.

  A010000345 

 Mais voyez encores mieux ce que je vous veux dire touchant les escrits de saint Luc. Ce glorieux Saint estoit souvent envoyé en mission par saint Paul pour le bien de l'Eglise; or, quand il raconte ses voyages, il le fait avec une simplicité et humilité admirables, sans parler des merveilles qu'il operoit ni des peines qu'il souffroit, ains il dit simplement: Nous allasmes, nous vinsmes, nous retournasmes.

  A010000346 

 C'est pourquoy il fait mention de l'election de saint Mathias, car Nostre Seigneur ne voulut point, n'avant que de monter au Ciel, nommer un Apostre pour mettre en la place de Judas, ains en laissa le choix et nomination au college apostolique pour destruire l'erreur [129] de ceux qui croyent que despuis l'Ascension du Sauveur la generation des Apostres a failli, ce qui n'est pas; car Jesus Christ luy mesme a voulu que les Apostres se soyent assemblés pour eslire ceux qui leur devoyent succeder, à commencer par saint Mathias.

  A010000346 

 Le college apostolique donques ne viendra jamais à defaillir, et bien que ce soit tousjours Nostre Seigneur qui fasse telles elections, comme Celuy qui preside aux assemblées reunies pour ce sujet, c'est neanmoins tousjours par la voix des creatures que sont faites telles nominations..

  A010000346 

 Mais il faut d'abord que je die cecy en passant: Pourquoy est-ce que saint Luc escrit les Actes des Apostres? Pour rapporter leurs actions et rien autre.

  A010000346 

 Quand, aux Actes des Apostres, il parle de l'election qu'ils firent de saint Mathias pour succeder à Judas, lequel vendit son Maistre et de desespoir se pendit, saint Luc dit que les Apostres et les disciples, les femmes devotes et Nostre Dame estoyent assemblés.

  A010000347 

 Ce n'est pas qu'ils soyent moindres que les autres, car saint Pierre est le prince et le premier de tous; mais apres avoir demandé au nom de tous les autres, elle nomme saint Pierre et saint Paul tout à part pour monstrer leur excellence.

  A010000347 

 Donques, quand saint Luc escrit: Là estoyent les Apostres, les disciples, les femmes et puis Marie, Mere de Jesus, ce n'est pas à dire qu'elle soit moindre que les personnages desja mentionnés, ains il veut monstrer qu'elle seule vaut mieux que tous ceux là ensemble..

  A010000347 

 En effect, on trouve en cent endroits de la Sainte Escriture que les plus grans sont nommés les derniers; voire mesme aux supplications que l'Eglise addresse à Nostre Seigneur par les merites des Apostres, elle met saint Pierre et saint Paul à la fin.

  A010000347 

 On en fait de mesme quand on parle du roy, d'autant qu'on dit: Là estoyent les princes, tout le peuple ou l'armée, puis le roy; mais ce n'est pas que le roy pour estre nommé le dernier soit au dessous des autres, o non, car chacun sçait qu'il est plus que tous; aussi le nomme-t-on tout à part.

  A010000347 

 Or, encores que saint Luc nomme la Sainte Vierge la derniere, il ne commet pourtant aucune incongruité, ains c'est par le respect et l'honneur qu'il luy porte.

  A010000348 

 Mais outre ce que dessus, il a pris encores de la tres sainte Vierge cette maniere de parler, car elle aymoit estre la derniere et choisissoit tousjours le plus bas lieu; ce qu'elle avoit fort bien enseigné à son Evangeliste.

  A010000348 

 [130] Sçachant donc cecy, et voyant qu'il la pouvoit contenter et suivre son intention, sans pour cela prejudicier tant soit peu à l'honneur qu'il luy devoit ni à l'estime qu'il en falloit avoir, il la nomma la derniere et tout à part, declarant par là en mesme temps qu'elle estoit plus grande que les Apostres et disciples, voire mesme que tous les Anges et les hommes ensemble..

  A010000349 

 La fidelité du serviteur se connoist en ce qu'il s'acquitte de ses devoirs en l'absence de son maistre aussi bien que s'il luy estoit present; car voit-on jamais un serviteur, pour negligent qu'il soit, ne point faire ce qu'il doit quand il sçait que les yeux de son maistre sont sur ses mains? Or, ne pas faire ce que l'on fait pour les [131] mains du Maistre, c'est agir par amour et non par crainte de chastiment..

  A010000349 

 Mais quand il leur recommande de ne tenir point les yeux fichés sur les yeux de leur Maistre il n'entend pas qu'ils ne fassent pas ce qu'ils font pour plaire aux yeux de Dieu et pour l'imiter, o non; mais que, lors mesme qu'ils ne seroyent pas regardés de leur Seigneur ils ne devroyent pas laisser de faire ce qui luy est aggreable.

  A010000349 

 Or, mes cheres Filles, puisque vous avez fait la sainte Profession en ce jour que l'Eglise celebre la feste de ce Saint, vous luy devez estre grandement devotes et fort soigneuses de l'imiter en tout ce qui vous sera possible, apprenant de luy à vous bien medeciner et guerir, et à peindre en vos cœurs la douce et desirable face de la tres sainte Vierge en la façon que nous avons deduit, le regardant en cecy comme vostre maistre.

  A010000349 

 Resouvenez vous des paroles du Psalmiste qui dit que le bon serviteur a tousjours les yeux sur les mains de son maistre, et la bonne servante sur celles de sa maistresse.

  A010000350 

 Et maintenant, que vous reste-t-il plus, sinon que vous vous prosterniez devant la tres sainte Vierge, que vous la preniez pour vostre Mere et Maistresse, la suppliant de vous presenter devant le throsne de la majesté de vostre Espoux crucifié, et de vous donner sa tres grande benediction en cette vie, pour puis apres la recevoir en sa plenitude en l'autre, où nous conduisent le Pere, le Fils et le Saint Esprit.

  A010000350 

 Peignez son image dans vos cœurs et l'y conservez avec fidelité, perseverant constamment en ce que vous avez voué et promis, car c'est la perseverance qui rend nos œuvres aggreables à Dieu et qui les couronne.

  A010000354 

 Il est dit dans la Genese que lors que Dieu eut creé le ciel et la terre, il les regarda, les trouva bien et s'y compleut; car considerant la lumiere il dit qu'elle estoit bonne; voyant ensuite la terre comme la pepiniere des arbres, herbes et plantes, et la mer qui retenoit dedans soy tant de poissons, il dit derechef que cela estoit bon.

  A010000354 

 La premiere feste que l'on ayt jamais celebrée a esté une feste de complaisance.

  A010000354 

 Mais, comme les anciens Peres remarquent, lors que la divine Majesté eut separé la Mesopotamie et fait le paradis terrestre, il crea l'homme, puis il tira une de ses costes et en fit la femme; et regardant par apres tout son ouvrage, il le trouva non seulement bon, ains plus que tres bon.

  A010000355 

 Lors qu'elle les considere et les honnore en particulier, voyant la ferveur des Martyrs, l'amour des Apostres, la pureté des Vierges, elle dit à l'imitation du Createur que cela est bien; mais quand elle vient à tout ramasser et faire à tous ensemble [133] une feste, contemplant les couronnes, les palmes, les victoires et triomphes de tous les Saints, elle en ressent une complaisance nompareille et s'escrie: O que cela est bon, ains plus que tres bon! C'est cette feste que nous celebrons aujourd'huy..

  A010000356 

 Ne pensez pas que ce soyent les miracles et les vocations speciales qui ont rendu saints tous ceux qui sont en Paradis; o non certes, car il est vray qu'il y en a un nombre infini qui ont esté ignorés en cette vie, qui n'ont point fait de prodiges et dont on ne fait aucune mention sur la terre, lesquels neanmoins sont au dessus de ceux qui ont operé beaucoup de merveilles et qui ont esté et sont honnorés parmi l'Eglise de Dieu.

  A010000357 

 Et que rend la terre au ciel en recompense? Elle luy expose ces plantes, ces fleurs et ces fruits, et elle luy renvoye des vapeurs qui montent comme la fumée de l'encens bruslé, et le ciel les reçoit.

  A010000357 

 Je ne veux pas icy parler de ces influences dont traittent les astrologues, ce n'est pas pour ce lieu; je parle de celles que, d'apres les platoniciens, le ciel respand sur la terre, lesquelles luy font produire les fruits, les arbres [134] et les plantes.

  A010000357 

 On admire le merveilleux rapport et correspondance que la terre a avec le ciel, qui est tel que l'on peut dire que le ciel est le mari de la terre et qu'elle ne peut rien produire que par le moyen des influences qu'elle en reçoit.

  A010000358 

 Comme chante-t-elle la ferveur et constance de saint Laurent, comme admire-t-elle un saint Barthelemy, et ainsy des autres! Mais outre cela, voyant qu'il se fait en Paradis une resjouissance pour tous en general, elle a aussi establi une solemnité à cette fin; c'est celle que nous celebrons aujourd'huy.

  A010000358 

 Je diray donques quelque chose, le plus briefvement qu'il me sera possible, touchant ce qu'il faut faire pour bien celebrer cette feste, le reduisant en trois points, le premier que je marqueray et les deux autres que je deduiray..

  A010000358 

 O Dieu, que c'est chose plus admirable encores de considerer le rapport qu'il y a entre la Hierusalem celeste et la terrestre, entre l'Eglise triomphante et la militante! L'Eglise militante fait ça bas en terre ce qu'elle croit se faire la haut en la triomphante, et comme une bonne mere, elle tire tout ce qu'elle peut de la Hierusalem celeste pour en nourrir ses enfans.

  A010000360 

 C'est le propre de sa justice de recompenser ceux qui travaillent pour acquerir le Royaume de Dieu, cette divine Majesté nous ayant mis en cette terre où nous pouvons meriter et demeriter; neanmoins le loyer qu'il nous donne pour les travaux et labeurs que nous prenons est infiniment au dessus de nos merites, et voyla où reluit sa grande misericorde..

  A010000360 

 Il veut pour cela que nous nous servions de l'invocation des Saints et Saintes, qu'ils soyent nos mediateurs et «que nous recevions par leur entremise ce que nous ne meritons pas d'obtenir» sans [135] icelle.

  A010000360 

 Or est-il que ces Esprits bienheureux, les Cherubins, les Seraphins et tous les autres Anges nous aymans souverainement, non seulement nous desirent, ains aussi nous procurent les celestes faveurs, poussés par le motif de la charité; car l'amour du prochain procedant et naissant de l'amour de Dieu comme de sa source et origine, il s'ensuit que du grand amour des Bienheureux envers nostre Sauveur et Maistre procede un desir tres ardent qu'il nous donne et departe sa grace en ce monde et sa gloire en l'autre.

  A010000361 

 C'est icy leur principal et plus excellent motif; car sçachans que nous avons esté creés pour la gloire eternelle, que Nostre Seigneur nous a rachetés pour cela et qu'il ne desire rien plus sinon que nous jouissions du fruit de nostre Redemption, ils conforment leur desir et amour à sa divine Majesté en ce qui concerne nostre salut comme en toute autre chose.

  A010000361 

 Mais les Saints ont encores un autre motif qui leur fait demander et desirer que Dieu nous donne sa grace: c'est qu'ils voyent en luy ce vehement desir qu'il a de la nous departir; cela fait qu'ils nous la souhaittent et procurent avec un amour d'autant plus grand qu'ils le voyent grand en Dieu.

  A010000361 

 O Dieu, c'est cet amour qui produit celuy du prochain et qui fait que l'on travaille pour l'ayder, que l'on s'oublie soy mesme pour le servir..

  A010000362 

 Il faut donques prier et invoquer les Saints, et c'est en cette sorte que l'on doit celebrer leurs festes, implorant leur secours et l'employant pour obtenir les graces et faveurs dont nous avons besoin.

  A010000362 

 Nostre Seigneur a si [136] aggreable que l'on se serve de l'invocation des Saints, que voulant nous departir quelque faveur il nous inspire souvent de recourir à leur entremise à fin de nous accorder ce que nous demandons.

  A010000363 

 Mais d'autant que nous parlons de la priere, disons qu'il y a trois personnes qui interviennent en icelle: la premiere, celle que l'on prie; la seconde, celle par qui l'on demande; la troisiesme, celle qui prie.

  A010000363 

 Pour cela, lors que nous prions les Saints nous ne leur demandons pas qu'ils nous accordent ou qu'ils nous departent quelque vertu ou faveur, mais bien qu'ils la nous impetrent, parce qu'il n'appartient qu'à Dieu seul de donner ses graces comme il luy plaist et à qui il luy plaist..

  A010000363 

 Quant à la premiere, qui est celle que l'on prie, ce ne peut jamais estre que Dieu, car c'est luy seul qui possede en soy tous les tresors de la grace et de la gloire.

  A010000364 

 Comme s'il vouloit dire: Helas! il est vray que ce Dieu auquel je veux parler est tres haut, et que moy je ne suis que poudre, cendre, poussiere et chose de nul prix; neanmoins je parleray à mon Seigneur, d'autant qu'il est mon Createur et que je suis sa creature.

  A010000364 

 Immediatement c'est parler directement à Dieu sans l'entremise d'aucune creature, comme firent le centenier, le publicain, la Samaritaine la Chananée, et plusieurs autres que nous lisons en la Sainte Escriture, lesquels prierent directement Nostre Seigneur et en receurent de grandes graces à cause de l'humilité dont ils accompagnoyent leurs demandes.

  A010000364 

 Voyez ce bon Abraham; que dit-il? Je parleray à mon Seigneur, encores que je ne sois que poudre et cendre.

  A010000365 

 Cette façon de prier est bonne et bien meritoire, car elle est humble; elle procede de la connoissance de nostre indignité et bassesse, qui fait que n'osant approcher de Dieu pour luy demander ce de quoy nous avons besoin, nous nous addressons aux Saints; ainsy nos prieres, qui d'elles mesmes sont foibles et de peu de valeur, estans meslées avec celles de ces Bienheureux auront une grande force et efficace..

  A010000366 

 O Dieu, que c'est une parole pleine d'amour que celle cy, et qu'elle remplit le cœur de douceur et de confiance filiale! Ce que vous verrez par les demandes qui se font en la mesme Oraison, en laquelle on parle immediatement à Dieu; car apres l'avoir appellé du nom de Pere on luy demande son Royaume et que sa volonté soit faite ça bas en terre comme elle se fait là haut au Ciel.

  A010000366 

 O que ces requestes sont grandes, qu'elles sont amoureuses et confiantes!.

  A010000367 

 C'est une question qui est debattue en la theologie scholastique, à sçavoir mon, si Nostre Seigneur entant qu'homme prie maintenant pour nous, car il est nostre Advocat et Mediateur; aussi faut-il que les advocats prient de mesme que les mediateurs.

  A010000367 

 Cecy est fort discuté entre les theologiens; mais il me semble que l'on s'en doit rapporter à ce que nostre divin Maistre a declaré: Je ne dis pas que je prieray pour vous; car il y a difference entre prier et demander, comme nous venons de le voir.

  A010000367 

 Il n'y a point de doute que Nostre Seigneur Jesus Christ ne demande pour nous le Royaume des Cieux, qui luy appartient et qu'il nous a gaigné au prix de son sang et de sa vie, et pour ce il le demande comme chose qui luy est deuë par justice; de mesme pour toutes les autres demandes qu'il addresse à son Pere.

  A010000367 

 Or, soit que l'on objecte qu'il fait ces requestes par forme de supplication et priere, se rendant nostre Mediateur, je ne suis pas homme de conteste; tant y a que ce qu'il demande pour nous luy appartient par droit de justice..

  A010000367 

 Remarquez que je ne dis pas que c'est celle qui prie, ains celle qui demande, car il y a bien de la difference entre prier et demander.

  A010000368 

 Mais laissant à part tout ce qui se pourroit dire sur ce sujet, nous ne parlerons que de nous qui sommes cette troisiesme personne.

  A010000369 

 Par ce divin meslange elles se rendent encores pretieuses devant Dieu et meritoires pour nous et pour nos prochains, car la charité et l'amour divin ne veulent pas que l'on travaille seulement pour soy, ains aussi pour autruy..

  A010000370 

 Cecy estoit mon second point, que les Bienheureux prient d'autant plus ardemment et fortement pour nous qu'ils voyent davantage dans l'Essence divine combien sa Bonté desire nostre salut et beatitude.

  A010000370 

 Les Saints au Ciel ne cessent, comme nous avons dit, de desirer et demander que nous jouissions du fruit de nostre Redemption, et que par ce moyen nous arrivions à la felicité qu'ils possedent; ils sont poussés à ce faire par cette charité vraye et non envieuse qui n'a d'autre objet que la gloire de Dieu; de là vient qu'ils souhaittent que nous la possedions.

  A010000370 

 Nous en devons faire de mesme à l'endroit de nostre prochain, nous employant à son service et l'aydant à se sauver avec une charité non point envieuse ni jalouse, mais qui regarde Dieu seul, n'ayant point d'autre pretention que de le glorifier..

  A010000371 

 Oh si nous pouvions un peu comprendre quelle est cette charité des Saints et de quelle ferveur et humilité ils accompagnent leurs prieres! Certes, nous aurions bien sujet de nous confondre si nous venions à faire comparaison du peu d'humilité qui se trouve en nos oraisons avec celle qu'ils joignent aux leurs, car nous verrions que pour grande que fust l'humilité qui accompagne nos prieres, elle ne seroit rien au prix de celle qu'ils [140] prattiquent au Ciel.

  A010000371 

 Que si, en cette vie, une personne, par le frequent exercice des considerations et meditations sur la grandeur de Dieu et sur sa bassesse, vient à descouvrir une si grande disproportion et esloignement de l'une à l'autre qu'elle s'abaisse et humilie jusqu'au plus profond abisme de son neant, ne trouvant jamais de lieu assez bas pour s'y enfoncer, quelle doit estre, je vous prie, l'humilité de ces glorieux Saints qui voyent clairement la Majesté divine?.

  A010000372 

 Mais l'humilité que Nostre Dame a maintenant au Ciel est mille et mille fois plus grande qu'elle n'estoit icy bas parce qu'elle a mille fois plus de connoissance de la grandeur de Dieu qu'elle n'avoit alors.

  A010000372 

 Voyla comme l'humilité se prattique dans la gloire; il n'y a donques point de doute que les prieres des Saints, estans faites et accompagnées d'une telle humilité, ne soyent bien meritoires et ne nous puissent beaucoup ayder..

  A010000373 

 Car voyez-vous, nostre cher Sauveur et Maistre nous a creés sans nous, c'est à dire il nous a donné l'estre lors que nous n'estions rien; mais il ne nous veut pas sauver sans nous, il ne veut point violenter nostre liberté ni sauver personne par force, il luy faut nostre consentement et cooperation à sa grace..

  A010000373 

 Mais avant d'en ressentir les effects il faut que nous scachions nous en prevaloir; car si de nostre costé nous ne cooperons, asseurement nous nous rendrons incapables de leurs suffrages.

  A010000373 

 Nous les prions de nous obtenir des vertus et nous ne voulons pas nous mettre en l'exercice d'icelles ni en faire aucun acte; neanmoins nous pretendons que les Saints les nous obtiennent, nonobstant que nous fassions les actes contraires aux vertus que nous demandons.

  A010000373 

 O quel abus est celuy cy! Certes, la misericorde de nostre Dieu veut que nous cooperions à sa grace et à ses dons; aussi, quand nous luy requerons quelques vertus par l'entremise des Saints, il nous les accorde si nous commençons d'abord à les pratiquer.

  A010000374 

 Aussi les Bienheureux supplient avec ferveur sa Bonté de se respandre sur nous, estans incités à ce faire, comme nous l'avons dit, par le desir et le playsir qu'ils voyent que Dieu prend à se respandre et communiquer..

  A010000374 

 Il n'y a point d'autre porte pour entrer en Paradis que celle de la redemption du Sauveur; c'est pourquoy l'Eglise termine toutes ses prieres par le nom de Nostre Seigneur Jesus Christ, pour nous monstrer que les prieres des Anges ni celles des hommes ne peuvent estre ouyes du Pere eternel si ce n'est au nom de son Fils.

  A010000374 

 Les Saints donques prient à fin que le merite de cette Passion nous soit appliqué.

  A010000374 

 Or, à mesure que nous correspondons aux dons de Dieu il nous en depart de nouveaux, et par suite nous augmentons le playsir qu'il prend de tousjours nous en donner.

  A010000374 

 Par consequent aucune creature, non pas mesme la sacrée Vierge, quelles que soyent les prieres qu'elle fasse, ne peut parvenir à la gloire sinon par la Mort et Passion de Nostre Seigneur qui nous l'a achetée et meritée par icelle.

  A010000375 

 Et pour ce faire nous devons agir comme eux, à scavoir, embrasser les preceptes que nostre Sauveur a prononcés sur la montagne où il se retira, se voyant suivi d'une grande multitude de peuple.

  A010000375 

 Voyez-vous, si nous voulons nous rendre bien capables [142] des suffrages des Saints et les esmouvoir à prier pour nous, il nous faut fidellement prattiquer les vertus que nous demandons par leur intercession, et nous bien disposer à recevoir les dons du Seigneur: c'est icy mon troisiesme point.

  A010000376 

 Pendant que Nabuchodonosor regardoit la beauté d'icelle il apperceut une petite pierre se destacher de la montagne, laquelle heurtant les pieds de cette statue la renversa par terre et la reduisit en cendre, et il n'en resta rien.

  A010000376 

 Qu'est-ce, je vous prie, cette statue sinon ce monde, ou plustost la vanité et orgueil d'iceluy, qui a la teste d'or et tout ce qui suit? Et cette montagne dont il est descendu une petite pierre n'est autre que Nostre Seigneur, de la bouche duquel est sortie cette pierre des huit beatitudes qui renverse la statue de la vanité, faisant que tant et tant de personnes ont quitté le siecle, ses richesses, honneurs et dignités, et se sont rendues pauvres, viles et abjectes..

  A010000376 

 Voicy une estrange doctrine qui est directement contre l'esprit du monde; mais vous l'entendrez mieux par la comparaison de cette statue que Nabuchodonosor vit en songe, laquelle avoit la teste d'or, les bras d'argent, le ventre d'airain, les pieds de terre et tout le reste comme vous l'avez souvent ouÿ dire.

  A010000377 

 Il est vray que cette doctrine evangelique a esté respandu par toute la terre et embrassée de plusieurs, [143] Voyez comme cecy s'est fait.

  A010000377 

 Mais Nostre Seigneur voyant la folie et misere des mondains et en quoy ils constituent leur beatitude, jette cette pierre aux pieds de cette statue et dit en premier lieu: Bienheureux les pauvres d'esprit, car le Royaume des cieux est à eux; et au contraire, malheur aux riches, car outre qu'ils ne possederont point ce Royaume, ils seront malheureux, d'autant qu'ils n'auront pour recompense que l'enfer et la compagnie des diables..

  A010000378 

 Or, d'autant que cette debonnaireté veut que l'on reprime les mouvemens de colere, que l'on soit doux, cordial et plein de mansuetude envers tous, que l'on pardonne à l'ennemy, que l'on supporte les mespris, la vanité du siecle, qui a un esprit tout contraire à celuy cy, dit: Bienheureux celuy qui se venge de son ennemy, qui se fait craindre et redouter de tous, auquel on n'oseroit faire un affront ni addresser un mot de mespris; qu'il est heureux celuy-là! tandis qu'elle regarde comme malheureux celuy qui est doux et benin parmi les mespris et adversités.

  A010000379 

 Et le monde ne dit-il pas tout au rebours? Ne va-t-il pas constituant son bonheur en tout ce qui est contraire aux preceptes de l'Evangile? C'est pourquoy Nostre Seigneur considerant cette statue, non point en songe comme Nabuchodonosor, ains en verité, et voyant qu'elle n'avoit que des pieds de terre, c'est à sçavoir que tout ce que ce siecle prise n'est fondé que sur des choses perissables et transitoires, il jetta, comme nous avons dit, cette pierre des huit beatitudes auxquelles est enclose toute la perfection chrestienne..

  A010000379 

 Oh! [144] que telles sortes de gens sont à plaindre! En fin le Sauveur continue: Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice; bienheureux non seulement ceux qui font justice, mais encor qui sont persecutés pour la justice mesme.

  A010000380 

 Hé, dit-il, ce n'est pas tout de se faire Religieux: quitter tout pour avoir toutes choses à souhait, se faire pauvre en entrant en Religion et vouloir que rien ne nous manque, vouer la pauvreté et ne vouloir en ressentir aucune incommodité, et qui pis est, rechercher en Religion ce que nous n'avons pas peu trouver au monde, pretendre nonobstant ce vœu, d'avoir mieux nos ayses et commodités qu'avant de nous estre rendus pauvres, o Dieu, quelle pauvreté molle, fade et blasmable! Il est vray pourtant, et c'est un malheur, que les plus difficiles [145] à contenter dans les monasteres ce sont ceux qui avoyent le moins de biens avant que d'y entrer..

  A010000380 

 Il est vray qu'on l'est desja en quelque façon par ce renoncement; mais helas, ce n'est pas ainsy que l'entend Nostre Seigneur.

  A010000380 

 Mais n'est-ce pas estre pauvre d'esprit que d'avoir l'usage des richesses, de posseder des biens et dignités, pourveu qu'on n'y attache pas trop son affection? D'autres diront: Pour estre pauvre d'esprit il suffit d'estre Religieux et d'avoir quitté le monde, et choses semblables.

  A010000381 

 O certes, ce n'est point de telle pauvreté que Nostre Seigneur et Maistre veut parler; ce n'est point ainsy que luy et ses Saints l'ont prattiquée.

  A010000382 

 Je sçay bien que ces paroles: Bienheureux ceux qui pleurent, s'entendent de ceux qui pleurent leurs pechés et ceux d'autruy parce qu'ils sont contre Dieu, ou encores pour l'absence de ce souverain Bien, comme faisoit David qui detrempoit son pain de larmes quand on luy disoit: Où est ton Dieu? Mais tous n'ont pas ces larmes, et elles ne sont pas necessaires pour estre sauvé; neanmoins tous peuvent avoir le desir d'icelles et demeurer devant la divine Majesté avec un cœur contrit et humilié.

  A010000382 

 Or, ce que la prudence humaine trouve contre la pauvreté, elle le trouve de mesme de la debonnaireté, des larmes et en somme de toutes les autres beatitudes.

  A010000395 

 Cette superstition a passé si avant parmi les hommes que l'on a eu peine de l'arracher; c'est pourquoy la sainte Eglise la voulant extirper a dedié ces jours aux Saints, et a mieux aymé nommer du nom de ferie ceux auxquels il n'escheoit point de feste dont elle fasse l'office, plustost que de se servir des noms dont les anciens prophanes usoyent.

  A010000395 

 Je sçay que les anciens avoyent tellement accommodé ces jours et années qu'ils les nommoyent et distinguoyent selon le cours de la lune, et leur donnoyent des noms propres et appartenans à leurs fausses deités, comme de Mercure, de Mars, de Jupiter et autres semblables.

  A010000395 

 Mais combien que l'on dedie les jours de l'année aux Saints, si ne laissent ils pas pourtant d'estre tous consacrés à Nostre Seigneur comme à Celuy qui les a faits et à qui ils appartiennent tout c'est pour cela que l'Eglise luy dedie celuy d'aujourd'hui, qui est le premier, et en iceluy toute l'année.

  A010000396 

 Je suivray donques ce qui est de l'Evangile et diviseray ce discours en deux points: au premier nous dirons ce que c'est que circoncision et comme il se faut circoncire spirituellement; au second, comme il faut bien prononcer ce sacré nom de Jesus..

  A010000396 

 L'histoire de la circoncision est tres belle et admirable; elle est comme une image ou representation de la circoncision spirituelle que nous devons tous faire.

  A010000398 

 Il y a un nombre infini d'interpretations et de raysons pour monstrer que le Sauveur n'estoit point sujet à cette loy, mais il faudroit bien du temps pour les rapporter; il suffira donc de dire qu'il n'y estoit aucunement obligé, et que s'il s'y est voulu assujettir ç'a esté pour nous donner un rare exemple de la circoncision spirituelle que nous devons faire..

  A010000399 

 C'est bien fait que de circoncire sa bourse et de donner l'aumosne; c'est une chose bonne que l'aumosne, dit l'Apostre, elle est bonne en tous temps et saisons; mais ne voyez-vous pas que si bien vous faites la circoncision spirituelle, vous ne la faites pas en maniere qu'il faut? Ne circoncisez pas vostre bourse, car ce n'est pas là, o voluptueux et charnels, la partie que vous avez le plus malade, ains circoncisez vostre coeur.

  A010000399 

 C'est la premiere remarque que font nos anciens Peres, et, si je ne me trompe, saint Jean Chrysostome, pour nous monstrer que quand nous voulons faire la circoncision spirituelle nous devons la faire en la partie la plus malade de toutes.

  A010000399 

 Certes, c'est un grand malheur que plusieurs, et presque tous les Chrestiens, voulans bien se circoncire spirituellement pour avoir part à la feste d'aujourd'hui, fassent cette circoncision en la partie la moins interessée.

  A010000399 

 En voyla qui seront enfoncés dans les voluptés sensuelles (je diray cet exemple un peu grossier jusqu'à ce que je m'en souvienne d'autres) et qui courront apres ces playsirs brutaux; ils veulent faire la circoncision spirituelle, ils tirent de l'argent de leur bourse et s'adonnent à plusieurs aumosnes.

  A010000400 

 Il y en a d'autres qui sont avaricieux, cupides d'amaser et avoir des richesses, biens et commodités; ils veulent [149] pourtant se circoncire, et pour cela ils font des veilles, de grans jeusnes et abstinences, se chargent de haires, de ceintures, et que sçay-je moy, et en faisant cela ils croyent estre à moitié saints.

  A010000400 

 O Dieu, qu'est-ce que vous faites? Ces veilles, ces jeusnes sont bons, mais vous ne faites pas bien la circoncision spirituelle, car vous ne commencez pas en la partie la plus interessée: le mal est au cœur, et vous tuez le corps.

  A010000401 

 O pauvres gens, vous pensez estre bien circoncis en portant la haire, prenant la discipline et telles autres choses; mais ne voyez-vous pas que la partie qu'il faut circoncire est la langue qui se baigne dans le sang de l'innocent?.

  A010000402 

 Ah, mes cheres ames, que faites-vous? Le mal est caché dans le cœur, ce n'est donques pas tout de circoncire la langue; il faut faire la circoncision en cette partie interessée d'où naissent ces grommellemens, murmures et sentimens, car la circoncision se doit faire en l'endroit le plus malade..

  A010000404 

 La seconde remarque que je fais est que c'estoit une circoncision et non pas une incision.

  A010000404 

 Or, il faut que je vous dise cecy comme par maniere de preface: tous sont obligés de faire la circoncision, mais differemment, non pas esgalement; car les ecclesiastiques, Prestres, Evesques, Religieux et Religieuses ont une particuliere obligation à la faire et d'une façon toute autre que ceux qui vivent dans le monde, d'autant qu'ils sont plus specialement dediés à Nostre Seigneur..

  A010000405 

 De là vient que vous verrez dans le monde des personnes qui se vautrent dans la fange et le bourbier de mille pechés, qui sont liées de plusieurs passions et affections depravées; si vous leur demandez ce qu'elles font ou ce qu'elles ont [151] fait, elles respondront qu'elles n'ont point fait de mal.

  A010000405 

 Il est vray, mais ce n'est pas tout là; il y a bien d'autres pechés que ceux cy, lesquels peut estre vous aurez commis, qui sont aussi dangereux que ceux que vous dites n'avoir pas fait.

  A010000405 

 Il y a des Chrestiens qui coupent tout ce qui les empesche de garder la loy de Dieu; ils sont bien heureux ceux cy, car ils auront en fin le Paradis, puisque pour l'avoir il ne faut que bien garder et observer les divins commandemens.

  A010000405 

 Lors que le Seigneur donna sa Loy à Moyse il ne dit pas seulement: Celuy qui tuera mourra, ni celuy qui desrobera mourra, mais il fit aussi la mesme menace, et ordonna la mesme peine et le mesme chastiment à l'esgard des autres commandemens..

  A010000405 

 Or, ceux cy ne font pas la circoncision ains seulement une incision, car ils ne vont pas à la partie gastée pour couper ce qu'il faut à fin d'estre vrayement circoncis, mais ils se contentent de donner un coup à quelque membre interessé, combien que pour l'ordinaire ce ne soit pas au plus malade; et neanmoins ils pensent faire ainsy une entiere circoncision.

  A010000406 

 C'est une verité indubitable que nul n'entrera jamais en Paradis qu'il n'aye observé toute la loy du Seigneur.

  A010000407 

 Il ne suffit pas que les Religieux et Religieuses se contentent de couper et combattre un vice ou une mauvaise inclination, mais ils doivent aller tout autour du cœur.

  A010000407 

 Nous la devons prattiquer non seulement en la façon que font les seculiers, mais encor en une autre maniere à laquelle ils ne sont pas tenus parce qu'ils n'ont pas comme nous les moyens propres à [153] cela, et aussi parce qu'ils ne sont pas si particulierement dediés à Nostre Seigneur.

  A010000407 

 Quant aux personnes dediées et consacrées au service divin, nous autres ecclesiastiques, Religieux ou Religieuses, nous sommes plus obligés que les autres à cette circoncision spirituelle.

  A010000408 

 Celuy qui seroit icy bas sans passions ne patiroit pas, ains il jouiroit desja; or, cela ne se peut ni ne se doit, car tant que nous vivrons nous aurons des passions et nous n'en serons point quittes jusqu'à la mort, puisqu'au combat de telles passions et esmotions gist nostre victoire et nostre triomphe.

  A010000408 

 Hé, hé, mes cheres ames, leur respond-on, nous ne sommes pas venus icy pour jouir, ains pour patir; attendez un peu, et vous serez un jour dans le Ciel où il n'y a que paix et joye; vous n'y sentirez aucune passion, mouvement d'envie, aversion ni repugnance, ains vous possederez une tranquillité et repos perdurables.

  A010000408 

 Mais quelqu'un me dira: Il est vray; cependant j'ay desja plusieurs fois apporté le couteau pour couper telles passions et inclinations, telles repugnances et aversions que je vois estre en mon cœur incirconcis et qui me font une cruelle guerre; et quoy que j'aye desja fait, ce me semble, tout ce que j'ay peu, que j'y aye employé beaucoup de temps avec tout le soin et diligence possible, je [153] ne laisse pas neanmoins de tousjours sentir de fortes et puissantes passions, aversions, degousts, repugnances et plusieurs autres mouvemens qui me travaillent et guerroyent.

  A010000409 

 Je sçay bien qu'il y a eu quelques hermites et anachoretes en la Palestine qui ont voulu soustenir que l'homme, par une soigneuse et frequente mortification, pouvoit arriver jusques là que d'estre sans passions et esmotions de colere; qu'il pouvoit recevoir un soufflet sans rougir, estre injurié, mocqué, battu sans le ressentir.

  A010000409 

 Mais leur opinion a esté condamnée comme fausse et rejettée de l'Eglise, laquelle a declaré, ce qui est vray, que tant que l'homme vivra, rampera et traisnera sur cette terre il aura des passions, sentira des tremoussemens de colere, des soulevemens de cœur, des affections, inclinations, repugnances, aversions et telles autres choses auxquelles nous sommes tous sujets..

  A010000410 

 Hé, pauvres gens, ne voyez-vous pas que ce n'est pas là la partie la plus malade et que ce n'est pas ce qu'il faut circoncire, puisque ces tremoussemens ne sont pas en vostre pouvoir?.

  A010000410 

 Il ne faut pas penser quand [154] vous sentez dos esmotions et des repugnances que vous pechiez et offenciez tant soit peu.

  A010000410 

 Plusieurs se trompent s'imaginant que tout consiste à ne rien sentir, et quand ils esprouvent quelque rebellion des passions il leur semble que tout soit perdu.

  A010000411 

 Mais que circonciray-je donques? Voyez, circoncisez-moy ce qui se fait en suite de ces mouvemens, posez le couteau sur ces paroles de sentiment.

  A010000411 

 Voyla la seconde remarque que je fais sur nostre Evangile..

  A010000412 

 Je sçay bien qu'il y a diverses opinions des Docteurs et anciens Peres sur cecy, mais je ne les rapporteray pas maintenant; j'en diray seulement une, qui est que Nostre Seigneur a voulu estre [155] circoncis par la main d'autruy pour nostre exemple, à fin de nous monstrer qu'encores que ce soit une bonne chose de se circoncire soy mesme il est encores meilleur d'estre circoncis par les autres.

  A010000412 

 Mais aussi sçay-je bien que la circoncision que nous autres souffrons des mains d'autruy va au dessus de la leur, parce qu'elle est plus douloureuse et partant plus meritoire..

  A010000413 

 Ils sont en l'oraison, et là leur cœur s'enflamme du desir de cette circoncision; en effect, se tournant sur eux mesmes, ils commenceront à la faire, voire avec une telle ferveur qu'elle ne leur coustera rien, et avec tant de douceur et consolation qu'ils en jetteront une grande abondance de larmes qui descouleront de leurs yeux avec une suavité nompareille; en un mot, ce qui vient de nostre invention ou que nous faisons par nostre propre choix et election ne nous couste quasi rien, tant les subtilités de nostre amour propre sont grandes.

  A010000413 

 Neanmoins dans les familles et maisons religieuses il y a tousjours des personnes qui, outre cela, se tiennent en attention et qui veillent continuellement sur leur propre cœur pour connoistre ce qu'il faut tordre et mortifier, et par consequent elles ont le couteau entre les mains à fin de se circoncire elles mesmes; ce qui ne les empesche pas pourtant de vouloir l'estre par autruy, et il n'y a point de doute que cette circoncision ne soit plus douloureuse et sensible que l'autre.

  A010000413 

 Vous voyez donques combien il est necessaire qu'un autre prenne en main le couteau pour nous circoncire, car il scait beaucoup mieux que nous mesmes où il le faut appliquer..

  A010000414 

 Il luy failloit plustost abattre celle cy que l'autre, a ce qu'il fust plus apte et prompt à ouyr les inspirations et les parolles divines et celestes; mais parce que vous avez agi tout au contraire, la circoncision n'en est pas bien faite.

  A010000414 

 Le premier des Apostres, saint Pierre, estant au jardin des Olives et voyant venir les soldats pour prendre son bon Maistre, fut soudain saisi d'un tremoussement d'ire, et s'addressant à Nostre Seigneur il luy demanda s'il frapperoit du glaive, comme s'il eust dit: Je n'ay qu'un petit couteau, mais s'il vous plaist que je frappe ces canailles, je feray du carnage.

  A010000414 

 Mais nostre divin Sauveur n'approuvant pas cette action, le reput et tança, et prenant l'oreille de Malchus il la rattacha et remit en son lieu, puis il dit à saint Pierre: Remettez vostre espée dans son fourreau; comme s'il eust voulu dire: Vous n'avez pas mis le couteau où il failloit, cette circoncision n'est pas bien faite, d'autant que ce n'est pas cette partie là qu'il failloit couper.

  A010000415 

 La fille estant enlevée fut deshonnorée par le prince Sichem; dequoy il y eut grand bruit parce que le roy Hemor et son fils estoyent d'une autre nation que Dina..

  A010000415 

 Le predicateur qui a fait [157] aujourd'huy le grand sermon a commencé sa predication par un trait admirable que je ne lairray pas de vous rapporter, car c'est un mets bien propre pour servir à deux tables et il le sera aussi à conclure mon exhortation.

  A010000415 

 Mais il advint que le fils du Roy estant lors à la fenestre l'apperceut, et la voyant douée d'une si rare beauté s'informa qui elle estoit.

  A010000415 

 Voyez-vous que c'est de l'esprit humain: elle alla non seulement pour regarder, mais certes aussi, comme je crois, pour estre regardée des autres, car elle estoit belle et elle le sçavoit bien.

  A010000416 

 Cet autre amour, au contraire, est fol, dangereux et damnable, n'ayant pour sa cause et entretien que [158] des muguetteries, sottises et niaiseries.

  A010000416 

 Comme il estoit roy, plusieurs gens s'assemblerent et l'on apporta tant de raysons que ce mariage fut quasi resolu..

  A010000416 

 Hemor donques, voyant que pour le contentement de son fils il en failloit venir jusques là que de le marier avec Dina, il s'advisa de traitter de cette affaire avec Jacob et le fit appeller pour cela.

  A010000416 

 L'Escriture dit en effect que l' ame de Sichem estoit collée avec celle de Dina; mais c'estoit d'une colle qui n'estoit guere forte, c'estoit un amour de paille, tel que les amours du monde qui ne sont point solides et qui ne durent que trois jours.

  A010000417 

 Ce que sçachans, Simeon et Levi entrerent dans la ville et firent un si cruel carnage qu'ils mirent tout à feu et à sang pour se venger du tort que le fils d'Hemor avoit fait à leur soeur..

  A010000417 

 Estans tous assemblés au lieu prefix pour les consultations, la circoncision leur fut proposée et on apporta plusieurs raysons pour les esmouvoir à aggreer ce que le Roy desiroit pour le contentement de son fils.

  A010000417 

 Ils demanderent donques que s'il vouloit faire alliance avec leur nation tout le peuple fust circoncis.

  A010000417 

 On leur dit que Jacob estoit d'une bonne nation, qu'il se joindroit à eux avec son peuple et que par consequent ils se fortifieroyent l'un l'autre, qu'il avoit beaucoup de troupeaux; en somme, on representa tant de choses que tous s'accorderent de se sousmettre à cette circoncision.

  A010000417 

 Simeon et Levi, freres de Dina, sçachans que Jacob leur pere traittoit le mariage de leur sœur avec Sichem, tout offencés du deshonneur qu'il luy avoit fait, ils s'adviserent de proposer une chose au Roy sans laquelle ils ne consentiroyent point.

  A010000418 

 O Dieu, [159] serons-nous si couards et si lasches de cœur, nous autres, que de fuir nostre circoncision spirituelle, voyant aujourd'huy nostre cher Sauveur s'assujettir à la loy de la mesme circoncision pour nous en donner l'exemple? En respandant son sang il nous semond non point à verser le nostre, mais seulement à respandre nos cœurs et nos esprits devant luy.

  A010000418 

 Quoy, souffrirons-nous qu'il nous invite à cette circoncision interieure, non pour son proffit et playsir mais pour nostre bien, salut et utilité, et refuserons-nous apres cela de faire ce qu'il nous demande? Aurons-nous bien le courage de voir ce peuple de Sichem se sousmettre à une si rude loy uniquement pour donner de la satisfaction au fils du Roy, et nous, d'estre si poltrons et couards que de ne vouloir assujettir nos esprits à des choses si faciles et aysées?.

  A010000419 

 Aussi Nostre Seigneur, se faisant Sauveur et Redempteur des hommes, commence, en prenant ce nom, à payer nos dettes non d'autre monnoye que de son sang pretieux.

  A010000419 

 L'Evangile d'aujourd'huy donne à entendre que l'effusion du sang de Jesus fut la cause de son nom.

  A010000419 

 Le nom de Sauveur luy a esté justement donné en ce jour, car il n'y a point de redemption sans effusion de sang et point de salut sans redemption, personne ne pouvant entrer au Ciel que par cette porte.

  A010000420 

 Le second est celuy de Createur qui ne peut estre aussi donné qu'à luy, car nul n'est createur que luy; en ce nom il se connoist soy mesme par soy mesme, mais il se connoist encores en ses creatures.

  A010000420 

 Le troisiesme nom c'est Jesus, lequel semblablement n'appartient qu'à luy seul, puisque autre que luy ne pouvoit estre Sauveur.

  A010000420 

 Nous portons à cette heure le nom de Christ, à sçavoir Chrestien, et nous sommes tous oints par les Sacremens que nous recevons; quand nous serons au Ciel nous porterons celuy du Sauveur, d'autant que là nous jouirons tous du salut et nous serons tous des sauvés.

  A010000421 

 Mais comment faut-il prononcer ce nom sacré de Jesus à fin qu'il nous soit utile et profitable? C'est ce que je vous vay dire et monstrer par une histoire avec laquelle je finis.

  A010000421 

 Nostre Seigneur nous monstre comme il le faut repeter lors qu'en le prenant il donne son sang, car il tesmoigne par là qu'il est prest à faire ce que ce saint nom signifie, à sçavoir sauver les hommes.

  A010000421 

 O que nous serions heureux si nous avions en nous tout ce que nous signifient nos noms! Ce n'est pas le tout de [161] se nommer Prestre, Evesque, Religieux ou Religieuse, mais il faut considerer si la vie que l'on mene est conforme au nom que l'on porte, prendre garde à la charge qu'on exerce, à la vocation en laquelle on vit, quelle est nostre profession, en somme regarder comme sont reglées nos passions et affections, comme nostre jugement est sousmis, si nos œuvres s'accordent avec nostre estat..

  A010000422 

 Cependant, Dieu qui tenoit le parti de Jephté parce que sa cause estoit juste, le favorisa en telle sorte qu'il en massacra quarante deux mille, laissant Ephraïm et tout le reste du peuple bien estonné de se voir ainsy mis en vau de route.

  A010000422 

 Il est rapporté dans le Livre des Juges que Jephté, grand capitaine, remporta la victoire contre les Ammonites par le vœu qu'il fit au Seigneur.

  A010000422 

 Le bon Jephté, estonné de recevoir cette nouvelle esmotion, leur dit: Hé, mes chers amis, vous sçavez bien que voulant aller à la guerre je vous ay invités, mais vous vous estes excusés d'y venir; c'est pourquoy, le moment arrivé auquel il me failloit de necessité livrer la bataille, je l'ay fait.

  A010000422 

 Mais apres avoir sacrifié sa fille et fait tout ce que porte l'histoire, alors qu'il pensoit estre en paix et en repos, voicy qu'une sedition s'esleve; les enfans d'Ephraïm se prindrent à luy reprocher qu'il ne les avoit pas invités ni menés avec luy à la guerre, combien qu'ils fussent de braves soldats, et que sans doute il avoit agi ainsy pour les mespriser.

  A010000422 

 Que s'ils prononcent sibboleth, mettez-les à mort, mais s'ils disent scibboleth, donnez-leur libre passage.

  A010000422 

 Remarquez que scibboleth et sibboleth sont quasi un mesme mot ( scibboleth signifie espi et sibboleth charge), mais scibboleth se dit grassement et sibboleth se dit plus delicatement et mignardement.

  A010000423 

 A nostre derniere heure, si Dieu nous fait tant de grace que de ne point mourir de mort soudaine, nous aurons un prestre aupres de nous qui tiendra un cierge beni entre ses mains et qui nous criera: Souvenez-vous de nostre Redempteur; dites Jesus, dites Jesus.

  A010000423 

 Bienheureux seront ceux qui le prononceront devotement et avec un tres profond ressentiment de ce que le Sauveur nous a rachetés par son sang et par sa Passion, car ceux qui le nommeront bien en ce temps là seront sauvés; comme au contraire ceux qui ne le diront pas bien et qui le prononceront laschement et delicatement seront damnés et massacrés.

  A010000423 

 C'est pourquoy il nous le faut graver profondement dans nos cœurs et nos esprits, à ce que le benissant et honnorant en cette vie, nous soyons dignes de chanter avec les Bienheureux: Vive Jesus! Vive Jesus! [163].

  A010000423 

 C'est à ce nom sacré que tous les genoux flechissent; c'est luy qui resjouit les Anges, qui sauve les hommes et qui fait trembler les diables.

  A010000423 

 O que nous serons heureux si à l'heure de la mort et encor pendant nostre vie nous prononçons bien le sacré nom du Sauveur, car il sera comme le mot du guet par lequel nous aurons l'entrée libre au Ciel, parce que c'est le nom de nostre redemption.

  A010000427 

 Le second nom est celuy de la Purification de la Vierge, parce que la Loy ordonnoit que les femmes iroyent au Temple quarante jours apres leur accouchement pour se purifier, et qu'elles apporteroyent deux animaux pour offrande (les deux tourterelles offertes par la Vierge sacrée estoyent un signe et tesmoignage de sa purification); ou, comme disent quelques autres, la feste du Rencontre, parce qu'en ce jour les differentes sortes de gens qui sont en l'Eglise de Dieu se rencontrerent quasi toutes au Temple.

  A010000428 

 Cette feste est la fin de toutes celles qui se celebrent en l'honneur de l'Incarnation, car celles que nous solemniserons desormais ne regarderont plus ce mystere ni l'enfance du Sauveur, mais ouy bien sa Mort, sa Resurrection et Ascension; en somme, ce seront les festes de nostre Redemption.

  A010000428 

 Cette offrande nous est merveilleusement bien representée par les ceremonies que l'on fait aujourd'hy en l'Eglise; car la procession avec les cierges allumés nous rappelle cette divine procession de Vierge, quand elle alla au Temple portant entre ses bras son Fils, qui est la lumiere du monde.

  A010000428 

 De tous les sacrifices qui avoyent esté offerts à la divine Majesté dès le commencement du monde, aucun autre que celuy cy n'avoit esté esgal à ses merités; d'autant que si bien on luy immoloit plusieurs holocaustes et victimes, c'estoyent des sacrifices de bestes viles et abjectes, comme de moutons, veaux, taureaux ou oyseaux.

  A010000428 

 Lors donc que les Chrestiens portent les cierges en leurs mains, cela ne veut dire autre chose sinon que s'il leur estoit possible de porter Nostre Seigneur entre leurs bras comme firent Nostre Dame et le bienheureux Simeon, ils iroyent l'offrir au Pere eternel d'aussi bon cœur comme ils portent ces cierges qui le leur representent.

  A010000429 

 Ce mystere nous est bien representé par les cierges que nous portons à ce jour, auxquels se trouvent trois natures fort differentes l'une de l'autre, qui neanmoins sont tellement jointes et unies par ensemble qu'elles ne [165] font qu'un cierge: à sçavoir, la nature du feu, la nature de la meche ou luminon, et celle de la cire.

  A010000429 

 Il existe mesme une telle liaison entre ces deux natures que les attributs, louanges et eloges que l'on donne à l'une sont aussi donnés à l'autre; en sorte que nous disons que par cette jonction Dieu s'est fait homme et l'homme a esté fait Dieu.

  A010000429 

 Or, en Nostre Seigneur il se trouve aussi trois substances qui pourtant ne font que deux natures, et ces deux natures, quoy que bien distantes et esloignées l'une de l'autre, ne forment qu'une personne.

  A010000430 

 Dieu fait sa demeure en soy, son centre n'estant autre que luy mesme; aussi, lors qu'il a voulu se communiquer à l'homme il est sorti de soy mesme: il a fait comme un effort, il a esté comme en ravissement et en extase par laquelle il est sorti de soy pour se communiquer à sa creature; mais il n'eust peu demeurer en terre ni estre veu des hommes s'il ne se fust attaché à une nature qui luy servist en quelque façon de matiere pour le retenir.

  A010000430 

 Le feu est une lumiere qui esclaire; la Divinité est une lumiere qui esclaire les tenebres, mais ce qui est davantage, sa lumiere est si lumineuse et esclattante qu'elle en est toute tenebreuse et obscure, en sorte qu'elle ne peut estre regardée ni apperceuë en cette vie que par des ombres et figures.

  A010000430 

 Le feu fait sa demeure en la troisiesme region de l'air, il parpille tousjours en haut et jette ses estincelles contremont, et si l'on ne l'attachoit à quelque matiere on ne le pourroit retenir en terre; nous ne le voyons pas tel qu'il est en la region qui luy est propre, car il est au dessus de l'air, et bien qu'il soit chaud il ne nous brusle pas parce que sa chaleur est mitigée par l'air.

  A010000431 

 Certes, la nature de l'ame est beaucoup plus excellente que celle du corps: elle n'est point corporelle ni terrestre; si elle ne vient point du ciel, elle Vient moins encores de la terre; elle est creée de Dieu au mesme instant qu'elle est infuse et respandue dans le corps, lequel elle ennoblit et embellit.

  A010000431 

 En cette vie, l'ame sans le corps est bien ce qu'elle est, par maniere de dire, mais elle est tout obscure, et ne peut faire paroistre ses passions et mouvemens, ses discours et pensées que par les organes, membres et sens d'iceluy.

  A010000431 

 L'homme est donc en quelque façon double, et tout ainsy que le corps a besoin d'estre uni à l'ame pour devenir lumineux, aussi l'ame, par une certaine correspondance, recherche cette union qui luy est necessaire; de mesme que le luminon a besoin d'estre uni à la cire pour esclairer, et qu'il faut esgalement que la cire soit jointe au luminon ou à la meche pour rendre de la clarté.

  A010000431 

 La nature du luminon est sans doute plus noble que celle de la cire, car les luminons sont faits pour l'ordinaire de coton, lequel croist sur des arbres grandement hauts; au contraire, chacun sçait que la cire est recueillie comme le miel par les avettes dans les fleurs qui mi sur la terre.

  A010000431 

 Le luminon joint à la cire et au feu respand une lumiere excellente; mais si on vient à le joindre au feu sans qu'il soit uni à la cire, il ne jettera que de la fumée ou une flamme tout obscure.

  A010000431 

 Or, quoy que, [167] comme nous l'avons dit, la nature de la cire et celle du luminon soyent bien differentes l'une de l'autre, l'une venant de la terre et estant façonnée par les avettes, l'autre croissant sur de grans arbres sans avoir besoin de l'industrie d'aucune creature pour le façonner, ayant esté fait tel qu'il est par le Createur mesme, neanmoins ces deux natures sont tellement unies et meslangées l'une dans l'autre ès cierges que nous portons, qu'elles ne font qu'un seul cierge, ce qui certes est admirable..

  A010000432 

 L'ame, ainsy que nous l'avons touché, est toute spirituelle, elle ne croist point ça bas, elle est creée de Dieu seul, sans le concours d'aucune creature; mais le corps vient de la terre, car nous sçavons que celuy du premier homme fut petri du limon de la terre, et despuis ce temps là le corps a esté formé de la substance de l'homme et de la femme, en sorte que, pour cette cause, il est leur œuvre.

  A010000432 

 Le sacré corps de Nostre Seigneur ne fut pas spirituel, non plus que ceux des autres hommes, bien qu'il fust plus noble et excellent que les nostres, n'ayant point esté conceu par œuvre d'homme, mais du Saint Esprit, lequel print pour le former le plus pur sang de la Vierge; de sorte qu'en verité ce corps est esgal aux nostres quant à la substance.

  A010000432 

 Or, bien que l'ame et le corps soyent si differens l'un de l'autre, ils ne font neanmoins qu'une personne que nous appelions homme; voire mesme ils viennent à faire un tel meslange par cette union et jonction, que nous parlons des deux comme s'il n'y en avoit qu'un; tout ainsy que quand on parle de la bonté, beauté, ou telle autre qualité du cierge on ne distingue pas la cire ni le luminon, ains on dit seulement et en un mot: Ce cierge est beau ou bon, parlant des deux natures qui se trouvent en luy comme s'il n'y en avoit qu'une seule.

  A010000433 

 De mesme, l'ame et le corps de Nostre Seigneur ne demeurerent pas un seul instant sans estre unis à la Divinité; ains à l'heure mesme que la jonction de l'ame et du corps se fit au ventre de la Vierge, tout aussi tost la Divinité fut jointe à l'une et à l'autre.

  A010000433 

 Le feu estant mis au cierge pour l'allumer, il se prend [168] plus tost au luminon qu'à la cire; peut estre est-ce parce sa nature est plus noble que celle de la cire, et par consequent plus propre à se joindre la premiere à celledu feu.

  A010000433 

 Mais quand je dis qu'il commença premierement à se joindre à son ame, representée par le luminon, il ne le faudroit pas entendre en telle sorte que nous voulant esclaircir sur ce mystere de l'Incarnation, nous nous trompassions nous mesmes.

  A010000433 

 Neanmoins cette jonction s'attacha premierement à l'ame comme à la plus noble, et d'icelle passa au corps; mais cela se fit si subtilement qu'ils furent tous deux, l'un aussi tost que l'autre, nuis à la nature divine.

  A010000433 

 Quand donc je dis que la Divinité s'attacha d'abord à l'ame de Nostre Seigneur, il ne faut pas s'imaginer qu'elle s'unit à icelle deux ou trois heures avant que de se joindre à son corps sacré; o non, car tout ainsy que le corps de nostre Sauveur fut formé le premier, aussi ne demeura-t-il pas un moment sans estre uni à l'ame.

  A010000434 

 Or, cette nature divine ainsy jointe et unie à l'humaine, elles ont fait une telle liaison et communication entre elles, que l'homme a esté Dieu et Dieu a esté homme; de plut, les t rois substances qui se trouvent reunies en la personne de Nostre Seigneur ne forment que deux natures parfaites, à sçavoir la divine et l'humaine, lesquelles, quoy qu'infiniment esloignées l'une de l'autre, ne font neanmoins en l'Incarnation qu'une seule Personne.

  A010000434 

 Voyla ce que j'avois à dire sur le premier nom de cette feste.

  A010000435 

 Helas! quoy que ce ne soit pas nous qui ayons peché, neanmoins nous avons tous esté entachés de la coulpe de nostre premier pere Adam, et avons fait nostre entrée au monde comme enfans d'ire, chargés du pesant faix de nos iniquités.

  A010000435 

 Mais ce divin Enfant, non plus que sa Mere, n'avoit point besoin de purification, car non seulement il n'avoit aucun peché, ains ce qui est davantage, il n'en pouvoit point avoir; il estoit impossible que le peché se trouvast en luy, en luy, dis-je, qui estoit venu pour le destruire; luy mesme l'a protesté.

  A010000435 

 Or, le Fils n'en estant point souillé, la Mere ne l'estoit pas non plus; car bien qu'il ne fust pas impossible que la Vierge n'eust quelque coulpe, et qu'estant née de pere et de mere elle en eust peu estre entachée comme les autres enfans, neanmoins il n'eust pas esté seant que la mere d'un tel Fils eust esté souillée du peché originel.

  A010000435 

 Tout le monde est en un estonnement nompareil de voir que cette tres sainte Dame se soit voulu assujettir à la loy de la Purification, elle qui estoit vierge, et qui par consequent n'en avoit point besoin.

  A010000436 

 Comme est-ce donques que cette tres sainte Dame, estant toute pure et sans macule, a voulu aller au Temple pour se purifier comme les autres femmes, veu que, outre [170] tout cela, cette loy n'estoit pas une loy generale, ains seulement legale, instituée par Moyse? Il y a mille et mille raysons de cecy chez les anciens Peres, c'est à dire chez les anciens Docteurs; mais nous en trouvons en la Genese desquelles je me serviray pour vous monstrer pourquoy la sacrée Vierge, n'estant point obligée à la loy de la purification, s'y est neanmoins voulu assujettir..

  A010000437 

 Je vous diray donques briefvement l'histoire de la cheute de nos premiers pere et mere, Adam et Eve; elle ne sera pas hors de propos, puisque Nostre Seigneur, dont il est fait mention en cette feste, est appellé le nouvel Adam, qui est venu pour reparer la faute du premier, et par son obeissance satisfaire à la desobeissance d'iceluy, et que Nostre Dame est nommée la nouvelle Eve.

  A010000437 

 Le Seigneur les mit en cet estat là dans le paradis terrestre et leur fit un seul commandement et defense, à sçavoir qu'ils ne mangeroyent point du fruit de l'arbre de science du bien et du mal; que s'ils en mangeoyent, ils mourroyent..

  A010000437 

 Or, il est escrit que Dieu avoit creé l'homme et la femme en la justice originelle, ce qui les rendoit extremement beaux et tellement capables de la grace qu'il n'y avoit point en eux de peché, ni par consequent fin rebellion de la chair à l'esprit.

  A010000438 

 Grande tentation que celle cy, car c'estoit une tentation de desobeissance.

  A010000438 

 Lucifer en sa cheute vint premierement à se degouster du commandement avant de desobeir; voyla pourquoy, connoissant la force de cette tentation, quoy qu'il sceust bien que Dieu n'avoit pas defendu à nos premiers parens de ne point manger de tous les fruits, il ne laissa pas de le leur dire à fin de leur faire haïr cette ordonnance..

  A010000439 

 C'est à quoy tendoit en premier lieu sa tentation, que de faire faire cette responce à Eve, car par icelle, elle tesmoignoit du degoust [172] et de la haine, comme si elle disoit: Il ne nous a pas seulement defendu d'en manger, ains encor de le toucher, et par consequent de le regarder, ce qui est une chose bien estrange et severe.

  A010000439 

 Dieu avoit voirement defendu de ne pas manger du fruit de cet arbre, mais de ne le pas toucher ni regarder il n'en avoit rien dit; c'estoit un mensonge aussi grand que celuy du malin esprit, lors qu'il demanda pourquoy Dieu leur avoit defendu de manger de tous ces fruits.

  A010000439 

 Remarquez, je vous en prie, combien cette tentation s'accroist par la responce d'Eve: Nous mangeons bien, dit-elle, de tous les fruits, mais pour celuy de science, il nous a defendu d'en manger et de le toucher; et vous me demandez pourquoy? C'est, adjouste-t-elle, de peur que nous ne mourions.

  A010000440 

 Grand malheur que celuy cy et qui n'arrive que trop en ce siecle!.

  A010000440 

 Or, nous voyons aussi que tous ces miserables qui se perdent en se retirans de l'Eglise passent par ce degoust et cette haine des commandemens; car Dieu a ordonné que les prestres et les ecclesiastiques garderoyent inviolablement la chasteté et virginité, et le diable est venu demander: Pourquoy a-t-on fait ce commandement? Et, voyla qu'il parvient à le faire haïr et persuader à plusieurs de se retirer de l'Eglise pour avoir la liberté de ne le pas observer.

  A010000441 

 Et qu'est-ce que cela sinon monstrer le degoust que l'on a du commandement? On l'observe parce qu'il le faut, mais on ne l'ayme nullement, et si on pouvoit on l'aneantiroit.

  A010000441 

 Un pere ou une mere aura defendu à une fille de ne pas aller au bal à ce carnaval, ou de ne pas aller en telle compagnie, et voyla que cette fille vient à haïr cette defense et dit: On n'oseroit regarder les bals ni les mascarades, ni on n'oseroit lever les yeux pour regarder un homme; il vaudroit autant les avoir cousus, ou bien il nous les faudroit arracher, ou nous les boucher comme à des esperviers.

  A010000441 

 Une fille qui n'aymera pas le silence dira librement: Hé Dieu, tant de silence, à quel propos en tant garder? ne seroit-il pas mieux à cette heure de parler que de se taire? Maintenant que j'ay une [173] si belle conception en l'esprit il me feroit si grand bien de la dire, elle causeroit tant de suavité à ceux qui l'entendroyent, et il n'est point loysible de la raconter! Neanmoins, si j'attens encor une demi heure je ne m'en souviendray plus et ne sçauray que c'est.

  A010000441 

 Voyez-vous le degoust du silence comme il fait parler? Une autre qui n'aymera point aller à l'Office aux heures ordonnées sera dans sa cellule sur quelque bonne cogitation, et voyla le signe qui l'appelle pour aller au chœur: O Dieu, pensera-t-elle, ne seroit-il pas mieux de ne pas me rendre en tel lieu? j'estois en ma cellule sur une si bonne pensée, peut estre que si j'y eusse encor un peu demeuré j'eusse eu quelque ravissement, et cependant il me faut maintenant aller chanter au chœur.

  A010000442 

 Il est vray, mais les autres femmes, desquelles je dois estre l'exemple, en ont besoin; j'obeis donc à cette loy tant pour l'amour que je luy porte que pour le profit de celles qui y sont tenues.

  A010000442 

 O que bienheureux sont ceux qui ayment les commandemens de Dieu, et qui ne font pas seulement ce qu'ils sont obligés de faire, mais encores ce qui ne les oblige pas, s'y sousmettant pour le bien et edification des autres! C'est cet amour, que la sacrée Vierge portoit à l'obeissance et à l'edification du prochain qui la fit assujettir à la loy de la purification..

  A010000443 

 La seconde tentation ou le second degré de la tentation de desobeissance (j'en pensois dire trois, mais je ne parleray que de deux) est le mespris non seulement du [174] commandement, ains aussi de celuy qui commande.

  A010000443 

 Or, quand la tentation arrive jusques là que de faire haïr celuy qui commande, elle est dangereuse et extremement mauvaise, sur tout quand on vient à dire que celuy qui commande n'a point eu rayson de faire cette ordonnance, que cela est hors de propos, et que l'on profere des paroles de mespris de la chose commandée ou conseillée, à cause de la haine que l'on porte à celuy qui l'a ordonnée..

  A010000444 

 Celle-cy vient à son tour à mespriser Celuy qui leur avoit fait la defense, respondant au tentateur: Nous ne mangeons pas de ce fruit, de peur que, selon la parole du Seigneur, nous ne mourions.

  A010000444 

 Il nous a, vouloit-elle donner à entendre, menacés de la mort si nous en mangions; mais quelle rayson a-t-il eue de nous faire une telle menace? et neanmoins il a dit ainsy: De peur que vous ne mouriez.

  A010000444 

 Je sçay bien que l'on peut avoir des degousts et des aversions non seulement pour le commandement, ains encor pour ceux qui commandent; mais de dire quelque chose ou d'entretenir les pensées que ces degousts et repugnances fournissent, c'est ce qu'il ne faut jamais faire.

  A010000444 

 Neanmoins, c'est à quoy vise le malin esprit, et pour ce sujet il demande à Eve, comme en mesprisant l'ordre du Seigneur: Pourquoy Dieu vous a-t-il fait ce commandement? Quelle rayson, vouloit-il dire, de vous mettre en ce paradis terrestre et de vous defendre de manger de tous les fruits qui y sont? Mais il estoit un grand menteur, d'autant que Dieu n'avoit pas fait une telle defense; et certes, s'il l'eust faite, il semble qu'elle eust esté insupportable, car de mettre un homme et une femme dans un beau verger tout plein de fruits et leur l'aire une defense generale de n'en toucher pas un, c'eust esté un commandement bien difficile à observer.

  A010000444 

 Voyez-vous comme ces paroles ressentent le mespris? car Dieu leur avoit non seulement signifié qu'ils n'eussent point à manger de ce fruit de peur d'encourir la mort, ains il leur avoit declaré tout clairement que [175] s'ils en mangeoyent ils mourroyent.

  A010000445 

 Les uns ayment la discipline, les autres la haire; qui voudra faire les choses de conseil et non celles de commandement; tel voudra jeusner le jour de Pasques, que l'Eglise ne commande pas, et ne voudra pas jeusner le jour des Cendres.

  A010000445 

 Neanmoins il se trouve parmi les Chrestiens des heresies, non point certes telles que celles des heretiques qui sont hors de l'Eglise; cependant il y a des Chrestiens qui le veulent bien estre, et qui malgré cela ne veulent obeir qu'aux commandemens qu'ils affectionnent.

  A010000445 

 Oh! il ne faut pas aller d'une extremité à l'autre, ains marcher par le milieu, sans choisir ce que l'on ayme..

  A010000445 

 Vous en verrez qui aymans le jeusne voudront jeusner le jour de Pasques; et telles autres superstitions qui n'existent plus à cette heure, mais que nous avons veuës en un autre aage.

  A010000446 

 Il y a encores des heresies en l'obeissance: c'est quand on fait choix de ce que l'on veut observer, quand on ne veut pas obeir generalement à toutes sortes de commandemens.

  A010000446 

 Je sçay bien qu'il prioit pour tout le monde et que ses prieres estoyent de grande utilité pour le public; cependant c'est une chose certaine que la perfection religieuse, c'est à dire la maniere de vivre des Religieux et Religieuses qui sont sous l'obeissance, surpasse de beaucoup la vie des anachoretes, car leur obeissance doit estre generale et sans exception d'aucune chose; ils n'ont point l'usage de leur liberté au choix de leurs exercices, ains ils se sousmettent aux Regles et Constitutions et aux directions particulieres des Superieurs.

  A010000446 

 N'est-ce pas une chose pouvantable de voir un saint Paul hermite au fond d'un desert, enfermé dans une grotte comme un sauvage, ne mangeant que du pain et ne beuvant que de l'eau? Certes, ce sont des choses du tout admirables, et neanmoins avec cela il usoit de sa liberté, ce qui soulageoit en quelque façon les austerités qu'il faisoit, parce qu'il y avoit du propre choix en cette maniere de vivre, ci ne travailloit que pour son salut particulier.

  A010000446 

 Voyla quant au second nom que l'on donne à la feste d'aujourd'huy..

  A010000447 

 Le fait est donc tel: Nostre Seigneur rencontrant un jour un petit enfant, le print, le baysa fit le monstra à ses Apostres, leur disant: Je vous dis [177] en verité que si vous n'estes faits semblables à ce petit enfant, vous n'entrerez jamais en Paradis.

  A010000447 

 Les uns tiennent que cet enfant fut saint Martial, qui fut despuis Evesque de Limoges, mais la plus commune opinion est que ce fut saint Ignace martyr, duquel nous celebrasmes hier la feste et dont on fera demain l'Office, car il est transferé.

  A010000447 

 O que bienheureux fut ce glorieux saint Ignace qui fut pris de Nostre Seigneur et donné pour exemple aux Apostres! Que doux et pretieux fut ce bayser! Que de paroles sacrées et secrettes il dit à ce bien heureux enfant quand il le baysa! Qu'il fut heureux de se laisser porter et manier par le Sauveur, lequel pour recompense grava son nom sacré au fond de son cœur..

  A010000447 

 On la nomme ainsy parce que ce glorieux Saint receut en ce jour dans ses bras Celuy apres lequel il souspiroit, mais avec tant de joye et de consolation que, n'ayant plus rien a souhaitter et se voyant proche de sa fin, il chanta, comme un cygne divin, ce beau cantique: Seigneur, laissez maintenant aller vostre serviteur en paix, car mes yeux ont veu vostre salutaire.

  A010000447 

 Pour vous, deduire ce troisiesme point, je vous presenteray un exemple profitable; et bien que j'en aye ja parlé d'autres fois, et mesme en ce lieu, je ne laisseray pas de vous le dire, car la plus grande partie de celles qui sont à present icy n'y estoyent pas alors; et puis, encores que l'on reparle d'un mesme sujet on ne dit pas tousjours les mesmes choses.

  A010000448 

 Or dites-moy, je vous prie, lequel estimez-vous estre le plus heureux, ou saint Ignace qui fut porté entre les bras de Nostre Seigneur, ou saint Simeon le juste qui le porta entre les siens? Dites-moy ce que vous aymeriez le mieux, ou d'estre portées par ce cher Sauveur comme saint Ignace, ou de le porter entre vos bras comme fit Simeon? Certes, tous deux sont bien heureux, et saint Ignace d'estre manié et porté non point où il veut mais où il plaist à Nostre Seigneur, et saint Simeon de porter entre ses bras Celuy qui luy causa tant de contentement qu'il respandit sur ce divin Seigneur une abondance de larmes de douceur et de consolation.

  A010000449 

 C'est ce que l'on fait quand on obeit aux inspirations generales qui sont marquées dans les Regles et Constitutions, et aux particulieres et secrettes qui se font au cœur.

  A010000449 

 Ce sont icy toutes les affections de Dieu, sur lesquelles nous devons marcher, suivant non seulement ses preceptes, mais encores ses intentions au plus pres que nous pourons.

  A010000449 

 De celuy cy viennent tous les autres: Tu ne tueras point, tu ne desroberas point, en somme tu ne feras à ton prochain que ce que tu voudrois estre fait à toy mesme.

  A010000449 

 Mais pour cheminer asseurement en celles-cy selon les affections divines, il faut estre simple et veritable à les descouvrir, et suivre la direction que l'on nous donne là dessus; par ce moyen nous serons portés par Nostre Seigneur et ne marcherons plus sur nos propres affections ains sur celles de Dieu..

  A010000449 

 Mais que cette ame est heureuse quand elle ne chemine plus sur ses affections sur celles de son Dieu! Et quelles sont les affections Dieu sinon ses commandemens, d'autant que c'est en iceux qu'elles sont encloses? et tous sont compris en ce premier: Tu aymeras ton Dieu de tout ton coeur et ton prochain comme toy mesme.

  A010000449 

 Nous n'avons donques pas besoin de nous mettre en peine pour sçavoir quelles sont les affections de Dieu, parce qu'elles nous sont toutes marquées dans ses commandemens et dans les conseils que Nostre Seigneur nous a luy mesme donnés sur la montagne quand il a dit: Bienheureux sont les pauvres d'esprit, bienheureux lex debonnaires, et les autres beatitudes.

  A010000449 

 O que bienheureuse est l'ame qui ne chemine plus sur ses propres pieds, c'est à dire qui ne va plus selon ses propres affections et ses pensées, ni selon ses humeurs et inclinations! car l'ame a des pieds [178] spirituels aussi bien que le corps.

  A010000450 

 Certes, quoy que saint Christophe ne portast Nostre Seigneur que sur ses espaules, il ne laissa pas d'estre bien heureux et merita d'estre appelllé le porte-Christ.

  A010000450 

 Combien que son joug soit doux, si ne faut-il pas pourtant que nous croyions devoir estre exempts de souffrir; o non, mais il faut, comme saint Christophe, porter Nostre Seigneur sur nos espaules, endurant tout ce qu'il luy plaist, comme il luy plaist et autant de temps qu'il luy plaist, nous abandonnant totalement à sa Providence eternelle, pour nous laisser conduire et gouverner selon sa tres sainte volonté.

  A010000450 

 Nous faisons cela quand nous endurons les travaux et les peines avec amour, c'est à dire, que l'amour que nous avons à la loy de Dieu nous rend son joug suave et plaisant, nous faisant aymer ces peines et travaux, et cueillir la douceur parmi les amertumes: cela n'est autre que porter Nostre Seigneur entre nos bras.

  A010000450 

 Or, le porter en cette façon n'est autre chose que de vouloir endurer et souffrir de [179] bon cœur tout ce qu'il luy plaist que nous souffrions, pour dure et pesante que soit la charge et le fardeau que Dieu nous met sur les espaules.

  A010000451 

 O que nous serons heureux si nous nous laissons bien porter par ce cher Seigneur, et si nous le portons sur nos espaules comme saint Christophe, et entre nos bras comme saint Simeon, nous abandonnant tout à luy pour nous laisser conduire comme il luy plaira! Remettez-vous donc entierement entre les bras de sa divine Providence, sousmettez-vous à ce qui est de sa loy et vous disposez à endurer toutes les peines qui vous pourront arriver en cette vie; ce faisant, les choses les plus dures et penibles vous seront rendues douces et suaves, et vous participerez au bonheur de saint Simeon et de saint Ignace.

  A010000456 

 C'est pourquoy j'ay pensé de vous parler en cette exhortation des conditions qui rendent le jeusne bon et meritoire, mais briefvement et le plus familierement qu'il me sera possible; ce que j'observeray tant aujourd'huy comme ès discours que je vous addresseray tous les jeudys de ce Caresme, lesquels seront des plus simples et propres pour vos cœurs, si j'y puis rencontrer..

  A010000456 

 Ces quatre premiers jours de la sainte Quarantaine sont comme la teste et le chef, la preface ou preparation que nous devons faire pour bien passer le Caresme et nous disposer à bien jeusner.

  A010000457 

 Mais pour traitter à ce coup icy du jeusne et de ce qu'il est requis de faire pour bien jeusner, il faut sçavoir avant toute chose que de soy le jeusne n'est pas une vertu, car les bons et les mauvais, les Chrestiens et les payens l'observent.

  A010000457 

 Nous voyons cecy ès gens du monde, lesquels pensent que pour bien jeusner le saint Caresme il ne faille sinon se garder de manger des viandes prohibées.

  A010000458 

 C'est pourquoy nostre divin Maistre, qui a institué le jeusne, a bien voulu dans son sermon sur la montagne apprendre à ses Apostres comme il le failloit prattiquer, ce qui est d'un grand proffit et utilité (car il n'eust point esté seant à la grandeur et majesté de Dieu d'enseigner une doctrine inutile, cela ne se pouvoit faire); mais sçachant que pour tirer la force et l'efficace du jeusne il failloit observer autre chose que de s'abstenir des viandes prohibées, il les instruit, et par consequent les dispose à recueillir les fruits propres du jeusne, qui sont plusieurs, et entre tous les autres ces quatre icy: le jeusne fortifie l'esprit, mortifiant la chair et sa sensualité; il esleve l'ame en Dieu; il abat la concupiscence et donne force pour vaincre et amortir ses passions; en fin il dispose le cœur à ne chercher qu'à plaire purement à Dieu.

  A010000458 

 Ce n'est donques pas inutile de declarer ce qu'il faut faire pour bien s'acquitter du jeusne de la Quarantaine; car quoy que tous soyent tenus de le sçavoir et prattiquer, si est-ce que les Religieuses et les personnes dediées à Nostre Seigneur y sont plus particulierement obligées.

  A010000460 

 Combien de pechés sont entrés en l'ame par les yeux, que la Sainte Escriture marque pour la concupiscence de la veuë? C'est pourquoy il les faut faire jeusner, les portant bas et ne leur permettant pas de regarder des objets frivoles et illicites; les oreilles, les privant d'entendre les discours vains qui ne servent qu'à remplir l'esprit d'images mondaines; la langue, en ne disant point des paroles oyseuses et qui ressentent le monde ou les choses d'iceluy.

  A010000460 

 Il dit donques que le jeusne a esté institué de Nostre Seigneur pour remede à nostre bouche, à nostre gourmandise et à nostre gloutonie; car pour ce que le peché est entré au monde par la bouche, il faut aussi que ce soit la bouche qui fasse penitence par la privation des viandes prohibées et defendues par l'Eglise, s'abstenant d'icelles l'espace de quarante jours.

  A010000460 

 Mais, adjouste ce glorieux Saint, comme ce n'est pas nostre bouche seule qui a peché, ains encor tous nos autres sens, il est requis que nostre jeusne soit general et entier, c'est à dire que nous fassions jeusner tous les membres de nostre corps; car si nous avons offensé Dieu par les yeux, par les oreilles, par la langue et par nos autres sens, pourquoy ne les ferons-nous pas jeusner? Et non seulement il faut faire jeusner les sens du corps, ains aussi les puissances et passions de l'ame, ouy mesme l'entendement, la memoire et la volonté, d'autant que l'homme a peché par le corps et par l'esprit.

  A010000460 

 On doit aussi retrancher les discours inutiles de l'entendement, ainsy que les vaines representations de nostre memoire, les appetits et desirs superflus de nostre volonté, en somme luy tenir la bride à ce qu'elle n'ayme ni ne tende qu'au souverain Bien; et par ce moyen nous accompagnerons le jeusne exterieur de l'interieur..

  A010000461 

 C'est ce que nous veut signifier l'Eglise en ce saint temps de Caresme, nous enseignant à faire jeusner nos [183] yeux, nos oreilles et nostre langue: pour cela elle quitte tous ses chants harmonieux à fin de mortifier l'ouÿe; elle ne dit plus d' alleluia et se revest toute de couleur sombre et obscure.

  A010000461 

 Et en ce premier jour elle nous addresse ces paroles: «Souviens-toy, o homme, que tu es cendre et que tu retourneras en cendre;» comme si elle nous vouloit dire: O homme, quitte à cette heure toutes les joyes et liesses, toutes les considerations joyeuses et plaisantes, et remplis ta memoire de pensées ameres, aspres et douloureuses, faisant par telles cogitations jeusner l'esprit avec le corps..

  A010000462 

 C'est aussi ce que nous signifioyent les Chrestiens de la primitive Eglise, lesquels se privoyent en ce temps des conversations ordinaires avec leurs amis et se retiroyent en de grandes solitudes et lieux escartés du commerce du peuple pour mieux faire le Caresme.

  A010000462 

 Voyla comme leur jeusne estoit accompli d'un cœur entier et general; car ils sçavoyent bien que puisque ce n'est pas la bouche seulement qui a peché, mais encores tous les autres sens de nostre corps et puissances de nostre ame, ses passions et appetits se sont par consequent trouvés remplis d'iniquités.

  A010000463 

 Or, comme d'apres l'Apostre, tout ce qui se luit sans la charité n'est point aggreé de Dieu, aussi dis je de mesme avec ce grand Saint, que si vous jeusnez sans humilité vostre jeusne ne vaudra rien; car si vous n'avez l'humilité vous n'avez pas la charité, et si vous estes sans charité vous estes aussi sans humilité, d'autant qu'il est presqu'impossible d'avoir la charité sans estre humble et d'estre humble sans avoir la charité, ces deux [185] vertus ayans une telle sympathie et convenance par ensemble qu'elles ne peuvent jamais aller l'une sans l'autre..

  A010000463 

 Voicy le Caresme qui approche; preparez vous à jeusner avec charité, car si vostre jeusne est fait sans icelle, il sera vain et inutile, d'autant que le jeusne, comme toutes les autres bonnes œuvres, s'il n'est pas fait en charité et par la charité n'est point aggreé de Dieu.

  A010000464 

 Cela nous est naturel et naist du grand amour que nous nous portons..

  A010000464 

 Et qu'est-ce que jeusner par sa propre volonté? C'est jeusner comme on veut, et non point comme les autres veulent; jeusner en la façon qui nous plaist, et non point comme on nous l'ordonne et conseille.

  A010000464 

 Jeusner par vanité c'est jeusner par sa propre volonté, d'autant que cette propre volonté n'est point sans vanité, ou du moins sans tentation de vanité.

  A010000464 

 Or, comme est-ce que l'on jeusne pour la vanité? En cent et cent façons qui nous sont marquées en la Sainte Escriture; mais je me contenteray de vous en dire une, car il ne faut pas charger vostre memoire de beaucoup de choses.

  A010000464 

 Qui fait cela sinon la vanité et la propre volonté? car tout ce qui vient de nous nous semble estre meilleur, et nous est beaucoup plus aysé et facile que ce qui nous est enjoint par autruy, quoy que plus utile et propre pour nostre perfection.

  A010000465 

 Grande folie que celle-là! Mais voyez que c'est de l'esprit humain: parce que le jeusne que ces personnes s'imposent le samedy à l'honneur de nostre glorieuse Maistresse vient de leur propre volonté et election, il leur semble qu'il soit plus saint et qu'il les conduise à une plus grande perfection que ne feroit pas le jeusne du Caresme qui est commandé.

  A010000465 

 Mettons un chacun la main à nostre conscience et nous trouverons que tout ce qui vient de nous, de nostre propre sens, choix et election nous l'estimons et aymons bien mieux que ce qui vient d'autruy.

  A010000466 

 C'est avec ceux cy que nous avons le plus à faire: nous monstrons clairement aux premiers qu'ils contreviennent à la loy de Dieu, et qu'en ne jeusnant pas autant qu'il faut, tout en le pouvant faire, ils enfreignent les commandemens du Seigneur.

  A010000466 

 C'est ce qui faisoit que le grand Apostre se plaignoit, disant: Nous nous trouvons bien empeschés avec deux sortes de gens pour ce qui regarde le jeusne; car les uns ne veulent pas jeusner autant qu'ils doivent et ne se peuvent contenter des viandes permises (ce que l'ont encores aujourd'huy plusieurs mondains lesquels pour ce sujet alleguent mille raysons; mais je ne suis pas icy pour parler de telles choses, car c'est à des Religieuses à qui je m'addresse).

  A010000466 

 Ces gens ne jeusnent point par humilité ains par vanité; ils ne reconnoissent pas qu'estans foibles et infirmes, ils feroyent beaucoup plus pour Dieu de ne pas jeusner par le commandement d'autruy et de se servir des viandes qui leur sont ordonnées, que de vouloir s'en abstenir par leur propre volonté; car si bien, à cause de leur foiblesse, leur bouche ne peut faire abstinence, il faut qu'ils fassent [187] jeusner les autres sens du corps et les passions et puissances de l'ame..

  A010000466 

 Mais nous avons plus de peine avec les foibles et infirmes qui n'ont pas la force de jeusner; car ils ne veulent point ouyr de raysons ni se persuader qu'ils n'y sont pas tenus, et malgré que nous en ayons ils s'opiniastrent à jeusner plus qu'il n'est requis, ne voulans point user des viandes que nous leur ordonnons.

  A010000467 

 Ceux qui jeusnent la sainte Quarantaine ne s'en doivent point cacher, d'autant que l'Eglise ordonne ce jeusne et veut qu'un chacun sçache que nous l'observons; il ne le faut donques pas nier à ceux qui nous le demanderont pour leur edification, puisque nous sommes obligés d'oster tout sujet de scandale à nos freres.

  A010000467 

 Ne faites point, dit Nostre Seigneur, comme les hypocrites, lesquels quand ils jeusnent sont tristes et melancoliques à fin d'estre loués des hommes et estimés grans jeusneurs; mais que vostre jeusne se fasse en secret; lavez alors vostre face, oignez vostre chef, et vostre Pere celeste qui voit le secret de vostre cœur vous sçaura bien recompenser.

  A010000467 

 Ne soyez pas comme les hypocrites, ne taschez point de paroistre meilleurs que les autres en pratiquant plus de jeusnes et de penitences qu'eux..

  A010000467 

 Nostre divin Maistre n'entend pas par cecy que nous ne nous devons point soucier de l'edification du prochain; o non, car saint Paul dit: Que vostre modestie soit manifeste à tous.

  A010000468 

 Car quoy que le jeusne et les autres penitences soyent bonnes et louables, si est ce neanmoins que n'estans pas pratiquées par ceux avec lesquels vous vivez, il y auroit de la singularité et partant de la vanité, ou du moins quelque tentation de vous surestimer par dessus ceux qui ne font point comme vous, et cela par une certaine complaisance en vous mesmes, comme si vous estiez plus saints qu'eux en faisant de telles choses.

  A010000468 

 Le glorieux saint Augustin, en la Regle qu'il a escrite pour ses Religieux, et encores en celle de ses Religieuses (car il les a dressées toutes deux, et l'une apres l'autre), ordonne qu'on suive la communauté autant qu'il se peut, comme voulant dire: Ne soyez pas plus vertueux que les autres, ne veuillez pas faire plus de jeusnes, plus d'austerités, de mortifications qu'il ne vous en est ordonné; faites seulement ce que les autres font et ce qui vous est commandé par vos Regles, selon la maniere [188] de vivre que vous tenez, et vous contentez.

  A010000468 

 Que les forts et robustes mangent ce qui leur est donné, gardent les jeusnes et austerités qui sont marqués, et qu'ils se contentent de cela; que les foibles et infirmes reçoivent ce qui leur est presenté pour leur infirmité, sans vouloir faire ce que font les robustes; et que les uns et les autres ne s'amusent point à regarder ce que celuy cy mange et ce que celuy là ne mange pas, ains que chacun demeure satisfait de ce qu'il a et de ce qui luy est donné: par ce moyen vous eviterez la vanité et particularité..

  A010000469 

 Dieu luy inspira cette retraitte si extraordinaire à fin de rendre recommandables les deserts qui estoyent pour lors inhabités et qui par apres devoyent estre habités par tant de si saints Peres; mais ce n'estoit pourtant pas à fin que chacun suivist saint Paul, ains seulement pour qu'il fust un mirouer et prodige de vertus, digne d'estre admiré et non imité de tous.

  A010000469 

 Et que l'on ne m'amene point icy des exemples pour prouver qu'il n'y a point tant de mal à ne pas suivre la vie commune; que l'on ne me dise point qu'un saint Paul premier hermite a vescu des nonante ans dans une grotte sans ouyr la sainte Messe, et qu'il faut donc que je demeure retiré et en solitude en ma chambre pour y avoir des extases et ravissemens, au lieu de descendre pour aller aux Offices.

  A010000469 

 Oh! que l'on ne m'apporte point cela, car ce qu'a fait saint Paul a esté par une inspiration particuliere, laquelle Dieu veut estre admirée mais non Imitée de tous.

  A010000469 

 Que l'on ne me rapporte point non plus un saint Simeon Stylite lequel demeura quarante quatre ans sur une colonne, luisant chaque jour deux cens actes d'adoration par des [189] genuflexions; car il agissoit de la sorte, aussi bien que saint Paul, par une inspiration toute particuliere, Dieu voulant faire voir en iceluy un miracle de sainteté, et comment les hommes sont appellés et peuvent mener en ce monde une vie toute celeste et angelique..

  A010000470 

 L'araignée ourdit sa toile à la veue de tout le monde et jamais en secret; elle la va filant par les vergers, d'arbre en arbre, dans les maisons, aux fenestres, aux planchers, en somme sous les yeux de tous: elle ressemble en cela aux vains et hypocrites qui font toutes choses pour estre veus et admirés des hommes; aussi leurs œuvres ne sont-elles que des toiles d'araignées, propres à estre jettées dans le feu d'enfer.

  A010000470 

 Mais les avettes sont plus sages et prudentes, car elles mesnagent leur miel dans la ruche où personne ne les peut voir, et outre cela elles se bastissent des petites cellules où elles continuent leur travail en secret; ce qui nous represente fort bien l'ame humble, laquelle est tousjours retirée en soy mesme, sans chercher aucune gloire ni louange de ses actions, ains elle tient son intention cachée, se contentant que Dieu la voye et sçache ce qu'elle fait..

  A010000470 

 O non, dit saint Augustin, ne paroissez point plus vertueux que les autres, contentez-vous de faire ce qu'ils font; accomplissez vos bonnes œuvres en secret et non pour les yeux des hommes.

  A010000470 

 Que l'on admire donques toutes ces choses, mais qu'on ne me dise point qu'il seroit mieux de se retirer à part, à l'imitation de ces grans Saints, sans se mesler avec les autres ni faire ce qu'ils font, et de s'adonner à de grandes penitences.

  A010000471 

 Ceux cy le virent bien, mais pas un ne pensa pourquoy il faisoit cela, car ils n'alloyent point picotant sur les actions des autres; ils creureut donques que leur Frere faisoit cela tout simplement; aussi n'en tirerent-ils aucune consequence.

  A010000471 

 Je vous diray un exemple de cecy, mais familierement, car c'est ainsy que je veux traitter avec vous autres.

  A010000472 

 Ces bons Religieux ne penserent donques rien de celuy qui estendoit ainsy ses deux nattes; mais saint Pacome, qui estoit son Superieur et à qui seul il appartenoit d'examiner le mouvement qui le poussoit, entra un peu en consideration sur cette action; et comme Dieu donne tousjours sa lumiere à ceux qui le servent, il luy fit connoistre que ce Frere estoit conduit par un esprit de vanité et de complaisance pour ses deux nattes, et qu'il avoit fait cela à fin que luy et tous les autres Peres vissent qu'il avoit bien travaillé ce jour-là.

  A010000472 

 Or, leur occupation plus ordinaire estoit de tresser des nattes et chacun en devoit faire une par jour; le Frere dont nous parlons en ayant fait deux pensoit pour cela estre plus vaillant que les autres, c'est pourquoy il les vint estendre au soleil devant tous à ce qu'on le conneust.

  A010000473 

 Grande folie que celle cy! comme si la sainteté consistoit en la maigreur.

  A010000473 

 Mais le monde, qui ne regarde que l'exterieur, ne tient pour saints que ceux qui sont pasles et desfaits.

  A010000473 

 Or, dit Nostre Seigneur, ne faites pas comme ceux-là, ains que vostre jeusne se fasse en secret, pour les yeux de vostre Pere celeste, et il vous regardera et recompensera..

  A010000473 

 Que vostre jeusne ne ressemble point à celuy des [191] hypocrites, qui font les mines melancoliques et qui n'estiment saints que ceux qui sont maigres.

  A010000473 

 Voyez-vous un peu que c'est de l'esprit humain: il ne considere que l'apparence et, comme vain, fait toutes ses œuvres pour paroistre devant les hommes.

  A010000474 

 (Plusieurs Saints en faisoyent un si grand estât qu'ils ne se couchoyent jamais sans en avoir leu un chapitre pour recueillir leur esprit en Dieu.) Il dit donc: Que te proffitera-t-il de faire ce que tu fais pour les yeux des creatures? Rien que vanité et complaisance, qui ne sont bonnes que pour l'enfer; mais si tu accomplis ton jeusne et toutes tes œuvres pour plaire à Dieu seul, tu travailleras pour l'eternité, sans te complaire en toy mesme, ni te soucier si tu es veu ou non des hommes, d'autant que ce que tu fais n'est pas pour eux, et que ce [192] n'est point d'eux que tu attens ta recompense.

  A010000474 

 C'est icy la troisiesme condition requise pour bien jeusner, à sçavoir, de regarder Dieu et de faire tout pour luy plaire, nous enfonçant en nous mesmes à l'imitation d'un grand Saint, lequel se retira en un lieu secret et escarté où il demeura quelque temps sans qu'on sceust où il estoit, se contentant que le Seigneur et ses Anges le conneussent.

  A010000474 

 Cependant, quoy que tous les hommes doivent chercher de ne plaire qu'à Dieu, si est-ce que les Religieuses et les personnes qui luy sont dediées doivent avoir un soin tout particulier de cecy, ne visant qu'à luy, se contentant que luy seul voye leurs œuvres et n'attendant aussi que de luy leur recompense.

  A010000475 

 Chacun scait qu'il est ordonné en expiation du peché de nostre premier pere Adam, lequel prevariqua en rompant le jeusne qui luy estoit enjoint par la defense de manger du fruit de l'arbre de science; pour ce, il faut que la bouche fasse penitence en s'abstenant des viandes prohibées.

  A010000475 

 O non, car nul n'ignore que les enfans n'y sont point tenus, ni les personnes de soixante ans..

  A010000476 

 Et discourant sur la defense qui leur estoit faite: Hé quoy, dirent-ils, dirent-ils, encores que Dieu nous ayt menacés de la mort, si est-ce que pour cela nous ne mourrons pas, car il ne nous a pas creés, pour nous faire mourir.

  A010000476 

 Laissons donques cela, et voyons plustost, par trois exemples que je vous rapporteray, combien c'est une chose dangereuse de vouloir faire les discrets sur les commandemens de Dieu ou de nos Superieurs.

  A010000478 

 Ce que voyant, ceux qui les traittoyent penserent que c'estoit chose perdue d'en faire cuire puisque nul n'en prenoit que ces enfans..

  A010000479 

 Celuy cy luy respondit que c'estoit parce que nul n'en mangeoit que ces enfans, et qu'il avoit pensé que c'estoit chose perdue; mais qu'il ne s'estoit pas reposé, ains avoit fait des nattes.

  A010000479 

 En fin un petit Religieux luy vint dire: O mon Pere, qu'il me tardoit que vous revinssiez, car nous n'avons point mangé d'herbes cuites despuis vostre despart! Ce qu'entendant, il fut fort touché, et ayant fait appeller le cuisinier il luy demanda pourquoy il n'avoit point fait cuire d'herbes.

  A010000479 

 Sur cela le saint Pere luy fit en presence de tous une bonne correction, puis il commanda que l'on jettast au feu toutes ses nattes ou stolles, disant qu'il failloit brusler ce qui estoit fait sans obeissance; car, adjousta-t-il, je sçavois bien ce qui estoit propre pour ces enfans, lesquels il ne faut pas traitter comme les anciens; et cependant vous avez voulu, contre l'obeissance, faire les discrets.

  A010000479 

 Voyla comme ceux qui oublient [194] les ordonnances et commandemens de Dieu, qui font des interpretations ou qui veulent faire des prudens sur les choses commandées se mettent en peril de mort; car tout leur travail accompli selon la propre volonté ou la discretion humaine n'est digne que du feu..

  A010000480 

 C'est ce que j'avois à vous dire touchant le jeusne et ce qu'il faut observer pour bien jeusner.

  A010000480 

 La premiere chose est que vostre jeusne soit entier et general, c'est à sçavoir que vous fassiez jeusner tous les membres du corps et les puissances de l'ame: portant la veuë basse, ou du moins plus basse qu'à l'ordinaire; gardant plus de silence, ou du moins le gardant plus ponctuellement que de costume; mortifiant l'ouye et la langue pour n'entendre ni dire rien de vain et inutile; l'entendement, pour ne considerer que des sujets saints et pieux; la memoire, en la remplissant du souvenir de choses aspres et douloureuses et quittant les joyeuses et gracieuses; en fin tenant en bride vostre volonté, et vostre esprit aux pieds du Crucifix et en quelque sainte et dolente pensée.

  A010000480 

 La seconde condition est que vous n'accomplissiez pas vostre jeusne ni vos œuvres pour les yeux des hommes, et la troisiesme, que vous fassiez toutes vos actions, et par consequent vostre jeusne, pour plaire à Dieu seul, auquel soit honneur et gloire par tous les siecles des siecles.

  A010000491 

 Ainsy que les Evangelistes nous racontent, il fut conduit par l'Esprit au desert pour estre tenté; sur lequel mystere je tireray des documens pour nostre instruction particuliere, le plus familierement qu'il me sera possible..

  A010000491 

 C'est un advertissement du Sage: Mon fils, dit-il, qui as dessein de servir Dieu, prepare ton ame à la tentation; car c'est une verité infaillible que nul n'est exempt de tentation lors qu'il est bien resolu de servir Dieu.

  A010000492 

 C'est pourquoy les Evangelistes disent que Nostre Seigneur fut conduit par l'Esprit au desert pour estre tenté; ce ne fut donques point par son choix (je dis quant à sa nature humaine) qu'il alla au lieu de la tentation, ains porté par l'obeissance qu'il devoit à son Pere celeste..

  A010000492 

 Premierement je remarque que, bien que nul ne puisse estre exempt de tentation, nul pourtant ne la doit rechercher ni aller de soy mesme au lieu où elle se trouve; car indubitablement, celuy qui la cherchera perira en icelle.

  A010000493 

 David, au temps que les rois devoyent aller à la guerre et que mesme son armée estoit au front de l'ennemy, s'en alla promener sur une galerie, demeurant oyseux comme s'il n'eust eu rien à faire.

  A010000493 

 Trait d'une imprudence nompareille certes, lequel je ne puis excuser, bien que plusieurs autheurs modernes la veuillent rendre excusable disant qu'elle n'y pensoit pas.

  A010000494 

 Au contraire, le jeune prince Joseph, qui fut par apres vice roy d'Egypte, ne rechercha nullement la tentation, de sorte que la rencontrant il ne perit point en icelle.

  A010000494 

 Si nous sommes conduits par l'Esprit de Dieu au lieu de la tentation ne craignons point, ains [197] tenons-nous asseurés qu'il nous rendra victorieux; mais ne la recherchons pas, ni ne l'allons point agacer, pour saints et genereux que nous pensions estre, car nous ne sommes pas plus vaillans que David ou que nostre divin Maistre mesme qui ne la voulut point chercher.

  A010000495 

 Ils n'ont pas si tost fait leur dessein que la tentation les attaque, ainsy que dit saint Pierre: Qui vous a tentés de mentir au Saint Esprit? Et le grand Apostre saint Paul, dès qu'il se fut donné au service divin et rangé du parti du Christianisme, le voyla tout incontinent tenté pour le reste de sa vie, luy qui tandis qu'il estoit ennemy de Dieu et qu'il persecutoit les Chrestiens n'avoit jamais senti les atteintes d'aucune tentation; au moins ne nous en tesmoigne-t-il rien par ses escrits, ains seulement dès qu'il fut converti par Nostre Seigneur..

  A010000495 

 Mais voyons un peu, je vous prie, comme c'est une chose certaine que venant au service de Dieu nul ne peut eviter la tentation.

  A010000496 

 C'est donques un document fort necessaire de preparer nostre ame à la tentation; c'est à dire que, où que nous soyons et pour parfaits que nous puissions estre, il se faut tenir asseurés qu'elle nous attaquera; partant l'on s'y doit disposer et se pourvoir des armes necessaires pour combattre vaillamment à fin de remporter la victoire, puisque la couronne n'est que pour les combattans et vainqueurs.

  A010000496 

 Nous ne nous devons jamais confier en nos forces ni en nostre vaillance et aller rechercher la tentation pensant la terrasser, mais si nous la rencontrons où l'Esprit de Dieu nous a portés, il nous faut tenir fermes en la confiance que nous devons avoir qu'il nous fortifiera contre les attaques de nostre ennemy, pour furieuses qu'elles puissent estre.

  A010000497 

 Il dit donques ainsy, comme s'il ne se fust addressé aux Chrestiens ou à quelqu'un en particulier: O que vous estes heureux, vous qui estes armés de la verité de Dieu, car elle vous servira comme d'un bouclier contre les traits de vos ennemis, et fera que vous demeurerez victorieux.

  A010000497 

 Non autres, mes cheres ames, sinon celles dont parle le Psalmiste dans le Psalme que nous recitons tous les jours à Complies: Qui habitat in adjutorio Altissimi, dans lequel nous apprendrons une doctrine admirable.

  A010000498 

 Cette verité dont parle le Psalmiste n'est autre que la foy.

  A010000498 

 O que Nostre Seigneur et Maistre estoit divinement bien amé de verité, puisqu'il estoit la verité mesme.

  A010000498 

 Quiconque est armé de la foy ne doit rien craindre, et c'est l'unique arme necessaire pour rembarrer et confondre nostre ennemy; car qu'est-ce, je vous prie, qui pourra nuire à celuy qui dira: Credo, «Je crois en Dieu» qui est nostre Pere, et nostre «Pere tout puissant?» En disant ces paroles nous monstrons que nous ne nous confions point en nos forces, et que ce n'est qu'en la vertu de Dieu, «Pere tout puissant,» que nous entreprenons le combat et que nous esperons la victoire.

  A010000499 

 Mais je desire que nous sçachions que le Sauveur n'estoit pas tenté comme nous autres et que la tentation [199] ne pouvoit pas estre en luy comme en nous, car il estoit un fort inexpugnable où elle n'avoit aucun acces.

  A010000499 

 Ne recherchons donc point d'autres armes ni d'autres inventions pour refuser nostre consentement à la tentation, sinon de dire: «Je crois.» Et que croyez-vous? «En Dieu, mon Pere tout puissant.».

  A010000499 

 Nostre divin Maistre ne pouvoit avoir la foy, d'autant qu'il possedoit en la partie superieure de son ame, dès l'instant qu'elle commença d'estre, une connoissance parfaite des choses que la foy nous enseigne; cependant il voulut se servir de cette vertu pour rembarrer l'ennemy, non pour autre rayson, mes cheres ames, sinon pour nous enseigner tout ce que nous avions à faire.

  A010000500 

 La crainte est la premiere tentation que l'ennemy presente à ceux qui sont resolus de servir Dieu, car dès aussi tost qu'on leur enseigne ce que la perfection requiert de nous: Helas! pensent-ils, jamais je ne pourray faire cela.

  A010000500 

 Saint Bernard, sur ces parolles du Psalme que nous avons allegué, dit que les craintes nocturnes dont parle le Psalmiste sont de trois sortes; d'où je tire le troisiesme document.

  A010000500 

 [200] Hé, ne vous troublez point et ne faites point ces chimeres d'apprehension de ne pouvoir accomplir ce à quoy vous vous estes obligées, puisque vous estes armées et environnées de la verité de Dieu et de sa parolle; car vous ayant appellées à cette maniere de vie et en cette maison, pourveu que vous marchiez simplement en vostre observance, il vous fortifiera et vous donnera la grace de perseverer et de faire ce qui est requis pour sa plus grande gloire et pour vostre plus grand salut, c'est à dire vostre plus grande felicité..

  A010000501 

 Les paresseux et couards apprehendent tout et trouvent toutes choses dures et difficiles, et cela parce qu'ils s'amusent plus à penser à la niaise et lasche imagination qu'ils se sont forgée de la difficulté future, que non pas à ce qu'ils ont presentement à faire.

  A010000501 

 Ne vous estonnez donques point, et ne faites pas comme les paresseux qui se troublent quand ils se resveillent la nuit par l'apprehension que le jour viendra bien tost auquel il faudra travailler.

  A010000501 

 Oh, disent-ils, si je m'adonne au service de Dieu il me faudra tant travailler pour resister aux tentations qui m'attaqueront! Vous avez bien rayson, car vous n'en serez pas exempts, d'autant que c'est une regle generale que tous les serviteurs de Dieu sont tentes, ainsy que l'escrit saint Hierosme en cette belle epistre qu'il addresse à sa chere fille Eustochium..

  A010000502 

 A qui voulez-vous, je vous prie, que le diable presente ses tentations sinon à ceux qui les mesprisent? Les pecheurs se tentent eux mesmes, le demon les tient desja pour siens: ils sont ses confederés parce qu'ils ne rejettent point ses suggestions, ains au contraire ils les cherchent et la tentation reside en eux.

  A010000502 

 Et qui ne s'en estonneroit? voir une ame hors de la [201] grace de Dieu se resjouir! O que leurs joyes sont vaines et leurs allegresses trompeuses, car elles sont suivies des douleurs et des regrets eternels.

  A010000503 

 Mais ne sçavez-vous pas que la faineantise et l'oysiveté fit perir le pauvre David en la tentation? Vous voudriez, à l'adventure, estre de ces soldats de garnison lesquels ont tout à souhait dans une bonne ville: ils sont joyeux, ils sont maistres de la maison de l'hoste, ils couchent dans son lit et font bonne chere; ils s'appellent neanmoins soldats, faisans des vaillans et courageux tandis qu'ils ne vont point à la bataille ni à la guerre.

  A010000504 

 Confions-nous en Dieu, qui est nostre «Pere tout puissant,» en la vertu duquel toutes choses nous seront rendues faciles, quoy que d'abord elles nous espouvantent un peu..

  A010000504 

 Levez-vous de vostre lit, paresseux, car il est temps, et ne vous espouvantez pas du travail de la journée, car c'est une chose ordinaire que la nuit estant donnée pour le repos, le jour qui vient apres est destiné au travail.

  A010000504 

 Sortez, de grace, de vostre couardise, et mettez bien avant en vostre esprit cette verité infaillible que tous doivent estre tentés, que tous se doivent tenir prests pour combattre à fin de remporter la victoire.

  A010000505 

 Entre ses bras ils vivent en asseurance et ne pensent pas que rien leur puisse nuire, pourveu qu'ils tiennent sa main.

  A010000505 

 Faisons-en de mesme, mes cheres ames; si nous sentons que le courage nous manque et que nous enfonçons dans nos tentations, crions à haute voix pleins de confiance: Seigneur, sauvez-moy, et ne doutons pas que Dieu ne nous fortifie et nous empesche de perir..

  A010000505 

 Hé, donques, veut dire le Psalmiste, que craignez-vous, vous qui estes environnés de la verité et armés du fort bouclier de la foy qui vous apprend que Dieu est vostre «Pere tout puissant?» Tendez-luy la main et ne vous espouvantez point, car il vous sauvera et protegera contre tous vos ennemis.

  A010000505 

 La deuxiesme crainte nocturne est, ainsy que dit saint [202] Bernard, celle des enfans.

  A010000505 

 Les enfans, si vous y prenez garde, sont grandement craintifs dès qu'ils sont hors du sein de leur mere; de sorte que s'ils voyent un chien qui abbaye, soudain ils se prennent à crier et ne cessent point qu'ils ne soyent aupres de leur maman.

  A010000505 

 Ne voyez-vous pas que saint Pierre, quand il croyoit enfoncer dans la mer, apres qu'il eut fait cet acte si genereux de s'y jetter et de marcher sur les eaux pour s'approcher plus promptement de nostre divin Sauveur qui l'appelloit, soudain qu'il commença à craindre et en mesme temps à s'enfoncer, Seigneur, s'escria-t-il, sauvez-moy.

  A010000506 

 Chimere et enfance tres grande! Telles sont bien souvent les personnes qui viennent nouvellement au service de Dieu: elles font les hardies, il semble qu'elles ne [203] mangeront jamais assez le crucifix et que rien ne leur sçauroit suffire; elles ne pensent rien moins que de vivre tousjours'en repos et tranquillité, et que chose aucune ne pourra surmonter leur courage et generosité..

  A010000506 

 Ou bien il s'en rencontre d'autres qui, allans aux champs, des qu'ils voyent de loin l'ombre des arbres s'espouvantent bien fort, croyant que c'est quelqu'un qui les attend.

  A010000507 

 C'est ce qui arriva au pauvre saint Pierre, lequel estant encores fort enfant en la vie spirituelle, fit cet acte de generosité dont je parlois tantost; mais il en fit encores un autre par apres qui luy cousta cher: ce fut lors que Nostre Seigneur annonçoit à ses Apostres comment il devoit souffrir la mort.

  A010000507 

 O Dieu, qu'il fut bien trompé quand il se vit si lasche et craintif en l'execution de ses promesses au temps de la Passion de son Sauveur! Il eust bien mieux valu au pauvre saint Pierre de se tenir en humilité et de s'appuyer sur les forces de Nostre Seigneur, que non pas de se confier vainement en la ferveur qu'il sentoit pour lors..

  A010000507 

 Saint Pierre, qui estoit grandement prompt à parler mais lasche et couard à faire, commença à se vanter: Quoy, Seigneur, tu dis que tu dois aller à la mort? et moy aussi je ne t'abandonneray jamais.

  A010000508 

 De mesme en arrive-t-il à ces jeunes ames qui tesmoignent tant d'ardeur en leur conversion: tandis que ces premiers sentimens de devotion durent elles font des merveilles; il leur semble que rien n'est difficile au chemin de la perfection et que rien ne peut attiedir leur courage; elles desirent tant d'estre mortifiées, d'estre bien esprouvées à fin de monstrer leur generosité et le feu qui brusle dans leur poitrine! Mais helas, attendez un peu, car si elles entendent courir une souris, je veux dire, si la consolation et les sentimens de devotion qu'elles ont eus jusqu'alors viennent à se retirer, et si quelque petite tentation les attaque: Helas, disent-elles, qu'est-ce que cecy? Elles commencent à craindre et à se troubler.

  A010000508 

 O que ma condition est miserable! disent-elles; je suis au service de Nostre Seigneur où je pensois vivre eu repos, et cependant les tentations, et de diverses sortes, sont venues et ne font que me travailler; mes passions m'importunent merveilleusement, bref, je n'ay pas une pauvre heure de vraye tranquillité..

  A010000509 

 Pensez-vous, mes cheres ames, leur peut-on respondre, qu'en la solitude et en la retraitte il ne se rencontre point de tentations? O que vous estes bien trompées! Nostre divin Maistre ne fut point attaqué de l'ennemy tandis qu'il vivoit parmi les pharisiens et publicains, ains seulement lors qu'il se retira au desert.

  A010000510 

 Mais si la Sainte Vierge vous eust demandé: Pourquoy desirez-vous ce lieu pour vostre demeure? C'est parce que où est Nostre Seigneur tous biens abondent, la consolation n'y manque point et la tentation n'y peut avoir entrée.

  A010000510 

 O Madame, eussiez-vous reparti, je ne veux point d'autre lieu que le desert où est mon Sauveur.

  A010000510 

 O que vous estes bien trompées! c'est justement parce que nostre divin [205] Sauveur y est que la tentation s'y trouve.

  A010000510 

 Si vous eussiez esté du temps de Nostre Seigneur, je dis tandis qu'il vivoit de sa vie mortelle, et que rencontrant sa tres sainte Mere, nostre glorieuse Maistresse, elle vous eust laissé le choix d'un lieu pour faire vostre demeure, sans doute vous l'eussiez interrogée ainsy: Madame, où est vostre Fils? Elle vous auroit respondu: Mon Fils est au desert; il y doit demeurer quarante jours, en jeusnant, veillant et priant continuellement.

  A010000511 

 Helas, disent ces jeunes apprentifs de la perfection, que ferons-nous? Mes passions, que je pensois avoir mortifiées par la fervente resolution que j'avois faite de ne les plus suivre, me tourmentent grandement.

  A010000511 

 Mon Dieu, la grande pitié que le seul desir de la perfection ne suffise pas pour l'avoir, mais qu'il la faille acquerir à la sueur de nostre visage et à force de travail! Hé, ne sçavez-vous pas que Nostre Seigneur voulut estre tenté durant les quarante jours qu'il fut au desert, pour nous apprendre que nous le serions tout le temps que nous demeurerions au desert de cette vie mortelle, qui est le lieu de nostre penitence? car la vie du parfait Chrestien est une continuelle penitence.

  A010000512 

 Cela estant, demeurez en paix et ne vous troublez point pour la perfection que vous desirez tant; il suffit que vous l'ayez en mourant.

  A010000512 

 Il suffit que vous ne les aymiez pas et qu'elles ne vivent point dans vostre cœur, c'est à dire que vous les commettiez pas volontairement et que vous ne veuilliez pas perseverer en vos defauts.

  A010000512 

 Je le crois bien; aussi ne pensez pas pouvoir vivre sans commettre des imperfections, d'autant que cela est impossible tandis que [206] vous serez en cette vie.

  A010000513 

 Cette suavité si habiles et si courageux, ce leur semble, que nul n'est comparable à leur perfection; il n'y a rien de trop pesant pour eux, bref ils se voudroyent fondre pour plaire à leur Bien-Aymé, qu'ils ayment d'un amour si parfait..

  A010000513 

 Or, ceux cy ne craignent pas seulement ce qui les peut porter au mal, mais ce qui peut en quelque façon destourner ou troubler leur repos; ils ne voudroyent pas qu'un seul petit bruit de je ne sçay quoy se mist entre Dieu et eux, d'autant qu'ils se sont fourré bien avant en l'imagination qu'il y a une certaine quietude et accoisement tel que qui le peut avoir se trouve tousjours en paix si bien heureux.

  A010000513 

 Partant ils veulent en jouir, demeurant tousjours pieds de Nostre Seigneur comme Magdeleine, pour y savourer continuellement les suavités, les douceurs et tout ce qui est emmiellé et qui distille de la bouche sacrée de leur Maistre, sans que jamais Marthe ne le vienne resveiller ni murmurer contre eux, pour prier Nostre Seigneur de les faire travailler.

  A010000514 

 Mais encor, qu'y a-t-il, je vous prie, qui vous tourmente? C'est que je ne suis pas sainte.

  A010000514 

 Si cela est, ne vous mettez pas en si grand peine, car possible c'est parce que vous l'estes qu'on vous a corrigée, à fin de vous rendre tousjours plus parfaite.

  A010000514 

 Vous devez sçavoir que ceux qui ont une vraye charité ne peuvent souffrir de voir quelque defaut au prochain qu'ils ne taschent de l'arracher par la correction, et sur tout en ceux qu'ils estiment saints ou fort avancés en la perfection, parce qu'ils les croyent plus capables de la recevoir; ils veulent aussi par ce moyen les faire croistre tousjours plus en la connoissance d'eux mesmes qui est si necessaire à un chacun..

  A010000514 

 Vous n'estes pas sainte! et qui vous l'a dit que vous ne l'estes pas? Peut estre ce qui vous le fait penser c'est qu'on vous a reprise de quelque [207] defaut.

  A010000515 

 C'est bien dit, certes; hé, croyez-vous qu'en cette vie vous puissiez avoir une quietude si permanente qu'elle ne doive point recevoir de divertissement? Il ne faut pas desirer les graces que Dieu ne fait pas communement; ce qu'il a fait pour une Magdeleine ne doit pas estre souhaitté de nous autres.

  A010000515 

 Ne pensez pas non plus que la Magdeleine eust la jouissance de cette tant aymable contemplation qui la tenoit en un si doux repos avant d'avoir passé par des espineuses difficultés, par la voye d'une aspre penitence et avant d'avoir avalé les amertumes d'une confusion tres grande; car allant chez le Pharisien pour pleurer ses pechés et en obtenir le pardon elle souffrit les murmures que l'on faisoit contre elle, la mesestimant et nommant pecheresse et femme de mauvaise vie.

  A010000515 

 Ne pensez pas non plus vous rendre dignes de recevoir ces divines suavités et consolations, ni d'estre eslevées par les Anges comme elle l'estoit plusieurs fois le jour, si vous ne voulez premierement souffrir avec elle les confusions, les mespris et censures que meritent tres bien nos imperfections, lesquelles nous exerceront de temps à autre, veuillons-nous ou non; car cette regle est generale, que nul ne sera si saint en cette vie qu'il ne soit sujet à en commettre tousjours quelqu'une..

  A010000516 

 Et comme nous devons avoir une ferme et invariable resolution de ne pas nous rendre si lasches que d'en faire volontairement, aussi devons-nous estre inebranlables en cette autre resolution de ne nous pas estonner ni troubler voyant que nous sommes sujets à tomber en icelles, voire encores que ce fust souvent, nous confiant en la bonté de Dieu qui pourtant ne nous en ayme pas moins.

  A010000516 

 Il se faut donques tenir ferme et tranquille en la connoissance de cette verité, si nous voulons que nos [208] imperfections ne nous troublent point par la vaine pretention que nous pourrions avoir de n'en point commettre.

  A010000516 

 Mais je ne seray jamais capable de recevoir les divines caresses de Nostre Seigneur tandis que je seray si imparfaite, puisque je ne pourray m'approcher de luy qui est si souverainement parfait.

  A010000516 

 Que Dieu nous face part ou non de ses consolations, il faut nous tenir sousmis à sa tres sainte volonté qui doit estre la maistresse et conductrice de nostre vie; apres quoy nous n'avons rien à desirer..

  A010000516 

 Quelle correspondance, je vous prie, y peut-il avoir de nostre perfection à la sienne, de nostre pureté à la sienne, veu qu'il est la pureté mesme? En fin, faisons de nostre costé ce que nous pouvons, et demeurons en repos pour le reste.

  A010000517 

 Ces sagettes sont les vaines esperances et pretentions que nourrissent ceux qui aspirent à la perfection.

  A010000517 

 L'on en trouve qui n'esperent rien tant que d'estre bien tost des Meres Therese, et mesme des saintes Catherines de Sienne et de Genes.

  A010000517 

 Le Psalmiste donques nous asseure, ainsy que l'interprete saint Bernard, que celuy qui a la foy et s'est armé de la verité ne craindra point ces craintes nocturnes ni des paresseux, ni des enfans, ni moins des delicats.

  A010000517 

 Mais il passe plus outre, et dit qu'il ne craindra non plus les sagettes qui volent en plein jour; et cecy est le quatriesme document que je tire du Psalme sus allegué.

  A010000517 

 Ne voyla pas de belles esperances, lesquelles nonobstant leur vanité ne laissent pas de consoler beaucoup ceux qui les ont? Mais d'autant plus que ces [209] esperances et pretentions portent à la joye du cœur tandis qu'il y a lieu d'esperer, plus aussi la douleur des effects contraires apporte de la tristesse à ces esprits si fervens; car se voyant estre non pas des saints comme ils pensoyent, ains au contraire des creatures prou imparfaites, ils se trouvent bien souvent descouragés à la poursuite de la vraye vertu qui conduit à la sainteté.

  A010000518 

 Mes cheres ames, il y a encores d'autres sortes de vaines esperances, dont l'une est de vouloir tousjours des consolations, des suavités et des tendretés à l'oraison durant le cours de cette vie mortelle et passagere; esperance frivole et niaise à merveille, comme si nostre perfection et bonheur dependoit de cela! Ne voyons-nous pas que Nostre Seigneur pour l'ordinaire ne donne ces tendretés que pour nous amorcer et amadouer, comme on fait les petits enfans auxquels on baille du sucre? Mais passons outre, car il faut finir..

  A010000519 

 Mais ce n'est pas des avares temporels que je veux parler, ains de l'avarice spirituelle..

  A010000519 

 Pour moy il m'est advis (et cecy est le cinquiesme document que je vous presente) que ces negociations qui se font dans les tenebres nous representent l'avarice et l'ambition, vices qui font leur trafic en la nuit, c'est à sçavoir par dessous main et en cachette.

  A010000519 

 Saint Bernard remarque par apres quelles sont ces negociations qui se font en la nuit, lesquelles le Psalmiste dit que ceux qui seront armés de la verité ne craindront point.

  A010000520 

 Or, je ne parle pas de ceux qui sont eslevés non pas par leur election mais par leur sousmission l'obeissance qu'ils doivent à Dieu et à leurs Superieurs; car ceux-là n'ont rien à craindre, non plus que Joseph en la maison de Putiphar, parce que si bien ils sont au lieu de la tentation ils n'y periront point.

  A010000520 

 Ou que nous soyons, pourveu que nous y soyons conduits par le Saint Esprit, comme Nostre Seigneur au desert, nous n'aurons rien à redouter..

  A010000521 

 Certes, l'on pourroit bien addresser à ces avares spirituels ce reproche que le Prophete fait aux avares temporels: Que veux-tu, pauvre homme? Tu veux maintenant avoir ce chasteau parce, dis-tu, qu'il regarde le tien; apres celuy là il s'en trouvera un autre qui l'avoisinera, et parce qu'il te sera commode, tu le voudras aussi avoir, et ainsy des autres.

  A010000521 

 Je l'ay desja dit fort souvent, mais il faut encores le redire: Dieu n'a pas mis la perfection en la multiplicité des actes que nous ferons pour luy plaire, ains seulement en la methode que nous sentirons en iceux, qui n'est autre que de faire le peu que nous ferons selon nostre vocation, en l'amour, par l'amour et pour l'amour.

  A010000521 

 Les avares spirituels sont ceux qui ne sont jamais rassasies d'embrasser et rechercher beaucoup d'exercices de piete pour parvenir tant plus tost à la perfection, disent ils; comme si la perfection consistoit en la multitude des choses que nous faisons, et non pas en la perfection avec laquelle nous les faisons.

  A010000521 

 Quoy! veux-tu donques tout seul te rendre maistre de la terre? Ne veux-tu pas que personne y ayt du bien que toy?.

  A010000522 

 Hé, pauvres gens, qui ne voulez pas qu'il y ayt aucun plus saint que vous, que ne vous contentez-vous de vostre sainteté telle que vous la pouvez avoir, non pas faisant un si grand amas d'exercices, mais en pratiquant bien, et le plus parfaittement possible, ceux auxquels vostre condition et vocation vous oblige.

  A010000522 

 Ils voudroyent tousjours porter la haire sur le dos, faire la discipline à tout propos, prier continuellement les genoux nuds, vivre en solitude, et que sçay-je moy, et encores cela ne les satisferoit point.

  A010000522 

 L'on ne peut assez dire combien cette avarice spirituelle apporte de retardement à nostre perfection, d'autant qu'elle oste la douce et tranquille attention que nous devons avoir de bien faire ce que nous faisons pour Dieu, ainsy que j'ay desja dit..

  A010000522 

 Les Capucins et de mesme tous les Ordres religieux sont bien bons, mais ils n'ont pas tout ce que telles gens cherchent, à sçavoir les exercices d'un chacun meslés et assemblés en un.

  A010000523 

 Cet esprit qui marche en plein jour est celuy qui nous attaque au beau midy des consolations interieures, lors que le divin Soleil de justice darde si amoureusement ses rayons sur nous et nous remplit d'une chaleur et d'une lumiere tant aggreable, chaleur qui nous embrase d'un amour si delectable et si tendre que nous mourons presque à toutes autres choses pour mieux jouir de nostre Bien-Aymé.

  A010000523 

 Elle ne voudroit pas que personne vinst troubler son repos, lequel en fin se termine en une vaine complaisance qu'elle prend en iceluy; car elle admire la bonté de Dieu, mais en elle et non pas en Dieu, la suavité de Dieu, mais en elle mesme.

  A010000523 

 Le sixiesme document est tiré du mesme Psalme, où le Prophete asseure que ceux qui se seront armés comme nous l'avons veu, ne craindront point l'esprit du midy, c'est à dire cet esprit qui nous vient tenter en plein jour.

  A010000523 

 [212] Cette divine lumiere a tellement esclairé nostre cœur qu'il luy est advis qu'il voit tout à descouvert celuy du Sauveur, lequel distille goutte à goutte une liqueur si suave et un parfum si odoriferant que cela ne peut estre assez estimé par cette amante qui languit tousjours de son amour.

  A010000524 

 Mais quiconque sera armé du bouclier de la verité et de la foy surmontera ces ennemis aussi genereusement que tous les autres: ainsy l'asseure David..

  A010000525 

 Ces quarante jours, ainsy que nous disions tantost, representent la vie du Chrestien et d'un chacun de nous: ne desirons donques point ces consolations qu'au bout de nostre vie, mais [213] amusons-nous à nous tenir fermes pour resister aux rudes attaques de nos ennemis, car, veuillons-nous ou non, nous serons tentés.

  A010000525 

 Il est dit en effect que Nostre Seigneur ayant surmonté son ennemy et rejetté ses tentations, les Anges vindrent et luy apporterent à manger des viandes celestes.

  A010000525 

 Je ne doute nullement qu'il ne s'en trouve davantage qui desirent plustost la fin de cet Evangile que le commencement.

  A010000525 

 Si nous ne combattons nous ne serons pas vainqueurs, et partant nous ne meriterons pas la couronne de l'immortelle gloire que Dieu nous prepare si nous demeurons victorieux et triomphans..

  A010000526 

 Nous eviterons aussi l'avarice spirituelle et l'ambition qui nous apportent tant de detraquement au cœur et tant de retardement en nostre perfection; l'esprit du midy n'aura nul pouvoir de nous faire descheoir de la ferme et invariable resolution que nous avons prise de servir Dieu genereusement et le plus parfaitement qu'il se peut en cette vie, apres laquelle nous irons jouir de luy, qui soit beni.

  A010000533 

 Femme, que ta foy est grande! qu'il.

  A010000537 

 Si j'y puis rencontrer, nous marierons ce que je vous en diray à ce qui se passa en l'Evangile entre Nostre Seigneur Chananée; et par ce moyen vous connoistrez les qualités que doit avoir la foy..

  A010000538 

 Et d'abord, quand le Sauveur dit: Femme, que ta foy est grande, estoit-ce que la foy de cette femme fust plus grande que la nostre? O non quant à l'objet, parce que la foy a pour objet les verités revelées de Dieu ou de l'Eglise, et elle n'est autre chose qu'une adhesion que nostre entendement fait à ces verités qu'il trouve belles et bonnes.

  A010000539 

 C'est une chose si necessaire pour avoir une grande foy, que l'entendement connoisse la beauté d'icelle, que pour cela, lors que Nostre Seigneur veut attirer quelque creature à la connoissance de la verité, il luy en descouvre tousjours la beauté; de sorte que l'entendement se sentant attiré ou espris, communique cette verité à la volonté laquelle l'ayme aussi pour la bonté et beauté qu'elle y reconnoist.

  A010000539 

 Ensuite, l'amour que ces deux puissances portent aux verités conneuës fait que la personne quitte tout pour les croire et les embrasser.

  A010000539 

 Je dis aymées, car bien que la volonté aye pour objet direct de son amour la bonté, si est-ce que l'entendement luy representant la beauté des verités revelées, elle vient à y descouvrir aussi la bonté, et par consequent elle ayme cette bonté et beauté des mysteres de nostre foy.

  A010000540 

 Ainsy, je dois en croire autant que vous, et vous autant que moy, et tous les Chrestiens semblablement; de sorte que celuy qui ne croit pas tous ces mysteres n'est pas catholique, et partant n'entrera jamais en Paradis.

  A010000540 

 Il est vray qu'il n'y a qu' une seule foy laquelle tous les Chrestiens doivent avoir, neanmoins un chacun ne l'a pas en un mesme degré de perfection; de la vient que pour faire entendre la grandeur ou la petitesse d'icelle, on parle des conditions qui la rendent grande et des vertus qui l'accompagnent.

  A010000540 

 Lors donques que Nostre Seigneur dit: O femme, que ta foy est grande, ce n'estoit pas [216] que la Chananée creust plus que ce que nous croyons; mais plustost parce que plusieurs choses rendirent sa foy plus excellente.

  A010000540 

 Mais quant à l'objet, cette foy ne peut pas estre plus grande aux uns qu'aux autres, ni moins aussi quant à la quantité des choses qu'on doit croire, car il faut que nous croyions tous une mesme chose quant à l'objet et quant à la quantité.

  A010000540 

 Tous sont esgaux en cecy, parce que tous doivent croire toutes les verités de la foy, tant celles que Dieu a revelées par luy mesme, que celles qu'il a revelées par son Eglise.

  A010000541 

 Celle-cy fait bien quelques bonnes operations, quoy que rarement et foiblement, car la charité ne peut estre dans l'ame qui a la foy sans travailler ou peu ou prou: ou il faut qu'elle opere ou qu'elle perisse, parce qu'elle ne scauroit estre sans operer..

  A010000541 

 La foy morte est celle qui est separée de la charité, separation qui fait que l'on n'opere point les oeuvres conformes à la foy de laquelle on fait profession.

  A010000541 

 Lors que cette charité est unie et jointe à la foy elle la vivifie; d'où il s'ensuit qu'il y a une foy morte et une foy mourante.

  A010000542 

 Il en prend de cecy comme d'une personne qui va trespasser: quand [217] il luy survient quelque defaillance ou qu'il semble qu'elle ayt expiré, on luy met une plume sur les levres et la main sur le cœur; si l'ame est encores là, on sent que le cœur bat, on voit à la plume qui est devant sa bouche qu'elle respire encores, et de là on conclud, comme chose certaine, que bien que cette personne soit mourante, elle n'est pas neanmoins du tout morte; puisqu'elle fait des actions vitales, il faut de necessité que l'ame soit unie avec son corps.

  A010000542 

 Mais quand on s'apperçoit qu'elle ne donne plus signe de vie, alors on dit tout clairement que l'ame en est separée, et partant que cette personne est trespassée..

  A010000542 

 Tout de mesme que l'ame ne peut demeurer dans le corps sans produire des actions vitales, ainsy la charité ne peut estre jointe à nostre foy sans operer des œuvres conformes à icelle; cela ne peut estre autrement.

  A010000543 

 Ainsy la foy morte a bien la mesme apparence que la vivante, mais avec cette difference que la premiere ne porte point de fleurs ni de fruits de bonnes operations, et que la seconde en porte tousjours et en toutes saisons..

  A010000543 

 Or, cecy est une autre chose, car combien qu'en hiver ils soyent pour l'apparence exterieure semblables aux arbres morts, si est-ce qu'en leur saison ils portent des feuilles, des fleurs et des fruits, ce que ne fait jamais celuy qui est mort.

  A010000544 

 Celle cy est excellente, parce qu'estant jointe et unie avec la charité et vivifiée par icelle, elle est forte, ferme et constante, elle fait plusieurs grandes et bonnes operations qui meritent qu'on la loue, disant: O que ta foy est grande! soit fait tout ce que tu veux. [218].

  A010000544 

 On connoist par les operations que fait la charité si la foy est morte ou mourante; quand elle ne produit point de bonnes œuvres nous disons qu'elle est morte, et quand elles sont petites et lentes, qu'elle est mourante.

  A010000545 

 Et en ce que ces vertus luy obeissent, elle monstre son excellence et grandeur, tout ainsy que les rois ne sont pas grans seulement quand ils ont plusieurs provinces et de nombreux sujets, ains quand avec cela ils ont des sujets qui les ayment et leur sont sousmis.

  A010000545 

 Or, quand on dit que cette foy est grande l'on ne veut pas signifier qu'elle a quatorze ou quinze aunes de long; o non, il ne faut pas entendre comme cela.

  A010000545 

 Que si, avec toutes leurs richesses, leurs vassaux ne tenoyent compte de leurs ordonnances ni de leurs lois, l'on ne diroit point qu'ils sont grans rois mais tres petits.

  A010000546 

 Ainsy cette foy dormante a bien les yeux ouverts, car elle croit les mysteres, elle entend assez ce que l'on en declare; mais c'est avec je ne sçay quelle pesanteur et engourdissement qui l'empesche de comprendre ce qu'il en est.

  A010000546 

 Cette foy ressemble encores à ces personnes qui ont l'esprit lourd [219] et songear: à la verité, elles ouvrent les yeux, vous les verrez bien pensives et, ce semble, attentives à quelque chose, mais elles ignorent que c'est.

  A010000546 

 Elle ressemble à ces gens tout endormis lesquels, quoy qu'ils portent les yeux ouverts, ne voyent toutefois presque rien, et encores qu'ils oyent parler ne sçavent ni no comprennent ce que l'on dit.

  A010000548 

 Les hommes ont bien cette force, ils ont puissance et seigneurie sur tous les animaux; mais parce que nous ne connoissons pas qu'elle est en nous, il s'ensuit que nous craignons comme foibles et couards, et fuyons comme des lourdeaux devant les bestes.

  A010000548 

 Or, il n'y a rien de si fort que la verité en laquelle consiste la vaillance de la foy.

  A010000548 

 Sa force est si grande qu'elle ne redoute rien, parce que non seulement elle est forte, mais parce qu'elle connoist cette force et sur quoy elle est appuyée, qui est la Verité mesme.

  A010000549 

 Fausse prudence que celle cy! car bien qu'elle me fist gaigner les villes, les principautés et royaumes, de quoy me proffitera-t-elle si avec cela je suis damné? Que me servira ma vaillance si je n'use d'icelle que pour acquerir les choses transitoires de cette vie mortelle? Certes, quand je serois le plus fort et prudent homme du monde, si je ne me sers de cette vaillance et prudence pour la vie eternelle cela n'est rien..

  A010000550 

 Hé bien, vous le serez, dit saint Bernard, si vous croyez et faites ce que la foy vous enseigne estre requis pour obtenir la vie eternelle.

  A010000550 

 La prudence de ces mondains s'en contente, et ne veut rien faire davantage que ce qui est necessaire pour avoir la vie eternelle et fuir ce qui leur peut causer la damnation.

  A010000550 

 Mais ne parlons à cette heure que de celle de la foy.

  A010000550 

 Neanmoins il y a tant de prudence humaine! L'on en prend en mille et mille façons, et certes nous voyons que le plus grande partie de nos maux ne viennent que de cette fausse prudence.

  A010000550 

 Vous ne travaillez donc pas pour Dieu ains seulement pour vous mesme, puisque vostre prudence ne s'estend pas plus avant qu'à faire ce que vous scavez qui vous peut empescher de vous perdre.

  A010000551 

 Je fais ce que je sçay qu'il faut faire pour estre sauvé.

  A010000552 

 Elle estoit en attention comme un chien qui est attentif ou mis en relay pour guetter la proye qui doit s'eschapper par là; car c'est ainsy que l'on peut interpreter les paroles de saint Marc, qui est un de ses Evangelistes..

  A010000553 

 Ceux qui le suivoyent ou qui demeuroyent ès maysons prochaines de celle où il s'estoit retiré, avoyent bien veu et entendu parler des merveilles et des miracles qu'il operoit, par lesquels il confirmoit la doctrine qu'il enseignoit; ils avoyent autant de foy que la Chananée, car une grande partie croyoit de luy ce qui s'en disoit, mais leur foy n'estoit pas si grande que celle de cette femme parce qu'elle n'estoit pas attentive comme la sienne..

  A010000553 

 Lors que Nostre Seigneur passoit, ou qu'il entroit, ou qu'il fut entré en la mayson, ou bien quand il en fut sorti (cecy est une dispute, mais je n'en veux pas parler icy; pour moy je crois que cela advint lors qu'il fut dans cette mayson), la Chananée, qui estoit en attente pour saisir sa proye, vint luy presenter sa requeste et s'escria: Seigneur, fils de David, ayez pitié de moy, car ma fille est cruellement travaillée du diable.

  A010000553 

 Voyez un peu la grande foy de cette femme: elle demande seulement à nostre divin Maistre qu'il aye pitié d'elle, et croit que s'il en a pitié cela sera suffisant pour guerir et delivrer sa fille qui estoit travaillée du malin esprit.

  A010000554 

 Il n'y a point de doute que l'attention que nous apportons pour comprendre les mysteres de nostre Religion et celle avec laquelle nous les meditons et contemplons ne rendent nostre foy plus grande..

  A010000554 

 O femme, que ta foy est grande, non seulement à cause de cette attention avec laquelle tu oys et crois ce que l'on dit de Nostre Seigneur, mais encores à cause de l'attention avec laquelle tu le pries et luy presentes ta requeste.

  A010000554 

 Pourquoy voyons-nous que l'on fait si peu de profit des predications ou des mysteres que l'on nous explique ou enseigne, ou de ceux que l'on medite? C'est parce que la foy avec laquelle nous les entendons ou meditons n'est pas attentive; de là vient que nous les croyons bien, mais ce n'est pas avec une aussi grande asseurance.

  A010000554 

 Un voluptueux tout de mesme; car bien qu'il escoute, ce semble, ce dequoy l'on devise, nean moins il ne se resouviendra de rien parce qu'il est plus attentif à sa volupté que non pas à ce dont on discourt.

  A010000554 

 Voyla des personnes qui se trouvent en une compagnie en laquelle on s'entretient de bons devis et de choses belles et saintes: un homme avaricieux entendra bien ce que l'on dit, mais au partir de là, demandez-luy ce dont on a parlé en cette conversation, il n'en sçaura rapporter un mot.

  A010000555 

 Mais qu'est-ce que oraison et meditation? Il semble que ces mots-là soyent venus de l'autre monde; peu de gens les veulent entendre.

  A010000555 

 Voyez-vous que c'est que meditation ou contemplation? C'est en un mot la priere.

  A010000556 

 Grande confiance que celle cy! elle croit que si le Seigneur a pitié d'elle, sa fille sera guerie.

  A010000556 

 Je sçaiy, vouloit-elle dire, que vous estes si doux et benin à tous, que je ne fais nul doute que vous priant d'avoir pitié de moy vous ne l'ayez, et si tost que vous l'aurez ma fille sera guerie..

  A010000556 

 [224] Seigneur, dit cette femme, ayez pitié de moy parce que ma fille est extremement tourmentée du diable.

  A010000557 

 Certes, le plus grand defaut que nous ayons en nos prieres et en tout ce qui nous arrive, specialement en ce qui regarde les tribulations, c'est nostre peu de confiance; de là vient que nous ne meritons pas de recevoir le secours tel que nous le desirons ou demandons.

  A010000557 

 Et le Sauveur les reprint et leur dit: Homme de petite foy; comme s'il eust voulu signifier: Que vostre foy est petite, d'autant qu'en cette occasion en laquelle vous deviez la monstrer davantage vous manquez de confiance; or, parce que la confiance qui vous reste est petite, vostre foy l'est aussi..

  A010000558 

 Et ne disoit-elle rien autre chose? Non, elle n'avoit d'autres paroles en la bouche que celles cy, et persevera à s'en servir tout le temps qu'elle cria apres Nostre Seigneur.

  A010000558 

 Grande vertu que cette perseverance! Si vous eussiez demandé à ce bon Religieux de saint Pacome qui estoit jardinier, s'il ne feroit rien autre chose que le jardin et des nattes ou stolles: Rien autre, eust-il respondu.

  A010000558 

 Quelle perseverance que celle cy!.

  A010000559 

 Cependant quand je parle de la perseverance je n'entens pas traitter de cette perseverance finale que nous devons avoir pour estre sauvés, ains de celle qui doit accompagner nostre priere.

  A010000559 

 Helas! si l'on a quelques degousts à l'oraison, si Dieu nous retire ou soustrait la suavité ou facilité ordinaire que nous y avions, on se plaint, on s'afflige et on dit: C'est que je ne suis point humble, Dieu n'a que faire de m'entendre, il ne me regardera point, car il ne regarde que les saints, et que sçay-je? telles autres niaiseries et mille pensées que l'on entretient pour se laisser aller à l'ennuy et au descouragement.

  A010000559 

 On se lasse de prier, avec cette secheresse et cet abattement de cœur; et que veut-on? Des extases, des ravissemens, des suavités et consolations.

  A010000559 

 Qu'il y a peu de gens qui comprennent bien en quoy elle consiste! Vous verrez des jeunes filles qui ne font que de naistre à la devotion, et encores des hommes (mais ne parlons pas de ceux cy, ne parlons pour maintenant que des filles, puisque c'est à des filles que je m'addresse); l'on en verra donc qui ne font que commencer à prier et suivre Nostre Seigneur, lesquelles demandent et veulent ja avoir des gousts et consolations, et ne peuvent point perseverer en la priere qu'à force de douceurs et de suavités.

  A010000560 

 Ce n'est pas ainsy qu'a fait la Chananée, car bien qu'elle vist Nostre Seigneur ne tenir compte de sa priere, [226] d'autant qu' il ne luy respondoit rien et sembloit quasi qu'il fist en cela une injustice, neanmoins cette femme persevera de crier apres luy, tellement que les Apostres furent contraints de luy dire qu'il la congediast parce qu'elle ne faisoit que crier apres eux.

  A010000560 

 Mais je ne veux pas m'arrester icy; pour moy je tiens cette derniere opinion, et que quand les Apostres dirent: Seigneur, congediez-la, ou bien, renvoyez cette fermme, car elle ne fait que crier apres nous, ils vouloyent signifier apres vous, car c'estoit bien crier apres eux que de crier apres leur Maistre..

  A010000560 

 Sur ce, les uns pensent que, voyant que le Sauveur ne luy respondoit rien, elle s'addressa aux Apostres pour leur demander d'interceder pour elle; voyla pourquoy ils dirent: Elle ne fait que crier apres nous. D'autres croyent qu'elle ne les pria point, ains qu'elle cria tousjours apres Nostre Seigneur.

  A010000561 

 Je sçay bien que ce mal l'ait de diversifier ses oraisons et meditations, car l'Eglise mesme nous l'enseigne en la varieté de ces Offices; mais outre ces prieres là, vous en ferez une quotidienne, laquelle il faut reciter non seulement apres Laudes, Prime et Vespres, ains souventefois le jour.

  A010000561 

 Neanmoins, quoy que Nostre Seigneur fist la sourde oreille à tout cela, elle ne laissa de continuer son oraison accoustumée; en quoy elle monstra sa perseverance, car ce n'est point une petite vertu que de perseverer à faire tousjours une mesme priere et de mesmes exercices.

  A010000561 

 O que l'on seroit heureux si l'on accompagnoit la priere de cette perseverance; si lors qu'on a des degousts, des secheresses en icelle, lors que la suavité de l'oraison nous est soustraite, l'on perseveroit à prier sans se lasser ni se plaindre ni rechercher d'en estre delivré, se contentant parmi cela de crier sans cesse: Seigneur, fils de David, ayez pitié de moy.

  A010000562 

 Il adjouste plusieurs autres choses, mais pourtant c'est cecy qu'il veut signifier, que c'est une chose bien difficile que la perseverance.

  A010000562 

 Le voyageur, encores qu'il marche par un beau et plain chemin, si est-ce que sa longueur l'ennuye, et quand il voit arriver la nuit il se fasche et s'inquiete; en fin, il prendroit certes plus de playsir que ce chemin fust diversifié de quelque vallée ou colline.

  A010000563 

 C'est pour cela que la perseverance à tousjours faire une mesme chose en Religion est un martyre, à qui bien la considere.

  A010000563 

 Mais en Religion l'on ne l'ait point d'artifice, l'on mange ce que l'on donne; et c'est un martyre que celuy cy, comme aussi de faire tousjours les mesmes exercices..

  A010000563 

 N'est-ce pas un martyre, je vous prie, d'aller tousjours habillé d'une mesme façon sans avoir la liberté de se chamarrer et decouper ses vestemens comme font les mondains? N'est-ce pas un martyre de manger tousjours à une mesme heure et quasi des mesmes mets, comme c'est une grande perseverance aux paysans de n'avoir [228] ordinairement pour leur nourriture que du pain, de l'eau et du fromage? Neanmoins ils n'en meurent pas plus tost, sins se portent mieux que ces delicats auxquels l'on ne sçait quelle viande est propre.

  A010000563 

 Tantost ils font des ballets, des danses, des masques en temps de carnaval, en somme ils employent les saisons en une varieté d'amusemens qui ne sont que bigearreries et inconstances de l'esprit humain.

  A010000564 

 Ceux qui connoissent que c'est que de la chasse sçavent bien que l'hiver les chiens ne peuvent sentir la proye, l'air estant froid, et les gelées les empeschant de flairer comme en un autre temps; tout de mesme au printemps, la varieté et l'odeur des fleurs leur oste aussi la facilité de sentir le flair de la beste, pour à quoy remedier le chasseur prend du vinaigre dans sa bouche, et tenant la teste du chien il jette le vinaigre dans son museau.

  A010000565 

 C'est comme si Jesus Christ vouloit dire: Les faveurs que je fais aux Gentils, pour lesquels je n'ay point esté envoyé, sont si petites et en si petit nombre au regard de celles que je depars aux Israëlites, qu'ils n'ont nul sujet d'en avoir de la jalousie..

  A010000565 

 Hé donques, Seigneur, cette brebis icy n'est-elle pas de la mayson de vostre Pere? sera-t-elle perdue? N'estes-vous pas venu pour tout le monde, pour le peuple Juif et pour le Gentil? C'est une chose toute claire que Nostre Seigneur estoit venu pour tout le monde; cela est tout notoire en la Sainte Escriture.

  A010000565 

 Pour cela il respondit à ses Apostres qui le prioyent de la congedier, [229] une parole qui la devoit bien piquer et, ce semble, luy faire perdre contenance: II n'est pas raysonnable, dit-il, que j'oste le pain des enfans pour le donner aux chiens.

  A010000566 

 Certes, l'on void ordinairement qu'il n'y a rien qui offesse tant que les paroles piquantes et qui sont dites pour mepriser ceux à qui l'on parle, principalement si elles sont dites par des personnes de marque et authorité.

  A010000566 

 Mais comme est-ce donques que se doit entendre que Nostre Seigneur est venu pour les Gentils aussi bien que pour les Juifs? Voyez-vous, c'est que, comme il estoit venu pour marcher sur ses propres pieds parmi les enfans d'Israël, il devoit marcher sur les pieds de ses Apostres parmi les Gentils; il devoit guerir leurs malades non de ses propres mains mais par celles des Apostres, leur prescher sa doctrine mais par la bouche de ses Apostres, retrouver la brebis esgarée mais par le moyen et le labeur de ses Apostres.

  A010000567 

 Cette humilité fut la quatriesme vertu qui accompagna la foy et la priere de la Chananée; humilité si aggreable au Sauveur qu'il luy accorda tout ce qu'elle luy dermandoit, en disant: O femme, que ta foy est grande! qu'il te soit fait comme tu le veux.

  A010000567 

 Il y en a plusieurs qui disent bien qu'ils ne sont rien, qu'ils ne sont qu'abjection, que misere et telles autres choses (le monde est tout plein de cette humilité); mais ils ne sçauroyent supporter qu'un autre leur dise qu'ils ne valent lien, qu'ils sont des sots, et semblables paroles de mespris.

  A010000567 

 Ils l'advoueront tant que l'on voudra, mais gardez vous bien de le leur dire, car ils s'en offenceront.

  A010000567 

 J'adjousteray encores ce mot en passant, puisqu'il me vient dans l'esprit: les confesseurs seroyent bien heureux s'ils pouvoyent tousjours faire confesser à leurs penitens qu'ils sont pecheurs; mais non, encores qu'on leur monstre leurs fautes et que l'on s'essaye de leur faire [231] advouer qu'ils ont tort, bien souvent ils ne le veulent ni ne le peuvent croire.

  A010000567 

 Or cette femme fit voir la grandeur de la sienne en confessant qu'elle estoit une chienne et que, comme chienne, elle ne demandoit pas les faveurs reservées aux Juifs, qui estoyent les enfans de Dieu, ains seulement de ramasser les miettes qui tomboyent dessous la table.

  A010000567 

 Quant à nostre Chananée, non seulement elle ne s'offença pas pour se voir appellée chienne, mais elle le creut, le confessa et ne demanda que ce qui appartenoit aux chiens; en quoy elle fit paroistre une admirable humilité qui merita d'estre louée de la bouche de Nostre Seigneur, ce qu'il fit disant: O femme, que ta foy est grande! soit fait comme tu veux; et en louant sa foy, il loua toutes les autres vertus qui l'accompagnoyent..

  A010000568 

 Imitons cette femme, à ce que perseverant tousjours à crier apres nostre Sauveur et Maistre: Seigneur, fils de David, ayez pitié de moy, il nous die à la fin de nos jours: Soit fait comme tu le veux, et à cause de ce que tu as fait, viens jouir de l'eternité.

  A010000568 

 Veillons soigneusement à la conserver et aggrandir tant par la consideration attentive des mysteres qu'elle nous enseigne que par l'exercice des vertus dont nous avons parlé, particulierement de l'humilité, par laquelle la Chananée a obtenu tout ce qu'elle desiroit.

  A010000588 

 Le discours que nous devons faire aujourd'huy, selon nostre Evangile, estant de la felicité eternelle, il faut avant toute autre chose que je vous represente une similitude.

  A010000589 

 En apres, cette pauvre femme luy veut donner une idée de l'amenité des collines chargées d'arbres et de fruits divers: d'oranges, de citrons, de poires, de pommes et semblables; mais l'enfant ne sçait que c'est que tout cela, ni comme il peut estre.

  A010000589 

 Et bien que sa mere ayt en main quelques feuilles de ces arbres et qu'elle luy die: Mon enfant, ils sont couverts de telles feuilles; et luy monstrant une pomme ou une orange: Ils sont encores chargés de tels fruits, ne sont-ils pas beaux? ne les fait-il pas bon voir? l'enfant neanmoins demeure en son ignorance, d'autant qu'il ne peut comprendre en son esprit ce que sa mere luy enseigne, tout cela n'estant rien au prix de ce qui est en verité..

  A010000590 

 De mesme en est-il, mes cheres ames, de ce que nous pouvons dire sur la grandeur de la felicité eternelle et des beautés et amenités dont le Ciel est rempli; car il y a encores plus de proportion entre la lumiere d'une lampe avec la clarté de ces grans luminaires qui nous esclairent, entre la beauté de la feuille ou du fruit d'un arbre et l'arbre mesme chargé de fleurs et de fruits tout ensemble, entre tout ce que cet enfant comprend de ce que sa mere luy dit et la verité mesme des choses dont elle parle, que non pas entre la lumiere du soleil et la [234] clarté dont jouissent les Bienheureux en la gloire; entre la beauté d'une prairiediaprée au printemps et la beauté de ces campagnes celestes, entre l'amenité de nos colines chargées de fruits et l'amenité de la felicité eternelle.

  A010000590 

 Mais bien que cela soit ainsy, et que nous soyons asseurés que ce que nous en pouvons dire n'est rien au prix de ce qui est en verité, nous ne devons pas laisser d'en toucher quelque chose..

  A010000591 

 Ayant desja presché plusieurs fois, et mesme en ce lieu sur l'Evangile d'aujourd'huy et sur ce sujet, j'ay pensé que je devois traitter d'un point duquel je ne vous eusse pas encor parlé.

  A010000591 

 Mais avant que de le vous proposer il est necessaire que je leve de vos esprits quelques dificultés qui vous pourroyent empescher de bien entendre ce que je diray par apres; et je le fais d'autant plus volontiers que je desire que ce point soit bien masché, consideré compris..

  A010000592 

 Dieu favorise grandement ceux qui prattiquent la charité envers leurs freres; il n'y a rien qui attire tant sa misericorde sur nous que cela, d'autant que Nostre Seigneur a declaré que c'est son commandement, c'est à sçavoir le sien plus cheri et plus aymé; apres celuy de l'amour de Dieu il n'y on a point de plus grand.

  A010000592 

 Et que cela ne soit, je vous presente l'histoire de saint Augustin, qui n'est pas un autheur auquel il ne faille adjouster foy.

  A010000592 

 Il rapporte donques qu'il avoit conneu un medecina à Carthage, qui estoit fort fameux aussi bien à Rome qu'en cette ville, tant parce qu'il estoit excellent en l'art de la medecine comme parce qu'il estoit un grand homme de bien, faisant beaucoup de charités, servant les pauvres gratis; et cette charité qu'il exerçoit à l'endroit du prochain fut cause que Dieu le tira d'une erreur en laquelle il estoit tombé estant encores jeune homme.

  A010000592 

 Je responds que non seulement elles le peuvent comme auparavant, mais beaucoup plus parfaitement.

  A010000592 

 La premiere difficulté est à sçavoir mon si les ames bienhereuses estans separées de leur corps peuvent engtendre, voir, ouÿr et considerer, bref avoir les fonctions de l'esprit aussi libres que si elles estovent unies avec iceluy.

  A010000593 

 Ce que le medecin fit, et son guide le mena en une grande et spacieuse campagne où d'un costé il luy monstra des beautés incomparables, et de l'autre il luy fit entendre un concert de musique grandement delectable; puis le medecin se resveilla.

  A010000593 

 Confesse donques, que puisque tu me vois, tes yeux estans fermés, que tu me connois fort bien et que tu as ouy la musique quoy que tes sens soyent endormis, que les fonctions de l'esprit ne dependent pas des sens corporels, et que l'ame estant separée du corps elle ne lairra pas pourtant de voir, ouyr, considerer et entendre.

  A010000593 

 Or, saint Augustin dit que ce medecin luy avoit raconté qu'estant encores jeune il commença à douter que l'ame separée du corps peust voir, ouyr ou comprendre aucune chose; et se trouvant en cette erreur il s'endormit un jour.

  A010000593 

 Quelque temps apres le mesme jeune homme luy apparut derechef en dormant et luy demanda: Me connois-tu bien? Le medecin respondit qu'il le connoissoit fort bien et que c'estoit luy mesme qui l'avoit conduit en cette campagne où il luy avoit fait ouyr un concert si aggreable.

  A010000594 

 Ainsy le rapporte saint Augustin, lequel ayant dit que le medecin luy raconta qu'il avoit ouy cette divine musique qui se chantoit à son costé droit, dans la campagne dont nous avons parlé, mais certes, adjouste-t-il, je ne me souviens pas de ce qu'il avoit veu du costé gauche.

  A010000594 

 Apres icelle nous ne devons plus admettre cette difficulté en nos esprits, que nos ames estans separées de leur corps n'ayent une pleine et absolue liberté de faire leurs fonctions et leurs [236] actions.

  A010000594 

 Aussi nostre memoire n'a pas une si pleine liberté en ses fonctions, de maniere qu'elle ne peut avoir plusieurs souvenirs, au moins les avoir tous à la fois, sans que l'un empesche l'autre; de mesme nostre volonté affectionne moins fort quand elle ayme plusieurs choses ensemble; ses desirs et ses vouloirs sont moins violens et ardens quand elle en a davantage..

  A010000594 

 En quoy nous remarquons combien ce glorieux Saint estoit exact à ne dire que simplement ce qu'il sçavoit bien estre de la verité de cette histoire.

  A010000594 

 Nostre volonté voudra plusieurs choses et aura beaucoup de divers vouloirs sans que ces vouloirs divers soyent cause qu'elle les veuille ou qu'elle les affectionne moins; ce qui ne se peut en cette vie, tandis que nostre ame reside dans nostre corps.

  A010000594 

 Par exemple, nostre entendement verra, considerera et entendra non seulement une chose à la fois, ains plusieurs ensemble; nous aurons plusieurs attentions, sans que l'une nuise à l'autre.

  A010000594 

 Tout de mesme en est-il de la memoire: elle nous fournira plusieurs souvenirs sans que l'un empesche l'autre.

  A010000595 

 Ils pensent que c'en est de mesme que des consolations que l'on reçoit quelquefois en la terre, lesquelles font entrer l'ame en un certain endormissement spirituel, en sorte que pour un temps il n'est pas possible de se mouvoir et comprendre mesme où l'on est, ainsy que le tesmoigne le Psalmiste royal en son Psalme In convertendo: Nous avons esté faits, dit-il, comme consolés; ou bien, selon le texte hebreu et la version des Septante, co mme endormis, lors que le Seigneur nous a retirés de la captivité.

  A010000595 

 La seconde difficulté est touchant l'opinion que plusieurs ont que les Bienheureux dans la Hierusalem celeste sont tellement enivrés de l'abondance des divines consolations, que cela leur oste l'esprit en l'esprit mesme, je veux dire que cet enivrement leur enleve le pouvoir de faire aucune action.

  A010000596 

 Et si bien il est escrit que Nostre Seigneur enivrera ses bien-aymés, disant: Beuvez, mes amis, et vous enivre mes tres chers, cet enivrement ne rendra pas l'ame moins capable de voir, considerer, entendre et faire ses divers mouvemens, ainsy que nous l'avons declaré, selon que l'amour de son Bien-Aymé luy suggerera; ains cela l'excitera tousjours davantage à redoubler ses mouvemens et eslans amoureux, comme estant tousjours plus enflammée de nouvelles ardeurs..

  A010000596 

 Ne croyons donques pas, mes cheres ames, que nostre esprit soit rendu stupide et endormi en l'abondance de la jouissance des bonheurs eternels; au contraire, il sera grandement resveillé et agile en ses differentes actions.

  A010000597 

 C'est pourquoy la multiplicité des sujets que nous aurons en nostre entendement, des souvenirs de nostre memoire, ni moins les desirs de nostre volonté ne feront nullement que l'un empesche l'autre ni que l'un soit mieux compris que l'autre.

  A010000597 

 Et pourquoy cela? Non pour autre rayson, mes cheres Sœurs, sinon parce que tout est parfait et consommé dans le Ciel et en la beatitude eternelle..

  A010000597 

 La rayson de cecy est que nous pourrons bien avoir, ainsy que nous venons de le dire, plusieurs diverses attentions en mesme temps, sans que l'une nuise à l'autre, ains elles se perfectionneront reciproquement.

  A010000597 

 La troisiesme difficulté que je veux arracher de vos esprits est qu'il ne faut pas penser qu'en la gloire eternelle nous soyons sujets aux distractions comme nous le sommes tandis que nous vivons en cette vie mortelle.

  A010000598 

 Cela estant donques ainsy, que dirons-nous maintenant, mais que dirons-nous de cette beatitude? Le mot de beatitude et de felicité fait assez entendre ce que c'est; car il nous signifie que c'est un lieu de toutes consolations, où tous bonheurs et benedictions sont compris et [238] retenus.

  A010000598 

 Si en ce monde l'on estime bien heureux un esprit qui peut avoir plusieurs attentions à la fois, ainsy que le tesmoignent les louanges que l'on donne à celuy qui pouvoit estre attentif à sept choses en mesme temps, ou bien à ce valeureux capitaine de ce qu'il connoissoit cent ou cinquante mille soldats qu'il avoit sous sa charge, un chacun par leur nom, combien nos esprits seront-ils estimés bien heureux en cette beatitude où ils pourront avoir tant de diverses attentions! Mais, mon Dieu, que pourrions-nous dire de cette indicible felicité qui est eternelle, invariable, constante, permanente, et pour parler comme les anciens François, sempiternelle?.

  A010000599 

 Je ne veux pas, mes cheres Sœurs, vous entretenir de la felicité que les Bienheureux ont en la claire veuë de la face de Dieu, qu'ils voyent et verront sans fin en son essence, car cela regarde la felicité essentielle, et je n'en veux pas traitter, sinon que j'en dise quelques mots sur la fin.

  A010000600 

 Mais, mes cheres Sœurs, il faut que vous sçachiez que tous les Bienheureux se connoistront les uns les autres, un chacun par leur nom, ainsy que nous l'entendrons mieux par le recit de l'Evangile, lequel nous fait voir nostre divin Maistre sur le mont de Thabor, accompagné de saint Pierre, saint Jacques et saint Jean.

  A010000601 

 Il nous fit voir un petit eschantillon du bonheur eternel et une goutte de cet ocean et de cette mer d'incomparable felicité pour nous faire desirer la piece tout entiere; si que le bon saint Pierre, qui parloit pour tous comme devant estre le chef des autres: O qu'il est bon d'estre icy, s'escria-t-il tout esmeu de joye et de consolation.

  A010000601 

 J'ay bien veu, vouloit-il dire, beaucoup de choses, mais il n'y a rien de si desirable que d'estre en ce lieu.

  A010000601 

 Les Apostres virent donques alors sa face plus reluisante et esclattante que le soleil, voire cette clarté et cette gloire s'espancha jusques sur ses vestemens pour nous monstrer qu'il n'en estoit pas si chiche qu'il n'en fist part à ses habits mesme et à ce qui estoit autour de luy.

  A010000602 

 Je remarque premierement qu'en la felicité eternelle nous nous connoistrons tous les uns les autres, puisque en ce petit eschantillon que le Sauveur en donna à ses Apostres il voulut qu'ils reconneussent Moyse et Elie qu'ils n'avoyent jamais veus.

  A010000602 

 Nous aymerons des personnes particulierement, mais ces amitiés particulieres n'engendreront point de [240] partialités, car toutes nos affections prendront leur force de la charité de Dieu qui, les conduisant toutes, fera que nous aymerons un chacun des Bienheureux de cet amour eternel dont nous aurons esté aymés de la divine Majesté..

  A010000602 

 Si cela est ainsy, o mon Dieu, quel contentement recevrons-nous en voyant ceux que nous avons si cherement aymés en cette vie! Ouy mesme nous connoistrons les nouveaux Chrestiens qui se convertissent maintenant à nostre sainte foy aux Indes, au Japon et aux antipodes.

  A010000603 

 Ne te resouviens-tu point, diront-ils, d'une telle inspiration que je te donnay en un tel temps, en lisant un tel livre, en entendant un tel sermon, ou bien en regardant une telle image? dira le bon Ange de sainte Marie Egyptiaque, inspiration qui t'incita à te convertir à Nostre Seigneur et qui fut le principe de ta predestination.

  A010000603 

 O Dieu, quelle consolation recevrons-nous en cette conversation celeste que nous aurons les uns avec les autres! Là nos bons Anges nous apporteront une joye plus grande qu'il ne se peut dire quand ils se feront reconnoistre à nous, et qu'ils nous representeront si amoureusement le soin qu'ils ont eu de nostre salut durant le cours de nostre vie mortelle; ils nous resouviendront des saintes inspirations qu'ils nous ont apportées, comme un lait sacré qu'ils alloyent puiser dans les mammelles de la divine Bonté, pour nous attirer à la recherche de ces incomparables suavités dont nous serons lors jouissans.

  A010000604 

 Nostre glorieux pere saint Augustin (je me plais à parler de luy car je sçay que le souvenir vous en est fort aggreable) faisoit un jour un souhait de voir Rome triomphante, le glorieux saint Paul preschant et Nostre Seigneur allant parmi le peuple, guerissant les malades et faisant des miracles.

  A010000604 

 O mes cheres ames, quel bonheur à ce Saint de contempler la Hierusalem celeste en son triomphe, le grand Apostre (je ne dis pas grand de corps, car il estoit petit, rnais grand en eloquence et en sainteté) preschant et entonnant ces louanges qu'il donnera eternellement à la [241] divine Majesté en la gloire! Mais quel exces de consolation pour saint Augustin de voir Nostre Seigneur operer le miracle perpetuel de la felicité des Bienheureux que sa mort nous a acquise! Imaginez-vous, de grace, le divin entretien que ces deux Saints auront l'un avec l'autre, saint Paul disant à saint Augustin: Mon cher frere, ne vous resouvenez-vous point qu'en lisant mon Epistre vous fustes touché d'une inspiration qui vous sollicitoit de vous convertir, inspiration que j'avois obtenue de la divine misericorde de nostre bon Dieu par la priere que je faisois pour vous à mesme temps que vous lisiez ce que j'avois escrit? Cela, mes cheres Sœurs, ne causera-t-il pas une douceur admirable au cœur de nostre saint Pere?.

  A010000605 

 Si cela est ainsy, mes cheres ames, quelles consolations recevrons-nous entrant au Ciel, où nous verrons cette benite face de Nostre Dame toute flamboyante de l'amour de Dieu! Et si sainte Elizabeth demeura si transportée d'ayse et de contentement quand, au jour qu'elle la visita, elle luy ouyt entonner ce divin Cantique du Magnificat, combien nos cœurs et nos esprits tressailliront-ils d'une joye indicible lors qu'ils entendront entonner par cette chantre sacrée le cantique de l'amour eternel! O quelle douce melodie! Sans doute nous pasmerons et entrerons en des ravissemens fort aymables, lesquels ne nous osteront pourtant pas l'usage ni les fonctions de nos puissances qui, par ce divin rencontre que nous ferons de la Sainte Vierge, s'habiliteront [242] merveilleusement pour mieux et plus parfaittement louer et glorifier Dieu, qui luy a fait tant de graces et à nous aussi, nous donnant celle de converser familierement avec elle..

  A010000605 

 Supposez que Nostre Dame, sainte Magdeleine, sainte Marthe, saint Estienne et les Apostres fussent veus l'espace d'un an, comme pour un grand jubilé, en Hierusalem: quel d'entre nous autres, je vous supplie, voudroit demeurer icy? Pour moy je pense que nous nous embarquerions tous et nous mettrions au peril de tous les hazards qu'encourent ceux qui vont d'icy là, pour avoir cette grace de voir nostre glorieuse Mere et Maistresse, Magdeleine, Marie Salomé et les autres qui s'y trouveroyent, puisque nos pelerins s'exposent bien à tant de dangers pour aller seulement reverer les lieux où ces saintes personnes ont posé leurs pieds.

  A010000606 

 C'est cet unique bien que la divine amante du Cantique des Cantiques demandoit à son Bien-Aymé, observant en cela, comme estant tres prudente, le dire du Sage, qu'il faut penser à la fin premier qu'à l'œuvre.

  A010000606 

 Ce bayser, ainsy que je declareray tantost, n'est autre chose que la felicité des Bienheureux.

  A010000606 

 Hé, ne l'apprenons-nous pas en la Transfiguration, où il ne se parle de rien tant que de l'exces qu'il devoit souffrir en Hierusalem? exces qui n'estoit autre, comme nous l'avons ja veu, que sa douloureuse mort.

  A010000606 

 Mais, me pourriez-vous demander, s'il est ainsy que vous dites que nous nous entretiendrons avec tous ceux qui sont en la Hierusalem celeste, qu'est-ce que nous dirons? De quoy parlerons-nous? Quel sera le sujet de nostre entretien? O Dieu, mes cheres Soeurs, quel sujet! Celuy des misericordes que le Seigneur nous a faites icy bas, par lesquelles il nous a rendus capables d'entrer en la jouissance d'un bonheur tel que seul il nous suffit.

  A010000606 

 O si nous pouvions comprendre quelque chose de la consolation que les Bienheureux ont en parlant de cette amoureuse mort, combien nos ames se delecteroyent d'y penser!.

  A010000607 

 C'est icy sans doute que nostre felicité prendra un accroissement indicible et inenarrable.

  A010000607 

 Le Prophete, parlant en la personne de Nostre Seigneur, nous dit: Quand il arriveroit que la mere oublieroit l'enfant qu'elle porte en ses entrailles, si ne t'oublieray-je point, car j'ay gravé ton nom en mes mains.

  A010000607 

 Mais Jesus Christ luy mesme encherissant sur ces paroles dira: S'il se pouvoit faire que l a femme oubliast son enfant, si ne t'oublieray-je pas, d'autant que je porte ton nom gravé en mon cœur..

  A010000607 

 Passons plus outre, je vous prie, et disons un peu quelques mots de l'honneur et de la grace que nous aurons de converser mesme avec Nostre Seigneur humanisé.

  A010000607 

 Que ferons-nous, cheres ames, que deviendrons-nous, je vous prie, quand à travers la playe sacrée de son costé nous appercevrons ce [243] cœur tres adorable et tres aymable de nostre Maistre, tout ardent de l'amour qu'il nous porte, cœur auquel nous verrons tous nos noms escrits en lettres d'amour? Est-il possible, dirons-nous, o mon cher Sauveur, que vous m'ayez tant aymé que d'avoir gravé mon nom en vostre cœur! Cela est pourtant veritable.

  A010000608 

 Certes, ce sera un sujet de tres grande consolation que celuy cy, que nous soyons si cherement aymés de Nostre Seigneur qu'il nous porte tousjours en son cœur.

  A010000608 

 Ces veuës, ces regards, ces considerations particulieres que nous irons faisant sur cet amour sacré, duquel nous aurons esté si cherement et si ardemment aymés par nostre souverain Maistre, enflammeront nos cœurs d'une dilection et d'une ardeur nompareilles.

  A010000608 

 Que ne devrions-nous donques pas faire ou souffrir pour jouir de ces suavités indiciblement aggreables! Cette verité nous est monstrée en l'Evangile d'aujourd'huy; car ne voyez-vous pas que Nostre Seigneur estant transfiguré, Moyse et Elie luy parlent et s'entretiennent tout familierement avec luy?.

  A010000609 

 Nous ouyrons aussi, en contreschange, le Pere eternel prononcer d'une voix esclattante et avec une harmonie incomparable ces divines paroles que les Apostres entendirent au jour de la Transfiguration: Celuy cy est mon Fils bien aymè auquel je me suis compleu, et le Pere et le Fils parlant ensemble du Saint Esprit: C'est icy nostre Esprit, procedant de l'un et de l'autre, dans lequel nous avons mis tout nostre amour..

  A010000610 

 Cela n'est rien, mes cheres ames, en comparaison de la suavité qu'apportera quant et soy ce mot ou ce nom saint et sacré que le Seigneur fera entendre à l'ame bienheureuse.

  A010000610 

 Et quel sera-t-il ce divin entretien? Oh, quel il sera! Il sera tel qu' il n'est pas loysible à l'homme de le rapporter; ce sera un devis si secret que nul ne le pourra entendre que Dieu et celuy avec lequel il se fera.

  A010000610 

 Representez-vous tous ceux qui se peuvent prononcer pour attendrir un cœur et les noms les plus affectionnés qui se puissent ouyr, et puis dites en fin que ce n'est rien au prix de celuy que Dieu donnera à un chacun là haut au Ciel.

  A010000611 

 C'est pourquoy ceux cy recevront une felicité et un contentement singulier à parler de cette glorieuse Redemption, par le moyen de laquelle ils auront esté faits semblables aux Anges, ainsy que nostre divin Maistre l'a dit..

  A010000611 

 Ce sera alhors que Dieu donnera à la divine amante ce bayser qu'elle a si ardemment demandé et souhaitté, ainsy que nous disions tantost.

  A010000611 

 Et poursuivant elle adjoustera: Meilleur est sans nulle comparaison le lait qui coule de ses cheres mammelles que non pas tous les vins les plus delicieux, et le reste.

  A010000611 

 Quelles divines extases, quels embrassemens amoureux entre la souveraine Majesté et cette chere amante quand Dieu luy donnera ce bayser de paix! Cela sera pourtant ainsy, et non pas avec une amante seule, ains avec un chacun des citoyens celestes, entre lesquels se fera un entretien admirablement aggreable des souffrances, des peines et des tourmens que Nostre Seigneur a endurés pour un chacun de nous durant le cours de sa vie mortelle, entretien qui leur causera une consolation telle que les Anges, au dire de saint Bernard, n'en sont pas capables; car si bien Nostre Seigneur est leur Sauveur et qu'ils ayent esté sauvés par sa mort, il n'est pourtant pas leur Redempteur, d'autant qu'il ne les a pas rachetés, ains seulement les hommes.

  A010000612 

 O que cette asseurance augmentera nostre consolation! Marchons donques gayement et joyeusement, cheres ames, parmi les difficultés de cette vie passagere; embrassons à bras ouverts toutes les mortifications et afflictions que nous rencontrerons en nostre chemin, puisque nous sommes asseurés que ces peines prendront fin et qu'elles se termineront avec nostre vie, apres laquelle il n'y aura que joyes, que contentemens et consolations eternelles.

  A010000612 

 Or, si nous avons en cette vie tant de suavité à ouyr parler de ce que nous aymons que nous ne pouvons nous en taire, quelle joye, quelle jubilation recevrons-nous d'entendre eternellement chanter les louanges de la divine Majesté que nous devons aymer et que nous aymerons plus qu'il ne se peut comprendre en cette vie! Si nous prenons [246] tant de playsir en la seule imagination de la perdurable felicité, combien en aurons-nous davantage en la jouissance de cette mesme felicité! felicité et gloire qui n'aura jamais de fin, ains qui durera eternellement sans que jamais nous en puissions estre rejettés.

  A010000617 

 J'avois pensé de faire en ce jour un proeme, une comparaison, une similitude touchant ce qui se passa en la vie du mauvais riche et celle de Judas, du Lazare et de saint Mathias, d'autant que je trouve un grand rapport entre la vocation, le progres et declination du mauvais riche et de Judas, et entre la vocation, progres et fin du Lazare et de saint Mathias.

  A010000618 

 Dieu la donne tousjours suffisante à quiconque la veut recevoir; cecy est une chose toute claire, tous les theologiens en sont d'accord, et le Concile de Trente a declaré que jamais la grace ne nous manque, mais que c'est nous qui manquons à la grace, ne la voulant recevoir ou luy donner nostre consentement.

  A010000618 

 Les damnés seront contraints de confesser, comme l'escrit saint Denis l'Areopagite, que c'est par leur faute et non par celle de la grace qu'ils ont esté precipités et condamnés aux flammes eternelles, parce qu'ils ont manqué à la grace et non point parce qu'elle leur a manqué; ce qu'ils connoistront fort clairement, et cette connoissance accroistra de beaucoup leurs tourmens..

  A010000618 

 Nous y trouverons aussi dequoy condamner ceux qui censurent et parlent injustement contre la Providence divine, et ne veulent adorer ni approuver les effects et evenemens d'icelle touchant l'election des bons et la reprobation des mauvais; car lors qu'on voit l'ejection de ceux cy, la prudence humaine se met à la recherche des motifs et raysons de leurs cheutes, et au lieu de regarder la douce Providence de Dieu, elle se jette sur le defaut de la grace et dit: Si ce [248] pecheur en eust receu autant que le juste il ne fust pas tombé en tel defaut.

  A010000618 

 Or, telles sortes de gens auroyent quelque rayson s'ils disoyent seulement que la grace n'est pas offerte aux pecheurs comme aux justes; mais s'ils passoyent plus outre à fin de s'enquerir pourquoy les premiers ne reçoivent pas cette grace comme les seconds, certes, ils seroyent contraints de confesser que ce n'est pas le defaut de la grace qui est cause de leur perte, car jamais elle ne manque.

  A010000619 

 Or, si c'est tousjours l'homme qui manque à la grace et que jamais la grace ne nous manque, si l'on voit en toutes sortes d'estats, de conditions et de vocations un si grand nombre de reprouvés et peu d'esleus, qui s'asseurera et vivra sans apprehension de perdre cette grace ou de luy refuser son consentement? qui ne craindra de descheoir en ne rendant pas à Dieu le service qui luy est deu, chacun selon son devoir et obligation, puisque si bien nous voyons un Lazare et un saint Mathias au nombre des esleus, nous trouvons ce riche de l'Evangile et Judas parmi les reprouvés? Mais quoy, le mauvais riche n'estoit-il pas appellé à une mesme vocation que le Lazare, et Judas à la mesme que saint Mathias? Ouy, sans doute, cecy est tout clair en l'Evangile; car le mauvais riche estoit Juif, puisqu'il appelle Abraham pere: Pere Abraham, luy dit-il, le priant de luy envoyer le Lazare.

  A010000620 

 C'est pourquoy, quand le Lazare ne l'eust pas servi, il n'auroit pas esté si condamnable que le mauvais riche; il l'auroit esté, sans doute, mais beaucoup moins que luy.

  A010000620 

 Ce n'est pas que celuy cy n'y fust aussi tenu, mais d'autant que le riche avoit esté favorisé de beaucoup plus de biens que non pas l'autre, il avoit par consequent plus de devoir de servir son Seigneur.

  A010000620 

 Neanmoins nous voyons en l'Evangile du jour que de ces deux hommes esgalement appellés de Dieu, celuy qui a le plus receu et qui est le plus obligé de le servir ne le sert point, ains vit et meurt miserablement, tandis que le pauvre Lazare le sert avec fidelité et meurt heureusement.

  A010000620 

 Nous voyons donques que ce riche estoit appellé de Dieu aussi bien que le Lazare, et qu'il avoit encores plus d'obligation que luy d'observer les divins commandemens.

  A010000622 

 Nostre Seigneur parlant de Judas le nomme fils de perdition, ce que saint Paul dit aussi de l'Antichrist.

  A010000622 

 Qui dit enfant de consolation veut signifier de la plus grande consolation ou de tres grande consolation; fils de joye s'entend de la plus grande joye ou de tres grande joye: de mesme Judas estant tombé dans cette iniquité que de vendre son Seigneur et Maistre, est dit fils ou enfant de perdition, c'est à sçavoir de la plus grande ou tres grande perdition, telle que celle des diables, car il estoit pire qu'un diable; aussi brusle-t-il avec eux dans les flammes eternelles.

  A010000622 

 Tous nos anciens Peres monstrent la pesanteur et gravité de ce peché; mais quoy que l'on en exagere la grandeur, si est-ce que l'on n'atteindra jamais à declarer quelle est son enormité.

  A010000624 

 Certes, c'est une chose espouvantable que la cheute de Salomon.

  A010000624 

 D'autres ont peu parler avec plus de ferveur ou d'eloquence, mais quant à la sagesse, tant pour les choses transitoires que pour les spirituelles, il les a tous surpassés.

  A010000624 

 Luy, le plus sage de tous les hommes, à qui Dieu avoit si amplement donné son Esprit, sa sapience et la connoissance de toutes choses, luy qui penetroit jusques au centre de la terre, traittant si hautement de tout ce qui s'y trouve, et qui montoit jusques au cedre du Liban, luy qui parloit avec tant de sagesse non seulement des choses corporelles et materielles mais encores des spirituelles! Ce qui se voit en cet admirable Livre de l'Ecclesiaste et en celuy de ses Proverbes qui sont tout remplis de sentences pleines d'une sapience telle que nous voyons clairement que personne n'en a jamais esté doué comme Salomon.

  A010000625 

 Job, comme dit saint Gregoire, demeurant juste entre les meschans avoit receu une grande grace de Dieu, car pour l'ordinaire l'on est tel que ceux avec qui l'on converse; partant il avoit grand sujet de louer le Seigneur de ce qu'il le maintenoit dans le bien parmi les impies.

  A010000625 

 Qui donques ne tremblera? Y aura-t-il societé, Religion, Institut, Congregation ou maniere de vivre qui se puisse asseurer et dire exempte de crainte et apprehension de tomber dans les precipices du peché? Et quelle compagnie, assemblée ou vocation trouvera-t-on qui soit exempte de peril? O Dieu, nulle que ce soit.

  A010000625 

 Tenez-vous bien à l'arbre de vostre profession chacun selon vostre vocation; mais ne laissez pas de cheminer craintifs et comme à taston tout le temps de vostre vie, de peur que voulant marcher avec trop [252] d'asseurance et de hardiesse vous ne tombiez dans les ruines du peché.

  A010000626 

 Chose estrange que dans l'Eglise triomphante (non pas triomphante pour lors, mais angelique), parmi des esprits si purs, doués d'une si noble et excellente nature, parmi une si sainte compagnie où il n'y avoit aucune occasion de peril, sans tentation ni suggestion des esprits malins, car il n'y en avoit point encores, il y ayt eu un si petit nombre d'Anges qui ayent perseveré, et que la troisiesme partie se soit revoltée contre Dieu et ayt esté precipitée dans les enfers! Chose espouvantable aussi que Judas, qui avoit esté appellé du Sauveur mesme à l'apostolat, ayt commis un si execrable peché et une si estrange trahison que de vendre son Maistre au temps qu'il alloit en sa compagnie, qu'il oyoit sa parole et qu'il voyoit les œuvres merveilleuses [253] qu'il faisoit! Ce sont des exemples qui doivent faire trembler toutes sortes de personnes, de quel estat, condition ou vocation qu'elles soyent..

  A010000626 

 Or, ce bienfait de la perseverance est tres grand, d'autant que quand on vient à manquer à la grace en telle maniere de vie les cheutes en sont plus graves et perilleuses, comme ont esté celle des Anges dans le Ciel, celle d'Adam dans le Paradis terrestre et de Judas au college de Nostre Seigneur.

  A010000627 

 C'est à telles sortes de gens que le Prophete dit à l'oreille: O fols que vous estes, croyez-vous que le monde ne soit fait que pour vous? Comme s'il disoit: O miserables, que faites-vous? Pensez-vous tousjours demeurer en la terre, ou n'y estre que pour amasser des biens temporels? O certes, vous n'estes point creés pour cela..

  A010000627 

 Pour bien entendre cecy il faut que vous sçachiez qu'il y a deux sortes d'avarice: l'une est temporelle, et c'est celle par laquelle on a une avidité d'acquerir les biens, les honneurs et commodités de cette vie; d'où vient que l'on en voit tant dans le monde qui ne pensent et semblent n'avoir autre chose à faire icy bas qu'à amasser des richesses et à mettre mayson sur mayson, pré sur pré, champ sur champ, vigne sur vigne, tresor sur tresor.

  A010000628 

 Hé quoy, dit la prudence humaine, le ciel, la terre et par consequent tout ce qui se trouve en icelle, n'est-il pas fait pour l'homme, et Dieu ne veut-il pas que nous en usions? Il est vray que Dieu a creé le monde pour l'homme avec intention qu'il usast des biens qu'il trouveroit en iceluy, mais non point à fin qu'il en jouist comme si c'estoit sa fin derniere.

  A010000628 

 Il crea le monde avant que de creer l'homme, car il luy voulut preparer un palais, une mayson et demeure clans laquelle il se peust loger; ensuite il le declara maistre de tout ce qui est en iceluy, luy permettant de s'en servir, mais non pas en telle sorte qu'il n'eust point d'autre pretention, car il l'avoit creé pour une fin plus haute qui est luy mesme.

  A010000629 

 De là vient que tout ce qu'ils font n'est que pour la conservation des choses temporelles, et qu'ils ne font quasi rien pour acquerir la felicité eternelle.

  A010000629 

 S'ils prient, s'ils gardent les commandemens ou prattiquent quelques autres bonnes œuvres c'est de crainte que Dieu ne les chastie par quelque desastre ou infortune, ou à fin qu'il leur conserve leurs maysons, leurs champs, leurs vignes, leur femme, leurs enfans desquels ils veulent jouir, se contentant d'user de Dieu pour ce sujet ou tels autres.

  A010000630 

 Il y en a une autre qui serre et ne veut point quitter pour quoy que ce soit ce qu'elle a. Celle cy est grandement dangereuse et se glisse par tout, mesme clans les Religions et dans les choses spirituelles.

  A010000630 

 On rencontrera des hommes qui ayans femme, enfans et une famille à entretenir, pour laquelle ils auroyent besoin d'acquerir quelques commodités à fin de la subvenir, lesquels neanmoins ne s'en soucient pas, ains mangent et dissipent toute leur substance, demeurant toute leur vie pauvres, chetifs et miserables; mais ils sont tellement avaricieux de leur liberté, qui est leur tresor, leur richesse et la plus noble piece qu'ils ayent, ils la tiennent si ferme et de si pres que pour rien au monde ils ne la veulent perdre, quitter ni assujettir, ains en veulent jouir pour vivre selon leurs fantasies et se vautrer en toutes sortes de playsirs et voluptés.

  A010000631 

 Ainsy il s'adonna à l'estude parce que son souverain Maistre l'avoit placé en un endroit où il luy estoit loysible de ce faire; de sorte qu'en apprenant il acquiesça à la divine volonté..

  A010000631 

 Ce desir luy estoit si cher qu'il ne trouvoit rien de si difficile à quitter pour Dieu, car il se fust plus aysement desfait et eust plus volontiers cedé tous les biens et playsirs du monde, s'il les eust eus, que cette passion de s'instruire.

  A010000631 

 Il sembloit quasi que Dieu la luy laissast comme la derniere et principale piece de son renoncement; neanmoins il se contenta de la resolution que saint Gregoire avoit de tout abandonner pour luy, le mettant en un lieu où il pouvoit estudier et quitter son desir sans le quitter.

  A010000631 

 Il y a mesme des ames spirituelles qui possedent ce qu'elles ont avec tant d'attache et qui prennent tant de playsir à voir et regarder ce qu'elles font, qu'elles commettent une espece d'idolatrie, se faisant autant d'idoles que d'actions, lesquelles elles adorent.

  A010000631 

 Saint Gregoire Nazianzene dit qu'il delaissa facilement les biens et honneurs de cette vie, en sorte qu'il n'avoit point d'ambition ni de tentation pour acquerir toutes ces choses; mais il luy restoit un si grand desir de sçavoir et estudier que toutes les richesses ne luy estoyent rien au prix de cette envie qu'il avoit d'apprendre les lettres.

  A010000633 

 Or, ce ineschant homme Judas (pour ne parler que de luy et laisser à part le mauvais riche) estoit grandement avaricieux et cupide d'amasser de l'argent, mais non pas seulement ce qui estoit requis pour l'entretenement de Nostre Seigneur et de ses Apostres, car il leur failloit peu de chose, d'autant que le Sauveur establissoit son apostolat sur la pauvreté et qu'il devoit envoyer ses disciples apres luy prescher son Evangile avec commandement de ne porter ni bourse, ni besace, ni baston, ni bourdon, et de n'user d'aucune prevision pour le lendemain, ains de se confier en leur Pere celeste qui les nourriroit par sa providence.

  A010000634 

 Aussi, recherchoit-il tousjours d'amasser argent sur argent, non point pour subvenir à l'entretien de la famille dont il avoit le soin, mais pour satisfaire à son avarice et cupidité; si que, d'Apostre qu'il estoit, il devint diable et vendit son Maistre pour avoir quelques deniers..

  A010000634 

 C'est ce que remarque le grand saint Bernard faisant un mot d'advertissement à [257] un Pontife: Nostre Seigneur, souverain Pontife et Chef du college apostolique, dit-il, ne s'occupoit jamais des biens et commodités permises ou de ce qui estoit requis pour son apostolat; partant il failloit qu'il eust un econome general qui prist soin des affaires, et ce fut Judas.

  A010000634 

 Cependant, comme ils ne devoyent estre envoyés qu'apres avoir receu le Saint Esprit et qu'ils vivoyent tous ensemble avec Nostre Seigneur, il leur permettoit bien d'avoir quelques petites choses à leur usage pour subvenir à la journaliere necessité, mais non point de les posseder en particulier, ains vouloit que l'un d'eux portast la bourse et eust soin de la depense; car luy, qui estoit le modele de toute perfection et sainteté, ne se mesloit point de cela; o non, il n'y vouloit point penser, ni manier les deniers avec ses divines mains.

  A010000635 

 Le Sauveur mesme le tesmoigne en la cene, parlant de luy, quoy que courtement: Un d'entre vous me trahira.

  A010000635 

 Mais il est tout certain que Judas est convaincu de la plus grande perfidie et trahison qui se puisse imaginer et qu'il n'est nullement excusable.

  A010000635 

 Tous les saints Peres, comme j'ay dit, exagerent grandement cette faute, quoy que quelques uns disent que Judas ne pensoit point, en vendant Nostre Seigneur, le livrer à la mort; car bien que les Juifs l'achetassent pour le faire mourir, si est-ce, disent-ils, que ce miserable croyoit qu'il opereroit quelque miracle pour se delivrer de leurs mains.

  A010000636 

 Et pourquoy? Parce que l'avarice est tout à fait contraire à la profession religieuse..

  A010000636 

 Or, estre avaricieux en la vie religieuse et apostolique c'est estre comme Judas, et c'est la plus grande tare qui se puisse trouver en un ecclesiastique et en un Religieux, tout ainsy que la plus grande tare qui sçauroit se rencontrer en un soldat c'est d'estre poltron: aussi ne souffrira-t-il jamais qu'on l'appelle de la sorte.

  A010000636 

 Si on taxe les riches du monde d'estre avaricieux ils ne s'en mettent pas beaucoup en peine; mais de voir l'avarice dans l'apostolat et d'accuser un Religieux de ce vice, cela est un tres grand blasme, car c'est vendre Nostre Seigneur que d'estre avare en la Religion.

  A010000636 

 Si vous [258] dites qu'il est larron il ne s'en pique pas; si qu'il est desbauché il ne s'en soucie point et ne fait que s'en rire; mais si vous dites qu'il est poltron il s'en offensera et ne l'endurera pas, sçachant bien que c'est la plus grande injure qu'on luy puisse faire, d'autant que la poltronnerie est tout à fait contraire à sa profession.

  A010000637 

 C'est une chose tres difficile de declarer quels sont les commencemens de la cheute des pecheurs; il est neanmoins tres asseuré, comme disent les theologiens, que ce n'est pas que la grace leur ayt manqué, ains ce sont eux qui ont manqué à la grace; mais de sçavoir comme ils ont commencé à luy manquer, c'est bien difficile..

  A010000638 

 Advertissemens qui nous doivent faire vivre en grande crainte et humilité en quel lieu et estat que nous soyons, et dresser souvent nos cœurs vers la divine Bonté pour invoquer son secours, faisant le plus d'eslans de nos esprits en Dieu que nous pourrons, souspirant apres luy par frequentes prieres et oraisons..

  A010000638 

 Aussi le Saint Esprit donne ces advertissemens: Que [259] celuy qui est debout prenne garde de ne point tomber.

  A010000638 

 O Dieu, que c'est une chose redoutable que le peché, pour petit et leger qu'il puisse estre! C'est ce qui faisoit dire à ce grand saint Bernard: Marchez tousjours et gardez de vous arrester; allez tousjours plus avant, car il est impossible de demeurer en un mesme estat en cette vie; celuy qui n'avance pas, il faut de necessité qu'il recule.

  A010000638 

 Quelques anciens Peres disent que cela peut arriver pour avoir rejetté un advertissement, une inspiration; car quoy que ce rejet ne soit qu'un peché veniel qui ne nous oste pas la grace, neanmoins il en empesche le cours, la ferveur s'amoindrit, on s'affoiblit contre les vices; si qu'aujourd'huy que vous manquez à la grace luy refusant vostre consentement et commettant ce peché veniel, vous vous disposez à en commettre bien tost un autre, et par la multitude des veniels à tomber petit à petit dans les mortels, et par iceux à perdre la grace.

  A010000638 

 Tiens ce que tu as.

  A010000639 

 Hé bien, la grace de Dieu vous manque-t-elle pour mortifier cette inclination que vous avez à rire? Mettez la main bien avant dans le cœur où sont ces passions de la joye, de la tristesse, de la vanité ou de la colere, travaillez avec le secours de Dieu, et vous les rangerez toutes à la rayson.

  A010000639 

 Il est vray que nous avons tous des inclinations au mal: les uns sont portés à la colere, les autres à la tristesse, d'autres à l'envie, d'autres à la vanité et vaine gloire, d'autres à l'avarice; et si nous vivons selon telles ou semblables inclinations nous sommes perdus.

  A010000639 

 Mais la grace ne va-t-elle pas au dessus de la nature? Saint Paul avoit un naturel aspre, rude et revesche; neanmoins la grace de Dieu le renversa, et se saisissant de ce naturel revesche, elle le rendit d'autant plus ferme au bien qu'il entreprit, et si courageux et invincible en toutes sortes de peines et de travaux que rien ne peut esbranler son courage, de maniere qu'il devint un grand Apostre, tel que nous l'honnorons à present.

  A010000639 

 Une autre dira: Et moy je suis si joyeuse que je ris à tout propos.

  A010000640 

 De là nous pouvons conclure que la mort entra par ses yeux et que cecy fut la cause de sa cheute, car par les yeux entre la convoitise, et avec icelle toutes sortes de maux.

  A010000640 

 Mais, mon Dieu, je pense que je passeray l'heure..

  A010000642 

 Cecy est fort propre à confondre les huguenots qui disent que l'apostolat a manqué quand les Apostres sont morts; ce qui est tres faux, car encores qu'ils soyent morts, l'apostolat ne l'est pas, puisque de mesme que saint Pierre et tous les autres Apostres et disciples estans assemblés en choisirent un pour succeder à Judas, celuy là pouvoit aussi en choisir un autre, et cet autre un autre, et ainsy consecutivement; de sorte que l'apostolat a passé jusqu'à nous et durera jusques à la fin du monde.

  A010000642 

 D'où nous devons tirer cet advertissement, de travailler soigneusement à bien garder nos vocations, de peur que venant à descheoir, un autre ne soit mis en nostre place.

  A010000642 

 Il y a un grand danger que delaissant la place que vous aviez en la Religion, vous ne perdiez par consequent celle qui vous estoit preparée au Ciel, et que, comme Judas, vous ne l'ayez dans les enfers.

  A010000642 

 Nous sommes donques enseignés que bien que Judas quittast l'apostolat, neanmoins l'apostolat ne perit pas pour cela, il demeura tousjours en estre; car le college des Apostres dura non seulement pendant la vie de Nostre Seigneur qui les appella et les receut, mais apres sa mort [261] ils en esleurent un autre pour remplacer le traistre.

  A010000642 

 Pour ce, tenez bien ce que vous avez et gardez qu'une autre ne l'emporte; conservez vostre vocation et prenez garde qu'une autre ne vous l'oste.

  A010000643 

 (Il y auroit plusieurs choses à dire sur le sort, mais [262] je n'en parleray pas icy. Je diray seulement que cela se peut quand les parties sont esgales ou qu'il n'y a pas grande disproportion, comme il n'y en avoit pas entre saint Joseph, car il a esté saint, et saint Mathias.) Le sort estant jetté il tomba sur ce dernier, et il fut Apostre..

  A010000643 

 Comme ils estoyent tous deux d'une singuliere vertu, il y eut un peu de difficulté pour sçavoir lequel on retiendroit, tellement que pour mieux rencontrer ce qui estoit de la volonté de Dieu ils les mirent au sort.

  A010000643 

 Or, les Apostres en choisirent deux: l'un s'appelloit Joseph, surnommé Barsabas, et l'autre Mathias qui n'estoit point autrement surnommé, mais certes, c'estoit un beau nom que le sien.

  A010000644 

 Or, Joseph, qui estoit juste, ne perdit point sa justice encores qu'il ne fust pas retenu pour Apostre, ains sa sainteté luy demeura, pour nous apprendre que Dieu ne choisit pas tousjours les plus saints pour gouverner et avoir des charges en son Eglise.

  A010000644 

 Partant ceux qui y sont appellés ne doivent pas se glorifier et presumer d'eux mesmes, pensant estre meilleurs ou plus parfaits que les autres, et ceux qui ne sont point receus à tels offices ne s'en doivent point troubler, puisque cela ne les empeschera pas d'estre justes et aggreables à Dieu..

  A010000644 

 Quelques uns pensent que les Apostres receurent une inspiration ou une parole interieure qui leur donnoit à entendre que Mathias estoit choisi de Dieu pour Apostre, et qu'alors tous d'une commune voix dirent qu'il le seroit; tout ainsy que lors qu'on fit Evesque saint Ambroise, le peuple estant en grand peine au sujet de cette election, l'on ouyt la voix d'un petit enfant qui dit: Ambroise sera Evesque, et alors tous crierent qu'Ambroise le devoit estre.

  A010000645 

 Mais ces prestres sinagogiques et mosaïques le rejetterent, disant qu'ils ne s'en soucioyent point, que s'il avoit mal fait c'estoit son dam et que pour eux ils n'en avoyent que faire; car en la Loy de Moyse il n'en prenoit pas comme en celle de grace sous laquelle nous sommes; les prestres de ce temps icy ne rejettent pas ainsy les pecheurs quand ils viennent à eux, d'autant qu'il n'y a peché, pour grand et grief qu'il soit, qui ne puisse estre pardonné en cette [263] vie, si on le confesse: cecy est un article de foy.

  A010000656 

 Ces paroles sont des plus remarquables, des plus considerables et qui portent plus de poids que nostre divin Maistre ayt dites; c'est pourquoy les anciens Peres se sont beaucoup arrestés à en tirer des interpretations.

  A010000656 

 La premiere est la concorde que doivent avoir les sujets avec leur roy, demeurans sousmis et obeissans à ses lois.

  A010000656 

 La seconde est l'union qu'il nous faut avoir en nous mesme, au royaume que nous avons en nostre interieur, dont la rayson doit estre la reyne, à laquelle toutes les facultés de nostre esprit, tous nos sens et nostre corps mesme doivent demeurer absolument assujettis; car sans cette obeissance et sousmission nous ne pouvons nous empescher de la desolation et du trouble, [265] non plus que le royaume où les sujets ne sont pas obeissans aux lois du roy..

  A010000657 

 Cette union et concorde nous a esté preschée, recommandée et enseignée tant d'exemple que de parolle, par Nostre Seigneur, mais avec une exageration nompareille et avec des termes admirables; de sorte qu'il semble qu'il se soit oublié de nous recommander l'amour que nous luy devons porter, et à son Pere celeste, pour mieux nous inculquer l'amour et l'union qu'il vouloit que nous eussions les uns avec les autres; il a mesme appellé le commandement de l'amour du prochain son commandement, comme estant le sien le plus cheri.

  A010000657 

 Et cela non sans grand sujet, puisque le bien-aymé du Bien-Aymé, le grand Apostre saint Jean, asseure que quiconque dit qu'il ayme Dieu et n'ayme pas le prochain est menteur; au contraire, celuy qui dit qu'il ayme le prochain et n'ayme pas Dieu contrevient à la verité, car cela ne se peut.

  A010000657 

 Il estoit venu en ce monde pour nous enseigner en Maistre tout divin, et cependant il n'inculque rien tant ni avec des paroles si pregnantes que l'observance de ce commandement de l'amour du prochain.

  A010000657 

 Mais d'autant qu'il faudroit trop de temps pour parler de toutes ces unions, je m'arresteray seulement à la troisiesme, qui est celle que nous devons avoir les uns avec les autres.

  A010000658 

 Mais quelle doit estre cette union et concorde que nous devons avoir par ensemble? Oh, quelle elle doit estre! Telle que si Nostre Seigneur luy mesme ne l'eust expliquée, nul n'eust eu la hardiesse de le faire en mesmes termes qu'il l'a fait.

  A010000658 

 Mon Pere, dit-il en la derniere cene, lors qu'il eut rendu ce tesmoignage incomparable de son amour pour les hommes en instituant le tres saint Sacrement de l'Eucharistie, mon tres cher Pere, je te supplie que tous ceux que tu m'as commis soyent un, comme toy et moy, Pere, sommes un.

  A010000658 

 Qui eust osé, dis-je derechef, faire une telle comparaison, et demander que nous fussions unis comme le Pere, le Fils et le Saint Esprit le sont par ensemble?.

  A010000659 

 Aussi, nous ne devons pas entendre de pouvoir parvenir à l'esgalité de cette union, car il ne se peut, comme le remarquent les anciens Peres; il nous faut contenter d'en approcher au plus pres qu'il nous sera possible, selon la capacité que nous avons.

  A010000659 

 Nostre Seigneur ne nous appelle pas à l'esgalité, ains seulement à la qualité de cette union, c'est à sçavoir, que nous nous devons aymer et estre unis par ensemble le plus purement et le plus parfaitement qu'il se peut..

  A010000660 

 Comme s'il disoit: De mesme que Dieu, nostre Pere tout bon, nous a aymés si cherement qu'il nous a tous adoptés pour ses enfans, ainsy monstrez que vous estes vrayement ses enfans en vous aymant cherement les uns les autres en toute bonté de cœur..

  A010000660 

 Il semble qu'il vouloit nous declarer ce que le Sauveur entendoit quand il prioit son Pere celeste que nous fussions tous un, c'est à dire unis, comme luy et son Pere estoyent un.

  A010000660 

 J'ay pris d'autant plus de playsir à traitter de ce sujet aujourd'huy, que j'ay trouvé que saint Paul nous recommande cet amour du prochain avec des termes admirables dans l'Epistre que nous avons leuë à la sainte Messe, en laquelle il dit escrivant aux Ephesiens: Bien aymés, marchez en la voye de la dilection des uns envers les autres comme enfans tres chers de Dieu; marchez en icelle comme Jesus Christ y a marché, lequel a donné sa propre vie pour nous, s'offrant à Dieu son Pere en holocauste et en hostie d'odeur et de suavité.

  A010000660 

 Nostre Seigneur avoit esté, un peu court en nous enseignant par paroles comme quoy il desiroit que nous pratiquassions [267] cette sainte et tres sacrée union; c'est pourquoy son glorieux Apostre s'estend davantage à nous l'exprimer, nous exhortant à marcher en la voye de la dilection comme enfans tres chers de Dieu.

  A010000660 

 Oh que ces paroles sont aymables et dignes d'estre considerées! Ce sont paroles toutes dorées, par lesquelles ce grand Saint nous fait entendre quelle doit estre nostre concorde et nostre dilection les uns envers les autres.

  A010000661 

 C'est cette image et semblance que nous devons honnorer et aymer en tous les hommes, et non pas autre chose qui soit en eux; car rien n'est aymable en nous de ce qui est de nous, puisque non seulement cela n'embellit pas cette divine ressemblance, ains l'enlaidit, souille et barbouille, en sorte que nous ne sommes presque plus reconnoissables.

  A010000661 

 En quoy il nous monstre qu'il veut que nous marchions d'un pas de geant et non de petit enfant.

  A010000661 

 Mais à fin que nous ne cheminions point d'un pas d'enfant en cette voye de la dilection que Dieu nostre Pere nous a tant recommandée, saint Paul adjouste: Marchez-y comme Nostre Seigneur y a marché, donnant sa vie pour nous, et le reste qui s'ensuit.

  A010000662 

 Mon Dieu, quelle disproportion entre les objets de ces deux amours! et cependant les commandemens sont semblables, en telle sorte que l'un ne peut subsister sans l'autre; il faut necessairement que l'un perisse ou s'accroisse en mesme temps que l'autre descroit ou augmente, ainsy que parle saint Jean..

  A010000662 

 Pourquoy donc Nostre Seigneur a-t-il voulu que nous nous aymassions tant les uns les autres, et pourquoy, demandent la pluspart des saints Peres, a-t-il pris tant de soin de nous inculquer ce precepte comme estant semblable au commandement de l'amour de Dieu? Cecy fait grandement estonner, que l'on dise que ces deux commandemens sont semblables, veu que l'un tend à aymer Dieu, et l'autre la creature: Dieu qui est infini, et la creature qui est finie; Dieu qui est la bonté mesme et duquel tous biens nous arrivent, et l'homme qui est rempli de malice et duquel nous viennent tant de maux; car le commandement de l'amour du prochain contient [268] aussi l'amour des ennemis.

  A010000663 

 Ce que Marc Antoine ayant sceu, et que non seulement ils n'estoyent pas jumeaux, voire qu'ils ne venoyent pas de mesme païs, et qu'ils n'estoyent pas nés sous un mesme roy, il se mit grandement en colere et fut fort courroucé contre celuy qui les luy avoit vendus.

  A010000663 

 Ces deux enfans se ressembloyent tellement et si parfaittement que le maquignon luy fit accroire qu'ils estoyent jumeaux, n'estant pas croyable qu'ils peussent avoir une si parfaitte ressemblance autrement; car estans separés l'un de l'autre l'on ne pouvoit nullement juger quel c'estoit des deux, rareté dont Marc Antoine fit un si grand estat qu'il les acheta fort cherement.

  A010000663 

 Mais les ayant fait conduire chez luy, il trouva que ces deux enfans parloyent un langage tres different, d'autant que Pline raconte que l'un estoit de ces quartiers du Dauphiné et l'autre de l'Asie, lieux si distans l'un de l'autre qu'il ne se peut presque dire.

  A010000663 

 Mais un certain jeune fripon luy ayant representé que la ressemblance de ces esclaves estoit d'autant plus admirable qu'ils estoyent de diverses contrées et qu'ils n'avoyent point d'alliance par ensemble, il demeura tout apaisé et en fit tousjours despuis un si grand estat qu'il eust mieux aymé perdre tous ses biens que ces deux enfans, à cause de la rareté de leur ressemblance..

  A010000663 

 Marc Antoine acheta un jour deux jeunes jouvenceaux que luy presenta un certain maquignon; car en ce temps là, comme il se fait encores en quelques contrées, l'on vendoit les enfans: il y avoit des hommes qui en faisoyent provision et usoyent de ce traffic comme l'on fait des chevaux en nos païs.

  A010000664 

 C'est pourquoy nous devons faire comme Marc Antoine: nous devons acheter ces deux amours, comme jumeaux sortis tous deux des entrailles de la misericorde de nostre bon Dieu, et ce en mesme temps; car dès que Dieu crea l'homme à son image et semblance il ordonna à cet instant mesme qu'il aymeroit Dieu et son prochain aussi..

  A010000664 

 Que veux-je dire par là, sinon que le commandement de l'amour de Dieu et celuy de l'amour du prochain se ressemblent autant que ces deux jouvenceaux dont Pline parle, quoy qu'ils soyent de païs extremement lointains; [269] car quel esloignement y a-t-il, je vous prie, entre l'infini et le fini, entre l'amour divin qui regarde un Dieu immortel et l'amour du prochain qui regarde l'homme mortel, entre l'un qui regarde le Ciel et l'autre, la terre? Cette divine ressemblance est donques d'autant plus admirable.

  A010000665 

 La loy de nature a tousjours appris ces deux preceptes au cœur de tous les hommes; de sorte que si Dieu n'en eust point parlé, tous neanmoins eussent sceu qu'ils estoyent obligés de ce faire.

  A010000665 

 Nous voyons cecy en ce que le Seigneur trouva extremement mauvaise la responce du miserable Caïn, qui eut bien la hardiesse, quand il luy demanda ce qu'il avoit fait de son frere Abel, de dire qu'il n'estoit pas obligé de le garder.

  A010000666 

 Et premierement, pourquoy appelle-t-il ce commandement nouveau, puisqu'il avoit desja esté donné en la Loy de Moyse, et que mesme, comme nous l'avons ja veu, il n'avoit pas esté ignoré en la loy de nature, ains reconneu, voire observé par quelques uns dès la creation de l'homme? Nostre divin Maistre appelle ce commandement nouveau d'autant qu'il [270] le vouloit renouveller; et comme quand on met du vin nouveau en quantité dans un tonneau où il y en a encor un peu de vieux, l'on ne dit pas que tel tonneau contient du vin viel ains du nouveau, parce que la quantité de celuy cy surpasse sans comparaison celle de l'autre, de mesme Nostre Seigneur appelle ce commandement nouveau, d'autant que, si bien il avoit esté donné auparavant, il n'avoit pourtant esté observé que par un fort petit nombre de personnes; si qu'il pouvoit le nommer tout nouveau, parce qu'il vouloit qu'il fust tellement renouvellé que tous s'aymassent les uns les autres..

  A010000666 

 Je vous donne, dit-il parlant à ses Apostres, un commandement nouveau, qui est que vous vous aymiez les uns les autres.

  A010000667 

 Ainsy faisoyent les premiers Chrestiens, qui n'avoyent tous qu' un cœur et qu' une ame, entretenant une telle union par ensemble que jamais on ne voyoit entr'eux nulle division; aussi jouissoyent-ils d'une consolation tres grande par le moyen de leur concorde.

  A010000667 

 Mais cette sainte confusion et divin meslange n'y apportoit nul empeschement, car il ne pouvoit y avoir de division ni de separation; de sorte que le pain petri de tous ces cœurs estoit infiniment aggreable au goust de la divine Majesté..

  A010000667 

 Tout ainsy que de plusieurs grains de froment moulus et petris ensemble on fait un seul pain, pain qui est composé de tous ces grains de blé qui estoyent auparavant separés et qui ne sont plus separables maintenant, de maniere qu'ils ne peuvent plus estre remarqués ni reconneus en particulier, de mesme ces Chrestiens avoyent un amour si fervent les uns pour les autres, que leurs volontés et leurs cœurs estoyent tous saintement confus et pesle meslés.

  A010000668 

 Et comme nous voyons encores que de plusieurs raisins pressurés les uns avec les autres se fait un seul vin, et qu'il n'est plus possible de remarquer quel est le vin sorti d'une telle graine ou d'une telle grappe, ains tout estant pesle meslé ne forme qu'un vin tiré de plusieurs graines de raisins, de mesme ces cœurs des premiers Chrestiens, esquels regnoit la sainte charité et dilection, n'estoyent qu'un vin composé de plusieurs cœurs comme de plusieurs raisins.

  A010000669 

 Il est nouveau aussi parce qu'il semble que le Sauveur l'ayt ressuscité, comme on peut appeller un homme nouveau celuy qui estant mort vient à ressusciter.

  A010000669 

 Le commandement de l'amour du prochain est donques nouveau pour la rayson que nous venons de dire, à sçavoir parce que Nostre Seigneur l'est venu renouveller, tesmoignant qu'il vouloit qu'il fust mieux observé qu'auparavant.

  A010000669 

 Nostre Seigneur le leur redonne donques; partant il veut que, comme une chose nouvelle, comme un commandement nouveau, il soit prattiqué fidellement et fervemment..

  A010000670 

 Aussi, avant de renouveller ce commandement de l'amour du prochain, il nous a aymés et monstré par son exemple comment nous le devions prattiquer à fin que nous ne nous en excusassions point comme si c'estoit une chose impossible; il s'est donné au tres saint Sacrement, puis il nous a dit: Aymez-vous les uns les autres comme je vous ay aymés.

  A010000670 

 Il est nouveau aussi à cause des nouvelles obligations que nous avons de l'observer.

  A010000670 

 Les hommes de l'ancienne Loy sont damnés s'ils n'ont pas aymé le prochain, car ou la loy de nature les y obligeoit ou bien celle de Moyse; mais les Chrestiens qui, apres l'exemple que Nostre Seigneur nous en a laissé, [272] ne s'ayment pas les uns les autres et n'observent ce divin precepte de la charité mutuelle seront damnés d'une damnation incomparablement plus grande..

  A010000670 

 Or, quelles sont ces nouvelles obligations que Jesus Christ a apportées au monde, de nous rendre souples en l'observance de ce divin precepte? Elles sont grandes certes, puisque luy mesme est venu nous l'enseigner non seulement de paroles mais beaucoup plus d'exemple; car ce Maistre divin et tres aymable ne nous a point voulu apprendre à peindre qu'il n'ayt premierement peint devant nous; il ne nous a donné nul precepte qu'il ne l'ayt premierement observé devant que nous le donner.

  A010000671 

 Les hommes d'autrefois, je veux dire ceux qui vivoyent avant la glorieuse Incarnation de nostre cher Sauveur et Maistre, peuvent avoir quelques excuses, car si bien l'on sçavoit desja en ce temps là que Nostre Seigneur, unissant nostre nature humaine à la nature divine, viendroit reparer par sa Mort et Passion l' image et semblance de Dieu imprimée en nous, ce n'estoyent que quelques uns des plus grans, comme les Patriarches et les Prophetes qui avoyent cette connoissance, les autres hommes l'ignoroyent quasi tous.

  A010000671 

 Mais maintenant que nous sçavons non pas qu'il viendra, ains qu'il est venu, et qu'il nous a recommandé tout de nouveau cette sainte dilection les uns envers les autres, combien serons-nous dignes de punition si nous n'ajnrions nostre prochain!.

  A010000672 

 Mais Nostre Seigneur estant venu au monde a tellement relevé nostre nature au dessus de tous les Anges, des Cherubins et de tout ce qui n'est point Dieu, il nous a tellement faits semblables à luy, que nous pouvons dire asseurement que nous ressemblons parfaitement à Dieu, lequel s'estant fait homme a pris nostre [273] semblance et nous a donné la sienne.

  A010000672 

 O combien donques devons-nous relever nos courages pour vivre selon ce que nous sommes, et imiter le plus parfaittement qu'il se peut Celuy qui est venu pour nous enseigner ce que nous devions faire, à fin de conserver en nous cette beauté et divine ressemblance qu'il a si entierement reparée et embellie en nous!.

  A010000672 

 Se faut-il donques estonner si ce Bien-Aymé de nos ames veut que nous nous aymions comme il nous a aymés, puisqu'il nous a tellement restablis en cette parfaitte ressemblance que nous avions avec luy qu'il semble qu'il n'y ayt plus aucune difference? Certes, nul ne peut douter que l'image de Dieu qui estoit en nous avant l'Incarnation du Sauveur ne fust grandement distante de la vraye ressemblance de Celuy que nous representions et duquel nous estions les portraits; car quelle proportion y a-t-il, je vous prie, entre Dieu et la creature? Les couleurs de ce portrait estoyent infiniment blasfardes et decolorées; il n'y avoit simplement que quelques traits, quelques petits lineamens, ainsy que l'on voit en un portrait ou en un tableau qui est seulement esbauché, et où les couleurs n'estans encores posées, on n'y remarque qu'un air bien petit et bien mince de celuy qu'il represente.

  A010000673 

 Or dites-moy donques, l'amour cordial que nous nous devons porter les uns aux autres quel doit-il estre, puisque Nostre Seigneur nous a tous esgalement reparés et faits semblables à luy sans en exclure aucun? On doit neanmoins tousjours se resouvenir qu'il ne faut pas aymer au prochain ce qui est contraire à cette divine ressemblance ou qui peut ternir ce portrait sacré; mais hors de là, ne devrions-nous pas, mes cheres ames, aymer cherement celuy qui nous represente si au vif la personne sacrée de nostre Maistre? N'est-ce pas un des plus pregnans motifs que nous sçaurions avoir pour nous aymer d'un amour extremement ardent? Hé, quand nous voyons nostre prochain ne devrions-nous pas faire comme le bon Raguel quand il vit le jeune Tobie? Celuy-cy, estant allé en Rages par le commandement de son pere, fit rencontre de ce bon homme Raguel, lequel le regardant: Hé, dit-il à sa femme, mon Dieu, que ce jeune homme me represente bien nostre cousin Tobie! Sur quoy il luy demanda d'où il estoit et s'il ne connoissoit point Tobie; à quoy l'Ange qui le conduisoit respondit: Celuy cy à qui vous parlez est son fils; je vous laisse à penser si nous le connoissons! Lors le bon Raguel, tout transporté d'ayse, l'embrassa, et le caressant et baysant fort tendrement: O mon enfant, s'escria-t-il, que tu es fils d'un bon pere et que tu ressembles à un grand homme de bien! Puis il le receut en sa mayson et le traitta merveilleusement bien selon l'affection qu'il portoit à son cousin Tobie..

  A010000674 

 Hé donques, n'en devrions-nous pas faire de mesme quand nous nous rencontrons les uns les autres? Oh, devrions-nous dire à nostre frere, que vous ressemblez à un grand homme de bien, car vous me representez mon [274] Sauveur et mon Maistre! Et sur l'asseurance qu'il nous donne ou que nous nous donnerions les uns aux autres que nous reconnoissons tres bien la ressemblance du Createur et que nous sommes ses enfans, quelles tendres caresses ne devrions-nous pas nous faire! Mais pour mieux dire, combien devrions-nous recevoir amoureusement le prochain, honnorant en luy cette divine ressemblance, renouant tousjours de nouveau ces doux liens de charité qui nous tiennent liés, serrés et conjoints les uns aux autres.

  A010000674 

 Marchons donques en la voye de la dilection comme enfans tres chers de Dieu, ainsy que nous admoneste le saint Apostre en l'Epistre d'aujourd'huy..

  A010000675 

 De ces paroles nous tirons la connoissance du degré auquel doit parvenir nostre amour mutuel et à quelle perfection il doit monter, qui est de donner les uns pour les autres ame pour ame, vie pour vie, bref tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons hors le salut; car Dieu veut que cela seul soit excepté.

  A010000675 

 Nostre Seigneur a donné sa vie pour un chacun de nous, il a donné son ame, il a donné son corps, en fin il n'a rien reservé; partant il ne veut pas que nous reservions rien du tout, hormis le salut eternel..

  A010000676 

 Il faut que nous en fassions de mesme, dit le saint Apostre, c'est à dire que nous fabriquions nostre croix, que nous souffrions les uns des autres comme le Sauveur nous l'a enseigné, que nous donnions nostre vie pour ceux mesmes qui nous la voudroyent oster, comme il fit si amoureusement; que nous l'employions pour le prochain non seulement ès choses aggreables, mais ès [275] plus penibles et desaggreables, telles que de supporter amoureusement ces persecutions qui pourroyent en quelque façon attiedir nostre amour envers nos freres..

  A010000676 

 Nostre divin Maistre nous a donné sa vie non seulement l'employant à guerir les malades, faire des miracles et nous enseigner ce que nous devions faire pour nous sauver ou pour luy estre aggreables; mais il l'a donnée aussi en fabriquant sa croix tout le temps d'icelle, souffrant mille et mille persecutions de ceux mesmes auxquels il faisoit tant de bien et pour lesquels il livroit sa vie.

  A010000677 

 En quoy il nous enseigne que de s'employer, voire jusqu'à donner sa vie pour le prochain, n'est pas tant que de se laisser employer au gré des autres, ou.

  A010000677 

 Et en l'une de ses Epistres, parlant à ses enfans tres chers, il escrit: Je suis prest à donner ma vie pour vous et à m'employer si absolument que je ne veux faire aucune reserve à fin de vous tesmoigner combien je vous ayme cherement et tendrement; ouy mesme je suis prest à laisser faire par vous ou pour vous tout ce que l'on voudra de moy.

  A010000677 

 Je l'ayme tellement, je vous asseure, que j'employerois volontiers ma personne mesme pour luy et en tout ce qu'il desireroit de moy.

  A010000677 

 Oh! si je l'ayme! Je l'ayme tant que je voudrois de bon cœur employer tous mes biens pour luy.

  A010000677 

 Voicy certes un tres bon signe de vostre amour; mais encores faut-il passer plus avant, car il y a un plus haut degré en cet amour, ainsy que nous l'apprend saint Paul lequel disoit: Soyez mes imitateurs comme je le suis de Jesus Christ.

  A010000678 

 Neanmoins il ne resista ni [276] s'excusa de se laisser conduire et tourner à toute main, ainsy que la cruauté suggeroit à ces malheureux; car il regardoit en cela la volonté de son Pere celeste, qui estoit qu'il mourust pour les hommes, volonté à laquelle il se sousmettoit avec un amour incomparablement grand et digne d'estre plustost adoré qu'imaginé ou compris..

  A010000679 

 C'est à ce souverain degré de perfection que les Religieux et Religieuses, et nous autres qui sommes consacrés au service de Dieu, c'est à ce degré de l'amour du prochain, dis-je, que nous sommes appellés et auquel nous devons pretendre de toutes nos forces.

  A010000679 

 Il faut non seulement nous employer pour son bien et sa consolation, ains nous laisser employer pour luy par la tres sainte obeissance tout ainsy que l'on voudra, sans que jamais nous resistions.

  A010000679 

 Mieux vaut tousjours sans comparaison ce que l'on nous fait faire (j'entens ce qui n'est point contraire à Dieu et qui ne l'offense point), que ce que nous faisons ou choisissons de nous mesmes..

  A010000679 

 Quand nous nous employons nous mesmes, ce que nous faisons par le choix de nostre volonté ou par nostre election apporte tousjours beaucoup de satisfaction à nostre amour propre; mais à nous laisser employer ès choses que l'on veut et que nous ne voulons pas, c'est à dire que nous ne choisissons pas, c'est là où gist le souverain degré de l'abnegation que nostre Seigneur et Maistre nous a enseigné en mourant.

  A010000680 

 Il s'est offert en holocauste: ce fut lors qu'estant sur la croix il respandit jusqu'à la derniere goutte de son sang sur la terre, comme pour faire un ciment sacré duquel il devoit et vouloit cimenter, unir, joindre et attacher l'une à l'autre toutes les pierres de son Eglise, qui sont les fidelles, à fin qu'ils fussent tellement unis, que jamais il ne se trouvast aucune division entre eux, tant il craignoit que cette division ne leur causast la desolation eternelle.

  A010000680 

 O combien ce motif est pregnant pour nous inciter à [277] l'amour de ce commandement et à son exacte observance: nous avons esté esgalement arrousés de ce sang pretieux, comme d'un ciment sacré, pour serrer et unir nos cœurs les uns aux autres! O que la bonté de nostre Dieu est grande!.

  A010000681 

 O Bonté incomparable, que vous estes digne d'estre aymée et adorée!.

  A010000681 

 Quelle divine odeur ne respandit-il pas devant la divine Majesté lors qu'il institua le tres saint Sacrement de l'autel, auquel il nous tesmoigna si admirablement la grandeur de son amour! Ce fut un parfum incomparable que cet acte de perfection incomprehensible par lequel il se donna à nous qui estions ses ennemis et qui luy causions la mort, et ce fut alors qu'il nous octroya le moyen de parvenir où il nous desiroit, à sçavoir d'estre faits un avec luy, comme luy et son Pere ne sont qu' un, c'est à dire une mesme chose.

  A010000682 

 Jusqu'où s'est abaissée la grandeur de Dieu pour un chacun de nous et jusqu'où nous veut-il eslever? Nous unir si parfaittement à soy qu'il nous rende une mesme chose avec luy! C'est ce que Nostre Seigneur a voulu, pour nous enseigner que comme nous avons tous esté aymés d'un mesme amour par lequel il nous embrasse tous en ce tres saint Sacrement, aussi veut-il que nous nous aymions de ce mesme amour qui tend à l'union, mais à une union des plus grandes et plus parfaites qu'il se peut dire.

  A010000682 

 Nous sommes tous nourris d'un mesme pain, qui est ce pain celeste de la divine Eucharistie, la manducation duquel s'appellant Communion, nous represente, comme nous avons dit, la commune union que nous devons avoir ensemble, union sans laquelle nous ne meriterons pas de porter le nom d' enfans de Dieu, puisque nous ne luy sommes pas obeissans..

  A010000683 

 Mais entre tous ses preceptes il n'en est point qu'il ayt tant inculqué ni dont il ayt tesmoigné desirer une si exacte observance que celuy de l'amour du prochain; non pas que celuy de l'amour de Dieu ne le precede, mais d'autant que pour la prattique de celuy de l'amour du prochain la nature ayde moins que pour l'autre, il estoit besoin que nous y fussions excités en une façon plus particuliere..

  A010000683 

 Or, nous [278] avons un Pere meilleur que tout autre et duquel toute bonté derive; ses commandemens ne peuvent estre que tres parfaits et salutaires, c'est pourquoy nous le devons imiter le plus parfaittement qu'il se peut, et obeir de mesme à ses divines ordonnances.

  A010000684 

 Aymons-nous donques de toute l'estendue de nos cœurs pour plaire à nostre Pere celeste, mais aymons-nous raysonnablement: c'est à dire, que nostre amour soit conduit par la rayson qui veut que nous aymions plus l'ame du prochain que son corps; puis que nous aymions encores le corps, et ensuite par ordre tout ce qui appartient au prochain, chaque chose selon qu'elle le merite, pour la conservation de cet amour..

  A010000685 

 Aussi son saint Apostre nous l'a-t-il plus particulierement exprimé, ne voulant pas que nous nous amusions à imiter ni les Anges ni les Cherubins en cette prattique tant necessaire, ains Nostre Seigneur mesme qui nous l'a enseignée beaucoup plus par œuvres que par paroles, principalement estant attaché à la croix..

  A010000685 

 Quant à nous autres, nous n'avons pas eu cet honneur, ains ce que nous sçavons nous l'avons appris des Apostres; nous sommes donques comme les vestemens de nostre grand Prestre, nostre Sauveur, sur lesquels neanmoins descoule encores cet onguent pretieux de la tres sainte dilection qu'il nous a tant commandée et recommandée.

  A010000685 

 Que si nous faisons cela, o qu'à bon droit nous pourrons bien chanter, et non certes sans beaucoup de consolation, ce Psalme dont la consideration estoit si suave au grand saint Augustin: Ecce quam bonum! O qu'il fait bon voir les freres habiter ensemble en une sainte union, concorde et paix, car ils sont comme l'onguent pretieux que l'on respandit sur le chef du grand Prestre Aaron, lequel par apres couloit le long de sa barbe et sur ses vestemens.

  A010000686 

 C'est au pied de cette Croix que nous devrions nous tenir continuellement, comme au lieu auquel les imitateurs de nostre souverain Maistre et Sauveur font leur plus ordinaire demeure; car c'est de là qu'ils reçoivent cette liqueur celeste de la sainte dilection qui sort à grans randons, comme une divine source, des entrailles de la divine misericorde de nostre bon Dieu qui nous a aymés d'un amour si fort, si solide, si ardent et si perseverant que la mort mesme ne l'a pas peu attiedir, ains au contraire l'a infiniment rehaussé et aggrandi.

  A010000691 

 Or, cela arriva ainsy: le Sauveur estant entré en cette mayson avant le disner, saint Jean, saint Jacques et saint André, avec son frere saint Pierre, s'adviserent ou accorderent par ensemble, devant que se mettre à table, de luy demander la guerison de cette femme.

  A010000692 

 Plusieurs esprits bigearres en ont tiré qu'il failloit donques qu'en ce temps là saint Pierre ne gardast pas le celibat, et les huguenots ont dit que puisqu'il avoit une belle mere il devoit quant et quant avoir une femme, et partant qu'il estoit pour lors marié; ce qui n'est point, car il n'eust peu suivre Nostre Seigneur s'il eust esté chargé d'une femme..

  A010000692 

 Premierement, l'Evangeliste escrit que Jesus entra en la mayson de Simon, qui estoit le grand Apostre saint Pierre, le premier des Apostres qui avoit suivi nostre cher [281] Maistre avec son frere saint André.

  A010000692 

 Saint Matthieu le tesmoigne clairement en son chapitre huitiesme, et saint Marc indirectement en son chapitre premier, bien qu'en l'Evangile que nous lisons aujourd'huy, saint Luc ne le dise pas, ains seulement que Jesus entrant en la mayson de Simon il guerit sa belle mere qui estoit travaillée des fievres.

  A010000693 

 Aussi verroit-on par là que, bien qu'il n'eust pas tous-jours gardé le celibat, neanmoins il y estoit lors qu'il se mit à la suite du Sauveur, ce qu'il monstra par ces parolles qu'il luy addressa: Nous avons tout quitté pour vous suivre; quelle recompense nous donnerez-vous? Nous avons tout quitté: il ne dit pas en partie, mais tout, sans reserve d'aucune chose; et puisque nous avons tout quitté, quelle sera la recompense que nous recevrons de vous? Or, il n'eust peu parler de la sorte s'il eust eu une femme..

  A010000693 

 Mais si l'on disoit que puisqu'il avoit une belle mere il devoit avoir eu une femme, et par consequent une famille, cecy seroit autre chose et l'on auroit rayson.

  A010000694 

 De là il faut conclure que le Prince des Apostres estoit en celibat et qu'il suivoit d'un cœur entier nostre cher Sauveur..

  A010000694 

 Mais les ecclesiastiques qui se sont tout à fait dediés à Dieu ne doivent point avoir d'autre Seigneur que luy; c'est pourquoy ils se separent de la creature quant à cette union qui se fait avec elle par le mariage, à fin de s'unir plus estroittement [282] avec leur Dieu; car le Sacrement de Mariage est une union de la creature avec la creature, et celuy de l'Ordre ecclesiastique est en quelque façon une desunion de la creature d'avec la creature.

  A010000694 

 Nostre Seigneur ayant choisi saint Pierre pour chef des ecclesiastiques, il estoit convenable qu'il vescust en celibat, d'autant que, comme escrit saint Hierosme, la vierge qui vient à se marier ne peut pas dire qu'elle soit toute à Dieu.

  A010000695 

 Ainsy on dit que Nostre Seigneur entra dans la mayson de saint Pierre, non point que cet Apostre en eust une en ce temps là, mais parce qu'elle avoit esté à luy..

  A010000695 

 O non, car il avoit tout quitté pour suivre son Maistre, et sa mayson, et sa famille, et son art, et tout le soin et pretention que peut avoir un homme.

  A010000695 

 Quant à ce qui est dit que Jesus entra en la mayson de Simon, il ne faut pas entendre que ce glorieux Saint s'en fust reservé une ou qu'il eust encores une famille.

  A010000696 

 Certes, telles gens ne croyent point à cet article du Symbole, puisque c'est une chose tres certaine que, comme nous participons icy bas aux prieres les uns des autres, ces mesmes prieres et bonnes œuvres profitent aux ames du Purgatoire qui en peuvent estre aydées.

  A010000696 

 De plus, elles et nous avons part aux oraisons des Bienheureux qui sont en Paradis; et c'est en cela que consiste cette communion des Saints qui nous est representée en la guerison de nostre malade, [283] qui ne fut point delivrée par ses prieres, mais par celles des Apostres qui prierent pour elle..

  A010000696 

 Pour ce qui est escrit que les Apostres, à sçavoir Pierre, André, Jean et Jacques, s'assemblerent pour demander la guerison de la belle mere de Simon, c'est une chose bien considerable; car cette demande nous represente la communion des Saints par laquelle le corps de l'Eglise est tellement uni que tous ses membres participent au bien de chacun: de là vient que tous les Chrestiens ont part à toutes les prieres et bonnes œuvres qui se font en la sainte Eglise.

  A010000697 

 Lors que Nostre Seigneur commanda à la fievre de la quitter il monstra sa toute puissance, faisant voir qu'il estoit maistre de la maladie comme de la santé et que c'est à luy à qui toutes choses obeissent.

  A010000697 

 Mais il reprint la fievre et se courrouça contre elle en la chassant, comme s'il eust voulu dire: Comment ose-t-elle demeurer au lieu où est le Medecin et la medecine de vie? Que ne s'enfuit-elle en ma presence sans attendre que je luy en fasse le commandement? Il est escrit que Dieu se courrouça contre la mer Rouge de ce qu'elle ne s'estoit pas dessechée; comme si l'on vouloit dire: La volonté de Dieu estant que la mer Rouge fust à sec, il la reprint, l'arguant de ce qu'elle ne s'estoit dessechée avant mesme qu'il le luy eust commandé.

  A010000698 

 Mais j'ay pensé de ne point traitter aujourd'huy de celles là, ains des corporelles dont les Religieux et Religieuses ne sont pas plus exempts que les autres, car ces maladies corporelles vont dans les Religions aussi bien que dans le monde; et puis c'est de celles-cy qu'il est question dans nostre Evangile, et c'est une chose de grande importance de sçavoir comme il en faut bien user.

  A010000698 

 Neanmoins, d'autant que les vertus que prattiqua cette femme sont en tres grand nombre, je ne vous en marqueray que trois sur lesquelles je diray quelque chose.

  A010000698 

 Nous le verrons en nostre febricitante, laquelle prattiqua tant et de si admirables vertus en sa maladie que je pense que l'histoire en devroit estre escritte par toutes les infirmeries des monasteres, à fin de servir d'exemple à tous ceux qui y souffriroyent quelque maladie et leur apprendre à en faire leur proffit.

  A010000698 

 Quant à ce qui est des maladies spirituelles, elles sont en si grand nombre que si j'entreprenois d'en parler je n'aurois jamais fait, d'autant plus qu'elles sont l'exercice de toute l'année; et, bien que les Religieuses soyent exemptes de quelques unes, neanmoins elles ne le sont pas de toutes.

  A010000699 

 Mais avant de passer aux maladies corporelles, il faut que je guerisse, ou du moins que je donne le remede propre à la guerison d'une maladie spirituelle qui se trouve en plusieurs personnes, touchant la consideration des choses qu'on medite.

  A010000699 

 Or, plusieurs esprits bigearres et niais ont fait des heresies sur ces paroles, croyant, voire disant que Melchisedech n'estoit point un homme, qu'il n'avoit pas un vray corps comme nous, et luy ont quant et quant voulu attribuer la divinité, comme s'il eust esté Dieu, ce qui est faux; car, d'apres saint Paul, c'estoit un homme juste et paisible, et n'y a point de difficulté qu'il ne fust semblable aux autres.

  A010000700 

 La premiere est de se servir des considerations pieuses dressées par plusieurs qui ont eu la conduite des ames, lesquels ont fait de belles conceptions tant sur la vie et mort de Nostre Seigneur que sur les autres mysteres de nostre foy, conceptions dont on peut user en la meditation.

  A010000701 

 C'est donques une imagination que nos peintres ont fait qui n'est non plus veritable que celle par laquelle quelques uns peignent le bon larron attaché à la croix avec des doux, ce qu'ils ne veulent pas faire du mauvais, comme s'il ne le meritoit pas; et telles autres suppositions sur la Sainte Escriture, lesquelles sont heteroclites et dangereuses et dont il faut user sobrement; de mesme de ce qu'on pretend des trois Maries..

  A010000701 

 En cette façon de mediter il se faut beaucoup servir [285] de l'imagination et ratiocination, c'est à dire se representer diverses choses selon l'Evangile ou le mystere que l'on medite, comme ont fait plusieurs que l'on peut pieusement croire.

  A010000702 

 Puisque ces saints et grans personnages les ont faites, qui n'osera s'en servir, et qui refusera de penser ou croire pieusement ce que pieusement ils ont creu? O certes, il faut aller asseurement apres des personnages de telle authorité.

  A010000702 

 Voyla quant à cette premiere façon de mediter, qui est bonne et que je ne desapprouve nullement, car plusieurs grans et saints personnages l'ont prattiquée et la pratiquent encores; aussi est-elle excellente quand on s'en sert comme ils l'ont fait..

  A010000703 

 C'est en cette sorte, pour revenir à nostre exemple, que saint Paul parle de Melchisedech quand il escrit qu'il estoit sans pere, sans mere, sans genealogie, sans commencement et sans fin.

  A010000703 

 Mais quand il dit que Melchisedech estoit sans pere et sans genealogie, il ne veut pas signifier qu'il n'eust eu un pere et une mere comme les autres hommes, car il nasquit comme eux, et partant il avoit une genealogie.

  A010000703 

 Or, cette façon icy est plus haute et meilleure que la premiere, et si, elle est plus simple et plus asseurée.

  A010000704 

 C'est en cette façon que je veux traitter de nostre febricitante, me tenant à la lettre du Texte sacré.

  A010000704 

 Certes, cette femme est admirable en la façon qu'elle porta sa maladie corporelle, et je trouve en l'Evangile que nous lisons aujourd'huy à la Messe qu'elle prattiqua un grand [287] nombre de vertus; mais celle que j'ay plus admirée c'est cette grande remise qu'elle fait d'elle mesme à la providence de Dieu et aux soins de ses superieurs.

  A010000704 

 Chacun sçait toutefois combien grand est le mal de l'inquietude, et nos delicats en rendent tesmoignage; quand ils n'ont pas dormi leurs neuf heures ils ne font que se plaindre: Hé, disent-ils, nous avons esté tout inquietés.

  A010000704 

 Comme elle est tranquille et paisible! Voyez-vous, elle avoit une grande fievre qui la retenoit dans le lit et la travailloit grandement, d'autant que c'est le propre de cette maladie; neanmoins elle demeure sans aucune inquietude et sans en donner à ceux qui estoyent aupres d'elle; car l'Evangeliste n'en fait aucune mention, ains dit seulement qu'elle estoit dans son lit avec la fievre.

  A010000704 

 L'inquietude est un mal dont pour l'ordinaire les febricitans sont grandement agités; il les empesche de reposer et fait qu'ils s'ennuyent et qu'ils ne trouvent playsir à quoy que ce soit; il faut remuer le ciel et la terre pour les soulager, et tout cela ne leur sert de rien..

  A010000705 

 O Dieu, qu'elle estoit heureuse cette bonne femme, et qu'elle meritoit bien que l'on prinst soin d'elle, comme firent saint Pierre et saint André et ces deux autres Apostres, Jean et Jacques, lesquels procurerent sa guerison; ils prouveurent à ce qui luy estoit necessaire sans estre sollicités par cette malade, qui ne leur en parla point, ains poussés par la charité et commiseration de ce qu'elle enduroit.

  A010000705 

 Que les malades qui sont parmi le monde seroyent heureux s'ils se laissoyent gouverner par ceux qui ont charge d'eux, et les Religieux et Religieuses s'ils faisoyent cette grande remise de nostre febricitante entre les mains de leurs Superieurs!.

  A010000706 

 Cette charité est plus forte et presse de plus pres que la nature, elle n'espargne rien; c'est donc pur ce motif que les Superieurs et Superieures des Religions pourvoyent aux necessités de ceux qu'ils ont en charge.

  A010000706 

 Que si un pere ayant malade un fils qu'il n'ayme point ne laisse de le faire traitter selon son besoin, poussé d'une compassion naturelle, que n'attendrons-nous des Superieurs qui nous servent par une vraye charité?.

  A010000707 

 Elle ne luy demande pas d'approcher du lit où elle estoit gisante et de mettre la main sur elle; elle ne s'empresse aucunement pour toucher ses vestemens ni la frange de sa robe, comme ont fait plusieurs autres, ainsy que nous le voyons en l'Evangile.

  A010000707 

 La belle mere de saint Pierre sçavoit que Nostre Seigneur estoit en Capharnaum et qu'il guerissoit plusieurs malades; pourtant elle ne se met point en inquietude pour luy envoyer dire ce qu'elle souffre ni pour le prier de venir chez elle.

  A010000707 

 La pluspart sont allés au Sauveur pour estre gueris des maladies qu'ils avoyent au corps, et non point pour celles qu'ils avoyent en l'ame; il n'y a que la Magdeleyne, cette grande Sainte, qui soit venue à luy pour faire traitter son cœur et recevoir la guerison de ses infirmités spirituelles, ce qu'elle fit en une façon admirable lors qu'elle estoit encores en la fleur de son aage..

  A010000708 

 O Dieu, combien y eut-il de malades en Capharnaum qui, sçachant que Nostre Seigneur, souverain Medecin, estoit là, tesmoignerent un tres grand empressement et avidité pour faire connoistre leur estat à celuy qu'ils sçavoyent les pouvoir guerir.

  A010000708 

 Que ne fit pas la Chananée, combien ne cria-t-elle pas apres nostre cher Maistre et comme ne persevera-t-elle pas à l'importuner pour obtenir ce qu'elle demandoit? Comme ne cria-t-elle pas apres les Apostres à ce qu'ils le priassent pour elle, ou que du moins, voyant son importunité, ils fussent meus à ce faire? Et quelles instances ne fit pas le prince de la Synagogue pour induire Nostre Seigneur à descendre en sa mayson? En somme, tous tesmoignerent beaucoup d'inquietude et de desir de leur guerison..

  A010000709 

 Ce qui monstre que les moines de ce temps là n'usoyent point de vin ni de viande, comme estans contraires à la pauvreté evangelique..

  A010000709 

 Mais encores en ce temps cy, que ne feroyent pas nos malades s'ils sçavoyent qu'il y eust un homme de grande experience, pour le prier de les visiter et de remedier à leurs maux? Avec quelle impatience n'attendroyent-ils pas sa venue? O certes, cette inquietude ne procede que d'un amour desreglé de soy mesme, maladie à laquelle sont sujets non seulement les gens du monde, mais aussi ceux qui vivent en Religion.

  A010000709 

 Or, en cette famille, ils se trouvoyent presque tous malades, et je le crois bien, car ils estoyent nombreux et tous de diverses nations; peut estre aussi estoyent-ils en mauvais air, ou que celuy de Rome estoit pour lors corrompu, ce qui leur causoit plusieurs infirmités.

  A010000709 

 S'ils sont malades en sorte qu'il soit necessaire de prendre aucune chose pour leur soulagement, ils pourront se servir de quelques herbes, comme de bourrache ou autre, que sçay-je moy? Et si la maladie estoit grande on leur pourroit bailler un peu de vin.

  A010000710 

 Cecy est bien considerable; car si ce saint Pere leur eust mandé qu'il leur parloit selon son sentiment, il n'eust pas esté si austere; mais non: Je ne vous parle point, asseure-t-il, selon mon sentiment, «mais en ce que je vous dis, il me semble que j'ay l'Esprit de Dieu.».

  A010000710 

 Saint Bernard paroist bien austere en cecy, mais il l'est encores davantage en ce qu'il leur escrit par apres en la mesme epistre: Que s'il vous semble que je sois trop rigoureux, je vous diray qu'en ce que je vous dis, j'ay l'Esprit de Dieu et que c'est avec iceluy que je vous parle.

  A010000711 

 Ailleurs il respond à l'objection de ceux qui luy pouvoyent repliquer que l'Apostre saint Paul, qui avoit pourtant l'Esprit de Dieu, commandoit à son disciple Timothée de boire du vin quand il luy escrivoit en cette sorte: Mon cher fils et tres aymé frere, nous vous ordonnons de laisser de boire de l'eau et de vous servir d'un peu de vin pour fortifier vostre estomach qui est affoibli par l'eau que vous avez beu.

  A010000711 

 Nous voyons par cecy que ce [291] grand Saint ne beuvoit que de l'eau avant ce temps là, comme saint Bernard le depose aussi de ses Religieux, desquels il asseure qu'ils ne prenoyent point de vin sinon en cas de necessité, et alors ils en usoyent par forme de remede, tout ainsy que saint Paul l'ordonnoit à son cher disciple.

  A010000711 

 O certes, les Religieux et Religieuses de saint Bernard, non plus que les autres, ne sont plus comme ils estoyent alors.

  A010000711 

 Si vous m'objectez, dit saint Bernard, que l'Apostre enjoignit l'usage du vin à Timothée, je vous respondray qu'il sçavoit bien que Timothée estoit Timothée; «donnez-moy donc un Timothée en ce temps cy, et nous luy permettrons» le vin, voire nous luy en ordonnerons l'usage, et non seulement du vin, mais encores «de l'or potable» s'il en est besoin.

  A010000712 

 Elle sçavoit bien que Dieu n'estoit point ni la premiere, ni la seconde, ni la troisiesme cause de sa maladie, car il ne l'est en façon quelconque, d'autant que n'estant pas la cause du peché, aussi ne l'est-il pas de la maladie.

  A010000712 

 Il est vray aussi que l'on est bien plus tendre et douillet qu'autrefois; et ce seroit encor peu si l'on usoit seulement des medecines et des medecins selon que nos Superieurs l'ordonnent.

  A010000712 

 Il est vray que ces choses ne sont pas si rares en nostre aage qu'elles l'estoyent pour lors; car il n'y avoit que fort peu de medecins et quelquefois un seul en toute une province, de sorte que quand on le vouloit trouver ou consulter il failloit courir de costé et d'autre, ce qui ne se pouvoit faire sans grans frais: l'on n'en pouvoit avoir un à moins de cent escus.

  A010000712 

 Mais comme il permet le peché, il envoye les infirmités pour nous chastier et purifier d'iceluy; alors il se faut sousmettre à sa justice et à sa misericorde, et nous tenir dans un humble silence qui nous fasse tranquillement embrasser les evenemens de sa providence, comme faisoit David, lequel disoit dans ses afflictions: J'ay souffert et me suis teu, parce que je sçay que c'est vous qui me les avez envoyées pour me chastier et me purger de mon iniquité..

  A010000712 

 Mais il n'en prend pas ainsy en ce temps; car outre que les drogues sont à meilleur prix, les medecins ne sont point non plus si rares; de là vient qu'on les employe plus facilement, si que pour le moindre mal il faut se medicamenter et courir à la haste pour appeller le medecin.

  A010000712 

 Mais l'on ne se contente pas de cela, ains on veut se gouverner selon sa fantasie: on a tant de soin de soy! On s'inquiete et s'empresse à rechercher des moyens pour sa guerison, on voudroit volontiers sçavoir tout ce qui nous est propre ou non, connoistre tous les remedes du monde pour s'en servir, et pretendroit-on que chacun s'y employast.

  A010000713 

 Elle n'estoit pas semblable à plusieurs personnes de ce temps, lesquelles si elles ont la migraine ou la colique il faut que chacun en soit empesché et que tout le voysinage en soit instruit, autrement elles ne sont pas contentes; ni à ceux qui pour le moindre mal veulent estre retirés à part dans une infirmerie à fin que chacun les plaigne et souffle sur iceluy; ni à ceux qui courent au medecin pour la plus petite incommodité qu'ils ressentent.

  A010000713 

 Elle ne dit donques mot, elle ne fait aucun compte de sa maladie, elle ne s'attendrit point à la raconter, elle souffre sans se soucier qu'on la plaigne ou qu'on procure sa guerison; elle se contente que Dieu le sçache et ses superieurs qui la gouvernent.

  A010000713 

 Or, comme vous me l'avez envoyée, aussi me la pouvez-vous oster sans que je vous le demande; vous sçavez bien mieux que moy ce qu'il me faut, je n'ay point besoin de m'en mettre en peine; il me suffit que vous me regardiez et que vous sçachiez que je suis malade dans mon lit.

  A010000714 

 Elle tesmoigne par là qu'elle est autant contente de l'une que de l'autre, et qu'elle ne veut point estre quitte de sa fievre que lors qu'il plaira à son Dieu.

  A010000714 

 Oh, si c'eust esté une de nos dames de ce temps cy, combien eust-elle usé de finesse pour estre guerie! Elle eust bien dit qu'elle ne demandoit la santé que pour mieux servir Nostre Seigneur, ou du moins qu'elle supporteroit d'estre malade en un autre temps; mais à cette heure là qu'il estoit en sa mayson elle ne s'y pouvoit resoudre, car estant au lit elle ne le pouvoit bien traitter; et telles autres finesses que nostre febricitante n'employa aucunement..

  A010000715 

 C'est assez qu'il le sçache et qu'il nous voye en nostre infirmité; il le faut laisser faire, et, sans nous mettre en devoir de pourvoir à ce qui est requis pour nostre guerison, nous abandonner à nos Superieurs et leur en laisser le soin, ne nous meslant d'autre chose que de bien porter nostre mal tant qu'il plaira à Dieu.

  A010000715 

 Il ne suffit pas d'estre malade parce que telle est la volonté de Dieu, mais il le faut estre comme il le veut, quand il le veut et autant et comme il luy plaist, nous remettant, pour la santé, à ce qu'il en ordonnera, sans luy rien demander.

  A010000717 

 Sa douceur et sa resignation furent grandes en ce [294] qu'elle ne mena aucun bruit de son mal ni ne le tesmoigna par ses paroles, car elle ne dit point au Sauveur ni à ceux qui la gouvernoyent, qu'elle desiroit plus la santé que la maladie.

  A010000718 

 Certes, il est bon de recourir à Dieu, mais pour l'ordinaire cela se fait avec tant d'imperfection que c'est pitié; l'on en a mesme veu commettre de notables pour ce sujet par des grans personnages, comme il arriva à un Roy de France: c'estoit Louys unziesme.

  A010000718 

 Il y a des personnes qui voudroyent, quand elles sont malades, employer tout le monde, si elles pouvoyent, pour estre gueries, et envoyent de costé et d'autre à ce que l'on prie Dieu de les delivrer de ces maladies corporelles.

  A010000718 

 Oyant un jour la Messe qui se disoit pour luy en l'eglise de Saint Germain, comme le bon abbé qui celebroit fut arrivé à l'oraison en laquelle il recommandoit l'ame et la santé spirituelle du Roy, ce prince fit promptement sortir l'un de ses pages pour l'advertir de recommander sa santé corporelle, disant que pour celle de l'ame l'on y penseroit puis apres.

  A010000720 

 Certes, elle monstra une grande vertu et le profit qu'elle avoit fait de sa maladie; car comme elle l'avoit soufferte avec tant de resignation pour Nostre Seigneur, si tost qu'elle en est quitte, elle ne veut user de sa santé que pour le service d'iceluy.

  A010000720 

 Elle n'estoit point de ces femmes tendres et delicates qui ayans eu une maladie de quelques jours il leur faut les semaines et les moys pour les refaire, à fin que ceux qui n'ont pas appris qu'elles estoyent malades le sçachent en ce temps qu'elles prennent pour se remettre, et que par ce moyen ils ayent encores le loysir de les plaindre.

  A010000721 

 Imaginez-vous aussi ce que faisoyent de leur costé les Apostres qui avoyent veu ce miracle, et apprenez comment on se doit comporter aux maladies corporelles et le profit que l'on en doit tirer..

  A010000722 

 Le premier degré de cette pauvreté, dit saint Bonaventure, c'est de n'avoir point de demeure et de mayson qui nous soit propre et selon nostre goust; le second, de ne point avoir de vestement et de nourriture asseurée au temps de la santé; le troisiesme, c'est, estant malade, de ne sçavoir où se retirer, de n'avoir point de giste pour se loger, point de viandes pour subvenir à la necessité, ni aucunes qui soyent à nostre gré, en un mot, d'estre delaissé et abandonné de tout secours à la fin de nostre vie, et parmi cela, de ne rien demander pour nostre soulagement ni rien refuser, lors mesme que ce qui nous seroit donné ne nous aggreeroit pas..

  A010000722 

 Ne rien refuser ni des viandes, ni des medecines, ni d'aucun [296] traittement que l'on nous fasse, car c'est en cela que consiste la pauvreté evangelique.

  A010000723 

 Ce que considerant, la bienheureuse Sœur Marie de l'Incarnation estimoit son bonheur si grand qu'elle disoit qu'elle desireroit mourir comme ce Bienheureux, desnuée de tout appuy humain, voire mesme divin, se contentant de la grace ordinaire que Dieu donne à toutes ses creatures.

  A010000723 

 Je veux parler du bienheureux François Xavier, que l'on est sur le point de canonizer pour sa grande sainteté de vie, lequel à l'heure de la mort ne trouva ni mayson, ni viandes propres à se sustenter, car il mourut pres de la Chine, en un pauvre lieu, abandonné de tout secours humain; et au milieu de tout cela, le cœur de ce grand serviteur de Dieu se fondoit de joye de se voir reduit en tel estat.

  A010000739 

 L'histoire que la tres sainte Eglise nous represente en l'Evangile d'aujourd'huy est un tableau dans lequel sont depeints mille beaux sujets propres à nous faire admirer et louer la divine Majesté; mais ce tableau nous represente sur tout la providence admirable, tant generale que particuliere, que Dieu a pour les hommes, et nommement pour ceux qui l'ayment et qui vivent selon ses volontés dans le Christianisme..

  A010000740 

 Or, entre ceux cy il se trouve encores quelques troupes, comme nous voyons en nostre Evangile, qui meritent que Nostre Seigneur ayt d'eux un soin plus special: ce sont ceux qui pretendent parvenir à la perfection et lesquels, pour ce faire, ne se contentent pas de le suivre en la plaine [298] des consolations, ains ont le courage de le suivre encores parmi les deserts jusques sur la cime de cette haute montagne.

  A010000740 

 Plusieurs virent le Sauveur tandis qu'il alloit instruisant et guerissant les hommes, et ne le suivirent pourtant pas; d'autres le voyant le suivirent, mais seulement jusqu'au pied de la montagne, se contentant de l'accompagner en la plaine et ès lieux aggreables et faciles; mais plus heureux mille fois ceux qui le virent et le suivirent non pas seulement jusqu'au pied de la montagne, ains transportés de l'amour qu'ils luy portoyent, monterent avec luy, despourveus de tout autre soin que de luy plaire, car ils meriterent que la divine Bonté prinst soin d'eux, et de leur faire mesme un festin miraculeux de peur qu'ils ne vinssent à defaillir de faim..

  A010000741 

 Ce que nous deduirons sera aussi plus utile pour le lieu où nous sommes..

  A010000741 

 Il sembloit en effect que plusieurs deussent tomber en defaillance, ayant suivi nostre cher Maistre trois jours et trois nuits sans boire et sans manger, pour l'extreme suavité qu'ils recevoyent d'ouyr ses divines paroles; et encores que leurs necessités fussent tres grandes, si n'y pensoyent-ils point.

  A010000741 

 Je le dresse donc sur la confiance que ceux qui pretendent à la perfection doivent avoir en la Providence pour ce qui regarde les necessités spirituelles, d'autant que j'ay parlé d'autres fois, je pense en ce mesme lieu, de cette providence generale que Dieu a pour tous les hommes, et de la confiance que nous devons avoir en luy pour les choses temporelles.

  A010000741 

 O que ces troupes estoyent aymables en cette prattique si parfaite du delaissement total d'elles mesmes entre les bras de la divine Providence! N'ayons pas peur que Dieu leur manque, car il en prendra soin et en aura compassion, ainsy que nous verrons tantost en la suite de nostre discours.

  A010000742 

 Ceux cy ont une plus grande capacité que les autres pour bien entendre la parole de Dieu et estre attirés par la douceur de ses suavités.

  A010000742 

 Je dispose ce que j'ay à dire en trois ou quatre points, au premier desquels je considere la bonté de ce peuple qui accompagnoit Nostre Seigneur sans aucun soin ni pensée sur eux mesmes, laissant leurs maysons et tout ce qu'ils avoyent, attirés de l'affection et du contentement qu'ils prenoyent d'ouyr sa parole.

  A010000742 

 O que c'est une bonne [299] marque à un Chrestien de se plaire à entendre la parole de Dieu et de quitter tout pour le suivre! On peut sans doute pretendre et parvenir à la perfection en demeurant au monde et faisant soigneusement ce qu'on doit faire selon sa vocation; mais pourtant c'est une chose tres certaine que le Sauveur n'exerce pas envers ceux-là une providence si speciale, ni n'en a pas une sollicitude si particuliere comme de ceux qui abandonnent encores tout le soin d'eux mesmes pour le suivre plus parfaitement.

  A010000742 

 Tandis que nous avons soin de nous mesmes, je dis un soin plein d'inquietude, Nostre Seigneur nous laisse faire; mais quand nous le luy laissons il le prend tout à fait, et à mesure que nostre despouillement est grand ou petit sa providence l'est de mesme envers nous..

  A010000743 

 Je ne dis pas tant cecy pour ce qui est des choses temporelles comme pour les spirituelles; luy mesme l'enseigna à sa bien aymée sainte Catherine de Sienne: «Pense en moy,» luy dit-il, «et je penseray en toy.» O qu'heureuses sont les ames qui sont si amoureuses de Nostre Seigneur que de bien suivre cette regle de penser en luy, se tenant fidellement en sa presence, escoutant ce qu'il nous dit continuellement au fond du cœur, obeissant à ses divins traits et attraits, mouvemens et inspirations, respirant et aspirant sans cesse au desir de luy plaire et d'estre sousmises à sa tres sainte volonté; pourveu toutefois que cela ne soit point sans cette divine confiance en sa toute bonté et en sa providence, car il nous faut tousjours demeurer tranquilles, et non point troublés ni pleins d'anxieté apres la recherche de la perfection que nous entreprenons..

  A010000744 

 Ayez patience, peut-on dire à ces bonnes gens, quittez un peu le soin de vous mesme et n'ayez pas peur que rien vous manque; car si vous vous confiez en Dieu il aura soin de vous et de tout ce qui sera requis à vostre perfection.

  A010000744 

 O mon Dieu, ils sont si viste cassés et recreus dès qu'ils ont un peu travaillé! Il ne leur semble jamais de parvenir assez tost à ce festin delicieux que Nostre Seigneur doit faire là haut, sur la cime de la montagne de la perfection.

  A010000745 

 Hé, ne voyez-vous pas que les oyseaux, lesquels ne moissonnent ni ne recueillent, et qui ne servent à rien qu'à recreer l'homme par leur chant, ne laissent pas pourtant d'estre nourris et sustentés par l'ordre de cette divine providence? Vous sçavez que l'on tient de deux sortes d'animaux dans les maysons: les uns pour l'utilité, et les autres pour le simple playsir que l'on en tire.

  A010000746 

 C'est pourquoy il a ordonné que nous fussions sustentés et nourris par le moyen des dismes qui se recueillent sans sollicitude; je veux dire nous autres qui, estans consacrés à son service, sommes les oyseaux propres à recreer sa divine Bonté par le [301] moyen de nostre chant et des continuelles louanges que nous luy donnons.

  A010000746 

 Les Religieux et les Religieuses que sont-ils autre chose sinon des oyseaux en cage pour repeter sans cesse les louanges de Dieu? Nous pouvons dire que tous les exercices de la Religion sont autant de cantiques nouveaux qui nous annoncent les divines misericordes, et qui nous provoquent continuellement à magnifier la divine Majesté en reconnoissance de la speciale et toute particuliere providence qu'elle a eue pour nous, nous ayant retirés d'entre le reste des hommes pour plus aysement et tranquillement suivre le Sauveur sur la montagne de la perfection..

  A010000747 

 Mais en verité nous pouvons bien dire ce qui est dans le saint Evangile: Plusieurs sont appelles, mais peu sont esleus; plusieurs aspirent à la perfection, mais peu y parviennent, d'autant qu'ils ne marchent pas comme il faudroit, ardemment mais tranquillement, soigneusement mais confidemment, c'est à dire, plus appuyés sur la divine Bonté et sur sa providence que non pas sur eux mesmes et sur leurs œuvres.

  A010000748 

 Dieu fera plustost des miracles que de laisser sans secours, tant spirituel que temporel, ceux qui se confient pleinement en sa divine providence; mais neanmoins il veut que nous fassions de nostre costé ce qui est en nous, c'est à dire il veut que nous nous servions des moyens ordinaires pour nous perfectionner, [302] au defaut desquels il ne manquera jamais de nous secourir.

  A010000748 

 Mais au contraire, mettez Elie pres du torrent de Carith ou bien dans le desert de Bersabèe, et vous verrez que là Dieu le sustente, en un lieu par l'entremise des Anges, et en l'autre par celle d'un corbeau qui luy apporte tous les jours des pains et de la chair pour son entretien..

  A010000748 

 Tandis que nous avons nos Regles, nos Constitutions, des personnes qui nous disent ce que nous devons faire, n'attendons pas que Dieu fasse des miracles pour nous conduire à la perfection, car il ne le fera pas.

  A010000749 

 Il en eut une pitié extreme parce que, pour son amour, ils s'estoyent oubliés eux mesmes, de sorte qu'ils ne portoyent quant et eux nulle provision, excepté le petit Martial qui avoit les cinq pains d'orge et les deux poissons.

  A010000749 

 Il semble que le Sauveur, tout amoureux des cœurs de ces bonnes gens, qui estoyent environ cinq mille, disoit à part luy: Vous n'avez nul soin de vous, mais je le prendray moy mesme.

  A010000750 

 Nous ne devons pas entendre que Dieu nous tente pour nous porter au mal, car cela ne se peut, ains il tente les hommes et ses serviteurs les mieux aymés pour esprouver leur fidelité et l'amour qu'ils luy portent, à fin de leur faire accomplir quelques œuvres grandes et [303] esclattantes, comme il fit à Abraham quand il luy commanda de luy sacrifier son fils tant aymable Isaac.

  A010000751 

 Cecy nous represente merveilleusement bien certaines ames qui n'attendent pas que Nostre Seigneur les plaigne, ains le font soigneusement elles mesmes.

  A010000751 

 De mesme en est-il des tribulations purement spirituelles, qui sont ces degousts, aridités, secheresses, aversions et repugnances au bien que les ames les plus adonnées au service de Dieu ressentent fort souvent.

  A010000751 

 En fin l'exercice de la vertu m'est si difficile que je ne sçay plus que faire; je suis affligée plus qu'il ne se peut dire, et n'ay pas assez de paroles propres pour exprimer l'incomparable peine que je souffre..

  A010000751 

 Les passions m'inquietent grandement, je ne puis rien souffrir sans repugnance interieure, tout m'est extremement pesant; j'ay un si grand desir d'acquerir l'humilité, et cependant je sens une si grande aversion à estre humiliée; je n'ay point cette tranquillité interieure qui est si aymable, d'autant que les continuelles distractions m'importunent fort.

  A010000751 

 Les peines, les douleurs qu'un chacun a sont tousjours les plus grandes: ces pauvres femmes qui ont perdu leur mari estiment tousjours leur affliction plus griefve que celle de toutes les autres.

  A010000752 

 Chose estrange que de l'esprit humain: cela n'est rien! Et que voudriez-vous donques de plus? que Dieu vous envoyast un Ange pour vous consoler? O il ne le fera pas; vous n'avez pas cneores jeusné trois jours et trois nuits pour le suivre sur la montagne de la perfection, pour à laquelle parvenir il faut que vous vous oubliiez vous mesme, laissant à Dieu le soin de vous consoler ainsy que bon luy semblera, ne vous mettant en peine ni en soucy d'autre chose que d'aller apres luy en escoutant sa parole comme ce bon peuple..

  A010000752 

 Il est bien vray, dit saint André à Nostre Seigneur, qu' il y a icy un jeune enfant qui porte cinq pains d'orge et deux poissons; mais qu'est-ce que cela pour [304] tant de gens? Helas! disent ces pauvres ames attendries sur elles mesmes, mon affliction est telle que deux cens escus de consolations ne me suffiroyent pas.

  A010000752 

 Nous avons bien de bons livres spirituels, nous avons des predication nous avons du temps pour vaquer à l'oraison, voire mesme il me vient bien de bonnes affections; mais il n'est-ce que cela? Ce n'est rien.

  A010000753 

 Grand cas, que Dieu ayme tant l'humilité qu'il nous tente quelquefois non pour nous faire faire le mal, ains pour nous apprendre par nostre propre experience quels nous sommes, permettant que nous disions ou fassions quelque grande folie ou aucune chose qui nous donne matiere de nous abaisser.

  A010000753 

 Or, ces plaintes et ces tendretés que nous avons sur nous mesme, ces doleances, ces difficultés à la poursuite du bien commencé, qu'est-ce autre chose qu'un sujet vrayement digne de nous humilier et reconnoistre pour foibles et encores enfans en ce qui est de la vertu et de la perfection? Oh! il ne faut pas tant se regarder soy mesme, ains il faut penser en Dieu et le laisser penser en nous..

  A010000754 

 L'humilité sans generosité n'est qu'une tromperie et lascheté de cœur qui nous fait penser que nous ne sommes bons à rien et que l'on ne [305] doit jamais penser à nous employer à quelque grande chose; au contraire, la generosité sans humilité n'est que presomption.

  A010000754 

 Nous devons bien nous tenir en humilité à cause de nos imperfections, mais il faut que cette humilité soit le fondement d'une grande generosité, car l'une sans l'autre degenere en imperfection.

  A010000754 

 Nous pouvons bien dire: Il est vray que je n'ay nulle vertu, ni moins les conditions propres pour estre employé à telle ou telle charge; mais apres il nous faut tellement mettre nostre confiance en Dieu que nous devons croire que quand il sera necessaire que nous les ayons et qu'il se voudra servir de nous, il ne manquera pas de nous les donner, pourveu que nous nous laissions nous mesme pour nous occuper fidellement à louer et procurer que nostre prochain loue sa divine Majesté, et que sa gloire soit augmentée le plus que nous pourrons..

  A010000755 

 Nostre Seigneur, nonobstant que saint Philippe et saint André affirmassent que ce n'estoit rien des cinq pains et des deux poissons pour cette multitude, ne laissa pas de dire qu'on les luy apportast, et commanda à ses Apostres de faire asseoir le peuple.

  A010000756 

 Mais l'Evangeliste saint Marc, en l'histoire qu'il rapporte d'un autre miracle presque tout semblable à celuy cy, miracle qui n'est pas neanmoins le mesme, d'autant qu'il y avoit sept pains, ainsy qu'il le tesmoigne, et saint Jean escrit qu'il n'y en avoit que cinq en celuy de ce jour, saint Marc donc dit expressement que tous mangerent des sept pains et des deux poissons.

  A010000757 

 A la resurrection, comme se pourra-t-il faire qu'un chacun ressuscite en son mesme corps, puisque les uns [306] auront esté mangés par les vers, les autres par les bestes farouches, qui par les oyseaux, d'autres en fin auront esté bruslés et leurs cendres jettées au vent? Comme donques se pourra-t-il faire qu'en mesme temps que l'Ange appellera un chacun pour venir au jugement, tous, dis-je, en ce mesme instant, sans aucun delay, se releveront ressuscités en leur propre chair; raov, en ce corps que je porte à cette heure, lequel ressuscitera par la toute puissance de Dieu qui le produira de nouveau? car comme il ne luy a pas esté difficile de le produire tel qu'il est, il ne le sera pas davantage de le reproduire derechef..

  A010000758 

 Ainsy Nostre Seigneur fit que les cinq mille hommes mangerent tous des cinq pains et des deux poissons, les reproduisant autant de fois qu'il estoit requis pour que chacun en eust une partie selon sa necessité.

  A010000758 

 Tandis que nous avons du pain Dieu ne fait pas des prodiges pour nous nourrir..

  A010000759 

 Cela nous signifie que les mondains, qui sont figurés par les Israelites, lesquels pretendoyent voirement bien d'acquerir et parvenir en la terre de promission terrestre, les mondains, dis-je, et [307] ceux qui vivent dans le monde mais qui desirent le Ciel, ne laissent pas pourtant de s'aggrandir en la terre, et de rechercher encores au delà de la necessité leurs commodités et leurs ayses icy bas.

  A010000759 

 Je considere en troisiesme lieu que Nostre Seigneur pouvant faire tomber la manne sur cette montagne, comme autrefois au desert pour les enfans d'Israël, il ne le fit neanmoins pas, ains dressa son festin avec des pains d'orge.

  A010000759 

 Mais ceux qui pretendent de suivre Nostre Seigneur jusques sur la montagne de la perfection se doivent contenter de la suffisance en tout ce qui regarde les necessités tant corporelles que spirituelles, fuyant l'abondance et la superfluité en toutes choses, demeurant contens en la simple suffisance, voire mesme en estant privés du necessaire quand il plaist à Dieu que cela arrive..

  A010000759 

 Mon Dieu, qu'est-ce que cecy nous represente? Les Israëlites murmurateurs sont sustentés du pain des Anges, c'est à dire de cette manne qui estoit petrie par leurs mains; et ceux qui suivoyent Nostre Seigneur avec une affection nompareille et un cœur tout benin et despouillé du soin d'eux mesmes ne sont nourris avec luy que de pain d'orge.

  A010000760 

 Mieux vaut un morceau de pain d'orge de la main de Nostre Seigneur que la manne de celle d'un Ange.

  A010000760 

 Plus honnorées mille fois sont ces pauvres troupes mangeant un morceau de pain d'orge à la table de nostre doux Sauveur, que d'estre nourries de perles et des viandes les plus exquises du monde à celle de cette miserable Cleopatra..

  A010000760 

 Quant à moy je vous diray ma pensée sur la question que je m'en vay vous faire: à sçavoir mon, lequel vous aymeriez mieux, ou d'estre nourries d'un peu de pain cuit sous la cendre avec le Prophete Elie dans le desert de Bersabée, ou bien avec le mesme Prophete, des pains et de la chair qu'il reçoit du bec d' un corbeau pres du torrent de Carith? Je ne puis sçavoir vostre pensée, mais quant à moy je vous diray bien franchement que j'aymerois mieux de la main de l'Ange le pain cuit sous la cendre, que non pas le pain, pour blanc qu'il fust, ni de la chair m'estant apportés au bec d' un corbeau, qui est un oyseau infect et puant.

  A010000761 

 De mesme il ne veut pas que les Religieux retournent dans le monde pour rechercher de la consolation à fin d'entretenir leurs esprits, d'autant que c'est par son inspiration qu'ils sont venus en Religion; ains il veut les nourrir là dans ces deserts non de Bersabée mais de sa divine Majesté..

  A010000761 

 Les vrays amis de Dieu et ceux qui le suivent fidellement par tout où il va, poussés de l'amour ardent qu'ils portent à sa divine Majesté, et, pour dire en un mot, les Religieux et les Religieuses, qui ont fait profession de l'accompagner par les chemins les plus difficiles et aspres jusques sur la montagne de la perfection, doivent à l'imitation de ce peuple, n'avoir plus qu'un pied en la terre, tenant toute leur ame avec toutes ses puissances et ses facultés occupée aux choses celestes, laissant tout le soin d'eux mesmes à Nostre Seigneur au service duquel ils se [308] sont dediés et consacrés; partant ils ne doivent rechercher ni desirer autre chose que simplement ce qui est necessaire, et tout particulierement pour ce qui regarde les besoins spirituels; car quant aux temporels cela est tout clair, puisqu'ils ont abandonné le monde et toutes les commodités qu'ils avoyent d'y vivre selon leur volonté.

  A010000762 

 Il est vray que bien souvent ce n'est pas avec de la manne, qui avoit le goust qu'un chacun pouvoit desirer, mais avec un morceau de pain cuit sous la cendre ou bien avec un morceau de pain d'orge.

  A010000762 

 Je veux dire ainsy: Nostre Seigneur veut que ces ames choisies pour le service de sa divine Majesté se nourrissent aucunefois d'une resolution ferme et invariable de perseverer à le suivre parmi les degousts, les secheresses, les repugnances et les aspretés de la vie spirituelle, sans consolations, sans saveurs, sans tendretés, mais en une tres profonde humilité, croyant de n'estre pas dignes d'autre chose, prenant ainsy amoureusement ce pain non de la main d'un Ange ains de celle du Sauveur, qui nous le donne conformement à nostre necessité; car c'est une chose certaine que, si bien il n'est pas grandement savoureux au goust, il est neanmoins grandement proffitable à nostre santé spirituelle..

  A010000763 

 Il ne le voulut donques point changer, ains se servit de cette [309] provision pour faire son miracle à fin de nous apprendre que tandis que nous avons quelque chose il veut que nous le luy presentions, et que, s'il a à faire quelque miracle pour nous, ce soit en cela mesme que nous avons.

  A010000763 

 Nostre Seigneur donna du pain d'orge parce que ce fut du pain d'orge que le petit Martial portoit.

  A010000763 

 Par exemple, si nous avons des bons desirs ou des bons documens, et que nous n'ayons pourtant pas assez de force pour les prattiquer et mettre en effect, presentons-les-luy et il les rendra capables d'estre digerés; si nous mettons nostre confiance en sa Bonté il reproduira ces desirs autant de fois qu'il sera necessaire pour nous faire perseverer en son service..

  A010000764 

 Helas, il est vray, car il n'y a rien de si foible et changeant que nous sommes.

  A010000764 

 Là nous ne pourrons jamais manquer de glorifier cette divine Majesté que nous aurons si cherement aymée et suivie, selon qu'il nous aura esté possible, par les deserts de ce monde miserable jusques au plus haut de la montagne de la perfection, où nous parviendrons tous par sa grace, pour l'honneur et gloire de Nostre Seigneur qui est nostre divin Maistre.

  A010000764 

 Ne nous troublons pas pourtant, mais exposons souventefois cette bonne volonté devant Nostre Seigneur, remettons-la entre ses mains et il la reproduira autant de fois qu'il sera requis à fin que nous en ayons assez pour toute nostre vie mortelle.

  A010000764 

 Nous ne sçavons si la volonté que nous avons maintenant de luy plaire nous demeurera tout le temps de nostre vie, disons-nous.

  A010000769 

 De là vient le reproche que luy en firent les Nazareens, se plaignant de ce qu'il n'en faisoit pas autant en Nazareth comme en Capharnaum.

  A010000769 

 Or Nostre Seigneur ayant honnoré cette ville en ce qu'il l'avoit choisie pour sa principale demeure, voulut aussi honnorer de sa presence celle de Naïm, laquelle quoy que petite, estoit neanmoins grandement belle; c'est pour cela qu'on la nommoit Naïm qui veut dire belle..

  A010000770 

 Ce jeune homme estoit fils unique de cette bonne vefve; non seulement son unique parce qu'elle n'avoit que luy, mais aussi parce qu'elle n'avoit point eu d'autres enfans: c'est pourquoy elle estoit grandement affligée de sa perte et pleuroit fort amerement.

  A010000770 

 Nostre divin Maistre entrant au faubourg de cette ville, ainsy que nous le lisons en l'Evangile d'aujourd'huy, trouva que l'on portoit en terre un jeune homme mort, et sa mere avec une grande multitude de gens le suivoyent.

  A010000770 

 Tous ceux qui virent ce prodige furent pleins d'estonnement et commencerent à louer et à glorifier Dieu, disant qu'il avoit visité son peuple et que ce Prophete estoit la redemption d'Israël.

  A010000771 

 Premierement, le miracle de la resurrection de ce jeune homme a esté l'un des plus grans que Notre Seigneur ayt operé en Galilée, car il le fit de son propre mouvement, sans y estre incité que par sa seule bonté et misericorde.

  A010000772 

 Tout ce que font sa misericorde et sa justice procede de sa bonté, car il est souverainement bon quand il use de sa justice comme quand il fait misericorde, il ne peut y avoir de justice ni de misericorde où il n'y a point de bonté: or, comme Dieu est tousjours en soy la bonté mesme, aussi est-il tousjours juste et misericordieux.

  A010000773 

 C'est ce que veut dire saint Jean en son chapitre premier: Le Verbe s'est fait chair et il a habité avec nous.

  A010000773 

 L'attouchement du Sauveur n'estoit pas necessaire pour ce miracle, non plus que pour aucun autre; il pouvoit bien, sans toucher la biere, faire arrester ceux qui la portoyent et ressusciter cet adolescent sans aucune ceremonie, par sa toute puissance et vertu divine; mais il ne le voulut pas, ains se servit de l'imposition de ses mains pour monstrer qu' aux jours de sa chair, à sçavoir quand il conversoit en sa chair parmi les hommes, il exerçoit sa vertu et puissance divine par l'entremise de son humanité.

  A010000773 

 Les anciens disoyent que Dieu habitoit avec eux, qu'il enseignoit et instruisoit son peuple à faire ce qui estoit de ses divines volontés; neanmoins, comme le disent nos saints Peres, il n'y habitoit pas visiblement ains invisiblement.

  A010000773 

 Mais despuis que le Verbe s'est incarné, il a conversé avec nous visiblement, il a habité parmi nous en sa chair; et pour nous monstrer cela, il s'est voulu servir d'icelle, c'est à sçavoir de son humanité, comme d'un outil ou instrument pour accomplir les œuvres qui appartenoyent à sa divinité..

  A010000774 

 Aussi, comme saint Hierosme l'escrit en ses epistres, la coustume de sepulturer les Chrestiens dans les eglises n'est venue qu'apres l'Incarnation du Fils de Dieu et ne s'est prattiquée que despuis la mort de Nostre Seigneur, d'autant que par cette mort nous a esté ouverte la porte du Ciel.

  A010000774 

 Mais despuis que la porte du Ciel a esté ouverte aux hommes on a trouvé le moyen d'enterrer les Chrestiens dans les eglises ou dans des cimetieres faits à l'entour d'icelles pour ce sujet..

  A010000775 

 Cecy est un peu difficile à entendre, car qui appelle-t-il adolescent? Le defunct ne l'estoit pas ni quant au corps ni quant à l'ame, d'autant que l'ame n'est ni vielle ni jeune, elle ne croist ni ne descroist, elle n'est susceptible d'aucun temps; le corps n'estoit non plus adolescent, puisqu'estant mort ce n'estoit qu'une charogne.

  A010000775 

 Il est vray que ce jeune homme mort n'estoit pas adolescent, ni quant au corps ni quant à l'ame; aussi Nostre Seigneur ne l'appelle-t-il pas comme s'il l'estoit, mais comme une chose à qui il veut donner l'estre, monstrant en cela sa parole toute puissante et efficace qui fait ce qu'elle dit; car celuy qui n'estoit pas adolescent le fut aussi tost que le Sauveur eut prononcé ces mots: Adolescent, je te dis, leve-toy..

  A010000776 

 C'est avec une parole toute puissante que Dieu a creé le ciel et la terre, qu'il a tiré l'estre du non estre, d'autant que cette parole est operative, elle opere ce qu'elle dit, et de ce qui n'est pas, elle fait ce qui est.

  A010000776 

 Les morts n'entendent pas: qui donques luy respondra? Il parle aux morts tout ainsy que s'ils estoyent vivans, pour monstrer que la voix de Dieu n'est point seulement ouye de ceux qui ont des oreilles, mais encores par ce qui n'est pas; qu'il a puissance sur les choses creées et sur les increées, de sorte que s'il addressoit sa voix aux choses increées elles luy respondroyent, tant sa parole est efficace..

  A010000777 

 Et pourquoy l'Archange addresse-t-il ses paroles à ces cadavres tout reduits en cendre et poussiere? Ne sçait-il pas que les morts n'entendent rien? et s'il le sçait, pourquoy donc leur commandet-il ainsy: «Levez-vous, morts?» Comme se leveront-ils, puisqu'ils n'ont point de vie? Neanmoins c'est bien à ces carcasses mortes que l'Archange parle, et cette parole estant proferée par le commandement de Dieu, est tellement puissante et efficace qu'elle donne la vie à ceux qui ne l'ont pas; en disant elle opere ce qu'elle dit, et de ce qui n'est pas elle en fait ce qui est, si que ces morts qui estoyent reduits en cendre se leveront en corps et en ame, vrayement vivans, c'est à sçavoir ressuscités, tout ainsy que Nostre Seigneur ressuscita de soy mesme et par sa propre vertu au troisiesme jour..

  A010000777 

 Mais à qui parle cet Archange? Aux morts qui sont dans les tombeaux, à des charognes puantes, car nos corps ne sont que pourriture quand ils sont separés de l'ame.

  A010000778 

 Donques, si la parole non de plusieurs Anges, ains d'un seul Archange, proferée par le commandement de Dieu est si operatrice qu'elle donne l'estre à ce qui n'est point, pourquoy ne croirons-nous pas à toutes les paroles de Dieu? Pourquoy aurons-nous de la difficulté à croire que par icelles, qu'elles soyent dites par luy mesme ou par ceux à qui il en a donné la charge et le pouvoir, il ne puisse faire ce qui est de ce qui n'est pas, encores que nous ne le comprenions point? Et quelle difficulté y a-t-il en cet article de la resurrection des morts, puisqu'elle se fait par la toute puissance de Dieu?.

  A010000779 

 Il n'y a donques nulle difficulté à concevoir comment ce garçon qui estoit dans cette biere n'estoit pas adolescent, mais qu'il le fut lors que nostre divin Maistre luy fit ce commandement: Adolescent, je te dis, leve-toy, et ressuscita tel que Nostre Seigneur l'avoit nommé.

  A010000780 

 A quoy nos saints Peres ont respondu que cela ne peut estre; car bien que les Chrestiens ne doivent point craindre la mort pource qu'ils doivent tousjours estre prests à bien mourir, neanmoins ils ne sçauroyent pour cela estre exempts de cette crainte; car qui est-ce qui sçait s'il est en estat pour bien faire ce passage, puisque pour bien mourir il faut estre bon? Et qui est asseuré d'estre bon, c'est à dire d'avoir la charité necessaire pour estre trouvé tel à l'heure de son trespas? Personne ne le peut sçavoir s'il n'en a receu une revelation particuliere; et encores ceux là qui en ont eu n'ont pas esté exempts de craindre la mort..

  A010000780 

 Il y a quelques philosophes anciens qui ont voulu soustenir qu'il ne la failloit point craindre, et que ceux qui la redoutoyent c'estoit faute d'entendement ou de courage.

  A010000781 

 Et comme le disoyent-ils, puisque les plus courageux et sçavans philosophes d'entre eux, estans sur un basteau, sont demeurés tout pasles et transis voyant les flots et tourmentes de la mer qui les menaçoyent d'une mort prochaine? C'est ce que raconte saint Augustin, adjoustant les paroles que respondit l'un d'eux en cette occurrence: Vous autres estes des canailles et gens qui n'avez point de cœur et point d'ame à perdre, car vous les avez ja perdus; mais moy, dit-il, je redoute la mort parce que j'ay une ame et que je crains de la perdre.

  A010000781 

 Les Stoïciens disoyent qu'il ne failloit pas l'apprehender, et que la redouter c'estoit une marque de defaut [316] d'entendement et de courage.

  A010000782 

 Or, si ces gens voulant passer sur cette planche employent des bericles qui aggrandissent les objets, elles la luy representeront beaucoup plus large qu'elle n'est; si que s'asseurant là dessus ils se mettront en danger de poser les pieds hors d'icelle et par consequent de se perdre, car rencontrant le vuide ils tomberont dans le precipice.

  A010000782 

 Que s'ils se servent des bericles qui rapetissent les choses, elles leur feront paroistre cette planche si petite qu'ils n'oseront jamais entreprendre de passer sur icelle, ou s'ils y passent ils seront saisis d'une si grande frayeur qu'elle sera suffisante pour les perdre.

  A010000783 

 C'est ce qui fait que les plus grans serviteurs de Dieu ont redouté ce passage comme une chose à la verité tres redoutable..

  A010000783 

 Helas! qui peut sçavoir s'il est digne d'amour ou de haine, s'il sera du nombre des esleus? Donques celuy qui ne craint point la mort est en tres mauvais estat et en grand peril, puisque nous sçavons que le lieu où nous irons apres icelle est eternel et que nous serons sauvés ou damnés eternellement.

  A010000783 

 Or, despuis la faute d'Adam tous les hommes sont sujets au peché, et chacun sera jugé en l'estat dans [317] lequel il mourra, car on sçait qu'à cette heure là mesme il faudra rendre compte de toute sa vie et que l'on sera jugé sur ce que l'on aura fait: de là vient que l'on apprehende la mort.

  A010000784 

 Et que l'on ne me dise point que plusieurs Saints n'ont pas craint la mort, ains qu'au contraire ils l'ont souhaittée et demandée, voire se sont resjouis quand elle est venue, et que par consequent il ne la faut point apprehender non plus d'autant que cette crainte est pleine de frayeur.

  A010000784 

 Il est vray qu'il y a eu des Saints qui semblent l'avoir desirée, mais ce n'est pas qu'ils ne l'ayent crainte pour cela ni qu'ils n'ayent eu peur d'elle, car l'on peut bien desirer ce que l'on redoute et demander ce qu'on n'ayme pas.

  A010000784 

 Quel est le malade qui ne craigne le rasoir quand il faut que le chirurgien s'en serve pour luy couper un membre pourri à fin qu'il n'infecte et gaste les autres? Mais quoy qu'il le craigne il ne laisse pas de le souhaitter et mesme demander, de peur que la gangrene ne se mette à son membre gasté; c'est ce qui luy fait demander le rasoir qu'il craint, et se resjouir en quelque façon quand on l'approche.

  A010000785 

 Ah! qui me fera ce bien, s'escrie-t-il, que je meure à fin que j'aille voir mon Seigneur Jesus Christ! Par où il monstre qu'il n'avoit nulle apprehension d'estre separé de luy en mourant, ains qu'il avoit une certitude tres grande de sa part qu'il iroit en la beatitude eternelle jouir de luy; et pour ce il desiroit et demandoit la mort..

  A010000785 

 Il luy tardoit infiniment, comme à un fidelle et bon serviteur, d'aller trouver son cher Maistre et de jouir de sa douce presence, et il semble que la vie luy estoit insupportable, puisqu'elle luy empeschoit l'accomplissement de son souhait.

  A010000785 

 Mais d'autant que peu ont eu de telles revelations, peu aussi ont esté exempts de crainte.

  A010000785 

 Mais remarquez comme il parle avec asseurance disant que quand il sera dissous de son corps de mort il verra Dieu, car le desir qui le travaille est de voir son Maistre.

  A010000785 

 Oh! quand sera-ce donques que je le verray face à face? Hé, qui me delivrera de ce corps de mort? et plusieurs autres semblables paroles par lesquelles le grand Apostre veut exprimer la vehemente passion qu'il avoit d'estre dissous et disjoint de son corps, à ce que son ame, qui brusloit du desir de voir son Seigneur, ne fust pas davantage retenue par sa chair.

  A010000786 

 Je ne desire point la mort pour estre delivré des travaux que j'endure, o non, ce n'est point pour cela; ni moins encores pour estre quitte de la peine que [319] me cause la soif que j'ay de voir mon Seigneur, mais seulement je la souhaitte pour le voir, car je sçay bien qu'apres cette vie je le verray.

  A010000786 

 Neanmoins j'ay cet autre desir, de ne point mourir qu'il ne luy plaise, et par consequent de demeurer avec vous tant qu'il luy plaira et qu'il connoistra que ma presence vous sera necessaire.

  A010000786 

 Notez cependant que par son autre souhait il marque cette condition, à sçavoir, si c'estoit la volonté de Dieu; car, dit-il, je suis retenu d'un autre desir, qui est de demeurer parmi vous, mes tres chers enfans, parce que j'ay esté envoyé pour vous enseigner et instruire; de sorte que pendant que ma presence vous sera tant soit peu necessaire je suis pressé de ne me point separer de vous et de me priver du contentement incomparable et inexplicable que j'attens apres la mort, plustost que de vous quitter, sçachant que je vous puis estre encores utile et qu'il y a tant soit peu du bon playsir de mon Maistre.

  A010000786 

 Si donques ce grand Saint souspiroit apres la mort, c'est parce qu'il avoit asseurance de la felicité eternelle; s'il la demandoit, c'estoit entant que ce seroit la volonté de Dieu..

  A010000787 

 De là vient que d'autres disent qu'il ne se soucieroyent pas de mourir pourveu qu'ils fussent asseurés d'aller en Paradis; et ils ont bien rayson, car avec telle asseurance la mort ne seroit pas à craindre.

  A010000788 

 Ce grand personnage, Job, est un autre Saint qui paroist avoir souhaitté la mort et l'avoir trouvée plus douce que la vie; car se voyant reduit en tant d'angoisses et de tribulations, il semble qu'il avoit plus de sujet de desirer la mort que la vie.

  A010000788 

 Considerez ces paroles, je vous prie: Que le jour perisse auquel je suis né, et celles qui s'ensuivent, lesquelles l'auroyent rendu [320] coulpable si Dieu n'eust pris en main sa cause, et asseuré qu'il ne pecha point en tout le temps qu'il fut reduit sur le fumier, affligé en toutes les façons qui se peuvent imaginer..

  A010000788 

 Hé, qu'est-ce que l'excessive douleur où il se trouvoit abismé ne luy fit pas dire? Certes, si les plaintes de Job ne fussent sorties d'un cœur extremement pressé d'angoisse elles eussent esté sujettes à de grandes censures.

  A010000789 

 Ces paroles, qui paroissent extravagantes, sont des paroles amoureuses lesquelles ne sont pas entendues de imis; car ceux qui ne sçavent que c'est de l'amour n'ont point compris ce que ce saint homme vouloit dire.

  A010000789 

 Il en prend de l'amour divin comme de l'amour humain; souvent il arrive aux fols amoureux du monde de proferer des paroles qui certes seroyent ridicules si elles ne sorloyent d'un cœur passionné; ils disent ce que la force de l'amour leur fait dire, et ce langage n'est entendu que de ceux qui sçavent que c'est que d'aymer.

  A010000790 

 Il failloit qu'il conneust combien ce Saint l'aymoit, puisqu'il l'avoit choisi pour le donner comme un prodige de patience à la posterité; aussi je pense qu'il luy faisoit comprendre qu'il le traittoit de la sorte pour le laisser comme un mirouër et exemplaire de sainteté à tout le monde, et que les afflictions qu'il luy envoyoit et l'estat où il le reduisoit procedoyent de l'amour qu'il luy portoit: ce que ce saint homme entendoit fort bien..

  A010000790 

 Or donques, comme Job estoit un grand amoureux de Dieu, toutes les paroles qu'il prononça sur son fumier cstoyent certes des paroles amoureuses; la flamme qui embrasoit son cœur luy faisoit faire des extravagances, mais le Seigneur, qui penetroit le fond de ce cœur, voyoit bien que ce n'estoit ni l'ennuy ni l'impatience qui le faisoit parler de la sorte, ains l'amour dont il estoit animé; car nostre cher Maistre sçait bien que c'est que d'aymer, il connoist bien le langage de l'amour, et pour ce il declare que Job n'a point peché en tout ce qu'il a dit.

  A010000791 

 Aussi, tous ceux qui ne sçavent que c'est que d'aymer n'ont point bien rencontré en l'interpretation de ces paroles, et sur icelles on a escrit plusieurs choses mal à propos.

  A010000791 

 Lors que la Sainte Vierge, aux noces de Cana en Galilée, dit à Nostre Seigneur avec [321] tant d'humilité et charité que le vin estoit failli, il la rejetta, luy respondant: Femme, qu'y a-t-il entre vous et moy? Pourquoy vous meslez-vous de cela, qu'en ay-je à faire? et telles autres choses que pouvoit signifier la responce qu'il fit à sa Mere, responce qui semble bien rude et rigoureuse à ceux qui n'entendent pas le langage de l'amour.

  A010000791 

 Mais la sacrée Vierge, qui sçavoit que c'est que d'aymer, entendit bien ce que son Fils vouloit dire, car elle estoit toute faite à son langage, s'entend par l'experience qu'elle en avoit, et c'estoit elle qui luy avoit appris à parler..

  A010000792 

 Comme si elle eust voulu signifier: Si vous avez prins garde à la responce de mon Fils, vous penserez peut estre qu'elle est bien severe et qu'il veut m'esconduire; mais il n'en est pas ainsy, ains j'ay conneu par icelle qu'il veut faire tout ce que je voudray; pour ce, faites tout ce qu'il vous dira et ne craignez rien, car je suis asseurée qu'il m'exaucera.

  A010000793 

 Mais, nonobstant ces deux exemples qui sont des exceptions, je dis pour conclusion que tous doivent craindre la mort..

  A010000793 

 Or, le grand saint Job parle amoureusement quand il dit: Que le jour perisse auquel je suis né, etc. Notez cependant que si bien par cette parole et autres semblables il paroist souhaitter et demander la [322] mort, ce n'est point toutefois qu'il manque de resignation et de sousmission à la volonté divine, car il ne la veut qu'entant qu'il plaira à Dieu; neanmoins l'amour luy fait dire ces choses d'autant qu'il souspiroit de voir Celuy qui le pressoit si fort de son amour.

  A010000793 

 Voyla donques comme l'amour a un certain langage que nul ne peut entendre que ceux qui sçavent que c'est qu'aymer.

  A010000794 

 C'est ce que voulut signifier Eve quand le serpent la tentant de rompre le commandement, elle luy respondit: Mais Dieu nous a dit que si nous mangions de ce fruit nous mourrions; en quoy elle monstre la crainte qu'ils avoyent de la mort.

  A010000794 

 Et que l'on ne me vienne pas alleguer ce que disent plusieurs, qu'il faut en chasser le souvenir pour vivre joyeusement, d'autant que ce souvenir là est plein de frayeur; car puisque une telle crainte n'est point mauvaise, ains bonne et utile, nous en devons quelquefois espouvanter nos ames et les y porter à cause de nos pechés, pourveu que cela se fasse de guet à pens..

  A010000794 

 Outre ce que nous avons deduit, nous voyons ès paroles que le Seigneur addressa à nos premiers parens au paradis terrestre que la mort est naturellement redoutée de l'homme; car quand Dieu defendit à Adam de manger du fruit de l'arbre de science, il luy dit: Je suis ton Seigneur, et pour ce il faut que tu m'obeisses; or, comme ton Seigneur, je te fais un commandement qui est que tu ne manges point du fruit de cet arbre, car si tu en manges tu mourras.

  A010000795 

 Mais nos anciens Peres enseignent que nous devons craindre la mort sans la craindre: que veut dire cecy? C'est que, quoy qu'il faille la redouter ce ne doit pas estre d'une crainte excessive qui ne soit pas accompagnée de tranquillité; car les Chrestiens doivent marcher sous l'estendart de la providence de Dieu et estre prests à embrasser tous les effects et evenemens de cette douce providence qui sçaura bien prendre soin de nous.

  A010000795 

 Ne nous laissons donc point aller à des frayeurs inquietes et chagrines, comme il arrive à quelque bonne femme [323] qui pour avoir pensé une matinée à la mort brouillera tout ce jour-là son mesnage, si que personne ne pourra avoir paix avec elle.

  A010000796 

 De tout cela que nous importe? Laissons ce soin à la divine Providence qui s'occupe bien des oyseaux du ciel, desquels une seule plume ne tombe sans sa permission.

  A010000796 

 Il me suffit que je sois tout à luy, non seulement par devoir mais encor par affection.

  A010000796 

 Que me dois-je soucier du reste, sinon de m'abandonner aux effects de cette douce Providence laquelle ne me manquera point en la vie et en la mort?.

  A010000797 

 Ceux qui meurent dans leur lit se desespereroyent sans doute s'ils ne voyoyent l'image du Crucifix qui les fait souvenir que le Sauveur a esté attaché pour eux à la croix, et s'ils ne luy parloyent ou pensoyent en luy mentalement.

  A010000797 

 Donques, pour bloquer tout ce discours, disons que la regle generale d'une bonne mort c'est de mener une bonne vie.

  A010000797 

 Il dit que «pour bien mourir il faut bien vivre:» telle est nostre vie telle sera nostre mort.

  A010000797 

 Il est vray que mesme en vivant bien vous craindrez la mort, mais vostre crainte sera toute douce et tranquille, appuyée sur les merites de la Passion de Nostre Seigneur, sans laquelle certes la mort seroit effroyable et redoutable.

  A010000797 

 Il faut donc que je craigne ce dernier passage, mais sans anxieté ni inquietude, ains d'une crainte qui me prepare et tienne tousjours prest à bien mourir.

  A010000797 

 L'horreur de ce dernier passage et la veuë de la multitude de leurs pechés les porteroyent au desespoir; [324] mais les merites de la Passion de Nostre Seigneur les remplissent de confiance, d'autant que par sa mort il a satisfait pour tous nos mesfaits..

  A010000798 

 Cela estant ainsy, que reste-t-il sinon que nous demeurions abandonnés aux evenemens de la Providence divine, ne luy demandant rien ni ne refusant rien? car je le repete, toute la perfection chrestienne consiste en ce point: ne rien demander à Dieu et ne rien refuser de Dieu; ne luy demander point la mort, mais aussi ne la point refuser quand elle viendra.

  A010000798 

 O que bienheureux sont ceux qui seront en cette sainte indifference, et qui, en attendant ce que Dieu ordonnera d'eux, se prepareront par une bonne vie à bien mourir!.

  A010000798 

 Outre cela, nous avons encores les Sacremens de la sainte Eglise pour nous laver de nos iniquités, car ils sont comme des canaux par lesquels les merites de la Passion du Sauveur descoulent en nous, si que par iceux l'on recouvre la grace quand on l'a perdue.

  A010000799 

 C'est aussi une cogitation bien utile toutes les fois que l'on se va mettre au lit de penser, comme font quelques uns, que cela nous represente comment on nous mettra dans le tombeau, parce que de là on vient à tirer cette consequence: Donques, puisque le sommeil me represente la mort, il s'ensuit que je mourray, que je seray estendu dans le tombeau, et là couvert de terre et reduit en poudre et cendre.

  A010000799 

 Il faut ainsy s'entretenir quelque heure de la journée en de semblables pensées, à ce que l'on soit tous les jours prest à mourir, employant celuy où nous vivons comme nous ferions si nous sçavions devoir en iceluy sortir de ce monde..

  A010000800 

 A ce propos je vous raconteray deux petites histoires que je ne dirois pas si j'estois en une autre chaire; mais en ce lieu il n'y a point de danger.

  A010000800 

 A quoy il leur respondit qu'il n'avoit fait qu'une seule chose, à sçavoir de bien penser qu'on feroit la visite des Estats en la province et que sans doute il y viendroit des visiteurs qui s'acquitteroyent bien de leur charge; que pour ce il s'estoit tousjours comporté comme il desireroit avoir fait lors que ces visiteurs se presenteroyent.

  A010000800 

 La premiere je l'ay apprise d'un homme pieux que j'ay conneu; la voicy.

  A010000800 

 O que nous serions heureux si tous les jours de nostre vie nous pensions tellement au compte qu'il nous faudra rendre, que nous nous tinssions continuellement au mesme estat auquel nous voudrions estre à l'heure de la mort! Ce seroit un bon moyen de bien vivre et de n'estre point trouvés reprehensibles à ce dernier jour..

  A010000801 

 L'on me respondit que non; alors je le retournay voir, mais je le trouvay encores en cette mesme occupation, de sorte que je conclus de là qu'il feroit une heureuse fin..

  A010000802 

 C'est pourquoy il faut estre sur ses gardes, à ce que, quand elle viendra elle nous trouve prests.

  A010000802 

 Que nous serions heureux si nous pensions ainsy au compte qu'il nous faudra rendre, et que, desoccupés de toute autre affaire, nous le tinssions tousjours prest pour le jour qui nous seroit assigné pour cela! Il le faut faire, car la mort a des pieds de coton avec lesquels elle vient si doucement qu'on ne s'en apperçoit point, et comme cela elle nous surprend.

  A010000812 

 ne les escoutez pas, parce que vous.

  A010000816 

 En second lieu, il faut que ce qui est dit soit bon et veritable.

  A010000816 

 Pour que cette parole soit estimée et receuë, il faut que celuy qui la profere soit homme de bien, vertueux et digne de croyance; autrement, au lieu d'estre receuë elle sera rejettée et mesprisée.

  A010000816 

 Troisiesmement, il faut que ceux qui l'entendent soyent bons et bien preparés pour la recevoir, à defaut dequoy elle n'est ni receuë ni estimée ni gardée..

  A010000817 

 C'est ce que Nostre Seigneur nous apprend en l'Evangile que la sainte Eglise nous propose aujourd'huy, où il est fait mention d'un reproche qu'il addressoit aux scribes et pharisiens dequoy ils ne recevoyent pas ses paroles, reproche par lequel il jette toute la faute sur eux, disant: Pourquoy ne croyez-vous pas à la verité que je vous enseigne? Il s'estonne grandement de cela, comme s'il eust voulu dire: Vous n'avez nulle excuse, [328] car qui d'entre vous m'arguera de peché? Pourquoy donques ne me croyez-vous pas, puisque ce que je vous dis est la verité mesme? Moy ne pouvant errer, il faut indubitablement que vostre meschanceté en soit la cause, car le defaut n'est point en moy ni en la parole que je vous enseigne..

  A010000818 

 C'est pourquoy Dieu defend au pecheur d'annoncer sa parole, comme s'il disoit: Miserable, oserois-tu bien enseigner ma doctrine par tes levres et la deshonnorer par ta mauvaise vie? Hé, comment veux-tu qu'elle soit acceptée apres avoir passé par une bouche si puante et si pleine d'infection et de meschanceté? Ja n'advienne que j'aye un tel proclamateur de mes volontés.

  A010000818 

 Quant au premier point, il est donques requis que la personne qui parle et qui annonce la parole de Dieu soit irreprochable et que sa vie soit conforme à son enseignement; autrement il ne sera pas receu ni approuvé.

  A010000819 

 Mais l'on ne doit pas l'entendre des pecheurs tels quels, ains des grans et signalés pecheurs; car autrement, qui l'annonceroit, veu que tous les hommes sont pecheurs et que quiconque dira le contraire mentira meschamment? Les Apostres mesmes n'ont pas esté sans peché; celuy qui pretendroit n'estre point pecheur commettroit une tres grande imposture, et feroit bien voir le contraire de son dire en mesme temps qu'il prononceroit ce mensonge.

  A010000819 

 Saint Augustin nous l'apprend tout clairement lors qu'il escrit que cette demande du Pater noster que nous recitons tous les jours: Pardonnez-nous nos offenses, n'est pas seulement une parole d'humilité, ains de verité, car nous en commettons à tout propos à cause de la fragilité de nostre nature!.

  A010000820 

 Or, bien que tous les hommes soyent pecheurs, tous ne doivent pourtant pas se taire et ne point enseigner la parole de Dieu, ains seulement ceux qui menent une vie du tout contraire à cette divine parole.

  A010000820 

 Que si neanmoins il arrive qu'elle nous soit presentée par les meschans, [329] nous ne la devons pas rejetter, ains la recueillir, et faire comme les abeilles, lesquelles cueillent le miel sur toutes les fleurs des prairies, excepté sur une ou deux; et bien que quelques unes de ces fleurs soyent veneneuses et ayent du poison en leur propre substance, elles en tirent dextrement le miel qui, estant une liqueur toute celeste, n'est point meslé avec le venin..

  A010000822 

 Estant parvenu à Edesse il fit rencontre d'une femme desbauchée, rencontre qui luy causa une si grande fascherie qu'il dit en soy mesme: Mon Dieu, je vous avois prié de me faire trouver quelqu'un qui m'enseignast ce que vostre bon playsir requiert de moy, et cependant j'ay rencontré cette miserable.

  A010000822 

 Il s'achemina donc promptement du costé de la ville, laquelle voyant il luy vint en pensée que Dieu ne vouloit pas sans quelque bonne rayson qu'il y allast et quittast son hermitage.

  A010000822 

 Lors se prosternant soudain à genoux, il fit une priere fort fervente à fin qu'il pleust à sa Bonté luy faire la grace qu'en entrant en cette ville il rencontrast quelqu'un qui luy servist de directeur pour le conduire en la voye de ses volontés; puis il se leva plein de confiance que le Seigneur l'exauceroit.

  A010000822 

 Mais l'homme fut creé de la terre; pourquoy donques ne regardes-tu tousjours la terre, puisque c'est d'elle que tu as esté tiré?.

  A010000822 

 Ne sçais-tu pas que la femme fut tirée de la coste de l'homme? partant je regarde le lieu d'où je suis sortie comme celuy de mon origine.

  A010000823 

 Le Seigneur voulut bien qu'un Prophete fust instruit par une asnesse; il permit bien que Pilate, qui estoit si meschant, nous prononçast cette grande verité que nostre divin Maistre estoit Jesus, c'est à dire Sauveur, tiltre qu'il fit poser dessus la croix, repetant: Cela est ainsy, c'est moy qui l'ay dit.

  A010000823 

 Lors ce grand Saint fit un tel cas des documens que luy donnoit cette miserable femme, que non content de les recevoir humblement, il luy en tesmoigna mesme de la gratitude, la remerciant bien fort; et despuis, il fit une si grande estime de ce document que non seulement il porta tousjours les yeux corporels bas et regardant la terre, mais beaucoup plus les yeux interieurs et spirituels en la consideration de son neant, de sa vileté et de son abjection, si qu'il fit un continuel progres en la vertu de la tres sainte humilité tout le reste de ses jours.

  A010000824 

 Nous ne devons nous soucier, dit un grand Docteur, que celuy qui nous [331] monstre le chemin de la vertu soit bon ou mauvais; pourveu que ce soit bien le vray chemin, nous le devons enfiler et y marcher fidellement.

  A010000824 

 Par ainsy nous voyons que combien qu'il ne faille pas estimer ni approuver la mauvaise vie des hommes meschans et pecheurs, neanmoins nous ne devons pas mespriser la parole de Dieu qu'ils nous proposent, ains en faire nostre profit comme saint Ephrem.

  A010000824 

 Que nous doit-il importer que l'on nous donne du baume dans un pot de terre ou dans un vase plus pretieux? pourveu qu'il guerisse nos playes cela nous doit suffire..

  A010000825 

 L'Escriture toute sage nous tesmoigne encores cecy lors qu'elle nous renvoye aux bestes les plus infirmes, mesme les plus brutes, pour estre instruits de ce que nous devons faire, disant que nous allions aux fourmis à fin d'apprendre d'elles le soin et la prevoyance que nous devons avoir, d'autant qu'elles amassent tandis que le temps est beau pour se nourrir par apres au temps qui n'est point propre à la cueillette.

  A010000825 

 Nous ne devons point regarder la personne qui nous presche ou nous enseigne, ains seulement si ce qu'elle nous dit est bon ou mauvais; car il faut demeurer asseuré que la parole de Dieu n'est ni bonne ni mauvaise à cause de celuy qui nous l'expose ou explique, ains qu'elle porte sa bonté quant et elle, sans recevoir nulle tare pour la mauvaisetie de celuy qui la prononce.

  A010000826 

 C'est pourquoy Nostre Seigneur en l'Evangile d'aujourd'huy, demande aux scribes et aux pharisiens: Qui d'entre vous m'arguera de peché? Vous dites que je suis un samaritain, que je bois et mange avec les publicains, [332] que je suis un buveur de vin, que je defends de payer le tribut à Cesar, que je n'observe pas le sabbat; vous me mettez ainsy à sus plusieurs calomnies et impostures, mais respondez-moy, qui est celuy d'entre vous autres qui me reprendra de pechè? Pourquoy donques ne me croyez-vous pas? Il faut sans doute que le mal soit tout en vous, car il n'y en peut avoir en moy..

  A010000826 

 Neanmoins, pour parler trivialement, il faut que celuy qui enseigne soit bon s'il veut que sa doctrine soit receuë et approuvée, autrement sa mauvaise vie fera rejetter et mespriser ce qu'il dira comme estant vituperable et mauvais.

  A010000827 

 Donques, entant que Nostre Seigneur est Dieu il estoit impossible qu'il peust pecher, et entant qu'il est homme cela ne se pouvoit non plus, parce que son ame humaine fut glorieuse en sa partie superieure dès l'instant de sa conception au ventre sacré de Nostre Dame.

  A010000827 

 Dès que l'on dit Dieu, ce mot exclut tellement le peché que jamais plus on ne doit estre en doute qu'il s'y puisse trouver.

  A010000828 

 Apres il adjouste: Si je vous presche la verité, pourquoy ne l'embrassez-vous pas? Comme s'il eust dit: Puisque je suis sans peché vous devez croire que je vous enseigne la verité et que je ne me puis tromper.

  A010000828 

 Cela estant donques ainsy, Nostre Seigneur disoit tres justement aux Juifs: Qui d'entre vous me peut accuser de peché? et sur ce il entroit en un grand estonnement de quoy ils ne croyoyent pas à ses paroles et ne suivoyent pas sa doctrine, veu que sa vie estoit irreprochable.

  A010000828 

 O combien cela est-il asseuré que nostre divin Maistre ne pouvoit se tromper, car il est luy mesme la verité à laquelle tous ceux qui ne croiront point periront indubitablement.

  A010000829 

 L'Espouse, au Cantique des Cantiques, declare, ainsy que je disois l'autre jour, que son Bien-Aymé, qui est nostre cher Maistre, a deux mammelles remplies de parfums tres pretieux qui r espandent des odeurs tres souefves.

  A010000829 

 Mais qu'est-ce que cette verité? Non autre, mes cheres ames, sinon la foy.

  A010000829 

 Quand il est escrit que Nostre Seigneur estoit plein de grace et de verité, cela se doit entendre qu'il estoit plein de foy et de charité; non pas qu'il eust la foy pour luy mesme, car il n'en avoit pas besoin, ayant la claire vision des choses que cette foy nous apprend, mais il estoit plein de foy pour la distribuer à ses enfans qui sont les Chrestiens.

  A010000829 

 Si nous voulons que la parole annoncée soit receuë il faut qu'elle soit une verité.

  A010000830 

 Certes, il n'avoit pas besoin de ce lait tres delicieux pour soy mesme, non plus que les femmes du lait qu'elles ont dans leur poitrine, lequel ne leur est donné de Dieu et de la nature que pour la nourriture de leurs enfans.

  A010000831 

 C'est une regle g'enerale que nous en faisons de mesme: dès que nous quittons la verité nous choisissons quant et quant la vanité, car la vanité est un defaut de verité qui nous fait tresbucher ès enfers.

  A010000831 

 L'homme et l'Ange, ainsy que nous disions tantost, faute de demeurer en la verité, sont tombés en la vanité.

  A010000831 

 La foy luy apprenoit que tout ce qu'il avoit estoit de Dieu et qu'à luy seul est deu le souverain honneur; il destourna son entendement de la consideration de cette verité, et soudain il commit cet acte de vanité insupportable de dire: Je monteray et seray semblable au Tres Haut.

  A010000832 

 Quelle plus grande verité que celle-cy, puisque Dieu mesme avoit proferé cette sentence? Mais cet ancien serpent commençant à arraisonner la femme: Hé, dit-il, ou vouloit-il dire, ne soyez pas si exacts à prendre les paroles du Seigneur à la rigueur, vous ne mourrez point.

  A010000833 

 Despuis, tous ses enfans ont esté entachés de cet esprit d'orgueil qui les rend habiles à pourchasser les honneurs, [335] les richesses, les playsirs, et que sçay-je moy, telles choses qui ne sont que folie, puisqu'elles sont plus propres à les destourner de la verité que non pas à les rendre capables de se tenir attentifs à icelle.

  A010000833 

 Helas! ne voyons-nous pas que ceux qui sont fort affectionnés à ces choses si vaines et frivoles ne pensent point, ou du moins il le semble par leur mauvaise conduite, à cette verité qu'il y a un Paradis rempli de toutes sortes de consolations et de bonheur pour ceux qui vivront selon les commandemens de Dieu et qui marcheront apres luy à la suite de ses volontés? Or, ces commandemens et volontés sont tout à fait contraires à la vie qu'ils menent, car ils ne laissent point pour cela de s'adonner aux playsirs bas et caducs, quoy qu'ils voyent bien qu'ils les priveront eternellement, s'ils ne s'amendent, de la jouissance de cette felicité sans fin.

  A010000834 

 Dites-moy, si nous demeurions attentifs à la verité des mysteres que Nostre Seigneur nous apprend en l'oraison, que nous serions heureux! Quand nous le voyons mourant sur la croix pour nous, que ne nous enseigne-t-il pas? Je suis mort pour toy, dit-il, ce souverain Amant; qu'est-ce que requiert ma mort sinon que, comme je suis mort pour toy, tu meures aussi pour moy, ou que du moins tu ne vives que pour moy? O combien cette verité apporte d'ardeur en nostre volonté pour luy faire aymer cherement Celuy qui est tant aymable et si digne d'estre aymé! La verité est l'objet de l'entendement comme Famour est celuy de la volonté: soudain donques que nostre entendement apprehende cette verité que Nostre Seigneur est mort d'amour pour nous, ha, nostre volonté [336] s'enflamme tout incontinent et conçoit de grandes affections de contreschanger autant qu'elle pourra cet amour.

  A010000834 

 Mais nous ne le faisons pas, car de cette verité que nous avons apprise en l'oraison nous passons à la vanité en l'action; de là vient que nous sommes anges en l'oraison et bien souvent diables en la conversation et en l'action, offençant ce mesme Dieu que nous avons reconneu estre si aymable et si digne d'estre obei..

  A010000835 

 Alors il nous semble que jamais nous ne pourrons avoir aucune repugnance à estre humiliés; mais quand ce vient à l'occasion, nous ne pensons plus à nos resolutions, ains nous sommes si vains que la moindre ombre d'abjection nous fait fremir et nous nous armons à la defense de peur de la recevoir..

  A010000835 

 De mesme nous considerons que Nostre Seigneur s'est aneanti et abaissé d'un abaissement tel que nul ne le peut comprendre; sur quoy Dieu prononce cette verité en nostre cœur, que si nostre doux Sauveur s'est tant humilié pour nous donner exemple, c'est une chose toute certaine que nous devons nous humilier si profondement que nous demeurions tout abismés en la connoissance de nostre neant.

  A010000836 

 Nostre Seigneur nous a enseigné que bienheureux sont les pauvres, et un chacun rejette cette verité pour embrasser la vanité; tous desirent et pourchassent d'estre riches et que rien ne leur manque.

  A010000837 

 Nous la croyons bien, pourrions-nous respondre, mais nous ne l'ensuivons pas; en quoy nous ne serons nullement excusables, non plus que les payens, lesquels ayans reconneu qu'il y avoit un Dieu ne l'ont pourtant pas honnoré comme tel.

  A010000837 

 Nous serons dignes d'une tres grande punition, si ayant sceu que nous avons esté si cherement aymés de nostre doux Sauveur, nous sommes si miserables que de ne pas l'aymer de tout nostre cœur et pouvoir, et de ne pas suivre de toutes nos forces et avec tout nostre soin les exemples qu'il nous a donnés en sa vie, en sa passion et en sa mort, car il nous addressera le mesme reproche qu'il fait en l'Evangile d'aujourd'huy: Si je vous ay enseignés, moy qui ne puis estre accusé de peché, moy dont la vie est irreprochable, moy qui vous ay presché la verité que j'ay apprise de mon Pere celeste, pourquoy donques ne me croyez-vous pas? Ou si vous croyez que je dis la verité, pourquoy ne la recevez-vous pas et ne demeurez-vous pas en icelle, ains vivez tout au contraire de ce qu'elle requiert de vous? Nous serons alors convaincus par sa divine Majesté, et il faudra qu'à nostre confusion nous confessions que le defaut vient de nostre costé et que c'est nostre malice qui en est la cause.

  A010000838 

 Car tout ainsy que la femme qui n'aymeroit pas davantage son mary que son laquais ne l'aymeroit pas assez ni comme elle doit, non plus que l'enfant qui aymeroit son pere d'un amour esgal à celuy qu'il porteroit à son valet, de mesme celuy qui ouyroit la predication avec le mesme esprit et la mesme attention qu'il feroit un conte de recreation ou tel autre propos, ne l'entendroit pas comme il faut; et s'il prenoit un playsir esgal en l'un comme en l'autre l'on pourroit [338] dire asseurement qu'il n'aymeroit pas assez la parole de Dieu.

  A010000838 

 Pour nous bien disposer et nous rendre capables de l'entendre comme nous sommes obligés, nous devons respandre nos cœurs en presence de la divine Majesté à fin de recevoir cette rosée celeste, tout de mesme que Gedeon espandit sa toison dans la prairie pour qu'elle fust arrousée des pluyes et des eaux du ciel..

  A010000839 

 Faisons-en de mesme, mes cheres ames; quand nous entendons la parole de Dieu en la predication, ou que nous la lisons dans quelque livre, mettons-la sur nos testes; je ne veux pas dire visiblement et reellement, ains spirituellement.

  A010000839 

 Ne regardons jamais à la qualité de celuy qui nous annonce la sacrée parole; peu importe qu'il soit bon ou mauvais, pourveu que ce qu'il dit soit utile et conforme à nostre foy; car Dieu ne nous demandera pas si ceux qui nous ont enseignés ont esté saints ou pecheurs, ains si nous avons profité de ce qu'ils nous ont dit de sa part et si nous l'avons receu avec esprit d'humilité et de reverence..

  A010000839 

 Nos cœurs estans ainsy respandus devant Dieu par de bonnes propositions de tirer proffit des choses qui nous seront dites de sa part, tenons-nous attentifs et pensons que c'est sa Majesté qui nous parle et nous fait sçavoir sa volonté.

  A010000839 

 Oyons avec esprit de devotion et d'attention les verités que le predicateur nous propose; mettons cette parole sur nos testes, à l'imitation des Espagnols, lesquels quand ils reçoivent une lettre de quelque grand, ils la posent aussi tost sur leur teste pour monstrer l'honneur qu'ils portent à celuy qui leur a escrit, comme aussi pour tesmoigner qu'ils se sousmettent aux commandemens qui leur sont faits par cette lettre.

  A010000840 

 L'exemple du grand saint Charles est bien remarquable pour ce sujet: il ne lisoit jamais la sainte Bible qu'à genoux, la teste nue, avec une tres grande reverence, [339] parce qu'il luy sembloit que ce fust Dieu qui luy parloit à mesure qu'il lisoit.

  A010000841 

 Mais avant que finir il faut que je leve une petite espine que vous pourriez ficher bien avant dans vostre pied si vous vouliez vous mettre promptement à marcher en l'observance des choses que je viens de deduire.

  A010000841 

 Mais comme pourray-je faire? car j'ay mon esprit si distrait, si ordinairement accablé de secheresse, d'une certaine langueur interieure, que je ne puis prendre du playsir à rien.

  A010000841 

 Quand je suis à la predication mon esprit est tellement agité des distractions, que j'ay une grande peine à le ramener pour ouyr ce que le predicateur dit; il me semble que je n'ay point de goust ni de devotion, ni presque de desir de mettre en prattique ce que j'y apprens..

  A010000841 

 Vous me pourriez objecter: Mon Dieu, vous avez dit que pour bien recevoir la sainte parole et faire qu'elle ne retourne pas à nostre condamnation ains en tirer de l'utilité, il faut l'entendre avec attention, en esprit de devotion et reverence.

  A010000842 

 Il suffit qu'en la partie superieure nous nous tenions en reverence et que nous ayons l'intention de profiter; cela estant, nous ne devons pas nous troubler comme si nous n'estions pas bien disposés pour recevoir cette sainte parole, car la preparation estant faite en la volonté et en la partie supreme de nostre esprit, nous aurons assez satisfait la divine Bonté [340] qui se contente de peu, et qui n'a point d'esgard à tout ce qui se passe à la partie inferieure..

  A010000843 

 En fin il faut conclure en disant que nous ne devons point rejet ter la parole de Dieu ni les documens que Nostre Seigneur nous a laissés, à cause des defauts des predicateurs qui nous les proposent, d'autant que nostre divin Maistre les ayant proferés le premier par sa divine bouche, nous sommes inexcusables de ne les pas recevoir, parce que si bien ce baume pretieux nous est presenté dans des vases de terre, tels que sont les predicateurs, il ne laisse pas pourtant d'estre infiniment propre à guerir nos playes, et ne perd point ses proprietés et sa force.

  A010000843 

 Nous ne serons pas non plus excusables si nous doutons que ce qui nous est enseigné soit la verité, d'autant que Jesus Christ, qui est la verité par essence, nous a enseignés luy mesme et s'est rendu nostre tres cher Maistre.

  A010000843 

 Nous nous devons au contraire bien preparer, ainsy que nous avons dit, pour l'ouyr avantageusement, car c'est un tres bon moyen pour la bien comprendre.

  A010000848 

 Or, d'autant que Dieu est le premier principe de tous les estres, il ne s'en trouve aucun qui n'ayt quelque chose de beau et d'aymable en soy; mais entant qu'ils tirent leur origine du neant, il y a en tous quelque imperfection..

  A010000849 

 La creature raysonnable est voirement creée à l'image et semblance de Dieu, qui en est la premiere cause et le souverain principe; aussi comme telle, elle est tout aymable, ains tellement aggreable que qui verroit une ame en grace et ayant conservé en soy l'image de son Createur, il en deviendroit tout amoureux et ravi comme le fut sainte Catherine de Sienne.

  A010000849 

 Or, d'autant que tout ce qui vient de Dieu est bon et aymable, aussi tout ce qu'il y a de bon et d'aymable en la creature procede de luy comme de sa premiere [342] source; de mesme, l'imperfection qui s'y rencontre vient du neant duquel elle a esté extraite.

  A010000850 

 La colombe en mille endroits des saints Livres est prise pour nous representer la vertu; Nostre Seigneur s'en est servi luy mesme, disant: Soyez simples comme la colombe, lions monstrant par là comme il vouloit que nous fussions simples pour l'attirer en nos cœurs.

  A010000850 

 Mais quoy que la colombe soit employée ordinairement pour nous signifier la perfection, si est-ce que je trouve en la mesme l'ecriture que l'on s'en sert pour nous faire entendre la laideur du vice et du peché; car Dieu parlant au peuple d'Ephraïm luy dit: Vous avez erré et vous vous estes fourvoyé comme la colombe qui n'a point de cœur.

  A010000850 

 Nous voyons par cette similitude que le Texte sacré nous represente la colombe sans cœur et courage, lasche et sans generosité..

  A010000851 

 Quoy que le serpent soit un animal meschant et qu'il semble n'estre propre à rien qu'à faire du mal, si n'est-il point tellement meschant que la Sainte Escriture ne s'en serve pour nous representer le bien, car Nostre Seigneur a dit luy mesme: Soyez prudens comme le serpent.

  A010000852 

 La rose n'est point si parfaitte qu'il ne s'y trouve de l'imperfection; car, quoy qu'elle soit belle, et que le matin elle soit incarnate et jette une suave et aggreable odeur, si est-ce que le soir elle est toute fanée et flestrie, de sorte qu'on s'en sert pour representer la volupté et les delices de la vie mondaine.

  A010000853 

 Aussi n'ay-je onques leu en l'Escriture qu'elle l'ayt employé pour figurer autre chose que la perfection; ce qui ne se trouve point de tout le reste des creatures.

  A010000853 

 Cependant je n'ay jamais trouvé en la Sainte Escriture que l'on se soit servi de la palme pour representer autre chose que la perfection et pour donner des comparaisons de choses excellentes et honnorables; il semble qu'on ne puisse rien trouver en icelle de vil et mesprisable, tout ainsy que le lys, parmi les fleurs, paroist ne rien avoir d'abject.

  A010000853 

 Il semble donc que celles cy soyent uniques en ce point, quoy qu'elles tirent aussi bien que les autres leur extraction du rien duquel Dieu a creé toutes choses..

  A010000854 

 Elle seule a esté toute pure et toute belle sans que jamais elle se soit flestrie ni fanée.

  A010000854 

 En toutes les autres, quelles qu'elles soyent, il se rencontre generalement de la perfection et de l'imperfection; c'est pourquoy celuy qui diroit à un homme qu'il n'a aucune [344] imperfection seroit aussi menteur que celuy qui diroit qu'il n'a point de perfection; car tout homme, pour saint qu'il puisse estre, a des imperfections, et, pour meschant qu'il soit, il a quelque perfection.

  A010000854 

 Entre toutes les creatures raysonnables il n'y a que la Sainte Vierge qui ayt eu toutes sortes de biens en elle sans aucun meslange de mal, car elle a esté seule exempte de toutes tares et souilleures de pechés et imperfections.

  A010000855 

 Cette imperfection est que, quoy qu'ils soyent jouissans de la claire vision de Dieu, ils ne reconnoissent pas tousjours tres clairement ce qui est de sa volonté, de sorte qu'en attendant d'en avoir une plus claire connoissance ils font au plus pres qu'ils peuvent ce qu'ils jugent estre le plus conforme au divin bon playsir, combien qu'ils soyent quelquefois d'advis differens l'un de l'autre.

  A010000855 

 Ils ressembloyent à ceux qui contreviennent à cette sainte volonté sans le sçavoir ou connoistre; car s'ils sçavoyent que ce qu'ils font n'est pas du bon playsir de Dieu ils mourroyent plustost mille fois que de le faire.

  A010000856 

 L'on ne fait donques point de tort aux Saints quand on [345] raconte leurs defauts et pechés en parlant de leurs vertus; ains au contraire, ceux qui escrivent leur histoire font un grand tort à tous les hommes en les celant, sous pretexte de les honnorer, ou en ne racontant pas le commencement de leur vie, crainte que cela diminue ou amoindrisse l'estime que l'on a de leur sainteté.

  A010000856 

 Le glorieux saint Hierosme, escrivant l'epitaphe, les louanges et les vertus de sa chere Paula, dit clairement ses defauts et les met aupres de ses vertus; il condamne luy mesme avec une verité et naïfveté tres grandes quelques unes de ses actions comme imparfaites, et fait tousjours marcher la verité en rapportant ses perfections et imperfections, car il sçavoit bien que l'un seroit autant utile que l'autre..

  A010000857 

 C'est ainsy que faisoit le grand saint Antoine, lequel s'estant retiré du monde s'en alloit parcourant les deserts dans toutes les grottes des anachoretes pour non seulement remarquer et recueillir, comme une avette sacrée, le miel de leurs vertus à fin de s'en sustenter, ains encor pour eviter et se garder de tout ce qu'il trouveroit de mal ou d'imparfait en eux; de sorte qu'en fin il devint un grand Saint..

  A010000857 

 Il est bon de voir les defauts aux vies des Saints, non seulement pour reconnoistre la bonté que Dieu a exercée en leur pardonnant, mais encores pour apprendre à les abhorrer, eviter et à en faire penitence comme eux.

  A010000858 

 Cependant il se trouve des ames qui font tout le contraire: elles ressemblent non à des abeilles, mais à des guespes, meschans animaux qui vont voirement bien volant sur les fleurs, mais pour en tirer non point le miel ains le venin; que si elles recueillent le miel, c'est pour [346] le convertir en fiel.

  A010000859 

 Par exemple, entendant comme saint Hierosme rapporte que sainte Paule avoit cette imperfection de pleurer et ressentir si vivement la mort de ses enfans et de son mary qu'elle en tomboit malade et failloit presque en mourir: Hé, disent-ils, si sainte Paule, qui estoit une si grande Sainte, avoit tant et de si vifs ressentimens à se separer de ceux qu'elle aymoit, se faut-il estonner si j'en ay, moy qui ne suis ni saint ni sainte, et si je ne me puis resigner en tous les evenemens, quoy qu'ils soyent ordonnés de la divine Providence pour mon bien? De là vient que quand on nous reprend de quelque manquement ou imperfection, l'on n'a point envie de se corriger; l'on objecte promptement: Un tel Saint faisoit bien cela, je ne suis pas meilleur ni plus parfait que luy; ou: Si une telle fait cela, ne le puis-je pas bien faire? Belle rayson que celle-cy! Pauvres gens que nous sommes, comme si nous n'avions pas assez à travailler chez nous pour nous desfaire et detortiller de nos imperfections et mauvaises habitudes, sans nous aller encor revestir de celles que nous remarquons aux autres..

  A010000860 

 Nous sommes si miserables, qu'au lieu d'eviter les manquemens que nous voyons dans le prochain, nous nous en servons pour nous en surcharger ou pour nous confirmer ès nostres.

  A010000860 

 Un saint Pierre a esté brusque et actif, est-ce merveille que je le sois? Cela le portoit à faire souvent des fautes; et qu'est-ce si j'en fais de mesme? Hé Dieu, voyla pas de belles raysons? Mais quelle folie est celle cy! Ne voyez-vous pas que telle sorte de gens prennent de là occasion de nourrir leurs imperfections et croupir dans leurs mauvaises habitudes?.

  A010000861 

 Certes, à telles gens s'approprie tres bien ce que saint Basile dit des chiens: si tost que l'un abbaye et jappe, tous les autres en font de mesme, sans prendre garde s'ils ont tort ou droit, ains seulement pour y estre excités et provoqués..

  A010000861 

 Il y a des ames tellement malignes et malicieuses, que non contentes de remarquer les fautes d'autruy pour se confirmer en leur malice, elles passent jusques là que de faire tant de regards et d'interpretations sur les œuvres du prochain qu'elles changent le miel en poison, tirant des mauvaises consequences de ses actions; et non seulement cela, mais elles excitent et provoquent les autres à en faire de mesme, tout ainsy que la guespe, par son bourdonnement, attire les autres à venir sur la fleur où elle a trouvé du venin.

  A010000861 

 La nature des guespes est telle que si elles ne trouvent du venin dans les fleurs, elles y recueillent bien le miel, mais elles le convertissent en venin.

  A010000861 

 Voyla un jeune homme qui entrera en Religion ou une autre personne qui fera une bonne œuvre: il s'en trouvera qui censureront cette retraitte ou cette bonne œuvre, et par leurs raysons et discours seront cause que plusieurs en feront autant.

  A010000862 

 Aussi tous les Saints ont tasché de se rendre sages de cette folie et ont souffert pour icelle tous les mespris, censures et humiliations qui leur sont arrivés de la part des sages du monde; car cette perfection de la croix requiert que l'on endure pour la justice les travaux, les reprehensions, les persecutions.

  A010000862 

 Que la sagesse [348] du siecle constitue s'il luy plaist son excellence en la gloire mondaine; le vray Chrestien, et, pour parler nostre langage, c'est à dire le langage du lieu où nous sommes, les vrays Religieux et Religieuses qui tendent à la perfection chrestienne, doivent, contre toutes les raysons de la prudence humaine, constituer toute leur perfection en la folie de la croix; car c'est en cette folie de la croix que Nostre Seigneur a esté parfait.

  A010000862 

 Que le monde crie tant qu'il voudra, que la prudence humaine censure et condamne nos actions tant qu'elle pourra, il faut tout escouter et souffrir et ne pas s'effrayer ni desister de son entreprise, ains poursuivre sa route fermement et fidellement.

  A010000863 

 Cette doctrine est toute contraire à celle du siecle; car quoy que Nostre Seigneur crie et recrie: Bienheureux sont les pauvres d'esprit, les pacifiques, les debonnaires, ceux qui ont faim et soif de justice, le monde, qui ne peut approuver cette sagesse, dit tous-jours: O que bienheureux sont les riches, les braves, ceux qui se vengent de leurs ennemis et que l'on n'oseroit offenser! Voyez-vous comme la perfection de la croix est une folie devant les sages du monde, car elle embrasse ce que la prudence humaine abhorre? Elle ayme la correction, s'y sousmet et se complaist de n'estre rencontrée que pour estre corrigée, et n'a point de plus grand playsir que d'estre reprinse et advertie de ses defauts et manquemens.

  A010000863 

 O que bienheureuses sont ces ames qui ne se parlent que pour s'advertir ou faire la correction fraternelle en esprit de charité et profonde [349] humilité; mais plus heureuses encores celles qui sont tousjours prestes à la recevoir avec un cœur doux, paisible et tranquille; elles ont ja fait un grand chemin.

  A010000864 

 Il advint donques que ce glorieux Saint voulant aller à Milan, il choisit plustost de s'y rendre par eau que par terre pour avoir plus de moyen de faire ses exercices spirituels, reciter son Office, prendre son heure de meditation, lire quelques bons livres, donner de bons documens; en somme il avoit bien plus de commodités de s'exercer ès œuvres pieuses allant dans un navire que s'il fust allé à cheval.

  A010000864 

 Or, ceux qui ont esté à Milan sçavent que dès......jusques à cette ville il y a des canaux lesquels ont une fort belle grace et sont tres aggreables.

  A010000865 

 (Ç'a tous-jours esté chose louable et recommandable parmi les Saints de bien la faire; aussi est-elle ordonnée dans toutes les familles religieuses pour un peu relascher [350] l'esprit, car quand il est tousjours bandé il ne va pas si bien.) Or, demanderent-ils, que ferons-nous pour bien nous recreer? car ils ne vouloyent pas le faire en sorte que cette recreation fust demesurée.

  A010000866 

 Certes, le Saint Esprit regnoit en cette reretion; et c'est bien la recreation des Saints que de s'advertir humblement et charitablement les uns les autres avec grande verité et naïfveté.

  A010000866 

 D'autres disoyent: On a remarqué que vous estes vain et orgueilleux, vous vous plaisez de porter des moustaches relevées, vous regardez souvent si vostre barbe est bien peignée, en un mot l'on voit que vous estes vain à merveille.

  A010000866 

 L'on dit aux uns: Nous avons remarqué en vous que vous usez souvent de duplicité, vos paroles ne sont pas simples, vous ne faites pas vos actions avec sincerité.

  A010000866 

 O Dieu, le beau jeu que celuy cy! Mais chacun ne le sçait ni ne l'ayme pas jouer.

  A010000867 

 Monseigneur, dit-il, il y a fort long temps que l'on a observé qu'il y a en vous une grande indiscretion; et cecy n'a pas esté remarqué seulement par moy, mais par plusieurs autres qui vous ont estimé et tenu pour grandement inconsideré.

  A010000868 

 Ceux qui vous voyent s'en estonnent et disent: Voyez-vous nostre Archevesque qui dort? ne vaudroit-il pas mieux qu'il dormist la nuit sans venir le faire icy? Cela peut mesme fournir quelque desplaysir au predicateur et luy causer quelque distraction; c'est pourquoy il me semble que vous auriez besoin de vous amender de cette indiscretion et prendre la nuit pour dormir à fin de pouvoir veiller le jour.

  A010000868 

 Monseigneur, respondit l'autre, l'on tient que c'est en vous une grande indiscretion de ne pas dormir la nuit et de le faire le jour; car si vous estes à l'eglise pour ouyr la Messe ou les predications vous vous endormez.

  A010000868 

 Saint Charles, recevant cecy qui venoit de la prudence humaine, se sousrit en remerciant avec une grande affection; et, tesmoignant qu'il avoit ouy cet advertissement avec un cœur tout humble et doux, il respondit: Cela est tres veritable que je commets pour l'ordinaire cette indiscretion; mais je vous asseure, et il [352] est vray, que j'ay un corps si lourd et si pesant que quand bien j'aurois dormi neuf heures la nuit je ne laisserois encores de dormir le jour.

  A010000869 

 J'en trouve plusieurs, et j'en remarque six principales; mais je n'en diray que trois, car il ne faut pas passer l'heure.

  A010000869 

 Or, comme je ne me souviens pas bien de ce que je vous ay autrefois entretenues sur le sujet de cette feste en laquelle Nostre Seigneur fait son entrée en Hierusalem, j'ay pensé de vous declarer les raysons qui l'esmeurent à choisir une asnesse et un asnon pour cette entrée royale.

  A010000870 

 Ce n'est certes pas sans cause qu'ils remarquent que l'asnesse avoit desja porté le faix et que l'asnon n'avoit jamais rien porté, car Dieu avoit ja chargé le peuple Juif de sa loy, tandis que [353] les Gentils ne l'avoyent pas encores receuë: Nostre Seigneur venoit donques pour leur imposer son joug, voyla pourquoy il monta l'asnon.

  A010000870 

 La pluspart des Peres anciens tiennent que Nostre Seigneur monta et sur l'asnesse et sur l'asnon, lequel n'avoit jamais rien porté; d'autres sont d'une opinion differente, et chacun s'efforce de prouver la sienne par raysons.

  A010000870 

 Pour moy, je suis l'advis de ceux qui pensent que nostre cher Maistre monta et sur l'asnesse et sur l'asnon; non point sur tous les deux ensemble, mais tantost sur l'un tantost sur l'autre.

  A010000870 

 Quelques Peres disent que l'asnesse represente le peuple Juif, et l'asnon le Gentil.

  A010000871 

 O folie et niaiserie grande que celle cy!.

  A010000871 

 Quand ils ont leurs chevaliers sur eux ils dressent les oreilles en telle sorte que vous diriez qu'ils veulent escouter ce que l'on dit d'eux.

  A010000872 

 Dieu n'habite ni ne se repose que dans le cœur humble et simple; c'est pourquoy, voulant faire monstre de cette vertu, il a choisi cette bassesse et abjection pour le jour de son triomphe.

  A010000872 

 O non certes, nostre beni Sauveur n'eust point fait de tort à son Pere eternel quand, au plus fort de ses mespris et humiliations, il eust dit: Je suis aussi puissant que le Pere, aussi bon que le Saint Esprit, j'ay la mesme puissance, sapience et bonté que le Pere et le Saint Esprit; car il estoit en tout et par tout esgal à eux.

  A010000873 

 C'est ce grand triomphe d'humilité que chantent Isaïe et Zacharie, apres ce divin poëte le royal Prophete David: Il s'est humilié et abaissé, il s'est aneanti; il est venu monté sur une asnesse et un poulain; il a bandé son arc et descoché ses fleches d'amour dans le cœur du peuple d'Israël; lors tous ont esté esmeus de sa venue et chantent: Hosanna, beni soit le fils de David, beni soit celuy qui vient au nom du Seigneur, gloire soit au Tres Haut.

  A010000873 

 Il a par sa douceur et son humilité captivé tous leurs cœurs, au lieu que s'il fust allé en quelqu'autre equipage il les eust tous effrayés.

  A010000874 

 La seconde c'est la patience; car cet animal, comme il est humble, aussi est-il grandement patient, d'autant qu'il souffre qu'on le batte, qu'on le maltraitte, sans que pour cela il en oublie jamais sa creche.

  A010000874 

 Nostre Seigneur voyant donques ces deux qualités en cet animal, il le choisit plustost que nul autre pour faire son entrée en Hierusalem..

  A010000874 

 Or, l'humilité a une si grande convenance et rapport avec la patience qu'elles ne peuvent guere aller l'une sans l'autre: celuy qui veut estre humble il faut [355] qu'il soit patient pour supporter les mespris, les censures et reprehensions que les humbles souffrent; de mesme, pour estre patient il faut estre humble, car on ne sçauroit supporter longuement les travaux et les adversités de cette vie sans avoir l'humilité, laquelle nous rend doux et patiens.

  A010000875 

 Certes, nostre divin Maistre est tellement amoureux de l'obeissance et souplesse qu'il a voulu luy mesme nous en donner l'exemple: il a porté le pesant fardeau de nos iniquités et a souffert pour icelles tout ce que nous avions merité.

  A010000875 

 Le troisiesme motif fut parce que cet animal est obeissant et se laisse charger comme on veut et autant que l'on veut, sans repugnance et sans secouer en aucune maniere le fardeau qu'on luy met sus; ains il porte le faix qu'on luy impose avec une sousmission et souplesse remarquables.

  A010000875 

 O que bienheureuses sont les ames qui sont souples et sousmises, qui se laissent charger comme on veut, s'assujettissant à toutes sortes d'obeissances sans repliques ni excuses, supportant de bon cœur le faix qu'on leur impose! Il faut, pour se rendre digne de porter Nostre Seigneur, estre revestu de ces trois qualités, d'humilité, de patience et sousmission; alors le Sauveur montera sur nos cœurs, et, comme un divin escuyer, il nous conduira sous son obeissance..

  A010000876 

 Il y a differentes opinions sur ce sujet: les uns pensent que [356] c'estoit saint Jacques et saint Philippe; les autres, saint Jean et saint Pierre; en somme chacun tient son parti, mais personne ne sçait lesquels ils furent..

  A010000876 

 Nostre Seigneur donques, ayant choisi l'asnesse pour sa monture, envoya deux de ses disciples en un petit village qui estoit là aupres, leur disant: Allez vous-en en ce village, desliez l'asnesse et l'asnon et me les ameneque si quelqu'un y trouve à reprendre dites luy que le Seigneur en a besoin.

  A010000876 

 Si vous me demandiez qui estoyent ces deux disciples je ne sçaurois que vous respondre, car les Evangelistes n'en disent rien; aussi, puisqu'ils ne les nomment pas je ne pourrais non plus les nommer.

  A010000877 

 Ces Apostres au contraire s'en allerent sans faire aucune reflexion parce qu'ils estoyent obeissans et qu'ils aymoyent l'obeissance; car c'est une marque que l'on n'ayme pas le commandement quand on trouve tant de raysonnemens à faire sur iceluy..

  A010000877 

 Hé, ne pouvoyent-ils pas dire: Vous nous ordonnez de vous amener ces deux bestes; mais comment connoistrons-nous que ce sont celles que vous voulez? N'y a-t-il que celles-là? Nous les laissera-t-on bien prendre? et plusieurs autres semblables raysons que la prudence humaine leur pouvoit fournir.

  A010000878 

 J'ay desja dit cecy en ce lieu, et me resouviens tres bien de vous avoir donné l'exemple d'Eve qui apporta tant de difficultés sur la defense que le Seigneur avoit faite de manger du fruit de l'arbre de science.

  A010000878 

 Oh, dit-elle au serpent, Dieu nous a defendu de regarder et toucher ce fruit; voulant donner à entendre par là que ce commandement estoit hors de rayson, rude et difficile à garder.

  A010000878 

 On conseillera à une personne de communier frequemment: O Dieu, pensera-t-elle, que dira-t-on si l'on me voit communier souvent, me confesser et faire l'oraison? Hé, que l'on dira? allez seulement faire ce que le Seigneur commande..

  A010000879 

 C'est pourquoy prevoyant cela, il leur dit: Si quelqu'un vous veut empescher de les amener respondez-luy que le Seigneur en à besoin, et ils les laisseront aller.

  A010000879 

 J'ayme bien les gens de cette bourgade, car ils estoyent bien courtois, d'autant que si tost qu'ils ouyrent que le Seigneur avoit besoin de leurs bestes ils les cederent volontiers..

  A010000879 

 Le Sauveur sçavoit bien que ses Apostres trouveroyent des gens qui leur demanderoyent ce qu'ils vouloyent faire de ces bestes et où ils les menoyent; et il arriva [357] ainsy, car non seulement celuy à qui elles appartenoyent mais encores les voysins s'en meslerent.

  A010000880 

 Respondez-leur: Parce que le Seigneur en a besoin.

  A010000881 

 Cet asnon et cette asnesse furent couverts des manteaux des Apostres; puis Nostre Seigneur monta dessus et fit en cette abjection et humilité son entrée triomphale en Hierusalem, confondant par là le monde, qui renverse toutes les maximes de l'Evangile, qui ne veut gouster l'humilité et le mespris, et qui ne cesse de dire que malheureux sont les pauvres et souffreteux.

  A010000881 

 Hé, que bienheureux est celuy là! dit-on.

  A010000881 

 Niaiserie grande que celle-cy; et neanmoins ce sont telles sortes de gens que le monde estime heureux..

  A010000881 

 Que cette fille est heureuse, parce qu'elle est riche, bien parée et couverte de pierreries.

  A010000882 

 O que bienheureuses sont les ames que nostre divin Maistre choisit pour sa monture et qui sont couvertes des manteaux des Apostres, c'est à dire revestues des vertus apostoliques, pour estre capables de porter nostre cher Sauveur et estre conduites par luy.

  A010000891 

 D'autant qu'il y a peu d'heures pour parler de la Passion par laquelle nous avons tous esté rachetés, je ne prendray pour sujet de ce que j'ay à vous dire que les paroles du tiltre que Pilate fit escrire sur la croix: Jesus Nazarenus, Rex Judœorum; Jesus de Nazareth, Roy des Juifs.

  A010000892 

 Jesus veut dire Sauveur: or, il est mort parce qu'il estoit Sauveur, d'autant que pour nous sauver il failloit mourir.

  A010000894 

 Voyla donques les causes de la mort de Jesus Christ: la premiere c'est qu'il estoit Sauveur, saint et Roy; la [360] seconde, qu'il vouloit racheter ceux qui le confesseront, qui est la signification du mot de Juif que Pilate escrivit sur le tiltre de la croix..

  A010000895 

 C'est ce qui nous a esté representé dans l'Ancien Testament par tant de figures et de similitudes, particulierement par le serpent d'airain que Moyse dressa sur la colonne pour garantir les Israëlites des morseures des serpens.

  A010000896 

 Ce que Moyse executa promptement, enjoignant à ceux qui seroyent mordus des serpens de jetter les yeux sur celuy qui estoit eslevé sur cette colonne.

  A010000896 

 Ce que faisant ils estoyent promptement gueris; mais certes, ceux qui ne le vouloyent pas regarder mouroyent, car il n'y avoit point d'autre moyen d'eschapper à la mort que celuy là, qui estoit ordonné de Dieu mesme.

  A010000896 

 Et le Seigneur luy commanda de faire un serpent d'airain et de le poser sur une haute colonne, avec promesse que ceux qui seroyent mordus des petits serpenteaux gueriroyent en le regardant.

  A010000896 

 O que le Dieu d'Israël fut bon, dit un grand Saint, de pourvoir Moyse d'un tel remede pour la guerison de son peuple!.

  A010000897 

 Ces enfans d'Israël, tirés de la servitude d'Egypte, representent bien tout le genre humain que Dieu avoit preservé du peché et placé dans cette terre de promission du paradis terrestre où il [361] nous avoit mis avec la justice originelle.

  A010000897 

 Mais voyci un estrange accident: il s'esleva de petits serpenteaux qui nous piquerent en la personne de nos premiers pere et mere, Adam et Eve, et les compagnons et complices de celuy qui avoit piqué nos premiers parens s'espancherent tellement par toute la terre du desert de ce monde que nous en avons tous esté mordus.

  A010000897 

 Que s'il y a quelqu'un qui dise en estre preservé il est menteur; voire, comme l'escrit le grand Apostre, si aucun s'estime estre sans peché ne le croyez pas, car l'iniquité regne en luy..

  A010000898 

 Elle a esté privilegiée et preferée par dessus toutes les autres creatures, et ce privilege est si grand et si singulier qu'il n'y en a aucune, quelle qu'elle soit, qui ayt jamais receu la grace en la façon que cette sainte Dame et glorieuse Maistresse la receut.

  A010000898 

 Je sçay bien que la sacrée Vierge Nostre Dame n'a point esté mordue de ce serpent infernal, d'autant que c'est une chose toute claire et manifeste qu'elle n'avoit point de peché ni originel ni actuel.

  A010000899 

 Il est mort, dit le grand Apostre escrivant aux Galates (je ne lis jamais ces paroles que je ne tremble et que je ne sois saisi de terreur), le Fils [362] de Dieu est mort pour nostre redemption, luy qui n'avoit aucun peché ni iniquité..

  A010000899 

 Il ordonna donques que son Fils mourust, et qu'il fust ce serpent posé sur la colonne de la croix pour estre regardé de tous ceux qui seroyent mordus et entachés du peché.

  A010000899 

 Mais cette exception ne nous empesche pas d'asseurer que tous generalement ont esté mordus du serpent.

  A010000899 

 Or, cette piqueure estoit si venimeuse que nous en serions tous morts, et d'une mort eternelle, si Dieu, par son infinie bonté, n'eust pourveu à un si grand inconvenient, ce qu'il a fait, mais en une façon admirable, sans y estre esmeu d'autre cause que de sa pure et immense misericorde.

  A010000900 

 Il est vray qu'il n'avoit aucun peché, mais ce qui est davantage, il n'en pouvoit avoir, car il estoit en tout esgal au Pere; il avoit la mesme nature, substance et puissance que luy, il estoit donques impossible de toute impossibilité qu'il pechast.

  A010000900 

 O que le Dieu d'Israël est bon d'avoir fourni et pourveu la nature humaine d'une telle et si pretieuse Redemption! Nous estions tous perdus sans icelle, et si Dieu ne nous eust donné ce remede nous serions tous morts, sans excepter aucune ame quelle qu'elle fust, puisque toutes avoyent peché..

  A010000900 

 Quoy qu'il soit tout puissant, et que par consequent il puisse tout ce qu'il luy plaist, si est-ce pourtant qu'il ne pouvoit pas pecher: et pour cela il ne laisse d'estre tout puissant, car pouvoir pecher n'est pas une puissance ains une impuissance.

  A010000901 

 Mais Dieu ne pouvoit-il point fournir au monde un autre remede que celuy de la mort de son Fils? O certes, il le pouvoit bien faire, et par mille autres moyens que celuy là; car n'estoit-il pas en sa puissance de pardonner à la nature humaine d'un pouvoir absolu et par pure misericorde, sans y faire entrevenir la justice et sans l'intermission d'aucune creature? Il le pouvoit sans doute; et qui en eust osé parler ou y trouver à redire? Personne, car il est Maistre souverain et peut tout ce qu'il luy plaist.

  A010000901 

 Ou encores, s'il se vouloit servir pour [363] cette redemption de l'entremise de quelque creature, n'en pouvoit-il pas creer une d'une telle excellence et dignité que, par ce qu'elle eust fait ou souffert, elle eust suffisamment satisfait pour les pechés de tous les hommes? Asseurement, et il pouvoit nous racheter par mille autres moyens que celuy de la mort de son Fils; mais il ne l'a pas voulu, car ce qui estoit suffisant à nostre salut ne l'estoit pas à assouvir son amour; et pour nous monstrer combien il nous aymoit, ce divin Fils est mort de la mort la plus rude et ignominieuse qui est celle de la croix..

  A010000902 

 C'est dequoy se plaignoit le grand saint Augustin: O Seigneur, disoit-il, est-il possible que l'homme sçache que vous estes mort pour luy et qu'il ne vive pas pour vous? Et ce grand amoureux saint François: Ha! disoit-il en sanglotant, vous estes mort d'amour et personne ne vous ayme!.

  A010000902 

 Que reste-t-il donques, et quelle consequence pourrons nous tirer de cela, sinon que, puisqu'il est mort d'amour pour nous, nous mourions aussi d'amour pour luy, ou, si nous ne pouvons mourir d'amour, que du moins nous ne vivions pour autre que pour luy? Que si nous ne l'aymons et ne vivons pour luy, nous serons les plus desloyales, infideles et perfides creatures qui se puissent trouver.

  A010000903 

 O Dieu, que c'est une consideration de grande utilité et proffit que celle de la Croix et de la Passion! Est-il moyen, je vous prie, de contempler en icelle l'humilité de nostre Sauveur sans devenir humble et sans avoir de l'affection aux humiliations? Peut-on voir son obeissance sans estre obeissant? O non certes, nul n'a jamais regardé Nostre Seigneur crucifié, qui soit mort ou resté malade; comme au contraire, tous ceux qui sont morts, ç'a esté pour ne l'avoir pas voulu regarder, de mesine qu'entre les enfans d'Israël ceux là moururent qui n'avoyent pas voulu considerer le serpent que Moyse avoit fait dresser sur la colonne..

  A010000904 

 Certes, encor que son cœur eust esté chatouillé par les discours et raysons de cet esprit infernal et qu'en suite de cela elle n'eust fait que regarder ou toucher le fruit de l'arbre de science, voire qu'elle en eust cueilli et mesme presenté à Adam son mary, ils ne seroyent pas morts pour cela, car Dieu avoit seulement dit: Si vous en mangez vous mourrez.

  A010000905 

 C'est chose merveilleuse qu'il ayt tellement meslé la nature divine avec l'humaine que, quoy que ce soit tres asseuré que l'humanité seule a souffert et non la Divinité car elle est impassible, neanmoins quand on voit la façon avec laquelle le Sauveur a enduré, l'on ne sçait, pour ainsy parler, si c'estoit Dieu ou l'homme qui souffroit, tant les vertus qu'il prattiquoit sont admirables..

  A010000905 

 Entant qu'homme il pouvoit mourir et aussi ne mourir pas, car quoy que ce soit une loy generale qu'il faut que tout homme meure, il pouvoit neanmoins estre exempt de cette loy parce qu'il n'avoit point de peché en luy; or, c'est le peché qui a donné l'entrée à la mort.

  A010000905 

 Entant que Dieu il pouvoit ne pas mourir; mais ce qui est davantage, il ne pouvoit ni souffrir ni mourir, car Dieu est impassible et immortel; et tout ainsy qu'il ne pouvoit point pecher, aussi ne pouvoit-il point mourir, d'autant que mourir est une impuissance aussi bien que pecher.

  A010000905 

 Mais Nostre Seigneur ne s'est point voulu servir de ce privilege, ains il a pris un corps passible et mortel; il s'est incarné pour estre [365] Sauveur, il nous a voulu sauver en souffrant et mourant, et prendre sur soy et en sa sacrée humanité, en toute rigueur de justice, ce que nous avions merité par nos iniquités.

  A010000906 

 Je diray bien davantage: quand elles viendroyent à souffrir toutes les peines qui se pourroyent trouver dans cent mille millions d'enfers, s'il y en avoit autant, et ce avec la plus grande perfection possible à une creature humaine, tout cela ne seroit rien en parangon d'un petit souspir de Nostre Seigneur, d'une petite goutte du sang qu'il a respandu pour l'amour de nous, d'autant que c'est sa personne, qui est d'une excellence et dignité infinie, qui donne le prix et la valeur à telles actions et souffrances; car la Divinité est tellement meslée avec l'humanité que nous disons avec verité que Dieu a souffert la mort, et la mort de la croix, pour nous racheter et nous donner la vie..

  A010000906 

 Mais quoy qu'il ne souffrist rien entant que Dieu, si est-ce que la Divinité qui s'estoit unie avec l'humanité donnoit un tel prix, valeur et merite à ses souffrances, qu'une petite larme, un petit mouvement de son sacré cœur, un petit souspir amoureux estoit plus meritoire, plus pretieux et aggreable à Dieu que n'eussent esté tous les tourmens imaginables de corps et d'esprit, voire mesme les tortures de l'enfer, endurées par les creatures douées de la plus grande perfection.

  A010000907 

 C'est celle que nous avons receuë en la personne de nostre premier pere Adam, en laquelle nous pouvions mourir ou ne mourir pas; car estant au paradis terrestre où se trouvoit l'arbre de vie, nous pouvions, en mangeant de son fruit, nous empescher de mourir, sous la condition neanmoins de nous abstenir du fruit [366] defendu, comme Dieu l'avoit ordonné.

  A010000907 

 En gardant ce commandement nous ne serions point morts, quoy que nous n'eussions pas tousjours demeuré en cette vie, mais nous aurions passé d'icelle à une autre meilleure.

  A010000907 

 Je sçay bien qu'entre les hommes ce mot de mort signifie en nostre langage que la mort n'est qu'un passage d'une vie à l'autre; mourir c'est donques outrepasser les confins de cette vie mortelle pour aller à l'immortelle.

  A010000907 

 Mais il est vray que nous ne serions point morts de cette mort corporelle dont nous mourons à cette heure, ains nous nous serions tousjours acheminés à l'autre vie; et quand il eust pleu à la divine Majesté de nous retirer elle l'eust fait, ou dans un chariot de feu comme Elie, ou en telle autre façon qu'il luy eust pleu.

  A010000907 

 Or, nous autres, tant que nous sommes, avons trois natures ou trois sortes de vie, s'il faut ainsy dire, dont l'une est negative.

  A010000908 

 Despuis que Dieu prononça la sentence de mort contre l'homme, il n'y en a eu et n'y en aura pas un qui ne meure; aucune creature humaine, quelle qu'elle soit, ne peut s'en exempter.

  A010000908 

 En la seconde nature, qui est celle que nous avons despuis la faute d'Adam et en laquelle nous vivons à present, nous pouvons mourir, mais nous ne pouvons pas ne point mourir, car c'est une loy generale que nous mourrons tous.

  A010000909 

 La troisiesme nature est celle que nous aurons au Ciel si Dieu nous fait la misericorde d'y arriver.

  A010000909 

 Là nous vivrons et ne pourrons pas mourir, car nous jouirons de la gloire de l'eternité, de la vie qui nous a esté achetée par la mort de nostre Sauveur, et la possederons avec tant d'asseurance que nous n'aurons nulle crainte de la perdre.

  A010000910 

 C'est pour cela que l'Ange descendit du Ciel et vint annoncer à la sacrée Vierge le mystere de l'Incarnation, luy disant que Celuy qu'elle concevroit se nommerait Jesus..

  A010000910 

 Ce fut donques par inspiration divine que Pilate mit sur le tiltre de la croix: Jesus de Nazareth, Roy des Juifs.

  A010000910 

 Ç'a esté sa vocation que d'estre Sauveur; c'est pourquoy le Pere eternel a tant contesté pour la prouver aux hommes, non seulement par les Patriarches et Prophetes, mais par luy mesme; voire, chose estrange, il s'est mesme servi pour cet effect de la bouche des impies et des plus scelerats qui se puissent trouver, comme nous dirons tantost.

  A010000911 

 Comme s'il vouloit dire: O pauvre peuple, vous m'aviez tellement fasché par vos vices et iniquités que j'avois resolu de vous perdre et abismer tous; mais voyci que je vous envoye mon Fils pour vous reconcilier avec moy, car tout mon playsir est à le regarder et considerer, et en ce regard je trouve tant de complaisance que je m'oublie de tous les desplaysirs que je reçois de vos pechés; escoutez-le donc.

  A010000911 

 Dieu le Pere parla pour rendre ce tesmoignage lors que Nostre Seigneur receut le baptesme de saint Jean Baptiste au fleuve Jourdain, car on entendit alors cette voix: Celuy cy est mon Fils bien aymè auquel j'ay pris tout mon playsir, escoutez-le.

  A010000912 

 Mais que nous dira-t-il sur cette montagne? O certes, il ne vous dira rien icy, d'autant qu'il parle à son Pere celeste avec Moyse et Elie de l'exces qui devoit s'accomplir en Hierusalem.

  A010000912 

 Vous y verrez voirement la gloire de la Transfiguration, neanmoins on vous defendra de [368] rapporter ce que vous aurez veu; mais en la montagne du Calvaire vous ouyrez des plaintes, des souspirs, des prieres faites pour la remission de vos pechés; vous entendrez des paroles de grande doctrine et l'on ne vous defendra point de dire ce que vous y aurez veu, ains on vous ordonnera d'en parler et de n'en jamais perdre la memoire..

  A010000913 

 De plus Dieu, par le plus miserable, infidelle, traistre et desloyal homme qui fut jamais au monde, à sçavoir par la bouche de Caïphe, pour lors souverain Prestre, ne prononça-t-il pas cette parole de verité si grande qu'il estoit expedient qu'un seul homme mourust pour sauver tout le peuple? Admirable conteste que celuy de Dieu pour monstrer que veritablement son Fils estoit Sauveur et qu'il failloit qu'il mourust pour nous sauver, puisque mesme il tira cette sentence du plus detestable grand Prestre qui ayt onques esté sur terre.

  A010000913 

 Il est tres certain que la pluspart du peuple connoissoit que nostre divin Maistre estoit innocent, de sorte que si bien il demanda qu'il fust crucifié ce fut à cause des princes des prestres; car vous sçavez que quand il se fait une sedition en quelque ville tout le menu peuple se range, soit à tort soit à droit, du costé de ceux qui gouvernent tout l'affaire.

  A010000913 

 Voyez encores combien nostre Dieu conteste pour monstrer la verité de la vocation de son Fils: Pilate declara tant et tant de fois que Nostre Seigneur estoit innocent, qu'il ne trouvoit en luy aucune chose digne de mort, il protesta que, quoy qu'il le condamnast, il connoissoit neanmoins qu'il n'estoit pas coulpable et qu'il failloit bien qu'il y eust quelque cause qui luy estoit inconneuë.

  A010000914 

 Et voyci ce que nous avions à dire sur la seconde cause, d'autant qu'en rendant à Nostre Seigneur amour pour amour et les louanges et benedictions que nous luy devons pour sa Mort et Passion, nous le confesserons nostre Liberateur et Sauveur..

  A010000914 

 Or, que reste-t-il à cette heure, sinon que puisque le Fils de Dieu a esté crucifié pour nous, nous crucifiions quant et luy nostre chair avec ses concupiscences? car l'amour ne se paye que par l'amour.

  A010000915 

 Ce que je vous vay dire est la chose la plus admirable qui se puisse imaginer et la plus propre à fournir une comparaison pour monstrer que Nostre Seigneur est mort à cause de nos pechés; et pour moy je pense que quand je rencontray cecy à l'ouverture de ce livre ce fut une inspiration que Dieu m'envoyoit, du moins l'ay-je toujours creu ainsy..

  A010000915 

 Il faut, puisque je suis en ce lieu où je parle tousjours librement et franchement, que je vous die ce qui m'arriva un jour que je devois prescher la Passion de Jesus Christ en l'une des plus fameuses villes de France.

  A010000915 

 Il me failloit une comparaison pour mieux declarer ce qui estoit de mon sujet; mais n'en trouvant point, j'ouvris un livre où j'en rencontray une; c'est un oyseau lequel j'ay tous-jours creu n'avoir esté mis en la nature que pour servir de similitude sur le sujet de la Passion.

  A010000916 

 Ses aisles, qui l'estoyent desja, le deviennent davantage; puis le ventre, les pieds, en fin toutes ses plumes et tout son petit corps, tandis que l'homme, son grand amy, devient blanc, net et tout à fait quitte de sa haute jaunisse.

  A010000917 

 Certes, Nostre Seigneur est ce divin oyseau de paradis, divin loriot qui fut attaché sur l'arbre de la croix pour nous sauver et delivrer de la haute jaunisse du peché; toutefois, pour en estre rendu quitte, il faut que l'homme le regarde sur cette croix à fin de l'exciter à commiseration par ce regard; lors il tirera à soy toutes les iniquités de l'homme et mourra librement pour luy.

  A010000917 

 Mais tout ainsy que si l'homme atteint de la haute jaunisse ne regarde cet oyseau il demeurera tousjours malade, de mesme si le pecheur ne regarde Nostre Seigneur crucifié il ne sera jamais quitte de ses pechés; que s'il le fait, le Sauveur s'en chargera, et, quoy qu'il soit innocent, il mourra à cause de nos iniquités et pour nous en delivrer, voire il mourra avec une sainte complaisance de nostre guerison, bien que ce soit aux despens de sa propre vie..

  A010000919 

 C'est le sacrifice de nos levres et de nostre cœur que nous presentons à Dieu tant pour nous que pour le prochain; aussi Nostre Seigneur s'en servit-il disant à son Pere: Mon Pere, pardonnez-leur parce qu'ils ne sçavent ce qu'ils font.

  A010000919 

 La premiere parole donc que Nostre Seigneur prononça sur la croix fut une priere pour ceux qui le crucifioyent; et c'est alors qu'il fit ce qu'escrit saint Paul: Aux jours de sa chair il offrit des sacrifices à son Pere celeste.

  A010000919 

 Nous connoissons cela par les paroles que nostre divin Maistre dit sur la croix, par les larmes et souspirs amoureux qu'il y jetta.

  A010000919 

 O que grande estoit la flamme d'amour qui brusloit dans le cœur de nostre doux Sauveur, puisqu'au plus fort de ses douleurs, au temps auquel la vehemence de ses tourmens sembloit luy oster mesme le pouvoir de prier pour soy, il vint par la force de sa charité à s'oublier de soy mesme, mais non de ses creatures; et pour ce, avec une voix forte et intelligible il dit ces mots: Mon Pere, pardonnez-leur.

  A010000920 

 Il est vray que le Pere celeste portoit une grande reverence à ce Fils qui, entant que Dieu, luy est esgal et au Saint Esprit, ayant avec luy une mesme substance, sapience, puissance, bonté et infinie immensité; c'est pourquoy, le regardant comme son Verbe, le Pere ne luy pouvoit rien refuser.

  A010000920 

 Mais, mon Dieu, quelle charité ardente estoit celle cy et quelle puissance avoit une telle priere! Certes, les prieres de Nostre Seigneur estoyent si efficaces et si meritoires que rien ne luy pouvoit estre refusé; et pour ce il fut exaucé, comme dit le grand Apostre, à cause de la reverence que le Pere luy portoit.

  A010000920 

 Or, ce divin Seigneur s'estant employé à demander pardon [372] pour les hommes, il est tout certain que sa demande luy lut accordée, car son divin Pere l'honnoroit trop pour luy denier quelque chose de ce qu'il luy requeroit..

  A010000921 

 Il fut donques exaucé non seulement à cause de la reverence que le Pere luy portoit, mais aussi à cause de celle qu'il portoit au Pere et avec laquelle il prioit, d'autant que c'est une chose qui ne peut estre imaginée ni comprise que cette reverence que ces deux divines Personnes se portent reciproquement.

  A010000921 

 Tout ainsy que deux grans rois, esgaux en grandeur et en puissance, se rencontrant ensemble se traittent et parlent à l'envi avec tant d'honneur et respect que si l'un des deux prie l'autre de quelque chose il le luy accorde fort promptement et absolument, de mesme en est-il du Pere eternel et de son Fils Nostre Seigneur, car tous deux sont esgaux en dignité, excellence et perfection..

  A010000922 

 C'est pourquoy il ne faut nullement douter que les prieres faites avec une si grande et si admirable reverence par une personne d'un merite et perfection infinis ne fussent tout aussi tost accordées.

  A010000922 

 Jesus Christ fit donques cette priere à son Pere; mais avec quelle reverence! Certes, la sacrée Vierge Nostre Dame a surpassé toute creature en l'humilité et respect avec lesquels elle a prié et traitté avec son Dieu; tous les Saints ont prié avec grande reverence; les colonnes du Ciel tremblent, les plus hauts Seraphins fremissent et se couvrent de leurs aisles pour l'honneur qu'ils portent à la divine Majesté; mais toutes ces humilités, tous ces honneurs, toute cette reverence que la Vierge, les Saints, tous les Anges et les Seraphins rendent à Dieu ne sont rien en comparaison de celle de Nostre Seigneur.

  A010000922 

 Que si tous ceux qui le crucifierent ne receurent pas le pardon que le Sauveur avoit demandé pour eux ce ne fut pas sa faute, comme nous le monstrerons..

  A010000923 

 Il estoit crucifié au milieu de deux larrons, meschans, traistres et voleurs, l'un desquels le blasphemoit; l'autre confessant son innocence luy dit: Ha, Seigneur, je reconnois bien que vous n'estes point coulpable, mais ouy bien moy qui merite pour mes pechés et crimes d'estre attaché à cette croix; et pour ce je vous prie d'avoir souvenance de moy quand vous serez en vostre Royaume..

  A010000924 

 Grand accident que celuy cy, lequel perça le cœur de Nostre Seigneur! Hé, pauvre saint Pierre, que faites-vous et que dites-vous? Vous ne sçavez quel il est, vous ne le connoissez pas, vous qui avez esté appellé de sa propre bouche à l'apostolat, vous qui avez confessé qu'il estoit le Fils du Dieu vivant! Ah! miserable homme que vous estes, comment osez-vous dire que vous ne le connoissez pas? N'est-ce pas Celuy qui nagueres estoit à vos pieds pour les laver, qui vous a repeu de son corps et de son sang? Et vous asseurez que vous ne le connoissez pas! Oh, comme est-ce que la terre vous peut supporter? comment ne s'ouvre-t-elle pas pour vous engloutir dans le plus profond des enfers?.

  A010000924 

 Il faut que je vous fasse sur ce sujet une remarque que je ne vous ay point encores faite en ce lieu, bien qu'il me semble en avoir parlé ailleurs.

  A010000925 

 O Dieu, mes cheres Sœurs, que terribles et espouvantables sont les cheutes des serviteurs de Dieu, principalement de ceux qui ont receu de grandes graces; car quelle plus grande grace que celle qui avoit esté donnée à saint Pierre et à Judas? Celuy [374] cy avoit esté appellé à l'apostolat par Nostre Seigneur mesme, qui le prefera à tant et tant de millions d'autres lesquels eussent fait des merveilles en ce ministere; le Sauveur luy fit des faveurs signalées, car outre qu'il luy accorda le don des miracles, il luy predit encores ce qui luy devoit arriver touchant sa trahison à fin que, le sçachant, il eust moyen de l'eviter.

  A010000926 

 O miserable viellesse que celle cy! Que c'est une chose espouvantable de tomber entre les mains du Dieu vivant! Que ses jugemens sont inscrutables! Que celuy qui est debout craigne donques de tomber, dit l'Apostre; que personne ne se glorifie pour se voir bien appellé de Dieu, et en quelque lieu où il semble n'avoir rien à craindre.

  A010000926 

 Oh, que les cheutes de ceux qui sont sur la montagne sont effroyables et dangereuses! car dès que l'on a commencé de tomber, l'on roule puis apres jusques à ce que l'on soit au fond du precipice.

  A010000926 

 Que personne ne presume de ses bonnes œuvres et pense n'avoir plus rien à redouter, puisque saint Pierre qui avoit receu tant de graces, qui avoit promis d'accompagner Nostre Seigneur à la prison et jusques à la mort mesme, le renia neanmoins au moindre sifflement d'une chambriere, et que Judas le vendit pour une si petite somme de deniers..

  A010000926 

 Tel fut le malheur de Salomon, dont le salut nous laisse bien en doute, de mesme que plusieurs autres qui ont abandonné le bon chemin en leurs dernieres années.

  A010000927 

 Cependant nostre Sauveur inspira au cœur de Judas le mesme peccavi qu'au cœur de saint Pierre; ce mesme peccavi que Dieu avoit inspiré au cœur de David, il l'inspira à celuy des deux Apostres, et neanmoins l'un le rejetta et l'autre le receut; car saint Pierre entendant le coq chanter se resouvint de ce qu'il avoit fait et de ce que luy avoit dit son bon Maistre, et lors, reconnoissant sa faute, il sortit et pleura si amerement que pour cela il receut indulgence pleniere et remission de tous ses pechés.

  A010000927 

 Ces cheutes furent toutes deux tres grandes; mais il y [375] eut cette difference, que l'un se reconneut et l'autre se desespera.

  A010000928 

 Je sçay bien que ce furent les regards sacrés de nostre Sauveur qui luy penetrerent le cœur et luy ouvrirent les yeux pour luy faire reconnoistre son peché; neanmoins l'Evangeliste nous dit qu'il sortit pour le pleurer quand le coq chanta, et non point aussi tost que Nostre Seigneur le regarda..

  A010000928 

 Mais faites encores cette remarque, je vous prie, que saint Pierre ne se convertit point qu'il n'entendist le chant du coq comme Nostre Seigneur le luy avoit predit; en quoy l'on voit l'admirable sousmission de cet Apostre à se servir du moyen marqué pour sujet de sa conversion.

  A010000929 

 Despuis ce temps là il ne cessa jamais de pleurer, principalement quand il entendoit chanter le coq la nuit et le matin, se resouvenant que c'estoit le signal de sa conversion.

  A010000929 

 O glorieux saint Pierre, que vous fustes heureux de faire une si grande penitence d'une telle et si grande desloyauté, car par icelle vous fustes remis en grace, et vous qui meritiez une mort eternelle, vous rendistes capable de la vie eternelle.

  A010000930 

 Hé, le malheureux, ne sçavoit-il pas bien que Nostre Seigneur estoit celuy qui seul la luy pouvoit donner, qu'il estoit le Sauveur et tenoit la redemption entre ses mains? L'avoit-il pas bien veu en ceux auxquels il avoit remis les pechés? Certes, il le sçavoit, mais il ne voulut ni n'osa demander pardon, car le diable, pour le tirer au desespoir, luy monstra l'enormité et laideur de son crime, et luy fit peut estre craindre qu'en demandant pardon à son Maistre il ne luy donnast pour iceluy une penitence trop grande.

  A010000930 

 Il est vray aussi que ce peccavi que Dieu envoya au cœur de Judas fut comme celuy qu'il envoya jadis au cœur de David: pourquoy donques ne se convertit-il pas? O miserable! il vit la grandeur de sa faute et se desespera.

  A010000930 

 Je sçay bien qu'il y a de la difference entre la grace efficace et la grace suffisante, comme disent les theologiens; mais je ne suis pas en ce lieu pour prouver et disputer si cette inspiration du peccavi de Judas fut efficace aussi bien que celle de David, ou seulement suffisante; elle fut certainement suffisante.

  A010000930 

 Judas, au contraire, quoy qu'il receust l'inspiration du mesme peccavi que saint Pierre, la rejetta et se desespera.

  A010000931 

 Voicy donques que l'un d'iceux, tres meschant homme, [377] se tournant devers Jesus confessa qu'il estoit innocent, et que luy estant pecheur, meritoit d'estre mis en croix; puis il luy demanda pardon, lequel il receut si absolument que Nostre Seigneur luy promit qu'il entreroit ce jour-là en Paradis avec luy..

  A010000932 

 C'estoit assez tost, car Nostre Seigneur avoit dit que quiconque regarderoit sa Croix, pour grand pecheur qu'il fust, il recevroit le salut, quoy que sur le declin de sa vie, comme fit le bon larron.

  A010000932 

 Mais l'autre larron, encores qu'il se trouvast au costé du doux Jesus, il y fut en vain, d'autant qu'il ne voulut jamais regarder la Croix; et combien qu'il receust beaucoup d'inspirations, et mesme des gouttes de ce sang divin qui l'aspergeoit, et que nostre cher Sauveur le sollicitast souvent en son cœur par des secrettes et tres amoureuses semonces de regarder ce bois sacré et le mystique Serpent qui y estoit attaché à fin d'obtenir sa guerison par ce moyen, il ne le voulut point faire; c'est pourquoy il se perdit miserablement, et s'obstinant mourut en son peché..

  A010000933 

 Grand sujet de craindre et d'esperer! Il y en a encores qui n'ont jamais fait aucun bien et qui à la fin de leur vie trouvent le pardon et la misericorde, tandis que d'autres au contraire perseverent en leurs iniquités..

  A010000934 

 O Dieu, que grande est l'humilité et le rabaissement avec lequel nous devons vivre sur cette terre! Mais aussi, quel sujet de bien ancrer nostre esperance et confiance en Nostre Seigneur; car si apres avoir commis des pechés tels que de le renier, de perseverer et user sa vie en des horribles forfaits et iniquités l'on trouve la remission quand on se retourne du costé de la Croix où est attachée nostre Redemption, que doit craindre le pecheur de l'une et l'autre sorte de revenir à son Dieu en la vie et en la mort? Escoutera-t-il encores cet esprit malin qui luy fait voir ses fautes telles qu'il n'en puisse recevoir le pardon? Hé, qu'il responde hardiment que son Dieu est mort pour tous, et que ceux qui regarderont la Croix, pour grans pecheurs qu'ils soyent, trouveront le salut et la redemption..

  A010000935 

 Mais que ne doit-on esperer de cette redemption si abondante qu'elle regorge de toutes parts, comme nous dirons tantost.

  A010000935 

 O Dieu, combien de fois nostre divin Sauveur l'offrit-il à Judas et au mauvais larron! Avec quelle patience attendit-il l'un et l'autre! Que ne fit pas le cœur sacré de ce cher Sauveur à l'endroit de celuy de Judas? combien de mouvemens, d'inspirations secrettes ne luy donna-t-il pas, tant en la cene, quand il estoit à genoux devant luy, luy lavant les pieds, qu'au jardin des Olives, lors qu'il l'embrassa et le baysa, comme aussi durant le chemin et en la mayson de Caïphe lors que ce malheureux confessa sa faute.

  A010000936 

 Donques si Nostre Seigneur remet si librement de si grans et enormes pechés, voire s'il offre mesme le pardon aux obstinés et les attend à penitence avec tant de patience, o Dieu que ne fera-t-il à celuy qui le luy demande, et avec quel cœur ne recevra-t-il pas le penitent contrit?.

  A010000936 

 Helas! ce miserable, en refusant ainsy le salut, [379] ne meritoit-il pas que Dieu le precipitast à l'instant dans les enfers? Mais il ne le fit point, ains l'attendit à penitence jusques à ce qu'il expirast.

  A010000936 

 Que ne fit pas aussi ce mesme cœur de nostre Sauveur à l'endroit de celuy du mauvais larron tout le temps qu'il fut sur la croix? Combien de fois le regarda-t-il, le provoquant à le regarder, permettant que son pretieux sang vinst à tomber sur luy à dessein d'amollir et purifier son ame.

  A010000937 

 Elle estoit ce pendant crucifiée en son cœur avec les mesmes doux que Nostre Seigneur l'estoit en son corps, car elle s'en alloit estre sans enfant et sans mary..

  A010000938 

 Certes, il failloit bien que le cœur de cette sainte Vierge parfaitement sousmise et resignée fut grandement fort, puisque Nostre Seigneur qui le connoissoit le traitta de la sorte: Femme, luy dit-il, voyla ton fils, luy monstrant saint Jean qui estoit le cher Disciple de son cœur et le cheri de ses entrailles.

  A010000938 

 Mais son cher Enfant qui s'en alloit mourir, voyant que, demeurant vefve et orpheline, elle ne sçauroit où aller, il la voulut pourvoir en cette desolation, luy donnant son Disciple pour fils, comme la [380] chose la plus pretieuse qu'il luy pouvoit laisser en mourant; car c'estoit le disciple qu'il aymoit et auquel il inspira un veritable amour de fils pour une telle Mere, à fin que par ce moyen il eust plus de soin et de souci d'elle..

  A010000939 

 Et les meres se glorifient de dire à leurs filles en ce dernier abois: Allez-vous-en en un tel coffre, vous trouverez encores toute neuve la robe avec laquelle je fus espousée, vous y trouverez mes chaisnes et mes bagues que je vous ay conservées, et telles autres bagatelles.

  A010000939 

 Mais nostre cher Sauveur ne laissa rien de tout cela à saint Jean et à sa Mere, ains leur laissa un tresor plus grand que tout cela..

  A010000939 

 O folie et niaiserie que celle cy! Et toutefois elles font gloire en mourant, de pouvoir leguer telles choses.

  A010000940 

 Combien donques estoit grand cet amour que le tres saint cœur de la Vierge avoit pour celuy de Nostre Seigneur! Et si cet amour estoit si grand, combien fut grande la douleur qu'elle ressentit de le quitter et de [381] le voir mourir, et par ce moyen d'estre frustrée de sa presence corporelle!.

  A010000940 

 Il est vray que Nostre Dame ressentit alors une douleur telle que l'inesgalité de ces deux enfans luy pouvoit causer, car il n'y a nulle comparaison entre Nostre Seigneur et son Disciple.

  A010000940 

 Mais cette sacrée Vierge passa plus outre, d'autant qu'elle vit que Nostre Seigneur en luy donnant saint Jean pour fils luy donnoit par consequent tous les Chrestiens, desquels il vouloit qu'elle fust la mere, comme enfans de grace, car Jean signifie grace.

  A010000940 

 Neanmoins, comme tres sousmise, elle l'accepta avec un cœur doux et tranquille, et son divin Fils luy donna pour saint Jean un amour plus tendre que n'eurent ni n'auront jamais toutes les meres ensemble envers leurs enfans.

  A010000941 

 C'est qu'aussi tost que le Sauveur eut dit cette troisiesme parolle le soleil retira sa clarté et les tenebres couvrirent toute la terre, mais elles estoyent si espaisses que c'estoit une chose espouvantable.

  A010000942 

 Aussi saint Denis, qui pour lors n'estoit pas Chrestien et qui par apres ayant esté converti par les predications du grand Apostre saint Paul, vint en ces quartiers et fut Apostre de la France, s'escria en voyant ce prodige: Il faut de deux choses l'une, «ou que le Dieu de la nature souffre, ou que la fin du monde approche,» car cette ecclipse est tout à fait surnaturelle, puisqu'elle est en plein midy et au plein de la lune, et que de plus elle surpasse le terme ordinaire des ecclipses (elle dura trois heures entieres).

  A010000942 

 Certes il disoit vray, car ces tenebres provenoyent de ce que le Dieu de la nature souffroit en Hierusalem..

  A010000942 

 Il n'y a point de doute non plus que cette ecclipse ne fust surnaturelle et qu'en icelle le soleil ne souffrist, car elle arriva en plein midy et quand la lune estoit en son plein.

  A010000942 

 Pour moy je suis l'opinion de ceux qui tiennent que les tenebres couvrirent toute la terre, car le grand saint Denis Areopagite, qui estoit alors en Egypte, en fait mention, et plusieurs historiens font foy de cecy.

  A010000943 

 O Dieu, combien de larmes amoureuses jetta-t-il pendant ces trois heures de meditation, combien de souspirs et sanglots! Mais helas, de combien et de quelles douleurs fut transpercé le sacré cœur de mon Sauveur! O certes, personne ne le sçait que Celuy qui les souffrit, et peut estre la sacrée Vierge Nostre Dame qui estoit au pied de la croix, à qui il les communiquoit, laquelle les ruminoit en soy mesme..

  A010000943 

 Or, que fit Nostre Seigneur pendant ces trois heures là? Il les employa à offrir des sacrifices de louange.

  A010000944 

 Mais d'autant que ces douleurs n'estoyent conneuës que de luy seul qui les souffroit et de sa sainte Mere à qui il les communiquoit, voulant faire voir à tout le monde qu'il n'estoit pas là sans souffrir, il cria tout haut en se plaignant à son Pere eternel, de sorte qu'il fut entendu de tous: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoy m'avez-vous delaissé?.

  A010000944 

 Or, comme je me souviens de vous avoir desja parlé plusieurs fois sur ce sujet, je ne vous en diray rien à cette heure, sinon que je pense que la plus grande douleur qu'enduroit alors le cœur sacré de Nostre Seigneur fut causée par l'ingratitude de ces Chrestiens qui, mesprisans sa Mort et ne se servans pas de cette Passion qui luy estoit si penible et douloureuse, se perdroyent pour ne s'en vouloir prevaloir.

  A010000945 

 Ce fut icy la quatriesme parole que Nostre Seigneur profera sur l'arbre de la croix.

  A010000945 

 Mais la partie inferieure fut tellement abandonnée de tout secours humain et divin, que se trouvant privée de toute consolation et sentant les douleurs du corps et de l'esprit avec toute l'aspreté et rigueur qui se puisse souffrir, il se plaignit disant: Mon Dieu, mon Dieu, pour quoy m'avez vous delaissé? pour faire entendre à tous la vehemente douleur qu'il enduroit alors.

  A010000946 

 Elie estoit mort il y avoit plusieurs années, du moins il n'estoit pas de ce monde, ains avoit esté emporté dans un chariot de feu par les Anges; partant ils penserent que nostre cher Maistre l'appelloit à son secours parmi une si grande affliction.

  A010000946 

 Et ceux cy, meschans qu'ils estoyent, ne croyoient pas que les Saints puissent aucune chose pour ceux qui sont affligés ni pour ceux qui les invoquent.

  A010000946 

 Ils estoyent donc huguenots puisqu'ils nioyent le pouvoir que les Saints ont aupres de la divine Majesté.

  A010000946 

 Les autres disoyent: Il invoque Elie, mais que luy peut-il faire? il ne le peut pas delivrer.

  A010000946 

 Les autres murmuroyent par ensemble: S'il est si saint que l'on dit, que ne se sauve-t-il soy mesme! Il en a tant sauvé d'autres; il est fol s'il ne fait pour luy ce qu'il a fait pour eux.

  A010000947 

 Gracieuse offre que celle cy au cœur de nostre doux Sauveur qui estoit tant amoureux du salut de nos ames! Plusieurs blasphemoyent contre [384] luy, l'appellant sorcier et enchanteur, reputant ces tenebres à quelque trait de magie; d'autres disoyent que ce n'estoyent pas des tenebres, mais qu'ils avoyent les yeux sillés et esblouis par ses enchantemens; et par tels et semblables discours ce tres sacré cœur de Nostre Seigneur souffroit des douleurs incomparables..

  A010000947 

 On luy fit aussi les plus belles offres, les plus desirables semonces qui se peuvent imaginer, d'autant que les uns luy crioyent: Toy qui te vantes d'estre Fils de Dieu, descens de la croix, et nous t'adorerons et te reconnoistrons pour tel.

  A010000947 

 Tu as dit que tu destruirois le Temple; or sus, fais maintenant quelque miracle pour ta delivrance et nous te reconnoistrons pour nostre Dieu.

  A010000949 

 Il voyoit encores que plusieurs demanderoyent un autre moyen que celuy de sa Passion pour se sauver, comme faisoit ce peuple qui luy crioit de descendre de la croix et qu'il croiroit en luy; car, sembloit-il dire à nostre beni Sauveur, si tu as si soif de nostre salut, descens de cette croix et nous croirons en toy, et par ce moyen tu auras aussi le pouvoir de te desalterer.

  A010000949 

 Mais quoy que Nostre Seigneur fust si infiniment desireux du salut des ames que pour leur acquerir ce salut il avoit exposé sa vie en mourant pour nous, il ne voulut pas neanmoins descendre de la croix parce que la volonté de son Pere n'estoit pas telle, ains au contraire c'estoit cette volonté qui le tenoit attaché à ce bois..

  A010000949 

 Toutefois elle n'estoit rien en comparaison de la soif spirituelle dont son ame estoit pressée; car il desiroit avec une ardeur insatiable qu'un chacun se convertist au prix de sa Passion; aussi, voyant que tant d'ames en abuseroyent, il se plaint par cette parole: J'ay soif.

  A010000950 

 Ha! miserables que vous estes, dit nostre Sauveur, vous demandez que je descende de ce bois pour croire en moy; c'est à sçavoir vous voulez un autre moyen de redemption que celuy que mon Pere a ordonné de toute eternité, moyen qui a esté predit par tant de Prophetes et annoncé par tant de figures; vous pretendez donc estre sauvés comme vous voulez et non comme Dieu veut.

  A010000950 

 O miserable peuple, que dites-vous, que nostre cher Sauveur et Maistre descende de ce gibet? Oh! il ne le [385] fera pas, car, dit saint Paul, il s'est fait obeissant jusques à la mort, et à la mort de la croix; il est monté sur la croix par obeissance et mourra en icelle par obeissance.

  A010000951 

 C'est pour parfaire cette redemption que Nostre Seigneur ne voulut point descendre de la croix, de sorte que, comme dit le grand Apostre, il a esté vrayement obeissant jusques à la croix, car il est veritablement mort de la mort de la croix par une grande obeissance.

  A010000951 

 O miserables gens, qui demandez une autre redemption que celle de la Croix, celle-cy n'est-elle donc pas suffisante? Elle est mesme plus que suffisante, puisqu'il est vray qu'une seule larme, un seul souspir amoureux sortant de ce cœur sacré pouvoit racheter des millions de milliers de natures humaines et angeliques, s'il y en eust eu autant qui eussent peché; et toutefois il ne nous a pas rachetés avec un seul souspir ni une seule larme, ains avec tant et tant de travaux et de peines, ayant espuisé tout le sang de ses veines.

  A010000952 

 Ainsy plusieurs l'estiment grandement, ils lisent avec un grand goust ce que l'on en escrit.

  A010000952 

 D'autres encores veulent bien obeir, pourveu qu'on ne les contrarie point en leurs caprices; celuy cy se sousmettra à l'un, mais non pas esgalement à un autre; et peu de chose esprouve la vertu de telle sorte de gens qui obeissent en ce qu'ils veulent et non pas en ce que Dieu veut.

  A010000952 

 Il s'en trouve aussi qui veulent bien obeir, mais avec cette condition que l'on ne leur commandera rien de difficile.

  A010000952 

 Ils parlent bien des cinq degrés d'obeissance; nanmoins ils ne font rien plus que les theologiens qui en discourent si excellemment.

  A010000952 

 O que bienheureux sont les obeissans, disent-ils.

  A010000953 

 Ne desirez donques point de descendre de cette croix sous quelque bon pretexte que ce soit; mais puisque Dieu vous y a mis demeurez-y sans en sortir..

  A010000953 

 Que les mariés demeurent en la croix de l'obeissance, c'est à dire du mariage; car c'est leur croix la meilleure et celle de la plus grande prattique, d'autant que l'on est presque en perpetuelle action et que les occasions de souffrir y sont plus frequentes qu'en aucune autre.

  A010000954 

 Que le prelat et celuy qui a charge d'ames ne desire point d'estre destaché de cette croix à cause du tracas de [387] mille soucis et empeschemens qu'il y rencontre; ains qu'il fasse ce qui est de son devoir en son office, ayant soin des ames que Dieu luy a commises, instruisant les uns, consolant les autres, tantost parlant, tantost se taisant, donnant le temps à l'action et, quand il le doit, à la priere.

  A010000955 

 Et que l'on ne me dise pas: O Dieu, si j'avois maintenant ma liberté je ferois tant d'heures d'oraison, et peut estre j'y recevrois tant de consolations qu'à l'adventure j'y serois ravi.

  A010000955 

 Que le Religieux reste constamment et fidellement cloué à la croix de sa vocation, sans jamais laisser entrer la moindre pensée qui le puisse divertir ni faire varier en l'entreprise qu'il a faitte de servir Dieu en cette maniere de vivre, ni moins qu'il n'escoute jamais ce qui le porteroit à faire ce qui seroit contraire à l'obeissance.

  A010000955 

 Si j'allois maintenant faire l'oraison, je prierois si fervemment que je serois eslevé de deux ou trois coudées de terre.

  A010000955 

 Si je priois à cette heure, je ferois tant que peu s'en faudroit que je n'arrachasse le cœur de Dieu pour le mettre dans le mien, ou bien je m'eslancerois en telle sorte que je mettrois la main dans le costé du Sauveur pour luy desrober son cœur.

  A010000956 

 Oh! dit-il, vous voulez que j'en descende? mais moy je vous dis au contraire que tout est consommé.

  A010000957 

 Il se presente encores icy un grand nombre de considerations, car certes c'est en icelle que consiste toute la perfection chrestienne.

  A010000957 

 Pendant que j'ay vescu je vous ay desja, o mon Pere, remis sans reserve mon corps et mon ame; à cette heure il ne me reste plus rien, apres avoir tout accompli ce que vous requeriez de moy, sinon de remettre mon esprit entre vos mains..

  A010000958 

 Ah! mes cheres Sœurs, si quand nous nous consacrons au service de Dieu nous commencions par remettre absolument et sans reserve nostre esprit entre ses mains, que nous serions heureux! Tout le retardement de nostre perfection ne provient que de ce defaut d'abandon; et il est vray qu'il faut par là commencer, poursuivre et finir la vie spirituelle, à l'imitation du Sauveur qui l'a fait avec une admirable perfection au commencement, au progres et à la fin de sa vie..

  A010000958 

 C'est la quintessence de la vie spirituelle que ce parfait abandonnement entre les mains du Pere celeste et cette parfaite indifference en ce qui est de ses divines volontés.

  A010000958 

 Tout est accompli, mais s'il vous plaist que mon esprit demeure encores plus long temps dans ce corps à fin de souffrir davantage, je le remets entre vos mains; si vous voulez que je passe de cette vie en l'autre pour entrer en ma gloire, je remets mon esprit entre vos mains; en somme, o mon Pere, vouloit dire nostre cher Maistre, me voicy entierement prest et resolu de faire tout ce qu'il vous plaira.

  A010000959 

 Il s'en trouve assez qui, venant au service de Dieu, disent bien à Nostre Seigneur: Je remets mon esprit entre vos mains, avec cette reserve neanmoins, que vous nourrirez mon cœur dans les douceurs et consolations sensibles, et que je ne souffriray point d'aridités ni de secheresses.

  A010000959 

 Je remets mon esprit entre vos mains, mais aussi vous ferez en sorte que du moins je seray tous-jours bien aymé de ceux qui me conduiront, entre les mains desquels je me delaisse pour l'amour de vous; vous ferez qu'ils approuvent et trouvent bon tout ce que je feray, du moins la plus grande partie, car de n'estre pas aymé et de ne pas sentir cet amour cela ne se peut supporter..

  A010000959 

 Je remets mon esprit entre vos mains, mais à condition que l'on ne contrariera pas ma volonté; ou bien, pourveu que vous me donniez un Superieur qui [389] soit selon mon cœur, ou plustost selon mon affection et inclination.

  A010000960 

 Helas, ne voyez-vous pas que ce n'est pas là remettre son esprit entre les mains de Dieu comme fit Nostre Seigneur? Certes, c'est d'icy que naissent tous nos maux, nos troubles, nos inquietudes et autres telles niaiseries; car si tost que les choses n'arrivent pas selon que nous attendions ou comme nous nous promettions, voyla que soudain la desolation saisit nos pauvres esprits qui ne sont pas en cette parfaitte indifference et remise entre les mains divines.

  A010000960 

 O que nous serions heureux si nous prattiquions bien ce point icy qui est l'abbregé et la quintessence de la vie spirituelle! Nous arriverions à la haute perfection d'une sainte Catherine de Sienne, de sainte Françoise, de la bienheureuse Angele de Foligny et de plusieurs autres qui estoyent comme des boules de cire entre les mains de Nostre Seigneur et de leurs Superieurs, recevant toutes les impressions qu'on leur vouloit donner..

  A010000961 

 Que ceux donques qui sont aux actions de la vie active n'en veuillent point sortir pour s'adonner à la [390] contemplative jusques à ce que Dieu l'ordonne, et que ceux qui contemplent ne quittent point la contemplation jusques à ce que Dieu le commande.

  A010000961 

 Que l'on se taise quand il faut, et que l'on parle quand c'en est temps..

  A010000961 

 Voulez-vous que je m'employe aux actions de la vie active ou contemplative? Je remets mon esprit entre vos mains.

  A010000961 

 Voulez-vous que je sois contrariée, que j'aye des repugnances et des difficultés, que je sois aymée ou non, que j'obeisse à celuy cy ou à celle là, et en quoy que ce soit, en choses grandes ou petites? Je remets mon esprit entre vos mains.

  A010000961 

 Voulez-vous que je sois en secheresse ou en consolation? Je remets mon esprit entre vos mains.

  A010000962 

 Que me reste-t-il maintenant sinon de remettre mon esprit entre vos mains à la fin et sur le declin de ma vie, comme je vous l'ay remis au commencement et au milieu d'icelle? Mais pour le pouvoir bien faire, mes cheres Sœurs, employons les trois heures de tenebres de cette vie comme nostre cher Sauveur et Maistre les a employées.

  A010000978 

 On voit par ces mots, chacun de vous, qu'il n'y a celuy lequel vivant ça bas, ne soit compris et enserré dans cette regle qui est sans exception aucune, tant pour ceux qui demeurent emmi le tracas et les distractions ordinaires de ce monde erroné, que pour ceux qui, desirans mener une vie de plus haute perfection, se sont separés d'iceluy; bref, soit grans soit petits, tous sont [392] compris dans cette proposition.

  A010000979 

 Ce n'est donques pas sans sujet, ains à bon droit, que Nostre Seigneur dit: Ainsy, chacun de vous qui ne renoncera à tout ne peut estre mon disciple.

  A010000979 

 Cette leçon, dis-je, est admirable, d'autant que ne pas renoncer à tout c'est avoir encores quelque chose de la terre: or, il n'y a aucune sympathie entre cette pretention et celle de se rendre vray disciple de Celuy qui est tout celeste.

  A010000979 

 Mais avant que passer outre, implorons l'ayde et assistance de celle qui a librement renoncé à tout ce qu'elle possedoit; c'est la Mere de Celuy qui a fait ce commandement..

  A010000981 

 Pour acquerir quelque science que ce soit, il faut, selon l'opinion de tous les philosophes, se fonder sur des propositions generales; autrement il seroit impossible de jamais atteindre à une parfaitte connoissance d'icelle.

  A010000982 

 Mais celles de Dieu nous enseignent tout au contraire que [393] bienheureux sont les pauvres d'esprit, carie Royaume des cieux est à eux.

  A010000982 

 Mais puisqu'un contraire est chassé par son contraire, il est infaillible que les leçons de Nostre Seigneur renversent et abolissent totalement celles du monde.

  A010000982 

 Par où nous voyons clairement que celles que Dieu est venu donner au monde sont directement opposées à celles de ce siecle et qu'elles les destruisent totalement..

  A010000983 

 Ces paroles devroyent estre gravées et empreintes en nos cœurs d'une impression telle que la mort seule les peust effacer, puisque sans Jesus Christ nostre vie est plustost une mort qu'une vie, sans la verité qu'il a apportée au monde, tout eust esté plein de confusion, et si nous ne suivons ses traces, [394] vestiges et voyes nous ne pourrons trouver le chemin qui conduit au Ciel..

  A010000983 

 Il suffit que, par un esprit d'abnegation, ils ayent un ferme propos de souffrir toutes sortes d'incommodités, travaux, peines et mesme le martyre si l'occasion s'en presentoit, plustost que de preferer aucune chose de ce monde caduc et perissable aux commandemens, au service et honneur de Dieu.

  A010000983 

 Mais helas, combien peu y en a-t-il qui embrassent cette verité et suivent cette voye, laquelle n'est autre que Jesus Christ mesme qui a dit: Je suis la vie, la verité et la voye.

  A010000983 

 Sur quoy il faut remarquer que tous ne sont pas obligés de quitter de fait tout ce qu'ils possedent, et en la mesme façon que ceux qui ont fait vœu de pauvreté.

  A010000984 

 Ce n'est pas toutefois que la prattique de la premiere consideration ne soit suffisante pour acquerir le Ciel: ainsy voyons-nous un saint Louys ne s'estre demis de la couronne royale qu'en esprit d'abnegation, et non reellement, et avoir cependant conquis l'heritage celeste.

  A010000984 

 Davantage, qui ne sçait que David a esté un grand et puissant roy? Neanmoins, sans quitter cette dignité, il a mené une vie prophetique et toute pleine de sainteté..

  A010000984 

 La deuxiesme consideration est plus relevée et excellente que la premiere et appartient principalement à ceux qui aspirent à une plus haute perfection: c'est de quitter tout ce qu'ils possedent, non point seulement par un esprit d'abnegation, mais aussi de fait, et se despouiller de toutes les choses de ce monde caduc et transitoire.

  A010000985 

 Il semble de prime abord qu'il y a de la superfluité en ces paroles: Quiconque ne renoncera à tout ce qu'il possede; car pouvons-nous renoncer à ce que nous ne possedons pas? Ouy, nous le pouvons en quelque façon, parce que nous pouvons quitter les choses futures que nous esperons avoir, comme seroit quelque succession, honneur ou chose semblable.

  A010000985 

 La troisiesme consideration, qui n'est pas de peu d'utilité si elle est bien goustée, consiste à reconnoistre les choses que nous possedons, à fin que par adventure nous ne soyons point trompés en l'abnegation de celles qui ne sont pas en nostre puissance.

  A010000985 

 Mais la providence de Dieu est admirable en cecy, ayant voulu, par une prescience tres utile, exprimer ces mots, ce qu'il possede, pour nous enseigner que principalement et en premier lieu nous devons faire banqueroute aux choses possedées avant que de venir à l'abnegation des futures..

  A010000986 

 Avant que luy dedier ce que tu n'as pas, presente-luy cette infirmité et maladie avec une bonne patience et resignation de ta volonté à la sienne, et ainsy tu renonceras selon la volonté divine à ce que tu possedes; j'entens, à cette impatience que tu retiens, laquelle t'empesche de supporter tes afflictions et tes maladies pour l'amour de luy.

  A010000986 

 Helas, combien y a-t-il de mortels qui s'abusent et se trompent en ce point! Demandez à un malade pourquoy il desire la santé et ce qu'il feroit s'il venoit en convalescence? Ha, respondra-t-il, que je ferois? Je remercierois Dieu de m'avoir osté de la grande peine où j'estois et que j'endurois, et je quitterois volontiers toutes [395] sortes d'occupations pour m'adonner à son service.

  A010000986 

 Hé, mon amy, que penses-tu faire? Tu veux donner à Dieu ce que tu n'as pas.

  A010000986 

 Il est tres asseuré que les vielles gens sont proches de la mort et que les jeunes peuvent bien tost mourir; neanmoins, parlez à un jeune homme esventé et l'interrogez de l'estat de son salut: Quoy, dira-t-il, ne suffit-il pas que je dedie à Dieu mes vieux jours? Si faut-il se donner du bon temps tandis qu'on est jeune.

  A010000986 

 Miserable que tu es, tu veux donc faire present à Dieu de ce que par adventure tu n'auras jamais! Et s'il dispose de toy en tes tendres années, lesquelles tu pretens passer servant au monde, en quelle voye de salut te verras-tu reduit? O deplorable ignorance de la doctrine celeste! Lors qu'il s'agit du service de Dieu nous voulons renoncer aux choses futures pour laisser l'exercice des presentes..

  A010000987 

 La quatriesme et derniere consideration est de prendre garde que le ferme propos que nous avons de tout quitter ne soit vain, dissimulé et par flatterie; car si celuy qui fait edifier une tour est si imprudent qu'il ne considere point avant de la commencer s'il a des biens et des commodités suffisantes pour mettre à chef son edifice, et que par cette imprudence il ne puisse faire reussir son dessein, ne jugerez-vous pas qu'il est un sot et un mal advisé? De mesme, un roy ne seroit-il pas bien despourveu de jugement, si sçachant qu' un autre roy a mis vingt mille hommes sur pied pour luy donner la bataille, il ne consultoit pour sçavoir s'il pourra avec dix mille hommes aller au devant de celuy qui vient avec vingt mille? Autrement, s'il ne le fait, il sera contraint, et avec grande confusion et detriment de son honneur, d'envoyer au devant de l'ennemy demander les moyens de paix.

  A010000988 

 Ainsy nous en arrivera-t-il si nous ne prenons garde que le ferme propos que nous avons de renoncer à toutes choses soit assez solide et suffisant pour nous conduire à chef de nostre dessein, car nous avons un ennemy qui est grandement madré et puissant.

  A010000988 

 Que si une fois nous manquons de prevoyance, et qu'à nostre grande honte il nous faille demander la paix, nous voyla perdus, d'autant qu'il n'y a point de doute que faisant paix avec nostre ennemy nous perdons le tiltre glorieux de soldats de.

  A010000989 

 Mais, me demandera quelqu'un, à quel propos est-il dit qu'il faut renoncer à tout? Ceux qui n'ont rien, ou à tout le moins bien peu, à quoy peuvent-ils renoncer? A cela je respons qu'il est expedient que celuy qui a peu quitte peu, et que celuy qui a beaucoup quitte beaucoup.

  A010000990 

 Bref, à la verité, nous ne possedons qu'une bien petite partie de nous mesme: ainsy, nous ne sommes pas maistres de nostre fantasie, puisque nous ne pouvons nous garantir d'un nombre presque infini d'illusions et imaginations qui nous surviennent; il en faut dire autant de nostre memoire, car combien de fois voudrions-nous nous souvenir de plusieurs choses, et nous ne le pouvons faire, ou au contraire ne pas nous souvenir de beaucoup d'autres que nous ne pouvons oublier.

  A010000990 

 En fin, parcourez [397] tant qu'il vous plaira tout ce qui est en nous, vous ne trouverez qu'une seule petite partie dont nous soyons maistres: c'est la volonté, laquelle nous possedons tellement que Dieu mesme n'a pas voulu s'en reserver le dessus, donnant à l'homme libre juridiction ou d'embrasser le mal ou de suivre le bien, si mieux il luy aggrée..

  A010000994 

 J'ay coustume de declarer tousjours le sujet avant que d'en parler..

  A010000994 

 de loysir que le tracas du monde nous laisse sera cause que je vous entretiendray fort simplement et familierement (car il me semble que les choses en sont meilleures) des deux points que je ne vous peus expliquer jeudy dernier, c'est à dire comme il faut celebrer les festes et quelles sont les festes et mysteres que nous celebrons.

  A010000995 

 En premier lieu il faut sçavoir qu'il y a trois sortes de festes: celles que l'Eglise nous commande, celles qu'elle nous recommande, et les festes politiques, comme est celle qui se celebre aujourd'huy pour l'entrée du Roy en cette ville, laquelle estant ordonnée par les Messieurs de ville est ainsy rendue politique.

  A010000995 

 Les festes nous sont recommandées à fin de rendre à Dieu l'honneur, le culte et l'adoration que nous luy devons comme à nostre souverain Maistre et Seigneur.

  A010000996 

 Il faut sçavoir d'abord qu'il y a en icelle quatre parties: la premiere est ce que nous devons croire, la seconde ce que nous devons esperer, la troisiesme ce que nous devons aymer, la quatriesme ce que nous devons faire et prattiquer..

  A010000996 

 Mais premier que d'entrer plus avant en nostre discours, disons ce mot sur l'abbregé de nostre foy pour l'instruction des Chrestiens.

  A010000997 

 C'est ainsy que ces meschans heretiques ont voulu dire que le saint Sacrifice de la Messe n'estoit pas compris dans nostre Symbole.

  A010000997 

 Ce qu'ils ont avancé, ces miserables, pour voir si quelqu'un auroit l'esprit si foible que de croire leurs erreurs.

  A010000997 

 La premiere est renfermée dans le Symbole des Apostres, lequel s'appelle ainsy parce que ce sont les Apostres qui l'ont composé.

  A010000997 

 Or, mes cheres ames, je vous dis qu'il y a cent articles en nostre foy qui ne sont point exprimés dans le Symbole, lesquels pourtant tous les Chrestiens doivent croire; et ne faut point dire: Je me contente de croire ce que l'Eglise croit, et demeurer ainsy en cette ignorance crasse..

  A010000997 

 Par exemple, il n'est pas dit dans le Credo qu'il y a des Anges; neanmoins c'est une verité que nous croyons et trouvons dans la Sainte Escriture, et que mesme ils sont employés en des ministeres icy bas en ce monde.

  A010000997 

 Tout ce que nous devons croire est compris dans iceluy; et, bien qu'il n'y soit pas tout par le menu, si est-ce que tout y est en gros.

  A010000998 

 Tout ce que nous devons esperer et demander à Dieu est contenu dans les sept demandes du Pater, que nous appelions communement Oraison dominicale, laquelle Nostre Seigneur nous a laissée..

  A010001000 

 De plus, il y a en icelle sept Sacremens, lesquels pourtant nous ne sommes pas obligés de prattiquer tous, ains seulement chacun selon sa vocation, comme celuy des Ordres pour les prestres et celuy du Mariage pour ceux que Dieu y a appellés.

  A010001000 

 Quant aux autres il nous en faut servir en temps et lieux, et les recevoir selon que l'Eglise nous le commande, car nous y sommes tenus..

  A010001001 

 Considerons d'abord que Dieu estant un Esprit pur et libre, voulant faire quelque chose hors de soy il crea les Anges, et ensuite Adam et Eve en estat d'innocence et de justice originelle; de plus il leur laissa leur franc arbitre, accompagné de toutes les prerogatives et privileges de grace qui se puissent desirer.

  A010001001 

 Mais Lucifer, cet esprit de revolte, se voyant doué d'une nature si excellente, que fit-il? Il ne se voulut sousmettre en façon quelconque.

  A010001001 

 Or, vous sçavez que tous les Anges furent creés en grace, mais ils ne furent pas aussi tost confirmés en icelle, Dieu leur ayant laissé leur franc arbitre et pleine liberté.

  A010001001 

 Saint Michel voyant cela, se prit à dire: Qui est comme Dieu? et par ce moyen le renversa en l'abisme des enfers, d'autant, comme l'escrit saint Bernard, que nul ne peut estre eslevé qu'au prealable il ne se soit humilié.

  A010001001 

 Venons à nostre second point, à sçavoir quelles sont les festes que nous celebrons.

  A010001002 

 Elle, ouvrant les oreilles à ce propos (car si tost qu'on parle de nous eslever il nous semble que tout nostre bien depend de cela), donna son consentement et mangea du fruit defendu, voire passa plus outre, en faisant manger à son mary, si que tous deux succomberent et desobeirent à Dieu.

  A010001002 

 Mais helas! ils n'y demeurerent que fort peu, ce ne fut qu'un moment, et pour ce que nous sommes tous d'une mesme tige et semence qu'Adam, nous sommes tous atteints du peché originel; ce qui fait que le grand Prophete royal s'escrie: Ecce enim in iniquitatibus, et le reste qui suit.

  A010001002 

 S'ils estoyent demeurés en grace nous aurions participé à ce bien incomparable, car c'est de leur cheute que le peché originel a pris sa source; c'est là l'heritage qu'ils nous ont laissé, comme nous eussions de mesme herité de cette grace et justice premiere en laquelle ils avoyent esté creés, s'ils eussent perseveré.

  A010001003 

 Bien est-il vray que nostre premier pere et Eve aussi furent creés et non pas conceus; neanmoins toutes les conceptions des hommes se font en peché.

  A010001003 

 Mais le monde ne veut croire que ce qu'il voit: cecy soit dit en passant..

  A010001003 

 Nostre Dame et sainte Maistresse seule a esté exempte de ce mal, elle qui devoit concevoir Dieu premierement en son cœur et en son esprit avant que de le concevoir en ses chastes entrailles.

  A010001003 

 Nostre Seigneur et saint Jean Baptiste se visiterent dans le ventre de leurs meres (les entrailles de nos meres sont des petits mondes), et l'on tient que le glorieux Precurseur se mit à genoux pour adorer son Sauveur, et que l'usage de rayson luy fut donné à mesme instant.

  A010001005 

 Quant à Nostre Dame, la tres sainte Vierge, elle fut conceuë par voye ordinaire de generation; mais Dieu l'ayant de toute eternité predestinée en son idée pour estre sa Mere, la garda pure et nette de toute souilleure, bien que de sa nature elle pouvoit pecher.

  A010001006 

 C'est pour cette cause que l'Evangeliste ne fait point mention des pere et mere de la Vierge, ains seulement de Joseph, espoux d'une Vierge nommée Marie, de laquelle est né le Christ.

  A010001006 

 Elle devoit avoir ce privilege particulier, parce qu'il n'estoit pas raysonnable que le diable reprochast à Nostre Seigneur que celle qui l'avoit porté en ses entrailles eust esté tributaire de luy.

  A010001007 

 Disons maintenant quelque chose de la devotion que nous devons avoir à cette sainte Vierge.

  A010001007 

 Les mondains s'imaginent pour l'ordinaire que la devotion à Nostre Dame consiste à porter un chapelet à la ceinture, et leur semble qu'il suffit d'en dire quantité sans faire autre chose, en quoy ils se trompent grandement; car nostre chere Maistresse veut que l'on fasse ce que son Fils commande, et tient pour fait à elle mesme l'honneur que l'on rend à son Fils en gardant ses commandemens..

  A010001008 

 Bethsabée respondit: Sire, que mon fils regne apres vous.

  A010001008 

 Cependant, un autre s'appercevant qu'il la flattoit, luy dit qu'il seroit vrayement Empereur, mais que cela estant il la feroit mourir.

  A010001008 

 Comme ils eurent consulté, l'un d'eux l'advertit que cet enfant seroit Empereur, qu'il regneroit et seroit grand.

  A010001008 

 La mere de l'empereur Neron, ce cruel qui a tant persecuté l'Eglise de Dieu, estant en ceinte de luy, fit venir tous les enchanteurs et devins pour sçavoir ce que son fils deviendroit.

  A010001008 

 Nous avons un autre exemple au troisiesme Livre des Rois, chapitre premier, où il est dit que la reyne Bethsabée vint trouver David en luy faisant plusieurs genuflexions et humiliations.

  A010001008 

 Or, si les meres ont naturellement tant de desir que leurs enfans regnent et soyent honnorés, à plus forte rayson Nostre Dame qui sçait que son Fils est son Dieu: aussi l'honneur du Fils est celuy de la Mere..

  A010001009 

 Si donques vous l'escoutez fidellement, vous entendrez dans vostre cœur qu'elle vous prononcera cette mesme parole: Faites tout ce que mon Fils vous dira.

  A010001009 

 Vous, mes tres cheres Sœurs, qui avez quitté le monde pour vous mettre sous les auspices de la tres sainte Vierge, si vous l'interrogez et luy dites: Madame, que vous plaist-il que nous fassions pour vous? Elle vous respondra sans doute qu'elle desire et veut que vous fassiez ce qu'elle enjoignit de faire en ce celebre banquet de Cana en Galilée où le vin estoit failli; elle dit à ceux qui en avoyent le soin: Faites tout ce que mon Fils vous dira.

  A010001014 

 En ce siecle où nous sommes, les historiens en font de mesme pour ce qui regarde les faits des grans de la terre, car ils cachent et seellent la verité en tout ce qui a apparence de mal, de sorte que l'on ne peut rien apprendre d'eux.

  A010001014 

 Lorsque je considere l'histoire de l'Evangile de ce jour, il me souvient à ce propos de Protogenes, cet ancien lequel faisoit le mestier de peintre et de courtisan tout ensemble; ce qui fut cause que voulant peindre le grand Antigonus, qui estoit borgne, il s'advisa d'un expedient digne de son esprit pour cacher et flatter l'imperfection de son prince, et le representa en pourfil, faisant voir seulement cette moitié de sa face qui estoit belle et sans defectuosité.

  A010001014 

 Nous voyons d'ordinaire que l'Escriture sacrée nous descouvre apertement les cheutes les plus enormes de plusieurs grans Saints; comme quand elle nous veut monstrer la penitence d'une Magdeleine, les larmes d'un saint Pierre, la conversion d'un saint Paul, elle nous fait lire premierement leurs fautes avant que de parler de leur repentir.

  A010001015 

 L'Evangile qui se lit aujourd'huy monstre clairement l'infidelité que cet Apostre commit en ne voulant pas croire.

  A010001015 

 Mais, je vous prie, [406] pourquoy la font-ils sinon pour nous faire voir l'infinie misericorde de Dieu en comparaison de la misere des pecheurs? Nous trouvons qu'il est dit en la Sainte Escriture que Dieu fait son throsne de nostre misere.

  A010001015 

 Voyons donques premierement comme l'Evangeliste nous raconte que saint Thomas ne se trouva pas avec les autres le jour de la Resurrection; secondement, comme il ne voulut pas croire, en quoy il fit une tres grande impudence; et en troisiesme lieu, comme il exagera ces paroles: Je ne croiray point si je ne le touche et si je ne le voy..

  A010001016 

 Le premier manquement, à sçavoir de ne se pas sousmettre et trouver avec les autres, fut le commencement de son mal et ce fut de là qu'il prit sa source; car il faut remarquer une chose de tres grande importance, qui est que l'homme ne monte pas à la perfection tout d'un coup, mais petit à petit, de degré en degré.

  A010001016 

 Ne croyons pas que ce soit petite chose de demeurer huit jours en infidelité et de retarder nostre perfection pour peu que ce soit; au contraire c'est un grand mal, d'autant que les momens nous sont bien pretieux et nous doivent estre tres chers..

  A010001017 

 Certes, il auroit deu demander aux Apostres comment le Sauveur leur estoit apparu et se resjouir avec eux de leur bonheur; mais le mal est qu'il fit tout le contraire et que de plus il ne voulut en façon quelconque s'accuser de sa faute.

  A010001017 

 Le second degré de la cheute de saint Thomas fut que oyant à son retour ses confreres et condisciples luy dire: Nous avons veu le Seigneur, il respondit: Je ne le crois pas, et se laissa ainsy emporter à l'opiniastreté et au despit, se voyant privé de la grace que les autres avoyent receuë en cette visite.

  A010001017 

 Nous avons tous cela, qu'encor que nous ayons failli nous ne le voulons pas [407] confesser.

  A010001017 

 Qui s'excuse s'accuse; il ne faut donques jamais s'excuser, puisque nous avons grande rayson de croire que nous avons tousjours le tort..

  A010001018 

 Sur quoy saint Bernard replique et dit: O pauvre Thomas, pourquoy ne voulez-vous pas croire sans toucher, puisque nostre foy n'est point palpable et qu'elle ne depend point des sens? Et de vray il a rayson, ce grand Saint, d'autant que la foy est un don de Dieu qu'il infuse en l'ame humble, car elle n'habite pas en une ame pleine d'orgueil; il faut avoir l'humilité pour recevoir ce rayon de la lumiere divine qui est un don purement gratuit.

  A010001019 

 C'est un grand mal de se laisser entraisner de la sorte, car les theologiens enseignent que lors que nous cedons à nos passions elles nous portent jusques au peché mortel.

  A010001019 

 Le grand saint Paul, ou plustost Nostre Seigneur en saint Paul, apres le Prophete, nous dit: Courroucez-vous, mais ne pechez point, parce que ce n'est pas pecher d'avoir ses passions esmeuës; mais c'est bien autre chose d'entrer en colere et de suivre les sentimens d'icelle, comme de se despiter et opiniastrer en suite: c'est cela qui fait le peché.

  A010001019 

 Revenons à nostre propos, qui est que saint Thomas se laissa emporter à sa passion.

  A010001020 

 Certes, il n'y a point de doute que ceux qui sont en communauté et qui ne vont pas le train d'icelle touchent bien fort leurs freres, sur tout ceux qui ont le desir du salut des ames.

  A010001020 

 Saint Thomas passa jusques au troisiesme degré et commit le peché d'infidelité, qui fut tres grand; ce que voyant, les autres Apostres en furent extremement touchés.

  A010001021 

 Et en cette mesme epistre saint Denis rapporte que saint Carpus avoit veu Nostre Seigneur estre tout prest à mourir encores une fois pour chaque pecheur, si sa Passion ne suffisoit tres amplement pour tous..

  A010001021 

 Il me souvient à ce propos que saint Denis Areopagite, que l'on surnomme avec tres juste rayson le grand Apostre de la France, raconte en une sienne epistre cette histoire que vous sçavez toutes fort bien.

  A010001022 

 Mais que pensez-vous que fit ce bon Saint? O certes, il n'y a point de doute que quand il l'eut touché il sentit une grande chaleur divine, principalement quand il mit la main dans ce pretieux cabinet des tresors de la Divinité, quand il toucha [409] ce sacré cœur tout ardent d'amour.

  A010001023 

 C'est un grand don de Dieu que la foy; c'est elle qui nous separe d'avec ces miserables heretiques lesquels ne veulent pas croire le Saint Sacrement de l'autel parce, disent-ils, qu'on ne voit rien, qu'on n'y touche rien.

  A010001023 

 Comme si ce que Dieu a dit n'estoit pas bien dit et bien fait, et comme s'il failloit voir et toucher pour croire..

  A010001023 

 Nostre bon Sauveur luy respondit: Thomas, Thomas, tu as creu parce que tu as veu, mais bienheureux seront ceux qui croiront et ne verront pas, parce que sa divine Bonté nous avoit tous presens, nous autres qui sommes en son Eglise, car elle a pris son commencement du petit college des Apostres.

  A010001023 

 Nous ne sçavons rien des mysteres de nostre foy que ce qu'ils nous ont appris, bien que leur foy fust pour lors imparfaite parce qu'ils n'estoyent pas confirmés en grace, à ce que disent les theologiens.

  A010001023 

 Ça bas en terre nous avons la foy sans jouissance, mais au Ciel nous aurons la jouissance sans la foy, d'autant que l'on n'en a pas besoin au Ciel.

  A010001024 

 Ainsy en est-il des ames qui estans parmi la meslée du monde y engagent toutes leurs affections, car à grand peine de deux cens s'en sauve-t-il une ou deux au plus, parce qu'elles ne pensent point aux choses eternelles et sont tousjours attentives aux honneurs, playsirs et richesses; pour cela nous sommes obligés de prier pour elles à fin que Dieu leur donne une parfaite foy qui les fasse desprendre de toutes les choses de la terre..

  A010001024 

 Mes cheres Sœurs, c'est un grand bien que d'estre en communauté, puisque si saint Thomas n'eust point eu de freres il ne fust pas si tost sorti de son infidelité.

  A010001025 

 Il semble que la feste d'aujourd'huy nous invite à prier pour les infidelles et mescroyans, notamment pour ceux qui sont en ce Royaume, à fin que tous s'assujettissent à l'obeissance du Roy.

  A010001025 

 Supplions aussi de toute nostre affection Nostre Seigneur de nous donner ce bien de perseverer en la fidelité que nous luy avons vouée; et nous resouvenons que ce qui causa la cheute de saint Thomas fut qu'il se tint absent des autres, qu'il fut dur à croire et qu'il s'opiniastra en son mal.

  A010001032 

 Ces trois festes ont esté appellées Pasques, mot qui ne veut dire autre chose que passage.

  A010001032 

 Entre toutes les festes que nous solemnisons en la sainte Eglise il y en a trois qui ont esté celebrées de tout temps, lesquelles prennent leur source et origine de cette grande feste de Pasques qui se faisoit en l'ancienne Loy.

  A010001032 

 Et de fait, la solemnité d'aujourd'huy n'est instituée qu'en memoire du passage que Nostre Seigneur a fait de sa Divinité à nostre humanité.

  A010001032 

 Le troisiesme nous le festons à la Pentecoste, jour auquel Dieu adoptant les Gentils, les fit passer de l'infidelité au bonheur d'estre ses enfans bien aymés, bonheur le plus grand que l'Eglise peust recevoir.

  A010001033 

 Et moy je responds que c'estoit bien celle des anciens en la primitive Eglise, lors qu'elle estoit en sa fleur et en sa vigueur; saint Gregoire nous [413] tenons par tradition certaine qu'il y a mil six cent vingt et deux ans que Nostre Seigneur est venu en ce monde et qu'en prenant nostre nature il s'est fait homme..

  A010001033 

 Mais l'on me pourroit dire que ce n'est pas la coustume de prescher la nuit.

  A010001034 

 Nous celebrons donques la naissance du Sauveur en terre; mais avant que d'en parler, disons quelque chose de la naissance divine et eternelle du Verbe.

  A010001034 

 Nous sommes contraints d'user de ces parolles et de nous en servir parce que nous n'en avons pas d'autres.

  A010001034 

 Pourtant le Fils nous est né du Pere, comme qui diroit de son sein, de sa propre substance; c'est ainsy, par exemple, que nous disons que les rayons du soleil sortent de son sein parce que le soleil et ses rayons ne sont qu'une mesme chose.

  A010001034 

 Si nous estions des Anges nous parlerions de Dieu bien autrement et d'une maniere bien plus excellente; mais helas, nous ne sommes qu'un peu de poussiere et des enfans qui ne sçavons ce que nous disons.

  A010001035 

 L'Evangile nous asseure que le Verbe divin s'est incarné ès entrailles de la tres sainte Vierge, par ces paroles de l'Ange: Spiritus Sanctus, etc., luy annonçant que le Saint Esprit viendroit en elle et que la vertu d'en haut l'obombreroit.

  A010001035 

 Les naturalistes remarquent que le miel se fait d'une certaine gomme que nous appelions manne, laquelle descoule du ciel et se vient joindre ou mesler avec la fleur [414] qui de l'autre costé tire sa substance de la terre; or, ces deux substances se meslant ensemble ne forment qu'un seul miel.

  A010001036 

 De plus, le Verbe a creé Marie et il est né d'elle, de mesme que l'abeille fait le miel et le miel l'abeille, si que jamais on ne vit abeille sans miel ni miel sans abeille..

  A010001036 

 En effect, comme le Pere eternel voulut que son Fils unique fust Chef et Seigneur absolu de toutes les creatures, de mesme voulut-il que la tres sainte Vierge fust la plus excellente entre toutes, puisqu'il l'avoit choisie avant tous les siecles pour estre la Mere de son divin Fils.

  A010001036 

 Mais il y a difference entre le miel qui se tire du thym, d'autant qu'il est beaucoup plus excellent que celuy qu'on appelle d'Heraclée, qui se fait sur l'aconit et autres fleurs; car quand on le taste l'on connoist aussi tost celuy qui est recueilli sur le thym parce qu'il est fort et doux tout ensemble, tandis que celuy d'Heraclée donne la mort.

  A010001038 

 Mais sa bonté l'a porté jusques là, que de se faire nostre frere à fin de nous donner exemple et nous rendre par ce moyen participans de sa gloire; c'est pour cela qu'il a voulu estre de la graine d'Abraham, car la tres sacrée Vierge estoit de sa race, et pour cette cause il est dit d'elle: Abraham et semini ejus..

  A010001039 

 Je vous laisse aux pieds de cette bienheureuse accouchée, à fin que, comme des sages avettes, vous ramassiez le miel et le lait qui distillent de ces saints mysteres et de ses chastes mammelles, en attendant que je vous explique le reste, si Dieu nous en fait la grace et nous en donne le temps, lequel je supplie nous benir de sa benediction.

  A010001042 

 Et par consequent il est impossible que ce que fait l'une des Personnes divines les autres deux ne le fassent semblablement; et, comme dit le Symbole de saint Athanase, le Pere est createur, le Fils est createur et le Saint Esprit est createur, et toutes les œuvres de la creation et autres ont esté et sont esgalement faites par les trois Personnes divines.

  A010001042 

 Neanmoins, parce que le Saint Esprit est l'amour du Pere et du Fils on luy attribue les œuvres qui procedent de la bonté de Dieu, comme est la justification et sanctification des ames, ainsy que les œuvres qui procedent immediatement de la toute puissance, comme celles de la creation, sont attribuées au Pere; c'est pourquoy nous disons: «Je crois en Dieu, le Pere tout puissant, createur du ciel et de la terre.» Mais les œuvres de la sagesse sont attribuées au Fils parce qu'il est la Parole du Pere, [417] Mot Patris; c'est pourquoy l'œuvre de la redemption luy est attribuée, d'autant que, comme un tres sage medecin, il a sceu guerir la nature humaine de tous ses maux..

  A010001042 

 Toutes les œuvres de Dieu qui regardent le salut des hommes et des Anges sont attribuées d'une façon particuliere au Saint Esprit, d'autant que le Saint Esprit est l'amour du Pere et du Fils.

  A010001043 

 Les autres les considerent et partagent en dons de science, d'interpretation et autres, ainsy que rapporte le mesme Apostre en son Epistre premiere aux Corinthiens.

  A010001044 

 Il est dit au Livre des Nombres, chapitre VIII, que Dieu commanda à Moyse de mettre un grand chandelier d'or aupres du tabernacle, lequel portoit sept lampes pour ardre perpetuellement.

  A010001044 

 Saint Isidore et, devant luy, saint Cyrille Hierosolymitain ont dit que ce chandelier et ses sept lampes representoyent le Saint Esprit et ses sept dons: et il est vray que toute lumiere, chaleur, clarté et benediction procede du Saint Esprit, c'est à dire de Dieu entant qu'il est amour; mais cette clarté, lumiere et benediction est partagée en sept dons du Saint Esprit..

  A010001045 

 De sorte que l'humanité sacrée de nostre Sauveur a esté comme une divine fleur sur laquelle le Saint Esprit s'est reposé pour luy communiquer ses sept dons; ce qui nous est tres bien representé par ce chandelier d'or avec ses sept lampes, qui estoit devant le tabernacle en l'ancienne Loy, et lequel pouvoit estre appellé une fleur parce que ses vases estoyent disposés en guise de fleurs de lys..

  A010001046 

 Le Prophete les rapporte selon l'ordre de leur dignité, et d'autant que le don de sapience est le plus excellent et le plus relevé, il le met le premier, et les moins excellens il les met à la fin.

  A010001047 

 Or voicy donques, pour commencer à monter cette divine eschelle, que le premier don du Saint Esprit est le don de crainte de Dieu.

  A010001048 

 De mesme il y a plusieurs personnes lesquelles ne quitteroyent jamais leur mauvaise [419] vie s'ils ne craignoyent la mort, le jugement et les peines d'enfer; et cette crainte est la plus generale entre les hommes, ainsy que l'experience le fait voir tous les jours; car de dix mille penitens, il n'y en a peut estre pas un qui ne commence son salut par cette crainte de la mort, du jugement et de l'enfer.

  A010001048 

 Mais cette [première] crainte est servile et semblable à celle des forçats de galere, qui ne voguent que par force et ne vogueroyent jamais s'ils ne craignoyent qu'on les accablast de coups de nerfs de bœuf.

  A010001048 

 Or, il faut sçavoir que cette crainte est double; car on craint Dieu ou entant qu'il chastie les malfaiteurs ou entant qu'il recompense les bienfaiteurs.

  A010001049 

 C'est pourquoy les philosophes, comme Platon, Aristote et les autres, ont craint et ont pensé que Dieu apres cette vie chastieroit les offences..

  A010001049 

 Ces menottes et chaisnes de fer, dit saint Augustin, c'est la crainte d'estre damné, et cette crainte est bonne pour commencer son salut, parce que les hommes reconnoissans qu'il est impossible que Dieu ne se venge des pecheurs qui l'ont offensé, ils craignent et redoutent ses chastimens, et cette apprehension est naturelle; car comme la nature nous enseigne qu'il y a un Dieu, aussi, dit saint Chrysostome, il est impossible de penser qu'il y a un monde regi et gouverné par sa providence, [sans] que sa justice ne soit exercée sur les hommes pour punir les pechés.

  A010001050 

 C'est pourquoy vous voyez d'ordinaire que ceux qui n'ont cette crainte que dans la partie inferieure s'en retournent de la predication melancholiques en leur mayson, comme au contraire ceux qui ont la crainte don du Saint Esprit s'en retournent convertis et penitens..

  A010001050 

 Et ne lisons-nous pas ès Actes des Apostres que Felix, president de Judée, trembla et fut saisi d'une grande crainte, nonobstant qu'il fust payen, entendant parler saint Paul du jugement dernier, et toutefois il ne se convertit pas? Ainsy plusieurs craignent les divins jugemens, mais leur cœur n'est [pas] transpercé de cette crainte.

  A010001050 

 Il leur vient bien une certaine crainte laquelle n'estant que dans la partie inferieure et dans les sens n'opere rien dans leurs ames; où la crainte don du Saint Esprit entre et penetre le cœur, et opere des fruits dignes [420] de penitence.

  A010001051 

 Et saint Hierosme disoit que la crainte des jugemens de Dieu transperçoit si fort son ame qu'il luy sembloit tousjours entendre retentir à ses oreilles cette voix espouvantable des Anges: «Levez-vous, morts, et venez au jugement; Surgite, mortui, venite ad judicium.» Mon Dieu, que de personnes ont quitté le peché par cette crainte du jugement! C'est donc à tres juste rayson qu'elle est dite le commencement de la sapience, et l'amour la consommation, qui nous fait monter au Ciel pour nous joindre à Dieu; mais pour arriver à ce bonheur il faut quitter le peché, et pour le quitter il faut craindre.

  A010001051 

 Et voyla ce que fait cette crainte inferieure..

  A010001052 

 Ces parolles sont remarquables; elles ne veulent dire autre chose sinon que la crainte nous fait cesser de mal faire, d'autant que voyla le Paradis qui doit estre la recompense du travail de l'ouvrier.

  A010001052 

 Hé quoy, seroit-il bien possible que je voulusse perdre le Paradis? Serois-je bien si lasche que de perdre le partage qui m'est promis en cette patrie celeste?.

  A010001052 

 L'autre partie de cette crainte que j'appelle superieure est celle qu'on a de perdre le Ciel; ce que je dis d'autant qu'il y a des personnes si charnelles lesquelles, comme s'il n'y avoit point de Paradis ains seulement des peines d'enfer, ne se soucient point de le perdre, estans tres contentes de la possession de ce paradis mondain, terrestre, malheureux et infortuné, n'ayans point de pretention au Paradis celeste.

  A010001052 

 La generosité relevant donques nostre cœur apres ces biens eternels, nous l'ait dire avec le Psalmiste: Inclinavi cor meum ad faciendas justificationes tuas in aeternum propter retributionem; Ah, Seigneur, j'ay incliné mon cœur à garder vos commandemens à cause des grandes recompenses que vous donnez à ceux qui les observent.

  A010001053 

 Ce qui nous fait voir que cette crainte est bonne, et que c'est Dieu qui en est l'autheur et la met dans le cœur pour commencer par icelle nostre salut..

  A010001053 

 Et quoy que les heretiques disent qu'elle est mauvaise ils se trompent grandement, et les paroles de Jesus Christ les condamnent absolument.

  A010001053 

 Vous voyez donques bien maintenant que cette crainte est appellée inferieure et superieure parce qu'elle est composée de ces deux craintes, des peines d'enfer et de la perte du Paradis.

  A010001054 

 Le don de pieté est une vertu particuliere laquelle depend de la justice, qui n'est autre que l'honneur, le respect et l'amour que nous rendons non seulement à Dieu comme à nostre souverain Createur et nostre Pere tres aymable, mais encores à ceux que nous tenons pour superieurs, soit spirituels ou temporels, comme les peres, meres, prelats et magistrats.

  A010001055 

 Et c'est à cela que Dieu nous veut faire tendre, quand il veut que nous le nommions nostre Pere qui est ès cieux, en l'Oraison dominicale, nom de respect, d'amour et de crainte..

  A010001055 

 Et ne voyons-nous pas que sa divine Majesté se [422] plaint de ce defaut de crainte, d'amour, d'honneur et de respect par son Prophete Malachie, disant: Si je suis vostre Pere, où est l'honneur que vous me rendez? si je suis vostre Seigneur, où est la crainte que vous devez avoir de m'offenser? Si ergo Pater ego sum, ubi est honor meus? et si Dominus ego sum, ubi est timor meus? Le fils sert comme fils, et non point comme serviteur crainte d'estre battu, ni pour la recompense comme mercenaire, mais par amour, d'autant que cet amour est imprimé au cœur filial.

  A010001055 

 O don de pieté, riche present que Dieu fait au cœur! Bienheureux est celuy lequel a cette correspondance de cœur filial envers le cœur paternel du Pere celeste.

  A010001056 

 Et pour vous monstrer que ce don de pieté, c'est à dire cette crainte filiale, nous est donnée du Saint Esprit, l'Apostre saint Paul escrivant aux Romains leur dit: Non accepistis spiritum servitutis iterum in timoré, sed accepistis spiritum adoptionis flliorum Dei, in quo clamamus: Abba, Pater; c'est à dire que nous devenons comme des petits enfans aupres de Nostre Seigneur.

  A010001056 

 Les petits enfans vivent en une grande confiance: ils ne pensent point que leur pere les veuille battre ni qu'il leur prepare un heritage, ains seulement s'occupent à l'aymer sans penser à autre chose, parce qu'ils sont portés entre ses bras, qu'ils sont nourris, dorlottés et en fin entretenus par le soin de leur bon pere.

  A010001057 

 Or la science don du Saint Esprit est necessaire pour bien exercer les deux premiers dons, pour sçavoir comme nous nous comporterons envers Celuy que nous voulons craindre et aymer, et pour descouvrir et sçavoir discerner le mal qu'il faut fuir et le bien qu'il faut suivre.

  A010001058 

 Saint Augustin, en une homelie de ce jour, dit que les philosophes ont parlé des vertus magnifiquement, mais pour les mespriser, et des vices pour les prattiquer, parce qu'ils estoyent aveugles, d'autant qu'il n'y a point de vraye science que celle du Saint Esprit, laquelle il ne depart qu'aux cœurs humbles.

  A010001059 

 La peste de la science est la presomption, laquelle rend les esprits enflés et hydropiques, ainsy que sont d'ordinaire les sçavans du monde.

  A010001060 

 Combien a-t-on veu de personnes qui ont sceu le bien et n'ont pas eu le courage de le prattiquer, ainsy que nous voyons encores aujourd'huy en la plus-part des Chrestiens!.

  A010001061 

 Mais, me direz-vous, puisque nous recevons le Saint Esprit et avec luy tous ses dons, lors que nous recevons les Sacremens avec les dispositions requises, d'où vient que nous retombons si souvent au peché? C'est par lascheté, d'autant que nous n'osons pas entreprendre la guerre contre le vice avec la fermeté et le courage necessaires pour surmonter nos ennemis.

  A010001061 

 Par exemple, l'on vient à la Confession où l'on reçoit le Saint Esprit avec la remission des pechés; et neanmoins combien y en [425] a-t-il qui recidivent aux mesmes pechés apres la Confession! Et d'où vient cela, sinon faute de courage? On pense: Qu'est-ce qu'on dira de moy si je deviens devote, si je fais penitence, si je quitte les conversations mondaines? On craint une parole dite en l'air; et n'est-ce pas tout à fait manquer de force que cela?.

  A010001062 

 Car il n'est pas du cœur spirituel comme du cœur charnel, lequel, combien que nous dormions, ne cesse jamais d'agir, de veiller et d'envoyer ses esprits vitaux au cerveau; où, au cœur spirituel, la volonté, le courage et la generosité est absolument necessaire pour luy faire faire ses operations.

  A010001062 

 Et c'est pourquoy le Saint Esprit nous communique le don de force par lequel tant de Martyrs ont vaincu les tyrans et surmonté les tourmens avec tant de constance que rien ne les a espouvantés, ainsy qu'on peut voir en lisant les histoires d'une sainte Agnes, d'une sainte Agathe et d'une infinité d'autres..

  A010001062 

 Mais il faut remarquer qu'encores que nous ayons receu les dons du Saint Esprit, si nous ne sommes grandement sur nos gardes nous les pouvons perdre à toute heure, quoy que nous nous puissions servir de l'un sans l'autre, parce qu'ils ne sont en nous que par maniere d'habitude, ce qui fait que nous ne nous en servons que quand nous voulons.

  A010001063 

 Il reste donques la methode pour executer ce que le Saint Esprit nous enseigne.

  A010001063 

 Jusques à present j'ay esté avare, sensuel, sujet aux playsirs de la bouche; je vois que cela est mal, j'ay le desir de m'en retirer: que feray-je donques pour petit à petit me desfaire de ces meschantes habitudes et me mortifier? Le Saint Esprit conseille les moyens qu'on doit tenir pour surmonter le mal et prattiquer le bien..

  A010001063 

 La crainte nous fait desprendre du peché, la science nous le fait discerner; mais encores nous faut-il du conseil pour venir à l'execution de ce que la science nous fait connoistre.

  A010001063 

 Le don suivant en remontant, est le don de conseil, sans lequel la force est temerité; comme vous voyez que les soldats, bien qu'ils ayent de la force, neanmoins il leur faut un capitaine pour le conseil.

  A010001063 

 Par exemple, vous verrez une personne qui voudra suivre la devotion, qui dira en elle mesme: Quel conseil suivray-je pour prattiquer le bien que Dieu m'a inspiré et pour eviter le mal qu'il m'a fait reconnoistre? quel chemin tiendray-je? quel conseil observeray-je? Sera-ce celuy de la chasteté ou de la pauvreté? sera-ce l'obeissance simple et aveugle? Suivray-je la [426] viduité ou le mariage? Feray-je l'aumosne ou donneray-je tout mon bien aux pauvres? Le Saint Esprit, residant dans nostre cœur, nous conseille et nous pousse par son inspiration à faire ce qui est plus pour la gloire de Dieu et nostre salut.

  A010001064 

 Combien y en a-t-il au monde qui sçavent bien qu'on s'y perd à cause que l'air est infecté, et qu'il donne la mort eternelle aux ames dans lesquelles il entre, ou leur cause de grandes maladies: quel remede à cela? Sortez, leur dit le Saint Esprit interieurement, puisque vous connoissez que vous n'y pouvez pas faire vostre salut.

  A010001064 

 D'autres aymeront les conversations esquelles la mesdisance regne, à laquelle ils se laissent emporter; ils font resolution de ne plus mesdire, mais la conversation les emporte insensiblement à la mesdisance: que faire là? Le Saint Esprit leur dit interieurement qu'il faut quitter ces conversations.

  A010001064 

 Vous verrez des personnes dans le monde sujettes à la colere, lesquelles s'adonneront au jeu où ils se laissent emporter pour l'ordinaire à dire quantité de blasphemes et injures: que faire là? C'est qu'il faut quitter le jeu.

  A010001065 

 J'ay accoustumé de dire que presque tous perissent faute de suivre les maximes du Christianisme, comme celles cy: Bienheureux sont les pauvres d'esprit, car à eux appartient le Royaume des cieux, Beati pauperes spiritu, quoniam ipsorum est Regnum cœlorum; Bienheureux sont les debonnaires, Beati mites, quoniam ipsi possidebunt terram.

  A010001065 

 Le don suivant est le don d' entendement, entendement spirituel que le Saint Esprit enchasse dans nostre entendement humain, lequel n'est autre qu'une certaine clarté par laquelle nous voyons et penetrons la beauté et bonté des mysteres de la foy.

  A010001065 

 Une ame simple, prosternée devant Dieu, entendra le mystere de la tres sainte Trinité, [427] non pour le dire, ains pour en tirer des maximes pour son salut, parce que le Saint Esprit luy a communiqué le don d'entendement.

  A010001066 

 Ah, pauvres abusés que nous sommes! Nous sçavons bien que le monde avec toutes ses richesses et ses vaines grandeurs ne vaut rien, et neanmoins nous y mettons nostre affection et suivons ses maximes..

  A010001066 

 Lors que nous voyons les beaux palais dorés, les perles et joyaux: Ah, disons-nous, que ces choses sont belles! Mais à qui? Aux yeux des mondains.

  A010001067 

 Et d'où vient cela? C'est que nous n'avons pas le don d'entendement pourvoir et penetrer la beauté et bonté des maximes de Nostre Seigneur.

  A010001067 

 Mais particulierement les ames religieuses doivent bastir et fonder toute leur perfection sur ses saintes maximes, [428] et les establir fortement en leur cœur à fin de n'y laisser jamais entrer des maximes contraires, suivant l'exemple de tant de Saints et Saintes lesquels on a veu aymer plus les larmes que la joye, la tribulation que la prosperité, la pauvreté que les richesses..

  A010001068 

 O que l'ame qui est parvenue à ce degré est heureuse, car c'est une marque qu'elle est remplie du Saint Esprit et qu'il luy a communiqué ses dons..

  A010001068 

 Or, apres que le Saint Esprit nous a donné le don d'entendement s'ensuit le don de sapience, lequel comble lame de tout bien.

  A010001068 

 Quam dulcia faucibus meis eloquia tua! super mel ori meo; O Seigneur, combien vos paroles sont douces à mon gosier! dit le Psalmiste; elles surpassent la douceur du miel quand je les savoure en la bouche de mon cœur, lors que vous me donnez à gouster vos divines maximes contre celles du monde.

  A010001069 

 Il faut quitter ces dons, car ils sont incompatibles avec ceux du Saint Esprit; puis il luy faut abandonner nostre cœur, et le prier de nous departir ses pretieux dons et les conserver [429] en nos ames au peril de toutes nos affections, de nous donner le don de crainte pour operer nostre salut et d'oster de nos cœurs les autres craintes que le diable nous suggere.

  A010001069 

 Que peut faire le monde? nous oster deux ou trois jours de vie temporelle? Hé, que nous doit-il importer, pourveu que nous ne perdions pas la vie eternelle?.

  A010001069 

 Que tout le reste se perde, pourveu que nous ne perdions point Dieu.

  A010001070 

 O que nous serons heureux, si nous recevons ces pretieux dons! car sans doute ils nous conduiront au sommet de cette eschelle mystique, où nous serons receus de nostre divin Sauveur qui nous y attend les bras ouverts pour nous rendre participans de sa gloire et felicité.

  A010001070 

 Plaise donques à la divine Majesté de nous donner le don de crainte à fin que nous le servions finalement; le don de pieté pour le reverer comme nostre Pere tres aymable; le don de science pour connoistre le bien que nous devons faire et le mal que nous devons fuir; le don de force pour surmonter courageusement toutes les difficultés que nous rencontrerons en la prattique de la vertu; le don de conseil pour discerner et choisir les moyens propres à nous perfectionner; le don d' entendement pour penetrer la beauté et l'utilité des mysteres de la foy et des maximes evangeliques, et en fin le don de sapience pour gouster combien Dieu est aymable et pour savourer et experimenter les douceurs de son incomprehensible bonté.

  A010001078 

 Si le ciel, l'air et la terre et tout ce qui est en iceux semble de rajeunir et resusciter quasi de mort a vie en ceste douce sayson printaniere, auditoyre devot, ame chrestienne treschere et trescherie, recompense des travaux du Sauveur et Seigneur; puysque le ciel, lequel a demeuré si long tems sombre et obscur, semble s'estre revestu de la plus belle roubbe de ses clartés; l'air, ci devant tout plein de froides humidités, de brouillards et [431] melancolique nuage, se descouvre si pur, si calme et si bien [attrempé] assaysonné maintenant; la terre, toute ridëe, crottee et ternie par les rigueurs de l'hiver, comparoist maintenant toute diapree de son verdissant et fleurissant esmail; si l'Eglise nostre Mere, laquelle est demeurëe toute mortifiëe ce Caresme, ne portant que des habitz lugubres, ne chantant que des chans lamentables, ne faysant autre contenance que triste et faschee, comme celebrant le dueil de son cher Espoux, maintenant, comme pour fayre nouvelles nopces avec son mesme resuscité Seigneur et Espoux, faict tapisser et parer le mieux qu'elle peut toutes ses maisons, tient un maintien de cæremonies joyeuses et allegres, ne chante que des chans de liesse et de consolations; si l'enfer tenebreux a esté mesme changé en clarité par le lumineux aspect de Nostre Seigneur qui est descendu, si les Anges comparoyssent avec leurs roubbes plus blanches que l'ordinayre, demeurerons nous, o Chrestiens, entre toutes les creatures, morts et immuables en nostre laydeur et tristesse? Pour quoy ne prendrons nous nos beaux vestemens?.

  A010001079 

 Mays je voudrois que si la saison change nous changeassions aussy, mays non pas d'une mesme façon; car ceste serenité du ciel et de l'air, cest'amsenité de la terre n'est pas perdurable, elle [est] sujette a l'inconstance.

  A010001080 

 Je sçay que ceste imitation est difficile, car Deus quis similis tibi? Aussy ne voulons nous pas sinon l'imiter de loin a loin, avec quelque proportion, principalement en l'immortalité aeternelle, non temporelle..

  A010001082 

 Je n'oserois pas penser que quelqu'un fust ja mort despuys, etc. Ne mourons donq plus, etc. Et c'est pourquoy, ayant donné les moyens de venir a grace, je donne pour i continuer, sachant que qui perseveraverit, etc..

  A010001110 

 [1.] Le pain jamais ne nous renforce que par reaction; mays cestuicy, comme humide et chaud, renforce absolument..

  A010001111 

 Dont saint Chrysostome, au rapport de saint Thomas, dict que «nous sommes terribles aux diables.».

  A010001115 

 La difference des deux pointz; au gauche il ne vaut que comme samech..


11-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XI-Vol.1-Lettres.html
  A011000020 

 Remerciements pour la bienveillance que lui témoigne ce gentilhomme et pour la lettre qu'il en a reçue. 16.

  A011000033 

 — Remerciements pour celle que le Saint a reçue du Sénateur. 34.

  A011000038 

 Désir de profiter des nombreuses occasions que procurera la belle saison pour se voir plus fréquemment.

  A011000039 

 — Ses regrets en apprenant que le Sénateur est allé inutilement à sa rencontre. 40.

  A011000040 

 — Ordre que doivent suivre pendant le trajet les pèlerins d'Annecy et de Chambéry. 42.

  A011000064 

 Courage invincible en face des dangers que présente la mission du Chablais. 65.

  A011000085 

 — Bienveillance que manifestent à son égard le duc de Savoie et le Nonce apostolique.

  A011000106 

 — Combien il importe que les Chevaliers de Saint-Lazare cèdent les revenus ecclésiastiques qu'ils détiennent en Chablais. 117.

  A011000107 

 Instances afin d'obtenir que les revenus ecclésiastiques dont les Chevaliers jouissent en Chablais soient affectés au rétablissement du culte catholique. 118.

  A011000113 

 — Désignation des PP. Capucins et Jésuites dont le concours serait le plus utile à la mission; frais que nécessiterait leur entretien. 129.

  A011000115 

 Difficultés que présente la mission du Chablais.

  A011000118 

 Heureux résultats que promet la conférence projetée avec les hérétiques.

  A011000119 

 — Combien il est désirable que le duc signifie aux Thononais le désir qu'il a de leur conversion. 140.

  A011000129 

 Instantes prières pour que les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare soient contraints à payer les pensions dues aux curés du Chablais.

  A011000130 

 Requête présentée au duc de Savoie pour obtenir que l'usage de la cloche de l'église Saint-Hippolyte soit interdit aux hérétiques. 157.

  A011000139 

 Supplications collectives des missionnaires du Chablais pour obtenir que les troupes espagnoles ne traversent pas cette province. 169.

  A011000145 

 — Prière d'intervenir auprès du roi de France et du duc de Savoie pour que Genève ne soit pas comprise dans le traité de Vervins. 177.

  A011000174 

 Dès que parut le premier volume (1892) de la nouvelle édition des œuvres de saint François de Sales, publiée par les soins des Religieuses de la Visitation du I er Monastère d'Annecy, avec l'intelligent concours du docte Bénédictin P. Mackey, il obtint l'applaudissement universel des érudits..

  A011000175 

 Cette diligence a obtenu des résultats si excellents que, du premier volume au dixième (1898) — et l'on espère qu'il en sera ainsi jusqu'au dernier — la pensée de saint François de Sales, celle qu'il confia lui-même à ses pages immortelles, s'y trouve fidèlement reproduite et d'une manière définitive..

  A011000175 

 La solidité du papier, la clarté et l'élégance des caractères, la parfaite correction typographique, supérieures à tout ce que l'on pouvait attendre de ce petit bijou qu'on nomme la Savoie, furent considérées comme des avantages bien inférieurs à l'extrême diligence mise à assurer l'authenticité du texte.

  A011000176 

 En conséquence, ils s'adressèrent à moi, comme au Supérieur des Salésiennes de Rome, afin que, faisant appel aux Evêques d'Italie, j'obtinsse leur concours pour cette entreprise.

  A011000189 

 Ces lettres ne portant pour toute adresse que ces deux mots: A Monseigneur, ce serait embarrasser le lecteur de les placer après la clausule et la signature..

  A011000189 

 Il n'y a d'exception que pour les lettres envoyées au duc de Savoie par intermédiaire.

  A011000191 

 Celle-ci signale le commencement de la variante alors seulement que cette variante embrasse plus d'une page.

  A011000191 

 Le commencement de la variante est indiqué par la répétition en italiques des mots qui la précèdent immédiatement au texte, à moins que le point de départ ne corresponde à un alinéa, ou que la corrélation ne soit évidente.

  A011000203 

 Despuys vostre dernier voyage en ceste ville j'avois tousjours bien bonne devotion de vous escrire, ce que toutefoys je n'avoys osé fayre.

  A011000203 

 Et maintenant que je suys au milieu et meillieur âge de mes estudes, si je puys cognoistre seulement par presumption que prenies en bonne part mes lettres, ce me sera comme un aultre corage pour poursuyvre mon entreprise en l'estude, laquelle j'oseroys bien me promettre (sans me flatter) reussira au bien que je desire, Dieu aydant, qui est de le bien pouvoir servir; puys apres, vous fayre service, a qui j'ay tant de debvoir et obligation..

  A011000203 

 Mays m'ayant escript un de mes amis de l'honneur et faveur que vous aves faict a une mienne seur, je me suys persuadé que le treuveries bon de moy, auquel vous fistes tant d'acueil dernierement en ceste ville; joinct aussi que ne pouvant encores (Dieu m'en face la grace pour l'advenir) fayre paroistre [1] l'affection que j'ay de vous fayre humble service, j'ay volu (comme il s'accoustume) vous en donner souvenance par lettres.

  A011000204 

 J'auroys bien bonne volonté de vous escrire des nouvelles de pardeça, mays les nostres ne sont que de colleges, outre ce qu'elles sont si incertaynes (on a faict le prince de Condé mille foys mort) que pour ce seul respect il me semble que je suys asses excusé d'en escrire..

  A011000221 

 Io tengo con Vostra Signoria un particular obligo di ringratiarla, poi que (sic) particularmente de i Savoyani suoi essa a (sic) fatta memoria nella sua cortesissima lettera messa a tutti i nostri concameranti.

  A011000221 

 La ringratio dunque que la habbi quella memoria di noi et tanta cura del ben nostro, ch'essendo in messo (sic) d'una città que tanto (se io non m'inganno) si rallegra di quella nuova Navarrescha, lei non sene pigli altramente contentezza per amor nostro; se ben anchora il zelo della fede catholica nostra impediscila principalmente in V. S. allegrezza d'un fatto tanto compassionevole a chi lo [1 bis ] mira sensa occhiali dell' affettione propria.

  A011000227 

 Il est bien vrai que le zèle de Votre Seigneurie pour notre foi catholique est la cause principale qui l'empêche de se réjouir d'un [1 bis ] évènement si affligeant pour quiconque ne l'envisage pas au travers des lunettes du propre intérêt.

  A011000227 

 Je ne sais ce que Dieu veut faire de la France, car les péchés y sont très grands..

  A011000227 

 Je ne tiens pas cette nouvelle comme absolument certaine, bien que, la sachant si répandue, je n'ose pas y refuser foi.

  A011000227 

 Je vous remercie donc d'avoir quelque souvenir de nous, et tant de sollicitude pour notre bien, que vous trouvant au milieu d'une ville où, si je ne me trompe, on se réjouit beaucoup de la nouvelle Navarraise qui s'y est répandue, par affection pour nous vous n'en éprouvez aucun contentement.

  A011000228 

 Il y a ici jusqu'à quarante-deux de nos Français atteints de la fièvre; et, d'après ce que l'on dit, vous avez encore chez vous grand nombre de maladies; c'est pourquoi nous avons tous reçu beaucoup de contentement de votre lettre qui nous assure de votre bonne santé.

  A011000239 

 Les lettres que je vous ay envoyëes se sont peut estre perduës, pour autant que nous payons le port avant qu'elles partent, et partant besogne païee, malfaicte.

  A011000239 

 Premierement, que comme je croys que n'ayes receu aucune de mes lettres, bien que realement je vous en aye envoyé plusieurs a diverses foys, aussy n'en ay je receu aucune des vostres despuys que j'estoys malade, comme si je ne devoys avoyr ces deux consolations ensemble, santé et vos lettres.

  A011000239 

 Seulement, [3] je me plains de celles que monsieur Cadel et autres amys ont porté, que j'eusse pensé devoir estre fidellement rendues.

  A011000239 

 Si ceste mienne lettre prend plus heureusement port que plusieurs autres que je vous ay escrit, elle vous asseurera de deux choses.

  A011000250 

 Je ne fis jamais chose qui meritasse que vous prissies la peine de m'escrire avec tant de caresses comme vous aves faict le 24 de septembre, dont je vous remercie d'autant plus humblement de ceste vostre faveur, pour laquelle je m'offriroys a vous humblement si je ne vous estoys desja tout obligé et dedié.

  A011000250 

 Or, vostre lettre me servira au moins de tesmoignage que vous prenes a gré l'affection que je vous porte, et partant j'ay pris un tres [4] grand contentement de voir que desires que je retourne bien tost par devers vous, tout plein de belles qualités....

  A011000255 

 Vous pouves bien tant quil vous playra accroistre le monde d'obligations que je vous ay, comme vous aves faict prenant la peyne de m'escrire le 24 septembre avec tant de caresses comme vous aves faict; mays vous ne pouves plus accroistre l'affection que je vous porte, et a vostre service, icelle estant aussy grande qu'on la pourroit avoir....

  A011000265 

 Je me fais accroyre que monsieur des Granges, present porteur, m'ayme beaucoup, comme j'en ay eu de fort bons signes; dont l'ayant prié fort instamment [5] qu'estant de pardela il me recommandasse fort affectionnement a vostre bonne grace, je ne doute poinct que sil vous peut trouver et se souvient, il ne face cela pour moy.

  A011000265 

 Toutefoys, pour autant que peut estre ne vous trouvera il pas comme il desire, et aussy quil est fort aysé a oublier si peu de chose comme je suys, affin d'asseurer mon intention j'ay escrit ces deux mots que je vous addresse, par lesquels je vous saluë tres humblement et affectionnement, et vous remercie de la memoyre que vous eustes de moy quand monsieur de la Chapelle print congé de vous pour venir icy, lequel m'a encores dict que d'autrefoys vous luy avies parlé de moy; ce que cognoissant ne venir de mes merites, j'en honore d'autant vostre bonté, delaquelle je reconnoys toutes ces faveurs..

  A011000266 

 Je presuppose que deux de mes lettres vous auront estëes donnëe....

  A011000266 

 On a dict que le duc de Florence s'en alloit mourir et quil se traittoit de fayre Pape le Cardinal de Sens, ce que n'estant asseuré je m'en rapporte a l'evenement.

  A011000277 

 D'autre part j'estimoys que sous l'adveu de ceux qui m'eussent presenté a vous, j'eusse esté beaucoup mieux receu que je [7] n'eusse osé me promettre sans presomption.

  A011000277 

 Despuys lhonnorable memoyre que vous fistes de moy par lettre a monsieur de Marry, il y a quelque tems, qui me fut comme un'arre de vos graces, le grand desir que ja auparadvant j'avoys d'estre accepté pour vostre serviteur tres humble s'estoit extremement accreu.

  A011000277 

 Dont vous pourres asses connoistre, sans que je vous en die autre, avec combien de satisfaction j'ay receu vostre lettre, combien j'en fays d'estat et combien estroittement je m'en sens obligé, mays beaucoup plus de ce que par icelle vous me presentes.

  A011000277 

 Et pourtant j'avoys a plusieurs foys prié monsieur de la Tornette et monsieur de la Porte de vous fayre present, de ma part, et de moy mesme et de mon service, pensant par ce moyen, sans que je vous importunasse par lettres (que je craignoys fort), vous pouvoir fayre sçavoyr combien je me connoissois honnoré de vostre mention et combien humblement je vous en remercioys.

  A011000278 

 Et bien que je n'aÿe autre merite, si est que la grande et bonne affection que j'ay est suffisante pour me fayre avoyr un lieu de mortepaÿe en vostre service, affin que j'aye le contentement, par la continuation de ceste vostre faveur....

  A011000278 

 Et maintenant, puys quil vous a pleu me monstrer de si bons signes, ains de me favre fayre de si bonnes asseurances de vostre amitié en mon endroit, je vous supplieray tres humblement de me fayre ce bien que de continuer, et me mettre en conte comme vostre tres humble et serviteur.

  A011000298 

 A qui la faute si j'ai reçu si tard la première lettre? Je n'ai pas voulu le rechercher, de peur que cette recherche ne fît retomber un peu de mon mécontentement sur quelqu'un de mes amis.

  A011000298 

 J'ai reçu à la fois, ces jours-ci, les lettres que vous m'avez écrites le 29 novembre 1590 et le 23 janvier 1591.

  A011000298 

 Vous avez grandement craint, dites-vous, que je n'eusse conçu à votre égard quelque indignation, car dans mes dernières lettres je semblais fâché de ce que vous n'êtes pas ardent à m'aimer ou diligent à m'écrire.

  A011000298 

 » [9] Si vous l'expliquez de la sorte: « Tout éveille les craintes de ceux qui aiment, » c'est bien, mais à la condition que vous me dispenserez de vous prouver mon affection en redoutant tout de votre part..

  A011000299 

 Donc, quelle que soit votre affection, ne cédez plus désormais à ces craintes.

  A011000299 

 J'ai demandé ensuite de vos nouvelles d'ici, de là, tantôt à un ami, tantôt à un autre, jusqu'à me rendre presque importun; mais partout, silence étonnant sur vous (peu s'en faut-il que je ne dise contre vous).

  A011000299 

 J'apprends que vous êtes en France.

  A011000299 

 Je voudrais que cette conviction demeurât en vous le plus fermement possible et prévînt toute ombre de défiance.

  A011000299 

 Le fait est que je vous ai écrit, que je vous ai expédié plus d'une fois des lettres, sans savoir jamais si elles vous étaient parvenues.

  A011000299 

 Quant aux paroles que vous semez sur mon compte, par ci par là, auprès de vos amis, surtout auprès de celui que vous appelez votre maître, prenez garde qu'on ne les interprète comme si vous semiez votre champ.

  A011000299 

 Quelle faute ai-je commise? Ces preuves de mon affection sont plus fortes que toutes vos accusations.

  A011000299 

 Toutefois, ne croyez pas que votre crainte m'inspire une [10] crainte équivalente.

  A011000299 

 Vous m'écrivez, en effet, que rien ne vous persuadera que j'aie pu vous oublier le moins du monde.

  A011000300 

 Si cet homme consentait à m'accepter comme sien ce serait pour moi un bien préférable à tout autre bien; rien donc ne me sera aussi avantageux que de lui être connu, au moins de nom, par votre entremise.

  A011000300 

 Sur ce sujet, je garde en mon cœur bien des choses que je ne puis entièrement révéler, et, le pourrais-je, que le temps laissé par le porteur ne me permettrait pas de les écrire..

  A011000300 

 pour que les autres pensent ce que je pense moi-même, c'est-à-dire que vous proclamez vos vertus, que vous savourez votre propre miel.

  A011000301 

 Antoine de Mérindol que, par sympathie, vous appelez François, de sa propre main se consigne entièrement entre les vôtres.

  A011000301 

 Il est fort porté à engendrer la pierre (que chez lui on pourrait appeler pierre philosophale).

  A011000302 

 Pendant que son âge le tient en dépendance de nous, il suit comme un accessoire son frère aîné.

  A011000302 

 Sachez que, pour n'importe quel service, vous avez droit d'user de moi, non il est vrai en qualité de parrain, mais à titre de maître.

  A011000318 

 En effet, que pouvait-il humainement m'arriver de plus glorieux que de m'entendre donner le titre d'ami par un personnage si docte et si accompli? Il n'est rien en moi, homme obscur, qui puisse ainsi me concilier vos bonnes grâces.

  A011000318 

 Sans doute, nous sommes compatriotes et nous avons commencé ensemble nos études littéraires; mais vous m'avez [13] tellement dépassé, votre génie et votre savoir ont établi une si grande distance entre nous, que je m'étonne de l'intime amitié que vous voulez contracter avec moi..

  A011000319 

 En attendant, daignez agréer mes plus vifs remerciements pour la sympathie que vous me témoignez, et croyez-moi, très digne Monsieur, votre plus dévoué serviteur.

  A011000319 

 Que Notre-Seigneur Jésus-Christ vous soit [propice].

  A011000335 

 Enfin vous savez du moins que tout ce que je suis est entièrement vôtre.

  A011000335 

 Et voici ce que je réponds brièvement à votre seconde lettre.

  A011000335 

 Il ne faut pas trop ajouter foi aux paroles [15] d'un père aussi indulgent que l'est mon Evêque lorsqu'il rend témoignage de son fils; car bien souvent les parents les plus prudents se persuadent trouver dans leurs enfants les qualités qu'ils désirent.

  A011000335 

 Je vous remercie de tout mon cœur des paroles si aimables que vous m'écrivez, et je ferai tout ce qui dépendra de moi pour les mériter..

  A011000335 

 La raison pour laquelle je n'ai pas répondu à la première est que j'espérais, avec mon Révérendissime Evêque, avoir une occasion prochaine de vous voir ici.

  A011000336 

 Comme j'entends dire que les populations auxquelles vous consacrez vos talents sont si grossières qu'elles ne veulent pas vous affranchir des charges publiques, et n'ayant nulle autorité pour le faire par moi-même, je le fais du moins par l'autorité de l'empereur Constantin, qui a édicté le décret suivant dans la VI e Loi du Titre LII, intitulée: De Professoribus et Medicis, Livre X du Code: « Les médecins, les maîtres d'école et les docteurs en droit avec leurs femmes, leurs enfants et les biens qu'ils possèdent dans la ville (ce mot-là vous affranchit complètement) sont exempts de tout impôt et charge soit municipale, soit publique, de toute corvée et obligation de logement.

  A011000361 

 J'ai reçu votre lettre, très illustre et vertueux Sénateur, et ce gage précieux et inattendu de votre bienveillance pour moi m'a tellement [18] rempli de joie et d'admiration que mon esprit demeure impuissant à vous exprimer ces sentiments.

  A011000362 

 Si j'avais pu vous témoigner l'inclination que j'éprouve depuis longtemps à vous honorer et à vous aimer, vous auriez compris que j'avais moins besoin d'être excité à vous aimer, comme vous le dites avec tant de modestie, que d'obtenir la permission de vous exprimer ouvertement les sentiments intimes de mon âme.

  A011000363 

 Je le fais non seulement parce qu'il est impossible de rencontrer ailleurs des talents supérieurs aux vôtres, et difficile d'en rencontrer de semblables, mais surtout parce que les exemples que nous trouvons dans nos provinces, dans nos villes, et pour ainsi dire à notre foyer, ont plus de force, d'énergie et d'efficace..

  A011000363 

 Puisque vous êtes un arbre excellent, et, par ses fruits, reconnu comme tel dans tout le monde savant, depuis longtemps je me propose votre exemple, et, jour et nuit, je tâche autant que faire se peut de me conformer à ce modèle.

  A011000364 

 Ce désir de me concilier votre bienveillance, s'il était possible, était si ardent que mon âme ne pouvait plus se contenir; et si l'occasion ne s'en était présentée, en dépit de toute modestie, je n'aurais pas hésité, moi faible jeune homme, à venir à temps ou à contre-temps vous provoquer, vénérable Sénateur, à cette douce lutte d'amitié..

  A011000365 

 Alors que j'aspirais avec ardeur à saisir cette occasion, je ne sais par quel contre-temps elle m'a échappé.

  A011000365 

 Lorsque je suis allé à Chambéry me faire inscrire au nombre des avocats, j'espérais qu'une fois admis, je pourrais saluer tous les Sénateurs, les remercier selon l'usage, et, à cette occasion, obtenir place parmi vos amis en vous laissant mon nom écrit de ma main; mais voilà que la noblesse est appelée aux armes, et que je suis contraint de partir à une heure indue, sans vous avoir vu; car j'aurais considéré comme un [21] plus grand mal de vous saluer seulement à la hâte, surtout vous étant inconnu, que de ne pas vous saluer du tout.

  A011000366 

 Maintenant que par votre lettre, comme par un cartel signé, vous avez provoqué un combattant qui par nature est très ardent dans ces sortes de luttes, prenez garde d'avoir bientôt à considérer moins lequel de nous deux est le premier descendu dans l'arène que celui qui y demeurera le dernier..

  A011000367 

 Et pour ne pas paraître honorer en vous la dignité sénatoriale plutôt que la vertu consommée du sénateur, je n'estimais pas convenable de vous adresser mes hommages à distance, car je ne me croyais pas un jeune homme assez important pour mériter que mon nom eût été prononcé ou entendu par quelqu'un des membres de votre illustre corps.

  A011000367 

 J'ai admiré et aimé vos éclatantes qualités avant même que mon nom vous fût connu, mais non point avant que vous ne fussiez enrichi de ces dons éminents innés en votre âme, et qui, en tout temps, ont fait qu'il a été impossible de ne vous pas aimer.

  A011000367 

 Mais puisqu'il en est autrement, je me réjouis d'avoir pu acquérir aussi facilement votre bienveillance, ce qui sera pour moi, non tant un sujet d'orgueil (bien que mon amour-propre ait droit d'en être flatté) qu'un stimulant à mieux faire..

  A011000367 

 Ne prétendez pas cependant, comme vous le faites, avoir été le premier à m'aimer, et ne croyez pas par suite que je vous doive moins ou que vous deviez davantage à mon mérite.

  A011000367 

 Si, par une bienveillance extrême, vous avez été le premier à m'écrire, cela prouve seulement que vous avez donné [22] le premier, ce qui est plus divin, et que j'ai été le premier à recevoir, comme il sied à mon infériorité.

  A011000368 

 En même temps, j'ai toutefois à redouter que, lorsque je me présenterai à vous, constatant l'infériorité de mon mérite qu'à distance vous vous figurez si grand, vous ne regrettiez de m'avoir témoigné tant d'affection.

  A011000368 

 J'ai à craindre que, cueilli prématurément, le fruit si doux que me faisait goûter cette affection ne vienne à se flétrir.

  A011000368 

 Je ne m'informerai donc pas si c'est pour m'exciter à la vertu que, non content de m'aimer, vous daignez encore m'écrire, ou (comme vous vous y croyez obligé par ce qu'on vous a rapporté de moi) si c'est pour satisfaire votre propre inclination envers ceux qui ont en eux-mêmes quelque faible semence de cette probité et de ces talents qui fructifient si abondamment en vous.

  A011000368 

 Mais cette crainte sera modérée par la connaissance que j'ai de votre grande bonté, laquelle est unie à une prudence telle qu'aucune [23] exagération, addition, diminution, aucun artifice et habileté de langage en ceux qui vous parleront de moi, soit en bien soit en mal, ne saurait vous tromper.

  A011000368 

 Quoi qu'il en soit, je ne craindrai plus que vous ne cessiez désormais de m'aimer..

  A011000369 

 Pour mon compte, moins j'attendais de vos lettres, ne croyant pas vous être connu même de nom, plus j'ai admiré votre extrême bonté, et plus a grandi le désir que j'éprouvais de vous voir et de vous parler.

  A011000369 

 Que l'admiration excite le désir de connaître, c'est une maxime assurée qui s'apprend avec les rudiments de la philosophie..

  A011000370 

 Ainsi est-il vrai que celui-là est pris qui croyait prendre....

  A011000370 

 En attendant le bonheur de vous voir, je vous remercie de ce que vous avez bien voulu m'écrire le premier, et je vous promets de ne [24] me laisser surpasser par qui que ce soit dans le soin de vous honorer et de correspondre à votre amitié.

  A011000370 

 Je le ferai de toute l'étendue de ma volonté, bien que cette si petite lettre ne puisse répondre à l'amabilité et à l'élégance de la vôtre.

  A011000370 

 Toutes les fois que je la prends (je la lis et relis sans fin) je me sens pris de la volonté et de la joie de vous estimer davantage, à tel point que mon âme reste prise dans son impuissance.

  A011000386 

 Auprès de personne, en effet, je n'ai l'autorité suffisante; aussi vous dois-je une reconnaissance d'autant plus grande que je puis moins vous offrir de retour.

  A011000386 

 C'est bien l'œuvre d'un [habile] artisan, très digne Monsieur, de parvenir, grâce à votre éloquence, à faire aimer des personnages les [25] plus illustres ceux que vous aimez vous-même.

  A011000386 

 Je ne puis nullement à cet égard vous rendre pareille faveur; car, bien qu'en affection je n'hésiterais pas à lutter même avec vous, que je reconnais par des signes indubitables être un homme des plus aimants, toutefois la prétention de vous concilier l'amitié de qui que ce soit n'est compatible ni avec la médiocrité de mon mérite, ni avec l'éclat de vos vertus.

  A011000387 

 C'est pourquoi je vous rends des actions de grâces d'autant plus vives pour m'avoir procuré un ami tel que, dussé-je vivre toute la vie d'un Nestor, je n'eusse pu l'acquérir par mes propres mérites.

  A011000387 

 Du reste, eussé-je l'autorité suffisante pour cela, n'espérez pas que je vous [26] rende jamais pareil service; car, à moins de sortir de notre hémisphère, il serait impossible de trouver un homme de science et de probité qui ne vous vénère, ne vous aime, et ne se propose vos exemples pour modèle.

  A011000387 

 Et si vous n'aviez pas toutes les qualités qu'on vous attribue, c'est précisément à François Girard, d'après ce que vous me dites de lui dans votre lettre, que je devrais aller pour les rencontrer... Vous voyez donc que ma preuve ressort plus évidemment par sa propre force que par l'habileté de celui qui l'expose..

  A011000388 

 C'est en vous, c'est dans l'affection singulière que vous me témoignez qu'il faut chercher la cause de mon bonheur.

  A011000388 

 Pour en venir à une conclusion déjà manifeste, comme il n'est plus personne qui ne vous honore grandement, comme il ne reste plus d'autre François Girard, je déclare que, dans cette affaire, je vous dois absolument tout.

  A011000389 

 Il convient donc que vous appeliez compagnon celui qui veut bien m'aimer, il est vrai, mais seulement par amour pour vous, puisqu'il ne me connaît pas personnellement, mais seulement d'après l'opinion que vous avez conçue de moi.

  A011000411 

 Que pouvait-il, en effet, m'arriver de plus heureux, humainement parlant? La rareté de ce don suffirait seule à le rendre glorieux, tellement précieux qu'il ne saurait être estimé à sa juste valeur, et d'autant plus flatteur pour moi que j'étais loin de le mériter..

  A011000411 

 Si vos vertus et votre bienveillance pour moi ne vous assuraient depuis longtemps des droits à mon dévouement, il vous serait acquis aujourd'hui à juste titre en retour des agréables relations que vous m'avez procurées avec François Girard; car, d'après sa lettre, c'est à l'influence et à l'autorité que vous avez sur lui que j'en suis redevable.

  A011000412 

 Ne craignez pas toutefois d'être taxé d'imprudence pour avoir [29] oublié la disproportion qui existe entre le don et l'homme qui le reçoit; car Alexandre le Grand pensait avec raison qu'un présent doit être plutôt digne de celui qui l'offre que de celui qui l'accepte.

  A011000412 

 Par suite, me mettant en union de sentiments avec vous, vous m'y mettez aussi avec François Girard, de telle sorte que tout, jusqu'à la moindre bagatelle, vous devient commun..

  A011000413 

 Certes, je ne crains pas qu'à ce sujet survienne entre vous la moindre division; car si l'amitié que vous vous portez mutuellement vous rend indivisibles, il en sera de même de votre bienveillance pour moi.

  A011000413 

 Pareillement l'estime que je vous porte à tous deux étant établie comme elle l'est dans mon âme, s'identifie avec elle, et participe à sa nature qui est, selon les termes de l'école, d'être tout entière dans le tout et tout entière dans.

  A011000414 

 D'où il suit que si, d'après [30] la sentence de Salomon, un même bien peut appartenir à deux personnes à la fois, c'est assurément une intimité de ce genre..

  A011000415 

 Afin qu'il en soit ainsi, puissé-je vous ressembler non seulement dans la manière d'exprimer mes sentiments (comme a coutume de faire le Prévôt François, et en cela, ainsi qu'en plusieurs autres choses, il existe entre nous un certain air de famille), mais encore en réalité et par le mérite, comme vous vous persuadez que je le fais.

  A011000415 

 Alors je serais moins indigne de l'amitié d'hommes aussi éminents que vous l'êtes.

  A011000415 

 Que du moins cette indignité soit atténuée par l'aveu que j'en fais, et que je compense les qualités qui me manquent par le vif désir que j'éprouve de les acquérir..

  A011000416 

 Après les avoir relues plus de dix fois, comme j'ai coutume de faire pour toutes les vôtres, pendant que je remettais d'y répondre au lendemain, afin qu'en un jour où la plupart des avocats vont prêter serment entre vos mains, j'eusse aussi moi-même des protestations à vous faire....

  A011000434 

 (Ce Prince a sollicité [32] lui-même par lettres ces prières.) Afin que le peuple s'attachât avec plus d'ardeur à fléchir la justice de Dieu, un sermon a été annoncé pour le Dimanche suivant, et on a imposé le soin de le prononcer à votre apprenti qui, hors de l'école, ne sait guère refuser.

  A011000435 

 A peine avais-je eu le temps de m'asseoir à mon foyer que voilà venir un messager m'annonçant qu'elle était délivrée presque sans peine, comme si ce qu'elle avait enduré auparavant avait été pris en déduction de ce qu'elle aurait dû souffrir à ce moment.

  A011000435 

 Délivré de ce souci, j'apprends que ma très chère mère, étant déjà dans sa quarante-deuxième année, doit prochainement donner le jour à son treizième enfant, et qu'elle est si fortement travaillée de douleurs aiguës qu'elle appréhende d'en mourir.

  A011000435 

 En chemin, je rencontrai M. Portier, l'un de nos chanoines, que je priai de vous saluer en mon nom, puisque je n'avais aucune facilité pour vous écrire..

  A011000435 

 Je ne revins chez moi que lorsque je la vis beaucoup mieux, grâces à Dieu, quoiqu'elle approchât de son terme.

  A011000436 

 Me voici maintenant dans la condition que vous aviez la bienveillance de me poser en disant: « Ecrivez-moi quand vous le pourrez.

  A011000436 

 » C'était, ce me semble, me demander de vous écrire tant que je ne serais pas retenu par un empêchement qui arrêterait même « l'homme fort et constant.

  A011000437 

 Je ne sais si je dois m'estimer heureux ou malheureux d'avoir dans cet intervalle reçu trois de vos lettres tandis que je n'ai pas même pu vous en adresser une seule.

  A011000437 

 Si d'une part il m'a été très pénible de ne pouvoir répondre à un homme tel que vous, j'oserais même dire (pour employer un terme plus doux qu'autorise votre extrême obligeance) à un tel ami, qui m'écrit avec tant d'affection, d'un autre côté ce m'a été une immense joie au milieu de préoccupations très pénibles de savourer le miel qui découle de votre plume, et de vous entendre en quelque sorte parler par vos lettres..

  A011000438 

 Toutefois, si je vous la recommandais, je passerais pour un sot; car ce que vous ne prenez pas à cœur n'est pas juste, toute cause juste, quelle que soit la personne intéressée, étant toujours patronnée par vous.

  A011000439 

 Je compte vous en adresser, illustre Artisan, au sujet de la question que vous soulevez à votre apprenti, à savoir s'il doit désirer ou refuser la dignité sénatoriale; à moins que je n'aie, comme je l'espère, la possibilité de vous entretenir de vive voix; car je pressens que j'aurai bientôt ce plaisir, et je ne manquerai pas d'en faire naître l'occasion.

  A011000439 

 Si nous trouvons quelque difficulté dans cette négociation, nous aurons recours à un juge tout désigné pour cela, François Girard, qui est versé dans le droit aussi bien que dans la théologie et nous aime tous deux également, quoique à des titres divers.

  A011000455 

 Et certes, si je ne me trompe, il ne saurait rien arriver de plus difficile et de plus périlleux à l'homme que d'être appelé à tenir entre ses mains et à produire par sa parole, selon l'expression de saint Jérôme, Celui que les Anges, ces intelligences que nous sommes incapables de concevoir ou de louer dignement, ne peuvent pas même embrasser par la pensée ni célébrer par de justes louanges.

  A011000455 

 La frayeur et le tremblement se sont emparés de moi: plus que jamais, j'ai donc besoin de votre bienveillance.

  A011000455 

 On peut améliorer, il est vrai, la condition d'un autre sans qu'il le sache, et le changement que je vais subir est le plus glorieux qui puisse m'arriver en ce monde; néanmoins votre sympathie me sera très avantageuse, car je suis assailli par la plus grande inquiétude que j'aie jamais ressentie.

  A011000456 

 Assurément je n'ignorais pas, mon vénérable Ami, que d'effroyables responsabilités ne fussent jointes à une si sainte et si auguste dignité; mais l'éloignement trompe les yeux, et c'est chose bien différente de mesurer un objet de près ou de l'apprécier de loin.

  A011000456 

 Vous êtes le seul, Monsieur le Sénateur, qui me paraissiez capable de comprendre le trouble de mon esprit; car vous traitez les choses divines avec tant de respect et de vénération que vous pouvez facilement juger combien il est dangereux et redoutable d'en présider la célébration, combien il est facile de pécher et de pécher gravement, et combien difficile de remplir dignement ces saintes fonctions.

  A011000457 

 Et pourtant, comment se fait-il (ici je m'éloigne insensiblement des considérations qu'il me suffit de vous avoir indiquées), comment se fait-il que si un ami s'efforce par la compassion qu'il porte à son ami malheureux d'éloigner de lui les maux qui le menacent, celui-ci se sente réconforté par cette compassion même, bien qu'en s'apitoyant sur lui, le premier n'ait pu s'empêcher de ressentir les mêmes maux? Sans doute cela vient de ce que la commisération est la marque incontestable de l'amitié, ce sentiment le plus exquis de tous, lequel, dans nos amis, nous est bien plus précieux étant mêlé de compassion que s'il se terminait à une froide bienveillance qui ne participerait en rien à nos douleurs..

  A011000458 

 D'autre part, ne vous persuadez pas que les saints mystères m'inspirent un effroi tel qu'il ne laisse en moi place à une espérance et à une allégresse bien supérieures à ce que pourraient me valoir mes propres mérites.

  A011000484 

 En effet, quoi de plus doux, de plus avantageux pour un convalescent que de quitter l'obscurité d'une [41] maisonnette pour aller souvent contempler des jardins les plus agréables et les plus émaillés de fleurs et d'y respirer à souhait l'air embaumé des parfums les plus suaves! Telle est l'impression que me fait éprouver la lecture de votre lettre si amicale..

  A011000484 

 Moi au contraire, mon excellent Frère, je me suis senti inondé d'une si grande joie en lisant votre lettre, que je n'aurais pu désirer aucun remède plus efficace pour rétablir ma santé, si, grâces à Dieu, elle n'eût été déjà remise.

  A011000485 

 Cependant une chose m'attriste, c'est d'apprendre les angoisses que vous a causées ma maladie, d'autant plus que je n'ai rien ou presque rien souffert.

  A011000486 

 Si vous vouliez faire remonter à saint Antoine l'origine de ce mot, vous vous [42] tromperiez; car dans la vie de ce Saint il n'est question d'aucun banquet, si ce n'est celui dont l'amphytrion était un corbeau, les convives, Paul et Antoine, et où, à la place de mets somptueux, l'on ne servait que du pain et de l'eau pour boisson..

  A011000487 

 Puisque vous me donnez espoir que nous passerons ensemble et en bonne santé le carnaval prochain, mon cœur est rempli d'une si douce joie qu'aucun de ceux qui sont dégoûtés du maigre quadragésimal ne désire plus vivement les fêtes de Pâques que je ne soupire après le carnaval.

  A011000488 

 Quant à ce qui fait à vos yeux le principal charme du séjour habité par ma famille, le plaisir de nous y voir tous réunis, je crains que nous en soyons privés; car vers ce même temps de carnaval, [43] M. le sénateur Roget, un ami qui nous est si cher, devant célébrer le mariage de sa fille aînée avec le juge-mage du Faucigny, mes parents, qui ont déjà reçu des lettres d'invitation, ne pourront se dispenser d'assister à ce mariage sans manquer aux égards qu'ils doivent à la famille du Sénateur..

  A011000489 

 Et, lors même que vous ne viendriez pas, je n'assisterais pas à cette fête; car comment aller aux noces, moi qui n'ai pas la robe nuptiale? D'ailleurs, je redoute ces réunions et ces festins..

  A011000490 

 C'est ainsi que je vous écris [44] familièrement.

  A011000490 

 Le baron de Chivron a facilement obtenu que nos princes entrassent dans les vues de notre Evêque, relativement à l'affaire dont il vous a entretenu.

  A011000490 

 M. de Montrottier écrit encore une fois, mais il me dit que désormais il ne répondra que par le silence à vos lettres, dont le style élégant et délicat le remplit d'admiration.

  A011000490 

 Plût à Dieu que le bon sens y trouvât son compte! Ceci à la hâte.

  A011000504 

 Pour ne pas garder un silence absolu, j'ai jugé à propos de vous écrire cette courte lettre comme avant-coureur de salutations que je pense vous adresser sous peu de vive voix; car voici où en sont les choses.

  A011000504 

 Quant à moi, dès que j'aurai connaissance de votre arrivée dans cette ville, je prendrai mes mesures pour que vous puissiez voir parmi les Favergiens votre inhabile mais diligent apprenti; nous irons ensuite à la maison Tulliane, qui ne saurait être plus illustrée que de recevoir son nom de vous.

  A011000505 

 Ce qui m'a le plus réjoui, [47] c'est qu'à son départ d'Annecy, j'ai pu, dans les derniers mots que nous avons échangés, jeter, en lui parlant de vous, comme le parfum d'un baume odorant dans son esprit....

  A011000519 

 En effet, d'après celle qui précédait l'avant-dernière, remise à mon précepteur, je croyais, comme il me l'avait dit, que vous demeureriez à Chambéry toutes ces vacances, et j'ai confié ma lettre à Jean-Baptiste de Valence, qui, en qualité d'ancien condisciple, me reste spécialement cher.

  A011000519 

 Il avait surtout insisté pour être mon intermédiaire auprès de vous parce que, étant lui-même ami des lettres, il vous a voué une spéciale admiration, et qu'il pensait vous être agréable en vous remettant mon message..

  A011000519 

 Vous avez reçu ma lettre, mais assurément plus tard que je n'eusse voulu.

  A011000520 

 Lorsque je la reçus, je me pris à la lire avec une avidité telle que je ne pus la savourer; mais quand le loisir me permit de la relire, alors un bonheur incomparable s'empara de tout mon être..

  A011000520 

 Mais comment se fait-il que le vôtre ne me soit pas arrivé assez tôt, à moi qui l'ai reçu avec un plaisir tel que je n'en éprouverai jamais de plus grand en recevant tout autre envoi? C'est que vos lettres ne sont pas seulement merveilleusement écrites et pensées (personne en effet ne saurait assez, je ne dis pas apprécier, mais même savourer l'extrême douceur de ces rayons de miel); elles sont aussi des chefs-d'œuvre d'élégance et des monuments d'amitié.

  A011000534 

 Cette dame, que je n'ai jamais vue, a été informée je ne sais comment de la très grande affection que vous me portez.

  A011000534 

 Elle a jugé qu'il lui serait fort utile et avantageux d'implorer l'autorité de mon excellente mère, pour me décider à vous demander de faire en sa faveur ce que, de votre propre aveu, l'ami le plus loyal peut solliciter du juge le plus intègre: que vous patronniez sa cause.

  A011000535 

 Il me semblait à peine nécessaire de le faire parce que nos dernières lettres, comme les précédentes, témoignent si bien de l'unité de nos esprits, que volontiers je croirais superflu de vous communiquer mes pensées autrement qu'en concentrant sur elles une profonde attention.

  A011000535 

 Quant à moi, je me suis déterminé à vous écrire pour qu'on ne puisse mettre en doute le crédit que me donne sur vous l'amitié que vous me portez.

  A011000535 

 Toutefois cette hypothèse est détruite [51] par votre vif désir d'assister à mes petites prédications, lesquelles vous devriez pouvoir entendre de la seule oreille spirituelle, puisque je les prononce avec autant d'attention que de force.

  A011000554 

 Cependant je préfère vous écrire non seulement d'une façon laconique, mais à la hâte et avec précipitation, que de ne pas le faire du tout; car, dans ce temps de jeûne, j'ai pensé que je serais excusable de vous adresser une lettre un peu maigre, moi surtout qui rarement en écris d'autres, et qui, moins par la suppression des mets, que par la récente privation de votre présence, trouve tout fade et insipide.

  A011000554 

 J'ai reçu hier de mon Révérendissime Evêque une lettre à vous transmettre, et maintenant je n'ai que le temps de vous l'envoyer, car ce bon homme qui vous la portera est venu me saluer au moment de son départ, et en chemin plutôt qu'en ville.

  A011000555 

 En ce moment, je suis encore à jeun de corps et d'âme; mais je ne tarderai pas à rompre le jeûne spirituel en me nourrissant à la table du Seigneur de cette très sainte graisse de la terre, de cette victime de choix que j'offrirai, comme j'ai coutume de le faire toujours, en votre nom et au mien..

  A011000568 

 En conséquence, il est juste qu'à votre tour vous fassiez pour moi ce que j'ai fait jusqu'à présent pour vous: puisque je vous tiens pour un ami hors de pair, que vous me considériez aussi comme tel; vous devenez donc ainsi pour moi le frère le plus aimant, et tout mien de la meilleure manière possible, et je me sens devenu le vôtre, au point de me croire un autre homme que moi-même.

  A011000568 

 Quant à votre dernière lettre, elle offre une telle harmonie de pensées avec celle que je vous ai adressée le même jour, qu'elle montre clairement la parfaite unanimité de sentiments qui existe entre les deux frères, surtout en matière d'amitié, bien que ces sentiments ne soient pas exprimés de la même manière, car par l'élégance de votre style vous me laissez bien loin derrière vous.

  A011000569 

 Adieu, mon excellent Frère; faites en sorte que nous vous ayons en ces fêtes de Pâques; votre présence augmentera pour nous les charmes du printemps..

  A011000585 

 C'est non seulement avec empressement, mon très bon et très doux Frère, mais avec une véritable anxiété que j'ai cherché tous ces jours derniers à rencontrer un des nombreux personnages qui se sont rendus auprès de vous; mais, par un regrettable contretemps, aucun ne m'a prévenu.

  A011000585 

 J'en profite, mon excellent Frère, et je vous prie de croire que, bien que vous me combliez de vos lettres, vous ne parviendrez pas à m'en rassasier; car telle en est la douceur que, loin d'accabler jamais, elles charmeraient toujours l'esprit le plus blasé, tandis qu'une douceur trop fade inspire le dégoût.

  A011000585 

 Je ne pouvais supposer que les gens de M. de [56] Charmoisy, de M. de Beaumont, que M. Portier, chanoine de notre Eglise, aussi bien que Chappaz, dussent partir sans m'avertir, et c'est la principale raison pour laquelle je ne m'informai pas de l'époque de leur départ.

  A011000586 

 J'en viens maintenant à Rodolphe Démeiller, ce bon paysan de Thorens; en le recommandant à votre bonté, je vous rends d'avance mille actions de grâces de ce que vous avez déféré à ma recommandation dans une mesure bien supérieure à mes mérites.

  A011000586 

 Je ne crains pas qu'on m'accuse de vouloir favoriser une mauvaise cause, si par ignorance je vous en recommandais une qui fût telle; car celui qui présenterait du cuivre pour de l'or à un orfèvre aussi habile que vous ne saurait être soupçonné d'agir de mauvaise foi.

  A011000586 

 Je ne vous parle pas de la noble veuve M me de Ville, puisque sa [57] cause est en si bonne voie, soit parce qu'elle est juste, soit aussi parce que, en ma faveur, vous avez bien voulu la prendre en considération.

  A011000587 

 L'un et l'autre nous vous attendons avec une vive impatience; mais avec cet inconvénient pour moi, que les jours solennels consacrés au divin Crucifié, lesquels m'auraient paru bien courts à [58] raison des cérémonies si graves et si belles qui les remplissent, me paraîtront d'autant plus longs que je vous attends avec plus d'impatience..

  A011000606 

 Le silence entre frères est toujours pénible, inopportun (voyez que je suis loin du sentiment que parfois je craignais un peu vous voir adopter); mais [59] ce silence serait bien plus amer, plus dur, aujourd'hui que les lois de la saison printanière semblent nous permettre non seulement une conversation sérieuse, mais un babillage amical..

  A011000606 

 en dehors de toutes les lois de la bienséance d'assimiler au temps du Carême, par je ne sais quel triste silence, ces jours de Pâques si pleins de joie, alors surtout que les prairies, les arbres, les oiseaux célèbrent le printemps avec tant de suavité.

  A011000607 

 D'ailleurs, la saison si favorable aux voyages nous fournira plus d'une occasion de nous rapprocher, alors que les plaideurs, même par simple divertissement, se rendront bien souvent auprès de vous.

  A011000607 

 Pour ma part, je veillerai avec grand soin à ce que des amis comme nous ne le cèdent pas à cette malheureuse sorte de gens.

  A011000607 

 Puisqu'ils se donnent volontiers tant de peine pour entretenir leurs discordes et leurs inimitiés, la bienséance et la noblesse exigent que des amis très affectionnés prennent au moins autant de soin pour conserver entre eux la concorde et l'amitié, à raison de la souveraine jouissance attachée à ce bien..

  A011000607 

 Si je n'ai pas profité du retour de M. Monod, c'est seulement, croyez-moi, parce que je l'ai ignoré.

  A011000608 

 J'ai déjà sur ce point incliné le consentement de mon père, et je l'obtiendrai tout à fait pour m'adjoindre à la famille de notre [60] Sénateur en qualité d'aumônier, pourvu qu'il me donne, ainsi que je l'espère, quelque avis de son départ.

  A011000610 

 Portez-vous bien, Frère très aimable, et que le Christ vous protège! [61].

  A011000626 

 Ensuite, vient pour quelques jours le règlement des affaires de notre Eglise; et encore que j'y sois inutile, notre Révérendissime Evêque et père ne permet absolument pas que je m'absente pendant tout ce temps.

  A011000626 

 Que ferais-je, mon Frère, et de quel côté me tourner, moi qui n'ai pas encore satisfait à votre désir, et qui ne puis maintenant y répondre, faute de temps? Car nous voici à l'époque très solennelle du synode, auquel tous les membres de notre clergé sont tenus d'assister; et m'en dispenser, ce serait attirer sur moi l'excommunication.

  A011000627 

 Avant-hier, me rendant ici dans l'intention d'aller à vous le lendemain avec M. Coppier, après environ trois milles de marche sous une pluie torrentielle, je fus arrêté par un obstacle que je n'avais pas prévu, je vous assure: le torrent était si enflé qu'il ne présentait aucun endroit guéable, et je fus forcé de rebrousser chemin.

  A011000628 

 Je suis pressé par un incroyable désir de tenir ma promesse, et je le ferai aussitôt que je le pourrai; mais je me garderai bien de vous indiquer le jour, de peur que vous ne veniez encore à ma rencontre.

  A011000628 

 Lorsque je l'appris (c'était hier au soir), je sentis la rougeur me monter au visage, à tel point que je n'osais plus jeter les yeux sur votre lettre.

  A011000628 

 Vraiment, si cette amitié extrême (je dirais aveugle ou presque aveugle) que vous me portez ne vous servait d'excuse, je jugerais intolérable qu'un sénateur aussi distingué que vous l'êtes se fût dérangé une fois déjà pour moi avec toute une illustre compagnie.

  A011000629 

 Qu'il plaise à Dieu, mon Frère, me délivrer au plus tôt du trouble que je ressens jusque dans les profondeurs de mon être, sans quoi je cours risque de ne plus oser vous regarder en face!... [64].

  A011000629 

 Que dirai-je? Eh quoi! si dans une aussi mauvaise cause je suis dépourvu d'un bon avocat, c'en est fait de moi.

  A011000647 

 Comme il sera nécessaire de réparer nos forces en prenant un peu de nourriture, nous avons résolu de nous retirer tous sous un même toit, où nous dînerons ensemble modestement et frugalement, écoutant la lecture de quelque livre de dévotion, afin que nul discours profane ne se mêle aux conversations pendant ce saint voyage.

  A011000647 

 Je ne puis guère vous dire l'heure précise, puisque, contre notre gré, une foule nombreuse s'est jointe à nous pour ce pèlerinage, principalement quelques dames que tous nos arguments n'ont jamais pu faire changer de résolution, notre Confrérie les ayant, dès le commencement, admises à la [66] Communion et autres pieux exercices.

  A011000647 

 Le cérémonial ne sera pas différent de celui que vous avez vu dernièrement quand vous étiez ici, et nous dirons les mêmes Litanies de Jésus crucifié.

  A011000647 

 Le mardi de la Pentecôte, Dieu aidant, nous ferons à Aix, [65] ainsi que vous l'écrivez, le pèlerinage convenu.

  A011000647 

 Louange soit donc à Dieu pour vous tous par Jésus-Christ, vous dirai-je avec saint Paul, parce que votre foi est maintenant annoncée partout.

  A011000647 

 Nous ôterons les souliers de nos pieds, car nous regardons comme saint le lieu où nous nous rendons, ce lieu orné du bois très précieux sur lequel Dieu s'est montré à nos pères avec une charité bien plus ardente que dans le buisson de Moïse.

  A011000647 

 Puisque vous venez le même jour, vous aurez à nous attendre là, parce que vous êtes plus rapprochés et que vous n'êtes point embarrassés d'un si grand nombre de personnes étrangères au pèlerinage..

  A011000647 

 Toutefois nous ne ferons pas tout le chemin pieds nus, mais seulement quelques milles, car ce n'est pas sans raison que nous l'avons ainsi réglé.

  A011000648 

 Et il ne faut pas que j'oublie une chose merveilleuse: vous avez su que notre pèlerinage était décidé au moment où nous venions à peine de prendre cette détermination, car c'est mercredi soir seulement que nous avons délibéré à ce sujet; de sorte qu'on peut attribuer à une inspiration divine ce fait que, portant les regards sur la même Croix, nous [67] avons eu les uns et les autres le même sentiment.

  A011000649 

 Il faut seulement que vous et nous ayons à jamais cette unique loi, d'être non seulement appelés, mais d'être en effet tous frères et enfants de Dieu..

  A011000650 

 Adieu, mon très aimable, très aimant et très doux Frère, et que le divin Crucifié vous soit propice.

  A011000650 

 Nous vous saluons encore une fois, tous tant que nous sommes, et nous saluons aussi tous les autres enfants de la très sainte Croix, espérant de vous voir au plus tôt et de vous parler bouche à bouche, afin que notre joie soit pleine dans le Seigneur.

  A011000668 

 Il est juste que ceux dont le bonheur doit être plus grand devancent, en vous attendant plus tôt, le moment de le goûter..

  A011000669 

 Ne vous mettez nullement en souci de ce que, dans votre lettre à M. de Charmoisy, vous appelez une maison de ville.

  A011000669 

 Nous en avons non seulement deux toutes prêtes, mais trois, puisque je ne dois pas vouloir que la mienne porte ce nom, et je vois que vous n'avez [69] pas voulu celle de M. de Charmoisy.

  A011000670 

 Je ne sais trop si je dois envoyer mes salutations à ma très aimable sœur, votre épouse très distinguée et très chère, car je ne voudrais pas la reconnaître pour vôtre si, à votre tour, vous ne la rendiez nôtre ainsi que vous.

  A011000687 

 Comme vous aviez écrit à notre parent, M. de Charmoysi, que vous viendriez vendredi ou samedi soir, M. de Chissé, grand-vicaire de notre Révérendissime Evêque, M. de Montrottier, M. de Novery et moi nous sommes tenus chaque jour en embuscade entre les deux chemins jusqu'au coucher du soleil, afin de vous attendre, ainsi que je vous l'avais écrit précédemment, un peu plus tôt qu'un grand nombre d'autres.

  A011000688 

 M'en irai-je donc quand vous venez? Assurément je ne le ferais pas sans la raison du scandale à éviter, et si je n'avais cru que vous arriveriez plus tôt, rien n'aurait pu me déterminer à cette absence.

  A011000688 

 Quoi qu'il en soit, alors même que vous arriveriez aujourd'hui, ce retard peut être bien fâcheux pour moi qui me rends mercredi à La Roche pour prêcher.

  A011000688 

 Songez seulement que les sept premières heures du jour en constituent la majeure partie..

  A011000689 

 Je réprime autant que je le puis, et avec bien des efforts, la peine que j'éprouve, ne pouvant [72] en même temps, dans une lettre écrite à la hâte, allier le courroux et la modération.

  A011000706 

 A quel point j'ai été jusqu'ici inconsidéré et coupable en passant tant de mois sans vous écrire, je le sens mieux que personne, et j'en suis d'autant plus affligé que personne n'apprécie mieux que moi les grands avantages de votre amitié.

  A011000706 

 Aussi, dans la confusion que j'éprouve de vous avoir donné un pareil sujet de mécontentement, à peine aurais-je osé, même par lettre, diriger sur vous mes regards, si le souvenir de votre douceur et de votre indulgence ne m'avait encouragé..

  A011000707 

 Ainsi moi, qui me devais déjà une fois tout entier à vous, à raison de la bienveillance dont vous m'avez entouré, et à notre très digne Favre parce qu'il m'a obtenu cette faveur, je me devrai désormais tout entier à vous seul, et cela avec d'autant plus de raison que je me trouve dans ce [75] magnifique monastère où l'on ne peut entrer sans se rappeler cette sentence: « Il est plus difficile de réformer que de former.

  A011000707 

 Me voici donc reconnaissant volontiers ma faute, implorant votre pitié, afin que la clémence et la bonté m'accordent la totale restitution que la justice et l'équité refusent aux majeurs.

  A011000708 

 Avant que j'aie la peine d'être séparé d'un très aimable frère, je me suis persuadé que je pourrais obtenir le pardon de mon silence prolongé en vous promettant de vous dédommager à l'avenir par ma diligence et mon exactitude.

  A011000708 

 C'est aujourd'hui le dix-neuvième jour que je passe la vie la plus douce avec mon frère notre cher Favre; il ne manquait, ce semble, à notre bonheur que de vous avoir avec nous.

  A011000708 

 Nous sommes venus hier dans cette sainte et auguste solitude d'Hautecombe pour voir l'Evêque d'Albi, prélat aussi savant que très affectionné à ce cher Favre.

  A011000723 

 C'est ainsi que l'oracle d'Apollon répondait, dit-on, avec tant de subtilité, que s'il eût posé lui-même des questions, la sagesse humaine aurait été incapable de les résoudre.

  A011000723 

 Il ne faut rien moins que la très grande autorité que vous avez sur moi pour me convaincre, comme vous me l'écrivez, qu'il est toujours plus facile de répondre à un ami que de le provoquer; car [77] lorsque j'étais sur le point de vous prévenir, votre lettre si gracieuse et, qui plus est, si amicale, m'est parvenue.

  A011000723 

 L'éclat de votre érudition m'a si fort ébloui l'esprit, que, tout en me disposant à vous écrire, je désespérais de pouvoir m'élever à la hauteur de votre savoir.

  A011000723 

 Vous nous êtes tellement supérieur sous tous rapports que nous ne pouvons en aucune façon nous mesurer avec vous, à moins toutefois que nous n'entamions la correspondance ou que nous n'en choisissions le sujet..

  A011000724 

 Si grande est l'estime que je vous ai vouée, que sur ce point on peut tout au plus rivaliser avec moi, mais l'emporter, jamais.

  A011000725 

 Adieu; que Jésus-Christ vous soit propice! [78].

  A011000740 

 Deux raisons principales me portent à vous écrire, mes très chers Amis: la première est de répondre à la lettre dont vous m'avez favorisé récemment, et qui m'a causé tant de plaisir; la seconde est de vous demander une nouvelle lettre, car celle que vous m'avez écrite est tout endommagée par la lecture répétée que j'en ai faite.

  A011000758 

 Je m'en réjouis vivement et je vous félicite tous deux de ce que, suivant le proverbe, vous ne jetez pas des épines sous les pieds du voyageur de bonne foi..

  A011000758 

 Que j'étais donc simple et ingénu, mon Frère, quand je vous conseillais si naïvement d'être un peu condescendant envers ma sœur, [votre femme,] comme si jamais vous aviez eu d'autres pensées! Je serais déjà plein de confusion d'avoir été trompé en chose aussi [80] évidente si je ne l'avais été par un artisan tel que vous.

  A011000759 

 Certes, je félicite aussi grandement ma sœur de pouvoir jouir longuement de votre agréable présence; mais pourquoi vouloir être prié, pressé et presque contraint dans cette affaire? Pourquoi n'occuper qu'après les nombreuses instances de plusieurs, la place que vous avez choisie vous-même, si ce n'est par une extrême finesse digne des hommes de cour, à la manière de notre Locatel? C'est bien.

  A011000759 

 Le plus sage peut être trompé une fois; mais si je me laisse tromper de nouveau, que je sois tenu pour un apprenti bien indigne de votre atelier..

  A011000760 

 Mais je ne vois pas ce qui peut m'être attribué dans cet ouvrage, car vous l'avez vous-même tissé et enrichi de tant de belles pierreries, que, par une heureuse transformation, il a perdu son ancien nom et sa première forme..

  A011000760 

 Vous m'avez envoyé fort à propos les Méditations sur la pénitence, afin que je m'y exerce pendant que je suis privé de votre [81] présence.

  A011000761 

 Portez-vous bien et à souhait, ainsi que votre illustre épouse..

  A011000776 

 Qu'est-ce qui m'agréa davantage, ou de voir votre envoyé ou de lire votre lettre? Tout ce qui vient de vous ne peut que m'être extrêmement agréable.

  A011000777 

 Cette bienveillance dont je suis l'objet de sa part m'est d'autant plus douce qu'elle procède uniquement de celle que vous avez pour moi et qu'elle se rapporte immédiatement à celle-ci, puisque « la première chose en chaque genre sert de mesure à tout le reste.

  A011000777 

 Du reste, comme il aura trouvé en moi si peu des qualités que vous m'avez attribuées, il ne voudra plus être ni votre ami ni le mien, à moins que, pour s'expliquer l'amour que vous me portez, il ne vous considère avec beaucoup d'indulgence, moi avec beaucoup de bienveillance, et tous deux avec quelque surprise.

  A011000777 

 En vérité, autant que j'ai pu le conjecturer, François Chosal désirait lier amitié avec moi pour cette seule raison que je suis votre ami.

  A011000778 

 Nous avons entendu dire que notre confrère, votre fils dans la Croix, l'excellent Saldoz, possède une centaine de formules [83] de prières à Notre-Seigneur crucifié.

  A011000795 

 Il faut maintenant vous féliciter du fond du cœur, excellent Girard, puisque nous vous voyons combattre de toutes vos forces sous [84] l'étendard du très saint Crucifié; car n'est-ce pas combattre pour le Christ que de haïr ceux que Dieu hait, et de sécher de douleur à cause des ennemis de la Croix? Vous ne pourrez jamais rencontrer une occasion plus glorieuse pour bien mériter de Dieu et de l'Eglise que celle qui vous est présentement offerte par la souveraine providence divine.

  A011000795 

 Il n'est pas très pénible d'embrasser la Croix lorsqu'elle est debout, que personne ne l'ébranle et ne s'efforce de la renverser; mais la soutenir contre le choc des assaillants pour qu'elle ne tombe pas, voilà le propre d'un courage éprouvé.

  A011000795 

 O bienheureux combat dans lequel à la fois nous mourons et nous vivons pour le Christ! Qu'est-ce qui a, je vous le demande, environné de tant de gloire et [85] d'une si religieuse vénération la mémoire des anciens Pères de l'Eglise? C'est que jamais aucune menace n'a pu les empêcher de patronner (permettez-moi cette expression) la cause de Jésus crucifié.

  A011000796 

 Bien plutôt, je vous félicite hautement de ce que, dans un âge avancé, vous avez entrepris et poursuivez si hardiment la guerre pour le Christ.

  A011000796 

 » Votre gloire me [86] devient d'autant plus douce que l'excellent Jean Tissot, déjà vénérable par ses cheveux blancs, très digne prieur de notre Confrérie, vous a dernièrement inscrit avec plus de bonheur au nombre des confrères de la Croix; car maintenant il y a entre nous une certaine communauté de biens à divers titres, et principalement parce que nous sommes frères dans la Croix.

  A011000797 

 O bien aimé de Dieu, que le Ciel vous soit en aide!.

  A011000798 

 Le Seigneur est votre défenseur, vous ne craindrez pas ce que l'homme fera contre vous..

  A011000808 

 Il pleut a Son Altesse, il y a quelque tems despuys ces guerres, declairer pour l'eglise de ce diocæse estre de son intention et playsir que tous les biens qui se trouveroyent en ses estats avoir esté de l'eglise anciennement, devant que Geneve eut chassé les ecclesiastiques, retournassent a l'eglise, comme vray patrimoyne de Jesuchrist.

  A011000808 

 Qui a faict que le Chappitre de Saint Pierre ayant esté advisé, ou pensant quil se devoit tenir quelque journëe a Thurin touchant ces balliages et autres affayres, il a pris resolution, en l'asseurance de vostre zele et pieté, de vous supplier tres humblement de leur faire ausmosne de vostre credit et intercession en cest endroict, affin qu'en cas de quelque restitution de païs, ils ressentent le prouffit de la devote intention de sa dicte Altesse, et que les biens qui se trouveront avoir esté dudict Chappitre au tems de la subversion de Geneve leur soient restitués.

  A011000808 

 [88] Ils vous supplient donques, Monsieur, tres humblement, tous en general et moy en particulier, comm'ayant cest honneur d'estre Prevost en leur compaignie, de prendre ce leur affere en main; se promettans que si la bonne intention de Son Altesse, dressëe sur la pieté de la cause, est aydëe de vostre faveur et authorité, elle sortira en son effect avec grand merite de sa dicte Altesse, qui nous aura remis nostre pain en la main, et de vous, Monsieur, qui nous aures procuré ce bien, duquel je puys bien vous asseurer avec verité que nous avons bon besoin, pour s'estre la pauvreté de cest'eglise cathedrale de trente chanoynes, quasi tous gentilhommes ou gradués, fort rengregëe par ces guerres, sans avoir voulu jamais diminuer aucune chose de ce qui s'observoit pour la decoration du service divin..

  A011000828 

 Certes, je l'eusse fait plus tôt très volontiers, car nulle autre pensée ne m'est aussi douce, ne me récrée autant que celle par laquelle je tâche chaque jour de vous représenter à mon esprit le plus fidèlement qu'il m'est possible; il me semble alors qu'après de très épaisses ténèbres, une certaine lumière luit pour moi, tant me paraît sombre le nuage auquel commande sans doute le prince de ces ténèbres dont vous me parlez..

  A011000828 

 Je n'ai pu, mon Frère, répondre à votre délicieuse lettre, avant que le porteur retournât à Chambéry.

  A011000829 

 Ce ne serait pas assez, sans doute, de l'obstination privée de chacun, s'ils ne se moquaient des désirs du prince aussi bien que de nos efforts, et ne s'acharnaient à leur perte par une abominable entente.

  A011000829 

 Cela fut fait, à ce que l'on m'a dit, avant-hier à la maison de ville, et plusieurs avaient déjà pris cette résolution à l'assemblée des impies, qu'ils nomment leur consistoire, où ils [91] s'étaient réunis sous prétexte d'invalider, selon leur coutume, certain mariage..

  A011000829 

 Mais le démon s'en est bien vite aperçu; car les principaux de Thonon ayant assemblé leur conseil, se sont juré, par une souveraine perfidie, que ni eux ni le peuple n'assisteraient jamais aux prédications catholiques.

  A011000830 

 Mais il n'en sera pas ainsi; car aussi longtemps qu'il nous sera permis par les trèves et par la volonté du prince tant ecclésiastique que séculier, nous sommes absolument résolus de travailler sans relâche à cette œuvre, de ne pas laisser une pierre à remuer, de supplier, de reprendre avec toute la patience et la science que Dieu nous donnera.

  A011000830 

 Que feriez-vous, mon Frère? Leur cœur est endurci; ils ont dit à Dieu: Nous ne servirons pas; retirez-vous de nous, nous ne voulons point marcher dans la voie des commandements de Dieu.

  A011000831 

 Je soutiens à quiconque voudra discuter avec moi sur cette affaire, que non seulement les prédications sont nécessaires, mais encore qu'il faut rétablir la célébration du saint Sacrifice le plus tôt qu'il se pourra, afin que l'homme ennemi voie que par ses artifices il nous donne du courage au lieu de nous l'enlever.

  A011000838 

 ... que vous sçaves trop mieux comme l'on manie ces affaires, et que l'affection et devotion que vous y aves vous y conseille asses.

  A011000839 

 Ce pendant je prieray Dieu pour vostre heureuse santé et longue vie, vous suppliant tres humblement me [93] continuer en lhonneur que j'ay de vostre Reverende Paternité, et lequel je prise tant, d'estre advoüé pour.

  A011000851 

 Et non seulement il faut que nous ostions l'heresie, mais tout premierement l'amour du siecle..

  A011000851 

 Je diray donq simplement a Vostre Seigneurie Illustrissime que l'opiniastreté de ce peuple est si grande, qu'ilz ont derechef confirmé l'ordonnance publique que personne n'ayt a revenir a nos predications catholiques; et lhors que nous croyions que plusieurs viendroyent a nous, soit par curiosité, soit par quelque reste du goust de l'ancienne religion, nous avons experimenté leur endurcissement commun par leurs mutuelles exhortations.

  A011000852 

 Dans les discours familiers, les ministres mesmes ont confessé que nous tirions de tres bonnes conclusions des Saintes Escritures touchant nostre foy, mesme sur le tres auguste Mistere de l'autel; les autres confessent la mesme chose, et plusieurs viendroyent a nous s'ilz n'estoyent empeschés par ceste trop grande crainte du monde.

  A011000852 

 Mais, Monseigneur, nous esperons avec patience que ce fort armé qui garde sa mayson sera chassé par un plus fort que luy, qui est Nostre Seigneur Jesus Christ.

  A011000868 

 Quelques Thononais avaient donc apporté votre lettre: je vous le demande, pouvait-il y avoir rien de plus efficace que ce présent qui relevait mon courage pour aller à eux? En effet, je me trouve tellement devenu un autre vous-même, que sans vous je ne pourrais traiter avec ces hommes..

  A011000869 

 D'ailleurs, la solennité des fêtes de la Toussaint et des Fidèles Trépassés me laisse à peine le loisir de m'entretenir avec vous, à moins que ce noble M. de Blonay ne remette son départ à une autre heure.

  A011000869 

 S'il m'eût été possible, j'aurais écrit aussi à M. Guichard, comme vous me l'avez [96] recommandé, et je le ferai au plus tôt, pourvu qu'auparavant vous vous engagiez de bonne foi à l'assurer que j'ai écrit, et à lui laisser ignorer que j'ai l'habitude d'écrire si mal.

  A011000883 

 ... Tandis que [la mère] pensera au père et au parrain, la ressemblance avec tous les deux se produira chez l'enfant, car vous savez [97] que l'imagination fait son œuvre.

  A011000884 

 Cet homme est vraiment notre père en Jésus-Christ; sa charité envers Dieu et envers ceux qui sont à Dieu lui donne droit à la vénération de tous, et il ne peut être aimé dignement que par des hommes qui [98] aiment comme nous.

  A011000884 

 Je viens à votre dernière lettre qui m'apportait un témoignage très manifeste du souvenir que me conserve notre P. Chérubin.

  A011000884 

 Permettez-moi de vous confier une lettre pour lui, ainsi que d'autres pour notre Guichard, pour Girard et pour l'Evêque d'Albi.

  A011000885 

 me semble que cette divine rosée de la parole de Dieu va porter chaque jour de plus heureux fruits.

  A011000886 

 En attendant, portez-vous bien, et que le Christ nous soit de plus en plus propice à vous et à moi.

  A011000901 

 Ce faible témoignage de gratitude vous prouvera l'impérissable souvenir que je garde de la bienveillance dont vous m'avez précédemment honoré; il vous montrera également mon désir d'être à jamais le très humble serviteur de Votre Révérendissime Paternité..

  A011000901 

 J'ai entendu dire en effet que vous vous préparez à votre départ pour Albi, et, s'il ne m'est pas possible d'aller, comme il conviendrait, baiser religieusement [100] vos mains sacrées, il est au moins de mon devoir de vous en demander pardon, et je ne voudrais pas y manquer.

  A011000902 

 Les choses étant ainsi, il appartiendra à votre bonté et à votre magnanimité, Monseigneur, de m'attribuer entre ceux qui vous sont dévoués une place si sûre et si stable que je ne puisse jamais être moins vôtre que vous n'aurez daigné me croire.

  A011000903 

 Ils retireront ainsi de votre présence autant de bien et de plaisir que votre absence nous causera de douleur..

  A011000912 

 Je commence aujourd'huy a prescher l'Avent a quatre ou cinq petites personnes; tout le reste ignore malicieusement que veut dire Avent, et ce tems si auguste dans l'Eglise est en opprobre et [102] en derision parmy ces infidelles.

  A011000921 

 Celuy auquel vous voulies que je parlasse pour vous n'estant icy, je n'ay peu fayre ce dont vous m'avies escrit; mays en toute sorte d'occasion vous me trouveres tous-jours prompt a vous servir.

  A011000933 

 En quoy, le peu d'asseurance que j'avoys du lieu ou vous esties et le respect que je dois a vos occupations me pourroit beaucoup excuser, puysque je n'ay pas layssé de demander a toutes occasions de vostre santé, tant quil y a quelques moys que j'en eus des nouvelles par le P. Jean Lorrini.

  A011000933 

 Je fays tant d'estat de lhonneur que j'ay eu a Padoue d'estre receu en roole avec vos enfans spirituelz, que je penserois avoir faict une perte signalëe si j'estois rayé de ce nombre.

  A011000933 

 Pour me nourrir en vostre memoyre [et] [104] conserver ce bien pour moy, je vous ay voulu addresser ceste lettre comm'une humble requeste, pour vous supplier m'entretenir tousjours en la faveur laquelle une foys vous m'avies accordëe, n'ayant rien faict des lors qui m'en puysse priver, sinon que ce fut d'avoir tant attendu de vous escrire et salluer.

  A011000934 

 Et au reste, pour vous rendre quelque conte du vostre despuys que je suys de retour d'Italie, je me suys tellement faict ecclesiastique que j'ay celebré Messe le jour de saint Thomas l'Apostre dernier, en nostre eglise cathedrale de Saint Pierre de Geneve, ou je suys indigne Prævost, qui est la premiere dignité apres l'episcopale, et, par le commandement de mon Evesque, des demy annee en ça j'ay praesché icy et ailleurs parmi le diocæse la parole de Dieu; en quoy je m'accuseroys bien fort de temerité si l'obeissance ne m'en avoit osté le scrupule.

  A011000934 

 Pleut a Dieu seulement que j'y portasse quelque mediocrité de vos perfections pour le service [de] sa divine Majesté, laquelle je prie continuer longuement en santé Vostre Paternité, a laquelle baysant les mains, je demeureray.

  A011000934 

 [105] C'est ce que j'ay faict et que je fays encores le mieux que je scay, vous portant bien souvent avec moy en imagination en chaire.

  A011000955 

 Je dois de fait maintenant écrire à la française, comme je vous le disais dernièrement, mon Frère, par manière de plaisanterie, car j'ai appris seulement pendant le souper que Thovex doit retourner vers vous cette nuit même.

  A011000956 

 Aussi bien suis-je si peu diligent que, partagé entre diverses autres occupations, je n'ai pas même bien commencé.

  A011000956 

 Ce que je ressens, ce qui me peine gravement c'est mon récent éloignement de vous.

  A011000956 

 J'espérais, mon Frère, vous envoyer dès maintenant quelque chose de notre travail; mais, changeant d'avis, j'ai résolu d'attendre qu'il formât pour ainsi dire un corps, plutôt que de vous le soumettre pièce à pièce.

  A011000956 

 Je vous avais cependant écrit avant-hier une lettre que Thovex devait vous porter; mais contre sa promesse il n'est pas venu la prendre.

  A011000970 

 En effet, j'ai pensé que dans ce temps solennel de pénitence où vous me remettriez même les péchés commis contre vous, j'obtiendrais facilement grâce pour les omissions.

  A011000970 

 En somme, parce que vous avez aimé la paix au milieu des guerriers, vous vous montrez bon soldat.

  A011000970 

 Mais dans ce temps vraiment favorable, m'adressant à un homme si pieux, il n'y aurait de difficulté à obtenir le pardon de ma faute en ce retard que si je refusais de l'avouer.

  A011000970 

 Vos lettres me sont si agréables [109] que, bien que le papier en soit tout endommagé par un continuel maniement, je trouve chaque jour tant de charme à les relire qu'elles me paraissent toujours récentes, surtout lorsqu'elles ne sont pas datées.

  A011000970 

 » Puisque me voilà prêt à recevoir toutes les conditions que vous voudrez m'imposer, oubliez tout..

  A011000984 

 J'écrirai maintenant, mon Frère, plus brièvement que ne le demanderait le grand et immense plaisir que m'a fait éprouver votre [110] dernière lettre.

  A011000984 

 Vous désirez voir les premières pages de mon ouvrage contre les hérétiques; je le désire aussi extrêmement, et je ne porterai pas mes enseignes dans les rangs de l'ennemi avec toute l'ardeur que mérite cette cause, avant que vous ayez approuvé mon dessein, le plan de la bataille et la tactique adoptée.

  A011000985 

 J'ai cependant commencé, et commencé de telle façon qu'il sera un peu plus difficile que je ne pensais de mener mon affaire à bonne fin.

  A011000985 

 Je vous le dis parce que je voudrais que vous fussiez instruit de ce que je fais à toute heure du jour.

  A011001014 

 Je commençais à m'affliger de votre départ pour la Bresse, lorsque j'ai vu, par la date de votre lettre, que vous étiez de retour au moment où je la recevais.

  A011001014 

 Je craignais en effet que, selon notre habitude de ne regarder comme étranger à nous-mêmes rien de ce qui touche [112] l'humanité, votre cœur si tendre eût un peu plus de peine à supporter la vue des misères de notre chère patrie qu'à en entendre le récit..

  A011001015 

 J'étais donc blessé par moi-même, moi dont la blessure venait de ce que je vous croyais blessé.

  A011001015 

 Pendant que je suis dans ces pensées, mes yeux tombent sur un livre dont je remarque tout d'abord cette première ligne: « Nul n'est blessé que par soi-même.

  A011001015 

 Supposer que, si bien protégé et défendu, vous pouviez être blessé par quelque changement survenu dans les choses d'ici-bas, ce ne pouvait être que vaine imagination d'un esprit faible.

  A011001015 

 » O maxime bien propre à notre temps et digne du grand Chrysostome, dont une certaine homélie, vous le savez mieux que personne, est illustrée par ce célèbre frontispice.

  A011001020 

 J'étais blessé par moi-même, moi qui l'étais parce que je vous croyais aussi blessé; c'est qu'il appartient non à un apprenti, mais à un artisan de prévenir par la raison ces premiers mouvements de l'âme..

  A011001021 

 Ceux-ci se confient dans des chariots et ceux-là dans des chevaux; mais nous, c'est dans le nom du Seigneur que nous espèrerons, si toutefois les paroles de David peuvent être citées au milieu de ces rodomontades.

  A011001021 

 Enfin je suis descendu à Thonon; que l'ennemi s'attende à une lance très excitée par l'ennui du retard.

  A011001022 

 D'où il suit que, nonobstant mon grand empressement à saisir toute occasion favorable d'écrire, [je ne crois jamais] avoir assez écrit..

  A011001023 

 Ceci soit dit par plaisanterie, car ce n'est pas en [115] comptant sur la force de mon esprit, ni sur aucune science, mais sur la patience, que je suis descendu dans l'arène.

  A011001023 

 Je ne m'étonne pas qu'ils refusent de venir sur l'invitation d'un homme aussi froid que je le suis; mais s'ils refusaient encore après avoir été appelés par des hommes qui ont bien fait leurs preuves, alors je n'hésiterais pas à adopter le sentiment du P. Chérubin.

  A011001024 

 Encore un mot: je voudrais apprendre de vous comment il faut traduire en latin commissaire des guerres, et si procureur du Prince a la même signification que procureur fiscal.

  A011001025 

 Adieu, et que le Christ vous soit propice, ainsi qu'à vos grands et petits artisans..

  A011001035 

 Par la grace de Dieu, nous sçavons que celuy qui perseverera sera sauvé, et que l' on ne donnera la couronne qu'a celuy qui aura legitimement combattu, et que les momens de nos combatz et de nos tribulations operent le prix d'une gloire eternelle..

  A011001035 

 Si Roland estoit vostre filz aussi bien qu'il n'est que vostre valet, il n'auroit pas eu la couardise de reculer pour un si petit choc que celuy ou il s'est trouvé, [117] et n'en feroit pas le bruit d'une grande bataille.

  A011001050 

 Nous marchons, mais a la façon d'un malade qui, apres avoir quitté le lict, se trouve avoir perdu l'usage de ses piedz et, dans son infirme santé, ne sçait s'il est plus sain que malade..

  A011001050 

 Si vous desires de sçavoir, comme il est convenable que vous le sçachies, ce que nous avons faict et ce que nous faisons maintenant, vous le trouveres tout en la lecture des Epistres de saint Paul.

  A011001051 

 Je suis pecheur, et rien plus, indigne tout a faict des graces que Dieu espanche sur moy.

  A011001051 

 Une pieté semblable a la vostre me peut obtenir ce que je ne meriteray jamais.

  A011001051 

 Vous le sçaves plus que tous, Monseigneur, aussi bien que ceste verité, que toutes choses me rendent plus fort de jour en jour,.

  A011001061 

 Et si ce n'estoit que je suys icy engagé en un jeu ou qui la quitte la perd, je me serois desja rendu par devers vous; ce que je me prometz de faire, Dieu aydant, plus tost que je ne vous puys promettre et non jamays si tost que je souhaitteroys.

  A011001061 

 J'en loue Dieu mille fois, et vous remercie tres humblement de la souvenance que vous daignés avoir de si peu de chose que je suys et du desir que vous aves de me voir, que je ne pense pas pouvoir estre plus grand que celuy que j'ay de jouir de vostre præsence, quoy qu'on die que l'amitié descend plus vistement qu'elle ne monte.

  A011001061 

 Je ne vous sçaurois dire, et ne sçay si vous sçauries croire, combien j'ay receu de consolations de vostre lettre, car il y a longtems que je desirois infiniment d'estre [119] asseuré de vostre santé; mays en avoir l'asseurance de vous mesme, et de si pres comme je l'ay eue, je ne l'eusse pas osé si tost esperer.

  A011001062 

 Et cest'occasion seule me prive pour quelques jours du bien que je recevray de vous ouyr, parce que Son Altesse ayant un gentilhomme en Suysse qui doit bien tost revenir, si par fortune il apportoyt point de bonnes nouvelles, je pourrois, me trouvant icy, fair'esclorre ceste foy secrette.

  A011001062 

 Et toutefois, ayant presché en ceste ville ordinairement toutes les festes, et bien souvent encor parmi la semayne, je n'ay jamays esté oùy des huguenotz que de troys ou quatre qui sont venuz au sermon quatre ou cinq fois, sinon a cachetes, par les portes et fenestres, ou ilz viennent presque tous-jours, et les principaux.

  A011001062 

 Monsieur le senateur Favre, mon frere, vous aura bien dict, a ce que je voys, comme je suys venu en ce païs, voyci desja le septiesme moys.

  A011001063 

 Au reste, tous les benefices de ce pais sont es mains des seculiers, ou bien peu s'en faut; on attendoit que leurs Altesses en fissent lascher quelques uns pour l'entretenement de quelques prædicateurs, mays nous en sommes encor là, sans autre ordre que celuy que le Gouverneur y a mis par provision..

  A011001063 

 C'est tout ce qu'on peut faire que de faire garder aux Catholiques naiz et nourrys, leur foy a ce pris la.

  A011001064 

 Au reste, j'ay icy quelques parens et d'autres qui me portent respect pour certaynes raysons particulieres que je ne puys pas resigner a un autre; et c'est ce qui me tient du tout engagé sur l'œuvre.

  A011001064 

 Aussy seroit il bien dommage qu'un autre employast icy sa peyne pour neant, qui pourroit faire plus de fruict ailleurs que moy, qui ne suys encor gueres bon pour præcher autre que les murailles, comme je fais en ceste ville..

  A011001064 

 Je m'y fascherois desja beaucoup, si ce n'estoit l'esperance que j'ay de mieux; outre ce, que je sçay bien que le munier ne perd pas tems quand il martelle la meule.

  A011001065 

 Voyla ce que pour cest'heure je puys escrire, me reservant de vous dire le reste a bouche plus seurement et bien tost, Dieu aydant, quand vous me favoriseres de vos saints conseilz et instructions, qui ne seront jamays [121] recueillys plus humblement et affectionnement que de moy.

  A011001090 

 Dirai-je, mon Frère, avec quelle joie intime j'ai reçu avant-hier votre lettre et celle du très digne P. Antoine Possevin? Si le seul souvenir de l'un de vous séparément suffît d'ordinaire pour délecter toute mon âme, qu'en a-t-il été, je vous le demande, non du souvenir seulement, mais de ce gage précieux de la bienveillance de l'un et [122] de l'autre à mon égard? Une lettre est déjà comme un portrait de celui qui écrit; mais l'image de Possevin est si naturelle dans ce charmant ouvrage de la Poésie et de la Peinture que, pour se représenter et se peindre soi-même avec tant de grâce et d'exactitude, il n'a certainement pas emprunté les pensées d'autrui.

  A011001090 

 N'allez pas croire cependant que, pour l'avoir vu dans son livre, j'éprouve un désir moins vif de le voir en personne; au contraire, l'appétit est aiguisé par un si agréable alléchement.

  A011001091 

 En effet, voici enfin que commencent à jaunir quelques épis de cette grande moisson, et si, à cette époque malheureuse, je ne les [123] recueillais à temps, il serait à craindre que les grains de la vraie foi ne fussent dispersés, surtout si le vent du nord venait à souffler plus fort en ces quartiers; car tout mal vient du côté de l'aquilon, selon l'expression du Prophète.

  A011001091 

 Je m'échapperai bientôt, d'autant plus vite que jamais ma patience n'a été mise à plus cruelle épreuve que par cet ennuyeux retard.

  A011001092 

 De Possevin j'ai reçu un livre magnifique, et, à peine l'ai-je ouvert, que j'y trouve la charmante berceuse de la Vierge Mère au Christ enfant, composée par Horace Torsellini.

  A011001092 

 L'un a charmé mes yeux, que fatigue la vue de nos temples déserts et ruinés, l'autre a récréé mes oreilles, continuellement étourdies par d'horribles blasphèmes.

  A011001093 

 Comme c'est un homme éminemment catholique et savoyard, il y croit lui-même très facilement et a fortement insisté auprès de moi afin que je croie aussi.

  A011001094 

 Adieu, veillez, comme vous le faites, à ce que le P. Possevin ne diminue rien de sa bienveillance à mon endroit.

  A011001094 

 Que le Christ vous soit propice!.

  A011001109 

 Et parce qu'il a, comme vous voyez, une stature et une voix de géant, je n'ai pas osé refuser tout à fait, moi petit homme sans défense, bien que, pris ainsi à l'improviste, je n'aie rien de nouveau à vous écrire, si ce n'est que Poncet, dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre, a maintenant promis de faire publiquement profession de la foi catholique d'ici à peu de temps.

  A011001109 

 Vous verrez que notre chevalier, avec son langage militaire, ne se vante pas peu de m'avoir devancé dans la joie de cette conversion..

  A011001110 

 Mais je dois prévenir les Annéciens du jour de son arrivée, afin que, si sa bienveillance pour moi le décide à venir, ils ailllent l'attendre à mi-chemin et ne soient pas privés de la visite d'un tel homme... vous salue... [129].

  A011001123 

 La négligence de ceux que j'avais chargés de vous remettre ma dernière lettre sera cause, mon Frère, que vous recevrez celle-ci en même temps.

  A011001124 

 En conséquence, nous ne voudrions pas voir la question tranchée par un autre que par vous, en qui nous honorons non seulement un très habile artisan, mais un très religieux confrère..

  A011001124 

 Le postulant a demandé enfin que vous soyez juge en cette discussion.

  A011001125 

 Adieu, Frère mille et mille fois très aimable; que le Christ vous soit propice..

  A011001147 

 Mon père m'appelle, et je n'ai pas voulu partir à votre insu, [132] de peur que si Possevin venait, vous ne sussiez où je suis.

  A011001148 

 A peine ai-je pu jusqu'ici en savourer quelques pages, entraîné que j'étais, soit par les prédications, soit par d'autres affaires.

  A011001148 

 Je ne sais si je dois maintenant, ayant presque le pied à l'étrier, vous remercier de ces poésies sacrées que vous me dédiez si affectueusement; certes, l'occasion est bonne, car la pénurie de temps m'autorise à faire plus courtement ce que je ne croirai pas avoir bien fait une seule fois, alors même que je le ferais toujours.

  A011001148 

 Personne plus que moi n'a besoin d'être exhorté à la pénitence et à l'amour divin.

  A011001149 

 Vous aurez reçu maintenant enfin, je pense, ma précédente lettre; plût à Dieu que j'eusse pu la remettre à notre ami Portier! Il m'aurait [133] sans doute rapporté la réponse au sujet de nos affaires du Chablais.

  A011001154 

 Portez-vous bien, mon Frère, et que le Christ vous soit propice.

  A011001178 

 Aucune nouvelle triste ou joyeuse n'a jamais pu m'impressionner à l'égal de celle que vous me donnez d'un si grand ami.

  A011001178 

 Et d'ailleurs, comment, je vous prie, suppléer à un zèle tel que le vôtre? [135].

  A011001178 

 Je comprends donc à peine l'estime que vous faites de moi, lorsque vous voulez substituer mon zèle au vôtre en cette affaire.

  A011001178 

 Mais serais-je le plus diligent des mortels, que je ne pourrais témoigner tout ce que je porte de respect et d'affection à ce très illustre Guichard.

  A011001179 

 C'est ainsi que le prêtre de cette ville qui m'apporta hier votre lettre, me tranquillisa l'esprit de votre part touchant cette affaire.

  A011001179 

 Jamais tâche plus haute ni plus délicate ne s'offrirait à mon activité; aucune occasion comparable ne pourrait faire, dirai-je plus heureusement ou plus malheureusement, d'un clerc que je suis un courtisan.

  A011001179 

 Je rends les plus vives actions de grâces au Dieu tout-puissant qui n'a pas permis que notre amitié mesurât ses forces à des efforts suscités par le malheur d'un ami commun.

  A011001179 

 Je sais, en effet, que le premier à qui il appartient de venir en aide à Guichard, c'est vous, et par ordre de nature, comme on dit, et par ordre d'ancienneté; moi, je ne suis que le second; mais au point de vue de l'affection, que je ne sois, je vous prie, ni le premier ni le second, et que rien n'altère l'unité qui existe entre vous et moi.

  A011001180 

 Ou plutôt, si je ne me trompe, ce serait déjà une grande injure que de vouloir rendre la grâce, la douceur toute de miel de ce plaidoyer; vous vous le représenterez mieux par la pensée que je ne pourrais vous le redire de mémoire..

  A011001181 

 Mais quelle est l'opinion du public? La voici: on admire le charme du style, la richesse et l'élévation des pensées; on semblait même dire que si vous ne m'eussiez appelé votre frère, l'obscurité de mon nom aurait rabaissé un ouvrage si excellent et fait de main de maître..

  A011001181 

 Oui, comme vous l'écrivez d'ailleurs, mon Frère, il est vrai que j'ai répondu à votre précédente lettre sans entreprendre de louer ni de blâmer votre œuvre poétique, car je n'en avais pas encore examiné chaque partie isolément.

  A011001182 

 Eh bien! qu'on n'entende plus entre nous ces mots mien et vôtre, ou qu'ils ne se profèrent en toute vérité que lorsque vous voudrez me dire vôtre, ou vous dire mien..

  A011001182 

 J'avouerai volontiers encore qu'autant la dédicace que vous m'en [137] faites m'a merveilleusement charmé par sa grâce, autant elle laisse à désirer pour la franchise.

  A011001182 

 Qui ne sait, en effet, que des écrits tels que les vôtres ne sortent pas de mon pauvre atelier et que de petits esprits ne peuvent traiter de si grands sujets? Et en vérité, si j'ai énoncé le premier ou rappelé à votre mémoire quelques idées que sans doute vous connaissiez déjà, soit, attribuez-le moi; mais ce ne sont là que des tables rases et brutes qui doivent disparaître sous une peinture si achevée.

  A011001182 

 Vous, au contraire, vous nommez fond ce qui n'est que partie, et, pour que l'hyperbole amicale corresponde en tout point à votre affection, vous semblez affirmer que la façon même est de moi.

  A011001183 

 Pour moi, étant chez nos parents de Sales, au milieu des oiseaux qui chantent le printemps, j'ai admiré et admiré encore dans tous ses détails ce très suave poème, et il ne faut pas que vous ignoriez ceci: je ne crois pas [138] qu'on ait jamais chanté plus belle ode que celle où, avec autant d'esprit que d'élégance, vous rappelez les larmes d'Alexandre le Grand, au point.

  A011001187 

 On croit communément que nous travaillons dans cette province en dehors du prince; bon nombre même disent, non sans raison, contre sa volonté.

  A011001187 

 Vous êtes à peu près le seul qui m'approuviez, mais c'est assez, et voici ma résolution: dans quatre mois, c'est-à-dire mon année achevée, si chacun ne remplit pas fidèlement son devoir en cette affaire, je ne souffrirai plus qu'aucun autre que vous me retienne dans cette charge.

  A011001187 

 [139] Je ne voudrais cependant pas que vous en parlassiez à personne, car, vous le voyez, ces propos pourraient être mal interprétés..

  A011001216 

 Il n'est pas étonnant que celui qui a écrit si souvent à tous les Chrétiens reçoive aussi des lettres de plusieurs, pour cela seul qu'ils sont Chrétiens..

  A011001216 

 Tel est l'éclat de la vertu, vous le savez mieux que personne, très vénéré Père, qu'aucune distance ne peut l'empêcher d'être aperçue [140] et, par sa lumière, d'illustrer ceux qui la possèdent et les rendre aimables à quiconque honore au moins le nom de la vertu.

  A011001217 

 Ayant donc su que je n'étais pas à une grande distance de vous, et que nous n'étions séparés, pour ainsi dire, que par le seul lac Léman, j'ai pensé ne point vous être désagréable et m'être extrêmement utile [141] à moi-même, si, ne pouvant m'entretenir avec vous, je vous adressais par lettres, à l'occasion, des questions sur les matières théologiques et sur les difficultés qu'elles présentent, afin de recevoir aussi par lettres vos instructions.

  A011001218 

 Au nombre de ces convertis se trouve un certain Pierre Poncet, jurisconsulte très érudit et, pour ce qui concerne l'hérésie, beaucoup plus savant que le ministre calviniste du lieu.

  A011001218 

 Or, voici le neuvième mois que je suis au milieu des hérétiques, et si vaste que soit la moisson, je n'ai pu renfermer que huit épis dans le coffre du Seigneur; encore est-ce un grand bienfait de Dieu en faveur d'un homme qui est moins un ouvrier qu'un avant-coureur d'ouvriers.

  A011001218 

 Voyant dans des entretiens familiers, que le témoignage de l'antiquité faisait impression sur lui, je lui prêtai votre Catéchisme qui contient les enseignements des Pères rapportés au long par Busée.

  A011001219 

 Comme dernièrement j'appliquais au libre arbitre de l'homme ce passage de la Genèse: Ton appétit sera sous ta puissance et tu le domineras, Poncet objecta, d'après Calvin, que les mots ejus et illius se rapportent à Abel, en sorte qu'on doit interpréter: tu domineras ton frère, et non le péché.

  A011001219 

 Il en donnait cette raison, empruntée à Calvin, qu'en hébreu ces deux pronoms sont du masculin, tandis que le mot hébraïque qui désigne le péché est du féminin.

  A011001219 

 Je m'adresse donc à vous, qui êtes un docteur très habile et très obligeant, et je vous demande, moi pauvre débutant sans aucune science ni expérience, l'interprétation de cette phrase hébraïque; je l'attends de l'inclination que vous avez d'aider tout le monde.

  A011001219 

 Or, je ne pouvais suffisamment réfuter cette objection, même avec le secours des œuvres de Bellarmin; les livres nécessaires pour cela me manquent ici, car il est arrivé que je n'en ai apporté avec moi qu'un petit nombre traitant des controverses de notre temps.

  A011001220 

 Il me reste à souhaiter que notre bon et grand Dieu conserve longuement à la république chrétienne votre vénérable vieillesse exempte d'infirmités.

  A011001261 

 Ces officiers laïques croyaient pouvoir châtier indifféremment pour ces délits aussi bien les ecclésiastiques que les laïques, et cela en vertu d'un privilège spécial accordé par Sa Sainteté aux sérénissimes prédécesseurs de Son Altesse.

  A011001261 

 M gr l'Evêque de Genève, voyant que ce privilège serait contre l'un et l'autre droit et contre la liberté ecclésiastique, m'a envoyé ici à Chambéry auprès du souverain Sénat de Son Altesse afin que, si ce privilège existait, je pusse le voir, pour en avertir ensuite Votre Seigneurie.

  A011001261 

 Or, le Sénat ne trouve aucun semblable privilège dans les archives ducales, et sachant que depuis peu en pareil cas Son Altesse avait interdit à ses ministres de porter la main sur l'Arche du Seigneur, et que même elle avait ordonné qu'on laissât cette affaire aux prélats, il a écrit encore sur ce sujet à Son Altesse pour connaître d'une manière générale sa volonté..

  A011001262 

 Quant à l'illustrissime duc de Nemours, il n'y mettra aucun empêchement; au contraire, il nous aidera de toute manière, car il est fort timoré et doué d'une grande délicatesse de conscience; il m'a même dit que si le privilège du Saint-Siège Apostolique ne se trouve pas très clair et très positif, il n'en veut point jouir ni s'en prévaloir..

  A011001263 

 Je présume que M gr l'Evêque de Genève étant averti de ce que nous avons fait ici auprès du Sénat, écrira très amplement sur cela à Votre Seigneurie.

  A011001263 

 Néanmoins je n'ai pas voulu laisser de vous en écrire, afin que Son Altesse ne donnât pas une réponse à son Sénat avant que Votre Seigneurie Illustrissime en fût informée.

  A011001274 

 Je voudrois bien vous salluer avec autre occasion que cellecy, mays les occasions ne sont pas en nostre pouvoir; elles viennent, nous ne les allons pas querir..

  A011001275 

 Et par ce que d'un costé il desire infiniment ne faire chose qui vous despleut, et de l'autre il est obligé au proufit de son neveu, tant qu'il se peut maintenir avec rayson, il m'a prié d'employer mon credit vers vous affin qu'il vous playse ne vous desplaire point s'il met a effect le droit de son neveu, quil a desja acheminé si avant et avec tant de frais quil demeureroit en grosse perte sil le quittoit ainsy tout court, sinon que sa partie voulut entendre a ce que Monseigneur le Reverendissime et monsieur d'Angeville en avoyent une fois ordonné a l'amiable.

  A011001275 

 L'obligation que j'ay a monsieur de Ronis et a Monseigneur le Reverendissime, chez qui son neveu sert, m'a faict aysement vous prier, comme je fays, que sil ny a point d'autre interest pour vous que pour l'affection que vous pourries avoir a celuy qui est leur competiteur, il vous playse leur permettre la poursuitte de leur prætention; quilz vous rendront autant de service que l'autre..

  A011001275 

 Monsieur de Ronis m'est venu voir ce matin et m'a monstré une vostre lettre par laquelle il semble que [151] vous aves desplaysir de le voir poursuyvre le droict que son neveu a sur la cure d'Argonnay.

  A011001276 

 Pour moy, je n'employe point autre merite vers vous pour estre continué en vostre bonne grace, que lhonneur que j'ay de ma nature d'estre a jamays,.

  A011001300 

 Je n'ignore pas, mon très doux Frère, que le silence entre nous vous est aussi pénible qu'à moi; aussi je ne viens nullement m'excuser.

  A011001301 

 [153] J'ai été tourmenté et je le suis encore, mon Frère, en voyant que parmi tant de catastrophes qui menacent nos têtes, il nous reste à peine un moment pour cultiver la dévotion dont nous aurions un si pressant besoin.

  A011001302 

 Bien plus, les Genevois allaient répétant avec orgueil qu'un certain Démosthène de leur école avait réfuté les arguments de Sponde avec tant d'éloquence et des raisons si [154] probantes que l'auteur avait d'abord renoncé à sa religion, puis, bientôt après, perdu la raison.

  A011001302 

 Ce qui m'empêchait de m'en rapporter à leur témoignage, c'était d'une part leur supériorité dans l'art de mentir, et de l'autre, l'insigne impudence avec laquelle ces mêmes hommes affirmaient dernièrement que Poncet était affreusement tourmenté du démon, et que je passais les nuits à l'exorciser en secret pour chasser l'esprit immonde.

  A011001302 

 J'ai reçu en effet son petit présent, comme vous le dites, et le Sponde envoyé par notre Girard, double hommage dont je vous suis redevable, à vous qui avez fait valoir auprès de tous deux le respect que je leur ai voué.

  A011001302 

 Je suis extrêmement réjoui du fidèle souvenir que me conserve notre Possevin.

  A011001302 

 Quand on calomnie si audacieusement ses proches voisins, que n'osera-t-on pas inventer contre un homme qui se trouve à une si grande distance?.

  A011001303 

 Cependant, mon Frère, parmi ces [155] désordres (dirai-je plutôt cette ruine de la patrie?), alors que nos yeux ne rencontrent que des sujets de tristesse, fixons plus attentivement nos regards sur notre patrie céleste, et souvenons-nous toujours qu'Hélie le Thesbite n'est monté au ciel que dans un tourbillon..

  A011001303 

 Je retourne demain à ma Sparte (si ce n'est pour l'embellir, plaise au Ciel que ce soit du moins pour la conserver à de meilleurs ouvriers), et je ferai en sorte qu'il ne soit plus question entre nous de ces silences d'un mois entier.

  A011001304 

 Portez-vous bien, mon Frère, et que le Christ vous protège et vous conserve!.

  A011001318 

 Je ne suis pas cependant privé de tout espoir; aussi, en apprenant que la chose se passe plus facilement, je m'en félicite beaucoup pour vous et pour moi.

  A011001318 

 N'avais-je pas raison de vous dire, mon Frère, que je ferais en sorte désormais qu'il ne fût plus question de silence entre nous? Comme au milieu de nos gens de Thonon, je puis à peine vous écrire une fois par mois, je vous écris maintenant de ma maison paternelle [156] de Sales, par Coquin, avec d'autant plus de plaisir que je viens de recevoir des nouvelles un peu meilleures de nos affaires.

  A011001318 

 On disait hier à Annecy que tout était à peu près sens dessus dessous, tellement le vulgaire a coutume d'exagérer extrêmement soit en bien soit en mal.

  A011001334 

 Ils avaient un si grand désir d'entendre de moi l'exposé de la croyance des Catholiques et leurs preuves touchant ce mystère, que n'ayant osé venir publiquement, crainte de paraître oublieux de la loi qu'ils se sont imposée, ils m'entendirent d'un certain endroit où ils ne pouvaient être vus, si toutefois la faiblesse de ma voix n'y a pas mis obstacle..

  A011001334 

 Voici enfin, mon Frère, qu'une porte plus large et plus belle s'ouvre à nous pour entrer dans cette moisson de Chrétiens, car il s'en fallut peu hier que M. d'Avully et les syndics de la ville, comme on les appelle, ne vinssent ouvertement à la prédication, parce qu'ils avaient ouï dire que je devais parler du très auguste Sacrement de l'autel.

  A011001335 

 De mon côté, j'ai fait encore ceci dans cette chasse: j'ai promis qu'à la prédication suivante je mettrais, par les Ecritures, ce dogme en plus grande lumière que le plein midi, et que je l'appuierais [158] d'arguments si puissants que nos adversaires, sans aucune exception, à moins qu'ils n'aient renoncé au bon sens et à la raison, reconnaîtraient qu'ils sont aveuglés par les épaisses ténèbres dans lesquelles ils sont plongés.

  A011001335 

 Ils savent bien que ces espèces de rodomontades les invitent à descendre dans l'arène, en sorte que s'ils ne venaient pas ils seraient tenus pour gens tout à fait pusillanimes, qui redouteraient de se mesurer avec la religion catholique, même quand elle est défendue par je ne sais quel homme de rien..

  A011001336 

 En effet, ainsi que nous l'a appris l'avocat du Crest, les Thononais ont résolu d'un commun accord de nous présenter par écrit leur confession de foi dans les points où elle diffère de la nôtre, afin que nous puissions les discuter en particulier ou dans des entretiens familiers ou par écrit.

  A011001337 

 Assurément nous sommes en bonne voie puisqu'ils acceptent le combat par leur lieutenant, que nos si petites forces les effraient et qu'ils pensent à nous proposer des conditions.

  A011001354 

 Mon Frère, je n'ai reçu que votre dernière lettre du 2 octobre, et cela tout récemment.

  A011001354 

 Si vous pesez toutes choses, comme il convient, à la juste balance de l'estime et de l'affection que j'ai pour vous et pour notre Possevin, vous comprendrez combien je souffre maintenant dans la longue attente de lettres d'une telle importance..

  A011001355 

 J'apprends, il est vrai, que le très Saint-Père aurait tout dernièrement envoyé à Henri l'heureux message: « Salut et bénédiction apostolique au Roi de France.

  A011001355 

 Je suis très heureux de savoir que vous avez trouvé vos affaires en meilleur état que vous ne pensiez.

  A011001355 

 Quant à ce que vous m'écrivez de notre baron, c'est une mauvaise nouvelle pour les méchants qui suivent une religion de fer; et moi je souffre parce que l' espérance différée afflige l'âme.

  A011001355 

 Voilà bien en effet un des grands malheurs de notre temps: la crainte est plus nuisible que le mal lui-même à ceux qui, entre les honnêtes gens, ou pour employer l'expression du Texte sacré, les hommes de cœur, voient les choses de loin.

  A011001355 

 » [161] S'il en est ainsi, que la paix règne par la force du Seigneur! J'augure que cette paix sera d'autant plus heureuse que je la vois être plus désagréable à tous les hérétiques de Genève..

  A011001356 

 Je presse maintenant davantage ces messieurs de Thonon, et les presserai encore beaucoup plus lorsque j'aurai conduit à terme, suivant ma capacité, le petit ouvrage que je méditais depuis longtemps, et que vous aurez approuvé mon entreprise.

  A011001356 

 Seul, un pauvre ministre insensé ayant lu que vous nommez « heureuse la faute qui nous a valu un tel et si grand Rédempteur, » s'est écrié comme un homme tout à fait stupide et extravagant: « O blasphème! ô athéisme! ô Papisme! » Mais avec toute la modération possible, j'ai, par un tiers, remis à la raison cet effronté, car lui-même n'a pas encore osé en venir aux mains avec moi..

  A011001357 

 Si vous voulez me faire à part, lorsque vous m'écrirez, une aimable allusion à ses vers (dans le même style que lui), il me semble que vous ferez quelque chose digne de votre caractère.

  A011001357 

 Son désir serait, si j'ai bien compris, que je vous les fisse parvenir pour vous féliciter non pas en son nom, mais au mien.

  A011001379 

 Je désirerais vous tenir ainsi au courant de ce que je fais à chaque heure, à chaque instant..

  A011001379 

 Ma réponse ne sera pas beaucoup plus longue, parce que je dois composer mes sermons de demain, et le temps presse.

  A011001380 

 Et afin que, même ici, rien ne se fasse sans vous, [164] je vous demande, très doux Frère, de donner son vrai sens à cette règle: « La preuve incombe à celui qui affirme et non à celui qui nie.

  A011001380 

 J'ai en effet, dans mes Commentaires, un chapitre où, d'après cette règle, je voudrais forcer les hérétiques à produire leurs preuves, bien que leur théologie soit plus négative qu'affirmative.

  A011001380 

 Je vous enverrai le plus tôt possible un chapitre de mes Commentaires contre les hérétiques, dans lequel je m'efforcerai de montrer que, loin d'être les vrais réformateurs de l'Eglise, ils font revivre les anciennes hérésies.

  A011001380 

 Mettez, s'il vous plaît, tous vos soins à le bien établir, afin que désormais les ministres me redoutent d'autant plus qu'ils verront plus clairement que je combats sous votre égide..

  A011001381 

 Portez-vous bien, très doux Frère, aimez-moi comme vous le faites, et surtout que le Christ vous protège et vous conserve, vous et toute votre très noble famille..

  A011001391 

 Je prie Dieu qu'il vous rende la peyne et le soin que vous prenes pour son honneur, et vous remercie tres humblement de l'affection qu'il vous plaict prendre a ce dont je vous avois prié..

  A011001392 

 Au reste, vostre livre me fera un tres grand office, quoy que j'eusse desja vostre Musæum et alia opera de statu hujus sæculi.

  A011001392 

 Et quoy que toutes ces gens ne disent ni escrivent rien de nouveau, si escrivent ilz en nouvelle façon qui requiert quelque prælusion.

  A011001392 

 Je n'ose reprendre Calvin ni Beze en façon que ce soit, la ou ilz sont imposteurs et blasphemateurs, que chacun ne veuille sçavoir ou ce que je dis se trouve; dequoy j'ay desja receu deux affrontz que je n'eusse pas eu si ne me fusse pas fié aux citations des livres qui m'ont faict faute.

  A011001392 

 Pour vray, mon Pere, si mon insuffisance n'est point l'occasion que Sa Sainteté me refuse ces graces, il n'y a point faute [de] tres urgente necessité.

  A011001392 

 Quant a Beze, [166] j'ay sceu despuis, que tant s'en faut qu'il escrive pour appoincter de religion, que son livre monstre le differend estre inappoinctable et rejette l'opinion d'un autre de mesme forme qui vouloit mesler les tenebres avec la lumiere; mays comme je n'en sçavois rien que par ouÿ dire, aussy j'avois esté trompé de l'autre costé pour trois relaps, gens de simple condition et de peu d'importance..

  A011001393 

 Je ne pense pas que Sa Sainteté refuse.

  A011001393 

 Mays il seroit requis pour la gloire de Dieu et le salut des ames que, selon la malice du tems et la distance des lieux, Sa Sainteté nous ouvrist par deça un peu liberalement la main de sa clemence in foro conscientiæ..

  A011001393 

 Si mon esperance reussit, je ne doute point que Sa Sainteté mesme ne reçoive grand contentement de ceste besoigne.

  A011001394 

 Je vous entretiens comme celuy que je sçay se trouver en des grandes occasions d'y prester ayde et avoir sur tout en zele le salut des ames.

  A011001394 

 Si est il, a mon advis, necessaire que les necessités particulieres [soient] sceües, et revelees par ceux qui les voyent.

  A011001395 

 Je ne laisse pas d'estre tres humble en l'affection que j'ay de vivre et mourir.

  A011001409 

 Puysqu'il plaict a Vostr' Altesse de sçavoir les moyens que je pense estre plus pregnans pour faire sortir en effect le saint desir qu'ell'a de voir ces peuples de Chablaix reunis a l'Eglise Catholique, comme j'ay appris de monsieur d'Avully auquel il vous a pleu d'en escrire, je diray purement et fidellement ce que j'en crois..

  A011001410 

 A faute dequoy voyci la second'annëe qui se passe des qu'on a commencé de precher icy a Thonon, sans jamais interrompre, avec fort peu de fruict, tant par ce que les habitans n'ont voulu croire qu'on prechast par commandement de Vostr'Altesse, ne nous voyans entretenir que du jour a [168] la journee, qu'aussy par ce qu'on n'a peu attirer nombre suffisant d'ouvriers a ceste besoigne, pour n'avoir ou les retirer ni dequoy les nourrir, puysque les frais mesmes qui s'y sont faitz jusqu'a present ne sont encor paÿés.

  A011001410 

 Il est du tout necessaire qu'il y aÿe un revenu certain et infallible pour l'entretenement de quelque bon nombre de prædicateurs qui soyent debrigués de tout autre soucy que de porter la sainte parole au peuple.

  A011001411 

 Et sur tout il est besoin au plus tost de dresser et parer les eglises de ceste ville de Thonon et de la parroisse des Alinges, et y loger des curés pour l'administration des Sacremens, veu qu'en l'un et en l'autre lieu il y a ja bon nombre de Catholiques et plusieurs autres bien disposés qui, faute de commodités spirituelles, se vont perdans; outre ce, que cela servira beaucoup pour apprivoiser le peuple a l'exercice de la religion Catholique, principalement sil y a moyen de faire les offices honnorablement, comm'avec orgues et semblables solemnités, au moins en ceste ville qui est le rapport de tout le duché..

  A011001412 

 Et s'il plaict a Vostr'Altesse y employer monsieur le senateur Favre, je tiens que son affection et sa suffisance y seroit extremement sortable..

  A011001412 

 Playse donques a Vostr'Altesse fair'escrire une lettre aux scindiques de ceste ville, et commander a l'un des messieurs les [169] Senateurs de Savoÿe de venir icy convoquer generalement les bourgeois, et en pleyn'assemblëe, en habit de magistrat, les inviter de la part de Vostr' Altesse a prester l'oreille, entendre, sonder et considerer de pres les raysons que les precheurs leur proposent pour l'Eglise Catholique, du giron de laquelle ilz furent arrachés sans rayson, par la pure force des Bernois; et ce, en termes qui ressentent la charité et l'authorité d'un tres bon prince, comm'est Vostr'Altesse, vers un peuple desvoÿé.

  A011001413 

 Monsieur d'Avully aussy, avec son exemple et la sollicitation familiere quil pourra faire vers les particuliers, aydera beaucoup a l'œuvre; ce que je crois quil fera volontiers selon la bonne volonté et disposition quil a, en laquelle mesme je l'ay tous-jours veu des le commencement que je vins icy..

  A011001415 

 Il y a de la despence en ceste poursuite, mais c'est aussy le supreme grade de l'aumosne chrestienne que de procurer le salut des ames.

  A011001415 

 Reste, Monseigneur, que je remercie Dieu qui vous presente de si signalëes occasions, et allum'en vous de [170] si sains desirs de luy faire le service pour lequel il vous a faict naistre prince et maistre des peuples.

  A011001430 

 A faute dequoy voicy la second'annëe que l'on preche icy a Thonon sans beaucoup de fruict, tant par ce que les habitans ne peuvent croire que ce soit par l'aveu ou bon playsir de V. A., ne nous voyans entretenir que du jour a la journee, que par ce qu'on n'a peu attirer nombre suffisant d'ouvriers a ceste sainte besoigne, pour n'avoir ou les retirer ni moyen de les y nourrir, mesme que la despence qui s'y est faite jusqu'a present n'a encor esté payëe.

  A011001430 

 Il est du tout necessaire quil y ait un revenu certain et infallible pour l'entretenement de quelque bon nombre de predicateurs, puysque pour croire il faut ouïr et l'on ne peut 0uyr sans precheur, et que ceux qui viendront icy pour precher doivent estre debrigués de tout autre soucy que de porter la parole de Dieu.

  A011001430 

 Voicy la second'annëe que, par vostre bon playsir et le commandement de Monseigneur le R me Evesque de Geneve, quelques vertueux personnages et moy avons preché icy a Thonon et es Alinges.

  A011001432 

 Et par ce que l'on precheroit pour neant, sur tout en ceste ville, si les habitans fuyoyent les precheurs et la predication, comm'ilz ont faict cy devant, et ne veulent prester l'oreille a l'instruction ni conferer avec ceux qui viendront, je crois, Monseigneur, que sil plaict a V. A. fair'escrire une lettre au cors de ceste ville, et commander encores a l'un de messieurs les Senateurs de Savoÿe de venir icy faire assembler le conseil general des bourgeois de ceste ville, et en pleyne assemblëe, en habit de magistrat, les inviter de la part de Vostr'Altesse a prester l'oreille, ouyr, sonder et considerer de [173] pres les raysons et predications de l'Eglise Catholique, du giron de laquelle ilz ont estés arrachés par les Bernoys sans aucune rayson, et ce en termes qui ressentent et la charité et l'authorité d'un tres bon prince, vrayement catholique comm'est V. A., vers un peuple desvoÿé, ce leur sera une douce violence qui les contraindra de subir librement le saint joug de vostre zele.

  A011001433 

 Monsieur d'Avully aussy, avec son exemple et la sollicitation familiere quil pourra faire vers les particuliers, aydera beaucoup a l'œuvre, ce que je crois quil fera volontiers, selon la bonne volonté et disposition quil a, en laquelle mesme je l'ay tousjours veu des le commencement que je vins icy..

  A011001435 

 Au contraire, [il] attirera par ses prieres la benediction du Pere celeste a quicomque l'advancera, et particulierement sur Vostre Altesse qui en est la cause principale et universelle, pour la prosperité de laquelle je prie ordinairement Dieu, comme je dois, puysque j'ay ce bien d'estre né et nourry, ainsy que je vivray et mourray, sil plaict a sa divine bonté,.

  A011001435 

 Il va de la despence en ceste poursuite, mays c'est le supreme grade de l'ausmone chrestienne que de procurer le salut des ames.

  A011001435 

 Reste, Monseigneur, que je remercie de tout mon cœur nostre Sauveur qui vous presente de si grandes occasions, et donne de si ardantz desirs de luy faire le service pour lequel il vous a faict naistre prince et maistre des peuples.

  A011001460 

 Au matin, comme nous longions les remparts de Genève, j'appris que vous en étiez parti à l'aube de ce même jour.

  A011001460 

 J'en ai ressenti un regret d'autant plus vif que moindre était l'espace qui nous séparait, et pour atteindre celui qui semblait, ainsi qu'il arrive souvent, courir devant moi, j'ai voyagé une bonne partie de la nuit, mais en vain.

  A011001460 

 On espérait que Martinengo [176] viendrait au fort Sainte-Catherine.

  A011001461 

 Je l'ai vu lire et relire attentivement cette lettre où il était question de moi, et grâce à elle, vous auriez semblé partager notre causerie, si, en nous entretenant de vous, nous n'eussions dit des choses que votre modestie n'eût pas souffert être dites en votre présence..

  A011001461 

 Quant à moi, ne voulant pas m'enfoncer dans un buisson d'épines [177] sans rose (car ce n'était pas la malheureuse cité qui m'attirait pour se faire admirer, c'était la présence de cet homme qui seul a pour moi plus d'attraits que la foule), et afin de compenser en quelque sorte la perte que j'avais faite de vos embrassements, j'allai chez nos parents à Sales.

  A011001461 

 Toutefois Locatel, que je considère presque comme un second frère, m'avait beaucoup parlé de vous.

  A011001462 

 Comment? Je vous ai entendu dire si souvent et sérieusement que votre ardent désir était que votre nom fût écarté le plus possible de la bouche et de l'oreille des princes, et voici que je vous vois dans la plus grande [178] joie parce que vous avez appris que notre prince manifestait parfois dans ses paroles de magnifiques sentiments à mon égard! Et moi au contraire, mon Frère, je considère aussi bien que vous, comme le plus heureux le parti choisi par notre Genand, dont vous me dites plus loin envier le bonheur, ou plutôt essayer de ne pas l'envier.

  A011001462 

 Il faut que je me fâche un peu contre vous.

  A011001462 

 Si notre nacelle occupe un rang inférieur, que du moins elle soit en sécurité dans le port, de peur que si elle voulait livrer sa voile au vent, elle ne s'exposât à une grande tempête et ne fût couverte par les flots..

  A011001463 

 Récemment, dans une lettre très élégante et très aimable, il [179] m'a écrit les jugements avantageux que portaient sur moi le prince et le Nonce apostolique, et exposé amplement son inclination personnelle pour moi, qui lui suis d'ailleurs inconnu.

  A011001463 

 Une chose pourtant m'intéresse: je ne voudrais pas que Chavent, le secrétaire du prince, me crût ingrat.

  A011001464 

 Cette œuvre est, en effet, plus élevée et plus profonde que la première; d'ailleurs, c'est dans l'ordre de ne pas toujours descendre des plus hauts degrés aux plus bas, mais de monter parfois des degrés inférieurs aux degrés supérieurs..

  A011001464 

 Je désire le voir avec autant d'ardeur que d'autres aiment à voir les enfants légitimes de leurs amis.

  A011001465 

 C'est la faute d'un serviteur qui l'a oublié, [180] quoique je lui eusse donné la liste de ce que je voulais emporter; mais je prendrai mes mesures pour que votre attente ne soit pas trop longue.

  A011001465 

 Il est bon toutefois que vous seul sachiez que j'en suis l'auteur..

  A011001476 

 Mon insuffisance ne me despleut onques tant qu'elle fit quand je vis avanthier la lettre que vous aves daigné m'escrire; car j'eus tant d'honte de me voir si peu de chose au pris de l'opinion que Son Altesse, de sa bonté, en a conceu et qu'avec son authorité il m'a faict valoir vers Monseigneur le Nonce, que l'honneur lequel j'en reçois ne m'en peut pas relever..

  A011001477 

 J'ay receu la faveur avec laquelle vous m'offres vostre amitié avec d'autant plus d'humilité que j'en ay moins de merite, avec ceste seule apprehension, que peut estre la connoissance du sujet pourroit cy apres apporter du changement a ceste vostre volonté; si ce n'est que vous y reg*ardies l'affection que j'ay de me rendre capable de vous faire humble service, puisque vous me verries aussi bien assorti de ce costé la que vous pourries jamais voir homme.

  A011001477 

 Mais quant a la coadjutorie, toutes raysons et ma propre experience me defend de la desirer; et le [182] devoir, l'honneur et le zele que j'ay a Monseigneur le Reverendissime Evesque m'empechera tousjours de penser a l'evesché pendant que Dieu le me prestera pour Prelat, et mon incapacité, quand Dieu m'en auroit privé..

  A011001478 

 Je supplie sa divine Majesté pour vostre santé, et vous, de me faire cest honneur de vous asseurer que je vivray tousjours,.

  A011001506 

 Nous devons tous, tant que nous sommes de Savoisiens, et moi particulièrement, louer Dieu et nous réjouir de l'heureux choix que Sa Sainteté fit de Votre Seigneurie pour l'accréditer en qualité de [183] Nonce apostolique auprès de Son Altesse Sérénissime; car ces pauvres églises de Savoie si affligées ne pouvaient désirer un protecteur, un médecin plus zélé, plus prudent et plus compatissant.

  A011001506 

 Que les autres disent ce que bon leur semble; quant à moi je dis que pour remédier aux maux et aux afflictions de ces églises savoisiennes, il fallait un guide, un médecin qui fût non seulement capable et très prudent, mais encore zélé et compatissant..

  A011001507 

 Afin de commencer [184] à exécuter les ordres qui me sont intimés par sa lettre, je la renseignerai fidèlement, et aussi souvent que faire se pourra, sur tout ce que je jugerai digne d'être porté à sa connaissance et à celle de Sa Sainteté pour le bien spirituel de la Savoie.

  A011001507 

 C'est pourquoi je regrette infiniment de ne posséder aucune des autres conditions qui justifieraient l'opinion avantageuse que vous avez conçue de moi, si ce n'est un ardent désir de servir la sainte Eglise et d'obéir avec une grande promptitude aux commandements de mes supérieurs, surtout à ceux de Votre Seigneurie.

  A011001507 

 Loué soit le Dieu béni qui nous a donné Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime laquelle, dans la lettre qu'elle m'adressa il y a longtemps et que j'ai reçue depuis peu, montra quel est son zèle pour secourir cette province désolée en m'écrivant, et traitant si cordialement avec moi qui, mettant à part ma qualité de prédicateur, suis une personne privée et peu digne de considération.

  A011001507 

 Mais, pour le moment, il suffira que je lui rende compte de l'œuvre à laquelle il plut à Monseigneur le Révérendissime Evêque de Genève me destiner, il y a un an et demi..

  A011001508 

 Bien que la crainte des hérétiques nos voisins ait grandement nui au succès de cette entreprise, on obtient néanmoins toujours quelques fruits par la conversion de plusieurs personnes, parmi lesquelles il s'en trouve deux des plus versées dans l'hérésie..

  A011001508 

 Bon nombre des habitants, plus touchés du fracas des arquebuses que des prédications qui leur étaient faites par ordre de Monseigneur l'Evêque, revinrent à la foi et rentrèrent dans le sein de notre mère la sainte Eglise; mais ensuite ces contrées ayant été infestées par les incursions des Genevois et des Français, le peuple retomba dans son bourbier.

  A011001508 

 Cependant, inspiré par l'occasion et invité par le petit nombre de Catholiques qui se trouvaient là, je commençai à faire plusieurs prédications, non sans quelque espérance de leur voir produire d'heureux fruits; dès lors, soit par moi-même le plus souvent, soit par d'autres prêtres, en partie chanoines et en partie curés de ce diocèse, l'exercice de la prédication s'est continué sans interruption tous les jours de fête, si ce n'est deux fois que nous avons été contraints de l'omettre.

  A011001509 

 Nous sommes maintenant, grâce à cette nouvelle d'une prochaine paix, à la veille de récolter ce que nous avons semé jusqu'ici.

  A011001509 

 Pour [186] que le saint désir de Son Altesse Sérénissime s'effectue, [plusieurs mesures sont à prendre,] selon les articles que je lui en envoyai, il y a longtemps, dans lesquels je lui indiquai ce que j'estimais nécessaire.

  A011001510 

 Mais le service de Dieu, de la très sainte Eglise et de Son Altesse Sérénissime exige que premièrement on rétablisse notre sainte religion, toute autre considération étant laissée de côté....

  A011001522 

 La disposition en laquelle je vois maintenant ce peuple de Chablaix est telle que si, en execution de la sainte intention de Vostr'Altesse, on dressoit prontement l'eglise a Thonon et quelques autres lieux, je ne doute point d'asseurer Vostr'Altesse qu'elle verroit dans peu de moys le general de tout ce pais reduict, puysqu'en la ville plusieurs sont si bien disposés et les autres, tant esbranlés en leur conscience, que si on leur presente l'occasion ilz prendront infalliblement le port que Vostr'Altesse leur desire.

  A011001522 

 Si que le tems est venu de voir Dieu loué et le zele de Vostr'Altesse en effect, de laquelle j'attens l'ordre et provision necessaire; et la supplie tres humblement croire, quoy que peut estr'on luy die le contraire, que je ne luy escris qu'avec la realité et conscience en laquelle il faut servir son sauverain Prince et Dieu mesme..

  A011001559 

 Dans cette ville de Thonon, rendez-vous de toute la province, beaucoup sont bien disposés, et presque tous les autres, si ébranlés dans leur conscience que s'ils voyaient l'exercice de la religion catholique rétabli, ils se rendraient facilement et en peu de jours.

  A011001559 

 L'espérance en laquelle je me trouve maintenant de moissonner bon nombre d'âmes dans cette province du Chablais, si l'on donne des ordres conformes au zèle de Son Altesse Sérénissime, me fait prier en toute humilité Votre Seigneurie de daigner intercéder, afin que non seulement ce bien s'effectue, mais encore que ce soit avec cette promptitude si agréable au Seigneur.

  A011001559 

 Quant aux lieux circonvoisins, les [190] principaux de dix ou douze paroisses sont déjà venus demander l'exercice du culte catholique, si bien que différer en semblable affaire me paraît grand dommage..

  A011001560 

 De plus, la divine Majesté montre qu'elle réclame maintenant ce service, en permettant qu'il y ait parmi ces gens tant de possédés et que chaque jour on en découvre davantage.

  A011001560 

 Ils ne peuvent trouver remède et soulagement que dans le signe de la Croix, l'eau bénite, les cierges bénits, les Agnus Dei et semblables pratiques sacrées que jusqu'ici ils avaient en si grande horreur.

  A011001560 

 Mais Son Altesse se souviendra que la religion catholique est le fondement de tous les Ordres religieux, et que jamais les intérêts du prince ne seront aussi bien servis par aucune autre croix que par celle que nous tâchons de graver dans les cœurs de ses sujets.

  A011001561 

 Et moi, persévérant dans la soumission que je dois à Votre Seigneurie, je ne manquerai pas de lui donner avis dans la suite de certaines choses importantes pour le bien spirituel de ce diocèse et des autres de la Savoie..

  A011001584 

 Combien il est vrai que l'espérance différée afflige l'âme! Je le savais très certainement par les Livres Saints; mais aujourd'hui, en punition de mes péchés, j'en fais personnellement une dure expérience.

  A011001588 

 Je n'avais d'ailleurs ni loisir ni courrier, et, je l'avouerai naïvement, pas même de courage, étant pour ainsi dire préoccupé à chaque instant de mon départ, tant nous croyons ce que nous souhaitons..

  A011001589 

 Mais voici que le loisir m'est rendu, que le courrier va partir, qu'en même temps mon espérance de voyage s'évanouit, et je vous envoie cette brève expression de ma pensée.

  A011001590 

 Cependant, Frère très aimable, aimez-moi beaucoup, comme vous [194] le faites, et portez-vous bien, ainsi que toute votre très noble famille, que je désire en excellente santé.

  A011001590 

 Que le Christ vous soit propice!.

  A011001620 

 J'attends encore cette permission aussi bien que la dispense pour le mariage contracté entre parents.

  A011001620 

 Je vous en remercie avec toute humilité, comme du souvenir que vous avez eu de moi en la nécessité dans laquelle je me trouve d'obtenir la licence de lire les livres défendus.

  A011001623 

 Ce serait hors de propos de vous communiquer les renseignements promis, jusqu'à ce que la paix soit rendue à ce pays désolé.

  A011001623 

 Je le ferai alors avec le plus grand soin, avec tout le dévouement que je dois au service de la sainte Eglise, et peut-être pourrai-je les porter moi-même à Votre Seigneurie Illustrissime.

  A011001637 

 Et le secours que les ames qui sont en Purgatoire reçoyvent, n'est autre qu'une recompense de la communion de l'Eglise en laquelle les personnes chrestiennes meurent, communion par laquelle elles ont merité d'estr' aydëes par nos prieres.

  A011001637 

 Le dernier sens quil apporte du chien mort et lion vivant est mistique ou allegorique; mays vous considereres mieux que moy tout cecy..

  A011001638 

 J'ay eu ceste bonne nouvelle que madame de Ravoyrëe et sa fille de chambre avoyent abjuré l'heresie.

  A011001638 

 Or, Monsieur, c'est chose vostre, que je ne vous dois pas recommander si je ne vous estois tant serviteur que je suis..

  A011001638 

 Que si l'occasion se praesentoit, je voudrois bien sçavoir s'il leur sera point demeuré de scrupule, car il est mal aysé a personnes qui ne sçavent pas poiser la fermeté de la vraÿe Eglise de demordre ainsi tout a coup.

  A011001639 

 Monseigneur le Nonce m'escrit que Son Altesse est tres bien resolue pour le revenu des benefices et affectionnëe a ceste besoigne..

  A011001640 

 Je prie Dieu nostre Createur quil nous face vivr'et mourir pour son service, et vous supplie croire que je suys,.

  A011001677 

 Je reçus hier, par M. d'Avully, la lettre que Votre Seigneurie Illustrissime eut la bonté de m'écrire le 27 août, et j'éprouvai une entière et parfaite allégresse du contentement que vous donna la conversion de ce chevalier.

  A011001677 

 Mais, d'après ce qu'il m'a dit, on l'a prévenu qu'il ne manquait pas de gens à cette cour pour calomnier sa conversion à la sainte Eglise, et mon intention dans [202] ce peu de fatigues que j'ai soutenues.

  A011001678 

 Que si, comme il convient, on donne promptement des ordres, je reviendrai sûr et certain de voir bientôt mûrir une heureuse moisson de plusieurs milliers d'âmes; si au contraire on ne les donne pas, je demanderai votre bénédiction et la permission d'abandonner cette entreprise à d'autres plus capables que moi.

  A011001679 

 Quant aux calomniateurs, j'espère qu'à la fin on connaîtra, et Dieu [203] le sait, combien en ceci je suis libre de toute ambition, et que, par ces quelques travaux, je ne cherche pas à être bien vu de mes supérieurs, sinon autant qu'il le faut pour remplir cette mission et d'autres semblables.

  A011001680 

 Ils sont en cela favorables aux hérétiques, qui calomnient toutes les conversions opérées de notre temps afin d'empêcher l'effet que produit ordinairement l'exemple des plus notables sur les consciences du peuple.

  A011001680 

 J'écrivis dernièrement à Votre Seigneurie au sujet de la conversion de M. d'Avully, et je vous en rendrai un compte plus particulier encore; car vraiment ce n'est pas seulement à lui et à moi, mais c'est au général de la mission, que ces médisants portent un grand préjudice.

  A011001680 

 Mais pour ceci et beaucoup d'autres choses qui regardent le service de Dieu et de la sainte Eglise, j'espère que bientôt Votre Seigneurie me donnera audience selon cette bienveillance avec laquelle elle daigne m'inviter en son palais, afin que je puisse [204] m'honorer non seulement d'être, comme je le suis, votre très humble et tout dévoué, mais encore votre serviteur familier.

  A011001711 

 Ce délai apporté à la conclusion de la paix me fait grandement redouter que Son Altesse Sérénissime ne diffère de venir au secours [205] de ces populations du Chablais.

  A011001711 

 Ne sachant de quel côté me tourner, je supplie humblement, pour l'amour de Dieu, Votre Seigneurie de ne pas permettre que l'Avent s'achève sans que je voie Notre-Seigneur rentrer en ces contrées.

  A011001712 

 Qui sait si Dieu ne veut pas que la paix spirituelle soit la préparation et le fondement de la temporelle?.

  A011001713 

 Je dirai seulement que l'espérance différée afflige incroyablement mon âme et celles de beaucoup de bons Catholiques, surtout des nouveaux convertis; peut-être même sera-t-elle la cause de la désolation éternelle d'un grand nombre d'autres..

  A011001713 

 Je l'attends toujours avec joie et assurance, me [206] souvenant du zèle très ardent que Votre Seigneurie déploie dans cette poursuite; je crois donc superflu de la lui recommander encore.

  A011001713 

 Je suis sur le point de me rendre à Thonon, bien que je sois certain d'être la fable de nos ennemis jusqu'à ce que nous arrive l'ordre de Son Altesse.

  A011001737 

 Les affaires m'assiégeaient de toutes parts, à tel point que, je vous le dis en parfaite sincérité, je ne me suis pas appartenu un seul instant à Annecy.

  A011001737 

 Maintenant toutefois j'obtiens au moment du départ ce que je n'ai pu me procurer en le différant: le loisir de vous écrire un mot n'importe comment..

  A011001737 

 Vous serez étonné, mon Frère, et avec raison, que j'aie pu passer huit jours à Annecy sans vous donner de mes lettres; mais ce n'a pas été sans vous donner de mes pensées, car vous êtes perpétuellement présent à mon esprit.

  A011001738 

 Vous occupez la première place dans l'estime de notre duc de Genevois, et il ne porte personne aussi haut que vous dans ses louanges.

  A011001738 

 [208] Si vous permettez que l'on vous considère comme Président (c'est ainsi que je parle à la façon des hommes de cour), nous aurons un Président non seulement très désiré ici, mais tel qu'il nous le faut dans les circonstances où nous nous trouvons.

  A011001739 

 Cependant c'est à peine si je puis dire l'avoir vu, car notre rencontre eut lieu en plein crépuscule, de telle sorte que nous nous sommes entendus plutôt que nous ne nous sommes vus, bien que nous ayons passé deux heures ensemble..

  A011001740 

 De notre affaire de Thonon, que vous dirai-je, mon Frère? M. de Jacob nous a fait les plus belles promesses.

  A011001741 

 Je partirai, s'il plaît à Dieu, après le sermon que je dois prêcher Dimanche à Thonon..

  A011001741 

 Je vous écrirai après le pèlerinage que je me propose de faire aux reliques de saint Claude.

  A011001742 

 Adieu, mon très doux Frère, aimez-moi toujours comme vous le faites; c'est la seule consolation que j'aie en ces temps malheureux..

  A011001752 

 Je vous escris avec cest'asseurance que le peu de loysir et de commodité que j'ay ne vous empechera pas de croire a bon escient que vous n'aves point de parent qui soit plus vostre affectionné que je suis..

  A011001754 

 J'ay voulu vous saluer par ce mot de mauvays ancre et de mauvays papier, mais avec autant de bonne affection que peut et doit un qui desire de vous estre irrevocablement,.

  A011001770 

 Et bien que la singuliere recommandation en laquelle vous aves la justice soit un'inseparable proprieté de vostre vie et qui [211] vous rend digne de recommandation immortelle, si est ce que pour rendre l'amitié de laquelle vous m'honnores et l'honneur que je vous porte plus recommandable, j'ay deu, ce me semble, vous faire, et vous prie de recevoir, ceste humble recommandation qui part de celuy qui ne pense en rien estre recommandable qu'en l'honneur qu'il a d'estre advoué de vous,.

  A011001770 

 L'obligation que j'ay d'affectionner le service de monsieur de Coursinge faict que sçachant qu'il alloit au Senat pour un sien affaire d'importance, je vous supplie que son droict vous soit en recommandation.

  A011001801 

 Il faut faire à ce sujet les considérations [213] suivantes: l'une, que les curés de ces églises n'ont eu que depuis peu de temps connaissance de ces legs et qu'ils connaissaient moins encore le décret romain; c'est donc de leur part une ignorance invincible.

  A011001801 

 Je supplie donc très humblement Votre Seigneurie de vouloir bien écrire à qui de droit, afin que ces si pauvres petites églises de notre pays ne soient pas privées du secours qui peut leur revenir de ces legs.

  A011001801 

 L'autre, que si les susdits curés ont été dans une ignorance crasse, ce n'est pas aux paroisses ni aux églises à en subir le dommagé et la peine.

  A011001801 

 Les administrateurs de cette fabrique, voyant que ces legs n'ont pas été payés au temps marqué, prétendent les retenir.

  A011001801 

 Or, il existe à Rome, à ce que l'on dit, un décret d'après lequel les legs pour oeuvres pies qui ne sont pas acquittés dans le cours de l'année, doivent être appliqués à la fabrique de [Saint-Pierre de] Rome.

  A011001802 

 Pressé par ces raisons et par la compassion que m'inspire la pauvreté de ces églises, j'ose adresser en leur nom cette supplique à Votre Seigneurie.

  A011001803 

 En attendant, je prie le Dieu éternel de bénir tant de travaux que Votre Seigneurie Illustrissime entreprend pour notre bien et pour celui de la sainte Eglise, et, baisant très humblement vos mains vénérées, je demeurerai à jamais,.

  A011001803 

 Je me dispose à faire l'information secrète que vous m'avez confiée, [215] et, aussitôt terminée, je vous l'enverrai.

  A011001822 

 Dans le cas où vous échangeriez difficilement la [217] compagnie des pasteurs de la ville contre la société de ceux de la campagne, nous comptons du moins que vous viendrez avec les Rois de l'Orient.

  A011001822 

 Plaise au Dieu très bon et très haut que nos péchés ne ruinent pas l'espoir d'une telle félicité!.

  A011001822 

 Si donc ce que nous attendons s'effectue par la grâce de Dieu: qu'en ces lieux, durant les jours consacrés aux fêtes de sa Nativité, le Christ, redevenant pour ainsi dire petit enfant, naisse enfin de nouveau parmi ce peu de fidèles qu'il a ici, je vous préviendrai très certainement de tout, puis je vous appellerai pour être témoin oculaire.

  A011001854 

 J'ai reçu l'ordre de Son Altesse pour percevoir les trois cents écus destinés à couvrir les dépenses déjà faites, en même temps que la lettre de Votre Seigneurie Illustrissime.

  A011001854 

 J'en remercie très humblement votre bonté, ainsi que de l'autorisation d'absoudre les relaps: j'userai avec toute la discrétion qu'il plaira au Seigneur m'accorder de cette permission dont nous avions vraiment grand besoin..

  A011001855 

 Depuis que je suis revenu ainsi dépourvu des expéditions nécessaires pour cette œuvre, j'ai été la fable de ces mécréants, et néanmoins quatre-vingts personnes ont été gagnées, tant parmi les petits [219] que parmi les grands.

  A011001855 

 Si, conformément à son saint zèle, Son Altesse envoie ici un sénateur pour inviter les habitants de Thonon à l'audition de la sainte parole, ainsi que je le marquai dans le mémoire que je lui ai laissé, j'espère que cela produira un très bon effet..

  A011001856 

 Un certain nombre sont catholiques depuis que Son Altesse a passé ici; beaucoup, contraints par la force et par la violence des armées ennemies, sont relaps au for extérieur seulement; quantité d'autres sont indifférents, ne sachant pas même à quelle religion ils appartiennent, et tous sont sans pasteur comme des brebis errantes.

  A011001856 

 Votre Seigneurie m'a rendu la vie en m'assurant que, nonobstant les plaintes des Chevaliers, nous aurons bientôt le moyen de commencer à donner un peu d'extension au culte catholique parmi ces populations; car je me suis convaincu plus que jamais qu'il est extrêmement nécessaire de leur ouvrir de saints pâturages.

  A011001857 

 Je suis bien aise que messieurs les Chevaliers estiment peu considérables les biens ecclésiastiques du Chablais, car étant si généreux, ils les cèderont volontiers pour le service de Dieu.

  A011001859 

 C'est une mauvaise bête que l'hérésie: elle sait exploiter tout évènement fâcheux..

  A011001859 

 Il le fait néanmoins en toute sorte d'occasions, et s'estime plus heureux d'endurer des tribulations étant catholique, que s'il jouissait de grandes prospérités étant hérétique.

  A011001859 

 Mais je ne laisserai pas de vous dire que l'ennemi ne manque point de diriger contre ce chevalier tous les assauts possibles, afin d'obscurcir l'éclat qu'a eu sa conversion; il suscite contre lui beaucoup de haines, tant de la part des hérétiques que de celle des Catholiques.

  A011001860 

 J'ai une certaine espérance que l'exécution de ce dessein contribuera à l'accroissement de la gloire de Dieu, à la prospérité de leurs Altesses et de ces pays.

  A011001860 

 Je loue Dieu de la bonne pensée qu'il a inspirée à Son Altesse Sérénissime de proposer à Sa Sainteté un gentilhomme si bien qualifié, ainsi que me l'écrivit Votre Seigneurie.

  A011001860 

 Je vous prie de me pardonner si elle n'est pas bien rédigée, soit parce que je m'acquitte pour la première fois de semblable commission, soit parce que je n'ai pu avoir de secrétaire capable.

  A011001860 

 Mais, à ce que je vois, cette information ne sera pas très nécessaire, puisqu'on va donner l'abbaye à un autre.

  A011001861 

 Je ne crois pas que Sa Sainteté puisse faire chose plus avantageuse [223] à cette contrée que d'y envoyer un Visiteur apostolique.

  A011001861 

 Plût à Dieu que ce fût Votre Seigneurie, dont je baise les mains sacrées avec un très humble respect, suppliant le Seigneur de vous combler de bonheur..

  A011001874 

 On ne forçoit [225] personne, et ne faisoit on autre que se mettr'en la posture et au train auquel Vostre Altesse avoit laissé les Catholiques despuys ne fut elle icy, duquel ayant esté levés par force, on ne sçauroit dire pourquoy ilz ne puyssent s'y remettre toutes les fois qu'ilz en auront commodité, sous l'obeissance de Vostre Altesse..

  A011001875 

 Le zele que j'ay au service de Vostre Altesse me faict oser dire qu'il importe, et de beaucoup, que layssant icy la liberté qu'ilz appellent de conscience, selon le traitté de Nyon, elle præfere neanmoins en tout les Catholiques et leur exercice; et que partant elle se layss'entendre a ces gens quilz doivent simplement et seulement user de la permission quilz ont, sans se mesler d'empecher ceux qui, par toute rayson et par l'exemple mesme de leur souverain Prince, taschent d'avancer la foy catholique.

  A011001876 

 Je supplie donq Vostre Altesse commander comm'il luy plaira sur ce sujet, et priant Dieu tres affectionnement pour sa santé, je m'honnoreray du bien que j'ay d'estr'advoué,.

  A011001876 

 M. de Lambert veut user de liberalité a l'endroit d'un ministre qui se convertit et qui par sa sollicitation en tirera beaucoup avant quil se descouvre; je crois que Vostre Altesse l'aura agreable et luy commandera quil en face encores davantage.

  A011001911 

 Ceci est le dernier effort que le démon tente contre cette œuvre, en mettant à profit les délais que l'on apporte à l'exécution des bonnes intentions de Son Altesse.

  A011001911 

 J'écris à Son Altesse Sérénissime au sujet de l'opposition que m'ont faite les habitants de Thonon quand j'ai voulu, pour célébrer ces fêtes de Noël, commencer à dresser un autel dans l'église où j'ai prêché jusqu'à présent.

  A011001911 

 Je supplie Votre Seigneurie Illustrissime de me procurer des lettres que je puisse montrer à ce petit nombre d'opposants, pour leur prouver qu'il leur doit suffire d'avoir la liberté appelée de conscience, sans troubler l'exercice du culte catholique.

  A011001911 

 Je vois toujours un plus grand nombre de personnes disposées à embrasser notre sainte foi, bien que d'autres nous suscitent des orages par les propos de leur mauvaise langue, des calomnies et semblables autres artifices diaboliques..

  A011001912 

 J'ai préféré vous écrire ainsi à la hâte, plutôt que de ne pas vous avertir de nos besoins.

  A011001912 

 Je supplie donc Votre Seigneurie de me pardonner si je suis importun, car je n'ai humainement autre refuge à la cour que votre bonté et sollicitude, devant laquelle m'inclinant très humblement, je baise vos mains vénérées..

  A011001927 

 C'est pourquoy je vous escris ceste [lettre], par laquelle je vous invite de nouveau m'estre en secours, attendu que la charge et distraction des affaires de l'Eglise me levent la commodité de m'arrester dans Thonon pour la continuation des divins offices et administration des saintz Sacremens.

  A011001927 

 Et parce que vous estes desja en ce lieu conneu et aymé, pour y avoir prattiqué ceste mesme charge, si daignes prendre ceste peyne, je mettray ordre a la cuisine et obtiendray de Monseigneur Reverendissime vostre congé....

  A011001927 

 Je voy bien que vous et moy sommes condamnés a porter le tracas et difficultés de l'eglise de Thonon.

  A011001938 

 J'ay receu un'incroyable consolation quand j'ay veu par celle qu'il a pleu a Vostre Altesse signer le 7 janvier, qu'elle trouvoit bon que l'on aye dressé un autel en l'eglise Saint Hypolyte de Thonon.

  A011001938 

 Pour vray, l'evenement a monstré qu'on n'a rien faict de trop; et je puis dire a Vostre Altesse que je vay tant retenu en ceste besoigne que je ne crains point d'autre juste accusation que de trop de lascheté..

  A011001939 

 Le seigneur chevalier Bergere, connoissant bien que l'assignation des six pensions que l'on a faicte sur les revenus de la Religion de Saint Lazare ne peut pas joindre a l'œuvre de la reduction de ces peuples a la foy catholique, a trouvé raysonnable la proposition que je luy ay faicte que la Religion rendist absolument les cures a cest effect.

  A011001939 

 Monsieur de Lambert ayant receu advis que Vostre Altesse avoit agreable qu'il eust secouru le ministre qui se veut catholizer n'a pas osé tirer consequence de la pour la continuation de ce bienfaict, qui me faict supplier Vostre Altesse de la luy declairer.

  A011001966 

 Je dis seulement que, de mon côté, je ferai, s'il plaît au Seigneur, tout ce qu'on peut justement espérer d'un homme aussi incapable que je le suis..

  A011001967 

 Cet expédient consiste en ce que, étant donné le traité de paix désiré, Vos Seigneuries voulussent bien céder absolument toutes les cures dont elles jouissent en ce pays avec leurs dépendances; en y ajoutant celles qui sont provenues des particuliers, on pourrait faire en ce bailliage un service religieux si éclatant que la lumière s'en répandrait de tous côtés..

  A011001967 

 Il m'a [233] donc semblé devoir proposer une fois pour toutes à Vos Seigneuries Illustrissimes un expédient qui nous mettrait à l'abri du besoin dans l'accomplissement de cette œuvre, et préviendrait l'importunité que leur occasionneraient les demandes de secours que nous serions obligés de faire de temps en temps.

  A011001968 

 Et pour cette proposition je n'ai pas besoin d'autre intercesseur, puisqu'elle est si raisonnable et que le zèle et la justice de Vos Seigneuries ne se démentiront pas en cette occasion.

  A011001992 

 Je vois par votre dernière lettre du 4 février que Votre Seigneurie Illustrissime s'étonnait de ce que lorsque je lui écrivis la dernière fois le 27 janvier, je n'avais pas encore reçu ses deux dernières lettres du 4 et du 6.

  A011001993 

 Et pour les défrayer (car ils chercheraient en vain l'aumône parmi ces gens-ci), il faudra faire l'une de ces deux choses: ou réserver à cet effet, pendant quelque temps, deux des six pensions, ou bien prélever par voie de contribution une partie des revenus que les particuliers tirent des biens ecclésiastiques de ce bailliage; car des Chevaliers il ne faut rien espérer de plus.

  A011001993 

 Il nous faudrait encore d'autres missionnaires en aussi grand nombre que possible, soit de l'Ordre des Capucins, soit de la Compagnie de Jésus, afin qu'unis aux prêtres séculiers qui viendront, nous puissions livrer un vigoureux assaut à l'hérésie en ces petits pays; ainsi, peu à peu, l'odeur s'en répandra dans tout le voisinage, tant à Berne qu'à Genève.

  A011001993 

 J'ai été bien consolé en voyant que Votre Seigneurie Illustrissime goûte le projet de la conférence, pourvu qu'elle se fasse dans les conditions voulues; car je persiste à dire que depuis longtemps il ne se sera rien fait de plus avantageux à la gloire de Dieu, si les Genevois persévèrent dans cette intention, comme il me semble qu'on peut l'espérer d'après une lettre écrite au P. Chérubin le 19 février par un bourgeois de Genève.

  A011001993 

 Quoi qu'il advienne, soit que cette conférence se fasse ou qu'elle ne se fasse pas, je supplie Votre Seigneurie d'employer son autorité afin que cette année nous ayons ici [236] en Chablais le P. Chérubin et le P. Esprit, du même Ordre.

  A011001994 

 De même, je ne vous ai point encore parlé des [238] trois cents écus destinés à couvrir les dépenses faites jusqu'ici, vu que le paiement n'en est pas achevé.

  A011001994 

 Il a encore voulu que j'en écrivisse à Son Altesse et au Conseil des Chevaliers, ce que j'ai fait pour ne pas négliger de mon côté le peu qui est en mon pouvoir.

  A011001994 

 Il est vrai que M. le chevalier Bergera, porteur de ces lettres, m'a promis, moyennant l'autorité de Votre Seigneurie Illustrissime, de faire tous ses efforts auprès du Conseil de l'Ordre des Chevaliers, afin que toutes les cures de ce bailliage nous soient complètement abandonnées pour que le service divin puisse s'y faire entièrement; mais cela, à la condition qu'on ne leur demanderait plus rien.

  A011001994 

 Il m'a pressé de vous communiquer cette proposition, ce que je fais très volontiers, la jugeant juste et très utile à cette entreprise; car il ne faut pas que nous ayons à devenir courtisans et pensionnaires des Chevaliers, ce qui, s'il m'est permis de le dire, serait inconvenant et préjudiciable au fruit qu'on peut espérer.

  A011001994 

 Il voulait aussi m'engager à écrire à Sa Sainteté; mais quant à cela je ne me sens pas le courage de faire voler directement mes lettres si haut, d'autant plus que Votre Seigneurie peut et veut tout ce qui est nécessaire à cet égard.

  A011002020 

 Pour la seconde, j'ai à vous remercier le plus humblement que je le puis d'avoir, avec tant de bienveillance, pris sous votre protection les intérêts de ce diocèse, surtout en procurant que le legs de Rome nous soit réservé, nonobstant les prétentions de la fabrique de Saint-Pierre.

  A011002021 

 Afin de vous donner pleine connaissance des choses, je dirai que M. le chevalier Bergera est arrivé ici depuis longtemps, muni de l'ordre dont vous m'avez écrit.

  A011002021 

 Cependant j'étais sûr que le séjour de ce chevalier serait de longue durée, car il avait à percevoir pour son Ordre sept mille ducats, somme qui ne peut se toucher si vite parmi ces troubles de guerre.

  A011002021 

 Je vois les grands embarras que Votre Seigneurie Illustrissime aura eus pour obtenir la provision en faveur des six curés, et je ne puis que m'étonner du peu de zèle de ceux qui font des difficultés en [240] un pareil sujet.

  A011002021 

 Or, à mon arrivée, ce gentilhomme me parut si bien disposé, que je dois lui rendre ce témoignage: si tous les membres du même Ordre lui ressemblaient, Votre Seigneurie Illustrissime n'aurait pas été si fort importunée.

  A011002022 

 Cependant messieurs les Chevaliers devraient penser que, dans ce pays, les prêtres souffriront disette de toutes choses, si ce n'est de procédés désobligeants.

  A011002022 

 J'avoue que cela pourrait suffire là où les desservants auraient la jouissance d'une maison et habitation et la facilité de demeurer plusieurs ensemble.

  A011002024 

 Depuis le 1 er mars jusqu'à ce que les six curés soient installés, ces pensions courant toujours, nous pourrons peut-être réaliser une avance de soixante à soixante et dix écus pour acheter les choses les plus nécessaires et faire le moins mal possible.

  A011002024 

 Mais afin que messieurs les Chevaliers n'excitent pas la compassion de Sa Sainteté par leur pauvreté prétendue, j'assure Votre Seigneurie Illustrissime que le revenu qu'ils tirent des biens ecclésiastiques de ce bailliage est en moyenne de quatre mille bons ducats..

  A011002025 

 A la vérité, je ne puis comprendre comment ces clercs armés prétendent [244] qu'un curé confidentiaire puisse être capable de compter parmi les six, qui doivent avoir des mœurs un peu plus réglées que n'en ont il'ordinaire les confidentiaires..

  A011002025 

 Par un billet de M. de Ruifia, les Chevaliers témoignent désirer que plusieurs curés qui prêtent leur nom à des laïques, possesseurs actuels de certaines cures en ces bailliages, remettent ces cures, s'ils ne sont pas aptes à les desservir, à l'Ordre qui est propriétaire, par concession de Sa Sainteté, des bénéfices des bailliages; et, s'ils ont les qualités requises, qu'ils soient compris au nombre des six curés pensionnés.

  A011002026 

 Je loue le Dieu béni de ce que Sa Sainteté a quelque intention de placer dans l'abbaye d'Abondance les réformés de Saint-Bernard, et je supplie le Seigneur lui en donner une volonté absolue pour le bien des finies.

  A011002026 

 Quant au nouvel Abbé, je voudrais supplier Votre Seigneurie Illustrissime de lui ordonner de payer exactement et entièrement la pension que l'Abbé de ce monastère a coutume de délivrer au P. Prédicateur ordinaire d'Evian.

  A011002027 

 Je vois de plus la peine que Son Altesse a éprouvée en apprenant l'opposition apportée par ces gens de Thonon à l'érection de l'autel; j'en ai reçu une lettre qui m'a bien consolé.

  A011002053 

 C'est surtout que j'attendais de jour en jour le départ du chevalier Bergera et la mise à exécution de l'ordre donné pour les six curés, afin de faire ensuite une réponse plus satisfaisante, plus sûre et plus complète..

  A011002053 

 J'ai reçu aujourd'hui votre lettre en date du 25 février, avec la triple copie des précédentes; elle m'a causé autant de douleur que [246] Votre Seigneurie Illustrissime me montre d'étonnement du retard de ma réponse aux lettres précédentes, car elle m'inspire la crainte d'être tenu pour peu empressé à exécuter vos ordres.

  A011002053 

 Je supplie très humblement votre bonté de croire plutôt toute autre chose d'un serviteur qui vous a tant d'obligations et qui vous est si attaché, et d'être persuadé que c'est l'occasion et non la volonté qui m'a manqué.

  A011002056 

 Je n'espère donc pas un grand résultat de ces pensions avant la fin du Carême, soit parce que je manque d'argent, soit parce que nous ne pourrions retirer les prêtres des églises où ils sont occupés à entendre les confessions et à exercer d'autres ministères.

  A011002057 

 Outre les six pensions assignées par l'Ordre de Saint-Lazare, nous en aurons après Pâques une septième des Religieux d'Ainay, de Lyon, qui, ayant ici un bon prieuré, m'ont promis d'en donner une telle que je la demanderai, sans se régler sur les pensions des Chevaliers.

  A011002058 

 Et ayant averti le peuple que je souhaitais prêcher, j'eus une nombreuse et bienveillante assistance qui, au sortir du sermon, me témoigna un ardent désir de ce pain des enfants.

  A011002058 

 Mais j'eus grand'peine à me rendre à temps pour le sermon de Thonon, qui est à cinq ou six milles de Cervens, de sorte que, étant fixé ici, il m'est presque impossible d'évangéliser plusieurs localités.

  A011002058 

 [249] Mais je suis résolu de n'admettre à l'abjuration que des personnes véritablement bien instruites, dans la mesure que leur capacité comportera.

  A011002059 

 Il n'a point voulu le souffrir, disant que ce consistoire n'étant établi que pour la correction des vices, sa conversion au catholicisme ne lui a point ôté le zèle et le jugement nécessaires à cette correction, mais qu'elle les lui a grandement augmentés, en sorte qu'il ne doit point être tenu pour incapable..

  A011002059 

 Je ne veux pas omettre de vous dire que M. d'Avully ayant été jusqu'ici juge du consistoire suprême des hérétiques, ceux-ci prétendaient le récuser ces jours passés.

  A011002060 

 Je viens supplier encore une fois Votre Seigneurie de vouloir bien presser le nouvel Abbé, ou l'ancien, n'importe lequel, de faire payer exactement la pension due au prédicateur ordinaire d'Evian, parce que cette ville mérite d'être aidée, et le prédicateur qu'ils ont maintenant est digne d'égards sous plusieurs rapports.

  A011002072 

 Et parce que leur pauvreté pourroit estre secourue avec une petite piece des graines de [251] Ripaille et Filly qui sont destinees aux aumosnes, je suppliay tres humblement Vostre Altesse, a leur nom, de leur en assigner quelque portion; et selon la pieté dont Dieu l'a enrichie elle le trouva raysonnable.

  A011002072 

 Maintenant je sçai que ces aumosnes se reduysent aux Alinges pour la munition de la garnison; mays je ne laisseray pas pour cela d'oser supplier Vostre Altesse quil luy plais'ordonner que, d'une si grande quantité, quattre ou cinq muys en soyent appliqués a ces pauvres gens vieux et a un autre qui, estant encores de bon aage, ne laisse pas d'estre pauvre et, moyennant cest'aumosne, pourra servir au clocher pour les Catholiques..

  A011002073 

 Il y a aussy certains petitz vilages qui estoyent anciennement de la parroisse d'Alinges, et personne ne leur contredisoit d'en estre encores maintenant; mays par ce que Vostre Altesse, selon son saint zele, a gratiffié la parroisse d'Alinges d'un'immunité de toutes charges pour quattre ans a venir, en contemplation de [252] leur retour a l'Eglise, on a opposé a ces petitz vilages que du tems de l'occupation des Bernois on leur commanda d'aller ailleurs a la præche.

  A011002073 

 Je supplie donques tres humblement Vostre Altesse d'eslargir plus tost sa liberalité sur ces vilages par une declaration, que d'estressir ceste premiere parroisse qu'on a dressé en ce païs a la foy catholique..

  A011002074 

 Les gens du consistoire supreme de ce balliage taschent de lever a monsieur d'Avully la judicature qu'il y tient de Vostre Altesse; mays puysque ce consistoire n'est que pour la correction des meurs et qu'il n'en est faitte aucune mention au traitté de Nion, a ce que j'ay peu apprendre, comm'on ne perd pas le jugement pour se faire catholique, aussy n'en devroit on pas perdre la judicature, specialement quand elle depend de la volonté de Vostre Altesse, pour la santé de laquelle je ne cesseray de prier Dieu nostre Seigneur, comm'ayant ce bien [de] me pouvoir et devoir dire,.

  A011002105 

 Je crois que tous ceux à qui j'ai confié des lettres pour être présentées à Votre Seigneurie Illustrissime rivalisent entre eux pour me faire paraître très négligent, puisque, d'après ce qu'on me dit, M. le chevalier Bergera n'est pas encore parti de Chambéry, et on laisse assez de temps à ce gentilhomme qui devait se mettre en route la semaine dernière, pour me permettre d'ajouter ceci à mes lettres précédentes..

  A011002106 

 En somme, si l'on en excepte Thonon, les âmes nous sont partout offertes comme une proie; il ne manque que des chasseurs.

  A011002106 

 Hier on fit circuler de telles rumeurs de guerre que ces pauvres Catholiques en ont été tout effrayés.

  A011002139 

 Hier je reçus, par l'entremise d'un exprès que m'envoya M. le Vicaire de Genève, celle que Votre Seigneurie m'écrivit le 12 de ce mois, avec une autre pour M. d'Avully et la copie de la lettre de M. le Cardinal de Santa-Severina..

  A011002139 

 Je crois que tous ceux à qui je confie mes lettres pour être présentées à Votre Seigneurie Illustrissime s'efforcent à l'envi de me faire paraître très négligent; car, il y a trois jours, l'un d'entre eux m'en renvoya une qu'il avait depuis quelque temps pour la porter en Piémont, assurant qu'il ne pouvait [256] passer outre, et, d'après ce qui m'a été dit, le chevalier Bergera, qui en a une autre, était encore naguère à Chambéry.

  A011002139 

 Je supplie très humblement pour l'amour de Dieu Votre Seigneurie Illustrissime de daigner me pardonner si elle n'a pas reçu de mes lettres aussi souvent qu'Elle le souhaitait; le peu de facilité que nous avons ici, moi surtout, d'en envoyer à Chambéry ou à Aoste en a été la cause principale.

  A011002140 

 Je crois que cet arrangement serait avantageux; mais je ne voudrais pas que les Chevaliers eussent le droit de patronage sur ces cures: ce serait ruiner le concours, et, avec le temps, on verrait des nominations peu avouables.

  A011002140 

 M. d'Avully a raison de dire que vingt-deux curés seraient nécessaires en Chablais puisque, pour en venir à quelque particularité, cette province comprend environ quarante-cinq paroisses.

  A011002140 

 Mais parce que je ne sais qui voudrait fournir les revenus nécessaires à tant de personnes, j'ai toujours été d'avis qu'environ dix-huit curés suffiraient.

  A011002140 

 Pour dire ce que je crois, les paroisses étant très étendues, ils doivent avoir une pension convenable, suffisant à leur entretien [257] et à celui d'un vicaire qui les seconde, en sorte qu'ils puissent remplir leur ministère avec bienséance, et qu'ils n'aient pas à exiger des aumônes pour les confessions, sépultures, Messes et autres choses; car si cela est peut-être licite, toutefois il n'est en aucune manière expédient.

  A011002141 

 Quant aux considérations faites à Rome au sujet de la conférence, elles sont vraiment très sages; j'ai écrit de très amples mémoires sur ce qu'il m'en semble, et je les ai envoyés à M. Louis de Sales, chanoine de Genève, homme expérimenté, zélé, éloquent dans la prédication, très prudent pour ce qui regarde le service de Dieu et [258] qui connaît mes pensées aussi bien que moi-même.

  A011002142 

 Cette province est tellement malade que le moindre accident qui surviendrait empêcherait un grand succès..

  A011002142 

 Je dirai ingénuement mon avis: Sa Sainteté ne pourrait faire mieux que de laisser toute autorité et liberté d'action en cette affaire et en d'autres semblables à Votre Seigneurie et à M gr notre Evêque, puisque [259] cette guerre doit se diriger par l'œil et non par l'oreille; car bien souvent les occasions se présentent et passent sans retour pour ceux qui ne savent pas les saisir.

  A011002142 

 Je serais allé volontiers jusqu'à Annecy pour me consoler un peu avec M gr le Révérendissime et ces bons Pères, puisque je suis seul ici, comme un lépreux hors de l'armée; mais un petit ressentiment de fièvre que j'eus ces jours passés, les confessions que je dois forcément entendre, et d'autres devoirs me tiennent lié ici jusqu'à Pâques.

  A011002143 

 Je suis retourné le quatrième Dimanche de Carême à Cervens, et j'ai eu un auditoire plus nombreux que le premier.

  A011002144 

 Les Pères Capucins que, pour le moment, je voudrais voir destinés à cette œuvre sont le P. Chérubin, le P. Esprit, l'un et l'autre très doctes, très saints, très humbles; tous deux prêchent dans ce [260] diocèse.

  A011002144 

 Partant, on pourrait procéder ainsi: Votre Seigneurie Illustrissime donnerait ordre aux Provinciaux d'envoyer des Religieux selon les occasions; nous ferons ensuite venir autant de prêtres séculiers que nous pourrons..

  A011002145 

 Je dis en vérité que cent écus par tête sont nécessaires, parce qu'il faudra à chacun un compagnon, et [261] à ceux qui ne sont pas Capucins il faut encore un cheval pour aller d'un lieu à un autre; mais les cures fourniront à cette dépense, pourvu qu'elles nous soient cédées, jusqu'à l'établissement des curés.

  A011002145 

 Je ne saurais sur cette réduction rien dire de plus spécial que le contenu des mémoires laissés à Votre Seigneurie Illustrissime et au P. Jules Coccapane pour être présentés à Son Altesse..

  A011002155 

 Quand j'eus ce bonheur d'approcher Vostre Altesse l'annee passee a Turin elle eut aggreable la proposition que je luy en fis, et maintenant j'ay prié M. de Blonnay de la luy representer.

  A011002156 

 Je supplie encor Vostre Altesse pour certains petitz vilages qui estoyent anciennement de la parroisse des Alinges et en furent distraitz sous les Bernois, lesquelz desirent estre reunis a leur ancienne eglise et y faire l'exercice catholique; a quoy personne ne contrediroit, si ce n'estoit que Vostre Altesse a, par sa liberalité, exempté la parroisse des Alinges des charges et subsides, a quoy ilz auroyent part par consequent.

  A011002157 

 Ces huguenotz ont intention de priver monsieur d'Avully de la judicature du supreme consistoire parce qu'il est catholique; mais puysque cecy ne touche en rien au traitté de Nion et qu'il a esté institué en cest office par [263] Vostre Altesse, je cuyde que ce soit pour l'honneur de Dieu et de Vostre Altesse qu'il y soit expressement continué.

  A011002191 

 Comme je l'écrivais à Votre Seigneurie Illustrissime, je n'ai encore reçu pour les curés que cent florins et trente coupes de froment, dont je rendrai bon et fidèle compte afin que les Chevaliers sachent que notre pauvreté ne recherche pas leurs biens pour s'enrichir et devenir opulente.

  A011002191 

 Je loue le Seigneur de ce qu'il a donné à Sa Sainteté l'intention de rendre au service de Dieu et des âmes les revenus des cures, ainsi que le demande la justice.

  A011002192 

 J'ai écrit à Votre Seigneurie au sujet de la judicature du consistoire du Chablais que l'on veut ôter à M. d'Avully; c'est déraisonnable.

  A011002192 

 Jamais non plus je ne cesserai de presser, voire même de crier afin d'obtenir par les entrailles de Jésus-Christ, que l'on prenne des mesures pour la réforme ou le changement des Religieux des abbayes d'Aulps, d'Abondance, et d'autres encore qui sont en cette province des séminaires de scandales..

  A011002192 

 Je ne veux pas manquer de vous recommander l'affaire de la prébende d'Abondance que l'on a coutume d'appliquer au P. Prédicateur d'Evian.

  A011002228 

 Comme ce Religieux devait se rendre à ce qu'ils appellent le Chapitre général de leur Ordre, lequel se tenait à Rome, nous avions convenu que, pour lui, il traiterait de toute cette affaire en présence de Votre clémente Béatitude, et qu'il vous prierait de ne pas refuser (si toutefois ce bruit de conversion se réalisait) votre bienveillance apostolique à cet hérésiarque rentrant au bercail.

  A011002228 

 Quant à moi, ma mission devait être de profiter, aussi prudemment et aussi soigneusement que possible, de la première occasion pour apprendre de la bouche même de Bèze ses sentiments intimes et m'expliquer avec lui..

  A011002229 

 A cette fin, prétextant diverses affaires, je suis entré fort souvent à Genève; mais je n'ai pu trouver ouverture à un entretien particulier et secret avec l'homme que je cherchais, jusqu'à la troisième fête de Pâques.

  A011002229 

 Autant que ses paroles me permettent de le juger, voici quelle serait mon appréciation: s'il était possible de l'aborder et plus fréquemment et avec plus de sécurité, peut-être pourrait-on le ramener au bercail du Seigneur; mais pour un octogénaire, tout retard est périlleux.

  A011002230 

 Et d'ailleurs, si le roi faisait quelques efforts plus pressants afin d'obtenir que la république de Genève accordât dans cette ville même ce qu'ils appellent liberté de conscience, il ne serait pas tout à fait improbable qu'il y réussît.

  A011002230 

 Et puisque votre bonté si grande m'y autorise, je ne veux pas manquer l'occasion de vous dire que les populations hérétiques jusqu'ici, qui de tous côtés environnent Genève, celles des pays qu'on nomme bailliages de Gex et de Gaillard, demandent avec les plus humbles prières, le rétablissement de la foi et du culte catholiques afin de pouvoir vivre en catholiques.

  A011002230 

 J'ai entendu bon nombre d'hommes de ces pays se plaindre chaque jour de ce qu'étant [270] catholiques, ils sont empêchés par la tyrannie de la république de Genève de remplir leurs devoirs de catholiques, d'autant plus que cette république opprime ces peuples non pas en son nom, mais au nom du très chrétien roi de France.

  A011002230 

 Je croirais volontiers que si le roi lui-même était averti par le Siège Apostolique, les choses se passeraient tout autrement.

  A011002230 

 Le roi connaît-il cette tyrannie que l'on fait peser sur les consciences catholiques? Ce n'est pas probable, puisque tout récemment il a poursuivi avec tant d'ardeur sa réunion à l'Eglise Catholique.

  A011002230 

 Si j'ai osé présenter à Votre Béatitude ce trop long exposé, [271] c'est que je n'ignore pas quel zèle Sa Clémence apporte à restaurer la discipline chrétienne, et que, dans les conditions de cette vie mortelle, on ne peut apprendre ce qui se passe au loin que par ceux qui sont présents..

  A011002231 

 Très Saint Père, que le Christ très bon et très grand conserve longuement à Votre Béatitude une heureuse vie!.

  A011002232 

 Prosterné très humblement à vos pieds que je baise, je suis,.

  A011002286 

 Ce que je regrette incroyablement, c'est que cette affaire ait été divulguée à grand bruit par notre cour, qui est si discrète qu'elle suffirait à révéler les mystérieux secrets de l'Apocalypse; et nous avons à traiter avec des animaux auxquels le moindre bruit est suspect..

  A011002286 

 Ceux de Genève poursuivaient fort pendant ce Carême pour qu'elle se fît; mais ne pouvant tirer des nôtres une réponse précise, que nous n'étions pas à même de donner, il me semble qu'ils se sont un peu refroidis.

  A011002286 

 Nous étant retrouvés ensemble ces jours passés, le P. Chérubin, le P. Esprit et moi, et conférant des incidents particuliers qui sont arrivés dans les localités où nous avons prêché le Carême, nous avons jugé que la conférence pour laquelle on attend l'autorisation de Rome sera, moyennant la grâce de Dieu, une chose très fructueuse.

  A011002287 

 J'écris à Sa Sainteté sur le sujet que Votre Seigneurie verra; je vous envoie à cet effet la lettre sous cachet volant, en vous priant de la fermer aussitôt après l'avoir lue, afin que personne autre ne la voie, parce qu'il est très important pour moi que l'on ne sache pas d'où viennent les avis qu'elle contient.

  A011002287 

 Mais Votre Seigneurie acquerra un grand mérite en sollicitant fortement auprès de Sa Sainteté l'affaire de Gex et de Gaillard; car à la vérité c'est une chose honteuse que [276] les Genevois, occupant ces pays au nom du roi de France, contraignent les Catholiques à mal vivre.

  A011002288 

 Certes, dans ces choses si importantes, il vaut mieux tenter et espérer beaucoup, lorsque l'échec ne peut apporter grand dommage, que de perdre par trop de discrétion les occasions de faire le bien.

  A011002288 

 Plût à Dieu qu'il eût aussi l'inspiration de demander la même liberté pour la ville de Genève, ce que peut-être il ne serait pas impossible d'obtenir en traitant l'affaire un peu énergiquement.

  A011002289 

 J'espère y conduire, au commencement du mois de mai, les PP. Capucins et les autres prêtres nécessaires en plus grand nombre possible; et si on nous procure la paix et le moyen de continuer, je crois que le Seigneur en sera bien servi.

  A011002289 

 Que le Seigneur notre Dieu en soit loué!.

  A011002290 

 Me confiant en votre bonté, je vous remémorierai la réforme des abbayes de cette contrée, particulièrement de celles d'Aulps et d'Abondance, ainsi que la provision pour le P. Prédicateur d'Evian, afin qu'on lui paie exactement la prébende accoutumée..

  A011002304 

 Ce pendant que j'attens plusieurs graces de la liberalité de Vostre Altesse, desquelles je l'ay suppliee ci devant, les occasions me naissent tous les jours de luy en demander des autres.

  A011002305 

 Ilz respondirent que Vostre Altesse ne leur en avoit donné d'advis, et que quand il l'auroit fait ce seroit autre chose, et qu'au reste ilz ne m'en croyoient pas.

  A011002305 

 La ou, Monseigneur, je me sens obligé en mon ame de supplier tres humblement Vostre Altesse de faire meshuy sçavoir a ces gens qu'elle aura aggreable qu'ilz oyent et sondent les raysons catholiques, sans plus alleguer de si impertinentes excuses comm'est cellecy, de mettr'en doute le bon desir que Vostre Altesse a de leur conversion.

  A011002305 

 Le P. Esprit, docte et signalé prædicateur Cappucin, estant icy ces festes, ou il a apporté tres grande consolation a tous les gens de bien, et a luy mesme esté consolé d'y en voir plus qu'il ne pensoit, voyant que ceux de la ville s'opiniastroyent si fort a ne point ouyr les prædicateurs catholiques, voulut vendredy dernier remonstrer publiquement, mais gratieusement, au ministre la fauseté de sa doctrine.

  A011002305 

 Sur quoy les bourgeois dirent que Son Altesse ne vouloit pas quilz traittassent avec nous.

  A011002306 

 Je ne lairray pas encores de remettr'en memoyre a Vostre Altesse la pauvreté du ministre qui se recatholise, duquel je luy ay ja si souvent escrit, qui ne peut estre secouru d'ailleurs, et celle de ces set ou huict personnes catholiques qui sont en extreme disette, pour lesquelz aussy j'ay ci devant supplié a Vostre Altesse, affin que quattr'ou cinq muis des aumosnes de Ripaille et Filly leur soyent appliqués en pension leur vie durant, qui ne peut plus guere durer puysque ce sont presque tout gens vieux; et ces aumosnes ne touchent en aucune façon la Religion de Saint Lazare.

  A011002347 

 Sur cette déraisonnable supposition que j'ai reçu de Son Altesse le moyen et l'autorité d'avancer les affaires de la religion, on me demande l'exercice du culte catholique..

  A011002348 

 On m'a raconté que le peuple, les larmes aux yeux, priait à genoux le curé de rester; mais, voyant bien que tant que les prêtres seront regardés comme des agneaux le loup les mangera, il résolut, malgré tout, de quitter ses paroissiens, avec l'intention néanmoins de retourner chaque Dimanche les consoler..

  A011002349 

 Je vous adresse aussi les lettres [284] du juge-mage de Gex et du baron de Viry, personnage distingué et influent, afin que les Chevaliers voient que je suis seulement avocat et non point partie, car la partie n'est autre que le bien public.

  A011002349 

 Je vous prie instamment de ne pas les égarer, afin que je puisse m'en servir contre ceux qui trouveraient mauvais que je m'entremette en tant de choses.

  A011002350 

 Toutefois, les fruits seront encore plus abondants lorsque ces prédicateurs et d'autres viendront ici pour y séjourner; ce que le P. Esprit n'a pu faire, ayant été rappelé par le P. Provincial.

  A011002351 

 Mais un des plus obstinés de la ville, s'apercevant que l'issue de la dispute ne pouvait être à l'honneur du ministre, l'entraîna de force hors de la place, disant que Son Altesse n'entendait pas qu'ils traitassent avec nous des choses de la religion.

  A011002351 

 Or, comme nous répliquions que néanmoins nous n'étions pas venus en ces pays dans un autre but, plusieurs entre autres repartirent que je ne saurais le prouver, et qu'au reste ils refusaient de me croire là-dessus, mais que si Son Altesse leur signifiait son intention, ce serait autre chose..

  A011002352 

 Chose étrange, mais non point miraculeuse, car elle est ordinaire: ces misérables enfants de ténèbres sont plus avisés et prudents dans la conduite de leurs affaires que les enfants de lumière! Pour mon compte, j'ai été très consolé de voir ici ce bon P. Esprit qui pourra certifier de l'état des choses..

  A011002352 

 De sorte que si Son Altesse donnait le moindre témoignage du désir qu'elle a de leur salut, sans rompre avec les Bernois, on en verrait d'heureux fruits.

  A011002353 

 Il est vrai qu'on m'en a offert environ soixante-quinze, mais de si mauvaise qualité que je n'ai pu les accepter.

  A011002353 

 Je craignais beaucoup qu'avec ces retards la conférence de Genève ne fût allée en fumée; mais, d'après [289] ce que j'apprends, elle pourra avoir lieu et d'une manière convenable: elle sera très fructueuse..

  A011002353 

 Je vous dirai de plus que les choses vont mal au sujet de ces pensions; jusqu'ici je n'ai pu en tirer que cent soixante florins et trente-cinq coupes de froment.

  A011002354 

 Votre Seigneurie m'encourage si fort à lui écrire souvent, que je lui parlerai librement même des choses les plus minimes (bien que dans le service de Dieu les moindres choses soient importantes), Comme au Père très affectionné de ces populations.

  A011002396 

 Après avoir écrit de Thonon à Votre Seigneurie Illustrissime le 27 de ce mois, je reçus la nouvelle que M gr notre Reverendissime Evêque était très malade, et que, se sentant en danger de mort, il désirait extrêmement me voir.

  A011002397 

 J'envoie à Votre Seigneurie Illustrissime une copie du Bref de Sa Sainteté en faveur du feu P. Papard: vous y verrez les motifs pour lesquels le Pape jugea raisonnable que l'Abbé donnât cette prébende, motifs qui actuellement sont plus pressants que jamais.

  A011002397 

 Quant à l'autre prédicateur que l'Abbé dit être obligé d'entretenir dans son abbaye, je crois que cela doit se faire, mais je sais et je crois que cela ne se fait pas.

  A011002397 

 S'il n'est pas allé à Abondance, ce sera sans doute ou parce qu'il n'aura pas été invité, ou parce que la cessation de la prébende aura précédé la cessation des prédications.

  A011002398 

 Les Religieuses d'Evian sont non seulement pauvres, mais elles [293] endurent la faim, et je sais que l'Abbé leur fait l'aumône; pour ce qui est de leur donner une prébende, comme il le prétend, je pense qu'il faut distinguer entre prébende et prébende.

  A011002399 

 Qu'il s'efforce tant qu'il voudra d'insinuer de semblables opinions; pour moi je suis sûr de convaincre du contraire par des effets: c'est-à-dire, qu'en cela ni en chose quelconque je n'use point de mensonge ou d'artifice auprès de Votre Seigneurie, et que je ne demande pas un seul denier des revenus de son abbaye.

  A011002399 

 Quant à l'opinion que M. l'Abbé prétend donner si gratuitement à Votre Seigneurie Illustrissime, qu'en général il ne faut pas se fier aux Savoyards, je la regarde comme une impertinence telle qu'elle ne mérite pas de réponse.

  A011002400 

 Je me félicite de ce que Sa Sainteté en a laissé le soin à Votre Seigneurie et à M gr le Révérendissime, car ainsi tout se fera d'une manière plus expéditive et plus fructueuse..

  A011002401 

 Depuis vingt jours Monseigneur est au lit très malade; il a reçu pendant ce temps deux lettres de Votre Seigneurie, l'une le 26, l'autre hier par M. le chanoine Floccard, et regrette beaucoup de n'avoir pu vous répondre, parce que le médecin n'a pas voulu le lui permettre.

  A011002402 

 Il est bien vrai que la prévôté n'a pas un liard de rente et le canonicat que l'on donne au Prévôt ne rapporte en moyenne que soixante écus par an; j'estimerais donc plus [297] avantageux d'être un curé renté, que d'être un pauvre Prévôt, n'était l'espoir de notre retour à Genève, lequel soutient encore maintenant plusieurs docteurs distingués et nobles qui ont appartenu à notre Eglise.

  A011002402 

 J'ai à la vérité vécu jusqu'à présent, et mieux que je ne le mérite, mais d'une manière précaire; c'est pourquoi, toutes choses bien pesées, je me résous à demander la cure, qui est le plus riche bénéfice de ce diocèse parmi ceux qu'il m'est possible et permis d'espérer..

  A011002402 

 Mais, pour parler clairement, je suis presque contraint de céder cette prévôté à quelqu'un qui puisse résider ici plus assiduement que je ne le fais moi-même pendant que je suis occupé en Chablais, et qui ait en même temps de quoi vivre sans ce revenu.

  A011002402 

 Pour ne point mépriser leur avis, je le ferai, mais à la condition de ne jouir de ce bénéfice que sous le bon plaisir et avec l'assentiment de Votre Seigneurie Illustrissime, puisque je ne puis avoir et conserver avec cette cure la prévôté de l'église cathédrale.

  A011002403 

 Je désire aussi prier Votre Seigneurie Illustrissime d'obtenir qu'il me soit loisible, avec l'agrément de Sa Sainteté, de garder le canonicat simple, afin que, venant ici, j'aie une place dans notre chœur; car les offices s'y célèbrent si dignement que c'est là une de mes plus grandes consolations.

  A011002403 

 Que votre bonté daigne me pardonner si, au milieu de tant de graves sollicitudes qui l'accablent, je l'entretiens d'une affaire qui m'est personnelle; mais, dans mes doutes, je ne sais où me reposer si ce n'est dans le cœur de Votre Illustrissime et Révérendissime Paternité..

  A011002404 

 Je ne sais pas encore s'il aura plu à Sa Sainteté d'accorder à MM. Grandis et Roget, docteurs en théologie, la permission de lire les livres défendus; mais je sais bien que, sans cette permission, il ne faut pas se mêler de prêcher parmi les hérétiques.

  A011002411 

 Cette lettre était écrite et non encore expédiée, quand le P. Esprit m'en a fait remettre une que je joins à celle-ci; je crois qu'il vous renseignera sur les affaires de Thonon.

  A011002435 

 Quant à l'ordre que M. Ripa dit avoir été donné, soit pour le maintien de M. d'Avully dans la charge de chef du consistoire du [301] Chablais, soit encore pour la restitution du traitement dû au curé de Saint-Julien, je n'en ai jusqu'ici reçu aucune nouvelle..

  A011002436 

 Au sujet de ce qui a été promis par les Chevaliers, il est vrai que le chevalier Bergera obligea les fermiers en ma faveur; mais il est vrai aussi que j'ai protesté ne point vouloir plaider avec ces gens, qui sont tous habitants de Thonon; et il ne faut pas que ceux qui tâchent de les convertir aient ces démêlés avec eux, surtout en des temps si calamiteux, et en des pays où tout le monde est pauvre..

  A011002437 

 Pour ce qui est d'augmenter le nombre des curés, je persiste à dire qu'il est très convenable que non seulement les Chevaliers, mais encore tous ceux qui détiennent des bénéfices en Chablais les remettent à M gr le Révérendissime afin qu'il les donne ensuite aux plus capables.

  A011002437 

 Toutefois, il me semble que MM. les Chevaliers ne doivent pas, sous de vains prétextes, retarder cette œuvre et dire que presque toutes les cures sont entre les mains des ecclésiastiques; car il n'y a pas cinq prêtres qui jouissent paisiblement de ces bénéfices.

  A011002438 

 Il est vrai que les temps sont bien mauvais pour ce pays.

  A011002438 

 M gr notre Révérendissime Evêque m'a envoyé, pour faire parvenir à Votre Seigneurie, une lettre dans laquelle il vous annonce que, par la grâce de Dieu, il a recouvré la santé..

  A011002439 

 Je crains que les mouvements des troupes en Maurienne ne nous causent de grands embarras, surtout pour la venue du P. Jésuite que Votre Seigneurie Illustrissime veut nous envoyer.

  A011002439 

 Mais il faudrait prévenir ce Père afin qu'il vînt sans retard au premier appel: tout délai ne pourrait être que nuisible.

  A011002439 

 Nous avons à Chambéry deux Pères Jésuites de grand mérite: le P. Saunier et le P. Alexandre, écossais; si les passages et les routes [d'Italie] étaient fermés, il me semble que ces Religieux suffiraient.

  A011002439 

 Puisque vous me demandez lequel serait le plus utile, du Recteur de [303] Turin ou du français, lecteur de théologie à Milan, je crois que le français nous conviendra mieux, soit à cause de la langue, soit aussi pour qu'il y ait moins d'affectation de notre côté; car cette conférence ne doit se faire que sous le nom de M gr notre Evêque.

  A011002440 

 On m'avertit que M. le chantre de la métropole de Lyon adresse à M gr l'Illustrissime Cardinal Légat de France certains avis touchant les affaires de Genève; comme il est un homme digne de foi, j'ai cru devoir vous en informer, afin que si par hasard Votre Seigneurie écrit audit Légat et qu'Elle en ait occasion, Elle daigne le favoriser... [305].

  A011002449 

 Et sachant que cest heur de comparoistre en vostre memoire en une si honnorable occasion ne peut partir que de la bonté de Vostre Altesse, qui aura peut [être] esté persuadëe qu'il y aye quelque suffisance en moy, proportionëe a ceste sienne faveur, je rougis d'honte d'en estre tant indigne, et loue Dieu neanmoins qui a donné a Vostre Altesse ceste resolution de vouloir procurer des bons pasteurs a vostre peuple; car encores que je soys le plus indigne de tous ceux qu'elle pouvoit se reduyr'en souvenance, si [306] est ce que l'intention droitte de Vostre Altesse ne laisse pas d'en estre tres recommandable..

  A011002449 

 Je remercie tres humblement Vostre Altesse du favorable jugement qu'elle fit de moy dernierement, quand la nouvelle se donna que Monseigneur le Rrac Evesque de Geneve estoit en danger de mort.

  A011002450 

 J'ay escrit pieça a Vostre Altesse des necessités du Chablais, et quoy que je ne doute point que le zele dont Nostre Seigneur a eschauffé son cœur ne luy en tienne tousjours la memoyre fraiche, si ay je prié monsieur le baron de Chevron de la luy representer..

  A011002462 

 Je ne puys penser d'ou me vient la faveur [par laquelle] il vous pleut embrasser dernierement l'honnorable souvenance que Son Altesse eut de moy sur la nouvelle qui courut de la maladie de Monseigneur l'Evesque de Geneve, si ce n'est vostre bonté, qui vous sollicite a bienfaire jusques aux inconneuz.

  A011002462 

 Mays je sçai bien que ceste vostre courtoisie ne se pouvoit adresser a [307] sujet qui s'en tint plus indigne et plus obligé a vous rendre humble service..

  A011002488 

 Pendant que je différais de jour en jour d'écrire à Votre Seigneurie Illustrissime en attendant que je pusse me concerter avec le P. Chérubin pour le faire plus amplement, il est arrivé tant de choses dignes de vous être communiquées, que je ne sais si je pourrai les rappeler toutes à mon souvenir..

  A011002489 

 Comme je vous l'écrivais dans ma dernière lettre, les RR. PP. Jean Saunier, Jésuite, Esprit et Chérubin, Capucins, le chanoine de Sales, [308] le curé d'Annemasse (tous prédicateurs, et le baron de Viry, conseiller d'Etat de Son Altesse, se sont réunis à Annemasse afin d'aviser aux moyens les plus convenables pour ramener à la foi les populations des environs de Genève; voici ce qui a été conclu. Il est absolument nécessaire que les Chevaliers de Saint-Lazare et autres cèdent les cures qu'ils possèdent; qu'un collège de PP. Jésuites, ou du moins une résidence ad tempus soit établie à Thonon.

  A011002490 

 Le P. Chérubin m'a dit que Votre Seigneurie Illustrissime se proposait de prier Sa Sainteté de vouloir bien écrire à M. le Cardinal Légat de France, afin qu'il tâche d'obtenir que le roi ordonne aux Genevois de venir à la conférence; or, je ne puis omettre de vous prévenir que, de cette manière, elle se ferait avec beaucoup plus de fruit et dans des conditions plus avantageuses..

  A011002490 

 On traita ensuite des moyens à prendre pour acheminer le projet de la conférence; mais je laisserai le P. Chérubin écrire sur ce sujet, puisque c'est à lui que les réponses ont été données.

  A011002491 

 Le P. Esprit avait d'abord été désigné pour aller en cour traiter de cette affaire; mais ensuite Monseigneur voulut, et cela très prudemment, que le P. Chérubin entreprît ce voyage.

  A011002492 

 Cet exercice des Quarante-Heures se fit à Annemasse le premier Dimanche de septembre et le jour de la Nativité de Notre-Dame, avec un fruit beaucoup plus grand que celui que nous en espérions; il tient même un peu du miracle.

  A011002492 

 Là, autour de l'église, qui a été tout endommagée par les huguenots, on construisit avec des toiles, des boiseries, des tapisseries et autres choses semblables une tente très vaste, afin que tout le peuple pût demeurer... [311].

  A011002502 

 L'ayse que j'attendois de vostre presence m'a fait moins gouster celluy que j'ay accoustumé de prendre quand je reçois de vos lettres, a la reception de vostre derniere, laquelle neanmoins, a faute de vous, a esté la tres bien venue en une heure en laquelle j'estois en conversation avec le Pere Cherubin, vers lequel je me suis servi de vostre authorité pour luy persuader de retourner bien tost par dela, ce quil fera.

  A011002502 

 Monsieur le president Favre est a Chambery, et m'asseure qu'il mettra au jour les calomnies de ceux qui n'ont point d'autre religion que le mensonge, et reformera les accusations de ces si mal formés reformateurs.

  A011002503 

 Faites moy cest honneur de croire que la nouvelle santé que Dieu me donne vous est toute acquise, puisque je suis.

  A011002539 

 Après avoir été visité de la bonté de Dieu notre Seigneur par une lièvre continue, j'ai fait récemment une rechute si dangereuse que [313] pendant sept jours consécutifs on n'attendait guère autre que ma mort.

  A011002539 

 Maintenant que, par la même divine bonté, je suis en convalescence, il m'est resté une telle faiblesse, surtout aux jambes, que je ne sais si je pourrai faire le voyage de Rome avant Pâques, quoique je désire infiniment de m'y trouver pour la Semaine Sainte; aussi ferai-je tous mes efforts à cette fin..

  A011002540 

 C'est dans cette prévision que je m'étais rendu au camp avant de tomber malade: d'abord pour avoir un passeport de Son Altesse, et ensuite pour obtenir la déclaration de son consentement à la restitution des cures du Chablais aux curés qui s'y établiront aussitôt que cette restitution sera faite.

  A011002540 

 Mais voyant que lesdites lettres vieillissent, je crains qu'il y ait quelque danger en ce retard, et il me semble devoir les envoyer à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, protectrice très dévouée de toute cette affaire, afin qu'Elle les retienne si Elle le juge bon, ou qu'Elle les expédie pour hâter cette œuvre, laquelle ne se terminera jamais aussi promptement qu'on peut le désirer..

  A011002540 

 Or, parce que dans ces lettres je suis [314] mentionné comme devant en être le porteur, avec charge d'expliquer la nécessité de la révocation désirée, j'ai différé jusqu'à présent de les expédier, espérant pouvoir les remettre moi-même sous peu.

  A011002540 

 Son Altesse, avec toutes les démonstrations de piété que l'on pouvait espérer, donna ordre d'écrire trois lettres, l'une à Sa Sainteté et les autres à deux Cardinaux, afin de prier instamment le Saint-Siège de révoquer l'union de ces bénéfices avec ceux des Chevaliers.

  A011002541 

 Il y a vraiment urgence: ce qui le prouve, c'est que pendant [315] les fêtes de Noël, Son Altesse ayant envoyé à Thonon M. le président Favre, homme d'une piété singulière et d'un grand mérite, pour connaître le sentiment des habitants du Chablais sur l'exercice du culte catholique, presque tous ont témoigné le désirer et ils attendent d'heure en heure qu'il soit rétabli..

  A011002541 

 J'espère que Sa Sainteté ne verra pas de difficulté en cela; mais Son Altesse m'a dit en particulier que cette affaire doit être traitée sans en souffler mot à M. Arconato, son ambassadeur auprès de Sa Sainteté, parce qu'il s'y opposerait en vue de son intérêt personnel.

  A011002542 

 On m'a dit que Son Altesse a saisi à son profit le revenu des Chevaliers, et je l'ai fait prier de donner la provision nécessaire aux ecclésiastiques qui sont dans les trois cures déjà établies..

  A011002543 

 Et moi je ne puis faire autre chose que de recourir à la bonté de Votre Seigneurie afin de leur obtenir l'absolution.

  A011002543 

 Sixt est un monastère de Chanoines réguliers, sous la juridiction de l'abbaye d'Abondance; mais les moines qui l'habitent sont des hommes de bien, vivant en la crainte de Dieu, ainsi que me l'a rapporté M. le chanoine de Sales qui a prêché là ces fêtes passées.

  A011002550 

 Les médecins, qui ne trouvent pas bon que j'écrive, m'ont obligé à me servir de la main d'autrui.

  A011002550 

 Que Votre Seigneurie Illustrissime me le pardonne.

  A011002557 

 Je crois que Vostre Altesse se resouviendra que l'annee passee, appres plusieurs declarations de la bonne intention qu'elle avoit de prouvoir a l'entretenement des gens d'Eglise qui seroient emploiés pour le service de Dieu au duché de Chablais, messieurs les Chevaliers de Saint Lazare promirent en fin finale a Monseigneur le Nonce de donner chasque annee six pensions pour autant de gens d'Eglise; mais pour ne se forcer pas de premier coup, ilz ne firent ceste premiere annee la que la moytié de ce quilz avoient promis, qui fut cause de reduire les six a troys.

  A011002557 

 Or pensois je que ceste annee ilz envoieroient les commandementz necessaires a leurs fermiers pour faire delivrer tout entierement les six pensions [319] promises, affin non seulement de conserver l'exercice commencé en trois lieux par les trois ecclesiastiques dejaz establys....

  A011002558 

 Mais voiant quilz n'en tiennent aucun conte, je suis contraint de recourir a la bonté de Vostre Altesse pour la supplier tres humblement que, comme par son authorité et zele elle tira la promesse desditz seigneurs Chevaliers, il luy plaise aussy d'en faire sortir l'effait, commandant a ses officiers et ministres de Chablais de faire saisir sur le revenu des cures ces six pensions, au prouffit des trois curés dejaz constitués et de trois autres qu'on y establira tout aussi tost que l'on aura le moien de les entretenir.

  A011002559 

 Aussi est ce l'ordinaire que les pauvres et simples embrassent plus vollontiers le Crucifix que les riches et sages mondains.

  A011002559 

 Ce pendant, voicy une preuve certaine de la necessité que l'on a en ce pais la de beaucoup d'ouvriers spirituelz.

  A011002559 

 Je puis dire avec verité que la pluspart des vilages du balliage de Thonon sont de mesme vollonté; pour tous lesquelz je prie Dieu de tout mon cœur quil les fasse jouir des desirs quil a mis en eux, et supplie Vostre Altesse en toutte humilité qu'elle leur fasse voir la grandeur de l'affection qu'ell'a a l'honneur de Dieu, puisque l'acueil et faveur que leur simplicité recepvra de Vostre Altesse servira de mesure et de reigle a tout le reste de Chablais, et en fin mesme a ceux de la ville de Thonon, quoy quilz semblent maintenant revesches et rebelles a la lumiere.

  A011002560 

 Ce sera incontinant que je me verray asses fort pour l'entreprendre..

  A011002560 

 Je pensois bien obtenir de Sa Sainteté la restitution universelle des cures des balliages, suivant l'expres consentement que Vostre Altesse en avoit donné par escrit, [320] si Dieu n'eust retardé par une longue maladie le voiage de Rome pour lequel j'avois prins a Barraux les commandementz et le congé de Vostre Altesse.

  A011002572 

 C'est ce que j'escris a Son Altesse, et la supplie que si ceux de Thonon s'addressent a elle pour luy presenter requeste de ceste affaire, elle les renvoye sans decret ou avec nouvelle defense de [321] sonner.

  A011002573 

 Desirant donq infiniment, pour l'honneur de Dieu, que Son Altesse daigne lire ou faire lire promptement ma lettre affin que je ne sois prevenu par les requestes de ces huguenotz, je n'ay sceu a qui mieux m'addresser qu'a vous, pour vous supplier tres humblement de bailler ma lettre et prier Son Altesse la voir, et, s'il ne la veut voir, luy discourir du sujet.

  A011002573 

 La grande confiance que j'ay en vostre bonté me fait ainsy vous importuner, ayant mesme ce bien et honneur d'estre et devoir estre a jamais,.

  A011002600 

 J'envoie donc leurs lettres à Votre Seigneurie Illustrissime; et, pour dire en même temps ce qu'il m'en semble, je vous prie de croire que, quant à l'exercice des Quarante-Heures, il ne peut être que très fructueux.

  A011002601 

 Or, si Votre Seigneurie [324] est de cet avis, il serait très à propos que le R. P.Jean de Lorini, qu'on dit être actuellement à Milan, se trouvât à cette assemblée.

  A011002601 

 Quant aux disputes, j'ai la ferme confiance qu'elles apporteront une très grande édification, malgré toutes les raisons qui sembleraient contraires; car, ou les hérétiques ne viendront pas, et alors la victoire nous demeurera, ou bien ils viendront, et dans ce cas, nous [323] prouverons que la raison et la vérité sont de notre côté; nous aurons de plus le grand avantage de nous tenir sur la défensive et de pouvoir, en répondant, faire de petites exhortations.

  A011002602 

 Il m'apprend que samedi, 14 courant, quatre personnes vinrent de Genève à Thonon, parmi lesquelles se trouvait un certain Herman Lignarius, allemand, très célèbre professeur de théologie à Genève.

  A011002602 

 Pendant que j'écrivais, M. le procureur fiscal du Chablais, homme très catholique, est arrivé ici.

  A011002612 

 Ce pendant que je ne puis aller en Chablais, les bons Catholiques qui y sont me font part a toutes heures [326] de leurs nouvelles, et sur tout de leurs ennuis, leur semblant bien qu'ilz en sont a moitié allegés quand ilz les ont declairés.

  A011002612 

 Je les ay asseurés que Vostre Altesse a trop de fermeté et reconnoist trop bien les obligations qu'elle a a la faveur que Dieu luy a fait en ces dernieres victoires, pour vouloir accorder aux Bernois chose qui apportast aucune incommodité au service de sa divine Majesté, et que je ne croyois pas qu'il y eust personne aupres de Vostre Altesse, si mal appris de son zele et sa pieté, qui osast entreprendre d'en faire la proposition..

  A011002612 

 Maintenant ilz m'escrivent de trois ou quattre endroitz que le bruit y est bien gros qu'a la solicitation des Bernois, on y redoublera le nombre des ministres pour y accroistre l'exercice de la nouvelle religion.

  A011002613 

 Je supplie tres humblement Vostre Altesse d'avoir aggreable ceste mienne responce, et l'advoüer pour la consolation de ces pauvres gens, lesquelz ne se laissent aller a ces craintes que par une grande jalousie qu'ilz ont de l'honneur de Dieu.

  A011002647 

 Ayant été averti de Rome que les expéditions de la cure du Petit-Bornand en ma faveur sont déjà depuis longtemps entre les mains de M. Favret, j'ai envoyé l'argent nécessaire par deux voies, sans que malgré cela j'aie pu jusqu'ici recevoir ces expéditions, ni un seul mot dudit Favret.

  A011002647 

 Craignant que M. Favret ne retienne ces provisions pour quelque somme que lui doit son commettant ou correspondant d'ici, je suis contraint de recourir à votre très bien-veillante bonté, afin que, soit en partie, soit en entier, je ne tienne ce bénéfice que de la faveur de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime.

  A011002647 

 En attendant, le frère du curé défunt jouit du bénéfice, plaidant pour ne pas l'abandonner jusqu'à ce que les expéditions soient arrivées.

  A011002648 

 J'espérais pouvoir aller bientôt moi-même traiter ces affaires sur les lieux; mais la peste ayant éclaté à Annecy après mon départ, [329] M gr notre Révérendissime Evêque n'a pas voulu en sortir; ainsi je crains beaucoup que nous ne puissions partir de sitôt, faute d'obtenir de la part de Monseigneur les papiers nécessaires.

  A011002649 

 A ce que je vois, rien ne manquera du côté de MM. les Chevaliers pour ruiner les affaires du Chablais, puisqu'ils ne se mettent aucunement en peine de faire payer les pensions promises, sans lesquelles on ne peut continuer l'exercice du culte commencé dans les trois paroisses, et bien moins encore l'augmenter.

  A011002649 

 J'ai les lettres que Son Altesse Sérénissime adressait à Sa Sainteté pour prier le Saint-Siège de daigner retirer les paroisses du Chablais des mains profanes et les remettre à la disposition de [330] l'Evêque; mais, par suite de ma maladie, elles sont restées ici.

  A011002649 

 Si Votre Seigneurie juge bon de les envoyer avant que j'entreprenne le voyage [de Rome], afin d'accélérer cette affaire, qui ne peut être retardée d'une seule heure sans compromettre le salut de beaucoup d'âmes, je me ferai un devoir de les lui expédier aussitôt..

  A011002651 

 Comme me semble que la faculté communiquée à M gr le Révérendissime de déléguer des ecclésiastiques pour l'absolution de l'hérésie expire à la fin de ce mois, il serait surtout urgent de la renouveler..

  A011002651 

 Il serait très à propos que Sa Sainteté voulût bien [331] pour la circonstance accorder, outre l'indulgence plénière, quelque grâce spirituelle, comme l'absolution des cas réservés; car en vérité, de ces côtés il y a beaucoup de gens qui, en ayant sur la conscience depuis dix et vingt ans, s'en déchargeraient en cette occasion.

  A011002652 

 J'y dresserai la liste des personnes rentrées dans le sein de l'Eglise durant ces trois dernières années, pour en informer Votre Seigneurie, afin que par ce moyen Sa Sainteté soit encouragée à nous accorder les grâces qui sont nécessaires à cette entreprise..

  A011002653 

 Il a déjà commandé plusieurs fois de les saisir, cette mesure étant justifiée par la promesse que nous avons reçue des Chevaliers; mais les subordonnés font tant de considérations pour ne pas offenser celui-ci et celui-là, qu'ils finissent par offenser grièvement le Seigneur..

  A011002653 

 Nous n'avons presque pas d'autre ami à la cour que Son Altesse Sérénissime, ce qui ne nous sert pas beaucoup puisque ses ordres ne s'exécutent pas.

  A011002653 

 Si on lui obéissait comme on le devrait, nous serions bien plus avancés que nous ne le sommes et, de plus, nous n'aurions pas [332] à causer tant d'ennui à Votre Seigneurie au sujet des pensions.

  A011002654 

 C'est en baisant très humblement vos mains vénérées, que je suis,.

  A011002690 

 Je désirais extrêmement entreprendre ce voyage avec lui, parce qu'étant le seul laïque bien au courant de ce qui s'est fait et de ce qui reste encore à faire pour la sainte foi dans ces pays, il nous aurait certainement été d'un grand secours dans les affaires que nous devrons traiter à ce sujet auprès de Sa Sainteté.

  A011002691 

 J'ai entre les mains les lettres que Son Altesse a écrites à Sa Sainteté et à MM. les Cardinaux, pour prier instamment le Saint-Siège de rendre la jouissance des cures des bailliages aux prêtres qui doivent y faire le service divin.

  A011002691 

 Je n'ai pas voulu les exposer au danger qui jusqu'ici a été sur les routes, d'autant plus que je croyais de jour en jour pouvoir en être le porteur.

  A011002691 

 Mais maintenant je vois que ces lettres vieillissent; en outre, si le décret de Sa Sainteté touchant la restitution des bénéfices ne nous parvient pas avant la récolte, cette [335] affaire sera retardée jusqu'à l'année prochaine, et Dieu seul sait si nous serons en vie! Pour toutes ces raisons, j'ai donné lesdites lettres à M. le Président afin qu'il les remette à Votre Seigneurie, protectrice de l'entreprise.

  A011002692 

 Si à la faveur de la paix qui nous est annoncée, l'exercice du culte catholique est rétabli définitivement dans ces bailliages, on obtiendra bientôt un résultat que tout retard pourrait compromettre.

  A011002693 

 Les hérétiques publient à chaque instant des livres très pernicieux, tandis que plusieurs ouvrages catholiques demeurent entre les mains de leurs autcurs parce qu'on ne peut les envoyer sûrement à Lyon, et qu'ils n'ont pas d'imprimeur à leur disposition.

  A011002694 

 Je crois que la durée des pouvoirs accordés à M gr le Révérendissime touchant l'absolution des hérétiques est près d'expirer.

  A011002695 

 Que votre bonté daigne me pardonner de lui être si importun.

  A011002727 

 Entre les incalculables avantages spirituels que plusieurs serviteurs de Dieu espèrent de cette bénite paix, ils se promettent que le roi de France, sur l'invitation du Saint-Siège Apostolique, s'emploiera vigoureusement pour obtenir que la ville de Genève ouvre ses portes à l'exercice du culte catholique au moyen de l' Intérim, afin que le Seigneur et Prince de paix ait sa place dans une pacification si importante et tant désirée.

  A011002727 

 Je sais que, de son côté, Son Altesse fera toute sorte d'instances, comme pour une œuvre d'une importance incroyable.

  A011002728 

 Pour moi, qui n'ai en telles rencontres d'autre pouvoir que celui des soupirs et des désirs, il me suffit d'ouvrir mon cœur à Votre Seigneurie.

  A011002741 

 Je la dois du tout a vostre bonté, laquelle j'honnore d'autant plus que je me vois tous les jours obliger davantage a elle par tant d'effetz, qui me fait extremement desirer d'estre tel que je devrois estre pour estre digne sujet de ses bienfaitz; la ou je n'av rien de sortable a ce bon heur qu'une tres humble affection d'estre et vouloir estre, et confesser devoir estre vostre tres redevable..

  A011002742 

 Que si je puys, a la prochaine je me rendray par dela, et sans honte ni autre apprehension je prendray logis chez vous, comme vous me commandes; car puysque je suis des-ja tant insolvable des obligations que je vous ay, il ne m'importe meshuy de rien de l'estre tous-jours [341] plus; et quoy qu'on me juge importun, je ne lairray d'estre bien glorieux si par la je me puys faire connoistre tel que je suis, Monsieur, non seulement vostre tres et tres obligé, mais encores.

  A011002757 

 Puisque Son Altesse veut que les Quarente Heures se facent le quinziesme de ce moys, et qu'elle veut qu'elles se facent le plus solemnellement que l'on pourra, baillant partant esperance de vouloir rembourser les frais qui s'y feront, ne voyant point d'argent prest, il m'a semblé que on ne pouvoit point avoir de meilleur moyen pour loger les musiciens et autres semblables personnes necessaires et les nourrir, que de faire que [342] les fermiers qui sont reliquateurs de plus de mille florins vaillant pour les pensions de ceste annee, respondent vers quelqu'un de la despence que lesditz musiciens pourront faire, a rate dequoy je les dechargeray de ladite dette.

  A011002758 

 Jamais Quarente [343] Heures n'eurent tant de difficultés que celles cy, qui m'en fait tant mieux esperer..

  A011002758 

 On paiera le louage a tant par jour, en fournissant seulement le bois, linge et vaiselle, car quant au reste, Monseigneur le Reverendissime fera sa despence luy mesme; mais il faut que ce soit chez un Catholique et qu'on aye pour le moins trois chambres.

  A011002758 

 Si ce n'estoit qu'il m'a tant recommandé que son hoste fut catholique, j'eusse nommé monsieur d'Alemand; touttefois, au pis aller, encor ne seroit il pas mal la, si autrement ne se peut faire.

  A011002759 

 Son Altesse, quoy que tres empeché, me bailla une audience de quattre motz lundi, et entre autres choses me promit de m'en bailler une plus grande aux Quarente Heures de Thonon ou elle esperoit se trouver.

  A011002768 

 Il m'est advis quil seroit bon que monsieur Chevallier, qui a commencé a Bellevaux, poursuivit, et que [344] monsieur Clerici fut curé a Thonon ou il feroit rage a bien tenir l'eglise et instruire la jeunesse; mais il faudroit que le P. Chtrubin fit un peu de disposition a cela tout bellement..

  A011002769 

 Encor aurons nous besoin d'un logis pour sept ou huit personnes ecclesiastiques qui iront la, en payant comme dessus; sinon que celuy qui fournira pour les musiciens fournit encor a cela, comm'il se pourroit bien faire..

  A011002783 

 Je vous ay bien voulu faire ce mot d'advis, affin que si quelcun de dela desiroit honnorer cest'action de pieté de sa præsence, il ne s'acheminast pas en vain ceste semayne.

  A011002783 

 Mais aussi je voudrois que personne ne perdit courage de venir pour ceste retardation, puisque la tardiveté sera recompensee d'une bien grande consolation si Dieu nous fait les graces que nous esperons..

  A011002789 

 Le R. P. Cherubin et toute la brigade des serviteurs de Dieu que nous avons icy vous salue tres affectionnement..

  A011002816 

 Or, nous apprenons que Votre Excellence se dispose à prendre ce chemin pour s'en retourner avec ses troupes.

  A011002817 

 Que Votre Excellence, avec ce courage vaillant et zélé dont Elle est douée,.

  A011002817 

 Soyez du reste assuré que, s'il vous plaît en agir ainsi, Dieu le regardera comme un grand service rendu à sa divine Majesté et vous en tiendra bon compte au jour du jugement.

  A011002818 

 Nous dirons de plus que nous ne savons qui a pu lui indiquer cette route; car il y a près du lac, entre Evian et Saint-Maurice, un passage le plus horrible et le plus dangereux qu'on puisse imaginer, en cette saison de la crue des eaux.

  A011002819 

 En attendant, nous nous tiendrons assurés que, pour l'honneur de Dieu et de la Cour céleste, Votre Excellence nous accordera ce que nous lui demandons avec une ardeur et une humilité qui n'ont point d'égales.

  A011002847 

 C'est avec une joie incroyable que j'ai reçu la lettre que vous m'avez adressée le lendemain de l'Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie; j'y ai reconnu clairement combien grande est votre piété envers Dieu et votre bienveillance à notre égard.

  A011002847 

 D'après vos paroles, je vois que vous avez mis le comble à la solennité projetée de nos fêtes, non seulement par vos prières, mais encore par celles du peuple qui vous est confié.

  A011002848 

 C'est certainement fâcheux; mais nous devons obéir et croire, comme il convient, que ce retard apportera des fruits plus abondants..

  A011002848 

 Du reste, telle est l'inconstance des choses humaines, qu'à l'heure même où je vous écris, survient un ordre de nos supérieurs qui, pour les motifs les plus graves, nous enjoignent de remettre à la fête de [351] la Nativité de la Sainte Vierge, les supplications solennelles que nous préparions.

  A011002849 

 J'ai voulu que vous en fussiez averti l'un des premiers, et, tant en mon nom qu'en celui du P. Chérubin, je vous offre nos meilleures salutations..

  A011002866 

 Ces gens de Thonon desirent quil vous plaise leur faire ce bien qu'au cas que le seigneur Dom Joan veullie passer icy resolument, il vous plaise d'assister a son passage, estimans que vostre præsence adoucira l'aigreur quilz en pourroyent sentir.

  A011002866 

 Ceste infinité de peyne que vous aves pour l'affaire de Dieu vous sera recompensee par Celuy pour lhonneur duquel vous le faittes.

  A011002867 

 Il ne coste rien a Son Altesse, car ces benefices de ce pais ne peuvent avoir moindre emploite [353] que de demeurer aux Chevalliers de Saint Lazare; il sera bien employé qu'on les reduyse a leur premier usage en une si belle occasion.

  A011002868 

 Je pensois partir passé demain, aller vers vous et a Sales; mais j'attendray jusques a mercredi, par ce que le P. Cherubin me vient de dire qu'a son advis il ne seroit que bon que vous donnies un coup d'esperon jusques icy pour voir tant plus briefvement ouverture a vostre payement.

  A011002868 

 Que Son Altesse ne perde pas cest'occasion de reduire ses peuples en unité de foy; Nostre Seigneur mesprise ceux qui mesprisent le jour de sa visitation..

  A011002869 

 Ilz ont bien fait leurs monstres de la milice ordinaire, que je metz en mesme conte que les monstres du papegai de Neci..

  A011002869 

 Quand au bruit qui a couru que les Bernois avoyent des trouppes de reitres dela le lac, c'est une bride a veau: est spaventa velliacho.

  A011002888 

 Puysque nous avons observé jusques a præsent de mettre nos dires de part et d'autre par escrit, je vous prie d'escrire le vostre encores sur le particulier de l'intention des messieurs vos superieurs touchant vostre venue, ce pendant qu'en responce (sachans que ce ne sera autre que ce que vous aves proposé a bouche) nous dressons les articles demandés..

  A011002927 

 Mais je suis contraint de dire que Nosseigneurs de Genève et de Saint-Paul et [356] nous tous qui vous sommes dévoués ici, avions été fort étonnés et non moins affligés de ne recevoir aucune nouvelle de votre santé.

  A011002927 

 Si toujours elle nous fut chère, elle doit maintenant nous être très chère, puisque nos affaires sont dans un tel état que nous avons besoin plus que jamais d'un protecteur et promoteur tel que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime l'a toujours été à notre égard; car du côté de Son Altesse on ne peut, on ne doit même espérer ni désirer que la continuation des œuvres très chrétiennes qu'elle a déjà accomplies.

  A011002929 

 C'est non seulement pour les grâces spirituelles, mais encore pour les temporelles que nous avons besoin d'un Jubilé, et ceci ne se peut différer qu'au grand détriment des consciences.

  A011002929 

 Il faudrait que Sa Sainteté, conformément à la bonne intention de Son Altesse, fît restituer les bénéfices détenus par MM. les Chevaliers, aux pasteurs et ecclésiastiques qui s'établiront maintenant en ce bailliage par manière de provision.

  A011002929 

 Il n'est pas nécessaire de procéder en ceci selon les formalités ordinaires qui exigent beaucoup de temps, puisque en attendant les âmes rachetées par Jésus-Christ se perdent, et il est très vrai que « le salut du peuple doit être la suprême loi.

  A011002929 

 Les intérêts de Jésus-Christ sont maintenant en tel état dans ces provinces, que [358] si nous pouvons donner au culte la splendeur convenable, la tête du serpent sera brisée.

  A011002930 

 Les Bulles par lesquelles Sa Sainteté concède aux Chevaliers de Saint-Lazare les bénéfices de cette province exigent que dans le cas où la sainte foi y serait rétablie, ils donnent à chaque curé une provision de cinquante ducats.

  A011002930 

 Malheur à l'homme seul, surtout dans le voisinage des léopards, des ours et des loups! Il faut même, au besoin, vendre les calices et objets précieux non nécessaires aux autres églises, pour faire ces dépenses et nourrir ces âmes affamées, qui autrement sont exposées d'heure en heure à périr, afin qu'on ne puisse pas nous appliquer ces paroles: « Vous avez tué ceux que vous n'avez pas nourris.

  A011002930 

 Où en prendrons-nous? Les curés que l'on aura à placer ici ne doivent pas être des personnes à cinquante ducats; ils doivent avoir un autre ecclésiastique avec eux.

  A011002930 

 Que la bonté de Votre Seigneurie Illustrissime veuille bien me pardonner si, transporté du désir de voir ce glorieux commencement aboutir à une fin plus glorieuse encore, je lui écris avec une si grande liberté et peut-être même trop d'importunité; mais Votre Seigneurie, habituée à recevoir la confidence de mes pensées souvent bien mal exprimées, ne le prendra pas en mauvaise part..

  A011002930 

 Voici que la sainte foi est rétablie à peu près partout, mais les églises sont ruinées, sans ornements sacrés, sans calices, sans croix.

  A011002930 

 » Je veux dire qu'il faut que Sa Sainteté, ayant égard à l'importance de cette affaire, intime des ordres pour que les Chevaliers permettent [359] que les revenus des biens donnés à cet effet par la piété et la religion de nos pères et de nos ancêtres soient employés au service de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

  A011002931 

 Je ne parle pas du P. Chérubin, tellement consolé jusqu'ici, que, n'étaient les fatigues très grandes qu'il ressent, il croirait que Thonon est un paradis, voyant tant de conversions et recueillant en pleine maturité le fruit de ses sueurs..

  A011002931 

 Je voudrais pouvoir et savoir vous donner la relation de ce que Dieu a fait ici pendant les premières Quarante-Heures célébrées le 20 et 21 du mois dernier, avant l'arrivée de Son Altesse, et pendant les secondes célébrées le I er et le 2 courant; je suis sûr que je vous dédommagerais de l'ennui que je vous ai causé par mes désirs de Jubilés.

  A011002932 

 Je dirais encore de moi-même que je suis très consolé, si un bruit qui se répand de nos côtés ne m'attristait beaucoup: c'est que le roi très chrétien veut que l'infâme Babylone de Genève soit comprise dans la paix honorable faite par la médiation du Saint-Siège entre les puissances catholiques.

  A011002932 

 Je ne puis y croire, car il serait trop inconvenant que cette terre maudite reçût la paix par l'entremise du Saint-Siège; je ne puis absolument pas le comprendre.

  A011002932 

 Mais, [361] de grâce, que le P. de Lorini vienne de Milan nous apporter sa coopération chaque fois qu'il sera appelé; ce que Votre Seigneurie peut obtenir par son autorité, ainsi que Son Altesse se propose de faire de son côté..

  A011002933 

 Je supplie Votre Seigneurie de me pardonner une fois encore et de croire que la liberté avec laquelle je répands mon âme en sa présence ne provient que de la vive et sincère affection avec laquelle je suis,.

  A011002954 

 Celui que nous députons aux pieds de Votre Sainteté, ayant été témoin de tout ce qui s'est passé, lui en fera un exposé plus complet et plus fidèle..

  A011002954 

 En effet, Dieu a disposé si heureusement les choses, que ce grand Cardinal a pris [363] la route de son retour par cette ville, où il s'est rencontré avec le duc au temps où l'on y célébrait les Quarante-Heures.

  A011002955 

 Cette nouvelle inspire une incroyable audace à tous les hérétiques et leur ferme l'entrée à la foi catholique; si elle n'abat pas entièrement le courage des nouveaux convertis, du moins les trouble-t-elle grandement, et nous ôte, aussi bien à moi qu'à mes chanoines, tout espoir de recouvrer les biens ecclésiastiques que les Genevois retiennent par une souveraine injustice..

  A011002955 

 Mais pendant que nous nous réjouissons heureusement devant le Seigneur comme ceux qui se réjouissent au temps de la moisson, comme se réjouissent les victorieux lorsqu'ils se partagent les dépouilles de l'ennemi, voici que nous arrive une nouvelle fort inopportune et affligeante: le roi très chrétien prévient sérieusement par lettres le duc de Savoie qu'il entend que Genève, mère et source de l'hérésie calviniste, soit comprise dans le traité de paix que Votre Sainteté a fait conclure à la grande satisfaction de l'univers catholique, bien [364] que, comme il était raisonnable, nulle mention n'ait été faite de cette ville dans les articles du traité.

  A011002956 

 C'est pourquoi, tant que nous sommes ici d'ecclésiastiques, nous vous avons député le plus promptement qu'il a été possible, le Prévôt de mon Eglise cathédrale qui, en notre nom à tous, se prosternera aux pieds de Votre clémente Béatitude, et lui exposera combien grand serait le dommage qu'une telle paix, si elle vient à se conclure, causerait à la république chrétienne et la tache honteuse qu'elle imprimerait à un si grand et si heureux succès.

  A011002956 

 Que, selon la clémence [365] paternelle qu'Elle témoigne à toute la Catholicité et surtout à cette province agitée par tant de maux, Votre Sainteté daigne intervenir sérieusement auprès du roi très chrétien et du sérénissime duc, afin qu'une telle paix ne soit pas accordée aux impies, et qu'ils n'en goûtent point les avantages ceux qui s'efforcent de bouleverser par tant de divisions la paix de l'Eglise; mais que plutôt ils soient contraints de rendre l'honneur à qui ils doivent l'honneur, le tribut à qui ils doivent le tribut, et que, par ce moyen, la paix vienne sur eux en la vertu du Seigneur et par l'autorité du Siège Apostolique que Votre Sainteté occupe si heureusement et avec tant de clémence, et sur lequel nous supplions le Dieu très grand et très bon de vous conserver de longues années pour le bien de son Eglise.

  A011002970 

 Il y a longtemps que Révérend François de Sales, Prévôt de ma Cathédrale, aurait visité en mon nom les tombeaux des Apôtres, s'il n'en avait été empêché par une très dangereuse maladie qui l'a tenu alité plusieurs mois, et si les voies d'Italie ne nous eussent été fermées par la peste qui a affligé et afflige encore presque toute cette province.

  A011002971 

 C'est autant pour ne pas employer plusieurs moyens là où un seul suffit dans les temps si difficiles où nous vivons, que pour donner occasion à mon procureur, qui n'a pas travaillé inutilement dans le champ du Seigneur, de se délasser par divers pèlerinages des fatigues qu'il a soutenues..

  A011002971 

 Or, parce que l'affaire pour laquelle il est allé à Rome ne pouvait être différée sans un très grand danger, et que je n'avais pas, lors de son départ, tous les documents nécessaires pour un voyage ad limina, j'ai jugé bon de les envoyer maintenant, afin qu'en mon nom il rendit ses devoirs à Votre Sainteté, espérant que Sa Clémence l'aura [367] pour agréable.

  A011003481 

 Je ne suis plus marry que, pour faute de porteur, j'aye retardé plus que je ne voulois de respondre a voz premieres lettres, qui me furent rendues ces jours passés avec les sonnetz de ma Seconde Centurie par monsieur de Chavanes; car je me fusse plaint fort aigrement de nostre monsieur Portier, auquel j'avois remis mes precedentes lettres, avec celles du Pere Possevin et le livre quil m'avoit adressé pour vous faire tenir.

  A011003482 

 J'ay pris fort a mon avantage ce que vous m'escrivez, que noz messieurs de Tonon facent estat de ma Premiere Centurie; car outre ce, que malaisement peut il estre ainsy quilz ne facent sans comparaison plus d'estat de vous a qui je la rapporte toute, comme je doy, il me semble que c'est un commencement de tesmoignage quilz donnent de leur resipiscence, sil est vray ce que j'ay tousjours ouy dire, [407] que les heretiques ne veullent point ouyr parler de penitence, du moins en la façon que j'en parle..

  A011003483 

 Ce seul poinct a esté cause que je n'en ay peu faire l'estat que j'eusse voulu; car, comme il me souvient de vous avoir autrefois dit, je ne peux me commander de croire qu'un heretique puisse rien avoir de bon, du moins que l'heresie ne gaste et corrompe.

  A011003483 

 Les vers desquelz monsieur Després m'a honoré m'ont esté fort aggreables, et vous remercie de la recommandation que vous y avez adjousté du vostre, et luy de la faveur.

  A011003483 

 Non que j'estime quil y aye en tous de la malice (j'en ay congnu qui, hors le faict de la religion, pouvoient passer en monstre pour honestes hommes); mais je ne peux les excuser que je ne les accuse tous, et tant plus ceux qui sont les plus habiles entre eux, d'un grand deffaut de jugement et de trop de presomption en ce quilz osent faire plus d'estat de leur jugement particulier que de celuy de l'Esglise universelle, fondés seulement sur l'opinion d'un homme, lequel sil eust esté de moins ilz seroient maintenant des nostres..

  A011003484 

 Je remetray a ce tems là de l'embrasser et de recueillir avec plus de demonstration l'amitié que sa poesie me presente, vous priant toutefois de l'en remercier de ma part.

  A011003484 

 Toutefois, je veux bien esperer de sa conversion puis que vous qui le voyez de plus pres en concevez ceste esperance.

  A011003485 

 J'attens de bon cœur l'ornement que vous m'avez promis pour mon Code Savoysien, lequel je vay avançant de jour a autre le plus que je peux pendant le loisir que m'en donnent ces feries..

  A011003486 

 Entre autres poinctz, n'oubliez pas, sil vous plait, celuy là, que noz heretiques font mestier de nier tout et ne rien dire.

  A011003486 

 Ilz le font sans doubte par art et par finesse, affin quilz ne soyent tenus de rien preuver et quilz nous chargent tant plus de preuve, dautant quil est beaucoup plus aisé de nier la verité que de preuver le mensonge.

  A011003486 

 Ilz se fondent sur la reigle qui dit que aienti, non neganti, incumbit probatio; mais vous sçavez mieux que moy comment telle reigle est [408] entenduë en nostre jurisprudence, a laquelle proprement elle appertient.

  A011003486 

 Mais ceste raison mesme monstre que la reigle doit estre entenduë d'une pure negative qui ne puisse estre circunstantiee de point de façon; car quand ell'est coarctee, comme parlent noz maistres, de la circonstance de quelque lieu ou de quelque tems, la preuve s'en peut faire, et faut qu'elle se face par celuy qui nie: comme si quelqu'un nioit d'avoir esté a Romme un tel jour, il pourroit et devroit preuver en quel autre lieu il fut ce jour là..

  A011003486 

 Noz loix dient que celuy qui dit et afferme quelque chose [est tenu de le prouver, mais que celui qui soutient la négative] n'est tenu de la preuver; la raison est parce que la preuve d'une negative semble estre impossible par la nature mesme, dautant que ce n'est qu'une pure privation qui en somme n'est rien selon les philosophes.

  A011003487 

 Il me souvient de l'y avoir veu autrefois a plein fonds, combien que je n'aye pas a present le livre..

  A011003487 

 Il y a de plus que la negative mesme qui est pure privation, et quæ nihil ponit, nec includit affirmativam contrariam, doit estre neantmoins preuvee par celuy qui l'avance, toutes et quantes fois que c'est le fondement de son intention; et en ce poinct s'accordent tous noz docteurs, fondés sur ce que tousjours le demandeur doit estre chargé de preuver son intention et ce sur quoy il la fonde.

  A011003488 

 Escrivez moy si vous voulez que je le tire en consequence, affin que je n'en abuse..

  A011003488 

 Je me suis fort appuyé autrefois sur ceste derniere consideration pour conclurre que noz heretiques, pour nieurs quilz soyent, sont tenus de preuver toutes leurs negatives; car ilz ne peuvent nier quilz ne soyent demandeurs, puis qu'ilz viennent a nous troubler en nostre possession de sezecentz ans qui nous rend deffendeurs; et vous sçavez que c'est la principale commodité de la possession, qu'elle decharge le possesseur de toute necessité de preuve jusques a ce que le demandeur aye fondé et preuvé son action: de là vient que adversus extraneos, id est, nihil juris habentes actores, etiam viciosa possessio prodest. Mais c'est trop faire le docteur avec vous; aussy me faites vous dottor in volgar.

  A011003489 

 J'ay esté presque botté pour vous aller voir affin de vous conduire au Baptesme de nostre neveu, lequel nous esperions [409] devoir estre fait le jour de la Toussainctz; mais j'ay esté retenu par une infinité d'incommodités, et pour avoir sceu aussy que monsieur le Commandeur doit partir aujourdhuy pour Lyon, et qu'a ceste occasion la solemnité du Baptesme sera remise en autre tems..

  A011003490 

 Encor avois je a vous prier de m'ayder a me faire avoir responce des lettres que j'ay escrit a Geneve et addressé a l'hoste du Lyon d'Or, pour sçavoir si ces imprimeurs mettront la main a imprimer mes derniers Livres de Conjectures suyvant les promesses qu'ilz m'en ont faites toute ceste annee.

  A011003490 

 Je ne peux attendre davantage pour le desir que j'ay de faire sçavoir en Allemagne et en l'Italie, aussy bien qu'en France, que nous sommes freres; et comme tel je vous baise les mains.

  A011003590 

 Je me doubte fort que la lettre que je vous escrivis la semaine derniere par la voye de monsieur de Crans ne vous aye pas esté rendue, par les dangers de contagion continués et accreus, comme l'on nous dit, du costé de Necy.

  A011003590 

 Je porteray la perte fort patiemment, pourveu que vous croyez que je n'ay pas esté si paresseux d'attendre jusques a present de me conjouir avec vous de vostre heureux retour (car aussy n'estoit elle pour autre), en attendant qu'avec plus de loisir je puisse vous escrire.

  A011003591 

 Bref, il me semble que je vous ay veu et que je vous voy, et peut estre encor que je vous verray en brief.

  A011003591 

 Je m'asseure que vous n'aurez pas esté moins impatient en l'attente de recevoir de mes nouvelles que moy, en l'attente de pouvoir vous faire part des miennes et d'avoir des vostres, combien que pour ma consolation j'aye veu nostre bon frere, qui m'a bien au long entretenu, et discouru plusieurs particularités de vostre voyage, toutes tres aggreables, mesme celle du françois converti; car elle vise a l'honneur de Dieu premierement, puis au vostre, qui sont les deux plus grandes grandeurs que j'apprehende dans ce monde.

  A011003592 

 Au reste, j'ay a vous dire pour bonne nouvelle, et meilleure pour moy que pour vous, que monsieur de Jacob, venant de France, m'a fait entendre que Madame de Nemours l'avoit prié fort affectionnement de sçavoir de Son Altesse si elle auroit aggreable que je fusse convié d'estre President du Genevois; a quoy s'accorde un billet escrit par monsieur de Charmoisy, nostre parent, a monsieur son pere, qui adjouste que Monsieur et Madame de Nemours estoyent sur le poinct de m'en prier.

  A011003592 

 Je ferois tort a ceste lettre, pleine d'un sujet tant desiré, si je la chargeois d'autre matiere, sinon pour vous dire que j'ay fait tenir voz pacquetz a monsieur de Lullin par le secretaire mesme de monsieur de Jacob, qui m'a promis de les delivrer en mains propres..

  A011003592 

 Je m'asseure que le commandement ne tardera gueres de venir; il ne restera sinon que de l'autre costé on m'escrive.

  A011003592 

 Je serois trop long a vous conter tout ce qui a esté dit sur ce propos entre luy et moy; tant y a, que son advis a esté que je peux et doy entendre a ceste condition, et que Son Altesse l'aura tres aggreable, et a resolu de faire l'office a ce voyage qu'il fait en nostre court, ou il s'est acheminé despuis deux jours.

  A011003593 

 Quant a la vostre, je la tiens et desire toute telle que celle de l'autre vous mesme, sinon que de plus il est.

  A011003610 

 Combien que je vous aye escrit ny a que deux ou trois jours par l'homme de monsieur de Coudree bien amplement, et avec beaucoup de contentement pour la bonne nouvelle de laquelle je vous ay fait part de ma promotion a l'estat que je desirois, tousjours plus pour m'approcher de vous, qui m'estes et serez in æternum instar omnium, que pour m'esloigner du reste de mes amis, si est ce que j'ay recherché encores ceste commodité de vous pouvoir escrire par monsieur le Gouverneur, pour me reintegrer en la possession de noz premieres diligences, autant que la commodité ou, pour mieux dire, l'incommodité et le malheur du tems le pourra permettre; car Necy est maintenant plus decrié que jamais pour le mal qui est naguieres survenu pres du pont de Nostre Dame.

  A011003611 

 Tout mon train se porte bien, graces a Dieu, et sur toutz celuy que vous tenez et recognoissez pour.

  A011003629 

 Je sçay qu'ilz ont esté depechés a leur contentement, mais non pas sans beaucoup de despence: en quoy peut estre que j'eusse peu leur apporter quelque soulagement, si leur procureur m'en eust parlé avant que l'argent eust esté deboursé, s'estant aussy en cela comporté plus nonchalamment qu'il ne devoit; combien qu'a la verité, en semblables matieres d'argent, si peu de gens ont le credit d'en faire rien rabbattre..

  A011003630 

 Je feray voir au Conseil d'Estat la requeste du gentilhomme duquel vous m'escrivez a la premiere assemblee qui se fera, qui ne peut estre devant demain, 15 e de ce mois, et n'oublieray rien de ce que je pourray pour luy faire ressentir quelque bon effect de vostre recommandation; me resjouissant au reste des bonnes esperances que vous donne Monsieur le Nonce, ne pouvant croire qu'elles doivent plus longuement demeurer sans effect en chose de telle importance, et laquelle je ne doubte point que Son Altesse, aussy bien que luy, n'affectionne beaucoup plus qu'auparavant des qu'ilz vous ont veu: et me semble qu'icy l'autheur doit admirer leur tardiveté autant que son sçavoir..

  A011003631 

 Bon Dieu, que le tems m'en dure, et de vous voir et en cest acte là! l'un et l'autre sera quand il plaira a Dieu.

  A011003631 

 Ce pendant, pour accroistre ce contentement qui n'est qu'un a vous et a moy, je vous diray que je viens de recevoir lettres de monsieur de Jacob, par lesquelles il m'asseure que Son Altesse a tres aggreable que j'aille en Genevois et qu'elle m'en priera (voyez quelz termes); et qu'en tesnioignage de cela, mes gaiges de senateur me demeureront.

  A011003631 

 Il ne reste sinon que je reçoive mes depeches et d'une part et d'autre.

  A011003631 

 J'espere que de nostre court monsieur de Jacob les apportera a son retour; mais ce ne sera pas, comme je croy, avant Pasques, car il fait estat de se treuver a Paris seulement pour le quinziesme du mois prochain, a ce que dit monsieur de Trollioux qui est passé pour luy aller preparer son logis.

  A011003631 

 Je m'estois bien promis que je me treuverois a la premiere grand'Messe que vous diriez a Tonon pour ces festes de Noel, mais a ce que je voy, la chose sera remise a l'an qui vient.

  A011003631 

 Je suis retenu plus que jamais d'aller en Genevois jusques a ce que j'y aille pour une bonne fois, pour ne sembler vouloir courir au devant des honneurs; sinon que les lettres de monsieur de Charmoisy, mon cousin, ou quelque sien commandement ou vostre m'en fist naistre l'occasion.

  A011003632 

 Ma maistresse et tous voz neveux qui sçavent parler vous saluent, mais le pere sur tous et plus que tous, comme celuy qui est et sera a jamais,.

  A011003651 

 Estant au plus fort des Meditations poetiques que j'ay commencées despuis quelques jours sur les misteres du tressainct Rosaire, pour faire quelque provision de devotion pour ces bonnes festes, j'ay sceu par monsieur l'advocat Salteur, lequel m'a remis voz dernieres lettres, quil y avoit commodité de vous faire responce par le [419] greffier de Thonon; et a l'instant, sans poser la plume, j'ay seulement changé de papier pour vous faire ce mot, non moins pour accroistre en moy cet esprit de devotion par l'imagination que je conçoy de vostre conversation, que pour vous advertir comme du jour mesme que je receus vostre pacquet, ou, pour ne mentir, du lendemain, je le remis a la poste avec les autres que le Conseil d'Estat depechoit par courrier expres a Son Altesse et soubs une mesme couverture, de sorte que je m'asseure quil aura esté bien et seurement rendu; dequoy je n'eusse pas tant tardé de vous advertir si j'eusse heu la commodité d'un porteur..

  A011003652 

 Car, quant au reste que vous vouliez sçavoir de moy, de la negotiation de monsieur de Jacob pour moy en nostre court, je vous ay ja escrit, et m'asseure qu'aurez receu la lettre, que Son Altesse treuve tout bon et me laisse, avec l'estat de senateur, mes gaiges.

  A011003652 

 J'espere que le retour de monsieur de Marclaz, mon cousin, m'apportera ce contentement avec les autres..

  A011003652 

 » Toutefois, je n'ay encor point receu de lettres de Son Altesse, non plus que de Leurs Excellences, tellement que, non sans beaucoup de peine, je suis contraint de dissimuler et ne faire pas semblant que je desire de voir la chose executee, quand ce ne seroit que pour empecher que noz confreres ne vous veullent mal, pour l'asseurance quilz ont que la force de nostre amitié m'attire a ceste resolution autant qu'autre chose quelconque.

  A011003653 

 C'est maintenant, a ce que je voy, quil fera bon estre de voz amis a qui en voudra avoir a Romme et a Turin.

  A011003653 

 Encor veux je que le Pape le sçache quelque jour, aussy bien que Son Altesse le sçait..

  A011003653 

 Je ne pers point pour cela courage d'esperer que vous aymerez tousjours le President, lequel vous avez bien aymé senateur.

  A011003654 

 La seule souvenance me recree infiniment; Dieu veuille que dans un an je la puisse rafreschir par une nouvelle jouissance..

  A011003655 

 Je n'escris rien a monsieur de Charmoisy, mon cousin, en responce de la sienne, tant pour n'en avoir a ceste heure le loisir, que pour avoir desja satisfait a tout ce quil attend de sçavoir de moy par celle quil aura receu de moy despuis la sienne escritte.

  A011003655 

 Si je puis retirer de monsieur Chaven le depeche du gentilhomme avant que ce [420] porteur soit party, je feray quil le portera; sin minus, ce sera pour l'autre fois..

  A011003656 

 Ma maistresse et voz neveus vous en presentent autant, et du mesme cœur duquel nous prions Dieu, tous tant que nous sommes, monsieur mon Frere, pour vostre santé et prosperité..

  A011003674 

 Je ne treuve pas moins estrange que vous l'empechement que vous font ces messieurs de Tonon, et en ay conferé bien a plein avec monsieur le Gouverneur lequel m'a dit les mesmes raisons lesquelles il a discouru avec vous sur ce sujet.

  A011003674 

 L'autre raison qui m'esmeut beaucoup, c'est que la trefve estant sur le poinct de finir, il ne faut doubter que [421] si elle estoit finie ou rompue l'ennemy courroit quant et quant du costé de Tonon, quand ce ne seroit que pour abbattre l'autel lequel vous auriez fait construire..

  A011003674 

 Tout ce que je treuve de plus considerable, c'est qu'il dit que par les lettres mesmes de Monsieur le Nonce a vous, il est fait mention des depeches qu'en veut faire Son Altesse, lesquelz ne sont encor venus; car sans doute s'ilz estoient entre vos mains, la chose se pourroit faire avec beaucoup plus de reputation.

  A011003675 

 Je ne fauldray, incontinent apres qu'il sera arrivé, de luy en parler, tant pour sçavoir s'il apporte point de commandement de Son Altesse sur ce faict, que pour entendre ce qui luy en semblera; et sera bon que vous luy en escriviez, affin qu'il s'en prenne quelque bonne resolution entre luy et monsieur de Lambert, lequel m'a dit que si la trefve est continuee il viendra le voir.

  A011003675 

 Je vous escriray dans peu de jours ce que j'en auray appris de monsieur de Jacob..

  A011003694 

 Le subjet meritoit bien qu'elles me fussent plus tost renduës, affin que j'eusse peu faire plus diligemment et plus chaudement l'affaire duquel vous m'escrivez.

  A011003694 

 Mais, graces a Dieu, tout va bien puisque vous avez reintegré la Messe en sa possession en un jour si solemnel, quoy que non pas si solemnellement que vous et moy eussions desiré..

  A011003694 

 [422] La faute est venue en partie des porteurs, en partie aussy de ce que j'ay esté absent de ceste ville pour certain appointement que je suis allé faire du costé de Belley.

  A011003695 

 Mais ilz sont bien d'advis que pour ce qui reste a faire de plus, vous attendiez quelque commandement plus expres de Son Altesse, pour ne contraindre Son Altesse de venir aux remedes violens qui seroient necessaires si ces messieurs faisoient quelque insolence qui cust forme de mespris ou de rebellion; car en somme, comme vous escrivez, ilz n'ont point capitulé avec Son Altesse..

  A011003695 

 Tant y a que voz scyndics de Tonon n'ont point esté icy pour se plaindre de vous, mais seulement pour presenter requeste a la Chambre des Comptes a cause de la gabelle du sel, a ce que leur Procureur mesme m'a asseuré.

  A011003695 

 je l'ay aussy sceu de monsieur le prenaient Pobel, qui a tousjours presidé au Conseil d'Estat en l'absence de monsieur de Jacob; j'en ay encores parlé a monsieur de Jacob, qui me dit n'avoir ouy aucunes plaintes de vous, ny deça ny dela les monts, au contraire toutes les voix du monde favorables a vostre reputation, et l'un et l'autre treuvent bon ce que vous avez fait et que vous continuiez, estant bien resolus, si quelqu'un de ces messieurs vient se plaindre a eux, de luy bien laver la teste sans savon.

  A011003696 

 Il dit que monsieur de Lullin fait merveilles, et m'asseure que si a son retour de France la chose n'est resolue il employera tout son credit pour la faire reussir a l'honneur de Dieu et a vostre contentement.

  A011003696 

 Monsieur de Jacob m'a asseuré que Son Altesse est tres bien disposee a plaider vostre cause (si ainsy la faut appeller plustost que celle de Dieu) contre Messieurs de Sainct Lazare, et que luy mesme s'y est aydé, s'asseurant qu'en brief vous l'emporterez, du moins pour l'entretenement de six curés.

  A011003717 

 En responce de celle que ce porteur m'a remis de vostre part, je vous diray qu'il n'y a que quattre ou cinq jours que je vous ay escrit bien a plein par le solliciteur de monsieur de Colombier, pour respondre aux deux dernieres que j'avois eu de vous, dont la premiere estoit datee du jour de Sainct Estienne, l'autre, du jour de Sainct Thomas.

  A011003717 

 Je m'asseure que ma lettre ne s'esgarera pas, car je l'ay recommandee fort estroittement; toutefois, parce que peut estre elle ne vous sera pas si tost rendue, je vous en feray par ceste cy un epilogue..

  A011003718 

 Je vous escrivois qu'ayant conferé avec monsieur le president Pobel et autres seigneurs du Conseil d'Estat, j'avois sceu que le scyndic Vernaz, qui estoit venu en ceste ville, ne s'estoit aucunement plaint de vous, et que quand luy ou quelque autre viendroit a si mauvaise fin, on luy lavera bien la teste.

  A011003718 

 Tous ces messieurs treuvent bien fait ce que vous avez fait et monsieur de Jacob encor, avec lequel j'en ay conferé bien au long; et est d'advis, puisque vous avez commencé de dire la Messe a Sainct Hippolite, [424] que vous continuiez; mais il ne treuveroit pas bon que vous y fissiez construire aucuns autelz jusques a ce que vous ayez receu depeches de Son Altesse, pour ne donner point de sujet ou d'occasion de nouveau remuement en un tems si chatouilleux comme est celuy cy..

  A011003719 

 Je me console en l'esperance que j'ay que vostre depeche ne tardera plus gueres, et que vous n'avez pas peu fait par ceste boutee..

  A011003720 

 Il m'a dit de plus que s'y estant une fois treuvé et convié par Son Altesse d'en dire son advis, il le dit tel qu'il devoit pour la cause de la religion, et se promet qu'a son retour, s'il reste a faire quelque chose, il s'y employera si chaudement que nous en verrons les effects.

  A011003720 

 Monsieur de Jacob m'a dit que monsieur de Lullin fait merveilles contre les Chevaliers de Sainct Lazare, et que Son Altesse la combat pour nous a spada tratta.

  A011003721 

 Il y a plusieurs autres choses en ma derniere lettre, a laquelle je suis contraint de me remettre pour le peu de loisir que me donnent les occupations du Senat, ou je me treuve en rapport et chargé d'ailleurs d'une infinité d'affaires.

  A011003721 

 Mais je n'ay encores point receu des lettres de Leurs Excellences, et croy que monsieur de Jacob a son retour de France, ou il n'est pas encores allé, me les apportera, et que par consequent la chose ira a la longue..

  A011003721 

 Si faut il qu'encor je vous die que j'ay receu par monsieur de Jacob les patentes de Son Altesse, qui me permet d'aller en Genevois en retenant mon estat de senateur avec mes gaiges.

  A011003722 

 Il attend que monsieur Trollioux les luy apporte dans peu de jours, parce qu'il en a chargé ses memoires et escrit a Son Altesse de bonne encre.

  A011003722 

 J'espere que monsieur de Beaumont, avec lequel j'en ay aussy parlé, prendra bien ceste peine, s'il en est prié un peu vivement..

  A011003722 

 Je le porte impatiemment pour le desir que j'ay de vous voir, et monsieur vostre pere, avec tout ce qui est de la suite.

  A011003722 

 Monsieur de Jacob m'a asseuré que Son Altesse est en ceste volonté, et que cela seroit ja fait, sans l'advis qui vint a nostre court de la contagion reprise a Necy, lors qu'on estoit sur le poinct d'en faire les depeches.

  A011003722 

 Toutefois, j'ay escrit a messieurs du Conseil qu'il me sembleroit tres expedient que toute la province deputast quelque gentilhomme pour aller representer a Son Altesse ses plaintes [425] et le miserable estat auquel se treuve reduit tout le peuple.

  A011003723 

 Ceste cy ne laissera, s'il luy plaist, d'estre pour vous deux, comme encores les tres humbles recommandations que ma maistresse et moy presentons a ses bonnes graces et a celles de Madame nostre mere, Messieurs nos freres, et Mesdemoiselles nos sœurs, priant Dieu vous donner a tous, Monsieur mon Frere, une santé longue et contente vie..

  A011003723 

 J'ay escrit bien au long a Monsieur nostre pere par l'homme de Necy qui m'apporta la lettre de messieurs du Conseil; je m'asseure que la lettre luy aura esté rendue.

  A011003727 

 J'ay remis au Pere Cherubin vostre traitté incontinent que je le vis a Necy apres vous avoir laissé.

  A011003741 

 Il n'a pas tenu a moy que l'expedition ne s'en soit ensuyvie; mais quoy que j'aye sceu faire, mesme despuis mon dernier retour de Necy, il ne m'a jamais esté possible ny par courtoisie ny par force d'avoir de ce petit homme autre que paroles et vaines promesses.

  A011003741 

 Maintenant je me passeray [426] de luy, et au premier Conseil d'Estat, qui se tiendra demain comme j'espere, j'auray quelque bonne provision, a ce que me fait esperer monsieur le president Pobel, auquel j'en ay parlé ja des long tems et qui m'a promis toute la faveur qui luy sera possible.

  A011003741 

 Vous m'avez osté d'une extreme peine me faisant sçavoir de voz nouvelles et m'envoyant la requeste de ce bon gentilhomme qui languit des si long tems; car ayant eu je ne sçay combien de fois la main a la plume pour vous escrire, j'ay tousjours esté retenu et empeché par honte que j'ay du tort que nous avons, monsieur Chaven et moy, de l'avoir abusé si longuement.

  A011003741 

 Vous serez adverty par la premiere commodité de ce que j'auray peu negotier..

  A011003742 

 Ce pendant tenez vous joyeux, nonobstant les traverses ou nonchalances de ceux qui devroyent vous ayder en ceste vostre si saincte entreprise; vostre patience a desja vaincu les plus grandes difficultés, j'estime que ce qui reste a faire ne vous peut estre que subjet d'honneur et de contentement.

  A011003742 

 Je ne vous escris rien de ce malheureux acte qui s'est naguieres commis a Mussel, tant pour n'en avoir le loisir que pour n'interrompre voz devotes pensees d'un si fascheux entretien.

  A011003759 

 Dieu soit loué que nous voilà tous deux a l'egal contens et en beau chemin de jouir, sil plait a Dieu, a longues annees de ceste mutuelle et incomparable amitié, laquelle se fait desja paroistre es lieux mesmes ou nous n'avons jamais esté veus ny congnus..

  A011003759 

 J'avoy differé quelques jours de vous escrire tout expressement pour donner loisir a mes depeches de venir, affin de vous entretenir desormais de quelque subjet plus aggreable que ne sont ces esperances languissantes qui nous ont morfondus despuis tant de mois.

  A011003759 

 Je ne pouvois desirer lettres plus favorables que celles qui m'ont esté escrittes par Leurs Excellences, outre les patentes.

  A011003760 

 Dieu sçait combien je desireroys de vous y treuver, et pour combien de raisons; mais je prendray bien patience pour quelques jours, pourveu que je sois bien adverty de vostre bon portement, et que la conversation du Pere Esprit vous console parmy tant de travaux que vous continuez de prendre a cultiver ceste barbarie huguenotte, si cultiver se peut dire pour deraciner; mais je parle du terroir, non pas de la semence..

  A011003760 

 Et pour ceste cause, je ne refuse pas d'estre le premier a vous aller au devant, si messieurs du Senat et du Conseil treuvent bon que j'aille prendre possession de mon presidentat, affin qu'a nostre premiere veuë je vous mette un president entre les bras.

  A011003760 

 Il ne reste sinon que ceste jouissance s'ensuyve de plus pres.

  A011003760 

 J'espere que si ce n'est pour les derniers jours de la semaine prochaine, ce sera pour la suyvante.

  A011003761 

 Quant a la conference, je ne desire rien tant que d'ouir dire le jour auquel elle se fera, et ne croy pas quil y aye presidentat que je ne quittasse pour aller en estre tesmoin; mais je suis bien comme vous, je crains que ces longueurs n'en facent perdre et le goust et l'occasion.

  A011003761 

 Sil se fait quelque chose, je m'asseure que j'en seray adverty des premiers et que j'auray ce credit de m'y pouvoir treuver en quelque coin..

  A011003762 

 Je vous envoye une lettre que je viens de recevoir de Monsieur l'Evesque de Mauriane.

  A011003762 

 Vostre commere vous salue pour elle et pour son petit François qui se fait tous les jours plus gros que grand; nostre frere de mesme, avec toute la brigade; mais moy plus que tous, qui suis,.

  A011004061 

 A quoy vous continuerez avec la dexterité et prudence que vous sçavez convenir, ayant escript au sieur de Lambert qu'il a tres bien faict de secourir le ministre qui se veult catholiser, ainsy que vous et luy Nous escripvez..

  A011004061 

 En responce de celle que avez escript, vous disons que treuvons bon qu'ayez faict dresser un autel en l'esglise de Sainct Hipolite, comme aussy les aultres bonnes œuvres qu'a la louange de Dieu et extirpation des heresies vous y allez exercitant; et Nous desplaict des oppositions que l'on vous y a faictes, que neantmoings avez surmonté ainsy que vous Nous escrivez.

  A011004062 

 A tant prions Dieu que vous aye en sa garde..

  A011004079 

 A ceste cause, ayant remarqué la doctrine, vie exemplaire et autres rares qualitez qui reluisent en nostre tres cher et bien aymé Orateur Messire François de Sales, Prevost de Sainct Pierre de Geneve, heu d'allieurs esgard aux travaux que cy devant il a supportez et a present supporte a la conversion des devoyés de nostre religion riesre nostre Duché du Chablais, de quoy nous sçavons aussy Sa Saincteté estre bien informee, avons par ces presentes, en vertu des concessions et indultz que Nous avons du Sainct Siege Apostolique, icelluy nommé et presenté, nommons et presentons audict Evesché de Geneve, suppliant Tres Sainct Pere le Pape et le Sacré College des Cardinaulx quilz veuillent a nostre nomination prouvoir ledict Messire François de Sales dudict Evesché, soit par coadjutorie ou autrement, luy octroyant les despeches sur ce necessaires..

  A011004079 

 A tous ceux qui ces presentes verront sçavoir faisons qu'estant deuement informé du sainct zele que tres Reverend Pere en Dieu, nostre tres cher, bien amé, feal Conseiller et devot Orateur Messire Claude de Granier, Evesque de Geneve, a de faire colloquer en son Evesché, par coadjutorie ou autrement, homme cappable de telle charge, conforme a nostre intention, qu'a tousjours esté qu'es benefices dependantz de nostre nomination les personnes mentantes soient preferez aux aultres.

  A011004099 

 Nous avons receu un singullier contentement de l'asseurance que me donnez par vostre lettre du unziesme du present, de differer les Quarente Heures pour le vingtiesme du present mois, auquel jour je ne faudray de me treuver a poinct nommé, sans aulcune aultre sorte de dilation; ayant esté tres aise de l'expedient qu'a treuvé le sieur de Lambert pour arrester le Pere Cherubin, qu'indubitablement seroit tumbé mallade s'il heust voullu suivre sa deliberation d'aller a Saluces pour rendre son obeissance, que je m'asseure sera excusable aupres de son General, auquel j'en escris la cy enclose pour le prier de le nous laisser pour achever l'œuvre qu'a esté si bien encommencee par luy.

  A011004113 

 De quoy je reçois un tres grand contentement, attendu que nostre attente nous a appourté ce bon heur que d'y avoir un tant principal Prelat, lequel Nous attendrons audict lieu, ou Nous nous acheminerons a l'advantaige; vous en ayant bien voullu donner [advis] a celle fin, que ce pendant vous vous disposiez a une bonne patience qui se terminera a ladicte venue, sans aultre dilation..

  A011004113 

 Sur l'advis que Nous avons heu du passage du Legat par nostre Estat et par le pays de Valley, nous depeschames hier un courrier au Pere Cherubin pour le prier de differer les Quarente Heures jusques [449] au [28] du present, qui sera justement le jour de son arrivee a Thonon.

  A011004129 

 Et si bien je crois que, mes lettres receues, vous aurez changé de deliberation, si n'ay je pourtant voullu laisser de vous en donner advis, priant Dieu qu'il vous aye en sa garde..

  A011004143 

 A quoy Nous sommes tout disposé pour les y assister de nostre presence et y appourter tout ce que Nous pourrons, soit en luminaires que pour fournir a la despense, ainsy qu'escripvons au sieur de Lambert de faire.

  A011004143 

 Peu appres la lettre que vous avons escript du jourd'huy est arrivee la vostre du dix huictiesme, qui Nous appourte un tres grand contentement et ensemble remplit de toutte consolation, voyant tant d'ames bien disposees pour se remettre au vray chemin.

  A011004143 

 Si aultre ne retarde le Legat, il s'y treuvera des mardy prochain en six jours, non compris le mardy, et Nous un peu auparavant, ne le desirant pas moingtz que vous..

  A011004161 

 Nous ayant, appres vostre despart, le Reverend Monsieur Louys Perrucard faict apparoir de la nomination faicte en sa personne, des l'annee 1589, lhors que nous estions a Gex, du prieuré de Sainct Jean soubz le vocable de Sainct Jean hors les murs de Geneve, riesre ledict pays, et supplié de ne luy prejudicier en son anterieurité par l'aultre nomination qu'en avons faict au Baron de Viry: ce que [451] Nous semblant raysonnable, et estant d'ailleurs bien memoratif des causes que Nous meurent de le faire, Nous a semblé par ce de vous dire qu'ayez a vous desporter de la charge et sollicitation qu'en pourriez faire pour l'union dudict prieuré a la Collegiale de Viry, ains faire instance pour en obtenir les provisions necessaires en faveur dudict Perrucard, docteur es droictz et esleu de Seseri, en escripvant en ceste conformité a monsieur l'Ambassadeur Arconat et au Cardinal Aldobrandin.


12-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XII-Vol.2-Lettres.html
  A012000015 

 Bienveillant accueil reçu de l'Evê105que de Lorette et de l'Archevêque de Bologne sur la recommandation du P. Ancina; estime que professe pour ce dernier le duc de Savoie.

  A012000018 

 Retard que les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare apportent à l'exécution du Bref apostolique.

  A012000020 

 — Espérances que fait concevoir le collège des Pères Jésuites.

  A012000023 

 — Il est urgent que les pouvoirs spéciaux concédés aux missionnaires ne soient pas suspendus pendant l'année du Jubilé.

  A012000028 

 Dangers que courent les Catholiques du Chablais; leur constance en face du péril.

  A012000042 

 Memoire sur un'objection que font ceux de Geneve delaquelle il sera bien a propos d'instruire le Cardinal et de la response a icelle.

  A012000064 

 — Confiance que les Religieux doivent avoir en la divine Providence.

  A012000087 

 Suites que laissent certaines infirmités spirituelles: leur utilité.

  A012000093 

 M me de Beaulieu demandée en mariage par M. de Sainte-Claire; avantages que présenterait cette alliance.

  A012000105 

 Difficultés que suscite une mesure récemment imposée. 138.

  A012000112 

 Difficultés que présente l'administration de la partie française du diocèse de Genève.

  A012000122 

 — Secret que doit garder le pénitent sur ce qui est dit en confession.

  A012000125 

 Difficulté que présente la nomination à un bénéfice.

  A012000132 

 — Qu'est-ce que la dévotion.

  A012000135 

 Requête pour obtenir que les Feuillants soient mis en possession de l'abbaye d'Abondance.

  A012000141 

 C'est la dévotion bien réglée que le Ciel bénit.

  A012000142 

 — Le Saint ne veut pas que ses lettres soient communiquées 209.

  A012000150 

 Instances à l'effet d'obtenir que son fils lui soit rendu 215.

  A012000151 

 Actions de grâces pour la bienveillance spéciale que leur témoigne le Souverain Pontife.

  A012000153 

 Instances pour obtenir que le Nonce intervienne auprès du roi de France en faveur du Chablais. 217.

  A012000160 

 Espoir que la conversion du pays de Gex sera facilitée par la réunion de ce territoire à la France.

  A012000166 

 — Chanoine mandé pour apprendre ce que l'on peut se promettre à cet égard.

  A012000193 

 Nous allions attendant la commodité de quelques plus asseurees addresses que ne sont les ordinaires en ce tems si troublé, pour envoyer nos lettres de dela, et quelque resolution du chemin que nos affaires prendroyent pour vous en donner quelque advis; et l'un et l'autre nous est seulement arrivé maintenant.

  A012000194 

 Il a accordé que la provision desditz pasteurs se fit par vous absolument pour ceste premiere fois; que vous puissies donner portion congrue a tous curés etiam extra visitationem; absoudre les hæretiques comme ci devant, pour cinq ans a venir, licence laquelle ilz estiment icy perpetuelle par ce qu'il ne couste sinon d'envoyer pour demander la continuation avant qu'elle soit passee..

  A012000195 

 Quand a vos decimes, il renvoye l'affaire au Nonce affin quil advise comme l'on pourra jetter vostre rate sur les autres benefices moins chargés que l'evesché de Geneve.

  A012000196 

 Quand a la dispense pour nos chanoynes, il l'accorde, pourveu que les chanoynes puyssent servir a leurs cures; mais ce point n'est encores pas du tout bien esclairci..

  A012000197 

 Neanmoins le Cardinal Borghesio, nostre commissaire, nous bailla par advis de faire traitter ce point par Monseigneur le Nonce, et que peut estre reussiroit-il; il faudra donq l'en supplier a nostre retour, et je crois quil s'y employera volontiers..

  A012000198 

 Mays je crois en un mot que tout ce quil ne nous a pas accordé sera renvoyé a Monseigneur le Nonce..

  A012000198 

 Neanmoins, ni Sa Sainteté ne les Cardinaux ne le goustent pas trop, estimant que ceux d'Annessi desirent nostre sejour en leur ville, et quilz nous tiennent en tel pris que toutes villes font semblables pieces comm'est la personne de l'Evesque et son Chapitre, et disent qu'on peut suppleer le fruit de ceste mutation autrement.

  A012000198 

 Quand au remuement de nostre cathedrale, il est encor en suspens, par ce que nostre Cardinal commissaire ne sceut pas dire si Tonon estoit plus pres de Geneve [2] qu'Annessy.

  A012000199 

 Mays au reste il y reluit presque par tout une courtoisie et maintien angelique, sur tout en nos trois commissaires, les Cardinaux Burghesio, Arigo ne et Bianchetto, et par excellence au Cardinal Baronius, qui nous a portés de toute sa faveur tant vers Sa Sainteté que vers les Cardinaux..

  A012000200 

 Je crois que vostre bonté aura aggreable nostre petite negociation, quoy qu'elle n'obtienne pas bonnement du tout l'issue de vos saintes intentions.

  A012000200 

 Le seul Cardinal Mathæi estant malade, nous retient encor sans autre [3] response, sinon quil reçoit vostre Visitation et si quid erroris admissum esset in mora, absolvit ad cautelam, et fera droit touchant la prætention que vous aves d'estre mis au nombre des ultramontains pour les termes de vostre Visitation; mais il ni a pas moyen de tirer aucun'escriture de luy, dautant quil ne peut signer..

  A012000201 

 Quand a la commission que j'avois premiere et principale, je l'ay sollicitee et vers Sa Sainteté et vers l'Aldobrandino le plus vivement que j'ay sceu, et pour toute resolution on a escrit a Monseigneur nostre Nonce quil traitte avec Son Altesse, affin qu'il ne prenne aucune resolution touchant le point duquel on le sollicitoit qui pourra servir d'une reelle et legitime rayson de refus a sadite Altesse.

  A012000201 

 Voyla, ce crois-je, une partie de ce que nous estions venu faire en chemin, nonobstant la peyne que l'on a eu de les pousser pour les ennuys que le Tybre nous a fait..

  A012000202 

 Le Cardinal Sainte Severine me dit que Monseigneur le Nonce sollicitoit de me faire depescher pour aller vers vous en l'absence du bon P. Cherubin, lequel, a ce qu'on nous advise de deça, est tumbé en une tres lamentable [4] infirmité; et Sa Sainteté et ces messieurs du Saint Office, bref tous les bons, regrettent infiniment cest accident, et pour la valeur de la personne, qu'il rend inutile, et pour le bruit qu'en feront les adversaires, qui, n'ayant aucune rayson pour leur opiniastreté, font bouclier de tous les sinistres evenemens qui nous arrivent, pour naturelz et ordinaires quilz soyent.

  A012000203 

 Je serois ingrat si je ne vous donnois advis que nous avons icy le seigneur chevallier Buccio, prieur de Contamine, qui s'employe pour nous a bon escient, et le seigneur Bartholommeo Bonesio, cameriero secreto di Sa Sainteté..

  A012000204 

 Or, nous esperons entre cy et Pasques vous bayser les mains et rendre conte en presence du tems et loysir que nous avons fait des nostre despart; ce ne sera jamais si tost que je le desire.

  A012000221 

 Ce fidele amy ne s'empressera que trop pour escrire en Savoye les signes de bonté paternelle dont le Pape m'a honnoré, qui m'obligent d'estre plus que jamais bon enfant et bon serviteur de la sainte Eglise Romaine; mays quoy que nos amis escrivent, souvenes vous que nos amis exagerent aussi souvent nostre bien que nos ennemis exagerent nos maux, et qu'en fin nous ne sommes que ce que nous sommes devant Dieu.

  A012000221 

 Je vous asseure que M. le Grand Vicaire est sorti du Consistoire plus joyeux que moy.

  A012000221 

 Je vous confesse ingenuement que Dieu n'a pas permis que nous ayons esté confus dans l'examen, quoy qu'en ne regardant que moy mesme je n'attendis que cela.

  A012000255 

 A Lorette j'ai joui de la part de M gr le Révérendissime Evêque et de M. le Primicier, mais dans une mesure entassée et débordante, de la bienveillance et du bon accueil que vous m'aviez prédits.

  A012000255 

 Bien que je ne sois pas encore au terme de mon voyage de retour, ayant été misérablement cloué en cette cour un mois entier, je dois cependant donner à Votre très Révérends Paternité le détail de toutes [7] les faveurs que j'ai reçues en sa considération.

  A012000255 

 Il suffit de dire que, grâce à vous, j'ai été connu et affectueusement traité par ces deux insignes Prélats, dont lesouvenir ne peut qu'exciter en moi le désir de bien vivre..

  A012000255 

 M gr l'Evêque, quoiqu'il eût le désir de me gratifier de ses Œuvres, ne put le faire, n'ayant d'autre exemplaire que celui dont il se sert habituellement; mais il me chargea, l'occasion de quelque porteur se présentant, de le faire ressouvenir de me les envoyer.

  A012000258 

 mais, comme je dis, ce fut un ressentiment affectueux et non point amer; alors je lui fis connaître ce que j'en avais appris de vous, et l'entretien se termina dans les mêmes termes honorables avec lesquels il avait été commencé..

  A012000259 

 Cependant MM. les Chevaliers de Saint-Lazare sachant que j'étais porteur du Bref de Sa Sainteté qui confère à M gr de Genève l'autorité d'appliquer à la subsistance des curés, des pasteurs et des prédicateurs les revenus qu'ils ont sur les paroisses converties, me font citer pour rendre raison de mon administration.

  A012000259 

 J'ai donc été contraint de m'arrêter ici jusqu'à ce que Son Altesse me congédie; néanmoins j'espère partir au plus tôt, soit pour sortir de ces périls, qui vraiment sont à considérer, soit aussi pour retourner à l'œuvre.

  A012000260 

 On espère que Son Altesse ira en France, où elle est ardemment [10] désirée par le roi, qui a chargé le prince de Conti et le comte de Soissons d'aller à sa rencontre jusqu'aux frontières, et de le conduire ensuite là où se trouvera Sa Majesté, avec tous les honneurs que l'on a coutume de lui rendre à elle-même; c'est ce que la princesse de Conti écrivit par un exprès à son chargé d'affaires en cette cour de Savoie.

  A012000261 

 C'est tout ce que j'ai à vous communiquer pour le moment, distrait comme je le suis par les poursuites que je fais pour nos affaires ecclésiastiques.

  A012000298 

 Il reste que Votre très Illustre Seigneurie, de son côté, ne tarde pas à s'y rendre, afin de terminer ce qui concerne [13] le service de Dieu et des âmes dans ces bailliages de Thonon et Ternier, puisque je vois que Votre très Illustre Seigneurie a été nommée pour assister à l'exécution du Bref du Siège Apostolique..

  A012000299 

 C'est pourquoi je m'enhardis à répéter que, laissant de côté toute [14] considération, soit d'épidémie contagieuse, soit d'autres empêchements, Votre Seigneurie est absolument obligée de se rendre au plus tôt où je vais l'attendre moi-même, avec la volonté de demeurer à jamais, là et partout où je me trouverai,.

  A012000299 

 Il en résulte que Votre Seigneurie est absolument obligée en conscience de venir sans retard, puisque de son arrivée dépend le succès de l'entreprise, et que, sans Elle, on ne peut rien.

  A012000299 

 Je supplie donc Votre Seigneurie de daigner considérer que, dans cette conjoncture, le retard de l'œuvre équivaut à sa ruine; car les ouvriers se trouvant sans provision, ne peuvent demeurer ainsi que fort peu de temps.

  A012000322 

 Ceste sollicitation m'est imposee pour la contribution du soin que je dois aux affaires de mon pere, et ne m'en pourroit arriver de plus ennuyeuse.

  A012000322 

 Elle le seroit toutefois encor plus si je n'estois tout seur que vous voudres bien vous repræsenter la justice du desir que peut avoir un creancier de se servir du sien en son besoin, et un filz, de servir a la raysonnable volonté de son pere..

  A012000322 

 Obliges moy, je vous supplie, de tant, outre tant de devoirs que je vous auray toute ma vie, que de me faire sçavoir si mon pere se pourra promettre quelque pavement ou du tout ou d'une partie de la somme qu'il a sur l'hoirie de feu monsieur le baron d'Hermence en ceste necessité qu'il en a maintenant.

  A012000323 

 Monsieur, je prie Dieu de tout mon cœur pour vostre prosperité, et vous supplie croire que vous ne sçauries donner credit vers vous a l'intercession d'homme du monde qui soit plus entierement et fermement,.

  A012000368 

 Parmi les nombreuses raisons pour lesquelles la difficulté des passages nous est préjudiciable, il me semble que la plus importante est que nous sommes privés de la consolation de recevoir des lettres de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime et que, de notre coté, nous ne pouvons lui en expédier aussi facilement que nous le devrions et désirerions..

  A012000369 

 Et l'on ne peut nier qu'il ne soit coupable en cela, ou d'une extrême négligence, ou d'un retard affecté pour maintenir l'injuste possession des Chevaliers relativement à ces bénéfices; bien que l'on retire une partie du revenu pour l'exercice du culte catholique, cela se fait cependant avec tant de difficulté que la chose ne peut réussir..

  A012000369 

 Et même les ecclésiastiques établis de ces côtés n'ont pas les provisions strictement requises à leur entretien; de sorte que si M gr notre Révérendissime Evêque ne les avait charmés par des caresses et de belles paroles, il n'en serait pas resté la moitié.

  A012000369 

 La cause de ceci est que Son Altesse Sérénissime ayant député M. le premier Président du Sénat et M. le chevalier de Ruffia pour assister à la répartition que M gr l'Evêque doit faire, selon l'ordre du Saint-Siège, des parts nécessaires aux curés, prises sur les bénéfices des bailliages, le susdit chevalier, qui, lorsque je partis de Turin, devait venir immédiatement, n'a jamais paru.

  A012000369 

 Me trouvant maintenant à Chambéry, je puis écrire à Votre Seigneurie, et lui dire que si bien les affaires de la conversion du Chablais et des autres bailliages ne reculent pas, de même aussi n'avancent-elles pas beaucoup; car le progrès dépend des offices et des exercices du culte catholique qui, faute d'argent et d'autres moyens [17] nécessaires, ne peuvent se faire avec la décence et l'éclat qui seraient convenables dans ces commencements.

  A012000370 

 Cependant il est très vrai que parmi les convertis aucun n'a jamais fait mine de regarder en arrière; toujours ils se fortifient dans la foi, tandis qu'il s'en convertit d'autres qui étaient des plus obstinés dans l'hérésie.

  A012000370 

 Il est évident que Dieu demande de nous une très grande diligence et un grand zèle à nous employer à cette entreprise, car il accorde dans ces pays certaines grâces que l'on pourrait appeler de petits, ou plutôt de grands miracles, comme j'en donnerai connaissance à Votre Seigneurie Illustrissime lorsque j'en serai plus sûrement informé..

  A012000371 

 J'apprends que le P. Chérubin sollicite avec zèle Sa Sainteté, et il paraît que Dieu a disposé le cœur de son Vicaire à s'occuper de cette nécessité..

  A012000371 

 J'attends aussi l'annonce de la dérision que Sa Sainteté aura prise relativement à la mission des [19] PP. Jésuites, dont Votre Seigneurie me parla quand je lui baisai les mains près de Chieri.

  A012000371 

 Vraiment, si dans la conclusion de la paix on fait un effort pour faire resplendir l'exercice du culte et la doctrine catholique en ce pays, je suis sûr que nous verrons la gloire de Dieu et que peut-être, selon la Loi, les possessions seront, pendant ce Jubilé, restituées à leurs anciens maîtres; car on voit clairement que toute la résistance faite par les ministres Genevois provient moins du courage ou de l'ardeur qui leur reste que de rage et de désespoir; en sorte que si nous les pressons un peu énergiquement, c'en est fait d'eux, et leur peuple, déjà fatigué des sornettes qu'ils débitent, prêtera facilement l'oreille à la vérité.

  A012000372 

 Je suis venu ici pour le procès de [20] la cure du Petit-Bornand, laquelle m'ayant été accordée par la faveur de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, est occupée par d'autres sans titre, et j'espère que dans peu je me verrai délivré de ces compétiteurs..

  A012000372 

 M gr de Genève est à Thonon, et il n'ose en partir jusqu'à ce que les choses soient établies et solidement affermies; le P. Bernardin Castorio Jésuite est aussi avec lui.

  A012000373 

 Et parce qu'il me semble que Votre Seigneurie a le pouvoir d'absoudre et de dispenser pour tels mariages, surtout entre les pauvres, je la supplie de daigner leur faire cette grâce.

  A012000373 

 Je ne veux point perdre le droit que je me suis réservé jusqu'ici de vous faire toujours quelque demande.

  A012000374 

 Que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime me pardonne si j'outrepasse les règles de la discrétion en lui écrivant avec tant d'importunité, car je n'ai vraiment personne à qui recourir sinon [21] à sa bonté; Elle me l'a témoignée tant de fois que je ne puis faire difficulté de la réclamer.

  A012000416 

 Quant à la première, je me mettrai avec toute diligence au service de M gr de Vienne pour tout ce qu'il voudra me commander; et quant à l'informer de l'état des choses, je l'ai fait jusqu'à présent et je le ferai toujours plus avec une entière fidélité; mais c'est un Prélat [23] de tant de mérite et de prudence, que, jetant les yeux autour de lui, il découvre par lui-même et pénètre jusqu'aux moëlles de l'affaire..

  A012000417 

 Dieu soit loué de ce que ces évènements se rencontrent sous le pontificat d'un Pape si zélé, pendant la nonciature de Votre Seigneurie, et que l'information soit confiée à un Prélat doué de tant de sagesse comme est M gr de Vienne, qui, par la grande expérience qu'il a de nos mœurs ultramontaines, en est singulièrement capable.

  A012000417 

 Il vous envoie donc son rapport, après lequel il ne me reste plus rien à dire, sinon que les choses vont assez bien ici, et que l'on espère de plus grands progrès à l'avenir, surtout en voyant que Sa Sainteté les prend à cœur et veut nous aider, ce dont nous avons un très grand besoin.

  A012000418 

 Mais ayant rencontré en route M. le Gouverneur de cette province avec M. d'Avully, il reçut l'annonce du don de douze mille écus fait par Son Altesse pour racheter le prieuré de Saint-Hippolyte de cette ville, ainsi que plusieurs autres biens ecclésiastiques, afin de renter [25] le collège déjà destiné aux RR. PP. Jésuites.

  A012000418 

 Pour cette raison et d'autres affaires très importantes, M gr notre Révérendissime Evêque prit Dimanche dernier la route d'Annecy, comptant passer de là à Chambéry, afin de traiter avec Son Altesse Sérénissime et terminer une bonne fois la négociation fondamentale de cette œuvre, en sorte que les curés, hommes de mérite qui se fatiguent ici, n'aient plus à souffrir les privations et les nécessités qu'ils ont endurées jusqu'à présent.

  A012000419 

 Ce Père m'a dit, il est vrai, que non seulement il faudrait avoir l'argent au moment de l'arrivée des Pères de la mission, mais qu'il serait bon d'en avoir d'avance pour fournir aux frais de voyage depuis le lieu de leur résidence jusqu'ici..

  A012000419 

 Il est donc nécessaire que l'on envoie sans retard l'argent à Chambéry, au P. Recteur du collège, appelé P. Etienne Bartoloni, qui l'enverra ensuite ici sans autre délai.

  A012000419 

 J'écris au P. Provincial des Jésuites pour hâter la venue des six Pères que Sa Sainteté veut entretenir à ses frais; je suis sûr que nous les aurons au commencement du mois prochain, ce qui sera une grande consolation pour les pasteurs et pour le peuple.

  A012000420 

 Je n'écrirai pas encore à Votre Seigneurie Illustrissime touchant les particularités nécessaires à connaître pour la supplique que j'ai présentée relativement aux prébendes théologales; car je n'ai conservé ni dans mes papiers ni dans mes souvenirs le nombre des abbayes et des monastères capables de supporter cette dépense; mais M gr le Révérendissime étant à Annecy m'en enverra l'indication exacte, tirée de ses livres de visite, et aussitôt j'en donnerai un compte-rendu détaillé [27] à Votre Seigneurie, que je supplie de vouloir bien me pardonner si, étant distrait par une multitude d'affaires, je lui écris si mal..

  A012000421 

 C'est en priant Dieu notre Seigneur de vous accorder la plénitude de ses grâces pour la consolation de plusieurs, et en particulier pour celle de cette province, que je baise très humblement vos mains vénérées..

  A012000437 

 Et crois que Sa Sainteté n'aura que tres bonne satisfaction du rapport qu'il aura de l'estat de ces affaires; mesmement apres ce bon commencement donné pour le college des PP. Jesuites, l'une des pieces fondamentales de tout ce saint edifice.

  A012000437 

 Suyvant le commandement que monsieur d'Avulli m'a porté de la part de Vostre Altesse de maintenir Monseigneur le R me Evesque de Geneve en bonne intelligence avec Monsieur l'Archevesque Gribaldo, envoyé par nostre Saint Pere, il m'a semblé que je devois l'asseurer qu'il ne s'est jamais rien passé entre eux qu'avec toute sorte de discretion, amitié et fraternité.

  A012000453 

 Aussi bien vous diront ilz tout ce que je vous sçaurois escrire.

  A012000453 

 Faites donq seulement selon vostre courtoisie a apprivoiser avec Rome [30] ces patriottes, et croyes, sil vous plait, mon frere quand il vous dira que je suis tout entierement,.

  A012000453 

 Si je vous remerciois au long par escrit de la souvenance que vous aves de moy, selon vostre lettre receüe par les mains de monsieur le Præsident mon frere, je meriterois que vous ne leussies pas ma lettre, car vous seres tant empressé a recevoir et caresser ces jeunes gentilshommes nouveaux venuz, que vous n'aures pas le loisir de parler avec ma lettre.

  A012000493 

 Non pas que la contagion soit à Annecy, par la grâce de Dieu; mais le seul respect dû à la personne du prince exige que nul venant des lieux qui ont été infectés, encore qu'ils soient entièrement purifiés, ne se présente à la cour que longtemps après la quarantaine.

  A012000494 

 J'ai reçu en route une lettre de Votre Seigneurie Illustrissime et [32] Reverendissime du 14 octobre, et une autre du 2 de ce mois, ainsi que deux autres qui y étaient jointes, pour M gr l'Archevêque de Vienne auquel je me suis empressé de les faire parvenir sûrement.

  A012000494 

 Je vous en envoie deux autres dudit Monseigneur dont l'une, pour le motif ci-dessus mentionné, est de plus vieille date que je ne l'aurais désiré, et en même temps le plan de Thonon..

  A012000495 

 L'autre partie doit être employée à recouvrer un doyenné, ce qui ne peut se faire jusqu'à ce que le gentilhomme qui l'avait acheté soit revenu de Paris: ce retour, on l'espère, sera prochain.

  A012000496 

 Je vous envoie une longue information au sujet de l'érection des prébendes théologales; vous y trouverez tous les renseignements que vous désiriez de moi.

  A012000497 

 Je sais que c'est au zèle, à la bonté et prudence de Votre Seigneurie que l'on doit de toute façon en attribuer le succès; s'il est [34] tel que je l'espère, il sera très glorieux à Sa Sainteté, très honorable à Votre Seigneurie, principal instrument d'une si grande œuvre, très utile à la sainte Eglise, particulièrement à ces populations; et, ce qui importe davantage, plus agréable au Seigneur notre Dieu que tout ce que l 'on a vu par le passé: Ce sera une montagne élevée pour les cerfs, un rocher de refuge aux hérissons..

  A012000497 

 Jusqu'ici je n'ai eu aucune lettre du P. Chérubin mais seulement de Révérend Clerici, qui m'a renseigné sur les affaires que l'on traite à Rome avec beaucoup d'ardeur.

  A012000498 

 On ne peut dire autre chose de M gr le Révérendissime de Vienne sinon que, par antipéristase, il prend toujours nouvelle vigueur et s'échauffe d'autant plus dans le combat contre les ministres et les hérétiques qu'il a eu la grande satisfaction de ramener à Jésus-Christ un gentilhomme, son neveu, lequel en conséquence il a retiré chez lui..

  A012000500 

 Bien que nous soyons ici à la cour, nous ne savons aucune nouvelle sinon que Son Altesse partira pour la France le 25 de ce mois; toutefois, cette date pourra être changée si les circonstances l'exigent.

  A012000500 

 Son Altesse m'a promis toutes sortes de provisions pour le Chablais, ayant commandé les lettres d'expédition et autres papiers nécessaires, et ses ministres montrent plus d'empressement qu'à l'ordinaire; c'est pourquoi j'espère que nous aurons cette année et le Jubilé et une jubilation très grande, mais nous avons besoin d'un secours puissant, efficace et persévérant..

  A012000501 

 Avant de partir de cette ville j'informerai Votre Seigneurie de ce que j'aurai pu faire..

  A012000501 

 Il ne me reste plus autre chose à communiquer à Votre Seigneurie sinon de la prévenir, avec cette confiance que sa bonté me permet, et la priant de n'en rien dire à personne, que Son Altesse a trouvé un peu étrange de n'avoir pas été mise au courant avant tout autre, d'une manière exacte et très circonstanciée, de la manière dont les [36] affaires de Thonon sont traitées à Rome; je m'en suis aperçu par quelques mots relatifs à ce sujet; au reste, le prince se montre très affectionné à l'entreprise.

  A012000508 

 M gr de Genève m'a ordonné de baiser en toute humilité les mains de Votre Seigneurie en son nom; c'est ce que je fais.

  A012000534 

 Depuis ma dernière lettre à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime rien de nouveau n'est survenu dans les affaires du Chablais, sinon que Son Altesse a commandé au Sénat et à la Chambre de vérifier tous les ordres que, sur les instances du P. Chérubin, elle a donnés il y a un an pour la maison de refuge de Thonon.

  A012000535 

 Je ne crois pas pourtant que Sa Sainteté veuille suspendre les nôtres, qui non seulement ne sont pas moins nécessaires cette année qu'en tout autre temps, mais qui le sont même davantage.

  A012000535 

 Le P. Recteur des Jésuites m'a soulevé une difficulté touchant les pouvoirs qui nous ont été concédés pour absoudre les hérétiques; à savoir, que la veille de Noël de l'année jubilaire Sa Sainteté a coutume de déroger généralement à tous les privilèges précédemment accordés.

  A012000535 

 Les termes dans lesquels ils nous sont accordés ne souffrent pas de dérogation générale, de sorte que je m'en servirai sans crainte au nom du Seigneur; mais pour trancher toute difficulté, Votre Seigneurie Illustrissime voudra bien en juger Elle-même..

  A012000536 

 En conséquence, notre Sénat m'a condamné ce matin, au possessoire, sous ce seul prétexte, que la résignation, malgré la mort antécédente et le défaut de consentement, était néanmoins valable.

  A012000536 

 Et cependant, bien que j'aie été nommé et élu au concours, selon les prescriptions du saint Concile de Trente, le frère du curé mon prédécesseur m'a suscité un procès, [39] se basant sur une simple signature [donnée en Cour de Rome] à raison de résignation pour cause de maladie, dont la date est postérieure de trente-six jours à la mort dudit curé, sans aucun consentement indiqué au dos de la pièce et après la tenue dudit concours.

  A012000536 

 Il y a deux ans que Sa Sainteté par Bulles sub plumbo me pourvut de la cure du Petit-Bornand, avec dispense de l'incompatibilité de la Prévôté dont les revenus sont nuls.

  A012000536 

 J'ai cru devoir informer de tout cela Votre Seigneurie Illustrissime; car ayant obtenu par sa bonté cette grâce de notre Saint-Père, de même ai-je besoin de ses faveurs pour la suite du procès que je me propose de poursuivre, afin de ne pas ouvrir la porte aux fraudes qui se font au préjudice du concours; ce dont notre bon Sénat se soucie fort peu.

  A012000536 

 Mais je vois que je serai obligé d'envoyer à Votre Seigneurie une très ample relation de mes raisons, c'est pourquoi il n'est pas nécessaire d'en dire davantage pour le moment..

  A012000536 

 Partant j'ai recours au Saint-Siège pour en avoir raison au pétitoire, et je dépose sous ce pli ma lettre que je vous supplie d'expédier à Rome.

  A012000537 

 J'espère que, grâce à ce voyage, on résoudra tout ce qui se rattache à ces questions..

  A012000537 

 Les Genevois croient que Sa Sainteté fait d'extrêmes instances auprès du roi très chrétien pour obtenir le libre exercice du culte catholique dans leur ville.

  A012000537 

 Un grand nombre paraissent le désirer, bien que d'autres fassent semblant de vouloir plutôt se donner la mort.

  A012000564 

 Mais si la divine Bonté a donné jusqu'à présent des témoignages de protection à cette œuvre, il me semble qu'en voici un très signalé et très certain, à savoir, que le Souverain Pontife en prenne le soin et la sollicitude qu'il a coutume d'avoir pour ce qui touche le service du Sauveur, dont il est le lieutenant sur la terre..

  A012000565 

 Et, en ce bienfait divin, la bonté de la souveraine Providence se montre aussi d'une manière spéciale en ce que Sa Sainteté a été inspirée de destiner Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime pour protectrice de cette œuvre si importante.

  A012000565 

 On ne pouvait, en effet, désirer un plus ardent et vigoureux défenseur et promoteur parmi ces forts et vaillants qui entourent le lit sacré de Salomon; de sorte qu'il est désormais évident que le Christ veut, par l'entremise du Saint-Siège, nous être un Dieu protecteur et une maison de refuge.

  A012000591 

 Deux lettres de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime me sont arrivées simultanément les derniers jours de l'année passée: l'une est du 7 décembre, l'autre est le duplicata d'une lettre précédente du 20 octobre, avec la copie de celle que le P. Chérubin vous écrivit de Rome le 2 du même mois d'octobre (les originaux de ce double et de cette copie ne sont jamais tombés entre mes mains), et, dans le même pli, une autre lettre datée du 7 décembre.

  A012000592 

 Il me semble donc que ce point ne présente aucune difficulté..

  A012000593 

 Mais ce qui nous arrête c'est que nous n'avons nul moyen de procurer à ces hommes de mérite un logement convenable à leur [46] condition et à leur office.

  A012000593 

 Mais toutes ces faveurs ne sont que des témoignages de la bonté du prince et, du reste, aliment de caméléon..

  A012000594 

 C'est pourquoi on peut dire avec le P. Chérubin que, le moyen étant donné, il y aurait à faire une œuvre bonne et utile dans ce diocèse, en fondant une espèce de séminaire de prêtres qu'on pourrait employer en toute occasion, particulièrement dans les alentours..

  A012000595 

 Quant à ces bonnes populations, nous avons déjà célébré solennellement la fête de la conception avec toutes les octaves; plaise à Dieu que nous puissions célébrer la fête de l'enfantement et de la naissance, au moins en cette année du Jubilé! ... [48].

  A012000604 

 Cependant que j'ay suivi le proces que j'ay eu avec messire Nicolas Balli pour la parrochiale du Petit Bornand par devant les juges lais pour le possessoire, j'ay laissé en surseance la poursuitte de l'adjournement que j'avoys eu a Vienne des que maistre Coquin se presenta pour moy et vous constitua mon procureur, il y a environ deux ans.

  A012000604 

 Et je vous tiendray tres bonne et entiere rayson de toute la despense que vous m'accuseres par vostre lettre que j'attens en response de la præsente, par voye de monsieur de Medio, chanoyne a Lion..

  A012000604 

 Maintenant, desirant reprendre les arremens dudit proces, auquel je m'estois præsenté, je vous supplie de m'envoyer les lettres necessaires a ces fins pour, au moyen d'icelles, poursuivre par apres mon droit ainsy que je seray conseillé.

  A012000639 

 Il est vrai que jusqu'ici ils n'ont eu à souffrir que des menaces, car ces hérétiques ne se sont point mis en campagne.

  A012000639 

 Mais la crainte que le roi ne vînt à employer ces [50] infidèles eût été suffisante pour ébranler considérablement le faible courage des convertis.

  A012000640 

 La plupart des curés restent dans leurs paroisses, bien que quelques-uns des plus timides se soient retirés pour voir comment finiront les choses..

  A012000659 

 Mais voyant que le sujet ne portoit point ceste presse, je vous envoye les deux lettres et demeure icy au devoir que j'ay au service de mon pere, lequel de jour a autre avance a grans pas a l'autre vie, s'affoiblissant tellement en cellecy que, si Dieu ne nous preste sa main miraculeuse, je me vois dans peu de jours privé de la [53] consolation que, avec toute ceste mayson, j'ay tous-jours eu en la presence de ce bon pere.

  A012000659 

 Sur la lettre que monsieur de Sanci m'escrivoit pour me rendre solliciteur aupres de vous de son intention, j'ay ouvert celle quil vous escrivoit, appuyé tant sur la creance qu'il vous plait prendre en la fidelité de l'affection que j'ay a vostre service, qu'aussi sur la crainte que j'avois que ce ne fut pour chose qui meritast que j'allasse aupres de vous pour en entendre vos commandemens.

  A012000696 

 Cette sollicitude ne peut lui être que très avantageuse, ainsi qu'elle l'a été jusqu'à présent, surtout en ces temps si calamiteux, durant lesquels elle est devenue comme une veuve accablée d'amertume, et de tous ceux qui lui étaient chers il n'en est pas un seul qui la console..

  A012000696 

 J'ai éprouvé une très grande consolation de la lettre que Votre très Révérende Paternité a daigné m'adresser par M. Philippe de [54] Quoex, et cela pour plusieurs raisons; mais particulièrement parce que j'ai compris par son contenu que non seulement vous me conservez un spécial souvenir, mais aussi que vous avez pour toute cette province une singulière sollicitude.

  A012000697 

 Ce n'est pas sans peine, il est vrai, que les choses se sont ainsi maintenues..

  A012000697 

 Nos ecclésiastiques installés dans les nouvelles églises ont incroyablement souffert, mais avec tant de constance que c'est une grande consolation de s'en ressouvenir.

  A012000697 

 On ne saurait dire quelles ont été nos angoisses en voyant le péril que courait cette pauvre nacelle, déjà ruinée, hélas! par une telle peste de guerre.

  A012000697 

 Toutefois, Dieu soit loué de ce que ni parmi les anciens Catholiques, ni parmi les nouveaux convertis il n'y a eu d'autre mouvement que celui d'une plus grande ardeur et ferveur.

  A012000698 

 Pour mon compte, je suis résolu de demeurer ferme jusqu'à la fin, selon le peu de vigueur que sa divine Majesté m'a donnée, surtout si Votre très Révérende Paternité, ainsi que le P. Jean-Matthieu, son frère, continue à me faire part de ses prières, comme je l'en supplie très humblement..

  A012000699 

 C'est en baisant vos mains sacrées que je demeure éternellement,.

  A012000705 

 Je ne veux pas manquer de vous avertir que l'affaire de la coadjutorerie n'a eu aucun succès ni avancement depuis l'examen; c'est pourquoi, si vous me favorisez de vos lettres, je vous supplie de ne pas me donner un titre qui ne me convient pas..

  A012000735 

 Ainsi l'on a reconnu que leur saint changement était l'œuvre de la droite du Très-Haut, puisque, par antipéristase, ils célébrèrent les fêtes de Noël avec un entrain tout à fait inusité.

  A012000735 

 Je lui donnerai en [57] même temps une consolation: celle de lui apprendre que si bien à Thonon et à Ternier, d'où je revins seulement le Dimanche de la Quinquagésime, on a beaucoup souffert sous le gouvernement de M. de Montglat, huguenot, et par les diverses embûches des Genevois (à Ternier surtout ils ont exercé une tyrannie, et commis à l'égard des choses sacrées des indignités qui ne se peuvent dire), néanmoins, malgré tout cela, parmi un si grand nombre de convertis il ne s'en trouvera pas quatre qui soient retombés, et encore sont-ils de basse condition.

  A012000751 

 A quoy ledit sieur Præsident a respondu qu'il le feroit infalliblement; et despuys je l'ay repris, et le Procureur patrimonial encores, lesquelz conformement m'ont dit que sil vous playsoit d'en venir par termes de justice, la chose ne pouvoit pas se terminer du tout si tost, et qu'en ce cas il sera requis de voir ledit Procureur patrimonial repliquer a vos responces.

  A012000751 

 Ce pendant, sur cecy je vous prieray de me donner advis du choix que vous feres, et je le feray sçavoir audit sieur Procureur du domeyne.

  A012000751 

 Je viens tout maintenant d'aupres de luy, et luy ay representé ce que vous aves desiré, a quoy il s'est rendu fort aysé; et ne pouvant employer beaucoup de tems a la consideration de l'affaire pour tant d'affaires que la soudaineté de son despart luy a apportés, il a commandé sur le champ et en ma presence a monsieur le præsident Floccard de le despecher au plus tost que faire se pourra.

  A012000751 

 Monsieur le Præsident m'a dit que si franchement et resolument vous vous contentés de rendre a Monsieur ce quil vous a baillé en eschange et reprendre le Turchet, la chose sera du tout hors de difficulté et de dilation..

  A012000752 

 Je vous salue de tout mon cœur, et madame d'Avully, et vous prie de [croire] que je seray tous-jours fort affectionnement,.

  A012000752 

 Monsieur, excusés moy si je vous escris ainsy a baston rompu, car j'ay la teste tant rompue et d'ennuy et d'affaires que je ne pense guere aux paroles.

  A012000757 

 Je n'ay pas parlé des 150 escus baillés au conte de Tournon par ce que je n'entendois pas bien l'affaire..

  A012000795 

 J'ai appris avec un déplaisir incroyable que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime est sur le point de terminer sa fructueuse nonciature.

  A012000795 

 Je vous supplie ensuite de daigner me continuer vos bonnes grâces partout où vos mérites vous porteront, et de croire que jamais vous n'aurez un serviteur qui soit plus que moi dédié à votre obéissance, quoique je sois inutile..

  A012000796 

 Pour ce qui concerne les âmes, j'ai trouvé que, malgré la guerre, le nombre des convertis s'est accru depuis Noël, bien que sous la domination du lieutenant du gouverneur donné par le roi de France, lequel pendant qu'il était là était huguenot au suprême degré, quelques brebis se fussent d'abord égarées; mais elles sont peu en quantité et nulles en qualité.

  A012000797 

 Mais quant au moyen de doter les églises, la difficulté est très grande pour les mêmes raisons qui ont existé jusqu'ici: c'est-à-dire Tous cherchent leurs intérêts, jusqu'à M. le Prévôt du Grand-Saint-Bernard qui, sous certaines prétentions de nominations qu'il [63] avait avant l'invasion de l'hérésie, traverse cette œuvre partout où il peut, et lui, qui n'a jamais paru au temps du labeur, veut maintenant s'emparer des bénéfices; de sorte que, craintes au dehors, combats au dedans.

  A012000797 

 Quant à MM. les Chevaliers, l'on n'en peut dire autre chose sinon que leurs agents persistent eux aussi à vouloir contester, si bien qu'on ne voit pas la fin de cette affaire; et cependant il serait nécessaire de la terminer pour donner commencement à celle que voici..

  A012000798 

 Aux fêtes de Pentecôte on donna [64] commencement [à cette œuvre] dans ce bailliage (distant d'une demi-lieue de Genève, c'est-à-dire deux milles), et cela avec tant de secours du Saint-Esprit que, m'y étant rendu le mercredi de la même semaine, j'y trouvai, en deux paroisses, plus de cent familles catholiques.

  A012000798 

 Deux Pères de la mission et deux autres curés du Chablais, proches du bailliage de Gaillard, apprenant que Son Altesse était maîtresse de ce bailliage et qu'il s'y trouvait un capitaine très catholique, allèrent s'offrir à lui pour commencer la prédication évangélique et l'exercice du culte, lequel n'existait pas en ce lieu parce que les Genevois l'avaient jusqu'alors occupé au nom du roi de France.

  A012000798 

 Il est vrai que ce bailliage n'étant pas très éloigné des nouveaux Catholiques du Chablais d'un côté, et des anciens de notre côté du Genevois, les habitants étaient déjà à moitié instruits de la sainte religion.

  A012000798 

 Presque toutes les autres sont fort disposées au même bonheur, sans que soient intervenus ni force ni artifice autre que la simple parole.

  A012000798 

 Voilà donc que M gr notre Evêque aura de nouvelles fatigues pour envoyer des ouvriers en cette vigne, et leur procurer les provisions nécessaires..

  A012000799 

 A ce que l'on dit, de bien plus grands travaux surviendront dans le bailliage de Gex avec l' Intérim que le roi de France doit y introduire.

  A012000799 

 Je crois qu'ils doivent l'être, malgré [65] cette clause du traité de paix, que chacun doit rentrer dans les domaines qu'il possédait avant la guerre; car je ne pense pas que le Saint-Siège en faisant la paix ait entendu que les huguenots gardassent les biens de l'Eglise, dont ils sont usurpateurs et non possesseurs..

  A012000800 

 Et parce que j'ai l'habitude de vous présenter toujours quelque requête pour ma consolation particulière, je vous demanderai de vouloir bien vous rappeler des prébendes obtenues pour M. Nouvellet, vétéran de la milice ecclésiastique, dont M. de Villette vous parlera plus amplement..

  A012000802 

 Je vous demande en dernier lieu de me permettre de vous écrire quelquefois soit à Rome, soit à Bari, et de vous renseigner sur nos affaires, dont je crois que Votre Seigneurie gardera toujours un agréable souvenir, se rappelant les travaux qu'Elle leur a consacrés pour le service de Dieu.

  A012000821 

 Aussi, confiant dans votre bienveillance à mon égard, je pars en vous assurant de tout mon respect, et je proteste vouloir vivre et mourir votre frère, tout dévoué a ce que votre bon plaisir réclamerait de moi..

  A012000821 

 Si ce jour s'écoulait sans que la question fût réglée, je craindrais d'être responsable du retard devant Dieu et devant les hommes.

  A012000846 

 Bien que d'après ce qui m'a été dit par M. le président Favre et M. le baron de Chevron je sache que peut-être cette lettre ne parviendra pas entre vos mains pendant votre nonciature, je ne veux pas toutefois laisser de vous donner connaissance de deux choses, au succès desquelles votre autorité et votre bonté pourront beaucoup aider à l'occasion..

  A012000847 

 C'est pourquoi M. le baron de Lux, bon Catholique, a mandé au roi pour avoir la solution de cette difficulté, et M gr l'Evêque a aussi, de son côté, écrit à Sa Majesté et à M. le Nonce de France, afin que ses droits et les nôtres soient sauvegardés..

  A012000847 

 M. le baron de Lux, qui en a pris possession au nom du roi, a déclaré que l'intention du roi lui-même était que l'exercice du culte catholique y fût rétabli au moyen de l' Intérim de la même manière qu'il se pratique en France.

  A012000847 

 Mais parce que l' Intérim français veut que les biens ecclésiastiques et les églises soient rendus aux prêtres, aux évêques et autres, les Genevois, qui détiennent les terres et les revenus de M gr de Genève, de son Chapitre et d'autres églises, ont protesté que cet Intérim ne devait leur préjudicier en rien.

  A012000848 

 Mais ceci est peu de chose si le Saint-Siège n'emploie fortement [71] son autorité auprès de Sa Majesté, afin que, sans égard aux Genevois, on exécute cette restitution des biens de l'Eglise; par ce moyen, ces hérétiques recevront le plus grand affront qu'on leur ait jamais fait jusqu'à présent.

  A012000849 

 C'est que, ma famille ayant beaucoup souffert par le malheur des temps passés, et me trouvant privé de mon père depuis trois mois, je ne suis pas en mesure de faire une grande dépense.

  A012000849 

 Ce n'est pas certes que je désire cette dignité, dont le poids m'a toujours paru formidable, surtout dans ces temps de confusion et de trouble; [72] mais c'est pour ne pas résister à l'avis de tant de gens de bien qui ont jugé que je ne devais plus retarder cette affaire.

  A012000849 

 Cette église est dépouillée de la plus grande partie de ses revenus, qui sont entre les mains des ennemis de la foi; de plus, il y a tant de travaux à supporter que son Evêque ne peut manger qu'au prix de beaucoup de sueurs le peu de pain qu'elle lui donne..

  A012000849 

 L'autre chose est que, en étant vivement sollicité par M gr l'Evêque de Genève et aussi, pour le dire franchement, par toutes les personnes les plus notables et les plus distinguées du diocèse, non seulement ecclésiastiques mais encore laïques, cédant enfin à leurs instances j'ai consenti à ce que l'on reprit les négociations commencées pour m'obtenir la coadjutorerie de cet évêché avec future succession.

  A012000849 

 Toutefois, il reste encore une grande difficulté, et telle que peut-être ce sera le moyen dont la divine Providence se servira pour me faire la grâce de me laisser en repos.

  A012000850 

 J'en supplie moi-même très humblement Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, afin que si de telles faveurs ne s'accordent pas, je ne poursuive plus cette affaire; car si elle n'aboutissait pas, faute de ressources, mes compatriotes pourraient concevoir de mauvais soupçons, et attribuer cet insuccès à quelque autre cause.

  A012000850 

 Si cependant la chose doit réussir, je ne cesserai de me prévaloir de la bienveillance et de la bonté de Votre Seigneurie chaque fois que je le croirai opportun, désirant en ceci comme en tout autre dessein demeurer toujours sous les ailes de sa protection..

  A012000877 

 Puisque les divers besoins de ce diocèse me donneront souvent occasion de recourir à l'autorité de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, il m'a semblé que je pouvais et devais commencer par celui-ci, qui est remarquable et très important..

  A012000878 

 Le pays de Gex, occupé jusqu'à présent par les Genevois, est tombé, par les articles du traité de paix, entre les mains du roi de France, au nom de qui le baron de Lux en a pris possession depuis peu, en déclarant que l'intention du roi était d'y rétablir l'exercice de la foi catholique au moyen de l' Intérim de la même manière qu'il se [75] pratique en France.

  A012000878 

 Mais parce que ledit Interim exige que les églises et les biens ecclésiastiques soient rendus aux Catholiques, les Genevois, qui détiennent en ce bailliage un grand nombre de terres, décimes et autres revenus de M gr l'Evêque de Genève, de son Chapitre et de plusieurs églises, ont protesté que l' Intérim ne devait leur préjudicier en rien.

  A012000879 

 Or, parce que si cette restitution a lieu, ce sera l'un des plus grands coups qu'aient reçus jusqu'ici ces hérétiques, il m'a semblé convenable d'informer de toutes ces choses Votre Seigneurie, afin qu'Elle aussi emploie son saint zèle à favoriser cette entreprise en la recommandant au Saint-Siège.

  A012000880 

 C'est en baisant très humblement les mains vénérées de Votre Seigneurie que je lui souhaite de Dieu notre Seigneur, avec tout vrai [76] contentement, un bon commencement, un meilleur progrès et une excellente fin de son importante nonciature..

  A012000895 

 Apres que Monsieur l'Evesque de Geneve a eu establi les eglises en tout ce balliage, horsmis en deux [77] ou trois lieux, et entr'autres en ceste ville, faute de moyens convenables, il m'a layssé icy pour quelques jours pour essayer d'attirer ce peu qui reste d'huguenotz hors du fort de leur obstination.

  A012000895 

 J'y ay employé tout mon cœur, et espere que Dieu en aura touché quelques uns par les motifz quil luy a pleu m'inspirer.

  A012000895 

 Neanmoins je n'ay encor peu tirer d'eux pleyne resolution, et en ay trouvé des autres qui sont si avant en leur opiniastreté que mesme ilz refusent leurs aureilles a la sainte parole, et ne veulent se prester a aucune rayson; gens ignorans et qui d'ailleurs sont de nulle consideration.

  A012000895 

 Si que, apres avoir fait ce qui a esté de ma capacité et ayant veu que tant de doctes Peres Jesuites et autres prædicateurs y ont employé toute leur industrie, je me suys venu rendre aux officiers que Vostre Altesse a ordinairement en ce lieu et a tous ceux que j'y ay veu et peu rencontrer, entr'autres a monsieur le marquis de Lulin, pour aprendre d'eux si de nostre costé il demeuroit quelque diligence a faire..

  A012000896 

 Et tous concourent a cest'opinion, quil n'y a plus aucun moyen de reste pour en chevir, sinon que Vostre Altesse, par un edit paysible, commande que tous ses sujetz ayent a faire profession de la foy catholique, et en prester le serment dans deux moys es mains de ceux qui seront deputés, ou de vuider ses estatz, avec permission de vendre leurs biens.

  A012000896 

 Le saint effect de l'edit que je propose rendra tous-jours plus admirable a tous les vrays [78] Catholiques la religion et grandeur de courage de Vostre Altesse, et la douceur d'iceluy forcera tous ses adversaires d'en reconnoistre la clemence, mesme apres tant de soin qu'ell'a eu de faire proposer les instructions a ce peuple, duquel maintenant ell'est maistresse sans dependence d'aucun traitté ni condition, ne le tenant que de Dieu..

  A012000896 

 Plusieurs, par ce moyen, eviteront le bannissement du Paradis pour ne point encourir celuy de leur patrie; les autres, qui seront fort peu en nombre, sont de telle qualité que Vostre Altesse gaignera beaucoup en les perdant, gens desquelz l'affection est des-ja pervertie et qui suyvent le huguenotisme plus tost commun parti que comme une religion.

  A012000897 

 Chacun sçait qu'elle desire extremement de voir ses païs netz du mal de l'heresie, personne n'ignore l'ardeur de son zele en cest endroit; si elle ne le fait pas, le pouvant si aysement faire, plusieurs croiront que le desir de ne mescontenter pas les huguenotz qui sont en son voysinage en soit l'occasion.

  A012000897 

 Et toutefois on estime qu'il ny aura aucun mescontentement pour ce regard; et quant il y seroit, quil ne devroit entrer en aucune consideration aupres de Vostre Altesse, qui n'a que faire d'incommoder ses saintes intentions pour gratifier des gens qui, en cas pareil, ne voudroyent en rien s'accommoder au gré de Vostre Altesse..

  A012000897 

 Vostre Altesse me permettra de luy dire ce mot avec le zele que je dois au service de sa gloire.

  A012000898 

 Mais puisque les grans princes ont soin de toutes les pieces de leurs estatz, il est raysonnable que chacune leur contribue les advis qui semblent estre pour leur service; ce que je fay avec toute franchise a l'endroit de Vostre Altesse, pour la singuliere debonaireté que Dieu luy a donnée, et de laquelle je me prometz le bonheur d'estre tousjours avoué,.

  A012000898 

 Monseigneur, je ne puis pas sonder plus avant que cela, et ne sçai sil y a chose au pardela de ceste mienne consideration qui puisse ou empecher ou retarder l'edit que je souhaitte; en quoy je me sousmetz purement a son meilleur jugement.

  A012000909 

 Je prendray le plus d'instruction que je pourray des particularités requises pour ce tant signalé commencement d'une œuvre de laquelle la gloire estant toute a Dieu, comme a sa source, doit neanmoins verser beaucoup d'honneur sur vous, qui estes le principal instrument duquel il s'est voulu servir..

  A012000909 

 Puisqu'il vous a pleu me dispenser d'aller en personne aupres de vous pour vous donner l'advis que vous desires avoir de moy avant que de vous acheminer a Gex, je vous diray simplement sur ce papier que Monsieur l'Evesque se tient tout prest avec la petite trouppe pour arborer la Croix et en publier les mysteres par tout ou vous luy en marqueres les lieux et occasions; il attendra seulement l'assignation du jour que vous luy donneres pour vous rencontrer sur le chemin.

  A012000910 

 Je le prieray toute ma vie pour vostre felicite, et confesseray que je dois estre, comme je vous supplie de croire que je seray tousjours,.

  A012000935 

 Et parce que le roi demandait que, quant au nombre, on s'en tînt exactement à celui qui serait marqué par M. le baron de Lux, lieutenant dans le gouvernement de Bourgogne, Bresse et autres pays récemment réunis au royaume, je suis venu ici pour apprendre plus particulièrement comment cette affaire doit se traiter; ce qui n'est pas encore résolu..

  A012000936 

 Autant que j'ai pu le découvrir, le roi voudrait de toute façon avoir quelque bon prétexte pour enlever lesdits revenus à cette ville, sans offenser les cantons hérétiques des Suisses et la reine d'Angleterre qui font beaucoup d'instances en faveur des Genevois; et ce qu'il désire c'est d'en être pressé au nom du Saint-Siège, auquel il n'y aurait pas lieu de refuser une si juste requête..

  A012000936 

 Entre autres choses, on a parlé des revenus de l'Evêque et du Chapitre de Genève et de ceux de Saint-Victor, usurpés par les [82] Genevois, ainsi que des moyens à prendre pour les recouvrer.

  A012000937 

 C'est pourquoi, avant de m'en retourner en Savoie, il m'a semblé utile de donner connaissance de cette particularité à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, la suppliant très humblement d'exercer en cette occasion le saint zèle que Dieu lui a inspiré pour le bien de la sainte Eglise.

  A012000937 

 Il me semble qu'il serait très bon que Votre Seigneurie écrivît une lettre à M gr l'Evêque de Genève, encourageant les poursuites qu'il fait à ce sujet, et en même temps une autre à M. le Nonce de France pour lui ordonner d'en traiter énergiquement avec Sa Majesté.

  A012000947 

 Et au progres des discours que j'ay eu avec luy, j'ay treuvé que le Roy et ses gens sont fort disposés a nous rendre nos biens, c'est a dire les biens de nostre Chapitre qui sont riere Gex, mais il desireroit d'en estre recherché et pressé par Sa Sainteté.

  A012000947 

 L'importance sera d'obtenir de nostre Saint Pere quil y mette de la ferveur et face que son Nonce qui est en France empoigne vivement ceste sollicitation..

  A012000947 

 Nous voici a Lion pour apprendre de monsieur le baron de Lux, lieutenant au gouvernement de Bourgoigne [84] et de Bresse, Verromey et Gex, ce que nous avons a faire pour le restablissement de la religion catholique au balliage de Gex, suivant la lettre que le Roy de France en a escritte a Monseigneur le R me Evesque, de laquelle je vous envoye copie.

  A012000948 

 Je vous prieray donq de l'accompagner ou monsieur Reydet, en la donnant, d'une declaration un peu ample de la necessité que nous avons de l'assistence du Saint Siege, du dommage que cela fera a l'heresie et du grand honneur qui en reussira a la sainte Eglise..

  A012000948 

 Mays ce n'est que peu de chose d'une lettre, car elle n'a point de replique.

  A012000948 

 Or, pour ce faire, il eut esté requis d'en toucher un mot a Sa Sainteté mesme; mays parce que cela appartient ou a Monseigneur le R me ou a nostre Chapitre, je n'ay pas osé le faire, mais escris seulement au Cardinal Aldobrandin sur ce sujet simplement; mesmement par ce qu'iceluy ayant conclud la paix, demeslera mieux l'affaire avec le Roy, avec lequel, a ce que j'entens, il a quelque secrete intelligence pour ces affaires de religion.

  A012000949 

 Je dis que je n'en sçaurois rendre autre cause sinon que j'ay descouvert manifestement quil faut tenir ce chemin.

  A012000949 

 Neanmoins, encor ay je apprins que c'est par ce [que] les cantons huguenotz et la Reyne d'Angleterre s'entremettent pour ceux de Geneve, qui sont les possesseurs ou usurpateurs desdits biens, et le Roy voudroit avoir un juste prætexte pour les esconduire.

  A012000949 

 Or, plus apparent n'en peut il avoir que d'estre sollicité par le Saint Siege..

  A012000949 

 Outre cela, il y a un point encor plus important, qui est quil seroit expedient que Monseigneur le Cardinal escrivit une lettre a Monseigneur de Geneve, par laquelle il luy donnast courage de demander la restitution de ses biens qui sont a Gex, et un'autre au Nonce, affin quil l'assistast en ceste demande.

  A012000950 

 Saches au reste que nous sommes fort en affaires pour ce respect, monsieur Rogex et moy, et des fondemens que nous voyons ne pouvons conclure sinon que si nous sommes aydés de ceux qui peuvent et doivent le faire, non seulement cela se fera, mais de plus grandes choses.

  A012000959 

 Il y a un article en la paix qui porte que un chacun des deux princes possederà les terres qui luy demeurent a mesmes termes qu'elles estoyent auparavant la guerre.

  A012000960 

 La response peut estre: Que l'article remet les scindiques de Geneve en la nue et simple possession de fait, mays il ne la rend pas legitime si elle ne l'estoit pas.

  A012000960 

 Que si elle ne l'est pas, elle ne doit pas estre maintenue.

  A012000961 

 Et d'effait, ce traitté la portoit par expres que la religion ne seroit point restablie es balliages; neanmoins, despuis on l'a restablie au veu et sceu de Berne, a quoy on n'a jamais rien opposé: signe evident que ceux de Berne tiennent ledit traitté pour nul.

  A012000961 

 Mays on replique: Que veut dire qu'avant la guerre vous ne recherchies pas ces biens? C'estoit par ce que feu Son Altesse avoit Iraitté autrement avec ceux de Berne, et despuis le traitté a esté annullé par ceux de Berne mesme.

  A012000961 

 Que sil est nul, ceux de Geneve ne s'en peuvent prævaloir..

  A012000974 

 Car ayant pieça beaucoup honnoré vostre nom, sous lequel tant de beaux ouvrages, marqués d'une rare vertu et doctrine de leur autheur, paroissent aux yeux du monde, j'ay aussi des lhors fort souhaitté lhonneur d'estre en vostre connoissance; non que je cuyde y pouvoir entrer que pour fort peu de chose, mais parce que ça tous-jours esté une honneste ambition a ceux qui ont la vertu en reverence, de rechercher la bienveuillance de ceux qui en ont la possession.

  A012000974 

 En quoy, [87] bien que j'eusse desiré de le servir comm'en toute autre occasion, pour son respect, si est ce que la volonté m'en est beaucoup augmentee quand il m'a dit quil faysoit ceste recherche la pour vous.

  A012000975 

 Je vous prieray m'excuser si je ne vous envoye pas pour l'heure les memoires que vous desires au premier article, par ce que je suis en voyage et ne puis pas obtenir de ma souvenance tout ce que je luy en demande, avec l'asseurance des particulieres circonstances qui sont requises pour s'en bien servir.

  A012001006 

 Bien que l'honorable rapport fait sur mon compte à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime ne fasse pas naître en mon âme peu de confusion, me sentant destitué du mérite qu'on m'attribue, neanmoins il me donne d'un autre côté beaucoup de consolation, puisqu'il m'offre l'occasion de me présenter à Votre Seigneurie comme son très humble et très dévoué serviteur.

  A012001006 

 C'est ce que je fais actuellement, vous suppliant de daigner agréer l'ardente affection avec laquelle le peu que je suis vous est dédié.

  A012001007 

 Dans le second de ces bailliages, M gr l'Evêque de Genève réconcilia, la semaine passée, huit églises pour l'usage de plusieurs milliers d'âmes ramenées à la foi depuis Pentecôte, ainsi que j'en donnai connaissance à votre illustrissime prédécesseur.

  A012001008 

 Il reste que non seulement en trois paroisses, mais en toutes, qui sont au nombre de vingt-six, on rétablisse le saint exercice [du culte] et que les revenus ecclésiastiques soient enlevés aux ministres hérétiques et aux Genevois; car, lorsque le peuple sera obligé d'entretenir les ministres à ses frais, il s'en lassera bientôt, et d'autant plus qu'il verra de bons prêtres lui offrir gratuitement de salutaires pâturages.

  A012001008 

 Je me propose toutefois de revenir au plus tôt pour le saint Jubilé de Thonon, surtout s'il est vrai, comme on nous le dit, que nous jouirons alors du bienfait de la présence de Votre Seigneurie Illustrissime qui sera, de toute façon, très utile et très fructueuse..

  A012001008 

 Or, parce que M gr l'Illustrissime Nonce de France écrit qu'il en a reçu l'ordre du Saint-Père, et qu'il ne lui manque qu'un des nôtres pour lui donner une plus particulière connaissance de nos raisons, j'espère partir pour Paris la troisième fête de Noël, afin d'accomplir cette mission.

  A012001009 

 Ce sera une montagne élevée pour les cerfs, un rocher de refuge aux hérissons; ce sera un asile assuré et une maison de refuge, afin que des âmes innombrables soient sauvées.

  A012001009 

 Pour répondre aux points touchés par Votre Seigneurie, je dirai [91] au sujet de la Maison de Thonon que, par son moyen, la bienheureuse Vierge, à qui elle est dédiée, foulera et brisera la tête venimeuse du serpent qui s'est refugié à Genève et à Lausanne; la religion sera rétablie dans le Valais, pays très corrompu et ravagé en ce qui concerne l'Eglise; elle illuminera les ténèbres des Bernois et autres Suisses; en un mot, le bien que ce dessein peut apporter à toutes ces provinces est indicible.

  A012001010 

 On pourrait y remédier par les moyens suivants: il faudrait que le Saint-Siège prît sous sa très spéciale protection cet établisse-ment de Thonon, et que, dans ce but, il employât le concours des princes catholiques; que le Sérénissime duc fît ceindre cette ville de murailles, ce qui, de l'avis de personnes expérimentées, peut se faire [92] en peu de temps; que l'on usât d'une grande charité et libéralité [à l'endroit de cette œuvre] et qu'on y appliquât largement les revenus de bon nombre d'abbayes inutiles et de bénéfices, en observant les réserves de droit.

  A012001010 

 Si ce bien ne peut s'exécuter tout d'un coup, que du moins on le fasse petit à petit, commençant par les parties les plus nécessaires, telles que le collège, le séminaire, et ainsi successivement..

  A012001011 

 Au sujet de Jules-César Paschali, je dois dire qu'il a habité de longues années à Genève, où il n'eut jamais ni fonds ni revenu assuré; au contraire, il était pauvre et vivait de son travail à une imprimerie, où il était correcteur de livres, et de l'argent de la caisse et bourse de la nation italienne, comme les pauvres honteux ont coutume de faire en cette Babylone, où, pour ce regard, ils sont plus prudents dans la conduite de leurs affaires que les enfants de lumière.

  A012001011 

 C'est tout ce que j'ai pu savoir au sujet de cet homme..

  A012001025 

 Et sur ses offres, je me promis et luy donnay esperance que madame ma mere proposeroit fort volontiers ses droitz, et de l'un et de l'autre proces, a une assemblee de gens d'honneur, pour en voir la claïrté et valeur..

  A012001026 

 Au bout de la, n'ayant autre a faire avec luy, il ni aura aucune rayson pour laquelle nous ne puissions le recevoir a la commune amitié que le voysinage requiert.

  A012001026 

 Il dit merveilles, et tant, que la moytié suffiroit sil le faysoit; sur tout il desire d'avoir acces vers vous et de pouvoir aller voir ma mere.

  A012001026 

 Je cuyde que ma persuasion est juste et bonne, et que nul ne doit refuser appointement.

  A012001026 

 Je vous prie de bien pratiquer le saint mot de l'Apostre: Tu autem, vince in bono malum et de procurer que ma mere en face de mesme; nostre nature nous y porte et en devons faire gloire, car chi l' aspetta la vince.

  A012001026 

 Pour moy, [96] je tiens que c'est a bon escient et que si l'inconstance ne le gaste il sera fort nostre.

  A012001027 

 Je finis, et dis que je suis d'advis qu'on prenne jour avec des bons arbitres, [ce] qui pourroit attendre le retour de monsieur le President; il le desire, et il seroit le mieux.

  A012001046 

 Nous ne sommes pas contens de si peu, car nous demandons tout, tant pour l'exercice, qui va premier, que pour les biens; non seulement par ce que cela nous accommodera, mais encor plus par ce que cela incommodera la religion huguenotte, laquelle devant estre entretenue aux despens du peuple, manquera bien tost et indubitablement.

  A012001046 

 Sur quoy monsieur de Lux nous renvoye au Roy et a son Conseil ou je vay pour cest effect, appuÿé de tant de rayson que, pour peu qu'elle soit aydee, nous serons victorieux..

  A012001047 

 J'y vay pour cela; mays, pour ne rien oublier, je voy que le coup de cest affaire gist en un'estroitte recommandation du Saint Siege, laquelle seroit extremement efficace si Sa Sainteté eu parloit a Monseigneur le Cardinal d'Aussat, luy commandant d'en escrire favorablement au Roy; car on m'a dit qu'il ny a point d'entremise a Romme a laquelle le Roy defere tant comme a celle la.

  A012001047 

 Monseigneur le Nonce de France escrit a Monsieur le R me quil a charge de nous ayder, quil a commencé a le faire, quil trouve le Roy disposé, quil ne faut que bien solliciter et instruire.

  A012001049 

 Nous verrons que ce fut; de quel costé qu'aille la barque, le port m'en sera aggreable.

  A012001049 

 Touchant la coadjutorie, je vous bayse les mains de la peyne que vous en aves.

  A012001054 

 Monsieur Desdiguieres se treuv'a Gex le jour que nous y fusmes; [100] les ministres recoururent a luy, ausquelz il dit quil ni avoit remede, que le Roy le vouloit, mais quilz gardassent tant quilz pourroyent les biens d'Eglise, car cela maintiendroit leur religion non obstant nostr'exercice..

  A012001069 

 Apres que la court a esté de retour en ceste ville, Monseigneur le Nonce a pris la peyne d'aller chez monsieur de Villeroy, auquel Sa Majesté nous avoit addressé pour traitter, et la j'ay bien eu a desbattre pour nos pretentions.

  A012001069 

 Il y va un petit de la peyne et du tracas et un peu plus de tems que je ne pensois; je l'abbregeray neanmoins le plus que je pourray, pour avoir l'honneur d'estre bien tost aupres de vous.

  A012001069 

 Je suis marry que la despence soit si grande que des-ja nous soyons en faute d'argent; toutefois, ce n'est ni faute d'espargne ni faute de soin, mays parce que tout nous a esté fort cher.

  A012001069 

 Neanmoins, a la fin, j'ay donné ma requeste fondamentale, sur laquelle il me dit que le Conseil nous feroit droit et justice, et que nous n'en doutassions point.

  A012001069 

 [101] Ce qu'estant, je ne m'en puis retourner que bien depesché, Dieu aydant; aussy vay je esventant certaines conjectures qui m'en font concevoir tres bonne esperance.

  A012001070 

 Je vous envoye la lettre qu'il vous escrit sur le sujet de ma negociation, et, pour sçavoir plus a plein ce qu'il en esperoit, je me suis dispensé de l'ouvrir, avec la confiance accoustumee en vostre bonté et en l'asseurance que vous aves de la loyauté de mon intention a vostre service..

  A012001071 

 Nous n'avons aucunes nouvelles qui vaillent l'escrire, qui me fera finir par la tres humble reverence que je vous fay, vous baysant les sacrees mains, et priant Dieu qu'il vous donne, Monseigneur, ce que vous doit desirer et souhaitter.

  A012001089 

 J'ay receu deux de vos lettres, l'une du 21 janvier, l'autre du 5 febvrier, ausquelles je devois une plus soudaine response que je n'ay pas fait, si j'eusse peu tirer les resolutions qui devoyent servir de matiere a mes responses si tost que j'eusse desiré.

  A012001089 

 Je desirois infiniment de faire que Madame vous envoyast argent et, quant et quant, congé pour revenir aupres de madame ma seur, laquelle commença des-ja a vous attendre des vostre despart.

  A012001089 

 Mays pour le second, la resolution ne s'en est encor pas peu prendre; ce sera neantmoins dans peu de jours, si mon credit ne manque en ceste ville, si non pour le tems que nous desirerions, au moins sera ce quelque chose autour.

  A012001090 

 Je ne laysseray passer aucune occasion de vous servir que je ne la prenne soigneusement, comme je dois.

  A012001090 

 Monsieur le [103] President et monsieur de Saint Evroul y employent aussi tous bons offices, et ne doute point que vous ne soÿés contenté..

  A012001090 

 Pour le premier, Madame se tient pour asseuree, sur lettres de monsieur de Moyron, que vous aures receu 400 escus et vous en envoye d'icy autre (sic) 400.

  A012001091 

 Ce pendant, je vous supplie de tenir main a ce que Monseigneur le Cardinal d'Ossat en escrive, car j'ay extreme besoin de toutes mes pieces.

  A012001091 

 Et notes que si maintenant je ne fay rien, la porte de ceste esperance sera fermëe pour un grand tems; c'est cela qui me fait opiniastrer et rendre importun..

  A012001091 

 Touchant l'affaire pour lequel je suys icy, je vous diray en deux motz que je ne fus jamais tant empesché, renvoyé que je suis au Conseil, dans lequel je trouve tout le monde reconnoissant que ma demande est extremement juste; mays au reste, tout y va sur les respectz et retardations mal fondees a mon advis.

  A012001092 

 Je croy que ma bonne mere y pensera a bon escient, puisque, apres tant d'advancement et de faveurs receües, la retraitte seroit ignominieuse.

  A012001092 

 Je vous remercie infiniment de la peyne que vous y aves, et vous supplie de tenir tellement l'affaire sur pied que rien ne gaste pour la reputation..

  A012001093 

 Il s'est icy parlé de guerre, mais vaynement et sans occasion; je croy que Dieu nous continuera la paix.

  A012001093 

 Monsieur de Quoex vostre oncle m'a escrit des Merly qu'un de ces jours il viendra icy me consoler, et je luy ay escrit que sil ne vient, je l'iray treuver..

  A012001094 

 Mays cela s'entend sans retarder la sollicitation, que je fay lentement pour seconder l'humeur de ceux qui ont le fait en main, ausquelz je suis contraint de m'accommoder..

  A012001095 

 J'escriray a Monseigneur le R me mon Evesque touchant le saint desir de nostre bon P. Juvenal, affin que nous puissions avoir tant de consolation que de le voir en nostre diocæse, et pour un si bon sujet; ce seroit bien!le vray accomplissement de mes contentemens.

  A012001096 

 Ce pendant, voyci l'advis que je luy donne: monsieur le baron de Lux poursuit pour avoir ce prieuré pour un fort honneste ecclesiastique, gentilhomme de Bourgoigne, et, a mon advis, le seul fondement de vacance quil prætende est tel: Nul homme ne [105] peut avoir benefice en France qui ne soit naturalisé françois selon le concordat; or, monsieur Persiani ne l'est pas, donques son benefice est vacquant.

  A012001096 

 Jay receu une lettre de monsieur nostre Ambassadeur, outre ce que vous aves escrit pour le seigneur Persiani; marri de ne l'avoir receu sur les lieux ou j'eusse peu faire ce quil me commande, j'escriray au plus tost pour le faire faire.

  A012001096 

 Je vous prie rendre capable mondit seigneur de cecy, outre ce que je luy en escris..

  A012001097 

 J'attendray de vous le signe pour faire les remercimens necessaires, et vous salue de toute mon ame, vous suppliant croire que vous obliges l'un des plus humbles et asseurés serviteurs que vous puissies avoir par tant de bons offices que vous me faittes.

  A012001115 

 Ce qu'estant fait, je partiray soudain pour me rendre aupres de vous, au bonheur de vostre presence, lequel ne m'arrivera jamais si tost que je le desire..

  A012001115 

 L'affaire pour la sollicitation duquel je suis icy est de si delicate conduitte et bigearre poursuitte que je n'ose encor vous en rien promettre, si ce n'est que je continueray d'y mettre tout le soin et affection que vous desires pour le faire resoudre; ce que j'espere pouvoir bien tost obtenir, sinon avec toutes les bonnes conditions que tous les bons desirent, au moins avec quelque advantage qui nous puisse servir de sujet pour une meilleure esperance.

  A012001120 

 Monseigneur le Nonce vous salue fort affectionnement, et embrasse vivement l'affaire que vous m'aves confié..

  A012001134 

 J'apprehende infiniment de m'en retourner sans autre expedition que d'esperances; neantmoins ma conscience me tesmoigne que j'ay fait tout ce que je pouvois, et estime que si la moisson ne suit pas de si pres le travail et la semence que j'ay fait en ce voyage, elle s'en recueillira neantmoins une fois et dans quelques moys; en fin, qu'en faysant nostre devoir et ce qui est en nous, il faut subir les effectz que la providence de Dieu a establis..

  A012001134 

 Si cela est, il vous dira mieux qu'homme du monde le succes et la route que mon affaire a prins en ceste court; aussi bien ne sçaurois-je pas vous l'escrire.

  A012001135 

 Je n'arresteray guere que je ne prenne la resolution finale necessaire pour mon retour, lequel je desire pour [108] avoir l'honneur d'estre pres de vous et recevoir vos commandemens avec l'obeissance que vous a vouee,.

  A012001152 

 Ce ne sera pas, a l'adventure, avec tout le contentement que nous desirions: il faut tirer du feu ce que l'on en peut sauver.

  A012001152 

 Ce sera tous-jours beaucoup, a ce que disent les expertz..

  A012001152 

 J'ay tant fait neantmoins que j'en ay repris quelque bonne esperance; dans deux ou trois jours j'auray l'entiere resolution.

  A012001153 

 Je m'essayeray a me desvelopper le plus tost que je pourray, [109] mais le train des affaires est si malaysé en ceste court que quand on pense estre delivré, on est le plus embarrassé.

  A012001153 

 Madame de Mercure m'a envoyé pour m'inviter a faire le sermon funebre de monsieur son mary dans cinq ou six jours, ce que je ne puis ni dois refuser..

  A012001154 

 Monseigneur, je suis si pressé qu'il ne me reste plus de loysir que pour vous bayser tres humblement les mains et supplier de me continuer la faveur de vos graces, comme a celuy qui est a jamais,.

  A012001173 

 Vos premiers desirs ayans tenu lieu de commandemens sur ma volonté lhors que vous jettastes les yeux sur ma petitesse pour le discours funebre de feu monsieur le duc de Mercœur, je dois recevoir avec le mesme respect les tesmoignages des seconds, souffrant, Madame, que la piece soit mise au jour et donnee au public, puisque vous l'aggrees..

  A012001174 

 De moy, je confesse n'y avoir contribué que ma foible enonciation et ma voix pour servir d'echo, dans l'estendue d'une petite heure, a la reputation de ce grand prince, qui parloit [111] asses d'elle mesme et qui esclatera a jamais par les beaux exploitz dont non seulement la France et l'Allemaigne, mays toute l'Europe, voire toute la chrestienté, ont esté tesmoins.

  A012001174 

 Et si bien l'escrit que j'en donne semble avoir plus de subsistance et de duree que ma voix n'en a eu en les prononçant, ce sera plus par la consideration des vertus de ce prince que par le tissu et l'ordre que j'ay tasché d'y apporter en l'escrivant..

  A012001174 

 Vous n'y verres rien de moy, Madame, que les simples tesmoignages de ma bonne volonté et les seules marques de mon obeissance, en un sujet, au reste, ou je n'ay pas eu moins de propension que de devoir.

  A012001175 

 Que si, apres cela, on veut considerer ce qu'il y a du mien, rien sans doute que la sincerité de mes affections et respectz, qui ne mourront jamais pour la memoire de ce prince, qui ne doit jamais mourir en celle de tous les bons, mais principalement en la vostre, Madame, qui trouves advantageusement dans les vertuz de ce grand prince et cher espoux deffunct, comme aussi dans les vostres qui luy estoyent communes, dequoy vous consoler dans ceste sensible privation; quoy que la plus solide, la veritable et la plus chrestienne consolation est celle que vous aves puisee dans la source, qui est la volonté de Dieu, qui seul en ceste occasion a donné ce grand calme et ceste absolue resignation qui paroist en vostre esprit..

  A012001176 

 Ce n'est pas qu'apres cela, s'il est permis, comme il l'est sans doute, de rechercher quelque adoucissement au dehors, vous n'en ayes un tres grand dans le pretieux gage que ce grand prince vous a laissé de vostre mariage; je veux dire en madamoyselle de Mercœur, laquelle estant une image vivante du pere, elle est aussi la legitime heritiere de ses vertuz, dont il a laissé le soin a vostre conduitte, Madame, pour les cultiver par la noble et chrestienne education que vous luy reserves.

  A012001176 

 Si elle [112] avoit besoin hors de soy de quelque memorial de celles du grand prince que le Ciel luy avoit donné pour pere, je la prierois, sous vostre adveu et bon playsir, Madame, d'aggreer le sommaire que j'en ay dressé en ceste piece; vous conjurant, puisqu'aussi bien vous desires qu'elle voye le jour, que ce soit sous les auspices et a la faveur du nom de ceste princesse, vostre unique et tres chere lille..

  A012001177 

 C'est la tres humble supplication que vous fait,.

  A012001189 

 J'ay receu vostre lettre du 17 avril, et, pour response, je vous diray que nous allons avançant le plus que nous pouvons aupres de Madame, affin que vous puissies recevoir la consolation de vostre retour que vous desires; non que j'y puisse guiere, mais j'y contribue et contribueray le soin que je pourray, et voy Madame asses disposee; niais les executions des desseins sont un petit lentes et tardifves, non seulement en cela, mais en tout le reste.

  A012001189 

 J'espere que vous en aures contentement.

  A012001189 

 Je suis seulement marri que monsieur de Saint Evroul, qui peut plus quo tous, s'en va de ceste ville pour plusieurs jours; [113] neanmoins je le presseray qu'avant son despart nous puissions ensemblement donner une secousse a l'esprit de Madame, pour faire esclorre une bonne et entiere resolution..

  A012001190 

 Il m'a dit despuis que pour tout cela il ne laisseroit de vous cherir sincerement, et faire tous les offices que vous sçauries desirer de luy.

  A012001190 

 Je ne suis pas d'advis que vous monstries d'avoir plus aucune defiance de son amitié, puisque il n'en a plus de la vostre.

  A012001190 

 Touchant monsieur le President, il n'a esté fasché sinon par ce qu'on luy a exaggeré que vous escrivies a Madame que luy seul estoit cause du proces, et seul d'opinion quii fut soustenable, et que les voix quii se promettoit pour nous n'estoyent que vanité; et così discorrendo.

  A012001191 

 Au demeurant, je crains beaucoup que ma negociation ne me soit guere utile, non obstant beaucoup de faveur que je reçois de presque tous les grans, et mesme du Roy despuis que j'ay eu presché devant Sa Majesté; car auparavant je ne luy avois pas parlé..

  A012001191 

 Cependant, icy je suis traitté en Evesque mal gré que j'en aÿe, et faut que je le souffre en toutes compagnies et actions, mesmement a la negociation que je fay, ou ceste prætendue qualité me sert de beaucoup, si bien il me desplait d'en estre servi avant le tems; mais manco male.

  A012001191 

 J'attens aussi que vous me donnies advis des remerciemens que j'auray a faire.

  A012001191 

 Mes freres m'escrivent que par deux diverses voÿes ilz ont donné ordre a vous faire tenir les [114] 200 escus quil faut pour les escritures, propines, etc., et ne doute pas que des-ores vous ne les ayes receuz.

  A012001192 

 Or, a mon advis, il faut [que] le seigneur Persiani prenne resolution d'en voir une fin en ceste court, ou par la faveur de Monsieur le Cardinal d'Ossat ou de quelqu'autre; autrement il sera tous-jours inquieté..

  A012001193 

 Je bayse les mains a monsieur Reydet, a messieurs Gojon et autres de ma connoissance, mays sur tout a nostre R. P. Juvenal, s'il est encor a Rome, [115] dequoy je suis entré en doute par ce que on m'a dit quii venoit et estoit deputé pour Thonon..

  A012001193 

 Je vous supplie de me faire ceste faveur de bayser les mains a monsieur nostre Ambassadeur en mon nom et m'entretenir en sa grace, que je cheris autant que nul autre de ce monde.

  A012001199 

 Il ni a pas long tems que j'ay veu monsieur de Quoex vostre bon oncle, qui se porte bien..

  A012001212 

 Je ne sçaurois respondre a la courtoisie dont la lettre que monsieur vostre filz m'a donnee de vostre part est remplie, car je n'ay pas asses de bonnes et belles reparties [116] d'esprit.

  A012001212 

 Mais je pense bien avoir asses de vraye et franche affection pour correspondre a la faveur que vous me faittes de m'aimer, si ell'est mesuree par l'estendue de son acte et non pas par le merite de l'agissant; car a ce prix, toute mon ame demeureroit bien bas et hors des prises de la comparaison..

  A012001213 

 J'accepte tout ce que vous me donnes, et vous et madamoiselle vostre partie et la benediction des enfans que Dieu vous a donnés, affin de ne vous envier pas la part que vous aures en la sentence: Beatius est dare quam accipere.

  A012001213 

 Je n'ay rien pour contrechanger vostre bienfait, je confesse que je suis vaincu.

  A012001214 

 Je n'ay eu la commodité des vostre despart de visiter mes dames Filles de Dieu sinon une fois en ces octaves, que je leur presentay un metz du grand festin qui se celebroit en ce tems-la; mais je me suis obligé de leur en porter un autre sur le mesme sujet.

  A012001215 

 J'ay eu le loisir de gouverner deux ou trois fois le bon monsieur Galemand, avec autant de proffit que j'en ay jamais recueilly d'autre conversation quelcomque; il a l'esprit vrayement apostolique.

  A012001216 

 Croyes que j'en suis infiniment marri; mais, si je puis, je ne perdray qu'en l'attente, car estant despeché je retarderay plus tost quelques jours pour rencontrer l'occasion de recevoir ce bien, et lhors je vous diray plus de nouvelles du dessein des Religieuses reformees que je ne sauroys faire maintenant, car Sa Majesté en aura receu la requeste et declairé son bon plaisir.

  A012001216 

 Je m'attendois avec beaucoup de desir de vous aller voir a Pontoise au jour que nous avions choysi; mais il faut que je me mortifie et que je perde du tout l'esperance en ce grand contentement, ou que je differe a un autre tems, car mes affaires me tiennent assiegé et a la gorge, en sorte que je ne puis m'eschapper.

  A012001216 

 Vous sçaves bien que Paris perd le P. Don Vicaire, qui s'en va Prieur a Cahors, en Querci.

  A012001217 

 Monsieur, le papier me manque et, en devisant avec vous, l'appetit m'est creu jusques a me porter en ce coin ou je n'ay plus de lieu que pour me recommander humblement a vos bonnes prieres et a vos graces et a celles de madamoiselle vostre femme, et me dire pour toute ma vie,.

  A012001234 

 Je vous supplie tres humblement, Madame, de n'en point estre importunee, puis que la renommee de vostre bonté et charité est cause qu'elle m'a esté si fort demandee, et l'asseurance et certitude que j'en ay m'a donné le courage de l'oser faire..

  A012001235 

 Je fusse allé moy mesme vous donner cest'attestation [si] je [n'eusse] estimé que vos occupations recevront....

  A012001244 

 Croyes moy, je vous supplie, que je ne fay pas volontiers ni de mon gré ceste faute; j'avois trop de desir de vous revoir et representer mon humble service a toute la mayson de messieurs d'Acy et de Manœuvre, a quoy madamoiselle de Sainte Beuve m'avoit encor animé par le tesmoignage qu'elle m'a rendu qu'ilz s'y attendoyent.

  A012001244 

 Mais puisque je ne puis pas, et qu'aussi est ce un foible tesmoignage de l'affection des serviteurs d'aller faire bonne chere a la table de leurs maistres, je vous conjure, par nostre ancienne connoissance et reciproqu'amitié, de faire treuver bonne mon excuse a mesdits sieurs d'Acy et de Manœuvre, et de les asseurer que je prise leur bienveüillance autant qu'autre homme auquel ilz en puissent faire part, et que je suis infiniment obligé a la courtoisie dont ilz m'ont prevenu, et m'en tiens pour redevable serviteur.

  A012001245 

 Je ne veux dire pour tout sinon que je vous supplie de tout mon cœur de m'aymer de tout le vostre, de faire que messieurs d'Acy et de Manœuvre m'ayment tous-jours, de m'escrire quelquefois par l'entremise de monsieur Santeul; et je vous prometz de ma part de vous aymer, honnorer, servir toute ma vie, d'estre tous-jours humble serviteur de toute la mayson de ces seigneurs, et de vous rendre compte de ma vie le plus souvent que je pourray, glorieux que je seray de me resouvenir souvent que vous m'aymes et que je suis,.

  A012001245 

 Quant a vous, je me prometz que vous m'aymeres au travers de toutes les distances du monde, lequel n'est pas asses grand pour borner l'activeté de nostre amitié; car je juge de la vostre par celle que je sens en mon ame, nonobstant la difference que l'object y peut apporter, qui se treuve aussi grand pour mon action quii est petit pour [121] la vostre; mais l'agent de vostre part ne doit estre vaincu.

  A012001265 

 Ce que je me sens tous-jours plus obligé de faire, devant entrer en la charge d'Evesque par le trespas du bon et saint Prælat duquel Vostre Altesse avoit tant gousté la pieté; en la succession duquel (puisque ça esté le bon plaisir du Saint Siege et de Vostre Altesse de m'y appeller) j'espere vivre heureusement parmi une infinité de travaux et de peynes qui s'y presentent, sous la faveur et protection de Vostre Altesse, pour la prosperité delaquelle je feray toute ma vie prieres a Nostre Seigneur, et demeureray,.

  A012001265 

 Je donnay advis a Vostre Altesse du voyage que je devois faire en France et du sujet qui m'y portoit, pour lequel ayant presque inutilement employé plusieurs moys, me trouvant maintenant de retour, j'estime aussi luy en devoir donner advis, affin qu'elle sache ou ses commandemens me rencontreront quand il luy plaira m'en honnorer.

  A012001279 

 ... Vous ne sçauries croire le desplaysir que je receu a Lion quand l'on me dit le trespas de feu Monseigneur le Reverendissime, mon bon pere....

  A012001280 

 En soit ce que la providence de Dieu voudra.

  A012001280 

 Je suis tous-jours celuy d'autrefois; je ne desire non plus l'evesché que je l'ay desiree.

  A012001295 

 Je ne vous escris point maintenant pour vous donner comte de ce que j'ay fait et que je n'ay pas fait en mon [124] voyage; ce sera une piece de nostre entretien a nostre premiere veüe.

  A012001295 

 Mais je vous escris pour vous supplier de vouloir favoriser toute ceste maison, et moy particulierement, en un'occasion que nous pensons estre a nostre propos..

  A012001296 

 C'est ce qui nous a fait penser a un autre remede, qui est d'emprunter sil se peut, quelque bonne somme de deniers, pour, par apres, vendre et mesnager a l'aise nos desseins; et nous sommes advisés de monsieur de Prangin, lequel on estime en semblables occasions asses bon medecin, pour autant quil a les drogues necessaires, pourveu que son urgent soit bien asseuré.

  A012001296 

 Je pense que vous aures sceu que ma mere et mes freres, avec le reste de casa, ont achepté la terre de Thorens de madame la Duchesse de Mercœur, pour le prix de 6000 escus d'or, et pense aussi que vous sçavés que ce n'a peu estre sur la confiance d'aucun tresor que nous eussions en main.

  A012001296 

 Neanmoins, ma mere et ses confederés ont tant fait que le premier payement de six mille francz est prest.

  A012001296 

 Or, en cas quil le voulut, nous [125] nous essayerions de le luy bien asseurer, et, au moins pour mille escus, estimons-nous que monsieur Muneri nous fera le bien de nous cautionner, d'autant que c'est la somme laquelle, ou environ, l'hoire du Baron d'Hermence, de laquelle il est curateur, nous doit encores.

  A012001296 

 Reste quatre mille escus, lesquelz nous ne pouvions assembler que par l'exaction de l'argent qui nous est deu et par des ventes d'autres biens, et des engagemens; mais tout cela ne se peut bien faire qu'avec du loisir, comme vous pouves penser.

  A012001297 

 Et pour ce regard, la vielle amitié quil vous a pleu de nous porter, et a toute ceste mayson, nous a donné confiance de vous supplier de nous faire ce bon office en quelque façon que ce soit, ou par l'entremise d'amis ou par vous-mesme, comme vous jugerés plus a propos.

  A012001297 

 Nous vous en supplions donques humblement, et de nous en donner les advis le plus tost que vostre commodité le permettra..

  A012001297 

 Reste maintenant que quelcun nous face ce bien que de prendre la peyne de sonder si monsieur de Prangin y voudroit entendre, ou bien, a faute de luy, sil se pourroit trouver quelqu'un autre, ou en Valey ou ailleurs de ce costé la qui le voulut faire.

  A012001298 

 Et en cas que monsieur de Prangin vous semble le plus duisant, vous pourriés, sil vous plait, me mettre en consideration, et ma promotion a l'evesché, bien que la verité est que cela ni apporte rien; mais je le dis seulement par ce quil m'ayme et me connoist, et que telle cause est probable.

  A012001298 

 Je remetz en fin toute ceste conduitte a vostre prudence et a la bonne et entiere amitié que vous nous portes, sans vous en dire plus de paroles, sinon que la somme que nous desirerions seroit de trois mille, deux mille ou au moins mille escus..

  A012001299 

 J'attens de jour a autre les despeches de Romme necessaires pour la resolution et execution de l'affaire de l'evesché; les ayant, je vous en feray sçavoir des nouvelles et ne parleray plus que des choses spirituelles, attendant cependant de vous des nouvelles de ces choses [126] temporelles, que je vous supplie d'embrasser pour ceste mayson, qui vous est entierement acquise et servente, et de moy en particulier, qui ay tous-jours esté et seray toute ma vie,.

  A012001328 

 Ce Prélat eut à ce sujet de fréquentes et sérieuses conférences, tant avec le roi lui-même qu'avec les plus intimes conseillers de Sa Majesté; il semblait donc que rien ne contrariait l'espoir du succès désiré.

  A012001328 

 Quant au reste, le roi lui-même nous représenta la dureté des temps: « Je désirerais plus que nul autre, » dit-il, « l'entier rétablissement de la religion catholique, mais mon pouvoir n'égale pas mon bon plaisir; » et semblables propos.

  A012001329 

 Par son propre travail, aussi bien que par celui de ses coopérateurs, il a ramené vingt-cinq mille brebis errantes au bercail du Seigneur.

  A012001331 

 Il ne me reste plus rien à faire que de me remettre à la Providence divine, lui confiant avec un abandon absolu le soin de ma personne et de toutes choses.

  A012001332 

 Enfin, prosterné humblement à vos pieds sacrés, j'attends votre bénédiction apostolique, afin que la consécration que je vais recevoir m'obtienne à moi et à mon troupeau plus de faveurs et de consolations.

  A012001352 

 Ils pourraient ainsi au fur et à mesure remédier à chacune des difficultés que les circonstances des lieux et des temps feraient surgir..

  A012001353 

 Il ne reste maintenant rien à désirer sinon que le Saint-Siège Apostolique approuve cette entreprise, et en confie l'exécution à la volonté du roi, qui a donné aussitôt son consentement contre l'attente de plusieurs.

  A012001354 

 Pour moi, Très Saint Père, qui ai assisté à presque toutes les conférences tenues à ce sujet, je me suis engagé à vous déclarer ce que j'en pense, bien que mon témoignage soit très indigne d'être entendu, et je ne puis m'empêcher d'assurer qu'il sera très utile à la religion que Votre Sainteté favorise de ses bénédictions apostoliques cette céleste inspiration, vu le temps et surtout le lieu où elle s'effectuera.

  A012001365 

 Je me confie neanmoins en la bonté de Dieu, qu'elle me donnera la grace de sa sainte assistance pour vous rendre le service que je desire et auquel ma naissance et mon education m'invite.

  A012001365 

 Je voudrois voir en moy autant de sujet de la joye que vous prenes en ma promotion comme j'en voy en l'amitié que vous me portes; j'aurois beaucoup moins [134] d'apprehension de la pesanteur du devoir auquel je suys meshuy engagé.

  A012001365 

 Sil vous plaist me faire ce bien de l'en supplier avec moy, vous aures tous-jours tant plus de rayson de le vous promettre, et moy de l'esperer comme l'un des plus grans contentemens que j'aye jamais souhaitté..

  A012001366 

 Permettes moy ce pendant que je vous salue des icy, attendant que bien tost j'aye le bonheur de me voir en vostre ville, a laquelle je desire toute benediction du Ciel, et de laquelle je suis entierement comme de vous,.

  A012001385 

 J'ay pris une telle confiance en vostre charité qu'il ne me semble plus avoir besoin de preface ou avant propos pour vous parler, soit en absence, comme je suis contraint de faire maintenant, soit en presence, si jamais Dieu dispose de moy en sorte que j'aye le bien de vous revoir.

  A012001385 

 J'ayme en tout la simplicité et la candeur; je croy que [136] vous l'aymes aussi, ce que je vous supplie de continuer, parce que cela est fort seant a vostre profession.

  A012001385 

 Je pense que les tuniques blanches que vous portes en sont le signe.

  A012001386 

 Croyes-moy, je vous supplie: je suys fort importuné de l'affection extreme que je porte au bien de vostre mayson; car icy, ou je ne puis vous rendre que fort peu de services, elle ne laisse pas que de me suggerer une infinité de desirs, qui vous sont inutiles et a moy.

  A012001386 

 Je n'ose pas pourtant rejetter ces inclinations, parce qu'elles sont bonnes et sinceres, mays sur tout parce que je croy fermement que c'est Dieu qui me les a donnees.

  A012001386 

 Que si elles me mettent en danger de quelques inquietudes, ce n'est pas par leurs qualités, mais par la foiblesse de mon esprit qui est encor sujet au mouvement des vens et de la maree.

  A012001387 

 Je partis de Paris avec ce contentement de vous avoir en quelque sorte tesmoigné l'estime que je faisois de la vertu de vostre mayson, de laquelle l'opinion me donnoit beaucoup de consolation et me prouffitoit interieurement, m'animant au desir de ma perfection.

  A012001387 

 La sainte Parole [137] dit que Jonas se consola a l'ombre du lierre ou de [la courge]; mais un vent chaud et cuisant dessecha, presque tout en un moment, cest arbrisseau.

  A012001387 

 Mais [ne] penses [pas], je vous supplie, que ce fut un vent [de quelque rapport leger, envieux, ou mesdisant; non, a la verité, ce fut un vent venant] du midy d'une entiere charité; ce fut un rapport auquel je fus obligé de donner creance par la consideration de toutes les circonstances.

  A012001387 

 Seigneur Dieu, que je fus marry et de ce que l'on me disoit, et de l'avoir sceu seulement en un tems auquel je n'avois pas loysir d'en traitter avec vous; car je ne sçay si mon affection me trompe, mays je me persuade que vous m'eussies donné une favorable audience, et n'eussies sceu treuver mauvaise aucune remonstrance que je vous eusse faite, puisque vous n'eussies jamais descouvert en mon ame ni en tous ses mouvemens, sinon une entiere et pure affection a vostre advancement spirituel et au bien de vostre mayson..

  A012001387 

 Un vent fit presque le mesme effect en la consolation que j'avois en vous.

  A012001388 

 Dieu employe bien souvent les plus foibles pour les plus grans effectz: que puis-je sçavoir s'il veut porter son inspiration dans vos cœurs par les paroles qu'il me donnera pour vous escrire? J'ay prié; je diray bien plus et je ne diray que la verité, mais cecy suffira: j'ay arrousé ma bouche du sang de Jesus Christ en la Messe, pour vous pouvoir envoyer des paroles convenables et pregnantes.

  A012001388 

 Mais n'ayant pas deu arrester pour cela, estant appellé icy pour un bien plus grand, je me suis mis a vous escrire sur ce sujet, bien que j'aye quelque tems desbattu en moy mesme si cela seroit a propos ou non; car il me sembloit presque que cela seroit inutile, d'autant que ma lettre seroit sujette a recevoir des repliques, et m'en feroit donner; qu'elle arriveroit peut estre hors de sayson; qu'elle ne vous representeroit pas naifvement ni mon intention ni mon affection; que vous estes en lieu ou vous seres conseillees de vive voix par un monde de personnes qui vous doivent estre en plus grand respect que moy, et que si vous ne croyes a Moïse et aux prophetes qui vous parleront, malaysement croires vous a ce pauvre pecheur qui ne peut que vous escrire, et que, outre cela, a ce que l'on m'a dit, quelques autres predicateurs, meilleurs et plus experimentés a la conduitte des ames [138] que je ne suys, vous en ont parlé sans effect.

  A012001388 

 Neanmoins, il a fallu que toutes ces raysons ayent cedé a mon affection et au devoir que l'extreme desir de vostre bien m'impose.

  A012001389 

 J'aurois aussi beaucoup de choses a vous dire sur ce sujet; mais ayes la patience, je vous supplie, faites moy cest honneur de lire attentivement et doucement ce que je vous en represente; gratifies en cela mon zele a vous servir..

  A012001389 

 Mes cheres Seurs, on m'a dit qu'il y a en vostre mayson des pensionnettes particulieres et des proprietés, dont les malades ne sont pas esgalement secourues, et les saines ont des particularités aux viandes et habitz sans necessité, et que les entretiens et recreations n'y sont pas fort devotes.

  A012001390 

 Certes, il faut que vous soyes sans tache ou macule apparente; mays ne sont ce pas des macules bien noires et manifestes que ces defautz et grans manquemens que j'ay marqués ci devant, et principalement en une telle mayson? Il les faut donq corriger.

  A012001391 

 La fille de Babylone est miserable; oh, que bienheureux est celuy qui escrase et brise tes petitz contre la pierre. Le desordre, le desreglement des Religions est vrayement une fille de Babylone et de confusion; ah, que bienheureux sont les espritz qui n'en souffrent que les commencemens, ou plustost les terrassent ou fracassent a la pierre de la reformation.

  A012001392 

 C'est aussi une grande tare a la bonté de vostre mayson d'y avoir des pensions particulieres et semblables defautza, apres que l'on y veu tant d'autres qualités luables; soyés donq fideles en la reformation de ces menues imperfections, affin que vostre Espoux vous constitue sur beaucoup de perfections et qu'il vous appelle un jour a sa gloire..

  A012001392 

 » Vostre mayson excelle en beaucoup d'autres perfections et est incomparable en icelles a toute autre: ne sera-ce pas un grand reproche d'en laisser ternir la gloire par ces chetifves imperfections? On vous appelle par une ancienne estime et prerogative de vostre mayson, Filles de Dieu: voules vous perdre cest honneur par le defaut d'une reformation en ces petites defectuosités? pour un potage de lentilles, perdre la primogeniture que vostre nom semble vous avoir donnee par le consentement de toute la France? C'est, a la verité, une marque de tres grande imperfection au lion et a l'elephant, qu'apres avoir vaincu les tigres, les boeufs, les rhinoceros, ilz s'effrayent, s'espouvantent et tremoussent, le premier devant un petit poulet, et l'autre devant un rat, dont la seule veuë leur fait perdre courage: cela est un grand deschet de leur generosité.

  A012001393 

 Est ce, je vous supplie, un petit mal que celuy qui attaque et gaste une partie noble de vostre cors, a sçavoir le vœu de pauvreté? On peut estre bonne Religieuse sans chanter au chœur, sans porter tel ou tel habit, sans telle ou telle abstinence; mais sans la pauvreté et communauté, nulle ne le peut estre.

  A012001393 

 Ils sont, a la verité, petitz si on les met en comparaison des plus grans, car ce ne sont que commencements, et tout commencement, soit en mal soit en bien, est tous-jours petit; mais si vous les consideres en comparaison de la [141] vraye et entiere perfection religieuse a laquelle vous deves aspirer, ilz sont sans doute tres grans et tres dangereux.

  A012001393 

 Le vermisseau qui rongea la courge de Jonas sembloit estre petit, mays sa malice estoit si grande que l'arbrisseau en perit.

  A012001394 

 L'esprit a engendré le bon Isaac: c'est le vœu que vous aves fait comme un sacrifice volontaire sur la montagne de la Religion, ainsy qu'Isaac sur la montagne de Vision s'offrit de volonté en sacrifice.

  A012001394 

 Pendant que cet Ismaël, ce soin et desir n'attaque point vostre Isaac, c'est a dire vostre vœu et profession, bien qu'il demeure chez vous et en vostre mayson, j'en suis content, et, ce qui est le principal, Dieu n'en est point offensé.

  A012001395 

 Ce sont les raysons que Dieu m'a donnees pour vous prier de vouloir reformer vostre mayson touchant ces petites ou grandes fautes que l'on m'a dit y estre; mays je ne puis assouvir le desir que j'en ay..

  A012001395 

 Encor treuvé je ce mal en vostre mayson bien grand parce qu'il y est maintenu, parce qu'il y est en repos et qu'il y sejourne comme habitant ordinaire; c'est le grand mal que j'y voy, que ces particularités sont meshuy bourgeoises.

  A012001395 

 Je veux que les manquemens et defautz de vostre mayson ne soyent que mouches, mais le mal est qu'elles s'arrestent sur vostre unguent, elles y arrestent et y sont ensevelies avec faveur.

  A012001395 

 Pour petit que soit le mal, il croist aysement quand on le flatte et qu'on le maintient: nul ennemy, disent les soldatz, n'est petit quand il est mesprisé.

  A012001395 

 Si elles ne faisoyent que passer sur l'unguent et le succer en passant, elles ne le gasteroyent pas; mais y demeurant mortes et comme ensevelies, elles le corrompent.

  A012001396 

 C'est des-ja un mauvais mot que celuy de permission et licence parmi l'esprit de perfection: il seroit mieux de vivre sous les lois et ordonnances que d'avoir des exemptions, licences et permissions.

  A012001396 

 Je me doute que vous n'estimes pas qu'en ces pensions et autres particularités il y ayt aucune proprieté contraire a vostre vœu, parce qu'a l'adventure tout s'y fait sous la permission et licence de la Superieure.

  A012001396 

 Les permissions n'entrent jamais que par grace dans les monasteres; mais y ayant pris pied, elles y veulent demeurer par force, et n'en sortent jamais que par rigueur..

  A012001396 

 Moïse avoit donné une permission et licence touchant l'integrité du mariage; Nostre Seigneur reformant ce saint Sacrement et le remettant en sa pureté, protesta que Moïse ne l'avoit permis qu'a force et contrainte, pour la dureté de leurs cœurs.

  A012001397 

 Il y a des permissions qui peuvent estre aucunement bonnes, mais celle cy ne l'est pas, car c'est en fin une proprieté, quoy que voilee et cachee; c'est l'idole que Rachel tenoit cachee sous sa robe.

  A012001397 

 Mays, outre cela, je dis qu'il n'est rien de si semblables que deux gouttes d'eau: neanmoins, l'une peut estre de roses, et l'autre de ciguë; l'une guerit, et l'autre tue.

  A012001397 

 On dit que la Superieure le permet et que c'est sous son bon playsir: voyla Rachel qui parle.

  A012001397 

 Si ce n'est pas proprieté, [que veut dire] que l'une a plus de commodité sans necessité, et l'autre plus de necessité [144] sans commodité? Que veut dire qu'estant toutes seurs, vos pensions ne sont pas seurs? L'une souffre et l'autre ne souffre point; l'une a faim, diray je presque comme saint Pol, l'autre abonde: ce n'est pas la une Communauté de Nostre Seigneur.

  A012001398 

 L'amour et tendre affection que vous portes a vostre mayson peut aussi estre un grand empeschement a la reformation d'icelle, par ce que ceste passion ne peut permettre que vous pensies mal d'elle, ni que vous oÿes de bon cœur les reprehensions qu'on vous en fait.

  A012001398 

 Les abeilles ayment leurs ruches, qui sont comme leurs maysons (je vous dis un jour que c'estoit comme des religieuses naturelles entre les animaux); mays elles ne laissent pas d'esplucher par le menu ce qui y est et de les purger a certains tems.

  A012001398 

 Mais prenes garde, je vous supplie; car l'amour propre est rusé, il se fourre et glisse par tout, et nous fait accroire que ce n'est pas luy.

  A012001399 

 C'est bien fait de ne point dire inutilement les defautz que l'on voit dans les maysons et de ne les point [145] manifester; mays de ne les vouloir pas reconnoistre ni confesser a ceux qui peuvent estre utiles pour y donner remede, c'est un amour des-ordonné.

  A012001399 

 Je pense que vous en pouves bien dire autant de vostre mayson: elle est belle et vertueuse, c'est la verité; mais la longueur du tems et des annees a un petit alteré son teint.

  A012001399 

 L'Espouse au Cantique confesse son imperfection: Je suis noire, dit elle, encor que belle; ne prenes pas garde a ce que je suis brune, c'est le soleil qui m'a haslee.

  A012001400 

 Au contraire, je pense que le monastere est pauvre par ce que ces pensions y sont.

  A012001400 

 Il y a en Italie deux nobles republiques, Venise et Gennes; a Venise les particuliers ne sont pas si riches qu'a Gennes, [mais la republique est bien plus riche que celle de Gennes.] La richesse des particuliers empesche celle du public.

  A012001400 

 Je pense qu'il y a un autre empeschement a la reformation de vostre mayson: c'est que, a l'adventure, vous estimes qu'elle ne pourroit se maintenir sans ces pensions par ce qu'elle est pauvre.

  A012001401 

 Dieu veut que l'on se fie en luy chacun selon sa vocation.

  A012001401 

 Il n'est pas requis en un homme laïc et mondain de s'appuyer en la providence de Dieu en la sorte que nous [146] autres ecclesiastiques devons faire; car il nous est defendu de thesaurizer et faire marchandises, mais il n'est pas defendu aux mondains; ni les ecclesiastiques seculiers ne sont pas obligés d'esperer en ceste mesme Providence comme les Religieux; car les Religieux y doivent esperer si fort qu'ilz n'ayent aucun soin de leur particulier pour avoir des moyens.

  A012001401 

 Les uns l'y jettent sous le travail et industrie que Dieu leur a donnee et par laquelle Dieu les nourrit; les autres, plus purement, sans l'entremise d'aucune industrie, tendent a cela.

  A012001402 

 Faysons ce que nous devons, chacun selon sa condition et profession, et Dieu ne nous manquera point.

  A012001402 

 Les Cordeliers ont estimé qu'ilz ne pourroyent vivre en ceste estroitte pauvreté que leur Regie primitive requeroit; les Capucins leur ont fait voir clairement que si.

  A012001402 

 Mais ne nourrit il pas aussi les autres animaux? Si fait, mais non pas de la [mesme] sorte ni si immediatement, d'autant que les autres sont aydés de leurs peres et meres [et de leur travail; mais par ce que la condition naturelle de ces petitz poussins porte qu'ilz sont abandonnés de leurs peres et meres,] et n'ont d'ailleurs moyen de travailler, nostre Seigneur les nourrit presque miraculeusement.

  A012001402 

 Pendant que les enfans d'Israël estoyent en Egypte il les nourrissoit de la viande que les Egyptiens donnoyent; lhors qu'ilz furent au desert, ou il n'y en avoit aucune, il leur donna la manne, viande commune a tous et particuliere a nul, et laquelle, si je ne me trompe, represente une certaine communauté.

  A012001402 

 Pendant que saint Pierre se fia en Celuy qui l'appelloit il fut asseuré; quand il commença a douter et perdre la confiance il enfonça dans les eaux.

  A012001403 

 J'ay accoustumé de dire que nous devons recevoir le pain de correction avec beaucoup d'estime, encor que celuy qui le porte soit desaggreable et fascheux, puisque Helie mangeoit le pain [148] porté par les corbeaux.

  A012001403 

 Je loue leur methode, bien que ce ne soit pas la mienne, sur tout a l'endroit des espritz nobles et bien nourris comme sont les vostres; je croy qu'il est mieux de leur monstrer simplement le mal, et leur mettre le fer en main affin qu'ilz fassent eux mesmes l'incision.

  A012001403 

 Mays voudries vous bien pour cela rejetter vostre guerison? Les chirurgiens sont quelquefois contrains d'aggrandir la playe pour amoindrir le mal, lhors que sous une petite playe il y a beaucoup de meurtrisseures et concasseures; ç'a esté peut estre cela qui leur a fait porter le rasoir un petit bien avant dans le vif.

  A012001404 

 Je prie Dieu qu'il envoye ses Anges pour vous porter entre leurs mains, affin que vous ne heurties point aux pierres d'achoppement..

  A012001404 

 Que tous ces empeschemens ne soyent point asses fortz, je vous prie, pour vous retarder de faire le voyage de ceste sainte et necessaire reformation.

  A012001405 

 Il me reste a vous dire mon advis touchant l'ordre que vous deves tenir.

  A012001405 

 Lhors vostre Espoux vous regardera avec ses Anges, comme nous faysons les abeilles quand elles sont doucement empressees a la confection de leur miel, et je ne doute point que ce saint Espoux ne parle a vostre cœur pour vous dire ce qu'il dit a [149] son serviteur Abraham: Chemines devant moy et soyes parfait; entrés plus avant au desert de la perfection.

  A012001405 

 Ne tenes plus vostre parti ni celuy de vostre mayson, [mays simplement celuy de vostre bien et du bien de vostre mayson.] Faites tout ainsy que si vous voulies instituer une nouvelle Congregation selon vostre Ordree et vostre Regle; traittes en les unes avec les autres en esprit de douceur et de charité.

  A012001405 

 Puisqu'il est le Dieu de paix, apaises vos espritz, mettes les en repos; ne permettes pas que la [coustume, la difficulté, je diray clair et nel, ne permettes pas que la] contention que vos espritz auront peut estre faite contre ceux qui vous auront cy devant voulu corriger, fasse aucun prejugé contre la lumiere celeste.

  A012001405 

 Vous aves des-ja fait la premiere journee par l'exacte chasteté, et la seconde par l'obeissance, et une partie de la troisiesme par quelque sorte de pauvreté et communauté: mais pourquoy vous arrestes vous en si beau chemin, et pour si peu de chose comme sont ces pensions particulieres? Marchés plus avant, achevés la journee: mettés tout en commun, renoncés a la particularité, affin que, selon la sainte Parole, vous fassies une sainte immolation et entier sacrifice [a nostre Dieu], en esprit, [en cors] et en biens..

  A012001406 

 Apres que vous aures traitté de vostre affaire avec vostre Espoux et par ensemble, appellés a vostre secours et pour vostre conduitte quelques uns des plus spirituelz qui sont a l'entour de vous; ilz ne vous manqueront pas.

  A012001406 

 Ce sont gens extremement bons a cela, des espritz doux et gracieux, condescendans quand ce vient a l'effect, bien que leurs reprehensions semblent un petit aspres et mordicantes.

  A012001406 

 J'en nommerois quelques uns, mais vous les nommeres mieux que moy, et ceux la mesme, a l'adventure, que je voudrois nommer.

  A012001406 

 Voyes toutes les excellentes Dames de la Mere de misericorde jusques a present, et vous treuveres que je dis vray; mays en tout je presuppose que l'authorité de Madame de Fontevrault tienne son rang..

  A012001407 

 C'est peut estre trop parler et trop escrire d'un sujet duquel vous aves, a l'adventure, les oreilles des-ja trop [150] battues; mais Dieu, devant lequel je vous escris, sçait que j'ay beaucoup plus d'affection que de paroles en cest endroit.

  A012001407 

 Je suis indigne d'estre escouté, mais j'estime vostre charité si grande que vous ne mespriseres point mon advis, et croy que le bon Jesus ne m'a pas donné tant d'amour et de confiance en vostre endroit qu'il ne vous aye donné une affection reciproque de prendre en bonne part ce que je vous propose pour le service de vostre mayson, laquelle je prise et honnore a l'esgal de toute autre, et l'estime une des bonnes que j'aye veües.

  A012001408 

 Et je prie Dieu qu'il [151] vous donne les resolutions necessaires a vostre bien, pour la plus grande sanctification de son saint nom en vous, affin que vous soyes de nom et d'effect ses vrayes filles.

  A012001408 

 Je me prometz l'assistance de vos oraisons pour toute ma vie, et plus particulierement pour ceste entree que je fay en la laborieuse et dangereuse charge d'Evesque, affin que, preschant le salut aux autres, je ne sois reprouvé a damnation..

  A012001424 

 Ma mere et tous les siens vous baysent humblement les mains, et a madame ma tante, du soin que vous aves [152] de nostre bonheur.

  A012001424 

 Monsieur Vulliod vous dira meilleures nouvelles que vous n'avies pas conceues de son accident..

  A012001425 

 Aussi n'ay je pas estimé de le devoir refuser, car encor que sera avec vostre incommodité, neanmoins il en sera mieux et plus chaudement receu, et vous estes des-ja tant accoustumé a recevoir de nos importunités que ce ne vous est plus guere de peyne..

  A012001425 

 Vous verres, Dieu aydant, le reste dans peu de jours que nous nous promettons l'honneur de vostre presence et de celle de madame ma tante, ma seur, ma commere, a laquelle, pour son arrivee, je garde le baiser solemnel, si elle m'en juge encor digne.

  A012001441 

 C'est pourquoi je vous supplie, sur l'occasion de ma promotion et reception a cest evesché, de m'accorder encor vostre faveur en deux demandes que je vous fais fort humblement: l'une, de m'aymer tous-jours et vous asseurer bien fort de mon service que je vous offre; l'autre, d'avoir aggreable la requeste que je fai presenter a messieurs du Senat, puis qu'ell'est droitte, juste et sainte, et pour un qui, priant Dieu pour vous, sera toute sa vie,.

  A012001458 

 Dieu vous veuille dire luy mesme en vostre cœur ce quil en desire; mais si ce bonheur m'arrivoit, je le mettrois au premier rang de ceux que j'ay eu ci devant, tout aupres de celluy que j'ay receu en vostre connoissance, car aussi en seroit ce l'accroissement et perfection.

  A012001458 

 J'ay veu que vous panches encor a l'opinion que vous me communiquastes de venir quelque tems a la recollection et retraitte en ces quartiers.

  A012001458 

 La vostre que monsieur Santeul m'apporta m'a extremement consolé par le tesmoignage qu'elle me rend de la continuation de vostre bienveuillance en mon endroit, bien que je n'en eusse aucun doute, asseuré de vostre bonté et constance.

  A012001458 

 Les deux conditions que vous mettes pour l'execution de ce dessein ne me semblent revenir qu'a une seule, d'autant que si vous avés la liberté, je ne doute point que Nostre Seigneur ne [155] vous face connoistre quil se veut servir de vous pour l'administration de son saint Evangile..

  A012001459 

 Ce que je vous dis par ce que je vous veux rendre conte de mon esprit comme vous me faittes du vostre, disant que vous continués en une grande varieté d'occupations et multitude d'imperfections.

  A012001459 

 J'ay eu le bien de faire un peu de recollection et exercice en l'assistence du P. Forier, l'un des excellens Jesuites que j'aye rencontré, avant mon sacre.

  A012001460 

 Je vous supplie, Monsieur, de croire entierement quil ni a homme au monde qui vous soit plus dedié et affectionné que je suis et seray toute ma vie, pour demeurer,.

  A012001465 

 Je suis consolé que Edmond soit aupres de vostre personne, asseuré quil y rendra le bon et fidelle service que je vous souhaitte..

  A012001481 

 Ce sera tous-jours, Monsieur, quand il plaira a Nostre Seigneur de m'en donner les occasions, que je m'y porteray avec beaucoup d'affection et de fidelité.

  A012001481 

 Je dois beaucoup a la constance de l'amitié quil vous plait me porter, qui me maintient si vivement en vostre souvenance ou je desirerois bien avoir pris place par quelque bon service que je vous eusse fait.

  A012001517 

 Je désirais informer Votre Seigneurie Révérendissime de toutes ces choses, et la supplier, puisque le Seigneur notre Dieu nous a unis par une même vocation (car, à ce qu'on me dit, nous avons été préconisés le même jour), de daigner aussi, bien que j'en sois indigne, me tenir étroitement uni à Elle dans son cœur.

  A012001517 

 Veuillez, en conséquence, me donner souvent les conseils et les instructions que le Saint-Esprit vous inspirera, vous ressouvenant que vous avez été l'instrument de ma promotion et que celui « qui donne l'être doit donner ce qui s'ensuit.

  A012001518 

 J'ai appris seulement ces jours passés que Votre Seigneurie Révérendissime m'avait envoyé la Vie du Bienheureux Philippe et qu'elle [160] s'était égarée en route; cette perte m'est bien désagréable et dommageable, soit à cause du donateur soit à cause du don.

  A012001518 

 M. d'Eloise, chanoine de cette église, m'a dit avec quelle charité Votre Seigneurie l'a favorisé; il m'a prié de l'en remercier, ce que je fais.

  A012001518 

 Que Votre Seigneurie m'accorde la faveur de me recommander en quatre mots à M gr le Nonce actuel, car il importe beaucoup, dans une foule de circonstances, qu'il m'ait en affection; ce qui ne peut se faire que par l'entremise de votre charité..

  A012001519 

 En attendant je baise humblement les mains de Votre Révérendissime Seigneurie, et je prie Dieu de nous guider dans ces voies difficiles du gouvernement des églises, et que son bon [161] Esprit nous conduise dans la terre droite, moi surtout qui suis maintenant dans ce pays montueux et tortueux, appartenant à des provinces diverses, et où règne l'abomination de la désolation.

  A012001519 

 J'espère cette année faire un voyage en Piémont pour visiter l'église de Notre-Dame de Mondovì; à cette occasion je ne manquerai pas de me rendre là où se trouvera Votre Révérendissime Seigneurie, affin que, la main dans la main et bouche à bouche, nous renouvelions cette amitié qui ne peut vieillir, mais dont le sentiment toutefois s'accroit par la présence.

  A012001519 

 Que le Seigneur soit votre salut..

  A012001533 

 J'ay receu vos deux lettres par monsieur le president Favre un peu plus tard que vous ne pensies et que je n'eusse desiré, mais asses tost pour me donner de la consolation, y voyant quelque tesmoignage de l'amendement de vostre esprit.

  A012001534 

 Apportés donq toute confiance et liberté a m'escrire, et demandés ce que vous penseres estre propre pour vostre bien.

  A012001534 

 J'ayme vostre esprit fermement parce que je pense que Dieu le veut, et tendrement parce que je le voy encores foible et jeune.

  A012001534 

 Pour responce, je vous diray premierement, que je ne veux pas que vous usies d'aucune parole de ceremonie ni d'excuse en mon endroit, puisque, par la volonté de Dieu, je vous porte toute l'affection que vous sçauries desirer et ne m'en sçaurois empescher.

  A012001535 

 Ayés patience, je vous diray tantost que c'est.

  A012001535 

 Je voy en vostre lettre une contradiction, laquelle vous y aves mise sans y penser; car vous me dites que vous estes delivree de vostre inquietude, et neanmoins je vous voy encor toute inquietee a la recherche d'une precipitee perfection.

  A012001535 

 Vous me demandes si vous deves recevoir et prendre des sentimens; que sans eux vostre esprit languit, et neanmoins vous ne pouves les recevoir qu'avec soupçon et vous semble que vous les deves rejetter.

  A012001536 

 C'est donques une bonne marque quand on ne s'arreste pas aux sentimens; car le malin, donnant les sentimens, veut qu'on s'y arreste, et, qu'en ne mangeant que la saulce, nostre estomach spirituel en soit affoibli et gasté petit a petit.

  A012001536 

 Il condescend a nostre infirmité: il voit nostre goust spirituel affadi, il nous donne un petit de saulce, non affin que nous ne mangions que la saulce, mais affin qu'elle nous provoque a manger la viande solide.

  A012001536 

 Or, on peut connoistre d'ou ilz viennent par certains signes que je ne sçaurois pas bien dire tous: en voicy seulement quelques uns qui suffiront.

  A012001536 

 Quand nous ne nous arrestons pas en iceux, mays que nous nous en servons comme de recreation, pour par apres faire plus constamment nostre besoigne et l'œuvre que Dieu nous a donné en charge, c'est bon signe; car Dieu nous en donne quelquefois pour cest effect.

  A012001537 

 Secondement, les bons sentimens ne nous suggerent point de pensee d'orgueil, mays au contraire, si le malin prend occasion d'iceux de nous en donner, ilz nous fortifient a les rejetter; si que la partie superieure demeure toute humble et sousmise, reconnoissant que Caleb et Josué n'eussent jamais rapporté le raysin de la terre [164] de promission pour amorcer les Israëlites a la conqueste d'icelle, s'ilz n'eussent pensé que leurs courages estoyent foibles et avoyent besoin d'estre piqués.

  A012001537 

 Si qu'en lieu de s'estimer quelque chose par le sentiment, la partie superieure juge et reconnoist sa foiblesse, et s'humilie amoureusement devant son Espoux, qui respand son bausme et son parfum affin que les jeunes fillettes et tendres aines comme elle, le reconnoissent, l'ayment et le suivent; la ou le mauvais sentiment nous arrestant, en lieu de nous faire penser a nostre foiblesse, nous fait penser qu'il nous est donné pour recompense et guerdon..

  A012001538 

 Bref, le bon ne desire point d'estre aymé, mais seulement que l'on ayme Celuy qui le donne, non qu'il ne nous donne sujet de l'aymer, mais ce n'est pas cela qu'il cherche; la ou le mauvais veut que l'on l'ayme sur tout.

  A012001538 

 Le bon sentiment, a son despart, nous recommande qu'en son absence nous caressions, servions et suivions la vertu pour l'advancement de laquelle il nous avoit esté donné; le mauvais nous fait croire qu'avec luy la vertu s'en va et que nous ne la sçaurions bien servir.

  A012001539 

 Par ces quattre ou cinq marques vous pourres connoistre d'ou viennent vos sentimens; et, venans de Dieu, il ne faut pas les rejetter, mais reconnoissant que vous estes encores un pauvre petit enfant, prenes le lait des mammelles de vostre Pere, qui, par la compassion qu'il vous porte, vous fait encor office de mere.

  A012001539 

 Que si saint Pol conseilla du vin a son disciple pour la foiblesse corporelle, je vous en puis conseiller du spirituel pour la spirituelle..

  A012001539 

 Receves les donq au nom de Dieu, avec ceste seule condition, que vous soyes preste a ne les recevoir pas, et a ne les aymer pas et les rejetter quand vous connoistres, par l'advis de vos superieurs, qu'ilz ne sont pas bons ni a la gloire de Dieu, et que soyés preste de vivre sans cela, quand Dieu vous en jugera digne et capable.

  A012001539 

 Tes mammelles, dit l'Espoux a sa Bienaymee, sont meilleures que le vin, fragrantes et odoriferantes de tres bons unguens et bausmes.

  A012001540 

 Et pour vous, j'ay seulement un scrupule en ce que vous me dites que ces sentimens sont de la creature; mays je pense que vous aves voulu dire qu'ilz viennent a vous par la creature, et neanmoins de Dieu, car il me semble que, par le reste de vostre lettre, vous m'en donnes des argumens.

  A012001540 

 Neanmoins vous deves croire que, quand Dieu vous envoyera ces sentimens, c'est pour vostre imperfection, laquelle il faut combattre, non pas les sentimens qui servent contre elle.

  A012001540 

 Voyla ma responce asses clairement, ce me semble, a laquelle j'adjouste que vous ne facies jamais de difficulté de recevoir que Dieu vous envoye a dextre ou a gauche, avec la preparation et resignation que je vous ay dite; et quand vous series la plus parfaite du monde, vous ne devries pas refuser ce que Dieu vous donne, a condition d'estre preste a le refuser si tel estoit son playsir.

  A012001541 

 Il me semble que je vous voy empressee avec grande inquietude a la queste de la perfection; car c'est cela qui vous a fait craindre ces petites consolations et ces sentimens.

  A012001541 

 Je vous diray maintenant ce que je vous avois promis.

  A012001541 

 Si vous desires que je vous commande, puisque vostre Mere Maistresse le veut, je le feray volontier, et vous commanderay premierement, qu'ayant une generale et universelle resolution de servir Dieu en la meilleure façon que vous pourres, vous ne vous amusies pas a examiner et esplucher subtilement quelle est la meilleure façon.

  A012001542 

 C'est cest empressement que je vous defens expressement, comme la mere imperfection de toutes les imperfections..

  A012001542 

 Vous sçaves que Dieu veut en general qu'on le serve, en l'aymant sur tout, et nostre prochain comme nous mesmes; en particulier, il veut que vous gardies une Regle: cela suffit, il le faut faire a la bonne foy, sans finesse et subtilité, le tout a la façon de ce monde, ou la perfection ne reside pas; a l'humaine et selon le tems, en attendant un jour de le faire a la divine et angelique et selon l'eternité.

  A012001543 

 De la s'ensuit que nous ne devons pas nous estonner de nous voir imparfaitz, puisque nous ne nous devons jamais voir autrement en ceste vie; ni nous en contrister, car il n'y a remede; ouy bien nous en humilier, car par la nous reparerons nos defautz, et nous amender doucement; car c'est l'exercice pour lequel nos imperfections nous sont laissees, n'estans pas excusables de n'en rechercher pas l'amendement, ni inexcusables de [167] ne le faire pas entierement, car il n'en prend pas des imperfections comme des pechés..

  A012001543 

 En voyci deux raysons: l'une, que pour neant examinons-nous cela, puisque, quand nous serions les plus parfaitz du monde, nous ne le devons jamais sçavoir ni connoistre, mais nous estimer tous-jours imparfaitz.

  A012001544 

 L'autre rayson est que cest examen, quand il est fait avec anxieté et perplexité, n'est qu'une perte de tems; et ceux qui le font ressemblent aux soldatz qui, pour se preparer a la bataille, feroyent tant de tournois et d'exces entr'eux que, quand ce viendroit a bon escient, ilz se treuveroyent las et recreuz; ou comme les musiciens qui s'enrouëroyent a force de s'essayer pour chanter un motet; car l'esprit se lasse a cest examen si grand et continuel, et, quand le point de l'execution arrive, il n'en peut plus.

  A012001545 

 Il n'y a pour vous que Dieu et vous en ce monde; tout le reste ne vous doit point toucher, sinon a mesure que Dieu le vous commande et comme il le vous commande.

  A012001545 

 Ne regardés donq rien que cela, j'entens d'une veuë fixe, arrestee et expresse, et tout le reste en passant.

  A012001545 

 Partant, n'espluchés gueres ce que font les autres ni ce qu'ilz deviendront, mais regardés les d'un œil simple, bon, doux et affectionné.

  A012001546 

 Allés joyeusement et a cœur ouvert le plus que vous pourres; et si vous n'alles pas tous-jours joyeusement, allés tous-jours courageusement et confidemment.

  A012001546 

 Mon troysiesme commandement est que vous facies comme les petitz enfans: pendant qu'ilz sentent leur mere qui les tient par les manchettes, ilz vont hardiment et courent tout autour, et ne s'estonnent point des petites bricoles que la foiblesse de leurs jambes leur fait faire: ainsy, tandis que vous appercevres que Dieu vous tient [168] par la bonne volonté et resolution qu'il vous a donné de le servir, allés hardiment, et ne vous estonnes point de ces petites secousses et choppemens que vous feres; et ne s'en faut fascher, pourveu qu'a certains intervalles vous vous jetties entre ses bras et le baysies du bayser de charité.

  A012001547 

 Au demeurant, quand il vous viendra des doutes en ceste vie que vous aves entrepris de suivre, je vous advertis de ne vous pas attendre a moy, car je suis trop loin de vous pour vous assister, cela vous feroit trop languir; il ne manque pas de peres spirituelz pour vous ayder: employés les avec confiance.

  A012001547 

 Ce n'est pour desir que j'aye [169] de ne recevoir pas de vos lettres, car au contraire elles me donnent de la consolation, et je les desire, voire avec toutes les particularités des mouvemens de vostre esprit (et la longueur de la presente vous tesmoignera asses que je ne me lasse pas de vous escrire); mais affin que vous ne perdies pas tems, et, qu'attendant le secours de si loin, vous ne soyes battue et endommagee de l'ennemi..

  A012001548 

 Quant a mes sacrifices, ne doutés que vous n'y ayes part perpetuellement.

  A012001548 

 Si vous sçavies la grande multiplicité des affaires que j'ay et l'embarrassement ou je suis en ceste charge, vous auries pitié de moy et prieries quelquefois Dieu pour moy, et il l'auroit bien aggreable..

  A012001548 

 Tous les jours je vous presente sur l'autel avec le Filz de Dieu; j'espere que Dieu l'aura aggreable.

  A012001561 

 J'ay receu double consolation de la lettre que vous m'escrivistes il y a quelques moys, car elle me tesmoigne vostre bienveuillance, que je desire beaucoup, [171] et me donne advis des graces que Dieu fait a vostre monastere, qui me sont des nouvelles les plus cheres que je sceusse recevoir, d'autant que j'honnore et prise extremement ceste mayso'n par une certaine inclination que Dieu m'en a donné..

  A012001562 

 Il m'est advis que j'en voy la porte ouverte.

  A012001562 

 J'espere qu'en nos jours on verra vostre mont sacré parsemé de fleurs dignes du sang dont il a esté arrousé, et que leur odeur rendra tant de tesmoignage a la bonté de Dieu que ce sera un vray mont de martyres.

  A012001562 

 Je vous supplie seulement, Madame (et pardonnés a la simplicité et confiance dont j'use), que, parce que ceste porte est estroitte et malaysee a passer, vous prenies la peyne et la patience de conduire par icelle toutes vos Seurs l'une apres l'autre; car de les y vouloir faire passer a la foule et en presse, je ne pense pas qu'il se puisse bien faire.

  A012001562 

 La faveur que le Roy vous fit dans l'octave de vostre grand Apostre, quittant la nomination, en est un bon præsage, mesmement estant accompagné de la bonne volonté de ces vertueux espritz qui concourent avec le vostre au desir d'un'entiere reformation, Je represente souvent a l'autel ce saint dessein a Celuy qui l'a [172] dressé et qui vous a donné l'affection de l'embrasser, affin qu'il vous face la grace de le parfaire.

  A012001562 

 Les unes ne vont pas si viste que les autres.

  A012001563 

 Et croyés moy, Madame, le soin le plus parfait c'est celuy qui approche du plus pres au soin que Dieu a de nous, qui est un soin plein de tranquillité et de quietude, et qui, en sa plus grande activité, n'a pourtant nulle esmotion et, n'estant qu'un seul, condescend neanmoins et se fait tout a toutes choses..

  A012001563 

 Le soin que vous deves apporter a ce saint ouvrage doit estre un soin doux, gracieux, compatissant, simple et debonnaire.

  A012001564 

 J'en dis trop, Madame, puisque je ne doute point de vostre charité et humilité; [173] mais je n'en dis pas asses selon l'extreme desir que j'ay a vostre bonheur, auquel seul vous attribueres, s'il vous plait, ceste façon d'escrire, car je n'ay sceu retenir mon esprit de vous presenter naïfvement ce que ceste affection luy suggere..

  A012001564 

 Sur tout, je vous supplie, prevales vous de l'assistence de quelques personnes spirituelles, desquelles le choix vous sera bien aysé a Paris, la ville estant fort grande; car je vous diray, avec la liberté d'esprit que je dois employer par tout, mays particulierement en vostre endroit: vostre sexe veut estre conduit, et jamais, en aucune entreprise, il ne reuscit que par la sousmission; non que bien souvent il n'ayt autant de lumiere que l'autre, mais parce que Dieu l'a ainsy establi.

  A012001565 

 Au demeurant, Madame, ne doutés point que je ne vous communique et applique beaucoup des sacrifices que Nostre Seigneur me permet de luy presenter.

  A012001565 

 Vous n'en donneres jamais part a personne qui soit de meilleur cœur, ni plus que moy,.

  A012001577 

 Je vous remercie de l'advis que vous me donnés touchant la resolution de messieurs de Saint Claude et du soin quil vous plait avoir de cet affaire pour la gloire de Dieu et le bien des brebis quil m'a commises.

  A012001596 

 Cependant, Monsieur, je vous supplie, croyes que tout tel que je suis, je ne cederay jamais a pas un de ceux qui vous sont acquis en affection et fidelité; dequoy quand il vous plaira de tirer les preuves en m'employant, je le prendray en singuliere faveur, comme j'eusse fait a vous rendre service sur le particulier sujet pour lequel vous m'escrivies que [175] vostre agent s'addresseroit a moy, ce quil n'a pas fait jusques a l'heure..

  A012001596 

 Je receu nagueres une des lettres quil vous a pleu m'escrire, si pleyne de tesmoignages de vostre bienveuillance que je n'en pourray jamais tant meriter.

  A012001596 

 Je voudrois que la resjouissance que vous prenés de ma promotion a ceste charge eut autant de sujet en ma capacité et suffisance comm'ell'en a en l'amitié delaquelle il vous plait m'honnorer; Dieu, par sa bonté, m'aydera et suppleera a ce qui me manque.

  A012001613 

 Dieu, pour le service et gloire duquel je vous le desire, vous veuille disposer luy mesme de sa main, affin que vous soyes son bon serviteur et fidelle ....

  A012001613 

 Je vous envoyeray l'advis que vous desires de moy touchant la preparation requise pour subir le faix qui pend meshuy sur vos espaules.

  A012001624 

 Aussi bien faut il que tous, les uns apres les autres, nous en sortions selon l'ordre qui est establi; et les premiers ne s'en trouvent que mieux, quand ilz ont vescu avec soin de leur salut et de leur ame, comme a fait monsieur mon oncle et mon aisné, duquel la conversation a esté si douce et si utile a tous ses amis, que nous, qui avons esté de ses plus familiers et intimes, ne sçaurions nous empeseher d'avoir beaucoup de regret de la separation qui s'en est faitte.

  A012001624 

 C'est la principale pensee que nos amis decedés requierent de nous, en laquelle je vous supplie de vous entretenir, laissant les desmesurees tristesses pour les espritz qui n'ont point de telles esperances..

  A012001624 

 Ce sera la ou nous accomplirons et parfairons sans fin les bonnes et chrestiennes amitiés que nous n'avons fait que commencer en ce monde.

  A012001624 

 Et ce desplaysir ne nous est pas defendu, pourveu que nous le moderions par l'esperance que nous avons de ne demeurer gueres separés, mays que dans peu de tems nous le suivrons au Ciel, lieu de nostre [177] repos, Dieu nous en faysant la grace.

  A012001624 

 Mais j'estime que vous aves tant de charité et de crainte de Dieu, que, voyant son bon playsir et sainte volonté, vous vous y accommoderes, et adoucirés vostre desplaysir par la consideration du mal de ce monde, qui est si miserable que, si ce n'estoit nostre fragilité, nous devrions plustost louer Dieu quand il en oste nos amis que non pas nous en fascher.

  A012001624 

 Si je ne sçavois que vostre vertu vous peut donner les consolations et resolutions necessaires a supporter avec un courage chrestien la perte que vous aves faitte, je m'essayerois a vous en presenter quelques raysons par ceste lettre; et, s'il estoit requis, je vous les porterois moy mesme.

  A012001625 

 Cependant, Madame ma Tante, j'ay tant d'affection a la memoire de nostre deffunct et a vostre service, que vous accroistres infiniment l'obligation que j'y ay si vous me faites l'honneur de me commander avec toute liberté et de m'employer en grand'asseurance.

  A012001625 

 Faites le, je vous supplie de tout mon cœur, et je prie Nostre Seigneur qu'il accroisse en vous ses saintes consolations et vous comble des graces que vous souhaitte,.

  A012001637 

 C'est pourquoi je ne me suis point resolu d'en partir pour vous aller saluer et demander vos commandemens avant mon despart pour Piemont; ce que j'eusse fait, sans doute, si je ne me fusse promis le premier bonheur.

  A012001637 

 Je m'attendois, sur l'esperance que vous m'en avies donnee, d'avoir l'honneur de vous voir en cette ville [178] quelques jours de cette Semaine Sainte.

  A012001637 

 Je me prometz aysement cette faveur de vostre bonté, en laquelle seule je puis prendre la confiance que je prens de la vous demander si franchement..

  A012001637 

 Je vous supplie, Monsieur, de me conserver tous-jours lhonneur de vostre bienveuillance, et de me favoriser d'une recommandation qui me face bien tost despecher; car outre ce, qu'ayant fait la fidelité que je dois je seray fort inutile de dela, je laisse un grand amas d'affaires spirituelles de deça qui, de leur nature, requierent la presence de l'Evesque.

  A012001638 

 Outre cela, Monsieur, je vous fay encor une supplication pour un pauvre curé de Ternier, qui s'appelle Burgiat, curé de Beaumont, qui a esté fait prisonnier de guerre par ceux de Geneve, affin que si il se fait quelque traitté dans lequel il puisse rencontrer sa delivrance par [179] quelque eschange ou autrement, il vous plaise, Monsieur, luy faire cette charité; et je puis vous asseurer qu'elle sera fleurie devant nostre bon Dieu, puisque il a esté pris sans sa coulpe et quil rendoit fort bien son devoir..

  A012001659 

 Je ne puis nier que je ne sois beaucoup consolé de voir la confiance que vous aves en mon affection en vostre endroit, laquelle aussi est autant grande et constante que vous la sçauries desirer.

  A012001660 

 Il ne suffit pas de croire que Dieu nous peut secourir par toutes sortes d'instrumens; mais il faut croire qu'il ne veut pas y employer ceux qu'il esloigne de nous, et qu'il veut employer ceux qui sont pres de nous.

  A012001660 

 Pendant que j'estois la je n'eusse pas rejetté ceste persuasion; mais maintenant elle est du tout hors de sayson..

  A012001660 

 Premierement, croyés fermement, je vous supplie, que l'opinion que vous aves de ne devoir recevoir allegement de Dieu que par moy est une pure tentation de celuy qui a accoustumé de nous mettre des objetz esloignés en consideration, pour nous oster l'usage de ceux qui nous sont presens.

  A012001661 

 Apres cela il me semble que vous aves rencontré le vray sujet de vostre mal, quand vous me dites qu'il vous est advis que c'est une multitude de desirs qui ne pourront jamais estre accomplis.

  A012001661 

 Demandés les remedes a Nostre Seigneur et aux peres spirituelz que vous aves aupres de vous; car iceux, touchant vostre mal avec la main, connoistront bien quelz remedes il y faut appliquer.

  A012001662 

 C'est que si vous ne commences a mettre en execution quelques uns de ces desirs, ilz se multiplieront tous-jours et s'embarrasseront avec vostre esprit en sorte que vous ne sçaures comme vous en demesler.

  A012001662 

 Cela est entierement en vostre pouvoir, et partant vous deves les executer; car en vain feres vous dessein d'executer les choses dont le sujet n'est pas en vostre puissance ou est bien esloigné, si vous n'executes celles que vous aves a vostre commandement.

  A012001662 

 Il faut que Magdeleine lave premierement les piedz de Nostre Seigneur, les bayse, les torche, avant que de l'entretenir cœur a cœur au secret de la meditation, et qu'elle respande l'unguent sur son cors avant que de verser le bausme de ses contemplations sur sa Divinité..

  A012001662 

 Mays par quel ordre? Il faut commencer par les effectz palpables et exterieurs, qui sont le [181] plus en nostre pouvoir: par exemple, il n'est pas [requis] que vous n'ayes desir de servir aux malades pour l'amour de Nostre Seigneur, de faire quelques vilz et abjectz services en la mayson par humilité; car ce sont desirs fondamentaux, et sans lesquelz tous les autres sont et doivent estre suspectz et mesprisés.

  A012001662 

 Partant, executés fidellement les desirs bas et grossiers de la charité, humilité et autres vertuz, et vous verrés que vous vous en treuveres bien.

  A012001663 

 Il est bon d'empescher cette multiplication de desirs, de peur que nostre ame ne s'y amuse, laissant ce pendant le soin des effectz, desquelz, pour l'ordinaire, la moindre execution est plus utile que les grans desirs des choses esloignees de nostre pouvoir, Dieu desirant plus de nous la fidelité aux petites choses qu'il met en nostre pouvoir que l'ardeur aux grandes qui ne dependent pas de nous..

  A012001663 

 On empesche les vignes et les arbres de porter des feuilles affin que leur humidité et suc soit par apres suffisant pour rendre du fruict, et que toute leur force naturelle ne s'en aille en la production trop abondante des feuilles.

  A012001665 

 Ayés bon courage: Cette maladie ne sera pas a la mort, mais affin que Dieu soit glorifié par icelle.

  A012001665 

 Il est vray que l'allegement leur est court et incertain; mays si vous venes avec humilité embrasser le pied de la Croix, si vous n'y treuves autre remede, au moins y treuveres-vous la patience plus douce qu'ailleurs, et le trouble plus aggreable..

  A012001665 

 Mais en fin, si vous ne treuves point de repos en ces remedes, ayés patience; attendés que le soleil soit levé, il dissipera ces broùillars.

  A012001666 

 Je vous ay voulu dire quelque chose, plus pour vous tesmoigner le desir que j'ay de vostre bien que pour penser que je sois capable de vous y servir.

  A012001666 

 Ne doutés point, au reste, que je ne vous recommande a ce Pere de lumiere; je le fay avec une tres grande volonté et inclination, croyant, pour ma consolation, que vous me rendrés fidellement le reciproque, dont j'ay a la verité bon besoin, pour estre embarqué en l'endroit le plus tempestueux et tourmenté de toute cette mer de l'Eglise..

  A012001667 

 Elle ne treuvera pas, peut estre, un autre monastere chez son pere comme vous aves treuvé chez le vostre; neanmoins j'espere que Dieu la fera cheminer devant luy et estre parfaitte, car j'ay confiance en la misericorde de Dieu qu'elle en fera quelque chose de mieux..

  A012001667 

 Je n'oublie point non plus la bonne Seur Anne Seguier, que je cheris tendrement en Jesus Christ.

  A012001668 

 Je finis, vous priant de continuer en la resolution que vous faittes au milieu de vostre lettre quand vous dites: Je proteste devant Dieu et devant vous que je ne veux que luy et ne veux servir qu'a luy.

  A012001668 

 « Cela est digne est juste, » puisqu'aussi luy ne veut de vous que vous mesme.

  A012001679 

 Ce m'est un extrem'honneur d'estre si avant en vostre souvenance que non seulement vous ayes daigné [184] m'escrire le 16 avril, mais aussi il vous aye pleu de tesmoigner que vous auries aggreable de recevoir de mes lettres.

  A012001679 

 D'ou je ne suis de retour que des trois jours en ça, ayant esté despeché seulement au dernier jour que Son Altesse fut en Piemont, apres lequel il partit pour aller a Nice conduire Messeigneurs les Princes sur la mer pour le voyage d'Espagne, lequel, autre chose ne survenant, je tiens des ormais pour fait: et ce sont toutes les nouvelles de Piemont..

  A012001679 

 Mais la favorable plainte que vous me faites a moymesme de n'en point recevoir me couvriroit de honte si j'eusse autant eu de commodité de vous en envoyer comme j'en ay eu de desir; car, en l'asseurance de vostre bonté, Madame, je n'eusse pas failly de vous faire plus souvent la reverence par lettres, si je n'eusse esté empesché par le voyage et sejour que j'ay esté contraint de faire en Piemont, pour obtenir la mainlevee des revenuz de mon evesché que Son Altesse m'avoit fait saysir un peu apres que je fus fait Evesque.

  A012001680 

 Et quant a celles de ce pais, elles sont si desagreables que je ne pense pas vous en devoir entretenir, puis qu'elles ne consistent qu'en volleries et pilleries que font ceux de Geneve sur nous, et particulierement sur les gens d'Eglise qui seulz ne sont receuz a aucune contribution [185] ni composition, dont s'en est ensuivi l'abandonnement d'une grande quantité d'eglises.

  A012001681 

 Ce pendant je remercie tres humblement Vostre Excellence du soin qu'ell'a eu de mon frere et la supplie de me continuer lhonneur de cette bienveuillance quil luy plait me porter, bien que j'en sois indigne.

  A012001692 

 Je veux absolument et sans replique que vos chantres, le sousdiacre que vous me donneres et l'encenseur [186] soyent des chanoynes, nonobstant toutes vos coustumes, puisque ceux de mon eglise sont de cette qualité la.

  A012001708 

 J'ay receu deux de vos lettres, ausquelles je n'ay pas encor fait response parce que, quand elles arriverent icy, je n'y estois pas, mais en Piemont, ou j'ay esté contraint de faire un voyage pour les biens temporelz de cet evesché.

  A012001708 

 Maintenant, Monsieur, je vous envoye la provision de Rome que vous desiries, laquelle j'ay ouverte pour sçavoir si tout ce dont vous avies besoin y estoit; et je voy que tout y est, et quelque chose davantage, dont vous n'aves que faire, ne prejudiciant en rien a la provision pour le reste qui vous est requis.

  A012001708 

 Que s'il vous reste quelque difficulté, prenés en la mesme confiance [187] avec moy; je vous asseure, Monsieur, que jamais je ne me lasseray de rendre du service a vostre consolation et a vostre esprit, lequel j'espere que Dieu addressera pour le service de plusieurs autres..

  A012001709 

 Neanmoins, voyci un abbregé de ce que j'ay a vous proposer..

  A012001710 

 Et pour faire cette grande et solemnelle mutation, il faut renverser vostre esprit et le remuer par tout; et pleust a Dieu que nos charges, plus tempestueuses que la mer, eussent aussi la proprieté de la mer, de faire jetter et vomir toutes les mauvaises humeurs a ceux qui s'y embarquent.

  A012001710 

 Helas, Dieu soit loué, qui vous a donné le desir de n'en faire pas de mesme; j'espere qu'il vous en donnera encor le pouvoir affin que son œuvre soit parfaitte en vous..

  A012001710 

 Je vous diray ce qui fut dit a un berger choisi pour estre Roy sur Israël: Mutaberis in virum alterum; il faut que vous soyes tout autre en vostre interieur et en vostre exterieur.

  A012001711 

 C'est un extreme soulagement que d'avoir des confidens pour l'esprit.

  A012001711 

 Il faut s'en prevaloir avec autant de confiance que de nul autre, mais avec quelque respect a ses affaires.

  A012001711 

 J'ay un tres grand amy, que M. Raubon connoist: c'est M. de Soulfour; il peut beaucoup en ces occasions.

  A012001711 

 Je desirerois que vous le conneussies, estimant que vous en auries beaucoup de consolation..

  A012001711 

 Je vous en nomme un troisiesme, homme a qui Dieu a beaucoup donné et qu'il est impossible d'approcher sans beaucoup proffiter, c'est M. de Berulle; il est tout tel que je sçaurois desirer d'estre moy mesme.

  A012001711 

 Pour vous ayder a ce changement il faut que vous employes les vivans et les mortz: les vivans, car il vous faut treuver un ou deux hommes bien spirituelz, de la conversation desquelz vous puissies vous prevaloir.

  A012001712 

 Ayés, je vous prie, Grenade tout entier, et que ce soit vostre second breviaire; le Cardinal Borromee n'avoit point d'autre theologie pour prescher que celle la, et neanmoins il preschoit tres bien.

  A012001712 

 De la premiere sorte vous en deves avoir avant que d'entrer en charge, et les lire et mettre en usage; car il faut commencer par la vie monastique avant que de venir a l'œconomique et politique.

  A012001712 

 Il faut le lire avec reverence et devotion, comme un livre qui contient les plus utiles inspirations que l'ame peut recevoir d'en haut; et par la, reformer toutes les puissances de l'ame, les purgeant par detestation de toutes leurs mauvaises inclinations, et les addressant a leur vraye fin par des fermes et grandes resolutions..

  A012001712 

 Mon opinion seroit que vous commençassies a le [189] lire par la grande Guide des Pecheurs, puis que vous passassies au Memorial, et en fin que vous le leussies tout.

  A012001712 

 Quant aux mortz, il faut que vous ayes une petite bibliotheque de livres spirituelz de deux sortes: les uns pour vous entant que vous seres ecclesiastique, les autres pour vous entant que vous seres Evesque.

  A012001713 

 Mais apres tous, il me souvient de [190] vous recommander les Epistres spirituelles de Jan Avila, esquelles je suis asseuré que vous verrés plusieurs belles considerations et leçons pour vous et pour les autres; et, tout d'un train, je vous recommande les Epistres de saint Hierosme, en son excellent latin..

  A012001714 

 Item, je desire que vous ayes la Vie du bienheureux Cardinal Borromee, escritte au long par Charles a Basilica Petri en latin, car vous y verrés le modelle d'un vray pasteur; mais sur tout ayés tous-jours es mains le Concile de Trente et son Catechisme..

  A012001714 

 Que s'il vous plait d'avoir un abbregé de l'un et de l'autre, ayés le livre intitulé Stimulus Pastorum, de l'Archevesque Braccarense, en latin, imprimé chez Keruer.

  A012001715 

 Je ne pense pas que cela ne vous suffise pour la premiere annee, pour laquelle seule je parle; car pour le reste, vous seres mieux conduit que cela, et par cela mesme que vous aures avancé en la premiere annee, si vous vous enfermes dans la simplicité que je vous propose.

  A012001715 

 Mais excusés moy, je vous supplie, si je traitte avec cette [191] confiance; car je ne sçaurois faire en autre façon pour la grande opinion que j'ay de vostre bonté et amitié..

  A012001716 

 Vous sçaves que le commencement en toutes choses est fort considerable, et peut on bien dire que « primum in unoquoque genere est mensura cæterorum.

  A012001717 

 L'autre point est que je vous desire beaucoup de confiance et une particuliere devotion a l'endroit du saint Ange gardiateur et protecteur de vostre diocese, car c'est une grande consolation d'y recourir en toutes les difficultés de la charge.

  A012001717 

 Pour le surplus, Monsieur, vous m'obligeres beaucoup de m'aymer estroittement et de me donner la consolation de m'escrire familierement, et croyés que vous aves en moy un serviteur et frere de vocation autant fìdelle que nul autre..

  A012001717 

 Tous les Peres et theologiens sont d'accord que les Evesques, outre leur Ange particulier qui leur est donné pour leur personne, ont l'assistence d'un autre commis pour leur office et charge.

  A012001718 

 J'oubliois de vous dire que vous deves en toute façon prendre resolution de prescher vostre peuple.

  A012001718 

 Je voy que vous escrives si bien vos lettres, et fluidement, qu'a mon advis, pour peu que vous ayes de resolution, vous feres bien les sermons; et neanmoins je vous dis, Monsieur, qu'il n'en faut pas avoir peu de resolution, mais beaucoup, et de la bonne et invincible..

  A012001718 

 Le sermon paternel d'un Evesque vaut mieux que tout l'artifice des sermons elabourés des predicateurs d'autre sorte.

  A012001718 

 Ne le faittes pas pour devenir grand predicateur, mays simplement parce que vous le deves et que Dieu le veut.

  A012001732 

 Je luy proposay que, venant un agent de Madame, il seroit expedient de commander a quelques uns des officiers de la justice de terminer en une journee amiable toutes les difficultés qu'elle avoit, soit avec le seigneur Dom Amedeo, soit avec autres; ce que Son Altesse accorda fort volontier, et monstra de priser extremement tout ce qui appartenoit au contentement de Madame, comme sa parente proche et vefve d'un prince son parent, et des louanges duquel il me dit merveilles..

  A012001732 

 Je reviens naguere de Piemont, ou je vis Son Altesse et l'entretins quelque tems sur les affaires que Madame a de deça, et le treuvay fort disposé a luy donner toute assistence et faveur pour en chevir.

  A012001733 

 J'en fus extremement marri pour m'estre treuvé court au service que j'avois desiré rendre a Madame..

  A012001733 

 Mais ce pendant que je traittoys ces choses en Piemont, la Chambre des Comptes acheminoyt le proces que Madame a avec le seigneur Dom Amedeo pour Conflens, si que, a mon arrivee, je le treuvay prest a juger; et, selon l'advis du juge, j'escrivis tout aussi tost a Son Altesse [194] pour avoir surseance et ordre que tout fut retardé, suivant l'accord qu'il m'avoit fait de terminer les differens sans proces.

  A012001733 

 Mais tout cela pour neant, car ma lettre ne fut pas en chemin que l'arrest sortit tel que le juge vous escrira, ainsy quil m'a dit.

  A012001734 

 Je treuvay en Piemont monsieur le referendaire Millet, et passay en Maurienne pour parler a Monsieur l'Evesque touchant Faverges; ilz persistent, et s'offrent de solliciter, ayant procure de Madame, pour faire rendre les deniers sans que Madame en face la despence, suivant les memoires que je vous en laissay.

  A012001735 

 Faittes moy cet honneur, Monsieur, que de l'en asseurer et luy presenter une tres humble reverence en mon nom, ce pendant que je prieray Dieu quil vous comble de ses graces et que je suis,.

  A012001735 

 Je m'essayeray de la contenter au plus tost, n'ayant aucun affaire mondain en mon esprit que celluy-la, et de luy rendre tous les services quil me sera possible en toutes occurrences, comme tres-obligé que j'y suis.

  A012001735 

 Reste que je parle de moy, qui suis tres marri de ne pouvoir si tost chevir du payement de Thorens; mais [195] j'espere que Madame aura quelque consideration au malheur qui nous accable de deça et auquel Thorens mesme a une grande part.

  A012001754 

 C'est pourquoy j'envoye le porteur aupres de vous, Monsieur, pour vous les representer, estimant de ne treuver pas moins de faveur pour nostre droit que nous y en avons tous-jours treuvé, et que je me prometz d'en treuver ci apres..

  A012001754 

 J'ay consideré l'expedient que le sieur cappitaine de Moyron propose pour descharger les ecclesiastiques du logement de guerre et y ay veu plusieurs inconveniens, et, entre les autres, celuy que je crains le plus, [196] qui est que la liberté et immunité ecclesiastique en seroit, ce me semble, directement violee.

  A012001769 

 Dieu neanmoins nous fait des consolations en ce que jamais nos ennemis ne sont rencontrés quilz ne soyent battus.

  A012001769 

 Il me semble quil y a cent ans que je ne vous ay escrit, et deux cens que je n'ay receu de vos nouvelles.

  A012001769 

 J'ay de peyne, par la grace de Dieu, autant que j'en puis porter; je desire que vous m'aydies fort par vos prieres et par celles de vos amis.

  A012001769 

 Jamais je ne vous oublie aux miennes que je fay a l'autel, ni le filz ni nostre fille, de laquelle mon esprit ne peut abandonner le soin, quoy qu'inutile..

  A012001769 

 Nos nouvelles ne sont que des [197] vielles miseres, entre lesquelles les plus grandes sont celles qui concernent l'abandonnement de cent eglises autour de Geneve, presque desolees.

  A012001770 

 Je doy une lettre a monsieur Asseline et un'autre encores, que je luy addresseray, a un de ses amis qu'il a voulu rendre le mien par la regie de communication; je n'ay le loysir de payer maintenant, ce sera a la premiere commodité.

  A012001774 

 J'escris a madame de Montmartre en response de celle qu'elle m'escrivit et que vous m'envoyastes.

  A012001787 

 Et avant consideré l'un et l'autre, j'ay jugé que vous estiés de bon accord en effect, encor quil semble qu'il y ait quelque difference en paroles; car ayant demandé a [199] monsieur Loquet sil vouloit vous obliger par sa fondation a fournir plus quil ne vous reviendroit du revenu d'icelle, il m'a dit que nanni: aussi ne seroit-il pas bien raysonnable.

  A012001787 

 J'ay encor voulu sçavoir sil desiroit plus de soin et d'obligation de vostre Chapitre a la conservation du fondz et des revenuz de sa fondation que vous n'en aves au demeurant des biens de vostre eglise; il m'a semblablement dit que non, et que son intention n'estoit que de vous obliger d'avoir un pareil soin de la maintenance et conservation de sa fondation que celuy que vous estes obligés d'avoir du reste de vos revenuz et autres fondations.

  A012001787 

 J'ay veu les propositions que monsieur Loquet fait pour fonder a ses despens l'entretenement de quattre enfans de chœur en vostre eglise et, quant et quant, j'ay aussi veu les responses que vous y aves faittes.

  A012001787 

 Or, cela est fort raysonnable; car quand il ni auroit aucune clausule obligatoire, si est ce que vous ne laysseries d'estre redevables de maintenir soigneusement et en bons peres de famille telz biens et fondz; mais pour tout cela vous ne seriés pas tenuz ni a l'impossible ni a la charge, si les moyens se perdoyent sans vostre faute et coulpe.

  A012001788 

 C'est pour cela que je vous ay voulu escrire ces deux motz, me doutant que, faute de vous entr'entendre, cette œuvre ne se perdit, comme il arrive bien souvent des bons desseins.

  A012001788 

 Neanmoins, si vous estimes pour quelque autre rayson de devoir apporter de la difficulté en cet affaire, je vous prieray de m'en advertir, affin que j'apporte le plus que je pourray de diligence et industrie pour accommoder le tout a la gloire de Dieu, ornement de son service et vostre contentement..

  A012001789 

 Cependant, je me recommande a vos oraysons, et prie reciproquement Nostre Seigneur quil vous accompagne de ses graces et nous donne a tous l'esprit et zele de son service, qui est ce que doit desirer,.

  A012001804 

 Il me reste a vous en ramentevoir aux occasions, qui m'a fait maintenant vous en rafraischir la premiere supplication que je vous en ay faite, laquelle vous gratifieres, je m'en asseure, non seulement pour l'humble et entiere affection de laquelle je vous honnore, mais aussi en contemplation de ce bon Prælat decedé, duquel les merites vivent devant Dieu et en vostre souvenance..

  A012001804 

 Je vous suppliay, a mon despart de Chamberi, de vouloir donner une place en la cavallerie au sieur de Grenier, d'Hiene, que je dois affectionner pour estre neveu de feu Monsieur l'Evesque, mon bon prædecesseur; vous me fistes la grace, Monsieur, de me l'accorder.

  A012001822 

 Les fievres spirituelles, aussi bien que les corporelles, sont ordinairement suivies de plusieurs ressentimens, qui sont utiles a celuy qui guerit pour plusieurs raysons, mais particulierement parce qu'ilz consument les restes des humeurs peccantes qui avoyent causé la maladie, affin qu'il n'en demeure pas un brin; et parce que cela nous remet en memoire le mal passé, pour faire craindre de la recheute, a laquelle bien souvent nous nous porterions par trop de licence et de liberté, si les ressentimens, comme menaces, ne nous retenoyent en bride pour nous faire prendre garde a nous jusques a ce que nostre santé soit bien confirmee..

  A012001822 

 Que s'il n'est encor pas du tout desengagé, il ne s'en faut pas estonner.

  A012001823 

 Car je suis asseuré que vous remarqueres aysement que les travaux interieurs que vous aves souffertz ont esté causés par une multitude de considerations et de desirs, produitz avec un grand empressement pour atteindre a quelque perfection imaginaire.

  A012001823 

 Je veux dire que vostre imagination vous avoit formé une idee de perfection absolue, a laquelle vostre volonté se vouloit porter; mays, espouvantee de la grande [202] difficulté, ou plustost impossibilité, elle demeuroit grosse au mal de l'enfant, sans pouvoir enfanter.

  A012001823 

 Mais, ma bonne Fille, puisque vous voyla a moitié eschappee de ces terribles passages par ou vous aves esté conduitte, il me semble que vous deves maintenant prendre un peu de repos, et vous arrester a considerer la vanité de l'esprit humain, comme il est sujet a s'embrouiller et embarrasser en soy mesme.

  A012001824 

 Sçachés que la vertu de patience est celle qui nous asseure le plus de la perfection, et s'il la faut avoir avec les autres, il faut aussi l'avoir avec soy mesme.

  A012001825 

 Et qu'est ce a dire, la preparation de nostre cœur? Selon la sainte Parole, Dieu est plus grand que nostre cœur, et nostre cœur est plus grand que tout le monde.

  A012001825 

 Toute cette preparation neanmoins n'est nullement proportionnee a la grandeur de Dieu, qui est infiniment plus grand que nostre cœur; mais aussi cette preparation est [203] ordinairement plus grande que le monde, que nos forces, que nos actions exterieures..

  A012001826 

 Mays au bout de la, il faut chercher qui le face; car quand ce vient a la prattique, nous demeurons courtz, et voyons que ces perfections ne peuvent estre si grandes en nous ni si absolues.

  A012001827 

 Il faut, pour bien cheminer, nous appliquer a bien faire le chemin que nous avons plus pres de nous, et la premiere journee, et non pas s'amuser a desirer de faire la derniere pendant qu'il faut faire et devuider la premiere..

  A012001827 

 On peut bien faire des simples souhaitz qui tesmoignent nostre reconnoissance; je puis bien dire: Hé, que ne suis je aussi fervent que les Seraphins pour mieux servir et louer mon Dieu! Mais je ne doy pas m'amuser a faire des desirs comme si en ce monde je devois atteindre a cette exquise perfection, disant: Je le desire, je m'en veux essayer, et si je ne puis y atteindre je me fascheray.

  A012001828 

 Je vous diray ce mot, mais retenes le bien: nous nous amusons quelquefois tant a estre bons Anges, que nous en layssons d'estre bons hommes et bonnes femmes.

  A012001829 

 Je ne sçai si je vous escris a propos; mais il m'est venu au cœur de vous dire cecy, estimant qu'une partie de vostre mal passé vous est arrivee de ce que vous aves fait des grandes preparations; et voyant que les effectz estoyent tres petitz et les forces insuffisantes pour prattiquer ces desirs, ces desseins et ces idees, vous aves eu des certains creve cœur, des impatiences, inquietudes et troubles; puis ont suivi des desfiances, allanguissemens, abbaissemens ou defaillances de cœur.

  A012001831 

 Il vous semble que ce soyent des armees; ce ne sont que des saules esbranchés, et ce pendant que vous regardés la, vous pourries faire quelque mauvais pas.

  A012001831 

 Regardés devant vous, et ne regardés pas a ces dangers que vous voyes de loin, ainsy que vous m'aves escrit.

  A012001832 

 Ce sera vostre bonheur si vous n'aves nul autre que le doux Jesus, lequel, comme il ne veut pas que l'on mesprise la conduitte de ses serviteurs quand on la peut avoir, aussi quand elle nous defaut, il supplee pour tout; mais ce n'est qu'a cette extremité, a laquelle si vous estes reduitte, vous l'experimenteres..

  A012001832 

 J'appreuve infiniment l'advis du Pere N., que vous ayes un directeur, entre les bras duquel vous puissies doucement deposer vostre esprit.

  A012001833 

 Ce que je vous escrivis n'estoit pas pour vous garder de communiquer avec moy par lettres, et de conferer de vostre ame qui m'est tendrement chere et bienaymee, mais pour esteindre l'ardeur de la confiance que vous avies en moy, qui, pour mon insuffisance et pour vostre esloignement, ne puis vous estre que fort peu utile, bien que tres affectionné et tres dedié en Jesus Christ.

  A012001833 

 Escrivés moy donq en confiance, et ne doutés nullement que je ne responde fidellement.

  A012001833 

 J'ay mis au fons de la lettre ce que vous desiries, affin qu'elle soit pour vous seulement..

  A012001834 

 Vous me deves cette charité par les loix de nostre alliance, et puisque je vous contrechange par la continuelle souvenance que je porte de vous a l'autel et en mes foibles prieres.

  A012001845 

 Je garde tous-jours et regarde souvent la lettre que monsieur le præsident Favre, mon frere, m'apporta de vostre part.

  A012001845 

 Je la garde, par ce que c'est le seul tiltre par lequel je vous puis demander l'estroitte bienveüillance qu'elle me promet; je la regarde, pour y voir cette mesme bienveuillance si courtoysement depeinte que je ne la sçaurois voir ailleurs avec plus de douceur et playsir..

  A012001846 

 Je regrette tous-jours de n'avoir eu autant de bonheur pour la connoistre pendant que je fus a Paris comme j'ay de devoir maintenant a la reconnoistre; ce que je fay avec toute la sincerité que vous sçauries desirer d'un homme duquel vous aves entierement acquis le service et volonté, comme je vous supplie de croire, et de nourrir cett'amitié que vostre seule bonté a fait naistre pour m'en favoriser, tandis que de mon costé je prieray Dieu quil vous comble de ses graces, et demeureray inviolablement....

  A012001856 

 Pour moy, a cette derniere allarme, a peu que je ne perdis courage, comm'ayant des-ja esté longuement debout et en faction pour les præcedentes difficultés; outre ce, quil me sembloit que meshuy la chose devoit estr'asseuree, puisque la court de Parlement avoit interposé son arrest..

  A012001856 

 [Monsieur] de la Bastie de Dombes me fait une recharge de toute autre façon; car il vient (sic) a Farges [208] et Asserens, ou il monstra un'extreme affection et resolution pour empescher la jouissance des biens qui estoyent clairement donnés et ouctroyés pour l'entretenement du pasteur de ces lieux en l'ordonnance que vous, Monsieur, en avies faitte par les patentes de l'establissement.

  A012001857 

 C'est cela qui me mit fort en peyne, en laquelle je serois encor si je ne me fusse resouvenu que vous l'aymies et avies beaucoup d'authorité sur luy; car j'ay pensé qu'encor quil eut fait tant de demonstration de roydeur, si est ce que vostre entremise le plieroit tous-jours assés a la rayson quand il vous plairoit de l'y employer.

  A012001857 

 Ce que je vous supplie humblement de faire, non seulement pour lhonneur et service de Dieu, qui vous est le plus cher, mais encor pour lhonneur de la premiere action que vous aves faitte en ce sujet et qui a servi de fondement a toute cette suitte.

  A012001857 

 Je fus estonné de ce que monsieur de la Bastie y estoit venu luy mesme, qui tesmoignoit un'ardeur d'esprit et une volonté tout'entiere; mais je le fus encor plus quand je sceu que ce n'estoit point pour luy ni pour aucun de ses enfans, mais pour un tiers.

  A012001857 

 Je vous supplie, Monsieur, de le faire et de moderer l'affection de monsieur de la Bastie, puis [209] que mesme le sieur lieutenant civil et criminel de Gex nous a renvoyé tous deux devers vous pour estre reglés sur l'intelligence de vostre ordonnance, laquelle, bien qu'elle soit tres claire, on veut neanmoins obscurcir..

  A012001858 

 J'ay deduit ce fait un peu bien au long affin que, par ce moyen, vous sceussies les accidens survenuz en une besoigne que je vous ay veu embrasser avec tant de ferveur, au milieu de la rigueur du plus grand froid de l'annee, avec tant de consolation de tous ceux qui furent presens, et specialement de feu Monsieur l'Evesque mon predecesseur, qui, pendant quil a vescu despuis, ne sceut onques s'empescher d'en faire feste..

  A012001859 

 Au demeurant, Monsieur, j'ay tous-jours esté extremement curieux de sçavoir des nouvelles de vostre santé, et les dernieres que j'en ay eues ont esté que vous avies esté prendre congé de Monsieur et Madame de Nemours pour venir de deça pour le service du Roy; qui m'a fait mettre en doute si ceste lettre vous rencontreroit encor a Paris ou si vous series des-ja en chemin: c'est pourquoy j'en ay fait un duplicat, affin que l'un fut envoyé d'un costé et l'autre de l'autre.

  A012001859 

 Et cependant que j'attends l'asseurance de la reception, je prieray Dieu quil vous comble de ses benedictions, et demeureray de toute mon affection,.

  A012001872 

 En quoy la verité est que je n'ay pas liberté de faire election d'aucun expedient, comme j'aurois si j'en estois le juge souverain, puisque le Saint [211] Siege Apostolique et le siege de Vienne, qui est metropolitain de ce diocsese, m'ont entierement lié les mains, et particulierement pour le regard de la façon de proceder que monsieur le Præsident de Genevoys m'a proposee, qui fut celle que feu Monsieur l'Evesque Justinien fit prattiquer une fois.

  A012001872 

 Je remercie tres humblement Vostre Excellence du soin qu'ell'a eu de respondre a la supplication que je luy avois faitte, pour avoir congé de terminer par le droit et justice le different que le Chapitre de l'eglise cathedrale de ce diocæse a avec celuy de Nostre Dame de cette ville.

  A012001873 

 Aussi, a la verité, les exemples de la Sainte Chapelle et Sainte Geneviefve ne reviennent nullement a ce sujet, dautant que ni la Sainte Chapelle ni Sainte Geneviefve ne sont point eglises sujettes a l'Evesque, mais exemptes, et partant n'ont autre devoir que de reverence a l'eglise cathedrale du diocaese ou elles se treuvent, mais non pas d'aucune subordination ni dependence.

  A012001873 

 Et bien que la Sainte Chapelle et Sainte Genevieve soyent des eglises exemptes, si est ce qu'elles n'iroyent pas a costé de la cathedrale si elles n'avoyent des privileges speciaux du Saint Siege a cest effect; ce que tesmoigne le docteur Chassanee en son Cathalogue, disant que les Rois de France ont obtenu cela par privilege special, que leur chapelle estant prés de leur personne, sont esgalees (sic) avec toutes cathedrales.

  A012001883 

 J'en ay fait un memoyre que j'ay addressé a monsieur de la Bretonniere..

  A012001883 

 Je luy represente maintenant la [213] mesme supplication, et qu'il luy playse de se faire dire les raysons qui m'ostent le pouvoir d'employer l'expedient que monsieur le president Favre m'a proposé.

  A012001883 

 Je remercie tres humblement Vostre Excellence du soin qu'ell'a eu de respondre a la supplication que je luy fis, pour avoir son congé de terminer par le droit et les constitutions de l'Eglise le different de precedence qui est entre le Chapitre de Saint Pierre et celuy de Nostre Dame en cette ville.

  A012001884 

 Mais je me resouviens aussi, Monseigneur, que vous estes si entier en la pieté, que vous ne voudres jamais en rien authoriser ceux qui voudront rompre les ordonnances de l'Eglise, sous le voyle et pretexte d'estre advoüés vos chapelains.

  A012001884 

 Mais sur tout je supplie tres humblement Vostre Excellence de leur defendre l'usage de son nom pour se defendre en si mauvaise cause, et contre moy, Monseigneur, qui [suis] si jaloux du respect que je dois a tout ce qui luy appartient, quil ne sera jamais besoin de m'en resouvenir.

  A012001895 

 Je me suis fort peu meslé des affaires de la Mayson de Thonon jusques a præsent; neanmoins, ayant icy un creancier d'icelle, homme de merite et qui est en extreme necessité, je me suis des-ja essayé de le faire payer par autre voye, selon les moyens que le Pere Cherubin m'avoit proposés.

  A012001895 

 Mais n'estans reussis et voyant la necessité de ce creancier croistre tous les jours, je me suis enquis sil y auroit aucun autre moyen pour faire ce payement; et on m'a dit que Son Altesse avoit ordonné certaine pension annuelle a ladite Mayson, delaquelle on pourroit bien prendre la somme requise, qui n'est que de 80 escus, et particulierement sil vous playsoit d'en dire un mot de faveur.

  A012001896 

 Je prie Dieu cependant pour vostre santé, que je souhaitte longue et heureuse, comme doit,.

  A012001911 

 Mais se resouvenant que feu monsieur de la Barge, son frere, l'avoit laissee en ce pais principalement en [216] la confiance quil avoit de vostre amitié et que vous en auries soin, dequoi aussi ell'a ressenti beaucoup d'effectz, elle n'a pas voulu passer outre a prendre la derniere resolution en ce sujet sans vous en donner advis et prendre vostre congé..

  A012001912 

 C'est pourquoi ell'envoye monsieur Sapientis, auquel j'ay donné ce mot pour vous tesmoigner qu'apres avoir sceu ce dessein, et l'avoir consideré et recommandé a Dieu avec le soin que j'eusse fait pour une propre fille de ma mere, j'ay estimé qu'il estoit fort bon et sortable, et ne m'est demeuré aucune difficulté pour retenir mon jugement, que le devoir qu'ell'a d'attendre le vostre, lequel je pense ne pouvoir pas estre beaucoup dissemblable au mien..

  A012001931 

 C'est cela, Monsieur, qui me fait esperer d'en voir bien tost tout d'une main un heureux accomplissement, pour lequel ledit P. Cherubin allant a Chamberi, je vous supplie, Monsieur, de continuer vostre faveur a ce saint œuvre affin que la conclusion s'en puisse prendre au plus tost, a faute delaquelle je voy l'establissement de l'eglise de Thonon demeurer en suspens..

  A012001931 

 Le R. Pere Cherubin, præsent porteur, m'a dit et fait entendre combien de zele Dieu vous a donné a l'advancement des affaires de la Sainte Maison de Thonon et le bon commencement que vous y aves fait donner.

  A012001951 

 Il desire de prendre a ferme de Madame la terre de Duin, et je suis obligé de vous tesmoigner que ne pense pas que Madame puisse mieux remettre la susdite ferme qu'es mains d'un homme de ceste sorte.

  A012001951 

 Si Madame eut fait response a la lettre de monsieur le marquis de Lulin par laquelle il luy demandoit la susdite terre a achepter, je penserois qu'elle la voulut vendre; mais ne l'ayant pas fait, j'estime qu'elle la veut garder, et en ce cas elle ne sçauroit mieux faire pour ce particulier que d'employer ce porteur..

  A012001952 

 Il seroit bon de donner ordre une fois pour toutes a tous ces affaires de deça, et mesme a celuy que Madame a avec les enfans de feu monsieur le chancelier Millet, [219] dequoy ayant escrit plus d'une fois, je m'estonne de n'en avoir nulle response..

  A012001952 

 Vous aures sceu comme le seigneur Dom Amedeo de Savoye a remporté gain de cause contre Son Excellence pour Conflens, non obstant tout l'essay que je fis en mon voyage de Piemont de faire retarder l'issue du proces, dont ledit seigneur Dom Amé m'a sceu fort mauvais gré.

  A012001953 

 Croyés, je vous supplie, que je n'ay nul souci du monde que pour ce particulier, et que je ne laisse passer aucune occasion sans m'en empresser.

  A012001953 

 Madame pourra treuver estrange le retardement de son payement de Thorens; mais il n'est pas croyable combien nous avons eu de difficultés jusques a present pour ces troubles des guerres, qui ne font que de finir.

  A012001971 

 Ce m'est un'extreme faveur que vous ayes desiré de m'avoir en vostre ville pour le service de vos ames, et ne puis penser comme ce bon heur m'est arrivé que vous [220] sachies mon nom et que je suis au monde.

  A012001971 

 Cela m'estonne d'autant plus que je me voy esloigné de le meriter, n'ayant rien en moy qui puisse respondre a l'opinion que vous aves de moy qu'une fort entiere affection a l'accroissement de la gloire de Dieu et a ceux qui la desirent, entre lesquelz sachant que vous tenes des premiers rangs, je vous supplie de croire que vous ne me sçauries faire voir aucun'occasion de vous rendre service que je ne m'y porte de tout mon cœur.

  A012001971 

 En cette volonté, je m'essayeray de vaincre toutes les difficultés qui me pourroyent destourner de me rendre aupres de vous au teins que vous m'aves marqué en vostre lettre..

  A012001972 

 Ce sera pour l'Advent que j'auray beaucoup a debattre pour m'eschapper des grandes incommodités qui se presentent contre l'extreme desir que j'ay de vous contenter; et neanmoins, plus tost que de vous donner aucun sujet de croire que je veüille user d'aucune exception a vos volontés, je vous asseure des maintenant que si vous mesme ne me donnés le pouvoir de demeurer icy l'Advent, je n'y demeureray non plus que le Caresme, mays forceray tous les empeschemens pour me treuver en tous deux les tems en vostre ville.

  A012001972 

 Mais vous me permettres, s'il vous plait, de vous dire que si vous aviés aggreable que ce fut seulement pour le Caresme, je n'aurois a vaincre nulle difficulté, car je n'en rencontrerois pas une.

  A012001990 

 Jay entendu que vous ne voulies continuer de dire deux Messes suy vant la permission que je vous en avoys donné, qui me fait vous dire que jusques a ce que je vous enleve le pouvoir vous ne cessies de servir Vincie comme vous aves de coustume.

  A012001990 

 Je vous advertis aussy que prenies peyne a vous rendre plus cappable pour exercer telle charge, a quoy vous estes tenu.

  A012001990 

 M'assurant donques que vous ne manqueres a bien rendre vostre devoir, je demeure, Monsieur le Curé,.

  A012002006 

 » Sil ne tient qu'a cela, il me semble, Monsieur, que je les doy envoyer; mais je ne puis si je ne l'ay, ni l'avoir que par vostre moyen, que j'implore a cet effect, et vous supplie de m'aymer tous-jours et croire que, priant Dieu pour vostre santé, je demeure toute ma vie,.

  A012002037 

 C'est pourquoi le Conseil de ladite Maison m'a demandé de supplier en son nom Votre Seigneurie de vouloir bien, en qualité de premier supérieur et de Primicier de cette institution, faire [224] rendre compte à M. Gabaleone et lui donner ordre de payer d'abord à M. de Prissy douze ducatons qui lui sont justement dus par cette Maison, ainsi que pourra l'attester le P. Chérubin.

  A012002037 

 C'est tout ce que j'ai à vous écrire dans la circonstance présente..

  A012002037 

 Je ne doute point que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime n'ait appris par le P. Chérubin avec quel soin ont été faits les comptes de la Sainte-Maison de Thonon pour ce qui a été trouvé au deçà des monts.

  A012002052 

 C'est pourquoy je vous prie de me faire ce bien de m'en donner advis entre cy et Noël, poinct par poinct, affin que si je doy contribuer quelque diligence a l'entiere execution d'icelles, je n'y manque par ignorance de la necessité..

  A012002052 

 Je desire fort de sçavoir quelz effectz auront suivi les ordonnances faittes en nostre visite, tant de vostre costé que de celuy de monsieur l'Abbé.

  A012002053 

 Ce que vous manquant, si vous m'en donnes advertissement, je ne feray aucune faute de [226] m'essayer d'y remedier, honteux que je serois de faire des ordonnances aux visites des autres monasteres, ainsy que nostre Saint Pere et Son Altesse le veulent, si a la premiere j'avois esté du tout inutile..

  A012002053 

 Monsieur de Saint Paul me dit que monsieur l'Abbé avoit laissé d'accenser l'abbaye, selon qu'il m'avoit donné parolle, pour quelques parolles laschees de vostre part, qui estonnerent les fermiers qui s'offroyent.

  A012002053 

 Si cela est, vous aures occasion d'en tenir quitte ledit sieur Abbé, puisque quant a moy, cela ne m'importe point, pourveu que vous soyes payés comme il faut, qui est mon seul regard pour ce particulier.

  A012002070 

 Je ne sçai si je l'auray dressee au gré de Vostre Altesse; mais je sçai bien que je n'ay pas peu esgaler le merite du sujet par aucune sorte de narration, ni le desir que j'aurois de rendre tres humble obeissance aux commandemens et intentions de Vostre [227] Altesse.

  A012002104 

 Cette situation nouvelle, je dois l'exposer au Siège Apostolique; je le ferai avec autant de clarté et de précision que possible, mais en tout cas, avec un souci absolu de la vérité.

  A012002105 

 Pendant que la Savoie presque tout entière était au pouvoir du roi de France François I er, les Suisses Bernois, infectés depuis peu du venin de l'hérésie luthérienne et zwinglienne, se jetèrent sur ces quartiers de Savoie qui confinent à leur pays.

  A012002106 

 Ce n'est pas à lui, mais à son fils Charles-Emmanuel, que la divine Providence réservait cette gloire insigne.

  A012002106 

 En effet, il y avait quelques années que les Bernois et les Genevois avaient allié leurs troupes à celles de la France.

  A012002107 

 Dès ce moment, encore que les choses fussent à peine assurées, Charles-Emmanuel se sentit délivré de la clause inique imposée par les hérétiques.

  A012002108 

 Je parle donc de ce que j'ai vu, et pour ainsi dire, de ce que mes mains ont touché; le dernier des hommes si je dis le contraire de la vérité, le plus inconsidéré, si je ne la connais pas.

  A012002108 

 Nous avions devant nous soixante-quatre paroisses; or, si l'on excepte les officiers catholiques du duc, qui n'en voulut jamais avoir que de tels, on n'eût pas trouvé une centaine de fidèles sur une population de plusieurs milliers d'âmes.

  A012002109 

 Six paroisses furent érigées en divers lieux: trois dans le bailliage de Thonon et autant dans celui de Ternier (on ne put en établir davantage, faute d'ouvriers évangéliques, faute de fonds suffisants pour leur subsistance, et aussi parce que la paix n'ayant rien de stable, les choses flottaient dans l'incertitude), et l'Ordre des Capucins envoya de nouveaux aides, moissonneurs intrépides dont chacun, par son zèle infatigable, réalisait le travail de plusieurs..

  A012002110 

 Le voyage eut lieu en 1598; il fut couronné d'un tel succès que [233] l'Illustrissime et Révérendissime Cardinal de Florence, Légat a latere du Saint-Siège Apostolique, arrivant quelques jours après, y fut témoin de la conversion de plusieurs milliers de personnes.

  A012002111 

 Il apparaissait vraiment comme le prince établi par Dieu sur son peuple, pour annoncer ses préceptes, et il ne se donna du repos que le jour où les affaires changèrent de face.

  A012002111 

 Pendant les quelques mois que le prince s'occupa d'amener la conversion du pays, durant son séjour à Thonon, son cœur, par une grâce singulière, semblait être dans les mains de Dieu, tant il en suivait docilement les impressions.

  A012002112 

 Mais dès que la paix, peu de temps après, l'eut [236] remis au pouvoir du duc, celui-ci y envoya à ses frais des missionnaires de la Compagnie de Jésus et du clergé séculier.

  A012002112 

 On le voit, il n'est pas de pierre que ce très zélé prince n'ait voulu, pour ainsi dire, remuer de ses propres mains: caresses, menaces, il n'a rien épargné de ce qui était en son pouvoir pour ramener ces peuples; et, ce qui est encore plus digne d'éloges, il agissait ainsi à l'encontre des avis et des sentiments d'un grand nombre de ses conseillers.

  A012002112 

 Plusieurs conseillers soutinrent obstinément que le moment n'était pas venu de rien entreprendre, que les évènements s'y opposaient.

  A012002112 

 Toutefois, pendant que la majeure partie de ces populations était rentrée dans l'Eglise, au milieu d'elles restèrent quelques hérétiques de l'un et de l'autre sexe, qui, plus obstinés que les autres, s'entêtaient dans leurs erreurs.

  A012002113 

 Aujourd'hui, dans les mêmes quartiers, l'Eglise Catholique étend de part et d'autre ses branches, avec des poussées si vigoureuses que l'hérésie n'y a plus de place.

  A012002113 

 Partout l'on célèbre et l'on fréquente les mystères de la foi catholique; chaque paroisse est pourvue de son curé; enfin ces trois bailliages, que les clauses du traité ont remis au duc, sont tout à fait restitués à l'Eglise, et, ce qui importe le plus, c'est qu'après avoir recouvré la foi et la religion, leurs habitants ont persévéré sans que [237] ni les persécutions des dernières guerres, ni les menaces des hérétiques aient jamais pu les ébranler.

  A012002113 

 Voilà bien, certes, le seul et unique avantage que les guerres passées ont valu à ce diocèse..

  A012002114 

 C'est avec de très humbles et très vives instances que je les sollicite de la clémence de Votre Sainteté, et, dans l'espoir de les obtenir, je prie le Christ de vous être toujours propice..

  A012002115 

 C'est pourquoi j'ai cru que leurs signatures ne seraient [238] pas sans utilité, car les faits attestés par un grand nombre de témoins obtiennent du même coup une grande et solide créance..

  A012002138 

 Ceci pourrait se faire sans préjudice des juridictions ecclésiastiques, [240] puisque le bras séculier n'interviendrait que pour faire exécuter au besoin les mesures jugées nécessaires..

  A012002138 

 Et pour leur enlever tout moyen de se soustraire à la réforme, il faudrait que Son Altesse Sérénissime fit intervenir dans cette affaire son Sénat de Savoie, car sans cette intervention on n'obtiendra rien.

  A012002138 

 Il est certain que le relâchement de tous les monastères de Savoie, excepté toutefois ceux des Chartreux, est tellement invétéré qu'un remède ordinaire ne suffirait pas à les assainir.

  A012002138 

 Je réponds à la lettre que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime m'a écrite il y a quelque temps relativement à la réforme [239] des monastères de ce diocèse.

  A012002138 

 Voici ma pensée en toute sincérité et liberté, puisque l'obeissance que je dois à Votre Seigneurie m'oblige de la proposer.

  A012002139 

 Il serait expédient, me semble-t-il, qu'en certains monastères on introduisît des Religieux d'une Congrégation différente, tels que des Feuillants ou des Chartreux, et qu'en d'autres on remplaçât les moines par des prêtres séculiers ou des chanoines.

  A012002140 

 C'est pourquoi, à mon avis, l'une de ces deux mesures serait nécessaire pour en éloigner le scandale: ou bien y placer d'autres moines réformés, ou en faire des collégiales séculières; ou encore, comme troisième expédient, les soumettre à une Congrégation réformée de l'Ordre auquel ils appartiennent; enfin, un quatrième moyen serait de les soumettre à l'Ordinaire, ainsi que l'étaient jadis plusieurs excellents monastères avant que les exemptions fussent en usage.

  A012002140 

 Il est vrai que ceux de Sixt et de Peillonnex sont visités par l'Evêque; c'est ainsi que je les ai visités moi-même, mais je n'ai pu les astreindre à l'observance de la Règle puisqu'ils n'en ont pas; seulement je leur ai fait observer les Constitutions ordinaires, comme s'ils eussent été chanoines séculiers, en attendant que leur situation puisse être régularisée... [243].

  A012002140 

 Quant aux autres, tels que les monastères de Sixt, de Peillonnex, [242] du Sépulcre en cette ville, et semblables, il est nécessaire de les séculariser, vu que les moines sont Chanoines réguliers de Saint-Augustin, mais d'une certaine Congrégation qui n'a ni général, ni provincial, ni Chapitre, ni visite, ni forme expresse de vœu, ni Règle, ni Constitutions.

  A012002147 

 O vive Dieu, ma bonne Mere! Il est vray que le souvenir de ce tems la produit tous-jours quelque sainte douceur a ma pensee..

  A012002148 

 Je le doy, et vous le sçaves que je suis.

  A012002148 

 Tenés vous joyeuse en Nostre Seigneur, ma bonne Mere, et sçachés s'il vous plaist que vostre pauvre filz se porte bien, par la divine misericorde, et se prepare de [244] vous aller voir le plus tost et le plus longuement qu'il luy sera possible, car je suis tout a vous.

  A012002166 

 Je suis chaque jour tellement fatigué des difficultés et contre-temps que provoque la mesure imposée depuis peu, de ne pas laisser passer les simples signatures sans expédier les Bulles pour les petits bénéfices, que je me vois contraint de recourir de nouveau à la charité de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, la suppliant de daigner... [245].

  A012002189 

 C'était l'usage parmi les anciens prélats de l'Eglise de s'écrire des lettres: tout le monde le sait, et vous, Révérendissime Père, vous l'ignorez moins que personne.

  A012002190 

 Je pense donc que si je vous salue par lettres (et le puis-je faire autrement?), vous me recevrez d'un air souriant et vous m'embrasserez selon les effusions de votre charité..

  A012002190 

 Les hérétiques, à ce qu'on dit, Révérendissime Seigneur, vous tiennent bloqué dans votre ville assiégée, et vous n'avez que votre seule cité épiscopale en votre possession.

  A012002191 

 Il se plaît souvent à dire que vous [247] méritez de grandes louanges, principalement pour ceci: ses concitoyens, si attachés qu'ils soient à leurs princes, doivent surtout à votre vigilance de n'avoir pas vu leur ville tomber au pouvoir des ennemis, malgré les stratagèmes inouïs tant de fois employés pour la séduire.

  A012002192 

 Cet homme, qui rend un tel hommage à vos mérites, me fit savoir, étant sur son départ, que s'il pouvait vous présenter une attestation de la vie honorable qu'il a menée parmi nous, cela lui serait, en toutes circonstances, d'une précieuse utilité.

  A012002192 

 Si mon suffrage peut être de quelque valeur après tout ce que je viens de dire, je le lui donne de grand cœur.

  A012002192 

 Tout ceci, Révérendissime Père, vous fera sans doute un très grand plaisir, et je suis sûr aussi que vous accorderez volontiers vos sympathies à un homme si digne d'être aimé.

  A012002193 

 Jouissez d'une santé parfaite, et que le Christ vous soit propice; puissé-je, à la faveur de vos charitables prières, obtenir sa miséricorde! [249].

  A012002202 

 C'est pourquoy je vous prie de faire transferer ladite aumosne en un autre jour moins celebre, affin que l'un des biens n'empesche point l'autre.

  A012002202 

 J'entens que l'on fait certaines aumosnes generales en Abondance et La Chapelle le jour mesme de Pentecoste, au moyen dequoy plusieurs circonvoysins abandonnent les offices de leurs parroisses, et ceux du lieu sont fort distraitz de leurs devoirs et devotions au prejudice de lhonneur qui est deu a un jour de si grande solemnité.

  A012002202 

 Mais il faut que cela se face sans replique, et partant je desire que vous vous y employes vivement..

  A012002217 

 Il m'a fallu dire ce mot pour vous tesmoigner l'ayse que je reçois de vostre vray bien parmi les phantosmes de vostre mal apparent; mais le bon est qu'apres tout cela la victoire vous demeure, comme indubitablement elle fera tous-jours, et cela me donne encor du contentement selon le monde et selon Dieu..

  A012002217 

 Je participeray tous-jours a tous les evenemens aggreables et desaggreables qui vous toucheront; mais je me res-jouis de cettuy-ci qui vous a donné sujet de prattiquer la charité chrestienne au pardon que vous aves fait a celuy qui, sans sujet, avoit prattiqué la desloyauté mondaine en vostre endroit.

  A012002217 

 La premiere m'advertit de l'ennuy que vous a fait un secretaire au traitté des offices de Montargis.

  A012002218 

 Car si je ne puis par autre voye chevir de ce saint dessein, sur le souvenir que Sa Majesté a de cette affaire et de sa promesse par vostre moyen, je recourray a elle pour faire faire un commandement absolu audit Archevesque, plustost que de plaider a Dijon, comme j'ay fait ci devant, considerant bien que les proces entre gens de la qualité de laquelle luy et moy sommes ne peuvent estre que scandaleux.

  A012002218 

 J'espere que Sa Majesté n'aura jamais soit de penser autrement de moy ni de mes deportemens..

  A012002218 

 Je ne puis encor rien dire pertinemment de la volonté dudit seigneur Archevesque que je ne me sois abouché avec luy, comme j'espere faire restant a Dijon ce Caresme, ou j'ay accordé d'aller plus pour cette seule affaire que pour nulle autre; estimant que j'y seray d'ailleurs asses inutile, principalement maintenant que [252] la presence des Jesuites ne laisse cette ville la en aucune necessite d'assistence spirituelle.

  A012002218 

 Neanmoins, la parole ayant esté donnee avant leur retour, et les necessités de mon diocese le requerant, je m'essayeray de cooperer avec eux a l'œuvre de Nostre Seigneur, estudiant tous-jours en theologie, comme il a pleu au Roy de me faire resouvenir, comme n'ayant nul autre desir que celuy la, ni aucune autre occupation qui me soit agreable.

  A012002218 

 Vostre seconde lettre me donne advis de quelques bons offices qu'avés pris la peyne de faire pour les affaires de Gex en mon nom, lesquelz ont esté faitz si a propos que non plus, sur les difficultés que Monsieur Fremyot, Archevesque de Bourges, me fait au relaschement des biens ecclesiastiques qu'il avoit obtenuz du Roy par surprise, au prejudice de la concession que Sa Majesté en avoit faitte precedemment a l'Eglise et aux curés.

  A012002219 

 Je ne laisseray pas de presser le plus que je pourray pour en envoyer de dela, mays il faut que je vous confesse la verité: c'est icy un pauvre païs et auquel il est malaysé de treuver des sommes apres tant de remuemens et troubles..

  A012002219 

 M. de la Porte est en ces quartiers, qui prendra quelque argent de nous, ainsy qu'il m'escrit, et que Madame de Mercœur m'a commandé de luy donner en deduction de nostre dette envers elle.

  A012002220 

 J'ay appris que M. de Berulle m'a fait l'honneur de m'envoyer le livre que je desirois; mais je ne doute point qu'il l'aura confié a mon frere, qui n'en aura pas eu le soin proportionné au prix que je fay de tout ce qui part dudit seigneur de Berulle, de la bienveuillance duquel je suis autant jaloux que nul autre.

  A012002220 

 J'escris sur ce sujet a mon frere, affin que, s'il ne l'a perdu, je le puisse avoir par la premiere commodité..

  A012002221 

 Je me suis extremement res-joui du bon succes des affaires des Peres Jesuites en France, a laquelle, comme vous sçaves, je desire et souhaitte toute bonne et sainte prosperité, qui ne luy peut jamais arriver que par la renaissance de son ancienne vertu et pieté, a laquelle cette excellente Compaignie peut infiniment contribuer, estant favorisee du zele de Sa Majesté comme elle va estre, a ce qu'on me dit..

  A012002222 

 Je ne sçay comme je doy vous remercier de tant de faveurs que vous me faites; l'amas des obligations en est [253] si grand que j'en ay l'esprit et le cœur tout saysis.

  A012002227 

 L'argent de bon qui doit estre a Gex, les pensions des ministres payees, est entre les mains des ministres mesmes qui opiniastrent autant pour ne le rendre pas que pour aucun article de leur foy; mais je verray si a Dijon je pourray y mettre du remede..

  A012002239 

 Je vous remercie tres humblement du soin qu'il vous plait tesmoigner a mon bien par l'advis que le bon Pere [254] Recteur m'a donné de vostre part.

  A012002239 

 Pleut a Dieu que l'advis me fust arrivé en un tems auquel j'eusse peu regaigner ma liberté sans la perte de tant d'affaires ecclesiastiques; j'eusse bien tost treuvé la resoulution.

  A012002240 

 Si Dieu m'accompagne, Monsieur, je reviendray bien tost appres Pasques, avec un dessein inviollable de ne jamais sortir du diocese, je ne dis plus sans le congé, mais bien sans le commandement de Son Altesse, et espere que les jours suyvans jugeront les precedens de [255] ma vie et que le dernier les jugera tous.

  A012002250 

 Il y a quelque tems que monsieur de Villette m'asseura de la part de Vostre Altesse qu'elle auroit aggreable que j'allasse a Dijon ce Caresme et que j'y preschasse, pour y avoir plus de faveur aux affaires ecclesiastiques de Gex que je dois traitter avec la court de Parlement de ce pays la.

  A012002250 

 Je n'y seray que le moins que je pourray, comme y estant hors de l'air de ma tranquilité..

  A012002250 

 Sur ceste asseurance je m'y en vay, Monseigneur, toujours esgal a moy mesme au desir extreme que j'ay de rendre tres humble service et obeissance a Vostre Altesse, avec touttes les preuves d'un'inviollable fidellité.

  A012002251 

 Que pleut a Dieu, Monseigneur, que les nouvelles qui courent il y a quelques moys de deça de la restitution de Gex a Vostre Altesse ne soyent autant certaines qu'elles sont desirables; j'en auroy ce particulier contentement de voir la sainte religion asseuree en tout mon diocese, sans employer ny tant de peine ni tant de soing comme je suis obligé de faire maintenant.

  A012002272 

 Cette diversité de souverains m'oblige nécessairement à traiter et à demeurer en bonne intelligence avec tous deux, ainsi qu'avec leurs représentants et leurs Parlements ou Sénats; ce qui ne me cause pas peu d'embarras, surtout à l'égard de la France, où l'on sait que je [257] suis savoyard et feudataire de la Savoie.

  A012002272 

 Or, parce que la partie de ce diocèse qui appartient à la France relève du Parlement de Dijon, je dois traiter avec lui pour cinq chefs différents..

  A012002272 

 Parmi les nombreuses difficultés que présente l'administration de ce diocèse, l'une des plus considérables vient de ce qu'il est soumis à deux juridictions temporelles différentes; bien qu'il soit en grande partie sous la domination du Sérénissime duc de Savoie, néanmoins une partie très considérable est soumise à la couronne de France.

  A012002273 

 La première question est relative au bailliage de Gex; quoique les biens ecclésiastiques soient peu considérables dans ce bailliage (l'exercice du culte catholique n'ayant été rétabli que dans trois lieux seulement), il faut néanmoins plaider contre un conseiller dudit Parlement.

  A012002273 

 La quatrième est celle-ci: grâce à la diligente intervention de M gr l'Illustrissime Nonce de France, il n'est plus question d'établir le culte hérétique à Seyssel; toutefois, à [258] moins que je ne donne un mémoire particulier des circonstances qui doivent en empêcher l'établissement, ce projet ne sera point abandonné, mais seulement ajourné.

  A012002273 

 La troisième difficulté vient de ce que ces populations, récemment détachées de la Savoie, demandent un vicaire forain.

  A012002274 

 J'y ai volontiers consenti, pensant que cet apostolat contribuerait à terminer plus promptement et plus heureusement les affaires que j'ai avec eux.

  A012002274 

 Jamais je ne pourrai croire que Votre Béatitude doive désapprouver cette courte absence que je suis contraint de faire pour les besoins du diocèse.

  A012002274 

 Là je travaillerai, selon que Dieu m'en donnera le moyen, à l'arrangement des affaires indiquées ci-dessus, et je rendrai compte de tout aux deux Nonces de Votre Sainteté en France et en Savoie.

  A012002274 

 Surtout les notables de Dijon, sachant que je devais me rendre dans leur ville, m'ont prié d'y prêcher [259] le Carême.

  A012002284 

 Je puis dire que ce fut sans ma faute que nous laissasmes retourner vostre laquais sans response a la lettre que vous aves pris la peyne de m'escrire.

  A012002284 

 M. Deage fut celuy qui me trompa, ayant luy mesme le premier esté trompé par sa surdité; car il me dit que vostre laquais [260] estoit sorti de la ville le soir pour faire son partement plus matin, qui me garda d'escrire comme je devois..

  A012002285 

 Ce que je crains [est] le deschet de l'opinion que vous m'asseures vous aves de mon affection, laquelle, si elle pouvoit croistre, s'augmenteroit tous les jours comme vous en faites naistre en tout tems de nouveaux sujetz, comme est la patience qu'il vous a pleu avoir a ma priere a l'endroit de M. de Bellecombe; de laquelle ne voulant plus abuser, Monsieur, on ne vous priera point de la continuer plus avant, [craignant] de la voir employer avec vostre incommodité et sans leur prouffit, puisqu'ilz ne s'en sont servis a faire l'appointement que vous desires..

  A012002286 

 J'ay sceu le trespas de monsieur vostre pere, mon Oncle, bien tost apres qu'il fut advenu, et en ressentis les afflictions que je devois a l'amitié de laquelle il avoit tous-jours honnoré nostre mayson et a la perte que vous aves faitte, laquelle je sçeus bien [apprehender] par la memoire de celle que peu d'annees auparavant j'avois l'ait moy mesme sur un pareil sujet.

  A012002286 

 Je n'attendis pas, croyés le bien je vous supplie, de recommander son ame a Nostre Seigneur que vous m'en eussies adverti, mais luy rendis ce devoir sur le champ a la premiere nouvelle; et n'eusse pas retardé non plus a vous escrire pour vous faire la ceremonieuse offrande du service de nostre mayson et du mien en particulier, si je n'eusse sceu que vous nous croyes tout vostres pour une bonne fois, sans qu'il soit necessaire d'en renouveller si souvent [261] les reconnoissances.

  A012002293 

 C'est tout ce que je vous puis dire; recommandés moy a vostre bon Ange.

  A012002300 

 C'est tous-jours pour vous asseurer davantage que j'observeray soigneusement la promesse que je vous ay faite de vous escrire le plus souvent que je pourray.

  A012002301 

 J'ay veu un arbre planté par le bienheureux saint Dominique a Romme: chacun le va voir et cherit pour l'amour da plantateur; c'est pourquoy, ayant veu en vous l'arbre du desir de sainteté que Nostre Seigneur a planté en vostre ame, je le cheris tendrement, et prens playsir a le considerer plus maintenant qu'en presence, et je vous exhorte d'en faire de mesme et de dire avec moy: Dieu vous croisse, o bel arbre planté; divine semence celeste, Dieu vous veuille faire produire vostre fruit a maturité, et lhors que vous l'aures produit, Dieu vous veuille garder du vent qui fait tomber les fruitz en terre, ou les bestes vilaines les vont manger.

  A012002302 

 Ce ne sont pas celles desquelles il est dit: Benissant je beniray la vefve; et ailleurs, que Dieu est le juge, protecteur et defenseur des vefves.

  A012002302 

 Mais je dis, si vous l'aymes mieux, car en tout et par tout je desire que vous ayés une sainte liberté d'esprit touchant les moyens de vous perfectionner; pourveu que les deux colomnes en soyent conservees et affermies, il n'importe pas beaucoup comment..

  A012002302 

 Ne vous lies pas toutefois a cette mesme meditation, car je ne la vous envoye pas a cet effect, mais seulement pour vous faire voir a quoy doit tendre l'examen et espreuve de soy mesme que vous deves faire tous les moys, affin que vous sachies vous en prevaloir plus aysement.

  A012002302 

 Que si vous aymes mieux repeter cette mesme meditation, elle ne vous sera pas inutile.

  A012002302 

 Regardés au moins une fois le moys si l'une ou l'autre est point esbranlee, par quelque devote meditation et consideration pareille a celle de laquelle je vous envoye une copie, et que j'ay communiquee avec quelque fruit a des autres ames que j'ay en charge.

  A012002303 

 Gardés vous des scrupules et vous reposes entierement [265] sur ce que je vous ay dit de bouche, car je l'ay dit en Nostre Seigneur.

  A012002303 

 Tenes vous fort en la presence de Dieu par les moyens que vous sçaves.

  A012002304 

 Jettés vos yeux sur l'Espoux et sur l'Espouse, et dites a l'Espoux: O que vous estes Espoux d'une belle Espouse! et a l'Espouse: Hé, que vous estes Espouse d'un divin Espoux! Ayés grande compassion a tous les pasteurs et predicateurs de l'Eglise, et voyés comme ilz sont espars sur toute la face de la terre, car il n'y a province au monde ou il n'y en ayt plusieurs.

  A012002305 

 Escrives-moy, je vous supplie, le plus souvent que vous pourres, avec toute la confiance que vous sçaures; car l'extreme desir que j'ay de vostre bien et advancement me donnera de l'affliction si je ne sçay souvent a quoy vous en estes.

  A012002305 

 [266] Recommandés moy a Nostre Seigneur, car j'en ay plus de besoin que nul homme du monde.

  A012002318 

 Je ne vous puis pas donner tout a coup ce que je vous ay promis, car je n'ay pas asses d'heures franches pour mettre tout ensemble ce que j'ay a vous dire sur le sujet que vous avés desiré vous estre expliqué par moy.

  A012002318 

 Je vous le diray a plusieurs fois, et outre la commodité que j'en auray, vous aurés aussi cellela, que vous aures du tems pour bien remascher mes advis.

  A012002319 

 Vous avés un grand desir de la perfection chrestienne: c'est le desir le plus genereux que vous puissies avoir, nourisses-le et le faittes croistre tous les jours.

  A012002320 

 Quant a l'usage des Sacremens, vous ne devés nullement laisser escouler aucun moys que vous ne communiyes, et mesme dans quelque tems, selon le progres que vous aurés fait au service de Dieu et selon le conseil de vos peres spirituelz, vous pourres vous communier plus souvent.

  A012002321 

 Et a cet effect, il faut que vous ayés les autheurs qui ont couché les pointz des meditations sur la vie et mort de Nostre Seigneur, comme Grenade, Bellintani, [268] Capillia, Bruno, dans lesquelz vous choysirés la meditation que vous voudrés faire, et la lirés attentivement pour vous en resouvenir au tems de l'orayson, et n'avoir autre chose a faire que de les remascher, suyvant tous-jours la methode que je vous mis par escrit en la meditation que je vous donnay le Jeudy Saint..

  A012002321 

 Et pour vous ayder a la bien faire, il faut qu'avant icelle vous sachies le point sur lequel vous devés mediter, affin que, commençant l'orayson, vous ayes vostre matiere preste.

  A012002321 

 Faittes en donques tous les jours une petite heure le matin avant que de sortir, ou bien avant le souper, et gardés vous bien de la faire ni apres le disner ni apres le souper, car cela gasteroit vostre santé.

  A012002322 

 Je voudroy quil ne se passast aucun jour sans que vous donnassies une demi heure ou un'heure a la lecture de quelque livre spirituel, car cela vous serviroit de prædication.

  A012002322 

 Outre cela, faittes souvent des oraysons jaculatoires a Nostre Seigneur, et ce a tous (sic) les heures que vous pourres et en toutes compaignies, regardant tous-jours Dieu dans vostre cœur et vostre cœur en Dieu.

  A012002322 

 Prenes playsir a lire les livres que Grenade a fait de l'orayson et meditation, car il ni en a point qui vous instruise mieux ni avec plus de mouvemens.

  A012002323 

 Il faut considerer le prochain en Dieu, qui veut que nous l'aymions et caressions.

  A012002323 

 Il faut s'exercer en cet amour du prochain, le caressant extérieurement; et, bien qu'il semble au commencement que c'est a contre cœur, il ne faut point laisser pour cela, car ceste repugnance de la partie inferieure en fin sera vaincue de l'habitude et bonn'inclination qui sera produite par la repetition des actions.

  A012002323 

 Quant a ceux qui servent pour se bien unir avec le prochain, ilz sont en grand nombre, mais je n'en diray que quelques-uns.

  A012002324 

 Mais en tout ceci prenes garde soigneusement que monsieur vostre mari, vos domestiques et messieurs vos parens ne soyent point offencés par des trop longs sejours aux eglises, des trop grans retiremens et abandonnement du soin de vostre mesnage, ou, comm'il arrive quelquefois, vous rendant contrerolleuse des actions d'autruy ou trop desdaigneuse des conversations ou les regles de devotion ne sont pas si exactement observees; car en tout cela il faut que la charité domine et nous esclaire, pour nous faire condescendre aux volontés du prochain en ce qui ne sera point contraire aux commandemens de Dieu..

  A012002325 

 Les malades aymeront vostre devotion silz en sont charitablement consolés; vostre famille, si elle vous reconnoist plus soigneuse de son bien, plus douce aux occurrences des affaires, plus amiable a reprendre, et ainsy du reste; monsieur vostre mari, sil void que a mesure que vostre devotion croist vous estes plus cordiale en son endroit et plus soüefve en l'affection que vous luy portés; messieurs vos parens et amis, silz reconnoissent en vous plus de franchise, de support, de condescendence a leurs volontés qui ne seront pas contraires a celle de Dieu.

  A012002326 

 J'ay fait un petit advertissement sur le sujet de la perfection de la vie chrestienne, dont je vous envoye une copie que je desire estre communiquee a Madame du Puis d'Orbe.

  A012002326 

 Prenes-la en bonne part, comm'aussi cette lettre, qui sort d'un'ame qui est entierement affectionnee a vostre bien spirituel, et qui ne desire rien plus que de voir l'œuvre de Dieu parfait en vostr'esprit.

  A012002327 

 Je vous supplie de me donner quelque part en vos prieres et Communions, comm'aussi je vous asseure que je vous feray toute ma vie part aux miennes et seray sans fin,.

  A012002345 

 J'ay envoyé a madame la presidente Brulart, vostre seur un escrit que je desire vous estre communiqué; non pas que celuy que je vous ay donné ne suffise pour vous et pour ce tems, mais affin que vous ayés tous-jours plus d'esclaircissement en vostre esprit, a l'advancement duquel je me sens tant obligé que je ne suis de rien plus desireux en ce monde, non seulement pour cette grande confiance que Dieu vous a donnee en mon endroit, mays [271] aussi pour celle qu'il me donne que vous servires beaucoup a sa gloire.

  A012002346 

 Je suis infiniment consolé du playsir que vous prenes a lire les Œuvres et la Vie de la Mere Therese, car vous verrés le grand courage qu'elle eut a reformer son Ordre, et cela vous animera sans doute a reformer vostre Monastere, ce qui vous sera bien plus aysé qu'il ne fut pas a elle, puisque vous estes Superieure perpetuelle.

  A012002346 

 Mais tenes la methode que je vous ay dite, de commencer par l'exemple; et bien qu'il vous semblera prouffiter peu au commencement, ayés neanmoins de la patience, et vous verrés ce que Dieu fera.

  A012002347 

 Je vous prie de me recommander a sa misericorde, et croire que je suis, autant que vous le sçauries desirer et que je puis,.

  A012002352 

 Je vous prie qu'en ce cas la je le sçache avant le tems, affin que je me puisse treuver en lieu et loysir propre a vostre consolation..

  A012002352 

 Mon compagnon m'a dit en chemin que vous desiries [272] venir a Saint Claude et qu'a cette occasion j'auray le bien de vous voir.

  A012002364 

 Il est vray que nous disons et affermons, et que vous niés et rejettés.

  A012002364 

 L'Eglise a tous-jours esté combattue par cette mesme façon; mais vos negatives doivent estre preuvees par une mesme sorte de preuve qu'est celle que vous exigés de nous, car c'est a celuy qui nie de preuver, quand il nie contre la possession et que sa negative sert de fondement a son intention.

  A012002364 

 Les jurisconsultes vous le tesmoigneront, puisque c'est d'eux que la maxime est tiree: vous n'en refuseres pas l'explication..

  A012002364 

 Vous sçavés bien ce que je veux dire quand je parle du Livre des Maccabees II en a deux, et deux font un cors de livre.

  A012002365 

 Ni les Livres des Maccabees, ni l'Apocalipse n'ont pas esté si tost reconneus que les autres; l'un et l'autre neanmoins le fut esgalement au Concile de Carthage, ou saint Augustin assista.

  A012002365 

 On a douté loysiblement de quelques Livres canoniques pour un tems, desquelz il n'est pas loysible de douter maintenant; les passages que j'ay cités sont si expres qu'ilz ne peuvent estre divertis a autre sens..

  A012002366 

 Je vous conjure, par les entrailles de Jesus Christ, de vouloir meshuy lire et l'Escriture et les anciens Peres avec un esprit deschargé de preoccupations: vous verrés [274] que les parties principales et essentielles de la face de l'Eglise ancienne sont entierement conservees en celle qui est maintenant.

  A012002366 

 On me dit que Dieu a mis en vous beaucoup de dons de nature; n'en abusés pas pour forclorre ceux de la grace, et consideres attentivement les qualités de la part en laquelle vous desires conferer..

  A012002367 

 Il ne seroit pas possible de faire avec proffit des conferences par escrit entre nous, nous sommes trop esloignés de sejour; et que pourrions nous escrire qui n'ait esté repeté cent fois? Si la commodité le permettoit, croyes que je ne la refuserois pas, non plus que je ne la refuseray pas aux sieurs ministres de Geneve, mes voysins, quand il la desireront en bons termes..

  A012002368 

 Conferes a vostre salut l'attentive meditation sur nos raysons et sur les anciens Peres, et j'y confereray mes pauvres et chetives prieres, que je presenteray a la misericorde de nostre Sauveur, auquel et pour l'amour duquel je vous offre mon service et suis.

  A012002381 

 A quoy adjoustant l'indigence du nouveau Prieur et le desir quil a de resider et bien faire son devoir, la conclusion ne peut estre sinon que Vostre Altesse fera une sainte aulmosne d'exercer sa liberalité en ce sujet..

  A012002381 

 J'ay receu commandement de Vostre Altesse de luy donner advis certain de l'estat du prieuré et monastere de Bellevaux, par ce que sil est si miserable que l'on [275] luy a fait entendre, elle veut relascher les decimes au Prieur.

  A012002381 

 J'obeis donques a la voulonté de Vostre Altesse, et sur une particuliere connoissance que j'ay de la verité, je la puis asseurer que ce monastere, qui fust jadis asses celebre, est presque ruiné quant aux bastimens, et tellement appauvri quant au revenu qu'il ne sçauroit de long tems rendre cent ducatons annuels a son Prieur; et pour la presente annee, ayant receu un grand degast par la tempeste, il n'y a pas, a beaucoup pres, dequoy supporter les charges.

  A012002397 

 Ce m'a esté une tres grande consolation d'avoir eü la lettre que vous m'escrivites le 30 de may.

  A012002397 

 Tout cela donques me console, comm'aussi ce que vous m'escrivés que le Reverend Pere que le Seigneur vous a baillé pour directeur avoit treuvé fort bon que pendant mon sejour a Dijon vous m'aves communiqué vostr'ame, et que mesme il ne treuveroit pas mauvais que vous me donnassies quelquefois de vos lettres..

  A012002397 

 Toutes ses parties sont aggreables: la souvenance que vous avés de moy en vos prieres, car cela tesmoigne vostre charité; le memoire que vous avés des sermons que j'ay fait ce Caresme, car encor que de mon costé il ni aÿe eu autre chose qu'imperfection, si est ce que ç'a tous-jours esté parole de Dieu, delaquelle le souvenir ne peut que vous estre fort utile; le desir que vous aves de la perfection, car c'est un bon fondement pour l'obtenir.

  A012002398 

 Car je vous dis qu'en cela vous ne sçauries avoir fait faute, puisque le mal vous pressoit et vostre medecin spirituel estoit absent; que cela n'estoit pas changer de directeur, ce que vous ne pouviés faire sans perte bien grande, mais que c'estoit seulement se soulager pour l'attendre; que mes advis ne s'estendoyent que sur le mal present, qui requeroit un remede present, et partant ne pouvoyent nullement prejudicier a la conduitte generale de vostre premier directeur.

  A012002398 

 Et quant au scrupule que vous aviés de m'avoir demandé mon advis pour l'addresse de toute vostre vie, je vous dis que vous n'aviés non plus contrevenu aux loix de la submission que les ames devotes doivent a leur pere spirituel, par ce que mes conseilz ne seroyent rien plus qu'un escrit spirituel duquel la pratique seroit tous-jours mesuree par le discernement de vostre directeur ordinaire, selon que la presence de son œil et la plus grande lumiere spirituelle, avec la plus entiere connoissance qu'il a de vostre capacité, luy donnent le moyen de le mieux faire que je ne puis, estant ce que je suis; joint que les advis que je pensois vous donner seroyent telz quilz ne pouvoyent estre que bien [278] accordans avec ceux du Pere directeur.

  A012002398 

 Je me res-jouis donques que vous ayes reconneu combien il est veritable que ceux qui sont bien accordans en l'intention du service de Dieu ne sont jamais guere esloignés d'affections et conceptions..

  A012002398 

 Madame, si vous vous en resouvenés, je vous dis bien cela mesme, quand vous me dites que vous craignés de [277] l'avoir offencé ayant receu les petitz advis que je vous donnay verbalement sur le sujet de vostre affliction interieure qui vous troubloit en la sainte orayson.

  A012002398 

 Mays quand vous m'eustes nommé le personnage, resouvenés vous, je vous supplie, que je vous dis avec pleyne confiance qu'il me connoissoit et m'avoit fait le bien de me promettre un jour son amitié, et que je m'asseurois quil ne treuveroit point mauvaise la communication que vous avies eüe avec moy, tant je le tenois de mes amis.

  A012002398 

 Vous voyes donq, Madame, que je jugeay fort bien de tout cela, et n'employay guere de tems ni de consideration pour me resoudre a ce jugement.

  A012002399 

 Ce respect vous doit sans doute contenir en la sainte conduite a laquelle vous vous estes si heureusement rangee, mais il ne vous doit pas gehenner, ni estouffer la juste liberté que l'Esprit de Dieu donne a ceux quil possede.

  A012002399 

 Je loüe infiniment le respect religieux que vous portes a vostre directeur et vous exhorte de soigneusement y perseverer; mais si faut il que je vous die encor ce mot.

  A012002399 

 Pour certain, ni recevoir les advis et enseignemens des autres, ni recourir a eux en l'absence du directeur, n'est nullement contraire a ce respect, pourveu que le directeur et son authorité soit tous-jours præferé.

  A012002400 

 Je l'ay longuement honnoré avant que de l'avoir veu; l'ayant veu, mon affection s'en est accreùe, et m'estant apperceu du fruit quil a fait a Dijon (car vous n'estes pas seule), je luy ay donné et voué autant de cœur et de service quil en sçauroit desirer de moy.

  A012002400 

 Je vous ay voulu resouvenir de tout ce que je vous ay dit en presence, et y adjouster ce que j'ay pensé en escrivant pour vous representer pour un bon coup mon opinion sur ce scrupule; et si, j'ose bien me promettre que si vous la proposes a vostre directeur la premiere fois que vous le verres, il se treuvera autant conforme avec moy en cet endroit comm'il l'a esté en l'autre.

  A012002401 

 Monsieur l'Archevesque m'a escrit une lettre si excessive en faveurs que ma misere en est accablee; il le faut pardonner a sa courtoisie et naturelle bonté, mais je m'en plains a vous par ce que cela me met en danger de vanité.

  A012002401 

 Vous ne m'escrives pas de la santé de monsieur vostre pere, et toutefois j'en suis extrement desireux; ni de monsieur vostre oncle que je vous avois supplié de saluer de ma part..

  A012002402 

 Au demeurant, puisque le Pere directeur vous permet de m'escrire quelquefois, faites le, je vous prie, de bon cœur, encor que cela vous donnera de la distraction, car ce sera charité.

  A012002402 

 Je l'en supplie, et vous salue bien humblement, donnant la sainte benediction a vos petitz enfans, si vous estes a Chantal; car si vous estes a Dijon je ne le voudrois entreprendre en la presence de monsieur leur oncle, bien que leur petit agenouillement et vostre demande me fit faire une pareille laute a mon despart..

  A012002419 

 J'ay eu tant de distractions pour ne l'avoir pas voulu permettre, que j'ay bien occasion aussi de mon [281] costé de souhaitter que les loix de l'immunité des eglises soyent moderëes a cet effect.

  A012002419 

 Le desir que vous avés que les soldatz puissent estre tirés des lieux sacrés pour estre chastiés selon leurs demerites est fort juste et propre a la conservation du bien publiq.

  A012002420 

 Je vous supplie, Monsieur, d'avoir aggreable que j'attende puisque ma condition le requiert, en laquelle je prie Dieu tous les jours pour vous, et suis,.

  A012002437 

 J'y ay fourré [282] beaucoup de choses pour empescher le soupçon qu'il eut peu prendre qu'elle fut escritte a dessein, et l'ay neanmoins escritte avec toute verité et sincerité, ainsy que je doy tous-jours faire; mais non pas avec tant de liberté comme cellecy, en laquelle je desire vous parler cœur a cœur..

  A012002438 

 C'est pour vous dire que l'unité de pere spirituel ne forclost point la confiance et communication avec un autre, pourveu que l'obeissance promise demeure ferme en son rang et soit præferee..

  A012002438 

 Je suis bien d'accord avec ceux qui vous ont voulu donner du scrupule, quil est expedient de n'avoir qu'un pere spirituel, l'authorité duquel doit estre en tout et par tout præferee a la volonté propre, et mesme aux advis de tout autre particuliere personne; mais cela n'empesche nullement le commerce et communication d'un esprit avec un autre, ni d'employer les advis et conseilz que l'on reçoit d'ailleurs.

  A012002438 

 Peu auparavant que je receusse vos lettres, un soir je prins en main un livre qui parle de la bonne Mere Therese, pour delasser mon ame des travaux de la journée, et je treuvay qu'ell'avoit fait vœu d'obeissance particuliere au P. Gracian, de son Ordre, pour faire toute sa vie ce quil luy ordonneroit qui ne seroit contraire a Dieu ni a l'obeissance des superieurs [283] ordinaires de l'Eglise et de son Ordre.

  A012002439 

 Arrestés vous-la, je vous supplie, et ne vous mettes nullement en peyne en quel degré vous me devés tenir, car tout cela n'est que tentation et vaine subtilité.

  A012002439 

 Faites valoir mon affection, usés de tout ce que Dieu m'a donné pour le service de vostre esprit: me voyla tout vostre, et ne penses plus sous quelle qualité ni en quel degré je le suis.

  A012002439 

 Je ne vous sçaurois pas expliquer ni la qualité ni la grandeur de cett'affection que j'ay a vostre service spirituel; mais je vous diray bien que je pense qu'ell'est de Dieu et que pour cela je la nourriray cherement, et que tous les jours je la voy croistre et s'augmenter notablement.

  A012002439 

 Que vous importe-il de sçavoir si vous me pouves tenir pour vostre pere spirituel ou non, pourveu que vous sachies quell'est mon ame en vostre endroit et que je sache quell'est la vostre au mien? Je sçai que vous aves une entiere et parfaitte confiance en mon affection; de cela je n'en doute nullement, et en reçoi de la consolation.

  A012002439 

 Sachés aussi, je vous supplie, et croyes-le bien, que j'ay une vive et extraordinaire volonté de servir vostre esprit de toute l'estendue de mes forces.

  A012002439 

 Sil m'estoit bien [284] seant je vous en dirois davantage, et avec verité, mais il faut que je m'arreste la.

  A012002440 

 Encor faut il que je vous die, pour coupper chemin a toutes les repliques qui se pourroyent former en vostre cœur, que je n'ay jamais entendu quii y eut nulle liayson entre nous qui portast aucune obligation, sinon celle de la charité et vraÿe amitié chrestienne, delaquelle le lien est appellé par saint Paul le lien de perfection, et vrayement il l'est aussi, car il est indissoluble et ne reçoit jamais aucun relaschement.

  A012002440 

 Il est exempt du tranchant de la mort, de laquelle la faux fauche tout sinon la charité: La dilection est aussi forte que la mort et plus dure que l'enfer, dit Salomon.

  A012002440 

 Leur force n'est que suavité, leur violence n'est que douceur; rien de si pliable que cela, rien de si ferme que cela.

  A012002440 

 Tenes moy donques pour bien estroittement lié avec vous, et ne vous souciés pas d'en sçavoir d'avantage, sinon que ce lien n'est contraire a aucun autre lien, soit de vœu soit de mariage.

  A012002440 

 Voyla, ma bonne Seur (et permettes moy que je vous appelle de ce nom, qui est celuy par lequel les Apostres et premiers Chrestiens exprimoyent l'intim'amour qu'ilz s'entreportoyent), voyla nostre lien, voyla nos chaysnes, lesquelles plus elles nous serreront et presseront, plus elles nous donneront de l'ayse et de la liberté.

  A012002441 

 Et quicomque vous demande si vous aves dit ce que vous aves dit avec le seau (sic) tressaint de la Confession, vous luy pouves hardiment et sans peril de duplicité dire que nanni: il ni a nulle difficulté en cela.

  A012002441 

 Je suis consolé que vous aves en horreur la finesse et duplicité, car il ni a guere de vice qui soit plus contraire a l'embonpoint et grace de l'esprit.

  A012002441 

 Mais bien, beni soit Dieu; j'aime mieux que vous excedies en naïfveté que si vous en manquiés.

  A012002441 

 Mais si est ce que ce n'eut pas esté duplicité, puisque si en cela vous avies fait quelque faute a cause du scrupule que vous avies en me communicant vostre cœur et me demandant des instructions, vous l'avies suffisamment effacee par apres pour n'estre plus obligee de le dire a personne.

  A012002441 

 Neanmoins je loüe vostre candeur et me resjouïs que vous l'aÿés dit, comm'aussi tout le reste, bien que vous devés estre ferme en la resolution que je vous donnay, que ce qui se dit au secret de la Pœnitence est tellement sacré quil ne se doit pas dire hors d'icelle.

  A012002441 

 Vous aves eu crainte de tumber en quelque duplicité quand vous aves dit que vous m'avies communiqué vostre esprit et que vous m'avies demandé quelques advis.

  A012002442 

 J'ay reprins la plume plus de douze fois pour vous escrire ces deux feüilles, et sembloit que l'ennemi me procuroit des distractions et affaires pour m'empescher de ce faire.

  A012002442 

 Le sachant, je m'essayeray de vous donner autant de loysir quil me sera possible, et prieray Dieu [286] particulierement affin que je vous puisse estre autant utile a toules comme je suis affectionné.

  A012002442 

 Vous me dites que peut estre auray-je le bien de vous voir environ la septembre.

  A012002443 

 Quand il vous surviendra quelqu'ennuy, ou interieur ou exterieur, prenes entre vos bras vos deux resolutions et colomnes de l'edifice, et, comme une mere sauve ses enfans d'un danger, portés-les es playes de Nostre Seigneur et le pries quil les vous garde et vous avec elles, et attendés la dedans ces sainte cavernes jusques a ce que la tempeste soit passee.

  A012002443 

 Vous aures des contradictions et amertumes; les tranchees et convulsions de l'enfantement spirituel ne sont pas moindres que celles du corporel: vous aves essaÿé les unes et les autres.

  A012002444 

 Au demeurant, je ne dis jamais la sainte Messe sans vous et ce qui vous touche de plus pres; je ne communie point sans vous, je suis en fin autant vostre que vous sçauries souhaitter.

  A012002445 

 Je desire sçavoir le nom et l'aage de vos enfans, parce que je les tiens pour miens selon Dieu..

  A012002445 

 Mon frere se sent infiniment obligé a la souvenance que vous aves de luy et la contrechange par la continuelle memoire qu'il a de vous a l'autel; il est absent, maintenant que j'escris.

  A012002446 

 Je n'ose pas presser les dames que vous me nommes du voyage parce qu'il ne me seroit pas seant; je le desire neanmoins, et me console en l'esperance que j'en ay..

  A012002474 

 C'est pourquoi, Très Saint Père, sachant que Votre Béatitude pourvoit avec une très diligente sollicitude les églises cathédrales et qu'Elle veut user d'une bienveillance apostolique toute spéciale à l'égard de l'Eglise de Belley, j'ose, quelque chétif et indigne que je sois, la supplier de favoriser le théologien susnommé, pour l'honneur du Seigneur notre Dieu et le bien des âmes.

  A012002474 

 Ce n'est pas un intérêt personnel qui me sollicite, [290] puisque je ne connais ce personnage que depuis un an; il a fait plusieurs prédications dans ce diocèse de Genève, au grand avantage et à la satisfaction des auditeurs..

  A012002475 

 C'est en luisant vos pieds sacrés et apostoliques que je demande votre sainte bénédiction..

  A012002475 

 Que Votre Béatitude reçoive ma requête avec cette très suave clémence qui m'a donné confiance de lui écrire sur cette affaire.

  A012002486 

 Je diray bien neanmoins que je pense plus a propos que la Mayson retienne le tiltre en donnant une pension sortable a la valeur du prieuré, comme seroit de la moytié ou autrement, ainsy qu'il sera jugé; et cela fait, a cette prochaine feste de Nostre Dame de septembre, tout le Conseil de la Mayson se treuvant a Thonon il pourra ratifier le traitté..

  A012002486 

 Le seigneur chevalier Lobet m'a treuvé chez ma mere, ou je n'ay sceu luy donner autre satisfaction que de vous supplier bien humblement, comme je fay, qu'il vous playse, Monsieur, de faire examiner ses pretentions autant comme il se peut sommairement, en la presence des seigneurs officiers de Son Altesse qui ont charge de la conservation des biens de la Sainte Mayson; et je donne des a present mon consentement a tout ce qui sera advisé et treuvé raysonnable pour terminer cette affaire.

  A012002499 

 Il sera bon, re me semble, de tenir la chose secrette pour quelque tems, cependant que je feray chercher dans les visites quid juris et que je penseray aux remedes propres.

  A012002499 

 Je voy seulement une difficulté: c'est quil me dit que Nové est de la presentation de Montjou; ce qu'estant, sans doute monsieur le Prævost remuera quelque chose sur cette nouvelle provision, sinon que la pauvreté du benefice le face desfier de treuver homme capable.

  A012002517 

 Ce me fut une bien grande consolation, laquelle je vous tesmoignay par la response que je vous fis; car je n'eusse pas peu m'en empescher, j'en estois touché tres vivement.

  A012002517 

 Je suis par tout le reste de mon ame fort imbecille et foible; mais j'ay l'affection fort tenante et presque immuable a l'endroit de ceux qui me donnent le bonheur de leur amitié, comme je croy fermement que vous aves fait.

  A012002517 

 La derniere lettre que je receus de vous fut celle par laquelle vous me fistes l'honneur de m'advertir que vous avies receu la sainte consecration, et que vous vous retiries aupres de vostre troupeau.

  A012002517 

 Mais, a ce que M. Favier m'a fait sçavoir, vous n'aures pas receu ma lettre.

  A012002517 

 Ne croyés jamais, je vous supplie, Monsieur, que ni la memoire ni la reconnoissance du devoir que j'ay a la bienveuillance quil vous a pleu de me promettre me puisse defaillir: non, sans doute.

  A012002517 

 Que si vous n'aves [294] pas receu de mes lettres si souvent que j'eusse souhaitté, attribués-le a toute autre sorte de manquement plustost qu'a celuy de l'affection.

  A012002518 

 Je vous diray donq, Monsieur, que, despuis les dernieres nouvelles que vous aves euës de moy, j'ay esté perpetuellement parmi les travaux et traverses que le monde fait naistre en ma charge, et me semble que cette annee m'a esté encor plus aspre que celle du noviciat; mays je puis dire aussi que nostre bon Maistre m'a beaucoup assisté de ses saintes consolations, qui m'ont fortifié en sorte que je puis dire d'avoir nagé parmi les eaux d'amertume sans en avoir avalé une seule goutte.

  A012002518 

 Que Dieu est bon! Il connoist bien mon infirmité et ma delicatesse; c'est pourquoy il ne me permet point de seulement gouster les eaux de Mara que premierement il ne les ayt adoucies par le bois sacré de son assistence et consolation..

  A012002519 

 Ce Caresme j'ay presché a Dijon, ou j'avois de bonnes et importantes affaires pour cest evesché, lesquelles j'ay, par ce moyen, terminees avec tout l'heur que je pouvois desirer.

  A012002519 

 Il s'y est fait quelque fruit, nonobstant mon indignité, non seulement pour ceux qui m'ont attentivement escouté, mais aussi pour moy, qui ay reconneu en plusieurs personnes tant de vraye pieté que j'en ay esté esmeu.

  A012002519 

 Voyla, Monsieur, en general ce que j'ay fait.

  A012002520 

 A mon retour, en suitte de ce que j'y avois traitté et [295] qui avoit esté le sujet qui m'avoit fait sortir de mon diocese, je vins a Gex, ou M. le baron de Lux et quelques uns de cette court de Parlement estoyent arrivés pour, de la part du Roy, affermir l'establissement de l'exercice catholique que les huguenotz avoyent totalement esbranlé, et resoudre de plusieurs difficultés que l'esprit chicaneur de l'heretique y avoit fait naistre.

  A012002520 

 Plusieurs parroisses, a cette occasion, vinrent demander l'exercice de la sainte Eglise, qui jusques a l'heure n'avoyent pas osé; et le Roy du despuis le leur a accordé, bien que l'execution en soit un petit retardee pour des considerations que la malice du tems donne..

  A012002521 

 Il laisse a part la grande multitude de mes imperfections, qui sont sans doute blasmables, et ne me censure que de celles que je n'ay point, par la grace de Dieu: d'ambition, d'oysiveté exterieure, luxe en chiens de chasse et escuries, et semblables folies, qui sont non seulement esloignees [296] de mon affection, mays incompatibles avec la necessité de mes affaires et la forme de vie que ma charge m'impose.

  A012002521 

 Je bransle a sçavoir si je doy respondre, et n'estoit l'opinion de mes amis qui me combat, je serois resolu a la negative; mesme que j'ay en main quelque petite besoigne qui sera sans doute plus utile que celle la, et je suis si tourmenté de la multiplicité des sollicitudes que je n'ay nul loysir d'estudier..

  A012002521 

 Or, beni soit Dieu qu'il ne sçait pas mes maladies, puisqu'il ne les voudroit guerir que par la mesdisance.

  A012002522 

 Mais les anciens Evesques n'en faysoyent pas moins, et la communication que vous me permettes d'avoir avec vous m'est d'autant plus douce que nous sommes plus esloignés l'un de l'autre; car je pense que c'est de la largeur ou longueur du royaume de France.

  A012002522 

 Monsieur, je pense que vous connoistres par cette lettre combien est grande l'asseurance que je prens en vostre amitié, puisque je suis si long et si libre a vous dire ces menusailles de mon particulier, lesquelles ne vous peuvent estre presentees que sous une extreme confiance de vostre bonté.

  A012002522 

 Permettes moy, je vous supplie, que je desire de sçavoir presque aussi particulierement de vos nouvelles comme je vous en dis des miennes, mais sur tout si vous ne montes pas en chaire, ou au moins si vous ne faites pas de sermons a l'autel; et pardonnés moy, Monsieur, si c'est trop..

  A012002523 

 Je me resjouis que M. Soulfour soit nostre commun respondant; cette entremise, a mon advis, est fort aggreable.

  A012002523 

 Je ne suis jamais a l'autel que je ne l'en supplie, et nommement pour vous, Monsieur, de qui je me prometz un riche contreschange, a qui je bayse tres humblement les mains, et suis inviolablement,.

  A012002536 

 Je partiray irremissiblement le 23 de ce mois pour aller a Saint Claude rendre un viel vœu que j'y ay et que ma mere a fait pour moy en une de mes maladies; le 24 j'y seray, le 25 j'y arresteray, et ne pense pas estre icy que le 27 au soir.

  A012002542 

 Je differerois [298] bien mon voyage, mais j'ay des autres assignations qui ne me laissent libre que ce tems-la pour le faire..

  A012002556 

 Je ne sçai si c'est l'amour que vous me portes qui tire cette eau de la pierre, ou si c'est celuy que je vous porte [299] qui fait sortir des roses de l'espine.

  A012002556 

 Permettes-moy ce mot d'amour, car je parle a la chrestienne, et ne treuvés pas estrange que je vous promette des eaux et des roses; car ce sont des epithetes qui conviennent a toute doctrine catholique, pour mal ageancee qu'elle soit.

  A012002558 

 Pour parler avec ordre, je considere la predication en ses quattre causes: l'efficiente, la finale, la materielle et la formelle; c'est a dire, qui doit prescher, pour quelle fin l'on doit prescher, que c'est que l'on doit prescher et la façon avec laquelle on doit prescher..

  A012002560 

 Je ne dis rien de la mission ou vocation; seulement je remarque que les Evesques ont non seulement la mission, [300] mais ilz en ont les sources ministerielles, et les autres predicateurs n'en ont que les ruysseaux.

  A012002560 

 Le Concile de Trente: « C'est, » dit il, « le principal devoir de l'Evesque que de prescher.

  A012002560 

 Pour abondans que soyent les ruysseaux, on se plaist de boire a la source..

  A012002561 

 Je veux seulement dire ce mot: le predicateur sçait tous-jours asses quand il ne veut pas paroistre de sçavoir plus que ce qu'il sçait.

  A012002561 

 Saint François n'estoit pas docte, et neanmoins grand et bon predicateur, et en nostre aage, le bienheureux Cardinal Borromee n'avoit de science que bien fort mediocrement: toutefois il faisoit merveilles.

  A012002561 

 Un grand homme de lettres (et c'est Erasme) a dit que le meilleur moyen d'apprendre et de devenir sçavant c'est d'enseigner; en preschant on devient prescheur.

  A012002562 

 Quant a la bonne vie, elle est requise en la façon que dit saint Paul de l'Evesque, et non plus; de façon qu'il n'est pas besoin que nous soyons meilleurs pour estre predicateurs que pour estre Evesques.

  A012002563 

 Je ne dis pas qu'on ne puisse jouer a quelque jeu bien honneste une fois ou deux le moys par recreation; mais que ce soit avec une grande circonspection..

  A012002563 

 Mays je remarque que non seulement il faut que [301] l'Evesque et predicateur ne soit pas vicieux de peché mortel, mays de plus qu'il esvite certains pechés venielz, voire mesme certaines actions qui ne sont pas peché.

  A012002565 

 J'excepte certaines occasions que la prudence et charité sçavent bien discerner.

  A012002565 

 L'hospitalité ne consiste pas a faire des festins, mais a recevoir volontier les personnes a table, telle que les Evesques la doivent avoir et que le Concile de Trente determine: Oportet mensam Episcoporum esse frugalem.

  A012002566 

 Chose certaine, que Nostre Seigneur estant en nous reellement, il nous donne claireté, car il est la lumiere.

  A012002567 

 Mais au fin moins faut il estre confessé, suyvant ce que Dieu dit, au rapport de David: Peccatori autem dixit Deus: Quare tu enarras justitias meas et assumis testamentum meum per os tuum? Et saint Paul: Castigo corpus meum et in servitutem redigo, ne cum aliis prædicaverim ipse reprobus efficiar.

  A012002570 

 La fin donques du [303] predicateur est que les pecheurs mortz en l'iniquité vivent a la justice, et que les justes qui ont la vie spirituelle l'ayent encores plus abondamment, se perfectionnans de plus en plus, et, comme il fut dit a Hieremie, ut evellas et destruas les vices et les pechés, et ædifices et plantes les vertuz et perfections.

  A012002570 

 Quelle donques est la fin du predicateur en l'action de prescher? Sa fin et son intention doit estre de faire ce que Nostre Seigneur est venu pour faire en ce monde; et voicy ce qu'il en dit luy mesme: Ego veni ut vitam habeant, et abundantius habeant.

  A012002571 

 C'est pourquoy Dieu envoya aux Apostres, le jour de la Pentecoste, qui fut le jour de leur consecration episcopale, ayans des-ja eu la sacerdotale le jour de la Cene, des langues de feu; affin qu'ilz sceussent que la langue de l'Evesque doit esclaircir l'entendement des auditeurs et eschauffer leurs volontés..

  A012002572 

 Je sçai que plusieurs disent que, pour le troisiesme, le predicateur doit delecter; mays quant a moy, je distingue, et dis qu'il y a une delectation qui suit la doctrine et le mouvement.

  A012002573 

 Au sortir du sermon je ne voudrois point qu'on dist: O qu'il est grand orateur! o qu'il a une belle memoire! o qu'il est sçavant! o qu'il dit bien! Mais je voudrois que l'on dist: O que la penitence est belle! o qu'elle est necessaire! Mon Dieu, que vous estes bon, juste! et semblable chose; ou que l'auditeur, ayant le cœur saysi, ne peust tesmoigner de la suffisance du predicateur que par l'amendement de sa vie.

  A012002576 

 Mais qu'est-ce autre chose la doctrine des Peres de l'Eglise que l'Evangile expliqué, que l'Escriture Sainte exposee? Il y a a dire entre l'Escriture Sainte et la doctrine des Peres comme entre une amande entiere et une amande cassee, [305] de laquelle le noyau peut estre mangé d'un chacun, ou comme d'un pain entier et d'un pain mis en pieces et distribué.

  A012002577 

 Mais des histoires des Saintz s'en peut on pas servir? Mais, mon Dieu, y a il rien de si utile, rien de si beau? Mais aussi, qu'est autre chose la vie des Saintz que l'Evangile mis en œuvre? Il n'y a non plus de difference entre l'Evangile escrit et la vie des Saintz qu'entre une musique notee et une musique chantee..

  A012002579 

 C'est pourquoy je dis, ou du tout point, ou si peu que rien.

  A012002579 

 Et des fables des poëtes? O de celles la point du tout, si ce n'est si peu et si a propos, et avec tant de circonstances, comme contrepoisons, que chacun voye qu'on n'en veut pas faire profession; et tout cela si briefvement que ce soit asses.

  A012002580 

 C'est un livre qui contient la parole de Dieu, mais en un langage que chacun n'entend pas.

  A012002581 

 Mais sur tout, que le predicateur se garde bien de raconter des faux miracles, des histoires ridicules, comme certaines visions tirees de certains autheurs de basse ligne, choses indecentes et qui puissent rendre nostre ministere vituperable et mesprisable..

  A012002583 

 Mais il faut, tant qu'il est possible, que les passages soyent naïfvement et clairement bien interpretés.

  A012002583 

 Or, on peut bien user des passages de l'Escriture, les expliquant en l'une des quattre manieres que les Anciens ont remarquees:.

  A012002587 

 Ainsy ce mot diligere doit estre pesé, par ce qu'il vient de eligo et represente naïfvement le sens litteral, qui est qu'il faut que nostre cœur, nostre ame et nostre esprit choisissent et preferent Dieu entre toutes choses, qui est le vray amour appreciatif duquel les theologiens interpretent ces paroles..

  A012002587 

 Je pensois avec nostre saint Bernard: ex toto corde, c'est a dire courageusement, vaillamment, fervemment, par ce qu'au cœur appartient le courage; ex tota anima, c'est a dire affectueusement, par ce que l'ame entant qu'ame est la source des passions et affections; ex tota mente, c'est a dire spirituellement, discretement, par ce que mens, c'est l'esprit et partie superieure de l'ame, a laquelle appartient le discernement et jugement pour avoir le zele [308] secundum scientiam et discretionem.

  A012002589 

 Pour le sens allegorique, il faut que le predicateur observe quatre ou cinq pointz.

  A012002590 

 Je ne voudrois pas asseurer que l'un signifie l'autre, mays je voudrois bien comparer l'un a l'autre, car ainsy le discours est plus ferme et moins reprehensible..

  A012002590 

 Secondement, ou il n'y a pas une tres grande apparence que l'une des choses ayt esté la figure de l'autre, il ne faut pas traitter les passages l'un comme figure de [309] l'autre, mais simplement par maniere de comparayson; comme, par exemple, le genevrier sous lequel Helie s'endormit de detresse est interpreté allegoriquement par plusieurs de la Croix; mais moy j'aymerois mieux dire ainsy: Comme Helie s'endormit sous le genevrier, ainsy nous devons reposer sous la Croix de Nostre Seigneur par le sommeil de la sainte meditation; et non pas: Ainsy qu'Helie signifie le Chrestien, le genevrier signifie la Croix.

  A012002591 

 Cela peut avoir de l'apparence; mais il n'a pas de la bienseance a cause que cette defense porte une imagination dangereuse en l'esprit de l'auditeur..

  A012002591 

 Tiercement, il faut que l'allegorie soit bienseante; en quoy sont reprehensibles plusieurs qui allegorisent la defense faitte en l'Escriture a la femme de ne point prendre l'homme par ses parties deshonnestes, au Deuteronome, chapitre XXV: Si habuerint inter se jurgium viri duo, et unus contra alterum rixari cæperit, volensque uxor alterius eruere virum suum de manu fortioris, miseritque manum et apprehenderit verenda ejus, abscides manum illius, nec flecteris super eam ulta misericordia; et disent qu'elle represente le mal que fait la Synagogue de reprocher aux Gentilz leur origine, et qu'ilz n'estoyent pas enfans d'Abraham.

  A012002593 

 Cinquiesmement, il faut que l'application se face clairement et avec grand jugement, pour rapporter dextrement les parties aux parties..

  A012002597 

 Analogiquement, Esaü represente le cors, qui est l'aisné; car avant que l'ame fust creée, le cors fut fait et en Adam et en nous.

  A012002598 

 L'amour propre est l'aisné, car il est né avec nous; l'amour de Dieu est puisné, car il s'acquiert par les Sacremens et penitence; et neanmoins il faut que l'amour de Dieu soit le maistre, et quand il est en une ame, l'amour propre sert et est inferieur..

  A012002599 

 Or, ces quattre sens donnent une grande, noble et bonne matiere a la predication, et font merveilleusement bien entendre la doctrine: c'est pourquoy il s'en faut servir, mays avec les mesmes conditions que j'ay dit estre requises a l'usage du sens allegorique..

  A012002600 

 Apres les sentences de l'Escriture, les sentences des Peres et Conciles tiennent le second rang; et pour le [311] regard d'icelles, je dis seulement que, si ce n'est bien rarement, il faut les choisir courtes, aiguës et fortes.

  A012002602 

 Abraham, disent-ilz, viel; Abraham, [312] qui n'avoit que ce filz si beau, si sage et vertueux et si aymable; et neanmoins, sans replique, sans murmurer et hesiter, il le mene sur le mont, et veut bien luy mesme de ses propres mains l'immoler.

  A012002602 

 Il faut choisir des histoires belles et esclattantes, les proposer clairement et distinctement, et les appliquer vivement, comme font les Peres proposans l'exemple d'Abraham qui immole son filz, pour monstrer que nous ne devons rien espargner pour faire la volonté de Dieu; car ilz remarquent tout ce qui peut rendre recommandable l'obeissance d'Abraham.

  A012002603 

 Il ne faut estre aussi ni si court que l'exemple ne penetre pas, ni si long qu'il ennuye..

  A012002606 

 On les tire des actions humaines, passant de l'une a l'autre; comme de ce que font les bergers a ce que doivent faire les Evesques et pasteurs, [313] comme fit Nostre Seigneur en la parabole de la brebis perdue; des histoires naturelles, des herbes, plantes, animaux, et de la philosophie, et en fin de tout.

  A012002608 

 Saint Paul parlant de celuy qui n'a point de charité et fait quelques œuvres, il dit que factus est sicut æs sonans, aut cymbalum tinniens.

  A012002609 

 Les navires donques qui chomment au port, si tost que le vent propice les saysit aux voiles et qu'il les emplit et fait enfler, elles singlent.

  A012002609 

 Lhors que le vent favorable du Saint Esprit entre dans nostre cœur, nostre ame court et single dans la mer des commandemens.

  A012002610 

 Apres tout cela, je vous advise qu'on se peut servir de l'Escriture par application avec beaucoup d'heur, encores que bien souvent ce qu'on en tire ne soit pas le vray sens; comme saint François disoit que les aumosnes estoyent « panis Angelorum, » parce que les Anges les procuroyent par leurs inspirations, et applique le passage: Panem Angelorum manducavit homo.

  A012002612 

 Dequoy, je vous prie, sert la methode si on ne la voit et que l'auditeur ne la connoisse?.

  A012002612 

 J'appreuve que la methode soit claire et manifeste, et nullement cachee, comme font plusieurs qui pensent que ce soit un grand coup de maistre de faire que nul ne connoisse leur methode.

  A012002613 

 Pour vous ayder en cecy, je vous diray que, ou vous [315] voules prescher quelque histoire, comme de la Nativité, Resurrection, Assomption, ou quelque sentence de l'Escriture, comme: Omnis qui se exaltat humiliabitur, ou tout un Evangile ou il y a plusieurs sentences, ou la vie de quelque Saint avec quelque sentence..

  A012002614 

 Considerer combien de personnages il y a en l'histoire que vous voules prescher; puys, de chacun tirer quelque consideration.

  A012002617 

 Combien est ce que nous devons estre fermes a croire qu'au Saint Sacrement ce mesme cors n'occupe point de place, ne peut estre offencé par la fraction des especes, et qu'il y est en une façon spirituelle, quoy que reelle.

  A012002617 

 O quel amour! Pour l'imitation: Il est resuscité le troisiesme jour; o Dieu, que ne resuscitons-nous par la contrition, confession et satisfaction? Il force la pierre; vainquons toutes difficultés..

  A012002618 

 Ainsy donques, ayant descouvert en la sentence que vous voules manier la vertu a laquelle elle vise, vous pourres reduire vostre sermon a methode, considerant en quoy gist la vertu, les vrayes marques d'icelle, ses effectz et le moyen de l'acquerir ou exercer; qui a tous-jours esté ma methode, et j'ay esté consolé d'avoir rencontré le livre du Pere Rossignol, Jesuite, conforme a cette methode.

  A012002619 

 Encores peut-on traitter autrement: c'est a sçavoir, des biens que cette vertu donne et des maux que le vice opposé apporte; mais la premiere est la plus utile..

  A012002620 

 Mais cette façon de passer sur tout un Evangile sentencieux est moins fructueuse, d'autant que le predicateur ne pouvant s'arrester que fort peu sur chacune sentence, ne peut les bien demesler, ni inculquer a l'auditeur ce qu'il desire..

  A012002620 

 Quand on traitte un Evangile ou il y a plusieurs sentences, il faut regarder celles sur lesquelles on se veut arrester, voir de quelles vertuz elles traittent, et en dire succinctement selon ce que j'ay dit d'une seule sentence, et les autres les parcourir et paraphraser.

  A012002621 

 Celle que j'ay tenue en l'orayson funebre de Monsieur de Mercure est bonne parce qu'elle est de saint Paul: Ut pie erga Deum, sobrie erga seipsum, juste erga proximum vixerit; et rapporter les pieces de la vie du Saint chacune a son rang.

  A012002622 

 Il me reste a dire pour la methode, que je mettrois volontier les passages de l'Escriture les premiers, les raysons secondement, les similitudes troisiesmement, et quatriesmement les exemples, s'ilz sont sacrés; car s'ilz sont prophanes, ilz ne sont pas propres a fermer un discours: il faut que le discours sacré soit terminé par une chose sacree.

  A012002622 

 Item, la methode veut que le commencement du sermon jusques au milieu enseigne l'auditeur, et que despuis le milieu jusques a la fin il l'esmeuve.

  A012002623 

 Mais apres tout ceci, il faut que je vous die comme il faut remplir les pointz de vostre sermon, et voir comment.

  A012002626 

 Ce que je dis, non pour m'en estre fort servi, car je ne l'ay veu qu'apres beaucoup de tems, mays parce que je le connois tel, et me semble que je ne me trompe pas.

  A012002626 

 Mais il faut que je die mon opinion.

  A012002628 

 Monsieur, c'est icy ou je desire plus de creance qu'ailleurs, parce que je ne suis pas de l'opinion commune, et que neanmoins ce que je dis c'est la verité mesme..

  A012002629 

 Il faut que nos paroles soyent enflammees, non pas par des cris et actions desmesurees, mais par l'affection interieure; il faut qu'elles sortent du cœur plus que de la bouche.

  A012002629 

 Mais pour l'avoir que faut-il faire? En un mot, parler affectionnement et devotement, simplement et candidement et avec confiance; estre bien espris de la doctrine qu'on enseigne et de ce qu'on persuade.

  A012002631 

 J'appreuve que l'on die premierement, au premier point, et secondement, au second, affin que le peuple voye l'ordre..

  A012002632 

 Il me semble que nul, mais sur tout les Evesques, ne doivent user de flatterie envers les assistans, fussent ilz rois, princes et Papes.

  A012002634 

 Pour la preparation au sermon, j'appreuve qu'elle se fasse des le soir, et que le matin on medite pour soy ce que l'on veut dire aux autres.

  A012002636 

 Il est tous-jours mieux que la predication soit courte que longue, en quoy j'ay failli jusques a present: que je m'amende.

  A012002637 

 Il ne faut point tesmoigner de mescontentement, s'il est possible; mais au moins point de cholere, comme je fis le jour de Nostre Dame quand on sonna avant que j'eusse achevé.

  A012002638 

 Je finis disant que la preédication c'est la publication et declaration de la volonté de Dieu faitte aux hommes par celuy qui est la, legitimement envoyé, affin de les instruire et esmouvoir a servir sa divine Majesté en ce monde, pour estre sauvés en l'autre..

  A012002640 

 Je me suis allegué moy mesme; mais c'est, Monsieur, parce que vous voules mon opinion et non celle des autres.

  A012002640 

 Je n'ay point cité les autheurs que j'ay allegués en certains endroitz; c'est que je suis aux chams, ou je ne les ay pas.

  A012002640 

 Monsieur, que dires vous de cela? Pardonnés moy, je vous supplie; j'ay escrit a course de plume, sans aucun soin ni de paroles ni d'artifice, porté du seul desir de vous tesmoigner combien je vous suis obeissant.

  A012002641 

 Et prescher souvent; il n'y a que cela pour devenir maistre.

  A012002641 

 Il faut, avant que je ferme cette lettre, que je vous conjure, Monsieur, de ne la point faire voir a personne duquel les yeux me soyent moins favorables que les vostres, et que j'adjouste ma tres humble supplication que [323] vous ne vous laissies emporter a nulle sorte de consideration qui vous puisse empescher ou retarder de prescher: plus tost vous commenceres, plus tost vous reuscires.

  A012002642 

 Le Cardinal Borromee, sans avoir la dixiesme partie des talens que vous aves, presche, edifie, se fait saint.

  A012002642 

 Saint Jan mourant ne sçavoit que repeter cent fois en un quart d'heure: « Mes enfans, aymés vous les uns les autres, » et avec cette provision il montoit en chaire: et nous faysons scrupule d'y monter si nous n'avons des myrobolans d'eloquence! Laissés dire a qui alleguera la suffisance de Monsieur vostre predecesseur: il commença une fois comme vous..

  A012002643 

 Mais mon Dieu, Monsieur, que dires vous de moy qui vay si simplement avec vous? L'amour ne se peut taire [324] ou il y va de l'interest de celuy qu'on ayme.

  A012002643 

 Vous alles, Monsieur, a vostre troupeau: hé, que ne m'est il loysible de courir jusques la pour vous assister, comme j'eus l'honneur de faire a vostre premiere Messe! Je vous y accompagneray par mes vœux et desirs.

  A012002644 

 Monsieur, je ne fus jamais a l'autel sans vous recommander a Nostre Seigneur; trop heureux si je suis digne que quelquefois vous m'y porties en vostre memoire.

  A012002649 

 J'ai eu honte relisant cette lettre, et si elle estoit plus courte je la referois; mais j'ay tant de confiance en la solidité de vostre bienveüillance, que la voyla, Monsieur, telle qu'elle est.

  A012002656 

 En cela seul ilz n'auront pas sceu passer la mesure a dire, ni vous, Monsieur, a croire que je leur ay voüé toutes mes affections, qui vous sont par ce moyen acquises, puisqu'il sont vostres avec tout ce qu'ilz ont..

  A012002657 

 C'est bien la verité que j'ay reconneu en Monsieur de Bourges une si naïfve bonté et d'esprit et de cœur que je me suis relasché a conferer avec luy des offices de nostre commune vocation, avec tant de liberté que, revenant a moy, je n'ay sceu qui avoit usé de plus de simplicité, on luy a m'escouter, ou moy a luy parler.

  A012002657 

 Nous nous sommes bien couppé de la besoigne l'un a l'autre; nos desirs de servir Dieu et son Eglise (car je confesse que j'en ay, et luy ne sçauroit dissimuler qu'il n'en soit plein) se sont, ce me semble, aiguisés et animés par le rencontre..

  A012002657 

 Permettes moy, Monsieur, que je laisse courir ma plume a la suitte de mes pensees pour respondre a vostre lettre.

  A012002658 

 Et quant a madame de Chantal, j'ayme mieux ne rien dire du desir que j'ay de son bien eternel que d'en dire trop peu.

  A012002658 

 Je vous asseure que si je voulois je ne m'en sçaurois empescher; et de fait, je luy envoye une lettre de quattre feuilles, et toute de cette estoffe.

  A012002658 

 Mais M. le President des Comptes, vostre bon frere, ne vous a-il point dit qu'il m'aymoit aussi bien fort? Je vous diray bien au moins que je m'en tiens pour tout asseuré.

  A012002658 

 Mais, Monsieur, vous voules que je continue de mon costé cette conversation, et sur ce sujet, par lettres.

  A012002658 

 Non, Monsieur, je n'apporte plus nulle consideration a ce que je suis moins que luy, ni a ce qu'il est plus que moy et en tant de façons: « Amor æquat amantes.

  A012002658 

 » Je luy parle fidellement et uveo toute la confiance que mon ame peut avoir en celle [327] que j'estime des plus franches, rondes et vigoureuses en amitié.

  A012002659 

 J'ayme mieux obeir au peril de la discretion, que d'estre discret au peril de l'obeissance.

  A012002659 

 Si faut-il que je vous obeisse encores en ce que vous me commandes de vous escrire les principaux pointz de vostre devoir.

  A012002660 

 Chose estrange, mais que l'experience et les autheurs tesmoignent: un cheval, pour brave et fort qu'il soit, cheminant sur les passees et alleurs du loup s'engourdit et perd le pas.

  A012002660 

 Il n'est pas possible que vivans au monde, quoy que nous ne le touchions que des piedz, nous ne soyons embroüillés de sa puossiere.

  A012002660 

 Monsieur, je sçai que vous aves fait une longue et tres honnorable vie, et tous-jours tres constante en la sainte Eglise Catholique; mais au bout de la, ç'a esté au monde et au maniement de ses affaires.

  A012002660 

 Nos anciens peres, Abraham et les autres, presentoyent ordinairement a leurs hostes le lavement des piedz; je pense, Monsieur, que la premiere chose qu'il faut faire c'est de laver les affections de nostre ame pour recevoir l'hospitalité de nostre bon Dieu en son Paradis..

  A012002661 

 Il me semble que c'est tous-jours beaucoup de reproche aux mortelz de mourir sans y avoir pensé; mais il est double a ceux que Nostre Seigneur a favorisés du « Bien de la viellesse.

  A012002661 

 » Ceux qui s'arment avant que l'alarme se donne le sont tous-jours mieux que les autres qui, sur l'effroy, courent ça et la au plastron, aux cuissars et au casquet.

  A012002662 

 Je ne dis pas qu'il faille rudement rompre toutes les alliances que nous y avons contractees (il faudroit a l'adventure des effortz pour cela); mais il les faut descoudre et desnouer.

  A012002662 

 Les arbres que le vent arrache ne sont pas propres pour estre transplantés parce qu'ilz laissent leurs racines en terre; mays qui les veut porter en une autre terre, il [329] faut que dextrement il desengage petit a petit toutes les racines l'une apres l'autre.

  A012002663 

 A cet effect, je croy, Monsieur, que vous aures une incroyable consolation de choisir de chasque jour une heure pour penser, devant Dieu et vostre bon Ange, a ce qui vous est necessaire pour faire une bienheureuse retraitte.

  A012002663 

 Quel ordre a vos affaires s'il failloit que ce fust bien tost? Je sçai que ces pensees ne vous seront pas nouvelles; mais il faut que la façon de les faire soit nouvelle en la presence de Dieu, avec une tranquille attention, et plus pour esmouvoir l'affective que pour esclairer l'intellective..

  A012002664 

 La sagesse et consideration de la philosophie accompagne souvent les jeunes gens: c'est plus pour recreer leur esprit que pour creer en leurs affections aucun bon mouvement; mais entre les bras des anciens, elle n'y doit estre que pour leur donner de la vraye chaleur de devotion.

  A012002665 

 Vostre saint Bernard dit que l'ame qui veut aller a Dieu doit premierement bayser les piedz du Crucifix, purger ses affections et se resoudre a bon escient de se [330] retirer petit a petit du monde et de ses vanités; puys bayser les mains, par la nouveauté des actions qui suit le changement des affections; et en fin le bayser en la bouche, s'unissant par un amour ardent a cette supreme Bonté.

  A012002666 

 Ceux qui pretendent au païs eternel, quoy que singlans en la haute mer des affaires de ce monde, ont un certain pressentiment du Ciel qui les anime et encourage merveilleusement; mays il faut se lenir en prouë et le nés tourné de ce costé la..

  A012002667 

 Apres cela a nos proches; mays « nul ne vous est si proche que vous mesme, » dit nostre Seneque chrestien.

  A012002667 

 En fin aux amis: mais n'estes vous pas le premier des vostres? Je remarque que saint Paul dit a son Timothee: Attende tibi et gregi; primo tibi, deinde gregi, dit il..

  A012002668 

 Et pardonnés moy, je vous en conjure par vostre propre humilité, si ma simplicité a esté [331] si extravagante en son obeissance que de vous escrire avec tant de longueur et de liberté sur un simple commandement, et avec une entiere connoissance que j'ay de vostre extreme suffisance, qui me devoit ou retenir au silence ou en une exacte moderation.

  A012002668 

 Vous m'aves commandé que toutes les annees je vous escrive quelque chose de cette sorte: me voyla quitte pour celle ci, en laquelle je vous supplie d'oster le plus de vos affections de ce monde que vous pourres, et, a mesure que vous les arracheres, de les transplanter au Ciel.

  A012002682 

 J'ay longuement retenu vostre laquay Philibert, mais ç'a esté parce que je n'ay jamais eu un seul jour a moy, encor que je fusse aux chams; car la charge que j'ay porte tout par tout son martyre avec soy, et ne puis pas dire qu'une seule heure de mon tems soit a moy, sinon celles ausquelles je suis a l'Office: tant plus desiré-je d'estre tres estroittement recommandé a vos prieres.

  A012002683 

 Je desire que vous la communiquies a madame la Presidente vostre seur, et a madame de Chantal, car je pense qu'elle leur sera utile..

  A012002683 

 Je vous envoye, ma chere Fille (et voyla le mot que vous voules et que mon cœur me dicte), un escrit touchant lu façon de faire l'orayson mentale qui me semble la plus aysee et utile.

  A012002684 

 Les livres que je vous conseille, ce sont Bruno, Jesuite; Capiglia, Chartreux; Bellintani, Capucin; mais sur tout Grenade, au Vray Chemin, pour ce commencement.

  A012002684 

 Mais quoy que vous voyies [en] ces autheurs qui sont excellens, ne vous departes point de la forme que je vous ay envoyee..

  A012002684 

 Quant a la matiere de vos meditations, je desire que pour l'ordinaire ce soit sur la Vie et Mort de Nostre Seigneur, car ce sont les plus aysees et les plus proufitables.

  A012002685 

 Faites tous-jours l'entree de l'orayson en vous mettant en la presence de Dieu, l'invoquant et proposant le mystere; et apres les considerations, faites tous-jours les actes des affections, non pas de toutes, mays de quelques unes, et les resolutions; apres cela l'action de graces, l'offre, la priere; en fin lisés bien le petit memorial que je vous envoye et le prattiqués..

  A012002686 

 Et tenés cette regie perpetuellement, que jamais vous ne deves finir vostre orayson qu'avec confiance; car c'est la vertu la plus requise pour impetrer de Dieu, et celle qui l'honnore le plus.

  A012002686 

 Mais, ma Fille, je vous prie, que toutes ces meditations la des quatre fins se finissent toutes par l'esperance et confiance en Dieu, et non pas par la crainte et l'effroy; car quand elles finissent par la crainte elles sont dangereuses, sur tout celles de la mort et de l'enfer.

  A012002687 

 Pour l'ordre de prier la journee, il me semble de vous avoir asses esclaircie en ce petit memorial que je vous envoye.

  A012002687 

 Sçachant que vous estes fort matineuse, je dis que le matin, estant levee, vous deves faire vostre meditation, et l'exercice du matin que j'ay appellé preparation, a la charge que le tout ne durera au plus que trois quartz d'heure, ne desirant pas que la meditation et l'exercice arrivent a une heure.

  A012002688 

 A la Messe, je vous conseille plustost de dire vostre Chapelet qu'aucune autre priere vocale; et, le disant, vous le pourres rompre quand il faudra observer les pointz que je vous ay marqué, a l'Evangile, au Credo, a l'Eslevation, et puis reprendre ou vous aves laissé.

  A012002688 

 Et ne doutés nullement qu'il n'en sera que mieux dit par toutes ces interruptions; et si vous ne le pouves achever a la Messe, ce sera a quelque heure du jour, et ne sera besoin que de poursuivre ou vous aures laissé..

  A012002689 

 Au repas, j'appreuverois que vous observassies de faire [334] dire le Benedicite et les Graces ecclesiastiques qui sont a la fin du Breviaire; et cela vous le pourres introduire au meste tems que vous introduires le Breviaire de Trente, ou devant, s'il vous semble, et, petit a petit, faire que chaque Dame le die a son tour; car l'Eglise ne l'a pas fait mettre sinon a fin que nous l'observions.

  A012002690 

 Le soir avant que d'aller coucher, j'appreuve que si l'eglise n'est point esloignee de vos chambres, ni trop incommode, vous y allies toutes ensemble, et qu'estans arrivees et mises a genoux et en la presence de Dieu, la semainiere fasse l'office de l'examen de conscience en cette sorte: Pater noster, et dire secrettement le reste; Ave Maria et Credo, et a la fin: carnis resurrectionem, vitam æternam.

  A012002690 

 Requiescant in pace. Et des cette heure-la, que chacune se retire a sa celle, apres s'estre saluees toutes ensemble..

  A012002691 

 Au demeurant, ma chere Dame, sur tout il faut que vous la premiere, et puis les autres, tenies un ordre non seulement pour les Offices, mais aussi pour s'aller coucher et lever; autrement vous ne pourres pas continuer en santé: et cela s'observe en toutes assemblees.

  A012002691 

 Je conseillerois que le disner ne fust point plus tard que dix heures, ni le souper que six, ni le coucher que de neuf a dix, et le lever entre quatre et cinq, si quelque complexion particuliere ne requiert davantage de tems pour dormir ou n'en puisse pas tant dormir.

  A012002691 

 Mais [334] il faut que, pour n'en pas tant dormir, la cause soit bien reconneuë; car entre les filles, il semble que six heures soyent presque requises, et voulant faire autrement on demeure sans vigueur le long de la journee..

  A012002692 

 Aux jours de jeusne on peut faire collation a sept heures; et pour le regard du jeusne, pour vous, il suffira de commencer par le vendredy et vous en contenter pour quelque tems, et mesmement parce qu'il faut que vous soyes avec les autres et qu'il faut les conduire petit a petit..

  A012002693 

 Estant malade, ne faites point d'autre orayson que jaculatoire, et ayés soin de vous, obeissant soigneusement au medecin, et croyes que c'est une mortification aggreable a Dieu; et quand vos Seurs le seront, soyes fort affectionnee a les visiter, secourir et faire servir et consoler.

  A012002693 

 Mesme s'il y en a de maladives, monstrés leur une tendre compassion, les dispensant aysement des charges de l'Office, selon que vous jugeres convenable, car cela les gaignera infiniment..

  A012002694 

 Je n'ay pas icy les livres qui en traittent, et peut estre le disent-ilz mieux que moy; mais il n'importe: si vous le treuves ailleurs, tant mieux..

  A012002694 

 Je n'y metz pas tout, mays seulement ce que j'ay creu a propos pour vostre instruction.

  A012002694 

 Je vous envoye un petit formulaire de Confession que j'ay dressé expres pour vous.

  A012002694 

 Pour le regard des Communions et Confessions, je treuve bon que ce soit tous les huit jours, et que le soir du samedi vous adjousties au Visita l'orayson du Saint Sacrement.

  A012002694 

 Vous le pourres communiquer a madame Bruslart et de Chantal, et aux Religieuses que vous verres disposees a en faire prouffit.

  A012002695 

 Cela me plaist que vous estes peu de filles, la multitude engendre confusion.

  A012002695 

 Quant a la reformation de vostre Mayson, ma chere Fille, il faut que vous ayes un cœur grand et qui dure.

  A012002696 

 Il vous faut bien garder de donner ni peu ni prou aucune alarme de vouloir reformer; car cela ferroit que tous les espritz chatouilleux dresseroyent leur larmes contre vous et se roidiroyent.

  A012002696 

 Sçaves vous ce qu'il faut faire? Il faut que d'elles mesmes elles se reformement sous vostre conduitte et qu'elles se lient a l'obeissance et pauvreté.

  A012002697 

 Le premier c'est de leur commander souvent, mais des choses fort petites, douces et legeres, et ce devant les autres; et puis, la dessus, les en louer modestement, et les appeller a l'obeissance avec des termes d'amour: Ma chere Seur, ou Fille, et semblables; et plustost leur dire avant que de le faire: Si je vous prie de ceci ou de cela, le feres-vous pas bien pour l'amour de Dieu?.

  A012002698 

 Le second c'est de leur jetter devant des livres propres a cela, et entr'autres il y en a trois admirables que je vous conseille d'avoir, et quelquefois leur en lire a part les pointz plus sortables.

  A012002698 

 Par exemple: Mon Dieu, que les [337] Abbesses qui ont des Superieures qui leur commandent, ou bien des Superieurs, sont bien plus ayses! elles ne craignent point de faillir, elles ne font rien qu'a propos, toutes leurs actions sont bien plus aggreables a Dieu; et semblables petites amorces..

  A012002700 

 Le quatriesme c'est de faire profession vous mesme de ne vouloir rien faire que par l'advis et conseil de vostre pere spirituel, auquel neanmoins vous n'attribueres nullement aucun tiltre de commandement, ni a ce que vous feres par sa direction aucun tiltre d'obeissance, de peur d'exciter des contradictions, et que les malins ne suscitent des jalousies en l'esprit de ceux qui sont Superieurs de vostre Monastere, car cela gasteroit tout.

  A012002701 

 Il faut les y conduire petit a petit, en sorte qu'inspirees en cette douce façon, dans quelque tems toutes leurs pensions soyent mises ensemble en une bourse, de laquelle on tirera tout ce qui sera necessaire, esgalement et a propos, selon la necessité d'une chacune, comme il se fait en plusieurs monasteres de France que je sçay.

  A012002702 

 Mays que ce soit en sorte qu'il semble que vous ne le dites que pour vostre particulier, et vous verres que, petit a petit, elles seront bien ayses de retrancher les sorties au monde et les entrees des mondains; et en fin, un jour (il suffira bien si c'est apres une annee, voire deux) vous feres passer cela en constitution et en ordre, car c'est en fin la gardienne de la chasteté que la clausure..

  A012002702 

 Quant a la chasteté il faut commencer ainsy: tesmoigner vous mesme que vous n'estes jamais si contente que quand vous estes seule avec elles; qu'il vous semble que c'est la plus grande consolation d'estre ainsy en vostre conversation particuliere entre vous autres Seurs; que vous voudries que chacun demeurast en son lieu, les mondains chez eux et vous avec elles; qu'aussi bien les mondains ne viennent aux monasteres que pour en tirer, [338] ou pour en faire des contes ça et la et se mocquer des Religieuses; et semblables petites inspirations.

  A012002703 

 Je suis consolé de sçavoir que presque tout est de jeunesse, car cet aage est propre a recevoir les impressions.

  A012002704 

 Mais dites moy, estimés vous peu ce que vous aves des-ja fait pour l'Office, pour la table, pour le voile et semblables choses? Seigneur Jesus! Nostre Seigneur demeura trois ans et demi a former le college de ses douze Apostres, encores y avoit il et un traistre et beaucoup d'imperfections quand il mourut.

  A012002704 

 Ne tesmoignes pas de vouloir vaincre; excusés en l'une son incommodité, en l'autre son aage, et dites le moins qu'il vous sera possible que c'est faute d'obeissance.

  A012002704 

 Quand vous rencontreres des difficultés et contradictions, ne vous essayes pas de les rompre, mais gauchisses dextrement et pliés; avec la douceur et le tems, si toutes ne se disposent pas, ayés patience, et avancés le plus que vous pourres avec les autres.

  A012002705 

 Ainsy faut-il mesler la justice avec la bonté, a la façon de nostre bon Dieu, a fin que la charité soit exercee et la discipline observee..

  A012002705 

 En particulier, je suis bien d'advis que vous relevies son esprit avec douceur et que vous invities a en faire de mesme toutes les Dames, car l'Apostre dit tout net que les plus spirituelz doivent relever les defaillans en esprit de douceur, quand ilz viennent en esprit de penitence.

  A012002705 

 Ma Fille, j'appreuve la charité que vous voules faire a cette pauvre creature esgaree, pourveu qu'elle revienne avec esprit de reconnoissance et penitence; et si elle vient en cette sorte, elle treuvera plus doux que sucre et miel d'estre reculee au dernier rang et de ne point avoir part aux honneurs de la Mayson, jusqu'a ce que les vertuz qu'elle pourra faire paroistre en contreschange [339] des fautes passees la puissent relever aux autres honneurs, horsmis le rang, qu'il est bien raysonnable qu'elle perde absolument.

  A012002706 

 Je treuverois bon que l'exercice de l'examen ne se fist qu'une grosse demie heure ou trois quartz d'heure apres souper, et que pendant les trois quartz d'heure on fist un peu de recreation a deviser honnestement, voire a chanter des chansons spirituelles, au moins pour ce commencement..

  A012002708 

 Il me reste a vous dire que, sans ceremonie, je suis entierement vostre et de toute vostre Abbaye, ou j'espere voir un jour fleurir de toutes pars la sainte devotion; en ce que je pourray, je contribueray et ce que Dieu me donnera d'esprit et mes foibles prieres.

  A012002708 

 Je le supplie de tout mon cœur qu'il vous fortifie de plus en plus en son amour, avec toutes mesdames vos Religieuses, que je saluë et prie de ne point m'oublier en leurs [340] oraysons, mays de me donner quelques uns des souspirs de devotion qu'elles jettent au Ciel, ou est leur esperance.

  A012002708 

 Je ne manque jamais de vous loger amplement en la memoire de la sainte Messe, et croyes que si vous vous desires pres de moy, je me desire bien aussi pres de vous.

  A012002708 

 Voyla, ce me semble, que je vous ay respondu a tout ce que vous me demandies, Madame ma chere Seur.

  A012002722 

 Croyés que j'y penseray a bon escient..

  A012002722 

 Je vous supplie par les entrailles de Nostre Seigneur de croire, sans aucunement douter, que je suis entierement et irrevocablement au service de vostre ame, et que je m'y employeray de toute l'estendue de mes forces, avec toute la fidelité que vous sçauries jamais souhaitter.

  A012002722 

 Je vous veux mettre icy quelques pointz a part, que je desire vous estre particuliers.

  A012002723 

 Quant au desir que vous aves de refaire vos vœux entre mes mains et m'en envoyer un escrit, puisque vous estimes que cela vous donnera tant de repos, j'en suis content, pourveu que vous adjousties a l'escrit cette condition, a l'endroit ou vous parleres de moy: « sauf l'authorité de tous legitimes Superieurs; » et ne faut pas que rien de cela se sçache..

  A012002724 

 J'escris a Monsieur vostre pere et le mien une lettre propre, a mon advis, pour gaigner son esprit a nostre dessein, lequel je ne luy depeins pas si grand comme il est parce que cela le rebuteroit luy estant proposé tout a coup, et petit a petit il le goustera indubitablement.

  A012002724 

 J'escris un mot a Madame vostre seur, que je ne puis qu'aymer extremement, estant ce qu'elle est.

  A012002724 

 Je me dispense un peu de vous en cette lettre-la, mais vous sçaves bien que ce n'est tout que pour la gloire de Dieu et vostre bien, a quoy je regarde sans plus en tout cecy.

  A012002724 

 Je sçai que vous me tenes pour trop vostre pour interpreter aucune chose venante de moy qu'a bien et a droitte intention.

  A012002725 

 J'ay bien peur que l'escrit de la meditation ne soit si mal fait que vous ne sachies pas le lire; vous prendres la peyne, s'il vous plaist, de le faire mettre au net pour le pouvoir lire avec plus de fruit.

  A012002725 

 J'estois si indisposé quand je le fis escrire, que je ne peus y mettre la main pour l'escrire, me contentant de le dicter..

  A012002726 

 Il n'y a nulle apparence humaine que je puisse jamais avoir la consolation de voir le Puis d'Orbe; mais le grand desir duquel je suis porté a vostre service spirituel me [342] fait esperer que Nostre Seigneur m'y conduira par sa providence quand il en sera tems, si ma chetifve cooperation est requise a vostre bon dessein..

  A012002727 

 Prevales-vous de l'assistence du bon Pere de Villars, lequel, en response du billet que je vous donnay a Saint Claude, m'escrit qu'il aura un particulier soin de vous servir.

  A012002727 

 Vous feres bien de vous arrester aux devotions que je vous ay presentees et de ne point varier sans m'en advertir; Dieu aura aggreable vostre humilité en mon endroit et vous les rendra fructueuses..

  A012002728 

 Croyés que j'ay bien besoin de vos prieres..

  A012002728 

 Je vous demande un Chapelet pour son repos, car je sçai que si je fusse trespassé devant luy, il m'en eust fait faire la charité [343] comme cela par tout ou il eust eu du credit.

  A012002728 

 Si j'eusse eu le tems a moy, je vous eusse escrit en meilleur ordre; mais tout ce que j'escris ce n'est que par morceaux, selon le loysir que je puis avoir.

  A012002729 

 Cela vous suffira, ou une partie, avec ceux que je sçai que vous aves des-ja..

  A012002729 

 Les livres que vous pouves avoir pour le present, sont: Platus, Du Bien de l'Estat de religion; Le Gerson des Religieux, de Luc Pinel; Paul Morigie, De l'institution et commencement des Religions; les Œuvres de Grenade, imprimees nouvellement a Paris; Bellintani, De l'Orayson mentale, les Meditations de Capiglia, Chartreux; celles de saint Bonaventure; Le Desirant; les Œuvres de François Arias et sur tout l' Imitation de Nostre Dame; les Œuvres de la Mere Therese; le Catechisme spirituel de Cacciaguerre et ses autres Œuvres.

  A012002733 

 Madame, j'oubliois presque de vous dire que ma mere et moy avons fait un projet de vous envoyer apres l'hiver prochain ma jeune seur que vous vistes a Saint Claude, [344] en intention que si Dieu la favorise de l'inspiration d'estre Religieuse, elle le soit, le tems estant venu, par vostre grace et assistence; trop heureuse qu'elle sera d'arriver en cette Mayson-la a mesme tems que la devotion s'y allumera.

  A012002733 

 Que si elle n'est pas digne de ce lieu, ou moy de ce contentement, au moins aura-elle ce bonheur, ou qu'elle aille, d'avoir esté en si bon lieu.

  A012002742 

 Ce m'a esté un extreme contentement d'avoir eu et veu vostre lettre; je voudrois bien que les miennes vous en peussent donner un reciproque, et particulierement pour le remede des inquietudes qui se sont eslevees en vostre esprit despuis nostre separation.

  A012002743 

 Je vous ay dit une fois, et m'en resouviens fort bien, que j'avois treuvé en vostre confession generale toutes [345] les marques d'une vraye, bonne et solide confession, et que jamais je n'en avois reçeu qui m'eust plus entierement contenté.

  A012002743 

 Mais si ce n'est que peché veniel, ou que vous l'ayes omis par oubliance et defaut de memoire, ne doutés point, ma chere Seur; car, au peril de mon ame, vous n'estes nullement obligee de refaire vostre confession, ains suffira de dire a vostre confesseur ordinaire le point que vous aures omis: de cela j'en respons.

  A012002743 

 N'ayés pas crainte non plus de n'avoir pas apporté tant de diligence qu'il failloit a vostre confession generale; car je vous redis fort clairement et asseurement que si vous n'aves point fait d'omission volontaire, vous ne deves nullement refaire la confession, laquelle, pour vray, a esté tres suffisamment faitte; et demeurés en paix de ce costé la.

  A012002743 

 Que si vous aves omis quelque chose a dire, considerés si ç'a esté a vostre escient et volontairement; car en ce cas la, vous devries sans doute refaire la confession, si ce que vous auries omis estoit peché mortel, ou que vous pensassies a cette heure la que ce le fust.

  A012002743 

 Que si vous en conferes avec le Pere Recteur, il vous en dira le mesme, car c'est le sentiment de l'Eglise nostre mere..

  A012002744 

 Toutes les regles du Rosaire et du Cordon n'obligent nullement ni a peché mortel ni a veniel, ni directement ni indirectement; et, ne les observant pas, vous ne pecheres non plus que de laisser une autre sorte de bien a faire.

  A012002745 

 Mais remarqués bien ce que je vous diray.

  A012002745 

 Vous me demandes le moyen que vous deves tenir pour acquerir la devotion et paix de l'esprit.

  A012002746 

 Comme, par exemple, il est commandé aux Evesques de visiter leurs brebis, les enseigner, redresser, consoler: que je demeure toute la semayne en orayson, que je jeusne toute ma vie, si je ne fay cela je me pers.

  A012002748 

 Helas, tous les jours nous luy demandons que sa volonté soit faitte, et quand ce vient a la faire nous avons tant de peyne! Nous nous offrons a Dieu si souvent, nous luy disons a tous coupz: Seigneur, je suis vostre, voyla mon cœur; et quand il nous veut employer nous sommes si lasches! Comme pouvons-nous dire que nous sommes siens si nous ne voulons accommoder nostre volonté a la sienne? [347].

  A012002748 

 La premiere, c'est que Dieu le veut ainsy, et est bien la rayson que nous fassions sa volonté, car nous ne sommes en ce monde que pour cela.

  A012002749 

 C'est, en un mot, que nous voulons servir Dieu, mais a nostre volonté et non pas a la sienne.

  A012002749 

 Ce n'est pas a nous de choysir a nostre volonté; il faut voir ce que Dieu veut, et si Dieu veut que je le serve en une chose, je ne doy pas vouloir le servir en une autre.

  A012002749 

 De cent mille fruitz delicieux, Eve choisit celuy qu'on luy avoit defendu, et sans doute que si on le luy eust permis elle n'en eust pas mangé.

  A012002749 

 Dieu veut que Saül le serve en qualité de roy et cappitaine, et Saül le veut servir en qualité de prestre: il n'y a nulle difficulté que celle cy est plus excellente que celle la; mais neanmoins Dieu ne se paye pas de cela, il veut estre obei..

  A012002749 

 Et qu'est ce donques qui vous les rend fascheux? Rien, a la verité, sinon vostre propre volonté, qui veut regner en vous a quel prix que ce soit; et les choses que peut estre elle desireroit si on ne les luy commandoit, luy estant commandees elle les rejette.

  A012002750 

 C'est nostre chetifve nature qui veut tous-jours que sa volonté soit faitte, et non pas celle de Dieu.

  A012002750 

 Or, a mesure que nous aurons moins de propre volonté, celle de Dieu sera plus aysement observee..

  A012002751 

 D'ou vient cette generale inquietude des espritz, sinon d'un certain desplaysir que nous avons a la contrainte, et une malignité d'esprit qui nous fait penser que chascun est mieux que nous? Mais c'est tout un: quicomque n'est pleinement resigné, qu'il tourne deça et dela, il n'aura jamais repos.

  A012002751 

 Une personne qui n'a point la fievre de la propre volonté se contente de tout; pourveu que Dieu soit servi, elle ne se soucie pas en quelle qualité Dieu l'employe: pourveu qu'il face sa volonté divine, ce luy est tout un..

  A012002752 

 Si je n'estois pas Evesque, peut estre que, sachant ce que je sçay, je ne le voudrois pas estre; mais l'estant, non seulement je suis obligé de faire ce que cette penible vocation requiert, mais je doy le faire joyeusement, et doy me plaire en cela et m'y aggreer.

  A012002753 

 Mais, ma bonne Fille (permettes moy que je vous parle selon mon cœur, car je vous ayme comme cela), vous voudries avoir quelque petite prattique pour vous conduire.

  A012002753 

 Outre ce que j'ay dit qu'il failloit considerer, 1.

  A012002753 

 Vostre meditation ne doit estre que d'une grosse demi heure, et non plus, au bout de laquelle adjoustés tous-jours une consideration de l'obeissance que Nostre Seigneur a exercee a l'endroit de Dieu son Pere, car vous treuveres que tout ce qu'il a fait il l'a fait pour complaire a la volonté de son Pere; et la dessus, esvertues vous de vous acquerir un grand amour de la volonté de Dieu..

  A012002754 

 Avant que de faire ou vous preparer a faire aucune des choses de vostre vocation qui vous faschent, pensés que les Saintz ont bien fait gayement d'autres choses plus grandes et fascheuses: les uns ont souffert le martyre, les autres ont souffert le deshonneur du monde.

  A012002754 

 Et qu'est ce que nous faysons qui approche en difficulté a cela?.

  A012002755 

 Pensés souventesfois que tout ce que nous faysons a sa vraye valeur de la conformité que nous avons avec la volonté de Dieu: si qu'en mangeant et beuvant, si je le fay parce que c'est la volonté de Dieu que je le face, je suis plus aggreable a Dieu que si je souffrois la mort sans cette intention la..

  A012002756 

 Et venant au particulier de ce qui vous faschera, dites: Voules vous que je face telle et telle chose? Helas, Seigneur, encor n'en suis je pas digne; je le feray tres volontier: et ainsy, que vous vous humilies fort.

  A012002756 

 Je voudrois que souvent parmi la journee vous invoquassies Dieu affin qu'il vous donnast l'amour de vostre vocation, et que vous dissies comme saint Paul quand il fut converti: Seigneur, que voules vous que je face? Voules vous que je vous serve au plus vil ministere de vostre mayson? Ah, je me reputeray encor trop heureuse: pourveu que je vous serve, je ne me soucie pas en quoy ce sera.

  A012002756 

 O mon Dieu, quel thresor vous acquerres, plus grand sans doute que vous ne sçauries estimer.

  A012002757 

 Je voudrois que vous considerassies combien de Saintz et Saintes ont esté en vostre vocation et estat, et qu'ilz s'y sont tous accommodés avec une grande douceur et resignation, tant au Nouveau qu'en l'Ancien Testament: Sara, Rebecca, sainte Anne, sainte Elizabeth, saintee Monique, sainte Paule et cent mille; et que cela vous anime, vous recommandant a leurs prieres..

  A012002758 

 Il faut aymer ce que Dieu ayme: or, il ayme nostre vocation; aymons-la bien aussi, et ne nous amusons pas a penser sur celle des autres.

  A012002758 

 Meslés doucement l'office de Marthe a celuy de Magdeleine; faites diligemment le service de vostre vocation, et souvent revenes a vous mesme et vous mettes en esprit aux piedz de Nostre Seigneur, et dites: Mon Seigneur, soit que je coure, soit que je m'arreste, je suis toute vostre, et vous a moy; vous estes mon premier Espoux, et tout ce que je feray, c'est pour l'amour de vous, et cecy et cela..

  A012002759 

 Il me semble que, faysant le matin une demi heure d'orayson mentale, vous deves vous contenter d'ouÿr tous les jours une Messe, et, parmi la journee, lire une demi heure de quelque livre spirituel, comme de Grenade ou de quelque autre bon autheur.

  A012002759 

 Vous verrés l'exercice de l'orayson que j'envoye a Madame du Puis d'Orbe: tirés-en une copie, et vous en prevalés, car je le desire.

  A012002760 

 Pour la Communion, si ce n'est au gré de Monsieur vostre mari, n'excedes point pour le present les limites de ce que nous en dismes a Saint Claude: demeurés ferme, et communiés spirituellement; Dieu recevra en conte la preparation de nostre cœur..

  A012002761 

 Mon Dieu, que vous estes heureuse d'avoir un mari si raysonnable et souple! vous en devés bien louer Dieu.

  A012002761 

 Quand il vous surviendra quelque contradiction, resignés vous fort en Nostre Seigneur, et vous consolés sçachant que ses faveurs ne sont que pour les bons ou pour ceux qui se mettent en chemin de le devenir..

  A012002761 

 Souvenes vous de ce que je vous ay si souvent dit: laites honneur a nostre devotion; rendes la fort aymable [351] a tous ceux qui vous connoistront, mays sur tout a vostre famille; faites que chascun en die du bien.

  A012002762 

 Au demeurant, sçachés que mon esprit est tout vostre.

  A012002774 

 Mais je m'en vay vous dire ce que je pourray, pour exprimer en peu de paroles ce que je pense vous estre necessaire sur ce sujet..

  A012002774 

 Pleust a nostre bon Dieu que j'eusse autant de moyen de me bien faire entendre par cest escrit comme j'en ay de volonté; je m'asseure que pour une partie de ce que vous desires sçavoir de moy vous series consolee, et particulierement pour les deux doutes que l'ennemy vous [352] suggere sur lo choix que vous aves fait de moy pour estre vostre pere spirituel.

  A012002775 

 Ce grand mouvement d'esprit qui vous y a porté presque par force et avec consolation; la consideration que j'y ay apporté avant que d'y consentir; ce que ni vous ni moy ne nous en sommes pas fiés a nous mesmes, mais y avons appliqué le jugement de vostre confesseur, bon, docte et prudent; ce que nous avons donné du loysir aux premieres agitations de vostre conscience pour se refroidir si elles eussent esté mal fondees; ce que les prieres non d'un jour ni de deux, mais de plusieurs mois ont precedé, sont indubitablement des marques infallibles que c'estoit la volonté de Dieu..

  A012002775 

 Pour le premier, le choix que vous aves fait a toutes les marques d'une bonne et legitime eslection; de cela n'en doutés plus, je vous supplie.

  A012002776 

 Ilz pressent, ilz veulent qu'on trousse marché avant que de l'avoir traitté, et se contentent d'une courte priere, qui ne sert que de pretexte pour establir des choses les plus importantes..

  A012002776 

 La premiere parole qu'ilz jettent a l'oreille de l'ame qui en est agitee c'est de n'ouïr point de conseil, ou, si elle en oyt, que ce soyent des conseilz de gens de peu et sans experience.

  A012002777 

 Arrestes-vous la, je vous supplie, et ne disputés [353] plus avec l'ennemy en ce sujet; dites luy hardiment que c'est Dieu qui l'a voulu et qui l'a fait.

  A012002777 

 Ce fut Dieu qui vous embarqua en la premiere direction, propre a vostre bien en ce tems la; c'est Dieu qui vous a portee a celle ci, laquelle, bien que l'instrument en soit indigne, il vous rendra fructueuse et utile..

  A012002777 

 La difficulté que j'y apportay au commencement, qui ne procedoit que de la consideration que j'y devois appliquer, vous doit entierement resoudre; car cryés bien que ce n'estoit pas faute de tres grande inclination a vostre service spirituel (je l'avois indicible), mais parce qu'en chose de telle consequence je ne voulois suivre ni vostre desir ni mon inclination, ains Dieu et sa provividence.

  A012002778 

 Chasque affection a sa particuliere difference d'avec les autres; celle que je vous ay a une certaine particularité qui me console infiniment, et, pour dire tout, qui m'est extremement prouffitable.

  A012002778 

 Je n'en voulois pas tant dire, mais un mot tire l'autre, et puis je pense que vous le mesnageres bien..

  A012002778 

 Mays maintenant, ma chere Fille, il y est survenu une certaine qualité nouvelle qui ne se peut nommer, ce me semble; mais seulement son effect est une grande suavité interieure que j'ay a vous souhaitter la perfection de l'amour de Dieu et les autres benedictions spirituelles.

  A012002778 

 Pour le second, ma tres chere Seur, sçachés que, comme je viens de dire, des le commencement que vous conferastes avec moy de vostre interieur Dieu me donna un grand amour de vostre esprit.

  A012002778 

 Quand vous vous declarastes a moy plus particulierement, ce fut un lien admirable a mon ame pour cherir de plus en plus la vostre, qui me fit vous escrire que Dieu m'avoit donné a vous, ne croyant pas qu'il se peust plus rien adjouster a l'affection que je sentois en mon esprit, et sur tout en priant Dieu pour vous.

  A012002779 

 Il ne m'estoit jamais arrivé, sous cette forme de parler generale, de porter mon esprit a aucune personne particuliere: despuis que je suis sorty de Dijon, sous cette parole de nous, plusieurs particulieres personnes qui se sont recommandees a moy me viennent [354] en memoire; mais vous, presque ordinairement la premiere, et quand ce n'est pas la premiere, qui est rarement, c'est la derniere pour m'y arrester davantage.

  A012002779 

 Se peut-il dire plus que cela? Mais, a l'honneur de Dieu, que ceci ne se communique point a personne; car j'en dis un petit trop, quoy qu'avec toute verité et pureté.

  A012002780 

 C'est tout un; patience, il se faut parler par signes: il se faut prosterner devant Dieu et demeurer la devant ses piedz; il entendra bien, par cette humble contenance, que vous estes sienne et que vous voules son secours, encores que vous ne puissies pas parler.

  A012002780 

 Il faut, en cette tentation, tenir la posture que l'on tient en celle de la chair: ne disputer ni peu ni prou, mais faire comme faysoyent les enfans d'Israël des os de l'Aigneau pascal, qu'ilz ne s'essayoient nullement de rompre, mays les jettoyent au feu.

  A012002780 

 Il ne faut nullement respondre ni faire semblant d'entendre ce que l'ennemy dit; qu'il clabaude tant qu'il voudra a la porte, il ne faut pas seulement dire: Qui va la? Il est vray, ce me dires-vous, mais il m'importune, et son bruit fait que ceux de dedans ne s'entendent pas les uns les autres a deviser.

  A012002780 

 Je vous en diray ce que Dieu me donnera.

  A012002780 

 Pour le troysiesme, vous me demandes les remedes au travail que vous donnent les tentations que le malin vous fait contre la foy et l'Eglise; car c'est cela que j'entens.

  A012002781 

 C'est cependant un tres bon signe que l'ennemy batte et tempeste a la porte, car c'est signe qu'il n'a pas ce qu'il veut.

  A012002782 

 Sçaves vous ce que vous feres pendant que l'ennemy s'amuse a vouloir escalader l'intellect? Sortés par la porte de la volonté et luy faites une bonne charge; c'est a dire, comme la tentation de la foy se presente pour vous entretenir: Mais comment se peut faire cecy? mais si cecy, mais si cela? faites qu'en lieu de disputer avec l'ennemy par le discours, vostre partie affective s'eslance de vive force sur luy, et mesme joignant a la voix interieure l'exterieure, criant: Ah traistre, ah malheureux, tu as laissé l'Eglise des Anges, et tu veux que je laisse celle des Saintz! Desloyal, infidelle, perfide, tu presentas a la premiere femme la pomme de perdition, et tu veux que j'y morde.

  A012002784 

 C'est grand cas comme cette recette s'est treuvee bonne en une ame que je connois.

  A012002784 

 C'est sans doute que le sentiment exterieur divertit le mal et l'affliction interieure, et provoque la misericorde de Dieu; joint que le malin voyant que l'on bat sa partisane et confederee, la chair, il craint et s'enfuit.

  A012002784 

 En troysiesme lieu, il sera bon d'appliquer quelquefois cinquante ou soixante coupz de discipline, ou trente, selon que vous seres disposee.

  A012002784 

 Mais de ce troysiesme remede il en faut user moderement, et selon le prouffit que vous en verrés reuscir par l'experience de quelques jours..

  A012002785 

 Au bout de tout cela, ces tentations ne sont que des afflictions comme les autres, et faut s'accoiser sur le dire de la Sainte Escriture: Bienheureux est qui souffre la tentation, car ayant esté esprouvé, il recevra la couronne de gloire. Sachés que j'ay veu peu de personnes avoir esté avancees sans cette espreuve, et faut avoir patience; nostre Dieu, apres les bourrasques, envoyera le calme.

  A012002786 

 Pour le quatriesme point, je ne veux point changer les offres que vous fistes la premiere fois que vous voüastes, ni la place qui vous fut donnee, ni tout le reste..

  A012002787 

 Adjoustés le Pater noster, l' Ave Maria, le Credo, le Veni Creator Spiritus, l' Ave maris Stella, l' Angele Dei et une courte orayson pour les deux saintz Jan et les deux saintz François d'Assise et de Paule, que vous treuveres dans le Breviaire, ou peut estre les aves vous des-ja dans le livret que vous penses m'envoyer.

  A012002787 

 Le matin, faites la meditation avec la preparation, telle que je l'ay marquee en l'escrit que j'envoye a cette intention.

  A012002787 

 Salués tous les Saintz avec cette oraison vocale: « Sainte Marie et tous les Saintz, veuilles interceder pour nous vers Nostre Seigneur, affin que nous obtenions d'estre aydés et sauvés par Celuy qui vit et regne es siecles des siecles.

  A012002788 

 Oyés tous les jours la Messe, quand il se pourra, en la façon que j'ay descritte en l'escrit de la meditation, et, soit a la Messe, soit le long du jour, je desire que le Chapelet se dise tous les jours, le plus affectueusement qui se peut.

  A012002791 

 Mais si vous aves grand goust aux prieres que ci devant [358] vous aves faites, ne changés pas, je vous prie, et s'il vous advient de laisser quelque chose de ce que je vous ordonne, ne vous mettes point en scrupule, car voyci la regie generale de nostre obeissance escritte en grosses lettres:.

  A012002792 

 IL FAUT TOUT FAIRE PAR AMOUR ET RIEN PAR FORCE; IL FAUT PLUS AYMER L'OBEISSANCE QUE CRAINDRE LA DESOBEISSANCE..

  A012002793 

 Si vous aymes bien fort l'obeissance et sousmission, je veux que s'il vous vient occasion juste ou charitable de laisser vos exercices, ce vous soit une espece d'obeissance, et que ce manquement soit suppleé par l'amour..

  A012002794 

 Je desire que vous ayes une traduction françoise de toutes les prieres que vous dires; non pas que je veuille que vous les disies en françois, ains en latin, car elles vous rendront plus de devotion; mais c'est que je veux que vous en ayes aucunement le sens, mesme les Litanies du Nom de Jesus, de Nostre Dame et des autres.

  A012002795 

 J'appreuve que vous employés les Exercices de Taulere, les Meditations de saint Bonaventure et celles de Capiglia; car c'est en fin tous-jours la vie de Nostre Seigneur que ses Evangiles.

  A012002795 

 L'heure de la meditation ne soit que de trois quartz au plus.

  A012002795 

 Les meditations des quatre fins de l'homme vous seront utiles, a la charge que vous les finissies tous-jours par un acte de confiance en Dieu, ne vous representant jamais ni la mort ni l'enfer d'un costé, que la Croix ne soit de l'autre, pour, apres vous estre excitee a la crainte par l'un, recourir a l'autre par confiance.

  A012002795 

 Mais il faut reduire le tout a la maniere que je vous envoye dans l'escrit.

  A012002796 

 J'appreuve que neanmoins on la flatte quelquefois, en luy donnant a manger de l'avoyne que saint François luy donnoit pour la faire aller viste: c'est la discipline, qui a une merveilleuse force, en piquant la chair, de resveiller l'esprit; seulement deux fois la semaine..

  A012002797 

 J'ay cette consolation particuliere les festes de sçavoir que nous communions ensemble..

  A012002797 

 Vous ne deves pas relascher de la frequence de la Communion, sinon que vostre confesseur le vous commande.

  A012002798 

 Pour le cinquiesme point, c'est la verité que je cheris d'une tres particuliere dilection et nostre Celse Benine et tout le reste de vos enfans.

  A012002799 

 Ce pendant prenes garde, non seulement pour luy, mais pour ses seurs, qu'ilz ne dorment que seulz, le plus qu'il se pourra, ou avec des personnes esquelles vous puissies avoir autant de juste confiance comme en vous mesme.

  A012002799 

 Quant a Celse Benine, il faut que ce soit avec des motifz genereux, et qu'on luy plante dans sa petite ame des pretentions au service de Dieu toutes nobles et vaillantes, et luy ravaler fort les apprehensions de la gloire purement mondaine; mays cela petit a petit.

  A012002800 

 Cependant j'appreuve bien que vous en facies nourrir en la Religion du Puis d'Orbe, en laquelle j'espere que la devotion va refleurir bien tost a bon escient, et je veux que vous cooperies a cette intention.

  A012002800 

 Je sçai que vous aves les Epistres de saint Hierosme en françois: voyés celle qu'il escrit de Pacatula, et les autres pour la nourriture des filles; elles vous recreeront.

  A012002801 

 Je voy que vous deves deux mille escuz: le plus que vous pourres, hastes-en le payement, et gardés sur tout de retenir rien de personne, tant qu'il vous sera possible.

  A012002802 

 Pour le sixiesme point, j'appreuve que vous partagies vostre sejour aupres de monsieur vostre pere et de monsieur vostre beau pere, et que vous vous exercies a procurer le bien de leur ame a la façon des Anges, comme j'ay dit.

  A012002802 

 Sans doute que l'hyver vous sera plus propre a Dijon..

  A012002804 

 Vous luy deves une grande charité a l'acheminer a une fin heureuse, et nul respect ne vous doit empescher de vous y employer avec une humble ardeur, car c'est le premier prochain que Dieu vous oblige d'aymer; et la premiere partie que vous deves aymer en luy c'est son ame, et en son ame, la conscience, et en la conscience, la pureté, et en la pureté, l'apprehension du salut eternel.

  A012002805 

 En fin, que voules vous plus? pere, frere, oncle, enfans, tout cela m'est infiniment a cœur..

  A012002805 

 Peut estre que monsieur vostre pere, ne me connoissant pas, treuvera ma liberté mauvaise; mais faites moy connoistre a luy, et je m'asseure qu'il m'aymera pour cette liberté plus que pour autre chose.

  A012002806 

 Pour le septiesme point, de l'esprit de liberté, je vous diray que c'est.

  A012002806 

 Vous entendres aysement ce que je veux dire si Dieu me donne la grace de vous proposer les marques, signes, effectz et occasions de cette liberté..

  A012002807 

 Nous demandons a Dieu, avant toutes choses, que son nom soit sanctifié, que son royaume advienne, que sa volonté soit faite en la terre comme au Ciel.

  A012002807 

 Tout cela n'est autre chose sinon l'esprit de liberté; car, pourveu que le nom de Dieu soit sanctifié, que sa Majesté regne en nous, que sa volonté soit faite, l'esprit ne se soucie d'autre chose..

  A012002808 

 Il n'engage nullement son affection aux exercices spirituelz; de façon que si, par maladie ou autre accident, il en est empesché, il n'en conçoit nul regret.

  A012002808 

 Il ne perd gueres sa joye, parce que nulle privation ne rend triste celuy qui n'avoit son cœur attaché nulle part.

  A012002808 

 Le cœur qui a cette liberté n'est point attaché aux consolations, mais reçoit les afflictions avec toute la douceur que la chair peut le permettre.

  A012002810 

 L'instabilité d'esprit ou dissolution est un certain exces de liberté par lequel on veut changer d'exercice, d'estat de vie, sans rayson ni connoissance que ce soit la volonté de Dieu.

  A012002811 

 Au contraire, si j'ay l'esprit de contrainte ou servitude, je ne laisseray pas ma meditation ores qu'un malade ayt grandement besoin de mon assistence a cette heure la, ores que j'aye un depesche de grande importance et qui ne puisse estre bien differé; et ainsy des autres sujetz..

  A012002811 

 Exemple: Je desseigne de faire la meditation tous les jours au matin; si j'ay l'esprit d'instabilité ou dissolution, a la moindre occasion du monde je differeray au soir: pour un chien qui ne m'aura laissé dormir, pour une lettre qu'il faudra escrire, bien que rien ne presse.

  A012002812 

 Il me reste a vous dire deux ou trois exemples de cette liberté, qui vous feront mieux connoistre ce que je ne sçay pas dire.

  A012002812 

 Mais premierement il faut que je vous die qu'il faut observer deux regles pour ne point chopper en cet endroit.

  A012002812 

 Que si je ne suis pas malade, mais il se presente une occasion d'aller en un autre lieu ou, si je ne vay, ilz se feront huguenotz, voyla la volonté de Dieu asses declairee pour me faire doucement contourner mon dessein..

  A012002812 

 Si cependant je deviens malade ou que je me rompe la jambe, je n'ay que faire de regretter et m'inquieter de ne point prescher, car c'est chose certaine que la volonté de Dieu est que je le serve en souffrant et non pas en preschant.

  A012002813 

 De maniere que cette liberté ne prejudicie jamais aux vocations; au contraire, elle fait que chascun se plaist en la sienne, puisque chascun doit sçavoir que c'est la volonté de Dieu qu'on y demeure..

  A012002813 

 La deuxiesme regie est que, lhors qu'il faut user de liberté par charité, il faut que ce soit sans scandale et sans injustice.

  A012002813 

 Par exemple, je sçay que je serois plus utile quelque part bien loin de mon diocese: je ne dois pas user de liberté en cela, car je scandalizerois et ferois injustice, parce que je suis obligé icy.

  A012002814 

 C'estoit l'esprit le plus exacte, roide et austere qu'il est possible d'imaginer; il ne beuvoit que de l'eau et ne mangeoit que du pain; si exacte que, despuis qu'il fut Archevesque, en vingt quatre ans, il n'entra que deux fois en la mayson de sus freres, estans malades, et deux fois dans son jardin: et neanmoins, cet esprit si rigoureux, mangeant souvent avec les Suisses ses voysins, pour les gaigner a mieux faire, il ne faisoit nulle difficulté de faire deux carouz [365] ou brindes avec eux a chasque repas, outre ce quii avoit beu pour sa soif.

  A012002814 

 Maintenant je veux que vous consideries le Cardinal Borromee qu'on va canoniser dans peu de jours.

  A012002815 

 Spiridion, un ancien Evesque, ayant receu un pelerin presque mort de faim en tems de Caresme et en un lieu ou il ni avoit aucune chose que de la chair salee, il fit cuire cette chair et la præsente au pelerin.

  A012002817 

 Saint Jan Baptiste alla au desert a l'aage de cinq ans, et sçavoit que nostre Sauveur et le sien estoit nay tout proche de luy, c'est a dire une journee ou deux ou trois, comme cela.

  A012002819 

 J'ay oublié a dire que non seulement la volonté de Dieu se connoit par la necessité et charité, mais par l'obedience; de façon que celuy qui reçoit un commandement doit croire que c'est la volonté de Dieu.

  A012002819 

 N'est ce pas trop? mais mon esprit court plus viste que je ne veux, porté de l'ardeur de vous servir..

  A012002820 

 Resouvenes vous de faire estat que tout le passé n'est rien et que tous les jours il [367] vous faut dire avec David: Tout maintenant je commence a bien aymer mon Dieu.

  A012002820 

 Resouvenes vous que sur les grandes resolutions que vous declairastes de vouloir estre toute a Dieu de cors, de cœur, d'esprit, je dis Amen de la part de toute l'Eglise nostre mere, et a mesme tems la Sainte Vierge, avec tous les Anges et Bienheureux, firent retentir au Ciel leur grand Amen et Alleluya.

  A012002821 

 Il fut Roy a douz'ans, eut neuf enfans, fit perpetuellement la guerre ou contre les rebelles ou contre les ennemis de la foy, vescut passé 40 ans Roy; et, au bout de la, apres sa mort, son confesseur, saint homme, jura que, l'ayant confessé toute sa vie, il ne l'avoit treuvé estre tombé en peché mortel.

  A012002821 

 L'annee qui vient, sil plait a Dieu, je vous en donneray un autre, apres que vous aures bien proffité en l'escole de cettuyci..

  A012002822 

 J'ay receu le billet de vos vœux, que je garde et regarde soigneusement commun juste instrument de nostre alliance toute fondee en Dieu, et laquelle durera a l'æternité, moyennant la misericorde de Celuy qui en est l'autheur..

  A012002822 

 Pour le neufviesme point, croyes de moy deux choses: l'une, que Dieu veut que vous vous servies de moy, et n'en doutes point; l'autre, que en ce qui sera pour vostre salut, Dieu m'assistera de la lumiere qui me sera necessaire pour vous servir; et, quand a la volonté, il me l'a des-ja donnee si grande qu'elle ne peut l'estre d'avantage.

  A012002823 

 Je vous demande trois Chapeletz pour son repos, asseuré que je suis que [368] sil m'eut survescu il m'eut procuré une charité pareille vers tous ceux ou il eut eu credit..

  A012002824 

 Et a vostre premier loysir, escrives-moy l'histoire de vostre porte de saint Claude, et croyés que ce n'est point par curiosité que je la vous demande..

  A012002824 

 Je suis icy lié pieds et mains; et pour vous, ma bonne Seur, l'incommodité du voyage passé ne vous estonne-elle point? Mais nous verrons entre cy et Pasques ce que Dieu voudra de nous; sa sainte volonté soit tousjours la nostre.

  A012002824 

 Vous m'escrives en un endroit de vostre lettre en façon qu'il semble que vous tenes pour resolu que nous nous reverrons un jour.

  A012002825 

 Croyes bien que je ne les oublie point, ni feu monsieur leur pere vostre mari, en la sainte Messe..

  A012002825 

 J'ay esté consolé de voir que vous appelles de si bon cœur Madame du Puis d'Orbe seur; c'est une grand'ame, si ell'est bien assistee, et Dieu se servira d'elle a la gloire de son nom.

  A012002825 

 Je la veux pourtant finir, vous demandant une grand'assistence de vos prieres; et que j'en suis necessiteux! Je ne prie jamais sans vous avoir pour une partie du sujet de mes supplications; je ne salue jamais mes Anges que je ne salue le vostre; rendes moy la pareille, et vostre Celse Benine aussi, pour lequel je prie tous-jours et pour toute vostre compaignie.

  A012002825 

 Ma mere vous est tellement acquise que rien plus.

  A012002825 

 Si je me veux croire je ne finiray [369] point cette lettre, escritte sans autre soin que de vous respondre.

  A012002829 

 ... avec liberté par ce que c'est par homme....

  A012002853 

 Il n'est rien de meilleur que les bons Religieux, rien de pire que les mauvais.

  A012002856 

 Que le Christ souverain nous conserve le plus longtemps possible Votre Sainteté dans une santé parfaite..

  A012002870 

 C'est pourquoy je ne doute nullement que Vostre Altesse n'ayt fort aggreable le dessein que le sieur Abbé d'Abondance a fait d'introduire en son monastere les bons Peres de Saint Bernard, lesquelz, par leur bonne vie et doctrine, repareront les ruines que les autres ont faittes par leur mauvais exemple.

  A012002870 

 Je dois neanmoins en faire ma tres humble supplication a Vostre Altesse, comme celuy qui en recevra autant de consolation que les peuples de ce diocæse en recevront d'ædification..

  A012002870 

 Je sçai des long tems combien Vostre Altesse desire la reformation des monasteres de deça les mons, et qu'ell'a tous-jours jugé que le meilleur moyen d'y parvenir c'estoit d'oster par voye raysonnable les moynes et [374] Religieux qui, jusques a present, s'y sont mal comportés, et y mettre en leur place des autres Religieux des Congregations reformees.

  A012002871 

 Je confesse que le sieur Abbé est si extremement chargé de despences quil luy sera malaysé de la payer; mais, Monseigneur, sil playsoit a Vostre Altesse d'ordonner que ses pensionnaires y contribuassent chascun quelque partie, il ni auroit plus nulle difficulté.

  A012002871 

 Permettes moy, Monseigneur, que je supplie encor Vostre Altesse que le bon docteur monsieur Nouvelet puisse avoir la præbende theologale d'Evians comme les autres theologaux præcedens l'ont eue, puisqu'il ne la meritera pas moins qu'eux, et que cette pauvre ville n'en a pas moins necessité maintenant qu'ell'a eu ci devant.

  A012002887 

 Je ne fus pas plus tost en cette charge que le sieur Praevost de Montjou m'a fait appeller pardevant Monsieur l'Archevesque de Tharantayse, et avec moy ledit curé, pour voir rompre toutes les provisions faittes de laditte cure par feu Monsieur l'Evesque mon praedecesseur, de devote memoire.

  A012002888 

 Avec ces raysons, je me prometz que Vostre Altesse aura aggreables mes procedures, et qu'en sachant les fondamens (sic), elle commandera au sieur Prævost de cesser et faire cesser les siennes..

  A012002888 

 C'est quil s'agist non de mes actions, mais de celles de feu Monsieur mon prædecesseur, que Vostre Allesse a tous-jours jugé fort homme de bien; je suis defendeur et en possession, et mon adversaire en cette cause a esté tous-jours condamné jusques a present.

  A012002888 

 Vostre Altesse a la Mayson de Saint Bernard en sa protection, mais elle n'a pas moins sous sa grace et singuliere faveur cette miserable evesché de Geneve, pour conserver, avec ses commandemens, les droitz de l'un'et de l'autre; qui est tout ce que je puis souhaitter en cette occasion particuliere, en laquelle j'ay trois grans advantages.

  A012002905 

 Je m'asseure que sur ces fondemens Son Altesse aura aggreables mes procedures, et n'approuvera pas celles de mon adversaire, lequel ayant de gayeté de cœur, ce semble, choysi le parti de l'assaillant et l'exerceant de tout son pouvoir, ne doit pas ni ne peut, sans avoir tort de moy, me faire prohiber celuy du defendant.

  A012002905 

 Je proteste, Monsieur, que ledit sieur Prævost tient tort de l'audience du Prince; car je ne l'ay jamais tiré en instance et ne pensois guere en luy quand, tout aussi tost que je fus en cette charge, il me fit citer et le pauvre curé, auquel il a fait faire de la despense fort hors de propos, et a moy aussi.

  A012002905 

 Je viens de recevoir une lettre de Son Altesse par laquelle elle me commande que je ne poursuive plus le proces qui est entre monsieur de Montjou d'une part, et le curé des Alinges et moy de l'autre.

  A012002906 

 Monsieur, j'ay veu que la lettre qu'il a pleu a Son Altesse m'envoyer estoit sortie de vostre main, qui m'a fait croire que je devoys vous supplier de prendre en protection mon droit pour ce sujet, comme je vous supplie bien humblement, me resouvenant que vous m'aves fait l'honneur de m'aimer il y a long tems, et me promettant la mesme faveur encor maintenant que je suis,.

  A012002923 

 Mais monsieur l'Abbé d'Abondance se treuve fort empesché a la vouloir payer, d'autant quil entre en une bonne despense pour introduire les Peres Feuillans en son Abbaye, et que d'ailleurs il est fort chargé de pensions; il dit neanmoins que si ceux qui ont les pensions vouloyent supporter charitablement la moytié de laditte praebende, il contribueroit volontiers l'autre moytié.

  A012002924 

 Mais cela ne se peut ni attendre ni esperer sinon de la bonté et providence de Vostre Altesse qui le commandast a l'Abbé et aux pensionnaires, en faveur des ames qui en seroyent assistees et du bon monsieur Nouvelet, duquel la pauvreté seroit soulagee et la viellesse consolee, et qui ne respire ni devant Dieu ni devant les hommes que la grandeur et sainte prosperité de Vostre Altesse, de Messeigneurs ses enfans et de la posterité, pour laquelle je prie aussi tous les jours sa divine Majesté, comm'estant,.

  A012002940 

 Je diray ce que je pourray tumultuayrement, et sil me reste quelque chose apres cela, je vous l'escriray dans bien peu de tems par homme de connoissance qui va a Dijon et revient..

  A012002940 

 Vostre messager m'est arrivé au [380] plus fort et malaysé endroit que je puisse presque rencontrer en la navigation que je fay sur la mer tempestueuse de ce diocæse, et n'est pas croyable combien vos lettres m'ont apporté de consolation.

  A012002941 

 Je vous remercie de la peyne que vous aves prise a me desduire l'histoire de vostre porte de saint Claude, et prie ce beni Saint, tesmoin de la sincerité et integrité de cœur avec laquelle je vous cheris en Nostre Seigneur et commun Maistre, quil impetre de sa sainte bonté l'assistence du Saint Esprit qui nous est necessaire pour bien entrer au repos du tabernacle de l'Eglise.

  A012002942 

 C'est que j'ay veu que le contract des moulins et la transaction de la succession ont esté faitz a mesme jour, mesme heure, par le mesme notaire, en la mesme mayson, devant les mesmes tesmoins.

  A012002942 

 Car, puisque vous voules oster les quatorse mille francz a celuy a qui ilz avoyent esté donnés pour le faire transiger, il est bien raysonnable que la transaction quil a faitte pour les avoir soit aussi gastee.

  A012002942 

 Cela les rend correspectifz l'un a l'autre, et dela s'ensuit que, voulant faire casser et rompre celuy des moulins a cause de l'enorme lesion, il faut aussi rompre et casser celuy de la transaction qui luy est correspectif, et laysser les affaires au mesme estat auquel elles estoyent avant la transaction et l'achapt des [381] moulins.

  A012002942 

 Que si il ni avoit nul droit en ce tems-la, il n'en aura non plus maintenant..

  A012002942 

 Vous voules reprendre ce que vous luy avés donné, qui est la somme de 14000 francz; rendes luy aussi ce que vous avés de luy a cette consideration, qui est la cession de cette succession.

  A012002943 

 C'est pourquoy, en ayant conferé avec des personnes entendantes au mestier et consciencieuses, desquelles vous ne manques pas a Dijon, si mon opinion n'est pas jugee bonne ne la suivés pas, mais la leur, car je le desire ainsy, bien que j'espere que j'auray bien deviné, selon la proposition que vous m'en avés faitte.

  A012002943 

 En cette façon je ne voy pas quil y ait rien a craindre pour nostre chere ame, car vous ne luy faites nul tort de reprendre ce que vous luy aves donné, luy rendant ce quil vous a donné.

  A012002944 

 Je ne vous diray plus rien du doute que vous avies si Dieu vouloit ou ne vouloit pas ce qui se passa a Saint Claude; car, puisque sa bonté s'est inclinee jusques aux aureilles de vostre cœur pour s'en declairer a vous, il n'est plus quæstion que vous en douties.

  A012002945 

 C'est une certaine impuissance, ce me dites vous, des facultés ou parties [382] de vostre entendement qui l'empesche de prendre le contentement de la consideration du bien, et, ce qui vous fasche le plus, c'est que, voulant lhors prendre resolution, vous ne sentes point la solidité accoustumee, ains vous rencontrés une certaine barriere qui vous arreste tout court; et de la vient le torment des tentations de la foy.

  A012002945 

 Je le souhaitte infiniment et l'en supplie, affin que je vous puisse dire quelque chose bien a propos.

  A012002945 

 Vous adjoustés que neanmoins la volonté, par la grace de Dieu, ne veut que la simplicité et fermeté en l'Eglise, et que vous mourries volontiers pour la foy d'icelle..

  A012002946 

 Ces deux enfans en un mesme ventre s'entrebattent comm'Esau et Jacob; c'est pour quoy Rebecca s'ecrie: M'estoit il pas mieux de mourir que de concevoir avec tant de douleurs? De ces convulsions s'ensuit un certain degoustement qui fait que vous ne savoures pas les meilleures viandes.

  A012002946 

 Croyes-moy, ce n'est que le goust qui vous manque, ce n'est pas la veüe.

  A012002946 

 Il vous semble que vos resolutions sont sans force par ce qu'elles ne sont pas [383] gaÿes ni joyeuses, mais vous vous trompés, car l'Apostre saint Paul bien souvent n'en avoit que de cette sorte-la.

  A012002946 

 L'amour propre ne meurt jamais que quand nous mourons, il a mille moyens de se retrancher dans nostre ame, on ne l'en sçauroit desloger; c'est l'aisné de nostr'ame, car il est naturel, ou au moins connaturel; il a une legion de carabins avec luy, de mouvemens, d'actions, de passions; il est adroit et sçait mille tours de souplesse.

  A012002946 

 La pauvre Lia est un petit chassieuse et laide, mais il faut que vostre esprit couche avec elle avant que d'avoir la belle Rachel.

  A012002946 

 Mais que vous importe-il de savourer ou ne savourer pas, puis que vous ne laissés pas de bien manger? Sil me failloit perdre l'un des sentimens, je choysirois que ce fut le goust, comme moins necessaire, voire mesme que l'odorat, ce me semble.

  A012002946 

 O Dieu soit beni, ma chere Fille, l' infirmité n'est pas a la mort, mais affin que Dieu soit glorifié en icelle.

  A012002947 

 Il y a quelque chose en moy, ce dites vous, qui n'a jamais esté satisfait, mais je ne sçaurois dire que c'est.

  A012002947 

 Je crains infiniment que vous n'ayes un petit trop d'ardeur a la proÿe, que vous ne vous empressies et multipliies les desirs un petit trop dru.

  A012002947 

 L'oyseau attaché sur la perche se connoit attaché et sent les secousses de sa detention et de son engagement seulement quand il veut voler; et tout de mesme, avant qu'il aye ses aisles il ne connoit son impuissance que par l'essay du vol. Pour un remede donques, ma chere Fille, puisque vous n'aves pas encor vos aysles pour voler et que vostre propre impuissance met une barriere a vos effortz, ne vous debattes point, ne vous empressés point pour voler; ayes patience que vous ayes des aisles pour voler comme les colombes.

  A012002947 

 Vous voyes la beauté des clartés, la douceur des resolutions; il vous semble que presque presque vous les tenes, et le voysinage du bien vous en suscite un appetit demesuré, et cet appetit vous empresse et vous fait eslancer, mais pour neant; car le Maistre vous tient attachee sur la perche, ou bien vous n'aves pas encor vos aisles, et ce pendant vous amaigrisses par ce continuel mouvement du cœur et alanguisses continuellement vos forces.

  A012002948 

 Examines bien vostre procedure en cet endroit; peut estre verres vous que vous bandes trop vostr'esprit au [384] desir de ce souverain goust qu'apporte a l'ame le ressentiment de la fermeté, constance et resolution.

  A012002948 

 Or sus, arrestes vous, ne vous empresses point; vous verres que vous vous en treuveres mieux et vos aisles s'en fortifieront plus aysement.

  A012002948 

 Vous aves la fermeté, car qu'est ce autre chose fermeté que vouloir plus tost mourir qu'offencer ou quitter la foy? mais vous n'en aves pas le sentiment, car si vous l'avies vous auries mille joÿes.

  A012002949 

 Il mourut-la, plus heureux que plusieurs qui moururent en la terre de promission, puisque Dieu luy fit lhonneur de l'ensepulturer luymesme.

  A012002949 

 Or sus, sil vous failloit mourir sans boire de l'eau de la Samaritaine, et qu'en seroit ce pour cela, pourveu que nostr'ame fut receue a boire æternellement en la source et fontaine de vie? Ne vous empresses point a des vains desirs, et mesme ne vous empresses pas a ne vous empresser point.

  A012002950 

 Et qu'est cela, ma Fille tres aymee? Ah non, je desire que vostre croix et la mienne soit entierement croix de Jesuschrist et quand a l'imposition d'icelle et quant au choix.

  A012002950 

 Nostre Seigneur donna le choix a David de la verge delaquelle il seroit affligé; et, Dieu soit beni, mais il me semble que [je] n'eusse pas choysi, j'eusse laissé faire tout a sa divine Majesté.

  A012002950 

 Saches, ma tres chere Seur, que je vous escris ces choses avec beaucoup de distractions, et que si vous les treuves embrouïllees ce ne sera pas merveille, car je le suis moymesme, mais, Dieu merci, sans inquietude.

  A012002950 

 Voules vous connoistre si je dis vray que le defaut qui est en vous c'est de cett'entiere resignation? Vous voules bien avoir une croix, mais vous voules avoir le choix; vous la voudries commune, corporelle et de telle ou telle sorte.

  A012002951 

 Or sus, ma Seur, ma Fille, mon ame (et ceci n'est pas trop, vous le sçaves bien), dites moy, Dieu n'est il pas meilleur que l'homme? mais l'homme n'est il pas un vray neant en comparaison de Dieu? Et neanmoins voyci un homme, ou plustost le plus vray neant de tous les neans, la fleur de toute la misere, qui n'ayme rien moins la confiance que vous aves en luy, encor que vous en ayes perdu le goust et le sentiment, que si vous en avies tous les senti mens du monde; et Dieu n'aura-il pas aggreable vostre volonté bonne, encor qu'elle soit sans nul sentiment? Je suis, disoit David, comm'une vessie sechee a la fumee du feu, qu'on ne sçauroit dire a quoy elle peut servir.

  A012002951 

 Tant de secheresses qu'on voudra, tant de sterilités, pourveu que nous aymions Dieu..

  A012002952 

 Est il pas bon a vostre advis? Il me semble que cette vicissitude vous le rend bien savoureux.

  A012002952 

 J'appreuve neanmoins que vous remonstriés a [386] nostre doux Sauveur, mais amoureusement et sans empressement, vostre affliction, et, comme vous dites, qu'au moins il se laisse treuver a vostre esprit; car il se plait que nous luy racontions le mal qu'il nous fait et que nous nous plaignions de luy, pourveu que ce soit amoureusement et humblement, et a luy mesme, comme font les petitz enfans quand leur chere mere les a fouettés.

  A012002953 

 Ce Seigneur sçait si j'ay jamais communié sans vous des mon despart de vostre ville... Dieu veut que je le serve en souffrant les sterilités, les angoisses, les tentations, comme Job, comme saint Paul, et non pas en preschant.

  A012002953 

 Les livres que vous lires demi heure sont Grenade, Gerson, la Vie de Jesus Christ mise en françois, du latin de Ludolphe Chartreux, la Mere Therese, le Traitté de l'Affliction, que je vous ay marqué en la precedente lettre.

  A012002953 

 Servés Dieu comme il veut; vous verres qu'un jour il fera tout ce que vous voudres et plus que vous ne sçauries vouloir.

  A012002954 

 Cela donq s'entend en observant la vraye discretion, et, en ce cas la, ce n'est [387] non plus que de dire que vous aymeres bien Dieu et vous accommoderes a vivre, dire, faire et donner selon son gré..

  A012002954 

 La promesse que vous fistes a Nostre Seigneur de ne jamais rien refuser de ce qui vous seroit demandé en son nom, ne vous sçauroit obliger sinon a le bien aymer; c'est a dire que vous pourries l'entendre en telle façon que la prattique en seroit vicieuse, comme si vous donnies plus qu'il ne faut et indiscretement.

  A012002955 

 Je garde les livres des Psaumes, et vous remercie de la musique, en laquelle je n'entens rien du tout, bien que je l'ayme extremement quand elle est appliquee a la louange de Nostre Seigneur..

  A012002956 

 Vrayement, quand vous voudres que je depesche et que je treuve du loysir sans loysir pour vous escrire, envoyés moy ce bon homme [Rose]; car, sans mentir, il m'a pressé si extremement que rien plus, et ne m'a point voulu donner de relasche, pas seulement d'un jour; et vous dis bien que je ne voudrois pas estre juge en un proces duquel il fust solliciteur..

  A012002957 

 Je ne puis laisser le mot de Madame, car je ne veux pas me croire plus affectionné que saint Jan l'Evangeliste, qui neanmoins en l'Epistre sacree qu'il escrit a la sainte dame Electa l'appelle Madame; ni estre plus sage que saint Hierosme, qui appelle bien sa devote Eustochium Madame.

  A012002957 

 Je veux bien neanmoins vous defendre de m'appeller Monseigneur; car encor que c'est la coustume de deça d'appeller ainsy les Evesques, ce n'est pas la coustume de dela, et j'ayme la simplicité..

  A012002958 

 La Messe de Nostre Dame que vous voules vouer pour toutes les semaines le pourra bien estre, mais je desire que ce ne soit que pour une annee, au bout de laquelle vous revoüeres, s'il y eschoit; et commencés le jour de la Conception Nostre Dame, jour de mon sacre, et auquel je fis le grand et espouvantable vœu de la charge des ames et de mourir pour elles s'il estoit expedient.

  A012002959 

 J'attens de pied coy une grande tempeste, comme je vous ay escrit au commencement, et pour mon particulier, mais joyeusement; et, regardant en la providence de Dieu, j'espere que ce sera pour sa plus grande gloire et mon repos, et beaucoup d'autres choses.

  A012002959 

 Je ne suis pas asseuré qu'elle arrive, je n'en suis que menacé.

  A012002959 

 Mais pourquoy vous dis-je [388] ceci? Et pour ce que je ne m'en sçaurois empescher; il faut que mon cœur se dilate avec le vostre comme cela; et puisqu'en cett'attente j'ay de la consolation et de l'esperance de bonheur, pourquoy ne vous le dirois-je pas? mais a vous seule, je vous prie..

  A012002960 

 Item, resouvenes vous de vous comporter avec un grand respect et honneur en tout ce qui regardera le bon Pere spirituel que vous sçavés; et mesme traittant avec ses disciples et enfans spirituelz, quilz ne reconnoissent que la vraye douceur et humilité en vous.

  A012002960 

 Resouvenes vous de prier pour ma Geneve, affin que Dieu la convertisse.

  A012002960 

 Si vous recevies quelques reproches, tenes vous douce, humble, patiente et sans autre mot que de vraye humilité, car il le faut..

  A012002965 

 Je suis si pressé que j'ay transposé les pages, mais vous les remettres par la marque.

  A012002967 

 J'adjouste ce matin, jour sainte Cecile, que le proverbe tiré de nostre saint Bernard: L'enfer est plein de bonnes volontés ou desirs, ne vous doit nullement troubler.

  A012002967 

 L'une dit: Je voudrois bien faire, mais il me fasche et ne le feray pas; l'autre dit: [Je] veux bien faire, mais je n'ay pas tant de pouvoir que de vouloir, c'est cela qui m'arreste.

  A012002967 

 La [389] premiere volonté ne fait que commencer a vouloir et desirer, mais elle n'acheve pas de vouloir; ses desirs n'ont pas asses de courage, ce ne sont que des avortons de volonté, c'est pourquoy elle remplit l'enfer.

  A012002967 

 Mais la seconde produit des desirs entiers et bien formés, et c'est pour celle la que Daniel fut appellé homme de desirs..

  A012002980 

 Vostre homme [Rose] me presse si fort de le depescher que je ne sçai si je pourray vous respondre entierement; au moins vous diray je quelque chose, selon que Dieu m'en donnera la grace..

  A012002981 

 J'ay esté consolé que [Philibert] arriva si a propos avec mes lettres.

  A012002982 

 Et puisque nous parlons confidemment, j'adjousteray que je l'ay ainsy essayé et m'en suis bien treuvé.

  A012002982 

 Tenes pour regie que la grace de la meditation ne se peut gaigner par aucun effort d'esprit; mays il faut que ce soit une douce et bien affectionnee perseverance, pleine d'humilité..

  A012002983 

 Pour le coucher je ne changeray point d'opinion, s'il vous plait; mais si le lict vous desplait et que vous n'y puissies pas tant demeurer que les autres, je vous permettray bien de vous lever une heure plus matin; car, ma chere Seur, il n'est pas croyable combien les longues veilles du soir sont dangereuses et combien elles debilitent le cerveau.

  A012002983 

 Tous vos autres exercices vous les continueres en la façon que je vous les ay marqués.

  A012002984 

 Ce ne sera pas sans des douleurs extremes; mais mon Dieu, quel sujet est-ce que sa bonté vous donne de probation en ses commandemens! O courage, ma chere Seur; [391] nous sommes a Jesus Christ, voyla qu'il vous envoye ses livrees.

  A012002984 

 Faites estat que le fer qui ouvrira vostre jambe soit l'un des cloux qui perça les pieds de Nostre Seigneur.

  A012002985 

 Comme s'il disoit: Si un autre que vous, o mon Dieu, m'avoit envoyé cette affliction, je ne l'aymerois pas, je la rejetterois; mais puisque c'est vous, je ne dis plus mot, je l'accepte, je la reçois, je l'honnore..

  A012002985 

 David affligé disoit a Nostre Seigneur: J'ay fait le muet et n'ay dit mot, parce que c'est vous, o mon Dieu, qui m'aves fait ce mal que je souffre.

  A012002985 

 Et vous me dites que vous me laisses a penser comme vous servires Dieu pendant le tems que vous seres sur le lict! Et suis content d'y penser, ma bonne Fille.

  A012002985 

 Et voyla donques le service que vous feres a Dieu sur vostre lict: vous souffrires et offrires vos souffrances a sa Majesté.

  A012002985 

 Sçaves vous ce que je pense? A vostre advis, ma chere Seur, quand fut-ce que nostre Sauveur fit le plus grand service a son Pere? Sans doute que ce fut estant couché sur l'arbre de la croix, ayant pieds et mains percés; ce fut la le plus grand acte de son service.

  A012002986 

 Ne doutés point que je ne prie fort Nostre Seigneur pour vous, affin qu'il vous face part de sa patience, puisqu'il luy plait vous faire part de ses souffrances.

  A012002986 

 Prenes tous les jours une goutte ou deux du sang qui distille des playes des pieds de Nostre Seigneur et le faites passer par la meditation, et avec imagination trempés reveremment vostre doigt en cette liqueur et l'appliqués sur vostre mal, avec l'invocation du doux nom de Jesus, qui [392] est un huyle respandu, disoit l'Espouse aux Cantiques, et vous verrés que vostre douleur s'amoindrira..

  A012002987 

 Jamais je ne fus si touché d'aucun livre que de celuy la, en une maladie tres douloureuse que j'eus en Italie.

  A012002987 

 L'obeissance que vous rendres au medecin sera infiniment aggreable a Dieu, et mise en conte au jour du jugement..

  A012002987 

 Pendant ce tems la, ma chere Fille, dispenses vous de l'Office pour tous les jours que les medecins vous le conseilleront, encor qu'il vous semblera que vous n'en ayes pas besoin: je vous l'ordonne comme cela au nom de Dieu.

  A012002987 

 Si ces lettres vous arrivent avant le coup, faites chercher par tout le Traitté de Cacciaguerre, De la Tribulation, et le lises pour vous preparer; si moins, faites-le vous lire paysiblement a quelqu'une de vos plus devotes pendant que vous seres au lict, et croyes moy, cela vous soulagera incroyablement.

  A012002988 

 O que j'ay esté consolé de voir que vous aves franchi toutes difficultés pour faire tout ce que je vous escrivis touchant vos vœux et la Confession.

  A012002989 

 Pendant que je vous penseray affligee dans le lict, [393] je vous porteray (mais c'est a bon escient que je parle), je vous porteray une reverence particuliere et un honneur extraordinaire, comme a une creature visitee de Dieu, habillee de ses habitz et son espouse speciale.

  A012002990 

 Certes, de nulle autre chose que de ce que nous pouvons souffrir pour Nostre Seigneur, et ilz n'ont jamais rien souffert pour luy.

  A012002990 

 O jambe laquelle estant bien employee vous portera plus avant au Ciel que si elle estoit la plus saine du monde! Le Paradis est une montaigne a laquelle on s'achemine mieux avec les jambes rompues et blessees qu'avec les jambes entieres et saines..

  A012002990 

 Quand vous aures la jambe percee, dites a vos ennemis la parole du mesme Apostre: Au demeurant, que nul ne me vienne plus fascher ni troubler, car je porte les marques et signes de mon Seigneur en mon cors.

  A012002991 

 Mais je suis bien d'advis que vous communiies tous les Dimanches et bonnes festes au lict, autant que les medecins vous le permettront: Nostre Seigneur vous visitera volontier au lict de l'affliction..

  A012002992 

 J'ay receu le billet joint a vostre lettre; ne doutés nullement que je ne l'aye tres aggreable.

  A012002992 

 Je l'accepte de tout mon cœur, et vous prometz que j'auray le soin de vous que vous desires, autant que Dieu m'en donnera de force et de pouvoir.

  A012002996 

 Je vous supplie qu'il vous plaise faire recommander a Dieu un bon œuvre que je souhaitte voir accompli, et sur tout de le recommander vous mesme pendant vos tourmens; car en ce tems la, vos prieres, quoy que courtes et de cœur, seront infiniment bien receuës.

  A012003005 

 Je loüe Dieu de tout mon cœur de voir en vostre lettre le grand courage que vous aves de vaincre toutes les difficultés pour estre vrayement et saintement devote en vostre vocation.

  A012003006 

 Et bien, il faut retendre l'arc et recommencer avec tant plus de soin; mais une autre fois il ne faut pas que les chams vous apportent cette incommodité.

  A012003007 

 Je prie Nostre Seigneur qu'il vous donne une singuliere assistence en son Saint Esprit, affin que vous le servies de cœur et d'esprit selon son bon playsir.

  A012003007 

 Pardonnés moy, ma chere Dame, si je trousse un peu plus court ma lettre que vous ne desireries; car ce bon homme Rose me tient tellement au collet pour le faire depescher qu'il ne me donne pas le loysir de pouvoir escrire.

  A012003021 

 Despuis le despart de vostre homme j'ay feuilleté tous les escritz que vous m'avies envoyés, et ni ay rien treuvé qui ne soit bien bon, sinon le point qui regarde la confession, ou il est dit quil faut tous-jours changer de [396] confesseur.

  A012003021 

 Il est vray que c'est un grand abus de tellement se lier a un confesseur que sil advient de n'en avoir pas la commodité, pour cela on s'en inquiete ou trouble; car c'est s'attacher a l'instrument de nostre bien et non pas a l'ouvrier d'iceluy, qui est Dieu, et par consequent perdre la vraye liberté.

  A012003021 

 Mais aussi, d'aller changeant sans propos c'est un'espece de dissolution, delaquelle il arrive que jamais la complexion de nostr'esprit n'est reconnëue par nostre medecin spirituel; et comment donques nous sçaura-il gouverner? Or bien, cela suffit.

  A012003021 

 Tenes vous donques a vostre confesseur sans contrainte, et quand pour quelque sujet il le faudra changer, que ce soit sans dissolution..

  A012003022 

 J'ay bien opinion que dedans ces escritz il y a plusieurs pointz de tres diffidile prattique, et qui font une abstraction d'esprit un petit excessive a qui voudroit les empoigner de haute lutte.

  A012003023 

 C'est pour respondre a la petite marque que vous avés mis en marge.

  A012003023 

 Dieu donques nous face bien mourir sur sa sainte Croix, affin que nous soyons entierement siens.

  A012003023 

 Il est fort ample, et ne treuve que bon quil soit porté sur soy, et plus au cœur.

  A012003023 

 Je voy la dedans, ma tres chere Fille, que vous aves tout laissé a Dieu, pour estre exercee par toutes sortes d'aridités, tentations et secousses selon son bon playsir: resouvenés vous en bien.

  A012003023 

 Mais voyla que vous me dirés: C'est que les testamens n'ont point d'effect que par la mort du testateur.

  A012003023 

 Mon Dieu, que vous estes obligee a l'amour de sa divine bonté! Sans doute, toutes choses bien considerees, il vous a esté expedient d'estre conduite par ou vous aves esté conduite jusques a present; mais [397] jusques a present.

  A012003023 

 O que les sentiers de la providence que Dieu a des siens sont admirables et imperscrutables!.

  A012003024 

 Elle ne regarde qu'un affaire temporel; je luy en feray response dans bien peu, ne desirant rien tant que de me conserver sa bonne grace..

  A012003024 

 Faites moy ce bien que de saluer en mon nom madame Brulart, a laquelle je ne puis escrire faute de loysir, et aussi n'ay je pas autre sujet que de la saluer.

  A012003030 

 Je veux bien que vous communiquies mes advis qui regardent vostre conscience avec vostre confesseur, mais nompas mes lettres qui sont un petit trop naifves et [398] cordiales pour estre veües par des yeux autres que bien simples, et respondans a mon intention toute franche et ronde en vostre endroit..

  A012003032 

 Dieu benie nostre Celse Benine et ses trois seurs; c'est ainsy que je les salue.

  A012003047 

 Je vous envoye l'original que vous avés desiré de moy, avec quelques autres papiers qui regardent le mesme sujet, et ne sçai pourquoy les scindiques de Thonon prenent ce biais de nier une chose si claire et quilz ne peuvent ignorer.

  A012003065 

 Au bout de la, il m'a parlé d'un affaire duquel je ne suis pas bien capable, mais que j'ay estimé digne de n'estre pas entierement mesprisé.

  A012003065 

 C'est pourquoy je luy ay donné advis de passer jusques a vous, Monsieur, qui jugeres de sa proposition, laquelle, a ce quil m'a dit, il n'a communiqué a homme du monde que a moy, qui ne l'ay pas bien entendue..

  A012003066 

 J'attens que le P. Recteur aille aupres de vous, Monsieur, pour vous esclarcir sur le sujet de vostre lettre dont il vous pleut m'honnorer, et cependant je suis pour toute ma vie,.

  A012003084 

 J'ay receu vostre lettre par les mains de ce mesme porteur, duquel le droit sera conservé fort soigneusement, non seulement pour le devoir que j'ay de rendre cet office a tous ceux de ce diocæse, mais aussi pour la recommandation que vous m'en faites, laquelle aura tous-jours autant de pouvoir sur moy que null'autre.

  A012003084 

 Si monsieur le Præsident eüt esté icy, j'eusse sur le champ essayé de faire ce que vous desirés de moy vers luy, comme je le feray, Dieu aydant, tout aussi tost quil sera de retour de Chamberi qui sera, comm'il m'escrit, aux Rois..

  A012003085 

 Je ne voy l'heure en laquelle je me rendray au pres de vous et de vostre ville, pour le contentement que j'en prætens.

  A012003114 

 C'est pour vous obeir que je vous envoye ce pauvre escrit, lequel, pour la plus grande partie de ses pointz, vous sera inutile.

  A012003114 

 Ce n'est pas certes qu'il ne fust desiderale que nos maysons episcopales fussent dans ce [402] reglement, nous sçavons ce que saint Paul en dit; mais je sçay par mon experience qu'il faut s'accommoder a la necessité du tems, du lieu, de l'occasion et de nos occupations.

  A012003114 

 Je vous confesse que je n'ay point de scrupule de me desregler de mon reglement quand c'est le service de mes brebis qui m'occupe, car alhors il faut que la charité soit plus forte que nos propres inclinations, pour bonnes que nostre amour propre nous les face voir; et, en faysant cet escrit que je vous envoye, mon dessein a esté, non de me gesner, mais ouÿ bien de me regler, sans m'obliger a aucun scrupule de conscience, car Dieu me fait la grace d'aymer autant la tressainte liberté d'esprit que haïr la dissolution et le libertinage.

  A012003122 

 Aussi ay renversé sans dessus dessous mon entendement et mes livres et ceux de mes amis pour treuver quelque facilitation au dessein que je presageois vous devoir advenir, et ay treuvé que tout est aysé et revient a bien a ceux que Dieu veut tant aymer que de se faire aymer par eux.

  A012003123 

 Ce n'est pas pusillanimité d'avoir tesmoigné dans les yeux le coup que l'on ressent au cœur.

  A012003123 

 Je me resoudray encor plus avant de ce que nous aurons a faire et, l'ayant bien dressé par ordre, je vous tesmoigneray que les offres que je vous fis partoyent [d'une] volonté bien asseuree a vostre service.

  A012003123 

 Mais si faut il que je vous die ce mot: le rocher d'Horeb estoit vif et dur; sil jetta de l'eau ce ne fut point par mollesse, ce fut que Dieu le toucha.

  A012003123 

 Que sil y a de l'extraordinaire, tant plus doit on croire que le coup vient d'en haut, puysque les coups ordinaires n'ont pas ce pouvoir.

  A012003124 

 Conservés la donques, et croyes que je suis au grand jamais et tous-jours..

  A012003124 

 Courage, Madame; ce seroit une vraye et prodigieuse pusillanimité en un'ame bien nee de quitter une telle resolution que celle que vous aves receu; Dieu, qui vous l'a donnee, ne la retirera jamais si vous ne la chassés.

  A012003137 

 Je vous remercie en toute humilité de la faveur avec laquelle il vous a pleu m'escrire pour me rendre doux et leger le besoin que j'ay, sur mes vieux jours, de mon filz, lequel, puysqu'il trouveroit pardeça plus de guerre qu'il ne luy seroit necessaire pour acquerir de la reputation en sa propre patrie, ne peut avoir autre sujet d'arrester d'avantage a venir me servir que vostre commandement.

  A012003137 

 Je vous supplie donq tres humblement que la mesme bonté avec laquelle il vous plait de favoriser le filz de vostre bienveuillance, vous mette en consideration des necessités de la viellesse du pere, qui, priant Dieu pour vostre santé et prosperité, vous est et sera a jamais, comm'il a tousjours esté et doit estre,.

  A012003137 

 Mays, Monseigneur, vous pouves [405] tousjours avoir tout autant de serviteurs aupres de vous quil vous plaira d'en recevoir, et je ne puis me voir soulagé d'autre filz que de celluy la.

  A012003160 

 C'est par les lettres de nos dévoués amis de Rome, c'est surtout de la bouche de l'Archevêque de Vienne, arrivé parmi [406] nous, que nous en avons reçu l'assurance.

  A012003161 

 Qu'Elle ne souffre pas que sa bienveillance vienne jamais à nous manquer.

  A012003162 

 Dans cette vue, que Dieu immortel daigne conserver le plus longtemps possible à son Eglise les jours de Votre Béatitude!.

  A012003185 

 Le bruit s'est répandu, dans le diocèse de Genève, que Sa Majesté très Chrétienne a conclu avec la république de Berne et de Genève un accord, par lequel elle autorise celle-ci à saisir, garder et posséder les bailliages de Chablais et de Ternier.

  A012003185 

 Sa Sainteté entoure d'une telle sollicitude ces bailliages que pour leur utilité Elle entretient une mission de Pères Jésuites sur les revenus de la Chambre Apostolique.

  A012003186 

 C'est pourquoi on supplie Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime de vouloir bien traiter des affaires du Chablais avec Sa Majesté le roi très chrétien, afin qu'il daigne faire à ces peuples la [410] grâce de ne pas les livrer entre les mains de ces républiques hérétiques; ou, si absolument il veut les livrer, que ce soit du moins sous cette réserve, que nulle innovation ne sera faite en ce qui concerne la religion, mais que toutes choses seront maintenues dans l'état où elles se trouvent maintenant....

  A012003195 

 Je loue donq Dieu qui nous a establi pardeça ceste pierre de refuge; et, pour employer ceste faveur, je vous supplie, Monseigneur, d'avoir aggreable que je luy represente une des plus importantes necessités de ceste Eglise..

  A012003195 

 Me sentant chargé du soin du plus important evesché de tout ce voysinage, ce m'a esté une incroyable consolation d'avoir sceu que vous esties aupres de Sa Majesté, [411] car je ne doutois pas qu'une sayson si pleyne de difficultés ne fit naistre beaucoup d'occasions esquelles ceste pauvre et tant affligee Eglise que Dieu m'a confiee auroit extreme necessité d'ayde et d'appuy; et ne pouvois d'ailleurs souhaitter un appuy et asseurance plus ferme et solide que d'une telle colomne du tressaint Siege Apostolique que vous estes.

  A012003196 

 Ce que j'estois sur le point de faire, et cependant avois des-ja, des le passage de mondit Seigneur Legat, establi par tout des pasteurs par provision..

  A012003196 

 Dequoy ayant fait recit a Sa Sainteté, elle m'envoya un Brief apostolique affin que je reprinse les revenus ecclesiastiques de ces balliages et, par tout ou il me sembleroit, je restablisse les eglises, y constituant absolument des curés, pasteurs et prædicateurs.

  A012003196 

 Il y a environ soixante et cinq ans que les Bernois se saysirent de ces mesmes balliages et de celluy de Gex, et ne les eurent pas plus tost, qu'a vive force ilz y planterent l'hæresie, delaquelle ces pauvres ames demeurerent empestees, jusques a ce qu'appres, par la grace de Dieu, y avoir fait [412] prescher la foy catholique trois annees continuellement, en fin, des trois annees en ça, ces peuples pour la plus part (qui revient a quatorse ou quinze mill'ames) ont esté ramenés au giron de l'Eglise, sous l'expresse et formelle authorité du Saint Siege Apostolique.

  A012003196 

 J'entens un gros bruit qui porte que les Bernois taschent par toutes voyes d'avoir congé de Sa Majesté de se saysir des balliages de Thounon (sic) et Ternier, qui sont de mon diocæse; je me sens obligé en ma conscience de vous representer la dommageable consequence qui s'ensuivroit d'une telle saysie.

  A012003197 

 Si que il sembloit que Dieu voulut particulierement esclairer de son œil de misericorde ceste province, apres tant de tenebres lesquelles l'avoyent obscurcie si long tems..

  A012003198 

 Or, Monseigneur, puysque la providence de Dieu, sans laquelle rien ne se fait icy bas, ouvre aux armes du Roy [413] le passage et chemin a ces balliages, il me semble que je vous dois supplier tres humblement et par les entrailles de Jesus Christ, comme je fais, de prendre en singuliere protection aupreès de Sa Majesté la conservation de ces saintes nouvelles plantes, lesquelles sont autant plus cheres a l'Eglise leur mere, a ceux qui les ont plantees et a Sa Sainteté, qui les a arrousees de tant de bienfaitz, qu'elles sont encor tendres et exposees a beaucoup de vens.

  A012003213 

 Dequoy je me suis d'autant plus res-joüy en Jesus Christ que tout a l'heure j'avois eu advis comme asseuré que l'exercice de l'heresie se devoit restablir a Thonon sous vostre permission; ce que toutefois je ne voulois ni pouvois me persuader, tant pour la ferme creance que j'ay en la franchise avec laquelle vous chemines au service de Dieu, qu'aussi pour les saintes intentions que Sa Majesté tres Chrestienne a touchant ce point, comm'elle me declaira ouvertement estant en ceste ville; sans l'asseurance desquelles j'eusse imploré le credit que nostre Saint Pere a en son endroit, ainsi que je dois et que Sa Sainteté m'a commandé de faire a toutes les occasions qui se presenteront pour le bien de ces nouvelles plantes qui luy sont si cheres.

  A012003213 

 Je viens de recevoir la lettre que vous m'escrivistes a Geneve le XIIII e d'octobre, laquelle, quoy que tard, m'est arrivee fort a souhait pour avoir veu au fin commencement d'icelle que le Roy vous depeschant de dela pour son service, vous commanda de tenir main de tout vostre pouvoir a ce que l'exercice de la religion fut maintenu en son integrité, selon l'ordre et acheminement que j'y avois ci devant donné.

  A012003213 

 Vous m'aves donques infiniment obligé par ceste nouvelle asseurance que vous me faites que tout demeurera en son integrité, [415] sans alteration d'aucun nouveau meslange; dont je vous remercie bien humblement..

  A012003214 

 Et outre ce, de prendre sur tous autres benefices desdits balliages, de quelle qualité qu'ilz fussent, et sur tous biens dependantz de l'Eglise, ce qui seroit necessaire pour les portions des curés et prædicateurs, en cas que les benefices de Saint Lazare ne fussent suffisans, avec tout pouvoir d'unir les parroisses ensemble ou les diviser selon que je jugerois a propos..

  A012003214 

 Et touchant la provision de la cure de Saint Mathieu et doyenné de Vullionnex, que vous desiries de moy en faveur du filz de monsieur le baron du Villars, je vous prie, Monsieur, de faire consideration de l'estat auquel je suis touchant les benefices de ces balliages.

  A012003215 

 Mays sur tout, apres que j'auray levé du doyenné de Vullionnex la portion necessaire pour le curé de Bernex en supplément de ce qui manquera d'ailleurs, je n'en puis [416] aucunement disposer au præjudice du tiers qui s'est tous-jours maintenu en possession avec provision de Romme.

  A012003215 

 Or, Monsieur, j'estois sur le point de voir la derniere execution de ceste volonté du Saint Siege quand ces troubles de guerre survindrent, et, en consideration de la ruine de beaucoup d'eglises et du peu de revenu des autres, j'avois presque par tout uni plusieurs parroisses en une, selon les distances et autres circonstances des lieux, et entr'autres j'avois joint les cures de Vullionnex, Confignon et Bernex, tant pour la commodité des revenuz que par ce que l'eglise de Vullionnex est en masures; et du tout j'ay envoyé au Saint Siege distincte et vraye instruction.

  A012003215 

 Qui me fait vous supplier, Monsieur, de prendre en bonne part si je ne rapporte au contentement de monsieur du Villars ce que vous desiries, puys quil tient au pouvoir que je n'ay plus et non a l'affection, laquelle j'y ay tres entiere, quand ce ne seroit que pour lhonneur que je porteray tous-jours a tout ce qu'il vous plaira me recommander..

  A012003215 

 Si que je suis obligé a suyvre ce qu'une fois pour tout j'en ay ordonné apres meure deiberation, puisque l'advis en est allé jusques aux mains des superieurs, et que d'ailleurs malaysement se pourroit il mieux faire.

  A012003233 

 J'ay tous-jours porté dans le cœur beaucoup de desir d'aggreer a tous vos semblables, et a vous particulierement des que j'eu le bien de jouir plus famillierement de [417] vostre conversation, au tems que vous me remettes en memoire par vostre lettre; qui me rend autant plus de regret me voyant les mains liees et me treuvant hors de pouvoir au sujet pour lequel vous m'escrives avec tant de courtoisie, et que monsieur de Sanci me recommande si affectionnement, puis que quant a la cure je suis engagé dans l'ordre que j'en ay pieça envoyé au Saint Siege Apostolique, par lequel ell'est unie avec celles de Bernex et de Confignon.

  A012003234 

 Je me prometz tant de vostre vertu, que je luy propose la rayson ainsi simplement, estimant qu'elle la recevra de bon cœur.

  A012003248 

 Soudain que je me suis apperceu de vostre retour es balliages desquelz vous aves le gouvernement, je me suis deliberé de vous faire les plaintes lesquelles pendant vostre absence j'ay esté contraint addresser ailleurs.

  A012003249 

 Je sçai ce que vous m'en aves escrit, en quoy [419] je prens toute confiance.

  A012003249 

 Je vous en supplie et conjure par lhonneur et fidelité que vous deves a Jesuschrist, et encor de me donner advis s'il sera besoin que je recoure derechef pour cest effect au Roy, de la bonté et parole duquel je me prometz toute justice, mesmement estant appuyé sur le credit de Sa Sainteté que j'imploreray, resolu que je suis de ne m'espargner en rien pour la bergerie qui m'a esté confiee..

  A012003249 

 Or, Monsieur, je sçai ce que Sa Majesté en a resolu, car elle m'en a donné sa parole qui doit servir de mille asseurances.

  A012003270 

 Ce n'est pas seulement à votre bienveillance, laquelle a toujours été insigne envers ce diocèse, c'est encore à votre libéralité, à votre charité apostolique, c'est à vos largesses personnelles que nous devons de posséder parmi nous cette poignée de braves de la Compagnie de Jésus, qu'on appelle « la Mission.

  A012003270 

 Pour toutes ces bonnes fortunes, après Dieu, c'est à vous assurément, Très Saint Père, c'est à vous que reviennent mes très profondes actions de grâces.

  A012003270 

 » C'est grâce à votre médiation que, depuis deux années entières, nous avons le bonheur de jouir de leurs travaux.

  A012003271 

 Aussi, tandis que Votre Sainteté prépare de plus grands projets, il suffirait, en attendant, que dans ces deux chantiers Elle doublât les ouvriers, ce qui porterait la Mission au [423] nombre apostolique de douze.

  A012003271 

 Je me plais à espérer, Très Saint Père, que, malgré de si délicates difficultés, l'importance de l'entreprise sera de vous justement appréciée, de vous, dis-je, dont l'autorité apostolique collabore en quelque sorte à mon œuvre par une providence générale.

  A012003281 

 A quoy personne n'avoit apporté de la difficulté pendant que les scindiques y ont esté catholiques; [426] mais des l'annee passee, que la guerre ouvrit la porte a ceste poignee d'heretiques qui y est pour faire entrer ceux de leur secte au scindicat et maniement de la ville, les ditz Peres Jesuites y ont receu plusieurs empechemens, et sur tout n'agueres que lesditz scindiques se sont opposés a leur jouissance, sous prætexte que les assignations n'ont pas eu effect; ce que la guerre a causé.

  A012003281 

 Ce pendant que par l'heureuse reprise que Vostre Altesse fait de la possession de son balliage de Galliard, l'Eglise va regaignant sous son authorité les ames lesquelles y estoyent perdues par l'heresie, l'ennemi sousleve des secrettes embusches aux desseins qui furent si saintement faitz a Thonon.

  A012003281 

 Si que, par ces menees, le dessein du college est presque aneanti; dont les Peres Jesuites se fussent retirés, silz n'eussent esté retenuz par les offices que ceux ausquelz ilz ont de l'amitié y ont apporté..

  A012003281 

 Vostre Altesse, qui jugea bien que pour restablir la foy catholique en ce balliage un college de Jesuites en devoit estre l'un des fondemens, avoyt commandé aux scindiques de Thonon de vuider leurs mains du prieuré qui est en ladite ville, et le remettre aux Peres Jesuites pour le commencement dudit college, avec intention neanmoins de rembourser ladite ville de l'argent qu'elle avoit delivré a l'achapt de ce benefice, par de bonnes assignations qu'elle leur avoyt accordees.

  A012003295 

 Dequoy, bien que je ne doute nullement, si est ce que sur ce poinct je me sens redevable de supplier tres humblement Vostre Majesté qu'en suite de l' Interim publié par tout le royaume, il luy plaise donner libre et favorable acces a l'exercice catholique en ce petit coin de Gex, lequel meshuy depend de ce grand theatre auquel Vostre Majesté fait si heureusement les actions royales, et, qu'en execution, les biens ecclesiastiques jadis destinés a ce service, soyent restablis a ceux qui le feront et ausquelz ilz appartiennent, avec les temples et eglises..

  A012003295 

 Je loüe Dieu de la reception que Vostre Majesté a faitte de son païs de Gex, qui est dependant de mon diocese, par la fidelité que les habitans d'iceluy luy ont juree, croyant que leur reduction a son obeissance serviroit de porte a la reduction de leurs ames en l'Eglise Catholique.

  A012003296 

 La bonté et justice de ceste requeste m'en promet un favorable appoinctement, comme la grandeur du courage de Vostre Majesté m'asseure d'une pleine et soudaine jouissance du bien que j'en pretens, qui n'est principalement que la gloire de nostre bon Dieu, l'establissement de laquelle est l'unique gloire de la tres chrestienne couronne qu'il a donnee a Vostre Majesté, et laquelle je le supplie luy vouloir tres longuement conserver en toute felicité et pour son service, desirant vivre tous-jours en l'honneur d'estre,.

  A012003325 

 En conséquence j'ai recouru à M. le baron de Lux, lieutenant de Sa Majesté en ce pays, et j'ai aussi écrit au roi afin d'obtenir le rétablissement du culte catholique et la restitution des églises, avec leurs revenus, aux pasteurs et autres qui en sont les possesseurs canoniques, ainsi que cela s'est fait dans toute la [429] France conformément à l'édit de l' Interim.

  A012003325 

 Et parce qu'il s'agit d'une œuvre très sainte et fort désirée de Sa Béatitude, je supplie Votre Seigneurie de daigner présenter à cette couronne de vives instances; car je suis certain qu'Elle pourra, grâce à sa haute influence, conclure cette négociation avec autant de bonheur que de promptitude; de mon côté je suis prêt à faire tout ce qui dépendra de moi.

  A012003325 

 Je préviens aussi maintenant Sa Sainteté de mon recours à Votre Seigneurie, et je suis sûr que le zèle et la sollicitude que vous emploierez en cette occasion lui seront très agréables et précieux.

  A012003355 

 Assurément, si les travaux qu'il a, pendant plusieurs années, soutenus pour la conversion des hérétiques, et ceux qu'il est sur le point d'entreprendre en ce champ laborieux sont pris en considération, je crois que Sa Sainteté lui multipliera ses faveurs et réduira les frais qu'il devrait faire et que, sans cette réduction, il n'est pas en mesure de soutenir..

  A012003355 

 Je ne doute point, cependant, que ce qui a été une fois trouvé bon par Sa Sainteté ne lui soit toujours agréable; c'est pourquoi, me voyant accablé sous le poids des années, et les occasions [431] de travailler en cette vigne se multipliant de plus en plus, je recours de nouveau à la bonté de Votre Seigneurie, afin qu'Elle daigne employer son saint zèle pour m'aider à triompher de la difficulté que crée la situation gênée dudit Prévôt; c'est la seule qui nous reste à surmonter.

  A012003355 

 Néanmoins, soit par le malheur de la guerre qui survint alors, soit encore parce que le Prévôt manque des ressources nécessaires, la concession de cette faveur est restée jusqu'ici sans effet.

  A012003356 

 De mon côté, il est évident que, dans le choix d'un tel coadjuteur, je ne suis poussé par aucune vue personnelle, par aucune considération du sang ou de la parenté, ni par aucune sollicitation étrangère; mon seul et unique mobile, c'est le désir de la plus grande gloire de Dieu et du service de la sainte Eglise.

  A012003387 

 Comme je sais que Sa Sainteté agrée fort cette négociation, et que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime intervient toujours avec beaucoup de zèle en semblables rencontres, je la supplie très humblement de donner ordre audit M. le Nonce de presser vivement et chaleureusement cette poursuite; car M. le baron de Lux me fait dire [434] que non seulement elle sera très fructueuse, mais encore très agréable au roi.

  A012003387 

 Sa Majesté a déclaré être absolument résolue à entériner notre requête, bien que, pour certaines considérations, elle sursoie à l'exécution jusqu'à ce qu'on ait présenté des instances..

  A012003388 

 J'espère donc de la divine Providence et de la bonté et magnanimité de Votre Seigneurie, que je verrai bientôt aboutir cette négociation à la plus grande gloire de sa divine Majesté.

  A012003402 

 C'est pour cela, Monseigneur, que j'ay ci devant supplié Vostre Altesse pour l'erection d'un bon college en ceste ville de Thonon, a quoy Vostre Altesse avoit liberalement entendu..

  A012003403 

 Et pour ce que tout cecy doit dependre du bon playsir de Vostre Altesse, je la supplie tres humblement d'en escrire au R. P. General de l'Ordre, a ce qu'il commande au Provincial de ceste Province de faire entrer quelques Peres audit college d'Annessi, ou par ce moyen ilz pourront suppleer au besoin que la retardation du college de ceste ville peut apporter, auquel, par apres, ilz pourront estre transferés lhors qu'il sera dressé..

  A012003403 

 Mays voyant maintenant que sa bonne volonté ne pourra pas si tost estre mise en son entier effect pour les difficultés que le tems y a despuis fait naistre, j'ay estimé qu'en attendant de voir sur pied le college de ceste ville, il seroit fort a propos que lesdits Peres Jesuites entrassent au college d'Annessi, pour disposer les escoliers qui y sont a ce dessein, et donner advancement a ceux qui se commencent a former en la petite escole [436] quilz ont icy, laquelle il seroit sur tout requis de continuer.

  A012003419 

 Je voy qu'il est requis de faire la distribution des diesmes ecclesiastiques qui ont esté saysis au balliage de Galliard par vostre authorité, aux pasteurs qui y sont en charge; et par ce que monsieur de Rovinoz, juge du lieu, qui les a saysiz, desireroit avoir vostre commandement pour les lascher, je vous supplie de luy ordonner quil ayt a les delivrer ou faire delivrer entre les mains du sieur chanoyne Gottri, lequel j'y ay deputé œconome, comme de mesme la rente de Colonge sur l'abbaye de Bellerive et autres revenuz ecclesiastiques, affin que, comme je puys prouvoir de pasteurs aux peuples, je puysse aussy prouvoir d'entretenement aux pasteurs, l'un estant necessaire a l'autre..

  A012003420 

 Ce que me promettant de vostre zele et prudence, je prieray Dieu qu'il accroisse en vous ses saintes graces, et demeureray,.

  A012003437 

 A ceste intention, j'ay retenu quelques bons hommes d'Eglise, de mes chanoynes et autres, que je n'ay voulu employer ailleurs, pour les reserver a ceste moisson, laquelle je desire extremement voir sous la faucille de la parole de Dieu et instruction catholique.

  A012003437 

 Et par ce que je n'en puis esperer sinon ce que le Roy en ordonnera, je vous envoye ce chanoyne de mon Eglise pour apprendre de vous ce que je m'en dois promettre; dequoy je vous prie luy vouloir donner les advis pour me les apporter, et de trouver bonne l'ardeur de mon desir en un affaire qui me doit estre si recommandable, et au succes duquel j'auray l'un de mes plus chers contentemens, et Sa Sainteté encores, laquelle en attend de jour a autre les premieres nouvelles..

  A012003438 

 Je ne vous prieray pas de prester l'ayde de vostre faveur a un si saint souhait, car je sçai que vostre pieté vous y tient tout entierement dedié; mays je prieray bien Dieu quil luy plaise vous maintenir et accroistre en [439] ceste chrestienne et sainte affection, et de me donner le bon heur de pouvoir tesmoigner combien je desire estre,.

  A012003455 

 Je me suis essayé d'establir les eglises de Chablaix et Ternier et l'ay presque fait, Dieu merci, en la façon [440] de laquelle je donnay n'a guere advis a Vostre Altesse; n'en demeurant que trois pour l'establissement desquelles je n'ay encor peu treuver les moyens necessaires, et entre autres pour celle de Thonon, en laquelle Sa Sainteté m'avoit ordonné par son Brief que j'establisse huit præstres avec un curé, outre trois prædicateurs qui devoyent estre communs pour les deux balliages.

  A012003456 

 Attendu mesme qu'aussi bien sera-il requis de procurer vers Sa Sainteté quelque recompense pour la Milice de Saint Maurice, en contrechange des biens qui ont estés appliqués aux autres cures des balliages; si que, par mesme moyen et avec mesme facilité, on la pourroit obtenir pour ce reste de Filly..

  A012003456 

 Mays voyant qu'apres avoir tant retranché du premier dessein, que je ne pouvois plus restraindre le nombre sans faire grand præjudice au service divin, et que non obstant tout cela il ne se trouvoit pas asses de moyens pour assortir ladite eglise de Thonon, je suis contraint de laisser en arriere cest article particulier au proces verbal que j'envoÿe au Saint Siege Apostolique pour le regard de tout le reste; et cependant recourir a la bonté de Vostre Altesse, la suppliant tres humblement de ne vouloir pas abandonner ce bon œuvre en ceste derniere necessité, a laquelle je ne pense pas qu'on puysse donner remede que prenant encor le reste de l'abbaÿe [441] de Filly pour l'y appliquer.

  A012003457 

 Ce que je represente fort volontier a Vostre Altesse, dautant que comme ça esté par son soin et pieté que la reduction de ces peuples a receu son commencement et progres, aussi en doit elle recevoir son compliment et perfection.

  A012003471 

 Il est vray que, n'ayant pas jugé lesdites raysons considerables pour empescher ledit establissement des curés, sans lequel des lhors toutes les eglises demeuroyent despourvëues, puysque les pasteurs, entretenuz jusques a l'heure avec tous les artifices possibles, estoyent resoluz d'abandonner silz ne se voyoyent en asseurance de leurs [443] provisions, ayant sur ce prins l'advis de gens tres zeléz au service de Vostre Altesse et qui sont capables de semblables conseilz, sans la presence desquelz je n'ay rien voulu faire, je passay outre a l'execution du Brief; en telle sorte neanmoins, que je retranchay de beaucoup son estendue, laquelle si j'eusse voulu suyvre, j'eusse esté contraint de lever tout le bien d'Eglise que ladite Milice tient es balliages: encor ni eut il pas esté suffisant.

  A012003471 

 J'avois des-ja amplement donné advis a Vostre Altesse de tout ce que j'avois fait en Chablais et Ternier pour l'establissement des cures, quandj'ay receu la lettre quil luy a pleu m'escrire, du... octobre, par voye du seigneur chevallier Bergeraz, par laquelle j'ay conneu que mon action avoit esté bien mal representee a Vostre Altesse, en ce qu'on luy a dit que j'avois procedé sans ouÿr les seigneurs de la Milice de Saint Maurice; car j'ay trop de bons et irreprochables tesmoins au contraire, qui m'ont veu ouïr fort au long toutes les raysons et allegations que ledit sieur Bergeraz a voulu advancer, comme procureur general de ladite Milice, et, avec luy encores, le sieur juge de Prez, conseil ordinaire d'icelle.

  A012003471 

 Mays le respect que je porte aux intentions de Vostre Altesse m'a fait tenir le plus court quil m'a esté possible, et en telle sorte que, n'ayant du tout rien touché a Ripaille, je n'ay prins de Filly et Doveynoz sinon justement ce qui estoit requis pour les curés des parroisses riere lesquelles ces deux benefices prenoyent les diesmes; et ce, pour autant quil estoyt impossible de faire autrement..

  A012003472 

 Et avec tout cela, le demeurant de ces deux benefices est si bon que, quant a Filly, le revenu de messieurs les Chevalliers y est aussi grand, ou peu s'en faut, quil estoit au paravant (ce que j'ay assigné aux curés n'estant de plus grande valeur que ce qui estoit ci devant assigné aux ministres huguenotz sur laditte Abbaye); si que lesdits seigneurs Chevalliers ne sont que peu ou point interessés pour cest esgard.

  A012003472 

 Et quant a Doveynoz, bien que Vostre Altesse l'avoit entierement layssé pour estre employé a l'entretenement des pasteurs, si est ce que j'ay laissé au prieuré une bonne piece de revenu de laquelle je n'ay encor aucunement disposé, attendant la resolution que Vostre Altesse me donneroit pour la dotation de la cure de Thonon et de deux autres qui sont aux chams, lesquelles ne sont pas appointees de ce qui leur est necessaire.

  A012003472 

 Sur quoy j'ay, par une mienne lettre, demandé tres humblement la bonté de Vostre Altesse a secours, affin quil luy pleut me permettre de prendre encor d'avantage sur lesdits benefices que j'ay espargnés, ou bien me donner les moyens d'y appliquer quelqu'autre revenu, ne treuvant aucun autre expedient pour eviter le scandale, [444] qui sera extremement grand si Thonon et les autres deux lieux demeurent destitués de curés..

  A012003473 

 Aussi n'en sçauroient ilz jamais rien prouver, puysque la verité est que j'ay tous-jours eu en singuliere recommandation l'honneur que je dois aux volontés de Vostre Altesse en tout le progres de cest'œuvre, de laquelle ell'a esté le principal instrument sous la main de Dieu, lequel je prie tous-jours quil luy playse multiplier ses saintes benedictions sur la personne et les catholiques desseins d'icelle, a laquelle faysant humble reverence je demeure a jamais,.

  A012003473 

 J'ay bien voulu ainsy particulariser a Vostre Altesse ce que j'ay fait pour, par apres, la supplier en toute humilité, comme je fay, quil luy plaise ne point croire ceux qui luy parleront de moy au contraire de ce que je luy en escris.

  A012003489 

 J'espere neanmoins encor; et, par la bonté du commencement que je vois, je suis tousjours tant plus invité d'en desirer le progres et compliment, lequel aussi nostre Saint Pere me commande d'attendre de la justice, equité et zele de Vostre Majesté, comme je fay, plein d'asseurance que ceste main royale, qui ne sçait laisser aucun de ses ouvrages imparfait, ayant donné commencement au restablissement de la sainte religion en ce petit coin de mon diocese, qui a l'honneur d'estre une piece de vostre grand royaume, ne tardera point d'y apporter la perfection que le Saint Siege en attend, que son edit promet, et que je luy demande tres humblement, avec la faveur de sa grace; suppliant nostre Sauveur, pour la gloire duquel je presente ceste requeste, qu'il comble de benedictions le sceptre tres chrestien qu'il a mis en la main de Vostre Majesté, et, qu'apres le luy avoir maintenu longuement, il le fasse heureusement passer en celle de Monseigneur le Dauphin, pour l'appuy de l'Eglise et religion catholique, qui est tout le bien qu'apres l'eternelle felicite peut souhaitter pour Vostre Majesté,.

  A012003489 

 Sur le bon playsir de Vostre Majesté, qu'elle me delaira par sa lettre, j'ay esté en son balliage de Gex, [445] et y ay establi des ecclesiastiques pour l'exercice de la sainte religion catholique es lieux que M. le baron de Lux m'a assigné, qui ne sont que trois en nombre; beaucoup moins, a la verité, que je n'avois conceu en mon esperance, laquelle, portee de la grandeur de la pieté qui reluit en la couronne de Vostre Majesté, n'aspiroit a rien moins qu'au tout.

  A012003516 

 En outre, comme il est nécessaire aux prédicateurs qui travaillent à la conversion des hérétiques de lire les livres prohibés, afin de les réfuter plus commodément, ceux surtout que les Genevois et autres gens du voisinage font paraître chaque jour, l'Evêque demande très humblement le pouvoir d'autoriser ceux qu'il jugera convenable, tel le Prévôt de la cathédrale de Genève, à lire et garder les livres susdits pendant qu'ils travaillent à cette mission.

  A012003518 

 Ce qui fait que... [450].

  A012003518 

 Mais un tel projet, suggéré et inspiré par la charité, ne peut aboutir sans une grande charité; car il est impossible d'établir cet hospice autrement que par des aumônes ou par l'application de quelques revenus ecclésiastiques.

  A012003541 

 Or, il n'est pas de moyen plus convenable que d'appliquer à cette œuvre les dîmes et les prémices que les fidèles payent à cet effet.

  A012003541 

 Qu'en droit il faut prélever la portion congrue sur les autres bénéfices, d'après la teneur de la Bulle d'union qui exige que cinquante ducats au moins soient donnés à chaque pasteur sur lesdits bénéfices indistinctement.

  A012003541 

 Quant à l'application des bénéfices à l'entretien des pasteurs des paroisses revenues à la vraie foi: Que les biens des cures sont en partie aliénés de par l'autorité apostolique, et en partie ruinés et [451] abandonnés par suite du peu de soin qu'en ont eu les possesseurs; partant ils ne suffiraient en aucune manière à l'entretien des susdits pasteurs.

  A012003541 

 « Et vous avez tué ceux que vous n'avez pas nourris.

  A012003542 

 Quant aux prébendes théologales: Bien que le Concile n'oblige à les établir que dans les localités considérables, en exigeant le moins il n'exclut pas le plus; au contraire, il le désire et le loue.

  A012003542 

 Que les localités où s'établiraient telles prébendes sont considérables dans le pays.

  A012003542 

 Que les monastères desquels on demande les prébendes sont, à une exception près, situés en des lieux inhabités et éloignés des [452] centres; de sorte que leurs théologaux, si toutefois ils en avaient, seraient peu utiles au diocèse, tandis qu'en appliquant ces prébendes à l'entretien de chanoines théologaux, elles seraient infiniment plus utiles au bien public..

  A012003543 

 Quant à la dispense sollicitée par les chanoines de Genève pour avoir une église paroissiale: Qu'ils pourront desservir ces églises de temps en temps; que ce privilège leur a été concédé par d'autres Pontifes en semblable occasion; que si on le leur refuse il faudra les dispenser du statut établi et confirmé par le Pape Martin (à la teneur de ce statut, ils ne peuvent admettre dans leur Chapitre personne qui ne soit noble ex utroque parente, ou docteur); ou bien il faudra pourvoir convenablement à leur entretien d'une autre manière, jusqu'à ce que l'on recouvre les revenus usurpés par les hérétiques.

  A012003544 

 Quant aux décimes de l'Evêque: Que lui seul, sans le concours d'aucun autre, ayant obtenu du duc de Savoie que les douze mille écus d'or que le clergé de Savoie donne à ce prince fussent payés en écus de monnaie, il n'a pas cru devoir faire instance pour ses intérêts personnels, et le clergé, jouissant de la faveur qu'il lui a obtenue, ne sera pas grevé beaucoup de décharger l'Evêque de la contribution qui lui incomberait, laquelle n'excède pas cent écus..

  A012003587 

 Ceux de la Religion de Sainct Maurice et Lazare nous ont faict entendre le prejudice que leur appourteroit l'union du prieuré de Sainct Jean hors les murs de Geneve a la Collegiale de Viry, si elle s'en ensuivoit, ainsy qu'au Baron de Viry en avons accordé le placet; ce qu'avons faict, ne Nous resouvenant que ledict prieuré fust approprié a ladicte Religion.

  A012003587 

 Qui Nous faict a present vous dire que n'avez a en faire plus aulcune poursuitte, ains vous en despartir, n'estant nostre intention de en rien prejudicier a ladicte Religion.

  A012003603 

 Et pour ne faillir en rien d'y appourter de nostre cousté tout ce qui sera en nostre pouvoir, Nous avons ordonné au President Rochette que tout aussy tost que Nous serons partis, il s'achemine en ces quartiers la pour establir ce qui est necessaire pour l'entretenement des curez, a celle fin que chascun d'eux y puisse faire sa residence pour y exercer religieusement ce qui est de leur charge; a quoy vous tiendrez main et l'y assisterez de tout vostre pouvoir, ainsy que de mesme escripvons a l'Evesque de Geneve..

  A012003603 

 Nous avons veu par vostre lettre du septiesme du present, la devotion que ce peuple a monstré en ce qui est de sa nouvelle conversion; ce qui Nous a appourté un singulier contentement, comme aussy l'esperance que vous avez que le reste en fera de mesme, en quoy Nous nous asseurons que vous vous employerez avec la mesme affection et pieté qu'avez faict par cy devant, avec tant de louange et satisfaction nostre.

  A012003604 

 Quant a l'establissement de la Maison de vertu ou Refuge de Thonon, mise en avant par le Pere Cherubin a Romme, vous en traicterez avec ledict President, et par ensemble avec ledict Evesque, vous adviserez de ce qui est necessaire que faisions pour icelle; et Nous en envoyerez les memoires pour, sur icelles, y faire les dheues considerations et y prendre la resolution que verrons estre convenable..

  A012003605 

 Et touchant le sieur d'Avully, de Vallon et Dame du Four, Nous treuvons tres raisonnable ce que vous en escripvez, et ne leur sera rien innové qu'au preallable ilz n'ayent leur recompense..

  A012003619 

 Cecy je dis a l'occasion de quelques mauvaises relations qu'ont esté faictes a Sa Sainteté, qu'ont besoin de vostre soustien par le moyen d'une bien ample attestation qu'il faut que vous Nous envoyez de l'estat auquel vous avez veu vostre diocese auparavant les guerres en ce que concerne le spirituel; mais particullierement en combien d'endroictz l'on y frequentoit l'exercice de la religion pretendue reformee, et par combien de ministres elle y estoit divulguee et maintenue, et si des le commencement des guerres, l'on y a remis les cures et planté heureusement la religion Catholique et Apostolique, Romaine, et abolly ledict exercice de pretendue religion jusques sur les portes de Geneve ou, par tous les lieux, l'on celebre la sainte Messe.

  A012003619 

 Et d'aultant qu'il faut faire le boclier de ladit'attestation contre ce que l'on a donné a entendre a Sa Sainteté, il est necessaire que non seullement elle soit signee de vous, mais de vos chanoines qui en peuvent avoir eu notice, et de quelques autres notables ecclesiastiques qui pourront servir a la foy indubitable de ladicte attestation, comme aussi pour son ampliation, a laquelle Nous nous asseurons que n'oblierez rien; non plus que du bon ordre que l'on tint, moy present, pour appeller ceux qui estoyent esgarez a la vraye foy, et combien d'ames l'on y gagna pour lhors et jusques a present, et si l'on y continue l'œuvre et quel fruit s'en ensuit, et plus amplement, comme trop mieux vous sçavez convenir, pour me l'envoyer au plus tost a l'effait que dessus..

  A012003619 

 Parce que les bonnes œuvres sont tousjours contrepesees par sinistres relations, et que bien souvent les publiques mesmes ont besoin d'appui particulier pour les soustenir et deffendre, aussy est il necessaire que, pour les balancer au poix de la raison, l'on y prenne les expedientz plus necessaires.

  A012003635 

 Ce que desirant de reprouver, il est necessaire que vous Nous en envoyez une bien autentique attestation comme il ny a en point de lieu que la sainte Messe n'aye esté retablie, et qu'elle se celebre jusques sur les portes de Geneve, et les cures pourveues de bons curez, la plus part desquelz y annoncent la parolle de Dieu, et que ceulx qui se sont reunis a la sainte foy y continuent avec un grand zele.

  A012003635 

 Ce quil est necessaire qu'attestiez bien amplement et comme celluy qui en est mieux informé que les aultres, et Nous l'envoyez au plus tost, sans touttesfoys en icelle faire aulcune mention que Nous vous en ayons escript, mais requis du peuple pour desabuser Sa Sainteté de ce que l'on a dict d'eulx.

  A012003635 

 Il y a quelques sepmaines que Nous vous escripvismes sur quelque mauvays rapport qu'a esté faict a Sa Sainteté de la conversion des heretiques des baillages, luy ayant este donné a entendre que tout estoit en son premier estat, et que les curez n'ont point esté retablis en leurs eglises.

  A012003868 

 En fin, apres m'estre informé exactement en cette ville, je me suis aidé de Monsieur Favier pour y emploier un sien amy sur le lieu, quy est un honneste gentilhomme, chanoine en l'Eglise de Poictiers, duquel vous verrez, sil vous plaist, la responce que je vous envoie.

  A012003868 

 Que pleust a Dieu que pour resentiment de tant de faveur je peusse vous rendre aultant de service comme je vous en presente de remercimentz; vous verriez de quel courage je recognoistroy le plain pouvoir que vous avez sur moy, dont attendant qu'il s'offre quelque occasion, je vous supplie, Monsieur, de prendre toute creance de ma disposition a l'obeissance que je vous doibz..

  A012003868 

 Que si vous estimez que par cette voie il se puisse quelque chose davantage, commandez moy librement, comme vous pouvez, faisant estat, Monsieur, que je confesse de ne devoir point tant a homme du monde qu'a vous, l'obligation que je vous ay estant infinie par les bons offices que vous me rendez d'un bien quy n'a point de fin.

  A012003869 

 Aussy que j'ay doubté si j'en avois bien grand besoing, d'autant que despuis, les parties ont revocqué toutes promesses suspectes, et: quod consensu et pacto contractuel est, contrario consensu et pacto dissolvitur, et obligatio inde nata (quy est icy ex delicto per pactum illicitum contracta ) ipso jure tollitur.

  A012003869 

 Cela estant, et les susdites maximes veritables jure Poli, comme elles le sont jure fori, il y a que doubter s'il est besoing d'aultre remede.

  A012003869 

 De faict, ma partie m'a promis et juré de se contenter de ce quy luy sera legitimement permis, et de reparer avec moy ce que nous aurons mal faict.

  A012003869 

 Du reste, je praticquerey voz bonnes instructions au plus pres de la lettre qu'il me sera possible, et premierement pour ce quy est de l'eslection de Monsieur du Val, tant pour prendre de la conduitte de luy en la vie que vous m'avez proposee, que pour me servir de la Lettre Apostolique que vous m'avez envoiée, de laquelle j'ay differé d'user attendant que j'eusse asseurance de l'expedition de mes Bulles, pour laquelle ces jours passez nous avons fourny a la composition qu'on nous a faict de deux mil escus pour tout.

  A012003869 

 Toutesfois, je ne m'en croirey pas; saint Hyerosme disoit de soy: Ea etiam de quibus me scire arbitrabar interrogare me solitum, quanto magis de iis super quibus anceps eram! J'en enquerrey ceux que vous m'avez nommé, ou, si vous me faictes ce bien de m'adjouster vostre advis, j'en serey encor plus asseuré, n'ayant point tant de creance a nul aultre qu'a vous..

  A012003870 

 J'ay faict provision des livres que vous m'avez marqué, principalement de tous ceux du premier temps, selon vostre division; entre lesquelz, apres Grenade que j'ay tout en sa langue, au moins ce quy s'en trouve, je trouve admirables les epistres d'Avila; mais il les fauldroit avoir aussy en la langue de l'auteur, car la traduction en françois est tres mal faicte.

  A012003870 

 Je les lirey soigneusement et comme par vostre advis, vous suppliant neantmoins, Monsieur, me departir tousjours de voz bons discours et instructions par les vostres, que je prise et cheris par dessus tout, et ou je trouve plus d'ediffication qu'en livre quelconque, comme venant de personne que je tiens pour un digne exemple a tous ceux quy ont charge en cet estat..

  A012003887 

 En fin, n'en ayant sceu rien apprendre, j'ay creu qu'en tout cas vous n'auriez point desagreable ce tesmoignage de l'affection que je vous doy, [477] vous suppliant de prendre en bonne part que je vous rende conte de moy despuis le temps que vous n'avez eu des miennes, et que je vous donne advis jusques ou je suis advancé en la profession dont vous m'avez faict l'honneur de me donner les premieres instructions..

  A012003887 

 J'attendoy de sçavoir si l'on vous auroit rendu celles que je vous escrivis sur la reception de la lettre de Rome quil vous pleust m'envoier, desirant en avoir des nouvelles advant que de vous importuner d'aultres lettres.

  A012003887 

 Je n'ay pas oublié le devoir que je vous ay, encor qu'il y ait long temps que je ne vous en aye rendu des effectz.

  A012003888 

 Je les receuz quelques jours advant les festes de Noel passé, et me disposoy apres au sacre, que je receuz le jour de la feste des Roys de la main de Monsieur l'Archevesque d'Aix, assisté de Messieurs de Bologne et de Mascon, aiant auparavant usé de la preparation dont vous me fistes ce bien de m'advertir, le mieux qu'il m'a esté possible; non pas toutes fois si bien que j'eusse desiré..

  A012003888 

 Je vous direy donc, Monsieur, qu'en fin j'ay eu mes expeditions de Rome avec la grace de nostre Sainct Pere telle que je la pouvoy esperer, sinon que j'eusse eu le gratis entier.

  A012003889 

 Il ne reste maintenant que de m'aller rendre au lieu ou je suis envoié; ce que je suis prest de faire dans quelques jours, avec l'aide de Dieu, et de commencer a mettre la main a l'œuvre; ou, si je ne craignoy de vous estre importun, je vous supplieroy volontiers, continuant ce que vous avez commencé en moy, de me vouloir assister de voz bons advis et conseilz, que je mettrey peine d'ensuivre au plus pres quil me sera possible, sil vous plaist de m'en favoriser.

  A012003889 

 Je ne vous direy pas combien je m'en tiendrey vostre obligé, quy vous suis desja tout acquis, et suis entierement a vous par tant d'occasions que je desespere de vous en pouvoir jamais assez donner de recognoissance; vous suppliant neantmoins de croire qu'il ne se descouvrira aulcun endroict de le pouvoir faire que vous ne me voiez efforcer en mon debvoir..

  A012003903 

 Je ne vous escris pas pour me ramentevoir en vostre memoire; je sçay l'honneur que vous me faictes de m'aymer, et le rang que vous tenez en la mienne me promet que j'ay quelque place en la vostre.

  A012003903 

 Mais je me trompe; il m'en est resté une image si vive et si bien representee, que bien souvent je prends la figure pour le vray naturel, tant les sainctes impressions ont de force en nos ames que ce qu'elles ont une fois gravé y demeure perpetuellement.

  A012003903 

 Nous jugeons des intentions d'autruy par les nostres; ainsi, cherissant voz merites d'une si particuliere inclination, je dois croire que si le sujet manque de mon costé pour vous convier a ce mesme desir, ne pouvant m'aymer pour l'amour de moy, du moins vous m'aymerez par ce que je vous honore et que je vous ayme.

  A012003903 

 Pour moy, je la supporte avec tant d'impatience, que, n'estoit la creance que j'ay que ce n'est pas estre tout a faict separé de vous que d'estre en vostre esprit, je blasmerois le jour que je vis reluire tant de rares vertus en vous, puis qu'il failloit en estre si tost et si long temps privé.

  A012003919 

 La reputation qu'aves acquise par tout, et mesme en ces quartiers, du zele et affection qu'aves a l'honneur et service de Dieu et a procurer de tout vostre pouvoir l'advancement de son Eglise Catholicque, Nous a faict prandre la hardiesse de vous faire une priere aultant pleine d'affection que d'assurance que l'on nous a donné de la pouvoir obtenir et de n'en estre esconduictz.

  A012003920 

 Nous n'heussions manqué a ce debvoir de vous envoyer l'ung des nostres pour vous en supplier de nostre part; mais le peril et danger des chemins nous en ont retenu, avec la faveur que nous a faict Monsieur Brunet de prandre a sa charge de vous donner cestes, avec nostre supplication, et mesme vous la presenter sil est possible, avec la semblable affection de laquelle, recepvant ung sy grand bien de vous, nous desirons demeurer a jamais,.

  A012003933 

 Je me resjoüys infiniment avec vous de l'advenement de Vostre Reverendissime Seigneurie en l'Evesché titulaire de Nicopoli, et beaucoup plus en l'ample et grande evesché de Geneve, comme serviteur tres humble et tres ancien que je lui suis, mesme des nos estudes de Paris, et, pour mieux dire, des le berceau; me resjouyssant d'ailleurs du bien et bon heur que, par ce moyen, arrive a voz diocezes.

  A012003933 

 lit encores que l'honneur qui vous accompagne en ceste charge pastorale meritoirement soit accompagné de beaucoup de peines et travaux, neantmoins je sçay que Vostre Reverendissime Seigneurie, bruslant du zele de l'honneur de Dieu et advancement de sa gloire, portera ce fardeau joyeusement, qu'est le bien et salut de vos diocesains.

  A012003934 

 Attendant doncques l'honneur de voz commandementz, je supplie tres humblement Vostre Reverendissime Seigneurie qu'il luy plaise s'acheminer bien tost par deça pour donner ordre aux affaires de ceste Saincte Maison erigee en ce lieu, et notamment pour l'ouverture de l'Université, qu'il convient faire ce mois en ceste ville et ensuivant le tres expres commandement que j'en ay de Son Altesse.

  A012003934 

 Ce n'est pour user d'aucune flatterie, ains seulement pour vous tesmoigner par ces presentes, continuation du tres humble service et obeissance que j'ay voué a Vostre Reverendissime Seigneurie, comme aussy pour ne me perdre et esgarer en l'haute mer de vos louanges.

  A012003934 

 De quoy il m'a semblé estre expedient en advertir Vostre Reverendissime Seigneurie, a ce qu'il luy plaise favoriser ceste œuvre, et ce faisant permettre a Monsieur Grandis, a Monsieur Theodore, a Monsieur Chevallier et autres qu'il vous plaira (nommement le Reverend Pere Fourrier), qui sont de bonne volonté, moyennant vostre licence [481] ayants a ces fins esté assemblez pour pouvoir resider du moins la plus part de la sepmaine icy, et vacquer pour ce commencement aux lectures qui leur seront ordonneez; vous asseurant que, ce faisant, outre le merite que Vostre Reverendissime Seigneurie acquiert, et le bien qui en arrivera a ce pays et a tout l'estat de Monseigneur et a la voisinance, principalement pour la conversion des heretiques que Son Altesse aura tres aggreable, ainsy que je peux remarquer par les lettres qu'elle me faict, et comme j'estime, aydant Dieu, vous dire lors que j'auray ceste faveur recevoir vostre sainte benediction, comme aussy plusieurs autres choses sur ce subjet..


13-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XIII-Vol.3-Lettres.html
  A013000018 

 — Grand pouvoir devant Dieu que de pouvoir vouloir.

  A013000025 

 — « Il est mieux d'estre sur la croix avec Nostre Seigneur que de la regarder seulement.

  A013000029 

 Plusieurs paroisses sont dépourvues de pasteurs ou n'ont que des vicaires.

  A013000033 

 Grâce inestimable pour une âme que Dieu a faite toute sienne: en garder la souvenance par la célébration du jour anniversaire.

  A013000033 

 — Les amitiés que la mort ne peut dissoudre.

  A013000034 

 Mettre un cœur vaillant à faire ce que Dieu veut.

  A013000034 

 — Soyons ce que Dieu veut et non ce que nous voulons, contre son gré.

  A013000036 

 — Ce n'est pas l'œuvre d'un jour que de se conquérir soi-même; raisons de l'entreprendre avec courage.

  A013000037 

 L'Abbesse s'étant offensée que le Saint eût voulu payer la pension de sa sœur, celui-ci se défend.

  A013000038 

 — Services que peuvent rendre à l'Abbesse M. Viardot et M. Néron.

  A013000049 

 Il y a moins à craindre pour une âme que la Vierge « a prise a soy.

  A013000049 

 — Il ne veut que le titre de Père.

  A013000055 

 Belles espérances que le Saint a conçues de la réforme; joie de la voir appliquée.

  A013000061 

 — Avec Dieu, il fait bon où que ce soit.

  A013000061 

 — Il refuse de s'expliquer sur l'idée que la Baronne avait eue de quitter le monde.

  A013000065 

 — Semer au champ de notre voisin, pendant que le nôtre en a besoin, avoir son cœur en un lieu et son devoir en l'autre: chose dangereuse.

  A013000066 

 — Tenir notre cœur bien calfeutré et ne lui donner aucune ouverture que du côté du Ciel 90.

  A013000076 

 — Vanité et bassesse d'un cœur « qui niche sur un autre arbre que sur celuy de la Croix.

  A013000088 

 Intérêt que porte le Saint à cette affaire.

  A013000097 

 — N'avoir d'autre loi ni contrainte que l'amour.

  A013000105 

 — Ce que nous pouvons désirer de meilleur.

  A013000107 

 » — La vertu des femmes mariées, « celle seule que saint Paul indique.

  A013000113 

 — Que doit faire une âme chrétienne soumise, à l'égard de la sainte Communion, à deux autorités divergentes? — Détachement de saint Jean-Baptiste.

  A013000114 

 Le Saint ne pourvoit aux cures que par la voie du concours. 146.

  A013000117 

 Nouvelles du Jubilé; part que le Saint y a prise.

  A013000117 

 — Amour que lui témoigne son peuple.

  A013000119 

 — Difficultés que lui crée l'hérésie; pour les surmonter, il a besoin de recevoir du Saint-Siège aide et secours. 151.

  A013000143 

 Dispositions que doit prendre la Baronne pour son prochain voyage à Annecy.

  A013000145 

 — Hors de Dieu et sans lui, nous ne sommes que « des vrais riens.

  A013000148 

 — Le « choix » que le Bienheureux a fait pour la Baronne 181.

  A013000149 

 Les croix de Dieu, pourvu que l'on y meure, sont douces et consolantes.

  A013000152 

 — Que Dieu seul est à craindre et de quelle crainte.

  A013000155 

 Le Saint regarde comme un devoir que Dieu lui impose d'écrire souvent à la baronne de Chantal.

  A013000165 

 » — Il faut agréer que Dieu frappe sur l'endroit qu'il lui plaira.

  A013000165 

 — Le Saint « tant homme que rien plus.

  A013000172 

 Paix, union merveilleuse dans la famille du Saint, bien que composée de plusieurs ménages; à qui elle allait « à confesse.

  A013000178 

 » — L'espoir que donne une petite troupe de chétives femmelettes.

  A013000178 

 — Le « grand livre » que le Saint portait toujours en sa « pochette.

  A013000184 

 Le Saint estime que le projet de la Visitation est de Dieu et s'y affectionne de plus en plus.

  A013000184 

 — Quand on n'a d'autre intention que la gloire de Dieu, ne se tourmenter de rien.

  A013000193 

 — Belle fleur que la veuve chrétienne.

  A013000214 

 N'est-ce pas d'ailleurs le meilleur moyen d'inaugurer dignement notre Episcopat que de le placer sous un si puissant patronage?.

  A013000218 

 C'est une œuvre inspirée par le cœur; c'est une tâche entreprise par la piété filiale, que les difficultés présentes ne troublent pas, que les craintes de l'avenir ne découragent jamais..

  A013000218 

 Que les uns et les autres se rassurent! Cette publication n'est pas une œuvre commerciale, assujettie aux diverses fluctuations de l'intérêt.

  A013000220 

 Il faut remarquer, en effet, que le présent volume se compose de Lettres.

  A013000220 

 Les lecteurs qui liront leurs notices rapides ne se douteront pas, peut-être, des labeurs considérables que chacune d'elles a coûtés..

  A013000221 

 Ajoutons que c'est précisément à ces recherches laborieuses, à la restitution des dates incertaines, des destinataires inconnus, que s'applique la sagacité doucement obstinée et toujours heureuse des Religieuses de la Visitation d'Annecy.

  A013000221 

 Les vénérées Filles du Saint me pardonneront de dire la part qui leur revient dans cette œuvre immense, et le grand public ne sera pas fâché, sans doute, de savoir que les monastères d'aujourd'hui continuent d'être, comme au temps passé, des ruches ferventes où s'amassent silencieusement des trésors d'érudition et de science historique..

  A013000222 

 On comprend donc facilement que l'interprétation et l'annotation de ces Lettres demandent une spéciale préparation, et notamment des notions précises et variées d'histoire, de littérature, de linguistique.

  A013000224 

 Entre autres judicieux et fins aperçus, le nouvel éditeur note que saint François de Sales « a dépassé son temps, » et qu'en donnant des conseils pour des états d'âme particuliers, « il les a marqués d'un caractère de vérité générale et profondément humaine.

  A013000224 

 » Rien n'est plus vrai que cette observation..

  A013000236 

 Mais l'intérêt particulier des Lettres de cette période, c'est qu'elles éclairent d'une vive lumière l'histoire du sentiment religieux en France au début du XVII e siècle; ajoutons que le portrait de saint François de Sales s'y dessine en traits plus nombreux et plus saisissants..

  A013000243 

 Ces débats passionnent encore la foule, mais les pratiques religieuses positives vont plus à son cœur que ces subtiles controverses.

  A013000243 

 Les pèlerinages redeviennent plus que jamais la grande dévotion populaire.

  A013000243 

 Puis les Archiconfréries de Notre-Dame de Thonon, du Saint Cordon, de la Sainte Croix viennent grouper en de vastes collectivités tous les fidèles que la ferveur renaissante a touchés.

  A013000248 

 Son influence dépasse visiblement les limites de la Savoie, elle s'exerce sur tout et sur tous; rien n'en montre mieux l'étendue que le nombre et la qualité de ses correspondants et la variété des objets qu'il traite avec eux.

  A013000249 

 Des jeunes filles, des jeunes gens rêvent de la vie claustrale; mais il s'en faut bien que le Saint fasse à tous ces désirs le même accueil: il encourage les uns, et parfois, mais toujours suavement, il déconseille les autres.

  A013000250 

 Bien des figures ne font que passer dans cette correspondance, qu'on voudrait revoir; d'autres reviennent souvent et finissent par nous devenir familières.

  A013000252 

 Curieuse physionomie que celle de l'Abbesse du Puits-d'Orbe! La fin de sa vie étrange et désordonnée révèle une âme impérieuse, bizarre.

  A013000254 

 Esprit peu compréhensif, dévotieuse plutôt que dévote, pleine de stériles désirs, exagérant le but, puis découragée de ne pas l'atteindre, cette âme, par l'ensemble de ses aspirations et de ses défauts, ne représenterait-elle pas les tendances et l'idéal de beaucoup de femmes du monde? C'est donc à ces dernières que conviennent les lettres envoyées à la Présidente..

  A013000256 

 Plus docile que l'incorrigible Abbesse, M me Brûlart montra bientôt ce qu'une habile direction pouvait tirer d'une âme ordinaire.

  A013000257 

 Une autre âme, tombée plus tard dans les filets du prestigieux pêcheur, devait aller plus haut que la précédente dans les voies de la piété.

  A013000259 

 Un nom venait alors sur ses lèvres avant tous les autres, et le lecteur devine bien que c'est le nom de la baronne de Chantal..

  A013000260 

 Les plus discrets, pour ne rien dire des pamphlétaires, ont avancé sur le ton grave d'un impertinent pharisaïsme, que cette direction était une domination lente et progressive de l'âme humaine, paralysant la volonté, enfermant les facultés actives dans l'observation exclusive du dedans, quand elle ne les endormait pas, en supprimant tout désir, dans un quiétisme paresseux..

  A013000266 

 Que doit faire la veuve du baron de Chantal quand elle rencontrera le meurtrier de son mari? Il faut, dit-il, porter à sa rencontre un « cœur doux, gracieux et compatissant.

  A013000267 

 » Est-ce que de telles paroles sont inspirées par la molle complaisance d'un fade attendrissement? Dans le retranchement des vaines consolations, le Saint va plus loin encore; sachant que toute douleur se soulage à être racontée, il n'hésite pas à lui déconseiller [XVI] même cette innocente consolation: « Vous feres bien de regarder simplement Nostre Seigneur... sans vous amuser a considerer vostre mal, non pas mesme pour me le dire.

  A013000268 

 « Les croix de Dieu sont douces, » écrit-il, mais « pourveu que l'on y meure.

  A013000271 

 Plus récemment, on a prétendu que l'idéal de saint François de Sales en fait de piété avait le défaut de se limiter à la perfection des âmes individuelles.

  A013000272 

 Il est vrai, l'effort du Saint et de sa direction va tout d'abord à épurer l'âme, à illuminer l'intelligence, à rectifier la volonté, à mettre de l'ordre dans toutes les puissances; mais la volonté n'est-ce pas la pièce maîtresse, l'instrument des actions humaines dont il importe avant tout de s'assurer? Régler la volonté, la fortifier, lui donner du ressort, de l'élan, est-ce faire autre chose que d'accumuler d'avance, pour l'action ultérieure, les trésors de l'énergie morale? Et les facultés agissantes, qui les excite, qui les met en jeu, sinon le vouloir intérieur? L'activité n'est souple, n'est durable, n'est féconde que si elle jaillit de cette force invisible qui s'appelle la volonté.

  A013000273 

 Vu à travers les ouvrages de ses grands écrivains, le XVII e siècle peut paraître un siècle d'analyse raffinée et de minutieuse observation morale; mais les âmes chrétiennes formées d'après les principes de saint François de Sales n'ont pas fait que s'observer: elles ont agi.

  A013000274 

 Pour juger de la valeur effective de la direction de saint François de Sales, il n'est pas à propos de citer l'inertie du duc de Bourgogne, l'élève de Fénelon; il serait plus sage de se demander ce que devint plus tard M me de Chantal, cette âme robuste, sa fidèle disciple.

  A013000274 

 Sa vie féconde, son indomptable vigueur, l'étendue de son influence, la haute portée de ses œuvres établissent victorieusement que la direction du saint Evêque de Genève, en dressant l'âme à l'amour de Dieu, la préparait merveilleusement aux conquêtes d'un prosélytisme et d'un apostolat intrépide et infatigable..

  A013000275 

 Ils verront croître et grandir avec les années l'amitié sainte, « blanche plus que la neige, pure plus que le soleil » qui devait unir pour une œuvre commune ces deux grandes âmes.

  A013000275 

 Mais pour entendre l'exquise pureté, la simplicité ingénue de cet amour « fort, impliable et sans mesure ni reserve... doux, facile; bref, si je ne me trompe, tout en Dieu, » oh! que l'intelligence doit être pieuse et bonne! [XVIII].

  A013000277 

 C'est bien ici qu'il se montre « tant homme que rien « plus.

  A013000277 

 C'est tantôt l'accueil enthousiaste d'une petite ville qui s'illumine la nuit pour fêter son arrivée, tantôt c'est l'effroyable masse des montagnes glacées qui le saisit d'admiration; mais dans la plaine, au fond des vallées, il trouve toujours son Dieu; il le rencontre chéri et adoré sur les plus hauts sommets par les âmes simples, et même, comme le Patriarche Séraphique, il a su entendre les louanges que lui donnent les chevreuils et les chamois.

  A013000280 

 C'est des habitants de Rumilly qu'il écrivait, en s'excusant de dire une « petite folie... Je presche si jolyment a mon gré en ce lieu, je dis je ne sçai quoy que ces bonnes gens entendent si bien, que quasi ilz me respondroyent volontier.

  A013000281 

 Enfin, il n'est pas besoin d'ajouter que l'âme religieuse du Saint se découvre ici à son insu avec une ineffable ingénuité.

  A013000281 

 Quelle humilité que celle qui lui fait accepter avec une gratitude touchante les conseils de sa fille spirituelle! L'illustre ami des Cardinaux, le conseiller vénéré des Papes, le grand convertisseur d'âmes devient un enfant quand il écrit au P. Possevin, son ancien maître, et surtout quand il se remet pour « rabiller » son âme sous la conduite de son vieil ami, le P. Fourier..

  A013000283 

 Que demande-t-il pour sa fille bien-aimée? « Rien, sinon ce pur et saint amour » du « Sauveur.

  A013000283 

 « Mon Dieu, tres chere Fille de mon ame, que je voudrois volontier mourir pour l'amour de mon Sauveur! mais au moins, si je ne puis mourir pour cela, que je vive pour cela seul.

  A013000283 

 » Installer Jésus-Christ dans les âmes, l'y faire régner, c'est toute son ambition; car il croit, il sait, il affirme que c'est lui qui « redresse tout, purifie tout, vivifie tout... fait tout en tout.

  A013000285 

 C'est un charme de plus que tant de lumineuses et fortes doctrines s'étalent en un style si aimable.

  A013000285 

 Disons simplement que les Lettres de cette série justifient toutes les louanges qu'on a faites de l'Ecrivain.

  A013000289 

 Après l'avoir lue, on ne pourra plus douter que le Saint avait véritablement un « cœur « de chair » et que les vues les plus austères de la foi s'unissaient dans son âme, sans les heurter, aux affections les plus profondes et les plus sincères..

  A013000292 

 Cela ne l'avança ni recula du Saint Sacrement; elle ne laissa pas d'estre aussi tost que les autres a l'eglise.

  A013000292 

 Les Lettres de l'Evêque de Genève ne sont-elles pas capables de faire ce miracle? En les lisant, on sentira que le beau de la vie, c'est d'aimer Dieu, de ne pas trop s'aimer soi-même et de beaucoup servir son prochain.

  A013000292 

 » On se rappelle aussi cette pauvre veuve d'Annecy que le Bienheureux aperçut « a la suite du Saint Sacrement, et ou les autres portoyent des grans flambeaux de cire blanche, elle ne portoit qu'une petite chandelle, que peut estre elle avoit faite; encores, le vent l'esteignit.

  A013000293 

 Il est permis de croire que ces deux humbles femmes avaient trouvé la véritable paix, et, avec elle, l'esprit de suavité et de joie.

  A013000302 

 Les points remplaçant quelque énumération de la date indiquent que cette partie de la date est donnée, mais fautivement, dans l'édition à laquelle notre texte est emprunté..

  A013000316 

 Et quant a moy, ma tres chere Fille, adorant de tout mon cœur cette divine Providence, je la supplie de respandre sur vostre cœur l'abondance de ses faveurs, affin que vous soyes benite en ce monde et en l'autre des benedictions du ciel et de la terre, des benedictions de la grace et de la gloire eternelle.

  A013000316 

 La benediction que je vous souhaitte, ma tres chere Seur ma Fille, se doit obtenir de la main de Nostre Seigneur, et je croy que sa divine Majesté vous l'octroyera [1] si vous la requeres avec la sousmission et humilité convenable.

  A013000317 

 Benite soyes vous en vostre cœur et en vostre cors, en vostre personne et en celles de ceux qui vous sont plus chers, en vos consolations et en vos travaux, en tout ce que vous feres et que vous souffrires pour Dieu.

  A013000327 

 Frere Jean m'a treuvé au sortir d'une fievre continue, de laquelle les effetz ne me permettent en cor de vous escrire que par la main d'autruy, combien que je vous salue et souhaitte mille benedictions du propre fons de mon cœur.

  A013000327 

 Je n'auray pas plustost recouvert mes forces et rencontré quelque commodité de vous escrire [2] que je le feray fort soigneusement, comme j'ay fait cy devant a touttes les occurrences qui s'en sont presentees.

  A013000327 

 Je n'ay pas voulu confier voz petitz livretz a ce porteur, lequel, s'acheminant fort lentement et passant par Chalon et autres lieux, auroit peu les esgarer; je m'imagine aussi que vous n'en estes pas beaucoup necessiteuse..

  A013000328 

 Je n'escris qu'a vous par ce que c'est un exercice qui m'est encor defendu; et je crois que vous me feres ce bien que de saluer tout le reste de ceux et celles qui m'ayment en Nostre Seigneur, puisque je vous en supplie bien humblement.

  A013000346 

 Je m'en sollicite asses moy mesme sans que vous preniez la peyne de m'en resouvenir.

  A013000346 

 Je vous escrivis dernierement par Frere Jehan et n'ay jamais laissé escouler aucune commodité de vous envoyer de mes nouvelles que je ne l'aye embrassee.

  A013000346 

 Maintenant, au sortir de ma maladye, j'ay receu vostre lettre du quinziesme janvier que monsieur Grenaut m'a envoyé; mais non pas encor celle que vous m'avez escripte precedemment, en laquelle, comme vous me distes, vous m'escriviez fort particulierement de l'estat interieur de vostre ame.

  A013000347 

 C'est donc l'effect de la patience de bien posseder son arae, et a mesure que la patience est parfaicte, la possession de l'ame se rend plus entiere et excellente.

  A013000347 

 Maintenant, pour respondre a celle que j'ay en main, autant que ma santé me le permet (pour laquelle je ne puis encor vous escrire de ma main), je loue Dieu de la constance avec laquelle vous supportés vos tribulations.

  A013000348 

 L'autre, que Moÿse, le plus grand amy de Dieu de toute la trouppe, mourut sur les frontieres de la terre de repos, la voyant de ses yeux et ne pouvant en avoir la jouissance..

  A013000348 

 Mais bon courage, je vous supplie, ma tres chere Seur; vous n'aves souffert l'incommodité du chemin que troys ans, et vous voulez le repos.

  A013000348 

 Mais resouvenés vous de deux choses: l'une, que les enfans d'Israël furent quarante ans parmi les dezerts avant que d'arriver en la terre du sejour qui leur estoit promis; et neantmoings, six sepmaynes pouvoyent suffire pour tout ce voyage, et a l'aise.

  A013000349 

 Il me semble que vous vous arrestez un petit trop a la consideration de vostre mal..

  A013000349 

 Pleust a Dieu que nous regardassions peu a la condition du chemin que nous frayons et que nous eussions les yeux fichés sur Celuy qui nous conduit et sur le bien heureux pays auquel il nous mene.

  A013000349 

 Que nous doyt il chaloir si c'est par le desert ou par les champs que nous allons, pourveu que Dieu soyt avecq nous et que nous allions en Paradis? Croyez moy, je vous prie, trompez le plus que vous pourrez vostre mal, et si vous le sentez, au moings ne le regardez pas; car la veüe vous en donnera plus d'apprehension que le sentiment ne vous donnera de douleur.

  A013000350 

 Appres que vous aurez prié le Pere quil vous console, s'il ne luy plaist pas de le faire n'y pensez plus, et roidissez vostre courage a faire l'œuvre de vostre salut sur la croix, comme si jamais vous n'en deviez descendre et qu'onque plus vous ne deussiez voir l'air de vostre vie clair et serain.

  A013000350 

 Et quand a ce que vous me distes, que c'est un grand travail de vouloir et ne pouvoir, je ne veux pas vous dire quil faut vouloir ce que l'on peut, mais je vous dis bien que c'est un grand pouvoir devant Dieu que de pouvoir vouloir.

  A013000350 

 Il est vray quil est un petit long par ce que la matiere le requiert, mais patience..

  A013000350 

 Passez oultre, je vous supplie, et pensés a ceste grande dereliction que souffrit nostre Maistre au jardin des Olives.

  A013000350 

 Que voulez vous? il faut voir et parler a Dieu parmy les tonnerres et tourbillons du vent; il le faut voir dans le buisson et parmy le feu et les espines, et pour ce faire, la verité est quil est besoing de se deschausser et faire une grande abnegation de nos volontés et affections.

  A013000350 

 Voyez que ce cher Fils ayant demandé consolation a son bon Pere et cognoissant quil ne vouloit pas la luy donner, il ny pense plus, il ne s'en empresse plus, il ne le (sic) recherche plus; mais, comme s'il ne l'eust jamais pretendue, il execute vaillamment et courageusement l'œuvre de nostre redemption.

  A013000351 

 Bref, pour lhonneur de Dieu, acquiescés entierement a sa volonté, et ne croyez nullement que vous le servissiez mieux autrement, car on ne le sert jamais bien sinon quand on le sert comme il veut.

  A013000351 

 C'est assez pour ce point, jusques a ce que Dieu me donne la commodité de vous le declairer a souhait, lors que, sur iceluy, nous establirons l'asseurance de nostre vie.

  A013000351 

 Imaginez vous que vous ne deussiez jamais estre delivree de vos angoisses: qu'est-ce que vous feries? Vous diries a Dieu: Je suis vostre; si [6] mes miseres vous sont aggreables, accroisses en le nombre et la duree.

  A013000351 

 J'ay confiance en Nostre Seigneur que vous diries cela; vous n'y penseries plus, au moings vous ne vous en empresseriez plus.

  A013000351 

 Or, il veut que vous le serviez sans goust, sans sentiment, avec des repugnances et convulsions d'esprit.

  A013000351 

 Vous verrez que quand vous ne penserez plus a vostre delivrance, Dieu y pensera, et quand vous ne vous en empresseres plus, Dieu y accourra.

  A013000352 

 Ceste bonne ame que vous et moy cherissons tant, me fait demander si elle pourra attendre la presence de son pere spirituel pour s'accuser de quelque point duquel elle n'eust point souvenance en sa confession generalle, et, a ce que je vois, elle le desireroyt fort.

  A013000352 

 Mais (listes luy, je vous supplie, que cela ne se peut en aucune façon; je trahiroys son ame si je luy permettoys cest abbus. Il faut qu'a la fine premiere confession qu'elle fera, que tout au commencement elle s'accuse de ce peché oublié (j'en dis de mesme sil y en a plusieurs), purement et simplement, et sans repeter aucune autre chose de sa confession generalle, laquelle fut fort bonne; et partant, non obstant les choses oubliees, cett'ame la ne se doit nullement troubler. Et ostez luy la mauvaise apprehension qui la peut mettre en peyne pour ce regard; car la verité est que le premier et principal point de la simplicité chrestienne gist en ceste franchise d'accuser ses pechés quand il en est besoing, purement et nuëment, sans apprehender l'oreille du confesseur, laquelle n'est la presente que pour ouyr des pechés et non des vertus, et des pechés de toute sorte..

  A013000353 

 Mais dites luy tout cecy avecq grande charité, et l'asseurez que si en cest endroit je pouvois condescendre a son inclination, je le ferois tres volontier, selon le service que j'ay voué a la tres sainte liberté chrestienne.

  A013000353 

 Que donques, hardiment et courageusement, elle se descharge pour ce regard avecq une grande humilité et [7] mespris de soy mesme, sans avoir crainte de faire voir sa misere a celuy par l'entremise duquel Dieu la veut guerir.

  A013000353 

 Que si, appres cela, a la premiere rencontre qu'elle fera de son pere spirituel, elle pense retirer quelque consolation et proffit de luy manifester la mesme faute, elle le pourra faire, bien qu'il ne sera pas necessaire; et, a ce que j'ay appris de sa derniere lettre, elle le desire.

  A013000353 

 Si son confesseur ordinaire luy donne trop de honte ou d'apprehension, elle pourra bien aller ailleurs; mais je voudrois en cela toute simplicité, et croy que tout ce qu'ell'a a dire est fort peu de chose en effect, et l'apprehension la fait paroistre estrange.

  A013000354 

 Arrestez la a ce commencement, et faites luy sçavoir que ce desir est de si grande consequence, qu'elle ne doit ni le repeter ni permettre qu'il croisse qu'appres qu'elle en aura pleinement communiqué avec son pere spirituel, et qu'ensemblement ils en auront ouy ce que Dieu en dira.

  A013000354 

 Dites luy encor, je vous supplie, que j'ay veu le desir qu'elle commence de prendre de se voir un jour en lieu ou elle puisse servir Dieu de cors et de voix.

  A013000354 

 Je crains qu'elle ne s'engage plus avant et que, par appres, il ne soit malaysé de la reduire a l'indifference avec laquelle il faut ouyr les conseils de Dieu.

  A013000355 

 Ferme, je vous supplie; que rien ne vous esbranle.

  A013000356 

 Mais qui vous a jamais enseigné que Dieu en fust autheur? Bien des tenebres, bien des impuissances, bien du liement a la perche, bien de la dereliction et destitution de vigueur, bien du devoyement de l'estomach spirituel, bien de l'amertume de la bouche interieure, laquelle rend amer le plus doux vin du monde; mais des suggestions de blaspheme, d'infidelité, de mescreance, ha non, elles ne peuvent sortir de nostre bon Dieu: son sein est trop pur pour concevoir telz objetz..

  A013000356 

 Vous ne pouves croire, ma tres chere Fille, que les tentations contre la foy et l'Eglise viennent de Dieu.

  A013000357 

 Il faisoit comme cela avec Job, avec saint Anthoine, avec sainte Catherine de Sienne et avec une infinité de bonnes ames [9] que je connois, et avec la mienne qui ne vaut rien et que je ne connois pas.

  A013000357 

 Souvenes vous de ce que je pense vous avoir dit une autre fois: c'est bon signe qu'il face tant de bruit et de tempestes autour de la volonté, c'est signe qu'il n'est pas dedans..

  A013000357 

 Sçaves vous comment Dieu fait en cela? Il permet que le malin forgeron de semblables besoignes les nous vienne presenter a vendre, affin que, par le mespris que nous en ferons, nous puissions tesmoigner nostre affection aux choses divines.

  A013000358 

 C'est en fin ceste volonté libre, laquelle, toute nuë devant Dieu, reside en la supreme et plus spirituelle partie de l'ame, ne depend d'autre que de son Dieu et de soy mesme; et quand toutes les autres facultés de l'ame sont perdues et assujetties a l'ennemy, elle seule demeure maistresse de soy mesme pour ne consentir point..

  A013000358 

 Et ne me dites pas qu'il vous semble que vous le dites avec lascheté, sans force ni courage, mais comme par une violence que vous vous faites.

  A013000358 

 Pendant que nous pouvons dire avec resolution, quoy que sans sentiment: VIVE JESUS, il ne faut point craindre.

  A013000358 

 Voyés vous, ma Fille, mon ame, c'est signe que tout est pris et que l'ennemy a tout gaigné en nostre forteresse, hormis le donjon imprenable, indomptable et qui ne peut se perdre que par soy mesme.

  A013000359 

 En fin notés cecy: pendant que la tentation vous desplaira, il n'y a rien a craindre; car, pourquoy vous desplait elle, sinon par ce que vous ne la voules pas?.

  A013000359 

 Or, voyes vous les ames afiligees parce que l'ennemy, occupant toutes les autres facultés, fait la dedans son tintamarre et fracas extreme? A peyne peut on ouÿr ce qui se dit et fait en ceste volonté superieure, laquelle a bien la voix plus nette et plus vive que la volonté inferieure; mais celle cy l'a si aspre et si grosse qu'elle estouffe la clarté de l'autre.

  A013000360 

 Au demeurant, ces tentations si importunes viennent de la malice du diable; mais la peyne et souffrance que nous en ressentons vient de la misericorde de Dieu, qui, [10] contre la volonté de son ennemy, tire de la malice d'iceluy la sainte tribulation par laquelle il affine l'or qu'il veut mettre en ses thresors.

  A013000361 

 Escrives moy donques, et souvent et sans ordre, et le plus naïfvement que vous pourres; j'en recevray tous-jours un extreme contentement..

  A013000361 

 Ne craignes nullement, je vous supplie, de me donner aucune peyne; car je proteste que ce m'est une extreme consolation d'estre pressé de vous rendre quelque service.

  A013000362 

 Il ne m'est rien encor arrivé de la tempeste que je vous dis; mais les nuees sont encor pleines, obscures et chargees dessus ma teste..

  A013000376 

 J'eusse egalement desiré de pouvoir vous visiter tous les jours par mes lettres et d'estre visité par les vostres, pour participer au bien et au mal que Dieu a mis en vous depuis l'ouverture de vostre jambe.

  A013000376 

 Je m'asseure que l'un et l'autre a esté grand, car c'est la coustume de nostre bon Dieu de ne point envoyer des afflictions et tourmentz a ceux qui l'aiment, qu'il ne leur envoye quant et quant des grandes consolations, et, comme dit le Psalme, selon la multitude des tribulations, ses delectations rejouissent nostre ame.

  A013000376 

 Mais sçavez vous ce que j'ay pensé? L'Escripture dit que la porte du Royaume des cieux, c'est a dire du service et de l'amour de Dieu, n'est autre chose que la tribulation; et la dessus j'ay dit a moy mesme que vrayement Dieu vous avoit choisie pour estre fille de son royaume, puysque a ce commencement de vos resolutions il vous avoit fait passer par la porte ordinaire et plus certaine..

  A013000377 

 Ce fust une grande gloire que celle de saint Paul quand il disoyt: Au reste, que nul ne m'importune, car je porte les stygmates et marques de mon Seigneur a mon corps.

  A013000377 

 Mais maintenant, vous devez, ce me semble, estre bien glorieuse, ayant receu au moings une de ses marques; car, sans doubte, les marques de Nostre Seigneur ne sont autre chose que des playes: ce sont les [12] livrees qu'il fait porter aux siens et les bagues qu'il donne a ses espouses..

  A013000378 

 Il craint neantmoings tousjours que vous ne passiez a quelque extreme severité et mortification exterieure, et ne se peut asseurer que je ne vous y porte.

  A013000378 

 Il se trompe toutesfois bien fort, car si j'avois autant de pouvoir que j'ay de vouloir pour servir a l'entiere reformation de vostre Monastere, non seulement je ny mettrois pas de la rigueur exterieure, mais y mettrois une bien grande douceur; ce seroyt a l'interieur ou j'applicquerois toutes mes pensees..

  A013000378 

 Je ne doute point que vous n'ayez fait plusieurs semblables considerations, lesquelles vous auront extremement consolée.

  A013000379 

 A l'advanture seroyt il bon que vous le vissiez et prissiez quelques leçons de luy pour la police de vostre Maison, car il n'est pas qu'il n'ayt une grande cognoissance de semblables choses..

  A013000380 

 Les medecins m'ont tant crié de ne point escrire sitost apres ma maladie que, pour obeir, je vous ay escrit par la main d'autruy.

  A013000380 

 Tenes vous asseuree que je suis infiniment vostre, et que je ne cesse de vous souhaitter mille et mille benedictions..

  A013000384 

 Je vous escriray bien tost et de la façon avec laquelle vous pourres employer monsieur Viardot, encor quil ne demeure pas en vostre Mayson, comm'il ne sçauroit, a ce que j'apprens.

  A013000396 

 Et puis que vous treuves de l'advancement et de la consolation au changement que vous avez fait, je ne puis que [14] je ne l'appreuve, m'asseurant que vous l'avez fait avec telle discretion que le precedent n'en auroit receu aucun mescontentement..

  A013000397 

 Je ne voy encores rien devant mes yeux qui me puisse promettre le bonheur de vous voir cette annee; et quant a ce que vous me touchez de [me voir] de deça, il ne me semble pas que ce soit chose bien aysee a faire, ni [peut] estre convenable de quelque tems, eu esgard aux [liens] avecq lesquels Dieu vous a attachee de dela.

  A013000397 

 M. Viardot pourra fort aysement suppleer a ce que je pourray faire de loing; il en est fort capable..

  A013000397 

 Mais si la providence de Dieu l'exigeoit pour sa gloire et vostre salut, elle sçaura bien faire naistre les occasions encor que nous ne les voyons pas, et les fera sortir de quelque lieu auquel nous ne pensons pas.

  A013000397 

 Pour ma part, croyez moy je vous supplie, je n'ay pas moings de desir de vous revoir, et a loisir, que vous sçauriez avoir encor [vous même; mais] il faut sçavoir qui est le plus expedient et a propos.

  A013000398 

 Les medecins m'ont fort defendu d'escrire de ma main au sortir de cette maladie; c'est pourquoy j'ay employé la main d'autruy jusques icy, adjoustant de la mienne que vous vous resouvenies de ce que je vous ay tant recommandé, et que, le faysant, vous feres chose qui aggreera plus a Dieu que si, sans le faire, vous donnies vostre vie au martyre; parce que Dieu veut l'obeyssance beaucoup plus que le sacrifice.

  A013000399 

 Je le suis autant du contentement que vous donnes aux vostres et de la gayeté avec laquelle vous vives; car Dieu est le Dieu de joye.

  A013000399 

 Je suis bien consolé de voir combien vous estimes le bien de servir Dieu, car c'est signe que vous l'embrasseres estroittement.

  A013000400 

 Faysons bien, adherons a la volonté de Dieu; que ce soit l'estoille sur laquelle nos yeux s'arrestent en ceste navigation, et nous ne sçaurions que bien arriver.

  A013000401 

 Je vous diray seulement que le commerce des huguenotz n'est pas absolument defendu a ceux qui sont meslés avec eux; mays la verité est qu'il faut s'en abstenir le plus qu'on peut, car il a accoustumé de refroidir la devotion.

  A013000401 

 Quant a prendre leur marchandise, si elle est meilleure que celle des autres, il n'y a nul danger.

  A013000411 

 J'ay tant de suavité au desir que j'ay de vostre bien spirituel que tout ce que je fay sous ce mouvement ne [16] me sçauroit nuire.

  A013000411 

 O Sauveur du monde, que voyla qui va bien! Il faut porter sa croix; quicomque la portera plus grande se treuvera mieux.

  A013000411 

 Vous me dites que vous portes tous-jours vostre grande croix, mais qu'elle vous pese moins parce que vous aves plus de force.

  A013000412 

 Je ne vous respons pas maintenant, car je ne sçaurois; je ne fay que passer legerement sur vos lettres.

  A013000413 

 Et communiant au jour auquel je sçavois que vous en faysies de mesme, je logeois par desir ce beni Hoste en cette place et chez vous et chez moy..

  A013000413 

 Il me playsoit en cette image que Jesus estoit assis et se reposoit, car cela me representoit une stabilité; et me playsoit qu'il y estoit enfant, car c'est l'aage de parfaitte simplicité et douceur.

  A013000413 

 O Dieu, dis je, ainsy puissies vous vous asseoir sur le cœur de cette fille que vous m'aves donnee et a laquelle vous m'aves donné.

  A013000425 

 Je seray plus court a vous respondre que je ne desirerois, par ce que j'ay moins de loysir et plus d'empeschemens que je ne pensois.

  A013000425 

 Vostre lettre du vingtiesme de janvier m'a donné un extreme contentement, parce qu'au milieu de vos miseres, que vous me descrives, je remarque, ce me semble, quelque advancement et proffit que vous aves fait en la vie spirituelle.

  A013000426 

 Et je vous dis, qu'encor que je n'aye pas connoissance des actions que vous faites en mon absence, car je ne suis pas prophete, je pense toutefois que, pour le peu de tems que je vous ay veuë et ouÿe, il n'est pas possible de mieux connoistre vos inclinations et les ressortz d'icelles que je fay, et m'est advis qu'il y a peu de replis dans lesquelz je ne penetre bien aysement; et pour peu que vous m'ouvries la porte de vostre esprit, il me semble que j'y voy tout a descouvert.

  A013000426 

 Vous me dites donq que vous estes affligee de ce que vous ne vous descouvres pas asses parfaittement a moy, comme il vous semble.

  A013000427 

 Il faut donq avoir patience, et ne penser pas de nous pouvoir guerir en un jour de tant de mauvaises habitudes que nous avons contractees par le peu de soin que nous avons eu de nostre santé spirituelle.

  A013000427 

 Pendant que nous sommes icy bas, il faut que nous nous portions tous-jours nous mesmes jusques a ce que Dieu nous porte au Ciel, et pendant que nous nous porterons, nous ne porterons rien qui vaille.

  A013000427 

 Vous vous plaignes dequoy plusieurs imperfections et defautz se meslent en vostre vie, contre le desir que vous aves de la perfection et pureté de l'amour de nostre Dieu.

  A013000428 

 Il faut que, petit a petit et pied a pied, nous nous acquerions cette domination pour la conqueste de laquelle les Saintz et les Saintes ont employé plusieurs dizaines d'annees.

  A013000428 

 Il y auroit grand danger que l'ame, laquelle a servi longuement a ses propres passions et affections, ne devinst orgueilleuse et vaine, si en un moment elle en devenoit parfaittement maistresse.

  A013000428 

 Salomon dit que c'est un animal bien insolent que la chambriere qui devient soudainement maistresse.

  A013000429 

 Et bien, ce n'est pas peu que cela.

  A013000429 

 Mais qu'est ce que vous y voudries faire sinon ce que vous y faites, qui est de presenter et representer a Dieu [19] vostre neant et vostre misere? C'est la plus belle harangue que nous facent les mendians que d'exposer a nostre veuë leurs ulceres et necessités.

  A013000430 

 Les arbres ne fructifient que par la presence du soleil, les uns plus tost et les autres plus tard, les uns toutes les annees et les autres de trois en trois, et non pas tous-jours esgalement.

  A013000431 

 C'est un mot de merveilles que celuy que vous me dites: Que Dieu me mette en quelle saulse qu'il voudra, ce m'est tout un, pourveu que je le serve.

  A013000431 

 Et bien, vous me dites qu'en quelle saulse que Dieu vous mette ce vous est tout un.

  A013000431 

 La Mere Therese que vous aymes tant, dont je me res-jouys, dit en quelque endroit que bien souvent nous disons de telles paroles par habitude et certaine legere apprehension, et nous est advis que nous les disons du fond de l'ame, bien qu'il n'en soit rien, comme nous descouvrons par apres en la prattique.

  A013000431 

 Mon Dieu, que l'amour propre se fourre subtilement parmi nos affections, pour devotes qu'elles semblent et paroissent!.

  A013000431 

 Or sus, vous sçaves bien en quelle saulse il vous a mise, en quel estat et condition; et dites moy, vous est il tout un? Vous n'ignores pas non plus qu'il veut que vous payes cette dette journaliere de laquelle vous m'escrives, et neanmoins ce ne vous est pas tout un.

  A013000432 

 Il faut regarder ce que Dieu veut, [20] et, le reconnoissant, il faut s'essayer de le faire gayement, ou au moins courageusement; et non seulement cela, mais il faut aymer cette volonté de Dieu et l'obligation qui s'en ensuit en nous, fust ce de garder les pourceaux toute nostre vie et de faire les choses les plus abjectes du monde; car, en quelle saulse que Dieu nous mette, ce nous doit estre tout un.

  A013000433 

 Entre ceux qui sont ou courroucés ou mescontens, il y en a qui tesmoignent leurs desplaysirs seulement en disant: Mon Dieu, que sera cecy? et les autres disent des paroles plus cuisantes et qui ne tesmoignent pas seulement un simple mescontentement, mais une certaine fierté et despit.

  A013000433 

 Mais, courage, je vous supplie; accoustumés petit a petit vostre volonté a suivre celle de Dieu ou qu'elle vous mene; faites qu'elle se sente fort piquee quand vostre conscience luy dira: Dieu le veut; et petit a petit, ces repugnances que vous sentes si fortes, s'affoibliront et bien tost apres cesseront du tout.

  A013000433 

 Mais, particulierement vous deves combattre pour empescher les demonstrations exterieures de la repugnance interieure que vous aves, ou au moins les rendre plus douces.

  A013000434 

 Mais, Madame, il faut que je confesse la verité: je crains perpetuellement, en ces desirs qui ne sont pas de l'essence de nostre salut et perfection, qu'il ne s'y mesle quelque suggestion de l'amour propre et de nostre propre volonté; comme, par exemple, que nous nous amusions tant a ces desirs qui ne nous sont pas necessaires, que nous ne laissions pas asses de place en nostre esprit pour les desirs, qui nous sont plus requis et plus utiles, de nostre propre humilité, resignation, douceur de cœur et semblables; ou bien, que [21] nous ayons tant d'ardeur en ces desirs, qu'ilz nous apportent de l'inquietude et de l'empressement, et en fin, que nous ne les sousmettions pas si parfaittement au vouloir de Dieu qu'il seroit expedient..

  A013000434 

 Quant au desir que vous aves de voir les vostres fort advancés au service de Dieu et desir de la perfection chrestienne, je le loue infiniment, et comme vous souhaittes, j'adjousteray mes foibles prieres aux supplications que vous en faites a Dieu.

  A013000435 

 Je crains semblables choses en telz desirs; c'est pourquoy je vous supplie de bien prendre garde a vous pour ne point tomber en ces inconveniens, comme aussi de poursuivre ce desir doucement et souëfvement, c'est a dire, sans pour cela importuner ceux ausquelz vous desires de persuader cette perfection, ni mesme descouvrir vostre desir, car croyes moy, que cela reculeroit l'affaire au lieu de l'avancer.

  A013000444 

 O tribulation, que vous series desirable si on voyoit aussi bien vos roses que l'on void vos espines! Mon Dieu, ma Fille, que j'ayme vostre mauvaise jambe, car je sçai bien qu'elle vous portera plus au Ciel que la bonne; [22] jambe qui n'est pas une jambe, c'est un'aisle pour vous faire voler en l'air de la vie spirituelle.

  A013000444 

 Que le lict de vostre douleur est bien meilleur que le lict des delices, el que je l'honnore du fons de mon ame! Il me sera advis, en l'imagination [que] j'en feray souvent, de vous voir presser cette croix sur vostre cœur, et dire au [Sauveur crucifié,] comme saint Pierre: [Hé, Seigneur, ] non seulement les jambes, mais ....

  A013000456 

 J'admire que le paquet de lettres que j'ay envoyé avant ce caresme prenant au sieur de Maillen pour vous rendre, soit encor en chemin, ne pouvant croire qu'il soit perdu; j'escrivis a presque tous mes amis..

  A013000457 

 Hors de la, despuis la Quasimodo jusques a la Pentecoste, je ne voy rien devant mes yeux qui me puisse destourner de la consolation que je prendray au bien de vostre presence, si vous prenes la peyne de venir jusques a la mayson de ma mere, ou j'auray plus de commodité de vous entretenir sur tout ce qu'il vous plaira.

  A013000457 

 Je vous voy si ferme au dessein de venir a Saint Claude que je ne puis plus vous dire autre chose, sinon que despuis le 24 d'avril jusques au 3 de may je seray empesché aux affaires du Synode de ce diocese.

  A013000457 

 Ma pauvre mere auroit bien du desir d'aller a l'adoration de la sainte Hostie; mais, sans mentir, je ne pense pas que ses affaires ni sa santé le luy permettent.

  A013000458 

 Je ne sçaurois jamais vous oublier en ces foibles prieres que je fay, estant par tant de raysons, d'une affection filiale, Madamoyselle,.

  A013000471 

 Despuis encor vous ay-je escrit, mais parmi la presse d'un monde d'affaires qui m'empescherent de vous beaucoup entretenir, comme j'eusse beaucoup desiré de faire, ne me manquant jamais le sujet, pour l'extreme contentement que j'y prens..

  A013000471 

 Il n'y [25] a point de meilleur tiltre que celuy la en tout le monde.

  A013000471 

 Mon mal aussi fut peu de chose, s'il me semble; mais les medecins, qui croyoyent que j'estois empoisonné, donnerent tant de crainte a ceux qui m'ayment, qu'il leur estoit advis que je leur eschappois des mains.

  A013000471 

 Tout au sortir du lict je vous escrivis, et m'asseure que vous aves la lettre.

  A013000471 

 Vous aures des-ja sceu toutes les nouvelles de ma guerison, laquelle est si entiere que j'ay presché le Caresme tout entierement.

  A013000471 

 Voyci le grand mot qui me rend si absolument vostre: c'est que Dieu le veut, et je n'en doute nullement.

  A013000472 

 Voyla le chemin du Ciel le plus asseuré et le plus royal; et, a ce que j'entens, vous estes pour y demeurer quelque tems, puisque, a ce que m'escrit nostre bon pere, vous estes encor es mains des medecins et chirurgiens.

  A013000473 

 Considerés que la couronne de l'espouse ne doit pas estre plus douce que celle de l'Espoux, et que si on l'a tellement descharné qu'on ayt peu conter tous ses os, il est bien raysonnable qu'on en voye l'un des vostres.

  A013000473 

 Courage, ma chere Seur, ma bonne Fille; voyés vostre Espoux, vostre Roy, comme il est couronné d'espines [26] et tout deschiré sur la croix, en sorte que l'on pouvoit conter tous ses os.

  A013000473 

 Mon Dieu, que vous seres eternellement heureuse si vous souffres pour Dieu ce peu de maux qu'il vous envoye!.

  A013000474 

 C'est un des grans proffitz de l'affliction que de nous faire voir le fond de nostre neantise et faire sortir [27] au dessus la crasse de nos mauvaises inclinations.

  A013000474 

 Et pourquoy, je vous prie, plustost la qu'ailleurs, sinon parce qu'ailleurs elles demeurent dedans l'ame et la elles sortent dehors? L'agitation de la mer esmeut tellement toutes les humeurs, que ceux qui entrent sur icelle pensans n'en avoir point, ayant un peu vogué, connoissent bien qu'ilz en sont pleins, par les convulsions et vomissemens que ce bransle desreglé leur excite.

  A013000474 

 Mais quoy, pour cela se faut il troubler, ma chere Fille? Non, sans doute; c'est lhors qu'il faut esmonder et espurer davantage nostre esprit, et se servir avec plus de force de la confession que jamais..

  A013000474 

 Que penses-vous que soit le lict de la tribulation? Ce n'est autre chose que l'eschole de l'humilité: nous y apprenons nos miseres et foiblesses, et combien nous sommes vains, sensibles et infirmes.

  A013000474 

 Vous ne vous abuseres point, en vous imaginant que je suis pres de vous en ces tribulations; je le suis aussi de cœur et d'affection, et prononce souvent devant vostre Espoux vos souffrances et travaux et en sens une grande consolation.

  A013000475 

 Se faut il laisser emporter au courant et a la tourmente? Laissés enrager l'ennemy a la porte: qu'il heurte, qu'il bucque, qu'il crie, qu'il hurle et face du pis qu'il pourra; nous sommes asseurés qu'il ne sçauroit entrer en nostre ame que par la porte de nostre consentement.

  A013000476 

 C'est par inspiration divine que vous m'interroges de la paix de l'ame et de l'humilité ensemblement; car c'est bien la verité que l'une ne peut estre sans l'autre..

  A013000476 

 Vous me demandés que je vous envoye quelque chose touchant la paix de l'ame et l'humilité: je le ferois volontier, ma tres chere Fille, mais je ne sçay si je le sçauray faire en si peu de loysir comme j'ay a vous rescrire.

  A013000477 

 Pourquoy tout cela? Parce, sans doute, que nous aymons nos consolations, nos ayses, nos commodités.

  A013000477 

 Rien ne nous trouble que l'amour propre et l'estime que nous faysons de nous mesmes.

  A013000478 

 C'est la l'autre source de nostre inquietude: nous ne voulons que des consolations, et nous estonnons de reconnoistre et toucher au doigt nostre misere, nostre neant et nostre imbecillité..

  A013000478 

 L'amour propre est donques l'une des sources de nos inquietudes; l'autre c'est l'estime que nous faysons de nous mesme.

  A013000478 

 Que si nous sçavions bien qui nous sommes, en lieu d'estre esbahis de nous voir a terre, nous nous estonnerions comment nous pouvons demeurer debout.

  A013000478 

 Que veut dire que s'il nous arrive quelque imperfection ou peché nous sommes estonnés, troublés et impatiens? Sans doute, c'est que nous pensions estre quelque chose de bon, resolu et solide; et partant, quand nous voyons par effect qu'il n'en est rien et nous avons donné du nez en terre, nous sommes trompés, et par consequent troublés, offensés et inquietés.

  A013000479 

 Et sachés, ma chere Fille, que Nostre Seigneur est appellé Prince de paix en l'Escriture, et que partant, par tout ou il est maistre absolu, il tient tout en paix.

  A013000479 

 Faysons troys choses, ma tres chere Fille, et nous aurons la paix: ayons une intention bien pure de vouloir en toutes choses l'honneur de Dieu et sa gloire, faysons le peu que nous pourrons pour cette fin la, selon l'advis de nostre pere spirituel, et laissons a Dieu tout le soin du reste.

  A013000479 

 Qui a Dieu pour object de ses intentions et qui fait ce qu'il peut, pourquoy se tourmente il? pourquoy se trouble il? qu'a il a craindre? Non, non, Dieu n'est pas si terrible a ceux qu'il ayme; il se contente de peu, car il sçait bien que nous n'avons pas beaucoup.

  A013000480 

 C'est bien estre Prince de paix que d'estre en paix parmi la guerre et vivre en douceur parmi les amertumes..

  A013000480 

 Or, quand Nostre Seigneur nous separe de ces passions si mignonnes et cheries, il semble qu'il escorche le cœur tout vif et l'on en a des sentimens tres aigres; on ne [29] peut presque qu'on ne desbatte de toute l'ame, parce que cette separation est sensible.

  A013000481 

 De ceci je desire que vous tiries ces resolutions.

  A013000481 

 La premiere, c'est que bien souvent nous estimons avoir perdu la paix par ce que nous sommes en amertume, et neanmoins nous ne l'avons pas perdue pourtant; ce que nous connoissons, si pour l'amertume nous ne laissons pas de renoncer a nous mesme et vouloir du tout dependre du bon playsir de Dieu, et nous ne laissons pas pour cela d'executer la charge en laquelle nous sommes.

  A013000481 

 La seconde, c'est qu'il est force que nous souffrions de l'ennuy interieur quand Dieu arrache la derniere peau du viel homme pour le renouveller en l'homme nouveau qui est creé selon Dieu; et partant nous ne devons nullement nous troubler de cela, ni estimer que nous soyons en la disgrace de Nostre Seigneur.

  A013000481 

 La troysiesme, c'est que toutes les pensees qui nous rendent de l'inquietude et agitation d'esprit ne sont nullement de Dieu, qui est Prince de paix; ce sont donq des tentations de l'ennemy, et partant il les faut rejetter et n'en tenir conte..

  A013000482 

 Faut-il fuir le mal, il faut que ce soit paysiblement, sans [30] nous troubler; car autrement, en fuyant nous pourrions tomber et donner loysir a l'ennemy de nous tuer.

  A013000482 

 Voyci, disoit ce Penitent, que ma très amere amertume est en paix..

  A013000483 

 Lisés, ma bonne Fille, le chapitre quinziesme, seiziesme et dix septiesme du Combat spirituel et l'adjoustés a ce que j'ay dit; et pour le present cela suffira.

  A013000483 

 Si j'avois icy mes papiers, je vous envoyerois un traitté que je fis a Paris pour ce sujet en faveur d'une fille spirituelle et Religieuse d'un digne monastere, qui en avoit besoin et pour soy et pour les autres.

  A013000484 

 Et quant a l'exterieur, j'appreuverois que tous les jours vous fissies [31] quelque acte d'humilité, ou de paroles ou d'effect; j'entens de paroles qui sortent du cœur.

  A013000484 

 L'humilité fait que nous ne nous troublons de nos imperfections, nous resouvenans de celles d'autruy; car pourquoy serions nous plus parfaitz que les autres? et, tout de mesme, que nous ne nous troublons point de celles d'autruy, nous resouvenans des nostres; car pourquoy treuverons nous estrange que les autres ayent des imperfections, puisque nous en avons bien? L'humilité rend nostre cœur doux a l'endroit des parfaitz et imparfaitz: a l'endroit de ceux la par reverence, a l'endroit de ceux ci par compassion.

  A013000484 

 L'humilité nous fait recevoir les peynes doucement, sçachant que nous les meritons, et les biens avec reverence, sçachant que nous ne les meritons pas.

  A013000484 

 Lisés bien ce que la Mere Therese en dit au Chemin de Perfection.

  A013000484 

 Quant a l'humilité, je n'en veux guere dire, ains seulement que vostre chere seur de [Chantal] vous communique ce que je luy en ay escrit.

  A013000485 

 Mais je sçai bien que la, dessus le lict, vous jettes mille fois le jour vostre cœur es mains de Dieu, et c'est asses.

  A013000485 

 Ne vous fasches pas de demeurer au lict sans meditation; car endurer les verges de Nostre Seigneur n'est pas un moindre bien que mediter.

  A013000485 

 Non, sans doute, car il est mieux d'estre sur la croix avec Nostre Seigneur, que de la regarder seulement.

  A013000485 

 Obeysses bien aux medecins, et quand ilz vous defendront quelque exercice, ou de jeusne, ou d'orayson mentale, vocale, ou mesme l'Office, horsmis la jaculatoire, je vous prie tant que je puis, et par le respect et par l'amour que vous me voules porter, d'estre fort obeissante, car Dieu l'a ainsy ordonné.

  A013000485 

 Quand vous seres guerie et bien fortifiee reprenes tout bellement vostre chemin et vous verres que nous irons bien loin, Dieu aydant; car nous irons ou le monde ne peut atteindre, hors ses limites et confins..

  A013000486 

 Croyés que je le verrois de bon œil, car je l'ayme tendrement, et me semble qu'il est bon, puisqu'il est voué a Nostre Seigneur.

  A013000486 

 Croyés, je vous supplie, que je n'ay rien plus a cœur que vostre advancement devant Dieu; et si mon sang y estoit utile, vous verries bien en quel rang je vous tiens.

  A013000486 

 Je laisse a part l'extreme confiance que vous aves en moy, qui m'oblige a un extreme zele a vostre bien.

  A013000486 

 Ma chere Fille, vous m'escrives que vous estes par tout la cadette; mays vous vous trompés, les fruitz que j'espere de vous estans plus grans que de nulle autre.

  A013000487 

 Mays avec cela, je vous prie de faire en sorte que cet autre bon Pere qui a desiré de vous ayder ne puisse pas reconnoistre que vous ne le goustes pas, par ce qu'a l'advenir il sera utile pour estre employé a l'œuvre que vous et moy desirons, pour obtenir quelque chose du Saint Pere..

  A013000488 

 Et ne faut nullement donner aucune alarme de rien qui se passe, affin que les benedictions du Ciel viennent en nostre terre comme la rosee sur l'herbe, que l'on voit descendue avant que de s'en appercevoir; et ainsy faut-il conduire imperceptiblement tout vostre dessein jusques au comble de sa perfection.

  A013000488 

 Mais que ce mot icy ne vous eschauffe point, car il faut sur tout aller bellement et pied a pied; l'edifice en sera plus ferme.

  A013000489 

 Quant a cet autre bon Pere, j'appreuve que vous l'oyes et l'escouties, et qu'encores vous vous prevalies de ses conseilz en les executant; mais non en ce qu'ilz se treuveront contraires aux projetz que nous avons faitz de suivre en tout et par tout l'esprit de suavité et de douceur, et de penser plus a l'interieur des ames qu'a l'exterieur.

  A013000490 

 Non, ma chere Fille, je n'ay jamais creu qu'il fust a propos que les Religieuses eussent aucune chose en particulier, tant qu'il sera possible; mays je peux avoir dit que, tant que les Superieures le permettent, les particulieres peuvent user de cette liberté la, avec preparation d'esprit de tout quitter et mettre en commun quand les Superieures l'ordonneront.

  A013000491 

 C'est une de ses grandes passions et des miennes: Dieu veuille que ce soit avec autant de vostre contentement..

  A013000492 

 Et pourquoy dis je ceci? Parce qu'il me semble que vous aves quelque apprehension de m'offencer.

  A013000492 

 Vivés, je vous supplie, avec moy, en toute asseurance, et croyés que je ne desire rien tant que de vous voir avec un esprit tout plein de charité, laquelle est toute franche et saintement libre.

  A013000493 

 J'escris a celle de vos filles que vous desires, le plus proprement que j'ay sceu pour son mal.

  A013000493 

 Oh que nostre saint Bernard dit divinement bien que l'office de la charge des ames ne regarde pas les ames fortes, car celles la vont a leur propre pied; mays il regarde les ames foibles et languissantes, lesquelles il faut porter et supporter sur les espaules de la charité, laquelle est toute puissante.

  A013000494 

 Je le supplie qu'il vous preserve des vaines tristesses et inquietudes, et qu'il se repose en vostre cœur, affin que vostre cœur se repose en luy.

  A013000504 

 Mais je ne voudrois pas aussi qu'elle laissast pour cela de se prevaloir des bons advis et [35] conseilz qu'elle peut recevoir d'ailleurs, et particulierement du bon Pere de Saint Benigne, duquel vous m'escrives, et moy a elle, pour luy en declarer mon opinion telle que je vous dis..

  A013000504 

 Que vous m'obliges a vous rendre une vraye et entiere obeissance filiale par la faveur qu'il vous plaist me faire en m'escrivant si souvent et de vostre santé et de l'estat des affaires de madame l'Abbesse, ma tres chere Seur! Rien sans doute ne me peut donner plus de consolation que de me voir vivre en vostre souvenance et bonne grace, et de vous estre aggreable au desir que j'ay de servir cette Seur en tous ses vertueux desseins, pour la poursuitte desquelz j'appreuve bien qu'elle ne change pas le chemin que je luy ay proposé, qu'avec beaucoup de consideration.

  A013000505 

 Mais comment me pourrois je jamais lasser de souhaitter graces et des benedictions abondantes a cette chere Seur et a toute sa Mayson, la voyant si desireuse de mon bien que, pour seulement sçavoir de ma santé, elle m'a envoyé un expres? Avec cette occasion, je luy ay escrit le plus amplement que j'ay peu pour la consoler, sachant bien que le bon portement de son cors depend beaucoup de celuy de son ame, et celuy de son ame, des consolations spirituelles.

  A013000506 

 Au demeurant, Monsieur mon tres honnoré Pere, j'ay une jeune seur que je desirerois mettre aupres de cette aisnee et plus chere en son Monastere, non pour estre Religieuse, si Dieu ne luy en donne l'inspiration, mais seulement pour avoir cet honneur d'estre aupres d'elle et d'apprendre la vertu en une si bonne compaignie.

  A013000506 

 C'est la une de mes ambitions, mays de laquelle je sousmetz l'execution a vostre commandement, n'en voulant que ce qu'il vous plaira de m'en permettre.

  A013000506 

 Que s'il vous plaist m'en donner la permission, ce sera, Dieu aydant, sans que la Mayson en reçoive aucune charge; madame l'Abbesse seule en sera importunee de seulement supporter [36] l'incommodité de voir aupres de soy une inutile et maussade fille et servante..

  A013000507 

 Croyés, je vous supplie, que c'est pour la totale confiance que j'ay d'estre en vostre ame ce que je suis en la mienne; c'est,.

  A013000511 

 Monsieur mon Pere, permettes moy de presenter icy mon tres humble service et obeissance a madame ma mere, que je supplie de me continuer en l'honneur de sa maternelle bienveuillance..

  A013000520 

 Je vous ay jusques a present respondu de point en point a tout ce que vous m'aves demandé, et je sçai que vous aves maintenant mes lettres en main.

  A013000521 

 Il me reste a vous dire que j'ay escrit si amplement a madame l'Abbesse vostre bonne seur, que j'espere qu'elle en sera consolee.

  A013000521 

 Il me semble qu'elle a un petit trop de crainte que je ne m'offence si elle communique son interieur a quelque autre; et la verité est que quicomque veut proffiter il ne faut pas l'aller espanchant ça et la indistinctement, ni changer a toute apparence de methode et façon de vivre; mais aussi doit on vivre avec une honneste liberté, et, quand il est requis, il ne faut faire nulle difficulté d'apprendre d'un chacun et de se prevaloir des dons que Dieu met en plusieurs.

  A013000521 

 Je le vous dis aussi, affin que vous me reconnoissies fort et que vous allies a vostre ayse, tant qu'il se peut, en la voye de la sainte perfection..

  A013000521 

 Je ne desire rien tant, que de voir en elle un cœur estendu et sans aucune contrainte au service de Dieu.

  A013000521 

 Je sçai que sa santé corporelle depend en bonne partie de la consolation spirituelle.

  A013000522 

 Pour vous, ma chere Seur, je vous ay des-ja dit en une autre lettre que non seulement j'appreuvois le choix que vous avies fait d'iceluy pour estre vostre confesseur, mais que je m'en consolois; et vous disois que vous pourres apprendre de luy ce qui sera convenable touchant les aumosnes et autres charités que vous voules et deves faire.

  A013000522 

 Vous feres bien aussi de luy obeir en tout le reste de vostre conduitte interieure et spirituelle, sans que pourtant je me veuille exempter de contribuer tout ce que Dieu me donnera de lumiere et de force, car il ne me seroit pas possible de desfaire la sainte liayson que Dieu a mis entre nous..

  A013000523 

 Affermissés tous les jours de plus en plus la resolution que vous aves prise avec tant d'affection de servir Dieu selon son bon playsir et d'estre tout entierement sienne, sans vous rien reserver pour vous ni pour le monde.

  A013000523 

 Embrassés avec sincerité ses saintes volontés, quelles [38] qu'elles soyent, et ne pensés jamais avoir atteint a la pureté de cœur que vous luy deves donner, jusques a ce que vostre volonté soit non seulement du tout, mais en tout, et mesme es choses plus repugnantes, librement et gayement sousmise a la sienne tres sainte; regardant a ces fins, non le visage des choses que vous feres, mais Celuy qui vous les commande, qui tire sa gloire et nostre perfection des choses les plus imparfaittes et chetifves, quand il luy plaist..

  A013000539 

 Le jour sera le samedi suivant l'Ascension, affin que je vous puisse donner les quatre ou cinq jours suivans francs et libres, avant que la feste de Pentecoste arrive, en laquelle il faut necessairement que je vienne icy a Neci pour faire l'Office et mon devoir.

  A013000539 

 Le lieu que je vous marqueray, c'est chez ma mere a Thorens, par ce qu'en cette ville je ne sçaurois promettre un seul moment de mon tems.

  A013000539 

 Puysque vous estes resolue de me revoir entre ci et [39] Pentecoste et que vous en esperes tant de fruit, venes au nom de Dieu, et pour une bonne fois.

  A013000540 

 Je dis cela en cas que le sujet mesme de la retardation de vostre voyage ne meritast pas de soy mesme de m'en advertir; mais pour cela faites comme vous jugeres, ou pour m'advertir ou pour ne point m'advertir..

  A013000540 

 Sil vous arrivoit quelqu'incommodité pour laquelle il falust differer vostre venue, vous n'aures pas pour cela besoin de m'advertir par homme expres, mais seulement par la premiere commodité, puisque, passé ce tems-la, je seray a la visite et ne m'arresteray nulle part jusques a Nostre Dame de septembre que je seray icy quinze jours seulement: si que, entre ci et la, vous auries asses de loysir de m'advertir.

  A013000541 

 Je vous dirois bien que vous præparassies une grande, mais je dis une tres grande et absolue confiance en la misericorde de Dieu premierement, puis en mon affection, mais je sçai que de cela la provision est toute faitte..

  A013000541 

 Præpares bien tout ce qui sera requis pour rendre ce voyage fructueux, et tel que cett'entrevëue puisse suffire pour plusieurs annees.

  A013000542 

 En ce qui regarde les ennuys des tentations de la foy ne vous y amuses pas, mais attendes que vous soyes icy, car ce sera bien asses tost.

  A013000542 

 Le plus que vous pourres apporter d'abnegation ou indifference de vostre propre volonté, c'est a dire de desir et resolution de bien obeir aux inspirations et instructions que Dieu vous donnera, quelles qu'elles soyent, ce sera le mieux, car Nostre Seigneur agit es ames qui sont purement siennes et non præoccupees d'affections et de propres volontés.

  A013000542 

 Ne partes pas sans le congé de vostre confesseur; je veux croire que vous luy en aves communiqué vos deliberations avant que d'en resoudre..

  A013000542 

 Sil vous semble qu'a mesure que vostre souvenance et consideration vous suggereront quelque chose, il vous soit utile de le marquer avec la plume, je l'appreuverois fort.

  A013000543 

 Au demeurant, il faut que je vous supplie de me faire un bien.

  A013000543 

 C'est pourquoy je desire quil vous playse de m'apporter asseurance de tout ce quil sera requis de faire a cette intention, sans que madame l'Abbesse le sache, affin que tout aille comm'il faut et que ma seur aye ce bien de [vous accompagner a ] vostre retour.

  A013000543 

 Ma mere desire infiniment d'envoyer ma jeune seur au Puy d'Orbe, affin de la despayser et de luy faire prendre le goust de la devotion; mais elle ne voudroit nullement que ni madame l'Abbesse ni sa Mayson en recrut aucune incommodité que celle du soin de ses meurs.

  A013000543 

 Voyla de la peyne que je vous donne, mais c'est encor pour un office de charité..

  A013000547 

 De Saint Claude a Gex il ni a que six lieues, et de Gex a Thorens, sept.

  A013000547 

 Je vous attendray plus tost la veille de l'Ascension que le samedi suivant..

  A013000548 

 Je vous invitois a la veille de l'Ascension, mais comme je fermois la lettre, des Peres Chartreux me sont venuz conjurer d'aller en un monastere voysin consacrer des filles; si que le jour auquel je vous attendrey sera le samedi suivant.

  A013000559 

 C'est que les parroisses d'Armoy, Reyvre, Draillans, Tonnay sont entierement desprouveües de pasteurs, n'ayant autre assistence que d'une Visitation toutes les semaynes, que les plus voysins curés y font.

  A013000559 

 Or, Monsieur, il n'est possible que de cette privation de gens d'Eglise, il n'arrive beaucoup d'inconveniens, et seroit bien plus raysonnable [43] que messieurs les Chevaliers de Saint Maurice fussent sans biens ecclesiastiques que non pas que les peuples fussent destituëes (sic) de l'office requis a leur salut..

  A013000560 

 Ilz n'ont plus aucun sujet de se plaindre de l'excessiveté des portions, puisque, Monsieur, elles ont esté reduites en vostre præsence a la plus moderee quantité qu'elles pouvoyent avoir; il ne reste donques que d'accomplir ce qui fut arresté..

  A013000561 

 Il sera requis que tout de mesme, sur chacun d'iceux, on prenne des portions congrues pour les curés, affin que le service pour lequel les biens furent mis en l'Eglise, ne soit pas du tout delaissé; et si en ce commencement cela ne se fait, il sera par apres malaysé de le faire, d'autant que la douceur de la possession rendra les commendeurs difficiles a lascher..

  A013000563 

 Je ne sçai, Monsieur, si je doy plus rien esperer pour le college de cette ville, qui a tant besoin des Peres Jesuites, mays je sçai bien que n'en puis rien esperer [44] que par l'assistence de vostre charité, la grandeur delaquelle me promet qu'elle me pardonnera si je vous donne tant et si souvent de l'importunité..

  A013000577 

 Si je pouvois me remuer aussi aysement que luy, j'y fusse allé moy mesme.

  A013000590 

 La mere, au contraire, les esleve, par ce que c'est sur ceux de son Poupon.

  A013000590 

 Les vierges ne levent les yeux que pour voir ceux de leur Espoux, et les vefves les baissent, si ce n'est pour avoir le mesme honneur..

  A013000590 

 Voyla, ma Fille, l'image que je vous envoye: elle est de vostre sainte Abbesse, pendant qu'elle estoit encor au monastere des mariees, et de sa bonne mere, laquelle estoit venue du convent des vefves pour la visiter.

  A013000591 

 Je pense que ce sont les actions de sainteté des vertus humbles et basses, qu'elle veut donner a son mignon tout aussi tost qu'elle l'aura entre ses bras..

  A013000592 

 Au demeurant, vous voyés que le doux Jesus se panche et tourne du costé de sa mere grand, toute vefve qu'elle est, et mal coiffee et simplement vestue.

  A013000593 

 Hé, que je le desire, ma Fille! Ce souhait est respandu tout par tout en mon ame, ou il residera eternellement..

  A013000604 

 C'est sans doute que, de droit ordinaire, la benediction des cloches, come (sic) de toutes autres choses qui sont beneistes avec le cresme, ne peut estre faite que par l'Evesque, ou soit que telle benediction procede de l'Ordre episcopal, ou, come je crois plustost, qu'elle soit reservee pour la dignité.

  A013000604 

 Neantmoins, par tout deça les monts, ou les dioceses sont extremement grandes et embroulliees, la coustume porte que les Evesques puissent deputer digniorem sacerdotem; com'il est expressement declairé in Institutione Parrochorum Petri de Villars, Metropolitani nostri, a l'authorité duquel [48] je m'arreste non seulement par ce qu'il est nostre superieur, mais par ce quil est tres-docte et grand personnage.

  A013000609 

 Il y a quinze jours quil se tint une conference a Dijon entre un Pere Jesuiste et l'un des plus habiles ministres [49] qui soit en France, ou le Jesuiste feit si excellemment, que le ministre, ne pouvant supporter les efforts du combat, demeurast pasmé sur la place, avec une tres-grande confusion..

  A013000624 

 J'oubliay de vous dire, ma chere Fille, que si les oraysons de saint Jan, de saint François et les autres que vous dites, vous donnent plus de goust en françois, je suis bien content que vous les recities comme cela.

  A013000625 

 Je veux que nous les appellions jours de nostre dedicace, puisqu'en iceux vous aves si entierement dedié vostre esprit a Dieu..

  A013000625 

 Je veux, ma Fille, que nous celebrions toutes les annees les jours anniversaires de ceux ci, par l'addition de quelques particuliers exercices a ceux qui nous sont ordinaires.

  A013000625 

 O que mon ame est satisfaitte de l'exercice de penitence que nous avons fait ces jours passés, jours heureux, et acceptables, et memorables! Jobdesire que le jour de sa naissance perisse et que jamais il n'en soit memoire; mais moy, ma Fille, je souhaitte, au contraire, que ces jours esquelz Dieu vous a faitte toute sienne, vivent a jamais en vostre esprit et que la souvenance en soit perpetuelle.

  A013000625 

 Ouy da, ma Fille, ce sont des jours desquelz le souvenir nous sera eternellement aggreable et doux sans doute, pourveu que nos resolutions, prises avec tant de force et de courage, demeurent closes et a couvert sous le precieux sceau que j'y ay mis de ma main.

  A013000626 

 Observés bien la regie, et croyés, mais croyés-le bien, que le Filz de madame vostre Abbesse sera tout vostre..

  A013000626 

 Que rien ne vous trouble ci apres, ma Fille; dites avec [51] saint Paul: Au demeurant, que nul ne me fasche, car je suis stigmatisé des playes de mon Maistre; c'est a dire, je suis sa servante, voüee, dediee, sacrifiee.

  A013000627 

 Nourrissés tant qu'il sera possible beaucoup d'union entre vous et mes dames du Puy d'Orbe et Brulart, car il me semble que cela leur sera profitable..

  A013000628 

 Non, il ne sera jamais possible que chose aucune me separe de vostre ame; le lien est trop fort.

  A013000628 

 Vous connoistres asses, a voir que je vous escris a tout propos, que je vous vay suyvant en esprit, et il est vray.

  A013000629 

 Et donq, ma chere Fille, reposes vous en cette Providence paternelle, resignes vous du tout en icelle; et cependant, tant que je pourray, je m'espargneray pour vous tenir parole, affin que, moyennant la grace celeste, je vous serve longuement.

  A013000629 

 Mon Dieu, ne craignés point que la providence de Dieu vous defaille; non, s'il estoit besoin, il envoyeroit plustost un Ange pour vous conduire que de vous laisser sans guide, puisqu'avec tant de courage et de resolution vous voules obeir.

  A013000638 

 Je le beniray toute ma vie des graces qu'il vous a preparees: preparés-luy aussi de vostre costé des grandes resignations en contreschange, et portés vaillamment vostre cœur a l'execution des choses que vous sçaves qu'il veut de vous, malgré toutes sortes de contradictions qui se pourroyent opposer a cela..

  A013000638 

 Me voyci a vous escrire et ne sçai quoy, sinon que vous allies tous-jours gayement en ce chemin celeste auquel Dieu vous a mise.

  A013000639 

 Ne regardés nullement a la substance des choses que vous feres, mais a l'honneur qu'elles ont, toutes chetifves qu'elles sont, d'estre voulues de sa volonté divine, ordonnees par sa providence, disposees par sa sagesse.

  A013000639 

 Or, cette pureté consiste a priser toutes choses et les peser au poidz du sanctuaire, lequel n'est autre chose que la volonté de Dieu..

  A013000640 

 N'aymés rien trop, je vous supplie, non pas mesme les vertus, que l'on perd quelquefois en les outrepassant.

  A013000640 

 On se mocqua du peintre qui, voulant peindre un cheval, fit un taureau excellemment bien fait: l'ouvrage estoit beau en soy, mais peu honnorable a l'ouvrier, qui avoit autre dessein et n'avoit bien fait que par hasard.

  A013000640 

 Soyons ce que Dieu veut, pourveu que nous soyons siens, et ne soyons pas ce que nous voulons contre son intention; car, quand nous serions les plus excellentes creatures du Ciel, dequoy nous serviroit cela, si nous ne sommes pas au gré de la volonté de Dieu? Je redis a l'adventure trop cela, mais je ne le diray plus si souvent, puisque mesme Nostre Seigneur vous a des-ja beaucoup fortifiee en cet endroit..

  A013000640 

 Soyons ce que nous sommes, et soyons le bien, pour faire honneur au Maistre ouvrier duquel [53] nous sommes la besoigne.

  A013000654 

 Il ne faut plus que nos inclinations naturelles maistrisent nostr'ame; il faut que ce soit la lumiere superieure, et que, partant, encor que naturellement nous ayons de la peyne a nous communiquer, la rayson neanmoins et la connoissance du devoir nous emporte a toutes les executions des choses aggreables a Dieu, entre lesquelles, celleci de descouvrir sa conscience quand et a qui il est requis, est une des plus principales.

  A013000654 

 Je me contente infiniment de ce que vous m'escrives que, non obstant toutes difficultés, en fin en fin vous passiés outre.

  A013000654 

 Or, ma Fille, ni a-il pas moyen de dissoudre petit a petit ces difficultés? Il le faut sans doute, et procurer d'avoir une vraye simplicité chrestienne, delaquelle le principal effect consiste a naifvement se declairer en confession, et bien plus encores; car je ne doute point qu'un jour Dieu vous fera la grace d'estre si humble que vous desireres que non seulement vos peres spirituelz, mais les autres aussi sachent toutes vos imperfections.

  A013000654 

 Vous m'escrivies n'a gueres que vous esties tous-jours pleyne de difficultés pour la confession.

  A013000655 

 Que [55] sil luy plait prendre la peyne de vous voir quelquefois, ce vous sera tous-jours tant plus de bien.

  A013000655 

 Que s'il se treuvoit quelque disparité d'opinion entre luy et monsieur Viardot, vous ne mescontenteres ni l'un ni l'autre en vous en rapportant a moy, auquel l'un et l'autre sçavent bien que vous aves speciale confiance.

  A013000655 

 Si faut il pourtant faire en sorte que le bon Pere Recteur n'aye pas sujet de s'estimer mesprisé; car encor quil le supporteroit charitablement, cela neanmoins ne seroit pas honneste.

  A013000655 

 Voyes bien et considerés si vous pourres vous bien ranger a luy donner de la confiance, et escrivés moy tout au plus tost vostre intention, affin que, selon cela, je luy en puisse derechef escrire et luy dire encor plus amplement mon opinion touchant vostre conduite, a laquelle je ne puis cesser de penser et soigner jour et nuit.

  A013000656 

 Nostre seur de Chantal me dit quelque chose de certaines craintes et ombres qui se presentent quelquefois a vous en vos prieres; et je luy dis que vous ne deviés pas seulement arrester un seul moment vostre esprit a considerer si cela estoit ou non, ni que cela peut estre ou que c'est; car je vous asseure, ma chere Seur, que cela n'est rien du tout, sinon une divagation d'imaginative que l'apprehension de la solitude, ou l'ennuy et difficulté de ces commencemens engendre en vostre esprit.

  A013000656 

 Tenes donq ferme, car ce n'est rien; et quand cela vous arrivera, ne vous amuses ni peu ni prou a penser et philosopher la dessus, mais tenes vous pour tout asseuree que Dieu est avec vous, et divertisses soudainement vostre pensee a quelqu'autr'object, comme seroit a Jesuschrist qui vous regarde des le Ciel et a sa sainte Mere..

  A013000657 

 Et voyla tout ce que j'en dis, sinon que je vous supplie de la bien humilier.

  A013000658 

 Pour moy, ma chere Seur, croyes fermement que mon ame, toute telle qu'ell'est, est toute vostre.

  A013000664 

 Faites-moy sçavoir bien au long la disposition de vos filles, que c'est que monsieur Neron aura treuvé bon de faire en vostre Mayson et, plus que tout, quell'est vostre inclination au choix d'un Pere spirituel auquel de dela vous puissies jetter vostre confiance..

  A013000678 

 Ne voyes vous pas que l'on n'esmonde point les vignes a coups de coignee, mais que l'on les coupe avec la serpe doucement et sarment apres sarment? J'ay veu telle piece de sculpture que le maistre a manié dix ans avant qu'elle fust parfaitte, et n'a jamais cessé d'en lever avec le ciseau et le burin, et petit a petit, tout ce qui empeschoit la juste proportion.

  A013000679 

 Et mon Dieu, que vous seres heureuse si au milieu du monde vous conserves Jesus Christ dedans vostre cœur! Je le supplie qu'il y veuille vivre et regner eternellement..

  A013000679 

 Je sçai que l'entreprise est grande, mais non pas tant que la recompense.

  A013000680 

 Donnés a tout moment ce cœur a nostre Sauveur, faites que ce soit le cœur de vostre cœur.

  A013000680 

 Souvenes vous de la leçon principale, laquelle il nous a laissee en trois motz, affin que nous ne l'oubliions jamais et que, cent fois le jour, nous la puissions repeter: Apprenes de moy, dit-il, que je suis doux et humble de cœur.

  A013000680 

 Vous verres qu'a mesure que ce saint et delicat Amant prendra place en vostre esprit, le monde, ses vanités et superfluités en sortiront..

  A013000681 

 C'est trop pour cette fois, et en si peu de loysir que j'ay..

  A013000682 

 Il faut seulement que je vous responde sur ce que vous me demandes, commïl faut que desormais vous m'escrivies.

  A013000682 

 Je n'ay pas autre chose a dire pour cela, sinon que vous ne deves pas mettre sur la lettre Monseigneur tout court, ni autrement; il suffit d'y mettre Monsieur, et pour cause.

  A013000682 

 Je suis homme sans ceremonie, et vous cheris et honnore de tout mon cœur pour plusieurs raysons, mais sur tout par [59] ce que j'espere que Nostre Seigneur vous veut avoir pour toute sienne.

  A013000682 

 Notés bien et vous resouvenes de ce que je vous ay dit: offrés et donnés a tout moment vostre cœur a Dieu, souspirés a luy, rendes vostre devotion aggreable, sur tout a monsieur vostre mari, et vives joyeuse d'avoir pris ce genre de vie..

  A013000700 

 Je vous escrivis la lettre precedente, sur l'asseurance que j'avois au voyage d'un Pere Cordelier, lequel n'a [60] pas reusci, et elle m'est demeuree, en attendant de jour a autre, jusques a l'arrivee de la vostre, receu (sic) par l'homme de ma mere; en response a laquelle, permettes moy, je veux dire, ayes aggreable que je vous parle en vray pere..

  A013000701 

 Ce n'est ni vostre incommodité, ni vostre pauvreté, ni toutes ces considerations que vous aves rencontrees, et sur tout ce n'est pas pour ne me point rendre vostre obligé.

  A013000701 

 L'amour que je vous porte ne pense nullement a cela; je ne sçai pas comme le vostre y va songer.

  A013000701 

 La rayson pour laquelle je voulois que la pension de ma jeune seur fut paÿee est plus grande que tout ce que vous me dites.

  A013000701 

 Non, ma Fille, je ne crain (sic) point les liens et chaisnes qui m'obligeront a vous, car le grand lien spirituel me serre si fort, que tous les autres me semblent des filetz d'araignees en comparayson.

  A013000701 

 Sans doute, j'avois la rayson pour moy; neanmoins, puisque vous vous en offencés, je cede et ne vous en parleray plus, sans qu'il soit besoin que vous employes l'authorité de monsieur nostre pere..

  A013000701 

 Sçaves vous ce que je pensois? C'est que, puisque j'avois declairé mon opinion a bon escient, j'estimois que vous y accommoderies la vostre et croiries que j'avois rayson, sans vous en enquerir davantage; mais vous n'estes pas si simple.

  A013000702 

 Nous sommes a la veille de l'entiere reformation de ce Monastere-la, et nous quitterons la besoigne! Faut-il perdre cœur sur le milieu de la victoire? Ce n'est pas [61] peu que nostre bon pere se soit accommodé a desirer la reformation; il m'en escrit, mais avec certaines reserves quil desire, dit il, pour la consolation de sa viellesse.

  A013000702 

 Que voules-vous? il faut un petit s'accommoder a luy.

  A013000702 

 Seigneur Dieu, je croyois que vous n'oseries pas seulement y penser sans mon advis, et vous me parles d'en sortir! O ma Fille, qu'est ce qui a esbranlé nos resolutions? Quelle nouvelle difficulté nous peut faire retirer de nos desseins, si proffitables a nos ames, si pleins de la gloire de Dieu? Ouy vrayment, il m'en faudra bien parler, et faudra bien que nous en parlions a Dieu avant que de le faire.

  A013000703 

 Ledit sieur Viardot m'en a esclarci, m'escrivant que, par une lettre, vous l'y avies invité, dont je suis bien ayse; et, suivant cela, je luy escris asses au long de ce que j'ay pensé propre pour vostre Mayson..

  A013000704 

 Il faut que nostre Rose espanoüisse parmi ces espines..

  A013000704 

 Je vous recommande en tout le progres de cette reformation, cette sainte douceur et charité requise; il faut que ce soit le principal instrument de toute cett'entreprise.

  A013000704 

 La patience vous est requise, par ce que vous y aures mille petitz degoustz; mais il ni a remede, c'est la gloire de Dieu.

  A013000705 

 Et pour moy, soyes asseuree que jamais creature du monde ne fut ni ne sera plus entierement vostre que moy.

  A013000705 

 Je ne pense pas que mon affection envers vous et vostre Monastere soit explicable; je sçai que si vous la voÿies vous l'admireries pour sa grandeur et sa constance..

  A013000709 

 Item, je vous avois escrit que les Dames pouvoyent, au tems de la recreation, chanter des cantiques spirituelz en françois, selon leur disposition; et je l'ay, du despuis, treuvé de mesme en la Mere Therese..

  A013000709 

 J'ay marqué en l'advis que je donne, les Heures canoniques selon que nous les disons en nostre cathedrale, hormis Matines, qui sont tous-jours dites a 9 heures du [62] soir; et toutes les mesmes Heures se sont treuvees marquees en mesme sorte es Constitutions de la Mere Therese.

  A013000720 

 Je croy que vous ny treuveres rien d'aspre; mais, Monsieur mon tres honnoré Pere, ne suis-je pas vostre tres obeissant filz? Et donques, mesnages mon honneur en ne permettant pas que le bon Pere de Saint Benine croye que je veuille surnager a son conseil, car je ne le doy pas vouloir..

  A013000721 

 Croyes, Monsieur mon Pere, que si je pouvois autant que je desire, il ne se passeroit point de six mois que je ne fuss'avec vous huit jours en cette devote Mayson; j'y suis ordinairement d'esprit et d'affection..

  A013000721 

 Mais pour ma Seur, c'est ma fille, et, avec vostre congé, je pense que nostre bon Dieu, qui m'a tant donné de cœur a son bien, me donnera de la lumiere pour le service de son esprit.

  A013000721 

 Ni pour cela veux je dire [63] que monsieur Neron ne soit tres utile a nostr'entreprise; mais je vous marque un autr'instrument bien sortable.

  A013000737 

 Je suis en ses entrailles, plus vostre que mien..

  A013000740 

 Ma mere ne sçait pas que je vous escrive.

  A013000753 

 Mais je dois, nonobstant cett'asseurance, me resouvenir moy mesme de vous supplier humblement, comme je fay, pour les necessités de nos cures de Chablaix et Gaillart, destituees de pasteurs faute de moyens, suivant ce que vous pristes la peyne d'en apprendre estant a Thonon.

  A013000754 

 Et permettes moy, Monsieur, je vous en supplie, que je vous resouvienne de ce quil vous pleut m'accorder pour mon particulier, qui est, qu'estant a Chamberi, vous me feries lhonneur de considerer, si pour n'avoir pas voulu accorder des excommunications en matiere criminelle et contre les Canons, il est raysonnable que le temporel de l'evesché ou celuy du vicaire soit saysi....

  A013000765 

 Puisque le conte que mes freres vous ont envoyé se treuve bon au fons, je vous supplie avec toute mon affection de donner ordre au payement de ce qui reste, ou par quelque bonn'assignation ou autrement.

  A013000765 

 Vous termineres par ce moyen les importunités que vous recevés de nostre sollicitation et les incommodités que nous recevons de la retardation du payement, et vous nous obligeres encor de plus fort a vostre service, sur tout moy qui, priant Nostre Seigneur pour vous, me prometz un'entiere asseurance de vostre amitié et suis, Monsieur,.

  A013000780 

 Vous me demandies comme je voulois que vous fissies a l'entreveuë de celuy qui tua monsieur vostre mary; je respons par ordre..

  A013000781 

 C'est aujourd'huy, et tout maintenant, que je vay prescher l'Evangile du pardon des offences et de l'amour des ennemis.

  A013000781 

 Il n'est pas de besoin que vous en recherchies ni le jour ni les occasions; mais s'il se presente, je veux que vous y porties vostre cœur doux, gracieux et compatissant.

  A013000781 

 Je suis passionné, quand je voy les graces que Dieu me fait, apres tant d'offences que j'ay commises..

  A013000781 

 Je sçai que sans doute, il se remuera et renversera, que vostre sang bouillonnera; mais qu'est cela? Si fit bien celuy de nostre cher Sauveur a la veuë de son Lazare mort et de sa Passion representee.

  A013000781 

 Ouy, mais que dit l'Escriture? Qu'a l'un et a l'autre il leva les yeux au ciel.

  A013000782 

 Je replique: je n'entens pas que vous recherchies le rencontre de ce pauvre homme, mais que vous soyes condescendante a ceux qui le vous voudront procurer, et que vous tesmoignies que vous aymes toutes choses.

  A013000801 

 Lorsque, en ces premiers jours de votre Pontificat, tant de personnages se sont empressés de venir déposer aux pieds de Votre [69] Sainteté l'hommage de leur vénération, je n'ai pas cru que fût permise l'ingérence de ma chétive personne.

  A013000802 

 A cette occasion, j'annonçai la très [71] consolante nouvelle que tout récemment plusieurs milliers de personnes venaient de rentrer au bercail du Christ.

  A013000802 

 Alors, Très Saint Père, vous étiez par le cardinalat, tout proche de la dignité pontificale, tandis que moi-même, en qualité de Prévôt de cette Eglise, je négociais auprès du Saint-Siège; il s'agissait de faire restituer au culte catholique les églises que les hérétiques, à la suite d'une très longue occupation, avaient ruinées.

  A013000802 

 Et ce témoignage de ma joie, tout d'abord, je le dois à la Chaire Apostolique que je félicite d'être occupée [70] par un si grand Pape.

  A013000802 

 Mais, Très Saint Père, aujourd'hui que le zèle de tous les grands s'est satisfait et qu'il s'est un peu ralenti, je ne puis plus me taire; je ne puis refuser de proclamer quelle heureuse nouvelle a été l'annonce de votre élévation, et comment tout ce diocèse en a ressenti, avec moi, la plus vive allégresse.

  A013000802 

 Si dans cette circonstance j'eus tant à me louer de votre bienveillance, tandis que vous étiez Cardinal, n'ai-je pas lieu d'espérer vos bonnes grâces, aujourd'hui que vous êtes Père et Pontife?.

  A013000803 

 Aussi, nous n'en pouvons douter, outre la sollicitude que vous avez de l'universalité des Eglises, vous voudrez aider d'une particulière assistance au relèvement de ce diocèse, qui, plus que les autres, a subi de la part des hérétiques les pires des vexations; et cette assistance sera d'autant plus féconde que vous exercez de plus haut sur nous votre prééminence.

  A013000803 

 De même encore, c'est à mesure qu'il s'élève et plane plus haut sur l'horizon, que le soleil darde ses rayons plus intenses et plus ardents sur la terre.

  A013000804 

 Et si le trône de Votre Sainteté devait être édifié avec les vêtements de vos sujets, comme le fut, d'après l'Ecriture, le premier trône de Jéhu, en toute hâte je prendrais mes habits, je les étendrais sous vos pieds, je sonnerais de la trompette et je m'écrierais: Que Paul V soit roi! Vive le Pontife suprême que le Seigneur a sacré sur Israël, le peuple de Dieu!.

  A013000821 

 Dequoy pleures-vous, o femme? Non, il ne faut plus estre femme, il faut avoir un cœur d'homme; et, pourveu que nous ayons l'ame ferme en la volonté de vivre et mourir au service de Dieu, ne nous estonnons ni des tenebres, ni des impuissances, ni des barrieres.

  A013000821 

 Mais que vous diray-je, ma chere Fille? Demain, jour de la Magdeleyne, je vay prescher devant nos bonnes Filles de Sainte Claire; [74] mais a vous, je dis qu'un jour Magdeleyne parloit a Nostre Seigneur, et, s'estimant separee de luy, elle pleuroit et le demandoit, et estoit tant empressee que, le voyant, elle ne le voyoit point.

  A013000821 

 Nous suffise que Dieu est nostre Dieu et que nostre cœur est sa mayson..

  A013000821 

 Vous m'aves tant fait de feste de mes petites lettres que je vous envoyois sur chemin, que meshuy je vous en veux faire plusieurs de cette sorte-la et ne laisser aucune occasion sans vous escrire ou peu ou prou.

  A013000822 

 O Dieu, disois je, qui me donnera ce bonheur de voir un jour le nom de Jesus gravé dans le fin fons du cœur de celle qui le porte marqué sur sa poitrine? O que j'eusse soüaité d'avoir le fer de la lance de Nostre Seigneur en une main et vostre cœur de l'autre! Sans doute j'eusse fait cet ouvrage.

  A013000822 

 Vous diray-je une pensee que je fis dernierement en [75] l'heure du matin que vous voules que je reserve pour ma chetifve ame? Mon point estoit sur cette demande de l'Orayson dominicale: Sanctificetur nomen tuum, ton nom soit sanctifié.

  A013000822 

 Voyes vous, ma chere Fille, ou mon esprit se laisse aller? Je me ressouvins aussi des hostelz de Paris, sur le frontispice desquelz le nom des princes ausquelz ilz appartiennent est escrit, et je me res-jouissois de croire que celuy de vostre cœur est a Jesus Christ.

  A013000826 

 Je suis plein d'esperance en la bonté de Dieu que nous serons tout siens; je suis joyeux et plein de courage: Dieu n'est il pas tout nostre? Amen.

  A013000826 

 Tous les vostres de deça se portent bien, mais nul ne sçait que je vous escrive.

  A013000840 

 Je vous supplie, Monsieur, de continuer en mon endroit la charité que vous m'aves promise de prier Dieu pour moy, qui suis....

  A013000850 

 Je le fay pour m'accommoder a son desir, bien que je sois certain quii n'est point besoin d'animer ni resouvenir vostre zele qui, de soymesme, [tend] asses a toutes ces saintes actions..

  A013000851 

 Je confesse la verité: nul soin que j'aye en cette charge ne mord si souvent mon esprit comme celuy-la, et sur tout pour le regard de ces cinq ou six parroisses qui n'ont nul curé; entre lesquelles, Tonnay, qui est sur les portes de Geneve, est digne d'un bon et prompt secours..

  A013000852 

 Je crains extremement de me rendre importun, mais non pas en cett'occasion, en laquelle vous jugés bien, Monsieur, que mon desir est raysonnable, pour fort et pressant qu'il puiss'estre..

  A013000870 

 J'attens impatiemment des nouvelles plus grandes de vostre santé, que celles que j'en ay receuës jusques a present: ce sera quand il plaira a Nostre Seigneur, auquel je la demande affectionnement, estimant qu'elle sera employee a sa gloire et a l'acheminement et perfection de l'œuvre encommencee en vostre Monastere..

  A013000871 

 Mais sur tout je voudrois fort entendre quel progres vous esperes pour la clausure; s'il sera pas possible de tenir la porte fermee aux hommes, au moins avec la moderation que je vous avois escrit, laquelle n'estoit que trop facile, ce me semble, et telle que monsieur nostre pere ne pouvoit treuver mauvaise.

  A013000873 

 A Dieu, ma chere Fille; je supplie sa sainte Bonté qu'elle vous assiste a jamais, et je suis extremement, et de tout mon cœur, tout vostre et plus que vostre..

  A013000880 

 Qu'est ce que je puis craindre de vous a cette heure? Non, j'ay je ne sçai quoy qui me respond en bien de l'estat de vostre ame..

  A013000881 

 O ma Fille, il me semble que je vous ay une bonne fois enfantee sur les genoux de la belle Rachel, de nostre tres chere et sacree Abbesse: elle vous a prise a soy; pour moy, je n'en ay plus le soin principal.

  A013000881 

 Rachel, ne pouvant avoir des enfans, donna en mariage pour sa seconde a son mary la bonne fille Bala (en ce tems la, il estoit permis d'avoir plusieurs femmes pour multiplier le peuple de Dieu), et Bala enfantoit sur les [80] genoux de Rachel; dont Rachel prenoit les enfans a soy et les tenoit pour siens, si que Bala, sa seconde, n'en avoit plus de soin, au moins, elle n'en avoit pas le plus grand soin.

  A013000882 

 Je pense que Magdeleyne, qui estoit avec madame vostre Abbesse, estoit bien mortifiee de ce qu'elle ne pouvoit plus voir son cher Seigneur a pur et a plein; seulement elle l'entrevoyoit la sur la croix, elle se relevoit sur ses pieds, fichoit ardemment ses yeux sur luy, mais elle n'en voyoit qu'une certaine blancheur pasle et confuse; elle estoit neanmoins aussi pres de luy qu'auparavant.

  A013000882 

 Tant de tenebres que vous voudres, mais cependant nous sommes pres de la lumiere; tant d'impuissances qu'il vous plaira, mais nous sommes aux pieds du Tout Puissant.

  A013000882 

 Vive Jesus! Que jamais nous ne nous separions de luy, soit en tenebres, soit en lumiere!.

  A013000883 

 Vous ne sçaves pas que je pense sur ce que vous me demandés des remedes? C'est que je n'ay point souvenance que Nostre Seigneur nous ayt commandé de guerir la teste de la fille de Sion, mais seulement son cœur.

  A013000884 

 Cela ne l'avança ni recula du Saint Sacrement; elle ne laissa pas d'estre aussi tost que les autres a l'eglise..

  A013000884 

 Je vis dernierement une vefve a la suite du Saint Sacrement, et ou les autres portoyent des grans flambeaux de cire blanche, elle ne portoit qu'une petite chandelle, que peut estre elle avoit faite; encores, le vent l'esteignit.

  A013000884 

 Mais que voudries vous qu'il fust? Quelque esprit clairvoyant, fort, constant et subsistant? Aggreés que vostre esprit soit assortissant a vostre condition: un esprit [de] vefve, c'est a dire vil et abject de toute abjection, horsmis celle de l'offense de Dieu.

  A013000885 

 Il est vray, hier tout le jour j'avois une volonté si impuissante que je crois qu'un ciron l'eust abbatue.

  A013000885 

 Mais mon Dieu, commenceray je par la a vous parler de moy, puisque vous le desires? C'est la verité; hier tout le jour et toute cette nuit, j'en ay porté une pareille, non pas en ma teste, mais en mon cœur; mais maintenant elle m'est ostee par la confession que je viens de faire.

  A013000885 

 Mon bon saint Pierre ne voulut pas que la sienne fust pareille a celle de son Maistre, il la fit renverser; il eut la teste en terre et le cœur au Ciel, en mourant..

  A013000886 

 Il ne messied point aux vefves d'estre un petit reculees; il y a une trouppe d'honnestes gens qui attendent aussi bien que vous, il est raysonnable qu'ilz soyent preferés.

  A013000886 

 Serves vous du peu de lumiere que vous avés, dit Nostre Seigneur, jusques a ce que le soleil se leve.

  A013000887 

 C'est ce que je vous dis..

  A013000887 

 Je vous dis que vous pouvies voir les huguenotz; je dis maintenant: ouy, voyés-les, mais rarement, et soyés courte et retroussee avec eux, neanmoins douce et reluisante en humilité et simplicité.

  A013000888 

 Ouy, ma Fille, j'appreuve que vous marquies les mouvemens interieurs qui vous auront porté aux imperfections et defautz, pourveu que cela ne vous inquiete point.

  A013000888 

 Pour vos pensees, il n'est pas requis de s'amuser a celles qui ne font que passer, mais seulement a celles lesquelles, comme font les abeilles, vous laisseront leurs germes et esguillons dans leurs piqueures..

  A013000889 

 J'ay fait [83] en partie ce que vous desiries de moy, c'est a dire pour la reserve des œuvres requises au cors et a l'esprit.

  A013000889 

 Jamais plus de suavité, plus de douceur, jusques a hier que les nuages le couvrirent; et maintenant, que je reviens de la sainte Messe, tout est serein et clair.

  A013000889 

 Je voudrois que vous me vissies tout interieurement, pourveu que mes imperfections ne vous scandalisassent.

  A013000890 

 Je ne vous diray rien de la grandeur de mon cœur en vostre endroit, mais je vous diray bien qu'elle demeure bien loin au dessus de toute comparayson; et cette affection est blanche plus que la neige, pure plus que le soleil: c'est pourquoy je luy ay lasché les resnes pendant cette absence, la laissant courir de son effort.

  A013000891 

 Il me mit hors de moy mesme; que de baysers de paix que je luy donnay!.

  A013000891 

 Il y a quattre jours que je receuz a l'Eglise et en confession un gentilhomme de vingt ans, brave comme le jour, vaillant comme l'espee.

  A013000892 

 De deux costés j'ay des nouvelles que l'on me veut relever plus haut devant le monde; l'un suivant le billet que je vous leus en la gallerie de vostre Sales, l'autre de Rome.

  A013000892 

 Et a propos de fille, je ne veux plus dans vos lettres, autre tiltre d'honneur que celuy de pere: il est plus ferme, plus aymable, plus saint, plus glorieux pour moy..

  A013000893 

 Que je seray heureux si je puis servir monsieur vostre oncle un jour, car je le cheris d'un cœur parfait.

  A013000894 

 A Dieu, ma tres chere Fille; a ce grand Dieu, dis je, auquel nous nous sommes voués et consacrés, et qui m'a rendu pour jamais et sans reserve tout dedié a vostre ame, que je cheris comme la mienne, ains que je tiens pour toute mienne en ce Sauveur qui, nous donnant la sienne, nous joint inseparablement en luy.

  A013000904 

 Je vous escris volontier par ce porteur par ce qu'il m'est fort asseuré et que, dans peu de tems, il me rapportera de vos nouvelles, sil vous plait luy en donner.

  A013000904 

 Que je les souhaite saintes, ma chere Dame, et sortables aux graces que Dieu vous a faites.

  A013000905 

 Cela m'ennuye, car elle m'est si chere que je ne me puis empescher de quelque petite inquietude, si je ne sçai souvent des nouvelles de l'estat de son ame et de ses bons desseins, mesmement a present que monsieur nostre pere mesme m'a escrit qu'il se traittoit a descouvert de la reformation de sa Mayson.

  A013000905 

 Il y a long tems que je n'ay nulles nouvelles de nostre bonne seur, Madame du Puis d'Orbe.

  A013000922 

 Vous aves maintenant en main, je m'en asseure, ma Fille, les trois lettres que je vous ay escrittes et que vous n'avies pas encor receuës quand vous m'escrivistes le second aoust.

  A013000923 

 Non, non, ma Fille, laisses courir le vent, ne penses pas que le frifillis des feuilles soit le cliquetis des armes..

  A013000923 

 Vos tentations sont revenues et, encores que vous ne [87] leur repliquies pas un seul mot, elles vous pressent.

  A013000923 

 Vous estes trop jalouse de cette pureté de foy, il vous semble que tout la gaste.

  A013000925 

 Et Dieu m'a fait voir a ce voyage une consolation entiere; car, au lieu que je n'y treuvay que cent Catholiques, je n'y ay pas maintenant treuvé cent huguenotz.

  A013000925 

 J'y ay bien eu de la peyne a ce voyage, et un terrible embarrassement, et parce que c'estoit pour les choses temporelles et provisions des eglises, j'y ay esté fort empesché; mais Dieu y a mis une tres bonne fin par sa grace, et encores s'y est il fait quelque peu de fruit spirituel.

  A013000925 

 Je reviens du bout de mon diocæse qui est du costé des Suisses, ou j'ay achevé l'establissement de trente trois parroisses esquelles, il y a unze ans, il n'y avoit que des ministres, et y fus en ce tems la, trois ans tout seul a prescher la foy catholique.

  A013000925 

 Je vous dis ceci parce que mon cœur ne sauroit rien celer au vostre et ne se tient point pour estre divers ni autre, ains un seul avec le vostre.

  A013000926 

 Que mon ame ayme la vostre! Faittes que la vostre continue a se bien confier en la mienne et a la bien aymer.

  A013000926 

 Vivés joyeuse et soyés genereuse; Dieu que nous aymons et a qui nous sommes voués, nous veut en cette sorte la.

  A013000928 

 Je n'y voy rien que ce que j'ay dit.

  A013000928 

 Soyés toute resolue que toutes les tentations d'enfer ne sauroyent souiller un esprit qui ne les ayme pas; laissés les donq courir.

  A013000928 

 Sus, sus, ma Fille, courage; que ce cœur soit tous-jours a son Jesus, et laissés clabauder ce mastin a la porte tant qu'il voudra..

  A013000928 

 Vous apprehendes trop les tentations; il n'y a que ce mal.

  A013000929 

 Il ne laissera pas pour cela d'estre nostre Dieu, car l'affection que nous luy devons est d'une nature immortelle et imperissable..

  A013000943 

 J'ay soudainement despeché vostre homme, et par ce que je doy prescher a midi, je ne vous diray sinon que je suis tous-jours fort consolé, quand j'ay de vos lettres, et le dois bien estre encor plus par celle ci qui m'asseure si asseurement que vostre cœur est ferme au dessain quil a fait de servir son Dieu a la poursuite de la vraye devotion..

  A013000944 

 Souvenés vous que nostre Dieu n'est pas comme le reste des choses: il est bon a tous et en tous tems, vous le treuveres par tout a vostre support et consolation; c'est pourquoy ne vous lasses point a la queste d'un si grand bien.

  A013000945 

 Et ne vous puis oublier pour ce regard, [90] nom plus que moymesme, qui, saluant mille fois monsieur vostre mari et vos bonnes graces, suis sans fin.

  A013000945 

 Faites-le tous-jours, je vous prie, et saches que je n'offre jamais le Filz celeste au Pere sur l'autel, que je n'offre quant et quant vostre cœur a sa divine Majesté, affin qu'elle la (sic) benisse de ses plus cheres benedictions.

  A013000945 

 Je vous remercie de la souvenance que vous aves devant Nostre Seigneur de ma misere pour la recommander a sa misericorde.

  A013000959 

 Elle n'ayme que les lieux approfondis par humilité, avilis par simplicité, eslargis par charité; elle se treuve volontier aupres de la cresche et au pied de la Croix; elle ne se soucie point si elle va en Egypte, hors de toute recreation, pourveu qu'elle ayt son cher Enfant avec elle..

  A013000959 

 Mon Dieu, ma chere Fille, quand sera ce que Nostre Dame naistra dedans nostre cœur? Pour moy, je voy bien que je n'en suis nullement digne; vous en penseres tout autant de vous.

  A013000960 

 Aussi, ma Fille, jamais nostre bon Dieu ne nous abandonne que [91] pour nous mieux retenir; jamais il ne nous laisse que pour nous mieux garder; jamais il ne luicte avec nous que pour se rendre a nous et nous benir..

  A013000960 

 Non: que Nostre Seigneur nous tourne et vire a gauche ou a droitte; que, comme avec des autres Jacobs, il nous serre, il nous donne cent entorses; qu'il nous presse tantost d'un costé, tantost de l'autre; bref, qu'il nous face mille maux, nous ne le quitterons point pourtant qu'il ne nous ayt donné son eternelle benediction.

  A013000961 

 Nous y verrons des roses entre les espines, la charité qui esclatte parmi les afflictions interieures et exterieures; les lys de pureté, les violettes de mortification, que sçai-je moy? Sur tout j'ayme ces trois petites vertus: la douceur de cœur, la pauvreté d'esprit et la simplicité de vie; et ces exercices grossiers: visiter les malades, servir aux pauvres, consoler les affligés et semblables; mais le tout sans empressement, avec une vraye liberté.

  A013000971 

 Y a-il rien de si doux que de ne voir guere de terre et beaucoup de ciel? Mais souvenes vous que je parle d'une closture tres douce, comme celle des Chartreux, et vous jugeres aussi tost qu'elle est faysable, pour peu qu'on y veuille employer de loysir, d'industrie, de priere..

  A013000972 

 Je voudrois bien sçavoir tout nettement ce que je dois esperer de l'assistance de monsieur Viardot pres des Peres Jesuites, pour vostre Mayson... Or bien, la gloire de Dieu soit faitte..

  A013000973 

 Ce me seroit pourtant de la consolation de vous voir assistee de quelqu'un qui fust propre a vostre dessein, et qui, par la veuë et presence, sceust mieux juger des particulieres convenances que je sçaurois faire de si loin..

  A013000973 

 Pour moy, ma Fille, tant que je vivray et que mes forces se pourront estendre au travers de cette distance de lieux en laquelle il nous faut vivre, je n'abandonneray jamais l'entreprise de servir vostre chere ame et tout vostre Monastere.

  A013000973 

 Quand vous ne le voudriés pas, encor pensés que je me desguiserois pour, sous la personne d'une autre, vous rendre le service auquel je me sens attaché par la main de Nostre Seigneur.

  A013000974 

 Vous exclames de desir de me revoir; mais croyes-moy, ma Fille, mon cœur en pousse des clameurs bien fortes devant Dieu; s'il les exauce, sans doute je vous reverray plus tost que les circonstances de ma charge ne me le promettent pas.

  A013000975 

 Non, ma Fille, demeurés ferme (mais je vous l'ordonne au nom de nostre Maistre), demeurés ferme a ne point dire vos Heures ni l'Office, tant que les medecins vous diront que le recit vous seroit dommageable.

  A013000976 

 Je ne retiens vostre homme qu'un seul jour, tant je desire de vous [donner] l'asseurance que vous desires de ma chetifve et inutile santé, et de tout ce qui est a vous de deça..

  A013000976 

 Je vous l'envoyeray en blanc, et vous l'y feres mettre telle que vous jugeres.

  A013000976 

 Par ci apres, vous pourres me faire escrire tant que vous voudres, par l'entremise de madame de Chantal, qui a treuvé une voye fort aysee a Aoustun, par laquelle je vous escriray aussi le plus que je pourray.

  A013000977 

 Ce bon succes du commencement de nostre reformation, ces bons desirs, ces bonnes affections a la poursuite de la vertu, ces feux, ces fers, ces litz de douleur, cette jambe boiteuse, ces contradictions, que penses vous que soit tout cela? Marques de l'amour de Dieu, signes de son bon playsir en nous.

  A013000977 

 Courage, ma Fille, courage; a quoy sert il de desguiser nostre bonheur? Non, sans doute, Dieu nous donne des grandes conjectures qu'il est nostre et que nous serons un jour du tout a luy.

  A013000978 

 Ouy, ma Fille, je prieray incessamment sa Bonté qu'elle soit aupres de vous et vous tienne de sa main, affin que rien ne vous esbranle: j'ay confiance en sa misericorde qu'il nous l'accordera.

  A013000979 

 Je suis, ma chere Fille, plus vostre que mien; vostre [94] autant que vous mesme, puisque Celuy qui vous a donné a vous mesme m'a rendu vostre..

  A013000991 

 Tout aussi tost que nostre bon Dieu mit en l'esprit de madame vostre Abbesse la confiance qu'ell'a au mien, et qu'avec tant de volonté, ell'eut embrassé le dessein de restablir la discipline religieuse en son Monastere, je me sentis aussi tout soudainement lié et voué a vostre service, et commençai a vous souhaiter toutes les benedictions du Ciel, lesquelles je ne doutois point vous devoir bien tost arriver par la disposition en laquelle je voyois vostre teste, et celle en laquelle, par son recit, je vous voyois aussi toutes; car elle me dit tant de louables qualités de vostre bon naturel, que je m'en promis aysement les beaux et dignes effectz desquelz vous jouisses maintenant avec elle, et je m'en res-jouis extremement avec vous..

  A013000992 

 Que puis-je dire en ce grand contentement que j'en reçois, sinon que Dieu vous veuille affermir de plus en plus en ces saintes affections et vous donne la sainte perseverane? Y a il consolation au monde, comparable a celle d'un'ame religieuse, qui n'a que Dieu pour l'object de ses affections? Y a-il rien de si doux que de voir une mere, avec tant de filles autour d'elle, qui, comme branches d'un bel olivier, fleurissent sur le tige de la sainte obeissance et observance de la Regie?.

  A013000992 

 Vous appliques [déjà] fort vos entendemens a connoistre Dieu par l'orayson, vos memoires a vous resouvenir de ses bien faitz, par l'action de graces et meditation, vos volontés a son obeissance, par celle que vous rendes avec tant de soupplesse a vostre Abbesse.

  A013000993 

 Mon Dieu, mes cheres Dames, que c'est une grand'amertume que l'amertume d'une Religion desreglee, d'une compaignie sans ordre.

  A013000993 

 Que vous estes donques heureuses d'estre dans le panier des figues douces, car il ni a point de douceur qui puisse estre parangonnee a une Religion reformee..

  A013000994 

 Il me semble que je voÿe escrire vos noms au Ciel, et qu'on adjouste que vous estes les meres de plusieurs autres qui, apres vous et a vostre imitation, embrasseront la Croix en vostre Monastere.

  A013000994 

 Mais, mes Dames, permettes moy que je m'en resjouisse avec vous d'une speciale allegresse, car sans doute ce sujet est extraordinaire et des plus grans.

  A013000994 

 Non seulement vous jouires du bonheur que la vie vrayement religieuse donne aux ames qui l'embrassent, mais vous en aures encor cette particuliere consolation: c'est, mes Dames, que non seulement vous receves cette benediction pour vous, mais vous la feres couler a vostre posterité spirituelle, et laisseres dedans vostre Mayson des plantes apres vous, qui rendront le mesme fruit, Dieu [96] aydant.

  A013000995 

 Que l'Abbesse est heureuse d'avoir treuvé des cœurs si disposés au bien que Dieu luy avoit inspiré de procurer; que les Religieuses sont heureuses de s'estre rencontrees en un tems auquel leur Abbesse devoit faire tel dessein.

  A013000995 

 Quel bonheur de vous voir, comme seurs en une table, repaistre et l'interieur et l'exterieur d'une mesme tressainte viande; de vous voir au chœur, les yeux couvertz au monde et ouvers a Dieu; de vous voir, avec cett'humilité et renoncement de vous mesme, obeir aux volontés de celle que Dieu vous a donnee pour conductrice en ce voyage de perfection.

  A013000996 

 Ayes aggreable l'affection qui le pousse a vos yeux, et croyes, je vous supplie, que je ne cesseray jamais d'implorer de la misericorde de Dieu les graces qui vous sont requises, pour le saint accomplissement de cette sainte besoigne que vous aves si heureusement commences avec madame vostre Abbesse.

  A013000997 

 Aimes vos vœux, qui vous peuvent ouvrir la porte de ce saint tabernacle; vives avec la sainte douceur du cœur, qui rend toutes choses souëfves; conserves cette couronne que Dieu a mis sur vos testes, le plus haut fleuron de laquelle c'est l'obeissance.

  A013001014 

 Mon esprit, sans [98] doute, vit parmi vos tenebres et tentations, car il accompaigne fort le vostre; le recit de vos maux me touche de compassion, mais je voy bien que la fin en sera heureuse, puisque nostre bon Dieu nous fait prouffiter en son eschole, en laquelle vous estes plus esveillee a la sentinelle qu'en autre tems.

  A013001014 

 Ne vous mettes nullement en peyne de moy pour tout ce que vous m'escrives, car voyes vous, je suis en vos affaires comme Abraham fut un jour.

  A013001015 

 Et fermés les yeux a tout respect que vous pourries porter a mon repos, lequel, croyés-moy, je ne perdray jamais pour vous, pendant que je vous verray ferme de cœur au desir de servir nostre Dieu, et jamais, jamais, s'il plait a sa Bonté, je ne vous verray qu'en cette sorte la.

  A013001015 

 Mais sur tout escrives moy fort sincerement; c'est le grand commandement que de me parler a cœur ouvert, car de la depend tout le reste.

  A013001015 

 Que nous importe-il que Dieu nous parle parmi les espines ou parmi les fleurs? Mais je ne me resouviens pas qu'il ayt jamais parlé parmi les fleurs, ouy bien parmi les desertz et halliers plusieurs fois.

  A013001016 

 Je voyois l'autre jour les abeilles qui demeuroyent a recoy dans leurs ruches parce que l'air estoit embrouillé; elles sortoyent de fois a autre voir que c'en seroit, et neanmoins ne s'empressoyent point a sortir, ains s'occupoyent a repaistre leur miel.

  A013001016 

 O Dieu, courage! Les lumieres ne sont pas a nostre pouvoir, ni aucune autre consolation que celle qui depend de nostre volonté, laquelle estant a l'abry des saintes resolutions que nous avons faittes et pendant que le grand sceau de la chancellerie celeste sera sur vostre cœur, il n'y a rien a craindre..

  A013001016 

 Soyés courageuse, ma chere Fille; nous ferons prou, Dieu aydant; et croyés moy que le tems est plus propre au voyage, que si le soleil fondoit sur nos testes ses ardentes chaleurs.

  A013001017 

 Mais faites courir vostre imagination tant que vous voudres, elle ne sçauroit atteindre ou ma volonté me porte, pour vous souhaitter de l'amour de Dieu..

  A013001017 

 Mon Dieu, que je lis avec beaucoup de consolation les parolles que vous m'escrivistes, que vous desiries de la perfection a mon ame presque plus qu'a la vostre: c'est une vraye fille spirituelle, cela.

  A013001018 

 Je ne peux faire plus de paroles que pour vous donner la benediction; je la vous donne donques au nom de Jesus Christ crucifié, la Croix duquel soit nostre gloire et nostre consolation, ma chere Fille.

  A013001018 

 Que puisse-elle bien estre exaltee parmi nous, et plantee sur nostre teste comme elle le fut sur celle du premier Adam.

  A013001018 

 Que puisse-elle remplir nostre cœur et nostre ame, comme elle remplit l'esprit de saint Paul, qui ne sçavoit autre chose que cela.

  A013001030 

 Je luy dis ce que [101] vous m'avies respondu quand j'eu le bien de vous en parler; mais cela ne la peut accoyser.

  A013001030 

 La force de l'attraction interieure ne peut souffrir ni dilation ni allentissement; c'est pourquoy, voyant que j'avois compassion de son cœur qui se va consumant en ses desirs, elle me conjura fort de vous en escrire ce qui m'en semble, estimant que mon entremise luy seroit plus favorable cette seconde fois que la premiere..

  A013001030 

 Sans mentir, Monsieur, son desir est violent et qui sort d'un'ame vivement esprise de devotion et saysie de l'amour celeste, qui me fait croire que ce sera un grand dommage d'en empescher les effectz.

  A013001031 

 Dieu vous consolera plus en un jour, acquiesçant a sa volonté, que tous les enfans du monde ne feront en cent ans.

  A013001031 

 Et s'il vous falloit immoler vostre fille comm'Abraham voulut faire son enfant, et Jephté le fit reellement, n'auries vous pas le courage de le faire pour Dieu? Or, voyla une douce et non sanglante immolation de vostre fille que Dieu desire de vous; en cela connoistra-il combien vous l'aymes, si vous exposés l'ame de cette fille, qui est vostre ame, pour l'amour de sa divine Majesté, laquelle vous a tant aymè que de donner son Filz pour vous..

  A013001031 

 Je vous diray donq, Monsieur, que l'esprit de madamoyselle vostre fille estant si parfaittement animé du dessein de vivr'a Dieu totalement et sans division, elle n'aura jamais repos hors du lieu ou elle aspire; et vous, qui l'aimes tendrement, aures aussi beaucoup d'inquietude de la voir vivra contrecœur au monde et devant vos yeux.

  A013001032 

 Et vous sçaves que nous ne devons pas nous arrester au bien, quand nous pouvons attaindre au mieux et que nous y sommes attirés comm'est cette benite fille, laquelle, pour le plus grand bienfait qu'elle prætend de vostre paternelle charité, vous demande congé de voüer [102] son cors, son ame, ses pensees, ses forces, ses annees et sa liberté a Celuy qui luy a donné tout ce qu'ell'a..

  A013001032 

 Je sçay bien, Monsieur, qu'emmy le monde on y peut servir Dieu et faire le salut, mais je ne doute point que ceux que Dieu en retire, n'ayent plus de moyens de le servir.

  A013001033 

 Je vous prie, Monsieur, d'avoir aggreable cette recharge que je vous en fay, qui sort d'un cœur tout affectionné a vostre bonheur et prosperité, que je supplie la divine Bonté vous vouloir departir abondamment, et demeure, Monsieur,.

  A013001044 

 Les marques que j'ay reconneuës en vostre ame d'une sincere confiance en la mienne et d'une ardente affection [103] a la pieté, rendent mon cœur tout paternellement amoureux du vostre.

  A013001044 

 Or sus donq, ma bonne Fille, vous verres que nous ferons prou; car ce cher et doux Sauveur de nos ames ne nous a pas donné ces desirs enflammés de le servir, qu'il ne nous en donne les commodités.

  A013001044 

 Sans doute, il n'esloigne point l'heure de l'accomplissement de vos saintz souhaitz que pour vous la faire rencontrer plus heureuse; car voyés vous, ma tres chere Fille, cet amoureux cœur de nostre Redempteur mesure et adjuste tous les evenemens de ce monde a l'advantage des espritz qui, sans reserve, se veulent asservir a son divin amour..

  A013001045 

 Car il est vray, ma Fille, que nos fautes, lesquelles tandis qu'elles sont dans nos ames, sont des espines; sortant dehors par la volontaire accusation, elles sont converties en roses et parfums, d'autant que, comme nostre malice les tire dans nos cœurs, aussi c'est la bonté du Saint Esprit qui les pousse dehors..

  A013001045 

 Elle viendra donq, cette bonne heure que vous desires, au jour que cette Providence souveraine a nommé dans le secret de sa misericorde; et alhors, avec mille sortes de secrettes consolations, vous desployeres vostre interieur devant sa divine Bonté, qui convertira vos rochers en eau, vostre serpent en baguette, et toutes les espines de vostre cœur en roses et en roses odorantes, qui recreeront vostre esprit et le mien de leur suavité.

  A013001046 

 Quel bonheur d'estre la, seule a seule avec Dieu, sans que personne sache ce qui se passe entre Dieu et le cœur, que Dieu mesme et le cœur qui l'adore! J'appreuve que vous vous exercies es meditations de la Vie et Passion de Nostre Seigneur..

  A013001047 

 Le soir, entre Vespres et le souper, vous vous retireres pour un quart d'heure ou une petite demy heure, ou en l'eglise ou en vostre chambre; et la, pour rallumer le feu du matin, ou reprenant la mesme matiere que vous [104] aures meditee ou prenant pour sujet Jesus Christ crucifié, vous ferés une douzaine de ferventes et amoureuses aspirations a vostre Bienaymé, renouvellant tous-jours vos bons propos d'estre toute sienne..

  A013001048 

 Et quant a moy, ma Fille, asseurés vous bien que toutes mes affections sont dediees a vostre bien et au service de vostre chere ame, que Dieu veuille a jamais benir de ses grandes benedictions..

  A013001074 

 Aussi, ayant su naguère que vous étiez à Venise pour l'impression de votre Apparatus Sacer et cet honnête homme devant s'y rendre (c'est encore lui qui, de retour, pourra me rapporter exactement des nouvelles de votre santé), je désire en vous saluant très humblement, s'il vous plaît, me rappeler à votre souvenir..

  A013001074 

 Le vif souvenir que je garde de vos bontés m'a toujours fait souhaiter de me rappeler à vos bonnes grâces.

  A013001074 

 Voici bien longtemps que je vais m'enquérant de vos nouvelles et du lieu précis où vous demeurez, afin de vous en donner pareillement [105] des miennes.

  A013001074 

 Votre grande bienveillance pour moi, à l'époque où j'avais le bonheur d'être de vos enfants spirituels à Padoue, m'en donne assez l'assurance, vous n'apprendrez pas sans plaisir ce que je fais.

  A013001076 

 Après avoir prêché le Carême dans la chapelle de la reine, je retournais dans ce pays, lorsqu'au moment où j'y pensais le moins, j'appris en passant à Lyon, que M gr l'Evêque mon prédécesseur était mort.

  A013001078 

 Avant que d'être en cette charge, il me fallut réfuter par écrit un livre que les ministres de Genève avaient publié contre l'honneur de la Croix.

  A013001078 

 Je composai depuis un autre livret qui a reçu l'approbation de plusieurs; si j'en avais eu la commodité, je vous l'aurais offert, non certes que je le juge digne de tomber sous vos yeux, mais pour vous rendre mon devoir et soumettre à votre censure toutes mes affaires, tout ainsi que jadis je vous soumettais mon âme elle-même, et c'est de quoi je serai fier toute ma vie..

  A013001079 

 Veuillez agréer, je vous supplie, mon Révérend Père, cette lettre; elle vient, n'en doutez pas, d'un homme qui vous honore et vénère [109] autant que nul autre, et qui s'estimera fort honoré et obligé si vous daignez le recommander parfois à la miséricorde de notre Sauveur.

  A013001091 

 A cette intention je vous escriray asses souvent, non pour vous provoquer a me faire des responses (ce vous seroit peut estre trop de peyne), mais pour me ramentevoir en vostre bienveuillance et vous tesmoigner, tant que je pourray, combien j'en cheris l'honneur..

  A013001091 

 Estant et devant estre homme de fort peu de ceremonies, je vous diray fort simplement que Dieu m'a donné [110] tant d'inclination a vous souhaiter ses graces et benedictions et tant de confiance en vostre vertu, qu'il ne me seroit pas possible ni de cesser de supplier sa divine Majesté affin qu'il perfectionne son saint amour en vostre esprit, ni de douter que vous n'ayes aggreable de vous resouvenir quelques fois de moy, qui, chargé de grand fardeau, ay bien besoin de l'assistance de vos prieres reciproques.

  A013001092 

 C'est ainsy, Madame, qu'il faut faire: recueillir tous-jours avec humilité et consideration les [111] choses qui se disent au nom de Dieu, pour petites qu'elles soyent et quoy que le diseur soit peu de chose.

  A013001092 

 Et ceci vous le deves faire souvent, car, outre que cela recree, Dieu en est servi.

  A013001092 

 Permettes moy cependant, Madame, que je me resjouisse avec vous de l'affection avec laquelle vous aves receues ce peu de paroles que je vous dis pour le bien de vostre ame.

  A013001092 

 Que si vous uses de ces moyens, vous rompres petit a petit le chemin a toutes amertumes et melancolies spirituelles..

  A013001092 

 Resveilles souventefois en vous l'esprit de joÿe et de suavité, et croyes fermement que c'est le vray esprit de devotion; et si par fois vous vous sentes attaquee du contraire esprit de tristesse et d'amertume, eslancés a vive force vostre cœur en Dieu et le luy recommandes, puis, tout soudainement, divertisses vous a des exercices contraires, comme de vous mettre a quelque conversation sainte, mais de celles qui vous peuvent resjouir.

  A013001092 

 Sortes a vous promener, lises quelque livre de ceux que vous gousteres le plus, et, comme dit le saint Apostre, chantés quelque chanson devote.

  A013001093 

 Je prie Nostre Seigneur qu'il vous veuille donner une continuelle assistance de son tres saint Esprit pour luy rendre le service et l'amour que vous desires.

  A013001110 

 A quel propos cela? Ouy, c'est a propos, ma si chere Fille, car j'adore de mesme affection les vostres, que je tiens pour miennes, et veux (au moins je vous en prie) que vous aymies les miennes de mesme cœur.

  A013001110 

 Mon Dieu, supportés la foiblesse de mes espaules et ne les chargés que de peu, pour seulement me faire connoistre quel pauvre soldat je serois, si je voyois les armees en front..

  A013001111 

 Oh! que voyla qui va bien.

  A013001111 

 Que vos lettres m'ont consolé, ma chere Fille! je les voy pleines de bons desirs, de courage et de resolution.

  A013001112 

 Oh, qu'il fait bon avec luy, ou que ce soit!.

  A013001113 

 Non, ma chere Fille, pendant que nos resolutions vivent, je ne me trouble point.

  A013001113 

 Nostre Seigneur luy avoit dit qu'elle seroit ce jour la avec luy en Paradis; et elle ne fut pas plus tost separee de son cors, que voyla qu'il la mena en enfer.

  A013001113 

 Que nous mourions, que tout renverse, il ne m'importe, pourveu que cela subsiste.

  A013001113 

 Vray Dieu! que devoit-elle penser en descendant et voyant ces abismes devant ses yeux interieurs? Je croy qu'elle disoit avec Job: Qui me fera la grace, o mon Dieu, que tu me conserves et defendes en enfer? Et avec David: Non, je ne craindray nul mal, car, Seigneur, tu es avec moy.

  A013001114 

 Il n'est pas besoin de dire en confession ces petites pensees, qui, comme mousches, passent et viennent devant vos yeux, ni l'affadissement des goustz que vous aves eu en vos vœux, car tout cela ne sont point pechés, mais ennuis, mais incommodités..

  A013001127 

 L'argent s'envoyera quand, et ou bon vous semblera et en telle somme que vous marqueres.

  A013001128 

 Il est vray que je voy bien l'incommodité que ces traynemens donne (sic) a vos affaires, dont je suys desplaysant; mais ce sont les princes qui espreuvent ainsy leurs plus fidelles, voulans encor en cela imiter l'Inimitable..

  A013001128 

 Je me res-jouis de la santé de madame ma tante et de mon petit cousin; et a ce propos, c'est une providence de Nostre Seigneur que vostre voyage soit retardé, jusques a ce que leur bon portement soit bien solidé.

  A013001129 

 Dieu sçait ce quil fera pour ma cousine, qui ne peut estre que mieux que d'estre en un monastere ou elle seroit si peu reconneüe..

  A013001135 

 Mon frere a charge de vous envoyer ce que vous desiries pour vostre parroisse..

  A013001147 

 Je vous remercie infiniment de la lettre qu'il vous a pleu m'escrire, qui m'a donné un'extreme consolation, [117] et de sçavoir que vous aves souvenance de moy, et d'entendre les heureuses nouvelles du progres des monasteres de la sainte Mere Therese en nos Gaules; car, a la verité dire, j'ay une particuliere devotion et a la Mere et aux filles: dont je loue Dieu d'en voir ces nouvelles plantes a Dijon, ville qui m'est chere autant que si j'en estois.

  A013001148 

 Cela me soulagera en la peyne que me donne ce terrible fardeau que j'ay sur mes espaules.

  A013001148 

 Que si, avec ce bien, il vous plait de m'assister de vos prieres et oblations aupres de sa divine Majesté, l'obligation sera parfaitte..

  A013001154 

 Madamoyselle vostre niece, despuis vostre depart de Paris, au tems que j'y estois, me rendit son pere spirituel; permettes moy que je vous demande de ses nouvelles.

  A013001169 

 Monsieur nostre bon pere m'escrit souvent de vos nouvelles: rien ne me peut arriver de plus souhaittable quand elles sont bonnes, comme elles sont tous-jours selon Dieu, en qui je sçai que vous jettes toute vostre veuë interieure, et au bon playsir duquel tous vos desseins et desirs se vont fondre..

  A013001169 

 Opprimé et accablé d'affaires en cette visite de mon diocese que je fay, je ne laysse pas de prier nostre bon Dieu tous les jours et luy offrir le saint Sacrifice, affin que vous ne soyes pas accablee des douleurs que vostre jambe vous apporte, ni des difficultés que nos saintes entreprinses ont et doivent avoir en ces commencemens.

  A013001170 

 Courage, ma chere Fille; Dieu vous sera propice sans doute, pourveu que vous luy soyes fidelle.

  A013001170 

 Je sçai, ma chere Seur, que les petitz ennuys sont plus fascheux, a cause de leur multitude et importunité, que les grans, et les domestiques, que les estrangers; mais aussi je sçai que la victoire en est souventesfois plus aggreable a Dieu que plusieurs autres, qui, aux yeux du monde, semblent de plus grand merite..

  A013001170 

 Quel bonheur que sa divine Majesté vous veuille employer a son service non seulement agissant, mays patissant! Ayés soin de conserver la paix et la tranquillité de vostre cœur; laissés bruire et gronder les vagues tout autour de vostre barque et ne craignes point, car Dieu y est, et par consequent le salut.

  A013001171 

 A Dieu, ma chere Seur; on me ravit les lettres pour les emporter, et n'ay loysir que de me dire,.

  A013001179 

 C'est tout un; encor vaut-il mieux vous escrire peu que rien..

  A013001179 

 Ne voyci pas un estrange fait, ma chere Fille! Il y a un mois que je n'ay sceu vous escrire ni peu ni prou, par ce que j'estois engagé dans nos montagnes, du tout hors de chemin, et je tiens en ma main sept de vos lettres, dont la derniere est du 9 de ce moys, ausquelles il me semble que je n'aye pas encor respondu qu'a trois; et neanmoins je ne puis maintenant vous escrire qu'en courant.

  A013001180 

 Pour le papier des cinq mille francz, je ne puis vous en donner resolution, que vous ne me marquiés a qui l'interest en pourroit revenir; c'est a dire qui en pourroit souffrir perte si vous le gardies, car de la depend le jugement que j'en dois faire.

  A013001181 

 Il ne faut pas laisser de servir les malades es maux contagieux, mais il les faut servir prudemment, sans hazarder sa santé que le moins quil se peut, et sur tout quand avec nostre danger, celuy de nostre famille se treuve conjoint.

  A013001182 

 Ah! qu'il aura bien agreable que nous en facions de mesme.

  A013001182 

 Ce vous est (et a moy par consequent) un extreme contentement de sçavoir que ce chevalier estoit bon, doux et gracieux a ceux qui l'avoyent blecé ou offencé; maintenant il en aura bien a voir que nous en voulons faire de mesme.

  A013001182 

 Et vous voyes donques que sil vous pouvoit parler, il vous diroit ce que je vous ay dit, pour l'entrevëue de celuy qui luy fit le coup de son trespas.

  A013001182 

 J'ay esté consolé, au recit que vous me faites des traitz de vertu qui parurent en l'ame de feu monsieur vostre mari, sur le point de son depart de ce monde: signes evidens de son bon fons et de la presence de la grace de Dieu.

  A013001182 

 Mais que diray-je de nostre Espoux moderne? Quelle douceur exerça-il a l'endroit de ceux qui le tuerent, et non pas par disgrace et mesgarde, mais par une pleyne malice.

  A013001183 

 Il ne passe jour que je ne prie pour le bien de l'ame de monsieur vostre premier espoux, et je pense que vous m'en aves voulu souvenir par ces deux recitz que vous m'en aves fait, qui m'ont esté fort aggreables..

  A013001184 

 Je loue Dieu de tout mon cœur de la santé de messieurs nos pere, oncle et frere; mais que ce mot me console: [Monsieur vostre oncle,] plein de vertu et de constance, n'est plus arresté que par des defluxions... car je cheris ce bon oncle du fons de mon ame.

  A013001185 

 Voyes vous bien, cette chere seur que j'ayme infiniment, ell'est guerie, Dieu merci, mais encor un peu de defluxion dessus ses jambes la font (sic) aller lentement a la closture de sa Mayson: encor un peu de respect aux volontés des freres, des peres, des meres, que sçai-je moy? O mon Dieu! que bien heureux sont ceux qui, en semblables occasions, dient a leurs peres et freres: Je ne sçai qui vous estes, je ne vous connois point.

  A013001186 

 Non, je vous prie, ma Fille, ne violentes point vostre teste pour la faire franchir les barrieres; demeures tranquille en vostre orayson, et quand les distractions vous attaqueront, destournes-les tout bellement si vous pouves; sinon, tenes la meilleure contenance que vous pourres, et laisses que les mouches vous importunent tant qu'elles voudront, pendant que vous parles a vostre Roy.

  A013001187 

 C'est merveille, ma Fille, comme mon esprit est ferme en cet advis de ne point semer au champ de nostre voysin, pour beau qu'il soit, pendant que le nostre en a besoin.

  A013001187 

 Je suis bien content que M me Brulart, nostre bonne seur, les gouverne, pourveu que cet object ne tire point son cœur a des vains desirs de cette vie-la, pendant qu'ell'en doit cultiver un'autre.

  A013001187 

 Que je suis ayse que nostre Dijon aye receu les bonnes Carmelines de la Mere Therese! Nostre bon Dieu les face fructifier a sa gloire.

  A013001188 

 Je dis que pour nostre petite il sera mieux, en la faysant instruire le plus chrestiennement quii sera possible, d'attendre encor un peu a la mettre au Puy d'Orbe.

  A013001188 

 Je luy veux escrire touchant le confesseur que le bon Pere Recteur juge propre pour sa Mayson, affin qu'elle le recherche et pour cela et pour son assistence.

  A013001188 

 Mon Dieu, que de destours prend on avant que d'arriver au logis, quand on n'est pas guidé..

  A013001188 

 Pour ma seur, je suis de vostre advis; non que je ne voulusse bien qu'elle fut auprès de vous, puisqu'elle n'a pas son cœur contourné a la Religion, mais pour condescendre a l'amitié de madame l'Abbesse, qui merite bien qu'on ne la contrechange pas de desplaysir en ses faveurs.

  A013001189 

 Celuy qui n'a pas essayé, que peut [il savoir? dit la Sainte] Escriture.

  A013001189 

 J'attendray que cett'autre seur m'escrive sur le sujet pour lequel vous luy laissastes l'article que j'avois escrit dans vostre livre.

  A013001189 

 Mon Dieu, que je desirerois de me pouvoir dignement... [124].

  A013001189 

 Que Satan est mauvais! Jusques ou se va-il fourrer! Mais ne vous en estonnes pas: les choses spirituelles luy sont fort accessibles, par ce quil est esprit; il ne luy faut pas beaucoup d'ouverture, pour se glisser es amitiés des mortelz.

  A013001190 

 Je dis une demi heure, au lieu de la petite recollection que je vous avois marquee..

  A013001190 

 N'adjoustes gueres de peynes corporelles a celles du jeusne de l'Eglise; mais puisqu'en Caresme on jeusne et que l'on n'employe pas le tems du souper a manger, sinon pour la petite collation, vous pourres bien prendre une demi heure environ ce tems la, a mediter sur la Passion ou sur ce qui vous aura touché au sermon.

  A013001190 

 Vous pourres refaire encor pour un an vos petitz vœux, sinon que la charge d'iceux vous pressast trop.

  A013001191 

 Je suis lié sur ce banq, il faut que j'y vogue..

  A013001192 

 Hé, que Dieu m'est bon! je ne fus jamais plus fort.

  A013001192 

 J'ay confirmé un nombre innombrable de peuple; et a tous les biens qui se seront faitz parmi ces simples ames, vous aves tous-jours participé, comme a tout le reste de ce qui se fait et se fera en ce diocese, pendant que j'en auray l'administration.

  A013001192 

 Mais pourquoy vous dis-je ceci? Par ce que je parle avec vous comme avec mon propre cœur..

  A013001192 

 Que vous diray-je plus? J'arrivay icy samedy au soir, apres avoir battu les chams six semaines durant, sans arrester en un lieu, sinon au plus demi jour.

  A013001192 

 Seulement puis-je dire avec verité que, si ce n'a esté a cheval ou en quelques resveilz de la nuit, je n'ay point eu de loysir de repenser a moy et considerer le train de mon cœur, tant les occupations importantes s'entresuivoyent de pres.

  A013001192 

 Toutes les croix que j'avois preveues, a l'abord n'ont esté que des oliviers et palmiers; tout ce qui me sembloit fiel s'est treuvé du miel, ou peu s'en faut.

  A013001194 

 Monsieur Cassart m'escrit comme n'ayant pas receu de nos lettres; et neanmoins je luy ay escrit, et pense que ma lettre luy sera arrivee, aussi bien que celle que je vous ay escritte, puisqu'elles estoyent ensemble..

  A013001195 

 Ma bonne mere ne sçait pas que je vous escrive, mais je sçay bien qu'elle et toute sa famille sont acquis irrévocablement a vostre service..

  A013001204 

 C'est pourquoy, en ce repos corporel, j'ay pensé au repos spirituel que nos cœurs doivent avoir en la volonté de Dieu ou qu'elle nous porte; mais il ne m'est pas possible d'estendre les [126] considerations qui se doivent faire pour cela, qu'avec un peu de loysir bien franc et net..

  A013001204 

 Despuis mon retour de la visite, j'ay eu quelque ressentiment de fievre catarrheuse; nostre medecin n'a point voulu m'ordonner autre remede que le repos, et je luy ay obei.

  A013001204 

 Vous sçaves, ma Fille, que c'est aussi le remede que j'ordonne volontier que la tranquillité, et que je defens tous-jours l'empressement.

  A013001205 

 Ah! que nous sommes redevables a sa Bonté qui nous a fait desirer avec tant de resolutions de vivre et mourir en sa dilection! Sans doute, ma Fille, nous le desirons, nous y sommes resolus; esperons encor que ce grand Sauveur, qui nous donne le vouloir, nous donnera aussi la grace de le parfaire..

  A013001206 

 Je considerois l'autre jour ce que quelques autheurs disent des alcions, petitz oyseletz qui pondent sur la rade de la mer: c'est qu'ilz font des nidz tout ronds, et si bien pressés que l'eau de la mer ne peut nullement les penetrer; et, seulement au dessus, il y a un petit trou par lequel ilz peuvent respirer et aspirer.

  A013001206 

 La dedans, ilz logent leurs petitz, affin que la mer les surprenant, ilz puissent nager en asseurance et flotter sur les vagues, sans se remplir ni submerger; et l'air qui se prend par le petit trou, sert de contrepoids, et balance tellement ces petitz pelotons et ces petites barquettes, que jamais elles ne renversent.

  A013001206 

 O ma Fille, que je souhaitte que nos cœurs soyent comme cela, bien pressés, bien calfeutrés de toutes partz, affin que si les tourmentes et tempestes du monde les saysissent, elles ne les penetrent pourtant point, et qu'il n'y ayt aucune ouverture que du costé du Ciel, pour aspirer et respirer a nostre Sauveur.

  A013001207 

 Ah! que j'ayme ces oyseaux qui sont environnés d'eaux et ne vivent que de l'air, qui se cachent en mer [127] et ne voyent que le ciel! Ilz nagent comme poissons et chantent comme oyseaux; et, ce qui plus me plaist, c'est que l'ancre est jettee du costé d'en haut et non du costé d'en bas, pour les affermir contre les vagues.

  A013001207 

 Mais pendant que les alcions bastissent leurs nidz et que leurs petitz sont encor tendres, pour supporter l'effort des secousses des vagues, helas, Dieu en a le soin et leur est pitoyable, empeschant la mer de les enlever et saysir.

  A013001207 

 O ma Seur ma Fille, le doux Jesus nous veuille rendre telz, qu'environnés du monde et de la chair nous vivions de l'esprit; que, parmi les vanités de la terre, nous visions tous-jours au Ciel; que, vivant avec les hommes, nous le loüyons avec les Anges, et que l'affermissement de nos esperances soit tous-jours en haut et au Paradis..

  A013001208 

 O ma Fille, il a fallu que mon cœur ayt jetté cette pensee sur ce papier, jettant aux pieds du Crucifix ses souhaitz, affin qu'en tout et par tout le saint amour divin soit nostre grand amour.

  A013001209 

 Mon Dieu, ma chere Fille, qu'est ce que je vous escris? je veux dire, a quel propos cela? O ma Fille, puisque nostre invariable propos et finale et invariable resolution tend incessamment a l'amour de Dieu, jamais les paroles de l'amour de Dieu ne sont hors de propos pour nous..

  A013001210 

 Vive Jesus! Que Jesus vive et Nostre Dame! Amen..

  A013001220 

 A quoy il me semble que vous pouves et deves contribuer non seulement vos voix, mais vos remonstrances et persuasions, puisque l'erection et establissement de ce college servira tant a la gloire de Dieu et de l'Eglise, comme vous pouves juger et croire.

  A013001234 

 Je pense que ces bonnes festes qui nous arrivent vous auront r'appellé au pres de madame nostre bonne mere, apres ce long voyage de Languedoc.

  A013001234 

 Je prie ce cher Sauveur, duquel nous celebrons l'advenement, quil assiste en ses (sic) jours d'une speciale consolation et joye [130] toute cette famille de mere et de freres, que je doy tant honnorer et respecter, et a laquelle je desire tant de pouvoir rendre service bien humble..

  A013001240 

 Vous ne seres pas marri, Monsieur mon Frere, si je vous dis qu'outre le devoir que j'avois de cherir avec tout honneur et respect monsieur de Pezieu, les demonstrations et tesmoignages d'amitié quil m'a rendu en vostre absence, me rendent infiniment son serviteur et tout plein de desir de me rendre son agreable frere et digne de sa faveur..

  A013001253 

 Cette pauvre femme, chargee d'une multitude de petitz enfans, va pour le secours de son mari, et n'espere en aucun autre support qu'en celuy que vostre grande charité et bonté luy promet.

  A013001253 

 Ell'a desiré, Monsieur, que j'adjoustasse ma supplication a sa misere, pour obtenir, ce luy semble plus aysement, vostre compassion; et je n'ay pas deu l'esconduire, tant en faveur des bonnes festes, que pour connoistre son mari exempt de malice et fort homme de bien et fidelle, qui me fait vous supplier humblement, Monsieur, de luy vouloir estre propice..

  A013001254 

 Dieu veüille vous combler des benedictions qu'il respandit sur terre, quand il y envoya son Filz pour naistre petit enfant parmi nous; de quoy nous celebrons la memoire en ces jours, que je vous souhaite pleins de joye et contentement, estant,.

  A013001269 

 Je finis cette annee, ma chere Fille, avec un desir non seulement grand, mais cuisant de m'advancer meshuy en ce saint amour que je ne cesse d'aymer, quoy que je ne l'aye encores point gousté.

  A013001269 

 O Dieu, pourquoy vivrons-nous l'annee suivante, si ce n'est pour mieux aymer cette Bonté souveraine? Oh! qu'elle nous oste de ce monde, ou qu'elle oste le monde de nous; ou qu'elle nous fasse mourir, ou qu'elle nous fasse mieux aymer sa mort que nostre propre vie..

  A013001269 

 Vive Dieu! ma Fille, nostre cœur (voyes vous, je dis nostre cœur) est fait pour cela: ah! que n'en sommes nous bien pleins.

  A013001269 

 Vous ne sçauries vous imaginer le sentiment que j'ay presentement de ce desir.

  A013001270 

 Ce n'est pas encores la pluye, ce ne sont que les [133] premieres rosees de ses larmes.

  A013001270 

 Mon Dieu, ma Fille, que je vous souhaite en Bethlehem maintenant, aupres de vostre sainte Abbesse.

  A013001271 

 Dieu veuille couronner vostre commencement d'annee des roses que son sang a teint..

  A013001286 

 J'entens neanmoins que ce ne soit pas pour dire une partie de l'Office publiq et solemnel, mais simplement, comme vous dites, des Noelz et chansons spirituelles.

  A013001286 

 Je sçai ce que dit saint Paul: Mulier in ecclesia taceat; mais il [135] parle tout ouvertement de la doctrine et non des cantiques, comme monstre le texte: Si quid autem volant discere, domi viros suos interrogent..

  A013001302 

 Et me semble quil inclineroit plus que le lieutenant eut la charge que le jugemaïe, par ce quil est plus resident au lieu et a plus d'addresse pour la particuliere conduite de cett'affaire.

  A013001302 

 La faveur que vous me faites d'avoir aggreable (sic) mes importunités, me fait encor lascher celleci, pour vous representer cette necessité que ledit Pere me dit estre fort grande, et je voy qu'au moins elle luy est a cœur..

  A013001302 

 Le bon Pere Maurice, qui est icy pour quelques jours, me dit que sil vous playsoit de recommander au [136] sieur juge maje de Ternier, ou au sieur de Rovenoz son lieutenant, l'execution et observation des editz faitz contre les huguenotz, ou plus tost pour eux et leur reduction, en peu de jours les effectz en seroyent tres bons et desirables.

  A013001318 

 Le 25, voyci vostre homme qui m'arriva et me treuva environné d'affaires, si que je n'ay sceu le depescher qu'aujourd'huy..

  A013001319 

 Mais dites moy, ma Fille, ne m'est ce pas de l'affliction de ne vous pouvoir escrire qu'ainsy a la desrobbee? O voyla pourquoy il nous faut acquerir le plus que nous pourrons l'esprit de la sainte liberté et indifference; il est bon a tout, et mesme pour demeurer six semaines, voire sept, sans qu'un pere, et un pere de telle affection comme je suis, et une fille telle que vous estes, reçoivent aucunes nouvelles l'un de l'autre..

  A013001320 

 Je [138] ne puis pas m'estendre selon mon cœur; car voyci le jour de mes adieux, devant partir demain devant jour pour aller a Chamberi, ou le P. Recteur des Jesuites m'attend, pour me recevoir ces cinq ou six jours de Caresme prenant, que j'ay reservé pour rasseoir mon pauvre esprit tout tempesté de tant d'affaires.

  A013001320 

 Vous fustes malade apres la Conception, et je le fus aussi sept ou huit jours durant, et craignois bien que ce ne fust pour bien plus, mais Dieu ne le voulut pas.

  A013001321 

 Ce ne sont pas des eaux, ce sont des torrens que les affaires de ce diocese.

  A013001321 

 Et si feray, ma Fille, je vous diray quelque chose de moy, puisque vous le desires tant et que vous me dites que cela vous sert; mais, mais a vous, a vous seulement.

  A013001321 

 Je vous puis dire avec verité que j'en ay eu du travail sans mesure despuis que je me suis mis a la visite; et, a mon retour, je treuvay une besoigne de laquelle il me fallut entreprendre ma part, qui m'a infiniment occupé.

  A013001321 

 Le bon est que c'est tout a la gloire de nostre Dieu, a laquelle il m'a donné de tres grandes inclinations, et je le prie qu'il luy playse de les convertir en resolutions..

  A013001322 

 Il y a tous-jours quelque chose a dire, car je fais des fautes par ignorance et imbecillité, parce que je ne sçai pas tous-jours bien rencontrer le bon biais.

  A013001322 

 Je me sens un peu plus amoureux des ames que l'ordinaire; c'est tout l'advancement que j'ay fait despuis vous, mais au demeurant, j'ay souffert des grandes secheresses et derelictions, non toutefois longues, car mon Dieu m'est si doux, qu'il ne se passe jour qu'il ne me flatte pour me gaigner a luy.

  A013001322 

 Miserable que je suis! je ne correspons point a la fidelité de l'amour qu'il me tesmoigne.

  A013001322 

 Sauveur du monde, que j'ay de bons desirs! mais je ne sçai les parfaire..

  A013001323 

 Est ce pas asses dit, ma bonne Fille? Je dis ma bonne [139] Fille, parce que vous m'estes fort bonne et me consolés plus que vous ne sçauries croire.

  A013001324 

 Mais bien, dit le Sage, celuy qui n'a esté tenté que sçait-il? Tout va bien, tout ira bien, Dieu aydant, et, comme je dis ordinairement, si Dieu nous ayde nous ferons prou..

  A013001324 

 Mon Dieu, n'est ce pas dommage que ces bausmes des amitiés spirituelles soyent exposés aux mouscherons? Cette liqueur si sainte, si sacree merite un soin bien grand pour estre conservee toute nette, toute pure.

  A013001324 

 Si les mousches qui avoyent gasté, ou au moins qui vouloyent gaster la suavité de l'onguent estoyent fort pressantes et en grand nombre, o Dieu, en ce cas la il faut qu'elle se renge a un exacte retranchement de toutes paroles superflues, de tous gestes, de toutes vëues, et que le seul confessional, pour tout, demeure en liberté.

  A013001326 

 Mais si elle ne veut pas estre Religieuse, je suis bien d'advis que vous exercies vostre charité envers elle, a l'enseigner comm'il faut estre bonne vefve, puisque quicomque se marie a besoin de cette leçon.

  A013001326 

 Tous les chemins sont [140] bons a ceux que Dieu tient de sa mayn.

  A013001327 

 Et vrayment ce sont des braves gens: ne voyent-ilz pas que nous avons osté l'enseigne et que nous avons rompu le traffiq que nous pouvions avoir avec le monde? Il est vray, nostre cors n'est plus nostre, nomplus que l'ivoire du trosne de Salomon n'estoit plus aux elephans qui l'avoyent porté en leur gueule.

  A013001329 

 Je ne dis pas que mon absence de quelque peu de jours luy fut nuysible pour la privation de ma presence, car ce n'est pas cela qui m'empesche; mais c'est que la sayson est si sujette aux vens et orages que je ne suis pas a mon pouvoir d'aller et de venir, mais faut que je vogue a leur merci.

  A013001329 

 Je pense que non, car mille liens me tiennent attaché si court et serré que je ne puis remuer pieds ni mains, si Dieu de sa sainte main ne m'en delivre.

  A013001329 

 M'entendes vous bien? Je croy qu'ouy, car vous sçavés ce que je vous dis un jour de mon voyage de Dijon, lequel je fis des-ja contre le commun advis de tous mes amis, mais sur tout de celuy auquel je devois le plus deferer, qui est le mesme Pere Recteur que je vay voir a ce Caresme prenant, lequel, avec un grand zele de mon bien, me pensa quasi arrester; mais ce grand Dieu, en la face duquel je regardois droit, tiroit tellement mon ame a ce beni voyage, que rien ne me peut arrester, et aussi il l'a reduit tout a bien et a sa gloire.

  A013001329 

 Mais maintenant, d'y retourner jusques a ce que tout soit bien esclarci, je tenterois cette Bonté, laquelle me traitte si doucement que je la dois bien reverer..

  A013001329 

 Pour ma personne, je ferois tout pour donner satisfaction, je ne dis pas a vous, mais au moindre de tous mes enfans que Dieu m'a donné; mais ma pauvre femme me fait compassion, et puis que je ne la puis laisser qu'elle n'en souffre mille incommodités et que Dieu veut que je luy adhære, me voyla garrotté.

  A013001329 

 Voyla que c'est, je pense vous l'avoir des-ja dit par une præcedente.

  A013001330 

 Je vous ay dit ceci au long parce qu'il m'est venu en l'ame de penser que je le devois faire, a la charge que c'est a vous seulement.

  A013001330 

 Mais qui l'empeschoit? L'ame de saint Paul; et saint Chrisostome dit que c'estoit le Saint Esprit..

  A013001330 

 Mon Dieu sçait bien que si j'estois en liberté j'irois, je dis, je volerois souvent par tout ou j'ay du devoir.

  A013001330 

 Saint Paul dit a ses chers Romains, entre lesquelz et par lesquelz il devoit mourir: J'ay souvent proposé de venir a vous, affin que j'eusse [142] quelque fruit entre vous; mais j'ay esté empesché jusques a present.

  A013001331 

 Alhors vous me dires s'il est requis que nous nous voyons cette annee; et s'il l'est, je vous diray quand, et je le puis dire des maintenant.

  A013001331 

 Hors de la, il faut que je coure trois cens parroisses que j'ay encor a voir.

  A013001331 

 La semaine de Pentecoste, a commencer des l'avant veille, sera toute mienne, et celles de l'octave du Saint Sacrement, que je seray icy, ou ma mere viendra en ce tems la.

  A013001331 

 Mays je dis cela en cas que vous et vostre confesseur jugies qu'il soit expedient; car, sans mentir, je plains vostre peyne, et si elle n'est contrechangee de quelque grande utilité spirituelle, elle m'afflige..

  A013001331 

 Quoy que par les traverses et tribulations, vostre ame va bien, a ce que j'en voy; il reste de la tenir ferme.

  A013001332 

 Je ne sçai si les Carmelites reçoivent des Religieuses des autres Ordres; je crois que nenny.

  A013001333 

 Je suis en luy plus vostre que vous ne sçauries estimer; il n'y a rien de semblable.

  A013001338 

 Faites vous riche, je vous supplie, de ces thresors pretieux que rien ne vous peut ni ravir ni gaster.

  A013001338 

 Souvenes vous de ce que j'ay accoustumé de dire: Nous ne ferons jamais bien un Caresme pendant que nous en penserons faire deux.

  A013001338 

 Vous estes maintenant a Dijon, ou je vous ay escrit il n'y a que peu de jours, et ou vous abondes, par la grace de Dieu, de plusieurs consolations ausquelles je participe en esprit.

  A013001339 

 Les paroles saintes sont des perles, et de celles que le vray Ocean d'orient, l'Abysme de misericorde, nous fournit.

  A013001340 

 Je m'en vay dire maintenant a mes auditeurs que leurs ames sont la vigne de Dieu; la cisterne est la foy, la tour est l'esperance, et le pressoir, la sainte charité; la haye, c'est la loy de Dieu, qui les separe des autres peuples infideles..

  A013001341 

 A vous, ma chere Fille, je dis que vostre bonne volonté, c'est vostre vigne; la cisterne, sont les saintes inspirations de la perfection que Dieu y fait pleuvoir du Ciel; la tour, c'est la sainte chasteté, laquelle, comme il est dit de celle de David, doit estre d'ivoire; le pressoir, c'est l'obeissance, laquelle rend un grand merite pour les actions qu'elle exprime; la haye, ce sont vos vœux.

  A013001341 

 Oh! Dieu conserve cette vigne qu'il a plantee de sa main; Dieu veuille faire abonder de plus en plus les eaux salutaires de ses graces en sa cisterne; Dieu soit a jamais le protecteur de sa tour; Dieu soit celuy qui veuille tous-jours donner tous les tours au pressoir, qui sont necessaires pour l'expression du bon vin, et tenir tous-jours close et fermee cette belle haye dont il l'a environnee, cette vigne, et face que les Anges en soyent les vignerons immortelz..

  A013001342 

 Je m'en vay au pressoir de l'Eglise, au saint autel, ou distille perpetuellement le vin sacré du sang de ce raysin delicieux et unique que vostre sainte Abbesse, comme vigne celeste, nous a heureusement produit.

  A013001342 

 La, comme vous sçaves que je ne puis faire autrement, je vous presenteray et representeray au Pere en l'union de son Filz, auquel, pour lequel et par lequel je suis uniquement et si entierement vostre..

  A013001351 

 Il n'y a remede; il faut que je face ce que je ne veux pas, et le bien que je veux, je ne le fay pas.

  A013001351 

 Me voyci au milieu des predications et d'un grand peuple, et plus grand que je ne pensois pas; mais si je n'y fay rien, ce me sera peu de consolation..

  A013001352 

 Croyés que ce pendant je pense a tous momens a vous et a vostre ame, pour laquelle je jette incessamment mes souhaitz devant Dieu et ses Anges, affin que, de plus en plus, elle soit remplie de l'abondance de ses graces.

  A013001352 

 Ma tres chere Fille, que j'ay d'ardeur, ce me semble, pour vostre advancement au tres saint amour celeste, auquel, en celebrant ce matin, je vous ay derechef dediee et offerte, m'estant advis que je vous eslevois sur mes bras comme on fait les petitz enfans et les grans encor, quand on est asses fort pour les lever.

  A013001353 

 Ha! que vous fistes neanmoins un heureux eschange en ce jour la, embrassant l'estat de cette parfaite resignation auquel, avec tant de consolation, je vous ay treuvee; et vostre ame, prenant un Espoux de si haute condition, a bien rayson d'avoir une extreme joye en la commémoration de l'heure de vostre fiancement avec luy..

  A013001354 

 Je doy a jamais tascher de vous tenir hautement et constamment dans le siege que Dieu vous a donné en mon ame, qui est establi a la Croix..

  A013001354 

 Or sus, il est vray, ma chere Fille, nostre unité est toute consacree a la souveraine unité; et je sens tous-jours plus vivement la verité de nostre cordiale conjonction, qui me gardera bien de vous oublier jamais, qu'apres et long tems apres que je me seray oublié de moy mesme pour tant mieux m'attacher a la Croix.

  A013001355 

 Au demeurant, allés de plus en plus, ma chere Fille, establissant vos bons propos, vos saintes resolutions; approfondissés de plus en plus vostre consideration dans les playes de Nostre Seigneur, ou vous treuveres un abysme de raysons qui vous confirmeront en vostre genereuse entreprise et vous feront ressentir combien vain et vil est le cœur qui fait ailleurs sa demeure, qui niche sur autre arbre que sur celuy de la Croix.

  A013001355 

 O mon Dieu, que nous serons heureux si nous vivons et mourons en ce saint tabernacle! Non, rien, rien du monde n'est digne de nostre amour; il le faut tout a ce Sauveur qui nous a tout donné le sien..

  A013001356 

 Vrayement, j'ay eu de grans sentimens ces jours passés, des infinies obligations que j'ay a Dieu, et, avec mille douceurs, j'ay resolu derechef de le servir avec plus de fidelité qu'il me sera possible et de tenir mon ame plus continuellement en sa divine presence; et avec tout cela, je me sens une certaine allegresse, non point impetueuse, mais, ce me semble, efficace pour entreprendre ce mien amendement.

  A013001357 

 Mon Dieu, tres chere Fille de mon ame, que je voudrois volontier mourir pour l'amour de mon Sauveur! mais au moins, si je ne puis mourir pour cela, que je vive pour cela seul.

  A013001357 

 O ma Fille, je suis fort pressé; que vous puis-je plus dire, sinon que ce mesme Dieu vous benisse de sa grande benediction?.

  A013001358 

 A Dieu encor une fois, ma bonne, ma chere Fille, ma Seur, que je cheris incomparablement en Nostre Seigneur, qui vit et regne es siecles des siecles.

  A013001358 

 A Dieu encor, ma tres chere Fille; me voyci bien avant dans la nuit, mais plus avant dans la consolation que j'ay de m'imaginer le doux Jesus assis sur vostre cœur; je le prie qu'il y demeure au grand jamais.

  A013001369 

 Il est vray, ma bonne Seur; mais ne taschés-vous pas d'heure a autre de les faire mourir en vous? C'est chose certaine que, tandis que nous sommes icy environnés de ce cors si pesant et corruptible, il y a tous-jours en nous je ne sçai quoy qui manque.

  A013001369 

 Je ne sçai si je vous l'ay jamais dit: il nous faut avoir patience avec tout le monde, et premierement avec nous mesmes, qui nous sommes plus importuns a nous mesmes que nul autre, despuis que nous sçavons discerner entre le viel et le nouvel Adam, l'homme interieur et exterieur..

  A013001370 

 Que vous doit il chaloir de cela? Que ce soit le livre en main et a diverses reprises, ou sans livre, que vous importe-il? Quand je vous dis que vous n'y fussies que demi heure, c'estoit au commencement, que je craignois de forcer vostre imagination; mais maintenant il n'y a pas de danger d'y employer une heure..

  A013001372 

 Non, je ne voudrois pas m'abstenir d'aller en un honneste festin ni en une honneste assemblee ce jour la, si j'en estois prié, bien que je ne voudrois pas les rechercher.

  A013001373 

 Tout ce que la veuë nous apporte, c'est le danger, car qui le void est en quelque perii de l'aymer; mais a qui est bien resolu et determiné, la veuë ne nuit point.

  A013001374 

 Enquerés vous peu de ce que le monde pense, ne vous en mettes point en soucy, mesprisés son prix et son mespris, et le laissés dire ce qu'il voudra, ou bien ou mal.

  A013001374 

 La voyci, ma chere Fille, telle que les Saintz me l'ont apprise: Si le monde nous rnesprise, res-jouissons nous, car il a rayson, puisque nous reconnoissons bien que nous sommes mesprisables; s'il nous estime, mesprisons son estime et son jugement, car il est aveugle.

  A013001374 

 Mais il me fasche, dites vous, des mauvais jugemens que l'on fait de moy qui ne fay rien qui vaille, et on croit que si; et vous me demandés une recette.

  A013001375 

 Au contraire, je voudrois que, tenant les yeux sur Nostre Seigneur, nous fissions nos œuvres sans regarder que c'est que le monde en pense, ni quelle mine il en fait.

  A013001375 

 De dire qu'on n'est pas ce que le monde pense, quand il pense bien de vous, cela est bon; car le monde est un charlatan, il en dit tous-jours trop, soit en bien soit en mal..

  A013001375 

 En un mot, mesprisés presque esgalement l'opinion que le monde aura de vous et ne vous en mettés point en peyne.

  A013001375 

 Je n'appreuve pas donq que l'on faille, pour donner mauvaise opinion de soy; c'est tous-jours faillir et faire faillir le prochain.

  A013001376 

 Comme le sçaves-vous bien, ma chere Sœur? En quoy prefere-je les autres? Non, croyés-moy, vous m'estes chere et tres chere; et je sçai bien que vous ne prefereres pas les autres a moy, bien que vous le deussiés.

  A013001376 

 Mais, que me dites-vous? que vous portes envie aux autres, que je prefere a vous? et le pis est que vous dites que vous le sçavés bien.

  A013001376 

 Nos deux seurs des chams ont plus de necessité d'assistance que vous qui estes en la ville, en laquelle vous abondes d'exercices, de conseil et de tout ce qu'il faut, la ou elles n'ont nul qui les ayde..

  A013001377 

 Et quant a nostre seur du [Puits-d'Orbe], ne voyes vous pas qu'elle est seule, n'ayant point d'inclination a se ranger a la confiance de ceux que monsieur nostre pere luy propose, et monsieur nostre pere ne gouste point ceux que nous proposons? car, a ce qu'elle m'escrit, monsieur nostre pere ne peut appreuver le choix de monsieur Viardot.

  A013001386 

 Contre tous ces nouveaux assautz et tentations d'infidelité ou doute de la foy, tenés vous close et couverte dans les instructions que vous aves eu jusques a present; vous n'aures rien a craindre.

  A013001387 

 Ne vous amuses point a la consideration de tout cela, car il vous doit suffire que Dieu n'est point offencé en ces attaques que vous receves.

  A013001387 

 Pour moy, je voy cette grande horreur et hayne que vous aves pour ces suggestions, et ne doute nullement que cela ne vous nuise et ne donne de l'advantage a l'ennemy, qui se contente de vous ennuyer et inquieter, puisqu'il ne peut faire autre chose, comme il ne fera jamais, Dieu aydant.

  A013001387 

 Usés le plus que vous pourres de mespris de ces broüilleries la, car le mespris y est le remede le plus utile..

  A013001388 

 J'ay neanmoins bien esté en consideration, pour penser que c'est qui pouvoit permettre au monde l'audace et l'imprudence de penser a les esbranler; car il me semble que nous luy faysons asses mauvais visage pour luy oster le courage de nous vouloir chatouiller.

  A013001398 

 Je vous asseure que cette seule nouvelle m'a des-ja rempli de joye et de contentement, et si cela m'arrive je le tiendray pour une singuliere faveur de Dieu....

  A013001398 

 On m'escrit de Dijon que monsieur de Berulle et monsieur [153] Gallemand y sont, et mesme que monsieur de Berulle vient de ce costé de deça et qu'il me fera l'honneur de s'avancer jusques ou je seray.

  A013001408 

 J'avois des-ja sceu par la voye de mon frere de la Tuille le desir que vous avies pris de faire donner page mon cosin vostre filz a monsieur d'Albigni, et tout [154] aussi tost je m'enquis sil y avoit place, ou vacante ou preste a vaquer.

  A013001409 

 Je ne veux pas retourner que je ne me sois essayé fort fidellement a bien rendre ce devoir, comme je feray en toutes autres occasions, aydant Dieu, que je supplie vous benir et conserver, et demeure,.

  A013001427 

 Je feray cependant ressouvenir de la bonne affection qu'il a tesmoigné d'avoir au soulagement de monsieur de la Faverge mon oncle, et y feray tout ce que je pourray; mays si Monseigneur le Prince revenoit, j'appreuverois beaucoup plus que mon cosin luy fust donné qu'a nul autre..

  A013001427 

 Je receus l'autre jour vostre lettre, a laquelle je n'ay sceu si tost respondre, embarrassé que je suis en un monde de menues affaires et de visites.

  A013001427 

 Maintenant je vous diray que toutes les places de page chez monsieur d'Albigny sont pleynes et ni a pas grand'esperance qu'elles puissent estre vuides si tost.

  A013001428 

 Je regrette que mon frere du Vilaroget soit malade, comme monsieur Deage m'escrit; je le serviray le plus qu'il me sera possible par mes foybles prieres.

  A013001442 

 Je vous demanday congé pour venir faire l'office que je fay en cette ville; je vous le demande maintenant pour mon retour, duquel je voy bien tost arriver la journee, avant laquelle je ne sçay si j'auray une si [157] bonne commodité de vous bayser les mains, comme est celle que me donne le voyage de M. vostre Official, pour aller pres de vous; qui m'a donné le sujet de vous supplier des maintenant d'avoir pour aggreable l'affection que j'ay eue au service de vostre peuple, et de croire que je suys,.

  A013001452 

 J'avois demeuré fort long tems sans avoir l'honneur de vos lettres, et tout en un jour, peu avant Pasques, j'en receu deux: l'une du 13 janvier, l'autre du 18 fevrier, par lesquelles, en un coup, j'ay receu aussi deux consolations; car je fus asseuré de vostre santé, de laquelle j'avois esté en peyne a rayson d'un advis que j'avois eu que vous avies eu des ressentimens de vostre gravelle, et de celle de madame l'Abbesse, ma tres chere seur, a laquelle j'en souhaite beaucoup pour le desir qu'elle [158] a de l'employer entierement a la gloire de Nostre Seigneur..

  A013001453 

 Vous seres consolé sans doute, Monsieur mon Pere, par le voysinage de ces bonnes Dames Carmelites, desquelles la bonne odeur se respand souefvement par tout ou elles sont receües; et moy, qui participe a tous vos contentemens, je m'en res-jouis beaucoup, comme aussi de la conversation de messieurs de Berulle [et Gallemand], que j'honnore de tout mon cœur pour sçavoir que Dieu a le sien tourné du costé du leur..

  A013001455 

 Je m'en revay a mon Annessy, puisque le Caresme est achevé, d'où je vous escriray le plus souvent qu'il me sera possible pour vous tenir la memoire fraische de celuy qui, quoy que indigne et inutile, est glorieux d'estre et se pouvoir dire toute sa vie,.

  A013001472 

 Je vous ay des-ja escrit mon avis sur le sujet de vostre derniere lettre; mais voyant que vous le desires fort et craignant que si mes paquetz s'estoyent esgarés vous n'en demeurassies en peyne, je vous rediray quil ni a nul danger que vous entries au Monastere de nostre seur jusques a ce que la clausure y soit exactement establie.

  A013001472 

 Pleut a Dieu que les hommes qui n'entrent en cette Mayson-la que par curiosité et indiscretion, en fisse (sic) bien scrupule, car ilz auroyent bon fondement pour cela; mais non pas vous, jusques a ce que, comme je dis, la clausure y soit establie, qui ne sera jamais si tost que je le desire..

  A013001473 

 J'ay sceu ce que vous me dites des inquietudes de touttes les Religieuses, et en suis marri.

  A013001473 

 La nature a mis une loy entre les abeilles, que chacune d'icelles face le miel dedans sa ruche et des fleurs qui luy sont autour..

  A013001473 

 Mais je ne pense pas que cela se puisse aysement; qui me fait dire qu'elles n'employent pas bien ce bon exemple, qui leur devroyt servir pour les animer a bien embrasser la perfection de leur estat, et non pas a les troubler et faire desirer celuy auquel elles ne peuvent arriver.

  A013001473 

 On me dit que ces bonnes filles sont toutes esprises de l'odeur sainte que respandent les [160] saintes Carmelines et qu'elles desireroyent toutes d'en estre.

  A013001487 

 Je suis consolé que monsieur Gallemant soit de mesme advis avec moy.

  A013001487 

 Pour le remede de ces importunités que vous receves touchant la foy, il dit vray: il ne faut point disputer, mais s'humilier; ni speculer avec l'entendement, mais roidir la volonté..

  A013001489 

 C'est le grand chemin, ma chere Fille, duquel il ne nous faut pas encores departir jusques a ce que le jour soit un petit plus grand et que nous puissions bien discerner les sentiers.

  A013001489 

 De ne se servir en l'orayson ni de l'imagination ni de l'entendement, il n'est pas possible; mais de ne s'en servir point que pour esmouvoir la volonté, et, la volonté estant esmeuë, de l'employer plus que l'imagination ni l'entendement, cela se doit faire indubitablement.

  A013001489 

 Il est bien vray que ces imaginations ne doivent point estre entortillees de beaucoup de particularités, mais simples.

  A013001489 

 Je vous ay neanmoins marqué en quelque papier que cette imagination doit estre fort simple, et comme servant d'esguille pour enfiler dans nostre esprit ses affections et resolutions.

  A013001489 

 Ne vous departés encor point de nostre methode jusques a ce que nous nous revoyons..

  A013001489 

 Non pas, peut estre, a ceux qui sont des-ja fort advancés en la montaigne de la perfection; mais pour nous autres qui sommes encor es vallees, quoy que desireux de monter, je pense qu'il est expedient de se servir de toutes nos pieces, et de l'imagination encores.

  A013001490 

 Ausquelles des deux que vous voulies venir, vous me treuveres icy plein de cœur, et, Dieu aydant, de joye a vous servir..

  A013001490 

 La difficulté est que je n'ay a mon commandement que les octaves de Pentecoste et celle du Saint Sacrement.

  A013001490 

 Mais quand sera-ce, me dires vous? Si vous pensies, [162] ma chere Fille, que vous puissies tirer de ma presence tant d'ayde et de bon fruit et de provisions spirituelles come vous m'escrives, et que vous en ayes beaucoup de desir, je ne seray pas si dur que de vous remettre a l'annee prochaine, mais vous remettray volontier au premier dessein, lequel ne me donne nulle peyne que celle que vous aures au voyage; car, au demeurant, il m'est plein de suavité et de contentement.

  A013001491 

 Et voyés-vous, ma chere Fille, en ces choses non necessaires, ou au moins desquelles je ne puis * pas bien discerner la necessité, ne prenés point mes paroles ric a ric; car je ne veux point qu'elles vous serrent, mais que vous ayes liberté de faire ce que vous croirés estre meilleur.

  A013001491 

 Si donq vous croyes que vostre voyage vous soit fort utile, je m'accorde qu'il se face, mais cela avec ayse et toute volonté.

  A013001503 

 Il n'est pas croyable combien vous me lies estroittement au grand devoir que je vous ay, par cette continuelle memoire que vous aves de moy, de laquelle vos lettres si frequentes sont les marques.

  A013001503 

 Je loue Dieu de la santé de madame l'Abbesse, ma grande seur, et, avec vostre congé, ma chere fille, et croy que sa divine bonté s'en servira pour l'accroissement de sa gloire et le salut de plusieurs ames..

  A013001504 

 C'est pourquoy, Monsieur mon Pere, je vous supplie de l'y bien assister, particulierement pour la closture, au moins avec la modification que j'y avoys apportee, car, cela, c'est le grand mot pour ce sujet.

  A013001504 

 Je sçai que mes prieres sont superflües, puysque vostre bonne volonté est abondante; mais je ne puis m'empescher de vous en faire ces repliques, par ce que mon desir, qui est extreme au bien de cette seur et a la gloire de sa Mayson, m'en presse et sollicite incessamment..

  A013001505 

 Mais quel prix, je vous supplie? car je ne croy pas que la devotion en aÿe icy bas; mais je pense bien qu'elles en auront au Ciel.

  A013001505 

 Vous m'escrives, Monsieur mon Pere, que madame la Presidente vostre fille et madame de Chantal ont emporté le prix entre toutes les devotieuses.

  A013001505 

 [164] Je vous entens bien neanmoins, Monsieur mon tres bon Pere; vous me voules consoler par la devotion de ces deux ames que j'affectionne infiniment en Nostre Seigneur.

  A013001506 

 Aussi ne demande-je sinon vostre juste et equitable faveur pour sa protection, ce pendant que je supplie Nostre Seigneur [165] quil multiplie la sienne sur vous et madame ma mere, comm'estant,.

  A013001506 

 Cela me gardera de m'estendre plus au long sur ce sujet de la devotion de ces deux dames; mesme, puisqu'il faut que, changeant de propos, je vous supplie d'avoir en recommandation les droitz du sieur de Longecombe, Religieux de Nantua, duquel la famille m'appartient d'un'alliance si estroitte qu'il ne se peut dire plus, et est toute pleyne de vertu.

  A013001506 

 J'ay dautant plus de courage en cet office que je desire luy rendre, qu'il est defendeur et appellé, et que j'estime sa cause fort juste.

  A013001523 

 Jay respondu a toutes vos precedentes lettres; je repete neanmoins quil ni a nul danger a vous d'aller dans le Monastere de mesdames vos seurs pendant que la clausure ni est pas establie; le scrupule que vous en aves est sans fondement, et n'en doute point.

  A013001524 

 Ma chere Seur, si vostre confesseur juge a propos que vous communiies plus souvent que tous les huit jours, [166] vous le pourres faire; car je pense qu'il voit et considere soigneusement l'estat de vostre ame pour vous bien conduire en ce point.

  A013001524 

 Que si j'estois aussi pres de vous quil seroit requis pour discerner sur cette particularité, je vous en dirois mon opinion; mais vous ne pouves faillir, suivant celle de ceux qui voyent vostre disposition et necessité presente: c'est pourquoy vous deves, avec confiance, vous y reposer..

  A013001525 

 Haïssés donq vos imperfections parce qu'elles sont imperfections, mays aymés-les parce qu'elles vous font voir vostre rien et vostre neant, et qu'elles sont sujet a l'exercice et perfection de la vertu et misericorde de Dieu, a laquelle je vous recommande incessamment, me confiant que vous en faites le reciproque pour moy, qui, a jamais, suis et seray.

  A013001525 

 Mais cette inquietude qui vous arrive de ne pouvoir atteindre a ce signe de perfection pendant cette vie, vous invite au soupçon du desplaysir que vous en aves, lequel sans doute n'est pas pur, puisqu'il inquiete.

  A013001525 

 Vous aymeries mieux vous voir sans faillir que de vous voir parmi les imperfections; aussi ferois je bien moy, car nous serions en Paradis.

  A013001529 

 Vous me faites tous-jours des excuses; pour l'honneur de Dieu, non plus, car il semble que vous ne sçachies pas quelle ame sa divine bonté m'a donnee en vostre endroit..

  A013001560 

 C'est pourquoy, affin de le ranger plus tost, il seroit a propos que vous fissies une attestation comme du costé de vostre Chapitre [169] et des Religieux, vous me receustes en qualité de Superieur, et acquiescés pleinement a mes ordonnances.

  A013001560 

 Or, puisque c'est la verité, et que je ne desire de voir la fin de ce proces que pour la gloire de Dieu et le bien de vostre Monastere, je croy que vous ne feres nulle difficulté de m'envoyer ladite attestation..

  A013001560 

 Vous sçaves le proces que monsieur l'Abbé de Sixt m'a suscité a Vienne pour s'exempter, s'il peut, de la correction qu'il doit recevoir des Evesques; et en fin, je m'asseure que l'iniquité de son dessein estant mise au jour de la justice, il se treuvera confus.

  A013001577 

 C'est, Madame, qu'il vous playse commander a Pensabin de ne point vouloir exiger de luy, [170] ni le charger d'interestz et accessoires pour les sommes qu'il doit a Vostre Excellence, sinon a la mesme mesure et quantité que Sa Grandeur en veut retirer, affin que non seulement l'un, mais l'autr'aussi participe a sa charité et liberalité, et que l'un des debiteurs use a l'endroit de l'autre de la debonnaireté et gratification qu'il a obtenue de son seigneur et creancier, selon l'Evangile..

  A013001578 

 Et je sçai bien, Madame, combien moy mesme je devrois rechercher des intercessions, pour impetrer pardon et du retardement du payement de Thorens et d'avoir tant attendu a faire les actions de graces que je doy a Vostre Excellence, pour la douceur dont elle use en mon endroit pour ce regard.

  A013001578 

 Mais je ne puis implorer a cette intention que la mesme bonté que le sieur de Manigod me fait implorer pour luy, et a laquelle j'auray plus ample recours, a la fin de tout le payement que je ne verray jamais si tost achevé que je souhaitte..

  A013001595 

 J'espere que dans peu de tems, j'auray sentence en la faveur de mon bon droit, et, moyennant cela, nous pourrons prendre l'affaire de tant de biays, que monsieur l'Abbé sera en fin contraint de joindre a la rayson.

  A013001595 

 Je vous remercie des expeditions que vous m'aves envoyees, lesquelles je ne desire qu'employer a vostre repos et consolation.

  A013001612 

 Les bons desirs et dessains que Nostre Seigneur a mis dedans vostre cœur me donnent beaucoup de sujet de vous honnorer, et voudrois bien pouvoir estre utile a vous servir pour ce regard; en signe dequoy j'ay mis en escrit les petits advis que je vous dis a bouche, et les vous envoÿe de bonne volonté, puis que vous les desirés et qu'aussi je pense qu'ilz vous seront utiles.

  A013001612 

 Si toutefois, il y avoit quelque chose que vous n'entendissies pas du tout bien, il ne s'en faudroit pas mettre en peyne, car avec le tems, vous l'entendres sans difficulté.

  A013001613 

 Vous ne profiterés pas peu communicant vostr'ame avec le P. Recteur, comm'il me semble que vous avies resolu de faire a mon despart.

  A013001614 

 Je prie Nostre Seigneur quil vous comble abondamment [173] des graces de son Saint Esprit, et desire que reciproquement vous me facies part a vos prieres, comm'a celuy qui sera tous-jours,.

  A013001619 

 Il ne sera pas requis que cet escrit soit veu sinon par vous..

  A013001629 

 Avec icelle, j'ay receu l'advis que cette bonne fille que vous connoissés, m'a envoyé de ce petit accident [174] qui luy estoit arrivé en l'amitié spirituelle de la personne a laquelle ell'avoit pris de la confiance; et par ce que vous luy dires mieux ce que je desire qu'elle sache sur ce point, que je ne sçaurois luy escrire, je le vous diray..

  A013001629 

 Voicy qu'en fin j'ay receu la lettre que vous m'escrivi tes le 28 decembre de l'an passé; et le pauvre La Pause, a qui ell'avoit esté remise, s'estant rompu une jambe aupres de Mascon, n'a peu me l'apporter plus tost.

  A013001630 

 Mais cette fille doit benir Dieu que cet inconvenient luy ayt esté manifesté au commencement de sa devotion, car c'est un signe evident que sa divine Majesté la veut conduire par la main, et, par l'experience de ce danger eschappé, la veut rendre et sage et prudente pour en eviter plusieurs autres.

  A013001630 

 Mais il y a cela de plus: c'est quil faut que la main du vigneron qui l'esmonde soit plus delicate, dautant que les superfluités qui surcroissent sont si minces et deliees que, en leur commencement, on ne sçauroit presque les voir, si on n'a les yeux bien essuiés et ouvertz.

  A013001630 

 Ne voyt on pas que les vignes qui produisent le meilleur vin sont plus sujettes aux superfluités et ont plus de besoin d'estre emondees et retranchees? Tell'est l'amitié, mesme spirituelle.

  A013001630 

 O Dieu, que c'est chose rare de voir des feuz sans fumee! Si est ce que le feu de l'amour cæleste n'en a point pendant quil demeure pur; mais quand il se commence a mesler, il commence de mesme a rendre de la fumee d'inquietudes, de desreglemens et mouvemens de cœur irreguliers.

  A013001630 

 Or bien, Dieu soit loué que tout est bien remis et en bon estat..

  A013001631 

 Au demeurant, il ni a point eu de mal a se declairer en sorte que l'on aye peu reconnoistre la personne dont on parloit, puisqu'il ne se pouvoit faire autrement.

  A013001631 

 Et le discret conseiller des ames ne treuve jamais rien d'estrange, mais reçoit tout avec charité, compatit a tout, et connoist bien que l'esprit de l'homme est sujet a la vanité et au des-ordre, si ce n'est par une speciale assistence de la Verité.

  A013001631 

 Il me reste a vous dire, ma tres chere Seur, que le chemin de devotion le plus asseuré, c'est celuy qui est au pied de [la] Croix: d'humilité, de simplicité, de douceur de cœur.

  A013001631 

 [175] J'ay respondu a tout le reste de ce qu'elle m'escrivoit, par les precedentes que vous luy aures rendues.

  A013001648 

 Et me voyci, Monseigneur, que je suis encor a l'attendre, s'estant escoulee une grande quantité de mois despuis la promesse quil m'en fit..

  A013001648 

 J'ay fait toucher au doit (sic) au seigneur chevalier Bergeraz que nous avions besoin de la dotation de plusieurs eglises, qui ne se peut prendre que dessus le revenu de l'Ordre; [176] et nous demeurasmes d'arrest, apres plusieurs contestes, qu'il procureroit une briefve resolution du Conseil dudit Ordre sur ce sujet.

  A013001648 

 Sachant combien Vostre Altesse est propice et favorable a tout ce qui regarde l'establissement de la foy catholique, specialement dans ses Estatz, je me plains a elle du peu de conte que messieurs de Saint Maurice et Lazare tiennent de contribuer ce qu'ilz doivent a cet effect pour le Chablaix, Gaillart et Ternier.

  A013001649 

 Que si Vostre Altesse n'use de sa providence et pieté ordinaire a commander audit Conseil et sieur Bergeraz que, sans delay, il (sic) satisfacent a leur devoir, je n'espere pas d'en voir jamais aucune bonn'issue, laquelle j'affectionne extramement, non seulement pour mon devoir et le salut de plusieurs ames qui manquent d'assistence faute de pasteurs, mais encor par ce que ce sera le comble de lhonneur, qui est deu a la bonté et pieté de Vostre Altesse, de la reduction de ces peuples; qui me fait la supplier tres humblement, et par l'amour de Nostre Seigneur, quil luy playse employer sa bonne et puissante main a l'execution d'une si saint'œuvre, de laquelle la recompense sera immortelle au Ciel, que je desire a Vostre Altesse de tout mon cœur, apres que, par une longue suite d'annees, ell'aura heureusement regné en terre, pour le bien de son peuple et la gloire de son Dieu..

  A013001650 

 Et cependant, je seray tant que je vive,.

  A013001664 

 J'attens, il y a long-tems, l'ordre que vous deves donner de vostre costé a la juste dotation des eglises de Chablaix, Gaillart et Ternier, qui sont encor despourvëues de pasteurs, faute de moyens convenables pour les y loger.

  A013001664 

 Que si monsieur le chevalier Bergera a des-ja l'ordre en main et que ce retardement vienne de sa part, je me plaindray beaucoup plus de luy, qui sçait par combien d'assemblees et de disputes je luy ay clairement fait voir la necessité de cette provision..

  A013001665 

 Ayes aggreable, Messieurs, je vous supplie, cette plainte que je vous fay avec autant de respect que ma juste affection me permet, desirant vivre, Messieurs, en vos bonnes graces, priant Dieu quil vous comble de ses benedictions, et demeurant.

  A013001681 

 Et ne laisses pas, je vous supplie, Madame ma chere Cousine, de me croire fort fidelle en tout ce qui regardera vostre service, car je le seray toute ma vie autant que nul homme du monde..

  A013001681 

 Il faut que je commence ma lettre en vous demandant pardon d'une faute que j'ay faite, mais je vous asseure, sans aucune malice, par une pure inadvertance.

  A013001681 

 Receves-la donq, sil vous plait, apres qu'ell'a esté ouverte, mais tout de mesme comme si elle ne l'avoit pas esté, et pardonnes a ma præcipitation qui [179] a deceu le respect que je porte et a l'escrivant et a vous.

  A013001682 

 Je garderay donques comme vous l'ordonnes les cent escus, et y feray joindre le reste que ma bonne mere vous doit, laquelle, avec tous ses enfans, non seulement se sentent obligés de vous rendre vostre bien a vostre besoin, mais de fondre tout le leur pour vostre service..

  A013001683 

 Je recommanderay l'affaire a Nostre Seigneur, et tout maintenant que je vay a l'autel..

  A013001683 

 Vous ne sçauries sans doute, Madame ma chere Cousine, communiquer vos desplaysirs petitz ou grans, non plus que vos contentemens, a un'ame plus sincere en vostre endroit ni plus entierement vostre que la mienne; et ne doutes nullement que je n'observe avec toute fidelité le secret auquel, outre la loy commune, la confiance que vous prenes en moy me lie indissolublement.

  A013001684 

 C'est bien dit, ma chere Cousine, il le faut tous-jours faire et en toutes occurrences; et quand vous vous accoustumeres de faire souventefois cette remise, non de bouche seulement, mais de cœur, et profondement et sincerement, croyes que vous en ressentirés des effectz admirables.

  A013001684 

 C'est grand cas que je ne puis m'empescher de vous parler de ces exercices du cœur et de l'ame; c'est par ce que je n'ayme pas seulement la vostre, mais je la cheris tendrement devant Dieu qui, a mon advis, desire beaucoup de devotion d'elle..

  A013001684 

 J'ay esté consolé de voir que vous vous remettés en la providence de Dieu.

  A013001685 

 Alles cependant tout bellement aux exercices de l'exterieur, et ne vous charges pas d'aller a Saint Claude a pied, non plus que ma bonne tante madame du Foug, laquelle n'est plus de l'aage auquel ell'y alla, quand je l'accompagnay.

  A013001685 

 Portes y vostre cœur bien fervent, et, [180] soit a pied ou a cheval, ne doutés point que Dieu ne le regarde et que Saint Claude ne le favorise..

  A013001703 

 Ce sera donques pour cette prochaine annee, s'il plait a Dieu, que nous nous reverrons, ma tres chere Fille; mais cela infalliblement, et tous-jours ou aux festes de Pentecoste ou a celle du Saint Sacrement, sans qu'il soit besoin d'attendre aucune autre assignation, affin qu'on s'y dispose de bonne heure.

  A013001703 

 Et ce pendant, qu'est-ce [181] que nous ferons? Nous nous resignerons entierement et sans reserve a la bonne volonté de Nostre Seigneur, et renoncerons en ses mains toutes nos consolations, tant spirituelles que temporelles.

  A013001703 

 Nous remettrons purement et simplement a sa Providence la mort et la vie de tous les nostres, pour faire survivre les uns aux autres, et a nous, selon son bon playsir, asseurés que nous sommes que, pourveu que sa souveraine Bonté soit avec nous et en nous et pour nous, il nous suffit tres abondamment..

  A013001704 

 C'est donq a la gloire de Nostre Seigneur que vous estes attachee, non pas a ses creatures.

  A013001704 

 Que je demandasse de vous survivre? Oh vrayement, que ce bon Dieu en face comme il luy plaira, ou tost ou tard: ce ne sera pas cela que je voudrois excepter en mes resignations, si j'en faysois.

  A013001704 

 Seigneur Dieu, que dites vous, ma tres chere Fille? Vous puis je servir de lien, moy, qui n'ay point de plus grand desir sur vous que de vous voir en l'entiere et parfaite liberté de cœur des enfans de Dieu? Mais je vous entens bien, ma chere Fille, vous ne voules pas dire cela; vous voules dire que vous penses que ma survivance soit a la gloire de Dieu, et pour cela vous vous y sentes affectionnee.

  A013001705 

 Et, si vous voules que je vous die tout, elle n'agissoit pas si souëfvement au commencement que Dieu me l'envoya (car c'est luy sans doute), comme elle fait maintenant, qu'elle est infiniment forte, et, ce me semble, [182] tous-jours plus forte, quoy que sans secousse ni impetuosité.

  A013001705 

 Mais croyés moy, vostre desir a sa bonne part en cette resolution; car j'affectionne en extremité vostre contentement et consolation, mais avec une certaine liberté et sincerité de cœur telle, que cette affection me semble une rosee, laquelle destrempe mon cœur sans bruit et sans coup.

  A013001705 

 Mais sçaves vous quelle parole je vous donneray bien? C'est d'avoir plus soin de ma santé dores-en-avant, quoy que j'en aye tous-jours eu plus que je ne merite; et, Dieu mercy, je la sens fort entiere maintenant, ayant absolument retranché les veillees du soir et les escritures que j'y soulois faire, et mangeant plus a propos aussi.

  A013001707 

 Et pour cela, si vous faites quelque imagination vehemente et que vous vous y arresties puissamment, sans doute vous aves eu besoin de cette correction; mais si vous la faites briefve et simple, pour seulement rappeller vostre esprit a l'attention et reduire ses puissances a la meditation, je ne pense pas qu'il soit encor besoin de la du tout abandonner.

  A013001707 

 Il ne faut ni trop particulariser, comme seroit de penser la couleur des cheveux de Nostre Dame, la forme de son visage et [183] choses semblables; mais simplement en gros, que vous la voyes souspirante apres son Filz, et choses semblables, et cela briefvement..

  A013001707 

 J'ay pensé sur ce que vous m'escrivistes que monsieur N. vous avoit conseillé de ne point vous servir de l'imagination ni de l'entendement, ni de longues oraysons, et que la bonne Mere Marie de la Trinité vous en avoit dit de mesme touchant l'imagination.

  A013001708 

 Si vostre volonté, sans violence, court avec ses affections, il n'est pas besoin de s'amuser aux considerations; mais parce que cela n'arrive pas ordinairement a nous autres imparfaitz, il est force de recourir aux considerations encor pour un peu..

  A013001709 

 De tout cela, je recueille que vous deves vous abstenir des longues oraysons (car je n'appelle pas longue l'orayson de trois quartz d'heure ou de demi heure) et des imaginations violentes, particularisees et longues; car il faut qu'elles soient simples et fort courtes, ne devant servir que de simple passage de la distraction au recueillement.

  A013001709 

 Et tout de mesme des applications de l'entendement, car aussi ne se font-elles que pour esmouvoir les affections, et les affections pour les resolutions, et les resolutions pour l'exercice, et l'exercice pour l'accomplissement de la volonté de Dieu, en laquelle nostr'ame se doit fondre et resoudre.

  A013001709 

 Que si je vous avois dit quelque chose contraire, ou que vous eussies entendu autrement, il la faudroit reformer sans doute..

  A013001709 

 Voyla ce que je vous en puis dire.

  A013001710 

 J'appreuve encor plus que vous facies ces ouvrages de vos mains, comme le filer et semblables, aux heures que rien de plus grand ne vous occupe, et que vos besoignes soyent destinees ou aux autelz ou pour les pauvres; mais non pas que ce soit avec si grande rigueur que, s'il vous advenoit de faire quelque chose pour vous ou les vostres, vous voulussies pour cela vous contraindre a donner aux pauvres la valeur; car il faut par tout que la sainte liberté et franchise regne, et que nous n'ayons point d'autre loy ni contrainte que celle de l'amour, lequel, quand il nous dictera de faire quelque besoigne pour les nostres, il ne doit point estre [184] corrigé comme s'il avoit mal fait, ni luy faire payer l'amende comme vous voudries faire.

  A013001710 

 Je pense que si vous m'entendes bien, vous verres que je dis vray, et que je combatz pour une bonne cause quand je defens la sainte et charitable liberté d'esprit, laquelle, comme vous sçaves, j'honnore singulierement, pourveu qu'elle soit vraÿe, et esloignee de la dissolution et du libertinage qui n'est qu'une masque de liberté..

  A013001711 

 Apres cela, j'ay ry vrayement et ay ry de bon cœur, quand j'ay veu vostre dessein de vouloir que vostre sarge soit employee pour mon usage et que je donne ce qu'elle pourra valoir aux pauvres; mais je ne m'en mocque pourtant pas, car je voy bien que la source de ce desir est belle et claire, quoy que le ruisseau soit un peu trouble.

  A013001711 

 O Dieu! mon Dieu me face tel, que tout ce que j'employe a mon usage soit rapporté a son service, et que ma vie soit tellement sienne, que ce qui sert a la maintenir puisse estre dit servir a sa divine Majesté..

  A013001712 

 Jamais vestement ne me tint si chaud que celuy la, duquel la chaleur passera jusques au cœur, et ne penseray pas qu'il soit violet, mais pourprin et escarlattin, puisqu'il sera, ce me semble, teint en charité.

  A013001712 

 Je ry, ma chere Fille, mais ce n'est pas sans meslange d'apprehension bien forte de la difference qu'il y a entre ce que je suis et ce que plusieurs pensent que je soys.

  A013001712 

 Mais bien! que vostre intention vous vaille devant Dieu! J'en suis content pour une piece; mais qui me l'estimera a sa juste valeur? car si je voulois rendre aux pauvres son prix selon que je l'estimeray, je n'aurois pas cela vaillant, je vous en asseure.

  A013001712 

 Or sus donques, soit pour une fois; car sachés que je ne fay pas toutes les annees des habitz, mais seulement selon la necessité; et, pour les autres annees, nous treuverons moyen de bien loger vos travaux selon vostre desir..

  A013001713 

 Ce dessein m'a donné mille [185] gayes pensees; mais je ne veux vous en dire qu'une, que je faysois le jour de l'octave du Saint Sacrement, le portant a la derniere procession.

  A013001713 

 Et qui est cette divine toyson, sinon le merite, sinon les exemples, sinon les mysteres de la Croix? Il me semble donques que la Croix est la belle quenouille de la sainte Espouse des Cantiques, de cette devote Sulamite; la laine de l'innocent Aigneau y est pretieusement liee: ce merite, cet exemple, ce mystere..

  A013001713 

 O saint et divin Aigneau, ce disois je, que j'estois miserable sans vous! Helas, je ne suis revestu que de vostre laine, laquelle couvre ma misere devant la face de vostre Pere.

  A013001713 

 Sur cette cogitation, voyci Isaïe qui dit que Nostre Seigneur en la Passion estoit comme une brebis que l'on tond sans qu'elle die mot.

  A013001713 

 Voyés-vous, j'adorois Celuy que je portois, et me vint au cœur que c'estoit le vray Aigneau de Dieu, qui oste les pechés du monde.

  A013001714 

 Et c'est ce que le mesme Sage a peut estre pensé, quand, louant cette sainte mesnagere, il dit qu' elle porta sa main a choses hardies, et ses doigtz prindrent le fuseau.

  A013001715 

 Fay-je bien, ma chere Fille, de vous dire mes pensees? Je pense qu'au moins ne fay-je pas mal, et que vous les prendres pour telles qu'elles sont..

  A013001715 

 Voyla, ma chere Fille, ce que j'avois au cœur pendant que j'avois en mes mains l'Aigneau mesme, de la laine duquel je parle.

  A013001716 

 Or, ces desirs de vous voir esloignee de toutes ces recreations mondaines, comme vous dites, ne peuvent estre que bons, puisqu'ilz ne vous inquietent point.

  A013001717 

 Cela pourtant, sans bruit, sans incommoder nos affaires, sans laisser de filer non plus l'une que l'autre quenoüille.

  A013001717 

 Et bien, c'est asses, pour ce coup, parlé de la laine de nostre Aigneau immaculé; mais de sa divine chair, n'en mangerons-nous pas un peu plus souvent? O qu'elle est souëfve et nourrissante! Je dis que, se pouvant commodement faire, il sera bon de la recevoir un jour de la semaine, le jeudy, outre le Dimanche, sinon que quelque feste se presentast a quelque autre jour emmi la semaine.

  A013001718 

 J'ay receu une lettre que le Frere Matthieu m'a envoyé de Thonon, ou il s'est arresté..

  A013001718 

 Je me res-jouys de voir les bons Peres Capucins en vostre Autun, car j'espere que Dieu en sera glorifié.

  A013001719 

 Ce bon pere, ce bon oncle, tout cela m'est bien avant au cœur, et leur souhaitte tout ce que je puis de grace celeste, et a ces petitz enfans, que je tiens pour miens, puisqu'ilz sont vostres.

  A013001720 

 Il faut, je vous en prie, ma chere Fille, que vous prenies le soin d'en ordonner comme il convient.

  A013001720 

 J'ay bien un peu d'apprehension que madame nostre Abbesse ne s'en fasche, mais il n'y a remede; si n'est-il pas raysonnable de laisser si longuement dans un monastere une fille qui n'y veut pas vivre toute sa vie..

  A013001720 

 Je ne revoque point en doute si je la vous dois donner ou non; car, outre mon inclination, ma mere le veut si fort qu'elle le veut avec inquietude, des qu'elle a sceu que cette fille ne vouloit pas estre Religieuse; si que, quand je ne le voudrois pas, il faudroit que je le voulusse.

  A013001720 

 Reste ma petite seur, de laquelle il faut que je parle.

  A013001721 

 Et avec vous, feray je point quelque petite ceremonie pour vous remettre ce fardeau sur les bras? Je vous asseure que cela ne seroit pas en mon pouvoir; mais ouy bien de vous supplier, mais je dis conjurer, et s'il se peut dire quelque chose de plus, que vous ayes a me marquer tout ce qui sera requis pour l'equiper et tenir equipee a vostre guise, comme les princesses d'Espagne font, quand on leur donne des filles pour menines, car cela je le veux, et tres absolument; voire, jusques a luy faire porter un chaperon de drap, si cela appartient a vos livrees.

  A013001721 

 Il faut, je veux, et si le sujet le portoit, je commanderois que vous me marquies tout ce qu'il faut pour cette fille la.

  A013001721 

 J'escris a monsieur vostre beaupere pour le supplier d'avoir aggreable la [189] faveur que vous me voules faire, mais la verité est qu'en termes de belles paroles je n'y entens rien; vous le suppleeres, s'il vous plaist..

  A013001721 

 Vous voyes bien, ma chere Fille, que je ne suis pas en mes mauvaises humeurs, mais a bon escient je vous conjure.

  A013001722 

 Comme aussi ce que M. de [Sauzéa] me dit, que vous n'esties point pompeuse et que vous ne porties point de vertugadin, et que vous ne pensies point a vous remarier; mais cela me fut dit si naïfvement, ma chere Fille, que je le croy.

  A013001722 

 Et puis, vous me defendes de dire vos secretz apres que tout le monde les sçait.

  A013001722 

 Mais ne triomphés-vous pas quand vous m'imposes silence sur vos secretz? Vrayement, ce n'est pas moy, ma chere Fille, qui ay dit a monsieur N. que vous esties ma fille: il me le vint dire tout d'abord, comme chose que je devois recevoir fort a gré, et aussi fis je.

  A013001722 

 Or bien, je ne diray mot de vos besoignes, ni de l'emploite que vous en voules faire; car, a qui, je vous prie, le dirois je?.

  A013001723 

 Il me semble que nous nous rencontrions fort bien presque en toutes choses; mais, au bout de la, nostre chere liberté d'esprit remedie a tout.

  A013001723 

 Je sçavois des-ja le despart du bon Pere [de Villars]; ce qui m'avoit fasché, car il ne sera peut estre pas aysé de rencontrer un esprit si sortable a vostre condition que celuy la.

  A013001723 

 On m'a dit qu'en sa place est arrivé un grand personnage, des premiers predicateurs de France, mais que je ne connois que par son nom, qui est grand et plein de reputation..

  A013001724 

 Je me conserveray tant qu'il me sera possible, pour l'amour de moy, que je n'ayme que trop, et encores pour l'amour [190] de vous qui le voules et qui aurés part a tout ce qui s'y fera de bon, comme vous aves en general a tout ce qui se fait en mon diocese, selon le pouvoir que j'ay par ma qualité de le communiquer..

  A013001725 

 Ce pauvre garçon n'est point bien fait de santé; il se traisne tant qu'il peut, avec plus de cœur que de force.

  A013001725 

 Il pourra se reprendre pour un peu aupres de sa mere, pendant que je sauteray de rocher en rocher sur nos mons. J'ay escrit a Madame du [Puits-d'Orbe], de laquelle je n'ay point de nouvelles, il y a long tems.

  A013001725 

 J'entens que ses filles souspirent apres les Carmelines, ou elles ne peuvent atteindre, et perdent cœur a la perfection de leur Monastere, laquelle elles pourroyent aysement procurer.

  A013001726 

 Je suis aussi consolé de ce que ces bonnes Dames Carmelines vous affectionnent, et voudrois bien sçavoir d'ou est la bonne Seur Marie de la Trinité.

  A013001726 

 Monsieur de N. m'a promis qu'il viendroit avec vous et seroit vostre conducteur, et qu'il avoit esté nourry aupres de vous; et cela me pleut fort, comme aussi ce que vous m'escrives de l'amour reciproque de nostre seur de Dijon et de vous; car je la tiens pour une femme bien bonne, brave et franche.

  A013001730 

 De ma vie, que j'aye memoire, je n'ay esté plus embesoigné a diverses choses, mais bonnes; je dis ceci pour m'excuser si je ne vous escris plus amplement.

  A013001731 

 J'oubliois de vous prier de m'envoyer le plus tost que vous pourres, des chansons spirituelles que vous aves de dela; faites moy ce bien, je vous prie, ma chere Fille, pour l'amour de Dieu, qui vous veuille benir et conserver eternellement.

  A013001741 

 Je m'y en vay de grand courage, et des ce matin, j'ay senti une particuliere consolation a l'entreprendre, quoy que auparavant, durant plusieurs jours, j'en eusse eu mille vaines apprehensions et tristesses, lesquelles neanmoins ne touchoyent que la peau de mon cœur et non point l'interieur: c'estoit comme ces frissonnemens qui arrivent au premier sentiment de quelque froidure.

  A013001741 

 Mais, comme je vous ay dit maintesfois, nostre bon Dieu me traitte en enfant bien tendre, car il ne m'expose a point de rude [192] secousse; il connoist mon infirmité et que je ne suis pas pour en supporter de grandes.

  A013001742 

 Je m'imagine, pour moy, que si nous avions l'odorat un peu bien affiné, nous sentirions les afflictions toutes musquees et parfumees de mille bonnes odeurs; car encor que d'elles mesmes elles soyent d'odeur desplaysante, neanmoins sortant de la main, mais plustost du sein et du cœur de l'Espoux, qui n'est autre chose que parfum et que bausme luy mesme, elles arrivent a nous de mesme, pleynes de toute suavité..

  A013001743 

 Il nous ayme, il nous cherit, il est tout nostre, ce doux Jesus; soyons tous siens seulement, aymons le, cherissons le, et que les tenebres, que les tempestes nous environnent, que nous ayons des eaux d'amertume jusques au col: pendant qu'il nous sousleve le manteau, il n'y a rien a craindre..

  A013001744 

 Je vous escriray souvent, ma chere Fille, et mille et mille fois je vous beniray des benedictions que nostre Dieu m'a commises.

  A013001744 

 Vivés joyeuse, ou saine ou malade, et serrés bien ferme vostre Espoux sur vostre cœur, ma chere Fille, ma tres chere Fille, a qui je suis ce que sa divine Majesté veut que je sois et qui ne se peut dire.

  A013001754 

 Aymés tous les prochains, mais sur tout ceux que Dieu veut que vous aymies le plus.

  A013001754 

 Ravales-vous volontier aux actes desquelz l'escorce semble moins digne, quand vous sçaures que Dieu le veut; car, de quelque façon que la sainte volonté de Dieu se fasse, ou par des hautes ou par des basses operations, il n'importe.

  A013001754 

 Servés Dieu avec un grand courage et, le plus que vous pourres, par les exercices de vostre vocation.

  A013001764 

 Je vous supplie bien humblement de donner un passeport pour un moys au sieur d'Ivoyre, de Chablaix, qui donne de grandes esperances de s'instruire et convertir pendant ce tems-la, a ce que j'apprens par l'advis que m'en a donné le sieur chanoyne Grandis, homme tres digne d'estre creu, et sur la parole duquel je vous fay cette supplication sans scrupule, priant Nostre Seigneur quil vous conserve en parfaitte prosperité.

  A013001781 

 J'ay receu vostre lettre icy, emmy le chemin de ma visite, et l'ay renvovee a mon frere de la Thuille, affin qu'avec mes autres freres, il pourvoye a ce que Madame soit satisfaitte par les moyens plus convenables, puisque je suis en un'occupation qui ne me permet pour le present d'y pourvoir moy mesme.

  A013001781 

 J'espere que Dieu nous y aidera, que je supplie vous vouloir abondamment combler de ses graces; et vous remerciant bien humblement du soin que vous aves eu de nos affaires, je demeure.

  A013001798 

 Je me ressouviens tous-jours de ceux que j'aime, mais vous, peut estre, n'en estes pas de mesme; c'est pourquoy je me veux ramentevoir a vostre bonne grace, outre que du Four me presse, disant quil a acquiescé a nostre ordonnance fort amplement, et que neanmoins vous poursuives avec rigueur contre luy.

  A013001815 

 Mais parce que je m'en declaire fort amplement a madame vostre femme, en l'entremise de laquelle j'ay beaucoup de confiance pour obtenir ce que je desire, je ne m'estendray pas davantage a le particulariser, me devant contenter de vous supplier de tout mon cœur de me vouloir gratifier en ce sujet qui me semble digne de vostre bonté et charité..

  A013001816 

 Cependant croyes, Monsieur, que cette asseurance que je prens avec vous depend du desir que j'ay d'estre toute ma vie, comme je seray, Monsieur,.

  A013001825 

 Mon Dieu, ma bonne Fille, que vos lettres me consolent et qu'elles me representent vivement vostre cœur et confiance en mon endroit, mais avec une si pure pureté, que je suis forcé de croire que cela vient de la mesme main de Dieu..

  A013001826 

 O Dieu, ce dis je, et l'ardeur de ce berger estoit elle si chaude a la queste de sa vache, que cette glace ne l'a point refroidy? Et pourquoy donques suis je si lasche a la queste de mes brebis? Certes, cela m'attendrit le cœur, et mon cœur tout glacé se fondit aucunement.

  A013001827 

 Que voulies vous que je pensasse la dessus? Je vous en envoyeray un jour un extrait, car, sans mentir, il y a je ne sçai quoy de bon en cette petite histoire d'une femme mariee, et qui estoit, de sa grace, de mes grandes amies et m'avoit souvent recommandé a Dieu..

  A013001828 

 Je viens de parler pour vous a Nostre Seigneur en la sainte Messe, ma tres chere Fille, et certes, je n'ay pas osé luy demander absolument vostre delivrance; car s'il luy plaist d'escorcher l'offrande qui luy doit estre presentee, ce n'est pas a moy de desirer qu'il ne le face pas; mais je l'ay conjuré et conjure par cette si extreme dereliction par laquelle il sua le sang et s'escria sur la croix: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoy m'as-tu delaissé, qu'il vous tienne tous-jours de sa sainte main, comme il a fait jusques a present, bien que vous ne sçachies pas de quel costé il vous tient, ou au moins que vous ne le senties pas.

  A013001829 

 A quel propos s'inquieter? Mon ame, espere en Dieu; pourquoy es-tu triste et pourquoy te troubles-tu? puisque Dieu est mon Dieu et que mon cœur est un cœur tout sien..

  A013001829 

 En fin nous sommes tout a Dieu, sans reserve, sans division, sans exception quelconque, et sans autre pretention que de l'honneur d'estre siens.

  A013001829 

 [200] Demeurons donq en paix, et disons avec le grand amoureux de la Croix: Au demeurant, que nul ne me vienne inquieter, car quant a moy, je porte en mon cœur les stigmates de mon Jesus.

  A013001837 

 Je le [201] desire infiniment, mais je prevois bien que je n'auray pas asses de loysir pour ageancer mes pensees; ce sera beaucoup si je les puis produire..

  A013001838 

 Allons tous-jours; pour lentement que nous avancions, nous ferons beaucoup de chemin..

  A013001838 

 C'est bien dit, ma Fille, parlés avec moy franchement, comme avec moy, c'est a dire avec une ame que Dieu, de son authorité souveraine, a rendu toute vostre.

  A013001838 

 Hé, mon Dieu, que voyla une grande consolation pour moy.

  A013001838 

 Que je vous dirois volontier quelque chose sur cette parole! Vostre quenouille c'est l'amas de vos desirs: filés tous les jours un peu, tirés a poil vos desseins jusques a l'execution, et vous en chevires sans doute.

  A013001839 

 Dieu vous laisse la pour sa gloire et vostre grand proffit; il veut que vostre misere soit le throsne de sa misericorde, et vos impuissances, le siege de sa toute puissance.

  A013001839 

 Ou est ce que Dieu faisoit resider la force divine qu'il avoit mise en Samson, sinon en ses cheveux, la plus foible partie qui fust en luy? Que je n'oye plus ces paroles d'une fille qui veut servir son Dieu selon son divin playsir, et non selon les goustz et agilités sensibles.

  A013001840 

 Il n'est pourtant point dit que Nostre Dame et saint Joseph, qui estoyent les plus proches de l'Enfant, ouÿssent la voix des Anges ou vissent ces lumieres miraculeuses; au contraire, au lieu d'ouÿr les Anges chanter, ilz oyoient l'Enfant pleurer, et virent, a quelque lumiere empruntee de quelque vile lampe, les yeux de ce divin garçon tout couvertz de larmes, et transissant sous la rigueur du froid.

  A013001840 

 Nous voulons tous-jours ceci et cela, et quoy que nous ayons nostre doux Jesus sur nostre poitrine, nous ne sommes point contens; et neanmoins, c'est tout ce que [202] nous pouvons desirer.

  A013001840 

 Or, je vous demande en bonne foy, n'eussiés-vous pas choysi d'estre en l'estable tenebreux et plein des cris du petit Poupon, plustost que d'estre avec les bergers a pasmer de joye et d'allegresse a la douceur de cette musique celeste et a la beauté de cette lumiere admirable?.

  A013001841 

 C'est assés dit, ma Fille, et plus que je ne voulois, sur ce sujet des-ja tant discouru entre nous: non plus, je vous prie.

  A013001841 

 Ouy da, dit saint Pierre, il nous est bon d'estre ici a voir la Transfiguration (et c'est aujourd'huy le jour qu'elle se celebre en l'Eglise, 6 d'aoust); mais vostre Abbesse n'y est point, ains seulement sur le mont de Calvaire, ou elle ne voit que des mortz, des cloux, des espines, des impuissances, des tenebres extraordinaires, des abandonnemens et derelictions.

  A013001842 

 [203] Si vous demeures humble, tranquille, douce, confiante parmi cette obscurité et impuissance, si vous ne vous impatientes point, si vous ne vous empresses point, si vous ne vous troubles point pour tout cela, mais que de bon cœur (je ne dis pas gayement, mais je dis franchement et fermement) vous embrassies cette croix et demeuries en ces tenebres, vous aymeres vostre abjection.

  A013001843 

 Ma Fille, en latin l'abjection s'appelle humilité et l'humilité s'appelle abjection; si que, quand Nostre Dame dit: Parce qu'il a regardé l'humilité de sa servante, elle veut dire: Parce qu'il a eu esgard a mon abjection et vilité.

  A013001843 

 Neanmoins il y a quelque difference entre la vertu de l'humilité et l'abjection, parce que l'humilité est la reconnoissance de son abjection.

  A013001844 

 Affin que je me fasse mieux entendre, sachés qu'entre les maux que nous souffrons, il y en a des abjectz et des honnorables.

  A013001844 

 Voyla un homme qui a un chancre au bras, un autre l'a au visage: celuy la le cache, et n'a que le mal; celuy-ci ne le peut cacher, [204] et, avec le mal, il a le mespris et l'abjection.

  A013001846 

 Des jeunes dames du monde, me voyant en equipage de vraye vefve, disent que je fais la bigotte, et me voyant rire, quoy que modestement, elles disent que je voudrois encores estre recherchee; on ne peut croire que je ne souhaitte plus d'honneur et de rang que je n'ay, que je n'ayme pas ma vocation sans repentir: tout cela sont des morceaux d'abjection; aymer cela, c'est aymer sa propre abjection..

  A013001847 

 Allant au plus miserable je diray: C'est bien dit que je sois ravalee.

  A013001848 

 Je donne du nez en terre et tombe en une cholere desmesuree: je suis marry de l'offence de Dieu; bien ayse que cela me declaire vil, abject et miserable..

  A013001849 

 Encor faut-il avoir esgard a la charité, laquelle requiert quelquefois que nous ostions l'abjection pour l'edification du prochain; mais en ce cas, il la faut oster des yeux du prochain qui s'en scandalizeroit, mais non pas de nostre cœur qui s'en edifie.

  A013001849 

 Encor que nous aymions l'abjection qui s'ensuit du mal, il ne faut pourtant pas laisser de remedier au mal.

  A013001849 

 J'ay choysi, dit le Prophete, d'estre abject en la mayson de Dieu, plustost que d'habiter es tabernacles des pecheurs..

  A013001849 

 Je feray ce que je pourray pour ne [205] point avoir le chancre au visage; mais si je l'ay, j'en aymeray l'abjection.

  A013001849 

 Je me suis desreglé en ceci, en cela: j'en suis marry, quoy que j'embrasse de bon cœur l'abjection qui s'en ensuit; et si l'un se pouvoit separer de l'autre, je garderois cherement l'abjection, et osterois le mal et peché.

  A013001849 

 Neanmoins, ma Fille, prenes bien garde a ce que je m'en vay vous dire.

  A013001850 

 Comme, par exemple: cette femme mariee choysiroit toutes autres sortes d'abjection que celle de l'exercice du mariage; cette Religieuse obeyroit a toute autre qu'a sa Superieure; et moy je souffrirois plustost d'estre gourmandee d'une Superieure en Religion que d'un beaupere en ma mayson.

  A013001850 

 Je vous dis que ce sont celles que nous n'avons pas choysies et qui nous sont moins aggreables, ou, pour mieux dire, celles esquelles nous n'avons pas beaucoup d'inclination; mais, pour parler net, celles de nostre vocation et profession.

  A013001850 

 Qui me fera la grace que nous aymions bien nostre abjection, ma chere Fille? Nul ne le peut, que Celuy qui ayma tant la sienne, que, pour la conserver, il voulut mourir.

  A013001851 

 Et tout cela est une perte de tems, et est impossible que, tenant nos pensees et esperances d'un autre costé, nous puissions bien bander nostre cœur a la conqueste des vertus requises au lieu ou nous sommes.

  A013001851 

 Mais non, je ne vous avois pas dit que vous n'en eussies nulle esperance ni nulle pensee, ouy bien que vous ne vous y amusassies pas; parce que c'est chose certaine qu'il n'y a rien qui nous empesche tant de nous [206] perfectionner en nostre vocation que d'aspirer a une autre, car, en lieu de travailler au champ ou nous sommes, nous envoyons nos bœufz avec la charruë ailleurs, au champ de nostre voysin, ou neanmoins nous ne pouvons pas moissonner cette annee.

  A013001852 

 Croyés-moy, jamais les Israëlites ne peurent chanter en Babylone parce qu'ilz pensoyent a leur païs; et moy je voudrois que nous chantassions par tout..

  A013001853 

 Entendés bien, pour l'amour de Dieu; je ne dis pas que non, mais je dis que mon esprit n'a encor sceu treuver dequoy dire ouy.

  A013001853 

 Et qu'ay je apprins jusques a present? Qu'un jour, ma Fille, vous deves tout quitter; c'est a dire, affin que vous n'entendies pas autrement que moy, j'ay apprins que je vous dois un jour conseiller de tout quitter.

  A013001853 

 Et sachés qu'en cette enqueste, je me suis tellement mis en l'indifference de ma propre inclination pour chercher la volonté de Dieu, que jamais je ne le fis si fort; et neanmoins, l' ouy ne s'est jamais peu arrester en mon cœur, si que jusques a maintenant je ne le sçaurois dire ni prononcer, et le non, au contraire, s'y est tous-jours treuvé avec beaucoup de fermeté..

  A013001853 

 Je dis tout; mais que ce soit pour entrer en Religion, c'est grand cas, il ne m'est encor point arrivé d'en estre d'advis; j'en suis encor en doute, et ne voy rien devant mes yeux qui me convie a le desirer.

  A013001853 

 Je prieray de plus en plus Nostre Seigneur affin qu'il me donne plus de [207] lumiere pour ce sujet, affin que je puisse voir clairement l' ouy, s'il est plus a sa gloire, ou le non, s'il est plus a son bon playsir.

  A013001853 

 Mais vous me demandes que je vous die si je ne pense pas qu'un jour vous quitties tout a fait et tout a plat toutes choses de ce monde pour nostre Dieu, et que je ne le vous cele pas, ains que je vous laisse cette chere esperance.

  A013001853 

 O doux Jesus, que vous diray-je, ma chere Fille? Sa toute Bonté sçait que j'ay fort souvent pensé sur ce point et que j'ay imploré sa grace au saint Sacrifice et ailleurs; et non seulement cela, mais j'y ay employé la devotion et les prieres des autres meilleurs que moy.

  A013001854 

 Et apres tout cela, encores ne voudrois je pas qu'en ce point vous prissies entiere resolution sur mon opinion, sinon que vous eussies une grande tranquillité et correspondance interieure en icelle.

  A013001854 

 Et quand j'en serois tout resolu, encor ne voudrois je pas contester et preferer mon opinion ou a vos inclinations, quand elles seroyent fortes en ce sujet particulier (car par tout ailleurs je vous tiendray parole a vous conduire selon mon jugement et non selon vos desirs), ou au conseil de quelques personnes spirituelles que l'on pourroit prendre..

  A013001854 

 Je ne voy point qu'il soit requis de se haster, et ce pendant vous pourres vous mesme y penser, sans vous y amuser et perdre le tems; car, comme je vous dis, encores que jusques a present l'advis de vous voir en Religion n'a sceu prendre place en mon esprit, si est ce que je n'en suis pas entierement resolu.

  A013001854 

 Mais parce que ce point est de tres grande importance, et qu'il n'y a rien qui nous presse, donnés-moy encores du loysir et du tems pour prier davantage et faire prier a cette intention; et encor faudra-il, avant que je me resolve, que je vous parle a souhait, qui sera l'annee prochaine, Dieu aydant.

  A013001855 

 Ne preoccupés point vostre esprit par des vaines promesses de tranquillité, de goust, de merites; mays [208] presentés vostre cœur a vostre Espoux, tout vuide d'autres affections que de son chaste amour, et le suppliés qu'il le remplisse purement et simplement des mouvemens, desirs et volontés qui sont dedans le sien, affin que vostre cœur, comme une mere perle, ne conçoive que de la rosee du ciel et non des eaux du monde; et vous verres que Dieu nous aydera, et que nous ferons prou et au choix et a l'execution..

  A013001856 

 C'est a dire, j'appreuve que vous les facies nourrir es monasteres en intention de les y laisser, moyennant deux conditions: l'une, que les monasteres soyent bons et reformés, et esquelz on face profession de l'interieur; l'autre, que le tems de leur Profession estant arrivé, qui n'est qu'a seize ans, on sache fidellement si elles s'y veulent porter avec devotion et bonne volonté, car si elles n'y avoyent pas affection, ce seroit un grand sacrilege de les y enfermer.

  A013001856 

 Quant a nos petites, j'appreuve que vous leur preparies un lieu dedans des monasteres, pourveu que Dieu prepare dedans leur cœur un lieu pour le monastere.

  A013001858 

 Dieu en fera a son playsir, et faudra que les hommes s'y accommodent..

  A013001858 

 Et pour nostre Celse Benigne, je m'asseure que Monsieur son oncle aura plus de soin de l'education de [209] sa petite ame que de celle de son exterieur.

  A013001858 

 Si c'estoit un autre oncle, je dirois que vous en eussies le soin vous mesme, affin que ce thresor d'innocence ne se perdist.

  A013001859 

 Allés tout simplement a l'abry de nos resolutions, et rejettés les reflexions d'esprit que vous faites sur vostre mal comme des cruelles tentations..

  A013001859 

 Je ne vous sçaurois dire autre chose pour l'apprehension que vous aves de vostre mal, ni pour la crainte des impatiences a le souffrir.

  A013001859 

 Vous dis je pas la premiere fois que je parlay a vous de vostre ame, que vous appliques trop vostre consideration a ce qui vous arrive de mal et de tentation, qu'il ne failloit le considerer que grosso modo, que les femmes, et les hommes aussi quelquefois, font trop de reflexions sur leurs maux, et que cela entortilloit les pensees l'une dans l'autre, et les craintes et les desirs, dont l'ame se treuve tellement embarrassee qu'elle ne s'en peut demesler.

  A013001859 

 Vous resouvient il de monsieur N., comme son esprit s'estoit entortillé et entrelassé es vaines craintes sur la fin du Caresme, et que cela n'a esté nullement utile? Je vous supplie pour l'honneur de Dieu, ma Fille, ne craignes point Dieu, car il ne vous veut faire nul mal; aymés le fort, car il vous veut faire beaucoup de bien.

  A013001860 

 Dites luy souvent: Que puis-je avoir sur terre ou que pretens-je au Ciel sinon vous, o mon Jesus? Vous estes le Dieu de mon cœur et l'heritage que je desire eternellement.

  A013001860 

 Que cherchés vous sur terre sinon Dieu? et vous l'aves.

  A013001860 

 Que craignes vous, ma Fille? Oyés nostre Seigneur qui crie a Abraham et a vous aussi: Ne crains point, je suis ton protecteur.

  A013001860 

 Que puis je dire pour arrester ce flux de pensees en vostre cœur? Ne vous mettes point en peyne de le guerir, car cette peyne le rend plus malade.

  A013001861 

 La peur est un plus grand mal que le mal.

  A013001861 

 O Fille de peu de foy, qu'est ce que vous craignés? Non, ne craignes point; vous marches sur la mer, entre les vens et les flotz, mais c'est avec Jesus: qu'y a-il a craindre la? Mays si la peur vous saysit, criés fort: O Seigneur, sauvés moy.

  A013001862 

 Non, Dieu ne sçauroit vous perdre pendant que, pour ne le point perdre, vous vivres en nos resolutions.

  A013001862 

 Que le monde renverse, que tout soit en tenebres, en fumee, en tintamarre; mais Dieu est avec nous.

  A013001863 

 Je suis infiniment vostre, et plus que vostre..

  A013001871 

 car, ma Fille, il faut, comme un petit Jan, nourrir nos cœurs du miel sauvage aussi bien que du commun; c'est a dire, faire tout valoir, a la ville et aux chams, pour la tres sainte dilection de Dieu....

  A013001872 

 Ah, ma Fille, a qui tient-il que nous ne soyons saintz parmi tant d'exemples domestiques et estrangers, en la ville et aux chams? Tout nous presche en faveur de la sainteté, et nous n'y allons que fort lentement.

  A013001872 

 Helas, ma chere Fille, disons avec saint Augustin: Que faysons-nous? Les ignorans et les grossiers se levent, et, se levant devant nous, ilz ravissent les cieux; et nous croupissons dans nostre negligence! Au moins, parmy cette misere, soyons humbles, et Dieu nous benira, et relevera nostre bassesse par sa sainte misericorde....

  A013001881 

 Je respondray donques briefvement a ce que vous me demandes..

  A013001881 

 Je suis en une occupation qui me tient la bride si courte que je ne me puis guere eschapper pour vous escrire selon mon souhait, ni a madame nostre Abbesse.

  A013001883 

 C'est le grand mot: si nous sommes saintz selon nostre volonté nous ne le serons jamais bien; il faut que nous le soyons selon la volonté de Dieu.

  A013001883 

 Je dis que vous l'aymies et cherissies, non point pour ce qui est exterieur et qui peut regarder la sensualité en elle mesme, mais pour l'interieur, par ce que Dieu l'a ordonné, par ce que, sous cette vile escorce, la sainte volonté de Dieu s'accomplit.

  A013001883 

 Mon Dieu, que nous nous trompons souvent!.

  A013001883 

 Or, la volonté de Dieu est que, pour l'amour de luy, vous facies librement ainsy: que vous aymies franchement l'exercice de vostre estat.

  A013001884 

 Cela soit dit pour une fois, et quil vous suffise que c'est la vraye verité..

  A013001884 

 O Dieu, faut-il donques que l'action qui, en l'exterieur, est si basse, soit si haute en merite, et mes prædications, mes Confirmations, si relevees en l'exterieur, soyent si basses en merite pour moy, faute d'amour et de dilection! J'ay dit ceci de la sorte affin que vous sachies que la Communion n'est nullement incompatible avec l'obeissance, en quelque sorte d'action qu'on l'exerce.

  A013001885 

 Il y a plus: c'est que si la partie communiee recherchoit elle mesme, le jour de la Communion, le peché ne seroit que tres veniel et tres leger, a cause d'un peu d'irreverence qui entreviendroit.

  A013001885 

 Mais la partie qui recherche peche-elle point, si elle sçait que l'autre aÿe communié? Et je vous dis que non, nullement, sur tout quand les Communions sont frequentes; ce que j'ay dit de l'Eglise primitive en fait foy, et la rayson y est toute claire.

  A013001886 

 Et par ce quil me semble que vous m'aves dit qu'ouÿ, il ni a nulle difficulté non seulement que vous les pouves, mais que vous les deves faire.

  A013001886 

 Pour l'aumosne, vous deves sçavoir si c'est pas l'intention de monsieur vostre mari que vous en facies a proportion de vos facultés et des moyens de vostre mayson.

  A013001886 

 Quant a la quantité, cela ne se peut mieux juger que par vous mesme.

  A013001887 

 Les confessions annuelles sont bonnes, car elles nous rappellent a la consideration de nostre misere et nous font reconnoistre si nous avançons ou reculons, nous font rafraichir plus vivement nos bons propos; mais il les faut faire sans inquietude et scrupule, non tant pour estre absous que pour estre encouragé, et n'est pas requis de faire si exactement l'examen, mais seulement de gros en gros.

  A013001887 

 Pour escrire la confession, cela est indifferent; mais pour vous, je vous asseure que vous n'en aves nul besoin, car je me resouviens que vous fistes exactement bien la generale, mesme sans l'avoir escritte.

  A013001887 

 Si vous les pouves faire de la sorte, je les vous conseille; si moins, je ne desire pas que vous les facies..

  A013001888 

 Un jour je vous en mettray quelque chose en escrit, car je desire de tout mon cœur de vous servir; et bien que je sache que vous ne manques pas de bons conseilz, ayant la communication que vous aves avec tant de saintes et sçavantes ames, si est ce que, puisque vous voules encor le mien, je le vous diray..

  A013001889 

 Vous faittes trop de faveur a cette petite et vile creature de la desirer aupres de vous, mais ma mere juge que la vie des chams est plus propre pour les filles de ce pais que celle des villes; c'est cela qui luy fit prendre resolution d'en importuner plus tost madame de Chantal que vous.

  A013001890 

 Quelle consolation de sçavoir que, de plus en plus, [216] monsieur vostre mari reçoit de la douceur et suavité de vostre societé! C'est la, l'une des vertus des femmes mariees, et celle seule que saint Paul indique..

  A013001901 

 Et bien que je ne puisse rien adjouster a leur recommandation, si ne dois-je pas refuser d'entrer en une si bonne compaignie et pour une si bonne cause..

  A013001901 

 J'ay receu les lettres ci jointes de monsieur le President et madame la Presidente, avec une troysiesme quilz m'escrivent sur un mesme sujet, affin que, selon mon advis, je vous en escrive de mon costé.

  A013001902 

 Je diray donq, mais en toute sincerité et verité, que monsieur de Premery, duquel ilz vous parlent, est une [217] des douces, belles et sages ames qu'on puisse rencontrer, et ne penseray jamais qu'une damoyselle ne soit heureuse de l'avoir pour mari.

  A013001902 

 Quant a ses moyens, ilz sont telz que monsieur et madame la Presidente vous escrivent, et ses incommodités aussi, lesquelles, comme vous pourres aysement juger, peuvent estre bien aysement effacees; ce qui ne sera pas plus tost fait, que l'on verra ce jeune gentilhomme croistre tous les jours en moyens et bonheur, qui me fait dire sans reserve qu'une damoyselle aura tous-jours beaucoup de contentement avec luy..

  A013001903 

 Mais pour adjouster quelque chose du mien a ce que monsieur et madame le President et Præsidente vous en escrivent, je vous diray quil me semble que pour faire une response bien asseuree, il seroit [a] propos que avec quelque bon prætexte, vous allassies jusques a Neci pendant que monsieur le President y est encor, c'est a dire dans huit ou dix jours; et la, vous pourries vous enquerir de toutes les particularités, voir le personnage sans faire semblant d'autre chose, et, par apres, prendre resolution selon ce que vous en connoistrés, puisque mesme ce gentilhomme dont il s'agit ne peut demeurer longtems quil ne prenne parti..

  A013001904 

 Voyla ce quil m'en semble, Monsieur, que vous croires bien sortir d'un cœur tout entier et franc en vostre endroit, comme je suis obligé de l'avoir pour tant d'amitiés et de faveurs que j'ay receues de vous, et pour la particuliere inclination que j'ay a souhaiter beaucoup de benediction a madamoyselle vostre fille.

  A013001919 

 Dequoy le Prieur ayant desiré que je rendisse tesmoignage a Vostre Altesse, je ne l'ay pas sceu refuser, puisque la verité est bien telle..

  A013001919 

 Je receu, l'annee passee, commandement de Vostre Altesse de m'enquerir soigneusement des charges et revenuz du prieuré de Bellevaux; ce que je fis, et treuvay qu'a la verité les charges emportoyent tout le revenu, ou peu s'en faut.

  A013001938 

 Empereur très grand et très auguste, que le Seigneur vous exauce au jour de la tribulation, que le nom du Dieu de Jacob vous protège; qu'il vous envoie du ciel son assistance, et que du haut de Sion, il soit votre défenseur.

  A013001938 

 La lettre que ce secrétaire m'a apportée au nom de son auguste et sacrée Majesté m'est parvenue au moment que j'étais occupé à visiter les églises du territoire de Genève, en ce jour même du 29 septembre consacré par l'Eglise à honorer l'Archange saint Michel, pour la plus grande gloire du Christ.

  A013001945 

 J'ay receu vostre derniere lettre, ma tres chere Fille, justement ainsy que je montois a cheval pour venir icy en cette action..

  A013001947 

 C'est un petit miracle que Dieu fait, car tous les soirs, quand je me retire, je ne puis remuer ni mon cors ni mon esprit, tant je suis las par tout; et le matin, je suis plus gay que jamais.

  A013001948 

 O ma chere Fille, que j'ay treuvé un bon peuple parmi tant de hautes montaignes! Quel honneur, quel accueil, quelle veneration a leur Evesque! Avant hier j'arrivay en cette petite ville tout de nuit; mais les habitans avoyent tant fait de lumieres, tant de festes, que tout estoit au jour.

  A013001949 

 Communies et les festes solemnelles et les Dimanches, quoy que ce soit consecutivement.

  A013001957 

 Les conjurations que la bonne madame l'Abbesse me fait d'aller-la sont si puissantes, qu'autre chose ne pourroit me retenir de l'entreprendre maintenant, sinon la plus grande gloire de Dieu qui me tient encor tout cloué sur ce banq..

  A013001957 

 ... et de prendre tant de loysir pour le faire que vous en soyes bien satisfaitte, comme j'espere que Dieu vous en fera la grace, et a moy qui le souhaite sans fin.

  A013001958 

 Je seray auditeur d'un vertueux et fervent Capucin, et feray le cathechisme aux enfans et entendray les confessions; et ainsy ne feray que des petits exercices qui n'estourdiront point mon cœur, mais le resveilleront seulement.

  A013001960 

 Il est vray que, faute de devotion, je n'entendois que quelque mot de leur langage, mays il me [223] sembloit bien qu'ilz disoyent de belles choses: vostre saint Augustin les eust bien entendu, s'il les eust veu..

  A013001960 

 ... Je sçay bien que vous n'aves pas besoin d'autres connoissances pour estre consolee que de celle de Dieu, lequel vous treuveres indubitablement icy, ou il attend les pecheurs a penitence et les penitens a sainteté, comme il fait aussi a tous les endroitz du monde; car je l'ay mesme rencontré tout plein de douceur et de suavité parmi nos plus hautes et aspres montaignes, ou beaucoup de simples ames le cherissoyent et adoroyent en toute verité et sincerité, et les chevreuilz et chamois couroyent ça et la parmi les effroyables glaces pour annoncer ses louanges.

  A013001961 

 Devant que nous fussions au païs des glaces, environ huit jours, un pauvre berger couroit ça et la sur les glaces pour recourir une vache qui s'estoit esgaree, et, ne prenant pas garde a sa course, il tumba dans une crevasse et fente de glace de douze piques de profondeur.

  A013001961 

 Quelz esguillons pour moy, ma chere Fille! Ce pasteur qui court par des lieux si hazardeux pour une seule vache; cette cheute si horrible que l'ardeur de la poursuite luy cause, pendant quil regarde plus tost ou est sa queste et ou ell'a mis ses pieds que non pas ou il est luy mesme et ou il chemine; cette charité du voysin qui s'abisme luy mesme pour oster son ami de l'abisme: ces glaces me devoyent elles pas ou geler de crainte ou brusler d'amour?.

  A013001965 

 Dieu veuille... [II] me semble que nostre bonne madame Brulart [presse un] peu trop la bonn' Abbesse, laquelle estant boiteuse,....

  A013001975 

 Au contraire, il luy faut prescher la patience et longue haleyne; autrement elle voudra que tout se face a coup, et sil y a quelque retardation, elle s'impatientera et quittera tout.

  A013001975 

 Et a la verité, il y a occasion de se contenter de ce que Nostre Seigneur a mis en elle jusques a present; il l'en faut remercier et luy en demander davantage..

  A013001975 

 Il ne faut pas, ce me semble, leur dire combien elles ont de chemin a [225] faire pour tout le voyage, mais seulement du jour a la journee; et combien que nostre seur aspire a la perfection de la reforme, si ne faut-il pas pour cela la presser, car cela l'estourdiroit.

  A013001975 

 Je vous escrivis, il y a six semaines, pour respondre a tout ce que vous m'avies demandé, et ne doute nullement que vous n'ayés receu ma lettre; qui me fera tenir plus resserré en celle ci.

  A013001975 

 Rien ne nuit tant a cett'entreprise que la varieté des propositions qui se font, et sur tout celle qu'on fait d'une Regle si exacte, car cela espouvente l'esprit de nostre seur et des autres aussi.

  A013001975 

 Selon ce que vous me proposes par la vostre du 26 septembre, j'appreuve que nostre bonne Abbesse commence a bien establir ces petites regles que nostre pere a dressees, non pas pour s'arrester-la, mais pour passer par apres plus aysement a plus grande perfection.

  A013001976 

 Pour ma petite seur, je la vous laysse et ne m'en metz nullement en peyne; mais je ne voudrois pas que nostre pere eut peur qu'elle ne devint trop devote, comm'il a tous-jours eu peur de vous, car je suis asseuré qu'elle ne pechera point en exces de ce costé-la..

  A013001977 

 Il est force que quelquefois nous laissions Nostre Seigneur pour aggreer aux autres, pour l'amour de luy..

  A013001977 

 Ilz veulent estre maistres, et n'est ce pas la rayson? Si est, certes, en ce qui depend du service que vous leur deves; mais les bons seigneurs ne considerent pas que pour le bien de l'ame, il faut croire les directeurs et medecins spirituelz, et que, sauf les droitz quilz ont sur vous, vous deves procurer vostre bien interieur par les moyens jugés convenables par ceux qui sont establiz pour conduire les espritz.

  A013001977 

 Mon Dieu, le bon pere que nous avons et le tres bon mari que vous aves! Helas, ilz ont un peu de jalousie de leur empire et domination, qui leur semble estr'aucunement violé quand on fait quelque chose sans leur authorité et commandement.

  A013001977 

 Que voules-vous, il leur faut permettre cette petite humanité.

  A013001978 

 Non, je ne me puis contenir, ma chere Fille, que je ne vous die ma pensee; je sçai que vous treuveres tout bon [226] ce qui vient de ma sincerité.

  A013001978 

 Peut estre aves vous donné occasion a ce bon pere et a ce bon mari de se mesler de vostre dévotion et de s'en cabrer; que sçai-je, moy? a l'adventure que vous vous estes un peu trop empressee et embesoignee, que vous aves voulu les presser eux mesme et les estraindre.

  A013001979 

 Et comment est ce qu'apres l'avoir veu et baptisé, il peut le laisser aller sans s'attacher a luy de presence corporelle, comm'il estoit si estroittement lié de presence cordiale? Mais il sçavoit que ce mesme Seigneur estoit servi de luy par cette privation de la presence reelle.

  A013001979 

 Et me sera une bien grande consolation, si je sçai que cest advis que je vous donne ne mette point vostre cœur en inquietude.

  A013001979 

 Je veux dire que, pour un peu, Dieu sera servi si, pour regaigner l'esprit de ces deux superieurs quil vous a establiz, vous souffres la privation de la Communion reelle.

  A013001979 

 Or, je vous diray maintenant ce que vous feres.

  A013001980 

 Vous pourres neanmoins gaigner des occasions secrettes pour communier; car, pourveu que vous deferies et compatissies a ces volontés de ces deux personnages et que vous ne les metties point en impatience, je ne vous donne point d'autre regie de vos Communions que celle que vos confesseurs vous diront, car ilz voyent l'estat present de vostr'interieur et peuvent connoistre ce [227] qui est requis pour vostre bien.

  A013001981 

 Je connois une dame, des plus grandes ames que j'aye jamais rencontré, laquelle a demeuré long tems en telle sujettion sous les humeurs de son mari, que, au plus fort de ses devotions et ardeurs, il failloit qu'elle portast sa gorge ouverte et qu'elle fut toute chargee de vanités en l'exterieur, et qu'elle ne communiast jamais (sinon que ce fut a Pasques) qu'en secret et a desceu de tout le monde; autrement ell'eut excité mille tempestes en sa mayson.

  A013001981 

 Mortifies-vous donques joyeusement, et a mesure que vous seres empeschee de faire le bien que vous desirés, faites tant plus ardemment le bien que vous ne desires pas.

  A013001981 

 Vous estes, a ce que je voy, au vray essay de la resignation et indifference, puisque vous ne pouves pas servir Dieu a vostre volonté.

  A013001981 

 Vous ne desires pas ces resignations, vous en desireries d'autres; mais faites celles que vous ne desires pas, car elles en valent mieux..

  A013001982 

 Il se peut faire que quelque bon [228] pere n'aggree pas que ses enfans spirituelz les lisent, et peut estre le fait-il avec quelque bonne consideration; mais il ne s'ensuit pas que les autres n'ayent d'aussi bonnes considerations, et voire meilleures, pour les conseiller aux leurs.

  A013001982 

 Je ne contredis jamais a personne, mais je sçai fort bien que ces Pseaumes ne vous sont nullement prohibés et qu'il ni a nul lieu d'en faire scrupule.

  A013001982 

 Une chose est bien asseuree, c'est que vous les pouves lire en toute bonne conscience, comme aussi vous pouvies entrer au cloistre du Puys d'Orbe sans scrupule; mais il ni a pourtant pas lieu de vous ordonner pœnitence pour le scrupule que vous en aves l'ait, puisque le scrupule mesme est un'asses grande peyne a ceux qui le nourrissent ou souffrent, sans qu'on en impose d'autres.

  A013001983 

 Qu'a jamais son saint nom soit beni et que son royaume se confirme es siecles æternelz..

  A013001985 

 Vostre, et plus que vostre, frere et serviteur,.

  A013001987 

 Il n'est [229] pas raysonnable quil le sache, mais il est bien raysonnable que vous luy rendies tous-jours de l'honneur; et ne faites nul semblant que je vous aye dit ce mot..

  A013001987 

 Je pense tant remuer de pierres que l'annee prochaine je pourray me desrober pour voir nostre Puys d'Orbe; mais il ne faut pas que pour cela nostre seur attende de faire tout doucement ce qui se pourra faire pour le bien de son Monastere.

  A013002007 

 J'honnore de tout mon cœur vostre mayson et me sens honnoré de l'appartenance que j'ay avec elle; c'est pourquoy, tout autant que mon pouvoir s'estendra, je luy veux tous-jours rendre service.

  A013002007 

 Mais en l'occurrence que vous me marques, tout le monde sçait que j'ay les mains liees d'un lien indissoluble et que je ne puis les mettre a la provision des cures que par l'entremise du concours, duquel je ne puis forclorre personne..

  A013002008 

 Les manquemens des effectz ont accoustumé d'estre interpretés pour manquemens de volontés; mais je me prometz de la bonté de vostre esprit que vous donneres [230] meilleur'interpretation a ma response, et que, voyant qu'ell'est vrayement veritable, vous ne laisseres pas de croyre que je souhaite autant d'avancement a monsieur vostre frere comme je fay aux miens propres, demeurant,.

  A013002034 

 C'est mon frère germain, chanoine de mon Eglise, que j'envoie à ma place.

  A013002034 

 C'est pourquoi, de toutes mes forces et avec le plus ardent désir, je [232] réclame son assistance et son concours, avec cette bénédiction paternelle et cette bienveillance que Votre Sainteté accorde volontiers à ceux qu'Elle regarde comme des fils soumis en toute déférence..

  A013002034 

 Il portera l'état de ce diocèse, établi avec autant de clarté et de précision que possible.

  A013002035 

 D'Annecy, le lieu de notre pèlerinage et de notre exil, où nous sommes assis, pleurant au souvenir de notre Genève, jusqu'à ce que le Seigneur change notre bannissement, comme le torrent sous le souffle du midi.

  A013002065 

 Je regrette que le pauvre homme ait tant de démêlés avec ses moines qui vraiment l'empêchent de faire du fruit: il ne faut pas aimer les contestations..

  A013002095 

 Alors, de même que de vos Annales, plus précieuses que l'or et la topaze, vous avez fait jaillir avec tant de bonheur le souffle de la bouche du Christ et son glaive à deux tranchants, de même vous déploierez l'autorité dont vous êtes revêtu, pour exercer la vengeance [du Seigneur] sur les nations schismatiques et ses châtiments sur les peuples hérétiques..

  A013002095 

 En deux mots, quand je considère Genève, cette malheureuse fille de Babylone, et quelques autres bourgades voisines entraînées dans le gouffre de l'hérésie, je ne puis m'empêcher de penser que je suis envoyé vers un peuple apostat, au front dur, au cœur indomptable, vers une maison affligeante, vers des scorpions.

  A013002095 

 La bienveillance et la sainte amabilité que vous m'avez témoignées pendant mon séjour à Rome, me donnent plus de hardiesse pour implorer l'appui de votre intervention, aujourd'hui que j'envoie mon propre frère, chanoine de mon Eglise, visiter le seuil des saints Apôtres et demander au Saint-Siège Apostolique tous les remèdes nécessaires au relèvement de ce diocèse.

  A013002095 

 Votre Illustrissime et [237] Révérendissime Seigneurie n'a pas besoin que je m'attarde à lui exposer la pesanteur de mon fardeau, la difficulté du gouvernement ou la situation critique de cette Eglise.

  A013002117 

 Je plaide aujourd'hui la cause de ce diocèse qui, plus que tous les autres diocèses du monde chrétien, mérite l'appui de la bienveillance apostolique, la faveur des prélats et la sympathie de tous les gens de bien.

  A013002118 

 Or, si je trouve en moi la volonté de faire le bien, je ne trouve pas le moyen de l'accomplir, à moins que le Seigneur ne m' envoie son secours du Saint-Siège qu'il a fondé.

  A013002118 

 Pour lui rendre hommage et gloire, je souhaite que le même Christ et Seigneur prolonge le plus longtemps possible la prospérité de vos jours, Illustrissime et Révérendissime Seigneur, dont je baise la pourpre....

  A013002124 

 Ouy da, ma bonne et chere Fille, benissons Dieu ensemblement de cette heureuse journee en laquelle, par un feu tout nouveau, vous renouvellastes l'holocauste de [241] vostre cœur, offert et voué pieça a la divine Majesté; et que ce jour, donques, soit conté entre les jours memorables de nostre vie.

  A013002125 

 C'est un point tres admirable; car voyes vous, ma Fille, les humilités que l'on voit le moins sont les plus fines.

  A013002125 

 Ce n'est rien de ressentir ces mouvemens de cholere et d'impatience, pourveu qu'ilz soyent mortifiés a mesure que vous les voyes naistre; c'est a dire que vous taschies de vous remettre au lien et pacification du cœur, car cela estant, encor bien que le combat durast tout le jour, ce seroit de l'exercice, mais non pas de la perte pour vous..

  A013002125 

 Mais pour l'exterieur pourtant, je voudrois bien, a cause de la bienseance religieuse, que vous vous corrigeassies de cette parole hautaine et intemperee.

  A013002125 

 Or, je sçai bien que vous aves tres souvent sujet d'exercer l'amour du mespris, des rebroüemens et de vostre propre abjection.

  A013002126 

 Ayés bon courage, ma Fille; je voy bien que Nostre Seigneur nous veut aymer et rendre siens.

  A013002126 

 J'espere en Nostre Dame que jamais aucun feu n'embrasera nos cœurs que celuy du saint amour de son Filz, pour lequel je suis en toute verité tout vostre..

  A013002135 

 En vous attendant, madame vostre chere Presidente et moy nous prions pour vostre santé emmi les devotions du Jubilé, et nous entretenons de vostre retour et comme, si une fois nous vous pouvons tenir, nous ne permettrons plus que vous nous laissies.

  A013002135 

 Et si l'asseurance que vous prendrés de la nostre peut servir a l'avancement de la vostre, vous vous porteres bien, puisque tout ce qui est vostre icy se porte si bien..

  A013002136 

 Je suis entre deux prædications, l'une que je viens de faire, l'autre que je dois faire demain, entre lesquelz (sic) je diray cette verité, que je suis inviolablement, Monsieur mon Frere,.

  A013002150 

 Ce m'est tous-jours bien de la consolation de sçavoir que vostre cœur s'avance en l'amour de Nostre Seigneur, comme monsieur de Bluci m'en [a] asseuré, bien quil ne m'a parlé qu'en bloc, ne m'ayant particularisé qu'un desir que vous aves d'estre Religieuse.

  A013002150 

 Le desir est bon sans doute, mais il faut que vous ne luy permeties pas de vous inquieter, puisque, pour le present, vous ne le pouves pas reduir'en effect.

  A013002150 

 Si nostre Sauveur veut quil reuscisse, il le procurera par des moyens convenables qu'il sçait et que nous ne sçavons pas encor.

  A013002151 

 Il faut avoir un grand courage en cet heureux amour divin, et une grande confiance sur l'asseurance que nous avons que jamais ce celeste Espoux ne manque aux ames qui aspirent en luy..

  A013002151 

 Je sçai que l'abandonnement de vostre pere vous afflige, mais repetes souvent et de cœur et de bouche la [244] parole du Profete: Mon pere et ma mere m'ont delaissé, et le Seigneur m'a eslevé a soy. C'est une croix, sans doute, a une fille que d'estre ainsy abandonnee du secours des hommes; mais c'est une croix tressainte et qui est la plus propre pour gaigner plus entierement l'amour de Dieu.

  A013002152 

 Ce n'est pas pour eschange de vostre beau present, mais seulement pour souvenance de la pure affection que je porte a vostre ame en Nostre Seigneur, auquel je vous prie de me recommander souvent, comme.

  A013002173 

 Nous, François de Sales, Evêque et Prince de Genève, certifions qu'on nous a remis la lettre par laquelle Sa Majesté Impériale, toujours [245] auguste, nous avertit que doit se tenir la diète convoquée jusqu'ici pour le 16 mai de l'année prochaine..

  A013002174 

 Que Dieu très bon très grand, nous l'en supplions avec toute la ferveur de nos désirs, envoie du ciel son assistance à la Couronne Impériale, et que du haut de Sion il la protège..

  A013002187 

 C'est avec ma Fille qui est bonne, et de laquelle je sens le cœur inebranlable en la sainte amitié qu'elle me porte, que je me donne tout loysir de respondre.

  A013002187 

 Le tems aussi a esté employé parmi des grans embarrassemens que nostre Jubilé m'a apporté despuis..

  A013002188 

 Mais je pense bien pourtant que cette bonne fille ne tiendra pas son cœur; j'en serois grandement marri pour l'amour d'elle, qui commettroit une grande faute..

  A013002188 

 Sachés que le cœur qui veut aymer Dieu ne doit estre attaché qu'a l'amour de Dieu.

  A013002188 

 Vrayement, ma tres chere Fille, les resolutions que vous me communiquies estoyent toutes telles que je les vous pouvois desirer, et faites bien ainsy: ne desmordés nullement de la sainte humilité et de l'amour de vostre propre abjection.

  A013002189 

 Helas, ma chere Fille, que c'est un mauvais langage [347] d'appeller courage la fierté et vanité! Les Chrestiens appellent cela lascheté et couardise; comme au contraire, ilz appellent courage la patience, la douceur, la debonnaireté, l'humilité, l'acceptation et amour du mespris et de la propre abjection.

  A013002191 

 Et je dis excellentes, parce que ces petites resolutions de ne faire pas mal ne sont pas suffisantes: il en faut une de faire tout le bien qu'on pourra et de retrancher non seulement le mal, mais tout ce qui ne sera pas de Dieu et pour Dieu..

  A013002191 

 Taschés de tirer cette ame que vous devés visiter, a quelque sorte d'excellentes resolutions.

  A013002208 

 C'est elle qui a conçu la pensée et le désir de songer à moi, parfaitement inconnu et n'ayant aucun titre à la notoriété (si l'on ne tient pas compte du caractère [250] épiscopal que je partage avec beaucoup d'autres), pour me dédier ce précieux ouvrage....

  A013002208 

 J'ai reçu un deuxième exemplaire du remarquable ouvrage que vous avez publié sur le très auguste Sacrement de l'Eucharistie, pour l'utilité du public, et que vous m'avez dédié.

  A013002208 

 Sans doute, [249] excellent Docteur, vous serez surpris que j'aie différé plus qu'il ne convenait de vous adresser mes si justes remerciements.

  A013002222 

 ... Ces députés du clergé du diocèse se rendent [à Turin], pour remettre à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime les [251] notes des revenus ecclésiastiques et recevoir de vous les ordres nécessaires pour le paiement des décimes, mais aussi parce que son Altesse Sérénissime nous demande maintenant la prestation du serment de fidélité, comme on l'appelle.

  A013002228 

 Mais que vous diray je pour cela, ma chere Fille? Soyés tous-jours bien petite et vous appetissés tous les jours devant vos yeux.

  A013002228 

 O Dieu, que c'est une grandeur bien grande que cette petitesse! C'est la vraye grandeur des vefves, mais bien encor des Evesques.

  A013002229 

 Que cette sagette nous face mourir de sa sainte mort, qui vaut mieux que mille vies.

  A013002229 

 Que soyons nous a jamais attachés a la Croix, et que cent mille coups de flesches transpercent nostre chair, [252] pourveu que le dard enflammé de l'amour de Dieu ayt premierement penetre nostre cœur.

  A013002230 

 O Dieu, mais que je souhaitte ce cœur du Sauveur pour Roy de tous les nostres!.

  A013002230 

 Tenés vostre cœur au large, ma chere Fille, et pourveu que l'amour de Dieu soit vostre desir et sa gloire vostre pretention, vivés tous-jours joyeuse et courageuse.

  A013002231 

 Je ne puis plus escrire, et suis celuy que Dieu a voulu estre vostre en la façon que luy seul sçait.

  A013002256 

 Cet homme, en effet, que sa noblesse et sa condition plaçaient au premier rang de ses concitoyens, a mieux aimé vivre méprisé dans la maison du Seigneur que d'habiter sous les pavillons des pêcheurs; il y a longtemps qu'il en eût retiré sa femme et ses enfants, si l'évènement avait répondu à son désir.

  A013002256 

 J'ai cru qu'il fallait lui délivrer cette attestation, autant pour remplir mon devoir envers lui, que pour rendre justice à sa piété; c'est précisément à cause de sa piété, qu'il est digne de toute considération et de toute estime.

  A013002285 

 Ce qu'ayant vu et su, j'ai jugé que je ne pouvais ni ne devais [256] le laisser partir sans lui donner ces quelques lignes, en témoignage de la vérité..

  A013002285 

 Cependant, il a toujours eu pour ce qui concerne leurs âmes, le soin et la sollicitude convenables; en effet, par ses lettres, il les a tellement attirés à la connaissance de la vérité, que s'il pouvait les pourvoir d'un abri parmi les Catholiques, tous embrasseraient volontiers la foi.

  A013002301 

 Il vous tarde que vous ne sçachies de mes nouvelles; mais je ne puis penser a quoy il tient que vous n'en ayes plus souvent, car j'escris a toutes occasions, et mon affection n'en laisse pas escouler une seule qu'elle ne me violente pour l'employer..

  A013002301 

 Je m'en vay vous dire tout ce que je pourray le plus vistement et briefvement que je sçauray, car je n'ay nul loysir, l'homme de monsieur de Sainte Claire m'estant arrivé en un tems que je n'ay que ce soir pour escrire, je pense, vingt lettres.

  A013002303 

 Monsieur vostre bon pere m'escrit qu'affin que ma petite seur n'oublie les exercices de devotion, vous et madamoyselle de Villers luy en faites des repetitions et la conduisés; la dessus je luy dis deux ou troys motz de joye affin qu'il luy plaise de le permettre.

  A013002303 

 Que s'il vous la remet pour l'avoir pres de vous, je n'en seray que plus ayse, puisqu'elle ne sera moins aupres de luy, et sera plus pres de vous et de madamoyselle vostre fille, que je pense ne devoir estre guere [plus] aagee qu'elle.

  A013002304 

 Mais quant a vostre fille, l'ay-je jamais veuë? Je croy que non, et qu'elle estoit avec la seur de monsieur vostre mary en un Monastere pendant que j'estois a Dijon.

  A013002306 

 Je sçay bien que vous en aves de fort capables la, et celuy des Carmelines et aux Jesuites et celuy de vostre parroisse..

  A013002306 

 Je vous avois dit que vous en fissies selon l'advis de vos confesseurs, mais puisqu'ilz ne sont pas d'accord, je vous diray comme j'ay dit a nostre madame de Chantal: quand les festes seront grandes, nonobstant la Communion ordinaire il ne faut pas laisser de les celebrer par une Communion extraordinaire; car, comme pourrons nous bien celebrer une grande feste sans ce festin? Ce que je vous renvoyois a vos confesseurs, c'est que je ne sçay pas clairement les particularités de vostre necessité.

  A013002312 

 Il est vray que les regles ecclesiastiques m'y servent de loy et de garant..

  A013002312 

 Vous aves rayson de vous accuser de la superfluité et exces dont vous uses a toutes les compaignies; mais apportés-y donques de la moderation et voyés de garder cette regie: c'est que vous traitties en sorte qu'eu esgard a vostre qualité et de ceux que vous traittes, vous ne facies pas comme les moins liberaux et magnifiques de vostre condition, ni aussi comme les plus magnifiques et liberaux.

  A013002318 

 Mais le bon est que ma belle patience perdoit presque contenance dedans mon cœur, et croy qu'elle l'eut perdue du tout, si je ne me fusse resouvenu que je la devois conserver pour pouvoir librement la prescher aux autres.

  A013002318 

 Oh, quil fut le bien venu et que je le caressay! Il y avoit une lettre du 22 novembre, l'autre du 30 decembre de l'annee passee et la troisiesme du premier de celleci.

  A013002318 

 Que si toutes les lettres que je vous ay escrittes pendant ce tems-la estoyent en un pacquet, elles seroyent bien en plus grand nombre; car, tant que j'ay peu, j'ay tous-jours escrit et par Lion et par Dijon.

  A013002319 

 J'y penseray bien fort, et presenteray plusieurs Messes pour obtenir la clarté du Saint Esprit pour m'en bien resoudre; car voyes vous, ma chere Fille, c'est un maistre coup que celluy-la, et qui doit estre pesé au poids du sanctuaire.

  A013002319 

 Mon Dieu, que vous faites bien de mettre vostre desir de sortir du monde en depost es mains de la Providence cæleste, affin qu'il n'occupe point vostre ame inutilement, comm'il feroit indubitablement qui le laisseroit menager et remuer a sa fantasie.

  A013002319 

 Prions Dieu, supplions sa volonté qu'elle se face connoistre, disposons la nostre a ne rien vouloir que par la sienne et pour la sienne, et demeurons en repos, sans empressement ni agitation de cœur.

  A013002320 

 Mais pourquoy donques je vous supplie, ma Fille, remettrois-je vostre voyage de Saint Claude? Sil ni a point d'autr'incommodité que celles qui se presentent, il me semble quii ni a pas dequoy le remettre.

  A013002320 

 Quand a celuy que je desire faire de dela, que de peyne a le præparer et de hazart a le faire! Mais Dieu, qui void mon intention, en disposera par sa bonté, et nous en parlerons [261] avant que le tems en arrive; et des desirs de ma petite seur aussi, laquelle est a Dijon avec le bon monsieur de Crespy qui ne la veut point trop confier a M me Brulart, de peur qu'elle ne la face Carmeline.

  A013002321 

 Venes donques pour le jeudy avant Pentecoste, et passes a Besançon tant que vous voudres pour y voir le saint Suayre: tout cela n'est que tout a mon goust.

  A013002321 

 Vous y verrés des Cordelieres du Tiers Ordre, que l'on loue fort; et peut estre un'Abbesse d'un'autre Religion qui est a quatre liëues de lâ, c'est a dire a Baume les Nonains, qui est fort vertueuse, des plus grandes maysons [262] de mon diocæse et qui m'ayme singulierement.

  A013002322 

 Or sus, croyes moy je vous prie, ma chere Fille, j'ay pense, il y a plus de troys moys, a vous escrire que ce Caresme nous ferions bien de faire une desfaite de nostre vertugadin.

  A013002323 

 Allons tous-jours nostre petit pas; pourveu que nous ayons l'affection bonne et bien resolue, nous ne pouvons que bien aller..

  A013002323 

 Il ne reste que l'automne duquel, comme vous dites, vous ne voyes pas beaucoup de fruitz.

  A013002323 

 Je voy que toutes les saysons de l'annee se rencontrent en vostre ame: que tantost vous sentes l'hyver de maintes sterilités, distractions, degoustemens et ennuys, tantost les rosees du mois de may, avec l'odeur des saintes fleurettes, tantost des chaleurs de desir de plaire a nostre bon Dieu.

  A013002323 

 Mais bien, il arrive souvent que, en battant les bleds et pressant les raysins, on treuve plus de bien que les moyssons et vendanges n'en promettoyent pas.

  A013002323 

 Vous voudries bien que tout fut en printems et esté; mais non, ma chere Fille, il faut de la vicissitude en l'interieur aussi bien qu'en l'exterieur.

  A013002325 

 O vrayement, j'appreuve fort que vous soyes maistresse d'escolle.

  A013002326 

 Ce pendant je confesse que cela me dissipoit mon tems; mais il ni a remede, il faut ceder a la necessité du prochain..

  A013002326 

 Despuis que je suis de retour de la visite, j'ay tant esté pressé et empressé a faire des appointemens que mon logis estoit tout plein de playdeurs qui, par la grace de Dieu, pour la pluspart s'en retournoyent en pais (sic) et repos.

  A013002326 

 Je loue Dieu que vous voules accorder vos proces.

  A013002327 

 Que je suis consolé de la guerison de ce bon personnage, atteint ci-devant d'amour indiscret ou faulses amitiés.

  A013002328 

 Non, vous ne contrevenes pas a l'obeissance n'eslevant pas si souvent vostre cœur a Dieu et ne prattiquant [264] pas si a souhait les advis que je vous ay donné.

  A013002328 

 Sçaves vous que les advis requierent? Ilz requierent qu'on ne les mesprise pas et qu'on les ayme, cela est bien asses; mais ilz n'obligent pas aucunement.

  A013002329 

 J'ay donné charge au porteur, qui est monsieur Favre, mon grand Vicaire, de vous envoyer la presente aussi tost quil sera arrivé, affin que vous ayes le loysir de luy renvoyer vostre response, puisquil sera a Dijon huit jours entiers..

  A013002330 

 C'est pour me recreer et filer, aussi bien que vous, ma quenouille..

  A013002330 

 Je n'ay encor sceu revoir la Vie de nostre bonne vilageoise pour la mettre au net; mais affin que vous sachies tout ce que je fay, quand je puis avoir quelque quart d'heure de relay, j'escris une vie admirable d'une sainte delaquelle vous n'aves encor point oüy parler et je vous prie de ne point aussi en dire mot.

  A013002330 

 Je pourray y joindre celle de nostre vilageoise en quelque petit coin; car celle la sera deux fois, pour le moins, aussi grande que la grande Vie de la Mere Therese.

  A013002330 

 Mais c'est une besoigne de longue haleyne et que je n'eusse pas osé entreprendre si quelques uns de mes plus confidens ne m'y eussent poussé; vous en verres quelque bonne piece quand vous viendrés.

  A013002330 

 Mais, comme je vous dis, je desire que [265] cela ne [se] sache point qu'elle ne soit entierement faite; et je ne fay que de la commencer.

  A013002331 

 J'ay receu vos cantiques que j'aime bien, car si bien ilz ne sont pas de si bonne rime que beaucoup d'autres, ilz ne laissent pourtant pas d'estre de bonn'affection; et si je n'estois point meslé par la dedans, je les ferois chanter en mon cathechisme.

  A013002332 

 O Dieu me face vrayement enfant en innocence et simplicité! Mais ne suis je pas aussi un vray simple de vous dire ceci? Il ni a remede, je vous fay voir mon cœur tel qu'il est et selon la varieté de ses mouvemens, affin que, comme dit l'Apostre, vous ne pensies de moy plus quil ni a en moy..

  A013002332 

 Que vous diray-je davantage? Je viens tout maintenant de faire le cathechisme, ou nous avons fait un peu de desbauche avec nos enfans a faire un peu rire l'assistence, en nous mocquant des masques et des balz; car j'estois en mes belles humeurs, et un grand auditoire me convioit par son applaudissement a continuer de faire l'enfant avec les enfans.

  A013002333 

 Ah, mon Dieu, que je suis redevable a ce Sauveur qui nous ayme tant, et que je voudrois bien pour une bonne fois le serrer et coller sur ma poitrine! J'entens aussi bien sur la vostre, puis quil a voulu que nous fussions si inseparablement uns en luy..

  A013002333 

 « Oüy, » ce m'a tantost respondu une petite fille, « il est plus mien que je ne suis sienne et plus que je ne suis pas mienne a moy mesme.

  A013002334 

 Qu'a jamais Jesus soit en nos cœurs, quil y vive et regne æternellement; que tous-jours son saint Nom soit beni et celuy de sa glorieuse Mere.

  A013002334 

 Vive Jesus, et que le monde meure sil ne veut vivre a Jesus.

  A013002350 

 Il me semble que j'ay des-ja trop mis de tems sans vous escrire pour me ramentevoir en vostre bienveuillance.

  A013002350 

 Mon ame, qui est toute voüee a la vostre, me fait des grans reproches sur cett'intermission; bien que je sçay que vous ne jugeres pas mes affections par cette sorte de tesmoignage, et que ce soit le moindr'effect de l'infini devoir que je vous ay..

  A013002351 

 Je passeray ce Caresme a faire residence en ma cathedrale et a rabiller un peu mon ame qui est presque toute descousue par tant de tracas qu'ell'a souffert despuis la chere consolation que j'eu aupres de vous en vostre maison a Dijon.

  A013002352 

 Mon Dieu me face la grace de bien faire ce que je doy pour vivre moins indigne des misericordes avec lesquelles il supporte mes miseres..

  A013002352 

 Voyla, Monsieur, ce que je m'essayeray de faire; ce que je vous dis par ce qu'estant si tres fort vostre comme je suis, vous deves sçavoir ce que je fay.

  A013002364 

 J'ay mieux aymé m'addresser a Sa Sainteté mesme qu'a nul autre, tant par ce que l'affaire le merite, que par ce que je ne sçai pas qui aura la commission de prouvoir a vos expeditions.

  A013002364 

 Monseigneur de Sion me fit lhonneur de m'escrire dernierement et me toucha un mot du prieuré de Semur, mais si briefvement que je n'entens pas bien ce quil m'en dit.

  A013002364 

 Si j'eusse sceu plus tost vostre dessein, je vous eusse prié d'y employer mon frere, lequel est a Romme des Noël pour les affaires de ce diocæse, et eut esté glorieux de vous obeir; mais il n'est plus tems maintenant, puis que avant que vos lettres soyent a Romme, il sera en chemin pour son retour.

  A013002379 

 Croyés que j'en suys bien en peyne: desiderium habens dissolvi et esse cum illis, manere autem propter alia; mais, comme que ce soit, je remueray tant de pierres que je treuveray quelqu'Onesime.

  A013002380 

 Si je ne vous respons pas si exactement aux lettres que vous m'envoyes, accusés-en ma mauvayse coustume, qui est de ne point mettre la main a la plume que sur le despart des messagers, dont il arrive que souvent, en ce point la, je suys embarrassé d'autres occupations..

  A013002381 

 J'ay receu les lettres de madame de Chantal que vous m'aves envoyees, en eschange desquelles je vous envoye les ci jointes.

  A013002381 

 Je me res-jouis du bien que vous faites a ceux de Seyssel: Et bene patientes erunt ut annuntient.

  A013002397 

 Il y a quelque tems que le sieur baron de Montlong, sorti des prisons de Geneve, s'est retiré en cette ville, et pour sa consolation il m'est venu voir asses souvent; qui m'a donné le loysir et la commodité de descouvrir qu'il a beaucoup de connoissances des affaires de cette ville la et beaucoup de bonnes pensees qui, a l'adventure, pourroyent estr'utilement employees au service de Son Altesse.

  A013002397 

 Or, ayant cett'opinion, pour contenter mon cœur j'ay creu que je devois en donner cet advis a Vostre Excellence, laquelle jugera par apres ce qu'ell'en doit faire, ne me restant qu'a prier Dieu qu'il la conserve et prospere longuement, et demeure, Monsieur,.

  A013002401 

 Monsieur, apres avoir eu escrit la presente, j'ay pensé [273] que je ferois mieux d'en rendre porteur ce gentilhomme qui, a bouche, pourra dire a Vostre Excellence plusieurs particularités considerables..

  A013002410 

 ... incertitude me seroit ennuyeuse si Dieu ne vouloit que j'y fusse.

  A013002411 

 Je pense aussi que vous vous tiendres desliee, affin que, si Dieu le veut, vous puissies venir au tems que nous avons marqué; si moins, au tems que nous marquerons.

  A013002411 

 Je vous escris par Dijon une autre lettre tout maintenant, affin que si l'une vous arrive tard, l'autre puisse suppleer a l'attente..

  A013002423 

 Je n'avois encor point fait de Caresme en cette chere ville que celle ci (sic), despuis que je suis Evesque, hormis la premiere en laquelle on me regardoit pour voir ce que je ferois; et j'avois asses affaire a prendre contenance et pourvoir au general des affaires du diocese qui m'estoit tombé sur les bras tout fraischement.

  A013002423 

 Maintenant, sachés que je moyssonne un peu, avec des larmes partie de joye et partie d'amour.

  A013002423 

 Voyés vous, ma chere Fille, vous sçaves bien que le Caresme c'est la moysson des ames.

  A013002424 

 C'est une dame, mais toute d'or, et infiniment propre a servir son Sauveur; que si elle continue, elle le fera avec fruit..

  A013002424 

 Il faut que je confesse la verité, j'en ay esté bien ayse; je dis extremement.

  A013002424 

 Je la recommande a vos prieres, affin que Nostre Seigneur establisse en son cœur les resolutions qu'il y a mises.

  A013002424 

 Je viens de treuver dans nos sacrés filetz un poisson que j'avois desiré, il y a quatre ans.

  A013002425 

 Il est vray que, pour vous consoler, il faut que je vous die que je la sens encor toute dedans mon cœur, dont je loue Dieu; car c'est la verité que cette sorte d'occupation m'est infiniment proffitable.

  A013002425 

 Il y a sept ou huit jours que je n'ay point pensé a moy [275] mesme et ne me suis veu que superficiellement, d'autant que tant d'ames se sont addressees a moy affin que je les visse et servisse, que je n'ay eu nul loysir de penser a la mienne.

  A013002425 

 Que puisse-elle estre bien utile a ceux pour qui je la prens..

  A013002428 

 Je suis celuy que Dieu vous a donné irrevocablement..

  A013002437 

 Je vous envoye le saint metail que Monseigneur l'Evêsque de Sion vous a liberalement departi a mon intercession.

  A013002451 

 Dites seulement de gros en gros les principales fautes que vous aures commises des Pasques dernieres, commençant par le premier commandement, ou vous treuveres vos Offices et oraysons; et puis au second, ou vous treuveres vos vœux, et ainsy de main en main.

  A013002452 

 Je ne veux pas que vous veillies le sepulchre cett'annee, ains qu'avec Madeleyne et les autres bonnes filles, vous præparies des le soir les parfums et unguentz, et que le mattin a bonn'heure vous aillies au sepulchre; car cette demesuree veille vous tiendroit tout le jour hors d'aleyne et estoufferoit l'esprit de devotion..

  A013002454 

 C'est tout ce que je puis et que vous desirés, Monsieur mon Frere, de vostre humble seur et servante..

  A013002454 

 Vostre response sera telle: Monsieur mon Frere, comme pourray-je dignement correspondre a lhonneur que vous m'aves fait d'accepter si amiablement mon humble salutation et me la rendre avec tant de surcroist? Je prieray mon Sauveur, ce cher Jesus que vous suivés, quil vous conduise heureusement a la perfection de son saint amour.

  A013002456 

 Bon jour, ma chere Fille, que je cheris uniquement en Nostre Seigneur.

  A013002456 

 Demeures bien en vostre tabernacle; et quoy que les saules y abondent, ne laisses pourtant pas d'y avoir du meurte, de la palme et du fruit du bel arbre..

  A013002466 

 Hé, que je desire que nous soyons bien resuscités avec Nostre Seigneur! Je m'en vay l'en supplier, comme je fay journellement; car je n'appliquay jamais si fort mes Communions a vostr'ame comme j'ay fait ce Caresme, et avec un particulier sentiment de confiance en cette immense Bonté qu'elle nous sera propice.

  A013002467 

 Et penses vous que je sois exempt de pareilles attaques? Mais c'est la verité, je ne fay que m'en rire quand je m'en resouviens, qui est fort peu souvent.

  A013002467 

 Il n'est que bien que vostre support de la contradiction domestique soit interpreté a dissimulation.

  A013002467 

 O Dieu, que ne suis-je insensible aux autres accidens et suggestions malignes comme je le suis aux injures et mauvaises opinions qu'on a de moy! Il est vray qu'elles ne sont pas ni cuisantes ni en grand nombre; mais encor m'est il advis que s'il y en avoit beaucoup davantage je ne m'en estonnerois pas, moyennant l'assistance du Saint Esprit.

  A013002467 

 Oh courage, ma tres chere et bienaymee Fille, c'est cela qu'il nous faut: que nostre peu d'unguent soit treuvé puant au nez du monde..

  A013002469 

 A quel propos dis-je ceci? Je ne sçay, sinon que je n'ay peu m'empescher de vous Ir dire.

  A013002469 

 Et quand ce vint au point auquel je contemplois comme on chargea la croix sur lesaspaules de Nostre Seigneur et comment il l'embrassa, en disant qu'en sa croix et avec icelle il advoüa et prit a soy toutes nos petites croix et qu'il les baysa toutes pour les sanctifier; venant a particulariser qu'il baysa nos secheresses, nos contradictions, nos amertumes, je vous asseure, ma chere Fille, que je fus fort consolé et eu peyne de contenir les larmes.

  A013002469 

 Hier (car il faut que je vous die encor ce mot) je fis un sermon de la Passion devant nos Religieuses de Sainte [280] Claire qui m'en avoyent tant conjuré, apres le sermon de la ville auquel j'assistay.

  A013002469 

 J'eu bien de la consolation en ce petit sermon, auquel assisteent vingt et cinq ou trente devotes ames de la ville, outre celles du Monastere; si que j'eu toute commodité de lascher la bride a mes pauvres et menues affections sur un si digne sujet.

  A013002481 

 Je ne le puis faire pour cette annee, quoy que nostre bon M. Robin m'en ayt jetté quelque assentement.

  A013002481 

 Je suis en si peu de liberté que je ne puis pas dire si ce sera cette annee; mais j'ay tant de desir de vous revoir, que je ne puis ne l'esperer pas..

  A013002481 

 Je sçai que vous estes tendre au voyage et que vous n'aves pas tant de santé que de volonté; mais croyes moy, ou je mourray a la poursuitte, ou je m'approcheray un jour, en sorte que s'il vous faut faire quelque partie du chemin en ma faveur, elle sera fort courte.

  A013002481 

 Pressé de mille sortes d'empeschemens sur ce despart que je fay pour aller celebrer un grand Jubilé a Thonon, [281] je vous salue humblement par cette occasion, vous suppliant de me faire part un peu bien amplement de vos nouvelles par madame de Chantal, laquelle, comme je croy, fera avec nous la feste de la Pentecoste.

  A013002482 

 Aymés-moy ce pendant, et croyés que mon ame vous est toute dediee en Nostre Seigneur, qui m'a rendu.

  A013002493 

 Dieu donques, ma tres chere Fille, veut que ce soit a Pentecoste que je vous voye, et icy a Neci ou, nonobstant le Jubilé de Thonon, je me treuveray en ce tems-la et y arresteray au fin moins quinze jours entiers, pour retourner par apres a la conclusion dudit Jubilé, a laquelle Son Altesse, comm'on dit, se treuvera.

  A013002493 

 Mais saches, ma chere Fille, qu'hier seulement cette resolution fut prise, contre toute esperance, mais si a souhait que rien plus: voyla pourquoy je dis que Dieu le veut..

  A013002494 

 Je vous prie de m'escrire par Lion tout aussi tost que vous aurés receu cette nouvelle, affin que je sois bien asseuré de ce que vous ferés et du jour auquel je vous devray faire rencontrer a Saint Claude, ou au moins environ.

  A013002495 

 Il m'est advis que je vous voy des-ja en nostre petite vilette et en mon petit heberge.

  A013002495 

 La dame delaquelle je vous escrivois fait merveille, et m'a tant prié que je la face venir des chams pour vous recevoir, que rien plus.

  A013002497 

 Celuy que Dieu vous a si uniquement dedié,.

  A013002510 

 Je voudrois bien [284] avoir quelque chose pareille pour les contre changer, mais ce sera lhors que nostre Prieure eslëue, ainsy que vous me dites, viendra fonder un Monastere dans ma miserable Geneve, et que, obstetricante manu Domini, educetur coluber tortuosus.

  A013002510 

 Mais faites voir donques que ces bonnes Meres prient fort a cett'intention, car hoc genus demoniorum non ejicitur nisi in oratione et eleemosina; et puis que nous avons des-ja une Prieure eslëue, c'est a elle de solliciter ce proces, et je l'en supplie bien fort..

  A013002510 

 Si faut il que je vous escrive un petit-mot, car que dirois-je pour m'en excuser sur le depart d'un si digne porteur? Je receu dernierement vos lettres, avec mille consolations de sçavoir des nouvelles des vostres, que je cheris uniquement, et de l'avancement de la pieté en tant de lieux et de bonnes ames de dela.

  A013002511 

 Item, ces bonnes Dames, quarum charitas plurimum fidem commendat et que j'ay eu le bien de connoistre; vostre seur tient des premiers rangs, igne examinata tribulationum.

  A013002511 

 Mais il faut que je specifie M lle Genevieve Acharie, qui m'escrivit l'autre jour une lettre digne de response.

  A013002511 

 Vous sçaves que j'honnore toute cette mayson de tout mon cœur.

  A013002512 

 Au moins souvenes-vous en tous-jours en vos saints Sacrifices, puis que je suis,.

  A013002530 

 Bien que cela ne soit pas fort necessaire, si est il bon..

  A013002530 

 Croyés-moy, Dieu sera glorifié en vostre voyage et venue, d'autant que c'est luy seul qui l'a disposé et m'a osté les empeschemens que je voyois nagueres devant mes yeux pour le faire si tost.

  A013002530 

 Mais avant que vous parties, demandés la benediction a Monsieur d'Autun, s'il se peut, avec permission de vous prevaloir des Indulgences qui vous seront octroyees ou vous passeres par les Evesques.

  A013002531 

 Venes, venes donques, ma tres chere Fille; que vostre bon Ange soit tous-jours joint a vous pour vous heureusement amener.

  A013002532 

 A Dieu donq, ma tres chere Fille, jusques a ce tems la; et en ce tems la et en l'eternité, a Dieu soyons nous, et a Dieu sans plus, puisque hors de luy et sans luy nous ne voulons rien, non pas mesme nous mesmes, qui aussi bien, hors de luy et sans luy, ne sommes que des vrays riens.

  A013002541 

 Mais sçaves vous pas que je vous ay dit mille fois que je sçavois que vous m'aymies et que j'aymois bien fort nostre mutuelle amitié, non seulement pour le bien qu'elle me donnoit, mais parce que son fondement estoit eternel? Je me plais bien fort sur ce sujet..

  A013002541 

 Non, a la verité, je ne doute nullement que vous ne m'aymies fort estroittement; j'aurois bien peu de sentiment si tant de tesmoignages que vous m'en aves rendus ne m'en asseuroyent, outre lesquelz j'en ay un dans moy mesme qui me suffiroit pour cela; car il ne me semble pas que mon cœur vous peust aymer comm'il vous ayme si, par une secrette correspondance, le vostre ne l'attiroit; car l'on a beau dire que la connoissance des merites force a l'amour (je dis a l'amitié); c'en est vrayement un grand motif, mais inutile si on n'espere pas une reciproque affection.

  A013002542 

 Voyla que monsieur de Sansix, qui vient expres pour me voir et vostre chere discretion, m'advertit que dans deux jours je seray avec vous, et pourrons dire [288] le reste tout a l'ayse, sans que, pour mon goust particulier, je traitte incivilement ce gentilhomme en le faysant trop longuement attendre une si vile veuë comme est la mienne..

  A013002543 

 Je le supplie que son saint amour fasse tous-jours vivre joyeusement nostre amitié et celle de tous ceux qui nous appartiennent pour luy.

  A013002558 

 La confiance que vous aves en moy me console tous-jours, et suis neanmoins marri de ne pouvoir si bien [289] correspondre par lettres comme je desirerois; mais Nostre Seigneur, qui vous ayme, supplee par tant d'assistances que vous aves la..

  A013002559 

 J'appreuverois qu'en l'orayson vous vous tinssies encor un peu au petit train, preparant vostre esprit par la leçon et disposition des pointz, sans autre imagination neanmoins que celle qui est necessaire pour ramasser l'esprit.

  A013002559 

 Or sus, je sçai bien que quand par bonne rencontre on treuve Dieu, c'est bien fait de s'entretenir a le regarder et arrester en luy; mais, ma chere Fille, de le penser tous-jours rencontrer ainsy a l'impourveu, sans preparation, je ne pense pas qu'il soit encor bon pour nous qui sommes encor novices, et qui avons plus besoin de considerer les vertus du Crucifix l'une apres l'autre et en detail, que de les admirer en gros et en bloc.

  A013002560 

 Je suis consolé de sçavoir l'addresse que vous aves pour vos confessions au bon Pere Gentil.

  A013002561 

 Je ne voudrois pas que vous portassies madamoyselle vostre fille a une si frequente Communion qu'elle ne sache bien peser que c'est que cette frequente Communion.

  A013002561 

 Ma chere Fille, je pense que la Communion soit le grand moyen d'atteindre a la perfection; mais il faut la recevoir avec le desir et le soin d'oster du cœur tout ce qui desplait a Celuy que nous y voulons loger..

  A013002561 

 Si cette petite ame discerne bien que pour frequenter la sainte Communion, il faut avoir beaucoup de pureté et de ferveur, et qu'elle y aspire et soit soigneuse a s'en parer, alhors je suis bien d'advis qu'on l'en face approcher souvent, c'est a dire de [290] quinze en quinze jours.

  A013002562 

 Ne desirés point de n'estre pas ce que vous est es, mais desirés d'estre fort bien ce que vous estes; amusés vos pensees a vous perfectionner en cela et a porter les croix, ou petites ou grandes, que vous y rencontreres.

  A013002562 

 Perseverés a bien vous vaincre vous mesme en ces menuës contradictions journalieres que vous ressentes; faites le gros de vos desirs pour cela.

  A013002562 

 Sachés que Dieu ne veut rien de vous sinon cela, pour maintenant: ne vous amuses donques pas a faire autre chose.

  A013002563 

 Il ne faut point de response a ces tentations que celle de Nostre Seigneur: Arriere de moy, o Satan; tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu.

  A013002564 

 Il me semble que j'ay satisfait a tout ce que vous desiries de sçavoir de moy, qui n'ay point de plus grand desir que de vous servir fidellement en cet endroit.

  A013002564 

 Je [291] desirois bien de vous voir, mais il n'estoit pas convenable que je le voulusse; Dieu disposera peut estre quelque moyen plus propre pour cela.

  A013002573 

 Je l'en ay supplié fort souvent, quoy que fort froidement selon mon ordinaire misere, mais particulierement a la sainte Messe et en nostre exercice du soir, aux Litanies de nostre chere Dame et Maistresse; je vous ay recommandé et fait recommander a tous nos prestres affin de suppleer a mon insuffisance.

  A013002573 

 Je pense que maintenant vous estes arrivee en vostre mayson, ma tres chere Fille, car voyci justement l'octave de vostre despart; et je m'en vay, par cette lettre et en esprit, vous revoir et vous demander des nouvelles du succes de vostre voyage.

  A013002574 

 Et Nostre Seigneur, que feroit-il de sa vie eternelle, s'il n'en donnoit point aux pauvres, petites et chetifves ames?.

  A013002574 

 Hier, ma chere Fille, je fus si consolé en la grande Messe, oyant que l'on chantoit en musique: Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra eternellement; et on le repetoit souvent.

  A013002574 

 Ouy, ma tres bonne Fille, il le faut esperer fort asseurement, que nous vivrons eternellement.

  A013002575 

 Nostre bon Pere Bonivard partit hier, qui, par une pure rencontre de sentiment, appreuve infiniment le choix que j'ay fait pour vous.

  A013002575 

 Pour moy, je le sens tous-jours plus l'erme en mon ame; et puis que, apres tant de considerations, de prieres et de sacrifices, nous avons fait nos resolutions, ne permettés point a vostre cœur de s'appliquer a des autres desirs; mais, benissant Dieu de l'excellence des autres vocations, arrestés-vous humblement a celle-ci, plus basse et moins digne, mais plus propre a vostre suffisance et plus digne de vostre petitesse.

  A013002576 

 Or sus, ma Fille, je suis pressé et faut que je ferme cette lettre.

  A013002576 

 Tout ce que vous aymés icy se porte bien.

  A013002586 

 Mais les croix de Dieu sont elles pas douces et pleines de consolation? Ouy, pourveu que l'on y meure, comme fit le Sauveur.

  A013002586 

 O mon Dieu, que je desire vostre consolation, ma chere Fille.

  A013002587 

 Mortifions nous jusques au fin fond de nostre esprit, et pourveu que nostre cher esprit de la foy soit fidele, laissons renverser toutes choses et vivons en asseurance.

  A013002587 

 Quand tout mourroit en nous, pourveu que Dieu y vive, que nous en doit il chaloir? Allons, allons, ma Fille, nous sommes en bon chemin.

  A013002588 

 Dieu, qui void les intimes replis de mon cœur, sçait qu'il n'y a rien en ceci que pour luy et selon luy, sans lequel je veux, moyennant sa grace, n'estre rien a personne et que nul ne me soit rien; mais, en luy, je veux non seulement garder, mais je veux nourrir, et bien tendrement, cette unique affection.

  A013002588 

 Je m'en sens une suavité extraordinaire, comme aussi de l'amour que je vous porte; car j'ayme cet amour incomparablement.

  A013002589 

 Je pense que vous m'entendes bien, car vous m'entendes tous-jours bien..

  A013002589 

 Maintenant donq, y ayant pensé, je vous dis qu'il n'y a point de danger d'en parler quand l'occasion s'en presente, car cela ne tesmoigne que la memoire que vous en deves avoir; mais je croy qu'il seroit mieux, parlant de luy, d'en parler sans paroles et souspirs qui tesmoignassent un amour attaché et engagé a la presence corporelle; et parlant, en lieu de dire: feu mon pauvre mary, je voudrois [295] dire: mon mary, que Dieu ayt en sa misericorde; et ces dernieres paroles, les dire avec sentiment d'un amour non point affoibli par le tems, mais bien affranchi et espuré par l'amour superieur.

  A013002589 

 Que vous dis je, ma chere Fille? car je ne m'en resouviens pas.

  A013002590 

 Il s'est treuvé que les deux saintz Suaires de Nostre Seigneur sont tout semblables et les mains croisees..

  A013002594 

 A Dieu, ma chere Fille, ce n'est pas avec loysir que je vous escris; c'est par impetuosité que j'ay conduit ma plume jusques icy, partie avant la sainte Messe, partie apres.

  A013002594 

 Priés souvent pour celuy qui ne sçauroit prier sans vous faire part de ses prieres, ni plus desirer son salut que le vostre.

  A013002604 

 Non, ce ne sont que des petites imaginations des vertus que mon cœur fait pour se recreer; car, quand c'est a bon escient, je ne suis pas si brave.

  A013002605 

 A Dieu, ma tres chere Fille, ce mesme Dieu que j'adore, qui m'a rendu si uniquement, si intimement vostre; qu'a jamais son nom soit beni et celuy de sa sainte Mere.

  A013002617 

 Baysés souvent de cœur les croix que Nostre Seigneur vous a luy mesme mises sur les bras; ne regardés point si elles sont de bois pretieux ou odorant: elles sont plus croix quand elles sont d'un bois vil, abject, puant.

  A013002617 

 C'est grand cas que ceci me revient tous-jours en l'esprit et que je ne sçai que cette chanson.

  A013002617 

 Sans doute, [298] ma chere Seur, c'est le cantique de l'Aigneau; il est un peu triste, mais il est harmonieux et beau: Mon Pere, qu'il soit fait, non point selon que je veux, mais selon que vous voules..

  A013002618 

 Elle le vouloit voir en son habit de gloire, et non pas en un vil habit de jardinier; mais neanmoins, en fin elle conneut que c'estoit luy quand il luy dit: Marie..

  A013002619 

 Croyes vous pas qu'il vous dit: Marie, Marie? Non, avant que vous le voyes en sa gloire, il veut planter dedans vostre jardin beaucoup de fleurs petites et basses, mays a son gré: c'est pourquoy il est ainsy vestu.

  A013002619 

 Voyes-vous, ma chere Seur ma Fille, c'est Nostre Seigneur en l'habit de jardinier que vous rencontres tous les jours ça et la, es occurrences des mortifications ordinaires qui se presentent a vous.

  A013002632 

 Je puis tous-jours dire pour vous, ma Fille, car vous y aves part en un certain rang si special et particulier qu'il me semble presque que ce n'est que pour vous.

  A013002632 

 O mon Sauveur, disois je, que cette fille que vous m'aves si uniquement confiee ayt tous-jours sous ses pieds le dragon infernal crevé et gasté, vostre Croix bien estroittement serree sur sa poitrine et ses yeux eslevés au Ciel, ou vous estes.

  A013002633 

 Croyés moy, ma chere Fille, ne vous lourmentes point pour toutes les suggestions que cet adversaire vous fera.

  A013002633 

 N'ayons point de crainte que de Dieu, et encor, une crainte amoureuse; tenons nos portes bien fermees; prenons garde a ne point laisser ruiner les [300] murailles de nos resolutions et vivons en paix.

  A013002633 

 Ne nous effrayons point de ses fanfares: il ne nous sçauroit faire nul mal, c'est pourquoy il nous veut au moins faire peur, et par cette peur nous inquieter, et par l'inquietude nous lasser, et par la lassitude nous faire quitter; mais contentons-nous que, comme petitz poussins, nous nous sommes jettés sous les aisles de nostre chere Mere.

  A013002634 

 Falloit-il pas que je disse cela pour tesmoigner que je suis esmeu a rire?.

  A013002634 

 Il me semble que c'estoit une dure loy, et, pour moy, je ne veux point exiger ce devoir.

  A013002634 

 Or, les sujetz estoyent anciennement obligés, par reconnoissance formelle, de faire taire les grenouilles des fossés et marecages voysins pendant que l'Evesque dormoit.

  A013002634 

 Qu'elles crient tant qu'elles voudront; pourveu que les crapaux ne me mordent point, je ne laisseray pas de dormir pour elles, si j'ay sommeil.

  A013002635 

 Tenés donques seulement la Croix de Nostre Seigneur sur vostre poitrine; repliqués doucement et par actes positifz nos resolutions; ne vous efforces point de ruiner la superbe, mais taschés de bien asseurer l'humilité en l'exerçant positivement; et ne doutés point, car tandis que vous aures la Croix entre vos bras, l'ennemy sera tous-jours dessous vos pieds.

  A013002636 

 Mon Dieu, ma Fille, que j'ay de consolation en l'asseurance que j'ay de nous voir eternellement conjointz en la volonté d'aymer et louer Dieu! Que sa divine providence nous conduise par ou il luy semblera mieux; mais j'espere, ains je m'asseure que nous aboutirons a ce signe et arriverons a ce port.

  A013002646 

 Ce fut seulement Dimanche passé, jour de sainte Magdeleine, que je receus tout a coup vos lettres, celle du 4 et celle du 12 de ce mois.

  A013002646 

 Et j'estois bien marri que nous n'avions ni tant de larmes ni tant de parfums que cette sainte Penitente; mais nostre sainte Dame se contentoit «le certaines gouttelettes respandues sur le bord de sa robbe, car nous n'osions pas toucher ses sacrés pieds.

  A013002646 

 Que ce me fut un grand contentement, ma chere Fille, vous ne le sçauries croire; car je ne sçai, le matin en l'orayson j'avois eu de grandes esmotions d'esprit a vous recommander a nostre Sauveur, lequel je voyois, ce me sembloit, de bonne humeur pour [302] estre accosté chez Simon le Lepreux.

  A013002646 

 Une chose me consoloit fort: apres le disner, Nostre Seigneur remit sa chere convertie a Nostre Dame; aussi, vous voyes que, despuis, elle estoit presque tous-jours avec elle, et cette sainte Vierge caressoit extremement cette pecheresse.

  A013002648 

 Il n'est pas besoin de nommer ceux pour lesquelz vous voules faire dire des Messes; il suffit que, par vostre intention, ce bien-la leur soit appliqué..

  A013002650 

 A la verité dire, les pauvres petites et blanches colombelles sont bien plus aggreables que les serpens; et quand il faut joindre les qualités de l'un a celles de l'autre, pour moy, je ne voudrois nullement donner la simplicité de la colombe au serpent, car le serpent ne laisseroit pas d'estre serpent; mais je voudrois donner la prudence du serpent a la colombe, car elle ne laisseroit pas d'estre belle..

  A013002650 

 Ce n'est que par force que je la cheris, parce qu'elle est necessaire, je dis tres necessaire; et sur cela, je vay tout [303] a la bonne foy, a l'abry de la providence de Dieu.

  A013002650 

 Je ne suis gueres prudent, et si, c'est une vertu que je n'ayme pas trop.

  A013002650 

 Non, de vray, je ne suis nullement simple; mais j'ayme si extremement la simplicité que c'est merveille.

  A013002651 

 Mais cependant, l'acte que vous me marques n'est pas fort double; au moins il n'est pas double d'une fort mauvaise estoffe, car que pretendries vous pour vous a faire connoistre que le bon M. le Conte jeusnoit? La fascheuse duplicité c'est celle qui a une bonne action doublee d'une intention mauvaise ou vaine.

  A013002652 

 Ma chere Fille, lisés le 28e chapitre du Combat spirituel, qui est mon cher livre, et que je porte en ma poche il y a bien dix huit ans, et que je ne relis jamais sans proffit.

  A013002652 

 Tenés ferme a ce que je vous ay dit..

  A013002653 

 Mais ne vous tourmentes point a prattiquer ce commandement; car c'est cela que je veux, que vous ne vous tourmenties point, ni par ces desirs, ni par autres quelconques.

  A013002653 

 Or sus, je ne veux point que vous desiries d'un desir volontaire cette paix inutile, et peut estre [304] nuysible.

  A013002653 

 Pourveu que l'esprit de la foy vive en nous, nous sommes trop heureux.

  A013002653 

 Vous desires infiniment que Dieu vous laisse paysible, dites vous, de ce costé la; et moy je desire que Dieu soit paysible de tous costés et que pas un de nos desirs ne soit contraire aux siens.

  A013002654 

 Croyés-moy, mon ame ne m'est point, ce me semble, plus chere que la vostre.

  A013002654 

 Je ne fay qu'un mesme desir, que mesmes prieres pour toutes deux, sans division ni separation..

  A013002661 

 C'est par nostre bon Pere Gardien des Capucins que je vous escris, ma bonne, ma tres chere Fille, car je [305] me suis imaginé que facilement quelques uns des leurs qui sont a Aoustun se treuveroyent en leur Chapitre provincial, qui pourroyent vous rendre ces lettres..

  A013002662 

 Mais certains desirs qui tirannisent le cœur, qui voudroyent que rien ne s'opposast a nos desseins, que nous n'eussions nulles tenebres, mais que tout fut en plein mydi; qui ne voudroyent que suavités en nos exercices, sans degoustz, sans resistence, sans divertissements; et tout aussi tost quil nous arrive quelque tentation interieure, ces desirs la ne se contentent pas que nous n'y consentions pas, mais voudroyent que nous ne les sentissions pas; ilz sont si delicatz quilz ne se contentent pas que l'on nous donne une viande de bon suc et nourrissante, si elle n'est toute sucree et musquee; ilz voudroyent que nous ne vissions seulement pas les mousches du moys d'aoust passer devant nos yeux: ce sont ces desirs d'une perfection trop douce, il n'en faut pas avoir beaucoup.

  A013002662 

 Mais que vous escriray-je? Tenés vostre cœur au large, ma tres chere Fille, ne le pressés point trop de desirs de perfection.

  A013002663 

 Reclamons son secours, car c'est pour cela quil permet que ces illusions nous facent frayeur..

  A013002664 

 Sans mentir, je recevois une particuliere consolation pour cela, bien que la violence des esclatz me fit tremousser, et ne me pouvois contenir de rire..

  A013002665 

 Ce que Dieu me dit par le prochain m'esmeut beaucoup..

  A013002665 

 Courage, ma Fille, n'avons nous pas occasion de croire que nostre Sauveur nous ayme? Si avons certes; et pourquoy donques se mettre en peyne des tentations? Je vous recommande nostre simplicité, qui est si jolie et qui est si aggreable a l'Espoux, et encor nostre pauvr'humilité, qui a tant de credit vers luy; et faites moy une charité pareille en me les recommandant a moy.

  A013002666 

 Il y a passé trois semaines que je partis de Thonon.

  A013002666 

 Je vous vay dire un peu de mes nouvelles, puis que vous le desirés.

  A013002666 

 Le P. Recteur de Chamberi s'y trouva, avec lequel je revis ma pauvr'ame, a prendre despuis que je suis en cette charge; mais il me semble que je ne me confondis pas asses selon le merite de la cause.

  A013002666 

 Mon Dieu, qui suis-je? Peu de chose, ma Fille, moins que rien.

  A013002667 

 Des mon depart de Thonon je n'ay rien apris de nostre M me de Charmoysi, horsmis que son mari luy est arrivé et a passé icy et a Sales..

  A013002668 

 J'ay, ce me semble, plus de volonté et de desir a l'amour de nostre Sauveur que je n'ay jamais eu.

  A013002668 

 Je fay par tout prier Dieu pour vous, et veux, Dieu aydant, prier encor plus et mieux que je n'ay fait ci devant.

  A013002668 

 Je vous escriray bien tost, et voyci la sixiesme lettre que je vous ay escritte des vostre depart, car je ne veux point vous manquer a parole.

  A013002672 

 Ne sommes nous pas trop heureux de sçavoir quil faut aymer Dieu et que tout nostre bien gist a le servir, toute nostre gloire a l'honnorer? O que sa bonté est grande sur nous! Je m'en vay donq a son saint autel..

  A013002683 

 Encor mon affection n'est pas satisfaite, car elle est insatiable au desir de rendre a mon Dieu le devoir que j'ay envers vous.

  A013002683 

 Je dis a Dieu, ma Fille, parce que je me confirme tous les jours plus en la creance que j'ay que c'est Dieu qui m'impose ce devoir: c'est pourquoy je le cheris si incomparablement..

  A013002683 

 Voyci la septiesme fois que je vous escris despuis vostre retour; je n'en laisse escouler aucune occasion.

  A013002684 

 Avant hier et hier j'eu une extraordinaire consolation au logis de sainte Marthe, laquelle je voyois si naïfvement embesoignee a traitter Nostre Seigneur, et, a mon [309] advis, un peu jalouse des contentemens que sa seur prenoit aux pieds d'iceluy.

  A013002684 

 De vray, ma chere Fille, elle avoit rayson de desirer qu'on l'aydast a servir son cher hoste, mais elle n'avoit pas rayson de vouloir que sa seur quittast son exercice pour cela, et laissast la le doux Jesus tout seul; car ses mammelles, abondantes en lait de suavité, luy donnoyent des eslancemens de douleur, pour le remede desquelz il failloit au moins un enfant a succer et prendre cette celeste liqueur..

  A013002685 

 Je pense que Nostre Seigneur eust treuvé cela bon.

  A013002685 

 Sçaves-vous comme je voulois accommoder le differend? Je voulois que sainte Marthe, nostre chere maistresse, vinst aux pieds de Nostre Seigneur en la place de sa seur, et que sa seur allast apprester le reste du souper; et ainsy elles eussent partagé et le travail et le repos, comme bonnes seurs.

  A013002686 

 Ne voyla pas des pensees estranges de vouloir corriger nostre bonne sainte Marthe? Oh! c'est pour l'affection que je luy porte; et si, je croy que ce qu'elle ne fit pas alhors, elle sera bien ayse de le faire maintenant en la personne de ses filles, en sorte qu'elles partagent leurs heures, donnant une bonne partie aux œuvres exterieures [310] de charité, et la meilleure partie a l'interieur de la contemplation.

  A013002686 

 Or, cette consequence, je la tire maintenant en vous escrivant, car alhors je n'y pensay pas, d'autant que je n'avois nulle sorte d'attention qu'a ce qui se passoit au mystere..

  A013002687 

 Et puisque mon cœur me presse de vous dire tout ce qui luy arrive de consolation (ce qu'aussi bien ne sçai je faire a beaucoup pres a nulle autre creature), je vous diray que ces trois jours passés, j'ay eu un playsir nompareil a penser au grand honneur qu'un cœur a de parler seul a seul a son Dieu, a cet Estre souverain, immense et infini.

  A013002687 

 Ne voyla pas un merveilleux secret? Je pense que c'est cela que les Docteurs disent, que pour faire l'orayson il est bon de penser qu'il n'y a que Dieu au monde; car sans doute, cela retire fort les puissances de l'ame et l'application d'icelles s'en fait bien plus forte..

  A013002687 

 Ouy, car ce que le cœur dit a Dieu, nul ne le sçait que Dieu mesme de premier abord, et, par apres, ceux a qui Dieu le fait sçavoir.

  A013002688 

 Aussi, ce ne sont pas icy des responces, car je n'ay encor eu que deux lettres de vous, ausquelles j'ay rendu responce il y a long tems..

  A013002688 

 Voyés-vous, ma Fille, il faut que je vous parle souvent; c'est pourquoy je suis contraint de vous dire ces choses selon qu'elles se prasentent a moy, hors de propos et a propos.

  A013002689 

 Monsieur de Nemours m'a tellement conjuré de luy envoyer l'Orayson funebre de Madame sa mere, que je suis contraint d'en escrire une presque tout autre; car je ne me resouviens pas de celle que je dis, sinon grosso modo.

  A013002690 

 Mon Dieu, que ma pauvre mere eut grand'peur le jour que tant d'esclairs et de tonnerres se firent, dont je vous escrivis dernierement; car le foudre tumba en [plusieurs] endroitz tout au tour de Sales, sans interest neanmoins d'aucune creature, mais avec tant d'eaux et de tintamarre que jamais on n'avoit rien veu de tel.

  A013002690 

 Or bien, ma Fille, que nostr'ame soit quelquefois comme cela, que la tempeste et les foudres fondent tout au tour: si faut-il avoir courage et se tenir dans nostre petit tabernacle, les colomnes duquel pendant qu'elles sont entieres, il ni a que la peur, mais point de mal..

  A013002703 

 Helas, ma chere Fille, dites moy, le doux Jesus ne nasquit il pas au cœur du froid? Et pourquoy ne demeurera-il pas aussi au froid du cœur? J'entens a ce froid duquel, comme je pense, vous parles, qui ne consiste pas a aucun relaschement de nos bonnes resolutions, mais simplement en une certaine lassitude et pesanteur d'esprit, qui nous fait cheminer avec peyne en la voye en laquelle nous nous sommes mis, et de laquelle nous ne nous voulons jamais esgarer, jusques a ce que nous soyons au port.

  A013002703 

 Vos froidures, ma tres chere Fille, ne vous doivent nullement estonner, pourveu que vous ayes un vray desir de la chaleur et que vous ne layssies pas, pour le froid, de continuer au train de vos petitz exercices.

  A013002704 

 Que puysse-je participer a l'esprit de ce Saint qui vous a nommee de son nom des vostre Baptesme, et qui le confirmera en vostre faveur le jour mesme auquel toute l'Eglise le reclame.

  A013002706 

 Vous sçaves bien, au reste, de quelle sorte mon cœur vous cherit: c'est, ma tres chere Fille, plus que vous ne sçauries dire.

  A013002714 

 Je vous supplie donques, [314] Monsieur, de luy estre favorable en cela, puisque, par ce moyen, il retournera plus tost en son eglise a prier Dieu, comme je fay, quil vous conserve et prospere longuement, et que la faveur dont vous le gratifierés sera un juste adveu que vous me tenes et aymes,.

  A013002747 

 Cependant, le dévouement et la charité de ces gentilshommes ne recevraient pas un médiocre surcroît d'ardeur, s'ils étaient gratifiés d'une approbation, surtout de celle d'un personnage aussi digne et aussi éminent que l'est Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime.

  A013002759 

 Que de choses, ma Fille, j'aurois a vous dire si j'en avois le loysir, car j'ay receu vostre lettre du jour de sainte Anne, escritte d'un stile particulier et qui ressent au cœur, et requiert une ample responce..

  A013002760 

 Ayés patience sur vostre croix interieure: helas! nostre Sauveur vous la permet affin qu'un jour vous connoissiés mieux que c'est que vous estes de vous mesme.

  A013002760 

 Ne voyes [317] vous pas, ma Fille, que le trouble du jour est esclairci par le repos de la nuit? signe evident que nostre ame n'a besoin d'autre chose que de se resigner fort en son Dieu et se rendre indifferente a le servir, soit parmi les espines, soit parmi les roses..

  A013002761 

 Croiries vous bien, ma tres bonne Fille, que ce soir propre, j'ay eu une petite inquietude pour un affaire qui ne meritoit certes pas que j'y fisse pensee? Or, cela neanmoins m'a fait perdre deux bonnes heures de mon sommeil, chose qui m'arrive rarement.

  A013002761 

 Et je connoissois bien que Dieu me vouloit faire entendre que si les assautz et grandes attaques ne me troublent point, comme a la vérité elles ne font, ce n'est pas moy qui fay cela, c'est la grace de mon Sauveur; et, sans mentir, apres cela je me sens consolé de cette connoissance experimentale que Dieu me donne de moy mesme..

  A013002761 

 Mais il y a plus: c'est que je me mocquois en moy mesme de ma foiblesse, et mon esprit voyoit clair comme le jour que tout cela estoit une inquietude d'un vray petit enfant; mais de treuver le chemin d'en sortir, nulle nouvelle.

  A013002762 

 Je ne puis vous dire beaucoup de choses, car ce bon Pere part dans une heure, et il faut que je die Messe: je laisseray donques tout le reste..

  A013002762 

 Je vous asseure bien que je suis fort ferme en nos resolutions, et me playsent beaucoup.

  A013002763 

 Et si, Dieu me donne la force de me lever quelquefois devant le jour pour cet effect, quand je prevoy la multitude des embarrassemens du jour, et tout cela gayement; et me semble que je m'y affectionne et voudrois bien pouvoir en faire deux fois le jour, mays il ne m'est pas possible.

  A013002763 

 O ma Fille, si faites: demandés-moy tous-jours l'estat de mon ame, car je sçai bien que vostre curiosité en cela sort de l'ardeur de la charité que vous me portes.

  A013002763 

 Ouy, ma Fille, par la grace de Dieu, je puis dire maintenant mieux que ci devant que je fay l'orayson mentale, parce que je ne manque pas un seul jour sans cela, si ce n'est quelquefois le Dimanche pour satisfaire aux confessions.

  A013002775 

 J'ay sceu que madame la Baronne vous avoit institué son heritier, mais qu'aussi ell'avoit substitué monsieur de Coursinge et monsieur le Marquis de Lulin, en sorte que, pour vous, il ni a rien a craindre.

  A013002792 

 Je vous en sçay vrayement bon [320] gré, mais si faut-il que vous ne perdies point courage pour cela; car encor que vous n'aures pas tant d'ayde exterieure, si est ce que, tenant tous-jours vos desirs et resolutions d'estre toute a Dieu bien vifs et formés en vostre ame, le Saint Esprit vous consolera par une secrette assistance qui suppleera aux exercices que vous laysses, puisque vous ne les laysses que pour l'honneur et la gloire de cette mesme divine Bonté..

  A013002792 

 Je voy que vous aves de l'apprehension de vous ranger au chasteau, d'autant que vous seres privee des commodités que vous avies de servir Dieu par la hantise du college des Jesuites.

  A013002793 

 Je pense que vos Communions vous seront permises, car je ne voy pas que cela vous puisse estre refusé.

  A013002795 

 Faites donques avec gayeté de cœur tout cela; et de mon costé, en correspondant a la confiance que vous aves en moy, je prieray sa divine Majesté qu'elle vous [321] remplisse des graces de son Saint Esprit et vous rende de plus en plus uniquement sienne..

  A013002806 

 Encor faut-il, ma chere Fille, que je vous parle un peu de nos nouvelles domestiques.

  A013002815 

 C'est la verité, Monsieur, je ne me puis assouvir du playsir que je reçois de l'asseurance de vostre amitié: mon frere de Groisy et moy en faysons feste a nos espritz toutes les fois que nous nous voyons; mon cœur est tout plein de ce bonheur.

  A013002815 

 J'adjouste seulement sur ce papier que nul signe, nulle demonstration ne pourroit jamais esgaler ni le devoir que j'ay a vos bienveuillances, ni l'affection inviolable de laquelle je suis voué et dedié a vostre service.

  A013002815 

 Permettes-moy, Monsieur, que, sans necessité, par la seule abondance de mes desirs, je vous supplie de me continuer ce bien que j'estime tant, et qui m'honnore et console si fort..

  A013002816 

 Je suis en visite bien avant parmi nos montagnes, en esperance de me retirer pour l'hiver dans nostre petit Annessy, ou j'ay appris a me plaire, puisque c'est la barque dans laquelle il faut que je vogue pour passer de cette vie a l'autre.

  A013002816 

 La faute vient de ce que Monsieur leur permet indifferemment d'accuser ce bon personnage; et il faudroit leur faire connoistre qu'on est bien asseuré de luy, de sa suffisance et fidelité, comme a la verité on le doit estre.

  A013002817 

 On m'a dit que nostre monsieur Fenouillet avoit esté [324] esleu pour Montpellier, presentement privé d'Evesque; mais je n'en croiray rien, que vous, Monsieur, ou luy, ne m'en escrivies..

  A013002818 

 Je la vous veux addresser premierement, affin que vous la voyes et revoyes pour y corriger avant que Monsieur la voye; car j'ay crainte qu'il ne m'eschappe quelques accens de nostre ramage de deça..

  A013002818 

 Je voudrois avoir envoyé l'Orayson funebre de Madame; mais j'attens des memoires de la grandeur de la mayson d'Este qui me doivent venir d'Italie, n'ayant jamais rien peu apprendre qui fust esclattant comme je desire, par les livres que j'ay peu avoir en ce païs ni aucun recit qu'on m'ayt fait.

  A013002819 

 Nous sommes icy hors de nouvelles, et moy particulierement, parmi ces replis de nos montagnes; mais je ne passe point de jour que je n'invoque la benediction de Dieu sur vous et sur toute vostre mayson.

  A013002819 

 Qu'a jamais vous soit-il propice et favorable, Monsieur, selon que le desire.

  A013002848 

 Aussi j'espère que Sa Sainteté aura eu l'inspiration de prendre une mesure qui tourne à la gloire de Dieu et à la paix de la sainte Eglise.

  A013002863 

 Et bien, ma chere Fille, mais n'est il pas raysonnable que la tres sainte volonté de Dieu soit executee, aussi bien es choses que nous cherissons comme aux autres? [328] Mais il faut que je me haste de vous dire que ma bonne mere a beu ce calice avec une constance toute chrestienne; et sa vertu, de laquelle j'avois tous-jours bonne opinion, a de beaucoup devancé mon estime..

  A013002864 

 Dimanche matin, elle envoya prendre mon frere le chanoyne; et parce qu'elle l'avoit veu fort triste, et tous les autres freres aussi le soir precedent, elle luy commença a dire: « J'ay resvé toute la nuit que ma fille Jane est morte; dites moy, je vous prie, est il pas vray? » Mon frere, qui attendoit que je fusse arrivé pour le luy dire, car j'estois a la visite, voyant cette belle ouverture de luy presenter le hanap et qu'elle estoit couchee en son lit: « Il est vray, » dit il, « ma mere; » et cela sans plus, car il n'eut pas asses de force pour rien adjouster.

  A013002864 

 Jamais je ne vis une douleur plus tranquille: tant de larmes que merveilles, mais tout cela par des simples attendrissemens de cœur, sans aucune sorte de fierté.

  A013002865 

 Au demeurant, elle vous remercie infiniment du soin et de l'amour maternel que vous aves exercé a l'endroit de cette petite [329] defuncte, avec obligation aussi grande que si Dieu l'eust conservee par ce moyen.

  A013002865 

 Autant vous en dit toute la fraternité, laquelle, de vray, s'est tesmoignee d'extremement bon naturel au ressentiment de ce trespas, sur tout nostre Boisy que j'en ayme davantage..

  A013002866 

 Helas, ma Fille, je suis tant homme que rien plus.

  A013002866 

 Je sçai bien que vous me dires volontier: Et vous, comme vous estes vous comporté? Ouy, car vous desires de sçavoir ce que je fay.

  A013002866 

 Laissons que Dieu recueille ce qu'il a planté en son verger; il prend tout a sayson..

  A013002866 

 Mon cœur s'est attendri plus que je n'eusse jamais pensé; mais la verité est que le desplaysir de ma mere et le vostre y ont beaucoup contribué, car j'ay eu peur de vostre cœur et de celuy de ma mere.

  A013002866 

 Quel bonheur a cette fille d'avoir esté ravie du monde, affin que la malice ne pervertisi son esprit, et d'estre sortie de ce lieu fangeux avant qu'elle s'y fust soùillee! On cueille les fraises et les cerises avant les poires bergamottes et les capendus; mais c'est parce que leur sayson le requiert.

  A013002868 

 Il ne faut pas seulement aggreer que Dieu nous frappe, mais il faut acquiescer que ce soit sur l'endroit qu'il luy plaira; il faut laisser le choix a Dieu, car il luy appartient..

  A013002868 

 Mais vous, ma chere Fille, que voules vous dire quand vous me dites que vous vous estes bien treuvee en cette occasion telle que vous esties? Dites-moy, je vous prie: nostre esguille marine n'a-elle pas tous-jours esté tendante a sa belle estoille, a son saint astre, a son Dieu? Vostre cœur qu'a-il fait? Aves-vous scandalizé ceux qui vous ont veu sur ce point et en cet evenement? Or cela, ma Fille, dites le moy clairement; car voyes vous, je n'ay pas treuvé bon que vous ayes offert ni vostre vie ni celle de quelqu'un de vos autres enfans en eschange de celle de la defuncte.

  A013002869 

 Mais es pertes temporelles, o ma Fille, que Dieu touche et pince par ou il voudra et sur telle corde de nostre luth qu'il choysira, jamais il ne fera qu'une bonne harmonie: Seigneur Jesus, sans reserve, sans si, sans mais, sans exception, sans limitation, vostre volonté soit faitte sur pere, sur mere, sur fille, en tout et par tout.

  A013002870 

 Je luy en sçai bon gré; car ces cœurs a demi mortz, a quoy sont-ilz bons? Mais il faut que nous fassions un exercice particulier, toutes les semaines une fois, de vouloir et d'aymer la volonté de Dieu plus vigoureusement, je passe plus avant: plus tendrement, plus amoureusement que nulle chose du monde; et cela, non seulement es occurrences supportables, mais aux plus insupportables.

  A013002870 

 Vous en treuveres je ne sçai quoy dans le petit livre du Combat spirituel que je vous ay si souvent recommandé..

  A013002871 

 Et bien, si Dieu vous ravissoit tout cela, n'auries vous pas encor asses d'avoir Dieu? N'est ce pas tout, a vostre advis? Quand nous n'aurions que Dieu, ne seroit ce pas beaucoup? Helas, le Filz de Dieu, mon cher Jesus, n'en eut presque pas tant sur la croix, lhors qu'ayant tout quitté et laissé pour l'amour et obeissance de son Pere, il fut comme quitté et laissé de luy; et le torrent des passions emportant sa barque a la desolation, a peyne sentoit il l'esguille, qui non seulement regardoit, mais estoit inseparablement unie a son Pere.

  A013002871 

 Ouy, il estoit un avec son Pere, mais la partie inferieure n'en sçavoit ni appercevoit du tout rien: essay que jamais la divine Bonté ne fit ni fera en aucune autre ame, car elle ne le pourroit supporter..

  A013002872 

 Et bien donques, ma Fille, si Dieu nous ostoit tout, si ne s'ostera-il jamais a nous pendant que nous ne le voudrons pas.

  A013002872 

 Mais il y a de plus: c'est que toutes nos pertes et nos separations ne sont que pour ce petit moment.

  A013002872 

 Oh! vrayement, pour si peu que cela, il faut avoir patience.

  A013002873 

 Je vous envoye un escusson pour vous aggreer; et puisqu'il vous plaist de faire faire le service la ou cette fille repose en son cors, je le treuve bon, mais sans grandes pompes, sinon celles que justement la coustume chrestienne exige: car a quoy tout le reste? Vous feres, par apres, tirer en liste tous ces frais et ceux de sa maladie, et me l'envoyeres, car je le veux ainsy; et ce pendant on priera Dieu de deça pour cette ame et luy ferons joliment [332] ses petitz honneurs.

  A013002884 

 Je m'estonne comme vous receves si peu de mes lettres; il m'est advis que je n'en laisse point des vostres sans quelque response.

  A013002885 

 Je n'iray pas a Salins, mais je veux bien pourtant faire en sorte que cette annee suivante ne se passe pas sans que nous nous revoyons tous; dequoy pourtant je ne desire pas que le bruit coure..

  A013002886 

 Ne vous tourmentes point pour vostre orayson que vous me dites se passer sans paroles, car ell'est bonne, pourveu qu'elle vous laisse des bons effectz au cœur.

  A013002886 

 Suives donques le chemin auquel le Saint Esprit vous tire, sans toutefois que je desire que vous laissies de vous præparer a la meditation comme vous faysies au commencement; car c'est cela que vous deves de vostre costé, et ne deves point entreprendre d'autre chemin de vous mesme.

  A013002887 

 Vous pourres utilement lire les livres de la Mere Therese et de sainte Catherine de Siene, la Methode de servir Dieu, l' Abbregé de la Perfection chrestienne, la Perl'Evangelique; mais ne vous empresses point a la prattique de tout ce que vous y verres de beau, mais alles [334] tout doucement aspirant apres ces beaux enseignemens et les admirant tout bellement.

  A013002888 

 Estant aux chams, les prestres que vous treuveres es parroisses vous pourront aussi confesser..

  A013002901 

 J'ay admiré ce que j'ay appris de ce gentilhomme, car c'est chose fort esloignee de ma precedente creance.

  A013002901 

 Mais si ell'est de la terre, je le connoistray aysement par le repentir qui la suivra de pres, et lequel, a mon advis, je descouvriray soudainement; et en ce cas, je m'employeray avec affection au dessein que vous agreés, et que, pour cela, j'ay [336] bien avant au cœur, comme je vous supplie de croire fermement..

  A013002917 

 Le voyla donq quil part avec ces quatre lignes qui vous diront briefvement que l'aspreté du tems m'a en fin fait sonner a la retraitte et suis des avant hier de retour a la ville..

  A013002918 

 Dieu soit loüé, beni et magnifié en tout ce que vous me dites par vostre lettre..

  A013002918 

 Mais il y a six jours que Jaques revint, qui m'apporta vos lettres, lesquelles m'ont bien fort consolé.

  A013002918 

 Oüy, ma Fille, car je vous diray ce que je craignois: on m'avoit dit que quand ma seur fut morte vous aviés tesmoigné une grandissime impatience, avec de la defiance que cet accident ne rendit l'affection que je vous ay, alanguie.

  A013002919 

 Maintenant il faut aller a la Messe de sainte Catherine, qui est solemnelle en nostr'eglise; si que je vous escris entre ma Messe et celle de nostre Chapitre.

  A013002921 

 Je dis nostre, car si nous ne voulons que ce que Dieu veut, sa volonté et la nostre ne seront qu'une volonté.

  A013002921 

 O quel bonheur, ma chere Fille! Vous sçaves bien que je suis revenu de ma visite avec un desir bien grand de servir nostre Sauveur; mais helas! quand sera ce que nos fleurs se convertiront en fruitz?.

  A013002922 

 Je sçai bien que du tems de nostre saint Hierosme on appelloyt sains tous les Evesques, a rayson de leur charge; mais ce n'en est pas la coustume maintenant..

  A013002922 

 Ma chere Fille, j'escriray a monsieur vostre beaupere selon vostre desir; mais vous n'escrivés pas selon le mien, ni a ma mere, ni a M me de Charmoysi, quand vous dites « nostre bon et saint Evesque; » car, en lieu que ces bonnes femmes devroyent lire sot Evesque, elles lisent saint Evesque.

  A013002923 

 Mais dites moy, ma chere Fille, n'est ce pas nostre bon Dieu qui ouvre le chemin au mariage de nos jeunes gens? Cette facilité de messieurs vos plus proches, d'ou peut elle provenir que de la Providence celeste? De deça, ma Fille, je le confesse, mon esprit y est, je ne dis pas porté, mais lié et collé; ma mere ne pense qu'a cela, toute la fraternité y conspire; et tandis que la sayson s'advancera, prions bien Dieu que sa sainte main conduise l'œuvre.

  A013002924 

 Non, ma chere Fille, quand je vous destinay le chapelet de saint François, je le fis a rayson de la dignité de sa matiere; mais sur le champ, il me vint en l'esprit que vous en seriés mortifiee, et sur cela je dis: Et bien! tant mieux.

  A013002925 

 Je ne vous escris point de nos dames, ni de M me de Lalee, que j'ayme bien, affin que vous le sachies; car je n'ay encor veu que M me la Presidente et M me de Charmoysi, mais tout simplement en des courtes confessions..

  A013002925 

 Je vous escriray aussi souvent que je pourray, n'en doutes point.

  A013002926 

 Failloit il pas que je vous disse cela? Mais non, ce n'est pas par vantance; oh! ce n'est que par liberté..

  A013002926 

 Il faut que je sois un peu fol pour vous res-jouir.

  A013002926 

 Or voyes vous, il me semble que j'ay dit de belles choses pour monstrer que ce souverain Bon, quoy qu'il fasse [le] courroucé et qu'il ne semble respirer qu'ire et indignation, il pense tous-jours des pensees de douceur et de consolation.

  A013002927 

 A Dieu, ma chere Fille, a ce grand Dieu, dis-je, auquel nous sommes voués et consacrés, et qui m'a rendu pour jamais et sans reserve tout dedié a vostre ame que je cheris comme la mienne, ains que je tiens pour toute mienne en ce Sauveur qui, nous donnant la sienne, nous joint inseparablement en luy..

  A013002930 

 Je ne sçay ce que je vous escris, mais il n'importe; [340] vous sçaves bien de quel cœur je vous escris.

  A013002930 

 Mon frere ne sçait pas que je vous escrive..

  A013002945 

 Et bien, Monsieur, que nous soyons fort esloignés des merites que vous pouvies justement requerir pour nous faire cette faveur et nous recevoir a une si estroitte alliance avec vous, si esperons nous de tellement y correspondre par une entiere, sincere et humble affection a vostre service, que vous en aures contentement..

  A013002945 

 J'ay bien asses de connoissance de la grandeur de la courtoysie avec laquelle vous aves aggreable le dessein [341] du mariage de madamoyselle vostre fille aysnee avec mon frere; mais il ne m'est pas advis que jamais j'en puisse faire aucune sorte de digne reconnoissance et remerciement.

  A013002945 

 Seulement vous supplie-je bien humblement de croire que vous ne pouvies pas obliger de cet honneur des gens qui le receussent avec plus de ressentiment que nous faysons, mes proches et moy, qui tous en sommes remplis de consolation.

  A013002946 

 En mon particulier, Monsieur, permettes moy que je dise que l'amitié non seulement fraternelle, mais encor paternelle, que je portois a ma petite seur, m'est demeuree en l'esprit pour la donner a cette autre encor plus petite seur que, ce me semble, me preparés; et si, la luy donneray avec un surcroist de respect et d'estime tout singulier, en consideration de l'honneur extreme que je vous porte, Monsieur, et a Monsieur de Bourges et a monsieur le President, sans y comprendre ce que je pense de la dilection que je dois a madame sa mere, vostre chere fille..

  A013002947 

 Or, j'espere que Dieu benira le tout et se rendra le protecteur de ce projet, que je luy recommande de tout [342] mon cœur, et qu'il vous conserve et comble de ses grandes graces et faveurs.

  A013002965 

 Oüy, Monsieur mon Oncle, car sur mon chemin de ma visite, on me dit si asseurement que Dieu avoit retiree son ame de ce monde, que je ne la recommanday plus a sa divine Majesté qu'en qualité de trespassé, apres en avoir eu les desplaysirs et tristesses que la sincere affection de neveu et serviteur bien humble que je luy suis me fournissoit.

  A013002966 

 Nous jouirons cet Advent de la presence de madame de Chevron, laquelle viendra pour dissiper, par la conversation et hantise des saintz Offices, l'ennuy que le trespas de madame d'Autrechese luy donne; comm'aussi ma mere, pour addoucir la memoire de celuy de ma jeune seur..

  A013002967 

 Mais faut il pas que je vous die les resolutions de monsieur le Baron de Menthon et de monsieur d'Autrechese, dont le premier a fait veu de chasteté perpetuelle et, s'estant desja revestu de sottane a l'ecclesiastique, minute son despart entier des affections du siecle pour se lier aux Ordres sacrés; et le second, ayant solemnellement voué, dedié et consacré tous ses biens a l'Eglise pour l'erection d'une Collegiale a Ugine, persiste vaillamment a la resolution de prendre le subdiaconnat a [344] ceste premiere ordination.

  A013002986 

 Les heureuses promesses que le Ciel fait a la terre par la promotion de Vostre Altesse au cardinalat, donnent sujet [345] a toute l'Eglise de benir la Providence divine, laquelle, par ce moyen, fournit au grand Siege Apostolique une colomne de haut prix et d'excellente dignité.

  A013002986 

 Mais ce diocese de Geneve en doit ressentir une joye toute particuliere; car le voyla, Monseigneur, doublement asseuré de la protection de Vostre Altesse, par le sang duquel elle est extraitte et par celuy qui teint son sacré chapeau, puisque la couleur de pourpre n'y tient nulle place que pour representer le sang du Sauveur, dans lequel les grans de l'Eglise doivent tous-jours tremper leur zele..

  A013002987 

 Que si Vostre Altesse l'a aggreable, j'adjousteray que je n'ay encor sceu rencontrer en l'histoire un seul des Cardinaux de sa serenissime Maison qui n'ayt eu en sa main cet evesché de Geneve, pas mesme le grand Felix.

  A013002987 

 [346] Bon augure, ce me semble, et bonne esperance pour nous, que Vostre Altesse heritant les honneurs de tous ces braves et dignes predecesseurs, elle succedea de mesme en leurs affections..

  A013003000 

 Entre tout cela, ma vraye Fille, je vous puis asseurer, a la gloire de Dieu, [347] qu'il n'y a icy qu' un cœur et qu'une ame en unité de son tres saint amour; et j'espere que la benediction et la grace du Seigneur s'y doit rendre abondante, car des-ja c'est beaucoup, et une chose bonne, belle et suave, de voir comme cette fraternité demeure ensemble..

  A013003000 

 Ma Fille, je ne vous puis cacher que je suis de present a vostre Sales, comblé d'une tendre et incomparable consolation aupres de ma bonne mere.

  A013003001 

 Il a fallu que mon cœur vous ayt dit cecy; car en effect, que vous peut-il cacher?....

  A013003001 

 Vostre envoyé vous pourra dire que hier, universellement, toute cette aymable famille vint a confesse a moy en nostre petite chappelle, mays avec tant de pieté que l'on eust dit qu'il y avoit un Jubilé d'annee sainte a gaigner.

  A013003009 

 Mon cher la Thuille vous salue humblement; il est icy aupres de moy, et je m'asseure que ma bonne mere ne fut jamais plus satisfaitte ni plus contente, ni la devotion plus florissante dans la famille.

  A013003027 

 Sur les mœurs et l'origine de Pierre Fenouillet, que le roi très chrétien vient de nommer à l'évêché de Montpellier, j'ai recueilli une riche moisson de témoignages.

  A013003029 

 Dans cette fonction, il déploya une fermeté d'âme, une force de [351] doctrine sans cesse grandissantes; aussi obtint-il en trois ans une faveur que d'autres gens de mérite, fortement patronnés, auraient à peine obtenue après bien des années: celle d'être présenté par le roi au Siège Apostolique pour l'évêché de Montpellier.

  A013003029 

 En effet, Très Saint Père, il est mon compatriote; c'est dans notre ville même que, tout jeune, il a fait, sous la direction de son père, un parfait honnête homme, ses [350] premières études; il les a continuées ailleurs, mais en y apportant une telle ardeur, une telle vivacité d'esprit, qu'il est devenu docteur en théologie et bientôt un prédicateur tout à fait célèbre.

  A013003029 

 Quant à mes félicitations personnelles, elles ont d'autant plus de spontanéité et d'à-propos que j'ai connu le mieux du monde le candidat proposé pour cette dignité.

  A013003031 

 C'est la grâce que je demande à Votre Béatitude pour lui, ayant été jusqu'ici son Evêque, et aussi à cause des obligations que lui a l'Eglise de Genève, et je la demande très humblement, par les entrailles du Christ, à vous qui êtes le Père de l'un et de l'autre, prosterné à vos pieds pour les baiser.

  A013003043 

 Je suis tellement pressé que je n'ay loysir de vous escrire sinon le grand mot de nostre salut: JESUS. Ouy, ma Fille, que puissions-nous au moins une fois prononcer ce nom sacré de nostre cœur.

  A013003043 

 O quel bausme il respandroit en toutes les puissances de nostre esprit! Que nous serions heureux, ma Fille, de n'avoir en l'entendement que Jesus, en la memoire que Jesus, en la volonté que Jesus, que Jesus en l'imagination! Jesus seroit par tout en nous, et nous, par tout en luy.

  A013003043 

 Que si bien, pour le present, ce ne sera qu'en begayant, a la fin neanmoins nous pourrons le bien prononcer..

  A013003044 

 Helas, ma Fille, je ne le sçai pas; mais je sçai seulement que, pour le bien exprimer, il faut avoir une langue toute de feu, c'est a dire qu'il faut que ce soit par le seul amour divin, qui, sans autre, exprime Jesus en nostre vie en l'imprimant dans le [354] fond de nostre cœur.

  A013003044 

 Mais qu'est ce que le bien prononcer, ce sacré nom? car vous me dites que je vous parle clair.

  A013003054 

 Faut il donques que ce soit tous-jours en courant que je vous escrive, ma bonne et chere Fille? Il y a, ce me semble, long tems que je ne vous escris que comme cela; et si, ce n'est pas que je n'aye a vous escrire un peu au long sur l'obeissance et l'amour de la volonté de Dieu.

  A013003054 

 Mais quoy faire? encor est-il mieux que j'escrive peu que rien du tout.

  A013003054 

 Seulement ce soir, comme nous entrions au souper, le porteur m'a dit que demain il partoit de grand matin.

  A013003055 

 O qu'il nous faut desirer cet amour et qu'il nous faut aymer ce desir, puysque la rayson veut que nous desirions a jamais d'aymer ce qui ne peut jamais estre asses aymé, et que nous aymions a desirer ce qui ne peut jamais estre asses desiré.

  A013003055 

 Qu'est ce donq que je demande pour nous? Rien, sinon ce pur et saint amour de nostre Sauveur.

  A013003056 

 Je suis bien ayse, ma Fille, que vous facies les litz des pauvres malades; et si, je suis bien ayse que vous y ayes de la repugnance, car cette repugnance est un plus grand sujet d'abjection que la puanteur et saleté qui la provoque..

  A013003057 

 Ces deux Dimanches j'ay treuvé nos Communions diminuees de la moytié; cela m'a bien fasché; car encor que ceux qui les faisoyent ne deviennent pas meschans, mais pourquoy cessent-ilz? Pour rien, pour la vanité.

  A013003057 

 Non, je ne pense pas que nous eussions le courage de retarder ainsy, de propos deliberé, un seul pas de nostre chemin pour tout ce que le monde nous auroit presenté: non pas, ma Seur, ma Fille? Sans doute non, moyennant la grace de Dieu..

  A013003057 

 Sçachés, ma chere Seur, ma Fille, que me voyci en mon triste tems, car despuis les Rois jusques au Caresme j'ay des estranges sentimens en mon cœur; car, tout miserable, je dis detestable que je suis, je suis plein de douleur de voir que tant de devotion se perd, je veux dire que tant d'ames se relaschent.

  A013003058 

 Vive Jesus! C'est en luy, par luy et pour luy que je suis sans fin, sans reserve et uniquement vostre..

  A013003068 

 Je prens la plume pour vous escrire le plus que je pourray, et avec desir de vous escrire beaucoup, en contres-change du long tems qu'il y a, ce me semble, que je ne vous ay point escrit qu'en courant.

  A013003069 

 En la premiere vous me dites que vous vous sentes affamee plus que l'ordinaire de la tres sainte Communion.

  A013003069 

 Humiliés-vous fort, ma Fille, et eschauffés fort vostre estomach du saint amour de Jesus Christ crucifié, affin que vous puissies bien digerer spirituellement cette celeste viande.

  A013003070 

 Ainsy, ma Fille, ceux qui font bonne digestion [357] spirituelle ressentent que Jesus Christ, qui est leur viande, s'espanche et communique a toutes les parties de leur ame et de leur cors.

  A013003070 

 C'est un grand point, ma Fille, de ne manger que d'une viande, quand elle est bonne; l'estomach fait bien mieux son devoir.

  A013003070 

 Mais qu'entendes vous que l'on face digestion spirituelle de Jesus Christ? Ceux qui font bonne digestion corporelle ressentent un renforcement par tout leur cors, par la distribution generale qui se fait de la viande en toutes leurs parties.

  A013003070 

 Mais, ce Sauveur, que fait il par tout par la? Il redresse tout, il purifie tout, il mortifie tout, il vivifie tout.

  A013003070 

 Ne desirons que le Sauveur et j'espere que nous ferons bonne digestion..

  A013003072 

 Il y a quinze ans que je le porte en ma pochette et ne le lis jamais qu'il ne me proffite..

  A013003073 

 En la troisiesme, vous me parles du jeune garçon que vous desirés mettre avec moy.

  A013003073 

 Je me feray mieux entendre en vous disant que je crains de rencontrer des secretaires qui, quand on leur dit: Donnés-moy ma botte, bridés ce cheval, faites ce lit, ilz respondent: Je ne suis pas pour cela; car en tout j'employe le premier que je treuve, horsmis les ecclesiastiques.

  A013003073 

 Je pensois que ce fust quelque garçon de respect; c'est pourquoy je vous escrivis l'autre jour que je le prendrois dans quelque tems, apres que je me serois desfait d'un autre.

  A013003073 

 Mais parce que, par une autre lettre, vous me dites que Jacques le connoissoit, je m'en enquis, et il me dit que c'estoit un enfant [358] bon a tout; c'est pourquoy je vous dis maintenant que, quand il vous plaira me l'envoyer, je le recevray de bon cœur.

  A013003073 

 Non point que, par ce mot de bon a tout, je le veuille traitter indiscrettement; mais je veux dire que je le pourray faire servir non seulement a la plume, mais a la chambre, et en fin a beaucoup de petitz services, et le tenir humble.

  A013003073 

 Vous m'escrirés, s'il vous plaist, ce que je luy devray donner..

  A013003075 

 Au partir de la, elle est l'aysnee; et si, je suis obligé de l'aymer plus tendrement parce qu'un [jour] que vous n'esties pas au logis a Dijon, elle me fit bien des faveurs et me permit de la bayser d'un bayser d'innocence.

  A013003075 

 Je prie Dieu pour tous vos enfans; car, ma Fille, tout cela, ce me semble, m'appartient de si pres que nul parentage n'y sçauroit rien adjouster.

  A013003075 

 Je veux dire que je les tiens pour mes enfans, et les tiens comme cela du profond de mon cœur, [surtout] Aymee Marie.

  A013003076 

 Je vous ay escrit que vous fussies commere de M. de Chazelles.

  A013003076 

 Pour les conditions que je desire en vostre obeissance, elles sont toutes en une; car je n'y desire que la simplicité, laquelle fait acquiescer doucement le cœur [359] au commandement et fait qu'on s'estime bienheureux d'obeir, mesme es choses repugnantes, et plus en celles-la qu'en nulle autre..

  A013003077 

 Je le feray, quoy que M me nostre seur Brulart me die, laquelle, comme je croy, ne tient pas que mon voyage fust inutile parce que, en particulier, quelques ames me pourroyent employer a leur service; mais ce n'est pas cela que je pretens.

  A013003078 

 Je vous entens bien en la maniere que vous me le dites, avec laquelle vous vous mettés, a l'adventure, en faysant les actions que vous ne reconnoissés pas du tout bien: je l'appreuve, car vrayement elle est bonne, et si, j'en fay de mesme..

  A013003078 

 Vous me faites grand playsir, je dis tres grand, de m'exhorter a l'humilité; non pas parce qu'il ne me manque que cette vertu-la, mais parce que c'est la premiere et le fondement des autres.

  A013003079 

 A peu que pour cela je ne retins la lettre de M me de Charmoysi; mais la consolation qui luy en pouvoit revenir m'en empescha..

  A013003079 

 Il faut, pendant que je m'en resouviens, que je vous defende ce mot de saint quand vous escrivés de moy, car, ma Fille, je suis plus faint que saint: aussi la canonization des saintz ne vous appartient pas.

  A013003081 

 Je presse M. de Sauzea pour sçavoir qu'il a fait des lettres que je vous escrivois en responce de celles qu'il m'apporta.

  A013003082 

 Les deux pointz que je vous dis en la chappelle de Sales pour la pureté du cœur sont d'eviter le peché et de [360] ne point y laisser entrer aucune affection formee qui ne tende a l'honneur et amour de Dieu.

  A013003083 

 Je n'escris point a vos dames de Dijon, ni a M me de Crespy ni a ses filles; ce sera un de ces jours que je vous escriray a toutes quand vous y seres..

  A013003085 

 J'aurois grande envie de vous dire un mot de l'amour de la volonté de Dieu, car je m'apperçois que vous en faites l'exercice en l'orayson, et ce n'est pas cela que je voulois dire; car il ne faut point vous assujettir en icelle, j'entens a l'orayson, a aucun point ordinaire.

  A013003086 

 Et cela il le faut un peu mascher, considerant la varieté des consolations, mais sur tout des tribulations que les bons souffrent; puys, avec grande humilité, appreuvés, loués et aymés toute cette volonté..

  A013003090 

 Il me semble que la devotion s'accroist un peu et que Nostre Seigneur dispose la place a l'exercice d'une petite troupe de chetifves femmelettes qui se retireront, Dieu aydant, un jour en ces quartiers.

  A013003090 

 Vous sçaves ce que je dis..

  A013003104 

 Mais, outre cela, M. Gottri me dit quil luy feroit toucher l'argent en cas que le chevalier n'y eut prouveu.

  A013003117 

 Je vous ay escrit il n'y a justement que six heures, [364] par l'homme qui rameyne le cheval sur lequel Thibaut est venu.

  A013003117 

 Maintenant, encor quattre motz, et le tout sans avoir releu vos lettres, lesquelles neanmoins je lis tous-jours avec tant d'avidité la premiere fois qu'il ne m'en demeure qu'une generale consolation, sans sçavoir presque ce que j'ay leu.

  A013003119 

 Dans troys jours ou quatre, nos chanoynes envoyent a Dijon; il faudra que lhors j'y aille, et peut estre auray je plus de loysir..

  A013003119 

 Il m'a dit que nostre Marie Aymee, et tres aymee, estoit aupres de vous, car je le luy ay demandé; mais il m'a dit que vous la metties fort au monde, sans que je le luy demandasse.

  A013003119 

 Or, je suis donques bien d'advis que vous la facies communier; et ce bon Dieu [365] la veüille bien prendre pour sa bienaymee et luy donner le ressentiment de son amour pour cela.

  A013003119 

 Si j'estois pres de vous, je confesse que je voudrois bien estre preferé a la mettre a la Communion, car c'est un coup memorable pour une ame destinee au bien comme celle-la; mais encor ne faut il pas que mon ambition la prive de cette celeste viande pour ces Pasques.

  A013003120 

 Je vous diray que mes chanoynes font merveilles a faire des exhortations et a gaigner nos jeunes damoyselles pour la devotion, quand la conformité de l'aage y sert.

  A013003120 

 Mais ne vous effarouchés pas pour cela a dire: Mais que doy je donq estre, moy? Car, ma Fille, je ne sçai comme je suis fait; encor que je me sens miserable je ne m'en trouble point, et quelquefois j'en suis joyeux, pensant que je suis une vraye bonne besoigne pour la misericorde de Dieu, a laquelle je vous recommande sans cesse.

  A013003120 

 Mais sçaves vous, tout cela va par ordre et n'y a rien a craindre, sinon parce que tout se tient a moy qui suis un grand miserable.

  A013003121 

 Elle ne cesse de demander quand vous viendres, et se fait accroire qu'il faut que ce soit pour toute cette annee.

  A013003121 

 Elle ne m'avoit jamais escrit + de son ame que ces jours passés.

  A013003121 

 Je vous veux envoyer un exercice que j'ay dressé et fait prattiquer a madame de Charmoysi, car je voudrois que je ne fisse rien sans que vous le sceussies.

  A013003121 

 Oh, Dieu sçait comme mon cœur le desireroit ardamment, si je ne pensois que la volonté divine veut de nous un peu de patience; mais esperons tous-jours beaucoup..

  A013003124 

 + Je ne dis pas cela pour la loüer, car j'ayme bien que l'on m'escrive, et tres souvent; et si, j'ayme mieux voir un [366] peu d'empressement que de ne voir jamais point de lettres en des absences de troys a quatre mois.

  A013003124 

 Je dis ceci affin que vous ne pensassies pas, pour n'estre pas empressee, qu'il faille ne pas m'escrire le plus souvent que vous pourres.

  A013003132 

 Je fay cela, il est vray, mais c'est par vive force: autrement, je dors fort bien ce qui m'est necessaire, et je veux que vous en facies de mesme.

  A013003132 

 La lettre ci-jointe vous fut escritte a la minuit, mais il y avoit long tems que je n'avois tant veillé.

  A013003133 

 Tout cela ne m'estonne nullement, car vous aves un esprit si douillet et jaloux de ce que vous aves en resolution, que tout ce qui le touche a biais contraire vous est si sensible [367] que rien plus; et je vous ay dit mille fois qu'il ne faut pas, ma chere Fille, aller si pointilleusement en nostre besoigne..

  A013003134 

 La verité est que je cuiday m'en importuner, et j'eusse tout gasté; mais en fin je pensay en moy mesme que je ne meritois pas d'avoir une si haute paix que l'ennemy n'osast pas regarder de loin mes murailles..

  A013003134 

 Non point de desirer que je ne fusse pas d'Eglise, car cela eust esté trop grossier; mais parce qu'un peu auparavant, parlant avec des personnes de confiance (et vrayement je pense que ce fut nostre Groysi), je dis que si j'estois encor en l'indifference et que je fusse heritier d'un duché, je choisirois neanmoins l'estat ecclesiastique, tant je l'aymois, il m'arriva un desbat en l'ame, que si, que non, qui dura quelque tems.

  A013003135 

 Mais, pour ces choses la, on ne peut ni doit entrer en dispute; il faut que cela se demesle avec [368] des considerations tranquilles et en repos, tout a l'ayse et de cœur a cœur..

  A013003135 

 Mays quand elles vous viendront a droitte, alhors je ne vous sçauray que dire, sinon: Croyés moy, ma Fille, reposés vous sur mon ame pour ce regard; j'ay bien des raysons, a mon advis, irreprochables.

  A013003135 

 Mon Dieu, ma Fille, je voudrois que vous eussies la peau du cœur un peu plus dure, affin que vous ne laissassies pas de dormir pour les puces.

  A013003136 

 La foy, l'esperance, la charité, pieces immobiles de nostre cœur, sont bien sujettes au vent, quoy que non pas a l'esbranlement: comment voulons nous que nos resolutions en soyent exemptes? Vous estes admirable, ma Fille, si vous ne vous contentés pas que nostre arbre demeure bien et profondement planté, mais que vous voulies encor que pas une feuille ne soit agitee..

  A013003137 

 Apres tout cela, ne craignés pas, pour ces bagatelles, contrevenir a nos resolutions, ni a la confiance et repos que vous deves prendre en icelles et en moy.

  A013003138 

 Dites luy les considerations qui font differer la sortie, et puis celles que j'ay fait pour le genre de vie apres la sortie (mais, outre tout cela, ce sera sans doute [369] la plus grande gloire de Dieu, pour des raysons que je ne puis dire), et vous verres qu'il dira que nos resolutions sont resolutions faites de la main de Dieu.

  A013003138 

 Je les dis au Pere Recteur de Chambery, sans rien nommer, il m'y conforta; je les dis a un autre grand ecclesiastique, il m'y conforta; je les ay dites mille fois a Dieu, mais helas! non pas si reveremment que je devois, et tous-jours il m'y a conforté.

  A013003139 

 Mais ce pendant que j'escris sans mesure sur ce sujet, il me vient un scrupule que je n'en die trop.

  A013003139 

 Non, ma Fille, ne philosophés point sur tout ceci, car je ne l'escris pas a cette intention, ni pour crainte que j'aye que le cœur vous faille.

  A013003139 

 Non, nullement: c'est simplement affin que, l'ayant proposé au Pere Gentil, vous puissies non point fortifier ces resolutions, car je les tiens invariables, mais vous y consoler, et moy aussi.

  A013003140 

 J'ay veu en la lettre que [Thibaut] m'a apportee, que vous aves parlé franchement et librement a vostre confesseur, dont je loue Dieu, et qu'il s'est conformé a nos opinions..

  A013003151 

 Les parroissiens de vostre eglise sont venus aux plaintes vers moy pour le manquement du service, et monsieur [370] Exertier est venu pour son particulier, a rayson de cerlaines dixmes desquelles il dit que vous le frustrés et pour les despens desquelz je me retins de connoistre.

  A013003151 

 Pour tout cela, je desire vous voir icy jeudi prochain, affin que, s'il se peut, nous accommodions ces differens a la gloire de Dieu, que je supplie vous assister, et suis.

  A013003166 

 Il y a si long tems que je ne reçois point de vos lettres que je commencerois volontier a m'en inquieter.

  A013003166 

 J'ay perdu des pacquetz en chemin qui vous auront fait estre quelque tems sans avoir de mes lettres, mesme celles par lesquelles je respondois a ce que M. de Sauzea m'avoit dit de vostre [371] part; dont j'ay esté bien fasché, car je vous escrivois avec grande confiance..

  A013003166 

 Je sçai que cette pauvre jambe vous incommode toute; mais quand vous me feres escrire, cela me suffira bien.

  A013003167 

 J'ay tant de compassion a vos infirmités et incommodités que vous ne le sçauries croire; mais la vertu de Dieu se declaire en l'infirmité..

  A013003167 

 Maintenant je vous demanderois volontier, ma chere Fille: Qu'est ce que dit vostre cœur? Est il pas tous-jours celuy que j'ay veu si desireux de la gloire de Dieu? Ah, pour l'amour de Dieu, ma chere Fille, si ce cœur avoit perdu son courage, reprenes-le et ne le laisses pas sans cela.

  A013003168 

 Je m'essaveray de m'approcher fort de vous, et treuve bon, comme M me nostre seur Brulart m'escrit de vostre part, que je puisse vous voir hors de vostre Monastere pour sçavoir si je devray y aller.

  A013003168 

 Mon Dieu, que d'affection que j'ay a ce Monastere et que je le souhaitte parfait!.

  A013003169 

 Je ne luy sçaurois refuser cet office, et luy ay promis que, le tems en estant venu, je vous en feray les supplications requises; dequoy j'ay voulu vous tenir advertie de bonn'heure pour sa consolation..

  A013003170 

 A Dieu, ma tres chere Fille, jamais je n'eu plus de desir de vous servir que j'en ay maintenant: Dieu m'en donne la grace selon mon souhait.

  A013003183 

 C'est en fin par monsieur Favre que je vous escris, ma chere Fille, et tous-jours neanmoins sans loysir, car il m'a faillu escrire beaucoup de lettres, et tous-jours vous estes la derniere a qui j'escris, ne craignant point pour cela de m'en oublier.

  A013003183 

 Je me repentis l'autre jour de vous avoir tant escrit de choses sur cette petite brouillerie d'esprit qui vous estoyt arrivee; car, puisque ce n'estoit rien en vraye verité, et que l'ayant communiqué au P. Gentil tout cela s'estoit esvanoüy, je n'avois que faire sinon de dire: Deo gratias.

  A013003183 

 Mais voyes vous, mon esprit est sujet aux espanchemens avec vous et avec tous ceux que j'affectionne..

  A013003184 

 Hé, je ne veux pas dire que vous ne regardies pas, non; mais je veux dire: ne regardes pas pour vous y amuser, pour examiner soigneusement, pour vous embarasser et entortiller vostre esprit de considerations desquelles vous ne sçauries vous demesler.

  A013003184 

 Mon Dieu, ma Fille, que vos maux me font de bien, car j'en prie avec plus d'attention, je me metz devant Nostre Seigneur avec plus de pureté d'intention, je me metz plus entierement a l'indifference.

  A013003185 

 C'est que tout ce que je vous dis: Ne penses pas ceci, cela; ne regardes pas, et semblables, tout cela s'entend grosso modo; car je ne veux point que vous contraignies vostre esprit a rien, sinon a bien servir Dieu, a le bien aymer, a ne point abandonner nos resolutions, ains a les aymer.

  A013003185 

 Parlons d'une regie generale que je vous veux donner.

  A013003185 

 Pour moy, j'ayme tant les miennes, que quoy que je voye ne me semble point suffisant pour m'oster un'once de la bonn'estime que j'en ay, encor que j'en voye et considere des autres plus excellentes et relevees..

  A013003186 

 Cette crainte retire la force de vostre esprit, et laisse ce pauvr'esprit tout pasle, triste et tremblant; cette crainte luy desplait et engendre un'autre crainte que cette premiere crainte et l'effray qu'elle donne ne soit cause du mal, et ainsy vous vous embarasses.

  A013003186 

 Helas, ma chere Fille, c'est aussi un entortillement que celuy duquel vous m'escri vies par monsieur de Sauzea, ce tintamarre ... qui vous fait peur de ...ement de ....

  A013003186 

 Mais, ma Fille, voyci ce que vous faites.

  A013003186 

 Quand cette bagatelle se presente a vostre esprit, vostre esprit s'en fasche et ne voudroit point voir cela; il craint que cela ne s'arreste.

  A013003187 

 Ce n'est pas en esprit d'arrogance que je dis cela, ma Fille, c'est en esprit de confiance et pour nous encourager.

  A013003187 

 Et donques, dequoy nous tourmentons nous? Vive Jesus! ma Fille; il m'est advis quelquesfois que nous sommes tous pleins de Jesus, car au moins nous n'avons point de volonté deliberee contraire.

  A013003187 

 Imagines vous (je veux dire penses) que vous estes un petit saint Jan qui doit dormir et se reposer sur la poitrine de Nostre Seigneur, entre les bras de sa providence.

  A013003187 

 Nous n'avons point d'intention que pour la gloire de Dieu, non pas? Non certes, au moins d'intentions descouvertes; car si nous en descouvrions, nous les arracherions tout aussi tost de nostre cœur.

  A013003188 

 Au moins croyes bien quil me fait bien playsir quand, parlant de vous, il dit tout court: Madame; et cela me touche, et me sémble quil me die sans le dire que je dois le cherir.

  A013003188 

 Vrayement, j'ayme bien vostre Thibaut, encor que je ne luy ay point encor parlé; mais sa mine me plait, et m'est advis que je le rendray tout mien.

  A013003189 

 Elle s'est un peu plus estroittement liee au Crucifix et a la dependence de son pere spirituel; non pas que son intention ne fut telle tous-jours, mais non pas si ouverte et declairee..

  A013003189 

 Je vous envoye l'Exercice que j'ay fait faire a madame de Charmoysi ce tems de caremprenant, car elle n'a [375] esté aux festes que le lundi et mardi.

  A013003190 

 Il me traittoit comme cela quand il estoit a Paris, et puys, une foys pour toutes il m'escrivit que c'estoient des trop foybles preuves d'affection que d'escrire.

  A013003191 

 Que me dit on de Lion et de Monsieur de Bourges? O vrayement, si cela estoit, je gouvernerois tout; je me monterois bien sur mes grans chevaux..

  A013003191 

 Thibaut me dit que vous aves vostre petit Baron qui fait merveilles, mais il me dit du bien de nostre Aymee avec un goust particulier; et de nostre Charlotte, il dit qu'ell'est toute malade, et Françon, toute jolie et grosse fille: j'ayme bien tout cela.

  A013003192 

 Et si, il faut que vous die encor cette petite folie: c'est que je presche si jolyment a mon gré en ce lieu, je dis je ne sçai quoy que ces bonnes gens entendent si bien, que quasi ilz me respondroyent volontier..

  A013003192 

 Je vous asseure, ma Fille, quil est neuf heures du soir: il faut que je face collation et que je die l'Office, pour prescher demain a huit heures; mais je ne me puis arracher [376] de dessus ce papier.

  A013003208 

 C'est a cette seule intention que je vous les envoye, vous priant de ne point les communiquer entieres; ouÿ bien, selon que vous verres, piece a piece, en paroles.

  A013003208 

 Il a fallu que je vous envoyasse cet Exercice; en quoy je voy bien que plusieurs choses sont si particulieres [377] a l'ame que je traittois qu'elles ne peuvent estre appliquees ailleurs; mais vous, qui la connoisses, ne laisseres pas de vous y recreer.

  A013003208 

 Or sus, j'adjouste que les particulieres le sont encores, quand Dieu et sa gloire sont l'objet de nostre volonté.

  A013003209 

 A Dieu, ma chere Fille, et que Jesus vive et regne a jamais en nous..

  A013003226 

 Et cependant, mon Pere, je vous supplie de luy presenter mes tres affectionnees recommandations de ma part, et luy dire que si mes prieres sont exaucees au Ciel, il se treuvera bien tost en l'eglise et assemblee, a rendre action de graces de sa santé recouverte, pour l'employer encor plusieurs annees a la gloire de Dieu et consolation de plusieurs.

  A013003226 

 J'ay sceu par monsieur d'Hostel que nostre R. Pere Recteur est bien malade, et si je croyois de luy estre utile j'irois le visiter en personne; mais puisque cela ne luy rendroit nul service, je le visiteray tous les jours en esprit, offrant le tressaint Sacrifice pour son portement.

  A013003227 

 Or, c'est a vous, mon Pere, a qui je confie ce petit message d'amitié, parce que vous m'aves donné une plus particuliere confiance en la vostre, et que je suis,.

  A013003245 

 Que vous faites bien de treuver Dieu bon et doux et de savourer sa paternelle sollicitude en vostre endroit, dequoy, estant maintenant en lieu ou vous ne pouves pas jouir du tems pour vous exercer a la meditation, il se presente en eschange plus frequemment a vostre cœur pour le fortifier de sa sacree presence.

  A013003245 

 Soyés fidelle a ce divin Espoux de vostre ame, et de plus en plus vous verres que, par mille moyens, il vous fera paroistre son cher amour envers vous..

  A013003246 

 Mais se pourroit-il bien faire qu'apres avoir consideré la bonté, la fermeté, l'eternité de Dieu, nous puissions aymer cette miserable vanité du monde? Or sus, il nous faut supporter et tolerer cette vanité du monde; mais il ne faut aymer ni affectionner que la verité de nostre bon Dieu, lequel soit a jamais loué de ce qu'il vous conduit a ce saint mespris des folies terrestres..

  A013003246 

 Quand nous savourerons les choses divines, il ne sera plus possible que les mondaines nous reviennent donner appetit.

  A013003246 

 Sans doute, ma Fille, rien ne fait treuver le chicotin si amer que de se nourrir du miel.

  A013003247 

 Il vaut mille fois mieux mourir avec Nostre Seigneur que de vivre sans luy.

  A013003259 

 Ce n'est pourtant que pour vous dire que je demande continuellement a la sainte Messe beaucoup de graces pour vostre ame, mais sur tout et pour tout l'amour divin, car aussi est-ce nostre tout.

  A013003260 

 Mon Dieu, que le royaume interieur est heureux quand ce saint amour y regne! Que bienheureuses sont les puissances de nostre ame qui obeissent a un roy si saint et si sage! Non, ma chere Cousine, sous son obeissance et dans cet estat, il ne permet point que les grans pechés habitent, ni mesme aucune affection aux plus moindres.

  A013003260 

 [383] Il est vray qu'il les laisse bien aborder les frontieres affin d'exercer les vertus interieures a la guerre et les rendre vaillantes, et permet que les espions, qui sont les pechés venielz et les imperfections, courent ça et la parmi son royaume; mais ce n'est que pour nous faire connoistre que sans luy nous serions en proye a tous nos ennemis..

  A013003261 

 C'est pourquoy tenons nous bien a Dieu par la continuation de nos exercices: que ce soit le gros de nostre soin, et le reste, des dependances.

  A013003261 

 Humilions-nous fort, ma chere Cousine, ma Fille; advouons que si Dieu ne nous est cuirasse et bouclier, nous serons incontinent percés et transpercés de toute sorte de pechés.

  A013003262 

 Il ne le sçauroit refuser, a cause de cette union en vertu de laquelle je fais l'offre; mais je presuppose que vous en faites autant de vostre costé.

  A013003274 

 Aussi sçai-je que vous estes en un lieu et en une compaignie ou rien ne vous peut manquer pour ce sujet; mais la charité qui se plaist a la communication fait que vous me demandés la mienne en me donnant la vostre.

  A013003274 

 Je receus il y a quelque tems une de vos lettres, que je cheris fort parce qu'elle porte tesmoignage de la confiance que vous aves en mon affection, qui aussi vous est entierement acquise, vous n'en deves nullement douter.

  A013003274 

 Je regrette seulement que je suis fort peu capable pour respondre a ce que vous desires de moy sur les accidens de vostre orayson.

  A013003275 

 L'inquietude que vous aves a l'orayson et laquelle est conjointe avec un grand empressement pour treuver quelque objet qui puisse arrester et contenter vostre esprit, suffit elle seule pour vous empescher de treuver ce que vous cherchés.

  A013003276 

 Il fait semblant de nous eschauffer au bien, mais ce n'est que pour nous refroidir, et ne nous fait courir que pour nous faire chopper.

  A013003276 

 Je ne sçay pas les remedes dont vous deves user, mais je pense bien que si vous pouves vous empescher de l'empressement, vous gaigneres beaucoup; car c'est l'un des plus grans traistres que la devotion et vraye vertu puisse rencontrer.

  A013003277 

 Et pour vous ayder a cela, resouvenes-vous que les graces et biens de l'orayson ne sont pas des eaux de la terre, mais du Ciel, et que partant, tous nos effortz ne les peuvent acquerir, bien que la verité est qu'il faut s'y disposer avec un soin qui soit grand, mais humble et tranquille.

  A013003278 

 La premiere est pour rendre a Dieu l'honneur et l'hommage que nous luy devons, et cela se peut faire sans qu'il nous parle, ni nous a luy; car ce devoir se fait, reconnoissant qu'il est nostre Dieu et nous, ses viles creatures, et demeurant devant luy prosternés en esprit, attendant ses commandemens.

  A013003279 

 La seconde cause pour laquelle on se presente devant Dieu, c'est pour parler avec luy et l'ouyr parler a nous par ses inspirations et mouvemens interieurs; et ordinairement cela se fait avec un playsir tres delicieux, parce [386] que ce nous est un grand bien de parler a un si grand Seigneur, et quand il respond, il respand mille bausmes et onguens pretieux, qui donnent une grande suavité a l'ame..

  A013003280 

 Or, Madamoyselle ma bonne Fille (puisque vous voules que je parle ainsy), l'un de ces deux biens ne vous peut jamais manquer a l'orayson.

  A013003280 

 Si nous ne pouvons pas parler parce que nous sommes enroués, demeurons neanmoins en la chambre et faysons-luy la reverence; il nous verra la, il aggreera nostre patience et favorisera nostre silence.

  A013003280 

 Une autre fois nous serons tout esbahis qu'il nous prendra par la main, et devisera avec nous, et fera cent tours avec nous es allees de son jardin d'orayson; et quand il ne le feroit jamais, contentons-nous que c'est nostre devoir d'estre a sa suitte et que ce nous est une grande grace et un honneur trop plus grand qu'il nous souffre en sa presence.

  A013003282 

 Quant a la crainte que vous aves que vostre pere ne vous face perdre le desir d'estre Carmeline par la trop grande distance de tems qu'il vous veut prefiger pour executer vostre souhait, dites a Dieu: Seigneur, tout mon desir est devant vous, et le laissés faire; il maniera le cœur de vostre pere et le contournera a sa gloire et a vostre prouffit.

  A013003283 

 Je me confie en vostre charité que je ne suis pas oublié aux vostres..

  A013003283 

 Mes prieres, que vous demandés, ne vous manquent point, car je ne sçaurois vous oublier, sur tout a la sainte Messe.

  A013003284 

 Je suis marri que Monsieur de Paris nous laisse... [388].

  A013003294 

 Ayes aggreable, Messieurs, je vous supplie, que je vous expose sur ce papier les raysons qui m'ont tiré hors de vostre ville, ma chere patrie.

  A013003296 

 Les autres me font un esprit melancolique et triste, qui ne peut se contenter que par le changement d'air et d'objet.

  A013003297 

 Non, si jamais je vous oublie, ou ma chere Geneve, si je ne me resouviens de vous en toutes mes [390] prieres, que ma dextre et mon bonheur soit mis en oubly et que je sois effacé.

  A013003297 

 Penses tout'autre chose, Messieurs, je vous supplie, avant que de croire que je puisse oublier vostre ville, ma patrie.

  A013003308 

 Ayant perdu l'esperance de vous revoir pour cett'annee, suivant ce que m'en a dit nostre Evesque mon filz, j'attendray avec impatience d'avoir ce bonheur la suivante.

  A013003308 

 Et ce pendant, puisque la petite que j'ay au Puis d'Orbe n'est point portee a la Religion, je vous veux ramentevoir la priere que je vous fis de la retirer en [391] ce cas la, et vous supplie de rechef de luy faire cest honneur, et a moy.

  A013003309 

 Pardonnes moy, Madame ma tres chere Fille, cette liberté avec laquelle je vous incommode de cette fille, qui ne pourra jamais, non plus que moy, correspondre a l'obligation qu'elle vous a. Nostre Seigneur vous en veuille recompenser, et je suis,.

  A013003320 

 Je m'en treuve tant, que cela seul suffit pour me persuader que c'est de la part de Nostre Seigneur; car il n'est pas possible, ce me semble, que tout le monde ensemble m'en peut tant donner, au moins je n'en ay jamais tant apperceu chez luy.

  A013003320 

 Mon Dieu, que j'ay et de cœur et de passion au service de vostr'esprit, vous ne le sçauriés asses croire, ma chere Seur.

  A013003321 

 C'est aujourdhuy la feste de tous les Saintz; et faysant l'Office a nos Matines solemnelles, voyant que Nostre Seigneur commence les beatitudes par la pauvreté d'esprit et que saint Augustin l'interprete de la sainte et tres desirable vertu de l'humilité, je me suis resouvenu que vous m'avies demandé que je vous envoyasse quelque [392 a ] chose d'icelle, et il m'est advis que je ne l'aye pas fait en ma derniere lettre, quoy que bien ample et peut estre trop longue.

  A013003321 

 Et sur cela, Dieu m'a donné tant de choses pour vous venir escrire, que si j'avois asses de loysir, il m'est advis que je dirois merveilles..

  A013003322 

 Mais aux vefves appartient sur tout l'humilité; car, qui peut enfler la vefve d'orgueil? Elle n'a plus son integrité (laquelle neanmoins peut estre contreschangee par une grande humilité viduale; et est bien mieux d'estre vefve avec force huile en sa lampe que d'estre vierge sans huile ou avec peu d'huile), ni ce qui donne le plus haut prix a ce sexe selon l'estime du monde; elle n'a plus son mari, qui estoit son honneur et duquel ell'a pris le nom.

  A013003322 

 Premierement, ma chere Seur, il m'est venu en memoire que les Docteurs donnent aux vefves pour leur plus propre vertu la sainte humilité.

  A013003322 

 Que luy reste-il pour se glorifier, sinon Dieu? O bienheureuse gloire, o couronne prætieuse!.

  A013003323 

 O que c'est une belle fleur que la vefve chrestienne! Petite et basse par humilité, elle n'est guere esclattante aux yeux du monde, car elle les fuit et ne se pare plus pour les attirer sur soy.

  A013003324 

 Connoisses-vous que vous estes une chetifve et pauvrette vefve? Aymes cette chetifve condition, glorifies-vous de n'estre rien, soyés en bien ayse, puisque vostre misere sert d'object a la bonté de Dieu pour exercer sa misericorde.

  A013003324 

 Nous ne sommes que des gueux; les plus miserables sont de meilleure condition, la misericorde de Dieu les regarde volontiers..

  A013003324 

 Qu'est ce donques que l'humilité chrestienne? C'est l'amour de cette pauvreté et abjection, en contemplation de celle de Nostre Seigneur.

  A013003325 

 Humilions nous, je vous supplie, et ne preschons que nos playes et miseres a la porte du temple de la pieté divine.

  A013003325 

 Je me glorifie en mes infirmités, dit l'Apostre, et: Il m'est mieux de mourir [392 c ] que de perdre ma gloire.

  A013003325 

 Mais resouvenes vous de les prescher avec joÿe, vous consolant d'estre toute vuide et toute vefve, affin que Nostre Seigneur vous remplisse de son Royaume.

  A013003325 

 Voyes vous, il aymeroit mieux mourir que de perdre ses infirmités, qui sont sa gloire.

  A013003326 

 Soyés bien ayse que le monde ne tienne conte de vous: s'il vous estime, mocqués vous en joyeusement, et riés de son jugement et de vostre misere qui le reçoit; s'il ne vous estime pas, consoles vous joyeusement dequoy, au moins en cela, le monde suit la vérité..

  A013003327 

 J'appreuve que l'on s'abbaisse quelquefois a des bas services, mesme a l'endroit des inférieurs et superbes, a l'endroit des malades et pauvres, a l'endroit des siens, en la mayson et dehors; mais que ce soit tous-jours naïfvement et joyeusement.

  A013003327 

 Je le répété souvent parce que c'est la clef de ce mystere pour vous et pour moy.

  A013003327 

 Les offices humbles et d'humilité exterieure ne sont que l'escorce, mais elle conserve le fruit..

  A013003328 

 Continues vos Communions et exercices ainsy que je vous ay escrit.

  A013003330 

 C'est que je crains l'esprit de contrainte et de melancholie.

  A013003330 

 Je desire que vous voyes le chapitre 41 du Chemin de perfection de la bienheureuse sainte Therese; car il vous aydera a bien entendre le mot que je vous ay dit si souvent, qu'il ne faut point trop pointiller en l'exercice des vertus, mais qu'il y faut aller rondement, franchement, naïfvement, a la vielle françoise, avec liberté, a la bonne foy, grosso modo.

  A013003330 

 Non, ma chere Fille; je desire que vous ayes un cœur large et grand au chemin.

  A013003331 

 Mon desir de vous aymer et d'estre aymé de vous n'a point de moindre mesure que l'eternité.

  A013003375 

 Les grandes et rares qualitéz que la bonté et liberalité de Dieu vous a desparties, qui forcent les estrangiers mesmes de les recognoistre et d'en rechercher la jouissance, nous obligent encoures d'en faire l'estat que nous devons et de nous en prevalloir, tant pour nostre particulier que pour le general de ceste province, et principalement de cette ville, laquelle, comme estant le chef de l'Estat, semble avoir quelque droict de rechercher avec nous cet honneur de vous avoir pour predicateur a ce Caresme prochain, si la disposition de voz affaires vous en donnent aultant de commodité comme nous en avons tous de volonté et de desir..

  A013003376 

 Ce n'est pas de ce jourdhuy que ce corps a recherché et obtenus de semblables faveurs de voz predecesseurs, non sans grande edification de tout le peuple, de veoir un principal Evesque s'acquiter dignement d'une si digne charge en la principale chaire de la Savoye.

  A013003376 

 Mais nous estimerons d'avoir tant plus d'obligation a la faveur que nous recevrons de vostre charité et bienveuillance quand il vous plairra nous accorder cette requeste, laquelle nous vous presentons, sachantz bien que le dessein lequel vous aves de rendre ce devoir de bon Evesque a voz brebis vous pourroit destourner de nous l'accorder, si la consideration d'un plus grand bien que vous pouves faire en nous gratiffiant de cette priere ne vous emouvoit de quicter quelque chose de cette bonne et sainte resolution.

  A013003377 

 Dequoy nous avons encores particulierement chargé le sieur Senateur Favre de vous prier de nostre part et vous asseurer tant plus que nous vous en aurons obligation perpetuelle, et laquelle nous tascherons tous, et en general et en particulier, de recognoistre en vostre endroict par toutte sorte de tesmoignage d'affection a vostre service, d'aussy bon cœur qu'appres vous avoir bien humblement baisé les mains, nous prions Dieu quil luy plaise, Monsieur, vous conserver et accroistre de jour en jour ses sainctes graces, et a nous les vostres..

  A013003393 

 J'use de cette maxime, et ne vous rends aucune grace de l'amitié que me portez, parce que je ne le puis assez meritoirement..

  A013003393 

 Que je suis contant et consolé quant je reçois de voz nouvelles! Elles me ravissent; et qui n'en seroit touché, y reconnoissant une affection sans mesure envers moy, qui n'en suis digne que par vostre pure bonté et courtoisie? Les grandes obligations doivent estre plustot ensevelies dans le silence que non assez dignement remercieez.

  A013003394 

 Le progrez que vous faictes en vostre diocese, y gaignant touts les jours quelques ames desvoyeez, resjouit touts les gens de bien.

  A013003394 

 Que vous estes heureux, mon cher Seigneur, d'estre si util a l'Eglise de Dieu et receuillir une si ample moisson de voz peines en vostre printemps! Que sera donc vostre automne? O trois fois heureux! Dieu vous conserve longuement en santé, afin que de vostre Babylone voisine, vous faciez une saincte et triumphante Hierusalem..

  A013003395 

 Je ne bougeray encor de dix jours d'ici; si pendant ce temps vostre commodité le permet de l'envoyer, je l'emporteray et la feray apointer a vostre contantement; que si vous jugez que ce temps soit trop bref, ne laissez pourtant de l'envoyer ici a mon oncle, le President des Comptes, lequel me fera tenir vostre pacquet a Paris.

  A013003395 

 Pour ce que vous desirez, que ce qui est de vostre diocese estant soubs l'obeissance du Roy soit uni au corps du clergé de ce royaume, je le treuve fort juste et mi empleiray de tout mon credit; mais je croy quil seroit a propos que vous m'en envoyassiez une requeste addressante auxdit (sic) sieurs du clergé.

  A013003396 

 Messieurs nos Presidents, pere et oncle, vous baisent tres humblement les mains et vous remercient le resouvenir qu'avez d'eux, et moy je vous conjure de continuer a m'aymer autant que je vous honore..

  A013003412 

 Et le dessein que je vous avois proposé se treuve trop long et trop ennuyeux; car aussy bien fay je conscience de pipper tant de gens qui me prendront pour quelque grand theologien, et me doit bien suffire que j'en trompe des-ja tant d'autres qui me tiennent pour plus grand jurisconsulte que je ne suis.

  A013003412 

 Je n'estime pas que j'en aye grand besoin devant un mois, parce que le huictiesme et le neufviesme Livres restent encores a imprimer; et quoy quil en soit, vous le pouvez finir par la ou il vous plaira.

  A013003412 

 Je treuveray tous-jours belle la forme que vous luy donnerez et ne veux poinct luy en souhaiter de plus belle; j'attendray donc sur ce poinct et vostre volonté et vostre commodité..

  A013003412 

 Je vous baise les mains mille et mille fois de la souvenance que vous avez de moy et de mon chapitre, estant neanmoins bien desplaisant, non tant de la peine que de l'incommodité que ce chapitre vous donne parmy tant d'autres affaires plus importants et plus pressants.

  A013003413 

 J'ay tardé de vous escrire ceste jusques a l'heure du despart de monsieur Rogex, pour sçavoir si l'arrivee de Monseigneur de Nemours, que nous attendons despuis quattre jours d'heure a autre, m'apporteroit le sujet de quelque nouvelle digne de vous estre escritte; mais jusques icy nous n'en avons autres nouvelles sinon quil arriva le mercredy au soir a Lion et que ses gens cherchoyent des chevaux de louage vendredy pour partir.

  A013003414 

 Comme j'estois en cest endroit, monsieur Rogex m'est venu advertir de la venue de Monsieur et quil est sur le poinct de partir pour [398] passer outre; qui sera la cause que je ne vous feray ceste plus longue, sinon pour vous dire que l'on n'a poinct de nouvelles de la santé de Son Altesse despuis mercredy dernier, qu'on fut adverty que son acces dernier avoit esté moindre que les autres..

  A013003415 

 Il ne tiendra pas ni a elle ni a moy qu'elle ne vous face un François, pour bon savoyard que je suis; si moins, il faudra se resoudre, comme vous voulez, de vivre pour le moins jusques en l'an climaterie (sic) pour danser aux noces de la fille.

  A013003416 

 La vie me sera tousjours aggreable, quand elle sera accompagnee de la grace de Dieu et de la vostre, et quand elle me donnera plus de moyens de vous tesmoigner par effect que je suis et seray eternellement,.

  A013003428 

 Je remercie tres humblement et de tout mon cœur la divine Bonté qui m'ha fait grace de recevoir de voz nouvelles, et de ce que [399] la main d'iceluy, qui est Episcopus animarum nostrarum, opere par vostre moyen.

  A013003429 

 Si est il que apres ce remerciement, je me ressent (sic) bien obligé à vous, Monseigneur, mesmes qu'avec ceste singuliere affection qu'il vous ha pleu me conserver, j'espere par voz saints Sacrifices estre offert à Dieu, au quel mon aage me talonne à chaque heure d'aspirer et me presenter.

  A013003430 

 Du seigneur Gaillon, comme fruit de vostre culture, j'ay entendu avec extreme contentement ce que la sainte misericorde et providence divine vont par vostre moyen operant dans Geneve.

  A013003430 

 Et comme tout cecy est derivé et plus abondamment, j'espere, derivera d'iceluy qui deit: Cum exaltatus fuero à terra, omnia trabam ad me ipsum, aussi nous preuvrons tous-jours que ceste beniste conformité de noz volontez à la divine, bourgeonne et rend le centiesme à quiconque se sacrifie entierement en holocauste à Dieu.

  A013003431 

 De voz euvres, qui sont issues contre ceux qui avoient escrit au deshonneur de la Croix, j'eusse desiré participer, tant pour soulagement de mon esprit et pour en tirer proffit, que pour en faire mention en mon Apparatus sacer; mais, possible, par quelque occasion, si Dieu plait, j'en participeray, et lors, en la seconde edition du dict Apparatus, j'en feray mention, puis que la premiere est parachevee.

  A013003431 

 Que si le seigneur Gaillon aurà moyen de vous apporter quelcune de mes petites ou grandes pieces qui, possible, ne vous sont pas parvenues es mains, vous plairrà, Monseigneur, les accepter et prendre en gré, comme provenantes d'iceluy qui vous ayme par dessus tous ces (sic) enfans spirituels, et vous revere et honnore à l'egal de quelconque autre Prelat..

  A013003432 

 Et pour ce que la responce fut en italien, imprimee en Avignon, il y eut un docte homme qui la traduit en françois, mais l'on ne l'imprima pas, car autres affaires et voyages me surprindrent.

  A013003432 

 Je le vous envoye donq, comme tribut deu à celuy qui ha la charge dans Geneve, car ainsi je cuyde, et je sçay que vous l'avez de Dieu pour la convertir.

  A013003432 

 Ledict livre fut reimprimé, tout ainsi que ceste annee on l'ha fait à Venise.

  A013003432 

 Pendant que j'estois à Lyon preschant contre les calvinistes, jadis 44 annees, j'escrivis un petit livre et une lettre à un de Geneve qui estoit italien.

  A013003432 

 Vous en fairez, apres l'avoir leu, ce que vous en jugerez mieux pour le salut des ames, soit que l'on le traduise en françois, soit que ce qui est traduit desja en françois touchant la dicte responce se mette en lumiere, ou à part, ou l'adjoustant au reste, car je vous envoye le tout..

  A013003434 

 Au reste, je suis bien aise que le R. P. Recteur de Chambery vous assiste de son fidel conseil et service, tout ainsi que nous le vous debvons trestous.

  A013003434 

 Et s'il vous plairrà, Monseigneur, me faire donner par fois quelque nouvelle de la conversion des ames et de ce que l'on pourroit faire d'avantage pardela par le moyen de Romme et d'ailleurs, peut estre que m'essayeray d'y songer et de vous y tenir la main, si tant est que l'aage et les indispositions du corps me donnent quelques treves pour m'employer au service de Dieu et de [401] vous, Monseigneur, au quel je prie la continuelle assistence divine, et plenissimam benedictionem de cœlo desuper et de terra deorsum..

  A013003450 

 Cependant Nous desirons que rien ne soit innové au prejudice de la Religion, vous en ayant a ces fins voullu donner advis, a celle fin que sursoyes a toutes deliberations qu'en ce faict vous pourriez avoir projectees..

  A013003450 

 Le Conseil de la Religion nous a faict voir la lettre que luy avez escrit, comme aussy celle du Berghera, en conformité de la nostre, touchant la provision des benefices qui restent a pourvoir riere les baillages de Chablais, Gaillard et Ternier que Nous desirons et affectionons tout ce qui se peut.

  A013003450 

 Mais comme c'est chose sur laquelle il a fallu faire plusieurs cessions et qui depend de l'advis et participation de beaucoup de personnes, cella en a retardé la resolution, que neantmoins nous envoyerons bien tost.

  A013003469 

 Car en la maison, elle entretenoit la paix et la concorde, quoy que son mary fust assez fascheux, avoit charge de toutes les affaires domestiques, dont elle s'acquittoit fort bien, estant soigneuse, prouvoyante et jamais oisive, tres-liberale envers les pauvres, tousjours de bonne intelligence avec ses parens et voisins..

  A013003470 

 Elle entendoit tous les jours la Messe, quoy que l'eglise fust fort esloignée.

  A013003470 

 Elle jeusnoit exactement tous les vendredys; les jours de veille, des quatre Temps et de Caresme, elle ne mangeoit que du pain et des legumes, et ne beuvoit de vin que la moitié de son verre; si elle avoit plus de soif, elle ne beuvoit que d'eau.

  A013003473 

 Elle cachoit ses belles vertus, de sorte que difficilement pouvoit-on les remarquer.

  A013003473 

 En fin, il faudroit que j'employasse bien du temps si je voulois raconter les actions de saincteté que ceste bonne femme a faictes devant les hommes; car des autres œuvres de pieté qu'elle a faictes devant Dieu tant seulement, il n'y a personne qui les puisse raconter.

  A013003473 

 Jusques au premier Dimanche de juin (selon que nous autres laics avons coustume de compter, le quatriesme jour) elle s'en alla à l'eglise parroissiale d'Amancy, tenant une petite croix en ses mains, et, estant des-ja fort foible, elle se confessa et communia.

  A013003474 

 » De tout cela il ne faisoit que se rire..

  A013003475 

 Le jour estant venu, elle se mist à genoux pour prier Dieu avec son livre d'Heures, et estant retournée au lict par le commandement de son mary, elle fist un long discours des peines et travaux que la glorieuse Vierge Marie Nostre Dame avoit soufferts, tant en eslevant son divin Enfant, qu'en Egypte et autre part.

  A013003476 

 Son mary vouloit faire venir des medecins de Geneve; mais elle eust horreur au seul nom et luy dit: « Pleust à Dieu que ces medecins n'eussent jamais mis le pied dans vostre maison, car ils sont ennemis de Dieu.

  A013003477 

 Elle fust encore visitée par sa sœur Nicole, qui vouloit demeurer aupres d'elle; mais elle luy dit: « Ma sœur, allez vous-en; vous avez des affaires à La Roche et [405] estes plus malade que moy; nous nous verrons bien-tost en Paradis, avec l'aide de Dieu.

  A013003477 

 Elle fust visitée par le curé d'Amancy, auquel elle demanda l'Extreme Onction; ce que toutesfois il ne luy accorda pas, ne croyant pas qu'elle fust si fort malade.

  A013003539 

 Vos vertus et vos mérites m'obligeoient assez à vous honorer et à vous consacrer mes très-humbles services, mais l'affection qu'il vous plaît porter à toute notre petite famille et l'estime que vous faites de ma fille de Chantal m'accable d'obligations; de sorte que, ne pouvant assez m'acquiter, je serai contraint de faire cession non seulement de ce peu de bien que Dieu m'a donné, mais aussi de moi-même, qui suis et veux demeurer à jamais vostre très-humble serviteur..

  A013003540 

 Je puis bien, Monsieur, vous promettre la même chose pour Monsieur de Bourges, mon fils; car, outre l'inclination naturelle qu'il en a, je vous assure, Monsieur, que son plus grand desir et contentement seroit de pouvoir mériter l'honneur de vos bonnes graces, comme le mien seroit quelquefois d'avoir le bonheur de recueillir les doux et agréables fruits de votre sainte et douce conversation.

  A013003541 

 Monsieur de Bourges n'est pas comme cela; cependant je puis dire que de tous les Prélats qui sont en deça, il est le mieux avec ses confreres..

  A013003541 

 Par les lettres qu'il m'en écrit, il s'en loue fort; mais ils ne sont [410] pas tels que les vôtres, ni si remplis qu'eux des graces de Dieu.

  A013003542 

 Si les affaires de ceux de votre Chapitre eussent été en état, je leur aurois volontiers témoigné l'estime que je fais de votre recommandation; mais quand le procès se jugera, je me souviendrai bien des bons et honorables témoignages que vous avez rendus de leur vertu et de leur sainte manière de vivre.

  A013003553 

 Je pars à mon regret, volontairement neamoins, puisque c'est pour acomplir l'obeissance que l'on m'a envoié pour aler prêcher en France.

  A013003554 

 Ce pendant, Monseigneur, ce porteur vous remettra un rôle tres exact, dans lequel vous verrez de quelle maniere on a emploié l'argent que vôtre charité a envoié pour les eglises.

  A013003554 

 Nous pourrons dire de vous, Monseigneur, ce que saint Paul disoit de lui même: qu'afin que rien ne manque à vôtre apostolat, vous prenéz un soin continuel de toutes les eglises de Dieu sapées par les heretiques et relevées par vôtre travail..

  A013003555 

 Je renvoie les deux autels portatifs que Votre Seigneurie Illustrissime m'avoit confié, afin que celui que vous commettréz en ma place puisse s'en servir, n'étant pas a propos de laisser les choses saintes au gré des profanateurs....

  A013003562 

 J'en ay quelque desir, qui deviendra meilleur par la continuation que j'ose me promettre de vostre sainct et charitable secours..

  A013003562 

 Oultre les obligations passees que je vous ay, en voici une nouvelle et bien grande, puisque me voici hors de maladie par voz merites et par l'entremise de voz oraisons plus ferventes et saincts Sacrifices qu'il vous a pleu offrir a Dieu pour ma santé.

  A013003562 

 Quant a moy, je ne sçay autre motif de vostre charité ardente, sy ce n'est que vous ayez jugé expedient que je demeurasse encor en cette terre des mourants pour faire penitence de mes offenses et me faciliter le chemin qui conduit a la terre des vivants.

  A013003563 

 Bien souvent un mal est accompagné d'un autre, comme de fait, pour mon affliction corporelle j'ay esté frustré de la consolation spirituelle que Dieu m'envoyoit par vostre ministere; car celle qu'a voulu se charger de la presente pour la vous rendre en main, vous dira que je n'ay rien fait pour le bien spirituel de son ame.

  A013003563 

 En quoy je doibs lamenter ma perte, veu que ce bon heur m'arrivant, j'apprenois la vraye crainte et amour de mon Dieu et a detester le peché, a l'imitation d'une ame laquelle, vivant parmi le monde, n'a rien de commun avec icelluy, conversant au Ciel avec Dieu et ses Anges.

  A013003563 

 Et pour vous rendre comte en peu de mots de mon mal, la verité est que j'ay experimenté au plus fort de la maladie, qu'il y a difference [412] entre la meditation qui se fait de la mort en santé et celle qu'engendre la vraie apprehension d'une maladie jugee mortelle.

  A013003563 

 Je luy ay dit que je priois Dieu pour son retour apres festes, aux fins de recouvrer se (sic) bien perdu.

  A013003563 

 O quelle ame de Dieu, aussi bien laniepce que la tente! Elles n'ont manqué a visiter chaque jour nostre eglise, et autant de foys m'envoyer le bon soir, avec plaintes iterees de mon mal..

  A013003564 

 Et s'il est vray qu'au besoin on fait preuve asseuree de l'amitié, je puis dire qu'a cette occasion je suis grandement obligé a la ville de Chambery, mais en premiere instance a vous, Monseigneur, qui, de grace speciale, m'avez offert ce que la raison ne me permettoit esperer ou desirer: vostre presence et vous mesme.

  A013003564 

 Je conserveray, Dieu aydant, au secret de mon cœur se (sic) present riche et precieux, et en recognoissance me diray ce que je veus et doibs estre par tout devoir,.

  A013003569 

 Monseigneur, comment ferons nous pour mettre sous la presse le thresor de devotion de madame de Charmoisy? Il fault, a mon advis, premierement revoir le tout, le disposer, l'intituler et prefasser, avec le nom de l'autheur, affin que le bien soit plus asseuré et plus universel; le tout a la gloire de Dieu.


14-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XIV-Vol.4-Lettres.html
  A014000019 

 — Diverses raisons persuadent l'Evêque d'attendre sans inquiétude la suite des événements; il ne veut que la volonté de Dieu.

  A014000020 

 Rien ne se fait que sous la conduite de Dieu.

  A014000020 

 — Lé Saint ne veut que Dieu pour son partage.

  A014000021 

 — On veut tirer l'Evêque de sa terre et de son «parentage»; sentiments que lui inspire ce projet.

  A014000025 

 — C'est surtout sur les petits lacs d'eau douce que la barque du Saint se plaît à voguer. 29.

  A014000030 

 Il faut aimer l'attente que Dieu impose à l'accomplissement de nos désirs.

  A014000030 

 — «Il faut bien que les filles soyent un petit jolies.» — Portrait du P. de Monchy.

  A014000038 

 — Ne s'astreindre «que tout bellement» aux exercices de piété, est chose conseillée en certains cas.

  A014000041 

 — Quand les mortifications sont interdites par une santé délicate, que faut-il faire? 45.

  A014000044 

 La Baronne est prévenue que le Saint est aux «portes» de Monthelon. 48.

  A014000050 

 Accueil que fait le Saint aux désirs et aux recommandations de la baronne de Chantal.

  A014000052 

 — Les âmes que Dieu aime «en tout et par tout.».

  A014000064 

 — Ingénieuse manière de demander à une âme chrétienne si elle aime Dieu; que faire quand on aime bien Dieu. 66.

  A014000065 

 — Le Saint déplore les dangers que court une âme infidèle à ses engagements sacrés et bénit Dieu qui l'a gardé de l'erreur dès son jeune âge.

  A014000071 

 — Que faire quand il arrive des pensées mauvaises. 72.

  A014000075 

 — Tableau rapide des vertus que la très Sainte Vierge a pratiquées depuis Nazareth jusqu'au Calvaire.

  A014000076 

 — La barque, l'aiguille marine et la «belle estoile.» — Que doit faire l'âme chrétienne au temps de la «dereliction.» — Comment se conduire dans les assauts contré la foi et dans les tentations de vanité et de vaine gloire.

  A014000077 

 DVII. Une grâce que le Saint sollicite de Notre-Seigneur pour M me de Chantal.

  A014000086 

 Saint de voir que tous les siens parlent avec respect et affection de la petite Aimée et de sa mère.

  A014000088 

 — Pourquoi le monde est quelquefois plus propice que le cloître à l'acquisition des vertus. 90.

  A014000093 

 — L'administration des pensions et les avis que doit donner l'Abbesse dans ses Chapitres.

  A014000099 

 Après un premier «choppement,» que faire? — Comment apaiser son cœur quand il est prévenu contre le prochain.

  A014000101 

 Les sentiments que doit exciter la perte des parents.

  A014000101 

 — Comment il faut supporter les ennuis que donnent les affaires temporelles. 102.

  A014000102 

 — Les Communions que nul ne peut refuser.

  A014000102 

 — Que l'on ne puisse pas communier sans ouïr la Messe, c'est une opinion nullement fondée.

  A014000106 

 L'Abbesse du Puits-d'Orbe désire venir en Savoie; réserves que fait le Saint à propos de ce projet de voyage.

  A014000106 

 — Le bon plaisir de Dieu meilleur que le nôtre. 107.

  A014000111 

 — L'Evêque de Genève trouve son âme «un peu plus a» son «gré que l'ordinaire,» et pourquoi.

  A014000119 

 — Supplique pour obtenir que le président Favre puisse transmettre à son fils René la charge de sénateur. 123.

  A014000127 

 — Pourquoi elle doit se dégager de certaines «petites pensees.» — Le «petit advis» que le Saint donne clairement à sa «chere Dame et bonne Mere.».

  A014000130 

 — Le Saint raconte comment il a traversé Genève à cheval et l'émoi que son passage a suscité dans la ville.

  A014000131 

 — Une affection que les paroles du monde ne sauraient traduire. 139.

  A014000132 

 — Les austérités corporelles et les mortifications spirituelles; celles que le Saint désire pour les filles de sa future Congrégation. 140.

  A014000142 

 Que faire à mesure que les années s'en vont.

  A014000148 

 Un cœur plus que paternel, dégagé et fervent au milieu des tracas.

  A014000154 

 Tout fait espérer que l'âme de M me de Boisy a été reçue «en la main dextre de son Dieu.».

  A014000161 

 — Ce que Notre-Seigneur ne requiert pas de nous.

  A014000161 

 — Plutôt mourir que de démordre.

  A014000163 

 — Réponse à des objections que présentait la destinataire.

  A014000166 

 Une postulante que le monde dispute à la vie religieuse.

  A014000168 

 Une idée que le Saint trouve à son réveil.

  A014000168 

 — Espoir joyeux que Dieu plantera et fera fructifier la plante du futur Institut. 173.

  A014000172 

 — Pourquoi le Saint espère que Dieu aura été pitoyable au prince.

  A014000182 

 — «Il est vray que l'on regarde encor aux facultés.» — Le Chablais au XVII e siècle.

  A014000186 

 Ce qui est pire que la mort pour une âme de Saint.

  A014000192 

 — La seule perte que nous devons craindre en cette vie.

  A014000192 

 — Pourquoi le tracas des procès, plus que tout autre, ôte la paix intérieure.

  A014000194 

 — Raisons d'espérer que Dieu l'aura reçu dans l'Eglise triomphante. 201.

  A014000212 

 Le Saint s'intéresse aux études d'un jeune annécien et demande que le collège de Savoie de Louvain lui soit rouvert. 218.

  A014000213 

 — Pas de particularités dans sa Congrégation; il faut que tout y «aille d'un train.».

  A014000218 

 — Ce que fait la «petite trouppe» de la Visitation. 223.

  A014000223 

 — Souci charitable que prend le Saint pour la santé de la Fondatrice. 226.

  A014000244 

 J'ay receu vostre premiere lettre avec une particuliere consolation, comme un bon commencement de la communication spirituelle que nous devons avoir ensemble pour l'advancement du royaume de Dieu dans nos cœurs.

  A014000245 

 Il n'est pas possible que vous soyes si tost maistresse de vostre ame et que vous la tenies en vostre main si absolument de premier abord.

  A014000246 

 Et toutes fois et quantes que vous retomberes, faites-en de mesme..

  A014000246 

 Observés bien ces pointz que je vous ay dit.

  A014000247 

 Je ne doute point que Dieu ne vous tienne de sa main, et bien qu'il vous laissera broncher, ce ne sera que pour vous faire connoistre que s'il ne vous tenoit vous tomberies du tout, et affin que vous luy serries la main de plus fort.

  A014000247 

 Quand vous aures le repos, employés-le vivement, faysant le plus d'actes de douceur que vous pourres et es occasions les plus frequentes que vous en ayes, pour petites qu'elles soyent; car, comme dit Nostre Seigneur, qui est fidele es petites choses, on luy confiera les grandes.

  A014000259 

 Il faut donques que vous vous en resjouissies, en remerciant Dieu et le loüant.

  A014000259 

 Je sçai que vous aves eu des lettres de monsieur mon cousin vostre mari, mais je ne puis me contenir de vous dire que monsieur de la Fleschere, qui fut hier icy, m'asseure que jamais il ne se porta mieux, ni monsieur de Charmoysi.

  A014000270 

 Elle a double prix en mon estime, [4] estant, comm'elle est, fort ornee, et d'un lieu que j'honnore avec une affection tres entiere..

  A014000270 

 Il n'estoit pas besoin que vous prissies la peyne de me faire sçavoir comme j'avois perdu le bien de recevoir de vos lettres ces deux ou trois moys passés, car jamais je ne me fusse voulu donner cette affliction de croire que c'eust esté pour estre esloigné de vostre bonne grace, et toutes les autres causes ne me sont pas ennuyeuses.

  A014000270 

 Je vous rens mille graces de la belle orayson funebre que vous m'aves envoyee.

  A014000271 

 Il m'est advis que la communion de ce saint caractere nous alliera de plus fort; mays en l'attendant, je ne laisseray de prononcer souvent en mon ame le souhait solemnel: Ad multos annos.

  A014000286 

 Le fondement de cette supplication, Sire, est a la verité bien mauvais, mais il n'en est que plus solide; car c'est leur extreme pauvreté; puisque presque tous sont si chetifz en moyens qu'ilz n'en ont que pour vivre miserablement.

  A014000286 

 Si que Vostre Majesté commandant qu'on les laysse, elle leur fera un'excellente aumosne, car elle leur donnera le repos, seule condition qui peut rendre leur disette aucunement supportable, du milieu delaquelle [je prie] Dieu quil prospere Vostre Majeste..............................................................................................qui est....................................

  A014000294 

 J'ay esté bien consolé par les lettres que vous m'aves escrit, voyant que Nostre Seigneur vous a fait gouster les commencemens de la tranquillité avec laquelle, moyennant sa grace, il nous faut desormais continuer de le servir parmi la presse et multiplicité des affaires ausquelles nostre vocation nous oblige.

  A014000294 

 J'ay une extremement bonne esperance pour vous, parce que j'ay veu, ce me semble, en vostre cœur une profonde resolution de vouloir servir sa divine Majesté, qui me fait asseurer que vous userés de fidelité es exercices de la sainte devotion.

  A014000294 

 Que si bien il y entrevient beaucoup de manquemens par infirmité, il ne faut nullement s'estonner; mais, en detestant d'un costé l'offence que Dieu en reçoit, il faut de l'autre avoir une certaine humilité joyeuse qui ayt a playsir de voir et connoistre nostre misere..

  A014000295 

 Je vous diray briefvement les exercices que je vous conseillerois; vous les verres plus clairement en cet escrit que je fay.

  A014000296 

 Parmi le jour et entre les affaires, le plus souvent que vous pourres, examinés si vostre amour est point engagé trop avant, s'il n'est point detraqué et si vous ne vous tenes pas tous-jours par l'une des mains a Nostre Seigneur.

  A014000298 

 Ne vous mettes point en peyne de faire beaucoup d'oraysons vocales, et tous-jours, quand vous prieres et que vous sentires vostre cœur porté a l'orayson mentale, laissés-l'y aller hardiment; et quand vous ne feries que l'orayson mentale avec l'Orayson Dominicale et la Salutation Angelique et la Creance, vous pouves vous contenter..

  A014000309 

 Si ay, a la verité, et m'y fusse laissé emporter si la connoissance de mon insuffisance ne m'eut arresté; car cet honneur ne m'esblouyt point tant que je ne voye bien les bornes et limites de ma capacité, lesquelles sont sans doute fort courtes et estroittes..

  A014000310 

 Et pour cela, Monsieur, je vous supplie d'apprendre de Sa Majesté que c'est qu'elle penseroit faire de moy et en quoy elle desireroit m'employer, car sans doute je ne suis pas bon a beaucoup de choses; et j'ay neanmoins cette generosité de ne vouloir pas estre appliqué que pour ce que je suis et en ce que je puis, d'autant plus quand ce seroit par la gratification et grace d'un si grand Roy, lequel ne pense pas a me faire transplanter de ce pais en son royaume, abondant en toutes sortes de personnes de merite, quil ne m'estime fructueux et propre a son contentement..

  A014000311 

 C'est pourquoy, ou que je sois appellé pour le service de la gloire divine, je ne contrediray nullement d'y aller; mais sur tout en France, a l'air de laquelle ayant esté nourri et instruit, je ne puis dissimuler que je n'aye une speciale inclination, et encor plus, la voyant sous un Roy que je doys honnorer et estimer si hautement et qui m'oblige si extremement comm'il fait.

  A014000311 

 Dieu m'a fait la grace de reconnoistre que je suis fait pour luy, par luy et en luy.

  A014000311 

 Il est vray que je suis en mon pais et entre les miens, avec une certaine suffisance qui me suffit et, ce qui m'est le plus cher, avec un repos aussi grand que ma charge le peut permettre et qui meshuy me semble asses ferme.

  A014000311 

 Je ne suis ni seray jamais enfant de fortune, tandis que le Ciel m'esclairera.

  A014000312 

 Si donques Sa Majesté vous dit son intention particuliere, j'examineray avec Dieu et en sa presence mes forces; et si je les sens aucunement assortissantes au service qu'elle desirera, et que Sa Sainteté me le commande (car vous sçaves bien que sans cela je n'oserois me remuer de la sentinelle en laquelle je suis posé), je me rendray tout prest, tout prompt, tout affectionné a suivre la vocation divine, ne doutant nullement qu'elle ne soit telle, quand je verray se joindre les volontés du Pape et du Roy..

  A014000313 

 C'est trop dit, ce me semble, a vous, Monsieur, qui m'aymes tant et me connoisses tant, et qui sçaves entr'autres choses que je suis de tout mon cœur, Monsieur,.

  A014000328 

 Vous verres donq, sil vous plait, la lettre que j'escris au Roy, et, sil vous semble a propos, vous la luy donneres, ou si vous juges autrement, vous pourres en parler a Sa Majesté vous mesme a vostre gré, car en ceci j'ay grandement besoin de vostre conduite..

  A014000329 

 Je n'ay pas creu, sur une proposition si generale comm'est celle que Sa Majesté me fait faire, de me devoir resoudre; car il se pourroit bien faire que venant a joindre et a voir le lieu ou l'occasion en laquelle on me voudroit tirer, que je me treuverois tout a fait insuffisant au service que l'on praetendroit de moy, ou quil ne seroit pas expedient que je me misse au change, dautant que les changements, a mon advis, sont tous-jours dignes de consideration pour ceux qui ne sont pas mal.

  A014000330 

 Apres tout cela, vous sçaves que sans l'authorité du Pape, je ne puis nullement me remuer; et si, il m'importe que cest' authorité previenne toutes les nouvelles qu'on en pourroit avoir de deça.

  A014000331 

 Et ce pendant, je demanderay incessamment la clarté du Ciel et diray a Nostre Seigneur: Seigneur, que voules vous que je face? car je proteste devant sa souveraine Majesté, que je ne veux vouloir que sa volonté tressainte, soit a demeurer, soit a changer de place.

  A014000331 

 Et si je la sçai connoistre, je ne me veux divertir ni a droite m a gauche du chemin qu'elle me monstrera; car ce peu de tems que j'ay a passer ne m'est rien au prix de l'eternité.

  A014000331 

 Je sçai que, la chose n'estant pas preste, il y a asses de tems pour penser a toutes ces choses; mais encor m'a-il semblé que je vous devois ainsy tout dire naivement, affin que, selon les occurrences, vous m'aydies a prendre les resolutions convenables.

  A014000331 

 Pour donques laysser entierement la conduite de mon sort es mains de Dieu, je ne veux ni refuser ni accepter que je ne voye et considere que c'est..

  A014000332 

 Au demeurant, je ne doute point que vostre amitié en mon endroit n'aye beaucoup contribué pour amplifier et aggrandir l'estime que le Roy fait de moy, de laquelle, sans mentir, je suis honteux, et en cas que je deusse paroistre a sa veue, je serois bien en peyne de soustenir cett' opinion.

  A014000332 

 Nostre Seigneur vous conserve et aggrandisse en ses saintes benedictions, et me face la grace de ne point paroistr'ingrat de tant de faveurs que je reçois de vous, ains de tesmoigner par effect que je suis de coeur tout entier,.

  A014000337 

 Oseray je donq bien supplier Monsieur le Reverendissime de Montpellier de me conserver ses graces, et sçavoir par ces trois lignes que je suis son tres humble serviteur? Monsieur, obliges moy de le luy dire, car il est fort vray..

  A014000346 

 Or, demeurés en paix, ma tres chere Fille; car il ne se fera rien que selon le bon playsir de sa divine Majesté et.

  A014000347 

 J'ay fait responce (car, comme je vous dis, c'est tout de bon) que j'estois tout a Dieu et que je luy dirois: Seigneur, que voules vous que je face? Entre ci et deux mois, je seray hors de cette peyne par une resolution absoluë.

  A014000347 

 Je ne sçai d'ou cela peut arriver que ce grand Prince continue si fort a me favoriser sans que j'aye jamais fait nulle chose pour cela.

  A014000347 

 Pour moy, je proteste que je ne veux que Dieu pour mon partage, comme que ce soit.

  A014000347 

 Priés donques bien pour moy, ma chere Fille, affin que mon cœur se tienne pur de toutes vanités et pretentions mondaines.

  A014000349 

 L'autre jour en l'orayson, considerant le costé ouvert de Nostre Seigneur et voyant son cœur, il m'estoit advis que nos cœurs estoyent tout alentour de luy, qui luy faisoyent hommage comme au souverain Roy des cœurs.

  A014000351 

 Mais, avec tout cela, ceci ne sera que nostre alliance exterieure, car Celuy a l'œil duquel le fond de mon cœur est ouvert, sçait bien que le lien interieur duquel il joint mon esprit au vostre est totalement independant de tous ces accidens, qui ne peuvent ni adjouster ni diminuer a cette intime et tres pure affection et union que Dieu a fait en nous..

  A014000357 

 Or, plustost que de tarder davantage, je vous veux escrire tout a la haste..

  A014000358 

 Helas, ma chere Fille, ilz vous resveillent souvent l'esprit, a ce que je voy; mais croyés bien que celuy que j'ay de conduire le tout a chef et a la gloire de Dieu m'excite aussi tres souvent (or sus, je veux dire ce mot de vanterie), plus souvent que vous, que je croy; mais ne faut il pas tout faire avec une diligence soigneuse, mais douce, mais tranquille, mais resignee? Eh bien, j'espere que Dieu sera nostre guide..

  A014000358 

 Je voy ce que vous me dites de ces bonnes ames, [14] compagnes de vos desirs; de vos desirs, dis je, qui se fortifient et se rendent actifs dedans vostre cœur.

  A014000359 

 Et ne vous troubles point, ma Fille, je vous prie, de ce que je vous escrivis l'autre jour touchant la proposition qui se fait de me tirer moy mesme de ma terre et de mon parentage; car rien ne se fera que de par Dieu, et de quel costé que j'aille sous sa conduite, tout ira fort bien et pour vous et pour moy.

  A014000359 

 Non, croyés-le bien, ma chere Fille (mais voyes vous, n'en parles a personne, je vous dis tout), ce ne seroit pas sans repugnance s'il me failloit changer de logis, bien que je ne me sente nullement attaché qu'a quelques ames, d'un lien tput purement spirituel, Dieu mercy.

  A014000360 

 O Dieu, que je desire de bien a vostre esprit, [15] ma chere Fille! Nostre Dame soit nostre Dame et Maistresse..

  A014000360 

 Tenés pour tout asseuré que je pense fort au soin de vostre ame, laquelle m'est chere, pretieuse et aymable comme la mienne propre, et je ne la tiens que pour une mesme.

  A014000361 

 Vostre, tel que Dieu le veut et fait,.

  A014000368 

 Mais cet advis ne sera pas pour cela inutile, puis qu'il me donnera sujet de me ramentevoir en vostre bonne grace, en vous tesmoignant que si mes prieres sont favorisees au Ciel, vous vivrés tous-jours toute consolee des consolations du Saint Esprit..

  A014000368 

 Par ce que monsieur de Fontaine, partant lundi de Turin, laissa monsieur de Vallon mon cousin en bonne santé et monsieur de Charmoysi aussi, j'ay voulu, par cette commodité, vous en donner l'asseurance, bien que peut estre aures vous des lettres aussi recentes que cela.

  A014000369 

 Au moins en auray-je tous-jours la volonté, puis que je suis,.

  A014000369 

 Je verray dans peu de jours mes cousines a Sainte Catherine, ou je leur offriray tout ce qui est en mon [16] pouvoir; mais elles ont un si bon pere et une si bonne mere, que le reste des parens n'ont nul sujet de les servir.

  A014000386 

 Je croy que le desir que vous aves de vouer vostre chasteté a Dieu n'a pas esté conceu en vostre ame que premierement vous n'ayes longuement consideré son importance: c'est pourquoy j'appreuve que vous le facies, et le jour de Pentecoste mesme.

  A014000387 

 Ne seres-vous pas bien heureuse de commencer en ce monde la vie que [18] vous continueres eternellement en l'autre? Benisses donq Dieu qui vous a donné cette sainte inspiration..

  A014000389 

 Considerés que la Sainte Vierge voua la premiere sa virginité a Dieu, et apres elle, tant de vierges, hommes et femmes.

  A014000389 

 Humiliés vous fort devant la trouppe celeste des vierges et, par l'humble priere, suppliés-les qu'elles vous reçoivent avec elles, non pas pour pretendre a les esgaler en pureté, mais au moins affin que vous soyes advoùee leur servante indigne, en les imitant au plus pres que vous pourres.

  A014000389 

 Sur tout, recommandés vostre intention a Nostre Dame, puis a vostre bon Ange, affin que desormais il luy playse, d'un soin particulier, preserver vostre cœur et vostre cors de toute souilleure contraire a vostre vœu..

  A014000390 

 Puis, le jour de Pentecoste, lhors que le prestre eslevera la sainte Hostie, offrés avec luy a Dieu, le Pere eternel, le cors pretieux de son cher Enfant, Jesus, et tout ensemble vostre cors, lequel vous feres vœu de conserver en chasteté tous les jours de vostre vie.

  A014000392 

 Mais bien que cela soit utile, il n'est pas necessaire.

  A014000392 

 Vous communieres sur cela, et pourres dire a Nostre Seigneur que vrayement il est vostre Espoux..

  A014000393 

 Mais parles-en a vostre confesseur; car s'il vous ordonnoit de ne le faire pas, il le faudroit croire, puisque, voyant l'estat present de vostre ame, il pourra mieux juger ce qui est expedient que moy..

  A014000394 

 Et comme on n'ose plus toucher ni profaner un calice apres que l'Evesque l'a consacré, ainsy, le Saint Esprit ayant consacré vostre cœur et vostre cors par ce vœu, il faut que vous luy porties une grande reverence..

  A014000394 

 Mais, ma bonne Fille, ce vœu estant fait, il faut que vous ne permetties jamais a personne de chatouiller vostre cœur d'aucun propos d'amour ni de mariage; mais que vous ayés un grand respect a vostre cors, non plus comme a vostre cors, mais comme a un cors sacré et a une tres sainte relique.

  A014000395 

 Au demeurant, je recommanderay le tout a Dieu, lequel sçait que je vous cheris fort affectionnement en luy; et le mesme jour de Pentecoste, je luy offriray vostre cœur et ce qui en sortira pour sa gloire.

  A014000405 

 C'est un martyre continuel que celuy de la multiplicité des affaires; car, comme les mouches font plus de peyne et d'ennuy a ceux qui voyagent en esté que ne fait le voyage mesme, ainsy la diversité et la multitude des affaires fait plus de peyne que leur pesanteur mesme..

  A014000405 

 Je me resouviens que vous me distes combien la multiplicité de vos affaires vous chargeoit; et je vous dis que c'estoit une bonne commodité pour acquerir les vrayes et solides vertus.

  A014000406 

 Vous aves besoin de la patience, et j'espere que Dieu la vous donnera, si vous la luy demandes soigneusement et que vous vous efforcies de la prattiquer fidellement, vous y preparant tous les matins par une application speciale de quelque point de vostre meditation, et vous opiniastrant de vous mettre en patience le long de la journee tout autant de fois que vous vous en sentires distraite..

  A014000407 

 Je dis douce diligence, parce que les diligences violentes gastent le cœur et les affaires, et ne sont pas diligences, mais empressemens et troubles..

  A014000407 

 Ne vous confiés pas de pouvoir reuscir en vos affaires par vostre industrie, ains seulement par l'assistance de Dieu; et partant, reposés vous en son soin, croyant qu'il fera ce qui sera le mieux pour vous, pourveu que, de vostre costé, [21] vous usies d'une douce diligence.

  A014000408 

 Quand nous estions petitz enfans, avec quel empressement assemblions nous des morceaux de tuyles, de bois, de la bouë, pour faire des maysons et petitz bastimens! Et si quelqu'un nous les ruynoit, nous en estions bien marris et pleurions; mais maintenant nous connoissons bien que tout cela importoit fort peu.

  A014000408 

 Un jour nous en serons de mesme au Ciel, que nous verrons que nos affections au monde n'estoyent que de vrayes enfances..

  A014000409 

 Je ne veux pas oster le soin que nous devons avoir de ces petites tricheries et bagatelles, car Dieu nous les a commises en ce monde pour exercice; mais je voudrois bien oster l'ardeur et la chaleur de ce soin.

  A014000409 

 Soignés fidellement a vos affaires, mais sachés que vous n'avés point de plus dignes affaires que celuy de vostre salut et l'acheminement du salut de vostre ame a la vraye devotion..

  A014000410 

 Ayés patience avec tous, mais principalement avec vous mesme; je veux dire, que vous ne vous troublies point de vos imperfections et que vous ayes tous-jours courage de vous en relever.

  A014000410 

 Je suis bien ayse dequoy vous recommences tous les jours: il n'y a point de meilleur moyen pour bien achever la vie spirituelle que de tous-jours recommencer et ne penser jamais avoir asses fait.

  A014000420 

 J'escrivis il y a quinze jours a nostre grand amy, et luy addressay une lettre pour Sa Majesté, que je remerciois, suivant le conseil que vous me donnes avant que je l'eusse receu; tant mon affection, qui est vostre, a de pouvoir de tirer mon esprit a quelque conformité du vostre, duquel, en toutes parties, il est au demeurant inferieur..

  A014000420 

 Je cours apres vous par ces deux motz pour vous rendre graces de la faveur que vous me faites, si abondamment tesmoignee par vostre lettre.

  A014000422 

 Pour Ihonneur que Sa Majesté me fait, je l'admire d'autant plus que je ne vois rien en moy qui n'en soit extremement indigne, et ne doute point que vostre bienveuillance en mon endroit et celle de nostre amy ne soyent le seul vent qui enfle la voyle de ma barque pour la porter en cette haute mer, en laquelle, si Dieu me fait passer, ce ne sera pas sans un grand danger, puisqu'elle n'est pas pour les eaux salees de l'Ocean, mais pour nos petitz lacs d'eau douce..

  A014000434 

 Et ne doutant point que messieurs vos Religieux n'affectionnent ce parti paysible et plus sortable a nos vocations, je tiens des-ja l'appointement pour fait, bien que, puisque vous le desirés, le proces ne se retarde point encor, lequel neanmoins il sera bien raysonnable de sursoyer quand le jour sera marqué entre nous; ce qui sera bien tost, si vous nous envoyés vostre intention pour ce regard..

  A014000434 

 Il ne reste sinon de convenir du tems, du lieu et des personnes convenables a cett'intention; sur quoy je vous prie m'envoyer quelque proposition et projet, affin que, de nostre costé, nous taschions de concourir a vostre commodité.

  A014000434 

 Les sieurs chanoynes de mon Eglise s'accommodent fort volontier au desir que j'ay de vous voir bien ensemblement [24] avec eux, par un appointement amiable de tous les differens qui sont entre vous.

  A014000435 

 Que si c'est a rayson de la cure, je puis y donner de l'ordre moy mesme, et le feray tous-jours convenablement quand il vous plaira..

  A014000436 

 Et pour le regard des paroles desreglees desquelles vous vous plaignés, nos chanoynes nient qu'elles soyent sorties de leur Chapitre, et disent qu'au contraire on leur [25] a donné advertissement que vos Religieux en avoyent asses proferé contr'eux.

  A014000437 

 Je me res-jouis que vos Religieux ayent pris en bonne part l'advis que je vous donnay; aussi le devoyent-ilz faire, puisqu'il sortoit d'une poitrine sincerement affectionnee a leur bien et honneur, comme je seray tous-jours plein de ce desir.

  A014000455 

 Il est vray, je desire fort que quand vous penseres tirer de la consolation en m'escrivant, vous le facies avec confiance.

  A014000456 

 Il nous faut joindre ces deux choses ensemble: une extreme affection de bien et exactement prattiquer nos exercices, tant de l'orayson que des vertus, et de nullement nous troubler ou inquieter ou estonner, s'il nous arrive d'y commettre des manquemens; car le premier point depend de nostre fidelité, qui doit tous-jours estre entierè et croistre d'heure en heure; le second depend de nostre infirmité, laquelle nous ne sçaurions jamais deposer pendant cette vie mortelle..

  A014000457 

 Ma tres chere Fille, quand il nous arrive des defautz, examinons nostre cœur tout a l'heure et demandons-luy s'il a pas tous-jours vive et entiere la resolution de servir a Dieu; et j'espere qu'il nous respondra qu'ouy et que plustost il souffriroit mille mortz que de se separer de cette resolution.

  A014000458 

 Helas! ma chere Fille, il nous faut estre charitables a l'endroit de nostre ame, et ne la point gourmander tandis que nous voyons qu'elle n'offense pas de guet a pens.

  A014000459 

 Ce que nous faysons pour nostre salut est fait pour le service de Dieu, car Nostre Seigneur mesme n'a fait en ce monde que nostre salut.

  A014000469 

 Mais voyés-vous, ma Seur, il ne faut pas seulement penser si cette resolution sera perdurable; il faut tenir cela pour si certain et resolu, que jamais plus il n'en soit doute..

  A014000470 

 Vous m'obliges bien fort de me dire les deux motz que vous m'escrives de vos inclinations; sur lesquelz je vous dis que nos affections, pour petites qu'elles soyent, deschirent nostre ame quand elles sortent mal a propos.

  A014000471 

 Et puis, ou il n'y a pas danger de peché mortel, il ne faut pas fuir, mais vaincre tous nos ennemis et s'y opiniastrer sans perdre courage, bien que nous soyons quelquefois vaincus..

  A014000471 

 Or, ce dernier nous est necessaire, tandis que le premier est impossible.

  A014000472 

 Ouy vrayement, ma chere Fille, attendés de moy tout ce que vous pouves attendre d'un vray pere, car j'ay certes bien cette affection la pour vous; vous le connoistres au progres, si Dieu m'assiste..

  A014000473 

 Or sus donq, ma bonne Fille, vous voyla affligee comme il faut pour bien servir Dieu, car les afflictions sans abjection enflent bien souvent le cœur en lieu de l'humilier; mais quand on a du mal sans honneur, ou que le deshonneur mesme, l'avilissement et l'abjection sont nostre mal, que d'occasions d'exercer la patience, l'humilité, la modestie et la douceur de cœur! Le glorieux saint Paul s'esjouyt, et d'une humilité saintement glorieuse, dequoy il est, avec ses compaignons, estimé comme les ballieures et racleures du monde..

  A014000474 

 Mais, ma Chere Fille, cet encor a quoy se rapporte-il? En aves vous des-ja beaucoup gasté de ces ennemis-la? Je veux dire qu'il faut avoir courage et bonne opinion de faire mieux dores-en-avant, puisque nous ne faysons que commencer et que neanmoins nous avons desir de bien faire..

  A014000476 

 Souvenes vous de ce que fit saint François quand son pere le mit a nud devant l'Evesque d'Assise: «Maintenant donques, dit il, je pourray bien dire: Nostre Pere qui estes es cieux.» Mon pere et ma mere, dit David, m'ont abandonné, et le Seigneur m'a pris a soy..

  A014000498 

 Dès que je m'en suis aperçu, je me suis hâté de recourir à Votre Illustrissime et Révérendissime Seigneurie, pour la prier très humblement de m'accorder les mêmes facultés et, s'il se peut en quelque manière, pour un temps plus long..

  A014000498 

 Il y a déjà longtemps, la Sacrée Congrégation m'avait accordé, pour moi et pour d'autres personnes que je jugerais capables, la faculté et la plus ample autorisation de lire et de garder les ouvrages [30] des hérétiques quels qu'ils fussent, et aussi les livres défendus à un autre titre, de recevoir les hérétiques pénitents, même les relaps, de déléguer des prêtres pour réconcilier les églises et les cimetières pollués et pour bénir tous les ornements nécessaires au culte divin, de revalider les mariages que les hérétiques convertis auraient contractés dans le quatrième degré d'affinité ou de consanguinité, de commuer les vœux simples et d'absoudre les duellistes.

  A014000499 

 D'ailleurs, le profit que nous avons retiré de cette faculté ressort assez clairement de ce fait, que plusieurs milliers d'hommes et de femmes, dans ces douze dernières années ont abjuré l'hérésie, en partie par mon ministère, en partie par celui des autres, et sont rentrés par la grâce de Dieu dans le sein de l'Eglise Catholique..

  A014000499 

 Des hérétiques que nous avons encore dans le diocèse, le plus grand nombre reviennent chaque jour [31] au bercail de l'Eglise, tant par l'effet des prédications publiques que des entretiens privés.

  A014000508 

 C'est encor vitement que je vous escris a cett'heure, ma chere Fille, que j'aime tendrement et incomparablement en Nostre Seigneur.

  A014000508 

 J'en ay un, je pense, bien aussi fort, mais il faut attendre que Dieu le veuille.

  A014000509 

 J'attens que l'on m'assigne le tems auquel je devray aller au conté de Bourgoigne pour consacrer Monsieur l'Evesque de Lausanne, car un gentilhomme qui manie cet affaire m'a asseuré que j'y seray appellé; et cela estant, de la j'iray infalliblement vers vous, et verray le reste des alliés de dela, chacun chez soy, sinon peut estre ceux de Dijon ou je ne pourray peut estre pas aller, de peur de m'engager en un lieu d'ou je ne pourroys pas [33] sortir si tost qu'il seroit requis, sans laisser beaucoup de mes [fonctions] a faire.

  A014000509 

 J'espere que Dieu nous fera la grace de treuver monsieur vostre beaupere plein de vie, et ce me sera une consolation incredible de le pouvoir entretenir.

  A014000509 

 Je l'honnore de tout mon cœur, et ce jourdhuy je m'en vay luy appliquer le saint Sacrifice de l'autel, ou j'auray particuliere memoire de nos filles que je cheris tendrement..

  A014000509 

 Je m'imagine que je le gouverneray paysiblement, non obstant la disparité de nos eages, car beaucoup de bons veillars m'ont aymé.

  A014000510 

 Entr'autres choses, il me vint en l'esprit ce qui est dit de Bala, servante de Rachel, qu'ell'enfantoit ses enfans sur les genoux et dans le giron de sa dame, et les enfans n'estoyent plus siens, mais de Rachel sa dame; et me sembloit que si nous mettions, par une juste confiance, nos cœurs et nos affections sur les genoux et dans le giron de Nostre Dame, qu'ilz ne seront plus nostres, mais a elle: cela me consoloit beaucoup.

  A014000510 

 Je ne sçaurois pas dire ce que mon cœur disoit, car, comme vous sçaves, les cœurs ont un langage secret que nul n'entend qu'eux.

  A014000510 

 Quant a vous, je sçai bien que vous aves nom Jane, et que toute cet'octave vous penses que je vous recommande a ce glorieux Praecurseur.

  A014000510 

 Vrayement, l'autre jour (ce fut samedy) je faysois l'orayson sur la grandeur de l'amour que Nostre Dame nous porte.

  A014000511 

 Je demanday voirement a Jan si nostre chere Marie bienaymee portoit le moule, mais je n'y entendois nul mal; car vous sçaves bien que j'ayme les testes bien moulées, et si cette petite teste est moulée par la vostre, je l'en cheriray davantage.

  A014000511 

 Que voules vous? il faut bien que les filles soyent un petit jolies..

  A014000512 

 Je veux dire que vous ne permetties point que monsieur vostre beaupere en soit importuné, sil n'est pas a propos pour ce service la.

  A014000512 

 Le Pere de Monchi vous fut envoyé, tout ainsy que je vous escrivis: c'est a dire, Thibaut luy parla d'aller servir vostre chapelle, et puis ilz m'en parlerent; et me resouvenant que vous aviés peyne d'en treuver, je consentis qu'il allast et vous escrivis.

  A014000513 

 Je ne me resouvins pas de vous escrire que ce bon Pere a une certaine inclination aux exorcismes, laquelle ne me plait point, car il est trop simple et credule pour cela.

  A014000513 

 Le bonhomme m'escrit que je luy die sil fera la vie active ou la contemplative, ou toutes deux.

  A014000513 

 Quant aux cantiques, je vous asseure que je n'ay pas tant de loysir que d'en faire il m'en a veu peut estre de ceux de M. de Lacurne, et il a pensé que ce fussent des miens..

  A014000513 

 Si par fortune il s'en vouloit mesler, ou mesme qu'il parlast beaucoup de ce sujet-la, dites luy que je vous ay defendu de vous entretenir de ces choses-la et de vous en mesler, ni personne qui soit avec vous; car ce sont des discours auxquelz il s'engage plus avant quil ne faut.

  A014000514 

 Il ne faut pas que les femmes ni les filles ministrent a l'autel, mais elles peuvent bien respondre; c'est a dire, elles ne doivent pas ni prendre le livre ni donner les burettes.

  A014000514 

 Je vous ay des-ja escrit que vous pouvies accommoder les corporaux apres que le prestre les auroit lavé en deux eaux, et qu'il n'est pas besoin de les rebenir pour s'en servir apres.

  A014000515 

 O Dieu, quelle grace ay-je receue d'avoir esté tant de tems, et si jeune et si chetif, parmi les haeretiques, et si souvent invité par les mesmes amorces, sans que jamais mon cœur aye [37] seulement voulu regarder ces infortunés et malheureux objetz! Benite soit la main debonnaire de mon Dieu qui m'a tenu ferme dans cet enclos..

  A014000516 

 C'est hors de confession que je parle, car en confession je la voy tous les huit jours pendant l'absence de son mari.

  A014000516 

 Elle chemine fort bien et advance de bien én mieux; je la voy souvent, au pris de vous, mais non pas si souvent que je voudrois, par ce que je n'en ay pas la commodité pour le faire a propos.

  A014000517 

 O Dieu, ma Fille, que ce cœur est vostre, puisque Dieu l'a voulu et le veut; Qu'a jamais son nom soit beni! Amen..

  A014000529 

 Que je seray marri si les bons projetz de la reformation du Puys d'Orbe s'esvanouissent comme cela! Si est ce pourtant que si l'esperance que j'ay d'aller en Bourgoigne n'est point vayne, je me resoulz d'aller jusques la pour voir ce que c'est.

  A014000530 

 C'est grand cas; je pense tous-jours que si je la voy a souhait avec toute sa trouppe, si nous ne faysons pas tout ce qui seroit desirable, nous en ferons quelque chose; car j'ay quelque confiance en la confiance qu'ell'a en moy, qui aussi la cheris d'un amour fort particulier en Nostre Seigneur..

  A014000530 

 Je n'escris point a M me l'Abbesse, quoy que je le desire, par ce que je n'en ay pas le loysir, et il faut que je luy escrive un peu a mon ayse.

  A014000531 

 Est ce bien une vraye impatience, ou sont ce point seulement des repugnances naturelles? Mais puisque vous la nommés impatience je la tiendray pour telle, et en attendant de vous en parler plus amplement a bouche devant que l'automne se passe, je vous diray, ma chere Seur, en esprit de liberté, qu'a ce que j'ay reconneu de vous par vos lettres, plus que par le peu de conversation que j'ay eu avec vous, vous aves un cœur qui s'attache puissamment aux moyens de vostre praetention.

  A014000531 

 Or, je dis que vous vous attachés puissamment aux moyens que vous goustés et voudriés tout reduire la; c'est pourquoy vous aves de l'inquietude quand on vous empesche ou qu'on vous distrait..

  A014000531 

 Vous ne praetendes, je le sçai bien, [39] que l'amour de nostre Dieu; pour y parvenir, il faut employer des moyens, des exercices, des prattiques.

  A014000532 

 Le remede seroit de prendre la peyne de vous bien persuader et bien detremper vostre esprit en ce sentiment: c'est que Dieu veut que vous le servies ainsy comme vous estes, et par les exercices convenables a cet estat et par les actions qui en dependent; et en suite de cette persuasion, il faut que vous vous rendies tendrement amoureuse de vostre estat et des exercices d'iceluy pour l'amour de Celuy qui le veut ainsy.

  A014000533 

 Quand a la sainte Communion, j'appreuve que vous continuies a la desirer fort frequente, pourveu que ce soit avec la sousmission que vous deves avoir a vostre confesseur, qui void l'estat present de vostre ame et est si digne personnage..

  A014000534 

 Cette varieté en laquelle vostre esprit se void en l'orayson et hors de l'orayson, tantost fort, tantost foible, tantost regardant le monde avec playsir, tantost avec degoust, ce n'est autre chose qu'un sujet que Dieu vous laysse de vivre bien humblement et doucement, car vous voyes, par ce moyen, quelle vous estes de vous mesme et quelle avec Dieu; de sorte que vous ne deves nullement vous en descourager pour cela..

  A014000535 

 Il n'est ja besoin que madame nostre chere seur l'Abbesse m'envoye un homme pour me fair'avoir de ses nouvelles ni pour sçavoir comm'elle me pourra voir; car si je fay mon voyage, comme j'espere, je vous advertiray [40] asses tost devant mon despart pour tout cela.

  A014000535 

 Je feray part aux Sacrifices que je presente, a la Mere Prieure des Carmelines; j'honnore generalement tout cet Ordre, et la remercie de la charité qu'ell'use en mon endroit de prier pour moy, qui suis des plus necessiteux de la sainte Eglise..

  A014000556 

 D'ailleurs, sur ce point, nos catholiques sont pris de tels scrupules que, si quelque livre leur paraît suspect, ils le jettent au feu ou le remettent aux délégués.

  A014000556 

 Mais la vérité, la voici: dans la visite générale de mon diocèse, que j'ai presque achevée, sans laisser aucune paroisse, je n'ai trouvé absolument aucun hérétique dans les paroisses qui n'ont pas été occupées par les Bernois et les [42] Genevois, ni aucun livre prohibé, si ce n'est quelques vieux ouvrages restés ensevelis, soit pure indifférence, soit mépris, dans la poussière de quelque maison.

  A014000556 

 Oui, à Genève, des libelles très corrupteurs se fabriquent en nombre; mais que nos Savoisiens les lisent, cela n'est nullement vrai..

  A014000557 

 Après tout, je n'use pas, je le confesse, de toute la diligence qui serait nécessaire; toutefois, je mets de la fidélité et du bon vouloir à celle que, selon ma petitesse, je puis exercer.

  A014000558 

 Je vous en supplie donc, Illustrissime Seigneur, daignez me conserver la consolation joyeuse dont j'ai tant besoin dans cette province si éprouvée; cette joie dépend de la certitude que le Saint-Siège n'est pas affligé de ma conduite et que je ne suis pas exclu de la bienveillance ordinaire accordée à ses inférieurs.....................................[43].

  A014000567 

 Alhors nous parlerons, si nous pouvons, de vostre misere et de l'envie que vous me dites avoir de vous plonger pour la derniere fois au saint lavoir de Poenitence..

  A014000567 

 Or sus, ce sera a mon tour que je seray le bien venu comme les autres; je dis plus que les autres, car je pense bien cela.

  A014000567 

 non pas plus que moy.

  A014000568 

 Je vous recommande, ce me semble, de si bon cœur a Dieu, ma chere Fille; croyés que je le fay avec un'affection du tout incomparable.

  A014000568 

 Je voy bien plusieurs difficultés, mais croyant que Dieu le veut, cela ne me donne nulle crainte: il faut seulement avoir un peu de patience.

  A014000568 

 Mais si faut il que je vous die que la sorte de vie que nous avons choysie me semble tous les jours plus desirable et que Nostre Seigneur en sera fort servi.

  A014000568 

 Mon Dieu, ma Fille, que quelquefois j'ay des bonnes et douces affections en mon ame a l'endroit de ce Sauveur; mais, helas! je n'ay guere d'effectz en mes mains.

  A014000569 

 resolution quil viendroit avec moy vers vous, ou soit que Monsieur de Nemours fut icy ou quil n'y fut pas..

  A014000570 

 Je ne la voy pas si souvent que je voudrois, mais si voy-je bien qu'elle s'affermit fort en sa resolution de bien servir Dieu..

  A014000570 

 M me de Charmoysi se porte bien et ne me parle jamais que de vous, et me presse de vous aller voir tant qu'elle peut.

  A014000571 

 Or sus, je verray encor nos vefves avec vous, ou a Dijon: comment? O ma Fille, ne sommes nous pas bienheureux de ne praetendre rien moins qu'a Dieu? Mais monsieur le Conte est il tout a fait mort, que je ne sçai ou il est, ni ce quil fait?.

  A014000572 

 Ouy, je croy en mon ame que Dieu veut que je sois inviolablement et tres incomparablement tout vostre..

  A014000586 

 Je me retiens de vous escrire souvent pour le respect que je doy a vos dignes et religieuses occupations, quoy que je desire tous-jours bien fort d'avoir quelque place en vostre memoire et dilection, particulierement pour le tems de vos oraysons et Sacrifices.

  A014000586 

 Mais maintenant vous aures aggreable, je m'asseure, que je vous divertisse un peu pour vous dire que le 15 du moys passé, je receuz l'abjuration de M. Claude Boucard, de Verdun, et le remis dans le sein de la sainte Eglise publiquement, en l'eglise de Nostre Dame de Thonon.

  A014000586 

 Vous devés vous en resjouir par ce que la piece que nous avons gaignee est importante, mais specialement par ce que, comme vous avies receu de luy l'instruction de la philosophie, ainsy quil m'a dit, aussi vous avés beaucoup cooperé par vos lettres a sa reduction en l'Eglise; et si, vous m'aves beaucoup obligé, l'asseurant que je le servirois en ce dessein-la..

  A014000587 

 Le discours que ce personnage m'a fait de sa cheute et de la peyne quil a eu a prendre les resolutions convenables pour son reddressement, me font dire du fond de mon ame: Nisi quia Dominus erat in nobis, nisi quia Dominus erat in nobis.

  A014000588 

 J'ay de la consolation d'oiiir le resonnement, quoy que confus, des biens qui se font a Paris par vostre entremise et de ces autres serviteurs de Dieu, que j'honnore de tout mon cœur.

  A014000606 

 Ce m'est tous-jours beaucoup d'honneur et de consolation de recevoir par vos lettres les tesmoignages que vous me donnes de la continuation de vostre bienveuillance en mon endroit.

  A014000606 

 Je vous diray seulement que nostr' Academie [48] a receu pour faveur la demande que monsieur Nouvelet luy a faitte d'une place pour vous, entre les academiciens.

  A014000606 

 Mais outre que je croy que vous les aves de dela les mons, j'en suis bien le plus mauvais pescheur de cette ville.

  A014000607 

 Nostre Seigneur vous prosperera tous-jours en l'abondance de ses benedictions, si luy plait d'exaucer les souhaitz que fait continuellement, Monsieur,.

  A014000622 

 Ayant sceu que les bons Peres Religieux de cette ville vous avoyent esleu pour leur Prieur, je m'en suis extremement res-jouy; et ne pouvant aller moy mesme vous faire la priere quilz vous veulent presenter de vouloir accepter cett'election et charge, je vous envoye cet [50] escrit, qui vous tesmoignera que jamais vous n'aves esté ni desiré ni demandé avec plus d'affection et de sincerité que vous l'estes d'eux et de moy, qui, en particulier, m'essayeray de vous servir si promptement en toutes occurrences, que vous n'aures pas, Dieu aydant, occasion [de vous repentir] d'avoir gratifié mon desir.

  A014000622 

 Faites nous donques a tous ce bien que de ne point esconduire nostre juste demande, qui regarde la gloire de Dieu et le restablissement d'un convent tout entier..

  A014000622 

 Les Religieux aussi se disposent a vous obeir et soulager si entierement que vous ne perdres nullement le repos requis a vostr'aage et a vostre contemplation.

  A014000623 

 Je me prometz bien que l'amitié que vous me portés intercedera encor pour moy en cett'occasion; c'est pourquoy, finissant, je prieray Nostre Seigneur quil vous prospere et inspire a nostre consolation, demeurant,.

  A014000638 

 J'ay voulu neanmoins vous escrire pour simplement vous tesmoigner que je prie tous les jours Nostre Seigneur pour vous; mais je dis d'un'affection toute speciale, le requerant quil vous assiste de ses saintes consolations parmi les travaux que vostre grossesse vous donnera..

  A014000638 

 Je n'ay pas respondu ci devant a vostre derniere lettre par ce que je n'ay point rencontré de porteur asseuré, et maintenant je n'ay pas le loysir requis pour vous bien [51] satisfaire.

  A014000639 

 La bienheureuse Angeline de Foligni disoit que Nostre Seigneur luy avoit revelé quil n'avoit nulle sorte de bien tant aggreable que celuy qui luy estoit fait par force; c'est a dire, que celuy qu'une volonté bien resolue luv fait contre les alanguissemens de la chair, les repugnances de la partie inferieure, et au travers des secheresses, tristesses et derelictions interieures.

  A014000639 

 Mon Dieu, ma chere Fille, que vous seres heureuse si vous estes fidele en vos resolutions, parmi les croix qui se presentent, a Celuy qui vous ayma si fidelement jusques a la mort, et la mort de la croix..

  A014000639 

 Si vous vous treuves pesante, triste et sombre, ne laisses pas pour cela de demeurer en paix; et bien quil vous semblera que tout ce que vous ferés se face sans goust, sans sentiment et sans force, ne laisses pour tant pas d'embrasser Nostre Seigneur crucifié, de luy donner vostre cœur et consacrer vostre esprit avec vos affections telles quelles et toutes languissantes qu'elles sont.

  A014000639 

 Voyes vous, Madame, je m'imagine que l'humeur melancolique se prævaudra de vostre grossesse pour vous attrister beaucoup, et que, vous voyant triste, vous vous inquieteres.

  A014000649 

 Les occasions de la prattiquer sont quotidiennes, car il ne nous manque pas de contradictions ou que nous soyons; et quand nul ne nous en fait, nous nous en faysons a nous mesmes.

  A014000649 

 Mon Dieu, ma chere Fille, que nous serions saintz et aggreables a Dieu si nous sçavions bien employer les sujetz de nous mortifier que nostre vocation nous fournit, car ilz sont plus grans sans doute qu'entre les Religieux; le mal est que nous ne les rendons pas utiles comme eux..

  A014000650 

 Contregardés-vous fort soigneusement en cette grossesse; ne vous mettés nullement en peyne de vous contraindre a aucune sorte d'exercice que tout bellement.

  A014000651 

 Ne vous retenes pas [53] de plaindre, mais je voudrois que ce fust a luy, avec un esprit filial, comme feroit un tendre enfant a sa mere; car, pourveu que ce soit amoureusement, il n'y a point de danger de se plaindre, ni de demander la guerison, ni de changer de place, ni de se faire soulager.

  A014000652 

 Ne vous tourmentes pas a beaucoup faire, mais disposes vous a souffrir ce que vous souffrires, avec amour..

  A014000652 

 Vous ne sçauries donner a Dieu que ce que vous aves, et en cette sayson d'affliction vous n'aves pas d'autres actions.

  A014000674 

 Je loüe Dieu de l'heureuse arrivee de cette belle fille [55] que vous m'aves accordee pour filleule; madame sa mere sera un jour recompensee, je dis mesme en ce monde, des travaux qu'elle a souffertz pour la produire, quand elle la verra, pleine de vrayes vertus, luy donner mille sortes de contentemens.

  A014000674 

 Mes foibles prieres ne luy manqueront point a cette intention, ni a vous aussi et a madame sa mere, pour vostre longue prosperité que je souhaitteray tous-jours avec grande affection..

  A014000675 

 Vostre commodité fera tous-jours naistre la mienne, pour lhonneur que je desire de pouvoir aussi veritablement me nommer vostre humble compere, comme je suis sincerement.

  A014000688 

 Madame ma tres chere Fille (car je croy que vous voules bien que je vous nomme ainsy), nourrissés vostre chere une en l'esprit de cordiale confiance en Dieu, et a mesme que vous vous treuveres environnee d'imperfections et miseres, relevés vostre courage a bien esperer.

  A014000689 

 Et puisque vous ne sçauries plus exercer vostre cors en aucune mortification et aspreté de penitence et qu'il n'est nullemenc expedient que vous y pensies, ainsy que nous demeurasmes d'accord, tenes vostre cœur bien rangé devant son Sauveur et faites, le plus que vous pourres, ce que vous feres pour plaire a Dieu, et ce que vous aures a souffrir selon la condition de cette vie, souffres le a mesme intention; car ainsy Dieu vous possedera toute et vous fera la grace que vous le possederes un jour eternellement, dont je le supplieray toute ma vie, ma tres chere Fille, et seray de tout mon cœur,.

  A014000697 

 Desirant de tous-jours rendre conte a Vostre Altesse de mes actions, et m'acheminant en Bourgoigne pour un'affaire d'un mien frere, ou je pense arrester seulement quinze jours, je supplie tres humblement Vostre Altesse de l'avoir aggreable, et la continuation du vœu que j'ay a l'obeissance de ses commandemens, m'advouant,.

  A014000712 

 A mesure que je m'esloigne de vous selon l'exterieur, mon esprit retourne plus frequemment ses yeux du costé [58] du vostre, d'avec lequel il est inseparable, et je ne manque point d'invoquer tous les jours la bonté de nostre Sauveur sur vous et la soigneuse assistance de vostre bon Ange pour la conservation de vostre cœur, auquel d'une ardeur nompareille, je souhaitte toutes les plus desirables faveurs du Ciel, et sur tout cette inviolable fidelité au saint amour que vous aves voué par tant de resolutions au cœur debonnaire de ce doux et cher Jesus.

  A014000713 

 Je pars pour aller voir cette chere seur que vous aymes tant, avec laquelle vous pouves penser si je m'entretiendray de vostre ame, laquelle je porte tous-jours presente a la mienne par affection.

  A014000713 

 Je vous supplie de visiter par lettre la bonne Madame l'Ancienne, a laquelle vos encouragemens seront profitables; car pour le present, je n'ay nul loysir que pour vous escrire ces quatre motz que je fay, vous donnant la sainte benediction de Dieu, qui tous les jours me rend plus vivement et singulierement,.

  A014000725 

 Nous voyci a vos portes, ma tres chere Fille; mais par ce que Thibaut m'a dit qu'avec beaucoup d'affection vous voulies estre advertie un peu devant nostre arrivee, j'ay voulu vous aggreer, et pour cela je l'ay fait partir trois heures avant nous..

  A014000726 

 Environ les trois heures, je vous verray, Dieu aydant; car, en passant, je veux bayser les mains de Monsieur vostre bon Evesque, et voir nos Capucins, l'eglise cathedrale et ce quil faut que je voye en vostre Autun, affin que je ne sois pas contraint d'y retourner..

  A014000726 

 Or sus, ma chere Fille, vous l'avois-je pas escrit que ce seroit environ la feste du grand saint Louys? Je vous porte mon esprit plein de desir de servir le vostre et faire tout le bien que nous pourrons faire.

  A014000739 

 Mais que vous escriray-je donques, ma chere Fille? Rien, sinon que, a mesure que je me suis esloigné de vous corporellement, mon esprit s'est retourné plus ardemment de vostre costé pour vous souhaitter mille benedictions.

  A014000740 

 Ah, que je desire de bonheur a vostre chere ame, ma Fille bien aymee! Qu'a jamais puissions nous vivre pour ce saint amour celeste..

  A014000754 

 C'est pourquoy je vous veux dire que vous n'espargnies nullement ni le repos, ni les medecines, ni les viandes, ni les recreations qui vous seront ordonnees.

  A014000754 

 Je m'advise, ma chere Fille, que vous estes malade d'une maladie plus fascheuse que dangereuse, et je sçay que telles maladies sont propres a gaster l'obeissance que l'on doit aux medecins.

  A014000754 

 Vous feres une sorte d'obeissance et de resignation en cela, qui vous rendra extremement aggreable a Nostre Seigneur; car en fin, voyla une quantité de croix et mortifications que vous n'aves pas choisies ni voulues, Dieu vous les a donnees de sa sainte main: receves les, baysés les, aymés les.

  A014000755 

 Que si j'avois le loysir, j'en dirois davantage, car j'affectionne infiniment que vous soyes fidele en ces petites et fascheuses occurrences, et que, tant au peu qu'au prou, vous disies tous-jours: Vive Jesus!.

  A014000765 

 Au reste, ma Fille, il faut que je vous dise que Dimanche dernier je fus tres consolé.

  A014000765 

 Une païsanne de naissance, tres noble de cœur et de desir, me pria, apres l'avoir confessee, de la faire servir les Religieuses que [63] je voulois establir.

  A014000765 

 «De personne,» me dit elle, «mais je vous dis ce que je pense.» O Dieu, dis-je en moy mesme, aves vous donques revelé vostre secret a cette pauvre servante? Son discours me consola beaucoup, et j'iray, tant qu'il me sera possible, encourageant et soustenant cette fille, la croyant autant pieuse et studieuse qu'il est requis pour servir en nostre petit commencement.....

  A014000771 

 C'est pourquoy j'ay donné la presente a monsieur Rosetan, curé de Chavornay, affin qu'avec cette mienne [64] lettre en main, il procure et face faire ledit deputé, comme je vous en prie, jugeant que ce soit vostre mieux.

  A014000771 

 Par ce que, pour eviter l'imposition de decimes perpetuelles, les deputés de Bresse ont obtenu un arrest qui me semble asses favorable tant au clergé de Bresse qu'a vous, et qui est sorti au prouffit commun de tous les ecclesiastiques des pais eschangés, il me semble que pour concourir avec eux a l'execution dudit arrest, vous deves faire un deputé d'entre vous qui aille a Lion, pour traitter du payement des sommes convenues pour obtenir l'exemption.

  A014000786 

 Mais je fus si occupé a mon despart, que [65] je n'eus nulle sorte de loysir pour vous rendre ce devoir; et, avec cela, je me promis bien de vostre dilection que vous interpreteries le retardement en bonne part..

  A014000786 

 Pardonnés moy, je vous prie, si j'ay tant tardé a respondre sur la premiere lettre que vous m'aves jamais escritte: il n'en sera pas ainsy des autres, si j'ay la consolation d'en recevoir.

  A014000787 

 Car je sçai bien que Dieu commande en la personne d'Abraham a tous ses fideles: Ambula coram me, et esto perfectus; et que beati qui ambulant in viis Domini, et que nos peres euntes ibant, et in corde suo ascensiones disponebant, ut irent de virtute in virtutem..

  A014000787 

 Je persiste tous-jours a vous dire que vous deves servir Dieu ou vous estes, et facere quod facis.

  A014000787 

 Non pas, mon cher Frere, que je veuille forclorre l'accroissement de vos bons exercices ni la purification continuelle de vostre cœur; mais, fac quod facis, et melius quam facis.

  A014000789 

 Croyés-moy, demeurés la; faites fidellement tout a la bonne foy ce que moralement vous pourres [66] faire, et vous verres que si credideris, videbis gloriam Dei.

  A014000789 

 Et si vous voules bien faire, tenés pour tentation tout ce qui vous sera suggeré pour changer de place; car, tandis que vostre esprit regardera ailleurs que la ou vous estes, jamais il ne s'appliquera bien a proffiter ou vous estes..

  A014000789 

 Helas! Monsieur, Dieu nous a nourris du doux lait de plusieurs consolations, affin que, devenus grans, nous taschions d'ayder a la reedification des murs de Hierusalem, ou en portant des pierres, ou en brassant le mortier, ou en martelant.

  A014000790 

 Or sus, tout ceci soit dit en la confiance que vous me donnes par vostre lettre, et en la sincere amitié que je vous porte in visceribus ejus cujus viscera pro amore nostro transfixa sunt.

  A014000803 

 C'est bien fait, sans doute, de desirer la vie a celuy que Dieu vous a donné pour conduire la vostre; mais, ma Fille, ma bienaymee, Dieu a cent moyens, je veux dire infinis moyens, pour vous guider sans cela: c'est luy qui vous conduit comme une brebis.

  A014000803 

 J'auray pourtant soin de moy selon que je vous l'ay promis, et plus pour cela, sans doute, que pour inclination que j'aye a cette sorte d'attention; car je croy bien que Dieu veut que je veuille quelque chose pour l'amour de vous.

  A014000803 

 Vos troys desirs pour la vie mortelle ne me desplaysent point, car ilz sont justes, pourveu quilz ne soyent pas plus grans que leurs objectz meritent.

  A014000804 

 Demeures en paix, ma Fille; faites bien ce pourquoy vous restes au monde, faites le de bon cœur, et croyes que Dieu vous en sçaura meilleur gré que de cent sorties faites par vostre propre volonté et amour..

  A014000804 

 Ma Fille, tandis que Dieu voudra que vous soyes au monde pour l'amour de luy mesme, demeures-y volontier et gayement.

  A014000804 

 Sortons du monde pour servir Dieu, pour suivre Dieu, pour aymer Dieu; et en cette sorte, tandis que Dieu voudra que nous le servions, suivions et aymions au monde, nous y demeurerons de bon cœur, car puis que ce n'est que ce saint service que nous desirons, ou que nous le facions, nous nous contenterons.

  A014000805 

 Entr'autres choses, il me dit que sainte Françoise, nouvellement canonisee, avoit esté une des plus grandes Saintes quil est possible d'imaginer, et quil avoit luy mesme escrit sa Vie en latin, par le commandement du Pape, et quil alloit a Paris pour la faire imprimer.

  A014000805 

 Et m'enquerant des particularités de cette Vie, il me dit qu'ell'avoit esté quarant'ans mariee, et qu'en sa viduité ell'erigea une Congregation de vefves qui demeurent ensemble en une mayson, dans laquelle elles observent une vie religieuse, et personne n'entre en icelle que pour grandes causes; elles, neanmoins, sortent pour servir les pauvres et les malades, en quoy gist leur plus particulier exercice, et que cette mayson rend un fruit et un exemple bien grand a Romme.

  A014000805 

 Mais faut-il pas que je vous die ceci, puisque j'en ay [68] esté consolé? Je rencontray a Chalons monsieur André Valladier (c'est ce grand praedicateur qui prescha apres moy, estant Jesuite): or, il me fit mille sortes d'honneurs et de caresses et me dit mille choses diverses.

  A014000805 

 Vous ouïtes ce que M. Blondeau dit de Paris.

  A014000806 

 Il me dit que le Pere duquel vous me monstrastes la lettre a Beaune, faysoit presqu'aussi mal.

  A014000806 

 Il me dit que les [69] impertinentes procedures de ce Religieux duquel nous parlasmes en carrosse et duquel vous aviés parlé a M. de la Curne, estoyent venues aux oreilles du Cardinal de Givry et de l'Inquisition de Romme.

  A014000806 

 Je crains, d'un costé, que cela ne s'esvente, car ce seroit un grand scandale et appresteroit beaucoup a dire aux mondains; d'autre part, je voudrois bien que ce mal fut reprimé, de peur quil ne se glisse en d'autres.

  A014000806 

 Je fus marri dequoy il m'en parla comme de chose que je sçavois, quoy que je n'en fisse nul semblant.

  A014000807 

 Tout cela, ma chere Fille, me fait desirer que mes seurs, mes filles, ne s'abandonnent guere a nulle sorte de, grande confiance qu'en la seule confession; car, mon Dieu, voyla pas des grans dangers? Ah! je veux croire qu'il ni a pas tant de mal; mais il y en a encor moins d'estre bien discret.

  A014000807 

 veux pour cela que des ames, et que les cors ne s'en meslent point.» Or, j'ay dit tout cela par ce quil m'est ainsy venu, et avec un'ame que je connoy et en laquelle j'ay rayson d'avoir confiance absolue.

  A014000808 

 Je m'essayeray de tenir l'affaire liee en sorte que nous le ( sic ) puissions voir achevee, car vous ne le desires pas plus que moy; mais sil ne plait pas a Dieu, il ne me plait pas non plus, ni a vous, car je parle de vous comme de moy..

  A014000808 

 Que dira-on? Tout cela n'est rien pour ceux qui ne voyent le monde que pour le mespriser, et qui ne regardent le tems que pour viser a l'aeternité.

  A014000808 

 Recommandons le a Dieu, faysons tout bellement ce qui se peut pour le faire reuscir, ainsy que je feray de mon costé; mais au bout de la, si l'œil de Dieu qui penetre l'advenir, voyant que cela ne reviendroit pas peut estre ni a sa gloire ni a nos intentions, sa divine Majesté ordonn'autrement, il ne faut pas, ma Fille, pour cela en perdre le sommeil d'une seule heure.

  A014000809 

 J'ay treuvé ma pauvre bonne mere si tres malade a mon gré que j'en ay esté estonné; non pas qu'elle soit alittee, mais il semble que ce soit une lassitude et acheminement a une deffaillance de nature.

  A014000811 

 J'ay pensé a vostre cher filz, et connoissant son humeur, je pense quil faut avoir grand soin de son esprit affin que maintenant il se forme a la vertu, ou qu'au moins il ne panche pas au vice; et pour cela, il le faut bien recommander au bon M. Robert, et luy faire souvent gouster le bien de la vraye sagesse par des remonstrances et recommandations de ceux qui sont vertueux.

  A014000812 

 Il faut tous-jours que je vous die mes petites cogitations..

  A014000812 

 Je vis il y a quelque tems, une fille qui portoit un seau d'eau sur sa teste, au milieu duquel ell'avoit mis un morceau de bois; je voulus sçavoir pourquoy, et elle dit que c'estoit pour arrester le mouvement de l'eau, de peur qu'elle ne s'espanchast.

  A014000813 

 J'escris aussi a nostre M. de la Curne et luy envoyé les escritz ci joins que je vous prie luy faire tenir.

  A014000814 

 Je suis celuy que ce mesme Jesus a rendu vostre..

  A014000816 

 Je vous escriray le plus souvent que je pourray.

  A014000816 

 M me de Charmoysi vous salue et ne sçait pas que j'escrive..

  A014000828 

 Les bons PP. Villardi et Muilet furent receuz [73] icy avec plus de cœur que de demonstrations et plus de demonstrations que de bonne chere.

  A014000828 

 Vostre charité vous trompe saintement en moy, qu'elle vous represente pour digne de vostre affection et de tous vos Peres et Freres, bien qu'en verité je manque de toutes les conditions requises pour recevoir ce bonheur; excepté de lhonneur et respect que je vous dois a tous, et particulierement a vous, car en cela je ne veux ceder a personne.

  A014000829 

 Dieu sçait que je cheris la bonne fille M lle Clement, et voudrois bien la voir assouvie en ses devotz desirs; mais, mon cher Pere, je ne pense pas que son cors puisse porter les.

  A014000847 

 Bref, vous deves avoir courage a bien procurer que vous soyes Religieuse, puisque Dieu vous en donne tant de desir..

  A014000847 

 Vous deves vous resigner entierement entre les mains de nostre bon Dieu, lequel, quand vous aures fait vostre petit devoir a la sollicitation de ce dessein que vous aves, aura tres aggreable tout ce que vous feres, encor que ce sera beaucoup moins.

  A014000848 

 Mais si, apres tous vos effortz, vous ne pouves pas reuscir, vous ne sçauries plaire davantage a Nostre Seigneur que de luy sacrifier vostre volonté, et demeurer en tranquillité, humilité et devotion, entierement remise et sousmise a son divin vouloir et bon playsir, lequel vous reconnoistres asses quand, ayant fait vostre possible, vous ne pourres pas jouir de vos souhaitz.

  A014000857 

 Nous celebrons aujourd'huy, ma chere Fille, la Dedicace de nostre Eglise; mais, entre les Offices, je vous viens escrire cette lettre pour retourner bien tost a l'autel ou je veux, avec des particulieres affections, faire action de graces a nostre doux Sauveur de la dedicace de nos cœurs et de nos cors que par sa misericorde nous luy avons faitte par nos vœux.

  A014000857 

 O que nous serons heureux, ma bonne chere Fille, si nos temples ne sont point violés! Qu'a jamais le Saint Esprit y reside et ne permette point qu'aucune irreverence y soit commise; que ce soyent des maysons d'orayson et de priere, ou les sacrifices de loüange, de mortification et d'amour soyent immolés..

  A014000858 

 Et puisque sa volonté est que vous soyés encor au service, et a la conduitte de vostre famille, demeurés-y en paix, avec la fidelité que vous devés a ce saint vouloir..

  A014000858 

 O ma Fille, que mon cœur est plein de bons souhaitz pour le vostre! Vous diray je bien ce sentiment? Dimanche je fis un sermon du Rosaire, parce que je suis de cette Confrerie la il y a long tems, et presque toute cette vilette en est; et d'autant que je voulois faire entendre a mon cher peuple pourquoy on appelloit le Chapelet Couronne, je fus contraint d'apporter le passage de saint Paul, auquel il appelle ses disciples, sa couronne: Demeurés ainsy, mes tres chers.

  A014000859 

 Je suis celuy que Nostre Seigneur veut estre tout vostre, et tout singulierement vostre..

  A014000861 

 Ce fut là que les voyageurs se séparèrent.

  A014000869 

 Il faut que mon cœur vous die ce mot que je dis l'autre jour a une autre vendangeuse, qui est bien de vos plus cheres cousines.

  A014000869 

 On m'a dit que vous esties bien avant en vos vendanges: Dieu soit loué.

  A014000870 

 Cette liqueur pretieuse est bien plus delicieuse que le vin..

  A014000870 

 Es Cantiques des Cantiques, l'Espouse sacree, parlant a son divin Espoux, dit que ses mammelles sont meilleures que le vin, odorantes en unguens pretieux.

  A014000872 

 Combien de grains y ont treuvé les ames saintes, par la consideration de tant de graces et vertus que ce Sauveur du monde y a monstrees!.

  A014000872 

 Encor pensant, ma chere Fille, que les mammelles de l'Espoux soyent son flanc percé sur la croix, o Dieu, combien cette croix est une sep tortisse, mais bien chargee! Il n'y a qu'un seul raysin, mais qui en vaut plus que mille.

  A014000873 

 Faites belles et bonnes vendanges, ma chere Fille, et que les unes vous servent d'eschellon et de passage aux autres.

  A014000873 

 Saint François aymoit les aigneaux et moutons parce qu'ilz luy representoyent son cher Sauveur; et je veux que nous aymions ces vendanges temporelles, non seulement parce que ce sont choses appartenantes au soin qui correspond a la demande que nous faysons tous les jours de nostre pain quotidien, mais aussi, et [78] beaucoup plus, parce qu'elles nous eslevent aux vendanges spirituelles..

  A014000874 

 Regardés vos fautes, comme celles des autres, avec compassion plustost qu'avec indignation, avec plus d'humilité que de severité..

  A014000885 

 Mais sil est sien et quil me l'ayt donné, ne le luy puis-je pas donner comme tout mien? Qu'a jamais, et le vostre qui est mien et le mien qui est vostre, puissent estre tous siens, puis que, par son immense bonté, le sien est tout nostre.

  A014000885 

 N'advoués vous pas le don que je fay tous les jours a Dieu de vostre cœur? Je le luy donne comme tout mien et je le tiens pour tout mien, par ce quil me l'a donné.

  A014000886 

 C'est ainsy que je vous cheris de toute mon ame, et suis.

  A014000890 

 Je sçai bien que vous aures des lettres sur le sujet duquel vous me parlastes.

  A014000901 

 Je diray ce que je pourray..

  A014000901 

 Je ne sçaurois maintenant, ma chere Fille, respondre a vostre lettre du septiesme de ce mois, que je receus hier au soir bien tard; car il faut que je die Messe et que j'aille visiter une eglise a une lieuë d'icy.

  A014000902 

 Je voudrois bien que vous me conneussies bien; vous ne lairries pas d'avoir une absolue confiance en moy, mais vous ne m'estimeries guere.

  A014000902 

 Ma Fille, je ne suis que vanité, et neanmoins je ne m'estime pas tant que vous m'estimes.

  A014000902 

 Vous diries: Voyla un jonc sur lequel Dieu veut que je m'appuye; je suis bien asseuree, puisque Dièu le veut, mais le jonc ne vaut pourtant rien.

  A014000903 

 Hier, apres avoir leu vostre lettre, je me promenay deux tours avec les yeux pleins d'eau, de voir ce que je suis et ce qu'on m'estime.

  A014000903 

 Je voy donques ce que vous m'estimes, et m'est advis que cette estime vous contente beaucoup: cela, ma Fille, c'est un idole.

  A014000903 

 Revoyés une lettre que je vous escrivis au commencement, de la liberté de l'esprit..

  A014000904 

 Je suis celuy que Dieu rend tous-jours plus vostre..

  A014000914 

 Il me reste a vous dire, selon le peu de loysir que j'ay, que j'appreuve infiniment l'indifference que vous avés, tant en l'affaire de Bons qu'en toutes autres, puisque c'est en contemplation [81] de la volonté de Dieu.

  A014000914 

 Je vous dïrois mieux ceci de bouche; mais vous l'entendres, je pense, asses ainsy que je le dis..

  A014000914 

 Mais celles qui, par un' entiere resignation en la volonté de Dieu, demeurent indifferentes, o mon Dieu, elles en doivent remercier sa divine Majesté, car c'est un grand don que celluy la.

  A014000914 

 Vous verres la lettre que j'escris a monsieur de Cisteaux et a madame vostre bonne seur.

  A014000915 

 C'est une tentation, de vray, de vous amuser en l'orayson a penser ce que vous aves a me descouvrir de vostre ame, car ce n'en est pas le tems.

  A014000916 

 Je vous escriray avec plus de loysir a la premiere rencontre de commodité, car maintenant il faut que je parte pour aller faire la visite d'une parroisse, et j'ay beaucoup de gens autour.

  A014000933 

 Je sçay que le desir de la restauration de vostre eglise parrochiale ne vous a jamais manqué.

  A014000933 

 Mais il a neanmoins esté infructueux jusques a present, ou soit que la generale condition de ce païs despuis plusieurs annees vous ayt osté les moyens d'en chevir, ou que l'union et liaison des espritz, si necessaire a toute bonne entreprise, vous ayt defailly..

  A014000934 

 L'annee passee, quand j'estois avec vous, il me sembla que ce dernier empeschement fust fort debilité, puisque je vous vis presque tous consentans pour ce regard.

  A014000934 

 Mais nous demeurasmes court au second, parce qu'encor que plusieurs d'entre vous, animés d'une sainte devotion, donnassent leur parole devant Dieu de contribuer, si est ce que plusieurs aussi n'entrerent pas en cette si digne deliberation selon leur devoir; et pour tous il se treuva la difficulté de l'exaction, qui est neanmoins la piece la plus requise a l'execution, et a faute de laquelle tout a cessé, comme il appert..

  A014000935 

 Et pour cela je vous escris, vous conjurant, par vostre propre bonheur et honneur, que vous consideriés beaucoup avant de refuser un si bon moyen de faire une chose si utile, si necessaire et si desirable pour vostre ville, et sans laquelle, ou je me trompe en l'estime que je fay de vos ames, ou vous ne pouves pas vivre contens ni consolés en vos consciences.

  A014000935 

 Il est vray que, comme en toutes les choses de ce monde il y a tous-jours moyen de faire naistre des difficultés, aussi se pourra-il faire qu'en celle-ci quelques uns en pourront susciter.

  A014000935 

 Je me prometz que cette declaration de mon affection aura quelque poids pour vous esmouvoir, comme considerans que je n'ay nul motif que celuy de la gloire de Dieu et de vostre bien spirituel, auquel, selon mon devoir et inclination, je suis extremement dedié, et je puis mesme dire que j'y suis tout sacrifié et immolé..

  A014000935 

 Maintenant, il se presente un parti fort asseuré pour vous faire voir en un an ou deux au plus ce que vous aves si longuement desiré, et oster de devant les yeux des estrangers une mauvaise marque de vostre ville, laquelle, [83] au demeurant, n'en a que des bonnes.

  A014000936 

 Ainsy, puissies vous longuement tous jouir de la devotion que cette restauration rendra a vos exercices spirituelz et des biens temporelz que Dieu vous en donnera en recompense..

  A014000936 

 Donnés donq, je vous prie, cette satisfaction a mon ame qui est vostre, ce bon exemple aux autres, cette douceur a vostre vie et cette consolation a vostre posterité, que par des dissensions et varietés de conceptions, une si bonne œuvre ne soit point remise ni divertie.

  A014000941 

 Je m'essayeray de vous procurer un meilleur predicateur que celuy qui vous prescha l'annee passee, et cela ne me sera pas difficile, bien qu'il est impossible que jamais vous en ayes un plus affectionné.

  A014000948 

 Mocques vous, je vous prie, de toutes ces menues pensees de vaine gloire qui se viennent presenter a vostrè ame parmi vos bonnes actions; car ce ne sont proprement que des mouches, lesquelles ne vous peuvent faire nul autre mal que de vous importuner.

  A014000949 

 Ne poussés pas vostre cœur a la pitié ou compassion en la meditation de la Passion du Sauveur, car il suffit, en toutes meditations, d'en tirer de bonnes resolutions pour nostre amendement et fermeté en l'amour de Dieu, encor que ce soit sans larmes, sans souspirs et sans douceur de cœur; car il y a bien de la difference entre la tendreté de cœur que nous desirons parce qu'elle console, et la fermeté de cœur que nous devons desirer parce qu'elle nous rend vrays serviteurs de Dieu..

  A014000950 

 Ne respondes non plus aucun mot a la pensee deshonneste [85] qui vous arrive; seulement, dites en vostre cœur, a Nostre Seigneur: O Seigneur, vous sçaves que je vous honnore; ah! je suis toute vostre; et passes outre, sans disputer avec cette tentation..

  A014000960 

 Conserves [86] le bien, ce cœur, pour lequel le cœur de Dieu fut triste jusques a la mort, et, apres la mort, transpercé par le fer, affin que le vostre vive apres la mort et soyt joyeux toute sa vie.

  A014000960 

 Le seul desir que j'ay que vous sachies que mon cœur cherit le vostre me fait escrire ces trois motz.

  A014000961 

 Resouvenes vos petites damoyselles de moy, et principalement ma Marie Aymee que je tiens pour toute mienne.

  A014000966 

 Je vous escrivis l'autre jour par l'homme de M me du Puy d'Orbe, et au bon M. de Lacurne que je vous prie saluer de ma part..

  A014000979 

 Jamais nostre la Thuille ne m'a tant contenté que dans ce partage des biens que nous avons fait aimablement cette semaine entre mes freres.

  A014000979 

 Mais tout cela s'est passé si paysiblement et si chrestiennement, que j'en suis tout a fait edifié et consolé..................................................................................................

  A014000987 

 Mais quant a remettre vos Vespres jusques a ce que vous vous retiries le soir apres souper, oh! ma chere Niece, je ne vous le conseille pas.

  A014000987 

 Non point que ce soit grand peché, car tout au plus il n'est que veniel; mais par ce que ce sera plus d'edification pour toute vostre compaignie et plus de satisfaction pour vostre ame, si vous vous retires demi heure devant souper pour dire vos Vespres, faysant paroistre que cela est vostre cher ouvrage et vostre besoigne bienaymee.

  A014000987 

 Pour les autres suffrages des trespassés, [89] vous pouves bien ne les point dire du tout, car vous n'y estes nullement obligee; si que vous pouves, sans scrupule, les laisser..

  A014000987 

 Vous faites dignement de donner a monsieur vostre frere toute la satisfaction que vous pouves, puisqu'il vous tesmoigne tant de son amitié, et, puisqu'il le desire, c'est bien fait de vous tenir tout le jour occupee aux ouvrages.

  A014000987 

 Vous ne sçauries m'obliger davantage que de prendre la confiance que vous aves en moy, qui aussi vous cheris et honnore avec toute la fidelité que vous pouves desirer.

  A014000988 

 Soyes tous-jours bien devote, ma chere Niece, et croyes que c'est le seul moyen de recevoir toute consolation pour cette vie et pour l'autre.

  A014000989 

 Si j'avois autant de liberté que je souhaiterois, vous ne tarderies guere a me voir; mais, ne pouvant mieux, je vous visite souvent en esprit, desirant en vostre cœur, abondance de l'amour divin.

  A014001006 

 Ah, ma Fille, qu'il me fit alhors de graces, ce grand Dieu, et que j'en ay mal prouffité! Mais, vive sa bonté et son amour! je vay commencer tout a cette heure a le bien servir, moyennant l'ayde de sa grace..

  A014001006 

 Je m'essaye de faire un tres grand renouvellement pour mon ame, parce qu'il y a demain six ans que Dieu m'osta au monde et a moy mesme pour me donner a son Eglise et a ses brebis.

  A014001006 

 Vous sçaves que c'est le jour de ma consecration episcopale.

  A014001016 

 Mon frere, qui va la, vous dira peut estre que je vous [91] cheris et honnore bien fort; mais vous croiries peut estre bien aussi qu'il me feroit ce bon office par charité, et je desire que vous sçachies que c'est mon cœur qui a vrayement ce sentiment-la: c'est pourquoy je l'escris ainsy de ma main et de mon cœur..

  A014001017 

 Mais dites-moy donq, Madamoyselle, je vous supplie l'amour de Dieu regne-il pas tous-jours en vostre ame? N'est-ce pas luy qui tient les resnes de toutes vos affections et qui dompte toutes les passions de vostre cœur? Oh je n'en doute nullement; mais, Madamoyselle, il faut que vous permetties a un esprit qui vous ayme cherement, de vous demander ce qu'il sçait, pour le playsir qu'il prend d'ouyr dire et redire vostre bonheur.

  A014001017 

 On demande si souvent: Vous portes-vous bien? encor que Ton voye ceux qu'on interroge en fort bonne santé.

  A014001026 

 Dieu soit loué a jamais! Je ne puis revoquer en doute que ce mariage ne soit son prouffit, puisque luy en ayant si purement remis et recommandé l'evenement, il l'a conduit a ce terme.

  A014001026 

 Mais dites donq la verité, ma tres chere Fille, ne voyci [pas] une extravagance, que mon frere partant pour aller aupres de vous, je n'aye pas loysir de vous escrire qu'a demy? Or sus, voyla quil s'en va avec un cœur tout vostre et desireux de vous obeir en tout; car, comme je luy ay recommandé, il traittera de toutes choses avec vous, en l'entiere confiance et obeissance qu'un humble et doux enfant doit rendre a sa bonne et chere mere, et en tout suivra vos advis.

  A014001027 

 Helas, ma Fille, que c'est un dur passage a mon esprit, de passer de ce mariage a la dissolution de celuy que la pauvre damoyselle de Bareul avoit fait avec son Dieu! [93] La pauvrette se veut donques perdre avec son mary.

  A014001027 

 Je prieray Dieu pour elle, et specialement le jour de saint Thomas, que je conjureray, par son heureuse infidélité, d'interceder pour cette pauvre ame si malheureusement infidelle..

  A014001027 

 Les Confessions de saint Augustin et le chapitre que je luy montray passant vers elle, devoyent suffire pour la retenir, si elle n'estoit lancee a son precipice que par les considerations qu'elle allegue.

  A014001028 

 Il est vray que nous les devons regretter, et souspirer pour elles comme David sur son Absalon pendu et perdu..

  A014001028 

 Quelles actions de graces devons nous a ce grand Dieu, ma chere Fille! Mais moy, attaqué par tant de moyens, en un aage fresle et flouet, pour me rendre a l'heresie, et que jamais je ne luy aye pas seulement voulu regarder au visage sinon pour luy cracher sur le nez, et que mon foible et jeune esprit, parcourant sur tous les livres empestés, n'aye pas eu la moindre esmotion de ce malheureux mal: o Dieu, quand je pense a ce benefice, je tremble d'horreur de mon ingratitude.

  A014001029 

 Il n'y eut pas grand mal, non, en ces desdains que vous tesmoignastes parlant avec elle.

  A014001030 

 Helas, le bon homme s'en alla satisfait d'avec moy, disant que je l'avois caressé amoureusement et que j'avois le vray esprit de chrestien.

  A014001030 

 Il n'est pas encores receu a l'Eglise, et m'a donné esperance que ce sera moy qui le recevray.

  A014001030 

 Je croy bien qu'il adjousta que je n'estois pas des plus doctes, mais on ne me le dit pas.

  A014001030 

 Je voulois dire que ces anciens Peres ont un esprit qui respire contre l'heresie, es pointz mesmes esquelz ilz né disputent pas contre elle.

  A014001030 

 Mon Dieu, ma Fille, que dis-je? J'escris a course de plume et ne pense qu'a vous parler comme entre nous deux.

  A014001031 

 Despuis j'ay tous-jours dit que qui presche [96] avec amour presche asses contre les heretiques, quoy qu'il ne die un seul mot de dispute contre eux; et c'est pour dire qu'en general, tous les escritz des Peres sont propres a la conversion des heretiques..

  A014001032 

 O mon Dieu, ma chere Fille, que je vous souhaitte de perfections! Une pour toutes: cette unité, cette simplicité.

  A014001032 

 Vivés en paix et joyeuse, ou au moins contente, de tout ce que Dieu veut et fera de vostre cœur.

  A014001046 

 C'est grand cas, ma chere Fille, que nul ne m'escrit de vous, ni de Dijon, ni de Bourbilly, sinon l'autre jour madame de Chantal qui me dit qu'elle vous iroit voir.

  A014001046 

 Mais que faites vous donq, chere Fille? Voyci la cinquiesme lettre que je vous envoye despuis mon retour: penses vous pas que ce soit a bon escient que je suis vostre pere? Voyes vous, escrives moy un peu souvent, et envoyes a commodité vos lettres a Dijon et a Montelon, car je les recevray tous-jours asses; et si vous ne pouves pas m'escrire (car je m'imagine que cette mauvaise jambe [97] vous tient souvent au lit), faites que cette bonne seur m'escrive pour vous..

  A014001047 

 Mon Dieu, que de biens mon ame souhaite a la vostre! Faites bien vostre prouffit de vos travaux, rendes-les fructueux par une volontaire acceptation des croix que la necessité vous impose.

  A014001048 

 J'attens que ce primtems nous donne la commodité de nous revoir, et tandis, tous les jours je prie pour vous; et certes, mon cœur vous cherit tres parfaittement en Celuy qui, pour nous, eut le sien transpercé sur la croix.

  A014001062 

 Sans doute que Dieu vous consolera tous-jours plus en cette heureuse entreprise que vous aves faitte de ne vivre que pour luy.

  A014001062 

 Vous faites bien, ma chere Fille, de m'escrire quelquefois sans sujet particulier, mais avec le seul general que Jesus Christ et sa dilection, unique lien de nos cœurs, vous fournira tous-jours.

  A014001063 

 Il y en avoit peu parce que les copies des autres se sont esgarees; mais je les feray rechercher, affin qu'a cela ne tienne que vous aspiries amoureusement et souëfvement en Dieu, pour lequel nous devons souspirer toute nostre [99] vie et auquel nous souhaitons d'expirer a la fin de nos jours.

  A014001068 

 Si vostre bonne Mad e ( sic ) me fait la consolation de venir me voir, faites-le moy sçavoir, je vous prie, affin que je la reçoive plus a propos, et vous aussi..

  A014001080 

 Avant donq qu'elle finisse, je me veux ramentevoir en vostre souvenance, et vous supplier de me conserver en cette nouvelle annee venante le mesme bonheur que vous m'aves donné en celle cy.

  A014001080 

 Elles s'en vont bien viste, ces annees, et nous vont ravissant apres, ou plustost avec elles; mais que nous en doit-il chaloir, puis que, moyennant la misericorde de Dieu, elles nous vont fondre et abismer dedans une profonde eternité?.

  A014001101 

 Le tems que nous determinons de donner a Dieu en l'orayson, donnons le luy avec nostre pensee libre et desoccupee de toutes autres choses, avec resolution de ne jamais le reprendre, quelz que travaux qui nous en arrivent, et tenons un tel tems pour chose qui n'est plus a nous; et encor que vous y senties vostre misere, ne vous troubles point, ains soyes en joyeuse, pensant que vous estes une vrayement bonne besoigne pour la misericorde de Dieu.

  A014001104 

 Portés le entre vos bras et que vostre ame le tienne bien serré et n'abandonne point le pied de la Croix, luy donnant vostre cœur souventes fois le jour..

  A014001107 

 Je vous recommande de vous accuser en confession clairement, franchement et simplement, et ne vous empresses point pour vos confessions, pourveu que vous gardies cette fidelité a Dieu, de ne point retenir ni excuser vos pechés: Non, non, mon Sauveur, deves vous dire, jamais je n'oublieray vos volontés, car en icelles, vous m'aves justifiee..

  A014001108 

 Que vostre amitié soit cordiale et sincere et sans flatterie.

  A014001108 

 Vuides vostre cœur de toute image des choses corporelles, et simplifies vos actions et vos paroles, tant que vous pourres.

  A014001109 

 Quand il vous arrivera des pensees mauvaises et que vous vous en appercevres, faites un acte positif par une aspiration contraire, et ne perdes pas le tems a vouloir rien rechercher, mais passes outre..

  A014001110 

 Penses que le doux Sauveur est assis dans vostre cœur comme en son throsne, et le regardés souvent, vous humiliant fort devant luy..

  A014001111 

 Je desire que vous soyes extremement humble; que vostre cœur soit fort clair et ouvert, et sans resérve en mon endroit.

  A014001116 

 Et aussi, Nostre Seigneur a formé toute sa doctrine en ces motz: Apprenes de moy que je suis doux et humble de cœur.

  A014001116 

 Ne recevés pas les pretextes que l'amour propre suggere pour excuser le courroux, car saint Jacques dit tout net: L'ire de l'homme n'opere point la justice de Dieu; combien moins celle de la femme.

  A014001117 

 Je ne me suis mis en cholere, pour justement que ç'ayt esté, que je n'aye reconneu par apres que j'eusse encores plus justement fait de ne me point courroucer..

  A014001117 

 Rien ne matte tant l'elephant que l'aigneau, et rien ne rompt tant la fureur du canon que la laine.

  A014001118 

 Bref, resouvenes vous que l'espouse de Nostre Seigneur est appellee Sulamite, c'est a dire paisible, et que dessous sa langue est le lait et le miel; en ses levres, le rayon distillant, comme il est dit au Cantique Saint Paul nous apprend de vaincre le mal, et non [105] seulement de le combattre.

  A014001128 

 Nostre Seigneur desire que vous ne pensies ni a vostre advancement ni a vostre amendement, point du tout; [106] mais a recevoir et employer fidellement les occasions de le servir et prattiquer les vertus dans chaque moment, sans aucune reflexion sur le passé ni l'avenir.

  A014001131 

 Gardes vous de recevoir ou nourrir aucune amitié mondaine, sous quel pretexte que ce soit; ceci est un point d'importance..

  A014001134 

 O mouche morte, que fais tu dans ce miel? Que te sert il d'estre parmi l'unguent, ni a l'unguent de te recevoir? Si tu estois vive, tu ferois le miel, et le miel te nourriroit; tu mangerois l'unguent, et l'unguent te parfumeroit, tu emporterois le parfum ça et la: mais morte, tu perds l'unguent..

  A014001139 

 Nous ne meritons pas tel rang au service de Dieu; il le faut servir premierement es bas offices, avant que d'estre attiree a son cabinet..

  A014001142 

 Je ne forclos pas l'eslevation de l'ame, l'orayson mentale, la conversation interieure avec Dieu, l'eslancement perpetuel du cœur en Nostre Seigneur; mais sçaves vous ce que je veux dire, ma Fille? Je veux dire qu'il vous faut estre comme cette femme forte, de laquelle le Sage dit: Elle a mis la main a choses fortes et ses doigtz ont manié le fuseau.

  A014001143 

 Laisses moy le soin de vos autres desirs, je les vous garderay fort soigneusement; n'en ayes nul souci, car [110] peut estre aussi ne vous les rendray je jamais et ne sera pas expedient; mais asseures vous que je ne les employeray pas mal.

  A014001144 

 Dieu prend playsir a vous voir faire vos petitz pas, et, comme un bon pere qui tient son enfant par la main, il accommodera ses pas aux vostres et se contentera de n'aller pas plus viste que vous.

  A014001149 

 Or, ma Fille, il arrive quelquefois que nostre esprit n'agit que par la clairté naturelle, et que l'esprit humain ne peut acquiescer a cette action, et beaucoup moins l'ame sensuelle, ains se contredisent et s'opposent; et lhors il nous semble que tout est perdu, et l'esprit, presque abandonné de toutes les facultés raysonnables et sensitives, demeure tout esperdu, ce semble, et estonné.

  A014001149 

 Resouvenes vous que nostre esprit connoissant et agissant, s'appelle ame agissante et connoissante; [connaissant] par le discours et raysonnement naturel, il s'appelle entendement, intelligence ou esprit humain; [112] mais connoissant et agissant par l'esprit de la foy, il s'appelle esprit de la foy ou esprit chrestien.

  A014001150 

 Il est vray qu'Absalon inquiete et trouble tout le royaume d'Israël contre son pere David, en sorte que le pauvre David, tout Roy qu'il est, s'en va pleurant, piedz nus et la teste voilee, chacun l'ayant abandonné; mais il est Roy neanmoins, et a la fin rangera tout le reste a son obeissance.

  A014001150 

 Que toute la barque de nostre navire aille ou il voudra; il tirera bien quant et soy l'aiguille marine, mais il n'empeschera pas pourtant qu'elle ne face son mouvement et qu'elle n'aye sa tendance a sa belle estoile..

  A014001151 

 Cette dereliction ressemble a celle que Nostre Seigneur ressentit a sa Passion; et en icelle, il semble que nostre ame soit comme le Prophete que l'Ange tenoit et portoit en l'air par un de ses cheveux.

  A014001151 

 Nul remede a cela, ma Fille, que de s'humilier et attendre en patience la sainte grace de Dieu, recommandant doucement nostre esprit entre ses mains paternelles..

  A014001152 

 Aux tentations de la foy, humilies vous profondement devant Dieu, puis devant son Eglise, par une sainte inclination cordiale, et faites un acte positif de foy, protestant de vouloir a jamais croire tout ce que Dieu a revelé a son Eglise; et, sans plus disputer ni examiner [112] aucunes choses, divertisses vostre cœur a des autres occupations, et principalement exterieures.

  A014001152 

 Et bien que la tentation vienne autour de vous, ne faites aucun semblant de la voir; mais dissimulant cette attaque, appliques vous aux autres exercices..

  A014001153 

 Aux tentations de vanité et de vaine gloire, il en faut faire le mesme, c'est a sçavoir: faire un acte positif et contraire, et au lieu de se glorifier, s'humilier de sa propre vanité, comme disant: Ouy, Seigneur, je suis vaine et mon esprit n'est que vanité..

  A014001154 

 Ne vous rendes pas si pointilleuse et tendre aux sentimens des tentations, que pour cela vous soyes troublee et inquietee.

  A014001154 

 Quand donq vous les sentires, penches doucement, vostre cœur de l'autre costé et ne vous inquietes point; et bien que vos sens et vostre esprit humain semblent tenir le parti de la tentation, ne vous estonnes nullement, pourveu que l'esprit de la foy et le mouvement intime de vostre cœur se tournent tous-jours a vostre belle estoile..

  A014001156 

 Cloues vostre cœur au pied de la Croix, laissés-le la en asseurance, tandis que par la necessité de vostre condition il faut estre parmi le monde, car ainsy nous n'y aurons pas nostre cœur.

  A014001156 

 Quand il vous arrive des maux, ou interieurs ou exterieurs, employés contre iceux les remedes que je vous ay marqués, puisque Dieu vous les a donnés, mais laissés a Nostre Seigneur le choix de donner la victoire ou aux tourmens ou aux remedes, selon son bon playsir.

  A014001163 

 J'ay fort prié Nostre Seigneur qu'il vous fist bien sentir comme il faut resigner tout vostre soin, toutes vos agilités et souplesse d'esprit, toutes ces petites pointes de vostre entendement qui veulent tout mesnager, voir et prevoir, entre les mains de sa Bonté souveraine et tres paternelle, ne permettant point que vostre cœur s'inquiete, ains le faysant reposer doucement sur les bras du Sauveur..

  A014001166 

 La presence de Dieu que la Mere Therese enseigne au 29 et 30 chapitres du Chemin de perfection est excellente, et pense que c'est la mesme que je vous marquois, quand j'escrivois que Dieu estoit dans nostr'esprit comme le cœur d'iceluy, et en nostre cœur comme l'esprit qui le vivifie, et que David appelloit Dieu: Dieu de son cœur.

  A014001170 

 Et qui pourra asseurer que celuy qui estoit hier pecheur et meschant le soit aujourd'huy?.

  A014001170 

 Et sur tout, blasmer le vice et espargner le plus que l'on peut la personne auquel il est, d'autant plus que la bonté de Dieu est si grande, qu'un moment seul suffit pour impetrer sa grace.

  A014001171 

 Quand nous regardons les actions du prochain, [voyons-les] dans le biais qui est le plus doux, et quand [nous] ne pouvons excuser ni le fait ni l'intention de celuy que, d'ailleurs, nous connoissons estre bon, n'en jugeons point, mais ostons cela de nostre esprit et laissons le jugement a Dieu.

  A014001172 

 La charité craint de rencontrer le mal, tant s'en faut qu'elle l'aille chercher; quand elle le treuve, elle s'en destourne, elle le dissimule, ains elle ferme les yeux avant que de le voir; que s'il faut le voir, elle s'en destourne ................................................................................

  A014001180 

 Je desirois infiniment d'avoir lhonneur de vous bayser [115] les mains et vous vouer, en presence, l'obeissance que je vous veux rendre toute ma vie, et avois marqué la ville d'Àix pour le lieu auquel, avec moins de vostre incommodité, je pourrois jouir de ce bonheur lhors que vous y viendries faire vostre visite.

  A014001189 

 Je vous asseure que ma mere est dans une telle impatience [116] d'estre mere d'une fille que vous luy aves donnee, que les continuelles presses qu'elle m'en fait me bailleroyent avec elle de l'inquietude, si je ne me souvenois de l'edifice auquel je travaille, qui est de bien establir mon ame dans une constante paix.

  A014001189 

 Non, je ne penseray point que ce soit ma belleseur, elle me sera plus que seur et plus que fille; mais pour cela, se faut il empresser? [117].

  A014001197 

 J'ay eu soin de faire tenir vostre lettre au P. Commissaire, et l'ay accompaignee d'un'autre que j'ay escritte a mesme fin.

  A014001215 

 Il n'y a point a douter que vous vous expliqueries bien mieux et plus librement a vive voix que par escrit; mais en attendant que Dieu le veuille, il faut employer les moyens qui se presentent.

  A014001215 

 Voyes vous, les assoupissemens, alanguissemens et engourdissemens des sens ne peuvent estre sans quelque sorte de tristesse sensuelle; mais tandis que vostre volonté et le fond de vostr'esprit est bien resolu d'estre tout a Dieu, il ny a rien a craindre, car ce sont des imperfections naturelles, et plus tost maladies que pechés ou defautz spirituelz.

  A014001216 

 C'est le meilleur remede de tous contre l'apprehension de nostre trespas, que la cogitation de Celuy qui est nostre vie, et de ne jamais penser a l'un qu'on n'adjouste la pensee de l'autre..

  A014001216 

 Et si, il ne faut nullement entrer en defiance, car bien que nous soyons miserables, si ne le sommes nous pas a beaucoup pres de ce que Dieu est misericordieux a ceux qui ont volonté de l'aymer et qui en luy ont logé leurs esperances.

  A014001216 

 O cette mort est hideuse, ma chere Fille, il est bien vray; mais la vie qui est au dela, et que la misericorde de Dieu nous donnera, est bien fort desirable aussi.

  A014001217 

 A faute de cela, ma Fille, vos imperfections, que vous voyes subtilement, vous troublent encor plus subtilement, et par ce moyen se maintiennent, ny ayant rien qui conserve plus nos tares que l'inquietude et empressement de les oster..

  A014001217 

 Mon Dieu, ma chere Fille, n'examines point si ce que vous faites est peu ou prou, si c'est bien ou mal, pourveu que ce ne soit pas peché et que, tout a la bonne foy, vous ayes volonté de le faire pour Dieu.

  A014001217 

 Tant que vous pourres, faites parfaitement ce que vous feres, mais quand il sera fait, ni penses plus, ains penses a ce qui est a faire.

  A014001218 

 Dieu soit aupres de madame [de Mieudry] en cette Babilone ou elle va, et luy donne les consolations spirituelles plus grandes que les corporelles.

  A014001219 

 Il nous est advis que, changeant de navire, nous nous porterons mieux; ouy, si nous nous changeons nous mesme.

  A014001219 

 La providence de Dieu est plus sage que nous.

  A014001219 

 Mon Dieu, je suis [120] ennemi conjuré de ces desirs inutiles, dangereux et mauvais; car encor que ce que nous desirons est bon, le desir est neanmoins mauvais, puis que Dieu ne nous veut pas cette sorte de bien, mais un autre, auquel il veut que nous nous exercions.

  A014001231 

 Je vous renvoye vostre livre corrigé, ma tres chere Fille: vous puisse-il estre aussi utile que je souhaitte! Sans doute, il faut tant faire et refaire les resolutions de s'unir a Dieu, que nous y demeurions engagés.

  A014001232 

 D'avoir un peu de joye en la grace divine quand les rencontres nous succedent bien, il n'y a point de mal, pourveu que nous les terminions en humilité.

  A014001232 

 De remedier aux occurrences qui ne vous regardent pas en particulier, mais vostre mayson, il le faut faire, avec cette remise neanmoins, de vouloir avec un cœur esgal attendre l'evenement que Dieu disposera pour le mieux.

  A014001232 

 Mais quant a cette sorte de plainte, que vous estes miserable et infortunee, mon Dieu, ma chere Fille, il s'en faut garder en toute façon; car, outre que telles paroles sont deshonnestes a une servante de Dieu, elles sortent d'un cœur trop abbatu et ne sont pas tant des impatiences que des courroux..

  A014001234 

 C'est bien fait d'aspirer d'une generale aspiration a l'extreme perfection de la vie chrestienne, mais il ne faut pas philosopher en particulier, sinon sur nostre amendement et sur nostre advancement selon les occurrences quotidiennes, de jour en jour, remettant la conduitte de nostre souhait general a la providence de Dieu, et nous jettant pour ce regard entre ses bras, comme un petit enfant qui, pour croistre, mange de jour en jour ce que son pere luy fournit, esperant qu'il luy fournira a proportion de son appetit et de sa necessité..

  A014001235 

 Pour ces tentations d'envie, prattiqués ce que je dis [122] au livre, des mesmes tentations.

  A014001236 

 J'ay escrit despuis peu a nostre bonne seur: c'est une fille que je cheris bien fort.

  A014001236 

 O Dieu, il faut plustost mourir que d'offencer sciemment et deliberement; mais quand nous tombons, il faut tout perdre, plustost que le courage, l'esperance et la resolution.

  A014001247 

 C'est un grand fruit que ce pauvre petit livre m'a rendu, et lequel certes je n'attendois pas, mais pour lequel seul, plus que pour aucun autre duquel je me sois apperceu jusques a present, je le veux desormais aymer et cultiver..

  A014001247 

 Je receus le huitiesme de ce mois la lettre qu'il vous pleut m'escrire le 25 de l'autre prochainement passé, et proteste que rien ne m'est arrivé, il y a long tems, qui m'ayt rempli de tant de joye et d'honneur; car mon ame, qui reveroit la vostre d'un grand respect, desiroit par quelque heureuse rencontre avoir quelque digne acces a vostre bienveuillance.

  A014001247 

 Mais, comme le pouvois je esperer, [124] estant cloué et affigé a ces montaignes, et si indigne de vostre consideration? Et voyci neanmoins que Dieu a voulu me prevenir de cette consolation, de laquelle je remercie tres humblement sa Bonté, et me sens fort obligé a la vostre qui s'y est si amiablement inclinee.

  A014001248 

 C'est un memorial que j'avois dressé pour une belle ame qui avoit desiré ma direction; et cela, emmi les occupations d'un Caresme, auquel je preschois deux fois la semaine.

  A014001248 

 Mais puisque, tel qu'il est, vous le favorisés de vostre approbation, si jamais il retourne sous la presse, je me delibere de l'ageancer et accroistre de certaines pieces qui, a mon advis, le rendront plus utile au publiq et moins indigne de la faveur que vous luy faites..

  A014001248 

 Vous aures bien remarqué, Monseigneur, que cette besoigne ne fut jamais faitte a dessein projetté.

  A014001249 

 Et puisque vous m'exhortes, Monseigneur, de continuer a mettre par escrit ce que Dieu me donnera pour l'edification de son Eglise, je vous diray librement et avec confiance mes intentions pour ce regard.

  A014001249 

 Il n'y a peut estre Evesque a cent lieuës autour de moy qui ayt un si grand embrouillement d'affaires que j'ay; je suis en lieu ou je ne puis avoir ni livres ni communications propres a telz effectz.

  A014001251 

 Et en ce dernier livre, je voudrois, par maniere de prattique, desfaire tous les plus apparens et celebres argumens de nos adversaires; et ce, avec un style non seulement instructif mais affectif, a ce qu'il proffitast non seulement a la consolation des Catholiques, mais a la reduction des [126] heretiques: a quoy j'employerois plusieurs méditations que j'ay faites durant cinq ans en Chablais, ou j'ay presché sans autres livres que la Bible et ceux du grand Bellarmin..

  A014001252 

 Voyla, Monseigneur, ce que mon petit zele me suggere, lequel, n'estant pas, a l'adventure, secundum scientiam, le tems, le peu de loysir que j'ay, la connoissance de mon imbecillité moderera; bien que, sans mentir, vostre authorité l'ayt bien fort enflammé par le favorable jugement que vous faites de ce premier livret, duquel encor faut-il que je vous die ce que Monsieur nostre Evesque de Montpellier m'a escrit..

  A014001253 

 En quoy, sans doute, je voy qu'il a rayson; mais n'ayant dressé cette besoigne que pour une ame que je voyois souvent, j'affectois la briefveté en escrit, pour la commodité que j'avois de m'estendre en paroles.

  A014001253 

 Il m'advertit que je me tiens trop pressé et serré en plusieurs endroitz, ne donnant pas asses de cors a mes advis.

  A014001253 

 L'autre chose qu'il me dit, c'est que, pour une simple et premiere introduction, je porte trop avant ma Philothee; et cela est arrivé parce que l'ame que je traittois estoit des-ja bien fort vertueuse, quoy qu'elle n'eust nullement gousté la vie devote: c'est pourquoy, en peu de tems, elle advança bien fort..

  A014001254 

 Or, a l'un et a l'autre de ces defautz, je remedieray aysement si jamais cette Introduction se reimprime; car, pour finir par ou j'ay commencé, l'honneur qu'elle me donne m'ayant ouvert le chemin a vostre amitié, et l'opinion que vous aves qu'elle sera proffitable aux ames, sera cause que je l'aymeray et luy feray tous les biens qu'il me sera possible..

  A014001255 

 Mais, mon Dieu, que dires vous de moy, Monseigneur, me voyant espancher mon ame devant vous avec autant de naïfveté et d'asseurance, comme si j'avois bien merité l'accueil que vous me faites et l'acces que vous me donnes? [127] Je suis tel, Monseigneur, et vostre sainte charité me donne cette libre confiance; et, outre cela, me fait vous conjurer, par les entrailles de nostre commun et souverain object et Sauveur, de me continuer ce bien que vous aves commencé a me departir, non seulement me communiquant la suavité de vostre esprit, mais me censurant et advertissant en tout ce que vostre dilection et zele vous dicteront; vous promettant que vous rencontrerés un cœur capable, quoy que indigne, de recevoir de telles faveurs..

  A014001263 

 Je vous souhaitte [128] bon et heureux voyage et que ma petite fille ne soit pas mallement du travail du chemin; mais arrivant de bonne heure le soir et la faisant bien dormir, j'espere qu'elle fera prou..

  A014001263 

 Mon Dieu, que vous seres la bien venue, ma chere Fille, et comme il m'est advis que mon ame embrasse la vostre cherement! Partes donq au premier beau jour que vous verrés, apres que vostre cheval se sera delassé, lequel, sans doute, on ne pourroit pas bien vous renvoyer sinon despuis troys jours en ça, pour les dernieres pluyes qui sont tombees en ce païs.

  A014001264 

 M. de Ballon desire tant que vous facies vostre giste chez luy, que je suis contraint aussi de le desirer pour la bonne amitié qu'il nous porte..

  A014001265 

 Il est vray que je n'en suis pas [129] peyne, parce que je sçai que de dela il y en a plus qu'icy.

  A014001265 

 J'ay creu neanmoins que je devois en envoyer un a M. de Chantal, et qu'il s'offenceroit si je ne le faysois; c'est pourquoy le voyla..

  A014001265 

 J'en voudrois envoyer a plusieurs personnes, mais je vous asseure que, pour tout, il n'en est venu que trente en ce païs, et je n'ay peu fournir a la dixiesme partie de ceux a qui j'en devois donner.

  A014001265 

 Je luy escris donq qu'elle attende le vray primtems et qu'elle vienne en litiere, affin que si l'une de ses seurs veut l'accompaigner, elle le puisse faire sans apprehension d'aller a cheval.

  A014001265 

 Le Pere de Monchi m'en demandoit un: si vous luy donnés celuy que vous avés, je vous en rendray un plus brave icy; car encor le faut-il consoler.

  A014001266 

 Je vous dis la verité, il ne me sçauroit plus donner de playsir que par la; et vrayement j'espere que tout ira fort bien et qu'il ne demeurera nul sujet de mescontentement a personne.

  A014001266 

 Qu'ay-je a vous dire de plus, ma chere Fille? Mille choses, mais que je n'ay nul loysir d'escrire, car je veux que Claude parte sans plus tarder.

  A014001266 

 Sachés seulement, ma vraye Fille, que je suis tout plein de joye et de contentement dequoy vostre Groysi parle non seulement avec respect, mais avec un amour tout affectionné de vous et de messieurs vos peres, et ce qui me plaist le plus, de ma chere petite Aymee.

  A014001268 

 Ma mere desire que vous facies vostre petit delassement a Sales, ou elle vous attendra pour vous accompaigner icy; mais ne croyes pas que je vous y laisse sans moy.

  A014001268 

 Non pas, certes, car ou je vous y attendray, ou j'y seray aussi tost que je vous y sçauray..

  A014001269 

 Et si, je confesse que vous m'aves fait bien playsir de la mettre sur vostre train, bien que pour elle il faudra peut-estre que je me mette en despense, affin qu'a son retour, elle face bon recit de ma magnificence.

  A014001270 

 Apportes moy toutes les lettres et memoyres que je vous ay jamais envoyé, si vous les aves encor (ce que je dis a cause du naufrage que vous fistes a vandanges), par ce que sil faut reimprimer l' Introduction, cela me deschargera beaucoup, y treuvant plusieurs choses pour ce sujet; puisque l'on ne m'a encor corrigé pour la substance de ce livre-la que de m'estre trop peu estendu.

  A014001271 

 J'espere que Dieu la tiendra par tout de sa main; au moins il luy donne des bonnes resolutions.

  A014001271 

 Je sçai que vostre venue luy sera...........................................................................

  A014001272 

 Elle m'escrit que, pour tous les advis que je luy ay donnés pour le bon ordre de son Monastere, elle ne pourroit pas se resoudre a rien faire sans le consentement de son frere, qui a, dit elle, un grand [131] pouvoir sur sa volonté.

  A014001273 

 J'ay ouvert la lettre que mon frere vous escrivoit, pour curiosité que j'avois de voir le poulet qui estoit dedans.

  A014001273 

 Je n'escris point a la chere petite, mais je sçai bien que je luy garde le plus amoureux salut que j'aye fait a damoyselle du monde il y a seze ans..

  A014001274 

 Mon Dieu, ma Fille, que j'ay grand desir que le bon et doux Jesus vive et regne dans nos cœurs! C'est en luy que je suis tout uniquement vostre..

  A014001283 

 Ce m'est beaucoup de contentement que vous [132] viviés sans scrupule et que la sainte Communion vous soit prouffitable; sur quoy je vous dis qu'il faut donq continuer.

  A014001283 

 Je ne respons qu'aux deux lettres que ce porteur m'a rendues de vostre part; car la troysiesme, envoyee par la voye de madame de Chantal, ne m'est pas encor arrivee.

  A014001284 

 Ouy, ma Fille, faites bien comme je vous ay dit, car quoy que mille petites tricheries de raysons apparentes s'eslevent au contraire, si est-ce que mes resolutions sont fondees sur des raysons fondamentales et conformes aux Docteurs et a l'Eglise; mais je vous dis qu'elles sont tellement veritables, que le contraire est une grande faute.

  A014001284 

 Servés donq Dieu selon cela, et il vous en benira; mais n'escoutés jamais rien au contraire, et croyés qu'il faut que je sois bien asseuré quand je parle si hardiment..

  A014001284 

 Vous aves rayson de ne vous point inquieter pour les mauvaises pensees, tandis que vous aves de bonnes intentions et volontés, car ce sont celles-cy que Dieu regarde.

  A014001285 

 Mais, ma Fille, il y a bien d'autres choses a vous demander pour cette mesme devotion de la bienheureuse Mere Therese: c'est que je voudrois que vous me fissiés extraire son image au vif jusques a la ceinture seulement, sur celle qu'on dit que ces bonnes Seurs ont, et allant par dela, un de nos curés qui doit y aller [133] dans sept ou huit jours, la prendroit a son retour pour me l'apporter.

  A014001286 

 Ah mon Dieu, ma Fille, que les vertus d'une femme mariee sont aggreables a Dieu! car il faut qu'elles soyent fortes et excellentes pour durer en cette vocation; mais aussi, o mon Dieu, que c'est une chose douce a une vefve de n'avoir qu'un cœur a contenter! Mais bien; cette Bonté souveraine sera le soleil qui esclairera cette bonne chere seur, affin qu'elle sache ou prendre son chemin.

  A014001286 

 C'est le sacré mary de l'ame que j'entens; neanmoins, si Dieu dispose de se servir d'elle encor une fois au tracas d'un mesnage complet et qu'il la veuille exercer a la sujetion, il en faudra louer sa Majesté, laquelle sans doute fait toutes choses pour le bien des siens.

  A014001286 

 C'est une ame que j'ayme tendrement, et ou qu'elle aille, j'espere qu'elle servira bien Dieu, et je la suivray par les continuelles prieres que je feray pour elle..

  A014001287 

 Je me recommande a celles de nostre petite fille [Madeleine] et de N. Il est vray que [Madeleine] est ma fille un peu plus que les autres; et me semble que tout est mien, ma Fille, en Celuy qui, pour nous rendre siens, s'est rendu tout nostre.

  A014001291 

 Faites avec un soin particulier tout ce que vous pourres [134] pour acquerir la douceur entre les vostres, je veux dire en vostre mesnage.

  A014001296 

 J'ay receu vos deux lettres, ma chere Fille, et voy bien clairement que tout, le mal que vous aves eu n'a esté qu'un vray embarràssement d'esprit provenu de deux desirs qui n'ont pas esté satisfaitz en vous: l'un estoit le desir de servir a Dieu en l'occasion qui se presentoit; l'autre, le desir de connoistre si vous avies fidellement fait vostre devoir.

  A014001296 

 Vostre esprit, panchant tous-jours un peu a l'indignation, vous a fait treuver peu ce que vous aves fait, et le mesme esprit, desirant grandement de satisfaire a son obligation et ne se pouvant certainement persuader de l'avoir fait, est tombé en tristesse et descouragement ou desgoust.

  A014001297 

 A quoy j'adjouste, pour un advis general, que quand nous ne sçavons pas discerner si nous avons bien rendu nostre devoir en quelque occurrence et sommes en doute d'avoir offencé Dieu, il faut alhors s'humilier, requerir Dieu qu'il nous excuse et demander plus de lumiere pour une autre fois, et oublier tout a fait ce qui s'est passé et se remettre au train ordinaire; car une curieuse et empressee recherche pour sçavoir si nous avons bien fait, provient indubitablement de l'amour propre qui nous fait desirer de sçavoir si nous sommes braves, la ou l'amour pur de Dieu nous dit: Truand ou couard que j'ay esté, humilie toy, appuye toy en la misericorde de Dieu, demande tous-jours pardon et, sur une nouvelle protestation de fidelité, passe outre a la poursuite de ton avancement..

  A014001297 

 Or sus, ma chere Fille, il se faut donq bien res-jouir en oubliant tout cela et s'humiliant bien fort devant Nostre Seigneur, et vous resouvenant que vostre sexe et vostre vocation ne vous permet d'empescher le mal hors de chez vous que par l'inspiration et proposition du bien, et des remonstrances simples, humbles et charitables a l'endroit des defaillans, et par advertissement aux Superieurs quand cela se peut; ce que je dis pour une autre fois.

  A014001298 

 Et en cette sorte, vous pourres retrancher une heure sur vostre sommeil du costé du matin, et non pas le soir, et je m'asseure que vous vous en porteres mieux.

  A014001298 

 J'appreuve que, si ce n'est quelquefois que l'on a besoin de repos, on ne dorme pas du tout son saoul; mais pour faire que cela ne nuyse point, en lieu de dormir, il faut un peu faire plus d'exercice pour dissiper les humeurs que le manquement du sommeil a laissé indigestes.

  A014001298 

 Pour le reste des austerités, ne vous en donnes point d'extraordinaire, car vostre complexion et vocation requiert que vous ne le facies pas; ni je n'appreuve pas une grande retraitte pour le present, car il est mieux, pour l'acquisition des vertus, de les exercer emmi les contradictions; et ne faut [136] point en cela se descourager, ains user de preparation frequente pour s'y bien comporter..

  A014001305 

 Ce sera tous-jours quand je pourray que vous aures de mes lettres; mais maintenant c'est de meilleur cœur que je vous escris, parce que M. [de] Moyron, present porteur, est mon plus proche voysin de cette ville, mon grand amy et mon allié, par le retour duquel vous me pourres escrire en toute asseurance; et si l'image de la Mere Therese estoit faite, il la prendroit, payeroit et apporteroit, ainsy que je l'en ay prié..

  A014001306 

 Je vous dis donq qu'il faut que vous ayes une speciale attention a vous y tenir douce, et qu'estant levee le matin, sortant de l'orayson, revenant de la Messe ou Communion, et tous-jours quand vous rentres en ces affaires domestiques, il vous faut estre attentive a commencer doucement, et coup sur coup regarder vostre cœur, voir s'il est doux, et s'il ne l'est pas, l'addoucir avant toutes choses; que s'il l'est, il en faut loüer [137] Dieu, et l'employer aux affaires qui se presentent, avec un soin special de ne point le laisser dissiper..

  A014001306 

 Mais, ma Fille, il m'est advis que je ne vous dis pas bien par ma derniere lettre ce que je desirois touchant vos menuës, mais frequentes impatiences es occurrences de vostre mesnage.

  A014001307 

 Invoqués souvent l' unique et belle colombe de l'Espoux celeste, affin qu'elle impetre pour vous un vray cœur de colombe, et que vous soyes colombe non seulement volant par l'orayson, mais encor dedans vostre nid et avec tous ceux qui sont autour de vous..

  A014001308 

 Si je sçavois que madamoyselle nostre chere seur Jacob fust la, je la saluerois aussi, et sa petite Françon, comme je fay vostre Magdeleine qui est encor mienne..

  A014001315 

 Je ne treuve rien de plus doux a mon imagination que de voir ce celeste petit Jesus entre les bras de ce grand Saint, l'appellant mille et mille fois: Papa, en son langage enfantin et d'un cœur filialement tout amoureux..

  A014001315 

 Je prens avidement cette commodité de vous escrire, quoy qu'elle soit un peu pressante, pour respondre a vostre derniere lettre, toute marquee de suavité, du jour [139] du grand Pere saint Joseph, grand Amy du Bienaymé, grand Espoux de la Bienaymee du Pere celeste, qui a voulu que son Filz celeste fust repeu entre les lys de cette Espouse et de cet Espoux.

  A014001316 

 Dieu sçait que j'irois au bout du monde pour vous mettre la mitre en teste, et serois jaloux si un autre me ravissoit cet honneur..

  A014001316 

 Or sus, venés donq, mon tres cher Frere, et que ce soit par mon ministere que vous soyes orné de ce grand caractere du sacerdoce evangelique, affin qu'en certaine façon [140] tres veritable, mais que le sang et la chair n'entend pas, nous contractions par ce moyen un parentage spirituel que la mort mesme, ni les cendres de nos cors ne pourront desfaire et qui durera eternellement, et pour lequel mon esprit aura une reelle relation de paternité, filiation et fraternité avec le vostre.

  A014001324 

 N'attendes pas de moy maintenant que je vous escrive a souhait, car bien que ce soit par mon frere, si n'ay-je pas beaucoup de loysir et si je ne sçai s'il passera a Dijon; mais je sçai bien pourtant qu'il fera rendre seurement ma lettre..

  A014001325 

 Mon Dieu, c'est un docteur des-ja! C'est un grand erreur, ce me [141] semble, de tant differer ce bien en cet aage, auquel les enfans ont plus de discours a dix ans que nous n'en avions a quinze.

  A014001327 

 Je suis bien ayse de sçavoir que cette fille soit en paix avec monsieur Chevrier.

  A014001328 

 Eh bien, ma chere Fille, Dieu soit loué: pourveu que nostre ame soit coloree du vermeil de la charité, il ne nous doit pas chaloir que nous ayons les pasles couleurs.

  A014001329 

 Il faudra corriger les autres sur iceluy, car je l'ay corrigé par tout, tant que j'ay peu..

  A014001329 

 Je pensois vous envoyer plusieurs livres, mais l'imprimeur m'a manqué de parole de les m'envoyer; je crains que vous en aurés la plus tost que moy icy.

  A014001329 

 Je vous envoye neanmoins celuy-ci, que j'ay emprunté d'une dame qui l'avoit, affin que, s'il est possible, vous ayes le [142] premier de ma part.

  A014001330 

 Dieu soit a jamais nostre amour, ma chere Fille, et croyés que je suis en luy tout particulièrement vostre..

  A014001333 

 Ne dites pas que je vous ay envoyé ce livre, jusques a ce que je puisse en envoyer davantage..

  A014001341 

 Ce n'est pourtant pas que mon entendement ne veuille ceder a vostre jugement, duquel il revere extremement l'authorité et la reconnoist pour souveraine en son endroit; mais c'est qu'il luy est advis que vous n'aves pas bien conceu la bonté et sincerité de ses intentions pour ce regard.

  A014001341 

 Permettés moy, je vous supplie tres humblement, cette petite opiniastreté; car vrayement, tout aussi tost que vous aves voulu que je bannisse des lettres que je vous envoye le tiltre de Monseigneur, mon opinion s'est soudainement deslogee de ma volonté, laquelle est irrevocablement sousmise a la vostre; mais elle s'est sauvee dans mon entendement, ou elle s'est tellement retranchee que je suis en peyne d'entreprendre sa sortie.

  A014001342 

 Et a cet argument ne satisfait pas la response, que tous les prestres estoyent censés saintz, heureux, peres, et que par consequent il failloit qualifier les Evesques sur iceux: non, Monseigneur, car tous ces tiltres regardoyent leur estat, leur dignité, leur Ordre..

  A014001342 

 Je dis donq, avec vostre congé: premierement, que je vous puis appeller Monseigneur, et que ce tiltre n'est pas trop grand pour vous, ni de moy ni d'aucun autre Evesque.

  A014001343 

 Car, quelle rayson y a-il que j'appelle les princes du siecle Messeigneurs, et non pas ceux quos constituit Dominus principes populi sui? Et ne sert a rien de dire: Non dominantes in cleris; car, comme non debetis dominari, sic nostrum subjici.

  A014001343 

 Je dis secondement, que non seulement je puis vous appeller Monseigneur, mais il est expedient que je le fasse, et seroit bon que cela se fist par tous les Evesques.

  A014001343 

 Puisque nous ne pouvons refuser aux princes mondains ce tiltre d'honneur, ne ferions-nous pas bien de nous esgaler, tant qu'en nous est, a eux pour ce regard, desquelz on peut dire que derident nos juniores [hoc] tempore, quorum non audebant patres cum sacerdotibus minoribus incedere..

  A014001344 

 C'est pourquoy, puisque le Pape mesme vous appelleroit Monseigneur, il est seant que j'en face de mesme..

  A014001344 

 Je dis, troysiesmement, qu'il est bien seant; car encor que l'Italie et la France sont separees et qu'il ne faut pas porter le langage de l'Italie en France, si est ce que [144] l'Eglise n'est pas separee; et le langage, non pas de la cour, mais de l'Eglise de Romme, est bon par tout en la bouche des ecclesiastiques.

  A014001345 

 Il ne reste a resoudre que l'argument fondamental de vostre volonté, mais il ne se peut resoudre; car ce n'est que vostre humilité: ut qui major est dignitate, sit potior humilitate.

  A014001345 

 J'y respons néanmoins, et dis que j'appelle ainsy tous les Evesques a qui j'escris en esprit de liberté, et les rends esgaux quant a cet honneur exterieur, laissant a mon interieur de donner diverses mesures de respect, sous un mesme mot, selon la diversité de mes devoirs; comme a vous, Monseigneur, c'est, je vous asseure, avec une reverence toute cordiale, toute particuliere..

  A014001346 

 J'attendray vos commàndemens pour y obeir, car en somme, je suis prest a deposer toute sorte d'opinions que vous n'appreuveres pas, et suivre en tout et par tout vos volontés; mais je vous demande pardon pour ce coup.

  A014001346 

 Vostre dilection, qui souffre tout et qui est non seulement patiente, mais debonnaire, me rendra excusable, vous asseurant que je suis.

  A014001346 

 Voyla ce que je vous puis dire, allant, comme je vay dans une heure, monter en chaire.

  A014001353 

 Et quand je dis en bien faysant, je ne veux pas dire que s'il vous arrive quelque defaut, vous vous addonnies a la tristesse pour cela.

  A014001353 

 Non, de par Dieu, car ce seroit joindre defaut a defaut; mais je veux dire que vous perseveries a vouloir bien faire, et que vous retournies tous-jours au bien, soudain que vous connoistres de vous en estre esloignee, et moyennant cette fidelité, que vous viviés tous-jours bien joyeuse..

  A014001353 

 Ouy, ma Fille, je vous dis par escrit aussi bien que de bouche: res-jouisses vous tant que vous pourres en bien faysant, car c'est une double grace au bon œuvre, d'estre bien fait et d'estre fait joyeusement.

  A014001354 

 Pour le general, j'ay a vous dire, outre l'ancien escrit que je vous renvoye, que vous deves tenir le cloistre et le dortoir fermé aux hommes: ainsy la closture s'en fera doucement..

  A014001355 

 Je vous ay dit la rayson pourquoy toutes s'y doivent confesser, ce qui ne sera point grief a aucune; car celles qui voudront ne se confesseront que d'un jour ou de deux, s'estans prealablement confessees, et celles qui voudront pourront en user autrement..

  A014001356 

 Il faut que ce soit vous, ma Fille bienaymee, qui ayés l'administration des pensions; mais deputés une des Dames, qui, sous vostre authorité, ayt soin de tenir le conte de ce qui s'en employe..

  A014001357 

 Il sera a propos, en ces petitz Chapitres, de recommander souvent la mutuelle et tendre dilection des unes aux autres, et de tesmoigner que vous l'aves en leur endroit, mais particulierement envers celle de laquelle vous m'escrives, laquelle il faut, par charité, revoquer a une bonne et douce intelligence et confiance avec les autres.

  A014001358 

 Vous treuveres bien, ce croy-je, les premiers advis que je vous escrivis il y a cinq ans, de la façon avec laquelle vous devies doucement reduire tous ces espritz a vostre bon dessein.

  A014001358 

 Vous y verres beaucoup de choses que, pour briefveté, je ne diray pas maintenant..

  A014001359 

 Mais je croy que ses parens la feront revenir; et, estant revenue, vous la traitteres doucement et avec grande patience..

  A014001359 

 Quant a celle qui est absente, il faut escrire et a elle et a son frere, que, pour la plus grande gloire de Dieu, salut de vos ames, edification du prochain et honneur de vostre Monastere, vous aves pris resolution avec toutes vos Seurs Religieuses de vivre plus retirees dans vostre Mayson qu'on n'a pas fait ci devant; et que la chose estant si raysonnable et honneste, vous ne doutes point qu'elle ne s'y veuille ranger: dont vous la conjurés et sommés, par l'obeyssance qu'elle vous a vouee et hors laquelle elle ne peut faire son salut, luy promettant qu'elle ne treuvera, ni en vous ni es autres, sinon une douce et tres amiable conversation, laquelle seule, outre [147] son devoir, peut la semondre a une sainte retraitte; et choses semblables.

  A014001359 

 Que si en fin elle ne revient, vous luy envoyeres qu'elle se determine donques de n'estre plus receuë, et d'estre forclose de sa place.

  A014001360 

 Lisés tous les jours un quart d'heure dans les livres spirituelz, et ce, devant qu'aller a Vespres ou que les dire, quand vous n'y pourres pas aller..

  A014001360 

 Ne vous tourmentes point encor que vous ne puissies pas avoir vos sentimens si fortz que vous desireries, car c'est la bonne volonté que Dieu requiert.

  A014001361 

 Baysés souvent vostre croix que vous portes; renouvellés les bons propos que vous aves faitz d'estre toute a Dieu, immediatement devant le coucher, ou y allant, ou en vostre oratoire, ou ailleurs; et faites un plus grand renouvellement par demie douzaine d'aspirations et d'humiliations devant Dieu..

  A014001363 

 Mais resouvenés-vous donq bien de ce que je vous ay commandé de la part de Nostre Seigneur, auquel je vous recommande, le suppliant, par sa Mort et Passion, qu'il vous comble de son saint amour et vous rende de plus en plus toute sienne..

  A014001363 

 Vous ne sçauries tenir un chemin plus asseuré que celuy de la sainte obeyssance: c'est pourquoy je me resjouis grandement que vous y soyés affectionnee, pour l'intention que me marqués.

  A014001363 

 Voyés-vous, ma tres chere et bonne Fille, entreprenés de vous acquerir un grand courage au service de Nostre Seigneur; car, pour asseuré, sa Bonté vous a choisie pour se servir de vous, pourveu que vous le veuillies, pour [148] le restablissement de sa gloire et salut des ames en vostre Mayson.

  A014001364 

 Pour moy, ma tres chere Seur, ma Fille bienaymee, j'ay une volonté fort entiere a vous cherir, honnorer et servir; et jamais rien ne m'ostera cette affection, puisque c'est en ce mesme Sauveur et pour luy que je l'ay prise, estant a jamais,.

  A014001373 

 C'est de tout mon cœur que je vous escris esgalement avec respect et confiance.

  A014001373 

 Celle ci procede de la connoissance que j'ay de la sincerité de vostre bienveuillance en mon endroit, et celuy la de la multitude des riches qualités qui decorent le rang que vous tenes en l'Eglise de Dieu; auquel, bien que je vous aye devancé quant au [149] tems, je vous voy neanmoins si loin devant moy en toute autre façon, que c'est le moins que je veuille et doive faire que d'user exactement d'une reciproque reverence en vostre endroit.

  A014001373 

 Et si vous ne vous esties pas mis a l'extremité du plus haut point d'honneur envers moy, je me fusse essayé de vous en rendre plus que vous ne m'en donnes; mais il faut que je demeure vaincu, tant parce que vous sçaves tout mieux faire que moy, que d'autant que le lieu d'ou sort l'honneur que vous me faites luy donne un poidz si excessif que je n'ay rien qui le puisse esgaler.

  A014001386 

 Ne regardons jamais tant ce quil propose que nous ne considerions ce qu'il cele..

  A014001386 

 Que vous seres heureuse, ma chere Fille, si vous perseveres a mespriser les promesses que le monde vous voudra faire, car en vray ( sic ) verité ce n'est qu'un vray trompeur.

  A014001387 

 Demeures ainsy, je vous prie, et croyes-moy, faites en une resolution si forte et si sensible que nul n'en doute plus..

  A014001387 

 Il est vray, sans doute, c'est une grande assistence que celle d'un bon mari; mais il en est peu, et pour bon qu'on l'ayt, on en reçoit plus de sujettion que d'assistence.

  A014001388 

 L'exercice auquel vous estes maintenant vous servira d'un petit martire, si vous continues a joindre les travaux que vous y aurés avec ceux du Sauveur, de Nostre Dame et des Saintz et Saintes qui, emmi la variété et multiplicité des importunités que leur soin leur donnoit, ont conservé inviolablement l'amour et la vraye devotion a la tressainte unité de Dieu, en qui, pour qui et par qui ilz ont conduit leurs vies a une fin tres heureuse.

  A014001388 

 Que puissies vous donq comm'eux conserver et sacrer a Dieu vostre cœur, vostre cors, vostr'amour et toute vostre vie..

  A014001405 

 Ces quattre lignes vous asseureront que je continue de toute mon affection au desir de vous rendre toute ma vie tres humble service, car, quant au reste des nouvelles, le porteur vous les dira suffisamment, sinon que monsieur Valladier m'a escrit n'a guere une lettre toute pleyne de lhonneur et respect quil vous porte, ne m'obligeant pas peu de m'en parler comm'a un homme tout uny et conjoint a vous..

  A014001407 

 Faites moy cette faveur que de me conserver en la vostre, a laquelle je correspondray fidellement par autant de tres humble affection [152] que vous en pouves desirer de celuy qui vous souhaite toute prosperité et benediction, demeurant,.

  A014001407 

 Il faut que je m'en glorifie au pres de vous qui, avec moy, estimés si praetieusement son amitié.

  A014001424 

 Desirant sçavoir avant le depart de M me de Chantal que c'est que je pouvois esperer du gentilhomme qui croyoit de pouvoir guerir vostre jambe, je luy fis dire par M me de Chantal mesme toute l'origine et le progres de vostre mal, car je ne le sçavois pas.

  A014001424 

 Il vint donques, et ayant encor ouy M me de Chantal, il respondit que non obstant toutes les difficultés quil y avoit a la cure de ce mal, il espereroit de vous guerir, mais que pour cela il faudroit du loysir..

  A014001425 

 Et de peur que nous n'ayons oublié quelque chose en la qualité de ce mal, qui fit la chose plus aysee qu'elle n'est, le filz de cet homme la allant a Dijon pour autre chose, c'est a dire a la suite d'un gentilhomme qui est fort de mes amis, j'ay fait quil ira au Puis d'Orbe mesme, affin d'apprendre par monsieur du May toutes les particularités plus exactement, et apporter une bonne et veritable description de toute l'affaire.

  A014001426 

 Il est vray quil seroit tous-jours a mon grand contentement en ce que j'aurois le bien de vous voir et entretenir; mais si aussi vostre santé corporelle en soufFroit, ce me seroit bien du desplaysir.

  A014001426 

 J'ay creu que je ferois bien d'user de cette methode, affin de ne point vous engager au voyage de deça mal a propos; duquel, si le succes n'estoit pas selon mon desir, je serois extremement marri.

  A014001426 

 Or, le tracas d'un si long chemin pourroit sans doute vous beaucoup apporter de peril, et, comme que ce soit, j'ay esperance de vous revoir dans quelque tems, sans tant d'incommodité pour vous.

  A014001426 

 Que si Dieu nous estoit [154] si misericordieux que vous puissies guerir par l'operation de ce viel homme, alhors non seulement je ne craindrois pas de vous donner la peyne le faire le voyage, mais je vous y provoquerois pour vous gouverner un peu a souhait en vostre esprit..

  A014001427 

 Cette lettre n'a point d'autre sujet que celuy ci, esperant de vous escrire de rechef par a itre voye dans peu de jours.

  A014001427 

 Et tandis, resouvenes vous, ma chere Fille, que Dieu vous invitant au chemin des peynes et travaux, vous tesmoigne un doux amour paternel et quil veut rendre vostre ame purement sienne, comm'il fera si vous vous encouragés souvent a souffrir pour l'amour de luy, auquel soit a jamais gloire et louange..

  A014001442 

 C'est mon deir tres ardent, principalement lhors que je repasse en ma memoyre l'affection, la confiance et le zele avec lequel vous reposastes un jour vostr'ame (d'autant mienne) et vostre volonté sur ma direction..

  A014001442 

 Je vous escrivis avant hier sur le sujet de vostre jambe; maintenant je vous escris sur celuy de mon cœur qui vous cherit d'un amour extreme, et pour cela, pense [155] continuellement comment, en quoy et quand il pourra tellement servir le vostre, que celuy de vostre Espoux, nostre tres doux Sauveur, en soit satisfait et content.

  A014001443 

 Or sus, Dieu me fera la grace qu'il ne se passera pas beaucoup de tems que je ne vous revoye; et lhors, certes, il faudra voir une conclusion de tous nos bons desseins, affin que si nous ne faysons pas tant de chemin que la chaleur de nostre premiere devotion nous faysoit entreprendre, nous en fassions pour le moins autant que, tout boiteux que nous sommes, nous en pourrons faire.

  A014001444 

 C'est en luy que je suis, ma chere Fille, tout entierement vostre..

  A014001450 

 Et bien, ma chere Fille, vous verres que le plus grand mal que vous ayes fait c'est de vous estre troublee de vostre imbecillité; car si vous ne vous fussies point inquietee apres le premier choppement, mais que tout bellement vous eussies repris vostre cœur en vos mains, vous ne fussies pas tumbee au second.

  A014001450 

 Or, au bout de tout cela, il faut reprendre courage et vous affermir de plus fort en nos saintes resolutions, sur tout en celle de nous point inquieter, ou au moins de nous appayser a la premiere veiie et reflexion que nous ferons sur nostr'inquietude..

  A014001451 

 Ce mot la: «Je suis bien toute deschiree, moy,» ne fut pas bon au sujet sur lequel il fut dit; car, ma chere Fille, il nous faut bien suivre la compassion au prochain et l'humilité pour nous mesme, ne pensans pas aysement que le prochain ayt jamais trop d'ayse, ni que nous en ayons trop peu.

  A014001452 

 Je suis bien ayse de la venue de la bonne seur, a laquelle je doy une longue response, que je feray, Dieu aydant, avec un peu de loysir.

  A014001462 

 Et parce qu'il est l'un des plus apparens convertis qui soyent sortis de Geneve, je supplie tres humblement Vostre Altesse de luy estre secourable, comm'elle l'est a tous ceux qui ont leur refuge en sa debonnaireté, tandis que je continueray tous-jours a luy souhaitter le comble des graces celestes, demeurant,.

  A014001474 

 Je suis tout plein d'esperance que Nostre Seigneur sera de plus en plus fidellement servi, obei et honnoré de vous, qui est le plus grand bien que je vous puisse souhaitter..

  A014001474 

 Que vous seres heureuse si vous embrasses [158] constamment ce dessein! La pauvre petite seur [de la Thuille], qui s'en est allee si chrestiennement et si soudainement, a bien resveillé mon esprit a l'amour de ce souverain Bien auquel toute cette courte vie doit estre rapportee.

  A014001475 

 La multitude des ennuis que vous aves es affaires de vostre mayson (desquelz mon bon frere me parla l'autre jour) vous serviront infiniment pour rendre vostre ame vertueuse, si vous vous exerces a supporter le tout en esprit de douceur, de patience et de debonnaireté.

  A014001475 

 Tenes tous-jours bien vostre cœur bandé a cela, et considerés souvent que Dieu vous regarde de son œil d'amour parmi toutes ces petites incommodités et brouilleries, pour voir comme vous vous y comportes selon son gré.

  A014001485 

 Or sus, ma chere Niece, ma Fille, vous voyla donq aupres de monsieur vostre pere que vous regardes comme une image vivante du Pere eternel; car c'est en cette qualité que nous devons honneur et service a ceux desquelz il s'est servi pour nous produiré.

  A014001486 

 Vrayement, je croy fort bien que vous fustes vivement touchee en vous separant de vostre chere mere, car elle m'escrit que, de son costé, elle fut extremement pressee; mais un jour cette societé durera eternellement [160] s'il plaist a l'Eternel, et en attendant, demeurons tous bien unis en son saint amour..

  A014001487 

 Dieu vous veut aussi sevrer, ma chere Niece, et vous faire manger des viandes solides, c'est a dire des viandes dures, car de plus solides il n'y en a point au Ciel ni en la terre que la sainte Communion; mais son refus, qui est plus dur a vostre ame qui aspire a son saint amour, requiert aussi des desirs plus fortz..

  A014001487 

 J'admire que monsieur N. se soit persuadé cette opinion, que l'on ne puisse pas communier sans ouyr la Messe, car non seulement elle est sans rayson, mais elle est sans apparence de rayson.

  A014001487 

 Puisque toutefois il faut que vous passies par la, multiplies tant plus les communions spirituelles, que nul ne vous peut refuser.

  A014001497 

 J'ay sceu, il y a quelque tems, le desir que celuy qu'elle nomme a de me rencontrer; et certes, je ne l'ay pas moindre en cela, esperant que s'il prestoit une fois l'oreille a la sainte parole, avec le bon jugement qu'il a et moyennant la grace de Dieu, il pourroit voir la lumiere celeste..

  A014001497 

 Mais il n'est pas besoin d'escrire tout cela a M me de Mioudry, que je loue beaucoup du bon zele qu'elle a a la reduction de ces pauvres ames.

  A014001497 

 Quant au livre de la Croix, il est vray que le ministre La Faye s'est essayé d'y respondre; mays il l'a fait d'une telle sorte que mes amis n'ont jamais voulu que je prisse seulement la peyne de penser a repliquer, tant la response leur a semblé indigne, et ont creu que mon livre fournissoit asses de defenses [161] contre ceux qui l'attaquent, sans que j'y adjoustasse chose du monde.

  A014001498 

 Je croy bien que vous aves le cœur sujet aux secousses, ainsy que vous m'escrives; mais vous verres que, moyennant la grace de Dieu, il s'affermira petit a petit..

  A014001499 

 Ce porteur m'a dit que monsieur vostre mary viendra demain icy et j'auray le bien de le voir.

  A014001499 

 Je crois neanmoins que malaysement pourra-elle sortir du lieu ou elle est..

  A014001499 

 Ma bonne cousine et la vostre seroit, ce me semble, bien accompaignee de cette vertueuse damoyselle que je luy ay souhaittee, apres qu'elle mesme m'eut dit que vous luy en avies parlé; car, connoissant cette ame-la, j'ay esperé que la réncontre seroit bonne.

  A014001514 

 Comment est-il possible, disoit saint Gregoire a un Evesque, que les orages de la terre esbranslent si fort ceux qui sont au Ciel? S'ilz sont au Ciel, comme sont-ilz agités de ce qui se passe en la terre? O Dieu, que cette leçon de la sainte constance est requise a ceux qui veulent serieusement embrasser leur salut!.

  A014001514 

 Voyci la troisiesme fois que je vous escris depuis vostre despart, ma chere Seur, ma Fille.

  A014001515 

 Il est vray que cette imaginaire insensibilité de ceux qui ne veulent pas souffrir qu'on soit homme, m'a tous-jours semblé une vraye chimere; mais aussi, apres qu'on a rendu le tribut a cette partie inferieure, il faut rendre [163] le devoir a la superieure, en laquelle sied, comme en son throsne, l'esprit de la foy qui doit nous consoler en nos afflictions, ains nous consoler par nos afflictions.

  A014001515 

 Que bienheureux sont ceux lesquelz se res-jouissent d'estre affligés et qui convertissent l'absynthe en miel!.

  A014001516 

 Il ne faut pas que je vous die, ma chere Fille, combien affectionnement je vous recommande a Nostre Seigneur, car c'est avec un cœur tout nouveau et qui va tous-jours s'aggrandissant de ce costé-la.

  A014001517 

 A Dieu, ma chere Fille, que mon ame ayme et cherit incomparablement, absolument, uniquement en Celuy qui, pour nous aymer et se rendre nostre amour, s'est rendu a la mort.

  A014001525 

 Et comme ceux qui cheminent sur la corde tiennent tous-jours en leurs mains le baston de contrepoidz, pour balancer leurs cors justement en la varieté des mouvemens qu'ilz ont a faire sur un si dangereux plancher, vous deves aussi fermement tenir la sainte Croix de Nostre Seigneur, affin de marcher asseurement parmi les perilz que la varieté des rencontres et conversations pourront apporter a vos affections; en sorte que tous vos mouvemens soyent balancés au contrepoidz de l'unique et tres aymable volonté de Celuy auquel vous aves voué tout vostre cors et tout vostre cœur.....

  A014001525 

 Je vous escrivis l'autre jour, mais mon cœur qui vous cherit tendrement, ne se peut assouvir de vous en rendre [164] au moins ce foible tesmoignage de vous escrire le plus souvent que je puis.

  A014001525 

 Vivés toute en Nostre Seigneur, ma chere Fille; que ce soit l'eau dans laquelle vostre cœur nage.

  A014001526 

 Et allés, chere Niece, je veux dire, chemines tous-jours courageusement de vertu en vertu, jusqu'à ce que vous ayes atteint le souverain degré de l'amour divin.

  A014001526 

 Mais jamais vous ne l'atteindres, puisque cet amour sacré n'est nomplus fini que son object, qui est la souveraine Bonté..

  A014001527 

 Ouy, ma Fille, je vous souhaite l'abondance de l'amour divin, qui est et sera eternellement l'unique bien de nos cœurs, qui ne nous ont esté donnés que pour Celuy qui nous a donné tout le sien..

  A014001534 

 Encor faut-il un peu condescendre a cette pauvre fille, qui est vrayement bonne, quoy qu'infirme; et pour cela je luy dirois volontier qu'elle vint, si je ne craignois l'inquietude et la diversité de sentimens que messieurs vos parens en prendront.

  A014001534 

 Il se peut neanmoins faire qu'ilz l'auront aggreable; et si vous connoisses que ce soit tout a la bonne foy et simplement qu'ilz l'auront aggreable, vous pourres fort librement luy donner courage de venir, et venir vous mesme, dans les mesmes conditions.

  A014001534 

 Je respons briefvement mais exactement a vostre lettre que le curé de Sessel m'a rendue.

  A014001534 

 Je vay ainsy reservé en ce dessein, parce que je doute que les congés qu'ilz accordent ne soyent pas donnés de bon cœur, et la dessus se disent mille choses..

  A014001535 

 Et si, il ne faut pas que ce soit si tost, par ce que nous avons un peu de soupçon de guerre, qui s'evacuera, et que Monsieur le Duc de Nemours doit passer icy pour quelques jours, pendant lesquelz je ne pourray pas l'abandonner.

  A014001535 

 Or, quand elle se resoudra de venir, il faut que ce soit sans bruit et tout simplement, comme pour venir a Saint Trivier et a Saint Claude, et vous aussi, et la bonne madamoyselle de Puligni aussi, si ell'est de la trouppe, [166] affin d'eviter les curiosités de ceux qui voudront tout enquerir.

  A014001535 

 Si que, si vous prenes resolution, il faudra prendre le tems un peu bien avant, vers le moys d'aoust, sur la fin, ou sur le commencement de septembre; car quant au moys de julliet, je seray hors d'ici, et si, il me faudra aller consacrer un digne Evesque que nous avons a Beley, action laquelle, bien qu'elle soit courte, si est ce qu'elle me tient en suspens par ce que je ne sçai pas le tems precisement..

  A014001536 

 Au demeurant, croyes que j'auray bien de la consolation si je vous puis voir entre nos montaignes, qui sont toutes en fort bon air, et nous vous gouvernerons toutes avec du loysir, Dieu aydant.

  A014001536 

 En un mot, prenes garde que vos congés soyent donnés franchement, et cela estant, ce me sera un grand contentement de vous voir un peu parmi nous, quoy que vous n'y seres nullement bien traittees... encor que nous voulussions; mais vous seres receues par certaine sorte de cœur ( sic ) qui ne sont pas vulgaires..

  A014001537 

 Et pour reparer ce manquement, il faut que vous facies au double des oraysons jaculatoires, et que vous appliquies le tout a Dieu par un acquiescement entier a son bon playsir qui [167] vous separe aucunement de luy, vous donnant cet empeschement la a la meditation; mais cet ( sic ) pour, vous unir plus solidement a luy par l'exercice, de la sainte et tranquille resignation.

  A014001537 

 Quant a la meditation, les medecins ont rayson: tandis que vous estes infirme, il s'en faut sevrer.

  A014001537 

 Que nous importe-il que nous soyons avec Dieu ou d'une façon ou d'autre? En verité, puisque nous ne cherchons que luy et que nous ne le treuvons pas moins en la mortification qu'en l'orayson, sur tout quand il nous touche de maladie, il nous doit estre aussi bon de l'un que de l'autre; outre que les oraysons jaculatoires, les eslancemens de nostr'esprit sont des vrayes continuelles oraysons, et la souffrance des maux est la plus dign'offrande que nous puissions faire a Celuy qui nous a sauvés en souffrant.

  A014001538 

 Quant a la Communion, continues tous-jours, et il est vray que je vous ay dit quil n'estoit nul besoin d'ouir la Messe pour se communier les jours ouvriers, ni mesme les jours de feste, quand on en a ouy une devant ou qu'on en peut ouir un'apres, quoy qu'entre deux on face beaucoup d'autres choses: cela est vray..

  A014001539 

 Je vous dis comme saint Paul: Faysons bien tandis que nous en avons le tems, mais tous-jours avec moderation.

  A014001539 

 Ne vous inquietes point de ne pouvoir pas servir Dieu selon vostre goust, car en bien vous accommodant a vos incommodités vous le servires selon le sien, qui est bien meilleur que le vostre.

  A014001539 

 Pour le legat, sur l'apprehension de vostre mort, vous le pourres bien faire, mais il faut que ce soit avec moderation, en telle sorte que cela ne soit pas a trop grande charge aux vostres, car vous leur donneries sujet de refuser, ou de murmurer et se troubler.

  A014001552 

 Mais je treuvois mon pectoral bien plus riche, encor quil ne fut composé que d'une seule pierre, qui est la perle orientale que la Mere perle conceut en ses entrailles chastes, de la benite rosee du ciel; car voyes vous, je tenois ce divin Sacrement bien serré sur ma poitrine, et m'estoit advis que les noms des enfans d'Israel estoit ( sic ) tous marqués en iceluy.

  A014001552 

 Mon Dieu, que mon cœur est plein de choses pour vous dire, ma Fille tres uniquement chere, car c'est aujourdhuy le jour de la grande feste de l'Eglise, en laquelle portant le Sauveur a la procession, il m'a, de sa grace, donné mille douces pensees emmi lesquelles j'ay eu peyne de reprimer les larmes.

  A014001552 

 O Dieu, je mettois en comparayson le grand Prestre de l'ancienne Loy avec moy, et considerois que ce grand Prestre portoit un riche pectoral sur sa poitrine, orné de douze pierres pretieuses, et en iceluy se voyoyent les noms des douze tribus des enfans d'Israel.

  A014001553 

 Ah! que j'eusse bien voulu que mon cœur se fut ouvert pour recevoir ce pretieux Sauveur, comme fit celuy du gentilhomme duquel je vous fis le conte; mais helas! je n'avois pas le couteau quil failloit pour le fendre, car il ne se fendit que par [169] l'amour.

  A014001553 

 L'espervier et le passereau de saint Joseph me revenoyent en l'esprit; et me sembloit que j'estois chevalier de l'ordre de Dieu, portant sur ma poitrine le mesme Filz qui vit eternellement en la sienne.

  A014001554 

 Voyla ce que je vous puis dire maintenant, a ce retour de vostre cher et brave neveu, qui a esté si courtoys que d'arrester volontier ces quattr'ou cinq jours avec nous.

  A014001556 

 Et ma petite fille, encor faut-il que je luy envoie un petit bayser d'amourette, puis qu'elle se fie en moy; que sil estoit mal fait, je le luy donnerois pas.

  A014001556 

 O ma Fille, mon cœur est plus vostre que mien; a jamais Nostre Seigneur y regne.

  A014001565 

 Je suis marry que je n'ay plus tost receu la salutation que maistre Constantin m'avoit apporté de vostre part; car j'eusse eu plus de loysir de vous escrire selon mon cœur, qui est si plein d'affection pour vous et vous cherit si fort qu'il ne peut se contenter de vous entretenir pour un peu..

  A014001566 

 Je vis avec beaucoup de contentement de sçavoir que vostre ame est toute dediee a l'amour de Dieu, auquel vous pretendes de vous avancer petit a petit, par toutes sortes de saintz exercices.

  A014001566 

 Mais je vous recommande tous-jours plus que tout, celuy de la sainte douceur et suavité [171] es rencontres que cette vie vous presente sans doute souventesfois.

  A014001566 

 Que vous seres heureuse, tres chere Seur, ma Fille, si vous continues a vous tenir a la main de sa divine Majesté, entre le soin et le train de vos affaires, lesquelles reussiront bien plus a souhait quand Dieu vous y assistera; et la moindre consolation que vous en aures sera meilleure que les plus grandes de celles que vous pourries avoir de la terre..

  A014001567 

 Ouy, ma chere Fille, ma Seur, que je vous ayme, et plus que vous ne sçauries croire; mais principalement des que j'ay veu en vostre ame ce digne et honnorable desir de vouloir aymer Nostre Seigneur avec toute fidelité et sincerité; a quoy je vous conjure de perseverer constamment, et de m'aymer tous-jours bien entierement, puisque je suis, d'un cœur tout entier et fidelle,.

  A014001576 

 Puisque Dieu a choisi un nombre de personnes fort petit, et encor des moindres de la Mayson en aage et [172] en credit, il faut que le tout s'entreprenne avec une tres grande humilité et simplicité, sans que ce petit nombre face semblant de vouloir reprendre ou censurer les autres par paroles ni par gestes exterieurs; ains que simplement il les edifie par bon exemple et conversation..

  A014001577 

 La palme, reyne des arbres, ne produit son fruit que cent ans apres qu'elle est plantee.

  A014001577 

 Le commencement estant si petit, il faut avoir une grande longanimité a la poursuitte, et se resouvenir que [173] Nostre Seigneur, apres trente-trois ans, ne laissa que six vingtz disciples bien assemblés, entre lesquelz il y en eut encores beaucoup de discoles.

  A014001578 

 Et pour venir au particulier, mon advis est que toute vostre sainte brigade soit soigneuse de se communier devotement, a tout le moins une fois chaque semaine.

  A014001579 

 Il me semble qu'on doit garder la chemise pour l'honnesteté, pourveu toutefois que le collet ne soit pas immoderement estendu, ains fort sobrement et d'une mesme maniere.

  A014001579 

 Quant a l'habit, je ne pense pas qu'il soit a propos de le changer qu'apres que l'annee sera expiree; bien desirerois-je qu'il fust en tout le plus uniforme que faire se pourra, tant en sa forme qu'en sa matiere, et que le froc fust large, a la façon des Benedictins reformés.

  A014001580 

 Que chacun ayt le sien, et qu'ilz soyent tellement disposés, qu'en se couchant ou levant on ne se voye point les uns les autres, affin que les yeux mesmes soyent mondes et netz..

  A014001581 

 J'appreuverois fort que ceux qui portent barbe fussent bien rasés a la teste et au menton, selon les anciennes coustumes des Benedictins; et que, tant qu'il sera possible, on n'allast plus seul a seul, ains tous-jours avec un compaignon..

  A014001582 

 Il sera expedient qu'aux divins Offices le petit troupeau entre, demeure et sorte ensemblement, avec mesme [174] contenance et ceremonie, d'autant que la composition exterieure, soit aux Offices, soit a table, soit en public, est un puissant motif pour beaucoup de bien..

  A014001585 

 Sur tout prenes garde d'user de lait et de miel, parce que les viandes solides ne pourroyent pas encor estre maschees par les foibles dens des invités..

  A014001596 

 Pressé par le sieur Pergod de vous representer la priere qu'il vous a ci devant faitte, je n'ay sceu refuser, bien que, de vostre grace, monsieur de Vallon m'aye communiqué vos affaires, lesquelles, comme je croy, ne vous permettront pas d'embrasser pour le present celleci..

  A014001597 

 Pour moy, qui suis ennemi juré des cours, j'appreuve tout ce que Dieu dispose, comme le meilleur, et me res-jouis de l'honneur que nous aurons de vous posseder avec plus de loysir, et tirer les fruitz aggreables de vostre conversation et [176] de l'amitié sincere que vous portes a celuy qui vous cherit, respecte et honnore d'un cœur tres fidelle, et qui est,.

  A014001608 

 Cette fause estime de nous mesmes, ma chere Fille, est tellement favorisee par l'amour propre, que la rayson ne peut rien contre elle.

  A014001608 

 Helas! c'est la quatriesme chose difficile a Salomon, et laquelle il dit luy avoir esté inconneuë, que le chemin de l'homme en sa jeunesse.

  A014001608 

 Que longuement puisse il jouir de ce bonheur!.

  A014001609 

 Mais attendés, ma tres chere Seur, attendés, dis je, en [177] attendant, affin que j'insere des paroles de l'Escriture.

  A014001609 

 O ma Fille, croyés que mon cœur attend le jour de vostre consolation avec autant d'ardeur que le vostre.

  A014001610 

 Et quand je dis de mon ame, je dis de toute mon ame, y comprenant celle que Dieu luy a conjointe inseparablement..

  A014001610 

 Et tout plein de petites traverses et secrettes contradictions qui sont survenues a ma tranquillité, me donnent une si douce et suave tranquillité que rien plus, et me presagent, ce me semble, le prochain establissement de mon ame en son Dieu, qui est certes, non seulement la grande, mais, a mon advis, l'unique ambition et passion de mon cœur.

  A014001611 

 C'est, ce me semble, comme le guy, qui croist et paroist sur un [178] arbre et en un arbre, bien que non pas de l'arbre ni par l'arbre.

  A014001611 

 Et puisque je suis sur le propos de mon ame, je vous en veux donner cette bonne nouvelle: c'est que je fay et feray ce que vous m'aves demandé pour elle, n'en doutes point; et vous remercie du zele que vous aves pour son bien, qui est indivis avec celuy de la vostre, si vostre et mien se peut dire entre nous pour ce regard.

  A014001611 

 Je vous diray plus: c'est que je la treuve un peu plus a mon gré que l'ordinaire, pour n'y voir plus rien qui la tienne attachee a ce monde et plus sensible aux biens eternelz.

  A014001611 

 Mais, ma Fille, comment donques se peut il faire que sur une telle volonté tant d'imperfections paroissent et naissent en moy? Non certes, ce n'est pas de ma volonté ni par ma volonté, quoy qu'en ma volonté et sur ma volonté.

  A014001611 

 O Dieu, pourquoy vous dis-je tout ceci, sinon parce que mon cœur se met tous-jours au large et s'espanche sans borne quand il est avec le vostre?.

  A014001611 

 Que si j'estois aussi vivement et fortement joint a Dieu comme je suis absolument disjoint et aliené du monde, mon cher Sauveur, que je serois heureux, et vous, ma Fille, que vous series contente! Mais je parle pour l'interieur et pour mon sentiment; car mon exterieur, et, ce qui est le pis, mes deportemens sont pleins d'une grande varieté d'imperfections contraires, et le bien que je veux, je ne le fay pas; mais je sçay pourtant bien qu'en verité et sans feintise je le veux, et d'une volonté inviolable.

  A014001612 

 Et moy, cependant, je prieray Nostre Seigneur pour elle, car sur les bonnes nouvelles que vous m'en donnes, je commence a l'aymer tendrement, la pauvre femme.

  A014001612 

 Si vous demeuries de dela, je serois bien ayse d'entreprendre le service que le Reverend Pere N. desire de moy pour cette dame; mais cela n'estant point, il me semble qu'un autre qu'elle aura moyen de voir plus souvent, se rendra plus utile a ce bon œuvre.

  A014001613 

 Je vous suis ce que Dieu sçait.

  A014001622 

 Mais puisque, comme vous m'advertisses, ces Messieurs de l'autre costé ont fait choix de celuy qui parlera pour leur pretendue religion, nommé le lieu et marqué la Version qu'eux desirent employer a cet effect, il m'est advis que c'est a bon escient qu'ilz traittent; et en cette persuasion, je vous diray que j'accepte tres volontiers que ladite conference se fasse dedans la ville de Geneve et que ce soit a la Version de la Bible imprimee a Anvers, a laquelle nous nous arrestions..

  A014001622 

 N'ayant eu nul advis de vous sur le sujet de la conference de laquelle vous m'escrives, despuis la premiere [179] fois que vous pristes la peyne de m'en venir parler, j'en avois laissé le soin, bien que non pas la memoire.

  A014001623 

 Et pour moy je proteste que je ne m'y porteray point avec esprit de contention, car je ne l'ay point, ni pour y faire paroistre aucune suffisance aux sciences, car je n'en fay nulle profession, mais simplement et tout a la bonne foy pour l'esclarcissement de la sainte verité..

  A014001624 

 Et a cette intention, je desire que nous ne [nous] employons qu'a l'examen du fond des difficultés, et qu'on choisisse entre icelles les plus importantes pour les esplucher par les moyens desquelz auparavant il sera requis que nous convenions ensemble; a quoy, de mon costé, j'apporteray toute la franchise et facilité que je pourray, apres que vous m'aures adverti de la reciproque volonté de ces Messieurs pour ce particulier..

  A014001641 

 Laissant donq en arriere toute sorte de praefaces, je vous remercie humblement du soin que vous avés d'acheminer le dessein de me faire jouir encor une bonne fois de vostre presence en vostre Paris.

  A014001641 

 Puisque je sçai que vous croyés la verité que je vous ay si souvent juree d'estre tres absolument et invariablement vostre par inclination, par election et par un extreme amour, je ne vous feray point d'excuse du long tems que j'ay mis a vous escrire, car je suis asseuré que vous ne l'interpreterés nullement en mauvaise part.

  A014001642 

 Que j'estois ayse en cette petite ombre d'esperance que j'avois conceue de me treuver a Paris aupres de vous, comme je faysois souvent par l'imagination, avec laquelle je prenois le tems de cette jouissance desiree!.

  A014001643 

 Et puisque je suis sur ce sujet, je diray encor quil y a trois jours que je receu une lettre de monsieur de [182] Santeül, qui, de la part de monsieur Perrochel, me semont a la chaire de Saint Gervais pour l'an 1611, et me dit que l'on en a parlé avec monsieur des Hayes, mon arch'intime.

  A014001644 

 C'est pourquoy j'attendray encor un peu, avant que d'en donner la derniere resolution audit sieur de Santeul, et ce pendant luy diray chose pour laquelle il devra conseiller a ce seigneur de ne point s'attendre a moy; car aussi bien, en tout evenement, si j'avois ma liberté pour ce tems-la, il me manqueroit pas de chaire en une ville ou il y en a tant..

  A014001644 

 Monsieur de Santeul dit que, si je veux, le Roy en escrira a Son Altesse; mais, comme vous sçavés, cest honneur seroit un petit trop chaud et pesant pour moy.

  A014001644 

 Or, je reviens a ce que je disois: c'est que je n'ose encor dire que non, tandis que j'espere que l'accommodement des Princes accommodera peut estre ces affaires; ni aussi je ne veux dire qu'ouy, ne pouvant avoir null'asseurance.

  A014001645 

 Au demeurant, voyant que Dieu le veut, je m'arreste de tres bon cœur icy, et prens, en eschange de la satisfaction que j'aurois de vous voir, l'ayse que j'ay a penser en vous, a parler de vous avec ceux qui vous honnorent, et sur tout a vous cherir d'un amour tendre et respectueux, autant qu'homme du monde..

  A014001646 

 Au passage de Monsieur, je me fourreray le plus avant que je pourray en cett'entreprise, et auray bon loysir d'y penser, puisque on ne l'attend que sur la fin du moys auquel nous sommes.

  A014001646 

 Encor faut il que je vous die que nous avons despuis peu nostre monsieur de Charmoysi, avec lequel je me suis entretenu ce matin trois grosses heures sur son depart de la mayson de Monsieur, et ay treuvé que certes il a [183] eu plusieurs bonnes raysons de le faire, qui seroyent trop longues a deduire; neanmoins il m'a dit que tous-jours il s'accommoderoit a ce que ses amis, et sur tout vous et moy luy conseillerions.

  A014001646 

 Je ne crains sinon d'offencer ma conscience en cela, car je n'ay pas si bonn' opinion de la cour que je ne pense que Dieu soit mieux servi hors d'icelle qu'en icelle, et saint Augustin avoit cette solemnelle resolution de ne conseiller jamais a personne la suite des cours.

  A014001646 

 Je vay pensant comme je pourrois faire pour servir d'instrument a la reparation de tout cela, mais je voy la chose malaysee, car les oreilles de Monsieur se remplissent tous les jours de plus en plus de persuasions contraires, que ceux qui n'ayment pas monsieur de Charmoysi ont tout loysir et advantage de faire.

  A014001647 

 Mais si vous continues de vouloir faire le voyage a la Sainte Baume, ne doutes pas que vous ne m'ayes pour [184] associé a vostre pelerinage, car ce n'est pas sortir de Savoye d'aller a Marseille, pourveu que ce soit sur le Rosne, auquel nous contribuons tant d'eaux et tant de sable; et nostre cher petit Evesque, mais grand Praelat, sera bien ayse de nous faire l'hospitalité en passant, moyennant un sermon que je feray a son peuple, qui, oyant parler de Geneve, y viendra tout entier, huguenotz et Catholiques pesle mesle.

  A014001648 

 Et puis qu'elles favorisent ce chetif livret de l'Introduction a la Vie devote, je vous supplieray, dans trois semaynes, de leur en faire a chacune un present de ceux que je vous envoyeray de la seconde edition, et autant que la commodité le permettra; a laquelle j'ay adjousté beaucoup de petites chosettes, selon les desirs que plusieurs dignes juges m'ont tesmoigné d'en avoir, et tous-jours regardant les gens qui vivent en la presse du monde..

  A014001680 

 Ilz sont, pour la plus part, en scrupule de leur religion, quoy que, quand on leur en parle directement, ilz fassent semblant d'estre bien asseurés, par rayson d'Estat.

  A014001680 

 Je loueray pour cela grandement que l'offre se face, puisqu'il ne peut nuire et peut grandement prouffiter..

  A014001680 

 Je ne doute nullement que l'offre d'une douce et amiable conference avec ceux de Geneve ne soit tres utile [188] en ce tems, auquel ilz sont venus en quelque sorte de desir d'en avoir une, au moins a ce que j'apprens par les continuelz advis que j'ay de divers propos qu'ilz tiennent.

  A014001680 

 Si donques ilz acceptent l'offre, il y a de l'apparence d'un grand fruit; s'ilz le refusent, la gloire en demeurera pour l'Eglise, et le refus accroistra le soupçon que plusieurs ont de n'avoir pas la rayson de leur costé.

  A014001681 

 Une lettre a celuy que vous escrives, sera fort a propos; mais il faut qu'elle soit presentee par quelqu'un qui aye asses d'asseurance pour le presser de faire responce, en cas qu'il voulust la supprimer et faire le fin; a quoy quelque notable personne de la Franche Comté, qui fust des villes avec lesquelles ceux de Geneve ont commerce, seroit fort sortable.

  A014001682 

 Et puisque vous me sommés de vous dire franchement mon advis sur la lettre que vous luy escrives, je vous diray que je n'appreuve pas que vous luy proposies si distinctement le dessein de la façon de proceder que vous voules tenir, car il suffira bien de le faire quand ce viendra au joindre et au faire; et il n'est pas expedient que maintenant vous vous engagies en aucune sorte de controverse, d'autant qu'en traittant plus avant de la conference, vous treuveres peut estre qu'il sera mieux de prendre un autre biais.

  A014001682 

 Et si, je ne laisseray pas encor de dire mon opinion sur lès moyens que vous proposes, puisque je suis obligé a la naïfveté et franchise en l'amitié que nous avons ensemble et que je sçay que vostre esprit correspond au mien en cela..

  A014001682 

 Il seroit donq mieux pour ce coup de demeurer en cette generale proposition, que vous monstreres que leur religion est manifestement contraire aux Saintes Escritures, sans venir a la particuliere declaration des [190] moyens que vous voules tenir pour ce faire; car ainsy vous ne vous obliges a rien qu'a la fin de vostre intention, et laisses les moyens en liberté, pour les choisir par apre a vostre gré.

  A014001683 

 Cette generale controverse des Versions est grandement utile entre les gens doctes, et quand vous ne regarderies que les ministres, elle seroit sans doute extremement a propos.

  A014001683 

 Et quand je dis le peuple, je veux dire les Seigneurs des deux Conseilz, qui ne sont que marchans et certains gens de peu..

  A014001683 

 Mais s'il faut avoir soin d'esbransler le peuple, il faudra entreprendre quelque point auquel plusieurs puissent discerner de la rayson ou du tort; car en celuy des Versions, pour peu que les ministres tiennent contenance (comme ilz feront, estans des plus asseurés menteurs et des plus opiniastres mattois du monde), le peuple, des-ja incliné a leur suite, demeurera plus engagé en leur parti.

  A014001684 

 Comme par exemple: sur ce que vous m'escrives, de convaincre l'insuffisance de l'Escriture seule pour le parfait gouvernement de l'Eglise, sur ce mot d'«insuffisance de l'Escriture,» ilz crieroyent tous blasphemant.

  A014001684 

 J'aymerois donq mieux advouer que l'Escriture est tres suffisante pour nous instruire de tout, et dire que l'insuffisance est en nous, qui, sans la Tradition et sans le magistere de l'Eglise, ne sçaurions nous determiner du sens qu'elle doit avoir, ni des consequences qu'on en peut tirer pour la direction et gouvernement du peuple Chrestien; car en cette sorte, la chose demeurant la mesme, l'explication est plus specieuse et plausible a ceux aux oreilles [191] desquelz on ne fait que crier que nous mesprisons les saintes Lettres..

  A014001684 

 Sur tout il m'est advis qu'il faut grandement estre attentifz a la façon de proposer la doctrine catholique, en sorte que, comme la rayson est de nostre costé, aussi l'apparence, le lustre et la speciosité ne nous defaillent point.

  A014001685 

 Si je croyois que vous ne conneussies pas mon cœur, je ne traitterois pas si librement; mais je me confie en Nostre Seigneur que vous sçaves que je ne fay rien ni dis rien avec vous que sur les gages de vostre sincere amitié, et qu'en vous proposant mes petites pensees, vous les adjusteres a la rayson avec autant de franchise que je les vous presente..

  A014001686 

 Je veux finir, en vous suppliant de continuer en ce bon dessein, lequel, de quel costé qu'on le tourne, ne peut que reuscir a la grande gloire de Dieu.

  A014001693 

 En ceci, la dilation ne peut nuire, mon Reverend Pere; et je sçai tout maintenant par un advis, que si la conference se fait, il sera voirement bien requis que nous nous voyons, non pour autre chose, que parce que l'humeur de ce peuple la m'estant familiere, je vous pourray dire plusieurs [192] choses qui vous serviront en cette sainte et tres prouffitable entreprise..

  A014001693 

 Hier je vous escrivis le billet ci-joint; et despuis, ayant derechef consideré l'advis du Pere Provincial, je le treuve entierement bon, car le retardement ne peut estre que prouffitable; car tandis, l'ouverture se fera, a mon advis, plus grande et raysonnable par divers moyens que j'y employeray soigneusement, Dieu aydant.

  A014001694 

 Je viens de recevoir [avis] que nous ferons mieux d'attendre, pour une certaine defiance en laquelle ilz sont, de l'armee de Flandre.

  A014001694 

 Ne doutés point que [je] ne veille a cela, et vous en reposes sur moy..

  A014001704 

 Que puissies-vous bien tost guerir, si c'est la plus grande gloire de Dieu, ma tres chere Fille; si moins, que puissies-vous amoureusement souffrir, tandis qu'ainsy le requerra la Providence celeste, affin que, guerissant ou souffrant, le bon playsir divin soit exercé.

  A014001704 

 Selon la sainte et parfaitte amitié que Dieu m'a donnee pour vous, ma tres chere Fille, j'ay de la peyne de vostre maladie.

  A014001705 

 J'espere en Nostre Seigneur que vous vous tiendres tous-jours en sa main, et que, par consequent, jamais vous ne trebuscheres du tout.

  A014001705 

 Que si, a la rencontre de quelque pierre, vous choppes, ce ne sera que pour vous faire tant mieux tenir sur vos gardes, et pour vous faire de plus en plus reclamer l'ayde et le secours de ce doux Pere celeste, que je supplie vous avoir a jamais en sa sainte protection.

  A014001705 

 Que vous puis-je plus dire, ma chere Fille, sinon ce que je vous ay si souvent dit, que vous allies tous-jours vostre train ordinaire le plus que vous pourres, pour l'amour de Dieu, faysant plus d'actions interieures de cet amour, et encor des exterieures, et sur tout contournant tant que vous pourres vostre cœur a la sainte douceur et tranquillité: a la douceur envers le prochain, quoy que fascheux et ennuyeux; a la tranquillité envers vous mesme, quoy que tentee ou affligee, quoy que miserable.

  A014001714 

 [Ayant appris par] les remonstrances que me fait le sieur [194] curé de Beaumont, que plusieurs des sujetz de vostre Mayson refusent de luy payer les premices, lesquelles neanmoins ilz luy doivent comme estant ses parroissiens, avant que de prendre aucun autre expedient pour l'ayder en sa juste intention selon mon devoir, j'ay voulu vous supplier d'user de l'authorité que vous aves sur ces refusans, pour les reduire a la rayson, esperant que vostre sage entremise aura tout le pouvoir requis pour l'effect de mon equitable desir, comme la mienne aura le credit envers vostre bienveuillance d'en obtenir le secours que je souhaitte a cet honneste et bon curé, lequel, je m'asseure, vous est des-ja asses recommandable, comme aussi il m'a tesmoigné qu'il vous honnore et revere de tout son cœur..

  A014001715 

 Je n'employeray pas davantage de paroles pour vous exprimer mon affection en ce point, non plus [que] pour vous offrir derechef mon humble service, que je vous supplie accepter et tenir tous-jours pour tout asseuré.

  A014001727 

 Mais la varieté des affaires que M. de Lux a treuvés icy et les resistences des ministres nous ont porté sans rien faire jusques a ce jourdhuy de saint Mathieu, que j'ay dit la premiere Messe a Sessi despuis 73 ans.

  A014001728 

 Je ne m'en vante pas, non, car il [196] y eut peu de prudence en cette resolution-lâ; mais, comme vous sçaves, ce n'est pas ma vertu que celle la..

  A014001728 

 Vous aures sceu comme je traversay Geneve sous la conduite de mon bon Ange, et cela seulement per non parer poltrone et pour verifier que qui ambulat simpliciter, ambulat confidenter, et avec la profession de ma qualité.

  A014001748 

 Il fut des-ja publié l'annee passee, mais si imparfait que je n'osay pas l'exposer a la veuë d'un si grand Prince; maintenant qu'il est un peu moins mal accommodé, j'en prens la hardiesse, porté par la seule consideration de cette douce bonté qui a tous-jours aggreablement receu les foibles tesmoignages de mon invariable fidelité.

  A014001748 

 Je supplie Vostre Altesse de regarder de son œil de faveur ce petit livret que je luy offre en toute humilité.

  A014001748 

 L'infinie varieté des occupations que ma charge me pousse incessamment sur le bras, adjouste beaucoup a mon insuffisance, pour m'empescher de bien faire de telz ouvrages; mais s'il plaist a Dieu de se servir de moy en cet exercice d'escrire, il m'en donnera des commodités..

  A014001749 

 C'est pourquoy, devant aller bien tost en ce païs-la pour le mariage de l'un de mes freres avec la fille du baron de Chantal, selon la declaration que Vostre Altesse a faitte de l'avoir aggreable, j'envoyeray expres sur le lieu pour avoir de tout cela une attestation authentique, laquelle, s'il est vray ce qu'on m'a dit, sera une des plus belles marques de la sainteté de ce glorieux Prince que l'on ait recouvert jusques a present..

  A014001749 

 Dans peu de jours, j'en [198] envoyeray un'autre de l'image que j'ay treuvee a Sesse, revenant de Gex ou j'estois allé pour establir l'exercice catholique en quelques parroisses.

  A014001749 

 J'envoye a Vostre Altesse l'attestation de l'estat de deux images et de quelques autres particularités qui regardent l'estime que l'on a eu de la sainteté du serenissime et glorieux Amé.

  A014001750 

 Or, maintenant il desire laisser les mesmes marques a son filz aisné, affin que l'une et l'autre production tesmoigne a la posterité le bonheur qu'il a eu d'avoir esté serviteur aggreable d'un si grand Prince.

  A014001750 

 Oseray-je bien, Monseigneur, présenter encor ce mien [199] souhait a Vostre Altesse? Le sieur president Favre a mis sur le front des beaux livres qu'il a composés et que les nations estrangeres admirent, les marques de sa fidelité envers Vostre Altesse et de l'honneur qu'il a receu d'elle.

  A014001750 

 Pour cela, Monseigneur, sachant que les affections et services hereditaires sont les plus fermes, je souhaitterois qu'il pleust a Vostre Altesse s'incliner a cette requeste, de l'enterinement de laquelle se respandra une bonn odeur qui fera connoistre a chacun que sa providence s'estend jusques a prendre soin des enfans de ceux qui l'ont fidellement servie, pourveu qu'imitateurs de leurs peres, ilz s'en rendent dignes..

  A014001763 

 Apres avoir donné gloire a Dieu pour le nouveau restablissement de l'exercice catholique en deux parroisses du balliage de Gex, que monsieur le baron de Lux vient de faire, j'en rens graces a la providence royale de Vostre Majesté, de la pieté delaquelle ces pauvres peuples ont receu ce bien infini.

  A014001764 

 Quant a moy, Sire, je contemple en ces reparations de la sainte Eglise, une des rares qualités qui font connoistre et reconnoistre en Vostre Majesté, le sang et le cœur du grand saint Louys et de Charles Maigne, l'un et l'autre des plus grans restaurateurs du service de Dieu que les Chrestiens ayt ( sic ) jamais veu..

  A014001765 

 Et puis que je dois ce tesmoignage a la verité, je vous diray, Sire, que celuy que jusques a present Vostre Majesté a employé comme son instrument pour l'execution de ses volontés en cet endroit, a un zele qui ne peut rien oublier et une prudence qui ne sçauroit jamais rien gaster, qui est tout ce qui se peut desirer en une si digne et importante affaire..

  A014001766 

 Je supplie incessamment Dieu quil vous face la grace, Sire, d'exalter de plus en plus sa divine Majesté, affin que, reciproquement, il benisse et prospere de plus en plus la vostre royale, a laquelle faysant tres h[umble]................................................................................

  A014001777 

 Je fay response a l'autre conseil que nostre seur desiroit de moy..

  A014001777 

 Nostre seur a bien fait de m'advertir de ces petites tricheries de paroles que cette pauvre Religieuse va semant; car cela me peut servir et ne peut nuyre a personne, puisque je ne suis point despiteux, et pour cela ne laisseray pas de penser a quelque moyen d'ayder cette chetifve ame qui, a mon advis, est pleyne de legereté et inconstance, plus tost que de malice.

  A014001778 

 Il ne faut voyrement pas se haster de soy mesme; mais de recevoir les graces que Dieu nous donne, ce n'est pas se haster, pourveu qu'on se contienne en humilité et dedans les exercices auxquelz nostre vocation nous oblige..

  A014001778 

 Non, il ne faut point avoir ces craintes; mais, en vous humiliant et reconnoissant que vous estes toute inutile, esperes en la grandeur de la misericorde divine qu'elle vous sera propice de plus en plus.

  A014001778 

 Pour vous, ma chere Fille, je loüe Dieu des sentimens de l'amour que vous aves envers luy, sur lesquelz il ne faut point faire ces curiosités, de penser que sa divine Majesté vous l'ostera pour vostre inutilité.

  A014001779 

 L'exercice que vous m'aves envoyé est bon, mais prenes garde qu'en l'execution vous n'abbandonnies point la resolution de vous mortifier es rencontres que vostre vocation vous fera faire..

  A014001780 

 J'envoye le livre ci joint a nostre seur, et me reserve [203] a vous en envoyer un a mon retour, n'en ayant pas, pour le present, que ce quil me faut pour porter ou je vay.

  A014001780 

 Je vous recommande M me de Charmoysi qui est toute malade, a ce que me dit M. de Charmoysi, et un ( sic ) bonn' œuvre que nous allons entreprendre pour le bien de plusieurs ames..

  A014001792 

 Oüy bien, peut estre, que l'experience m'avoit apris de ne point estre dur aux ames revesches, tandis quil y avoit esperance de les gaigner par douceur..

  A014001793 

 Ell' a rayson de dire que je luy parlay a son advantage, car je ne luy parlay que pour son bien, mais sans flatterie et rondement, selon les sentimens que j'en avois..

  A014001793 

 Je croy que quant a Monsieur de Belley, je n'en auray parlé qu'avec le compas de la sincere dilection avec laquelle je l'honnore, car je sens bien en mon ame que j'ay de l'affection a son estime.

  A014001794 

 Que si neanmoins on voyoit que la chose retumbast souvent a mesme rencontre, je vous aymerois mieux en vostre chambre.

  A014001794 

 Vrayement je ne voudrois nullement que si les promenades tendent a la rencontre de ces galantz hommes, vous vous y treuvassies; mais si cette fois-la ce fut par hazart, il n'en faut pas pour cela se scabrer.

  A014001811 

 Mais il faut que je prie ma bonne niece, si elle [est] aupres de vous, de me faire la charité d'un petit bain de sauge pour mon pied, que je vous porte un peu boiteux..

  A014001811 

 Mais qu'il me tarde que je sois vers vous! Je n'y seray neanmoins qu'un peu tard, car nos chevaux sont recreuz [206] des grandes journees que nous avons faites.

  A014001820 

 Je vous escrivis n'a gueres en response de la lettre que vous m'avies envoyee sur le sujet de la Congregation des prestres reformés, vous tesmoignant le desir que [207] j'avois de contribuer a une si utile entreprise tout ce qui depend de moy; et ne pouvant disposer de l'absence de mon diocese requise pour cette œuvre, je vous asseurois que, si tost que je serois arrivé a Neci, j'escrirois au Saint Pere pour avoir son commandement sur cela.

  A014001820 

 Or, despuis j'ay pensé que si on pouvoit faire [que,] de dela, le Nonce du Saint Siege qui reside a Paris escrivist en faveur [208] de ce dessein la, il le rendroit fort aysé; qui m'a fait vous escrire encor des icy, pour ne rien oublier de mon costé, de tout ce que je croyois pouvoir estre utile a faire reuscir une chose de si grand poix pour le bien de l'Eglise.

  A014001828 

 Que s'il exauce mes prieres, vous vivres tous longuement, heureusement et saintement en ce monde, et eternellement, glorieusement et tres [heureusement] en l'autre; car ce sont les souhaitz continuelz que je feray meshuy devant sa divine Majesté, pour vous et pour vostre ville, estant,.

  A014001828 

 Vous m'obligés extremement par le desir que vous aves de mes preications, lesquelles seront utiles a vostre peuple, si Dieu me donne autant de force comm' il m'a donné [209] de courage et d'affection de vous rendre du service.

  A014001841 

 Je reçois une particuliere consolation a vous parler en ce langage muet, apres que tout le jour j'ay tant parlé a tant d'autres en langage parlant.

  A014001841 

 Or sus, si faut-il vous [210] dire ce que je fay, car je ne sçai presque rien autre, et encor ne sçai je gueres bien ce que je fay..

  A014001842 

 Je viens de l'orayson, ou, m'enquerant de la cause pour laquelle nous sommes en ce monde, j'ay appris que nous n'y sommes que pour recevoir et porter le doux Jesus: sur la langue, en l'annonçant; sur les bras, en faysant des bonnes oeuvres; sur nos espaules, en supportant son joug, ses secheresses, ses sterilités, et ainsy en nos sens interieurs et exterieurs.

  A014001842 

 O que bienheureux sont ceux qui le portent doucement et constamment! Je l'ay vrayement porté tous ces jours sur ma langue, et l'ay porté en Egypte, ce me semble, puisqu'au Sacrement de Confession j'ay ouy grande quantité de penitens qui, avec une extreme confiance, se sont addressés a moy pour le recevoir en leurs ames pecheresses.

  A014001843 

 J'y ay encor appris une prattique de la presence de Dieu, laquelle, en passant, j'ay resserree en un coin de ma memoire pour vous la communiquer, si tost que j'auray leu le traitté qu'en a fait le Pere Arias..

  A014001844 

 Courage, ma Fille, tenés vous bien serree aupres de vostre sainte Abbesse, et la suppliés sans fin que nous puissions vivre, mourir et revivre en l'amour de son cher Enfant..

  A014001844 

 Sçaves vous que je dis estendant vostre corporal pour la consecration? Ainsy, dis je, puisse bien estre estendu le cœur de celle qui me l'a envoyé, sous les sacrees influences de la volonté du Sauveur.

  A014001845 

 Vive Jesus qui m'a rendu tout vostre, et plus que je ne puis dire.

  A014001852 

 La nouvelle que mon jeune frere m'a donnee de vostre meilleure santé m'a fort consolé, et neanmoins je ne laisse pas d'appreuver l'advis de mon cosin Chaudens, que le sieur Marcofredo soit consulté sur vostre santé, ou le faysant venir a Sales, ou, si vous le pouvés, allant vous mesme a Geneve pour trois ou quattre jours; mais en ce dernier cas, il faudroit faire le voyage bien tost pour praevenir les grandes froideures..

  A014001853 

 Or, en tout cela, il ny a pas grand mal; mais je desire pourtant bien que, petit a petit, vous vous desfacies et desengagies de ces petites pensees, lesquelles sont entierement inutiles et infructueuses, et outre cela, elles tiennent la place d'autres cogitations meilleures et aggreables a Nostre Seigneur.

  A014001853 

 Si mon frere m'eut aussi bien sceu dire en quel estat estoit vostre esprit, ma consolation eut esté plus grande; mais il ne m'a sceu dire, sinon que par fois vous esties asses joyeuse et par fois triste, et que vous n'avies pas [212] voulu que l'on vous fit des souliers, estimant que vous ne vivrés pas asses pour les user.

  A014001854 

 Il faut, ma chere Mere, ne plus vous amuser a certaines considerations qui ne servent a rien et sont de trop peu de valeur pour occuper l'esprit; et, ayant mis doucement l'ordre qui se peut mettre aux affaires, sil ( sic ) vont bien, en louer Dieu, sil ( sic ) ne vont pas si bien que vous desireriés, puisque vous ne pouves pas mieux faire de vostre costé, remettre le tout entre les bras de Dieu qui, en fin, conduit toutes choses selon quil voit expedient a nostre bien..

  A014001856 

 Je vous envoye deux lettres de Dijon, et vous souhaittant toutes les graces que Nostre Seigneur donne a ses loyales serventes, je demeure,.

  A014001872 

 Demeurés ainsy, chere Fille, et, comme un autre petit saint Jean, tandis que les autres mangent a la table du Sauveur diverses viandes, reposés et penchés, par une toute simple confiance, vostre teste, vostre ame, vostre esprit sur la poitrine amoureuse de ce cher Seigneur; car il est mieux de dormir sur ce sacré oreiller, que de veiller en toute autre posture .........................................................[214].

  A014001872 

 O Dieu, quel bonheur d'estre ainsy entre les bras et les mammelles de Celuy duquel l'Espouse sacree disoit: Vos tetins sont incomparablement meilleurs que le vin.

  A014001872 

 Vous croires bien mieux que nous sommes venus a bon port, ma chere Fille, quand vous en verres ce petit tesmoignage de ma main.

  A014001877 

 Ayant esté pres de deux mois entiers en Bourgoigne, partie au duché, pour assister aux noces de mon frere de Groysi, qui doit tant estre vostre serviteur, partie au comté, pour l'execution d'un commandement que le Pape avoit confié a Monsieur l'Evesque de Basle et a moy conjointement, j'ay treuvé a mon retour la lettre [215] que vous avies pris la peyne de m'escrire par le bon monsieur de Soulfour, qui passa a Chamberi tandis que j'estois sur mon voyage; lettre, comme toutes les autres, pleyne des marques de ce grand et fort amour que vous me portés, et duquel je suis reciproquement amoureux de toute l'estendue de mon cœur, et autant glorieux qu'homme du monde a qui vous le sceussies departir..

  A014001878 

 Et tandis, je m'esclarciray aussi de mon costé d'un autre que j'ay treuvé a mon retour, fort inopinement, lequel (affin que je vous le die, Monsieur, a qui je voudrois estre tous-jours tout ouvert) consiste en un esclarcissement d'un ombrage que quelqu'insolent a fait par l'interposition de sa calomnie, entre l'esprit de Son Altesse et moy, comme si j'avois certaine intelligence sur ma miserable Geneve, pour y entrer et regner par autre moyen que celuy de sa grace.

  A014001878 

 Le fondement du mesdisant a esté dix ou douze jours entiers que je fus a Gex ce mois de septembre passé, et ou allant, par une certaine imprudente hardiesse, je passay tout au travers de Geneve, apres avoir fait dire a la porte a celuy qui marchoit immediatement devant moy, que j'estois Monsieur l'Evesque, et escrire en la bullette: Franç.

  A014001878 

 Si vos affaires retardent nostre pelerinage a la Sainte Magdeleyne, il n'en sera que tant plus delicieux un'autre fois, quand vous les aures heureusement achevees comme je souhaite.

  A014001879 

 Le tems, mon innocence, mais sur tout la providence de Dieu, accommodera tout cela: dequoy neanmoins j'ay escrit a Son Altesse tout ce quil m'en sembloit, ayant premierement sceu qu'elle s'estoit laissé porter a quelque sorte de desfiance de moy; de maniere que j'en demeure en tout bon repos.

  A014001879 

 Sur tout cela, donq, on a fait cet argument: Qu'a-il tant fait a Gex, et qui luy a donné cett'asseurance de passer en cette ville tant ennemie du nom quil porte et de sa qualité, et en laquelle ses praedecesseurs ne sont jamais entrés des la revolte, sans saufconduit, sans se desguiser, sans desadvouer sa qualité? Mais en vray ( sic ) verité, ilz ont peu de connoissance de mon ame, s'ilz me jugent si plein de consideration et d'apprehension que je ne puisse pas faire une petite temerité.

  A014001880 

 Je desirerois bien y pouvoir beaucoup, comm'aussi de sçavoir, le tems estant venu, que Paris ayt un chef auquel mon cœur ayt tant d'alliance et de correspondance d'amitié comm'il a avec vous..

  A014001880 

 Quant a celles de ce pais, nous nous res-jouissons grandement en l'esperance de voir un bon fruit du voyage de monsieur de Jacob et attendons que Monsieur vienne pour passer en France, achever ce mariage que nous desirons tant et qu'on differe tant.

  A014001881 

 J'auroys honte de tout cela, si vostre faveur ne devoit couvrir la nudité qui y est, comm' encor ce que j'ose vous addresser tant de lettres qui sont en ce pacquet..

  A014001881 

 J'envoye ces trois livres aucunement corrigés de tant de fautes que l'imprimeur y a laissé glisser.

  A014001881 

 Je les [217] offre a madame vostre chere moytié et un, par son entremise, a madamoyselle de Touteville, sinon que vous en voulussies prendre la peyne vous mesme, et un autre a madame la Marquise de Menelay.

  A014001914 

 En retour, je continue à vous honorer dans mon âme avec un respect et un amour tout particulier; c'est pourquoi je vous dirai brièvement quelques nouvelles de mon diocèse et ce que je fais moi-même, car je me sens obligé de vous en rendre compte..

  A014001914 

 Je vous en remercie, mon Révérend Père, et de tout mon cœur je me réjouis d'apprendre ainsi que non seulement la divine Providence vous a conservé en santé-jusqu'à ce jour, mais que, pareillement, elle m'a conservé en votre bienveillance, faveur que je tiens pour bien chère et précieuse.

  A014001916 

 Dans le bailliage de Gex, qui appartient maintenant au roi de France, la plupart des habitants sont encore huguenots; car cette maudite religion a persisté parmi eux depuis soixante-dix ans que les Bernois l'y ont implantée.

  A014001917 

 Et je crois que si leur édit (qu'ils appellent fondamental), suivant lequel le premier qui proposera le changement de religion doit être condamné a mort, si cet édit était aboli, plusieurs entreraient en pourparlers pour obtenir l'exercice du culte catholique dans une église de la cité.

  A014001917 

 Quant à la ville de Genève, la raison d'Etat la retient dans son infortune; mais il me semble que, malgré tout, la première aurore du jour spirituel commence à répandre ses lueurs parmi ses habitants, puisqu'un grand nombre d'entre eux avouent que la religion catholique est la meilleure.

  A014001918 

 Arrivé à la porte de la ville, le préposé demanda qui j'étais; je fis répondre par mon vicaire général que j'étais Monsieur l'Evêque.

  A014001918 

 Je le fis sans aucune appréhension, par une certaine hardiesse où il entrait plus de simplicité que de prudence.

  A014001919 

 J'ai voulu vous raconter cette aventure parce qu'on m'a écrit d'Italie qu'à Turin le fait de mon passage par Genève a été présenté autrement; je serai donc bien aise que vous sachiez comment la chose s'est réellement passée..

  A014001919 

 Mais en général, ils ont regardé comme un mauvais présage l'assurance que j'ai eue de passer froidement parmi eux avec mes insignes d'Evêque, et de dire à leur porte que j'étais leur Evêque; jamais pareille chose n'était arrivée depuis leur révolte.

  A014001920 

 Au demeurant, une très vertueuse et dévote dame de cette ville où je fais ma résidence, s'étant rendue à Chambéry et traitant de choses spirituelles avec le P. Fourier, recteur du collège, lui montra certains avis que je lui avais remis.

  A014001921 

 J'ai cru que si je vous en envoyais un exemplaire, à titre de [225] publication nouvelle, vous l'auriez pour agréable; voilà pourquoi je vous l'adresse par cette occasion.

  A014001931 

 Et en fin je viens a vous, ma chere Seur, ma Fille, des-ja tout recreu d'avoir tant escrit, mais resolu neanmoins de vous escrire tant que je pourray, tout a l'abandon, selon quil me viendra..

  A014001932 

 En fin, nous n'aurons que trop de gens, c'est a dire, plus que nous ne pourrons recevoir..

  A014001933 

 Helas! ceux qui me connoissent sçavent que je ne pensay jamais a intelligence et que je fay mille traitz de courage par une vraye simplicité; non pas certes simplicité d'esprit (car je ne veux pas parler doublement avec vous), mais simplicité de confiance.

  A014001933 

 Mais quand je l'appelle bourrasque, dame, ne penses pas que j'en sois agité, nomplus certes que de la moindre chose du monde; car il ny a en cela pour tout, aucun sujet de mon costé que ce beni passage que je fis a Geneve, que les calomniateurs ne peuvent s'imaginer que j'aye fait sans avoir quelqu'intelligence avec les habitans.

  A014001933 

 Or, j'en attens l'evenement, et ne voudrois pas que vous fussies icy qu'apres que cette bourrasque sera passee, qui sera bien tost, Dieu aydant.

  A014001934 

 Cependant, voyci pas une chose notable? A mon arrivee, j'ay treuvé que la moytié de nos esperances pour l'erection d'un monastere ou je croyois de pouvoir attirer nos bonnes Carmelines est abbatue, car l'une des filles que nous esperions y devoir contribuer ne s'est peu resoudre a quiter le monde.

  A014001934 

 Je vous escriray dores en avant le succes de tout, affin que, selon cela, par apres nous traittions de vostre venue a Salins ou non..

  A014001934 

 Sur cela, celuy qui manie toute la barque et duquel depend l'autre fondatrice, sans que je luy en eusse jamais parlé, sans quil en eut jamais rien apperceu, me va proposer que la mayson estant achettee et presque praeparee pour une douzaine de filles, il seroit bon de l'employer a la Congregation de quelques dames devotes, selon que jadis il avoit ouy discourir a un vieux Capucin italien.

  A014001935 

 Escrives un mot a la bonne M me la Presidente, car ell'a le cœur gros aussi bien que monsieur de Vaucroissant, et dit qu'elle ne le merite pas..

  A014001935 

 J'escris a nostre M. de Vaucroissant, qui'a tort, certes, sil croit que je ne l'ayme pas parfaittement, car certes, je le cheris tout entierement; mais voyes vous, quelques fois l'ardeur de l'amitié s'evapore en jalousie.

  A014001935 

 Je vous envoye les lettres que j'oubliay a vous porter de M me Vignod, qui est tres bonne fille.

  A014001936 

 La bonne M me de Baume fut bien consolee, quoy qu'accablé de tant de gens qui me demandoyent confession je n'eu pas tout le loysir que je desirois pour l'entretenir, car outre cela, j'avois mon grand affaire sur les bras..

  A014001936 

 Nous avons fait un fort heureux voyage au comté, et que j'y ay prié Dieu de bon cœur pour vous au saint Suaire, que l'on monstra publiquement, a ma contemplation; a la sainte Hostie et a nostre cher Saint Claude, ou je fus logé en vostre logis, et pris playsir a [229] voir le lieu ou je receu vostre confession, et fus consolé a representer ce cœur qu'en qualité de pere je presentay la premiere fois a l'autel de Saint Claude.

  A014001938 

 Ce n'est pas icy la grande lettre que je vous veux escrire, car vous voyes bien que je Cours a toutes brides.

  A014001938 

 Certes, ma Fille, mes affections sont si grandes, ce me semble, que j'espere de le faire un jour, apres que je me seray bien humilié devant Dieu.

  A014001938 

 Vive Dieu! ma chere Fille, il m'est advis que tout ne m'est plus rien qu'en Dieu, auquel neanmoins et pour lequel j'ayme plus tendrement que jamais ce que j'ayme, et sur tout nostr'ame.

  A014001939 

 Encor vous veux je dire que vostre filz a bien porté une si douce et aggreable humeur tout au long du voyage, que je l'ayme beaucoup plus que fraternellement, et sur tout quand il parle avec suavité de sa petite famme.

  A014001940 

 Je suis en luy plus vostre que je ne sçauray jamais dire en ce monde, car les paroles de cet amour ny sont pas..

  A014001941 

 La pauvre petite seur, est toute grosse, a ce que son mari m'a dit, qui se plaint de quoy ell'est un peu melancolique; je pense que dans quatre jours elle viendra..

  A014001955 

 O ma Fille, il vous faut dire ce que je luy respondis, car je l'estime aussi bon pour la maistresse que pour la servante: que je desirois que les filles de nostre Congregation eussent les pieds bien chaussés, mais le cœur bien deschaussé et bien nud des affections terrestres; qu'elles eussent la teste bien couverte et l'esprit bien descouvert, par une parfaitte simplicité et despouillement de la propre volonté..

  A014001962 

 C'est la verité, ma tres chere Fille, que rien ne nous peut donner une plus profonde tranquillité en ce monde que de regarder souvent Nostre Seigneur en toutes les afflictions qui luy arriverent despuis sa naissance jusques a sa mort; car nous y verrons tant de mespris, de calomnies, de pauvreté et indigence, d'abjections, de peynes, de tourmens, de nudités, d'injures et de toutes sortes d'amertumes, qu'en comparayson de cela nous connoistrons que nous avons tort d'appeller afflictions et peynes et contradictions ces petitz accidens qui nous arrivent, et que nous avons tort de desirer de la patience pour si peu de chose, puisqu'une seule petite goutte de modestie suffit pour bien supporter ce qui nous arrive.

  A014001963 

 Je connois fort bien l'estat de vostre ame et m'est advis que je la voy tous-jours devant moy avec toutes ces petites esmotions de tristesse, d'estonnement et d'inquietude qui la vont troublant, parce qu'elle n'a pas jetté encor asses avant les fondemens de l'amour de la croix et de l'abjection dedans sa volonté.

  A014001963 

 Vous deves donques tous les jours, non pas en l'orayson, mais a part, en vous proumenant, faire une reveuë de Nostre Seigneur entre les peynes de nostre Redemption, et considerer quel bonheur vous sera d'y participer; voir en quelle occasion ce bien la vous peut arriver, c'est a dire les contradictions que vous pourres avoir en tous vos desirs, mais sur tout es desirs qui vous sembleront plus justes et legitimes, et puis, avec un grand amour de la Croix et Passion de Nostre Seigneur, vous vous deves escrier avec saint André: «O bonne croix,» tant aymee de mon Sauveur, quand me recevres-vous entre vos bras?.

  A014001964 

 Quand nous nous reverrons, resouvenes moy que je vous parle un peu de cette tendresse et delicatesse de vostre cher cœur, car vous aves sur tout besoin, pour vostre paix et repos, d'estre guerie de cela avant toutes choses, et de bien former en vous l'apprehension de l'eternité, en laquelle quicomque pense souvent, il se soucie fort peu de ce qui arrive en ces trois ou quatre momens de vie mortelle..

  A014001965 

 Je veux bien que vous communiies, voire deux jours suivans, quand il y aura des festes.

  A014001974 

 O que l'eternité est desirable au prix de ces miserables et perissables vicissitudes! Laissons couler le tems, avec lequel nous nous escoulons petit a petit pour estre transformés en la gloire des enfans de Dieu..

  A014001975 

 C'est la derniere fois de cette annee que je vous escris, ma chere Fille.

  A014001975 

 Hé, que je vous souhaitte de benedictions, et avec quelle ardeur, cela ne se peut dire.

  A014001976 

 Au moins, parmi ces jours sacrés, mille desirs m'ont saysi de vous donner le digne contentement que tant vous souhaittes de mon ame comme de la vostre mesme, en m'avançant soigneusement a cette sainte perfection a laquelle vous aspires et pour laquelle vous respires en la faveur de ce cœur, qui, reciproquement, vous souhaitte sans fin toute la plus haute union avec Dieu qui se peut treuver icy bas..

  A014001976 

 C'est luy que je vous desire uniquement.

  A014001976 

 Il y a trois mois que je suis sans vos lettres, mais je croy que Dieu est avec vous, ce m'est asses.

  A014001977 

 C'est l'unique souhait de celuy que Dieu vous a donné..

  A014001983 

 Certes, ma chere Fille, ce n'est pas que je n'aye un cœur tout tendre pour vous, mais je suis tellement tracassé d'encombriers, que je ne puis pas escrire quand je veux.

  A014001983 

 Et puis, vostre mal, qui n'est d'autre chose que de secheresse et aridité, ne peut estre remedié par lettre; il faut en presence ouyr vos petitz accidens, et encor, apres tout, la patience et resignation en est l'unique guerison.

  A014001984 

 Et quoy que saint Pierre aymast la montaigne de Thabor et fuist la montaigne de Calvaire, celle ci toutefois ne laisse pas d'estre plus utile que celle la, et le sang qui est respandu en l'une, est plus desirable que la clairté qui est respandue en l'autre.

  A014001984 

 Mieux vaut manger le pain sans sucre que le sucre sans pain..

  A014001985 

 Je me glorifie en mes infirmités, dit nostre grand saint Paul, affin que la vertu de mon Sauveur habite en moy.

  A014001985 

 L'inquietude et chagrin qui vous arrive de la connoissance de vostre neantise n'est pas aymable; car encor que la cause en est bonne, l'effect neanmoins ne l'est pas Non, ma Fille, car cette connoissance de nostre neantise ne nous doit pas troubler, ains adoucir, humilier et abbaisser; c'est l'amour propre qui fait que nous nous impatientons de nous voir vilz et abjectz.

  A014001985 

 Or sus, je vous conjure par nostre commun amour, qui est Jesus Christ, que vous vivies toute consolee et toute tranquille en vos infirmités.

  A014001986 

 Jesus soit a jamais au milieu de ce cœur et que ce cœur soit a jamais au milieu de Jesus; Jesus vive en ce cœur et ce cœur en Jesus..

  A014001986 

 O Seigneur, benissés le cœur de ma tres chere Fille, faites-le brusler comme un holocauste de suavité a l'honneur de vostre divine dilection; qu'elle ne cherche aucun autre contentement que le vostre, ne requiere autre consolation que celle d'estre tres parfaittement consacree a vostre gloire.

  A014001987 

 Je suis en luy, plus vostre que vous ne sçauriés croire, ma chere Fille..

  A014001997 

 Estudies bien cette leçon, car c'est l'unique leçon de nostre souverain [237] Maistre: Apprenes de moy que je suis debonnaire et humble de cœur..

  A014001997 

 Vous me dites trois bons motz, ma tres chere Fille, en la lettre que j'ay receue de vous: que vous faites une grande violence pour empescher l'eslevement de vostre courage et prattiquer l'amour de l'abjection (c'est a quoy vous vous estudies maintenant), et que vous [trouvez] vos desirs plus disposés au vouloir divin qu'auparavant.

  A014001998 

 Ouy, car ce saint vouloir est tout bon et sa disposition toute bonne; mieux ne pouvons nous marcher que sous sa providence et conduite..

  A014001998 

 Que vous seres heureuse, ma chere Fille, si vous vous resignes pleynement au vouloir de Nostre Seigneur.

  A014001999 

 Mais sçaves vous ce qui me plait? C'est que vous me dites que vous me parles a cœur ouvert; car, ma chere Fille, c'est une bonne condition pour avancer selon l'esprit que d'avoir le cœur ouvert pour la fidele et naifve communication que nous devons faire entre nous, d'autant que Nostre Seigneur, qui se plait tant a communiquer son esprit aux siens, se plait aussi beaucoup a voir que nous nous entrecommuniquions les nostres, pour nous entresoulager et ayder..

  A014002000 

 La seconde chose c'est d'eslancer souvent des paroles exterieures, de bouche, semees parmi vostr'orayson plus ou moins dru, selon que plus ou moins vous vous verres attaquee des assoupissemens..

  A014002000 

 Marches donq comme cela, ma chere Fille, et ne vous troubles point pour vos assoupissemens, contre lesquelz il faut faire deux choses: l'un' est de changer souvent de contenance en l'orayson, comme de tenir tantost les mains croisees sur l'estomach, tantost jointes, tantost bandees, tantost estre debout, tantost a genoux sur un genoux, tantost sur l'autre, a mesure que les assoupissemens vous arriveront.

  A014002001 

 Dieu vous siot a jamais favorable, ma chere Fille, affin que vous cheminies bien avant en son saint amour, pour lequel je vous cheriray toute ma vie; et me recommandant de plus en plus a vos prieres, je suis.

  A014002013 

 Voyes vous, ma Fille, vostre venue luy est bien a cœur, parce qu'elle espere de servir bien Dieu en vostre personne et en celle des filles et femmes qui seront si heureuses que de vous suivre en la petite, mais sainte et aymable retraitte que nous meditons..

  A014002021 

 Il y a quelque tems que j'envoyay a Vostre Altesse Serenissime plusieurs memoires touchant l'stime et [239] veritable opinion que tout ce païs de deça avoit tous-jours eue de la sainteté du bienheureux Duc Amedee troisiesme; et je croyois que Vostre Altesse, considerant ces honnorables tesmoignages de l'eminente sainteté d'un Prince auquel elle appartient de si pres, seroit suffisamment incitee a en desirer la canonisation.

  A014002022 

 Ni ces liens reciproques ne sont point rompus par la mort, car ce sont des liens de l'amour sacré, qui est aussi fort pour les conserver que la mort pour les dissoudre..

  A014002023 

 Or, les miracles que Dieu a faitz en faveur de ce grand Prince, la grande estime de la sainteté d'iceluy que sa divine Providence a nourrie dans le cœur des peuples qui ont le bonheur d'estre sous sa couronne et de plusieurs autres circonvoysins, les histoires qui celebrent si hautement la pieté de sa vie, ce sont, Monseigneur, tout autant de sommations que ce saint Prince vous fait de luy faire les honneurs qui sont dus a son [240] excellente sainteté.

  A014002036 

 Et vous, Monsieur, me refuseres-vous la grace que je vous ay requise, de voir et recevoir monsieur vostre filz, qui recourt a vostre sein paternel [241] pour y vivre meshuy avec toute humilité et obeissance qu'il vous doit rendre? Donnes-moy, je vous conjure, Monsieur, ce contentement, que ce soit par mon entremise que ce bonheur arrive a ce filz, affin qu'il sache que je tiens un rang en vostre bienveuillance aussi grand que celuy que vous tenes en mon honneur et respect..

  A014002036 

 Mais seray-je donq ainsy esconduit es prieres que je fay a ceux que je cheris et honnore tant, et pour choses si honnestes et si justes? Monsieur d'Avully me fait attendre plus longuement, a mon advis, que ne merite une bonne et favorable resolution du mariage que je luy ay proposé.

  A014002037 

 Cet enfant se jette a vos pieds, et je vous supplie de le recevoir paternellement, ce pendant que je m'essayeray de vaincre aussi de l'autre costé monsieur d'Avully.

  A014002037 

 Encor faut-il, Monsieur, que j'adjouste a ma supplication ce mot de mon mestier.

  A014002037 

 Que si, tout en retour de mon attente, je suis par tout rejetté, je cesseray cet office d'interceder vers l'un et l'autre, mais non jamais d'estre,.

  A014002037 

 Tandis que les peres exercent leur severité a l'endroit de leurs enfans par necessité, ilz leur doivent preparer de la douceur en leur volonté, affin que la rigueur qui les a chastiés ne les accable pas, degenerant en dureté et fierté.

  A014002048 

 Je vous escrivis n'a gueres, ma chere Fille, et tous-jours hastivement, comme je fay encor maintenant, et vous envoyay l'advis que j'avois eu du cyrurgien [242] espaignol.

  A014002049 

 Tenes vous ferme en l'enclos de vos resolutions, et vous souvienne que vous n'aures jamais bien que par lâ..

  A014002050 

 Que dires vous dequoy je vous escris si peu? Mais je ne puis mieux faire, et puisque je ne puis vous parler davantage de Dieu, je m'en vay parler a Dieu de vous.

  A014002059 

 Il ne faut pas que le premier mois de l'annee passe que je ne vous salue, ma tres chere Fille, ma Seur, en vous [243] asseurant tous-jours du parfait amour que mon cœur porte au vostre, auquel je ne cesse point de desirer toutes sortes de benedictions.

  A014002059 

 Mais aussi, ma chere Seur, je le vous recommande, vostre pauvre cœur: ayés bien soin de le rendre de plus en plus aggreable a son Sauveur, et de faire que cette annee soit plus fertile que l'autre en toute sorte de saintes actions; car a mesure que les annees s'en vont et que l'eternité s'approche, il nous faut aussi redoubler le courage et relever nostre esprit en Dieu, le servant plus attentivement en tout ce que nos vocations et professions nous obligent..

  A014002060 

 Je voudrois bien pouvoir vous envoyer les livres que je vous ay promis et a madame de Cornillon ma commere; mais je ne m'en suis pas treuvé un seul.

  A014002061 

 Mais c'est un enfant lequel, au rebours des autres, soulage, nourrit et maintient sa mere; aussi faut il bien, ma Fille, que vous metties toute vostre esperance, vostre amour et vostre confiance en luy, car en cette sorte vous vivres toute joyeuse, contente. ...................................................... [244].

  A014002069 

 Ayant appris par messieurs les coeschevins de vostre ville qui ont pris la peyne de venir icy, ce que vous leur aves confié pour me dire, il ne me reste que de vous prier de croire que je conserveray cherement en mon ame l'affection avec laquelle je vous avoys dedié les predications que vous aviés desirees de moy pour ce Caresme, lesquelles je veux contreschanger en autant d'oraysons que je feray pour le bonheur de vostre ville.

  A014002086 

 Elle vous dira donq seulement qu'avanthier j'ay sceu que je n'irois pas a Salins ce Caresme, parce que Monsieur l'Archevesque de Besançon a resolu a [246] ceux de cette ville-la, qu'il ne vouloit pas que j'y allasse; et il est leur Prelat.

  A014002086 

 Quant a moy, j'en suis bien ayse, quoy que je fusse resolu d'y aller de bon cœur..

  A014002087 

 Madamoyselle Favre s'est enfin resoluë, avec le bon congé de son pere, d'estre toute a Nostre Seigneur et de demeurer ma fille plus que jamais, et je croy que nous en ferons quelque chose de bon..

  A014002088 

 J'escoute de toute part ce que Dieu demande de moy; priés le, ma chere Fille, qu'il en dise ce bon mot, que je suis sien.

  A014002088 

 Je ne manque point a la promesse faite de l'orayson; car il faut que de tems en tems je vous en rende conte..

  A014002088 

 Ouy certes, je le suis de tout mon cœur, quoy que miserable et chetif.

  A014002089 

 La pauvre chere seur est toute grosse, et vrayement fort bonne, ainsy que j'ay veu par la reveuë annuelle qu'elle a faite ces jours passés avec grande devotion.

  A014002090 

 J'espere tous les jours plus en luy que nous ferons prou en nostre dessein de vie.

  A014002099 

 Il m'est tombé ce matin dans l'esprit, pensant a elle, que c'est singulierement a son ame que s'addressent les paroles de l'Espoux sacré: Debout, hastés-vous, mon amie; car en fin, Amie c'est son nom, et l'Espoux l'appelle par son nom propre..

  A014002099 

 Je vous donne advis que, par la divine misericorde, le tems de la Visitation s'approche; je veux dire qu'en fin nos conclusions sont prises et que nous attendons a ce primtems madame de Chantal pour commencer nostre petite Congregation, a laquelle vous sçaves que le Saint Esprit a destiné vostre fille, que je tiens pour mienne.

  A014002110 

 Vale in Christo Domino, vir clarissime, et mihi Sabaudisque tuis diu fœliciter que vive.

  A014002132 

 Or, il m'a rendu pour cela intercesseur vers Son Altesse; et sachant bien que sans vostr' intercession, Monseigneur, la mienne sera vayne, il desire que, comme je demande le bienfait a Son Altesse, je supplie aussi Vostre Excellence de le luy impetrer par une favorable recommandation; et pour marque de sa perseverance au zele quil a a Vostre Grandeur, il vous offre une devise academique..

  A014002146 

 Je le confesse, mon cœur m'importune un peu pour ce regard, mays je luy pardonne ces petites ardeurs, car il est paternel et plus que paternel..

  A014002146 

 Non, ma chere Fille, je n'ay nulles nouvelles de vous il y a trois moys bien entiers; et si, je ne puis croire que vous ne m'en ayes envoyé.

  A014002147 

 Croires-vous bien ce que je vous vay dire? J'ay, il y a quelque tems, le petit livre de la Presence de Dieu; c'est un petit ouvrage, mais je n'ay encor sceu le lire [252] entierement, pour vous en dire ce que je pense pour vostre service.

  A014002147 

 Il n'est pas croyable comme je suis tracassé deça et dela par les affaires; mais, ma chere Fille, vous vous troubleres si je n'adjouste que neanmoins, graces a mon Dieu, mon pauvre et chetif cœur n'eut jamais plus de repos ni de volonté d'aymer sa divine Majesté, de laquelle je sens une speciale assistance pour ce regard..

  A014002148 

 O ma chere Fille, que vous me fistes un jour grand playsir de me recommander la sainte humilité! car sçavés-vous, quand le vent s'enferme dedans nos vallees, entre nos montaignes, il ternit les petites fleurs et desracine les arbres; et moy, qui suis logé un peu bien haut en cette charge d'Evesque, j'en reçois plus d'incommodités.

  A014002148 

 Quand j'y suis quelquefois, mon Dieu, que mon ame est a recoy, et que cette rosee, rosine et vermeille, luy donne de suavités! Mais je n'en suis pas esloigné d'un pas, que le vent recommence..

  A014002149 

 Hier je vous vis, ce me semble, que, voyant le costé de Nostre Seigneur ouvert, vous voulies prendre son cœur pour le mettre dans le vostre, comme un roy dans un petit royaume; et, bien que le sien soit plus grand que le vostre, si est-ce qu'il le raccourciroit pour s'y accommoder.

  A014002149 

 Je ne sçay ou vous seres ce Caresme selon le cors; selon l'esprit, j'espere que vous seres dans la caverne de la tourterelle et au costé percé de nostre cher Sauveur.

  A014002149 

 Que ce Seigneur est bon, ma chere Fille! que son cœur est amiable! Demeurons la, en ce saint domicile; que ce cœur vive tous-jours dans nos cœurs, que ce sang bouillonne tous-jours dans les veines de nos ames..

  A014002150 

 Que je suis content que nous avons retranché les aisles a Caresme prenant en cette ville et qu'on ne le connoist presque plus! Quelles congratulations en fis-je [253] Dimanche a mon cher peuple, qui estoit venu en nombre extraordinaire pour ouyr le sermon sur le soir et qui avoit rompu toutes conversations pour venir a moy! Cela me contenta fort, et que toutes nos dames avoyent communié le matin, et qu'elles n'osoyent entreprendre de faire des balz sans demander licence.

  A014002152 

 Mon Dieu, ma tres chere Fille, que je sens tendrement et ardemment le bien et le lien sacré de nostre sainte unité! J'ay fait un sermon ce matin tout de flammes, car je l'ay bien conneu; il le vous faut dire a vous.

  A014002152 

 Mon Dieu, que je vous souhaitte de benedictions! Mais vous ne sçauries pas croire comme je suis pressé a l'autel de vous recommander plus que jamais a Nostre Seigneur..

  A014002153 

 Qu'ay je a vous dire davantage, sinon que nous vivions d'une vie toute morte, et que nous mourions d'une mort toute vive et vivifiante en la vie et en la mort de nostre Roy, de nostre Seigneur et de nostre Sauveur, en qui je suis.

  A014002163 

 Consolons nous le plus que nous pourrons en ce tres-pas de nostre bonne mere, car les graces que Dieu a [254] exercees en son endroit pour la disposer a une heureuse fin, sont des marques fort certaines que son ame est doucement receuë entre les bras de sa divine misericorde; si que elle est bienheureuse d'estre desprise et demeslee des travaux de ce monde.

  A014002163 

 Et nous aussi, chere Seur, serons bienheureux a nostre tour si, comme elle, nous vivons le reste de nos jours en la crainte et amour de Nostre Seigneur, ainsy que nous le nous sommes promis l'un a l'autre, l'autre jour a Neci.

  A014002164 

 Soyés donq bien consolee, ma chere Fille, et si vostre cœur ne peut s'empescher d'avoir du ressentiment en cette separation, faites au moins qu'il soit tellement moderé par l'acquiescement que nous devons au bon playsir de nostre Sauveur, que sa Bonté n'en soit point offensee, ni le fruit qu'il a mis en vostre ventre, malmené..

  A014002165 

 Encor faut-il que je vous die ce mot pour vostre contentement: c'est que cette pauvre bonne mere, avant que de partir de Neci, revit tout l'estat de sa conscience, renouvella toutes les bonnes resolutions qu'elle avoit faites de servir Dieu et vint si contente de moy que rien plus; car Dieu ne voulut pas qu'elle fust en estât de melancholie quand il la prendroit a soy..

  A014002166 

 Et pleust a Dieu que vous peussies venir faire la sainte Semaine avec nous! je m'en sentirois fort consolé.

  A014002166 

 Or sus, ma chere Seur, ma Fille, aymés moy tous-jours bien, car je suis plus vostre que jamais.

  A014002177 

 Je supplie tres humblement Vostre Altesse de prester vostre oreille favorable au sieur de Blonnay, present porteur, qui ne desire luy parler que des choses qui luy sont aggreables, puisqu'elle prend tous-jours playsir a l'advancement de la gloire de Dieu, de l'exaltation de la foy et du salut des ames..

  A014002178 

 Ce mesme Dieu tout puissant face de plus en plus abonder Vostre Altesse en benedictions et consolations celestes, qui sont les continuelz et ardans desirs que fait pour elle,.

  A014002195 

 Je ne sçaurois laisser partir le bon monsieur Bovard sans luy donner quelque marque de la continuelle souvenance que j'ay de vostre douce bienveuillance, en laquelle, certes, mon esprit s'esjouit grandement et plus que je ne sçaurois dire..

  A014002196 

 Car, puisqu'ainsy il playsoit a Dieu de la retirer, ce m'est du contentement de l'avoir servie et assistee en ces derniers travaux, et mesme dautant que c'estoit une des plus douces et [257] innocentes ames quil estoit possible de treuver, et a laquelle la providence de Dieu a esté fort propice en trespas, l'ayant fort heureusement disposee a cela..

  A014002196 

 Je ne sçai pas le pourquoy selon les hommes, mais je croy que Dieu en a ainsy disposé pour une douloureuse satisfaction que j'ay eu ces jours passés, de donner l'extreme benediction et de fermer les yeux a ma bonne mere mourante.

  A014002196 

 Mais a mesme presque que je voulois partir, ilz m'envoyerent deux des leurs, qui m'annoncerent que Monsieur leur Archevesque leur avoit absolument refusé permission de me donner leur chaire.

  A014002197 

 Voyes vous, Monsieur, je m'allege a vous dire cecy, car c'est grand cas comme c'est un' heureuse et souefve rencontre a un cœur aucunement blessé, de pouvoir se communiquer, quoy que par lettres seulement, a un cœur si doux, si gratieux, si cher, si pretieux et tant amy comme le vostre m'est par vostre bonté, en laquelle je vous conjure tous-jours de me continuer fermement, avec asseurance que je suis sans fin ni reserve,.

  A014002202 

 Il est vray que je ne les sçaurois apprendre de mon breviaire duquel seul je me mesle, et de prier Nostre Seigneur pour vous.

  A014002202 

 J'excepte M. de Charmoysi, que je voy fort souvent..

  A014002202 

 Nous attendons tous-jours que Monsieur vienne, et n'en avons neanmoins point de particulieres nouvelles.

  A014002216 

 Ce n'est justement que pour vous bayser humblement les mains et vous supplier de me conserver lhonneur de vostre bienveuillance, que cette lettre se presente a vous en mon nom..

  A014002216 

 Je n'ay garde de vous vouloir beaucoup entretenir maintenant, qu'au milieu de cette grande et noble ville, chacun est autour de vous pour puyser les eaux des consolations spirituelles de la vive source que Dieu a mise en vous.

  A014002217 

 Que si vous luy permettes de vous dire quelque chose de plus, ce sera que je viens d'apprendre pourquoy Nostre Seigneur n'a pas voulu permettre que j'allasse a Salins; car ça esté, comme je pense, affin que j'assistasse a la mort de ma tres bonne mere, qu'il appella a soy le premier de ce moys, l'ayant, par sa misericorde, premierement disposee a bien et heureusement faire ce passage..

  A014002233 

 Confessons, ma Fille bien aymee, confessons que Dieu est bon et que sa misericorde est a l'eternité.

  A014002234 

 Et pour moy, je confesse, ma Fille, que j'ay eu un grand ressentiment de cette separation (car c'est la confession que je doy faire de ma foiblesse, apres que j'ay fait celle de la bonté divine); mais neanmoins, ma Fille, ça esté un ressentiment tranquille, quoy que vif, car j'ay dit comme David: Je me tais, o Seigneur, et n'ouvre point ma bouche, parce que c'est vous [ qui ] l'aves fait.

  A014002234 

 Sans doute, si ce n'eut esté cela, j'eusse crié hola! sous ce coup; mais il ne m'est pas advis que j'osasse crier ni tesmoigner du mescontentement sous les coups de cette main paternelle, qu'en verité, graces a sa Bonté, j'ay appris d'aymer tendrement des ma jeunesse..

  A014002235 

 Cette mere, donq, vint icy cet hiver, et, en un mois qu'ell' y demeura, elle fit la revëue generale de son ame et renouvela ses desirs de bien faire avec certes beaucoup d'affection; et s'en alla la plus contente du monde d'avec moy, duquel, comm'elle disoit, ell'avoit retiré plus de consolation que jamais elle n'avoit fait.

  A014002235 

 En voyci une petite histoire, car c'est a vous a qui je parle; a vous, dis-je, a qui j'ay donné la place de cette mere en mon memorial de la Messe, sans vous oster celle que vous avies, car je n'ay sceu le faire, tant vous tenes ferme ce que vous tenes en mon cœur; et par ainsy, vous y estes la premiere et la derniere.

  A014002235 

 [261] Mon pauvre frere vostre filz, qui dormoit encor, estant adverti accourt en chemise, et la fait relever et promener et ayder par des essences, eaux imperiales et autres choses qu'on juge propres en ces accidens, en sorte qu'elle se reveille et commence a parler, mais presqu'inintelligiblement, dautant que le gosier et la langue estoyent saysis..

  A014002236 

 Car elle parloit fort a propos de Dieu et de son ame, et prenoit la croix elle mesme a tastons (dautant que soudain elle devint aveugle) et la baysoit.

  A014002236 

 Elle continua en mesm'estat presque deux jours et demi, apres lesquelz on ne la peut plus guere bonnement resveiller, et le premier de mars, elle rendit l'ame a Nostre Seigneur, doucement, paysiblement et avec une contenance et beauté plus grande que peut estre elle n'avoit jamais eu, demeurant une des belles mortes que j'aye jamais veu..

  A014002236 

 On me vient appeller icy, et j'y vay soudain avec le medecin et apoticaire, qui la treuvent letargique et paralitique de la moytié du cors; mais lethargique en telle sorte, que neanmoins ell'estoit fort aysee a reveiller, et en ces momens de reveil elle tesmoignoit le jugement entier, soit par ces ( sic ) paroles, qu'elle s'efforçoit de dire, soit par le mouvement de sa main saine, c'est a dire delaquelle l'usage luy estoit demeuré.

  A014002237 

 Apres quoy, le cœur m'enfla fort et pleuray sur cette bonne mere plus que je n'avois fait des que je suis d'Eglise; mais ce fut sans amertume spirituelle, graces a Dieu.

  A014002237 

 Au demeurant, encor vous faut-il dire que j'eu le courage de luy donner la derniere benediction, luy fermer les yeux et la bouche et luy donner le dernier bayser de paix a l'instant de son trespas.

  A014002238 

 Au demeurant, je ne me puis taire du grand bon naturel de vostre filz, qui m'a si extremement obligé au soin et travail quil a pris pour cette mere, mais je dis avec tant de cœur, que sil eut esté quelque estranger, je serois forcé de le tenir et jurer mon frere.

  A014002239 

 Je dis icy, car il ni auroit point de proportion que vous fissies les bons jours aux chams.

  A014002240 

 J'attendray ce que vous me marquerés..

  A014002240 

 Je le desire, mais je dis, sil se peut aysement; dequoy vous m'advertirés par le retour de ce garçon, et encor de ceux que vous amenerés, si vous amenes quelque compaignie extraordinaire, car quant a nostre bon Baron, je croy quil ne viendra pas nous voir sur ce nouveau dueil, parmi lequel nous ne pourrons nous res-jouir que devotement, et totalement en Nostre Seigneur.

  A014002240 

 Je pense quil ne seroit pas a propos quil vinst maintenant: il faut que je die ainsy avec vous.

  A014002241 

 Si cela se peut, je ny voy nul inconvenient, car enfin vous auries vostre argent icy, outre [263] tout celuy qui depend de moy, qui est autant vostre que nul autre, et cette dote seroit payee, quil faut aussi bien payer une foys.

  A014002242 

 J'ay voulu sçavoir sil seroit a propos que vous prissies la une femme pour estr'aupres de ma seur; mais mon frere m'a dit que vous ne vous missies nullement en peyne, quil accommodera si bien tout ce quil faudra pour ma seur, que vous aurés tout sujet de contentement de luy, de maniere quil n'est point besoin de cela.

  A014002242 

 Pour vray, j'espere que ce filz la sera grandement beni pour le service quil a rendu a ses pere et mere en leur trespas..

  A014002243 

 Je l'ay regrettee, la pauvre petite fille, mais d'un regret moins sensible, dautant que le grand sentiment de la separation de ma mere osta presque toute prise au sentiment de ce second desplaysir, duquel la nouvelle m'arriva tandis que nous avions encor le cors de ma mere en la mayson.

  A014002244 

 Dieu scait, ma Fille, si j'ayme tendrement cett'ame et si je nuis plein de desir de son bien, et que jamais je ne la veux ni puis abandonner, je dis quoy qu'elle fit; mais je n'ose pas la presser de loin, car cet ( sic ) un esprit qui ne peut estre conduit qu'avec amour et confiance; confiance, dis-je, tous-jours nourrie de nouvelles et continuelles demonstrations d'affection, ce qui ne se peut faire de loin.

  A014002244 

 Helas! nostre pauvre M me du Puis d'Orbe auroit un grand besoin d'estre assistee de pres, car elle [est] si bonne et si cordiale que rien plus, mais si melancolique, si douillette et si delicate de courage que rien plus.

  A014002246 

 Quand vous seres icy, nous prendrons les resolutions convenables pour commencer nostre dessein, et verrons ce que diront nos filles de deça.

  A014002248 

 Apprenes donq bien tout son sentiment en cela et tous ses fondemens, mais tout bellement pourtant et sans empressement, et en sorte qu'elle ne cuyde pas que vous la veuillies examiner.

  A014002248 

 Je ne dis pas que quand on a fait sa praeparation, et qu'en l'orayson on est attiré a cette sorte d'orayson, il ny faille aller; mais prendre pour methode de ne se point præparer, cela m'est un peu dur, comm'encor de sortir tout a fait de devant Dieu sans action de grace, sans offrande, sans priere expresse.

  A014002248 

 Neanmoins (je parle simplement devant Nostre Seigneur, et a vous a qui je ne puis parler que purement et candidement) je ne pense pas tant sçavoir que je ne sois tres ayse, je dis extremement tres ayse, de me demettre de mon sentiment et suivre celuy de ceux qui en doivent par toute rayson plus sçavoir que moy; je ne dis pas seulement de cette bonne Mere, mais je dis d'une beaucoup moindre.

  A014002248 

 Quant a ces preceptes de l'orayson que vous aves receuz de la bonne Mere Prieure, je ne vous en diray rien pour le present; seulement je vous prie d'apprendre le plus que vous pourres les fondemens de tout cela, car, a parler clair avec vous, quoyque deux ou trois fois l'esté passé m'estant mis en la presence de Dieu sans praeparation et sans dessein, je me treuvasse extremement bien aupres de sa Majesté, avec une seule tres simple et continuelle affection d'un amour presque imperceptible mais tres doux, si est ce que je n'osay jamais demarcher du grand chemin pour reduire cela en un ordinaire.

  A014002248 

 Tout cela peut estre utilement fait, mais que cela soit une regle, je confesse que j'ay un peu de repugnance.

  A014002258 

 J'aurois tort d'avoir tant attendu a vous rendre les actions de graces que je vous dois, pour la souvenance que vous aves a moy tesmoignee par le petit poulet que mon frere m'apporta, si je n'avois esté distrait par le trespas de ma pauvre bonne mere, qui m'obligea d'estre a Sales quelque tems, pour rendre cette derniere assistance a cette chere personne.

  A014002258 

 Mais, ma chere Cousine, vous seres toute consolee quand vous sçaures qu'elle nous a laissé toutes sortes d'argumens d'esperer que son ame est receue en la main dextre de son Dieu, qui est en fin l'unique bonheur auquel nous aspirions en toute [occurrence] de cette basse et miserable vie mortelle.

  A014002259 

 Faites-le, je vous supplie, chere Cousine, et soyés bien devote, tandis que je m'attens de vous revoir bien tost icy, selon l'asseurance que vous en donnastes a mon frere, et tous-jours et par tout je seray,.

  A014002259 

 Or, il faut bien, ma chere Cousine, que vous m'aymies un peu plus maintenant, pour reparer le manquement que j'auray en terre de l'amour que cette mere me portoit.

  A014002265 

 Oserois-je bien demander par vostre entremise, ma chere Cousine, le pardon requis a la faute que je fay de ne point escrire a monsieur le Baron mon cousin? Certes, c'est que je suis fort pressé d'escrire.

  A014002272 

 Je voy que nous sommes a la veille de vostre arrivee: qu'heureuse puisse-elle estre! C'est pourquoy je n'adjouste rien.

  A014002274 

 Pour le premier livre que je produiray, je suis tant engagé vers Rigaud, que je ne sçai si je le pourray donner a Dijon; car j'ay des-ja fort lié ma liberté par ma promesse..

  A014002275 

 Ah, que cela fut bien chanté hier en nostre eglise et dans mon cœur!.

  A014002283 

 Et mesme, quand quelque violent presage nous arrive, tel qu'estoit celuy duquel vous m'escrives, il faut renoncer aux apprehensions qui nous en reviennent, tant qu'il nous est possible, de peur que nostre ennemy, nous treuvant faciles a croire telz ressentimens, n'abuse de nostre facilité.

  A014002283 

 Maïs la verité est que jamais il n'abusera de chose quelconque en vostre endroit, tandis que, comme vous faites, vous tiendres vostre cœur naifvement et humblement ouvert a vostre guide..

  A014002285 

 Pour l'orayson, vous faites bien de vous laisser aller a la mentale, quand Nostre Seigneur vous y semond Ihors que vous dites les vocales..

  A014002287 

 Il est mieux de choisir quelque pauvre prestre et luy faire dire une Messe le samedy, que de donner tous les jours un liard: ainsy vous soulageres le prochain et louëres la Vierge Marie par une plus excellente action.

  A014002287 

 Il est vray qu'en cas qu'il y eust d'autres pauvres en necessité, il le leur faudroit appliquer, parce qu'alhors le soulagement du prochain est commandé en ce que l'on peut bonnement..

  A014002287 

 Que s'il ne se treuve point de prestre qui ayt besoin de cette assistance, je pense que Sainte Claire en pourra [270] estre aydee.

  A014002298 

 Je suis extremement desplaysant du retardement que je voy pour l'arrivee du depesche que ce porteur et vous attendes, et s'il estoit en mon pouvoir, vous auries une prompte satisfaction pour ce regard.

  A014002298 

 Or, esperant que la chose, ne peut pas aller beaucoup plus au long, je vous exhorte de vous consoler et conserver la sainte patience, en vivant tous-jours en la crainte de Nostre Seigneur, que je prie vous donner les graces de son Saint Esprit, et suis.

  A014002321 

 Et de fait, il ne m'appartient pas de priver le compétiteur de M. Bresa du canonicat dont il est possesseur; aussi, je crois que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime n'aura pas de peine à m'excuser..

  A014002349 

 Mais ne trouvant aucun moyen d'assurer son existence en ces pauvres vallées, voici qu'il s'en va à Rome avec le peu de secours que j'ai pu lui donner.

  A014002350 

 Je supplie donc Votre Paternité de lui faire cette charité; il n'en saurait être une plus grande aux yeux de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que je prie de vous accorder toute sainte consolation et prospérité..

  A014002350 

 Mais ayant encore à secourir plusieurs autres convertis, je n'ai [275] pu lui donner à son départ que dix ducatons.

  A014002362 

 Ce m'a esté un extreme contentement d'apprendre un peu plus amplement que de coustume de vos nouvelles, ma tres chere Seur, ma Fille, bien que je n'aye pas encor tant eu de loysir pour parler avec madame de Chantal que j'aye peu m'enquerir si particulierement, comme je desirois, de toutes vos affaires, desquelles je pense que vous aures communiqué avec elle comme avec une parfaitte amie.

  A014002362 

 Or, pour le moins m'a-elle dit que vous chemines fidellement en la crainte de Nostre Seigneur, qui est le grand mot de ma consolation, puisque mon ame desire tant de bien a la vostre tres chere..

  A014002363 

 Au reste, pour respondre briefvement a la vostre, N. fit tres bien d'entrer aux Carmelines, car il y avoit apparence que Dieu en seroit glorifié.

  A014002363 

 Mais puisqu'elle en sort par ordre des Superieures, elle doit estimer que Dieu, se contentant de son essay, veut qu'elle le serve ailleurs; si bien qu'elle fera mal, si, apres les premiers [277] ressentimens de sa sortie, elle n'appaise son esprit et ne prend ferme resolution de vivre toute en Dieu, en quelqu'autre condition; car par plusieurs voyes on va au Ciel.

  A014002363 

 Pourveu qu'on ayt la crainte de Dieu pour guide, il importe peu quelle l'on tienne, bien qu'en elles mesmes, les unes soyent plus desirables que les autres a ceux qui ont la liberté de choysir..

  A014002365 

 Ma chere Fille, ce petit esbranslement de cœur que vous aves en cette occasion, vous doit servir d'advertissement que l'amour propre est grand et gros dedans vostre cœur, et qu'il faut faire bon guet, de peur qu'il ne s'en rende le maistre.

  A014002366 

 Car, ce que monsieur vostre mary dit est veritable, qu'il pourroit, a l'adventure, changer toutes ces mauvaises humeurs que vous me marqués; mais acela [278] s'entend s'il est de bon naturel et que ce ne soit que la jeunesse ou la mauvaise compaignie qui le gaste.

  A014002366 

 Mais, si c'est un esprit de nature mal qualifié, comme il ne s'en void que trop, certes, c'est tenter Dieu de hazarder une fille en ses mains, sous l'incertaine et douteuse presomption d'amendement, et sur tout si la fille est jeune et qui ayt besoin de conduitte elle mesme; auquel cas, ne pouvant rien contribuer a l'amendement du jeune homme, ains estant plust.ost a craindre que l'un ne serve de sujet de perte a l'autre, qu'y a-il en tout cela qu'un evident danger? Or, monsieur vostre mary est grandement sage, et m'asseure qu'il fera toute bonne consideration, a quoy vous le servirés; et moy je prieray, selon vostre desir, qu'il playse a Dieu de bien addresser cette chere fille, affin qu'elle vive et viellisse en sa crainte..

  A014002366 

 Touchant le mariage de cette chere fille que j'ayme bien fort, je ne puis bonnement vous donner conseil, ne sachant de quelle nature est ce chevalier qui la recherche.

  A014002367 

 Mais la voulant dedier au mariage, et elle ayant cette inclination, il n'y a pas du mal de l'y conduire tant souvent que ce soit asses, et non pas trop.

  A014002367 

 Si je ne me trompe, cette fille est vive, vigoureuse et de naturel un peu ardent: or, maintenant que son entendement commence a se desployer, il faut y fourrer doucement et suavement les premices et premieres semences de la vraye gloire et vertu, non pas en la tançant de paroles aigres, mais en ne cessant point de l'advertir avec des paroles sages et amiables a tous propos, et les luy faisant redire, et luy procurant des bonnes amitiés de filles bien nees et sages..

  A014002368 

 Dieu soit tous-jours a sa dextre, affin qu'il ne change jamais que de mieux en mieux.

  A014002368 

 Entr'autres choses, ilz m'ont dit que tous-jours il commencoit sa journee par l'assistance de la sainte Messe, et qu'es occasions il tesmoigne un zele solide et digne de sa qualité, a la sainte religion catholique.

  A014002368 

 Madame de [Chantal] m'a dit que, pour vostre exterieur et la bienseance de vostre mayson, vous marchies fort sagement; et tant elle que mon frere de Thorens m'ont dit une chose qui m'a rempli d'ayse: c'est que monsieur vostre mary acqueroit de plus en plus grande bonne reputation d'estre bon justicier, ferme, equitable, laborieux au devoir de sa charge, et qui en tout vivoit et se comportoit en grand homme de bien et bon Chrestien.

  A014002368 

 [279] Je vous prometz, ma chere Fille, que j'ay tressailli de joye a ce recit, car voyla une grande et belle benediction.

  A014002369 

 Mais puisque vous n'aves point de vceu qui vous oblige d'y aller en presence corporelle, je ne vous conseille pas de l'entreprendre; ouy bien d'estre de plus en plus zelee a la devotion de cette sainte Dame, de laquelle l'intercession est si forte et favorable aux ames, que pour moy, je l'estime le plus grand appuy que nous puissions avoir envers Dieu pour nostre advancement en la vraye pieté; et puis parler de cela, pour en sçavoir plusieurs particularités remarquables.

  A014002370 

 Pour vos aumosnes, ma chere Fille, faites-les tous-jours un peu bien largement et a bonne mesure, neanmoins avec la discretion qu'autrefois je vous ay dit ou escrit; car si ce que vous jettes dans le sein de la terre vous est rendu avec usure par sa fertilité, sçachés que ce que vous jetteres dans le sein de Dieu vous sera infiniment plus fructueux, ou d'une façon ou d'une autre; c'est a dire, Dieu vous en recompensera en ce monde, ou en vous donnant plus de richesses, ou plus de santé, ou plus de contentement.

  A014002377 

 Or sus, ma chere Seur, ma Fille, je m'en vay vous escrire tant que je pourray sur le sujet de vostre lettre, qui m'a esté rendue par la seur que vous aymés tant et qui vous cherit reciproquement de tout son cœur..

  A014002378 

 Il est vray, nous l'avons en fin cette chere seur, mais ce n'est pas moy pourtant qui vous l'ay ostee; c'est Dieu qui nous l'a donnee, ainsy que, Dieu aydant, la suite le tesmoignera.

  A014002378 

 Je ne doute nullement que cette petite conversation que vous eustes ensemble a Bourbilly ne vous fust bien douce, car c'est une heureuse rencontre que de deux espritz qui ne s'ayment que pour mieux aymer Dieu; mais il ne se pouvoit pas faire que cette sensible presence durast long tems, puisque nostre commun Maistre vous demandoit l'une la, l'autre icy, pour son service.

  A014002378 

 Nous ne laissons pourtant pas d'estre tous-jours jointz et unis, nous entretenans les uns aux autres par la commune pretention et entreprise que nous avons..

  A014002379 

 Je suis bien ayse dequoy vous manques peu aux exercices que je vous ay marqués, car cela monstre que les fautes que vous y faites ne proviennent pas d'infidelité, mais de foiblesse; et la foiblesse n'est pas un grand mal, [281] pourveu qu'un fidele courage la redresse petit a petit, ainsy que je vous conjure de faire, ma chere Fille, pour la vostre, sans vous affliger nullement de ce que vous n'aves ni sentiment ni goust ordinairement en tous vos exercices, car Nostre Seigneur ne requiert pas cela de nous: aussi ne depend-il pas de nous de l'avoir ou de ne l'avoir pas.

  A014002379 

 Or, voyci une bonne preuve de la fortification de ces cheres resolutions, que par la grace de Dieu vous aves perseveré a conserver ce que je vous dis en confession, ainsy que vous m'asseures; car cela vaut mieux que cent mille goustz spirituelz.

  A014002379 

 Que si nous n'avons point de reserve d'estre tout a Dieu, si nous avons le courage de plustost mourir que de l'offenser, et moyennant que telles soyent les resolutions de nos cœurs et que nous les sentions tous-jours plus fortes en nous, il n'y a rien a craindre, ni a prendre de la peyne pour n'en sentir pas lés goustz et les sentimens.

  A014002380 

 Je diray la Messe que vous me demandes, bien que jamais je n'en die point qui ne soit tres expressement vostre; mais je n'ay peu me remettre en memoire le sujet que vous dites que je sçai; aussi n'en est-il pas besoin..

  A014002382 

 Hé bien, ma chere Fille, la multitude des difficultés vous fit peur et vous eustes des pensees de tout quitter; [282] cependant vous aves veu que tout est fait.

  A014002383 

 Da, ma chere Fille, quand m'aves vous veu fascher a vous? Je suis pourtant bien ayse que l'on craigne un peu de desplaire au pauvre chetif pere; car vrayement vous ne me desplaires jamais, ma chere Fille, que quand vous desplaires a Nostre Seigneur et que vous vous esloigneres de son pur et saint amour..

  A014002383 

 Pour les pensions, elles sont bien entre vos mains, puis que nul autre ne s'en veut charger; mais vous pourres bien faire tenir conte d'icelles a une des filles.

  A014002383 

 Vous m'aves bien fait rire quand vous m'aves escrit que vous eussies remis lesdites pensions a chacune desdites Religieuses la sienne, si vous n'eussies eu peur que je ne me faschasse a vous.

  A014002384 

 Il faut vrayement aller au Chapitre, malgré toute la repugnance que vous y aves; et, apres la lecture de la Regle, il faut dire quelque chose, quand ce ne seroit que: «Dieu nous face la grace de bien observer ce qui a esté leu.».

  A014002385 

 En la Feste Dieu, je ne voy nul inconvenient que l'on face le tour du cloistre; car cela ne tire point a consequence, a cause de la grandeur de la solemnité..

  A014002386 

 Combien y a-il de bons medecins qui ne sont gueres sains? et combien se fait-il de belles peintures par des peintres bien laidz? Quand donq vos filles viennent a vous, dites leur tout bellement en charité ce que Dieu vous inspirera, et ne les renvoyés point vuides d'aupres de vous..

  A014002386 

 Helas! ma Fille, si personne ne servoit aux ames que ceux qui n'ont point de difficultés es exercices et qui sont parfaitz, vous n'auriés point de pere en moy; et il ne faut pas laisser de soulager les autres, encor que l'on soit soy mesme en perplexités.

  A014002387 

 En fin, ma tres chere Seur, ma Fille tres chere, il faut reprendre nostre premier courage et plustost mourir que de demordre..

  A014002387 

 Je suis marry avec vous [283] du desgoust qu'elles ont de vostre chapelain ordinaire; mais l'entremise des Minimes peut suppleer a tout cela, puisque, comme vous dites, il est certes malaysé de treuver des prestres bien conditionnés et que celuy-ci est asses capable.

  A014002388 

 Que vous seres heureuse si vous aymes bien vostre petit troupeau! car apres l'amour de Dieu, celuy-la tient le premier rang..

  A014002388 

 Tenés-vous le plus que vous pourrés aupres de vos filles, car vos absences ne leur peuvent donner que des sujetz de murmurer; et rien ne leur peut tant adoucir leur sujettion que la vostre, rien ne les peut tant retenir dans l'enclos de l'observance que de vous y voir avec elles: et c'est en cela qu'il faut se crucifier pour Celuy qui a esté crucifié pour nous.

  A014002389 

 Je vous escriray tous-jours quand je pourray et tant que je pourray, et, sans varier, je persevereray a jamais en l'affection que je vous ay une fois de si bon coeur dediee.

  A014002389 

 Non, ni la mort, ni les choses presentes, ni celles qui sont a venir, ne me separeront jamais de cette dilection que je vous porte en Jesus Nostre Seigneur, auquel soit honneur et gloire..

  A014002395 

 Mais voyés-vous, ma tres chere Fille, ce que je vous dis, je vous le recommande bien estroittement, car la seur m'a dit que vous voulés que je parle ainsy..

  A014002396 

 Ma chere Seur, asseurés toutes vos bonnes et bien-aymees Seurs et filles que je les honnore et cheris tres [284] intimement, et specialement Madame vostre tres chere seu, marry de ne leur pouvoir escrire maintenant.

  A014002403 

 Il y a long tems, ma tres chere Fille, que j'ay la lettre ci jointe pour vous, mays je n'ay treuvé les commodités de l'envoyer.

  A014002403 

 Je ne desirerois pas que vous fissies aucun vœu, ains seulement quelques devotions particulieres destinees a cette particuliere intention..

  A014002404 

 [285] Renouvellés tous les matins la bonn'intention que vous aves en cette poursuite et pries specialement pour cela..

  A014002405 

 O Dieu, ma chere Fille, qu'ell'est heureuse cette chere niece qui s'en est allee de ce monde avant que d'y avoir souillé ses affections! Je prie le Saint Esprit quil donne sa sainte consolation au pere.

  A014002406 

 Tenes bien vostre ame en vos mains; voyla que vous alles en une bonn'occasion de tesmoigner de la fidelité a Nostre Seigneur en la vraye prattique de la douceur, debonnaireté, humilité, resignation et charité..

  A014002407 

 Je suis plus vostre que vous ne sçaures croire.

  A014002421 

 Je vous remercie de la commodité que vous m'aves donnee de vous escrire par ce porteur sur le sujet que [286] vous desires.

  A014002422 

 Je suis donq d'advis que vous vous disposies a venir pour ce tems-lâ, et cependant nous irons, de deça, ordonnant les choses en sorte que vous treuvies en ce nouveau genre de vie la douceur et consolation que vous sçauries desirer..

  A014002422 

 icy bonne compaignie, qui n'attend que le jour heureux auquel elle se consacrera pour une bonne fois a l'unique object de leur cœur.

  A014002423 

 Mais pour ce particulier, il suffira d'y prouvoir quand vous seres arrivee, affin que tout soit conforme.

  A014002424 

 Ne vous mettes nullement en peyne de tout ce que le monde dit, car il est ennemi de la gloire de Dieu et du bien des ames; et le Pape ne veut voyrement pas qu'on fonde des nouvelles Religions sans congé, et a rayson, mais il n'empesche pas, ains a aggreable que l'on face ce que nous ferons, Dieu aydant..

  A014002442 

 Il m'est bien advis que nous ne demeurerons plus en nous mesmes, et que, de cœur, d'intention et de confiance, nous nous logerons pour jamais dans le costé percé du Sauveur; car sans luy, non seulement nous ne pouvons, mais quand nous pourrions, nous ne voudrions rien faire..

  A014002453 

 J'ay receu a beaucoup d'honneur la salutation que le sieur Ramus m'a faitte de vostre part, m'estimant fort heureux de vivre en vostre amitié, comm'en eschange je vous supplie de croire que je vous respecte et revere de tout mon cœur, me sentant extremement redevable a la constante inclination que vous avés au bien de cette mienne evesché, pour laquelle vous vous estes tous-jours affectionné a eslever les jeunes gens qui vous sont envoyés d'icy a toutes sortes de solide vertu, et sur tout au zele de la sainte foy catholique..

  A014002454 

 Et si mesme, pour quelque sienne necessité, es occasions qui se peuvent presenter, il avoit besoin de secours pecuniaire et a ma consideration il vous playsoit l'assister, je ne manquerois nullement au remboursement, bien que sa mere et ses freres ayent une fort bonn'intention de ne point luy defaillir en ce qui sera requis..

  A014002454 

 Mais il y en a deux pourtant que je doys preferer en ce mien desir, dont le premier est Jean Anthoyne Rolland, [290] duquel la mere est de la mesme mayson de feu monsieur le fondateur du College et ma proche parente, laquelle ayant plusieurs enfans, a destiné celluy ci a l'estude, comme celuy qui a plus d'apparence de bon esprit; qui me fait vous supplier de le prendre particulierement en protection.

  A014002454 

 Or, en voyla encor quelques uns qui se vont rendre sous vos aisles pour ce mesme sujet, lesquelz je suis obligé de vous recommander tous generalement, puis que tous ilz sont mes tres chers enfans en Nostre Seigneur.

  A014002455 

 L'autre est Bernardin du Nant, filz d'un fort honneste [291] pere, et qui a longuement et fidellement servi feu Monsieur le Reverendissime mon praedecesseur, et duquel, pour cela, je doys affectionner le bien; dautant plus que sa pauvreté et toutes les autres conditions pour lesquelles il a esté nommé, le rendent fort recommandable.

  A014002456 

 La premiere fut faitte, il y a plusieurs annees, avant que je fusse Evesque, et ce, pour l'occasion declairee en la Prefacé, lhors que l'œuvre de Jaques Gretserus n'estoit encor point parvenue jusques icy..

  A014002457 

 Et ce pendant, je me confie en vostre douceur que vous aggreeres l'offrande que je vous en fay, en contemplation de la sincerité du cœur qui vous l'offre.

  A014002457 

 L'un' et l'autre sont pleynes de grandes fautes en l'impression et de grands defautz en la composition, car un tel ouvrier que je suis, distrait et embarassé de tant d'affaires, ne sçauroit produire chose que fort imparfaitte; mais il m'a fallu ceder a la volonté et authorité des amis.

  A014002457 

 On l'a reimprimé six foys en deux ans et en divers endroitz, mais je n'ay encor peu avoir que des editions de Lyon, qui est en nostre voysinage; non plus que de la traduction que quelques Peres Jesuites en ont fait faire en Italie.

  A014002476 

 Car voyes vous, Madame, il est requis que vous ayes une ame vaillante et genereuse pour entrer en ce dessein, affin que vous resisties aux suggestions que la folle sagesse du monde vous fera..

  A014002476 

 Neanmoins, maintenant que nous sommes, ce me semble, a la veille de l'execution d'une si sainte entreprise, il faut que je vous parle un peu ouvertement, et que je vous conjure [293] de bien espreuver vostre cœur pour reconnoistre si vous aures asses d'affection, de force et de courage pour embrasser ainsy absolument Jesus Christ crucifié et donner les derniers adieux a ce miserable monde.

  A014002477 

 Il est vray que si vous entreprenés cette œuvre simplement pour Dieu et vostre salut, vous y aures tant de consolations que rien ne vous sçauroit destourner, et la bonne compaignie en laquelle vous seres ne vous servira pas de peu a vous bien establir; mais il ne faut pour cela que vous laissies de bien examiner vostre courage avant que de venir.

  A014002477 

 Que si vous le treuvés bon et ferme, venés donq hardiment au nom de Dieu, lequel, s'estant rendu autheur et protecteur de ce projet, le favorisera de plus en plus de ses benedictions et vous y donnera mille consolations que le monde ne peut sçavoir..

  A014002478 

 Si, au contraire (ce que Dieu ne veuille), vous ne vous senties pas asses forte pour entrer en ce chemin, il seroit bien bon de nous en advertir, affin que les autres commençassent selon leur inviolable desir, et vous, Madame, pensassies a prendre quelque autre sorte de vie plus a vostre gré..

  A014002479 

 Pour moy, j'ay tellement cette sainte besoigne en recommandation, que je me sentiray bien heureux de pouvoir m'employer a son advancement, et y serviray constamment, joyeusement et, Dieu aydant, utilement; mais avec tant d'affection, que rien ne m'en sçauroit destourner sinon la seule volonté de Dieu, lequel peut [294] estre, pour mes pechés ne me treuvera pas digne de faire ce service a sa gloire..

  A014002480 

 J'espere en luy que vostre esprit accroistra de bien en mieux, et le suppliant qu'il vous console et prepare, je demeureray,.

  A014002494 

 Praesupposant que cela ne vous incommode pas, je seray bien ayse que vous logies en vostre logis de la ville M lle d'Escrilles; et pour les meubles, ce qui sera [295] requis je le feray prendre ceans, ou mesme je la logerois, si cela vous estoit beaucoup incommode, parce qu'ell' est icy comm' estrangere..

  A014002505 

 Il faut bien dire que nostre Congregation me soit a cœur, puisque j'y songe, contre ma coustume, et la treuve comme une idee a mon resveil.

  A014002506 

 O ma Fille, que je fus consolé hier sur le sujet de la mort et sepulture du Sauveur! car les paroles d'Isaie, qu'on lisoit a la Messe pour la feste du Saint Suaire, estoyent extatiques.

  A014002506 

 O. Dieu, si ce Sauveur a tant fait pour nous, que ne ferons-nous pas pour luy? S'il a exhalé sa vie pour nous, pourquoy ne reduirons-nous pas toute la nostre a son service et plus pur amour? En fin, je m'imagine que Nostre Seigneur plantera cette plante, l'arrousera de ses benedictions et la fera fructifier en sanctification.

  A014002507 

 Certes, l'autre jour, en recommandant ce projet a sa divine Majesté, je me confondois extremement dequoy elle se servoit pour cela de mon cœur et du vostre, je veux dire de nostre cœur; car, bien que la rayson ne le veuille pas, si est-ce que je ne sçai separer ce cœur en deux, ni en me resjouissant, ni en me confondant.

  A014002508 

 Dieu soit vostre Dieu, ma chere Fille, Dieu soit vostre Dieu; et vostre cœur, que vous luy aves dressé, soit sa mayson et son autel, sur lequel nuit et jour il fasse ardre et luire le feu de son saint amour.

  A014002538 

 La lettre que Votre très Illustre Seigneurie m'écrivit pour me prier d'inaugurer une manière de solennité au jour du trépas du [297] bienheureux Amédée, me parvint le lendemain de sa fête; ainsi l'on ne put faire ce que j'aurais vivement souhaité, mais, s'il plaît à Dieu, on le fera l'année prochaine..

  A014002539 

 De Nantua, on n'a pas autre chose, ni de Bourg non plus, parce que les fondations de ces pays sont du Comte-Vert et non de notre Bienheureux.

  A014002540 

 Elles s'emploieront à plusieurs œuvres de charité en faveur des pauvres et des malades; c'est à leur service que ces bénites âmes veulent en partie se consacrer, en suivant l'usage d'après lequel, en ces [299] pays ultramontains, ce ministère se pratique ordinairement parmi les femmes.

  A014002540 

 Or, il dépend de moi de faire dédier cet oratoire et cette maison au Saint que je jugerai plus à propos.

  A014002540 

 Voyant donc que la piété de ces dames les porte vers les pauvres et les malades si chéris de notre Bienheureux, comme le proclament toutes les chaires, j'aimerais bien que cette Maison fût érigée sous son vocable.

  A014002541 

 Mais, pour réaliser ce projet, il faudrait que Son Altesse l'agréât et qu'elle le fît agréer à Sa Sainteté; ce qui, à mon avis, sera très facile à Son Altesse, si elle ordonne qu'on fasse à Rome des instances à ce sujet, d'autant plus qu'anciennement déjà, le Bienheureux était très vénéré dans ce diocèse.

  A014002541 

 Si, ensuite, elle daigne m'informer des intentions de Son Altesse, je ne manquerai pas de faire, de [300] mon côté, tout ce qui sera convenable; mais je vous prie que ce soit au plus tôt, pour ma consolation..

  A014002558 

 [302] Mais la voyant faitte, j'ay creu que je devois au bien de mondit frere une très humble supplication a Son Excellence, affin quil luy playse de nous gratifier de cet honneur, lequel est certes plus grand que nous ne meritons, mais qui ne peut tumber en une personne plus fidelle au service de Son Excellence que mondit frere sera; a quoy j'adjouste que l'estude quil a fait asses fructueusement en droit, pourra encor le rendre moins inutile en cette place, si Dieu et Monseigneur l'y conduisent..

  A014002559 

 La lettre donq ci jointe est pour ce sujet, et celle qui est addressee a monsieur Desfrenes aussi, qui me fait vous supplier de la rendre le plus tost quil vous sera possible, et comme pour l'amy; car encor que nous ne vous ayons jamais rendu aucun service qui nous puisse acquerir cette qualité, si avons nous bien eu ce desir, et moy particulierement, qui, priant Nostre Seigneur quil vous conserve et accompaigne, suis,.

  A014002575 

 L'inviolable affection que j'ay vouee a vostre sainte Compaignie et l'honneur particulier que je dois a vostre personne, me fera acquiescer a vostre pieux, saint et [304] curieux desir, non seulement sans peyne, ains avec suavité..

  A014002576 

 Sachés donq, mon cher Pere, que quelques ames devotes me proposerent, il y a un an, l'establissement d'une Religion de filles, avec offre d'une bonne somme d'argent pour faire le bastiment et fondement.

  A014002577 

 Monsieur le Baron de [Cusy,] qui m'avoit apporté l'ambassade, acheta une petite mayson au faubourg, en lieu extremement propre pour bastir et commencer a dresser ce petit edifice; en sorte qu'en peu de tems il le rendit commode pour loger une douzaine de personnes, avec l'ornement d'un petit oratoire, affin que celles qui seroyent si heureuses que de vouloir servir d'exemple aux autres, s'y puissent retirer et commencer a faire essay du dessein.

  A014002577 

 Tost apres, voyci que l'on me fit entendre qu'il n'y avoit que la moitié des moyens que l'on avoit proposé, et despuis l'on mit en doute de beaucoup de commodités temporelles qui devoyent arriver avec une personne, laquelle avoit premierement chaudement entrepris de venir, et puis s'estoit tout a coup rafroidie..

  A014002578 

 Nous commencerons avec la pauvreté, parce que nostre Congregation ne pretendra de s'enrichir que de bonnes œuvres..

  A014002579 

 Leur clausure sera telle pour le commencement: aucun homme n'entrera chez elles que pour les occurrences qu'ilz peuvent entrer es monasteres reformés.

  A014002580 

 J'espere que Dieu sera glorifié en ce petit dessein, et, comme vous a dit le Pere Recteur, la pierre [306] fondamentale que Dieu nous donne pour iceluy est une ame d'excellente vertu et pieté, ce qui me fait tant plus croire que la chose reuscira heureusement..

  A014002581 

 Je sçai que je m'attireray des contrerollemens sur moy, mais je ne m'en soucie pas; car, qui fit jamais bien sans cela? Ce pendant, plusieurs ames se retireront aupres de Nostre Seigneur, treuveront un peu de refrigere et glorifieront le saint nom du Sauveur, qui, sans cela, demeureroyent avec les autres grenouilles es marais..

  A014002581 

 Mon cher Pere, vous estes capable des humeurs, facultés et moyens de ce païs, et jugeres bien, comme je pense, que ne pouvant pas mieux faire, il est bon de faire cela.

  A014002582 

 Or, j'espere que les jours suivans jugeront les precedens de ma vie, et le dernier les jugera tous..

  A014002582 

 Vostre candeur et sainte bonne foy m'oblige a vous dire naïfvement tout cecy, et encor adjouster que je suis filz et serviteur bien humble du Pere Recteur, qui sçait bien que nostre Congregation, qui se commencera dans peu de jours, est le fruit du voyage de Dijon, pour [307] lequel je ne peus jamais regarder les choses en leur face naturelle; et mon ame estoit secrettement forcee a penetrer un autre succes qui tumboit si directement sur le service des ames, que j'aymois mieux m'exposer a l'opinion et a la mercy des bons qu'a la cruauté de la.

  A014002582 

 Voyla, mon cher Pere, le sommaire et premier crayon de l'ouvrage, que Dieu conduira a la perfection que luy seul sçait, et pour lequel mon courage est incomparablement animé, croyant que Dieu l'aura aggreable.

  A014002591 

 Ah! Monsieur mon amy, il est vray, l'Europe ne pouvoit voir aucune mort plus lamentable que celle du grand Henri IV. Mais qui n'admireroit avec vous l'inconstance, la vanité et la perfidie des grandeurs de ce monde? Ce Prince, ayant esté si grand en son extraction, si grand en la valeur guerriere, si grand en victoires, si grand en triomphes, si grand en bonheur, si grand en paix, si grand en reputation, si grand en toutes sortes de grandeurs: hé, qui n'eust dit, a proprement parler, que la grandeur estoit inseparablement liee et collee a sa vie, et que, luy ayant juré une inviolable fidelité, elle esclatteroit un feu d'applaudissement a tout le monde par son dernier moment, qui la termineroit en une glorieuse mort? Non certes, Monsieur, il sembloit bien qu'une si grande vie ne devoit finir que sur les despouilles du Levant, apres une finale ruine et de l'heresie et du Turcisme.

  A014002591 

 Ces quinze ou dix huit ans que sa forte complexion et santé, et que tous les vœux de la France et de plusieurs gens de bien hors de la France luy promettoyent encor de vie vigoureuse, eussent esté suffisans pour cela: et voyla qu'une si grande suite de grandeurs aboutit en une mort qui n'a rien de grand que d'avoir esté grandement funeste, lamentable, miserable et deplorable; et celuy que l'on eust jugé [309] presque immortel, puisqu'il n'avoit peu mourir parmi tant de hasars, desquelz il avoit si longuement fendu la presse pour arriver a l'heureuse paix de laquelle il avoit esté jouissant ces dix annees dernieres, le voyla mort d'un contemptible coup de petit couteau et par la main, d'un jeune homme inconneu, au milieu d'une ruë!.

  A014002592 

 Enfans des hommes, jusques a quand seres-vous si pesans de cœur? Pourquoy cherissés-vous la vanité et pourquoy pourchassés-vous le mensonge? Tout ce que ce monde nous fait voir de grand, ce n'est que fantosme, illusion et mensonge.

  A014002592 

 Qui eust dit, je vous supplie, Monsieur mon cher amy, qu'un fleuve d'une vie royale, grossi de l'affluence de tant de rivieres d'honneurs, de victoires, de triomphes, et sur les eaux duquel tant de gens estoyent embarqués, eust deu perir et s'esvanouir de la sorte, laissant sur la greve et a sec tant de navigans? N'eust-on pas plustost jugé qu'il devoit aller fondre dans la mort, comme dans une mer et un ocean, par plus de triomphes que le Nil n'a d'emboucheures? Et neanmoins, les enfans des hommes ont esté trompés et deceuz en leurs balances et leurs presages ont esté vains..

  A014002593 

 L'affection que j'ay a vostre chere et belle ame me fait dire cela sans necessité..

  A014002593 

 Mon Dieu, Monsieur, que ne sommes-nous sages par tant d'experiences! Que ne mesprisons-nous ce monde, lequel en tout est si fresle et si imbecille! Que ne nous tenons-nous aux pieds de ce Roy immortel qui a triomphé de la mort par sa mort, et duquel la mort est plus aymable que la vie de tous les rois de la terre? Vous estes bien heureux, Monsieur, de faire ces considerations; mais vous seres tres heureux, si, a la suite d'icelles, vous entres es resolutions convenables, exhalant le reste de vos vieux jours comme un encens, par le feu de l'amour unique du Roy de l'eternité.

  A014002594 

 C'est ce seul bonheur qui me fait esperer que la douce et misericordieuse providence du Pere celeste aura insensiblement mis dans ce grand cœur royal, en ce dernier article de sa vie, la contrition necessaire pour une heureuse mort.

  A014002595 

 Et j'ay esté extremement consolé que ce royal courage m'ayant une fois departi sa bienveuillance, ayt si longuement et gracieusement perseveré a m'en gratifier, comme mille tesmoignages qu'il en a faitz a diverses occasions m'en asseurent; et bien que je n'aye jamais receu de sa bonté que la douceur d'estre en ses bonnes graces, si m'estimé-je extremement redevable a continuer mes foibles prieres pour son ame et pour le bonheur de sa posterité..

  A014002595 

 Pour moy, je le confesse, les faveurs de ce grand Roy en mon endroit me sembloyent infinies, mettant en consideration ce que j'estois, lhors qu'en l'annee 1602 il me fit des semonces d'arrester en son royaume, qui estoyent capables d'y retenir, non un pauvre prestre tel que j'estois, mais un bien grand Prelat.

  A014002606 

 Ce sera donq demain que vous aures des pensees et des soucis; car je commence d'en avoir de bien particulieres sur nostre future Mayson, pour les choses temporelles.

  A014002606 

 Et quant aux spirituelles, il me semble que Nostre Seigneur en aura le soin sans souci, et qu'il y respandra mille benedictions..

  A014002607 

 Ma Fille, il faut que je vous die que je ne vis jamais si clairement combien vous estes ma fille que je le voy maintenant, mais je dis que je le voy dans le cœur de Nostre Seigneur; c'est pourquoy n'interpretés pas a [312] desfiance ces petitz motz que je vous escrivis l'autre jour: mais nous en parlerons une autre fois..

  A014002608 

 O ma Fille, que j'ay de desirs que nous soyons un jour tout aneantis en nous mesmes pour vivre tout a Dieu, et que nostre vie soit cachee avec Jesus Christ en Dieu! Oh! quand vivrons-nous nous mesmes, mais non pas nous mesmes, et quand sera-ce que Jesus Christ vivra tout en nous? Je m'en vay un peu faire d'orayson sur cela, ou je prieray le cœur royal du Sauveur pour le nostre.

  A014002608 

 Ouy, je le dis tout de bon, je ne pensois pouvoir ce que je puis en cela, et treuve une source qui me fournit des eaux tous-jours plus abondantes.

  A014002609 

 Il nous faut bien mettre sur la grandeur de courage, pour servir Dieu le plus hautement et vaillamment que nous pourrons; car, pourquoy pensons-nous qu'il ayt voulu faire un seul cœur de deux, sinon affin que ce cœur soit extraordinairement hardi, brave, courageux, constant et amoureux en son Createur et son Sauveur, par lequel et auquel je suis tout vostre..

  A014002618 

 Mon Dieu, que cela m'a attendri quand on a chanté ce Psalme! car je disois: O chere Reyne du Ciel, chaste tourterelle, est-il possible que vostre poussin ayt maintenant pour son nid ma poitrine? Cette parole de l'Espouse m'a bien encor touché: Mon Bienaymé est mien, et moy je suis toute sienne; il demeure entre mes mammelles; car je le tenois la.

  A014002619 

 Quant a l'affaire, je ne sçaurois que dire, sinon qu'en une heure on se peut resoudre au moins mal; et la resolution prise, on se doit donner du contentement sur ce que, de quel costé que l'on retourne les affaires de ce monde, il se treuvera tous-jours beaucoup de choses a desirer et redire.

  A014002627 

 Nous nous sentons extremement obligés, mon frere et moy, a vostre courtoysie, du soin que vous aves eu de faire reussir le desir que nous avions quil fut mis au service de Son Excellence.

  A014002627 

 Si jamais nous sommes capables de vous tesmoigner nostre gratitude par nos services, vous pourres, Monsieur, les exiger comme chose que nous vous devons et que, de bon cœur, nous reconnoissons vous devoir rendre..

  A014002633 

 Monsieur, je vous supplie d'impetrer, sil se peut, une copie de la façon de recevoir ceux qui se presentent a la Confrairie de Nostre Dame des Carmes, car j'ay [315] esgaré celle que j'avois, et neanmoins je suis requis de recevoir quelques dames..

  A014002644 

 La promotion de monsieur Favre a l'estat de premier President de Savoye a donné une joye si universelle aux peuples de deça, que s'il se pouvoit bonnement faire, [316] ilz en iroyent, je pense, porter mille et mille actions de graces aux pieds de Vostre Altesse.

  A014002644 

 Mays ne pouvans faire cette si juste demonstration de l'obligation qu'ilz en ont a la providence de Vostre Altesse, il m'a semblé, Monseigneur, qu'en qualité de pasteur de la plus part d'iceux, joignant leurs tres humbles affections a la mienne, je devoys, pour eux et pour moy en commun, rendre ce tesmoignage de la grande redevance que nous en avons a la bonté de Vostre Altesse, a laquelle nous sommes bien glorieux d'en devoir tout le remerciment, puisqu'elle seule, sans aucun'autre consideration que de nostre bien et de son service, a fait cette digne election..

  A014002645 

 C'est aussi le plus grand garend que les Princes puissent avoir (lhors qu'a leur tour ilz seront censurés a l'heure de leur mort), d'avoir commis leur authorité a des gens capables de la bien manier; car n'ayans peu faire comme Dieu, qui, quand il luy plait, donne la suffisance a ceux auquelz il a remis l'authorité, ilz l'auront jointe au plus pres qu'ilz auront sceu, donnant l'authorité a ceux quilz auront reconneu avoir la suffisance..

  A014002645 

 Certes, Monseigneur, rien ne donne tant de douceur a la vie humaine que la droitte administration de la justice, et la justice, quoy que tous-jours une en elle mesme, ayant sa source, comm'une belle eau, en la poitrine des Princes souverains en terre, coulant par les espritz des magistratz rudes, malpolis et raboteux, elle se rend autant nuysible qu'elle devoit estre utile, et mesmes jusques la que, comme parle un sacré Prophete, ell'est convertie en absinte.

  A014002646 

 Et comm' Alexandre ne vouloit estre peint que par la main de l'unique Apelles, aussi les Princes ne devroyent jamais permettre que leur souveraineté fut exprimee que par les plus rares et dignes espritz du monde, ne pouvans jamais mieux faire connoistre la grandeur de leurs ames qu'au choix de celles qu'elles employent et eslevent..

  A014002647 

 Vostre Altesse, donq, recevra mille louanges des nations estrangeres en la promotion de ce grand personnage duquel elles connoissent la doctrine avec admiration, comme les voysines font la probité par experience; et nous la supplions tres humblement d'aggreer ce ressentiment que nous en faysons, plein de souhaitz qu'il playse a Dieu d'aggrandir et prosperer vostre couronne, de laquelle je suis,.

  A014002662 

 Bien que jusques a present je ne vous aye peu accommoder, monsieur vostre frere et vous, au different [318] que vous aves ensemble, si veux-je esperer qu'un jour je le pourray faire.

  A014002662 

 Mais ayant entendu que monsieur vostre dit frere a consigné es mains de M. Bonod certaine quantité qu'il praetend seulement vous estre deue, j'ay pensé que, en attendant une plus entiere resolution, vous deviés pour cette fois et sans consequence, vous contenter de prendre cela.

  A014002680 

 Ne faut il pas, ma chere Seur, que ne pouvant vous voir, je vous aille au moins donner la bonne feste en esprit? O Dieu, que voyci un grand Saint qui se presente aux yeux de nostre ame! Quand je le considere dans ces desertz, je ne sçai si c'est un Ange qui fait semblant d'estre homme, ou un homme qui pretend de devenir Ange.

  A014002681 

 Elle vit de la rosee et n'a point d'exercice que de chanter.

  A014002681 

 Ma chere Fille, bien que, selon nostre condition mortelle, il nous faut toucher terre pour donner ordre aux necessités de cette vie, si est-ce que nostre cœur ne doit savourer que la rosee du bon playsir de Dieu en tout cela et doit tout rapporter a la louange de Dieu..

  A014002682 

 Ah, que c'est un habit propre a conserver la sainteté, que la robbe de l'humilité!.

  A014002682 

 Helas! pour gens de bien que soyent les Chrestiens, ilz doivent neanmoins se resouvenir qu'ilz sont environnés du peché; et si le peché ne les touche pas, au moins y a-il tous-jours du poil des cogitations, des tentations et des dangers.

  A014002682 

 Mais ce que cet ange terrestre est habillé de poil de chameaux, que signifie-il? Le chameau, bossu et [320] proprement fait a porter les fardeaux, represente le pecheur.

  A014002683 

 Il se tient esloigné du Sauveur, qu'il connoissoit et baysoit par affection des le ventre de sa mere, affin de ne point s'esloigner de l'obeissance, sçachant bien que de treuver le Sauveur hors de l'obeissance, c'est le perdre tout a fait..

  A014002684 

 Au demeurant, il naist d'une vielle sterile, pour nous apprendre que les secheresses et sterilités ne laissent pas de produire en nous la sainte grace; car Jean veut dire grace..

  A014002685 

 Mais sur tout, ma chere Fille, voyés que tout aussi tost que son pere Zacharie eut escrit le nom de ce glorieux enfant sur ses tablettes, il commence a prophetizer et chanter le beau cantique Benedictus Dominus Deus Israël.

  A014002695 

 C'est a elle que je recommande de tout mon cœur le jeune et nouveau Roy et tout ce grand royaume..

  A014002695 

 Entre plusieurs considerations qui m'ont rendu de l'ennuy sur le trespas du grand Roy que la France, avec le monde, vient de perdre, j'ay receu celle de la perte que vous y aves faite; car il vous aymoit et avoit une grande connoissance des raysons pour lesquelles il vous pouvoit encor aymer davantage.

  A014002696 

 Je me prometz de vos nouvelles de rechef, au passage que vous feres a Lion, allant a la cour.

  A014002696 

 Mon Dieu, que nostre grand amy aura esté touché rudement de ce coup! car son merite ne treuvera peut estre pas des yeux qui le regardent clairement, comme faisoyent les yeux de ce digne Monarque.

  A014002697 

 M. nostre cher President s'en va pour presider a toute la justice de Savoye, plus glorieusement qu'on n'a pas fait il y a quelque tems; car il a cet honneur sans brigue, sans cour et [322] sans argent, n'ayant point eu d'autre intercession que ses merites, quoy que Monseigneur de Nemours ayt contribué sa recommandation a l'inclination de Son Altesse..

  A014002709 

 Mais que je suis ayse, ma chere Fille, que ces deux filles de nostre cœur ne puissent pas jeusner demain, et qu'en eschange elles ayent des petites mortifications involontaires; car j'ayme singulierement le mal que la seule election du Pere celeste nous donne, au pris de celuy que nous choysissons.

  A014002710 

 Je pense que toutes la laissent avec tendreté, car elle estoit si aymable et amiable qu'on ne pou voit estre avec elle sans amour, ny la laisser sans douleur..

  A014002711 

 Elle entreprend son voyage avec un peu d'empressement; car l'Evangeliste le dit, que ce fut hastivement.

  A014002711 

 Je voudrois bien sçavoir quelque chose des entretiens de ces deux grandes ames, car vous prendries bien playsir que je vous le dise.

  A014002711 

 Mais penses que la Vierge ne sent que ce de quoy ell'est pleyne et qu'elle ne respire que le Sauveur; saint Joseph, reciproquement, n'aspire qu'au Sauveur qui, par des rayons secretz, luy touche le cœur de mille extraordinaires sentimens.

  A014002720 

 Mais si ce sont ceux que Nostre Seigneur vous a donnés pour directeurs es choses domestiques et temporelles, vous vous decevres vous mesme de les croire es choses esquelles ilz n'ont point d'authorité sur vous.

  A014002720 

 Que s'il failloit ouyr les advis des parens, la chair et le sang sur des telles occurrences, il se treuveroit peu de gens qui embrassassent la perfection de la vie chrestienne.

  A014002720 

 Vous aves opinion que vostre desir de vous retirer du monde ne soit pas selon la volonté de Dieu, puisqu'il [325] ne se treuve pas conforme a celuy de ceux qui, de sa part, ont le pouvoir de vous commander et le devoir de vous conduire.

  A014002721 

 Car en fin, vostre cœur, que diroit-il s'il n'estoit empesché? Vous diroit-il pas: Retirons-nous d'entre les mondains? Il a donq encor cette inspiration; mais parce qu'il est empesché, il ne la peut ou ne l'ose pas dire.

  A014002721 

 Le second est que, puisque non seulement vous aves desiré de vous retirer, mais vous le desireries encor s'il vous estoit permis de ceux qui vous ont retenue, c'est un signe manifeste que Dieu veut vostre retraitte, puisqu'il continue son inspiration parmi tant de contradictions, et vostre cœur, touché de l'aymant, a tous-jours son mouvement du costé de la belle estoille, quoy que rapidement destpurné par les empeschemens terrestres.

  A014002722 

 Le troisiesme point de mon advis est que vous n'estes nullement en indifference devant Dieu, puisque le desir de la retraitte qu'il vous a donné, est tous-jours dedans vostre cœur, quoy qu'il soit empesché de faire son effect; car la balance de vostre esprit tend de ce costé la, bien qu'on donne du doigt de l'autre costé pour empescher le juste poids..

  A014002723 

 Je me fais entendre, que vous avies offert la moitié de vos biens, ou bien le payement de cette mayson, qui est maintenant dediee a Dieu.

  A014002723 

 Le quatriesme, c'est que si vostre premier desir a esté excessif en quelque chose, il le faut corriger, et non point le rompre.

  A014002723 

 Peut estre fut-ce trop, eu esgard que vous avies une seur chargee de grosse famille, a laquelle, selon l'ordre de charité, vous eussies plustost deu appliquer vos biens.

  A014002724 

 En fin, prenés courage a faire une bonne resolution absolue; et bien que ce ne soit pas peché de demeurer ainsy en ces foiblesses, si est-ce que sans doute on perd beaucoup de commodité de bien advancer et recueillir des consolations grandement desirables..

  A014002725 

 Dieu vous donne les saintes benedictions que je vous souhaitte et la douce correspondance [327] qu'il desire de vostre cœur; et je suis en luy, avec toute sincerité,.

  A014002725 

 Je vous ay voulu familierement esclarcir de mon opinion, estimant que vous me feres le bien de ne point le treuver mauvais.

  A014002735 

 J'ay conferé sur vostre lettre avec les Dames qui sont desja congregees et avec ceux qui les conseillent, et ont esté d'advis de mettre en condition aux filles et femmes qui entreront en leur Congregation, que, passé la premiere annee, elles apporteront un fons d'argent ou de terre, sur lequel elles puissent estre entretenues; et cela pour autant que, comme vous sçaves, en ce païs on ne fait jamais bien les payemens des pensions, ains tout se revoque en proces..

  A014002736 

 Il est vray que l'on regarde encor aux facultés, car une damoyselle qui seroit de bonne volonté et n'auroit pas moyen de tant faire, on se contente de moins..

  A014002737 

 Il seroit mieux que ce fut un fond un peu moindre et quil fut absolument a elle.

  A014002737 

 Tout cela se fait ainsy, dautant que cette Congregation n'est encor point rentee, ni ne veut estre ni mendiante ni playdante..

  A014002738 

 Apres leur Noviciat, on les reçoit solemnellement, non point aux vœux, car on n'en fait point de [329] solemnel, mais a l'establissement ou dedicace, a la forme que le bienheureux Cardinal Borrhomee a dressee pour les Urselines, peu de choses changees, paucis mutatis.

  A014002739 

 Les hommes n'entrent point en leur mayson en façon que ce soit, ni les femmes aussi qu'avec licence in scriptis.

  A014002740 

 Il ny a point de jeusne que l'ordinaire de l'Eglise, sinon le vendredi et vigiles de Nostre Dame..

  A014002742 

 La reformation de vostre Talloyres, que j'ay sur les bras, m'empeschera [331] d'aller si tost vers [vous], et quand j'y iray, nous prendrons le logis ou de M me du Foug, ma tante, mon ancienne hostesse, ou de M me d'Allemand, ma comere..

  A014002759 

 Je vous escrivis avant hier seulement pour accompaigner une lettre que la bonne madamoyselle d'Escrilles [332] envoyoit a monsieur vostre mari, son frere; mays j'ayme bien mieux vous escrire maintenant sur le sujet de vostre lettre..

  A014002760 

 Aussi, en ce tems-lâ, il suffit d'employer les prieres jaculatoyres et saerees aspirations; car puisque le mal nous fait souvent souspirer, il ne couste rien de souspirer en Dieu et a Dieu et pour Dieu, de plus que de souspirer pour fayre des plaintz inutiles..

  A014002760 

 Tandis que nos cors sont en douleur, il est malaysé d'eslever nos cœurs a la consideration parfaitte de la bonté de Nostre Seigneur; cela n'appartient qu'a ceux qui, par des longues habitudes, ont leur esprit entierement contourné du costé du Ciel.

  A014002761 

 Il faut donq bien prendre courage, et ne point permettre que les conversations et cette vayne sujettion que nous rendons a ceux que nous hantons, vous prive d'un si rare bien comm'est celuy de parler cœur a cœur avec son Dieu..

  A014002761 

 Mais maintenant que Dieu vous a rendu vostre santé, il faut bien, ma chere Fille, reprendre vostre orayson, au moins pour demi heure le matin et un quart d'heure le soir avant souper; car despuis qu'une fois Nostre Seigneur vous a donné le goust de ce miel celeste, ce vous Sera un grand reproche si vous vous en degoustés, et mesmement puisque il vous l'a fait gouster avec beaucoup de facilité et de consolation, ainsy que je me resouviens fort bien que vous me l'aves advoué.

  A014002762 

 Faites moy donq ce bien, je vous supplie, de m'escrire quelquefois, avec asseurance que je vous donne de tous-jours vous respondre, comm'aussi de correspondre fidelement a lhonneur que vous me faites de me vouloir du bien, par une tres sincere affection a vostre service..

  A014002762 

 Vous m'obliges certes beaucoup de me donner un peu des nouvelles de vostre ame, car la mienne l'ayme cherement et ne se peut empescher de desirer de sçavoir en quel estat elle se treuve; mais la varieté des desseins que monsieur vostre mari a eu de vous faire revenir icy [333] et de vous faire demeurer aux chams m'a retenu de vous en demander.

  A014002767 

 Je suis fort affectionné serviteur de madame vostre chere seur et de M lle la petite niece, ma fille, que j'honnore de tout mon cœur..

  A014002774 

 Ce sera bien fait de faire remedier au mal de [334] la bonne niece, duquel elle m'avoit voyrement parlé, mais avec tel mespris, que je pensois estre fort peu de chose.

  A014002775 

 Hier monsieur de Lux me fit sçavoir que monsieur vostre [père] se portoit fort bien.

  A014002776 

 Aujourdhuy je n'ay encor fait qu'un peu d'orayson, mais j'en feray, Dieu aydant; car je vous veux bien rendre rayson de ce que si justement et charitablement vous desires pour nostr'ame.

  A014002777 

 Je salue bien ma chere petite et ma seur Françoise; mais a present je regarde si [fort] nostre Congregation, que j'y suis nuit et jour.

  A014002785 

 Helas, que nostr'ennemi est subtil et comme il nous conduit insensiblement aux precipices! Or, ne pouvant donq autre chose, je prieray pour ce personnage, que je cheris tendrement et de tout mon cœur..

  A014002785 

 Si je pouvo.is parler a celuy duquel tant de gens parlent, certes, je luy dirois fort franchement tout ce que je croirois estre propre a le retirer a soy, a Dieu, a son Eglise; mais je ne pense pas qu'il fut a propos de traitter cela par lettres.

  A014002786 

 Je suis marri que l'on ayt poussé aux oreilles de Madame de Bons la calomnie delaquelle vous m'advertisses.

  A014002786 

 Je sçai bien, pourtant, que vrayment je n'ay parlé ni en vert ni en gri d'elle a monsieur de Lux.

  A014002802 

 Ce n'est que justement pour vous donner le bon soir que je vous escris, et vous tenir asseuree que je ne cesse point de vous souhaiter mille et mille benedictions du Ciel, et a monsieur mon frere, mais particulierement celle d'estre tous-jours transfiguree en Nostre Seigneur.

  A014002802 

 O que sa face est belle et que ses yeux sont doux et esmerveillables en suavité, et que c'est chose bonne d'estre aupres de luy en la montaigne de la gloire! C'est la, ma chere Seur, ma Fille, ou nous devons loger nos desirs et affections, non en cette terre, ou il n'y a que des vaines beautés et belles vanités..

  A014002804 

 Je vous conjure, ma chere Fille, de bien prier Nostre Seigneur pour moy et qu'il me tienne dores en avant dans les sentiers de sa volonté, affin que je le serve en sincerité et fidelité.

  A014002804 

 Mon Dieu, ma chere Fille, que nous serons heureux si nous aymons bien cette souveraine Bonté qui nous prepare tant de faveurs et benedictions! Soyons bien tous a elle, ma Fille, parmi tant de tracas que la diversité des choses mondaines nous presente.

  A014002804 

 Voyes vous, ma tres chere Fille, je desire ou de mourir ou d'aymer Dieu; ou la mort ou l'amour, car la vie qui est sans cet amour est tout a fait pire que la mort.

  A014002805 

 Croyés-moy, la vraye vertu ne se nourrit pas dans le repos exterieur, non plus que les bons poissons dans les eaux croupissantes des marais.

  A014002805 

 Non, ma chere Fille, car cela vous sert d'exercice a prattiquer les plus cheres et aymables vertus que Nostre Seigneur nous ayt recommandé.

  A014002805 

 Vous marches tous-jours entre nos saintes resolutions, je m'en asseure; ne vous fasches donques point de ces petitz assautz d'inquietudes et chagrins que la multiplicité des affaires domestiques vous donne.

  A014002810 

 Puysque le sieur de la Valbonne est actuellement receu au Senat et que Vostre Excellence a gratifié le sieur Arpeaud de la judicature de Genevois, je la supplie tres humblement de favoriser le sieur Bouvard de l'estat de son advocat fiscal, l'asseurant en toute verité que la recommandation que ci devant j'ay faitte de la personne et merites d'iceluy, se treuvera moindre que le sujet ne requeroit, et qu'.................................de Vostre Excellence........ne sçauroit faire un choix plus utile a son service que celuy de cet homme lâ, vertueux, sçavant, laborieux et nourri es lettres par la grace de Vostre Excellence..

  A014002825 

 Ce papier vous portera simplement des paroles qui sortent du fond de mon cœur sur la derniere lettre que j'ay receüe de vostre part, il y a pres de six semaines..

  A014002826 

 Mais faites, mon cher Monsieur, que je cheris a l'esgal de mon cœur, faites tous-jours vivre courageusement vos vertus qui, aussi bien, sont immortelles, et je me prometz ce contentement de voir qu'un peu d'interruption que la perte de ce grand Roy fait a vostre bonheur, ne servira que de reprise d'haleine a vostre fortune; car en fin, c'est Dieu qui manie les resnes du cours de nostre vie, et nous n'avons point d'autre fortune que sa providence, laquelle sera tous-jours specialement sur vous quand vostre amour sera special en son endroit.

  A014002827 

 Je vous avois escrit sur ce sujet bien tost apres le coup; mais, a ce que je voy, mes lettres ne vous sont point venues en main.

  A014002827 

 Oh bien, vous aves la Monsieur [341] de Montpellier, et m'asseure que vostre mutuelle prudence aura apporté tout le soulagement a vos espritz qui se peut recevoir.

  A014002827 

 Pour moy, Monsieur, je; vous conjure de croire que vous n'aves point de cœur au monde qui soit plus absolument en la pensee du bien qu'il a d'estre si parfaittement aymé de vous..

  A014002839 

 Ce bon hermite, venu de la part du P. de Monchi, me dit hier au soir que si ledit P. de Monchi venoit, il reviendroit aussi avec luy, par ce qu'il s'estoit mis sous son obeissance et l'avoit pris pour Superieur.

  A014002839 

 Cela, ma [342] chere Fille, me tient encor plus en opinion de differer encor un peu a le faire venir, en luy parlant neanmoins en sorte que s'il vouloit venir, il n'en fut pas du tout forclos; car, pour parler entre nous deux, sil vient sur ma parole, il me sommera de le si bien accommoder que j'en auray bien de la peyne, ce quil ne feroit pas sil venoit d'autre façon; car le bonhomme va selon son esprit, et je ne desire point de luy donner aucun sujet de plainte..

  A014002850 

 Ce bon Frere qui est icy, ne partira que jeudi, car tout aujourdhuy j'ay esté tant tracassé quil n'est pas possible de plus.

  A014002850 

 Je treuve certes encor meilleur ( sic ) la methode que vous dites, d'escrire au P. de Monchi tout nuement vostre pensee, ma tres chere Fille, car apres cela il ny aura rien a dire.

  A014002851 

 Ne jeusnes pas, ma tres chere Fille, ni nostre fille de Brechard; car, quant a vous, je me souviendray bien, apres que vous seres bravement guerie, de vous faire jeusner un samedi en eschange..

  A014002852 

 Envoyes moy nostre Françon, que nous confesserons ce soir.

  A014002854 

 Au demeurant, je me suis treuvé ce matin, avec une certaine douceur et tranquillité d'esprit, sans aucun ressentiment de l'estonnement que mon cœur avoit eu, que j'ay conneu clairement que la venue de Nostre Dame s'approchoit, par un presentiment de sa douce lumiere.

  A014002855 

 Jamais je n'eu tant de sainte affection que j'en ay pour nostre ame et nostre tres unique cœur..

  A014002868 

 Mais moy, j'ay bien de la consolation de vous voir recevoir si doucement les essais que je fay au service de vostre chere ame, laquelle voyant marquee de plusieurs graces celestes, je ne puis que je n'ayme tendrement et puissamment.

  A014002869 

 Or, vous sçavés, ma tres chere Fille, que le feu que Moyse vit sur la montaigne representoit ce saint amour, et que, comme ces flammes se nourrissoyent entre les espines, aussi l'exercice de l'amour sacré se maintient bien plus heureusement parmi les tribulations qu'emmi les contentemens.

  A014002869 

 Vous aves donq bien occasion de connoistre que Nostre Seigneur desire que vous proffities en sa dilection, puisqu'il vous donne une santé presque tous-jours incertaine et plusieurs autres exercices..

  A014002870 

 Mon Dieu, ma tres chere Fille, que c'est chose douce de voir Nostre Seigneur couronné d'espines sur la croix et de gloire au Ciel! car cela nous encourage a recevoir les contradictions amoureusement, sçachans bien que, par la couronne d'espines, nous arriverons a la couronne de felicité.

  A014002882 

 Combien de gens avons-nous veu, en paix dans les espines des maladies et perte des amis, perdre la paix interieure dans les tracas [346] des proces exterieurs? Et voyci la rayson, ou plustost la cause sans rayson: nous avons peyne de croire que le mal des proces soit employé de Dieu pour nostre exercice, parce que nous voyons que ce sont les hommes qui font les poursuittes; et, n'osans pas nous remuer contre cette Providence toute bonne, toute sage, nous nous remuons contre les personnes qui nous affligent et nous en prenons a eux, non sans grand peril de perdre la charité, la seule perte delaquelle nous devons craindre en cette vie..

  A014002882 

 Et faut que je confesse qu'encor qu'a mon advis les afflictions qui regardent les personnes propres et celles des proches soyent plus affligeantes, neanmoins celles des proces me donnent plus de compassion, parce qu'elles sont plus dangereuses pour l'ame.

  A014002883 

 Croyés-moy, ma tres chere Fille, il faut estre forte et constante en l'amour du prochain; et je dis cecy de tout mon cœur, et sans avoir esgard ni a vos parties, ni a ce qu'ilz me sont, et m'est advis que rien ne me touche en ces rencontres que la jalousie de vostre perfection..

  A014002883 

 Souvenés-vous que jamais Nostre Seigneur ne dit un seul mot contre ceux qui le condamnerent, il ne les jugea point; il fut jugé et condamne a tort, et il demeura en paix et mourut en paix, et ne se revengea qu'a prier pour eux.

  A014002884 

 Mais il faut que je cesse, et je ne pensois mesme en tant dire.

  A014002884 

 Vous aures Dieu tous-jours quand il vous plaira: et n'est-ce pas asses estre riche? Je le supplie que sa volonté soit vostre repos, et sa Croix vostre gloire, et je suis sans fin,.

  A014002911 

 Je réponds par ces quatre lignes à la dernière lettre de Votre très Illustre Seigneurie, en laissant au porteur, M. le collatéral de Quoex le soin de dire le restant, d'après les entretiens que nous en avons eus ensemble..

  A014002913 

 Mais du missel, il ne reste aucune trace, parce que ledit prieur est resté longtemps absent pour cause d'études..

  A014002913 

 Quant à la Messe célébrée en l'honneur du bienheureux Prince au monastère de Talloires, je n'ai pu recueillir que ceci: M. Claude-Nicolas de Quoex, frère du porteur et prieur claustral de Talloires, étant jeune Novice, servait les Messes.

  A014002914 

 Je dois ajouter que j'allai présenter mes hommages à Son Altesse M gr le Prince, qui passa l'autre jour à Chambéry.

  A014002929 

 Cette grace si signalee par laquelle il fut retiré d'entre les bras de l'erreur pour estre remis au giron de la sainte Eglise militante, me fait croire que sa divine Majesté ne l'aura pas retiré du giron de la militante que pour le loger en celuy de la triomphante, puisque mesme, quoy qu'il soit mort au milieu de l'heresie, il est neanmoins trespassé en la foy et union de cette sainte Eglise militante, sa mere et mere de tous les enfans de Dieu..

  A014002929 

 Je regrette avec vous la perte que nous avons faite de la presence de monsieur vostre pere, et loüe neanmoins [351] Nostre Seigneur avec vous du gain qu'il a fait, en eschange de cette miserable vie mortelle, avec la tres heureuse vie celeste a laquelle il a esté appellé.

  A014002942 

 Je desire fort de vous entretenir tout un' apres disner, mais tenes un peu bien prest ce que vous aves a me dire, et vos petites lanterneries, dans lesquelles, si je puis, je mettray aussi des petites clartés, affin que vos lanternes ne soyent pas du tout inutiles..

  A014002942 

 Je n'ay garde, ma tres chere Fille, de me rendre negligent en la besoigne que Dieu m'a mise en main pour la gloire de son saint amour, car c'est la verité que je n'en sçaùrois chevir qu'avec un grand effort, dautant que cet amour est un abisme des cœurs et des espritz.

  A014002943 

 J'avois dit a M. Michel que vous communieries; et ce grand Saint merite bien qu'on face soigneusement sa feste, quand ce ne seroit que pour apprendre a porter nos testes et que nos testes ne nous portent pas, qui est la perfaite resignation..

  A014002944 

 Mais quant a vostre Celse Benigne, gardes bien que vous savouriés delicieusement tout ce qui est dit si joliment de luy, car c'est vostr'enfant.

  A014002944 

 Voyla donq la chere lettre que je vous renvoye, car je ne voudrois estre plus longuement depositaire d'un escrit qui parle de Celse Benine si mignardement..

  A014002952 

 Et ce pendant, nourrisses cherement la sacree inspiration que Dieu vous a donnee, par tous les bons exercices qui peuvent establir vostre cœur en l'humilité, douceur et pureté; car si vous jettes ainsy vostre fiance en cette souveraine Bonté, ell'abbregera les jours pour vous faire plus tost jouir de la retraitte a laquelle elle vous appelle..

  A014002968 

 A ce renouvellement des entrees de la cour, me voyci a vostre porte, requerant quil vous playse avoir le soin et de l'affaire de ce porteur et de celle que j'ay pour la cure des Abergemens contre le Chapitre de Belley, qui a le tort principalement en ce quil me veut priver de la garde des cures et eglises parrochiales vacantes, contre toute rayson, contre toute coustume et contre les [356] articles que nous avions signés et arrestés par composition amiable, mais articles lesquelz ayans esté rompuz de leur part, je ne restabliray pas si aysement; puysque mesme je reconnois tous les jours plus clairement que leurs provisions du doyenné de Seyserieu sont foibles et imbecilles, au pris de celles de monsieur de Vitré, et que d'ailleurs ces messieurs ne songent qu'a s'avancer sur l'authorité de l'Evesque, qu'a pervertir la discipline ecclesiastique et qu'a nous introduire des methodes contraires aux Conciles.

  A014002969 

 Et quant a l'affaire de M. de Sauzea, j'ay appris chose qui m'a despieu; et c'est que sa partie a remis son droit a M. Gontier, homme puissant et de grand credit, comm'on me dit.

  A014002970 

 Je n'escriray point pour ce coup a madamoyselle ma chere mere, par ce que ce porteur me presse et m'a treuvé entre mille embarassemens; mais il ne passera beaucoup de jours que je ne repare ce defaut.

  A014002985 

 Certes, j'ay bien eu du contentement de sçavoir de vos nouvelles apres tant de tems que j'avois demeuré sans en recevoir, ma tres chere Fille, par vous mesme; car, que me peuvent dire de certain, de vous ni de vos affaires, tous les autres?.

  A014002986 

 A la verité, j'ay tous-jours eu cette cogitation, que toutes ces applications reusciroyent tres mal, et que c'estoit un coup que la Providence celeste vous avoit donné, affin de vous donner sujet de patience et mortification.

  A014002987 

 C'est la verité aussi que l'on perd tous-jours quelque chose aux sorties qui peuvent, voire mesme avec quelque perte temporelle, estre evitees.

  A014002987 

 Je le croy; mays croyes moy aussi, ma tres chere Fille, que comme les filles qui ont quitté le monde devroyent ne le jamais vouloir voir, aussi le monde qui a quitté les filles ne le ( sic ) voudroit jamais voir, et pour peu qu'il les voye, il s'en fasche et murmure.

  A014002987 

 Mays on m'a escrit que vous esties au Puy d'Orbe avec de vos Filles, et le reste estoit demeuré a Chatillon.

  A014002988 

 C'est l'ancienne coustume du monde de treuver qu'il luy est loysible de parler des ecclesiastiques a toute main, et croit que pourveu qu'il ayt quelque chose a dire sur iceux, il ni aura plus rien a dire sur ses partisans..

  A014002988 

 Contentes en cela messieurs vos parens, et je croy qu'apres vous pourres confidemment leur demander du secours pour vous bien loger, car il me semble que je les [voy qui disent: Pourquoy loger a] commodité des filles.....qui sortent [359] et vont parmi le monde? Et le desplaysir qu'ilz ont de ces sorties fait qu'ilz en exagerent la quantité et qualité.

  A014002989 

 Il faut remedier a cela, ma tres chere Fille, et ne permettre pas que cette tentation dure.

  A014002989 

 Il se peut faire qu'ell'ayt le tort, mais du moins aures vous celuy la, de ne la pas ramener a vostre amour par le tesmoignage continuel et incessable de celuy que vous luy deves selon Dieu et le monde..

  A014002989 

 Je confesse que je n'admire nullement que vos proches se scandalizent de voir la froideur de l'amitié qui est entre deux seurs naturelles, deux seurs spirituelles, deux seurs Religieuses.

  A014002989 

 Or sus, ni auroit pas moyen que vous sçeussies treuver le biays par lequel il faut prendre et garder le cœur et l'affection de madame la Prieure nostre seur? car encor que selon le monde c'est aux inferieurs a rechercher la bienveuillance des superieurs, si est ce que selon Dieu et les Apostres c'est aux superieurs a rechercher les inferieurs et les gaigner; car ainsy fait nostre Redempteur, ainsy ont fait les Apostres, ainsy ont fait, font et feront a jamais tous les Praelatz zelés en l'amour de leur Maistre.

  A014002990 

 Si je vous parlois autrement, je vous trahirois; et je ne puis ni ne veux vous aymer que tout a fait paternellement, ma tres chere Fille, que je prie Nostre Seigneur vouloir combler de graces [360] et [de] ses consolations, saluant tres humblement toute vostre chere compaignie..

  A014002990 

 Vous voyes de quelle liberté j'use a vous [dire mes sentimens, ma chere Fille, car vous estes] une fille que je desire estre tous-jours victorieuse de la victoire que l'Apostre annonce: Ne soyes point vancu ( sic ) par le mal, mais vainques le mal par le bien.

  A014003020 

 C'est pourquoy ce porteur [362] recourt a vous affin quil vous playse favoriser la supplication quil presentera, pour obtenir une declaration propre pour fayre foy au Parlement de Digeon de ce que nous avons allegué, ainsy que je viens de dire..

  A014003020 

 Or, nous sommes reduitz a devoir preuver que nous avons ci devant conferé les cures par le concours, et que, quand il est arrivé quelque proces devant le Senat pour ce regard le Senat a jugé selon ce concours et en faveur d'iceluy.

  A014003021 

 J'en parlay l'autre jour a monsieur l'advocat general, qui me dit que malaysement obtiendrions-nous une telle declaration, mais que le Senat feroit bien faire un'information par un commissaire deputé de sa part, qui pourroit servir autant que l'attestation mesme; ce qui suffiroit, car je ne suis point attaché a la maniere.

  A014003037 

 J'ay appris que mon frere et vous, estes tous-jours, et de plus en plus, exercés par les volontés de monsieur vostre pere.

  A014003050 

 Mais pourquoy dites-vous, ma chere Fille, que s'il vous faut aller a Chambery vous craignes d'interrompre vos exercices, et particulierement celuy de la Communion? O Dieu, ma Fille, un peu de diligence de plus vous conservera vos exercices sains et sauves entre tous ces tracas.

  A014003051 

 Or bien, comme que ce soit, [365] nous demeurerons tous-jours bien unis, Dieu aydant, au desir de servir et aymer parfaitement nostre Sauveur..

  A014003051 

 Vrayement je desire fort de vous aller voir, mais je voudrois, s'il se pouvoit, que ce fust sans avoir occasion de m'engager en ceremonies, complimens et perte de tems ailleurs, comme je crois la chere seur vous devoir avoir dit; car si ce n'eust esté cette consideration, puisque j'avois le pied a l'estrier, je fusse retourné de Chambery par devers vous.

  A014003063 

 Que vous diray je, ma Fille, sinon que la sainte Eglise Romaine, nostre mere, conduit aujourd'huy ses enfans a Sainte Marie la Majeure pour y faire la station et y commencer les Advens.

  A014003065 

 Voyla asses dequoy mediter, ma Fille, jusques a ce que je vous voye avec la chere petite trouppe, que Dieu veuille benir..

  A014003076 

 Mays celle du violement du cimetiere me regardant, affin d'y donner le plus digne et [367] prompt remede que je puis, je vous supplie tres humblement, Monseigneur de vouloir, en quelque journee aggreable, prendre la peyne de faire la reconciliation requise; en quoy vous favoriseres infiniment ce pauvre peuple qui, ne pouvant mais du crime, ne laysse pas de souffrir la privation de cette commodité spirituelle, et m'obligeres de rechef a vostr'obeissance, a laquelle pour tant d'autres raysons je suis tout voué et dedié..

  A014003095 

 Affin donques qu'elle prene en sa speciale protection nostr'ame et nostre Congregation, nous commencerons ce jour la a communier quotidiennement; et je vous en advertis a l'avantage, affin que ces jours d'entredeux soyent employés a la preparation de la reception d'un si excellent benefice.

  A014003095 

 Sur ces nouveaux courages que nous prenons, je voy arriver la feste de la Conception de Nostre Dame, feste de tres particuliere devotion a ceux qui sont voués et dediés a son service.

  A014003096 

 C'est le bon jour que je vous donne, ma tres chere Fille, sans pour cela vouloir dire que je ne vous aille voir quand je pourray..

  A014003107 

 Avec mille actions de graces des deux dernieres lettres [que] vous aves pris l'incommodité de m'escrire emmi ce grand tracas qui vous accable, je vous supplie de ne jamais faire aucune sorte d'effort pour me donner ce contentement; car encor que je confesse quil soit grand, si est ce que celuy de vostre conservation et repos m'est incomparablement plus grand..

  A014003108 

 Je me res-jouis de la bonne volonté du sieur chevalier Buccio; je doute pourtant que Son Altesse n'apporte quelqu'excuse a la nomination, a cause de la praetention que messieurs de Saint Lazare ont d'employer le nom de la Sainte Mayson pour accroistre la leur [de ce bien]; mays les essays ne peuvent point nuyre et peuvent reuscir.

  A014003108 

 O Dieu, j'ay le coeur a demi gasté des alarmes qu'on [370] me donne d'une rude guerre pour nostre Prince, bien que j'espere en cette souveraine Providence qu'elle reduira le tout a nostre profit..

  A014003110 

 Hormis que toute sa vie ell'a esté de bonne reputation, la comparayson est bonne.

  A014003110 

 Madame du Foug, ma tante, et, comme je crois, vostre hostesse de Thonon, me prie par une lettre, que je vous recommande l'affaire qu'ell'a au Senat.

  A014003111 

 Je prie Nostre Seigneur quil vous renforce de plus en plus pour porter le [faix] quil a imposé sur vos espaules, et que ce soit par apres [tres] longuement, car ce sera tres heureusement.

  A014003123 

 Certes, je voudrois bien tous les jours vous envoyer quelque petite marque de la souvenance que j'ay de vostre dilection; mais je suis quelquefois sans loysir et d'autres fois sans commodité.

  A014003123 

 Ne penses pas, ma Seur tres chere, que je n'aye de la peyne a demeurer tant sans vous escrire, et principalement [372] maintenant qu'au rapport des bons Peres Feuillans vous estes encor un peu tendre en santé.

  A014003123 

 Or bien, encor vous escris-je maintenant apres dix heures du soir, pour accompaigner le livre ci joint qui me semble un peu plus correct que ceux des autres editions, bien que je ne l'aye pas veu que par ci par la; et, outre ce, il y a trois chapitres: Des habitz, Des desirs et Quil faut avoir l'esprit juste.

  A014003124 

 Je n'eu pas le loysir de me resouvenir, quand je fus a Chamberi, de vous dire que je vous avois envoyé une copie des principaux statutz de la Visitation; et si, je ne me souviens pas par qui je les envoyay.

  A014003125 

 Et puis consoles vous, que quand nous serons au port, les douceurs que nous y [373] aurons, effaceront les travaux pris pour y aller.

  A014003125 

 Gardes bien de laysser convertir vostre soin en troublement et inquietude, et toute embarquee que vous estes sur les vagues et parmi les vens de plusieurs tracas, regardes tous-jours au Ciel et dites a Nostre Seigneur: O Dieu, c'est pour vous que je vogue et navige, soyes ma guide et mon nocher.

  A014003125 

 Or, nous y allons parmi tous ces orages, pourveu que nous ayons le cœur droit, l'intention bonne, le courage ferme, l'œil en Dieu et en luy toute nostre fiance.

  A014003125 

 Que si la force de la tempeste nous esmeut quelquefois un peu l'estomach et nous fait un petit tourner la teste, ne nous estonnons point, mays soudain que nous pourrons, reprenons haleyne et nous animons a mieux faire..

  A014003138 

 Ah! Ce [374] dis-je, o Sauveur de nostre cœur, puisque meshuy nous serons tous les jours a vostre table pour manger non seulement vostre pain, mays vous mesme, qui estes nostre pain vivant et sur essentiel, faites que tous les jours nous facions une bonne et parfaite digestion de cette viande tres parfaitte, et que nous vivions perpetuellement embausmés de vostre sacree douceur, bonté et amour..

  A014003138 

 Au reste, je me porte fort bien, et vostre cœur, tout autant que je le puis connoistre.

  A014003138 

 J'ay prié avec une ardeur tres particuliere ce matin pour nostre advancement au saint amour de Dieu, et me sens des plus grans desirs que jamais au bien de nostre ame.

  A014003138 

 Mon Dieu, ma chere Fille, certes il me tarde que je vous voye.

  A014003140 

 Je ne veux pas que vous jeusnies cette annee.

  A014003146 

 Dieu vous veuille estre propice, et que sa sainte main soit tous-jours avec vous..

  A014003147 

 Ainsy, la vanité fait qu'on s'amuse a ces folastres galanteries qui sont a louange devant les femmes et autres espritz minces, et qui sont a mespris devant les grans courages et espritz relevés, et l'ambition fait que l'on veut avoir les honneurs avant que les avoir merités.

  A014003147 

 Je ne suis pas si paoureux que plusieurs autres, et n'estime pas cette profession-la des plus dangereuses pour les ames bien nees et pour les courages masles, car il n'y a que deux principaux escueilz en ce gouffre: la vanité, qui ruine les espritz molz, faineans, feminins et flouetz, et l'ambition, qui perd les cœurs audacieux et presomptueux.

  A014003148 

 N'oubliés jamais (mais de cela je vous en conjure) de demander a genoux le secours de Nostre Seigneur avant que de sortir de vostre logis, et de demander le pardon de vos fautes avant que d'aller coucher..

  A014003148 

 Or, Monsieur, contre tout cela, puisqu'il vous plaist que je vous parle ainsy, continués a nourrir vostre esprit des viandes spirituelles et divines, car elles le rendront lort contre la vanité et juste contre l'ambition.

  A014003148 

 Tenes bon a la frequente Communion, et croyés-moy, vous ne sçauries faire chose qui vous affermisse tant en la vertu, lit pour bien vous asseurer en cet exercice, ranges-vous sous le conseil de quelque bon confesseur, et le priés qu'il prenne authorité de vous demander conte en confession des retardemens que vous feres en cet exercice, si par fortune vous en faisies.

  A014003149 

 Sur tout, gardés vous des mauvais livres, et pour rien du monde ne laissés point emporter vostre esprit apres certains escritz que les cervelles foibles admirent, a cause de certaines vaines subtilités qu'ilz y hument, comme cet infame Rabelais et certains autres de nostre aage, qui font profession de revoquer tout en doute, de mespriser tout et se mocquer de toutes les maximes de l'antiquité.

  A014003150 

 Je vous recommande la douce et sincere courtoysie qui n'offense personne et oblige tout le monde, qui cherche plus l'amour que l'honneur, qui ne raille jamais aux [377] despens de personne, ni piquamment, qui ne recule personne et aussi n'est jamais reculee, et si elle l'est, ce n'est que rarement; en eschange dequoy, elle est tres souvent honnorablement avancee..

  A014003152 

 Constamment, parce que, si vous ne tesmoignes pas avec perseverance une volonté esgale et inviolable, vous exposeres vos resolutions aux desseins et attaques de plusieurs miserables ames qui attaquent les autres pour les reduire a leur train.

  A014003152 

 Et je dis en fin chrestiennement, pour ce que plusieurs font profession de vouloir estre vertueux a la philosophique, qui neanmoins ne le sont ni ne le peuvent estre en façon quelconque, et ne sont autre chose que certains fantosmes de vertu, couvrant a ceux qui ne les hantent pas leurs mauvaise vie et humeurs par des ceremonieuses contenances et paroles.

  A014003152 

 Je voudrois que d'abord, en devis et maintien et en conversation, vous fissies profession ouverte et expresse de vouloir vivre vertueusement, judicieusement, constamment et chrestiennement.

  A014003152 

 Judicieusement, affin que vous ne fassies pas des signes extremes, en l'exterieur, de vostre intention, mais telz seulement que, selon vostre condition, ilz ne puissent estre censurés des sages.

  A014003152 

 Mais nous, qui sçavons bien que nous, ne sçaurions avoir un seul brin de vertu que par la grace de Nostre Seigneur, nous devons employer la pieté et la sainte devotion pour vivre vertueusement; autrement, nous n'aurons des vertus qu'en imagination et en ombre.

  A014003153 

 Il vous importera aussi infiniment de faire quelques [378] amis de mesme intention, avec lesquelz vous puissies vous entreporter et fortifier; car c'est chose toute vraye que le commerce de ceux qui ont l'ame bien dressee, nous sert infiniment a bien dresser ou a bien tenir dressee la nostre.

  A014003153 

 Je pense que vous treuveres bien aux Jesuites, ou aux Capucins, ou aux Feuillans, ou mesme hors des monasteres, quelque esprit courtois qui se res-jouira si quelquefois vous l'alles voir pour vous recreer et prendre haleyne spirituelle..

  A014003154 

 C'est un exercice de faineant; et ceux qui se veulent donner du bruit et de l'accueil jouant avec les grans, disans que c'est le plus court moyen de se faire connoistre, tesmoignent qu'ilz n'ont point de bonne marque de merite, puisqu'ilz ont recours a ces moyens propres a ceux qui, ayans de l'argent, le veulent hazarder; et ne leur est pas grande la louange d'estre connus pour joueurs, mais s'il leur arrive de grandes pertes, chacun les connoist pour folz.

  A014003154 

 Mais il faut que vous me permetties de vous dire quelque chose en particulier.

  A014003154 

 Voyés-vous, Monsieur, je crains que vous ne retournies au jeu, et je le crains parce que ce vous sera un tres grand mal: cela, en peu de jours, dissiperoit vostre cœur et feroit flestrir toutes les fleurs de vos bons desirs.

  A014003155 

 Et Nostre Seigneur ne veut pas dire qu'il faille que tous ceux qui sont es cours s'habillent mollement; mais il dit seulement que, coustumierement, ceux qui s'habillent mollement se treuvent la.

  A014003155 

 Neanmoins Nostre Seigneur dit que ceux qui s'habillent mollement sont es maysons des rois; c'est pourquoy je vous en parle.

  A014003156 

 Je veux donq dire que je voudrois que parfois vous gourmandassies vostre cors a luy faire sentir quelques aspretés et duretés, par le mespris des delicatesses et le renoncement frequent des choses aggreables aux sens; car encor faut-il quelquefois que la rayson fasse l'exercice de sa superiorité et de l'authorité qu'elle a de ranger les appetitz sensuelz..

  A014003157 

 Mon Dieu, je suis trop long, et si, je ne sçai ce que j'escris, car c'est sans loysir et a diverses reprises.

  A014003158 

 Encor faut-il pourtant que je vous die ceci.

  A014003158 

 Et si vous eussies esté aupres de luy, vous l'eussies veu rire amiablement aux occasions, parler hardiment quand il en estoit tems, avoir soin que tout fust en lustre autour de luy, comme un autre Salomon, pour maintenir la dignité royale; et un moment apres, servir les pauvres aux hospitaux, et en fin marier la vertu civile avec la chrestienne, et la majesté avec l'humilité.

  A014003158 

 Imaginés-vous que vous fussies courtisan de saint Louys: il aymoit, ce Roy saint (et le Roy est maintenant saint par innocence), qu'on fust brave, courageux, genereux, de bonne humeur, courtois, civil, franc, poly; et neanmoins, il aymoit sur tout qu'on fust bon Chrestien.

  A014003159 

 Faites souvent cette bonne pensee, que nous cheminons en ce monde entre le Paradis et l'enfer, que le dernier pas sera celuy qui nous mettra au logis eternel et que nous ne sçavons lequel sera le dernier, et que, pour bien faire le dernier, il faut s'essayer de bien faire tous les autres.

  A014003159 

 O sainte et interminable eternité, bienheureux qui vous considere! Ouy, car qu'est-ce que [ce] [380] desduit de petitz enfans que nous faysons en ce monde pour je ne sçai combien de jours? Rien du tout, si ce n'estoit que c'est le passage a l'eternité.

  A014003159 

 Pour cela donq il nous faut avoir soin du tems que nous avons a demeurer ça bas, et de toutes nos occupations, affin que nous les employons a la conqueste du bien permanent..

  A014003160 

 Veuille a jamais le vent propice des inspirations celestes enfler de plus en plus les voyles de vostre vaysseau et vous faire heureusement surgir au port de la sainte eternité, que de si bon cœur vous souhaite sans cesse,.

  A014003168 

 En fin ce beau jour, si propre pour aller vers vous, ma tres chere Fille, s'escoule ainsy sans que j'aye ce [381] contentement; au moins faut que je supplee en quelque sorte par ce petit mot, que je sauve d'entre les affaires que certains Religieux m'apportent..

  A014003169 

 Non, ma Fille, car le pauvret n'en peut mais, et Dieu mesme ne luy en sçait aucun mauvais gré pour cela; au contraire, sa divine sagesse se plaist a voir que ce petit cœur va tremblotant a l'ombre du mal, comme un foible petit poussin a l'ombre du milan qui va voltigeant au dessus de luy; car c'est signe qu'il est bon, ce cœur, et qu'il abhorre les mauvaises fantasies..

  A014003170 

 Mon Dieu! il est impossible que rien nous offense, tandis qu'avec une vraye resolution nous voulons estre tout a Dieu; et neanmoins nous sçavons bien que nous le voulons..

  A014003177 

 Il est, au demeurant, hors de mon pouvoir de rendre fait le Traitté de l'Amour de Dieu de quelque tems, pour le peu de loysir que mes continuelles occupations me laissent, quoy que je sois soigneux de n'en perdre pas un seul moment.

  A014003177 

 Je suis marri que vous ayes eu l'incommodité d'envoyer expres ce porteur qui m'a rendu les livres que vous luy avies confiés.

  A014003177 

 Mais quand il sera en estat d'estre envoyé, je vous avertiray quelques semaines devant, affin que vous ayes ce qui sera [383] convenable pour l'edition, en suite de ce que ci devant je vous en ay dit et escrit a monsieur le Suffragant..

  A014003196 

 Et outre le contentement que vous aures d'avoir exercé une telle charité a l'endroit de toute un' honnorable famille, faysant revivre l'enfant qui sembloit perdu, vous me rendres de plus en plus obligé de [385] vous honnorer avec le respect que, pour plusieurs autres raysons, je veux et dois rendre a vos merites..

  A014003217 

 Je serviray madame d'Avully en tout ce qu'il [386] me sera possible, notamment en l'un et en l'autre des articles que vous me marques..

  A014003217 

 Voyla vostre porteur que nous vous renvoyons despéché.

  A014003218 

 Et quant au premier, bien que je n'aye pas accoustumé d'estre pour personne es appointemens, attendu que ma qualité m'invite tous-jours a la neutralité pour penser la paix, si est-ce que, si elle le veut ainsy, je me dispenseray de lettre pour ce coup, et M. de la Roche, qui est dehors, estant venu, je luy parleray a mesme effect..

  A014003219 

 C'est affin que tout, la dedans, aille d'un train.

  A014003219 

 Neanmoins, je veux bien dire que malaysement pourroit-on luy permettre d'avoir une fille de chambre qui ne fust pas de la mayson, mais ouy bien qu'elle fust specialement servie par mie de celles qui seront en la mayson.

  A014003219 

 Quant au second, je pense qu'il faudra attendre qu'elle vienne icy pour voir le train de cette Congregation, affin que, selon le jour qu'elle prendra, on regarde de luy donner satisfaction, s'il se peut.

  A014003220 

 Ne me faites point d'excuses a m'escrire bien ou mal, car ne me faut nulle sorte d'autre ceremonie que de m'aymer en Nostre Seigneur, selon lequel je suis.

  A014003228 

 Ce n'est que simplement pour contenter mon cœur que je vous escris maintenant, car il faut, quand je puis, suppleer au bonheur que j'avois d'estre aupres de vous par ce petit allegement.

  A014003228 

 Ce pendant, continuons, Monsieur mon Frere, en cette si digne et si rar'affection, affin que non seulement Monsieur le R me de Saint Paul, mais tout le monde l'admire et loue desormais..

  A014003228 

 Et puis, encor faut-il garder les bonnes coustumes a vous souhaiter les bonnes festes; car, de m'attendre au bien que nous avions presque esperé, de vous voir a nos beaux Offices en ces si dignes solemnités, c'est chose que le tems et les affaires ne me peuvent permettre, si ce n'est en cette façon ordinaire par laquelle vous estes tous-jours present a mon ame, et principalement a l'autel et le jour de Nouel, environ lequel j'eu cette si chere grace de vous voir.

  A014003228 

 Mais combien y a-il? Certes, je n'y pense point, car il me semble que nostr'amitié est sans limites, et qu'estant si fort naturalisee en mon cœur, ell'est aussi ancienne que luy.

  A014003229 

 Je suis tous-jours un peu en peyne de la santé de madame nostre chere Presidente, bien qu'on m'asseure [388] que son mal n'est pas plus grand quil faut pour seulement luy faire prendre les præservatifz d'un plus grand.

  A014003234 

 Monsieur mon Frere, ce porteur m'a dit comm'il a sceu, ou plus tost comm'il n'a pas sceu, la supplication que mon frere de Thorens vous fait; et ça bien esté asses pour y faire adjouster la mienne, que je sousmetz neanmoins a vostre jugement..

  A014003245 

 Marcelle desire de se confesser avant ces festes, et je luy avois dit que ce fut mercredi; mais je voy qu'il faudra remettre a jeudy, ou plustost a vendredy matin..

  A014003246 

 mon unique Fille, que j'ay de tendre et forte affection pour nostre cœur, et que je suis pressé de le recommander incessamment a Nostre Seigneur!.

  A014003256 

 Ce n'est pas pour faire les remercimens que je doy a vostre perseverance au desir du bien des nostres, que je vous escris maintenant; ce n'est que pour vous supplier humblement de favoriser de vostre juste protection cette [390] pauvre vefve, que monsieur de Conflens, a mon advis tant de vos serviteurs et de mes amis, m'a instamment recommandee.

  A014003256 

 Je vous en fay donq supplication, et vous souhaite et a madame vostre chere Praesidente, ma tres chere seur, Monsieur mon Frere, ce que vous pouves imaginer du cœur de.

  A014003259 

 Nous attendons mon frere de Thorens pour vous faire la response que vostre lettre pleyne de faveur requiert..

  A014003272 

 Hé, vray Jesus! que cette nuit est douce, ma tres chere Fille! «Les cieux,» chante l'Eglise, «distillent de toutes pars le miel;» et moy je pense que ces divins Anges qui resonnent en l'air leur admirable cantique, viennent pour recueillir ce miel celeste sur les lys ou il se treuve, sur la poitrine de la tres douce Vierge et de saint Joseph.

  A014003272 

 J'ay peur, ma chere Fille, que ces divins Espritz ne se mesprennent entre le lait qui sort des mammelles virginales, et le miel du Ciel qui est abouché sur ces mammelles.

  A014003273 

 Mais je vous prie, ma chere Fille, ne suis-je pas si ambitieux que de penser que nos bons Anges de vous et de moy se treuverent en la chere trouppe des musiciens celestes qui chanterent en cette nuit? O Dieu, s'il leur playsoit d'entonner de rechef aux oreilles de nostre cœur cette mesme celeste chanson, quelle joye, quelle jubilation! Je les en supplie, affin que gloire soit au ciel, et en terre paix aux cœurs de bonne volonté..

  A014003274 

 Mais, o Dieu, que de suavités, comme je pense, a leur sommeil! Il leur estoit advis qu'ilz oyoyent tous-jours la sacree melodie des Anges qui les avoyent salués si [392] excellemment de leur cantique, et qu'ilz voyoyent tous-jours le cher Enfant et la Mere qu'ilz avoyent visité..

  A014003274 

 Revenant donq d'entre les sacrés mysteres, je donne ainsy le bon jour a ma chere Fille; car je croy que les pasteurs encor, apres avoir adoré le celeste Poupon que le Ciel mesme leur avoit annoncé, se reposerent un peu.

  A014003275 

 Hé, Sauveur de nos ames, rendés-la toute d'or en charité, toute de myrrhe en mortification, toute d'encens en orayson, et puis recevés-la entre les bras de vostre sainte protection, et que vostre cœur die au sien: Je suis ton salut aux siecles des siecles.

  A014003275 

 Que donnerions-nous a nostre petit Roy que nous n'ayons receu de luy et de sa divine liberalité? Or sus, je luy donneray donques a la sainte grand'Messe la tres uniquement fille bienaymee qu'il m'a donnee.

  A014003282 

 Ah! ma Fille, c'est cett'eternité que sur tout je vous souhaitte tres heureuse, et a cause d'elle vous vivés tous-jours presente a mon cœur, qui se res-jouit de voir que vous perseveres a vouloir de tout le vostre servir sa divine Majesté en sainteté et pureté.

  A014003291 

 Elles passent donq, ces annees temporelles, Monsieur mon Frere; leurs mois se reduisent en semaines, les semaines en jours, les jours en heures et les heures en momens, qui sont ceux-la seulz que nous possedons, mais que nous ne possedons qu'a mesure qu'ilz perissent et rendent nostre duree perissable, laquelle pourtant nous en doit estre plus aymable; puisque cette vie estant pleine de miseres, nous ne sçaurions y avoir aucune plus solide consolation que celle d'estre asseurés qu'elle se va dissipant, pour faire place a cette sainte eternité qui nous est preparee en l'abondance de la misericorde de Dieu, et a laquelle nostre ame aspire incessamment par les continuelles pensees que sa propre nature luy suggere, bien qu'elle ne la puisse esperer que par des autres pensees plus relevees que l'Autheur de la nature respand sur elle..

  A014003291 

 Je finis cette annee avec le contentement de vous pouvoir presenter le souhait que je fay sur vous pour la suivante.

  A014003292 

 Certes, Monsieur mon Frere, je ne suis jamais attentif a l'eternité qu'avec beaucoup de suavités; car, dis-je, comme est-ce que mon ame pourroit estendre sa cogitation [395] a cette infinité, si elle n'avoit quelque sorte de proportion avec elle? Certes, tous-jours faut-il que la faculté qui atteint un object ayt quelque sorte de convenance avec iceluy.

  A014003292 

 Mais quand je sens que mon desir court apres ma cogitation sur cette mesme eternité, mon ayse prend un accroissement nompareil; car je sçay que nous ne desirons jamais d'un vray desir que les choses possibles.

  A014003292 

 Mon desir donq m'asseure que je puis avoir l'eternité: que me reste-il plus que d'esperer que je l'auray? Et cela m'est donné par la connoissance de l'infinie bonté de Celuy qui n'auroit pas creé une ame capable de penser et de tendre a l'eternité, s'il n'eust voulu luy donner les moyens d'y atteindre.

  A014003293 

 Or, je souhaitte donq sur vostre chere ame que cette annee prochaine soit suivie de plusieurs autres, et que toutes soyent utilement employees pour la conqueste de l'eternité.

  A014003294 

 Voyla comme mon cœur s'espanche devant le vostre, et fait des saillies qu'il ne feroit pas sans cette confiance que luy donne l'affection qui me rend.

  A014003301 

 Voyla cette petite trouppe de Sainte Catherine qui vous va voir, m. Vous ne connoisses que ma cousine de Ballon, mais les autres ne laissent pas d'estre bonnes filles; je les vous recommande, m. La chere fille de la haut m'a escrit avec beaucoup de salutation pour vous..

  A014003313 

 Et pour dire quelque chose sur le sujet de la derniere lettre que vous me fistes lhonneur de m'escrire, je croy bien que meshuy cett' heureuse alliance delaquelle nous nous res-jouissons tant, me mettra en autant de liberté quil m'en faut pour pouvoir jouir un bon jour de la douceur de vostre conversation, si toutefois la guerre a laquelle il semble que tant d'inclinations conspirent, ne [398] me sert de nouvel empeschement.

  A014003318 

 Monsieur de Charmoysi triomphe tous-jours au mespris de la cour et m'est advis que nous aurons de la peyne de luy en faire reprendre le goust..

  A014003339 

 Je vous souhaite infiniment le bon soir, ma tres chere Fille toute mienne, et sur tout craignant que l'evacuation ne vous laisse quelqu'incommodité de lassitude, alteration et chaleur.

  A014003339 

 Mais je sçai bien pourtant que vous souffriries tout cela bien doucement, car vous estes bien sage, ma chere Fille, et ne treuveres jamais rien de trop dur de ce que Nostre Seigneur vous envoyera.

  A014003340 

 O je supplie ce Sauveur qu'il rende nostre cœur tout sien par effect, comm'il l'est, il y a long tems, par affection! Ouy certes, ma toute mienne tres chere Fille, nous n'avons point d'affection en nostre cœur que pour sa divine Bonté et ne voudrions pas en souffrir aucune, pour petite qu'elle fut..

  A014003348 

 Il faudra pourtant que le cher pere soit adverti de ce defaut tout doucement; Dieu nous en fera naistre les occasions..

  A014003405 

 Le livre spirituel que vous venez de mettre sur la presse de l'imprimeur, me ravit, m'eschauffe, m'extase tellement, que je n'ay ny langue, ny plume dont je puisse vous exprimer l'affection qui me transporte en vostre endroict, pour l'amour de ce grand et signalé service que vous en rendez à la divine bonté et l'inestimable fruict qui en reviendra à tous ceux qui seront si heureux que de le lire ainsi qu'il faut..

  A014003406 

 Et je pourrois, je voudrois, je devrois passer outre, et les preferer en ce cas, s'il estoit question de la debattre sur le champ; car l'erreur n'estant que la matiere des heresies et l'obstination la forme, la doctrine qui illumine l'entendement remedie à la matiere; mais la vertu, la devotion, l'ardeur de la pieté qui fleschist la volonté et en desloge l'opiniastreté, domine sur la forme qui tient le preciput en l'essence: de maniere qu'à ce compte, il faut, ou que la doctrine des controverses cede à celle de la pieté et devotion, ou au moins qu'elle se l'associe tellement, qu'en luy concedant sa necessité, elle recognoisse que, sans elle, on n'advance rien, car tout pecheur est ignorant.

  A014003406 

 Et, quoy qu'au syllogisme speculatif il puisse dire: «Je vois le bien et l'appreuve,» parce que l'entendement est vaincu par la verité, si est-ce qu'au syllogisme practic, il confessera qu'il suit le mal, d'autant que la [410] passion mal reiglée l'emporte, de façon que, quand le feu de la concupiscence est tombé sur les ames passionnées, elles ne voyent point le soleil.

  A014003406 

 Il faut donc bonifier la volonté pour empescher qu'elle ne nuyse a l'illumination efficace de l'entendement, attendu mesmes que les livres spirituels commencent par la doctrine purgative, pour despouiller les ames de toutes les mauvaises habitudes incompatibles au vray Christianisme..

  A014003406 

 Mais, que falloit-il attendre d'un Evesque de Geneve tel que vous, sinon quelqu'œuvre entre autres, qui mist fin à l'infamie de Geneve, dont toute l'Europe a esté infectée d'heresie? Je ne nie pas que les livres si doctement escrits par tant de Docteurs excellans, dont le Cardinal Bellarmin est le souverain, n'ayent grandement servy contre les heresies de ce siecle; mais je veux bien aussi dire et sous-tenir que ceux qui ont escrit sur la morale et de la devotion n'y ont pas apporté moins de remede.

  A014003407 

 C'est sans doute que la reformation des mœurs esteindra les heresies avec le temps, comme la depravation les a causées, puis que l'heresie n'est jamais le premier peché..

  A014003408 

 Excusez, s'il vous plaist, ma prolixité; il a fallu que j'aye contenté mon ame, de vous signifier son aise et contentement sur vostre beau et bon livre que je ne puis assez loüer..

  A014003415 

 Vostre dessein des deux Traictez sur les deux Tables, disposera des eschelles et degrez aux cœurs de ceux qui seront si heureux que de les lire, relire et retenir; car ils arriveront par ce moyen au supreme faiste de la charité qui accomplist la loy et qui est vrayement le tout homme; comme sans icelle, tout homme, pour grand qu'il puisse estre en tout le reste d'excellence, doit dire: Je ne suis rien..

  A014003416 

 Ces cinquante deux semaines, quoy que reïterées par plusieurs années, ne luy dureront rien, luy representant les deux septenaires de gloire spirituelle et corporelle qui suivront le grand Jubilé qui ne finira jamais..

  A014003416 

 Le dessein du Calendrier sera la tablature dont Philothée se servira sur le clavier de son espinette, organizée pour conserver sa memoire des plus beaux airs spirituels que la necessité du corps et les autres occupations exterieures luy font interrompre actuellement plus souvent qu'elle ne voudroit.

  A014003417 

 Par les deux derniers projects que vous destinez, ce sera pepiner le monde de predicateurs qui fassent de mesme que vous; et je m'oseray promettre (s'il plaist à Dieu que vous puissiez esclorre ces [411] belles conceptions) une si acile et nombreuse reduction des desvoyez, soit en la doctrine, soit aux mœurs, que l'on sera contrainct d'advouër que l'on n'avoit encore point treuvé de semblable methode..

  A014003418 

 Et puis, vous appeliez tout cela de petites entreprises de courte haleine, de basse estoffe! Et je persiste en tout ce que ma precedente vous representoit de la valeur de vostre livre, au dessus des grands et immenses volumes de plusieurs qui s'essayent de combattre l'heresie, dont l'obstination ne peut estre vaincue que par la melioration des volontez, s'il faut user de ce terme: à quoy la reformation des mœurs sert directement..

  A014003419 

 Faictes donc, Monsieur, que ce vostre zele, qui est vrayement selon la science des Saincts, execute ce que vous me daignez communiquer.

  A014003419 

 Pour mon symbole, je n'y peux contribuer que ceste tres-instante requisition que je vous en fais, pour la gloire de Dieu et service de son Eglise..

  A014003428 

 Je ne desadvouë pas que je n'aye faict une grande feste de vostre Introduction en plusieurs bonnes compagnies; mais ce n'est pas ma recommandation qui l'a mise en vogue: elle vole de ses propres aisles, elle est douce de son propre succre, elle est embellie et enrichie de ses propres couleurs et joyaux.

  A014003433 

 Nostre R. P. Provincial s'en retournant en France, layssa charge a nostre R. P. Recteur que l'on ne passast plus avant en l'affaire duquel je vous avois escrit, sans son expresse communication; ce qui tirera l'execution en longueur, et non sans ma langueur.

  A014003433 

 Spes enim quæ differtur affligit animam; sed qui venit mittere ignem in terram, nec aliud vult nisi ut ardeat, eam reponit spem in sinu meo, ut quamvis me occiderit, sperem in eam; supliant en toute humilité Vostre Reverendissime Seigneurie d'aggreer recommander le tout a Nostre Seigneur, tant au famillier colloque du tres hault Sacrifice, comme en ses ferventes oraisons et sublimes elevations d'esprit a Dieu, afin que par sa toute puissante misericorde et paternelle providence, il ouvre les portes de salut a ceux qui s'amusent en l'ombre de mort.

  A014003434 

 Je me doubte bien que ce delay se procure pour ce que nos Superieurs m'ayant accordé a Gray pour le saint Advent et Caresme, ils ne voudroyent que l'on entamast besogne qui me tint engagé en ce temps la.

  A014003434 

 Je vois bien qu'aux approches que nous en ferons, l'on ne pourroit estre si libre a s'entendre en la conference selon que la necessité le pourroit requerir.

  A014003434 

 Sur quoy, attendant vostre saint advis, je pourray escrire a nostre Reverend Pere General, gardant la subordination de la pleyne puissance par laquelle il peut disposer de ses sujets; veu mesme que si, suivant ce que nostre R. P. Recteur propose, il est de besoing que le R. P. Provincial de Lyon y entrevienne et qu'en cela je deusse respondre a luy (selon que le pourroit [413] exiger ce qui se passera), des le commencement l'on aye prouveu a telle suave disposition, que le cours d'une si bonne entreprise ne soit entrecoupé..

  A014003445 

 Contre la liberté que mon esprit ayme si fort, je travaille, selon mon premier desir, à me rendre obeyssante, et je ne puis être touchée lâchement en ce dessein, puis qu'il y a des couronnes eternelles jointes à une temporelle, qui est l'honneur d'être eternellement vôtre fille..

  A014003445 

 Je n'ay plus besoin de chercher le chemin de la vertu; monsieur de Boisy, en vôtre absence, Monseigneur, me le montre si clairement, que je n'ay qu'à l'embrasser et affectionner.

  A014003453 

 Ce papier devroit estre marqué de plus de larmes que de lettres, puis que ma fille, en laquelle, pour ce monde, j'avois mis la meilleure partie de ma consolation et du repos de ma miserable vieillesse, s'en va et me laisse pere sans enfans.

  A014003453 

 Toutesfois, à vostre exemple, Monseigneur, qui sur le decez de Madame vostre mere avez pris une ferme et constante resolution sur la volonté de Dieu, je me resous et conforme à ce qui plaist à Dieu; et puis qu'il veut avoir ma fille pour son service en ce monde, pour la rendre, par ce chemin, en sa gloire eternelle, je veux bien monstrer que j'ayme mieux son contentement avec le repos de sa conscience, que mes propres affections..

  A014003454 

 Pour son fils, j'en auray le soing qu'un bon Pere doit aux siens; et tant que Dieu aura aggreable de me laisser en ceste vallée de pleurs et de miseres, je le feray instituer en tout honneur et vertu..

  A014003455 

 Je vous supplie tres-humblement, Monseigneur, de me continuer tousjours vos bonnes volontez, et croire que je ne desire rien plus, apres les graces et benedictions de ce bon Dieu que j'implore, et dont j'ay bien besoing, que d'estre conservé en vostre souvenance, et demeurer toute ma vie,.

  A014003477 

 Il est vrai, mon très-cher Seigneur, à vous parler dans la pure vérité, que j'étais intérieurement sollicitée du désir de vous parler d'un sujet que ces bonnes âmes ne savent pas; et bien que ma bassesse et la révérence que je porte à votre mérite et que je dois à votre dignité combattissent cette pensée, néanmoins c'était elle qui m'excitait à vous prier souvent de nous venir voir, et à me plaindre à votre bonté de ce que vous ne le faisiez pas.

  A014003477 

 Or je croyais que par votre absence je serais défaite de cette secrète excitation, et néanmoins je m'en trouve plus pressée et si fort que je ne puis l'anéantir sans scrupule; c'est pourquoi, mon très-cher Seigneur, me confiant en votre débonnaireté et humilité, et prosternée en esprit à vos pieds, je vous supplie et conjure, avec toute la révérence qui m'est possible, par la pure dilection que vous avez à notre divin Sauveur, et par l'amour que vous portait et que vous portez à notre Bienheureux Père, de vous déporter d'écrire contre les Religieux, et de prendre garde aussi de ne heurter personne, ni en général ni en [417] particulier, pour chétive qu'elle soit, dans vos livres, ni d'y rien dire qui puisse émouvoir des contentions ou réfutations, car tout cela ne fait qu'engendrer beaucoup d'offenses contre notre bon Dieu, les Religieux qui répondent n'ayant pas assez de mortification pour le faire avec l'humilité et le respect qu'ils doivent à votre digne personne et à votre qualité..

  A014003478 

 Ce mépris que l'on donne des Religieux peut aussi grandement diminuer la piété des peuples, qui est fort soutenue et accrue par leurs bons exemples et doctrine, et de plus, mon très-cher Seigneur, les ennemis de la sainte Eglise se fortifient dans leurs erreurs, et font des trophées et des risées quand ils voient que ses propres enfants se dévorent l'un l'autre, et surtout quand les pères, qui sont Messeigneurs les prélats, découvrent les plaies de leurs enfants, avec confusion, et que les enfants ne le souffrent dans la soumission qu'ils doivent; cela, dis-je, donne un grand scandale, ce qui ne peut apporter qu'un très-grand détriment à la très-sainte Epouse de Notre-Seigneur.

  A014003478 

 Il vous a donné une âme et un esprit propres pour écrire de son divin amour, et enrichir l'Eglise d'infinité de traités de dévotion, pour le bien et avancement des âmes: c'est la sainte occupation que ceux qui vous honorent désirent maintenant à votre aimable loisir, afin que, par le moyen de cette pure dilection de notre divin Sauveur, dont votre chère âme est si parfaitement amoureuse, vous preniez garde dorénavant d'épargner dans vos écrits les Religieux.

  A014003478 

 Vous voyez qu'ils ne reçoivent pas avec profit vos avertissements, et qu'il y a grand risque, si cela n'est bientôt étouffé par votre bonté et charitable support, qu'il ne s'allume un feu qui éteigne celui de la sainte charité en plusieurs âmes, et ne cause de très-grands scandales en l'Eglise de Dieu, ainsi que plusieurs bien sensés appréhendent et prévoient qu'il arrivera infailliblement, si votre débonnaireté et votre zèle à la plus grande gloire de Dieu ne vous fait supporter sans revanche l'insolence d'une réponse que l'on dit avoir été faite à un de vos livres, laquelle, étant si extravagante et éloignée de la vérité et du respect qui vous est dû, ne peut porter coup contre l'estime que l'on a de v.otre véritable vertu..

  A014003479 

 L'on voit cette vérité dans ses écrits, où il oblige par témoignages d'honneur et d'estime tout le monde, et particulièrement les Ordres religieux qu'il révérait et aimait, et disait que c'était l'une des plus saines parties de l'Eglise.

  A014003479 

 Quand il en savait quelque défaut, il les couvrait tant qu'il pouvait, et s'employait soigneusement à les aider à réparer: je l'ai vu dans cette pratique seize années; avec combien de charité, de travail et d'écrits il se conduisait! les sensibles douleurs qu'il ressentait quand leurs défauts et ceux des ecclésiastiques venaient en évidence, parce que la mésestime de telles personnes diminue et affaiblit grandement la piété des peuples, qui est fort soutenue et conservée par leurs bons exemples..

  A014003480 

 Monseigneur mon très-cher frère, votre bonté me pardonnera-t-elle la confiance que je prends de lui dire ainsi simplement tout mon sentiment? Certes, après la gloire de Dieu, j'ai été excitée par le véritable amour que je vous dois et veux vous rendre toute ma vie, et prie Dieu de vous donner la sainte inspiration d'employer dorénavant ce talent qu'il vous a donné pour écrire de sa pure dilection, et par ce moyen enrichir la sainte Eglise de plusieurs traités utiles à ses enfants.

  A014003480 

 Permettez-moi, Monseigneur, de vous supplier de me donner quelques petits témoignages que vous n'aurez point désagréé ma simplicité et confiance en votre bonté, car mon cœur aurait une bonne touche s'il pensait avoir fait quelque chose qui vous déplût, ayant tant de désirs de se voir continuer l'honneur de votre précieuse amitié...............................................................


15-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XV-Vol.5-Lettres.html
  A015000018 

 Ne rien regarder, ne rien aimer que dans la lumière et l'amour de Notre-Seignenr.

  A015000026 

 — Il est mieux, pour une femme du monde, d'ouïr la sainte Messe tous les jours que de faire l'oraison chez soi.

  A015000029 

 Le nom que le Saint avait d'abord adopté pour ses chères filles; pourquoi il le changea.

  A015000036 

 Paris, Chambéry, réclament l'Evêque de Genève pour le Carême de l'année suivante: que le duc de Savoie décide, le Saint se conformera à son désir.

  A015000038 

 — Ce que le Saint demandait à la Messe avec une « ardeur extraordinaire.

  A015000041 

 Un père de famille désire que son fils achève ses études au collège de Savoie à Louvain.

  A015000045 

 — Ce que font les bergers en Arabie.

  A015000059 

 Louanges de saint Jean-Baptiste: plus que vierge, plus que confesseur et prédicateur, plus que docteur et martyr, plus qu'évangéliste et apôtre, plus que prophète et patriarche, plus qu'ange et plus qu'homme.

  A015000072 

 — Pourquoi l'amitié de saint François de Sales pour ses amis était plus forte que la mort.

  A015000082 

 — C'est encore de la charité que de laisser faire aux autres quelque chose.

  A015000093 

 — Consolation que le Saint souhaite à la Mère de Chantal pour son retour à Annecy. 85.

  A015000104 

 Bons effets que les amis du Saint attribuaient à ses lettres.

  A015000106 

 — Quand il nous arrive quelque chose contre notre gré, que faire? — Jugements et manquements qui ne sont pas mortels.

  A015000109 

 — Une illusion que les Novices ne sauraient avoir. 98.

  A015000122 

 — Ce que doivent faire les prédicateurs.

  A015000122 

 — Un remède plus efficace que les discussions des théologiens.

  A015000123 

 — Zèle que le Saint jugeait inopportun.

  A015000130 

 — Un festin plus délicieux que celui d'Assuérus.

  A015000139 

 Quels sont ceux que le Sauveur n'abandonne jamais.

  A015000157 

 « Le livret » que prépare le Saint. 141.

  A015000170 

 — Quelles sont les âmes que Dieu aime. 153.

  A015000177 

 Ce que réservait le Saint dans ses demandes à Dieu.

  A015000183 

 — Précaution que propose l'Evêque de Genève pour les atténuer.

  A015000186 

 — Ce que pensait le Saint des Ursulines et des institutrices chrétiennes.

  A015000193 

 Une auditrice que François de Sales a vue au sermon; pourquoi il n'a pas osé l'aborder.

  A015000194 

 — Pour s'avancer dans l'amour de Dieu, une jambe infirme est meilleure que l'autre.

  A015000206 

 Lumières et sentiments que recevait le Saint pour écrire le Traitté de l'Amour de Dieu 185.

  A015000208 

 — Notre-Seigneur meilleur juge que nous de nos intérêts.

  A015000213 

 Les sentiments que le Saint aimait à trouver dans une postulante.

  A015000220 

 — Intérêt que porte le Saint au Puits-d'Orbe.

  A015000223 

 — Une besogne que Dieu paie de mille consolations. 196.

  A015000268 

 Dieu sçait que le desir duquel je suis pressé de faire chastier messire Nicolas Nacot, n'a point d'autr'origine qu'en mon devoir, qui m'oblige de reduire a l'obeissance ceux qui la doivent et la refusent a l'authorité que je tiens.

  A015000268 

 Mais de ne vouloir pas seulement comparoistre et me vouloir dire ses raysons teste a teste, sans autre reconnoissance de son devoir qu'en paroles, c'est chose que je ne puis estimer raysonnable..

  A015000268 

 Que si ledit Nacot eut comparu estant [1] appellé, il y a long tems que son innocence, sil en a, auroit esté honnorablement appreuvee.

  A015000269 

 Aussi, Madame, vous ne me marques que cette languissante, mais que neanmoins il vous plait d'appeller rigoureuse procedure; et moy, pourveu que vous me permettiés de me defendre un peu librement contre vous, je vous diray que si le nœud du devoir que j'ay a monsieur vostre mari et a vous se pouvoit desfaire, vous m'auries tous deux grandement des-obligé en deux occasions..

  A015000269 

 Et encor suis-je plus estonné dequoy vous me tenes pour ombragé contre monsieur vostre mari, et me dites que beaucoup d'indices ne luy en ont donné que trop de connoissance; car, en vray (sic) verité, je me suis tous-jours tenu pour fort honnoré de la bienveuillance que, de sa grace, il m'a portee.

  A015000271 

 Mais ne vouloir seulement pas quil responde et se represente quand il est appellé, et vouloir encor que je sois condamné de rigueur et d'infidelité si je ne treuve bon cela, il me semble que c'est la rigueur mesme et que, tacitement, on prefere ce prestre et son injuste repos a l'authorité en laquelle je suis, et que, sans violer mon devoir, je puis vouloir en fin le ramener a la bergerie et sous la houlette..

  A015000272 

 Ce pendant, Madame, je veux bien attendre encor quelque tems avant que de faire aucunes poursuites, pour apprendre de vous mesme, puisque vous me faites esperer le bien de vous voir si tost, les raysons de ce venerable personnage.

  A015000272 

 Que si elles sont telles que je me doive humilier, je le feray de bon cœur; mais si aussi il se treuve raysonnable qu'il s'humilie sous la justice que je fay exercer, je vous supplieray de ne point employer l'authorité de vostre bienveuillance pour l'en exempter, contre la necessité de ma charge..

  A015000273 

 Je me res-jouys que Sa Sainteté ayt ouctroyé le [remède] requis au mal de l'action que fit messire Nacot, et seray encor plus ayse quand je sçauray quil aura esté legitimement appliqué; car, honnorant tres cherement monsieur vostre mari et vous, Madame, comme je fay et feray toute ma vie, je desire que tout ce qui vous est praetieux vive entre les benedictions caelestes et que rien ne demeure jamais en vostre mayson qui les en puisse divertir.

  A015000273 

 Madame, j'ay de l'affection et de lhonneur pour monsieur vostre mari, pour vous et pour les vostres autant que vous sçauries souhaiter d'homme qui vive; [3] mais le plus grand desir que je face, c'est que jamais Dieu ne soit abandonné, non pas mesme pour un moment..

  A015000291 

 L'honneur que j'ay d'estr'aymé de vous, servira de [simple] praeface a ma supplication, laquelle je vous [5] fay [d'estre] favorable protecteur de ce porteur, frere de monsieur le premier President de Savoye et mon Vicayre general, pour les affaires qui le tirent vers vous, qui sont parties siennes et parties miennes; mais, a mieux dire, siennes et miennes tout ensemble, puisque luy mesme est mien par une longue et bonn'amitié..

  A015000292 

 Au demeurant, nostre bonne fille se porte mieux icy que nous n'eussions presque sceu esperer; ell'a bien eü un petit acces de fievre ces jours passés, mais ce n'a esté que cela.

  A015000307 

 Il faut, ma chere Seur, l'attribuer aux occasions qui ne s'en sont pas presentees, et non jamais a nulle sorte de mesconnoissance des obligations que je vous ay, qui sont indicibles, puis qu'elles ne sont pas comprehensibles..

  A015000307 

 Je la sens si grande, si forte et si fidelle qu'il ne me semble pas qu'aucun autre me puisse devancer de ce costé; mais je ne sçai comme mon malheur a voulu que je vous en aye rendu si peu de preuves cette annee passee.

  A015000307 

 Mais que puis-je faire ni dire, ma tres chere Seur, qui puisse dignement vous satisfaire sur ce sujet? Je confesse ingenuement que je suis vaincu, et que, comme vous me devances infiniment de toutes partz, vous le faites tres particulierement en celle-ci, de me rendre les devoirs et les tesmoignages d'amitié pour celle-la avec laquelle je vous ayme.

  A015000307 

 Si vostre lettre m'a comblé de joye, je le demande a mon cœur, qui a esté tout absorbé de consolation voyant et la souvenance que vous aves de moy et l'honneur que vous continues de me faire en m'aymant, mais tendrement et cherement, comme vous me le tesmoignes.

  A015000308 

 Croyés, ma tres chere Seur, que mon cœur est fraternellement amoureux du vostre, et que si j'avois la commodité d'assouvir ses desirs, je serois bien tost en vostre solitude, laquelle, vous dites, je redoute pour son aspreté, mais laquelle j'ayme precisement pour mille sujetz, mais principalement pour l'amour de vous, qui, par vostre presence, me l'avés rendue ci devant plus douce et plus aggreable que ne furent jamais les plus delicieuses conversations des villes.

  A015000309 

 Mon Dieu, ne nous verrons-nous jamais tretous ensemble? J'en suis un peu, a dire vray, impatient; mais je ne croy plus qu'elle m'ayme, puisque non obstant que je luy escrivisse dernierement, je n'ay point de ses nouvelles que par vostre entremise.

  A015000310 

 Vous connoistres bien, ma tres chere Seur, par la longueur de cette lettre, le playsir que j'ay de le faire et de m'entretenir avec vous; mais il n'y a remede, vostre charité me pardonnera.

  A015000311 

 Mais, ma chere Dame, vous estes, avec la petite seur, la souveraine friandise pour m'attirer par devers vous, tout le reste n'est qu'accessoire; ces deux personnes que je viens de nommer sont le principal..

  A015000313 

 Je suis en Nostre Seigneur, que je vous desire propice eternellement, ma tres chere Seur,.

  A015000323 

 J'ay de la consolation de voir en vostre lettre, ma chere Fille, que non obstant tous vos desgoutz et toute vostre tristesse, vous aves perseveré a faire vos exercices sans vous en estre oubliee que fort peu; car, pourveu qu'on fasse en consideration de l'amour de Dieu ce qu'on fait, bien que ce soit sans sentiment et sans goust, l'ame ne laisse pas de prendre force et vigueur en l'interieur et en la portion superieure et spirituelle..

  A015000325 

 La bonne seur que vous aves ici est vrayement une bonne Fille; et pourveu qu'il playse a la sainte providence de Nostre Seigneur de nous laisser quelque tems madame de Chantal, ainsy que nous l'esperons, j'ay confiance en ce mesme Sauveur que cette chere seur sera bien consolee en ce genre de vie qu'ell'a embrassé.

  A015000336 

 Il faut bien que mon cœur donne le bon jour au vostre de la part de Nostre Seigneur.

  A015000336 

 Je prie donq cette souveraine pureté et clarté qu'elle donne le jour de sa lumiere [10] et de son amour a nostre cœur, affin quil chemine en cette lumiere et quil vive en cet amour, que rien ne soit regardé qu'en cette lumiere, ni rien aymé qu'en cet amour..

  A015000337 

 J'ay bien treuvé le livret duquel je vous parlay; mais j'y ay rencontré des choses si dures, que je ne vous le veux bailler qu'apres vous avoir fait une præface qui vous le rende plus intelligible et moins scabreux.

  A015000350 

 Seulement vous diray-je que la faute commise avec madame la [11] Comtesse et M. du Coudrey m'a donné mille consolations en sa reparation, car vous la fistes extremement bien a mon gré; et ne failloit pas pour cela quitter la tressainte Communion, laquelle, au contraire, il faut employer pour remede a telz petitz defautz, qui ne viennent pas tant de mauvayse volonté, comme de surprise et foiblesse..

  A015000351 

 Je me res-joüys dequoy vostre fievre a cessé avant que j'en aye sceu le commencement.

  A015000364 

 Dieu vous face voir longuement cet enfant prouffiter es benedictions que luy souhaite,.

  A015000364 

 Ça esté de tout mon cœur que je me suis res-joüy du contentement que Nostre Seigneur vous a donné et a monsieur de Monfort mon cousin, puisque l'affection avec laquelle je vous honnore me fait participer a tous vos ressentimens.

  A015000379 

 J'ay opinion que sa Majesté divine sera honnoree en cette conversion..

  A015000380 

 Nous avons pris jour pour nous voir demain et commencer, a mon advis, sa confession et preparation a la sainte Communion, laquelle nous ferons Dimanche en vostre oratoire aussi; car, ma tres chere Fille, puisque j'espere que les Anges, et sur tout la Reyne des Anges, regarderont le spectacle de la derniere action de la reduction de cette ame, je desire qu'elle se face autour de vostre chere petite trouppe, affin que nous soyons tous regardés avec une joye extraordinaire et qu'avec ces Espritz celestes, nous facions le festin d'allegresse sur cet enfant revenu..

  A015000381 

 Consolés-le donq, ma chere Fille, ce pauvre cœur, et luy donnés le plus de joye et de paix que vous pourres.

  A015000381 

 Helas! qu'avons-nous autre chose aussi a souhaitter que cela?.

  A015000381 

 Je prie nostre doux Sauveur qu'il respande sa douce et aggreable suavité sur vous, affin que vous reposies saintement, sainement, tranquillement en luy, et qu'il veille paternellement sur vous, puisqu'il est le tres souverain amour de nostre inseparable cœur.

  A015000381 

 O Dieu, ma chere Fille, je le vous recommande, nostre pauvre cœur; soulagés-le, confortés-le, recreés-le le mieux et le plus que vous pourres, affin qu'il serve Dieu; car c'est pour cette consideration [16] qu'il nous le faut traitter.

  A015000382 

 Demeurés bien toute en luy, ma chere Fille, et le priés que j'y demeure bien tout aussi, et la dedans aymons-nous puissamment, ma Fille, car nous ne sçaurions jamais trop ni asses [aimer].

  A015000382 

 Vive Dieu! ma Fille: ou rien, ou Dieu; car tout ce qui n'est pas Dieu, ou n'est rien, ou est pis que rien.

  A015000383 

 Je vous envoye ce Miroir d'amour, et apres vous je le verray, car j'en ay envie, estimant que cette traduction faite par les Chartreux sera parfaite.

  A015000392 

 C'est tout couramment que je vous escris.

  A015000393 

 J'ay dit, il y a des-ja quelque tems, a M. Pergod que je voulois estre son tresorier d'ores-en avant; bien que je desire que mon office finisse bien tost par la vente de cette mayson, laquelle me sembleroit utile plus que la conservation, pourveu qu'elle se vendit a bonnes enseignes.

  A015000394 

 Ma tres chere Fille, je vous voy, ce me semble, bien enfoncee dans une multitude d'embarassemens, que la grandeur du mesnage ou vous estes vous met sur les [18] bras.

  A015000394 

 Mais, ma tres chere Fille, il faut tant plus appeller Nostre Seigneur a nostr'ayde et reclamer sa sainte assistence, affin que ce travail que vous deves supporter luy soit aggreable, et que vous l'embrassies pour son honneur et gloire.

  A015000394 

 Voyes, ma chere Seur, que nos jours sont cours et que, par consequent, le labeur que nous y avons ne peut estre long; si que, moyennant un peu de patience, nous en sortirons avec honneur et contentement, car nous n'aurons point de si grande consolation a la fin de la journee que d'avoir beaucoup travaillé et supporté de peynes..

  A015000410 

 Je ne sçai si le diable nous veut espouvanter par la, ou si elle n'est point trop aspre a la cueillette; toutefois je sçai bien qu'elle n'a point de meilleur remede a son gré que de s'exposer au Soleil de justice..

  A015000410 

 Je recommande a vos Sacrifices la santé de la mere abeille de nostre nouvelle ruche; elle est grandement [19] travaillee de maladie, et nostre bon monsieur Grandis, quoy qu'il soit l'un des doctes medecins que j'aye veus, ne sçait qu'ordonner pour ce mal, qu'il dit avoir quelque cause inconneuë a Galien, docteur des medecins.

  A015000411 

 Quoy que c'en soit, j'ay tant a cœur cette sainte entreprise, qui ne vient que d'en haut, que rien ne m'estonne en sa poursuite, et croy que Dieu rendra tout a fait cette Mere une sainte Paule, sainte Angele, sainte Catherine de Gennes et telles saintes vefves, qui, comme belles et odorantes violettes, ont esté si aggreables a voir dans le sacré jardin de l'Eglise.

  A015000419 

 O Dieu, ma toute chere Fille, je proteste, mais je proteste de tout mon cœur, qui est plus vostre que mien, que je ressens vivement la privation que je souffre de vostre veüe pour ce jourdhuy.

  A015000420 

 Je voudrois vous pouvoir dire le sentiment que ce jourdhuy j'ay eu, en communiant, de nostre chere unité, car il a esté grand, parfait, doux, puissant, et quasi par maniere de vœu et de dedicace..

  A015000432 

 Il y a ja long tems que la triste nouvelle du trespas de feu monsieur le President Fremiot nous estoit arrivee, et quant et elle un regret extreme, selon les grans devoirs que nous luy avions et la grand'estime en laquelle nous l'avions; mais nous avions empesché que la bonne M me de Chantal n'en apperceut aucun bruit, parce que c'eust esté une cruauté de voir surcharger sa maladie d'un sentiment de si grande douleur, en un tems auquel elle estoit encor fort foible.

  A015000432 

 Maintenant neanmoins, je luy ay porté moy mesme ce fascheux advis, en la reception duquel son desplaysir a grandement combattu sa vertu, laquelle sans doute, si elle n'eust esté fort solide et profonde, ell'eust esté vaincüe; mays, Dieu mercy, ell' en a tant tesmoigné, que ceux qui l'ont veuë en ce point de tristesse, en ont receu un exemple digne de memoyre..

  A015000433 

 C'est la verité, [22] Monsieur, j'honnorois cet honnorable et grand personnage avec un amour tout particulier, lequel ne perira jamais en mon ame, non plus que celuy que, de tout mon cœur, je vous ay dedié et que de rechef je vous consacre..

  A015000433 

 Et moy j'ay receu de la consolation, ayant sceu que ce bon et digne seigneur defunct avoit eu aggreables les souhaitz que, selon ma naïfveté, j'avois marqués en ces dernieres lettres que je luy escrivis.

  A015000434 

 Non, Monsieur, il n'y a point eu d'apparence en tous les discours qu'on en a fait; de sorte que je persevereray au saint service que je suis obligé de rendre a la chere trouppe en laquelle vous aves un si bon gage.

  A015000452 

 J'ay vos deux lettres, dont la premiere est de l'unziesme du mois passé et la seconde de l'unziesme de celuy-ci; [23] et j'ay tant a respondre a la premiere [qu'à la seconde], parce que je l'ay receuë seulement despuis peu et non gueres plus tost que la seconde..

  A015000453 

 Que [si] sa divine Majesté ne vouloit pas cet holocauste en effect final, mais seulement en affection et application commencee, comme il fit d'Isaac, c'est a dire, si cette chere Fille estant entree en l'Ordre, ne se treuvoit pas forte pour y perseverer, mon Dieu! quel mal y auroit-il en cela? Nul, sans doute; et en ce cas, il faudroit renoncer a nos goustz et plus secrettes affections pour acquiescer a la sainte volonté de Dieu..

  A015000453 

 Vous deves croire le confesseur de N. en ce qui regarde son entree en Religion, car vous ne sçauriés mieux apprendre l'intention de Nostre Seigneur que par l'advis de celuy qu'il a donné pour directeur a la fille dont il s'agit.

  A015000454 

 Puis que donq maintenant elle est preste, au jugement de son Pere spirituel et des bonnes Meres Carmelines, et que monsieur son pere contribue son consentement, il semble qu'en toute asseurance vous en pouves faire l'offrande, et que Nostre Seigneur l'aura fort aggreable, sauf neanmoins a son bon playsir de disposer de sa perseverance en cet estat particulier, ou de sa sortie, selon que sa providence treuvera meilleur; a quoy nous nous conformerons tous-jours et sans replique, car il n'est pas raysonnable de prescrire a cette infinie Sapience la façon de laquelle il nous veut rendre siens.

  A015000455 

 O Dieu! que ce leur seroit chose utile a tous deux de renoncer a ces inutiles et inconsiderees complaysances, et que ce seroit une [24] grande charité de les en retirer! Mais, quant a la personne que je connois, quoy que jadis elle fust aucunement interessee en ce mal, qui pour n'estre pas vicieux ne laisse pas d'estre perilleux, je ne treuve aucun inconvenient que quelquefois, selon les occurrences, elle se confesse en toute liberté a ce personnage-la, dans le cœur duquel, s'il y avoit quelque impureté, elle ne se glisseroit pas par la confession, mais ouy bien par les autres conferences et conversations, ou privautés et hantises.

  A015000455 

 Pour le second, je regrette infiniment que ce personnage se laisse si long tems tromper et trompe soy mesme en cette indiscrette et superfluë hantise, et sur tout puisqu'elle donne du scandale.

  A015000455 

 Qu'elle s'y confesse donq librement es occasions; mais qu'elle ne luy parle pas hors de la, que courtement et promptement..

  A015000456 

 Pour le troysiesme, croyés fermement que vous n'avés ni retenés a vostre escient aucune affection contre la volonté de Dieu, c'est a dire pour le peché veniel, encor que plusieurs imperfections et mauvaises inclinations de tems en tems vous surprennent.

  A015000457 

 Et ce desir la tient lieu de conseil, auquel c'est espece d'obeissance de s'accommoder, quand on le peut bonnement, et par ce que vostre exemple est utile au simple peuple en la qualité que vous estes: or, il n'aura [25] point d'exemple de ce que vous feres en vostre oratoire.

  A015000457 

 Je dis qu'il est mieux, non seulement parce que cette reelle presence de l'humanité de Nostre Seigneur en la Messe ne peut estre suppleée par la presence mentale (bien que, pour quelque digne respect, on demeure esloigné d'icelle), mais aussi parce que l'Eglise desire fort que l'on assiste a la Messe.

  A015000457 

 Pour le quatriesme, il est mieux en toute façon que vous oyies la sainte Messe tous les jours et y faire l'exercice de la Messe, que de ne l'ouïr pas, sous pretexte de continuer l'orayson chez vous.

  A015000459 

 Cette bonne Seur a esté toute consolee d'entendre que son pere estoit mort en l'acte de repentance..

  A015000459 

 La bonne madame de Chantal a tesmoigné et tesmoigne une vertu toute particuliere en l'occasion du trespas de monsieur son pere, qu'elle n'a sceu que despuis troys jours, parce que, la voyant si affoiblie de sa maladie, je luy celay cette mauvaise nouvelle tant que je peus, sçachant bien que cela retarderoit le retour de sa santé.

  A015000470 

 Je suis bien content, ma tres chere Fille, que vous retourniés doucement a la sainte orayson, pour un peu [26] recreer nostre pauvre cœur aupres de son Sauveur qui, comme l'arbre de bausme, distillera tous-jours quelque goute de sa sainte liqueur sur nous, qui demeurerons paysiblement en attention.

  A015000471 

 Vous pouves tres bien recevoir M. de la Tour; Dieu luy face la grace de bien profiter en vostre conversation, et a monsieur le Baron d'Effrans, lequel il faut un peu que vous entreteniés sur ses exercices et sur....

  A015000482 

 Continuons seulement a bien cultiver, car il n'est point de terre si ingrate que l'amour du laboureur ne fœconde.

  A015000482 

 Il veut bien que nous souffrions qu'on nous treuve importuns, puisqu'il nous enseigne d'importuner par son importune.

  A015000482 

 Je me res-jouis avec vostre peuple qui a le bien de recevoir de vostre bouche les eaux salutaires de l'Evangile, et m'en res-jouirois bien davantage, s'il les recevoit avec l'affection et reconnoissance qui est deuë a la peyne que vous prenes de les respandre si abondamment.

  A015000482 

 Mays, Monseigneur, il faut beaucoup souffrir des enfans tandis qu'ilz sont en bas aage, et bien que quelquefois ilz mordent le tetin qui les nourrit, il ne faut pas pourtant le leur oster.

  A015000483 

 J'attendray cependant les livres quii vous plaist me promettre, qui tiendront en mon estude le rang convenable a l'estime que je fais de leur autheur, et a l'amour parfait avec lequel je luy porte et porteray toute ma vie honneur, respect et reverence..

  A015000495 

 Elle aymoit bien autant son petit Batiste que vous aymés vostre Celse Benine; mais [30] elle laissa a Dieu l'entiere disposition d'en faire a sa volonté, et il en fit un enfant de salut.

  A015000495 

 Helas! il y a aujourd'huy douze ans que j'eus la grace de celebrer dans le monastere de cette sainte vefve Romaine, avec mille desirs de luy estre devot toute ma vie.

  A015000515 

 Je vous donne le bon jour, ma tres chere Fille, avec cette mortification de ne vous pouvoir voir d'aujourdhuy, parce que je vay a deux lieuës d'icy pour accommoder certaine grande querelle qu'il y a entre nos François.

  A015000515 

 Mays avant que de partir, je vay dire la Messe, tous-jours pour nostre cœur, que je supplie Nostre Seigneur remplir de mille et mille benedictions, et sur tout de celle de son tres parfait amour..

  A015000527 

 O je voudrois bien, ma tres chere Fille, vous entretenir un peu sur la grandeur de ce beni Saint que nostre cœur ayme, parce qu'il a nourri l'Amour de nostre cœur et le cœur de nostre amour.

  A015000527 

 Sur ces paroles: Seigneur, faites bien aux bons et aux droitz de cœur, o vray Dieu, dis je, qu'il falloit que ce Saint fust bon et droit de cœur, puisque Nostre Seigneur luy a fait tant de bien, luy ayant donné la Mere et le Filz! Car, ayant ces deux gages, il pouvoit faire envie aux Anges et desfier le Ciel tout ensemble d'avoir plus de bien que luy; car, qu'y a il entre les Anges, comparable a la Reyne des Anges, et en Dieu, plus que Dieu?.

  A015000529 

 Ce n'est pas que, sur ce sujet, je ne pense a ce que vous m'escrives du vostre.

  A015000557 

 A cette intention, je luy parlay bien amplement de mes affaires et des occurrences qui me regardoyent, et ne sçavois bonnement comme faire pour luy celer l'extreme mespris que Dieu m'a donné de toutes ces adventures qu'on appelle de fortune et d'establissement; car il ne veut pas que cela soit mesprisé d'un si grand mespris comme est celuy que, graces a Nostre Seigneur, j'en ressens en mon ame.

  A015000557 

 Helas, ma tres chere Fille, que ce miserable monde est puissant a nous traisner apres ses niaiseries et amusemens! Or, je suis bien ayse que nous nous soyons un peu [35] apprivoysés, monsieur vostre mary et moy.

  A015000557 

 O Dieu, ma chere Fille, que ce monde est estrange en ses fantasies, et a quelle sorte de prix est il servi! Si le Createur ordonnoit des choses si difficiles comme le monde, combien peu treuveroit-il de serviteurs..

  A015000569 

 Vous pouves penser qu'en ce tems je suis attaché icy, sans que je puisse executer le desir et dessein que j'avois de vous aller voir, sinon que quelque cas de necessité m'appellast a vostre service; car alhors, rien ne me sçauroit retenir, estant si tres entierement et parfaitement vostre comme je suis.

  A015000570 

 J'ay veu par vos lettres vos petites cheutes et imperfections, pour lesquelles ni vous ni moy ne devons aucunement nous estonner, car ce ne sont que des petiz advertissemens de nous tenir bas et humbles devant nos yeux, et pour nous esveiller en cette sentinelle en laquelle nous sommes.

  A015000598 

 Je le croy facilement, mon tres cher Frere: puisque j'ay mis des holocaustes sur l'autel de Dieu, falloit-il pas qu'elles jettassent une odeur de suavité? Voyci donq, non point ce que j'ay fait, mais ce que Dieu a fait l'esté passé..

  A015000598 

 L'incroyable parfum d'une amoureuse suavité dont vostre lettre nompareille en douceur pour moy est pleine, [38] me force doucement a condescendre a vos fraternelz desirs de sçavoir ce que je fay en ce recoin de nos montagnes, dont vous dites que l'odeur est montee jusqu'a vous.

  A015000599 

 Or, sachés donq que cette fille est venue a son chetif pere affin qu'il la fist mourir au monde, selon le dessein que je vous ay communiqué a nostre derniere entreveuë.

  A015000599 

 Pressee des desirs de Dieu, elle a tout quitté, et, avec une prudence et force non commune a son sexe fragile, elle a pourveu a son desengagement; en sorte que les bons treuveront beaucoup de choses a loüer en cela, et les enfans malins du siecle ne sçauront sur quoy s'attacher pour former leurs mesdisances..

  A015000600 

 Despuis, il vient des filles de Chamberi, de Grenoble et Bourgoigne, pour s'associer a elles; et j'espere que cette Congregation sera pour les infirmes un doux et gracieux refuge, car, sans beaucoup d'austerités corporelles, elles prattiquent toutes les vertus essentielles de la devotion..

  A015000600 

 Nous l'enfermasmes le jour de la tres sainte Trinité, avec deux compaignes et la servante que je vous fis voir, qui est une ame si bonne dans la rusticité de sa naissance, que, dans sa condition, je n'en ay point veu de telle.

  A015000602 

 J'ay sacrifié ma vie et mon ame a Dieu et a son Eglise: qu'importe-il que je m'incommode, pourveu que j'accommode quelque chose au salut des ames? Traittés-moy donq fraternellement, puisque vous sçaves qu'entre nous tout se fait en charité et pour la charité.

  A015000602 

 Quant a la reforme que vous projettés, je la passionne, et, faut advoüer la verité, vostre inclination m'incline et me tire tout a soy; vos raysons sont preignantes et vostre authorité toute puissante pour moy.

  A015000603 

 O mon Dieu, mon tres cher Frere, si Dieu, qui incline tant de personnes a me remettre la clef de leurs cœurs, voire a en lever la serreure devant moy affin que je voye mieux tout ce qui est dedans, pouvoit si bien fermer le mien que rien n'y entrast jamais que son divin amour et que rien ne l'ouvrist que la charité, hé, que vous m'aymeries suavement! Priés fortement pour cela, et croyés fermement que je suis.

  A015000603 

 Si ce pauvre garçon ne m'eust rencontré ici pour se confesser a moy, il s'en alloit a Rome, ne treuvant personne a qui ouvrir a son gré confidemment son ame, ou, a la verité, j'ay treuvé moins de mal que je ne pensois, et incomparablement moins qu'il ne croyoit.

  A015000614 

 Or sus, j'attens donq un mot de vos nouvelles, que vous m'escrires comm'amoy, c'est a dire vous mesme..

  A015000614 

 pas de vous faire bien ayder, tant quil se pourra, affin que ce mal vous soit utile; car voyes vous, ma chere Fille, il faut bien estre soigneuse de faire ce qui est requis pour nous tenir un peu forte et vaillante, puisque, comme vous le desires, il nous faut faire des effortz pour devenir saints et rendre des grans services a Dieu et au prochain.

  A015000615 

 Il faut bien que je vous die que ce matin a la Messe, j'ay prié pour nostre avancement en la pureté, perfection et unité d'esprit avec, certes, un'ardeur extraordinaire; mais en cela, les extraordinaires me sont presqu'ordinaires.

  A015000616 

 Oüy, ma Fille, vous estes le courage de mon cœur et le cœur de mon courage en ce doux et triomphant Sauveur qui l'a ainsy voulu, et que je supplie employer le tout a sa gloire, unique praetention de mon cœur et de mon courage uniquement unique en luy..

  A015000628 

 Cet honnest'homme parisien a servi longuement, fidelement et aggreablement monsieur le premier Praesident de Savoye, et pour quelque sujet hors de luy, il quitte maintenant ce service, et a desiré de moy cette lettre pour vous faire la reverence en vous la presentant, estimant que, si d'adventure vous avies besoin de quelque serviteur de sa sorte, par cett'occasion il pourroit entrer au bien de l'estre.

  A015000628 

 Or, Monseigneur, cet (sic) ainsy sans artifice que je vous dis l'artifice louable de ce bon personnage, auquel je sçai bon gré dequoy, par ce moyen, je puis me ramentevoir en vostre sainte, sacree et inviolable bienveuillance, a laquelle je me recommande [42] tres humblement, luy dediant mon obeissance et service perpetuel..

  A015000645 

 Outre que je ne sçaurois pouvoir me ramentevoir en vostre bienveuillance et ne le faire pas, je suis bien ayse de vous donner advis comme, sur ce que M. de Charmoysi, mon cousin, m'avoit dit touchant vostre desir de me voir le Caresme prochain a Paris, j'ay escrit a son Altesse; en sorte que j'espere en peu de jours avoir une response absolue, laquelle, si elle est selon nostre gré, je pourray justement croire que Dieu l'aura voulu d'une volonté speciale, puisque la concurrence des affaires du monde me sera peu favorable, comme je pense.

  A015000646 

 Au demeurant, j'ay avec moy un jeune homme d'Eglise, neveu de feu Monsieur le Reverendissime mon predecesseur, qui s'est immaginé qu'a l'adventure il pourroit entrer par delà au service de quelques jeunes seigneurs pour leur instruction, et par ce moyen estudier aussi; et m'a tant pressé, sachant en quelle confiance je suis avec vous, que j'ay esté contraint de luy promettre de vous supplier de me donner quelque advertissement si cela pourroit estre.

  A015000646 

 Mais j'adjouste pourtant, qu'encor que ce jeune homme soit de fort bonne mayson (mais mayson descheuë) et qu'il ait l'esprit fort gentil et bien estudié, si est-ce que c'est plus son jugement qui le porte a ce desir que non pas mon advis, qui est que son courage n'est pas pour entrer en ladite sujettion que telle condition requiert.

  A015000647 

 Or, Monsieur, il me suffira, s'il vous plaist, de m'escrire un mot qui le puisse aucunement desabuser, car il est force de traitter avec luy; affin que, sans [se tourmenter] de vous prier, il attende que Dieu luy pourvoye des moyens de nager a ses despens; ce qui sera bien tost, puisque j'en voy des-ja la semence paroistre sur le champ, qu'il seroit prest a recueillir des maintenant, si la jeunesse luy eust permis d'estre aussi arresté ci devant comme il est resolu de l'estre dores-en-avant..

  A015000648 

 Monsieur, je m'interesse avec vous et use librement de ce petit artifice en faveur dé ce jeune homme, que je dois affectionner pour l'esperance qu'il donne de devoir reüscir, et sur tout a la memoire que je dois a Monsieur [44] son oncle.

  A015000649 

 Dieu nous veuille donner « la paix que le monde ne peut donner, » et vous conserve, Monsieur, longuement et heureusement, selon le souhait de.

  A015000661 

 Le sieur Martinet, conseiller de Son Altesse et maistre de la Chambre des Comtes de Savoye, sachant avec combien de prudence et de soin les jeunes gens sont [45] conduitz et gouvernés sous vostr'authorité et direction dans vostre college, il desireroit grandement que son filz, qui a des-ja fait son cours en philosophie, eüt le bien d'y estre receu et retiré, affin que plus heureusement il acheve ses estudes; et cela, sans aucunement charger la despense du college, puisque pour icelle, il prouvoyeroit de la pension et fourniture requise..

  A015000662 

 Ce que je fays, vous priant, autant quil se peut, de recevoir ce filz-lâ a ma contemplation et comme filz d'un pere plein d'honneur et de merite; en quoy vous accroistres le nombre des obligations que je vous ay, pour lesquelles je prie Nostre Seigneur vous combler de ses graces, et suis en luy,.

  A015000662 

 Or, estimant que, comme je vous honnore et cheris devant un chacun, aussi soys-je aymé et cheri de vous, il a desiré que j'intercedasse pour cet effect aupres de vous.

  A015000679 

 O Dieu, ma chere Seur, ma Fille bienaymee, a propos de nostre cœur, que ne nous arrive-il comme a cette benite Sainte de laquelle nous commençons la feste ce soir, sainte Catherine de Sienne, que le Sauveur nous ostast nostre cœur et mist le sien en lieu du nostre! Mais n'aura-il pas plus tost fait de rendre le nostre tout sien, absolument sien, purement et irrevocablement sien? Oh qu'il le face, ce doux Jesus! je l'en conjure par le sien propre et par l'amour qu'il y enferme, qui est l'amour des amours.

  A015000679 

 Que s'il ne le fait (oh! mais il le fera sans doute, puisque nous l'en supplions), au moins ne sçauroit-il empescher que nous ne luy allions prendre le sien, puisqu'il tient encor sa poitrine ouverte pour cela.

  A015000689 

 Ce porteur vous dira que j'ay un peu d'apprehension de faire le voyage de Gex, auquel neanmoins mon devoir m'oblige, puisque c'est pour le restablissement de l'eglise a Divonne, lieu fort important en ce païs-la.

  A015000690 

 J'oubliay de dire a mon frere de la Thuille que monsieur [48] d'Abondance vouloit faire que le Pape prieroit Son Altesse de vouloir quil vous employast a la response du livret, et cela a mon advis, ira mieux.

  A015000725 

 Ce sera bien asses, ma chere Seur, pour, en ce fait, imiter utilement sainte Catherine; et en cette sorte, nous serons doux, humbles et charitables, puisque le cœur de nostre Sauveur n'a point de loix plus affectionnees que celles de la douceur, humilité et charité..

  A015000725 

 Quel bonheur, ma tres chere Seur, si quelque jour, au sortir de la sainte Communion, je treuvois mon chetif et miserable cœur hors de ma poitrine, et qu'en sa place fut establi ce pretieux cœur de mon Dieu! Mais, ma chere Fille, puisque nous ne devons pas desirer des choses si extraordinaires, au moins souhaitte-je que nos pauvres cœurs ne vivent plus desormais que sous l'obeissance et les commandemens du cœur de ce Seigneur.

  A015000727 

 Cependant continués, ma tres chere Seur, a bien serrer ce cher Sauveur sur vostre poitrine; faites qu'il soit le [51] beau et le suave bouquet dessus vostre cœur, en sorte que quicomque vous approche sente que vous en estes parfumee et connoisse que vostre odeur est l'odeur de la myrrhe..

  A015000727 

 Et si vous en voules rendre conte a quelqu'une, vous luy pourres bien dire que vous aves besoin de manger si souvent cette divine viande parce que vous estes fort foible et que, sans ce renforcement, vostre esprit se dissiperoit aysement.

  A015000727 

 Laissés, je vous supplie, philosopher les autres sur le sujet que vous aves de communier; car il suffit pour vostre conscience, que vous et moy sçachions que cette diligence de revoir et de reparer souvent vostre ame est grandement requise pour la conservation d'icelle.

  A015000728 

 Remettés a la plus secrette providence de Dieu ce que vous treuveres de malaysé, et croyés fermement qu'il fera une douce conduite de vous, de vostre vie et de toutes vos affaires..

  A015000729 

 Quand nous voyons que les persecutions ou contradictions nous menacent de quelque grand desplaysir, il nous faut retirer, et nous et nos affections, sous la sainte Croix, par une vraye confiance que tout reviendra au prouffit de ceux qui ayment Dieu..

  A015000729 

 Sçavés-vous ce que font les bergers en Arabie quand ilz voyent esclairer, tonner et l'air chargé de foudres? Ilz se retirent sous les lauriers, et eux et leurs troupeaux.

  A015000730 

 Jettés souvent vostre confiance en la providence de Nostre Seigneur; soyés toute asseuree que plustost le ciel et la terre passeront, que Nostre Seigneur manque a vostre protection, tandis que vous serés sa fille obeissante, ou au moins desireuse d'obeir.

  A015000742 

 Et ne pensés pas que Nostre Seigneur soit plus esloigné de vous tandis que vous estes emmi le tracas auquel vostre vocation vous porte, qu'il ne seroit si vous estiés dans les delices de la vie tranquille.

  A015000742 

 Non, ma tres chere Fille, ce n'est pas la tranquillité qui l'approche de nos cœurs, c'est la fidelité de nostr'amour; ce n'est pas le sentiment que nous avons de sa douceur, mais le consentement que nous donnons a sa sainte volonté, laquelle il est plus desirable qu'elle soit executee en nous, que si nous executions nostre volonté en luy.

  A015000742 

 Vivés toute pour Dieu, ma chere Fille, et puisqu'il faut que vous vous exposies a la conversation, rendés-vous y utile au prochain par les moyens que souvent je vous ay escritz.

  A015000753 

 Mais, ma chere Seur, voules vous bien que je vous die ma pensee? Je crains infiniment de rencontrer trop de sagesse.

  A015000753 

 Neanmoins, c'est le Sauveur que je presche, lequel remplit les vallees et explane ou abbaisse les montagnes..

  A015000768 

 Voyla, dans cette lettre que j'addresse a Messieurs du Senat, la promesse que je leur fay du saint service qu'ilz ont desiré de moy.

  A015000769 

 J'escris simplement qu'ouy, et n'ay pas eu le courage, ou pour mieux dire la temerité, d'entreprendre de contrepointer les belles pointes de la lettre que j'ay receue en leur nom.

  A015000786 

 O que nostre Sauveur est bon et comme il traitte tendrement avec mon pauvre chetif courage! Mays je suis bien resolu de luy estre fort fidele, et specialement au service de nostre cœur que, plus sensiblement que jamais, je voy et sens estre unique.

  A015000787 

 Les affaires de la religion, qui s'accroissent icy tous les jours, me feront arrester plus longuement que je ne pensois, ma tres chere Fille; mais certes tres aggreablement, puisque c'est pour la gloire de Dieu et le service des ames qu'il a rachetees, lesquelles, en divers lieux de ce balliage, demandent qu'on leur restablisse le saint exercice.

  A015000787 

 Mon Dieu, ma tres chere Fille, que ce m'est une honnorable et douce peyne que celle-cy, qui me fait esperer que, sinon maintenant, au moins par ci apres, tout ce païs pourra estre purgé de tant d'infection que le malheur de l'heresie y avoit assemblé..

  A015000788 

 Ces jours suivans, il y a apparence d'en faire de mesme en deux autres, et outre cela, nous prescherons icy et parlerons a quelques ames desvoyees; et bien que peut estre ne les reduirons-nous pas, parce que, pour l'ordinaire, les considerations humaines empeschent celles de leur salut, si est-ce que nous ne pensons pas peu faire quand nous leur faysons confesser que nous avons rayson, comme plusieurs ont fait jusques a present.

  A015000788 

 Priés particulierement ce Sauveur, ma tres unique Fille, pour la conversion de ceux pour lesquelz j'ay commencé de travailler, affin qu'ilz voyent la sainte verité, sans laquelle ilz ne sçauroyent que se perdre..

  A015000789 

 Hé, Seigneur Jesus, vivés et regnés eternellement dans ce cœur que vous nous aves donné..

  A015000799 

 Je vous prie d'avoir en recommandation ce porteur pour tout ce que justement il pourra desirer de vostre faveur.

  A015000799 

 Sa pauvreté me porte a cette priere, comme vos merites me feront tous-jours tesmoigner que je suis,.

  A015000816 

 J'ay pris ma bonne part du contentement que messieurs vos confreres ont eu au restablissement du saint exercice en l'eglise d'Ivonne, ou je ne doute point que vous ne facies de plus en plus paroistre le zele que vous aves au service de Nostre Seigneur, comme je vous supplie faire au soin du redressement et ameublement [59] de l'autel; et de mesme en la diligence de prouvoir le curé de l'entretenement qui luy est requis, lequel, affin quil ne demandast que raysonnable, je luy ay taxé conformement a celuy que vous donnés au curé de Sessi..

  A015000834 

 J'ay eu un peu de peyne pour la maladie de la petite tres chere seur, bien que j'en espere bonne issue.

  A015000844 

 O ma tres chere Fille, que je souhaitte ce gracieux vent qui vient du midy de l'amour divin, ce Saint Esprit qui nous donne la grace d'aspirer a luy et de respirer pour luy..

  A015000845 

 Ah! que je voudrois bien vous faire quelque don, ma chere Fille; mays, outre que je suis si pauvre, il n'est pas convenable qu'au jour auquel le Saint Esprit fait ses presens, nous nous amusions a vouloir faire les nostres; il ne faut entendre qu'a recevoir au jour de cette grande largesse.

  A015000845 

 J'ayme mieux estre infirme que fort devant Dieu, car les infirmes, il les prend entre ses bras et les fortz il les mene par la main.

  A015000845 

 La Sapience eternelle soit a jamais dans nostre cœur, affin que nous savourions les tresors de l'infinie douceur de Jesus Christ crucifié..

  A015000845 

 Mon Dieu, que j'en ay voyrement bien besoin de l'esprit de force! car je suis, certes, foible et infirme, dequoy neanmoins je me glorifie, affin que la vertu de mon Seigneur habite en moy.

  A015000846 

 Dites a la grande fille, que, comme moy, elle se glorifie en sa foiblesse, qui est toute propre pour recevoir la force; car, a qùi donner la force qu'aux foibles?.

  A015000847 

 A Dieu, ma chere Fille; perseverons au desir de cette unité, de laquelle Dieu nous ayant fait jouir des icy, autant, que nostre condition infirme le peut porter, il nous en fera plus parfaitement jouissans au Ciel..

  A015000855 

 Toutefois, il n'est [pas] asses bon messager pour vous porter la pensee que Dieu m'a donné cette nuit: que nostre maison de la Visitation est, par sa grace, asses noble et asses considerable pour avoir ses armes, son blason, sa devise et son cri d'armes.

  A015000856 

 Le Sauveur mourant nous a enfantés par l'ouverture de son sacré cœur; il est donq bien juste que nostre cœur demeure, par une soigneuse mortification, tous-jours environné de la couronne d'espines qui demeura sur la teste de nostre Chef, tandis que l'amour le tint attaché sur le throsne de ses mortelles douleurs..

  A015000866 

 Quelques vertueux gentilshommes et moy, ayans, Dieu merci, terminé les poursuites que le sieur de Blonnay faysoit a rayson de la perte de son filz contre le sieur [64] de Saint Paul, par un amiable et chrestien appaysement de toute inimitié et dispute, j'ay creu que je devois en donner asseurance a Vostre Altesse, affin quil luy playse de plus facilement incliner sa clemence et donner sa grace a celuy qui, ayant la paix avec sa partie par cet accomodement, et le pardon de Dieu par la contrition et confession, n'a plus a rechercher que la remission de la peyne, que Vostre Altesse seule luy peut ouctroyer et que la debonnaireté d'icelle luy fait esperer..

  A015000883 

 Ayant esté adverti que l'on m'avoit chargé aupres de Vostre Altesse de fayre certains mauvais mesnages d'Estat avec les estrangers, j'en ay esté le plus estonné du monde, ne pouvant m'imaginer sur quell'apparence de fondement on peut bastir cette calomnie.

  A015000883 

 Car encor que ces jours mon devoir m'ayt necessite d'aller a Gex et y arrester quelque tems, si est ce que non plus lâ qu'ailleurs je ne me suis meslé de fayre ou dire chose aucune que selon ma profession, preschant, disputant, reconciliant les eglises, consacrant les autelz, administrant les Sacremens..

  A015000884 

 Car, en vraye verité, les François n'avoyent eu aucun' intention de surprendre a force cette ville-la, ayans trop d'apprehension d'esmouvoir les humeurs des heretiques de France et de leur faire prendre les armes, comm'ilz feront, silz peuvent, toutes fois et quantes qu'on fera de telz coups contr'eux: tellement que ni monsieur le Grand de Bellegarde, ni monsieur de Lux n'oserent jamais y aller, quoy qu'ilz y fussent invités, de peur d'accroistre le soupçon que quelques uns en avoyent..

  A015000884 

 Et non seulement je n'ay point fait de mesnage contre le service de Vostre Altesse (ce qui ne m'est jamais arrivé ni ne m'arrivera jamais, ni en effect, ni en pensee), mais au contraire, autant que la discretion et le respect que je doy a ma qualité me le permettent, j'ay observé tout ce que j'estimois estre considerable pour le service de Vostre Altesse, affin de luy en donner advis, comme [66] j'eusse fait par escrit si, a mon retour, je n'eusse treuvé le commandement qu'elle me donnoit de les porter de bouche a monsieur le Marquis de Lanz, auquel je parlay en toute franchise et naifveté; l'asseurant entr'autres choses, que les bruitz touchant le dessein des François sur Geneve n'estoyent que des vrayes chimeres, que quelques uns avoyent peut estre fabriquées pour rendre probables leurs prætendus services.

  A015000885 

 Mays, soit quil donnast cett'atteinte par le commandement de la Reyne, soit quil la fit de son propre mouvement (dequoy je n'ay rien sceu apprendre de certain), elle fut si mal receüe, que [67] ceux de la ville, en diverses occurrences, disoyent tout haut qu'ilz se donneroyent plustost au malin qu'a Vostre Altesse et plustost a Vostre Altesse qu'au Roy; d'autant que, non seulement Vostre Altesse les recevroyt a meilleur marché que le Roy, mays quand elle voudroit alterer les conditions de leur donation, ilz auroyent plus de moyen de la rompre par l'assistence des voysins, que quand elle seroit faite en faveur du Roy.

  A015000885 

 Vray est que le sieur de la Noüe proposa la dedans, par maniere de conseil, qu'il seroit expedient de remettre les murailles au Roy de France, pour eviter les perilz qu'elles couroyent a tous momens.

  A015000886 

 Et sur ce propos, j'appris de divers discours des François, que si nostre Saint Pere se remuoyt un peu vivement envers les Soüisses catholiques et la Reyne, comm' il le doit faire en consideration de la religion, il n'y auroit point de difficulté de faire heureusement reuscir les prætentions de Vostre Altesse contre les Bernoys, desquelz la grandeur est de longuemain ennuyeuse aux Suysses catholiques, et puisque la Reyne doit plus desirer l'amoindrissement du parti huguenot, que soupçonner l'aggrandissement de Vostre Altesse..

  A015000887 

 Je dis plusieurs autres particularités a monsieur le Marquis de Lanz, desquelles sans doute il aura eü bonne memoire pour les representer a Vostre Altesse, laquelle je supplie tres humblement de croire que j'ay gravé trop avant en mon cœur le devoir que je luy ay, pour jamais me relascher a faire chose qui puisse tant soit peu nuyre au service de ses affaires, et que j'ay une trop grande [68] aversion au tracas des choses d'Estat, pour jamais y vouloir penser d'un'attention deliberee.

  A015000887 

 Je ne sçai donq comment la calomnie ose me representer avec des affections estrangeres, puisque mesme je vis, Dieu merci, de telle sorte que, comme je ne merite voyrement pas d'estre en la bonne grace de Vostre Altesse, n'ayant qui puisse dignement correspondre a cet honneur la, aussi merite-je de n'estre jamais en sa disgrace, ne faysant ni n'affectionnant rien qui me puisse porter a ce malheur, que je ne crains aussi nullement, moyennant l'ayde de Nostre Seigneur, qui, en faveur de la veritable fidelité que je conserve a Vostre Altesse, ne permettra jamais que les brouillons et calomniateurs m'ostent la gloire que j'ay d'estr'advoüé, Monseigneur,.

  A015000899 

 En consideration de cela, un certain seigneur de Monluel, qui par longues annees avoit possedé un petit benefice simple audit Gex, de la valeur d'environ 20 ou 25 escus de revenu, ayant de son gré et par son election desiré que ce sien benefice fut uni a nostre dit Chapitre, je l'ay fait encor plus volontier, comme chose sainte et juste..

  A015000899 

 Nostre Chapitre de Geneve a plus cooperé aux commencemens de l'establissement de l'exercice catholique [69] a Gex qu'aucuns ecclesiastiques; car, outre que monsieur le Prevost, messieurs Grandis, Bochuti et Gottri, chanoynes dudit Chapitre, ont esté les premiers qui ont fait residence a leurs despens en ce pais-lâ durant un'annee, ce fut ce Chapitre qui fournit aux fraitz que je fis, estant encor Prevost, pour la sollicitation de la confirmation de l'establissement.

  A015000900 

 Et Messieurs de Saint Claude, estrangers non seulement au regard du royaume, mays encor au regard du diocæse, ont bien obtenu plusieurs placetz pour divers benefices de ce pais-la de Gex, ou ilz n'ont rendu, que je sache, aucun service comparable a celuy que nos chanoynes ont fait..

  A015000900 

 La petitesse de la piece, le travail passé de ceux de ce Chapitre, vostre credit, nous rendent un'esperance certaine que cela ne sera pas fort malaysé; car, bien que nostre Chapitre reside maintenant, par emprunt, de deça, si est ce que naturellement il est de Geneve.

  A015000900 

 Mays d'autant qu'a l'adventure, les cours laïques, en cas quil y eut quelque controverse ci apres, requerront que les proviseurs ayent le placet ou brevet du Roy, et que la valeur du benefice n'est pas si grande qu'on puisse envoyer expres pour en faire la supplication a Sa Majesté (a laquelle mesme, en tous evenemens, nous n'aurions aussi pas moyen d'avoir bon acces que par vostre entremise), partant nous vous supplions tres humblement tous, que si ce n'est point vostre incommodité, il vous playse [70] impetrer ledit placet.

  A015000901 

 Je fus l'autre jour a Gex, aupres de monsieur le Grand et monsieur de Lux, ou j'eu la consolation de retirer un gentilhomme et cappitayne de la religion a la foy catholique, de reconcilier deux eglises parrochiales, et, en quatre sermons, d'esbransler plusieurs haeretiques, et leur fayre advoüer que la verité catholique estoit belle, quoy que diffìcile a comprendre.

  A015000902 

 A cette consolation, messieurs le Grand et de Lux en adjoustoyent presque ordinairement une autre, qui estoit de me parler de vous et de vos merites comme l'honneur amoureux que je vous porte me pouvoit faire desirer.

  A015000902 

 A mon retour, je treuvay que mon voyage n'avoit pas esté seulement fertile en consolation, selon sa petitesse, mais [71] aussi, de ce costé de deça et de dela les mons, de soupçons et calomnies, que la verité neanmoins effacera, comme je pense, par la suite de quelques jours..

  A015000903 

 Continués, je vous supplie, Monseigneur, et croyés que je suis invariablement,.

  A015000903 

 Il failloit dire ce mot de confiance avec vous, qui me donnés si abondamment le bonheur de vostre amitié, que tout le monde s'en res-jouit avec moy, et particulierement ces seigneurs dont je viens de dire les noms.

  A015000914 

 Or sus, ma chere Fille, si vous ne pouves bonnement communier souvent reellement, vous vous communieres tant que vous voudres spirituellement..

  A015000915 

 Neanmoins il fut privé de tout cela, et en tout ce que l'Escriture tesmoigne, il ne luy parla jamais deux bonnes fois; ains, sçachant que ce divin Sauveur preschoit et se communiquoit a tout le monde en Judee, il demeura solitaire dans un desert tout voysin, sans oser le venir voir reellement, quoy qu'il le vist tous-jours spirituellement.

  A015000916 

 Il mangeoit des sauterelles, pour monstrer que si bien il estoit en terre, il sautoit neanmoins perpetuellement en Dieu.

  A015000916 

 Le miel sauvage luy servoit de saulce, parce que la suavité de l'amour de Dieu assaisonnoit toutes ses austerités; mais cet amour estoit sauvage, parce qu'il ne l'avoit pas appris des maistres, ains des arbres et des pierres, comme dit saint Bernard..

  A015000927 

 Helas, ma tres chere Fille, que n'ay-je quelque digne sentiment de joye pour cet homme angelique ou cet ange humain duquel nous celebrons la naissance! Mon Dieu, que j'aurois de suavité de m'en entretenir moy mesme! Mais j'e vous asseure que la grandeur de mon interieure pensee m'empesche de me donner cette satisfaction a moy mesme..

  A015000928 

 Je le treuve plus que vierge, parce qu'il est vierge mesme des yeux, qu'il a plantés sur les objetz insensibles du desert et ne sçait point par les sens qu'il y ait deux sexes; plus que confesseur, car il a confessé le Sauveur avant que le Sauveur se soit confessé luy mesme; plus que predicateur, car il ne presche pas seulement de la langue, mais de la main et du doigt, qui est le comble de la perfection; plus que docteur, car il presche sans avoir ouy la source de la doctrine; plus que martyr, car les autres martyrs meurent pour Celuy qui est mort pour eux, mais luy meurt pour Celuy qui est encor en vie, et contreschange, selon sa petitesse, la mort de son Sauveur avant qu'il la luy ait donnee; plus qu'evangeliste, car il presche l'Evangile avant qu'il ait esté fait; plus qu'apostre, car il precede Celuy que les Apostres suivent; plus que prophete, car il monstre Celuy que les Prophetes predisent; plus que patriarche, car il voit Celuy qu'ilz ont [74] creu, et plus qu'ange et plus qu'homme, car les Anges ne sont qu'espritz sans cors, et les hommes ont trop de cors et trop peu d'esprit: celuy ci a un cors et n'est qu'esprit..

  A015000930 

 Et que veut dire que nous sommes si petitz en sainteté?.

  A015000930 

 Mays cecy est encor admirable, que Nostre Seigneur ayant dit qu' entre tous ceux qui estoyent nés de femme, nul n'estoit p lus grand que Jean, il adjouste: Voire, mais celuy qui est le moindre au Royaume des cieux, c'est a dire en l'Eglise, est plus grand que luy.

  A015000930 

 Mon Dieu, ma chere Fille, que voyla un admirable Saint! Il naist d'une sterile, il vit dans les desertz, il presche au cœur aride et pierreux, il meurt parmi les martyrs, et parmi toutes ces aspretés il a son cœur tout plein de grace et de benediction.

  A015000930 

 O ma chere Fille, il est vray, car le moindre Chrestien communiant est plus grand en dignité que saint Jean.

  A015000940 

 Je vous laisse a penser, ma Fille, quelle bonne odeur respandit en la maison de Zacharie cette belle fleur de lis, trois mois qu'elle y fut; comme chacun en estoit embesoigné et comme avec peu, mais de tres excellentes paroles, elle versoit de ses sacrees levres le miel et le bausme pretieux; car, que pouvoit-elle espancher que ce dequoy elle estoit pleine? Or, elle estoit pleine de Jesus..

  A015000941 

 Mon Dieu, ma Fille, je m'admire tant que je suis encor si plein de moy mesme apres avoir si souvent communié! Hé, cher Jesus, soyes l'Enfant de nos entrailles, affin que nous ne respirions ni ressentions par tout que vous.

  A015000952 

 C'est tous-jours avec mille joyes que tels tesmoignages de vostre bienveüillance m'adviennent, et quoy que vos lettres soyent vielles en dates, elles me donnent neanmoins des contentemens nouveaux..

  A015000952 

 Hier seulement que ce digne porteur, le P. Prieur des Feuillans, m'arriva, je receu la lettre que vous m'escrivites par luy mesme le VI avril.

  A015000953 

 Je ne refuse pourtant pas l'amiable offre que vous me faites de ne changer jamais ni varier en l'amitié que vous me portés, soit que je vous escrive ou que je ne vous escrive point.

  A015000953 

 Mays je voy en celle-ci, que vous aves longuement [77] esté sans en avoir des miennes J'avoue sincerement mes fautes, mais celle ci, elle n'est pas mienne, ains des porteurs; car je sçai bien que tous-jours, quand je puis, je vous escris de mes nouvelles, non seulement par ce que vostre desir a tout pouvoir sur ma volonté, mais aussi par ce que ma volonté a perpetuellement ce desir de vous parler, comm'il m'est possible de parler de vous et de vous oüir ou voir parler a moy.

  A015000953 

 Non, Monsieur, je vous en supplie, ne varies jamais en cette affection que vous aves pour moy; car croyes qu'aussi, soit que j'escrive, comme je feray Dieu aydant, ou que je n'escrive pas, je ne varieray jamais en la resolution que j'ay faite d'estre a jamais homme tres veritablement vostre et tout vostre, sans reserve ni exception.

  A015000953 

 Or, selon mon sentiment, c'est tout dit quand je dis que je suis tout vostre, et peu dit si je dis moins que cela..

  A015000954 

 Ce Pere, que j'honnorois des-ja bien fort pour les fruitz que j'avois veu de son esprit, m'a lié a son amour et respect d'un lien indissoluble quand j'ay conneu en luy un si grand assemblage d'erudition, d'entendement, de [78] vertu, de pieté, et, entre ses vertus, l'estime quil fait de la vostre et du bien de vostre conversation; car c'est une des maximes plus entieres de mon ame, que j'honnoreray quicomque vous honnorera et cheriray quicomque vous cherira..

  A015000955 

 Et Dieu veuille que certaines nouvelles esperances qu'on nous propose soyent plus asseurees que celles que nous venons de perdre n'ont esté..

  A015000955 

 Que de bruitz, que de vaynes esperances, que de vrayes afflictions avons nous eu par deça! Mays, graces a Dieu, nous voyci maintenant avec grand'apparence de tranquillité.

  A015000957 

 Je me res-jouis que Monsieur de Monpelier soit a Paris le Caresme suivant, a joüir de la douceur de vostre presence, a laquelle croyes que j'aspire souvent, mays pour neant, puisque ayant, plusieurs foys fait demander congé a Son Altesse de pouvoir aller fair'un Caresme en vostre ville, je n'ay sceu jusques a present l'obtenir, ni mesm' autre response sinon quil y failloit penser.

  A015000957 

 Mays nul ne me sçauroit empescher que d'esprit et de cœur je n'y sois journellement aupres de vous, a vous honnorer, cherir et embrasser de toutes mes forces.

  A015000958 

 Madame la Marquise de Meneley me fait trop de grace de se resouvenir de moy, et encor plus de desirer que j'aille là.

  A015000958 

 Mays d'aller lâ, je n'en puis rien dire, sinon que ce sera quand je pourray; mays de sçavoir quand je pourray, il n'est pas en mon pouvoir..

  A015000959 

 Monsieur Nouvelet, qui va petit a petit achevant le petit reste de sa vie, a desiré que je vous asseurasse de son humble affection.

  A015000963 

 Monsieur, j'ay loüé Dieu quand on m'a fait sçavoir de Lion que vous esties gueri d'une grande maladie, avant que j'aye sceu que vous en ayes esté atteint.

  A015000975 

 C'est pourquoy je ne vous prie sinon de luy donner les advis convenables a sa conduite pour ce regard, et a moy ceux [de] ce quil pourra esperer, affin que la poursuite ou la retraitte se face a cette mesure-lâ..

  A015000975 

 On est bien empesché avec ces amoureux, ma chere Fille! Voyci ce jeune gentilhomme qui me demande une lettr'a vous pour vous rendre plus recommandables ses prætensions, et moy je me resouviens bien de ce que vous m'escrivistes lautrefois, quil failloit conduire l'affaire tout bellement et le presser a loysir.

  A015000998 

 Je vous addresse ce paquet pour le peu d'asseurance que j'ay eu en ce porteur.

  A015000998 

 Que si de fortune il estoit parti pour Thurin, ou il me dit quil devoit aller, je vous supplie le luy faire aussi tenir; car je suis certain quil n'ira ni ne demeurera sinon avec vostre congé, tant il fait profession d'estre vostre serviteur..

  A015001010 

 Cela a esté cause, ma tres chere Fille, que je n'ay peu luy donner cette lettre, par laquelle je veux respondre, quoy que couramment a mon accoustumee, aux dernieres lettres que j'ay receu de vous..

  A015001010 

 Je n'ay pas plus tost veu monsieur vostre cher mari, que j'ay sceu son despart de cette ville.

  A015001011 

 Mais aussi, le peché que vous fistes n'est pas si grand qu'il s'en faille affliger apres la repentance, car il ne fut pas commis en une matiere de commandement special, ni ne contient pas aucun desaveu de la verité, mais seulement un indiscret respect; et, pour le dire clairement, il n'y eut en cela aucun peché mortel, ni, comme je pense, veniel, ains une simple froideur procedante de troublement et irresolution.

  A015001011 

 Sans doute, ma tres chere Fille, il ne faut pas une autre fois rien rabbattre des coustumes generales avec lesquelles nous professons nostre sainte religion, pour la presence de ces bigarrés huguenotz, et ne faut pas que nostre bonne foy ayt honte de comparoistre devant leur affeterie.

  A015001012 

 Quant au bon Pere dom Guillaume de Sainte Geneviefve, il y a environ deux mois que ses Superieurs l'ont envoyé pour resider a Tolose.

  A015001013 

 Que si cela ne peut reüscir, il nous faudra un peu considerer ou nous pourrons donner de la main..

  A015001013 

 Toutefois, on pourroit bien le faire traitter dextrement, et par mesme moyen luy faire entendre qu'on ne l'invite qu'au seul exercice de charité et en lieu ou il n'y a rien a gaigner que les ames.

  A015001015 

 Il ne faut pas estre si curieuse que de vouloir sçavoir d'ou procede la diversité des estatz de vostre vie; il faut estre sousmise a tout ce que Dieu en ordonne et s'arrester la..

  A015001029 

 A ce que vous me dites, je vois qu'il sera mieux de remettre jusques a lundi; vous series trop precipitees toutes, et eux aussi, comme je pense; et je seray bien ayse de ne point rompre l'assignation aux bonnes Seurs de Sainte Claire, qui ont demain leur grande feste, ni au catechisme de Nostre Dame, ou il faut que je sois catechiste, estant invité il y a dix ou douze jours, a mon gré, la veille de Nostre Dame.

  A015001037 

 Aussi n'en sçauries-vous conserver pour personne qui ayt plus de sincere affection pour vous, a qui je souhaitte continuellement devant Nostre Seigneur mille benedictions, et celle-la sur toutes et pour toutes, que vous soyés toute parfaitement sienne.

  A015001037 

 Le souvenir de vos vertus m'est si aggreable qu'il n'a pas besoin d'estre nourri par la faveur de vos lettres; elles vous acquierent neanmoins une nouvelle obligation sur moy, puisque je reçois par icelles et beaucoup d'honneur et beaucoup de contentement, de voir que non seulement vous aves reciproquement memoire de moy, mais que vous l'aves aggreablement.

  A015001037 

 Soyés-le, Madame, de tout vostre cœur, car c'est le grand, ains l'unique bonheur qui vous puisse arriver; et si, monsieur le Senateur n'en aura point de jalousie, puisque vous n'en seres pas moins sienne, et en recevra de l'utilité, puisque vous ne sçauries donner vostre cœur a Dieu que le sien n'y soit engagé..

  A015001048 

 Mais, mon Dieu! gardes-vous bien d'entrer en aucune sorte de desfiance, car cette celeste Bonté ne vous laisse pas tomber de ces cheutes pour vous abandonner, ains pour vous humilier et faire que vous vous tenies plus serree et ferme a la main de sa misericorde..

  A015001048 

 Or sus, que voules vous que je vous die, ma tres chere Fille, sur le retour de vos miseres, sinon qu'au retour de l'ennemy, il faut reprendre et les armes et le courage pour combattre plus fort que jamais.

  A015001049 

 Et bien que selon nostre goust et l'amour propre les suavités et tendretés nous soyent plus douces, les [89] secheresses neanmoins, selon le goust de Dieu et son amour, sont plus profitables, ainsy que les viandes seches sont meilleures aux hydropiques que les humides, bien qu'ilz ayment tous-jours plus les humides..

  A015001049 

 Vous faites extremement a mon gré de continuer vos exercices emmi les secheresses et langueurs interieures qui vous sont revenues, car puisque nous ne voulons servir Dieu que pour l'amour de luy, et que le service que nous luy rendons parmi le travail des secheresses luy est plus aggreable que celuy que nous faysons parmi les douceurs, nous devons aussi, de nostre costé, l'aggreer davantage, au moins de nostre volonté superieure.

  A015001050 

 Pour vostre temporel, puisque vous vous estes essayee d'y mettre de l'ordre et que vous n'aves peu, il faut donq maintenant user de patience et de resignation, embrassant volontier la croix qui vous est arrivee en partage, et selon que les occasions se presentent, vous prattiqueres l'advis que je vous avois donné pour ce regard..

  A015001051 

 Demeurés en paix, ma chere Fille; dites souvent a Nostre Seigneur que vous voules estre ce qu'il veut que vous soyes et souffrir ce qu'il veut que vous souffries.

  A015001061 

 Je pense que ce tems vous sera fort propice, a cause de son rafraichissement..

  A015001062 

 Mon Dieu, ma tres chere Fille, que de graces et benedictions je vous souhaite! La pureté d'esprit est la vertu particuliere et la louange speciale de saint Bernard.

  A015001070 

 Soyés asseuree que je me gouverneray bien et que je tiendray ce que je vous ay promis..

  A015001072 

 Nos filles qui veulent faire les vœux pourront bien faire un peu d'orayson preparatoire sur les vœux de Nostre Dame et de tant de filles et femmes assemblees qui les firent a Nostre Seigneur et qui les gardent avec tant de fidelité, qu'elles souffrent plus volontier pour le divin Maistre que de s'en despartir..

  A015001073 

 Helas, que je souhaitte de sainteté a cette chere trouppe de filles, et sur tout a cette tres unique, tres aymee et tres honnoree Mere, ma Fille, vrayement mienne! Dieu la benisse et marque son cœur au signe eternel de son pur amour.

  A015001079 

 Je vous dis en deux motz, ma tres chere Fille, que lundi, Dieu aydant, je pars tout a pied pour aller au Jubilé de Thonon, ou si je vous voy, ma consolation [92] sera extremement plus grande.

  A015001079 

 Pour le reste, c'est un'œuvre de charité que l'accompaignement que vous alles faire, et bien que ce soit avec un peu de detraquement des sains exercices de devotion, si est ce que ce n'est pas avec aucune perte du service de Dieu..

  A015001095 

 J'ay bien aussi prié cette mesme bonne dame de vous porter de ma part l'asseurance de ce qu'avec une faveur trop excessive vous m'aves par deux fois demandé; mais il faut pourtant que je l'escrive icy de ma main, comme je le sens de tout mon cœur..

  A015001096 

 C'est la vraye verité, Monsieur, qu'encor que mes amis meurent, mon amitié ne meurt point, ains, s'il s'y fait quelque changement, c'est pour une nouvelle naissance qui la voit plus vive et vigoureuse entre leurs cendres, comme un certain phœnix mystique; car, bien que les personnes que j'ayme soyent mortelles, ce que j'ayme principalement en elles est immortel, et j'ay tous-jours estimé cet axiome fondamental pour la connoissance des vrayes amitiés, qu'Aristote, saint Hierosme et saint Augustin ont tant solemnisé: Amicitia quæ desinere potuit, nunquam vera fuit..

  A015001097 

 Mais, Monsieur, la reciproque communication qu'avec tant de confiance je ne faisois presque que commencer avec luy, est cessee et se treuve convertie en l'exercice des mutuelles prieres que nous faysons l'un pour l'autre: luy, comme sçachant combien j'en ay besoin, moy, comme doutant qu'il n'en ait besoin.

  A015001097 

 O Dieu, le bon monsieur le President [Frémyot] est tous-jours vivant en mon cœur, et il y tient le rang que tant de faveurs receuës de luy et tant de dignes qualités reconneuës en luy, luy avoyent acquis.

  A015001098 

 En verité, je treuve vostre main bonne, louable, ains exquise et rare, mais la matiere me desplaist; s'il faut dire le mot que j'ay dans le cœur, je dis: la matiere me desplaist extremement.

  A015001098 

 Mais commençons donq par icy a parler comme il faut entre les amis parfaitz, et venons au troisiesme point, a ce que je vous dois respondre.

  A015001098 

 Pleust a Dieu, dis je, que mon Polycletus, qui m'est si cher, n'eust point mis sa maistresse main sur un airain de si mauvais lustre!.

  A015001099 

 Je hais par inclination naturelle, par la condition de ma nourriture, par l'apprehension tiree de mes ordinaires considerations et, comme je pense, par l'inspiration celeste, toutes les contentions et disputes qui se font entre les Catholiques, desquelles la fin est inutile, et encor plus celles desquelles les effectz ne peuvent estre que dissensions et differens, mais sur tout en ce tems plein d'espritz disposés aux controverses, aux mesdisances, aux censures et a la ruyne de la charité..

  A015001100 

 En fin, quand les Rois et les Princes auront une mauvaise impression de leur Pere spirituel, comme s'il les vouloit surprendre et leur arracher leur authorité que Dieu, souverain Pere, Prince et Roy de tous, leur a donnee en partage, qu'en adviendra-il qu'une tres dangereuse aversion des cœurs? Et quand ilz croiront qu'il trahit son devoir, ne seront ilz pas grandement tentés d'oublier le leur?.

  A015001100 

 La pauvre mere poule qui, comme ses petitz poussins, nous tient dessous ses aisles, a bien asses de peyne de nous defendre du milan, sans que nous nous entrebecquetions les uns les autres et que nous luy donnions des entorses.

  A015001100 

 Non, je n'ay pas mesme treuvé a mon goust certains escritz d'un saint et tres excellent Prelat, esquelz il a touché du pouvoir indirect du Pape sur les Princes; [95] non que j'aye jugé si cela est ou s'il n'est point, mais parce qu'en cet aage ou nous avons tant d'ennemis dehors, je croy que nous ne devons rien esmouvoir au dedans du cors de l'Eglise.

  A015001101 

 Ah! je sçai, je croy, je jure par tout que vous aymés l'Eglise, que vous estes constamment son enfant asseuré; mays le zele de l'authorité que vous aves si longuement et heureusement possedee vous a poussé un peu trop avant.

  A015001101 

 Mais dites [96] moy maintenant, Monsieur, si je m'excuse envers vous de vous parler ainsy franchement, repliqueres vous point que c'est aussi trop franchement? Voyla pourtant comme je traitte avec ceux qui veulent que je contracte une entiere amitié avec eux.

  A015001104 

 Que s'il vous semble que d'abord je devois user de plus de moderation, je vous supplieray de croire que je n'en sçai point en l'amitié, ni presque en rien qui en depende.

  A015001105 

 Aussi, comme j'ay tous-jours fait avec feu monsieur, je desire que par tout vous m'advoüiés,.

  A015001113 

 O Dieu! ma tres chere Fille, je ne sçai quel chemin j'ay fait, ou celuy de Thonon, ou celuy de Bourgoigne, mays je sçai bien que je suis plus en Bourgoigne qu'icy.

  A015001114 

 Je suis tous-jours attendant des nouvelles du succes de vostre voyage, que je me prometz avoir esté bon, mais non pas sans crainte pourtant, a cause de la foiblesse de vostre santé et l'excessive chaleur qui a regné quelques heures de ces jours passés; mais je veux croire qu'en ces heures-la vous aures sejourné, et aures employé les matinees et les soirs qu'il a tous-jours fait un peu de vent.

  A015001115 

 Dieu benira vostre bonne intention en ce voyage et en l'entreprise que vous aves faite de mettre en ordre les affaires de cette mayson-la pour vostre filz, et vous recompensera ou par une bonne issue, ou par une sainte humiliation et resignation.

  A015001115 

 Et il vous suffira que, tout a la bonne foy, vous vous soyés essayee de reüscir, puisque Nostre Seigneur et la rayson ne requierent pas de nous les effectz et evenemens, mais nostre fidelle et franche application, employte et diligence; car ceci depend de nous, mays non pas les succes.

  A015001115 

 Faites l'un apres l'autre au mieux que vous pourres, et employés pour cela fidelement vostre esprit, mais doucement et suavement.

  A015001115 

 Hé, je vous supplie, ma tres chere Fille, tenés-vous [98] bien a Jesus Christ et a Nostre Dame et a vostre bon Ange en toutes vos affaires, affin que la multiplicité d'icelles ne vous trouble point et que leur difficulté ne vous estonne point.

  A015001116 

 De jour a autre, je vous tiendray advertie de ce que je feray..

  A015001118 

 Que son amour soit eternellement l'unité de nostre cœur!.

  A015001119 

 Vous sçaves, ma Fille, que nostre cœur ayme d'amour celuy de cette grande fille.

  A015001122 

 Je suis en luy, ce que luy seul sçait.

  A015001129 

 Ma chere Fille, tout ce qui se fait pour l'amour est amour; le travail, ouy mesme la mort n'est qu'amour, quand c'est pour l'amour que nous les recevons..

  A015001129 

 Ma tres chere Fille, appliqués le travail et tracas que vous y souffrires, a la gloire de la divine Majesté, pour l'amour de laquelle vous les subisses; traittés des affaires de la terre avec les yeux fichés au Ciel.

  A015001129 

 O Dieu, ma tres chere Fille, si est-ce que je vous escris soigneusement a toutes les occasions.

  A015001130 

 Ah! Sauveur de nostre ame, quand serons-nous autant ardans a vous aymer que nous le sommes a le desirer?.

  A015001130 

 Et puisqu'en verité nous desirons, en verité nous parviendrons; car ce grand Amy de nostre cœur ne le remplit, ce me semble, de desirs que pour le combler d'amour, comme il ne charge les arbres de fleurs que pour les recharger de fruitz.

  A015001130 

 Mays, pour ma sainteté, qui est ce que vous affectionnés le plus, je ne fay gueres de choses, sinon mille continuelz desirs et quelques prieres particulieres, affin qu'il plaise a Nostre Seigneur les rendre utiles [101] et fructueuses pour tout nostre cœur, et, presque ordinairement, je me treuve plein d'une douce confiance que sa divine Bonté nous exaucera.

  A015001131 

 Et remarquons que Nostre Seigneur ne vous donne jamais de violentes inspirations de la pureté et perfection de vostre cœur, qu'il ne me donne la mesme volonté, pour nous faire connoistre qu'il ne faut qu'une inspiration d'une mesme chose a un mesme cœur, et que, par l'unité de l'inspiration, nous sçachions que cette souveraine Providence veut que nous soyons une mesme ame, pour la poursuite d'une mesme œuvre et pour la pureté de nostre perfection..

  A015001131 

 Il me tarde, ma tres chere Fille, que ce cœur que Dieu nous a donné, soit uniquement et inseparablement donné et lié a son Dieu par ce saint amour unissant qui est plus fort que la mort et que tout.

  A015001132 

 Aymons donq bien ces croix que nous rencontrons en nostre chemin..

  A015001132 

 Ma tres chere Fille, helas! que bienheureux sont ceux qui l'ayment et qui la portent! Elle sera plantee au Ciel quand Nostre Seigneur viendra juger les vivans et les mortz, pour nous apprendre que le Ciel est l'autel des crucifiés.

  A015001142 

 C'est pourquoy j'asseure que ce malheur leur a osté une tres notable partie de leurs biens et, de miserables qu'ilz estoyent, les a rendus la misere mesme, sur laquelle, comme sur un dign'objet, la charité de Vostre Altesse exercera, comm'ilz esperent, son aumosne..

  A015001160 

 J'avois certes grand desir de pouvoir servir ce Caresme prochain a l'instruction de la parroisse de Saint Mederic, puis que messieurs ses curé et marguilliers me font lhonneur de m'y souhaiter; mais j'ay tant de besoigne taillee pour cett'annee, quii me seroit impossible d'en fendre la presse pour partir d'icy a trois moys, comm'il faudroit faire.

  A015001160 

 Je vous supplie donq, Monsieur, tres humblement, de m'en excuser vers eux pour cett'annee; et si, pour la suivante, les difficultés que vous sçaves se pouvoyent vaincre, je serois bien ayse de leur tesmoigner combien j'estime lhonneur de la semonce quilz me font faire par la personne du monde que j'honnore, respecte et cheris de toute l'estendue de mes forces, et a laquelle je suis sans reserve et sans fin, Monsieur,.

  A015001174 

 Ce n'est que pour simplement vous saluer et asseurer que je me presseray le plus que je pourray pour bien tost vous revoir, et espere que ce sera avec nostre mutuelle consolation et de toutes nos Seurs mes cheres filles.

  A015001174 

 Ce pendant, perseverés courageusement a porter et supporter celles qui se treuveront foibles; et croyés moy, ma chere Fille, ma Niece, que Nostre Seigneur, a qui vous estes toute, vous en sçaura un grand gré.

  A015001186 

 Or, je sçay bien que vous estes fort fidelle pour ce regard, et que si vous faites quelques petitz mauvais pas, soudain vous vous releves humblement, doucement et sans vous estonner; car il faut faire ainsy, ma chere Fille, pour devenir parfaitement sainte, qui est vostre pretention.

  A015001187 

 A Dieu, ma chere Fille, que j'ayme extremement en ce mesme Seigneur, pour lequel je suis tout vostre et a vostre mere, et a ma Seur Chastel, ma Seur Milletot, ma Seur Fichet, ma Seur Tiollier; car, quant a ma petite bienaymee Françon, je la salue a part comme ma petite fille toute mienne..

  A015001196 

 Et Dieu me donne les heureuses nouvelles que je souhaite aussi de vostre part, car jusques a present nous en jeunons encores.

  A015001196 

 Or, j'espere en cette souveraine Providence, qu'elle vous conservera saintement et cherement pour nostre mutuelle consolation et reciproque avancement en son amour cæleste, pour lequel [107] je fay sans fin des aggreables et desirables projetz, que je supplie le Saint Esprit nous faire suavement prattiquer..

  A015001198 

 Je salue du cœur que vous connoisses, nostre grande fille et luy recommande nostre chere et bonne Mere, comm'aussi monsieur de Thorens, que je cheris en qualité de mon frere et de vostre filz, qui veut dire excessivement.

  A015001198 

 Je suis a Bons et parmi les chams; soudain que ce devoir me le permettra, je seray a Neci, c'est a dire dans trois semaines..

  A015001199 

 Je salue humblement monsieur de Chantal et monsieur de Vauxcroissant, et vous penseres bien que si je sçavois que vous fussies ou a Dijon ou aupres de Monsieur l'Archevesque, je vous supplierois de faire mes honneurs convenablement..

  A015001200 

 Le doux Jesus, auquel et par lequel je suis autant vostre que vous mesme, vous veuille benir et conserver a jamais, ma tres chere Fille mienne..

  A015001215 

 Quel desplaysir viens-je de recevoir en la triste nouvelle du trespas de madame ma tante, qui m'aymoit si tendrement et cherement, et a laquelle j'avois si justement voué tant d'affection! J'irois moy mesme vous tesmoigner ce ressentiment, si je croyois, par ce moyen, de pouvoir alleger le vostre, ou que cet engagement auquel je suis parmi les assignations de ma visite le me permist; mais au moins, voyla mon frere qui va recevoir vos commandemens pour luy et pour moy, et vous asseurer que, comme j'ay honnoré de tout mon cœur la vie de cette chere defuncte, aussi cheriray-je a jamais son honnorable memoire autant qu'aucun de ses parens et serviteurs qu'elle ayt laissés en ce monde..

  A015001216 

 Au demeurant, Monsieur mon Oncle, cette si fascheuse separation est d'autant moins dure qu'elle durera peu, et que non seulement nous esperons, mays nous aspirons a cet heureux repos auquel cette belle ame est, ou sera bien tost logee.

  A015001217 

 Certes, pour moy, j'ay beaucoup de consolation en la connoissance que j'avois de l'interieur de cette bonne tante, laquelle plusieurs fois, avec extreme confiance, me l'avoit communiqué en la sacree confession; car j'en tire une asseurance que cette divine Providence, qui luy avoit donné un cœur si pieux et chrestien, l'aura comblee de benedictions en ce despart qu'elle a fait d'entre nous.

  A015001218 

 Je m'en vay a l'eglise, ou, par le saint Sacrifice, je commenceray les recommandations de cette chere et pretieuse ame, et celle que je dois a jamais continuer pour vous et tout ce qu'elle aymoit le plus.

  A015001230 

 A mesme que monsieur Jacquier m'a rendu vostre [110] lettre, monsieur Brunet m'est venu dire adieu; [si] que j'ay retardé ce moment pour vous resaluer humblement et vous dire que, quant a la cure de Saint Sigismond, elle ne vaut sinon douze vingt florins, en un lieu tres aspre et hors de chemin.

  A015001230 

 J'en desirerois une meilleure et plus a propos pour M. Charbonnet, que je dois affectionner pour tant de raysons.

  A015001230 

 Neanmoins, s'il desire venir au concours de celle cy, ce sera le 4 e de ce mois suyvant qu'elle est assignee; marri que peut estre je ne pourray pas m'y treuver, si M. de Villette persevere de me sommer d'aller avec ses autres parens au commencement des obseques de feu M me de Villette environ ce tems-la..

  A015001249 

 L'on m'a adverti que vous vous accables de peyne, que vous ne vous devestes point plusieurs nuitz de suite, que vous ne manges comme point, que vous faites les services plus penibles de l'infirmerie et puis retournes promptement soustenir le chant du chœur.

  A015001249 

 O ma Fille, ma Fille, je ne veux point que vous soyes si brave; car voyes vous, que me diroit nostre Mere si en son absence il arrivoit quelque mal a cette tres aymee Jeanne Charlotte? Certes, a son arrivee, je courrois fortune d'estre blasmé comme un pere peu vigilant sur sa tres chere fille..

  A015001251 

 Dieu nous sera bon, ma Niece, ma Fille: j'espere qu'il nous menace pour ne nous point frapper, et que la chere [112] Peronne de nostre Mere luy ira au devant a son arrivee, avec sa tres chere lieutenante, ma fille tres aymee, que je desire qui travaille avec un esprit ardent mais doux, fervent mais moderé, attendant le bon succes des maladies et affaires non de sa peyne, non de son soin, mays de l'amoureuse bonté de son Espoux.

  A015001252 

 Priés-le aussi qu'ainsy soit du Pere, affin que tout soit saintement esgal en nostre pauvre chere petite Visitation.

  A015001261 

 Je dis presque, a cause de celuy qui dit: Cum his qui oderunt pacem eram pacificus; autrement, je pense que je ne l'eusse pas dit, car les chasseurs poussent par tout dans les buissons, et retournent souvent plus gastés que la beste qu'ilz ont cuidé gaster.

  A015001261 

 La pluspart de ces propos mal mesurés qu'on dit ou qu'on escrit, sont plus heureusement repoussés par le mespris que par l'opposition.

  A015001261 

 Si quelqu'un avoit immoderement parlé ou escrit de l'authorité, il auroit grand tort, car il n'y a point de plus mauvaise façon de mal dire que de trop dire.

  A015001273 

 Plusieurs bourgeois et bourgeoises de Geneve qui estoyent venus aux vendanges, nous ont veu en cet exercice, et ont tesmoigné pour la pluspart d'en avoir pris bonne edification, et quelques uns qui m'ont voulu ouïr, ont esté estonnés dequoy leurs ministres leur descrivoyent nostre creance tout autrement que nous ne la preschons pas; chose....

  A015001283 

 C'est la verité que j'ayme d'amour vostre Congregation, mais d'amour infructueux jusques a present.

  A015001283 

 Dieu [116] le rende autant effectif qu'il est affectif; et non seulement a [Abondance,] mais en deux ou trois insignes Monasteres de ce diocese, nous verrons refleurir la sainte pieté que le glorieux ami de Dieu et de Nostre Dame, saint Bernard, y avoit plantee..

  A015001284 

 Je voy bien en vostre lettre que vous languissés, puisque vous me dites: Ecce quem amas infirmatur; mais je n'en ay pourtant point de compassion qu'avec une extreme suavité, d'autant que infirmitas hæc non est ad mortem, sed ut manifestentur opera Dei; ecce enim qui amat infirmatur, puisque amore languet.

  A015001285 

 Et pour vous en donner quelque asseurance des maintenant, je vous dis que mon opinion seroit que vous retranchassies tant, qu'il vous seroit possible toutes les paroles methodiques, lesquelles, bien qu'il faille employer en enseignant, sont neanmoins superflues et, si je ne me trompe, importunes en escrivant..

  A015001285 

 Si vous me favorises de m'envoyer un cahier, je le liray amoureusement, et vous diray franchement et naïfvement mon advis, a quel prix que ce soit.

  A015001286 

 Qu'est-il besoin, par exemple: « In hac difficultate tres nobis occurrunt quæstiones: prima nempe quæstio erit, quid sit prædestinatio; secunda, quorum sit prædestinatio; tertia, » etc.? Car, puisque vous estes extremement methodique, on verra bien que vous faites ces choses l'une apres l'autre, sans que vous en advertissies auparavant..

  A015001289 

 Or, cela empeschera extremement vostre Somme de grossir; ce ne sera que suc et moüelle, et selon mon sens, elle en sera plus friande et plus aggreable..

  A015001290 

 Et bien que je voudrois qu'on n'oubliast rien, si est-ce qu'en telles questions il me semble qu'il suffiroit de bien exprimer vostre opinion et en jetter le vray fondement; puis a la fin, dire simplement, ou au commencement, que « talis et talis aliter senserunt, » affin de laisser plus de place pour s'estendre un peu davantage es questions de consequence, esquelles il faut regarder de bien instruire vostre lecteur..

  A015001291 

 En celle: « Utrum praedestinatio sit ex praevisis meritis, » soit que l'on tienne l'opinion des saintz Peres qui ont precedé saint Ambroyse, soit qu'on tienne celle de saint Augustin ou celle de saint Thomas ou celle des autres, on peut former les argumens en stile affectif, sans amplifier, ains en abbregeant; et au lieu de dire: « Secundum argumentum sit, » simplement mettre un chiffre, 2..

  A015001291 

 Item: je sçay que quand il vous plaist, vous aves un stile affectif; car je me resouviens fort bien de vostre Benjamin de Sorbonne.

  A015001293 

 Je me resouviens de vostre douceur naturelle, morale et surnaturelle; j'ay mon imagination pleine de vostre charité, laquelle omnia suffert, et que libenter suffertis insipientes, cum sitis ipsi sapientes; in insipientia, donq, mea dixi..

  A015001293 

 Or sus, mon cher Pere, que vous semble de mon cœur? va-il pas bien a la bonne foy envers le vostre? Mais croyés-moy, encores ne suis-je pas si simple, qu'avec un autre j'en usasse comme cela.

  A015001307 

 Je vous diray franchement que, quant a l'obligation de vostre conscience, je ne varie nullement et persevere a ce que je vous en ay dit il y a long tems, qui est en un mot, que si la necessité de la personne de ce bon seigneur est telle que vous soyés requise en presence pour la secourir, vous deves arrester.

  A015001307 

 Maintenant que vous n'aves pas fait a beaucoup pres un si grand abandonnement et que vous aves reservé asses de liberté pour avoir [121] un soin moderé de vostre mayson et de vos enfans, parce que ce peu de retraitte que vous aves fait est pour Dieu, il se treuve des gens qui taschent de le faire estimer mauvais et contre le devoir..

  A015001307 

 Si ce n'est que la necessité du meilleur estat des biens, vous n'y estes pas voirement obligee; mais pourtant, si cette necessité estoit extreme et grande et qu'elle ne peust estre remediee que par vous, c'est a dire que vous ne puissies suppleer par autruy aux affaires, vous pourries librement arrester le tems requis a cela, que je remetz a vostre discretion et prudence, ne pouvant dissimuler avec vous qu'en cette occasion je ne voye quelque sorte de tentation.

  A015001308 

 Ce que je ne dis pas pour ce bon chevalier qui vous souhaitte aupres de soy, car vrayement il a rayson de desirer le bien de vostre conversation, qui ne peut que luy estre fort aggreable; mays pour ceux qui en parlent par maniere de conscience et de scrupule, qui, a mon advis, ne sont pas bien fondés en cela, bien qu'en la lettre de monsieur N. je les voye fort doctes et de grand esprit.

  A015001308 

 Mais je reviens a vous dire que vostre discretion vous doit regler, selon ce que je vous en ay dit autrefois et que maintenant je repete..

  A015001318 

 Ce que je dis, parce que madame de Chantal, peut estre, ne viendra pas avant Noël, puisqu'elle est resolue d'achever et demesler toutes ses affaires avant que de revenir, affin de n'avoir plus sujet de distraction..

  A015001318 

 Je vous prie de faire tenir les presentes a M. de Blonay, et luy escrire que s'il luy plaist que sa fille vienne sans attendre le retour de madame de Chantal, elle sera la bienvenue.

  A015001319 

 J'envoye a madame d'Allemand un livre, selon que je luy avois promis..

  A015001319 

 Je vous prie de faire la commission que je vous laissay, et de dire a M. de Chastillon qu'il face, pour les reconnoissances, selon qu'il m'escrivoit.

  A015001332 

 Mays, avant que de partir, je vous en donne advis, remettant, apres mon retour, de fayre part a Vostre Excellence de ce qui se sera passé..

  A015001348 

 Il sera force que vous souffries ma briefveté, car me voyci encor a Gex emmi tant d'affaires, que je ne sçay de quel costé me tourner, sur tout maintenant au despart.

  A015001349 

 Je me porte fort bien, grace a nostre Sauveur, qui me donne certain courage nouveau de l'aymer, servir et honnorer plus que jamais de tout mon cœur, de toute mon ame et de tout moy mesme; mays je dis de tout moy mesme, ma tres chere Fille, m'estant advis que jusques a present je n'ay point eu l'ardeur ni le soin convenable au devoir que j'ay a cette immense Bonté..

  A015001350 

 Ma tres chere Fille, remerciés cette clarté souveraine qui respand si misericordieusement ses rayons dans ce cœur, qu'a mesme que je suis parmi ceux qui n'en ont point, je vois plus clairement et illustrement sa grandeur et sa [125] desirable suavité.

  A015001350 

 O Dieu, la beauté de nostre sainte foy en paroist si belle que j'en meurs d'amour, et m'est advis que je dois serrer le don pretieux que Dieu m'en a fait, dedans un cœur tout parfumé de devotion.

  A015001381 

 Comme je donnay advis a Vostre Excellence de mon acheminement a Gex, je le luy donne aussi de mon retour que j'ay fait si tost qu'il m'a esté possible.

  A015001381 

 Le sujet de mon voyage fut que les huguenotz ayant dressé des plaintes en leur assemblee de Saumeur sur l'inexecution de l'Edit de Nantes, le Roy de France, en son [127] Conseil, a deputé des commissaires en toutes les provinces pour rendre par tout ledit Edit executé.

  A015001382 

 Mays parce que je n'estois pas la, la proposition se fit en mon nom par un tres bon et digne Pere Capucin, originaire de Beugey, mays natif de Chamberi, qui neanmoins n'ayant point de procuration, promit de me faire ratifier..

  A015001383 

 Et en fin, apres trois ou quatre assemblees ainsy generales et publiques, la multitude des oppositions et allegations de nos adversayres fut causé que le tout a esté renvoyé au Conseil privé, pour estre par iceluy ordonné selon qu'il verra a faire; sauf pour le regard de l'eglise des Carmes de Gex, toute ruinee, et [129] une chapelle jointe a icelle, fondee par un bastard de la mayson de nos Princes, comme encor de l'eglise d'Alemoigne, qui, sur le champ, m'ont esté remises.

  A015001383 

 J'espere neanmoins que dans bien peu de moys on me remettra tout le reste, ayant tant de rayson comme j'ay de mon costé; si bien que ce voyage n'aura pas esté infructueux..

  A015001383 

 Sur cela, estant adverti et conjuré par les Catholiques de me rendre en praesence pour un coup de si grande importance, j'y allay nuit et jour, et me treuvay asses tost pour une assemblee generale de tout ce païs-la, ou je refis a vive voix mes requisitions et m'essayay de respondre aux allegations des ministres, qui n'ont rien oublié de leur costé pour empescher le fruit de cette commission demandee imprudemment par leurs confreres, qui ne prirent pas garde que, si ailleurs l'execution de l'Edit leur estoit favorable, a Gex elle leur estoit extremement contraire.

  A015001384 

 Rien autre ne s'est passé, digne d'estre representé a Vostre Excellence, laquelle je supplie de m'honnorer tous-jours de sa bienveüillance, et de croire que de tout mon cœur je suis,.

  A015001400 

 Helas! que nous serons heureux si nous nous dedions bien entierement a ce saint service, soit en allant ou en demeurant, soit en faysant le bien ou en souffrant le mal; mays sur tout en souffrant, car le tesmoignage de nostre fidelité est bien plus grand en la souffrance qu'en l'action: dont les Martirs sont praeferés aux Confesseurs, et la Passion de nostre Sauveur a esté la grand'œuvre de nostre salut..

  A015001401 

 Ma tres chere Fille, vous ne pouvés guere plus dormir couchee; il faut que vous reposies assisse, a cause du defaut d'aleyne.

  A015001401 

 Mays voyla pas un bon exercice de mortification que Dieu vous donne, et lequel tant de Sains ont prattiqué par election? Or il n'en vaudra pas moins, ains davantage, quand il sera prattiqué par acceptation.

  A015001401 

 Mon Dieu, tres chere Fille, que mon cœur souhaite de bien au vostre entre les afflictions de vostre cors! Le tems des afflictions douleureuses [est] le vray tems de la moysson des vrayes affections [spirituelles.].

  A015001402 

 Croyes que c'est une bonne fille et que Dieu la reserve pour s'en servir a bon escient.

  A015001402 

 Nostre pauvre Seur de Chatel nous fit tellement peur [hier] au soir, que, par l'advis du medecin, nous luy donnasmes le Saint Huyle, qu'elle receut avec une foy et devotion [très grandes.

  A015001402 

 Néanmoins] cette nuit passee elle s'est si bien [reposée]... [que si ce n']est pas miracle, c'est au moins une speciale grace que [Dieu a] faitte aux prieres de ses cheres compaignes qui toutes estoyent des-ja en larmes; si bien qu'a mon jugement, il ni a plus rien a craindre pour ce coup.

  A015001403 

 Et si, il faut que je vous die qu'elle m'escrit par sa derniere lettre que l'on desseigne a Dijon, ou ell'est, une mayson de la Visitation pareille a celle d'icy; et faudra peut estre, dans quelque tems, y envoyer un couple ou troys des filles que nous [132] aurons, pour y donner commencement.

  A015001403 

 M me de Chantal doit arriver pour Noüel, sinon que quelqu'affaire d'importance luy soit survenu; car je luy ay escrit qu'elle n'espargnast pas le tems pour bien conclure tout ce qui est requis, affin qu'apres son retour elle demeure en plus grand repos.

  A015001403 

 Mays il n'est pas requis que ceci se sache encor; c'est pourquoy je le dis a vous..

  A015001404 

 La chere cousine est toute aupres de M me de Lambert qui est malade, si que je ne l'ay point veu il y a trois semaines; mais elle se porte bien..

  A015001418 

 Tenes vous doucement en repos en Dieu, pour reprendre vos forces de sa main, affin que quand nostre chere Mere reviendra, elle nous treuve tous braves.

  A015001425 

 Croyes que j'eu bien d'auditeurs hier; c'estoit chose prodigieuse, et je croy qu'il aura beny mon discours.

  A015001425 

 O Dieu, que j'ay pensé en vous devant la creche de Bethleem, et que j'ay prié pour nostre cœur le divin Enfant! Il me semble que ses bontés s'aggrandissent pour nous de moment en moment.

  A015001434 

 Je ne doute point, ma tres chere Fille, que vous ne soyes grandement exercee de diverses rencontres desplaysantes, sçachant une partie des sujetz qui vous en peuvent donner; mays en quoy, et quand, et comment pouvons nous tesmoigner la vraye fidelité que nous devons a Nostre Seigneur, qu'entre les tribulations, es contradictions et au tems des repugnances? Cette vie est telle qu'il nous faut plus manger d'absynthe que de miel; mais Celuy pour lequel nous avons resolu de nourrir la sainte patience au travers de toutes oppositions, nous donnera la consolation de son Saint Esprit en saison.

  A015001436 

 Dieu nous donne la grace de bien et saintement commencer et passer cette nouvelle annee prochaine; que puissions nous, en icelle, sanctifier le saint nom de JESUS et faire proffiter le sacré soin de nostre salut..

  A015001446 

 Voyla mon grand verre que j'envoye a nostre pauvre malade, affin qu'ell'y boive plus a souhait.

  A015001447 

 Fille, dites moy, je vous prie, sera-il mieux que je vous aille revoir demain matin pour assister au disner de cette grande fille, et encor de la Jaquemaz, sil y escheoit, ou que j'y aille [137] seulement apres Vespres pour la voir souper? Mon opinion est que ce soit apres Vespres, par ce que j'auray plus de tems, comme j'espere, d'estre avec moy (je veux dire avec vous) et avec elle; et lhors j'adjousteray aux tablettes le mot qui manque, car j'ay grand'envie d'estr'un jour homme de parole..

  A015001456 

 Saches, ma tres chere mienne Fille (mais vous le saves bien), que ça esté outre mon gré que j'ay passé cette journee sans vous voir.

  A015001456 

 Soudain apres disné, qui estoit le tems que j'avois reservé pour nostre cœur, mon bon cousin monsieur de Charmoysi m'est venu treuver jusques a troys heures, qui estoit le terme que j'avois promis d'aller parler en particulier avec les bonnes Dames de Sainte Claire, d'ou je viens maintenant..

  A015001457 

 O, Dieu nostre Sauveur nous soit a jamais toute chose! C'est en luy et par luy que nostr'unique cœur est indivisible; qu'a jamais puisse-il tout vivre a son saint amour..

  A015001459 

 Mon Dieu, ma tres chere mienne Fille, en fin, qui sommes nous, sinon ce que Nostre Seigneur a voulu que nous fussions?.

  A015001470 

 Croyes que ce ne sera pas si tost que je le souhaite..

  A015001470 

 J'excepte pourtant la visite de la petite seur, qui vient de me laisser maintenant, et laquelle m'a laissé avec bon goust, par ce que nous avons parlé de bonnes choses.

  A015001483 

 Laissons pour un peu la meditation (ce n'est que pour mieux sauter que nous reculons), et prattiquons bien cette sainte resignation et cet amour pur de Nostre Seigneur qui ne se prattique jamais si entierement qu'emmi les tourmens; car d'aymer Dieu dedans le sucre, les petitz enfans en feroyent bien autant, mais de l'aymer dedans l'absinthe, c'est la le coup de nostre amoureuse fidelité.

  A015001484 

 Or sus, ma Fille, voyés-vous, je vous recommande a Dieu pour obtenir pour vous cette sacree patience, et n'est pas en mon pouvoir de luy proposer rien pour vous, sinon que tout a son gré, il façonne vostre cœur pour s'y loger et y regner eternellement; qu'il le façonne, dis-je, ou avec le marteau, ou avec le ciseau, ou avec le pinceau: c'est a luy d'en faire a son playsir, non pas, ma chere Fille? faut-il pas faire ainsy?.

  A015001485 

 Je sçai que vos douleurs se sont augmentees despuis [140] peu, et a mesme mesure le desplaysir que j'en ay; bien qu'avec vous, je louë et benis Nostre Seigneur de son bon playsir qu'il exerce en vous, vous faysant participer a sa sainte Croix et vous couronnant de sa couronne d'espines..

  A015001486 

 Et bien, ma chere Fille, il n'est pas aussi requis que vous le fassies, ains que tout simplement vous esleviés, le plus frequemment que vous pourrés, vostre cœur a ce Sauveur et que vous fassies ces actions: premierement, d'accepter le travail de sa main, comme si vous le voyies luy mesme vous l'imposant et fourrant en vostre teste; secondement, vous offrant d'en souffrir encores davantage; troisiesmement, l'adjurant par le merite de ses tourmens, d'accepter ces petites incommodités en l'union des peynes qu'il souffrit sur la croix; quatriesmement, protestant que vous voules non seulement souffrir, mais aymer et caresser ces maux comme envoyés d'une si bonne et douce main; cinquiesmement, invoquant les Martyrs et tant de serviteurs et servantes de Dieu qui jouissent du Ciel pour avoir esté fort affligés en ce monde..

  A015001486 

 Mais, ce me dites vous, vous ne pouves gueres arrester vostre pensee sur les travaux que Nostre Seigneur a souffertz pour vous, tandis que les douleurs vous pressent.

  A015001487 

 Il faut donq les appliquer, avec telle resignation neanmoins, que si sa divine Majesté veut que le mal surmonte, vous y acquiescerés; s'il veut que le remede vainque, vous l'en benirés..

  A015001488 

 Nullement, ma Fille; mais je dis pour beaucoup moins d'incommodités que celles que vous souffrés..

  A015001489 

 Mon Dieu, ma Fille, que vous estes heureuse si vous continues a vous tenir sous la main de Dieu, humblement, doucement et souplement! Ah! j'espere que ce mal de teste profitera beaucoup a vostre cœur; vostre cœur, dis-je, que le mien cherit d'un amour tout particulier.

  A015001489 

 [141] C'est maintenant, ma Fille, que, plus que jamais et a tres bonnes enseignes, vous pouves tesmoigner a nostre doux Sauveur que c'est de toute vostre affection que vous aves dit et dires: VIVE JESUS!.

  A015001490 

 Vive Jesus! ma Fille, et qu'il regne parmi vos douleurs, puis que nous ne pouvons regner ni vivre que par celle de sa mort.

  A015001498 

 O Jesus, remplissés nostre cœur du bausme sacré de vostre nom divin, affin que la suavité de son odeur se dilate en tous nos sens et se respande en toutes nos actions.

  A015001498 

 O Vierge sainte, qui, la premiere de toute la nature humaine, aves prononcé ce nom de salut, inspirés-nous la façon de le prononcer ainsy qu'il est convenable, affin que tout respire en nous le salut que vostre ventre nous a porté..

  A015001498 

 O nom glorieux, que la bouche du Pere celeste a nommé eternellement, soyés a jamais la superscription de nostre ame, affin que, comme vous estes Sauveur, elle soit eternellement sauvee.

  A015001499 

 Que puissions-nous tellement vivre cette annee, [143] qu'elle nous serve de fondement pour l'annee eternelle! Du moins ce matin, sur le resveil, j'ay crié a nos oreilles: VIVE JESUS! et eusse bien voulu espandre cet huyle sacré sur toute la face de la terre..

  A015001500 

 Ma chere Fille, nostre cher petit Jesus estoit tout plein du bausme de salut, mays on ne le connoissoit pas, jusques a tant qu'avec ce couteau doucement cruel on a ouvert sa divine chair; et lhors on a conneu qu'il est tout bausme et huyle respandu, et que c'est le bausme de salut.

  A015001501 

 Mon Dieu, ma Fille, que cette circoncision est a propos de nos petitz, mais grans renoncemens! car c'est proprement une circoncision spirituelle..

  A015001501 

 Playse a ce divin Poupon de tremper nos cœurs dans son sang et les parfumer de son saint nom, affin que les roses des bons desirs que nous avons conceus soyent toutes pourprees de sa teinture et toutes odorantes de son unguent.

  A015001510 

 Que si Nostre Seigneur exauce mes vœux, cet an vous sera l'an de prosperité, de contentement et de benediction sur vous, Monsieur, en vous et tout autour de vous, qui, par apres, en verres une grande suite de pareilz, lesquelz en fin aboutiront a l'annee eternelle, en laquelle vous jouires immortellement de l'Autheur de toute vraye prosperité et benediction..

  A015001523 

 Il est bien tems que je vous rende le livret de la sainte Vie de nostre bienheureux Pierre Faber.

  A015001523 

 J'ay esté si consciencieux que je n'ay pas osé le faire transcrire, parce que, quand vous me l'envoyastes, vous m'en parlastes comme chose qui estoit reservee pour encor a vostre Compaignie.

  A015001523 

 J'eusse pourtant bien desiré d'avoir une copie d'une histoire de si grande pieté et d'un Saint auquel, pour tant de raysons, je suis et dois estre affectionné; car c'est la verité que je n'ay pas la memoyre ferme pour les particularités de ce que je lis, ains seulement en commun.

  A015001523 

 Que si bien sa vie, pour avoir esté courte et en un tems auquel on ne remarquoit si exactement toutes choses, ne peut pas tant fournir de matiere a l'histoire comme celle de quelques autres, neanmoins ce qu'elle donnera ne sera que miel et sucre de devotion..

  A015001524 

 Le bon monsieur Faber, nostre medecin de cette ville, a despuis peu treuvé au Reposoir une lettre de ce bienheureux Pere, escritte de sa main, que j'ay esté consolé de voir et bayser.

  A015001536 

 Je loüe Dieu de cette nouvelle santé, le retour de laquelle vous m'annoncés par vostre lettre du 6 decembre, avant que j'aye eu aucune sorte d'advertissement de vostre maladie.

  A015001536 

 Que si je sçavois que mes lettres eussent quelques secrettes vertus pour vous donner un bon portement, ainsy que vostre affection vous le fait estimer, croyés, Monsieur, que j'en escrirois jour et nuit, et ne vous escrirois point d'autre encre que celuy de mon sang, pour marquer des caracteres si aymables et pretieux [desquels] les effectz me seroyent si chers et desirables..

  A015001538 

 M. de Granyer est allé, comme je pense, en Languedoc, sans passer icy ou nous l'attendions, plus pour [148] apprendre les particularités des graces et traitz de vostre faveur, que pour autres raysons, bien que je sçai qu'elles sont grandes..

  A015001539 

 Ce que j'avois preveu de la volonté de Monseigneur de Nemours touchant son hostel, s'est treuvé plus que veritable; car, outre ce que j'avois consideré, il y a de plus qu'il n'est nullement hors d'occasion d'aller peut estre plus tost que je ne pense a Paris: vous pouvés bien penser pourquoy, mays je dis cecy entre nous deux.

  A015001546 

 Voyla M. Michel qui va un peu plus tost que l'ordinaire, affin que vous puissies prendre vostre tablette au moins une heure avant disner..

  A015001547 

 Mais, ma tres chere Fille, toutes deux, ces prises que [149] vous feres, sont tablettes cordiales; sur tout la premiere, composee de la plus excellente poudre qui fut jamais au monde.

  A015001547 

 O Dieu, quel bonheur que nostre amour, en attendant cette manifeste union que nous aurons avec Nostre Seigneur au Ciel, s'unisse par ce mystere si admirablement a luy!.

  A015001547 

 Or, la tablette de la sainte Communion est cela mesme qui a esté mis en tablette, affin que nous la puissions mieux prendre; bien que ce soit la tres divine et tres grande table que les Cherubins et Seraphins adorent et de laquelle ilz mangent par contemplation reelle, comme nous la mangeons par reelle Communion.

  A015001547 

 Ouy, ma chere Fille, car nostre Sauveur a pris nostre vraye chair, qui est en somme poudre; mais en luy, elle est si excellente, si pure, si sainte, que les cieux et le soleil ne sont que poussiere au prix de cette poudre sacree.

  A015001548 

 C'est une grande joye au cœur que vous aves icy, de s'imaginer ce grand Saint entre ses hermites, tirer du fond de son esprit des sentences graves et sacrees, et les prononcer avec une veneration incomparable comme des oracles du Ciel; mais entr'autres, il me semble qu'il die a nostre ame ce qu'il disoit parmi ses disciples, pris de l'Evangile: Ne soyés en souci de vostre ame, ou pour vostre ame.

  A015001549 

 Cependant, ma bienaymee Fille, je ne laysse pas, dans le fond de mon esprit, de prendre des saintes esperances qu'apres que par ces petitz abandonnemens, Dieu nous aura espreuvé et exercé en la mortification interieure, il ne nous vivifie par ses consolations sacrees.

  A015001549 

 Il ne nous abbaisse, ce doux Amour de nostre cœur, que pour nous eslever: il se musse et cache, et regarde par le treillis quelle contenance nous tenons.

  A015001550 

 Croyés, ma Fille, que je prie Nostre Seigneur pour vous avec tout nostre cœur; car mon ame est collee a la vostre et je vous cheris comme mon ame, ainsy qu'il est dit de Jonathas et de David.

  A015001557 

 Il ne m'arrivera jamais, ma tres chere Seur, ma Fille, d'oublier vostre cœur, que le mien aymera perpetuellement en Nostre Seigneur.

  A015001557 

 Je vois par vostre lettre, que [151] vous ne vous appuyés pas asses en la sainte providence divine.

  A015001557 

 Ma chere Fille, si elle retiroit vostre bonne seur, ce que nous devons esperer n'arriver pas si tost, vous ne laisseries pas pour cela d'estre sous la protection de ce tres bon Pere eternel qui vous couvriroit de ses aisles.

  A015001557 

 Nous serions miserables, ma Fille, si nous n'establissions nostre appuy en Dieu que par l'entremise des creatures que nous affectionnons.

  A015001558 

 Au contraire, je voudrois, et Dieu voudroit, que vous l'exerçassies gayement et amoureusement, et par ce moyen il auroit soin du desir que vous aves d'estre deschargee et le feroit reüscir en son tems; car notés une fois pour toutes, qu'il ne faut jamais s'aheurter avec une de nos volontés, ains quand il nous arrive quelque chose contre nostre gré, il le faut accepter de bon cœur, quoy que de bon cœur on desirast que cela ne fust point; et quand Nostre Seigneur voit que nous sommes ainsy souples, il condescend a nos intentions..

  A015001558 

 Pour la charge que vous aves, c'est une tentation de n'y avoir pas l'amour requis pour le tems auquel vous y seres.

  A015001560 

 De mesme pour avoir omis quelque verset de l'Office ou quelque ceremonie, il n'y a que peché veniel.

  A015001560 

 Quand les pensees nous arrivent du mal d'autruy et que nous ne les rejettons pas promptement, ains nous y amusons quelque peu, pourveu que nous ne facions pas un jugement entier, disant en nous mesmes: Il est vrayement ainsy, ce n'est pas peché mortel; quand bien nous dirions absolument: Il est ainsy, pourveu que ce ne fust pas en chose d'importance; car, quand ce dequoy [152] nous jugeons nostre prochain n'est pas chose griefve, ou que nous ne jugeons pas absolument, ce n'est que peché veniel.

  A015001561 

 Tandis que vostre seur n'a pas voulu recevoir vostre pension, il n'y a eu nulle faute pour vous; mais ce sera chose bonne qu'elle la manie..

  A015001562 

 Ma tres chere Seur, il ne faut point perdre courage; encor que vous ne prattiquiés pas si fidellement les resolutions que vous faites, vous deves fortifier vostre cœur pour en venir a l'execution.

  A015001576 

 En toutes, je m'essayois de vous tesmoigner l'ardent desir que j'aurois de rendre quelque sorte de service pour l'erection, institution et avancement de vostre Congregation, laquelle j'estime devoir estre un (sic) des plus fructueuses et apostoliques œuvres qui ayt esté faite en France, il y a long tems.

  A015001576 

 J'ay receu toutes les lettres que vous me marques par celle quil vous pleut m'addresser par les mains de monsieur de Marillac, et m'estonne comm'il est arrivé que vous n'ayes pas eu mes responses que j'ay quelquefois dupliquees, de peur de manquer au devoir que je vous ay et pour l'extreme contentement que je prens en la prattique de vostre sainte amitié.

  A015001576 

 Mays, Monsieur, je voy bien que je n'auray pas ce bonheur d'y contribuer chose quelcomque, sinon mes bons souhaitz et mes vœux; car, quant a l'hostel de Nemours, il n'en faut nullement parler, puisque Monseigneur de [154] Nemours fait profession expresse, et de ne vouloir jamais se retirer du tout de France, et d'avoir cette commodité de mayson, plus praetieuse que tout'autre chose..

  A015001577 

 Mays l'homme qui la porta n'arriva pas asses tost pour treuver ledit seigneur de Marillac qui passoit en diligence; car cet amy a qui j'avois escrit, m'a veu despuis et m'a dit quil avoit parlé avec luy, sans que pourtant il tesmoignast d'avoir aucun'affaire de luy..

  A015001582 

 Monsieur, j'ay voirement receu les deux livretz qui me furent renduz par monsieur de Sauzea, et pleut a Dieu que vostre commodité fut de m'en envoyer encor deux autres, car je les employerois utilement..

  A015001596 

 Croyes, je vous supplie, que je ressens tous-jours une tres particuliere consolation quand vous me faites le bien de m'envoyer de vos nouvelles et de m'asseurer de vostre sainte bienveuillance.

  A015001596 

 Si vous m'aves souhaité par dela, j'ay bien correspondu de mon costé, estimant que un voyage seroit grandement utile, non aux autres, mays a moy qui, par la conference que j'aurois avec tant de gens de bien, rafraichirois les resolutions et l'esprit qui m'est necessaire en ma vocation..

  A015001612 

 Ce matin, m'estant esveillé un peu a bonn'heure, j'ay pensé que peut estre il seroit a propos demain, qu'avant que de venir a la sainte Messe, vous fissies appeller toutes nos filles vers vous, et puis que vous fissies venir les deux qui doivent estre receües, et qu'en presence des autres, vous leur dissies trois ou quatre paroles en ce sens:.

  A015001613 

 Mays, avant que de passer plus outre, [158] penses bien derechef en vous mesme a l'importance de ce que vous entreprenes; car il seroit bien mieux de n'entrer pas parmi nous, qu'apres y estr'entrees donner quelqu'occasion de n'estre point receues aux oblations.

  A015001613 

 Que si vous aves bonne volonté, vous deves esperer que Dieu vous favorisera..

  A015001613 

 « Vous nous aves demandé d'estre receues entre nous pour y servir Dieu en unité de mesm'esprit et de mesme volonté; et, esperans en la Bonté divine que vous vous rendres bien affectionnees a ce dessein, nous sommes pour vous recevoir ce matin au nombre de nos Seurs novices, pour, selon l'avancement que vous feres en la vertu, vous recevoir par apres aux oblations, dans le tems que nous aviserons.

  A015001614 

 Et a cet effect, nous avons commis la peyne et le soin particulier de vous exercer et instruire a ma Seur de Brechard ci presente, a laquelle partant vous seres obeissantes, et l'escouteres avec respect et tel honneur, qu'on connoisse que ce n'est pas pour la creature que vous vous sous-mettes a la creature, mays pour l'amour du Createur que vous reconnoisses en la creature.

  A015001614 

 « Or, entrant ceans, saches que nous ne vous y recevons que pour vous enseigner, tant que nous pourrons, par exemple et advertissemens, a crucifier vostre cors par la mortification de vos sens et appetitz de vos passions, humeurs, inclinations et propres volontés, en sorte que tout cela soit desormais sujet a la loy de Dieu et aux Regles de cette Congregation.

  A015001615 

 Et moy je vous cheriray cordialement comme vostre seur, mere et servante; toutes nos Seurs vous tiendront pour leurs seurs tres aymees, et ce pendant vous aures ma Seur de Brechar (sic) pour Maistresse, a laquelle vous obeires, et suivres ses advertissemens avec l'humilité, sincerité et simplicité que Nostre Seigneur requiert en toutes celles qui se rangent en cette Congregation.

  A015001615 

 Vous vous tromperies bien si vous pensies estre venues pour avoir plus grand repos qu'au monde, car au contraire, nous ne [159] sommes icy assemblees que pour travailler diligemment a desraciner nos mauvaises inclinations, corriger nos defautz, acquerir les vertus; mays bienheureux est le travail qui nous donnera le repos eternel.

  A015001617 

 Je treuverois encor bon qu'apres que vous aures tiré quelque promesse d'elles, qu'elles se comporteront bien, vous adjoustassies:.

  A015001617 

 Or, je ne dis pas, ma chere Fille, que vous disies ni ces paroles, ni tout ceci, mays ce que vous verres a propos, plus pour l'edification et reveil des autres, que pour celle (sic) ci.

  A015001619 

 Voyla ce que j'ay pensé, si vous estimes a propos.

  A015001628 

 Le tres grand et miraculeux saint Paul nous a resveillés de grand matin, ma tres chere Fille, si fort il s'est escrié aux oreilles de mon cœur et du vostre: Seigneur, que voules vous que je fasse? Ma tres [160] chere Mere et toute chere Fille, quand sera-ce que, tous mortz devant Dieu, nous revivrons a cette nouvelle vie en laquelle nous ne voudrons plus rien faire, ains laisserons vouloir a Dieu tout ce qu'il nous faudra faire, et laisserons agir sa volonté vivante sur la nostre toute morte?.

  A015001629 

 Ah! Dieu ne nous a pas forclos de la jouissance de sa douceur, il l'a seulement soustraite pour un peu, affin que nous vivions a luy et pour luy, et non pour ses suavités; affin que nos Seurs travaillees treuvent chez nous un secours compatissant et un support suave et amoureux; affin que, d'un cœur tant escorché, mort et matté, il reçoive l'odeur aggreable d'un saint holocauste..

  A015001631 

 Je vous envoye cet eslan de nostre cœur, ma tres chere Fille, que le grand saint Paul benisse.

  A015001649 

 Au sortir de la, chacun m'a dit que ma jouë estoit desenflee, et je le sentois fort bien moy mesme..

  A015001649 

 Nostre Seigneur m'a donné pendant ce tems-la plusieurs bonnes pensees sur le ruminement que la sainte Espouse dit qu'elle faysoit entre ses dens.

  A015001649 

 Voyla vostre sacré remede que je puis dire m'avoir esté souverain, puisque Dieu a agi avec moy selon vostre foy, vostre esperance et vostre charité, et je dois confesser a la gloire de Jesus Christ et de sa sainte Espouse, que je ne croyois pas de pouvoir dire Messe aujourd'huy a cause de la grande enflure de ma jouë et du dedans de ma bouche; mais, m'estant appuyé sur mon prie Dieu et ayant posé la relique sur ma jouë, j'ay dit: « Mon Dieu, qu'il me soit fait comme mes filles le desirent, si c'est vostre sainte volonté; » et tout aussi tost, mon mal a cessé.

  A015001650 

 Il a voulu que ce mal me soit venu aujourd'huy, pour nous faire honnorer son espouse Apollonie et pour nous donner une preuve sensible de la communion des Saintz..

  A015001659 

 Vous aves maintenant, ma tres chere Fille, ma response a la lettre que [M me de Chantal] m'apporta; et voyei celle que je fay a la vostre du quatorziesme janvier..

  A015001660 

 Et moy, je croy qu'il l'a fait pour l'un et l'autre, et que vous devés perseverer en cette penitence tant qu'il vous l'ordonnera, puisque vous aves tout sujet de croire qu'il ne fait rien qu'avec une juste consideration.

  A015001660 

 Et si vous obeisses humblement, une Communion vous sera plus utile en effect que deux et troys faites autrement; car il n'y a rien qui nous rende la viande si prouffitable, que de la prendre avec appetit et apres l'exercice.

  A015001660 

 Or, la retardation vous donnera l'appetit plus grand, et l'exercice que vous feres a mortifier vostre impatience revigorera vostre estomach spirituel..

  A015001660 

 Vous aves bien fait d'obeir a vostre confesseur, soit qu'il vous ayt retranché la consolation de communier souvent pour vous espreuver, soit qu'il l'ayt fait parce que vous n'avies pas asses de soin de vous corriger de vostre impatience.

  A015001661 

 C'est le sentiment que vous pourrés faire, ma tres chere Fille, es jours que vous soulies communier et que vous ne communieres pas..

  A015001662 

 Le sentiment que vous aves d'estre toute a Dieu n'est point trompeur; mais il requiert que vous vous amusiés un peu plus a l'exercice des vertus et que vous ayés un soin special d'acquerir celles esquelles vous vous treuves plus defaillante.

  A015001663 

 De vray, puisque vous estes en train de l'orayson et que la bonne Carmeline vous assiste, il suffit.

  A015001674 

 Ce petit peuple catholique et moy le presentons en toute humilité a Vostre Majesté comme un cahier animé, contenant les moyens plus convenables pour la reduction de ceux de la religion pretendue et pour l'accroissement de la foy catholique au bailliage de Gex; affin que, si tel est le bon playsir [166] de Vostre Majesté, dont je la supplie tres humblement, elle en sçache par luy toutes les particularités plus clairement..

  A015001688 

 Cette pauvre damoyselle desireroit que la Sainte Mayson fit l'une de ses aumosnes pour la retraite d'un de ses enfans, selon que quelques uns des Peres de la Mission luy ont donné esperance qu'elle le pourroit impetrer.

  A015001688 

 Sa qualité et extreme necessité la me rend recommandable, c'est pourquoy, autant que je puis, je [167] la vous recommande aussi, et priant Dieu quil vous benisse, je suis,.

  A015001707 

 Ah! faut il qu'un filz empesche de vivre l'ame du pere de son cors? Nostre bonne malade donneroit de bon cœur la vie pour la santé spirituelle de son medecin, et moy, pauvre, chetif pasteur, que ne donnerois-je pas pour le salut de cette deplorable brebis! Vive Dieu, devant lequel je vis et je parle: je voudrois donner ma peau pour le vestir, mon sang pour oindre ses playes et ma vie temporelle pour l'oster de l'eternelle mort..

  A015001707 

 C'est par le retour de ce pauvre medecin, qui n'a sceu guerir nostre Mere et que je n'ay sceu guerir, que [168] je vous fay ce mot.

  A015001708 

 Pourquoy vous dis-je cecy, mon cher Amy, sinon pour vous encourager a bien prendre garde que les loups voysins ne se jettent parmi vos brebis, ou, pour dire plus paternellement selon les sentimens de mon ame, sur ces pauvres Genevois.

  A015001708 

 Prenés garde que quelques unes de mes brebis galeuses et errantes n'infectent et ne fassent errer le cher et bienaymé troupeau; travaillés doucement a l'entour de cette bergerie et dites leur souvent: Charitas fraternitatis maneat in vobis; et sur tout, priés Celuy qui a dit: Ego sum Pastor bonus, affin qu'il anime nostre soin, nostre amour et nos paroles..

  A015001709 

 Je recommande a vos prieres ce pauvre medecin malade; dites trois Messes a cette intention, affin qu'il puisse guerir nostre Mere et que nous le puissions guerir.

  A015001709 

 [169] Je sçai neanmoins que si le souverain Architecte de cette nouvelle Congregation veut arracher du fondement la pierre fondamentale qu'il y a jetté, pour la mettre dans la sainte Hierusalem, il sçait ce qu'il veut faire du reste de l'edifice.

  A015001722 

 Il y a dix ou douze jours que sa griefve maladie me fait faire mon orayson sur la troisiesme petition du Pater: Fiat voluntas tua.

  A015001722 

 S'il luy plaist de prendre cette Mere, je la luy offre; s'il luy plaist de nous la laisser, son saint nom soit beni! S'il luy plaist que nostre ouvrage se fasse, il nous en laissera la matiere, sinon, il la serrera dans son cabinet eternel.

  A015001723 

 Il faut que je vous advoue, mon cher Pere, selon les loix de nostre inviolable, paternelle, fraternelle et filiale dilection, que la conduitte de Dieu sur tous ses desseins me tient en admiration, mays avec certaine esperance intime qu'il mene sur le bord de la mort pour vivifier; je dis plus, qu'il tue pour resusciter.

  A015001733 

 Mais quand sera-ce donq que j'auray ce contentement de vous revoir, ma tres chere Seur? car je me voy presqu'a la veille de mon despart pour Chamberi; et [171] apres Pasques, on ne quitte pas volontier les chaires.

  A015001733 

 Or sus, je voy bien que nous ne serons jamais guere ensemble, si ce n'est en esprit; aussi est-ce l'Esprit de Dieu qui est l'autheur de la sainte amitié dont vous m'affectionnés, qui, par la distance des lieux, ne peut estre empesché qu'il ne face sa sacree operation dans nos cœurs..

  A015001734 

 Et qui sçait, si nous nous humilions devant Dieu, que sa sainte misericorde ne nous ouvre point un jour la porte de nostre Geneve, affin que nous y rapportions la lumiere que tant de tenebres en avoyent bannie? Certes, j'espere en la souveraine bonté de Nostre Seigneur, qu'en fin il nous donnera cette grace; mais prions et veillons pour cela..

  A015001734 

 Que vous veut cependant dire ce petit mot de nos nouvelles? La Reyne de France m'escrit qu'elle nous rendra toutes nos eglises et tous nos benefices de Gex occupés par les ministres; dont je prevoy que cet esté je seray grandement occupé a servir a cette besoigne, mays occupation aggreable et pretieuse.

  A015001764 

 Il a toujours été à propos que ceux qui ont servi Dieu par une sainteté de vie particulière et plus éclatante, fussent mis au nombre des Saints par l'autorité publique de l'Eglise et selon le rit consacré.

  A015001767 

 C'est encore l'ardent souhait de notre Jérusalem d'ici-bas, que préside Votre Sainteté, car elle se réjouira que le nom d'un tel fils, écrit dans le Ciel, soit glorifié sur la terre.

  A015001767 

 Cette grâce est exigée pour faire suite aux beaux actes de Votre Sainteté; car si naguère, d'entre les princes de l'Eglise, Elle a canonisé le bienheureux Charles, Elle doit lui joindre un prince séculier, afin que, dans l'un et l'autre rang, il y ait un modèle à imiter.

  A015001767 

 En désirant cette grâce, il me semble que tout conspire pour la solliciter avec moi.

  A015001767 

 Enfin, c'est ce que demandent les mérites et les miracles du bienheureux Amédée lui-même, très grands et très illustres en qualité et en nombre..

  A015001768 

 Faites-nous donc cette grâce, Très Saint Père, et ne laissez pas plus longtemps sous le boisseau cette lampe allumée par le feu divin, mais placez-la sur le chandelier, afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Sanctifiez le nom de celui qui a sanctifié le nom de Dieu avec tant de charité et l'a fait glorifier par tant de miracles; annoncez à toute l'Eglise qui est sur la terre que le Seigneur a exalté son Saint dans les Cieux, pour nous exaucer quand nous crierons vers lui.

  A015001769 

 Ce sont les vœux de celui qui désire de toutes ses forces que Votre Sainteté soit longtemps et heureusement, et pour leur bien, à la tête de tous les chrétiens..

  A015001779 

 Mays ce n'est pas cela que je vous veux dire, car j'ay d'autres choses a vous demander..

  A015001779 

 Nous parlons icy de vous si souvent et avec tant de playsir, ma chere Fille, que vous ne deves pas avoir soin [178] de nous en rafraichir la memoyre.

  A015001780 

 Car il est bon; certes, ce chetif petit cœur de ma grande fille; et pourveu [179] qu'elle le traitte bien, qu'elle demeure un peu soigneusement en attention sur luy, que souvent elle le r'encourage par des petites oraysons jaculatoires, par des petites conferences de ses bons souhaitz avec nostre Mere et avec moy, par des petites bonnes cogitations faites sur ce sujet en diverses occasions, vous verres, ma chere Fille, que ce cœur deviendra un vray cœur selon le cœur de Dieu.

  A015001780 

 Seigneur Jesus, c'est pour cela que deux foys le jour je vous fay priere particuliere..

  A015001781 

 Vives joyeuse, ma tres chere Fille; Dieu vous ayme et vous fera la grace que vous l'aymeres: c'est le souverain bonheur de l'ame pour cette vie et pour l'eternelle..

  A015001798 

 Car voyes-vous, Madame ma Mere, ne dois-je pas estre fort glorieux de me treuver maintenant receu en la bienveüillance de monsieur et de madame de Cerviere, [181] vos chers enfans, comme presque cet autre frere qui, impatient d'estre privé de la douceur de vostre presence, s'en reva si vitement aupres de vous, a laquelle il donnera, Dieu merci, des bonnes nouvelles de la santé de cette bonne seur, que je veux servir et honnorer de tout mon cœur en l'absence des autres meilleurs freres..

  A015001798 

 Elle vous tesmoignera seulement que j'ay un extreme sentiment du bonheur que vous m'aves departi, m'advoüant pour vostre filz, me voyant tous les jours arriver des nouveaux ruysseaux de faveur qui descoulent de cette vive fontaine.

  A015001798 

 L'honneur que vos deux lettres m'ont donné ne peut estre dignement remercié par celle ci.

  A015001799 

 En un mot, Madame ma Mere, je n'oublie jamais a l'autel les recommandations que vous me commandastes d'y fere, car je suis fidellement et sans reserve,.

  A015001802 

 Mon Dieu, que j'ay de contentement de voir en cette chere seur qui est icy, non seulement l'air de vostre visage, mais, ce qui est le plus beau, les traitz de vostre esprit et de vos affections.

  A015001833 

 Il est clair que la majeure partie des Parlements et des hommes d'Etat, même catholiques, penchent du côté le moins favorable, ou, pour mieux dire, le plus contraire à l'autorité papale, cette opinion leur paraissant mieux s'accorder avec l'autorité royale et la servir plus utilement.

  A015001833 

 On peut croire cependant, que le roi a des dispositions excellentes et très chrétiennes.

  A015001833 

 Par des avis particuliers reçus de Paris et de Dijon et par des [183] opuscules imprimés dans ces deux villes, on voit clairement que la discussion touchant l'autorité du Très Saint Père sur les rois s'étend de plus en plus; de même en est-il de celle qui a pour objet de comparer les Conciles avec les Souverains Pontifes.

  A015001833 

 Si cet état de choses persévère, il est à craindre qu'il n'en résulte pour ce royaume un dommage considérable et une déplorable division; d'autant plus que le roi devant prendre dans trois ou quatre ans l'administration de l'Etat, il sera facile au parti hostile à l'autorité du Saint-Siège de tourner ce prince du côté où celui-ci verra quelque apparence d'étendre ses droits, tant est grande l'inclination des hommes à dominer sans aucune dépendance.

  A015001834 

 Il faut ajouter que les raisons des adversaires flattent l'oreille des grands, non pour leur justesse, mais parce qu'elles favorisent leurs vues; il ne manquera pas non plus de théologiens qui, pour diverses considérations, embrasseront le parti de la division..

  A015001835 

 Le remède le plus efficace serait donc que pendant la régence, l'on traitât à l'amiable avec la reine et le Conseil, de la part de Sa Sainteté.

  A015001835 

 Que Sa Majesté veuille donc imposer silence à ces téméraires et séditieuses contestations.

  A015001835 

 Se plaindre d'abord de ce que, tandis qu'aucun différend ne s'est élevé entre Sa Béatitude et le roi, tandis que le Pape a [185] témoigné en toute occasion un cœur vraiment paternel, très affectionné et très sympathique au bien et à l'affermissement de la prospérité de cet Etat, on voit maintenant surgir certains esprits piquants, inquiets et ennemis de la sainte union qui existe entre Sa Sainteté et Sa Majesté; ils viennent impudemment mettre en doute l'affection du Saint-Père pour cette couronne, soulèvent ces disputes oisives et inopportunes, et engendrent par ce moyen dans les esprits malades et faibles, une sorte de défiance pour l'attachement sincère de Sa Béatitude à l'égard du roi et du royaume.

  A015001836 

 Dans cette guerre, une pieuse adresse, la prudence et la douceur sont certainement plus fructueuses que le feu de la doctrine et l'ardeur du zèle..

  A015001836 

 Sans doute, il faut louer le zèle des prédicateurs qui se sont opposés à l'insolence des adversaires; mais puisqu'on voit que par la continuation des plaidoyers, des controverses, des altercations, le feu s'allume au lieu de s'éteindre, le silence sera bien plus avantageux que la discussion elle-même.

  A015001839 

 Aussi faudrait-il que maintenant en France, tous les prédicateurs prissent à tâche d'inculquer suavement, et non violemment, l'unité de l'Eglise et le dévouement des catholiques pour le Pasteur suprême, sans entrer dans la discussion de son autorité particulière sur les princes.

  A015001839 

 Pourvu que les thèses soient bien établies, la meilleure réponse qui se puisse faire aux importunités de ces esprits turbulents, est de ne pas les juger dignes de réponse.

  A015001840 

 Quant à ceux qui parlent en mauvaise part de l'autorité pontificale, on ne devrait pas leur répondre directement, mais indirectement; se plaindre de ce qu'ils font cela sans nécessité et avec la maligne intention de rendre odieux le Saint-Siège, lequel néanmoins n'a pour ce royaume que les sentiments d'une mère très douce et très aimante.

  A015001841 

 Ce but, on pourrait l'atteindre si l'on en traitait adroitement et prudemment avec la reine, lui montrant que, par ce moyen, l'hérésie serait considérablement affaiblie.

  A015001841 

 Ce qui pourrait aussi faciliter le succès, serait de recommander l'affaire aux Provinciaux et aux Généraux d'Ordres, d'adresser des Brefs pleins de bienveillance aux Universités, en particulier à la Sorbonne, et aussi aux Prélats, témoignant en tous avec quelle affection paternelle Sa Sainteté souhaite la conservation de ce royaume, et combien elle désire que tous dressent les peuples à la vraie et sincère obéissance et soumission que les sujets doivent à cette couronne..

  A015001841 

 Il serait bon aussi de ménager, par l'entremise de Prélats dévoués et prudents, l'union et la bonne intelligence entre la Sorbonne et les Pères Jésuites, afin que, réunissant deux bœufs sous un même joug, on pût travailler dans le champ sacré d'une manière plus efficace.

  A015001842 

 Mais avant d'en arriver là, on devrait d'abord en avoir traité avec la reine et le Conseil; il serait aussi très utile que Sa Sainteté en conférât à Rome avec l'ambassadeur et les Cardinaux [189] français, témoignant un ardent désir de voir finir ces scandaleuses discussions..

  A015001854 

 Elle l'avoit prié d'obtenir de Dieu la connoissance de ce qu'elle devoit devenir, et il luy dit: « Quant a ce que vostre douceur me demande et qu'elle dit ne vouloir point cesser de m'importuner jusques a tant que je le luy aye octroyé, vous requeres de moy une chose esgalement difficile et inutile.

  A015001854 

 Je veux bien, ma tres chere Fille, respondre a la demande que vous me faites sur la fin de vostre lettre; mais ayés aggreable que je vous parle comme le grand saint Gregoire fit a une vertueuse dame nommee, comme luy, Gregoire, et laquelle estoit dame de chambre de l'Imperatrice.

  A015001855 

 Quant a ce que vous me demandes, quelle authorité le Pape a sur le temporel des royaumes et principautés, vous desires de moy une resolution « esgalement difficile et inutile.

  A015001856 

 Difficile, non pas certes en elle mesme, car au contraire, elle est fort aysee a rencontrer aux espritz qui la cherchent par le chemin de la charité; mays difficile, parce qu'en cet aage qui redonde en cervelles chaudes, aiguës et contentieuses, il est malaysé de dire chose qui n'offence ceux qui, faysant les bons valetz, soit du Pape, soit des Princes, ne veulent que jamais on s'arreste hors des extremités, ne regardant pas qu'on ne sçauroit faire pis pour un pere que de luy oster l'amour de ses enfans, ni pour les enfans que de leur oster le respect qu'ilz doivent a leur pere..

  A015001857 

 Mais je dis inutile, parce que le Pape ne demande rien aux Rois et aux Princes pour ce regard.

  A015001858 

 A quel propos nous imaginer des pretentions, pour nous porter a des contentions contre celuy que nous devons filialement cherir, honnorer et respecter comme nostre vray Pere et Pasteur spirituel?.

  A015001858 

 Certes, icy je suis dans l'Estat d'un Prince qui a tous-jours fait tres particuliere profession d'honnorer et reverer le Saint Siege apostolique; et neanmoins, nous n'oyons nullement parler que le Pape se mesle, ni en gros ni en detail, de l'administration temporelle des choses du païs, ni qu'il interpose ou pretende aucune authorité temporelle sur le Prince, ni sur les officiers, ni sur les sujetz en façon quelconque: nous nous donnons plein et entier repos de ce costé la et n'avons aucun sujet d'inquietude.

  A015001859 

 Je vous le dis sincerement, ma tres chere Fille: j'ay une douleur extreme au cœur de sçavoir que cette dispute de l'authorité du Pape soit le jouet et sujet de la parlerie parmi tant de gens qui, peu capables de la resolution qu'on y doit prendre, en lieu de l'esclarcir la troublent, [192] et en lieu de la decider la deschirent, et, ce qui est le pis, en la troublant, troublent la paix de plusieurs ames, et en la deschirant, deschirent la tres sainte unanimité des Catholiques, les divertissans d'autant de penser a la conversion des heretiques..

  A015001860 

 Or, je vous ay dit tout cecy pour conclure que, quant a vous, vous ne deves en façon quelconque laisser courir vostre esprit apres tous ces vains discours qui se font indifferemment sur cette authorité, ains laisser toute cette impertinente curiosité aux espritz qui s'en veulent repaistre, comme les cameleons du vent.

  A015001861 

 Et d'autant que les Chrestiens, Princes et autres ne sont pas alliés au Pape et a l'Eglise d'une simple alliance, mays d'une alliance la plus puissante en obligation, la plus excellente en dignité qui puisse estre; comme le Pape et les autres Prelatz de l'Eglise sont obligés de donner leur vie et subir la mort pour donner la nourriture et pasture spirituelle aux Rois et aux royaumes chrestiens, aussi les Rois et les royaumes sont tenus et redevables reciproquement de maintenir, au peril de leurs vies et Estatz, le Pape et l'Eglise, leur [193] Pasteur et Pere spirituel.

  A015001861 

 Si que, comme par droit naturel, divin et humain, chacun peut employer ses forces et celles de ses alliés pour sa juste defense, contre l'inique et injuste aggresseur et offenseur, aussi l'Eglise ou le Pape (car c'est tout un) peut employer ses forces et celles de l'Eglise et celles des Princes chrestiens, ses enfans spirituelz, pour la juste defense et conservation des droitz de l'Eglise contre tous ceux qui les voudroyent violer et destruire.

  A015001862 

 Les Rois et tous les Princes souverains ont pourtant une souveraineté temporelle en laquelle le Pape ni l'Eglise ne pretendent rien, ni ne leur en demandent aucune sorte de reconnoissance temporelle; en sorte que, pour abbreger, le Pape est tres souverain Pasteur et Pere spirituel, le Roy est tres souverain prince et seigneur temporel.

  A015001872 

 Mais Dieu vous benie, vous remplisse de graces; Dieu soit avec nous, ma tres chere Fille, car je n'ay pas davantage de loysir, grace a Nostre Seigneur, lequel nous fait la faveur de nous employer icy et la, a son tres saint service; car c'est a cela que je suis occupé en diverses sortes, de maniere que le cœur de ma tres chere Fille, comme le mien, en sera bien ayse..

  A015001885 

 Et par ce qu'en divers voyages qu'il a fait par deça je n'ay jamais reconneu en luy qu'un esprit franc, candide et vrayement chrestien, et que d'ailleurs plusieurs bons Religieux et gens de bien de cette ville m'ont conjuré de le secourir de ma tres humble intercession aupres de Vostre Altesse Serenissime, je la supplie en toute reverence qu'il luy playse accorder laditte delivrance, tant en consideration de l'innocence du pauvre prisonnier, que les Peres Capucins attestent n'avoir aucunement cooperé a la sortie du P. Bonaventure, seul sujet apparent de son emprisonnement, qu'en faveur de ce saint tems de Caresme, auquel le divin Aigneau d'innocence a si honteusement delivré nos ames coulpables de la perdition.

  A015001901 

 Helas! ouy, ma tres chere, toute vrayement tres chere Fille; mays si faut-il que ce soit en courant, car j'ay fort peu de loysir, et n'estoit que mon sermon, que je vay tantost faire, est des-ja tout formé dans ma teste, je ne vous escrirois autre chose que le billet ci-joint..

  A015001901 

 Or sus, ma tres chere, tres unique, ma Fille, il est bien tems que je responde, si je puis, a vostre grande lettre.

  A015001902 

 Vous les aves pourtant et en fort bon estat, mais vous n'en jouisses pas, ains estes comme un enfant qui a un tuteur qui le prive du maniement de tous ses biens, en sorte que, tout estant vrayement a luy, neanmoins il ne manie et ne semble posseder ni avoir rien [197] que sa vie, et, comme dit saint Paul, estant maistre de tout, il n'est point different du serviteur en cela; car ainsy, ma tres chere Fille, Dieu ne veut pas que vous ayés le maniement de vostre foy, de vostre esperance et de vostre charité, ni que vous en jouissiés, sinon justement pour vivre et pour vous en servir es occasions de la pure necessité..

  A015001903 

 Helas! Seigneur, si tel est vostre bon playsir que je n'aye nul playsir de la prattique des vertus que vostre grace m'a conferees, j'acquiesce de toute ma volonté, quoy que contre les sentimens de ma volonté..

  A015001903 

 Helas, ma tres chere Fille, que nous sommes heureux d'estre ainsy serrés et tenus de court par ce celeste Tuteur! Et ce que nous devons faire, n'est sans doute autre chose que ce que nous faysons, qui est d'adorer l'aymable providence de Dieu, et puis nous jetter entre ses bras et dedans son giron.

  A015001903 

 Non, Seigneur, je ne veux point davantage de jouissance de ma foy, ni de mon esperance, ni de ma charité, que de pouvoir dire en verité, quoy que sans goust et sans sentiment, que je mourrois plustost que de quitter ma foy, mon esperance et ma charité.

  A015001905 

 En fin, ce Sauveur veut que nous soyons si parfaitement siens, que rien ne nous reste, pour nous abandonner entierement a la mercy de sa providence, sans reserve..

  A015001905 

 Vous m'aves fort bien exprimé vostre souffrance, et n'aves rien a faire pour remede que ce que vous faites, protestant a Nostre Seigneur, en paroles mesme vocales, et quelquefois encor en chantant, que vous voules mesme vivre de la mort et manger comme si vous esties morte, sans goust, sans sentiment et connoissance.

  A015001906 

 Je dis bien parmi ces tenebres, car je vous laisse a penser: Nostre Dame et saint Jean [198] estans au pied de la Croix, emmi les admirables et espouvantables tenebres qui se firent, ilz n'oyoyent plus Nostre Seigneur, ilz ne le voyoyent plus et n'avoyent nul sentiment que d'amertume et de detresse, et bien qu'ilz eussent la foy, elle estoit aussi en tenebres, car il failloit qu'ilz participassent a la dereliction du Sauveur.

  A015001906 

 Que nous sommes heureux d'estre esclaves de ce grand Dieu qui, pour nous, se rendit esclave!.

  A015001918 

 C'est, Monseigneur, qu'il vous playse luy continuer lhonneur de vostre bienveuillance encor apres son trespas, comm'a un serviteur fidele et ancien de Vostre Altesse, qui, en la vie et en la mort, n'avoit rien eü de plus entier en son ame que la tres humble obeissance qu'il devoit a vostre couronne; et que, ne pouvant plus exercer cette sienn'affection en ce monde, il avoit fait choix du filz aysné du sieur de Chenex pour le nommer son heritier, affin qu'avec ce peu de biens qu'il luy laisse, il puisse estre eslevé et nourri en la vertu et en la puissante inclination du service de Vostre Altesse, a laquelle, outre son originaire devoir, le nom et les armes de Lambert, qu'il luy ordonne de porter, le rendront absolument hipothequé et consacré.

  A015001918 

 En suite dequoy, il supplioyt aussi tres humblement Vostre Altesse de recevoir ce sien heritier sous la protection de sa bonté et de l'avoir en recommandation particuliere, affin que, croissant a l'ombre de cette faveur, il devienne plus capable de prattiquer un jour le service de Vostre Altesse auquel il a esté dedié..

  A015001919 

 Et tandis, continuant [200] les vœux que je doys et fay pour la prosperité de Vostre Altesse, je demeure, Monseigneur,.

  A015001919 

 M'estant donques rendu depositaire de ces derniers souhaitz de ce bon defunct, je rens mon depost a Vostre Altesse, a laquelle il estoit addressé, la conjurant par sa propre bonté de departir ce bonheur a ce jeune gentilhomme, pour ne point rendre vain le contentement que celuy qui l'a fait son heritier prenoit en l'extremité de ses jours, en l'esperance qu'il avoit que Vostre Altesse ne l'esconduiroit point en cette tres humble supplication que je luy fay maintenant de sa part.

  A015001932 

 Ce porteur, qui est filz d'un tres bon pere et lequel est de mes meilleurs amis, n'a pas voulu retourner a Paris sans vous rapporter de mes lettres comm'il m'en avoit apporté des vostres, estimant que, comm'il desire, il vous en seroit plus aggreable.

  A015001932 

 Il vous dira toutes nos nouvelles, qui, a mon advis, consiste (sic) en ce que nous n'en avons point.

  A015001934 

 Nous attendons le passage du sieur de Granier, qui nous dira ce quil aura pris d'argent sur vostre faveur, et soudain, Dieu aydant, je l'envoyeray, voulant meshuy donner commencement a la satisfaction de tant de devoirs pecuniaires que je vous ay; car quant aux autres, je ne pourray ni ne voudray jamais en estre quitte, ayant un extreme playsir d'estre par obligation ce que je suis si absolument par inclination: c'est,.

  A015001939 

 Je ne cesseray jamais de recommander a Nostre Seigneur la prosperité de toute vostre mayson, et suis tres humble serviteur de madame la mere de famille d'icelle, que je salue de toute mon affection..

  A015001949 

 Il m'a des-ja tant ennuyé par la dureté avec laquelle il traitte cette pauvre femme, que s'il ne fait autre chose, je la veux prendre avec luy le plus asprement que je pourray, et ne doute point qu'il ne soit en mon pouvoir de le ruyner, si je m'y resous..

  A015001949 

 J'apporteray tout le soin quil me sera possible pour la pauvre dame Jaqueline, a laquelle j'ay extreme compassion, et ne sçaurois neanmoins rien avancer que le sieur Gilette ne soit de retour de Piemont ou il est.

  A015001950 

 Ce m'est un extreme contentement que nostre cher Annessi gouste si franchement le bonheur qu'il a d'ouïr ce grand homme de Dieu, le P. Bonnivard, duquel de toutes pars chascun me fait festes.

  A015001950 

 Il m'escrit reciproquement qu'il est tout plein de consolation de voir que la terre qu'il cultive reçoit si utilement la graine sacree de la divine parole, et treuve que la promesse que je luy en avois faite est surmontee par les effectz.

  A015001951 

 Dieu soit a jamais loüé du fruit qui en naistra, si tant est qu'il luy playse benir l'intention que j'ay de son saint service en ce petit travail..

  A015001951 

 Pour moy, je vay devuidant le reste de Caresme, faysant au mieux que je puis, et ayant jusques a present occasion de me louer de l'affluence et de l'attention de mes auditeurs.

  A015001952 

 Les deux freres que vous aymes vous honnorent et cherissent affectionnement, et parlent fort souvent de vous en ce sens et avec ce goust, mays celuy ci particulierement qui, vous saluant de tout son cœur, et madame ma chere bonne seur, est invariablement,.

  A015001966 

 Seroit-il bien possible que mon esprit oubliast jamais les chers enfans de ses entrailles? Non, mes tres cheres Filles, ma chere joye et ma couronne, vous le sçavés bien, je m'en asseure; et vos cœurs vous auront bien respondu pouf moy que si je ne vous ay pas escrit jusques a present, ce n'est sinon parce que, escrivant a nostre tres unique et bonne Mere, je sçavois bien que je ne vous escrivois pas moins qu'a elle, par cette douce et salutaire union que vos ames ont avec la sienne; et encor, parce que le saint amour que nous nous portons reciproquement, est escrit, ce me semble, en si grosses lettres dans nos cœurs, qu'on y peut bien lire presque nos pensees de Neci jusques icy..

  A015001967 

 Je suis avec un peu plus de monde que quand je suis en nostre sejour ordinaire aupres de vous; et plus j'en voy de ce miserable monde, plus il m'est a contrecœur, et ne croy pas que j'y peusse vivre, si le service de quelques bonnes ames en l'advancement de leur salut ne me donnoit de l'allegement..

  A015001968 

 Elles vont par tout furetant, sucçant et picorant tandis que leur esté et leur automne dure, et l'hiver arrivé, elles se treuvent sans retraitte, sans munition et sans vie; ou nos chastes abeilles, qui n'ont pour objet de leur veuë, de leur odorat, de leur goust, que la beauté, la suavité et la douceur des fleurs rangees a leur dessein, outre la noblesse de leur exercice, ont une fort aymable retraitte, une munition aggreable et une vie contente parmi l'amas de leur travail passé..

  A015001968 

 Mon Dieu, mes cheres Filles, que je treuve bien plus [205] heureuses les abeilles, qui ne sortent de leur ruche que pour la cueillette du miel, et ne sont associees que pour le composer, et n'ont point d'empressement que pour cela, et dont l'empressement est ordonné, et qui ne font dans leurs maysons et monasteres sinon le mesnage odorant du miel et de la cire! Qu'elles sont bien plus heureuses que ces guespes et mouches libertines, qui, courans si vaguement et plus volontier aux choses immondes qu'aux honnestes, semblent ne vivre que pour importuner le reste des animaux et leur donner de la peyne, en se donnant a elles mesmes une perpetuelle inquietude et inutile empressement.

  A015001969 

 Et ces ames amoureuses du Sauveur, qui le suivent en nostre Evangile jusques sur le haut du desert, y font un plus delicieux festin sur l'herbe et les fleurs, que ne firent jamais ceux qui jouissoyent de l'appareil somptueux d'Assuerus, ou l'abondance estouffoit la jouissance parce que c'estoit une abondance des viandes et des hommes..

  A015001971 

 Hé, qu'ilz sont heureux ces cœurs bienaymés de mes [206] filles, d'avoir quitté quelques annees de la fause liberté du monde, pour jouir eternellement de ce desirable esclavage auquel nulle liberté n'est ostee que celle qui nous empesche d'estre vrayement libres!.

  A015001972 

 La dilection du Pere, du Filz et du Saint Esprit soit a jamais au milieu de vos cœurs, et que les mammelles de Nostre Dame soyent pour tous-jours nostre refuge.

  A015001974 

 Dieu m'a favorisé d'avoir peu escrire tout d'une haleyne, quoy que presque sans haleyner, ces quatre petitz motz a mes tres cheres filles, qui, mises ensemble comme fleurs en un bouquet, sont delices a la Mere de la Fleur de Jessé et la fleur des meres.

  A015001974 

 Hé, Seigneur, que ce soit en odeur de suavité.

  A015001986 

 Voyla une lettre de monsieur de Bonvilars nostre [207] oncle, a laquelle je ne puis faire autre response que celle que vous m'ordonneres.

  A015002004 

 Le P. Recteur de Chambery me dit que l'expedition [208] de son proces vous estant recommandee, il l'aura ou demain ou, au plus long aller, passé demain.

  A015002004 

 Monsieur, je luy ay promis que j'y employerois ma priere, et je le fay avec confiance par ces deux motz, au bout desquelz j'adjouste un tres affectionné bon soir pour vous, Monsieur, et pour madame ma seur, estant et de vous et d'elle,.

  A015002013 

 Dieu vous donne cent mille bonjours et la santé tres heureuse, ma tres chere Fille, que je recommanderay de tout mon cœur a sainte Catherine de Siene, puisque c'est aujourdhuy sa feste..

  A015002025 

 Je vous donne le bonjour, et peut estre iray-je vous donner le bon soir en personne, cependant, si je puis; et mesme par ce que M me l'Ancienne est venue, laquelle, [210] on m'asseure, ira vers vous avec intention d'avoir plus de commodité de me parler; bien que je voye qu'ell'en aura peu ou que ce soit, a rayson de nostre Sinode, duquel les abors commencent demain..

  A015002037 

 J'ay veu sa seur de Bons a Chamberi, et ell'a [fait] fort devotement et confidemment sa revëue [depuis] que je l'ouys en confession en son abbaye..

  A015002048 

 Cependant, ma tres chere Mere, reposés un peu bien, manges un peu de choses bonnes et ne mettes pas du tout tant d'eau au vin; car je voy que ces foiblesses proviennent d'abbatement d'estomach et de froideur de teste.

  A015002049 

 Je suis bien ayse que cette bonne damoyselle soit si brave; je l'ayme bien, je vous asseure.

  A015002061 

 Il est appellé devant la cour pour un abus que sa partie pretend avoir esté commis par moy en l'endroit d'une provision de la chappelle.

  A015002061 

 Je croy que l'on considerera qu'il n'y a pas de loy au monde qui m'ayt privé de l'usage de mon authorité ecclesiastique en la provision des benefices de mon diocese; et que, comme M. l'Archevesque de Lyon pourvoit en Bourgoigne Comté, M. l'Evesque de Grenoble en Savoye et a Chamberi mesme, non obstant leur residence au royaume, de mesme dois-je jouir de l'authorité de pourvoir dans le royaume, quoy que je sois habitant en Savoye..

  A015002062 

 Je me persuade que cela est, et neanmoins je croy que j'ay besoin de vostre protection, laquelle pour cela je reclame, puisque je suis,.

  A015002080 

 Je les voy, certes, avec un cœur plein de pitié, quand je considere qu'ilz sçavent que Dieu merite d'estre preferé, et n'ont pas neanmoins le courage de le preferer quand il en est tems, crainte des paroles des mal advisés..

  A015002080 

 Mays mon Dieu, ma tres chere Fille, que dirons-nous de ces hommes qui apprehendent tant l'honneur de ce miserable monde et si peu la beatitude de l'autre? Je vous asseure que j'ay eu des estranges afflictions de cœur, me representant combien pres de la damnation eternelle ce cher cousin s'estoit mis, et que vostre cher mary l'y eust conduit.

  A015002081 

 Cependant, affin que vostre mary ne croupisse pas en son peché et en l'excommunication, voyla un billet que je luy envoye pour se confesser et faire absoudre.

  A015002082 

 Or sus, demeurés en paix; jettés vostre cœur et vos souhaitz entre les bras de la Providence celeste, et que la benediction divine soit a jamais entre vous.

  A015002090 

 Or je ne doute point de cela, ma tres chere Fille, ma Niece, que ce mesme Sauveur qui vous a prise par la main ne vous conduise jusques a la perfection de son saint amour; car j'espere que vous ne vous secoueres point d'une si douce et suave conduite et n'abandonneres jamais Celuy qui, par son infinie bonté, n'abandonne jamais ceux qui ne veulent pas l'abandonner.

  A015002090 

 Vray Dieu, que nous serons heureux si nous sommes fideles a cette immense douceur qui nous attire!.

  A015002091 

 M me de Limogeon me pria il y a bien sept mois, de luy tenir ce dernier enfant qu'elle a fait, et je le pris [216] en fort grand honneur; mais je le treuve encor plus grand et plus aggreable, puisque c'est avec cette heureuse rencontre que vous le deves tenir avec moy; ce que je prens a presage qu'un jour je pourray bien avoir la consolation d'en tenir un des vostres.

  A015002105 

 La qualité de [217] cett'eglise-lâ, qui est si honnorable entre toutes celles de France, le voysinage et perpetuel commerce de ceux de ces pais ci avec les Lionnois, lhonneur que ces seigneurs m'ont fait de m'envoyer expres monsieur le Comte de Saconay, originaire sujet et vassal de Vostre Altesse et lequel tient un rang fort principal entr'eux, me convie a ne point refuser en une si affectionnee et digne recherche.

  A015002105 

 Seulement ay-je reservé le bon playsir de Vostre Altesse, sous lequel je veux tous-jours vivre; qui me fait la tres humblement supplier de me fayre sçavoir ce qu'ell' aura aggreable pour ce sujet, tandis que je continueray mes vœux pour sa prosperité, comme doit,.

  A015002120 

 Comme vous portes vous, je vous prie, a ce matin? car hier vous fustes toute lasse et attachee de nostre fievre; [218] et je puis bien mieux dire de nostre fievre que ma Seur Milletot de nostre teste.

  A015002121 

 Je fis hier vostre ordonnance envers Messieurs de la ville que, sans mentir, nous obligent tout plein en l'estime et l'amour quilz tesmoignent a nostre Mayson.

  A015002131 

 Il me sembla que vous m'eussies marqué le jour de saint Claude.

  A015002131 

 Il me semble qu'il ne faut pas estonner cette fille si ell'est tentee, ains seulement la bien examiner sur le desir d'estre de la Congregation, et si on la treuve foible, luy donner loysir d'y penser, affin qu'elle se resoulve sans præcipitation; car il m'est advis que ce soit une bonne fille, mais qui a repugnance a l'abjection, et par ce qu'ell'a l'esprit fort, elle ne peut bonnement le plier du tout pour encor..

  A015002132 

 Je prie Dieu pour nostre fille, que je sceu seulement hier estre malade.

  A015002141 

 O quel triomphe au Ciel et quelle douceur en la terre! Que nos cœurs soyent ou est leur thresor, et que nous vivions au Ciel, puis que nostre vie est au Ciel..

  A015002142 

 Ah Dieu! ma chere Fille, les nostres y seront-ilz pas? Si seront, sans doute; car bien que nostre cœur n'a pas l'amour, il a neanmoins le desir de l'amour et le commencement de l'amour.

  A015002142 

 Et le sacré nom de Jesus n'est-il pas escrit en nos cœurs? il m'est advis que rien ne le sçauroit effacer.

  A015002142 

 Il faut donq esperer que le nostre sera escrit reciproquement en celuy de Dieu.

  A015002142 

 Mon Dieu, ma Fille, que ce Ciel est beau, maintenant que le Sauveur y sert de soleil et la poitrine d'iceluy, d'une source d'amour de laquelle les Bienheureux boivent a souhait! Chacun se va regarder la dedans et y void son nom escrit d'un caractere d'amour, que le seul amour peut lire et que le seul amour a gravé.

  A015002143 

 Mays d'ou m'arrive-il que je n'ayme pas bien, puisque des maintenant je puis bien aymer? O ma Fille, prions, travaillons, humilions-nous, invoquons cet amour sur nous..

  A015002143 

 Mon Dieu, ma chere Mere, que j'admire la contrarieté qui est en moy, d'avoir des sentimens si purs et des actions si impures! car vrayement il m'est advis que le Paradis seroit emmi toutes les peynes d'enfer si l'amour de Dieu y pouvoit estre, et si le feu d'enfer estoit un feu d'amour, il me semble que ces tourmens seroyent desirables.

  A015002144 

 Ah! que nos cors sont heureux d'attendre un jour la participation a tant de gloire, pourveu qu'ilz servent bien a l'esprit en cette vie mortelle!.

  A015002144 

 Jamais la terre ne vit le jour de l'eternité sur son rond jusques a cette sainte feste, que Nostre Seigneur, glorifiant son cors, donna, comme je pense, envie aux Anges d'avoir de pareilz cors, a la beauté desquelz les cieux et le soleil ne sont pas comparables.

  A015002165 

 L'une des opinions maudites et réprouvées que l'infâme Calvin enseigna avec plus d'ardeur et d'impudence dans la malheureuse cité de Genève, ce fut le mépris des Saints qui règnent au Ciel avec [223] Jésus-Christ.

  A015002166 

 De fait, en plusieurs circonstances, un grand nombre de personnes ont éprouvé l'efficacité de son intercession en faveur de ceux qui, avec une vraie confiance en Dieu, recourent à ses prières; d'autres cependant n'osent l'invoquer tant que la sainte Eglise ne l'a pas mis au nombre des Saints..

  A015002167 

 Elle causera aux ennemis des Saints une grande confusion, consolera grandement les âmes dévotes, éveillera dans les princes le désir d'imitation, enfin elle sera un sujet d'allégresse et de bénédiction pour toute l'Eglise, mais surtout pour ce diocèse désolé où naquit et fut élevé ce grand Prince qui, ainsi que son nom même l'atteste, fut tant aimé de Dieu et l'aima si ardemment..

  A015002168 

 Il exalta de tout son cœur le nom divin, mais en retour, la divine Majesté a glorifié le sien, et par une telle multitude de vrais miracles, qu'on verra clairement, au moment des informations, que cette canonisation a été différée jusqu'ici par une providence de Dieu.

  A015002169 

 Je ne doute point que Vos Seigneuries Illustrissimes et Révérendissimes ne prennent plaisir à faire avancer cette cause si justement [226] désirée; aussi, leur offrant mes humbles hommages, je prie Dieu notre Seigneur qu'il leur donne la sainte plénitude de ses grâces..

  A015002177 

 Ce que j'ay de plus prest, qui regarde la conduite des ecclesiastiques de ce diocæse, je le remettray, Dieu aydant, a ce porteur, non seulement par ce qu'il est mon diocæsain et quil a des-ja esté employé en semblable occasion, mays par ce aussi que vous le voules, puis que je suis de tout mon cœur,.

  A015002177 

 Certes, mon Reverend Pere, je desire grandement de pouvoir tirer de la presse de mes inutiles occupations [227] quelque petite besoigne de devotion, qui, en quelque sorte, corresponde aux augures que vostre charité en fait; mays il est tres vray que je n'ose nullement esperer cela pour maintenant.

  A015002181 

 Presque toutes nos chaires sont occupees par les RR. Peres Capucins, qui ont huit Maysons, la plus part nouvellement fondees; et si, je vous puys dire que, excepté celle de cette ville, je n'oserois en presenter une [228] a quelque predicateur qui, pour y venir, eut besoin de faire une journee..

  A015002213 

 Celle-ci, étant aujourd'hui devenue catholique par la grâce de Dieu, conçoit des scrupules au sujet de son mariage, parce que quelques personnes lui ont dit que ce Crispiliani de Crassy avait été prêtre ou religieux profès.

  A015002214 

 Outre la charité que Votre Seigneurie exercera à l'égard de cette pauvre femme dudit Crispiliani, elle me donnera grande ouverture pour convertir celui-ci et m'accordera une faveur dont je lui demeurerai très obligé..

  A015002215 

 Dans cet espoir, je baise les mains sacrées de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, et souhaite que Dieu notre Seigneur lui donne tout vrai contentement..

  A015002231 

 Nos messieurs les examinateurs ont estimé que nous devions donner courage a M. de Marteret, puisqu'il a rendu un grand tesmoignage de vouloir dores-en-avant faire merveilles et quil est parti avec vostre licence, ainsy que vous tesmoignes par vostre lettre, me le renvoyant quant au dimissoire..

  A015002247 

 C'est un acquest que M. de Millet et mes filles ont fait en leur voyage.

  A015002247 

 Je [n'écris que deux mots, car] je suis sans loysir; mesme que demain il faut que j'aille estre l'aumosnier de nos Seurs de la Visitation pour la reception d'une fille de Dijon, de fort bonne famille et de tres bonne mine, qui y est arrivee ce matin avec sa mere et asses bien accompaignee.

  A015002259 

 Helas, ma chere Seur, que j'aurois bien besoin d'un peu plus de loysir pour laysser reprendre mon cœur, tout fasché de cette nouvelle que je viens de recevoir du trespas de madame nostre chere mere! Mays puisque je ne puis, que vous diray-je, ma tres chere Seur, sinon que voyla comme cette miserable vie mortelle est incertaine parmi nous, et que nous sommes encor plus miserables qu'elle, si nous l'estimons pour autre sujet que pour ce qu'elle nous sert de passage [234] a l'eternelle; eternelle, ma tres chere Fille, a laquelle nous devons sans cesse aspirer, en laquelle nos proches et nos amis se treuveront reunis avec nous d'une societé indissoluble..

  A015002260 

 Mon Dieu, je voy, ce me semble, vostre pauvre cœur fort affligé, car je sçai que vous l'aves fort sensible en telles occasions.

  A015002261 

 Certes, si je ne connoissois l'ame de nostre defuncte et que je n'eusse sceu qu'ell' estoit bonne et craignoit Dieu, j'eusse esté plus estonné de la façon de son trespas que de son trespas mesme, tant j'ayme l'esprit au dessus de tout le reste.

  A015002262 

 Et sur le sujet de vostre voyage par deça, je ne sçaurois vous le conseiller, pour l'apprehension que j'ay quil ne vous incommode en vostre foible santé, ni ne sçaurois vous le dissuader, pour le tres singulier contentement que j'aurois a vous tenir un peu parmi nous, en ces desertz.

  A015002262 

 Je ne voy point de tems qui ne soit propre, pourveu que le voyage que M. le Grand doit faire a Gex ne me contraigne d'absenter de cette ville quand vous series de deça; et c'est chose delaquelle je ne me puis rien promettre.

  A015002262 

 Mais necessayrement il faut que je sois icy des le commencement de septembre'jusques au 20, pour la celebration d'un Jubilé que nous y avons de sept ans en sept ans.

  A015002262 

 Vous verres donq le tems que vous aggreeres, et m'en advertires, affin qu'autant quil [235] me sera possible je m'essaye de disposer mes affaires pour me treuver icy.

  A015002263 

 En vraye verité, vous n'aves point de cœur qui soit plus vostre que le mien.

  A015002268 

 Que j'escrirois volontier a monsieur d'Origni! mays je suis si pressé du depart de cette bonne dame, que je suis forcé de vous conjurer que ce soit par vostre entremise que je luy offre mon humble tres affectionné service..

  A015002281 

 Apres que le sieur Chapperon a eü receu la liberté par la bonté et equité de Vostre Altesse, il a voulu [236] aller a ses pieds pour luy en porter le tres humble remerciment quil en doit.

  A015002297 

 Je cheriray des-ormais le pauvre petit livret de l' Introduction a la Vie devote plus tendrement que je [237] n'ayfait, puis qu'il m'a acquis lhonneur de vostre sainte bienveuillance, et me sentiray de plus fort obligé au P. Irenee qui, le premier, m'a donné la consolation de me le faire sçavoir.

  A015002298 

 Je vous en fay donq tres humblement action de graces, et des bons souhaitz que vous faites pour mon restablissement dedans ma miserable ville de Geneve, pour laquelle je fay cette courte orayson: Domine, aut convertatur, aut evertatur; sed, pro tua pietate, potius convertatur quam evertatur, et « quod nostra peccata præpediunt, indulgentia tuæ propitiationis acceleret.

  A015002299 

 Je garderay pretieusement les traductions qu'il vous a pleu m'envoyer, non seulement par ce que ce genre d'escritz m'est fort aggreable, mais par ce que ce me sera un tiltre du bien que j'ay de participer a vos bonnes graces, lesquelles je vous supplie, Monseigneur, me conserver comm'a un homme qui les estime et revere autant que nul autre, et lequel, confessant quil ne les a jamais meritees, espere neanmoins quil ne meritera jamais de les perdre, puisque liberalement elles luy ont esté concedees..

  A015002319 

 Vous feres reposer ledit metail dans l'eglise jusques a ce qu'il le faille jetter, ce que vous feres avec la chappe, [ou] au moins avec le surplis et l'estole.

  A015002319 

 Voyla du saint metail que j'envoye pour vos parroissiens, qui, esperans des benefices par l'intercession de saint Theodule qui l'a beni, devront tascher d'assister a la Messe qui se celebrera a son honneur au jour que nous avons marqué de sa feste au Manuel.

  A015002332 

 Voyés vous une rose, ma tres chere Fille? Elle represente le glorieux saint Jean, duquel la vermeille charité est plus esclattante que la rose, a laquelle encor il ressemble parce que, comme elle, il a vescu emmi les espines de beaucoup de mortifications..

  A015002334 

 Hé, qui nous fera la grace que nous savourions bien le miel que cette Mere abeille fait au milieu de cette fleur aymable?.

  A015002344 

 Et a cet effect, ne pouvant bonnement partir de cette province ou ma charge me tient lié, sans l'aggreement de [241] Son Altesse, non seulement j'ay fait supplication pour l'obtenir, mais ay conjuré un de ceux que je croyois estre plus propre, affin d'en solliciter l'enterinement..

  A015002344 

 Je prens a tant d'honneur la recherche quil vous a pleu de faire de mes predications pour l'Advent et Caresme prochain, que si vostre rang en l'Eglise et le merite de tant de personnages signalés desquelz vostre compaignie est composee ne m'avoit des-ja obligé a vous honnorer et respecter, je ne laisserois pas de l'estre extremement par cette favorable semonce que, de vostre grace, vous m'aves faitte, a laquelle je vous supplie de croire que j'ay fidellement correspondu par un sincere'desir d'y satisfaire.

  A015002345 

 Mais quant a l'affection de vous rendre du service et du contentement, je pense que malaysement eviteries vous de la perte, puisqu'en verité j'ay le cœur tout plein d'amour et de reverence pour vous, et d'ardeur et de zele pour l'avancement de la vraye pieté en vostre ville..

  A015002345 

 Or, voyant que jusques a present je n'ay aucune response et que si, par adventure, je la recevois negative dans quelque tems, la faveur que vous m'aves faitte de me souhaitter seroit suivie du desplaysir de n'avoir ni mes sermons, ni peut estre ceux des autres predicateurs sur lesquelz, a mon defaut, vous pourries avoir jetté les yeux, d'autant que ce pendant ilz se pourroyent engager ailleurs: cela, Messieurs, fait que je vous supplie de ne plus continuer envers moy l'honneur de vostre attente et de colloquer ce vostre choix en quelqu'autre qui ayt plus de liberté que moy pour l'accepter.

  A015002345 

 Vous ne pourres que beaucoup gaigner au change, si l'on a esgard a la suffisance, puisqu'en cette partie-la je suis inferieur a tous les predicateurs qui hantent les bonnes villes et montent es grandes chaires, comme la vostre.

  A015002346 

 Que si, apres ces longueurs qui sont ordinaires es cours, la response de Son Altesse m'arrivoit selon vostre desir et le mien, et qu'il vous pleust me conserver l'eslection que vous avies faite de moy pour une autre annee, je vous asseure, Messieurs, que je conserveray de mon costé la volonté que j'avois prise de suivre la vostre; volonté que je vous offre des maintenant avec un bien humble remerciement, pour demeurer toute ma vie,.

  A015002359 

 Et bien que la justice ne soit desniee a personne, si est ce que, si Vostre Altesse le reçoit en sa speciale protection pour ce regard, il espere qu'il jouira beaucoup plus tost des fruitz qu'il en pretend; et pour cela, il implore sa bonté, a quoy j'adjouste ma tres humble intercession, qui suis,.

  A015002375 

 Ces quattre motz vous feront grand bien, ma tres chere Fille, pour vous dire que j'ay receu vostre lettre derniere et que je pars demain de grand matin pour, si je puis, me rendre au giste a Gex.

  A015002375 

 Je suis marri que la copie que je vous envoyay des Constitutions de la Visitation est si incorrecte; mais je pense que vous entendres bien le sens.

  A015002376 

 Demeures en paix aupres de Nostre Seigneur, que je supplie vous benir et rendre toute sienne.

  A015002378 

 La chere cousine est a Presle des il y a, je pense, dix ou douze jours, et je ne l'avois pas veu (sic) dix ou douze jours au paravant, de sorte quil y a long tems que je ne l'ay pas veüe; mays elle se porte pourtant [bien] et est tous-jours fort desireuse de s'avancer au service de Nostre Seigneur..

  A015002379 

 Je m'en vay tantost luy dire a Dieu, et je vous le dis aussi, suppliant sa divine Bonté que de plus en plus elle vous face abonder en ses graces.

  A015002395 

 Faites moy ce bien, mon Reverend Pere, de m'escrire en quelz termes nous en demeurasmes a Chamberi, par ce que n'en ayant pas distincte memoire, selon mon imbecillité, je n'en puis pas si bien parler a ces Dames quil seroit requis..

  A015002396 

 Je travaille apres le livret que vous souhaites, et seres des premiers a qui j'en dedieray une copie, si jamais Dieu me le fait voir au jour..

  A015002397 

 Je suis, plus que vous ne sçauries croire,.

  A015002412 

 Je pense en vous quand moins vous le pensés, et vous voy avec un cœur de compassion, sçachant bien combien vous aves de rencontres en ce tracas parmi lequel vous vivés, qui vous peuvent divertir de la sainte attention que vous desires avoir a Dieu.

  A015002412 

 Sçachés que j'ay un particulier contentement, quand je reçois de vos lettres, de voir que, parmi beaucoup [246] d'empeschemens et de contradictions, vous conserves la volonté de servir Nostre Seigneur; car c'est la verité que si vous estes bien fidele entre ces traverses, vous en aures d'autant plus de consolations que les difficultés que vous aves auront esté grandes.

  A015002413 

 Vous deves, a cette consideration, prendre patiemment et doucement les ennuis qui vous arrivent, pour l'amour de Celuy qui ne permet cet exercice vous arriver que pour vostre bien..

  A015002413 

 Voyés souvent Nostre Seigneur qui vous regarde, pauvre petite creature que vous estes, et vous voit emmi vos travaux et vos distractions; il vous envoye du secours et benit vos afflictions.

  A015002414 

 Eslevés donq souvent vostre cœur a Dieu, requerés son ayde, et faites vostre principal fondement de consolation au bonheur que vous aves d'estre sienne.

  A015002436 

 Mais parce que la pudeur est la compagne inséparable de ce sexe et de la virginité, elles n'ont pas eu la hardiesse de se présenter à vos pieds sans être introduites par quelque prêtre.

  A015002437 

 Je le fais avec de très instantes prières, mais on ne doit pas croire pour cela que je veuille marcher en grandeur: si je marche avec assurance, c'est que je marche avec simplicité, bien persuadé que ma requête sera appuyée par plusieurs intercesseurs très influents auprès de Votre Altesse.

  A015002446 

 Que puisse nostre Ange toucher ce jourdhuy nostre flanc, nous donner le resveil de l'attention amoureuse a Dieu, nous delivrer de tous les liens de l'amour propre et nous consacrer a jamais a ce celeste amour, affin que nous puissions dire: Maintenant je sçai, certes, que Dieu a envoyé son Ange et m'a delivré..

  A015002447 

 Helas! qu'il fut heureux, nostre cher saint Pierre, car ce fut par mignardise d'amour que Nostre Seigneur luy demanda si souvent: Pierre, m'aymes-tu? Non point qu'il en doutast, mais pour le grand playsir qu'il prend a nous souvent ouÿr dire et redire et protester que nous l'aymons.

  A015002447 

 Ma chere Mere, aymons-nous pas le doux Sauveur? Ah! il sçait bien que si nous ne l'aymons, pour le moins desirons-nous de l'aymer.

  A015002449 

 Il est vray qu'ilz tendent la main; car, malgré la resistance de leurs inclinations, ilz se laissent gouverner volontairement contre leur volonté, et disent qu'il vaut mieux obeir que faire des offrandes: et voyla comm'ilz glorifient Dieu, crucifiant non seulement leur chair, mais leur esprit..

  A015002449 

 Les jeunes apprentifz en l'amour de Dieu se ceignent eux mesmes: ilz prennent les mortifications que bon leur semble, ilz choisissent leur penitence, resignation et devotion et font leur propre volonté parmi celle de Dieu; mais les vieux maistres au mestier se laissent lier et ceindre par autruy et se sousmettent au joug qu'on leur impose, et vont par lès chemins qu'ilz ne voudroyent pas selon leur inclination.

  A015002450 

 Vrayement hier, tandis que l'on chantoit l'Invitatoire et qu'on disoit: « Vive le Roy des Apostres! Venes et adorés le, » j'eus un si doux et amiable sentiment que rien plus, et soudain je desirois qu'il s'espanchast sur tout nostre cœur..

  A015002451 

 C'est luy qui m'a rendu tout vostre, et vous toute mienne, affin que nous fussions plus purement, parfaitement et uniquement siens.

  A015002460 

 Ayant esté remis en la possession de toutes les eglises de Gex qui estoyent occupees par les ministres, hormis de celles que ceux de Geneve detiennent, pour le regard desquelles j'ay esté renvoyé au Conseil du Roy de France, je suis revenu a mon ordinaire residence, en laquelle je vous salue tres humblement et vous supplie me conserver lhonneur de vostre bienveuillance..

  A015002461 

 Ceux de Geneve ont esté estonnés et marri (sic) qu'on ayt mis en compromis la restitution des biens quilz tiennent dans la souveraineté de France, et n'ont pas manqué d'avancer que Son Altesse les traittoit mieux pour ce regard..

  A015002480 

 Ce sont les continuelz souhaitz que, par un' immortelle obligation, fait et fera tous-jours, Madame,.

  A015002492 

 Certes, mon cœur en a esté autant vivement touché que de perte que j'aye faite il y a long tems; car la bonté, la pieté et la vertu que j'avois veuës en cette belle ame m'avoyent tellement rendu obligé a l'honnorer, que des-ormais j'en faysois une profession [257] solemnelle.

  A015002492 

 Qu'elle est heureuse, cette chere dame, d'avoir, parmi tant de douleurs et de travaux, conservé la fidelité qu'elle devoit a son Dieu, et que ce m'a esté de consolation d'avoir sceu une partie des paroles de charité que son esprit a lancees, avec ses derniers souspirs, dans le sein de la misericorde divine!.

  A015002493 

 Et cependant, en cette occasion, employés la grandeur de vostre courage pour moderer la grandeur du desplaysir que la grandeur de vostre perte vous aura donné.

  A015002493 

 Mays, Monsieur, n'auray je pas une immortelle obligation a la faveur qu'elle me faysoit, puisqu'en cette extremité de sa vie mortelle, elle a si souvent tesmoigné qu'elle avoit memoire de moy, comme de celuy qu'elle sçavoit luy estre tout dedié en Nostre Seigneur? Jamais cette souvenance ne sortira de mon ame, et ne pouvant luy offrir le service tres fidele que j'avois juré a sa vertu et devotion, je vous conjure, Monsieur, de l'accepter et recevoir avec celuy que l'honneur de vostre bienveuillance avoit des-ja acquis sur mes affections.

  A015002494 

 Aggreons cette grace que Dieu luy a faitte, et ayons doucement patience pour ce peu de tems que nous avons a vivre icy bas sans elle, puisque nous avons esperance de demeurer avec elle eternellement au Ciel, en une societé indissoluble et invariable..

  A015002494 

 Cette belle et devote ame est decedee en un estat de conscience auquel si Dieu nous fait la grace de mourir, nous serons trop heureux de mourir en quelque tems que ce soit.

  A015002504 

 Hé, que belle est cette Aube du jour eternel, laquelle montant devers le Ciel, va, ce semble, de plus en plus croissant es benedictions de son incomparable gloire! Qu'a jamais les odeurs d'eternelle suavité esparses sur les cœurs de ses devotz, remplissent celuy de ma tres chere Mere comme mon cœur propre, et que nostre chere petite Congregation, toute voüee a la louange de son Filz et des mammelles sacrees qui l'ont alaité, jouisse des benedictions preparees aux ames qui l'honnorent..

  A015002505 

 Hier au soir, j'eus un sentiment fort particulier du bien que l'on a d'estre enfant, quoy qu'indigne, de cette glorieuse Mere, Estoile de mer, belle comme la lune, esleuë comme le soleil.

  A015002506 

 Entreprenons des grandes choses sous la faveur de cette Mere, car si nous sommes un peu tendres en son amour, elle n'a garde de nous laisser sans l'effect que nous pretendons.

  A015002517 

 Il faut que l'asseurance que j'ay de vostre bienveuillance soit infiniment asseuree, puisque a tous propos et avec tant de liberté, je prens la confiance de vous supplier pour les affaires ecclesiastiques que maintenant il me faut avoir de dela; car, certes, de mon humeur, j'ayme la modestie..

  A015002518 

 Aussi puis-je [259] jurer que mon affection pour vous est si absolue, generale et invariable, que vous n'en aures jamais de plus entiere de personne du monde..

  A015002518 

 C'est un' affaire, comme je pense, ordinaire et que je ne vous devrois pas donner la peyne de faire; mays vostre amitié en mon endroit est si universelle, que volontier elle me favorise en toutes occurrences, grandes et petites.

  A015002519 

 Aussi n'ay-je rien de nouveau des la derniere lettre que je vous escrivis, sinon que nous avons veu en cette ville plusieurs colomnes enflammees sur Geneve, et la veille de l'Assomption, entre midi et un'heure, en un jour fort clair, un'estoile asses proche du soleil, aussi brillante et resplendissante qu'est la bell'estoile en une nuit bien seraine..

  A015002538 

 Je vous advertis que madamoyselle d'Escrilles est de la mesme parentee que M. de Corselles, affin que vous ne luy disies pas ce que nous dismes de la bisayeule.

  A015002549 

 Je fus certes en peyne de vostre chemin d'icy a La Roche, voyant que [le] tems s'aigrissoit un peu; et Dieu soit loué dequoy vous l'aves passé asses heureusement.

  A015002550 

 J'ay veu despuis vostre depart M me de Chantal, qui vous honnore d'un honneur fort particulier et desire que tous-jours je vous supplie de la tenir en vostre bonne grace; ce que je fay de tout mon cœur..

  A015002551 

 Au demeurant, soudain apres vostre despart, mes freres entrerent en un'ambition d'obtenir une place de Religieuse en vostre Monastere pour un'unique niece, fille de nostr'aysné, que nous avons; et m'a fallu leur promettre que je vous en supplierois, de cette grace.

  A015002551 

 C'est pourquoy je le fay, avec la reserve de vostre bon playsir, pour le tems et pour toutes autres conditions, et encor pour la chose mesme, laquelle je ne veux vouloir qu'a mesure que cela se pourra faire sans vostre incommodité, vostre contentement m'estant plus cher que tout l'honneur qui pourroit arriver a ma niece, laquelle, pour ne rien celer a ma tres chere et tres honnoree Mere, je m'essayeray de gaigner pour la Visitation; mais par ce que les humilités quil y faut exercer rebuttent quelquefois les filles, si je ne puis la tourner de ce costé la, j'imploreray encor de plus fort vostre faveur.

  A015002551 

 La fille est bien jolie et d'asses bon esprit, et fille d'une mere que je puis nommer sainte, et damoyselle de bon lieu..

  A015002552 

 J'eusse bien voulu que je vous eusse fait la supplication [263] a bouche et en presence, car je vous eusse encor mieux tesmoigné combien je desire qu'elle ne soit respondüe sinon avec toute consideration de la commodité ou incommodité qu'il y peut avoir, vous asseurant que je n'ay null'affection a cela sinon entant que vous le jugeres a propos et le treuveres bon, et que vous pouves user de ma volonté en ceci et en tout'autre occurrence a vostre gré, librement et franchement, comme doit et peut faire une mere envers.

  A015002568 

 Je vous remercie tres humblement, quoy que plus tard que je ne devois, de la faveur de vostre lettre, que monsieur de Gie, mon cousin, m'apporta entre cette [264] infinie multitude d'occupations que nos grans Pardons me donnerent..

  A015002569 

 Dieu veuille que ses mains vous soyent aussi liberales que ses yeux! Il seroit bien raysonnable que, comme les Princes s'estiment les soleilz de ce bas monde, ilz rendissent les rayons de leurs regars effectifz, ainsy que ceux du soleil le sont sur la terre..

  A015002569 

 Je ne doutois point que Son Altesse ne vous regardast comme les grans Princes ont accoustumé de voir leurs grans fideles serviteurs.

  A015002570 

 Nous avons eu la bonne Madame de Baume, que mon cousin saluâ, et luy fit une petite harengue sur le sujet de sa maistresse, qu'elle aggrea extremement; et me dit que si elle luy pouvoit rendre quelque sorte de bon office en ses amours, elle le feroit de tout son cœur, m'asseurant que cette damoyselle dont il est question estoit une perle en bon naturel, en bonn'humeur et en vertu: qui me fait d'autant plus louer le choix que vous en aves fait pour la consolation de vostre viellesse future, et voudrois bien pouvoir contribuer quelque service a ce dessein, comm'aussi a tous les autres qui regarderont vostre contentement..

  A015002571 

 Certes, je la treuve si bonne fille, que je ne puis m'empescher d'esperer que, de quel costé que se tourne, elle ne vous donne de la satisfaction..

  A015002571 

 Et a ce propos, hier ma chere petite cousine me [265] vint voir, qui m'expliqua son intention pour le regard de la vocation religieuse, et me dit son petit cas si honnestement et gentilment, que j'en demeuray fort edifié et consolé.

  A015002571 

 Je croy bien que la pauvre petite ne pense nullement au mariage et qu'elle s'accommoderoit a une autre sorte de vie, pourveu qu'on n'observast pas une regie si absolue comm' on fait a la Visitation.

  A015002591 

 Je desesperois du voyage de Milan, par ce que je n'estimois pas avoir les finances requises; mays voyci que tout a coup, il m'arrive un'inopinee esperance d'avoir plus de moyens quil ne m'en faut, pourveu que je ne parte pas de troys semaines.

  A015002591 

 N'est ce pas le saint Archevesque que nous voulons aller reverer, qui a soin de ses devotz?.

  A015002592 

 Et advertisses moy, je vous prie, au plus tost, car sil faut aller, nous irons; que sil est jugé plus a propos, nous retarderons jusques au primtems..

  A015002593 

 Voyla le sujet que j'ay de vous escrire sans loysir, vous asseurant que si monsieur Carrel n'est parti, il [267] recevra la commission desiree, car monsieur de la Roche m'en fit donner advis des avanthier au soir..

  A015002611 

 Vous deves mesurer la longueur de vos prieres a la quantité de vos affaires; et puis qu'il a pleu a Nostre Seigneur de vous mettre en une sorte de vie en laquelle vous aves perpetuellement des distractions, il faut que [268] vous vous accoustumies a faire vos oraysons courtes, mays qu'aussi vous les vous rendies si ordinaires, que jamais vous ne les layssies sans grande necessité..

  A015002612 

 Je voudrois que le matin, au lever, vous pliassiés les genoux devant Dieu pour l'adorer, faire le signe de la Croix et luy demander sa benediction pour toute la journee; ce qui se peut faire au tems que l'on diroit un ou deux Pater noster.

  A015002612 

 Le soir, avant qu'aller coucher, vous pourrés, faysant autres choses, en quel lieu que ce soit, faire la reveuë de ce que vous aurés fait parmi la journee, de gros en gros, et, allant au lict, vous jetter briefvement a genoux, demander pardon a Dieu des fautes que vous aures commises, et le prier de veiller sur vous et vous donner sa benediction: ce que vous pourrés faire courtement, comme pour un Ave Maria.

  A015002612 

 Le soir, avant souper ou environ, vous pourries aysement faire un peu de prieres ferventes, vous jettant devant Nostre Seigneur autant comme on diroit un Pater; car il n'y a point d'occasion qui vous tienne si sujette, que vous ne puissiés desrober ce petit bout de loysir.

  A015002613 

 Ou il y a du remede, il faut tascher de l'apporter doucement et paysiblement; celles ou il n'y en a point, il faut que vous les supportiés comme une mortification que Nostre Seigneur vous envoye pour vous exercer et rendre toute sienne..

  A015002614 

 Que s'il vous arrive quelque sorte de saillie d'impatience, soudain que vous vous en appercevres, remettés vostre cœur en la paix et douceur.

  A015002625 

 Cette bonne femme desire un peu de consolation; vous la pourres faire monter a vous, ma tres chere Mere, que je verray aujourdhuy, si je puis..

  A015002636 

 Je pense que vous ne douterés jamais de mon affection a l'accomplissement de vos volontés et desirs, car l'excellente amitié delaquelle vous m'honnorés est arrivee jusques a ce point de perfection, qu'ell'est exempte de toute desfiance et de tout doute.

  A015002637 

 Dieu sçait bien que je præparois un cœur tout nouveau, plus grand, ce me semble, que le mien ordinaire, pour aller-lâ prononcer ses saintes et divines paroles: premierement, pour, en une si belle et dign'occasion, rendre de la gloire a sa divine Majesté; puis, pour donner du contentement a celuy qui m'y appelloit avec [271] tant de cœur et de courage.

  A015002637 

 Et si, je me promettois, par un certain exces d'amour a ce dessein, que preschant maintenant un peu plus meurement, solidement et, pour le dire tout en un mot entre nous, un peu plus apostoliquement que je ne faysois il y a dix ans, vous eussies aymé mes prædications, non seulement pour ma consideration, mais pour elles mesmes..

  A015002638 

 Et quant a l'expedient du proces que j'ay au Conseil privé, il m'est advis, sauf le vostre meilleur, quil seroit extremement pressant et sujet a estre soupçonné d'affectation de mon costé et a donner de l'avantage a mes parties..

  A015002638 

 Mays voyci que de toutes pars on m'asseure qu'elle vient dans peu de jours avec Monseigneur le Prince a Chamberi, et nostre monsieur le premier President Favre estime que sadite Altesse me retient de deça pour m'y treuver a sa venue: de sorte que me voyla en perplexité, car si le Pape mesme me commandoit d'aller, et Son Altesse, estant de deça, me retenoit avec promesses que le Pape n'auroit pas des-agreable, je serois bien en peyne, comme vous pouves penser.

  A015002638 

 Or, voyci a quoy je me treuve a present: Son Altesse a esconduyt la Reyne, ainsy que monsieur de Roascieu vous aura dit, et un ami que j'ay en court m'advertit que rien ne proffitera en ce sujet, auquel Son Altesse est resoluë de ne se laisser point plier.

  A015002639 

 Ce pendant, le tems court et nous va mettre dans peu de semaynes a la veille du Caresme; si que il sera meshuy malaysé de treuver un prædicateur sortable a vostre chaire..

  A015002639 

 Certes, si Son Altesse ne venoit point, l'authorité du Pape seroit toute [272] puissante, car j'employeroys son commandement sans prendre congé que par lettres; mais Son Altesse estant icy, j'aurois peyne a me desmesler des repliques qui me seroyent faites et ne croys pas que je le puisse.

  A015002640 

 Il faut confesser la verité, j'ay un'extreme passion en cet'occurrence, et ne sçais bonnement me resoudre sinon a ce point, que tout ce que vous me dires je le feray de tres bon cœur, quoy qu'il en doive arriver; et de plus, que si jamais je vay a Paris faire le Caresme, ce ne sera que pour vostre seule consideration, soit que vous ayes la charge de l'eglise ou que vous ne l'ayes pas..

  A015002641 

 Je vous asseure, Monsieur, que je vous escris sans sçavoir presque que je fay, tant il me fasche de ne pouvoir pas, avec entiere liberté, vous dire: Je vay.

  A015002659 

 Ilz sont, certes, tous troys enfans de personnes de bonne qualité et pour lesquelles je voudroys beaucoup de bien et de satisfaction; mays en particulier l'un d'entr'eux, nommé Grillet, est filz d'une mere qui m'appartient en sang et d'un pere que, pour sa probité, j'affectionne estroittement.

  A015002659 

 Outre le desir que j'ay de me ramentevoir en vostre bienveuillance par un'occasion si asseuree comm'est celleci, je suis aussi obligé de gratifier les parens de ces jeunes gens par la tres affectionnee recommandation que je vous fay en la faveur d'iceux.

  A015002660 

 Les parens aussi de M. Jean de Rua m'ont prié de le vous recommander; ce que je fay bien affectionnement, quoy que je ne doute pas que sil se comporte aussi modestement au college comm'il a fait tandis quil a esté icy, il ne vous soit asses recommandable de luy mesme, sans que j'y employe mon intercession..

  A015002661 

 Nous avons ces moys passés retiré environ 25 eglises [274] des mains des huguenotz autour de Geneve, que j'espere repeupler de bons pasteurs, comm' encor d'en retirer davantage, s'il plait a Dieu de toucher le cœur des Princes affin qu'ilz conspirent a la sanctification de son saint nom.

  A015002681 

 C'est par ce quil me dit hier quil vous iroit voir, que je vous donne cet advis, et par ce que je suis bien ayse de saluer un peu ce matin le cœur de ma tres chere Mere, qui est le mien propre, bien que j'espere de le saluer ce soir, Dieu aydant..

  A015002681 

 Il ne treuva point mauvais cela; de sorte que sil vous plait, en luy tesmoignant de la charité, luy dire que les Seurs seroyent trop troublees si telz accidens arrivoyent, et quil seroit requis qu'on luy fit les remedes necessaires tandis qu'ell'est chez luy, je ne doute point quil ne le treuve bien doux, ouy mesme toute sorte de dilation a luy bailler l'habit apres qu'elle sera receüe, et que cela demeure en nostre discretion.

  A015002692 

 Sachant bien que vostre si soudain despart ne peut estre que pour quelqu'affaire de grand'importance, [276] je prieray tant plus soigneusement Nostre Seigneur quil vous assiste de son saint esprit de conseil et de force, pour persuader les choses justes et convenables a ceux qui, peut estre, n'y sont pas beaucoup disposés..

  A015002693 

 Monsieur le maistre Carrel, revenant de Chablaix, m'a dit que la contagion s'estoit respandue en cinq ou six endroitz du païs de Vaux; cela pourroit rendre vostre passage difficile, mais vostre prudence remediera a cet empeschement, prenant les destours propres a vostre conservation que, sur toute chose, je vous supplie avoir en recommandation..

  A015002694 

 Madame de Chantal l'ayme tendrement et a esperance que par tout elle fera fort bien.

  A015002694 

 Quant a ma petite cousine, elle vous donnera en tous evenemens sujet de contentement; car, bien qu'elle n'ayt point son esprit incliné a la vie retiree et religieuse, si a elle une ferme resolution de se rendre de plus en plus vertueuse et devote, et avec cela, vous ne sçauries recevoir d'elle que beaucoup de satisfaction.

  A015002710 

 Il me tardoit, certes, d'avoir quelqu'asseuree commodité de vous escrire, ma tres chere Fille, ne doutant point que mes lettres ne vous soyent a consolation, selon la sainte dilection que Dieu a creëe entre nous..

  A015002711 

 La bonne M me de Chantal se porte fort bien a mon gré, comme j'ay veu ce matin que j'ay dit la sainte Messe a la Visitation; et c'est la ou ce porteur m'a treuvé que je sortois du parloir, ou j'estois descendu pour la saluer et dire deux ou trois motz d'affaires.

  A015002712 

 Au reste, demeurés en cette paix et tranquillité que Nostre Seigneur vous a donnee.

  A015002712 

 Cette satisfaction d'esprit, quoy que sans goust, vaut mieux que mille consolations savoureuses..

  A015002712 

 Or, la paix de Dieu, c'est la paix qui prouvient des resolutions que nous avons prises pour Dieu et par les moyens que Dieu nous ordonne.

  A015002712 

 Voyes vous pas, ma chere Fille, quil dit que l a paix de Dieu surpasse tout sentiment? C'est pour vous apprendre que vous ne deves nullement vous troubler de n'avoir point d'autre sentiment que celuy de la paix de Dieu.

  A015002713 

 J'appreuve que vous retourniés avant le Caresme, affin que vous puissies au plus tost vous desprendre de tout embarassement, et rencontrer le beni jour auquel [279] vous luy tesmoigneres que ce n'est que luy que vous cherches..

  A015002713 

 Nous verrons de conduire tout bellement l'esprit des freres, et attendray que vous me facies sçavoir ce que vous aures fait avec la bonne mere.

  A015002713 

 Que si Dieu vouloit que vous eussies un peu de difficulté au demeslement de vos affaires, il faudroit recevoir cela de sa main, laquelle vous ayant saysye, ne vous abandonnera point qu'elle ne vous ayt reduite au point de vostre perfection.

  A015002713 

 Vous verres bien, ma tres chere Fille, que la providence de Dieu fera par tout faire place a vostre intention, puis qu'ell'est toute conforme a la sienne; il faut seulement avoir un courage un peu vigoureux et resolu.

  A015002714 

 Et quant a moy, ma chere Fille, je ne pourray jamais vous oublier ni en mes Sacrifices ni en mes prieres, ni en aucun'occasion de l'avancement de vostre ame, puis que son Createur a gravé si profondement en la mienne une parfaite affection pour vous.

  A015002714 

 J'ay escrit au P. Recteur de Chamberi sur le sujet du logement de vostre cher enfant, et ne doute point que vous ne treuvies tout'assistence.

  A015002719 

 Vous m'escrires bien encor apres vostre retour de Chamberi: et si vous passies a la Bastie, je vous prie de saluer madamoyselle de Saint Pierre, a laquelle j'ay escrit et que j'ayme cordialement..

  A015002728 

 Je vous fis response l'autre jour, ma chere Fille, sitost que j'eu leu vostre lettre; mais le garçon qui l'avoit apportee ne revint pas prendre la mienne, laquelle je vous envoye encores toute telle que je la fis..

  A015002729 

 C'est pourquoy, sa divine Bonté soit loüee de la nous avoir encor laissee, comme je l'en ay supplié, avec la reserve de la sainte resignation, que je n'oublie jamais en choses de telle qualité..

  A015002730 

 Ce fut avant-hier seulement que je receu vos lettres bien tard, que la [281] chere cousine, a qui elles avoyent esté portees, m'envoyâ.

  A015002730 

 J'envoyay a M. des Crilles ce qu'elle desiroit de moy, et croy que vous aures fait tenir a nostre seur de Bons la lettreque je vous addressay.

  A015002731 

 M me de Chantal vous salue mille foys, des l'autre jour que je la vis.

  A015002748 

 Dieu vous le fera sçavoir, au plus tard, apres cette vie mortelle; car ce sera devant luy et ses Sains que je feray les principaux exercices de la sainte amitié qu'il m'a donné pour vous, jettant souvent mes tres humbles souhaitz devant son eternelle Bonté, affin qu'elle remplisse vostre cœur de son amour plus parfait.

  A015002748 

 Je n'ay pas de quoy respondre aux paroles d'honneur extraordinaire que vous employés en ma faveur es deux lettres que, de vostre grace, j'ay receues de vostre part des que vous nous laissastes icy le desir de vostre presence.

  A015002748 

 Mays j'ay bien pourtant une si forte et sincere affection pour vostr'ame, que si vous me le permetties, je revoquerois en doute, par maniere de desfy, que vous eussies asses de bienveuillance pour y correspondre.

  A015002749 

 La distance de nos sejours limite presqu'a ce seul effect la volonté que j'ay sans limite de vous rendre fidele et humble service, et ne me reste, ce semble, aucun autre moyen de la tesmoigner, si ce n'est par le commerce des lettres que je vous envoyeray souvent, pour vous rafraichir la memoire de mon ame qui a tous-jours tant de besoin d'estre secourue de vos oraysons, et qui recevra tous-jours beaucoup de consolation de sçavoir de tems en tems des bonnes nouvelles de la vostre.

  A015002749 

 Mais, que suis tres parfaitement vostre, cela soit dit une fois pour toutes..

  A015002750 

 Et puis qu'il faut que bien tost apres vostre arrivee vous souffries de rechef son absence pour le voyage quil doit faire a la court, continués bien en vos exercices spirituelz, tenes vous bien serree a Nostre Seigneur, et il suppleera, sans doute, le manquement de la desirable presence du mari, par celle qui est incomparable de son Saint Esprit, lequel, habitant au milieu de vostr'ame, la comblera de sa suavité nompareille.

  A015002756 

 J'envoyeray les lettres desquelles vous gratifiés ma seur de Mayrens et madame de Charmoysi, laquelle est aux chams, aussi bien que mon frere de Boysi, qui sera bien marri de ne s'estre pas treuvé icy pour vous remercier luy mesme.

  A015002757 

 Dieu vous soit guide et conducteur, ma tres chere Seur, et a vostre cher pouppon, que pour maintenant je nommeray encor Pierre, qui est si joly, a ce qu'on me dit..

  A015002757 

 Si vous le treuves a propos, je salueray bien humblement par vostre entremise madame de Tremon, que [285] vous m'aves obligé d'honnorer beaucoup par le recit que vous m'aves fait de ses merites.

  A015002768 

 C'est la verité, ma chere Mere, que nous eusmes icy une grande assemblee a nostre Jubilé et, ce qui importe, qu'il se fit quelque fruict.

  A015002768 

 J'en eu mille consolations et point de peyne, ce me semble; seulement eusse-je bien voulu que madame de Grandmayson ma chere seur, vostre fille bienaymee et bien aymable, ou fust venue trois ou quatre jours devant, ou eust arresté quatre ou cinq jours apres, affin que j'eusse eu plus de commodité de luy rendre plus de tesmoignages du devoir que je luy ay et de la sainte inclination que j'ay a son cœur, que je treuve tout a mon gré pour bien servir Nostre Seigneur.

  A015002768 

 Mais puis quil ne se peut d'autre façon, je vous approcheray souvent en esprit pour, avec vous conjointement, demander a Nostre Seigneur quil luy playse consoler vostre ame de sa benediction, la faisant abonder en son saint amour et en la sacree humilité et douceur de cœur, qui ne sont jamais sans ce saint amour, non plus que le saint amour sans elles..

  A015002768 

 Que si nous eussions eu le contentement et l'honneur de vous avoir vous mesme, certes, c'eust esté un comble de bonheur, Madame ma tres chere Mere, et vous eussies receu l'hommage que sept ou huit de mes freres et seurs ne vous ont encor point fait, en qualité de vos humbles enfans et serviteurs.

  A015002769 

 Et pour vous parler selon nostre confiance, ma tres chere Mere, ne vous faschés point, ni ne vous estonnés point de voir encor vivre en vostre ame toutes les imperfections que vous m'aves confiees.

  A015002769 

 Non, je vous supplie, ma chere Mere, car bien quil les faille rejetter et detester pour s'en amender, si ne faut-il pas s'en affliger d'une affliction fascheuse, mais d'une affliction courageuse et tranquille, qui engendre un propos bien rassis et solide [287] de correction; et ce propos, ainsy pris en repos et avec meureté de consideration, nous fera prendre les vrays moyens pour l'executer, entre lesquelz je confesse que la moderation des affections mesnageres est grandement utile.

  A015002770 

 Les cœurs fortz et puissans ne se deulent que pour des grans sujetz, et encor, pour ces grans sujetz, ne gardent ilz guere le ressentiment, au moins avec trouble et empressement..

  A015002770 

 Sur tout, ma tres chere Mere, il faut bien combattre la haine et les mescontentemens envers le prochain, et s'abstenir d'une imperfection insensible, mais grandement nuisible, de laquelle peu de gens s'abstiennent; qui est que s'il nous arrive de censurer le prochain ou de nous plaindre de luy (ce qui nous devroit rarement arriver), nous ne finissons jamais, mais recommençons tous-jours et repetons nos plaintes et doleances sans fin; qui est signe d'un cœur piqué et qui n'a encor point de vraye santé.

  A015002771 

 Prenes courage, ma tres chere Mere, que ces petites annees que nous avons a couler icy bas nous seront, Dieu aydant, les meilleures [288] et les plus advantageuses pour l'eternité.

  A015002774 

 J'ay eu peur de faire trop retarder ce porteur; c'est pourquoy je vous ay escrit sans autres considerations que celles que la sincerité de mon affection filiale m'a fourni..

  A015002787 

 C'est pourquoy il m'a conjuré de vous supplier, Monsieur, en sa faveur pour ce regard; ce que je fay tres humblement, et d'autant plus volontier que la bonne feste nous invite au secours des affligés..

  A015002787 

 Son Altesse Serenissime luy a donné un appointement par aumosne, tant en consideration de sa viellesse que de sa famille, laquelle nous avons icy en grande disette; [289] mays, a ce qu'il me fait sçavoir, il demeurera privé de l'effect de ce benefice, si Vostre Excellence n'anime le commandement de Son Altesse par le sien.

  A015002798 

 Il n'y a point de danger en ce qui vous est arrivé, puisque vous le communiques; mays notés, ma tres chere Fille, que Dieu a commencé ses visitations en [290] vostre ame sur le sentiment et l'exercice de la petitesse, bassesse et humilité, pour appreuver l'advis qui vous est donné de bien vous reduire a ce point et d'estre vrayement une petite fille: je dis toute petite, en vos yeux, en vos exercices, en obeissance, naïfveté et abjection de vous mesme; petite, et un vray enfant, qui ne cache ni son bien ni son mal a son pere, a sa mere, a sa nourrice..

  A015002799 

 C'est en attendant que nous en parlions plus amplement.

  A015002819 

 Je laisse a monsieur Milletot le contentement de vous representer l'heureux succes de la commission que le Roy luy avoit donné pour l'execution de l'edit de Nantes a Gex, et me reserve seulement de vous faire [293] un tres humble remerciment pour le soin continuel que vostre zele a du restablissement de la gloire de Dieu en ce miserable balliage, ou l'heresie, qui a si longuement foulé aux piedz la pieté, nous menace ericor maintenant, aussi effrontement que jamais, de rendre vaine l'esperance que nous avons en vostre protection; comme si le credit des pretendues eglises de France estoit plus puissant pour nous empescher le renversement de l'effectuelle jouissance de nostre juste pretention, que la justice de la Reyne et vostre intercession pour faire maintenir un arrest si equitable et si saint, comm'est celuy en vertu duquel l'edit a esté executé..

  A015002820 

 Mais, Monsieur, comme c'est nostre bonheur d'avoir une foy contraire a celle des huguenotz, aussi nous glorifions-nous d'avoir une esperance opposee a leur presomption; a rayson dequoy, tous les Catholiques de Gex, et moy plus que tous, esperons et espererons tous-jours de voir tous les jours quelque progres de nostre sainte religion en ce petit bout de royaume qui est si heureux d'estre sous vostre gouvernement.

  A015002832 

 Je m'essayeray de faire que rien ne manque de ma part, autant que mon pouvoir s'estendra..

  A015002832 

 Nostre pauvre Gex est tous-jours presque en mesme [295] estat; ce quil y a de plus, ne sont que certaines dispositions qui nous font promesse de mieux a l'advenir, Mays il faut louer Dieu, car aussi bien ne meritons-nous pas quil face une transmutation momentanee de ces cœurs lâ, qui seroit un miracle en la grace, comme fut la transmutation de l'eau au vin, en la nature.

  A015002833 

 Juges je vous supplie, Monsieur, si cela est en la puissance ni des curés ni de moy; car, ou ces benefices estans enclavés au royaume sont par la en cette condition, et lhors, qu'est il besoin d'obtenir le [296] brevet mentionné? ou ilz ne le sont pas, et lhors, quelle temerité a des pauvres ecclesiastiques decousuz, de demander au Pape une chose de telle consequence? car vous sçaves, Monsieur, que les grans estiment leurs droitz cherement, et que ce n'est pas a des chetifs curés d'impetrer telles choses.

  A015002833 

 L'impossibilité est que ces bons prestres obtiennent de Romme un brevet par lequel nostre Saint Pere accordera que les benefices de ces curés venans a vaquer en cour de Romme, il n'en sera prouveu qu'a la nomination du Roy, ou par les Ordinaires.

  A015002833 

 Voyla, Monsieur, la copie des lettres de naturalité que vostre bonté a impetrees pour nos pauvres curés, esquelles je treuve une difficulté et un'impossibilité.

  A015002834 

 La difficulté est en ce qu'on les veut astraindre que sil failloit playder pour les tiltres et possessions desditz benefices, ilz poursuivront les proces par devant les officiers du Roy et non ailleurs.

  A015002835 

 Or, je vous represente l'un et l'autre, affin quil vous playse, Monsieur, si vous le juges raysonnable et que je ne me soys pas trompé en mon discours, d'oster l'un et l'autre, en sorte que les lettres puissent estr'utiles a ceux pour lesquelz vostre faveur les a obtenues; car il ne manquera pas d'entrepreneurs qui, par le manquement de l'execution de telles charges, attaqueront ces pauvres curés pour avoir leurs benefices, viande si friande en ce tems, que les plus incapables en veulent plus avoir..

  A015002836 

 Et a ce propos, je vous remercie humblement de la bonne pensee que vous avies faite pour moy avec monsieur des Hayes, si je fusse allé a Paris.

  A015002836 

 Je ne dis pas cela, Monsieur, pour faire le refuseur, mays seulement pour dire avec, confiance de vostre amitié, que je ne seray jamais prætendeur.

  A015002837 

 Et tandis, remettant cela au bon playsir de Nostre Seigneur, je le supplie quil vous comble de ses benedictions et madame vostre bonne mere, delaquelle j'honnore de tout mon cœur la pieté, et me sens honnoré de sa bienveuillance que le P. François m'a attestee.

  A015002837 

 Je ne laisse pas pourtant, Monsieur, de vous estre extremement obligé, et ne me puis empesché (sic) de desirer que je puisse un jour vous l'aller tesmoigner a Paris.

  A015002860 

 Ce n'est pas que j'espere rien de cette poursuite [299] en un siecle si plein de considerations humaines, mays au moins empescheray-je la præscription; et si Dieu nous envoye une sayson plus pieuse, ce sera tous-jours un advantage d'avoir demandé..

  A015002860 

 Je ne puis pas perdre cett'occasion de vous ramentevoir mon affection qui vous honnore au dessus de toutes les pensees que vous en sçauries jamais avoir.

  A015002861 

 Nos ambassadeurs de deça sont revenus de la diete de Bades, ou ilz pensoyent que l'authorité du Roy et l'entremise des Cantons catholiques auroyent disposé les Bernois a la restitution du païs de Vaux, ou au moins a convenir d'arbitres pour un journee amiable; mays ilz ont treuvé tout au contraire, car les Bernois n'ont quasi pas voulu entendre la proposition, et nul n'a parlé en nostre faveur.

  A015002861 

 Reste que Son Altesse prenne une bonne et salutaire resolution d'attendre que Dieu face [300] naistre un'occasion propre pour tirer sa rayson.

  A015002862 

 Voyla nos nouvelles, et n'est pas besoin que je vous die que je ne desire pas que l'on sache que je les escrive, car aussi ne les escrirois-je pas a un autre qu'a vous, a qui je suis tout extraordinairement,.

  A015002867 

 Monsieur, je ne parle plus du deplaysir que j'ay eu de n'aller pas vers vous, mays je ne le puis oublier..

  A015002882 

 Et parce que l'amour ne loge qu'en la paix, soyes tous-jours soigneuse de bien conserver la sainte tranquillité de cœur que je vous recommande si souvent.

  A015002882 

 Faysons bien cela, ma tres chere Fille, car en fin, tout le reste n'est que vanité.

  A015002882 

 Que nous sommes bienheureux, ma chere Seur, d'avoir des travaux, des peynes et des ennuis! car ce sont les voyes du Ciel, pourveu que nous les consacrions a Dieu..

  A015002883 

 Je vous renvoye les papiers de devotion, que je treuve bien utiles; mays si on les imprimoit, je ne voudrois pas que vostre nom y fust descouvert, pour ne point donner lieu aux babillardz d'en parler, et sur tout l'œuvre estant si courte..

  A015002886 

 Il ne faut que trois filles ou femmes courageuses pour commencer; Dieu donnera l'accroissement.

  A015002886 

 Selon mon jugement, ce n'est pas hazarder que de se confier un peu extraordinairement a Nostre Seigneur es desseins de son service..

  A015002904 

 Quand vous seres a Saint Joyre je treuveray bien commodité de vous escrire, et, ou que vous soyes, je vous auray tous-jours fort present'en ce peu de prieres que je presente a Nostre Seigneur, que je supplie tenir vostre cœur de sa main et vous combler de son saint amour.

  A015002917 

 A peu que je ne fus scandalisé, ou au moins fasché; car, quell'apparence, au sortir de tant de foiblesses, s'aller travailler et rompre parmi cette fabrique? Neanmoins, j'attens de sçavoir comme cett'exercice vous sera reusci, car selon cela, ou je me courrouceray en qualité de pere, ou je dissimuleray la faute en qualité de filz.

  A015002917 

 Dites moy donq, mais dites en conscience, ma tres chere, comme vous vous portes du tracas que vous fistes hier parmi cette nouvelle mayson.

  A015002917 

 Et ce pendant, vous sçaves bien que vous ne deves pas jeuner aujourdhuy, car nostre glorieuse Reyne et Maistresse a besoin de ce peu de forces qui vous restent pour d'autres services qu'elle veut des-ormais tirer de vous..

  A015002927 

 Il est vray que nous fismes un decret, il y a environ trois [ans], ma tres chere Fille, que tant qu'on pourroit, on osteroit les bancs a femmes des chœurs de toutes les eglises, parce que cela est juste, bien seant et conforme aux anciennes coustumes des chrestiens.

  A015002927 

 Mais il ne fut pas dit, ni ne le devoit estre, que les femmes n'entrassent pas au chœur; car, pour plusieurs occasions, il est raysonnable qu'elles y entrent, pourveu que ce soit avec la modestie que la sainteté du lieu requiert.

  A015002927 

 Prenés donq discrettement la place, pour vos prieres, qui vous sera plus propre, pourveu que ce soit sans banc; car je ne voudrois pas que vostre banc fust aupres de l'autel, a cause [de] la messeance.

  A015002929 

 Nous avons accommodé les differences du cher mari et du beaupere au mieux que nous avons sceu.

  A015002941 

 Faites moy le bien de m'advertir, je vous supplie, quand M me d'Alufen sera arrivee a Chamberi, [308] et encor si l'envie que le bon Pere Thimothee a d'introduire a Chamberi l'Institut des Urselines pourra reuscir.

  A015002941 

 Je vous salue mille fois de tout mon cœur, et prie Dieu que le vostre soit a jamais rempli de paix, douceur et devotion.

  A015002947 

 Je salue tres cherement ma bonne niece, que j'aime et honnore de tout mon cœur..

  A015002961 

 Ayes aggreable sur cela, je vous prie, Monsieur, que je vous en donne souvenance, et vous die que Dieu vous recompensera de tout ce que vous feres pour cette sienne pauvre creature, bien que ce soit par rayson d'equité et de vray devoir.

  A015002961 

 Je m'asseure que vostre charité et bon naturel vous solliciteront assés, sans que personne s'y employe davantage..

  A015002962 

 C'est pourquoy je me contenteray de vous l'aves (sic) rememoré, en vous conjurant de m'aymer tous-jours, puis que vous souhaitant toute sorte de bonheur, et mesme en vostre digne mariage dont on m'a donné la nouvelle ces jours passés, je demeureray,.

  A015002977 

 Je vous asseure, ma tres chere Mere, ma Fille, que je voudrois bien porter en mon cors et en mon cœur toutes les peynes que vous aures parmi vos remedes; mais ne pouvant ainsy vous en descharger, embrassés saintement ces petites mortifications, recevés ces abjections en esprit de resignation, et, s'il se peut, d'indifference.

  A015002979 

 Ma tres chere Mere, mon cœur saluë le vostre finalement et plus que filialement, au dessus de toute comparayson.

  A015002979 

 N'occupés pas vostre esprit [311] es affaires, et recevés humblement et amiablement les petitz traittemens que vostre infirmité requiert..

  A015002980 

 Vive Jesus et Marie! Je suis celuy que ce mesme Jesus a rendu vostre..

  A015002988 

 J'ay bien veu au sermon nostre bienaymee fille Françoise, mais je n'ay pas osé luy demander comme ma tres chere Mere se portoit; car il y avoit trop de gens qui m'eussent oüy, et eussent esté en peyne de curiosité pour sçavoir quell'estoit cette tres chere Mere, autre que Dieu et ses Anges et ses Saintz, et nostre cœur, ne sachant combien l'affection qui me rend pere, filz et une mesm'ame avec vous, est suffisante et plus que suffisante pour faire cela..

  A015002989 

 Et entr'autres choses, ayant differé hier de parler de mon sacre, a cause qu'aujourduy j'aurois plus de gens, j'ay dit quil y avoit dis ans que j'avois esté consacré, c'est a dire que Dieu m'avoit osté a moymesme pour [me] prendre a luy et puis me donner au peuple; c'est a dire, quil m'avoit converti [312] de ce que [j'étais] pour moy en ce que je fusse pour eux.

  A015002989 

 Mays pour ce qui nous regarde, vous sçaves que Dieu m'a osté a moy mesme, non pas pour me donner a vous, mais pour me rendre vous mesme.

  A015002990 

 Bon soir, ma tres chere Mere, et plus que Mere; le bonsoir a nos filles..

  A015002991 

 Non, ce n'est pas le P. Archange du Tillet, c'est le P. Constantin de Chamberi qui sera nostre prædicateur le reste de cet Advent, et moy je seray souvent celuy de nos cheres Seurs, car ce n'est pas souvent, soit tous-jours, que je suis le vostre..

  A015003000 

 Il faut que je me treuve a Turin pour le saint Caresme.

  A015003000 

 Sans doute, ma tres chere Seur, que je ne passeray jamais en Bourgoigne sans aller voir vostre ame bien-aymee, qui est tous-jours presente a la mienne; mais je ne suis pas prest pour aller en ces quartiers la.

  A015003000 

 [313] Monsieur [de Sauzea] m'escrit que vostre Mayson s'avance fort a la pieté, dont je me res-jouis selon la mesure avec laquelle je vous souhaitte toute sainteté..

  A015003001 

 Et vous sçavés, ma tres chere Fille, que je vous ay tous-jours dit que vous m'escrivissies plus amplement par l'entremise de madame la Presidente, qui aura bien le soin de m'envoyer vos lettres, comme aussi de vous faire tenir les miennes..

  A015003001 

 Mais je ne sçai nulles nouvelles de vostre santé, c'est a dire de l'estat de vostre pauvre jambe, de laquelle vous ne me faites nulle mention, non plus que si vous n'esties pas ma chere Fille, et que cette jambe ne fust pas la meilleure des deux pour vous avancer en la perfection de l'amour divin.

  A015003003 

 Je suis plus que jamais, ma tres chere Fille, d'un cœur invariable,.

  A015003015 

 Faut-il pas louer Dieu de tant de graces que nous avons receuës, et le supplier de respandre le sang de sa Circoncision sur l'entree de l'annee prochaine, affin que l'Ange exterminateur n'ayt point d'acces en icelle sur nous? Ainsy soit il, ma chere Mere, et que, par ces annees passageres, nous puissions heureusement arriver a l'annee permanente de la tres sainte eternité..

  A015003016 

 Employons donq bien ces petitz momens perissables a nous exercer en la sacree douceur et humilité que l'Enfant circoncis nous vient apprendre, affin que nous ayons part aux effectz de son divin nom, lequel je ne cesse point d'invoquer sur vostre chere ame, ma tres chere et tres bonne Mere, a ce qu'il la remplisse de l'odeur de son parfum, et, avec elle, celles de tous les vostres..

  A015003036 

 Je ne sçai comme j'ay laissé aller M. Colom sans vous prevenir, affin que vous ne receussies point d'alarme.

  A015003036 

 Mays, ma tres chere Mere, je pensois que le desir de sçavoir vostre Celse Benine Feüillens, vous osteroit toute autr'apprehension, mesmement si vous voyies M. Colom arriver avec un visage joyeux, comme je l'en avois averti..

  A015003037 

 Or sus, bonjour, ma tres chere Mere, que je supplie [317] Dieu benir eternellement de ses plus cheres faveurs.

  A015003047 

 Helas! donq, il n'est pas vray que vostre devotion soit malade quand vous l'estes.

  A015003047 

 Or sus, il faut estre comme Dieu dispose que nous soyons et, comme saint Paul, prendre force en l'infirmité.

  A015003057 

 Cheminés donq tous-jours ainsy aupres de Dieu, car son ombre est plus salutaire que le soleil..

  A015003058 

 Ce n'est pas mal fait de trembler quelquefois devant Celuy en la presence duquel les Anges mesmes tremoussent quand ilz le regardent en sa majesté; a la charge toutefois que le saint amour, qui predomine en toutes ses œuvres, tienne aussi tous-jours le dessus, le commencement et la fin de vos considerations..

  A015003059 

 Voyla donq qui va fort bien, puisque ces petitz esclairs de vostre esprit ne font plus leurs saillies si soudaines, et que vostre cœur est un peu plus doux.

  A015003060 

 Nostre Seigneur sans doute suppleera a tout ce qui [319] vous defaudra d'ailleurs, affin que vous puissiés faire une plus parfaite retraitte aupres de luy, pourveu que ce soit luy que vous aymiés, que vous cherchiés, que vous suiviés.

  A015003071 

 Gardés vous des fortes applications de l'entendement, puis qu'elles vous nuisent, non seulement au reste, mais a l'orayson mesme, et travaillés autour de vostre cher objet avec les affections tout simplement, et le plus doucement que vous pourres.

  A015003071 

 Il ne se peut faire que l'entendement ne face quelquefois des eslancemens pour s'appliquer, et il ne faut pas s'amuser a s'en tenir dessus sa garde, car cela serviroit de distraction; mais il faut se contenter que, vous en appercevant, vous retournies simplement aux actions de la volonté..

  A015003072 

 Et quand, a cette simple demeure, se joint quelque sentiment que nous sommes a Dieu et qu'il est nostre Tout, nous en devons bien rendre graces a sa Bonté..

  A015003072 

 Mais apres qu'on s'y est mis, on s'y tient tous-jours, tandis que, ou par l'entendement, ou par la volonté, on fait des actes envers Dieu, soit le regardant, ou regardant quelqu'autre chose pour l'amour de luy; ou ne regardant rien, mais luy parlant; ou ne le regardant ni parlant a luy, mais simplement demeurant ou il nous a mis, comme une statue dans sa niche.

  A015003072 

 Se tenir en la presence de Dieu et se mettre en la presence de Dieu, ce sont, a mon advis, deux choses; car pour s'y mettre, il faut revoquer son ame de tout autre objet et la rendre attentive a cette presence actuellement, ainsy que je dis dans le livre.

  A015003073 

 Dequoy sers tu la? quel proffit te revient il d'estre ainsy? [321] Ce n'est pas pour mon service que j'y suis, c'est pour servir et obeir a la volonté de mon maistre.

  A015003073 

 Non, dira-elle, mais il me voit et prend playsir que je sois ou il m'a mis.

  A015003073 

 Pourquoy ne te remues tu point? Parce qu'il veut que j'y demeure immobile.

  A015003073 

 Si une statue que l'on auroit mise en une niche au milieu d'une salle, avoit du discours et qu'on luy demandast: Pourquoy es tu la? Parce, diroit-elle, que le statuaire mon maistre m'a mis icy.

  A015003074 

 Mon Dieu, chere Fille, que c'est une bonne orayson et que c'est une bonne façon de se tenir en la presence de Dieu, que de se tenir en sa volonté et en son bon playsir! Il m'est advis que Magdeleine estoit une statue en sa niche, quand, sans dire mot, sans se remuer, et peut estre sans le regarder, elle escoutoit ce que Nostre Seigneur disoit, assise a ses pieds.

  A015003075 

 Mon Dieu, ma Fille, que je suis ayse de parler un peu de ces choses avec vous! Que nous sommes heureux, quand nous voulons aymer Nostre Seigneur! Aymons le bien donq, ma Fille; ne nous mettons point a considerer trop par le menu ce que nous faysons pour son amour, pourveu que nous sachions que nous ne voulons jamais rien faire que pour son amour.

  A015003075 

 Pour moy, je pense que nous nous tenons en la presence de Dieu mesmement en dormant, car nous nous endormons a sa veuë, a son gré et par sa volonté, et il nous met la sur le lit, comme des statues dans une niche; et quand nous nous esveillons, nous treuvons qu'il est la aupres de nous, il n'en a point bougé, ni nous aussi: nous nous sommes donq tenus en sa presence, mais les yeux fermés et clos..

  A015003076 

 Bon soir, ma chere [322] Seur, ma Fille, vous aures de mes nouvelles le plus souvent que je pourray.

  A015003076 

 Croyés que la premiere parole que je vous escrivis fut bien veritable, que Dieu m'avoit donné a vous; les sentimens en sont tous les jours plus grans en mon ame.

  A015003085 

 O le Dieu de douceur veuille addoucir vostre cœur, ou au moins faire que vostre amertume soit en paix.

  A015003085 

 Tenés bien Jesus Christ crucifié entre vos bras, car l'Espouse l'y tenoit comme un bouquet de myrrhe, c'est a dire d'amertume; mais, ma tres chere Fille, ce n'est pas luy qui nous est amer, c'est luy seulement qui permet que nous, nous soyons amers a nous mesmes.

  A015003085 

 Voyci, dit Ezechias, que neanmoins, emmi mes travaux, ma tres amere amertume est en paix.

  A015003086 

 Cette bonne Religieuse desire vous communiquer un peu au large son cœur, mais elle dit qu'elle ne sçait comme faire; il faudra donq l'ayder, et luy pourres dire que je vous l'ay dit..

  A015003095 

 J'oubliay hier de vous reprendre dequoy vous ne recevies pas en simplicité la parole de Dieu, ains avies des aversions qui vous la rendoyent moins suave des uns que des autres.

  A015003096 

 Vive Jesus, ma tres chere Mere, en tout ce que nous sommes, selon l'unité qu'il a fait de nous..

  A015003103 

 Non, car il est bien juste et raysonnable que vous pleuries un peu; mais un peu, ma chere Fille, en tesmoignage de la sincere affection que vous luy porties, a l'imitation de nostre cher Maistre qui pleura bien un peu sur son amy le Lazare, et non pas toutefois beaucoup, comme font ceux qui, colloquans toutes leurs pensees aux momens de cette miserable vie, ne se resouviennent pas que nous allons aussi a l'eternité, ou, si nous vivons bien en ce monde, nous nous reunirons a nos chers trespassés pour ne jamais les quitter.

  A015003103 

 Nous ne sçaurions empescher nostre pauvre cœur de ressentir la condition de cette vie et la perte de ceux qui estoyent nos delicieux compaignons en icelle; mais il ne faut pourtant pas desmentir la solemnelle profession que [325] nous avons faitte de joindre inseparablement nostre volonté a celle de nostre Dieu..

  A015003103 

 Or sus, ma tres chere Fille, on me vient de dire que la chere seur est partie, nous laissant encor icy bas avec les passions ordinaires de la tristesse qui a accoustumé d'attaquer les demeurans en telles separations.

  A015003104 

 Mon Dieu, ma tres chere Fille, que ces petitz accidens doivent estre receus doucement de nos cœurs! nos cœurs, dis-je, qui meshuy doivent avoir plus d'affection au Ciel qu'en la terre.

  A015003105 

 Il suffit de regarder amoureusement ce divin Amoureux de nos ames, car entre les amans, les yeux parlent mieux que la langue..

  A015003115 

 Hier M me la Presidente me dit que M. Berthelot vous vouloit aller voir avec elle, et croy que ce sera aujourdhuy.

  A015003115 

 Or, ainsy qu'elle me parla, il a [327] tout plein de bonne volonté pour nostre Congregation; c'est pourquoy il le faut recevoir avec un accueil saintement et devotement aggreable et aggreablement devot et saint, et luy tesmoigner que des-ja la Congregation a beaucoup d'obligation a Monseigneur de* Nemours (quil faut nommer Monsieur tout court), a cause de la bonne volonté quil a eu, tant pour les laouds de ce que vous acheteries de son fief, que pour le four; et que puis quil a pleu a Dieu de donner commencement a cette petite Congregation dans sa ville principale, vous voules avoir une speciale devotion pour son salut et prosperité, et le tenir comme special protecteur.

  A015003115 

 Qu'il ne se pourra qu'en plusieurs occasions vous n'ayes besoin de ses graces et faveurs, et que vous pries ledit sieur Berthelot de vous y vouloir assister de sa charité et intercession.

  A015003115 

 Que la Congregation s'essayera de fair'en sorte que personne n'aura du repentir de l'avoir aydee; et semblables petites choses..

  A015003116 

 Il dit que luy mesme contribuera, si M. de la Bretonniere se peut resoudre de faire nostre chapelle..

  A015003116 

 Ledit sieur Berthelot est un jeun'homme fort eveillé; mais il ne faut pas laisser de le traitter devotement et de l'entretenir selon le loysir que vous en aures.

  A015003127 

 Je l'appellerois excessif, si je considerois seulement l'indignité de celuy qui le reçoit; mais je voy bien que la source d'ou il procede, Monsieur, ne permet pas que l'on puisse nommer ainsy cette faveur, quoy qu'elle excelle au dessus de toutes autres, puis que vous me favorisés selon ce que vous estes, Monsieur, et non selon ce que je suis, qui certes ne suis rien, sinon en l'affection avec laquelle je revere Vostre Grandeur, pour la prosperité de laquelle je respans plusieurs bons souhaitz devant ce grand Dieu du Ciel, qui gratifie volontier les grans de la terre qui gratifient les petitz [329] et qui leur sont doux, gracieux et favorables ainsy que vous m'estes, Monsieur, et que je vous supplie de m'estre tous-jours, me regardant comme.

  A015003139 

 Benissés Dieu du loysir qu'il me donne ces deux jours pour faire un peu d'orayson extraordinaire; car vrayement sa Bonté a respandu dans mon esprit tant de lumieres et dans mon pauvre cœur tant d'affection pour escrire en nostre cher livre du saint amour, que je ne sçay ou je prendray des paroles pour exprimer ce que j'ay conceu, si le mesme Dieu qui m'a fait concevoir ne me fait enfanter..

  A015003151 

 Je vous asseure, ma tres chere Fille, que vostre affliction m'a touché vivement, ne doutant point qu'elle ne vous ayt esté fort rude, d'autant que vostr'esprit, comme celuy du reste des hommes, ne voyant pas la fin et intention pour laquelle les choses arrivent, il ne les reçoit pas en la façon qu'elles sont, mais en la façon quil les sent..

  A015003152 

 A vostr'advis, ma chere Fille, vos vœuz et vos devotions ne sont ilz pas bien recompensés? Vous les faysies pour luy, mais affin quil demeurast icy [331] avec vous, en cette vallee de miseres; Nostre Seigneur, qui entend mieux ce qui est [bon] pour nous que nous mesme, a exaucé vos prieres en faveur de l'enfant pour lequel vous les faysies, mais au despens des contentemens temporelz que vous en prætendiés..

  A015003152 

 Et voyla que Dieu l'a retiré de tous ses (sic) perilz, et luy a fait recueillir le triomphe sans battaille et moyssonner les fruitz de la gloire sans labeur.

  A015003152 

 Voyla, ma chere Fille, que vostre filz est en asseurance, il possede le salut eternel; le voyla eschappé et garanti du hazard de se perdre, auquel nous voyons tant de personnes.

  A015003153 

 A la fin de nos jours, lhors que nos yeux seront desillés, nous verrons que cette vie est si peu de chose quil ne failloit pas regretter ceux qui la perdoyent bien tost: la plus courte est la meilleure, pourveu qu'elle nous conduise a l'eternelle..

  A015003153 

 En verité, j'appreuve bien la confession que vous faites, que c'est pour vos pechés que cest enfant s'en est allé, par ce qu'elle procede d'humilité; mais je ne croy pas pourtant qu'elle soit fondee en verité.

  A015003153 

 Non, ma chere Fille, ce n'est pas pour vous chatier, c'est pour favoriser cet enfant que Dieu l'a sauvé de bonn'heure.

  A015003154 

 En contrechange, il prie Dieu pour vous et respand mille souhaitz sur vostre vie, affin qu'elle soit de plus en plus conforme a la volonté celeste, et que par icelle vous puissies gaigner celle dont il jouit.

  A015003154 

 Or sus, voyla donq vostre petit enfant au Ciel, avec les Anges et les saintz Innocens; il vous sçait gré du soin que vous avés eu de luy ce peu de tems quil a esté en vostre charge, et sur tout des devotions faites pour luy.

  A015003173 

 Entr'autres causes de ma defiance, c'est que voyci arriver M. l'Aumosnier de Belleville, [333] qui est celuy qui m'a escrit pour M me des Gouffier, et la rayson veut, que venant expres pour me voir, je luy en donne le plus de commodité que je peurray.

  A015003173 

 Je croy quil vous ira voir aussi, et je desire que ce soit a sa consolation et edification, mesme quil a quelque sorte d'inclination a vouloir estre de nostre future Congregation, si Dieu nous fait la grace que nous l'erigions.

  A015003173 

 Or je desire, mais je n'ose me promettre que je vous aille voir aujourdhuy.

  A015003174 

 Helas! que je le plains sil est mort ainsy, car autrement, la mort est trop commune et trop necessaire pour s'en estonner extraordinairement..

  A015003174 

 Mays faut il pas que je vous die le desplaysir que j'eu hier de la nouvelle de la mort de nostre monsieur le baron de Lux, tué, comme l'on dit, d'un coup de pistolet [335] par le chevalier de Guyse.

  A015003175 

 Ne me respondes que ce soir, mais dites a M. Michel comme vous vous portes..

  A015003187 

 Vous pourres donques celebrer le mariage entre ce Claude Pietrequin et la fille de la Croix blanche, puis que monsieur de Siccard, qui vaut cent tesmoins, asseure quiilny a rien du costé dudit Pietrequin qui empesche, et que d'ailleurs la chose presse du costé de la fille..

  A015003188 

 Je ne suis pas d'advis que vous advertissies si tost le commis a Thueri, jusques a ce quil ayt rendu du [337] service a peu pres de l'argent quil a receu, car il n'a point quitté ces (sic) partis praecedens et tumbera tous-jours sur ses pieds; de sorte quil suffira de l'advertir quand on sera prest d'en colloquer un autre.

  A015003189 

 Qui a tems, a vie; mais il faudroit que monsieur de Livron voulut donner ce loysir a l'affaire: a quoy le P. Michel Ange et vous, pourres le disposer.

  A015003209 

 Je feray tout ainsy que vous le desires et ne treuverés non plus en autre occasion, quelle qu'elle soit, aucune replique en ce quil vous plaira me marquer pour vostre service et contentement, selon l'estendue de mon pouvoir.

  A015003226 

 Mays il auroit necessité, de plus, de quelqu'assistance pour meubler sa chambre, et prætend que la Sainte Mayson, selon son institut et la charité qui y regne, l'aydera volontier de quelque chose pour cela.

  A015003226 

 Nous avons icy le sieur Nicolas Bertolonio, que nostre Chapitre a aucunement appointé pour l'ayder a [341] vivre en servant au chœur.

  A015003226 

 Or, il m'a prié d'attester envers vous et, par vostre entremise, envers Monseigneur l'Archevesque et le Conseil de la Sainte Mayson qu'il merite ayde et secours; ce que je fay en saine conscience, pour l'avoir ainsy reconneu jusques a present.

  A015003244 

 Mays vous vous representeres que la mayson en laquelle vous venes est une petite Congregation encor mal logee, et en laquelle toutes choses sont basses, humbles et abjectes, hormis la pretention de celles qui y sont, qui n'est rien moins que de parvenir a la perfection de l'amour divin..

  A015003244 

 Puisque vous ne respires que l'imitation de la croix, de l'obeissance et humilité de nostre Sauveur, venes a la [343] bonne heure chez nos Seurs de la Visitation.

  A015003255 

 Et pour en retirer plus de gloire, je n'ay pas oublié d'en faire part a tous ceux de cette ville que j'estime capables de peser le bonheur que ce m'est destre aymé de vous, auquel ne pouvant donner avec contreschange, je fay pour le moins humble reconnoissance que mon devoir surpasse mes forces, les-quelles neanmoins vous les dedie toutes a l'honneur de vostre service..

  A015003255 

 Je ne puis dignement vous remercier des beaux presens qu'il vous a pleu m'addresser, que j'ay receus avec [344] une extreme joye, non certes pour leur valeur, qui est grande, mais parce que ce sont de grans tesmoignages du cœur que vous aves envers moy, m'estant envoyés avec bien du soin et incommodité.

  A015003256 

 J'espere que le voyage de Piemont, dont j'ay dessein pour ce primtems, impetrera de Son Altesse une si forte confiance en ma simplicité, que je pourray l'annee suivante avoir ma juste liberté..

  A015003256 

 Mais quel contretems! Si, j'eusse esté si heureux d'aller a Paris cette annee, selon le desir de monsieur nostre grand [ami,] pour recueillir autour de vous et de luy les fruitz de la plus excellente consolation que je pouvois avoir! J'acquiesce neanmoins a l'ordonnance de la Providence celeste, laquelle au moins a permis que, pour mes pechés, ce playsir me soit interdit.

  A015003258 

 Mais usons doucement et toutesfois, si vous me croyés, un peu avidement de la presence du grand amy, que j'estime si grand pour moy, que je ne voy rien de si grand parmi toutes les grandeurs de Paris qui ne me semble petit en comparayson de sa bienveuillance.

  A015003258 

 Que si quelquefois, comme je n'en doute pas, vous me favorises de quelque mention de nous ensemblement, je vous conjure, Monseigneur, que ce soit comme de.

  A015003266 

 A la verité, je ne sçavois pas, ma tres chere Fille, que vostre affliction eust si violemment opprimé vostre cœur; mais quand je l'ay sceu, j'eusse volontier pris resolution d'aller vous porter le mien et, avec iceluy, toutes les consolations qu'il eust pleu a Dieu me fournir.

  A015003267 

 Bienheureux sont ceux qui n'estiment jamais avoir rien perdu de ce que Dieu a receu a sa grace..

  A015003267 

 Ma tres chere Fille, estendes souvent vostre veuë jusques au Ciel, et voyes que cette vie n'est qu'un passage [346] a celle que l'on fait la; quatre ou cinq mois d'absence seront bien tost passés.

  A015003267 

 Que si nostre accoustumance et nos sens, amusés a voir et estimer ce monde et la vie d'iceluy, nous font un peu trop ressentir ce qui nous y contrarie, corrigeons souvent ce defaut par la clairté de la foy, qui nous doit faire juger tres heureux ceux qui, en peu de jours, ont achevé leur voyage.

  A015003268 

 Je feray ce que vous me dites.

  A015003277 

 Vous m'excuseres, s'il vous plait, ma tres chere Fille, si celle de monsieur de Genesia est ouverte: ça esté sans malice quelconque que je l'ay fait..

  A015003278 

 Au demeurant, je parlay a monsieur de Treverney asses longuement et doucement de vos affaires; il me dit [347] qu'a son advis, vous vous trompies grandement en l'estime des biens de feu monsieur vostre pere, et quil se treuveroit que vous avies esté portionnee tres suffisamment.

  A015003278 

 Or, la conclusion neanmoins fut quil se sousmettroit a ce qui en seroit advisé par telz arbitres et amis que l'on jugeroit convenable de choysir pour vuider les pretentions d'eux et de vous a l'amiable, qui est en somme le bon mot; outre que vrayement il ne tesmoigna nullement de treuver mauvaise vostre recherche.

  A015003294 

 Voyla vostre contract que je vous renvoye, ma tres chere Fille; je croy quil va bien, ce que vous aves remarqué estant corrigé.

  A015003296 

 M me de la Flechere viendra ce soir ou ce matin, et ira descendre droit chez vous, venant toute seule, sans fille de chambre, selon que vous verres par sa lettre..

  A015003297 

 Je ne sçai sil sera mieux que l'action de demain se face avant nostre Office ou apres.

  A015003297 

 Je voudrois que ce fut devant, pour accompaigner mon cher hoste a l'Office, ou il veut estre.

  A015003310 

 Soudain que vous aures nouvelles que le testament sera ouvert, envoyes appeller et prier mon cousin, et luy en conferes, disant que vous aures besoin de son ayde, affin que si le testament a lieu, le peu de bien qui en arrivera a la Congregation arrive en paix et tranquillement..

  A015003311 

 Je pense que je vous verrey avant mon départ; au [350] moins je vous escriray.

  A015003312 

 Je croy que vous sachies (sic) que cette bonne damoyselle est trespassee a l'aube du jour..

  A015003322 

 Et sur cela, je regrette que vostre esprit, digne de traitter des meilleurs sujetz, soit employé a favoriser un homme de si peu de merite.

  A015003322 

 Vous m'obligés trop de rendre tant de tesmoignages de vostre affection envers moy qui ay si peu de force pour correspondre a mon gré, par quelque bon effect de gratitude, a lhonneur que vous me faites, quoy qu'en verité j'en aye un desir extreme.

  A015003342 

 Je suis certes bien marri, ma tres chere Seur, ma Fille, que vous n'ayés receu mes lettres que souvent je vous ay escrites et addressees a Dijon, non point tant pour autre sujet que pour la consolation que vostre bon naturel vous fait recevoir quand vous voyés de mes escritz.

  A015003343 

 Mais dites moy, je vous prie, ma chere Fille, eussies [352] vous bien peu croire qu'une affection plantee de la main de Dieu, arrousee par tant d'obligations que je vous ay et a vostre Mayson, fut sujette a diminution ou esbranslement? Non certes, ma tres chere Seur, ma Fille, il n'est pas possible qu'une amitié vraye et solide puisse jamais cesser..

  A015003345 

 Au reste, pour vostre particulier, faites souvent renaistre toutes les saintes resolutions qu'au commencement de nos ferveurs Dieu nous departoit si abondamment; que si elles ne sont plus si sensibles, il n'importe, pourveu qu'elles soyent fermes et fortes.

  A015003345 

 Dieu, par sa bonté, vous tienne tous les jours de sa tres sainte main; c'est une priere quotidienne que je luy fay..

  A015003345 

 J'ay bien entendu tout ce que vous m'escrivés et me suffit.

  A015003346 

 Ce pendant, il faudra donq escrire dans le livre quelque chose, a mesure que, parmi les frequentes pensees que j'ay sur vous, il plaira a Nostre Seigneur jetter dans mon cœur des advis propres pour le vostre..

  A015003346 

 Je dis, si vous venés, parce que, encor que ce me seroit un contentement extreme de vous voir a souhait en nos pauvres petites contrees, si est-ce que je ne voudrois pas tirer sur moy le contregré de messieurs vos proches, s'ilz en avoyent, en vous le conseillant, ni aussi prejudicier a ma consolation en ne vous le conseillant pas.

  A015003346 

 Je vous remercie de la toile; si vous venés l'esté prochain, vous nous communiquerés bien de la recette, et ce pendant on employera ce que j'en ay.

  A015003347 

 Mes freres sont tous vos serviteurs tres humbles, sur tout mon frere de Boisy, qui n'est pas present maintenant que j'escris; et si, je ne l'ay point adverti..

  A015003359 

 Je participe plus que nul autre a vostre desplaysir, lequel, a mon advis, ne durera plus guere quant a l'occasion pour laquelle vous l'aves maintenant; car des-ja l'autre jour, que monsieur le Prieur vint a Sales, je luy fis la moytié de la resolution que je luy envoye du tout maintenant.

  A015003359 

 Mays pourtant, cet esprit-lâ voudra tous-jours des occupations plus que suffisantes, car il est excessif en desseins.

  A015003360 

 Il me demanda congé de faire certain livre pour imprimer, et je luy respondis fort convenablement, a mon advis, quil pourroit s'exercer en cela, mais que de faire imprimer, c'estoit une chose a part.

  A015003360 

 Quant a la predication, il me dit que cela n'incommoderoit rien et que vous en series content, et en fin quil vouloit faire quelque chose.

  A015003360 

 Si vous juges que je doive faire quelque sorte d'autre remede, je le feray..

  A015003361 

 Monsieur Soudan me demande tous-jours de pouvoir playder pour retirer les biens ecclesiastiques de sa parroisse, et dit que tout depend de vous, a rayson des patentes.

  A015003362 

 Nostre fille se porte bien et tout ce qui est avec elle, avec un peu d'embarassement pour cet hæritage; mais j'espere que tout s'esclarcira bravement, Dieu aydant..

  A015003380 

 Maintenant, Vostre Altesse pourra voir les informations prises a charge et descharge dudit sieur Abbé, que ce porteur a en main, et me donner sur cela ses commandemens, ausquelz j'obeiray avec la [356] fidelité qui me fait incessamment supplier Dieu pour la prosperité de Vostre Altesse, delaquelle je suis, Monseigneur,.

  A015003380 

 Sur les plaintes qui me furent faites de monsieur l'Abbé de la Tour, a rayson des bastonnades qu'il avoyt donnees au sieur Berthelot, la grandeur du respect que je doys a Vostre Altesse me suggera de ne point entreprendre de justice sur la personne dudit sieur Abbé, puys qu'il estoit ambassadeur ordinaire de Vostre Altesse et n'estoit icy que par maniere de passage, et de jour a jour en attente de retourner a l'exercice de son ambassade.

  A015003393 

 Dieu soit beni et glorifié de ce changement de condition que vous avés fait pour son nom, ma tres chere Fille; et je dis tous-jours ma tres chere Fille, car ce changement ne changera rien en cette affection vrayement paternelle que je vous ay dediee.

  A015003393 

 Vous verrés bien que si vous avés une parfaite resignation de vostre ame en la providence et volonté de Nostre Seigneur, vous marcheres en cette [357] vocation, vous y aures bien de la consolation et deviendres fort sainte a la fin.

  A015003395 

 Conduisés-vous en la Communion au gré de vostre confesseur, car il luy faut donner cette satisfaction, et vous ne perdrés rien pour cela; car ce que vous n'aurés pas par la reception du Sacrement, vous le rencontreres en la sousmission et obeissance..

  A015003396 

 De regie pour vostre viè, je ne vous en donneray que celle qui est dans le livre; mais si Dieu dispose que je vous puisse voir et il y a quelque sorte de difficulté, je vous respondray.

  A015003396 

 Il n'est nul besoin que vous m'escrivies vostre confession: que si vous aves quelque point particulier duquel vous desiries conferer avec mon cœur, qui est tout vostre, vous le pourrés..

  A015003398 

 Et marqués ces quatre paroles que je vous vay dire: vostre mal vient dequoy vous craignés plus les vices que vous n'aymés les vertus.

  A015003398 

 Faites la preparation du matin, et en somme prenés a prix fait cette besoigne que Dieu vous payera de mille consolations; et pour cela, n'oubliés de souvent eslever vostre cœur en [358] Dieu et vos pensees a l'eternité.

  A015003398 

 Vous deves avoir un grand soin de ranger vostre esprit a la paix et tranquillité, et estouffer ces mauvaises inclinations que vous aves, par une attention a la prattique des vertus contraires, en vous resolvant d'estre plus diligente, attentive et active a la prattique des vertus.

  A015003410 

 Mays sur tout considerant quil est incommodé de sa santé, j'entre en extreme apprehension que ce ne luy soit une peyne trop grande de se mettre en voyage.

  A015003410 

 Obliges moy donq, je vous supplie, de le conjurer, par toute la bienveuillance quil me porte, de ne point se mettre au hazard, ni en la despence, ni en la peyne et travail de ce chemin, puisque il n'y regarde que ma seule consolation, laquelle, je confesse, seroit grandement languissante si je la recevois avec tant d'incommodité d'une personne que je cheris et respecte tant..

  A015003410 

 Par vostre lettre et par ce que j'ay peu apprendre de monsieur de Sainte Catherine, je voy que c'est une grande incommodité a monsieur l'Abbé de faire nostre pelerinage, lequel pourtant il n'entreprend que purement pour me favoriser.

  A015003411 

 Et bien quil y eut quelque chose de ce qu'on dit des excommunications, je ne laisserois pas de m'acheminer, esperant qu'en toutes occasions Dieu me fera la grace de ne point m'oublier du devoir que j'ay a l'Eglise et au Prince..

  A015003412 

 Mays sur tout, ne manques pas de m'avertir au plus tost de ce que vos remonstrances auront operé; car selon l'advis que je recevray, je disposeray autrement de mon despart, et peut estre de la circonstance du voyage, d'aller a pied ou a cheval jusques a Thurin..

  A015003412 

 Somme toute, ne permettes pas que monsieur l'Abbé prenne cette si grande incommodité, et sur tout quil mette en compromis sa santé, car ce me seroit un'excessive peyne de le voir en peyne et un continuel mesayse de le voir en danger.

  A015003413 

 J'apprens que vous aussi et monsieur le Curé de Bons ne feres pas qu'avec incommodité ce voyage, et je vous prie, mais de tout mon cœur, de ne vous en incommoder nullement et de dissuader aussi ledit Curé de Bons; car plustost que d'incommoder mes amis en chose non necessaire, je romprois le voyage tout a fait.

  A015003413 

 Response, je vous prie, et ne vous mettes en peyne que de me venir voir icy apres Pasques, pour conferer de ce que je pourrois [360] utilement entreprendre aupres de Son Altesse pour nos affaires ecclesiastiques; puis, laisses moy faire mon petit fait, et vous verres que tout ira bien et sans bruit.

  A015003417 

 Je reçois des nouvelles pour lesquelles peut estre je seray obligé de partir un peu plus tost; ainsy faut il changer selon le tems, mais sur tout selon ce que Dieu permet par sa providence..

  A015003431 

 Et peu s'en est fally que l'un de mes freres, chevalier de Malte, n'a esté ordonné a la prison (bien que tout le tems de la querelle il fut avec moy a Sales), seulement par ce quil est grand ami du sieur Abbé de Talloyres et qu'il l'avoit fort visité apres les bastonnades.

  A015003431 

 Or neanmoins, j'espere que dans peu de jours [362] tout cela se passera, et Monseigneur de Nemours, selon sa bonté, sera marri d'avoir fait faire du mal a monsieur de Charmoysi et d'en avoir desiré a tant d'autres ses plus fideles et affectionnés serviteurs et sujetz..

  A015003431 

 Vous verrés, je m'asseure, par la lettre que monsieur de Charmoysi vous escrit, comme des le despart de [361] madame de Charmoysi il a receu le desplaysir de se voir comme banni de cette ville, par un expres commandement que Son Altesse luy a fait de s'en retirer et ne plus y revenir, sur l'impression la plus fause du monde que Monseigneur de Nemours a receu de la part de quelques calomniateurs, que les bastonnades donnees au sieur Berthelot avoyent esté conseillees par monsieur de Charmoysi; dont mondit Seigneur de Nemours a entrepris le ressentiment si chaudement, que nous en sommes tous estonnés.

  A015003432 

 Ce que je vous dis, Monsieur, par ce que vous pourres mieux dire a cette bonne dame comm'elle se devra comporter que je ne sçaurois le luy escrire, bien que je luy en touche un mot..

  A015003432 

 Mays ce pendant, il faut que madame de Charmoysi tienne bonne contenance et ne face nulle sorte de plaintes qui puissent venir a la connoissance de monsieur de Jacob, ains que luy parlant, elle tesmoigne une grande asseurance que la bonté de Son Altesse et de Monseigneur de Nemours regardera bien tost favorablement son mari et sera offencee contre ceux qui luy ont voulu procurer du mal.

  A015003433 

 Eusse-je pas esté mieux si mon bonheur eut permis l'effect de vostre volonté, et que j'eusse presché en vostre chaire et jouy de la douceur de vostre conversation et de la presence de Monsieur nostre Evesque qui est lâ? J'espere, dans le moys, partir pour Thurin, ou je feray tout ce qui me sera possible affin d'avoir ma liberté pour l'annee suivante; car le desir du bien que j'attens de vostre [363] veüe et du rencontre de tant de gens d'honneur qui, pour vostre consideration, me recevront en leur conversation, est extreme dedans mon cœur.

  A015003453 

 C'est maintenant que vous estes en affliction, que vous deves tesmoigner a Nostre Seigneur l'amour que vous luy aves si souvent promis et protesté entre mes mains.

  A015003453 

 Ce me sera extreme consolation d'apprendre que vostre cœur se comporte bien pour ce regard..

  A015003455 

 Je prie donq Nostre Seigneur qu'il soit vostre consolation et qu'il vous face bien entendre que par plusieurs travaux et tribulations il vous faut entrer au Royaume des cieux, et que les croix et afflictions sont plus aymables que les contentemens et delectations, puisque Nostre Seigneur les a choisies pour soy et pour tous ses vrays serviteurs.

  A015003456 

 Et ce pendant, je m'employeray de tout mon cœur, affin d'ayder vostre mary, envers tous ceux que je croy avoir du credit pour le faire delivrer et que je sçauray vouloir faire quelque chose a ma contemplation; et des-ja j'ay commencé ce bon office des avant hier, vous cherissant comme ma vraye fille, et tout ce qui vous appartient, pour l'amour de Nostre Seigneur a qui vous appartenes, la volonté duquel soit faite es siecles des siecles.

  A015003467 

 J'ay response de M me d'Aiguebellette qui dit que M lle des....

  A015003476 

 O vrayement, elle est belle en extremité, la chappe que la plus chere mere qui vive envoye a son tres cher pere; [367] car elle est toute au nom de JESUS et de MARIE, et represente parfaitement le Ciel des bienheureux, ou Jesus est le soleil et Marie la lune luminaires presens a toutes les estoilles de cette sainte habitation; car Jesus y est tout a tous, et n'y a point d'estoille en ce globe celeste en laquelle il ne soit representé comme en un miroüer.

  A015003477 

 Benite soit a jamais la chere main de ma Mere qui a si bien sceu faire ce bel ouvrage! Que cette main soit propre a faire des choses fortes, et tout esgalement a manier le fuseau.

  A015003477 

 Qu'elle soit ornee de l'anneau de fidelité et son bras, du brasselet de charité; que la dextre du Sauveur soit a jamais jointe a elle et qu'elle paroisse pleine au jour du jugement; qu'a jamais le cœur qui l'anime soit revestu de JESUS, de MARIE, de philothie, de philanthropie, de sainteté, d'estoilles, de dards volans du celeste amour et de toute sorte de vertu fleurissante; que le Saint Esprit la rayonne en tous tems.

  A015003478 

 Et me voyla revestu d'une chappe admirable pour les festes, chappe belle et de couleur de la Resurrection; et d'une robbe encor pour tous les jours, de la couleur de la robbe [368] que Nostre Seigneur porta sur le mont de la Passion.

  A015003478 

 Il est escrit de la femme forte, que tous ses gens ont double vestement; l'un, je pense, pour les festes, l'autre pour les jours ouvriers.

  A015003485 

 Vous pourres bien travailler dedans la mayson, aujourdhuy et demain, pourveu que personne ny entre d'estranger, sinon M. Grandis, M. Roget et la petite seur; et bien que quelqu'autre entrast, vous pourries neanmoins bien travailler en ces besoignes qui sont pour l'eglise..

  A015003486 

 Je ne pensois nullement escrire a Paris, mais puis que vous l'aves desiré, j'escris a Monseigneur de Bourges..

  A015003488 

 Mon Dieu, ma chere Fille, que je vous souhaite de perfections! et que de courage et d'esperance j'ay maintenant en cette souveraine Bonté et en sa sainte Mere, que nostre vie sera toute resserree en Dieu avec Jesus Christ, pour parler avec nostre saint Paul..

  A015003500 

 Certes, Bertelot n'avoit que faire de s'opposer a luy en la conduite des dames; car, comme vous sçaves, c'est un gentilhomme de si bon lieu, que, comme que ce soit, encor le faut-il respecter..

  A015003500 

 Chacun est scandalisé du grand pouvoir que les accusations seules ont: sil suffit d'accuser, qui sera innocent? Ceux qui connoissent M. de Servette, et je croy que Son Excellence le connoist, sçauront bien discerner de l'action d'hier.

  A015003501 

 L'importance est que l'office se face viste, car je m'asseure que ce matin, Berthelot despechera un homme, comme sachant bien que la plus grande force de sa ruse consiste en la diligence..

  A015003501 

 Pour moy, je voy tant de malice et de ruse en ses calomniateurs, et la voy si clairement, que je me sens obligé de parler et me semble que le silence seroit peché.

  A015003503 

 J'espere avoir le bien de vous saluer et redire que je suis,.

  A015003521 

 Outre le desir que j'ay de vous saluer, je me suis souvenu que j'avois oublié de vous supplier d'envoyer a Romme pour monsieur de Monthouz Guillet et sa femme; ce que neanmoins j'avoys promis de faire audit sieur de Monthouz, lequel reciproquement m'a promis de vous donner argent pour cet effect.

  A015003522 

 Je pass'outre, Monsieur, plein d'esperance que, nonobstant toute sorte d'oppositions, Nostre Seigneur nous donnera victoire.

  A015003541 

 Vives joyeuse, ma Mere vrayement toute bonne, en Nostre Seigneur, que je ne cesse point de supplier quil luy playse remplir de plus en plus nostre cœur unique de son tressaint et pur amour..

  A015003542 

 Je vous supplie de dire a M. Michel qu'il face l'aumosne aux Peres Capucins tout ainsy que si nous y [374] estions, et que si les Dames de Sainte Claire ont besoin de vin, mesme pour les malades, il leur en donne..

  A015003558 

 Hé, que bienheureux est le cœur qui ayme et cherit la volonté divine en toutes occurrences!.

  A015003559 

 Et puisque ce tems ne nous est donné que pour cela et que le monde ne se peuple que pour peupler le Ciel, quand nous allons la, nous faysons tout ce que nous avons a faire.

  A015003559 

 O si une fois nous avons nostre cœur bien engagé a cette sainte et bienheureuse eternité: Allés, ce dirons-nous a tous nos amis, allés, chers amis, allés en cet Estre eternel a l'heure que le Roy de l'eternité vous a marquee; nous y irons aussi apres vous.

  A015003561 

 Dieu nous face brusler de son saint amour et mespriser tout pour cela; Nostre Seigneur soit le repos de nostre cœur et de nos cors! Tous les jours j'apprens a ne point faire ma volonté et faire ce que je ne veux pas.

  A015003571 

 Au demeurant, Disdiere n'est pas assez clairvoyante pour juger dignement de mes actions et beaucoup moins [377] de mes intentions, et partant vous aves bien fait, et tous mes amis aussi, de ne point la croire quand elle vous a dit que je m'estois destournee de la vraye foy en un seul Christ, pour adhserer aux fables, traditions et inventions des hommes.

  A015003571 

 Il est vray que, par une speciale grace du Saint Esprit, je suis retournee dans le giron de la sainte Eglise Catholique, duquel, par ignorance et inconsideration, je m'estois separee.

  A015003572 

 Car j'ay treuvé qu'icy on ne respire que la foy en un seul Jesuschrist, on n'aspire et espere qu'en un seul Jesuschrist, on n'annonce que l'amour d'un seul Jesuschrist, qui est hautement et clairement reconneu pour vive et vivante source et unique fin de toutes louanges et benedictions.

  A015003572 

 Et en toutes choses, j'ay treuvé que la souveraine gloire deüe a ce souverain Sauveur estoit exactement preschée, inculquée, reconneue et conservée avec une tressainte et religieuse jalousie; chose, certes, comme vous sçaves, bien esloignee du tesmoignage que messieurs les ministres rendent contre les Catholiques..

  A015003572 

 J'ay treuvé que l'on n'establissoit son salut qu'en la Mort et Passion de Jesuschrist, et que l'on ny estimoit aucunes œuvres bonnes et meritoires qu'en la vertu et valeur qu'elles ont par le merite du sang de Jesuschrist.

  A015003572 

 Je confesse bien pourtant en bonne foy, que l'une des choses qui m'a le plus aydee a me fayre voir l'erreur auquel je vivoys, a esté la confession de foy que j'ay veu faire icy aux Chrestiens catholiques, mise en comparayson avec l'accusation qui s'en fait ordinayrement es sermons et conferences de messieurs les ministres.

  A015003572 

 Je ny ay point treuvé d'idoles, ains des [378] images de Jesuschrist, exterminateur des idoles, et des portraitz des Saintz, qui ont perdu la vie plustost que de souffrir les idoles.

  A015003573 

 C'est pourquoy, ayant treuvé une si grande sainteté de religion ou l'on m'avoit tant asseuré ny avoir que superstition, un si grand zele pour lhonneur de Jesuschrist ou l'on præsupposoit estre le seul regne de l'antichrist, une si droite pureté d'intention ou l'on m'avoit tant dit ni avoir que faintise, une si grande clarté de doctrine ou l'on m'avoit fait entendre ni avoir qu'illusion, j'ay esté grandement confuse en moymesme d'avoir si longuement accusé, par une vayne persuasion, une si chaste et innocente Susanne, et, comme la charité m'obligeoit, je me suis res-jouye d'avoir tant treuvé de bien ou j'avois pensé ne treuver que du mal.

  A015003573 

 Dont, comm'une pauvre petite brebiette esgaree qui retrouve en fin le trouppeau que par mesgarde ell'avoit laissé, je m'y suis librement, [379] volontairement et par franche election, remise et reunie, n'ayant pas voulu refuser au Saint Esprit l'exercice de sa grace en mon cœur, ni a la verité divine, l'hommage que mon entendement luy devoit; affin que les propheties, qui prædisent en tant d'endroitz le retour des ames a l'Eglise, fussent heureusement accomplies en moy et par moy, et qu'ayant esté une des estoiles errantes, desquelles parle saint Jude, en un ciel apparent et contrefait, je fusse meshuy un'estoile du vray firmament, qui est l'Eglise Catholique, en laquelle on ne connoist le grand dragon roux que pour le combattre et fouler aux pieds, ains escraser et exterminer par la force de la Parole de Dieu, pure, simple et entiere; Parole qui est la vraye espee et le vray bouclier des croyans, et a laquelle nul homme n'a touché pour en oster un seul mot, y adjouster un seul point, ou y broüiller le vray sens, que soudain il n'ayt esté repris, puis condamné par la mesme Esglise..

  A015003574 

 Comm'en effect, je ne m'espancherois pas mesme si avant a parler [380] de cette grace que j'ay receüe avec un'autre qu'avec vous qui m'aymes, et que je prie ne point communiquer la presente, pour ne me point rendre plus odieuse a ceux qui croyront que ce mien despart d'avec eux m'en rende digne, et lesquelz, non obstant cela, je ne laisseray neanmoins de cherir d'une vraye et sincere dilection, priant, etc..

  A015003574 

 Et si je pouvois aussi bien exprimer les raysons qui m'ont induite a ce desirable retour comme je les ay veüe (sic) clairement pour m'y resoudre, je croy que vous en series fort satisfaite.

  A015003574 

 Mais ce bon Dieu qui ne nous manque jamais es choses necessaires a nostre salut, m'a donné la lumiere requise pour le voir et l'embrasser, par ce que sans cela je me fusse perdue, et ne m'a pas donné le moyen de bien declairer ce que j'ay conneu et connois par cette lumiere, par ce que ce n'est pas a moy d'instruire ni enseigner.

  A015003574 

 Voyla ce que je vous puis dire de l'estat de mon ame qui sent une grande consolation en la misericorde de Dieu, si doucement exercee envers moy; et vous prie de croire qu'en cet heureux changement je n'ay jetté mes yeux que sur Jesuschrist crucifié et sur l'eternité glorieuse quil m'a acquise par son sang, au prix delaquelle j'estime toutes choses un vray rien.

  A015003585 

 Je ne respons encor pas aux articles quil vous a pleu me faire envoyer, par ce que je n'ay encor sceu retirer le double de la fondation de la Mayson de Thonon, qui estoit la principale piece que vous me commandiés de vous faire tenir.

  A015003587 

 Sil se pouvoit faire que Sa Sainteté envoyast la mission des Carmes reformés, delaquelle il a esté parlé, pour le balliage de Gex, ce seroit un grand bien, et le Roy l'auroit aggreable, comme monsieur le baron de Lux me l'a escrit..

  A015003618 

 J'en escris a ces Messieurs un mien billiet dans le pacquet, afin que, voyans l'intention de Sa Majesté, ils n'y apportent rien de contraire..

  A015003618 

 Je n'ay pu vous faire responce plutost a celle qu'il vous a pleu de m'escrire; j'attendoys d'y sçavoir les volontés du Roy qui a eu fort aggreable que vous mettiez au bailliage de Gex les Religieux Carmes reformez que Sa Sainteté vous doit envoyer.

  A015003618 

 Sa Majesté s'asseure que vous les choisirez tels, qu'elle en aura du contentement et les jugerés d'edification.

  A015003619 

 Il ne m'arrive contentement qui soit egal a celuy que je reçois de vous faire service qui vous soit aggreable: cela estant, je suis asseuré que cette action est receue avec plaisir devant Dieu.

  A015003632 

 Nous avons reçu la vostre par les mains du sieur present porteur, et pour response à icelle nous vous assurerons que nous monstrerons tousjours par effects l'affection et volonté que nous avons au service de Dieu pour son honneur et gloire, et mesmement au faict du restablissement de la sainte Messe audit lieu de Dyvonne.

  A015003633 

 N'entendant pas que la dite pension de trois cents florins et augmentation de quarante livres par cy apres, soient payez par nous lorsque le revenu de la cure sera reuny, comme il estoit anciennement..

  A015003633 

 Nous assurons que plusieurs curés n'en ont pas tant, et que la religion ne nous sauroit contraindre d'en donner davantage, d'autant que nous surpassons la portion congrue; et sommes mary ne pouvoir donner telle pension que celle de Cessy, selon qu'il est porté par la vostre, d'autant qu'il nous est impossible, [386] parce que le revenu n'est pas semblable, pour ce que ledit prieuré de Dyvonne est chargé de la troisiesme partie du revenu de pension annuelle au resignataire, par authorité du Saint-Siege, outre les pensions annuelles qu'il nous faut payer trois cent vingt livres, pour l'argent emprunté pour le remboursement du prix auquel on a esté condamné par arrest à Paris.

  A015003633 

 Quant à l'entretien du sieur Curé, outre ce que le ministre possedoit en domaine dependant de la cure et trois cents florins de pension qui estoyent par nos fermiers payez audit ministre, nous avons bien voulu nous charger et incommoder de luy augmenter l'entretien de quarante francs sur nostre revenu; qui fera une notable somme pour un homme d'eglise.

  A015003633 

 Vous assurons que la reunion du dit prieuré nous revient à plus de quatre mille ecus en frais, pour l'avoir retiré de la main des heretiques; à quoy l'on doit avoir consideration, mesme les reparations qu'il convient y faire presentement, tellement que nous ne tirerons rien du revenu dudit prieuré durant cinq ou six ans, joint que l'on nous menace des decimes pour ceste annee.

  A015003634 

 Et d'autant que le droit de presentation de ladite cure nous appartient, desirant neantmoins nous conformer à vostre volonté, nous vous supplierons accepter la presentation que nous vous ferons du mesme qu'il vous a plu choisir; ou, en tant que l'authorité vous ait esté donnee du Saint Siege pour la premiere fois, de choisir tel que bon vous semblera, et que cela soit, comme nous ont donné a entendre de vostre part nos confreres, nous vous supplions nous donner acte, tant pour celle de Dyvonne que pour celle de Cessy, que ce soit sans prejudice pour l'advenir.

  A015003634 

 Si non, nous vous supplions ne pas trouver mauvais si nous maintenons nos privileges, que nous croyons que vous nous conserverez; qui nous fera sur ce vous baiser tres humblement les mains, et prier Dieu de vous conserver et vous donner santé longue et heureuse vie, nous qui sommes,.

  A015003653 

 Il est vray, Monseigneur, je ne suis qu'un pecheur et le dernier de nostre Compaignie; mais Dieu me donnoit des mouvemens si vifs d'asseurer madame de Chantal que le Ciel luy vouloit donner l'eau de la Samaritaine par le canal de vos levres, que si les Anges fussent venus troupes a troupes pour m'en dissuader, je ne crois pas qu'ilz l'eussent peu faire, parce que l'impression estoit du Roy des Anges..

  A015003653 

 Vostre humilité, ma condition et mon humeur me defendent la flatterie et commandent la congratulation pour les biens que ma Mere, qui, de ses eaux salutaires, m'a engendré en vie eternelle, reçoit par vous.

  A015003654 

 Et m'a semblé, depuis que vostre naissante Congregation est commencee, que je l'ay veüe comme une Hierusalem nouvellement descendante du Ciel.

  A015003654 

 Oh! que je me suis ecrié de bon cœur: Benite soit la premiere pierre de cet edifice! Oh, qu'elle est polie! C'est un marbre bien taillé, marbre blanc, que le cœur de cette digne vefve, dont j'ay autrefois tant honoré les vertus et dont je venere maintenant la sainteté.

  A015003655 

 Certainement, [388] Nostre Seigneur a visité son peuple, et faut croire que la benediction de commencement s'estendra avec une amplification nombreuse: car, que manquoit il aux foibles, que cette mediocrité? que falloit il aux vefves, que cette douceur? que pouvoyent desirer les robustes et ferventes, que cette mortification? Vous avez, mon tres cher et digne Seigneur, dressé un temple de Salomon en ce siecle, voyla les trois estages: que reste il a ces ames bienheureuses destinees a l'habitation d'iceluy.

  A015003655 

 N'ay-je pas donc sujet de dire: Benite soit la pierre, beni soit l'ouvrier, et beni soit eternellement l'Architecte celeste qui, dans son idee eternelle, avoit fait le projet de cet edifice? Il me semble, Monseigneur, que cette Congregation manquoit encor a l'Eglise, et que Dieu vous ait suscité en nos jours pour l'eriger.

  A015003655 

 que d'entrer dans le Sancta Sanctorum de l'eternelle felicité?.

  A015003656 

 Il me reste de recourir a vous pour cet effect, car je crois que madame de Chantal ne me refusera pas cette grace, puisqu'elle sçait mes besoins, et de plus, que je suis.

  A015003669 

 Je m'en rejouis infiniment, me promettant que ce ne sera sans avoir l'honneur de vous voir en passant, ou bien à vostre maison de Vieu..

  A015003669 

 Je me condamnois neantmoins en ce que vostre bonté et courtoisie, joiend au soien quil vous plaist avoir de mon bien et salut, m'avoit prevenue, encore que la faute ne provenoit pas d'obliance ni moins de reconnoissance de mon devoir; car il y a plus de huict jours que j'avois dressé une lettre pour vous l'envoyer à la premiere comodité.

  A015003669 

 La reception de celle dont il vous a pleu m'honorer a apporté une telle joye et consolation en mon ame, qui me sembloit, la lisant, que je vous voioyt present.

  A015003669 

 Mais d'autant qu'elle contenoit quelque avis plains (sic) de difficulté et facherie ou je me suis trouvé reduicte, il m'a semblé qui me seroist plus seant de m'en taire pour le present, remettant à nostre premiere veüe à le vous dire de bouche; qui sera, comme j'oze esperer, bien tost, puis que nous approchons [389] de la feste qui vous donne subject de venir à Thonon.

  A015003670 

 Je me raffreschis aussi la memoire tous les jours des bonnes et salutaires instructions qui vous a pleu me despartir, en la lecture des beaux livres que je tiens cherement de vous, Monseigneur, ou je trouve le remede à tous mes maux.

  A015003685 

 Les petits chiens, [qui] aiment grandement leurs maistres et que leurs maistres aiment bien, ne laissent pas de les importuner [390] quelquefois de leurs griffes, mesme en leur tesmoignant qu'ils les aiment et en les caressant.

  A015003686 

 L'on dit que c'est la perfection de ce siecle; et, vous laissant a part pour pardonner a vostre modestie et contenter vostre humilité, le bon Pere de Saint Malachie me disoit l'autre jour, qu'il consideroit devant madame de Chantal et la voioit en esprit comme un soleil, et chacune de ses filles estait un rayon pour esclairer ce siecle..

  A015003686 

 Mais, Monseigneur, vous ne [me] pardonnerié jamais si je vous racontois les louanges que l'on donne a ce Pere et a ses Filles.

  A015003687 

 Dieu me rende digne de voir nos terres ensemencees de cette bonne semence, et je prie Dieu de luy donner l'arrousoir d'en haut, par les benedictions, et l'arrousoir d'en bas, par les bons accueils que cette Congregation merite recevoir par tout, quand ce ne seroit qu'a la consideration de son Fondateur et de la Fondatrice, que j'honore sans difficulté, selon le conseil de l'Apostre, comme l'autel sacré de Dieu..

  A015003687 

 Et moy, mon unique Seigneur, quand je considere vostre Congrégation devant Dieu, je la vois aussi haute en amour comme vous l'avez faite profonde en humilité, et j'espere que bientost la France, jalouse du bien de nos montagnes, voudra partager ce bonheur avec elles; j'espere, dis je, que comme les plaines sont plus propres a s'estendre que les monts et vallees, que dés que vous auré fait quelques Maisons en nos quartiers, ce sera jetter madame de Chantal comme un grain dans ces plaines, qui raportera au centuple.

  A015003701 

 Je vous prierey m'excuser si je vous importune de ces deux moctz pour vous prier representer, si vous voz (sic) treuvé en commodité, a messieurs de Chivron mes nepveuz, aux fins que, avec vostre assistance et du sieur de Villette nostre cousin, puissions faire noz partaiges sans aulcunes formallités de justice, ains par voye d'amytié, comme le debvoir nous oblige.

  A015003716 

 Ha! que ce vous est un heureux travail que de combatre et debatre contre les huguenots! (travail qui infalliblement vous acquerrera une couronne de gloire et ça bas et au Ciel.).

  A015003716 

 Le P. Irenée a eu raison de vous parler de l'affection que je vous porte, car dez la premiere veuë que j'eu de vostre Introduction, elle s'empara de mon ame et y va prennant racine si avant, que la seule mort la poura arracher.

  A015003716 

 Vostre Introduction, certes, a esté si bien receüe par deça, que l'impression s'en est multipliée a l'esgal, sans doubte, du fruict qui en a reussi.

  A015003717 

 Combien de fois ay je regretté la faulte de Geneve! Pleust a mon Dieu que je fusse condamné a vous restablir en vostre siege! Tout viel que je suis (aagé de 71 ans), je m'y achemineroy tres volontiers, deuse-je mourir (comme l'on dit) en la peine.

  A015003717 

 J'ay maintes fois souhaitté que ceste hydre n'eust qu'une teste (comme faisoit Neron du peuple Romain), pour la luy trancher tout d'un coup..

  A015003717 

 Nous ne sommes pas icy, par la grace de Dieu, oisifz, mais nous n'advançons pas tant que nous voudrions bien.

  A015003718 

 J'envoye a Vostre Seigneurie Reverendissime une de mes petites traductions, que je vous prie recevoir de pareille affection que je [393] la vous presente, priant Nostre Seigneur seconder voz bons desseings, vous asseurant que je demeureray toute ma vie,.

  A015003737 

 De quoy, du despuis, je n'ay heu de vous aucune resolution, quoique mon fermier aye sollicité lesditz curez, nottamment ceux (sic) de Gex qui l'a entretenu a parolles jusques a Noel dernier, et remettant l'affaire sur vous, puis que vous avon envoyé lesdittes coppies et memoires.

  A015003737 

 Il y a quelque temps que nous avez asseuré, monsieur de Gerlande et moy, par vostre reponce à celles que luy et moy vous avions escriptes, que me donneriez tout contentement pour le faict de mes biens de Crozet, pays de Gex, dans les limites de vostre evesché, desquels vous avez prins la possession sans qu'il vous appartienne; car de tout temps, ça esté un membre despandant de ma commanderie, fors des la prinse dudit pays par les seigneurs de Berne, qu'il a esté occuppé par ceux de la religion, ainsi que je [394] vous ay fait entendre par mes lettres et comme le sieur Girod, mon fermier, l'a fait voir sur lieux aux curez de Gex et Farges, qu'aviez a ces fins deputez, tant par mes derniers terriers, que ceux qui sont faiz des cent et quattre vingts ans en ça, desquels il leur a baillé les coppies pour les vous fere tenir des le moys d'octobre dernier; par ou il appert clairement, avec d'autres enseignements, que la chappelle de Crozet ne fust jamais cure ny parroisse, moings que lesdits biens en feussent depandants.

  A015003737 

 Tellement que, par le silence que m en a du despuis fait ledit Girod (auquel j'avois donné charge d'en suivre les poursuittes), a cause d'une maladie qui des lors l'a retenu au lit jusques a present, je croyois que luy en aviez relasché la possession..

  A015003738 

 C'est pourquoy je vous ay encor fait ceste, par laquelle je vous prie [395] mettre le tout en consideration; apres quoy je m'asseure qu'aurez pour agreable a me relascher amiablement lesditz biens, ensemble les fruicts tant de la presente que derniere annee.

  A015003738 

 De sorte que, comme il a pleu a Sa Majesté remettre les Catholiques en la possession de tous les biens ecclesiastiques dudit Gex et les choses au mesme estat qu'elles estoyent anciennement, afin que chacun jouy du sien paisiblement, je m'estois librement dispancé de luy accenser ceux dont il est question; dequoy il me demande de grands dhommages et interests, faute de l'en faire jouir.

  A015003738 

 Lhonneur et le respect que je vous porte me fait souhaiter de n'en venir par la voye que chacung recherche pour conserver le sien, que je seray contraint de suivre si, de vostre propre motif, vous ne vous rendez a la raison..

  A015003738 

 Mais je vois maintenant le contraire et que me detenez tousjours lesdits biens contre tous nos droits et privilleges; car jamais les Evesques n'ont heu a cognoistre sur ceux qui depandent de nostre Ordre.

  A015003739 

 Et quant a ce qui concerne le service que je doibs faire celebrer en laditte chappelle, je veux tousjours rendre mon debvoir et payer le prestre qui le voudra faire au jour de la fondation; mais d'y entretenir ung, je ne le puis, tant pour en estre dispencé, que a cause des grandes charges que je paye a ma Religion, joinct que le revenu n'est suffizant pour l'y entretenir.

  A015003739 

 L'asseurance donques que je prends que ne voudriez vous prevalloir de ce qui depand de nostre Ordre, ny le constituer en frais pour chose si juste, mais plustot qu'en desiriez l'accroissement, me fait croire que me donnerez tout contentement et que l'equité de vos proceddures ne refusera ce qu'avec justice nous pourroit avec toute raison facilement rendre..

  A015003770 

 Appres en avoir dict ung mot a Sa Majesté, comme l'on doibt, et dont je me prometz telle responce que vous sçauriez desirer, je menageray vers l'un des trois vostre contentement, et sy je ne suys assez fort, je manderay de vos amys..

  A015003770 

 J'en ay parlé a Madame la Princesse, quy est toute disposee de vous obliger en cela, mais je ne l'ay supplyee de rien, luy ayant seullement dict que je vous l'avoys conseillé et que vous y estiez resolu: sur quoy elle m'a dict qu'elle s'offroyt.

  A015003770 

 Je suis tres aise du desseing que vous avez pris de faire nourrir vostre filz en ceste court, a quoy je vous pourray servir, puis que Dieu a voullu que nous feussions esloignez l'un de l'autre.

  A015003770 

 L'on me faict croire que dans peu de jours la court sera a Montargis, ou je me prometz de donner bon commancement a l'affaire.

  A015003771 

 Je l'en ay suppliee a son partement, et monsieur du Demare aussy, auquel j'ay promis recognoissance, veoyant que l'affaire deppend de luy.

  A015003772 

 Je verray a son retour ce quil fera, m'ayant asseuré que ce sera sans plus de remise; mais je vous conseille d'agreer que monsieur Rousselet et moy luy promettions ce que nous adviserons: c'est le plus court chemin..

  A015003772 

 Monsieur Rousselet vous escripra comme j'ay representé audit sieur du Demare que vous estiez pressé d'une petite partye deue a monsieur de Mezieres, affin que sil estoyt possible, elle feut acquitee contant au retour de ma dite dame.

  A015003773 

 Il aura des auditeurs aultant que l'eglise en pourra tenir, quy est assez cappable.

  A015003773 

 J'avois cy devant escript a Monseigneur de Genefve le desir que messieurs de S t Benoist avoyent d'estre enseignez de luy le Karesme [398] prochain.

  A015003773 

 Mais ayant esté faict marguillier deppuis trois sepmaines et l'ayant accepté, voyant que tout d'une voix j'estois desiré, je suys dispensé d'escripre pour aultruy et obligé d'escripre pour S' Benoist, non seullement comme en ayant charge, mais encores pour la comodité de ceste petite maison ou j'espere que mondit Seigneur logera.

  A015003773 

 Que sil acceptoyt une aultre chaise et que l'on luy donnast le logement ordinaire des predicateurs, cela ne seroyt convenable a sa qualité; sy l'on luy en donnoyt ung plus grand, cela l'obligeroyt a quelque despence.

  A015003774 

 J'ay premierement pris ce chemin, a cause que je ne veoy une entiere intelligence de la Royne avec Son Altesse; sy elle n'est suffisante, quand j'auray la parolle de Monssieur de Genefve j'en feray escripre Leurs Majestés et le Saint Pere, sil en estoyt besoing.

  A015003774 

 Je luy en escriptz amplement, et luy envoye une lettre que Monsseigneur le Nunce residant en ceste ville, logé, comme vous sçavez, a l'hostel de Clugny, escript a Monsseigneur le Nunce de Thurin, auquel il mande que messieurs les parroissiens de S t Benoist, bien memoratifz du fruict des predications que Monsseigneur de Genevefve (sic) a faict aultrefoys en leur parroisse, d'ou il est maintenant, l'ont pryé luy escripre pour supplier Son Altesse d'avoir agreable que l'on prye Monsseigneur, pour le bien de la relligion, de prendre ceste peinne, et luy donner congé d'accepter la supplication que l'on luy en fera.

  A015003793 

 Il y a sept ans que l'on joua et representa quelques histoires a Sainct Mauris, tellement qu'a modelle de ce, l'on a faict dressé des eschaffaultz pour representer quelques histoires, ayanct esté faictes quelques despenses.

  A015003795 

 Pour l'affluence des personnes qui arriveront en ceste ville pendant le prochain Jubilé, que en cas de necessité, l'on recherchera quelques licts vers les plus aisés, pour loger ceux que seront representés par mondict Seigneur le Reverendissime; estant donné acte de la remonstrance faicte par messieurs les Scindics, de la volonté de monseigneur le Marquis de Lans continuant le faict de la garde.

  A015003801 

 Comme il plaict a Dieu de donner a chascun la commodité de son sauvement, il luy a pleu d'inspirer le tres sainct Siege Apostolique, plus de 200 ans, d'honnorer la Chappelle fondé (sic) en ceste cité d'Annessy, estant en l'eglise dressee soubz son nom, ou resident les Reverends Seigneurs doyen, secretain, chantre, chanoines, prebstres d'honneur de ladicte eglise, de plusieurs privileges et indulgences; et entre aultre d'ung Jubilé de sept en sept ans, lequel a esté continuellement, par le clergé, habitans de la dite cité, circonvoisins et estrangers, tres devotement celebré, ainsy que les livres et registres des archives de l'Hostel de ville ont delaissé par escript et enseigné..

  A015003802 

 Et partant, ce jourdhuy, affin que chascun se contint a son debvoir quant au peuple, suivant l'ordonnance de noble et spectable sieur Jean Flocard, docteur es droitz, noble Jean Crochet, noble Guilliaume Meclard, honnoré de ce tiltre de procureur au Siege presidiai du Conseil du duché de Genevois, et noble François Marvin, scindics et consulz de la cité d'Annessy, et des seigneurs leurs Conseillers: messire Janus de Sales, chevallier de la saincte Religion de Sainct Jean de Jerusalem, residant pour maintenant a Malte, lieutenant de noble sieur Louys de Sales son frere, seigneur dudict lieu de Sales et de Thorens, a deux heures apres midy, auroit faict assembler partie des enfans et habitans de la ville, au son de 4 tambours, accompagnés du fiffre; qui, assemblés a la place du College, les a faict marcher comme cy apres:.

  A015003804 

 Et ladicte compagnie finie par trois sargens, de quatre [qu'ils étaient,] d'aultant que le quatriesme estoit employé, par commandement du sieur scindic Marvin, sargent manent, a mettre en reng la compagnie..

  A015003807 

 Estant a noter que pendant que la trouppe passoit par devant la Porte Genotton, le penon d'icelle s'estoit mis en tout debvoir, s'estant assemblé avec l'enseigne deployee, portee par lé fils ayné de M r Jean Gabriel Compte; qui neanmoins a esté aulcunement altein en sa charge par M e Jean Greyfié, procureur au Conseil de Genevoys, et par M e Claude et François Greyfié ses freres, qui se sont mis en debvoir de luy arracher ladicte enseigne: s'estant tous les pennons esmeus tellement, que les ungs ont levé les armes contre les aultres, estant le tout reucy, par la grace de Dieu, que nul n'a esté offencé..

  A015003810 

 Et estant entonné l'hymne Veni Creator Spiritus, la procession a commencé, au rang que dessus, a marcher, mise neanmoins en reng par le M e des Ceremonies de M rs de Sainct Pierre, qui portoit un beau baston d'argent et marchoit en teste de la croix de Sainct Pierre.

  A015003810 

 Puis suivoit un enfant de cœur portant un cros (gros) benistier d'argent, deux aultres portans chascun un chandellier d'argent, la grand croix de Sainct Pierre [portée] par un prestre revestu d'une tunique de damas roge; et apres les serviteurs et musiciens habillés de leurs surplis, nos Seigneurs les chanoines, chascun par ordre; enfin les deux chantres que dessus, puis celluy de la croce, et [403] Monseigneur avec ses assistans, a costé le porte miltre.

  A015003812 

 En devant le dict sieur Doyen marchoit un seigneur chanoine, revestu d'une tunique de pareil estoffe que la chappe dudict sieur Doyen, portant ung grand turibule ou encensoir d'argent; puis les serviteurs de ladicte eglise, faisant la musique.

  A015003812 

 En tel ordre sont entrés dans l'eglise de Nostre Dame, qui estoit paree tres richement, ainsy que sera declairé cy apres.

  A015003812 

 Et ladicte procession arrivee sur le Pont de Nostre Dame (tout ledict Pont, et fort bien loing, bordé de soldats, comme aussy celuy de la Hasle, du pennon de la Procure, l'enseigne desployee, et au devant l'Hostel de ville le drappeau neuf et tantost benist porté par ledict sieur Falcaz), s'est trouvé a costé du bout du Pont, pres la petite maison de M e Jean Baptiste Garbillon, la croix de la venerable eglise de Nostre Dame, avec les Reverends sieurs François de Lornay, doyen, revestu d'une chappe de drap d'or frizé; le porte croix revestu d'une tunique drap d'or parsemé quelque peu de soye viollette, et precedoit le maistre bedeau avec son baston d'argent de ladicte eglise; puis deux enfans de cœur (chœur) revestus de tuniques de diverses couleurs, ainsy'que les aultres enfans d'icelle eglise, portans deux chandelliers d'argent.

  A015003837 

 Et apres que mondict Seigneur a heu en main le tres sainct Corps de Jesus Christ, les deux chantres de Nostre Dame ont commencé Pange lingua, qui a esté chanté en musique par le cœur (chœur) de ladicte eglise, et celluy de Messieurs de Sainct Pierre chante le second verset dudict hymne; et ainsy successivement les ung (sic) apres les aultres, jusque a la fin d'icelle.

  A015003837 

 Puis la procession a continué a marcher, sçavoir: les Peres Capucins et tout le reste du clergé, sauf Messieurs de Nostre Dame et de Sainct Pierre, contre l'hostel (autel) de Nostre Dame, au devant la trille de fer duquel s'estant reposés, Monseigneur le Reverendissime seroit allé prendre le tres sainct et tres auguste Sacrement, qui a esté remis par ledict sieur Doyen, qui continuellement, despuis l'arrivee a ladicte eglise, luy a assisté avec les aultres assistans que dessus.

  A015003838 

 Mais avant que descripre le reste, fault revenir au portai dressé devant le treillis de fer de la chappelle de Nostre Dame..

  A015003841 

 Oultre que ladicte chappelle, comme aussy tout le reste, estoit richement tapissee, sans seulement veoir cuing (coin), tant petit quil fut, qui ne fut couvert de tapisserie, et des plus belles, l'autel de ladicte chappelle estoit bien et devotement paré..

  A015003849 

 Et estoit dressé ung autel, auquel pour y arriver, falloit monter six degrés, ausquelz ne paroissoit aultre que de feullaiges dorés et argentés, enrichis de diverses couleurs; et a chasque bout desdicts degrés, ung cherubin; et au marchepied de l'aultel, de chasque costé, deux vases grands de mayolica (faïence) blanche, remplis de diverses fleurs, notamment de passefleurs de Rome, qui sont jaunes.

  A015003849 

 L'oratoire estant dressé au jubé de ladicte eglise pres du sainct Crucifix, en lieu fort eminent, dressé d'une merveilleuse façon, sans que ledict Crucifix fut veu; fort bien, de la Vierge et de sainct Jean, la teste seulement et les mains, qui sembloient adorer le tres auguste Sacrement.

  A015003850 

 Et a l'aultre estoit l'effigie du grand Prebstre Aaron, revestu de ses habitz sacerdotaux, portant le turibule ou encensoir es mains; serree au dernier (par derrière), de pareille tapisserie que l'aultre.

  A015003895 

 Et comme toutes les croix sont sorties de l'eglise, Messieurs de Nostre Dame sont pareillement sortis par le premier portai, avec leur croix et au mesme ordre que cy devant, et ont attendu aupres du Pont ladite procession qui passoit, saluans tout le clergé a mesure quil passoit, notamment Monseigneur le Reverendissime.

  A015003898 

 Encores que la nuict precedente l'eglise fut toute remplie de peuple advenue (sic) a la devotion, tant pour avoir plus de commodité de se confesser que pour adorer le tres sainct Sacrement, n'a resté pourtant que la musique, mays [a] faict sa function avec les orgues, violles, lutz, espinettes et aultres instrumens musicaulx..

  A015003899 

 Estant a noter que le jour d'hui, tandis que Monseigneur le Reverendissime estoit dans l'eglise de Nostre Dame, nonobstant que l'enseigne de la ville fut arborisee aux fenestres de l'Hostel de ville, ne laissat (sic) pourtant d'arriver le pennon de la Porte de la Perriere, avec l'enseigne desployee dudict cartier, [et ledit] pennon de se geter en garde soubz la conduicte de noble Pierre Marvin, capitaine [410] dudict cartier.

  A015003900 

 Et aux cinq heures ont esté commencees les Matines par monsieur le doyen François de Lornay, avec le reste de l'Office de tout ce jour la, estant tousjours l'eglise remplie de peuple qui tachoit de se confesser; dont, pour le peu de confesseurs, plusieurs s'en sont allés confesser et communier a leurs parroisses, d'aultant que mondict Seigneur le Reverendissime, par ordonnance quil feit attacher aux portes des eglises, n'en commit la charge des confesseurs sinon a quatre sieurs chanoines de Sainct Pierre et a trois sieurs chanoines de Nostre Dame qui ne pouvoient souffire; estans lesdits quatre de Sainct Pierre: Reverends seigneurs Estienne de la Combe, Claude Grandis, Philibert Rogex et Janus des Oches; et les aultres, Jean Loys Jacques, Thomas Peyssard et Roux des Oches..

  A015003900 

 Puis arrivee la minuyct, l'on a commencé de sonner les cloches grosses et petites, par ce que a la dite heure commençoit le Jubilé, et aux quatre heures semblablement.

  A015003901 

 Et es aultres actions de musique, estoient meslees les trompettes, qui estoient en nombre de sept; n'estant a oublier que soudain que le Jubilé fut ouvert, le chasteau ne manqua a rendre son debvoir et de tirer des pieces de canons a la louange de nostre Createur, jusques a 40 coups.

  A015003904 

 Ce qui a esté obmis, c'est que le cartier de Bœuf est entré en garde, [411] son enseigne desployee, portee par messire Humbert Falquet, conduict par noble Jean Jacques Demoliet, capitaine, et honnorable Petremand Jacquet, sergent, estans environ 250; dont arrivans devant l'Hostel de ville, a la salve qui a esté faict, a esté percer (sic) le drappeau d'ung coup de basle, et le cartier de la Perriere s'est retiré..

  A015003905 

 Et tous les cœurs des eglises assemblés en pareil ordre que celle cy devant, Monseigneur a prins le tres sainct Sacrement, puis marchand au mesme reng qu'a l'ouverture du Jubilé, la procession est partie par la grand allee de Nostre Dame, qui est allé (sic) vers le pré Chapuis, au coing Gouard; et puis revinrent a l'eglise, ou Monseigneur a remis le Sainct Sacrement au siboire de l'autel de Nostre Dame, et l'Ave Maria sonnee, la procession s'est retiree..

  A015003905 

 Le Dimanche continuant le divin service, et la splendeur et la devotion s'augmentant, a esté continué la fin de l'histoire de Joseph que fut commencer (sic) hier seulement (n'ayant esté commencé le vendredy, comme cy dessus est dict, ains hier seulement).

  A015003919 

 A la verité, s'il m'est permis de parler avec vous sans offenser personne, je ne sçay qui peut avoir conseillé S. A. S. de mander deux Ambassadeurs extraordinaires avec moy, pour demander une simple responce sur les poursuittes et propositions que j'ay desja faict cy devant a sept ou huict assemblees et dietes, suivant les commandements de S. A. S. Pour moy, j'estime sçavoir cette negociation mieux que mon Pater; s'il eut pleu a S. A. Sme de me laisser suivre mes dessins, possible luy aurois-je apporté quelque contentement.

  A015003919 

 Je donne a S. A. S. quelques nouvelles que j'ay entendu des nostre retour de Bade, là où nous avons esté et n'avons rien faict, encoures que nous avons esté trois Ambassadeurs, si non despendre beaucoup d'argent.

  A015003919 

 Je suis bien asseuré qu'il y a deux personnages parmi le monde qui voudroient bien que je fusse ailleurs qu'en ce pais: je m'expliqueray un jour avec vous plus amplement..

  A015003919 

 Vous priant d'asseurer S. A. S. sur ma parolle, que je suis autant praticque des affaires de Suisse, autant aymé et cognu, que tel qui a demeuré en ce pais les cinq et six ans, au rapport que le seigneur Auditteur Valdengue en fera, s'il veut dire la verité.

  A015003920 

 Je me remettray de cela et de toutte chose en ce monde aus commandemens que m'en fera tous-jours S. A. S. mon Seigneur..

  A015003920 

 Si ce feut esté pour une conference, ou bien une [413] assemblee pour disputer les droits de S. A. S., cela estoit bien, car trois sçavent plus que non pas un.


16-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XVI-Vol.6-Lettres.html
  A016000016 

 D'où venait l'empêchement pour le Saint d'aller prêcher à Paris; égards que lui témoigne le duc de Savoie.

  A016000032 

 Oraison funèbre de la première des filles du Saint, qui alla voir au Ciel ce que Dieu préparait aux autres. 31.

  A016000041 

 Une messagère qui vaut mieux que la meilleure lettre.

  A016000042 

 Requête du Saint en faveur de ses frères et de MM. de Charmoisy et du Noyret; Dieu exige que le Duc leur rende justice. 37.

  A016000044 

 — Pourquoi le Saint ne voulait pas d'abord et voulut ensuite que la Mère de Chantal fût «abeille». 39.

  A016000049 

 Ce que le Saint voulait éviter en retardant l'oblation de la Sœur Humbert.

  A016000058 

 — Les «pauvres gens» servis comme frères et membres de Jésus-Christ, plus heureux que le «pauvre pere.» — Espérance qui consolait celui-ci de ne voir pas à son gré ses filles de la Visitation. 53.

  A016000061 

 Rien n'est mauvais de ce que l'Eglise ordonne.

  A016000071 

 — Que faire contre la violence, quand il n'y a remède.

  A016000077 

 Ce que souhaite le Saint et ce qui lui est indifférent; son humilité et sa modération.

  A016000077 

 — Que faire quand on s'oppose aux fautes. 71.

  A016000090 

 — Ce qui est plus efficace contre le mal que le ressentiment. 82.

  A016000101 

 — Reconnaissance du Saint pour un service que lui a rendu M gr Gribaldi.

  A016000114 

 Etre toute sainte: ce que renferme ce bref souhait.

  A016000132 

 — Propriétés de l'eau vive que l'on puise en Notre-Seigneur par la sainte oraison; erreur et malheur des familles religieuses qui ne s'appliquent pas à cet exercice.

  A016000132 

 — Un ignorant qui en sait plus que beaucoup de savants.

  A016000141 

 M me des Gouffiers aspirante à la Visitation; accueil que lui préparent le Fondateur et les Religieuses.

  A016000150 

 — Déférence que méritent les Carmélites.

  A016000158 

 — Pourquoi le Traitté de l'Amour de Dieu pourrait avoir moins de succès que l' Introduction à la Vie devote. 147.

  A016000177 

 — Que faire quand l'ennemi nous détourne de la sainte dévotion; le péril de quitter l'oraison. 161.

  A016000190 

 Une chère ville que le Saint serait content de revoir.

  A016000217 

 Aucune distance ne peut éloigner les cœurs que Dieu unit.

  A016000218 

 — Que faire pour permettre à Dieu de parachever son œuvre dans les âmes. 194.

  A016000267 

 Je n'attens plus que d'avoir une bonn'audience d'elle, selon qu'elle me la promit a Trein, et une autre de Monseigneur de Nemours: et puis, me voyla de rechef a cheval pour retourner en ma pauvre petite coquille, qui m'est plus chere que tous les palais des grans Princes, desquelz les caressent ( sic ) m'obligent extremement, sans m'engager nullement..

  A016000268 

 J'espere pourtant que ce sera bien tost, non jamais tant que je desire.

  A016000268 

 Je vous escriray dans deux ou troys jours par M. de Vallon, et a tous mes amis, sinon que je fusse si heureux de pouvoir estre despeché pour aller moy mesme; mays ce tems de guerre ne me fait pas faveur pour cela.

  A016000290 

 Que je voudrais obéir à la lettre aux commandements de Votre Majesté Impériale, en assistant à la diète qu'elle publie maintenant, [3] et en consacrant mon industrie, selon mes moyens et mon travail, à ses très honorables entreprises! Que je voudrais aussi rendre en présence mes hommages à la très auguste personne du très invincible Empereur! Mais, du fait de la rébellion des hérétiques genevois, cette chaire épiscopale se voit absolument dépouillée, par une très grande perfidie, de tout moyen d'assistance humaine: de là, pour moi, l'impossibilité de faire le bien que je veux..

  A016000302 

 Et moy, ma chere Fille, je vous escris encor plus courtement pour responce a vostre lettre du 5 de ce mois, tant pour mille petites affaires et visites que je reçoy, que pour la ferme esperance que j'ay de vous voir bien tost, resolu, Dieu aydant, de partir d'icy samedi ou Dimanche prochain, pour estre a Neci au jour de la sainte Pentecoste, puisque je n'arreste plus que pour l'affaire de ces pauvres bannis; car, quant [5] aux despeches, je laisseray le bon M. de Blonay qui, de bon cœur, demeurera pour les solliciter.

  A016000303 

 Je vous ay des-ja fait sçavoir que nous aurons madame la Duchesse de Mantoue, qui est la vertu mesme, pour nostre protectrice; mays il ne faut pas encor en faire du bruit, pour une rayson que je vous diray.

  A016000305 

 Je salue fort ma chere fille madame de Thorens, et M lle de Rabutin, qui est aussi ma fille; comme encor toutes celles qui sont autour de vous, que vous sçavés m'estre pretieuses plus qu'il ne se peut dire.

  A016000306 

 C'est luy qui sçait ce qu'il luy plaist que nous soyons, en la tres parfaite union qu'il a faite en luy mesme et par luy mesme.

  A016000319 

 De sorte, Monsieur, que je vous supplie de ne plus vous amuser a moy en façon quelcomque, puisque je suis si impuissant a vous rendre le service que je vous dois.

  A016000319 

 Je receu a Thurin vostre lettre du 30 mars, avec une extreme confusion d'y voir le remerciment que vous me faites de ma perseverance au desir de servir vostre parroisse le Caresme prochain; puisque ma volonté, [7] ma perseverance, mon esperance demeurent frustrees et inutiles, Son Altesse ne m'ayant pas voulu accorder que je sorte d'icy pour les praedications, avec des paroles tant honnorables que rien plus, mais nullement favorables a mon intention.

  A016000320 

 Je vous diray ce mot en la confiance que j'ay de vostre prudence: M. Troüillouz, qui sert Son Altesse es affaires de France, dit a Thurin, sur le propos de la recherche qui a esté faite ci devant de me faire aller a Paris: C'est Charmoysi et le sieur des Hayes qui ont ce dessein, nul autre n'y eut pensé qu'eux.

  A016000320 

 Jusques a quand sera ce que l'on vivra ainsy? Hors cette particularité, que vostre seule consideration me faysoit avoir plus a cœur qu'autre chose quelcomque de celles que j'avois a traitter, Son Altesse m'a [8] comblé de tesmoignages d'estime et de faveur autant que l'action de la guerre en laquelle je le treuvay le pouvoit permettre..

  A016000320 

 Pour Dieu, Monsieur, croyes bien, je vous supplie, que mon cœur est totalement dedié au vostre, et mes desirs a vos affections, et que si je sçavois faire mieux pour faire reuscir vos intentions, je le ferois.

  A016000321 

 Et sil m'eut adverti, je luy eusse rendu ce livret mille fois plus vendable, par la correction et amendement que j'y eusse fait.

  A016000321 

 Hors le tiltre et l'obmission de l'Advant Propos, sans lequel ce livre semble un songe, je n'en serois pas si fasché, bien que tous-jours ce seroit un'incivilité commise en mon endroit.

  A016000321 

 Rien ne m'est plus a contre cœur que l'ambition des tiltres:.

  A016000323 

 «Fait le portail plus grand que toute la mayson.» [9].

  A016000324 

 Passé cela, si jamais je metz la main a la plume, ce sera pour Paris, a vostre gré; mays certes, je ne sçai ce que je pourray jamais faire..

  A016000325 

 J'escris a madame de Charmoysi, qui vous fera sçavoir ce qui en est et l'advis que je luy donne, puisque je suis pressé de finir..

  A016000344 

 Ce n'est, Madame ma Mere, que pour vous ramentevoir l'humble et veritable affection filiale que j'ay dediee et que vous aves acquise en moy pour vostre service.

  A016000344 

 Faites moy lhonneur, je vous supplie, de me continuer aussi au rang que vous m'aves donné en vostre bienveuillance, delaquelle je suis extremement jaloux et ambitieux, comme d'un bien que je ne merite pas et que neanmoins m'est assigné..

  A016000345 

 Au demeurant, Madame ma chere Mere, il faut bien que je me res-jouisse avec vous de la consolation que vous aves de vous voir assistee et accompaignee d'une nouvelle bonne et bellefille, et que je vous conjure de luy [11] ordonner qu'elle me reçoive en sa bonne grace, comme un de vos enfans plus humbles qui est, outre cela,.

  A016000359 

 Demain, Dieu [12] aydant, ma tres chere Mere m'en dira de mesme et que je soys le bien venu; ce qu'attendant, je la salue tres humblement de tout mon cœur, et toutes nos cheres Seurs aussi..

  A016000359 

 Et me voyci donq au pres de ma tres chere Mere, moy mesme sans autre, avec tesmoignage de tous ceux qui me voyent que je me porte fort bien.

  A016000378 

 Il est mieux, ma tres chere Fille, que vous luy escrivies, puisque le reste s'est passé avec vous.

  A016000378 

 Je voudrois bien que monsieur de Beaumont en fut, par ce quil rangeroit plus puissamment l'esprit de la partie.

  A016000378 

 Toutefois, si l'assemblee est de telle qualité qu'elle puisse suffire, il ni aura pas grand hazard, puisque mesme ce [14] n'est que pour prendre un compromis.

  A016000379 

 J'ay bien esté content de voir ces bonnes damoyselles ce matin, et particulierement M me de Gouffier, que je voy toute telle que vous m'aves dit..

  A016000379 

 Vous sçaves bien que je suis vostre.

  A016000389 

 Croyes, je vous supplie, que je ne suis pas si ingrat et nonchalant que d'avoir oublié ce devoir-la.

  A016000389 

 J'ay esté estonné quand j'ay sceu que vous n'avies pas receu le remerciment que je vous avois fait, pour l'honneur qu'il vous pleut me departir en m'escrivant.

  A016000389 

 Mays puisque cette action de grace ne vous est pas arrivee, je la refay maintenant de tout mon cœur, vous asseurant que c'est avec un grand surcroist de l'estime que j'avois de vostre bienveüillance, par la description plus particuliere que Madame de Baume m'a fait des qualités et conditions de vostre esprit, que j'ay treuvé extremement aymable, priant Dieu qu'il luy playse les affermir et accroistre de plus en plus.

  A016000390 

 Faites que cette aube croisse jusqu'au plein midy du saint amour celeste, et que vostre printems fleury se convertisse en une automne fructueuse..

  A016000390 

 Que reste-il, ma chere Dame, sinon qu'il playse a cette souveraine Bonté de vous tenir de sa main, affin que vous puissies dire avec le mesme Roy: Jusqu'à ma viellesse et decrepitude, Seigneur Dieu, ne me delayssés point.

  A016000391 

 Pour moy, je me res-jouy infiniment avec vous de quoy l'Espoux sacré a touché les entrailles de vostre ame et vous a fait odorer le parfum de ses attraitz, et ne puys m'empescher de vous dire que vous couries apres luy, et que vous couries de sorte que vous le puyssies attaindre.

  A016000391 

 Vous estes bien heureuse d'avoir un mary si chrestien comme est celuy que Dieu vous a donné en sa debonnaireté, car le joug du Sauveur, qui est en soy si doux et suave, le devient encor davantage quand deux le portent ensemblement..

  A016000403 

 Ce me sera tous-jours une grande consolation de sçavoir que vous et vostre Congregation profites au service de nostre commun Maistre, et si j'estois digne de contribuer a vostre advancement, personne du monde ne s'y employeroit plus volontier que moy..

  A016000404 

 Or, pour le regard de l'advis que vous me demandes, je vous diray sans hesiter, que vous ne deves [18] nullement vous obliger a la closture; vostre Institut ne tend pas a cela.

  A016000405 

 Voyla mon advis, que je vous escris sans loysir, vous suppliant de m'aymer tous-jours en Nostre Seigneur et me recommander perpetuellement a sa misericorde..

  A016000410 

 Que je suis consolé, ma tres chere Mere, de la bonne nouvelle de vostre santé! Le grand Dieu, que ma pauvre [19] ame et la vostre veut a jamais servir, soit beni et loué, et veuille de plus en plus fortifier cette chere santé que nous avons dediee a sa sainteté infinie..

  A016000411 

 Certes, j'ay esté bien marry ce matin, qu'il m'ayt fallu quitter ma besoigne sur le point qu'il m'estoit arrivé une certaine affluence du sentiment que nous aurons pour la veuë de Dieu en Paradis, car je devois escrire cela en nostre livret; mays maintenant je ne l'ay plus.

  A016000411 

 Mais ce pendant, nostre cher cœur comme se porte-il en vous? Helas, ma tres chere Mere, que je luy desire de benedictions! Quand sera-ce que l'amour, triomphant entre toutes nos affections et pensees, nous rendra tous unis au cœur souverain de nostre Sauveur, auquel le nostre aspire incessamment? Ouy, ma tres chere Mere, il y aspire incessamment, quoy que insensiblement pour la pluspart du tems.

  A016000412 

 La grande fille va par un chemin fort asseuré, pourveu que son aspreté ne la descourage.

  A016000413 

 Helas! ma tres chere Mere, que la vanité fait de tort a ces chetifz petitz espritz, qui ne se connoissent pas et se mettent entre les hazars! Mais pourtant, comme vous sçavés, en bien remonstrant, il faut user d'amour et de douceur; car les advertissemens font meilleure operation comme cela, et autrement on pourroit detraquer ces cœurs un peu foibles.

  A016000413 

 Or bien, Dieu inspirera a nostre cœur ce qu'il dira pour ce regard, comme je l'en supplie, et de m'inspirer aussi ce que je prescheray ce soir..

  A016000413 

 Seulement, je ne sçai comme vous pourres dire que vous sçaves la dissension.

  A016000413 

 Voyés ce billet qu'on m'a envoyé [20] ce matin; et parce que je n'ay point veu cette pauvre creature, et que peut estre vous la verrés devant moy, j'ay pensé que je ferois bien de vous l'envoyer.

  A016000423 

 Despuis, je ne l'ay point veuë, sinon a son despart pour Belley, qu'elle vint ceans, mais en une occurrence qui m'empescha de luy pouvoir parler a souhait parce que j'estois plein de gens..

  A016000424 

 Et pleust a Dieu que cette pauvre femme fust demeuree dans les resolutions qu'elle avoit prises a la Visitation! elle eust esté bien heureuse et de bonne odeur a tous les bons.

  A016000424 

 Il faut, quand ce ne seroit que pour une heure, empescher le mal du prochain.

  A016000424 

 Le monde a tort de prendre a contrepoil l'office de charité que les Dames de la Visitation ont cuidé faire en son endroit.

  A016000424 

 cecy affin que vous sçachies respondre doucement a ceux qui murmurent..

  A016000425 

 Je n'escris pas a M me la Generale, mais puis [22] qu'elle se confie en vous, vous luy dires que cette creature s'en est allee a Belley, et espere qu'elle ne reviendra plus que pour amasser ses hardes et se retirer du tout..

  A016000440 

 Je supplie donques tres humblement Vostre Grandeur, Monseigneur, de m'exaucer pour l'un et pour l'autre, et de recevoir la multitude des plaintes que, par artifice, pourront estre faites contre tous ses sujetz de cette ville, sans praejudice des defences et legitimes allegations des accusés.

  A016000457 

 La jeune damoyselle de Lion desire encor de me [25] parler, ainsy que M. Michel m'a dit.

  A016000468 

 La verité est que je ne croy nullement que monsieur le Grand de France pense a nous attaquer pour le present, puysque Son Altesse est en suspension d'armes et en projet d'accommodement, joint que tout le bord du Rosne a esté jusques a present exempt de soldatesque.

  A016000468 

 Vous estes absolument dame de tout ce qui est en mon pouvoir; tout ce que vous m'envoyerés sera retiré et gardé soigneusement.

  A016000469 

 Nous nous attendons au bien de vous voir, en ces noces, desquelles la presence de monsieur vostre mari [27] et celle de nostre seur et la vostre seront la meilleure consolation que je puiss' avoir..

  A016000470 

 Neanmoins je demeure ferme et tiens asseuré ce qu'on m'a promis, esperant que l'ordre estant arrivé, l'ennuy de l'attente sera effacé..

  A016000487 

 Hé, Dieu nous face la grace que, tirans tous-jours plus du costé de nostre vespre, nous croissions devant Dieu en odeur de suavité.

  A016000499 

 Le bonhomme monsieur du Noyeret a quelque opinion, et moy aussi, que Vostre Grandeur n'ayt pas receu la lettre de sousmission moyennant laquelle elle m'avoit gratifié de le vouloir eslargir, et ses enfans, puisqu'il n'a point encor la jouissance de cette faveur; c'est pourquoy il a derechef escrit la ci jointe, laquelle, en son nom, je presente a Vostre Grandeur, avec tres humble supplication que je vous fay, Monseigneur, de l'exaucer et moy aussi..

  A016000500 

 Ces gentilshommes bourguignons pour lesquelz je fis encor pareille demande a Vostre Grandeur, attendent aussi les effectz de la bonne volonté qu'elle me tesmoigna pour leur regard, et meritent d'autant plus de les recevoir, qu'ilz ne les desirent que pour la jalousie qu'ilz ont de pouvoir sans contradiction porter par tout le nom de tres humbles serviteurs de Vostre Grandeur, puisque [30] soudain qu'ilz auront sa faveur, ilz se retireront en leurs pais, sinon que quelque digne service de Son Altesse ou de Vostre Grandeur les retint; auquel cas, ilz tesmoigneroyent bien le tort qu'on a eu de les accuser de manquement de respect et d'honneur envers elle, a laquelle ilz font speciale profession de tres humble affection, et sont de telle qualité et condition qu'ilz sont dignes d'estre estimés..

  A016000501 

 Et quant aux artifices par lesquelz, aforce deseplaindre, on voudroit faire treuver mauvaise l'intercession que j'ay faite pour tant de gens, je ne les crains nullement; car je sçai que Vostre Grandeur ne se laissera point surprendre par telles ruses, et moyennant cela, je suis trop asseuré de luy faire tous-jours paroistre la sincerité et equité de mes remonstrances et supplications.

  A016000501 

 Et tandis, je persevere a souhaiter que Dieu comble de prosperité.

  A016000519 

 Je vous remercie de la part qu'il vous plait me faire de vos nouvelles, que je mesnageray tous-jours le plus [31] discrettement que je pourray.

  A016000519 

 Vous aures les primices du vin grec de Monpelier, lesquelles, puysque j'avois destinees a monsieur le Marquis de Lans, nostre gouverneur general, se rencontreront a propos entre vos mains pour luy estre donnees, bien que je ne me veuille pas pour cela exempter de luy envoyer les secondes traittes, desquelles aussi, peut estre, reciproquement vous fera-il part..

  A016000521 

 A ce propos, on m'a dit que le sieur Bertelot avoit fait faire des grandes plaintes contre mon frere le chevalier a Son Excellence, mays il se treuvera que c'est a tort et pour des frivoleries: comme de ne le saluer pas, non plus qu'il n'est pas salué de luy, et semblables choses indifferentes et dont les plaintes peuvent estre reciproques, quoy que non egales en l'inegalité des personnes.

  A016000521 

 Or, j'attens tous les jours l'ordre de sa liberté que Monseigneur de Nemours m'a promis; c'est pourquoy je ne luy envoye point jusques a ce que je l'aye.

  A016000538 

 Ce n'est que pour vous remercier bien simplement que je vous escris ce billet, me sentant extremement obligé dequoy vous aggrees si fort mes lettres et l'affection que je porte a vostre ame, a laquelle en verité je souhaite toute sainte consolation et perfection..

  A016000540 

 Dieu la rende si brave et si bonne que vous en ayes le contentement que vous en deves esperer..

  A016000540 

 La petite chere filleule, comme je pense, a quelque ressentiment secret de l'amour que je luy ay, puisqu'elle [33] me cherit si fort.

  A016000551 

 Je luy conferay ses derniers Sacremens, mais je n'eus pas la consolation de la voir expirer; et certes, c'eust esté avec suavité que j'eusse receu les derniers souspirs de cette premiere de mes filles qui est allee voir au Ciel ce que Dieu reserve et prepare aux autres..

  A016000552 

 Je vous prie de prier pour elle, encor que je croy qu'elle prie pour nous.

  A016000560 

 Je prie Nostre Seigneur, qui est l'Aigneau que nostre grand saint Jean nous monstra, qu'il vous reveste toute de la tres sainte laine de ses merites, ma tres chere [35] Mere, ma Fille.

  A016000570 

 Ce m'a esté une lettre bien douce que celle que vous m'aves envoyee pour tesmoignage du contentement que vous avés de mon retour; car bien que je ne puisse jamais douter de vostre sainte amitié, si est ce que ces petites marques me sont aggreables.

  A016000570 

 Maintenant que vous estes, comme vous [36] dites, en solitude, je vous prie, ayes bien reciproquement souvenance de moy, affin quil plaise a Nostre Seigneur me donner les effectz des vertus desquelles il m'a donné le desir..

  A016000570 

 Vous aves tous-jours esté en ma memoire, mais sur tout es lieux pieux que j'ay visité.

  A016000571 

 Je receu il y a trois jours une lettre de la petite cousine, qui a rencontré autant de bonheur dela, que son mari de rigueur par deça.

  A016000587 

 Que je suis marri de ne pouvoir estre tesmoin des caresses quil recevra d'une mere insensible a tout ce qui est de l'amour naturel, car je croy que ce seront des caresses terriblement mortifiees.

  A016000589 

 Je me contenteray de ne cesser point de vous cherir autant comme ma fille, que vous le cherires comme vostre filz; et si, je vous desfie de faire mieux que moy ce mestier..

  A016000597 

 La commodité d'une si digne porteuse m'a donné le courage de vous presenter des reliques que j'ay aportees de Milan, du grand saint Charles Borrhomee, saint qui a vescu en ce mesm'aage auquel nous sommes, mais a la façon de ces anciens Evesques sous lesquels l'Eglise a tant fleuri.

  A016000598 

 Ainsy, pour mille grandes obligations que j'ay, je veux continuer toute ma vie a reclamer la grace et Bonté caeleste sur vous, Madame, et demeurer invariablement,.

  A016000611 

 Autant que je puis connoistre, il m'est advis que vous pouves et deves venir, puysque monsieur d'Avise continue en sa parole et la damoyselle en la correspondance de son amour.

  A016000611 

 Ell'est a la Thuille, ou nostre Jaques la va treuver, sinon que par fortune elle vint aujourdhui icy, ou ell'a envie de venir voir la ville avec madame de la Thuille et sa seur, sous praetexte neanmoins de voir la Visitation.

  A016000613 

 Je pense que quand plus tost la chose s'achevera, tout en ira mieux..

  A016000629 

 J'ay receu le livret ainsy que vous l'avés donné a cette bonne fille; je vous le rendray fort fidelement de la mesme sorte, car, nous en sommes fort resoulus, il ny a rien de reservé en nous que nous ne voulions estre pour sa divine Majesté..

  A016000631 

 Je n'ay pas eu loysir de voir nostre Visitation despuis vous, parce que M. d'Abondance ne fait que de partir tout maintenant, lequel a logé ceans..

  A016000632 

 Je vous envoye encor des devotions de saint Charles; [42] les reliques sont de l'epoque que je vous dis.

  A016000643 

 Ce porteur est un des plus doux, sinceres et purs espritz que j'aye rencontré il y a long tems; son affection au service de Dieu et de l'Eglise est grande.

  A016000643 

 Je l'accompaigne de ma supplication envers vous, affin qu'il [43] vous playse le recevoir avec cette charité qui vous a consacré au service de Dieu des vostre jeunesse et que je prie Dieu ne vous abandonner jamais..

  A016000655 

 Vous m'eussies consolé, en passant a Chamberi, de me dire des nouvelles et particularités de la Congregation que j'affectionne et de laquelle la naissance me donne mille contentemens.

  A016000667 

 Ce billet n'est que pour vous advertir que nostre bonne seur de Chantal est la meilleure et plus grande lettre que je vous puisse envoyer, car elle vous peut dire toutes choses et parler de mon cœur envers vous comme du sien mesme.

  A016000667 

 Elle me rapportera dedans le sien tout ce [45] que vous luy confierés.

  A016000667 

 Je vous prie aussi de luy bien confier, car il y a si long tems que je ne voy rien de vostre cœur, que le mien en est mortifié..

  A016000668 

 Croyés bien cette chere seur, sur tout quand elle vous asseurera que je suis plus parfaitement vostre que chose du monde, car je le suis en verité.

  A016000680 

 C'estoit une faveur, mais si juste et raysonnable, que je ne puis croire que chose du monde me puisse priver du contentement que j'en praetens, ni ceux pour lesquelz je l'obtins, des fruitz que je leur en ay fait esperer..

  A016000681 

 Dieu, tout bon, tout juste et tout doux, exige par ses loix cette grace, cette justice, cette douceur de Vostre Grandeur, de laquelle il a voulu que je fusse,.

  A016000694 

 Comme je vous donnay connoissance de ce petit voyage de Gex, aussi veux-je donner advis a Vostre [47] Excellence de mon retour, et qu'hier, environ les trois heures que j'en partis, je laissay le baillif de Nion et quelques autres Bernois qui vindrent prier monsieur le Grand de France de faire revenir ses trouppes, attendu qu'ilz estoyent asseurés que vous, Monsieur, ne desarmies point et que les trouppes piemontoises et espagnoles passoyent les mons. A quoy monsieur le Grand respondit quil les remercioit de l'advertissement, mays qu'avant que rien remuer, il attendroit M. d'Amanzé, quil avoit envoyé par deça aupres de Vostre Excellence, pour apprendre ce qui est du desarmement.

  A016000695 

 Au reste, il est impossible que ceux qui ont veu lhonneur et le respect que ce seigneur porte au nom de Son Altesse s'en puisse ( sic ) taire.

  A016000701 

 Monsieur, et quant au sujet de mon voyage, nos ecclesiastiques et catholiques sont demeurés consolés par l'accommodement que nous avons fait de toutes les difficultés suscitees par nos adversaires, graces a Dieu..

  A016000711 

 Vous verres bien que, parmi tant de destours, nous ferons prou et que Nostre Seigneur nous conduira par les desertz a sa sainte terre de promission, et que de tems en tems il nous donnera dequoy priser les desertz plus que les fertiles campaignes, dans lesquelles les blés croissent en leurs saisons, mais la manne pourtant n'y tombe pas..

  A016000712 

 Mais despuis, je changeay de souhait et dis: Ah! ouy, je le veux bien que ma Mere soit abeille, mesme quand elle sera en travail spirituel; car ce petit animal n'a point d'autre remede de soy mesme en ses maladies, que de s'exposer au soleil et attendre de la chaleur et de la guerison de sa lumiere.

  A016000712 

 Mon Dieu, ma tres chere Mere, quand vous m'escrivistes que vous esties une pauvre abeille, je pensay que je ne le voudrois pas tandis que vos secheresses et afflictions interieures durent; car ce petit animal, qui en santé est si diligent et pressant, perd le cœur et demeure sans rien faire tout aussi tost qu'il est malade.

  A016000712 

 O Dieu, ma Fille, mettons nous ainsy devant nostre Soleil crucifié, et puis disons luy: O beau Soleil des cœurs, vous vivifiés tout par les rayons de vostre bonté; nous voyci mi mortz devant vous, d'ou nous ne bougerons point que vostre chaleur ne nous avive, Seigneur Jesus..

  A016000713 

 Appuyés vostre esprit sur la pierre qui estoit representee par celle que Jacob avoit sous sa teste quand il vit sa belle eschelle, car c'est celle la mesme sur laquelle saint Jean l'Evangeliste se reposa au jour de l'exces de la charité de son Maistre Jesus.

  A016000721 

 Il y a environ un moys seulement que je receu la lettre qu'il vous pleust de m'escrire le second du moys de julliet; despuis, j'ay tous-jours esté ou en voyage ou malade, et n'ay sceu vous rendre la response que vous desiriés, ou, pour mieux dire, la response que vous ne desiriés pas, si j'ay bien sceu connoistre l'inclination en laquelle vous esties lhors que vous me fistes la faveur de m'escrire..

  A016000722 

 Maintenant, vous pouves penser si je puis bien satisfaire a vostre demande, puysqu'a la foiblesse ordinaire de mon esprit, l'extraordinaire de mon cors, accablé des lassitudes que la fievre m'a laissees, apporte un nouveau [51] surcroist d'imbecillite.

  A016000722 

 Mays un si bon entendeur comme vous estes, verra asses mon intention, quoy que mal estallee..

  A016000732 

 Donc, s'exciter à mieux remplir sa tâche, puisqu'il vous semble ne l'avoir pas fait exactement jusqu'à ce jour, c'est bien mieux que de l'abandonner tout à fait.

  A016000732 

 Et voici pourquoi: tandis [52] que l'on dépense du temps à se défaire du fardeau, c'est à peine, c'est à grand peine si l'on prend assez de sollicitude pour le soutenir.

  A016000732 

 Le soldat qui décampe tout tremblant, trouve sans doute le repos, mais pas autant de sécurité que celui qui combat..

  A016000732 

 Oui, lever les yeux vers les montagnes, d'où nous viendra le secours, espérer dans le Seigneur et nous glorifier volontiers dans nos infirmités pour que la vertu du Christ habite en nous, c'est bien mieux que de retourner en arrière au jour du combat, comme les enfants d'Ephrem.

  A016000732 

 Si la pensée ou le désir de quitter l'épiscopat ne constitue aucune faute, dans le sens que je viens de dire, un tel projet, la plupart du temps, n'est pas sans une grave tentation et, très fréquemment, le démon y a sa part.

  A016000733 

 Il me semble entendre le Christ dire: Simon, fils de Jean, ou Pierre-Jean, m'aimes-tu? et Pierre-Jean répondre: Vous savez que je vous aime.

  A016000733 

 Il n'y a point de meilleure preuve d'amour que de vous acquitter de ce ministère..

  A016000735 

 Au demeurant, une jeune fille de Chamberi s'estant laissee porter trop avant en l'amour d'un jeun' homme de vostre ville, et se desfiant que les pere et mere d'iceluy n'apportent quelque difficulte au mariage necessaire pour couvrir son honneur et pour accomplir les mutuelles promesses sous lesquelles elle proteste d'avoir encouru le hazard de sa reputation, elle m'a fait prier d'interceder vers vous, Monseigneur, affin qu'il vous playse d'employer vostre charite vers lesditz pere et mere du jeune homme, pour les disposer a consentir a un' honnorable conclusion de l'amour d'iceluy et d'elle; attendu mesmes qu'ell' est d'une parentee fort recommandable, fille de la seur de monsieur Boursier, ancien secretaire d'Estat de Son Altesse.

  A016000735 

 Ce gentilhomme, son cousin germain, vous desduira mieux que je ne vous sçaurois escrire ses intentions, lesquelles estant bonnes et raysonnables a [54] mon advis, je ne fay nulle difficulte de vous supplier de rechef de les avoir en recommandation, et moy sur tout en vos saintz Sacrifices, puysque je suis plus que nul homme du monde,.

  A016000740 

 Helas! Monseigneur, on m'advertit que le grand ancien Archevesque de Vienne est trespasse: De medio terræ sublatus est justus, justus vivat et requiescat, et pro illo alius superveniat..

  A016000741 

 Je me res-joüis de la reciproque consolation que vous et monsieur le Grand aures euë en vostre entreveuë..

  A016000749 

 Parmi les lassitudes et autres ressentimens que la maladie m'a laysse, j'ay dresse le Memorial qu'il vous [55] avoit pleu desirer de moy, et ay voulu y adjouster un abbrege, affin qu'il vous fust plus commode en vos confessions de le porter et voir, le grand vous demeurant comme en reserve pour y avoir recours en vos difficultes et en tirer l'esclarcissement de ce qui se treuveroit obscur en l'abbrege.

  A016000750 

 Beni soit Dieu eternellement de la bonte qu'il exerce envers vostre ame, Monsieur, l'inspirant si puissamment a la resolution de consacrer le reste de vostre vie mortelle au service de l'eternelle: vie eternelle qui n'est autre chose que la Divinite mesme, entant qu'elle vivifiera nos espritz de sa gloire et felicite; vie, seule vraye vie et pour laquelle seule nous devons vivre en ce monde, puisque toute vie qui n'aboutit pas a la vitale eternite est plustost une mort qu'une vie.

  A016000751 

 C'est pourquoy, en la simplicite de mon ame, je vous conjure, Monsieur, d'estre fort attentif pour bien conserver ce que vous aves, affin que vous ne perdies point vostre couronne.

  A016000752 

 En suite duquel il faut que je vous supplie de rechef, Monsieur, de prattiquer diligemment les exercices que je marque es chapitres X, XI, XII et XIII de la seconde Partie de l' Introduction, pour le mattin et le soir, pour la retraitte spirituelle et pour les aspirations en Dieu.

  A016000752 

 La bonté de vostre esprit, le courage noble que Dieu vous a donné, vous serviront grandement a cette prattique-la, laquelle vous sera d'autant plus aysee qu'il n'est besoin d'y employer que des momens desrobbés, ains retirés justement, en diverses occasions, ça et la, sur les autres affaires.

  A016000753 

 Et cela, Monsieur, se pourroit bravement faire sans bruit, sans interest des affaires et sans que le monde eust rien a dire.

  A016000753 

 L'experience m'a fait toucher, en vingt et cinq ans qu'il y a que je sers les ames, la toute puissante [57] vertu de ce divin Sacrement pour fortifier les cœurs au bien, les exempter du mal, les consoler, et en un mot les diviniser en ce monde, pourveu qu'il soit hanté avec la foy, la pureté et la devotion convenables..

  A016000753 

 Oh! si vous pouviés doucement decevoir vostre chere ame, Monsieur, et en lieu que vous aves entrepris de communier tous les moys un an durant (mais un an de douze moys), quand vous auries achevé le douziesme vous y adjoustassiés le treiziesme, puis le quatorziesme, puis le quinziesme, et que vous allassiés ainsy poursuivant de moys en moys, quel bonheur a vostre cœur, qui, a mesure qu'il recevroit plus souvent son Sauveur, se convertiroit aussi plus parfaitement en luy.

  A016000754 

 Mais c'est asses dit, Monsieur; l'influence celeste, vostre bon Ange et vostre generosité suppleeront a ce que mon insuffisance ne me permet pas de vous proposer.

  A016000765 

 Non, ma tres chere Fille, je ne suis plus en peyne de l'accident d'avant hier, car j'espere que vous en voyla [58] quitte pour ce coup, moyennant la grace de Nostre Seigneur, a la sainte providence duquel je remetz ma tres unique fille comme moymesme.

  A016000766 

 Je prie la Vierge Marie qu'elle vous tienne en la protection de sa pitoyable maternite, et vostre bon Ange et le mien, quil ( sic ) soyent vos conducteurs, affin que vous arrivies en prosperite entre les accueilz de ce pauvre tres unique pere et de vos cheres filles, qui tous vous attendrons ( sic ) avec mille souhaitz, et particulierement moy qui vous suis en Nostre Seigneur ne plus ne moins que vous mesme..

  A016000766 

 Je veux bien que vous venies demain, si vous vous treuves asses forte, et croyes que si vous aves envie de me voir, je n'en ay pas moins de vous regarder.

  A016000766 

 Mays donques, disnes de bonn'heure, plustost a neuf qu'a dix, affin que vous puissies vous reposer quattr'heures avant que.monter a cheval.

  A016000777 

 Vous aures, Dieu aydant, tout ce que je pourray, pour le tems que vous me marqués, [60] et demeureray plein [du] desir de vous tesmoigner que c'est de tout mon cœur que je suis,.

  A016000782 

 La lettre que j'escrivis l'autre jour a madame ma Cousine fut laissee sur la table..

  A016000791 

 La lettre est arrivee asses tost, car je n'envoyeray les miennes que demain, n'ayant sceu gaigner de les faire hier ni ce mattin.

  A016000791 

 Mays on pourra indirectement differer, sur ce que sa dote et les autres choses requises ne sont pas encor prestes, et on pourra les retarder par divers moyens; et pendant ce retardement, on taschera de donner ayde a son esprit pour le mieux disposer.

  A016000791 

 Mon sentiment a moy est que si on retarde l'oblation de ma Seur Humbert directement, on la mettra au hazard d'un grand decouragement, et ses [61] parens d'un grand murmurement, car ilz croiront que c'est parce qu'ilz donnent chichement la dote de cette fille.

  A016000792 

 Je m'en vay confesser un homme estranger, dire la Messe, desjeuner et monter le plus tost que je pourray a Sainte Catherine, pour revenir de bonn'heure..

  A016000793 

 Bon jour, ma tres chere Mere, que je cheris toute comme moymesme, es entrailles de Nostre Seigneur..

  A016000800 

 Il y a un mois, ma tres chere Seur, que je fus saysi d'une fievre, laquelle m'a presque tous-jours occupé [62] jusques a present, et tandis, j'ay receu trois de vos lettres par diverses voyes.

  A016000800 

 Or c'est la verité, que je n'entens pas si asseurement ce que vous me dites, que je n'aye quelque sorte de doute de me tromper; neanmoins il m'est advis que je vous entens suffisamment pour vous respondre..

  A016000800 

 Sur tout, il y en a une qui m'a esté d'extreme consolation, y voyant les marques de la parfaite confiance que vous aves en moy, par la communication des accidens et troubles de vostre chere ame.

  A016000801 

 C'est pour nous apprendre deux leçons signalees: l'une, que nous nous devons tous-jours desfier de nous mesme, cheminer en une sainte crainte, requerir continuellement les secours du Ciel, vivre en humble devotion; l'autre, que nos ennemis peuvent estre repoussés, mais non pas tués.

  A016000801 

 Voyés-vous, ma tres chere Seur, il arrive maintes fois que pensans estre entierement desfaitz des ennemis anciens sur lesquelz nous avons jadis remporté la victoire, nous les voyons venir d'un autre costé dont nous les attendions le moins.

  A016000802 

 Certes, aussi seroit-ce chose digne d'estonnement que nous ne fussions pas sujetz aux attaques et miseres..

  A016000802 

 Mais avec cela, ma tres chere Seur, il ne faut nullement que vous vous descouragies, ains qu'avec une paisible vaillance vous prenies le loysir et le soin de guerir vostre chere ame du mal qu'elle pourroit avoir receu par ces [63] attaques, vous humiliant profondement devant Nostre Seigneur et ne vous estonnant nullement de vostre misere.

  A016000803 

 Saint Pierre marchoit fort asseuré sur les ondes: le vent s'esleve et les vagues semblent l'engloutir; alhors il s'escrie: Ah, Seigneur, sauvés-moy! et Nostre Seigneur l'empoignant: Homme de peu de foy, luy dit-il, pourquoy doutes-tu? C'est emmi les troubles de nos passions, les vens et les orages des tentations, que nous reclamons le Sauveur, car il ne permet que nous soyons agités que pour nous provoquer a l'invoquer plus ardamment..

  A016000804 

 Et de vostre costé, faites aussi tout ce que vous pourres, par renouvellement de resolutions, par la lecture des livres propres a cette guerison et autres moyens convenables; et ainsy faysant, vous gaigneres beaucoup en vostre perte et demeureres plus saine par vostre maladie..

  A016000805 

 Que si quelquefois le livre vous manque, faites vostre orayson dessus quelque mystere fertile, comme sont ceux de la Mort et Passion, le premier qui se presentera a vostre esprit..

  A016000805 

 Reparés ce defaut par les frequens eslancemens de vostre cœur en Dieu, lisés souvent et peu a la fois quelque livre bien spirituel, faites des bonnes pensees en vous promenant, priés peu et souvent, offrés vos langueurs et lassitudes a Nostre Seigneur crucifié; et quand vous seres delivree, reprenés tout bellement vostre train et assujettissés-vous a suivre les matieres de quelque livre propre a cela, affin que [64] venant l'heure de l'orayson, vous ne demeuries pas esperduë comme celuy qui a l'heure du disner n'a rien de prest.

  A016000813 

 Ce porteur est trop fidele pour le laisser partir sans que je luy donne ces quatre motz qui vous asseureront, sil vous plait, de la continuelle souvenance que j'ay de mon devoir filial envers une si bonne mere comme vous m'estes.

  A016000813 

 Que fusse je autant utile a vostre service comme je suis dedié a vostr' honneur! Au moins n'oublie-je pas de vous souhaiter souvent la paix et consolation celeste pour le bonheur de vostre vie, que Dieu face longue, au milieu de ces chers enfans et des enfans de vos enfans quil vous fait voir..

  A016000829 

 Je vay encor un peu traisnant, et ne suis pas si parfaitement remis que je ne porte les marques du mal passé; je le suis toutesfois assez pour faire mes exercices ordinaires..

  A016000829 

 Qu'eussies-vous fait de plus, sçachant le mal que j'avois? car, comme je voy, vous pries tous-jours Nostre Seigneur-pour moy, qui reciproquement ne manque jamais a vous faire part des chetifves oraysons et de la tressainte Messe que je celebre.

  A016000830 

 Je ne vous dis pas que vous aymies ce que vous deves aymer, car je sçai que vous le faites; mais je vous dis que vous soyes esgale, patiente et douce.

  A016000830 

 Tenés ferme, ma chere Fille, entreprenés d'estre parfaitement, le plus que vous pourres, servante de Dieu, selon les advis du livre; car ce sera bien suffisamment pour attirer plus de perfection encor que je n'en ay pas sceu enseigner.

  A016000831 

 Que si vous n'aves pas bien correspondu jusques a present, il y a bon remede, car il faut bien correspondre d'ores-en-avant.

  A016000832 

 Je sçai bien que de faire mal de guet a pens vous ne le voules pas; les autres maux ne servent qu'a nous humilier.

  A016000832 

 Ne craignés donq plus, et ne soyés plus a picoter sur vostre chere conscience; car vous sçaves trop bien qu'apres vos diligences, il ne vous reste plus rien a faire autour de luy, qu'a reclamer son amour, qui ne desire de vous que le vostre..

  A016000833 

 Je fay incessamment mille souhaitz de benediction sur vous; et sur tout, que vous soyes humble, douce et toute succree, et que vous facies proffit de vos peynes, les acceptant amoureusement pour l'amour de Celuy qui, pour l'amour de vous, en a tant souffert..

  A016000843 

 Et moy je suis, Monsieur, en un continuel tracas que la [69] varieté des affaires de ce diocese me produit incessamment, sans que j'aye un seul jour auquel je puisse voir mes pauvres livres, que j'ay tant aymés quelquefois et que je n'ose plus aymer maintenant, de crainte que le divorce auquel je suis tombé contre eux ne me fust plus aspre et ennuyeux..

  A016000843 

 Je regrette que vous et monsieur de N. soyes a Paris pour un si fascheux exercice; mais puisqu'il n'y a remede, il faut en adoucir la peyne par la patience.

  A016000844 

 Nous avons bien un petit quartier ou, despuis peu, on a restabli l'exercice de l'Eglise par l'authorité du Roy et selon l'edit de Nantes; mais cet exercice me met plus en exercice de disputer contre les ministres pour les biens temporelz de l'Eglise qu'ilz nous retenoyent, que de leur persuader, ni au peuple, la verité des biens spirituelz auxquelz ilz devroyent aspirer; car c'est merveille comme ces serpens bouchent leurs oreilles pour n'ouÿr point la voix du charmeur, pour sagement et saintement qu'on les veuille charmer.

  A016000845 

 C'est bien asses, Monsieur, vous avoir entretenu pour ce renouvellement de nostre commerce, que je veux, Dieu [70] aydant, continuer, et ne point cesser de vous ramentevoir souvent que je suis invariablement,.

  A016000857 

 A quoy m'assurant vous appourteres tout' aide et faveur, je me remetz pour le reste a ce qui vous sera representé par le sieur Surveillant, auquel j'ay envoyé l'ordre que je desire estre tenu..

  A016000857 

 Voyant l'extreme indigence que les Dames de Sainte Claire de cette ville ont d'estre secourues promptement pour empecher une totale ruyne des bastimens de leur monastere, ce qui ne se peut faire qu'avec une grande somme de deniers, laquelle ne peut estre tiree d'une seule bourse, j'ay advisé de faire inviter, tant les gens d'Eglise que les peuples, de contribuer a cett' intention, un chacun selon ses facultés et devotion, quelqu'aumosne [71] et liberalité.

  A016000880 

 C'est pourquoy je ne fais point de difficulté de vous supplier de rendre messieurs vos freres favorables a ce gentilhomme que j'affectionne beaucoup [74] et pour ses qualités et pour le proche parentage que j'ay avec luy..

  A016000880 

 Mays monsieur de Monfort Mionnaz, mon proche parent, me vient conjurer d'interceder vers vous, sachant lhonneur que j'ay en vostre bienveuillance, affin quil vous playse le favoriser de vostre recommandation en un mauvais proces quil a a Vienne, ou il sçait que monsieur vostre frere a du pouvoir.

  A016000881 

 J'escris ainsy vistement, et vous asseure que je ne veux ceder a personne en la fidelité que je vous ay dediee, en qualité,.

  A016000899 

 Or sus, ma tres chere Fille, ne faites pas tant la discrette, sous pretexte du respect que vous me voules porter, que vous ne m'escrivies tous-jours quand vostre cœur le treuvera bon; car je vous asseure que le mien le treuvera tous-jours encor meilleur.

  A016000909 

 Vous me rendries certes trop aymable le mal de cette jambe, ma tres chere Fille bienaymee, si a l'occasion d'iceluy vous me venies voir et que vous me traittassies.

  A016000910 

 Ainsy, demeurés en paix, ma tres chere Fille, jusques a ce que demain, s'il se peut, je porte cette mauvaise jambe en vostre parloir; car je ne nie point que les yeux de ma tres aymee Mere et l'ordonnance de ma tres bonne et brave fille ne luy soyent salutaires.

  A016000910 

 Mays, ma tres chere Fille, comme vous sçaves, cela [76] ne doit pas estre ainsy, car encor que l'innocence de ces cœurs de pere et de fille n'ayent pas besoin en leur candeur de tant de retenue, si est ce qu'il faut souffrir celle que l'aigreur des autres cœurs requiert, et que le pauvre pere, tout pauvre pere qu'il est, demeure sans estre visité par ses filles, voire par sa tres chere Mere, sinon qu'il ayt quelque mal qui puisse, par sa grandeur, meriter ce grand bien.

  A016000911 

 Un jour nous nous verrons tous ensemble en cette eternelle liberté de l'amour qui n'aura plus de bornes ni de fin, ni d'autres limites que celles de son immensité..

  A016000920 

 Mon Dieu, que cette vie est trompeuse, Madame ma tres chere Cousine, et que ses consolations sont courtes! Elles paroissent en un moment, et un autre moment les emporte, et, n'estoit la sainte eternité a laquelle toutes nos journees aboutissent, nous aurions rayson de blasmer nostre condition humaine..

  A016000921 

 Ma tres chere Cousine, sachés que je vous escris le cœur plein de desplaysir pour la perte que j'ay faite, mais plus encor pour l'imagination vive que j'ay du coup [78] que le vostre recevra, quand il entendra les tristes nouvelles de vostre viduité si prompte, si inopinee, si lamentable! Que si la multitude de ceux qui auront part a vostre regret vous en pouvoit diminuer l'amertume, vous en auries tantost bien peu de reste; car nul n'a conneu ce brave chevalier decedé, qui ne contribue une particuliere douleur a la reconnoissance de ses merites..

  A016000922 

 Ce fut Dieu, ma tres chere Cousine, qui vous donna ce mari, c'est luy qui l'a repris et retiré a soy; il est obligé de vous estre propice es afflictions que les justes affections, lesquelles il vous avoit eslargies pour vostre mariage, vous causeront meshui en cette privation..

  A016000922 

 Mais, ma tres chere Cousine, tout cela ne vous peut point soulager qu'apres le passage de vostre plus fort sentiment, pendant lequel il faut que ce soit Dieu qui soustienne vostre esprit et qui luy soit refuge et support.

  A016000923 

 C'est en somme tout ce que je vous puis dire.

  A016000923 

 Nostre nature est ainsy faite, que nous mourons a l'heure impourveuë et ne sçaurions eschapper cette condition: c'est pourquoy il faut y prendre patience, et employer nostre rayson pour adoucir le mal que nous ne pouvons eviter; puis, regarder Dieu et son eternité, en laquelle toutes nos pertes seront reparees et nostre societé, desunie par la mort, sera restauree..

  A016000924 

 J'en supplieray sa divine Majesté, et contribueray au repos de l'ame du cher trespassé plusieurs saintz Sacrifices; et a vostre service, ma tres chere Cousine, je vous fay tres sincerement offre de tout ce qui est a mon pouvoir, sans aucune reserve, car je suis et veux encor plus puissamment que jamais, faire profession d'estre,.

  A016000936 

 C'est la verité que je suis consolé de sçavoir comme cette pauvre nouvelle vefve se comporte vertueusement; car voyes vous, par ce que je fus l'officier en leur mariage, il m'est advis que sa viduité m'est plus a cœur et que je suis plus obligé de la servir et luy souhaiter du bien.

  A016000936 

 Helas, que ce monde est bigearre! on se marie d'un costé et de l'autre on regrette la perte d'un mari!.

  A016000936 

 Ma santé se va tous les jours plus affermissant, ma tres chere Fille, mais je me treuve grandement affoibli des jambes, et plus que je ne pensois.

  A016000939 

 Ma tres chere Fille, je suis plus incomparablement que vous ne sçauries croire, parfaitement tout vostre..

  A016000952 

 Ayant sceu que vous prenes quelque sorte de scandale dequoy l'on vous donne l'ablution dans un verre apres [81] que vous aves communié, et parce que l'on conduit les espoux et espouses devant l'autel pour celebrer le Mariage, je vous ay voulu faire ces deux motz pour vous exhorter de ne point vous faire ce tort a vous mesmes que de croire que ce que l'Eglise nostre mere ordonne puisse estre mauvais ou inutile..

  A016000953 

 En sorte que ce qui se boit apres la Communion par le peuple, ce n'est pas le sang du Sauveur, mais seulement du vin qui se prend pour laver la bouche et faire plus entierement avaler le precieux cors et sang des-ja receu en la tressainte Communion.

  A016000953 

 Or, elle ordonne que les lays reçoivent la Communion es especes du pain seulement, esquelles ilz participent neanmoins parfaittement au cors et sang de Nostre Seigneur, tout autant comme s'ilz le recevoyent encor sous l'espece du vin, puisque ce mesme Sauveur a dit: Qui me mange, il vivra pour moy; et: Qui mange ce pain, il vivra eternellement.

  A016000953 

 Que si par ci devant il a esté autrement fait, ç'a esté par abus et par la nonchalance et paresse des officiers de l'Eglise, et contre l'intention de l'Eglise mesme..

  A016000954 

 Et quant au Mariage, il n'est pas raysonnable de le celebrer ailleurs que devant l'autel, puisque c'est un Sacrement si grand, et que ceux qui le reçoivent ne sont pas hors de l'Eglise, comme les petitz enfans qu'on apporte au Baptesme, ains sont des-ja baptizés et, par consequent, introduitz en l'Eglise et a l'autel..

  A016000955 

 Laissés vous donq conduire, mes Amis et Freres, comme bonnes brebis, a ceux qui, sous mon authorité et celle du Saint Siege Apostolique, vous ont esté donnés pour [82] pasteurs; et Dieu vous benira, ainsy que je l'en prie, estant de tout mon cœur,.

  A016000965 

 Je ne sçai, ma tres chere Mere, si monsieur le premier President a traitté avec vous pour toute la somme que monsieur de Duzonche devoit, car je ne m'en resouviens pas; et neanmoins on me le demande de Foucigni, certains qui doivent traitter avec ledit sieur de Duzonche et a qui il importe..

  A016000974 

 Elle ne favorisera jamais homme qui vive avec plus de fidelité et d'affection a son service que moy, qui espere et attens de voir encor bien tost l'acces a cette ville ouvert a ces deux gentilzhommes; car la bonté et equité de Vostre Grandeur, Monseigneur, pressera et sollicitera son cœur a le faire, sans qu'aucune autre entremise y soit necessaire..

  A016000991 

 Le pauvre Chapitre de l'eglise cathedrale de Geneve a demeuré, il y a tantost un siecle, en cette ville de Neci sans y avoir ni mayson ni eglise que de louage.

  A016000991 

 Mays, Monseigneur, avant toutes choses, le bon playsir de Vostre Altesse est requis, lequel ledit Chapitre la supplie tres humblement de luy ouctroyer, comm'un'aumosne a des pauvres bannis et dejettés de leur siege par les ennemis de Dieu et de Vostre Altesse Serenissime; laquelle, certes, pour cela ne les rendra pas riches, puisque ledit prieuré n'est que de cent ducatons de revenu, mais elle les accommodera beaucoup, ce benefice estant en cette ville et [86] fort a la bienseance de cette compaignie qui ne cessera jamais, non plus que moy, de souspirer et aspirer devant la divine Majesté jusques a ce que, sous les auspices de Vostre Altesse, elle retourne en son ancien sejour..

  A016001006 

 La grande connoissance que j'ay de la sincere et tres fidele affection que toute la mayson de Matignien, et particulierement le sieur d'Alemoigne, a pour le service et obeissance de Vostre Altesse Serenissime, me fait entreprendre de la supplier tres humblement de gratifier [87] ledit sieur d'Alemoigne de l'accueil qu'ell' a accoustumé de faire a ses plus asseurés serviteurs.

  A016001020 

 J'estois a Belley quand M. de Blonnay passa en cette ville, et a mon retour je treuvay la lettre quil vous [88] pleut m'escrire le 18 du moys passé, par laquelle vous me renvoyes au recit quil me fera pour certaines particularités, en l'ignorance desquelles je demeureray jusques a son retour de Chablaix, mais avec bonne patience, puisque ce que je dois desirer le plus de sçavoir m'est si amplement tesmoigné par vostre escrit: c'est que vous vives en santé, et moy en vostre bienveuillance, laquelle mesme s'estend a faire des pensees si honnorables pour mes freres, comme est celle que vous me signifies, quoy que couvertement, et que ledit sieur de Blonnay a plus ouvertement fait entendre a mon frere de Thorens, quil gratifia de sa visite en son passage..

  A016001021 

 Et bien que l'insuffisance et la petite mediocrité des moyens de mes freres leur empesche la reception du bien et de lhonneur que vous leur desires, si est ce que la proposition seule né leur peut estre que fort desirable, car elle donnera, pour le moins, quelque commencement de bonn'impression d'eux au Prince; et eux, donques, et moy vous sommes extremement obligés, Monsieur, par cette nouvelle obligation qui nous rend tous-jours plus vos serviteurs..

  A016001021 

 Monsieur, que vous puis-je dire sur cela? sinon que, puisque le bon genie de vostre naturel vous pousse a nous aymer tant sans merite, je le prie de continuer.

  A016001022 

 Allés donq, Monsieur, en bon voyage, et revenés bien tost, avec le [89] contentement que Son Altesse mesme espere de vostre travail et industrie en un tant important service..

  A016001022 

 Au demeurant, quoy que cette nouvelle legation que Son Altesse vous impose ayt beaucoup de charges, ell'a aussi beaucoup d'honneurs; entre lesquelz celuy la, d'estre envoyé comme reparateur des desordres et manquemens qui sont survenus en son service, me semble fort grand et digne qu'il vous soit deferé.

  A016001024 

 Il ne se peut dire combien Monsieur l'Evesque de Belley fait estat de vostre amitié, ainsy quil m'a souvent repeté pendant dix jours entiers que j'ay esté avec luy.

  A016001042 

 Je ne treuveray neanmoins pas mauvays, ains bon, que vous luy parlies selon que Dieu vous le suggerera..

  A016001042 

 Nous sommes un peu embarassé maintenant; c'est pourquoy je vous diray courtement que si le bon M. le Prieur de Blonnay se pouvoit laisser conduire, il seroit a propos d'entreprendre ce que vous m'escrivés.

  A016001042 

 Or, tout ce qui l'endommage, est que son esprit est si fertile en pensees et projetz, quil ne se peut contenter.

  A016001043 

 Je l'ay veue ce matin, ayant esté leur aumosnier; mais il y avoit huit jours que je ne l'avois veue, pour la multitude des affaires.

  A016001043 

 La bonne M me de Chantal ne sçait pas que je vous escrive, car elle vous escriroit sans doute, ayant un'ame toute particuliere en vostre endroit.

  A016001043 

 On a envoyé prendre les Constitutions de Lion, ou on projette d'en eriger une, et de Paris, pour voir si on en pourra desseigner un'autre; car il vous faut dire telles nouvelles, comm'aussi que j'ay esté deux fois a Bons, ou il s'est fait un peu de bien, mais je ne sçai ce quil aura produit du despuis.

  A016001057 

 L'esperance que j'avois d'aller a Sales me faisoit concevoir celle de vous voir.

  A016001057 

 Que si j'eusse creu ne le vous donner moy mesme en main, il y a long tems que je vous l'eusse addressé..

  A016001058 

 Je n'oublie pas de parler a mes freres de vostre desir, mais mon frere de Villaroget, qui doit adjuster l'affaire, est tous-jours long en toutes choses; je presseray neanmoins, affin que vous ayes le cœur content.

  A016001071 

 Cette seur ne s'en ira pas sans vous porter ce petit bon soir que je vous donne, ma tres chere Fille, avec tout mon cœur qui est tout vostre.

  A016001071 

 Comme que ce soit, ma vrayement tres chere Fille, je vous souhaite mille et mille consolations celestes, et suis infiniment vostre, et.

  A016001071 

 J'espere bien pourtant de vous escrire encor avant vostre passage pour Chablaix, et si vous revenes par ou mes freres ont discouru ce matin, je pense que nous vous reverrons ou peu ou prou.

  A016001083 

 Et moy je voudrois bien porter tous-jours vos peynes et travaux, ou au moins vous ayder a les supporter; mais puisque la distance de nos sejours ne permet pas que je vous secoure d'autre sorte, je prie Nostre Seigneur quil soit le protecteur de vostre cœur et quil en bannisse toute tristesse des-ordonnee..

  A016001083 

 Je n'ay pas eü le bien de voir monsieur de Rogemont, mais je ne laisse pas de sçavoir que vous aves esté affligee [95] a rayson de certain pasquin qui a couru par dela.

  A016001084 

 Certes, ma tres chere Seur, la plus part de nos maux sont imaginaires plus que reelz.

  A016001084 

 Le mal de la calomnie ne se guerit jamais si bien que par la dissimulation, en mesprisant le mespris et tesmoignant par nostre fermeté que nous sommes hors de prise, principalement en matiere de pasquins; car la calomnie qui n'a ni pere ni mere qui la veuill'advouer, monstre qu'ell'est illegitime..

  A016001084 

 Penses vous que le monde croÿe ces pasquins? Il se peut faire que quelques uns s'y amusent et que les autres entrent en quelque soupçon; mays sachés que nostr'ame estant bonne et bien resignee es mains de Nostre Seigneur, toutes sortes de telles attaques s'esvanoüissent au vent comme la fumee, et plus le vent est gros, plus tost elles disparoissent.

  A016001085 

 Or sus, ma tres chere Seur, je vous veux dire un mot que saint Gregoire disoit a un Evesque affligé: Helas! dit-il, si vostre cœur estoit au Ciel, les vens de la terre ne l'esmouvroyent aucunement.

  A016001086 

 Au reste, la reveüe annuelle de nos ames se fait, ainsy que vous l'entendes, pour les defautz des confessions ordinaires qu'on supplee par celle ci, pour se provoquer et exercer a une plus profonde humilité, mays sur tout pour renouveller non les bons propos, mais les bonnes resolutions que nous devons appliquer pour remedes aux inclinations, habitudes et autres sources de nos offences auxquelles nous nous treuverons plus sujetz.

  A016001086 

 Or il est vray quil seroit plus a propos de faire cette reveüe devant celuy qui auroit des-ja receue la confession generale, affin que par la consideration et rapport de la vie precedente a la suivante, on peut mieux prendre les resolutions requises; et en toutes façons cela seroit plus desirable.

  A016001088 

 De sorte que ces reveües annuelles sont grandement salutaires aux espritz qui sont encor un peu foibles; car si bien les premieres resolutions ne les ont pas du tout affermis, les secondes et troysiesmes les affermiront davantage, et en fin, a force de se resoudre souvent, on demeure tout a fait resolu.

  A016001088 

 Quant a la troysieme difficulté, quelques cheutes es pechés mortelz, pourveu que ce ne soit pas par dessein d'y croupir, ni avec un endormissement au mal, n'empeschent pas que l'on n'ayt fait progres en la devotion, laquelle, bien que l'on perde pechant mortellement, on recouvre neanmoins au premier veritable repentir que l'on a de son peché, mesme, comme je dis, quand on n'a pas longuement trempé au malheur.

  A016001096 

 Mays je viens d'apprendre de plus, que si vous n'acquiesces a cette volonté tant pressante de Monsieur, Son Altesse vous mandera et fera aller recevoir ses commandemens en Piemont, ou si je sçavois que vous peussies effacer les faux entendre sur lesquelz cette persecution vous est faitte, je serois bien ayse que vous allasies; mais je crains, qu'outre la despense, vous ne recevies des nouveaux desplaysirs, car homme d'honneur m'a dit, il ny a pas 24 heures, qu'il sçavoit fort bien qu'en cas que vous vous opposies davantage, on vous fera une nouvelle attaque sur le nom de Gex, lequel ilz presupposent avoir esté pris par vous, quoy que ce soit un nom de prince et d'une terre qui estoit dependante de la couronne de Savoÿe..

  A016001096 

 On vous va signifier la recharge que Monseigneur de [98] Nemours fait pour le razement de vos armoyries et, comme je pense, on vous exhibera la lettre mesme quil en escrit, par laquelle vous verres ce que Sa Grandeur se promet de l'authorité de Son Altesse.

  A016001097 

 Ce sont, a la verité, des estranges et tres malignes passions qui enfantent ces recherches; mays, puis qu'il n'y a remede, je persevere a croire que le meilleur sera [99] de se mocquer de tout ceci, tesmoigner que ni vostre honneur, ni l'estime que les gens de bien font de vous ne depend ni du gravement, ni du razement de ces armoyries.

  A016001097 

 Et vous auries, a mon advis, sujet de dire que, tandis que vous aves veu la volonté de Monseigneur de Nemours representee sous le contreseing de ceux que vous croyies estre les autheurs de cette belle poursuite et que vous vous douties user de surprise, vous aves opposé; mays maintenant que vous voyes la main du sieur Defresne, vous voules obeir sans repugnance..

  A016001097 

 Mays il faudroit faire cela sans monstrer ni contre cœur ni desplaysir, car faysant cela, vous feries deux choses: l'une, que Monsieur connoistroit tant plus tost le tort qu'il permet vous estre fait par la trop grande creance quil a en vos hayneux; l'autre, que ceux qui vous pensent fascher n'en auroyent pas le goust qu'ilz s'en promettent, quand ilz verroyent que vous vous mocques et mesprises leurs attaques et les effets de leurs efforts.

  A016001098 

 Voyla mon advis, et vous asseure que si l'on faysoit le mesme tort qui vous est fait, a mes freres, je m'en rirois et voudrois [avoir] tant de courage que de mespriser le mespris et me moquer d'une si maigre vengeance; car en fin, tous les gens d'honneur voyent bien qu'on vous recherche par pure passion, et que le tems ne porte pas qu'on puisse treuver du remede a ce mal, et qu'en somme, il faut ceder aux volontés des puissances superieures, et qu'en somme, il ni va ni peu ni prou de vostre honneur.

  A016001099 

 Croyes moy, Dieu vous aydera, et fera que cette mauvayse sayson estant passee, il en viendra un'autre ou les vrays serviteurs du Prince auront leur tour.

  A016001112 

 Ce n'est pourtant que pour vous saluer et tesmoigner que je vous souhaite bon voyage, avec toute sainte consolation, et encor a toute vostre barque, ce pendant que nous [101] irons attendant les saintz jours de l'Advent de Nostre Seigneur, qui nous preparera beaucoup de benedictions, si nous luy preparons bien nos cœurs..

  A016001112 

 Il vaut bien mieux, ma tres chere Fille, vous escrire dans ce mauvais morceau de papier que je treuve sur ma table, que de ne vous escrire point du tout.

  A016001113 

 Il suffit que je suis tout vostre et.

  A016001113 

 Je salue madame de Brescieu, ma seur, et M me de la Thuille que j'ayme bien, et la petite niece, et celle que je devois nommer la premiere, madame l'espousee, ma niece.

  A016001126 

 Dieu nous rende bien siens, car nous serons tres heureux en cela, tout le reste n'estant que vanité et affliction d'esprit..

  A016001126 

 J'escris au cousin, et par ce que je ne sçai ou il est, je vous envoye ma lettre.

  A016001127 

 Et vous, si vous le faites, conserves vous bien et laissés a l'espousee toutes les bonnes consolations que vous pourres, affin que le grand esloignement des siens ne la tourmente.

  A016001151 

 Cette Congrégation a été dressée sur le modèle d'autres semblables établies à Milan par le grand serviteur de Dieu, saint Charles; elle a acheté une maison et désire maintenant bâtir un oratoire sous le vocable de la sainte Visitation de la Bienheureuse Vierge, dans lequel il y aura aussi une chapelle que l'on dédiera au bienheureux Amédée, quand il sera canonisé.

  A016001152 

 Dans ce but, il serait nécessaire: Premièrement, que Votre Altesse déclarât par lettres patentes ou par lettres privées, qu'elle reçoit et prend sous sa protection cette Congrégation, et chacune des Sœurs ou Dames qui la composent maintenant et qui la composeront à l'avenir..

  A016001153 

 Deuxièmement, que Votre Altesse fit savoir par lettres cette sienne intention à M. le marquis de Lans et au Sénat de Savoie, afin qu'à l'occasion, ils prennent les intérêts de ladite Congrégation..

  A016001154 

 Cela est d'autant plus juste que la Congrégation ne mendie pas, mais [107] s'établit au contraire aux frais des Dames assemblées.

  A016001154 

 Troisièmement, il serait encore utile que Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Duc de Savoie, notre souverain, écrivît également des lettres dans le même sens, pour signifier que cette Congrégation ayant été, par son ordre, placée sous la protection de Votre Altesse, il entend qu'elle soit favorisée et conservée dans ses Etats.

  A016001156 

 Or, parce que la Congrégation espère bâtir bientôt son oratoire, ce lui serait un honneur et une consolation très grande si la première [108] pierre pouvait être posée au nom de Votre Altesse.

  A016001165 

 Que vous m'obliges grandement a me donner part a ces bonnes et aymables nouvelles du frere Indien, lequel, a mesure que je le sens esloigné de nous selon la distance des lieux, je le sens aussi plus avancé en mon estime, et mon contentement, en la gloire que j'ay d'estre advoué son humble fidelle frere d'acquisition; mot d'acquisition que j'adjouste pour l'ayse que je reçois d'estre sien, vostre et de toute vostre dependence, car autrement, certes, mon affection me semble toute naturelle en force, vigueur et perpetuité..

  A016001166 

 J'ay fait nagueres ample response a madame nostre [110] chere seur, et sur le sujet de son desplaysir, bien qu'elle ne m'eut point particularisé quel il estoit, estimant que son porteur, qu'elle pensoit devoir estre monsieur de Rogemont, me diroit tout.

  A016001166 

 Pour moy, apres mon premier sentiment pour la douleur d'une seur si praetieuse et aymable, je me roydis, et dis que jamais la calomnie qui a honte de marquer son pere, ne fut ni forte pour durer, ni active pour entrer dedans l'esprit des gens qui en ont tant soit peu, et n'arrivera jamais que nostre seur, tant environnee de vertu et de reputation, puisse estre blessee par la mesdisance..

  A016001180 

 Je feray pour vostre fille de Sainte Catherine tout ce qu'il me sera possible; et croyés-moy, je le feray encor plus doucement parce que vous le desires, car j'ay une extreme suavité a faire vostre volonté.

  A016001181 

 Ah Dieu, que j'ay grand desir de tenir les yeux sur cette belle estoille en nostre navigation!.

  A016001181 

 Ouy, ma tres chere Mere, remettés bien vostre cœur entre les mains de nostre chere Maistresse, qui sera conceuë ce soir en la commemoration que nous en ferons, et je le luy demanderay; car, ma chere Mere, je suis bien resolu de ne vouloir plus de cœur que celuy qu'elle me donnera, cette douce Mere des cœurs, cette Mere de saint amour, cette Mere du cœur des cœurs.

  A016001191 

 Je ne sçai comme il vous peut entrer au cœur que je puisse avoir aucune desfiance de vostre amitié pour tout le secours que vous feres a monsieur le Prieur et a sa trouppe reformee; car je leur souhaite toute sorte de sainte prosperité, et n'ay nulle sorte d'interest en l'evenement de vostre entreprise, sinon celui-la mesme que vous me marqués en vostre lettre estre le vostre: la plus grande gloire de Dieu et le plus grand service de son Eglise; et que Dieu soit servi ou par des Religieux vestus de noir ou vestus de blanc, cela est indifferent.

  A016001192 

 Mais je dis plus, et le dis devant Nostre Seigneur: que quand j'aurois bien de l'interest d'un costé plus que de l'autre, j'espererois cette grace de la divine Majesté, de n'estre pas si passionné et desordonné en l'amour propre, que sçavoir mauvais gré a qui ne suivroit pas mon parti.

  A016001192 

 Non certes, je ne pense pas que ni mon sentiment, ni mes opinions, ni mes interestz doivent servir de regle a pas un homme du monde, et particulierement a mes amis; trop obligé que je leur seray si, reciproquement, ilz ne m'estiment rien moins leur affectionné et veritable amy quand je seray d'autre opinion qu'eux.

  A016001193 

 Je vous ay dit candidement mon sentiment sur le sujet de la reformation que vous affectionnés: il y a du respect pour l'une, que j'estime bonne, et pour l'autre, que j'estime meilleure, marry que je serois de perdre la douceur et paisible affection que je dois a toutes deux.

  A016001193 

 Mais ne vous parlay-je pas clair a vostre despart? Ce fut de bon [114] cœur que je dis alhors (je le repete maintenant et le diray encor ci apres): Unusquisque abundet in suo sensu, dummodo glorificetur Christus..

  A016001194 

 Tout le desplaysir que j'ay en ceci, c'est de ne vous pouvoir pas asses plaire et m'accommoder a vostre desir, mesmement en ce qui est d'escrire a Monseigneur le Cardinal Bellarmin.

  A016001195 

 Il va en fin mille raysons, ce me semble, pour lesquelles je dois ouyr parler de part et d'autre sans me mesler de faire des offices ni pour les uns ni pour les autres, jusques a ce que je sois deschargé de l'office de juge qui m'est commis..

  A016001195 

 Je ne sçai nullement que c'est que des autres reformés de N., horsmis de monsieur le Prieur et de M., [115] ne connoissant les autres que de nom et quelques uns de veuë.

  A016001195 

 Je suis delegué commissaire, je ne dois point faire de prejugés, affin que, si les parties alleguent quelque chose contre cette reformation, je puisse encor juger.

  A016001196 

 Je sçay qu'un autre moins discret et charitable que vous pourroit beaucoup dire de choses de moy entre les poursuittes, comme il a esté fait a Chamberi; dont je loue Dieu que ce soit vous plustost qu'un autre, bien que, pour parler franchement entre nous, je me sente fort asseuré de n'estre point blasmé de quicomque, sans passion, voudra conferer les tems et les occasions de ce qui s'est passé par mes mains, et de ce qui s'est passé par celles de ceux qui se deulent.

  A016001196 

 Mais quand il plairoit a Dieu que quelqu'un me fist mortifier, mon second remede seroit d'avoir patience..

  A016001196 

 Nostre amitié n'est pas fondee sur la reformation ni des unes ni des autres: c'est pourquoy je vous supplie de me bien conserver la vostre au travers de toute cette negociation, comme, de mon costé, je suis invariable en celle que par tant de respectz je vous dois.

  A016001197 

 Je finis donq par ou j'ay commencé, vous remerciant de rechef de la peyne que vous prenes pour ces bonnes ames, [116] qui prient et prieront Dieu pour vous, et vous demeureront extremement obligees avec moy qui, de tout mon cœur, suis sans fin,.

  A016001202 

 Il est impossible d'empescher que chascun, a bonne intention, ne s'essaye de gaigner l'advantage..

  A016001202 

 J'ay sceu le peu de conte que l'on tint de l'Evesque du lieu au conseil de la N.; mais si, ne puis-je pas m'esmouvoir a rien faire qu'apres une meure deliberation, car il faut ne point faire de faute quand l'on s'oppose aux fautes.

  A016001207 

 C'est ainsy, ma Fille, qu'il faut tout de bon mettre la main dans les replis de nos cœurs, pour en arracher les ordes productions que nostre amour propre y fait par l'entremise de nos humeurs, inclinations et aversions..

  A016001207 

 Mais je dis de rechef, ma chere Fille, que cette lettre m'a donné des eslans d'amour envers Dieu, qui est si bon, et envers vous, qu'il veut rendre si bonne, que certes, je suis obligé d'en rendre action de graces a sa divine Providence.

  A016001207 

 Si fay, si fay de par Dieu, ma tres chere grande Fille, je sçay bien quel cœur vous aves en mon endroit; mais [117] ne voules vous pas que je prenne le tems et la saison pour y planter les plantes des vertus plus excellentes, desquelles le fruit est eternel? Or sus, je n'ay nul loysir, mais je vous dis en verité, que vostre lettre a embaumé mon ame d'un si delicieux parfum, que de long tems je n'avois rien leu qui m'eust donné une si parfaite consolation.

  A016001208 

 Helas! ma Fille, c'est une grande partie de nostre perfection que de nous supporter les uns les autres en nos imperfections; car, en quoy pouvons nous exercer l'amour du prochain, sinon en ce support? Ma Fille, elle vous aymera et vous l'aymeres, et Dieu vous aymera toutes..

  A016001208 

 O Dieu, quel contentement au cœur d'un pere tres aymant, d'ouyr celuy de sa fille tres aymee protester qu'elle a esté envieuse et maligne! Que bien heureuse est cette envie, puisqu'elle est suivie d'une si naïfve confession! Vostre main, escrivant vostre lettre, faysoit un trait plus vaillant que ne fit jamais celle d'Alexandre.

  A016001208 

 O faites donques bien, ma Fille, ce que vostre cœur a projetté.

  A016001209 

 Et moy, ma chere Fille, vous m'aymeres aussi, puisque Dieu le veut et, en suite de cela, me donne un parfait [118] amour de vostre ame, que je conjure d'aller de bien en mieux et de mieux en mieux au pourchas des vertus.

  A016001216 

 Mais je vous diray qu'elle est bonne, graces a Nostre Seigneur, et que j'espere qu'elle me servira ces bonnes festes, pour prescher, comme elle a fait le reste de l'Advent. et qu'ainsy nous acheverons cette annee pour en recommencer une nouvelle..

  A016001216 

 Or sus, qu'importe il a vostre chere ame, ma tres chere Fille, que je luy escrive d'un air ou d'un autre, puisqu'elle ne me demande rien que l'asseurance de ma chetifve santé, de laquelle je ne merite que l'on ayt la moindre pensee du monde.

  A016001217 

 O que l'eternité est incomparablement plus aymable, puisque sa duree est sans fin, et que ses jours sont sans [119] nuit, et ses contentemens invariables! Que puissies-vous, ma tres chere Fille, posseder cet admirable bien de la sainte eternité en un si haut degré que je le vous souhaitte.

  A016001217 

 Que de bonheur pour mon ame si Dieu, luy faysant misericorde, luy faysoit voir cette douceur! Mais en attendant de voir Nostre Seigneur glorifié, voyons le des yeux de la foy, tout humilié dans son petit berceau..

  A016001226 

 Helas, comme il est beau, ce pauvre petit Poupon! Il me semble que je voy Salomon sur son grand throsne d'ivoyre, doré et ouvragé, qui n'eut point d'esgal es royaumes, comme dit l'Escriture, et ce Roy n'eut point de pair en gloire ni en magnificence; mais j'ayme cent fois mieux voir le cher petit Enfançon en la cresche que de voir tous les rois en leurs throsnes..

  A016001227 

 Mais si je le voy sur les genoux de sa sacree Mere, ou entre ses bras, ayant sa petite bouchette, comme un bouton de rose attachee au lis des saintes mammelles, o Dieu, je le treuve plus magnifique en ce throsne, non [120] seulement que Salomon dans le sien d'ivoyre, mais que jamais mesme ce Filz eternel du Pere ne fut au Ciel; car si bien le Ciel a plus d'estre visible, la Sainte Vierge a plus de vertus et perfections invisibles, et une goutte du lait qui flue virginalement de ses sacrés sucherons, vaut mieux que toutes les influences des deux.

  A016001228 

 Je vous prie, reposés le plus doucement que vous pourres aupres du petit celeste Enfant; il ne laissera pas d'aymer nostre cœur bienaymé tel que vous l'aves, sans tendreté et sans sentiment.

  A016001228 

 Voyes-vous pas qu'il reçoit la haleine de ce gros bœuf et de cet asne, qui n'ont sentiment ni mouvement quelconque? Comme ne recevra-il pas les aspirations de nostre pauvre cœur, lequel, quoy que non tendrement pour le present, solidement neanmoins et fermement, se sacrifie a ses pieds, pour estre a jamais serviteur inviolable du sien et de celuy de sa sainte Mere et du grand gouverneur du petit Roy?.

  A016001229 

 Ma tres chere Mere, c'est la verité: j'ay une lumiere toute particuliere qui me fait voir que l'unité de nostre cœur est ouvrage de ce grand Unisseur, et partant, je veux desormais non seulement aymer, mais cherir et honnorer cette unité comme sacree.

  A016001230 

 Helas! ma tres chere Mere m'a fait tout couvrir de JESUS, MARIA. Que ce doux Jesus et cette sacree Marie me la conservent longuement et soyent le vestement nuptial de son cœur.

  A016001248 

 Et quand le vostre luy parlera, n'oublies pas, ma chere Mere, de luy faire parler encor en faveur du mien, affin que sa divine et cordiale Majesté le rende bon, obeissant et fidele..

  A016001248 

 Mettés-le, ce cher cœur, dans le costé percé du Sauveur, et l'unissés a ce Roy des cœurs, qui y est comme a son throsne royal pour recevoir l'hommage et l'obeissance de tous les autres cœurs, et tient ainsy sa porte ouverte affin que chacun le puisse aborder et avoir audience.

  A016001248 

 Que vous diray je? La grace et paix du Saint Esprit soit tous-jours au milieu de vostre cœur.

  A016001257 

 Il m'a parlé du mescontentement de Monseigneur de Maurienne a rayson du proces du curé de Lullin, et parce que, passant en Maurienne, il pourra faire tous bons offices, [124] prenes la peyne, je vous prie, de conduyre un jour M. l'advocat Gros au logis de [monsieur 1'] Abbé, affin qu'il luy face bien entendre l'estat du droit de son frere, curé de Lullin.

  A016001258 

 Mais il faut que je vous laisse, car vous voyla glorieux avec ce bon seigneur qui vous cherit bien fort; mais moy, je suis incomparablement.

  A016001265 

 Voyla la lettre, ma tres chere Fille; faites la fermer, et soyés bien ferme en la confiance que nous devons avoir en la providence de Dieu, laquelle, si elle vous prepare des croix, vous donnera des espaules pour les porter..

  A016001273 

 Nul ne sçait que je vous escrive, mays je [m'assure que] si nostre Mere et nos Seurs le sçavoyent, [elles vous écrirai]ent avec moy, ou elles me prieroyent de vous saluer, [vous aimant] toutes tres cordialement, sur tout nostre Mere..

  A016001273 

 ...............Ma tres chere Fille, releves le plus [que vous pourrez votre] cœur en Nostre Seigneur et le pousses tous-jours plus avant [en son très saint] amour.

  A016001287 

 J'ay sceu que les sieurs N. et N. donnent tant de mauvaise odeur de leur jeunesse, que la puanteur en est arrivee jusques au Senat, lequel s'en veut remuer, si leur amendement ne previent.

  A016001287 

 Je souhaite tant le bien et l'honneur de vostre Monastere, que toutes les connoissances des choses contraires m'esmeuvent et me donnent du ressentiment de zele.

  A016001288 

 Tout cela mis ensemble, me fait vous prier et exhorter [127] de vouloir apporter tout le soin et l'ordre que vous pourres pour reduire ces jeunes gens sur le train de leur devoir, et de me donner advis de leur estat, affin que je puisse rendre tesmoignage de vostre diligence comme de la mienne, et contenter ma conscience, laquelle me pressera par apres a prendre d'autres expediens, si vostre prudence, vigilance et justice ne suffit a la recipiscence de ces discoles, desquelz j'admire d'autant plus la dissolution, que leur naissance les devroit porter a la poursuitte des vertus et de la pieté conforme a leur vocation.

  A016001289 

 Vous sçaves comme et combien tendrement je vous ayme, et particulierement; qui me fait croire que vous prendres cet advertissement aussi doucement qu'avec tres grande affection je vous fay la remonstrance, pour le bien de la Mayson ou Nostre Seigneur vous conserve, et laquelle il veuille rendre si pleine de sainteté que je sçay que vous le souhaittés avec moy, qui suis.

  A016001296 

 Ce pauvre chantre devint, comme vous, sourd, et n'oyoit plus sa melodie; son maistre s'absentoit souvent, et il ne laissoit pas de chanter, parce qu'il sçavoit que son maistre l'avoit pris pour chanter..

  A016001306 

 Mais ce sont des infinités de petites niaiseries, que le monde par force m'apporte tous les jours, qui me font de la peyne et de la fascherie et rendent mes heures inutiles.

  A016001306 

 Neanmoins, tant que je m'en puis eschapper, je metz tous-jours quelque petite ligne en faveur de ce saint amour qui est le lien de nostre mutuelle dilection..

  A016001306 

 O pleust a Dieu, ma tres chere Fille, que ce fust le Traitté de l'Amour celeste qui me tinst occupé toutes [129] les matinees! Il seroit bien tost achevé, et je serois bien heureux d'appliquer mon esprit a de si douces considerations.

  A016001307 

 C'est pour cela que nous n'avons pas la consolation que nous devrions avoir quand nous voyons les autres bien faire; car ce que nous ne voyons pas en nous ne nous est pas si aggreable, et ce que nous voyons en nous, nous est fort doux, parce que nous nous aymons tendrement et amoureusement.

  A016001307 

 Que si nous avions la vraye charité qui nous fait avoir un mesme cœur et une mesme ame avec le prochain, nous serions parfaitement consolés quand il feroit du bien..

  A016001308 

 Ce mesme amour propre fait que nous voudrions bien faire telle et telle chose par nostre eslection, mais nous ne la voudrions pas faire par l'eslection d'autruy, ni par obeissance; nous la voudrions faire comme venant de nous, mais non pas comme venant d'autruy.

  A016001309 

 Le signe de cela, c'est qu'ordinairement nous aymerions mieux avoir les petitz maux que si un autre les avoit; mais les grans, nous les aymons mieux pour les autres que pour nous.

  A016001309 

 Quant a se plaire plus a faire des choses aspres qu'a les voir faire aux autres, ce peut estre ou par charité, ou [130] par ce que, secrettement, l'amour propre craint que les autres ne nous esgalent ou surmontent.

  A016001309 

 Quelquefois nous nous mettons plus en peyne de voir mal traitter les autres que nous, par bonté de naturel; quelquefois c'est par ce que nous croyons d'estre plus vaillans qu'eux et que nous supporterions mieux le mal qu'eux mesmes, selon la bonne opinion que nous avons de nous.

  A016001309 

 Sans doute, ma chere Fille, ce qu'on a repugnance a s'imaginer le rehaussement des autres, c'est parce que nous avons un amour propre qui nous dit que nous ferions encor mieux qu'eux, et que l'idee de nos bonnes propositions nous promet des merveilles de nous mesmes et non pas tant des autres..

  A016001310 

 Au bout de tout cela, sçaches, ma vrayement tres chere Fille, que ce que vous aves ne sont que des sentimens de la portion inferieure de vostre ame; car je m'asseure que vostre superieure portion desadvoue tout cela.

  A016001310 

 C'est le seul remede qu'il y a, de desadvouer les sentimens, invoquant l'obeissance et protestant de la vouloir aymer non obstant toute repugnance, plus que non pas la propre eslection, louant Dieu par force du bien que l'on void en autruy et le suppliant de le continuer; et ainsy des autres..

  A016001311 

 Que si quelquefois il nous blesse en nous desdisant de ce quil nous a fait dire, en desadvouant ce quil nous a fait faire, nous sommes gueris..

  A016001312 

 Or je ne vis que passamment la dame qui devoit venir pour faire sa confession generale, et avec des yeux tout moistes d'avoir laissé sa fille; car les gens du monde [131] [se] laissent en se laissant, mais ceux de Dieu ne se laissent jamais, ains sont tous-jours unis ensemblement avec leur Sauveur..

  A016001324 

 Je viens tout maintenant de recevoir les deux lettres que vous avies confiees a M me de Trevernay, et une autre par laquelle elle me specifie la qualité de vostre desplaysir, que je vois estre grandement fascheux pour la multitude des accidens qui semblent attachés aux sujetz dont il vous est arrivé..

  A016001325 

 En fin, Dieu qui vous a conduite jusques a present, vous tiendra de sa tres sainte main; mais il faut que vous vous jetties, avec un total abandonnement de vous mesme, entre les bras de sa providence, car c'est le tems desirable pour cela.

  A016001325 

 Ma tres chere Seur, ces brouillardz ne sont pas si espais que le soleil ne les dissipe.

  A016001326 

 De cet homme sur lequel vous penses devoir estre jettee une partie de la faute, parlés en peu et consciencieusement; c'est a dire, ne vous estendes gueres en vos plaintes et n'en faites pas souvent; et quand vous en feres, n'asseures rien qu'a mesure que vous aures de la connoissance ou conjectures de la faute, parlant douteusement des choses douteuses, plus ou moins, selon qu'elles le seront..

  A016001327 

 Apaises tant que vous pourres, doucement et sagement, les espritz de messieurs vos parens.

  A016001327 

 Helas! en telles occasions, la dissimulation guerit plus de mal en une heure que les ressentimens en un an.

  A016001327 

 Je vous escris du tout sans loysir, en un jour le plus embarrassé que j'aye eü il y a long tems.

  A016001337 

 Cependant, selon vostre conseil, je touche un mot, au dernier, d'encouragement a l'erection d'une mayson de la Congregation a Tours; Congregation que j'ay dedans le cœur, devant, je pense, que ni monsieur de Berule ni vous, mays Congregation dedans le cœur delaquelle je ne suis pas digne d'estre, et desirerois neanmoins bien d'avoir quelque place.

  A016001337 

 Dites moy cependant, avant que je sorte de ce propos: seroit ce une grande et blasmable curiosité de desirer de sçavoir un peu plus de particularités de l'establissement et maniere de vivre d'icelle? car voyes vous, je crains de vous le demander et j'ay peyne de m'en empescher.

  A016001338 

 Au reste, Monseigneur de Bazas me propose un petit travail, que je ferois des maintenant de bon cœur, recevant comm' inspiration son desir; mais je suis encor un peu attaché a un Traitté de l'Amour de Dieu, lequel j'estimerois piaculum de laisser maintenant imparfait, puisqu'il ne me faut plus que je ne sçai combien de moys pour l'envoyer au monde.

  A016001338 

 Faites luy donq, je vous supplie, treuver bon l'advis que je luy presente, mais dont je ne l'ose presser, que quelqu'autre face cett'autre [136] besoigne.

  A016001338 

 Helas! je vous asseure, mon bon Monsieur, que je suis tellement accablé d'affaires, ou plustost d'empeschemens, qu'a peyne puis-je derober ça et la des quartz d'heure pour employer a ces escrittures spirituelles..

  A016001343 

 Vous sçaures que le bonhomme M. Nouvelet s'en est allé lethargique; ce sera charité de le recommander a Nostre Seigneur..

  A016001345 

 Faites-moy sçavoir, je vous prie, le tiltre de la Congregation, affin que je sache mettre la superscription convenable; et bien humble salutation a M lle Acarie..

  A016001357 

 Je vous vay rencontrer en esprit au passage que vous deves faire a Lion; et ces quatre paroles vous asseureront, sil vous plait, que sil m'estoit aussi aysé de me porter moy mesme sur le lieu en effect, comm'il l'est a ce porteur, vous me verries, plein de joye et d'amour, le plus empressé de tous autour de vous.

  A016001358 

 Et pensés, Monseigneur, de quel cœur je voudrois les servir; mays vous sçaves mes liens, que rien jusques a present n'a peu rompre.

  A016001358 

 Sil vous plait donques respondre a la demande que vous ont faite de moy ces seigneurs de cette ville la, je vous supplie tres humblement de leur faire sçavoir que ce n'est ni faute d'estime que je face de leurs merites, ausquelz je ne sçaurois jamais correspondre, ni faute de pouvoir que vous ayes sur moy, qui suis tres entierement vostre, mays faute de pouvoir que j'aye moy mesme sur moy mesme, que je ne seconde pas leurs desirs, plus honnorables cent fois pour moy que je ne devrois praetendre..

  A016001359 

 Au demeurant, Monseigneur, quand vous seres avec le grand et parfait ami, resouvenes vous parfois de moy, car ce m'est un playsir incomparable de m'imaginer que ne pouvant jouir du bonheur de vostre presence, je ne laisse pas de vivre en vostre bienveuillance de tous deux..

  A016001360 

 J'escris sans loysir, mays plein de l'invariable affection que j'ay d'estre sans fin,.

  A016001376 

 Contés ce jour pour celuy auquel je commence d'y employer tous les momens que je pourray tirer de la presse de mes autres devoirs, et invoqués incessamment sur moy l'amour du divin Amant..

  A016001376 

 Nostre interieur n'a plus de resistance; il faut que la crainte et la paresse de l'homme exterieur cede a la volonté victorieuse de notre Maistre qui veut que, tout froid et tout glacé que je suis, j'escrive de son saint amour.

  A016001386 

 Si vous n'aves pas du beau papier pour escrire, envoyes en prendre vers M. Rolland, mais a vostre nom, car si c'estoit au mien il se courrouceroit, parce que j'en ay trop despensé la semaine passee..

  A016001387 

 Et vay travailler tant que je pourray sur le livre.

  A016001387 

 Ma tres chere Mere, que Dieu face toute sainte, je vous donne mille fois le bonjour.

  A016001393 

 Cependant, quel contentement a ma pauvre ame de vous saluer encor un peu par cett'occasion! vous, dis-je, ma tres chere Mere, que mon ame cherit comm'elle mesme.

  A016001401 

 Que diray-je plus ma tres chere Mere? En somme, il [143] faut acquiescer a la Providence de Dieu en ces petitz momens quil faut employer tantost en ceci, tantost en cela, au prejudice de l'extreme desir que j'ay de voir ma pauvre tres chere Mere.

  A016001402 

 Cependant, je vay a la priere que nous esperons de convertir bien tost en action de graces pour la paix.

  A016001402 

 Mays demain, o c'est le jour de sainte Emerentienne et de la naissance de ma Mere; Dieu ne permettra pas que je sois ainsy retenu, car mesme j'ay a conferer avec elle de choses qui sont pour son Amour divin et asseurer la partie.

  A016001413 

 A cett' occasion, Monseigneur, je supplie de rechef Vostre Altesse Serenissime, en toute humilité, de le faire puissamment reuscir a la gloire de Dieu, que je prie incessamment la vouloir a jamais prosperer, et suis,.

  A016001413 

 L'esperance que ce peuple de Neci et de Genevoys a conceüe de voir ce college, qui est maintenant presque en friche, remis a la Congregation des Peres Barnabites, n'a ni rayson ni fondement que sur la bonté [145] paternelle de Vostre Altesse Serenissime, laquelle en a eu aggreable le projet, non seulement par ce quil estoit propre pour le proffit publiq temporel de ses tres humbles sujetz, mais aussi pour l'utilité quil rapporteroit au salut des ames.

  A016001428 

 Mais je vous remercie infiniment de la douceur avec laquelle vous recevés mes intentions qui, en verité, ne sont que sinceres et de servir nostre commun Maistre.

  A016001429 

 M gr le Nonce me commanda de [147] luy dire au vray l'estat present du monastere de Talloyre, ce que j'ay fait tant quil m'a esté possible.

  A016001430 

 Que si Dieu gratifie cette bonne ame, je pense quil sera a propos de faire commettre ou [148] Monseigneur de Maurienne, ou monsieur l'Abbé d'Abondance, ou moy, disjunctim, ita ut uno non procedente, alius procedat..

  A016001431 

 Nous avons receu les Indulgences cum summo applausu, et ces bonnes Dames vous en sont infiniment obligees, ainsy que nous vous dirons a vostre retour..

  A016001439 

 Il faudra donq bien observer ces troys pointz: le I er, de faire que l'on commette in istis parti bus, atteso che questa signora vi é, et si ritruova cento leghe lontana del Paracleto, di debole complessione, et [151] che nel Paracleto si fece il primo sforzo, et si farebbe poi il secondo, la signora Abbadessa essendo potentissima..

  A016001440 

 c'est que il faut que ladite dame de Gouffier soit delivree de l'obligation de sa profession, affin que, selon son desir, elle puisse estre receue en la Congregation de la Visitation, laquelle, bien que ce ne soit pas une Religion formelle, est neanmoins une mayson de fort bonne discipline et propre pour cette personne; puisqu'ell'est d'ailleurs de si petite complexion, qu'elle ne pourroit porter l'austerité ni de Sainte Claire ni des Carmelines, ni d'autres Religions formelles esquelles on fait des grandes veillees, des grandes abstinences et autres mortifications et aspretés corporelles qui requierent une entiere santé..

  A016001442 

 Encor qu'en la lettre de la [152] Congregation je parle quil seroit plustost expedient de changer le vœu, neanmoins je sçai bien que cela ne se fait pas; mais c'est pour monstrer la necessité de cett' ame, a laquelle il seroit expedient de plustost changer le vœu que de la laisser sans remede.

  A016001442 

 Vous consideres ( sic ) le tout avec la grace de Dieu, que je vous souhaite de tout mon cœur.

  A016001442 

 Vous mesnageres le tout, car j'ay escrit a la haste et a cause du passage du courrier, et en un langage que je ne possede pas trop bien.

  A016001451 

 Il faut bien faire entendre comme non seulement avant que de faire la profession, elle protesta de la force et [153] violence que sa mere luy faysoit, et que par cette crainte seulement, et non de volonté, elle faysoit ladite profession, qu'elle desiroit estre declaree nulle en tems et lieu; dont il y a acte par deux notaires.

  A016001453 

 Que l'Abbesse du Paraclet est une grande dame qui tient grand train, et le monastere en lieu champestre, qui ne reconnoist aucun superieur; de sorte que si la suppliante alloit la, elle seroit forcee, et par sa mere naturelle et par l'Abbesse, d'y demeurer, et empescheroit on la verification de ses allegations, laquelle se fera mieux, plus solidement et plus facilement par l'Ordinaire du lieu ou ell'est.

  A016001458 

 Je vous escris subitement, ma tres chere Niece, sur le sujet que vous me touchastes dernierement, parce que n'ayant pas eu de porteur d'asseurance, je n'avois pas voulu vous faire responce a ce point la..

  A016001459 

 Cette pauvre miserable Bellot a une ame qui ne veut point estre corrigee par censures, car elles ne luy ont pas manqué au commencement de ses vanités, cause de sa ruine; et la bonne Mere de Chantal n'a rien espargné de ce qu'elle pouvoit penser estre propre pour l'en retirer, prevoyant bien que cette humeur vaine la porteroit plus loin que pour lhors elle ne s'imaginoit..

  A016001460 

 Mais il faut tesmoigner que vous estes portee d'amour envers elle, et que vous n'aves point eu horreur de son malheur.

  A016001460 

 Mais je croy bien que vous aures de la peyne a treuver la commodité de faire a propos cet office qui requiert beaucoup de loysir; car on nous dit qu'elle est gardee fort soigneusement.

  A016001460 

 Neanmoins, on ne sçait pas les conseilz de Dieu, et ne faut jamais cesser de cooperer au salut du prochain en la meilleure façon que l'on peut.

  A016001460 

 O que de misericordes Dieu fait aux ames qu'il retient en sa tres sainte crainte et en son divin amour! Mieux vaut le moindre brin de ce tresor, que tout ce qui est au monde..

  A016001460 

 Or, quand vous ne feries que luy faire faire un bon souspir, Dieu en sera glorifié.

  A016001460 

 Si donques vous pouvies parler a cette chetifve creature, la prenant un peu doucement et amoureusement, luy remonstrant combien elle seroit heureuse de vivre en la grace de Dieu, l'enquerant si, quand elle [y] a vescu lhors qu'elle vint en cette ville, elle n'estoit pas plus ayse que maintenant, et passant ainsy [155] tout bellement a luy representer son malheur, je pense que cela la pourroit toucher.

  A016001470 

 J'ay fait delivrer au sieur curé de Massongier, present porteur, le reste de l'argent que mes freres et moy devions a Monseigneur l'Archevesque mon pere, [156] pour celuy quil avoit fait delivrer a Paris pour nous.

  A016001471 

 Je sçay que je ne pourray jamais luy rendre aucun service de l'espece de ce bon office quil m'a fait (aussi bien saint Paul dit que les enfans ne doivent pas thesaurizer pour les peres, ouy bien les peres pour les enfans ); mais si en quelque nature de service, et en celuy ci encor, je pouvois me revancher, je le ferois tres affectionnement..

  A016001472 

 Nous en ferons une a part, monsieur l'Abbé et moy, et puis nous conclurons, et je pense que vous aures du contentement.

  A016001472 

 On m'a dit que la bonne M me du Foug estoit malade; a vostre premiere commodité, je vous prie de m'en faire [157] sçavoir quelque chose, car j'en suis en peyne, et prie Dieu quil la benisse et nous aussi.

  A016001505 

 C'est d'une tres profonde et particulière tristesse que mon âme a [158] été saisie et affligée à la mort de l'Illustrissime et Révérendissime M gr Adrien, votre prédécesseur, non seulement à cause de l'honneur que je portais à un tel Prélat et de la bienveillance dont il m'honorait en retour, mais principalement à cause de la perte prématurée que vient de faire, d'un si excellent Prince et Pasteur, la célèbre église de Sion et tout le pays de Valais, en un temps si fâcheux; car, selon nous, en fait de zèle et d'habileté pour défendre la religion des ancêtres et pour propager la foi catholique, l'Evêque défunt n'avait pas son pareil..

  A016001506 

 Mais dès que nous eûmes appris la promotion de Votre Illustrissime et Révérendissime Seigneurie, par un vénérable chanoine de [159] votre église qui était venu ici pour une Ordination, et qu'il nous eût dit, avec force détails, les très riches qualités de votre éminente personne, notre tristesse alors se changea en joie et nos airs de deuil en des chants d'allégresse.

  A016001506 

 Nous rendimes à Dieu de grandes actions de grâces de ce qu'il n'avait pas laissé sa lampe s'éteindre en Jérusalem, et de ce qu'il avait remplacé le père par le fils, pour l'établir sur cette cité de Sedunum, que nous appelons Sion..

  A016001508 

 Ainsi donc, Illustrissime et Révérendissime Prélat, l'amitié de votre prédécesseur envers moi, qui paraissait éteinte, va revivre et durer plus assurée et plus confiante que jamais.

  A016001508 

 J'en ai pour garant vos sympathies, que me témoigne votre lettre, et le désir extrême que j'ai d'y correspondre.

  A016001508 

 Si donc Votre Illustrissime et Révérendissime Seigneurie a besoin de moi pour sa consécration, ou suivant l'occasion, pour n'importe quel autre service, que ce soit pour son utilité personnelle ou pour celle des siens, elle me trouvera toujours prêt et disposé à lui faire plaisir..

  A016001508 

 Vous pouvez compter sur moi, non seulement pour tous les services fraternels qui dépendent de notre commune vocation, mais encore pour le concours empressé que vous attendriez d'un très dévoué et très humble serviteur.

  A016001528 

 Une profonde et particulière tristesse s'est emparée de moi à la mort de l'Illustrissime M gr Adrien, prédécesseur de Votre Seigneurie Révérendissime et Illustrissime, non seulement pour le respect que je portais à un tel Prélat, ou pour la bienveillance dont il me gratifiait en retour, mais surtout parce que l'Eglise de Sion et tout le pays du Valais demeuraient privés d'un si excellent Prince et Pasteur.

  A016001530 

 C'est alors que, par des amis (au nombre desquels M. de Quartery tient depuis longtemps la première place), nous avons fait parvenir nos félicitations à Votre Révérendissime Seigneurie, mais déjà le très [163] illustre et Révérend Abbé de Saint-Maurice nous avait, par lettre, salué de votre part..

  A016001531 

 Ainsi, Illustrissime et Révérendissime Prélat, l'amitié de votre prédécesseur, qui me paraissait brisée pour toujours, va revivre plus ferme et plus suivie que jamais, si j'en juge par les sympathies que témoigne votre lettre.

  A016001531 

 Qu'il s'agisse de la cérémonie du sacre de Votre Illustrissime Seigneurie, ou de donner secours à votre peuple, suivant l'occasion, par le ministère de nos prêtres, autant que cela dépendra de nous, je vous l'assure, vous me trouverez toujours prêt et tout empressé..

  A016001531 

 Vous pouvez attendre de moi, non seulement les services fraternels qui dépendent de notre commune vocation, mais encore l'assistance la plus humble et la plus dévouée que vous désireriez du plus fidèle et du plus attaché des serviteurs.

  A016001532 

 En attendant, je continuerai avec plus d'instance ce que j'ai fait [164] jusqu'a present, en vous souhaitant, de Dieu notre Sauveur, le secours d'en-haut, afin que, confirme par l' esprit de force, vous conduisiez heureusement votre vaisseau parmi les redoutables tempetes qui 1'assaillent, au port désiré de la paix et de la bienheureuse piété..

  A016001541 

 Cependant, aymes moy tous-jours, et saches que personne du monde n'est plus que moy,.

  A016001560 

 C'est a tous propos, et pour cela presque hors de propos, que je vous importune des occurrences qui me viennent; mays la faveur de vostre bienveuillance m'asseure.

  A016001560 

 Je vous supplie de prendre la peyne de voir le memorial ci joint, et de considerer si on pourroit en quelque sorte faire ressentir a madame d'Angoulesme l'obligation qu'ell'auroit de tenir compte a la seconde seur de la damoyselle de Charansonay, de la moytié de la [166] legitime de sa mere; car, selon l'advis que vous prendres la peyne, sil vous plait, de m'en donner, je verray si ce sera chose qui se puisse entreprendre.

  A016001560 

 Je vous supplie donq, Monsieur, de me faire la grace que de me faire sçavoir si, toutes choses considerees, c'est une praetention digne d'estre relevee..

  A016001560 

 Mays pourtant, j'ay une telle aversion de telles affaires, que sinon quil y eut grande apparence et de la facilite, je ne voudrois pas y penser.

  A016001561 

 Je vous escrivis il ny a que trois jours, et a M me de Charmoysi, qui me retiendra de vous entretenir davantage, estant mesmement presse du depart de ce jeune gentilhomme qui, par sa courtoysie, m'offre bien de retarder, mais il n'est pas raysonnable.

  A016001565 

 Monsieur de Charmoysi est a Chambery, ou il est rendu pour le passage du Cardinal d'Est, et se porte fort bien; qui est tout ce que je pourrois dire de plus aggreable a M me de [Charmoysi sa femme, ma cousine,] que je salue icy [avec vostre permission.].

  A016001576 

 J'ay neanmoins pris le loysir de les revoir, de les corriger et d'y mettre les accens, affin que nostre fille de Chastel ayt plus de facilité a les chanter sans y faire des fautes..

  A016001577 

 Mais vous, ma Fille, qui ne pourrés pas chanter les louanges de ce Saint de nostre cœur, vous les ruminerés, comme l'Espouse, entre vos déns; c'est a dire, que vostre bouche estant close, vostre cœur sera ouvert a la meditation des grandeurs de cet Espoux de la Reyne de tout le monde, nommé Pere de Jesus, et son premier adorateur apres sa divine Espouse..

  A016001584 

 J'ay mille fois pensé pourquoy les fideles invoquent cet admirable vierge et austere hermite pour avoir des enfans, et en fin j'ay creu que, parce qu'il a tant aymé la simplicité, la petitesse et les petitz, Dieu accorde ordinairement des petitz enfans a ses devotz, quand ilz les demandent dans l'esprit du Saint, pour la gloire de Dieu, le salut des ames et la paix des familles..

  A016001595 

 Je vous remercie humblement de vostre souvenance et de la venayson, louant Dieu de vostre guerison, que je vous souhaiteray tous-jours longue et heureuse, puisque de tout mon cœur je suis,.

  A016001610 

 Plus que vostre tres humble.

  A016001618 

 Il est vray que le dernier proposé sera d'abord de moindre despense et plus promptement executé.

  A016001618 

 L'eglise seroit plus belle dehors, le cœur ( sic ) estant sur la riviere, avec le presbitere; la faysant dedans, il faudra chercher place ailleurs pour une cave pour retirer le bois et pour toutes les commodités que le bas estage de la tour pouvoit fournir.

  A016001619 

 Pour moy, j'aymerois mieux une petite eglisette bien façonnee dehors, que ce grand et inutile vaste dedans.

  A016001619 

 Que Dieu soit a jamais emmi son cœur et le mien.

  A016001619 

 Toutefois il n'est pas raysonnable que mon opinion soit suivie, car je n'entens rien en tout cela; ouy bien a cherir pretieusement ma tres chere et tres bonne Mere comme moy mesme.

  A016001620 

 C'est pour obeir que j'escris ceci..

  A016001631 

 Conferant avec M. vostre Doÿen sur le reglement du service et affaires de vostre eglise, j'ay jugé quil falloit que vous eussies une copie des statutz de nostre cathedrale pour, sur iceux, former les vostres entre vous, et par apres en venir icy traitter avec moy.

  A016001646 

 L'autre jour que la bonne madame de Treverney fut icy, je sceu plus amplement la varieté des travaux parmi lesquelz vous vives, ma tres chere Seur, ma Fille, et certes, j'en eu de la compassion, mais plus de consolation encores, sur l'esperance que j'ay que Dieu vous tiendra de sa main et vous conduira, par ce chemin qu'il a frayé, a beaucoup de perfection; car je veux croire, ma chere Seur, que vous voulés demeurer eternellement liee a la tressainte volonté de cette divine Majesté et que vous luy aves consacree toute vostre vie.

  A016001670 

 Que Dieu la remplisse toute de la vie et mort de son Filz Nostre Seigneur!.

  A016001672 

 Ma tres chere Mere, le Prince Cardinal se cuyda fascher dequoy ma sueur degouttoit sur le saint Suaire de mon Sauveur; mais il me vint au cœur de luy dire que Nostre Seigneur n'estoit pas si delicat, et qu'il n'avoit point respandu de sueur ni de sang que pour les mesler avec les nostres, affin de leur donner le prix de la vie eternelle.

  A016001673 

 Mais dequoy me vay-je souvenir? J'ay veu que quand mes freres estoyent malades en leur enfance, ma mere les faysoit coucher dans la chemise de mon pere, disant que les sueurs des peres estoyent salutaires aux enfans.

  A016001673 

 Nous sommes ensevelis, dit l'Apostre, avec Jesus Christ en la mort d'iceluy, affin que nous ne vivions plus de la vielle vie, mais de la nouvelle.

  A016001673 

 O que nostre cœur se couche, en cette sainte journee, [178] dans le Suaire de nostre divin Pere, enveloppé de ses sueurs et de son sang; et que la, il soit, comme [à] la mort mesme de ce divin Sauveur, enseveli dans le sepulchre d'une invariable resolution de demeurer tous-jours mort en soy mesme jusques a ce qu'il resuscite en la gloire eternelle.

  A016001682 

 C'est seulement aussi pour vous saluer cherement, ma tres chere Fille, que mon cœur souhaite toute sainte, et par consequent toute tranquille, toute juste, toute douce en la poursuite que vous aves a faire maintenant, sachant bien qu'une once de douceur et de charité emmi le soin d'un proces en vaut dix mille parmi les ordinaires occupations.

  A016001682 

 Je vous escris un billet par ce que c'est sans loysir, a cause quil me faut escrire en beaucoup de lieux.

  A016001684 

 Je n'oublieray pas le rafraischissement de la recommandation que le cher mari desire..

  A016001695 

 Je vous remercie tous-jours parce que tous-jours vous me favorisés, et je vous remercieray encor tous-jours [180] parce que je ne veux estre tout a fait ingrat, ni je ne puis autrement tesmoigner que je ne [le] veux pas estre..

  A016001696 

 Je loüe Dieu de l'heureux retour de Leurs Altesses et du contentement que vous receves de leurs faveurs, qui sont donnees a vostre zele pour vostre service et dont vous aves rendu de si bonnes preuves ci devant..

  A016001697 

 Vous me rendes trop glorieux, Monsieur, de me promettre l'honneur de la bienveuillance de ce rare ambassadeur de Dieu, qui a si bien traitté des affaires celestes a Saint Jean le Caresme passé, et de me faire esperer la veuë de son Ajo del Christiano, livre qui, par le nom de son autheur et par son tiltre, ne promet rien moins que la perfection de son espece..

  A016001698 

 Comme que ce soit, Dieu vous comble de prosperité, avec madame ma cousine et tout ce qui vous est plus cher, et j'ay l'ordinaire honneur,.

  A016001711 

 Lhors que j'eu l'honneur de faire la reverence a Vostre Altesse il y a un an, je luy proposay de faire loger les RR. Peres Chartreux en l'abbaye de Filly en Chablaix, pour l'accroissement de la devotion qu'un si saint Ordre feroit en ce pais la et pour l'ornement que la reparation [182] d'une abbaye si remarquable y apporteroit.

  A016001711 

 Mays du despuis, ayant sceu que Vostre Altesse avoit jette ses yeux et son desir sur Ripaille pour le mesme effect, je m'en suis infiniment res-joui; et en toute humilité je la supplie d'en ordonner au plus tost l'execution, affin que nous voyons en nos jours la pieté restablie en un lieu qui a esté rendu tant signalé par celle que Messeigneurs les predecesseurs mesmes de Vostre Altesse y tint si saintement et honnorablement prattiquee; asseurant qu'en meilleures mains le genereux et pieux dessein de cette restauration ne pourroit estre confié, qu'en celles d'un Ordre si ferme et constant comme est celuy des Chartreux, lequel, ayant tous-jours esté des son commencement fort obligé a la serenissime Mayson de Vostre Altesse, luy a aussi reciproquement tous-jours esté et est tres affectionné et dedié..

  A016001723 

 Nous pensons y avoir M. et M me de Charmoysi; car encor que mon frere ne le sçache pas, estant neanmoins tous les deux a Dalmaz pour les noces de madamoyselle de Dalmaz, il y a de l'apparence qu'ilz viendront a Presles, ou estant, il n'y auroit pas de l'apparence de ne les supplier pas, principalement parce que nous n'avons encor point veu la chere cousine..

  A016001736 

 Mais, ma tres chere Fille, je confesse que je suis scandalizé de voir des ames bonnes catholiques, et qui d'ailleurs ont de l'affection a Dieu, estre si peu soigneuses du salut eternel, que de s'exposer au danger de ne voir jamais la face de Dieu et de voir a jamais et sentir les horreurs de l'enfer.

  A016001737 

 L'amour que je porte a mes amis, mais specialement au cher mari, me fait herisser les cheveux en teste quand je sçai qu'ilz sont en tel peril, et ce qui me tourmente le plus, c'est le peu d'apparence qu'il y a qu'ilz ayent le vray desplaysir qu'il faut avoir de l'offense de Dieu, puis qu'ilz ne tiennent conte de s'en empescher a l'advenir.

  A016001737 

 Que ne ferois-je pas pour obtenir que telles choses ne se fissent plus!.

  A016001738 

 Il faut esperer que Dieu nous amendera tous ensemblement, pourveu que nous l'en supplions comme il faut.

  A016001738 

 Procurés donq que le cher mari se confesse, car encor que je ne pense pas qu'il soit en excommunication, il est neanmoins en un terrible peché mortel, duquel il faut qu'il sorte soudain; car l'excommunication ne se contracte qu'avec les effectz, mais le peché se contracte par la volonté..

  A016001739 

 Je pense que j'auray bien tost le brasselet de la presence de Dieu, que je supplie vous benir de toutes [186] les desirables benedictions que vous puissiés desirer, ma tres chere Fille..

  A016001749 

 Je vous supplie de voir la lettre de nostre monsieur de Sainte Catherine et me faire sçavoir, si pourtant vous en aves connoissance, quell' est la sentence dont il fait mention en la 2 me ligne, comm'aussi sil seroit asses tost pour escrire que l'on pourroit bien accepter Monseigneur de Lion pour commissaire; car, a ce que je voy, cela faciliteroit beaucoup l'affaire, et M me de Goffier a receu une lettre de M me l'Abbesse du Paraclit [187] qui oste tout le scrupule qu'elle pouvoit avoir sur la personne de mondit seigneur l'Archevesque..

  A016001764 

 Cependant, mille et mille fois le bon soir, ma tres chere Mere, que Nostre Seigneur veuille a jamais benir.

  A016001774 

 Le bien de la venue des Peres Barnabites en cette ville est de si grande consideration, que Vostre Altesse, [189] laquelle l'a si saintement desiré, le fera sans doute puissamment reüscir, non obstant les petites difficultés qui se presentent, qui ne procedent que d'une bonne affection, a laquelle Vostre Altesse donnera, sil luy plait, la mesure et discretion; en sorte que si le Pere General des Barnabites ne pouvoit ouctroyer la dispense qu'on requiert, sa Congregation ne laissast pas pour cela d'estre introduite dans ce college ou, en [190] tous evenemens, ell'apportera un'utilité incomparablement plus desirable que tout ce qui s'y est fait jusques a present..

  A016001775 

 J'en supplie donq en toute humilité Vostre Altesse Serenissime, que Dieu face a jamais prosperer, selon l'extreme et continuel souhait,.

  A016001788 

 Or pourtant, cela n'a rien esté sinon une evacuation de catarre, sans laquelle indubitablement j'allois estre fort malade; la ou [191] maintenant je me porte fort bien, quoy que tous-jours un peu incommodé de ce flux qui, petit a petit, va passant..

  A016001788 

 Que je fus marri, ma tres chere Fille, quand a mon reveil je sceu que le cher mari m'avoit demandé, car j'avois bien envie de l'entretenir un peu; mays je n'avois pas peu dormir la nuit, pour le reste de quelques inquietudes corporelles que trois ou quatre jours de flux de ventre m'avoyent laissee ( sic ).

  A016001789 

 Ma tres chere Fille, pries tous-jours bien Dieu pour mon cœur, qui vous ayme d'un amour plus que paternel, affin quil se purifie et que l'amour divin y regne sans exception, reserve, ni fin quelcomque; car ainsy ne cesse-je de vous souhaiter une parfaite sainteté..

  A016001806 

 Les Catholiques de Gex et moy avons receu les trois cens escus d'aumosne que Vostre Majesté a donnés pour la reparation des eglises, avec une tres humble reverence et action de graces, non seulement parce que les [192] faveurs qui proviennent de si haut lieu sont tous-jours de grande estime, mais aussi parce que ce sont comme des arrhes de plus grans bienfaitz pour l'avenir; dont nous en esperons que la royale bonté de Vostre Majesté regardera de son œil propice la misere a laquelle l'heresie a reduit ce pauvre balliage, pour respandre a son secours les graces et assistances qui luy peuvent servir de remede..

  A016001807 

 Ainsy Dieu soit a jamais le protecteur de Vostre Majesté, Sire, pour la combler des saintes benedictions que luy souhaitte.

  A016001819 

 Et ma petitesse s'esleve bien aussi jusques la que de le vouloir faire et penser que je le puis, sans faire tort a ce que vous estes, bien qu'a la verité ce sera chose rare de voir la disproportion d'un si chetif pere avec un enfant si relevé.

  A016001819 

 J'ay receu la lettre par laquelle Vostre Grandeur s'abbaisse jusques a me conjurer que des-ormais je l'appelle mon Filz.

  A016001819 

 Mays la nature mesme, qui est si sage, a bien fait une pareille singularité en une plante que les arboristes nomment communement le filz avant le pere, parce qu'elle pousse son fruit avant ses fleurs.

  A016001820 

 Car voyés-vous, Monsieur, il appella son cher Benjamin, son filz, avec un cœur si plein d'amour, que pour cela on a despuis appellé ainsy tous les enfans bienaymés de leurs peres.

  A016001820 

 Mais son cher enfant Joseph, devenu vice roy en Egypte, il l'appella son filz avec un amour si plein d'honneur, que, pour ce grand honneur, il est dit que mesme il l'adora; car si bien ce fut en songe, ce ne fut pas en mensonge, mais en verité, que ce grand gouverneur d'Egypte avoit veu, lhors de son enfance, que son pere, sous le signe du soleil, luy faysoit une profonde reverence que l'Escriture Sainte appelle du nom d'adoration..

  A016001820 

 Monsieur, je vous appelleray des-ormais mon Filz: mais parce que vous seriés ennuyé de voir tous-jours les protestations du respect avec lequel j'useray de ce terme d'amour, je vous veux dire une fois pour toutes que je vous nommeray mon Filz avec deux differentes mais accordantes affections, dont Jacob appella deux de ses enfans, enfans et filz.

  A016001821 

 Ainsy, ce mot de Filz sera plus plein d'honneur, de respect et de reverence que celuy de Monsieur; mais d'une reverence toute destrempee en l'amour, pour le meslange duquel elle respandra en mon ame une suavité qui n'aura point d'esgale.

  A016001822 

 Il se faut bien garder qu'il ne vous regaigne, car ce seroit vous perdre du tout que de vous laisser gaigner a cet infortuné que Dieu a perdu et perdra eternellement.

  A016001822 

 Que d'ayse, mon cher Filz, quand on me dit que vous estes le seigneur au grand cœur, qui, emmi ces vaines vanités de la cour, demeurés ferme en la resolution que [194] ce cœur a prise de contenter celuy de Dieu! Hé, si faites, mon cher Filz; perseverés a communier souvent et a faire les autres exercices que Dieu vous a si souvent inspirés.

  A016001833 

 J'ay sceu tout ce qui s'est passé pour l'assemblee des trois Estatz de vostre balliage au prejudice de celuy [195] des trois qui a tous-jours esté le premier et le plus favorisé en France, et lequel estant sous ma charge pour ce quartier la, permettes moy, Monsieur, que je me plaigne a vous premierement, et que je vous supplie de voir si ce tort se pourra reparer entre vous et ces bons ecclesiastiques, avant que le devoir de ma charge m'oblige de m'en douloir ailleurs.

  A016001834 

 Consideres donq, Monsieur, que les huguenotz non seulement ne sont pas du clergé, mais haïssent et le nom et la chose sacree quil signifie, et jamais ne fut veu que les ministres fissent cors a part en France.

  A016001846 

 Au reste, j'ose dire que c'est une chose estonnante des maux qu'il a souffert en tout son cors, et l'espace de plusieurs moys, estant contraint de demeurer dans une mesme posture corporelle, mais avec une pieté et une patience si remarquable, que nous le pouvons nommer le Job de nostre famille.

  A016001846 

 II faut tous-jours, ma chere Fille, que je vous die quelque chose de nos affaires domestiques et de l'estat de la famille a laquelle vous prenes tant de part.

  A016001846 

 Nous venons de rendre icy les derniers devoirs a feu mon tres cher frere de Boisy: il est trespassé despuis peu entre mes bras; je luy ay fermé les yeux et la bouche, mais il [195 bis ] m'avoit ouvert son cœur d'une maniere si chrestienne dans le Sacrement de Confession, que j'ay de grans sujetz d'esperer que Dieu a receu son ame dans les douceurs de sa misericorde.

  A016001854 

 J'ay donné en main propre de Monseigneur le Duc de Nemours les deux lettres que vous m'avies addressee ( sic ), comme je feray tous-jours fort exactement tout ce qui sera de vos volontés et en mon pouvoir..

  A016001855 

 Au demeurant, je suis icy aupres de ce Prince comme n'y estant point, dautant que la multitude des affaires que cette levee d'armees luy donne m'empesche de pouvoir si souvent jouir de lhonneur de sa presence, comme peut estre je ferois en un'autre sayson; laissant a part le viel enseignement: Episcopum in caulis, non in aulis invenire par est.

  A016001855 

 Si vous venes asses tost [197] pour le treuver icy, vous verres que je ne brusle point mes ayslerons a ce flambeau..

  A016001856 

 Je le revoy maintenant, par ce qu'on le reimprime en petit volume, et j'y treuve infinité de fautes, partie de l'imprimeur, partie de l'autheur, que je corrige tendrement, ne voulant pas, sil se peut, qu'on connoisse sensiblement autre changement que celuy de la correction de l'imprimeur..

  A016001856 

 Je ne nie pas, certes, que le favorable tesmoignage que vous rendes a ce pauvre petit livret de l' Introduction ne m'ayt grandement encouragé, et plus en verité que celuy de plusieurs grans personnages qui, sans me connoistre, me l'ont beaucoup recommandé par lettres.

  A016001857 

 Monsieur du Noyeret a esté grandement consolé d'avoir sceu, selon vostre desir, la souvenance que vous aves eue de luy en m'escrivant.

  A016001858 

 Pour moy, quant a present, je n'en ay point de plus grande que d'estre fortement avoué de vous,.

  A016001875 

 Outre l'humble remerciment que je dois et fay a V. R. pour le bon accueil qu'il vous pleut de faire a la supplication que je vous presentay, il y a quelque tems, en [200] recommandation de la fille de monsieur de Lornay des Costes, j'adjouste encor mon intercession a mesme intention, affin quil vous playse faire le billet requis au P. dom Vicayre de Melan, qui a dit audit sieur de Lornay que, moyennant cela, sa fille seroit asseuree de sa place..

  A016001876 

 par ce qu'aussi bien vous doys-je des-ja tout ce que je suis et puis estre, a rayson de tant de faveurs que vous m'aves departies ci devant, et sur tout pour cette rare bienveuillance delaquelle vous rendes tant de tesmoignages a mes amis, qu'ilz m'en glorifient tous extremement, que je vous conjure de me continuer, puis que, vous souhaitant sans fin toute sorte de sainte fœlicité, je suis d'un'affection tres parfaite,.

  A016001890 

 Je seray bien ayse que vostre curé absente, car il est de ceux la desquelz la residence est plus nuysible aux brebis que l'absence; et je mettrois volontier pour terme de son congé, jusques a ce qu'il soit meilleur et plus sage, mays cela le fascheroit.

  A016001890 

 de la satisfaction; et en cas qu'il ne veuille, je penseray, entre ci et mardy, ce que je pourray faire pour vous en prouvoir d'un bon..

  A016001891 

 Au reste, je prie Dieu qu'il benisse le voyage de nostre monsieur le baron de Bonvillaret et le vous face revoir, et a madame sa mere, plein de joye et de l'honneur que l'on va chercher a la guerre..

  A016001906 

 Non certes, Monsieur, je ne suis nullement delicat, amant les ceremonies, les complimens; non, pas mesme [203] les offences ne gastent rien avec moy, si elles ne sont faites et appostees expres pour ruiner l'amitié (je parle de l'amitié, et non de la commune charité que rien ne doit ruiner); car celles qui proviennent de negligence, de foiblesse, d'inconsideration, voire mesme de quelque soudaine passion d'ire, de courroux et de haine, il me semble qu'un'amitié un peu forte les doit supporter, en consideration de nostr'humanité qui est sujette a ces accidens..

  A016001908 

 Je prevoy que vous ne viendres pas si tost a cause de la longueur des demain de ce païs-lâ; neanmoins je [204] feray l'advertissement que vous me dites a madame de la Croix, ma cousine, que je treuve fort a propos, bien qu'il ny ait rien a craindre en effect.

  A016001909 

 Vous aures receu une lettre par laquelle ces bonnes Dames de la Visitation demandent une nouvelle faveur a madame ma cousine, que je salue tres humblement, et suis, Monsieur,.

  A016001929 

 Ma tres chere Seur, A cette premiere fois que je vous escris, je vous veux dire deux ou trois motz de preface, qui puissent servir pour toutes les lettres que je vous envoyeray des-ormais selon les occurrences..

  A016001930 

 En vertu de ce mesme amour, ou possedé ou desiré, asseurés vous, ma chere Seur, que vous et toutes vos filles treuveres tous-jours mon ame ouverte et dediee au service des vostres.

  A016001930 

 Mays tout cela sans ceremonies, sans artifice, d'autant qu'encor que nos vocations soyent differentes en rang, ce saint amour auquel nous aspirons nous esgale et unit en luy..

  A016001930 

 Que ni vous ni moy n'y fassions plus aucune preface; car l'amour de Dieu que vous aves sera ma preface envers vous, et le desir que j'ay de l'avoir sera vostre preface envers moy.

  A016001931 

 Certes, ma tres chere Seur, et vous et vos filles estes [206] tres heureuses d'avoir en fin rencontré la veine de cette eau vivante qui rejaillit a la vie eternelle, et de vouloir en boire de la main de Nostre Seigneur, auquel, avec sainte Catherine de tiennes et la bienheureuse Mere Therese, il me semble que vous faites celte sainte priere: Seigneur, donnès-moy de cette eau.

  A016001932 

 Dieu sçait, ma tres chere Seur, quelz sont les monasteres esquelz ce saint exercice n'est point prattiqué; Dieu sçait quelle obeyssance, quelle pauvreté et quelle chasteté y est observee devant les yeux de sa divine Providence, et si les assemblees des filles ne sont pas plustost des compaignies de prisonnieres que de vrayes amoureuses de Jesus Christ.

  A016001932 

 Mais nous n'avons pas tant besoin de considerer ce mal la, que de peser au juste poids le grand bien que les ames reçoivent de la tressainte orayson.

  A016001933 

 Et neanmoins, en certaine façon, a ce que je voy, le doux Sauveur de vos ames vous a trompees d'une tromperie amoureuse pour vous tirer a sa communication plus particuliere, vous ayant liees par des moyens que luy seul a sceu treuver et conduittes par des voyes que luy seul avoit conneuës.

  A016001933 

 Relevés donq bien haut vostre courage pour suivre soigneusement et saintement ses attraitz, et tandis que la vraye douceur et humilité de cœur regnera parmi vous, ne doutés point d'estre trompees..

  A016001934 

 Je m'asseure que son Superieur ne [207] vous la refusera pas tandis que vous en useres avec discretion et sans luy donner trop de distraction..

  A016001934 

 Le frere N. est un vray ignorant, mais ignorant qui sçait plus que beaucoup de sçavans; il a les vrays fondemens de la vie spirituelle, et sa communication ne vous peut qu'estre utile.

  A016001935 

 Je n'ay peu encor lire les livres que vous m'aves envoyé, ce sera a mon premier loysir.

  A016001936 

 Sur tout, faites regner entre vous la dilection mutuelle, franche, spirituelle; la communauté parfaite, tant aymable et si peu aymee en ce siecle, mesme es monasteres que le monde admire; la sainte simplicité, la douceur de cœur et l'amour de la propre abjection.

  A016001937 

 Je seray bien ayse de sçavoir souvent de vos nouvelles, et ne doutés point que je ne vous responde.

  A016001938 

 En particulier, ce m'a esté de la consolation de sçavoir la bonté et vertu de vostre Pere confesseur, qui, avec un esprit vrayement de pere envers vous, cooperée a vos bons desirs et est encor bien ayse que les autres y contribuent.

  A016001938 

 Pleust a Dieu que tous les autres de vostre Ordre fussent aussi charitables et affectionnés a la gloire de Dieu! les monasteres qui sont en leur charge seroyent plus parfaitz et plus purs..

  A016001939 

 Je resaluë mes cheres Seurs Anne et Marie Salomé, et me res-jouis dequoy elles sont entrees en cette Religion [208] en un tems auquel la vraye et parfaite pieté commence a y refleurir; et pour leur consolation, je leur dis que leur parente M me des Crilles, qui est maintenant novice a la Visitation, tasche aussi fort de son costé de s'avancer en Nostre Seigneur..

  A016001940 

 Ma tres chere Seur, je vous escris sans loysir, mais non pas sars une infinie affection envers vous et toutes vos filles, que je supplie toutes de recommander mon ame a la misericorde de Dieu, comme de ma part je ne cesseray point de vous souhaitter benediction sur benediction, et que la source de toute benediction vive et regne a jamais au milieu de vos cœurs.

  A016001950 

 Et bien que quelquefois vous receves des secousses de l'amour propre et de vostre imbecillité, ne vous en troublés point, car Dieu le permet ainsy affin que vous luy serries la main, que vous vous humiliies et reclamies son secours paternel..

  A016001950 

 J'ayme mieux vous escrire sans loysir ni commodité, que de l'attendre plus longuement, ma tres chere Niece, ma Fille.

  A016001950 

 Que bienheureux est vostre cœur, ma chere Fille, qui se dedie a un'affection si juste et si sainte! Plus nous irons avant, plus nous reconnoistrons la grandeur de la grace que le Saint Esprit nous fait de nous donner ce courage.

  A016001950 

 Vostre lettre m'a fort pleu, par ce que j'y voy [209] ces marques de vostre resolution de perseverance au dessein de servir a jamais Nostre Seigneur avec toute la pureté et fidelité que vous poures.

  A016001965 

 Helas, ma tres chere Fille, que dires vous de ce pere qui tarde tant a respondre? Certes, ce n'est pas faute de memoyre, et moins de volonté, mays j'ay un peu douté ou vous esties jusques des il y a trois jours, que je sçai que vous estes la..

  A016001966 

 J'escris donq a M. le Premier selon vostre desir, bien que je sache combien peu vous aves besoin d'intercession aupres de luy qui vous honnore tant..

  A016001967 

 Vous treuveres la lettre ci jointe d'un peu longue datte, mays il ny a remede; nostre bonne Mere qui l'escrit, ne me voit point sans que nous parlions de vous comme de celle qui nous ayme tant..

  A016001968 

 Il fait merveilles a se resigner a la volonté de Dieu, ainsy que la petite cousine m'escrit..

  A016001969 

 Ma tres chere Fille, en fin, de quel costé que nous nous retournions, nous ne treuverons rien digne d'estre estimé que la grace de Nostre Seigneur, a laquelle je [211] ne cesse point de vous recommander, comme estant tres parfaitement vostre et.

  A016001982 

 Certes, Monsieur, j'escris sans reflexion, et je voy que j'abuse de vostre bienveuillance a luy dire ainsy mes saillies..

  A016001982 

 Les meilleurs moyens pour exprimer cette passion sont ceux dont vous me gratifies, pourveu que l'on y entende une merveille que j'appellerois miracle, si je n'en estois l'ouvrier, apres Dieu et vostre commandement: car ordinairement, l'amour paternel est puissant parce qu'il descend comme un fleuve qui prend sa source de la pente; mais en nostre sujet, le mien, qui sort de ma petitesse, en remontant a vostre grandeur, il prend vigueur a la montee et accroist sa vistesse en s'eslevant: c'est parce que, si les autres se [212] contentent de ressembler a l'eau, celuy-ci est comparable au feu.

  A016001983 

 Il est juste et equitable que ceux qui vivent ne vivent pas pour eux mesmes, mais pour Celuy qui est mort pour eux.

  A016001983 

 Une grande ame, Monsieur, pousse toutes ses meilleures pensees, affections et pretentions jusques dans l'infini de l'eternité; et puisqu'elle est eternelle, elle estime trop bas ce qui n'est pas eternel, trop petit ce qui n'est pas infini, et surnageant a toutes ces menues delices, ou plustost a ces vilz amusemens que cette chetifve vie nous peut presenter, elle tient les yeux fichés dans l'immensité des biens et des ans eternelz..

  A016001984 

 Et vous purgeant souvent par le doux et gratieux syrop magistral de la confession, Monsieur, j'espererois que vous demeureries comme un celebre pyrauste entre les flammes, sans endommager vos aisles.

  A016001984 

 Monsieur, a mesure que vous connoissés que l'air de la cour est pestilent, usés soigneusement de preservatifz.

  A016001984 

 Ne sortés pas le matin que vous ne porties sur le cœur un epitheme du renouvellement de vos resolutions fait en la presence de Dieu.

  A016001984 

 Oh si le soir vous lisies douze lignes dans quelque livret de devotion, apres avoir fait vostre petite orayson! car cela dissiperoit les qualités contagieuses que les rencontres du jour pourroyent avoir jetté autour de vostre cœur.

  A016001984 

 Que bienheureuse est la peyne, pour grande qu'elle soit, qui nous delivre de la peyne eternelle! Qu'aymable est le travail duquel la recompense est infinie!.

  A016001985 

 Monsieur, je suis, d'un cœur plus que paternel,.

  A016001992 

 Je me res-jouis de vostre heureux retour, lequel eut esté comblé de consolation pour vous et pour tous les bons et pour moy, si vostre saint zele eut eu le succes que vos remonstrances requeroyent.

  A016001993 

 J'espere que l'esté ne se passera point sans que j'aye le bien d'estre quelque tems aupres de vous, ou nous nous entretiendrons plus au long sur ce digne sujet.

  A016001993 

 Mays, ou que je sois, vous m'aves,.

  A016001993 

 Que si la multitude des affaires de ma charge et mes affaires particulieres, bien que non domestiques, me permettoyent d'estre a mon gré ou je voudrois, souvent je me treuverois là de tems en tems.

  A016001993 

 Que vous seres heureux, Monsieur, si ce reste de vos jours, que je souhaite grans et bons, vous appliques de plus prez vostre ame a son Principe, dans le repos d'une vie a moytié solitaire, telle qu'est celle que vous faites de deça en comparayson de Paris et de la cour.

  A016002005 

 Je me res-jouis, certes, de vos victoires; car, quoy que l'on sçache dire, c'est la plus grande gloire de Dieu que [215] nostre Ordre episcopal soit reconneu pour ce qu'il est, et que cette mousse des exemptions soit arrachee de l'arbre de l'Eglise ou on void qu'elle a fait tant de mal, ainsy que le sacré Concile de Trente a fort bien remarqué.

  A016002005 

 Mais je regrette pourtant que vostre esprit patisse tant en cette guerre, en laquelle, sans doute, il n'y a presque que les Anges qui puissent conserver l'innocence; et qui tient la moderation emmi les proces, le proces de sa canonization est tout fait pour luy, ce me semble.

  A016002005 

 Neanmoins, quand la necessité le requiert et que l'intention est bonne, il faut s'embarquer sous l'esperance que la Providence mesme qui nous oblige a la navigation, s'obligera elle mesme a nous conduire..

  A016002006 

 Tout mon plus grand desplaysir, c'est de voir qu'en fin en fin cette amertume de cœur, que vous me depeignés, vous ravira d'aupres de nous et me ravira une des plus pretieuses consolations que j'eusse, et a ce peuple un bien inestimable; car, des Prelatz affectionnés, il en est si peu!.

  A016002009 

 Je voy bien, Monseigneur, par vostre lettre et par [216] celle de M. de N., qui, en verité, est mon amy et bon pere tres singulier, que nous ne sçaurions conserver les libertés ecclesiastiques que les Ducs nous avoyent laissees es pais estrangers.

  A016002010 

 Ce n'est pas, non, avec un esprit d'impatience ni de murmuration que je dis cecy; car je me resouviens tous-jours que ista mala invenerunt nos quia peccavimus, injuste egimus..

  A016002010 

 Mais cependant, Monseigneur, puisque ce pauvre petit clergé de vostre evesché et du mien a le bonheur que vous parleres en son nom aux Estatz, nous serons delivrés de tout scrupule, si apres vos remonstrances nous sommes reduitz en la servitude; car, que pourroit-on faire davantage, sinon s'escrier au nom de l'Eglise: Vide, Domine, et considera, quia facta sum vilis? Quelle abjection, que nous ayons le glaive spirituel en main et que, comme simples executeurs des volontés du magistrat temporel, il nous faille frapper quand il l'ordonne et cesser quand il le commande, et que nous soyons privés de la principale clef de celles que Nostre Seigneur nous a donnees, qui est celle du jugement, du discernement et de la science en l'usage de nostre glaive! Manum suam misit hostis ad omnia desiderabilia ejus; quia viditgentes ingressas sanctuarium suum, de quitus prœceperas ne intrarent in ecclesiam [217] tuam.

  A016002011 

 Et tandis que nostre Josué sera la, nous tiendrons les mains haussees et prierons qu'il ayt une speciale assistance du Saint Esprit; nous invoquerons les Anges protecteurs et les saintz Evesques qui nous ont precedé, qu'ilz soyent autour de vous et qu'ilz animent vos remonstrances..

  A016002013 

 De madame Folin, dites m'en un jour a loysir l'histoire, parce que gloriam Regis annuntiare justum est..

  A016002027 

 Or, il me dit que c'est cent florins annuelz, et on pourroit les donner tous-jours par provision et sans consequence.

  A016002028 

 Je vous addresse une comission que je ne puis ni eviter ni donner ailleurs; il vous plaira d'en aviser les parties.

  A016002028 

 Quant a la vente des bleds, je ne prsetends recommander personne, sinon que ce soit a l'utilité de l'Eglise et cœteris paribus, car ces revenus ecclesiastiques sont trop praetieux pour estre sujectz a aucune autre affectation que celle de Dieu..

  A016002029 

 C'est pitié que chacun veut avoir des volontés! Currebant, et non mittebam eos; et neanmoins ilz veulent que ce soit comme si on les avoyt envoyés.

  A016002042 

 Or sus, il faut rasseoir vostr'esprit, car cela n'est rien que nous ne sachions bien; car nous sçavons bien que nostre nature bouillonne en mille sortes d'aigreurs quand on nous attaque, et que nostr'amour propre nous suggere tous-jours asses de mauvayses affections contre ceux qui nous attaquent.

  A016002043 

 Mon Dieu, je pense que si vous venies icy l'hiver vous auries bien plus de repos que lâ; mais je n'ay garde d'en plus parler, puisque tant d'autres considerations que je ne sçai pas, peuvent avoir rafroydy le dessein que vous en aviés.

  A016002056 

 Je n'ay point de plus grande gloire en ce monde, Monsieur mon Filz, que celle d'estre nommé pere d'un tel filz, ni point de plus douce consolation que de voir la complaysance que vous en aves.

  A016002056 

 Mais je ne veux plus rien dire sur ce sujet, qui aussi m'est indicible; il me suffit que Dieu m'a fait cette grace, laquelle m'est tous les jours plus delicieuse, quand 0n me dit de toutes parts que vous vives a Dieu, quoy qu'emmi ce monde..

  A016002057 

 Ainsy la varieté des visages de la cour et du monde ne donnera point de changement au vostre, duquel les yeux regarderont tous-jours le Ciel auquel vous aspirés, et la bouche reclamera tous-jours le souverain Bien que vous y esperés..

  A016002057 

 Non certes, mon tres cher Filz, quoy que vous changies de lieu, d'affaires et de conversations, vous ne changeres jamais, comme j'espere, de cœur, ni vostre cœur d'amour, ni vostre amour d'object, puisque vous ne sçauries choisir ni un plus digne amour pour [223] vostre cœur, ni un plus digne object de vostre amour que Celuy qui vous doit rendre eternellement bienheureux.

  A016002057 

 O Jesus mon Dieu, quel bonheur d'avoir un filz qui sçache par merveilles si bien chanter les chansons de Sion emmi la terre de Babylone! Les Israëlites s'en excuserent jadis parce que non seulement ilz estoyent entre les Babyloniens, ains encor captifs et esclaves des Babyloniens; mais, qui n'est point en l'esclavage de la cour, il peut emmi la cour adorer le Seigneur et le servir saintement.

  A016002058 

 Dieu neanmoins ne le voulant pas, puisqu'il permet que je sois attaché icy, ni vous, ni moy non plus ne le devons pas vouloir.

  A016002058 

 Mais pensés, je vous supplie, mon cher Filz, si ce ne m'eust pas esté un ayse incomparable de pouvoir aller moy mesme aupres de vous en l'occasion de ces Estatz, pour vous parler avec cette nouvelle confiance que ces noms de pere et de filz m'eussent donné.

  A016002058 

 Vous seres donq la mon Josué qui combattrés pour la cause de Dieu en presence; et moy je seray icy comme un Moyse qui tendray mes mains au Ciel, implorant sur vous la misericorde divine affin que vous surmonties les difficultés que vostre bonne intention rencontrera..

  A016002068 

 Puisque le brevet requis pour la declaration de la nullité des vœux de madame de Gouffier vostre seur, est expedié en la sorte qu'elle a peu desirer, elle ne peut, ce me semble, mieux tesmoigner qu'elle n'a pas pourchassé sa liberté que pour la reengager plus heureusement a Dieu, qu'en s'approchant de vous pour prendre les resolutions convenables a son entiere retraitte, laquelle ayant choysie en ce lieu et en la compaignie qu'ell'a veüe et consideree plus d'un an, il m'est advis que je dois vous protester, Monsieur, que sa naissance, ses vertus [225] et ses saintes intentions luy ont acquis tout le service que je luy pourray rendre; et que si bien elle sera icy esloignee de la plus part de ses parens, elle sera neanmoins proche de plusieurs personnes qui les honnorent infiniment, et qui l'auront en une consideration si sainte et honnorable, que pour ce regard, Monsieur, vous n'aures nul sujet de blasmer son choix, auquel, puis qu'ell'a eu plus d'attention a contenter Dieu que de servir aux respectz humains, sa divine Majesté sans doute luy donnera toutes les benedictions qu'ell'en doit esperer, et en fera deriver sut vous quelque bonne part, si mes souhaitz sont exaucés: car je le ( sic ) feray toute ma vie pour vostre bonheur, et demeureray de tout mon cœur,.

  A016002082 

 L'extreme necessité que la Visitation a d'une partie du jardin de Saint Dominique, sur lequel le bastiment [226] nouveau regardera, fait que plusieurs gens d'honneur ont pensé de proposer que les Peres de Saint Dominique prissent une partie d'un jardin du college sur lequel ilz regardent, et moyennant une recompense que l'on donneroit au college, que les Dames de la Visitation fourniroyent; et qu'en cette sorte, les Peres de Saint Dominique lascheroyent la partie requise de leur jardin en faveur de la Visitation: dont deux maysons, Saint Dominique et la Visitation, demeureroyent infiniment accommodees, et le college nullement incommodé.

  A016002083 

 Ce que Sa Grandeur fera facilement, puisqu'elle peut prier lesditz Barnabites de voir avec messieurs de son Conseil si cela se pourra bonnement faire, et que s'il se peut sans grande incommodité, il desire fort affectionnement que cela se fasse et qu'il les en prie.

  A016002083 

 Mais maintenant que les Peres Barnabites sont remis, cela dependra aussi d'eux: c'est pourquoy, s'il plaisoit a Monsieur de leur tesmoigner qu'il desire ce commun accommodement, il y a de l'apparence que la chose reusciroit, pourveu que le tesmoignage de son desir fust un peu bien exprimé.

  A016002084 

 Il reste que je vous supplie d'en parler a Monsieur, ce que je feray presentement, sans attendre davantage que les Peres Barnabites montent si haut pour parler a Sa Grandeur; et il sera a propos qu'elle fasse ce bon office en cette occasion.

  A016002084 

 Je serois allé moy mesme l'en supplier; mais je n'ay pas creu que cela fust bien, puisque je me fusse rendu soupçonné, et peut estre devray je en venir en cette bonne affaire comme mediateur avec messieurs du Conseil..

  A016002097 

 Nous vous attendions icy, des avanthier, pour achever le projet que vous avies fait de venir estre l'un de nos [229] assistans en l'eglise cathedrale, puisqu'en ( sic ) nous avons treuvé une consideration de juste poids pour dispenser, pour vostre particulier, sur la regle du concours, pour la conservation de laquelle j'ay, jusques a present, fait de la difficulté en cett'affaire.

  A016002097 

 Venes donq, attendu que vous estes de.

  A016002108 

 Ilz entreront donq, et je suis d'advis que vous les facies monter vers vous, affin de leur parler, et puis vous les feres accompagner.

  A016002108 

 Le Pere Superieur et le P. Don Chrisostome vont pour voir la situation de vostre mayson et en prendre [231] les mesures, affin de bien instruire le P. General de la necessité que vous avés du jardin des Peres de Saint Dominique.

  A016002115 

 Que dites vous, ma tres chere Mere, la Messe du P. Don Simplician vous sera-elle suffisante? Si cela n'est, je m'y en vay..

  A016002116 

 Or, je suis sur le livre que j'ay tant laissé ces jours passés, et apres disné nous avons un concours, apres lequel je verray d'acheminer l'eschange des jardins.

  A016002123 

 En quoy, toutefois, ni eux, ni moy, qui ay eu la charge d'en faire les propositions, n'avons rien eu en plus grande consideration que de faire les traittés de sorte que l'alliance et correspondance qui est et doit estre entre le college de Savoye Chappuysien de dela et celuy de deça, fut saintement et religieusement conservee en tout ce qui en depend; qui nous fait croire que non seulement vous aggreeres, mais que vous loüeres ce qui a esté fait et en favoriseres davantage ce college, puisque Dieu y sera mieux servi et la jeunesse mieux instruite..

  A016002124 

 Et neanmoins, affin que vous nous facies ce bien que de nous conserver vostre douce et desirable bienveuillance, je vous supplie de la nous despartir en cett'occasion, appreuvant nos bonnes intentions, lesquelles sans doute nous vous eussions communiquees avant que d'en venir aux effectz, si le desir pressant de ces Princes nous en eust donné le loysir.

  A016002124 

 Vostre prudence et charité vous [234] conduiront a ce bien, et le respect que nous vous devons nous rendront ( sic ) de plus en plus desireux de nous maintenir en la societé et bonn'intelligence que la bonne memoyre de feu monsieur Chapuis a voulu estre entre nous..

  A016002139 

 Si la Providence divine vous employe, ma tres chere Fille, vous deves vous humilier grandement et vous [235] res-jouir, mais en cette Bonté souveraine, laquelle, comme vous sçaves, vous a asses fait connoistre qu'il vous vouloit vile et abjecte a vos propres yeux, par les consolations qu'il vous a donné es essays que vous aves faitz de vous avilir et abbaisser.

  A016002140 

 Selon vostre desir, j'escris au P. Grangier, que je vous prie encor de saluer fort affectionnement de ma part et l'asseurer de mon humble service pour luy.

  A016002140 

 Si que, tout ce qui est le plus a la gloire de Dieu doit estre suivi et aymé et poursuivi: c'est la regle de tous les vrays serviteurs du Ciel..

  A016002140 

 Vous faites extremement bien de tesmoigner une tres absolue indifference, car aussi est ce le vray esprit de nostre pauvre Visitation, de se tenir fort abjecte et petite, et de ne rien s'estimer sinon entant qu'il plaira a Dieu de voir son abjection; et partant, que toutes les autres formes de vivre en Dieu luy soyent en estime et en honneur, et, comme je vous ay dit, qu'elle se tienne entre les Congregations comme les violettes entre les fleurs, basse, petite, de couleur moins esclattante, et luy suffise que Dieu l'a creee pour son service et affin qu'elle donnast un peu de bonne odeur en l'Eglise.

  A016002141 

 J'attendray donques de vos nouvelles plus particulieres sur le service que vous pourres rendre a cette nouvelle plante, laquelle, si Dieu veut estre une plante de la Visitation et une seconde Visitation, sa Bonté en soit a jamais glorifiee..

  A016002142 

 Je suis bien ayse que vous logies aux Urselines: c'est une des Congregations que mon esprit ayme.

  A016002142 

 Resalués les de ma part et les asseurés de mon affection a leur service en tout ce que je pourray, qui ne sera pourtant jamais rien a cause de ce que je suis..

  A016002153 

 Et maintenant, c'est par M. de Foras, qui me promet de faire seurement tenir la lettre, que j'employe pour vous annoncer la venue de vostre despeche de Romme, mais despeche si bien faite, que si nous l'avions faite nous mesme nous ne l'aurions pas faite autrement.

  A016002153 

 Je vous en envoyeray une copie, avec une lettre de Monseigneur le Cardinal Bandini, qui vous escrit si courtoysement que l'on ne pourroit rien desirer de plus.

  A016002154 

 Et pleut a Dieu que je peusse le loger en nostre chaire ce Caresme; mais il y a des-ja quelques moys que le P. Prieur de Saint Dominique est prié, et je n'oserois y bouger chose du monde..

  A016002154 

 Le bon M. de Sainte Catherine m'escrit quil a un peu despensé gros, mais je ne sçai pas que c'est: si je puis, je l'apprendray pour vous en tenir avertie.

  A016002154 

 Monseigneur le Nonce de France est deputé, et le lieu pour estre ouïe sera nostre pauvre chere Visitation; si que il y a toute sorte d'apparence que Monseigneur le Nonce me commettra, et que vous aures le commissaire le plus vostre et qui vous souhaite le plus de sainte consolation qui soit et puisse estre au monde.

  A016002156 

 Fille, de vous tenir dans l'enclos des advis que je vous donnay; ilz sont salutaires en tous tems, mays en l'occurrence en laquelle vous estes, ilz sont necessaires.

  A016002157 

 Salues, je vous supplie, cherement de ma part le P. Grangier et le P. de Vilars, que j'honnore tous deux de toutes mes affections, comm'aussi le bon P. Philippe, en la bienveuillance duquel vous estes obligee de me conserver, puisque c'est par vostre entremise que j'y suis entré.

  A016002159 

 Mays n'oublies pas madame Vulliat; c'est une fille nouvelle que j'en ayme un peu tendrement..

  A016002172 

 O ma tres chere Fille, il ne l'abandonnera jamais, car quoy que nous soyons troublee et angoissee de ces impertinentes tentations de chagrin et de despit, si est-ce que jamais nous ne voulons quitter Dieu, ni Nostre Dame, ni nostre Congregation qui est sienne, ni nos Regles qui sont sa volonté..

  A016002173 

 Et ces deux filles de ces diverses meres se battent, et celle qui ne vaut rien est si mauvaise, que quelquefois la bonne a bien a faire a s'en defendre, et lhors, il est advis a cette pauvre bonne qu'elle a esté vaincue et que la mauvaise est plus brave.

  A016002173 

 L'autre, c'est une certaine Peronne Marie qui a une tres bonne volonté d'estre toute a Dieu, et pour estre toute a Dieu, d'estre toute simplement humble et humblement douce envers tous les prochains; et c'est celle ci qui voudrait imiter saint Pierre, qui estoit si bon apres que Nostre Seigneur l'eut converti; c'est cette Peronne Marie qui est fille de la glorieuse Vierge Marie et, par consequent, de bonn'affection.

  A016002173 

 Mais, non certes, ma pauvre chere Peronne Marie, cette mauvaise la n'est pas plus brave que vous, mais ell'est plus afficheuse, perverse, surprenante et opiniastre; et quand vous alles pleurer, ell'est bien ayse, par ce que c'est tous-jours autant de tems perdu, et elle se contente de vous faire perdre le tems quand elle ne vous peut pas faire perdre l'eternité.

  A016002173 

 Vous dites bien, en verité, ma pauvre chere Fille Peronne Marie: ce sont deux hommes, ou deux femmes, que vous aves en vous.

  A016002174 

 Ma chere Fille, releves fort vostre courage, armes vous de la patience que nous devons avoir avec nous mesme.

  A016002174 

 Mays quand il arrivera que de sursaut elle vous attaque, encor qu'elle vous face un peu chanceler et prendre quelque petite entorse, ne vous fasches point, mais reclames Nostre Seigneur et Nostre Dame: ilz vous tendront la sainte main de leur secours, et silz vous laissent quelque tems en peine, ce sera pour vous faire de rechef reclamer et crier de plus fort a l'ayde..

  A016002174 

 Reveilles souvent vostre cœur affin quil soit un peu sur ses gardes a ne se laisser pas surprendre; soyes un peu attentive a cet ennemi; ou que vous mettres le pied, penses a luy, si vous voules, car cette mauvaise fille est par tout avec vous, et si vous ne penses a elle, elle pensera quelque chose contre vous.

  A016002175 

 Mays, ma Fille, n'ayes donq point honte d'estre un peu barboullié ( sic ) et poudreuse; il vaut mieux estre poudreuse que tigneuse, et pourveu que vous vous humiliies, tout se tournera en bien..

  A016002175 

 N'ayes point honte de tout ceci, ma chere Fille, non plus que saint Paul, qui confesse quil avoit deux hommes en soy, dont l'un estoit rebelle a Dieu et l'autre obeissant.

  A016002175 

 Sachés que Nostre Seigneur et Nostre Dame vous ayant mis au tracas du mesnage, savent bien et voyent que vous y estes tracassee; mais ilz ne laissent pas de vous cherir, pourveu que vous soyes humble et confiante.

  A016002187 

 Mays, qui pourroit asses admirer non plus qu'asses loüer sa Providence? Cette Bonté paternelle aura regardé de l'œil de son amour une quantité de filles et de femmes qui, pour diverses raysons, demeuroyent entre les hazars des flotz de la mer mondaine, s'il ne leur dressoit un port aysé auquel elles puissent surgir, nonobstant que leurs barques soyent un peu foibles.

  A016002188 

 Il m'escrit un trait de la Providence divine qui me plaist fort; car en la patente de permission que Leurs Majestés ont donnee pour l'erection de cette Mayson, on lanommoit «de la Congregation de la Visitation,» comme si Nostre Seigneur se fust voulu declairer par la voix royale.

  A016002190 

 Je retourne a l'affaire de dela, et puisque je suis a parler, je ne me puis tenir de m'estonner dequoy il semble qu'on se soit comme caché des Jesuites; car au contraire, entre les biens des Congregations, au dessus des Religions, celuy la est de ( sic ) plus grans, que les Congregations peuvent fort aysement avoir l'assistence [245] des Peres Jesuites, comme la Congregation des Guastales, de Milan, celle de Castillon et plusieurs autres d'Italie, qui fleurissent en sainteté et perfection..

  A016002191 

 Et sur ce point, ma tres chere Fille, prenes bien garde a parler des Carmelines avec reverence, car leur vertu et perfection vous y oblige; et puisque ce desordre survenu a la Presentation a eveillé le dessein de les faire venir a Lion, il faut esperer que Dieu en tirera plusieurs autres biens..

  A016002192 

 En somme, je treuve que vous vous estes bien conduite, ou plus tost que Nostre Seigneur vous a fort bien guidé en tout cet affaire, et ne pouvois rien desirer de mieux: ce que je dis apres avoir releu vostre lettre.

  A016002193 

 Ma tres chere Fille, il faut que j'envoye cette lettre a nostre Mere, et si, il est bien tard.

  A016002201 

 Il ni a moyen quelcomque de faire autrement, et l'importance est, que je ne vous sçauray pas seulement dire un mot de tout ce que j'ay fait aujourdhuy, sinon que j'ay pourtant un peu escrit dans le livre, que j'acheve..

  A016002201 

 Je ne sçai certes plus que faire avec ces gens, ma tres [248] chere et tres honnoree Mere, car ilz me tirannisent et, comme si c'estoit par conjuration, m'empeschent a vive force le bien que j'estime plus que tout, de vous aller au moins un peu voir de mes yeux.

  A016002212 

 La bonne Religieuse de Monthouz me dit hier que M me la Senatrice sa cousine desiroit se confesser ce matin a moy, qui le veux bien, et peut estre que, pour cet effect, elle seroit plus ayse que ce fut a la Visitation; et moy aussi, puisqu'aussi bien, malaysement puis-je sauver ma matinee, et que nostre M. Michel, a moytié malade, ne sçauroit escrire ce que je luy fournirois du livre, et que sur tout il nous fera grand bien de nous entrevoir, et ce sera tous-jours autant de fait.

  A016002222 

 Ce que je fay par ces quatre motz, de tout mon cœur, tant en consideration de la mere, qui est digne d'estr' assistee et qui est ma parente, qu'en consideration du filz qui, a mon advis, est plein de bonne volonté de reuscir en la crainte de Dieu..

  A016002222 

 La bonne M me des Crilles avoit une grande consolation en la creance que vous luy avies donnee de recevoir avec vous son filz, estimant que, sur toutes autres, [251] vostre presence luy seroit salutaire.

  A016002222 

 Mays puisque vous n'en aves pas le desir maintenant, elle vous voudroit prier de le loger au moins en quelqu'autre lieu ou il soit en bonne et vertueuse compaignie, au mieux quil vous sera possible; et croyant que j'aurois bien du credit envers vous, elle m'a conjuré de joindre ma priere a la sienne.

  A016002239 

 Le tesmoignage de la bienveuillance en mon endroit quil pleut a Vostre Grandeur de me donner a son despart [252] de cette ville, la pieté qu'elle prattiqua demandant la benediction celeste a cet indigne Pasteur, la naturelle inclination fortifiee de plusieurs obligations que mon ame a tous-jours saintement nourri envers vostre bonté, Monseigneur: tout cela, et plusieurs autres considerations que ma fidelité me suggeroit, me toucha vivement au cœur, et ne sceu m'empescher d'en rendre des signes a ceux que je rencontray sur le champ apres avoir perdu de vëue Vostre Grandeur..

  A016002240 

 Cette touche, avec quelque sorte d'esperance que Vostre Grandeur me commanda de conserver de son prochain retour, m'ont fait penser plus d'une fois aux raysons qu'ell'auroit de revenir, pour aggrandir ce reste de consolation qu'elle m'avoit laissé, me signifiant que la privation de sa presence ne seroit peut estre pas de si longue duree, ains beaucoup plus courte que nostre desplaysir ne nous faysoit imaginer.

  A016002240 

 Et j'ay treuvé, Monseigneur, que c'estoit le vray service de Vostre Grandeur qui requeroit vostre retour, et non seulement le general desir de tous vos tres humbles sujetz, qui prendroyent sa presence a soulagement, apres beaucoup de peyne qu'ilz ont souffert..

  A016002241 

 Ici, Vostre Grandeur a sa mayson paternelle et, sans comparayson, beaucoup mieux accompaignee des commodités requises a son sejour que pas une des autres, puisqu'ell'y peut fournir sans les autres, et pas une des autres sans celle ci..

  A016002242 

 Que si j'osois dire mes pensees sur les autres sujetz que Vostre Grandeur auroit de revenir, je luy marquerois le [253] desir ardent que Son Altesse Serenissime a eu qu'elle demeurast, auquel Vostre Grandeur correspondant par son retour, c'est sans doute qu'elle l'obligeroit non seulement a perseverer en l'amour plus que fraternel qu'ell'a tous-jours protesté envers icelle, mais elle en accroistroit extremement les causes, et par consequent les effectz..

  A016002243 

 Et donq, Vostre Grandeur ne seroit elle pas infiniment marrie de se treuver tant esloignee de Son Altesse et de ses Estatz? Ell'a voyrement commandé que le sieur de la Grange fit passer ses trouppes dela les montz, qui est un bon tesmoignage de la perseverance de Vostre [254] Grandeur au devoir qu'ell'a envers sadite Altesse; mais d'en esloigner sa personne tandis que la fievre de la guerre est en ses Estatz et qu'on ne sçait si Dieu permettra que nous y voyons arriver des acces perilleux, je ne sçai, Monseigneur, ce que l'on en pourra juger, au prejudice de l'affection que je sçai bien neanmoins estre immuable dans vostre cœur..

  A016002243 

 Je luy marquerois encor, qu'en cas que la guerre que Son Altesse Serenissime a sur les bras se rendit plus active et qu'elle passast jusques a quelqu'ardeur (ce que Dieu ne veuille), Vostre Grandeur, comme je pense, ne pourroit alhors retenir son courage quil ne la rapportast a la defense de ce sang, de cette Mayson, de cette couronne, de cet Estat dont ell'est et en quoy ell'a tant de part et tant d'interest, et ou manifestement vostre reputation, Monseigneur, presseroit vostre courage, si vostre courage, grand et bien nourri, ne prevenoit toute autre consideration, voyre mesme celle de la reputation.

  A016002244 

 Je dirois encor, qu'estant icy pendant que cette guerre durera, quoy que Vostre Grandeur ne fut pas en l'armee, l'ennemy auroit tous-jours opinion ou qu'ell'y iroit en tems de necessité, ou qu'elle prsepareroit des nouvelles forces pour assister Son Altesse; et ces pensees ne pourroyent estre que fort utiles aux affaires d'icelle.

  A016002244 

 Que si Vostre Grandeur se retire plus loin en un tems d'orage, certes, cela ressentira un abandonnement absolu du pilote et de la barque a la conservation delaquelle toute rayson humaine et divine oblige Vostre Grandeur, et laissera un certain sujet de plainte a tout cet arbre, dont vous, Monseigneur, estes une branche, a laquelle je ne sçai ce que l'on pourra respondre..

  A016002245 

 Je proteste, Monseigneur, que je n'en pensois pas tant dire, mais escrivant, la chaleur de ma fidelité envers Vostre Grandeur m'a emporté au dela des limites que je m'estois proposees; car en fin, je suis pressé de la crainte que le souvenir de cet abandonnement de Son Altesse en un tel tems, ne soit pour durer longuement et pour servir de motif a quelque reciproque separation qui ne pourra jamais estre avantageuse, et pourra, en cent occasions, estre desavantageuse a Vostre Grandeur.

  A016002246 

 Comme aussi, si j'estois si heureux que d'estr'exaucé, je n'en voudrois recevoir autre fruit que celuy du mutuel contentement de Son Altesse et de Vostre Grandeur, et de la commune joye de ses peuples et de tous ses vrays serviteurs..

  A016002246 

 Si la fidelité de ce porteur, mais sur tout si la bonté de Vostre Grandeur ne me donnoit asseurance, je n'aurois garde d'envoyer une lettre escritte avec cette liberté; mais je sçai d'un costé, qu'elle ne sera point egaree, et [255] d'ailleurs, que elle ne sera leùe que par des yeux doux et benins envers moy, qui aussi l'escris (ainsy Dieu tout puissant me soit en ayde) sans en avoir communiqué le dessein qu'a deux des tres humbles et fideles serviteurs, sujets et vassaux de Vostre Grandeur.

  A016002263 

 Au contraire, on m'escrit des le premier de ce moys, de Lion, que monsieur d'Alincourt l'attend lâ et fait des grans praeparatifs.

  A016002263 

 Il est vray que c'est un prestre qui me l'escrit, et par consequent peut estre mal instruit des nouvelles de cette qualité lâ; mays le retour du sieur de Corbonex esclarcira ce point.

  A016002263 

 J'ay une copie de la lettre que j'ay escritte, que je vous feray voir, Dieu aydant..

  A016002263 

 Mays que pourront ces orateurs mortz, en comparayson des harangueurs continuelz qui vivent, et soufflent perpetuellement dans les aureilles de ce Prince son esloignement de ce païs? Et puis, n'ont ilz pas des-ja fait la moytié de leur besoigne? [257] Et si nous n'avons sceu empescher le depart, quel moyen d'obtenir le retour? Melius non incipient quam desinent.

  A016002263 

 Or, j'ay escrit pour ne sembler pas avoir moins de desir que les autres pour un si grand bien; comm'en verité je l'aurois, ce desir-la, et plus grand et plus sincere que plusieurs autres, si je pensois que cela se peut faire, moralement parlant.

  A016002266 

 Le grand honneur quil vous portoit requeroit que vous, Monsieur, fussies le seul qui luy fissies cette demonstration de la memoire que vous aves de luy; aussi, nul n'en pouvoit faire egalement.

  A016002281 

 Dieu soit de plus en plus loué, ma tres chere Fille, dequoy mesme vous aves plus de santé que mon amour cordial envers vous ne me faysoit imaginer sur ce que vous m'aviés escrit.

  A016002282 

 A mesme tems, nouvelle que le jeune M. de Blonnay, qu'on a tenu pour mort, estoit hors de danger..

  A016002283 

 Hier, M lle de Monthouz, cousine germaine du cher [260] mary, entra a la Visitation pour faire le premier essay; et madame la Senatrice sa cousine l'amena, qui est aussi une bonne ame, et de la confession generale delaquelle j'ay receu bien du contentement pour les bonnes inspirations que j'ay veu en son esprit.

  A016002286 

 Nostre seur et la niece viennent faire icy l'hiver et prennent mayson a part; mon frere pourtant est maintenant un peu malade, a cause du tracas quil a fait parmi les affaires que ces trouppes de Monseigneur de Nemours nous donnent.

  A016002287 

 Bon soir, ma tres chere Fille, que mon ame cherit uniquement.

  A016002300 

 Quel remede, ma tres chere Mere, a cette invincible sujettion de recevoir des gens lhors que plus j'ay le desir de me revoir moy mesme aupres de vous! Il n'y a eu moyen quelconque de m'en eschapper.

  A016002310 

 C'est que cette petite Province de la Mission a grandement besoin de predicateurs, et ne sçay ou donner de la teste pour en avoir, estant separee des autres Provinces, et n'ayant que des Italiens et Savoyards, ou Bressans.

  A016002310 

 Je vous supplie tres humblement d'interceder en ma faveur; mais ce que je ne desire pas que Monseigneur le Cardinal sçache, je vous-le diray confidemment.

  A016002310 

 Pour cela, le Pere Provincial m'a conjuré de faire ce bon office, et m'a marqué specialement que j'employasse vostre intercession, comme je fay, vous la demandant, Monseigneur, tres humblement et tres affectionnement..

  A016002311 

 C'est pourquoy, Monseigneur, je vous supplie tres humblement d'employer vostre authorité et dexterité pour empescher ce coup, le dessein duquel ne peut proceder que d'envie ou de telle tentation; car c'est honneur a l'estude de Paris d'estendre ses rameaux hors du royaume.

  A016002311 

 Item, les Cordeliers de ce païs de Savoye ont eu nouvelles que leur Provincial sollicite messieurs du clergé de France affin quilz fassent retrancher leurs couvens de la Province de Saint Bonaventure es Estatz qui se celebrent; en suite de quoy, les Cordeliers savoyards n'auroyent plus acces a l'estude de Paris, [264] ou ilz ont eu tant de doctes et braves docteurs qui ont regenté et gouverné en ce couvent la, comme je l'ay veu moy mesme.

  A016002313 

 J'attendray l'oracle de vostre jugement pour le corriger avant quil viellisse, si vous me faites lhonneur de le voir et de me faire sçavoir les defautz que j'y auray commis, avec autant de liberté comme avec une veritable sousmission je souhaite vostre censure..

  A016002313 

 Je vous confesse a vous, Monseigneur, que cette petite besoigne ne me desplait pas beaucoup; mays j'ay grand peur qu'elle ne reuscisse pas si heureusement que l'autre precedente, pour estre, a mon advis, un peu plus nerveuse et forte, quoy que j'aye tasché de l'adoucir et fuir les traitz difficiles.

  A016002314 

 C'est par nostre M. de Medio que je vous escris, Monseigneur; il prendra, je m'asseure, playsir a vous dire nos petites miserables nouvelles.

  A016002337 

 C'est ce qu'attend de moi Dieu notre Sauveur; il ne nous a faits si proches voisins, qu'afin que nous entreportions autant que possible les fardeaux l'un de l'autre.

  A016002337 

 Ce bon office, je vous le dois encore, Monseigneur, à cause de la bienveillance que vous me témoignez depuis si longtemps et pour les égards que mérite votre souveraine et inviolable affection envers l'Eglise catholique..

  A016002338 

 C'est pourquoi, aussitôt que Votre Seigneurie Révérendissime m'aura fixé le jour, je ne manquerai pas de remplir très volontiers, dans la cérémonie de sa consécration, la fonction d'un promoteur [267] très aimant, et, je le désire, très aimé.

  A016002339 

 En attendant, salut dans le Christ, Illustrissime et Révérendissime Prélat, et que ce même Sauveur vous soit propice..

  A016002351 

 Lhors que monsieur de Corbonnex fut icy, j'estois en un petit voyage que j'ay fait en Tharentayse pour la [268] consecration de 1'eglise que les Capucins y ont dressee nouvellement, selon la recommandation que Monseigneur l'Archevesque de ce lieu-la m'en avoit faite a son depart, et, dans deux jours, je vay en Valey, ou on doit sacrer Monseigneur de Syon le second Dimanche de l'Advent.

  A016002352 

 J'ay apris par monsieur du Noyeret une partie de la negociation de Saint Rembert, car il a juge que vous [269] desiries que je la sceusse, puisque monsieur de Corbonnex avoit charge de me la communiquer.

  A016002352 

 Si ce bon Prince revient, je seray grandement trompé, car, a ce que j'apprens, on le porte tous-jours plus avant de delà, et il me le signifie luy mesme par une lettre quil m'a fait la faveur de m'escrire..

  A016002370 

 Je ne veux pas vous beaucoup entretenir maintenant par lettre, car en voyla une vivante qui vous va voir, [270] en laquelle vous lires plus de bien que je ne sçaurois vous en escrire..

  A016002371 

 Il ne faut sinon continuer joyeusement en la poursuite que nous faysons du saint amour de sa divine Majesté.

  A016002371 

 J'espere de vous voir dans cet hiver, car vous ne le passeres pas sans rendre la pareille de cette visite que vous fait la chere cousine, principalement si monsieur vostre mari fait sejour dela les mons..

  A016002372 

 Helas! je n'ay pas seulement pensé a ce que vous m'escrives de Tharentayse; je fais trop d'estat dé la viduité pour me remarier jamais.

  A016002380 

 Je m'asseure que vous la recevres de bon cœur a cause de son merite, et qu'elle est fille de monsieur et madame de la Ruaz, a qui j'ay lhonneur d'appartenir..

  A016002390 

 Et ce bon gentilhomme soüisse m'a commencé a dire que M. l'Evesque son frere n'avoit pas desiré ma presence a sa consecration seulement pour l'action, mais pour conferer avec moy de plusieurs choses d'importance pour l'entier restablissement de la sainte religion en ce pais-lâ.

  A016002390 

 Qu'a jamais ce Sauveur soit nostre robbe [273] royale qui nous couvre et defende du froid de l'iniquité, et nous eschauffe en ce divin amour que nostre unique cœur cherche..

  A016002390 

 Voyla pourquoy je vay encor plus joyeusement voir si Dieu se servira de moy en quelque chose pour sa gloire; car saches, ma tres chere Mere, que j'ay eu en chemin, et ce matin encor plus, des grans sentimens de la grace que Dieu fait a ceux qu'il employe a son service et ausquelz il donne le vray goust des vertus, ayant eu cette pensee sur les paroles que l'Eglise inculque et qui donnerent le dernier coup a la conversion de saint Augustin: Non point es banquetz et ivroigneries, non point es couches et impudicitès, mais revestes vous de Nostre Seigneur Jesus Christ.

  A016002393 

 Le cher filz vous bayse tres humblement les mains; il arriva hier, ainsy que nous entrions a table, c'est a dire a 5 heures..

  A016002404 

 Mays parmi cela, j'ay apperçeu que le seigneur gouverneur de Milan a des grandes prattiques pour attirer cet Estat au parti d'Espagne, et a presque des-ja gaigné pour cet effect les vœux et les voix des quattre dizains, qu'ilz appellent, d'en haut: Rarogne, Vespia, Brighen et Comze, qui auroyent des-ja fait passer leur inclination en resolution, si Monseigneur de Sion et les trois dizains d'embas, Sion, Sierre et Loeïtze, ne se fussent grandement opposés pour empescher ce coup, lequel toutefois il sera malaysé de destourner, si quelqu'un n'arrive promptement entr'eux de la part de Vostre Altesse, avec les provisions requises pour reasseurer ces espritz-la fort esbranslés..

  A016002405 

 Et par ce, Monseigneur, que le Valley estant si proche de Savoye et Piemont, ne peut estre qu'extremement utile aux affaires de Vostre Altesse, quand ell'en aura l'alliance et correspondance, j'ay pensé que cet advis estoit d'importance et que je le devois donner a Vostre Altesse, laquelle je supplie tres humblement de l'avoir aggreable, comm'encor que je luy die que ce jeune Prelat que nous venons de sacrer est de fort bonne esperance, devot, actif, de bon esprit et plus gentil que sa nation n'a pas accoustumé d'en produire, fort affectionné a Vostre Altesse, et qui attendoit avec honneur un anneau episcopal en present, de Monseigneur le Prince Cardinal, ainsy qu'on luy avoit fait esperer..

  A016002419 

 Je vous donnay advis, a mon départ d'Annessi, comme je venois en Valley pour la consecration de Monseigneur l'Evesque de Sion qui, des il y a longtems, m'y avoit convié, et a la celebration delaquelle j'estois necessaire en quelque sorte, puisqu'il n'avoit point d'Evesque plus proche qui luy peut rendre cet office avec moins d'incommodité que moy.

  A016002419 

 Or, revenant de la, je me suis treuvé obligé de donner advis a Son Altesse de l'effort que le seigneur gouverneur de Milan fait pour attirer le pais de Valey au parti d'Espagne et soustraire cett'alliance a Son Altesse; dequoy les fers sont si avant au feu, que si sadite Altesse n'y remedie promptement, je ne sçai comm'on en pourra empescher les effectz.

  A016002420 

 C'est pourquoy je la supplie d'envoyer ma lettre ci jointe au plus tost a sadite Altesse, a laquelle je ne dis pas que ces gens-la sont merveilleusement ombrageux et delicatz a entretenir, car elle le sçait bien; mays je luy eusse volontier dit qu'en suite de cela, ilz ont treuvé estrange que le seigneur Valdenghe n'ayt pas comparu au sacre de leur Evesque et a l'assemblee qui estoit assignee a ce jour la, puisque mesme on leur en avoit donné intention, comme aussi a Monseigneur de Syon que Monseigneur le Prince Cardinal luy envoyeroit son anneau episcopal.

  A016002420 

 Que si ledit sieur Valdenghe, ou quelqu'autre de la part de Son Altesse, ne se treuve mardi, 16 de ce moys, ou soudain apres, en l'assemblee generale des dizains qui se doit [277] celebrer, je crains infiniment que l'alliance de Son Altesse ne se convertisse en celle d'Espagne..

  A016002421 

 Le bon Monseigneur l'Archevesque de Vienne et moy fusmes exempts des carroux, hormis de quatre, a la santé de Son Altesse, de Messeigneurs les Princes, des sept cantons catholiques et de Monseigneur le Prince et seigneurs dizains du pais de Valey; mays nous les fismes encor dans des verres et selon la mesure que nous voulusmes.

  A016002422 

 Il falloit bien, Monsieur, vous dire tout, en gardant pour la bonne bouche que ce nouveau Prince et Evesque (car ilz l'appellent ainsy) est tout brave, devot, sçavant, gentil et courageux, fort serviteur de Son Altesse et ami de la Savoye..

  A016002438 

 Je luy respondray que la vocation de cette fille n'est pas mon œuvre, ains de Dieu, comme je pense; que je ne n'oserois contribuer une seule parole pour la ruiner.

  A016002438 

 Mays vous, ma tre chere Mere, escrives-luy fort doucement que vous n'aves rien contribué a la vocation et que vous craindries trop d'offencer Dieu en la dissuadant; qu'ell'est en sa liberté, delaquelle elle peut user a son gré, et que si Dieu la veut en nostre Congreation, ce vous seroit une grande charge de conscience a l'heure de vostre mort de la repousser; que vous la supplies de s'en accommoder a ce que Dieu en disposera.

  A016002449 

 Je vous puis asseurer que nostre chere Seur Françoise Gabrielle Bailly, vostre seur, m'est aussi chere que si c'estoit la mienne propre, sa pieté m'y ayant convié, et loue Dieu de ce qu'elle reçoit et donne beaucoup de consolation en la Congregation de nos cheres Seurs.

  A016002449 

 Nostre Mere d'icy l'ayme parfaitement, et nous voyons que c'est un vase bien poly, vuide, ouvert pour recevoir de [280] grandes graces celestes; car c'est une ame droitte, un esprit vuide et desnué de toutes les choses de ce monde, et qui n'a pensee ni dessein que pour son Dieu.

  A016002449 

 O qu'elle est heureuse en cet estat! car peu importe le tems passager a une ame qui aspire a l'eternité, et qui ne regarde ces momens perissables que pour aller en la vie immortelle..

  A016002450 

 Je sçai que vostre ame est de celles desquelles les yeux vont defaillans a force de regarder le sacré object de leur amour, disant: Quand me consolerés-vous?.

  A016002451 

 Ah! vray Dieu, mon cher Pere, moy qui ne fus jamais seulement bon clerc, m'appartient-il d'instruire les saintz Religieux? Portés doucement et amoureusement vostre croix, laquelle, a ce que j'entens, est asses grande pour vous combler de benedictions, si vous l'aymés..

  A016002452 

 Enflammés mon sacrifice de l'ardeur de vostre charité, et croyés que je suis.

  A016002452 

 Quelque petite occupation m'empesche de respondre a souhait a la douce lettre que vous m'aves escrit.

  A016002452 

 Seulement je vous dis que c'est aujourd'huy le jour que je fus consacré a Dieu pour le service des ames; je solemnise tous les ans ce jour avec le plus d'affection que je peux, me consacrant de nouveau a mon Dieu.

  A016002463 

 J'ay repensé, ma tres chere Mere, au desir que M me de Gouffier a de vous venir prendre, et l'ay conferé avec ses lettres; et m'est venu en l'esprit que peut estre il ne seroyt pas si hors de rayson quil me sembloit d'abord, puisqu'elle son esprit si embarrassé et plein de choses qui l'affligent.

  A016002471 

 Ne craignés point, la foy reside tous-jours en la cime [282] et pointe de vostre esprit, et cela vous asseure que ces troubles finiront et que vous jouires du repos desiré au sein de Dieu; mais la grandeur du bruit et des cris que l'ennemy fait dans le reste de l'ame et rayson inferieure, empesche que les advis et remonstrances de la foy ne sont presque point entendus.

  A016002480 

 Dites moy comme vous vous portes, pour Dieu et pour moy, qui suis, comme vous sçaves vous mesme, plus vostre que vous mesme..

  A016002486 

 Que ma tres chere Mere soit benite des plus sacrees benedictions du Sauveur de son ame! Amen..

  A016002487 

 Pour moy, je me porte fort bien, graces a Dieu, et suis autant vostre que vous mesme, tout en verité..

  A016002496 

 Maintenant que vous diray-je? Bien des choses sans doute, si je voulois suivre mes affections, lesquelles seront [284] tous-jours pleynes pour vous, comme je desire que les vostres soyent bien pleynes pour moy, quand sur tout vous seres dans le petit oratoire, ou je vous supplie d'en respandre beaucoup devant Dieu a l'intention de mon amendement; ainsy que de mon costé je respans, non les miennes, qui sont indignes a rayson du cœur ou elles sont, mays le sang de l'Aigneau immaculé, devant le Pere eternel, en faveur de la bonne intention que vous aves d'estre toute sienne..

  A016002498 

 Sur tout, ma chere Mere, il nous faut avoir un cœur bon, doux et amoureux envers le prochain, et particulierement quand il nous est a charge et degoust; car alhors nous n'avons rien en luy pour l'aymer, que le respect du Sauveur, qui rend l'amour sans doute plus excellent et digne d'autant qu'il est plus pur et net des conditions caduques..

  A016002506 

 Ce m'a esté un honneur extremement sensible d'avoir receu de vostre part ces riches et devotz Theoremes que le Reverend Pere Ange Le Blanc m'a remis; et si j'avois le riche parfumier ou cabinet des unguens que cet ancien prince Alexandre le Grand destina pour la garde des livres et escritz d'Homere, je le destinerois aussi a la conservation de ce beau present, lequel m'est d'autant plus pretieux que je n'avois garde de l'oser [286] esperer, puisque je n'ay pas mesme pensé que vous eussies sceu que je fusse au monde, ou estant, de vray, si peu de chose, confiné en ce recoin de nos montagnes, je me tiens pour invisible.

  A016002507 

 Et pleust a Dieu que tant de poetes chrestiens qui ont en nostre aage si dignement tesmoigné comme vous, Monsieur, la beauté de leur esprit, eussent aussi, comme vous, fait paroistre la bonté de leur jugement au choix des sujetz de leurs poëmes! La corruption des mœurs ne seroit pas si grande; car c'est merveille combien les discours resserrés dans les lois des vers ont de pouvoir pour penetrer les cœurs et assujettir la memoire.

  A016002508 

 Et vous, Monsieur, usés, ains jouisses tous-jours ainsy saintement de ce beau, riche et bon esprit que la divine Majesté vous a conferé en cette vie temporelle, affin que vous vous res-jouissies a jamais, contemplant et chantant glorieusement les mesmes mysteres, en la vie eternelle.

  A016002520 

 Et n'estoit que je sçai que vous aves peur que l'amour naturel ne soit trop rafroidy et presque tout esteint, je n'oserois pas vous donner cette atteinte pour le resveiller.

  A016002520 

 Un fort honneste gentilhomme me vient demander une lettre vers M. le Grand pour la recommandation de quelque affaire qu'il a; j'ay pensé que peut estre auries vous playsir d'escrire a vostre cher enfant.

  A016002529 

 Dieu nous visite en sa douceur, et veut que la Visitation soit invitee par nostre tres bon Monseigneur de Lion de l'aller visiter en son diocese, pour y establir une Mayson de Nostre Dame comme la nostre d'Annessy.

  A016002529 

 Or, d'autant que l'entreprise est grande et que c'est la premiere saillie ou production de nostre Mayson (que je desire qui ne produise rien que de bon), nous voulons y envoyer la cresme de nostre Congregation; et parce que nostre chere fille Marie Aymee est un de nos plus pretieux sujetz, je desire de la poser aux fondemens de ce nouvel edifice..

  A016002530 

 Et encor (pour parler un peu humainement a un pere qui ayme bien son enfant), cette mission est glorieuse a nostre fille, a laquelle je ne me baste point de demander si elle voudra aller, me tenant asseuré de son obeissance, comme je [289] suis asseuré de vostre resignation, et que vous le deves estre de l'affection fraternelle de.

  A016002530 

 J'espere que vostre pieté, mon cher Frere, vous fera volontier acquiescer a l'esloignement de cette chere fille, puisqu'il est requis a la gloire de Dieu.

  A016002537 

 Que s'il ne vous fait pas sentir la [290] douceur de son saint amour, c'est pour vous rendre plus humble et plus abjecte a vos yeux.

  A016002538 

 Si vous aymes les richesses, vous y treuveres l'or que les Rois y ont laissé; si vous aymés la fumee des honneurs, vous y treuveres celle de l'encens, et si vous aymes les delicatesses des sens, sentes-y la mirrhe odorante qui parfume tout l'estable.

  A016002538 

 Soyes riche en amour pour ce cher Sauveur; honnorable en la privauté que vous prendres avec luy par l'orayson, et toute delicieuse en la joye de sentir en vous les saintes inspirations et affections d'estre tres uniquement sienne..

  A016002540 

 Or, il faut que vous, au contraire, estendies vostre cœur par une frequente repetition de vostre protestation, que vous ne relascheres jamais, que vous persevereres en vostre fidelité, que vous [291] aymes mieux les rigueurs du service de Dieu, que les douceurs du service du monde, que jamais vous n'abandonneres vostre Espoux..

  A016002541 

 Gardés bien, ma chere Fille, de quitter la sainte orayson, car vous feries le jeu de vostre adversaire; mais continues constamment en ce saint exercice et attendes que Nostre Seigneur vous parle, car il vous dira un jour des paroles de paix et de consolation; et lhors vous connoistres que vostre peyne aura esté bien employee, et vostre patience, utile..

  A016002542 

 Dites souvent: Que vive Jesus!.

  A016002550 

 J'ay receu vos lettres, ma tres chere Fille, mais on ne m'a donné commodité d'y respondre que maintenant; encor n'ay-je loysir que celuy que je prens au milieu d'un appointement..

  A016002551 

 C'est un grand cas de la malice de l'esprit humain! Rien ne nous donne tant de sujet de resignation [292] que la rencontre des diverses ruses dont il se sert a mal faire..

  A016002551 

 Pour le premier chef, vous pourres, en justification de M. de Blonnay, declairer tout ce que vous aves appris du tappis.

  A016002552 

 Il seroit requis que M. de Blonnay arrestast, mais je ne sçai si nous le pourrons faire, car je le voy disposé a tout quitter, par la recherche quil me fait de l'envoyer a Lion, servir de chapelain la nouvelle Visitation.

  A016002552 

 Je luy respons en sorte que je luy donne courage de demeurer, ne m'estant pas advis quil fut bon a l'office quil recherche, d'autant que c'est un esprit foysonnant de conceptions et fort porté aux extremités..

  A016002553 

 J'ay remis la lettre a M me de Chantal sans la voir, par ce que je n'avois pas encor leu celle que vous m'escrivies.

  A016002567 

 Certes, ma tres chere Fille, son esprit n'est pas pour supporter un si grand tracas; et je voy que non seulement cela, mais il est pour se retirer de Rumilly.

  A016002579 

 Ce sont les benedictions que Jacob se souhaitoit quand il partit de Bethel, et ce sont celles la que je me souhaite a moy mesme, ma tres chere et tres unique Fille, a [295] vostre despart de ce lieu, ou vous demeures en partant et d'ou vous partes en demeurant..

  A016002580 

 Les ames que Dieu a rendu tout une sont inseparables, car, qui peut separer ce que Dieu a joint? Non, ni la mort, ni chose quelconque ne nous separera jamais de l'unité qui est en Jesus Christ, qui vive a jamais en nostre cœur.

  A016002585 

 Allons donq, ma tres chere Fille, avec un seul cœur, ou Dieu nous appelle; car la diversité des chemins ne rend rien de divers en nous, puisque c'est a un seul object et pour un seul sujet que nous allons..

  A016002586 

 O Dieu de mon cœur, tenés ma tres chere fille de vostre main; que son Ange soit tous-jours a sa dextre pour la proteger, que la Sainte Vierge Nostre Dame la recree tous-jours de l'aspect de ses yeux debonnaires..

  A016002591 

 A mesure que vous allés outre, ma tres chere Mere, ma Fille, vous deves prendre courage et vous res-jouir dequoy vous [296] contentes Nostre Seigneur, le contentement seul duquel contente tout le Paradis..

  A016002592 

 Allons donq, ma chere Fille, allons suavement et joyeusement faire l'œuvre que nostre Maistre nous a marquee..

  A016002597 

 Hé! ma tres chere Mere, ma Fille, il me vient en memoire que le grand saint Ignace, qui portoit Jesus Christ en son cœur, alloit joyeusement servir de pasture aux lions et souffrir le martyre de leurs dens: et voyla que vous allés, et nous allons, s'il plaist a ce grand Sauveur, a Lion, pour y faire plusieurs services a Nostre Seigneur, et luy preparer plusieurs ames desquelles il se rendra l'Espoux.

  A016002598 

 Que bienheureux sont les espritz qui marchent selon la volonté de ce divin Esprit, et le cherchent de tout leur cœur, laissant tout, et le Pere mesme qu'il leur a donné, pour suivre sa divine Majesté!.

  A016002603 

 Nos Anges de deça tiennent les yeux sur vous et sur vostre petite trouppe et ne vous peuvent abandonner, puisque vous n'abandonnes pas le lieu de leur protection, ni les personnes de leur garde, que pour n'abandonner pas la volonté de Celuy pour la volonté duquel ilz s'estiment heureux d'abandonner maintes fois le Ciel.

  A016002604 

 Allés donq, ma Fille, allés avec mille et mille benedictions que vostre Pere vous donne, et sçachés que jamais il ne manquera de respandre, par toutes les aspirations que son ame fera, des combles de souhaitz sacrés sur la vostre.

  A016002608 

 O Dieu, que c'est une douce chose que d'avoir la sainte unité des cœurs qui, par une merveille inconneuë au monde, nous fait estre en plusieurs lieux, sans division ni separation quelconque..

  A016002609 

 Et comme une seule femme se console en l'une et l'autre main, tenant son filz de l'une et son pere de l'autre, ainsy res-jouissons nous dequoy en une parfaite unité d'esprit [298] et de tout nous mesmes, icy ou nous demeurons et la ou nous allons, nous nous tenons a ce Sauveur que nostre cœur veut cherir reveremment comme son Pere et tendrement comme un filz..

  A016002615 

 O Seigneur Jesus, sauvés, benissés, confirmés et conservés ce cœur qu'il vous a pleu de rendre unique en vostre divin amour; et puisque vous luy aves donné l'inspiration de se dedier et consacrer a vostre saint Nom, que vostre saint Nom le remplisse comme un bausme de divine charité, qui, en une parfaite unité, respande les varietés des parfums et odeurs de suavité requises a l'edification du prochain.

  A016002616 

 Dieu, qui les a assemblees, les benisse; leurs saintz Anges soyent a jamais autour d'elles, respandant a pleines mains les graces et consolations celestes dans leurs cœurs bienaymés, et que la Sainte Vierge, desployant sa poitrine maternelle sur elles, les conserve en la vertu de son amoureuse maternité.

  A016002621 

 Helas, mon Dieu, ma tres chere Mere, que j'ay esté estonné quand par vostre lettre j'ay sceu, comme tout a coup, la longueur et le danger de vostre maladie! car, croyés moy, je vous supplie, mon cœur vous cherit finalement.

  A016002622 

 Seigneur Jesus, quel vray bonheur a une ame dediee a Dieu d'estre fort exercee par la tribulation avant qu'elle parte de cette vie! Ma tres chere Mere, comme peut on connoistre le franc et vif amour, que parmi les espines, les croix, les langueurs, et sur tout quand les langueurs sont accompaignees de longueur? Aussi, nostre cher Sauveur a tesmoigné son amour desmesuré par la mesure de ses travaux et passions..

  A016002623 

 Jamais je ne manqueray a prier la divine Majesté pour la perfection de vostre cœur, que le mien ayme, cherit et honnore tendrement..

  A016002623 

 Soyés contente a vouloir doucement tout ce que Dieu [300] veut que vous soyés.

  A016002624 

 A Dieu, ma tres chere Mere, et ma tres chere Fille encor; a Dieu soyons-nous eternellement, et nous et nos affections, et nos petites peynes et les grandes, et tout ce que la divine Bonté veut estre nostre.

  A016002632 

 Ce billet vous asseurera de ma part que je n'ay receu aucune lettre de Son Altesse despuis une qu'elle m'escrivit, pour tesmoigner le gré qu'elle me sçavoit d'un asses important advis que je luy avois donné en l'occasion de mon voyage en Valley..

  A016002633 

 Cependant je vous suis trop obligé de la part que vous aves en tout ce qui me regarde, qui suis aussi de tout mon cœur, Monsieur,.

  A016002646 

 Voyci la seconde commodité de vous escrire, ma tres chere Mere, et voyci aussi ma seconde lettre, qui vous porteroit mille nouvelles du cœur que vous aves icy, si j'avois autant de loysir quil en faudroit; mais je vous en diray asses, ma tres chere Mere..

  A016002647 

 Les deux premiers jours quil ne se vid plus soymesme, il demeura en une douce tendreté et quelques larmes; mais quand je le portay la premiere fois ou il avoit accoustumé de treuver son ame et quil ne l'y treuva plus, il fut saysi d'un estonnement nompareil qui luy a duré trois ou quatre jours et le resaisit souvent, c'est a dire quand il y pense par maniere de privation du bien quil ayme plus que tout autre du monde.

  A016002647 

 Mays tout cela ne touche point la pointe de l'esprit qui, asseuré de plus en plus de l'indissoluble et invariable unité que Dieu a faite de ce que nous sommes, demeure aussi impenetrable a toute sorte d'apprehension.

  A016002647 

 Mays, ne disons plus rien de cela; car, ne suffit il pas que Dieu nous ayant rendus une mesme chose, nous soyons par tout nous mesmes tout siens?.

  A016002648 

 Elle me dit que nostre fille de Rabutin s'attristoit. et pleuroit pour n'avoir pas dequoy se faire brave; et je luy dis quil failloit luy faire faire un beau collet pour les festes, et cela suffiroit au vilage, en attendant mieux a vostre retour.

  A016002648 

 Je ne vis qu'elle, par ce que j'arrestay fort peu; mais au retour, je les verray toutes, et commencerons par les Novices.

  A016002648 

 Je pense que cette fille croit que ce soit grand contentement d'avoir ces dentailles et ces colletz montans (vous voyes bien que j'en sçai quelque chose), et il la faut charger de cela; quand elle verra que cela n'est pas si grand feste, elle reviendra a soy.

  A016002648 

 Mays nostre fille de Thorens se confessa et s'en alla bien brave; elle m'a prié de luy [303] faire un'orayson qu'elle die tous les jours tandis qu'elle sera grosse; ce que je feray, et vous en envoyeray une copie affin que vous sachies tout..

  A016002649 

 Je l'en supplie continuellement, estant perpetuellement a Lion, non seulement en vous comme vous mesme, mais aussi en vostre petite mayson, ou je suis present, ce me semble, en esprit a tout ce petit mesnage spirituel que Dieu y fait naistre..

  A016002649 

 Que j'ay d'envie, ma tres chere Mere, de sçavoir vostre abord et quel commencement Dieu aura donné au service pour lequel il vous a appellee.

  A016002649 

 Tout ira bien, je m'en asseure, et la tressainte Vierge Nostre Dame tiendra vos cierges allumés, affin que vous esclairies a ces bonnes ames qu'ell'a marquees de sa bonté pour estre ses servantes.

  A016002650 

 Benisses [304] ma premiere chere fille Marie Jaqueline, affin qu'elle soit le commencement permanent de la joye du Pere et de la Mere que vous luy aves donné.

  A016002650 

 La chere fille Marie Aymee soit aymee des Anges et des hommes, pour provoquer plusieurs ames a l'amour de vostre divine Majesté, et benisses le cœur de ma chere fille Marie Elizabeth, affin que ce soit un cœur de benediction immortelle..

  A016002651 

 Et sur tout, que le cœur de ma tres chere Mere, comme le mien propre, soit a jamais tout detrempé au tressaint amour de Jesus qui vive et regne es siecles des siecles.

  A016002651 

 Ma tres chere Mere, que benediction sur benediction et jusques au comble de toute benediction soit adjousté a vostre cœur.

  A016002651 

 Que vous puissiés voir vostre fille aysnee tous-jours recommençante par des nouvelles ardeurs, la seconde tous-jours croissante en vertu, la troisiesme tous-jours aymante, la derniere tous-jours benite; affin que la benediction du saint amour croisse et recommence a jamais en vostre petite assemblee.

  A016002652 

 J'ay grande consolation en l'esperance que je sens des benedictions que Dieu leur donnera..

  A016002665 

 Je vous ay envoyé le brevet pour le petit benefice de Gex, et ay eu nouvelles que Monseigneur l'Archevesque de Bourges n'estoit pas mort, ains guerissoit..

  A016002666 

 Monsieur Masuyer m'escrit une grande lettre pour [306] me persuader d'aller prescher a Paris le Caresme suyvant, ou a Saint Germain ou a Saint Mederic; mais si je pouvois avoir assés de liberté pour prendre ce contentement de revoir cette chere ville, ce seroit a vostre choix et privativement a tous autres que je me logerois en chaire, comme ce seroit de vous voir et estre pres de vous que je recevrois le plus de consolation.

  A016002666 

 Or, puisque je ne puis faire ce voyage la qu'au gré de mon Prince, dans l'Estat duquel je vis et dois vivre, autre n'advenant, et que je ne voy rien qui me puisse promettre son aggreement pour cela, il faut que je prenne patience dans mon buisson, auquel, puisque Dieu y est comme ailleurs, il a dequoy se consoler..

  A016002667 

 Je ne veux point perdre de tems apres Pasque pour tirer au jour ce petit ouvrage de l' Amour de Dieu, que vous aymés et desirés; et voyrement je donneray ordre que vous en aurés les fins premiers exemplaires qui s'en porteront a Paris, comme vous estes aussi le fin premier amy que j'y aye et ailleurs, et que je suis,.

  A016002672 

 J'attens de sçavoir que M. de Grenyer deviendra, car je ne sçai plus ou il est, sinon qu'il soit encor a Monpelier, attendant les nouvelles de son logement que vous luy avés impetré chez Monseigneur de Joyeuse..

  A016002680 

 J'envoyay au seigneur Ranze, il y a fort long tems, tout ce que j'avoys peu recueillir non seulement en ce diocaese de Geneve, mais encor ailleurs, pour l'avancement de la canonization du tre heureux Prince Amé troysiesme, et suys asseuré que le tout a esté receu.

  A016002680 

 Mays j'ay jugé que le trespas dudit seigneur Ranze avoit esté cause de l'esgarement de ces pieces et de l'apparence, par conseuent, de la neligence delaquelle je n'avois pas commis la verité.

  A016002680 

 Or, voyla donq derechef, Monseigneur, des authentiques attestations de lhonneur religieux qui a esté porté a ce bienheureux Prince en divers endroitz, avec un petit memorial pour la correction de ce que le P. Maleto en a escrit en desordre, faute d'avoir entendu les actes que j'avois envoyés en langue françoise..

  A016002681 

 Au demeurant, Monseigneur, Vostre Altesse nous [308] ayant fait le bien de procurer la venue des bons Peres Barnabites en cette ville, dont nous la remercions tres humblement, nous la supplions tres humblement aussi tous, tant que nous sommes ses tres obeissans serviteurs de deça, qu'il playse a sa bonté de vouloir bien prendre en speciale protection cette œuvre, delaquelle le fruit sera incroyable et qui portera sa splendeur a la posterité, si les revenus de ce college estoyent suffisans pour l'entretenement d'autant de personnes quil en faudroit pour faire les functions que ces Peres feroyent excellemment en un lieu si propre, regardé de tant de nations estrangeres, centre, de la Savoye, et a la juste distance qu'il faut pour jetter les bons exemples et la doctrine dedans Geneve..

  A016002698 

 Au moins, ne pouvant rien davantage, je vous donne tous les meilleurs souhaitz que mon ame me peut fournir, et les presente a la majesté de Nostre Seigneur, affin quil luy playse vous donner, avec la patience quil vous a departie il y a long tems, le doux et tres humble aggreement de vos travaux que les plus grans Saints ont eu des leurs, affin que, moissonnant beaucoup de merites en cette arriere sayson de vostre aage, vous vous treuvies riche devant sa divine face, quand vous la verrés..

  A016002698 

 Mon cœur va visiter le vostre en l'infirmité de son pauvre cors, et voudrois bien vous offrir quelques services dignes de l'humble et forte affection filiale que j'ay envers vous.

  A016002699 

 Ma tres chere Mere, croyes, je vous supplie, que mon ame vous ayme et honnore filialement, et que les foibles prieres que je pourray contribuer a vostre consolation ne vous seront point espargnees.

  A016002704 

 Si vous escrivies ou faysies sçavoir de vos nouvelles a ma chere seur madame de Grandmayson, pour Dieu, ma chere Mere, faites luy aussi sçavoir que je luy souhaite mille faveurs du Ciel et la cheris comme ma seur et fille tres aymee..

  A016002720 

 Ce que nous avons fait jusques a present est bon, mais ce que nous allons commencer sera meilleur; et quand nous l'aurons achevé, nous recommencerons une autre chose qui sera encor meilleure, et puis une autre, jusques a ce que nous sortirons de ce monde pour commencer une autre vie qui n'aura point de fin, parce que rien de mieux ne nous pourra arriver.

  A016002720 

 Je vis les pleurs de ma pauvre Seur [Marie-Madeleine,] et il me semble que toutes nos enfances ne procedent d'autre defaut que de celuy ci: c'est que nous oublions la maxime des Saintz, qui nous ont advertis que tous les jours nous devons estimer de commencer nostre avancement ou perfection; et si nous pensions bien a cela, nous ne nous treuverions point estonnés de rencontrer de la misere en nous, ni dequoy retrancher.

  A016002721 

 Certes, ma tres chere Mere, vous voyes que mon cœur et le vostre propre est plein de ce sentiment, puisqu'il verse ces paroles, quoy qu'il soit sans loysir et qu'il n'y eust pas pensé..

  A016002722 

 C'est pourquoy le grand Apostre s'escrie: Celuy qui se recommande soy mesme n'est pas appreuvé, mais celuy que Dieu recommande..

  A016002722 

 Ne pensés pas que pour estre a Lion vous soyes dispensee du pacte que nous avons fait, que vous series sobre a parler de moy, comme de vous mesme.

  A016002732 

 Premierement, ma chere petite seur, que je treuve tous-jours plus aymable et desireuse de devenir brave et devote..

  A016002733 

 Secondement, que hier, jour des Cendres, je fis ma matinee tout seul a la galerie et en la chappelle, ou j'eus une douce memoyre de nos aymables et desirables entretiens lhors de vostre confession generale; mays il ne se peut dire quelles bonnes pensees et affections Dieu me donna sur ce sujet..

  A016002734 

 Et quand ilz eurent vuidé la moytié de la place, une quantité d'oysillons qui les regardoyent vindrent la autour d'eux; et tous les pigeons qui mangeoyent encor se retirerent en un coin, pour laisser la plus grand part de la place aux petitz oyseaux, qui vindrent aussi se mettre a table et manger, sans que jamais les pigeons les troublassent..

  A016002734 

 Vous ne sçauries croire la grande edification que ces petitz animaux me donnerent, car ilz ne dirent jamais un seul petit mot, et ceux qui eurent plus tost fait leur refection, s'envolerent la aupres pour attendre les autres.

  A016002735 

 J'admiray la discretion de ces mendians, qui ne vindrent a l'aumosne que quand ilz virent que les pigeons estoyent sur la fin du repas et qu'il y avoit encor des restes a suffisance.

  A016002739 

 Croyés que ce m'est un martyre bien grand de ne pouvoir gaigner le tems requis; neanmoins j'avance fort, et croy que je tiendray parole a ma tres chere Mere..

  A016002739 

 Je fay ce que je puis pour le livre.

  A016002750 

 Et tandis, vous pourres, Monsieur, et elle aussi, user des viandes convenables a vostre santé, selon que monsieur Burin vous aura dit, puisque son filz est venu sans l'attestation mentionnee, laquelle aussi n'estoit pas necessaire..

  A016002751 

 Cette seur-la en fin desire sa retraitte, et, comme elle m'escrit, elle ne la peut faire que par vostre secours.

  A016002752 

 Monseigneur de Nemours a envoyé ces jours passés un gentilhomme pour solliciter promptement une information contre mon frere le chevalier, sur une effrontee [316] imposture que l'on avoit faite contre luy, qui est encor tout malade.

  A016002752 

 Rien ne me fasche en cela que la facilité avec laquelle ce Prince reçoit le rapport des gens de rien, pourveu qu'ilz soyent faitz contre ceux qui me sont quelque chose.

  A016002772 

 Ilz donnent quelquefois des rescritz qui sont emanés par obreption et surreption; c'est pourquoy ilz les renvoyent a leurs cours, Senatz et Conseilz, affin que, parties ouÿes, il soit advisé si la verité a esté teuë, ou la fauseté proposee par les impetrans, desquelz les belles qualités ne servent a rien pour exempter leurs accusations et narrés de l'examen convenable, sans lequel le monde, qui abonde en injustice, seroit tout a fait despourveu de justice.

  A016002772 

 Monseigneur, je supplie tres humblement Vostre Grandeur de me permettre la discrette liberté que mon office me donne envers tous.

  A016002773 

 Elle a fait justement de les recevoir, si elle ne les a receuës que dans ses aureilles; mais si elle les a receuës dans le cœur, elle me pardonnera si, estant non seulement son tres humble et tres fidele serviteur, mais encor son tres affectionné, quoy qu'indigne Pasteur, je luy dis qu'elle a offencé Dieu et est obligee de s'en repentir, voire mesme quand les accusations seroyent veritables; car nulle sorte de parolle qui soit au prejudice du prochain ne doit estre creuë avant qu'elle soit preuvee, et elle ne peut estre preuvee que par l'examen, parties ouyes.

  A016002774 

 Et que les accusateurs soyent tant dignes de foy que l'on voudra, mais si faut-il admettre les accusés a se defendre.

  A016002774 

 Les grans Princes ne remettent jamais les places ni les charges qu'a des gens de foy et de confiance, mais ilz ne laissent pas d'estre fort souvent trompés, et ceux qui ont esté fideles hier peuvent estre infideles aujourd'huy; comme ceux qui ont accusé ces pauvres gens peuvent, par leurs deportemens precedens, avoir acquis la creance que Vostre Grandeur leur donne, laquelle ilz meritent de perdre dores-en-avant, puisqu'en abusant, ilz ont fait de si fauses accusations..

  A016002782 

 Je me joüerois de tout cela, si ce n'estoit que je voy Monseigneur en cholere et indignation.

  A016002783 

 Quel mal leur fait-on, ni a vous, disent les meschans? On nous ravit le bien le plus pretieux que nous ayons, qui est la bonne grace de nos Princes, et puis on dit: Quel [320] mal vous fait-on? Mon tres cher Frere, est il possible que Sa Grandeur m'ayme, qui, ce semble, prend playsir aux rapportz qu'on luy fait de mes freres, puisqu'il a des-ja treuvé que c'estoit ordinairement des impostures, et neanmoins il les reçoit, il les croit, il fait des demonstrations de tres particuliere indignation?.

  A016002785 

 Je vous envoye un double de la lettre que j'escris a Monseigneur.

  A016002785 

 Un jour viendra que de m'aymer ne sera plus reproche a personne, comme personne de ceux qui m'ayment particulierement ne merita jamais reproche..

  A016002785 

 Voyés si elle devra ou pourra estre donnee; car, tout extremement passionné que je suis en cette occasion, je ne voudroispas que Monseigneur se faschast, car en somme, je ne veux plus que vous couries fortune d'estre disgracié.

  A016002794 

 Ce porteur est une lettre vivante qui vous exprimera mieux que je ne puis faire sur ce papier, de quel cœur je vous honnore et cheris.

  A016002794 

 Mays si faut il que j'en face icy une protestation, ne m'estant pas advis que je la puisse faire en trop de façons, puisque je suis sans fin, ni reserve quelcomque,.

  A016002809 

 Je vous prie de sçavoir que c'est, et apres avoir parlé audit Pelliex, sil vous est advis quil soit a propos, je vous prie d'informer.

  A016002825 

 La ville d'Annessi recourt a la bonté de Son Altesse pour une gratification, laquelle ci devant luy avoit des-ja esté accordee, et delaquelle la continuation luy est dautant plus necessaire que ses incommodités ont pris beaucoup d'accroissement.

  A016002825 

 Or, elle espere principalement en l'entremise de Vostre Altesse Serenissime, Monseigneur, pour obtenir ce soulagement; et je joins ma tres humble supplication a celle que son premier scindique presentera, affin quil plaise a la douceur de [324] Vostre Altesse de favoriser ce pauvre bon peuple qui, avec moy, ne cesse point d'invoquer la divine Majesté sur la personne et les intentions de Son Altesse et de la Vostre,.

  A016002838 

 Ces deux vefves Beart, reduites a l'extremité d'une lamentable misere, avec dix ou douze enfans qu'elles ont, ont jetté leur esperance en vostre secours pour estre soulagees des tailles; et, quoy que de ma vie je ne [325] l'eusse veu ( sic ), ni eu aucune connoissance avec elles ni leurs familles, elles ont desiré mon intercession aupres de vous, pour obtenir plus aysement vostre entremise en cette occasion.

  A016002838 

 Et par ce que leur intention, comme je pense, est fort juste et honneste, je n'ay sceu les esconduire; qui me fait vous supplier de les avoir en protection autant comme vous jugerés que vous puissies, sans vostre incommodité, les ayder et favoriser..

  A016002839 

 Je pensois vous faire cette supplication en presence, selon l'esperance que monsieur vostre mari nous en avoit fait concevoir; mais puisque ce bien ne nous est pas arrivé, estant pressé par ces pauvres desolees, je fay cet office en cette sorte, et vous conjurant de me conserver vostre bienveuillance et celle de monsieur vostre mari, je me nomme, comme je suis et seray pour jamais: c'est, Madame,.

  A016002850 

 Et je le veux bien, ma tres chere Mere, car l'amour ne va pas tous-jours en ordre; autrement, Nostre Seigneur eust commencé le soin qu'il eut en sa Passion, par sa Mere et son bienaymé saint Jean, dont je viens de parler a Sainte Claire sur le sujet de nostre grand saint Joseph, duquel j'ay fait le sermon et dit bien de bonnes choses, mais non pas avec la ferveur que j'ay tous-jours en parlant de cet admirable Papa de nostre Maistre.

  A016002850 

 Helas! ce n'est pas que je n'aye de fort bons desirs de bien servir cette bonne compaignie de servantes de Dieu; mais il faut que la divine Providence, qui m'a dedié a nostre chere Congregation, me donne quelques particuliers mouvemens quand je la sers.

  A016002850 

 M. Michel m'a dit en sortant, que je n'avois presque jamais mon esprit la comme a la Visitation.

  A016002850 

 Ma Seur Anne Jacqueline, qui est icy et qui me vient de bayser la main de vostre part, veut que je commence cette lettre par sa salutation.

  A016002850 

 O que [327] Dieu est admirable, ma tres chere Mere, et que nous sommes bien heureux d'avoir un grand desir de le servir!.

  A016002851 

 Ce matin, en revenant du sermon, j'ay veu ma Seur Marie Magdeleine, que je n'avois encor pas saluee de vostre part.

  A016002851 

 En somme, je me contente bien de toute cette chere trouppe, que j'iray entretenir en commun l'un des jours de la semaine prochaine, puisque ma Mere me l'a ordonné, au rapport de ma Seur Jeanne Charlotte..

  A016002857 

 C'est avec peu de paroles, mays avec une extreme affection, que mon cœur salue le vostre, ma tres chere [328] Mere.

  A016002857 

 Hé! Dieu, qui se plaist a tesmoigner sa vertu et sa force en nos infirmités, soit a jamais au milieu de vostre ame pour la tenir enflammee de ce saint amour celeste; qu'il arde emmi les espines et les brusle sans les consumer, affin que l'ardeur de cette fievre amoureuse du Sauveur vous rende douce la fievre ou les restes de la fievre douloureuse que vous aves tant souffert.

  A016002857 

 Je n'oublie jamais de faire des souhaitz pour cela quand je suis a l'autel; aussi, suis je tant obligé a la sainte amitié qu'il vous plaist me porter, que je ne sçaurois jamais perdre la souvenance de ce devoir..

  A016002867 

 Je m'en vay dire en desordre tout ce que je treuveray devant mon esprit sur le sujet de vos trois lettres: l'une, receuë par voye de Chamberi, l'autre par M. de Medio, la troysiesme par le sire Pierre..

  A016002867 

 Quoy que ce soit par nostre M. de Medio que je vous escris, ma tres chere Mere, si est ce que je vous escris [329] sans loysir et avec empressement, car sçachés que je ne pensois pas qu'il partist si tost; et outre cela, je suis tellement embesoigné du livre, que tout le tems que je puis gaigner bonnement, je l'employe la.

  A016002868 

 M. Grandis consent que vous laissies fermer vostre caustique de la teste, pourveu qu'une semaine devant vous prenies une dose ordinaire de vos syrops..

  A016002869 

 Il est requis que vous mangies des œufz, et n'y a personne, ce croy-je, qui s'en puisse maledifier..

  A016002870 

 C'est pourquoy, je vous demande ainsy des feuilles que je leur [330] puisse monstrer, et a M. de Thorens et au neveu.

  A016002870 

 Mais de ce point, faites vos commodités tout a vostre gré, car je ne feray rien que bien a propos..

  A016002870 

 Or, quant a ma niece de Brechard, elle sçait bien que je suis vous mesme, car elle a veu des billetz qui contiennent cette verité la; mays pourtant, je ne luy ay pas voulu monstrer ces trois dernieres lettres, ni en tout, ni en partie.

  A016002871 

 Dedans les billetz de salutations, quand vous m'en escrires, il ne faut pas me dire: «mon Pere, mon amy,» car je les veux pouvoir monstrer pour la consolation de ceux que vous salueres..

  A016002872 

 Il n'y faut donq plus autre chose que continuer doucement..

  A016002872 

 Je louë Dieu de vostre accoisement et dequoy vous estes hors de doute que l'orayson de simple remise en Dieu ne soit extremement sainte et salutaire.

  A016002872 

 O ma chere Mere, ma Fille, il n'en faut jamais douter; il y a si long tems que nous l'avons examinee, et tous-jours nous avons treuvé que Dieu vous vouloit en cette maniere de prier.

  A016002873 

 C'est a dire, si un pere, si un frere desiroit d'estre visité, je voudrois que, selon la grandeur de la maladie, la distance du lieu, la qualité de la mayson, on advisast si on devra plusieurs fois visiter, si avec service et assistance, si en carrosse, ou en tems qu'on ne rencontre pas des gens, si c'est une mayson ou il y ayt grand abord, ou une mayson de devotion, et ainsy du reste.

  A016002873 

 Certes, en ces grandes villes, je ne voudrois pas ouvrir la porte aux visites des parens malades, pour en faire des sorties ordinaires; et si elles sont extraordinaires, [331] au moins faut il que le Pere spirituel sçache la necessité qu'il y a, comme aussi pour aller voir un monastere de filles, quand on en seroit recherché.

  A016002873 

 Mays je voudrois que l'obligation de le faire sçavoir au Pere spirituel ne tendist qu'a luy faire pourvoir aux circonstances des sorties et a la bienseance, combien [que,] si quelque accident inopiné ne surprenoit, je pense que ces visites de parens ne se devroyent faire que sur une deliberation prise en Chapitre.

  A016002874 

 On appelle confesseurs extraordinaires ceux qui, en certain tems, comme quatre ou cinq fois l'annee, viennent; mais ceux de devotion ne viennent que par rencontre..

  A016002875 

 Je n'entens pas ce que vous me demandes quand vous me dites que je vous envoye une copie de l'establissement, auquel il faudra specifier les sorties.

  A016002884 

 Il faut que je vous parle a cœur ouvert, car a qui donq? Despuis que je suis en cette charge d'Evesque, rien ne [333] m'est arrivé qui m'ayt tant affligé que ce mouvement fait ces jours passés par les scindiques et plusieurs des habitans de Sessel, contre la pieté et la justice.

  A016002884 

 Ilz ont despuis peu un proces avec mon Chapitre, a rayson des dismes qu'ilz pretendent ne devoir payer quant au blé, que de trente gerbes l'une, et quant au vin, de soixante charges l'une.

  A016002884 

 J'ay tasché de tout mon pouvoir d'accommoder ce differend a l'amiable, mays il n'y a jamais eu moyen, ces bons habitans ne voulant subir ni sentences ni expediens, sinon que l'on face a leur volonté.

  A016002884 

 Pendant ce proces, ilz ont estimé que la force leur seroit plus favorable que la justice, et, apres plusieurs menaces, ont fait ce que le sieur lieutenant de Belley aura, je m'asseure, remonstré.

  A016002884 

 Si je ne me trompe, il y a eu un extreme mespris du devoir que l'on a aux magistratz, et une trop furieuse passion contre les curés et ecclesiastiques..

  A016002885 

 Je suis donq affligé si cette violence n'est reprimee, car elle croistroit tous les jours davantage; d'ailleurs, je suis aussi affligé si on chastie cette mutinerie, parce que les mutins sont mes diocesains et enfans spirituelz.

  A016002885 

 Toutes choses bien considerees, je desire le second, d'autant qu'en fin il faut un peu d'affliction aux enfans a ce qu'ilz se corrigent, puisque les remonstrances n'ont servi de rien, et vaut mieux que je pleure leur tribulation temporelle que s'ilz se precipitoyent en l'eternelle.

  A016002886 

 Dequoy s'excusant: «Helas!» dit il, «j'avois si grande peur parmi ces gens, que, quand j'eusse parlé mal toute ma vie, je me fusse bien teu alhors.».

  A016002886 

 Or, forcé de mon devoir, j'envoye ces deux porteurs, qui ont esté plus que tesmoins oculaires de ce fait, sur [334] tout monsieur Roget, doüé d'une incomparable probité et predicateur fort capable, contre lequel ilz esmeurent les femmes, affin de le faire jetter dans le Rhosne par ce sexe facile a s'esmouvoir, comme s'il eust parlé contre l'honneur de toutes.

  A016002887 

 En somme, il me semble que cette insolence est trop publique pour estre dissimulee, trop fascheuse pour demeurer impunie, trop dangereuse pour n'estre pas reprimee.

  A016002887 

 Me remettant neanmoins entierement a vostre prudence, je vous supplie seulement qu'il vous plaise, Monsieur mon Frere, me favoriser, a ce que mon Eglise subsiste en ses droitz et que des-ormais ces gens la demeurent en devoir..

  A016002894 

 Ma tres chere Seur, En attendant de jouir du contentement de vostre veüe, [335] je vous escris ce petit mot, pour vous saluer de tout ce cœur que vous sçaves bien estre tout vostre, et pour dire a mon frere, que monsieur le premier President m'a escrit quil fera l'office et espere qu'il reuscira ainsy que je le luy avois proposé, selon que mon frere m'avoit dit..

  A016002912 

 Hier, a mon retour de Sainte Catherine, environ les huit [heures de la nuit, je sus que le sire] Pierre [336] partoit ce matin.

  A016002912 

 Ma tres chere Mere, quel moyen de vous escrire a souhait? Mays c'est bien asses que je salue vostre cœur maternel comme le mien propre, avec le plus grand et le plus solide amour qui puisse estre..

  A016002913 

 Et pour mon pauvre cher esprit, qui est un peu travaillé de distractions en l'orayson, que luy diray-je, sinon quil se garde bien des empressemens, quil se tienne fort en la confiance de son Dieu, qu'il se repose en sa providence pour toutes choses, acquiesçant doucement aux evenemens; et puis, si les distractions nous tracassent, ce sera l'un des evenemens quil faudra recevoir, non pour le nourrir, mais pour le souffrir doucement.

  A016002913 

 Ma tres chere Mere, aymes tous-jours bien vostre pauvre chere ame que j'ay, car j'ayme sans mesure, sans fin, hors de toute comparayson et au dessus de tout ce qui s'en peut dire, ma tres chere ame que vous aves: c'est a dire, aymons bien cette tres unique ame et vie quil a pleu a Dieu dé nous donner pour son service..

  A016002914 

 Puys a loysir, ma Seur [Françoise-Gabrielle] veut faire la sienne; [337] mais pour celle ci, il ny a rien qui presse, de sorte que ce sera peut estre seulement bien avant dans l'esté..

  A016002916 

 Mille salutations a nos cheres Seurs qui sont la et, ma tres chere Mere, un peu bien cherement et tendrement a ma chere fille de Chatel, qui sçait bien que je l'ayme, et ma chere Seur de Blonnay, qui est ma fille, et a la pauvre grande fille Jeanne Marie Elizabeth, qui est bien avant dans mon cœur, qui est le vostre propre, ma tres chere Mere.......[Dieu] vous benisse.

  A016002933 

 Je sçai combien est juste le ressentiment d'indignation que vous aves eu contre le sieur de Barraux, et le cœur m'en a fait grand mal, ne m'estant peu tenir de luy en faire la correction et tesmoigner que j'avois part au desplaysir quil vous avoit donné, dautant plus que je m'estois res-joui dequoy il avoit espousé une damoyselle qui est ma parente, sur lhonneur quil a d'estre le vostre si proche.

  A016002933 

 Que si j'osois, j'adjousterois encor mon intercession, que vostre extreme bienveuillance envers rnoy rend hardie et forte, et en fin, la sousmission quil fait, ne desirant sa reconciliation aupres de vous que pour accoyser les remors quil a de vous avoir desagreé, et recouvrer lhonneur le plus pretieux quil ayt en ce monde, qui est d'estre advoüé de vous vostre tres humble serviteur..

  A016002934 

 Vous feres donq, je m'asseure, encor ce coup selon vostre bonté, laquelle je remercie tres humblement de la faveur quil vous pleut me faire, passant a Lion, m'ayant fait part de la belle Remonstrance contre les duelz, que je prie Dieu vous rendre autant efficace comme les merites de la cause et de celuy qui l'a playdee le requierent..

  A016002936 

 Vous sçaures toutes nouvelles a l'abord de monsieur Portier, et vous sçaves que nous sommes icy hors de commerce.

  A016002953 

 Or, il faut que je face cela avec conseil et beaucoup de soin.

  A016002953 

 Pour ma tres chere Seur Marie Jeanne Elizabeth, je ne desappreuve pas son voyage, ni ne l'appreuve; mais il seroit utile que je commette quelqu'un pour ouÿr les tesmoins et recevoir authentiquement leurs depositions, et non seulement les tesmoins, mays Madame du Paraclet et ses Religieuses.

  A016002954 

 En somme, il faudra fort condescendre aux volontés de Monseigneur l'Archevesque, pourveu que l'on treuve moyen d'eviter la consequence; car c'est une regle tres salutaire que celle la, de ne recevoir point avant l'aage competent, pour oster toute excuse au repentir, s'il en venoit.

  A016002954 

 Si Monseigneur l'Archevesque veut, on pourra bien dispenser pour l'aage en la reception de ces damoyselles, en la contemplation des meres, qui pourront tenir place d'une partie de la resolution que l'aage ne permet pas aux filles.

  A016002955 

 Mays, pour me charger de soin quelcomque d'affaires, helas! vous sçaves comme moy mesme quel homme je suis pour cela: c'est a dire, que je ne suis pas homme pour cela.

  A016002955 

 Vous estes, et d'esprit, et de volonté, et de tout, une mesme chose avec moy; vous sçaves ce que je puis, que je veux et que je souhaitte.

  A016002955 

 Vous pouves tous-jours respondre pour moy sans scrupule, car il se treuvera tous-jours que ce sera moy qui auray respondu.

  A016002957 

 Monseigneur l'Archevesque venant, humiliés vous fort cordialement pour moy comme moy mesme, et l'asseurés fort de l'estime, amour et reverence que j'ay a sa personne..

  A016002958 

 Prenés garde a retenir la liberté des sorties extraordinaires [344]: entre lesquelles, les Jubilés, la visite des proches malades, ouy mesme de quelques signalés bienfacteurs ou grand amy de la Mayson, et mesme de quelque sermon, comme celuy de la Passion, doivent, ce me semble, estre reservees, et toutes autres occasions esquelles la Communauté des Seurs, avec l'advis du Pere spirituel, treuveront que ce seroit a propos; car il faut reduire la prattique des sorties a la seule bienseance et modestie que la Religion, jointe a la condition du sujet, requiert, car ainsy en fait on es Congregations d'Italie..

  A016002959 

 Helas, ma chere Mere, il faut que je finisse.

  A016002959 

 Nos Seurs ne sçavent pas que j'escris, car c'est par la voye de Chamberi.

  A016002960 

 Hier, je fis le sermon de la Passion en deux heures et demie; nos hommes disent que c'est chose extraordinaire..

  A016002972 

 Quant a celles que les Peres Capucins presentent, il y a moins de hazard, parce qu'on en sera quitte les gardant quelque tems en leurs habitz mondains; et cela tiendra lieu de premiere veuë..

  A016002973 

 Je disois, quant aux sorties extraordinaires, qu'il y failloit enfermer les visites des proches parens malades de maladies de consequence; la visite des eglises es Jubilés generaux, et de venir a certains sermons celebres, comme de la Passion, et toutes autres occurrences que la Congregation des Seurs, avec l'advis du Pere spirituel, jugeroyent dignes de sortir pour quelques insignes charités, comme d'aller visiter quelque insigne bienfactrice et amie..

  A016002982 

 Il ne faut pas s'amuser beaucoup a la recherche de la cause de nos secheresses et sterilités, car nous ne sçaurions la deviner; il suffit de nous humilier beaucoup et acquiescer a ce travail, soit que Nostre Seigneur l'ayt envoyé pour nous chastier de quelque defaut, soit qu'il l'ayt envoyé pour nous es-preuver et rendre plus purement siens..

  A016002983 

 J'eusse bien desiré que madame de Chasteaufort eust un peu joüi de vostre conversation; mais puisqu'il ne se peut bonnement, elle s'entretiendra avec ces bonnes Seurs, et encor plus avec Nostre Seigneur, que j'espere luy estre propice, puisqu'il luy a donné le cœur qu'elle tesmoigne.

  A016002983 

 O qu'il est quelquefois bon d'estre affligé pour estre consolé, d'estre privé de ce que l'on ayme pour treuver ce que l'on doit aymer!.

  A016002999 

 J'ay sceu vostre maladie, et n'ay pas oublié de rendre le devoir que j'ay a une si chere fille.

  A016003000 

 Ce n'est pas que je vous appelle sainte quand je vous parle d'accroissement de sainteté en vous; non certes, ma tres chere Fille, car il n'appartient pas a mon cœur de flatter le vostre.

  A016003000 

 Mays, encor que vous ne soyes pas sainte, vos bons desirs sont saintz, je le sçay bien, et je [349] souhaite qu'ilz deviennent si grans, qu'en fin ilz se convertissent en parfaitte devotion, en douceur, patience et humilité.

  A016003002 

 ma tres chere Fille, et a monsieur vostre mary, que je viens de voir preentement..

  A016003009 

 Bien que ce laquay aille expres, ma chere Mere, si est ce qu'il part en un tems auquel je suis fort pressé.

  A016003009 

 Cette bonne dame m'a dit de vostre part ce que vous luy aves confié, et je loue Dieu qu'il vous ayt donné des nouvelles affections avec cette nouvelle santé.

  A016003009 

 Mais il faut bien prendre garde, ma tres chere Fille, ma Mere, que le cors et l'esprit vont souvent en contraire mouvement, et a mesure que l'un s'affoiblit, l'autre se fortifie, [350] et quand l'un se fortifie, l'autre s'affaiblit; mays, puisque l'esprit doit regner, quand nous voyons qu'il a pris ses forces, il le faut tellement secourir et establir, qu'il demeure tous-jours le plus fort.

  A016003009 

 Sans doute, ma tres chere Mere, puisque les maladies sont comme des coupelles, il faut bien que nostre cœur en sorte plus pur et que nous devenions plus fortz parmi les infirmités..

  A016003010 

 Ce que je dis par l'experience que j'ay, que l'infirmité, ne nous ostant pas la charité, nous oste neanmoins la suavité envers le prochain, si nous ne sommes fort sur nos gardes..

  A016003010 

 Ce sera le plus excellent sacrifice que vous puissies faire.

  A016003010 

 Or, quant a vous, je m'imagine que des-ormais l'aage et la petitesse de vostre complexion vous tiendront souvent alangourie et foible; c'est pourquoy je vous conseille de vous fort exercer en l'amour de la tres aymable volonté de Dieu et en l'abnegation des contentemens exterieurs et en la douceur parmi les amertumes.

  A016003018 

 Je respons donq a part a vostre lettre du 10 avril, que je receus avanthier, 1 er de may, et n'ay rien presque a dire [351] en celle ci sur ce sujet la; car je parle tout a la bonne foy, et ne puis croire que l'on voulust me retirer de dela qu'avec la bienseance, sans laquelle je ne puis ni veux y aller, puisque je ne pourrois le vouloir sans offencer Dieu et perdre ma reputation, de laquelle pourtant, en tout cas, mais en celuy la particulierement, j'aurois tant de necessité.

  A016003018 

 Vous sçaves bien, Monsieur, qu'il faut plus de sujet pour faire remuer les vielles gens que les jeunes, et que les vieux chiens ne prennent jamais le change qu'avec advantage..

  A016003019 

 Au bout de la, je suis en verité si peu de chose, que je ne suis pas mesme sans honte de voir l'honneur auquel, vous, Monsieur, et celuy qui vous a fait la proposition, aves pensé pour moy.

  A016003019 

 Je croy que vous jugeres bien que je ne puis point faire d'autre responce a une proposition si generale..

  A016003020 

 Je vous remercie donq tres humblement de l'expedition de madame de Gouffier, et de celle du petit benefice uni a mon Chapitre, vous conjurant, Monsieur, de me faire sçavoir la despense que vous aures fournie pour l'un et l'autre, affin que j'aye tous-jours la confiance de me prevaloir de vostre courtoyse entremise es occurrences, laquelle, certes, je n'oserois plus employer si elle vous devoit estre onereuse en autre chose qu'en vostre peyne et vostre soin..

  A016003020 

 Maintenant, je respons a deux autres lettres que je receus le mois passé, et tous-jours obligé de vous remercier, puisque tous-jours vous ne cesses de m'obliger.

  A016003021 

 Aussi n'a-ce pas esté sur ses livres que ce desir m'estoit venu, mays sur des autres, comme par exemple, de M. Valladier, qui a fait imprimer l'an passé ses Sermons sous un tel Privilege, et [353] de plusieurs autres; qui m'a fait estimer que ce n'estoit pas un Privilege tant special.

  A016003021 

 Je vous remercie encor, Monsieur, de la peyne qu'il vous a pleu de prendre pour sçavoir si je pourrois obtenir un Privilege pour l'impression de ces petites besoignes [352] que je pourrois faire dores-en-avant; et puisque M. le Chancelier ne treuve pas a propos de me l'accorder sinon pour le libraire que je luy nommeray, il me semble que je dois laisser ce soin la au libraire mesme, qui obtiendra le Privilege pour soy a l'accoustumee.

  A016003021 

 Mays je serois marry que M. le Chancelier creust que j'eusse voulu tirer consequence du grand Cardinal du Perron a moy, qui serois, certes, un temeraire scandaleux si je pensois m'apparier en privilege a cet homme sans pair en doctrine, eloquence et merite.

  A016003022 

 Au demeurant, il m'ayme et me respecte extremement, avec une crainte infinie de me fascher, et je croy que je mesnage bien ce talent avec luy; de le tenir trop serré, cela luy nuiroit.

  A016003022 

 Il va commencer a apprendre l'escriture d'un brave maistre que nous avons icy.

  A016003023 

 Je suis marri que nostre College n'est encor pas en si bon terme comme la bonté et suffisance de ces Peres qui le gouvernent maintenant nous promet qu'il sera bien tost.

  A016003024 

 Il suffit qu'en ces trois ou quatre petites rencontres, Dieu a tous-jours favorisé la cause du plus foible; je pense que c'est pour advertir le plus fort de n'estre pas si vigoureux..

  A016003025 

 Je suis trop long, mays pardonnés au playsir que j'ay de vous parler en la façon que je puis.

  A016003040 

 J'ay mille remerciemens a vous faire des deux lettres que j'ay receuës de vous et que j'ay leuës avec un'incroyable consolation, selon l'inclination que Dieu m'a donnee a l'honneur du glorieux Saint duquel vous habites le lieu natal et l'affection que j'ay a vos merites..

  A016003041 

 J'ay bien desir de sçavoir que sera devenue cette damoyselle muette; car on m'a dit qu'elle estoit retombee a son premier accident.

  A016003042 

 J'ay eu desplaysir de ne luy avoir peu rendre l'office d'hospitalité, comme [vous] sçaves que je fay volontier a ceux de vostre compagnie..

  A016003043 

 C'est, a la verité, une fille que je cheris fort, et qui m'a bien donné de la consolation des il y a dix ans que Dieu voulut qu'elle prist confiance en mon ame; quand vous la verres, je vous prie de la saluer.

  A016003043 

 Je suis bien ayse de l'edification que madame la premiere Presidente donne.

  A016003044 

 Nostre Visitation croist «en nombre et merite.» Madame de Chantal est a Lion, avec madame Favre, madame de Chastel et madame de Blonay, pour l'erection d'une Mayson que Monseigneur de Lyon y a desiree..

  A016003059 

 Ma Mere, helas! c'est sans loysir quelcomque; imagines vous que c'est un billet pour une dame qui veut entrer.

  A016003060 

 J'escriray par la premiere commodité, mays [c'est] plustost un eschantillon de commodité que j'employe pour saluer mille fois un cœur maternel, de toute mon affection filiale.

  A016003061 

 Je suis tres parfaitement en luy, ma tres chere Mere, ce que nul ne sçait que luy mesme qui l'a fait.

  A016003068 

 Combien de fois vous ay je dit, ma tres chere Mere, que le ciel et la terre ne sont point en asses grande distance pour esloigner les cœurs que Nostre Seigneur a jointz! Demeurons en paix sous cette asseurance..

  A016003068 

 Que vous soyes la ou icy, helas! qui nous peut separer de l'unité qui est en Nostre Seigneur Jesus Christ? En fin, c'est chose desormais, ce me semble, qui n'adjouste plus rien pour nostre esprit, que nous soyons en un ou deux lieux, puisque nostre tres amiable unité subsiste par tout, graces a Celuy qui l'a faite.

  A016003069 

 Il faut donq en cet article, parler souëfvement et justement, et arrester que vous aures un soin tres suffisant de cette Mayson la..

  A016003069 

 J'ayme bien mieux que l'on se fie tout en vous de la Mayson, car cela se fera fort doucement et suavement, pourveu que l'on vous laisse vostre liberté et qu'on se repose sur vostre foy.

  A016003069 

 Mays je crains qu'on ne veuille vous arrester la, ce qui seroit une cogitation injuste [359] et que je ne pourrois ouÿr; je dis la cogitation, car de l'effect, il n'en faut pas parler.

  A016003070 

 Il faut garder comme la prunelle de l'œil la sainte liberté que l'Institut donne pour les communications et conferences spirituelles.

  A016003070 

 L'experience me fait voir que rien n'est si utile aux servantes de Dieu, quand elle sera prattiquee selon nos Regles..

  A016003071 

 Je respons que la vivacité de ces espritz nourris en leur propre jugement ne m'estonneroit point, pourveu qu'on leur eust proposé les maximes generales de la douceur, charité et simplicité, et le despouillement des humeurs, inclinations et aversions naturelles, qui doivent regner en la Congregation; car en fin, qui ne voudroit recevoir que des espritz avec lesquelz il n'y eust point de peyne, les Religions ne serviroyent gueres au prochain, puisque ces espritz-la feroyent presque bien par tout..

  A016003072 

 Je salue nos cheres Seurs; helas, que je leur souhaitte de perfection!.

  A016003082 

 O que mon ame, des plusieurs jours en ça, est pleine de nouveaux et puissans desirs de servir le tres saint amour de Dieu avec tout le zele qu'il me sera possible! La vostre, ma tres chere Mere, qui n'est qu'une mesme chose, en fera de mesme; car, comme pourroit-elle avoir diverses affections, n'ayant qu'une mesme vie et une mesme ame?.

  A016003083 

 J'espere que celles de dela vous donnent aussi des pareilz sentimens, et que cette douceur celeste verse ainsy son Esprit sur toute cette petite assemblee de creatures unies pour sa gloire..

  A016003084 

 Helas, ma tres chere Mere, que d'obligations que nous avons a Nostre Seigneur, et combien de confiance nous devons avoir que ce que sa misericorde a commencé en nous, elle le parachèvera, et donnera tel accroissement a ce peu d'huyle de bonne volonté que nous avons, que tous nos vaysseaux s'en rempliront et plusieurs autres de ceux de nos voysins.

  A016003084 

 Il ne faut que bien fermer la [361] chambre sur nous, c'est a dire, retirer de plus en plus tout nostre cœur en cette divine Bonté..

  A016003093 

 Helas! vous pouves penser ce que mon ame est a ma Mere et ce que l'ame de ma Mere est a la mienne.

  A016003093 

 Hé, j'espere que la divine Bonté, en consideration de nostre pauvre petite Congregation faite en son nom et pour sa gloire, nous laissera cette Mere tant utile..

  A016003094 

 Monsieur Grandis a eu peine a se resoudre d'aller, [362] par ce quil tenoit, d'un costé, la maladie n'estre pas dangereuse puisqu'elle est intermittente, et de l'autre, que les medecins de dela auroyent desja fait tous les remedes quand il arrivera.

  A016003095 

 L'homme qui accompagne M. Grandis reviendra soudain avec advis nouveau; je vous en prie, et que ce soit bien distinctement.

  A016003095 

 Tout ce que Dieu ordonnera sera receu, moyennant sa grace, avec resignation; l'unité de mon ame avec celle de cette Mere n'est pas pour cette vie seulement, mais principalement pour l'autre..

  A016003105 

 Nous attendons certes avec une devote impatience M. du Crest, qui n'est encor point arrivé, pour [363] sçavoir un peu de vos nouvelles, car je m'imagine que nous en aurons a force, et par le sire Pierre aussi, par lequel je vous avois envoyé des lettres pour M. des Hayes, ouvertes, affin que vous les vissies.

  A016003106 

 Ce matin, estant un peu en solitude, il a fait un exercice de resignation nonpareil, mays que je ne puis escrire, et que je reserve pour vous dire a bouche, quand Dieu me fera la grace de vous voir.

  A016003106 

 Cependant, que vous diray-je de vostre cœur de deça, sinon que Dieu luy donne tous les jours des nouvelles affections pour son service.

  A016003106 

 O que bienheureuses sont les ames qui vivent de la seule volonté de Dieu! Helas! si pour en savourer seulement un bien peu par une consideration passagere, on a tant de suavité spirituelle au fond du cœur qui accepte cette sainte volonté avec toutes les croix qu'elle presente, que sera ce des ames toutes destrempees en l'union de cette volonté?.

  A016003107 

 Or sus, c'est bien asses, car je vous ay escrit ce jourdhuy mesme au matin par M. Grandis, par lequel nous attendons force lettres, et grandes; car, puisqu'il vous ira voir en arrivant et que ses affaires le retiendront un peu la, vous aures bon loysir d'escrire..

  A016003120 

 Ce mot part a l'impourveu pour saluer vostre chere ame, que je cheris comme la mienne propre; aussi l'est elle en Celuy qui est le principe de toute unité et union..

  A016003121 

 Je confesse devant le Ciel et les Anges que vous m'estes pretieuse comme moy mesme; mays cela ne m'oste point la tres resolue resolution d'acquiescer pleinement en la volonté divine.

  A016003121 

 Je ne veux pas nier que je ne sois marri de vostre fievre; mays ne vous mettes nullement en peyne de ma peyne, car vous me connoisses: je suis homme pour souffrir, sans souffrir, tout ce qu'il plaira a Dieu faire de vous comme de moy.

  A016003121 

 Nous voulons servir Dieu en ce monde, icy et la, de tout ce que nous sommes; s'il juge mieux que nous soyons en ce monde ou en l'autre, ou tous deux, sa tressainte volonté soit faite..

  A016003123 

 Je ne vous diray rien davantage, sinon que je me porte [365] mieux, et que mon cœur va mieux qu'il n'est pas allé il y a long tems; mais je ne sçai pas si sa consolation vient des causes naturelles ou de la grace..

  A016003130 

 J'avoys un grand desir de vous aller voir en presence, ma tres chere Fille, mais je n'ay pas ceans un prestre a mon commandement, et puis, j'ay un peu d'affaires, comme seroit de me praeparer au sermon que nous faysons demain pour recommencer les prieres et faire un'assemblee tantost pour l'ordre d'icelles.

  A016003131 

 Il proposoit de le remettre a M. de Vallon, qui en donneroit la rente constituée; mays puis que l'on en a besoin pour le bastiment, je pense quil sera mieux de s'en servir que d'en emprunter.

  A016003132 

 Dieu vous benisse des benedictions que ce cœur vous souhaite, ce cœur, dis-je, qui vous cherit vrayement d'un'affection toute paternelle et plus que paternelle..

  A016003139 

 Et comme pourroit on croire que ce brave cœur, qui avoit esté nourri des sa jeunesse en la pieté, et qui avoit en bonne partie entrepris cette si grande separation de tout ce qui luy estoit plus cher pour le zele du service de Dieu, n'ayt aussi esté tres specialement secouru de la grace d'iceluy en son dernier jour, lequel, selon sa profession, il a fini dans les termes de son devoir? Certes, lhonneur de cette mort est extreme, et la posterité la louera sans fin..

  A016003139 

 Helas, monsieur mon Frere, que nous avions des-ja regretté nostre commune perte, entre nous autres freres de deça, car les Peres Capucins nous en avoyent donné quelque sorte de nouvelles.

  A016003139 

 Il faut advoùer que cet evenement si inopiné est capable de troubler les espritz les plus resoluz de ceux qui ont aymé un peu affectionnement [368] ce brave et genereux frere, et rien que le souverain respect que nous devons a la Providence eternelle, qui ne fait jamais rien que saintement et sagement, ne nous sçauroit mettre en repos sur cet accident.

  A016003140 

 Je prie Dieu quil vous conseille, monsieur mon tres cher Frere, en cett'occasion; et ce pendant, je ne laisse pas d'escrire a nostre tres chere mere sur ce sujet, affin que si vous juges a propos qu'elle le sache, elle voye quant et quand la contribution de mon desplaysir au sien.

  A016003140 

 Mays, de sçavoir comme on pourrait dextrement donner le coup de cette si estrange et fascheuse nouvelle au cœur de nostre pauvre chere mere sans esbranler extremement sa vie propre, je vous asseure, mon cher Frere, que je ne le sçai pas.

  A016003140 

 Mays, que ne voudrois-je pas faire pour secourir ce pauvre cœur maternel, quand il sera blessé de ce coup si rude! Releves ce pendant le vostre, mon tres cher Frere, vous qui estes masle, et vous disposes a l'ennuy de voir encor, pour surcroist de vostre perte et de la nostre, les desplaysirs d'une si bonne mere.

  A016003140 

 Qui se promet des autres occurrences en cette plus que miserable vie, il se trompe grandement..

  A016003141 

 Monsieur mon tres cher Frere, je vous conjure de recueillir l'affection que ce cher defunct me portoit et a mes freres, et de la nous conserver, comme de tout mon [369] cœur je me dedie de nouveau a toute vostre mayson pour estre sans fin,.

  A016003158 

 O que mon ame est en peyne de vostre cœur, ma tres chere Mere, car je le voy, ce me semble, ce pauvre cœur maternel, tout couvert d'un ennuy excessif; ennuy toutesfois que l'on ne peut ni blasmer ni treuver estrange, si on considere combien estoit aymable ce filz, duquel ce second esloignement de nous est le sujet de nostre amertume..

  A016003159 

 Mais n'est-ce pas une grande partie de la consolation que nous devons prendre maintenant, ma tres chere Mere? [370] car en verité, il semble que ceux desquelz la vie est si digne de memoire et d'estime, vivent encor apres le trespas, puisqu'on a tant de playsir a les ramentevoir et representer aux espritz de ceux qui demeurent,.

  A016003160 

 Cette sorte de fin est excellente, et ne faut pas douter que le grand Dieu ne la luy ayt rendue heureuse, selon que, des le berceau, il l'avoit continuellement favorisé de sa grace pour le faire vivre tres chrestiennement..

  A016003160 

 Et voyla, ma tres chere Mere, que, sous le bon playsir de la Providence divine, il est parti de cet autre monde pour aller en celuy qui est le plus ancien et le plus desirable de tous, et auquel il nous faut tous aller, chacun en sa sayson, et ou vous le verres plus tost que vous n'eussies fait s'il fust demeuré en ce monde nouveau, parmi les travaux des conquestes qu'il pretendoit faire a son Roy et a l'Eglise.

  A016003160 

 Sa generosité l'avoit animé a cela, et la vostre vous avoit fait condescendre a une si honnorable resolution, pour laquelle vous avies renoncé au contentement de le revoir jamais en cette vie, et ne vous restoit que l'esperance d'avoir de tems en tems de ses lettres.

  A016003161 

 Consolés vous donq, ma tres chere Mere, et soulagés vostre esprit, adorant la divine Providence qui fait toutes choses tres suavement; et, bien que les motifz de ses decretz nous soyent cachés, si est-ce que la verité de sa debonnaireté nous est manifeste et nous oblige a croire qu'elle fait toutes choses en parfaite bonté..

  A016003162 

 Et en lieu que vous luy escriviés quelquefois, parlés a Dieu pour luy, et il sçaura promptement tout ce que vous voudres qu'il sache, et recevra toute l'assistence que vous luy ferés par vos vœux et prieres, soudain que vous l'aures faite et delivree entre les mains de sa divine Majesté..

  A016003163 

 C'est l'orayson la plus aggreable que nous puissions faire a Celuy qui en fit une pareille sur la croix, a laquelle sa tressainte Mere respondit de tout son cœur, l'aymant d'une tres ardante charité..

  A016003177 

 Et Dieu soit loué dequoy il luy a pleu la nous conserver! Je veux esperer que ce sera plus longuement que la foiblesse de sa complexion ne nous permet d'esperer; car cette Bonté qui a commencé a nous gratifier, ne s'en lassera point, si nous sommes fideles..

  A016003177 

 Je ne sçauroys vous dire combien mon ame se sent obligee a la vostre pour le soin que vous aves eu de me tenir adverti de l'estat de la santé de nostre Mere.

  A016003178 

 J'eusse bien desiré de vous donner quelque bonne nouvelle en contrechange, mays je n'ay sceu; car encor que monsieur le President et messieurs les freres et seurs se portent fort bien, si est ce que Nostre Seigneur a retiré a soy le bon oncle, monsieur l'advocat, le jour mesme de l'Ascension, pour bon presage quil luy feroit part du Ciel auquel il estoit monté, menant la captivité captive.

  A016003180 

 Je suis, plus quil ne se peut dire, tout vostre, et a nos cheres Seurs Marie Peronne et Marie, et aussi a vos bienheureuses Novices, que j'appelle ainsy par ce que je connois de plus en plus le bonheur de ceux qui se dedient a l'amour et service divin.

  A016003193 

 La bonté et pieté de Vostre Altesse ne pouvoit jamais mieux paroistre qu'en recepvant sous sa protection une troupe de pauvres filles assemblees au nom de Dieu; et croyons tres assurement que Nostre Seigneur a heu fort agreable de voir la grandeur de Vostre Altesse [375] r'abaissee jusques la, esperans que se ( sic ) rabaissement eslevera tousjours d'avantage Vostre Altesse Serenissime devant les yeux de la divine Majesté..

  A016003194 

 Et quant a nous, ce nous est un honneur si grand, Monseigneur, qu'il excede tout remerciement; de sorte que ce que nous pouvons faire, c'est d'offrir journellement a Dieu nos petites oraisons pour la conservation et prosperité de Vostre Altesse, pour, en quelque maniere, corespondre a l'estroite obligation que nous avons a la bonté de Vostre Altesse Serenissime, a laquelle faysans en toute humilité la deüe reverence, nous [serons a] sommes,.

  A016003202 

 Nous croyons tres [375] assurement que Nostre Seigneur a heu fort agreable de voir la grandeur de Vostre Altesse r'abaissee jusques la, et esperons que se ( sic ) rabaissement vous eslevera tousjours d'avantage devant les yeux de la divine Majesté..

  A016003203 

 C'est un honneur pour nous si grand, Monseigneur, qu'il excede tout remerciement; de sorte que ce que nous pouvons faire, est d'offrir journellement a Dieu nos petites oraisons pour la conservation et prosperité de Vostre Altesse, en quoy nous essayerons de corespondre a l'estroite obligation que nous y avons, et a nous tesmoigner, avec toute reverence et fidelité,.

  A016003210 

 Des il y a long tems, vostre charité et pieté m'estant conneue par la reputation qu'elle s'est acquise en nostre [376] France, elle l'est maintenant beaucoup plus par lhonneur que Vostre Illustrissime Grandeur me fait en une affaire que la divine Majesté a permis, ou plustost ordonné, vous estre tumbee entre les mains, pour mon bonheur et advantage; puisque je ne pouvois rencontrer ni une plus grande, ni une plus utile et necessaire faveur que celle quil plaira a vostre bonté, Monseigneur, me departir, et laquelle me licentiant, ce me semble, de representer encor de rechef sur ce papier ma necessité, je ramenteveray en toute humilité a Vostre Illustrissime Grandeur, comm'il y a des-ja quelques annees, pendant son sejour en France, je m'essayay me rendre sous vostre authorité pour le sujet dont il est maintenant question; et sachant bien que de moy je ne meritois pas cet honneur, je fus favorisee de Monseigneur le Duc de Nevers, lequel vous fit offrir quelques supplications [377] pour moy.

  A016003210 

 Mais lhors, a cause de quelque consideration, Vostre Grandeur Illustrissime ne jugea pas a propos de m'accorder ce dont je la suppliois; et je connois par experience que Nostre Seigneur avoit ainsy disposé pour mon bien, me reservant vostre faveur, Monseigneur, jusques a ce tems auquel elle me sera plus utile a mon avancement spirituel, que peut estre elle n'eut pas esté lhors que je la pretendois..

  A016003211 

 Je sçai que les difficultés de mon affaire sont grandes, mais j'en espere pourtant un heureux succes, et que vostre charité, Monseigneur, jointe a vostre authorité, me rendra jouissante demon desir, auquel je proteste n'estre portee que pour la gloire de Dieu et la plus grande asseurance de mon ame.

  A016003211 

 Le sieur Philipe de Quoex, recteur de Sainte Catherine, fera voir a Vostre Illustrissime Grandeur combien il me seroit desavantageux d'estre renvoyee par devant Monseigneur l'Evesque de Troyes, et je m'asseure qu'elle considerera et favorisera mes raysons, ainsy que tres humblement je l'en supplie, luy baysant en toute reverence les mains sacrees, et luy souhaitant une grande et abondante recompense de la grace et protection qu'elle exercera pour moy qui suis, Monseigneur,.

  A016003223 

 Le bonheur et l'honneur que nous recevons d'estre sous la maternelle protection de Vostre Altesse Serenissime, nous oblige a luy rendre conte de toutes les saintes consolations que la Bonté divine nous depart, sachant bien que vostre charité, Madame, y prendra du playsir..

  A016003224 

 Ce moys d'aoust passé, madame de la Croix posa la premiere pierre de nostre eglise de la part de Vostre Altesse Serenissime, delaquelle action nous eusmes un grand contentement, pour l'esperance que nous avons que la divine Majesté sera saintement servie en ce petit lieu, par plusieurs bonnes ames qui s'y assembleront a l'advenir en son nom.

  A016003224 

 Ce que Monseigneur l'Archevesque de Lion ayant recommandé a Monseigneur l'Evesque de Geneve, qui est le Pasteur de ce lieu, il a esté jugé expedient de devoir estre accordé, attendu que, par la grace de Dieu, nostre nombre est des-ja asses grand pour pouvoir exercer cette charité, de sorte que troys des nostres sont deputees pour aller dresser cette nouvelle mayson, lesquelles toutesfois, cela estant fait, reviendront icy ou elles se sont premierement donnees a Dieu..

  A016003225 

 Dequoy, comme nous avons deu avant leur depart donner advis a Vostre Serenissime Altesse, aussi estimons-nous qu'elle l'aura fort aggreable, et loüera la Majesté divine dequoy elle daigne se servir de nous pour l'accroissement de sa gloire; puisque mesme, a mesure que nostre Congregation se dilatera, les prieres se multiplieront pour Vostre Altesse, qui a si doucement et favorablement arrousé de sa bienveuillance cette petite plante delaquelle les autres auront pris leur origine, et laquelle, se recommandant tres humblement de plus en plus a Vostre Altesse Serenissime, ne cessera jamais de luy souhaiter toute sorte de sainte consolation, [et] demeurera a jamais toute sienne, comme estant composee,.

  A016003236 

 Ayant conferé avec mes Freres de ce que vous m'aves communiqué pour le regard [des] habitz qui furent jadis a Ripaille, nous n'avons jamais sceu treuver qu'ilz ayent esté remis en depost ceans; et si, ne pouvons croire que s'ilz nous avoyent esté confiés, Son Altesse voulut, apres tant de tems, les nous oster, puisque l'eglise a laquelle ilz appartenoyent n'est point en estre pour les repeter, et que nous ne sommes pas moins ses tres humbles et tres obeissans orateurs qu'aucuns autres ecclesiastiques de ses Estatz.

  A016003268 

 Au sortir de vostre cher Nicy, je ne puis qu'a ma premiere journee je ne retourne par le moyen de ma plume bayser vos sacrees mains et vous dire, comme au depositaire de mon cœur, que tirant contre Geneve et faisant mon oraison sur ce passage: Et instaura numerum militum qui ceciderunt de tuis, hé, Seigneur, ce disois je, restaurez ceux ci, reparez ce nombre infini de Genevois qui sont cheus en l'eternelle perdition.

  A016003268 

 Il a pleu a son infinie douceur de [386] combler mon ame de consolation, m'ostant du tout l'affliction de l'abomination de cette abominable cité de Geneve: ce bon Dieu m'a fait voir que son bien aymé ne pouvant vaincre la dureté de ces babiloniens calvinistes, il a dressé une triomphante Hierusalem, une paisible et amoureuse Sion, une petite Visitation, Visitation visitee a tout moment de l'Espoux celeste.

  A016003269 

 Mais vous diray je pas encore que, quand vos cheres Filles m'eurent descouvert les leurs en confession, je m'escriay: Mon Dieu, si vos Anges avoyent des corps et des confessions a faire, ilz se confesseroyent de ce de quoy les Filles de ce grand Pasteur s'accusent! Continuez, mon unique Pere et Reverendissime Seigneur, a les faire croistre en la profondeur de leur humilité; car, ou mon genie me trompe, ou tout le monde sera trompé en l'admirable progrez que l'on verra faire a vostre Congregation..

  A016003270 

 Et n'estoit que je voy nostre bon Frere compagnon qui a un peu envie de s'aller delasser, je ne me souviendrois point de finir de vous entretenir de ce que le bon Dieu m'a dit, de sa grace.

  A016003270 

 Je suis insatiable a y penser et a vous en parler, et vous faut advoüer que ce matin, m'estant mis en chemin et ayant commencé mon oraison a quatre heures, je ne me suis jamais souvenu de la finir qu'à la disné, environ les onze heures.

  A016003270 

 Mais aussi ne le faut il pas dire la nuit, puisque sa Bonté le mettra bien tost au jour, et fera dire a plusieurs, voire a tous, ce que maintenant je dis avec le Prophete que vous aymez tant, Monseigneur: Tu m'as donné a conoistre les choses non sceuës et secrettes de ta sapience; voicy que la joye de mon salutaire m'est renduë, puis que tant d'ames seront confirmees de l'esprit principal dans la Visitation, que mon ame visite si souvent par ses souhaits a Dieu; car, Monseigneur, j'estime que si je pouvois servir ceste sainte Congregation, ce seroit vous tesmoigner que je suis.

  A016003281 

 Ce n'est plus une Judith que nostre madame de Chantal, c'est une sainte Paule; toutes ses actions font voir l'operation de Dieu en son ame et les traces de vostre direction.

  A016003291 

 C'est l'eslancement que je poussois tous les jours vers le Ciel, estant a l'autel, pour la santé de celuy qui m'a enhardy et donné le courage de m'approcher tous les jours de ceste Table sacrée..

  A016003292 

 En fin, quand je voy que la charité, dont l'ordre est le desordre, vous a fait postposer l'indisposition de vostre corps à celle de mon cœur pour me tracer des douceurs dans le plus espais de vos douleurs, meslant la myrrhe avec les aromates, comme l'Espouse sacrée et sucrée, je ne peux dire autre chose, sinon que: Si je ne vous puis respondre par paroles, face le Ciel que je vous puisse au moins correspondre d'affection!.

  A016003292 

 La matiere, car certes, telle que l'eau à la terre seiche, elle m'est arrivée pour desalterer mon desir et me rasseoir, opprimé d'une violente esmotion d'esprit.

  A016003292 

 Or, toutes les circonstances de celle que je viens de recevoir de vous, m'obligent: la matiere, la forme, le temps et, plus que tout, cest extreme amour qui, ne la pouvant escrire, l'a dictée, et au milieu de ses douleurs; ainsi, fortior morte dilectio.

  A016003293 

 Je croy qu'il y a des esprits secrets dans les caracteres qui partent de vous, tant ils sont flexanimes, et que d'en haut decoulent des influences particulieres sur vos persuasions, comme si la Deesse Python avoit estably son throsne sur vos levres jamais livre ne me toucha le cœur comme le vostre, jamais lettres ne me contournarent ( sic ) [389] à leur gré comme celles qui me viennent de vous.

  A016003293 

 Ne dittes point que je vous en conte, je dis la verité de mon sentiment: Oratio mea tantum abest à mendacio quantum à necessitate..

  A016003293 

 Ne vous ennuiez pas de m'escrire, car je ne pense pas, emmy toutes les bonnes œuvres dont vous embaumez et le ciel et la terre, que vous en puissiez faire aucune plus signalée que celle de me conseiller, consoler et consolider.

  A016003293 

 Vous pouvez sur moy tout ce que vous voulez; vostre jugement a un tel ascendant sur le mien et vostre volonté regente si absolument la mienne, que je rumine vos paroles comme des oracles; je remasche vos escrits comme des fueilles Sibyllines, sur quoy je ne peux faire de gloses qui ne me satisfacent, pourveu qu'elles soient conformes à ces textes.

  A016003294 

 Et pourquoy n'attendray-je de vous en esté ce que je vous ay rendu emmy les rigueurs de l'hyver? Il est vray que j'allois apprendre de vous et vous rendre quelque eschantillon de mon devoir..

  A016003294 

 Quid non speremus amantes? Soyez mon bon Seigneur et mon Apollon tant que vous voudrez, si me debvez-vous une veüe; l'amour se paye par l'amour, la visite par une autre.

  A016003295 

 Le Pape nous appelle bien ses freres, quoy que petits cadets de ce grand aisné.

  A016003295 

 Pensez y. O! Si nil rescribens, celer ipse venires? Quelle grace que je n'ose penser, de peur d'inquieter mon esprit par la flatterie de ceste esperance.

  A016003295 

 Venez seulement quand et comment il vous plaira; mon cœur est de si longue main preparé à cherir le vostre, que si le premier mouvement que les Stoïques pardonnent à leur inflexible sagesse donne quelque esmotion au sens par la surabondance de la joye, la partie superieure, partie de l'ame, n'en sentira aucune nouvelle impression.

  A016003308 

 L'Infante Duchesse de Mantoüe, ma fille, est toute joyeuse de se voir choisie pour estre protectrice d'une si vertueuse compagnie et saincte assamblee, le service de laquelle Nous aurons a cœur d'un soin tout extraordinaire, excité par l'amour particulier que Nous avons a vostre personne, et par la vertu que l'on Nous raporte reluire en ces bonnes Dames, pour l'edification de la province.

  A016003308 

 L'entreprise que ces bonnes Dames font de vivre en si grande perfection dans nos Estats Nous plait beaucoup, ayant des grandes esperances du fruit de leurs prieres.

  A016003331 

 Encor que sellon le debvoir que Nous avons d'avoir soing aus affaires importants de nostre Empire, Nous avions assigné l'assemblee generale dans nostre ville Imperiale, a Ratisbonne, par une Nostre dernieredu 22 e octobre de l'annee dernierement escheüe 1613, au premier may de l'annee presente 1614, affin de deliberer et resouldre sur les points contenus en noz propositions faictes pour la derniere diette: Nous avons veu, et avec un extreme regret, cogneu et sceu par des advis tres asseurés, que l'ennemys ( sic ) immortel de toutte la Chrestienneté, tous les jours s'en va d'aultant plus avançant et empietant sur les pais voysins de la province de Sibebourg ( sic? ), laquelle il a soubjugué et reduict en sa puissance avec tout ce qui en despandoit; de sorte que, non content d'avoir, avec un tres grand dommage et cruelle guerre, surmonté ces dictz pais, mais, au tres grand prejudice de la Christienneté, commis plusieurs conflictz tres cruelz et sanglantz et desquelz a present il ne veult desister; car Nous sommes tres asseuré que, pour ce printemps, il se prepare pour attaquer avec touttes ses forces nostre royaume d'Ungrie et les pais Christiens qui luy sont voysins.

  A016003332 

 De sorte que, voyantz que lesdictz pais sont en tres grand danger et que silz ne sont secourus ilz ne peuvent eviter leur ruine: a ces fins, a esté continuee et assignee l'assemblee desdictz Estatz en ladicte ville de Ratisbonne, pour le premier de febvrier de l'annee prochaine 1615.

  A016003332 

 Et particulierement, se puissent terminer les propositions avancees pour la derniere diette, et que vostre assistance serve a là resulution de ce qui a esté avancé et proposé contre ce cruel ennemy des Chrestiens, le Turc, et pour les necessités de la conservation des forteresses voysines d'icelluy, que sont les defences de tous les pais Christiens; et que le secour accordé pour trente moys ait lieu par tout l'Empire, et que l'on se puisse accorder pour la levee de quelque bonne armee, affin de l'emploier pour repoulser ledict ennemy des Chrestiens et aneantir ses forces qu'il va tous les jours accroisant.

  A016003332 

 Ou bien, estant V. R. empechee par l'indisposition de sa personne (que Dieu ne permette) ou par quelque ( sic ) aultres importantz affaires, de se treuver en personne, que ce soit par procureur, avec ample instruction et charge, affin que les communs affaires dudict royaume se puissent resouldre, et les malheurs desquelz il est menassé, empecher par l'asistance des Princes Electeurs et autres Princes et Estatz et par la vostre.

  A016003332 

 febvrier, en ladicte ville, en personne propre, puisque sans l'assemblee desdictz Princes Electeurs, aultres Princes et Estatz de l'Empire, ne se peult resouldre ce qui touche et le repos commun et le bien public de tout l'Empire; oultre que l'absence de plusieurs de noz Electeurs et Princes en la derniere diette, empecha les effaictz que l'on attendoit d'icelle, au grand prejudice de tout l'Empire.

  A016003333 

 Et ne doubtons aucunement que vostre volunté, et de tous lesdictz Princes et Estatz, ne soit tousjours telle, que vous vous porterez tousjours avec une vraie affection pour le contenu ausdictes propositions, et serez tousjours zelé a l'avancement du bien de l'Empire, non seulement en ladicte assemblee, mais encor ou vostre assistance sera necessaire; protestantz, au deffault de ce que la ou lesdictz Estatz et assemblee ne se resouldront a quelque chose de bien, pour la tuition, deffense et soulas de la Christienneté, que ce ne sera a nostre coulpe, ains, comme Nous avons tousjours tesmoigné par tout, nostre syncerité et affection se rendra de plus en plus prompte, comme desja des nostre election Nous vous avons faict paroir en ce que Nous nous sommes portés en ce qui a esté du bien et repos de tout nostre dict Empire, et n'y avons espargné aucun hazard, mesme de nostre vie, comme Nous ne ferons encor par cy appres..

  A016003333 

 Or, puis que pour la conservation de la religion et paix de l'Empire, il est necessaire qu'ilz soient faictz des edictz, loix et ordonnances qui seront inviolablement gardees et observees sellon leur portee, affin que par ce moyen touttes les menees, factions, forces [394] et inquietudes qui se font en icelluy puissent estre empechees et aneanties, et a ces fins vous avons, il y a desja quelque temps, mis le tout en avant; comme aussy plusieurs aultres incommodités, qui desja vous furent proposees a la derniere diette et qui se vont tout le ( sic ) jours de plus accroissantz et augmentantz, Nous offrantz Nous mesme pour touttes les dictes necessités Nous emploier en tout et par tout sellon ce qui sera trouvé expedient et resoulu par tous lesdictz Princes et Estatz en ladicte assemblee.

  A016003341 

 N'ayant rien plus à cœur que le bien de Noz subjectz, et mesmement de la jeunesse d'iceux, Nous avons estimé devoir remettre [395] le soin du College d'Annessi aux Reverendz Peres Bernabites, les bonnes qualitez desquelz Nous promettent d'en veoir le fruict et commodité que Nous avons tousjours desiré à nosdictz subjectz et à la ville mesme.

  A016003342 

 Et d'aultant que la perfection de ce bon œuvre Nous est fort à cœur, Nous avons estimé de l'appuyer à vostre pieté et zele que vous avez toujours monstré à l'avancement de la vertu, ennemye de l'oysiveté, en laquelle bien souvent la jeunesse se pert.

  A016003342 

 Et pour ce, vous Nous ferez plaisir bien agreable d'embrasser à Nostre nom l'execution de cette Nostre voulonté et l'establissement desdictz Peres dans ledict College, facilitant touttes les difficultez que l'on y pourroit trouver, afin que Nous puissions recevoir ce contentement sans contredit ne replique..

  A016003343 

 Et Nous promettant que vous l'aurez en recommandation, prions Dieu vous avoir en sa saincte garde..

  A016003384 

 Apres avoir baisé les sacrees mains de Vostre sainte et Illustrissime Seigneurie, je ne puis m'empecher de vous dire que, passant par Lion, tout foible que je suis, j'ay, comme un autre Samson, gousté, odoré et loué la suavité, douceur et pieté du mesnage et du miel de vos cheres abeilles, qui ont jetté leur premier essaim dans cette fameuse ville, ou elles sont en tres grande et rare estime.

  A016003384 

 J'en loüe Dieu, Monseigneur, et le benis de ce quil a fait, par vous et la tres digne Baronne de Chantal, une œuvre si sainte et digne de la main, de la peine, du travail des Saints; car tels ouvrages ne se peuvent jetter au moule que par des ames singulierement esleües.

  A016003384 

 Le progres fera voir de plus en plus que la douceur de la Providence de Dieu sur plusieurs ames se manifeste en nos jours..

  A016003385 

 Je le demanderay a Dieu, pour le bonheur de cette ville, avec la mesme passion que je suis.

  A016003385 

 Perseverez, Monseigneur, a faire tel present a nostre France, et pleust a Dieu que nostre Grenoble possedast desja un couvent de [398] vos cheres Filles, comme une relique de vostre esprit que l'on voit beaucoup reluire en elles.

  A016003398 

 Il n'y a remede, si faut il que je fasse un peché veniel, vous allant distraire de vos grandes occupations pour lire mes esgratigneures, vous, dis-je, que je vois occupé, et non empressé, a cultiver vostre petit paradis terrestre..

  A016003399 

 11 apartient a vostre digne main d'avoir mis dans cette sainte Congregation une si profonde loi d'humilité, que jamais aucune n'aye la hardiesse de lever ses yeux [399] pour manger le fruit defendu de la desobeissance.

  A016003399 

 Ainsi en fay-je priere a Dieu, et me semble que je vois tout le Ciel rire de contantement, et tout l'enfer fremir de rage contre cette nouvelle façon de suivre Jesus Christ, ou tant de bonnes ames trouveront le chemin du beau Paradis..

  A016003399 

 Je loüe Dieu d'un cœur joyeux que vous ayes transplanté la racine et des branches en nostre France, ou elles rendent desja une odeur de pieté et de devotion qui restaurera la devotion et ralumera le feu du saint amour en plusieurs cœurs de glace.

  A016003399 

 Le Reverend Pere Maillan qui, comme vous savez, est a Lion, m'escrit qu'il trouve en madame de Chantal tout ce que l'on loüe es saintes vefves qui l'on devancee, et quil luy semble, quand il luy va parler, qu'il va dans l'oratoire de la devote et genereuse Judith, tellement tout y respire le Ciel et l'esprit d'oraison.

  A016003400 

 Si j'estois utile en quelque chose a leur service, voila ma chetifve personne que j'offre a Vostre Seigneurie, avec protestation que je suis.

  A016003413 

 La Contesse de Tournon a charge de l'Infante d'assister a son nom a la solennité que vous feras, et de l'advertir de ce qu'elle pourra fere pour vous..

  A016003413 

 Nous avons heu fort agreable l'election que vous aves faicte de l'Infante Duchesse de Mantoue, ma fillie, pour vostre mere et protectrice; et louantz vostre pieté, charité et devotion, Nous avons esté tres ayse qu'ayes erigee vostre Congregation a l'imitation de celles que sainct Charles a institué a Milan.

  A016003428 

 Aussy avons Nous faict que Son Altesse, mon Seigneur et pere, vous aye bien particulierement recommandee au Marquis de Lans et au Senat, auquel vous pourés recourir pour toute sorte d'occasion, comme aussy a Nous, qui ne manquerons de vous favoriser et assister de tout nostre pouvoir, comme la Contesse de Tornon vous dira a bouche, a laquelle Nous avons donné charge d'estre presante en nostre nom a la solannité que vous feres..

  A016003428 

 La resolution que vous aves prise de servir avec tant de zelle a Dieu et au prochain Nous a esté tres aggreable, et Nous ne pouvions recevoir davantage de contentement que de l'election que vous aves faicte en Nous, pour estre mere et protectrice de vostre devote compagnie; ce que Nous avons accepté tres volontier, pour avoir part a une sy bonne œuvre.

  A016003429 

 Il me reste donq a vous dire que, comme tous les fleaux que nous souffrons viennent du courroux que, justement, Nostre Seigneur conçoit contre nos pechés, ce quil ne se peut mieux apaiser que par les devotes oraisons des ames religieuses, Nous avons jugé que les vostres seraient tres a propos pour faire souvenir la divine Majesté de sa misericorde et regarder de son œil de pitié nos aflictions publiques.

  A016003429 

 Voila pourquoy je vous conjure de prier sans intermission, afin que bientost nous puissions voir quelque bout de tant de calamités; ce que Nous asseurant que vous ferés volontier, je vous recommande de prier en particulier pour moy, qui vous cheris bien fort..

  A016003442 

 Je vous ay tous-jours accusé touttes celles que j'ay receu..

  A016003442 

 Vray est que le pacquet que ne luy voulutes addresser, M. Trabichet le luy addressa, auquel estoient touttes ces lettres du bon Pere Diego; j'ay donc receu trois des vostres tout a coup, du 21, 22 et 29 decembre, ensemble la procure et lettres pour l'Ambassadeur et M. d'Albon, auxquelles je vous respondray tant amplement que le loisir le me permettra.

  A016003443 

 Il y a aujourd'huy trois sepmaines que j'obtin la supersessoire, et vous donnay advis par diverses voyes comme je l'avois envoyé à Monseigneur par voye du Nonce; j'ay grandissime envie d'entendre la reception.

  A016003443 

 Quand a ce que vous me dites que je debvois faire que les Cardinaux escrivissent que le Nonce commit des non suspectz pro informatione, cela ne se pou voit, puisqu'alhors il ne [403] se parloit que de la volonté de Son Altesse, pour laquelle sçavoir et procurer nous estre favorable, j'obtins lesdites lettres au Sieur Nonce..

  A016003444 

 Je loüe infiniment Nostre Seigneur de vostre bonne et tous-jours meilleure convalescence, vous asseurant que quotidie in sanctissimo Missae Sacrificio je la recommande, ensemble tout ce qui depend de vous, a la misericorde et bonté divine..

  A016003445 

 Et quand je luy ay remonstré la pauvreté, il m'a dict que si je voulois d'argent pour fonser et despendre ( dépenser ) comme il faut, il le me presteroit tant et si grande somme que je voudrois, pourveu que je m'obligea moy seul, en bonne forme de Chambre, pour me pouvoir faire excommunier au defaut du paiement.

  A016003445 

 Il m'a bien dict que pour ce qui est de faire des services de sa personne, qu'il le fera; mais c'est tout froidement, car il croioit que cecy seroit une cause ou il y auroit a gaigner.

  A016003445 

 Je luy ay dict que je me contentois d'y mettre mes peines, sueurs et fatigues, mais qu'outre que je n'avois le moien de ce faire, quand je l'aurois, je ne me voudrois soubzmettre a tel danger..

  A016003445 

 Quand aux lettres que le bon Pere Diego escrit au Pere Ignace, elles ne me peuvent a present guieres servir, ny autres, puisque, comme je vous ay desja escrit, que le Dataire m'a faict dire ch'io faccia citare la parte, etc.; mais je n'y ay encour rien faict, car j'estoys conseillé de ne rien bouger sans les lettres de Savigny.

  A016003446 

 Il est marry de ce que M. de Savigny ne faict point d'estat de luy si non quand il en a besoin; et quand a ces memoires que je vous manday de sa part, avec le reste de ses louanges, rogatus rogabam.

  A016003446 

 L'apprehension que j'ay que, puis appres, on ne pourra paier et rembourser, me faict aller si retenu a despendre; car si vous m'asseuriés qu'ilz auront de quoy a la fin du jeu, je ne serois si ciche a despendre..

  A016003446 

 Si vous estes content, et ces Messieurs, qu'on despende, et qu'on ne laisse, a faute d'argent, de solliciter et plaider, escrivé le moy, et ordre a M. Gojon de fournir; car il a receu ordre de me bailler jusques a la somme de 60 florins, et il ne faudra pas [404] beaucoup que la somme sera des-ja achevee, car il ne touche pas terre, comme vous sçaves.

  A016003447 

 Escrives moy donc tout court que je despende ce qui sera necessaire au proces et sollicitations, ou vraiement que il ne se peut; car vous sçaves que je vins avec ferme croiance de tous nous autres de faire merveilles avec mes attestations, et non poinct pour plaider.

  A016003447 

 Item, si vous estes d'advis que mettions la cause en Rote, car le Procureur de Sainct Paul dict que l'y ayant mise, que j'obtiendroys sans delay mandatum de manutenendo, et qu'avec cela je m'en pourrois aller, et que luy auroit le soing de defendre la cause et que, possible, les Peres Feullantz ce voiant, quitteroient..

  A016003447 

 J'ay empronté de Nombride dix ducattons en piece, desquelz je me suis cedulé; je vous prie que, s'il mande la cedule, qu'on les paie a qui la portera.

  A016003448 

 J'avois demandé qu'on la fit au Procureur general de Sainct Paul et au Dom Constantino, car c'estoit le mieux; car ce Procureur est un grand personnage qui, en brief, sera faict Abbé, et, a ce que j'ay conneu, il n'a pas gousté de se voir a la queue de deux autres Procureurs.

  A016003448 

 M. de Savigny a faict bonne procure, mais il n'y a pas mis tout ce qui est necessaire, car il nous commet en façon que l'un ne peut rien sans l'autre, et quod unus cœperit, alter prosequi poterit; et ny est pas aussy la... substitutionem.

  A016003448 

 Touttesfois, il n'a laissé pour cela de me promettre, hier mattin, que demain il s'en iroit expres treuver le Procureur general des Feuillantz, et luy mostrer la copie de la procure que j'ay transcrit en italien, et luy dire tantum que s'il ne desiste de telle sollicitation (puisque il est prié de M. de Savigny et constitué Procureur), qu'il prendra la chose en main a bon escient.

  A016003449 

 De mesme, que ledict sieur Abbé fit un mot de remerciementz auxdicts Peres, de tant de peine qu'ils ont desja prins a defendre son droit, et de mesme nous ( sic ) Reformés fissent une belle lettre en latin, tant humble qu'ilz pourront; car cela les encouragera au double de m'assister..

  A016003449 

 Vous ferés fort bien, si quelqu'un va a Lyon (car il ne faut mander expres), d'escrire a M. l'Abbé qu'il fit un' autre procure, seulement au Procureur general de la Congregation Montis, etc., [405] sans y mettre son nom, quoy que je l'aye envoyé; car, comme cestuy en sera Abbé, la procure servira pour son successeur et au Pere Dom Constantino Gaietano, decano di essa Congregatione et continuo commensale di Sua Santità; et ce attendant, je ne lairray, avec celle que nous avons, de travailler tout ce qui se pourra.

  A016003450 

 Aujourd'huy, M. d'Albon et moy sommes allé parler au sieur Ambassadeur et presenter la lettre du sieur de Savigny; il l'a leu fort attentivement, et puis a dict qu'il ne se voudroit point embarquer en cet affaire sans estre asseuré d'en pouvoir rapporter l'honneur et la victoire, car, dit il, «Si ces Feulliantz sont portés du Duc, il y aura bien que faire; que si Leurs Majestés m'en escrivoient un mot, alhors nous ferions prou.» Ce nonobstant: «Allés vous en (a il commandé audict sieur d'Albon, me presente ) aux Feulliantz et parlés au Procureur general, luy disant que je vous envoye expres vers luy pour [voir], par ce que Leurs Majestés et l'Abbé de Savigny m'ont escrit touchant un certain Prieuré, et qu'il nous dit ses raisons pourquoy; et outre ce, qu'il me vienne parler.» Ledict sieur d'Albon y vouloit aller sur le champ, a condition que je l'accompagnerais; je me suis excusé, et dict que pour avoir donné la lettre et informé une fois ledict sieur Ambassadeur, que je me contentois; mais que pour y retourner a solliciter et courtiser, ce sera tant furtive et rarement que je pourray, par raisons, etc.; tellement, qu'il a remis a demain mattin d'aller faire son ambassade.

  A016003451 

 De luy dire: En cas que Son Altesse vueille, etc.; que deviendront, etc.? Cela est tout clair que ceux qui sont reformés ne seront jamais chassés, mais seulement les autres, ains seroient ad vitam dans leur monastere, au moins s'ilz y vouloient demeurer; mais M. le Prieur n'a point du tout de volonté d'y demeurer.

  A016003451 

 Je n'y peux faire autre que de informer le Dataire, ce qui va a la longue, pour les grandes occupations ou [il] est.

  A016003451 

 Quant a la surprinse de laquelle vous me donnés advis, il ne faut doubter qu'il ( sic ) procureront de se justifier, voyant que par tant de memoriaux je les [406] ay accusé d'avoir mal supplié; mais je ne pense pas pour cela que l'on n'entende et voye mes attestations quand serons en lice.

  A016003452 

 Dieu et de ce grand Pere des moines, sainct Benoit; mais avec tout cela, je suis tout preparé de recevoir avec toutte sorte d'actions de graces, de patience et mortification, tout sinistre evenement qui pourroit arriver, puis que c'est chose asseuré que Dieu permet tout pour le mieux.

  A016003452 

 Dieu soit loüé! Soyés certain que mon courage durera autant que ma vie; autant puisse durer l'argent!.

  A016003452 

 Je ne sçaurois mieux montrer la grande affection que j'ay a defendre et maintenir cette saincte reforme, que d'avoir entreprins si long voiages et des si grandes peines et sueurs que j'ay supporté et supporteray courageusement et allegrement pour l'amour de.

  A016003452 

 Mais ce n'est point pour cela que je perde courage; mais il est impossible que je ne resente grand'affliction en mon esprit en semblables occurrences.

  A016003452 

 Si vous jugés que je perde courage, par la presente, vous le jugerés mieux par un'autre ou je vous parle plus sec, quand j'ay veu ne sçavoir ou donner de la teste au commandement du Dataire.

  A016003453 

 Il faut vous repeter le mot principal, affin que, tant vous qu'autres a qui il appartient, vous prepariés comme moy: si Son Altesse faict sçavoir a Sa Saincteté sa volonté en faveur des Feulliantz, il ny aura autre remede que celuy que je vous ay desja allegué..

  A016003454 

 Je n'ay encour la responce de M me des Gouffiers, et si non qu'a la requeste et remonstrance que Monseigneur le Reverendissime en fera a la Congregatione di Vescovi, comme je luy ay escrit que j'estois d'advys, per ultimo rimedio, croyés qu'il ( sic ) n'en feront rien, tres marry que j'en suis..

  A016003455 

 La responce au memorial que j'ay donné pour M. de Sirvinges est: Unusquisque maneat in sua vocatione, car, si e buon Religioso, [407] procuri di corregere et ammaestrare li altri; si è discolo, peggio sarà essendo fuori del monasterio..

  A016003457 

 M. Gojon m'a faict voir la vostre cum rubore, car il semble que vous luy parlés un peu hault; mais vous avés bien faict, affin que, maintenant qu'il a ordre, qu'il ne fasse tant me promener.

  A016003458 

 Collomb partit le 8 du present, tout seul, avec six ducattons que je luy rendis, qu'il m'avoit presté par.................................................

  A016003458 

 Mais, patience; il faut faire de necessité vertu, et ce que l'on peut, et non ce qu'on veut.

  A016003459 

 J'ay executé vostre intention devant que la sçavoir.

  A016003459 

 Je suis tous-jours en la mesme chambre, devant l'eglise neufve, et n'en bougeray jusques a mon despart, lequel sera au tems et jour precisement que me manderés.

  A016003459 

 Pour moy, je voudrois que ce fut desja demain, tant je m'ennuy, non pour autre que pour voir si grandz frais et si peu de moiens de les paier; sçaches moy donc, je vous prie tres-humblement, a dire et commander quand il faudra caparrare cavallo..

  A016003472 

 Et partant, vous avons voulu dire par ceste, qu'ayez a les aider, favoriser et assister en tout ce que vous sera possible pour l'effaict que dessus..

  A016003472 

 L'Infante Duchesse de Mantoue, ma fille, ayant prins en particuliere protection la Congregation de celle devote compaignie de Dames, nouvellement erigee a Nissy a imitation de celles que saint Carlo a establies a Millan, assavoir de vefves et de filles vierges, pour vivre ensemble en perpetuelle chasteté, soubz l'hobeissance d'une Superieure; les jeunes sans sortir jamais, comme es autres Monasteres les plus reformez, et les autres pour secourir les pauvres malades de ce lieu la, ou il ny a qu'un pauvre hospital lequel n'a le moien d'exercer la charité qui seroit necessaire ausditz mallades; sans qu'elles praetendent vivre d'aulmosne, ny d'accroistre jamais leur revenu de plus de mil cinq centz escus d'or l'annee, qu'elles esperent d'avoir ou par voye de rente constituee, ou en aultre [409] façon, sans agraver noz subjectz sur le faict des tailles, et se contentantz de recepvoir les vefves qui sont sans incommodité d'enfans, et les filles qui vouldront entrer en celle Congregation, moyennant seulement une pension annuelle leur vie durant: ce que Nous a esté fort aggreable, pour l'honneur et gloire qu'en doibt resulter a sa divine Majesté et pour le bien et fruict qu'en recevront nos bien amez subjectz.

  A016003483 

 Et ayant faict reflexion sur les bonnes qualités des Reverends Peres Bernabites, despuis que Nous les avons placés en ceste ville de Thurin, les trouvantz tres capables d'apporter a ladicte ville d'Annessy ung grand bien spirituel et temporel, Nous avons estimé de le faire remettre entre leurs mains, avec tous les biens, revenus, droictz et charges d'iceluy, saufz de moderer ce qui pouvoit estre contraire a leurs Reigles et Constitutions.

  A016003483 

 Et pour ce, Nous vous disons de faire promptement ladicte remission, par contract autentique, sans y aporter difficulté ny longueur, moins en attendre de Nous plus particulier commandement, puis que telle est Nostre [410] volonté.

  A016003483 

 Il y a long temps que Nous avons desiré de redresser vostre College, tant pour l'avancement de la jeunesse, que pour l'ornement et commodité que la ville d'Annessy en particulier en doibt recevoir.

  A016003484 

 Et Nous asseurantz que vous y ferés tout incontinant, prions Dieu vous avoir en sa saincte garde..

  A016003496 

 C'est pourquoy Nous escripvons aux Scindics de le remettre entre leurs mains, avec tous les biens, revenus, apertenances et aultres droictz d'iceluy, et vous exhortons d'y aporter toute la facilité qui dependra de l'aucthorité que vous y avés, a celle fin de ne retarder ung si grand bien que non seulement la ville, mais toute la province en doibt ressentir.

  A016003496 

 En quoy vous Nous ferés plaisir tres agreable, ne desirant rien tant que la bonne institution de la jeunesse et le bien [411] de Nos subjectz.

  A016003496 

 Nous voulons tant croire de vostre zele au mesme bien, que vous franchirés toutes difficultés qui s'y pourraient presenter, afin de rendre cest œuvre a sa perfection..

  A016003496 

 Voyant que le College d'Annessy a besoing d'estre restauré pour l'utilité de la jeunesse, bien et commodité de la ville, il Nous a semblé bon de ne pouvoir faire meilleur ( sic ) ny plus convenable election que des Reverends Peres Bernabites, lesquelz nous recognoissons tous les jours plus habilles et capables d'en avoir le soing.

  A016003513 

 Je ne vous saurois dire l'extreme contentement que Monseigneur de Nemours a receu a mon arrivee, lors que je luy ay representé le soin que vous avez de luy.

  A016003514 

 Et m'a particulierement dit que sadite Altesse luy est redevable des exactions extraordinaires et logement de gendarmerie faite ( sic ) contre l'ordre des contrats et transactions passez entre eux et ses predecesseurs, plus d'ung million d'or.

  A016003514 

 Quil connoist clairement que toute la Savoye, et particulierement ses sugets de Genevois, Foucigny et Beaufort, sont lassés de la souveraineté par trop lisentieuse de S. A., qui n'a aucung esgard a leurs miseres depuis vingt ans, et les a reduit au desespoir; et qu'en la resolution quil prendra, ses voisins, bien conseillés, l'assisteront pour leur interest, et se pourront ensemble maintenir sous la protection de Leurs Magestez.

  A016003514 

 Quil croit qu'estant ainsy mal traité, et ses sugets tant oppressés, il peut justement rechercher d'establir la domination du prince, avec telle condition neantmoins, que luy ny aultre n'en puisse abuser a l'avenir, suyvant ses investitures et privileges, alterés par les declarations de ses predecesseurs qui ne luy doivent nuyre ny prejudicier.

  A016003515 

 Et en cas quil se declare ouvertement, il desireroit que l'on negotiast avec l'Espagne, de sorte qu'elle donnast de l'occupation a sadite Altesse du costé de Lombardie, tandis que nous ferons fortiffier quelques places aux terres de mondit Seigneur pour la retraite de ceux quil aura soubz luy..

  A016003515 

 Il a des troupes sur pied, et desire que je leur commande, pour la fiance quil a en moy, et crois qu'a cela l'amitié que M. d'Alincourt me porte m'y a beaucoup servy, et m'a envoyé vers luy pour savoir s'ils se pourraient secrettement aboucher ensemble; ce que je trouve dificile, veu l'ombrage que S. A. prend contre ce Prince de son affection envers la France, et du ressentiment de son offence.

  A016003515 

 Il est aussy extraordinairement pressé par le Duc de passer les monts sans attendre M. de Rambolliet, mais il s'est resollu de n'en rien faire que nous n'ayons de vos nouvelles.

  A016003516 

 L'autre est que, quand ledit sieur de Rambolliet luy conseillera d'aller trouver Leurs Magestez en poste soudain quil l'aura veu, il ne se peut faire sans savoir l'effet de son voiage, et sil sera utile en se ( sic ) pais au service de Leurs Magestez, et dissimulera en attendant, sans rien rompre avec sadite Altesse, suyvant ce que je luy ay dit de vostre part; si bien que, de cela et de toute autre chose, il attendra ce quil vous plaira luy conseiller..

  A016003517 

 Ledit Prince est fort consiensieux, et cela, plus que toute autre chose, est capable de l'esmouvoir; a quoy nous n'oublierons rien pour troubler tous ses desseins..

  A016003518 

 Tout ce lieu [est] plain d'espions pour prendre garde a ses actions, et ny a que la seule arrivee de l'Ambassadeur qui le maintienne en confiance et honneur.

  A016003519 

 Voila, Monseigneur, l'estat de ses affaires, et ce que je vous puis mander de son intention, don je vous supplie tres humblement prendre creance, et que je suis,.

  A016003524 

 Monseigneur de Nemours m'a commandé, de puis ma lettre [414] escrite, de vous faire sçavoir quil se conduira selon que M. de Ramboulliet luy parlera de la part de Leurs Magestez et la vostre..

  A016003549 

 Or, comme depuis un moys en ça ou environ, le Docteur de Bay, President du College par deça, est allé de vie a trespas, et que nous ne sommes bien informés de la fondation de par dela, n'avons pour le present sceu resoudre sur le faict de la dicte incorporation, ains tiendrons la dicte resolution preste pour le premier retour du porteur de ceste..

  A016003550 

 Touchant le jeune homme qu'il vous a pleu reccomander par vos lettres a feu Monsr Bayeus, sa mort cause que vous ne pourrez venir a l'effect d'icelle reccomandation, laquelle mort cause aussy que nous devons advertir de n'envoyer aulcuns nouveaux boursiers pour les Pasques prochaines, pour se trouver le College arriere de quelques cents escus, lesquels devront estre ramborsés a la maison mortuaire dudict Bayus, lequel, par sa bienveulliance envers ceux de vostre nation, a receu et porté plus de charge que le revenu du College ne portoit..

  A016003557 

 Messieurs, en suivant le pouvoir que nous est octroyé par la [416] fondation, nous conformant aux conditions prescrites par icelle, avons esleu pour President, en la place de feu Bayus, sire Jean Massen, prebtre, licencié en la saincte Theologie, ayant l'espace de quatorze ans regenté louablement le Pedagoge de la Fleur de Lys, esperant qu'il donnera contentement a touts en la regence de nostre College de Louvain..

  A016003575 

 M me Elisabeth des Gouffiers, l'une de ses Religieuses, ne l'était devenue que par force et sous la contrainte maternelle.

  A016003575 

 Plus de Règle ni de clôture; l'Abbesse y menait grand train et prétendait ne relever que du Pape.

  A016003577 

 Ce digne Religieux était beau-frère d'Antoine Bellot, que ses fonctions d'«élu» en Bugey, Valromey et Gex avaient souvent mis en rapport avec saint François de Sales.

  A016003579 

 François de Sales répondit qu'il l'agréerait volontiers, mais il l'avertissait discrètement — sans doute pour lui éviter une déception — que la Visitation n'avait rien de l'opulente somptuosité du Paraclet, que tout y était chétif et rabaissé, excepté toutefois l'ambition de ses hôtes: celle «de parvenir a la perfection de l'amour divin.».

  A016003581 

 Il s'agissait d'«epier», disent les Annales du temps, «si c'etoit la terre que Dieu leur vouloit donner.» Cette décision n'était pas le fruit d'un enthousiasme irréfléchi ni d'une vaine curiosité.

  A016003582 

 Leur première entrevue avec le Saint eut lieu dans la matinée du 27; il fut «bien content,» écrivait-il l'après-midi à la Mère de Chantal, «de voir ces bonnes damoyselles..., et particulierement M me de Gouffier, que je voy toute telle que vous m'aves dit.» Dès l'abord, les deux Fondateurs avaient donc distingué la noble étrangère qui tranchait sur les autres par son esprit de décision et sa vive personnalité..

  A016003586 

 La réponse de l'Archevêque, M gr Denis-Simon de Marquemont, dépassa ce qu'on pouvait attendre de sa piété et de ses sympathies bien connues pour les Ordres religieux: il fit plus que d'accorder les permissions demandées, il donna mille écus pour faciliter l'acquisition de la maison.

  A016003587 

 A l'imitation des anciens contradicteurs, qui disaient si Dieu ne parlait qu'à Moyse, ils dirent aussi... si Dieu ne faisait des merveilles que par l'Evêque de Genève; si d'autres Evêques ne pouvaient pas ériger des Congrégations autant parfaites et bien réglées que celle qui était établie à Annecy.

  A016003587 

 Les Chroniques nous parlent de sa grande piété, mais toutes aussi laissent comprendre que sa prudence n'égalait pas son esprit d'initiative et d'entreprise.

  A016003587 

 M gr de Marquemont se laissa persuader; on décida que l'Institut serait fondé sous le titre de la Présentation Notre-Dame et que les quatre prétendantes en seraient les premières novices.

  A016003587 

 «Ils s'échauffèrent après ces considérations; innover leur paraissant chose aussi facile, et en tout cas plus honorable que d'imiter, ils s'éprirent du dessein d'établir une Congrégation indépendante et toute nouvelle.

  A016003590 

 La nouvelle de cet événement, raconte la Mère de Chaugy dans ses Mémoires, «fut apportée à Annecy lorsqu'on croyait que l'on venait prendre des Sœurs pour aller fonder à Lyon.

  A016003590 

 Notre bienheureuse Mère ne se fâcha aucunement de ce changement; au contraire, elle en bénit Dieu, disant à nos Sœurs que cela devait apprendre à toutes qu'il faut jeter de profondes racines en la très-sainte humilité.».

  A016003593 

 La lettre du 15 octobre 1614 semble répondre à cet exposé: on voit par sa teneur, que le Bienheureux, tout en adhérant à un espoir [423] qui lui sourit, se tient sur la réserve et conseille à la fervente négociatrice de prêter son concours suivant l'occurrence, mais sans rien laisser paraître qu'une «tres absolue indifference.» En même temps, il écrivit au P. Grangier, sans doute pour l'assurer qu'il persévérait dans son bon vouloir de favoriser, quand les esprits seraient préparés, l'établissement d'une seconde Maison de la Visitation.

  A016003594 

 Le bon Prélat, comprenant bien que les pauvres filles «ne s'êtoient rangées» à la Congrégation «que par pure obeyssance» et que leur désir ne venait pas d'inconstance, mais de l'esprit de Dieu, promit de leur donner toute satisfaction et d'en écrire lui-même à l'Evêque de Genève..

  A016003595 

 Assuré maintenant que les obstacles étaient levés, saint François de Sales n'hésitait plus à s'engager, M. Lourdelot lui-même, qui naguère avait contrecarré si passionnément la sainte œuvre, reconnaissait, avec une très méritoire franchise, l'insuccès de sa tentative, et voici qu'il employait ce qui lui restait de crédit pour favoriser le dessein auquel tout d'abord, avec tant d'éclat, il avait fait échec.

  A016003596 

 Notre-Seigneur y mit ordre: à l'ouverture des patentes, l'on vit que le mot était miraculeusement changé, et qu'où les hommes avaient mis Congrégation de la Présentation, il y avait en beau caractère bien formé Congrégation de la Visitation... Cette merveille... fut cause que notre petit Institut fut mieux goûté qu'il n'eût été; ceux qui avaient été contraires à notre établissement disaient alors: «La main de Dieu travaille pour ces Religieuses ici.».

  A016003596 

 Voici [424] comment la Mère de Chaugy raconte la chose: «Avant que notre bienheureuse Mère et sa chère troupe arrivassent à Lyon, l'on voulut visiter les patentes royales obtenues pour l'autre établissement, afin de faire changer le mot de Présentation en celui de Visitation; pour cela il fallait faire quelque retardement, et des allées et venues.

  A016003597 

 Un récit plus circonstancié de la sainte Fondatrice complète les détails de ce fait merveilleux: «Nous avons appris de ma Sœur Colin,... que M. Fijean, à qui feu Monseigneur de Marquemont remit les lettres pour les porter au Roi afin qu'il les signât,» ayant «obtenu de Sa Majesté la permission que l'on demandait, comme il les présenta à mondit seigneur de Marquemont, l'on trouva le nom de Visitation au lieu de Présentation; de quoi Monseigneur l'Archevêque demeura fort surpris, et beaucoup plus, lorsqu'après avoir su dudit sieur Fijean qu'il avait présenté les lettres en la même forme qu'il les lui avait remises, et ne savait point la cause de ce changement, ni qu'il se fût fait, il voulut revoir celles qu'il avait écrites de sa main, et trouva le même mot de Présentation changé en celui de Visitation, sans qu'il apparût changement de caractère ni effaçure.» Alors, «l'on veid,» remarque la Mère de Chaugy, «que Dieu... avoit conduit l'esprit ou la main du secretaire, pour écrire ce qu'il avoit déterminé dans les conseils eternels de sa Providence.».

  A016003598 

 «Le Serviteur de Dieu ayant rêpondu... qu'il prenoit à un tres grand honneur» que [425] l'Archevêque «eut fait choix de ses Filles,» ce Prélat s'employa aussitôt à l'exécution de la pieuse entreprise.

  A016003599 

 «Toute cette belle compagnie,» écrit une annaliste, «fut très bien reçue à Annecy, tant par le saint Prélat que par notre bienheureuse Mère de Chantal,» à qui on donna pour coopératrices «nos Mères Marie-Jacqueline Favre, Assistante et Directrice; Péronne-Marie de Chastel, économe, dépensière, surveillante et robière; Marie-Aimée de Blonay, conseillère, sacristine, portière et lingère: toutes sujets d'élite et de choix.» Le 25 janvier 1615, François de Sales écrivait à M me de la Fléchère: «Nostre bonne madame de Chantal part demain pour aller coucher a Clermont, ces messieurs et ces dames de Lion estant venus la prendre.».

  A016003600 

 Celle-ci emportait quelque chose de plus précieux encore que les bénédictions affectueuses d'un Saint: elle avait avec elle les Constitutions écrites de la propre main du Fondateur, c'est-à-dire la législation toute céleste qui devait donner l'âme et la vie aux Monastères de l'avenir..

  A016003601 

 Aux approches de la grande ville, la Sainte, selon une promesse de son bienheureux Père, eut la certitude que «les bons Anges du royaume de France lui faisaient l'accueil.» Le lendemain, fête de la Purification, l'établissement du Monastère fut l'occasion d'une grande solennité.

  A016003602 

 Les «damoyselles» de Valence et Boivin ne s'engagèrent pas dans la Congrégation, mais devinrent Religieuses du Tiers-Ordre de Sainte-Elisabeth, qu'elles contribuèrent [426] beaucoup à fonder à Lyon, et «où elles ont fort bien réussi;» tant il est vrai «qu'il y a diverses demeures en la maison de notre Père céleste, et que la paix de chaque âme consiste à connaître celle que la Providence lui a destinée.».

  A016003603 

 Bientôt, le Monastère marcha avec le même ordre que celui d'Annecy.

  A016003609 

 A quoy inclinans pour l'utillité que le publicq pourra recepvoir pour l'exemple de leur pieté et bonne et saincte vye:.

  A016003609 

 Et dautant que ceste bonne intention des exposantes ne peust sortir son effect sans nostre permission et l'impetration de noz Lettres pour ce necessaires, elles Nous auroient tres humblement faict supplier icelles leur octroyer, aux charges cy devant mantionnées.

  A016003609 

 Noz bien amées JANNE CHAPUYS, YSABEAU DANIEL, CLAUDINE CALLON et ANNE MARIE BELLET NOUS ont faict dire et remonstrer que pour le desir qu'elles ont du despuis long temps de vivre soubz quelque saincte Reigle, en servant et se vouant a Dieu, elles auroient choysi et esleu celle de la Congregation des filles dediées à Dieu soubz l'invocation de NOSTRE DAME DE LA VISITATION; en laquelle ayant resolu de passer le reste de leurs jours, elles se seroient addressées à nostre amé et feal l'Archevesque de Lyon, lequel approuvant leur bonne et devotte intention, leur aurait, sur la requeste qu'elles luy auroient presentée, promis, pour ce qui regarde sa dignité archepiscopalle, soubz nostre bon plaisir, de faire construire et eriger en nostre ville de Lyon, un Convent, dans lequel elles puissent vivre soubz les Constitutions qui leur seraient par luy ordonnées, conformement à ladicte Congregation, et a la charge d'y demeurer en perpetuelle closture, et ne demander, ny faire demander aucunnes aumosnes pour elles, ains de renter et dotter ledict Convent à proportion des Religieuses qui y seront receues, dont on luy feroit apparoir avant que aucune s'y renfermast, et à condition qu'elles seraient entierement, elles et leur Maison, soubz son regime et jurisdition, et de ses successeurs Archesvesques.

  A016003610 

 Sçavoir faisons que Nous, désirans subvenir ausdictes exposantes en cet endroict, et Nous rendre participans de leurs devotes prieres et oraisons pour la prosperité de cest Estat, de l'avis de la Royne Regente, nostre tres honnoré ( sic ) Dame et Mere, et de nostre propre mouvement, grace speciale, plaine puissance et autorité royalle: Avons permis et accordé, et comettons et accordons par ces presentes, signées de nostre main, ausdictes exposantes, de faire construire, bastir et ediffier, en nostre dicte ville de Lyon, un Convent de la Congregation des Sœurs dediées a Dieu soubz l'invocation de NOSTRE DAME DE LA VISITATION, au lieu et place qu'elles choisiront ou auront choysi [428] pour cet effect, à elles appartenant, moings incommode au publicq, et par l'advis du Gouverneur et des Prevost et Eschevins d'icelle ville, pour s'y r'enfermer et vivre le reste de leurs jours aux conditions qui leur ont estes prescriptes par ledict Archevesque de Lyon et soubz son auctorité et jurisdition; sans qu'elles puissent estre en ce que dessus, troublées ou empeschées par quelque sorte de personnes ou en quelque maniere que ce soit.

  A016003611 

 Et afin que ce soit chose ferme et stable à tousjours, Nous avons faict mettre nostre séel à ces dictes presentes, sauf en autres choses nostre droict et l'auctruy en touttes..

  A016003611 

 Si donnons en mandement à noz amez et feaulx, les gens tenans nostre court de Parlement à Paris, Seneschal de Lyon ou son Lieutenant, et à tous nos autres Justiciers quil appartiendra, que du contenu en ces presentes, ilz ayent à faire jouir lesdictes exposantes plainement, paisiblement et perpetuellement, sans permettre ny souffrir quil leur soyt sur ce faict, mis ou donné aucun trouble ou empeschement au contraire; car tel est nostre plaisir.


17-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XVII-Vol.7-Lettres.html
  A017000013 

 Le Saint n'agrée pas que ses amis se déchargent sur lui d'une responsabilité qui leur incombe.

  A017000013 

 — Que faire quand le corps et l'esprit sont languissants. 15.

  A017000014 

 Une absolution que l'Evêque de Genève attend de la courtoisie de son destinataire.

  A017000015 

 — Une race spirituelle que le Saint demande à Dieu de multiplier.

  A017000031 

 — Les mariages que l'Evêque de Genève ne voulait pas autoriser. 32.

  A017000032 

 — Il vaut mieux refuser que d'entreprendre témérairement.

  A017000065 

 Affaires épineuses que François de Sales voudrait arranger à la consolation de M me de Bressieu.

  A017000066 

 — Dévotion généreuse que le Fondateur désire de ses Filles.

  A017000080 

 — « Rien au monde pour nostre cœur que Dieu, ni pour Dieu que nostre cœur ».

  A017000087 

 Ce que Dieu fera pour la Visitation, et ce qu'il fera pour la Mère Favre.

  A017000090 

 Une réponse à ce que M gr de Marquemont allègue contre la Visitation.

  A017000094 

 Etre ce que Dieu veut: faibles de corps, mais siens de cœur.

  A017000133 

 Vouloir les vertus selon que Dieu les veut de nous.

  A017000136 

 Tendre au même but, sans vouloir « faire tout ce que les autres font.

  A017000149 

 « La plus favorable condition » que nous puissions attendre de la mort.

  A017000149 

 — Remercier Dieu quand il nous laisse ceux que nous aimons; acquiescer à sa volonté lorsqu'il nous les ôte. 146.

  A017000171 

 — Que Mme des Gouffiers supporte courageusement le fardeau que sa bonne volonté lui a fait désirer.

  A017000183 

 — Faire ce que l'on peut, et laisser le reste à Dieu. 175.

  A017000190 

 — La « tare » que la modestie du Saint y découvre.

  A017000195 

 Que doit faire une âme continuellement attirée par Dieu à se reposer dans le sein de sa Providence.

  A017000207 

 — Une prière que le Saint ne ferait pas.

  A017000218 

 — La part que les hommes laissent aux femmes.

  A017000220 

 Grande erreur de croire que l'oraison perfectionne sans l'obéissance.

  A017000220 

 — Que faire des gens qui veulent se gouverner à leur guise.

  A017000231 

 — Est-ce hypocrisie « de ne pas faire si bien que l'on parle? » — Marcher « par le milieu des belles vertus, » et non « par les extremités » des subtilités.

  A017000235 

 Ce que François de Sales aimait « passionnement » dans l'âme de la destinataire.

  A017000268 

 De sorte que, quand cet honneste homme que vous m'envoyastes me vint parler de cela et que je vis la lettre de monsieur de Charmoysi, je fus tout surpris et dis que je n'avoys point de charge de cela, et que mesme, m'estant enquis des Peres Barnabites et de plusieurs autres sil y avoit du mal en M. Rosset, pour lequel on le deust renvoyer, je n'avois rien peu treuver qui meritast cela.

  A017000268 

 Et sur cela, M. de Vallon se chargea de rechef de s'enquerir des deportemens du sieur Rosset, et en alla parler aux Peres Barnabites et a d'autres qui, comme il me dit par apres, treuverent fort estrange qu'on parlast de ce changement; et alla treuver monsieur de Charmoysi qui m'escrivit une lettre par laquelle il me mandoit en termes generaux, que j'avois tout pouvoir, et ne me disoit nulle resolution..

  A017000268 

 Les porteurs de vos precedentes lettres m'ont pris en un tems auquel j'estois si fort embarassé de gens et d'affaires que je ne sçavois ou j'en estois, et ne pouvois me desrobber pour vous faire response, laquelle d'ailleurs je ne sçavois comme vous faire, par ce que vous presupposies que monsieur de Charmoysi mon cousin m'eust donné charge de pourvoir au changement de maistre de vos enfans, et jamais il ne m'en avoit fait un seul [1] mot, bien quil m'eust escrit seulement le jour precedent.

  A017000268 

 Mays que, puisque monsieur de Charmoysi et monsieur de Vallon estoyent icy, c'est a dire se devoyent voir le jour suivant, que c'estoit a eux de le renvoyer, si bon leur sembloit.

  A017000269 

 En somme, je conclus a M. de Vallon qui m'apporta la lettre, qu'en leur absence et la vostre je prouvoirois aux enfans, quand je m'appercevrois quil y eust chose qui meritast que j'y misse la main, pour le devoir que [2] je leur avois a tous trois; mais que les peres et meres estans presens, c'estoit a eux de s'en accorder et de le faire; et que je m'en remettois a eux, puisque principalement monsieur de Charmoysi requeroit en la lettre que vous m'envoyastes, des conditions en un maistre qu'on ne treuve pas mesme es maistres ou precepteurs des Roys: un maistre qui n'eust rien a faire qu'apres les enfans, ni pour dire la Messe, ni pour estudier d'estude particulier.

  A017000269 

 Or en somme, il ne me sembloit pas raysonnable que les peres estans presens, je fisse rien en cela, n'y ayant rien qui pressast (que je sceusse), et le parti de M. Rosset estant defendu par tant de gens dignes de creance..

  A017000269 

 Sur quoy, je ne sceu que dire non plus, car vous ne m'avies rien marqué de particulier des defautz de M. Rosset.

  A017000270 

 Certes, il ne faut pas craindre que les enfans perdent le tems en ce College, ou le P. Prefect mesme fait des repetitions particulieres, nommement aux vostres, desquelz il a un grand soin, et se contente fort de M. Rosset.

  A017000270 

 Ilz ont deux grandes leçons le jour, ilz ont des compositions a faire, ilz ont des repetitions frequentes: ilz ont, a mon advis, tout ce quil faut, et beaucoup plus que nous n'avions de mon tems.

  A017000270 

 Je voy vos enfans qui se font gentilz, et ne me semble pas que vous en deves estre en peyne; outre que M. Rosset, qui s'est veu a la veille d'estre hors de sa condition avec quelque deshonneur, s'evertuera de faire tous-jours mieux.

  A017000270 

 Voyla tout, ma tres chere Fille, sinon quil faut que je vous die que des-ja le changement de M. Romain a M. Rosset fut treuvé mauvais, par ce que ceux la mesme qui parloyent en mal de M. Rosset ont dit despuis quilz avoyent eu tort, et M. de Charmoysi le fit seulement pour ne vous point desagreer, par condescendence.

  A017000272 

 Il suffit que vostre volonté soit bien debout et resolue de tous-jours estre fidele.

  A017000288 

 En cette espece de manquemens, je prendray, sil vous plait, l'absolution de vous, que vous ne me refuseres point, en vertu de vostre courtoysie, que j'implore des maintenant, en attendant lhonneur de vostre praesence quand il vous plaira le nous donner.

  A017000288 

 Et lhors, je vous protesteray de vive voix ce que la haste de ce porteur ne permet d'escrire qu'en ce peu de motz, que je suis, Monsieur,.

  A017000288 

 Il est vray, j'ay sursis de vous escrire si souvent, pour le respect que je doy a vos affaires, sans que pour cela j'aye laissé de desirer et demander souvent des asseurances de vostre santé.

  A017000305 

 A mesme que la tres souveraine bonté de la divine Trinité renvoye l'Esprit de son adoration en la sainte Eglise, elle renouvelle, ce me semble, celuy de la sacree vocation de ma tres chere, tres bonne et tres honnoree Mere, laquelle sortant de son païs sans sçavoir ou elle alloit, mais croyant a Dieu qui luy avoit dit: Sors de ta terre et de ton parentage, elle vint en la montagne qui avoit pour son nom: Dieu la verra; et Dieu l'a veüe, multipliant sa race spirituelle comme les estoiles du ciel..

  A017000306 

 Est-il possible que nous chantions eternellement le cantique de gloire au Pere, au Filz, au Saint Esprit? Ouy, l'ame de ma Mere le chantera es siecles des siecles.

  A017000307 

 Gloire soit au Pere, au Filz et au Saint Esprit, de l'assemblee qu'il a faite de tous ces cœurs pour son honneur; mais, helas! que de confusion pour le mien qui a si peu fidelement cooperé a une si sainte besoigne! Or sus, cette mesme tressainte Trinité, qui est une tres souveraine bonté, nous sera propice, et nous ferons des-ormais sa volonté.

  A017000317 

 Ayant receu vostre lettre et le message que l'on m'a fait de vostre part, je vous diray que je connois fort distinctement les qualités de vostre cœur, et entre toutes, son ardeur et force a aymer et cherir ce qu'il ayme: c'est cela qui vous fait tant parler a Nostre Seigneur de ce cher trespassé, et qui vous porte a ces desirs de sçavoir ou il est..

  A017000318 

 Or, ma chere Mere, il faut reprimer ces eslancemens, qui procedent de l'exces de cette passion amoureuse; et quand vous surprendres vostre esprit en cet amusement, il faut soudain, et mesme avec des paroles vocales, retourner du costé de Nostre'Seigneur et luy dire, ou cecy mesme ou chose semblable: O Seigneur, que vostre providence est douce! que vostre misericorde est bonne! Hé, que cet enfant est heureux d'estre tombé entre vos bras paternelz, entre lesquelz il ne peut avoir que bien, ou qu'il soit..

  A017000321 

 Or sus donq, ma tres chere Mere, que j'ayme d'un amour vrayement filial, ramassons bien nostre esprit dans nostre cœur et le rangeons au devoir qu'il a d'aymer tres uniquement Dieu, et ne luy permettons aucun amusement frivole, ni pour ce qui se passe en ce monde, ni pour ce qui se passe en l'autre; mays, ayant departi aux creatures ce que nous leur devons d'amour et de charité, rapportons tout a ce premier amour magistral que nous devons au Createur, et conformons-nous a sa divine volonté..

  A017000331 

 Et moy, ma tres chere Fille, j'ay esté grandement consolé desçavoir de vos nouvelles, puisque mesme elles sont toutes fort bonnes; car, quant a la chere fille, c'est un signe desirable pour sa future pieté que le cors se ressente des affections du cœur et quil en devienne las, car il en print ainsy a Nostre Seigneur mesme et a plusieurs de ses plus grans Saintz.

  A017000331 

 Vous l'aves bien conseillee qu'elle s'assise, et il faut qu'elle le face avant que les maux de cœur la prennent; c'est a dire qu'elle face toute l'orayson assise, ayant au paravant fait une adoration a genoux.

  A017000333 

 J'iray en Chablaix ce moys d'aoust, Dieu aydant, ou j'auray toute commodité de la voir, si elle y est, pourveu [9] qu'on ne s'apperçoive point des bonnes pensees dont il est question, car ce sont choses que le monde contredit tous-jours..

  A017000335 

 Nous verrons du maistre ce que c'en sera.

  A017000348 

 Je vous remercie de la confiance que vous aves en moy, qui reciproquement vous cheris d'une affection toute particuliere, et ne cesse point de vous souhaiter les vrayes consolations du Saint Esprit entre les tribulations desquelles sa Bonté vous visite, pour vous exercer en l'humilité et patience.

  A017000349 

 Quand le livre dont vous me parles sera imprimé, qui ne peut estre de deux mois, vous en aures, Dieu aydant, que je prie cependant de vouloir estre luy mesme le livre de vostre cœur, dans lequel vous lisies et apprenies a bien aymer sa tressainte Croix, delaquelle il vous fait participante..

  A017000366 

 De la fidelité, pour renouer vos resolutions de servir la divine Bonté aussi souvent que vous les rompres, et vous tenant sur vos gardes pour ne point les rompre; de l'humilité, quand il vous arriveroit de les violer, pour reconnoistre vostre chetifveté et abjection.

  A017000366 

 Mays certes, il faut tout de bon avoir soin de vostre cœur, pour le purifier et fortifier selon la multitude et grandeur des inspirations que vous en aves.

  A017000366 

 Vous sçaves que je vous ay souvent dit que vous devies estre affectionnee esgalement a la prattique de la fidelité envers Dieu et a celle de l'humilité.

  A017000367 

 Et je ne treuve pas mauvais que vous soyes un peu privee de la tressainte Communion, puisque c'est l'advis de vostre confesseur, pour voir si le desir de retourner a la frequentation d'icelle vous fera point un peu prendre plus garde a vostre amendement.

  A017000367 

 Et tous-jours feres vous bien de vous humilier fort aux advis de vostre confesseur, qui void l'estat present de vostre ame, lequel, quoy que je m'imagine asses sur ce que vous m'en dittes par vos lettres, si est-ce qu'il ne me peut pas estre conneu si particulierement comme a celuy a qui vous en rendes conte.

  A017000367 

 Or j'entens, qu'encor que vous esloigneres un peu vos Communions, vous ne laisseres pas pour cela de bien suivre la frequence des confessions, car de celles ci, il n'y peut avoir aucune rayson de les esloigner; au contraire, elles vous seront utiles pour assujettir vostre esprit qui, de soy mesme, n'ayme pas la sujettion, et pour l'humilier et luy faire mieux discerner ses fautes..

  A017000368 

 Je vay a Lion pour contenter Monseigneur l'Archevesque de ce lieu-la, qui vouloit venir vers moy en toute façon si je ne me fusse resolu d'aller aupres de luy, puisque c'estoit bien la rayson que je le previnsse en cet endroit.

  A017000369 

 Resalues monsieur vostre mary de ma part, et l'asseures que je suis son serviteur..

  A017000369 

 Retenes bien vostre esprit en Dieu; lises le plus souvent que vous pourres, mais peu a la fois et avec devotion.

  A017000370 

 Je vous respons a part, en la feuille ci-jointe, a la demande que vous m'aves faite pour la dame vefve, affin que, si vous voules, vous puissies monstrer ma response; et suis invariablement, ma tres chere Fille, tout vostre et.

  A017000383 

 Je respons a vostre derniere demande, en peu de paroles, que je n'ay pas changé d'advis despuis que j'escrivis l' Introduction a la Vie devote; au contraire, je me voy tous les jours affermi en mon sentiment pour ce qui regarde le support des injures.

  A017000384 

 Que cette bonne dame me croye, et qu'elle n'entre point en terme de proces pour ces chansons, car ce ne seroit que multiplier le mal, en lieu de l'estouffer.

  A017000385 

 J'ay une recente experience de la vanité, ou plustost du dommage que les proces apportent en ces occasions, en une des plus vertueuses dames du Maconnois, qui s'est infiniment mal treuvee d'avoir quitté mon advis pour suivre l'impetuosité de la passion de ses parens.

  A017000385 

 Mays sur tout, certes, il n'y a point d'apparence que ce pauvre diffamateur se sousmettant a reparer autant qu'en luy est l'injure, au jugement des parens, on aille prendre cet autre biais de playdoyeries, c'est a dire de labirinthes et abismes de conscience et de moyens.

  A017000385 

 Mays, plustost que de venir par proces, elle devroit faire tout autre chose.

  A017000385 

 Or, je ne desappreuverois pas qu'il confessast sa faute, declairast son animosité et demandast l'oubly; car encor qu'il soit de peu d'authorité, ayant commis cet acte, si est ce pourtant que c'est tous-jours quelque sorte de lumiere pour l'innocence, de voir ses ennemis luy faire hommage.

  A017000400 

 Laissant les grans Ordres des-ja establis dans l'Eglise honnorer Nostre Seigneur par d'excellens exercices et des vertus esclattantes, je veux que mes filles n'ayent autre pretention que de le glorifier par leur abbaissement; que ce petit Institut de la Visitation soit comme un pauvre colombier d'innocentes colombes, dont le soin et l'employ est de mediter la loy du Seigneur, sans se faire voir ni entendre dans le monde; qu'elles demeurent cachees dans le trou de la pierre et dans le secret des mazures, pour y donner a leur Bienaymé vivant et mourant, des preuves de la douleur et de l'amour de leurs cœurs, par leur bas et humble gemissement... [17].

  A017000408 

 Ce soir je seray aupres de vous et de nos Seurs, marri plus quil ne se peut dire que mon loysir s'en aille ainsy..

  A017000408 

 Monsieur d'Alincourt soupa hier ceans et y demeura jusques pres d'onze heures, resolu de venir au sermon ce matin, que je ne pensois estre qu'un sermon particulier.

  A017000409 

 Pour Dieu, ma tres chere Mere, tenons nostre cœur en suavité, tous-jours inseparablement present a soy mesme, puisque l'extraordinaire unité dont Dieu l'a doué peut bien faire ce coup, et que la necessité du service de sa gloire requiert que nous employons cette grace a cela.

  A017000410 

 Je m'en vay faire un sermon d'amour, le plus ardemment que je pourray..

  A017000418 

 C'est l'escrit mesme que je donnay a M. Sedite, quil faut faire voir et corriger..

  A017000418 

 Il ny a pourtant remede; on me dit quil faut que je presente le memorial, puys on me dit quil ne faut pas l'attendre.

  A017000430 

 Mays en attendant, conserves vous, je vous en supplie, ma tres chere et tres bonne Mere, que je verray, Dieu aydant, demain..

  A017000441 

 Le Frere N. vint a moy au plus fort de son affliction, et puis dire qu'il estoit plus mort que vif, tant sa desolation estoit extreme; et je me resouvins de Celuy qui linum fumigans non extinguit, et quod confractum est non conterit.

  A017000442 

 Despuis, je fis encor plus volontier ce que je voulois faire en charité autour de cette ame.

  A017000442 

 Et sur vostre advertissement, je tiendray encor plus fortement la main sur luy pour cela, tandis qu'il demeurera dans mon diocese, ne desirant rien tant que de donner satisfaction aux Religieux, et particulierement a ceux de vostre condition..

  A017000443 

 Je croy qu'elle ne desireroit pas mieux, et sur tout, s'il vous plaisoit de l'asseurer que vous favoriseries sa bonne intention de quelque doux accueil et de quelque moderation en la penitence que.

  A017000444 

 Que si vous prenes le soin de me tenir adverti de vostre volonté pour ce regard, je coopereray a ce bon œuvre de tout mon cœur; duquel vous saluant bien humblement et vous souhaittant toute sainte benediction, je demeure,.

  A017000454 

 Or, je cultiveray la faveur que ce grand Prelat me fait, le plus soigneusement qu'il me sera possible..

  A017000455 

 Elle a grand besoin d'estre assistee et appuyee bien doucement, pour la multitude des travaux que la vivacité de son esprit luy donne, qui ne cesse guere de luy fournir des motifz pour aggrandir son mal.

  A017000455 

 Je vous escriray un petit billet a part affin qu'elle le voye, ayant bien du desir qu'elle sache que je la cheris et estime, pour la plus grande gloire de Dieu..

  A017000455 

 Nous vinsmes donq ce jour-la a Saint Prix, et tous-jours avec la bonne madame la Presidente [Le Blanc] qui m'ouvrit son cœur, autant que l'occasion le luy permit, fort franchement.

  A017000456 

 En somme elle se remit tellement, qu'encor que je ne pense pas qu'elle la fasse longue, si est-ce que je pense qu'elle vivra encor plusieurs jours..

  A017000456 

 J'arrivay samedy a Sessel, ou je preschay le dimanche matin, et vins coucher en cette ville, et treuvay a mon arrivee nouvelles que madame de Treverney estoit en l'article de la mort.

  A017000457 

 Elle se confessa derechef a moy, pour sa consolation et non par necessité, car elle avoit receu le jour precedent tous ses Sacremens, et mesme l'Extreme Onction, et fit la plus absolue indifference que j'aye jamais veuë; car ses domestiques et voysins la pressant de faire des vœux pour guerir, jamais elle ne voulut, mays dit que ce que Dieu feroit luy seroit le plus aggreable et qu'elle ne voudroit pas, par le moindre desir dû monde, demander a Dieu ni la vie ni la mort, luy laissant sans reserve sa vie entre ses mains, pour en faire a son gré; et ce qu'il [23] luy plairoit seroit aussi ce qu'elle vouloit.

  A017000457 

 En somme, je luy dis ce que je sceu, et tout a son gré.

  A017000457 

 Et, bien qu'elle dist que sa Françon, ma filleule, luy touchoit un peu le cœur parce qu'elle estoit encor si petite, neanmoins elle adjoustoit, non seulement avec force, mays avec tendreté, que si Dieu la retiroit, il sçavoit bien ce qu'il feroit de cette fille, et que, pour elle, elle ne vouloit nullement desirer de vivre, sinon tout ainsy que Dieu le voudroit.

  A017000457 

 Mais elle disoit cela si fermement, que je voyois clairement que c'estoit tout de bon que ce luy estoit tout un.

  A017000472 

 Au reste, nous voyci dans la paix, graces a Dieu, que je supplie la vouloir rendre longue et heureuse.

  A017000472 

 Nous y avons perdu plusieurs braves gentilz-hommes savoyards, car nostre nation a esté la plus employee et s'est grandement signalee en cette occasion; de sorte que nous avons force vefves et orphelins, desquelz les vœux rendront la paix durable..

  A017000489 

 Et je l'ay encor plus souvent reprimandé; en quoy il m'a extremement obligé, par le sentiment qu'il a tesmoigné d'estre marry de me desplaire, si que, en fin, pour l'amour de moy, il commence fort a se bien ranger; et par ce moyen, il tireroit encor mon cœur a soy, s'il ne luy estoit des-ja tout acquis.

  A017000489 

 Nostre filz a eu fort affaire a se ranger a la discipline du college, et luy estoit bien advis que cela estoit contraire a sa reputation.

  A017000490 

 Car en fin, cet enfant est vostre unique, et certes, grandement aymable; neanmoins, le voyla en ses annees perilleuses, que la nourriture de page rend encor plus dangereuses.

  A017000490 

 S'il persevere, nous aurons occasion de nous en contenter; s'il ne le fait pas, il faudra user de l'un de ces deux remèdes: ou bien le retirer dans un college un peu plus fermé que celuy ci, ou bien luy donner un maistre particulier, qui soit homme et auquel il rende obeissance.

  A017000491 

 Je vous supplie de luy escrire que je vous ay tesmoigné du contentement de luy, affin de luy donner courage de continuer..

  A017000492 

 En somme, sachés, je vous supplie, Monsieur, que cet enfant m'est cher comme mes yeux, et que, de son costé, il paternise excellemment a m'aymer; et si, j'espere que, passé ces annees perilleuses, on le verra encor paterniser en plusieurs autres conditions, Dieu aydant.

  A017000492 

 La grande peyne que j'avois de luy, c'est a cause de l'eau, sur laquelle il se plaist extremement; et je craignois qu'il ne se pleust encor de se mettre dedans pour se baigner en quelque endroit dangereux, parce que toutes les annees il s'y perd quelqu'un.

  A017000506 

 J'ay de rechef beaucoup de consolation, ma tres chere Fille, de vous voir si contente aupres de ce cher mari, [29] qui me fait beaucoup d'honneur de m'aymer, quoy que je ne le merite nullement, si ce n'est par la fidele affection que je vous ay a tous deux..

  A017000507 

 J'espere neanmoins que le benefice de nature qu'ell'a eü apres une si longue retention, luy sera salutaire et que, moyennant les remedes que ce bon medecin, qui est fort experimenté, luy appliquera, le mal ne passera pas le septiesme, Dieu aydant, lequel nous prierons ardemment pour elle..

  A017000507 

 Mays je suis, certes, grandement en peine de la maladie de madame du Chatelart, a mesure que je la cheris tendrement et d'un cœur vrayement paternel, selon qu'elle me fait lhonneur de se nommer ma fille.

  A017000524 

 Car, dequoy vous pourrois je entretenir maintenant? Chacun, en ce païs, se repose pour un peu, comme gens qui ne font que de sortir d'un grand travail, et tous-jours quelques uns prennent le repos final dans la sepulture, pour les extremes incommodités quilz ont souffertes en la guerre, en laquelle il semble quilz n'ont pas eu le loysir de mourir, et qu'au premier tems qu'ilz ont de relasche, ilz font ce devoir.

  A017000524 

 Ce n'est que pour me tenir en mon devoir et pour mieux m'asseurer du desir que j'ay que ce porteur vous bayse les mains de ma part, que je luy donne ces quatre lignes affin quil les vous presente.

  A017000524 

 Mais, ce qui console les miserables, c'est que de ceux qui furent nos ennemis, il en meurt beaucoup davantage, comme s'ilz n'estoyent sortis de la terre des tranchees que pour reentrer en celle des tombeaux..

  A017000539 

 Cette remarquable qualité de catholique que ce porteur possede, me fait luy desirer du contentement.

  A017000539 

 Je desirerois neanmoins quil en eut sans prejudice de ma parole, et ne doutant point que les sieurs Gay et Choudens ne s'accommodent volontier a mon intention, je vous prie de faire avec eux quilz associent ce personnage [32] qui, pour l'appuy quil aura de monsieur de Siccard et de monsieur de la Faye, pourra beaucoup pour rendre la ferme plus utile.

  A017000539 

 Que si ilz ne s'accommodent pas a mon desir, je vous prie de surseoir et me venir voir..

  A017000540 

 Et ne sert a rien de m'alleguer des exemples, car les Evesques qui les permettent peuvent avoir plus d'authorité que je n'ay pas; et comm'ilz ont, je m'asseure bien, dequoy respondre de leurs actions, aussi respondray-je, comme j'espere, des miennes.

  A017000540 

 Je ne doute point que les mariages des catholiques et hæretiques ne soyent bons quand ilz sont faitz; mais de les permettre et faire benir, le Pape mesme ne le fait pas.

  A017000540 

 Pour le mariage, je ne voy ni petite ni grande apparence que je le puisse treuver bon ou advoüer sans declaration de la fille.

  A017000556 

 Il faut, ma chere Mere, en telles occurrences me dire vostre advis; car, moy qui ne voy que par vos yeux comme par les miens, en ceci, comme puis-je bien juger sans vous?.

  A017000556 

 Or sus, comme je pourray, je vay dire premierement, que ces bonnes dames seront les bienvenues apres [34] la [Toussaint,] que vous seres icy, si vous treuves bon qu'on les reçoive dans la Visitation pour le tems qu'elles demandent, et que vous pensies qu'elles doivent estre edifiees de la conversation de nos cheres Seurs et de ma veüe; car, ma chere Mere, vous qui les aves veües, pourres mieux discerner cela que moy.

  A017000556 

 Voyes un peu, ma chere Mere, et penses; et sil vous semble que c'est la gloire de Dieu, dites-leur qu'oüy, pour moy comme pour vous mesme.

  A017000557 

 De l'autre projet, certes, je ne voy nulle apparence que nous employons nos filles pour les monasteres du Tiers Ordre, car nous n'en avons pas de reste de filles qui puissent servir de conductrices.

  A017000557 

 Et puis, comme pourroyent elles servir en un Institut qu'elles [ne connaissent] pas? J'admire que cette bonne [dame refuse de convertir] ce dessein en Carmelines; car, pour [le dire à votre cœur] comme au mien propre, les Tiercelines... lesquelles le sont d'un seul Ordre et qui n'est encor [pas reconnu des] doctes, comme n'ayant que cinq ou six petitz monasteres..

  A017000558 

 Pour nostre Congregation, je ne voy pas qu'elle puisse tant faire tout a coup, ni mesme pour ce que nostre chere grande Seur propose pour Billon.

  A017000558 

 [Il m'est [36] avis que] ce seroit un bon expedient, que la Mere Elisabeth venant icy, amenast avec soy deux des plus capables de Tholouze et autres deux de Billon, qui, en quatre ou cinq moys, pourroyent estre suffisamment façonnëes pour retourner vers les autres et les mettre en train, avec l'assistence des lettres et des visites de monsieur l'Aumosnier ou de quelqu'autre avec lequel nous confererions; car en somme, je ne voy rien en cette ville que ma Seur de la Roche, pour le present, laquelle ne seroit encor peut estre pas bonne toute seule..

  A017000559 

 Mays quoy? cela n'est que deux ou trois au plus..

  A017000560 

 Et puis, en tous cas, il faut attendre que nos Regles soyent [bien approuvées et] la Mayson de Lion bien establie par [l'autorité de M gr ] l'Archevesque.

  A017000560 

 Et se faut bien garder de [vouloir s'établir] en aucun diocaese que l'Evesque n'ayt [donné telle] resolution quil ny ait plus rien a dire de son costé; car, si sur les....

  A017000560 

 Si donq on ne veut pas prendre l'expedient d'envoyer icy les filles a l'apprentissage, et qu'on ne veuille pas attendre au moins un an et demi, il est mieux de refuser humblement ce qu'on ne peut pas bonnement entreprendre, que de l'entreprendre temerayrement.

  A017000569 

 Ce ne sera pas sans parler de nostre bastiment d'Annessi avec ce bon Abbé, si toutefois l'arrivee du Pere General des [38] Feüillans qui, comme moy, y doit estre pour le jour de saint Bernard, ne nous occupe en d'autres affaires que vous sçavés.

  A017000569 

 Je ne l'ay encor veu qu'une seule petite fois en commun, car, comme vous sçaves, je ne fay pas ce que je veux a voir mes filles, ni mesme, ce qui importe le plus, a voir ma Mere..

  A017000569 

 Le bon Frere Adrien part d'icy avec moy; mais luy, ma tres chere Mere, pour aller ou vous estes, et moy pour aller en Abondance, ou vous n'estes pas encor, mais ou vous seres quand j'y seray, puisque Dieu a voulu que nous ne fussions qu'une mesme chose en luy.

  A017000570 

 Je m'asseure que vous aures meshuy receu la response [39] que je vous fis sur la venue de cette bonne Mere Isabelle, et sur l'envoye des filles, et j'attendray de sçavoir vostre sentiment..

  A017000571 

 Je salue toutes nos cheres filles; mais permettes que ma chere niece sache que je suis bien tout sien, et que ma chere Marie Peronne mecherisse particulierement avec la petite cadette, laquelle je n'ay garde d'oublier ce soir, puisque je seray chez son pere, ou je la vis la premiere fois habillee de blanc, avec un chapeau de paille..

  A017000584 

 Cet autre mot tout [fin] seul a ma tres chere fille, que je remercie mille fois de sa chere bienveuillance; aussi suis-je tout sien.

  A017000584 

 Le P. D. Juste viendra, je m'asseure, soudain icy, pour achever un affaire que Dieu a tres heureusement acheminé par mon service, et j'espere que luy mesme fera encor l'accommodement des jardins, que vous aves tant de justes sujetz de desirer et que nostre chere Mere affectionne tant; je dis nostre Mere en tout ce qu'ell'est.

  A017000585 

 M. de Vallon [a aussi une] brave fille qui poursuit icy, et on est [après à voir] ce que son pere pourra donner..

  A017000585 

 On m'escrit que nostre tres aymable M me du Chastelard s'est declaree a sa grand mere en faveur du voyle sacré, pour forclorre toutes les recherches du monde.

  A017000596 

 Mays si quelques unes desirent de se confesser a quelque confesseur autre que l'ordinaire, elles le peuvent sans difficulté et sans que les autres qui n'ont pas ce goust-la soyent obligees a changer de confesseur.

  A017000596 

 O Dieu, qu'il est vray que la ferveur ne depend pas de la bouche des confesseurs differens, mays de la grace de Dieu et de la simplicité et humilité du cœur! Mays les Constitutions sont claires, qu'on peut appeller des confesseurs outre les quatre fois, pour la consolation de celles qui le desirent.

  A017000596 

 On peut le dire a M. Michel qui, comme je pense, est capable de cela et de chose plus grande que cela.

  A017000609 

 Si faut il que je vous salüe le plus souvent que je pourray.

  A017000610 

 Gardons bien que nostre cœur ne nous eschappe: Helas, dit David, mon cœur m'a laissé.

  A017000610 

 Mon Dieu, ma bonne Mere, que cette vie est trompeuse et que l'eternité est desirable! Que bienheureux sont ceux qui la desirent! Tenons nous bien a la main misericordieuse de nostre bon Dieu, car il nous veut tirer apres soy.

  A017000622 

 Or, il ne se peut dire combien l'advancement des Peres Barnabites en ces contrees de deça sera utile pour celuy de la gloire de Dieu, non seulement pour la confirmation de la foy parmi ces bons peuples, qui, a la faveur de l'incomparable courage et rare pieté de Monseigneur, pere de Vostre Altesse, ont esté remis dans le giron de la sainte Eglise catholique, mays aussi pour la confusion des ennemis de la foy qui environnent de toutes parts cette province, delaquelle il ne se peut faire que le bien spirituel ne s'escoule petit a petit sur le voysinage, [46] qui, parce moyen, pourra recevoir insensiblement des grandes dispositions pour se convertir et reduire au devoir..

  A017000623 

 Mais encor, Monseigneur, je ne puis me retenir que je ne tesmoigne la joye que je sens dequoy, parla venue de ces bons Peres en cette ville, nous verrons refleurir le saint service divin dans l'eglise de Saint Augustin, fondee par le fameux Amé, grand aïeul de Vostre Altesse, et en une ville honnoree de la naissance de cet excellent Serviteur de Dieu, le bienheureux Amé, duquel nous respirons la canonization avec des desirs nonpareilz, esperant que, par la publique invocation de son secours, nous obtiendrons la fin de tant d'afflictions, de pestes et tempestes, desquelles, despuis quelques annees, il a pleu a Dieu de visiter ce peuple..

  A017000634 

 Le P. D. Juste partit hier et vous porta de mes [48] lettres; mais despuis, je receu celle que vous m'escrivies pour la difficulté qui doit arriver au concours.

  A017000634 

 Mays sil avoit dispense, alhors encor auroit-il tort s'il croyoit que la seule science donnast le prix en cette lice-lâ; et tous-jours faudroit-il se tenir a la pluralité des voix, qui est irreprochable a celuy qui les prend, sur tout sil n'en donne point.

  A017000635 

 C'est pourquoy, je dis en fin, que si cette cure lâ peut estre delivree au jour de l'assignation, j'en seray bien ayse et le desire fort; que si les difficultés semblent ne pouvoir estre surmontees, on pourra differer jusques a mon retour, qui sera le plus tost que je pourray.

  A017000635 

 J'escris neanmoins a monsieur Grandis, affin que sil pouvoit, il allast a l'ayde, mais j'ay peu d'esperance quil puisse en ce tems.

  A017000635 

 Je croy que ce sera pour monsieur Chevrier qu'elle se fera..

  A017000636 

 Ains, il seroit expedient que quand l'on ira mettre en possession, a mesme tems on assignast quelque corne de dixme pour ladite pension du pœnitentier, sans quil eut rien a faire avec le curé; car l'esprit humain est si fascheux en tout ce qui regarde tant soit peu l'interest, que malaysement pourra on autrement asseurer ce petit entretien au pœnitentier..

  A017000636 

 Et a propos de cette pension, il la faut establir en sorte que celuy a qui la cure sera adjugee, ne soit point mis en possession qu'il n'ayt, par consentement mis au greffe, declaré quil prend le benefice avec cette juste charge, imposee par mon authorité et par le conseil des examinateurs.

  A017000637 

 Or, je dis ceci seulement par maniere de proposition, m'estant advis que la charité oblige ces messieurs de gratifier, es occurrences, les plus pauvres d'entr'eux et ceux qui y ont des-ja esté asses d'annees.

  A017000637 

 Si le curé de Miouxi est decedé, on pourra bien [50] favoriser monsieur de Monfalcon, a la charge quil mettra des vicaires de poids, tandis que, pour la poursuite de ses estudes, il sera dispensé de sa residence, car il faut des meilleurs vicaires ou les curés ne resident pas; et le Chapitre mesme, comme y ayant interest, pourroit reserver qu'ilz fussent examinés expres pour cela.

  A017000638 

 Et alhors je feray (mais il n'en faut rien dire) tout ce que je doy a ce cher ami, qui doit croire que je suis parfaitement tout sien..

  A017000639 

 Et quand le mal prendroit accroissement, je feray en sorte que je ne courray nul danger, moyennant la grace de Dieu.

  A017000639 

 Mays je croy bien quil faudra advertir le magistrat de la santé avant mon retour, et quil desirera que j'arreste hors de la ville en quelque mayson separee, quelque (sic) jours; ce que je feray volontier et sans replique, pour ne point donner sujet d'apprehension a personne, et tesmoigner le respect que l'on doit a la conservation de la santé du païs..

  A017000639 

 Ne soyes nullement en peine pour moy, car il ny [a] nul danger en tout le Chablaix, car encor qu'a Lully soit morte de peste une fille sortie de Geneve et que sa mere en soit atteinte, si est ce qu'ell' a esté resserree [51] si a propos, que cela ne peut aller plus avant, non plus qu'un autre pareil accident arrivé avanthier aupres de Coudree.

  A017000640 

 Je vous prie, a la premiere commodité, d'escrire fermement a madame de Chantal qu'elle ne se mette nullement en peine pour tous ces bruitz, beaucoup plus grans que le mal, ni pour moy, qui suis bien sage et me garderay fort bien de peril, Dieu aydant..

  A017000660 

 C'est en cett'occasion de la vacance de Gruffy [que] je vous prie faire cette reserve jusques a la somme de 200 florins; et pour eviter les disputes que l'interest propre fait naistre en pareilles occurrences, je desirerois qu'en la mise en possession de celuy qui sera curé, on assignast une corne de dixme, telle quil seroit advisé, audit seigneur pœnitentier, laquelle il prendroit par ses mains..

  A017000660 

 Vous aures souvenance, je m'asseure, de la resolution que nous prismes, estant presque tous ensemble, de reserver une portion pour le pœnitentier de nostre cathedrale a la premiere vacance de quelque cure qui la pourroit porter; resolution juste, equitable et conforme au Concile.

  A017000661 

 Dequoy j'ay pensé de vous devoir donner cet advis, m'asseurant que vous le suivres, bien ayse aussi par cett'occasion, de me ramentevoir en vos prieres, comme....

  A017000661 

 Je sçai quil arrivera aussi quelque difficulté sur la [53] reception de monsieur Jay au concours, dautant que la rayson pour laquelle nous jugeasmes de le pouvoir excepter sans consequence de la regie des resignans leurs cures, semble manquer de fondement, puisque le bien publiq que nous desirions ne s'en est pas ensuivi.

  A017000674 

 Et ayant pensé, despuys que j'ay sceu plus particulierement quil estoit en estat de nous quitter bien tost, qui je pourrois rendre successeur en sa charge, en fin, apres plusieurs considerations, j'ay resolu de vous y appeller.

  A017000674 

 Et ce seul motif vous suffira pour l'accepter, et a tout le monde pour l'appreuver: que de cette charge depend une grande partie du bien de ce diocsese et de mon honneur, dont nostre proximité vous pressera d'avoir plus de soin et de jalousie que nul autre n'en sçauroit prendre.

  A017000674 

 Il y a long tems que je prævoyois cet accident en la mauvaise conduite quil tenoit pour sa santé.

  A017000674 

 J'ay regretté des hier au soir la perte que nous avons faite, mon cher Frere, de nostre bon monsieur le [54] Vicaire, car j'en sceu la nouvelle par une lettre de monsieur le premier President.

  A017000674 

 L'amitié fraternelle que ce pauvre defunct nous portoit a tous, m'obligera a jamais de cherir et honnorer sa memoyre et de prier souvent pour son ame, comme j'ay fait des aujourdhuy.

  A017000674 

 Ni vous ne deves pas alleguer au contraire que vous n'aves pas la connoissance des choses des proces, car c'est la moindre des functions du grand vicaire, et pour le bon succes delaquelle il suffit quil ayt de la vigilance et du zele pour faire que les autres officiers facent bien leur devoir, et qu'il establisse un bon substitut et des bons assesseurs.

  A017000688 

 Je prevoy seulement qu'il nous faudra attendre que ces soupçons de contagion cessent, pour faire faire plus fructueusement la queste; ce pendant je feray faire les patentes requises..

  A017000688 

 Ne penses jamais, ma très chere Seur, que je puisse oublier vostre personne, ni les nécessités temporelles de vostre Monastere, que j'ay treuvees, certes, encor plus [56] grandes qu'on ne m'avoit dit.

  A017000689 

 Au reste, mon cœur amoureux de la sainteté de vostre assemblee, quoy que je ne l'aye veuë qu'en passant, et plustost entreveuë que veuë, ne me permet pas de partir sans vous exhorter en Nostre Seigneur de poursuivre constamment l'execution de la sacree inspiration que Dieu vous a donnee, de perfectionner de plus en plus cette vertueuse compaignie par une pure et simple privation de toute proprieté, par les exercices de la sainte orayson mentale et par une fervente frequentation des divins Sacremens..

  A017000690 

 Et ne doutés point, ma chere Seur, que le Pere Garinus ne vous soit favorable, si vous luy representes naifvement et humblement vos dignes pretentions; car c'est un docteur de grand jugement et de longue experience, grandement zelé aux Constitutions ecclesiastiques et a l'establissement du Concile de Trente, comme sont tous les gens de bien.

  A017000690 

 Vous luy pourres donq confidemment dire que vous m'aves touché un mot de vos affaires; car je [57] sçay bien qu'il ne le treuvera pas mauvais, estant, comme il est, de mes meilleurs amis, et qui sçait bien que je n'ay pas accoustumé de rien gaster et que je ne suis point un entrepreneur d'authorité, ains homme qui ne trouble rien; et pourres encor luy dire tout ce que je vous ay dit, dequoy, pour vous rafraischir la memoyre, je vous feray une repetition..

  A017000691 

 Et comme peut estre dite commune une chose que nul n'employe que moy?.

  A017000691 

 Premierement, que le renoncement de toute proprieté et l'exacte communauté de toutes choses est un point de tres grande perfection, et qui doit estre desiré en tous les monasteres et suivy par tout ou les Superieurs le veulent; car encor que les Religieuses qui n'en ont pas l'usage en leurs maysons ne laissent pas d'estre saintes, la coustume les dispensant, si est ce qu'elles sont en extreme danger de cesser d'estre saintes, quand elles contredisent a l'introduction d'une si sainte observance tant aymable et tant recommandee par le Pere saint François et la Mere sainte Claire, et qui rend les Religions riches en leur pauvreté et parfaitement pauvres en leurs richesses, le mien et le tien estans les deux motz qui, comme disent les Saintz, ont ruiné la charité.

  A017000692 

 Or, j'ay veu en un monastere ou j'avois une fort proche parente, que toute la difficulté de cet article estoit en la douilletterie de quelques Seurs en ce qui regarde les chemisettes et les linges; et j'admiray que la lessive ne suffist pas pour ce sujet a des filles de celuy qui baysoit tendrement les ladres et de celle qui baysoit les pieds des Seurs revenantes de dehors.

  A017000695 

 Et la Congregation des Cardinaux a declaré que, les Superieurs estans negligens en cet article, les Evesques le fassent eux mesmes, et que cela se fasse mesme plusieurs autres foisl'annee s'il est requis.

  A017000695 

 Mays il y a un point d'importance, duquel je vous touchay un mot, que pour le bien de vostre famille vous deves demander a vos Superieurs et qu'ilz ne peuvent en bonne conscience vous refuser: c'est que, deux ou trois fois chaque annee, ilz vous ayent a offrir des autres confesseurs extraordinaires (suivant le commandement du sacré Concile de Trente ), qui oyent les confessions de toutes les Seurs.

  A017000695 

 Or, il est requis quand la Superieure void des Seurs grandement troublees, et difficiles ou repugnantes a se confesser au confesseur ordinaire, pourveu que ce ne [59] soit pas tous-jours, ains parfois seulement et sans abus.

  A017000696 

 Il se faut arrester a ce que Dieu ordonne et son Eglise, et a ce que les Saintz et Saintes enseignent.

  A017000696 

 Ni il ne faut pas dire que vostre Ordre soit exempt des Constitutions du sacré Concile; car, outre que le Concile est sur tous les Ordres, s'il y a aucun Ordre qui doive obeir aux Conciles et a l'Eglise romaine, c'est le vostre, puisque le Pere saint François l'a si souvent inculqué..

  A017000697 

 Et en somme, cet inconvenient n'est pas comparable a mille et mille pertes d'ames que la sujettion de ne se confesser jamais qu'a un seul peut apporter, comme l'experience le fait connoistre; et en somme, c'est une presomption insupportable a qui que ce soit, de penser mieux entendre les necessités spirituelles des fideles et de s'imaginer d'estre plus sage que le Concile.

  A017000697 

 Il est vray que cela pourroit arriver; mays il est vray aussi qu'une fille qui sera si malheureuse que de faire des mauvaises confessions et des Communions indignes pour attendre l'extraordinaire, elle ne fera pas grand scrupule d'en faire plusieurs, et plusieurs mauvaises, pour attendre la mutation du confesseur ou la venue du Superieur.

  A017000698 

 Elles se font donq en cette sorte: La fille qui desire communiquer quelque chose, le dit a la Superieure; la Superieure considere si la personne a laquelle l'on veut communiquer est de bonne qualité et propre a consoler, et si elle est telle, on la mande prier de venir; et estant venue, on meyne la fille qui veut communiquer a la treille, et le rideau demeure sur la treille; et puis, on donne tout a l'ayse loysir de communiquer, chacun se retirant en lieu d'ou on ne puisse ouyr ce que dit celle qui communique, pourveu seulement qu'on la puisse voir.

  A017000698 

 Et premierement, nul, comme je pense, ne les [60] vous peut defendre; car, tant que j'ay sceu voir en la Regie de saint François et de sainte Claire, il n'y a rien qui les empesche, ains seulement ce qui y est dit empesche toute sorte d'abus.

  A017000698 

 Que si on void une fille qui veuille trop souvent communiquer avec une mesme, passé trois fois on luy refuse, sinon que l'on vist une grande apparence de beaucoup de fruit, et que les personnes fussent hors de soupçon de vanité, meures d'aage et exercees en vertu..

  A017000699 

 Vous aures veu, je m'asseure, ce que la bienheureuse Mere Therese en dit, et cela suffira pour respondre a tous les inconveniens qu'on en pourroit alleguer.

  A017000701 

 J'avois oublié de dire que quand le confesseur extraordinaire vient, il faut que toutes les filles se confessent a luy, affin que celles qui en ont besoin ne soyent point descouvertes et que le malin ne seme point de reproches parmi la Mayson; mais celles qui ne veulent pas prendre confiance a l'extraordinaire, pourront, avant que de se confesser a luy, faire leur confession a l'ordinaire, et par apres dire seulement quelques pechés ja confessés, a l'extraordinaire, pour servir de matiere a l'absolution..

  A017000702 

 J'ay esté bien long, ma tres chere Seur, mais j'ay voulu en ceci vous bien declarer mon sentiment, affin que vous le sceussiés plus distinctement.

  A017000702 

 Nostre Maistre Garinus et tous vos Superieurs majeurs, gens discretz et raysonnables, vous ayderont, je n'en doute point; et mesme vostre bon Pere confesseur, qui est bien vertueux et sage Religieux, ainsy que je puis connoistre, et qui entendra bien la rayson quand elle luy sera bien remonstree..

  A017000718 

 Il y [a] six ou sept ans que jereceu au giron de la sainte Eglise le sieur de Corsier, lequel despuis a tant rendu de tesmoignages de vraye pieté, que tous ceux parmi lesquelz il a conversé en ont esté grandement edifiés, dautant plus qu'en gaignant l'honnorable tiltre d'enfant de l'Eglise, il a perdu tout le secours qu'il pouvoit prætendre en son païs, et estant demeuré extremement pauvre, il a vescu riche de vertus.

  A017000719 

 Et moy, Monseigneur, j'intercede de tout mon cœur pour luy, marri de ne pouvoir rien, pour le present, en [63] sa faveur que cela.

  A017000733 

 Elle s'est confessee avec un'extreme devotion [64] et est toute ma fille; ce que je vous dis affin que doucement et dextrement vous l'aydies..

  A017000749 

 Il y a quelque tems qu'on a commencé d'introduire en ces païs de deça l'art de la soye, et ne se peut [65] dire combien le progres seroit utile au service de Dieu pour retirer plusieurs ames d'entre les hæretiques, pour affoiblir Geneve, qui se soustient en bonne partie de ce traffiq, et pour soulager les sujetz de Vostre Altesse qui gaigneroyent en ce commerce ce que nos ennemis gaignent..

  A017000765 

 C'est le seul sujet que j'ay maintenant, car pour le reste, a mesme que, graces a Dieu, nous sommes sans guerre, nous nous treuvons aussi sans nouvelles, hormis de nostre miserable [66] Geneve que la contagion afflige cruellement, sans qu'a 30 lieues a la ronde il y en ait aucun ressentiment; qui fait plus probable ce que plusieurs disent, qu'elle leur est venue par la puanteur de la foudre qui y tumba prodigieusement cet esté.

  A017000765 

 Pleut a Dieu que l'affliction leur donnast l'entendement, affin qu'ilz reconneussent aussi bien la peste spirituelle delaquelle ilz meurent et font mourir tant de gens, comme ilz sont contrains de confesser la temporelle..

  A017000783 

 Ma tres chere Fille, moyennant l'ayde de Dieu, nous ferons prou; mais il faut, avec une courageuse humilité, rejetter toutes les tentations de desfiance en la tres sainte confiance que nous avons en Dieu, Certes, vous deves croire que cette charge vous ayant esté imposee par le choix de ceux a qui vous deves obeir, Dieu se mettra a vostre dextre et la portera avec vous, ains la portera, et vous aussi..

  A017000783 

 Or sus, ma tres chere Fille, puisque vous voyla sous la charge avec un peu d'apprehension, oyés ce que [67] Nostre Seigneur dit en l'Evangile du jourd'huy: Apprends de moy que je suis doux et humble de cœur, et vous treuveres du repos en vos ames; car mon joug est suave et mon fardeau leger.

  A017000785 

 Pour moy, il y a long tems que je prie Dieu pour vous fort particulierement, estimant que sa divine providence se serviroit de vous pour l'acheminement de l'edifice spirituel de cette petite Congregation.

  A017000793 

 Je m'imagine que vous estes a Rumilly maintenant, ma tres chere Fille, et je vous escris ce billet sans loysir, pour vous accuser la reception de la lettre que vous m'escrivistes l'autre jour de la Flechere, louant Dieu de la guerison de vostre Charles, que vous aves maintenant, Dieu aydant, sain pour long tems..

  A017000794 

 Il suffit que tous les chrestiens damnés ne le seroit (sic) pas si ilz mouroyent apres le Baptesme; mays Nostre Seigneur laisse ordinairement que les choses d'icy bas aillent leur cour (sic) ordinaire et que nous usions de nostre libre arbitre a nostre gré.

  A017000794 

 Que si nous en usons mal et que nous soyions treuvés en mauvais estat lhors que, par les causes naturelles, ....

  A017000806 

 Vous estes raysonnable et n'attendres pas de moy, ma tres chere Mere, des grandes lettres en ce tems auquel j'ay tant d'affaires sur les bras, que je n'en puis pas porter davantage.

  A017000807 

 C'est pourquoy, si vous sçaves que cela soit vray, vous pourres la destourner, luy escrivant que je vous ay escrit que vous luy fissies sçavoir que, ne sachant si je seray icy cet hiver, je desire qu'elle ne s'incommode point, ni monsieur le president Resiguier; mais si elle veut envoyer deux ou trois filles, vous les recevres et les garderes volontier jusques apres Pasques.

  A017000807 

 Que si il ny a pas tant de danger, vous la laisseres venir..

  A017000821 

 Que fait le cœur de ma tres chere Fille, que le mien ayme en verité tres parfaitement? Je pense, certes, quil est tous-jours fort uni a celuy de Nostre Seigneur et quil luy dit souvent:.

  A017000828 

 Sil vous appelle (et il est vray quil vous appelle) a une sorte de service qui soit selon son gré, quoy que non selon vostre goust, vous ne deves pas moins avoir de courage, ains davantage que si vostre goust concouroit a son gré; car, quand il y a moins du nostre en quelqu'affaire, ell'en va mieux.

  A017000829 

 Ma tres chere Fille, salues tendrement ma chere Seur Peronne Marie, qui est certes toute dedans mon ame, et ma Seur Françoise Hieronime (je ne vay pas par ordre), et ma Seur Marie Renee et ma Seur Anne Marie, et toutes nos autres Seurs que je n'ayme pas moins pour ne les connoistre que pour estre des servantes de Dieu et filles [tres cheres] de Nostre Dame..

  A017000841 

 M'asseurant que vous viendres donq bien tost pour [73] amener madamoyselle d'Avise, je seray court, et vous diray seulement que les bons Peres Barnabites desireroit (sic) bien d'aller la; mais ilz n'oseroyent sans nouvelle licence du General, puys que le traitté fait re peut subsister.

  A017000842 

 Je ferois les lettres que vous desires si j'en avois le loysir.

  A017000842 

 Vous aures fort a faire a vous defendre pour Contamine, et a la fin vous verres quil faudra donner une grosse pension; ce que je ne dis pas le sachant, mais le presageant..

  A017000843 

 J'ay dit aux Dames de la Visitation que, a la venue de madame de Charmoysi, vous leur envoyeries de l'argeant, et elles s'y attendent.

  A017000843 

 Voyla une lettre pour [74] M lle d'Avise, que madame de la Flechere m'a envoyee aujourdhuy..

  A017000859 

 Vous deves demeurer en paix sur ce que vous m'escrives, car il n'y a point de hazart..

  A017000860 

 Mays je ne pense pas que pour cela vous deussies attendre, si vous aves des affaires ailleurs, car peut estre ne repassera il pas vers vous, encor que vous demeureres..

  A017000861 

 Et moy je pense que parmi tout cela on vous pourroit peut estre aussi bien [avoir], principalement si Charles est en estat de pouvoir estre amené icy..

  A017000875 

 L'honnorable reputation que j'ay d'estre tres particulierement vostre serviteur, a fait passer ce jeune homme [76] de Moustier icy, pour avoir de mes lettres a vous porter, affin quil puisse plus favorablement vous faire la reverence et vivre en vostre Université, ou il espere faire emplette de la science de medecine sous le bonheur de vostre protection.

  A017000893 

 Croyes que si j'eusse eu ma liberté, je vous eusse envoyé vostre soupper plus tost; mais en somme, il ny a moyen [78] d'estre maistre de soymesme en ce monde.

  A017000893 

 Mays sil arrive asses tost, ne laisses pas d'en manger; et je ne veux point que vous me respondies, ains seulement que je sache si vous vous portes bien..

  A017000903 

 Je le voy certes de mes propres yeux, ce me semble, et le sens de mon propre cœur, ma tres chere Fille, que vous aves fait une prattique de tres grand despouillement.

  A017000903 

 Mais, o que bienheureux sont les nudz de cœur, car Nostre Seigneur les revestira de graces, de benedictions et de sa speciale protection.

  A017000903 

 Pauvres et chetifves creatures que nous sommes, en cette vie mortelle nous ne pouvons quasi rien faire de bon qu'en souffrant pour cela quelque mal; non pas mesme nous ne pouvons quasi pas servir Dieu d'un costé que nous ne le quittions de l'autre, et souvent il nous convient quitter Dieu pour Dieu, renonçant a ses douceurs pour le servir en ses douleurs et travaux..

  A017000904 

 Il faut bien que les filles de Dieu ayent un courage encor plus grand que cela, pour former en sainteté et pureté de vie des enfans a sa divine Majesté..

  A017000904 

 Ma tres chere Fille, helas! les filles que l'on marie renoncent bien a la presence des peres, meres et leur [79] païs, pour se sousmettre a des maris bien souvent inconneus, ou au moins d'humeurs inconneuës, affin de leur faire des enfans pour ce monde.

  A017000905 

 Certes, pour moy, je suis en verité si parfaitement vostre, qu'a mesure que ces deux ou troys journees de distance semblent nous separer corporellement, de plus fort et avec plus d'affection je me joins spirituellement a vous, comme a ma Fille tres chere.

  A017000905 

 Mais avec tout cela, ma tres chere Fille, jamais nous ne nous pouvons quitter, nous que le propre sang de Nostre Seigneur, je veux dire son amour par le merite de son sang, tient collés et unis ensemble.

  A017000905 

 Vous seres la premiere aupres de nostre Mere en mes prieres et en mes soucis: soucis pourtant bien doux, pour l'extreme confiance que j'ay en ce soin celeste de la divine Providence sur vostre ame, laquelle sera bien heureuse si elle jette aussi dans ce sein d'amour infiny toutes ses apprehensions..

  A017000906 

 Or sus, ma chere Fille, tenés vos yeux haut eslevés en Dieu; aggrandissés vostre courage en la tressainte humilité, fortifiés-le en la douceur, confirmés-le en l'esgalité; rendés vostre esprit perpetuellement maistre de vos inclinations et humeurs, ne permettés point aux apprehensions d'apprehender vostre cœur: un jour vous donnera la science de ce que vous aures a faire le jour suivant.

  A017000907 

 Dites-leur souvent, a ces saintz Anges: Seigneurs, comme ferons nous? Suppliés-les qu'ilz vous fournissent ordinairement les connoissances du vouloir divin qu'ilz contemplent, et les inspirations que Nostre Dame veut que vous recevies de ses propres mammelles d'amour.

  A017000907 

 Ne regardés point cette varieté d'imperfections qui vivent en vous et en toutes les filles que Nostre Seigneur et Nostre Dame vous ont confiées, sinon pour vous tenir en la sainte crainte d'offencer Dieu, mays non jamais pour vous estonner; car il ne se faut esbahir si chaque herbe et chaque fleur requiert son particulier soin en un jardin..

  A017000908 

 Elle estoit fort ma fille; car lhors que je fus la, elle fit une reveuë de toute sa vie, pour me donner connoissance de ce qu'elle avoit esté, avec une humilité et confiance incroyable et sans grande necessité, avec une extreme edification pour moy quand j'y repense.

  A017000908 

 J'ay sceu quelqu'une des graces que Dieu fit a nostre tres chere Seur Marie Renee sur son trespas.

  A017000909 

 Faites-moy la consolation, ma chere Fille, de m'escrire souvent, et me dire tous-jours en confiance les choses que vous croires que je puisse utilement sçavoir de l'estat [81] de vostre cœur, que je benis au nom de Nostre Seigneur de tout le mien, et suis en Dieu tout vostre..

  A017000917 

 Certes, je vay a la bonne foy, et qui voudra m'estre si rigoureux que de remarquer mes imperfections et defautz, il ne m'aymera jamais guere longuement, sur tout mes manquemens es civilités, complimens et autres choses de bienseance; car, outre que j'ay l'esprit fort lourd, je l'ay encor si chargé d'occupations selon ses forces, que je ne voy pas tout ce quil faudroit..

  A017000917 

 Je vous escris a la course, envoyant expres ce porteur pour apprendre des nouvelles de la santé de M me la Comtesse, au service de laquelle je contribuerois volontier ma visite personnelle si la maladie estoit de qualité que cela fut requis et quil luy tournast a consolation.

  A017000934 

 Ce benefice la, Monseigneur, ne peut rendre au curé que cinquante ducatons, et la charge des ames y est fort grande pour la multitude du peuple qui en depend, lequel hante fort l'Alemaigne et a besoin d'un pasteur qui ayt grand soin de l'edifier et conserver en la foy.

  A017000934 

 Sur la recommandation qu'il a pleu a Vostre Altesse de me faire en faveur du sieur du Chatelard, qui me [83] tient lieu de commandement, j'eusse grandement desiré de le pouvoir prouvoir du benefice qu'il praetendoit; mays d'un costé, il n'estoit pas en moy d'en disposer, puisque le Chapitre de mon eglise en avoit la nomination, et d'autre part, tant ledit Chapitre que moy, ne pouvons en sorte quelcomque nous departir des ordonnances du Concile de Trente, que nous avons juré d'observer; et elles ne nous permetent pas de distribuer les benefices curés que par le concours au plus capable, et faysans le contraire, nous nous exposerions a la disgrace de Nostre Seigneur et a la damnation.

  A017000935 

 Certes, je souhaite tout bonheur audit sieur du Chatelard, qui fait profession d'aymer le service de l'Eglise; mais pour des benefices, je luy en desirerois d'autre nature que de ceux qui portent charge d'ames, et ilz ne luy manqueront pas, sii plait a Vostre Altesse le favoriser es occurrences..

  A017000951 

 C'est pourquoy, le voyant remis au bon chemin, et d'ailleurs fort en peine pour le sujet quil vous dira, tres volontier je vous supplie, Monseigneur, de le recevoir, esperant que des-ormais vous n'en aures que du contentement, ainsy quil m'a solemnellement promis et protesté.

  A017000951 

 J'ay les papiers de l'evesché quil avoit tres mal a propos apportés, et les garderay pour en faire ainsy que vous me commanderés..

  A017000951 

 Or il a desiré un passeport et sauf-conduit de moy aupres de vous, [85] par ce que le bonhomme son beaupere luy a dit que vous m'avies confié l'asseurance que vous pouves prendre de son amendement: qui m'a aussi fait entendre que je pouvois seul donner ouverture a son restablissement en vostre service.

  A017000952 

 Monseigneur l'Archevesque de Lion m'a fait lhonneur de me visiter et demeurer six ou sept jours ceans, pendant lesquelz il a fait deux sermons et une petite exhortation avec tant de pieté, que ce bon peuple en sera longuement consolé.

  A017000952 

 On asseure que jusques a present il est mort bien six mille personnes de ce mal, lequel par miracle ne s'est comme point espanché sur la Savoye..

  A017000953 

 Nostre paix est fort entiere maintenant, graces a Dieu, que je supplie la nous vouloir conserver, et vous combler de toutes les faveurs celestes quil depart a ses plus grans serviteurs, tandis que sans fin je suis et seray inviolablement,.

  A017000972 

 En somme, puis que je n'ay pas le loysir de m'estendre davantage, je veux dire en un mot, que je vous cheris avec un honneur et respect tout parfait, et avec vous, tous messieurs mes freres et mesdames mes seurs, entre lesquelz je salue humblement ceux qui sont pres de vous.

  A017000972 

 Il y a bien asses long tems que je n'ay point eu de nouvelles de ma seur madame de Grandmayson, mais j'en tireray un de ces jours, Dieu aydant, en luy escrivant par la commodité de Lion.

  A017000991 

 Je respons a la lettre qu'il vous pleut de m'escrire hier, quatorziesme de ce mois, que je reçoy tout presentement, et supplie Vostre Excellence de croire qu'en cette occurrence je regarde Dieu et ses Anges, pour ne rien dire qu'avec l'honneur que je doy a la verité..

  A017000992 

 Et parce que je suis plus ancien en Ordre que luy, il m'escrivit des lhors qu'il me viendroit voir, pour se prevaloir de ce que l'experience m'auroit peu acquerir en nostre profession; avec plusieurs telles paroles, excessives en humilité et modestie..

  A017000993 

 Despuis, il a tous-jours continué a vouloir me faire cet honneur, auquel n'estimant pas que je me deusse laisser prevenir, puisqu'il est le premier des Evesques de France et moy le dernier de Savoye, je l'allay voir a Lion, comme Vostre Excellence sçait.

  A017000993 

 Et je ne sceu nullement d'asseurance sa venue, que le soir avant qu'il arrivast; car encor que six jours auparavant le sieur de Medio, originaire de ce païs, mais chanoine de l'eglise de Saint Nizier de Lion, m'eust escrit qu'il avoit quelque opinion que Monseigneur l'Archevesque estendroit sa visite jusques icy, si est ce que, n'y faysant pas fondement, j'envoyay un laquay pour le sçavoir, qui ne revint que le jeudy au soir avant le vendredy auquel Monseigneur l'Archevesque arriva..

  A017000995 

 Estant icy, je vous asseure que nous n'avons ni fait ni dit, non pas mesme pensé, aucun traitté, ni pour les choses du monde, qui, si je ne me trompe, nous sont a tous deux fort a degoust, ni pour les choses ecclesiastiques, n'ayans rien eu ni a demesler ni a mesler; mays seulement, purement et simplement, nous avons parlé des devoirs que nous avons au service de nos charges, de la façon des Offices ecclesiastiques et de telles choses entierement spirituelles..

  A017000997 

 Que si Vostre Excellence me le permet, je luy diray avec esprit de liberté, que je suis né, nourry et instruit, et tantost envielly, en une solide fidelité envers nostre Prince souverain, a laquelle ma profession, outre cela, et toutes les considerations humaines qui se peuvent faire me tiennent estroittement lié.

  A017000998 

 Je me prometz de la faveur de Vostre Excellence que Son Altesse demeurera parfaitement satisfaitte, et que rien ne se sçaura de cet ombrage, qui affligeroit le bon Monseigneur de Lion beaucoup plus qu'il ne m'afflige pas moy, qui, par la suitte du tems et les evenemens, seray tous-jours reconneu tres asseuré et tres fidele serviteur de Son Altesse, a laquelle je souhaitte toute sainte prosperité.

  A017001007 

 Voyla bien des lettres que j'ay ouvertes par ce que je suis vostre filz de confiance.

  A017001017 

 Tandis que j'estois avec vous moymesme au parloir, [92] M. de Monthouz me vint chercher, ce que je ne seu qu'en soupant; et lhors je luy envoyay un billet par lequel je le priois ne point partir quil ne vous parlast, affin d'arrester des affaires de sa cousine.

  A017001018 

 Au reste, quand il ira vers vous, ne luy dites point de paroles qui le puisse (sic) estonner, comme seroit celle que vous aves esté estonnee de quoy il s'en alloit; mais simplement, que vous estant apperceue quil s'en alloit, vous aves desiré d'arrester l'affaire, affin qu'a la profession il ny ait rien a traitter, ains seulement a executer le traitté.

  A017001019 

 Cependant, je vay pensant ce que je vous diray tantost.

  A017001028 

 Dieu benisse eternellement vostre cœur, ma tres chere Fille, que le mien cherit plus qu'il ne se peut dire.

  A017001028 

 Dites [93] moy, ma chere Fille, mais dites le a mon cœur, c'est a dire bien naifvement: quelle tristesse et quel regret monstrastes vous a madame la Comtesse de la N., laquelle la depeint avec des couleurs si noires, que je croy qu'elle vous a pris pour une autre.

  A017001029 

 Au reste, il me faut appeller vostre Pere, et sans ceremonie; je le suis de tout mon cœur, et vous cheris plus, comme je croy, que les peres naturelz n'ont accoustumé de cherir leurs filles.

  A017001039 

 Certes, et moy et tout, j'ay grand desir que nous nous voyons un peu; ce sera demain, Dieu aydant.

  A017001048 

 Et moy, monsieur mon tres cher Frere, je vay en esprit vous embrasser a ce retour, et vous offrir ce cœur que [95] j'ay pour vous, tous-jours plus plein de toutes les affections plus sinceres qu'un frere peut avoir pour un frere extremement aymé et presqu'autant aymé comm'aymable.

  A017001048 

 Mays non, mon tres cher Frere, je ne dis pas sinon presqu'autant, car je confesse qu'apres que je vous ayme extremement, encor ne vous ayme-je pas asses selon vos merites..

  A017001060 

 J'ay esté un peu mal pour toute cette semaine, mais ce n'est rien maintenant, que je m'en vay mesme, Dieu aydant, dire la Messe a la Visitation..

  A017001060 

 Si vous n'esties ma tres chere Fille, je m'excuserois d'avoir tant tardé a vous respondre a plusieurs de vos lettres; mais vostre cœur sçait bien que le mien prend playsir a vous escrire quand il en a la commodité.

  A017001061 

 Et par ce qu'a l'aventure elle craindra de laisser Bassin, de peur que monsieur de Bressieu son filz n'y aille faire quelque passade, j'ay tiré promesse de luy quil ne bougera point tandis qu'elle sera de deça, de quoy encor monsieur de Montmeilleur est garand.

  A017001062 

 Mays je ne veux pas laisser de vous dire que nostre pauvre Visitation va bien avoir du bruit pour ces deux [98] braves filles qui desirent, demandent et pressent d'y estre receües, et auxquelles sans doute on ne refusera pas la porte quand elles viendront, ainsy que l'on leur [a] promis fort saintement.

  A017001062 

 O que bienheureuses sont ces cheres filles, lesquelles sacrifient ces petitz momens de vie mortelle a la gloire et a l'amour de Celuy qui leur donnera des eternités amoureuses en l'abondance de sa suavité! Elles s'en vont toutes braves et courageuses; et Dieu soit a jamais au milieu de leur cœur et du vostre, ma tres chere Fille bienaymee, que je salue de toute mon ame.

  A017001062 

 Or, puisque vrayement c'en sont, quel moyen y auroit il de n'estre pas bien ayse du bien de ces cheres ames et de l'avancement de la gloire dé Dieu? Et si, je confesse a ma tres chere Fille, quil y a un peu de la malice dans mon cœur; car je suis bien ayse encor que le monde soit trompé et que ces filles, qui sembloyent estre en ses bonnes graces, se moquent de luy, le quittent et le mesprisent, car en verité il le merite, d'autant quil ne vaut rien et quil mesprise Dieu.

  A017001062 

 Pour moy, j'en seray tous-jours accusé, et si, je n'en puis mays; car encor que je prendrois a grand honneur d'avoir servi Dieu en cela, si est ce que sa Bonté a voulu le faire elle mesme, par des inspirations venues de sa Providence dans ces ames lhors que la mienne n'y pensoit point, et a la premiere connoissance que j'en ay eu, j'ay intimé le loysir et la dilation, pour voir si c'estoit bien des inspirations.

  A017001063 

 L'odeur de la Mayson de Lion a operé cela, ainsy que vous sçaures plus amplement a nostre premiere veue..

  A017001063 

 Le premier President de Tholose m'escrit affin que [99] nous envoyons des Seurs de la Visitation la, en un monastere tout basti, qui a cousté cent mille francz, et dix sept filles qui attendent les nostres pour estre instruites.

  A017001074 

 Il y a aussi troys semaines que, pour moy, je vay trainant entre la santé et la maladie; mais ce n'est pas cela qui m'a empesché d'escrire, c'est que nulle commodité ne s'en est presentee, ni petite ni grande.

  A017001076 

 Graces a Dieu, nous voyons que sa divine Providence s'en veut servir pour le bien de plusieurs ames en divers endroitz, ou l'on desire cette Congregation, laquelle par miracle est fœconde, ce semble, au propre instant de sa naissance.

  A017001076 

 Je pense bien que de ces filles qui veulent venir prendre la forme et la prattique des Regles, il en faudra faire venir une partie icy, affin que vous ne soyes surchargee d'un soin excessif, avec nostre chere Seur Marie Aymee, que je voy des-ja, ce me semble, un peu tremblante sous le faix.

  A017001076 

 Je suis consolé plus quil ne se peut dire de voir que vous cherisses ardemment vostre vocation; cela seul vous peut sanctifier, et rien sans cela.

  A017001077 

 Celuy qui n'est point tenté, que sçait il? [101].

  A017001078 

 Je veux bien que vous porties une fois la semaine la haire, sinon que vous connoissies que cela vous rendit trop paresseuse es autres exercices plus importans, comm'il arrive quelquefois..

  A017001078 

 Mays j'espere en Dieu que, avec un esprit noble, vous vous tiendres exempte de tout ce qui peut donner scrupule.

  A017001078 

 Si la peine vous tient au sentiment, comme il me semble que vous le signifies, changes d'exercice corporel quand vous en seres pressee; si vous ne pouves bonnement changer d'exercice, changes de place et de posture: cela se dissipe par ces diversités.

  A017001078 

 Si quelque chose vous tient en scrupule, dites-le hardiment et courageusement, sans faire aucune reflexion, lhors que vous alles a la Penitence.

  A017001079 

 Le soin que vous aures en tout cela sera grandement aggreable a Nostre Seigneur, sur tout si vous le prenes avec humilité, douceur et tranquillité..

  A017001080 

 Cela fait un peu de mal au cœur des mondains, mais il ny a remede, il faut que Nostre Seigneur soit servi..

  A017001081 

 Je dis a nostre Seur de Gouffie que je voulois meshuy m'essayer de donner de la generosité a la devotion de nos Seurs, et en oster la tendreté que l'on a souvent sur soy [102] mesme, cette petite doüilleterie qui oste le repos et nous fait desirer des particularités spirituelles et interieures, nous fait excuser nos humeurs et flatter nos inclinations.

  A017001081 

 Or je ne doute point que Dieu ne vous donne les mesmes sentimens, puisque vous estes un seul esprit avec tous nous..

  A017001082 

 J'appreuve que vous continuies d'appeller nostre Mere, Mere, puisque c'est vostre consolation, et que vous m'appellies Pere, puisque j'ay pour vous un cœur extraordinairement plus que paternel.

  A017001082 

 Saches, ma chere Fille, que despuis que vous estes en charge, vous m'estes tous-jours si presente, que je suis, ce me semble, perpetuellement avec vous, non sans faire mille et mille souhaitz sur vostre chere ame..

  A017001083 

 Je salue en fin vostre cœur, que le mien cherit de toutes ses forces, et luy souhaite la benediction de celuy de Nostre Seigneur, auquel soit gloire eternellement.

  A017001083 

 Pour Dieu, salues un peu Monseigneur l'Archevesque quelquefois de ma part; vous ne sçauries croire ce que je luy suis, et comme Dieu benit sa petite visite quil fit icy.

  A017001085 

 Nos Seurs d'icy dirent avant la Messe, tandis [104] que je m'habillois, le Veni Creator; et apres le renouvellement, Laudate Dominum omnes gentes, et prononcerent bien gravement leur renouvellement..

  A017001085 

 Vostre renouvellement n'ayant pas esté fait le jour de la Presentation, vous le pourres faire le jour de l'an ou des Roys, ou comme Monseigneur l'Archevesque voudra; car je croy bien que vous voudres que ce soit luy qui le reçoive.

  A017001101 

 Dieu vous suggerera, ma tres chere Fille, tout ce qu'il veut de vous, si en l'innocence et simplicité de vostre cœur, avec une entiere resignation de vos inclinations, [105] vous luy demandes souvent en vostre interieur: Seigneur, que voules vous que je face? Et je suis consolé que vous ayes des-ja ouy sa voix et que vous le servies en la nourriture de ces filles..

  A017001102 

 L'excuse aussi n'estoit pas bonne de dire: Je n'ay pas des mammelles, je n'ay point de lait; car ce n'est pas de nostre lait ni de nos mammelles que nous nourrissons les enfans de Dieu; c'est du lait et des mammelles du divin Espoux, et nous ne faysons autre chose sinon les monstrer aux enfans et leur dire: Prenes, succes, tires et vives.

  A017001103 

 A mesure que vous entreprendres, sous la force de la sainte obeissance, beaucoup de choses pour Dieu, il vous secondera de son secours et fera vostre besoigne avec vous, si vous voules faire la sienne avec luy.

  A017001104 

 Vivés toute a ce divin amour, ma tres chere Fille, et sachés que c'est de tout mon cœur que je cheris vostre ame bienaymee, et ne cesse jamais de la recommander a la misericorde eternelle de nostre Sauveur, a laquelle je vous conjure de me recommander reciproquement fort souvent..

  A017001114 

 Je vous asseure que ceux qui fantasient et philosophent de si pres de mes actions et sur mes actions se font plus de tort qu'a moy, car ilz ne peuvent blesser mon innocence et ilz se chargent d'une noire malice.

  A017001114 

 Pleust a Dieu, Monsieur, qu'ilz eussent esté auditeurs des discours de Monseigneur de Lion et de moy! et ilz auroyent veu et sceu que nous n'avons pas, que je sçache, dit une parole qui ne tende a l'advancement de la gloire de Dieu dans nos troupeaux; et nous estimons les discours des capitaines et soldatz indignes d'occuper le tems des Pasteurs de la bergerie du Dieu vivant..

  A017001114 

 Sur les plaintes que l'on a fait de moy, je croy d'estre obligé a vous respondre non seulement par la voix de ces messieurs, qui m'ont parlé de la part de Vostre Excellence, mais encor par ma plume.

  A017001115 

 Nos visites ont esté, a la verité, pour une affaire d'Estat; a sçavoir, pour l'estat que nous devons constamment establir en la republique de nostre petite Congregation de la Visitation.

  A017001115 

 Quant a moy, je vous proteste que j'ignore les affaires d'Estat, et les veux ignorer a tel point, qu'elles ne soyent ni en ma pensee, ni a mon soin, ni en ma bouche, sinon quil se presentast quelque occasion de tesmoigner a Son Altesse que je suis son passionné et fidele sujet, et a Vostre Excellence,.

  A017001127 

 A quoy je respondis que le sujet de cette venue n'estoit qu'une simple visite, laquelle ce Praelat avoit projettee des son advenement en la charge qu'il tient, comm' il m'escrivit des l'hors, et que nous n'avions traitté de chose quelcomque sinon de ce qui appartient a la devotion et conduite spirituelle des ames.

  A017001127 

 Il y a un moys que monsieur le Marquis de Lans m'escrivit de la part de Vostre Altesse, que je luy fisse sçavoir les sujetz pour lesquelz Monseigneur l'Archevesque de Lion estoit venu en cette ville et les particularités de ce que nous avons traitté ensemble.

  A017001128 

 Et ce bon Archevesque est tellement occupé en la pieté, que quicomque le connoistra bien, jugera facilement que ses pensees ne sont nullement tournees du costé du monde.

  A017001128 

 Et neanmoins, monsieur le Marquis de Lans m'a escrit pour la seconde foys, que j'aye a luy descouvrir dequoy [108] nous avons traitté, ce Prælat et moy.

  A017001128 

 Et par ce que c'est de la part de Vostre Altesse que cela m'est enjoint, c'est a elle aussi a laquelle maintenant je m'addresse, conjurant en toute humilité sa douceur et bonté de croire que j'ay respondu en cett'occasion avec toute franchise et simplicité.

  A017001128 

 Mays, Monseigneur, Dieu m'a fait cette grace, que jamais personne ne m'a estimé homme d'affaires, ou du moins, ne m'a accosté pour cela.

  A017001128 

 Pleut a Dieu, Monseigneur, que l'Eglise eut plusieurs de telz Pasteurs, car le nom de Nostre Seigneur en seroit bien mieux loué et sanctifié..

  A017001128 

 Que si, ou ce seigneur, ou autre quelcomque m'eut parlé de chose qui eut tant soit peu regardé le service ou les affaires de Vostre Altesse, ou mesme de chose d'Estat, je n'eusse point attendu de semonce pour la faire sçavoir; car de moy mesme, par le mouvement de mon inviolable fidelité envers la couronne de Vostre Altesse de laquelle je suis sujet, j'eusse promptement rendu le devoir auquel la nature et le serment que j'ay presté m'obligent.

  A017001129 

 J'ay si souvent experimenté la debonaireté et equité de Vostre Altesse en toutes les occurrences esquelles la calomnie a osé entreprendre sur mon innocence et candeur, que je demeure fort paysible en celle ci, puisque mesme le tems, garend et protecteur de la verité, a des-ja fait voir par longues annees, que je suis inviolable et immobile en la resolution que Dieu a establie en moy de ne vivre qu'a ma profession et, en icelle, avoir tous-jours le cœur dedié a l'obeissance de Vostre Altesse, a laquelle souhaitant sans fin mille et mille benedictions, je demeure,.

  A017001143 

 J'escris a Son Altesse la lettre ci jointe, et pour luy donner une plus seure addresse, je vous supplie tres humblement de la luy remettre, bien que je n'aye pas lhonneur d'estre conneu de vous, a qui neanmoins je suis de tout mon cœur,.

  A017001158 

 J'ay receu l'une et l'autre de vos lettres et ne pense pas avoir dit a M. le Curé quil ne reconneut pas, mais ouy bien quil ne reconneut pas sans me communiquer la forme de la reconnoissance qu'on luy demandoit, affin que je visse sil y avoit chose qui fut contre le droit divin ou humain, comme il me semble qu'il y auroit si elle estoit telle qu'il me la descrivoit.

  A017001158 

 Mais puysque les differens sont sousmis a des si bons arbitres et superarbitres, je m'en rapporte a ce qu'ilz en diront, sachant qu'ilz sont asses clairvoyans pour discerner de cela et de chose plus difficile, et pour conduire ces deux espritz a une paysible concorde que je prie Dieu leur vouloir donner.

  A017001158 

 Or, je n'escriray donq pas a monsieur vostre cher mari pour ce regard, comme M. le Prieur s'est imaginé, car je ne doute point que tous ces messieurs n'ayent et l'esprit et le cœur disposé a faire chose juste..

  A017001159 

 Et puisqu'elle ne peut pas aller a La Thuille, pour peu qu'elle nous en donne la commodité, nous ferons venir une partie de La Thuille icy; et je dis une partie, par ce que le petit enfant, qui est le plus beau garçon du monde, n'a garde de vouloir venir en ce tems..

  A017001159 

 Je vous prie de regarder un peu entre vous ce qui se pourra bonnement faire, affin que, sil est possible, on prenne le bon biays pour accommoder honnorablement les affaires.

  A017001160 

 Il y a grand bruit, certes, de toutes parts pour le dessein de la chere niece et de madame du Chatelart, et c'est bon signe que Dieu en sera glorifié.

  A017001174 

 C'est mon extreme consolation de sçavoir que ma grande Fille marche avec sa petite trouppe selon la divine volonté, ne se lassant point d'avancer en la divine dilection par un soin constant et paysible, parmi ces cheres ames que Dieu a choisies pour son honneur..

  A017001184 

 Je croy que Dieu vous tient de sa main, ma tres chere [113] Fille, car le Reverend Pere General des Feuillans me l'escrit.

  A017001185 

 Voyes vous, cette petite trouppe de filles, c'est une couronne que Dieu vous prepare et dont vous jouires en la felicité eternelle; mais il veut que vous la porties toute dans vostre cœur en cette vie, et puis il la mettra sur vostre teste en l'autre..

  A017001187 

 Ne voyes vous pas, ma chere ame (car mon cœur me fait dire ainsy), que vostre petite Congregation est comme une fontaine sacree en laquelle plusieurs ames puiseront les eaux de leur salut, et que des-ja plusieurs, a l'imitation de la vostre, veulent eriger d'autres pareilles Congregations a la grande gloire de Dieu et a la grande facilité du salut pour plusieurs? Ne vous lassés donq nullement d'estre mere, quoy que les travaux et soucis de maternité soyent grans..

  A017001188 

 O ma Fille tres chere, que de benedictions mon ame souhaitte a la vostre! Je salue nos Seurs professes, du cœur qu'elles sçavent, et nos Novices, d'un cœur qu'elles ne sçavent pas.

  A017001198 

 Mais ces grandes festes nous imposent silence, d'autant que d'elles mesmes elles retentissent et parlent divinement du mystere qu'elles nous representent..

  A017001199 

 Je ne sçai certes que dire autour de ce divin Enfant, car il ne dit mot, et son cœur, plein de faveur pour les nostres, ne se declaire point qu'avec des plaintes, des larmes et des douces œillades; sa sacree Mere se taist presque tous-jours et admire ce qu'on luy dit.

  A017001199 

 Mon Dieu que ce silence me dit des grandes choses! Il m'apprend [115] a faire la vraye orayson mentale; il m'apprend la ferveur amoureuse d'un cœur qui est saisy d'affections que nourrissent ces douces pensees et qui a peur d'en perdre la suavité s'il les prononce..

  A017001200 

 Helas! ma chere Fille, vous la verres, cette belle Dame, cette heureuse fille de Sion, que, telle qu'elle est, Mere du Roy de gloire, elle va mendiant l'hospitalité en Bethlehem; elle n'en a nulle sorte de honte, ains elle s'honnore de cette sacree et bienheureuse necessité..

  A017001200 

 Tenés vous aupres de cette Mere, ce pendant, et ne l'abandonnes pas d'un seul moment tandis qu'elle part de Nazareth et qu'elle va en Bethlehem; tandis que, sans empressement, mays non pas sans des ardens mouvemens, elle attend d'heure a autre de voir esclos de son sacré ventre le bel oyseau du Paradis.

  A017001201 

 Je vous prometz qu'en cette Messe de la minuit, en laquelle il me semblera voir une cresche sur l'autel et le divin Poupon faysant ses doux yeux pleins de larmes plus pretieuses que des perles, je l'offriray a Dieu son Pere avec le congé de sa Mere, et le demanderay pour vous, affin qu'il soit a jamais le cœur de vostre cœur et l'unique Espoux de vostre ame.

  A017001201 

 Mon Dieu, que ce mystere est doux! Le premier ravissement de vostre saint Bernard fut d'une vision d'iceluy, et par ce moyen il rendit son cœur et sa bouche pleine du lait de la Sainte Vierge et des larmes de ce doux petit Enfant..

  A017001202 

 Salués la petite cousine de ma part et, a la pareille l'une de l'autre, si tost que vous verres le grand petit Enfant né en vostre ame, dites luy fervemment que je luy sacrifie la mienne avec les vostres eternellement.

  A017001211 

 La tentation de rire en l'eglise et a l'Office est mauvaise, quoy qu'elle ne semble que folastre et badine, car, apres la charité, la vertu de la religion est la plus excellente; car, comme la charité rend a Nostre Seigneur l'amour qui luy est deu selon nostre pouvoir, aussi la religion luy rend l'honneur et la reverence requise, et partant, les fautes qui se commettent contre elle sont grandement mauvaises.

  A017001211 

 Quand l'ennemy ne peut pas rendre nos ames Marion, il [117] rend nos cœurs Robin; et il ne s'en soucie pas, pourveu que le tems se perde, que l'esprit se dissipe et que tous-jours quelqu'un soit scandalizé.

  A017001212 

 Je ne vous dis pas encor mes pensees sur le sujet dont vous m'aves escrit, parce que c'est aujourd'huy Noël, jour auquel les Anges viennent chercher le Paradis en terre, ou certes aussi il est descendu en la petite spelonque de Bethlehem, dans laquelle, ma tres chere Fille, je vous treuveray tous ces jours suivans avec toutes nos cheres Seurs, qui sans doute feront leur residence, comme des sages abeilles, autour de leur petit Roy.

  A017001213 

 Ce doux Enfant soit a jamais la vie de vostre cœur, ma tres chere Fille, que je cheris nompareillement, et qui est tous-jours present au mien, tant il plaist a Dieu que mon affection se fortifie par cette petite separation de bien exterieur..

  A017001223 

 Je croy que vous ne tarderes pas a les rendre satisfaitz, et je passeray plus outre et vous contenteray..

  A017001223 

 Je fay en partie ce que M. le Superieur et vous aves desiré, et ne me fusse pas arresté la, n'eust esté qu'hier, ceux qui ont esté employés pour vostre affaire m'y vinrent obliger par leurs remonstrances.

  A017001224 

 Or, perseverés es saintes resolutions que nous avons prises: tenes vostre ame nette, esleves souvent vostre [119] cœur, occupes le en la lecture des bons livres, ne demeures point oyseux, ains faites tous-jours quelques bonnes besoignes, ou corporelles ou spirituelles.

  A017001225 

 Je croy bien, comme vous m'escrives, que la bonne madame de la Flechere vous ayde.

  A017001225 

 La hantise peut infiniment, soit en bien, soit en mal; celle de cette dame ne peut estre que salutaire a qui s'en veut et sçait prevaloir..

  A017001226 

 Il se faut bien garder de redonner la benediction matrimoniale a la sainte Messe, ni de reprononcer ces paroles: Ego vos conjungo; mais apres que ces gens la seront communiés, vous pourres bien, apres la Messe et secretement, leur faire confirmer le consentement de leur mariage, et dire sur eux les oraysons, qui sont dans le Missel, de la benediction..

  A017001237 

 En ce billet, je confirme le don que je vous ay fait, Monsieur mon Frere, de mes plus sinceres affections [120] dediees a vostre honneur et service.

  A017001237 

 Faites moy reciproquement le bien de m'aymer selon la veritable qualité que je porte en mon ame, de.

  A017001265 

 Mais la chose n'est nullement facile, soit parce que rare [121] est celui qui accepte de se consacrer à ce ministère toujours dans le même lieu, soit parce que j'estime que vos Valaisans ont besoin, non d'un prédicateur quelconque, mais d'un homme qui excelle en modestie, prudence et patience.

  A017001265 

 Toutefois, je verrai si je rencontre quelqu'un que je puisse vous adresser, et je n'épargnerai rien pour satisfaire Votre Seigneurie Illustrissime..

  A017001265 

 Vous m'avez exprimé dans votre dernière lettre le désir que je vous envoie un prédicateur; je souhaiterais de toute mon âme le satisfaire.

  A017001266 

 En attendant, je me réjouis extrêmement que M. Nicolas soit resté, persuadé qu'il effacera par l'intégrité de sa vie ses erreurs passées.

  A017001267 

 J'apprends avec douleur que les habitants de Saint-Maurice sont affligés de la peste, et je ne manquerai pas de les aider des [122] prières de mes fidèles, selon la considération et l'affection que j'ai pour tous vos sujets..

  A017001282 

 C'est pourquoy il faut que je vous avertisse que je luy dis, sur divers discours, que pour vous, je vous y treuvois asses disposee et que vous en avies escrit a M. de Bourges.

  A017001282 

 En vous donnant le bonjour de tout mon cœur, je vous diray que M. de Montrotier me vint entretenir hier au soir de son mariage et me dit quil vous iroit voir aujourdhuy.

  A017001282 

 Et par ce quil me dit que vous luy avies dit que la petite n'en sçavoit encor rien, ni personne, sinon mon frere de Thorens et moy, je le laissay en cette opinion.

  A017001282 

 Je luy dis que vous avies mesuré les affaires de vos enfans il y a long tems, et que de plus en plus vous treuvies quil ny avoit pas moyen de faire autrement.

  A017001283 

 Je luy dis un'autre chose d'une response que la petite avoit faite a sa seur sur une proposition generale de mariage; mais il ny a rien en cela qui porte coup, et je le vous diray peut estre ce soir..

  A017001293 

 Il est vray que les amitiés et affections fondees sur la gloire de Dieu sont invariablement inviolables, ma chere Fille, de sorte que ni le silence, ni les esloignemens, ni la variété des accidens ne sauroyent desfaire ce que Dieu a fait.

  A017001293 

 Vives donq tous-jours en cette parfaite asseurance, que mon ame ne sçauroit pas seulement un seul moment oublier l'amour sacré et vrayement paternel qu'il a pour la vostre..

  A017001294 

 [125] Il est bon que nous ne soyons pas tous-jours attachés aux mammelles de nostre Dieu et que nous soyons un peu sevrés de sa douceur..

  A017001295 

 Ah, quel bonheur est celuy que, changeant de place, vous ne changes point de cœur! Mon Dieu, ma Fille, puisque nostre cœur ne change point de Dieu, pourquoy changeroit-il d'amour? Aussi bien n'y a-il rien au monde pour nostre cœur que Dieu, ni pour Dieu que nostre cœur.

  A017001303 

 Vous sçaves bien que vous estes la grande fille bien-aymee, et que nul ne vous ostera le rang que vous tenes en mon cœur, apres et tout aupres de nostre tres chere Mere; aussi estes vous nostre seconde mere..

  A017001314 

 La rayson, certes, le veut bien, qu'apres avoir fait hommage au Pere et a la Mere celeste, je le rende aussi a la seule Mere que leurs Majestés m'ont donné pour cette vie..

  A017001315 

 Bonne et tres sainte annee a ma tres chere Mere de la part de son filz, qui luy souhaitte l'abondance de la grace du Pere eternel, de la paix du Filz circoncis et de la consolation du Saint Esprit, dediant avec ce mesme cœur de ma tres chere Mere, le mien comme le sien a la gloire de la divine Bonté, et luy consacrant tous les momens de cette nouvelle annee pour faire une entiere circoncision de ce mesme cœur, et l'appliquer a recevoir purement et parfaittement l'amour sacré que le celeste et divin nom de JESUS nous annonce escrit en sang sur la sainte humanité du Sauveur..

  A017001317 

 Ah, mon Dieu, ma chere Mere, que je desire d'amour divin a ce cœur, que je luy souhaitte de benedictions! Baysons mille fois les pieds de ce Sauveur et disons-luy: Mon cœur, o mon Dieu, vous proteste, ma face vous desire; ah! Seigneur, ma face recherche vostre face.

  A017001317 

 C'est a dire, ma chere Mere, tenons nos yeux en Jesus Christ pour le considerer, nostre bouche pour le louer, et qu'en fin tout nostre visage ne respire que d'aggreer a celuy de nostre cher Jesus; Jesus pour lequel il nous faut humilier, entreprendre, travailler, souffrir et devenir, comme dit saint Paul, des brebis conduites a la boucherie, quand il plairoit a sa divine Majesté de nous rendre deshonnorables pour son honneur et gloire..

  A017001318 

 Que nul jour de cette annee, ains que nulle annee ni nul jour de plusieurs annees, que je supplie Dieu vouloir donner a ma tres chere Mere, ne se passe qu'il ne soit arrousé de la vertu de ce sang, et ne reçoive la douceur du vent de ce nom qui respand le comble de toute suavité.

  A017001319 

 Ainsy puisse ce nom sacré remplir de son aggreable son toute la Congregation de nos Seurs, et les gouttes du sang du petit Sauveur se convertir en un fleuve de sainteté qui res-jouisse et rende fertiles tous les cœurs de cette chere trouppe, et sur tout celuy de ma tres chere Mere, que le mien ayme comme soy mesme..

  A017001330 

 A ce commencement de nouvelle annee, je vous represente mes vœux et mon obeissance, dissemblables certes aux ans, en ce quilz perissent tous dans leurs vicissitudes et revolutions; mais l'infinie affection que j'ay a vostre gloire est ferme, permanente et exempte de tout autre changement que de celuy de sa continuelle croissance.

  A017001330 

 Aussi fut elle formee de la main eternelle de Dieu, a mesme que la bienveuillance que vous aves pour moy fut creee en vostre esprit; et si, elle ne regarde aussi que l'eternité.

  A017001331 

 O combien de foys, Monsieur mon cher Filz, ce nom et ce cœur de pere que je porte envers vous me presse-il d'amour et de zele pour supplier la divine Bonté qui l'a volu comme cela, de combler vostre ame de sa sainte dilection, establissant son royaume celeste en vous! Je le sçai bien que les bons enfans pensent souvent en leurs peres; mays ce n'est pas souvent, c'est tous-jours que les peres ont leurs espritz en leurs enfans..

  A017001332 

 En ces momens, pourtant, comme dans un petit noyau, est enclose la semence de toute l'æternité, et en ces menus travaux de la devotion que nous devons prattiquer est enfermé le prix de l'infinité de la gloire, et ce petit soin de servir Dieu produit le repos d'une joye perdurable.

  A017001333 

 Il ne se peut dire, Monsieur mon Filz, combien j'ay de consolation de sçavoir que monsieur vostre frere, ce digne et brave seigneur qui vous tient lieu de cher enfant, est enfin marié; car je ne doute point que cela ne luy soit un grand moyen pour bien servir Dieu, a quoy il est asses porté par la generosité de son courage, outre que je m'imagine que vostre contentement, Monsieur, en est grand.

  A017001354 

 J'ay veu tout ce quil vous plaist de m'escrire touchant M. de Barraux, que je treuve tres bon, comme venant de vostr'esprit qui sçait mieux discerner que nul autre [131] ce qui est convenable.

  A017001383 

 Je ne vous puis dire autre chose sur ce que vous m'escrives, sinon que Dieu fera plus que les hommes ne peuvent penser pour cette Congregation, et spirituellement et temporellement; et n'en avons nous pas d'asses bons gages jusqu'a present?.

  A017001384 

 Il le fera, ma Fille vrayement chere et bienaymee, n'en doutes point; mais resveillés souvent les saintes affections et resolutions que nous avons prises..

  A017001385 

 Je compatis grandement a vostre peyne, quoy que je ne doute pas qu'elle ne soit aggreable a vostre esprit, qui l'accepte comme venant de ce Pere celeste, lequel donne les tribulations avec un amour nompareil aux enfans de sa providence.

  A017001385 

 Ne vous troublés aucunement de vos infirmités, qui ne vous sont donnees que pour vous affermir.

  A017001386 

 Je desire que le zele de la tres grande gloire de Dieu arde et regne continuellement en vostre cœur, et qu'en [134] toute occasion il paroisse par modestie, douceur, humilité et devotion.

  A017001386 

 O que cet amour est doux, qui nous fait aspirer les uns pour les autres au Ciel!.

  A017001395 

 Il faut respondre courtement, ma tres chere Fille, puisque ce porteur m'a pris entre plusieurs affaires que je ne puis laisser.

  A017001395 

 Or, maintenant elle est du tout hors de danger, a ce que m'escrivit avant hier M. de Vallon.

  A017001396 

 Je me res-jouis aussi beaucoup de ce que vous me dites de la chere niece, car tout en est bon, et croy bien que M me du Chastelard aura plus de peyne de s'eschapper.

  A017001422 

 Que dires vous, ma tres chere Fille, voyant si peu de lignes de ma part, apres en avoir si souvent receu de la [137] vostre beaucoup plus? Or, dites, et ce sera la verité, dites quil faut bien que le pauvre Pere ne puisse pas mieux faire; car il ayme si fort sa toute chere fille, que sil pouvoit, il ne se contenteroit pas de l'entretenir si peu..

  A017001423 

 Et sur deux partis quil me propose, hors desquelz il ne veut nullement establir nostre pauvre Congregation en son diocæse, je luy laisse le choix sans reserve quelcomque, hormis celle de la principale fin de nostre Congregation: que les vefves, au moins en leur habit vidual, y puissent estre par maniere de retraitte jusques a ce que, desfaites de tous empeschemens, elles puissent faire la proffession et prendre l'habit; et que les femmes du monde y puissent avoir entree, pour s'exercer et resoudre a la devotion, selon les occurrences..

  A017001424 

 Et quant au premier parti, il ne le propose qu'a contre cœur; si que, voyant que malaysement favorisoit (sic) il jamais la Congregation si on ne vient au second, je le luy laisse en [138] liberté, estant chose indifferente que le bien de la Congregation se face ou en une sorte ou en l'autre.

  A017001424 

 Mays, puisque du bon accueil que Monseigneur l'Archevesque fera a cette Congregation en sa ville depend celuy qu'elle peut prætendre en toute la France, j'acquiesce que l'on en face une Religion formelle, a la reserve de ces deux pointz sus marqués, puisque, comm'il dit, on ne changera rien aux Regles, quil loue et proteste estre « excellentes », car c'est son mot, que le fruit de cette Congregation est admirable, mais que la racine n'en vaut rien; combien que Nostre Seigneur die qu' un mauvais arbre ne sçauroit produire bon fruit. Je voy aussi que, par ce moyen, on contentera une quantité de censeurs, et les peres et parens des filles qui ne les veulent pas donner a Dieu que pour gaigner les portions qu'elles emporteroyent silz les donnoyent a quelque chetif mari..

  A017001424 

 Or, mon sentiment estoit quil se feroit mieux en tiltre de simple Congregation, ou la seule charité et crainte de l'Espoux serviroit de clausure, avec la retraitte que la bienseance de telles assemblees requiert, ainsy que nous l'avions mise es Regles.

  A017001425 

 Et non seulement ma volonté, mais mon jugement a esté bien ayse de se sousmettre et rendre l'homage quil doit a celuy de ce digne Prælat; car, ma Fille, que prætens-je en tout ceci, sinon que Dieu soit glorifié et que son saint amour soit respandu plus abondamment dans le cœur de ces ames qui sont si heureuses que de se dedier toutes a Dieu? Les Congregations et les Religions [139] ne sont point differentes devant la divine Majesté, car, selon icelle, les vœux des unes sont aussi fortz que ceux des autres; et le tiltre de Congregation n'estant pas si specieux ni honnoré, m'en playsoit davantage.

  A017001425 

 L'importance est, ma tres chere Fille (et je vous le dis de tout mon cœur qui vous parle en simplicité et totale confiance, car en somme vous estes certes ma fille de mon cœur plus que vous ne sçauries penser, ni moy dire), l'importance est que j'ay fait cet acquiescement avec une douceur et tranquillité, ains avec une suavité nompareille.

  A017001425 

 La Regie de saint Augustin est beaucoup plus douce que les nostres, soit pour la clausure, soit pour tout le reste; de sorte que, gardans nos Regles, nous ferons plus que saint Augustin n'ordonne, et le tiltre de la Regie saint Augustin honnorera nos Regles sans y rien adjouster..

  A017001425 

 Mays, de bon cœur (voyes vous, ma Fille, je dis tres suavement), j'acquiesce que ce soit une Religion, pourveu que, par la douceur des Constitutions, les filles infirmes y soyent receues, les femmes vefves y aient retraitte, et les femmes du monde quelque refuge pour leur avancement au service de Dieu.

  A017001426 

 Je voudrois bien vous dire beaucoup de choses sur ce sujet, affin que, quand Monseigneur l'Archevesque vous parlera, vous sceussies un peu mieux l'entendre; mays pour tout, il suffira que vous l'asseuries quil ne treuvera point en moy un esprit contrariant ni qui veuille surnager.

  A017001427 

 Joint qu'en Italie, sur tout a Romme, l'esprit des femmes y est tellement soupçonné, que non seulement on ne permet pas aux hommes de parler aux Religieuses a la treille sans expresse et tres rigoureuse licence, mais mesme on ne le permet pas aux femmes sans cette mesme licence; on rie permet pas aux prestres, [140] quelz qu'ilz soyent, fussent ilz Jesuites, Capucins et tout ce qu'on voudra, d'y aller dire Messe, s'il n'a licence par escrit.

  A017001427 

 Or, de deça, les Carmelines mesme ne font pas ces misteres, par ce que les meurs et humeurs ne requierent pas tant de barricades ni de desfiances.

  A017001430 

 Il ny a pas grand hazard que le livre de l' Amour de Dieu soit retardé; je le fay cependant revoir..

  A017001431 

 Je salue M. l'Aumosnier, que j'espere voir parmi ce Caresme..

  A017001449 

 Je vay dire la sainte Messe a la Visitation, ou je feray la recommandation du malade, que je prie Dieu vouloir benir de sa sainte main, avec vostre cœur et toute vostre mayson.

  A017001462 

 O Dieu, avec quelle ardeur sa chere vefve va-elle sacrifier le sacrifice de toute justice a Dieu! Quand je n'aurois que cette parfaite brebis en mon bercail, je ne me sçaurois fascher d'estre Pasteur de cet affligé diocese.

  A017001463 

 Je ne doute nullement, Monsieur mon cher Confrere, [143] que passant si proche d'elle, vous ne l'allies visiter.

  A017001463 

 Portes luy l'asseurance que mes prieres luy sont acquises pour le repos de son cher defunct et pour sa consolation particuliere, que je m'asseure estre toute en ces deux motz: Le nom de Dieu soit beni, sa volonté soit faite..

  A017001473 

 C'est pourquoy je vous conseille de croire le neveu, qui, estant de la profession et ayant l'affection quil a pour vous, ne peut en cela que vous bien conduire.

  A017001473 

 Il m'est advis que ces formalités de tuteur a vos enfans sont superflues, puisque tout est vostre et qu'aussi bien vostre Espoux nouveau ne vous demandera point de dote.

  A017001473 

 Que sil ne s'en contente, il le faudra laisser crier et braire tant quil voudra, puisque le nouvel Espoux ne tient aussi point de conte de son tesmoignage.

  A017001474 

 En verité, il faut ayder M. Guydeboys affin quil ayt sa pension tant que nous pourrons, car le pauvre homme seroit miserable sans cela et auroit grand sujet de se plaindre; et vous pouves penser de quel air il le feroit, puisque il le fait des a present avec un'extreme doleance.

  A017001474 

 Vous m'envoyeres donq les papiers et je vous renvoyeray ce que vous me marqueres, et l'assisteray en ce que je pourray, affin quil ne soit pas frustré de sa juste pretention.

  A017001475 

 Les sentimens de l'absence du defunct ne peuvent pas si tost passer; il suffit que, en la pointe de l'esprit, nous soyons bien resignés au bon playsir de Dieu, et que nous taschions de nous unir de plus en plus parfaitement au second Espoux.

  A017001477 

 Vous l'ouires un peu sur la fin, et madame la Comtesse, a laquelle j'ay bien envie de donner de la moderation en ses affections, selon le besoin que j'en voy par la demesuree ardeur qu'ell'a en la sollicitation de faire M. Nacot, vicaire.

  A017001491 

 Et moy certes, ma tres chere Fille, j'oubliay a vous dire que, sans nulle difficulté, vous mangeassies, avec M. vostre pere et vos enfans, de la chair; vostre complexion est asses lasse sans autre abstinence.

  A017001491 

 Il faut estre ce que Dieu veut que nous soyons: foibles, vilz, abjectz, mais siens de cœur, d'intention et de resolution.

  A017001491 

 Pour M. vostre mari et le reste, vous en feres ce que [147] vous estimerés a propos; je croy bien que ce ne sera pas trop de luy donner des conseilz, attendu quil craint Dieu, et quil faut avoir soin de bien nourrir ceux qui nourrissent bien cette sainte crainte, encor que ce soit avec imperfection..

  A017001492 

 Et pour vous, il vous suffit que je vous assisteray bien et ne vous tromperay point, ains vous conduiray le droit chemin de la pieté, avec un' affection et un zele tres invariable..

  A017001492 

 Il se peut bien faire que j'aye mal fait en cela, et ce ne seroit pas un grand miracle; mais je ne le pense pas pourtant, a cause de la consideration pour laquelle je l'ay fait et la liberté que chacun a de se prsevaloir des autres prestres; outre que cela ne durera comme rien, Dieu aydant.

  A017001492 

 Le vicariat de Rumilly depend du curé; ce que j'ay fait pour condescendre a l'extreme instance qui m'a esté faite, c'est de luy permettre quil employast M. Nacot, si bon luy sembloit, sans pour cela empescher que l'on employast M. Charvet a cet exercice, pour ceux qui n'auroyent pas agreé l'autre.

  A017001492 

 Ne vous mettes nullement en peine de respondre a ceux qui m'en blasmeront; car encor que je ne le pense pas, peut estre ont ilz rayson.

  A017001493 

 Il faut avoir patience, et prier Dieu quil nous face tous humbles, affin que, [148] comme vaysseaux bien profons, nous soyons capables de recevoir ses graces en abondance..

  A017001493 

 Je considere les caprices des hommes sur le sujet du bon M. de Valence: nous l'escoutons icy de tres bon cœur, et moy, qui ay plus estudié en theologie que tous ceux de Rumilly ensemble, je treuve qu'en verité il presche bien et utilement; on seroit bien ayse en des plus grandes villes de l'avoir.

  A017001527 

 Si Monseigneur l'Archevesque vous dit ce qu'il m'a escrit, vous luy respondres que vous aves esté laissee la pour servir a l'establissement de vostre Congregation de tout vostre petit pouvoir; que vous tascheres de bien conduire les Seurs selon les Regles de la Congregation; que s'il plaist a Dieu, apres cela, que cette Congregation change de nom, d'estat et de condition, vous vous en rapportes a son bon playsir, auquel toute la Congregation est entierement voûee; et, qu'en quelle façon que Dieu soit servi en l'assemblee ou vous le serves maintenant, vous seres satisfaite..

  A017001528 

 Que si elle pouvoit estre utile a establir plusieurs autres Congregations de bonnes servantes de Dieu sans jamais s'establir elle mesme, elle n'en seroit que tant plus aggreable a Dieu, car elle seroit moins sujette a l'amour propre..

  A017001530 

 Croyesmoy, ma chere Fille, j'ayme parfaitement nostre pauvre petite Congregation, mays sans anxieté, sans [150] laquelle l'amour n'a pas accoustumé de vivre, pour l'ordinaire; mays le mien, qui n'est pas ordinaire, vit, je vous asseure, tout a fait sans cela, et avec une tres particuliere confiance que j'ay en la grace de Nostre Seigneur, que sa main souveraine fera plus pour ce petit et humble Institut que les hommes ne peuvent penser.

  A017001530 

 Et je suis, plus que vous ne sçauries croire, vostre..

  A017001538 

 Je vous voy, ma tres chere Fille, selon ce que vous m'escrives, toute jettee sur les espines.

  A017001538 

 O prenes courage, je vous en conjure; c'est la ou les lis aggreables a vostre Espoux croissent et se nourrissent mieux, et le mouton que Dieu volut luy estre immolé au lieu d'Isaac estoit arresté entre les espines.

  A017001538 

 Travailles fidelement, ma tres chere Fille, avec la pointe superieure de vostre volonté, parmi ces tenebres et secheresses; une once de l'ouvrage fait en cette sorte vaut mieux que cent livres de celuy qu'on fait entre les consolations et sentimens, et bien que celuy ci soit plus doux, l'autre neanmoins est meilleur..

  A017001539 

 J'appreuve bien que vous envoyes vostre filz faire la reverence a Son Excellence, puisque elle ne vous fait nulle response, ni a moy, a qui neanmoins ell'a respondu sur un'autre point dont je luy escrivois; et selon que vous la verres inclinee, vous pourres par apres recourir a Son Altesse, tandis que la memoire est fraische du defunct..

  A017001539 

 Je communiqueray de vostre affaire avec une bonne [151] cervelle et tres bonne conscience, et vous escriray son advis, combien que tous-jours il faille croire monsieur vostre neveu.

  A017001554 

 Au reste, il vous rendra tesmoignage de la santé de madame ma cousine et de tout ce que vous aves de plus cher de deça..

  A017001554 

 Ce porteur a esté le bien venu pour le contentement que [152] j'ay eu de sçavoir de vos nouvelles et le desir que j'aurois de servir son Ordre; mais il a si peu de lettres, que je ferois grande conscience de luy donner l'Ordre de prestrise sil n'estudie beaucoup davantage.

  A017001570 

 Il y a deux ans que par commandement de Vostre Altesse les Peres Barnabites ont esté receus en cette ville pour la direction du college, et ne se peut dire combien de fruit spirituel ilz y ont fait et en toute cette province; qui a donné un grand sujet aux gens de [153] bien de souhaiter plus ardemment toute sorte de prosperité a Vostre Altesse, de laquelle l'authorité nous avoit prouveus de ce bonheur..

  A017001571 

 Ce college est extremement pauvre pour la grandeur des charges qui y sont; et si on ne le secourt par addition de quelques revenus, ces bons Peres y vivront avec tant d'incommodités, que non seulement ilz ny pourront pas faire les progres que leur pieté et les necessités de ce païs requierent..

  A017001571 

 Mais, Monseigneur, puisque la providence de Vostre Altesse a planté ce bon arbre fruitier en cette province, c'est a elle mesme de l'arrouser, affin que, par la grace de Dieu, il puisse croistre.

  A017001573 

 L'un de ces prieurés s'appelle Silingie et l'autre Saint Clair, tous deux a une lieuë d'icy, fort propres [154] a l'intention que je represente a Vostre Altesse, laquelle je supplie tres humblement, et sous l'adveu de sa bonté je la conjure, par l'amour qu'elle porte au service de Dieu et de l'Eglise et par la paternelle affection qu'elle a envers ce païs, de vouloir estroittement embrasser et presser le bien de ce pauvre college, qui est au cœur de la Savoye et vis a vis, comme antagoniste, de celuy de Geneve, et qui est la premiere retraitte que cette venerable Congregation des Peres Barnabites a eue deça les monts, sous les favorables auspices de Vostre Altesse, laquelle en aura beaucoup de gloire en ce monde entre les serviteurs de Dieu, et en l'autre encor davantage entre les Anges et les Saintz de Paradis.

  A017001603 

 Combien suave a été pour moi la charité sainte de Votre Seigneurie Illustrissime, puisqu'elle a daigné garder le souvenir d'un [156] sujet aussi indigne que je le suis, et m'en donner un si précieux témoignage par le présent sacré des vénérables reliques du grand saint Charles, reçues par l'entremise de Monseigneur de Belley, Prélat de grande vertu.

  A017001604 

 Des grâces pour beaucoup de malades ont été obtenues au moyen de ses reliques; ce qui fait croire que Dieu veut que la vénération pour son Serviteur croisse et fleurisse de nos côtés..

  A017001604 

 Ici, en particulier, le jour de sa fête, Monseigneur l'Archevêque de Lyon qui m'avait favorisé de sa visite, prononça le sermon dans l'église de nos Pères Barnabites avec une telle éloquence apostolique, que tous nous en demeurâmes ravis de douceur et suavité; l'on ne saurait dire avec quelle satisfaction furent écoutées les louanges de ce Saint.

  A017001605 

 Si j'avais plus de connaissance et d'usage de la langue italienne et si je ne craignais de me rendre importun à Votre Illustrissime Seigneurie, je m'étendrais sur d'autres particularités; mais il est bien raisonnable que je demeure dans les termes du respect dû à sa très haute dignité.

  A017001615 

 Je me represente vostre lettre, ma tres chere Fille, en laquelle avec tant de sincerité vous me descrives vos [159] imperfections et vos peines, et voudrois bien pouvoir correspondre au desir que vous aves d'apprendre quelque remede de moy.

  A017001615 

 Mays, ni le loysir ne le permet, ni, comme je pense, vostre necessité ne le requiert pas; car certes, ma tres chere Fille, la pluspart de ce que vous me marques n'a point d'autre remede ordinaire que la suite du tems et des exercices de la Regie en laquelle vous vives.

  A017001616 

 En terre, il faut tous-jours combattre entre la crainte et l'esperance, a la charge que l'esperance soit tous-jours plus forte, en consideration de la toute puissance de Celuy qui nous secourt..

  A017001617 

 Voyés que la charité a troys parties: l'amour de Dieu, l'affection a soy mesme et la dilection du prochain.

  A017001619 

 En l'affection que vous deves avoir pour vous mesme, tenés vos yeux bien ouvertz sur vos inclinations desreglees pour les desraciner.

  A017001619 

 Sur tout, travaillés tant que vous pourrés pour fortifier la superieure partie de vostre esprit, ne vous amusant point aux sentimens et consolations, mays aux resolutions, propos et eslans que la foy, la Regie, la Superieure et la rayson vous inspireront..

  A017001620 

 Cela ne doit point estre combattu que par des eslans en Dieu, des diversions d'esprit de la creature au Createur, et avec de continuelles affections a la tres sainte humilité et simplicité de cœur..

  A017001620 

 Ne soyes point pleureuse ni plaignante; ne vous estonnes point de ces importunités et violences que vous sentés, que vous aves tant de peine a declairer.

  A017001621 

 Soyes bonne au prochain, et nonobstant les soulevemens et saillies de la colere, prononcés es occurrences fort souvent ces divines paroles du Sauveur: Je les ayme, Seigneur, Pere eternel, ces prochains, parce que vous les aymes, et vous me les aves donnés pour freres et seurs, et vous voules que, comme vous les aymes, je les ayme aussi.

  A017001622 

 Ma tres chere Fille, sçachés que j'ay une tres particuliere affection a vostre avancement, Dieu m'y ayant obligé..

  A017001631 

 Vrayement la moisson est bien grande; il se faut confier que Dieu donnera des ouvrieres.

  A017001641 

 Ainsy que je pensois vous renvoyer vos papiers [163] par mon laquay, ma tres chere Fille, ces deux cousins arriverent, qui en seront les porteurs.

  A017001641 

 J'ay consulté vostre affaire, et ay treuvé que le conseil de monsieur vostre neveu est extremement bon et quil le faut suivre, sinon que vous fussies fort asseuree quil n'y eut es biens de feu monsieur vostre mari que ce quil faut pour vos droitz, auquel cas il seroit plus court de les retenir pour iceux droitz et ne point faire heriter les enfans.

  A017001643 

 Ne faites pas semblant que je vous en aye adverti, mays je seray bien ayse que vous justifiies vostre bonne intention pour luy, attendu quil est si proche de vostre feu mari..

  A017001644 

 Au reste, ma pauvre tres chere Fille, entre les ennuys que vostre imagination vous fournit, jettes souvent vostre cœur entre les bras du cher Espoux nouveau; attachés vous comme un'esclave d'amour au pied de sa sainte Croix, et souvienne vous que bienheureux sont ceux qui n'ont rien, pourveu qu'ilz ayent ce grand Tout hors lequel tout n'est rien pour nous..

  A017001645 

 Si vous voules aller a Chamberi et y conduire le petit pour faire la reverence a M. le Marquis, peut [être] l'un de ces deux cousins fera bien l'office, ou avec vous ou sans vous, selon que vous aviseres..

  A017001647 

 De rechef, je vous salue de tout mon cœur, ma tres chere Fille, que je souhaite toute sainte en Nostre Seigneur..

  A017001659 

 Ne pensés pas, je vous prie, ma tres chere Niece, ma Fille, que ç'ayt esté faute de souvenance ou d'affection si j'ay tant tardé a vous escrire; car, a la verité, le bon desir que j'ay veu en vostre ame de vouloir servir fort fidellement Dieu, en a fait naistre un extreme dans la mienne de vous assister et ayder de tout mon pouvoir, laissant a part le devoir que je vous ay d'ailleurs et l'inclination que j'ay tous-jours eu pour vostre cœur, a cause de la bonne opinion que j'en ay des vostre plus tendre jeunesse..

  A017001660 

 Ah, que c'est une rare grace, ma chere Fille, de commencer a servir ce grand Dieu tandis que la jeunesse de l'aage nous rend susceptibles de toutes sortes d'impressions, et que l'offrande est aggreable, en laquelle on donne les fleurs avec les premiers fruitz de l'arbre!.

  A017001660 

 Or sus donq, ma chere Niece, il faut donq bien soigneusement cultiver ce cœur bienaymé et ne rien espargner de ce qui peut estre utile a son bonheur; et quoy que en toute sayson cela se puisse faire, si est-ce que celle ci en laquelle vous estes est la plus propre.

  A017001661 

 Et pour non seulement les conserver, mays les faire heureusement croistre, vous n'aves pas besoin d'autres advis que ceux que j'ay donné a Philothee dans le livre de l' Introduction, que vous aves; mais toutesfois, pour vous aggreer, je vous veux bien specifier en peu de paroles ce que je desire principalement de vous..

  A017001661 

 Tenés tous-jours ferme au milieu de vostre cœur les [166] resolutions que Dieu vous donna quand vous esties devant luy aupres de moy; car si vous les conservés en toute cette vie mortelle, elles vous conserveront en l'eternelle.

  A017001662 

 Or, je ne dis pas que si vous vous treuves en devotion pour communier tous les huit jours, vous ne le puissies faire, et sur tout, si vous remarques que par ce sacré mistere vos inclinations fascheuses et les imperfections de vostre vie s'aillent diminuant; mais je vous ay marqué de quinze en quinze jours affin que vous ne differies pas davantage..

  A017001663 

 Faites vos exercices spirituelz courtement et fervemment, affin que vostre naturel ne soit point difficile a vous y rendre par l'apprehension de la longueur, et que, petit a petit, il s'apprivoyse avec ces actes de pieté.

  A017001663 

 Or, pour le faire courtement, vous pourres en vous habillant remercier Dieu, par maniere d'oraysons jaculatoires, dequoy il vous a conservee cette nuict la, et faire encor le deuxiesme et le troysiesme point, non seulement en vous habillant, mays au lit ou ailleurs, sans difference de lieu ou d'actions quelcomques; puis, tout aussi tost que vous pourres, vous vous mettres a genoux et feres le quatriesme point, commençant a faire cet eslan de cœur qui est marqué: « O Seigneur, voyla ce pauvre et miserable [167] cœur.

  A017001663 

 » J'en dis de mesme de l'examen de conscience, que vous pouves faire le soir en vous retirant, par tout ou vous vous treuveres, pourveu qu'on face le troysiesme et quatriesme point a genoux, tandis qu'aucune maladie ne vous empesche..

  A017001664 

 Ainsy, en l'eglise, oyés la Messe avec une contenance d'une vraye fille de Dieu, et plustost que de vous relascher de cette reverence, sortés de l'eglise et vous en retirés..

  A017001667 

 Les aumosnes qui se font chez vous, soyent aussi faites par vous tous-jours, quand vous le pourres; car c'est un grand accroissement de vertu que de faire l'aumosne de sa main propre, quand il se peut bonnement faire..

  A017001668 

 Visités les malades de vostre bourgade fort volontier; car c'est une des œuvres que Nostre Seigneur regardera au jour du jugement..

  A017001670 

 Continués a beaucoup honnorer vostre beaupere, parce que Dieu le veut, le vous ayant donné pour second pere en ce monde; et aymés cordialement le mary, luy rendant, avec une douce et simple bienveuillance, tout le contentement que vous pourres; et soyés sage a supporter les imperfections de qui que ce soit, mais sur tout de ceux du logis..

  A017001671 

 Je ne voy pas pour le present que j'aye a vous dire autre chose, sinon que lhors que nous nous reverrons, vous me dires comme vous vous seres conduitte en ce chemin de devotion; et s'il y a quelque chose a adjouster, [168] je le feray.

  A017001671 

 Vivés donq toute joyeuse en Dieu et pour Dieu, ma tres chere Fille, ma Niece, et croyes que je vous cheris tres parfaitement, et suis infiniment, Madame,.

  A017001681 

 Je pensois vous envoyer mon laquay demain, ma tres chere Fille, pour vous respondre a souhait sur vos trois dernieres lettres; mays puisque ce garçon s'est presente, je m'en vay vous escrire sur tous les pointz que vous m'aves touchés..

  A017001682 

 Quant a la façon avec laquelle vous vous deves comporter en l'administration des biens delaissés par feu monsieur vostre mari (que Dieu absolve), monsieur de Charmoysi m'a dit que vous en avies pris toutes les resolutions convenables, et que vous feries un inventaire non solemnel pour plus grand esclarcissement de vos droitz, affin qu'a l'advenir rien ne vous fut imputé.

  A017001683 

 Pour les deux cens pistoles que monsieur le Marquis [169] avoit promis de faire payer, M. de Vallon m'a dit quil vous instruiroit de ce que Son Excellence a respondu; c'est a sçavoir, que maintenant il n'y a moyen, faute de finances.

  A017001683 

 Pour moy, je croy quil faudra obtenir une lettre de Son Altesse qui ordonne que cette somme soyt payee, non obstant le deces de celuy a qui il l'avoit ouctroyee.

  A017001684 

 Je dis a M. de Vallon que M. le Marquis d'Aix desiroit un des chevaux, et il me dit que la preference luy estoit deüe.

  A017001684 

 Le seigneur Roc ne pense pas de vous y pouvoir servir, Monseigneur de Nemours son maistre ne prenant des chevaux que grandement praetieux; toutefois, il fait estat de vous aller voir au premier jour..

  A017001684 

 Quant a M. de Saint Jeoire, sil vous asseure bien l'argent, je pense quil seroit bon de luy donner l'autre, car il sera difficile de treuver qui achette tout ensemble; joint que ce sont chevaux vieux, ainsy qu'on m'a dit, et desquelz l'entretien coustera beaucoup: de sorte qu'a la premiere rencontre d'un prix raysonnable que vous en feres, il sera bon de les vandre.

  A017001684 

 Sur ce point, il m'est venu en l'esprit d'ouvrir la lettre de M. de Vallon, et j'ay treuvé quil vous disoit du seigneur Roc ce que je vous allois escrire; de sorte quil ne sera pas besoin que vous envoyies encor a Grenoble pour cela.

  A017001695 

 J'en fay de mesme avec Son Altesse et Monseigneur le Prince, me treuvant obligé de leur tesmoigner la joye que j'ay en l'esperance de cette canonization.

  A017001695 

 Nos bons Peres d'icy ont esté d'advis que je fisse une [171] recharge a Son Altesse et a Messeigneurs les Princes, pour les affaires de Thonon; ce que je fay fort a propos, ce me semble, sur l'occasion que Monseigneur le Prince Cardinal m'a donnee de le remercier de l'advis qu'il m'a envoyé du bon commencement qu'il y a en la negociation faite pour la canonization du bienheureux Amé; car, d'autant que ce bienheureux Prince naquit a Thonon, je prens sujet de recommander l'introduction des Peres en ce lieu-la.

  A017001696 

 Que si vous mesme donnes les lettres, vous pourres adjouster que l'an passé, sur l'eminent danger auquel Thonon fut de la contagion, quand je dis a ce peuple la confiance qu'il devoit avoir aux prieres du bienheureux Prince, de la naissance duquel leur ville avoit esté honnoree, ilz en tesmoignerent tous un ressentiment et esperance extreme..

  A017001715 

 Nul, comme je pense, ne sçauroit desirer la perfection de ce saint project avec plus d'affection que moy, qui prevoy que tout ce peuple de deça en recevra une extreme consolation et un grand accroissement de devotion, mays specialement a Thonon, lieu de la naissance de ce saint Prince, ou l'annee passee, lhors des premieres apprehensions de la peste de Geneve, je remarquay un mouvement universel de confiance es intercessions de ce bienheureux ami de Dieu, lors que je leur representay le juste sujet qu'ilz en avoyent, pour lhonneur que leur air avoit eu d'avoir servi a la premiere respiration de ce grand Prince..

  A017001716 

 Et pleut a Dieu, que le tressaint Pere eût esté supplié d'accorder une troysiesme Messe solemnelle, avec l'Indulgence pleniere, pour ce lieu la, car je m'asseure qu'en cette contemplation, Sa Sainteté l'eut volontier accordee.

  A017001716 

 Mays puis que cela n'a pas esté fait, je veux esperer en la bonté et equité de Vostre Altesse, que nous ne serons pas laissés en oubli pour la distribution des medailles.

  A017001717 

 Vostre Altesse fera sans doute en cela un'oeuvre grandement aggreable a la divine Majesté, et laquelle il me semble que le bienheureux esprit du glorieux Prince Amé luy recommande des le Ciel tres saintement; estimant que, comme par ses prieres Dieu fortifia le cœur de Son Altesse pour establir la foy en ce lieu la, aussi, par ses merites, Dieu animera l'esprit de Vostre Altesse pour ayder efficacement a y bien establir la tressainte devotion par le moyen de ces bons Religieux, qui assisteront et arrouseront les vieux arbres affin quilz multiplient en fruitz de pieté, et esleveront les enfans comme jeunes plantes a ce que la posterité devance, s'il se peut, leurs prœdecesseurs, et sachent tant mieux reverer leur saint Prince Amé et obeir en toute sousmission au sceptre et a la coronne qu'il a laissé en sa serenissime Mayson, que Dieu veuille a jamais prosperer,.

  A017001732 

 Mays despuis, sont survenues des difficultés que nul ne peut surmonter que la pieté et le cœur invincible de Vostre Altesse, que j'implore, en toute humilité sous la faveur du glorieux et bienheureux Prince Amé, [177] qui nasquit en ce lieu, de la canonization duquel j'augure toute sainte prosperité a la coronne de Vostre Altesse, delaquelle je suis infiniment,.

  A017001732 

 Or, Monseigneur, pour la perfection de ce saint ouvrage, Vostre Altesse me commanda, il y a environ un an, de procurer l'introduction des Peres Barnabites en ce lieu, et cela reuscit par le moyen de la remise que la Sainte Mayson fit du prieuré de Contamine auxditz [176] Peres.

  A017001747 

 Je sçai que la charité et pieté de Vostre Altesse est bien ferme au projet que elle a pour l'introduction des Peres Barnabites a Thonon, a laquelle est attachee la conservation du prieuré de Contamine a la Sainte Mayson de ce lieu-la, pour l'usage et entretenement desditz Peres et de leur college.

  A017001747 

 Neanmoins, puisque c'est mon devoir, je fay de rechef ma tres humble supplication a Vostre Altesse pour ces mesmes fins, luy ramentevant seulement que Thonon est le lieu de la naissance du bienheureux Amé, de la prochaine canonization duquel je me res-jouis [178] infiniment, præsageant en icelle beaucoup de tressaintes benedictions sur la coronne qu'il porta en ce monde et sous laquelle il alla si heureusement estre coronné en l'autre..

  A017001760 

 Vous pouves jurer, ma tres chere Fille, en saine conscience, puisque ce que vous dites est vrayement vostre et que les juges ne vous peuvent demander le serment que pour les choses laissees par le mary, qui sont a luy; et vous n'estes aussi obligee de respondre que sur cela.

  A017001775 

 La sainteté de ces jours prochains m'excite a renouveler les vœux de mon obeissance envers Vostre Grandeur, et ceux de mes foibles prieres a Dieu pour la conservation et prosperité de vostre personne, Monseigneur, vous suppliant tres humblement d'accepter l'une et l'autre offrande et le tesmoignage que j'en fay sur ce papier, comme venant d'un cœur qui est invariable en la fidelité avec laquelle il veut et doit vivre a jamais,.

  A017001790 

 Despuis, j'apprens que le prieuré de Contamine est tres propre et sera tres utile a plusieurs choses; c'est pourquoy, plus tost que de le laisser eschapper, il seroit bon de tenter M. le Comte de Verrue, d'une petite pension jusques a cent pistoles..

  A017001809 

 Et en somme, de quel costé que je regarde ce dessein, je le treuve tout aymable, sans inconvenient et avec esperance de beaucoup de fruit..

  A017001809 

 Le desir ardent de la ville de La Roche, tesmoigné par les lettres ci jointes, a esté longuement desiré par moy qui ay tous-jours creu que si vous avies un convent en ce lieu la, vous en auries autant de contentement que de nul autre que vous puissies avoir de deça, puisque l'air y est extremement bon, le voysinage fertile et abondant en force bons villages, au passage de Thonon en [182] cette ville, esloigné de quatre lieües de tout autre convent de mendians, et ou, en verité, j'ay reconneu le peuple extremement enclin a la devotion.

  A017001810 

 A quoy la promptitude de la resolution sera fort utile, que, vous recommandant de rechef, je prie Dieu de favoriser, et de vous combler de bonheur selon les souhaitz, mon Reverend Pere, de.

  A017001827 

 Dites ce que vous aves veu, enseignés ce que vous aves ouÿ a Annessi.

  A017001827 

 Helas! cette racine est petite, basse et profonde; mais la branche qui s'en separera perira sans doute, sechera et ne sera bonne que pour estre coupee et jettee au feu.

  A017001827 

 Ma Fille, faites que cette lumiere vous serve pour toute vostre vie.

  A017001837 

 La charité et bonté que Vostre Altesse a tesmoignee envers ces bons peuples de deça, par le soin qu'elle a eu de faire reuscir les projetz de l'introduction de l'art de la soye en ces pais et des Peres Barnabites a Thonon, ne peut jamais estre asses dignement remerciee.

  A017001837 

 Mays, a la faveur de la sainteté de ce jour, j'en fay neanmoins tres humblement la reverence et l'action de graces a Vostre Altesse, la suppliant de continuer sa dilection et protection sur cette province, en laquelle l'avancement de la gloire de Dieu est de si grande consequence et plein de merite pour Vostre Altesse, que sa divine Majesté face a jamais prosperer es benedictions que luy souhaite,.

  A017001853 

 J'ay receu la lettre de Son Altesse, par laquelle elle tesmoigne d'aggreer que je face les sermons du Caresme venant a Grenoble, et ay veu par celle qu'il vous a pleu m'escrire, le soin que vous aves eü de lire ce que j'escrivois a sadite Altesse sur le sujet de la venue de Monseigneur l'Archevesque de Lyon en cette ville; dont je vous rens graces, Monsieur, d'autant plus affectionnement et humblement, que ces bons offices n'ont origine que de vostre bonté et courtoysie, laquelle je vous supplie de vouloir exercer en toutes telles occasions qui m'arrivent plus souvent que je ne desirerois pas, plusieurs Praelatz de France me faysant l'honneur de m'aymer et de me vouloir visiter, encor qu'ilz ne me connoissent pas, ains peut estre par ce qu'ilz ne me connoissent pas..

  A017001854 

 Et en verité, onques il ne m'est advenu d'avoir esté seulement essayé par homme qui vive, ni qui ayt esté, de ce costé lâ; qui me rend d'autant plus estonné quand on me dit que les visites de ces seigneurs ecclesiastiques sont considerees comme suspectes, ne pouvant seulement deviner ni pourquoy ni en quoy, puisque mesme je suis en toutes façons savoyard, et de naissance et d'obligation, qui n'ay, ni n'eu jamais, ni pas un des [186] miens, ni office, ni benefice, ni chose quelcomque hors de cet Estat, et qui ay vescu tellement lié aux exercices ecclesiastiques, qu'on ne m'a jamais treuvé hors de ce train, et qui suis meshuy tantost envielly dans la naturelle et inviolable fidelité que j'ay voüee et juree a Son Altesse..

  A017001855 

 Or, Monsieur, je vous donne la peine de lire tout ceci, affin que sil vous plait de me favoriser en ces occurrences, vous sachiés ces generalités de mes conditions, qui sont fondaments, comme je croy, bien solides pour bastir sur iceux les defenses dont j'auray besoin si ce malheur continue, qui m'a des-ja si souvent fasché, tous-jours sans ma coulpe, graces a Dieu, ainsy que le tems a fait voir, qui, de plus en plus, descouvrira l'invariable ingenuité et franchise que j'ay en mon devoir de sujettion naturelle envers la coronne sous laquelle je suis nay et nourri..

  A017001856 

 Tout cela, Monsieur, sont offices d'amitié, de civilité et de pieté rendus a la bonne foy par ces Praelatz, et que je ne puis empescher par aucune sorte de legitime prætexte, puisque je n'oserois seulement penser de leur faire semblant de la peine que mon esprit a dequoy leur visite me fait regarder.

  A017001856 

 Vostre charité, Monsieur, me protegera, sil luy plait, et je l'en conjure par celle de Nostre Seigneur, que je supplie vous estre propice et vous combler de ses benedictions, demeurant pour tous-jours,.

  A017001871 

 Je joins ma tres humble supplication a celle que monsieur le baron de Vilette vous va faire, puisque celuy le bien duquel elle regarde est egalement mon parent comme a luy.

  A017001871 

 Vostre Grandeur jugera bien que je voudrois avoir un plus aggreable sujet d'implorer sa bonté; mays puisque celluy ci me presse, je ne laisse pas de me confier en elle que je ne seray pas esconduit, selon lhonneur que j'ay d'estre avoué,.

  A017001885 

 Je receu l'autre jour une lettre de monsieur le Marquis d'Aix, par laquelle il me dit que le sieur Charriere se resoult a vous rendre toutes les satisfactions possibles, telles qu'elles seront advisees par ceux qui prendront la peine de vouloir terminer l'affaire; et que sur cela, il vous avoit fait prier de vouloir ouïr les propositions, selon que je luy avois fait entendre que vous les ouïries, et feries ce que vos principaux parens et amis vous conseilleroyent; qui est, a mon advis, ce que nous resolusmes lhors que nous eusmes le bien de vous voir.

  A017001885 

 Je vous supplie donq qu'il vous playse faire ainsy, puisque vous ne pouves jamais faillir de vous rapporter a vos amis, et que cela obligera quantité de personnes a croire de vostre cœur beaucoup de bien et les contentera.

  A017001886 

 Je pars, et vous escris ces quatre motz le pied a l'estrier, mais vous jugeres bien que c'est avec l'affection,.

  A017001899 

 Au demeurant, ma tres chere Mere, demeurés avec la paix et consolation de Nostre Seigneur; et moyennant sa grace, dans huit jours au fin plus tard je seray icy, d'ou pourtant je ne penseray jamais sortir tandis que Dieu m'y tiendra en moy mesme.

  A017001899 

 Vous mesme, ma tres chere Mere, sçavés bien que la sainte unité que Dieu a faite est forte plus que toute separation, et que les distances des lieux n'ont point de pouvoir sur elle.

  A017001907 

 C'est pour vous dire, ma tres chere Fille, que je vous escris sans loysir, et neanmoins je vous veux respondre aux deux questions que vous m'aves faites ci devant, car je voy bien que pour neant j'attens les commodités de mieux faire, puisque je suis destiné au continuel accablement du tracas..

  A017001907 

 Demain je vay consoler madame la Comtesse de Tornon sur le trespas de son mari, y estant obligé par le parentage qui est entre nous et par les obligations que j'ay a la memoire du decedé.

  A017001908 

 Les desirs de la premiere sorte s'expriment ainsy: Je desirerois de faire, par exemple, l'aumosne, mais je ne la fay pas, par ce que je n'ay pas dequoy.

  A017001909 

 Et ces desirs ne sont pas empeschés par l'impossibilité, mais par la lascheté, tiedeur et defaut de courage; c'est pourquoy ilz sont inutiles et ne sanctifient point l'ame, ni ne donnent nul accroissement de grace: dont saint Bernard dit que l'enfer en est plein..

  A017001910 

 Il est vray que pour l'entiere resolution de vostre difficulté il faut que vous remarquies quil y a des desirs qui semblent estre de la seconde sorte, qui sont toutefois de la premiere, comme au contraire il y en a qui semblent estre de la premiere et sont de la seconde.

  A017001910 

 Par exemple, nul serviteur de Dieu ne peut estre sans ce desir: O que je desirerois bien de mieux servir Dieu! helas! quand le serviray-je a souhait? Et par ce que nous pouvons tous-jours aller de mieux en mieux, il semble que les effectz de ces desirs ne sont empeschés que faute de resolution; mays il n'est pas vray, car ilz sont empeschés par la condition de cette vie mortelle, en laquelle il ne nous est pas si aysé de faire que de desirer.

  A017001911 

 Mays quand en particulier il se presente quelque occasion de profiter, et en lieu d'en venir a l'effect on en demeure au desir, comme par exemple: il se presente occasion de pardonner une injure, de renoncer a la propre volonté en quelque particulier sujet, et en lieu de faire ce pardon ou renoncement, je dis seulement: Je voudrois bien pardonner, mais je ne sçaurois; je voudrois bien renoncer, mais il ny a moyen; qui ne void que ce desir est un amusement, ains quil me rend plus coulpable d'avoir une si forte inclination au bien et ne la vouloir pas effectuer? Et ces desirs ainsy faitz semblent estre de la premiere sorte, et sont de la seconde..

  A017001912 

 Or, maintenant il vous sera aysé de vous resoudre, comme je croy; que sil vous reste quelque difficulté, escrives-la moy, et tost ou tard je vous respondray de tout mon cœur, qui est certes tout vostre, ma tres chere Fille.

  A017001913 

 Et lhors que les imaginations deshonnestes veulent naistre, il faut se revancher et destourner par des affections procedantes de la foy.

  A017001913 

 Par exemple: Mon Sauveur a esté crucifié, c'est une proposition de la foy; il suffit que je l'apprehende simplement, sans m'imaginer comme son cors pendoit sur la croix.

  A017001914 

 J'escriray un'autre fois a ma Seur Peronne Marie et puis a ma Seur Marie Aymee, et ce pendant je salue leur dilection, que je prie de me bien recommander a Nostre Seigneur, comm'aussi ma Seur Françoise Hieronime et toutes les autres Seurs que je cheris extremement en la Croix du Sauveur.

  A017001934 

 J'escriray ce soir a M. Bonfilz, par le seigneur [194] Roc, du sujet que vous desires, et parleray a M. de Monregard si tost que je pourray le voir.

  A017001934 

 Je fus lundi voir M me la Comtesse, marri de n'y treuver que ma chere filleule de chez vous.

  A017001934 

 M. de Galles, medecin de Sessel, m'a envoyé la lettre ci jointe que vous verres, comme aussi M. Guydeboys cett'autre..

  A017001935 

 En somme, ma Fille, croyes que je compatis avec vous, et me semble que quand vous aves du mal je l'ay avec vous.

  A017001935 

 Mays il se faut garder, tant que vous pourrés, de contrister personne par vos responses, ains il faut tascher de rendre rayson a un chacun des refus ou retardemens que vous estes contrainte de faire.

  A017001936 

 M. de Charmoysi est d'advis que vous venies faire vostre sejour en cette ville, et dit quil vous le signifia lhors quil vous vit, tant pour estre plus pres du filz, que pour avoir meilleur et plus promt advis es occurrences de vos affaires.

  A017001951 

 Il faut tenir bon en la douceur et cordiale civilité envers ceux qui demandent, et Dieu vous assistera et fera que vos affaires se demesleront honnestement et plus tost que vous ne sçaures esperer.

  A017001951 

 Je pense que vous aves bien fait de vandre le cheval, car c'est une dangereuse garde.

  A017001952 

 Vivés tous-jours toute a Nostre Seigneur, ma tres chere Fille, et me tenes pour tout vostre en luy, car je le suis plus que vous ne sçauries dire.

  A017001967 

 Les Peres Barnabites sont establiz a Tonon; reste de les y conserver, et pour cela il est requis que le prieuré de Contamine, sur lequel leur entretenement est principalement assigné, soit mis en asseurance pour eux et delivré de la conteste que le seigneur Abbé Scaglia en fait; ce que la prudence de Vostre Altesse fera fort aysement par les moyens convenables.

  A017001967 

 Les graces que la bonté de Vostre Altesse nous a faites me donnent confiance d'en requerir tous-jours des nouvelles, puisque mesme elles tendent toutes a la gloire de Dieu, que vostre pieté ne se lasse jamais de servir et accroistre.

  A017002003 

 J'envoie à Votre Seigneurie le Mémoire touchant le mode qui me semble plus convenable pour obtenir la conversion des hérétiques; toutefois, comme il présuppose de toute façon que les princes jouissent [198] de la paix, ce n'est pas le moment de le proposer: aussi, je vous demande que jamais personne ne sache que ce Mémoire est venu de moi.

  A017002003 

 La chose n'est pas considérable en soi, mais à ce que l'on me dit, elle ne laisse pas d'être difficile..

  A017002003 

 Mais avec Votre Seigneurie je traite en toute confiance, je ne voudrais rien vous céler; car, bien que je ne vous connaisse pas personnellement, votre zèle pour la religion catholique est si pur que je ne puis douter de votre charité.

  A017002003 

 Sur ce fondement, je viens supplier Votre très Illustre Seigneurie qu'elle daigne aider, voire même accomplir une œuvre de piété que je désire beaucoup, sans néanmoins savoir comment la faire réussir, n'étant guère connu en cette Cour.

  A017002004 

 En vérité, je puis dire qu'elles sont de très bonne édification pour tous et pour les hérétiques eux-mêmes, lesquels, voyant ou sachant comment elles vivent en cette Maison, confessent que leur genre de vie ne peut venir que de l'Esprit-Saint.

  A017002005 

 Or, Sa Sainteté a accordé à ces Dames et Sœurs certaines Indulgences, que je n'ai cependant pas voulu faire publier, parce qu'il [200] m'a semblé qu'elles avaient été concédées comme si cette Congrégation eût été une Association, Confrérie ou Compagnie de femmes vivant chacune dans sa maison; ce qui n'est pas, car elles demeurent au contraire toutes ensemble, avec une observance religieuse telle, qu'on ne saurait, même par la pensée, imaginer une fidélité plus pure et parfaite en chasteté, obéissance et pauvreté qui réduit tout en commun.

  A017002006 

 Dans ce but, je vous envoie une copie des Indulgences que je n'ai pas voulu faire publier et une copie de celles qu'on souhaite, avec un Mémoire de la fondation de cette pieuse Maison, afin que vous sachiez tout ce qui sera requis en cette affaire.

  A017002006 

 J'ajoute encore un point très important: cette [201] Congrégation, n'ayant pas les vœux solennels d'obéissance, chasteté et pauvreté, bien que ces trois vertus s'y observent strictement, n'est pas un Ordre religieux formel, mais une Congrégation d'Oblates.

  A017002006 

 Sa Sainteté aimerait peut-être qu'on en fît un Ordre religieux, avec l'obligation de la clôture selon les prescriptions du Concile de Trente; cela me serait très facile, pourvu qu'Elle voulût bien agréer que les choses fussent déterminées suivant le Mémoire..

  A017002007 

 Mais, que direz-vous, Monsieur, de ce que j'emploie votre charité avec tant de confiance? Dites hardiment, s'il vous plaît, que la charité supporte tout, fait tout et espère tout..

  A017002008 

 J'ai reçu jusqu'ici les soixante-quinze ducatons pour M. Desplans; [202] lorsque j'aurai reçu les vingt-cinq autres, j'enverrai une attestation de la réception et du déboursement que j'aurai fait de ces cent ducatons..

  A017002009 

 J'espère aussi que la Sérénissime Infante, duchessse de Mantoue, qui affectionne si fort la Congrégation, fera écrire à l'ambassadeur de Son Altesse de s'employer dans le même but.

  A017002009 

 J'oubliais de dire que j'écris à l'Illustrissime Cardinal Bellarmin et que nos Pères Barnabites écrivent également au Procureur général de leur Ordre, afin que, s'il en était besoin, ils aidassent pour l'affaire des Indulgences.

  A017002010 

 Je prends toutes ces mesures parce que M. Philippe de Quoex, [203] qui obtint ces Indulgences, nous manda de Rome qu'il était très difficile d'en obtenir d'autre façon.

  A017002011 

 La peste s'est de nouveau réveillée à Genève, tandis que tout le pays avoisinant n'est nullement atteint; aussi semble-t-il que Dieu veuille châtier ce peuple, ennemi de son saint nom.

  A017002022 

 Qu'il est bien raysonnable, ma tres chere Fille, que je vous escrive un peu; et que je le fay de bon cœur! Pleust a Dieu que j'eusse l'esprit necessaire a vostre consolation..

  A017002024 

 Mays, que sont ces vertus de l'esprit, ma chere Fille? C'est la foy, qui nous monstre des verités toutes relevees au dessus des sens; l'esperance, qui nous fait aspirer a des biens invisibles; la charité, qui nous fait aymer Dieu plus que tout et le prochain comme nous mesmes, d'un amour non sensuel, non naturel, non interessé, mays d'un amour pur, solide et invariable, qui a son fondement en Dieu..

  A017002025 

 Le sens humain veut avoir part en tout ce qui se passe, et il s'ayme tant, qu'il luy est advis que rien n'est bon s'il ne s'en est meslé; l'esprit, au contraire, s'attache a Dieu et dit souvent que ce qui n'est pas Dieu ne luy est rien, et comme il prend part aux choses qui luy sont communiquees, par charité, aussi quitte-il volontier sa part es choses qui luy sont celees, par abnegation et humilité..

  A017002025 

 Voyes vous, ma Fille, le sens humain appuyé sur la chair fait que maintes fois nous ne nous abandonnons pas asses entre les mains de Dieu, nous estant advis que, puisque nous ne valons rien, Dieu ne doit tenir conte [205] de nous, parce que les hommes qui vivent selon la sagesse humaine mesprisent ceux qui ne sont point utiles; au contraire, l'esprit appuyé sur la foy s'encourage emmi les difficultés, parce qu'il sçait bien que Dieu ayme, supporte et secourt les miserables, pourveu qu'ilz esperent en luy.

  A017002026 

 Une Seur est bien douce et aggreable, je la cheris tendrement; elle m'ayme bien, elle m'oblige fort, et je l'ayme reciproquement pour cela: qui ne void que je l'ayme selon les sens et la chair? car les animaux, qui n'ont point d'esprit et n'ont que la chair et les sens, ayment leurs bienfaiteurs et ceux qui leur sont doux et aggreables.

  A017002026 

 Une Seur est rude, aspre, incivile, mays, au partir de la, elle est tres devote et mesme desireuse de s'adoucir et civiliser; et je fay tout, non pour playsir que j'aye en elle ni pour interest quelcomque, mays pour le bon playsir de Dieu; je la cheris, je l'accoste, je la sers, je la caresse: cet amour est selon l'esprit, car la chair n'y a point de part..

  A017002027 

 Je suis une pauvre chetifve cadette qui, par ma condition naturelle, suis craintifve, honteuse et desfiante de moy mesme, et pour cela, je voudrois bien qu'on me laissast vivre selon cette inclination, a part, parce qu'il faut faire beaucoup de violence a cette honte impertinente que j'ay et a cette crainte superflue.

  A017002027 

 Qui ne void que c'est vivre selon l'esprit?.

  A017002027 

 Qui ne void que ce n'est pas vivre selon l'esprit? Non certes, ma chere Fille, car tandis que j'estois encor bien jeune et [206] n'avois pas encor d'esprit je vivois des-ja ainsy; mais, quoy que selon mon naturel je sois honteuse, craintifve, apprehensifve comme une taupe, neanmoins je me veux essayer de surmonter ces passions naturelles, et, petit a petit, faire tout ce qui appartient a la charge que l'obeissance procedante de Dieu m'a imposee.

  A017002028 

 Je suis triste, et partant je ne veux pas parler: les charretiers et les perroquetz font ainsy; je suis triste, mais puisque la charité requiert que je parle, je le feray: les gens spirituelz font ainsy.

  A017002028 

 Ma chere Fille, vivre selon l'esprit, c'est faire les actions, dire les paroles et faire les pensees que l'esprit de Dieu requiert de nous.

  A017002028 

 Vivre donq selon l'esprit, c'est faire ce que la foy, l'esperance et la charité nous enseignent, soit es choses temporelles, soit es choses spirituelles..

  A017002029 

 Soyes toute asseuree que Dieu vous aydera, reposes vous en toute occurrence entre les bras de sa misericorde et bonté paternelle.

  A017002039 

 Et par son advis, vous presenteres ces cahiers a monsieur Meschatin la Faye, vicaire general en l'archevesché de Lion, et a d'autres Docteurs; car, comme je me connois et suis tres fautif, et que j'ay peu [209] de loysir pour revoir mes petitz ouvrages, certainement je desire et supplie tres instamment qu'ilz soyent veus a loysir et charitablement examinés par les doctes serviteurs de Dieu..

  A017002050 

 Je me porte fort bien, ne sentant ni mal ni chose qui le ressemble; seulement, je me treuve tellement sans appetit, que n'ayant pris qu'un petit bouillon, je voudrois volontier ne rien prendre davantage aujourdhuy, me reservant toutefois de faire ce que ma chere Mere voudra, laquelle je conjure au nom de Dieu, qui sçait bien que je ne mens point, de ne point se mettre en peine de moy, car je me sers (sic) le mieux du monde, hors ce reume qui me fait tousser quelquefois..

  A017002060 

 Je vous escris sans loysir, seulement pour vous dire, ma tres chere Fille, que j'ay receu vos lettres.

  A017002060 

 Si vous venés pour toute cette semaine, ou du moins parmy les festes, je pense que vous treuveres M. Bonfilz; si moins, il me faudroit envoyer la cedule, et je verrois si je pourrois tirer le payement que vous desirés..

  A017002061 

 Des plus grans courages que le sien ont esté esbranlés en pareilles occasions; je ne treuve nullement estrange cette petite atteinte.

  A017002061 

 Helas, que je la regrette si elle se laisse emporter a cette bouffee de tentation! Mays il ne se faut pas haster, ains il luy faut, sil se peut, laisser autant rouler dans son ame la tentation avant que de l'advoüer, comme on luy a laissé ruminer l'inspiration avant que de la recevoir; et faut en cela user de charité et de dexterité a ne faire pas semblant de se desfier de sa perseverance.

  A017002079 

 Cela m'a donné la fievre encor ce soir, avec beaucoup d'inquietude; mais ce matin je me porte bien de tout le reste, hormis de la bouche, et en somme je sens perceptiblement que ceci n'est rien et, pour un peu de retraitte, j'en seray quite.

  A017002079 

 Elle consiste toute en ce que j'ay le palais de la bouche fort enflé, et qui me donne de la douleur quand je crache ou que j'avale.

  A017002090 

 Quand sera ce que cet amour naturel du sang, des convenances, des bienseances, des correspondances, des sympathies, des graces, sera purifié et reduit a la parfaite obeissance de l'amour tout pur du bon playsir de Dieu? Quand sera ce que cet amour propre ne desirera plus les presences, les tesmoignages et significations exterieures, ains demeurera pleinement assouvi de l'invariable et immuable asseurance que Dieu luy donne de sa perpetuité? Que peut ajouter la presence a un amour que Dieu a fait, soustient et maintient? Quelles marques peut on requerir de perseverance en une unité que Dieu a creee? La distance et la presence n'apporteront jamais rien a la solidité d'un amour que Dieu a luy mesme formé..

  A017002091 

 Quand sera ce que nous serons tous destrempés en douceur et suavité envers nostre prochain? Quand verrons-nous les ames de nos prochains dans la sacree poitrine du Sauveur? Helas! qui regarde le prochain hors [213] de la, il court fortune de ne l'aymer ni purement, ni constamment, ni esgalement; mays la, mays en ce lieu la, qui ne l'aymeroit? qui ne le supporteroit? qui ne souffriroit ses imperfections? qui le treuveroit de mauvaise grace? qui le treuveroit ennuyeux? Or, il y est ce prochain, ma tres chere Fille, il y est dans le sein et dans la poitrine du divin Sauveur; il y est comme tres aymé et tant aymable, que l'Amant meurt d'amour pour luy, Amant duquel l'amour est en sa mort et la mort en son amour..

  A017002099 

 Je sçai bien qu'il me faudra demeurer encor aujourd'huy en solitude et silence, et peut estre demain: si cela est, je prepareray mon ame, comme la vostre, ainsy que je vous dis..

  A017002100 

 Je veux bien que vous continuies l'exercice du despouillement de vous mesme, vous laissant a Nostre Seigneur et a moy.

  A017002100 

 O moy mesme, je te quitte pour jamais, jusques a ce que mon Seigneur me commande de te reprendre.

  A017002101 

 Encor ne faut il pas, s'il vous plaist, ma tres chere Mere, prendre aucune nourrice; ains, comme vous voyes, il faut quitter celle que neanmoins vous aures, et demeurer comme une pauvre petite chetifve creature devant le throsne de la misericorde de Dieu; et demeurer toute nue, sans demander jamais ni action ni affection quelcomque pour la creature, et neanmoins vous rendre indifferente a toutes celles qu'il luy plaira vous ordonner, sans vous amuser a considerer que ce sera moy qui vous serviray de nourrice; car, comme vous voyes, si vous prenies une nourrice a vostre gré, vous ne sortiries pas de vous mesme, ains auries tous-jours vostre conte, qui est neanmoins ce qu'il faut fuir sur toutes choses..

  A017002102 

 Ces renoncemens sont admirables: de sa propre estime, mesme de ce que l'on estoit selon le monde (qui n'estoit en verité rien, sinon en comparayson des miserables), de sa propre volonté, sa complaysance en toutes creatures et en l'amour naturel, et en somme tout soy mesme, qu'il faut ensevelir dans un eternel abandonnement, pour ne le voir ni sçavoir plus comme nous l'avons veu et sceu, ains seulement quand Dieu le nous ordonnera et selon qu'il le nous ordonnera.

  A017002109 

 O Jesus, que de benediction et de consolation a mon ame de sçavoir ma Mere toute desnuee devant Dieu! Il y a long tems que j'ay une suavité nompareille quand j'oys chanter ce respons: Nu je suis sorty du ventre de ma mere, et nu je retourneray la.

  A017002110 

 Il faut donq demeurer a jamais toute nue, ma tres chere Mere, quant a l'affection, bien qu'en effect nous nous revestions; car il faut avoir nostre affection si simplement et absolument unie a Dieu, que rien ne s'attache a nous.

  A017002110 

 O que bienheureux fut Joseph l'ancien, qui n'avoit ni boutonné ni aggrafé sa robbe, de sorte que, quand on le voulut attraper par icelle, il la lascha en un moment..

  A017002112 

 Je vous dis donq, ma chere Mere: que beni soit le Seigneur qui vous a despouillee! O que mon cœur est content de vous sçavoir en cet estat si desirable! et je vous dis comme il fut dit a Isaïe: Marchés et prophetisés toute nue ces troys jours.

  A017002112 

 Perseverés, en cette nudité, de demeurer aupres de Nostre Seigneur; il n'est plus besoin que vous facies des actes, s'il ne vous vient au cœur, ains que seulement vous chanties, si vous pouves, doucement le cantique de vostre nudité: Nue je suis nee du ventre de ma mere, et ce qui s'ensuit.

  A017002122 

 C'est la verité, il faut demeurer en cette sainte nudité jusques a ce que Dieu vous reveste.

  A017002122 

 Demeures la, dit Nostre Seigneur a ses Apostres, jusques a ce que d'en haut vous soyes revestus de vertu.

  A017002123 

 Ma tres chere Mere, il est vray, vostre imagination a tort de vous representer que vous n'aves pas osté et quitté le soin de vous mesme et l'affection aux choses spirituelles; car n'aves vous pas tout quitté et tout oublié? Dites ce soir que vous renonces a toutes les vertus, n'en voulant qu'a mesure que Dieu vous les donnera, ni ne voulant avoir aucun soin de les acquerir qu'a mesure que sa Bonté vous employera a cela pour son bon playsir..

  A017002124 

 Ce qu'il faut que vous facies, ne le faites plus parce que c'est vostre inclination, mais purement parce que c'est la volonté de Dieu..

  A017002124 

 N'ayes plus d'autres bras pour vous porter que les siens, ni d'autre sein pour vous reposer que le sien et sa providence; n'estendes vostre veuë ailleurs et n'arrestes vostre esprit qu'en luy seul; tenes vostre volonté si simplement unie a la sienne en tout ce qu'il luy plaira faire de vous, en vous, par vous et pour vous, et en toutes choses qui sont hors de vous, que rien ne soit entre deux.

  A017002124 

 Ne penses plus ni a l'amitié ni a l'unité que Dieu a faite entre nous, ni a vos enfans, ni a vostre cors, ni a vostre ame, en fin a chose quelcomque; car [218] vous aves tout remis a Dieu.

  A017002125 

 Ce matin j'ay fait commencement a ma reveuë, que j'acheveray demain.

  A017002132 

 Et prenés courage, car s'il vous a [219] desnuee des consolations et sentimens de sa presence, c'est affin que sa presence mesme ne tienne plus vostre cœur, mays luy et son playsir; comme il fit a celle qui, le voulant embrasser et se tenir a ses pieds, fut renvoyee ailleurs: Ne me touche point, luy dit il, mais va, dis le a Simon et a mes freres.

  A017002132 

 Je n'escris pas, non, car apres le repas cela ne se doit pas, ma tres chere Mere; mais je vous donne tres affectionnement le bon soir, priant Dieu que, vous ayant reduit a l'amiable tressainte pureté et nudité des enfans, il vous prenne meshuy entre ses bras comme saint Martial, pour vous porter a son gré a l'extreme perfection de son amour.

  A017002133 

 Cette Bonté ne veuille plus permettre que j'aye si peu de sainteté en une profession et en un aage ou j'en devrois tant avoir.

  A017002140 

 Que s'il ne vous delivre pas si tost de vos imperfections, c'est pour vous en delivrer plus utilement et vous exercer plus longuement en l'humilité, affin que vous soyes bien enracinee en cette chere vertu..

  A017002141 

 Mays neanmoins, ce divin Sacrement est principalement institué affin que nous receussions le cors et le sang de nostre Sauveur, avec sa vie vivifiante: comme les habillemens couvrent principalement le cors de l'homme, mais parce que l'ame est unie au cors, ilz couvrent par consequent l'ame, l'entendement, la memoire et la volonté.

  A017002141 

 Qui reçoit la tressainte Communion, il reçoit Jesus Christ vivant: c'est pourquoy son cors, son ame et sa divinité sont en ce divin Sacrement; et d'autant que sa divinité est celle la mesme du Pere et du Saint Esprit, qui ne sont qu'un seul Dieu avec luy, qui reçoit la tressainte Eucharistie reçoit le cors du Filz de Dieu et, par consequent, son sang et son ame, et par consequent, la tressainte Trinité.

  A017002142 

 Ma chere Fille, ces divins Espritz vous apprendront comme vous feres pour bien celebrer ces jours solemnelz, et sur tout l'amour interieur qui vous fera connoistre combien est grand l'amour de nostre Dieu qui, pour se rendre plus nostre, a voulu se donner en viande pour la santé spirituelle de nos cœurs, affin que, les nourrissant, ilz fussent plus parfaitz..

  A017002152 

 En sorte que celles qui communient plus souvent n'estiment pas moins les autres qu'elles, puisqu'on s'approche maintes fois plus pres de Nostre Seigneur en s'en retirant avec humilité, qu'en s'en approchant selon nostre goust propre; et celles qui ne communient pas si souvent, ne se laissent point emporter en la vaine emulation.

  A017002152 

 Il est vray qu'il ne faut pas permettre que la Regie soit outrepassee, sinon rarement, et pour des sujetz pareilz a celuy cy..

  A017002152 

 Il les faut affermir, s'il est possible, a ne vouloir pas toutes faire tout ce que les autres font, ains seulement a vouloir tout ce que les autres veulent: c'est a dire, a ne faire pas toutes les mesmes exercices, fors ceux de la Regie, ains que chacune marche selon le [222] don de Dieu; mais que toutes ayent cette unique et simple pretention de servir a Dieu, ayant ainsy toutes une mesme volonté, une mesme entreprise, un mesme projet, avec une grande resignation d'y parvenir une chacune selon les moyens que la Superieure et le Pere spirituel jugeront expediens.

  A017002153 

 Ma tres chere Fille, que nous serons heureux si nous sommes fideles! Man ame salue cordialement vostre esprit, que Dieu benisse de sa tressainte main.

  A017002162 

 Je m'asseure que M. Flocard vous fera response.

  A017002163 

 Voyla le monitoire que vous desiries.

  A017002164 

 M me du Chastelard est a la Visitation, qui proteste grandement de n'avoir jamais eu un seul brin de pensee contraire a la sainte inspiration qu'elle avoit eue et laquelle elle sent plus forte que jamais; et vrayement, c'est une bonne ame qui est en une bonne voye.

  A017002166 

 Je m'asseure que nostre Mere vous escrira qu'il faut faire traitter Charles par les medecins, affin que l'enfleure de son ventre ne prenne pas suite; pour le reste, il se porte bien..

  A017002175 

 Et en ce cas, bien que je serois tous-jours marri de la voir un peu ravalee de son plus parfait dessein, si est ce que je ne laisserois pas de l'aymer tres cherement, et il me sera toute ma vie impossible de m'empescher de l'affectionner parfaitement en Nostre Seigneur..

  A017002175 

 Quant a la chere fille, je ne m'en metz pas fort en peine, quoy que je luy desire fort le bonheur auquel elle a esté appellee; car d'un costé, j'espere que Dieu luy redonnera le courage necessaire a l'execution de son inspiration, n'estant pas grande merveille que son ame se soit un peu ralentie parmi les tracas que les mondains luy ont donné, et qu'elle se soit ressentie de la commune condition de l'esprit humain, sujet a la tentation de varier et chanceler lhors quil donne loysir a l'ennemi de l'attaquer; et d'autre part, sil arrivoit que la tentation l'emportast, j'espere qu'elle ne l'emporteroit jamais du tout hors de la resolution qu'ell'a faite de servir fort affectueusement Dieu.

  A017002176 

 Mays, comme je vous dis, si les plus fortz espritz, lhors qu'ilz different beaucoup l'execution de leurs bonnes resolutions, sont tentés de les quiter, il ne faut pas s'estonner que cette chere fille ayt esté touchee de cette attaque, a laquelle j'ay neanmoins bonne esperance qu'elle ne cedera pas enfin; ains, ayant un peu repris haleyne, elle viendra plus forte, plus resolue et plus ardente que jamais.

  A017002188 

 Je vous remercie bien humblement de la souvenance que vous aves de moy, tesmoignee par vostre lettre et vostre beau present, lequel certes, estant de prix, j'ay disputé en mon esprit si je devois l'accepter; et ne l'eusse nullement fait, si ce n'eut esté de peur de contrister vostre charité, laquelle neanmoins en cela je treuve excessive et vous supplie de la moderer, au moins envers moy, qui, au demeurant, vous porteray a jamais dedans mon esprit pour vous souhaiter le comble de toutes benedictions, et a tout ce que vous cherisses le plus..

  A017002207 

 Je ne pense pas quil fust a propos de faire cette premiere veuë ainsy courtement, outre que ces filles ne font quasi que de partir d'icy, ou elles ont demeuré 15 jours, et chacun voudroit sçavoir le pourquoy de leur retour; et puisque vous reviendres icy bien tost, nous en parlerons avec la Mere, et on verra ce qui sera plus expedient..

  A017002224 

 Voyla la Preface et le projet de l'Orayson: voyes la et me la renvoyes; que je l'aye a un' heure et demi pour le plus tard, affin que je la face transcrire.

  A017002234 

 Penses, ma bien chere Mere, si je fus hier bien mortifié que n'eu pas seulement le loysir de vous envoyer un petit bon soir.

  A017002234 

 Que sil ne se peut bonnement, renvoyes moy, et je vous prouvoyeray bravement, et, tout au fin pis, ce sera d'un pauvre Evesque que vous aymes comme vous mesme; aussi est il en tout, vostre..

  A017002244 

 Je croy bien quil se pourra faire que M lle de Chantal vienne quand on vestira M lle d'Avise, et seroit a propos de faire la veue; mays je n'ay point veue (sic) nostre Mere despuis vostre depart qu'une seule fois a la Messe, et je luy parleray et vous advertiray asses a tems.

  A017002245 

 Je ne receu qu'hier bien tard vostre lettre et celle de monsieur de Mont Saint Jean, et des-ja l'autre jour que nostre Mere me le fit sçavoir, je luy escrivis en un billet ce quil me sembloit estre a propos de respondre, et je croy qu'elle vous l'aura communiqué..

  A017002259 

 Ce pendant, escrives moy vostre conception, affin que je face repartir le laquay, lequel est arrivé tandis que j'estois occupé parmi cetté bonne compaignie que nous avons eu a disner..

  A017002259 

 Or, elle m'en escrit comme si je luy avois promis quelque chose, ou qu'elle se fut fort avancee avec moy en paroles; et il y a au fin moins 6 moys que je n'en ay rien appris.

  A017002259 

 Toutefois je ne sçai que luy dire sur sa proposition, si vous ne le me dites.

  A017002259 

 Vous verres par ces deux lettres le petit empressement que M me de la Flechere a pour marier son neveu a nostre fille; il luy est advis qu'il ne faut qu'estre filz de nostre Mere pour estre bien heureux.

  A017002260 

 Je ne sçai si M me de la Forest vous aura point parlé de ces amours que la bonne seur affectionne si fort..

  A017002271 

 Je fus certainement consolé, ma tres chere Seur, de la lettre que vous m'escrivistes l'autre jour, y voyant de [232] bonnes marques du desir que vous aves d'aymer Dieu de toute vostre ame.

  A017002271 

 Que vous puis-je dire, sinon que vous perseveries a desirer l'amour qui ne peut jamais estre asses desiré, estant infiniment desirable?.

  A017002272 

 Neanmoins, ma chere Seur, vous pourres utilement repeter souvent la priere de ce Penitent qui disoit: Seigneur, laves moy davantage de mon iniquité et me nettoyes de mon peché; pourveu que ce soit avec une vraye et simple confiance en cette souveraine Bonté, vous asseurant que sa misericorde ne vous manquera pas..

  A017002272 

 Pour l'absolution de vos pechés de tant d'annees que vous me demandies, ma tres chere Fille, vous deves sçavoir que Dieu, par sa bonté, les aura effacés au mesme instant que vous luy voulustes donner vostre cœur, par la resolution que son inspiration vous fit prendre de ne vivre plus que pour luy.

  A017002273 

 Soyes donq bien toute a Dieu, marches en simplicité dans le chemin ou la Providence vous a mise; elle vous tiendra de sa main et vous conduira au port que vous desires de l'aymable eternité, pour laquelle vous aves esté creee.

  A017002283 

 Et vous treuveres les lettres et la Præface mesme de longue datte, par ce que tout estoit prest des la veille de saint Pierre, que le mesme voiturin devoit partir, mais alla despuis retardant jusques a mardi passé; et si j'eusse treuvé commodité plus tost, la chose eut encor esté plus avancée.

  A017002283 

 Je suis marri de la peine en laquelle monsieur Rigaud s'est mis pour la Præface, que je m'asseure vous aurés recëue des maintenant par un voiturin qui porte une charge de soye a M. Magnin, qui m'a promis de faire rendre le paquet soudain quil seroit arrivé.

  A017002283 

 Mays ce que monsieur Rigaud m'avoit assigné la fin de l'impression au 20 de ce moys, m'a empesché d'aller plus viste; mays il me pardonnera bien cette faute..

  A017002284 

 Et a propos de faute, il y en a deux notables au livre, dont l'une est de l'imprimeur, qui a obmis une ligne entiere; l'autre est de moy, qui ne sçai ou j'avois l'esprit quand j'escrivis les [quatre] vers [qui sont] en la page 725, ligne 8, desquelz je vous envoye la correction, et vous prie qu'en toute façon on les oste pour y mettre [234] ceux que je vous envoye; car ces vers ainsy quilz sont, sont capables de fascher plusieurs lecteurs et les degouster..

  A017002289 

 Il y a bien quelques autres-fautes, mais il en faut remettre la correction a la 2 e impression que, Dieu aydant, l'on fera..

  A017002290 

 Salues bien fort monsieur Rigaud, lequel, quoy que je desire bien de voir pour l'amitié quil me porte, neanmoins je ne voudrois pas d'ailleurs quil prit la peine de venir, de peur de son incommodité..

  A017002291 

 Nous vous attendrons donq dans dix ou douze jours, et nos cheres Seurs, que je salue de tout mon coeur..

  A017002292 

 Je voudrois bien avoir un livre intitulé: Adagia [235] sacra Martini del Rio, Societatis Jesu; je croy que M. Cardon les a imprimés..

  A017002293 

 J'ay sceu la courtoysie que M. Rigaud use a l'endroit des serviteurs de ceans; cela m'oblige fort, mais j'ay peur quil n'en face trop, et cela me tiendra retenu a ne demander pas certains autres livres que je desirois, lesquelz je ne sçaurois pas cotter par ce que je ne sçai pas leur tiltre, dautant que ça esté le P. Grangier qui m'en a donné l'envie lhors quil passa icy..

  A017002295 

 Je vous escrivis pour avoir un petit Combat spirituel [236] de ceux qui sont imprimés a Paris, par ce que tout y est, car si ilz estoit (sic) imprimés a Lyon avec tout le mesme, ce me seroit tout un..

  A017002296 

 Si monsieur de Medio n'avoit pas achetté les litz pour mes nieces, je le prie de ne les pas achetter encor jusques a ce que je luy escrive.

  A017002297 

 A cett' intention, je vous envoye une lettre pour luy, que monsieur de Medio prendra la peine de luy faire tenir.

  A017002297 

 Je voudrois bien que l'on envoyast de ma part un livre a Monseigneur de Vienne, mon Archevesque, car il prendroit avec rayson en mauvaise part si, luy estant ce que je luy suis, je ne luy en offrois pas un.

  A017002297 

 Pour les autres a qui je desire qu'on en presente, comme la [237] Reyne et quelques Princesses, cela se fera a loysir, et suffit que ce soit avant que ces Traittés se publient a Paris..

  A017002333 

 Nous avons, tant ici qu'à Lyon, deux Congrégations de vierges [239] et de veuves qui, bien que méritant plus exactement le nom d'Oblates que celui de Religieuses ou de Moniales, ne laissent pas de pratiquer très saintement la chasteté et la céleste pureté, d'embrasser en toute simplicité l'obéissance et de suivre très religieusement la pauvreté.

  A017002333 

 Sans que leur Règle les assujetisse à la clôture, la ferveur de leur âme la leur fait observer presque perpétuelle, car il leur faut des raisons très graves et très saintes pour mettre le pied hors de leur maison.

  A017002335 

 Et comme l'Archevêque faisait remarquer l'avantage qu'il y aurait à les amener tout d'abord à embrasser une Règle religieuse parmi celles que l'Eglise a approuvées, avec la clôture et les vœux solennels, je me suis, moi aussi, facilement rallié à cette opinion, tant à cause de l'autorité particulière qu'a sur moi ce grand personnage, de son expérience et de sa piété bien connues de tous, qu'à cause de la gloire attachée à ce titre d'Ordre religieux dont il semble que ces Congrégations, d'ailleurs très pieuses, recevraient un grand lustre.

  A017002335 

 Et nous étant mis à l'œuvre, ce fut merveille que la douce et facile inclination de cœur vers l'obéissance que nous rencontrâmes chez les Sœurs..

  A017002336 

 Les devoirs religieux qui remplissent leur vie n'ont que trois [241] particularités, mais qui leur tiennent extrêmement à cœur, et dont la concession par le Siège Apostolique enlèverait à ce changement d'état tout ce qu'il pourrait avoir de dur ou d'amer.

  A017002336 

 Or, ces particularités sont de telle nature, qu'à mon avis, elles ne s'opposent nullement à la clôture et à l'état religieux des Instituts de femmes, et que, si nous en croyons les gens les plus au courant de notre situation en France, elles y auraient pour effet, non d'amoindrir la piété, mais plutôt de l'exciter grandement..

  A017002337 

 C'est en effet une grande pitié que la prononciation que l'on entend dans la plupart des monastères de femmes, et dont l'étrangeté va jusqu'à exciter le rire chez des auditeurs d'ailleurs bien disposés, et la moquerie, sinon le scandale, chez les demi-savants et les hérétiques..

  A017002337 

 Cela est d'autant plus digne d'être pris en considération, que, de toutes les femmes du monde entier, il n'en [242] est point qui prononcent le latin aussi défectueusement que les françaises, à qui il serait vraiment impossible, dans une telle variété d'Offices, de Leçons et de Psaumes, d'observer exactement les lois de l'accentuation et de la prononciation.

  A017002338 

 Un second point, c'est la permission qu'elles accordent à des veuves de venir, pendant des années parfois, habiter avec elles, en costume séculier, très modeste il est vrai, pour se livrer aux pieux exercices de la Congrégation; et cela, non pas sans doute à toutes les veuves, mais à celles-là seules qui, désireuses d'entrer en Religion, et, en attendant, songeant d'une manière sérieuse à donner congé au siècle et aux sollicitations matrimoniales, cherchent prudemment à cacher ce trésor de la chasteté, qu'elles portent dans des vases fragiles, de crainte que, le portant en leurs mains sous le regard des enfants des hommes, elles ne l'exposent à devenir la proie des voleurs.

  A017002339 

 Elle présente même beaucoup moins de péril que celle qui, dans la plupart des monastères les plus pieux, permet aux Sœurs converses d'aller et de venir pour des raisons d'affaires; et la difficulté n'y est guère plus grande que dans la coutume, pourtant généralement admise, de recevoir des jeunes filles dans les monastères pour y faire leur éducation.

  A017002339 

 Et voici la raison de ce désir: telle est, dans ces pays-ci, la liberté hardie des hommes à harceler les veuves, même les plus pieuses, de leurs conversations et provocations mondaines, que celles qui veulent pratiquer la véritable viduité, ont de la peine à le faire en toute sécurité; à quoi on obvie très heureusement par ce moyen.

  A017002339 

 L'obéissance et la clôture presque complète à laquelle ces veuves s'astreignent (car à peine leur arrive-t-il de sortir une ou deux fois par an pour régler leurs affaires domestiques), nous autorisent à croire que la pratique dont nous parlons, loin d'avoir des inconvénients, offre au contraire plusieurs avantages.

  A017002340 

 Quels fruits abondants produit cette sainte et courte hospitalité, on ne saurait assez le dire; car ce n'est pas là seulement une question de repos, mais de condescendance au sentiment de pudeur, de réserve et d'honnêteté, naturel à leur sexe, que l'on ménage en les mettant en rapport avec leurs confesseurs par une petite fenêtre munie d'un treillis de fer, pratiquée tout exprès pour les confessions des Sœurs; là, elles reçoivent des enseignements salutaires qu'elles peuvent ensuite, avec quelqu'une des Sœurs, méditer à loisir..

  A017002341 

 Or, s'il existe des raisons de piété qui autorisent les femmes à franchir de temps en temps la clôture des couvents de Religieuses (et il en existe), il convient de compter ces deux-là parmi les [245] principales, à condition toutefois qu'on n'en use qu'avec l'approbation écrite de l'Ordinaire ou de son vicaire général, et pour autant que ces pratiques ne porteront aucun préjudice à la discipline régulière.

  A017002341 

 Que s'il est permis de tirer du passé des conjectures pour le présent et pour l'avenir, il n'est certainement rien de plus saint, rien de plus utile; aussi faut-il espérer que, n'ayant eu jusqu'à ce jour que les plus heureux résultats, il en sera de même dans la suite..

  A017002342 

 Pour moi, très éminent Cardinal, c'est à votre unique intercession que j'ai [246] recours.

  A017002342 

 Vous êtes, en effet, le seul membre de cet auguste Collège apostolique que j'aie l'honneur de connaître; et étant à même d'apprécier parfaitement nos affaires de ce côté des Alpes, vous pouvez faire entendre aux autres que le progrès des choses divines doit être procuré, ici d'une manière, là d'une autre, selon les différences de mœurs et de pays.

  A017002374 

 Nous possédons ici une Congrégation de veuves et de vierges qui, bien qu'elles semblent être en vérité plutôt des Oblates que des Moniales proprement dites, respirent pourtant une telle piété, que je ne crains pas d'en dire ce que saint Grégoire de Nazianze affirmait jadis de leurs pareilles: N'ayant dans mon diocèse qu'un petit nombre de ces femmes, je suis tellement fier et joyeux de posséder ces célestes et très belles étoiles du Christ, que, pour l'excellence de la vertu, je ne redouterais pas la comparaison de ma petite troupe avec d'autres bien plus nombreuses..

  A017002375 

 Et elles embrassent [249] d'une telle ardeur la modestie, la réserve chrétienne que, bien que non obligées à la clôture par une Règle, elles n'en gardent pas moins, par suite de leur ferveur d'esprit, une clôture presque perpétuelle.

  A017002380 

 Le second usage est qu'elles permettent parfois à des veuves d'habiter chez elles, même durant plusieurs mois; à des veuves, dis-je, qui, voulant être des veuves véritables, cherchent à cacher, pendant quelque temps, pour dire adieu au monde et aux solliciteurs en mariages, le trésor qu'elles portent dans des vases d'argile; de peur que, le portant dans leurs mains, au vu de tous, il ne leur arrive d'en être dépouillées par des larrons.

  A017002383 

 J'ai proposé tout ceci parce que, si, tout en maintenant ces diverses prescriptions, le Souverain Pontife voulait qu'elles se constituassent en Ordre religieux, je réaliserais facilement son désir en les soumettant à la Règle de saint Augustin et en les réduisant à la clôture selon l'esprit du Concile de Trente..

  A017002384 

 Que du moins Sa Sainteté, qui a la charge de tous et doit se faire tout à tous, daigne leur accorder des Indulgences et en enrichir leur église; qu'Elle daigne les encourager à progresser dans la piété par sa paternelle et Apostolique Bénédiction; car la plupart de ces femmes et de ces vierges sont de haute noblesse et issues de parents [253] illustres, et cette Congrégation tout entière est respectée des hérétiques eux-mêmes, tant sa piété sait triompher de l'obstination des ennemis même de la piété..

  A017002393 

 La longueur du tems que monsieur vostre pere a vescu et les dernieres langueurs qui vous ont, il y a quelque tems, annoncé son trespas et menacé de son absence future, vous auront donné sujet de vous resoudre en la perte du bonheur que vous avies de le sentir encor [254] en ce monde; car en somme, puisque nul n'est exempt de la mort, la plus favorable condition que nous puissions avoir d'elle, c'est quand elle nous laisse longuement jouïr de ceux a qui nous appartenons..

  A017002394 

 Pour moy, je ne veux point icy user des termes ordinaires avec vous; le lien qui me tient attaché a vostre amitié et service vous servira de gage et d'asseurance que je rendray bien mon devoir a prier pour le defunct et honnorer sa memoire, et, quant au reste, je suis,.

  A017002406 

 Ces bonnes Seurs de la Visitation qui iront la commencer une nouvelle Congregation, ne pourront qu'estre [255] grandement consolees, puisque vous les protegeéres au nom de Monseigneur l'Archevesque de Lyon, par l'authorité episcopale; et loue Dieu de l'affection que vous tesmoignes a ce bon œuvre, duquel j'espere que vous aures contentement.

  A017002407 

 Cependant je vous rens graces des belles oraysons que vous m'aves communiquees, et du tiltre des beaux livres que vous aves ornés de vostre labeur, lesquelz je m'essayeray de voir, et, en correspondant a vostre dilection, tesmoigner, si jamais j'en ay le pouvoir, que je suis,.

  A017002421 

 Puisque Monseigneur de Lyon vous a establi son vicaire pour l'establissement et le progres de la Congregation de la Visitation de Moulins, c'est donq a vous, Monsieur, que j'addresse ces quatre lignes, affin que sous vostre authorité spirituelle, elles servent a ce dessein Dieu, qui, comme je l'espere, benira leur bonne volonté et leur desir....

  A017002430 

 Le service que vous alles rendre a Nostre Seigneur et a sa tres glorieuse Mere, est apostolique; car vous alles [258] assembler, ma tres chere Fille, plusieurs ames en une Congregation, pour les conduire, comme une nouvelle bande, a la guerre spirituelle contre le monde, le diable et la chair, en faveur de la gloire de Dieu; ou plustost, vous alles former un nouvel essaim d'abeilles qui, en une nouvelle ruche, fera le mesnage du divin amour, plus delicieux que le miel..

  A017002431 

 C'est, en un mot, le grand mot de vostre affaire, de ne jamais employer vostre esprit pour disputer en faveur de la tentation du descouragement, sous quel pretexte que ce soit, non pas mesme quand ce seroit sous le specieux pretexte de l'humilité..

  A017002431 

 Quand est ce qu' aucun espera en Dieu et qu'il fut confus? La desfiance que vous aves de vous mesme est bonne tandis qu'elle servira de fondement a la confiance que vous deves avoir en Dieu; mais si jamais elle vous portoit a quelque descouragement, inquietude, chagrin et melancholie, je vous conjure de la rejetter comme la tentation des tentations; et ne permettes jamais a vostre esprit de disputer et repliquer en faveur de l'inquietude ou de l'abbattement de cœur auquel vous vous sentires penchee, car cette simple verité est toute certaine: que Dieu permet arriver beaucoup de difficultés a ceux qui entreprennent son service, mays jamais pourtant il ne les laisse tomber sous le faix tandis qu'ilz se confient en luy.

  A017002432 

 La sainte humilité est grande partisane de l'obeissance, et comme elle n'ose jamais penser de pouvoir chose quelcomque, elle pense aussi tous-jours que l'obeissance peut tout; et comme la vraye simplicité refuse humblement les charges, la vraye humilité les exerce simplement..

  A017002434 

 Cette egalité d'humeur, cette douceur et suavité de cœur est plus rare que la parfaite chasteté, mais elle n'en est que plus desirable.

  A017002434 

 Il y avoit dix vierges, et n'y en avoit que cinq qui eussent l'huyle de la douceur misericordieuse et debonnaireté.

  A017002434 

 Je la vous recommande, ma tres chere Fille, parce qu'a icelle, comme a l'huyle de la lampe, tient la flamme du bon exemple, n'y ayant rien qui edifie tant que la charitable debonnaireté..

  A017002435 

 Tenes bien la balance droitte entre vos filles, a ce que les dons naturelz ne vous facent point distribuer iniquement vos affections et bons offices.

  A017002436 

 Il sera a vostre dextre, affin que nulle difficulté ne vous esbranle; il vous tiendra de sa main, affin que vous suivies sa voye.

  A017002444 

 Alles joyeusement donq, et, telle que vous estes, offres-vous humblement a ce saint service de Nostre Seigneur..

  A017002445 

 Aymés perseveramment vostre propre abjection; cherisses le mespris et caresses les croix que Dieu peut estre permettra vous arriver.

  A017002456 

 Ne vous troubles nullement pour ces imaginations et pensees estranges ou terribles qui vous arrivent, car, selon la veritable connoissance que j'ay de vostre cœur, je vous asseure devant Nostre Seigneur que vous n'en pouves encourir aucun peché.

  A017002456 

 Quelquefois, vous bayseres vostre croix, ou feres quelqu'autre signe que vous confirmes vostre desaveu.

  A017002468 

 Alles donq bien sagement, ma chere Fille; faites que vostre humilité, obeissance, douceur et [264] modestie serve de miroir aux jeunes et de consolation aux autres..

  A017002468 

 Vous estes employee bien jeune a de grandes œuvres: cela vous doit faire humilier profondement, et vous faire resoudre a fidellement obeir aux Regles et a vostre Superieure; car c'est pour [ce] service qu'on vous a choisie, affin que, comme d'autres serviront de bon exemple aux filles plus avancees en aage qui se rangeront a la Congregation, vous servies aussi de patron aux plus jeunes; ce qui est extremement important, car Dieu ayme tres particulierement les premices des annees et desire qu'elles luy soyent consacrees.

  A017002482 

 A quoy servira beaucoup le desir extreme que j'ay de vous honnorer et conserver vostre amitié, laquelle je vous supplie me departir continuellement, puisque, vous souhaitant toute sainte benediction, je veux estre toute ma vie,.

  A017002482 

 Encor qu'en l'assemblee que nous avons tenue maintenant, le different que nous avons n'ayt pas esté du tout terminé, si est ce toutefois que l'accommodement en a esté tellement acheminé, qu'il sera aysé, au premier rencontre, de le parachever, ainsy que monsieur Pergod et le sieur Enpio vous en feront plus amplement le [265] recit.

  A017002501 

 [266] M. Bonfilz s'estoit retiré a Sessel aupres de Sa Grandeur, mais il revint hier bien tard, et croy que c'est pour apporter quelque parole et s'entremettre a l'accommodement de ce mal heur..

  A017002518 

 Il failloit que mon cœur rendit ce tesmoignage a celuy de ma tres chere fille, de la consolation que j'ay de voir ce Prince tant rempli de la sainte crainte de Dieu..

  A017002518 

 Je vous escrivis des-ja l'autre jour la lettre ci jointe, mais l'homme qui accompaigna monsieur de Monthouz, qui m'avoit rendu la vostre, ne vint point prendre ma lettre, que je sache.

  A017002519 

 Mays voÿés vous, ma tres chere Fille, [268] vous sçaves bien cela, que la Visitation est toute vostre, et nostre Mere et toutes les Seurs, et a madamoyselle de Beaufort, ainsy que vous le jugeres a propos..

  A017002519 

 Vous pourres venir icy a vostre gré, car nostre Mere n'aura point de plus grand playsir que de vous voir, et ne croy pas quil y ayt aucun danger en chemin; et ne faut non plus faire difficulté pour madamoyselle de Beaufort.

  A017002520 

 Je ne luy ay point parlé qu'une fois il y a trois semaines, mais je n'ay pas laissé de connoistre la bonté que Dieu exerce en elle.

  A017002520 

 La chere niece est si grandement consolee, que son ame est comme une petite pouponne aux mammelles de la douceur caeleste.

  A017002521 

 Ce bon homme ne me voyoit point, des il y a quelque tems, et avoit protesté a Sessel de ne me vouloir jamais aymer, sans quil eut ni rayson ni sujet quelcomque de faire telle declaration; c'est pourquoy, quoy que diverses fois il fut venu icy, je n'avois pas eu moyen de luy parler de vostre affaire.

  A017002533 

 Ah! veuille cette Sainte Vierge nous faire vivre, par ses prieres, en ce saint amour! Qu'il soit a jamais le tres unique objet de nostre cœur; que puisse nostre unité rendre a jamais gloire a l'amour divin, qui porte le sacré nom d'« unissant.

  A017002533 

 Je considerois au soir, selon la foiblesse de mes yeux, cette Reyne mourante d'un dernier acces d'une fievre plus suave que toute santé, qui est la fievre d'amour, laquelle, desseehant son cœur, en fin l'enflamme, l'embrase et le consomme, de sorte qu'il exhale son saint esprit, lequel s'en va droit entre les mains de son Filz.

  A017002534 

 Je n'ay pas une si heureuse naissance, ma tres chere [270] Mere, que d'avoir paru en ce monde au jour auquel la tres sainte Vierge nostre Reyne parut au Ciel.

  A017002537 

 Ah Dieu! ma tres chere Mere, que je veux approfondir creusement nostre cœur devant cette Dame eslevee, affin qu'il luy playse le remplir de cette surabondante rosee d'Hermon, qui distille de toutes parts de sa sainte plenitude de graces..

  A017002537 

 ainsy que nous dirons Dimanche, jour auquel je nasquis, avec cette gloire que ç'a esté entre les octaves de cette grande Assomption.

  A017002546 

 Faites donq, Monsieur mon Filz, faites souvent, je vous supplie, cette grace a mon esprit, mais seulement pourtant, quand vous pourrés bonnement sans vous incommoder; car, quoy que vos lettres me soyent plus delicieuses que je ne puis dire, si elles vous coustoyent de l'incommodité elles me seroyent douloureuses, aymant plus vostre playsir que le mien, selon la coustume des peres..

  A017002546 

 Il ne faut jamais, certes, Monsieur, puisque j'ay lhonneur que vous soyes mon tres cher filz, il ne faut point faire d'excuses quand vous ne m'escrives pas; car je ne puis non plus douter de vostre amour filial envers moy, que je ne puis vivre sans sentir continuellement dedans mon cœur les eslans de l'amour paternel envers vous.

  A017002546 

 [271] Mays il est vray toutefois, Monsieur mon Filz, que vos lettres m'apportent tous-jours une delectation extreme, y voyant, ou du moins entrevoyant, les traitz de vostre bonté naturelle et de la sainte charité de vostre ame, qui produit et nourrit la douceur de vostre dilection filiale que vous respandes sur moy et qui me remplit de suavité.

  A017002547 

 Et moy ce pendant, Monsieur mon tres cher Filz, affin de suppleer en quelque sorte les defautz que le manquement de commodités me pourroyent (sic) faire faire de vous escrire souvent, je vous envoye le livre de l' Amour de Dieu que j'ay n'a guere exposé aux yeux du monde; et vous supplie que si quelquefois l'affection que vous aves pour moy, vous donnoyt quelque desir d'avoir de mes lettres, vous prenies ce Traitté et en lisies un chapitre, vous imaginant que s'il y a point de Theotime au monde auquel s'addresse (sic) mes paroles, vous estes celuy entre tous les hommes, qui estes mon plus cher Theotime..

  A017002549 

 C'est le plus doux, gracieux et devot Prince [272] qu'on puisse voir; un cœur plein de courage et de justice, une cervelle pleine de jugement et d'esprit, un'ame qui ne respire que le bien et la vertu, l'amour de son peuple et sur tout la crainte de Dieu.

  A017002550 

 Reste, Monsieur mon tres cher Filz tres honnoré, que je vous souhaite toutes les benedictions celestes; et c'est la respiration ordinaire de mon cœur, puisque j'ay la faveur et le bonheur d'estre advoüé vostre Pere, et que je dois estre et suis a jamais,.

  A017002554 

 Monsieur, c'est tout a la haste que j'escris, et je m'asseure que de Lyon vous recevres un autre livre, selon l'ordre que j'en avois donné.

  A017002554 

 O mon Dieu, que je me res-jouis de la grossesse de madame vostre seur, qu'on m'asseure..

  A017002566 

 Maintenant donq il est revenu a moy, qui le rens porteur de cette lettre, affin que si Vostre Altesse le treuve a propos, elle l'escoute sur ce sujet; car a cette seule intention je l'ay renvoyé vers [274] elle, a laquelle faysant tres humblement la reverence, je suis,.

  A017002566 

 Vostre Altesse aura memoire que je luy dis dans sa chambre, qu'il y avoit un homme lequel, des quelques annees, avoit desiré de proposer quelque dessein pour Geneve a Son Altesse.

  A017002580 

 Il y a deux ans que ce porteur m'a communiqué un dessein qu'il a pour le service de Vostre Altesse, et sur la commodité de la presence de Monseigneur le Prince, il le luy a declaré; et croy que mesme il aura receu commandement de le representer a Vostre Altesse, bien qu'a mon advis il ne soit pas tems de rien toucher du costé auquel le dessein vise.

  A017002580 

 Mays, en toute façon, j'atteste en bonne foy que despuis que j'en ay eu la communication, ce porteur n'a cessé de desirer de le proposer, et s'est engagé en la trouppe delaquelle il est, expres pour avoir sujet et moyen d'approcher Vostre Altesse, ainsy qu'il m'a tous-jours asseuré et qu'il a desiré que je fisse sçavoir a Vostre Altesse, a laquelle je fay tres humblement la reverence et suis,.

  A017002595 

 J'offre a Vostre Altesse un Traitté de l'Amour de Dieu que j'ay mis en lumiere ces jours passés; non que je l'estime digne des yeux d'un si grand Prince, mays affin qu'en ce que je puis, je face hommage a Vostre Altesse luy presentant les fruitz de mes labeurs, comme issus d'une personne qui ne pensera jamais d'avoir rien de plus cher en ce monde que l'honneur d'estre advoüé,.

  A017002607 

 Je vis en esperance, ma tres chere Fille, que si mon ingratitude ne me forclost point du Paradis, je jouiray un [276] jour par complaysance de la gloire eternelle en laquelle vous vous plaires par jouissance, apres avoir saintement porté la croix en cette vie, que le Sauveur vous a imposee, du soin de le servir fidellement en vostre personne et en la personne de tant de cheres Seurs, qu'il veut estre vos filles en ses entrailles..

  A017002618 

 Je n'ay receu aucune de vos lettres, ma tres chere Fille, despuis vostre depart; cela, je vous prie, que veut il dire? Or, je sçai bien neanmoins que vostre charité est invariable..

  A017002619 

 Mays j'apprens par lettres venues de Lyon, que vous estes malade, et un peu mesme estonnee de n'avoir pas [277] treuvé les choses en si bons termes comme nostre desir nous le faysoit imaginer.

  A017002619 

 Ne perdes point courage, car Dieu ne perdra jamais le soin de vostre cœur et de vostre trouppe, tandis que vous vous confieres en luy.

  A017002619 

 Quand fut ce que le service de Dieu en fut exempt, sur tout en sa naissance?.

  A017002620 

 Mais il faut que je vous die naïfvement ce que je crains plus que tout en cette occurrence: c'est la tentation des aversions et repugnances entre vous et nostre [Sœur des Gouffiers], car c'est la tentation qui arrive ordinairement es affaires qui dependent de la correspondance de deux personnes; c'est la tentation des anges terrestres, puisqu'elle est arrivee entre les plus grans Saintz, et c'est nostre imbecillité, de tous tant que nous sommes enfans d'Adam, qui nous ruine, si la charité ne nous en [278] delivre.

  A017002620 

 Mays neanmoins, ma tres chere Fille, rehausses vostre esprit, et voyes que vostre action est de grande consequence.

  A017002620 

 Souffrés, ne despités point, adoucisses tout, regardes que c'est la besoigne de Dieu a laquelle cette dame s'employe selon son sentiment, et vous selon le vostre, et que toutes deux vous deves entreporter et entresupporter pour l'amour du Sauveur.

  A017002629 

 Et que vous diray-je donq, ma tres chere Fille? Je vous recommande la confiance en Dieu, la parfaite simplicité, la sincere dilection..

  A017002631 

 Estouffés les en leur naissance; tenes vostre charité bandee et tenes pour suspect tout ce qui sera contraire a l'union, au mutuel support, a la reciproque estime que vous deves avoir les unes envers les autres.

  A017002631 

 Gardes vous de la prudence humaine, que Nostre Seigneur estime folie, et travaillés en paix, en douceur, en confiance, en simplicité..

  A017002631 

 Nostre Mere vous dira peut estre, si elle en a le lovsir, la crainte que j'ay que les renardeaux n'entrent dans cette petite nouvelle vigne pour la demolir; je veux dire les aversions et repugnances, qui sont les tentations des Saintz.

  A017002632 

 Si tost que vous aures fait ce que vous aves a faire, vous feres bien d'achever vostre affaire particuliere.

  A017002643 

 J'ay parlé au R. P. Gardien, par le commandement de Son Altesse, et il m'a dit quil attendoit dans peu de jours le P. Provincial, a la venue duquel la resolution se fera sans replique, et Son Altesse luy recommandera l'affaire, selon que ce matin elle me l'a dit.

  A017002643 

 Pour moy, je treuve bon que vous voyies une fin de cette poursuite, et il ne tiendra pas aux prieres que j'en feray au P. Provincial et au P. Gardien..

  A017002669 

 Ce jeune homme de cette ville allant a Tolose pour y estudier en droit, je ne puis que je ne vous salue tres [283] humblement par la commodité quil me donne de vous faire presenter ces quatre lignes, auxquelles je joins une lettre de nostre grand amy, que j'aurois bien apprehension d'envoyer avec les marques d'avoir esté declose (comme en effect elle me fut rendue telle), si je n'estois asseuré de la confiance que vous aves en ma fidelité.

  A017002669 

 Je l'ay donq fait fermer de mon cachet, affin que, si d'adventure le paquet s'ouvroit, comme fit celuy dans lequel elle me fut addressee, elle ne fust pas ouverte par le froissement du port; car c'est ainsy qu'elle fut declose, et non par la malice du porteur, qui me rendit tout le paquet debiffé, mais en sorte que je conneus quil ny avoit point touché..

  A017002670 

 Nous sommes a la veille de recevoir bravement nos ennemis, silz sont resolus, comm' on nous menace, de venir a nous, et esperons que Dieu regardera nostre innocence.

  A017002670 

 On ne laisse pas pourtant de travailler a la reunion des Princes, sous le credit desquelz on nous dit que tout ce malheur nous est preparé.

  A017002685 

 Au retour, je tireray quelque resolution du tems auquel on pourra terminer l'affaire que vous aves avec M. de Monregard.

  A017002686 

 Mays il y faut tant de secret, que je ne les veux pas escrire..

  A017002698 

 Et puis que le P. Recteur propose un expedient, il le faut prendre tel quil le dit, hormis qu'apres avoir envoyé a vostre choix ce qui sera plus propre pour cette Mayson-la et pour Rion, vouloir encor faire faire des absences a nostre Mere, c'est dire quil faut demanteler cette Mayson et la laisser a la merci des vens; car, comme vous sçaves, il y a peu de Meres et beaucoup de filles, [287] dont les unes sont des-ja venues, les autres viendront au premier jour, et il faut une Mere icy qui suffise a tout; laissant a part les grandes bonnes affaires qui sont par deça pour cette Congregation, ausquelles nostre seule Mere peut respondre..

  A017002698 

 Or sus, embarqués pourtant que l'on est, il ne faut pas perdre courage, mais user de toute la dexterité possible pour empescher que nos imbecillités ni (sic) scandalisent point ceux du monde.

  A017002698 

 ... vigne; et voyla que ces infirmités se sont interposees, qui la tiennent au lit et hors du train requis; et a cela surviennent des aversions et repugnances, [286] infirmités spirituelles.

  A017002699 

 Ce pendant donq, supportes, ma tres chere Fille, le fardeau que vostre bonne volonté au service de Dieu vous a fait desirer et prendre sur vos espaules, lesquelles seront asses fortes pour cela si vous vous appuyes un peu sur la Croix de Nostre Seigneur, en laquelle il a porté sur les siennes le faix de tant d'iniquités et miseres.

  A017002699 

 Si vous juges avec le P. Recteur quil soit expedient que vous venies vous mesme, nous vous verrons, et parlerons plus clairement des raysons que nous avons de ne vouloir pas meshuy multiplier les familles de cette Congregation, jusques a ce que nous ayons des meres de famille convenables.

  A017002700 

 Pries bien Dieu pour moy, et saches que je suis invariablement vostre, de toute mon affection..

  A017002717 

 Nous desirons du support en nos miseres, que nous treuvons tous-jours dignes d'estre tolerees; celles du prochain nous semblent tous-jours plus grandes et pesantes..

  A017002717 

 O Dieu! quand sera-ce que le support du prochain aura sa force dans nos cœurs? C'est la derniere et plus excellente leçon de la doctrine des Saintz: bienheureux l'esprit qui la sçait.

  A017002719 

 Ma tres chere Fille, vous estes la fille de mon cœur, et je ne laisseray jamais de souhaiter que vous soyes la fille du cœur de Dieu, qui nous a donné des cœurs affin que nous fussions ses enfans, en l'aymant, benissant et servant es siecles des siecles..

  A017002729 

 Il y a quelques jours que Son Altesse fit un' assemblee pour prendre les resolutions convenables a la reparation des Monasteres, tant en ce qui regarde les bastimens temporelz qu'aussi en ce qui regarde l'edifice spirituel de la discipline reguliere..

  A017002730 

 Et pourres, sur cette lettre que je vous fay, en parler audit Conseil de la part de Son Altesse, puisqu'elle m'a commandé d'y tenir main, et que je le prie tenir..., suppliant Monseigneur lArchevesque de le faire, comme je fay par la lettre ci jointe, en vous tesmoignant que je desire que vous y ayes l'œil entant quil vous compete, vous parlant de la part de Son Altesse, et au Conseil par vostre entremise, et n'adjoustant plus rien, sinon que je suis,.

  A017002730 

 Et quant a la premiere, sadite Altesse a ordonné que, venant a vaquer des prebendes, on les retienne vaquantes jusques a ce que autrement soit prouveu.

  A017002730 

 Je le dis au P. D. Fulgence avant son depart; mais sachant quil y a une place vacante maintenant, je vous prie de la [290] retenir vacante, c'est a dire, de faire que le Conseil, auquel il appartient de prouvoir, sursoye.

  A017002765 

 Je ne suis pas homme de cérémonies, surtout avec Votre très Révérende Seigneurie qui, j'en suis sûr, m'aime sincèrement, de même que, de tout cœur, je désire la servir.

  A017002766 

 Veuillez donc vous prévaloir, pour les confessions et absolutions de ces âmes, de l'autorité que Dieu m'a donnée, et que très volontiers [292] je vous communique et dépars dans la mesure où votre prudence le jugera nécessaire à la gloire de Dieu et au salut du prochain, afin qu'avec plus d'ardeur vous employiez le talent sacré que le Seigneur vous a confié..

  A017002774 

 que Dieu sauve..

  A017002784 

 Je vous supplie de me faire la charité que je puisse avoir la lettre que Son Altesse a accordee au Vice Legat d'Avignon, en recommandation de l'affaire que la Sainte Mayson de Thonon, mon Chapitre et moy y avons, sur le sujet des places du college d'Annessi, ou de Savoye, fondé audit Avignon, qui appartient a la nation de Savoye, affin que nous soyons remis en possession de les avoir.

  A017002785 

 Je vous envoyeray le Memorial, et M. Boschiz me fit la faveur de me promettre l'expedition de ladite lettre, laquelle nous desirons avoir, affin de faire partir au plus tost le personnage que nous envoyons pour faire la sollicitation..

  A017002786 

 Ce pendant, je vous conjure de m'aymer tous-jours, de me tenir en la bonne grace dudit seigneur Boschiz, que je salue humblement, et de me croire,.

  A017002799 

 Ce clergé s'est accommodé avec toute sorte d'humilité et de respect a ce qu'il a pleu a Vostre Altesse de me commander, marris que nous sommes tous de ne pouvoir asses dignement tesmoigner l'infinie affection que nous [295] avons a son service.

  A017002799 

 Dieu neamoins la sçait, et la void es continuelz souhaitz que nous faysons, affin quil luy playse de combler Vostre Altesse de prosperité, et sur tout que sa dilection regne a jamais au milieu de vostre cœur..

  A017002800 

 Monseigneur, c'est le souverain bonheur que peut demander pour Vostre Altesse,.

  A017002813 

 Et moy j'intercede pour eux, estimant que Vostre Altesse l'aura aggreable, comme,.

  A017002813 

 Les Religieux de Talloyres sachans que le fermier de [296] leur Prieur commendataire a promis de fournir trois cens couppes de froment pour l'armee, et qu'il prætend a cet effect employer le bled de sa ferme, ilz supplient tres humblement Vostre Altesse qu'il luy playse de commander qu'avant toute chose les præbendes destinees a la nourriture des Religieux seront reservees, affin que le divin service soit continué, attendu que ledit fermier n'a peu promettre ce qui est aux Religieux.

  A017002843 

 Or, il y aura besoin donq, peut estre, de la faveur de Son Altesse, a laquelle aussi je la demande tres humblement par une lettre; et croy que, selon sa bonté et la providence par laquelle elle veut et peut, elle l'accordera tres volontier..

  A017002843 

 Vous sçaures par ce porteur que toute l'affaire icy avance; il nous faut changer de methode et recourir a Romme, ou il va luy mesme en qualité de deputé du college.

  A017002844 

 Reste que monsieur Boschiz nous gratifie aussi de son assistance, laquelle je requiers par vostre entremise, le saluant humblement de tout mon cœur; car, quant a vous, Monsieur, je ne veux pas, en cett' occasion, employer mes prieres pour impetrer vostre courtoysie, sçachant que l'amour du bien de la patrie vous donnera asses d'affection.

  A017002855 

 Deux motifs m'ont porté, avec tout ce clergé, d'accorder sans scrupule l'ayde et secours de moyens que Son Altesse a desiré de nous.

  A017002855 

 L'un a esté, que il y a environ sept a huit ans, que Sa Sainteté accorda a sadite Altesse la decime de six ans sur le clergé de ses Estatz, de laquelle comme Son Altesse n'a rien exigé, aussi ne nous l'a elle pas encor quitté; de sorte qu'a bon compte nous luy donnons celle ci, bien que nous ne l'ayons pas fait sonner, de peur que cela n'esmeut les humeurs de messieurs les financiers de vouloir ci apres exiger le reste, car ce sont des gens grandement esveillés pour telles occasions..

  A017002856 

 L'autre motif est que les Docteurs limitent le chap. Clericis, in 6.

  A017002856 

 de Immunitate Ecclesiarum, a ce qu'il n'opere pas es cas de quelque grande necessité publique; car alhors, les laicz estantz espuisés et ny ayant pas loysir [300] de recourir au Pape, l'Evesque peut ordonner une contribution aux clercz de son diocæse, ainsy que remarque Sylvester en sa Somme, verbo Immunitas, primo [cap.,] § 20, qui incipit: « Quartum.

  A017002857 

 Voyla donq nos fondemens, sur lesquelz nous avons accordé, contre nos propres commodités, ce que Son Altesse desiroit, et moy le premier ay payé ma quote en blé, quoy que je n'abonde pas..

  A017002858 

 Pour le reste, je ne manqueray pas de rendre aupres de Monseigneur le Prince, tesmoignage de l'estime que j'ay tous-jours faite de la grandeur de vostre vertu, lhors [301] que nous aurons le bien de l'approcher; car je suis d'un cœur entier, Monsieur,.

  A017002872 

 Je me suis advisé des hier qu'il sera bon que, venant a Sainte Claire, devant et apres vous venies vous chauffer avec nous, et disner, et tout; car cela nous fera grand bien a tous, et de mesme quand vous viendres voir la mayson.

  A017002873 

 Je prie Nostre Seigneur que, de plus en plus, il nous fortifie en la resolution de ne vivre que pour son tressaint amour.

  A017002881 

 Il y a troys jours que l'on nous parle de cet accommodement, et chacun l'accommode a sa guise et selon que la preoccupation des affections suggere.

  A017002881 

 Je vous remercie tres humblement de la peine que vous aves prise de m'escrire pour un si bon sujet.

  A017002882 

 J'espere d'aller bien tost faire la reverence a Son Altesse, car voyci le tems de l'Advent qui m'appelle a Grenoble, ou je ne dois m'acheminer qu'apres avoir demandé les commandemens d'icelle; et j'auray alhors le contentement de vous voir et d'apprendre plus particulierement les circonstances de ce traitté, la nouvelle duquel me fait escrire un mot a monsieur de Monthouz, affin quil face expedier l'affaire des Dames de la Visitation tandis que le beau tems dure et qu'on peut prendre la mesure des bastimens..

  A017002887 

 Si monsieur le collateral de Quoex est encor la, je vous supplie quil sache par vostre courtoysie que je le salue humblement et tres affectionnement..

  A017002900 

 Encor ne vous escris je pas a loysir, ma tres chere Fille, bien que je responde tard a vostre lettre.

  A017002900 

 Il faut que vous soyes ce que vous estes: mere de famille, puisque vous aves un mary et des enfans, et il le faut estre de bon cœur et avec l'amour de Dieu, ains pour l'amour de Dieu, ainsy que je le dis asses clairement a Philothee, sans s'inquieter ni empresser que le moins qu'il sera possible..

  A017002901 

 Ce que vous verres pouvoir estre fait avec amour, il le faut procurer; ce qui ne se peut faire que par desbat doit estre laissé, quand on a affaire avec des personnes de si grand respect..

  A017002901 

 Mais je voy bien, chere Fille, qu'il est un peu malaysé d'avoir soin du mesnage en une mayson ou il y a mere et pere; car je n'ay jamais veu que les peres, et sur tout les meres, layssent le gouvernement entier aux filles, encor que quelquefois il seroit expedient.

  A017002901 

 Pour moy, je vous conseille de faire le plus doucement et sagement que vous pourres ce qui vous est recommandé, sans [305] jamais rompre la paix avec le pere et cette mere; car il vaut mieux que les affaires n'aillent pas si bien, et que ceux a qui l'on a tant de devoir soyent contens.

  A017002902 

 Je ne doute point qu'il ne se passe des aversions et repugnances en vostre esprit; mays, ma tres chere Fille, ce sont autant d'occasions d'exercer la vraye vertu de douceur; car il faut faire bien, et saintement, et amoureusement ce que nous devons a un chacun, quoy que ce soit a contrecœur et sans goust..

  A017002903 

 Voyla, ma tres chere Fille, ce que je vous puis dire pour le present, adjoustant seulement que je vous conjure de croire fermement que je vous cheris d'une dilection parfaite et vrayement paternelle, puisqu'il a pleu a Dieu de vous donner envers moy une confiance si entiere et filiale; mais continues donq bien, ma tres chere Fille, a m'aymer cordialement..

  A017002904 

 Faites bien ce que vous pourres, et le reste laisses le a Dieu, qui le fera ou tost ou tard selon la disposition de sa providence..

  A017002905 

 Je suis cependant bien ayse que le vostre soit honneste homme et sage..

  A017002916 

 Cette digne porteuse vous dira comme je vous escris a l'improuveüe, ma tres chere Fille, et si soudainement que je ne sçai que dire, sinon que vous seres la tres bien venue, que c'est un grand bien a nostre Charles d'avoir un bon maistre, que je suis plus vostre que mien et ne cesse jamais de vous souhaiter mille et mille faveurs du [307] Ciel, sur tout le saint, puissant, doux et tranquille amour de nostre Dieu..

  A017002933 

 Je supplie tres humblement Vostre Altesse de se resouvenir de la faveur qu'il luy a pleu d'accorder a monsieur le President de Sautereau, sur la recommandation [308] que monsieur le mareschal Desdiguieres luy en a faite.

  A017002948 

 C'est pourquoy, ce bon Pere confesseur des Dames de Sainte Claire va pour voir s'il pourra tirer l'asseurance de ladite somme; en quoy je vous supplie tres humblement de l'assister, comme aussi de luy faire delivrer le mandat des trente vaisseaux que saditte Altesse a ouctroyé pour le couvent de Saint François..

  A017002948 

 Et pour l'assignation de cette somme-la, monsieur de Monthouz me dit avant hier que Son Altesse avoit accordé le rappel des galeres en faveur d'un certain notaire ou chatelain, que je pense estre du quartier d'Aiguebelle, a la charge quil donneroit les troys cens ducatons dont il est question pour cett'œuvre pie, et qu'il serviroit deux ans aux bastimens de la Sainte Mayson de Thonon.

  A017002948 

 Il pleut a Son Altesse de me commettre pour voir l'estat des bastimens de Sainte Claire de cette ville, et [309] sur le rapport que je luy fis de la ruyne dont ilz estoyent menacés, sa bonté s'estendit a leur vouloir donner 300 ducatons pour la reparation necessaire.

  A017002949 

 Je sçai que vostre pieté vous portera asses a tous ces bons offices, sans que j'y employe mon intercession; mais puisque elle m'est demandee, je ne la puis refuser, mesme sachant que vous me faites lhonneur de m'aymer, [310] lequel je vous conjure de me continuer, ainsy que je veux estre a jamais, Monsieur,.

  A017002967 

 Et par ce que je voy combien Dieu en sera glorifié et le peuple edifié, j'en remercie tres humblement de rechef Vostre Altesse avec eux, la suppliant de continuer en ce tressaint zele, comme je ne cesseray jamais de luy souhaiter la perfection des graces celestes, non plus que d'estre, Monseigneur,.

  A017002982 

 Mays je chercheray tant, que nous la treuverons, puis que jamais je n'ay perdu aucun papier d'importance..

  A017003001 

 Estant obligé de souhaiter l'advancement aux lettres et a la vertu de Nicolas Grillet, qui m'appartient en parentage, et le voyant maintenant sur les rangs pour entrer au cours de la sainte theologie, je supplie vostre charité de luy estre propice et l'assister de vostre soin et faveur speciale, affin quil puisse reuscir tel que nous desirons le voir un jour, propre a servir Dieu et la sainte Eglise en ce diocese, ou il importe tant, a cause du voysinage..

  A017003002 

 Et par ce que vostre zele vous donnera asses de mouvement a ce bon œuvre, sans que j'y employe davantage de prieres, je ne m'estendray pas plus avant, ains vous asseurant de mon humble affection a vous honnorer, et [313] vous desirant mille et mille benedictions, je demeureray,.

  A017003021 

 Celuy cy que je vous [314] renvoye, tesmoigne combien vous estes riche d'inventions et d'affections pour bien cultiver la pieté.

  A017003021 

 Seulement y voy-je une tare: que vostre desir d'animer un chacun au saint amour, vous a rendu trop favorable a la bonne volonté que j'ay eue d'y exciter les nations de la langue françoise, par le Traitté que j'ay nagueres mis en lumiere, lequel je suis pourtant bien ayse qu'il vous aggree, estimant que vostre jugement luy pourra donner acces et rendre ses documens plus utiles a plusieurs ames..

  A017003032 

 Voyla les lettres; mais j'ay oublié de vous dire, ma tres chere Mere, que quand monsieur le President vous parlera des maysons et que vous viendres a traitter de l'estimation des maysons, il seroit bon d'obtenir de luy qu'assemblant les expertz, il leur face prester serment, et leur fasse prendre les resolutions, parties absentes..

  A017003042 

 Ce ne sont jamais que troys paroles de ce Pere; certes, ma tres chere Mere, il n'a pas de loysir pour plus.

  A017003042 

 Dans quelque tems il vous escrira, sil y a chose qui vous puisse consoler, car je vous asseure, ma tres chere Mere, que ce pauvre Pere la vous porte dans son cœur comme son esprit propre..

  A017003056 

 C'est tous-jours quand je puis, ma tres chere Mere, que je vous escris, et voyci la quatriesme, aussi courte que les autres, comm'estant escritte entre deux sermons: l'un que je viens de faire en l'eglise cathedrale, delaquelle Nostre [Dame] est le Patron, et l'autre que je vay faire dans trois heures, en un'eglise, hors ville, ou le tiltre est avec Indulgence pleniere.

  A017003076 

 Je n'ay garde que je n'employe cette si bonne commodité de vous bayser les mains, quand ce ne seroit que [319] pour vous remercier tres humblement de l'honneur que je receus de monsieur de Montmorency en son passage par cette ville, puisquil me declara que vous luy avies donné l'affection de me le faire, par l'honnorable mention que vous luy avies quelquefois fait de moy.

  A017003076 

 Je suis tous-jours honteux quand je pense a l'exces de la faveur que ce seigneur me fit, et confus dequoy ayant esté a son logis pour luy faire la reverence et espié toutes les commodités qu'il pouvoit y avoir, je n'ay peu onques avoir ce bonheur.

  A017003076 

 Mais je croy que M. le President [du Faure] [320] luy aura fait sçavoir ma diligence, et neanmoins je vous supplie, Monseigneur, de luy faire sçavoir le desplaysir que j'ay pour ce sujet, et que j'ay bien conscience du respect que je doy a sa grandeur et a ses merites, et de l'extreme obligation que j'ay a son excessive bonté.

  A017003076 

 Vous aves de l'interest en ce point, Monseigneur, puisque c'est sur l'estime que vous luy avies donnee de moy, quil m'a favorisé.

  A017003077 

 Reste que je prie Dieu pour vostre prosperité, me disant a jamais,.

  A017003077 

 Vous sçaures toutes nos nouvelles et que M. le Mareschal part demain et que la paix est desesperee en Piemont.

  A017003089 

 Ayés seulement celuy de luy plaire, par cette entiere dependance et confiance en son amour, et par la suave vigilance que vous deves avoir d'avancer ses cheres espouses a la pureté de son divin service, par une exacte observance, vous rendant extremement attentive a la douceur et support, sans crainte d'exceder en ces saintes vertus.

  A017003089 

 Que peut on dire a l'ame que Dieu a tiree il y a si long tems et attire continuellement a se reposer dans le sein de sa providence, sinon: Demeurés la, ma Fille, et vous tenes a recoy au plus secret lieu de ce saint tabernacle, vous laissant absolument manier au gré de Celuy qui daigne prendre soin de vous.

  A017003089 

 Soyes genereuse, allegre et suave en cet exercice, et vous y treuveres abondamment les graces de nostre bon Dieu, ainsy que je l'en prie de toute mon ame qui cherit la vostre tres parfaitement..

  A017003110 

 Graces soyent a Dieu, ma tres chere Mere! sinon des que je commence a vous escrire ce billet, je n'ay rien fait de toute la journee selon mon inclination.

  A017003110 

 Sa divine Majesté me veuille bien assister, affin que ces petitz, mays frequens exercices me rendent bien mortifié..

  A017003123 

 Et pour cela, ilz se sont addressés a moy, affin que, tant au nom dudit Chapitre qu'au mien, je vous priasse de la remettre a ce digne ecclesiastique, qui estant de bonne vie, docteur es droitz et en theologie, sera grandement utile a cett'Eglise..

  A017003123 

 Sur quoy, quelques-uns se sont advisés que vous avies une place, laquelle vous estes resolu de ne vouloir point remplir de vostre personne, ainsy que vous l'aves declaré, et que le tems escoulé des l'impetration d'icelle fait asses connoistre.

  A017003124 

 Je sçai que vous avies eü intention d'en gratifier le frere de monsieur Greffiez, auquel je ne voudrois en rien præjudicier, ains l'ayder et servir de mon pouvoir.

  A017003124 

 Mays n'y ayant nulle apparence de faire reuscir sa praetention de ce costé la, je ne pense pas que cela vous doive plus arrester de nous donner, au lieu de vous que nous desirions (sic) plus que tous, quelqu'un qui, en quelque sorte, vous puisse dignement representer: dequoy donq je vous prie avec tout ce venerable Chapitre, ne doutant point que, selon vostre prudence, zele et pieté, vous ne vous disposies a suivre nos desirs..

  A017003124 

 Or, je croy que vous ne douteres pas que sil vous [326] playsoit de la garder et nous faire jouir du fruit de vostre residence, nous ne le souhaitassions plus que toute autre chose; mays puisque elle vous est tout a fait inutile, et a l'Eglise, presupposé la resolution que vous aves faite, je pense que vous treuveres bon nostre desir et le seconderes, comme juste quil est, selon Dieu et les loix.

  A017003125 

 Atant, je me recommande a vos prieres, vous asseurant que de tout mon cœur je seray tous-jours,.

  A017003129 

 Monsieur, en cas que vous facies ce que nous demandons, il ne sera besoin sinon de faire la resignation en mes mains, c'est a dire une procure ad resignandum pure et simpliciter entre mes mains, ou de mon Vicaire [327] general; car par apres, le moys qui vient, auquel je suis en mon alternative je prouvoirois celuy dont il est question, qui s'appelle monsieur Questan, bourgeois de cette ville..

  A017003145 

 Je n'ay sceu prendre le contentement que je desirois de vous voir moy mesme, occupé par les visites.

  A017003146 

 Dieu vous benisse, et tout ce que vous estes icy et la..

  A017003156 

 Et maintenant, deceu en mon attente, je ne puis me contenir que je ne me pleigne de mon malheur et que, pour me soulager au mieux que je puis, je ne vous supplie tres humblement, Monseigneur, que si les occurrences m'esloignent de vostre œïl, il vous playse me tenir præsent en vostre grace, que j'estime l'un des meilleurs et plus desirables honneurs que je puisse posseder en ce monde..

  A017003156 

 L'ors que Vostre Grandeur vint en cette ville, je me treuvay si pressé de l'assignation præfigee pour les sermons de l'Advent a Grenoble, que je ne peu attendre le bonheur de vostre arrivee; dont j'eu un extreme desplaysir, mais addouci neanmoins par l'esperance qui me restoit, qu'a mon retour je pourrois en quelque sorte regaigner cet honneur.

  A017003157 

 Ce pendant, Monseigneur, les Peres Barnabites m'ayant communiqué l'intention que Vostre Grandeur a de faire [330] bastir leur eglise, m'ont aussi donné une grande consolation; car je sçai que Dieu benit ceux qui luy edifient des maisons, qu'il glorifie ceux qui l'honnorent et qu'il donne sejour dans son temple æternel a ceux qui luy en font icy bas des temporelz.

  A017003157 

 Mays en particulier, Monseigneur, je vous en fay tres humble remerciment au nom de tous ceux qui, estans vos tres humbles et tres obeissans sujetz et serviteurs, sont mes diocæsains, ausquelz je ne manqueray pas de representer la singuliere redevance qu'ilz en auront a vostre pieté; non plus que ces bons Peres ne manqueront pas de rendre memorable a toute leur illustre et devote Congregation la grandeur des bienfaitz dont vous les aves favorisés, Monseigneur, qui n'aves pas seulement voulu les recevoir en vostre ville, qui est leur premier logement deça les mons, mais de plus, leur aures basti le lieu sacré qui sera le plus grand moyen de bien rendre le service auquel leur vie est destinee..

  A017003173 

 Vostre Altesse me renvoya une requeste par laquelle elle estoit suppliee, de la part de damoyselle Marceline de Marcilli, ditte Belot, de luy prouvoir sur les promesses que le sieur de Chasse, filz de monsieur le President de Sautereau, luy avoit faites pour mariage, affin que je fisse ce que j'estimerois estre convenable pour ce regard et que je donnasse mon advis a Vostre Altesse sur le contenu de la supplication..

  A017003174 

 De sorte que.

  A017003174 

 Que si ce n'eut esté la crainte de donner de l'importunité a Vostre Altesse, il l'eut supplié de commander que punition en fut faite..

  A017003174 

 non seulement il ne croyoit pas que cette femme peut rien prætendre par rayson, mais tenoit pour certain qu'elle pourroit estre recherchee par justice, [332] d'avoir seduit et attiré un jeune garçon, enfant de telle famille, a des promesses si præjudiciables et conceües en termes si extravagans.

  A017003175 

 Celle ci, comme je m'asseure Vostre Altesse aura des-ja sceu, venoit de faire un enfant d'un estranger quand elle tira promesse de ce jeune gentilhomme; et bien que la charité ayt quelquefois porté des gens de qualité a prendre en mariage des femmes perdues pour les sauver, si est ce qu'il n'en faut pas tirer consequence pour ceux qui, n'estans pas a eux mesme (sic), sous prætexte de charité violeroyent la justice et l'equité, introduisans en leurs familles des personnes dangereuses contre le gré de ceux qui sont les peres et maistres de la famille, mays sur tout en un aage qui n'a pas ordinairement en consideration ni la charité, ni la prudence requise pour exercer une charité en laquelle il faut avoir egard a plusieurs circonstances..

  A017003175 

 Et c'est, Monseigneur, qu'il suffit bien que l'on tolere ces femmes scandaleuses en la republique, sans qu'on leur permette d'entreprendre sur les maysons honnorables et dignes de recommandation, par les infames attraitz desquelz elles charment la foible et legere jeunesse; et la condition d'espouser ou doter n'est ordonnee que pour les filles d'honneur qui ont esté deceües, non pour les femmes deshonnestes qui ont deceu.

  A017003175 

 N'ayant donq rien fait de ce costé, il reste que je die mon advis, puis qu'il a pleu a Vostre Altesse de me le commander.

  A017003193 

 Je joins ma tres humble supplication a celle que cette ville d'Annessi fait a Vostre Altesse, pour la continuation des privileges dont ell'a ci devant joüi, attestant que, si la fidelité et ardente affection des sujetz doit attirer les faveurs du Prince, cette communauté, Monseigneur, sera donq en singuliere recommandation aupres [334] de Vostre Altesse, pour la prosperité delaquelle je prie continuellement la divine Majesté, comme je dois, estant,.

  A017003210 

 M. l'Aumosnier m'escrit que Monseigneur l'Archevesque le vous oste; je croy que ce ne sera pas sans vous bien pourvoir.

  A017003211 

 Nostre Mere ne sçait pas que j'escrive.

  A017003231 

 Job desiroit que le jour de sa naissance perist, et moy je souhaitte que le jour qui a veu naistre ma tres chere Mere soit conté entre les jours heureux et benis es siecles des siecles.

  A017003231 

 Vous m'aves fait playsir en me faysant sçavoir que c'est aujourd'huy le jour de vostre naissance, car je n'y pensois pas.

  A017003240 

 Vous aves rayson, ma tres chere Seur, d'avoir une parfaitte confiance en moy, qui aussi, de mon costé, vous honnore et cheris de tout mon cœur avec toute vostre benite compaignie; mays j'ay bien tort, certes, [337] d'avoir tant tardé a vous respondre sur la demande que vous me faysies.

  A017003241 

 Si, en la place du chasteau, il y a de l'eau et dequoy vous bien accommoder, je pense qu'il ne seroit pas difficile d'obtenir de Son Altesse ce que vous aves projetté; et pour moy, je vous serviray tres affectueusement en cela, comme en toutes autres occasions, esperant que si nous avons la paix, vous seres grandement soulagees du Prince, qui me le dit, estant icy.

  A017003243 

 Je les salüe toutes tres cordialement, et leurs noms sont escritz dans mon cœur: de ma Seur Beatrix, Anne, Marie Magdeleine, de ma Seur Symon, Pernette, Christine, de Blonay, Pernette; en somme, toutes, laissant a part ma Seur Claire, qui sçait bien que je luy escris, ni je n'oublie pas ma Seur Estienne.

  A017003243 

 Que si le parentage de quelqu'unes avec moy les rend un peu plus affectionnees a me faire cette charité, je leur en seray d'autant plus redevable, et en remercieray Dieu qui a enté l'amitié spirituelle sur le devoir temporel.

  A017003256 

 Mon Dieu, ma Fille, que je vous souhaitte sainte, et que vous soyes toute odorante des senteurs de ce cher Sauveur! C'est pour vous remercier de vostre bouquet, et vous asseurer que les petites choses me sont grandes quand elles sortent de vostre cœur, auquel le mien est tout dedié, je vous en asseure, ma tres chere Fille..

  A017003256 

 Ouy, çar ses doux sont plus desirables que les œilletz, et ses espines que les roses.

  A017003256 

 Que nostre cher Jesus crucifié soit a jamais un bouquet entre vos mammelles, ma tres chere Fille.

  A017003257 

 A il enduré affin que nous n'endurions point? Sainte Catherine de Sienne voyant que son Sauveur luy presentoit deux couronnes, une d'or, l'autre d'espines: O je veux la douleur, ce dit elle, pour ce monde; l'autre sera pour le Ciel.

  A017003257 

 Le Pater que vous dites pour le mal de teste n'est pas defendu; mays mon Dieu, ma Fille, non, je n'aurois pas le courage de prier Nostre Seigneur, par le mal qu'il a en la teste, de n'avoir point de douleurs en la mienne.

  A017003259 

 J'ay suivy vostre desir, mais vous verres que ce papier du livre a beu tout ce que j'y ay escrit; et je croy, certes, que vostre cœur en fera de mesme, car c'est le vin delicieux de l'ame, qui l'enivre et ravit saintement, que ce divin et celeste amour.

  A017003259 

 Or, j'appelle amoureuse, la fidelité par laquelle, a nostre escient, nous ne voudrions rien oublier de ce que nous estimerions estre plus aggreable a l'Espoux, parce que nous aymons ses contentemens plus que nous ne craignons ses chastimens..

  A017003260 

 Cette chair est admirable a ne vouloir rien de piquant; mais la repugnance que vous aves ne tesmoigne pourtant point aucun manquement d'amour; car, comme je pense, si nous » croyions qu'estant escorchés il nous aymeroit plus, nous nous escorcherions, non pas sans repugnance, mays malgré la repugnance.

  A017003260 

 J'appreuverois que, par maniere d'essay, on taschast deux ou troys fois de se surmonter avec un peu de violence, au moins quelquefois; car, qui ne gourmande jamais ses repugnances, il devient tous-jours plus douillet..

  A017003261 

 La pauvre Mere de nostre Visitation est cruellement [341] tourmentee d'un catarrhe qu'elle a sur la bouche; mais elle s'en res-joüyt et dit que, pourveu qu'elle applique son cœur a Dieu, elle treuve de la douceur en cette cuisante douleur.

  A017003271 

 Je vous envoye une lettre d'advis sur un fait [342] auquel je desire que vous metties ordre, puisque c'est de vostre charge, et m'asseurant qu'aussi feres-vous et que vous me feres part a vos prieres, je demeureray,.

  A017003287 

 Ce billet va dire a ma tres chere Mere que je cheris son cœur comme mon ame propre et son ame comme la mienne propre.

  A017003287 

 J'ay commencé aujourdhuy, aussi heureusement [343] que jamais je fis, les prædications, hormis que sur le milieu j'ay pensé estre un peu enroué..

  A017003287 

 On commence fort a parler d'une Visitation, et le passage de nostre bon Pere prædicateur en a grandement reveillé l'appetit, et nous verrons que ce sera.

  A017003288 

 Que vous puis-je dire davantage, ma tres chere Mere, sinon que vous demeuries toute joyeuse en ce celeste exercice auquel Dieu nous a si souvent et puissamment invités..

  A017003289 

 Vous aures la bonne M me du Chatelard, que je cheris fort dequoy elle a si bien conservé son affection; ell'aura sans doute besoin de soin et de support.

  A017003304 

 En ce peu de paroles que je puis vistement vous escrire, je voudrois bien vous faire entendre beaucoup de bonnes pensees que j'ay sur vostre sujet.

  A017003304 

 Je voy les petitz ennuys que l'ennemi de ce bon œuvre a suscités; et que vous puis-je dire, sinon qu'avec le zele, la patience, douceur, support vous est necessaire, et que, comme j'ay souvent dit, il est requis a qui entreprend quelqu'action [345] relevee pour le Sauveur, d'avoir provision de toutes sortes de vertus selon les occasions qui s'en presentent..

  A017003304 

 Je voy que Dieu se sert de vostre courage pour l'establissement de cette Mayson de Moulins; faites cela fidelement, avec le plus de repos d'esprit que vous pourres.

  A017003305 

 Mays j'impose silence a vostre esprit, ma tres chere Fille, et ne veux pas quil die, non pas mesme, s'il se peut, qu'il pense que ces advis luy soyent donnés avec aucun degoust, comme si je craignois que vous oubliassies ces choses.

  A017003305 

 Non, ma Fille, je dis ainsy ce que je croys estre a propos, sans autre prætention que de vous conforter au bien et vous tesmoigner que je suis tout vostre..

  A017003321 

 Dites souvent entre vos contradictions: C'est icy le chemin du Ciel; je voy le port et suis asseuree que les tempestes ne peuvent empescher d'y aller..

  A017003321 

 Haussés vostre teste dans le Ciel; voyes que pas un des mortelz qui y sont immortelz n'y est allé que par des troubles et des afflictions continuelles.

  A017003333 

 Comme l'annee passee, sur la demande que le Parlement de cette ville me fit de mes prædications, je pris la resolution et response dans le commandement de Vostre [347] Altesse, de mesme maintenant, estant de rechef prié par cette mesme cour, de revenir encor prescher le Caresme suivant, je n'ay voulu rien dire en attendant que Vostre Altesse me face pour cela le commandement qu'il luy plaira, estant, comme je doy,.

  A017003347 

 Il y a icy quatre ou cinq filles qui me parlent fort asseurement d'estre de la Visitation, et me semblent propres et dignes d'y estre receues; mais je [348] ne sçai presque comme vous les envoyer, tandis que l'on est la en doute si elles pourront estre establies.

  A017003347 

 Je les renvoye a la fin du Caresme, esperant que nous pourrons avoir, entre ci et la, quelques nouvelles de Rome.

  A017003347 

 Or, en tout evenement, nostre Congregation est grandement estimee en tiltre de Congregation et sera fort favorisee; mays puisque nous sommes en poursuite de la reduire en Religion, il faut avoir encor un peu de patience jusqu'a ce que nous sçachions ce qu'on en resoudra..

  A017003358 

 Je m'estonne que vous n'ayes receu que le billet que j'escrivis par M. Charbonnet, car je vous ay certes escrit a toutes occasions, mon tres cher Frere, et fait response a tout ce que vous m'aves proposé..

  A017003359 

 Pour M. Vittoz, si les meurs et la renommee ne font point d'obstacle, l'habit quil porte ne luy en fait point, car cet Ordre-la est de Clercz reguliers qui, ayans licence de leurs Superieurs, peuvent servir de curés, ainsy que j'ay declaré par un escrit que je luy en ay fait..

  A017003360 

 Nous avons l'exemple de Monseigneur de Tarentayse, plus fort, plus habile et plus hardi que nous, et qui n'avoit a faire qu'a un seul convent..

  A017003360 

 Quant a y mettre l'excommunication par nostre authorité, la difficulté seroit grande, par ce quil y auroit lieu a l'appel; et c'est une grande besoigne d'avoir a faire a des Religieux qui remueront toutes choses par apres pour empescher les effectz de nostre intention, quoy que juste et sainte.

  A017003361 

 Et pour conclure, sil y a quelque Canon ou Bulle papale qui porte cette excommunication, je suis content qu'avec bon advis on la promulge (sic); sil ny en a point de telle, je suis d'advis que nous facions une simple defence, laquelle nous irons fortifiant, par reservation du cas, ou par excommunication, selon que le tems nous enseignera devoir estre fait..

  A017003362 

 Voyla tout; et estant pressé, dautant que je n'ay que ce loysir d'entre le chapelet et l'Office, je vous salue mille et mille fois, mon tres cher Frere, et prie Dieu quil vous comble de bonheur, avec tous nos freres et confreres, demeurant tout vostre sans fin..

  A017003364 

 M. de Crequi arriva hier, que j'ay veu ce soir et m'a dit que Albe estoit assiegee quand il partit, et tenoit qu'elle estoit prise des avanthier; que l'on traittoit fort la paix en Espagne, et y avoit diverses opinions si elle se feroit ou non..

  A017003365 

 Je salue de tout mon cœur messieurs les Collateraux et suis leur serviteur fidele, et mesdames leurs cheres espouses, avec la plus que toutes (sic), de madame de Quoex, ma seur..

  A017003380 

 En quoy, bien que je sois son parent, je ne me relascherois pas de le recommander si librement, si je ne voyois que cet honneur ne luy peut meshuy manquer sinon avec beaucoup de perte de sa reputation aupres de monsieur le Grand de France, monsieur d'Alincourt et plusieurs autres seigneurs du voysinage, qui, ayans sceu et luy ayans tesmoigné de se res-jouïr que Vostre Altesse l'en vouloit gratifier, attribueroyent le manquement a quelque degoust qu'il eut donné despuis en l'exercice de cet office, lequel au reste je m'asseure quil fera dignement et au gré de Son Altesse et de la Vostre, Monseigneur, si elle l'y establit.

  A017003396 

 Les affaires de la Sainte Mayson de Thonon appellans le sieur Gilette par dela, je supplie tres humblement Vostre Altesse de proteger et favoriser sa poursuite, qui ne peut aussi reuscir sinon par cet appuy, auquel nous recourons d'autant plus asseurement, que Vostre Altesse nous l'a ainsy commandé l'hors que nous avions le bonheur de sa presence.

  A017003412 

 Et par ce qu'il sçait que ledit Chapitre ne peut en conscience les luy distribuer, ni moy permettre qu'il en jouisse de la sorte, il obtient de tems en tems des lettres par lesquelles Son Altesse Serenissime commande audit Chapitre de delivrer lesditz fruitz.

  A017003412 

 Il y a long tems que le doyen de Choysi, prestre, fait profession de conduire des soldatz et suivre l'armee, voulant neanmoins tirer les fruitz de son decanat sur le Chapitre et eglise de Salanche, comme sil faysoit la residence a laquelle il est obligé.

  A017003412 

 Mays je suis asseuré, Monseigneur, que si Son Altesse sçavoit la qualité de l'homme, elle le renvoyeroit a son devoir, et ne voudroit pas que l'Ordre ecclesiastique fut violé a son occasion, puisque mesme il n'a rien de si recommandable en la profession militaire que Son Altesse en puisse attendre aucun notable service..

  A017003413 

 Et d'autant que j'en parlay a Vostre Altesse l'ors que nous avions le bonheur de sa presence de deça, et qu'elle [355] tesmoigna de treuver mes remonstrances dignes d'estre protegees, je la supplie tres humblement de me commander ce que j'auray a respondre, avec ce Chapitre-la, aux lettres reiterees de Son Altesse que ce mauvais prestre obtient, et par lesquelles il presse plus ce Chapitre qu'il ne sçauroit faire par aucune autre voye, la seule ombre de la volonté de saditte Altesse nous estant en extreme reverence..

  A017003428 

 Ce ne sera qu'un billet, ma tres chere Mere, que vous recevres aujourd'huy de moy; Dieu me partage a mille choses et ne laisse pas de me tenir dans la sainte unité que sa main a faite en nous..

  A017003429 

 Je ne vis jamais un peuple plus docile que celuy ci, ni plus porté a la pieté; sur tout les dames y sont tres devotes, car icy, comme par tout ailleurs, les hommes laissent aux femmes le soin du mesnage et de la devotion.

  A017003429 

 Monseigneur l'Evesque et MM. du Parlement n'y tesmoignent aucune repugnance, ni moy aucun empressement, quoy que, a vous dire le vray, je desire cette Mayson, parce que j'espere que Dieu en sera glorifié.

  A017003440 

 Croyes, je vous supplie, que jamais vostre tres chere ame ne sera plus aymee qu'elle l'est de la mienne..

  A017003441 

 Mais, que me dit on? On me dit qu'estant grosse vous jeusnes, et frustres vostre fruit de l'aliment qui est requis a sa mere pour luy donner celuy qui luy est deu.

  A017003441 

 Ne le faites plus, je vous supplie, et vous humiliant sous l'advis des docteurs, nourrisses sans scrupule vostre cors en consideration de celuy que vous portes.

  A017003441 

 Vous ne manqueres pas de mortification pour le cœur, qui est le seul holocauste que Dieu desire de vous..

  A017003442 

 O mon Dieu, ma tres chere Fille, que j'ay treuvé icy force grandes ames au service de Dieu! Que sa Bonté en soit benite.

  A017003453 

 Je vous diray, sur la difficulté qu'a cette bonne fille, qu'elle se trompe grandement si elle croit que l'orayson la perfectionne sans l'obeissance, laquelle est la chere vertu de l'Espoux, en laquelle, par laquelle et pour laquelle il a voulu mourir.

  A017003453 

 Nous sçavons par les Histoires et par experience, que plusieurs Religieux et autres ont esté saintz sans l'orayson mentale, mais sans l'obeissance, nul..

  A017003454 

 Il faut que celles qui entreront sçachent que la Congregation n'est faite que pour servir d'escole et de conduitte a la perfection, et que l'on y acheminera toutes les filles par les moyens plus convenables, et que les plus convenables seront ceux qu'elles ne choisiront point.

  A017003455 

 Or, qui l'ayme pour l'amour de Dieu, n'en veut qu'autant que Dieu luy en veut donner, et Dieu n'en veut donner qu'autant que l'obeissance permet.

  A017003455 

 Si donq cette fille (que j'ayme neanmoins bien fort pour le bien que vous m'en dites) se veut perfectionner a sa guise, il la faut remettre a elle mesme; mais je ne croy pas, si elle est bien devote et qu'elle ayt le vray esprit d'orayson, qu'elle ne se sousmette a la pure obeissance..

  A017003456 

 Elle est trop prevoyante de dire que, pour un peu de tems, elle s'accommodera a ne faire que demi heure d'orayson; mais pour tous-jours, qu'il luy fascheroit.

  A017003456 

 Ne soyes point soigneux du lendemain, et ne dites point: Que mangerons nous, ni dequoy nous vestirons nous, ni dequoy vivrons nous? Vostre Pere celeste sçait que vous aves besoin de tout cela.

  A017003456 

 Que donq cette fille prenne un cœur d'enfant, une volonté de cire et un esprit nu et despouillé de toute sorte d'affections, hormis [360] de celle d'aymer Dieu, et quant aux moyens de l'aymer, ilz luy doivent estre indifferens..

  A017003457 

 Vivés doucement et saintement entre les peynes que vous aves sous vostre charge, ma tres chere Fille toute bienaymee, et je prie Dieu qu'il soit la vie de vostre ame.

  A017003466 

 Passant par cette ville avec beaucoup de presse, j'ay receu vostre lettre et les memoires de vos prætentions; dont je suis bien ayse, puisque monsieur le Marquis d'Aix m'a escrit que je luy fisse sçavoir ce que vous prœtendies, et que, revenant en ce païs, il seroit tous-jours bien content de voir tous les differens quil pourroit avoir avec vous, avec le plus de douceur et d'amitié que vous pourries desirer.

  A017003467 

 Je luy feray donq part du memoire qui m'est laissé et, sur ses responses, je vous tiendray avertie, desireux que je seray toute ma vie de vous tesmoigner par effet que je suis,.

  A017003485 

 Vous aures, je m'asseure, receu ce que vous desiries de monsieur le premier Præsident de Savoye, car il [362] le despescha soudain; et maintenant, ma tres chere Fille, vous recevrés, sil vous plait, en ce billet, un' asseurance nouvelle que je ne cesseray jamais de vous souhaiter mille et mille benedictions..

  A017003486 

 Tenes bon, ma chere Fille, et soyes immobile es resolutions que vous aves prises pour le salut de vostre ame, affin que vous puissies rendre bon compte de vous mesme a Nostre Seigneur au jour de vostre trespas, lequel, a mesure quil s'approche, nous invite a nous præparer soigneusement..

  A017003487 

 C'est pourquoy il faut avoir grand soin de soymesme, de ses actions et de ses intentions, et faire tous-jours voir que le cœur est bon et juste, doux et humble et genereux..

  A017003487 

 Soyes bien douce et gracieuse parmi les affaires que vous avés, car tout le monde attend ce bon exemple de vous.

  A017003521 

 En somme, nous ne trouvons de meilleure voie que celle indiquée dans le Mémoire ci-joint, conformément auquel j'ai [364] traité avec le Sérénissime Prince de Piémont, afin de pouvoir augmenter encore les revenus et avoir à Rumilly certains bénéfices pour le Noviciat.

  A017003522 

 Reste maintenant que Vos Paternités daignent embrasser avec bienveillance nos propositions et que, de leur côté, elles les fassent aboutir; quant à moi, je m'emploierai de tout cœur là où je verrai que mon concours pourra être utile.

  A017003522 

 Vos Révérences jugeront aisément que l'extension de leur Ordre est en voie de faire d'excellents progrès à la gloire de Dieu en ces régions, mais que, d'ailleurs, cette extension ne peut s'obtenir qu'avec le temps et une méthode convenable, suivant le bon plaisir de la divine Providence.

  A017003538 

 Je [le] desrobe encor parmi mille sortes d'affaires, [366] pour vous escrire un peu amplement sur le sujet duquel vous me parles pour vostre chere ame, a laquelle je vous conjure de dire cordialement ce que mon cœur desire estre dit au sien..

  A017003538 

 Je proteste, ma tres chere Fille, que voyci mon premier loysir.

  A017003539 

 O que vous estes heureuse, ma chere Fille, de vous estre desprise du monde et de ses vanités aussi! Certes, a ce que j'ay peu reconnoistre en ce peu de tems que je vous ay consideree, vostre ame estoit faite tres particulierement pour le divin amour et non pour le terrestre..

  A017003540 

 [1.] Immolés donq souvent toutes vos affections a Dieu par le renouvellement de la resolution que vous aves faite, de ne vouloir pas employer un seul moment de vostre vie que pour le service de la sacree dilection de l'Espoux celeste..

  A017003541 

 Faites soigneusement l'exercice du matin qui est marqué au livre de l' Introduction; et bien que la vistesse de vostre esprit comprenne en un seul regard tous les pointz de cet exercice, ne laissés pas de vous y entretenir autant de tems comme il en faut pour dire deux fois le Pater, et apres cela, prononcés de bouche [367] cinq ou six paroles d'adoration, et ensuite vous dirés le Pater avec le Credo..

  A017003542 

 Mays si, estant en l'orayson, vostre cœur se sent attaché a la simple presence du Bienaymé, vous ne passeres point plus outre, ains vous vous arresteres a cette presence; que si, au contraire, vous ne vous sentes pas attachee a cette presence, bien que toutefois vous y soyes, vous mediteres doucement le point que vous aures disposé..

  A017003542 

 Vous prepareres apres vostre orayson: un mistere de la Vie ou Passion de Nostre Seigneur, que vous vous proposeres de mediter, si tel est le bon playsir de Dieu.

  A017003543 

 Or, vous feres tous les jours l'orayson, sinon que quelque violente occupation vous en empesche; puisque, comme vous m'aves dit, lhors que vous continues en ce saint exercice, vous ressentes un grand avancement de recueillement, duquel vous estes privee quand vous l'abandonnes..

  A017003544 

 Mays affin d'accommoder cet exercice si utile a la vistesse et incomparable promptitude de vostre esprit, il suffira que vous y employes une petite demi heure chaque jour, ou un quart d'heure; car cela, avec les eslans d'esprit, retraittes du cœur en la presence de Dieu et oraysons jaculatoires qui se feront parmi les heures du jour, suffira tres abondamment pour tenir vostre cœur serré et joint a vostre divin Object; et mesme, cette orayson se pourra faire pendant la Messe pour gaigner tems..

  A017003545 

 Et c'est pour respondre a ce que vous me dites, qu'au commencement, le sentiment de la presence de Dieu se faysoit en la teste, qui parfois vous travailloit fort..

  A017003546 

 S'il vient des larmes, vous les respandres; mais si elles viennent souvent et avec trop de tendreté, vous releveres vostre esprit, si vous pouves, a gouster plus [368] paysiblement et tranquillement les misteres en la partie superieure de l'ame; non pas contraignant et serrant les souspirs ou sanglotz, ou les larmes, mays divertissant d'une heureuse diversion vostre cœur, en le relevant petit a petit a l'amour pur du Bienaymé par des doux eslans: O que vous estes aymable, mon Bienaymé! O que vous estes relevé en bonté et que mon cœur vous ayme! ou autrement, selon que Dieu vous tirera..

  A017003547 

 Et ne vous imagines pas que la douceur et tranquillité empesche la promptitude et l'œuvre, car au contraire, elle la fait plus heureusement reuscir..

  A017003547 

 Et parce que vous me dites que vous n'aves fait que fort peu d'orayson pendant que vous aves esté chez vous, vostre esprit estant si actif et mouvant qu'il ne se peut arrester, je vous dis qu'il faut pourtant l'arrester, et allentir petit a petit ses mouvemens, affin qu'il face ses œuvres doucement et tranquillement, selon les occurrences.

  A017003548 

 Et qu'en cela vous allies trompant vostre naturel et le reduisant petit a petit a la sainte mediocrité et moderation; car a celles qui ont le naturel mol et paresseux, nous dirions: Hastes vous, d'autant que le tems est cher; mays a vous, nous vous disons: Ne vous hastes pas tant, d'autant que la paix, la tranquillité, la douceur d'esprit est pretieuse, et que le tems s'employe plus utilement quand on l'employe paysiblement..

  A017003548 

 Par exemple: vous aves besoin de manger, selon la misere de cette vie; il faut que vous vous assoyes tout bellement, et que vous demeuries assise jusques a ce que vous ayes honnestement refectionné vostre cors.

  A017003549 

 Il faut que l'on demeure en la [369] barque en laquelle on est, pour faire le trajet de cette vie a l'autre, et que l'on y demeure volontier et amiablement; parce qu'encor que quelquefois nous n'y ayons pas esté mis de la main de Dieu, ains de la main des hommes, apres neanmoins que nous y sommes, Dieu veut que nous y soyons, et partant il faut donq y estre doucement et volontier.

  A017003549 

 Je vous dis, mays, ma chere Fille, je vous le dis fermement, que vous servies fidelement la volonté de Dieu et sa providence sur le sujet de vostre ancienne tentation, acquiesçant en toute humilité et sincerité au bon playsir celeste, par lequel vous vous treuves en l'estat auquel vous estes.

  A017003549 

 O combien d'ecclesiastiques sont embarqués par des mauvaises considerations et par la force que les parens ont employé pour les faire entrer en cette vocation, qui font de necessité vertu et qui demeurent par amour ou ilz sont entrés par force! autrement, que deviendroyent ilz? Ou il y a moins de nostre choix, il y a plus de sousmission a la volonté celeste..

  A017003550 

 Ce point est de telle importance pour la perfection de vostre ame, que je l'escrirois volontier de mon sang..

  A017003550 

 Et la dessus, ma tres chere Fille, je vous conjure d'estre bien fidele a la prattique de cet acquiescement et dependance de l'estat auquel vous estes; et partant, ma chere Fille, il faut que vous nommies quelquefois, es occurrences, les personnes que vous sçaves, du nom auquel vous aves aversion; et quand vous parleres a la principale d'icelles, que quelquefois vous employies parmi vos remonstrances des paroles de respect.

  A017003550 

 Que ma chere fille donq, acquiesçant a la volonté divine, die souvent de tout son cœur: Ouy, Pere eternel, je veux estre ainsy, parce qu'ainsy il vous a esté aggreable que je fusse.

  A017003551 

 Que s'il vous arrivoit quelque [370] notable difficulté sur ce sujet par le defaut de cette personne, ne remues rien neanmoins qu'apres avoir regardé l'eternité, vous estre mise en l'indifference et avoir pris l'advis de quelque digne serviteur de Dieu, si la chose presse, ou mesme de moy, puisque je suis vostre Pere, si le tems le permet; car l'ennemi, nous voyant vainqueur de cette tentation par nostre acquiescement au bon playsir divin, remuera, je pense, toutes sortes d'inventions pour nous troubler..

  A017003552 

 Au reste, que la tressainte et divine humilité vive et regne en tout et par tout: les habitz, simples, mais selon la propre bienseance et convenance de nostre condition, en sorte que nous n'espouvantions pas, ains allechions les jeunes dames a nostre imitation; nos paroles, simples, courtoises, et neanmoins douces; nos gestes et nostre conversation, ni trop resserree et contrainte, ni trop relaschee et molle; nostre face, nette et decrassee; et en un mot, qu'en toutes choses la suavité et modestie regne, comme il est convenable a une fille de Dieu..

  A017003561 

 A cette premiere commodité que j'ay de vous escrire, je tiens ma promesse, et vous presente quelques moyens [371] par lesquelz vous pourres addoucir la crainte de la mort, qui vous donne de si grans effroys en vos maladies et enfantemens: en quoy, bien qu'il n'y ayt aucun peché, si est ce qu'il y a du dommage pour vostre cœur, lequel, troublé de cette passion, ne peut pas si bien se joindre par amour avec son Dieu, comme il feroit s'il n'estoit pas si fort tourmenté..

  A017003562 

 Continués donq en la vie devote selon que vous aves commencé, et alles tous-jours de bien en mieux au chemin dans lequel vous estes; et vous verres que, dans quelque tems, ces terreurs s'affoibliront et ne vous inquieteront plus si fort.

  A017003562 

 Premierement donq, je vous asseure que si vous perseverés a l'exercice de devotion, comme je voy que vous faites, vous vous treuveres petit a petit grandement allegee de ce tourment; d'autant que vostre ame, se tenant ainsy exempte des mauvaises affections et s'unissant de plus en plus a Dieu, elle se treuvera moins attachee a cette vie mortelle et aux vaines complaysances que l'on y prend.

  A017003563 

 O que vous estes bon, Seigneur, a ceux qui ont le cœur droit!.

  A017003564 

 Je suis chetifve, et vile, et abjecte; mays vous m'aymeres en ce jour, parce que j'ay esperé en vous et ay desiré d'estre vostre..

  A017003565 

 Quatriesmement, excités en vous, le plus que vous pourres, l'amour du Paradis et de la vie celeste, et faites plusieurs considerations sur ce sujet, lesquelles vous treuveres suffisamment marquees au livre de l' Introduction a la Vie devote, en la Meditation de la gloire du Ciel, et au choix du Paradis; car, a mesure que vous estimeres et aymeres la felicité eternelle, vous aures moins d'apprehension de quitter la vie mortelle et perissable..

  A017003568 

 Septiesmement, adorés souvent, loués et benissés la tres sainte Mort de Nostre Seigneur crucifié, et mettés toute vostre confiance en son merite, par lequel vostre mort [373] sera rendue heureuse; et dites souvent: O divine mort de mon doux Jesus, vous benires la mienne, et elle sera benite; je vous benis, et vous me benires, o mort plus aymable que la vie! Ainsy saint Charles, en la maladie de laquelle il mourut, fit mettre a sa veuë l'image de la sepulture de Nostre Seigneur et celle de l'orayson qu'il fit au mont des Olives, pour se consoler en cet article, sur la Mort et Passion de son Redempteur..

  A017003569 

 Huitiesmement, faites quelquefois reflexion sur ce que vous estes fille de l'Eglise catholique, et vous res-jouisses de cela; car les enfans de cette Mere qui desirent de vivre selon ses loix, meurent tous-jours bienheureux, et, comme dit la bienheureuse Mere Therese, c'est une grande consolation a l'heure de la mort d'estre « fille de la sainte Eglise.

  A017003571 

 Ainsy du mary, ainsy du pere et des autres: en quoy vous aures d'autant plus de facilité, que tous vos plus chers servent Dieu et le craignent.

  A017003571 

 Dixiesmement, consideres souvent les personnes que vous aymes le plus et desquelles il vous fascheroit d'estre separee, comme des personnes avec lesquelles vous seres eternellement au Ciel: par exemple, vostre mary, vostre [374] petit Jean, monsieur vostre pere.

  A017003571 

 Et parce que vous estes un peu melancholique, voyes au livre de l' Introduction a la Vie devote ce que je dis de la tristesse et des remedes contre icelle..

  A017003572 

 Voyla, ma chere Dame, ce que pour le present je vous puis dire sur ce sujet, que je vous dis avec un cœur grandement affectionné au vostre, lequel je conjure de m'aymer et recommander souvent a la misericorde divine, comme reciproquement je ne cesseray jamais de la supplier qu'elle vous benisse..

  A017003583 

 Par ces quatre lignes je vous asseure, ma chere Fille, que je vous cheris tous-jours sans varier et vous souhaite toute benediction, et a monsieur le Maistre et a toute [376] vostre famille.

  A017003584 

 Vostre plus humble, tres affectionné, et a M. le Maistre que je salue icy avec vous de tout mon cœur..

  A017003587 

 Il ny a rien qui presse, ni rien a faire en vostre ame que de la rendre douce et amiable es contradictions..

  A017003587 

 Pour plusieurs bonnes raysons, je desire que vous ne venies point cett'annee, ou du moins pas si tost, puisqu'aussi bien, quant a Marie, elle ne peut en façon quelcomque estre receue avant l'aage.

  A017003602 

 Avec mille remercimens de la faveur de vos lettres, je vous donne le bonjour, et vous asseure que j'ay escrit pour la niece de monsieur Chanal, non seulement a nostre fille, dont il n'estoit pas besoin, mays aussi a Monseigneur l'Archevesque duquel tout depend..

  A017003603 

 On me fait peur par le bruit qui court qu'a Chamberi il y a des maladies si dangereuses, et que monsieur d'Avise s'en va mort, qui est le sujet du voyage de ce porteur.

  A017003622 

 C'est maintenant pour mon Eglise (et que puis-je dire de plus affectionné?) que j'implore vostre fraternelle faveur, et croy qu'elle me sera facilement accordee, sur tout quand vous aures ouy la remonstrance que ce porteur vous fera, par laquelle vous verres que le brevet dont il s'agit est non seulement fondé sur la pieté, mais encor, si je ne me trompe, sur la justice.

  A017003623 

 En fin, il n'est que d'estre gens de bien..

  A017003623 

 Vous me demandies l'autre jour, par la derniere lettre que j'ay eu le bien de recevoir de vous, des nouvelles de [379] monsieur de Charmoysi, mon parent; en quoy vous tesmoignes vostre bon et beau naturel, et cet honneste chevalier vous en sera grandement obligé quand il le sçaura; ce qui sera dans peu de jours, que luy et sa femme viendront en cette ville, puisque Monseigneur le Prince de Piemont ayant reconneu en cette derniere occasion sa valeur et suffisance es choses de la guerre, l'a creé grand maistre de l'artillerie de cet Estat, et despuis a esté embrassé et caressé sans mesure par Monsieur le Duc de Nemours, qui l'invitâ de venir en cette ville et le traitta tres honnorablement.

  A017003624 

 Veuille la Bonté divine m'y rendre fructueux! Et il failloit bien rendre ce conte de moy mesme a monsieur mon Frere, que j'honnore de tout mon cœur et auquel je suis.

  A017003659 

 Puisque le P. D. Fulgence se rend auprès de vous pour les affaires que je recommandai à Votre Paternité Révérendissime par la mienne dernière, il n'est pas besoin que j'ajoute autre chose.

  A017003677 

 Bien que je n'aye pas le bonheur d'estre conneu de vous, si est ce que je ne laisse pas de reconnoistre en vous les qualités par lesquelles vous merites d'estre honnoree de tous ceux qui font profession de l'honneur; dequoy madame la Baronne de Giez, ma cousine, se rendra, je m'asseure bien, ma caution.

  A017003678 

 Le sujet de vostre lettre, qu'il vous a pleu de m'escrire, me tesmoigne asses que vous aves dedié vostre amour a Dieu; et que faut-il davantage pour m'obliger a vous dedier mon service? Je le fay donq certes de tout mon cœur, et a madame la signora Donna Genevra, benissant la bonté souveraine de Nostre Seigneur qui, par ses celestes attraitz, vous a donné de si desirables affections..

  A017003679 

 Et peut estre que Sa Sainteté y fera adjouster quelque chose; ce que je ne pense toutefois pas devoir estre chose d'importance, puisque, comme nous escrit celuy qui a l'affaire en main, il ny a point d'autre difficulté sinon pour le regard de l'Office, que les messieurs qui ont l'intendance de cela veulent estre le grand Office du Breviaire; et nous desirerions que cette Congregation ne fut obligee qu'au petit Office, affin qu'elle continuast a le chanter avec la gravité, distinction, tranquillité et, pour le dire en un mot, avec la sainteté que ces ames le prononcent maintenant.

  A017003679 

 Mays si vous les desirés encores, je vous les envoyeray au premier advis que vous m'en feres donner, comm'encor les prattiques des Regles, qui est une besoigne a part; bien qu'apres tout cela, il faut que vous sachies que les Regles sont a Rome, ou l'on sollicite pour reduire cette Congregation en Religion.

  A017003680 

 Que si vous me faites la faveur de demander a sa divine Majesté une pareille grace pour [384] moy, ce sera m'obliger de plus en plus a vouloir estre pour jamais, Madame,.

  A017003685 

 Quand il en sera tems, Madame, j'escriray a Monseigneur le Prince, pour la prosperité duquel, et de toute la Mayson, nous faysons des speciales et continuelles prieres, tant publiques que particulieres: en quoy nous obeissons avec anticipation de sousmission aux desirs des Serenissimes Infantes..

  A017003695 

 Dites a cette chere Barbe Marie, qui m'ayme tant et que j'ayme encor plus, qu'elle parle librement de Dieu par tout ou elle pensera que cela soit utile, renonçant de bon cœur a tout ce que ceux qui l'escoutent peuvent penser ou dire d'elle.

  A017003695 

 Et ce n'est pas estre hipocrite de ne faire pas si bien que l'on parle, car, Seigneur Dieu! a quoy en serions nous? Il faudroit donq que je me teusse, de peur d'estre hipocrite, puisque si je parlois de la perfection il s'ensuivroit que je penserois estre parfait.

  A017003695 

 Non certes, ma tres chere Fille, je ne pense pas estre parfait parlant de la perfection, non plus que je ne pense pas estre Italien parlant italien; mais je pense sçavoir le langage de la perfection, l'ayant appris de ceux avec qui j'ay conversé qui le parloyent..

  A017003696 

 Les [386] cheveux de l'esprit de cette fille sont encor plus deliés que ceux de sa teste, et c'est pourquoy elle s'en embarasse.

  A017003696 

 Qu'elle poudre hardiment sa teste, car les faysans gentilz poudrent bien leurs pennages, de peur que les poux ne s'y engendrent..

  A017003697 

 Sil ny a personne, qu'elle l'accompaigne, si, sans s'empresser, elle peut y estre asses tost; et puis, qu'elle retourne doucement prendre sa refection, car Nostre Seigneur ne vouloit pas mesme que Marthe le servit avec empressement..

  A017003698 

 Je luy ay dit qu'elle pouvoit parler fortement et rrsolument, es occasions ou il est requis, pour retenir en devoir la personne qu'elle sçait; mays que la force estoit plus forte quand ell'estoit tranquille et qu'on la faysoit naistre de la rayson, sans meslange de passion..

  A017003699 

 La Socirté des Douze ne sçauroit estre mauvaise, car l'exercice duquel elle se sert est bon; mays il faut que cette Barbe Marie, qui ne veut point de peut estre, soufre celuy ci: que, peut estre, cette Societé est veritable, car n'estant nullement tesmoignee par aucun Prælat, ni aucune personne digne de foy, nous ne sçaurions estre asseuree (sic) qu'elle ayt esté instituee, le livret qui le dit n'alleguant ni autheur, ni tesmoin qui en asseure.

  A017003700 

 Or, puisque vous lises nos livres, je n'adjousteray rien, sinon que vous aillies simplement, rondement, franchement, et avec la naifveté des enfans, tantost entre les bras du Pere celeste, tantost tenue par sa main..

  A017003700 

 Qu'elle marche en l'orayson, ou par pointz, comme nous avions dit, ou selon son accoustumee, il importe peu; [387] ains nous nous souvenons bien que nous luy dismes que seulement elle praeparast les pointz et s'essayat, au commencement de l'orayson, de les savourer; et si elle les savoure, c'est signe que Dieu veut qu'elle suive cette methode, au moins alhors.

  A017003700 

 Que si neanmoins la douce presence accoustumee l'occupoit par apres, elle s'y laissast aller, et aux colloques aussi qu'elle fait par Dieu mesme, qui sont bons en la sorte qu'elle me les represente en vostre lettre; mays pourtant, il faut aussi quelquefois parler a ce grand Tout, comme voulant que nostre rien face quelque chose.

  A017003701 

 Mais au premier cas, je vous laisseray mesnager l'affaire pour Lyon, non pas envers ma Seur Favre, qui sera tous-jours contente de ce que nous [388] ferons, estant si grandement nostre fille et seur comme ell'est; mais ailleurs, a Lion, ou vous sçaves.

  A017003701 

 Or, de ceci faites en la responce a M me de Boqueron, sil vous plait, en cas que je ne puisse pas luy escrire, car je suis fort pressé, certes, et par consequent ne sçaurois escrire a M me de Saint André pour ce coup.

  A017003701 

 Si vous luy faites voir la copie de ce que j'escrivoys a M me de Vicillieu, cela suffiroit pour un tems..

  A017003702 

 Je suis bien ayse que mes livres ont treuvé de l'acces en vostre esprit, qui estoit si brave que de croire quil se suffisoit a soymesme; mays ce sont les livres du Pere, et du cœur duquel vous estes la chere fille, puisque ainsy a-il pleu a Dieu, auquel soit a jamais honneur et gloire..

  A017003703 

 Et puis, madame Odeyer, qui m'a bien escrit une lettre fort devote, dont je suis bien consolé, car je luy souhaite beaucoup de bonheur spirituel; et madame de Boqueron, et puis en fin la bonne [389] mere, et nostre bon M. d'Urme, que mon ame honnore et ayme parfaitement..

  A017003703 

 Je n'escris donq a personne qu'a vous, mais je desire bien pourtant que, par vostre entremise, je puisse saluer madame de Saint André et madame de Virieu, que vous cherisses si ardemment.

  A017003705 

 O que les enfans du monde sont sages! ce dit on.

  A017003719 

 Vostre Altesse est protectrice de la discipline ecclesiastique, et la regardant en cette qualité, je luy remonstre que le Doyen de Salanche, nommé Choysi, vient parmi ce pais faire des levees de gens de guerre et, tant de deça comme dela les montz, profane furieusement sa profession ecclesiastique et l'Ordre de prestrise qu'il a, par mille mauvais et scandaleux deportemens, indignes mesme d'un soldat desbauché..

  A017003720 

 Et neanmoins, il ne laisse pas de presser et molester ledit Chapitre, abusant ainsy du nom et de l'authorité de Son Altesse, laquelle sans doute n'a point de telle intention, puisque mesme cet homme ne la sert nullement a ses despens, et n'est pas capable de luy faire aucun service qui merite aucune consideration speciale, n'estant non plus bon soldat que bon prestre.

  A017003720 

 Il importe que cette insolence en cette sorte de personnes soit reprimee..

  A017003720 

 Mays le bon est, qu'avec cela il obtient subrepticement et par surprise des lettres de Son Altesse, par lesquelles elle commande au Chapitre de Salanche de le faire jouir des fruitz de sa præbende comme s'il estoit resident; ce que Vostre Altesse sçait trop mieux estre contraire au droit divin, ecclesiastique et civil.

  A017003720 

 Qui me fait recourir a la providence de Vostre Altesse, affin qu'il luy playse de renvoyer ledit Choysi a sa residence pour y rendre son devoir, et declarer que, sans cela, il ne peut recevoir ni demander les fruitz [391] de sa præbende, et que ce n'est pas la volonté de Son Altesse qu'on se departe des loix et constitutions ecclesiastiques.

  A017003736 

 J'ay receu maintenant le commandement que Vostre Altesse me fait de me preparer pour aller prescher l'Advent et Caresme suivant a Paris; et neanmoins, par lettres de M. le Baron de Marcieu, j'ay sceu que [392] Vostre Altesse m'avoit accordé pour le mesme Advent et Caresme a la cour du Parlement de Grenoble: qui me fait supplier tres humblement Vostre Altesse de me faire sçavoir auquel des deux lieux je m'attendray d'aller, m'estant, pour moy, chose asses indifferente, pourveu que, ou que je sois, ce soit selon le bon playsir de Vostre Altesse, a laquelle je suis, et a laquelle je souhaite toute sainte prosperité, comme doit,.

  A017003749 

 Certes, je ne pense pas [393] que le cousin ne se soit fort bien comporté en cette occasion, ainsy quil en rendra bon compte si l'on veut.

  A017003749 

 Le cousin auroit grand'envie de sçavoir si c'est Son Excellence qui a dit quii ne s'estoit pas voulu engager d'escrire a M. de Saint Damian pour ce mariage; par ce que si c'estoit elle, il faudroit en parler plus reservement, quoy qu'il n'en soit rien.

  A017003751 

 Je salue infiniment madamoyselle de Beaufort, que je cheris parfaitement; mays je n'ay pas du tems asses pour luy escrire..

  A017003751 

 Le P. Commissaire vous dira que je n'ay eu nul loysir de luy parler, sinon presque de M. le Prieur, pour un affaire quil a avec les exacteurs de la decime.

  A017003767 

 C'est la verité, Madame ma tres chere Fille, qu'entre les souvenirs que j'ay des ames que Dieu m'a fait aymer, [395] celuy de la vostre m'est de tres grande consolation; car j'ay veu un certain despouillement des creatures et de leurs vanités, qu'il m'est impossible de n'aymer pas passionnement..

  A017003768 

 Les enfans du monde confessent ordinairement en mourant que cette vie n'est pas considerable que pour l'eternelle; mais les enfans de Dieu touchent toute leur vie cette verité..

  A017003769 

 Vivés comme cela parmi toute cette multitude de fascheuses occupations que vostre condition vous oblige de voir et d'avoir; et comme ceux qui s'acheminent a leurs patries n'esperent le repos qu'apres y estre arrivés, ainsy pretendés tous-jours a cette paix perdurable a laquelle vous alles et ardes, travailles et marches..

  A017003791 

 Déjà, des tentatives furent faites par M gr l'Evêque mon prédécesseur, de pieuse mémoire; mais il y rencontra tant de contradictions, [397] qu'il ne fut pas possible de les poursuivre, car il procédait par voie d'application des bénéfices, dont les hommes sont si avides que, pour en jouir en leur particulier, ils en empêchent de tout leur pouvoir l'union aux collèges et à telles autres œuvres de piété..

  A017003834 

 Cependant, avec ce peu de motz, fideles interpretes de mon allegresse, je commence a vous rendre graces tres humbles du bonheur et des benedictions qu'attirera sur ce pais vostre arrivee, et vous supplie tres humblement d'honorer de vostre sejour cete maison, qui desireroit, an cete heureuse conjoncture, avoir encor les plus grands et plus illustres Prelatz qui l'ont autresfois regie, afin que plus dignement elle peust recevoir vous, Monseigneur, qui estes l'honneur et la coronne des Prelatz.

  A017003834 

 Elle retiendra, s'il vous plaist, ses anciens merites, bien que possedee par un successeur indigne qui vous en supplie, avec toutes les affections de son ame, et est,.

  A017003834 

 Je viens d'apprendre que nous aurons aujourd'huy l'honneur de vous veoir en cete ville, et ne fauldray point de monter an carosse pour vous aller rendre mes premiers devoirs si tost que nos Vespres seront dittes.

  A017003865 

 C'est pourquoy, cognoissant quil me seroit malaysé de faire mieulx, et gehenné d'autre part de tout plein de considerations qui me pressent de me resouldre, j'ay employé deux soirées, hier et avant hier, a brouillasser ce que je vous envoye presentement.

  A017003865 

 Je creins bien fort que vous ayes grand' peine a le lire, tant il est mal escript, et encor plus a l'entendre, tant il est mal digeré.

  A017003865 

 Puisque jamais plus il n'y doibt avoir entre nous de ceremonies, je vous direy tout naifvement que j'ay diferé si longtemps de vous escrire, pour ce que j'avois honte que vous vissies mes lettres sans veoir par mesme moyen l'advis que je vous avois promis sur les Regles de la Visitation.

  A017003866 

 Si vous trouves bon que madame de Chantal le voye, je m'an [405] remetz a vostre jugement; mais bien vous supplie je que personne autre ne le voye et quil vous plaise, dans quelques jours, me le renvoyer, pour ce que je fais dessein de m'an servir comme d'un Memoire qui, sur le sujet de cet Institut, me fournira diverses choses qui ont passé par mon esprit, mais ne s'arrestent point fidelement en ma memoire; et j'an ay besoing pourtant, tant que cet affaire soit terminé entierement..

  A017003866 

 Vous devineres un peu et les motz et le sens, mais aussy seres vous asseuré que cet escript n'ha point passé par les mains des copistes et que personne ne l'ha veu sinon celuy qui l'ha escript.

  A017003867 

 Je n'userey point icy de compliment; j'ay mis au commencement de cet escript, en peu de parolles, ce que j'ay deub dire, et que de nouveau je confirme et par ces lignes et par toute l'affection de mon cœur.

  A017003867 

 Selon que nous demeurerons d'accord de l'estoffe, sili y a quelques motz ou quelques periodes a changer en l'ouvrage, il n'y aura pas a travailler pour plus d'un jour.

  A017003868 

 C'est l'advis de touts les Religieux et casuistes qui an entendent parler; mais c'est ce que me dient ouvertement les plus honorables et qualifiés (sic) personnes de cete ville.

  A017003868 

 Certes, mon premier souhet seroyt que nous peussions l'un et l'autre changer nos Congregations en Religions formelles.

  A017003868 

 Encor desireroyent ils bien fort que ce fust une Religion formelle, et ont grand' peine a permettre autrement que leurs filles y entrent..

  A017003868 

 Enquoy, si vous approuves l'ouverture que je fais d'allunger le noviciat des veufves et de deffendre les sorties aulx professes, on peult reserver celles qui ont desja fait profession, lesquelles ayantz encor des affaires, pourront sortir, et le reglement aura lieu seulement pour celles qui entreront desormais; et cete reserve pourra estre expresse, ou mentale, comme vous le jugeres a propos.

  A017003868 

 Il sera malaysé que sans cet article ou sans un autre de pareille teneur nous puissions convenir; car jamais je ne pourrey bien establir icy la Congregation si je n'y metz la closture.

  A017003868 

 Si cela ne se peult, je desire au moins que nous puissions convenir de Regles qui soyent uniformes pour les deux Congregations.

  A017003869 

 Mais ce dont je vous supplie plus cordialement que de tout le reste, est quil vous plaise, apres avoir pezé meurement toutes choses, me mander ce que vous juges selon Dieu que je doibs faire; car, si apres avoir recommendé l'affaire a Nostre Seigneur, vous voules que je laisse les sorties et que je me conforme a vous entierement, et quil vous plaise an respondre a Dieu pour moy, je vous declare qu'avec cete condition, et soubs la confiance que j'ay en vostre vertu, je mettrey soubs les pieds mon sentiment et tout ce que le monde pourra dire ou faire, et establirey la Congregation, et an ferey publier et imprimer les Constitutions de mot a mot, telles que vous ordonneres, sans y changer rien du tout..

  A017003869 

 Que sil m'arrivoyt ce malheur que nous ne peussions convenir de cet article, je vous supplie de tout mon cœur quil vous plaise en ce cas me donner vos bons et charitables advis, si je debvrey ou continuer ma Congregation sur le modelle et les Constitutions de la vostre, y changeant ce que je jugerey necessaire en mon diocese, [406] comme nous voyons qu'ont fait diversement les Evesques de la province de Milan, ou bien si je changerey tout a fait ma Congregation en une Religion formelle, en la maniere portée par mon escript.

  A017003875 

 Monseigneur, je ne vous renvoye point encor les Constitutions, pour ce quil ne semble pas que vous an ayes besoing pour vous resouldre sur l'Institut, lequel estant arresté, je vous renvoirey les dittes Constitutions afin que vous y metties la derniere main pour les faire imprimer..

  A017003893 

 Comme vous portez-vous, mon pauvre très unique Père? Tou jours mieux, moyennant la grâce de Dieu, non pas? Hé Dieu! oui, s'il vous plaît, mon bon Sauveur, et pour longtemps, je vous prie, que cette chère santé de mon Père soit bien établie.

  A017003894 

 Mais cependant, me pourrez-vous dire oui ou non, simplement et courtement, de ce que je vous vais demander? Mes quatre jours sont passés, auxquels vous m'aviez marqué ce que je ferais; et je vous rends compte en ces deux derniers petits feuillets de ce qui s'est passé, car les deux premiers, c'est ma confession en laquelle vous n'entendrez rien.

  A017003905 

 Hélas! mon unique Père, que cette chère lettre me fait de bien! Béni soit Celui qui vous l'inspira, et que béni soit aussi le cœur de mon Père au siècle des siècles!.

  A017003906 

 Il est vrai que tout le reste demeure fort étonné; mais faisant bien ce que vous me dites, mon unique Père, comme je ferai sans doute, Dieu m'aidant, tout ira toujours mieux..

  A017003907 

 Il faut que je vous die ceci: mon cœur chercherait, si je le voulais laisser faire, de se revêtir des affections et prétentions qu'il lui semble que Notre-Seigneur lui donnera; mais je ne le lui permets nullement, de sorte que ces propositions ne se voient que de loin; car enfin, il me semble que je ne dois plus rien penser, désirer ni prétendre que ce que Notre-Seigneur me fera penser, aimer et vouloir, ainsi que la nourrice qu'il me donnera me l'ordonnera; car je suis exacte à ne la point regarder..

  A017003908 

 Que Jésus vous fasse un grand saint; et je le crois ainsi.

  A017003919 

 Je suis bien aise de toutes ces ordonnances, et que vous gardiez votre solitude, puisqu'elle sera encore employée au service de votre cher esprit.

  A017003919 

 M. Grandis m'a dit aujourd'hui que nous eussions encore bien soin de vous, que vous ne deviez plus faire une si grande diète, qu'il fallait vous bien tenir et contregarder, à cause de la fluxion qu'il faut craindre.

  A017003920 

 Hé! que vos paroles ont donné une grande force à mon âme! que celles-ci m'ont touchée et consolée quand vous me dites: « Que de bénédictions et de consolations » votre âme a reçues, de me « savoir toute dénuée devant Dieu! » Oh! Jésus vous veuille continuer cette consolation, et à moi ce bonheur..

  A017003920 

 Mon Dieu! mon vrai Père, que le rasoir a pénétré avant! pourrai-je demeurer longuement dans ce sentiment? Au moins notre bon Dieu me tiendra dans les résolutions, s'il lui plaît, comme je le désire.

  A017003921 

 Dieu grâce, je ne suis pas pressée de regarder ce que j'ai dévêtu; je demeure assez simple, je le vois comme une chose éloignée, mais il ne laisse pas de me venir toucher; soudain je me détourne.

  A017003921 

 Quand Notre-Seigneur me donna cette douce pensée que je vous mandai mardi, de me laisser à lui, hélas! je ne pensais point qu'il commencerait à me dépouiller par moi-même, me faisant ainsi mettre la main à l'œuvre.

  A017003921 

 Que béni soit Celui qui m'a dépouillée! Que sa bonté me confirme et fortifie à l'exécution quand il la voudra.

  A017003922 

 Aujourd'hui encore, plus ou moins, il me reste fort peu pour appuyer et reposer mon esprit; peut-être que ce bon Seigneur veut mettre sa sainte main par tous les endroits de mon cœur pour y prendre et le dépouiller de tout: sa très sainte volonté soit faite!.

  A017003922 

 Je ne vous disais pas que je suis avec peu de lumière et de consolation intérieure; je suis seulement paisible partout, et semble même que Notre-Seigneur, tous ces jours passés, avait un peu retiré cette petite douceur et suavité que donne le sentiment de sa chère présence.

  A017003923 

 » Et vous me dites: « Ne vous l'avais-je pas bien dit, ma Fille, que je vous dépouillerais de tout? » O Dieu! qu'il est aisé de quitter ce qui est autour de nous! mais quitter sa peau, sa chair, ses os, et pénétrer dans l'intime de la moëlle, qui est, ce me semble, ce que nous avons fait, c'est chose grande, difficile et impossible, sinon à la grâce de Dieu.

  A017003924 

 Ainsi soit-il, mon très cher Père, et que Jésus vive et règne à jamais! Amen..

  A017003924 

 Je finis donc en vous donnant [410] mille bonsoirs, et vous disant ce qui me vient en vue: il me semble que je vois les deux portions de notre esprit n'être qu'une, uniquement abandonnée et remise à Dieu.

  A017003924 

 Mon vrai Père, ne me revêts-je point sans votre congé de cette consolation que je prends à vous entretenir? Il me semble que je ne dois plus rien faire, ni avoir pensée, ni affection, ni volonté qu'ainsi qu'elles me seront commandées.

  A017003925 

 Ne vous avancez point de vous lever trop tôt; je crains que cette sainte fête, ne vous fasse faire un excès.

  A017003933 

 Ayant esté adverty que pour la perfection du bon œuvre que nous avons commancé en ceste ville, capitale de mon gouvernement, qui est le nouvel establissement d'une Maison de Sainte Marie, il failloit recourir a vous pour avoir vostre permission, afin de faire venir les Dames qui doivent perfectionner ceste entreprise, j'ay creu que vous m'accorderiez la tres humble requeste que je vous en fais, comme Monseigneur de Lion m'a liberalement octroyé sa permission pour l'establissement..

  A017003934 

 Et outre l'asseurance que madame des Goufier vous pourra donner qu'elles seront bien et honorablement receues, je vous jure que je veux employer a leur service toute l'authorité que le Roy m'a donnee en cette province, estant a vous, et a elles a vostre consideration,.

  A017003934 

 Il ne reste donc plus que vostre permission, afin que ces devotes Dames viennent; dont je vous supplie derechef tres humblement, vous asseurant que je fais gloire que, du temps de mon gouvernement, le Bourbonnois soit des premieres provinces a recepvoir les Religieuses de vostre Ordre, n'ignorant pas quelle est [411] vostre reputation et le renom de vostre sainte vie et merite parmi la France; ce qui me faict desirer de donner une de mes filles a vos Religieuses, quand elles seront icy.

  A017003944 

 Toutesfois, sçachant que vous recepvez les grands et les petitz, j'envoye ces lignes vous pourter ma suplication, vous asseurant que je reçois une joye singuliere en l'espoir de son interinement, car l'odeur de voz fleurs naissantes commence a donner jusques a nous; de noz plaines, dis je, nous.commençons a descouvrir l'excellence de vostre ouvrage..

  A017003944 

 Vostre Illustrissime Seigneurie sera suppliee par tant d'autres de nous envoyer de voz cheres Filles, que j'ay douté si je devois adjouster ma priere a celle de sy puissans intercesseurs.

  A017003945 

 Ce n'est pas merveille, Monseigneur, que ce qui est sur les montagnes soit visible a tous; au contraire, je m'esbaÿs de l'admirable voile dont vostre humilité a sy longtemps couvert son ouvrage.

  A017003945 

 Ce que madame de Chantal a faict a Lyon, et encores plus [412] ce qu'elle est, la faict extremement desirer icy.

  A017003945 

 Or, Monseigneur, tirez le rideau, sil vous plaist, et nous communiqués ce que vous aves faict pour la gloire de nostre commun Maistre.

  A017003945 

 Pour mon particulier, j'ambitionerois puissamment le bonheur qu'elle y vint au moins pour quelques mois; mais d'autant que c'est au maistre de famille de sçavoir sy la mere de la famille peut quicter la principale Maison pour aller travailler ailleurs, je me remetz et soubmetz a vostre jugement et disposition, vous asseurant que, quelles que ce soient de voz Filles qui viennent, nous les recevrons, cherirons et servirons avec la mesme sincerité, respect et dilection non feinte que je suis, du Pere de ces vertueuses Filles,.

  A017003957 

 Madame des Goufier ayant pris desir, avec bonne compagnie, de quitter l'Egipte du monde pour se ranger en ceste ville en une Maison de vostre Ordre de la Visitation Saincte Marie, comme en la terre de promission en laquelle elle espere jouyr des delices de son celeste Espoux; apres y avoir aporté les ceremonies necessaires en la benediction du lieu faicte par monsieur le Doyen de Nostre Dame, en la presence de Monseigneur nostre Gouverneur, reste a present la favorable assistance de vos graces, pour envoyer des ouvrieres en sy copieuse moisson que celle de la vie contemplative, lesquelles, recuillans le pain des Anges en leurs ordinaires exercices [413] et s'acquerans les faveurs du Ciel, puissent rendre nostre ville participante des benedictions qui se reçoipvent par le merite de sy sainctes hostesses, lesquelles venant de vostre part nous apporteront un esprit celeste et nous seront autant cherès comme asseurement, et a Vostre Seigneurie et a leur pieté, nous demeurons a jamais,.

  A017003970 

 Passant par cete ville pour m'en aller a Paris, j'ay veu les commencemens que madame des Goufier a donné a une maison de la Visitation.

  A017003971 

 Il y aura encor icy, comme je prevoy, quelques petites difficultés, qui se dissiperont des que l'on verra des Religieuses et que l'Office se fera..

  A017003971 

 Les commencemens que je veoy icy sont si heureux, qu'il fault, Monseigneur, que je vous die ce que j'ay apris d'un bon medecin: qu'encor que l'on veuille faire nourrir les enfans par d'autres que par leur mere, il seroit a souheter, pour le proffit de l'enfant, que la vraye mere luy donnast le premier laict, par un secret de nature qui, donnant et faisant produire l'enfant, ne manque pas a fournir ce qui est pour son mieulx.

  A017003971 

 Vous entendes ce que je veulx dire: si madame de Chantal, vraye Mere de vostre Congregation, pouvoit venir icy donner le premier laict aulx filles commençantes, je prevoyrey autant de bonheur a cete institution et fondation que de celle de nostre Lyon, qui donne tousjours plus de contentement et d'esperance que Dieu y sera glorifié (fidelis sermo est); car c'est ce que nous [414] pretandons.

  A017003972 

 Envoyes en donc au plus tost, Monseigneur, je vous supplie, et me donnes la benediction de vos sainctes prieres, que je vous demande du bon de mon cœur, qui se proteste.

  A017003983 

 Il faut en fin que Dieu soit victorieux; la chair a beau regimber contre l'esguillon, et le diable à redoubler ses tentations; quant il plaist au S. Esprit de convertir une ame, il faut en fin que sa vocation soit efficace.

  A017003984 

 Quant je fus dernierement a Tonon, plusieurs considerations humaines et les troubles causées (sic) par l'ennemy de mon salut m'empescherent de passer outre, mais non toutefois en sorte que mon dessein fut aucunement changé, ni ma bonne volonté diminuee en façon quelconque.

  A017003985 

 Ce sera donc au plus tost, Monseigneur, que j'iray vers vous pour recevoir voz commandements et faire tout ce que vous jugerez expedient pour la gloire de Dieu, à quoy je me dispose de bon cœur..

  A017003985 

 Et afin, Monseigneur, quil soit evident que ce ne sont pas parolles seulement et que vous en aiez pleine asseurance, outre l'obligation que j'y ay desja, j'ay faict vœu a Dieu, et le faicts encor maintenant en vostre presence, de quitter et abandonner tout pour me rendre à la sainte Eglise Catholicque; et ce, dedans brief temps et sans beaucoup temporiser par negligence.

  A017003985 

 Si j'avois la cognoissance [415] des temps et des moments que le Pere Celeste retient en sa puissance, j'apposerois quelque terme prefix a ce mien vœu; mais au moins, incontinent apres la S. Martin prochaine, sil plaist a Dieu me prester santé, toutes mes pensees, touts mes efforts et desseins se banderont à effectuer ma promesse; et ay ferme esperance en Dieu, qui ne me confondra point, puis que l'entreprinse est pour son service, honneur et gloire, que par sa grace il me suppeditera touts moiens a ce necessaires, et ostera touts empeschements invincibles: Erunt prava in directa, et aspera in vias planas.

  A017003986 

 C'est a elle que je vouë le service de tout le reste de ma vie, et si les forces estoint pareilles au courage, ce ne seroit pas pour petites choses mais pour grandes; toutefois, j'attendray la vocation de Dieu.

  A017003986 

 Je hay infiniment l'heresie et l'ay en telle abhomination que, par force, il faut que je quitte le lieu ou elle regne, nonobstant toutes affections naturelles vers les miens.

  A017003986 

 Si donc quelqu'un estoit entré en doute de ma constance, je prie (et c'est icy presque la principale fin pourquoy j'escry la presente) que telle deffiance soit levee, car jamais je ne fus mieux resolu.

  A017003987 

 Il est vray que je ne sçay pas a quoy penche et incline cest affaire la, mais selon mon petit advis, c'est chose qu'il ne faut pas negliger..

  A017003987 

 Je tiens pour certain de bon lieu que Messieurs de Berne, entre autres conditions, ont demandé que l' Interim soit remis aux bailliages de Chablais esquels il a esté autrefois; quod Deus avertat.

  A017003987 

 Le commun bruit est par deça que l'alliance entre Son Altesse et Messieurs de Berne est si fort avancee qu'elle s en va comme conclue.

  A017004005 

 En response de la vostre tres-aggreable du 28 septembre, que j'ay receüe le 10 du present, je vous diray non seulement que je voy vos Œuvres de l'oeil favorable que je dois, et fais en icelles le profit que je peux; mais de plus, je vous confesseray de bouche que,.

  A017004008 

 La Mire de vie a l'amour parfaict, que j'ay faicte au nom et sur le nom de madame Marie de Levi, tres-digne Abbesse du monastere Royal de S. Pierre de Lyon, vous en fera foy, et à tout le monde, si elle s'imprime.

  A017004008 

 ainsi que desirent plusieurs de mes amis, à la volonté desquels j'acquiesceray, si vostre approbation m'en donne le courage..

  A017004009 

 J'attends avec avidité d'estudier en ces beaux traictez que vous me faites esperer par la vostre susdicte, afin, nous les donnant, qu'à moy et à ceux qui mieux que moy y feront leur profit, vous nous disiez le dire du Poëte:.

  A017004043 

 Ce qu'attendant, je vous prie de vous asseurer tousjours de mon affection et du desir que j'ay de la vous faire congnoistre aus occasions, lesquelles ne s'offriront jamais aussy souvent que je les souhaite, pour l'envie que j'ay que vous croies quil ny a personne qui vous soit plus aquis que moy..

  A017004043 

 Le desplaisir que je reseus de ne vous avoir encores trouvé a Nissy quant j'y arrivé, ne fut pas moindre que seluy que vous tesmoignes en avoir eu, car j'avois une estreme envie de vous voir et entretenir; mais je me consolle avec l'esperanse que j'ay d'avoir bien tost se contantement, que je desire passionnement, pour estre un des plus grans que je puisse recevoir.

  A017004044 

 Neantmoins, je satisferay au desir de ses Peres le plus tost que je [419] pourray, voulant en toute occasion leur tesmoigner l'affection que j'ay a tout se qui leur touche, et a vous combien je suis, Monsieur,.

  A017004044 

 Quant a se que vous m'escrivés pour le regard du bastiment de l'eglise des Peres Bernabites, je contriburay tousjours tout se qui me sera possible pour ung si bon œuvre, estant bien marry que je ne puis des a present leur faire congnoistre la volonté que j'en ay; mais parse que les occasions passees m'ont un peu mis en arriere, cela ne me peult permettre de faire tout se que je voudrois bien.

  A017004064 

 Il a quitté la condition que l'on lui voulait donner, parce qu'il n'a pas eu le courage de nous quitter.

  A017004065 

 Enfin, il s'en est parlé fort mal à propos; Dieu veuille qu'il y ait plus d'innocence que le monde ne pense! Mon Dieu, mon très honoré Père, que de malheurs qui sont parmi le monde! Bienheureux qui vit en crainte! Pour moi, je ne puis mal penser de cette Dame, je la crois trop vertueuse..

  A017004065 

 Pour leur confesseur, il est de delà Paris, à ce que son frère même a dit; et à même temps que ces Dames et lui sortirent, M. l'Evêque Dangre (de Langres) a donné une sentence contre lui, que s'il retournait en Bourgogne, il n'y irait que de la vie.

  A017004066 

 Monseigneur, notre chère Mère s'est trouvée mal; nous vous supplions très humblement de mettre bon ordre, avant que partir de [420] Nicy, que l'on la fasse conserver ce Carême; autrement elle se gâtera et se ruinera de santé tout à fait.

  A017004066 

 O Dieu! mon très cher et honoré Père, c'est la douleur la plus sensible au cœur que l'on puisse avoir; toutes les contradictions ne sont rien, au prix de savoir du mal à cette chère Mère..

  A017004069 

 Nous vous supplions d'agréer que nous saluions mille fois en toute humilité notre chère Mère.

  A017004091 

 Nous avons reçu les lettres que vous écrivîtes la veille de Noël, environ cinq semaines après.

  A017004092 

 A la vérité, Monseigneur, son infirmité nous met un peu en peine, car elle est grande, bien que l'on dise que ce soit un mal qui n'ira pas en empirant, parce que ce n'est pas une défluxion, ains une incommodité que la vérole lui a laissée.

  A017004092 

 Je trouve son cœur et son esprit, pour le peu de connaissance que nous en avons, bien à notre gré.

  A017004092 

 Nous louons Notre-Seigneur, mon très honoré Père, de ce que vous trouvez des âmes si fort disposées au bien, et de quoi vous trouvez la nièce de M. de Bouqueron propre.

  A017004094 

 Eh! Dieu nous rende telle que sa Bonté nous désire.

  A017004094 

 Il faut avouer, Monseigneur, que tout ce qui se passe ici conduit fort à l'humilité, à qui en voudra faire profit.

  A017004094 

 Il nous semble que le fruit que Notre-Seigneur nous [422] fait tirer de cela est un dénuement de toutes choses créées et l'affection de ne tenir qu'à Dieu seul.

  A017004094 

 Mon Dieu, Monseigneur, que nous avons bon besoin de l'assistance de sa divine Majesté et qu'il nous fortifie! Avec toutes ces rencontres journalières, qui sont assez pleines de mortification, je n'ai nul sentiment de confiance, ni quasi de courage, bien que, grâces à Dieu, nous ressentons toujours, à la pointe de l'esprit, de l'amour à tout ce qui arrive, parce que nous le voyons partir comme des choses que Dieu permet et qu'il nous donne pour nous humilier.

  A017004094 

 Monseigneur l'Archevêque dit qu'il ne veut pas que l'on en reçoive davantage que l'on ne sache la fin des affaires de Rome.

  A017004094 

 Nous vivons avec des incertitudes et des irrésolutions et humiliations si grandes, que je ne sais quelquefois où nous en sommes.

  A017004095 

 Sa Bonté nous fasse la grâce de les imiter, et de nous rendre digne de l'heureuse qualité que je possède à me nommer,.

  A017004117 

 Nous avons reçu vos lettres avec toujours une particulière consolation: c'est le remède à tous les maux qui nous pourraient arriver; je veux dire que, quelle sorte de peine ou d'abattement d'esprit que nous ayons, vos nouvelles nous remettent en courage et en vigueur.

  A017004118 

 Mon Dieu, mon très honoré Père, nous sommes un peu en peine de notre digne Mère qui reprend si fréquemment ces accidents si fâcheux et dangereux; elle en a eu un depuis que vous êtes à Grenoble, à ce que nous écrit monsieur de Boisy, force d'avoir trop parlé à nos Sœurs au Chapitre.

  A017004118 

 Nous vous demandons très humblement pardon si nous parlons de la sorte; nous savons bien le soin que votre bonté en a, mais mon affection s'échappe toujours un peu, et nous espérons que vous ne le trouverez pas mauvais..

  A017004120 

 Nous vous envoyons les Règles des Ursulines de Paris, avec les Bulles qu'elles ont obtenues de Sa Sainteté; Monsieur de Chenevoux nous les a envoyées, nous avons pensé que vous seriez peut-être bien aise de les voir..

  A017004121 

 Nous louons Notre-Seigneur de ce que cette chère Sœur de la Valbonne fait tous les jours mieux; elle nous fait grande honte, elle avance, et nous croyons que nous allons en arrière.

  A017004123 

 Toutes nos chères Sœurs vous saluent très humblement en toute révérence, mais plus que toutes, celle qui a l'honneur de se dire,.

  A017004141 

 Nous vous remercions très humblement du soin que vous avez de nous faire savoir de vos nouvelles, bien qu'à même temps nous vous supplions de n'en point prendre la peine, vous avez assez d'autres occupations; il suffira que M. Michel nous fasse savoir quelquefois comme vous vous portez..

  A017004142 

 Nous ne la connaissons point; néanmoins son premier abord nous agrée assez, et nous espérons qu'elle sera propre pour notre sorte de vie: Dieu lui en fasse la grâce! Ce sera le plus grand bonheur qu'elle puisse avoir, que de se rendre digne de la grâce que sa divine Majesté lui a faite, et à nous aussi..

  A017004143 

 Monseigneur et mon très digne Père, nous louons notre bon Dieu et vous remercions très humblement de la bonne nouvelle que vous nous dites de nos affaires de Rome; nous espérons qu'à (sic) la seule difficulté qui reste sera bientôt éclaircie, s'il plaît à Notre-Seigneur..

  A017004144 

 J'ai toujours des grands désirs d'être telle que vous nous désirez et que Dieu nous veut; mais il faut que tout vienne de lui, par l'intercession de vos saintes prières..

  A017004145 

 Monseigneur, nous serons bien aise que la nièce de M. de Bouqueron vienne; nous avons une grande bonne opinion que ce sera une bonne servante de Dieu.

  A017004145 

 Nous espérons que, avant que vous sortiez de Grenoble, que nous vous écrirons que nous sommes logées; au moins, l'on est fort après.

  A017004153 

 Ma Sœur Marie-Aimée a bien reçu la lettre que vous dites avoir pris la peine de lui écrire..

  A017004153 

 Toutes nos chères Sœurs vous saluent très humblement et en toute révérence, et tout à part, nos Sœurs professes, mais plus que toutes, votre chétive grande fille.

  A017004166 

 J'ay veu, passant a Lyon, ceste grande et admirable Fille de vostre cœur, devuider ses affaires avec un si profond jugement, accompagné d'un recueillement si religieux et d'une douceur si atrayante et sans alteration, que si je n'eus pas sceu qui elle estoit, je n'aurois pas laissé de juger, par une consequence indubitable: Voyla la grande Fille de nostre tres debonnaire Pere, Monseigneur de Geneve..

  A017004176 

 J'ay leu aussi depuis un mois tout vostre Theotime, où j'ay appris que l'amour de nostre bon Dieu n'est pas de la nature de ceux du monde et de la Cour.

  A017004176 

 Je m'en vais donc tascher de mouler ma vie sur celle de vostre Philothée, et n'aimer avec Theotime rien que Dieu, ou pour luy, et selon sa tres aimable volonté..

  A017004177 

 Au reste, je ne vous ferois pas cette demande, si je n'estois tres-assurée que Dieu vous a ouvert le livre des consciences, et qu'en vous declarant mon nom je vous découvre qui je suis et tout ce qui se passe dedans mon interieur.

  A017004177 

 De plus, je trouve vos pratiques et vostre devotion si ajustée à mon humeur et à la foiblesse de mon sexe, que je ne croy pas que vous me puissiés rien commander que je ne puisse tres-facilement accomplir.

  A017004177 

 Je connois aussi plusieurs dames qui ont le bien de vivre dessous vostre saincte conduite, et qui m'ont assuré que Dieu vous avoit fait naistre en ce siecle pour nous apprendre la vertu, et qu'il ne tiendra qu'à nous d'estre sainctes, si nous voulons suivre les douces loix de vostre saincteté.

  A017004177 

 Pour moy, je vous choisis pour mon bon Pere et mon bon Directeur, et je vous jure que, voulant estre toute à Dieu, je me resous d'estre vostre tres-chere fille selon Dieu..

  A017004184 

 J'ay emprunté ses richesses, sans en rien diminuer le fonds, de ce tres-docte Gentilhomme et tres-devot Prelat, lequel je n'ay l'honneur de cognoistre que par lettres, mais que je recognois avec tous, particulierement en ce parfaict amour,.

  A017004188 

 Douteux de ce que plus il y faut admirer,.

  A017004191 

 Quant a la tissure et l'ordre que j'ay donné à ce petit ouvrage, je croy que Celle au nom de qui il vient en lumiere, m'obtiendra de son Amour parfaict, la grace particuliere de mourir de l'amour qu'obtint l'amoureux Chevalier sur le mont des Olives [429] ....


18-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XVIII-Vol.8-Lettres.html
  A018000015 

 Amour maternel que doivent avoir les ministres de Dieu pour les âmes.

  A018000034 

 François de Sales sollicite l'indulgence de Charles-Emmanuel pour un homme plus malheureux que coupable.

  A018000035 

 Plus d'infortune que d'iniquité. 34.

  A018000047 

 Que faire contre les bruyantes réclamations de deux femmes. 43.

  A018000057 

 — « Un amour infiniment plus que fraternel.

  A018000086 

 — Un procédé que le monde n'approuve pas.

  A018000093 

 — Le voyage de l'Abbesse du Puits-d'Orbe; ce que le Saint blâme et regrette.

  A018000093 

 — Une âme que l'amertume trouble démesurément.

  A018000103 

 Discrétion que garde le baron de Chantal et qu'il faut garder avec lui. 93.

  A018000108 

 — Profit que nous devons tirer de nos imperfections.

  A018000150 

 — Ne pas se mettre en peine après avoir fait ce que l'on a cru être bon. 141.

  A018000152 

 — Que faire pour le bien de la vie conservée.

  A018000155 

 — Ce que dit un portrait au cœur filial.

  A018000157 

 Estime que l'on fait du crédit du Saint; celle qu'il en fait lui-même. 147.

  A018000159 

 — Que faire en face de caprices inguérissables. 148.

  A018000181 

 — Quelque chose que la Mère de Chantal ne saura peut-être jamais.

  A018000187 

 Les excuses que doit faire la Mère de Bréchard, pour le Saint et pour elle-même. 172.

  A018000191 

 Le seul mot de consolation que puisse dire le Saint.

  A018000192 

 — Ce que la Mère Favre doit lire dans le cœur de son père spirituel. 177.

  A018000207 

 — Quand est-ce que Dieu supporte notre fardeau avec nous. 191.

  A018000214 

 Des tentations « plus ennuyeuses que perilleuses.

  A018000216 

 — Une vertu plus nécessaire que la magnanimité. 200.

  A018000218 

 — Aspirer aux contentements de l'éternité à mesure que Dieu nous sèvre de ceux de ce monde. 204.

  A018000220 

 Ce que le Saint a vu dans le cœur de la destinataire.

  A018000231 

 » — Un sentiment que le Saint veut conserver soigneusement.

  A018000274 

 Et je dis peut estre, parce que je sçai que nul n'en avoit ci devant sinon M. Jaquin, auquel j'en ay parlé, et [1] m'asseure quil y aura mis ordre.

  A018000274 

 Je ne retarde d'aller a Gex que pour y aller plus a propos.

  A018000274 

 Ni ne veux pas croire quil soit si outrecuidé de dire, comme quelques uns, qu'il est en l'Eglise gallicane en laquelle les prestres sont privilegiés; car je pense qu'il sçait que l'Eglise gallicane est un membre de l'Eglise universelle, et que les anciens canons des Conciles y sont receuz, et que les Evesques ne sont pas moins Evesques en France qu'ailleurs, et, qu'en particulier, je ne suis rien moins dela le Rosne que deça, ains j'affectionne d'establir la discipline ecclesiastique de dela, et sur tout a Gex, avec plus de soin que de deça, par ce qu'icy les adversaires de l'Eglise sont moins puissans et moins præsens..

  A018000274 

 Que sil ne l'a pas fait il a tort, car il sçait bien ce que je luy en ay dit.

  A018000275 

 Or, mon intention est que nul præstre n'ayt en sa mayson aucune femme qui y habite, sinon les meres, bellemeres, seurs, belleseurs, tante (c'est a dire seur du pere ou de la mere) et niece, fille de frere ou de seur, selon l'ordre porté par le Concile de Nicee.

  A018000276 

 Il n'est pas expedient pour encor que M. Jaquin aille faire residence; car, comme pourroit il faire [2] commodement la charge de l'œconome que vous luy aves remise? Il a promis de faire reparer la mayson presbiterale de sa cure et accommoder les choses requises a l'exercice, ce qu'attendant il pourra bien suppleer.

  A018000276 

 Le P. Commissaire estant la, je m'asseure, employera sa prudence a discerner ce qui sera expedient, affin que, quand j'y iray avec luy, nous puissions trancher nettement et ordonner a chacun son office et ce qul devra faire..

  A018000294 

 En cela, chacun a son goust particulier; mais pour vous, je vous asseure bien que vous ne perdres rien, car ce que vous ne gaigneres pas en la suavité de la Communion, vous le treuveres en l'humilité de vostre sousmission, si vous acquiesces simplement a leurs volontés..

  A018000294 

 Je ne sçai leurs motifs en cela, et ne les sachant pas, il ne faut pas que j'en die autre chose.

  A018000295 

 Mays de cette crainte qu'on vous donne que vos frequentes Communions vous pourroyent tourner a mal, je pense que vous ne vous en deves point mettre en peine, et qu'on ne vous a pas dit cela par discernement de l'estat de vostre cœur, mays pour vous mortifier, ou peut estre simplement par maniere de desfaite, comme quelquefois il arrive aux personnes mesme fort sages de ne peser pas bien toutes choses..

  A018000306 

 Sans offencer ou quasi sans offencer une fille, on la jugeroit peu sage et n'avoir pas la cervelle bien arrestee si, au milieu de la ville, elle ouvroit son sein et exposoit ses mammelles a la veuë de chacun es rues et aux eglises; mais on ne murmurera jamais, et l'on ne le doit pas faire, de voir qu'une mere nourrice ouvre son sein, monstre et donne sa mammelle a son poupon, pour ce que l'on sçait bien qu'elle est nourrice, et que son devoir de mere nourrice l'oblige a donner le lait a son cher petit poupon en quel lieu et place qu'elle connoist qu'il en a de besoin..

  A018000307 

 Je dis ceci et pour vous et pour moy; car il faut tous-jours faire ce que nous devons, pour le service de nostre doux et bon Maistre, envers ceux qui sont veritablement en luy nos enfans, et leur ouvrir en tout lieu, ou leur necessite le requiert, le sein maternel de nostre affection a leur salut et leur donner le lait de la doctrine.

  A018000307 

 Je dis maternellement, a cause que l'amour des meres est tous-jours plus tendre envers les enfans que celuy des peres, pour ce, a mon advis, qu'il leur couste plus.

  A018000307 

 Soyons-le pourtant l'un et l'autre; car c'est le devoir que le Souverain nous a imposé.

  A018000308 

 Au reste, je vous asseure que j'ay ri, mais sçaves vous, de bien bon cœur, quand j'ay veu, sur la fin de vostre lettre, que l'on vous avoit dit que je m'estois mis en grande cholere, et avois dit tout ce que vous me marques.

  A018000309 

 Et je vous dis donq que veritablement, mon Filz, mon cœur va rendre a vostre cœur l'hommage de la verité.

  A018000309 

 Il est vray que, sur la resistance de ces bons NN., je menaçay celuy ci de son Superieur et l'autre de N.; mais je ne fis rien en cela que ce que je doys faire et que je feray tous-jours en tel cas.

  A018000309 

 Je fus esmeu a la verité, mais je retins toute mon esmotion, et confessay ma foiblesse a nostre Mere, qui, en cette occasion, n'eut, non plus que moy, aucune [6] parole de passion; et je vous diray bien de plus: il semble que ces bonnes gens la se plaisent a luy donner des frequens sujetz de mortification, qu'elle boit insatiablement..

  A018000309 

 Je suis un chetif homme, sujet a passion; mais, par la grace de Dieu, depuis que je suis berger, je ne dis jamais parole passionnee de cholere a mes brebis.

  A018000309 

 Si celuy qui vous a fait un narré de ma cholere, n'en eust pas eu davantage que moy, vous ne series pas en peine de ce chetif Pere.

  A018000310 

 Il est vray que, quand je considere nostre Mere et ses filles, gratias ago ei qui me confortavit, Christo Jesu Domino nostro, quia fidelem me existimavit, ponens in ministerio, a l'occasion de cette Congregation.

  A018000310 

 Mais dites moy, Monsieur mon cher Confrere, quel tort avons nous fait a ce bonhomme? Helas! nostre Mere ni moy ne pretendons qu'a dresser une petite ruche, mediocre et conforme a nostre dessein, pour loger nos pauvres abeilles qui ne se mettront en peine que de cueillir le miel sur les sacrees et celestes collines, et non de la grandeur ou embellissement de leur ruche.

  A018000311 

 Pour le regard de ces bons gentilzhommes, pour Dieu, Monsieur mon tres cher Confrere, absolves de tout ce que je puis absoudre, sans reserve; car, pourquoy vous reserverois-je aucune authorité que je puisse communiquer, puisque vous ne reserves aucune peine que vous puissiés prendre pour le bien de mes cheres brebis? [7].

  A018000312 

 Helas! Monsieur mon cher ami, j'ay quelquefois les larmes aux yeux, quand je considere ma babilonique Geneve calviniste: Hæreditas nostra versa est ad alienos; le sanctuaire est en derision, la mayson de Dieu en confusion; et qu'en diray-je? Je ne puis bonnement autre chose que pleurer sur ses ruines..

  A018000315 

 (a peu s'en faut que je ne die filz).

  A018000318 

 Le pire est que la dissension est entre les bons, dont elle est plus dangereuse; et, comme dit saint Bernard parlant des Religieux qu'il estime estre les yeux de l'Eglise, espouse de Jesus Christ, non est [8] dolor sicut dolor eorum.

  A018000325 

 Nous ferons ce que nous pourrons pour ce pauvre bonhomme affin quil demeure icy, quoy quil me sera malaysé, le P. François qui sçait tout, estant absent.

  A018000326 

 Puysque monsieur de Charmoysi, nostre cousin, a esté d'advis que l'on ramenast le filz, il ne peut estre que bon.

  A018000330 

 Je vous supplie de saluer M lle de Beaufort, que je cheris et honnore infiniment, et M me de Mirebel, et madame de Monthouz un peu a part..

  A018000331 

 Nostre Mere est en affaire pour la reception d'une vertueuse damoyselle de Grenoble qui est venue ce matin, avec une carrossee d'autres dames qui l'ameynent; car il vous faut tenir advertie des particularités de la Mayson, et que M me de la Thuille partit hier, ayant fait sa revëue a la Visitation, ou ell'a esté cachee environ sept ou huit jours, avec beaucoup de consolation pour son cœur..

  A018000345 

 Cette ville d'Annessi recourt a la debonaireté de Vostre Altesse pour avoir la confirmation des privileges que Messeigneurs ses prædecesseurs luy ont donné.

  A018000345 

 Je jointz ma tres humble supplication a la sienne, protestant que jamais Vostre Altesse ne gratifiera aucuns peuples de sa sujettion qui ayt (sic) plus de cœur, d'honneur, de fidelité et d'obeissance a vostre coronne, Monseigneur, que celuy ci qui, au reste, a un extreme besoin d'estre revigoré par telz bienfaitz, tandis qu'incessamment avec moy il leve les mains et les yeux au Ciel pour la prosperité de Vostre Altesse, delaquelle je seray a jamais,.

  A018000362 

 C'est pourquoy elle l'implore de toutes ses forces; et moy, Monseigneur, j'accompaigne d'autant plus hardiment sa supplication, que Vostre Altesse me tesmoigna lhors qu'elle estoit de deça, qu'elle nous favoriseroit tous en cett'occasion.

  A018000362 

 Et je le croy, Monseigneur, puisque vostre debonaireté se plait aux bien-faitz, et particulierement envers les peuples fideles, obeissans et affectionnés a la coronne de Son Altesse, tel que je puis attester estre celuy ci, qui, outre cela, a grand besoin d'estre en quelque sorte allegé..

  A018000375 

 O Dieu, mon tres cher monsieur de Blonnay, mon ami, que je retarderay volontier mon voyage, puisque monsieur le Marquis le desire; car aussi bien estois-je prest de vous escrire, ou a monsieur l'Abbé: Dimitte me, ut plangam paululum dolorem meum.

  A018000395 

 [14] Ne doutés point que je ne prie pour luy, car c'estoit le pere de ma tres chere Fille, qui m'est, je vous asseure, infiniment chere, et aux desplaysirs et playsirs de laquelle mon cœur participe affectionnement.

  A018000396 

 Et nous n'avons aussi a dire autre chose en tout ce que Dieu fait, sinon: Amen..

  A018000396 

 Or, penses, ma tres chere Fille, ou cette affliction me touche, et voyes si la mienne n'est pas surchargee de celle de sa pauvre petite et de nostre Mere, a qui il faut que ce matin j'aille oster le peu d'esperance qui leur estoit restee apres les premieres nouvelles de cet accident, sur lesquelles nous avons mille et mille fois adoré le decret de la Providence divine, et avons jetté nos cœurs entre les mains de Dieu avec esprit de sousmission, repetant: Ouy, Seigneur, car ainsy il a esté aggreable devant vous.

  A018000397 

 Helas, qu'il est heureux! ce me semble; mais il est pourtant impossible que je ne pleure sur luy.

  A018000409 

 O Dieu, ma pauvre tres chere Seur, que j'ay de peine pour le desplaysir que vostre cœur souffrira sur le trespas de ce pauvre frere, qui nous estoit a tous si cher! Mays il n'y a remede: il faut arrester nos volontés en celle de Dieu, qui, a bien considerer toutes choses, a grandement favorisé ce pauvre defunt, de l'avoir osté d'un siecle et d'une vocation ou il y a tant de dangers de se damner.

  A018000410 

 Pour moy, ma chere Fille, j'ay pleuré plus d'une fois en cette occasion, car j'aymois tendrement ce frere, et n'ay sceu m'empescher d'avoir les ressentimens de douleur que la nature m'a causés; mais pourtant, je suis maintenant tout resolu et consolé, ayant sceu combien il est trespassé devotement entre les bras de nos Peres Barnabites et de nostre chevalier, apres avoir fait sa confession generale, s'estre reconcilié trois fois, avoir receu la Communion et l'Extreme Onction fort pieusement.

  A018000410 

 Que luy peut on desirer de mieux selon l'ame?.

  A018000411 

 Et selon le cors, il a esté assisté en sorte que rien ne luy a manqué.

  A018000412 

 Dieu donq soit a jamais beni pour le soin qu'il a eu de recueillir cette ame entre ses esleus! car en somme, que devons nous pretendre autre chose?.

  A018000413 

 Jamais homme ne fut plus generalement regretté que celuy ci..

  A018000414 

 Or sus, ma tres chere Fille, consolons nos cœurs le mieux que nous sçaurons, et tenons pour bon tout ce qu'il a pleu a Dieu de faire; car aussi, tout ce qu'il a fait est tres bon..

  A018000426 

 Helas! il n'est que trop vray que vous aves perdu un tres humble neveu et fidele serviteur, et moy mon tres cher frere que j'aymois incroyablement pour plusieurs bonnes raysons, outre celle du sang.

  A018000427 

 Or, apres toutes les idees que le desplaysir me donne, je conclus que Dieu l'ayant voulu, ç'a esté le mieux.

  A018000427 

 Que son nom soit beni, et les decretz de sa volonté adorés es siecles des siecles.

  A018000428 

 Certes, je croy bien que M. de Giez, mon cousin, M. le Baron de Bonvilaret et mon neveu du Vuaz auront ressenti grandement cette perte, comme sçachant que ce pauvre trespassé les cherissoit et honnoroit tres particulierement, selon que la nature et plusieurs considerations l'y obligeoyent; mais s'il leur manque, ce n'est pas par son eslection, ni par sa faute.

  A018000429 

 Ma pauvre chere seur tesmoigne entre ses pleurs et regretz la plus aymable, constante et religieuse pieté qu'il est possible de dire: en quoy elle nous contente extremement, pour le desir que nous avons qu'elle conserve l'enfant que nous croyons, par bonnes conjectures, avoir esté laissé en ses flancs par le defunt, comme pour quelque sorte d'allegement a ses freres..

  A018000430 

 Beni soit Dieu qui l'a ravi devant les duelz, les mutineries, les desespoirs, et en [19] somme devant ces innombrables occasions d'offencer Dieu que cette espece de vacation donne en ce miserable aage..

  A018000430 

 Que vous diray-je plus, Monsieur mon cher Oncle? Ce pauvre garçon decedé s'estoit destiné a la vie militaire, et pouvoit mourir de cent façons plus lamentables que celle de laquelle il est mort.

  A018000444 

 Je vous remercie tres humblement du soin que vous aves pris de nous tesmoigner le ressentiment que vous aves de nostre mal..

  A018000444 

 Vous pouves aysement vous imaginer quelle est nostre affliction pour la perte que nous venons de faire, ayant connoissance comme vous de l'amitié qui a tous-jours esté, graces a Dieu, entre ceux de cette mayson.

  A018000457 

 Et donques, comme je voy, c'est presque sans intermission que nos amis se vont separant de nous tous les jours; et partant, il se faut resoudre de bonn'heure de n'esperer plus es consolations de cette vie, pour attendre plus doucement celles de l'autre vie, en laquelle nostre societé sera inseparable..

  A018000457 

 Je regrette extremement la perte que nous avons faite par le trespas du bon monsieur le President de Sautereau, qui vous honnoroit certes plus quil ne se peut dire, et me favorisoit d'un' amitié extraordinaire, a vostre consideration.

  A018000458 

 J'escris la ci jointe a madame la Presidente de Sautereau, non pour la consoler, mais pour luy tesmoigner que je conserveray a jamais la memoire des infinies obligations que j'avois a son defunt; tandis que je me treuve icy a Sales, aupres de nostre jeune vefve, qui me fait [21] tout estonné de voir en son ame tant d'amour de son mari trespassé et tant de constance a supporter l'amertume du desplaysir de son trespas..

  A018000459 

 Je passeray vandredi a La Roche pour planter la premiere pierre de l'eglise des Capucins, et dela je m'en vay a Thonon, parti (sic) pour consacrer l'eglise que les mesmes Peres y ont dressee, avec le grand autel des Peres Barnabites, partie pour appayser, si je puis, quelques noyses, lesquelles par tentation humaine sont survenues en la Sainte Mayson.

  A018000460 

 Une chose en tout ceci me donne de la peine: c'est que je laisse mon frere de Boysi fort malade d'une fievre tierce, et que sil est vray que Monseigneur l'Archevesque de Lyon aille ambassadeur a Rome, il se pourroit faire quil passast les mons pendant ce tems-la; ce que toutefois m'est difficile a croire, puisque, comme je pense, il voudra voir le Roy son maistre avant son depart..

  A018000461 

 C'est dommage de monsieur de Passier; et Dieu sçait sil y en aura point d'autres que nous ayons a regretter en cette rencontre..

  A018000461 

 Comm'au contraire, je regretterois infiniment monsieur de Bourgeois et monsieur de la Pierre, s'ilz s'estoyent entreservis de bourreau l'un a [23] l'autre, pour s'abismer en la damnation par le duel; mays, tandis que je le puis, je me veux abstenir de croire une chose si malheureuse.

  A018000461 

 J'ay perdu un bon et cordial amy en monsieur de Chanal, qui ayant esté appellé de Dieu a la vie devote des quelques annees en ça, sera mort en tel estat, je m'asseure, que nous avons occasion de benir l'heure de son trespas; et moy particulierement, qui ay une invincible rayson de l'estimer heureux, par le conte de sa conscience et de ses bonnes intentions quil me rendit avant son depart d'Annessi.

  A018000484 

 Vous ne sçauries croire combien m'est sensible l'affliction que vous aves.

  A018000486 

 Ce pendant, ayons patience, et attendons courageusement que l'heure de nostre depart sonne pour aller ou ces amis sont ja arrivés; et puisque nous les avons aymés cordialement, perseverons a les aymer, faysons pour l'amour d'eux ce qu'ilz ont desiré que nous fissions et ce que maintenant ilz souhaitent pour nous..

  A018000486 

 O que bienheureux sont ceux qui, vivans en continuelle [25] desfiance de mourir, se treuvent tous-jours prestz a mourir, en sorte qu'ilz puissent revivre eternellement en la vie ou il n'y a plus de mort! Nostre bienaymé trespassé estoit de ce nombre la, je le sçai bien.

  A018000487 

 Sans doute, ma chere Dame, le plus grand desir que monsieur vostre trespassé eut a son depart fut que vous ne trempassies pas longuement dans le regret que son absence vous causeroit, mais que vous taschassies de moderer, pour l'amour de luy, la passion que son amour vous donnoit; et maintenant, en son bonheur dont il jouit, ou qu'il attend en asseurance, il vous souhaite une sainte consolation et que, moderant vostre tribulation, vous conservies vos yeux pour un meilleur sujet que les larmes, et vostre esprit pour des plus desirables occupations que celles de la tristesse..

  A018000489 

 Que si ce conseil, que je vous donne avec une sincerité nompareille, vous est aggreable, prattiqués le, vous prosternant devant Nostre Seigneur, acquiesçant a son ordonnance, et considerant l'ame de ce cher defunt qui desire a la vostre une vraye et chrestienne resolution, et vous abandonnant du tout a la celeste providence du Sauveur de vostre ame, vostre protecteur, qui vous aydera et vous secourra, et en fin vous reunira avec vostre trespassé, non point en qualité de femme avec son mari, mais d'heritiere du Ciel avec son coheritier et de fidele amante avec son fidele amant..

  A018000490 

 J'escris ceci, Madame, sans loysir et presque sans haleyne, vous offrant mon tres affectionné service qui vous est de long tems acquis, et celuy encor que les merites et la bienveuillance de monsieur vostre mari envers moy pouvoyent exiger de mon ame.

  A018000498 

 Il faut attendre ce que Dieu fera, et non seulement l'accepter, mais, [27] autant que nous pourrons, il faudra l'accepter aggreablement et amiablement.

  A018000498 

 Toutefois je replique: Ainsy que la volonté de Dieu sera au ciel, soit fait en terre..

  A018000499 

 Mays, qu'elle vive ou meure, je luy donneray [28] en la sainte Messe que je vay dire, la sacree benediction de Dieu et de son Eglise..

  A018000499 

 On la pourroit enterrer en l'eglise, car ell'est asses benite en la benediction des fondemens que nous fismes en la position de la premiere pierre.

  A018000500 

 Mays sur tout, en pleurant descharges bien vostre cerveau, reposes vous convenablement, et vous divertisses le plus doucement que vous pourres; prenes bien souvent des raysins un peu amollis au vin et eau chaude, et en somme ayes soin de vous conserver la, car icy, ne doutes point; je suis un certain homme quil ny a rien a craindre, sinon quand je le diray moymesme..

  A018000503 

 On ne peut partir que le tems ne s'accoise, a cause des ruisseaux, mais soudain quil sera remis je feray porter la presente..

  A018000516 

 J'ay receu a beaucoup d'honneur la lettre que M lle Favreau [30] et M lle d'Albamé m'escrivirent de vostre part; car, outre la douceur que je prens a me ramentevoir le tems auquel nous estions compaignons d'escole, vos merites me font grandement estimer tous les tesmoignages quil vous plait me donner de vostre bienveuillance, laquelle je vous conjure de me vouloir continuer par vostre courtoysie, bien ayse de sçavoir que vous soyes arresté en nostre voysinage, sous l'esperance que, par ce moyen, il se pourra bien faire que j'aye encor un jour lhonneur de vous revoir..

  A018000517 

 Et cependant, je cheriray de tout mon cœur tout ce quil vous plaira de me recommander, comme je fay le sujet d'avoir soin plus particulier de ces deux damoyselles, desquelles l'une, madamoyselle Favreau, est des-ja voylee, et l'autre le sera soudain que je seray de retour d'un voyage que je vay faire a Thonon; et espere que l'un'et l'autre donneront [et recevront] reciproquement de l'edification et consolation en la Congregation en laquelle elles ont esté appellees, puisque a ce commencement Dieu leur en donne de si bonnes arres.

  A018000532 

 Mais, comme me pourrois-je empescher d'estre en peine de ce que je suis la, quant a la santé? Pour Dieu, ne parles pas beaucoup, soulages vous, et vous tenés un peu tranquille tant d'esprit que de cors; car le premier accident vous arriva apres le traitté avec M. de la Roche, ou vous ne fustes pas sans parler avec affection, et puis le tracas des malades fit venir le second.

  A018000533 

 Je suis consolé que nos pauvres filles soyent un peu allegees, car je les cheris d'un cœur plus que paternel toutes, et vous sçaves que j'ayme particulierement cette pauvre Marie Gasparde de tous tems, et, maintenant qu'elle est malade, encor plus tendrement.

  A018000534 

 Je voy que cette venue apportera de l'incommodité, mais, peut estre, bienheureuse incommodité, qui se prend pour recueillir l'estranger par l'hospitalité spirituelle.

  A018000535 

 Il est vray, ma tres chere Mere, il y a peu de pureté en ce monde, sinon celle que la pœnitence opere et la vie devote..

  A018000535 

 Je suis bien en peine de l'autre chere fille, que nous cherissons tant en suite de la dilection de sa mere; car je [33] ne sçai bonnement comme en parler a sa mere, qui en recevra bien du desplaysir, estant bien esloignee de cette humeur-la.

  A018000536 

 Or bien, je vous escriray a toutes occurrences, ma tres chere Mere, mon cœur et ma vie ne pouvant subsister avec consolation que par l'unité quil a pleu de faire a Dieu de nous, affin qu'aeternellement nous fussions siens..

  A018000537 

 C'est une sainte; elle a grand desir de vous aller voir et de vous mener une sienne brave fille a mon gré, laquelle est aagé (sic) de 19 ans, et, par ouï dire, est un peu touchee d'estre de la Visitation; et cette bonne mere, qui en brusle, estime que la veüe la fera resoudre..

  A018000550 

 Vous pouves penser, ma tres chere Fille, ma Seur, et je croy que vostre cœur vous le dit asses, que j'ay une extreme consolation dans le mien quand vous m'escrives de vos nouvelles; car, puisqu'il a pleu a Dieu, je suis le cher frere et le Pere tout ensemble, mais le plus affectionné et sincere que vous sceussies imaginer..

  A018000551 

 Or, faites donq bien, ma chere ame, vos petitz effortz, doux, paysibles et amiables pour servir cette souveraine Bonté qui vous y a tant obligee par les attraitz et bien-faitz dont elle vous a favorisee jusques a present, et ne vous estonnes point des difficultés; car, ma chere Fille, que peut on avoir de pretieux sans un peu de soin et de peine? Il faut seulement tenir ferme a pretendre la perfection du saint amour, affin que l'amour soit parfait, l'amour qui cherche moins que la perfection ne pouvant estre qu'imparfait..

  A018000552 

 Je vous escriray souvent, car vous sçaves le rang que vous tenes dans mon esprit, le tout joignant nostre Mere, a laquelle je vous prie de me recommander; car, bien que je luy escrive, si est ce qu'il faut un peu employer vostre entremise pour la recreer et res-jouir, d'autant qu'elle prend playsir a sçavoir que vous estes tres parfaitement ma tres chere fille et que vous me cherisses en cette qualité la.

  A018000563 

 Et l'infortunee beauté et bonne grace que ces pauvres filles [36] faineantes se font accroire d'avoir, parce que ces miserables le leur dient, est cela qui les perd, car elles s'amusent tant au cors, qu'elles perdent le soin de l'ame.

  A018000563 

 Il la faut certes retirer, cette pauvre ame, du hazard, car la molle façon de vivre du lieu ou elle est, est tellement perilleuse, que c'est merveille quand on eschappe de la meslee.

  A018000564 

 Et pour vostre regard, ma chere Cousine, ma Fille, il ne faut perdre courage; car vous deves estre si amoureuse de Dieu, qu'encor que vous ne puissies rien faire aupres de luy et en sa presence, vous ne laissies pas d'estre bien ayse de vous y mettre pour seulement le voir et regarder quelquefois.

  A018000564 

 Et quelque peu avant que d'aller en l'orayson, mettes vostre cœur en paix et en repos, et prenes esperance de bien faire; car si vous y alles sans esperance et des-ja toute degoustee, vous aures peine de vous remettre en appetit..

  A018000565 

 Courage donq, ma petite Cousine, dites a Nostre Seigneur que vous ne le laisseres jamais, encor qu'il ne vous communiqueroit jamais aucune douceur; dites luy que vous demeureres devant luy jusques a ce qu'il vous aye beny.

  A018000565 

 Quand vostre cœur s'esgarera ou se distraira, ramenes-le tout doucement a son point, remettes-le tendrement aupres de son Maistre; et quand vous ne feries autre chose tout au long de vostre heure que de reprendre tout bellement vostre cœur et le remettre aupres de Nostre Seigneur, et qu'autant de fois que vous l'y remettries il s'en destourneroit, vostre heure seroit tres bien employee, et feres un exercice fort aggreable a vostre cher Espoux, auquel je vous recommande du mesme cœur que je suis tout vostre.

  A018000573 

 Je ne doute point que dans fort peu de tems vous n'en soyes entierement victorieuse, puisque je vous voy si courageuse au combat et si pleyne d'esperance et de confiance de vaincre par la grace de nostre bon Dieu.

  A018000573 

 La consolation que vous aves en cette entreprise est sans doute un vray presage qu'elle vous reuscira tres heureusement.

  A018000573 

 La lettre que vous m'aves escrite le 16 may et laquelle je n'ay receuë que le 27 juin, me donne grand sujet de benir Dieu de la fermeté en laquelle il conserve vostre cœur pour le desir de la perfection de la vie chrestienne, lequel je descouvre bien clairement par la naïfveté sainte avec laquelle vous representes vos tentations et le combat que vous faites; et je voy bien que Nostre Seigneur vous assiste, puisque pied a pied et jour a jour vous conqueres vostre liberté et affranchissement des imperfections et infirmités principales qui vous ont ci devant affligee.

  A018000574 

 Continues vos Communions et confessions frequentes, ne passés point de jour sans lire quelque peu dans un livre spirituel, et, pour peu que ce soit, pourveu que ce soit avec devotion et attention, le prouffit en sera bien grand.

  A018000574 

 Faites l'examen de conscience au soir; accoustumes-vous aux prieres briefves et oraysons qu'on appelle jaculatoires, et le matin, en sortant du lict, mettes-vous tous-jours a genoux pour saluer et faire la reverence a vostre Pere celeste, a Nostre Dame et a vostre bon Ange; et quand ce ne seroit que pour trois minutes, il n'y faut jamais faillir.

  A018000575 

 Je m'asseure que cette gayeté et consolation d'esprit s'estend et rend son odeur pretieuse sur toutes vos conversations et particulierement sur la domestique, laquelle, comme elle vous est la plus ordinaire et selon vostre principal devoir, aussi s'en doit elle ressentir plus que nulle autre.

  A018000575 

 Je suis consolé dequoy vous aves l'esprit plus gay que ci devant.

  A018000575 

 Si vous aymes la devotion, faites que tous luy portent honneur et reverence; ce qu'ilz feront s'ilz en voyent des bons et aggreables effectz en vous..

  A018000576 

 Hé, que vous seres heureuse si vous observes bien la moderation que je vous ay dite en vos exercices, les accommodant le plus que vous pourres a vos affaires domestiques et a la volonté de vostre mari, puisqu'elle n'est point desreglee ni farouche.

  A018000576 

 Je n'ay guere veu de femmes mariees qui puissent estre devotes a meilleur marché que vous, Madame, qui partant estes fort obligee a vous y avancer..

  A018000576 

 Mon Dieu, que vous aves de grans moyens de meriter en toute vostre mayson! Indubitablement vous la pouves rendre un vray paradis de pieté, ayant monsieur vostre mari si propice a vos bons desirs.

  A018000577 

 Je voudrois bien que vous fissies l'exercice de la sainte [39] meditation, car il me semble que vous en estes fort capable.

  A018000577 

 Je vous en dis quelque chose pendant ce Caresme, je ne sçai si vous y aures mis la main; mays je desirerois que vous n'y employassies pas sinon demi heure chasque jour et non plus, au moins de quelques annees; je pense que cela serviroit bien fort a la victoire de vos ennemis..

  A018000578 

 Au moins ne manque-je point de vous offrir et representer a la misericorde de Dieu en mes foibles et languissantes prieres, et sur tout au saint Sacrifice de la Messe; j'y adjouste tous-jours toute vostre mayson, que je cheris uniquement en vous, et vous en Dieu..

  A018000578 

 Et crovés, Madame, je vous supplie, que le desir que j'ay une fois receu de vous servir et honnorer en Nostre Seigneur, croist et s'augmente tous les jours en mon ame, marri que je suis d'en pouvoir si peu rendre d'effectz.

  A018000579 

 Faites vostre prouffit de cette grossesse en deux façons: offrant vostre fruit a Dieu cent fois le jour, comme saint Augustin tesmoigne que sa mere, estant enceinte de luy, avoit accoustumé de faire; puis, es ennuis et afflictions qui vous en arriveront et qui ont accoustumé de suyvre la grossesse, benissés Nostre Seigneur de ce que vous souffres pour luy faire un serviteur ou servante, qui, moyennant sa grace, le louera eternellement avec vous..

  A018000579 

 J'ay appris que vous esties grosse; j'en ay beni Dieu qui veut accroistre le nombre des siens par l'augmentation des vostres.

  A018000589 

 C'est une famille gastee et des ames perdues, et l'unique fille de cet homme-la, qui est une bonne fille, deshonnoree devant le monde, bien que devant Dieu, estant devote comme ell'est, elle ne laisse pas d'estre d'estime.

  A018000598 

 C'est tout ce que je vous puis dire cette matinee de la tressainte Visitation, vous donnant le bon jour et demeurant.

  A018000613 

 Je demande tres humblement pardon a Vostre Altesse, si, en un tems auquel elle est environnee de tant d'affaires de consequence, je prens la confiance en sa [42] douceur de luy presenter cette supplication, a laquelle je suis forcé par le devoir que ceux de ma condition ont de compatir aux miserables et soulager les desolés, lors mesme qu'ilz sont abandonnés de tout autre secours..

  A018000614 

 Apres, donq, avoir bien sceu que l'estrange accident advenu au sieur [Président Crespin] estoit procedé de malheur, plustost que d'aucune malice ou deliberation; voyant qu'en une si extreme tribulation il recouroit a moy pour obtenir, par ma tres humble intercession, l'acces aux pieds de Vostre Altesse, je ne l'ay peu ni voulu esconduire, de peur d'offencer Celuy qui jugera les vivans et les mortz selon l'assistence qu'ilz auront faite aux affligés, puysque mesme les deux personnes [43] qui ont esté les plus touchees en ce desastre semblent conspirer au desir de la consolation de celuy auquel il est arrivé: car la fille ne souhaite rien tant que d'avoir son pere, puisqu'elle a perdu sa mere; et quant a monsieur [l'Abbé de la Mente,] soit qu'il ayt eu compassion de ce pere et de cette fille, soit qu'il ayt esté animé de ce divin Esprit qui nous fait vouloir du bien a ceux qui nous font du mal, il a des-ja protesté qu'il ne vouloit procurer aucune punition, ni faire partie..

  A018000615 

 Et partant, Monseigneur, la faveur que Vostre Altesse fera a cette calamiteuse famille sera egalement ornee de justice et de misericorde, qui sont les deux aisles sur lesquelles l'aggreable renommee des bons princes vole et au Ciel et en terre, parmi mille benedictions et de Dieu et des hommes..

  A018000615 

 Reste l'œil du publiq qui, je m'asseure, regardera avec edification la grace d'un homme qui a tant de raysons et de justes excuses, ainsy que Vostre Altesse jugera bien, si elle commande que rapport luy soit fait de cette desadventure, selon qu'il en resultera des procedures de justice.

  A018000616 

 Playse donq a vostre debonnaireté, Monseigneur, de tendre sa main secourable a ce pauvre desolé, et d'excuser la liberté avec laquelle je luy propose ce bon œuvre, protestant que c'est avec toute la tres humble reverence que je doys a Vostre Altesse, a laquelle je souhaite le comble de toute sainte prosperité, demeurant a jamais,.

  A018000629 

 la fille ne craint rien tant que de se voir privee de son pere, a mesure qu'elle se treuve avoir perdu sa mere; et quant a monsieur l'Abbé de la Menthe, soit quil ayt eu compassion du pere et de la fille, soit quil ayt esté animé de l'Esprit celeste qui nous fait souhaiter du bien a ceux mesme qui nous font du mal, il a protesté qu'il ne vouloit en façon quelcomque faire partie, ni procurer aucune punition..

  A018000630 

 Reste le publiq lequel, je m'asseure, ne sera nullement scandalisé si, sur forces (sic) raysons justificatives d'un tel accusé, il plait a Son Altesse d'ouctroyer la grace, laquelle affin de pouvoir plus aysement obtenir, j'addresse a vostre charité, Monseigneur, cette tres humble requeste, fondee partie sur la justice, partie sur la misericorde; d'autant que, comme on ne peut pas nier qu'il ny ayt en cet accident quelque sorte d'apparence de coulpe, puisqu'il y a des mortz et blessés, aussi faut il confesser qu'il y a beaucoup d'innocence en effect, et plus de grande infortune que de grande iniquité.

  A018000631 

 Playse donq a Vostre Altesse de gratifier de sa faveur ce calamiteux demeurant de famille, affin que, par le pardon fait a son chef, elle puisse aucunement subsister apres un si funeste esbranlement..

  A018000643 

 M. le Premier et M. de la Valbonne m'escrivent d'un'affection si extraordinaire pour M lle de Beauvilars, que j'ay creu ne pouvoir ni devoir l'esconduire, attendu que ce bon seigneur peut et veut tant favoriser nostre mayson dAnnessi en toutes les occurrences esquelles la Congregation en pourra avoir besoin.

  A018000643 

 Vous verres, sil vous plait, la lettre que j'escris et celles que j'ay receues, [46] par lesquelles, je pense, vous connoistrés que nous ne pouvons pas gauchir..

  A018000644 

 Je voy bien qu'a Sainte Catherine, ou on gardoit la place, j'auray a m'excuser, puisque mesme la chere fille s'estoit desfaite de tout autre besoigne pour avoir le soin de cette fille; mays j'auray plus tost accommodé cela que mon esprit, si en chose qui se peut j'avois despieu a monsieur le premier Præsident.

  A018000645 

 M me du Puys d'Orbe vient, et je ne puis nullement quitter les affaires que j'ay icy sur les bras, qui sont publiques et pour ma charge.

  A018000645 

 Ma pauvre tres chere Mere, ma vie (je vous asseure que je pensois escrire ma mie, mais il ne va pas mal ainsy); je dis donq, ma tres chere Mere, escrives moy ce que je pourray et devray faire, a vostre advis..

  A018000646 

 Mays, mon Dieu, cette pauvre fille que j'ayme tant, a grand tort, ce me semble, d'avoir veu M. de Sauzea [47] a Lyon; car, quand il seroit un saint, puisque M. le Premier et M. le Baron d'Origni l'aborre (sic) si fort, ne failloit il pas s'abstenir de cette veüe? Or bien, il ny a remede; c'est pour cela que Dieu donne ces affections paternellement maternelles, affin qu'on se degouste point de servir ces enfans emmi leurs enfances..

  A018000647 

 En somme, je ne sçai que vous dire; vous sçaves mon cœur comme le vostre propre, faites ce que vous verres.

  A018000651 

 Ce qui me tient en peine pour le fait de la fille de la petite seur, c'est que je l'ay oüie en confession et la fille de chambre aussi, et bien que de ce coste la je ne sache chose au monde de ce qu'on dit, si est ce quil faut eviter qu'on le puisse penser.

  A018000662 

 Et bien que je sois attaché icy encor pour quelque jours, si n'avois-je pas laissé de donner ordre que vous fussies receu (sic) Annessi, comme vous seres, Dieu aydant, a vostre arrivee, laquelle je suis infiniment marri avoir esté retardee par cette ...ntion.

  A018000662 

 Je sçavois vostre venue de deça par un advis que monsieur le Premier, vostre beaufrere, m'avoit envoyé, et par un billet receu des que je suis icy de madame la Premiere, nostre bonne seur.

  A018000662 

 O Dieu, que... vous a causé de desplaysirs! Venes, ma tres chere Seur, et venes bien disposee a suivre mes conseilz, qui partiront d'un esprit qui cherit vostre ame nompareillement.

  A018000662 

 Que ce rencontre n'[ébranle] point vostre courage; Dieu convertira tout cela en bien..

  A018000678 

 Ces deux motz sont escritz sur le plus empressé depart [51] que je fis onques; M. le Collateral vous le dira, et tout le reste.

  A018000695 

 J'escris sur le depart pour Evian, ou je vay le plus empressement que jamais j'allay en lieu du monde; M. le Collateral vous le dira..

  A018000722 

 Ce billet donq n'est que pour vous saluer en attendant, et vous dire que les fermiers de Monseigneur vostre frere ne me veulent point donner d'argent, par ce, disent ilz, qu'ilz ne peuvent faire vostre somme que d'icy a 15 jours.

  A018000722 

 Vous aymeres mieux que je vous voye lundi, si ce n'est dimanche..

  A018000722 

 Voyes si vous voules que, pour attendre cela, je retarde icy.

  A018000725 

 Et a ma tres chere petite seur, ma fille tout uniquement tres aymee, que j'ay grande envie de revoir..

  A018000734 

 Mais je ne pense pas que demain je puisse ne me lever pas matin, car il y a trop de playsir a jouir de cette douce partie du jour; et puis, ne faut il pas aller dire vostre Messe, puisque le reste du jour sera pour l'Office de nostre grande feste? Aussi ay-je un desir extreme de vous revoir, et ma tres chere petite seur, avec nos Filles..

  A018000744 

 J'estois en Chablaix quand je receu la premiere lettre quil vous pleut de m'escrire, et j'attendois response de la supplication que j'avois faite a Son Altesse, pour pouvoir m'asseurer de celle que j'avois a vous faire....

  A018000753 

 Nul ne vous est icy ce que je vous suis, et nul, ni icy ni ailleurs, ne vous veut honnorer et cherir plus que je [57] souhaite de le faire.

  A018000753 

 Pensés donq, s'il vous plait, quel est mon contentement sur vostre venue en cette ville, pour y posseder la qualité que si souvent je vous avois desiree et laquelle vous est arrivee avec tant d'honneur.

  A018000754 

 Je salue tres humblement ma tres chere niece, et me res-jouis avec elle, si elle se res-jouit de venir; et si elle ne se res-jouit pas, je m'en res-jouis neanmoins, augurant que tout son cœur, que vous aves et qu'elle a, s'en res-jouira quand elle y verra chacun en feste autour de vous et d'elle, pour le contentement general de vostre venue et de la sienne..

  A018000770 

 Il a voulu, ce grand Dieu, que vous fussies sienne, et vous l'a fait vouloir, et vous l'aves voulu, et il vous a fait prendre tous les vrays moyens pour le devenir.

  A018000782 

 J'ay bien sujet de vous remercier tres humblement pour l'offre qu'il vous a pleu de me faire par l'entremise de monsieur de Forax; mays j'attens de vous rendre ce devoir jusques a ce que je sache si j'auray occasion de me prævaloir de la grace quil vous plait me faire..

  A018000783 

 Cependant vous sçaves, comme je pense, quelle estime j'ay tous-jours faite de vostre Congregation, et pour cela, des qu'il a pleu a Dieu par sa bonté de la faire esclorre, j'ay tous-jours desiré d'en avoir une Mayson en ce diocaese; ce que je n'ay sceu faire jusques a present, qu'a mon advis je puis reuscir de ce dessein.

  A018000783 

 Reste qu'il vous playse de me faire [60] sçavoir si vous voudries accepter le parti, et si nous pourrions y avoir d'abord huit prestres, puisque la fondation requiert cela, et si il se pourroit pas faire que l'un des huit exerçast la charge des ames, aydé par les autres; car cela estant, je n'auray plus a faire que d'obtenir le consentement de Son Altesse qui, je m'asseure, l'accordera volontier..

  A018000802 

 Cependant il faut renvoyer le tout a ce que messieurs les deputés feront; ce que je vous dis par ce que je crain (sic) que ladite madame la fiscale n'aille encor vous parler et crier alarme..

  A018000802 

 Il [62] m'est advis que vous n'aves rien a faire en ceci, sinon de prendre ce que selon justice et rayson messieurs les deputés vous bailleront, en le bien payant.

  A018000813 

 C'est grand cas comme l'esprit humain est ami de sa volonté, et comme chacun suit l'amour propre sans regarder ce qui est plus au service de Dieu! Sur cela je luy escris l'advis requis pour l'affaire de monsieur le Prieur; je ne sçai si cela accommodera son cœur, mais il me tardoit que je le fisse..

  A018000813 

 Je le croy que cette bonne dame sera un peu brune sur moy, par ce que ell' affectionne fort les serviteurs de sa mayson, et l'un d'iceux s'estant presenté au concours dernierement sous sa recommandation, ne fut pas [63] prouveu, quoy qu'il soit certes fort capable.

  A018000828 

 Je vous rens graces tres humbles de lhonneur que vous me faites, qui m'est certes infiniment prætieux; et pleut a Dieu que je peusse correspondre par autant de services comme j'ay de desirs!.

  A018000830 

 Je m'asseure que monsieur son pere s'en contentera, puisque il ne s'est rien peu faire davantage, quoy que nos Peres Barnabites, ayent cooperé de tout leur pouvoir.

  A018000830 

 Monsieur Garin vous dira toutes nos nouvelles et que nous renvoyons le jeune M. des Hayes doux, amiable, courtois, a M. son pere, mais non pas fort sçavant, ains seulement instruit d'un peu de latin et de quelques parties des mathematiques.

  A018000831 

 Pour cela, suis je obligé de vous asseurer que tous les jours il va de bien en mieux, s'estant rangé a la compaignie de M. le Marquis d'Aix, duquel il eut congé, apres la miserable prise de Verceil, devenir icy, pour toutefois retourner dans peu de jours en Piemont, ou je ne vous diray point quelle perte vous et moy avons faite: vous, d'un serviteur fort asseuré, moy, d'un frere tres aymable et qui entroit fort honnorablement en la connoissance et bienveuillance de son Prince.

  A018000852 

 Je croy que vous m'excuseres aysement, et mon cousin aussi, qui connoisses asses mon esprit sujet aux evagations..

  A018000853 

 Maintenant, c'est au nom de ma seur de Thorens que je vous escris, et vous presentant son tres humble baysemain, je vous supplie de la favoriser en ce qui se pourra bonnement faire pour le recouvrement de certaines armes de feu mon frere son mari, dont ce porteur vous declarera les particularités; vous remerciant tres humblement encor de la part de cette seur du soin quil vous plaist d'avoir es occurrences des affaires de feu mon frere, que nous allons demeslant le mieux que nous pouvons, pour payer cinq ou six cens escus de debtes quil a laissés, en attendant de voir ce que la providence de Dieu fera naistre de sa vefve enceinte..

  A018000854 

 Au reste, je vous supplie tres humblement de commander que nous soyons advertis de l'estat de la maladie de nostre Presidente, car en verité nous en sommes en [68] peine jusques a l'inquietude inclusivement, et les Dames de la Visitation n'oublient pas a prier Dieu, comme aussi que sa bonté vous veuille conserver.

  A018000865 

 Que faites-vous, ma tres chere Fille? car voyla le mot que vous voules.

  A018000866 

 Ce sont les souhaitz que je fay sur vous, ma tres chere Fille, a qui je suis fort affectionnement.

  A018000876 

 Dieu, par sa bonté, nous veuille donner l'ame de cet enfant et la vie de la mere, que j'ay dedans mon cœur comme ma pauvre tres chere petite fille..

  A018000886 

 J'ay esté sur le point de vous aller [voir] et dire la [70] Messe en vostre eglise; mais ce qu'on m'a dit [du] mauvais chemin m'a arresté, outre que j'ay quelque [opinion] que je ny doive pas aller encor maintenant.

  A018000912 

 C'est pourquoi vous ferez très bien de profiter du temps et de tâcher d'en obtenir la nomination par ceux qui ont le droit de patronage, car les [71] médecins assurent que M. Nicolas mourra bientôt.

  A018000912 

 Par ces quatre lignes, je dis en hâte à Votre Seigneurie que M. Nicolas Clerc n'a jamais voulu résigner la chapelle ni aucun autre bénéfice, quoiqu'il soit malade depuis longtemps.

  A018000927 

 Nous n'avions encor achevé nos plaintes pour la perte que nous avions faite en Piemont, que voyci la seconde arrivee, laquelle, je vous asseure, nous est infiniment [72] sensible, cette chere ame ayant tellement vescu parmi nous, qu'elle nous avoit rendus tous parfaitement siens, mais moy plus particulierement, qu'elle regardoit avec un amour et honneur filial; et puis, le contrecoup receu par l'affliction de sa digne mere donne surcroist a nostre desplaysir..

  A018000928 

 Mais pourtant, a l'imitation de cette defunte, nous embrassons, aymons et adorons la volonté de Dieu, avec toute sousmission de tout nostre cœur, car c'estoyent presque ses dernieres paroles; vous asseurant que jamais je n'ay veu un trespas si saint que celuy de cette fille, quoy qu'elle n'eust que cinq heures pour le faire..

  A018000941 

 Elle s'estoit vouee a la Visitation des l'instant de sa viduité et avoit des-ja fait ce projet au despart de son mari; et Dieu luy a fait la grace qu'elle est morte en cette mayson, d'une mort marquee de sainteté extraordinaire; elle demanda l'habit et fit les vœux avant que de mourir..

  A018000941 

 Il m'estoit advis que mon frere ne fust pas du tout mort tandis que cette femme vivoit.

  A018000951 

 Au reste, que dires vous de nos afflictions domestiques? Ce n'est pas l'aymable belleseur de Thorens que vous avies veuë, c'est une seur toute autre que nous avons veu trespasser ces derniers jours; car, des un an en ça, elle estoit tellement perfectionnee qu'elle n'estoit plus connoissable, mais sur tout despuis sa viduité, qu'elle s'estoit voüee a la Visitation.

  A018000951 

 Non, je la cherissois d'un amour infiniment plus que fraternel; mais, ainsy qu'il a pleu au Seigneur, ainsy doit il estre fait: son saint nom soit beni! Amen.

  A018000959 

 Ce n'est pas la madame de Thorens que vous aves veuë, quoy que celle-la fust fort aymable: c'est une madame de Thorens toute dediee a Dieu, toute relevee au desir de ne vivre qu'a Dieu, toute pleine de clarté es choses spirituelles et de la connoissance de Dieu et de soy mesme, et telle que l'on pouvoit esperer que dans peu de tems elle seroit une autre nostre Mere..

  A018000960 

 VIVE JESUS et MARIE, que j'ayme plus que ma vie! » et semblables, prononcés si suavement que merveilles..

  A018000991 

 C'est pourquoi il a de nouveau recours à la source Apostolique pour obtenir que cette pension lui soit confirmée et les revenus assurés, ou bien qu'on lui octroie quelque autre pension ou bénéfice.

  A018000991 

 Mais il y a de longues années déjà que, converti au Christ, Evêque et Pasteur de nos âmes, il est venu, ou plutôt revenu, à sa très douce Epouse, l'Eglise catholique, dans la communion de laquelle il a été rétabli à [77] Rome même, et par l'ordre du bienheureux Pontife Clément VIII. Plus tard, il reçut de notre Très Saint-Père le Pape Paul V — que Dieu conserve! — un canonicat de notre Eglise de Genève, ainsi qu'une pension qui devait tant bien que mal subvenir à sa pauvreté; car, en ce qui concerne le canonicat, personne assurément, si économe soit-il, ne peut vivre de ses revenus: à peine s'élèvent-ils a quarante écus, et encore, le plus souvent, ils n'atteignent pas même vingt-cinq pièces d'or.

  A018000991 

 Mais voici que son titulaire ne peut en aucune façon toucher la pension.

  A018000992 

 Mais je dirai encore un mot à mon seigneur. Combien je voudrais, ô Dieu de bonté! combien souhaiteraient aussi la plupart des gens de bien, que nous eussions, sinon toutes, au moins l'une ou l'autre des Epîtres de saint Paul, fût-ce des plus courtes, expliquée au triple sens historique, dogmatique et mystique, que signale Votre Illustrissime Seigneurie.

  A018000998 

 Hélas! Illustre Seigneur, combien de maux, et quels maux sont suspendus sur nos têtes, si la paix ne se conclut par la vertu du Seigneur, Dieu des armées! Plût au Ciel que les princes catholiques [80] n'eussent qu' un seul cœur! Mais leur cœur est divisé, donc ils périront! Où est-il le Pacificateur? Oui, venez, Seigneur Jésus!.

  A018001027 

 Je prens la confiance en vostre charité de vous prier que les pointz suivans soyent bien remonstrés, en sorte que, s'il est possible, l'audiencier les escrive..

  A018001028 

 Que les Dames de la Visitation ayant acheté au veu et sceu de toute la ville la mayson en laquelle elles sont [83] a present, pour y servir Dieu, et s'y estant logees sans opposition ni contradiction de personne, ni mesme des Peres de Saint Dominique, ains au contraire le Reverend Pere de Bollo, Superieur de l'Ordre, ayant favorisé leur Congregation et leur sejour en ce lieu la de plusieurs saintes exhortations faites par luy en leur oratoire, elles n'avoyent nul sujet de penser que lesditz Peres eussent pris en si mauvaise part leur demeure en ce quartier..

  A018001029 

 Que despuis, ayant pleu a Dieu de donner accroissement a leur Congregation, elles se sont treuvees en necessité d'eslargir leur habitation et s'accommoder des maysons voysines, par traittés legitimes faitz avec les possesseurs d'icelles et, par mesme moyen, elles se sont treuvees en necessité de bastir et former leur mayson en monastere pour pouvoir observer la clausure et la.

  A018001031 

 Qu'elles sont extremement marries de ne pouvoir eslever leur bastiment sans donner quelque ombre au jardin desditz Peres: que si en cela elles donnent quelque nuisance, c'est a leur regret et sans leur coulpe, puisque la necessite de leur edifice les contraint; en sorte que si elles font quelque incommodité, si ne leur font elles point de tort, estant des incommodités que les voysins, par disposition de droit et la coustume generale des gens, doivent souffrir des voysins..

  A018001032 

 Que neanmoins, bien qu'en cela elles ne fassent rien que selon leur droit et avec legitime authorité de Sa Grandeur et de l'Ordinaire du lieu, elles ont tousjours desiré pouvoir en quelque façon accommoder leur necessité urgente de bastir en ce lieu la avec l'utilité desditz Reverens Peres: ayant a ces fins supplié M. Rousselet et M. le President des Comptes, et quelques autres personnes d'honneur, de vouloir moyenner quelque accommodement qui peust contenter lesditz Peres; s'offrant, icelles Dames, de faire tout ce qu'il plairoit auxditz seigneurs Rousselet et President, ou mesme a telz autres qu'on choisiroit, de marquer et ordonner.

  A018001033 

 De sorte qu'iceluy, toutes choses considerees, les ayant authorisees en ce bastiment, elles sont hors de tout reproche et en droit de bastir en ce lieu la; lequel, au reste, n'est ni proche ni en veuë du monastere desditz Reverens Peres, ains seulement d'un jardin qui leur appartient, escarté de leur monastere et hors l'enclos d'iceluy, lequel, avant que la Congregation de la Visitation fust, estoit exposé a la veuë des femmes et filles, et au bruit [de celles qui] faisoyent la lessive, [là où] maintenant il semble [que] la condition desditz Reverens [Pères est améliorée,] puisque lesdites Dames.......

  A018001033 

 [et] que les Seurs ne regarderont ni ne seront aucunement [regardées.] Mais sur tout [elles auraient prié lesdits] Reverens Peres, avant que de passer aux ameres et peu edificatives poursuites de proces, de convenir de gens d'honneur et de qualité qui fissent essay d'accommoder la necessité qu'elles ont de bastir au lieu que Sa Grandeur leur a accordé, avec l'utilité du monastere de Saint Dominique auquel elles desirent porter respect et honneur.

  A018001034 

 Et qu'il faut encor bien noter la difference qu'il y a entre le monastere et le jardin du monastere, sur tout en cette occurrence en laquelle le jardin est hors de l'enclos du monastere et de sa propre constitution, sujet a la veuë de tout le voysinage; de sorte que l'on n'empire pas sa condition, ains on l'ameliore, puisqu'on leur ostera la veuë des [femmes] qui seront la aux fenestres de..........

  A018001041 

 J'ay veu ce cher filz, mais si peu que c'est presque ne l'avoir pas veu, mesme aujourdhuy quil est venu tandis que j'estois en un appointement.

  A018001041 

 Je suis d'advis qu'il retourne a Lyon, puisque il s'y porte si bien et quil est de si bon naturel quil ne refuse pas l'estude auquel il commence a prendre goust, ainsy que son maistre m'a dit.

  A018001069 

 Cette dispense a déjà été accordée, à Grenoble, par la paternelle charité du Saint-Siège, à d'autres Sœurs du même Ordre, moins pauvres que celles-ci.

  A018001069 

 Les Sœurs de ces Monastères ont pu, jusqu'à ce jour, tant bien que mal, traîner et soutenir leur vie au milieu d'épreuves diverses et nombreuses, conséquence de la pauvreté et de la mendicité.

  A018001096 

 Jusqu'à présent, avec des aumônes [91] mendiées de côté et d'autre, elles ont vécu tant bien que mal, quoique très difficilement, au milieu de nombreuses et très fréquentes afflictions.

  A018001098 

 Aussi, voyant cette pauvreté extrême nuire beaucoup à leur vie intérieure et rendre ces Religieuses incapables de persévérer plus [92] longtemps dans leur vocation, si le Siège Apostolique ne pourvoit d'un remède opportun, j'ai tenu — bien que le soin de ces Sœurs incombe, non à moi, mais aux Frères Mineurs — à appuyer les demandes et les supplications qu'elles se proposent d'adresser à Sa Sainteté, par mes très humbles prières à la bonté de Votre Seigneurie Illustrissime, que je souhaite beaucoup leur être favorable..

  A018001099 

 Bien plus, alors que, pour le Jubilé, il est permis à chacun de choisir un confesseur à son gré, pourvu qu'il soit approuvé par l'Ordinaire, ce moyen de soulager leur conscience leur est interdit par une cruelle injustice.

  A018001099 

 Je l'informe en passant que dans ces Monastères de femmes de notre province, on n'observe nullement les très salutaires décrets du Concile de Trente sur le confesseur extraordinaire à donner deux ou trois fois l'année aux Religieuses, et sur l'examen que l'Evêque doit faire des filles ou femmes avant leur profession.

  A018001129 

 C'est pourquoi, à moins qu'elle ne le juge pas à propos pour [95] quelque raison que j'ignore, j'ose dire à Votre Paternité qu'il serait bon de le renvoyer ici; car ayant appris la langue et étant fort goûté en ces quartiers, il me semble qu'il s'y rendrait très utile.

  A018001129 

 Je sais qu'il a failli en faisant imprimer ses livres sans l'autorisation requise, mais je sais aussi que la cause principale de cette faute est une certaine simplicité et inadvertance; sans doute, grâce à la correction paternelle et pleine de bonté qui lui sera faite par Votre Paternité Révérendissime, il se tiendra désormais sur ses gardes.

  A018001130 

 Que Dieu comble de bonheur dans la participation de la grâce et de la gloire céleste Votre Paternité, dont je veux demeurer toujours.

  A018001145 

 C'est sans loysir que je vous escris, car le P. Redento part a l'improviste aujourd'huy, duquel j'attendois le despart seulement a lundi.

  A018001146 

 Je [97] vous supplie, mon Reverend Pere, de me faire cette faveur que ce soit au plus tost..

  A018001146 

 Je vous supplie de me faire office vers Monseigneur le Reverendissime Cardinal, affin que je puisse sçavoir si ce sera a Grenoble ou a Paris que j'iray cet Advent et ce Caresme; car Son Altesse a promis a monsieur le Mareschal que j'iray a Grenoble, et a d'autres que j'iray a Paris, et je ne sçai auquel des deux son intention est que je m'attache.

  A018001146 

 Or, il est tems que je le sçache, et selon qu'elle me fera entendre, je me resoudray.

  A018001147 

 J'espere que Dieu nous aydera..

  A018001147 

 Nous tascherons d'eschapper en toute façon d'avoir besoin du jardin des Peres, puisque je voy que cela en offence grandement quelques uns, qui m'ont dit que vous avies escrit que vous avies fait toutes les sollicitations.

  A018001148 

 J'ay receu une lettre de la premiere qui estoit addressee a Vostre Reverence, et en vostre absence, a moy, en laquelle j'ay plus de part que je ne merite; c'est pourquoy je ne vous la renvoye pas..

  A018001148 

 O mon tres Reverend cher Pere, je suis incomparablement tout vostre et de tout mon cœur: c'est ce que je puis dire pour le present, allant celebrer les Ordres.

  A018001161 

 Mais me doutant que ces Peres de Saint Dominique ne voudront pas lascher ce dont nous avons besoin si on ne leur donne tout le susdit pré, je vous supplie de faire ce qui sera bonnement a faire, affin que Monsieur se contente que nous leur puissions donner le tout.

  A018001161 

 Que s'il ne se peut, alhors on pourra parler de la moytié.

  A018001161 

 Vous recevres par M. Rousselet une de mes lettres, par laquelle je vous supplie de nous assister vers Monsieur pour obtenir le Pré Lombard en faveur des Seurs de la Visitation, et nous vous ouvrons un expedient: qu'au moins il luy playse de permettre que les susdites Dames en eussent la moytié pour donner en eschange aux Peres de Saint Dominique, gardant l'autre moytié pour en faire ce que Sa Grandeur voudroit.

  A018001162 

 Vous voyes, Monsieur mon Frere, comme je traitte avec vous, car j'escris ceci furtivement sans que personne le sçache, parce que le porteur ne me donne nul loysir.

  A018001176 

 Je croy fermement, ma tres chere Fille, que vostre cœur reçoit de la consolation de mes lettres, qui vous sont aussi escrites d'une affection nompareille, puisqu'il a [100] pleu a Dieu que ma dilection envers vous fust toute paternelle, selon laquelle je ne cesse point de vous souhaiter le comble de toutes benedictions..

  A018001177 

 Tenes bien vostre courage relevé, je vous supplie, ma tres chere Fille, en la confiance que vous deves avoir en Nostre Seigneur, qui vous a cherie, vous donnant tant d'humbles attraitz a son service, et vous cherit en vous les continuant, et vous cherira en vous donnant la sainte perseverance.

  A018001178 

 C'est seulement pour les recommander a vos prieres que j'en touche ce mot..

  A018001179 

 Monsieur vostre mary a bien rayson s'il m'ayme, car je le veux a jamais honnorer; et vous, ma tres chere Fille, je m'imagine que vous m'affectionnes tous-jours cordialement, et vostre ame vous respondra pour moy que je suis vostre, puisque Nostre Seigneur et Createur de nos espritz a mis cette liaison spirituelle entre nous.

  A018001190 

 Il me semble, certes, que je le voy, ce Sauveur crucifié, au milieu de vostre ame comme un bel arbre de vie, qui, par les fleurs des bons desirs qu'il vous donne, vous promet les fruitz du divin amour qu'il produit ordinairement es lieux ou sont la rosee d'humilité, douceur et simplicité de cœur.

  A018001190 

 Vives donq bien ainsy, ma tres chere Fille: ce sont mes vœux et mes souhaitz continuelz, comme vous cherissant d'une affection singuliere, et me confiant que reciproquement vous souspireres souvent devant sa divine misericorde pour l'amendement de mon cœur, dont je vous conjure ardemment, ma tres chere Fille..

  A018001191 

 Que si je ne puis, [102] vous aures plus que vostre desir, puisque le bon Pere que j'ayme et honnore si cordialement, y fera cent fois mieux le service de nostre commun Maistre que moy..

  A018001198 

 Je vous puis dire, Madame ma tres chere Seur, que toute cett'annee j'ay vescu parmi les mortz; car, outre une quantité d'amis et parens que j'ay perdus pour ce monde, j'ay veu ecclipser en trois moys mon frere, son filz unique et sa femme, que je cherissois incomparablement.

  A018001199 

 Et je voy bien que dans peu de jours vostre bon naturel recevra une pareille attaque; car je vis hier madame nostre bonne Mere, et la trouvay sur les confins de cette vie mortelle, ou sa maladie, et principalement son aage, l'ont conduit, et a mon advis, pour lent que soit son passage, elle ne peut pas beaucoup tarder de l'achever.

  A018001199 

 Ma tres chere Seur, nous avons a remercier Dieu qui nous a si longuement laissé cette mere, et n'est pas raysonnable que nous treuvions mauvais sil la reprend, puis que c'est pour luy donner une meilleure vie..

  A018001200 

 C'est pourquoy je n'ay plus rien a vous dire, sinon que je ne cesse jamais de souhaiter mille et mille benedictions a vostre chere ame que j'ayme de tout mon cœur, estant a jamais,.

  A018001200 

 Je sçai que vous irés digerer ce desplaysir au pied de la Croix de Nostre Seigneur ou toutes nos amertumes deviennent douces.

  A018001212 

 Mais ce souhait, entre vous et moy, qui serois estimé homme d'ambition excessive si quelqu'un l'entendoit; et neanmoins, j'y ay certes aussi peu d'ambition que d'esperance, a cause de l'exclamation du Sauveur: O quam difficile est hominem divitias habentem, etc..

  A018001213 

 Cependant, je confesse que, comme d'un costé ce m'eut [105] esté un contentement indicible de jouir de la presence de cet amy incomparable qui me souhaitoit a Paris et de la conversation de plusieurs autres qui me font lhonneur de m'affectionner, aussi m'est-ce un grand soulagement de m'esloigner si peu de ma residence quil semble presque que je ne m'en esloigne point; car en somme, ma femme, mes enfans, mon devoir et mes affaires sont icy, puisque Dieu a voulu que j'y fusse pere de famille et son œconome..

  A018001216 

 C'est la verité que nous n'avons jamais rien veu de cette authorité, ce païs estant hors de la legation; si neanmoins le diocæse luy estant marqué il dispense, j'auray tout sujet de croire quil ne fait rien quil ne puisse; mais en chose de telle importance et qui tire consequence, j'aymerois mieux que l'expedition vint de Rome, pour mettre tout en asseurance..

  A018001217 

 Vous commanderes, et vous seres obei de tous eux, et de moy en verité plus affectionnement que de tout le reste, puisque, vous baysant tres humblement les mains et vous souhaitant toute sainte fœlicité, je suis,.

  A018001230 

 Il pleut a Son Altesse, il y a plusieurs annees, d'ordonner quelques commodités au cappitaine Henry de la Rose, homme lequel meshuy n'est pas seulement viel, ains decrepite; et bien que la liberalité de saditte Altesse fut excitee par diverses considerations, si est ce que celle de la conversion de cette ame en fut le fondement.

  A018001247 

 A quoy je joins tres humblement ma recommandation, avec mille et mille souhaitz que je fay devant Dieu quil comble Vostre Altesse de fœlicité, demeurant, Monseigneur,.

  A018001261 

 Hier il me demanda comme ma seur avoit disposé, et je le luy dis franchement; et il tesmoigna de le treuver bon, hormis qu'il eust voulu que M lle de Chantal eust eu les trois mille escus, ce dit-il.

  A018001261 

 J'ay cuydé connoistre que M. Colom venoit a double intention.

  A018001261 

 Que s'il faut defendre au notaire de n'en rien monstrer, je vous prie d'en prendre la peyne, car je m'en vay dans demi heure au college..

  A018001262 

 Il me parla du mariage de M. de Foras en termes extremement extravagans, et me dit qu'il avoit charge de vous en parler et a ma fille; mais ces paroles procedent d'un mauvais fondement, car ilz croyent que l'on vous ayt fait la demande, et a M lle de Chantal, pour qu'on veuille mespriser le consentement du frere et de [110] l'oncle.

  A018001262 

 Je dis que l'on n'avoit fait aucune demande, ains quelques significations par ci par la, lesquelles ne requeroyent point de responce, laquelle aussi on n'avoit point faite..

  A018001270 

 Il est vray, Dieu a affligé nostre mayson en la mort de mon frere et de ma seur de Thorens; mais sa main divinement paternelle nous force d'adorer sa suave bonté qui ne nous a touchés que doucement, puisque mon frere est mort saint entre les soldatz, ou il se treuve si peu de saintz, et ma seur, sa chere espouse et mon unique fille, est morte sainte entre les servantes de Dieu et dans le cloistre, qui est ordinairement un seminaire de sainteté.

  A018001270 

 Le medecin qui la servoit en sa derniere maladie disoit que si les Anges pouvoyent mourir, ilz voudroyent mourir de la sorte..

  A018001282 

 Et je vous prie de croire que je vous ay neanmoins escrit plus d'une fois despuis, et que je suis bien marri quand je sçay que vos addresses me manquent, car je fay beaucoup d'estat de vos escris, esquelz j'apprens ordinairement et treuve une particuliere consolation..

  A018001282 

 Je n'ay point receu de vos lettres des quil vous pleut de me faire sçavoir que vous desiries des miennes pour ces messieurs de la cour, en recommandation de vos droitz.

  A018001283 

 Une chose leur manque, que nous supportons facilement icy: c'est qu'encor qu'ilz ayent des excellens praedicateurs, nous ne pouvons pas jouir pour encor de leur talent en cela, d'autant qu'ilz n'ont pas encor [112] l'usage parfait du langage françois, ains seulement autant quil faut pour se faire entendre es cathechismes, petites exhortations et conversations spirituelles; mays ilz le vont aquerant tous les jours.

  A018001283 

 Voyla ce que je vous puis dire, et ce qui me feroit desirer leur introduction es lieux ou les Peres Jesuites ne sont pas.

  A018001284 

 Je voy, ce pendant, madamoyselle vostre femme, que je cheris a la verité tres cordialement, sur la croix, entre les clouz et les espines de plusieurs tribulations qu'elle sent et que vous ressentés.

  A018001284 

 Que vous dirois je sur cela, Monsieur mon tres cher Frere? Interroges souvent le cœur de Nostre Seigneur, d'ou cett'affliction procede, et il vous fera sçavoir qu'elle a son origine dans le divin amour.

  A018001285 

 Mays en somme, que pouvons nous dire en toutes ces occurrences? Il est mieux de ne rien dire, ains acquiescer.

  A018001285 

 Toute cett'annee nous avons vescu parmi les adversités, et je croy que vous aures sceu le trespas inopiné de mon frere et de, ma seur, que j'appelle inopiné, car, qui l'eut pensé? mais trespas tres heureux pour le genre et la sainteté du passage; car, particulierement ma chere petite seur, fit sa (sic) depart avec tant de pieté et de suavité, qu'un docte medecin qui le vit me dit que si les Anges estoyent mortelz ils desireroyent cette sorte de mort.

  A018001286 

 Quil soit vostre consolation, et de madamoyselle que je vous prie treuver bon que je nomme [114] ma chere fille.

  A018001305 

 Commandes donq, je vous prie, que [115] de la main de madamoyselle de Chantal, ma fille bien-aymee, ou de ma chere Seur de Chastel, me soit envoyé quelque petit billet qui m'en apporte, ou du moins quelque message d'honneur..

  A018001305 

 La glorieuse sainte Cecile m'appelle au chœur pour ouïr les louanges de son Seigneur, que les musiciens, par devotion particuliere, veulent chanter de sa part.

  A018001332 

 Lorsque j'en traitai avec Son Altesse, elle agréa que, dans ce but, on prit tout le revenu du monastère de Contamine, supprimant les moines pour plusieurs raisons, et attribuant leurs prébendes, partie au collège de cette ville, partie à celui de Thonon, à condition, cependant, de placer dans ces collèges autant de Pères Barnabites qui puissent célébrer les Messes auxquelles les moines étaient tenus.

  A018001333 

 Je me chargerais des frais du voyage, de sorte que la Congrégation n'en éprouverait aucun dommage..

  A018001333 

 Mais cette sollicitation ne pourra jamais être bien faite que par ledit Père qui est très au courant de la situation locale, non moins que des motifs et des circonstances qui peuvent engager Sa Sainteté à accorder la faveur implorée.

  A018001333 

 Toutefois je crois avec le P. D. Jean-Baptiste, supérieur de ce collège, homme judicieux et qui donne beaucoup de satisfaction à la population, que cette affaire doit se traiter par le P. D. Juste [117] non seulement en notre cour auprès du Sérénissime Prince (ce qui, si je ne me trompe, sera chose facile), mais encore à Rome, où le Père la poursuivrait auprès de l'Ambassadeur de Son Altesse, laquelle, par exprès commandement, en ferait faire la sollicitation.

  A018001334 

 Par ce même moyen, le Père pourrait s'occuper encore de deux autres choses: il ménagerait l'union de certains bénéfices non conventuels pour l'établissement du Noviciat à Rumilly, et il obtiendrait l'approbation des Sœurs de la Visitation, à l'expédition de laquelle on s'emploie, mais très lentement, comme l'écrit le Révérend Père Procureur, parce que les Règles sont en français; le P. D. Juste achèverait rapidement l'affaire.

  A018001335 

 En effet, il a maintenant touché du doigt que j'ai raison; car, dans tout le jardin du collège, il n'est pas une place plus stérile et moins propre à la récréation: deux fenêtres des Pères Dominicains y ont vue directe, et le Père Prieur prétend bâtir son Noviciat contre le mur qui donne juste sur cet endroit-là, avec des fenêtres du même côté.

  A018001335 

 Et puisque j'ai parlé des Sœurs de la Visitation, je dirai encore quatre mots sur le dernier point de la lettre que vous m'avez envoyée par le P. D. Redento.

  A018001335 

 Je supplie Votre Paternité de croire fermement que je n'aurais jamais songé à demander la pièce [119] de terrain du collège où se trouve l'étang sans poissons, si j'avais vu que cette cession dût porter préjudice aux Pères, surtout en ce qui touche leur récréation; car leur santé et leur agrément me sont chers comme les miens propres.

  A018001335 

 Mais, pour le dire librement et sincèrement, si le prix de cette place de l'étang est employé comme il convient, il sera bien plus utile au collège que la place elle-même; voilà pourquoi j'ai été étonné des préventions de nos Pères, [120] auxquels néanmoins je n'en ai point parlé; car voyant que la seule idée de cette affaire les refroidissait avec moi, je n'ai pas voulu passer outre.

  A018001335 

 Toutefois, bien qu'au commencement le Père Supérieur actuel fût prévenu par l'opinion des autres, je pensai que la chose le regardait comme chef du collège, et je me crus obligé de lui en parler, non pour lui persuader de se ranger à mon sentiment, mais seulement pour lui donner à entendre que mon avis n'était pas aussi extravagant que quelques-uns le disaient.

  A018001336 

 C'est pourquoi, étant aussi affectionné au collège et au bien de la Congrégation qu'aucun autre peut l'être, j'estimerais qu'il serait expédient de faire cette vente; et sans doute, Votre Paternité Révérendissime, après avoir vu le plan, jugera que j'ai raison, comme l'ont enfin avoué le P. Supérieur et le P. D. Simplicien..

  A018001336 

 J'ajoute même que si on n'exhausse pas de ce côté les murs qui s'étendent vers l'autre partie du collège, celui-ci demeure presque tout entier découvert aux regards des Dominicains.

  A018001373 

 Et pensés si, ayant demeuré despuis la veille de saint André sans sçavoir en sorte que ce soit de ses nouvelles, je dois estre peyné! La volonté de Dieu soit a jamais l'unique refuge de la nostre, et son accomplissement, nostre consolation..

  A018001373 

 Que vous diray je, ma tres chere Fille? Certes, je me porte bien, mais tous-jours en peyne de nostre Mere, que je laissay un peu mieux qu'elle n'estoit il y a dix ou douze jours, mais tous-jours en danger.

  A018001374 

 Je suis icy receu avec joye, et ne nous manque que [124] nostre seur Barbe Marie, laquelle sachant vers vous je ne requiers point.

  A018001375 

 Nostre pere se porte bien; le frere et la seur vont a Nessi, trop heureux que sera ce peuple de les voir..

  A018001384 

 Je suis allé tout gay comme un petit oyseau, dans ma chaire, ou j'ay chanté plus joyeusement que l'ordinaire a l'honneur de ce grand Dieu, qui a racheté ma vie de la mort, et qui me couronnera en sa misericorde et miserations.

  A018001385 

 Dieu soit beni, et me donne la grace de luy rendre quelque service icy, et par tout ou il luy plaira de m'appeller, sur tout en mon diocese, puisqu'il luy a pleu de m'en charger, et du costé duquel, ou que j'aille, mon cœur s'y tournera a tous momens.

  A018001397 

 C'est pourquoy, aussi [127] tost apres mon pauvre petit sermon, je me suis venu reposer en son eglise des Recolletz pour celebrer la Messe, durant laquelle cette sainte Dame, de sa grace, a bien daigné me voir de si bon œil, que j'espere d'y retourner quelquefois pour la supplier de conserver long tems la tres chere Mere de laquelle sans doute elle m'a obtenu la guerison....

  A018001397 

 Je ne pouvois mieux faire recevoir mon remerciement au celeste Medecin qui vous a guerie, que par les mains de ma Dame sa Mere, Marie conceuë sans peché, nostre chere et souveraine Maistresse.

  A018001409 

 C'est pourquoy, bien que par les projetz de l'annee passee je devois m'imaginer que vous n'esties plus icy, si est ce que je n'ay peu m'empescher que d'abord mon cœur ne vous cherchast autour de [128] madame vostre mere.

  A018001409 

 Et je ne vous ay [cherchée que] pour premierement me res-jouir avec vous de vostre heureux mariage, car on m'en dit beaucoup de bien; que vous aves tant de contentement et que vous en rendes tant, que monsieur vostre mari est si vertueux, et que le lien d'une sainte et forte amitié vous tient unis ensemble; en somme, que vous aves toute occasion de louer Dieu, qui vous a fait rencontrer si favorablement le soin de monsieur vostre pere et de madame vostre mere..

  A018001409 

 Les marques d'une vraye vertu et pieté que j'ay veuës en vostre ame et l'estime que je fay de vostre merite ne permettront jamais que je cesse de vous honnorer et cherir parfaitement.

  A018001410 

 Et puis, me resouvenant que vous aves esté un peu ma fille spirituelle, je vous supplie de vivre bien conformement a la grace que Nostre Seigneur vous a faite, et de correspondre fidelement a la lumiere qu'il vous a envoyee par tant d'instructions qu'il vous a fait donner..

  A018001411 

 Rien ne vous honnorera tant que cette humilité, car Dieu exalte les humbles.

  A018001411 

 Souvenés vous, Madamoyselle, de vivre tous les jours en humilité, affin que Dieu vous benisse en toute vostre mayson, puisqu'il est certain que Dieu resiste aux superbes et vains, et donne aux humbles sa grace.

  A018001412 

 [Il n'y a rien] qui face tant arriver d'honneur, de reputation et de bonheur sur nous que de ne point s'amuser..

  A018001413 

 Je ne vous dis rien de la sainte devotion, qui est desirable en tous tems et tous lieux; car, comme vous sçaves, parmi les joyes et contentemens, elle modere nos espritz; [129] entre les adversités, elle nous sert de refuge et nous delasse; et, quoy qu'il nous arrive, elle nous fait benir Dieu, qui est meilleur que tout.

  A018001414 

 Et quand vous seres quelquefois en priere, priés, je vous supplie, un peu pour moy, qui de tout mon cœur vous souhaitte, et a monsieur vostre mari que je veux honnorer de toute ma force, mille et mille benedictions, demeurant,.

  A018001414 

 Voyés, je vous supplie, ce que j'ay marqué au livre de l' Introduction a la Vie devote, de la douceur et suavité que l'on doit soigneusement nourrir au mariage; et pour bien apprendre a prattiquer les enseignemens que vous y treuveres, il faut commencer des maintenant d'en essayer, en faysant faire l'exercice du matin et du soir.

  A018001429 

 J'ay veu les suggestions que l'ennemy de vostre avancement fait a vostre cœur, ma tres chere Fille, et voy [130] d'ailleurs la grace que le tressaint Esprit de Dieu vous donne pour vous maintenir forte et ferme en la poursuite du chemin auquel il vous a mis.

  A018001429 

 Ma tres chere Fille, ce malin ne se soucie point que l'on deschire le cors, pourveu qu'on face tous-jours sa propre volonté; il ne craint pas l'austerité, ains l'obeyssance.

  A018001429 

 Quelle plus grande austerité y peut-il avoir que de tenir sa volonté sujette et continuellement obeyssante?.

  A018001430 

 Il est vray que vous y aves des grandes mortifications de cœur, vous y voyant si imparfaite et digne d'estre souvent corrigee et reprise; mais n'est-ce pas ce que vous deves chercher, que la mortification du cœur et la connoissance continuelle de vostre propre abjection?.

  A018001430 

 Ouand vous pristes l'habit, apres plusieurs prieres et beaucoup de considerations, il fut treuvé bon que vous entrassies en l'escole de l'obeyssance et de l'abnegation de vostre propre volonté, plustost que de demeurer abandonnee a vostre propre jugement et a vous mesme.

  A018001431 

 Mais, ce dites vous, vous ne pouves pas faire telle penitence que vous voudries.

  A018001431 

 Or dites moy, ma tres chere Fille, quelle meilleure penitence peut faire un cœur qui fait faute, que de subir une continuelle croix et abnegation de son propre amour? [131].

  A018001441 

 Le formulaire [132] de vos vœux est fait selon ceux des pareilles Congregations d'Italie, et exprime beaucoup plus la force de l'obligation que ne font la pluspart des formulaires de la Regie de saint Benoist.

  A018001441 

 Vos vœux, ma tres chere Fille, sont aussi fortz que les vœux de tous Ordres de Religion pour obliger la conscience des Seurs a leur observance.

  A018001442 

 Il est vray, on peut estre dispensé des vœux simples, et des autres aussi; plus facilement toutefois de ceux la que de ceux ci, mais non sans grande occasion, et lhors qu'il est expedient: dont les Peres Jesuites se treuvent extremement bien, maintenant en partie le lustre de leur tres illustre Compaignie par ce moyen, lequel le monde n'appreuve pas, mays ouy bien Dieu et l'Eglise.

  A018001443 

 C'est une chose rigoureuse que pour ne vouloir pas observer le silence on mist une fille dehors.

  A018001443 

 Que si on n'expulse pour l'obstinee desobeyssance et le mespris affecté de l'ordre, je ne sçai pourquoy on expulsera.

  A018001445 

 Or, Dieu soit loué! J'espere que bien tost chacun s'accoysera par la conclusion qu'on y mettra a Rome..

  A018001446 

 Ma tres chere Fille, pour Dieu, ayes bon courage; c'est aussi pour luy que vous vives et travailles.

  A018001454 

 Que vous seres heureuse, si cette perseverance dure jusques a la fin de cette miserable vie! car ainsy cette fin sera le sacré commencement d'une belle et tressainte eternité..

  A018001455 

 Il faut arracher tout a fait le soin des preseances, puisque mesme on ne possede jamais tant l'honneur qu'en le mesprisant, et que cela trouble le cœur et nous fait faire des eschappees contre la douceur et l'humilité..

  A018001456 

 Ne vous estonnes nullement de vos distractions, froideurs et secheresses, car tout cela se passe en vous du costé des sens et en la partie de vostre cœur qui n'est pas entierement en vostre disposition; mays, a ce que je voy, vostre courage est immobile et invariable es resolutions que Dieu nous a donné.

  A018001456 

 Vrayement, ma chere [135] Fille, il ne faut pas laisser la tressainte Communion pour cette sorte de mal; car rien ne ramassera mieux vostre esprit que son Roy, rien ne l'eschauffera tant que son soleil, rien ne le destrempera si souëfvement que son bausme..

  A018001457 

 Aussi n'est-il pas dit au passage que vous m'aves allegué, que le juste se voit ou sent tomber sept fois le jour, mais qu'il tombe sept fois; aussi il se releve sans attention a ses relevees.

  A018001457 

 Ne vous mettés donq pas en peyne pour cela, mais allés humblement et franchement dire ce que vous aures remarqué; et pour ce que vous n'aures pas remarqué, remettes le a la douce misericorde de Celuy la qui met la main au dessous de ceux qui tombent sans malice, affin qu'ilz ne se froissent point, et les releve si vistement et doucement qu'ilz ne s'apperçoivent pas, ni d'estre tombés, parce que la main de Dieu les a recueillis en leurs cheutes, ni d'estre relevés, parce qu'elle les a retirés si soudain qu'ilz n'y ont point pensé..

  A018001466 

 Mon Dieu, ma tres chere Fille, que vous autres qui estes les premieres Meres et comme les colomnes de cette petite Congregation, deves estre grandement humbles, vertueuses et unies a l'esprit de Dieu, puisque vous voyes que de toutes partz l'on vous desire, par tout l'on cherche des greffes et plantes de vos pepinieres; car voyla Grenoble, Turin, Montpellier, Valence, Clermont, Le Mans, en somme par tout il semble que l'on vous veuille a l'envi, sans que par nul artifice on recherche ces recherches....

  A018001479 

 Comme Vostre Altesse Serenissime pouvoit choysir mille et mille personnes plus capables de servir dignement Monseigneur le Prince Cardinal au voyage de France, aussi ne pouvoit elle donner le commandement de ce faire a homme qui vive, qui, avec plus de fidelité et de cœur, receut cet honneur, ni qui, avec plus d'affection, se veuille essaÿer de correspondre par son tres humble service a la faveur et gloire que je sens d'y estre appellé.

  A018001494 

 Je reçois a grand bonheur le commandement que Vostre Altesse me fait de suivre Monseigneur le Serenissime Cardinal en France, et le feray, Dieu aydant, avec tant de fidelité et sujettion, que je ne demeriteray point lhonneur que je possede d'estre,.

  A018001513 

 [140] C'est pourquoy il est plus convenable que celles-ci qui, faute de forces corporelles, ne le pourroyent pas dire posement, ne disent que le petit Office..

  A018001514 

 Troysiesmement, il y a exemple a Paris, ou les Seurs de Sainte Ursule, Religieuses des trois vœux solemnelz, ne disent que le petit Office..

  A018001516 

 Il faut que je vous die que les Regles dont on demande l'approbation sont toutes conformes a la Regie de Saint Augustin, hormis en la clausure absolue, que saint Augustin n'avoit pas establie, a laquelle neanmoins les Seurs se veulent astreindre, selon le sacré Concile de Trente.

  A018001516 

 Je pensois vous marquer les autres pointz; mais je me resouviens que le P. Procureur general les a bien au long.

  A018001516 

 Peut estre que le Saint Siege commettra quelqu'un de deça, quelques Prelatz de Religions et autres theologiens pour les revoir, corriger et appreuver..

  A018001517 

 Je ne voy pas qu'il soit besoin de vous advertir d'autre [141] chose sur ce sujet, sinon que, quant au Monastere de cette ville, attendu que l'eglise d'iceluy est consacree sous le tiltre de la Visitation de Nostre Dame et du glorieux saint Joseph, il seroit desirable que l'on obtinst Indulgence pleniere pour ces jours la, et pour les jours des tiltres des autres Maysons et Monasteres de cette Congregation, outre l'Indulgence du jour de la Visitation, qui est le tiltre general de la Congregation..

  A018001519 

 Ce que je dis, parce que quelques ecclesiastiques austeres et exactz en leurs personnes ont rendu quelque signe qu'ilz n'estoyent pas satisfaitz dequoy en cette Congregation il y avoit si peu d'austerité et de rigueur de peynes; mais il faut tous-jours regarder a la fin, qui est de pouvoir recueillir les filles et femmes debiles, soit en aage, soit en complexion..

  A018001521 

 Or, je desire que le clergé ait part a la lettre, affin qu'on puisse imposer pour cela quelque petite cotisation sur les benefices.

  A018001534 

 Je receu a Grenoble la lettre quil vous pleut m'escrire le 6 decembre 1617; mays que vous diray-je? Ni moy et tout je ne le croy pas que jamais vous puyssies entrer en opinion que je varie et chancele en la sincere et solide affection que j'ay de vous honnorer et cherir a jamais, sans reserve ni exception quelcomque.

  A018001534 

 Non, Monsieur montres cher Frere, vous n'aures jamais cette cogitation, et ce n'est pas cela qui vous fait demander une cedule de [143] moy pour vostre asseurance; car je suis certain que l'amitié dont vous me favorises est si parfaite qu'elle est au dessus de toute desfiance.

  A018001535 

 Or sus, c'est asses dit pour cette verité que jamais vous ne revoqueres en doute..

  A018001535 

 Que si vous voulies neanmoins une cedule de mon cœur, comme vous me le signifiés, envoyes moy donq le vostre sur lequel je l'escriray, car nul autre papier n'est capable de cette sorte d'escriture.

  A018001535 

 Vous le sçaves donq bien, je m'en asseure, je suis exempt de ses vicissitudes, et mesme mon affection ayant rencontré un object si invariablement aymable comme vous estes, mon tres cher Frere; mays il ny a remede, il faut que vostre amour s'esgaye a me demander des certitudes du mien, dont toutefois il ne peut douter.

  A018001536 

 Je vis, de vray, M me du Puis d'Orbe, et, autant que j'ay sceu connoistre et discerner, son voyage estoit exempt d'aucun mauvais dessein; car elle venoit, ainsy qu'elle et madame la Premiere, ains monsieur le premier President mesme, m'avoyent adverti au paravant, seulement pour me venir voir et descharger, comme elle me dit, son cœur de cet amas d'ennuys qu'ell'avoit accueillis des qu'elle ne m'avoit veu.

  A018001536 

 Voyla ce que j'en croy, quoy que j'ay treuvé tres mauvais le rencontre et la suite de celuy qui estoit si odieux a tant de gens de respect, et qui [144] devoit, par tant de raysons, ne jamais approcher cette trouppe..

  A018001537 

 Pleut a Dieu seulement qu'elles eussent poursuivi leur voyage jusques icy, ou madame de Chantal leur avoit præparé une douce retraitte pour tant qu'elles eussent volu; je m'asseure qu'elles s'en fussent retournees fort consolees de voir la devotion qui se prattique en la Mayson de la Visitation, ou maintenant nostre fille est portiere pour la seconde fois, tant on estime sa vertu que de luy donner cette charge, l'une des plus importantes, affin que je vous die encor ce mot de consolation..

  A018001538 

 Il y a la des bons Peres Jesuites qui pourront mieux que moy discerner ce qui est requis pour le bien de ce Monastere.

  A018001538 

 Je fis tant par mes remonstrances, que l'esprit de M me du Puis d'Orbe, qui estoit aux abboys a cause de tant de troubles et de regretz dont il estoit accablé, reprit un [peu de vigueur] pour s'en aller en paix et vivre en paix en [son abbaye.] Mays elle m'escrit despuis son retour, qu'elle a de rechef treuvé tant de mauvais traittemens, qu'ell'a perdu presque toute esperance de jamais avoir la paix.

  A018001538 

 Quant a moy, je pense que la douceur gaigneroit plus sur cett'ame qu'aucune autre chose; au moins vois-je bien que l'amertume la trouble demesurement.

  A018001539 

 Le bon Pere Dom Pierre a rayson de m'aymer, puisqu'il vous honnore si fort et que je suis vostre cher frere.

  A018001539 

 Que sil se treuve a Paris le moys suivant, j'auray peut estre le bien de l'y voir, car je pense que Monseigneur le Cardinal de Savoye s'y en va, que j'y accompagneray, Son Altesse me l'ayant ainsy commandé sans reserve..

  A018001539 

 Vous l'aves conduit a præsjuger pour moy: et comme pourroit il autrement juger? Je n'ay pas le bonheur de le connoistre, mais ouy bien de connoistre sa Congregation que j'ay au milieu de mon cœur, et de laquelle je respecte et le General et plusieurs autres grans personnages qu'elle reunit, auxquelz donq je joindray celuy ci et le luy tesmoigneray a la premiere commodité qui s'en presentera.

  A018001540 

 Mais, oserois-je vous dire un surcroist de desplaysir qui m'est arrivé en cett' occasion? Je le feray, Monsieur mon tres cher Frere, mais c'est en confiance, vous suppliant que si il ne vous en est parlé, il vous playse n'en rien tesmoigner a personne..

  A018001541 

 Cela, certes, me fait de la peine, car je prevoy bien que la bienveuillance que ce Prælat et ces messieurs avoyent envers moy s'en rafroidira.

  A018001541 

 Et neanmoins, Monsieur mon tres cher Frere, je vous dis le cœur ouvert et devant le Scrutateur des cœurs, que ni directement ni indirectement, ni par moy ni par entremise d'aucun, onques je ne parlois a cette chere seur ni de tester, ni de rien faire de tout ce qu'elle fit pour mes freres.

  A018001541 

 Mays il est vray que ceux qui ont veu avec quel amour, quel honneur, quelle douceur cette pauvre fille estoit cherie de tous nous, ne treuvent pas si estrange qu'elle n'ayt pas volu tirer de nostre mayson que ce qu'elle y avoit apporté, sans que par autre voye nous luy ayons ni donné ni pensé a luy donner cette volonté..

  A018001541 

 Or, parmi cela et soudain qu'elle vid qu'elle mourrait de [146] cet accident, elle voulut tester, laissant a madame sa mere, a monsieur son frere et a sa seur sa dote, hormis un legat qu'elle fit encor d'environ 900 escus; et pour le reste, elle me fit son heritier, a la charge que je laisserois l'heritage entier a mes freres.

  A018001541 

 Sur quoy je m'apperçois que [M gr de Bourges et les autres] proches de M. le Baron de Chantal ont opinion que j'aye procuré l'advantage et commodité que cette pauvre defuncte a laissé a mes freres.

  A018001542 

 Je n'ay sceu me retenir, Monsieur mon Frere, de vous dire ce petit mal de cœur, sachant a qui je le dis; car d'en escrire a M. de Bourges, qui ne m'en a point escrit, je ne le juge pas a propos, et me contente de sçavoir en mon ame que suis exempt de ces viles prattiques, ne sçachant mesme pas ce que les testemens de mes pere et mere contiennent, sinon pour rayson des legatz pieux.

  A018001542 

 Mais c'est trop d'une chose que j'escris par eschappee.

  A018001556 

 Je les recevray avec playsir, a condition que vous vous chargeres des femmes, car en fin, qu'en ferois-je? [148].

  A018001565 

 Or, il a un'affaire devant la cour et, de bonne fortune, en la Chambre de la Tournelle en laquelle vous estes; et je vous supplie donq tres humblement, Monsieur mon Frere, de la (sic) gratifier de vostre appuy au soustenement de son bon droit, puisque mesme il implore mon [149] intercession aupres de vous, sachant le bien que j'ay d'estre advoüé vostre frere..

  A018001565 

 Vay-je point trop souvent a vostre porte? Vous importune-je point par mes si frequentes supplications? Certes, je ne dois, ni ne puis, ni ne veux manquer au devoir que j'ay a monsieur le Marquis d'Aix, qui me fait la faveur de m'aymer tres particulierement et que pour ses rares qualités j'honnore parfaitement.

  A018001566 

 Le voyage du Prince Cardinal de Savoye estant differé pour quelque tems et, comme je croy, jusques a carneval, je suis par consequent d'autant esloigné de l'esperance que j'ay que par quelque rencontre ce voyage me pourra donner le bonheur de vous voir.

  A018001584 

 Conservés-le donq bien, ce cœur, en ce juste contentement qu'il a de se sentir en paix avec son Dieu; paix de laquelle le prix n'est point au monde, non plus que la recompense, puisqu'elle vous est acquise par le merite [150] du sang de nostre Sauveur, et qu'elle vous acquerra le Paradis eternel, si vous la gardes bien.

  A018001584 

 Et vous le feres, je le sçai bien; car vous invoqueres Dieu, affin qu'il vous en continue la grace, et prendres soin de bien prattiquer ce que je vous ay conseillé, que j'espere de confirmer par mon retour, puisque, comme j'ay opinion, le voyage de ce Prince que je devois accompaigner est retardé..

  A018001584 

 Faites-le donq, ma tres chere Fille, et ne fuyes rien tant que ce qui la vous peut oster.

  A018001597 

 Si jamais ma bouche a refusé de vous nommer ma fille, ç'a esté sans le consentement de mon cœur, qui des le premier abord du vostre sentit bien que Dieu luy donnoit [151] une forte et invariable affection, toute vrayement paternelle pour vous; mais on n'ose pas tous-jours parler comme on desireroit, sur tout quand on doit du respect a ceux qui portent les mesmes tiltres que nous voudrions avoir.

  A018001598 

 Cependant il est fort certain, comme vous dites, que ce bon œuvre ne se fera pas sans quelques contradictions; car, comme seroit-il bon autrement? Mais pour cette dame, je ne croy pas qu'elle la face longue, puisqu'elle est vertueuse et de bon esprit; et puis, Dieu dissipe les cogitations humaines par sa science celeste..

  A018001598 

 Et vous diray donq, ma tres chere Fille, que je suis bien ayse que ces filles soyent venues icy faire l'apprentissage du sacré mestier que par apres elles iront exercer, comme j'espere, dedans le païs de leur naissance et de mon affection: pour moy, je n'en puis plus douter, voyant cette generale concurrence des souhaitz qu'en font tant de gens de bien.

  A018001599 

 Or sus, ma tres chere Fille, continués tous-jours a servir ce divin Maistre et Sauveur de vostre ame en pureté et douceur d'esprit: c'est l'unique bonheur que nous pouvons pretendre, et l'infallible asseurance de le [152] posseder eternellement consiste a l'aymer en ce monde fidelement et confidemment..

  A018001600 

 Je ne suis pas hors d'esperance de vous revoir ce Caresme, et de vous dire de vive voix, comme je le dis de tout mon cœur, que je suis,.

  A018001613 

 Et parce que maintenant il n'y a pas suffisamment pour entretenir une seule personne, s'il plaisoit a Vostre Majesté leur ordonner les cent cinquante livres sur les tailles, que ledit Pere Provincial luy a demandees en aumosne, il pourrait par ce moyen y colloquer quelque habile et discret Religieux, qui, par les voyes ordinaires de la justice et des loix publiques, retireroit petit a petit les pieces esgarees dudit couvent, sans que pour cela aucun eust occasion de se plaindre, ni que personne en fust grandement incommodé..

  A018001613 

 Pour obeir au commandement que Vostre Majesté me fait par sa lettre du dernier jour d'aoust 1617, que je n'ay receu sinon quatre mois apres, je diray ce qu'il me semble sur la proposition que le Pere Provincial des Carmes de la province de Narbonne luy a faite, pour [153] le restablissement du couvent que ceux de son Ordre avoyent jadis a Gex; et attendu qu'il y a quelques restes des edifices et des biens dudit couvent, je croy bien, Sire, qu'il seroit bon qu'ilz fussent remis en l'Ordre duquel ilz dependent, a la charge que le service y fust fait selon la proportion du revenu qui en proviendroit.

  A018001614 

 Mais quant aux trois cens livres que ledit Pere Provincial demandoit sur les autres revenus ecclesiastiques remis entre mes mains pour le restablissement de l'exercice catholique es eglises du balliage dudit lieu, je ne voy pas que cela luy doive ni puisse estre accordé; veu que tout est requis pour estre employé aux services et offices divins et a l'entretien et reparation des edifices sacrés, sans qu'on en puisse rien oster, ainsy que j'ay clairement fait voir audit Pere Provincial par les contes de ceux qui, de la part de Vostre Majesté, ont esté establis et commis a la recette desditz revenus.

  A018001614 

 Outre que, s'il y avoit quelque chose de plus, il devrait plustost estre destiné a l'accommodement des Peres Capucins qui, des plusieurs annees en ça, resident audit lieu de Gex et y travaillent avec beaucoup de zele et d'incommodités..

  A018001615 

 Et quant a ce que Vostre Majesté veut sçavoir, s'il seroit point plus a propos d'introduire en la ville dudit Gex quelque compaignie de Religieux reformés, je pense, Sire, qu'il n'y a point de doute, puisque les desvoyés ne sont pas moins attirés a la connoissance du bon chemin par les bons exemples que par les bonnes instructions.

  A018001615 

 [154] Mais le reste des biens du couvent des Carmes estant si petit, serviroit de peu a cela, qui ne peut estre fait que par le dessein expres de Vostre Majesté et par union de quelque benefice riche, quand il viendroit a vaquer, ou par quelque autre liberalité royale.

  A018001616 

 Que si d'abondant Vostre Majesté me commandoit de luy marquer un autre moyen grandement utile a l'avancement de la foy catholique en ce balliage de Gex, je dirois, Sire, que ce seroit d'y mettre des officiers catholiques; et sans ce moyen icy, les autres n'opereront que foiblement et lentement..

  A018001631 

 Quand on m'a osté d'aupres de vous, ça esté pour monsieur de Sainte Catherine, mais je pensois que ce fust un accident comme l'autre fois; et voyla que ça esté pour luy faire saintement dire dix ou douze fois: VIVE JESUS! et protester qu'il avoit toute son esperance en la mort de Nostre Seigneur: qu'il a prononcé avec beaucoup de force et de vivacité, et puis s'en est allé ou nous avons nos pretentions, sous les auspices du grand saint Paul.

  A018001643 

 Il faut demeurer coy en ce que Dieu dispose et ordonne; nous l'avons mesme fait ce jourd'huy.

  A018001652 

 En la vacance de la chapelle de Sainte Catherine par le trespas du bon et devot M. de Quoëx, j'ay rencontré par mon desir le choix que monsieur vostre mari et vous aves fait; et je n'avois garde de faillir, puisque monsieur le Doyen vous est si proche en toutes façons, que vostre bon naturel ne vous eut pas permis de faire autrement.

  A018001652 

 Il m'a dit tout ensemble, et l'obligation [158] qu'il vous en avoit, et la difficulté, ou plustost la consideration pour laquelle il n'avoit pas l'acte de la nomination: qui estoit que monsieur vostre mari auroit quelque sorte d'opinion de pouvoir un jour luy mesme la deservir..

  A018001653 

 Et la troysiesme, c'est que, si cette chapelle demeure quelque tems sans recteur, elle n'est pas si petite quil ne se treuve des courans qui l'impetreront a Rome; et elle sera bien impetree, attendu la negligence de ceux qui doivent nommer.

  A018001653 

 L'autre est que laiqs ne peuvent en conscience tenir les benefices, ni les nominateurs ne peuvent non plus les tenir en suspens sans offencer Dieu et les ames [159] des fondateurs.

  A018001653 

 L'une est, que quand monsieur le Baron seroit en estat (dont Dieu le garde) de deservir cette chapelle, en estant le nominateur il ne pourroit pas la prendre pour soymesme, car nulle (sic) ne peut estre nominateur de soymesme.

  A018001653 

 Mays, Madame, il faut que je vous die trois choses en confiance.

  A018001653 

 Sur cela, Madame, il me semble que vous deves des maintenant gratifier ce neveu qui vous appartient en tant de façons, et luy donner la nomination, affin de conserver vos droitz et l'intention des prasdecesseurs..

  A018001654 

 Pour [ce], je vous escris ainsy librement et sans art, sachant que vous m'aymes franchement, et croires aysement que je parle selon le devoir et l'affection que je vous ay et qui me rend, Madame,.

  A018001670 

 Et ne faut point craindre que vos parens vous y faschassent, car y vivant en une bonne et sainte reformation, chacun vous y reverra avec un amour nompareil; et puis, il ne faut pas tant regarder a vostre personne particuliere qu'au public et a la posterité.

  A018001670 

 Mais si vous ne pouves ranger vostre esprit a cet advis, du moins que ce soit a Chastillon..

  A018001671 

 Il faut que vostre courage surnage a tout cela; et croyes que si vous estes bien resolue de vivre en charité avec elles, leur monstrant un cœur de douce mere, qui a oublié tout ce qui s'est passé jusqu'a present, vous les verres toutes revenir a vous dans bien peu de moys..

  A018001671 

 Je n'appreuve nullement que vous separies vos filles, tenant les unes comme vos affectionnees et partisanes, et les autres comme distraittes de l'affection qu'elles vous doivent, ni qu'on leur reinette leurs pensions ou autres particularités.

  A018001672 

 De renvoyer ce point a eux, il n'est pas raysonnable; il faut que ce soit vous qui commencies.

  A018001672 

 Et non seulement a elle, mais escrivés aussi a M. le President et a monsieur [161] d'Origny, leur disant qu'apres tant de tourmens que vou saves souffertz, en fin Nostre Seigneur et vostre vocation vous convient de les prier de vous assister au dessein qui a tous-jours esté en vostre ame, de reduire vostre Monastere a quelque perfection de la vie religieuse, et qu'es occasions vous les advertires des moyens requis a cet effect, a ce qu'ilz vous aydent; car en fin, ma tres chere Fille, il faut avoir la paix, et la paix naist de l'humilité.

  A018001672 

 Je vous prie, escrivés luy en esprit de douceur et d'humilité, et, sans faire conte des choses passees, tesmoignés que vous estes fille de Nostre Seigneur crucifié.

  A018001673 

 Dieu, par sa bonté, vous comble de son Saint Esprit, affin que vous vivies en luy et a luy..

  A018001683 

 Vostre Baron ne me parla point de son cousin M. de Rabutin, ni moy a luy; mais je croy qu'il ne [162] desire pas que vous luy parlies, comme en effect, aussi bien sera-ce chose inutile, sinon en general, et dissimulant la particularité..

  A018001691 

 Il ne faut nullement que cela soit, car, ou vous pleures sur luy, ou pour vous.

  A018001691 

 Mon cher Frere (car je suis en la place de celuy que nostre bon Dieu a retiré pres de luy), on me vient de [163] dire que vous pleures continuellement pour cette veritablement bien sensible separation.

  A018001691 

 Si c'est sur luy, pourquoy pleurer, que nostre Frere est en Paradis ou les pleurs n'ont plus de lieu? Que si pour vous, n'y a-il point trop d'amour propre (je parle avec vous ainsy franchement), d'autant qu'on jugera que vous vous aymes plus que son bonheur, qui est incomparable? Et voudries vous que, pour vous, il ne fust pas avec Celuy in quo movemur et sumus, tous tant que nous sommes qui acquiesçons a son saint playsir et divine volonté?.

  A018001692 

 Et en somme, pensés souvent en elle et en luy, et vous vivres joyeux, comme je le souhaite de tout mon cœur, avec lequel je me recommande a vos prieres et vous asseure que je suis vostre..

  A018001734 

 Re non integra, je pense que cette attestation soit suffisante, laquelle pour cela je vous renvoye, affin qu'elle serve au suppliant..

  A018001735 

 J'ay donné verbalement charge a M. le curé de Vualier, de dire a monsieur le curé des Alinges et a [167] M. le curé d'Orcier, qu'en secourant Draillans, jusques a ce que nous y puissions mettre autre ordre, et eux et le vicaire des Alinges pourront celebrer deux fois a cette contemplation, car il faut faire ce que l'on peut..

  A018001736 

 Je vous prie de voir que c'est et m'en tenir adverti, bien que je ne laisseray pas d'en parler avec monsieur de Blonnay, puisque il vient de deça, a ce quil m'escrit..

  A018001748 

 C'est pourquoy, Monseigneur, le P. Don Laurens de Saint Sixt estant par dela, j'ay creu que ce seroit a propos d'en ramentevoir Vostre Altesse, a ce qu'elle oÿe avec confiance ce qu'il luy en [169] representera, puisque non seulement il a pour ce sujet la creance de son General, mais aussi une speciale fidelité au service et a l'obeissance de Son Altesse, delaquelle il est nay sujet et vassal.

  A018001748 

 Entre les saintz projetz que Dieu inspira a Vostre Altesse tandis qu'elle fut icy, pour restablir le lustre du service divin en ces païs de deça, l'un estoit de mettre les Peres Chartreux a Ripaille, qui de tous tems ont une tres particuliere obligation et fidele affection a la coronne de Savoye, et desquelz la vie et les offices sont d'une merveilleuse edification.

  A018001762 

 Mays je sçai bien aussi que vous n'en doutes pas, ains seulement vous exprimes ainsy l'aridité, secheresse et insensibilité en laquelle la portion inferieure de vostre ame se treuve maintenant.

  A018001763 

 Et que Dieu vous regarde avec amour, vous n'aves nul sujet d'en douter; car il voit amoureusement les plus horribles pecheurs du monde, pour peu de vray desir qu'ilz ayent de se convertir.

  A018001764 

 Vous dites bien, ma tres chere Fille, que ces tentations vous arrivent parce que vostre cœur est sans tendreté envers Dieu; car c'est la verité que si vous avies de la tendreté vous auries de la consolation, et si vous avies de la consolation vous ne series plus en peyne.

  A018001765 

 Ainsy, comme la foiblesse et infirmité de l'enfant desplaist a sa mere, et pourtant, non seulement ne laisse pas pour cela de l'aymer, ains l'ayme tendrement et avec compassion, de mesme, bien que Dieu n'ayme pas nos imperfections et pechés venielz, il ne laisse pas de nous aymer tendrement; de sorte que David eut rayson de dire a nostre Seigneur: Aye misericorde, Seigneur, parce que je suis infirme..

  A018001766 

 Vivés joyeuse: Nostre Seigneur vous regarde, et vous regarde avec amour, et avec d'autant plus de tendreté que vous aves d'imbecillité.

  A018001767 

 Priés pour mon ame, ma chere Fille, et me recommandés a vos cheres filles novices, lesquelles je connois toutes, [172] fors que ma Seur Colin.

  A018001774 

 Ma tres chere Fille, qui estes aussi ma grande fille, le mesme Apostre disoit aussi, que quand il estoit infirme, alhors il estoit fort, la vertu de Dieu paroissant parfaite en l'infirmité.

  A018001774 

 Qui est celuy qui est malade, dit l'Apostre, que je ne le sois avec luy? Et nos anciens Peres ont dit la dessus, que les poules sont tous-jours affligees de travail tandis qu'elles conduisent leurs poussins et que c'est ce qui les fait glosser continuellement, et que l'Apostre estoit comme cela.

  A018001776 

 Dieu garde et benit les sorties aussi bien que les entrees de celles qui font toutes choses pour luy, et qui n'occasionnent pas leurs sorties par leurs mauvais deportemens.

  A018001776 

 Sa providence fait vouloir le sacrifice qu'elle empesche par apres [174] d'estre fait, comme on voit en Abraham; et me semble que je dis je ne sçay quoy de ceci au livre de l' Amour de Dieu, mais je ne me souviens pas ou..

  A018001778 

 Je ne dis pas ceci, non, ma chere grande Fille, vous tenant pour descouragee, mais vous tenant pour adoloree, et m'estant advis que je dois mesler mes souspirs avec les vostres, comme je sens mon ame meslee avec la vostre..

  A018001779 

 Voyes vous, ne me dites point que vous abuses de ma bonté a m'escrire des grandes lettres; car en verité, je les ayme tous-jours suavement..

  A018001780 

 Ce bon Pere dit que je suis une fleur et un vase de fleurs, et un phœnix; mais en verité, je ne suis qu'un puant homme, un corbeau, un fumier.

  A018001805 

 J'ai dit peu de chose, parce que je n'ai pas eu le temps de voir [176] en lui la pratique des vertus en détail; Votre Paternité pourra allonger, corriger, abrég er et changer comme bon lui semblera..

  A018001805 

 Je regrette infiniment que Votre Paternité n'ait pas encore reçu l'éloge que j'ai fait en témoignage de l'estime en laquelle j'ai toujours tenu notre Révérendissime Monseigneur de Saluces, de très heureuse mémoire.

  A018001805 

 Voici donc que j'en envoie un double, sorti de mon lourd entendement, et écrit à la hâte; aussi ne sera-t-il pas digne d'être mis sous les yeux du public.

  A018001832 

 Si mes prières sont exaucées par le Seigneur notre Dieu, ce cœur recevra le comble de la perfection de l'amour céleste, et cette main l'anneau des éternelles épousailles avec le Rédempteur de nos âmes, afin que, suivant les désirs de Votre Seigneurie Illustrissime, elle vive toute pour le Christ, dans le Christ et au Christ..

  A018001833 

 Et voilà que ces Sœurs ont justement, ces jours passés, acheté un certain moulin de Monsieur le Duc de Nemours; or, si le prince venait à mourir sans enfants, il serait à craindre que la Chambre de Son Altesse, non seulement s'emparât de ces moulins, mais qu'elle fît encore perdre aux Sœurs leur argent.

  A018001833 

 Le Père m'écrivit aussi que si quelque occasion d'aider le monastère des Sœurs de la Visitation se présentait, je le fisse savoir à Votre Seigneurie qui servirait d'intermédiaire auprès de la Sérénissime Infante.

  A018001834 

 A lui soit honneur, gloire et bénédiction éternelle, et à vous, Madame, toutes les grâces que vous souhaite,.

  A018001834 

 Mais on attend les dépêches de Rome; ayant maintenant pour les obtenir un solliciteur aussi habile que l'est le P. D. Juste, et de si nombreuses recommandations, il faut espérer qu'avec la grâce de Dieu nous les recevrons bientôt, d'autant plus [180] qu'il s'agit du service et de la gloire de sa divine Majesté, et du salut des âmes rachetées par le sang du Rédempteur.

  A018001834 

 Pour vous y encourager, je vous assure que cette Congrégation croît toujours plus dans la perfection religieuse et répand une telle odeur [de vertu], que de plusieurs côtés on demande des Sœurs pour fonder des Monastères.

  A018001846 

 La Sainte Mayson de Thonon ne peut subsister che (sic) par la bonté et liberalité de Son Altesse, qui en est la fondatrice, et laquelle partant est suppliee maintenant sur divers articles desquelz la resolution et execution est necessaire pour maintenir laditte Mayson, ainsy que le sieur Gilette, present porteur, representera..

  A018001847 

 Playse a Vostre Altesse Serenissime d'estre favorable a ce bon oeuvre, comme elle l'est ordinairement a toutes; c'est la supplication seule que pour le present je luy fay, et qu'elle me face la grace de m'advouer tous-jours,.

  A018001860 

 Vous le pourres encor prier, ce brave Valentin, qu'il prenne aussi ce bouquet, et que de sa main il le vous face odorer, et mesme qu'il vous en rende quelqu'autre en eschange; qu'il vous donne des gans parfumés, couvrant vos mains d'oeuvres de charité et d'humilité, et vous donne des brasseletz de corail, des chaisnes de perles; et ainsy faut [183] il exercer des tendresses d'amour avec ces heureux gentilzhommes de ce Roy de gloire..

  A018001860 

 Vous me demandes, ma tres chere Fille, quel bouquet vous pourres donner a vostre Valentin? Il doit estre fait de quelques petites actions de vertu, que vous prattiqueres expres en faveur de ce Valentin celeste, et au bout de la meditation du matin, vous le luy presenteres, affin qu'il le consacre a vostre cher Espoux.

  A018001861 

 Il me semble que ce fut saint Thomas d'Aquin que vous tirastes pour le mois: le plus grand Docteur qui aye jamais esté.

  A018001862 

 Nostre Seigneur permet qu'en ces petites rencontres nous demeurions courtz, affin que nous nous humiliions, et que nous sçachions que si nous avons surmonté certaines grandes tentations, ce n'a pas esté par nos forces, mais par l'assistance de sa divine Bonté..

  A018001862 

 Or, parlons un peu de ce cœur de ma tres chere Fille: s'il estoit a la veuë d'une armee d'ennemis, ne feroit-il pas des merveilles, puisque la veuë et le rencontre d'une petite fille maussade et escervelee le trouble si fort? Mais ne vous troubles pas, ma tres chere Fille, il n'est point d'ennuy si importun que l'ennuy qui est composé de plusieurs petites, mais pressantes et continuelles importunités.

  A018001863 

 Je le voy bien, que par ces menues tracasseries il y a force sujetz d'exercer l'amour ou l'acceptation de nostre propre abjection: car, que dira-on d'une telle fille qui n'a point fait proffiter et n'a point bien dressé ni donné bonne action a cette petite fille? Et puis, qu'est ce que nos Seurs diront de voir que pour la moindre importunité qu'une creature nous fait, nous nous desbattons, nous nous plaignons, nous grondons? Il n'y a remede, ma tres chere Fille.

  A018001863 

 La fille de saint Athanase eust acheté cette condition au prix de l'or, mais ma fille n'est pas si ambitieuse: elle aymeroit mieux que l'occasion luy fust ostee que d'entreprendre de la faire valoir.

  A018001863 

 Recourés bien a l'humilité, et pour ce peu de tems que cet exercice durera, essayés-vous de la supporter en la presence de Dieu, et d'aymer cette pauvre chetifve pour l'amour de Celuy qui l'a tant aymee qu'il est mort pour elle.

  A018001871 

 Et par ce qu'il m'a demandé pour l'amour de Dieu mon intercession aupres de Vostre Altesse, je ne la luy ay peu refuser; c'est pourquoy, croyant fermement que rien ne se treuvera en cette occasion contre son innocence, je fay tres humble supplication a Vostre Altesse de luy vouloir departir sa faveur pour sa briefve sortie et son renvoye en son cloistre..

  A018001871 

 Le Pere Frere Angelo Calcagnio, Gardien des Observantins de Playsance, est prisonnier des il y a trois moys a Chamberi; et par ce que je l'ay souvent veu a Annessi, ou il a quelquefois demeuré les moys entiers avec son frere, et n'ay jamais rien reconneu en luy contraire a la pieté et religion, je l'ay visité en sa prison, ou je l'ay treuvé comme un homme que le tesmoignage de sa conscience tient asseuré.

  A018001885 

 Mon Reverend Pere, que je cheris comme mon ame propre,.

  A018001887 

 Or, Dieu soit loué de vostre arrivee en bonne santé et des peines que vous aves souffertes en chemin, comme encor du mauvais estat auquel vous aves treuvé l'affaire de la Visitation, contre l'esperance en laquelle on nous avoit nourri.

  A018001887 

 Si bona suscepimus de manu Domini, mala etiam cur non sustinemus? Mays je sçai si asseurement que nos prætentions tendent a la plus grande gloire de Dieu, que je ne puis perdre l'esperance de les voir reuscir, apres que sa divine Majesté aura un peu espreuvé nostre courage..

  A018001888 

 Mays pourtant, affin que de nostre costé nous attirons le bon succes par toute la sousmission quil nous sera possible, je vous diray, mon tres cher Pere: premierement, que si vous voyes du jour qu'avec un peu d'importunité nous puissions obtenir les trois articles que nous [186] demandons, je vous supplie de faire tout effort opportune, importune..

  A018001889 

 Ainsy, pourveu qu'on obtienne cet article, nous serons asses contens, encor qu'on refusera les autres, quoy que grandement desirables..

  A018001889 

 Et je sçai en verité que cet article fait une notable attraction des ames.

  A018001889 

 Mais toutefois, si vous voyes qu'on ne les puisse pas obtenir tous trois, qu'au moins on tienne bon en la poursuite de celuy du petit Office; car le grand Office dissiperoit et le lustre et la fin de cette Congregation, puisqu'on ne pourroit pas le dire avec la gravité requise, ni avec la bonne prononciation, et que plusieurs femmes et filles foibles de veüe ou d'estomac, quoy que grandement devotes d'ailleurs, ne pourroyent estre receües.

  A018001890 

 Ains, si cela se pouvoit obtenir, je l'aymerois mieux que toute autre [187] chose, car toutes les difficultés cesseroyent; mays j'ay grand peur que cela ne fut encor plus difficile a impetrer du Saint Siege, quoy que l'exemple des Peres Jesuites serviroit de beaucoup pour faciliter l'affaire..

  A018001890 

 Et plus tost que de mettre le grand Office en cette Congregation, j'aymerois mieux accepter le parti que Monseigneur de Lyon propose, pourveu qu'on le puisse impetrer du Saint Siege: a sçavoir, que cette Congregation demeurast en tiltre de simple Congregation, avec les vœux simples, et qu'il pleut neanmoins a Sa Sainteté d'annuller et casser, ou declarer nulz et de nulz effectz, tous les mariages que les Seurs (ce que Dieu ne veuille jamais permettre) voudroyent contracter apres avoir faitz lesditz vœux simples, tout ainsy que Gregoire 13 a fait en faveur des Jesuites estudians.

  A018001891 

 Enfin, cet article du petit Office est si important, que pour l'obtenir il faut se sousmettre a toute sorte d'autres rigueurs..

  A018001891 

 Que si en fin on ne peut mieux faire, il faudra au moins tascher d'obtenir que cette Congregation soit mise en tiltre de Religion, mais avec remission de l'obligation de dire le grand Office, tant en particulier qu'en general, pour le plus long tems que se pourra, comme pour cinquante ans ou soixante; car au bout dudit tems on obtiendroit peut estre bien une prolongation, quand le Saint Siege auroit veu par experience que cette dispense reusciroit a plus grand bien.

  A018001892 

 Et quant a vous, mon Reverend Pere, vous sçaves ce que je vous suis, c'est a dire que je suis vostre, sans reserve ni condition, et.

  A018001892 

 Je sçai que si Monseigneur de Lyon affectionne le bon evenement de cette negociation, il le fera reuscir heureusement; et bien que je ne luy escrive pas, respectant ses occupations, si ne laisse je pas de luy faire la reverence et vous supplier de l'asseurer de ma fidelité tres humble a son service.

  A018001908 

 Que si je n'ay pas escrit plus tost, ça esté sans ma coulpe, a cause de la multitude des bonnes occupations qui m'environnent, outre la principale des sermons..

  A018001908 

 Voyla les deux lettres pour l'affaire des Religieux de Talloire, que je veux servir, cherir et honnorer comme leur pieté et les desirs de mon pauvre aysné requierent; car les desirs de ce defunct et sa fidele amitié vivront a jamais en ma memoire et en mes affections.

  A018001926 

 Je n'ay point servi monsieur de Lescheraine vostre [190] filz, ains je ne l'ay mesme pas veu, ni hier quil prit la peine de venir ceans tandis que je me præparois au sermon, ni aujourd'huy qu'il m'a apporté vostre lettre, par ce qu'il n'a pas fait sçavoir son nom a celuy a qui il a parlé et que sa discretion a esté trop grande a s'en retourner, me sachant en occupation.

  A018001942 

 Tout le monde applaudit a ce dessein; nostre bonne dame la Presidente Le Blanc a une sainte ardeur pour cela, et moy j'ay une esperance tres douce que Dieu [191] benira ses intentions, si nous sommes si heureux que de nous humilier comme il faut devant luy, qui veut bien se glorifier en nostre petitesse..

  A018001950 

 Il faut que la Seur Anne Françoise face abnegation du desir qu'elle a de demeurer a Annessi, parce qu'elle [192] sera un bon pilier d'observance et mesme, un jour, une bonne Superieure de la Mayson de Grenoble....

  A018001960 

 Accablé des sermons et de mill'autres surcharges, je vous diray que vous pouves, a mon advis, recevoir ces filles pour soulager vostre Mayson et gratifier ceste damoyselle d'honneur qui le desire, puisqu'il ny a nul inconvenient, les personnes estant si discrettes que la discipline n'en sera point incommodee..

  A018001961 

 Encor me confirme-on que cett'esté se fera le voyage de Monseigneur le Cardinal; qui me donne esperance de vous voir.

  A018001962 

 Asseures monsieur le general de Palierne que je suis fort humblement son serviteur, honnorant de tout mon cœur la grace que Nostre Seigneur luy fait de le tenir en son saint amour et service.

  A018001962 

 Et de toutes les assistences quil vous fait, sa divine Majesté luy en tiendra bon comte; comm'il fera aussi de la patience et du courage que vous prattiqueres a maintenir et avancer cette Mayson lâ, laquelle reuscira un jour dautant plus grande qu'elle semble croistre plus lentement..

  A018001981 

 Quant a la demande que fait le bon seigneur duquel vous m'escrives, sur l'occupation des Seurs de la Visitation en cas qu'elles ne disent le grand Office, il y a deux raysons..

  A018001982 

 Certes, il y a huit jours, qu'estant en un monastere pres de cette ville, je vis [195] des choses qui pouvoyent bien faire rire les huguenotz; et des Religieuses me dirent qu'elles n'avoyent jamais moins de devotion qu'a l'Office, ou elles sçavoyent de faire tous-jours beaucoup de fautes, tant faute de sçavoir les accens et quantités, que faute de sçavoir les rubriques, comme encor pour la precipitation avec laquelle elles estoyent contraintes de le dire; et que ne sachant ni n'entendant rien de tout ce qu'elles disoyent, il leur estoit impossible, parmi tant d'incommodités, de demeurer en attention.

  A018001982 

 La premiere, que les Seurs disant le petit Office gravement et avec pauses, elles y employent autant de tems comme la pluspart des autres Religieuses en mettent a dire le grand Office, sans autre difference, sinon que les unes le disent avec plus d'edification et meilleure prononciation que les autres.

  A018001984 

 Je m'asseure que le Saint Siege favorisera cette œuvre, qui n'est ni contre les loix, ni contre l'estat religieux, et qui luy acquiert beaucoup de maysons d'obeissance en un tems et en un royaume ou il en a tant perdu; et puisque mesme il n'y a pas tant de considerations a faire pour des maysons de filles, d'autant qu'elles ne font nulle consequence pour les autres Ordres, ni ne peuvent estre occasion de plaintes aux autres fondees sous autres statutz.

  A018001998 

 Mais elle passe bien plus avant, car elle dit que je ne suis pas homme, mais quelque divinité envoyee pour se faire aymer et admirer, et, ce qui importe, elle dit qu'elle passeroit bien plus outre, si elle osoit..

  A018001998 

 Sçaches que j'ay une fille laquelle m'escrit que mon esloignement a fait approcher ses douleurs; que si elle ne tenoit ses yeux, ilz verseroyent autant de larmes que le ciel jette des gouttes d'eau, pour pleurer mon despart; et semblables belles paroles.

  A018001999 

 Mais pourtant, dites-le luy si doucement, amiablement et saintement, qu'elle treuve bonne cette reprimande, laquelle part du cœur plus que paternel que vous connoisses, comme fille certes tres chere de mon cœur, mais fille en laquelle j'ay mis toute confiance..

  A018001999 

 Or, dites luy, ma tres chere Fille, qu'il ne faut jamais attribuer, ni en une [197] façon ni en l'autre, la divinité aux chetifves creatures, et que penser encor de pouvoir passer plus outre en louange, c'est une pensee desreglee, ou au moins de le dire ce sont paroles desordonnees; qu'il faut avoir plus de soin d'eviter la vanité es paroles qu'es cheveux et habitz; que des-ormais son langage soit simple, sans estre frisé.

  A018001999 

 Que dites vous, ma tres chere Fille? Vous semble-il qu'elle n'ayt pas tort de parler ainsy? Ne sont ce pas des paroles excessives? Rien ne les peut excuser que l'amour qu'elle me porte, lequel est certes tout saint, mais exprimé par des termes mondains.

  A018002009 

 Ce porteur, jeun'homme de Gex, quitte son pais et la mayson de son pere pour eviter les inhumaines et continuelles persecutions qu'il y a rencontrees des qu'abjurant l'hæresie il a embrassé la foy catholique; et c'est un grand cas, Monsieur, que cette faction de prætendus reformés, toleree par l'indulgence du Roy, est si [198] insolente que de vouloir, par des voyes extraordinaires, empescher aux sujets de la coronne la liberté de servir Dieu selon la religion du Roy et du royaume, en laquelle l'Estat a esté et laquelle a tous-jours esté en l'Estat, il a, graces a Dieu, environ douze cens ans..

  A018002010 

 Monsieur, c'est pour cela que je vous ay supplié de nous faire avoir des magistratz catholiques en ce balliage de Gex, qui, par l'authorité qu'ilz possederont, pourront donner le contrepoids a la multitude et malice des ennemis de la religion du Roy et du royaume, qui sont si hardis au mal et si pleins d'artifices pour l'executer que, s'ilz ne sont retenus de main forte, ilz ne cesseront d'empescher par toutes sortes de moyens violens le progres de la conversion des ames.

  A018002011 

 Au reste, Monsieur, c'est meshuy chose superflue de repeter les vœux de mon service, que j'ay fait a Vostre Grandeur, puisque lhonneur que j'ay de vous oser regarder et considerer comm'un pere tres affectionné fait son tres aymable filz, met hors de doute le parfait respect et infini amour que mon ame a pour la vostre, que je supplie incessamment Nostre Seigneur de vouloir combler de sa grace, et demeure invariablement,.

  A018002026 

 J'espere, Monseigneur, que ledit seigneur Marquis effectuera l'intention de Vostre Altesse, ainsy qu'il m'a asseuré a mon retour de Grenoble; et ne me reste qu'a la supplier tres humblement de vouloir tous-jours ainsy proteger les affaires du service de Dieu, qui en suite multipliera ses graces sur la vie et la personne de Vostre [200] Altesse Serenissime, a laquelle je fay tres humblement la reverence, et delaquelle,.

  A018002039 

 Il me tardoit bien fort, ma tres chere et plus que tres chere Mere, de vous escrire des icy, ou je suis arrivé, grace Dieu, en bonne santé.

  A018002039 

 Ma Seur Anne Marie est fort devotement sage, comme vous n'en doutes pas; ma Seur [201] Paul Hieronime, a ce qu'on me dit, fait merveille, et vostre Econome fait des miracles, hormis que ma Seur Anne Jacqueline luy parle tous-jours savoyard et de la monnoye de Savoye, et elle ne l'entend pas; il faut des truchemens..

  A018002039 

 Mais quel moyen, je vous prie, a cet abord, parmy ce flux et reflux de visites, et quelque affaire que j'ay treuvé pour Piedmont et Italie? Certes, je n'ay esté que deux fois voir nos cheres Seurs, qui font fort bien.

  A018002040 

 Hier je permis a la Seur Louise Marie d'aller voir sa mere en compaignie de ma Seur Anne Marie, parce qu'on ne la pouvoit faire resoudre de se confesser, quoy qu'elle fust en tel danger que les medecins croyoient qu'elle deust mourir cette nuit; ce qu'elle n'a pas encor fait, bien qu'a ce qu'on dit elle ne puisse pas aller loin.

  A018002042 

 Le nous et nostre ne me deplaist pas, et toutefois il [202] faudra le moderer en sorte que par trop grande habitude de parler ainsy on ne rende pas les defautz, pechés, imperfections communs et les confessions inintelligibles aux confesseurs estrangers; et partant, il semble quil suffiroit de dire nous et nostre de tout ce qui est vrayement commun, comme: nostre chambre, nostre chapelet, nostre travail, nostre Seur, nostre Mere, nostre exercice; car on peut bien dire: Je n'ay pas fait nostre exercice du matin, je n'ay pas esté a nostre disner, j'ay pensé dans nostre lict, et semblables..

  A018002043 

 Si pour ne point differer de donner l'habit a nostre Seur de Collesieu jusques apres vostre despart, Monseigneur de Calcedoine veut dispenser du tems du premier essay, il faut accepter la dispense pour cette fois, et le supplier par apres de n'en point dispenser que pour des dignes sujetz, attendu que la regie de cet essay est fort utile et salutaire a la Congregation..

  A018002045 

 Et a propos de monsieur le premier President, madame la Premiere m'a fait entendre, en passant a Chamberi, quil desiroit bien que sa fille fust employee a Turin, si on la peut bonnement retirer de Lion; ce que je ne pense pas.

  A018002045 

 M. de la Roche m'en dit autant de la sienne, et par consequent vous voyes, ma chere Fille, quil y a un peu de consideration humaine en ces bons peres; neanmoins je vous dis tout, affin que vous le consideries et ruminies pour vostre retour, et peut estre que l'on ne demandera des Seurs de deça que pour un court emprunt.

  A018002046 

 Je parlay a M. Carra, qui ne presse nullement la reception de sa fille, et luy est indifferent que ce soit ou un jour ou un autre.

  A018002046 

 Ma Seur Françoise Marguerite, ce me semble, n'aura achevé son annee de probation [204] que la veille de saint Claude, avec ma Seur Michel et ma Seur Claude Jacqueline..

  A018002047 

 Je seray bien marry si le mariage de monsieur de Chantal ne reuscit au gré de ceux quil regarde, et ne m'estonne pas toutefois si la bonne madame Liotart va un peu moins rondement que nous n'avons pas fait de nostre costé, car elle n'a pas peut estre encor bien despouillé la robbe du monde, ni perdu la coustume de parler selon la sagesse du monde.

  A018002047 

 Je serois partant bien ayse de sçavoir en gros comme cela se sera passé, ne me pouvant empescher de cette curiosité, a cause du contentement que je souhaite a vostre Celse Benigne, et certes, encor a cette fille, que j'ayme pour l'amour de ma tres chere Mere, comme si c'estoyent mes frere et seur..

  A018002048 

 Je consens tres librement que nostre tres chere Seur Peronne Marie communie trois, voire quatre et plus encor de fois la semaine jusques a l'edition des Regles, et que tous-jours une des Seurs communie avec elle; et quand elle ne communiera pas, qu'une Seur communie, [205] en sorte que tous-jours quelque Communion se face tous les jours; car je me confirme tous-jours plus au desir que je vous ay communiqué, qu'en cette Congregation la Communion y soit quotidienne de quelques unes des Seurs a tour, pour le souhait que le sacré Concile de Trente fait de voir que quelqu'un communie a chaque Messe, ainsy que je le declareray plus a plein aux Regles..

  A018002049 

 Je croy fermement que ma Seur Barbe Marie, m'ayme singulierement, et n'a pas tort, ni aussi madame de Granieu, qui m'est a la verité precieuse..

  A018002050 

 Je pense que j'ay tout dit quant aux affaires..

  A018002050 

 On me tourmente fort icy a l'occasion de vostre passage a Lion, d'autant, dit on, qu'il vous pourroit causer du mal: a quoy je vous supplie de prendre soigneusement garde, car penses si rien m'est si cher, apres la sainteté de nostre ame, que la sante de ma Mere.

  A018002051 

 Faites vous hardiment communiquer les lettres que j'ay escrit a ma Seur Barbe Marie, car il y en a, a mon advis, qui sont bien bonnes.

  A018002051 

 Puisque vous voules tout avoir, j'en ay escrit une bonne une fois a madame de Vissilieu, et si j'ay du loysir, j'en escriray une autre a madame de la Baume et vous l'envoyeray a cachet volant; mais il la faudra bien cacheter, car je ne sçay pourquoy, mais il est vray que les advis secretz frappent mieux le cœur jusques a ce que l'on soit fort avancé au renoncement de son propre amour..

  A018002052 

 Je salue d'un cœur incomparablement paternel toutes [206] nos cheres Filles, que j'ayme tous les jours plus, m'estant advis que je dois cela a l'affection qu'elles ont de bien servir Dieu.

  A018002053 

 Il faut remettre les lettres que j'escriray a madame de la Baume et a madame de Pisançon et a madame Odoyer, a M. d'Urme, affin quil les rende, car il le desire.

  A018002055 

 Cachetes bien ces lettres apres que vous les aures veuës, et les remettes au bon M. d'Urme auquel j'escris quil les donne.

  A018002055 

 J'abonde un peu en dilection et es paroles d'icelle en ce commencement; vous sçaves que c'est selon la verité et la varieté de ce vray amour que j'ay aux ames.

  A018002055 

 Maintenes moy bien es bonnes graces de celles que Dieu veut estre plus de mon soin..

  A018002057 

 Je ne vous envoye pas le contract, d'autant que je n'ay peu le faire copier, et si il me semble quil ne soit pas trop bien fait; mais je vous en escriray plus amplement.

  A018002058 

 J'ay receu la lettre que vous m'escrives, du 22 de ce mois, allant donner la derniere benediction a madame la procureuse fiscale qui a perdu tout sentiment..

  A018002059 

 Faites bien secher les cachetz volans, affin qu'on ne s'apperçoive que les lettres ayent esté veuës..

  A018002070 

 Il n'est besoin, pour vivre constamment en devotion, que d'establir des fortes et excellentes maximes en son esprit..

  A018002070 

 Playse au Saint Esprit de m'inspirer ce que j'ay a vous escrire, Madame, et s'il vous plaist, ma tres chere Fille.

  A018002071 

 La premiere que je souhaite au vostre, c'est celle de saint Paul: Tout revient au bien de ceux qui ayment Dieu.

  A018002072 

 Dites moy donq, je vous prie, que ne fera-il pas de nos afflictions, de nos travaux, des persecutions qu'on nous fait? Si donq il arrive jamais que quelque desplaysir vous touche, de quel costé que ce soit, asseures vostre ame que, si elle ayme bien Dieu, tout se convertira en bien.

  A018002072 

 Et quoy que vous ne voyes pas les ressortz par lesquelz ce bien vous doit arriver, demeures tant plus asseuree qu'il arrivera.

  A018002073 

 Ayes le soin qu'il veut que vous ayes en vostre personne et en vostre famille, et non plus, car ainsy vous verres qu'il aura soin de vous.

  A018002073 

 Et qu'aves vous a craindre, qui estes fille d'un tel Pere, sans la providence duquel pas un seul, cheveu de vostre teste ne tombera jamais? C'est merveille qu'estant filz d'un tel Pere, nous ayons ou puissions avoir autre soucy que de le bien aymer et servir.

  A018002074 

 La troysiesme maxime que vous deves avoir, c'est celle que Nostre Seigneur enseigna a ses Apostres: Qu'est ce qui vous a manqué? Voyes vous, ma chere Fille, Nostre Seigneur avoit envoyé les Apostres ça et la, sans argent, sans baston, sans souliers, sans besace, revestus d'une seule soutane, et il leur dit par apres: Quand je vous ay ainsy envoyés, quelque chose vous a-elle manqué? Et ilz luy dirent: Non.

  A018002074 

 Or sus donq, ma Fille, quand vous aves eu des afflictions, mesme du tems que vous n'avies pas tant de confiance en Dieu, estes vous perie dans l'affliction? Vous me dires: Non.

  A018002074 

 [210] Et pourquoy donq n'aures vous pas courage de reüscir de toutes les autres adversités? Dieu ne vous a pas abandonnee jusques a present; comme vous abandonnera-il des a present, que, plus qu'auparavant, vous voules estre sienne?.

  A018002076 

 Ma Fille, nous allons a l'eternité, nous y avons presque des-ja l'un des pieds; pourveu qu'elle nous soit heureuse, qu'importe-il que ces instans transitoires nous soyent fascheux? Est il possible que nous sçachions que nos tribulations de troys ou quatre jours operent tant d'eternelles consolations, et que nous ne veuillions pas les supporter? En fin, ma tres chere Fille,.

  A018002079 

 Ne peut estre que vanité..

  A018002081 

 La cinquiesme maxime, c'est celle de l'Apostre: Ja n'advienne que je me glorifie, sinon en la Croix de mon Jesus.

  A018002082 

 Vous treuveres tout ce que je vous ay dit, es troysiesme, quatriesme ou cinquiesme et dernier Livres de l' Amour [211] de Dieu.

  A018002083 

 Escrives moy confidemment, et me marques ce que vous jugeres que je puisse pour vostre cœur, et le mien le contribuera tres affectionnement; car je suis en toute verité,.

  A018002083 

 Il faut que je finisse, car on me presse.

  A018002087 

 Quand madame de Vicillieu sera de retour, je luy escriray; cependant, s'il vous vient en commodité, dites luy que je suis sien..

  A018002096 

 Quant au jardin, mon tres cher Pere, je n'y pense plus; non que je ne voye bien que le projet que nous avions fait n'incommodoit pas le [collège,] ains l'accommodoit par le moyen de la recompense que nous eussions donnee; mais, par la grace de Dieu, je n'eus jamais [212] desir de me rendre contentieux, ni de blesser l'esprit de personne..

  A018002097 

 Comme vous sçaves, mon cher Pere, la Mere qui gouverne cette nouvelle trouppe a si bien appris a loger au mont de Calvaire, que tout autre logis terrestre luy semble encor trop beau.

  A018002097 

 Elle n'a donq nul sentiment du refus, sachant bien que les pelerines qui devront avoir retraitte en ce logis, n'y devant habiter que la nuit de cette petite vie, seront, Dieu aydant, si attentives a tirer païs dans le beau sejour de leur cité permanente, que le reste leur sera indifferent..

  A018002097 

 Et puis, elles sçavent qu'il n'est pas hors de propos que les fideles espouses de Celuy qui n'eut jamais ni logis ni ou reposer son chef en ce monde ne soyent pas logees a leur commodité.

  A018002109 

 Enfin, le bon mary m'a prié de vous recommander ce que vous sçaves vous avoir esté non seulement recommandé, mais commandé au nom de Dieu, a la volonté duquel il faut joindre et lier inseparablement la vostre.

  A018002123 

 Il faut tous-jours tesmoigner a ma tres chere grande Fille que j'ay une continuelle memoire d'elle, et un mot suffit pour cela..

  A018002124 

 Si moins, je feray mon voyage a Saint Brocard, et allant ou revenant, je prendray la consolation de voir cette grandement tres chere Fille, que mon ame ayme tres singulierement, et avec elle, ces autres cheres filles qui l'environnent..

  A018002125 

 De celles d'icy, que vous diray je, sinon que tout y va tres bien..

  A018002126 

 Le vostre sçait bien que je suis sien..

  A018002126 

 Reste que vous continuies aussi comme vous faites, que vous m'aymies tous-jours cordialement, et que vous priies Dieu pour mon cœur, affin qu'il vive tout a luy.

  A018002135 

 Revenes donq, ma chere Mere, pour tirer d'icy de ces petites plantes de benediction et les transplanter ailleurs, a la gloire de nostre doux Jesus, que je supplie de vous benir.

  A018002144 

 Je croy que nostre Mere vous donnera le contentement que vous desires, car je la layssay resolue a cela, comm'une Mere tres amoureuse de sa tres chere fille; et si ses forces et les necessités de cette Mayson d'icy le permettoyent, je croy mesme qu'ell'iroit volontiers a Moulin..

  A018002145 

 J'espere que, quant a moy, j'iray et vers vous et a Moulin, passant a Paris, puisque on tient asseuré le voyage du Prince Cardinal pour cet esté, lequel ne reuscissant pas, au moins iray je vers vous, prendre la consolation de vous voir, et vostre chere trouppe, exceller en la sainte devotion, comme l'on me dit que vous faites.

  A018002146 

 Il est certain que je vous escrivis des Grenoble une fois par monsieur de Bauvillars, gentilhomme de Cremieu, et l'autre, ce me semble, par monsieur Orlandini, ecclesiastique, frere de l'une de nos Seurs.

  A018002147 

 J'escris a M lle de la Moutiere, que j'honnore grandement pour plusieurs raysons, et a monsieur l'Aumosnier.

  A018002161 

 Ma tres chere Mere, Je vous ay escrit ce matin avant que de prendre le [218] gelap du bon monsieur de Granieu, et ay respondu a vos deux lettres du 1 er et 7 e de ce moys.

  A018002163 

 Vous vous resouviendres bien de ce que vous me dites de M. de Grenier et de ses lettres; j'ay sceu que c'est, et m'est advis que c'est si peu de chose, que si vous n'en pouves parler fort doucement et imperceptiblement, il ne seroit presque pas bon d'en rien dire, de peur d'effaroucher cette pauvre fille qui se promet tant de consolation de vostre veue; et peut estre les termes generaux suffiront, sil ne se presente d'autre biais bien propre pour venir aux particuliers..

  A018002165 

 Nous avertirons affin qu'on face la profession au tems que vous desirés..

  A018002165 

 Vrayement, je seray bien ayse de revoir M. de la Gran, que j'honnore cherement pour la bonté de son cœur au [219] service de Dieu.

  A018002166 

 Et puis, cette methode de se desfaire du gentilhomme que vous sçaves, engendrera elle pas indubitablement [220] des querelles, puisque il s'est declairé de sa pretention a M. de Chantal et a moy, a qui mesme il a monstré l'escrit? En somme, il arrive souvent en ce monde que les roses se convertissent en espines..

  A018002166 

 Que je suis en peine, ma tres chere Mere, de crainte que nostre mariage, dont nous nous promettions tant de consolation, ne se rompe; car de ne pas communiquer tres clairement et sans replys toutes les difficultés quil y a, a M. de Chantal et a Monseigneur de Bourges, il ny a point d'apparence; et de les leur communiquer, il y a toute apparence que Monseigneur de Bourges se rebutera de voir que cette terre dont on avoit parlé ne soit pas terre, ains une mayson seulement; que mesme on ne la veuille donner que pour apres le trespas, et non aux noces; que l'argent n'est pas exigeable pour estre colloqué a propos des affaires que l'on a, et que l'on veuille tant de pompe, que deux ou trois mille escus ne suffiront pas: de sorte que rien ne demeure qui puisse bien contenter son esprit que vous connoisses, sinon la fille, que tout le monde avoüe estre digne d'amour.

  A018002167 

 C'est une belle chose que la clarté es affaires.

  A018002167 

 Et neanmoins, si on fait 24 mille qui soyent franchement et clairement asseurés et recevables, quant a l'argent, selon la necessité des affaires de M. de Chantal, je pense que l'on devra passer outre.

  A018002167 

 J'ay pensé que je devois escrire un mot a M me Lyotart, laquelle je ne nie pas qu'elle ne me dit qu'elle ne vouloit pas donner cette piece, qu'ell'appelloit terre, qu'hors du contract de mariage: dequoy je me remis, comme des autres particularités, a ce qui seroit avisé entre vous, comme peu expert en telles affaires.

  A018002181 

 En suite de quoy, comme je conseille a madame de Chantal de ne point s'arrester a la diminution des esperances que nous avions des biens, aussi vous conjure-je, Madame, d'apporter de vostre costé tout ce qui peut faciliter et rendre douce et aggreable l'execution d'une si bonne [222] œuvre, et de prendre la methode la plus claire et franche.

  A018002181 

 J'ay sceu par une lettre de madame de Chantal, que le desirable mariage qui fut conclu en mon logis se treuvoit plein de difficultés en l'esclaircissement des articles particuliers; et je confesse que, le croyant si convenable et propre au contentement des parties et de leurs amis, je ne puis m'empescher d'en estre en peyne.

  A018002186 

 Je souhaitte mille et mille benedictions a Mesdamoyselles vos filles, que je cheris et honnore de tout mon cœur, et suis leur serviteur..

  A018002194 

 En cette vacance de l'estât d'advocat de Vostre Grandeur en ce Conseil de Genevois, advenue par la promotion de monsieur Ouvrier a celuy de senateur, je croy que le sieur Mottier sera proposé a Vostre Grandeur; et je puis dire que si elle luy fait la grace de le recevoir en cette charge, ell'en sera extremement bien servie, non seulement par ce que c'est l'un des plus dignes advocatz que nous ayons en ce païs, mais aussi par ce qu'il [223] affectionnera ardemment son devoir.

  A018002210 

 Dieu soit loüé! Du reste, nous en parlerons avec un peu plus de loysir quand vous viendres icy; et cependant, voyla un billet de nostre Mere, que j'ay ouvert comm'addressé a [ma] fille et tres chere fille.

  A018002210 

 J'ay esté bien en peine d'abord, mais en fin j'ay sceu, ma tres chere Fille, que ce n'estoit que les attaques ordinaires.

  A018002225 

 Quelle apparence y auroit il de laisser partir ce porteur, de mes amis et confreres, sans luy donner ces quatre motz? car ne faut il pas, le plus souvent que l'on peut, ramentevoir cette juste et inviolable affection plus que fraternelle que mon cœur a envers vous? Il est vray, Monsieur mon tres cher Frere, plus l'honneur et le bien de vous revoir m'est differé, plus ce sentiment va croissant en moy..

  A018002226 

 Au reste, on nous a annoncé de toutes partz le mariage de Sa Grandeur; mais j'attens que vous me le facies sçavoir, avant que j'en tesmoigne ma joye, comme je dois, a sadite Grandeur, avec laquelle je me res-jouirois bien davantage si on ne nous asseuroit pas, par la mesme [225] nouvelle, qu'elle se resoult de ne venir plus icy.

  A018002231 

 On dit tous-jours que Monsieur le Cardinal fera son voyage, et que je l'accompagneray..

  A018002261 

 Pour moy, ma chere Fille, je n'escris a ce coup qu'a vous, car je m'imagine que la bonne Mere sera partie, [227] et ce porteur est un personnage qui fait profession d'estre des grandes connoissances de monsieur vostre mary et ne me donne que ce moment pour vous escrire..

  A018002262 

 Mais qu'elle soit asseuree que Dieu l'assistera en sa besoigne; et a la premiere commodité je luy escriray moy mesme..

  A018002262 

 Mais que vous diray-je? Ceux qui n'ont qu'une volonté et qu'un cœur, c'est a dire, ceux qui pour tout ne cherchent que le divin amour celeste et que la volonté et le cœur du Sauveur regnent, ilz sont inseparables.

  A018002268 

 Madame la Presidente Le Blanc sçait bien ce que je luy suis, et pressé de donner vistement ce billet, je ne luy puis escrire; je la salue neanmoins de tout mon cœur..

  A018002275 

 Que faites vous, ma tres chere Fille? car je suis en peine de ce violet que vous avies l'autre jour, bien que ce porteur m'a dit que vous vous porties bien, graces a Dieu.

  A018002276 

 Nous sommes icy parmi les consolations que cette bonne compaignie nous donne, attendans pour compliment de bonheur la venue de nostre chere Mere..

  A018002289 

 Ce n'est pas escrire, ceci, ma tres chere Fille; c'est seulement, comme par un petit signe, vous faire sçavoir que ce cœur duquel vous estes la fille a receu vostre lettre avec beaucoup de joye et ne cesse point de vous desirer la perfection de l'amour caeleste.

  A018002290 

 Mays vous sçaves que la [229] nouvelle Mere est ma fille; si est bien madame de Granieu; salues les donq comme il faut.

  A018002304 

 J'ay regardé avec compassion l'estat de vostre cœur, des que j'ay sceu le desplaysir qu'il a receu ces jours passés; car encor que je sache bien que, graces a Dieu, l'experience et accoustumance que vous aves faite des quelques annees en ça a souffrir les mescontentemens, aura affermi vostre ame et animé vostre courage pour n'estre plus si extraordinairement sensible a ces coups inevitables de nostre condition mortelle, si est ce que d'ailleurs je crains que ces recharges si frequentes n'estonnent vostre resolution.

  A018002305 

 Mais toutefois, Madame, je ne laisse pas d'esperer qu'apres tant de remises de vostre volonté a celle de Dieu, apres tant de considerations que vous aves faites sur la vanité de cette vie et sur la verité de la future, apres tant de protestations de vouloir estre irrevocablement attachee a la suite de la Providence celeste, vous ne treuvies une solide consolation au pied de la croix de Nostre Seigneur, ou la mort nous a esté rendue meilleure que la vie; et cette illusion de la vie de ce monde n'aura pas eu le credit, je m'asseure, de vous faire desmarcher des resolutions que Dieu vous fit prendre sur les evenemens d'autrefois..

  A018002306 

 En somme, Madame, il faut s'accommoder a la necessité et la rendre utile a nostre felicité future, a laquelle nous ne devons ni pouvons aspirer que par ce chemin de croix, d'espines, d'afflictions.

  A018002306 

 Et en verité, il importe peu (ains il importe beaucoup) a ceux que nous cherissons, que leur sejour soit court parmi le tracas et les miseres de cette vie; et quant a nous, cela ne nous toucheroit point, si nous sçavions considerer que c'est la seule eternité a laquelle nous devons dresser tous nos desirs..

  A018002307 

 Pour Dieu, ma tres chere Tante, et certes, pour parler selon mon cœur, ma tres chere Fille, ne vous laisses pas emporter au torrent des adversités, ains attachés vous aux pieds de Nostre Seigneur et dites luy que vous estes sienne; qu'il dispose de vous et de ce qu'il a voulu estre vostre, a son gré, en vous asseurant, et a vous et aux vostres, la tressainte eternité de son amour.

  A018002317 

 Je vous diray, Madame, mais aussi, s'il vous plait, ma tres chere Fille, qu'il est impossible de n'avoir pas des ressentimens de douleur en ces separations; car, encor qu'il semble que les unions qui ne tiennent qu'au cœur et a l'esprit ne soyent point sujettes a ces separations exterieures, ni aux desplaysirs qui en procedent, si est ce que, tandis que nous sommes en cette vie mortelle, nous les sentons, d'autant que la distance des lieux empesche la libre communication des ames, qui ne peuvent plus s'entrevoir ni s'entretenir que par cet office des lettres.

  A018002317 

 Mays pourtant, ma tres chere Fille, il y a bien dequoy vivre content en la tressainte dilection que Dieu donne aux ames unies a mesme dessein de le servir, puisque le lien en est indissoluble, et que rien, non pas mesme la mort, ne le peut rompre, demeurant eternellement ferme sur son immuable fondement, qui est le cœur de Dieu, pour lequel et par lequel nous nous cherissons..

  A018002318 

 Et que cela soit dit une fois pour toutes..

  A018002318 

 Et vous voyes, ce me semble, des-ja en ces paroles le desir que j'ay que vous vous servies de mon ame avec toute confiance et sans reserve.

  A018002318 

 Que si de m'escrire souvent de ce qui regarde la vostre vous sert de consolation, comme vous me le signifies, faites le eonfidemment, car je vous asseure que la consolation sera bien reciproque.

  A018002319 

 Bienheureuse que vous seres, si, comme vous estes resolue de faire, vous les receves humblement et les prattiques fidellement, ainsy que de toute mon affection je le souhaite, demeurant a jamais, ma tres chere Fille, et d'un cœur vrayement paternel,.

  A018002319 

 Certes, je le dis en verité, je vous cheris tres particulierement des que je vis en vostre cœur les arrhes du saint amour de Dieu envers vous, tesmoignees par les [232] attraitz qu'il vous fait a son service.

  A018002338 

 En somme il est donq vray, Monsieur mon Frere, que les estoilles ne sont plus en veuë quand le soleil l'est sur nostre horizon, et qu'ainsy ce grand contentement que vous contemples au mariage de Monsieur vous vaut tellement que nous ne sommes plus en memoire.

  A018002338 

 Or sus, nous nous res-jouissons, certes, avec vous, et de tout nostre cœur, de ce mesme bonheur que nous estimons grand; mais nous avons sceu cette heureuse nouvelle a tastons, ramassant ça et la les asseurances que nous en avions parmi le bruit qui s'en faysoit; car ni Monsieur, ni aucun de sa part, ni nul homme du monde ne nous en a donné aucun advis.

  A018002339 

 Ce pendant, croyés que, quant a moy, je demeure immobile en l'affection que j'ay de vivre a jamais.

  A018002339 

 Et vous, Monsieur mon Frere, passé ces premiers ravissemens que la grandeur de vostre joye vous donne, vous vous demettres, je m'asseure, a nous vouloir encor un peu gratifier de vostre bienveuillance.

  A018002352 

 Esperons donq, ma tres unique Mere, que le Saint Esprit nous comblera un jour de son saint amour; et, en attendant, esperons perpetuellement, et faysons place a ce sacré feu, vuidant nostre cœur de nous mesmes tant qu'il nous sera possible.

  A018002352 

 Que nous serons heureux, ma tres chere Mere, si nous changeons un jour n.ostre nous mesme a cet amour qui, nous rendant plus un, nous vuidera parfaitement de toute multiplicité, pour n'avoir au cœur que la souveraine unité de la tressainte Trinité, qui soit a jamais benite au siecle des siecles! Amen.

  A018002361 

 Ce digne porteur vous dira ce que nous sommes et ce que nous faysons.

  A018002361 

 Nous sommes tous-jours esperant et attendant la reddition de nostre Verceil, laquelle devroit il y a long tems estre faite, selon la rayson et les promesses, mais qui ne devroit pas estre si tost attendue, selon l'honneur de celuy qui tient la ville, qui expres, dit on, ne la veut pas faire selon les articles et a point nommé, affin que l'on ne puisse pas dire que c'est par l'authorité du Roy qu'il fait ce dernier accomplissement de la paix.

  A018002362 

 Ouy mesme, je le puis dire, sur le sujet de l'image qu'on vous porte, laquelle, vuide d'ame et de cœur, [236] et n'estant que vaine representation d'un homme qui n'est que vanité, prevaut sur moy, qui desirerois bien d'aller en presence aupres de vous pour vous offrir de vive voix mon tres humble service et jouir de l'honneur de vostre veùe.

  A018002376 

 Neantmoins je ne voudrois certes pas, ma chere Fille, que pour cela vous laissassies de m'escrire quand il vous plaira; car la reception de vos lettres me delasse et me recree beaucoup.

  A018002376 

 Par cette si asseuree commodité, je vous diray, ma tres chere Fille, que nostre Mere dit la verité: je suis extremement accablé, non tant d'affaires comme d'empeschemens, mais d'empeschemens dont je ne puis me [237] desprendre.

  A018002376 

 Seulement faut-il que vous me soyes un peu bonne, en m'excusant quand je seray un peu tardif a respondre, puisque je vous puis asseurer que ce ne sera jamais que par necessité que je differeray, mon esprit prenant bien playsir a visiter le vostre..

  A018002377 

 Je ne vous sçaurois rien refuser, ma tres chere Fille, et partant, les deux portraitz que vous desires se feront.

  A018002377 

 Que n'ay-je desiré de conserver l'image de nostre Pere celeste en mon ame, avec l'integrité de sa ressemblance! Ma tres chere Fille, vous m'ayderes bien a demander la grace qu'elle soit reparee en moy..

  A018002378 

 Vostre sorte d'orayson est tres bonne, ains beaucoup meilleure que si vous y faysies des considerations et discours, puisque les considerations et les discours ne servent que pour exciter les affections; de sorte que s'il plait a Dieu de nous donner les affections sans discours ni consideration, ce nous est une grande grace.

  A018002379 

 Je me resouviens fort bien qu'un jour en la confession vous me dites comme vous faysies, et je vous dis que cela alloit fort bien, et qu'encor qu'il falut porter un point, si toutefois Dieu vous tiroit a quelque affection soudain que vous series en sa presence, il ne falloit point s'attacher au point, ains suivre l'affection; et quand elle sera plus simple et plus tranquille, elle sera meilleure, car elle attache plus fortement l'esprit a son object.

  A018002379 

 Mays, ma tres chere Fille, estant une fois resolue de cela, ne vous amuses point, au tems de l'orayson, a vouloir sçavoir ce [238] que vous faites et comme vous pries; car la meilleure priere ou orayson, c'est celle qui nous tient si bien employés en Dieu que nous ne pensons point en nous mesmes, ni en ce que nous faysons.

  A018002381 

 Je ne cesseray jamais de l'en supplier, car croyes, ma tres chere Fille, que je cheris tendrement et plus que paternellement vostre ame et vostre cœur, que Dieu veuille de plus en plus rendre siens.

  A018002399 

 Je vous respons bien courtement, mais c'est par force, n'ayant autre loysir que pour cela.

  A018002399 

 Mays croyes bien reciproquement, mon tres cher Pere, que mon esprit correspond tres exactement au vostre pour ce regard, et que je suis tres indissolublement et invariablement vostre, sans reserve ni exception quelcomque; mais voyes vous, je dis vostre, en sorte que mon cœur en cela n'a point de sentiment qui n'y consente..

  A018002399 

 Vrayement, mon Pere, il n'est nul besoin de serment pour me faire croire la verité de vostre sincere, cordiale, intime et invariable amitié envers moy; car je la croy, je la sçai, je la voy, je la sens, je la touche, et il faudroit que mon ame fust inanimee et mon cœur insensible, s'il en doutoit.

  A018002409 

 Je voy bien es lettres que vous m'aves envoyees, le cœur de cette chere seur tout gros d'ennuy et de mescontentement; il faut avoir patience avec son naturel et ne point s'estonner.

  A018002410 

 Et puis en fin, il faut revenir au point: il ny a point de deshonneur a pardonner, ou sil y a de deshonneur, ce n'est que devant le monde..

  A018002410 

 Il me semble que vous pourres luy respondre en peu de paroles quant a ce qui regarde la grace, en luy disant que en la grande presse qu'on vous a donnee, pour laquelle vous n'avies nul loysir d'attendre sa response, vous aves pris advis de ceux que vous aves jugé vous le pouvoir donner; et que, en fin, selon leur conseil, vous aves fait ce que vous aves fait, marrie que vous seres si elle l'a a contrecœur; et qu'elle excuse vostre simplicité, et n'impute toute cette procedure qu'au manquement d'experience es telles occurrences (car en somme, ma tres chere Fille, il faut affoiblir la passion de cette seur ainsy par humilité et douceur); qu'il ny a d'empesché que ceux qui se treuvent en la meslee, et les filles n'auront ni honneur [242] ni deshonneur en tout ceci, car on sçaura tous-jours que ce sont des filles.

  A018002425 

 Je croy que nostre seur qui est en Piemont n'eut pas fait ainsy, mays elle ne peut pas gouverner tout; la pauvre chere seur Religieuse a fait selon sa condition.

  A018002425 

 Vous verres ce que j'escris a nostre chere seur de Bons.

  A018002434 

 Je vous dis, ma chere Fille, que non seulement vous pouves, ains que vous feres parfaitement bien d'ouvrir vostre cœur tout candidement au Pere Isnard; il est non seulement docte et religieux, mais il est tout spirituel et tout de Dieu; vostre cœur bienaymé aura de la consolation et du proffit a recevoir ses advis..

  A018002435 

 Il faut que je vous die, ma chere Fille, que, gardant nostre liberté, je treuve qu'en plusieurs rencontres il y peut avoir un incomparable advantage (sans s'attacher toutefois a des directions particulieres) de faire passer le [244] jugement de quelqu'un par dessus le nostre pour nostre conduite interieure: ainsy le divin Espoux renvoyoit son amante aux tabernacles des pasteurs..

  A018002447 

 Et en ce païs mesme de deça, si on ne les a fait publiques, on les a fait generales, et moy je les ay fait tres particulieres, comme ayant receu en vostre conservation un des plus singuliers bienfaitz que j'aye receus il y a long tems..

  A018002447 

 Que de divers advis j'ay receus il y a environ deux mois! Mais Dieu soit loüé, qu'apres avoir pleuré et amerement regretté sur vostre trespas, qu'on m'avoit annoncé, je benis sa divine Majesté et la supplie avec une incomparable consolation pour vostre vie que, certes, vous deves meshuy cherir, Monsieur mon tres cher Filz, puisque vous voyes combien elle est desiree, comme tres utile, par tant de gens de bien; car on m'escrit de Gex que parmi tout vostre gouvernement on a fait des actions de graces publiques a la divine Bonté pour vostre guerison.

  A018002448 

 L'une sera de la conserver soigneusement par les moyens [245] convenables, estayant et appuyant l'infirmité d'icelle et le penchant que l'aage et les maladies luy ont causé, par le repos et reglement propre a cela..

  A018002449 

 L'autre, et la premiere, sera que, si jusques a present vous aves eu intention de dedier tous les momens de vostre vie presente a l'immortalité et eternité de la future, vous en redoublies la resolution et les vœux, contant les jours et les heures, et les employant affectionnement a vostre advancement en l'amour divin, a l'amplification de la pieté parmi les mondains, et en somme, a l'execution des saintes vertus que la grace de Dieu et vostre bon naturel vous ont fait aymer et desirer il y a long tems.

  A018002449 

 Pour moy, je ne cesse point, certes, de prier a ce dessein, que par un asseuré pressentiment je voy des-ja, ce me semble, tout executé, avec un surcroist de contentement indicible de sçavoir combien monsieur vostre frere fraternise heureusement pour ce regard..

  A018002450 

 Ce qui me fait vous supplier tres humblement, Monsieur mon Filz, d'avoir quelque soin de luy, affin que l'on voye que ceux qui abandonnent cette fause religion pour embrasser celle du Roy et du royaume, qui est la seule vraye religion, ne sont pas abandonnés de ceux qui tiennent les meilleurs rangs au service du Roy et de la coronne..

  A018002462 

 Je vous supplie de faire donq seurement tenir cette response que je fay a madame de Gouffiez, puisqu'elle desire tant de l'avoir.

  A018002463 

 Je veux dire, ma tres chere Fille, que vostre cœur ayant toute sa confiance en la bonté de celuy de Nostre Seigneur, vous deves vivre joyeusement, paysiblement et genereusement en vostre charge, que sa divine providence fera et portera avec vous.

  A018002479 

 Certes, je croy pourtant qu'il n'en peut [248] plus, car, comme un plaideur qui a mauvaise cause, il ne sçait plus que faire, sinon caler et prendre des delais..

  A018002479 

 Je ne m'estonne point de l'empressement que ces bons personnages ont a destourner les ames que Dieu appelle a la Visitation; car encor me semble-il que cette bienaymee petite Congregation est quitte a bon marché des persecutions et contradictions que l'ennemi de son progres luy suscite et a accoustumé de susciter en toute pareille occasion.

  A018002480 

 Dites a cette bonne ame qu'elle entre asseurement a Sainte Marie; bien qu'elle ne soit pas encor Religion, elle le sera bien tost, et j'oserois dire que, devant Dieu, elle l'a tous-jours esté, puisque, par sa grace, l'on y a tous-jours vescu religieusement.

  A018002481 

 Nostre Meré ira cet hiver faire une Mayson a Paris, et, comme je prevoy, avec tant de bonheur, d'advantage, de protection et d'assistance, qu'apres cela je m'asseure que tout demeurera calme et en paix..

  A018002482 

 C'estoit en l'octave de nostre grand saint Jean, ou, me souvenant que l'Evangeliste de nostre Princesse dit de luy: Et vinum et siceram non bibet, j'admiray [249] la douceur de Dieu, de m'abreuver, moy chetif homme, du vin de la charité que le Saint Esprit a respandu en nos cœurs..

  A018002482 

 O quelle suavité a mon chetif cœur paternel, de sçavoir que mon frere tres aymable est tout charitablement cordial a mes Filles bienaymees! Je vous en fay mille tres humbles actions de graces, Monsieur mon tres cher Frere, et vous proteste que, recevant vostre lettre, il me sembloit cueillir des fleurs de suavité incomparable sur le coupeau d'une de nos montaignes, ou j'estois alhors.

  A018002483 

 Vivons ainsy, mon tres cher Frere, et croyes que, tant que je vivray, je porteray la qualité de.

  A018002493 

 Je vous escris, ma tres chere Fille, a mesme que je vay monter sur le bateau pour aller visiter un monastere de Religieux reformés desquelz pour le present j'ay charge; mais ce gentilhomme, qui est et mon parent et mon grand amy, allant vers M. le Mareschal, il faut a quel prix que ce soit qu'il vous porte de mes nouvelles, puisque mesme il reviendra et m'en pourra rapporter des vostres.

  A018002494 

 Or bien, c'est a vos seules aureilles, qui escoutent si delicatement, que sans dire mot il parle, vous remettant en imagination ce que je disois lorsqu'en chaire je vous representois la volonté de Dieu, qui est vostre sanctification.

  A018002494 

 Vray Dieu, ma tres chere Fille, que sera ce quand nous verrons aeternellement la face du Pere eternel en elle mesme, puisque le portrait mort et muët d'un chetif homme res-jouit le cœur d'une fille qui l'ayme? Mays, ce me dites vous, ce portrait n'est pas muët, car il parle a vostre esprit et luy dit des bonnes paroles.

  A018002495 

 Il ny a donq point de danger en ce que vous faites devant un tel cousin.

  A018002495 

 Vous pourres neanmoins rendre conte a vostre ancien confesseur de tems en tems, pour luy tesmoigner que vous le respectes tous-jours..

  A018002495 

 Vrayment, il faut que je die a ma tres chere fille, que ma mere, avant que mourir, fit sa confession generale a moy, et me rendoit despuis tous les ans conte de sa vie avec une grande humilité; et ma pauvre belleseur, de la sainte mort de laquelle ma Seur Peronne Marie vous tesmoignera, en fit de mesme.

  A018002497 

 Il est vray, je suis debiteur a monsieur d'Aoste et a [251] monsieur de la Gran de je ne sçai quoy que je leur promis, mais je ne tarderay pas de m'en aquiter a mon premier loysir..

  A018002498 

 Vives tous-jours toute en Dieu, ma tres chere Fille, et je vous asseure que puisqu'il luy plait, et je sens bien qu'il luy plait et luy plaira tous-jours, je suis tres parfaitement vostre, et de tout mon cœur..

  A018002499 

 Mays, ma tres chere Fille, recommandes tous-jours mon cœur a la misericorde de Nostre Seigneur, que je supplie vous combler de sa benediction, avec monsieur vostre cher mari et toute vostre famille..

  A018002514 

 C'est pourquoy, toutes choses considerees, j'ay creu qu'il estoit requis de faire un'assemblee a cett'intention et qu'il seroit a propos qu'elle se fit icy, affin que nous fussions plus pres de Son Excellence, pour, en cas quil fut necessaire, recourir a elle..

  A018002514 

 Outre l'extreme desir que j'ay tous-jours eu de voir une resolution au maniment des affaires de la Sainte Mayson, par laquelle tous ceux qui y servent a Dieu puissent vivre avec plus de tranquillité qu'on n'a pas fait jusques a present, monsieur le Marquis de Lans me convie a m'employer a cela, s'offrant de son costé de contribuer toute son authorité et son pouvoir.

  A018002515 

 Pour cela, j'ay prié ce Pere de procurer de dela une assemblee preparatoire, en laquelle vous deputeres ceux qu'il vous semblera plus propres a laditte resolution; et pourveu que le jour de Saint Pierre aux liens et celuy de Nostre Dame ad Nives soyent exceptés, tout autre tems [253] m'est indifferent, vous priant seulement, sil se presentoyt commodité, de m'en advertir..

  A018002532 

 Cette lettre vous est estroittement recommandee, ma tres chere Fille, par celuy qui l'a escritte en chemin, allant d'icy en Bornand; car quant a moy, je ne vous dis rien pour le present, sinon que je feray response a ces bons Peres desquelz vous m'envoyastes les lettres.

  A018002532 

 Et ne laisse pas d'admirer comm'ilz desirent que j'escrive au Roy de leurs affaires, moy que le Roy ne sçait pas estre au monde; car, quel credit puis je avoir en chose de cette consequence? Neanmoins, puis que le P. de Lesseau [254] le veut, je le feray et vous envoyeray la lettre par ma Seur Barbe Marie, nostre tres chere fille..

  A018002544 

 La Congregation des Cœlestins, agitee maintenant en France de quelque contention, espere que la venue [255] de son Abbé general, qui est de plus commis expressement par nostre Saint Pere le Pape, calmera et accoysera aysement leur petite mer; mais sur tout, si l'œil de Vostre Majesté en favorise le dessein..

  A018002545 

 C'est de quoy, Sire, vostre justice et pieté est suppliee tres humblement par cette trouppe de tres fideles sujetz et tres devotz orateurs que Vostre Majesté a en cet Ordre, tous-jours jusques a present de grande edification, et mesme sous vostre couronne royale, laquelle les a aussi tous-jours gratifiés de sa speciale protection.

  A018002545 

 Et puisque il a desiré que j'adjoustasse ma tres humble recommandation a leur demande, je le fay, Sire, avec toute reverence, quoy que je me sente tres indigne d'approcher le trosne de Vostre Majesté, parce que la renommee de vostre debonnaireté et devotion me promet autant d'acces aupres de vostre esprit royal que ma bassesse me donne de juste sujet de respect et de veneration..

  A018002546 

 Playse a la souveraine misericorde de Dieu de vous benir, Sire, d'une tres longue et tres heureuse et tres-sainte royauté, souhait continuel que je fay pour.

  A018002562 

 Madame [de] Brochenu, sa tante, me dit a Grenoble qu'elle desiroit [qu'on] la renvoyast en la Mayson de Grenoble, estimant [que l'air] luy seroit plus propre; c'est pourquoy il ny [aura pas] grande difficulté de la renvoyer, en disant [que ce] n'est pas l'air, mais la volonté de cette fille [qui l']afflige.

  A018002575 

 Je me res-jouis de voir que nos bons Peres Barnabites prennent resolution d'envoyer a Milan vers leur General pour pouvoir satisfaire a vos desirs, et prendre vostre petit college, lequel, a mon advis, deviendra grand, s'ilz sont secondés de vostre assistence, comm'ilz ont occasion d'esperer.

  A018002575 

 Pour moy, je vous asseure que ce [258] me sera tous-jours de la consolation quand je sçauray que vous aures du contentement en ce sujet, auquel, et en tout autre, je vous offre de rechef tout ce que je puis et que je suis, vous souhaitant, et a vostre ville, toute sainte benediction, et demeurant de tout mon cœur,.

  A018002582 

 Je pense, Messieurs, que Monseigneur de Valence, vostre Evesque, pourra tout et voudra tout pour cette affaire, et que ces Peres luy seront fort agreables, et que par consequent il sera a propos que de bon'heure on [259] l'advertisse, affin qu'il coopere aupres de Sa Majesté et puis aupres de messieurs du Parlement..

  A018002596 

 Ce porteur m'a fort obligé par la peine qu'il a prise de me venir voir, mais encor plus par le soin qu'il a eu de me dire de vos nouvelles, puisqu'elles sont toutes bonnes, et qu'avec cela, pour me donner plus de gloire et de contentement, il m'a dit que vous avies souvent memoire de moy; car je confesse franchement que ce bonheur m'est grandement praetieux, selon l'extreme affection que je sens en mon ame a cherir et honnorer singulierement la vostre qui m'est tous-jours presente, je vous asseure, au moins en mes principales prieres, qui sont celles de la sainte Messe.

  A018002596 

 Et aussi, certes, serois-je extremement ingrat si je ne correspondois de tout mon cœur a la sainte confiance que le vostre a pris en moy..

  A018002612 

 Or ainsy soit il et a la tres bonne heure, que tous-jours, quand vous obeires, vous vous treuvies de plus en plus unie a nostre Sauveur..

  A018002613 

 Je ne seray jamais celuy qui vous ostera vostre pain quotidien tandis que vous seres bien obeissante.

  A018002613 

 Je veux dire, ma tres chere Fille, que vous communiies hardiment tous-jours, quand ceux a qui vous vous confesses diront oüy, outre les Communions ordinaires que je vous ay marquees..

  A018002614 

 Quand je vous escrivis que vous rendissies comte de tems en tems a vostre ancien confesseur, je ne voulois [261] pas dire que vous fissies des revëues, car il suffit que ce soit d'annee en annee a celuy que vous voudres; mais je voulois dire que vous allassies vous representer a luy pour luy faire connoistre la continuation de vostre sousmission, partie pour vous humilier, partie pour le consoler..

  A018002615 

 Ainsy me semble il que je suis tous-jours avec vostre cœur et avec celuy de cette chere Mere, et que nos cœurs s'entretiennent les uns aux autres, ains ne sont qu'un cœur qui, de toute sa force, veut aymer Dieu, et ne s'ayme qu'en Dieu et pour Dieu.

  A018002615 

 Je suis bien ayse que vous ayes une parfaite confiance a la Mere de dela, car je croy qu'elle vous sera utile, et c'est une Mere qui est toute ma tres chere fille et en laquelle j'ay toute confiance aussi; et sans cette confiance je luy escrirois plus souvent, mais je m'en dispense, comme je feray de vous a qui j'escris maintenant par rencontre, et j'en suis bien ayse.

  A018002615 

 Mon Dieu, ma tres chere Fille, que l'amour cæleste est aymable, voire mesme quand il est exercé icy bas parmi les mysteres de nostre mortalité! la distance des lieux, ni rien du monde ne luy peut oster la suavité.

  A018002617 

 Je ne pense pas que nostre Mere d'icy vous escrive, mais elle vous a bien escritte au milieu de son cœur.

  A018002650 

 C'est pourquoi, nos Pères d'ici ayant traité de cette affaire avec moi pour en avoir mon sentiment, j'ai cru devoir les encourager à s'employer pour que l'offre de ce collège fût acceptée.

  A018002650 

 Je ne laisse pas cependant de voir que Votre Paternité pourra trouver à cela quelques difficultés..

  A018002651 

 Mais il y a bon espoir d'une augmentation de revenu, d'autant plus que M gr l'Evêque de Valence, Prélat vraiment [263] de grand mérite et très zélé, aidera volontiers, je le sais, au succès de l'affaire et protégera la Congrégation avec une particulière sollicitude..

  A018002651 

 Que la commune ne donne pas assez pour établir un nombre suffisant de Pères.

  A018002652 

 Peut-être semblera-t-il dur que la commune exige l'admission au collège des fils des hérétiques pour y apprendre les lettres.

  A018002652 

 Toutefois, outre que nous avons l'exemple des collèges des Pères Jésuites, cette condition, loin de nous faire hésiter, doit au contraire nous exciter à accepter; car peut-être n'y a-t-il pas de voie plus facile pour convertir les hérétiques que celle-ci, et ce moyen employé avec adresse aura un merveilleux succès..

  A018002654 

 Si bien il semble dur à nos Pères que la commune veuille les astreindre à ne pas accepter d'autres classes en cette province dans un rayon de sept lieues autour de Chabeuil, cela ne me paraît pas un inconvénient; car la Congrégation peut s'étendre en prenant des églises pour les desservir.

  A018002668 

 Dites moy, ma tres chere Fille, vostre cœur que fait il? Il est, je m'asseure, plus brave que l'ordinaire en cette sainte octave en laquelle on celebre les triomphes de nostre Reyne, en la protection de laquelle nostre esprit repose et nostre petite Congregation respire.

  A018002668 

 O ma Fille, il le faut tenir haut eslevé ce cœur, et ne permettre point qu'aucun accident de secheresse, d'empressement ou d'ennuy l'estonne, puisque, encor que cela le puisse esloigner de la consolation sensible de la charité, il ne le peut toutefois esloigner de la veritable charité, qui est la souveraine grace de Dieu envers nous pendant cette vie mortelle..

  A018002680 

 C'est pourquoy, Monseigneur, je suis forcé de recourir de rechef a l'æquité et bonté de Vostre Altesse, affin qu'il luy playse d'user de sa providence en cett'occasion et d'ordonner ces payemens, en sorte que meshuy ces pauvres ecclesiastiques puissent en paix faire le service de Dieu en leurs eglises; et cette divine Majesté en benira de plus en plus Vostre Altesse,.

  A018002680 

 Quoy que Vostre Altesse Serenissime ayt souvent commandé, comme la justice et pieté requeroit, que les curés dArmoy et de Draillens fussent payés de leurs pensions, neanmoins il (sic) n'ont jamais peu retirer un seul liard despuis quatre ans en ça, quelle sollicitation qu'eux et moy en ayons sceu faire, et qu'elle (sic) remonstrance que nous ayons proposee de l'extreme necessité que ces parroisses ont d'estre assistees.

  A018002696 

 Je ne vous rendis onques aucun tesmoignage de l'honneur que je vous porte, ni de l'estime que je fay de vostre amitié; mais la faveur que vous m'aves faite de m'asseurer de vostre assistance es occasions, me promet que vous me la departires au sujet qui s'en presente..

  A018002697 

 Et si elle sçavoit la necessité qu'il y a que ce payement se fasse, je m'asseure qu'elle le presseroit grandement; car, Monsieur, il n'y a rien en ces parroisses (je dis rien pour tout) pour l'entretenement du service de Dieu et des ames, Son Altesse ayant voulu d'authorité souveraine, contre les arrestz du Senat, que tout le revenu que l'Eglise y possedoit fut relasché a ceux de Geneve, assignant seulement a chaque curé cinquante escus pour son entretien.

  A018002697 

 Mays pour tout cela, non plus que pour trente pareilles promesses, rien ne se fait, ains finalement Son Excellence a declaré qu'il n'y avoit pas moyen; qui me fait de rechef hurter a la providence de sadite Altesse.

  A018002697 

 Quand Monseigneur le Serenissime Prince estoit icy il y a deux ans, je luy representay la justice de la demande des curés d'Armoy et de Draillens, selon la requeste ci jointe; et Son Altesse commanda, et par escrit et de bouche, qu'ilz fussent payés, en consideration de ce que leur payement estoit de droit divin et humain.

  A018002697 

 [268] Despuis, sadite Altesse l'a de rechef commandé par lettres fort expresses, que vous, Monsieur, escrivites environ les festes de Pasques a monsieur le Marquis de Lans, auquel je les rendis moy mesme; et ne se peut dire de quelle asseurance il me promit que j'en verrois les effectz.

  A018002698 

 Et les parroisses en seront soulagees, car elles payeront plus a commodité, et les curés asseurés, tant de ce qui leur est deu et qu'ilz doivent reciproquement [269] ailleurs ou ilz ont emprunté, que de ce qui leur doit ci apres estre payé pour leurs pensions..

  A018002699 

 Mais encor, s'il n'y a de bonnes clausules derogatoires, courrions nous fortune de n'avoir rien, tant sommes nous favorisés en nos poursuites, pour justes qu'elles soyent! Ce que je dis, non pour me plaindre de la Chambre, qui est certes marrie de nous voir maltraitter non obstant les arrestz qu'elle a rendus pour nous contre les gabelliers, mais pour vous supplier, Monsieur, de ne rien oublier es depesches, affin que nous vous soyons, et ces curés et moy, de plus en plus obligés.

  A018002734 

 Depuis longtemps j'aimais, bien plus, je vénérais votre personne et votre nom, mon [271] Père; non seulement à cause de l'estime que je fais toujours de tout ce qui tient à votre Compagnie, mais encore à cause des œuvres remarquables de Votre Révérence, dont j'ai d'abord entendu parler, et qu'ensuite j'ai vues, examinées, admirées..

  A018002735 

 En effet, j'ai lu, il y a quelques années, ce traité si utile De la Justice et du Droit, dans lequel, avec autant de concision que de clarté, vous résolvez excellemment, et mieux qu'aucun des auteurs que je connaissais, les difficultés de cette partie de la théologie..

  A018002736 

 Cette constatation m'a été d'autant plus agréable, que moi-même j'ai toujours regardé cette opinion comme plus vraie et plus aimable, en tant que plus digne de la grâce et de la miséricorde divine.

  A018002736 

 Comme il arrive [272] en ces occasions, je n'ai pu qu'y jeter rapidement les yeux; cela m'a suffi pour me rendre compte que Votre Paternité y embrasse et soutient cette doctrine, qui a pour elle l'antiquité, le charme propre et le pur sens de l'Ecriture, de la prédestination à la gloire en suite de la prévision des œuvres.

  A018002736 

 J'ai vu depuis le conseil que, par votre intermédiaire, l' Ange du grand conseil donne aux pauvres mortels touchant le choix de la vraie Religion.

  A018002737 

 Ayant de tels sentiments pour vos mérites dont vos œuvres ont fait depuis longtemps l'éloge auprès de moi, mon Père, est-ce merveille si je me suis réjoui en voyant à mon tour l'amitié dont vous voulez bien m'honorer? Pour que vous me la continuiez toujours, je tiendrai maître Gabriel pour très recommandé, et je n'épargnerai rien, à l'occasion, de ce que je saurai vous être agréable..

  A018002738 

 Que Dieu, jusqu'à la vieillesse et au dernier déclin de l'âge, ne [273] retire jamais de vous sa main protectrice, et que les bénédictions du Ciel, dont je le prie de vous combler, soient l'ornement de vos cheveux blancs..

  A018002750 

 Je chantay, l'autre jour, la victoire avant le triomphe, quand je vous escrivis que nous estions d'accord avec les Peres de Saint Dominique; car, comme le contract a esté dressé, il (sic) n'ont pas volu tenir parole, de sorte quil faudra marcher dans les termes de la justice, laquelle si ell'est un peu bien administree, ilz [274] se repentiront d'avoir refusé dix mille florins de ce qui n'en vaut pas cinq cens.

  A018002750 

 Je ne vous escris jamais qu'avec precipitation, mon Reverend Pere, mays il faut (sic) mieux pourtant quelque chose que rien.

  A018002750 

 Or, je voy bien que, quoy qu'on leur donnast, ou un autre jardin, ou autre chose, il sera impossible de les ranger, car ilz s'obstinent par pure tentation.

  A018002751 

 Cependant, tenes moy continuellement en vostre cœur, comme un homme qui est parfaitement vostre et ne sera jamais que vostre, et vostre d'une façon nompareille..

  A018002752 

 — Je suis ce que je viens de dire, plus que vostre..

  A018002766 

 Et certes, je ne voy nullement qu'une main moins forte et un (sic) providence moins paternelle que la vostre, Monseigneur, les puisse garentir; car je pense qu'ilz n'ont a se plaindre principalement que de leur malheur, contre lequel rien ne peut leur donner allegement que le bonheur d'estre regardés en pitié de Vostre Altesse, a laquelle Dieu, qui void leur extreme misere, inspirera, comm'ilz esperent, quelque moyen favorable pour les retirer de ce gouffre.

  A018002781 

 Faites le dores-en-avant, mon tres cher Pere; mais je vous le dis tout de bon, et avec tout le cœur que j'ay pour vous et de tout le credit que j'ay envers vous.... [277].

  A018002781 

 O mon cher Pere, vous aves donq esté malade deux fois en si peu de tems? C'est signe que vous n'aves pas asses soin de conserver vostre santé, et neanmoins vous estes obligé d'avoir ce soin la, pour servir tant mieux nostre grand Maistre et ses enfans, puisque vostre vocation vous y astreint.

  A018002789 

 Elle est dans le noviciat, et je vous asseure que si elle persevere a courir, comme elle commence, dans les voyes de Dieu, elle se treuvera bien tost au sommet de la montagne du Seigneur.

  A018002789 

 Elle ne m'a pas [278] caché que la grace divine luy avoit fait remarquer que ces trois noms de Marie, Marguerite, Michel, luy imposoyent l'obligation destre une fille d'orayson, de mortification et de victoire.

  A018002795 

 Certes, mon tres cher Frere, ces amitiés sacrees que Dieu a fait sont independantes de tout ce qui est hors de Dieu..

  A018002795 

 Entre les incertitudes du bienaymé voyage qui nous devoit assembler pour plusieurs moys, Monsieur mon tres [279] cher Frere, je ne regrette rien tant que de voir differer le bonheur que nos cœurs se promettoyent de se pouvoir entretenir a souhait sur leurs saintes pretentions; mais le monde et tous ses affaires sont tellement sujetz aux loix de l'inconstance, qu'il nous en faut souffrir l'incommodité, tandis que nos cœurs disent: Non movebor in æternum.

  A018002795 

 Mais voyci le tems qu'il faut employer l'advantage que nostre amitié a au dessus de celle des enfans de ce monde, et la faire vivre et regner glorieusement, nonobstant l'absence et division des sejours; et cela, a cause que son autheur n'est point lié au tems ni au lieu.

  A018002795 

 Non, rien ne nous esbranlera en l'amour de la Croix et en la chere union que le Crucifix a fait de nos espritz.

  A018002796 

 Oh! si j'estois veritablement Theophile, comme vostre grand Prelat m'appelle (plus selon la grandeur de sa charité que selon la connoissance qu'il a de mes infirmités), que je vous serois aggreable, mon tres cher Frere! Mays si vous ne me pouves aymer parce que je ne le suis, aymes moy affin que je le sois, priant nostre grand Androphile qu'il me rende par ses prieres son Theophile.

  A018002797 

 Mays, qui vous a peu dire que nos bonnes Seurs de la Visitation ont esté traversees pour leurs places et bastimens? O mon cher Frere, Dominus refugium factus est nobis; Nostre Seigneur est le refuge de leurs espritz, ne sont elles pas trop heureuses? Et comme nostre bonne Mere, toute vigoureusement languissante, me dit hier, si les Seurs de nostre Congregation sont bien humbles et fideles a Dieu, elles auront le cœur de Jesus, leur Espoux crucifié, pour demeure et sejour en ce monde, et son palais celeste pour habitation eternelle..

  A018002798 

 En verité, elle le fait, et plus que cela.

  A018002798 

 Il faut que je dise a l'oreille de vostre cœur, si amoureusement aymé du mien, que j'ay une suavité d'esprit inexplicable de voir la moderation de cette chere Mere et le desengagement total des choses de la terre qu'elle a tesmoigné parmi toutes ces petites traverses.

  A018002798 

 Or, il me reste de la recommander a vos prieres, parce que les frequens assautz de ses maladies nous donnent souvent des assautz d'apprehension, bien que je ne cesse d'esperer [281] que le Dieu de nos peres multipliera sa devote semence comme les estoilles du ciel et le sablon qui se voici sur l'arene des mers..

  A018002811 

 J'ay un Chapitre autant bien qualifié qu'il se peut dire; c'est pourquoy, outre le devoir que j'ay au service de Dieu et de l'Eglise, j'en ay un bien particulier a mes Chanoynes, qui, par un asses rare exemple, ne sont qu'un cœur et qu'un'ame avec moy au soin de ce [282] diocæse.

  A018002812 

 Mays de cela, Monsieur, vous en discerneres et jugeres, tandis que priant Dieu qu'il vous face de plus en plus abonder en sa grace, je veux estre a jamais de tout mon cœur,.

  A018002831 

 Ni je ne vous remercieray pas du bon accueil que vous aves fait a monsieur le President Crespin, soit que vous l'ayes fait selon la generosité de vostre esprit, qui vous est naturelle, soit que vous l'ayes fait selon la bienveuillance que vous me portes, de laquelle l'habitude est passee meshuy en nature par la multitude de l'exercice que vous en faites continuellement.

  A018002831 

 On ne remercie pas le soleil dequoy il fait le jour, ni la lune dequoy elle esclaire la nuit, parce que c'est leur nature.

  A018002831 

 Seulement vous diray je que je prie Dieu d'en estre le remunerateur, luy qui en est l'autheur en vous..

  A018002832 

 Au demeurant, comme je loue le desir que ledit sieur President a de finir ses jours en nostre vocation ecclesiastique, comme dans un havre de grace pour passer au havre de gloire apres cette si rude tempeste et l'essay des plus cruelz orages du monde, aussi suis je de vostre advis, que ce soit apres s'estre enrayé pour un peu du naufrage duquel il sort..

  A018002834 

 Mais je dis toutefois qu'il est vray, et ne sera jamais autrement, que je suis de tout mon cœur invariablement, Monseigneur,.

  A018002834 

 Pour moy, je ne sçay encor si j'iray a Paris ou non, cette incertitude dependant de celle du voyage de Monseigneur le Prince Cardinal et de celle qui est ordinaire es cours; ou, pour ne point mentir, je ne dis rien, [284] sinon peut estre qu'il est vray, et peut estre que non.

  A018002846 

 Vous ne sçauries, je vous asseure, Madame, m'escrire trop souvent, ni donner du divertissement a mes occupations par vos lettres, qui plus tost me soulagent par la consolation que j'ay de sçavoir des nouvelles de vostre cœur qui m'est extremement cher, et que je prie de tout le mien de vouloir continuer sa charité envers mon ame, la recommandant souvent a Nostre Seigneur; comme de mon costé je ne cesseray jamais de vous souhaiter la tressainte perseverance, avec un continuel accroissement en l'amour celeste de sa divine Majesté, qui est le comble de tout bonheur, Demeurés en paix, ma tres chere Fille, et benisses de plus en plus la Bonté divine qui vous veut toute pour elle..

  A018002861 

 Vous faites certes tres charitablement, ma tres chere Fille, de m'escrire souvent, car en verité, vos lettres me consolent et recreent extremement, puis que Dieu a voulu que mon cœur soit si paternel qu'il ne se peut dire plus, pour vous, qui estes reciproquement ma fille tres desirable es entrailles de nostre Sauveur.

  A018002862 

 C'est cela que souvent je luy demande pour vostre chere ame, ma Fille, laquelle j'ayme comme la mienne propre..

  A018002863 

 Je vous escris sans loysir et seulement pour respondre a vostre petit billet; un'autre fois que j'auray plus de commodité, je respondray a vos deux precedentes, et qui sçait si dans le moys prochain je passeray a Grenoble? J'en ay certes quelqu'esperance: soit fait selon le bon playsir de Dieu.

  A018002876 

 Outre le desir que j'ay de me ramentevoir souvent en vostre bonne grace, ce bon Pere Capucin, qui est grandement de mes amis, m'en a reveillé la volonté quand il m'a dit qu'il alloit expres voir cette saintete (sic) solitude en laquelle beneplacitum est Deo habitare in ea; et que particulierement il desiroit de vous bayser les mains, poussé de la renommee qu'il a pleu a Dieu que vous ayes, qu'il honnore avec inclination comm'estant du voysinage du lieu de vostre naissance..

  A018002892 

 Ainsy, ces bons et devotz ecclesiastiques s'en revont promeuz aux saintz Ordres, marri que je suis que une quantité d'occupations qui me sont survenues en ces deux jours ne m'ayent permis de les caresser a mon gré, selon l'affection que je porteray toute ma vie a tous ceux qui me seront recommandés de Vos Excellences, que je prie Dieu vouloir combler de [288] benedictions, et sa tressainte Mere de les conserver sous sa douce protection, qui suys tres cordialement,.

  A018002892 

 Jamais il ne se presentera occasion de vous rendre service, que je ne l'employe avec toute l'affection et sincerité que Vos Excellences pourroyent desirer; et non seulement par le devoir d'amitié et voysinage, mais par une speciale inclination que j'ay envers vostre tres catholique, tres pieuse et tres illustre Republique et Seigneurie, je m'estimeray tous-jours fort heureux quand je pourray executer vos desirs.

  A018002908 

 Qu'a jamais les divines inspirations fassent de si puissantes influences en nostre cœur, que sa volonté soit parfaitement faite en nous.

  A018002908 

 Regardes donq si vos desirs ont du pouvoir sur mon esprit, que ne les sachant pas, je les seconde.

  A018002908 

 Voyla les lettres, et celle que j'escrivois quand ma Seur Anne Jacqueline est venue, estoit a M. de Leaval.

  A018002928 

 Il faut que je vous die que j'ayme bien cette pauvre Seur Estiennette, et pensant en elle il me (sic) venu [290] en l'imagination que peut estre a elle quelque scrupule sur ses confessions, puisque hier elle me dit qu'ell'avoit un grand desir de faire une confession generale.

  A018002928 

 Je voudrois donq que vous sceussies cela d'elle, mais il faudroit que ce fut dextrement, affin que, s'il n'estoit pas besoin, elle ne s'embarassast pas en cet article, et si elle en avoit besoin, qu'elle le dit, et vous me le feries sçavoir.

  A018002928 

 Vous sçaves, ma tres chere Mere, ce que je suis a ceux que j'affectionne, et sur tout a nos Filles; mais vous ne sçaures jamais peut estre ce que je vous suis, tant Dieu m'a rendu vostre..

  A018002929 

 Il faudra passer la pauvre Fontani pour 400 ducatons et diminuer la liste des meubles, car monsieur le collateral Flocard dit que ses freres sont pauvres et que ce sera aumosne, et ell'est fille d'une si bonne mere..

  A018002938 

 L'essay que je fis de vostre courtoysie il y a 20 ans que je fus a Rome, le recit que m'en fait monsieur le chanoyne Desplans, la consideration de lhonneur ou vos merites vous portent, m'obligent a vous offrir mon service, quoy qu'inutilement, puisque, estant si peu de chose comme je suis, je ne me puis pas promettre le pouvoir de vous en rendre..

  A018002939 

 Et bien que cette mesme consideration me deut retenir de vous importuner, si est ce qu'en l'occasion que ledit sieur Desplans vous represente pour le secours des Chanoynes de mon Eglise, je ne laisseray pas de vous supplier de nous estre favorable a tous, affin que les uns soyent aydés, et moy consolé de les voir un peu assistés et delivrés de pauvreté, vous asseurant, Monsieur, que vous obligeres force gens d'honneur et qui ont affection [292] de marcher de bien en mieux au service de Dieu; et en mon particulier, j'en demeureray a jamais,.

  A018002966 

 Ces honorés Pères Visiteurs des Barnabites ont trouvé chez moi un très particulier souvenir des faveurs reçues de Votre Seigneurie Illustrissime; et comme ils m'ont dit que vous aviez quelque [293] connaissance de notre langue française, je vous adresse en toute humilité ce discours ou harangue faite par le cardinal du Perron, œuvre très belle, si je ne me trompe, pour la vivacité du génie qui la caractérise.

  A018002996 

 Pour moi, je suis sur mon départ pour le service du Sérénissime Prince Cardinal, ainsi que l'a voulu Son Altesse.

  A018002996 

 Si la nouvelle que l'on vient de m'annoncer est vraie, que M. le Marquis votre frère est du voyage, ce me sera une particulière consolation, surtout si j'ai le bonheur de pouvoir lui donner quelque marque de mon profond attachement pour M. le Comte et pour vous, Madame.

  A018002997 

 Vous recommander notre bon P. D. Juste serait une chose injurieuse à la bienveillance que vous lui portez; elle ne m'est permise qu'en témoignage de l'affection que j'ai pour lui..

  A018002998 

 De la ratification pour les moulins de ces Mères, nous n'avons aucune nouvelle, et je ne sais où aura échoué le soin bienveillant que Votre Seigneurie a daigné prendre de cette affaire..

  A018002999 

 La Mère suivra, pour aller à Bourges, une route différente de la nôtre et demeurera dans cette ville tandis que je serai à Paris; mais je ne laisserai pas de vous faire part des progrès de notre Congrégation que Votre Seigneurie aime tant..

  A018003024 

 Bien que je fusse convaincu de ne pouvoir en aucune façon écrire convenablement la Vie de Monseigneur l'Evêque votre frère, d'heureuse mémoire, à cause de ma trop grande rusticité et insuffisance, néanmoins la satisfaction que j'aurais eue d'agréer à Votre Révérence et de rendre témoignage de mon estime pour ce grand serviteur de Dieu, me donnait quelque espérance de pouvoir entreprendre ce travail.

  A018003024 

 Mais me voyant maintenant appelé à Paris pour servir notre Sérénissime Prince Cardinal en ce voyage de France, je perds tout espoir de le faire, d'autant plus que l'histoire dont il s'agit requiert [298] un écrivain qui soit à même de savoir beaucoup de particularités que je ne puis connaître ni apprendre ici, et moins encore en France..

  A018003025 

 Pardonnez-moi donc si je ne sers votre Paternité en cette occasion qui cependant m'eut été si agréable, et voyez que la seule impossibilité m'en empêche.

  A018003038 

 Je vous prie que de l'argent qui viendra entre vos mains, qui m'appartiendra, vous delivries a madame la collaterale Flocard, six florins pour la Jeanne Peloux de Geneve; autres trois florins pour la Gautier, et trois pour la Jaquemine de Bœuf; et a la Janine, trois pour la Marguerite de Grenoble, et quatre pour la femme de Maleteste..

  A018003065 

 Oh! Dieu soit beni, qu'estant filles toutes et servantes de la mesme Mere de Dieu, quoy qu'elles grandes et vous petites, vos cœurs soyent unis par sa sainte dilection que cette sacree Mere verse dedans le cœur de toutes les Seurs.

  A018003075 

 Des demain donq je parleray au Cardinal affin que, sil se peut sans incommoder son service, je soys tout reservé a [303] Saint André; et s'il ne se peut pour l'Advent, comme a la verité il sera difficile que ce soit, pour autant d'autres occasions quil plaira a mondit sieur de Montelon de me marquer..

  A018003075 

 Et toutefois, tout ce que je pourray je le feray, affin qu'il veuille bien me permettre que je face tout ce que monsieur de Montelon desirera de moy pour la chaire de Saint André, estimant la bienveuillance de ce seigneur au dessus de toute la pensee quil en sçauroit avoir, comme en verité je suis obligé de faire pour plusieurs respectz.

  A018003075 

 Or, vous juges donq bien qu'estant aupres de ce Prince pour ce voyage, je ne suis plus a moy, ni n'ay point de liberté que celle qu'il me donnera.

  A018003076 

 Mays quant au logis, il me faut laisser ou le fourrier du Roy me fourrera; car, quoy qu'inutile, ce Prince me veut voir assidu aupres de sa personne, et la rayson veut que je rende ce devoir en suite de l'intention de Son Altesse.

  A018003115 

 Ainsi j'espère que, sans perdre de temps, elle emploiera bien ses journées, pourvu que la divine Majesté l'aide et la conforte..

  A018003115 

 De Bourges elle viendra, je crois, à Paris, pour fonder un Monastère; car, bien que la mort du cardinal du Perron amène quelques difficultés dans les dispositions qu'il avait prises, je vois néanmoins que petit à petit elles [305] disparaissent.

  A018003117 

 Parfois même elle ramait et me faisait ramer avec elle, pensant d'abord que je ne savais pas cet art, dans lequel pourtant il s'est trouvé que j'étais déjà passé docteur..

  A018003120 

 J'ajouterai seulement que j'ai trouvé à Paris un tel accroissement de piété que c'est merveille; le Roi surtout a une si haute idée de la très sainte religion catholique, qu'on peut espérer toutes sortes de bénédictions sur ce royaume..

  A018003121 

 A notre bon Père D. Juste mille et mille salutations; je ne manquerai pas, à l'occasion, de faire à sa Congrégation tous les bons offices que je pourrai.

  A018003126 

 De grâce, que Votre Illustrissime Seigneurie veuille bien saluer cordialement notre Père D. Juste, ... ces Sérénissimes... je ne manquerai pas d'offrir prières et Sacrifices....

  A018003136 

 Mon esprit ne peut cesser de penser en vous, ma tres chere Cousine, ma Fille, et ne voudroit faire autre chose [311] que de vous parler en la façon qu'il peut, et ne sçait neanmoins que vous dire, estant, comme le vostre, encor tout estonné; sinon, ma tres chere Fille, que le divin Espoux de nos ames veut que nous regardions tous nos evenemens dans le sein de sa celeste Providence et que nous jettions nos affections en l'eternité, ou nous nous reunirons tous pour ne jamais plus estre separés.

  A018003137 

 En somme, vous voyla, ma tres chere Fille, au vray essay de la fidelité que vous deves a Dieu, auquel vous aves si souvent resigné toutes vos adventures.

  A018003138 

 Pour moy, je ne puis pas dire plus que jamais, mais s'il se pouvoit dire, certes, je dirois qu'inseparablement, plus que jamais, je suis.

  A018003148 

 Je regarde meshuy vostre Mayson comme une pepiniere de plusieurs autres; c'est pourquoy il faut songer d'y enraciner les grandes et parfaites vertus de l'abnegation de son amour propre, l'amour de son abjection, la mortification des humeurs naturelles, la sincere dilection, affin que Nostre Seigneur et sa tressainte Mere soyent glorifiés en nous et par nous..

  A018003149 

 Nous avons icy la cour, cela m'oste beaucoup de mon loysir d'escrire a mon gré; mais ma grande Fille se contentera bien aussi de lire dans mon cœur de loin, que je suis parfaitement sien en Celuy qui, pour estre nostre et affin que nous fussions siens, voulut bien mourir pour nous.

  A018003157 

 Je salue vostre cœur de tout le mien et vous prie d'aymer tous-jours bien ce vieux pere qui vous cherit, certes, de tout son cœur de plus en plus, ma tres chere Fille, et se res-jouit d'apprendre que, graces a Dieu, cette Mayson la s'advance en humilité, douceur, paix et amour divin.

  A018003159 

 Je vous escris selon mon sentiment present, car il faut que j'escrive ainsy a l'ame de ma tres chere Fille, priant Dieu qu'il la face sainte, et moy aussi, qui suis tant esloigné de ce bonheur..

  A018003161 

 Vives joyeuse tant que vous pourres, de cette joye paisible et devote de laquelle l'amour de nostre abjection est la racine.

  A018003172 

 En cette generale allegresse de tout ce royaume sur l'heureuse conclusion du mariage de Vostre Altesse, je ne puis ni ne dois m'empescher de rendre quelque tesmoignage de la mienne, laquelle, certes, est d'autant plus grande, que d'un costé je suis plus obligé a la bonté de Vostre Altesse, et de l'autre j'ay reconneu plus particulierement un tres parfait assemblage de perfections en Madame, au visage, au maintien, au parler; en la conduitte de laquelle on remarque tant de traitz de bonté, de prudence, de douceur et de devotion, qu'on ne sçait discerner laquelle de ces perfections y èst plus parfaite.

  A018003172 

 Et parce que la Sainte Escriture dit que le mary d'une femme bonne est heureux, je puis des a present augurer toute sorte de bonheur a Vostre Altesse pour ce regard, et en benir Nostre Seigneur de tout mon cœur, puisque, [315] comme la mesme Escriture nous annonce, la mayson et les richesses nous sont acquises par nos peres, mais la femme sage et vertueuse, a proprement parler, est donnee comme un pretieux present de la liberalité divine..

  A018003173 

 Au surplus, Monseigneur, je ne sçaurois exprimer avec combien de grace Monseigneur le Cardinal se comporte en cette cour, et combien il est adroit a mesler la qualité de grand Prince que sa naissance luy a donnee, avec celle de tres digne Cardinal que sa profession luy fait tenir, alliant admirablement bien la franche et generale courtoysie, qui est si desiree et estimee de cette nation, avec la modestie et bienseance qui y est si pretieuse, comme par tout le monde..

  A018003185 

 Croyes, ma tres chere Fille, que le trespas de ce cousin et l'apprehension des regretz de la chere cousine m'ont vivement touché; mays parmi tout cela, Dieu soit [316] beni qui, par sa providence, reduit toutes choses au proffit des siens..

  A018003187 

 J'ay escrit selon que nostre seur, M me de Bressieu, desiroit, au P. D. Juste..

  A018003188 

 Icy, nous avons beaucoup de peine a faire reuscir l'establissement de la Congregation et crains grandement qu'il ne soit differé, bien que c'est merveille de la quantité des ames qui desirent en estre..

  A018003189 

 Si pour vostre consolation vous desires aller a la Visitation passer quelques jours, pourveu que ce soit sans en [317] sortir pendant ledit tems, vous le pouves.

  A018003202 

 Ah! ma Fille, que la vive presence du Roy et de la Reyne du Ciel fait bien eclipser devant les yeux de nostre cœur toutes autres grandeurs de la terre!.

  A018003214 

 Je vous ay des-ja escrit que vous pourries entrer avec nos Seurs, puisque vous en estes de cœur, d'affection et de pretention, pourveu que vous n'en sorties point pour aller parmi la ville, ailleurs..

  A018003226 

 La veille de Noël je preschay devant la Reyne, aux Capucines, ou elle fit sa Communion; mais je vous asseure que je ne preschay ni mieux ni de meilleur cœur devant tous ces princes et princesses que je fay en nostre pauvre petite Visitation de Nessi..

  A018003226 

 O Dieu, que c'est chose bien plus desirable d'estre pauvre en la mayson de Dieu, que d'habiter dans les grans palais des Rois! Je fay icy le noviciat de la cour; mais jamais je n'y feray profession, Dieu aydant.

  A018003228 

 Il est luy seul nostre paix, nostre consolation et nostre gloire: que reste-il, sinon que nous nous unissions de plus en [320] plus a ce Sauveur, affin que nous portions bon fruit? Ne sommes nous pas bien heureux, ma chere Mere, de pouvoir enter nos cœurs sur celuy du Sauveur qui est enté sur la Divinité? car ainsy, cette infiniment souveraine Essence est la racine de l'arbre, duquel nous sommes les branches, et nos amours les fruitz: ç'a esté le sujet de ce matin..

  A018003231 

 Il y va bien du tems avant que nous soyons du tout despouillés de nous mesmes et du pretendu droit de juger ce qui nous est meilleur, et de le desirer.

  A018003231 

 Je suis marri que nostre Seur [Jeanne-Marie] ayt la fantasie de changer de Mayson.

  A018003231 

 Quand sera ce que nous ne voudrons rien, ains laisserons entierement le soin a ceux a qui il appartient de vouloir pour nous ce qu'il faut? Mais il n'y a remede: la propre volonté est bridee par l'obeyssance, et toutefois on ne peut l'empescher de regimber et faire des caprices; il faut supporter cette infirmité.

  A018003243 

 Je vous ay tesmoigné par mes lettres que je prendrois a faveur de me nommer vostre frere, qui est le mot du plus franc et desirable amour de tous ceux que la nature nous a donné et que la grace nous ordonne.

  A018003243 

 Mays quand je parle avec vous sous ce tiltre de frere, c'est avec un tres singulier sentiment de fraternité; et toutefois, vous me demandes encor que je sois vostre pere et que vous soyes mon filz.

  A018003244 

 Il est vray, l'affection que j'auray pour vous tiendra rang, puisqu'il vous plait, de paternelle, a cause de sa force et constance, et de fraternelle, pour sa confiance et privauté; et, comme que ce soit, « la charité esgale ceux qui l'ont » avec tant d'art, qu'ilz sont entre eux freres, peres, meres, enfans.

  A018003244 

 Les freres aisnés succedoyent aux peres, anciennement, dans les familles, et estoyent comme vice peres de leurs freres, en sorte que c'estoyent des freres peres, et des peres freres; et les puisnés estoyent des enfans freres et des freres enfans.

  A018003254 

 D'autre part, elles portent des manifestations de certaines choses que Dieu declare fort rarement: comme, l'asseurance du salut æternel, la confirmation en grace, le degré de sainteté de plusieurs personnes, et cent autres choses pareilles qui ne servent tout a fait a rien; de sorte que saint Grrgoire ayant esté interrogé par une dame d'honneur de l'Imperatrice, qui s'appelloit Gregoire, sur l'estat de son futur salut, il luy respondit: « Vostre douceur, ma Fille, me demande une chose qui est esgalement et difficile et inutile.

  A018003254 

 En tout ce que j'ay veu de nostre Seur Marie Constance, je ne treuve rien qui ne me face penser qu'elle [323] soit fort bonne fille, et que partant il la faut aymer et cherir de tres bon cœur.

  A018003254 

 Mais quant a ses visions, revelations, predictions, elles me sont infiniment suspectes, comme inutiles, vaines et indignes de consideration; car d'un costé, elles sont si frequentes, que la seule frequence et multitude les rend dignes de soupçon.

  A018003255 

 Ainsy le malin esprit, quand il veut notablement tromper quelque personne, avant que de luy faire faire des revelations fauses, il luy fait faire des prodiges faux et luy fait tenir un train de vie fausement saint..

  A018003255 

 Il y a plus: que quand Dieu se veut servir des revelations qu'il donne aux creatures, il fait preceder ordinairement ou des miracles veritables, ou une sainteté tres particuliere en ceux qui les reçoivent.

  A018003255 

 Or, de dire qu'a l'advenir on connoistra pourquoy ces revelations se font, c'est un pretexte que celuy qui les fait prend pour eviter le blasme des inutilités de telles choses.

  A018003256 

 Elle en eut une extremement dangereuse, pour laquelle il fut treuvé bon de faire faire essay de la sainteté de cette creature; et pour cela, on la mit avec la bienheureuse Seur Marie de l'Incarnation, lhors encor mariee, ou estant chambriere et traittee un peu durement par feu monsieur Acarie, on descouvrit que cette fille n'estoit nullement sainte, et que sa douceur et humilité exterieure n'estoit autre chose qu'une doreure exterieure que l'ennemy employoit pour faire prendre les pilules de son illusion, et en fin on descouvrit qu'il ny avoit chose du monde en elle qu'un amas de visions fauses.

  A018003256 

 Et quant a elle, on conneut bien que non seulement elle ne trompoit pas malicieusement le monde, mais qu'elle estoit la premiere trompee, ny ayant de son costé aucune autre sorte de faute, sinon la complaysance qu'elle prenoit a s'imaginer qu'elle estoit sainte, et la contribution qu'elle faisoit de quelque simulation et duplicités pour maintenir la reputation de sa [325] vaine sainteté.

  A018003256 

 Quand elle portoit l'aumosne a la porte, il multiplioit le pain dans son tablier, de sorte que, si elle ne portoit de pain que pour trois pauvres et il s'en treuvoit trente, il y avoit pour donner a tous tres largement, et d'un pain fort delicieux, duquel son confesseur mesme, qui estoit d'un Ordre tres reformé, envoyoit ça et la parmi ses amis spirituelz, par devotion.

  A018003257 

 Et quant au bon Pere qui semble les approuver, il ne faut pas le rejetter ni disputer contre luy, ains seulement tesmoigner que, pour espreuver tout ce traffiq de revelations, il semble bon de le mespriser et n'en tenir conte.

  A018003257 

 Mais pour l'ordinaire, il faut dire a cette fille: Ma Seur, parlons de nostre leçon que Nostre Seigneur nous a recommandé d'apprendre, disant: Apprenes de moy que je suis humble et doux de cœur.

  A018003257 

 Neanmoins, comme je vous ay dit, il ne faut pas pour cela mal traitter cette pauvre Seur, laquelle, comme je croy, n'a point d'autre coulpe en son affaire que celle du vain amusement qu'elle prend en ces vaines imaginations.

  A018003257 

 Seulement, ma tres chere Seur, il luy faut tesmoigner une totale negligence et un parfait mespris de toutes ses revelations et visions, tout ainsy que si elle racontoit des songes ou des resveries d'une fievre chaude, sans s'amuser a les refuter ni combattre; ains au contraire, quand elle en veut parler, il faut luy donner le change, c'est a dire, changer de propos et luy parler des solides vertus et perfections de la vie religieuse, et particulierement de la simplicité de la foy, par laquelle les Saintz ont marché, sans visions ni revelations particulieres quelcomques, se contentans de croire fermement en la revelation de l'Escriture Sainte et de la doctrine apostolique et ecclesiastique, inculquant bien souvent la sentence de Nostre Seigneur: Il y aura plusieurs faiseurs de miracles et plusieurs prophetes ausquelz il dira a la fin du monde: Retires vous de moy, ouvriers d'iniquité; je ne vous connois point.

  A018003259 

 J'avois oublié de vous dire que les visions et revelations de cette fille ne doivent pas estre treuvees estranges, parce que la facilité et tendreté de l'imagination des filles les rend beaucoup plus susceptibles de ces illusions que les hommes: c'est pourquoy leur sexe est plus addonné a la creance des songes, a la crainte des espritz et a la credulité des superstitions.

  A018003261 

 Il se peut bien faire que le malin esprit ayt quelque part en ces illusions; mais je croy plustost qu'il laisse agir l'imagination, sans y cooperer que par des simples suggestions.

  A018003274 

 Ce m'est un desplaysir sensible de voir un si grand manquement de douceur parmi messieurs nos ecclesiastiques de dela, et ne sçai ce que je ne ferois pas pour moderer leurs passions.

  A018003274 

 Mays il ny a remede; l'esprit de contrarieté se fourre par tout, mais plus violemment ou il sçait que l'unité et conformité seroit de plus grande edification.

  A018003275 

 De sçavoir sil seroit expedient de le loger ou a Sessi, ou a Grilly, je n'en puis pas bien resoudre de si loin, encor que j'inclinerois plus tost a Grilly.

  A018003275 

 Je seray bien ayse que M. Jaquin soit en quelque lieu [328] ou il puisse s'exercer en sa vocation, puisqu'a Chevry il n'a pas la commodité, et comme quelques uns pensent, ni beaucoup de volonté, dautant qu'il ny a point encor fait de service.

  A018003276 

 Reste, mon Reverend Pere, qu'il vous playse de vous treuver avec les trois ou quatre ecclesiastiques que je marque en la lettre que j'escris a M. le Curé, pour faire un advis de ce qui sera necessaire estre fait pour Sessi, Grilly, Chevry, Versoex, Thuery; et j'escris un billet a monsieur Rogex affin qu'il face des provisions selon cela, ayant creance que je ne sçaurois mieux faire que de suivre si bon conseil..

  A018003277 

 Je ne suis pas prest a consentir qu'on oste le service de l'eglise de Gex, ni que M. Paris soyt maltraitté, car je l'estime trop.

  A018003277 

 Que si j'ay treuvé bon que M. Jaquin ny eut plus rien a faire, ça esté par ce qu'il failloit preferer l'un des deux, dont le premier ne vouloit point de compaignon, ni le second de maistre..

  A018003278 

 Volontier je remetz M. Dagan en l'exercice de ses Ordres, et suis bien ayse que vous en rendiés bon tesmoignage.

  A018003300 

 De tout mon cœur, Madame, je me treuveray ou vous me marques et quand vous me marques, et ne refuse pas la commodité de vostre carosse, puisque je n'en ay point que de ceux qui me favorisent; parmi lesquelz vous estes, je vous asseure, l'une des ames a laquelle je souhaite plus cherement, tendrement et fortement toute sorte de sainte consolation, estant sans fin et sans reserve,.

  A018003313 

 Vous aures, je m'asseure, receu deux de mes lettres, ma tres chere Mere, quand celle ci arrivera, et croyes que je ne perdray desormais null'occasion..

  A018003314 

 En quelles occurrences pouvons nous faire les grans actes de l'invariable union de nostre cœur a la volonté de Dieu, de la mortification de nostre propre amour et de l'amour de nostre propre abjection, et en somme, de nostre crucifixion, sinon en ces si aspres assautz? Ma tres chere Mere, vous ay-je pas souvent intimé la nudité de toutes les creatures, pour se revestir de Nostre Seigneur crucifié? Or sus, Dieu sera au milieu de vostre cœur, qui vous affermira, et j'espere [332] qu'il conduira ce filz a bon port et que vous aurés encor la consolation interieure de le sçavoir..

  A018003314 

 Je suis grandement en peine de vostre affliction, bien que je n'en sache pas les particularités; mais je voy bien, par ce peu de paroles que vous m'escrivés, que vous la sentés vivement.

  A018003314 

 Ma tres chere Mere, cette vie mortelle est toute pleine de telz accidens, et les douleurs de l'enfantement durent souvent plus que les sages femmes ne pensent.

  A018003316 

 J'ay eu un certain engourdissement de jambes, qui passe, et ne m'a nullement empesché d'aller et faire tout ce que j'ay volu.

  A018003317 

 J'avois grand desir de voir Monseigneur nostre Archevesque, mais puis qu'il ne vient pas, je me res-jouis en la consolation que vous aves de sa presence et luy bayse tres humblement les mains, et salue de tout mon cœur nos tres cheres Seurs; qui suis infiniment, ainsy que vous sçaves, ma tres chere Mere, vous mesme, en une façon incomparable tout vostre..

  A018003327 

 Et croyes moy bien aussi, ma chere Fille, que ce m'est une fort particuliere consolation de recevoir de vos lettres et de vous envoyer des miennes..

  A018003328 

 L'aymant attire le fer, l'ambre attire la paille et le foin: ou que nous soyons fer par dureté, ou que nous soyons paille par imbecillité, nous nous devons joindre a ce souverain petit Poupon, qui est un vrai tire cœur..

  A018003328 

 Mais voyes combien amoureusement il a escrit vostre nom dans le fond de son divin cœur, qui palpite la sur la paille pour la passion affectueuse qu'il a de vostre avancement, et ne jette pas un seul souspir devant son Pere auquel vous n'ayes part, ni un seul trait d'esprit que pour vostre bonheur.

  A018003329 

 Disons avec la celeste Espouse: J'ay treuvé Celuy que mon cœur ayme, je le tiens, et ne l'abandonneray..

  A018003330 

 Aspirés donq souvent pour moy, ma Fille, et vous prescheres avec moy; et moy, croyes moy, je joins mon ame a la vostre tous les jours par le lien du tressaint Sacrement, que je ne reçoy point qu'avec vous et pour vous.

  A018003330 

 Combien de fois arrive il que nous disons des bonnes choses parce que quelque bonne ame nous les impetre? Ne presche elle pas asses, et avec cet advantage, que n'en sçachant rien elle ne s'en enfle point? Nous ressemblons aux orgues, ou celuy qui met le souffle fait en verité le tout et n'en porte point la louange.

  A018003330 

 Faites donq, ma Fille, faites mille fois le jour ces saintes aspirations a Dieu, protestant que vous estes toute, totalement, a jamais et eternellement sienne..

  A018003330 

 Helas! ma chere Fille, l'envie que vous me portes procede elle de ce que je presche au monde les louanges de Dieu? O que c'est quelquefois un grand contentement au cœur de publier la bonté de ce qu'on ayme! Mays si vous desires de prescher avec moy, je vous en prie, faites le, ma Fille, tous-jours, priant Dieu qu'il me donne des paroles selon son cœur et selon vos souhaitz.

  A018003358 

 M'en remettant à ce qu'on apprendra par lui-même, je dirai seulement à Votre Illustrissime Seigneurie, que je ne manquerai pas de faire tout ce qui me sera possible auprès de Son Excellence M. le Comte, afin qu'il seconde votre pieux désir.

  A018003358 

 Voilà que M. le Marquis votre frère part avec toutes les dépêches aussi bonnes qu'on pouvait les souhaiter.

  A018003360 

 De grâce, que votre chère âme ne se laisse pas troubler par des scrupules touchant le vœu que vous avez fait d'être Religieuse; car, qui ne diffère le paiement que pour payer en meilleure monnaie ne doit pas être appelé mauvais payeur, surtout lorsque le jour ni le temps n'ont pas été fixés.

  A018003361 

 Je ne sais encore quand je retournerai en Savoie, mais je sais bien [337] que, s'il plaît à Dieu, je ne tarderai pas d'aller à Turin, ou avec le Sérénissime Cardinal, ou avec le Sérénissime Prince..

  A018003362 

 Que Votre Illustrissime Seigneurie vive toute en Dieu, à Dieu et pour Dieu; de tout cœur je suis.

  A018003380 

 Ayés bon courage, car pourveu que nostre cœur luy soit fidele, il ne nous chargera point outre nostre [339] pouvoir, et supportera nostre fardeau avec nous quand il verra que, de bonne affection, nous sousmettrons nos espaules..

  A018003380 

 Voyla que je vous dis, ma tres chere Mere; et tout de mesme pour les nouvelles des desplaysirs de M. [de Chantal.] En fin, Nostre Seigneur, peut estre, nous veut ainsy conduire entre les espines desormais; et je confesse, pour le regard de moy mesme en moy, qu'il en est bien tems: en vous, je le supplie de toutes mes forces qu'il attrempe tous-jours doucement son calice; mais que nostre volonté ne soit pas faite, ains la sienne toute sainte.

  A018003389 

 Je sçai bien, ma tres chere Fille, que vostre cœur bienaymé demeure doucement resigné entre les bras de la divine Providence.

  A018003389 

 Soit que nous allions, soit que nous revenions, soit que nous soyons en un lieu, soit que nous soyons en divers lieux, pourveu que nous soyons avec Dieu nous ne pouvons jamais estre separés; et mesme, si nous avons memoire de la parole de Nostre Seigneur quand il dit a sa tres chere Mere: Ne sçavies vous pas qu'il failloit que je fusse es affaires de mon Pere? car il veut dire que il importe peu ou que nous soyons, pourveu que nous vivions au service du Pere celeste.

  A018003390 

 Et bien, ma tres chere Fille, [votre lettre] m'a representé l'histoire du debat que vous eustes....

  A018003390 

 quand vous desirastes d'estre ma fille; et il n'y a nul [mal] que vous ne sachies pas si bien exprimer en presence vos petites conceptions comme vous faites en absence.

  A018003391 

 J'ay prié Dieu pour cett'ame que j'honnorois beaucoup, mais je n'ay pas escrit a ce filz par ce que je n'ay sceu cett'affliction que tard et hors de sayson de consoler..

  A018003391 

 Je participe par ressentiment au mal que monsieur vostre mari souffre et a la peine que vous en aves, parmi laquelle nostre tres sacree Maistresse et Abbesse vous peut bien donner de la consolation, vous menant sur la montaigne de Calvaire ou elle tient le noviciat de son monastere, monstrant la leçon non seulement de bien souffrir, mais de souffrir amoureusement tout ce qui nous arrive, et a nos plus chers.

  A018003391 

 Je pense que le bon cousin, M. de La Gran, y aura bien esté pour apprendre a supporter le deplaysir que le trespas de son pere luy aura causé.

  A018003392 

 Nostre Mere se porte bien a Bourges, et croy qu'elle viendra icy avant Pasques, puisque il y a de l'apparence qu'on y fera un Monastere, bien que jusques a present il y ayt eu des grandes traverses du costé de l'esprit mondain, qui a tous-jours un peu de credit, mesme parmi les gens de bien, [si qu'il faut être] grandement sur ses gardes.

  A018003393 

 Je me porte bien, ma tres chere Fille, quoy qu'accablé du travail des prćdications [qu'il me faut] faire a tous propos, et devant les peuples et devant la cour; mays cela ne durera que jusques a Pasques [que, Dieu] aydant, je me retireray en mon petit bercail..

  A018003394 

 C'est par luy et en luy que je suis et seray invariablement, tres absolument vostre, ma tres chere Fille, toute, certes, et a jamais bienaymee..

  A018003397 

 Je voudrois bien avoir loysir d'escrire a madame de Saint André, car il m'est advis que je luy doy cela pour l'affliction que son cœur aura eu au trespas de monsieur de la Coste; mays il ny a moyen.

  A018003398 

 Mays que dira nostre bonne et tres aymee Seur Marie Péronne? Si je puis, je luy escriray, car je ne sçai si je pourray; [mais] son cœur sçait bien de quell'affection je suis sien..

  A018003410 

 Il me semble, ma tres chere Fille, que vostre cœur est tellement asseuré de l'invariable affection que j'ay pour luy, qu'il ne sçauroit meshuy plus en douter: ce que Dieu fait est bien fait.

  A018003410 

 Que si j'ay retardé a vous escrire, attribués-le, je vous prie, a ce tracas insupportable parmi lequel il faut faire plus qu'on ne peut et qu'on ne veut, et ne faire pas ce que l'on veut, encor que l'on le peut..

  A018003411 

 J'ay bien apprehendé ci devant que la maladie du bon monsieur vostre pere ne vous tinst en peine; mais maintenant que, graces a Dieu, il reprend forces et santé, je suis bien fort soulagé de ce costé la..

  A018003412 

 O Dieu, ma tres chere Fille, que c'est une leçon digne d'estre bien entendue, que cette vie ne nous est donnee que pour acquerir l'eternelle! Faute de cette connoissance, nous establissons nos affections en ce qui est de ce monde dans lequel nous passons; et quand il le faut quitter, nous sommes tout estonnés et effrayés..

  A018003413 

 Croyés moy, ma chere Fille, pour vivre content au pelerinage, il faut tenir presente a nos yeux l'esperance de l'arrivee en nostre patrie, ou eternellement nous arresterons; et ce pendant croire fermement (car il est vray) que Dieu qui nous appelle a soy regarde comme nous y allons, et ne permettra jamais que rien nous advienne que pour nostre plus grand bien.

  A018003413 

 Il sçait qui nous [343] sommes, et nous tendra sa main paternelle es mauvais pas, affin que rien ne nous arreste.

  A018003414 

 Que deves vous craindre, ma tres chere Fille, estant a Dieu, qui nous a si fortement asseurés qu' a ceux qui l'ayment tout revient a bonheur? Ne pensés point a ce qui arrivera demain, car le mesme Pere eternel qui a soin aujourd'huy de vous, en aura soin et demain et tous-jours: ou il ne vous donnera point de mal, ou s'il vous en donne, il vous donnera un courage invincible pour le supporter..

  A018003415 

 Que peut craindre l'enfant entre les bras d'un tel pere? Soyés bien un enfant, ma tres chere Fille; et, comme vous sçaves, les enfans ne pensent pas a tant d'affaires; ilz ont qui y pense pour eux; ilz sont seulement trop fortz s'ilz demeurent avec leur pere.

  A018003427 

 L'autre, qui est a mon gré une brave et digne femme, par ce que voulant meshuy essayer si nous pourrons faire reuscir nostre dessein sans ce bon seigneur, qui, a la verité, est incomparable a tenir les affaires en longueur, nous aurons grandement besoin d'elle et de sa conduite qui est tres bonne..

  A018003427 

 Nous ne vous envoyerons pas encor ni l'une ni l'autre de ces dames: l'une, qui est la mariee, par ce qu'elle ne [345] veut donner que cinq cens francz de pension, se sous-mettant, quant au reste, que sa fille de chambre estant espreuvee, si elle n'est propre a demeurer on la puisse chasser; et pour ses moyens, bien qu'elle ne se determine a rien, si me semble-il qu'elle se laissera conduire.

  A018003428 

 Ce sera eternellement mon sentiment qu'on ne laisse jamais de recevoir les filles infirmes en la Congregation, sinon que ce fut des infirmités marquees aux Regles, telle que n'est pas celle de [cette] fille qui n'a point d'usage de ses jambes, car, sans jambes, on peut faire tous les exercices essentielz de la Regie: obeir, prier, chanter, garder le silence, coudre, manger, et sur tout avoir patience avec les Seurs qui la porteront, quand elles ne seront pas prestes et promptes a faire la charité; car il faudra souvent qu'elle supporte celles qui la porteront, si l'esprit de dilection ne les porte.

  A018003430 

 En Piemont et Savoye on a fait des allegresses incroyables les festes de Noel, lors que le Prince eut receu les couleurs des faveurs ou les faveurs de couleurs de Madame; et le Prince publia un cartel pour un tournois general, auquel il invite toute l'Italie a venir voir mourir a ses pieds tous ceux qui diront que l'amarante n'est pas la plus belle de toutes les couleurs, et la Princesse qui favorise cette couleur, la plus digne qui est (sic) jamais esté, et quechevalier qui est son esclave n'est pas le plus heureux du monde.

  A018003430 

 Je veux dire en somme que nostre mariage est fait, et Son Altesse ne fit jamais tant de demonstration d'une veritable et extraordinaire [joie] comm'il fait maintenant.

  A018003430 

 Vous ne doutes plus de nostre mariage, je m'asseure; car vous aures sceu meshuy que le contract fut solemnisé il y a 9 jours, que tout s'est passé avec un bonheur nompareil.

  A018003431 

 Mays ce que je crain, c'est que d'abord on ne le mettra pas en fortune, ains faudra qu'il la gaigne par la sujettion et par sa vertu, bien que, moyennant cela, il y a apparence qu'il la fera proportionnee a sa condition.

  A018003431 

 Qui luy pourroit persuader que la douceur et courtoysie est incomparablement plus honnorable que la violence et fierté, le mettroit au chemin de faire des merveilles.

  A018003431 

 Vous sçaves, ma tres chere Mere, que la mayson du Prince est un monastere, et que pour chose du monde il ne veut souffrir les desordres; et bien que venant icy il veuille s'accommoder a la liberté du paÏs, si est ce quil la veut vertueuse.

  A018003432 

 Ce qui tient en peine M. de Forax, c'est premierement qu'il ne sçait ou aller prendre la finale conclusion de son mariage, ou de sa prćtention, puisque madamoyselle de Chantal n'est pas aupres de vous, et que, ni elle sans vous, ni vous sans elle ne feres rien.

  A018003432 

 Et je vous asseure que le pauvre garçon n'en est guere plus grand docteur que moy, ouy bien en toute sorte de vertu, pieté et courtoysie; et luy est advis qu'encor qu'il n'espouseroit pas M lle de Chantal, laquelle pourtant il a bien envie d'espouser, il ne laisserait pas d'estre vostre filz..

  A018003432 

 M. de Forax le rencontra, et se firent mille caresses; mais par ce que c'estoit en rue ilz ne parlerent de rien.

  A018003432 

 Pour moy, j'explique ces choses a ma façon, n'entendant rien aux termes et ceremonies avec lesquelles il faut proceder en un'affaire que je ne fis jamais, Dieu merci.

  A018003433 

 Je pense que c'est que je suis vieux; en somme, ce n'est rien, je vous asseure.

  A018003433 

 Mon engourdissement de jambes n'est rien de douloureux, ni qui m'empesche de marcher des que j'ay fait dix ou douze pas.

  A018003434 

 Dieu vous benisse et toutes nos Seurs; mays Dieu vous benisse, ma tres chere Mere, que je cheris plus que moymesme, ou comme moymesme..

  A018003451 

 Je vous escrivis avanthier, non sans un grand empeschement, car j'estois grandement chargé, et croyois que le messager deut partir hier de grand matin; despuis, j'ay receu la lettre ci jointe de la pauvre petite seur, et un'autre par laquelle elle me dit que je face entrer sa fille aupres de nostre Princesse, ce que je m'essayeray de faire, Dieu aydant.

  A018003451 

 Voyla une lettre de ma Seur Claude Agnes, que vous verres; puisque elle dit que elles n'ont point de vos nouvelles, je luy vay [écrire que vous êtes] asses bien, Dieu aydant..

  A018003452 

 Je ne dis [350] ceci pour rien, mais je le dis a ma chere Mere: si j'avois une seur digne de M. de Forax et que j'eusse cinquante mille escus a luy donner, je le ferois de tout mon cœur.

  A018003453 

 Nous treuvons treze mille escus d'or et quinze cens francz de revenu pour commencer; de sorte que nous allons travailler a bon escient, et la bonne fille M me de Gouffier va revoir toutes les dames qui doivent estre de la partie, pour estre bien asseurés de l'affaire..

  A018003454 

 Mon Dieu, que ce grand embaras de Paris rend les affaires difficiles!.

  A018003454 

 Nous sommes reduitz a cette proposition, qu'on recevra dans les Audriettes nos Seurs, a la charge qu'elles recevront des filles, des l'aage de 14 a 15 ans, qui ont besoin de se retirer pour faire choix de leur vocation, lesquelles seront en un quartier a part, ou deux ou trois des Seurs les gouverneront; et pendant le tems qu'elles demeureront, ne sortiront point et vivront en obeissance, en attendant que Dieu leur envoye l'inspiration ou quelque parti.

  A018003454 

 Voyci maintenant mon [351] sens: je leur laisseray faire le projet, et si es particularités de la besoigne il y a chose qui repugne, on refusera; car ce sera asses tost quand ilz me parleront clair, ce que jusques a present ilz n'ont pas fait.

  A018003455 

 Peut estre aurons nous besoin de la faveur de monsieur le Grand pour tesmoigner des qualités de monsieur le Baron de Chantal, affin que non seulement il entre au service du Prince, mais qu'il entre d'abord en qualité qui le puisse contenter et messieurs ses parens; mais je croy que M. le Grand le fera volontier.

  A018003455 

 Vous ne sçauries croire, ma tres chere Mere, combien tout est recherché en ce tems icy; je croy que le monde va finir, car tous ont peur qu'il ne leur manque..

  A018003456 

 Or sus, ma tres chere Mere, saches que nostre partage en ce monde est en la croix; il le sera en l'autre en la gloire.

  A018003457 

 Je salue tres cherement ma Seur Anne Marie, ma Seur Marie Marthe, ma Seur Anne Catherine, ma Seur Helene, ma Seur... Je vous asseure que je ne treuve pas [352] maintenant les autres qui sont avec vous, car je les vis si vistement a Lyon que je ne l'observay pas.

  A018003467 

 Non, je vous prie, ne vous retenes point de m'escrire quand il vous plaira, car pourveu que vous ayes patience de ne recevoir des responses que quand j'auray la [353] commodité de les faire, je n'auray jamais que beaucoup de contentement d'avoir souvent de vos lettres; car si vous ne le sçaves pas, je vous annonce que vous estes bien ma tres chere fille..

  A018003468 

 Mais il faut que si les Seurs n'ont pas la confiance de demander a parler a luy, luy mesme l'ayt de demander de parler a elles quelquefois, et sil ne l'avoit pas, il faut que vous la luy donnies, si c'est un Pere qui la puisse recevoir; car, comme il faut pourvoir d'une juste liberté aux Seurs pour la communication, aussi les faut-il retenir dans la regie de la simplicité et humilité; et n'est pas raysonnable que la foiblesse de quelques unes face multiplier les confessions extraordinaires a toute la Congregation, et mette en tristesse et ennuy le pauvre confesseur ordinaire.

  A018003468 

 Pour le point que vous me marques, il ne faut nullement alterer la regie du confesseur extraordinaire; ni aussi estonner ce (sic) Seurs infirmes qui ont appetit d'avoir communication avec le confesseur extraordinaire plus souvent que quatre fois l'annee.

  A018003469 

 Icy, nous taschons a vaincre les tentations suscitees contre l'introduction de la Visitation, et espere que nous le ferons.

  A018003469 

 Je salue de tout mon cœur nos cheres Seurs, que j'ayme infiniment en Nostre Seigneur d'un'affection incomparable..

  A018003487 

 Laisserois-je bien aller aupres de vous ce digne frere, sans luy donner ces quatre motz par lesquelz il vous puisse tesmoigner la protestation que je luy ay faite de lhonneur et, si vous me le permettes, de l'amour que je vous veux porter toute ma vie? Faites moy, je vous prie, la faveur, ma tres chere Fille, de l'avoir aggreable, et de me departir reciproquement le bonheur que je desire tant, d'estre conservé en vostre bonne grace..

  A018003488 

 C'est le souhait que fait mon cœur pour le vostre bienaymé, ma tres chere Cousine, ma Fille, et suis.

  A018003491 

 Je salue bien cherement madamoyselle de Tornon, ma cousine, et desire bien qu'elle ayme plus la beauté [356] de son ame et face plus pour l'accroissement d'icelle que pour celle de son cors, car il y a longtems qu'elle sçait bien que j'ayme son cœur..

  A018003508 

 Ayant bien veu la lettre que vous me donnastes aux [357] Benedictins, j'ay certes ressenti grandement la peine de celle qui me l'a escritte, non que pour cela je la voye en aucun danger, mais par ce qu'ell'est affligee; et j'ay tant de part en elle qu'il est impossible que son affliction ne m'afflige.

  A018003508 

 Ces grandes tentations sont plus ennuyeuses que perilleuses.

  A018003508 

 O Dieu, que sa foy est bonne et qu'ell' est grande! car si elle n'estoit grande et forte, elle ne feroit pas des repugnances si pressantes aux suggestions.

  A018003520 

 Dieu, qui voit que nous ne venons pas a Paris pour nous faire voir, mais affin de faire voir a sa Bonté plusieurs ames s'acheminer purement a son saint service, nous aydera.

  A018003520 

 Je respons de la sincerité de vos intentions comme des miennes propres, si tien et mien se doit dire entre nous, que Dieu a unis pour luy rendre un mesme service..

  A018003520 

 O ma chere Mere, que la prudence humaine est admirable! Croiries vous que des grans serviteurs et servantes de Dieu m'ont encor dit aujourd'huy que la douceur et la pieté de nostre Institut estoyent tellement au goust des espritz françois, que vous osteries toute la vogue aux autres Maysons religieuses; que quand on auroit veu cette madame de Chantal, il n'y auroit plus que pour elle.

  A018003547 

 Bien que je l'eusse vu quelques heures avant sa mort, je ne fus cependant pas présent au suprême passage, dont personne ne s'aperçut, sauf mon frère qui eut le bonheur de lui donner la dernière bénédiction..

  A018003547 

 Il resta deux jours et demi en agonie, et tant qu'il conserva l'usage de ses sens, il témoigna que son esprit était tourné vers le Seigneur.

  A018003547 

 Il voulut que je le visitasse, et traita avec moi de [360] la manière qu'il pensait tenir pour assurer sa conscience.

  A018003547 

 Puis, se découvrant, il me tendait la main pour que je la touchasse et demandait ma bénédiction.

  A018003547 

 Voici que, à l'horloge de la divine Providence, ayant sonné pour M. le Comte votre père l'heure du départ de cette vie, pour s'en retourner entre les mains du Créateur d'où son âme était sortie, il a fait heureusement ce passage.

  A018003548 

 Aussi, est-ce au nom de ce Père céleste que j'ai commencé à vous appeler: Ma Fille bien aimée.

  A018003548 

 J'ai voulu écrire tout cela à Votre Seigneurie Illustrissime parce que, me semble-t-il, la conclusion de saint Paul est bonne: Consolez-vous donc en ces paroles; car cette consolation suffit aux enfants de [361] Dieu, que leurs défunts aient reçu avant leur départ les secours efficaces de la sainte Eglise.

  A018003549 

 Il me reste à vous dire que le Sérénissime Prince a toujours sa volonté bien arrêtée pour la fondation du Monastère.

  A018003549 

 Mais moi je dis qu'il vaut mieux que vous attendiez un peu, pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes; car il ne se passera guère que quelques mois tout au plus, avant de voir la fin [362] de cette affaire.

  A018003549 

 On lui écrit de Piémont, que cette affaire est en bonne voie, dit-il; mais quand il n'en serait pas ainsi, il arrangera toutes choses à son retour.

  A018003550 

 Je n'écrirai pas à notre Père D. Juste, cet homme selon mon cœur; mais il sait bien que je l'aime et révère de toute mon âme.

  A018003550 

 Veuillez le lui dire, et que Dieu daigne combler Votre Seigneurie Illustrissime de ses très saintes bénédictions..

  A018003562 

 Je voy la mortification qu'il y a de voyager parmi ces bons jours et, pour toute bonne chose, je voudrois vous delivrer de cette peine; mays nous sommes pressés de mon retour, pour l'incertitude du tems auquel il me le faudra faire, et chacun crie que vous venies avant mon depart..

  A018003564 

 Cette affaire s'entreprend sous la seule Providence de Dieu... C'est un coup de hasard, et plus que cela; mays Dieu requiert que l'on le fasse, et il vaut mieux n'estre appuyé que sur sa tressainte Providence que de se gouverner selon la sagesse et prudence humaine..

  A018003575 

 Ces quattre lignes partent de mon [365] cœur pour faire sçavoir au vostre que si je ne l'ay visité de presence en son affliction, ç'a esté, je vous asseure, d'une affection grande et avec beaucoup de sentimens..

  A018003575 

 Si j'estois aupres de vous, je vous dirois bien plus de choses que je n'en sçaurois escrire, et si j'estois en un autre lieu je vous escrirois plus amplement que je ne puis faire en celuy ci.

  A018003576 

 Mais en fin, ce pere est trespassé en sorte que, si la foy de la vie eternelle regne en nos espritz comme elle doit, nous devons estre grandement consolés.

  A018003576 

 Petit a petit, Dieu nous sevre des contentemens de ce monde; oh! ma tres chere Fille, il faut donq ardemment aspirer a ceux de l'immortalité, et tenir nos cœurs eslevés au Ciel ou sont nos pretentions et ou nous avons meshuy une grande partie des ames que nous cherissons le plus..

  A018003577 

 Qu'a jamais soit beni le nom de Nostre Seigneur et que son amour vive et regne au milieu de nos ames.

  A018003588 

 Je pense que de Geneve on aura mis ordre icy pour faire cela; mays je ne voy quasi point de remede, et mesme estant contraint, comme je suis, de partir pour aller a quatre lieues d'icy, d'ou je ne seray de retour que ce soir, et croy que des ce matin on a emmené cette fille..

  A018003588 

 Parce que l'autre jour je vous vis en peine pour Dorothee, j'ay creu que je devois vous donner advis [366] qu'hier, revenant du Louvre tout de nuit, je treuvay ceans des Peres Benedictins qui me dirent qu'une jeune fille s'estoit peu auparavant addressee a eux pour me faire sçavoir que Dorothee estoit detenue par force chez madame de la Trimouille, qui l'avoit mise entre les mains de deux ministres, et que ce matin ilz la vouloyent emmener, et non obstant toutes les resistances qu'elle faysoit.

  A018003603 

 Mays croyes bien, ma tres chere Fille (car je ne puis empescher mon cœur de pousser ce mot cordial), croyes, je vous supplie, que si mes souhaitz sont exaucés, vous feres un continuel progres en cette sainte dilection; car je n'oublieray jamais d'en supplier Dieu et de luy offrir plusieurs Sacrifices a cette intention.

  A018003604 

 En somme, il est gracieux et debonnaire; car soudain que nous nous humilions sous sa volonté, il s'accommode a la nostre.

  A018003604 

 Si nostre Dieu ne nous donne pas tous-jours ce que nous luy demandons, c'est pour nous retenir aupres de luy et nous donner sujet de le presser et contraindre par une amoureuse violence, ainsy qu'il fit voir en Emmaus, avec ces deux pelerins avec lesquelz il n'arresta que sur la fin de la journee, et bien tard, et quand ilz le forcerent.

  A018003604 

 Vous voyes comment la Providence celeste est douce envers vous, et qu'elle ne differe son secours que pour provoquer nostre confiance.

  A018003605 

 Je loüe Dieu que vous soyes plus constante, nonobstant vos perpetuelz tracas domestiques, parmi lesquelz il faut faire valoir vostre dilection, comme le courage es batailles.

  A018003606 

 Le vingt huitiesme avril elle commenceront a chanter les Offices en publiq, ayant treuvé beaucoup plus de faveur en l'ame de Monsieur le Cardinal, que les premieres apparences ne promettoyent..

  A018003607 

 Je ne manqueray pas d'imprimer un singulier amour pour vostre personne en cette Congregation, specialement au cœur de madame de Chantal, vous asseurant que je desire grandement que vous soyes toute comblee de cette pure charité qui vous rende a jamais aymable a Dieu et a toutes les creatures qui le servent.

  A018003619 

 Ayant passé toute la matinee a Saint Germain et deux heures qu'au chemin qu'en chaire, et un'heure et demi avec des dames qui me sont venu voir apres le sermon, j'ay treuvé le bon M. Berger qui ira voir M. le grand Vicaire, pour luy annoncer et faire treuver bon le jour auquel vous commenceres a paroistre, estimant que ce compliment estoit necessaire.

  A018003619 

 Dela je suis allé chez M me la Marquise [371] de Verneüil, que j'ayme certes bien, car ell'est, a mon advis, bien franche.

  A018003619 

 Elle dit plus: que l'hostel du Cardinal de Guyse, qui est proche de cette mayson, nous sera encor vendu si nous voulons.

  A018003630 

 Je m'en vay a vous tout presentement, mays M. Berger y arrivera peut estre encor plus tost que moy.

  A018003630 

 Tesmoignes luy beaucoup d'obligation, et si d'aventure il parloit de la charge des Pœnitentes, ne le rebuttes pas, ains dites simplement que pour maintenant vous [373] n'aves point de personnes capables de cela, et que si Dieu en envoye a l'advenir, ce sera aux Superieurs d'en disposer selon que Dieu les inspirera; car en ce pais il faut grandement estre en respect..

  A018003649 

 Je pense toutefois que si on prioit M me de Royssieux, peut estre vous envoyeroit elle bien le sien, ou madame la Contesse de Joigni; et je m'advise que celuy de M me de Royssieux n'est pas a elle, mais a son beaufrere..

  A018003661 

 Et neanmoins, j'espere que le coup que M. le Collateral recevra ne sera pas si grand comme l'apprehension..

  A018003661 

 Mays, a ce que je voy, mes remonstrances et supplications ont esté charmees par quelque esprit contraire, la force duquel Dieu a permis avoir esté plus grande.

  A018003661 

 Respondant a la derniere lettre que vous aves pris la peine de m'escrire, je vous diray que je n'ay rien oublié de tout ce que j'ay peu pour servir le pauvre M. le Collateral de Quoex en son affliction.

  A018003662 

 Je vous prie de prendre la peine de les instruire de mon droit, comme encor de ne vous lasser pas a bien conduire par vos advis l'affaire que j'ay avec M. de Marcossey..

  A018003662 

 Monseigneur le Duc de Nemours escrit a messieurs ses officiers qu'ilz luy donnent advis sur la demande que je fay des protocoles du chastelain Musici, que M. [Barfelly] a pris et gardés jusques a present de son authorité.

  A018003678 

 Non, je vous supplie, ne soyes jamais en crainte de m'importuner par vos lettres; car je vous dis en vraye verité qu'elles me donneront tous-jours une tres grande consolation, tandis que Dieu me fera la grace d'avoir le cœur en sa dilection, ou du moins desireux de la posseder.

  A018003679 

 Et je prens un grand courage sur cela de devenir tel qu'on m'estime, et espere que Dieu me donnant la sainte amitié de ses enfans, me donnera la sienne tressainte, selon sa misericorde, apres qu'il m'aura fait faire une penitence convenable a mon mal.

  A018003679 

 Et ne croyés nullement que j'aye cette cogitation que vous recherchies l'excellence du personnage, car, bien que cette sorte de pensee est grandement convenable a ma misere, si est ce qu'en telles rencontres elle ne me vient pas; ains au contraire, il n'y a peut estre rien qui soit plus capable de m'acheminer a l'humilité, admirant que tant de serviteurs et servantes de Nostre Seigneur ayent une si grande confiance en un esprit si imparfait comme est le mien.

  A018003679 

 Il est vray, sans doute, ma tres chere Seur, que si je ne fusse pas venu en cette ville, malaysement eussies-vous peu communiquer vos affaires spirituelles avec moy; mais puisqu'il a pleu a la Providence celeste que j'y sois, il n'y a nul inconvenient que vous employes cette occasion, si vous penses qu'il soit a propos.

  A018003680 

 C'est donq ce meschant esprit qui, a jamais privé d'amour sacré, voudroit empescher que nous jouissions des [378] fruitz de celuy que le Saint Esprit veut estre prattiqué entre nous, affin que, par les reciproques communications saintes, nous ayons moyen de croistre en sa celeste volonté..

  A018003681 

 C'est pourquoy il n'est pas requis que nous marchions tous-jours contre nos inclinations, quand elles ne sont pas mauvaises et qu'ayant esté examinees elles ont esté treuvees bonnes..

  A018003681 

 Ma chere Seur, je ne voy pas qu'il y ayt grand danger en cela, puisque vous ne voules pas suivre vos inclinations qu'elles ne soyent appreuvees; et quoy que vous cherchies des juges favorables, si est ce toutefois que, les prenant bons, sages et doctes, vous ne sçauries mal faire de suivre leurs opinions, bien que desirees par vous, pourveu qu'au reste vous proposies naifvement vos affaires et les difficultés que vous aves.

  A018003681 

 Pour moy, je pense que nous ne devons pas appeller les amertumes en nos cœurs comme fit Nostre Seigneur, car nous ne les pouvons pas gouverner comme luy; il suffit que nous les souffrions patiemment.

  A018003682 

 Mays, ma tres chere Seur, je ne voudrois pas que vous manquassiés a l'orayson, au moins de demi heure, sinon que ce fust pour des occasions violentes, ou quand l'infirmité corporelle vous tient.

  A018003683 

 Alhors donq nous parlerons a souhait de vostre conduitte et de tout ce qu'il vous plaira me proposer, sans que je m'excuse de rien, sinon quand je n'auray pas la lumiere requise pour vous respondre.

  A018003683 

 Au reste, je feray l'une des deux choses; car, ou je vous escriray avant mon depart plus au long, ou je vous iray voir au jour que j'ay marqué a ce bon et aymable porteur.

  A018003683 

 Et croyes, je vous supplie, que rien ne m'empeschera d'avoir ce dernier [contentement] que l'impossibilité, et prendray tout le loysir que vous desires; tant il est vray que je desire infiniment le vostre, et que Dieu m'a donné une tres singuliere affection pour vostre cœur, que sa divine Majesté veuille combler de benedictions.

  A018003697 

 J'ay esté grandement ayse d'avoir appris de vos nouvelles et que vous soyes en cet honneste exercice que vous faites.

  A018003697 

 Je ne vous sçaurois asseurer de mon sejour en cette ville, par ce que devant faire mon retour a la suite de Madame sœur du Roy, nostre Princesse, je seray obligé de partir quant et elle, qui partira sur la fin de ce moys, comme l'on dit.

  A018003697 

 Mays je vous diray bien que vostre pere se portoit fort bien quand je vins, et vos freres aussi.

  A018003714 

 Pour Samoen, je ne voy pas que pour le present cela se puisse.

  A018003714 

 Pour Villy, je croy que nous obtiendrons ce que nous demandons.

  A018003714 

 Pour la chatelanie de Salanche, Monsieur me l'accorda il y a long tems, et tascheray d'en faire faire les despeches, mays, a ce que j'entens, ce sera inutilement.

  A018003715 

 Et si vous voyies ce que je voy, vous ne douteries point de cette verité, ni monsieur Meynier non plus; et icy comme ailleurs, mais plus icy qu'ailleurs, il faut aller tendrement aux demandes..

  A018003715 

 Mays croyes moy, je vous supplie, que quand il y seroit, nous n'en aurions rien davantage, ni par la voye de Madame, qui ne demande rien en matiere d'affaires que ce que Monseigneur son mari luy suggere de demander; et il ne veut rien toucher, ni d'une sorte ni d'autre, a ce qui doit estre pris des mains de Son Altesse.

  A018003716 

 Mays vous sçaures mieux tout ceci bien tost, que j'auray lhonneur de vous voir, sil est vray que Monseigneur le Prince s'en aille dans 15 jours, et Madame dans 15 apres, comm'on nous dit.

  A018003734 

 Considerons que tout ce que nous avons ne nous fait estre rien plus en effect que le reste du monde, et que tout cela n'est rien devant Dieu et les Anges..

  A018003734 

 Je voy que vous abondes en commodités de la vie presente; prenes garde que vostre cœur n'y demeure point engagé.

  A018003734 

 Salomon, le plus sage des mortelz, commença son inenarrable malheur par la complaysance qu'il prit es grandeurs, ornemens et magnifiques appareilz qu'il avoit, bien que tout cela fust selon sa qualité.

  A018003735 

 C'est peu de chose de plaire a Dieu en ce qui nous plaist: la fidelité filiale requiert que nous luy voulions plaire en ce qui nous desplaist, nous remettans devant les yeux ce que le grand Filz bienaymé disoit de soy mesme: Je ne suis pas venu pour faire ma volonté, mays pour faire la volonté de Celuy qui m'a envoyé; car aussi n'estes vous pas chrestienne pour faire vostre volonté, mais pour faire la volonté de Celuy qui vous a adoptee pour estre et sa fille et son heritiere eternelle..

  A018003736 

 En cela seul nous devons prendre joye de nous estre aymés en cette vie: que le tout a esté pour la [385] gloire de sa divine Majesté et nostre salut eternel.

  A018003737 

 Ainsy soit il, ma tres chere Fille, et je vous prometz que tous les jours je renouvelleray ces sacrés souhaitz sur vostre ame, que la mienne cherira a jamais inviolablement.

  A018003745 

 Il me dit toutefois que [386] Monseigneur de la Rochefoucault vouloit assembler un conseil de conscience pour se determiner, et peut estre est ce pour cela que le P. Superieur de Saint Louys vous veut parler..

  A018003747 

 Mon Dieu, que c'est un digne Praglat! [387].

  A018003757 

 De vous dire que vous en facies de [388] mesme, je ne le feray pas; car s'il plait a Dieu, il vous l'inspirera, et je ne puis douter qu'il ne le face..

  A018003757 

 Et je dis ainsy hardiment, que Dieu a voulu estre entre nous, parce que je le sens puissamment, et ne croy pas que ce sentiment puisse venir d'ailleurs.

  A018003757 

 Il n'y aura donq plus en moy de Monsieur pour vous, ni en vous de Madame pour moy; les anciens, cordiaux et charitables noms de Pere et de Fille sont plus chrestiens, plus doux, et de plus grande force pour tesmoigner la dilection sacree que Nostre Seigneur a voulu estre entre nous.

  A018003758 

 Or sus donq, ma tres chere Fille, c'est la verité que je suis meshuy en si grande incertitude du tems de mon depart que je n'ose plus me promettre la consolation de vous revoir de mes yeux mortelz; mays si j'en ay le loysir, je le feray tres affectionnement, et si je croy que vostre cœur bienaymé en doive recevoir quelque notable utilité, je feray tout ce que je pourray pour cela..

  A018003759 

 Animes continuellement vostre courage d'humilité, et vostre humilité, c'est a dire vostre misere et le desir d'estre humble, animes les de confiance en Dieu, en sorte que vostre courage soit humble et vostre humilité courageuse..

  A018003759 

 Cependant, ma tres chere Fille, souvenes vous souvent de ce que je vous ay dit: Dieu a jetté les yeux sur vous pour se servir de vous en choses de consequence et vous tirer a une excellente sorte de vie.

  A018003760 

 Que vostre modestie soit conneuë de tous les hommes. Et s'il est possible, soyes esgale en humeur, et que toutes vos actions se ressentent de la resolution que vous aves faite d'aymer constamment l'amour de Dieu..

  A018003761 

 Ce bon porteur, que j'ayme cordialement parce qu'il est tout vostre, vous porte le livre du P. Dom Sens, General des Feüillans, ou il y a une grande et profonde doctrine spirituelle, pleine de maximes tres importantes.

  A018003761 

 S'il vous sembloit qu'il vous portast hors de la [389] sainte allegresse que je vous conseille si fort, croyes que ce n'est pas sa pretention, ains seulement de rendre serieuse et grave cette joye, comme aussi faut il qu'elle soit.

  A018003762 

 Je ne dis pas que peut estre il ne se passast quelques coulpes venielles; mais je dis qu'elle ne les pouvoit remarquer en son examen, ni moy reconnoistre en sa confession, et que partant j'avois rayson de luy faire repeter l'accusation de quelque coulpe ancienne..

  A018003762 

 Mais l'experience en ceci m'a fait voir le contraire, car j'ay veu plusieurs ames bien examinees ne dire rien que je peusse remarquer estre peché; et entre autres, l'heureuse servante de Dieu, madamoyselle Acarie.

  A018003763 

 Outre que je ne sçai pas comme il aura touché cet article, ne l'ayant pas leu en son livre, que je n'ay point veu encor, ains seulement le luy ayant ouy dire; et je parle a vostre cœur confidemment..

  A018003763 

 Vous ne dires point ceci a personne, s'il vous plait, ma tres chere Fille; car je revere si hautement ce bon Pere et tout ce qu'il dit, que je ne voudrois pas qu'il sceust qu'en ceci mesme je me retirasse de luy.

  A018003764 

 Ne vous charges pas de trop de veilles ni d'austerités (et croyés moy, ma tres chere Fille, car j'entens bien ce que je dis en ceci), mais alles au Port Royal de la vie religieuse par le chemin royal de la dilection de Dieu et du prochain, de l'humilité et de la debonnaireté..

  A018003765 

 Je ne sçay pourquoy je vous escris si largement; c'est mon cœur qui ne se lasse pas de parler au vostre, mais il faut [390] que je finisse pour entrer au bain, puisque je suis entre les mains du medecin..

  A018003765 

 Si jamais vous m'escrives des nouvelles de'vostre cœur, vous n'aves point besoin de vous signer, ni de marquer le lieu d'où vous m'escrives, ni de parler de vous, ains seulement de la fille que je vous ay recommandee.

  A018003775 

 Et d'autant qu'elle m'a prié de l'escrire a Vostre Altesse, je l'ay fait, Monseigneur; suppliant encor pour moy vostre bonté de se resouvenir que je ne suis plus icy, il y a quelques moys, que pour y attendre les commandemens qu'elle me fera au retour de M. Carron, puisqu'elle me l'a ordonné, et qu'en tout je veux vivre,.

  A018003787 

 Non que nous voulions vous donner l'importunité d'assister a la meslee des allegations qui se feront de part et d'autre, mais seulement nous souhaiterions que l'affaire se passast en lieu ou vous puissies, en un mot de vostre authorité, determiner ce qui sera jugé convenable par ceux a qui il vous plaira de donner le soin de voir le droit et le juste; autrement, Monsieur mon Filz, il ny a nul moyen de finir cette conteste, laquelle toutefois est de consequence pour le repos des ames des uns et des autres..

  A018003788 

 Et bien que je nomme ces deux lieux, ce n'est pas pour prsevenir vostre volonté, ains seulement pour tesmoigner qu'y ayant en l'un et en l'autre des gens dignes de creance, il sera peut estre plus a propos d'y faire venir des parties qui ont besoin d'estre rangees par l'advis de juges de qualité, et sur tout par vostre commandement..

  A018003788 

 Playse vous donq, je vous en supplie de rechef tres humblement, de nous faire a tous cette grace, et d'advertir les uns et les autres de vostre volonté, affin que, ce pendant, le proces cesse, et qu'ilz se præparent a venir, icy [393] ou a Digeon, au tems de vostre commodité.

  A018003806 

 Je voudrois bien, certes, avoir quelque beau bouquet du desert de nostre glorieux saint Jean pour le presenter a vostre chere ame; mais la mienne, plus sterile que le desert, n'a sceu y en treuver aujourdhuy, bien qu'en verité ell'ayt eu ce matin et ayt encor presentement un certain petit, insensible sentiment de ne vouloir plus vivre selon la nature, mais, tant qu'il se pourra, selon la foy, l'esperance et la charité chrestienne, a l'imitation de cet homme angelique qué nous voyons, dans ce profond desert, ne regarder que Dieu et soymesme.

  A018003806 

 O que bienheureux est l'esprit de celuy qui ne void que ces deux objetz, dont l'un le ravit a la dilection souveraine, et l'autre le ravale a l'abjection extreme! car, que pouvoit dire ce grand hermite, en un lieu ou il n'avoit que Dieu et luy, sinon: « Qui estes vous, Seigneur, et qui suis-je? ».

  A018003807 

 Quant a vostre treille, je pense qu'il la faut, pour le present, faire de boys, tandis que vous estes a louage, et qu'il y faut faire une porte, sans que toute la treille s'ouvre; car, quant a la Profession, le Pontifical reveu [395] et imprimé par ordre du Pape, fait sortir les filles pour venir faire le vœu; et quant a parer l'autel, on verra si on pourra continuer a faire... Je n'y voy nul inconvenient; mais il faut subir l'esprit des autres..

  A018003818 

 J'ay promis a madame Goulay de vous tenir advertie de ce que j'aurois fait en son affaire, et je tiens parole.

  A018003818 

 Je n'ay encor rien sceu apprendre distinctement de la resolution prise par messieurs du Conseil de Monseigneur le Cardinal de Retz.Je croy neanmoins que je la sçauray ce soir, ayant supplié M. de Pierrevive, son Vicaire general, de m'en esclaircir..

  A018003819 

 Mays pourtant, les Seurs de la Visitation disent qu'elles se sont apperceuës que ledit Conseil ne treuve nullement convenable qu'elles reçoivent cette bonne dame, parce que leur Monastere est tout composé de Novices, et si recent en cette ville que la reputation en est delicate, comme regardé curieusement en ce commencement, et [397] regardé de beaucoup d'espritz fort tendres; que, de plus, ledit Conseil a mis en consideration que mondit seigneur le Cardinal avoit tous-jours declairé qu'il ne souffriroit jamais qu'on y entrast, sinon pour y vouloir demeurer tout a fait: qu'en suite de cela il fut conclu qu'on ne la recevroit point pour quelque tems; mais que si elle estoit bien tendre et qu'elle voulust estre Religieuse a bon escient, on la pourroit recevoir, comme vous me dites vous [mesme, quand on] auroit bien espreuvé sa vocation, et qu'une des bonnes marques seroit qu'elle se contentast d'aller pour quelque tems en quelqu'un des monasteres de France, pour ensuite revenir icy.

  A018003819 

 Voyla en substance ce que j'en appris hier de la Mere Superieure, laquelle me nomma son autheur, bien digne de foy; mais parce qu'il n'est pas du Conseil, je m'addressay hier a M. de Pierrevive, qui, je m'asseure, me donnera plus de clarté..

  A018003820 

 Cependant, Madame, vous jugeres que si la chose est telle, je ne dois rien dire sur ces Messieurs, estans les interpretes du Prelat; et n'estant icy qu'en attente de mon depart, je dois en tout et par tout suivre leurs sentimens, outre que ce seul bruit donne tant d'apprehension a ces Seurs, que s'il est vray, je n'oserois leur persuader une reception de laquelle elles auroyent tant de degoust..

  A018003821 

 Vous mesnageres, s'il vous plait, cet advis, en attendant celuy que je vous donneray soudain que j'auray receu response de monsieur le grand Vicaire; et tenes moy, je vous en supplie,.

  A018003830 

 Et vrayement, je la reverray avant mon depart, s'il se peut, affin que la connoissant encor plus particulierement, je puisse, si Dieu en dispose ainsy, la servir plus a son souhait es occurrences..

  A018003831 

 Dites cependant a cette fille bienaymee que je vous ay tant recommandee et que j'ay tant a cœur, que je persevere a luy dire que Dieu la veut tirer a une excellente sorte de vie; dont elle doit benir cett'infinie Bonté qui l'a regardee de son œil amiable.

  A018003831 

 Mays je luy dis aussi que le chemin par lequel elle doit suivre cette vocation n'est point extraordinaire; car, ma chere Fille, c'est une douce, paysible et forte humilité, et une tres humble, forte et paysible douceur..

  A018003832 

 C'est aller avec l'Espoux crucifié que de s'abaisser, s'humilier, se mespriser soymesme jusques a la mort de toutes nos passions, et je dis jusques a la mort de la croix.

  A018003832 

 Dites luy, ma tres chere Fille, qu'elle ne doit en sorte quelcomque penser si elle sera des ames basses ou des hautes, ains qu'elle suive la voye que je luy ay marquee, [399] et qu'elle se repose en Dieu; qu'elle marche devant iceluy en simplicité et humilité; qu'elle ne regarde point ou elle va, mais avec qui elle va.

  A018003832 

 Mais, ma chere Fille, notes que je replique que cet abaissement, cett'humilité, ce mespris de soy mesme doit estre prattiqué doucement, paisiblement, constamment, et non seulement suavement, mais allegrement et joyeusement..

  A018003833 

 Et nous, que ne devons nous pas faire affin quil nous possede, quil nous manie, quil nous masche, quili nous avale et ravale, qu'il face de nous a son gré?.

  A018003833 

 Je ne treuve rien au monde dequoy nous ayons plus de possession et sur quoy nous ayons tant de domination que la viande que nous aneantissons pour nous conserver; et Nostre Seigneur est venu jusques a cet exces d'amour, que de se rendre viande pour nous.

  A018003838 

 Je pensois ne vous escrire que pour vous saluer, mais insensiblement je vous ay escrit..

  A018003856 

 Bien que je n'aye aucun autre sujet d'escrire a Vostre Altesse, si est ce que ayant prié ce gentilhomme, mon ami, et qui est grandement affectionné a la Mayson de Vostre Altesse, de luy faire la reverence de ma part, je luy donne ces quatre lignes pour gage, et en toute humilité je demeure,.

  A018003870 

 Il est encor vray que c'est une tres bonne methode d'interpreter l'Escriture sacree de conferer les passages d'icelle les uns avec les autres, et reduire le tout a l'analogie de la foy; et cela aussi l'ay-je tous-jours dit.

  A018003870 

 Il est fort vray que l'Escriture sacree contient avec beaucoup de clarté la doctrine requise pour vostre salut, et ne pensay jamais le contraire.

  A018003870 

 Mais toutefois, je ne laisse pas de croire fort asseurement et de dire constamment que, nonobstant cette admirable et amiable clarté de l'Escriture es choses necessaires a salut, l'esprit humain ne treuve pas tous-jours le vray sens d'icelle, ains peut errer, et d'effect erre tres souvent en l'intelligence des passages les plus clairs et les plus necessaires a l'establissement de la foy: tesmoins les erreurs lutheriennes et les livres calvinistes, qui, sous la conduitte des peres de la pretendue reformation, demeurent en une contention irreconciliable sur l'intelligence des paroles de l'institution de l'Eucharistie; et se vantant l'un et l'autre parti d'avoir soigneusement et fidelement examiné le sens de ces paroles par le rapport de la conference des autres passages de l'Escriture, et le tout adjusté a l'analogie de la foy, demeurent neanmoins contraires en l'intelligence des paroles de si grande importance..

  A018003871 

 Si que, qui cherche la verité de cette celeste Parole hors de l'Eglise qui en est la gardienne, ne la treuvera jamais; et qui la veut sçavoir autrement que par son ministere, en lieu de la verité, il espousera la vanité; et en lieu de la certaine clarté de la Parole sacree, il suivra les illusions de ce faux ange, qui se transfigure en ange de lumiere.

  A018003872 

 C'est donq cela que je vous dis en substance, Monsieur, qui n'est ni de loin ni de pres contraire a la doctrine des saintz Peres allegués par monsieur de Mornay au livre qu'il vous pleut m'envoyer hier au soir, et que je vous renvoye ce matin, avec remerciement et protestation que je desireray continuellement de pouvoir, par quelqu'heureuse occasion, tesmoigner,.

  A018003873 

 Monsieur, que je suis.

  A018003885 

 Je remercie tres humblement Vostre Altesse du soin qu'il luy a pleu de prendre de m'advertir du retour de monsieur Carron, et attendray cependant les commandemens qu'elle me fera pour les affaires qui regardent Monsieur le Duc de Nemours, qu'on m'asseure devoir revenir icy samedi avec Madame sa femme, que l'on dit estre grosse..

  A018003901 

 Il est meshuy tems que je vous rende comte de ces deux ou troys jours..

  A018003902 

 Aujourdhuy j'ay veu M me la Comtesse de Soyssons, qui a receu avec accueil la supplication que je luy ay faite de recevoir la petite Congregation en sa protection, et m'a dit qu'on s'addressat a elle en toutes occurrences..

  A018003902 

 Hier vous sceustes que M me la Marquise de Verneüil estoit allee aux chams.

  A018003903 

 Et ayant pensé a ce que vous me dites des habitz et de la demande qui s'en fait, j'incline qu'on la retranche; mays nous verrons.

  A018003904 

 J'ay veu vostre papier, ma tres chere Mere, et j'en parleray quand vous voudres a vostre cœur, que Dieu par sa bonté veuille combler de felicité comme le mien propre..

  A018003915 

 Ayant sceu la peine en laquelle se treuve le sieur collateral de Quoëx, detenu es prisons de Chamberi pour la somme d'environ mille ducatons, esquelz il a esté condamné par quelques uns des seigneurs senateurs et maistres des Comptes a ce deputés specialement; asseuré que [407] je suis d'ailleurs, qu'en tout ce dont il a esté chargé il n'a commis aucune faute malitieuse, ni manqué en chose quelcomque a la tres humble sujettion qu'il doit a Vostre Altesse, en laquelle et luy et tous les siens ont tous-jours vescu tres fidelement; et de plus, estant fidele tesmoin qu'en l'occasion qui se presenta en Genevoys, il y a quatre ans, et luy et son frere rendirent force bons et laborieux tesmoignages de leur zele au service de Vostre Altesse, je ne puis m'empescher de la supplier tres humblement et, si elle me permet, de la conjurer par sa propre bonté de tendre sa main secourable a cet homme de bien et d'honneur, pour le retirer de la ruine en laquelle son malheur, et non aucun forfait, le va precipiter..

  A018003916 

 Et sur tout, Monseigneur, la debonaireté et grandeur de courage de Vostre Altesse n'a jamais manqué de support pour les bons; qui me fait esperer que celuy ci en treuvera encor abondamment, et que ma tres humble supplication sera receuë aggreablement, comme conforme a la magnanimité que chacun admire en Vostre [408] Altesse, a laquelle souhaitant incessamment toute sainte prosperité,.

  A018003916 

 nulle consequence, la clemence des grans Princes, ni mesme l'equité, ne permet pas a leur justice d'user d'autre correction que de celle d'une reprehension et d'un advertissement.

  A018003931 

 Il est vray que je suis revenu tout gay, a mon advis.

  A018003931 

 Les cinq premiers jours de mon sejour a [Maubuisson] [409] je fus travaillé de foiblesse et d'inquietude; la femme de Port Royal, qui est une archimedecine, me traitta tout a fait comme il le failloit, avec de l'eau de rhubarbe que je meslay avec mon vin, qui me purgea et me restreignit insensiblement.

  A018003932 

 Si je puis, je vous iray voir cet apres disner, non toutefois pour vous entretenir, mays c'est apres avoir confessé des dames qui n'attendent que cela pour s'en aller aux chams; et je ne voy pas que passé cela je me treuve fort occupé que pour aller dire mes adieux tout bellement..

  A018003942 

 Je me suis essayé de le soulager de parole et d'accroistre la confiance qu'il a en Vostre Altesse, selon le commandement delaquelle j'arresteray ou partiray ainsy qu'il luy plaira, ne doutant point qu'elle ne face toute la consideration requise du devoir que j'ay de retourner en ma residence, soudain qu'elle jugera que mon retardement de deça ne pourra plus estre utile a son service..

  A018003942 

 La lettre que Vostre Altesse a escrit a Monsieur le Duc de Nemours a esté receue par luy trois jours avant que la copie m'ayt esté remise en main, de sorte que des-ja il m'avoit parlé sur le sujet d'icelle, non sans se douloir du retardement pour l'article qui regarde son payement, deu par le sieur Bonfilz des il y a long tems, a ce qu'il dit, et par le manquement duquel toute sa mayson et ses affaires sont extremement incommodés; dont il ne peut esperer le remede que de la [410] promesse qu'il a pleu a Vostre Altesse de luy faire, d'avoir du soin et de la bienveuillance pour luy qui, a la verité, n'est pas sans beaucoup d'inquietude parmi la necessité en laquelle il se treuvé (sic), ayant si peu de revenuz de deça, ou ses terres sont presque toutes engagees, et ne jouissant de celuy qu'il [a] en Savoye, qui est son fond principal.

  A018003957 

 Et pour cela elle a choysi entre toutes les Congregations celle de la Visitation, ou elle pretend qu'estant retiree, Dieu l'inspirera plus fortement qu'ailleurs, et que la cordiale douceur et charité dont on y fait profession servira de moyen a la divine Providence pour cet effect..

  A018003957 

 Vous recevres cette lettre, Dieu aydant, par les mains [411] de madamoyselle du [Tertre], grandement bien apparentee en cette ville, laquelle estant demeuree vefve despuis peu et s'estant resolue a ne plus rentrer dans les liens du mariage, a creu de ne pouvoir mieux conserver sa resolution que dans l'estat religieux, auquel neanmoins ne sentant pas pour encor une si forte affection qu'elle souhaiteroit pour pouvoir d'abord s'y engager, elle a nonobstant un desir si grand de s'y voir arrestee, qu'elle veut rechercher cette grace de Dieu es lieux ou elle espere qu'elle luy sera plus facilement accordee.

  A018003958 

 Et parce que jusques a present elle a esté maistresse de soy mesme, et que, pour la bien et utilement mettre au vray chemin de la vie spirituelle, il faut doucement et amoureusement et prudemment la delivrer de cette ancienne et tyrannique sujettion, pour luy imposer le gratieux joug et la douce maistrise que le Saint Esprit veut avoir sur son ame, nous avons pris cette confiance en vostre charité, que vous prendries volontier ce soin et sçauries employer les moyens convenables.

  A018003958 

 Mais je vous diray celle ci, que vous ne croiries pas si aysement de sa bouche: c'est que nous desirons grandement qu'elle soit conduitte a la vraye connoissance et prattique de la vie devote.

  A018003960 

 Je ne l'ay sceu faire jusques a present; mais si je puis, penses si je le feray de tout mon cœur, tout tel que je suis, qui ne suis ni bon demandeur ni bon defendeur.

  A018003960 

 Je vous escris a moytié malade, avec tant de distractions que je ne sçai si vous m'entendres bien; nostre Mere suppleera par la sienne..

  A018003965 

 Encor faut il que je vous die, que la retraitte de cette damoyselle en la Congregation a esté appreuvee par tout le Conseil de Monseigneur le Cardinal, luy absent, et notamment par le R. P. B[inet], bien qu'elle ayt declairé qu'elle n'avoit que le desir d'estre inspiree a demeurer en l'estat religieux; et si la Mayson d'icy n'eust esté toute en noviciat, incommodee de logis et embarrassee de tant de visites, nous l'eussions retenue tres volontier.

  A018003972 

 Les lettres sont de M. de Neufcheze, vostre neveu bien-aymé, qui me fit la faveur de se charger d'une requeste que j'avois addressee au Clergé pour M. Boucard, et a obtenu cent escus de pension annuelle.

  A018003972 

 Reste que je m'essaye de gaigner ceux qui doivent les delivrer..

  A018003973 

 Il semble que cela soit un peu accoysé maintenant; c'est pourquoy j'ay envoyé a ces bonnes dames leur dire que sur les deux heures je pourray avoir l'honneur de leur visite; et si monsieur de Meneville venoit sur les quatre heures, j'en serois bien ayse..

  A018003985 

 Ne croyes jamais, ma tres chere Fille, que la distance des lieux puisse separer les ames que Dieu a unies par les [415] liens de sa dilection.

  A018003985 

 Nous nous reverrons bien souvent aupres de nostre saint Crucifix, si nous observons bien les paroles que nous nous en sommes donné; aussi bien est ce la ou les entreveuës sont uniquement profitables..

  A018003986 

 Cependant, ma tres chere Fille, je commenceray a vous dire que vous deves fortifier par tous les moyens possibles vostre esprit contre ces vaines apprehensions qui ont accoustumé de l'agiter et tourmenter.

  A018003986 

 En un mot, je voudrois que vous fussies toute Philothee, et que vous ne fussies rien plus que cela: c'est a dire, que vous fussies comme je marque au livre de l' Introduction, qui est fait pour vous et vos semblables..

  A018003986 

 Et pour cela, reglés premierement vos exercices en telle sorte, que la longueur ne lasse point vostre ame et ne fasche point celles de ceux avec lesquelz Dieu vous fait vivre.

  A018003988 

 Vous vous deves soulager vous mesme, mesprisant toutes ces suggestions tristes et melancholiques que l'ennemi nous fait avec le seul dessein de nous lasser et tracasser..

  A018003989 

 Prenes bien garde a bien prattiquer l'humble douceur que vous deves au cher mari et a tout le monde, car c'est la vertu des vertus que Nostre Seigneur nous a tant recommandee; et s'il vous arrive d'y contrevenir, ne vous troubles point, ains, avec toute confiance, remettes vous sur pied pour marcher de rechef en paix et douceur comme auparavant..

  A018003991 

 Escrives moy quand il vous plaira en toute liberté, car je recevray tous-jours a contentement de sçavoir des nouvelles de vostre ame, que la mienne cherit parfaitement, comme en verité, ma tres chere Fille, je suis.

  A018003991 

 Reste que je vous prie de ne point vous mettre a faire des ceremonies avec moy, qui n'ay ni le loysir ni la volonté d'en faire avec vous.

  A018003991 

 Voyla, ma chere Fille, ce que, pour le present, j'ay pensé vous devoir estre dit pour vostre consolation.

  A018004051 

 Ce mot est pour vous saluer en toute humilité et nous plaindre de ce que nous n'aurons point l'honneur de vous voir selon que nous le croyions, ma sœur Barbe Marie nous assurant que vous n'allez pas à Paris, ains à Grenoble.

  A018004051 

 Nous voilà donc privée de cette incomparable consolation que nous attendions avec tant d'ardeur et d'affection: Dieu en soit béni, et nous fasse la grâce de ne jamais rien désirer que l'accomplissement de sa très sainte et adorable volonté..

  A018004052 

 Il faut avouer, mon très honoré Père, que nous sommes mortifiée tout à fait, bien que de l'autre côté nous soyons consolée d'avoir de quoi offrir à Notre-Seigneur la privation du bonheur de vous entretenir, selon que nous nous étions promis de le faire amplement, et en ayant nécessité.

  A018004053 

 Nous serons toujours contente en l'assurance que nous avons, [421] Monseigneur, d'avoir part en vos saintes prières, en qualité de celle qui est et sera éternellement,.

  A018004072 

 Nous la luy avons volontiers accordee pour le fruict que Nous esperons que ce lieu la en tirera.

  A018004113 

 C'est pourquoÿ ne l'avons point voulu laisser partir sans les presentes, par lesquelles prions tres affectueusement Vostre Seigneurie Reverendissime de l'avancer et luÿ prester toute faveur et aide, si que il soÿ (se) puisse louer avoir jouÿ de ceste nostre intercession: Nous paroffrans en toutes les occasions de nous en revancher, prians le Tout Puissant et sa saincte Mere de conserver Vostre Paternité en bonne prosperité..

  A018004113 

 Le present nostre bien aÿmé bourgeois, docte et devot Balthasar Wäber, duquel jusques a present n'avons resentÿ que toute pieté et bons comportemens, desirant recepvoir les derniers Ordres de prestrise de Vostre Reverendissime Paternité, merite d'estre recommandé.

  A018004123 

 A mon avis, l'ont ne peut du moins que de prouvoir les cures qui auront honnestement de quoy pour l'entretient d'un sr Curé, et principalement si les habitantz des lieux les requirent: comment a Grilly, Versoix, Chevry, ou les paroissiens (dis je) se plaignent de ce que ilz n'ont point de Curéz et qu'ont transporte le revenu autre part..

  A018004123 

 Or ce pendant, quand a Vernier, Matigni et Meirin, mentionnees dans les vostres, il me semble que l'ont (sic) ne pourroit affectér le revenu, soit les diesmes, de toutes troys, pour rendre bonne Sacconex, sans interesser grandement icelles paroisses, et par consequent d'autres qui demeuroient (sic) desertes; et ainsi l'ont mescontenteroit beaucoup de gens.

  A018004123 

 Pour obeir a vos commandemens de respondre aux vostres sur l'avis que vouléz avoir touchant l'establissement que vous vouléz faire de la pension du sr Curé quil vous plaira institüér de la cure de [426] Sacconex, il est certain que pour ce effect il est necessaire de chercher aillieurs des moyens pour luy donnér quelque honneste commodité pour s'entretenir; car ladicte cure d'a present ne sçauroit avoir guiere davantage de 300 a 400 florins, monoye de Geneve.

  A018004124 

 Et partant, puisqu'il vous plaict de faire un establissement general et parfaict de toutes les cures, si vous estiés de retour moyennant la grace de Dieu, vous pourriéz remettre ce qui est de Sacconex avec les autres; et ainsi, pour une bonne foys, vous vous delivreriéz de plusieurs ennuÿs que vous en recevés a l'ordinaire.

  A018004124 

 Je me crain fort que serés forcé de ce faire au plustost, et rompre cette œconomie qui mange une partie du revenu tant pour une chose que pour autre.

  A018004125 

 Ce pendant hier, a ma presence, il promit a monsieur Poncet de luy remettre et quittér ledit benefice d'icy a Noel, n'attendant autre que de recouvrer tout ce que luy est deub de sa pension, et vous en donner avis.

  A018004125 

 Monsieur Roges, de vostre part, a voulu instituer M. Poncet de la cure de Sacconex, comme vacante, lequel ne l'a osé acceptér que premierement il ne puisse veoir quelque revenu certain; ce (sic) soubmettant et remettant le tout a vostre bien heureux et desiré retour et bon plaisir.

  A018004125 

 Si vous trouvés bon que cela soit, lors monsieur Gobet, au lieu de Versoix (qui est un lieu plus important et qui requier un homme bien capable), pourroit estre institué de Sessy.

  A018004126 

 Au reste, les catholiques dudit Versoix se plaignent grandement de ce que M r Gobet ny faict aucun service, et ny a moyen qu'il y fasse, puis qu'il ne reçoit aucune commodité pour y vivre et qu'il n'y a lieu pour y celebrér.

  A018004126 

 Mais je luy ay faict entendre que, ou il entrera en payement, qu'il fasse son devoir et service en l'eglise de Souvernier, toute proche de Versoix et de l'habitation de monsieur de Cottalliod: et ainsi il consoleroit tous ces bons catholiques de part dela..

  A018004127 

 A faute que ledit sr Cottalliod ne peut obtenir de monsieur Jaquin ce qu'il vous a pleu ordonnér pour son filz, j'ay esté contrain moy-mesme de prendre ce jeune homme avec moy, pour consoler le pere et la mere qui sont fort pauvres.

  A018004127 

 Le petit filz de Montanier, l'ayant aussy gardé deux moys, est maintenant a Tonon, et son pere vous en rend un monde d'actions de graces, encores quil ne ce soit prevalu de ce que luy avéz ottroyé.

  A018004127 

 Pour toute recompence, il m'a refusé les clefz, comme aussy les robbes que vous aviéz commandé de faire pour les enfantz qui respondroient les Messes.

  A018004128 

 Pour cela, ny pour autres choses, n'ayez, Monseigneur, aulcune doubte quil en survienne aucun desordre, car je prometz a Vostre Reverendissime Seigneurie que je m'armeray d'une forte patience jusques a ce que, par vostre ordonnance, droict soit faict a un chescun.

  A018004134 

 Monseigneur, permettéz moy que je vous donne avis des empeschementz que ceux de la r. p. r. apportent aux catholiques en plusieurs lieux du Balliage: comme a Divonne, les habitans du lieu n'ont jamais permis qu'aucun catholique si soit retiré; des particuliers y ont battus et blessés monsieur le Curé, l'ayant aggressé sur le chemin pour le vouloir tüer.

  A018004136 

 Jaçoit que la dicte fille fit tous les refus de les accepter, de peur de desobeir a M r sondit oncle, les reçoit neantmoins; mais, par la volonté de Dieu, au lieu de les manger elle les jette au feu pour les cuire, au moins une partie.

  A018004136 

 Que peut lon pensér quil fut arrivé a ceste creature si elle en eust mangé? Enfin, si Dieu ne nous avoit en sa ste protection, jamdudum consumpti essemus..

  A018004136 

 Voicy que ces pommes estant chaudes, qu'elles sautent toutes hors du feu, les unes en haut, les autres par la chambre, avec du bruit.

  A018004146 

 Je ne pouvoy entendre une nouvelle plus aggreable que celle que monsieur de Medio a donné à Monseigneur le R me de vostre voiage de Paris, avec Monseigneur le Prince Cardinal, vous voiant regardé sur le theatre de ce grand monde de deçà comme l'instrument plus considerable pour conduire à heureuse fin l'alliance d'un si illustre et si vertueux Prince, avec une si grande Princesse que Madame de France; y aiant pour associé monsieur le premier President, à qui l'envie eust volontiers ravy cet honneur, si son merite ne le luy eust conservé..

  A018004147 

 Car je ne doubte point quil n'en faille venir là, recognoissant ledit sr Abbé si passionné, quil ne se contentera point de m'avoir contrainct de le diffamer par ma fuitte [430] en tous les lieux que je me suis refugié, mais se voudra diffamer luy mesme a Paris par les difficultés quil y apportera, si vostre respect, auquel je m'asseure quil deferera, ne le retient.

  A018004147 

 Et comme, Monseigneur, vous m'avez tousjours favorisé de lhonneur de vostre amitié, c'est en l'occasion de ceste commune resjouissance que je desire d'en ressentir principalement les effects, sur l'asseurance que j'ay que le tort que monsieur de la Mente m'a fait luy estant representé par vous, Monseigneur, vostre respect adoucira sa passion et le fera rougir en son ame de la perfidie premierement, et despuis de l'impie cruauté avec laquelle il s'emporte en mon endroict, en recompense de mon affection, delaquelle monsieur le Presidant peut estre tesmoing.

  A018004147 

 Je croy que Monseigneur le R me, qui va recherchant fort curieusement touttes les occasions de m'obliger, ne perdra aussi ceste cy de se joindre a vous, Monseigneur, pour un œuvre si charitable, et quil y contribuera fort volontiers tout son credit, quoyque touttesfois le vostre seul peut suffire pour le faire reussir.

  A018004147 

 Que si peut estre il desiroit que je luy fisse une declaration semblable a celle quil m'a fait presenter autresfois, je vous supplie, Monseigneur, de luy enlever toutte esperance, puisque aussi il se doibt resouvenir que j'ay mieux aimé m'exposer a l'hazard d'un rigoureux arrest, que de me faire ce prejudice de me charger contre la verité du faict..

  A018004148 

 Je confesse, Monseigneur, que je ne merite une faveur si signalée, n'aiant jamais eu lhonneur de vous servir.

  A018004148 

 Mais aussi, ce sera un œuvre digne d'un grand Prelat comme vous estez, de prendre en main la cause d'un vostre tres humble serviteur que l'impieté a opprimé, et duquel vous ne recevrez pas moins de gloire devant les hommes que devant Dieu, que je prie de tout mon cœur de me faire la grace que je puisse un jour vous randre preuve certeine de l'affection avec laquelle je me recognoy,.

  A018004153 

 Monsieur de la Mente se doit contenter que je porte la peyne quil meritoit luy mesme, par l'oppression quil m'a fait en justice et vers S. A., laquelle luy serrera la porte du Ciel sil ne me donne la satisfaction quil doibt.

  A018004153 

 Que sil a esté exceder (sic), il le doibt rapporter a sa perfidie et a son imprudence, car sil se fust bien informé de moy, il heust sceu que je n'estoy pas si lasche que de souffrir une si grande injure sans en faire demonstration et ressentiment..

  A018004163 

 Déjà, il semble que Notre-Seigneur ait dit à notre Grenoble ce trait de David: Inimicos ejus induam confusione; super ipsum autem efflorebit sanctificatio mea.

  A018004163 

 Si le Ciel, pour un comble de faveurs, nous faisait la grâce de vous ouïr encore un Carême, je pense que Grenoble serait du tout inondé de bénédictions célestes.

  A018004163 

 Véritablement, Monseigneur, vos saints discours ont vêtu nos ennemis de confusion; car, combien d'âmes avez-vous tirées d'entre les dents cruelles de ce lion rugissant! Vous l'avez spolié de sa conquête, nous en sentons tous les jours les effets; et, si j'ose ajouter ma pensée, je dirai que la sanctification de Dieu fleurit sur Grenoble, par le moyen de vos très chères Filles, nos Sœurs de la Visitation.

  A018004164 

 Pour moi, je vous confesse, mon très honoré Père et Seigneur, que j'estime pour l'une des rares faveurs du Ciel que j'aie jamais reçues, celle d'estre vostre fils et le petit frère de la Visitation, où votre esprit règne, ce me semble, en sa plénitude; et je demande continuellement à Dieu la grâce de pouvoir bien concevoir cet esprit et le réduire à mon usage..

  A018004165 

 Et moi aussi sans doute, mon très honoré Seigneur, en la longueur de ce discours: mais l'amour de fils me fait oublier le respect de disciple, et mon bonheur me fait croire que vous ne me denierez jamais la qualité de.

  A018004165 

 Mais, vrai Dieu, Monseigneur, cette fille de votre cœur est bien fournie de votre [432] patience, douceur et discrétion, qu'à peine le bonhomme peut-il uger que par lui-même il se rend trop importun.

  A018004165 

 Tout va avec grande bénédiction; il n'y a que notre bon monsieur d'Ulme qui, par une jalousie spirituelle, voulant être tout à la Visitation, il veut la Visitation trop à lui, ce qui lui donne trop peu de repos et à notre bonne Mère trop d'exercices.

  A018004181 

 J'ay infiniment à me plaindre à V. A. que nonobstant toutte poursuite que j'aye sceu faire, presenté les lettres de V. A. à Messieurs du Senat, leur commandant de n'octroyer plus aucun dellay au presidan Crespin sur l'assassinat qui m'a esté faict y a deux moys, ayns de veulloyr le juger prontemant; neantmoings, au prejudice de mon honneur et de ma reputation, et de la justice qu'ils doyvent à un chasqun, ils vont prolongant le jugemant, ayant de nouveau octroyé un prolong de troys semaynes pour ce (sic) representer; encore qu'an mespris de la justice, un chasqun croye qu'il ne soyt jamais parti de ce lieu, estan porté d'une partie de ses (sic) Messieurs du Senat ausquels il est apparanté.

  A018004181 

 Qui me faict supplier tres humblement V. A. me faire la faveur de m'octroyer les patantes et lettres a cachet necessaires pour en avoyr ma rayson, suyvan la tres humble priere que luy en fera le Conte de Verzolo de ma part; auquel me remettant, je me diray à jamays, Monseigneur, de V. A.,.

  A018004211 

 A tous qu'il appartiendra, sçavoir faisons que sur la remonstrance que Nous a esté faicte de la part des Reverendes Dames Religieuses de la Visitation de Nostre ville d'Annessy, contenant que pour avoir moyen de vivre et s'entretenir en ycelle, soubs les regles establies par nostre Sainct Pere le Pape, elles ont besoing d'avoir des revenus asseurés et proches de la dicte ville; et estant informées que M r Anthoine de Boege, dict de Conflens, tient de Nous, soubs grace de reachept perpetuel, les moulins assis dans Nostre dicte ville d'Annessy, soubs la riviere de Thiouz, proche l'eglise Saincte Claire, qu'elles ne peuvent commodement avoir sinon qu'il Nous plaise leur permettre d'entrer en Nostre lieu et place; Nous inclinant volontairement a leur priere, appres avoir ouy les gents de Nostre Conseil pres Nostre personne, et desirant de tout Nostre pouvoir l'accroissement et augmentation du culte divin, et preferant la gloire et honneur de Dieu a l'interest particulier des droicts de Nostre domeyne:.

  A018004226 

 Exposent en toute humilité les Reverendes Dames Religieuses de la Congregation par elles erigée dans Vostre Ville et cité d'Annessy, soubs le tiltre de la Visitation de Nostre Dame, Vous (sic) tres humbles Oratrices: comme pour vivre plus commodement dans leur dicte Congregation du peu de revenu que chescune d'elles y raporte, et mieux vacquer au service pour lequel elles se sont sequestrées tout a faict du monde, elles auroient besoing de quelque fond proche de la dicte ville, que leur raportast du bled pour leur provision.

  A018004227 

 Ce que mondict Seigneur de Nemours leur auroit accordé facilement, par Patentes données a Paris le vingt-huictiesme octobre dernier, cy joinctes, avec la verification qu'en a faict Vostre Chambre des Comptes de Genevois, et le contract de cession de droicts qu'en a passé noble Anthoine de Boege.

  A018004228 

 Que les faict recourir a la bonté, clemence et pieté accoustumée de Vostre dicte Altesse, a ce qu'il luy plaise ratiffier, confirmer et approuver tout le contenu au dict contract, et ordonner qu'elles jouyront du fruict et benefice d'yceluy jusques a ce qu'elles soient remboursées du prix porté par le dict contract, et despence qu'elles ce trouveront avoir faicte aux bastiments et artifices nouveaux qu'elles pretendent faire au lieu ou sont situés les dicts moulins, conformement aux Patentes sus designées et verification d'ycelles..

  A018004229 

 Et a ces fins, plaira a Vostre Altesse Serenissime enjoindre a sa dicte Chambre des Comptes de Savoye, de verifier les Patentes que leur seront expediées pour le faict que dessus, sans aulcune difficulté et sans aulcung esmolument, en derogeant pour ce regard, entant que de besoing, a tous edicts a ce contraires: affin que les dictes Dames puissent jouyr plus seurement et paisiblement de la commodité des dicts moulins, et faire leurs fonctions avec plus de tranquillité d'esprit au service de Dieu, qu'elles prient incessamment pour la prosperité de Vostre Altesse, conservation et accroissement de ses Estats et de Nous (sic) Seigneurs les Princes Ser mes, qu'il veillie combler de ses graces et benedictions..


19-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XIX-Vol.9-Lettres.html
  A019000022 

 — Ce que Dieu unit est inséparable 24.

  A019000027 

 Intime union que l'éloignement resserre de plus en plus.

  A019000029 

 Modérer son travail «a mesure que le tems amoindrit les forces.».

  A019000031 

 — Un métier plus difficile que celui de reprendre.

  A019000032 

 — De quoi on blâme la Mère Anne-Marie Rosset; conseils que lui a donnés le saint Fondateur.

  A019000041 

 — Un enseignement de saint Paul que l'Evêque de Genève veut mettre en pratique.

  A019000043 

 — Une «avette parmi les toiles des araignees.» — Ce que souhaite le Saint à sa correspondante, au souvenir de leurs adieux.

  A019000044 

 — Les richesses que nous amassons ici-bas.

  A019000058 

 Que faut-il pour devenir une vraie fille de la Visitation? 62.

  A019000066 

 — Mieux vaut avoir mille écus par une voie de douceur que douze cents en disputant.

  A019000069 

 Les solitaires que Dieu n'aime pas et avec lesquels il ne veut point d'union.

  A019000075 

 Mesure de réputation que l'Evêque de Genève ambitionne.

  A019000079 

 — Ce que François de Sales apprit à la cour.

  A019000086 

 — «Trois vertus colombines que Jesus Christ recherche en ses amantes.» — Surcharge de correspondance. 86.

  A019000091 

 — Ce que fait la vieillesse dans le cœur et dans l'âme du Saint.

  A019000097 

 — Ce que la princesse a dû voir dans le cœur de François de Sales et dans celui de son frère.

  A019000098 

 Voyage très assuré que celui-ci recommande à leurs prières. 99.

  A019000121 

 — Bien que les Sœurs ne récitent que le petit Office, il est bon de maintenir le rang des Associées.

  A019000121 

 — Rester indifférente sur le choix que font les postulantes d'une Maison ou d'une autre.

  A019000124 

 — Le seul souci que nous devons avoir.

  A019000128 

 — Douce violence que le Saint doit faire à sa fille spirituelle.

  A019000128 

 — Que fera la destinataire de sa liberté? — Impossibilité de demeurer en l'état où elle est.

  A019000133 

 Une supplication que la destinataire est priée d'appuyer.

  A019000136 

 — Les procès, «tres mauvaise occupation.» — Etre pauvre plutôt que de s'enrichir par cette voie. 136.

  A019000145 

 — «Loup par nature, mais brebis par grace.» — Deux lettres que la Mère de Chantal pourra confronter plus tard.

  A019000148 

 — Que faire après une chute.

  A019000148 

 — Un charmant filleul de François de Sales; ce que son parrain en attend. 152.

  A019000157 

 Un témoignage que la destinataire doit rendre en faveur de la vérité.

  A019000158 

 — Silence discret du Saint sur un «advis de conscience.» — L'abjection que la Mère de Bréchard devra porter en patience. 163.

  A019000163 

 — Ce que va faire D. Juste en Piémont.

  A019000166 

 — Réponse que lui fit François de Sales.

  A019000168 

 — Néant de ce que l'on quitte pour le Seigneur, valeur immense de ce que l'on trouve.

  A019000174 

 — Dieu ne veut être aimé que totalement.

  A019000176 

 — Réponses que François de Sales pense faire de vive voix.

  A019000183 

 — Que devrait faire le prince pour aider à cette bonne œuvre.

  A019000202 

 — Quelqu'un que le Saint voudrait servir de son propre sang.

  A019000205 

 Les matériaux des bâtiments célestes «au quartier des hommes.» — Ce que les Anges pourraient nous envier.

  A019000211 

 — Comment tenir unies les Maisons du nouvel Institut? — A défaut d'un hôtel «asses beau,» il faut se contenter d'un «trop beau.» — Démarches que doit faire à Rome M me de Port-Royal pour obtenir de passer de son Ordre dans celui de la Visitation 217.

  A019000243 

 Mays Dieu l'assistera et la tiendra de sa main, ainsy que j'en supplie sa souveraine Bonté, que je ne cesseray jamais non plus de vous souhaiter propice et secourable, ma tres chere Fille, demeurant a jamais.

  A019000253 

 Dieu soit beni, ma tres chere Fille, de la tressainte bonté qu'il exerce envers vostre cœur, que le mien, en verité, cherit, ce me semble, tout incomparablement et vrayement comme soy mesme..

  A019000254 

 Au premier point, je dis que vous fassies donq cette confession; au second, que vous vous y preparies par maniere d'une amoureuse humilité; au troysiesme, si vous voules faire quelques marques sur le papier, que je l'appreuverois, mais sans anxieté; au quatriesme, que cela se face en un jour, c'est a dire en troys ou quatre heures d'un jour, car cela suffit; au cinquiesme, que vous changees de motif, car je vous connois, a mon advis, fort entierement.

  A019000254 

 Il ne faut point d'autre preparation qu'une humble, mays [2] noble et courageuse confirmation des mouvemens, resolutions et propositions que nos exercices ont excité en nostre esprit..

  A019000255 

 Je ne suis ni gueri, ni malade; mais je pense que bien tost je seray tout a fait le premier.

  A019000255 

 O mon Dieu, ma tres chere Fille, il faut laisser nostre vie et tout ce que nous sommes a la pure disposition de la divine Providence; car en somme, nous ne sommes plus a nous mesmes, ains a Celuy qui, pour nous rendre siens, a voulu d'une façon si amoureuse estre tout a fait nostre..

  A019000256 

 J'attens response de Monseigneur le [Prince de Piémont], et j'espere que ce sera pour mon retour, auquel mon ame me presse grandement a cause de mon devoir; et ne puis m'imaginer que ni retour, ni chose quelcomque me puisse jamais separer de vous: non, ni mesme la mort, puisque nostre union est en Celuy qui ne meurt plus.

  A019000256 

 Mais tous-jours je vous iray voir, ou avec N. ou seul; car il faut que je le face..

  A019000267 

 Je me blasmerois moy mesme, ma tres chere Fille, si je laissois partir cette chere seur sans luy donner, en ces trois lignes, ce foible mais asseuré tesmoignage de la souvenance que j'ay de vous et de vostre cœur que je cheris parfaitement, avec mille desirs qu'il se perfectionne de plus en plus en douceur et humilité, affin quil vive tout selon le cœur de Nostre Seigneur, auquel je le recommande incessamment, et tout ce qui vous est plus aymable, demeurant a jamais et invariablement,.

  A019000281 

 Non, ne dites pas encor l'Office, mais si vous pouves bien descendre pour la Messe, je le veux bien; et tenes vous assise le plus que vous pourres, et en lieu ou ce grand vent qui tire dans le chœur ne vous frappe point..

  A019000282 

 Je me prepare pour le sermon, avec beaucoup de desir, non toutefois sans defiance, de bien rendre ce devoir a ce grand Saint, bien que je veuille que ce soit luy mesme qui face le sermon, toutes les conceptions d'iceluy estant tirees de luy mesme..

  A019000283 

 Elle m'asseura que les Seurs Carmelites l'aymoyent et cherissoyent grandement, et ne l'ont rejettee pour autre occasion que pour son incommodité corporelle.

  A019000283 

 Hier, madame la Presidente Amelot m'amena madamoyselle du Plessis, niece de M. de Marillac, et me pria que j'intercedasse pour elle affin que l'on peust avoir resolution demain.

  A019000283 

 Il me semble que ce soit une bonne fille; et si, je metz en quelque consideration qu'elle est de bon lieu et bien apparentee.

  A019000283 

 Madame Amelot est si vertueuse que, comme je croy, elle parle sincerement des qualités de la fille..

  A019000289 

 Ayant sceu vostre affliction, ma tres chere Fille, mon ame en a esté touchee de la mesure de l'amour cordial que Dieu m'a donné pour vous; car je vous voy, ce me semble, grandement assaillie de desplaysir, comme une mere qui est separee de son filz unique, et certes bien aymable.

  A019000289 

 C'est pourquoy vous deves mitiger et adoucir tant qu'il vous sera [6] possible, par la rayson, la douleur que la nature vous donne..

  A019000289 

 Je ne doute pas pourtant que vous ne pensies bien et soyes tres asseuree que cette separation ne soit pas de longue duree, puisque tous nous allons a grans pas ou ce filz se retreuve: entre les bras, comme nous devons esperer, de la misericorde de Dieu.

  A019000290 

 Il y a si long tems que vous aves desiré de servir Dieu et que vous estes apprise a l'eschole de la croix, que non seulement vous acceptes celle ci patiemment, mais, je m'asseure, doucement et amoureusement, en consideration de Celuy qui porta la sienne et fut porté sur la sienne jusques a la mort, et de Celle qui n'ayant qu'un filz, mais filz d'amour incomparable, le vit mourir sur la croix, avec des yeux pleins de larmes et un cœur plein de douleur, mais de douleur douce et suave, en faveur de vostre salut et de celuy de tout le monde..

  A019000291 

 En fin, ma tres chere Fille, vous voyla despouillee et desnuee du vestement le plus pretieux que vous eussies.

  A019000291 

 Pour moy, j'ay des-ja prié Dieu pour ce defunt, et continueray selon le grand devoir que j'ay a vostre ame, laquelle je prie la bonté eternelle de Nostre Seigneur vouloir remplir de benedictions; et suis sans reserve tout vostre, ma tres chere Fille, et.

  A019000301 

 Je vous escriray sur ce sujet mes pensees avant que je parte..

  A019000301 

 Si faut il, ma tres chere Fille, que je vous die que nous sommes arrivés icy joyeusement.

  A019000312 

 L' Introduction a la Vie devote ayant esté faite pour des ames de vostre condition, je vous supplie de la lire [9] et observer au plus pres que vous pourres; car elle vous fournira presque tous les advis qui vous sont necessaires.

  A019000312 

 Seulement j'adjouste en particulier, que vous deves apprendre a faire vos exercices courtz, d'autant que vous n'aves pas tous-jours le loysir requis pour vous dilater en iceux..

  A019000313 

 Ayes un grand soin d'estre attentive en toutes vos prieres et de tenir vostre cors en reverence devant Dieu, en sorte que le prochain voye que c'est a la divine Majesté que vous parles..

  A019000315 

 Cette eternité sainte qui nous attend soit vostre consolation, et d'estre chrestienne, fille de Jesus Christ, regeneree en son sang, car en cela seul gist nostre gloire: que ce divin Sauveur est mort pour nous..

  A019000315 

 Peu nous importe que nous ayons icy des commodités ou incommodités, pourveu qu'a toute eternité nous soyons bienheureux.

  A019000316 

 Au reste, bien que je m'en aille sans esperance apparente de jamais vous revoir en terre, la dilection que Dieu m'a donné pour vostre ame ne recevra aucune diminution, ains demeurera ferme, stable et invariable; et ne cesseray jamais de souhaiter que vous vivies saintement en ce monde et tres heureusement en l'autre.

  A019000329 

 A Dieu soyes vous a jamais en cette vie mortelle, le servant fidellement entre les peines que l'on y a de porter la croix en sa suite, et en la vie eternelle, le benissant eternellement avec toute la Cour celeste..

  A019000330 

 Qui n'est qu'a Dieu il veut bien que chacun sache qu'il le veut servir et [11] se veut essayer de faire les exercices convenables pour demeurer uni a iceluy..

  A019000330 

 Qui n'est qu'a Dieu ne cherche que luy; et parce qu'il n'est pas moins en la tribulation qu'en la prosperité, on demeure en paix parmi les adversités.

  A019000331 

 Quelle benediction plus grande vous puis-je souhaiter? Ainsy donq, par ce souhait que je feray incessamment sur vostre ame, ma tres chere Fille, je vous dis a Dieu; et vous priant de me recommander souvent a sa misericorde, je demeure.

  A019000331 

 Soyes donq toute a Dieu, ma tres chere Fille, et ne soyes qu'a luy, ne desirant que de luy plaire, et a ses creatures en luy, selon luy et pour luy.

  A019000342 

 Despuis que j'ay veu vostre cœur je l'ay aymé et le recommande a Dieu de tout le mien, et vous conjure d'en avoir soin.

  A019000342 

 Je ne dis pas: Tenes le en paix; mais je dis: Tasches de le faire; que ce soit vostre principal souci, et gardes bien de prendre occasion de vous troubler dequoy vous ne pouves si soudainement accoyser la varieté des sentimens de vos humeurs.

  A019000343 

 C'est le signe evident de la perfection de vouloir estre corrigee; car c'est le principal fruit de l'humilité, qui nous fait connoistre que nous en avons besoin..

  A019000343 

 Sçaves vous que c'est que le Monastere? C'est l'academie de la correction exacte, ou chaque ame doit apprendre a se laisser traitter, raboter et polir, affin qu'estant bien lissee et explanee, elle puisse estre jointe, unie et collee plus justement a la volonté de Dieu.

  A019000344 

 O ma Fille, soyes bien cela, et ne tenes conte de tout ce que l'amour propre vous dira au contraire; mays prenes doucement, amiablement et amoureusement cette resolution: Ou mourir, ou guerir; et puisque je ne veux pas mourir spirituellement, je veux guerir; et pour guerir, je veux souffrir la cure et la correction, et supplier les medecins de ne point espargner ce que je dois souffrir pour guerir..

  A019000345 

 Au reste, ma chere Fille, on me dit que vous craignes les espritz.

  A019000345 

 Cette asseurance s'acquerra petit a petit, a mesure que la grace [13] de Dieu croistra en vous; car la grace engendre la confiance, et la confiance n'est point confondue..

  A019000345 

 Vous estes dessous ses aisles comme un petit poussin, que craignes vous? J'ay, estant jeune, esté touché de cette fantasie, et pour m'en desfaire, je me forçois petit a petit d'aller seul, le cœur armé de la confiance en Dieu, es lieux ou mon imagination me menaçoit de la crainte; et en fin je me suis tellement affermi que les tenebres et la solitude de la nuit me sont a delices, a cause de cette toute presence de Dieu de laquelle on jouit plus a souhait en cette solitude.

  A019000356 

 O qu'il soit loué, ce grand Dieu eternel, pour les misericordes qu'il exerce envers nous! Vostre consolation console mon cœur, qui est si fort uni avec le vostre, que rien ne sera jamais receu en l'un que l'autre n'y ayt sa part, ains le tout, puisqu'en verité ilz sont en communauté, ce me semble, parfaite; et qu'il me soit loysible d'user du langage de la primitive Eglise, un cœur et une ame..

  A019000358 

 J'espere que Dieu vous fortifiera de plus en plus; et a la pensee, ou plustost tentation, de tristesse sur la crainte que vostre ferveur et attention presente ne durera pas, respondes une fois pour toutes, que ceux qui se confient en Dieu ne seront jamais confondus, et que, tant selon l'esprit que selon le cors et le temporel, vous aves jetté vostre soin sur le Seigneur, et il vous nourrira.

  A019000358 

 Si sa Bonté eust pensé, ou pour mieux dire conneu que vous eussies besoin d'une assistance plus presente que celle que je vous puis rendre de si loin, il vous en eust donné, et vous en donnera tous-jours, quand il sera requis de suppleer au manquement de la mienne.

  A019000359 

 J'espere que j'entendray bien ce que vous me dires de vostre orayson, en laquelle pourtant je ne desire pas que vous soyes curieuse de regarder vostre procedé et façon de faire; car il suffit que tout bonnement vous m'en fassies sçavoir les mutations plus remarquables, selon que vous en aves souvenance apres l'avoir faite.

  A019000359 

 Je treuve bon que vous escrivies, selon les occurrences, pour m'envoyer par apres selon que vous estimeres estre convenable, sans crainte de m'ennuyer; car vous ne m'ennuyeres jamais..

  A019000362 

 J'eusse voulu que vous ne vous fussies pas raillee et mocquee de ces gens la, mais qu'avec une modeste simplicité vous les eussies edifiés par la compassion dont ilz sont dignes, selon que Nostre Seigneur nous a enseigné en sa Passion.

  A019000362 

 Neanmoins, Dieu soit beni dequoy encor la [16] chose est ainsy passee, avec tant d'édification des autres prochains, selon que le bon M. du V[al] escrit..

  A019000362 

 Pour la seconde lettre: Ne falloit il pas que vous fussies espreuvee en ce commencement de plus grande pretention? Or sus, il n'y a rien en cela que des traitz de la providence de Dieu, qui a abandonné cette pauvre creature affin de faire que ses pechés soyent plus fortement chastiés, et que par ce moyen elle revienne a soy et a Dieu, duquel il y a si long tems qu'elle s'est departie.

  A019000363 

 Ma chere Fille, je vous dis adieu, et conjure vostre cœur de croire que jamais le mien ne se separera de luy: il est impossible; ce que Dieu unit est inseparable.

  A019000365 

 Je pars un peu plus a la haste, parce que la Reyne desire que je luy face la reverence avant mon retour..

  A019000374 

 Ce que Dieu a uni en sang et en sentiment est inseparable tandis que ce mesme Dieu regne en nous; et il y regnera eternellement..

  A019000374 

 Que cela vous est salutaire de vous tenir ainsy l'une a l'autre! Cett'union des ames est comme l'unguent praetieux qu'on respandit sur le grand Aaron, ainsy que dit le Roy Psalmiste, auquel on mesloit tellement plusieurs liqueurs odorantes, que toutes ne faysoyent qu'une senteur et une suavité.

  A019000375 

 Que vos maysons soyent toutes remplies de douceur, de paix, de concorde, d'humilité, de pieté par vostre conversation; et croyes, je vous supplie, que la distance des lieux ni du tems ne m'osteront jamais cette tendre et forte affection que Nostre Seigneur m'a donné pour vos ames, que la mienne cherit tres parfaitement et invariablement..

  A019000375 

 Quel meilleur souhait puis-je faire pour vous? Soyes comme des avettes spirituelles qui ne portent que miel et cire dans leurs ruches.

  A019000376 

 Et par ce que la diversité de vos conditions peut requerir que quelquefois je vous escrive differemment, non [18] obstant l'unité de vostre dessein, je le feray un'autre fois; mais pour le present je me contenteray de vous dire et conjurer de le bien croire sans haesiter, mes tres cheres Filles, que je suis.

  A019000391 

 Je luy porte envie, et si j'estois aussi gaillard que luy pour courir la poste, je ne sçai si je ne ferois point comme luy..

  A019000392 

 Je ne vous escriray guere, car je n'en puis plus du grand tracas que nous avons fait.

  A019000392 

 Seulement je vous supplie de faire tenir les lettres ci jointes ou elles s'addressent, et de joindre a celle de madame Godeau une copie [19] de l'Exercice; car je n'en ay sceu faire aucune pendant le chemin, que j'ay eu asses a faire a escrire toutes ces lettres que pour bonne consideration j'ay voulu faire..

  A019000393 

 Nous partons samedi et allons droit a Bourges, puis a Moulins, de sorte que nous verrons toutes nos Seurs..

  A019000394 

 Quelle difference, ma tres chere Mere, entre cette assemblee de divers pretendans (car la cour est cela et n'est que cela), et l'assemblee des ames religieuses qui n'ont point de pretention qu'au Ciel! Oh! si nous sçavions en quoy consiste le vray bien!.

  A019000395 

 Je salue nos Seurs, et suis vostre de la façon que Dieu sçait..

  A019000395 

 Or sus, je vous escriray de Bourges, et de Moulins, et de Rouanne, et de Lyon, et tous-jours, Dieu aydant, que je me porte bien.

  A019000404 

 Ce sera, Dieu aydant, demain; mais en attendant, faut-il pas que mon cœur salue le vostre?.

  A019000404 

 Le second jour se passe, ma tres chere Fille, des mon arrivee en ce lieu, et je n'ay encor sceu voir monsieur d'Andilly, quoy que je l'aye desiré.

  A019000405 

 Je sceu a mon depart de Paris que vous esties rentree dans Maubuisson avec vostre petite chere troupe, mays je n'ay peu sçavoir si vous avies treuvé vos papiers, vos meubles de devotion et vostre argenterie sacree; car celle qui s'est elle mesme desrobee a Dieu, pourquoy ne desroberoit-elle pas toute autre chose?.

  A019000406 

 O Dieu, que c'est bien autre chose de voir un train d'avettes qui toutes concurrent a fournir une ruche de miel, et un amas de guespes qui sont acharnees sur un cors mort, pour parler honnestement..

  A019000406 

 Or sus ma tres chere Fille, parmi toutes ces grandeurs [21] de la cour (ou il faut que je vous die que je suis fort caressé), je n'estime rien tant que nostre condition ecclesiastique.

  A019000407 

 Je vous escriray avant mon départ de ce lieu, apres que j'auray veu ce cher frere; et croyes moy, ma tres chere Fille, mon ame se console a vous escrire, tant il est vray que Dieu veut que mon ame regarde la vostre, la cherisse et soit parfaitement vostre.

  A019000409 

 J'ay veu le bon M. de Bonneuil qui jubile de sçavoir que sa chere fille veuille aymer Dieu.

  A019000419 

 Je ne desirois pas moins de vous voir que je faysois de voir les deux cheres Seurs que j'ay maintenant veües, [23] l'une a Paris au petit Couvent, l'autre icy.

  A019000419 

 Mays il n'a pas pleu a Nostre Seigneur qu'aucune occasion se soit presentee d'aller du costé d'Amiens pendant mon sejour en ces quartiers, d'où partant tout presentement pour me retirer en mon diocsese, duquel je n'ay esté que trop absent, je vay en esprit aupres de vous, et vous envoye ce billet qui vous dira de ma part que toute ma vie j'ay cheri vostre ame de tout mon cœur, et me suis consolé de sçavoir que la divine Majesté vous avoit retiree a son service en une si [sainte] vocation comm'est celle [24] en laquelle vous vivés, et que j'honnore parfaitement, et en laquelle je prie Dieu, et ne cesseray point, que vous perseveries heureusement, faysant des continuelz progres en.......................................

  A019000420 

 Et par ce que je n'[ai point oublié que] vous l'estes aussi fort particulierement, je ne vous appelleray plus ma Seur, [ains ma Fille,] en toutes les occasions qui se presenteront desormais..

  A019000434 

 A mesure que je m'esloigne de vous, ma tres chere Fille, selon les lieux, je me sens interieurement de plus [25] en plus joint et uni a vostre cœur selon l'esprit; et connois bien par la que c'est le bon playsir de Dieu que nous ayons ce sentiment de veritable et sincere dilection..

  A019000435 

 J'ay veu en fin monsieur vostre frere, que je proteste d'estre l'un des aymables personnages que j'aye veu jamais, pour la bonté et pieté de cœur que Dieu luy a donnee.

  A019000435 

 Le jour precedent il avoit eu l'advis du depart de son pauvre petit François, et neanmoins son esprit estoit en une tranquillité parfaite, et avec un certain repos en la volonté de Dieu, qu'autre que Dieu mesme ne pouvoit luy avoir donné..

  A019000436 

 A peu que je ne luy aye dit les paroles de cet ancien Prophete: Et comment, Seigneur, vous affliges donq encor ces filles, qui pour l'amour de vous m'ont repeu et nourri? Mays non, ma Fille toute tres chere, j'ayme mieux, avec l'autre Prophete, dire: ]e suis muet sous vos verges, et n'ouvre nullement ma bouche, car c'est vous qui faites cela.

  A019000436 

 En somme, il sera tous-jours vray que ceux qui pretendent d'avoir part avec Jesus glorifié doivent premierement avoir part avec Jesus crucifié..

  A019000438 

 Je suis ce que ce mesme Dieu veut et sçait que je suis pour vous, et je ne le sçaurois mieux dire qu'ainsy.

  A019000438 

 Je vous escriray a toutes rencontres, estimant qu'en contentant mon ame en cela, je feray selon le gré de la [26] vostre, que je prie Nostre Seigneur de rendre toute sainte.

  A019000448 

 Comme pourroit on serrer sur sa poitrine Nostre Seigneur crucifié, sans que les cloux et les espines qui le transpercent ne nous percent?.

  A019000448 

 Que vous diray-je, ma Fille, vous voyant parmi ces amertumes? Oh! courage, je vous prie; l'Espoux que vous aves choisi des que vous estes separee de celuy qu'on vous avoit choysi, est un faisceau de myrrhe: quicomque l'ayme ne peut n'aymer pas l'amertume; et ceux [27] qu'il favorise de son plus estroit amour sont tous-jours piqués de tribulations.

  A019000449 

 O le brave et bon frere que vous aves icy! Helas! le depart de son pauvre petit François ne l'a touché que comme un pere qui voit partir son filz de sa mayson et s'esloigner de luy pour approcher un grand Roy et aller recevoir ses faveurs.

  A019000450 

 Et moy, ma tres chere Fille, j'espere que Dieu ayant receu en sacrifice de suavité l'acquiescement de ce pere et le vostre, et celuy du grand pere et de la grand mere, et des tantes, il ne permettra pas que la tribulation face plus de progres: ainsy je l'en supplie, et qu'il vous face sainte..

  A019000451 

 Ma Fille, nous souffrons le martyre du cœu quand, pour l'amour de Dieu, nous voyons mourir et acquiesçons a la mort de ceux que nous cherissons.

  A019000451 

 Or sus, que puis je dire davantage? Celle qui vit mourir le plus aymable filz de tous les filz sur la croix, veuille impetrer de ce mesme Filz les consolations qui vous seront convenables, et a monsieur vostre pere et a madamoyselle vostre mere..

  A019000452 

 Aymes cette chere ame, et l'appuyes de vostre conversation, affin que, selon ses inclinations bonnes et vertueuses, elle serve Dieu de mieux en mieux..

  A019000452 

 Salues la cherement de ma part, je vous supplie, et l'asseures que je ne passeray pas Bourges, ou nous nous acheminons demain matin, sans que je luy envoye une de mes lettres.

  A019000453 

 Je n'escris point non plus a madamoyselle vostre mere, car je sçai bien qu'elle se contente que ce soit a vous a qui je dis que je suis finalement son serviteur tres humble.

  A019000453 

 Ma tres chere Fille, demeures ferme et forte en l'amour de Nostre Seigneur, qui m'a rendu, sans que jamais je varie, parfaitement tout vostre..

  A019000461 

 Mais je voy encor, ce me semble, que Dieu, vostre bon Ange, vostre prudence et vostre courage vous soulagent et fortifient parmi toutes ces secousses.

  A019000461 

 Que vous puis je donq dire en cette occasion? Laissons prendre a Dieu ce qu'il luy plait, et le remercions de ce qu'il nous laisse, et encor plus de ce qu'il nous rendra le tout avec une usure nom-pareille au jour auquel nous verrons sa face..

  A019000461 

 Vous sçaves trop bien la condition de cette miserable vie que nous menons en ce monde, pour estre estonné des evenemens qui y arrivent de diverses sortes.

  A019000462 

 Il faut, certes, diminuer la charge a mesure que le tems amoindrit les forces..

  A019000462 

 J'ay et auray a jamais part a vos contentemens et a vos desplaysirs, puisque je suis inseparable d'affection d'avec vous et vostre famille benite de Dieu, laquelle, en la personne de M. d'Andilly et de moy, vous conjure [30] d'avoir bien soin de vostre personne pour ne point tant travailler des-ormais, qu'a mesure que l'aage decline vous deves vous soulager par un juste repos.

  A019000463 

 Me promettant que vous prendres en bonne part cette cordiale remonstrance, je vous supplie, Monsieur, de bien perseverer a m'aymer, comme sans fin je seray.

  A019000472 

 Au moins suis-je asseuré que M. Flocard vous aura veu, et fidelement mis en main ma lettre a l'heure que j'escris celleci, si quelque disgrace ne luy est survenue..

  A019000472 

 Icy a Bourges, entre les caresses non pareilles de nostre Monseigneur l'Archevesque en sa mayson, j'ay receu vostre lettre du 23 de ce moys, unique, jusques a present, que j'aye receüe.

  A019000472 

 Mais j'admire bien plus que vous ayant escrit de Chatres ( sic ), d'Orleans, de Tours, [31] d'Amboyse, vous n'en ayes encor receu pas un seul mot.

  A019000473 

 Ell'a eu rayson de dire que c'estoit elle qui avoit fait le mariage, car je ny ay, pour moy, contribué que ce que je ne pouvois pas refuser a la verité des qualités de M. de Forax et que je ne devois pas denier a son amitié..

  A019000473 

 Or sus, il faut que M. et M lle de Forax digere ( sic ) ces amertumes, puisque Dieu le permet, qui, comme j'espere, leur donnera ensuite des bonnes et solides consolations.

  A019000474 

 De leurs nouvelles, je vous en escriray par chemin entre ci et Moulins, comme des nouvelles de celles [32] de Moulins entre Moulins et Lyon; car en ces villes ou on fait les complimens a Madame, il ny a nul moyen d'escrire qu'aux heures esquelles vous ne voules pas que j'escrive..

  A019000489 

 Je retourne en arriere vous revoir en esprit et saluer vostre chere ame par ce billet, ne me pouvant contenter [33] de cet a Dieu si court que je fus forcé de vous dire, m'estant demeuré sur le cœur que je ne vous parlay pas asses clairement sur le sujet de vostre conduitte en l'administration de vostre charge, selon que je m'estois proposé de vous en entretenir un peu plus amplement, si j'en eusse eu le loysir.

  A019000489 

 Or, je repare cette faute au mieux que je puis, vous disant: 1.

  A019000489 

 que vous ne monstries point cette lettre que je ne fay que pour vous..

  A019000490 

 Et quand on nous reprend ou qu'on nous veut marquer nos imperfections en la conduitte, nous devons doucement tout ouÿr, et puis proposer cela a Dieu et nous en conseiller avec nos aydes ou coadjutrices; et apres cela, faire ce qui est estimé a propos, avec une sainte confiance que la divine Providence reduira tout a sa gloire..

  A019000490 

 Non, ma tres chere Fille, car je vous asseure que le mestier de reprendre est fort aysé, celuy de faire mieux, difficile; il ne faut guere de capacité pour treuver les defautz et ce qu'il y a a redire en ceux qui gouvernent et en leur gouvernement.

  A019000492 

 Faites si suavement cela, que vos inferieures ne prennent point occasion de perdre le respect qui est deu a vostre charge, ni de penser que vous aves besoin d'elles pour gouverner; ains faites leur connoistre doucement, sans le dire, que vous faites ainsy pour suivre la regle de la modestie et humilité, et ce qui est porté par les Constitutions; car voyes vous, ma chere Fille, il faut tant qu'il est possible, faire que le respect de nos inferieurs envers nous ne diminue point l'amour, et que l'amour ne diminue point le respect..

  A019000494 

 Sil y a quelque Seur qui ne vous traitte pas avec asses de respect, faites le luy sçavoir par celle des autres [35] que vous jugeres la plus propre a cela, non comme de vostre part, mais de la sienne.

  A019000498 

 Je salue cherement nos Seurs, notamment celles qui sont de nostre mayson d'Annessi, que j'ayme incomparablement..

  A019000509 

 Et moy je le suis certes un peu jusques a ce que je sache qu'elle soit hors de peril, car je la cheris grandement pour sa bonté et veritable vertu..

  A019000509 

 Il est bien teins, ma tres chere Mere, que je vous rende comte de mon voyage despuis Tours jusques icy.

  A019000509 

 Je ne la vis que deux fois, non seulement par ce que cette cour si grande et en laquelle j'avois tant de complimens a faire m'en empescherent, mais aussi, et encor plus, par ce que monsieur de Villesavin estoit en une si grande anxieté, crainte qu'on ne la fit parler, que nonobstant tout le soin que j'avois pour cela, il estoit merveilleusement en peine.

  A019000510 

 Or, je vous dis tout ceci affin que si la Reine mere va demeurer a Paris, vous puissies aux occurrences employer la faveur de M. de Lusson, puysquil m'ayme, et que vous esperies aussi en celle de M. le Cardinal..

  A019000511 

 J'en conferay avec M. de Berule et avec mon parfait ami M. des Hayes, duquel, quand il viendra a Paris, vous pourres sçavoir plus entierement la chose; car je luy escriray quil vous en parle, bien que nous fussions demeurés d'accord que nul n'en sceut chose du monde, d'autant que je pensois vous le pouvoir escrire au long; ce que je voy maintenant n'estre pas possible ni asseuré.

  A019000511 

 L'affaire n'est pas encor preste, ni ne le sera pas si tost; et tandis, nous escouterons ce que Dieu en ordonnera, a la plus grande gloire duquel je veux tout reduire et sans laquelle je ne veux rien faire, moyennant sa grace, ainsy que je fis entendre a mondit seigneur le Cardinal d'abord, et le luy repliquay de rechef estant a Amboyse, ou il m'en parla encor plus cordialement; et Monsieur le Cardinal de la Rochefocaut m'en tendit un mot devant M. le Prince, mais en sorte que cela ne fut [39] point consideré.

  A019000511 

 Mays en fin, si Dieu ne le veut de sa volonté d'approbation, je ne le veux jamais vouloir, et ni mettray du tout rien du mien que mon consentement a la Providence celeste, quand je connoistray que ce sera son service..

  A019000511 

 On me dit despuis que M. l'Archevesque de Sens en avoit parlé fort longuement au Roy, qui y avoit pris playsir.

  A019000512 

 La, a Amboyse, nous receumes l'advis que nous irions a Nice et a Chasteaumorand; avant hier nous fusmes advertis que nous allions droit a Grenoble, et de la en Savoye, a Chamberi, d'où je me retireray a Annessi.

  A019000512 

 Le Roy me donna ses commandemens fort amiablement, et tant luy que la Reine mere tesmoignerent a Son Altesse qu'ilz avoit ( sic ) a playsir que je suivisse Madame.

  A019000514 

 M. de Neucheze, qui fait une particuliere profession de vous aymer, me dit quil vous avoit escrit pour se plaindre de la defiance que son cousin avoit de luy; et que quand il vint a Bourges, il ne vint nullement a l'archevesché et ne vid point M. l'Archevesque, qui est fort bien avec M. le Mareschal.

  A019000515 

 M. de Saint Aignan n'est encor point venu; mais il faut que je vous die que nous avons veu en sa mayson tant de marques de la pieté de M me de Saint Aignan que j'en suis devenu tout amoureux, m'estant advis qu'elle sera un jour sainte si elle persevere avec humilité.

  A019000516 

 Penses vous, ma tres chere Mere, que des Roane j'aye eu le loysir de continuer cette lettre jusques icy a Vareppe, deux liëues pres de Grenoble? C'est une grande perte de tems que d'estre a la cour, et plusieurs y perdent encor l'eternité.

  A019000519 

 Il faudra tous-jours bien peser l'extreme aversion que Monsieur l'Archevesque a a cela.

  A019000519 

 Monseigneur l'Archevesque et M. de Neuchaize ne peuvent souffrir qu'on parle d'une Mayson a Orleans, et, comme je vous escrivis estant audit Orleans, ou je laissay ma lettre au P. Lalemand, il faudra conduire prudemment la reception ou acceptation d'une Mayson, et estre bien asseuré de ce qui se promettra; car on me dit que le peuple y estoit un peu dur, et les espritz malaysés a conduire.

  A019000520 

 J'ay escrit sur chemin a la Superieure pour la soulager un peu, puisque mesme je ne peu luy dire a Dieu qu'a la desrobee, non plus qu'a nos Seurs de Moulins et de Lyon, a cause de la surprise de mon depart que, par force, il me faut faire soudain comme Madame monte en carosse, par ce que je suis de la carosse qui va immediatement devant elle..

  A019000520 

 Je treuvay la pauvre Seur Jeanne Françoise toute attendrie dequoy, a son advis, vous ne pouves avoir de l'inclination pour elle; elle s'est grandement changee, et marche de bon pied en la douceur et humilité, a ce que j'appris.

  A019000521 

 A Moulins, je treuvay tout bien, hormis que nostre Seur a besoin d'une Directrice, ne pouvant fournir a tout elle mesme, a cause du bon nombre de Novices qu'ell'a.

  A019000521 

 Helas, que les enfans du monde sont niays de vouloir estre estimés grans et dignes de respect par ces mollesses d'esprit!.

  A019000532 

 On peut, pour le sujet dont vous m'escrives, retarder la profession de nostre Seur; ce que je vous escrirois plus amplement, n'estoit que je suis si pressé que je n'ay loysir de rien adjouster.

  A019000532 

 Vous pourres donq recevoir ce que ce sieur porteur donnera, et puis, en son tems, la profession et le reste se feront..

  A019000547 

 A Chaires ( sic ) on me dit que vous esties a Estampes; a Estampes on me dit que vous esties a Chatres, et je croy que vous n'esties ni en l'un ni en l'autre des lieux, mays ou a Maubuisson ou par les chemins.

  A019000547 

 En somme, me voyci en mon nid; quelle qu'en soit la vallee, il me sera tous-jours avis que vous en soyes a une journee prés, et en vain, car vous seres dans vostre aymable Paris, parmi cette multitude d'ames que Dieu veut benir par vostre entremise..

  A019000547 

 L'affection que vous aves pour moy vous fera, comme je croy, asses imaginer quel a esté mon desplaysir de partir de Paris sans avoir eu lhonneur de prendre congé de vous, que peut estre ne reverray-je jamais.

  A019000548 

 C'est pourquoy, vostre Belley attendant sur ce vos commandemens, je vous supplie de contribuer vostre authorité a ce parti, duquel je sçai que vostre bercail sera grandement consolé, et vous extremement satisfait..

  A019000548 

 Or, passant icy et entre les a Dieu que je dis a nostre court, les RR. PP. Capucins m'ont fait entendre [46] comme ilz sont desirés a Belley, ou d'autres Religieux se desirent en leur place; et je sçai, Monseigneur, que vostre intention premiere fut d'avoir des Religieux qui administrassent le saint Sacrement de l'absolution, mays que si les Capucins le pouvoyent administrer, vous les praefereries a tous autres.

  A019000549 

 Ce pendant, Monseigneur, faites moy la grace de ne point permettre que mon esloignement de vostre presence diminue vostre sacree bienveuillance envers moy qui vous honnoreray a jamays tres cordialement, et seray invariablement.

  A019000566 

 Madame, Son Altesse et M. le Prince ont voulu que je fusse le grand Aumosnier de madite Dame; et vous me croires, je pense, aysement, quand je vous diray que je n'ay directement ni indirectement ambitionné cette charge.

  A019000566 

 Non veritablement, ma tres chere Mere, car je ne sens nulle sorte d'ambition que celle de pouvoir utilement employer le reste de mes jours au service de [49] l'honneur de Nostre Seigneur Non certes, la court m'est en souverain mespris, parce que ce sont les souveraines delices du monde que j'abhorre de plus en plus, et luy, et son esprit, et ses maximes, et toutes ses niaiseries..

  A019000574 

 Je voy clairement cette formiliere d'inclinations que l'amour propre nourrit et jette sur vostre cœur, ma tres chere Fille, et sçai fort bien que la condition de vostre esprit subtil, delicat et fertile contribue quelque chose a cela; mays pourtant, ma tres chere Fille, en fin ce ne sont pour tout que des inclinations, desquelles puisque vous sentes l'importunité et que vostre cœur s'en plaint, il n'y a pas de l'apparence qu'elles soyent acceptees par aucun consentement, ou du moins par consentement deliberé.

  A019000574 

 Non, ma tres chere Fille; vostre chere ame ayant conceu le grand desir que Dieu luy a inspiré de n'estre qu'a luy, ne vous rendes pas aysee a croire qu'elle preste son consentement a ces mouvemens contraires.

  A019000574 

 Vostre cœur [50] peut estre tremoussé par le sentiment de ses passions, mais je pense que rarement il peche par le consentement..

  A019000575 

 O moy miserable homme, disoit le grand Apostre, qui me delivrera du cors de cette mort? Il sentoit un cors d'armee composee de ses humeurs, aversions, habitudes et inclinations naturelles, qui avoyent conspiré sa mort spirituelle; et parce qu'il les craint, il tesmoigne qu'il les hait; et parce qu'il les hait, il ne les peut supporter sans douleur; et sa douleur luy fait faire cet eslan d'exclamation, a laquelle il respond luy mesme que la grace de Dieu, par Jesus Christ, le garantira, non de la crainte, non de la frayeur, non de l'alarme, non du combat, mais ouy bien de la desfaite, et l'empeschera d'estre vaincu..

  A019000576 

 C'est pour respondre a ce que vous dites de la legereté et inconstance de vostre ame, car je le croy fermement qu'elle est continuellement agitee des vens de ses passions, et que par consequent elle est tous-jours en bransle; mais je croy aussi fermement que la grace de Dieu et la resolution qu'elle vous a donnee, demeure continuellement en la pointe de vostre esprit, ou l'estendart de la Croix est tous-jours arboré, et ou la foy, l'esperance et la charité prononcent tous-jours hautement: VIVE JESUS!.

  A019000576 

 Nostre glorieux saint Bernard dit que c'est heresie de dire que nous puissions perseverer en un mesme estat icy bas, d'autant que le Saint Esprit a dit par Job, parlant de l'homme, que jamais il n'est en mesme estat.

  A019000578 

 Mais es lettres, a la verité, cela est un peu, ains beaucoup plus insupportable; car on void mieux ce que l'on fait, et si on s'apperçoit d'une notable affectation, il faut punir la main qui l'a escritte, luy faysant escrire une autre lettre d'autre façon..

  A019000578 

 Une seule chose ay je a vous dire, ma tres chere Fille, sur ce que vous m'escrives que vous fomentes vostre orgueil par des affectations en discours, en lettres.

  A019000579 

 Au reste, ma tres chere Fille, je ne doute point que parmi cette si grande quantité de tours et de retours de cœur, il ne se glisse par ci par la quelques fautes venielles; mais pourtant, comme estans passageres, elles ne nous privent pas du fruit de nos resolutions, ains seulement de la douceur qu'il y auroit de ne point faire ces manquemens, si l'estat de cette vie le permettoit..

  A019000580 

 Or sus, soyes juste: n'excuses, ni n'accuses aussi qu'avec meure consideration vostre pauvre ame, de peur que si vous l'excuses sans fondement vous ne la rendies insolente, et si vous l'accuses legerement vous ne luy abbatties le courage et la rendies pusillanime.

  A019000581 

 Encor faut-il que j'adjouste en ce bout de papier ce mot important: ne charges point vostre foible cors d'aucune autre austerité que de celles que la Regle vous impose; gardes vos forces corporelles pour en servir Dieu es prattiques spirituelles, que souvent nous sommes contraintz de laisser quand nous avons indiscrettement surchargé celuy qui, avec l'ame, les doit exercer..

  A019000582 

 Escrives moy quand il vous plaira, sans ceremonie ni crainte; n'employes point le respect contre l'amour que [52] Dieu veut estre entre nous, selon lequel je suis a jamais invariablement.

  A019000590 

 J'ay receu une consolation inexplicable de voir a Bourges la chere petite trouppe de nos Filles, si desireuses de la pure perfection de l'amour divin et si amoureuses de l'exacte observance de leurs Regles, qu'il y a lieu d'esperer que cette Mayson sera benite de Dieu et en benediction a la Congregation..

  A019000591 

 Mays, a vous dire vray, j'ay treuvé la pauvre petite Mere Rosset si affoiblie de cors et si descheüe, que je croy qu'il la faudra retirer de dessous le fardeau.

  A019000602 

 Je vous priay de dire a M. Combaz quil vint retirer sa fille; mays despuis, sachant l'extremité de la passion en laquelle il est sur ce sujet, j'ay pensé que je pourrois encor voir plus particulierement sil y aura moyen de la [54] retenir; et Dieu sçait si j'en seroys joyeux, n'y ayant que la necessité et force de la conscience qui puisse la faire renvoyer.

  A019000618 

 Des que Vostre Altesse eut l'heureuse pensee de contribuer son soin et son authorité a la reformation des Monasteres de deça, elle donna ordre que les praebendes vacantes de celuy de Contamine fussent reservees pour estre par apres appliquees selon ce dessein.

  A019000618 

 Mays on ne peut croire que ces lettres soyent selon l'intention de sadite Altesse, puisque elles sont contraires a la resolution prise avec tant de consideration, delaquelle il se peut faire que la souvenance ne soit pas tous-jours presente a Son Altesse; puysque mesme, en attendant qu'on obtienne de Rome le pouvoir d'appliquer plus fructueusement ces praebendes, on les employe a reparer les domiciles necessaires et entretenir la sacristie de ladite eglise..

  A019000618 

 Or maintenant, un Religieux ancien dudit Contamine ayant un desir extreme de faire avoir place et prsebende a un sien neveu, jeune et ignorant, a obtenu des lettres de Son [55] Altesse, par lesquelles elle commande que l'on luy donne cette praebende.

  A019000619 

 Vostre Altesse donq est suppliee tres humblement de faire declarer la volonté de Son Altesse sur cette occasion, affin que l'on puisse asseurement ou accorder, ou, ce qui est plus desirable, refuser ladite praebende.

  A019000632 

 Et comme je prendray tous-jours a gré de vous servir tandis que vous vivres de l'observance des resolutions prinses, aussi me despartiray je aysement de cette affection, si par vostre desunion vous m'ostés le moyen de vous assister..

  A019000632 

 Je vous salue et vous embrasse tres affectionnement en esprit a cette mienne arrivee apres une si longue absence; et m'estant apperceu que l'ennemy de paix et d'union tasche a semer petit a petit des pensees de separation parmi vous autres, je vous prie et exhorte de tout mon cœur de ne point permettre qu'il prevaille contre les saintes et honnorables resolutions que vous aves prinses avec moy, de vivre jointz et liés ensemble en l'observance de vos Regles, entre lesquelles la communauté et union des cœurs et de biens est la principale.

  A019000647 

 Et bien que ce rassasiement s'entende pour le jour du jugement auquel on fera justice a tous ceux a qui elle a manqué, et qui par consequent en ont eu faim et soif en ce monde, si est ce que j'espere que le Parlement en fin rassasiera ce personnage, apres qu'il aura eu faim et soif de justice: et Dieu veuille pardonner a ceux qui le persecutent..

  A019000647 

 Je voy, ma tres chere Mere, par la derniere de vos lettres, du 12 passé, que monsieur [de Foras] est tous-jours en peyne, et que je suis exposé a divers jugemens pour son mariage.

  A019000647 

 Pour luy, je n'ay rien a dire, sinon que bienheureux sont ceux qui ont faim et soif de justice, car ilz seront rassasiés.

  A019000648 

 Pour moy, je dis qu'il faut que je prattique l'enseignement de saint Paul: Ne vous defendes point, mes bienaymés, mais laisses le passage a la passion.

  A019000649 

 La Providence supreme sçait la mesure de la reputation [58] qui m'est necessaire pour bien faire le service auquel elle me veut employer, et je n'en veux ni plus ni moins que ce qu'il luy plaira que j'en aye.

  A019000651 

 Soyés a jamais benite, ma tres chere Mere, et que vostre cœur et le mien soyent a jamais remplis du divin et tres pur amour que la divine Bonté nous a fait la grace de vouloir parfaitement aymer..

  A019000669 

 Mon Dieu, il faut dire la verité: c'est pitié de voir une aymable avette embarrassee parmi les viles toiles des araignees; mays si un vent secourable rompt cette chetifve trame et ces fascheux fïletz, pourquoy est ce que cette chere avette ne prend cette occasion pour se demesler et desprendre de ces pieges et pour aller faire son doux miel? Vous voyes, ma tres chere Fille, mes pensees; faites voir les vostres a ce Sauveur qui vous semond.

  A019000669 

 Vous me le fistes promettre, et je le fay soigneusement: je prie Dieu qu'il vous donne sa sainte force, affin que vous rompies genereusement tous les liens qui empeschent vostre cœur de suivre ses celestes attraitz.

  A019000670 

 Je ne puis n'aymer pas vostre ame que je connois estre bonne, et ne puis ne luy souhaiter le tres desirable amour de la genereuse perfection, me resouvenant des larmes que vos yeux respandirent lhors que, vous disant adieu, je vous desirois a Dieu, et que, pour estre plus a Dieu, vous dissies adieu a tout ce qui n'est pas pour Dieu..

  A019000671 

 Je vous asseure cependant, ma tres chere Fille, que je suis grandement.

  A019000679 

 Je voy parmi tout cela vostre cœur bienaymé, qui, avec une grande sousmission a la divine Providence, dit que tout cela est bon, puisque la main paternelle de cette supreme Bonté a donné tous ces coups..

  A019000679 

 Le Pere confesseur de Sainte Claire de Grenoble me vient de dire que vous aves esté extremement malade, ma tres chere Fille, apres que vous aves veu passer le cher N., et guerie d'une grande infirmité.

  A019000680 

 O que cet enfant est heureux d'estre volé au Ciel comme un petit ange, avant que d'avoir presque touché la terre! Quel gage aves vous la haut, ma chere Fille! [61] Mays vous aures, je m'asseure, traitté cœur a cœur avec nostre Sauveur de cet affaire, et il aura des-ja saintement accoysé la tendreté naturelle de vostre maternité, et vous aures des-ja plusieurs fois prononcé de tout vostre cœur la protestation filiale que Nostre Seigneur nous a enseignee: Ouy, Pere eternel; car ainsy vous a-il pleu de faire, et il est bon qu'il soit ainsy..

  A019000681 

 Nous patissons, nous souffrons, nous mourons avec ceux que nous aymons, par la dilection qui nous tient a eux; et quand ilz souffrent ou meurent en Nostre Seigneur, et que nous acquiesçons en patience a leurs souffrances et trespas pour l'amour de Celuy qui, pour nostre amour, a voulu souffrir et mourir, nous souffrons et mourons avec eux.

  A019000682 

 Ainsy je le supplie continuellement, ma tres chere Fille, que nous soyons a luy sans reserve ni exception, en santé et en maladie, en tribulation et en prosperité, en la vie et en la mort, au tems et a l'eternité..

  A019000682 

 Cependant, ma tres chere Fille, puisque vous aves esté volontier malade tandis que Dieu a voulu que vous le fussies, guerisses aussi maintenant de bon cœur, puisqu'il veut que vous guerissies.

  A019000693 

 C'est pourquoy j'ay creu que je vous devois donner cet advis, affin que, s'il vous plaist, vous contribuies vostre authorité et dexterité pour haster [63] l'accommodement, et par consequent les noces; puisque je me souviens que vous me tesmoignastes de les desirer voir faites avant vostre despart pour Bourgoigne, affin de contenter monsieur du Boys, et que d'ailleurs, pour briefve que soit la voye de la justice, elle ne peut qu'estre longue et sujette a beaucoup d'accidens..

  A019000693 

 La dispense pour le mariage de madamoyselle vostre fille est arrivee, et neanmoins il reste encor a vuider un empeschement mis au greffe de l'evesché par M. de Paumier, et je voy monsieur du Boys aucunement disposé a l'oster par le moyen de quelque somme d'argent; mays je ne sçai pas si elle sera telle que les parties s'en contentent d'abord.

  A019000710 

 Je vous rens graces du livre, que je liray par ci par la, selon le tems que je pouray gaigner, en attendant que vous revenies icy faire les festes, ainsy que la chere cousine m'a dit avoir esté resolu entre vous deux.

  A019000711 

 Dieu, par sa Providence, le rende autant heureux que de tout mon cœur je le souhaite, apres qu'avec la benediction du Pape il aura esté legitimement celebré..

  A019000712 

 O que c'est une bonne chose d'estre tout a Dieu! Soyons le donq, ma tres chere Fille.

  A019000726 

 Permettes moy, je vous supplie, Monsieur, de soulager mon ame en me plaignant a vous mesme de vos plaintes, [65] lesquelles a la verité m'affligent et m'estonnent, ne croyant pas d'en avoir donné aucune occasion; puisque, hors le veritable tesmoignage que j'ay rendu une seule fois des merites et bonnes qualités du gentilhomme, et une autre fois de sa religion, je n'ay nullement cooperé a cette alliance que peut estre par la recommandation que j'en ay faite a Dieu, si elle devoit estre a sa gloire; et tout ce qui se dit de plus n'est qu'exageration..

  A019000727 

 Il est vray que les parties s'estans liees d'affection et de promesses pendant mon absence, je fus present, soudain apres mon retour, a la repetition des promesses qu'elles voulurent renouveller devant moy; mais d'une presence si simple que je ne fis qu'escouter avec plusieurs autres sans dire mot.

  A019000727 

 Pouvois je refuser de telz offices a de telles personnes? Non plus que celuy que je fis envers vous, Monsieur, qui, ce me semble, ne me fistes pas sçavoir que vous eussies une si puissante aversion pour ce mariage, que de la j'eusse peu inferer cet ardent mescontentement que vous aves, ce me dit on....................................................................................

  A019000734 

 Ceux qui me connoissent sçavent bien que je ne veux rien ou presque rien avec passion et violence; et quand je fay des fautes, c'est par ignorance.

  A019000734 

 Je ne veux ni de vie ni de reputation qu'autant que Dieu voudra que j'en aye, et je n'en auray jamais que trop selon ce que je merite..

  A019000734 

 Or, Monsieur, je me suis un peu dilaté avec vous pour me soulager; non que je sois grandement touché ni des censures ni des blasmes qu'on jette contre moy pour ce sujet, car je sçay que devant Dieu je suis sans coulpe; mais je suis pourtant marri du souslevement de tant de passions autour d'un affaire ou j'en ay eu si peu.

  A019000743 

 J'ay sceu despuis peu de jours que la divine Providence a en fin retiré de ce monde M. vostre pere; et soudain je suis allé a l'autel offrir le Filz eternel a son Pere pour l'ame de ce defunt, et recommander la vostre et celle de madame vostre bonne mere et celles de toute la trouppe des freres et seurs au Saint Esprit, douce source de toute veritable consolation; car, que peut on faire de meilleur en telles occurrences?.

  A019000744 

 Certes, j'ay participé a vostre desplaysir; mais la part que j'en ay prise n'aura en rien diminué la totalité du vostre.

  A019000744 

 Oh! si les afflictions devenoyent moindres a mesure qu'elles sont respandues dans le cœur de plusieurs, que vous en auries bon marché, ayant tant de personnes, et autour de vous et bien loin de vous, qui vous honnorent et ayment sincerement, se communiquant les uns aux autres vos sentimens pour les ressentir avec vous..

  A019000745 

 Et de plus, quand j'eusse esté aupres de vous, que vous eusse-je peu dire sinon: Bibe aquam de cisterna tua? Quelz parfums peut on donner aux habitans de l'Arabie Heureuse? On ne peut leur porter de la suavité qui soit comparable a celle de leur païs, et ne peut on leur dire autre chose sinon: Sentes, odores, receves les exhalaisons de vos cinnamomes, de vos bausmes, de vos myrtes.

  A019000745 

 Je n'ay rien a vous dire de plus sur ce sujet, sinon que toute ma vie j'honnoreray la riche memoire de ce bon seigneur trespassé, et seray invariablement tres humble [68] serviteur de sa tant honnorable posterité et de madame sa vefve, qui a si heureusement cooperé au bonheur de sa vie et a le faire vivre encor apres la mort en la personne de tant de si dignes enfans; car au reste, de vous vouloir dire des paroles de consolation, je suis trop loin, et ne puis estre ouy qu'apres tant d'autres, que ce seroit une impertinence trop excessive.

  A019000746 

 C'est qu'apres une forte resolution d'aller prendre congé de ce bon pere a mon despart de Paris, l'ayant reservé pour le dernier comme celuy a qui je devois beaucoup d'honneur et qui estoit le plus pres, ravi et emporté de la force des visites qui me furent faites ce jour la, je fus tellement suffoqué d'esprit que je ne pensay point a cette obligation sur l'occasion; et estant en chemin, lhors que je ne pouvois plus m'en acquitter, je m'en apperceus, comme seulement pour en estre marri.

  A019000746 

 Et quant a vous, Monseigneur, ce ne fut nullement faute d'attention, mais par la fause asseurance que mon hoste de Chartres me donna que vous esties a Estampes, ou apres je me reconneus trompé, mais trop tard.

  A019000746 

 Mays moy, c'est la verité que j'ay encor une douleur sur le sujet de ce trespas qui me fasche tous-jours quand j'y suis attentif.

  A019000746 

 Or, [69] j'espere que ce bon seigneur m'a aysement pardonné, s'il faut ainsy dire, puisque voyant Celuy qui voit tout, il voit bien que cette mienne faute n'est point procedee de manquement d'honneur, de respect et d'affection.

  A019000747 

 Mais, a ce propos de conserver les bienveuillances, on m'escrit que je suis presque privé de celle de M. de Montholon pour le sujet du mariage de M. de [Foras.] Et encor faut il que je vous rende conte de ceci, puisque vous estes celuy qui me l'avies procuree; et en un mot, je puis dire avec verité que, hors les veritables tesmoignages que j'ay rendus une seule fois a madame de [Vaulgrenant] de la vertu et bonnes qualités de son mari, je n'ay rien cooperé a ce mariage, sinon qu'apres avoir veu et sceu les fortes et vehementes liaisons d'affections, avec des grandes promesses reciproques d'un futur mariage entre ces deux parties, faites pendant que j'estois a Maubuisson, et de plus, la damoyselle se promettre fort asseurement que madamoyselle de [Sanzelles] appreuveroit tout, je dis alhors, qu'encor que je ne doutasse point de leur discretion a la suite de leurs affections, neanmoins je leur conseillois de ne pas beaucoup tarder leur mariage; conseil conforme aux decretz de l'Eglise, et que je donnay ne regardant qu'au plus grand bien et a la plus entiere asseurance de ces ames, et a l'observance des commandemens de Dieu..

  A019000748 

 Il y a encor ceci de considerable, que M. de Montholon, lhors qu'il me parla de ce sujet, ne me tesmoigna point d'avoir une si grande aversion ni un si grand interest en cet affaire, que pour cela j'eusse peu croire qu'il en prendroit tant d'ardeur de mescontentement; de sorte que je [70] ne puis encor sousmettre mon jugement pour me tenir coulpable en cet endroit, quoy que grandement marri de voir tant de passions esmeuës a cette occasion, pour l'accoysement desquelles je n'ay autre chose a dire, sinon: Redime me a calumniis hominum, a Celuy devant lequel je suis sans fin,.

  A019000760 

 Je viens d'escrire troys grandes lettres, que je vous envoye ouvertes, affin que vous les voyes, et en icelles plusieurs choses qu'il faudroit que je vous escrivisse; et je n'en ay pas le loysir, estant bien tard..

  A019000761 

 En fin donq j'escris a M. de Montholon; mays avant que de luy envoyer la lettre, faites la voir, s'il vous plaist, a M. des Hayes, et consideres s'il sera a propos qu'elle luy soit rendue; car quant a moy, ma tres chere Mere, j'ay remis tous ces mauvais vens a la providence de Dieu: qu'ilz soufflent ou qu'ilz s'accoisent selon qu'il [71] luy plaira; la tempeste et la bonace me sont indifferentes.

  A019000762 

 Aussi bien que gaigne-on de s'opposer aux vens et aux vagues, sinon de l'escume?.

  A019000762 

 Et tost apres, il me vint en l'esprit que Nostre Dame, en cette perplexité, ne dit mot, ne s'excusa point, ne se troubla point, et la providence de Dieu la delivra; et je luy recommanday cette affaire, et me resolus de luy en laisser le soin et de me tenir coy.

  A019000763 

 Ma Mere, vous estes trop sensible pour ce qui me regarde; et donq, faut il que moy seul au monde je sois exempt d'opprobres? Je vous asseure que rien ne m'a tant touché en cette occasion que de vous voir touchee.

  A019000763 

 Ma chere Mere, il y a bien de l'amour propre a vouloir que tout le monde nous ayme, que tout nous soit a gloire..

  A019000764 

 Je presche icy, ces Advens, les commandemens de Dieu, qu'ilz ont desiré ouÿr de moy, et je suis merveilleusement escouté, mais aussi je presche de tout mon cœur; [72] duquel cœur je vous diray, ma tres chere Mere, que Dieu, par sa bonté infinie, le favorise fort, luy donnant beaucoup d'amour des maximes du christianisme; et cela en suite des clartés qu'il me donne de leur beauté et de l'amour que tous les Saintz leur portent au Ciel, m'estant advis que la haut on chante avec une joye incomparable: Bienheureux les pauvres d'esprit, car a eux appartient le Royaume des cieux..

  A019000766 

 Nos Seurs d'icy font fort bien; il n'y a rien a redire, sinon qu'elles veulent trop bien faire, affin que nostre Mere revenant treuve que tout va bien: cela les presse un peu.

  A019000768 

 Je n'escriray point pour ce coup a ces dames, que j'honnore tant et que Dieu veut que j'honnore de plus en plus; salues les toutes cherement es occurrences.

  A019000776 

 Je commence par ou vous finisses, ma tres chere et tres veritablement bienaymee Fille; car vostre derniere lettre, entre celles que j'ay receuës, finit ainsy: «Je croy que vous me connoisses bien.» Or il est vray, certes, je vous connois bien, et que vous aves tous-jours dedans le cœur une invariable resolution de vivre toute a Dieu; mais aussi, que cette grande activité naturelle vous fait [74] sentir une grande vicissitude de saillies.

  A019000776 

 Les cerisiers portent bien tost leurs fruitz parce que leurs fruitz ne sont que de cerises de peu de duree; mays les palmiers, princes des arbres, ne portent leurs dattes que cent ans apres qu'on les a plantés, ce dit on.

  A019000776 

 O ma Fille, non, je vous prie, ne croyes pas que l'œuvre que nous avons entrepris de faire en vous puisse estre si tost faite.

  A019000777 

 Dites bien encor ceci a cette fille que je vous ay tant recommandee, qu'en verité je ne la puis oublier ni jour ni nuit, mon ame reclamant incessamment la grace de Dieu sur elle; et dites luy hardiment que non, je ne m'estonneray jamais de ses foiblesses et imperfections.

  A019000777 

 Le bon pere me remercie si bonnement de la dilection que je porte a cette chere fille, sans considerer que c'est une affection qui m'est si pretieuse et tellement naturalisee en mon ame, que personne ne m'en doit sçavoir non plus de gré que dequoy je me souhaitte du bien a moy mesme..

  A019000778 

 Mais dites luy, a cette chere fille, qu'en l'exercice du matin elle mette son cœur en posture d'humilité, de douceur et de tranquillité, et qu'elle s'y remette apres disner, pendant Graces, et a Vespres, et le soir; et que parmi la journee elle se souvienne que je le luy ay dit..

  A019000779 

 Dites luy que je demeure icy, en mon diocese, tandis qu'il plaist a Dieu; et que, comme rien ne m'en peut tirer que quelque particuliere occasion que je croiray estre a la gloire de Nostre Seigneur, aussi, cela se [75] presentant, je n'auray non plus difficulté de me desprendre maintenant des faveurs que je reçoy, qu'auparavant qu'elles me fussent donnees.

  A019000779 

 Je suis et seray et veux estre a jamais a la mercy de la providence de Dieu, sans que je veuille que ma volonté y tienne autre rang que de suivante.

  A019000780 

 Non, ma Fille, ne laisses pas l'oraison que pour des occasions qu'il est presque impossible de recouvrer.

  A019000781 

 Sa pauvre seur est en grand danger, a ce qu'on m'escrit; et je vous asseure que mon ame en est toute affligee, et voudrois, si je pouvois, beaucoup faire pour retenir ces deux seurs pour Dieu qui les veut, pourveu qu'elles ne resistent..

  A019000782 

 Je croy que l'assemblee de L. n'aura rien peu contre elle, puisque vous ne m'en dites rien.

  A019000783 

 M. reviendra a soy; certes, je ne me suis sceu empescher de luy en escrire bien amplement, encor que je ne le connoisse point, m'estant advis que je le devois pour le bien des affaires de Nostre Seigneur..

  A019000784 

 Demeures en paix, ma tres chere Fille, et pries souvent pour mon amendement, affin que je sois sauvé et qu'un jour nous tressaillions en la joye eternelle, nous resouvenant des attraitz dont Dieu nous a favorisés, et des reciproques consolations qu'il a voulu que nous eussions en parlant de luy en ce monde.

  A019000791 

 C'est pourquoy je vous envoye tout a coup mes vielles lettres, et celle ci par laquelle je respons a celles que j'ay receües despuis par le sieur [Truytat] et par autre voye..

  A019000793 

 Je pense aussi que la division de l'aumosne sera a propos ainsy que vous l'aves projetté..

  A019000793 

 Reste M. Favre, qui desire d'attendre M. de [Charmettes.] Si quelqu'un de vostre connoissance vouloit entrer au premier quartier, en m'advertissant dans quinze ou dix huit jours affin que je n'en fisse pas tenir prest l'un des susnommés, cela seroit bon, comme je pense.

  A019000794 

 M. de [Duyn] aura response par les ci jointes, que [M lle ] de la Salle aura cent mille francs de son pere et trente mille de sa mere, ainsy que M. de Medio m'asseure..

  A019000795 

 M. Favre m'escrit que M. de Foras n'est pas encor [79] hors de prison, par l'opiniastreté des parens qui font le pis qu'ilz peuvent.

  A019000796 

 Je ne sçavois pas que les livres de Visites fussent a Paris, car on me l'a celé; mais il y a apparence que monsieur le President en aura soin.

  A019000797 

 Je vous envoye le projet que Monseigneur le Prince me commande de faire pour la reformation des Monasteres de deça, m'ayant semblé a propos qu'il luy fust remis parmi les festes, en tems auquel telles pensees sont de sayson.

  A019000797 

 Vous luy pourres dire que j'ay [écrit] apres avoir conferé avec M. de Monthoux et M. l'Abbé d'Abondance, et qu'il sera expedient que les Memoires soyent dressés en italien ou en latin, mais plustost en italien, de quelque bonne main..

  A019000798 

 C'est que Monsieur le Reverendissime du Montdevis a, ce dit [80] on, un prieuré pres de [Belley], qui s'appelle Consieu, duquel s'il vouloit se desfaire en faveur de nostre Eglise, on luy asseureroit une bonne pension, pourveu qu'elle n'excedast pas tous les fruitz; et apres on pourroit traitter avec le Chapitre de Belley, du doyenné de Seyserieux.

  A019000798 

 Neanmoins, parce que le Chapitre a cela en desir, vous pourres avec dexterité sçavoir ce qui se pourra faire par dela avec Monseigneur du Montdevis..

  A019000798 

 Vous verres que nous n'avons pas oublié nostre Eglise, pour laquelle il se presente encor une occasion dont le Chapitre m'a prié de vous donner advis, affin que dextrement vous sachies si on en pourroit reuscir.

  A019000799 

 M. le Prevost gousta merveilleusement la bonne pensee que vous aves faite, de voir si on pourroit loger mon neveu de la Feuge chez Monseigneur le Prince Cardinal; et s'il se peut, ce sera une tres grande charité..

  A019000800 

 C'est le vray moyen de les fascher et combattre, mesprisant leurs effortz par l'asseurance que nous tesmoignerons d'avoir dans nostre innocence et inviolable affection au service de nos Princes..

  A019000800 

 Il y a apparence qu'ilz feront ce qu'ilz pourront pour [81] ravaler le peu de faveur qu'ilz voyent naistre pour nous; mais il ne faut pas que vous vous en remuies, ains que vous respondies seulement par bienfaitz a leur mesdire.

  A019000800 

 Mon frere [de Thorens] vous escrit de la lettre que les gens de bien font voir par ci par la a la desrobee.

  A019000801 

 Il faut donq correspondre, affin que de toutes partz nous fassions paroistre que nous sommes nous mesmes..

  A019000802 

 Je croy bien que pour celuy de naturalité de M. de [Bonnières] il faudroit donner quelque chose en chancellerie, mais il n'y a remede: si c'est peu de fait, il faudra avancer..

  A019000802 

 M. de Cormand a fiancé la bonne madamoyselle de la Croix, et croy que l'on est apres de poursuivre la dispense.

  A019000804 

 Je suis grandement ayse de sçavoir que madame de Saint George demeurera, sachant combien elle a de pouvoir et de vouloir pour le bien de l'esprit de nostre Maistresse, et par consequent pour le contentement plus desirable de Son Altesse et de Monseigneur nostre Prince, et le bonheur de cet Estat.

  A019000804 

 La connoissance que j'ay des qualités de cette dame m'a tous-jours fait souhaiter qu'elle demeurast, et loüe Dieu de tout mon cœur que cela soit.

  A019000806 

 Nous avons achevé l'annuel de M. de Charmoysi ce matin; et la bonne madame de Charmoysi se sent grandement obligee a vostre amitié, et pour le soin que vous aves de son Henri.

  A019000822 

 Et puis qu'elles ont encor desiré mon intercession aupres de Vostre Altesse, je la fay tres humblement, adjoustant qu'il ny a, comme je pense, aucun Monastere de cet Ordre-la qui fleurisse plus en veritable devotion que celuy ci..

  A019000822 

 Les Seurs de Sainte Claire d'Evian font supplication a Vostre Altesse pour avoir la place et les masures du chasteau de ce lieu-la, affin d'y bastir leur couvent, puisque monsieur le Marquis de Lulin tesmoignera que cela ne peut en rien nuire a la conservation de la ville.

  A019000823 

 J'envoye aussi a Vostre Altesse le projet dressé par son commandement, pour la reformation des Monasteres de deça les montz, duquel la lecture ne sera point hors de sayson parmi ces festes, puisque tout le dessein regarde la plus grande gloire du divin Enfant, la naissance duquel on celebre, et que je ne cesseray jamais de supplier qu'il face de plus en plus prosperer Vostre Altesse,.

  A019000839 

 Voyla le tant aymable petit Jesus qui va naistre en nostre commemoration ces festes-ci prochaines; et puisqu'il naist pour nous venir visiter de la part de son Pere eternel, et que les pasteurs et les Rois le viendront reciproquement visiter en son berceau, je croy qu'il est le Pere et l'Enfant tout ensemble de Sainte Marie de la Visitation..

  A019000840 

 Or sus, caressés le bien, faites luy bien l'hospitalité avec toutes nos Seurs, chantes luy bien des beaux cantiques, et sur tout adores le bien fortement et doucement, et en luy sa pauvreté, son humilité, son obeissance et sa douceur, a l'imitation de sa tressainte Mere et de saint Joseph; et prenes luy une de [ses] cheres larmes, douce rosee du Ciel, et la mettes sur vostre cœur, affin qu'il n'ayt jamais de tristesse que celle qui res-jouit ce doux Enfant.

  A019000841 

 Je salue cherement la chere trouppe de nos Seurs, que je regarde comme des simples bergeres veillantes sur leurs troupeaux, c'est a dire sur leurs affections, qui, adverties par l'Ange, vont faire l'hommage au divin Enfant, et pour gage de leur eternelle servitude luy offrent le plus beau de leurs aigneaux, qui est leur amour sans reserve ni exception..

  A019000849 

 David pleura tant sur Saül mort, quoy que ce fust son plus grand ennemi: pleurons un peu sur ce monde, [87] qui meurt, ains qui est mort pour nous, et auquel nous voulons a jamais mourir..

  A019000849 

 Que de joye, ma chere Fille, que mon cœur reçoit de voir la franchise et rondeur du vostre a ce commencement! Non, ne vous estonnes point de ces larmes; car, bien qu'elles ne soyent pas bonnes, elles viennent neanmoins de bon lieu.

  A019000849 

 Si nos resolutions estoyent petites et revocables, nous n'aurions pas ces sentimens en ces abnegations et hautes conclusions que nous avons prises.

  A019000850 

 Et moy, ne croyes vous pas que mon cœur s'attendrisse sur le vostre? Si fait, je vous asseure, mais attendrissement doux et suave, pour voir que vos douleurs sont des presages de plusieurs faveurs que Dieu vous fera, si constamment et fidellement vous perseveres en cette entreprise, la plus digne, la plus genereuse, la plus utile que vous pouvies jamais faire..

  A019000850 

 O ma Fille, ma bonne Fille, que je suis ayse de vous voir un peu travaillee de ce mal d'enfant! Non, jamais nulle ame n'enfanta Jesus Christ sans douleurs, sinon la Sainte Vierge, a laquelle en contrechange il en donna des grandes en mourant.

  A019000851 

 Pour moy, ne doutes nullement de ma fidelité; confies vous en moy sans crainte, sans reserve et sans exception, car Dieu qui l'a voulu me tiendra de sa sainte main affin que je vous serve bien.

  A019000852 

 Ce mesme Dieu sçait que sur vostre despart, il me [vint] en la pensee de vous dire qu'il failloit retrancher le musc et les senteurs; mais je me retins, sur ma methode, qui est suave, de laisser lieu au mouvement que petit a petit les exercices spirituelz ont accoustumé de faire dans les ames qui se consacrent entierement a sa divine Bonté.

  A019000853 

 Ouy, donnes ces poudres et ces papiers dorés a quelque dame du monde, qui soit neanmoins de telle confiance que vous luy puissies marquer le sujet de ce petit renoncement, et ne doutes point que cela scandalise; au contraire, cela edifiera son ame, puisque je presuppose que ce soit une dame qui en ayt une bonne.

  A019000854 

 Je n'ay jamais seulement voulu porter des bas d'estame, ni jamais des gans ni lavés ni musqués, des que je me suis voué a Dieu, ni jamais papier doré ni poudres; ce sont des mignardises trop menues et vaines.

  A019000854 

 Vrayement il faut que je vous die ceci, puisque j'ay commencé a vous communiquer mon ame avec naïfveté.

  A019000855 

 Helas, ma chere Fille, il est certes vray: ces eternelz et irrevocables renoncemens, ces adieux immortelz que nous avons ditz au monde et a ses amitiés, font quelque attendrissement a nostre cœur.

  A019000856 

 Laisses absolument toutes ces guerisons par paroles: ce sont niaiseries que cela, que je permettrois a une ame moins resignee que la vostre; mais a la vostre, ma Fille, je dis hautement: Laisses ces enfances et bagatelles, lesquelles, si elles ne sont pechés, sont des amusemens inutiles, tendans a la superstition..

  A019000857 

 Je fus un moys, apres ma consecration a l'evesché, que, venant de ma confession generale et d'emmi les Anges et les Saintz, entre lesquelz j'avois fait mes nouvelles resolutions, je ne parlois que comme un homme estranger du monde, et il me semble que j'avois bonne grace; et quoy que le tracas ayt un peu alangouri ces bouillonnemens de cœur, les resolutions, par la grace divine, me sont demeurees.

  A019000857 

 Mais affin que vous vous entretenies de nouvelles reciproquement, entretenes les comme venant de l'autre monde, et elles vous entretiendront comme venans du monde; car si vous leur parles le langage de leurs lieux, ce ne leur sera pas grande nouvelle.

  A019000859 

 Demandes fort au petit Jesus naissant sa sainte nudité pour vostre cœur, affin que nuement et purement il soit a luy..

  A019000867 

 Il ne vous failloit que cela, ma tres chere Fille; vostre zele estoit tout bon, mais il avoit ce defaut d'estre un peu amer, un peu pressant, un peu inquiet, un peu pointilleux.

  A019000867 

 Voyesvous, en fin je respons, quoy que tard, a la lettre que vous m'escrivies apres mon passage, et respons courtement, simplement, amoureusement, comme a ma tres chere Fille que j'ay aymee presque des le berceau, parce que Dieu l'avoit ainsy disposé.

  A019000868 

 Vives joyeuse et courageuse, ma chere Fille, (je dis en la portion superieure de vostre ame) car l'Ange qui preconise la naissance de nostre petit Maistre annonce en chantant, et chante en annonçant, qu'il publie une joye, une paix, un bonheur aux hommes de bonne volonté, [91] affin que personne n'ignore qu'il suffit, pour recevoir cet Enfant, d'estre de bonne volonté, encor que jusqu'icy on n'ayt pas esté de bon effect; car il est venu benir les bonnes volontés, et petit a petit il les rendra fructueuses et de bon effect, pourveu qu'on les luy laisse gouverner, comme j'espere que nous ferons les nostres, ma tres chere Fille.

  A019000879 

 Je tiens parole, et vous diray, qu'ayant tiré de la courtoysie de monsieur de Dalma tout ce que je desirois pour le dessein d'un accommodement amiable, et pris le mesme jour que j'avois des-ja marqué a monsieur de [92] Paschal qui, de sa grace aussi, m'avoit donné sa parole a mesme fin, voyci que ce billet m'a esté envoyé tout maintenant, par lequel vous connoistres que j'ay besoin en cet endroit d'estre aydé du credit que vous y aves..

  A019000880 

 Mon Dieu, que ce miserable monde nous tourmente! Que bienheureux sont ceux qui le mesprisent de tout leur cœur.

  A019000904 

 Que diray je a cette chere Fille qui m'est si fort a cœur? Vives toute en Nostre Seigneur, ma tres chere Fille, et croyes que, pour luy, la sainte amitié que je vous porte vit fort entierement et immortellement en mon esprit.

  A019000912 

 Je me resjouis grandement, ma tres chere Fille, du bonheur dont vous jouisses en cette sacree compaignie en laquelle vous estes, ainsy que monsieur vostre bon pere m'a fait sçavoir; car ce vous est un bien inestimable de vivre au service de Dieu en un lieu ou toutes les ames le servent, et ou leur conversation environne vostre jeunesse pour la conserver et affermir en ses bons propos..

  A019000913 

 Et quant a moy, j'auray perpetuellement une grande affection a vostre avancement en la devotion, non seulement parce qu'estant fille d'un pere que j'honnore parfaitement, et madame vostre mere, j'ay mon interest en leur contentement, mais aussi d'autant qu'avec leur permission et celle de Madame vostre Abbesse, je pense avoir quelque part en vostre ame, puisque elle porte le sacré caractere de la Confirmation par mon entremise.

  A019000913 

 Et tenes vous joyeuse, ma tres chere Fille, puisque il n'y a point de veritable joye en cette vie mortelle que celle de se treuver en la voÿe la plus asseuree pour parvenir a l'immortelle..

  A019000931 

 Je disois hier, ma chere Fille (car je vous veux faire part de nos predications), que quand Dieu voulut prendre en sa sauvegarde les enfans des Israelites, affin que l'Ange exterminateur ne les tuast comme il faisoit ceux des Egyptiens, il ordonna que leurs portes fussent enduites et [97] marquees du sang de l'Aigneau paschal; et qu'ainsy sa divine Majesté marquoit du sang de sa Circoncision la porte et l'entree de cette annee sur nous, affin qu'en icelle l'exterminateur de nos enfans n'eust aucun pouvoir sur eux.

  A019000932 

 Je l'espere, ma chere Fille, que nous serons inviolablement fidelles a ce Sauveur, et que ces annees suivantes nous seront comme les annees fertiles de Joseph, lequel, par le moyen du mesnage qu'il fit en icelles, se rendit vice Roy d'Egypte; car nous mesnagerons si bien nos ans, nos mois, nos semaines, nos jours, nos heures, voire nos momens, que le tout s'employant selon l'amour de Dieu, le tout nous sera profitable a la vie eternelle pour regner avec les Saintz.

  A019000932 

 Mais n'est ce pas, donq, ma Fille, dores-en-avant nous ne serons plus ces vieux nous mesmes que nous avons esté devant; nous serons des nous mesmes qui, sans exception, sans reserve, sans condition, serons a jamais sacrifiés a Dieu et a son amour, et, comme de petitz phœnix, nous serons renouvellés de ce feu de la dilection divine pour laquelle, avec un irreconciliable divorce, nous avons pour jamais abandonné et rejetté le monde et toute sorte de vanité.

  A019000932 

 Nos petites choleres, nos petitz chagrins, les petitz frissonnemens de cœur sont des restes de nos maladies, que le souverain Medecin nous laisse affin que nous craignions la recheute, que nous nous humilions et demeurions en une sincere sousmission.

  A019000944 

 Il y a si long tems que Son Altesse tesmoigne d'affectionner le secours de monsieur de Corsier, et que je vous prie de l'avoir en recommandation comme l'un de ceux pour qui premierement fut erigee la Sainte Mayson, que je pense estre superflu d'y rien adjouster; et sur tout puisqu'il est tant appuyé de parens et amis en ces quartiers la.

  A019000958 

 Que diray je a ce commencement d'annee? Je suis roy de bon jeu en vostre Mayson, et nos Seurs en sont fort contentes, et m'ont envoyé par escrit une grande protestation de leur sousmission et obeyssance, et m'ont demandé quelques nouvelles loix selon lesquelles elles vivront; et je les mediteray pour leur en porter quand je pourray leur faire une exhortation, que je m'essayeray de faire dans cette octave le plus gratieusement que je sçauray, car j'ay des-ja une idee aggreable pour cela..

  A019000959 

 Sur le commencement de la semaine qui vient, je feray ma reveuë pour un renouvellement extraordinaire que Nostre Seigneur m'invite de faire, affin qu'a mesure que ces annees perissables passent, je me prepare aux eternelles..

  A019000960 

 Je luy fis une bonne correction, avec autant de vinaigre que d'huyle, que je repeteray, en changeant les motz, si souvent, qu'elle operera moyennant la grace de Dieu.

  A019000961 

 Mais au reste, c'est la verité qu'il fait des merveilles; et non seulement nostre chere Madame, mais Son Altesse et tous les Princes et Princesses, seigneurs et dames le cherissent et l'estiment grandement; et des maintenant, sans que j'en aye parlé en sorte quelconque, on le va jetter dans la coadjutorerie, si Madame est de croire, affin que son premier Aumosnier soit Evesque..

  A019000961 

 Monsieur [de Boisy] est tous-jours a la cour, ou il apprend la mortification de la propre volonté, excellemment, et encor plus celle de l'impatience, activité et soudaineté, car il faut demeurer trois heures et quatre a attendre les heures du service; beaucoup plus, certes, que quand il treuvoit quelqu'un a l'autel de la Visitation.

  A019000962 

 O ma Mere, soit que la providence de Dieu me face changer de sejour, soit qu'elle me laisse icy (car cela m'est tout un), ne seray-je pas mieux de n'avoir pas tant de charge, affin que je puisse un peu respirer en la Croix de Nostre Seigneur et escrire quelque chose a sa gloire?.

  A019000971 

 Je n'ay nul autre loysir que cela..

  A019000972 

 Je vous voy, ce me semble, autour de l'Enfant de Bethleem, que, luy baysant ses petitz pieds, vous le supplies quil soit vostre Roy.

  A019000972 

 Que jamais vostre ame, comme un'abeille mistique, n'abandonne ce cher petit Roy, et qu'elle face son miel autour de luy, en luy et pour luy, [102] et qu'elle le prenne sur luy, duquel les levres sont toutes detrempees de grace, et sur lesquelles, bien plus heureusement que l'on ne vid sur celles de saint Ambroyse, les saintes avettes, amassees en essein, font leurs doux et gratieux ouvrages..

  A019000985 

 Je confesse que je n'entens rien en toutes ces considerations ceremoniales, parce que je n'y ay jamais pensé.

  A019000985 

 Quatre bonnes fois, pour le moins, j'ay presché a Paris pour la reception des Religieuses, qu'un simple prestre a fait l'Office; une fois j'ay fait la reception, qu'un Pere Jesuite a presché; et en l'une et l'autre façon je ne laissois pas d'estre ce que je suis.

  A019000986 

 Et tous-jours l'action sera plus authorisee par ce moyen que par aucun autre.

  A019000986 

 Il sera donq a propos que si nostre bon M. [d'Aoste] peut faire que messieurs ses parens ne le treuvent pas mauvais, ce soit luy qui face l'exhortation; et je ne puis deviner quelle rayson ilz peuvent avoir de le treuver mauvais, estant une chose si bonne et honnorable.

  A019000986 

 Je vous asseure, [104] ma Fille, qu'une fille de consideration se faysant Carmelite, je fis l'exhortation, et M. du Val, docteur en theologie, fit l'Office, qui eust mieux presché que moy, et moy mieux fait l'Office que luy.

  A019000986 

 Mays avec cela, je confesse aussi que c'est une vraye humanité au bon monsieur [d'Ulme] de croire qu'il importe a sa reputation qu'il face ou ne face pas l'Office, et mesme n'ayant pas le talent de la predication; et croy, quant a moy, que ce soit au contraire.

  A019000986 

 Que s'il ne se peut encor, il faudra faire l'Office de la reception devant disner, et l'exhortation apres disner..

  A019000986 

 Que si cela ne se peut, il faudra prier quelque Pere Religieux; car, que faire parmi ces imaginations? Le jour est court, et de disposer Monseigneur a autre chose il n'y a pas de l'apparence.

  A019000988 

 Comme, par exemple, en la fille qui fait son essay: j'aymerois cent fois mieux doucement avoir mille escus, que douze cens avec amertume, et long et fascheux tracas.

  A019000988 

 Non seulement je consens, mais j'appreuve, ains j'exhorte de tout mon cœur que quand les parens riches donnent raysonnablement selon leur condition et moyens, qu'on ne tracasse point pour tirer davantage.

  A019000988 

 Voyla mon sentiment, voyla ce que je fay prattiquer icy..

  A019000989 

 Elle a consacré ses forces corporelles a Dieu; ce n'est plus a elle a les ruiner, sinon quand Dieu l'ordonnera, et elle n'apprendra jamais l'ordonnance de Dieu que par l'obeissance aux creatures que le Createur luy a donnees pour sa direction..

  A019000989 

 Elle a rayson, certes, la bonne fille, de croire que son humeur jeusneuse est une vraye tentation: ce l'a esté, ce l'est et ce la sera tandis qu'elle continuera de faire ces abstinences, par lesquelles il est vray qu'elle affoiblit son cors et la volupté d'iceluy, mais, par un pauvre eschange, elle renforce son amour propre avec sa propre volonté; elle amaigrit son cors, et surcharge son cœur de [105] la veneneuse graisse de sa propre estime et de ses propres appetitz.

  A019000990 

 Faites donq ainsy, pries monsieur N. de l'instruire et fortifier contre cette tentation; et s'il est par luy treuvé bon, que ce soit mesme en vostre presence..

  A019000991 

 Est ce tout de bon, ma tres chere Fille, quand vous dites: Nous sommes prou pauvres, Dieu mercy? O que, s'il estoit vray, je dirois volontier: Que vous estes donq trop heureuses, Dieu mercy! Mays je n'ose gueres parler d'une vertu que je ne connois que par le recit infallible du Roy des pauvres, Nostre Seigneur; car, quant a moy, je n'ay jamais veu la pauvreté de pres..

  A019000992 

 Puys, ne vous amuses pas a penser quelles sont les pensees de vostre esprit pour cela, puisque de toutes ces pensees il n'y en a point qui soit vostre pensee que celle que, deliberement et volontairement, vous aures acceptee, qui est de faire la Communion pour l'union et comme une union de vostre cœur a celuy de l'Espoux..

  A019000992 

 Tenes vous dans le train de la Communion que nous vous dismes, et dressés vostre intention a l'union de vostre cœur a Celuy duquel vous receves le cors et le cœur tout ensemble.

  A019001007 

 Monseigneur de Belley m'a fait response quil estoit engagé avec les Peres Augustins, et que ce n'a esté que sur le refus que les Peres luy avoyent fait il y a quelques annees..

  A019001015 

 Ne faites guere de reflexions sur ce que vostre nature meslera avec vos actions.

  A019001016 

 Que Dieu face et de nostre vie, et de nostre estime, et de nostre honneur a son gré, puisque tout est a luy.

  A019001016 

 Si nostre abjection sert a sa gloire, ne devons nous pas estre glorieux d'estre abjectz? Je me glorifie, disoit l'Apostre, e n mes infirmités, affin que la vertu de Jesuschrist habite en moy.

  A019001017 

 Commandes luy souvent, et luy imposes des mortifications opposees a ses [109] inclinations; elle obeira, et bien quil semblera que ce soit par force, ce sera pourtant utilement et selon la grace de Dieu..

  A019001017 

 Je ne vis jamais une tentation plus manifeste et connoissable que celle la; ell'est presque sans fard et sans praetexte.

  A019001017 

 Rompre des vœux pour jeusner, presumer d'estre bonne pour la solitude sans estre bonne pour la Congregation, vouloir vivre a soymesme pour mieux vivre a Dieu, vouloir avoir l'entiere jouissance de sa propre volonté pour mieux faire la volonté de Dieu: quelles chimeres! Qu'une inclination, ou plus tost fantasie et imagination, chagrine, bigearre, depiteuse, dure, aigre, amere, testue, puisse estre un'inspiration, quelle contradiction! Cesser de louer Dieu et se taire de depit es Offices que la sainte Eglise ordonne, par ce qu'on ne le peut louer en un coin selon son invention, quelle extravagance! Or sus, j'espere que Dieu tirera de la gloire de tout ceci, puisque cette pauvre chere fille se sousmet en fin a ce qu'on luy commandera et qu'elle revere vostre presence.

  A019001031 

 Il n'y a point d'entredeux entre vostre sortie et vostre perte; [110] car ne voyes vous pas que vous ne sortiries jamais que pour vivre a vous mesme, de vous mesme, par vous mesme et en vous mesme? et ce d'autant plus dangereusement, que ce seroit sous pretexte d'union avec Dieu, qui toutefois n'en veut point avoir ni n'en aura jamais point avec les solitaires retirés, particuliers et singuliers, qui quittent leurs vocations, leurs vœux, leurs Congregations par amertume de cœur, par chagrin, avec depit et par degoust de la societé, de l'obeyssance des Regles et sainte observance..

  A019001032 

 Oh! ne voyes vous pas saint Simeon Stilite, si prompt a quitter sa colomne sur l'advis des anciens? Et vous, ma tres chere Fille, vous ne quitteres pas vos abstinences sur l'advis de tant de gens de bien, qui n'ont nul interest de vous les faire quitter que pour vous faire rendre quitte et exempte de vostre propre amour? Or sus, ma tres chere Fille, chantes meshuy le cantique de l'amour: O que c'est une chose douce et bonne de voir les Seurs habiter ensemble! Traittés rudement vostre tentation; dites luy: Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu; Va en arriere, Satan; tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et a iceluy seul tu serviras..

  A019001033 

 Ne devises point avec elle, ne capitules point, ne l'escoutes point; traverses-la le plus que vous pourres par des frequens renouvellemens de vos vœux, par des frequentes sousmissions a la Superieure; invoques souvent vostre bon Ange, et j'espere, ma tres chere Seur, que vous treuveres la paix et la suavité de l'amour du prochain.

  A019001034 

 Chantes au chœur tous-jours plus constamment a [111] mesure que la tentation dira: Taises vous! a la façon de ce saint aveugle.

  A019001034 

 Je vous escris sans loysir; mais faites ce que je vous dis.

  A019001042 

 Il me semble que je voy vostre esprit doublement affligé pour le trespas de madamoyselle ma cousine et pour la façon d'iceluy, car moy mesme, a la verité, ay eu ce double sentiment.

  A019001042 

 Mays pourtant, bien que la douleur ne puisse pas estre si tost tout a fait appaysee, nous devons neanmoins l'adoucir le plus qu'il nous sera possible, par toute sorte de bonnes et veritables considerations..

  A019001043 

 Cette chere fille estoit bonne et vertueuse; et, comme je m'asseure, elle hantoit les saintz Sacremens, et par consequent estoit tous-jours bien disposee, au moins suffisamment, pour se conserver [112] en la grace de Dieu: c'est pourquoy son trespas n'a peu estre que bon, non plus que celuy de saint Simeon Stilite, que la foudre et feu du ciel tua sur la colomne.

  A019001043 

 Or, qu'elle soit trespassee, c'est un accident si commun, si general et si inevitable, que ce seroit ne connoistre pas ce que vous estes et la fermeté de vostre esprit, que de vous vouloir donner du secours pour vostre consolation en cela.

  A019001044 

 Dieu, vostre bon Ange et la sagesse que vostre longue experience vous a acquise, vous suggereront mieux tout ceci que je ne sçaurois faire; mais je le dis pour vous tesmoigner qu'apres avoir contribué mes prieres a vostre consolation et conservation, je voudrois bien y dedier tout ce qui seroit en mon pouvoir, puisqu'ayant le bien et l'honneur de vous estre si proche, j'ay encor le devoir, avec une tres sincere volonté,.

  A019001054 

 A quoy je contribueray tout ce qui sera en mon pouvoir, sous la conduite des loix et constitutions ecclesiastiques, pourveu qu'il vous playse, et aux parties, prendre creance que je ne rechercheray en cela nulle condition que celle qui sera entierement necessaire et inevitable, puisque en verité je suis,.

  A019001054 

 Je croy fort asseurement que nul homme du monde ne vous honnorera jamais plus franchement que je fay; et d'autant plus suis-je marri de ce qui s'est passé ces derniers jours en vostre mayson, puis que Dieu y a esté [113] offensé et le publiq scandalisé, et que le mariage est tout a fait nul et invalide, la commission de dispenser obtenue a Rome n'ayant point esté executee; de sorte qu'il sera requis de celebrer derechef le contract du consentement nuptial, affin de rendre cette conjunction et la posterité legitime.

  A019001068 

 Et j'espere que celle ci aura ce bonheur, comme escritte seulement pour contribuer, en la façon que je puis, mon sentiment a la joye publique et generale que toutes les provinces de la sujettion de Vostre Altesse recevront en ce jour anniversaire qui nous represente celuy auquel, par vostre naissance, Dieu vous donna a la France, et treize ans apres, par vostre mariage, il vous donna a cet Estat, dans lequel sans doute chacun benira a l'envi cet aggreable jour..

  A019001068 

 Puisque, graces a Dieu, vous voyla en fin arrivee au lieu auquel vous devies achever le voyage de vostre bien heureuse venue en ces Estatz, il m'a semblé que je puis oser meshuy presenter de mes lettres a Vostre Altesse, [115] tandis qu'elles ne luy seront point desaggreables.

  A019001069 

 Mays moy, Madame, comme le plus obligé du monde, je le benis et beniray incomparablement par les plus ardens souhaitz que mon ame puisse faire.

  A019001069 

 Que ce jour soit a jamais conté entre les jours que Dieu a creés pour sa gloire; que ce soit un jour d'eslite entre les jours qui sont destinés aux humains pour les acheminer a l'eternité; que ce jour auquel, Madame, vous fustes faite chrestienne, face jour a la consolation de toute la Chrestienneté; et face ce mesme jour, auquel vous aves esté faite nostre tres honnoree Dame et Princesse, reluire la serenissime Mayson de Savoye en une heureuse et tous-jours auguste posterité de Vostre Altesse..

  A019001070 

 Ce sont les vœux, Madame, que je fay, prosterné en esprit devant la divine Bonté, a laquelle, selon le rang qu'il vous a pleu me donner au service de Vostre Altesse, j'offre et consacre tous les jours vostre chere et pretieuse vie, affin que par sa souveraine Providence il luy playse de la multiplier par une longue suite d'annees, la sanctifier par une sainte fertilité d'actions chrestiennement royales, et qu'a la fin elle la glorifie par la couronne de l'immortalité..

  A019001084 

 Quand les Peres Barnabites allerent a Paris pour obtenir du Roy leur entree au college de Beaune, je les recommanday a Vostre Grandeur comme Religieux grandement estimables, fructueux et sinceres; mays je ne laisse pas, en confirmant cette creance, de repeter maintenant ma supplication pour leur rendre tesmoignage de l'affection que je leur dois, et non par aucune defiance que j'aye que vous ne leur facies ressentir vostre bonté et pieté en ce qui sera de vostre pouvoir.

  A019001085 

 Et ce pendant, ce m'est tous-jours de lhonneur et de la consolation de vous ramentevoir et raffraichir la tres humble et inviolable passion paternelle que j'ay pour vous, Monsieur mon Filz, selon laquelle je vous souhaite incessamment les plus favorables benedictions de Nostre Seigneur, et suis.

  A019001103 

 C'est le fin moindre de mes soucis que c'est que deviendra l'heritage de feu M. Gras, et apres un peu [118] de consideration du droit de l'Evesché, vous seres le maistre de tout ce qui en dependra, comme de tout le reste qui appartient a ma personne.

  A019001103 

 Mays qu'un prestre, sans tiltre ni vray ni coloré, se tienne dans une cure par force, ne veuille reconnoistre l'authorité de l'Evesque, rejette l'œconome qui est legitimement envoyé, empesche que l'Evesque ne face inventaire de ce qui est dans une mayson presbiterale, appelle comme d'abus d'une tres legitime authorité, tout ainsy que si du moins le soin des benefices de ma charge, tandis qu'ilz sont vacans et jusques a tant qu'ilz soyent prouveuz, ne m'appartenoyt pas: tout cela, je ne le puis ni treuver bon, ni civil, ni supportable..

  A019001104 

 Que s'il est permis, sur des patentions, d'esloigner les justes et ordinaires procedures [119] des Praelatz par voye de fait, quelz inconveniens n'en verrons nous pas? Je me demettray quand il en sera tems; mays quant a present, je ne puis, ni ne dois, ni par consequent je ne veux point ceder mon droit de donner tel ordre que bon me semblera a ce benefïce vacant, en attendant qu'il soit prouveu; et ne veux nullement que ceux qui s'ahurtent y administrent les Sacremens, ayant deputé un prestre qui ira demain, pour empescher que ce peuple ne demeure pas desprouveu de ce qui luy sera necessaire de ce costé la..

  A019001105 

 A cette intention j'ay envoyé au Senat, et pour venir a chef de l'inventaire et pour relever l'appellation comme d'abus, affin que je sois desabusé si j'abuse de l'authorité que j'ay, ou que je face desabuser ceux qui pensent que j'en abuse..

  A019001105 

 J'ayme messieurs les Grassi, et d'autant plus que l'un d'entre eux est a vostre service; mais je suis obligé de maintenir le respect qui est deu a l'authorité qui m'est confiee et a luy faire faire place ou il est requis.

  A019001121 

 Certes, je ne veux de reputation qu'autant qu'il en faut pour cela; car, pourveu que Dieu soit servi, qu'importe que ce soit par bonne ou mauvaise renommee, par l'esclat ou le descri de nostre reputation?.............................

  A019001121 

 On me mande de Paris que l'on m'y rase la barbe a bon escient, mais j'espere que Dieu la fera recroistre plus peuplee que jamais, si cela est necessaire pour son service.

  A019001127 

 Enseignes-luy de bonne heure que pour loger un tel Hoste, il faut bien nettoyer son ame de toutes sortes de vices et imperfections, en l'ornant de toutes les vertus, singulierement de la devotion, amour, humilité..

  A019001127 

 Je desire que vous disposies ma filleule a faire sa premiere Communion que je desire luy donner de ma [121] main pour ces Pasques prochaines.

  A019001138 

 Il frappe et guerit, il mortifie et vivifie; et tandis que nous pouvons lever les yeux et regarder dans la Providence celeste, l'ennuy ne nous sçauroit accabler..

  A019001138 

 Je n'en doutois pas, ma tres chere Fille, que Dieu n'eust soin de vostre cœur en ces occurrences, et que s'il le blessoit d'une main, il n'appliquast son bausme de l'autre.

  A019001138 

 O ma tres chere Fille, que vous puis je dire sur ce trespas? Nostre bonne Mere de la Visitation m'en a donné l'advis; mais a mesme tems elle m'escrit qu'elle avoit veu madame vostre mere et ma tres chere fille vostre seur Catherine de Gennes, braves, resolues et [122] vaillantes, et de plus, que M. de Belley avoit receu de vos lettres, par lesquelles vous luy tesmoignies vostre asseurance en cette occasion.

  A019001139 

 Mais c'est donq asses, ma tres chere Fille: Dieu et vostre bon Ange vous ayant consolee, je n'y metz plus la main; vostre amertume tres amere est en paix, qu'est il besoin d'en plus parler? A mesure que Dieu tire a soy, piece apres piece, les thresors que nostre cœur avoit icy bas, c'est a dire ce que nous y affectionnions, il y tire nostre cœur mesme; et puisque je n'ay plus de pere en terre, dit saint François, je diray plus librement: Nostre Pere qui es es cieux.

  A019001140 

 Mais, ma Fille, et nos Seurs Catherine de Sienne, Anne et Marie, que font elles, les pauvres filles? Elles sont constantes, n'est ce pas? car elles sont nos seurs.

  A019001143 

 O Dieu, ma Fille, je voy vos entortillemens dans ces pensees de vanité; la fertilité, jointe a la subtilité de vostre esprit, preste la main a ces suggestions; mais dequoy vous mettes vous en peyne? Les oyseaux venoyent becqueter sur le sacrifice d'Abraham: que faysoit-il? avec un rameau qu'il passoit souvent sur l'holocauste, il les chassoit.

  A019001144 

 Accoustumes vous a parler un peu tout bellement, et a aller, je veux dire marcher, tout bellement, a faire tout ce que vous feres, doucement et tout bellement; et vous verres que dans trois ou quatre ans vous aures rangé tout a fait cette si subite soudaineté.

  A019001144 

 Or, je sçai bien que parmi tout cela vous feres mille eschappees le jour, et que tous-jours ce naturel si actif fera des saillies; mais il ne m'en chaut pas, pourveu que ce ne soit pas vostre volonté, vostre deliberation, et que tous-jours vous appercevant de ces mouvemens, vous taschies de les appayser..

  A019001145 

 Ces menues envies ne sont rien, ains elles sont utiles, puis qu'elles vous font voir clairement vostre amour propre, et que vous faites l'acte contraire..

  A019001145 

 Prenes bien garde a ce qui peut offencer le prochain et a ne rien descouvrir de secret qui luy puisse nuire; et s'il vous arrive, taschés a reparer le tort, tant que vous pourres, sur le champ.

  A019001146 

 Mais, ma Fille, cet amour de la propre excellence n'est [125] il pas gratieux en cette fille que je vous ay tant recommandee et qui en verité m'est chere comme mon ame? Car, qu'y a il de plus gentil que cette petite aversion, laquelle [provient] d'estre appellee fille de cette pauvre Mere? Mays demandes luy, je vous prie, si elle a encor point de sentiment dequoy je l'appelle ma Fille, et si elle voudroit point que je l'appellasse ma Mere? O vray Dieu, qu'il luy a cousté d'effortz pour me dire cette petite niaiserie! Certes, ma Fille, je ne sçai pas combien il luy couste, mais je ne voudrois pour rien du monde qu'elle ne me l'eust dit, puisqu'en cela elle a prattiqué une si profonde resignation et confiance envers moy..

  A019001147 

 Au reste, ma tres chere Fille, je ne sçai pas ce que cette fille m'a fait, mais je treuve ses miseres, qu'elle me descrit si naïfvement, si bien remarquees que rien plus.

  A019001147 

 O ma Fille, dites luy que ces menues communications de son ame a la mienne entrent en un lieu d'ou elles ne sortent jamais qu'avec congé de celle qui les y met.

  A019001147 

 Or dites luy qu'elle m'escrive tous-jours simplement, et qu'encor qu'estant la aupres d'elle, elle ne m'eust jamais monstré des lettres qu'elle escrivoit a ses seurs, maintenant, si j'y estois, elle n'en feroit nulle difficulté; car elle me connoist bien mieux qu'elle ne faysoit pas, et sçait bien que je ne suis pas d'humeur mesprisante..

  A019001148 

 Mays voyes vous, ne vous estonnes pas de ces distractions: Si j'estois sainte, si je parlois au Pape, et semblablables; car, pour estre fort vaines, elles n'en sont que plus parfaitement distractions, et n'y faut nul autre remede que de ramener doucement le cœur a son object..

  A019001148 

 Pour l'orayson, ma tres chere Fille, je treuve bon que vous lisies un peu dans vostre Theotime, affin d'arrester vostre esprit, et que de tems en tems, a mesure que vous appercevres que vous estes en distraction, vous disies tout bellement des paroles contraires a Nostre Seigneur.

  A019001149 

 Je sçai qu'il est tellement a Nostre Seigneur, que non pas mesme ce rude coup n'a sceu luy oster la paix interieure; mays son ennuy et ses apprehensions auront esté grandes.

  A019001150 

 Je suis en luy tout vostre, d'une façon que la seule Providence vous peut faire concevoir.

  A019001161 

 Ce n'est pas pour vous separer de monsieur vostre cher mari, que je vous escris separement et a l'un et a l'autre, Madamoyselle ma tres chere Fille, mais c'est par ce que l'inscription seroit trop grande si je la faysois a tous deux ensemble..

  A019001162 

 J'ay une continuelle memoire de vostre sainte dilection, et ne cesse point de vous souhaiter mille et mille benedictions, ne doutant point que reciproquement vous ne me recommandies souvent a la misericorde de Nostre Seigneur quand, en l'orayson, vous vous presentes devant sa face..

  A019001180 

 Mon Dieu, ma Fille, ne vous tenes nullement chargee de souffrir ce qu'il faut que vous souffries: c'est pour la tressainte volonté de Dieu, qui a donné ce poids et cette mesure a vostre estat, corporel; mais l'amour sçait tout et fait tout; il me rend ce me semble, medecin..

  A019001180 

 Oh! ce pauvre cœur, je le voy tout alangouri en la lettre que vous m'escrivistes le 12 decembre, que je receus fort tard.

  A019001181 

 Je suis grand partisan des infirmes, et ay tous-jours peur que les incommodités que l'on en reçoit n'excitent un esprit de prudence dans les Maysons, par lequel on tasche de s'en descharger, sans congé de l'esprit de charité sous lequel nostre Congregation a esté fondee, et pour lequel on a fait expres la distinction des Seurs qu'on y veut.

  A019001182 

 Ayes toute vostre confiance en sa [130] Bonté, et il aura soin de vostre ame et de tout ce qui la regarde plus que jamais nous ne sçaurions penser..

  A019001183 

 Je serviray ce que je pourray monsieur N.; mais il faut advouer qu'en matiere de negociations et affaires, sur tout mondaines, je suis plus pauvre prestre que je ne fus jamais, ayant, graces a Dieu, appris a la cour a estre plus simple et moins mondain..

  A019001185 

 Vous estes ma tres chere Fille, et Dieu veut que j'aye de la consolation a le dire..

  A019001193 

 En fin il se faut consoler; rien n'est si aggreable ni si salutaire en cette vie mortelle que de bien aymer Dieu, et pour Dieu le prochain.

  A019001193 

 Je le voy, certes, et je sens que vous m'aymes cordialement et que vous y aves bien du playsir; et croyes aussi, je vous prie, que de mon costé j'ay un contentement nompareil en l'extreme affection que Nostre Seigneur m'a donnee pour vous..

  A019001194 

 Et puis, voyla la tres chere seur qui de mesme ne respire presque que la bienveuillance de son beaufrere, et ayme filialement ce chetif Pere spirituel, de qui Dieu luy a [132] donné une si entiere et parfaite amitié qu'elle ne se peut exprimer.

  A019001194 

 Et si, il faut que je vous le die, mon tres cher Frere, (et ne voules vous pas ce tiltre cordial?) que cette pauvre me fait un peu de pitié, comme la voyant la es chams, un peu trop tristement solitaire.

  A019001194 

 Mais, c'est son calice; ne faut il pas qu' elle le boive? Et puis, je m'imagine que vous luy escrives souvent, et alleges son tendre cœur par la communication des sentimens du vostre..

  A019001195 

 Mais n'attendes pas, mon cher Frere, que je vous face le remerciement que je devrois de vostre boëte toute pleine de parfums sacrés: seulement je vous asseure que j'estime plus ce present que l'or et le topaze, car il vient de vostre dilection et ne rend que devotion..

  A019001196 

 Je me resouviens fort bien que j'allay visiter une damoyselle, grande amie de madame l'Abbesse de Baume; et elle sera donq la mienne puisqu'elle est la vostre, car les cœurs qui sont unis a un cœur ne peuvent qu'ilz ne soyent unis ensemble..

  A019001197 

 Il faut que je m'arreste, puisque le porteur me presse..

  A019001211 

 Tous vos justes contentemens, Monsieur, m'en donneront tous-jours, mon ame estant tellement affectionnee a la vostre qu'elle a tous-jours des ressentimens de vos sentimens, et des complaysans en vos playsirs, et des condoleances a vos douleurs; comme, quand a celles ci, j'espere d'avoir un jours ( sic ) part en la gloire qu'elles vous apporteront, si vous les souffres avec l'humilité et charité que vostre bon Ange et vostre propre esprit vous suggerent, en l'union des travaux de Nostre Seigneur..

  A019001212 

 On a treuvé un logis et un' honneste compaignie pour cette pauvre femme, dont il vous plaira faire donner advis a M. Rosetain, affin que, s'il est tous-jours estimé expedient, on la dispose a se praevaloir de cett'occasion.

  A019001213 

 Cependant, madame de Chevron, ma bonne tante, a pensé jusques a present que j'avois esté l'autheur de cette retraitte; qui a esté la cause que je ne suis point allé voir madame de Boege, en attendant que, par mesme voye, allant visiter l'une de ses ( sic ) dames, je puisse aussi visiter l'autre, estant si voysines comme elles sont; et lhors je n'oublieray pas ce quil vous a pleu de me recommander, Dieu aydant, ayant tous-jours un desir invariable de vous pouvoir, par quelque preuve, asseurer,.

  A019001213 

 Mays vous sçaves bien que le bon M. le Doyen de Chevron, mon cousin et vostre parent, que j'avois retenu des il y a trois ans en nostre profession ecclesiastique, estimant qu'il y pouvoit rendre plus de service a Nostre Seigneur, enfin s'est retiré a Talloyres, dans la vocation monastique.

  A019001214 

 Monsieur, que je suis et seray toute ma vie.

  A019001230 

 Le gratis est d'importance, et l'acceleration; a quoy vient a propos que, commejecroy, monsieur l'Ambassadeur sera favorable, et si Madame fait recommander l'affaire a Monseigneur le Nonce, auquel neanmoins j'escriray dans peu de jours.

  A019001230 

 Voyla ma procuration, mon tres cher Frere, et le Memoire des choses qui me semblent a propos d'estre remonstrees a Rome; mais puisque vous aves le vent en pouppe et que tout le monde sçait cette affaire par dela, je pense que les faveurs de Son Altesse et de Messeigneurs les Princes osteront toute difficulté.

  A019001231 

 Nostre monsieur de Quoex, dit quil ne faut rien que la procure que j'ay faite, et que la chose soit vivement sollicitee; pour cela, j'escris a monsieur Beybin, qui est non seulement de ce diocese, mais curé de Saint Germain de la Chevre et respondant de Dumont, et voysin de monsieur l'Abbé de Cheysery, et fort dependant de Monsieur de Bourges..

  A019001232 

 C'est la verité qu'il est expedient que je n'aille pas a Turin qu'apres Pasques et le Sinode, s'il se peut, et particulierement s'il faut que l'information super vita et moribus se face en cette ville.

  A019001232 

 Je voudrois bien sçavoir, s'il se peut, en quoy Son Altesse me veut employer, selon que monsieur Cavoret vous a dit; mais si vous le pouves tirer, quand vous m'escrires il ne sera pas besoin de me marquer sinon en tierce personne, comme par exemple: L'amy sera employé en telle et telle chose..

  A019001234 

 En un mot, il faut si bien faire, et si saintement et si humblement, que la gloire en demeure a Dieu..

  A019001234 

 Le bon monsieur du Chatelart en eut la premiere nouvelle, c'est a dire deux jours devant moy, de sorte qu'on commença d'en parler avant que j'en sceusse rien.

  A019001234 

 Messieurs du Conseil et toute la ville, tout cela est en joye, et chacun l'appreuve encor plus parce que cela s'est fait sans brigue ni recherche.

  A019001234 

 Presque tout le monde icy tesmoigne de la joye de vostre promotion, et ceux qui ne la tesmoignent pas sont de trois sortes: les uns, parce qu'ilz ont opinion que c'est tout a fait pour m'oster d'icy, et ilz nous voudroyent tous deux; les autres, parce que cela leur est tellement [137] inopiné, qu'a l'abord ilz ont eu peine de le croire; et les autres, qui sont fort peu et si peu que ce n'est rien, par envie, jalousie et amertume de cœur.

  A019001235 

 Il n'est point besoin de placet a Rome, la lettre de Son Altesse a l'Ambassadeur suffit; mais il le faut avoir pour la possession, que le Senat ne permettroit pas sans cela..

  A019001235 

 Je vous envoyeray mes Bulles par mon neveu, ou par autre premiere commodité, affin que s'il y avoit quelque chose qui servit, on le prit; mais on sçait tout cela en chantant.

  A019001260 

 Je vous prie donc instamment de vouloir bien vous en occuper avec affection et toute diligence; car Son Altesse et Monseigneur le Prince désirent beaucoup que l'affaire réussisse promptement pour de dignes considérations qui regardent leur satisfaction et service.

  A019001260 

 Son Altesse ayant fait à mon frère la faveur de le nommer à la coadjutorerie de cet Evêché avec future succession, j'ai pensé que Votre Seigneurie me rendrait volontiers le service d'en entreprendre la sollicitation, d'autant plus que votre naissance en ce diocèse et l'amitié que votre père et vos frères m'ont toujours témoignée [139] vous inviteront à le faire.

  A019001260 

 Votre Seigneurie pourra en toute assurance engager ma parole pour attester que nous n'avons employé en ceci ni artifice de cour, ni importunité, ni demande ou requête..

  A019001261 

 Que Votre [140] Seigneurie veuille donc nous obliger en se chargeant de la conduite de cette affaire, selon la confiance que je prends de vous en prier, et tenez-moi,.

  A019001272 

 C'est pour vous dire que je ne vous escris que ces deux motz, reservant le loysir pour escrire a d'autres a qui il faut faire responce.

  A019001273 

 Mais que sont ilz ces deux motz? Humilité et patience.

  A019001273 

 O ma tres chere Fille, recommandes moy a ce divin Amour crucifié et crucifiant, affin qu'il crucifie mon amour et toutes mes passions, en sorte que je n'ayme plus que Celuy qui, pour l'amour de nostre amour, a voulu estre douloureusement mais amoureusement crucifié..

  A019001273 

 Vous estes environnee de croix tandis que le cher mary a du mal: or, l'amour sacré vous apprendra qu'a l'imitation du grand Amant, il faut estre en la croix avec humilité, comme indigne d'endurer quelque chose pour Celuy qui a tant enduré pour nous, et avec patience, pour ne point vouloir descendre de la croix qu'apres la mort, si ainsy il plait au Pere eternel.

  A019001274 

 Mon frere de Boysi, vostre hoste, s'en va estre evesque pour me succeder, Madame l'ayant ainsy desiré et Son Altesse voulu, sans que jamais, ni directement ni indirectement, je l'aye recherché.

  A019001275 

 Ma tres chere Fille, je suis incomparablement vostre serviteur tres humble, et de monsieur vostre mary, et de monsieur C., mais sur tout de vostre chere ame, que Dieu benisse.

  A019001284 

 Playse a cette mesme Bonté celeste de respandre ses graces sur nous, affin que nous suivions tous les sacrés attraitz de sa sainte vocation..

  A019001285 

 Je n'ay encor point parlé a monsieur N.; mais, a veuë de païs, je ne laisse pas de vous dire, ma tres chere Fille, que vous tenies la teste hautement relevee en Dieu et les yeux dans l'eternité bienheureuse qui vous attend.

  A019001296 

 Il est vray, vous l'aves desiré et je l'ay accepté: vous estes ma tres chere Fille, et j'en ay de la consolation, estimant que vos bons souhaitz devant Dieu ne serviront pas peu pour impetrer sa misericorde sur mon ame, laquelle aussi reclame souvent cette mesme Bonté sur la vostre, affin qu'elle soit toute sainte, et qu'en verité elle marche en douceur, humilité et simplicité interieure, qui sont les trois vertus colombines que le divin Espoux Jesus Christ recherche en ses amantes.

  A019001297 

 Je vous escris ces motz sans loysir ni haleine, pour la multitude des responses quil faut que je face; mais je ne [144] les envoye pas sans un'extreme affection que j'ay pour vous, puisqu'il plait a Celuy, ma tres chere Fille, qui m'a rendu, en son divin bon playsir,.

  A019001312 

 La chere seur viendra donq icy samedi, a ce que monsieur le President vostre beaufrere m'a fait dire, et croyes qu'elle sera parfaitement la bien venue, car je la cheris d'une dilection incomparable..

  A019001313 

 En somme, il voudroit sçavoir en quelle qualité on le tient, et croy qu'il voudroit celle de Pere spirituel, pour deux raysons: l'une, parce que l'amour.....................................................

  A019001313 

 Je treuve bien en luy le bon cœur que vous me dites, et pour cela il faut grandement l'honnorer et cherir.

  A019001313 

 Nous avons parlé, le bon M. d'Ulme et moy, et nous [145] n'avons rien conclu, sinon qu'il attendra jusques a ce que vous soyes en Chalamont, coulant ainsy le tems doucement; et entre ci et la, Dieu luy mesme accommodera toutes choses, ainsy que nous devons esperer.

  A019001319 

 On dit souvent de telles propositions qui se doivent entendre commodement, c'est a dire quand les choses se peuvent bonnement faire, selon les lieux, les personnes et les affaires que l'on a. Demeures donq en paix, et faites valoir ce document, sagement, prudemment, non durement ni rigoureusement, ni ric a ric..

  A019001319 

 Or sus, je vous dis, ma tres chere Fille, que si j'ay dit en quelque Entretien: douze heures dans la mayson [146] pour une au parloir, j'ay dit ce qui seroit desirable, s'il estoit prattiquable.

  A019001320 

 Et de plus, s'il se treuve quelque ame, voire mesme au noviciat, qui craigne trop d'assujettir son esprit aux exercices marqués, pourveu que cette crainte ne procede pas de caprice, outrecuydance, desdain ou chagrin, c'est a la prudente Maistresse de les conduire par une autre voye, bien que pour l'ordinaire celle ci soit utile, ainsy que l'experience le fait voir..

  A019001320 

 Le Directoire du noviciat propose quantité d'exercices, il est vray, et il est encor bon et convenable pour le commencement de tenir les espritz rangés et occupés; mays quand, par le progres du tems, les ames se sont un peu exercees en cette multiplicité d'actes interieurs et qu'elles sont façonnees, desrompues et desengourdies, alhors les exercices s'unissent a un exercice de plus grande simplicité: ou a l'amour de complaysance, ou a l'amour de bienveuillance, ou a l'amour de confiance, ou de l'union et reunion du cœur a la volonté de Dieu; de sorte que cette multiplicité se convertit en unité.

  A019001330 

 Et ne puis que recevoir a beaucoup de faveur la memoire qu'il vous plait d'avoir de la ferme et reciproque amitié de nos peres, laquelle, de ma part, je cultiveray fort affectionnement en toutes les occasions esquelles mon pouvoir s'estendra, de vous rendre service..

  A019001330 

 Je loue Dieu et vous remercie humblement de la paix et douceur que vous aves donnee a vostre curé qui, je m'asseure, l'employera a rendre meilleur service a l'Eglise.

  A019001331 

 Et mesme que monsieur de Menthon, de la nomination duquel est ladite chapelle, praeferera aussi celluy-la a quicomque pourroit venir, puisqu'il luy est aussi proche qu'a vous, Monsieur, qui sous la faveur de Son Altesse ne tarderes pas, comme j'espere, beaucoup sans avoir des autres bonnes commodités pour monsieur vostre filz; et moy, je desireray tous-jours le bonheur de m'y pouvoir employer..

  A019001331 

 Mays monsieur le Doyen la possedera encor toute l'annee de son noviciat, apres laquelle il en veut disposer en faveur d'un parent qui luy est si proche, [148] et a vous, Monsieur, que quand il me l'a eu nommé et dit ses raysons, il m'a osté tout a fait le courage d'interceder pour tout autre.

  A019001331 

 Que si la chapelle dont vous m'escrives estoit en ma main, tres volontier je la contribuerois a vostre contentement, pour la retraitte de monsieur vostre filz, Religieux en Soüisse.

  A019001332 

 Ce pendant, Monsieur, cette mesme amitié ancienne qu'il vous a pleu de me marquer, m'oblige a vous communiquer lhonneur que Son Altesse a fait ces jours passés a mon frere qui est aupres de Madame, l'ayant nommé mon coadjuteur et successeur en cett'Evesché, avec une gratification d'autant plus honnorable que ça esté sans que je l'aye jamais ni demandee ni fait demander.

  A019001348 

 Demain je luy parleray, mais non pas seul, affin qu'elle ne dise pas que je la flatte.

  A019001348 

 Je ne suis marry sinon de la peyne que vous en aves, et du trouble qu'elle excite dans la mayson.

  A019001356 

 De sorte, ma tres chere Mere, que dans trois moys, voyla un nouvel Evesque tout sacré; car ces Princes, et particulierement Madame, le veulent ainsy avoir tout fait vistement.

  A019001356 

 Et l'excellence du fait, c'est que, ni directement ni indirectement, j'e n'ay demandé ni procuré ce bienfait, qui n'est pas grand, a la verité, quant aux moyens, mais bien grand quand a lhonneur et la façon encor plus honnorable de le conferer.

  A019001356 

 Saches, ma tres chere Mere, que par une voye admirable Son Altesse a nommé mon frere a ma coadjutorie et succession en cet Evesché, sur le desir de Madame et de Monseigneur le Prince, brevet expedié et toutes les faveurs les plus favorables pour Rome; mays avec des paroles si avantageuses de Son Altesse et de Madame pour toute nostre mayson, pour mon frere et pour moy, que rien ne s'est veu de pareil.

  A019001357 

 Je confesse, et il est vray, que je ne suis guere richement accommodé de moyens; mais je suis sans necessité, et n'ay ni occasion ni inclination quelcomque de faire rien d'indigne de ma condition et profession pour en avoir.

  A019001357 

 Or, je vous dis ceci: premierement, affin que vous le sachies; secondement, pour m'excuser si je ne vous escris pas, ni a monsieur des Hayes, si amplement que je desirerois, ni a personn'autre qu'a vous deux, car il me faut tant escrire a la cour, a tous ces Princes et Princesses, des lettres de remerciement, et a Rome des lettres de supplications, que j'en suis tout es [soufflé]; tiercement, affin que vous demeuries en paix, avec asseurance que je ne feray point de changement en mes adventures que quand je verray une signalee occasion du service de Dieu et digne d'estre suivie, toutes choses laissees.

  A019001358 

 Mays je luy dis asses intelligiblement a Tours, que je ne voudrois estre demarié que pour n'estre plus marié, et notamment de la sorte que vous m'escrives.

  A019001358 

 Que je me chargeasse de l'espouse d'autruy par obligation, moy! cela, comme je pense, me seroit impossible.

  A019001359 

 Si vous nous donnes advis que ma chere fille madamoyselle de Chantal ne soit point mariee, ni pour l'estre de dela, je m'essayeray de renouer le mariage, ou avec le neveu de M. d'Andelot, sil revient asses tost d'Italie ou il est (j'entens l'oncle), ou avec monsieur de Ballon, s'il n'espouse madamoyselle de Charmoysi qu'il recherche avec force grans corrivaux..

  A019001360 

 La pauvre [Sœur Jeanne Françoise] nous exerce extremement, car, si je ne me trompe, il y a apparence que sa cervelle va renverser.

  A019001360 

 Nous ferons ce que nous pourrons, et sil plait a Dieu que ce malheur arrive, nous la retirerons en quelqu'une des maysons de mes freres.

  A019001361 

 Je vous dis courtement qu'ouy: cet abandonnement en Dieu parmi les douleurs interieures et exterieures est tres [153] bon, et bon aussi de dire vocalement les paroles que vous me marques, de tems en tems, pour faire sçavoir au cœur qu'il est en Dieu, par le tesmoignage que ces paroles luy rendent.

  A019001362 

 En verité, je ne sens quasi point ce desplaysir, non plus que si c'estoit d'un'autre..

  A019001362 

 Ne vous fasches point de ce que je vous ay dit de cette Seur Jeanne Françoise, car j'en suis plus en peine que fasché; c'est a dire, je suis plus en perplexité comme je dois faire, qu'affligé de ce qu'il y faut faire.

  A019001363 

 La grande est grandement aymee de mon cœur: quelle patience avec moy, d'attendre si longuement que j'escrive! La chere Seur Anne Catherine sçait bien ce que je luy suis, et la chere Seur Jeanne Marie et Marie Anastase, et la premiere Novice, et toutes.

  A019001363 

 Mays a la bonne madame de Villesavin, que ne luy suis-je pas? Je recommande sa grossesse et sa famille, de tout mon cœur, a la divine Majesté..

  A019001365 

 Je voy a la desrobee les Directoires, et n'ay sceu achever, non plus que faire les entretiens que vous desiries..

  A019001366 

 Je n'ay jamais bien peu concevoir qu'il fut juste qu'on fit perdre les creances a un homme pour les conserver au debiteur qui, [155] en aage de discretion, a fait l'emprunt; mays si on pouvoit mettre ordre pour l'advenir affin qu'on ne peut plus valablement emprunter et que cela fut notifié aux presteurs, cela seroit bon..

  A019001367 

 La Seur Jeanne Françoise me vient de promettre des merveilles; car saches que le porteur qui me pressoit tant hier n'estant pas parti, j'ay adjousté ces deux motz..

  A019001379 

 Je me sens si extremement obligé a la faveur que vous exerces envers mon frere et moy, que je ne sçai comme commencer ni par ou finir a vous en faire action de [156] graces.

  A019001379 

 Seulement vous supplie-je tres humblement d'accepter la veritable protestation que je fay d'en avoir un aussi grand sentiment qu'on sçauroit desirer d'un'ame toute pleine de connoissance de son devoir, avec un'infinie affection de correspondre par toute sorte de fidele service..

  A019001389 

 Il m'est advis que je voy vostre cœur comme un cadran qui est posé au soleil et qui ne remue point, ains demeure immobile, tandis que l'esguille et calamite qui est dedans [157] s'agite incessamment et, par des continuelles inquietudes, s'eslance du costé de sa belle estoile; car ainsy vostre cœur demeurant immobile, vostre volonté tend par des bons mouvemens a son Dieu.

  A019001390 

 Il faut que je me res-jouisse avec vous de vostre petite confiance avec la chere petite cousine, que vrayement mon cœur ayme tendrement, comme vous.

  A019001390 

 J'espere que Nostre Seigneur la rendra fort sa servante..

  A019001391 

 Il faut que je vous die ce mot, sur l'opinion qu'on a prise que je procurois de renfermer vostre Monastere.

  A019001391 

 Je vous veux un jour tout dire ce que Son Altesse m'a communiqué de son dessein pour cela, et ce que je luy ay repliqué.

  A019001391 

 Vous verres si je suis doux en cela, et si c'est vous loger au sepulchre! Non, je n'ay pas voulu, en un Monastere ou j'avois toute authorité, les enfermer, parce que les filles n'y avoyent pas inclination; et ay tous-jours dit que ces grans traitz dependoyent de l'inspiration et non de l'authorité exterieure, laquelle peut bien faire des enfermees, mais non pas des Religieuses..

  A019001392 

 Et pour les autres, Dieu les assistera, [158] s'il veut que je les serve; et s'il ne le veut pas, sa volonté soit faite.

  A019001392 

 Pourveu que sa Majesté soit glorifiee en elles, comme je m'asseure qu'elle sera tous-jours, je seray tres satisfait, et renonceray de bon cœur au contentement spirituel que j'esperois avoir d'estre utile a leur bien.

  A019001392 

 Soyes bien ferme a ne point mescroire de moy, ma bonne Fille, et soyes toute certaine que je suis tout ouvert de cœur avec vous.

  A019001399 

 Ce qu'il fit, mais en confession, en sorte que je ne puis dire sur ce sujet que deux veritables verités: l'un'est que cett'ame est parfaitement bonne et toute exposee a la volonté de Dieu; et l'autre, que j'ay estimé a propos de luy donner [159] encor un peu de tems, tandis qu'elle acheve son cours de theologie, pour plus entierement digerer ses cogitations sur le fait de sa vocation.

  A019001399 

 Je fay la response que vous me demandes sur le sujet de monsieur de Saunas.

  A019001399 

 Son confesseur, a ce qu'il m'a dit, est un tres grand personnage, et de la Compaignie, qui verra plus clairement a la suite ce qui sera convenable, et en discernera mieux que je ne sçaurois faire..

  A019001400 

 Et pourroit ce dessein estre mesnagé sur l'erection d'un evesché a Chamberi, que Son Altesse semble tant affectionner et qui y est si nécessaire, et dont [160] la commodité est meilleure que jamais tandis que M. le mareschal des Diguieres gouverne; car la proposition d'un Seminaire estant faite, on pourra faire aysement entrer en propos l'entretenement de quelques Peres pour la conduite d'iceluy..

  A019001400 

 Mays quant au point de procurer un benefice au college de Chamberi, jusques a la concurrence de ce que Son Altesse contribue, affin qu'on n'ayt rien a faire avec les tresoriers et financiers, je l'appreuverois grandement, voire mesme quand la concurrence ne seroit pas du tout egale.

  A019001400 

 Que si monsieur de Saunas ne donne pas son prieuré, il y en a d'autres aupres de Chamberi, comme Saint Bardot, et quelques autres petitz qui pourroyent servir a cela.

  A019001416 

 Et pour cela je me contenteray de luy en faire tres humblement la reverence et l'asseurer que, comme elle pouvoit gratifier grande multitude de gens de plus de merite, aussi n'eut elle peu en regarder de plus de fidelité et d'obeissance [161] que mondit frere et moy, qui ne cesseray jamais de louer Dieu de quoy il m'a rendu, par tant de devoirs,.

  A019001416 

 Je ne me puis taire sur la nomination de mon frere a ma coadjutorie, car les grans coups de faveur, comme ceux de la douleur, excitent qui que ce soit a parler; et si, je ne puis rien dire a Vostre Altesse sur ce sujet, qui ne soit grandement au dessouz de mon sentiment.

  A019001429 

 Pour cela, Monseigneur, je ne destine pas ces lignes au tres humble remerciment que je devrois faire a Vostre Altesse pour la grace qu'il luy a pleu d'exercer envers mon frere et moy, le nommant a ma succession en cet Evesché; mais je luy en fay seulement tres humblement la reverence, pour tesmoignage qu'en cette nouvelle obligation je renouvelle et confirme l'hommage et la fidele obeissance que je doy a la bonté de Vostre Altesse, la suppliant en toute humilité de continuer, comme ell'a commencé, de me proteger tous-jours avec mes freres sous la douceur de sa debonnaireté, puisque nous ne respirerons jamais si cherement et cordialement autre chose quelcomque de ce monde, que l'inviolable devoir par lequel nous sommes si heureux que d'estre et vivre en la sujettion de Vostre Altesse, a laquelle souhaitant incessamment le comble de toute sainte prosperité, je suis,.

  A019001442 

 Si vous mesures vos faveurs a ce que Dieu a voulu que vous fussies, il n'y en aura jamais de trop grandes; mays [163] si elles sont balancees avec le merite de ceux qui les reçoivent, celle dont il vous a pleu de gratifier mon frere et moy, en la nomination faite par Son Altesse, sera sans doute des plus excessives, et faudra advoüer, Madame, qu'elle n'a nul fondement qu'en la grandeur de vostre bonté; sinon que, parmi plusieurs graces de Dieu, vous aves encor celle la de connoistre les cœurs, et que dedans les nostres Vostre Altesse ayt regardé l'incomparable passion que Dieu mesme y a mise, pour nous rendre infiniment dediés a vostre service et nous faire resigner a jamais a l'obeissance de vos commandemens: car en ce cas, Madame, s'il vous a semblé bon de mettre en consideration nostre tres humble sousmission, Vostre Altesse aura bien eu quelque sujet de nous departir ce bienfait, duquel je luy rens tres humbles graces..

  A019001455 

 Demeurés en paix, ma tres chere Seur, et ne croyes point que j'aille ni en Espagne ni ailleurs, au moins ny [164] a-il nulle apparence de cela; et j'espere que j'auray le contentement de vous rendre quelque service pour vostre logement avant mesme que j'aille en l'autre monde, qui est le plus long et le plus esloigné, comm'aussi le plus asseuré de tous les voyages que j'aye a faire, et lequel je vous supplie tous-jours de recommander et faire recommander a Dieu par vos cheres Filles, affin quil me soit heureux.

  A019001455 

 Et croyes, je vous supplie, que si vous m'aymés toutes, je vous cheris aussi d'une dilection tres entiere, et ne cesse point de souhaiter que vous abondies en toute sainteté..

  A019001471 

 Outre que les venerables Religieux de Six, pour leur bonne vie et affection a la reformation, meritent d'estre [165] protegés, l'affaire qu'ilz ont maintenant prenant son origine en partie de la visite que j'y ay faite, et en laquelle je puis bien prendre Dieu mesme a tesmoin d'avoir eu seulement son service en veüe, et en laquelle, de plus, je n'ay presque rien ordonné qu'apres avoir, par raysons, tiré le consentement amiable des parties, je me sens obligé de faire avec lesdits Religieux une mesme supplication aupres de vous, affin qu'il vous playse de les favoriser en la conservation de leur bon droit; en quoy vous feres chose grandement aggreable a Nostre Seigneur et qui m'obligera extremement, qui suis a jamais,.

  A019001489 

 Cette bonne Seur Jeanne m'a souvent dit que vous conservies tous-jours quelque souvenance de moy, continuant a m'aymer, ainsy que vous me promistes la derniere fois que j'eu le bien de vous voir.

  A019001489 

 Et j'ay un si grand playsir de sçavoir cela, que je n'ay pas voulu laisser partir cette Seur Jeanne sans luy donner ce billet, par lequel je vous remercie de tout mon cœur et vous asseure que reciproquement je vous honnore passionnement, et voudrois bien estre si heureux que de vous rendre quelque service.

  A019001489 

 Mays cependant, je vous souhaite toute sainte benediction, et a madamoyselle Montenet vostre femme, que je salue cordialement, et suis, Monsieur,.

  A019001501 

 J'attens tous les jours un Brief du Pape, que mon frere m'escrit avoir veu entre les mains de Monseigneur le Nonce, par lequel je suis commis pour ranger au meilleur ordre qu'il se pourra toutes affaires de la Sainte Mayson; et je vous prie que l'on attende jusques a ce tems la de remplir la place que monsieur Thomas laisse, lequel il me fait mal de voir partir de ce diocese, pour la vertu qu'il a tous-jours tesmoignee, bien que d'ailleurs [168] je suis grandement consolé qu'il aille en la vigne de Lyon, qu'on me dit avoir tant besoin de cultivateurs..

  A019001505 

 Monsieur de Boys m'a dit que je ne pouvois faire autre decret sur la requeste de monsieur Bidal..

  A019001515 

 Ce billet que j'arrache de force d'entre un accablement extreme, n'est que pour vous dire que cette bonne fille de laquelle vous m'escrives, ayant esté des premieres de cette Mayson la, et estant de si importante consideration, comme vous me dites, pour tenir en paix cette bonne dame et plusieurs personnes apparentes, je croy qu'il la faut recevoir a la Profession, puisque mesme il n'y a point d'obstacles de consequence; et j'espere que cette feminine tendreté sur elle mesme se passera petit a petit.

  A019001515 

 En un mot, il faut exercer une franche et suave charité envers son esprit, et estimer que Dieu a voulu qu'elle fust la a cet effect..

  A019001515 

 [169] Elle pourra estre des Seurs Associees, qui sont l'objet de la plus parfaite charité qu'on puisse exercer, ce me semble, en attendant que, le courage luy venant, elle puisse se rendre un peu sujette au chœur.

  A019001516 

 Je revoy les Regles et les Constitutions et les Formulaires, ou j'ay treuvé de grans manquemens, tant en l'impresse qu'es escritz, que je repare; et mettray ces benitz vœux si expressement, que ce sera asses pour tout le monde affin qu'il demeure en repos..

  A019001517 

 O ma tres chere Fille, je vous escriray de rechef bien tost, mais j'ay creu que je ne devois pas tarder davantage de faire ce billet.

  A019001528 

 Ce garçon est venu en un tems auquel je n'ay, pour tout, sceu le depeseher que ce matin, 27 du moys, accablé, je vous asseure, d'affaires si pressantes que je n'ay peu m'en eschapper.

  A019001529 

 Mais y auroit il encor, outre cela, une fille pour estre Superieure ou Maistresse des novices? car je voy que de toutes partz on demande des Maysons; et voyla que celle de Turin se va dresser, ou il en faudra bien, tant pour la qualité du païs que pour satisfaire a Madame.

  A019001530 

 J'ay grand desir de sçavoir ce que Monseigneur l'Archevesque fera pour l'execution du Bref Apostolique, et espere [171] que l'humilité et douceur ne vous manqueront pas en toutes occurrences..

  A019001542 

 Vous me croires bien, ma tres chere [Mère], quand je vous diray simplement que la nomination de mon frere a la coadjutorie est si clairement une œuvre de Dieu, que je n'en ay jamais dit ni escrit une seule parole, ni mendié ni procuré aucune recommandation.

  A019001548 

 Nous sommes icy sans nouvelles, car elles sont toutes en Piemont maintenant, avec cette ample et grande cour que les noces y maintiennent.

  A019001558 

 C'est la verité, ma tres chere Fille, que mon ame vous cherit tres parfaitement; et m'est impossible, quand je pense en vous, qui n'est pas peu souvent, que je ne ressente un eslan d'affection fort particuliere..

  A019001559 

 Dieu soit loué, ma tres chere Fille, que vous aves souffert les tranchees d'un accouchement quand vous vous estes enfantee vous mesme a Jesus Christ! Marches maintenant saintement et soigneusement en cette nouveauté d'esprit, et gardes bien de regarder en arriere, car il y auroit un extreme danger; et benisses la divine Providence qui vous avoit preparé une nourrice si aymable.

  A019001559 

 O que Dieu est souverainement bon et gratieux, ma tres chere Fille! Certes, j'ay eu un contentement incroyable a voir comme il vous a conduitte en l'abondance de son amour.

  A019001559 

 Or sus, il falloit bien que le serpent se fourrast de force dans l'aspreté de la pierre pour se desfaire de sa vielle peau et se rajeunir heureusement, affin d'estre transformé en colombe.

  A019001560 

 Que cette chere Mere soit Superieure, j'y consens sans difficulté; mays que cela se puisse faire si absolument [174] comme vous m'en parles, je n'en sçay pas les moyens, ni il ne dependra pas de moy, qui suis fort peu de chose icy et rien du tout ailleurs: seulement je repete que pour mon consentement je le donne, et contribueray, de plus, ce que je pourray bonnement faire a vostre intention..

  A019001562 

 Donq, ma Fille, pour conclure, je feray pour vostre petit contentement tout ce que je pourray, qui est peu; de dela, je m'asseure qu'on fera de mesme; mais au Ciel on fera tout, on vous comblera de consolations par les moyens que la Sagesse supreme connoist et void, et que nous ne sçavons pas..

  A019001563 

 Demeures en paix, nourrisses amoureusement soigneusement et fidelement cette nouvelle enfant Aymee que vostre ame a nouvellement enfantee au Saint Esprit, affin qu'elle se fortifie en sainteté et qu'elle croisse en benedictions, pour estre a jamais aymee du Bienaymé.

  A019001563 

 Que vous puis je desirer de plus, ma tres chere Fille?.

  A019001573 

 Je suis certes marri, ma tres chere Fille, que nostre bon monsieur d'Ulme se retire ainsy; les raysons qu'il allegue ne sont pas selon le goust de mon foible esprit.

  A019001573 

 Si Monseigneur de Grenoble l'eut commis pour faire l'office de Pere spirituel, je l'eusse treuvé bon; mays cela ne l'eut pas contenté, car je voy que tous-jours il eut volu estre en asseurance de parti, ce qui ne se peut ni doit faire, a cause de la consequence..

  A019001574 

 Et je croy bien que jamais rien ne fut survenu du costé de monsieur d'Ulme qui eut apporté du changement, mais tous-jours ne pouvoit on pas donner une totale asseurance.

  A019001574 

 J'appreuverois que le chapelain fut confesseur, car autrement il y auroit et des grans fraitz et des grandes incommodités.

  A019001575 

 Salués cherement nostre tout uniquement bienaymee seur M me de Granieu, et M. d'Aouste que j'honnore parfaitement en mon ame, et toutes nos cheres Seurs..

  A019001593 

 Ne prenes pas garde, je vous supplie, a ce que j'ay tant tardé de vous escrire, car vous auries grand tort si vous [177] pensies que pour cela j'aye jamais cessé de vous cherir et honnorer tendrement et tres partialement, et d'autant plus, certes, que je vous sçavois estre en peine sous la persecution que l'on faysoit a vostre personne et a mon nom; mais j'avois quelque desfiance que mes lettres n'eussent pas esté ni utiles ni a propos, si l'on eust sceu que vous les eussies receuës.

  A019001593 

 Or, laissons cette pensee, et pour moy j'ay tous-jours esperé que vostre mariage reüsciroit grandement heureux en son progres, cette entree ayant esté si fascheuse; car c'est une des ordinaires methodes dont la providence de Dieu use en ce qu'elle destine a sa gloire, de faire naistre les espines avant les roses..

  A019001594 

 Mays on me dit que tous ces messieurs les parens commencent fort a s'apayser, et je le croy aysement; car en fin ilz ouvriront les yeux, et verront que la volonté de Dieu doit estre adoree en tout ce qu'elle fait, et qu'elle a fait cette liayson de sa sainte main..

  A019001594 

 On m'escrit que vostre amitié nuptiale est si entiere et parfaite que rien plus: et n'est ce pas cela la veritable et certaine marque de la benediction de Dieu sur un mariage? Et ce que Dieu benit, qu'importe-il que les hommes le censurent? Continues seulement en cette benediction, et nourrisses soigneusement ce bonheur par une perseverante fidelité au service de la divine Majesté; et que tout le monde parle tant qu'il voudra.

  A019001595 

 Je finis donq, vous asseurant que je suis sans fin,.

  A019001607 

 Ces quattre lignes suffiront, ma tres chere Fille, pour servir de preface a une plus grande lettre que je me sens obligé de vous escrire, pour reparer le manquement que j'ay fait de vous rendre ce devoir des mon arrivee en ce pais, ou je vous supplie de croire que vous estes toute presente a mon esprit, qui ne finira jamais de cherir infiniment le vostre et luy souhaiter toutes les plus favorables benedictions de Nostre Seigneur, et particulierement un continuel progres en l'amour celeste qui seul peut assoüir vos affections..

  A019001608 

 J'ay loué sa divine Majesté quand j'ay sceu que vous esties acouchee heureusement apres tant de maux et de peines, par lesquelles la divine Providence vous veut associer a sa croix, qui est la plus estimable marque de sa dilection parmi ses enfans.

  A019001609 

 Je vous demande permission de saluer en ce petit bout de lettre ma tres chere petite fille madamoyselle Anne, qui, je m'asseure, est encor plus devote que belle.

  A019001625 

 Je pense que Vostre Grandeur aura bonne souvenance que, donnant advis a Monsieur de la mort du feu sieur [de] Charmoysi, je le suppliay tres humblement de continuer sa grace et ses bienfaitz a la vefve et au filz du defunt; ce que Sa Grandeur m'accorda avec une tres grande demonstration de sa volonté et inclination a cela, [180] et Vostre Grandeur, Madame, adjousta sa toute puissante faveur a ma recommandation..

  A019001626 

 Et je me garderay fort bien de jamais rien demander, ni mesme desirer de vostre bonté, Madame, ni de celle de Monsieur, qui ne soit selon les loix de l'honneur et bonheur que j'ay d'estre,.

  A019001626 

 Maintenant donq, renouvellant ma supplication, je recours de rechef a cette mesme gratification qu'il pleut a Vostre Grandeur de tesmoigner, affin qu'il luy playse d'en commander les depesches, comme aussi ceux de deux autres graces que je demanday a Monsieur pour deux autres de mes amis; puisque, si je ne me trompe, l'une est de justice, pour reparation d'un tort fait a un gentilhomme nourri et envielli au service de Monsieur, et l'autre est de pieté, pour l'assoupissement d'un proces que les gens de Sa Grandeur ont avec deux filles pupilles.

  A019001637 

 Voyla les saintes Huiles que vous desires, tres ayse que je seray toute ma vie de pouvoir rendre quelque digne service a Monseigneur vostre oncle, a son Evesché et a vous, a qui je suis de toutes mes forces, et vous saluant humblement,.

  A019001650 

 Et a monsieur Deage, que vous surpasseres de beaucoup, et a moy, il ne cousta pour tout que a chacun 40 escus.

  A019001650 

 Or, ce constitus la se peut avoir de tous les docteurs, tant de droit que de theologie, et peut on le demander ou faire demander par maniere de curiosité.

  A019001651 

 Je vous escriray plus amplement dans trois ou 4 jours que M. du Chastelard partira, car j'ay tant escrit que je n'en puis plus.

  A019001651 

 N'ayes nullement peur que l'on voye vos lettres, ni que celles de M. Beybin se perdent..

  A019001675 

 Certes, cela est très à propos, n'ayant moi-même ni la capacité ni le moyen de le faire, bien que, pour l'attachement et le respect envers Votre Seigneurie Illustrissime, je croie n'avoir à le céder à personne..

  A019001675 

 J'ai reçu, avec les reliques de saint Charles, la très aimable lettre que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime a daigné m'écrire ces mois derniers.

  A019001703 

 Je vous supplie en même temps, si toutefois cela se peut et s'il est expédient, de vouloir bien les renvoyer ici; car, ayant appris la langue et les usages du pays, ils pourront y travailler plus utilement que d'autres qui viendraient sans ces éléments nécessaires de succès..

  A019001705 

 En attendant, je souhaite que le Seigneur comble de toute sainte prospérité Votre Paternité Révérendissime, et je demeure Son très humble frère et serviteur,.

  A019001717 

 O ma tres chere Mere, si je revenois au monde avec mes sentimens presens, je ne croy pas que toute la prudence de la chair et des enfans de ce siecle me peust esbransler en la certitude que j'ay que cette prudence est une vraye chimere et une toute veritable niaiserie.

  A019001717 

 Or sus, j'ay dit ces quatre motz pour obeir a vostre cœur, que je cheris incomparablement et comme le mien propre.

  A019001717 

 Que vous diray je? Rien autre, ma tres chere Mere, sinon qu'il me semble que mon ame est un peu plus solidement establie en l'esperance qu'elle a eu, de pouvoir un jour jouir des fruitz de la mort et resurrection de Nostre Seigneur; lequel, comme il m'est advis, parmi les jours de la Semaine Sainte et jusques a present, non seulement m'a fait voir plus clairement, mays avec une certitude et consolation intellectuelle et toute en la pointe de l'esprit, les sacrés axiomes et les maximes evangeliques, plus clairement et suavement, dis je, que jamais; et je ne puis asses admirer comme, ayant tous-jours eu une si grande estime de ces maximes et de la doctrine de la Croix, j'ay si peu pris de soin pour les prattiquer.

  A019001718 

 La coadjutorie s'en va estre toute arrestee et accomplie avec tant de faveur que rien plus; et ne se peut croire [188] combien mon frere tesmoigne d'esprit et de vertu aupres de Madame et de ces grans Princes, de sorte que je commence d'estre conneu et aymé parce que je suis son frere..

  A019001726 

 Et sil faut joindre cette piece encor, je diray que je suis encor bien ayse du bien de ce jeune ecclesiastique qui, a ce moyen, pourra en s'occupant devenir tous-jours meilleur.

  A019001726 

 J'eusse desiré que le sieur Grassi se fut contenu dans les termes du respect et de la verité a Vienne, et que monsieur Gariod n'eut pas fait l'esclat qu'il a fait a Chamberi (sur lequel monsieur le Marquis de Lans m'a escrit que le service de Son Altesse requeroit qu'on donnat la cure de Villy aux doctes, et monsieur le procureur general a appellé comme d'abus, et le Senat a tesmoigné de l'affection a la conservation du concours), ou qu'il eut eu encor un peu de courage pourvoir sortir les effectz de sa requeste et de son bon droit, affin que l'equité estant victorieuse et l'authorité des Evesques maintenue, on eut par apres plus honnorablement et courtoysement accommodé toute cette affaire en la façon mesme qu'il a, comme je voy, acceptee.

  A019001726 

 Mays puis que il a treuvé bon de le faire avant ce tems-la, je ne m'y oppose point, et dautant plus, qu'autant quil me sera possible j'affectionneray tous-jours vos desirs et ceux de monsieur de [190] Polinge.

  A019001727 

 Pour l'autre chef, les Hermites seront contens en l'accomodement quilz ont fait, et, comme j'espere, encor monsieur de Boege; mays je ne sçai pas encor les particularités, cela s'estant passé par l'advis de monsieur le Prevost mon cousin, monsieur Jai, M. Questan, M. Rosetain que j'avois commis pour cela..

  A019001740 

 Non veritablement, ma tres chere Fille, il n'est pas vray que je vous puisse dire de quel cœur je vous cheris et honnore, ni par consequent que jamais je vous puisse obliger en vous escrivant le plus souvent que je puis; quoy que je le fay avec bien plus de douceur, sachant que vous aymes a recevoir ce petit tesmoignage de mon infinie affection, que vous ne pouves guere connoistre humainement d'autre sorte, et de laquelle en suite vous auries bien sujet de douter si Dieu, qui en est l'autheur, ne vous en donnoit la certitude dans le fond de vostre ame, comm'au milieu de la mienne il a planté un invariable sentiment de ce que vous m'estes et de ce que vostre cœur est au mien.

  A019001741 

 Je pense, pour moy, que je ne bougeray point de ce païs avant la Feste Dieu, et ne suis pas certain si encor, apres cela, j'iray en aucun autre lieu, n'estant guere plus certain de l'employ de ma vie que de l'heure de ma mort, tant je suis maintenant engagé dans la volonté d'autruy.

  A019001741 

 O que ce me seroit un contentement incomparable si j'allois de..............................................

  A019001742 

 Et quand vous verres a Besangon le Saint Suaire, et en iceluy la marque de la playe de l'amoureuse poitrine du Sauveur, faites moy bien part des desirs que vous aures de vivre, comm'un heureux hermite, dans la caverne sainte de la dilection infinie que vous descouvrires-la.

  A019001756 

 Or sus, ma Mere, je suis dans vostre parloir, ou il m'a fallu venir pour escrire ces quatre ou cinq lettres que je vous envoye..

  A019001757 

 Il faut donq que je vous die que je ne puis avoir opinion que rien se face de ce costé-la, que vous sçaves, si Dieu ne le veut de sa volonté absolue; car premierement, ce fut ce que d'abord je dis a Monsieur le Cardinal, que [193] si je quittois ma femme, ce seroit pour n'en avoir plus.

  A019001757 

 Je vay doucement, quoy qu'avec grand travail, supportant les charges de la mienne, avec laquelle je suis envielly: mais, avec une toute nouvelle a moy, que ferois-je? La seule gloire de Dieu, manifestee par mon superieur le Pape, me peut oster de cette demarche..

  A019001760 

 En somme, je ne feray rien pour ce parti la que je ne sois grandement asseuré que Dieu le veuille.

  A019001760 

 N'en parlons donq plus que selon les occurrences, ma Mere..

  A019001760 

 Voyla Son Altesse qui me mande advertir que de toute necessité il veut que j'accompaigne Monseigneur le Cardinal son filz a Rome; et en effect, il sera a propos, pour le service mesme de l'Eglise, que je face ce voyage, bien qu'en toute verité, ma Mere, il ne soit nullement selon mon inclination: car en somme, c'est tous-jours aller, et j'ayme a demeurer; et c'est tous-jours aller a la cour, et j'ayme la simplicité.

  A019001770 

 Pour tout ce que vous m'escrives en trois de vos lettres, ma tres chere Fille, je ne laisse pas d'avoir une tres parfaite confiance que la fille que je vous ay tant recommandee, et qu'en verité j'ayme comme mon ame propre, reuscisse une grande servante de Dieu; car elle ne fait point de faute a dessein, ni pour aucune volonté qu'elle ayt de nourrir ces inclinations revesches, vaines et un peu mutines.

  A019001771 

 Partant, vous luy dires de ma part, que son soin principal soit a tenir son esprit dans la modestie, douceur et tranquillité, et pour cela, que mesme elle allentisse toutes ses actions exterieures: son port, son pas, sa contenance, ses mains, et s'il luy plait, encor un peu sa langue et son langage; et qu'elle ne treuve point estrange [195] si cela ne se fait point en un instant.

  A019001772 

 Dites luy que, pour toute broncharde qu'elle pourroit estre, jamais elle ne s'estonne, ni ne despite contre soy mesme; qu'elle regarde plustost Nostre Seigneur qui, du haut du Ciel, la regarde comme un pere fait son enfant qui, encor tout foible, a peyne d'asseurer ses pas, et luy dit: Tout bellement, mon enfant; et s'il tombe, l'encourage, disant: Il a sauté, il est bien sage, ne pleures point; puis s'approche et luy tend la main.

  A019001773 

 Et si quelquefois elle vous donne de la peine, supportes la suavement a ma consideration, mays sur tout a la consideration de Celuy qui l'a tant aymee, que, pour l'aller prendre dans son neant ou elle estoit, il s'est abbaissè jusques a la mort, et la mort de la croix.

  A019001773 

 O Dieu, ma tres chere Fille, si vous sçavies combien mon cœur ayme cette fille et de quelz yeux je la regarde des icy a tous momens, vous auries un grand soin d'elle, encor pour l'amour de moy, outre ce que vous luy estes; car vous m'aymes d'un amour qui est asses fort pour vous faire aymer tout ce que j'ayme.

  A019001785 

 Je treuveray fort bon que vous venies un peu a l'advantage icy, pour plusieurs raysons, et que vous passies a Grenoble, puisque mesme, ainsy faysant, vous gaigneres le passage de Chamberi quand vous ires a Turin; d'autant qu'y ayant esté en venant, et veu monsieur vostre pere, vous n'aures pas sujet de vous destourner pour y repasser, ains ires le droit chemin et avanceres d'une [197] journee.

  A019001785 

 Mais de vous dire bien precisement quand vous ires a Turin, je ne le puis encor; mon frere m'escrivoit dernierement que ce seroit environ la fin de juin ou le commencement de julliet..

  A019001786 

 Le Concile de Trente prefige absolument une annee de noviciat, en sorte que nul ne peut en establir deux, ni mesme un seul mois davantage, sans special privilege du Pape; bien qu'es cas particuliers, les Superieurs, ains la Superieure et les Seurs, peuvent differer la Profession quand il y a cause legitime: comme quand, avec un peu de loysir, la Novice pourra se rendre plus capable, ainsy qu'il est dit es Constitutions.

  A019001787 

 Si d'Auvergne on poursuivoit pour vous avoir un moys au commencement de la fondation, je pense que cela seroit bon et a propos pour la consolation des Seurs qui iront.

  A019001788 

 Cependant, ma tres chere Fille, [vous] me voyes bien marri d'estre reduit a l'impossible pour aller prescher a Lyon, Son Altesse voulant tres absolument que j'accompaigne Monseigneur le prince Cardinal a Rome, qui fera le voyage cet automne.

  A019001789 

 Je salue vostre ame de tout mon cœur, ma tres chere et tres aymable Fille, et luy souhaite incessamment les saintes benedictions du Ciel, et a ma Seur toute chere Marie Aymee, Anne Françoise, Françoise Hieronime et toutes nos Seurs, que je cheris tres parfaitement, et la malade, et tout a part M. Brun..

  A019001799 

 Il est vray que ces jeunes gens donnent de la peine; mais que feroit on la? Je ne treuve point de bien sans charge en ce monde.

  A019001799 

 Il faut donq balancer: est il mieux qu'en nostre jardin il y ayt des espines pour y avoir des roses, ou de n'avoir point de roses pour n'avoir point d'espines? Si cette fille apporte plus de bien que de mal, il sera bon de la recevoir; si elle apporte plus de mal que de bien, il ne la faut pas recevoir..

  A019001799 

 Il faut tellement adjuster nos volontés, que, ou elles ne pretendent point de commodités, ou si elles en pretendent et desirent, elles [200] s'accommodent aussi doucement aux incommodités, qui sont indubitablement attachees aux commodités.

  A019001800 

 Je la fus voir l'autre jour, avec une incroyable consolation de voir une si douce indifference a la mort et a la vie, une patience si suave, et un visage riant parmi une fievre ardente et beaucoup de peines, ne demandant pour toute consolation que de pouvoir faire la Profession avant que de mourir..

  A019001801 

 Or, si vous receves celle que vous dites, il est vray qu'il ne la faut pas lier aux exercices, car cela la pourroit rebuter en cette si tendre jeunesse, qui ne peut encor savourer ce que c'est de l'esprit, pour l'ordinaire.

  A019001803 

 Un petit habit tanné, ou blanc, ou de la couleur que vous jugeres plus propre, avec un peu de forme approchant de celle de la Religion, qui monstreroit qu'elles sont en pretention et attendant l'aage, les pourroit contenter..

  A019001804 

 Cependant, ma tres chere Fille, qui ne cherche que la gloire de Dieu la treuve dans la pauvreté comme dans les commodités.

  A019001804 

 Laisses donq doucement et paysiblement aller a Lyon qui voudra; Dieu vous garde mieux que tout cela.

  A019001804 

 Que les filles aillent a Lyon ou ailleurs, il n'importe nullement, et ne vous en mettes point en peine.

  A019001805 

 Vous m'excuseres, ma tres chere Fille, j'espere que Dieu nous assistera affin que le grand Office ne soit jamais introduit en cette Congregation, et le Pape mesme en donna quelque instruction.

  A019001806 

 Despuis, j'ay leu la premiere Constitution, ou il est asses clairement dit que les Seurs Associees, comme les Domestiques, diront des Pater et Ave en lieu de l'Office: c'est en la page 118 et 119.

  A019001807 

 Et ne vous mettes nullement en peine de cette petite touche que vostre cœur en ressent, car cela n'est rien, et sert beaucoup pour nous faire humilier doucement, pour nous faire voir la misere de nostre nature, et pour nous faire desirer parfaitement de vivre selon la grace, selon l'Evangile, selon l'esprit de Nostre Seigneur..

  A019001807 

 Il sera bon que nostre Mere de Lyon passe a Grenoble pour vous voir; vous en recevres de la consolation toutes deux.

  A019001808 

 Parles moy tous-jours hardiment; car je proteste devant [203] Dieu et ses Saintz que je suis vostre, ma tres chere et veritablement bienaymee Fille..

  A019001823 

 Quelques uns de mes amis me conseillerent de demander a Son Altesse, quand ell'estoit icy, la nomination au prieuré de Ripaille, vacant par le trespas de Monseigneur de Saint Paul; et je le fis, en sorte qu'elle me fut accordee fort favorablement, la consequence de cette [204] nomination me pouvant estre utile par ce que, du revenu de ce benefice, a esté erigee une commenderie de Saint Lazare, delaquelle, par ma naissance, je suis capable, et, venant a vaquer, ce ne me seroit pas une petite ouverture de la demander quand j'aurois des-ja le tiltre du prieuré.

  A019001824 

 Or ay je sceu que monsieur Drujon, vostre frere, a en son pouvoir plusieurs tiltres et papiers appartenans audit prieuré; qui me fait vous prier, par nostre commune vocation et l'amitié que vous me portes, de faire que je les puisse avoir, et qu'en attendant que je voye ce que je devray faire pour cela, je vous prie qu'ilz soyent soigneusement conservés..

  A019001849 

 Que vous voyla bien ayse, ma tres chere Fille, en l'aggreable conversation de cette chere cousine! De me souhaiter aupres de vous, je n'ay garde de le faire, car je traine tellement tous-jours mon tracas avec moy, que je ne puis presque ni recevoir les consolations que je pourrois prendre de vous voir, ni encor moins en rendre..

  A019001850 

 Je croy aysement que ces messieurs jetteront le droit sur M. Nacot, faute de s'accorder a le payer; et luy se couvrira tout de leur refus et du pretexte d'avoir volu obeir.

  A019001851 

 Dieu, par sa bonté, ne permette pas que nous en ayons jamais d'autre que de le servir et aymer eternellement..

  A019001852 

 J'auroys grand'envie de sçavoir un peu clairement le [207] fond de vostre proces, pour voir sil y auroit moyen de le terminer, affin que de ce costé la vous eussies plus de repos.

  A019001865 

 Laisses en vostre place nostre chere Marie Aymee; les benedictions que Dieu respand sur sa conduite a l'esgard des Novices, s'eslargiront tous-jours sur tout ce qui luy sera commis.................................................................................................

  A019001872 

 Ce porteur mesme me remit une lettre de Vostre Excellence, addressee a monsieur de la Feuge, colomnel de la ville dAnnessi; et j'ay eu peine a me resoudre si je [209] la luy envoyerois, puisque il y a long tems quil n'est plus colomnel de cette ville, monsieur de Villette l'ayant esté l'annee passee, et mon frere le Chevalier l'estant celle ci, lequel, n'estant pas a present icy, j'eusse adverti promptement d'y venir, si ce n'eut esté que, par un bruit commun, j'ay sceu que Vostre Excellence avoit donné tout le commandement et du chasteau de cette ville et des compaignies de la ville mesme a monsieur de Monthouz, en sorte que mondit frere ne semble y avoir plus rien a faire.

  A019001872 

 Et neanmoins, pour ne point faillir, j'ay envoyé ladite lettre des ce matin, desireux que je seray tous-jours d'honnorer les volontés de Vostre Excellence, a laquelle souhaitant de plus en plus toute sainte prosperité,.

  A019001883 

 N'en doutes point, je vous ayme plus que jamais, parce que je vous voy en estat d'entrer dans cette voye d'une [210] veritable devotion qui commence a destacher son cœur de toutes les choses du monde, affin d'estre toute a Dieu et qu'il puisse absolument disposer de vous, pour n'aymer que ce que Dieu ayme, pour faire sa volonté et suivre ses conseilz, pour fuir avec un soin extreme tout ce qui le peut offencer, mortifier ses passions et regler sa vie sur les maximes de Jesus Christ, estre humble et patiente; car le grand secret pour entretenir une bonne devotion, c'est d'avoir beaucoup d'humilité.

  A019001883 

 Soyes humble, et Dieu sera pour vous et appuyera vostre bonne volonté, vous donnant a luy sans deguisement et sans reserve, luy disant du fond de vostre cœur que si jusques a present vous ne l'aves pas asses bien servi, qu'il ayt la bonté de vous pardonner et fortifier dans la resolution que vous aves prise de vous destacher de toutes les affections du monde, et de ne vous attacher a rien sinon a l'amour de Dieu et, de tout vostre cœur, a le servir fidelement..

  A019001884 

 Cet Amour increé, qui, sans esgard a ses propres advantages, s'employe par tout a chercher nostre bien, nous cachant souvent les plus belles flammes ou nous le pensions moins, a ce saint artifice pour nous engager a l'aymer de toute nostre puissance; et parce que cet amour est un don [211] gratuit de son amour, aussi devons nous le chercher de toutes nos forces.

  A019001884 

 Je veux bien encor, ma chere Fille, vous faire quelque part de ce que je viens d'escrire a la grande Mere Agnes, aux Carmelites, sur les dispositions pour bien recevoir le Saint Esprit a cette grande feste de la Pentecoste.

  A019001885 

 Et si vous me demandes pourquoy cela, il faut avant sçavoir que le Saint Esprit est le vin du Ciel, chez saint Bernard, qui disoit qu'au Ciel il y avoit surabondance de ce vin, je veux dire l'allegresse du Saint Esprit et la joye beatifique; mais il n'y avoit ce pain sacré de l'humanité de Jesus Christ.

  A019001885 

 Mais, ma tres chere Fille, il faut que nous tesmoignions a Jesus Christ toute nostre confiance, avec les saintz Apostres et disciples, sur lesquelz il ne voulut pas envoyer le Saint Esprit qu'apres estre monté au Ciel.

  A019001887 

 Je croy, ma chere Fille, que c'est asses pour bien ouvrir vostre cœur a la reception du Saint Esprit, et de ces langues de feu et de flammes adorables.

  A019001893 

 Or sus, au nom de Dieu, ma tres chere Fille, il est vray, Dieu veut que vous vous servies de mon ame avec une confiance toute entiere pour tout ce qui regarde le [213] bien de la vostre, laquelle pour cela il m'a rendue toute chere et pretieuse en son celeste amour..

  A019001894 

 Et puisque vous le connoisses ainsy, benisses du plus profond de vostre esprit cette divine douceur; et moy je l'en beniray avec vous, destinant a cela les Sacrifices tressaintz que j'offriray sur ses autelz sacrés, car plus grande action de graces ne puis je faire a la divine Majesté, que de luy presenter Celuy pour lequel et par lequel tout luy est aggreable au Ciel et en la terre..

  A019001894 

 Vous voyla donq hors de cette fascheuse affaire, ma tres chere Fille, avec une entiere liberté que la Providence eternelle vous a donnee.

  A019001895 

 Mays, ma Fille, que ferons nous donq de cette liberté que nous avons? Nous la voulons, sans doute, toute immoler a Celuy de qui nous la tenons; car cette resolution est invariable, que, sans reserve ni exception quelcomque, non pas mesme d'un seul moment, nous ne voulons vivre que pour Celuy lequel, pour nous faire vivre de la vraye vie, voulut bien mourir sur la croix..

  A019001896 

 Ce monde de Paris, et mesme de toute la France, ne sçauroit vous laisser vivre en paix dans ce milieu; ilz ne cesseroyent de vous pousser violemment hors des limites de la resolution que vous en auries prise.

  A019001896 

 Et de se promettre une resolution si constante qu'on ne peust l'esbransler et mesme renverser, ce seroit se promettre [214] un vray miracle, en cet aage, en cette forme de visage, entre tant de subtilz advocatz et intercesseurs que le monde et sa prudence auroit aupres de vous, qui, sans merci ni relasche quelcomque, assailliroyent, qui d'un costé, qui d'autre, vostre repos; et a force d'importunités, ou de deceptions et surprises, a la fin cheviroyent de leurs entreprises et de vostre force.

  A019001896 

 Et je voy bien que je ne dois rien dire de plus pour ce point, puisque vous mesme en confesses la verité et connoissesqu'ily a de l'impossibilité.

  A019001897 

 Mais, ma tres chere Fille, il ne m'a pas esté besoin d'une clarté extraordinaire pour discerner auquel des deux je vous dois conseiller de vous ranger; car, ainsy que vous me le descrives clairement et que vous me l'aves des-ja fait connoistre tandis que j'avois le bien de vous ouyr parler confidemment de vostre ame a la mienne, le sentiment que vous aves contre le mariage provient de deux causes, dont l'une presque suffiroit pour se resoudre a ne s'y point engager: une puissante aversion, un degoust tout entier, une repugnance tres forte.

  A019001898 

 Ma chere Fille, et moy, apres vous avoir ouy parler et veu vostre lettre sur ce sujet, je vous parle hardiment et vous dis: Certes, ma Fille, puisqu'il est ainsy, il n'est pas expedient de vous marier; et bien que tous [215] ne comprennent pas, c'est a dire n'embrassent pas, n'empoignent pas cette parole, n'en entendent pas le bonheur, ne s'en prevalent pas, si est ce que, quant a vous, ma chere Fille, vous vous en pouves aysement prevaloir, vous pouves facilement atteindre a ce bien la, et comprendre et savourer ce conseil: et faites le donq.

  A019001898 

 Or, je dis encor d'autant plus asseurement ceci, que je voy en vous le mariage plus perilleux qu'a une autre, a cause de ce courage pretendant que vous me marques, qui vous feroit incessamment souspirer apres les aggrandissemens et vous feroit nager continuellement dans la vanité..

  A019001899 

 Je vous dis donq ainsy, par force: Ma Fille, entres en Religion; mais en vous le disant, je sens une secrette suavité dans cette force, qui fait que cette force n'est point forcee, ains douce et aggreable.

  A019001900 

 Il est vray que la Providence souveraine se [216] sert maintes fois de la nature pour le service de la grace, mais il s'en faut bien que ce soit tous-jours, ni presque tous-jours..

  A019001900 

 Penses vous que Dieu donne tous-jours la vocation de la Religion, ou bien de la parfaite devotion, selon les conditions naturelles et les inclinations des espritz qu'il appelle? Non certes, ma Fille, ne croyes pas cela: la vie religieuse n'est pas une vie naturelle, elle est au dessus de la nature, et faut que la grace la donne et soit l'ame de cette vie.

  A019001901 

 Celuy qui crioit si lamentablement: Le bien que je veux, je ne le fay pas, mais le mal que je ne veux pas est en moy; c'est a dire: En ma chair n'habite pas le bien; car le vouloir est attaché a moy, mais je ne treuve point le moyen de le parfaire.

  A019001901 

 Donq, moy mesme je sers a la loy de Dieu en mon esprit et de mon esprit, et a la loy du peché en ma chair et de ma chair; celuy la, dis je, monstroit bien que sa nature ne servoit guere a la grace, et que ses inclinations n'estoyent guere sousmises aux inspirations.

  A019001901 

 Et neanmoins, c'est un des plus parfaitz serviteurs que jamais Dieu ayt eus en ce monde, et lequel en fin fut si heureux que de pouvoir dire en verité: Je vis moy, mais non plus moy, ains Jesus Christ vit en moy, apres que la grace eut assujetti la nature et que les inspirations eurent subjugué les inclinations..

  A019001901 

 Helas! pauvre miserable que je suis, qui me delivrera du cors de cette mort? La grace de Dieu par Jesus Christ; ou bien: Je rens graces a Dieu par Jesus Christ.

  A019001902 

 Ma Fille, ces craintes de treuver des Superieures indiscrettes et ces autres apprehensions que vous m'expliques si fidelement, tout cela s'esvanouira devant la face de Nostre Seigneur crucifié, que vous embrasseres cordialement.

  A019001902 

 Vous aymeres la parole de la Croix, que les payens ont tenue pour folie, et les Juifs pour scandale; et laquelle a nous, c'est a dire a ceux qui sont sauvés, est la sagesse supreme, la force et vertu de Dieu..

  A019001903 

 Oh! vive le Sauveur a qui je suis consacré! que cet advis ne regarde que vostre ame, et n'a nulle mire ni a droitte ni a gauche, que vostre paix et repos..

  A019001903 

 Vous estes riche; la vingtiesme, ou peut estre centiesme partie de vos moyens suffiroit pour vous rendre fondatrice d'un [217] Monastere, et en cette qualité la vous auries un gratieux moyen de vivre religieusement hors la presse du monde, en attendant que l'usage, la consideration et l'inspiration donnast le dernier courage a vostre cœur et le dernier comble a vostre resolution, pour estre tout a fait Religieuse.

  A019001904 

 En somme, vostre esprit, et ce que Dieu a fait pour vous avoir a luy, et mille considerations, vous appellent a une non vulgaire generosité chrestienne.

  A019001914 

 Et parce que elles m'ont allegué.............estant ainsy................ce qui est requis de vostre part pour sa Profession, j'ay pensé, Monsieur, que vous me sçauriés [219] gré si je vous priois de vouloir contribuer a cette bonne œuvre le soin qu'une bonne seur doit attendre d'un bon frere, et contribuer a l'indemnité de ce Monastere qui, ce pendant, entretient tous-jours cette fille et la fait traitter en ses maladies si frequentes, sans en avoir rien..

  A019001914 

 Les Seurs de la Visitation m'ont voulu rendre quelque compte de l'estat de leur Monastere, ou, entre autres choses, j'ay treuvé a dire en ce que la bonne Seur Jeanne Marie vostre seur, est tous-jours novice, y ayant si long tems que son annee de probation est passee.

  A019001915 

 C'est pourquoy, Monsieur, je vous escris ces quatre lignes, que je finis en me disant,.

  A019001927 

 Je ravis ce moment pour vous saluer tres humblement, et madame ma tres chere Seur, ma fille, et vous affirmer que tout ce qui vous appartient icy se porte bien, et, comme je pense, encor a Turin, ou, ainsy que je voy, nostre commun frere arrestera encor un moys ou six semaines, affin de rendre quelque bon service a Madame apres son sacre, et que, revenu icy, je puisse aller la en sa place..

  A019001929 

 Que si vous aves aggreable de [le] luy faire sçavoir, elle en sera consolee..

  A019001929 

 Voyla tout, car, pressé que je suis, je differe d'escrire a la bonne Mere de Chantal jusqu'a vendredi ou samedi, que je pourray prendre plus de loysir.

  A019001934 

 Je vous supplie de treuver bon que je salue en ce petit bout de lettre monsieur et madamoyselle Rousselet..

  A019001942 

 Outre le double lien d'alliance que nous avons avec luy, la grand'assistence que madame de Brescieu fit a feu mon frere, ainsy que mon frere le Chevalier m'a raconté, nous oblige a le servir es occurrences..

  A019001942 

 Voyla monsieur de Roüer qui va pour les proces que sa mayson a en ce pais-la.

  A019001943 

 Troys ou quatre se presenteront pour le canonicat, entre lesquelz, ce me semble, M. Ducrest, qui est [222] docteur, est tout a mon gré et pour l'exterieur et pour l'interieur; mais je ne sçai ce que messieurs du Chapitre feront..

  A019001944 

 Je le fis deputé du clergé au Sinode, et despuis surveillant du quartier, dequoy il m'a sceu tant de gré que je pense quil merite d'estre avancé; outre que je ne sçai ou jetter ma veüe, tous nos ecclesiastiques de bonne naissance estans ou tarés au cors et au maintien, ou de peu d'intelligence, ou trop vieux, ou sans talent pour cette charge en laquelle nostre Maistresse veut avoir des gens de bonne sorte..

  A019001945 

 Mais nous acheminons le plus que nous pouvons l'eschange de son benefice avec un autre qui est possedé par un autre changeant, affin quil puisse revenir; et le tems nous fera sages..

  A019001945 

 Pour celuy qui est a Paris, en verité il auroit bien tous les autres talens, mais je croy que la constance lui manquerait, et seroit dans peu de tems dans une dangereuse liberté qui lui serviroit de reproche, et a nous, le passé nous ayant asses appris ce qui se doit presager pour l'avenir.

  A019001946 

 Mon frere et ma seur de Cornillon ont un desir extreme que M. le curé de Regnier venant a mourir, comm'il semble quil doive faire dans peu de jours, M. François Baudri, qui est maintenant vicaire, leur voysin, et qui a plusieurs bonnes petites conditions, eut la nomination, estimans que le bon M. Pergod, qui est procureur de M. Argentier, en nommeroit peut estre quelqu'autre.

  A019001946 

 Pour [224] cela, sil se peut bonnement, il faudroit prier mondit sieur Argentier de faire une lettre a moy, par laquelle, en cas que ledit messire François se treuvast capable et desiré par les parroissiens, on le preferast; attendu que despuis plusieurs annees en ça il fait effectivement la charge de curé, exhortant, administrant les Sacremens et cathechisant, et en somme suppleant le devoir du curé qui, a cause de son mal, ne le peut faire..

  A019001949 

 J'ay receu la lettre de Son Altesse, par laquelle elle me commande ne rien mouvoir au fait de M. Perret jusques a ce que je luy aye donné advis de ce qui m'en semble.

  A019001949 

 Or, ne sçai qu'escrire, sinon que si Son Altesse veut continuer le dessein d'employer ces prebendes pour Thonon et Evian, ou la Bonneville, il faut qu'elle les treuve vacantes, et que l'on face solliciter a Rome tout [225] ce quil faut pour faire reuscir le projet.

  A019001950 

 Et quant a la commission que Monseigneur le Nonce a pour la visite de la Sainte Mayson, s'il ne l'envoye, tous-jours faudra-il que Son Altesse en soit advertie; car cette Mayson depend tellement des bienfaitz de sadite Altesse, que, sans le concours de son authorité, malaysement pourroit on rien faire effectivement.

  A019001950 

 Il seroit donq besoin que l'on sceut ad quos fines ladite commisson tend, et en communiquer avec Monseigneur le Prince; que si il le treuvoit bon, on pourroit par apres me l'envoyer, et je l'executerois selon la necessité ou utilité..

  A019001950 

 O mon Dieu, quel bonheur si on peut restablir le service de sa divine Majesté en toutes ces provinces! Mays pour Ripaille et pour la Congregation de Thonon, il n'est pas grand besoin que de l'authorité de Son Altesse; car en l'un il ny a personne, et en l'autre on ne change rien, la Bulle de Clement ordonnant que cette Congregation soit des Prestres de l'Oratoire.

  A019001951 

 Et ce qui m'oste encor plus l'esperance de pouvoir servir monsieur Pernet en son desir, qui est digne de luy et du soin charitable quil a de ceux qui luy appartiennent, c'est que son cousin, M. le chanoyne, a ses apprehensions si fortes, qu'il croid que sa partie a grand tort et luy en doit de reste; combien que m'estant enquis le plus que j'ay peu de la verité, je treuve que c'est tout au contraire, et que ledit sieur chanoyne Pernet a excedé fort scandaleusement, et que le bon M. Rogex l'a traitté avec un respect duquel la partie a grandement a se plaindre.

  A019001951 

 J'ay un desir extreme de servir monsieur Pernet, mesme en la mauvaise affaire que son cousin a avec [226] ce soldat; et y ay des-ja mis la main par l'entremise de monsieur de Mesme, qui a fort heureusement gaigné sur ledit soldat quil se contentera de ses despens, la difficulté n'estant plus que sur la quantité, laquelle je voy estre fort grande par la liste que j'en ay tiree, et delaquelle, si je ne puis maintenant, au premier jour je vous envoyeray copie.

  A019001951 

 Mays qui le luy pourra persuader? En somme, je m'essayeray en cett'occasion de tesmoigner a monsieur Pernet que ses recommandations ont tout pouvoir sur moy..

  A019001952 

 Mays il ny a moyen de le servir en cela par lettres; car d'un costé, je suis engagé des il y a long tems pour M. de Saint Agné, frere de monsieur de Lucei, et d'autre part je sçai que les lettres n'ont nul pouvoir sur l'esprit de cette damoyselle, qui est si pleine de considerations qu'il faut parler, et de presence l'esclarcir des repliques que son esprit luy fournit.

  A019001952 

 Vous pouves penser de quell'affection j'honnore monsieur de Pezieu, et comme je regarde en verité toute [227] cette mayson la tout ainsy que si j'avois le bien d'estre l'un des freres.

  A019001956 

 M. de Brescieu a desiré que le curé de Bellecombe l'accompaignast, et je n'ay pas eu grande difficulté a le luy accorder, car, jusques a ce que ce curé change d'humeur, son absence sera plus utile que sa presence..

  A019001970 

 Vostre Altesse, qui m'avoit commandé de faire recevoir le neveu du sacristain Perret a Contamine,.me commande par un'autre lettre de ne le point faire jusques a ce que je luyaye donné mon advis.

  A019001971 

 Et sur cela, Vostre Altesse me favorisera de ses commandemens, que j'attendray et recevray avec l'obeissance que je luy doy,.

  A019001986 

 Voyla donq la lettre que j'escris a Monseigneur le Prince Cardinal ensuite du desir de Monsieur le Prothonotaire du Laurey, qui n'est guere moins mon frere que le vostre en mon affection; mays vostre parole animera ma supplication affin qu'elle reuscisse..

  A019001988 

 C'est dequoy j'escris donq la ci jointe; et m'est advis que l'on n'aura que du desplaysir si on le veut porter a contrecœur en une vocation en laquelle il faut tant de bonne volonté.

  A019001988 

 Favorises-le donq encor de vostre intercession pour cela, Madame, et moy, de vostre bienveuillance continuelle, puis que continuellement je suis.

  A019002000 

 Et de dire que monsieur le Comte de Verrue ayt conillé pour obtenir plus aysement le chapeau, c'est chose impertinente; car mes Bulles furent expediees en un tems auquel monsieur l'Abbé Scaglia estoit si jeune, ou plustost si enfant, que son pere ne pouvoit avoir cette pensee.

  A019002000 

 Et moy, mon tres cher Frere, il faut bien que je corresponde et que j'escrive le plus que je pourray.

  A019002000 

 Je croy que ce petit ahurtement (que l'on mette dans vos Bulles: «la nomination de Son Altesse») ne sera pas de duree, puisque [232] on ne l'a jamais mis.

  A019002001 

 Je voy bien le voyage de Rome incertain, mais il ny a pas moyen de mesnager entre la volonté de Son Altesse que je le face, en cas quil se face, et la qualité de la chaire de Lyon qui ne peut demeurer en attente d'estre prouveue; de sorte que j'ay fait mes excuses..

  A019002002 

 Je salue infiniment madame de Saint George, que j'honnore sans fin, et la signora Donna Genevra, ma tres chere fille.

  A019002003 

 Vous aures sceu la blesseure du sieur Bonfilz, qui est grande a ce qu'on dit, mais je ne croy pas quil en ayt autre chose que le mal..

  A019002004 

 J'escris a madame la Comtesse de Rossillon a qui monsieur de Lauré, que nous vismes a Paris, a despeché ce laquay sur le voyage de Rome, desirant estre du train de Monseigneur le Cardinal.

  A019002005 

 J'ay parlé a monsieur le Prieur de Mesme, qui se sent obligé et desire grandement lhonneur; et ne croy pas que nous puissions mieux rencontrer, tant pour la mine que pour le jeu.

  A019002005 

 Je suis parfaitement joyeux des bons deportemens de mon neveu et des contentemens que monsieur l'Abbé a donné de ses deportemens.

  A019002019 

 Ainsy que ces bons Peres me venoyent dire a Dieu, j'ay receu vostre lettre, ma tres chere Fille, du 22 may, a laquelle je respons vistement..

  A019002020 

 Mays vous seres si proches, que quand vous series contrainte de partir avant l'arrivee de celle qu'on y envoyera pour Moulins, vous la pourres [236] bien instruire, outre que ma Seur de Chatelut soustiendra bien pour un peu..

  A019002020 

 Nous ferons partir nos Seurs au plus tost, mais non pas, a l'aventure, si tost que vous desireries; car nous n'en voudrions pas faire deux trouppes, et il en faut pour Paris, et Orleans encores.

  A019002021 

 J'escriray pour M. le General si tost que je pourray, et au moins par la Seur qui ira-la, laquelle nous voudrions estre grandement excellente; mais il est malayse d'en treuver de telles.

  A019002022 

 Encor qu'es Regles de saint Augustin il y en ayt qui ne sont pas pour ce tems, il ny a point de danger de les lire, tant pour la reverence du Saint, que pour les bonnes consequences qu'on en peut tirer..

  A019002022 

 Les Regles sont imprimees a Lyon, et croy que nos Seurs de Lyon en ont quantité de copies.

  A019002023 

 Sil est possible, faites vous porter en carosse jusques a la porte de vostre monastere a Nevers; et quoy qu'on vous aille au rencontre, ne descendes pas, et vous excuses sur ce que la barque sur l'eau, ou le carrosse sur terre sont vos monasteres portatifz.

  A019002025 

 Elle sera asses professe, puisque elle sera si devote et resignee, comme j'espere, et que par son entremise tant de filles parviendront a la veritable devotion..

  A019002025 

 O ma Fille, il ny a pas moyen d'escrire davantage, non pas mesme a ma tres chere grande fille de Paris, a laquelle neanmoins je dis icy qu'il faut qu'elle ne desire plus la Profession avant l'annee, par ce que cela est impossible.

  A019002039 

 Car, je vous prie, ma tres chere Fille, comme vous pourrois je conseiller de demeurer au monde? Avec ce tres bon naturel que veritablement je connois en vous dans le fond de vostre cœur, mays accompaigné d'une si forte inclination a la hauteur et dignité de vie, et a la prudence et sagesse naturelle et humaine, et de plus, d'une si grande activité, subtilité et delicatesse d'entendement, que je craindrois infiniment de vous voir dans le monde! n'y ayant point de condition plus dangereuse en cet estat-la que le bon naturel environné de telles qualités; auxquelles si nous adjoustons cette incomparable aversion a la sousmission, il n'y a plus rien a dire, sinon que, pour aucune consideration, quelle qu'elle soit, il ne faut pas que vous demeuries au monde..

  A019002039 

 Cet aymable esprit que j'ay veu en vous quelques moys durant, tandis que vous esties en cette ville, ma tres chere Fille, ne reviendra il jamais dans vostre cœur? [238] Certes, quand je voy comme il en est sorti, je suis en grandeperplexité, non devostre salut, car j'esperequevous le feres tous-jours, mays de vostre perfection, a laquelle Dieu vous appelle et n'a jamais cessé de vous appeller des vostre jeunesse.

  A019002040 

 Mais d'ailleurs, comme pourrois je vous conseiller d'entrer en Religion, tandis que non seulement vous ne le desires pas, mais aves un cœur tout a fait contrariant a ce genre de vie?.

  A019002041 

 On pourra bien, ce me semble, obtenir que vous puissies avoir l'entree en quelque Mayson de la Visitation, pour vous recueillir souvent en cette façon de vie, et que neanmoins vous n'y demeuries pas attachee, ains ayes un logis proche pour vostre retraitte, avec la seule sujetion de quelques exercices de devotion propres a vostre bonne conduitte; car ainsy vous aures la commodité de contenter vostre esprit, qui hait si estrangement la sousmission et liayson a l'obeissance, qui a tant de peine a rencontrer des ames faites a son gré, et qui est si clairvoyant a treuver les a dire et si douillet a les ressentir..

  A019002042 

 Oh! quand je me remetz en memoire le tems heureux auquel je vous voyois, a mon gré, si entierement despouillee de vous mesme, si desireuse des mortifications, [239] si fort affinee a l'abnegation de vous mesme, je ne puis que je n'espere de le revoir encor..

  A019002044 

 Ne veuilles pas estre riche, ma tres chere Fille; ou du moins, si vous ne le pouves estre que par ces miserables voyes de proces, soyes pauvre plustost, ma tres chere Fille, que d'estre riche aux despens de vostre repos..

  A019002044 

 Puisque vous le voules, je traitteray avec monsieur N. O Dieu, que je desire ardemment et invariablement que vos affaires se passent sans proces! car en somme, l'argent que vos poursuites mangeront vous suffira pour vivre et, en fin de cause, qu'y aura il de certain? Que sçaves vous que les juges diront et determineront de vostre affaire? Et puis, vous passeres vos meilleurs jours en cette tres mauvaise occupation, et vous en restera peu pour estre employés utilement a vostre principal objet; et Dieu sçait si, aprrs un long tracas, vous pourres ramasser vostre esprit dissipé, pour l'unir a sa divine Bonté.

  A019002052 

 Or, il a une grande esperance que, par ce moyen, il rendra un bon et fructueux service a la coronne, car ceux qui entendent en l'affaire l'asseurent qu'ell'est fort bonne et digne d'estre entreprise.

  A019002052 

 Pour moy, je le desirerois bien fort, et croy que Son Altesse n'ayant rien a delivrer presentement, ni mesme a l'advenir, ains seulement a authoriser maintenant l'entreprise et tirer a l'advenir presque tout le fruit de ce travail, elle accordera volontier ce qu'on demande; dequoy ce garçon apportera response, puisqu'il va expres pour cela.

  A019002053 

 Monsieur le premier President voyant que sa jambe ne luy pourra guiere meshuy permettre d'aller aux audiences, avoit fait une pensee de supplier Son Altesse de vouloir donner son office a son filz, M. de la Valbonne, qui l'exerceroit des a present et sans autres gages que ceux quil a, pendant la vie de son pere, apres laquelle il succedast aus gages comm'a l'estat.

  A019002054 

 Et ainsy semblables choses, lesquelles sont fort veritables; de sorte que, sans doute, il ny en [a] pas un au Senat qui peut mieux [242] succeder que luy; car les uns sont si vieux quilz n'en peuvent plus, les autres sont bas de naissance et fort peu bien disans, les autres n'ont pas tant d'estude ni tant d'habilité.

  A019002054 

 Puys, que M. de la Valbonne paternise en cela, qu'il est grandement conscientieux; quil harangue heureusement et fait fort bien toutes sortes de complimens; qu'il preside merveilleusement bien et prononce avec beaucoup de grace les arrestz; quil est fort docte; qu'il a esté dix ans au Senat, trois ans juge mage et trois ans President icy, et que, par ces degrés, il s'est acquis une grande habitude a bien distribuer la justice; quil a environ 38, aage de maturité et propre pour rendre beaucoup de service.

  A019002054 

 Que M. le premier President est le plus grand jurisconsulte de ce tems, et que c'est dommage quil ne puisse plus si aysement meshuy prononcer les arretz et se treuver a toutes occasions comm'il faysoit; que sa maladie luy donne egalement cette incommodité et presque asseurance de longue vie, puisque elle le decharge des humeurs peccantes; que c'estoit une belle chose, es occurrences, de le voir haranguer et representer le Senat.

  A019002055 

 Or, tout cela doit estre discretement, sagement et dextrement semé, comme pour praeparatoire et disposition, es occurences; et M. le Premier espere que monsieur le Marquis de Valromey contribuera bien a cet effect de son costé, et partant vous pourres bien en conferer avec luy, mays il faut tenir le tout fort secret.

  A019002056 

 Monsieur l'Abbé, que j'ay treuvé fort refait et façonné, m'a grandement prié de vous recommander M. le Prieur Curtet, que son pere et ses parens desireroit ( sic ) grandement voir aumosnier de Madame; si donq vous le jugés a propos, ce seroit bien fait de leur procurer ce contentement..

  A019002057 

 Ces messieurs de Nostre Dame ont, par commune conspiration, un grand desir que vous accepties le doyenné, estimans quilz ne sçauroyent mieux relever leur eglise.

  A019002057 

 Mays ce [244] que je vous dis n'est que pour sçavoir vostre pensee sur cette proposition, car ce pendant M. le Doyen achevera son noviciat..

  A019002058 

 Monsieur le President d'Hostel, qui me tesmoigne de l'amitié autant que jamais, me dit qu'a l'advenir on sera payé annee par annee, mais que pour le passé il faut treuver quelque moyen, que pourtant il ne void pas.

  A019002058 

 Si vous voyes lieu d'en parler a propos j'en seray bien ayse, car Monseigneur le Prince m'a tous-jours asseuré quil vouloit que nous fussions payés; et c'est merveille que cinq cens escus coustent tant a retirer en un sujet si plein de justice et de pieté..

  A019002059 

 J'ay bien envie de sçavoir que deviendra le Monastere de Turin, encor que je sois bien ayse que ce retardement donne loysir a ma Seur Favre de fonder celuy de Clermont, et a M me de Chantal celuy d'Orleans et de Nevers.

  A019002059 

 Nous avons esté contraint de destiner M me de [245] Monthouz a Moulins pour y estre Superieure, par ce que M. Grandis dit que si elle ne changeoit d'air elle mourroit dans peu de semaines, comm'ell'a pensé faire ces jours passés, et l'office de Maistresse des Novices occupoit trop son esprit, qui se portera mieux des affaires exterieures..

  A019002060 

 Je voudrois bien, pour le service de Leurs Altesses et de nostre Maistresse, que M me de Saint George arrestast encor quelques annees..

  A019002062 

 J'attens de sçavoir des nouvelles de nostre P. General des Feuillens, comm'aussi de nostre monsieur l'Abbé d'Abondance, selon l'advis que vous m'aves donné de son affaire, que je luy ay fidelement envoyé.

  A019002062 

 O mon Dieu, que Monseigneur le Serenissime Prince aura de benedictions si la reformation se fait! Toutes ces bonnes Religieuses sont alarmees de ce que M. l'Abbé de [246] Ceyserieu a dit a son retour qu'on les vouloit regler; les unes veulent prevenir en apparence, mays n'ayant pas des Superieurs reformés, je ne sçai comme elles pourront faire.

  A019002063 

 Nous avons eu icy le P. Alexandre Fichet ces festes de Pentecoste, qui a des grandissimes talens pour precher excellemment, je dis mieux que plusieurs dont on fait si grand estat..

  A019002074 

 Apres donq que ces messieurs les officiers auront deliberé sur l'advis qu'ilz en doivent donner, je feray une recharge de supplication a Sa Grandeur..

  A019002074 

 Avec un extreme sentiment d'obligation, je vous rens graces du soin que vous aves eü des affaires dont j'avois supplié Monseigneur de Nemours, et en espere bonne issue, si Sa Grandeur en croid son Conseil de deça, car [247] elles sont toutes tres justes et selon Dieu; ains, quant a celle de monsieur de Vallon, il ny a point de difficulté que il ny ayt obligation de conscience a faire reparer le tort qu'on luy a fait tres manifestement.

  A019002075 

 Nous sommes parmi le passage des Espaignolz, pendant lequel monsieur le Marquis de Lans a ordonné qu'on fit garde au chasteau de cette ville, et en avoit donné la charge a monsieur de Monthouz; mais sur les remonstrances que ces messieurs du Conseil ont fait, il a revoqué cette charge et l'a laissee audit Conseil, et nommement a mon frere de Thorens qui, en qualité de chevalier dudit Conseil et officier de Monseigneur, en a presentement la garde.

  A019002076 

 Despuis, elle ne m'en a point escrit, et pour moy, j'ay recommandé cette fille en sorte, qu'a mon advis, rien que l'impossibilité de la retenir ne la fera renvoyer.

  A019002076 

 J'escris a madame de Chantal, qui en ayant appris plus de particularités, me les fera sçavoir affin que si on peut treuver quelque remede on le face..

  A019002076 

 La Superieure de Sainte Marie de Moulins m'escrivit, il y a quelque tems, que ce n'estoit pas pour aucune infirmité corporelle que la niece que je luy avois tant recommandee luy sembloit ne devoir pas estre retenue, ains pour l'extreme aversion qu'ell'avoit a tous les exercices de Religion, laquelle aversion elle ne vouloit nullement surmonter, ains s'y laissoit tout a fait aller.

  A019002077 

 Certes, j'apprehenderois plus cent fois vostre desplaysir que le mien propre, car je suis parfaitement tout dedié a vostre bienveuillance et a celle de madamoyselle ma [248] fille, a laquelle je n'escriray pas pour cette fois, puis que j'ay des-ja trop retenu ce porteur qui devoit partir hier matin si j'eusse peu escrire.

  A019002077 

 Mays vous croires tous deux, je vous en supplie, que vous ne sçauries jamais rencontrer un'ame qui vous honnore plus passionnement et constamment que moy, qui suis,.

  A019002083 

 Je vous supplie, Monsieur, d'asseurer monsieur Lefevre que je l'honnore de tout mon cœur et suis son serviteur; comm'aussi de prier monsieur et madame de Forax qu'ilz me favorisent tous-jours de leur bienveuillance, car d'escrire il ny a plus de moyen..

  A019002093 

 O que puisse je, ma tres chere Mere, bien recevoir et employer le don du saint entendement, pour penetrer plus clairement dans les saintz mysteres de nostre foy! car cette intelligence assujettit merveilleusement la volonté au service de Celuy que l'entendement reconnoist si admirablement tout bon, et dans lequel il est enfoncé et engagé: en sorte que, comme il n'entend plus qu'aucune chose soit bonne en comparayson de cette Bonté, aussi la volonté ne peut plus vouloir aymer aucune bonté en comparayson de cette Bonté, ainsy qu'un œil qui seroit planté bien avant dans le soleil ne peut envisager d'autre clarté..

  A019002094 

 Et affin que nous sachions comme il faut faire le bien, quel bien il faut preferer, a quoy nous devons appliquer l'activité de l'amour, le Saint Esprit nous donne son don de conseil..

  A019002094 

 Mais parce que, tandis que nous sommes au monde, nous ne pouvons aymer qu'en bien faysant, parce que nostre amour y doit estre actif, comme je diray demain au sermon, Dieu aydant, nous avons besoin de conseil, affin de discerner ce que nous devons prattiquer et faire pour cet amour qui nous presse; car il n'est rien de si pressant a la prattique du bien que l'amour celeste.

  A019002096 

 Ce ne fut pas sans vous que nous celebrasmes cette sainte feste de la Pentecoste; car je me souviens fort de la sainte devotion que vous aves a cette solemnité..

  A019002102 

 Et nostre Mere m'escrit que vous luy en donneres une, et la Mayson de Lyon une autre, qui, avec les huit que nous en fournirons, feront le nombre qu'elle desire.

  A019002102 

 Or, on y pensera; et ce pendant, [251] parmi ce tracas, je vous respons, ma tres chere Fille, le plus courtement que je pourray..

  A019002102 

 Voyla que des avant hier nous sommes dans le choix des filles qu'il faut envoyer en France, ma tres chere Fille.

  A019002103 

 De sorte qu'en un mot, il faut empescher qu'elle ne face grand cas de ces veuës, de ces sentimens et douceurs, ains que, sans faire beaucoup de reflexion sur tout cela, elle face en simplicité les choses auxquelles on l'employe.

  A019002103 

 O que cette cuisine est excellente et aymable, parce qu'elle est vile et abjecte!.

  A019002106 

 De sçavoir quand, es contratz, il est requis que le Pere spirituel soit present ou non, cela depend de la nature des contratz, car il y en a ou cela est requis, et des autres ou cela n'est pas requis; comme l'Evesque en quelques contratz a besoin de la presence de son Chapitre, en des autres non.

  A019002107 

 Que M. d'Ulme se nomme vostre Pere spirituel ou non, dans les contratz, cela ne fait ni froid ni chaud; car ce nom la se peut entendre en diverses sortes..

  A019002108 

 On peut laisser lire le livre de la Volonté de Dieu jusques au dernier, qui, estant asses inintelligible, pourroit estre entendu mal a propos par l'imagination des lectrices, lesquelles, desirant ces unions, s'imagineroyent aysement de les avoir, ne sachant seulement pas que c'est.

  A019002109 

 Cette parole: «Nostre Seigneur souffre en moy telle ou telle chose,» est tout a fait extraordinaire; et bien que Nostre Seigneur ayt dit quelquefois qu'il souffroit en la personne des siens, pour les honnorer, si est ce que nous ne devons parler si avantageusement de nous mesmes; car Nostre Seigneur ne souffre qu'en la personne [253] de ses amis et serviteurs fideles, et de nous vanter ou prescher pour telz, il y a un peu de presomption.

  A019002111 

 Et je pense qu'au plus tard il seroit expedient que cela se fit quand on ira au nouveau monastere..

  A019002111 

 Si je vay a Rome, je procureray la clausure pour la Mayson de Grenoble, c'est a dire l'establissement en tiltre de Monastere, bien que il ne soit pas absolument necessaire, car Monseigneur de Grenoble pourra l'establir quand il luy plaira, puisque la Mayson d'Annessi, delaquelle est derivee celle la, l'est.

  A019002112 

 Tandis que les femmes pourront entrer dans la mayson, il est raysonnable que les estrangeres soyent preferees..

  A019002114 

 Vostre chemin est tres bon, ma tres chere Fille, et ny a rien a dire, sinon que vous alles trop considerant vos pas, crainte de choir.

  A019002114 

 Vous faites trop [de] reflexions sur les saillies de vostre amour propre, qui sont sans doute frequentes, mais qui ne seront jamais dangereuses tandis que, tranquillement, sans vous ennuyer de leur importunité ni vous estonner de leur multitude, vous dires non.

  A019002115 

 Vos inclinations ne vous sçauroyent nuire, pour mauvaises qu'elles soyent, puisque elles ne vous sont laissees que pour exercer vostre volonté superieure a faire un'union a celle de Dieu plus avantageuse..

  A019002120 

 Demeures tout a fait en paix, sur la sainte et amoureuse [255] confiance que vous deves avoir en la douceur de la Providence celeste.

  A019002131 

 Je ne vous ay point escrit despuis vostre depart parce que je n'ay peu bonnement le faire, et je ne vous en fay point d'excuses parce que vous estes veritablement et de plus en plus ma plus que tres chere fille..

  A019002132 

 Dieu soit loué dequoy vostre retour s'est fait bien doucement et que vous aves treuvé monsieur vostre cher mary tout allegé.

  A019002135 

 Or sus, ma tres chere Fille, saches, je vous supplie, que ce m'est une grande consolation de recevoir souvent de vos lettres, et que mon ame cherit grandement ces tesmoignages de la dilection que la vostre a pour elle..

  A019002136 

 Monsieur Michel me demandoit ce que j'avois escrit a monsieur le Grand sur le sujet de la chasse; mais, ma tres chere Fille, ce ne fut qu'un article par lequel je luy disois qu'il y avoit trois loix selon lesquelles il se failloit gouverner pour ne point offencer Dieu en la chasse.

  A019002136 

 de ne point endommager le prochain, n'estant pas raysonnable que qui que ce soit prenne la recreation au despens d'autruy, et sur tout en foulant le pauvre paisan, des-ja asses martirisé d'ailleurs et duquel nous ne devons mespriser le travail ni la condition.

  A019002137 

 Ainsy a il, je vous asseure, mis en mon esprit une tres amiable et tout a fait entiere affection pour le vostre que je cheris incessamment, priant Dieu quil le comble de benedictions.

  A019002150 

 Je croy que parmi la multitude des affaires importantes que Son Altesse peut avoir pour le bien de sa coronne et consolation de ses Estatz, il y en a peu qu'elle doive affectionner plus fortement que celle que je proposay a Vostre Altesse quand j'eu l'honneur d'estre aupres d'elle au chasteau de cette ville, pour le retirement de cette autre ville, par voye douce, paysible et asseuree.

  A019002151 

 Je supplie tres humblement Vostre Altesse, ains, si elle me le permet, je la conjure par sa propre bonté et par son bonheur, de l'oüir promptement et favorablement, et de donner des maintenant un bon commencement a ce saint projet, puis que il ny a rien a perdre, mais tout a gaigner et encor plus a esperer, par la bonne issue que Dieu en donnera a Vostre Altesse, selon les vœux universelz de tous les gens de bien et mes continuelles prieres pour la prosperité de la coronne de Son Altesse et la vostre,.

  A019002163 

 Il est vray, Madame ma tres chere Mere, que feu monsieur le Marquis vostre frere avoit desseigné de me faire une entiere confession generale de toute sa vie, pour prendre de moy les advis convenables pour en employer le reste plus ardemment au service de Dieu; mais je ne revins pas asses tost pour luy rendre cet office, puisque Dieu l'appella avant mon depart de Paris, avec la grace qu'il luy fit de bien recevoir ses divins Sacremens..

  A019002164 

 O ma tres chere Mere, que c'est une diligence bienheureuse que celle que l'on prend de se bien disposer au depart de cette vie, puisque le tems en est incertain! et quand l'estat religieux n'apporteroit aucun autre bien que celuy la, d'une continuelle preparation au trespas, ce ne seroit pas une petite grace..

  A019002165 

 Aymés tous-jours bien ma pauvre ame, ma tres chere Mere, car elle est certes toute vostre; pries souvent pour elle, affin que la misericorde divine la reçoive en sa protection parmi tant de hasars et destroitz ou cette vocation pastorale la fait passer..

  A019002166 

 Je pensois que quand Son Altesse donna son placet [260] et ses faveurs a mon frere pour le faire estre mon coadjuteur, comme il est maintenant (devant estre consacré Evesque de Chalcedoine a cet effect dans un mois, a Turin ou il est), j'aurois quelque moyen de retirer le petit bout de vie qui me reste pour me mettre en equipage et me disposer a la sortie de ce monde; mais je voy que pour le present je ne puis l'esperer, d'autant que Son Altesse et Madame veulent que ou mondit frere ou moy soyons aupres de leurs personnes, en sorte que l'un estant icy, l'autre soit la.

  A019002167 

 Et faut que j'adjouste que cette coadjutorie a esté donnee a mon frere sans que je l'aye demandee ni fait demander, ni d'une façon ni d'autre; ce qui ne m'est pas une petite consolation, parce que, n'y ayant rien du mien que le consentement, j'espere que Nostre Seigneur l'aura plus aggreable..

  A019002176 

 C'est la verité que non seulement vous estes ma tres chere fille, mais c'est la verité aussi que tous les jours [261] vous l'estes davantage en mon ressentiment; et Dieu soit loué dequoy non seulement il a creé en mon ame un'affection veritablement plus que paternelle pour vous, mais dequoy il a mis l'asseurance que vous en deves avoir dedans vostre cœur.

  A019002176 

 Croyes-le bien et dites-le bien, je vous supplie, que vous estes tres asseurement ma tres chere fille, et n'en doutes jamais..

  A019002176 

 Et certes, ma tres chere Fille, quand en m'escrivant vous me dites par fois: Vostre tres chere fille vous cherit, et que vous me parles en cette qualité, je confesse que j'en reçois un contentement admirable.

  A019002177 

 Ce que vous dites pour sauver un peu de bien temporel ne fut pas un mensonge, ains seulement un'inadvertence, de sorte que tout au plus ce ne peut estre qu'un leger peché veniel; et, comme vous m'escrives, encor y a-il de l'apparence qu'il ny en eut point du tout, puisque il ne s'en ensuivit aucune injustice contre le prochain..

  A019002178 

 Ne faites nul scrupule, ni petit ni grand, de communier avant que d'avoir ouy la Messe, et sur tout quand il y aura une si bonne cause que celle que vous m'escrives; et quand il ny en auroit point, encor ni auroit pas seulement une veritable ombre de peché.

  A019002194 

 Cette commodité d'escrire vous semblera grande, ma veritablement et uniquement tres chere Mere, et neanmoins elle ne l'est pas; car il m'a fallu faire tant de despeches et escrire a tant de Praelatz pour Lyon, Nevers, Orleans, Clermont, quil me faut bien haster pour vous rendre mon devoir, ma tres chere Mere; je dis, selon que je le puis rendre..

  A019002195 

 Voyla donq nos Seurs qui s'en vont, et, si je ne me trompe, elles sont toutes fort bonnes et de bonn'observance; et nostre Seur Claude Agnes a si bien fait icy, que, comme je croy, elle fera encor mieux-la.

  A019002196 

 Ma Seur Françoise Marguerite est demeuree Assistante par election et consentement des deux tiers des voix; ma Seur Marie Magdeleine en eut plusieurs, et sans consideration, a mon advis, puis que elle n'est encor point du Monastere, ains seulement de la Congregation, ayant encor demandé terme pour achever ses affaires; ma Seur Marie Andrienne en eut aussi quelques unes.

  A019002196 

 Mais en fin, Dieu voulut que ce fut ma Seur Françoise Marguerite, et il veut tous-jours le mieux; car c'est une bonne femme, sage, constante et veritable servante de Nostre Seigneur; un peu seche et froide de visage, mais bonne de cœur, courte en paroles, mais moelleuse.

  A019002197 

 Mays il faut que je vous die que nostre Seur Peronne Marie est une fille tout a fait admirable, en parole, en maintien, en effectz, car tout cela respire la vertu et pieté..

  A019002199 

 Mais tous-jours ayme je cette fille, et ne crain nullement ses emotions de decouragement; car apres tout cela, Dieu qui a volu que je luy sois ce que je luy suis, luy seul fera qu'elle n'en doutera jamais, ou si elle en doute, ce ne sera que par secousses et comme par maniere de tentation..

  A019002199 

 Mon Dieu, que nostre grande Fille est admirable! Ell'a regardé ma lettre d'un biays duquel je ne l'ay pas escrit.

  A019002200 

 J'admire ces bons Peres qui croyent qu'on doive adjouster que l'on fait vœu aux Superieurs.

  A019002201 

 Je vous supplie de l'aymer cherement, encor pour l'amour de moy, qui voudroys que tous les gens de bien l'affectionnassent parfaitement..

  A019002201 

 Veritablement M me la Presidente de Herce, est ( sic ) ma tres chere fille et comere, est toute aymable devant Dieu et es ( sic ) hommes; je luy escris, et la rayson mesme vouloit bien que je luy eusse plus tost rendu ce devoir.

  A019002202 

 M me la Contesse de Fiesque est une des dames que j'honnore le plus en ce monde; et je sens encor avec suavité l'odeur de sa pieté et vertu, que je receu en deux seules fois que je la vis chez le bon monsieur de Monthelon et chez M me de Guise, et m'estimerois grandement favorisé si je pouvois luy rendre quelque digne service.

  A019002203 

 Mais si je ne puis, faites luy bien mes honneurs et ne craignes point d'en trop dire, car les paroles de qui que ce soit n'egaleront pas ce que j'en sens..

  A019002203 

 Qu'est il besoin de vous dire ni de lhonneur que je porte a nostre chere M me de Villesavin, ni de l'affection que j'ay pour sa pieté? car vous le sçaves bien; et si je puis gaigner un moment, je luy escriray, et a M. son mari qui m'a fait lhonneur de m'escrire.

  A019002204 

 Je vous supplie de saluer cherement M lle de Puipeyroux, et de la prier qu'elle asseure M lle de Crevant et M me de Verton et la bonne M me Amori qu'en verité je conserve soigneusement une memoire continuelle du devoir que mon cœur a a leurs ames que je cheris parfaitement..

  A019002206 

 Je n'ay point de nouvelles de mon frere de Boysi des il y a 3 semaines; il attend la venue du P. D. Juste qui, peut estre, arrivera aujourdhuy; mais je ne sçai sil amenera la tres bonne fille, la Signora Donna Genevra, que mon frere m'a escrit il y a quelque tems avoir demandé son congé aux Princes pour venir, impatiente de voir que l'on differe tant l'erection du Monastere de Turin.

  A019002207 

 Et croyes moy, ma tres chere Mere, quand j'importune, il faut que je me sois premierement fort importuné moy mesme.

  A019002207 

 Il est vray, j'ay prié nos Seurs de garder cette grande Peronne, esperant que si les projetz de la reformation de plusieurs Monasteres en ce pais reuscit ( sic ), je pourray treuver quelque moyen de la faire retirer, et l'oster de l'eminent peril d'estre perdue auquel elle seroit si on la renvoyoit a son pere, qui ne menasse de rien moins que l'envoyer parmi les huguenotz, et qui est homme si terrible, que, puisqu'il le dit, on ne luy fait pas tort d'en douter et le craindre.

  A019002207 

 On fait beaucoup de choses pour sauver une ame, et je n'apprens pas que celle ci face de si grans maux que pour cela on ne puisse luy faire la charité.

  A019002221 

 Et tandis, faysant tres humblement la reverence a Vostre Altesse, je vivray content en lhonneur que j'ay d'estre,.

  A019002233 

 Ce n'est pas escrire que d'escrire si peu, ma tres chere Fille; mais c'est pourtant faire en partie ce que l'on doit quand on fait ce que l'on peut.

  A019002233 

 Et imagines vous que M. [de Belley] ayant demeuré icy huit jours, ce n'a pas esté sans faire mention de vous, mais non pas certes asses selon mon gré..

  A019002233 

 J'ay dit a M. Michel Favre, mon assistant continuel, que s'il se pouvoit, il vous allast voir de ma part; car si je pouvois, j'irois moy mesme et m'en estimerois plus heureux, ayant tous-jours une tres singuliere complaysance et consolation a seulement penser que vous estes ma tres plus chere fille.

  A019002234 

 Envoyes moy bien de vos nouvelles, ma tres chere Fille, et ne vous mettes point en des pensees pour me faire des exhortations a ne point m'incommoder pour vous respondre; car je vous asseure que je ne m'incommode point, ains je m'accommode grandement quand le loysir me le permet..

  A019002234 

 Or, je ne crains point toutes ces miseres dont vous m'escrives que vous estes accablee, tandis que, comme vous faites et feres tous-jours, vous ne les aymeres pas et ne les nourrires pas; car petit a petit vostre esprit se fortifiera contre vostre sens, la grace contre la nature et vos resolutions sacrees contre vos indignations.

  A019002243 

 Or sus, cette protestation estant faite tres religieusement, je vous diray ce petit mot de liberté et de franchise, et recommenceray a vous nommer du nom cordial de ma tres chere Fille, puisqu'en verité je sens bien que je suis cordialement vostre Pere d'affection.

  A019002244 

 J'attendois que vous m'escrivissies, non point pour penser que vous le deussies, mais ne doutant point que vous ne le feries et que, par ce moyen, je vous escrirois un peu plus amplement.

  A019002244 

 Mais si vous eussies tardé davantage, croyes moy, ma tres chere Fille, je ne pouvois plus attendre; non plus que jamais je ne pourray omettre vostre chere personne et toute vostre aymable mayson en l'offrande que je fay journellement a Dieu le Pere, sur l'autel, ou vous tenes, en la commemoration que j'y fay des vivans, un rang tout particulier: aussi m'estes vous toute particulierement chere..

  A019002244 

 Oh! certes, ni moy non plus, car je vous dis en toute fidelité et certitude, que ce que Dieu a voulu que je vous fusse, je le suis, et sens bien que je le seray a jamais tres constamment et tres fortement, et ay en cela une tres singuliere complaysance, accompaignee de beaucoup de consolation et d'utilité pour mon esprit.

  A019002245 

 Ce n'est rien, ma tres chere Fille, que tout ce que vous me dites de vos petites saillies.

  A019002245 

 Ces petites surprises des passions sont inevitables en cette vie mortelle, car pour cela le grand Apostre crie au Ciel: Helas! pauvre homme que je suis, je sens deux hommes en moy, le viel et le nouveau; deux loix, la loy des sens et la loy de l'esprit; deux operations, de la nature et de la grace.

  A019002245 

 O je voy, ma tres chere Fille, dedans vostre lettre, un grand sujet de benir Dieu pour une ame en laquelle il tient la sainte indifference en effect, quoy que non pas en sentimens.

  A019002246 

 Il suffit que nous ne consentions pas d'un consentement voulu, deliberé, arresté et entretenu, et cette vertu de l'indifference est si excellente, que nostre viel homme, en la portion sensible, et la nature humaine, selon les facultés naturelles, n'en fut pas capable non pas mesme [272] en Nostre Seigneur, qui, comme enfant d'Adam, quoy qu'exempt de tout peché et de toutes les appartenances d'iceluy, en sa portion sensible et selon ses facultés humaines n'estoit nullement indifferent, ains desira ne point mourir en la croix; l'indifference estant toute reservee, et l'exercice d'icelle, a l'esprit, a la portion superieure, aux facultés embrasees de la grace et en somme a luy mesme, en tant qu'il estoit le nouvel homme..

  A019002246 

 Ma Fille, l'amour propre ne meurt jamais qu'avec nostre cors; il faut tous-jours sentir ses attaques sensibles ou ses prattiques secrettes tandis que nous sommes en cet exil.

  A019002247 

 Il ne faut pas ni rompre les cordes, ni quitter le luth quand on s'apperçoit du desaccord; il faut prester l'oreille pour voir d'ou vient le detraquement, et doucement tendre la corde ou la relascher, selon que l'art le requiert..

  A019002247 

 Quand il nous arrive de violer les loix de l'indifference es choses indifferentes, ou pour les soudaines saillies de l'amour propre et de nos passions, prosternons soudainement, si tost que nous pouvons, nostre cœur devant Dieu, et disons en esprit de confiance et d'humilité: Seigneur, misericorde, car je suis infirme.

  A019002248 

 Demeures en paix, ma tres chere Fille, et escrives moy confidemment quand vous estimeres que ce soit vostre consolation.

  A019002249 

 Mais que de joye quand M. Jantet me disoit que mon tres cher petit filleul estoit si gentil, si doux, si beau et quasi des-ja si devot! Je vous asseure en verité, ma tres chere Fille, que je ressens cela avec un amour nompareil, et me resouviens de la grace et douce petite mine avec laquelle il receut, comme avec un respect enfantin, la filiation de Nostre Seigneur entre mes mains.

  A019002255 

 Quand vous craindries la perte de vos lettres en chemin, bien que presque jamais il ne s'en perd, vous pouves bien ne point vous signer, car je connoistray bien tous-jours vostre main..

  A019002256 

 Encor faut il dire que je salüe madame de la Haye..

  A019002274 

 A propos de ces affaires, je n'omettrai pas de dire à Votre Seigneurie Illustrissime que, de Paris, on me fait savoir qu'à la grande satisfaction du Roi, de la Reine, de toute la cour et de tous les honnêtes gens de la ville, le vieux Doyen de Saint-Germain [275] Autissiodorensis (appelé l'Auxerrois) a résigné son doyenné en faveur de Monseigneur l'Evêque de Belley.

  A019002275 

 La première: que l'église Saint-Germain est des plus importantes de Paris, étant la paroisse du Louvre, de la cour et de plusieurs milliers de personnes.

  A019002276 

 Enfin, il sera de toutes manières obligé de résigner l'évêché de Belley qui ne compte, dans tout le diocèse, ni autant de prêtres ni autant d'âmes que la seule paroisse de Saint-Germain de Paris (je laisse à part la disproportion de la valeur du Prélat avec cet évêché), puisque je sais que, de son propre mouvement, le Roi a voulu l'avoir pour conseiller d'Etat et que, bien qu'il prêchât tous les jours ce Carême passé, la Reine désira qu'il allât le soir faire des conférences spirituelles devant Sa Majesté; aussi faudra-t-il que dans quelques jours il retourne là-bas.

  A019002276 

 L'autre raison est que Monseigneur de Belley est très dévoué à Dieu et à la sainte Eglise, et qu'il a un grand renom dans la capitale comme l'un des meilleurs prédicateurs de France.

  A019002285 

 Ce m'est tous-jours bien de la consolation, ma tres chere Fille, de sçavoir que vostre cœur ne se depart point de ses resolutions, encor que souvent il se relasche a des immortifications; car j'espere qu'a force de s'humilier parmi les signes de son imperfection, il reparera les defautz qu'elle luy apporte..

  A019002286 

 Ma tres chere Fille, la condition de vostre esprit requiert que vous en ayes un grand soin, a cause de cette liberté et promptitude qu'il a, non seulement a penser et vouloir, mais a declarer ses mouvemens.

  A019002296 

 Elle m'a demandé de vostre part, que je luy marquasse les imperfections que j'aurois remarquees en vostre ame; mais je n'ay pas eu asses de tems pour bien considerer ce qui pourroit estre a dire sur ce sujet.

  A019002296 

 Et si j'eusse eu dequoy luy parler en cela, je l'eusse fait, non seulement pour vous contenter, mais satisfaire a la fidelité que je vous dois; vous asseurant en toute verité, ma tres chere Fille, qu'encor que j'ayme vostre ame d'un amour extraordinaire et lequel est si fort quil ne peut estre dissimulé, si est ce qu'a mon advis, il ne m'aveugle pas pour m'empescher de voir vos tares, si j'avois la commodité de les observer..

  A019002296 

 Voyla cette chere et bienaymee Mere Peronne Marie qui s'en reva dans son nid, sur ses œufs; je ne l'ay pas veüe a mesme de ce que j'eusse desiré.

  A019002298 

 Ma tres chere Fille, mon ame est toute vostre, et je suis asseuré que la vostre ne sçauroit douter de cette si veritable verité que Dieu Nostre Seigneur a fait et quil fera durer a jamais pour cette vie et pour l'eternité, selon que je l'espere de sa misericorde.

  A019002310 

 Et je dis ainsy, par ce que [280] n'ayant pas l'honneur d'estre conneu de ce Prelat, je ne pense pas que ma lettre puisse adjouster aucun degré de chaleur a son saint zele..

  A019002310 

 Voyla une lettre pour Monseigneur de Clermont, puis que vous l'aves voulu.

  A019002311 

 Je croy que vous pourres rester encor la quelques moys, ne voyant encor rien de prest a Turin, quoy que Monseigneur le Prince persevere a dire que tout se fera.

  A019002313 

 Je loüe Dieu que vostre arrivee en ce païs-la a esté accueillie avec tant de joye, et j'espere que la suite sera tous-jours correspondante; car les amis de Dieu sont trop plus honnorés..

  A019002328 

 J'auray tout le soin de vous que vous sçauries desirer d'un amy et frere fidele.

  A019002337 

 Et croy que messieurs nos ecclesiastiques seront bien ayses d'avoir avec eux des confreres qui les [284] assisteront, non seulement a bien faire l'Office, mays a bien former leur Congregation sur le modelle que la Bulle de leur erection propose; car rien ne se passera en toute cette affaire qu'avec toute equité, debonaireté et douceur, sans quil puisse rester aucune occasion de se douloir a personne du monde..

  A019002337 

 Monseigneur le Prince ayant sceu que vostre Bulle fondamentale obligeoit la Congregation des Reverens ecclesiastiques de Nostre Dame a vivre a l'instar de ceux de l'Oratoire, et ne doutant point que cela ne se fit plus heureusement si quelques uns desdits Peres de l'Oratoire, qui sont maintenant establis presque par toute la France, venoyent en ladite Congregation de Nostre Dame pour la dresser et perfectionner selon leur Institut, il me commanda d'en traitter avec ceux de Paris; et despuis peu, j'ay receu nouvel advis de la part de Son Altesse, qu'elle vouloit faire reuscir ce projet, et bientost, avec ordre de tenir la place vacante en attente, affin que plus librement et aysement on la puisse employer pour une si sainte intention.

  A019002338 

 Mays puisque je doy dans quelques semaines me treuver avec vous, je pense que nous aurons plus de bonne commodité d'en conferer ensemblement, et ny aura point de hazard de surseoir jusques a ce tems-la toute sorte de resolution.

  A019002350 

 Je n'avois garde de deviner que cette difficulté deust jamais arriver pour la fondation de Nevers, ma tres chere Fille; car, quelle consequence y a il? Une fille est a [285] Moulins: il faut donq qu'elle et ses moyens y demeurent.

  A019002350 

 Mais ceux qui la font sont dignes de si grand respect et ont tant de merite sur vostre Mayson et sur toute la Congregation, et ont tant de bon zele et de pieté, qu'encor qu'a la rigueur elle ne soit pas bien forte, il faut, ce me semble, la faire valoir pour une partie, selon l'advis du Reverend P. Recteur, qui, comme m'escrit madamoyselle du Tertre, estime que la moytié suffira pour commencer la fondation, et l'autre moytié pour bien accommoder la Mayson de Moulins..

  A019002351 

 Et quand je dis que vous y allassies, j'entens aussi parler de madamoyselle du Tertre, ma fille, laquelle je sçai estre inseparable [286] d'avec vous.

  A019002351 

 Je le fay neanmoins, et dis qu'il seroit a propos que vous, qui aves traitté et qui estes conneuë, menassies ma Seur Paule Hieronime a Nevers, et l'y establissies le mieux que vous pourries, pour le sejour d'un mois ou deux.

  A019002351 

 Or, je presuppose que ces Messieurs prennent confiance a la parole que vous leur donneres de revenir infalliblement et de ramener madamoyselle du Tertre.

  A019002351 

 Que si ilz ne le veulent pas, il faudra envoyer ma Seur Paule Hieronime avec deux ou troys qu'elle choisiroit, et faire le mieux qu'on pourroit, pourveu qu'on fist le partage sus escrit; car ma Seur Paule Hieronime a asses de courage et de capacité de bien faire, moyennant la grace de Dieu, pour reuscir en cette entreprise..

  A019002351 

 Reste la difficulté de vostre personne et de celle de cette chere fille, car je voy aussi la grande affection que monsieur le Mareschal et madame la Mareschale ont que vous vous arresties, et elle aussi, a Moulins; et faut que je confesse que je voy que cette affaire se prend d'un biays que j'apprehende de dire mon sentiment.

  A019002352 

 Certes, il ne faut vouloir que Dieu absolument, invariablement, inviolablement; mais les moyens de le servir, il ne les faut vouloir que doucement et foiblement, affin que si on nous empesche en l'employte d'iceux, nous ne soyons pas grandement secoués.

  A019002352 

 Je vous asseure, ma tres chere Fille, que cette difficulté ne m'a point tant fasché que pour le desplaysir que je sçai que vous en aves eu; sur le sujet duquel il faut que je vous die que vous lisies un peu le chapitre De la Patience, de Philothèe, ou vous verres que la piqueure des mouches a miel est plus douloureuse que celle des autres mouches.

  A019002352 

 Les entreprises que les amis font sur nostre liberté sont merveilleusement fascheuses; mais en fin, il les faut supporter, puys porter, et en fin aymer comme de cheres contradictions.

  A019002353 

 Or sus, prenes courage: si le P. Recteur et moy sommes creus, selon ce que j'ay dit ci dessus, tout n'en ira que mieux.

  A019002353 

 Vous souvenes vous de la fondation de cette Mayson d'icy? Elle fut faite comme celle du monde, de rien du tout, et maintenant on a despensé pres de seize mille ducatons es bastimens, et jamais fille n'en bailla mille que ma Seur Favre.

  A019002354 

 Mays si d'adventure ces Messieurs de Moulins ne vouloyent pas entendre au parti duquel le P. Recteur et moy sommes d'advis, que feroit on? O certes, je ne me puis imaginer cela; mais en ce cas, il faudroit avoir bien soin de nostre Seur Paule Hieronime et de sa compaignie, et advertir nostre Mere, qui peut estre a quelque autre [287] fondation par les mains, ou elle pourroit estre employee.

  A019002364 

 Ce chevalier part avec tant de presse que je ne puis quasi pas vous escrire, ayant esté forcé d'escrire a Moulins des grandes lettres sur le sujet de la difficulté qu'on y a fait naistre pour la fondation de Nevers.

  A019002364 

 Je dis que l'on partage ces benitz moyens, car il y aura dequoy commencer la fondation de 15000 francz (on n'en eut pas tant ni icy, ni a Lyon, ni a Grenoble), et que ma Seur Jeanne Charlotte y meine et assiste pour un moys ma Seur Paule Hieronime, puisqu'on ne peut mieux faire..

  A019002379 

 Je croy fort seurement, ma tres chere Fille, que vous tesmoignerés par tout en faveur de la verité, que parmi les desirs que j'ay eu de rendre du service et de la consolation a vostre ame, je ne me suis jamais meslé de sçavoir quelz estoyent vos moyens temporelz, ni ne vous ay jamais incité de les employer pour les Maysons de Sainte Marie.

  A019002379 

 Je ne sçai donq comment on a peu penser que je vous aye addressee a Moulins en consideration des commodités que vous aves, et que ce soit injustice de les divertir ailleurs.

  A019002379 

 Mais il me suffit de vous avoir dit] ces quatre paroles, pour justifier le consentement que j'avois donné a vostre dessein pour Nevers; en quoy il ne me semble pas que j'aye rien commis digne de censure..

  A019002379 

 Que si vous aves engagé vostre ame envers Dieu pour la fondation d'un Monastere a Nevers, ça esté tout a fait sans m'en communiquer, sinon apres que vous en eutes contractee la sainte obligation.

  A019002380 

 Mays la consideration de vostre vœu me fait adhaerer au conseil du R. P. Recteur, qui porte, comme vous m'escrivés, que vous [fassies l'un et ne laissies pas l'autre; puisque, comme il est presupposé, il y a suffisamment pour ayder puissamment la fondation de la Mayson de Nevers et pour appuyer et secourir celle de Moulins.

  A019002381 

 Voyla tout ce que je vous puis dire, ma tres chere Fille, demeurant au reste plein d'une sainte satisfaction et, sil est permis de le dire, tout glorieux dequoy on m'asseure si fort que vous faites des merveilles en pieté, et dautant plus que c'est madame la Mareschale de Saint Geran, laquelle est, graces a Dieu, sçavante en ce saint mestier; car je croy que vous ne doutes pas que la tres sincere et invariable dilection que Nostre Seigneur m'a donnee pour vostre ame, me face aymer, cherir et sentir tres passionnement vostre establissement et progres au saint service de sa divine Majesté.

  A019002397 

 Mays elle portera, je m'asseure, ce tesmoignage a la verité, que jamais je ne luy fis aucune sorte de persuasion, non pas mesme indirectement, pour le choix de sa vocation ni pour l'emploite de ses moyens, l'un estant, a mon advis, perilleux, et l'autre, tout esloigné de la condition de mon esprit.

  A019002397 

 Seulement je regarday que la Mayson de Sainte Marie de Moulins, a laquelle je l'addressay [292] comm'a une desirable retraitte, ne pouvoit estre que soulagee temporellement de la pension qu'ell'y contribueroit, et que si Dieu l'inspiroit de s'y arrester tout a fait, elle pourroit donner tres suffisamment dequoy y estre entretenue..

  A019002398 

 Et moy, qui ne pouvois nullement deviner qu'on eut fait dessein pour Moulins sur ses moyens, veu que je ny avois pas mesme pensé que sous une condition tres incertaine et indefinie, je ne peu treuver que bonne son election, comm'en effect elle l'estoit.

  A019002398 

 Et sur cela, estant averti que j'envoyasse une couple de filles, je les ay envoyees, a la verité sans beaucoup de consideration, n'ayant pas preveu que jamais personne deut attribuer a injustice la sortie d'une personne d'un lieu ou elle n'estoit pas obligee de demeurer, ni la translation d'un'autre, pourveu qu'elle laissat en sa place une qui succedat avec suffisante capacité d'exercer sa charge.

  A019002398 

 Or, quand je passay a Moulins, je ne treuvay encor point de disposition en cett'ame pour faire le choix qu'ell'a fait du despuis; seulement, il y a, je pense, deux moys que je sceu par une de ses lettres qu'elle s'estoit engagee envers Nostre Seigneur, non seulement pour sa vocation, mays aussi pour l'erection d'une Mayson a Nevers.

  A019002398 

 Voyla, Monsieur, tout ce que j'ay fait jusques a present pour ce regard..

  A019002399 

 Maintenant, M lle du Tertre m'escrit que l'authorité de monsieur le Mareschal et de madame la Mareschale de Saint Geran la retire de son premier projet, et que des dignes theologiens l'asseurent que sa conscience est en liberté pour demeurer ou ell'est.

  A019002399 

 Reste le desplaysir que, parmi cela, ma bonne Seur Jeanne [293] Charlotte peut recevoir d'avoir donné des paroles a Messieurs de Nevers qu'elle ne peut soustenir, car je croy que rien n'est capable d'affliger un'ame bien nee que cela; mays il ny a remede..

  A019002400 

 Et pour finir et vous dire, Monsieur, ce que j'escris a l'une et a l'autre de ces filles: j'escris a M lle du Tertre, qu'elle face ce que le P. Recteur luy dira pour sa conscience; et a ma Seur de Brechard, qu'ell'endure tout ce qui reuscira de ce conseil, qu'elle reçoive en patience cett'abjection, et qu'elle se resouvienne que les piqueures des avettes sont plus sensibles que celles des mouches, et qu'a cause de leur miel on ne laisse pas de les aymer, encor qu'elles piquent.

  A019002417 

 Ce que je fay, adjoustant au paquet d'hier ce billet et les lettres y jointes, qui m'ont seulement esté rendues il y a deux heures, quoy qu'elles soyent du mois d'avril..

  A019002417 

 Or, monsieur de Cheinex, qui succede au fondateur, s'est chargé de faire que Son Altesse commandera qu'en payant a ceux qui praetendent avoir droit en ladite establerie ce qui sera jugé equitable, on la face oster de la, comm'il est bien convenable; et les Peres Cordeliers ont desiré que je vous priasse, si l'occasion s'en presente, de faire encor office pour cela.

  A019002417 

 Vous sçaves l'incommodité que l'establerie de M. de Moyron, attachee a l'eglise de Saint François, apporte, et combien elle est messeante.

  A019002430 

 O que ses cogitations sont bien differentes des nostres, et ses voyes inconneuës a nos sentimens!.

  A019002430 

 Or sus, vous aves veu que la divine Providence a bien disposé, et tres favorablement pour vous et vostre Mayson, sur la reception de M lle Mistral.

  A019002430 

 Si cette mesme Providence establit une Mayson a Valence, elle vous fera voir de mesme que nous ne sçavons gueres, et que nostre prudence doit demeurer doucement en paix et faire hommage a la divine disposition qui fait tout reüscir au bien des siens.

  A019002431 

 Non, ne craignes pas que vos sentimens me facent rien faire; car encor que je vous cheris tres parfaitement toutes, si est ce que je sçai bien que vos sentimens ne sont pas vous mesmes, encor qu'ilz soyent en vous..

  A019002432 

 Je vous ay asses bien entendue sur vostre orayson: ne vous mettes point sur l'examen pointilleux de ce que vous y faites; ce que je vous en dis suffira pour le present..

  A019002433 

 Si c'est M. Scarron, j'espere qu'on en aura de la satisfaction; car bien que je ne le connoisse gueres, si est ce que j'en ay ouy dire de grans biens..

  A019002433 

 Si vous aves un nouvel Evesque, vous n'aves pourtant rien de nouveau a faire avec luy, sinon de luy offrir vostre [296] obeissance et de luy demander sa protection; et selon que vous le verres aysé et doux, ou par vous mesme ou par une discrette entremise, vous pourres luy demander un Pere spirituel a qui vous vous puissies addresser es occurrences, et par le soin duquel vous puissies traitter avec luy quand l'affaire le requerra.

  A019002434 

 Murmurés tant que vous voudres contre moy, car je ne m'en soucie point, et sçay bien que vous sçaves que je vous cheris et ay une tres entiere confiance en vous.

  A019002434 

 Que si je ne vous ay pas fait voir ces lettres, c'est que je n'y ay pas seulement pensé; comme a la verité, cette multitude et varieté d'affaires m'oste la memoire de la pluspart des choses..

  A019002435 

 Ouy, il faut demander M. d'Aouste a ce nouvel Evesque; car a la verité, M. le Grand Vicaire ne sçauroit en cela avoir ce soin particulier parmi le soin universel que son office luy donne..

  A019002447 

 Certes, s'il se pouvoit, je voudrois tous les jours recevoir des nouvelles de vostre ame et tous les jours vous en donner de la mienne, car je m'imagine que vous ne vives gueres sans afflictions; si est-ce que par le sentiment de mon coeur je connois que le vostre seroit aucunement soulagé par le commerce spirituel qu'il pourroit avoir avec le mien, selon qu'il a pleu a Dieu de me donner une affection toute singuliere pour vous cherir de toutes mes forces..

  A019002448 

 Je voy vostre cœur assis et affermi sur cette verité; c'est pourquoy, bien que d'un costé je ne puisse [298] pas m'empescher de compatir avec vous, puisque veritablement vous estes ma Fille, d'autre part je me glorifie avec vous en la Croix de Nostre Seigneur, puisque vous estes si heureuse que d'y participer; et ne cesseray jamais de prier le Saint Esprit qu'il establisse de plus en plus le vostre en son obeissance [et en son] tres pur et tressaint amour..

  A019002448 

 Ma chere Fille, vous sçaves tres bien que Dieu reserve le partage de ses enfans pour la vie future, et que pour celle ci, il ne donne ordinairement a ses mieux aymés que l'honneur de souffrir beaucoup et de porter leur croix apres luy.

  A019002449 

 Faites moy ce bien, ma tres chere Fille, que par la premiere bonne commodité qui se presentera, je puisse sçavoir quelque chose de l'estat de vostre cœur et de toute vostre chere petite trouppe de petitz enfans, que Dieu vous a donnés affin que vous fussies leur mere selon l'esprit encor plus que vous ne l'estes selon le cors; et de nostre frere N. et de nostre seur N., et Sur tout de la bonne madamoyselle vostre mere.

  A019002460 

 C'est pourquoy sa Providence est obligee, a sa disposition, de vous tenir de sa main affin que vous fassies bien ce a quoy il vous appelle.

  A019002460 

 Croyes, ma tres chere Fille, il faut aller a la bonne foy sous la conduite de ce bon Dieu, et ne point disputer contre cette regle generale, que Dieu qui a commencé en nous le bien, le parfaira selon sa sagesse, pourveu que nous luy soyons fideles et humbles..

  A019002460 

 Quelle consolation pour vous que c'est Dieu mesme qui vous a faite Superieure, puisque vous l'estes par les voyes ordinaires.

  A019002461 

 Et je vous dis que vous seres fidele si vous estes humble.

  A019002461 

 Mais je sens bien que je ne la suis pas.

  A019002462 

 En un mot, ma chere Fille, il faut que vostre humilité soit courageuse et vaillante, en la confiance que vous deves avoir en la bonté de Celuy qui vous a mise en charge..

  A019002462 

 Reposes vous ainsy sur luy, et quand vous feres des fautes ou des defautz, ne vous estonnes point; ains, apres vous estre humiliee devant Dieu, souvenes vous que la vertu de Dieu se manifeste plus glorieusement dans nostre infirmité.

  A019002462 

 Son cœur est grand, et il veut que le vostre y ayt place.

  A019002463 

 Et pour bien couper chemin a tant de repliques que la prudence humaine, sous le nom d'humilité, a accoustumé de faire en telles occasions, souvenes vous que Nostre Seigneur ne veut pas que nous demandions nostre pain annuel, ni mensuel, ni hebdomadal, mais quotidien.

  A019002463 

 Tasches de faire bien aujourd'huy, sans penser au jour suivant; puis, le jour suivant, tasches de faire de mesme; et ne penses pas a ce que vous feres pendant tout le tems de vostre charge, ains alles de jour en jour passant vostre office, sans estendre vostre souci, puisque vostre Pere celeste qui a soin aujourd'huy, aura soin demain et passé demain de vostre conduitte, a mesure que, connoissant vostre infirmité, vous n'espereres qu'en sa providence..

  A019002464 

 Il m'est advis, ma tres chere Fille, que je vay bien a la bonne foy avec vous de vous parler ainsy, comme si je ne sçavois pas que vous sçaves mieux que moy tout ceci; mays il n'importe, car cela fait plus de coup quand un cœur ami le nous dit..

  A019002474 

 Il y a huit ou 9 jours que j'ay eu un peu des incommodités que l'esté a accoustumé de m'apporter; nostre M. Grandis dit que ce n'est rien, et non seulement je le croy fermement, mais je le sens evidemment.

  A019002474 

 Or il est force pourtant qu'en suite j'escrive le moins que je puis; a ce moys prochain, cette reserve me sera ostee..

  A019002475 

 Et de plus, si j'eusse sceu plus tost le depart du sire Pierre, j'eusse escrit a cette fille bienaymee que vous aves aupres de vous, fille du jour et de l'oratoire de la Visitation, qui fut si efficacement visitee au jour qu'on celebroit la feste des visites celestes.

  A019002475 

 J'ay envoyé a Rome affin d'obtenir l'entree de cette seur, qui sçait bien ce que je luy suis, et que je sçai la sainte et parfaite union qu'ell'a avec cette chere fille, qui merite bien qu'elle la puisse quelque fois voir de plus pres..

  A019002475 

 Je n'escriray donq qu'a vous, et encor bien peu, a la charge neantmoins que vous n'en tireres pas consequence que je veuille vous retrancher vos longueurs es lettres, car elles me sont tres agreables, pourveu qu'elles ne vous nuisent pas.

  A019002475 

 Mon Dieu, que j'ayme son cœur et celuy de ma tres chere fille sa [302] seur! Il faut bien qu'elles cultivent l'un'et l'autre le don de Dieu.

  A019002476 

 Il veut partir dans 4 ou cinq jours, tant pour faire venir la signora D. Genevra, que pour assister a mon frere en son sacre, que pour un autre tout bon dessein que Dieu luy a donné..

  A019002476 

 O ma Mere, je vous escriray, et a toutes nos Filles, si tost que nostre bon P. D. Juste sera parti, qui est le plus admirable amateur et admirateur de la Visitation, de nous et de tout ce qui est de nous, quil est possible d'imaginer.

  A019002478 

 Je vis avec impatience jusques a ce que j'aye fait un petit mot de congratulation a nostre chere fille sur son mariage, que Dieu veuille a jamais benir.

  A019002493 

 Je parlay encor il ny a que trois jours avec monsieur Rosetain de cette miserable creature de laquelle, et pour mon devoir et pour suivre vostre bon desir, j'avois affectionné la retraitte.

  A019002494 

 Je ne sçai pas encor quand Monsieur le R me de Belley voudra que je luy aille rendre mon devoir, et croy qu'il vous estime si entierement que mon entremise sera superflue.

  A019002494 

 Mais puis qu'il vous plait, je l'y contribueray, grandement obligé a vostre bienveuillance de la veritable asseurance que vous prenes de mon affection, qui est toute invariable a vous honnorer fidelement, et a me faire vivre a jamais,.

  A019002508 

 Comme M. Crosson vint l'autre jour a moy pour se plaindre de son Prieur, aujourdhuy son Prieur vient a moy pour se plaindre de luy, et m'a monstré son visage tout gasté des coups quil dit avoir receu dudit M. Crosson, me priant de vous prier de vouloir aller sur le lieu de l'exces pour informer: ce que je croy estre fort a propos.

  A019002508 

 Et sil vous plait faire l'information en sorte que je m'en puisse servir, il y aura moyen de rendre justice, a l'un par vous, et a l'autre par moy..

  A019002526 

 J'ay receu vostre grande lettre, a laquelle je ne me suis pas hasté de respondre par ce que des-ja j'avois respondu a tout ce qu'elle contient par la lettre que j'escrivis et a vous et a M lle du Tertre, que je mis dans un paquet que j'addressay a monsieur le Mareschal par monsieur des Hayes qui, revenant de Constantinople, alloit en poste au Roy; et je m'asseure que vous l'aures receue..

  A019002527 

 Il me dit que, dans l'interest de Dieu et le mien, je devois me tenir en cette ville, mais neantmoins ayder l'establissement de la Mayson de Nevers, et quil me feroit voir par ses livres que c'estoit avec des tres bonnes raysons quil me disoit que je pouvois transmuer mon dessein.» Sur cela, je luy escrivis, et a vous, qu'elle [307] devroit suivre l'advis de ce Pere, qui ne peut estre que grave personnage, et donner une partie de ses moyens pour Nevers, gardant l'autre pour Moulins, en sorte qu'en faisant l'un elle n'abandonnast pas l'autre..

  A019002527 

 Voyci les propres paroles de la lettre que M lle du Tartre ( sic ) m'avoit escritte: «Je ne fus pas asses satisfaite d'avoir consulté les Capucins; je desiray voir le bon P. Recteur, auquel je vous puis asseurer, Monsieur, que je dy tout l'engagement, et de la mesme sorte que je vous l'ay escrit.

  A019002528 

 Certes, j'adjouste donq que, tout au fin moins, les dix mille francz employés par ordre de madamoyselle du Tertre, sur sa parole, en suite de son vœu, ne peuvent ni doivent estre retirés, sinon que, comm'il se peut faire, je sois grandement deceu en l'intelligence des docteurs.

  A019002528 

 Mais je m'asseure que le P. Recteur se sera bien fait expliquer tout le fait et aura, par sa prudence, accommodé toutes choses selon le droit; et je m'asseure que M lle du Tertre aura eu de la consolation de voir que, par ses moyens, l'une des Maysons soit fondee et l'autre mieux establie en commodités; et cela ne luy devra nullement oster le tiltre de fondatrice, au contraire, elle le meritera doublement..

  A019002529 

 Et quant aux exceptions qu'elle desireroit pour moins incommodement vivre dans le monastere: pourveu qu'elle se sousmette aux Regles et aux Constitutions essentielles (en quoy, comme en toutes autres choses, le Pere Recteur et les autres theologiens vous pourront bien conseiller); il ny a Regle au monde, ni Constitutions qui s'accommode ( sic ) tant aux infirmes que celles de cet Institut.

  A019002530 

 Le Monastere de Nevers ira bien, apres que toutes ces bourrasques auront esté appaysees.

  A019002531 

 Que si ell'est pour Sainte Marie, ell'y treuvera bien aussi de quoy y servir sa divine Majesté..

  A019002532 

 Vous n'eutes jamais tant de peine ni de mal de cœur que parmi ceste bourrasque; benisses Dieu, demeures humble et courageuse, et ne vous lasses point de souffrir beaucoup..

  A019002533 

 Elle sçait bien que la pretention que j'ay en elle n'est autre chose que son eternelle beatitude, praetention que je la supplie de favoriser de tout son pouvoir.

  A019002548 

 N'attendes nullement de moy une grande lettre, ma tres chere Mere, car j'ay tant escrit que je n'en puis plus, ayant esté contraint de faire de rechef des lettres pour Moulins et Nevers, plus longues beaucoup que l'ordinaire, pour m'esclarcir sur les responses que j'avois faites, car on ne m'avoit pas dit tout et je n'avois pas respondu tout..

  A019002549 

 C'est la verité que le vœu de M lle du Tartre ( sic ) ayant esté fait en faveur de Nevers, et ayant esté non seulement accepté, mays en bonne partie executé jusques a l'employ de dix mille francz fait par ordre et procuration de M lle du Tertre, il ny a nulle apparence qu'elle s'en puisse desdire, au moins quant a la part des-ja employee.

  A019002549 

 Or, je croy que tout ira bien, et l'affaire d'Orleans aussi.

  A019002550 

 La pauvre Seur Jeanne Charlotte a esté bien exercee, a ce qu'on m'escrit; et, ce qui est plus deplorable, c'est que l'on a remué ces vieux bruitz qui, comme tres injustes, avoyent esté ensevelis, ainsy que m'escrit ma chere fille de Goufiez, a laquelle je ne puis escrire, me contentant de la saluer de tout mon cœur pour cette fois.

  A019002550 

 O que le monde est inique, a mon gré, et que sa prudence est haïssable, parce qu'ell'est serpentine et nullement associé ( sic ) a la simplicité colombine! O il ny a nul danger que vous traitties toutes ces filles maternellement; elles le reçoivent, je m'asseure, filialement..

  A019002551 

 Et moy, voyant que je suis appellé a suivre M. le Prince Cardinal, soit quil aille a Rome, soit qu'il aille en France, comme l'on dit quil fera, je ne suis plus de ce païs, ains du monde, et fay estat de n'avoir nulle habitation que dans le sein de l'Eglise.

  A019002552 

 Enfin, l'experience a fait voir que quand les filles demeurent a la treille un peu eslevees, on les void mieux et on les entend mieux par tout l'oratoire..

  A019002553 

 O pourveu que le dernier accident luy arrive en la grace de Dieu, il importera peu.

  A019002554 

 Il ne faudroit que procurer la perpetuité du petit Office.

  A019002554 

 Jamais il ny eut Religion delaquelle toutes les Constitutions ayent esté appreuvees a Rome par le Saint Siege, il suffit que les Regles le soyent.

  A019002554 

 Tout ce que la prudence y peut faire, se fera a la reveüe; apres cela, il faut demeurer en paix et laisser a la providence de Dieu de les establir, et elle le fera..

  A019002555 

 Je vous vay escrire un article pour ma fille M lle de Frouville et M me de Villeneuve, que vous pourres monstrer a celle ci, car c'est pour le service de la seur que j'ayme tout a fait..

  A019002566 

 Ce m'est une douceur nompareille, ma tres chere Fille, de voir l'operation celeste que le Saint Esprit a faite en vostre cœur, en vostre si forte et genereuse resolution de vous retirer du monde.

  A019002566 

 Cette promptitude de faire la volonté de Dieu est un grand moyen d'attirer de grandes et puissantes graces pour la suite et accomplissement de toute bonne œuvre; et vous voyes, ma tres chere Fille, qu'apres la rude secousse que vostre cœur sentit quand, de vive force, il se desprit de ses sentimens, humeurs et inclinations pour suivre l'attrait superieur, en fin vous voyla toute consolee et accoysee dans le bienheureux buisson que vous aves choysi pour chanter a jamais la gloire du Sauveur et Createur de vostre ame..

  A019002566 

 O que vous fistes sagement, suivant la sagesse surnaturelle, ma tres chere Fille! car ainsy estoit il en l'Evangile de la feste qu'on celebroit, que Nostre Dame s'en alla tout hastivement droit dans les montz de Juda.

  A019002567 

 Ce n'est rien, certes (et je voy bien que vous le croyes ainsy), ce n'est tout a fait rien en comparayson de vostre devoir et de ces immortelles recompenses que Dieu vous a preparees; car, que sont toutes ces choses que nous mesprisons et quittons pour Dieu? En somme, ce ne sont que des chetifz petitz momens de libertés, mille fois plus sujettes que l'esclavage [313] mesme; des inquietudes perpetuelles, et des pretentions vaines, inconstantes et incapables d'estre jamais assouvies, qui eussent agité nos espritz de mille sollicitudes et empressemens inutiles: et ce, pour des miserables jours, si incertains, et courtz, et mauvais.

  A019002567 

 Mais neanmoins il a pleu ainsy a Dieu, que qui quitte ces neans et vains amusemens des momens, gaigne en contreschange une gloire d'eternelle felicité, en laquelle cette seule consideration d'avoir voulu aymer Dieu de tout nostre cœur et d'avoir gaigné un seul petit grade d'amour eternel de plus, nous abismera de contentement..

  A019002567 

 Or, releves, ma chere Fille, releves souvent vos pensees a cette eternelle consolation que vous aures au Ciel, d'avoir fait ce que vous aves fait.

  A019002569 

 Il en reste encor deux: l'une est d'escorcher la victime, despouillant vostre cœur de soy mesme, coupant et tranchant toutes ces menues impressions que la nature et le monde vous donnent; et l'autre, de brusler et reduire en cendres vostre amour propre, et convertir tout en flammes d'amour celeste vostre chere ame.

  A019002569 

 Mays, ma tres chere Fille, il faut que je vous die que vous voyla doucement toute morte au monde, et le monde tout mort en vous: c'est une partie de l'holocauste.

  A019002569 

 Or, ma Fille certes toute tres chere, cela ne se fait pas en un jour, et Celuy qui vous a fait la grace de faire le premier coup, fera luy mesme avec vous les autres deux; et parce que sa main est toute paternelle, ou il le fera insensiblement, ou, s'il vous le fait sentir, il vous donnera la constance, ains la joye qu'il donna au Saint duquel nous faysons la feste, sur la grille.

  A019002570 

 Vous me promettés, ma tres chere Fille, que si on vous [314] le permet, vous m'escrires toutes les rencontres de vostre heureuse retraitte; et je vous prometz qu'on vous le permettra, et que je recevray ce recit avec un extreme amour..

  A019002575 

 Le bon oncle Chartreux sera bien consolé quand il sçaura que vous estes [Religieuse],.

  A019002585 

 Je me res-jouys avec vous, ma tres chere Fille, de la retraitte de la chere seur, tant par ce qu'en verité ell'a esté faite genereusement, saintement et, pour le dire comme je l'entens, heroiquement et a la façon de ces anciennes ames du christianisme de l'aage plus saint, qu'aussi dautant que, comme m'a escrit la bonne Mere Superieure, vous aves autant de part en cette retraitte, et plus encor, que si vous vous fussies retiree vous mesme, en cas quil vous eut esté loysible.

  A019002586 

 Je sçai le fort, vif et tendre amour de vostre cœur envers cette seur, et que cette petite separation luy aura costé des grans effortz, et c'est cela qui me donne mille playsirs en la partie superieure; car en l'inferieure, croyes moy, ma Fille, j'ay treuvé mon sentiment engagé dans le vostre, tant il est vray en un sens tres sincere, que «l'amour egale les amans.» Vous aves donq si bonne part en ce sacrifice aggreable, que je m'en res-jouis tres affectionnement avec vous, et croy que la divine Bonté aura une douce souvenance de vostre holocauste et confirmera vostre conseil, et vous rendra, selon l'intention de vostre cœur, une consolation qui vous fera tousjours croistre en cet amour, ou une force qui, sans consolation, vous fera tous-jours de plus en plus parfaitement servir ce celeste amour..

  A019002587 

 Je ne sçai que vous dire, ma tres chere Fille, sinon que je suis indiciblement et incroyablement vostre..

  A019002601 

 Car je sçai bien, Monsieur, que cette fille vous estoit parfaitement pretieuse, et que vous n'auries peu la donner a la divine volonté que premierement vous ne vous fussies abandonné tout a fait vous mesme a son obeissance, qui est le plus excellent bonheur qu'on puisse souhaitter..

  A019002602 

 Et ce sont les desirs que je fay sur vous et sur toute vostre mayson, qu'en vous benissant elle vous benisse, establissant vostre posterité en sa grace, contre toutes sortes de contradictions..

  A019002602 

 Or, j'augure de plus que, pour ce saint sacrifice spirituel que vous aves si franchement fait a Dieu, sa souveraine et [infinie] Bonté vous donnera les mesmes benedictions qu'elle donna en pareille occasion au grand Abraham.

  A019002628 

 Je renvoie à Votre Paternité sa traduction, que j'ai revue depuis le commencement jusqu'à la fin.

  A019002629 

 Il faut, d'ailleurs, que les sages prennent patience lorsqu'en de semblables ouvrages [319] on traite avec de moins prudents; car, parlant aux gens du monde, à des courtisans et autres, je me dois aux sages et aux insensés..

  A019002629 

 Je laisse ceci au jugement de Votre Paternité, sachant bien toutefois qu'en plusieurs endroits d'Italie et l'on danse, et l'on joue, et l'on courtise, surtout dans les lieux voisins de l'Allemagne et de la France, tels que notre Piémont.

  A019002629 

 Une seule chose me donne à réfléchir: c'est que quelques personnages italiens disent que les chapitres où je traite des jeux, des bals, des amourettes et de semblables amusements et passe-temps, comme aussi celui De l'honnêteté du lit nuptial et la comparaison de la princesse sollicitée, qui se trouve dans le traité des Tentations, conviennent à la légèreté et liberté de la nation française; mais que la retenue et la gravité naturelle des Italiens n'ont pas besoin qu'on parle de tels sujets.

  A019002631 

 Il m'a semblé mieux d'expédier maintenant ce travail, car je crains que Son Altesse veuille me faire aller en France à l'heure où j'y penserai le moins..

  A019002632 

 Il me fâche que dans cette dernière édition, qui est la sixième, tant d'erreurs se soient glissées en un livre où il n'en faudrait point; car une faute d'impression peut facilement donner un sens faux en matières importantes.

  A019002632 

 Je vous adresse aussi mon Traitté de l'Amour de Dieu, qu'un [320] gentilhomme traduit assez heureusement, à ce que j'entends dire.

  A019002633 

 Ce n'est pas, certes, faute de sujet; car j'aurais beaucoup à écrire de l'amour du prochain et des choses que j'ai prêchées en trois ou quatre mille sermons faits depuis vingt-huit ans, qui, de l'avis de plusieurs, seraient utiles au bien public.

  A019002633 

 Votre Paternité verra dans la Préface que j'écris très peu.

  A019002634 

 Plaise à Dieu notre Seigneur que la peine prise par Votre Paternité et l'humilité avec laquelle Elle a daigné donner à ce petit ouvrage le beau vêtement italien dont il est orné, devienne très profitable au salut de beaucoup d'âmes..

  A019002646 

 Dirò liberamente a V. P. che da signori Italiani ho havuto avisi molto differenti circa questo libretto, perché alcuni dicono che i capi nelli quali io tratto delli giochi, delli balli et simili passatempi, et nelli quali si parla delli corteggi et della honestà dello letto matrimoniale, et anco la comparatione che si fa nelli capitoli della tentatione, di quella principessa sollecitata, non sonno a proposito in Italia, doüe la severità et prudenza naturale della natione non permette que ( sic ) queste tali cose si facciano; et che dall'altra parte bisogna parlar molto accortamente delle cose appartenenti alla honestà, acciò non si ecciti l'imaginatione delle ( sic ) vitii contrarii.

  A019002655 

 D'aucuns avouent cependant que, quoique cette retenue [325] règne en plusieurs provinces d'Italie, ailleurs néanmoins on danse et on se livre à ces légèretés,.....aux frontières de l'Allemagne et de la France....................pays des Vénitiens, en Piémont et sur la côte de Nice...............................................................................................................

  A019002655 

 Je dirai simplement à Votre Paternité que j'ai reçu, au sujet de ce livret, des avis très différents par des personnages italiens.

  A019002655 

 Les uns disent que les chapitres où je traite des jeux, des bals et de semblables passe-temps, et ceux où il est parlé des amourettes et de l'honnêteté du lit nuptial, comme aussi la comparaison de la princesse sollicitée que je fais dans les chapitres sur la tentation ne sont pas à propos pour l'Italie; car la retenue et la prudence naturelle de cette nation ne permettent pas qu'on fasse de telles choses.

  A019002664 

 Les nouvelles asseurees de la pacification en France m'ostent tout a fait du doute auquel j'estois du voyage [326] de Monseigneur nostre Prince Cardinal, ains me mettent en quelque opinion que si elles arrivent a Son Altesse avant son depart pour l'abbouchement qu'elle devoit faire avec M. de Lesdiguiere, elle en desfera le dessein; et si elle vient, ce sera pour si peu, que je ne croy pas que sans importunité je luy puisse faire la reverence..

  A019002666 

 Ce fut pour Aberes que Monseigneur le Prince prouveut.

  A019002666 

 [327] J'escriray a Monseigneur le Prince soudain que je sçauray quil sera de retour, affin quil luy playse faire reuscir ce bon œuvre general, car tous les jours il y a plus de necessité..

  A019002668 

 Je n'ay garde de m'engager a Lyon pour la seconde fois, que je ne sache asseurement de pouvoir tenir parole; la providence de Dieu fera son coup selon sa gloire..

  A019002673 

 De nostre Pere D. Juste je n'en dis rien, car il sçait bien que c'est un article de foy morale que je suis tres entierement tout sien..

  A019002673 

 Je salue tres humblement madame de Saint George, que j'honnore plus qu'il ne se peut dire, et la signora Donna Genevra, ma chere fille, et M me de Berné, et toutes ces dames qui me font la faveur de me vouloir du bien, et madame de Sarsenas a part, comme l'honnorant singulierement.

  A019002675 

 Je remercieray monsieur l'Ambassadeur soudain que vous aures les Bulles, et le Cardinal Aldobrandin, qui m'a escrit une lettre bien honnorable, et le Cardinal Melin et le [329] Cardinal Sauli qui m'escrit combien d'obligation nous avons en cett'occasion a Monseigneur nostre Prince Cardinal..

  A019002679 

 Vous estes le premier auquel j'escris en cette mienne 54 e annee que je commence aujourdhuy..

  A019002689 

 O combien de benedictions Dieu espandra-il sur vostre cœur, et que de consolations sur le mien, si vous alles croissant en la prattique parfaite du divin amour, ma tres chere Fille! Le Saint Esprit tient quelquefois la methode d'inspirer par parties ce qu'il veut faire du tout, et ces vocations ont accoustumé d'estre grandement solides.

  A019002690 

 Le don sacré de l'orayson est tout prest en la main droitte du Sauveur, soudain que vous seres vuide de vous mesme, c'est a dire de cet amour de vostre cors et de vostre volonté propre; c'est a dire, quand vous seres bien humble, il le versera dedans vostre cœur..

  A019002690 

 Marchés donq bien ainsy, ma tres chere Fille, l'esprit relevé en Dieu et qui ne regarde que le visage et les yeux de l'Espoux celeste [331] pour faire toutes choses a son gré; et ne doutes point qu'il ne respande sur vous sa tressainte grace pour vous donner des forces esgales au courage qu'il vous a inspiré.

  A019002690 

 Vous aves le courage trop bon pour ne faire pas parfaitement ce qu'il faut faire pour l'amour de Celuy qui ne veut estre aymé que totalement.

  A019002691 

 Ayes patience d'aller le petit pas, jusques a ce que vous ayes des jambes a courir, ou plustost des aisles a voler.

  A019002693 

 Mais que je me sois plaint de vous, certes, je ne l'ay jamais fait, ni n'ay nullement inculqué mon advis, qui est l'advis de tous les theologiens..

  A019002693 

 Or sus, c'est la verité que j'ay escrit une seule fois a N. qu'une aumôsne voiiee et non delivree pouvoit estre en quelque sorte transferee d'un lieu auquel elle estoit destinee en un autre d'egale pieté; mais qu'estant voüee, delivree et executee on ne pouvoit plus s'en desdire, puisqu'une aumosne delivree n'est plus a celuy qui l'a faite, mais, de plein droit et tres certainement, appartient a celuy qui l'a receuë, et sur tout quand il l'a receuë sans condition, ou avec une condition qu'il est prest de son costé d'executer.

  A019002694 

 Aussi vous est il egal de donner ou icy ou la, puisque le Dieu du Monastere de [Nevers] est le Dieu du Monastere de [Moulins], et que toutes les deux Maysons sont egalement a la tressainte Vierge, et a vous, ma tres chere Fille, que je conjure de perseverer a m'aymer constamment en Nostre Seigneur, comme tres invariablement je suis a jamais et sans reserve vostre; et ne cesse point de supplier la tressainte Vierge, la plus aymee Dame du Ciel et de la terre, qu'elle vous ayme et vous rende toute bien-aymee de son Filz, par les continuelles inspirations qu'elle impetrera de sa Majesté divine..

  A019002694 

 Voyla cependant qui va le mieux du monde, que vous [332] le veuillies suivre, nonobstant ce que le monde voudroit dire.

  A019002705 

 Ah! que de joye a mon ame de sçavoir ma Mere a Paris et nostre unique chere fille en Auvergne, toutes deux cooperant avec le Saint Esprit a un service si digne et si saint!.

  A019002705 

 Vous verres, ma chere grande Fille, que Dieu vous fera recueillir de bons et beaux fruitz de vostre travail.

  A019002714 

 Or, tandis que je m'en resouviens, il faut que je vous die que nos Peres Barnabites m'ont fait escrire la lettre ci jointe a Monseigneur l'Archevesque de Bourges, de laquelle il leur importe grandement que j'aye response.

  A019002714 

 Vous la verres, ma tres chere Mere, et si vous sçaves quelque chose sur ce sujet avant que Monseigneur de Bourges m'escrive, vous ne laisseres pas de me l'envoyer..

  A019002715 

 Apres cela, ma tres chere Mere, il faut que je vous die que le voyage de M. le Prince Cardinal en France se remet en train, et mon frere m'escrit qu'on le tient pour asseuré et, quant et quand, que je le feray, ce Prince voulant que je l'accompagne par tout ou il ira; de sorte que me revoila a la veille de vous aller voir, si le Roy va faire l'hiver a Paris.

  A019002716 

 J'espere avec vous, ma tres chere Mere, que nostre Seur Claude Agnes fera bien, et sur tout estant si proche de vous en ce commencement, car il me semble qu'Orleans est un fauxbourg de Paris.

  A019002717 

 Et tandis que je m'en resouviens, je vous prie de dire a monsieur de Saint Jaques que j'attens de luy respondre par les effectz de ce quil m'a demandé, mon frere m'ayant escrit quil n'oubliera rien pour satisfaire a son desir..

  A019002717 

 Je seray grandement ayse quand je sçauray que vous seres logees, et dedans la ville, puisque mesme c'est le sentiment de nostre bon P. Binet qui a tant de charité pour vous et tant de bonne conduite.

  A019002717 

 Je vay tous-jours differant de luy escrire, et peut estre le verray-je plus tost, bien que je croy que le voyage ne se fera que sur l'extremité du moys prochain ou sur le commencement de novembre.

  A019002718 

 Demain je vay voir M. de Belley son frere, que je treuve tous-jours plus aymable; mais je ne voy pas comme on puisse luy persuader de quitter ces gestes immoderés de la praedication, ni arrester le cours de sa plume, comme vous m'avies escrit que c'estoit le desir de plusieurs gens de bien.

  A019002718 

 Or, il escrit maintenant des choses que les Peres Jesuites de deça et quelques theologiens qui les ont veues [336] jugent devoir estre fort utiles parmi le monde: c'est une besoigne de mesme espece que la Memoire de nostre pauvre Darie.

  A019002719 

 Elle l'est a mon gré tout a fait, non obstant tout ce qu'elle dit contre elle mesme, qui [est] voyrement veritable, mais qui est contrechangé par une si bonne et franche volonté que cela ne tient point de place, et sur tout par ce qu'elle ne l'ayme pas et que un jour tout cela s'esvanouira devant la grace de Dieu.

  A019002719 

 Mays Dieu sçait des choses que nous ne sçavons pas: sil est expedient pour sa gloire, il fera possible ce qui nous semble ne le pouvoir pas estre, et s'il laisse cette fille la, il fera pour elle, la, tout ce que nous pourrions desirer.

  A019002719 

 Mays quel moyen? plus j'y pense, moins je voy de possibilité: cest Institut-la tient un plus grand rang que le nostre, cet Ordre, grandement accredité.

  A019002719 

 O que mon cœur a esté touché d'une douceur extreme dequoy ma tres chere fille M me de Port Royal a esté avec vous! car il est vray, je luy dis que devant estre a jamais tout a elle, je vous donnois egalement et uniquement aussi avec moy, et j'eusse deu dire en moy.

  A019002719 

 Or sus, je suis infiniment ayse encor que vous la treuvies si aymable.

  A019002719 

 Penses, ma tres chere Mere, si [je] voudrois pouvoir seconder son désir et contenter son cœur bienaymé; car je suis bien avec vous, que si ell'avoit le loysir d'estre un peu retiree avec nous, elle gaigneroit beaucoup.

  A019002720 

 Je ne sçaurois escrire a M me la Marquise de Meneley, qui m'a escrit si cordialement, ni a madame la Generale des Galleres, que j'honnore si parfaitement: faites [337] bien mes honneurs, sil se peut.

  A019002748 

 J'ai prié M. l'avocat Bouvard, porteur de cette lettre, de se [338] rendre à Montmélian pour une affaire qui m'intéresse aussi bien que Monseigneur de Chalcédoine, mon frère, comme vous l'apprendrez par le susdit porteur.

  A019002761 

 Et je dis ainsy, ma tres chere Fille, en la portion inferieure, parce que c'est celle la qui tient immediatement au cors et qui est sujette a participer aux incommodités d'iceluy.

  A019002761 

 Je ne suis nullement estonné si vostre courage vous semble un peu plus pesant et engourdi, car vous estes grosse; et c'est une verité manifeste que nos ames contractent ordinairement les qualités et conditions de nos cors, en la portion inferieure.

  A019002761 

 Mays tout cela ne prejudicie nullement aux actes de l'esprit, de cette pointe superieure, autant aggreables a Dieu comme ilz sçauroyent estre parmi toutes les gayetés du monde, ains certes, plus aggreables, comme faitz avec plus de peine et de conteste; mais ilz ne sont pas si aggreables a la personne qui les fait, parce que, n'estant pas en la partie sensible, ilz ne sont pas aussi sensibles ni delectables selon nous..

  A019002761 

 Un cors delicat estant appesanti par le faix d'une grossesse, debilité par ce travail du port d'un enfant, incommodé de plusieurs douleurs, ne peut pas permettre que le cœur soit si vif, si actif, si prompt en ses operations.

  A019002762 

 Ayes donques patience avec vous mesme; que vostre portion superieure supporte le detraquement de l'inferieure; et offres souvent a la gloire eternelle de nostre Createur la petite creature a la formation de laquelle il vous a voulu prendre pour cooperatrice..

  A019002762 

 Et pour relever ces langueurs et pesanteurs et engourdissemens de cœur, et les faire servir a l'amour divin, il faut en advoüer, accepter et aymer la sainte abjection: ainsy vous changeres le plomb de vostre pesanteur en or, et en un or plus fin que ne seroit celuy de vos plus vives gayetés de cœur.

  A019002762 

 Ma tres chere Fille, il ne faut pas estre injuste, ni exiger de nous que ce qui est en nous.

  A019002762 

 Quand nous sommes incommodés de cors et de santé, il ne nous faut exiger de nostre esprit que les actes de sousmission et d'acceptation du travail, et des saintes unions de nostre volonté au bon playsir de Dieu qui se forment en la cime de l'ame; et quant aux actions exterieures, il les faut ordonner et faire au mieux que nous pouvons, et nous contenter de les [340] faire encor que ce soit a contrecœur, languidement et pesamment.

  A019002763 

 Ma tres chere Fille, nous avons a Nessi un peintre Capucin, qui, comme vous pouves penser, ne fait point d'images que pour Dieu et son temple; et bien que travaillant il ayt une si grande attention qu'il ne peut faire l'orayson a la mesme heure, et que mesme cela occupe et lasse son esprit, si est ce qu'il fait ces ouvrages de bon cœur, pour la gloire qui en doit reuscir a Nostre Seigneur et l'esperance qu'il a que ces tableaux exciteront plusieurs fideles a louer Dieu et benir sa bonté.

  A019002763 

 Mais souffres amoureusement ces lassitudes et pesanteurs, en consideration de l'honneur que Dieu recevra de vostre production; car c'est vostre image, qui sera colloquee au temple eternel de la celeste Hierusalem et sera regardee eternellement avec playsir de Dieu, des Anges et des hommes; et les Saintz en loueront Dieu, et vous aussi quand vous l'y verres.

  A019002763 

 Or, ma chere Fille, vostre enfant qui se forme au milieu de vos entrailles sera une image vivante de la divine Majesté; mais ce pendant que vostre ame, vos forces, vostre vigueur naturelle est occupee a cet œuvre, elle ne peut qu'elle ne se lasse et fatigue, et vous ne pouves pas en mesme tems faire vos exercices ordinaires si activement et gayement.

  A019002764 

 En somme, je ne sçai pas ce que mon ame ne pense pas et ne desire pas pour la perfection de la vostre, laquelle, puisque Dieu l'a voulu et le veut ainsy, est certes au milieu de la mienne.

  A019002764 

 Playse a sa divine Bonté que et la vostre et la mienne soyent toutes deux selon son tressaint et bon playsir, et qu'il remplisse toute vostre chere famille de ses sacrees benedictions, et specialement monsieur vostre tres cher mari, de qui, ainsy que de vous, je suis invariablement,.

  A019002775 

 J'ay receu vos deux lettres avec un contentement, a la verité, tout particulier, d'avoir veu en icelles des marques evidentes que l'affection que Dieu avoit mise en [342] vostre cœur pour moy, il y a dix huit ans, estoit non seulement toute vive, mais avoit pris de saintz accroissemens avec celle que vous aves pour la divine Bonté, que l'excellente profession que vous faites a rendue, je m'asseure, tres grande..

  A019002776 

 C'est une qualité des amitiés que le Ciel fait en nous de ne perir jamais, non plus que la source dont elles sont issues ne tarit jamais, et que la presence ne les nourrit non plus que l'absence ne les fait languir ni finir, parce que leur fondement est par tout: puisque c'est Dieu, auquel j'ay rendu graces tres humbles de vostre vocation et de celle des deux cheres Seurs a un si saint Institut; et sur tout dequoy il vous y maintient avec tant de faveur, que toutes trois vous y rendes du fruit et devenes toutes, les unes apres les autres, Meres en une si honnorable famille, pour l'establissement de laquelle, en France, vostre veritablement sainte mere avoit tant prié et travaillé, comme pour sa finale retraitte et vostre habitation en cette vie.

  A019002776 

 O mon Dieu, ma tres chere Fille, ma Mere, que de benedictions sur vous! que de fideles correspondances vostre ame doit rendre a la douceur que la divine Providence a exercee en vostre endroit!.

  A019002777 

 J'ay eu le bien de les avoir tous reveus a ce dernier voyage que j'ay fait en France, et le contentement d'avoir reconneu en [343] leurs ames des grandes marques du soin que le Saint Esprit a d'eux..

  A019002777 

 Or, j'espere que ses trois filz aussi, quoy qu'il tarde, recevront quelque bonne affluence de la misericorde de Celuy a qui je sçai qu'elle les avoit consacrés.

  A019002777 

 Oserois-je bien parler en confiance a vostre cœur? Certes, je ne pense jamais en vostre bienheureuse mere que je n'en ressente du proffit spirituel, avec mille consolations de voir que ses vœux ont esté exaucés en ses trois filles.

  A019002778 

 Mais prepares vous aussi de m'envoyer alhors une image d'un portrait que vous aves, que j'eusse sans doute fait copier tandis que j'estois a Paris, si j'eusse sceu qu'il y en eust eu au monde..

  A019002778 

 Vous me demandes par vostre premiere lettre, ma Reverende Mere, certaines reliques que je m'essayeray de treuver, et si ma queste en cela se rencontre heureuse, je vous les envoyeray.

  A019002779 

 A la verité, estant ce qu'elles me sont, elles ne pourront que d'avoir en vous une tres cordiale et tres asseuree confiance en vostre dilection, en vous rendant tous-jours, et a tout vostre Monastere, un veritable honneur et respect, selon la grande estime et amour que toute la Mayson de cette ville, dont elles sont, a conceu de toutes les vostres, et (puisque je parle avec vous, ce me semble, cœur a cœur) je puis adjouster, et selon la veritable regle que je leur ay souvent inculquee, qu'il failloit que chacun cultivast la vigne en laquelle il estoit, fidelement et tres amoureusement pour l'amour de Celuy qui nous y a [344] envoyés; mais qu'il ne falloit pour cela laisser de connoistre et reconnoistre franchement la plus grande excellence des autres, et a mesme mesure leur porter toute reverence et veneration..

  A019002779 

 Et pour finir, ma tres chere Fille, ce m'est une satisfaction nompareille que la Superieure et les Seurs de Sainte Marie de la Visitation vous ayent veuë; parce que je sçai que cela les aura toutes encouragees a servir bien le Filz et la Mere de Dieu, a qui elles sont consacrees.

  A019002780 

 C'est asses pour cette fois, car je me prometz de vous escrire souvent, et, si vous me le permettes, de joindre tous-jours le mot de nostre ancienne alliance, vous appellant ma Fille, a celuy que le rang que vous tenes en vostre Ordre vous a acquis; et suis de tout mon cœur a jamais,.

  A019002799 

 Cependant, Révérend Seigneur, le droit canon et le décret du Concile de Trente ont eu grand soin de défendre que personne puisse publier des Indulgences, surtout celles qui sont jointes à la quête des aumônes, s'il ne produit sans faillir la preuve qu'il en a obtenu la concession.

  A019002800 

 Aussi, jusqu'à ce qu'il nous conste des pouvoirs du porteur de la lettre et de la concession des Indulgences, nous avons fait surseoir à la quête des aumônes et à la publication des Indulgences, sincèrement disposé toutefois à nous rendre à vos désirs et à nous intéresser à votre Maison, aussitôt que les lois canoniques nous le permettront.

  A019002800 

 Nous sommes persuadé que Votre Seigneurie recevra cette lettre, non seulement avec bienveillance, mais même avec plaisir et conformité de pensées avec nous, et de plus, qu'Elle nous recommandera à la Bonté divine, comme réciproquement nous en usons envers Elle..

  A019002810 

 Je voy des gens de qualité qui penchent grandement et jugent qu'il faudra que les Monasteres soyent sous l'authorité des Ordinaires, a la vielle mode restablie presque par toute l'Italie, ou sous l'authorité des Religieux, selon l'usage introduit des il y a quatre ou cinq cens ans, observé presque en toute la France..

  A019002811 

 Ce n'est pas que cela ne se soit fait et ne se fasse encor a present loüablement en plusieurs lieux; mays c'est qu'il seroit encor plus louable s'il se faysoit autrement: sur quoy il y auroit plusieurs choses a dire..

  A019002811 

 Pour moy, ma tres chere Mere, je vous confesse franchement que je ne puis me ranger pour le present a l'opinion de ceux qui veulent que les Monasteres des filles soyent sousmis aux Religieux, et sur tout de mesme Ordre, suivant en cela l'instinct du Saint Siege, qui, ou il peut bonnement le faire, empesche cette sousmission.

  A019002812 

 De plus, il me semble qu'il n'y a non plus d'inconvenient que le Pape exempte les filles d'un Institut de la jurisdiction des Religieux du mesme Institut, qu'il y en a eu a exempter les Monasteres de la jurisdiction ordinaire qui avoit une si excellente origine et une si longue possession..

  A019002813 

 Et en fin, il me semble que veritablement le Pape sousmis en effect ces bonnes Religieuses de France au [348] gouvernement de ces Messieurs; et m'est advis que ces bonnes filles ne sçavent ce qu'elles veulent, si elles veulent attirer sur elles la superiorité des Religieux, les-quelz, a la verité, sont des excellens serviteurs de Dieu, mais c'est une chose tous-jours dure pour les filles, que d'estre gouvernees par les Ordres, qui ont coustume de leur oster la sainte liberté de l'esprit..

  A019002822 

 Je me resouviens, ma tres chere Fille, que vous m'escrivistes une fois que messieurs les confesseurs de ce païs-la vous renvoyoyent les femmes, affin de les faire esclaircir, par vostre entremise, des difficultés et scrupules qu'elles avoyent es choses secrettes de leur vocation.

  A019002822 

 Ma tres chere Fille, vous faites bien de les renvoyer a l' Introduction, ou je declare suffisamment tout cela en une sorte que si elles le veulent considerer, pour peu qu'on les ayde (si elles sont si rudes ou simples qu'elles ne l'entendent pas), elles le pourront entendre utilement; car vostre vocation et la qualité de fille ne vous permet pas de leur rendre ce service en autre façon..

  A019002832 

 En attendant que Vostre Altesse face reuscir le projet du restablissement de la vraye pieté en tous les monasteres et es autres eglises de cet Estat de deça les montz, voyci une digne occasion qui se praesente pour Rumilly.

  A019002832 

 Le sieur de Saunaz, Prieur de Chindrieu en Chautaigne, desire sans fin de consacrer sa personne et son prieuré au service de Dieu et des ames sous l'Institut des Peres de l'Oratoire; et parce que son prieuré est proche de Rumilly, il a jetté ses yeux sur ce lieu-la, duquel la cure estant asses bonne, icelle, jointe au prieuré avec quelques autres petitz benefices, pourroit suffire a l'entretenement de dix ou douze bons ecclesiastiques dudit Oratoire qui auroyent un grand employ en cette ville-la et en tout le voysinage.

  A019002832 

 Mays pour avoir l'evenement propice, il seroit requis, Monseigneur, que Vostre Altesse nous tesmoignast son consentement et contentement, et que par apres elle favorisast les poursuites qu'il sera requis de faire a Rome..

  A019002833 

 Et de tout cela, je l'en supplie tres humblement, comm'aussi de commander que les pauvres cures d'Armoy et de Draillens soyent assistees de l'argent que tant de foys Vostre Altesse leur a ordonné; n'estant pas en nostre pouvoir, ni par prieres, ni par sousmissions, ni par [351] importunité d'en rien avoir, des cinq ou six ans en ça, sinon 50 escus, sans plus.

  A019002833 

 Yostre Altesse sçait combien cette supplication est juste; qu'il soit donq son bon playsir de la faire reuscir, tandis que nous prions Nostre Seigneur qu'il la conserve et face de plus en plus prosperer..

  A019002845 

 Que de desirs de vous pouvoir bien et longuement escrire, ma tres chere Mere, sur le sujet que vos deux dernieres lettres m'en fournissent! mays certes, il ny a pas moyen, car, sil plait a Dieu, il faut que j'escrive encor a Moulins..

  A019002846 

 Je croy bien que M me de Soyssons ne vous [a] ni favorisees ni defavorisees, sur tout si vous ne l'aves priee de rien; mays a quelque chose malheur est bon.

  A019002846 

 Or sus, il est certain que je feray le voyage de France, mais non pas si tost: dont je suis bien ayse, car cependant il se pourra faire que le Roy ira a Paris, unique moyen de nous y faire aller aussi.

  A019002847 

 Quelle consolation de la guerison de la petite Seur de Saint Bonet, et de l'autre que je ne connois, ce me semble, pas..

  A019002848 

 O mon Dieu, que je dois et devray de responses! mais je payeray tout avec un peu de loysir, et notamment je remercieray nostre bon Pere Binet de ses advis, quand je les auray leuz, et feray tout ce que je pourray et sçauray pour mettre en bon estat les Constitutions..

  A019002849 

 Helas, je n'ay encor veu que la fine moindre partie des lettres que [353] M. Michel m'a apportees; j'escriray par tout ou vous voudres..

  A019002849 

 O ma Mere, que de joye en l'imagination de voir ma fille tres chere aupres de ma Mere, en allant et venant de Port Royal! comme nous en parlerons amplement, si je vay, ainsy que je l'espere.

  A019002864 

 Certes, il est vray que vostre inopinee visite de Belley, ma tres chere Fille, me laisse tout plein de sainte consolation.

  A019002864 

 O que les affections celestes ont bien d'autres effectz et d'autres consequences que les humaines! Beni en soit le nom de Dieu qui en est l'autheur et le conservateur.

  A019002865 

 Il faut que nostre Superieure de Grenoble se face traitter comme pleine ou de vers ou de matiere de vers, et si de six semaines en six semaines elle repete les remedes, j'espere que Dieu la delivrera.

  A019002875 

 Helas! ma Fille, penses vous que Nostre Dame fust moins Mere de Nostre Seigneur quand, outree de douleur, accablee d'ennuy et toute submergee d'affliction, elle respiroit cette parole: Ouy, mon Filz, parce qu'ainsy il vous plait, que quand, [355] d'un accent tres humblement joyeux, elle chanta le celeste cantique de son Magnificat?.

  A019002875 

 Je le croy bien, ma tres chere Fille, que ce seroit vostre advis que nous vous ostassions la charge de Mere, mais il n'est nullement le nostre.

  A019002876 

 Vostre cœur est naïf, rond et sincere.............Soulages vostre pauvre cœur, que j'ayme parfaitement et paternellement........

  A019002877 

 La douleur que vous aves sous le sein gauche a quelque autre cause que la blesseure du cœur par les vers. Je croy bien toutefois que vous en aves: vostre teint, vostre couleur, vostre action le font connoistre, et deves prendre quelque remede contre iceux..

  A019002877 

 O ma pauvre fille Peronne, si les vers avoyent blessé vostre cœur, vous series morte, car cette partie, qui est la premiere a recevoir la vie et la derniere a la perdre, n'est jamais piquee pour peu que ce soit qu'elle n'en meure, et par consequent celuy en qui elle est.

  A019002878 

 Demeures donq paysible, ma chere Fille; soyes Mere, et bonne Mere, tout autant de tems que Dieu l'ordonnera..

  A019002878 

 Ne vous estonnes nullement de ce que vous n'aves pas les sentimens de devotion pendant vos langueurs, puisque les consentemens et au bien et au mal peuvent estre sans sentiment, et le sentiment sans le consentement.

  A019002886 

 O ma Fille, que le monde appelle souventesfois bien ce qui est mal, et encor plus souvent mal ce qui est bien!.

  A019002887 

 Cependant, puisque cette souveraine Bonté, qui veut nos travaux, veut que neanmoins nous luy en demandions la delivrance, je la supplie de tout mon cœur qu'elle redonne une bonne et longue santé a ce cher mari, et une tres bonne et tres excellente sainteté a ma tres chere fille, affin qu'elle marche fortement et ardemment dans le chemin de la vraye et vivante devotion..

  A019002896 

 Je voy dans vostre lettre le desir que vous aves de sortir promptement du monde, auquel je ne veux nullement contredire, puisque mesme vostre retraitte n'empeschera pas l'execution de vostre dessein.

  A019002896 

 Mays en tout ce qui se pourra bonnement, il faut donner satisfaction au bon oncle, qui vous a tous-jours aymé, et je voy que vous ne laisseres pas, estant dans l'Oratoire, de bien le contenter.

  A019002896 

 [358] Il m'escrivit l'autre jour une lettre digne certes de luy et de la forte estime que j'ay tous-jours faite de sa veritable pieté..

  A019002897 

 Au reste, hier au soir je receus lettres de Piemont, par lesquelles mon frere m'escrit que Monseigneur le Prince attendoit de m'envoyer la response sur la proposition que je luy ay faite de vostre affaire, jusques a ce qu'il ayt conferé avec Son Altesse son pere; et qu'il aura soin de solliciter.

  A019002897 

 Il faut tous-jours avoir un peu de patience avec les Princes, mais j'espere que le tout reuscira a vostre gré, et supplie Nostre Seigneur qu'il respande de plus en plus abondamment ses saintes graces sur vous,.

  A019002905 

 Il faut souffrir cette incommodité de l'amour de nos parens qui ne pensent pas qu'il y ayt de la comparayson entre la satisfaction d'estre chez eux et celle que l'on prend au train du service de Dieu.

  A019002907 

 Vous ires aussi le jour des Mortz en Purgatoire, et verres ces ames pleines d'esperance qui vous exhorteront de profiter le plus que vous pourres en la pieté, affin qu'a vostre depart vous soyes moins retardee d'aller au Ciel..

  A019002907 

 Voyes cette varieté de Saintz, et vous enqueres d'eux comme ilz sont parvenus la; et vous apprendres que les Apostres y sont allés principalement par l'amour; les Martyrs, par la constance; les Docteurs, par la meditation; [360] les Confesseurs, par la mortification; les Vierges, par la pureté de cœur, et tous generalement, par l'humilité.

  A019002915 

 C'est cela que dit la Mere Therese; car se plaindre, ce n'est pas dire son mal, mais le dire avec des lamentations, doleances et tesmoignages de beaucoup d'affliction.

  A019002915 

 Dites le donq naïfvement et veritablement, sans nul [361] scrupule; mais que ce soit en sorte que vous ne tesmoignies point de ne vouloir pas y acquiescer doucement, car aussi faut-il y acquiescer de tres bon cœur..

  A019002915 

 Il est vray, sans doute, l'humilité, la patience, l'amour de Celuy qui nous donne la croix, requierent que nous la recevions sans en faire des plaintes; mais voyes vous, ma tres chere Fille, il y a difference entre dire son mal et s'en plaindre.

  A019002915 

 O ma chere Fille, puisque la cessation de vostr'exercice ne vous donne aucun allegement, vous pourries le reprendre, mais tout bellement, n'y employant que demy heure a la fois.

  A019002916 

 «Que la soyent nos cœurs,» ma Fille, «ou sont ces vrays» et desirables playsirs..

  A019002917 

 VIVE JESUS! N'est ce pas nostre mot de guet? Non, rien n'entrera dans nos cœurs qui ne die en verité: VIVE JESUS! Il sçait, ce doux Sauveur, que je suis en verité tout vostre..

  A019002926 

 Ma Fille, ne doutés point de vostre salut; vous esties encor bien petite, que vostre foy me parut grande.

  A019002926 

 Souvenes vous aussi que vous demandant si vous n'avies point la curiosité de les lire, vous me respondistes hardiment que si l'envie vous prenoit d'apprendre quelque chose contre la sainte Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, vous voudries vous mesme de bon cœur estre bruslee..

  A019002926 

 Souvenes vous quand vous m'apportastes les livres heretiques que vous avies pris chez N. N., et que vous me disies avec tant d'ardeur qu'il les failloit brusler et tous ceux qui les lisoyent.

  A019002926 

 Vivés [362] conformement aux verités qu'elle nous enseigne et en cultives le don pretieux que vous aves si advantageusement receu.

  A019002927 

 Consoles en maintenant vostre cœur dans ce petit ombrage de trouble, et au lieu de disputer sur les choses que l'ennemy vous suggere, rendes graces a Dieu de ce que, des l'aage de neuf a dix ans, il vous a donné le desir de mourir pour la foy de la sainte Eglise.

  A019002936 

 Je ne doute nullement que Vostre Altesse Serenissime ne sache qui est le sieur collateral Flocard, qui aura [363] lhonneur de luy presenter cet escrit.

  A019002957 

 Ce n'est icy qu'une lettre d'attente, ma tres chere Fille, pour seulement vous dire qu'au premier jour je respondray par le menu a toutes celles que vous m'aves fait la consolation de m'escrire jusques alhors.

  A019002958 

 Vous pourres ce pendant respondre a Monseigneur l'Evesque, que ces bonnes filles de Moulins, comme vous aussi, n'estes la que pour faire le service de la fondation, et que quand le Monastere sera establi, vous pourres [retourner] en vos Maysons de profession, ou [l'on vous recevra]; et que partant, il ne faut rien demander pour ces [filles] la a la Mayson de Moulins, qui demeure oblig[ee de les] recevoir quand elles retourneront.....Il semble qu'il n'est pas [a propos de presser] nostre Seur Marie Aymee de Morville; ains qu'elle mesme laisse librement les dix mille francz..

  A019002973 

 Ce m'a esté une grande satisfaction de vous sçavoir aupres de ma Seur Paule Hieronime, ou vous estes cooperatrice en l'establissement de cette nouvelle Mayson [368] de Nevers; car, des que j'eu le contentement de vous voir a Moulins, j'ay tous-jours pensé que Dieu vous employeroit a son service fort utilement..

  A019002974 

 Donnes le plus que vous pourres l'esprit d'un ( sic ) tres humble mais courageuse simplicité, et de l'amour de la croix a ces ames que vous nourrissés, affin qu'elles soyent aggreables a Celuy qui desire les rendre ses espouses..

  A019002989 

 Ayant sceu que M. le Prieur de Rumilly inquietoit le sieur Curé dudit lieu pour certaine reconnoissance qu'il prœtend de luy, j'ay creu que je vous devois rendre ce veritable tesmoignage, que la cure de Rumilly n'est plus au Curé (bien que, comme il est raysonnable, les fruitz luy soyent reservés), puisque il l'a resignee par supplication qu'il m'a faite de l'unir au Chapitre ou cors des Altariens de cette eglise-la, et que j'ay fait toutes les formalités praeparatoires a laditte union, delaquelle les finales expeditions seroyent signees et mises en execution, si Monseigneur le Serenissime Prince ne m'eust fait sçavoir que, voulant faire unir quelques autres pieces [370] pour le plus grand bien de cette eglise, il desiroit que j'attendisse pour un peu, affin de faire tout ensemble ce qui sera requis..

  A019002990 

 De sorte, Messieurs, que la cure estant hors des mains du sieur Curé et se treuvant es miennes pour laditte union, a laquelle le sieur Prieur a consenti par authorité mesme de ses Superieurs, je vous supplie tres humblement de tenir ledit sieur Curé exempt de faire cette reconnoissance que le cors des Altariens fera, en la façon convenue, soudain que l'union sera achevee..

  A019002990 

 Mays cependant, en un'assemblee que les ecclesiastiques de Rumilly et les scindiques firent devant moy, monsieur le Prieur traitta de toutes ses pretentions, en cas de l'union de la cure, laquelle est a la veille d'estre faite, puisque je n'attens que le commandement de Monseigneur le Serenissime Prince qui ne doit pas tarder.

  A019003008 

 Ilz ne doutent nullement que vous ne leur rendies bonne, briefve et fidele justice; mais je doy vous recommander leurs affaires comme les miennes propres, puisque Dieu m'a joint plus particulierement a eux et m'a enjoint la conservation de leurs droitz.

  A019003008 

 Voyla que ces Messieurs de nostre eglise cathedrale recourent a moy en vostre personne, qui represente par dela la mienne, pour un'affaire qu'ilz ont, a mon advis, grande rayson d'affectionner.

  A019003009 

 Et sur l'advis que vous me donnastes l'autre jour, j'envoyeray lundi M. Rollant a monsieur de Mont Saint Jean, puisque je suisforcé de passerjusques en Foucigni pour affaire qui presse, et retourneray icy pour quelques [372] jours, passé lesquelles ( sic ), je m'en iray a Gex; mais vous en seres adverti.

  A019003027 

 En somme, c'est avoir certains papiers, inutiles a vous, Monsieur, ou je suis le plus trompé homme du monde, et utiles a moy qui, apres mon retour d'un voyage forcé que je vay faire, auray bien peut estre lhonneur de vous offrir mon service en presence, comme, absent et present,.

  A019003027 

 Lhonneur que j'ay d'estre aymé de vous me servira de preface, et la confiance que j'ay en ce porteur me servira de narration.

  A019003042 

 Et non seulement l'experience, mais la rayson nous apprend que les filles si jeunes estant reduites sous la discipline d'un Monastere, qui est ordinairement trop disproportionnee a leur enfance, elles la haïssent et prennent a contrecœur.

  A019003042 

 Si elles desirent par apres de prendre l'habit, ce n'est pas par le vray et pur motif que requiert la sainteté de l'Institut..

  A019003042 

 Vous pouvés, avec la permission de Monseigneur [374] l'Evesque, recevoir la petite fille qui est d'un naturel si bien conditionné, selon que vous me dites, que l'on doit esperer qu'il n'en arrivera point d'inquietude a la Religion; mais, ma tres chere Fille, il faut tout a fait eviter de recevoir des autres filles avant l'aage, car Dieu n'a pas esleu vostre Institut pour l'education des petites filles, ains pour la perfection des femmes et filles qui, en aage de pouvoir discerner ce qu'elles font, y sont appellees.

  A019003043 

 Et ne s'ensuit pas que ce qui s'est fait pour cette fois [375] il le faille faire pour des autres, non plus qu'il ne s'ensuit pas qu'un homme s'estant chargé d'une juste charge pour un amy, il doive se surcharger d'une seconde charge pour un autre amy; et ceux qui le seront aussi de vostre Institut auront patience jusques a ce que les enfans soyent d'aage convenable.

  A019003043 

 O ma tres chere Fille, que les cogitations des hommes sont inegales! Que de gens crient quand on reçoit leurs enfans grans, meurs et rassis, et que de gens les voudroyent donner des le berceau!.

  A019003045 

 Pour la fondation de Roan, il en faut escrire a nostre Mere, puisque Roan est au dela de Paris, et que d'envoyer des filles d'icy-la il auroit bien de la peine..

  A019003046 

 Il seroit a propos de dire ou faire dire doucement a Monseigneur l'Evesque que vous prendres le P. Lallemant pour faire vos confessions extraordinaires a ce commencement, bien qu'il suffise pour cela d'en conferer avec vostre Pere spirituel..

  A019003047 

 Je ne pense pas qu'on puisse rien demander pour les Seurs qui vous ont accompagné de Moulins, pour la rayson que je vous ay escritte, l'autre jour que je respondis a cet article..

  A019003048 

 Il ny a nul mal de demander aux Novices comm'elles se portent; mais quand elles marquent des maux de nulle consequence, il ne faut pas les attendrir, ains simplement leur dire: Vous seres bien tost guerie, Dieu aydant; puisque, a la verité, le sexe est merveilleusement enclin a se plaindre ou a desirer d'estre plaint, et c'est la verité que ces tendretés prennent leur source de paresse et amour propre.

  A019003048 

 O mon Dieu, que saint Bernard dit une chose estrange et remarquable des Religieux malades; mais je la vous-diray un jour.

  A019003049 

 Ma chere Fille, il ne faut pas que vous autres qui fondes des Maysons, facies ces pensees, si vous reviendres ou non, avant quil en soit tems.

  A019003052 

 Il n'en faut pas remplir la mayson, de telles filles, mais prenes celle la; car il se treuve si peu de personnes en ce sexe, sans fantasie et malice et bigearrerie, que quand on en treuve on les doit recueillir.

  A019003052 

 Je dis ceci pour ma certes tres chere fille de Chateluz, que j'ayme cordialement.

  A019003052 

 L'esprit humain fait tant de destours sans que nous y pensions, que il ne se peut quil ne face des mines; celuy pourtant qui en fait le moins est le meilleur.

  A019003054 

 Il ne faut pas donner promesse a point de fille de la recevoir, sinon en cette façon: Nous vous recevons en ce qui nous regarde, mais il faut que Monseigneur l'Evesque le treuve bon; et faire tous-jours conferer avec le Pere spirituel, car il sçaura tous-jours bien les defautz, sil y en a..

  A019003055 

 Il faut eviter de prester vos Constitutions, en disant qu'en la premiere impresse beaucoup de fautes se sont glissees, pour la haste de ceux qui les ont transcrittes, que l'on corrige; et que bientost l'on fera les ( sic ) reimprimer, et que alors vous les communiqueres volontier.

  A019003058 

 Il ne faut pas dire au Confiteor: et beatum Augustinum, par ce que vostre Congregation est sous le tiltre de Sainte Marie de la Visitation, quoy que sous la Regle de saint Augustin.

  A019003060 

 En somme, ce sont des choses que le Saint Esprit, le conseil et l'œil vous feront discerner..

  A019003062 

 Et les pauvres ne doivent estre rejettees, puisque Nostre Seigneur a tant aymé la pauvreté que, de tous ses Apostres, la pluspart estoyent pauvres de condition.

  A019003062 

 Mays pourtant il faut avoir quelque egard aux charges de la Mayson, autant que la sainte prudence et la grandissime confiance en Dieu le dicteront..

  A019003066 

 Ne receves pas legerement les filles: mais selon que la prudence vous enseignera, ou de differer ou de se haster, faites le; si elles s'en vont ailleurs, Dieu les veuille conduire et en soit loué..

  A019003067 

 N'entreprenes que doucement, selon la petitesse des moyens que vous verres vous pouvoir arriver; et pour les choses necessaires Dieu ne vous abandonnera point..

  A019003092 

 Est il possible que cest esprit se soit ainsy perdu? Il me disoit tant qu'il ne seroit jamais autre chose qu'enfant de la sainte Eglise Romaine, quoy qu'il creust que le Pape excedast les bornes de la justice pour estendre celles de son authorité.

  A019003092 

 Et cependant, apres avoir crié qu'il ne failloit pas que le supreme Pasteur, officier en l'Eglise, entreprist de delivrer les sujetz de l'obeissance du supreme Prince de la Republique, pour aucun mal qu'il fist: luy mesme, pour des abus pretendus, se va rendre rebelle a ce supreme Pasteur, ou, pour parler selon son langage, a tous les Pasteurs de l'Eglise en laquelle il a esté baptizé et nourri! Luy qui ne treuvoit pas asses de clarté, disoit il, es passages de l'Escriture, pour l'authorité de saint Pierre sur le reste des Chrestiens, comme s'est il allé ranger sous l'authorité ecclesiastique d'un Roy duquel l'Escriture n'a jamais authorisé la puissance que pour les choses civiles? S'il treuvoit que le Pape excedoit les bornes de son pouvoir, entreprenant quelque chose sur le temporel des Princes, comme ne treuve-il pas que le Roy sous lequel il est allé vivre excede les limites de son authorité, entreprenant sur le spirituel?.

  A019003092 

 O Dieu, mon tres cher [381] Frere, que de douleurs a mon ame quand je l'ay leüe! Certes, il est vray que de ma vie je n'ay eu un si fascheux estonnement.

  A019003092 

 Voyla une lettre que j'ay ouverte sans m'appercevoir qu'elle n'estoit pas pour moy.

  A019003093 

 Est il possible que ce qui ramena et maintint saint Augustin en l'Eglise n'aye peu retenir cest esprit? Est il possible que la reverence de l'antiquité et l'abjection de la nouveauté n'aye point eu le pouvoir de l'arrester? Est il possible qu'il aye creu que l'Eglise ayt tant erré, et que les huguenotz ou Anglo-calvinistes ayent si heureusement rencontré par tout la verité, qu'ilz n'ayent point erré en l'intelligence de l'Escriture? D'ou peut estre venue cette si universelle connoissance du sens de l'Escriture en ces testes-la, es matieres de nos controverses, que par tout ilz ayent rayson, et nous tort par tout, en sorte qu'il nous faille quitter pour adherer a eux?.

  A019003094 

 Helas! mon cher Frere, vous vous appercevres bien du trouble que j'ay en mon esprit, quand vous verres que je vous dis tout ceci.

  A019003095 

 J'ay une inclination particuliere a cette grande Isle et a son Roy, et en recommande incessamment la conversion a la divine Majesté, mais avec confiance que je seray exaucé, avec tant d'ames qui souspirent pour cet effect; et des-ormais, encor prieray je plus ardemment, ce me semble, pour la consideration de cette ame-la.

  A019003095 

 Je vous asseure que mon cœur a une continuelle palpitation extraordinaire pour cette cheute, et un nouveau courage de servir mieux l'Eglise du Dieu vivant et le Dieu vivant de l'Eglise..

  A019003096 

 Il faut cependant tenir secrette cette miserable nouvelle, qui ne peut estre que trop tost respandue pour tant de parens et amis de celuy qui la nous donne.

  A019003096 

 Que si vous luy escrives, selon qu'il me semble vous y inviter, par la voye de monsieur Gabaleon, asseures le que toutes les eaux de la mer d'Angleterre n'esteindront jamais les flammes de ma dilection, tandis qu'il me pourra rester quelque esperance de son retour a l'Eglise et a la voye de son salut eternel..

  A019003098 

 Au P. D. Juste, mille salutations; a la signora Donna Genevra, ma chere fille; a monsieur Viboz, que je remercieray au premier jour..

  A019003110 

 J'ay receu tout a coup cinq de vos lettres ou billetz, mon tres cher Frere, a mon retour en cette ville du voyage que j'ay fait a Six, a Viu, a Melan, a Merens, pour diverses affaires.

  A019003110 

 Toutes les nouvelles que vous me donnes sont bonnes; Dieu nous face jouir des effectz entiers de tant de bonnes volontés qu'il inspire a nostre bon Prince..

  A019003111 

 Et il ne sera nullement malaysé de le recompenser sur Chindrieu, affin que d'abord les Peres de l'Oratoire soyent logés, et dans l'eglise et dans le prieuré, a Rumilly.

  A019003111 

 O que l'establissement des Peres de l'Oratoire reuscira heureusement a Thonon et a Rumilly, et comme Dieu [384] le favorisera! car voyla M. le Prieur dudit lieu qui, ce soir, m'est venu dire qu'en le recompensant, il donnera son prieuré pour les intentions de Son Altesse.

  A019003111 

 Or il ne sçait pas pourtant le projet, sinon par conjecture quil tire de l'entree que fit, il y a dix jours, monsieur de Saunaz en l'Oratoire de Lyon, d'ou il m'a escrit avec beaucoup de tesmoignage de consolation..

  A019003112 

 Pour Ripaille, je ne pense pas que Son Altesse y puisse loger plus a propos aucuns Religieux que les Chartreux, en se reservant ce quil luy plaira pour y bastir son palais..

  A019003113 

 Au reste, en fin M. du Chatelard est Doyen, avec mille contradictions et avec autant de promesses d'y faire des merveilles, et a moy de faire tout ce que je luy conseilleray..

  A019003114 

 Certes, tandis que sa praetention durera et quil y aura apparence qu'elle doive reuscir, non seulement je ne voudrois luy nuire, mais je voudrois le servir de mon sang propre; car, comme sa mere est ma tres chere fille, je le cheris aussi comme mon filz..

  A019003114 

 Le bon M. Buccio m'a prié de le vous recommander en son affaire, que son frere vous dira, et qui est, ce me semble, grandement favorable.

  A019003114 

 Madame de la Flechere de Fossigni m'a aussi prié de vous recommander son filz, auquel elle dit que vous aves des-ja fait bien des [385] faveurs.

  A019003116 

 Ce miserable ne fut jamais que vanité..

  A019003116 

 Je ne sçai plus que vous dire, mon tres cher Frere, pour cette fois, ayant le cœur si oppressé de douleur de la perte de ce miserable qui vous escrit, que je confesse de n'avoir jamais eu tant de sensible desplaysir que j'en ay eu; mays par ce que je sens encor un peu d'esperance en Dieu pour son retour, je vous escris la lettre ci jointe, affin que vous la luy envoyïes.

  A019003116 

 Qui sçait si, conservant un peu de credit sur son esprit par cette voye, Dieu s'en servira pour le retirer? Mays je ne sçai pourtant que vous dire la dessus, sinon que bienheureux sont les humbles, car a eux appartient le Royaume des cieux.

  A019003119 

 Certes, je suis tout estonné, car il ny a que deux jours que je la sçai..

  A019003128 

 O la vanité de l'esprit humain tandis qu'il se fie en soy mesme! O que les hommes sont vains quand ilz se croyent eux mesmes! Il est expedient que scandale arrive, mais malheur a celuy par qui il arrive.

  A019003129 

 Il escrit luy mesme sa perte a [mon frere,] avec [387] tant de respect, de sousmission et de courtoysie que rien plus, et avec ces termes: «Je me separe de la communion de l'Eglise pour me retirer en Angleterre, ou Dieu,» dit il, «m'appelle.» Qui ne gemiroit sur ce mot la: «Je me separe de la communion de l'Eglise»? puisque se separer de l'Eglise, c'est se separer de Dieu.

  A019003130 

 Je salue tres parfaitement madame N., a laquelle je dis par vostre entremise, n'ayant nul loysir, que sa retraitte est comme une datte, qui en fin produira une belle palme de triomphe, mais peut estre seulement d'icy a cent heures, ou a cent jours, ou cent semaines, ou cent moys; et les contradictions qu'elle a eues serviront a cela..

  A019003130 

 Ma Mere, resalues la de ma part cherement, et luy faites sçavoir que je la cheris tres cordialement, et la croix sur laquelle elle est.

  A019003130 

 Que de consolations, au contraire, de sçavoir que nostre petite Congregation se multiplie en bonnes ames; que ma tous-jours plus chere fille de Port Royal tient son cœur haut eslevé en Dieu; que ma chere dame de Montigni souffre en patience sa maladie.

  A019003132 

 Il faut finir] en vous asseurant, ma tres chere Mere, que par la cheute de ce jeune homme, Dieu m'a gratifié de nouvelles douceurs, suavités et lumieres spirituelles, pour me faire tant plus admirer l'excellence de la foy catholique..

  A019003144 

 C'est Dieu, ma tres chere Seur, qui a conduit M. de Saunaza l'Oratoire, et je l'en remercie profondement, [389] estimant que ce jeune gentilhomme y servira tres fidelement la gloire de son nom..

  A019003145 

 En Italie, on a conneu manifestement que les Monasteres de filles n'estoyent nullement si bien sous la conduitte des Peres de leur Ordre que sous les prestres et autres Ordinaires; le pourquoy est long a dire, mays il est manifeste..

  A019003145 

 J'ay sceu le petit trouble que quelques uns de vos Monasteres ont fait.

  A019003159 

 Et si l'envie pouvoit regner au royaume de l'amour eternel, les Anges envieroyent aux hommes deux excellences qui consistent en deux souffrances: l'une est celle que Nostre Seigneur a enduree en la croix pour nous, et non pour eux, du moins si entierement; l'autre est celle que les hommes endurent pour Nostre Seigneur: la souffrance de Dieu pour l'homme, la souffrance de l'homme pour Dieu..

  A019003159 

 O que ces pierres qui semblent si dures sont pretieuses! Tous les palais de la Hierusalem celeste, si brillans, si beaux, si aymables, sont faitz de [390] ces materiaux, au moins au quartier des hommes; car en celuy des Anges les bastimens sont d'autre sorte, mais aussi ne sont ilz pas si excellens.

  A019003160 

 Ma chere Fille, si vous ne faites pas des grandes oraysons parmi vos infirmités et celles de monsieur vostre mary, faites que vostre infirmité soit une orayson elle mesme, en l'offrant a Celuy qui a tant aymé nos infirmités, qu' au jour de ses noces et de la res-jouissance de son cœur, comme dit l'Amante sacree, il s'en couronna et glorifia: faites ainsy..

  A019003161 

 Ne vous assujettissés pas a un mesme confesseur, tandis que, pour gaigner tems, il sera requis d'aller au premier rencontre..

  A019003162 

 Il faut laisser a nostre doux Seigneur la tres aymable disposition, par laquelle il nous fait souvent plus de bien par les travaux et afflictions que par le bonheur et consolation..

  A019003162 

 Je suis marry que madame de N. soit ainsy incommodee; mais puisqu'elle ayme Dieu, tout luy reviendra a bonheur.

  A019003163 

 Ma tres chere Fille, ne me dites pas tant [de mal] de vostre cœur, car je l'ayme tant que je ne veux point qu'on parle ainsy.

  A019003172 

 Ayant sceu que la Pernon Bottollier a donné l'enfant qu'ell'a fait a François de Levaut, je vous commetz par ce billet pour oüir ladite Pernon et ledit François sur ce cas; et leurs responses ouÿes, vous m'en envoyeres l'information et l'acte du baptesme de l'enfant..

  A019003184 

 Mais il n'y a remede: il faut croire que, Nostre Seigneur le voulant ainsy, ce sera le mieux..

  A019003185 

 M. de la Pierre n'a sceu comprendre que Son Altesse eust quelque degoust de luy; il dit qu'il sçait bien qu'elle l'ayme et sçaura bon gré a qui luy presentera sa lettre, qu'il vous prie de luy faire tenir seurement; et se promet que, si vous en parles a M. Le Grand, il se [393] chargera volontier de le faire, et qu'en cela il n'y a point de hasard.

  A019003185 

 Que si cela se peut faire bonnement, ce me seroit un grand playsir de le contenter.

  A019003186 

 J'escris a M. le Comte de Montmayeur, pour le remercier du soin qu'il eut de me faire tenir une de vos lettres tandis que j'estois en Fossigni.

  A019003187 

 Tenés aujourd'huy,........pour toutes asseurances de la triomphante sortie de M. Bonfilz, qui est a mesme tems establi General des Finances, avec un si extreme credit que nul ne pourra plus vivre que par sa bonne grace.

  A019003187 

 Toutefois, plusieurs ne veulent croire cette si soudaine metamorphose; et, quant a moy, je ne diray sinon: peut estre qu'il est vray, et peut estre que non..

  A019003188 

 C'est une merveille qu'en ce païs on ne sçait encor point la deplorable adventure de M. de [Granier]; car, quant a moy, je la cele le plus que je puis, affin de n'infecter point l'air d'une si puante nouvelle.

  A019003191 

 Ceux de Rumilly et le Curé ont receu leurs lettres avec toute obeissance religieuse; que bien tost on leur face le bien pour lequel on retarde..

  A019003194 

 Ce que M. de Vallon vous a escrit touchant le mariage de M. de Charmoysi avec la fille de M. de Montmayeur, m'empeschera de vous en faire un plus long recit.

  A019003195 

 M. l'Abbé de Six est en fin trespassé, et on m'a dit que M. l'Esleu ne demeure pas sans affaires avec les Religieux qui ne le veulent pasreconnoistre, parce qu'ilz croyent qu'il n'a pas ses permissions de Rome..

  A019003196 

 Je ne vous entretiendray pas davantage, ains me rapportant a la suffisance de M. le porteur, je vous salue tres humblement, et, si vous estes consacré, je vous bayse les mains et la cime de vostre teste parfumee de l'onction sacree, que je supplie Nostre Seigneur de faire saintement descouler jusques a la robbe de cette Eglise, et que la rosee de vostre Hermon soit heureusement transportee jusques en nostre sein.

  A019003200 

 A nostre M. le Collateral que luy diray je? Il sçaura que je suis parfaitement sien..

  A019003209 

 Car, de vous dire des nouvelles, ce seroit hors de propos, puisque le porteur en sçait bien plus que moy, qui, presque aussi solitaire qu'un hermite et plus esloigné des affaires du monde que plusieurs hermites, ne sçai rien de tout cela que ce qu'on ne peut ignorer.

  A019003209 

 Je prise trop l'honneur de vivre en vostre souvenance, pour laisser partir monsieur de Barraux sans luy donner ces quatre motz de tesmoignage de celle que j'ay de vous, laquelle est tous-jours accompaignee d'un extreme desir de vous rendre service, si mon bonheur m'en laissoit arriver quelqu'occasion.

  A019003210 

 Et ce pendant, Monsieur, je vous supplie tres humblement de cooperer a l'inclination que Monseigneur de Montpellier a de m'aymer, et de continuer a me croire, comme je suis,.

  A019003224 

 Et ainsy s'accomplira heureusement vostre sainte intention, et aures la consolation d'en voir les fruitz avant que d'aller jouir de la recompense d'icelle au Ciel; et moy je demeureray, Madamoyselle,.

  A019003224 

 Puisque vous aves treuvé bon, par l'advis mesme de monsieur l'Aumosnier vostre frere, que la charité que vous avies destinee pour le bien spirituel de Belley soit employee pour l'establissement des RR. PP. Capucins en ce lieu-la, qui feront les offices que vous desiries y introduire, il ne restera sinon qu'en suite il vous playse d'ordonner a monsieur de Courtines qui a l'argent, de le delivrer ainsy que les Peres qui sont la luy marqueront.

  A019003237 

 L'extreme desolation qui est en la Sainte Mayson de Nostre Dame de Thonon ne peut recevoir remede que de vostre serenissime providence: la pauvreté y est demesuree, et les enfans du Seminaire tout fin nuds, deschaux et transis de misere; les prestres de la Mayson et les Peres Barnabites n'ont justement que pour manger et habiter, et non pour se vestir, et le reste va tres mal en point; mays, ce qui est le pis, c'est que cette calamité y fait naistre une lamentable desunion, tandis que chacun s'essaye de tirer a soy le peu de moyens et d'argent qu'on y porte.

  A019003238 

 Despuys, on a de beaucoup amoindris les moyens qui y devoyent estre employés et, pour un seul coup, on a osté le prieuré de Nantua, qui sont mille escus de revenu, et environ deux mille ducatons que Son Altesse par sa liberalité y a destinés, ne sont pas touchés a commodité.

  A019003238 

 Il est vray encor, avec tout cela, Monseigneur, que la mauvayse intelligence des membres de cette [399] Mayson et la mauvaise conduite de ses affaires l'apauvrit de plus en plus..

  A019003240 

 Et je me prometz de vostre bonté, Monseigneur, que Vostre Altesse me pardonnera aysement l'importunité de cette lettre, escritte de la main et du cœur,.

  A019003240 

 Mays tandis que tous ces biens s'acheminent sous les auspices et par le soin de Vostre Altesse Serenissime, je croy qu'il sera requis que, pour le present, elle face recevoir l'argent des assignations a ce porteur, le sieur Gilette, affin qu'il en secoure les necessités pressantes de laditte Sainte Mayson.

  A019003254 

 C'est tous-jours ainsy, ma tres chere Mere, que je vous escris sans loysir et sans haleyne; voyla que M. du Tellier, gentilhomme de M me de Mercœur, envoye prendre mes lettres, et faut que je les finisse avant que de les avoir commencees..

  A019003255 

 J'ay accommodé les Constitutions le plus que j'ay sceu, au gré du tres bon P. Binet et au vostre, et ne voy pas que pour des Constitutions on y puisse guiere plus rien adjouster.

  A019003255 

 Mays je vous en escriray plus au long, apres que, pendant ces festes, j'y auray un peu mieux pensé, avec l'advis de monsieur l'Abbé d'Abondance que nous avons de conversation..

  A019003256 

 Que je seray content si je vous puis voir bien logees! L'hostel de messieurs Zameth n'est, ce me semble, que trop beau; neanmoins, a faute d'un asses beau, il se faudra contenter d'un trop beau.

  A019003258 

 Or, il suffira que cela s'essaye par la voye d'un banquier ordinaire, mays auquel, par le moyen du commis d'un secretaire d'Estat qu'elle m'escrit luy estre grandement affectionné, on envoye une lettre qui puisse obliger monsieur [402] l'Ambassadeur de favoriser l'affaire en cas de besoin.

  A019003258 

 Que ne ferois-je pas pour contenter son cœur! Voyci mon advis: puysque elle n'a jamais peu croire que ce fut la volonté de Dieu qu'elle demeurast en cet Ordre, et que parmi toutes ses actions de vœux, de Profession, de susception de charge ell'a tous-jours excepté devant Dieu de se retirer dudit Ordre a la premiere bonne occasion, je pense qu'elle fera donq bien de faire un essay pour cela, et de faire escrire a Rome pour avoir dispense, laquelle, si ell'exprime bien son intention, ne sera pas, si je ne me trompe, difficile d'estre obtenue; car quand elle dira que ce n'est pas pour retourner au monde, mais pour se retirer en une Religion en laquelle l'observance religieuse est en vigueur, il ny aura rien a dire.

  A019003259 

 Mays, ma tres chere Mere, voyci un fascheux rencontre, car il seroit expedient que cette fille fut un peu assistee et dressee par vostre amour tout affectionné; et neanmoins, voyla qu'a Turin le Monastere est accepté, et le P. D. [Juste].....................................................................

  A019003260 

 ..........................................................................................................................................................la fondation de nostre chere Congregation a Turin presse, et bien que je promette d'y faire aller nostre grande Fille, ma Seur Favre, ces Princesses, sur tout nostre chere Madame, vogliono la Madre ........................................................................................

  A019003261 

 Helas! il n'est nullement vray que je me soys fasché en la partie superieure des advis que vous m'aves envoyés sur les Constitutions; mais ayant de prim'abord jetté les [403] yeux sur celuy de l'exclusion des maladives, qui est tout a fait contre mon esprit et sentiment, je dis par un'inconsideree soudaineté: Qui laissera gouverner la prudence naturelle, elle gastera la charité et ne sera jamais fait..

  A019003271 

 Ce pendant je me vay preparant, affin de n'estre pas tout a fait surpris; que si je puis vous laisser icy en ma place, je m'en iray bien plus joyeux.

  A019003272 

 Nostre monsieur le Collateral me conseille que, si je puis, j'aille voir comme Madame se porte bien et exerce plusieurs vertus dignes d'elle, affin d'en pouvoir parler plus particulierement au Roy et a la Reyne Mere; mays je voy que je suis trop pressé pour prendre ce loysir-la, et sur tout en ce tems que les jours sont si cours, et faudroit une trop grande diligence; car autrement, cela seroit fort a propos..

  A019003273 

 Voyla la lettre de monsieur de la Pierre, qui a receu asseurance, ainsy quil m'a fait voir, que Son Altesse l'ayme; dequoy je ne doute point.

  A019003274 

 Ce qui m'en desplait le plus, c'est le mespris de la justice, et que, sans ma coulpe, j'en aye esté l'occasion.

  A019003274 

 Et bien que je ne sçai pas si ces paroles ont esté preuvees, si sçai-je bien qu'elles furent dites..

  A019003274 

 Or, monsieur le President les fit saysir et emprisonner, et dans deux jours me les envoya pour me demander pardon, sans que ni d'effect ni [405] de paroles on leur fit autre chastiment.

  A019003275 

 Je vous escris l'histoire seulement affin que vous la sachies, et par ce que monsieur le President a recouru a monsieur le Marquis de Saint Damien qui, peut estre, vous en parlera; affin que vous sachies que, quant a moy, je ne me suis nullement plaint, et avois de tres bon cœur pardonné l'insolence, laquelle fut sans doute faite de guet a pend et sans que j'aye jamais offencé ni les maistres ni les valetz; mais je sçai de certaine science qu'il faut dissimuler beaucoup et mespriser toutes les offences qui le peuvent estre, et que, par cette methode, on garde la paix et en fin on gaigne les cœurs des plus inconsiderés.

  A019003275 

 Seulement suys-je marri de ces deux gentishommes, qui prennent des habitudes si contraires a la courtoysie et generosité a laquelle leur naissance les obligent ( sic ) envers la justice et tout le monde; et je ne doute point que monsieur le Marquis ne les convie a faire quelque sorte de tesmoignage a monsieur le President, de des-playsir de l'avoir ainsy traitté..

  A019003276 

 Mays tout ceci, mesnages-le selon que vous jugeres a propos, car il ne faut pas de lite facere lites, ni rien dire ou faire qui puisse ennuyer monsieur le Marquis de Saint Damien, puis que il nous fait lhonneur de nous [406] aymer et qu'il oblige chacun, par sa vertu, a lhonnorer.

  A019003277 

 Mays voyla l'heure qui m'appelle pour me praeparer a la Messe, que je vay dire a la Visitation, pour donner l'habit a nostre Seur Marie et a madamoyselle de Servieres, niece de monsieur de Pezieu, avec lequel je disneray ceans, Dieu aydant.

  A019003282 

 J'ay fait ce que monsieur l'Abbé mon cousin m'escrivit a son depart, pour M. Mathieu, et feray ce qui me sera possible pour M. de Lea, estimant que je verray monsieur de Ballon, mon oncle, bientost.

  A019003295 

 Quand vous escrires a la Mere qui est allee a Xaintes, je vous prie de l'asseurer de lhonneur et amour que je porte a sa pieté.

  A019003296 

 Certes, dit saint Augustin a ses Filles, vous aves pris naissance, nourriture et accroissement ainsy, pour la plus grande gloire de Dieu et l'establissement de vostre salut: demeures donq ainsy, mes bienaymees, et qui est bien, qu'il ne se meuve pour rien que soit, de peur qu'au lieu de mieux on treuve le mal..

  A019003297 

 Vos Superieurs modernes ont tant travaillé pour vous: cela ne merite-il pas que vous les reveries comme vos Peres, puisque mesme s'ilz ne sont Carmelites d'habit, ilz le sont en effect par le zele et la pieté d'Helie? O combien de Carmelites y aura-il au monde qui n'ont receu que le manteau d'Helie, et non son esprit au double! et combien de prestres seculiers qui, sans le manteau, auront receu son esprit! Combien de Theresiennes sans l'habit, combien de Theresiennes sans l'esprit de la Mere Therese!.

  A019003307 

 Pour moy, je dis a vostre cœur de tout le mien, ma tres chere Fille, ce que le grand saint Augustin disoit en une epistre aux Seurs de sa Regle: «Perseveres en vostre bon propos, et vous ne desireres point de changer de» Superieurs, sous lesquelz, «par tant d'annees, vous estes accreuës en nombre, en aage,» en Monasteres, en reputation.

  A019003307 

 Vous devries pleurer si on vous les vouloit oster.» Ce n'est pas que je veuille faire l'arbitre en un differend porté de part et d'autre de tant de gens; mais je vous parle comme a mon ancienne et cordiale fille, en toute confiance..

  A019003309 

 Moy, ma tres chere Fille, je suis tres sincerement vostre et a toute vostre Congregation, specialement a la Mere Sousprieure, ma fille; et je suis bien ayse de vous escrire un peu sans ceremonie et de vous oser nommer [410]simplement ma Fille, et de traitter cœur a cœur avec vostre ame que j'ay tous-jours cherement aymee, et que je prie Dieu de vouloir combler de son tressaint amour.

  A019003318 

 Je connois l'esprit de madame l'Abbesse, elle ne fera pas la moytié des choses que sa repugnance de maintenant luy suggere.

  A019003318 

 Nous ne sommes pas de mesme humeur, elle et moy; mais je ne laisse pas d'esperer qu'elle ne quittera pas tout a fait ma conduitte, que j'essayeray de rendre bonne, douce et juste.

  A019003319 

 Faites belle moysson pendant qu'il en est la sayson, recueilles bien les benedictions des contradictions; vous proffiteres plus ainsy dans un jour, que vous ne feries en dix d'une autre sayson..

  A019003328 

 Je voudrois bien me courroucer avec vous, mais je ne le puis, parce que je ne suis pas en humeur de le faire..

  A019003337 

 Je vous prie d'achetter tout ce qui sera requis pour les tableaux que les Reverens Peres Capucins me font la faveur de faire faire par l'un des leurs, pour l'eglise de Viu et de Thorens..

  A019003340 

 Je voudrois que le tableau de Thorens fut grand, et de la Nativité de Nostre Seigneur, avec un saint Maurice d'un costé. et saint Sebastien de l'autre; et celuy de Vieu, de la Passion, avec un saint Blayse et saint François..

  A019003387 

 Ce que Nous fîmes d'autant plus volontiers que, outre la particulière inclination et dévotion que ce jeune homme montre d'avoir à cet habit de Saint-Benoit, Nous sommes convié d'en prendre quelque soin en mémoire des services du père qui a délaissé plusieurs autres enfants sans commodités ni moyens de s'élever aux vertus..

  A019003388 

 Chose qui Nous occasionne de vous donner charge pour cela d'embrasser avec votre saint zèle accoutumé, de Notre part, cette affaire; tenir main que le Prieur claustral dudit Contamine mette le froc audit Claude du Noyer, et dispose par même moyen lesdits Pères à payer librement le revenu de sa prébende dès le jour de la vacance, en suite de la provision qu'il en a de Nous; en quoi ils Nous feront chose très agréable de consentir, sans Nous donner plus sujet d'en être importuné davantage ni d'un côté ni d'autre.

  A019003388 

 Peu de temps après, les RR. PP. Barnabites recoururent à Nous pour faire révoquer cette provision, pour divers prétextes, comme Nous fîmes; Nous donnant entre autres à entendre que les trois prébendes étaient entièrement nécessaires aux réparations dudit prieuré, auxquelles néanmoins Nous savons n'y avoir été employé jusqu'ici que ce que peut porter le revenu de deux, lequel peut honnêtement suffire, suivant mêmement l'ordre qu'en a donné le Visiteur général.

  A019003402 

 Le Secrestain du prieuré de Contamine vous aura remis une nostre touchant la prebande que Nous avions cy devant accordée sur ledit prieuré a du Noyer son neveu.

  A019003402 

 Sur quoy neantmoins Nous vous repliquons de ne mouvoir chose aucune que premierement vous Nous ayez envoyé la dessus vostre advis, afin que Nous puissions estre mieux esclaircy de ce qui se debvrà bonnement fere sur ce suject..

  A019003419 

 Il ne vous escrit pas, estant asseuré que vous vous contenteres de luy pour ce coup s'il vous salue de tout son cœur par nostre entremise, estant occupé aupres de cette bonne dame, qui l'a tout a fait guery; de quoy je benis Nostre Seigneur, comme aussi de vostre santé, laquelle il faut conserver pour faire le voyage allegrement..

  A019003419 

 Vous aures, ce croy je, receu la response a celle que vous pristes la peine de m'escrire dernierement; maintenant je la fais a celle que François m'a apportee, par laquelle je voy que, graces a Dieu, nous sommes presque a la veille de nostre depart.

  A019003420 

 Je suis estonné que l'on tarde tant de nous fayre sçavoir le jour de nostre depart, et que le conducteur qui doit donner ordre pour nous fayre desloger ne vienne point.

  A019003421 

 Je connois de vue celuy qui le poursuit, lequel, avec toutes les bonnes qualités que vous luy donnes, est de tres mauvaise mine..

  A019003421 

 Sy vous voyes la damoyselle, je vous conjure de me tenir fort en sa bonne grâce et de l'asseurer que nous serons lundy a Paris, Monsieur l'Evesque estant arresté pour sacrer Dimanche le grand autel de ceans, chose qui ne se doit fayre qu'en jour de feste.

  A019003422 

 J'admire les nouvelles que vous nous dites de Savoye, mais plus la premiere que la derniere, du sieur Bonfilz; nous en parlerons a loysir..

  A019003423 

 Monseigneur le Reverendissime a esté grandement affligé du malheur des Cordeliers; il faut advertir nos gentz que l'on soit fort sur sa garde et que l'on se mesle le moins que l'on pourra..

  A019003441 

 Dautant que l'Evesché de Geneve est de tres grand poidz et tire appres soy beaucoup de soing et de travail, tant pour la grande estendue de sa diocese que la voysinance de l'heresie de Geneve, outre les grandes fatigues que tres Reverend nostre tres cher, bien amé, feal Conseiller et devot Orateur, Messire François de Sales, moderne Evesque, faict aux predications et autres exercices spirituelz pour exciter les ames a luy commises a leur perseverance a la devotion: il Nous a semblé luy estre grandement necessaire un Coadjuteur, et que Nous ne pourrions faire nomination de personne plus digne et de plus de merite que de Reverend nostre tres cher, bien amé et feal, devot Orateur Jean François de Sales, frere dudict Evesque et premier Aulmosnier de Madame; lequel, pour sa bonne vie, doctrine et autres vertuz, et pour satisfaire au desir dudict Evesque, Nous avons nommé et presenté, et par ces presentes, en vertu du droict de nomination qui Nous appertient sur ledict Evesché, nommons et presentons a Nostre Tressainct Pere le Pape, pour Coadjuteur et futeur successeur audict moderne Evesque et Evesché de Geneve, suppliant Sa Saincteté de le vouloir aggreer et luy faire expedier ses Bulles et provisions a ce necessaires, moyenant lesquelles Nous voulons qu'il soit receu, admis et maintenu en la plaine et legitime jouissance de ladicte coadjutorie, aucthoritez, prerogatives et autres choses quy en despendent, sans aucune difficulté: car ainsy Nous plait..

  A019003456 

 Ayant pleu a Son Altesse d'accorder a ma consideration a Monsieur de Boissy, mon premier Aumosnier, la coadjustorerie de l'Evesché de Geneve, et ayant recognu le soin et l'affection qu'il a a mon service, J'ay pensé qu'estant particulierement informée de ses vertus et merites, que vous auries agreable que Je vous rendisse ces tesmoignages de ses louables et estimables qualités, affin de faciliter ses expeditions.

  A019003456 

 Mais parce que J'ay donné charge a l'Abbé Scaglia de vous en faire de tres particulieres instances de ma part, Je vous prieray d'adjouster creance a ce qu'il vous dira, desirant recevoir sur ce sujet des effetz de la continuation de vostre bonne volonté, dont Je vous prie de tout mon cœur..

  A019003457 

 Ce pendant, Je vous asseureray que Je cheriray tousjours avec passion les occasions qui vous pourront faire cognoistre que Je suis entierement,.

  A019003564 

 Grande déception pour la jeune veuve! Elle déclare alors son dessein de se «dédier» à Dieu «avec tous» ses «biens en la Maison qui s'établira... à Nevers, [431] mais à la charge toutefois que» la «très chère Sœur Jeanne-Charlotte y sera toujours» sa «Mère.» Cela fit réfléchir.

  A019003564 

 La Mère de Chantal savait de quels ménagements il fallait user avec une âme qu'on voulait sauver à tout prix; elle connaissait d'ailleurs l'incomparable condescendance de François de Sales, et, sans craindre de trop l'engager, elle écrit à M me du Tertre le 24 mars 1620: «Ne doutez point que notre bon Père ne vous concède votre désir selon toute l'étendue de son pouvoir, qui est toujours de plusieurs années.» Avec prudence, la Fondatrice ajoute: «Mais nous nous assurons que Dieu vous ayant confirmée en son saint amour pendant plusieurs années, vous fera aimer la conservation des Règles.» La réponse de l'Evêque de Genève est identique: «Que celte chere Mere soit Superieure, j'y consens sans difficulté; mays que cela se puisse faire si absolument comme vous m'en parles, je n'en sçay pas les moyens... Mais... faites ce que» Dieu «vous a inspiré pour sa gloire, et ne doutés nullement qu'il ne face pour vostre bien ce qui sera le meilleur.».

  A019003564 

 Telle n'était pas pourtant la décision prise; le Monastère de Moulins avait encore besoin de sa vénérée fondatrice; il fut donc résolu que la Supérieure de Nevers viendrait d'Annecy avec les Sœurs destinées à Paris et à Orléans.

  A019003566 

 «Madame,» dit-il dans sa lettre à la Mère de Bréchard, «je viens de signer la permission que vous avez desiree de moy pour vostre establissement en cette ville, avec autant d'affection qu'affaire que j'aye signé de ma vie.

  A019003567 

 Ce fut alors que s'éleva un terrible orage.

  A019003568 

 Peut-être ces arrêts n'étaient-ils pas tout à fait contre le gré de la prisonnière! — «J'eusse grandement souhaité qu'elle n'eût bougé de notre maison,» écrivait la Sainte à M. de Palierne, «assuré que l'on doit être que c'est un lieu où l'on ne force personne; mais bien, puisque Dieu a permis cela, patience! Nous vous supplions toutefois que, puisqu'elle est résolue de continuer sa bonne volonté, elle y retourne au plus tôt.».

  A019003569 

 Si maintenant elle est persuadée par d'autres raisons et inclinations, qu'elle les suive; mais je vous supplie que ce soit en sorte qu'il ne s'ensuive point de brouillerie ni de procès.

  A019003569 

 Vrai Dieu!... que ces soulèvements ont touché mon cœur!» Et mettant le doigt sur la plaie: «Quoi! il n'est question que d'argent! Et qu'est-ce que cela? Si M me du Tertre en veut plus donner à Moulins qu'à Nevers, au nom de Dieu soit-il! cela nous est indifférent; nous chérissons nos Maisons également, et la chère dame sait bien que c'est son pur mouvement qui l'avait portée à Nevers.

  A019003570 

 C'est pourquoi, ma très chère Fille, je vous conjure que, pour éviter les maux et embarrassements que je prévois, vous laissiez à la Maison de Nevers ce que vous lui avez déjà donné irrévocablement, et ce que vous ne pouvez lui ôter sans faire soulever de grandes mutineries en ce lieu-là: chose qui nous serait insupportable et nous ferait tout quitter...Il restera assez à Moulins, et la Supérieure que Monseigneur de Genève a envoyée vous donnera pleine satisfaction, n'en doutez point.».

  A019003570 

 J'en serais consolée si tout se fût passé paisiblement; car, quel intérêt en tout cela?... L'une des Maisons nous est chère comme l'autre, et nous ne demandons, sur toutes choses, que la paix pour vivre tranquillement en nos petites observances.

  A019003571 

 L'avis de la Mère de Chantal était que les obédiences fussent suivies; le Saint inclinait aussi pour ce parti.

  A019003571 

 La solution indiquée par la Sainte était conforme, pour le partage des biens, à celle que donna quelques jours plus tard François de Sales: que M me du Tertre demeure à Moulins avec ses vingt mille francs, et que les dix mille autres, déjà employés, appartiennent à la Maison de Nevers.

  A019003571 

 Mais si la future Sœur Marie-Aimée de Morville avait renoncé à [434] son premier projet, c'était surtout parce que, voyant les oppositions de la Ville, elle croyait que la Mère de Bréchard demeurerait en Bourbonnais.

  A019003572 

 La première, blâmée par ceux de Nevers comme leur ayant manqué de parole, se voyait à Moulins en butte aux calomnies: on lui attribuait faussement «le dessein premier de M me du Tertre;» on l'accusait d'avoir eu «de grandes passions pour aller à Nevers» et de s'être montrée «trop inflexible et sensible sur la rupture de ce dessein;» des esprits «plus curieux que charitables» allaient plus loin, et semaient contre la vénérable Mère les bruits les plus injustes..

  A019003574 

 L'une et l'autre eurent une vertu plus forte que les épreuves.

  A019003574 

 Nous sommes à Dieu, rien ne nous arrivera que selon son bon plaisir.

  A019003575 

 A Dieu ne plaise que nous le fassions! Monseigneur de Genève m'avouera; et plutôt, je m'assure, l'on quitterait tout d'une part et d'autre.».

  A019003575 

 C'est que tout, en effet, était prêt de renverser.

  A019003575 

 Le Saint, averti plutôt que consulté par la dame bienfaitrice, déclare que son vœu subsiste; et la Mère de Chantal multiplie ses lettres pour parer le coup qu'elle redoute: «Il faut, s'il vous plaît, contenter Monseigneur de Genève et le croire,» écrit-elle à M me du Tertre, «car pour nous, nous ne voulons avoir ni débat, ni procès; nous quitterions plutôt cent fois autant que ce que vous donnez, estimant incomparablement davantage la paix avec la sainte pauvreté, que tous les biens du monde et le moindre trouble... Or sus donc,... qu'il ne se parle plus de tout cela, s'il vous plaît, puisque vous avez le sentiment de Monseigneur de Genève et son avis; car nos pauvres Sœurs des deux Maisons sont affligées d'entendre parler de choses qu'elles n'ont pas accoutumé d'ouïr.» Et quatre jours après, elle expose les choses avec sa logique et sa clarté ordinaires à M. de Palieme, soutient le conseil donné par le Saint, supplie d'accepter ce moyen terme, et conclut: «Si après toutes ces raisons et prières très humbles, M me du Tertre et ceux de Moulins veulent agir contre ceux de Nevers, qu'elle fasse ce qu'il lui plaira; mais pour nous, nous n'attaquerons ni ne nous défendrons.


20-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XX-Vol.10-Lettres.html
  A020000023 

 — Peine que donne à l'Evêque de Genève la perspective d'un séjour à la cour.

  A020000029 

 Un cœur que le Saint a aimé « sur la foy de » son « bon Ange ».

  A020000033 

 Prière au destinataire de faire chercher un Mémoire déjà envoyé que le prince de Piémont réclame. 32.

  A020000035 

 Prière d'envoyer le Frère Adrien à Lyon tandis que François de Sales y sera. 34.

  A020000046 

 — Ce que la Mère Favre doit conseiller à M me de Dalet. 44.

  A020000050 

 — Faire pour son salut tout ce que requiert la charité; nécessité qu'elle y coopère.

  A020000050 

 — Qu'est-ce que Dieu? — Sa présence en ce monde.

  A020000053 

 — Effet que doivent produire en l'âme les souffrances intérieures. 52.

  A020000082 

 — La faute que regrette François de Sales, et quelle en fut la cause. 81.

  A020000083 

 — Mieux vaut perdre une fille spirituelle que de manquer à la sincérité envers les âmes. 82.

  A020000088 

 Le grand défaut que peut avoir l'amour, hors celui de Dieu.

  A020000090 

 La bonne « affaire que de n'avoir point de proces! » — Félicitations à la destinataire de ce qu'elle fait pour les éviter.

  A020000091 

 — Ce que doivent faire les « enfans du travail et de la mort de nostre Sauveur.

  A020000100 

 Quels sont les services que Dieu préfère.

  A020000102 

 Ce que sont pour l'Evêque de Genève les lettres et l'âme de la Mère de Chantal; désir de la revoir en Savoie.

  A020000122 

 — Des cœurs que le départ de la Mère Favre affligera. 120.

  A020000124 

 — Ce qui mortifie plus que le mal.

  A020000124 

 — Qu'est-ce que la foi nue et simple? — Comment « vivre en verité et non point en mensonge.

  A020000132 

 — Sentiments d'humilité et de confiance que doit garder la destinataire.

  A020000134 

 — Ce que dirait la Mère de Chantal si elle voyait François de Sales écrire si tard. 131.

  A020000136 

 — Bonnes espérances que donne le nouvel Evêque de Chalcédoine.

  A020000137 

 Que faire quand on se voit toujours retomber dans les mêmes imperfections? — Une leçon qu'il faut apprendre.

  A020000141 

 — Bonheur des âmes que Dieu appelle à son service. 137.

  A020000152 

 L'Evêque n'a autorité que sur les Religieuses qui ont fait profession dans son diocèse, et celles-ci appartiennent toujours au Monastère où elles ont prononcé leurs vœux.

  A020000152 

 — Pourquoi François de Sales voudrait voir retarder l'établissement de la Visitation à Riom; moyen terme que l'on peut prendre.

  A020000153 

 — François de Sales se réjouit du repos que M me de Miolans a trouvé à la Visitation. 149.

  A020000158 

 — Loisir trop court pour toutes les lettres que le Saint voudrait faire. 154.

  A020000163 

 — Ne chercher que Dieu. 159.

  A020000167 

 Une cédule que M. Rolland cherchera. 163.

  A020000171 

 Les nouvelles que le Saint attend.

  A020000175 

 — Par quel moyen aider une âme que la nécessité et non l'attrait a conduite au monastère.

  A020000179 

 — Une dame que le Saint aime particulièrement sans l'avoir jamais vue.

  A020000184 

 — Conseil que le Saint leur adresse. 177.

  A020000189 

 — Ce que l'Evêque de Genève va faire en Piémont.

  A020000195 

 Pourquoi François de Sales trouve que sa présence au milieu des Pères Feuillants était inutile.

  A020000198 

 — Une question que l'Evêque de Genève n'a pas voulu trancher.

  A020000205 

 — Consolation que le Saint a trouvée dans leur société.

  A020000207 

 — La seule impuissance de méditer n'exclut pas du cloître — Ce n'est pas sans raison ni pour fâcher le père que la Supérieure se décide à ne pas recevoir la fille. 202.

  A020000208 

 — Adoucissements que l'on peut donner à une veuve âgée retirée au monastère.

  A020000209 

 — Pourvu que le bien se fasse, il suffit. 204.

  A020000210 

 — Mille écus que le Saint voudrait « au fons de la mer.

  A020000213 

 — Des bienfaitrices peuvent être admises dans les monastères quand elles n'en veulent sortir que rarement.

  A020000221 

 — Un livre de M. de Bérulle; ce que le Saint voudrait en rayer.

  A020000235 

 Désirs rendus plus ardents par la charge que la Providence a donnée à la Mère de Chastellux.

  A020000265 

 Et sur ce mesme fondement, j'ay une ferme esperance que vous me favoriseres de vostre bienveüillance, ainsy que tres humblement je vous en supplie, me resjouissant de tout mon cœur de vous sçavoir au rang ou vous estes en la cour, comme en un chemin par lequel, moyennant la grace de Dieu, vous arriveres un jour aux honneurs ausquelz l'exemple de vos predecesseurs et vostre vertu vous doyvent faire justement [1] aspirer.

  A020000265 

 L'honneur que j'ay eu d'avoir esté aymé de feu monsieur vostre pere et de toute vostre famille me tient a jamais obligé a vostre service, outre le respect que vos merites exigent de moy.

  A020000284 

 Quand je sceu le desir que M me la Marquise de Lulin avoit de voir une Mayson de vostre Institut a Thonon, [2] j'en remerciay Dieu de tout mon cœur et tesmoignay, en la façon que je peu, combien j'avois receu de contentement de l'advis que j'en avois; car j'ay tous-jours cheri, estimé et honnoré les exercices de tres grande charité que vostre Congregation prattique, delaquelle j'ay aussi tres affectueusement desiré la propagation, et mesme en cette province de Savoye: comme en effect, sur quelque esperance qu'aucuns de la Compaignie de Jesus du college de Chamberi m'avoyent donné qu'on pourroit en eriger une Mayson en ce lieu la, j'obtins un brevet de permission pour cela de Son Altesse Serenissime..

  A020000285 

 Mays si j'ay une fois le contentement que la pieté et ferveur de madame la Marquise de Lulin me fait attendre, de voir en ce diocese une branche de ce saint arbre de Sainte Ursule, je m'essayeray de luy rendre toute sorte de preuves combien je le prise et affectionne.

  A020000285 

 Qui me fait vous prier bien humblement, ma tres chere Seur, [3] de contribuer a ce projet tout ce que, selon Dieu, vous pourres, ne doutant point que ce ne soit la plus grande gloire de Dieu et l'advancement et establissement de plusieurs ames en la pieté, et en fin une tres grande consolation pour les premieres qui viendront s'employer a ce bon œuvre..

  A020000315 

 Si c'est pour vous une charge, ne vous en prenez qu'à vous-même, Illustrissime Seigneur, qui avez voulu être tel que vous êtes..

  A020000316 

 Confiant en votre bienveillance, je le fais très humblement, sachant que Votre Illustrissime Seigneurie se rend volontiers l'œil de l'aveugle et le pied du boiteux.

  A020000316 

 Voici que le P. F. Louis Reydellet, de l'Ordre des Tertiaires de Saint-François, homme de famille distinguée, Religieux jusqu'ici fort considéré dans son Ordre, recourt présentement au Siège Apostolique comme à l'asile de tout l'univers chrétien, et il aura besoin, sans doute, de protecteurs et d'intercesseurs.

  A020000345 

 Aussi, sachant qu'un eunuque a été même élevé au souverain Pontificat, et que le P. Valère Réginald, auteur du Thesaurus fori Pœnitentialis, malgré la même irrégularité, vit encore aujourd'hui dans la Compagnie de Jésus, je viens très volontiers supplier Votre Révérende Paternité, de vouloir bien favoriser celui-ci qui souhaite avec tant d'ardeur d'être admis dans l'état religieux.

  A020000345 

 Or, il souhaite extrêmement pouvoir entrer dans votre Congrégation, et craint néanmoins de n'être pas reçu, étant eunuque dès le sein de sa mère; c'est pourquoi il veut que je supplie Votre très Révérende Paternité d'être favorable à ses pieux désirs.

  A020000346 

 C'est en priant Dieu notre Seigneur d'accorder à Votre Paternité et à toute sa Congrégation un véritable accroissement de prospérité, que je demeure.

  A020000362 

 Je m'asseure qu'il se comportera si bien, que ni vous n'aures pas sujet d'estre marri de l'avoir accompagné de vostre benediction, ni moy de vous en avoir prié, qui suis de tout mon cœur,.

  A020000362 

 Si vous ne l'aves point desagreable, je vous supplieray [8] encor de donner permission et obedience au F. Adrien de faire un voyage a Turin, pour finir une negociation que personne ne sçauroit, comme je pense, si bien entendre que luy, et laquelle regarde, si je ne me trompe, le bien publiq et la gloire de Dieu.

  A020000390 

 Cependant, voyla une lettre de nostre chere Mere, que je receus avanthier..

  A020000390 

 Je suis encor icy, ma tres chere Fille, et ne sçai encor point quand je feray le despart; au moins croys-je que ce ne sera pas de cette semaine.

  A020000392 

 J'attens mon frere pour la fin de ce moys, et il m'escrit qu'il pense demeurer quelques jours avec moy [10] avant mon despart, de sorte qu'il croit que le voyage ne se fera pas si tost..

  A020000406 

 En somme, ce n'est que pour vous saluer de toute l'estendue de mes affections, ma tres chere Fille, et vous asseurer que je n'oublie point vos afflictions, ni la condition de vostre vie attachee a la croix.

  A020000406 

 Je n'escris jamais moins que quand j'escris beaucoup, ma tres chere Fille; la multitude des lettres en empesche la longueur, au moins a moy.

  A020000407 

 Je vous prie, au reste, de dire a madamoyselle vostre mere que je suis de cœur l'un de ses enfans; mays je le dis en verité.

  A020000408 

 Salues bien a part, et comme vostre ame sçait qu'il le faut, le cœur de nostre Seur Marie Angelique, et dites luy que le mien est a elle, et que Dieu l'a voulu et le veut, ma tres chere Fille.

  A020000416 

 Il a rayson de m'aymer, non pas que je le merite, mais par ce que Nostre Seigneur le veut et le commande, et que, de ma part, je le cheris beaucoup.

  A020000416 

 Je presage que vostre Pere confesseur servira bien Nostre Seigneur en vostre monastere, et l'extreme desir que j'en ay ne me peut permettre d'en douter.

  A020000417 

 Je m'asseure que Monsieur de Calcedoine n'aura rien oublié pour faire reuscir la bonne volonté que Madame aura eue de vous faire l'aumosne, et qu'il vous en rendra a bon compte estant icy, qui sera bientost..

  A020000417 

 Monseigneur le Prince Cardinal ne m'a encor rien commandé touchant son abbaÿe, mais en tout ce que je pourray, je vous serviray aupres de luy, si j'ay lhonneur de l'approcher; et quand il vous changera vostre orge en froment, le pain de la table n'en sera que meilleur.

  A020000418 

 Et je luy ay dit que vous ne devies en sorte quelcomque en estre en peine, car nostre Saint Pere le Pape qui sied a present, par une lettre bien expediee que j'ay, vous donne le pouvoir non seulement d'avoir de telles rentes legitimement constituees, mais aussi d'avoir des fons terriens; et peu s'en falut que, en lieu de le permettre, il ne le commandast expressement, tant il estime la mendicité onereuse es monasteres des filles qui sont situés en ces petitz lieux, bourgades et vilettes: de sorte que [13] vous deves demeurer en paix de ce costé la, ma tres chere Seur ma Fille, et moy je suis et demeureray de tout mon cœur,.

  A020000418 

 Vostre bon Pere confesseur m'a communiqué la difficulté que vous aves en vostre esprit sur certaines rentes constituees que vostre pere temporel a establies de quelques sommes d'argent qui vous avoyent esté donnees.

  A020000434 

 Mays vous vives, ma tres chere Fille, mays vous subsistes, [14] mays vous perseveres et receves constamment tous ces accidens; c'est par cet essay que Dieu vous connoist pour sa fille legitime.

  A020000434 

 Sa divine Majesté habite volontier dans le buisson espineux de vostre cœur environné d'angoisses, et mesme maintenant que le feu qui a bruslé vostre mayson n'a point consumé ni reduit en cendre vostre patience.

  A020000435 

 Cependant, je vous remercie de la communication que vous m'aves faite de vostre desplaysir, car encor bien que ces desplaysirs me desplaysent entant qu'ilz attaquent un cœur que j'ayme grandement, si est ce qu'ilz me consolent entant qu'ilz perfectionnent un cœur auquel je souhaite toute sainte perfection, et duquel je suis veritablement,.

  A020000447 

 En fin, Monsieur mon tres cher Frere, voyla, comme je pense, l'esperance de nostre voyage, ou plustost de [15] nostre conversation au voyage, tout a fait dissipee; mais, quel remede? Demeures en paix, mon tres cher Frere, et demeurons, malgré la distance des lieux, tous-jours tres unanimement serrés ensemble par ce lien indissoluble de nostre sainte amitié, que Dieu a fait et a rendu exempt de tout le dechet que la distance et absence a accoustumé de faire sur les amitiés humaines et transitoires: n'est ce pas, mon tres cher Frere?.

  A020000448 

 J'espere, pourtant, que je pourray un jour, en cette vie mortelle, chanter: Dirupisti, Domine, vincula mea; tibi sacrificato hostiam laudis.

  A020000448 

 Mais me voyci encor en une autre peine: c'est que je ne sçay si Son Altesse voudra point que j'aille faire une residence de quelques moys aupres de Madame, tandis que mon frere viendra aussi commencer la sienne icy.

  A020000457 

 Que faites vous escartee en ce bon païs d'Auvergne, ma tres chere Fille? car il me semble qu'il y a long tems que vous ne me dites mot; et toutefois, l'amour n'est jamais muet, mesme le filial qui a tous-jours je ne sçai quoy a dire au Pere....

  A020000469 

 De sorte donq que les Papes meurent aussi bien que les pauvres gens, et que voyla le voyage de France ou tout a fait rompu, ou grandement differé.

  A020000469 

 Or, ainsy que je vous escrivois ceci, j'ay receu vostre lettre et vostre paquet du 30 de janvier, avec la nouvelle de l'inopiné depart de Monseigneur le Prince Cardinal pour Rome, ou, si tost que je sceu des hier la mort du Pape, je m'imaginay qu'il accourroit pour la nouvelle election d'un autre Pape, a laquelle il pourra beaucoup plus contribuer y arrivant de bonn'heure qu'y allant plus tard.

  A020000469 

 Que si mes vœux estoyent exaucés, il seroit tout a fait rompu par la promotion de Monseigneur le Prince Cardinal a la papauté, non tant pour lhonneur que j'ay d'estre son tres obeissant serviteur, comme pour le bien que, je m'asseure, en reviendroit au Christianisme.

  A020000501 

 Comme il m'a esté un contentement tres particulier de voir monsieur de Cusinens mon cousin, et trop [19] d'honneur quil ne soit venu que pour nous favoriser, Monsieur de Calcedoine et moy, aussi ay-je receu de la peine de celle quil a prise pour cela en ce tems qui est si aspre; mays [il faut] que ceux que vous aymes souffrent ces exces de bienveuillance, et pour moy je n'ay rien a dire sur cela, sinon que nous sommes parfaitement vostres..

  A020000502 

 A mesure que je me disposois au voyage de France et a faire tout ce que j'eusse peu pour y engager monsieur de Lea, mon cousin, puisque, comme bon pere, vous aggreies qu'il vint, le trespas du Pape, inopiné, a tiré Monseigneur le Prince Cardinal a Rome, qui partit six heures apres que Son Altesse eut la nouvelle du Siege vacant, suivi de Monseigneur l'Archevesque de Turin et du comte Guy Saint George et de quelques uns de ses domestiques, de sorte que me voyla en sejour jusques a Pasque..

  A020000503 

 Du reste, je vivray tous-jours content en la volonté de Nostre Seigneur, que je prie de tout mon cœur vous conserver et combler de bonheur avec toute vostre chere compaignie, et suis.

  A020000514 

 Mais maintenant que la mort du Pape, ayant appellé a Rome M. le Prince [Cardinal], a par consequent rompeu le voyage, ... se peut, le nouveau Pape ... ou immediatement issues de ... que vous marques ni fait ....

  A020000514 

 Tandis que de jour a autre je m'attendois de partir pour Paris, j'ay sursis d'escrire en France a qui que ce soit; et a vous mesme, ma tres chere Mere, je n'ay escrit que des petitz billetz.

  A020000515 

 Si faut, ma tres chere Mere, il faut redire les Pseaumes qui se seront ditz tandis que vous dormies, et se confesser dequoy vous ne les aves pas reditz; car ce sont des parties notables de l'Office que vous estes obligee de dire, mais non pas sil ny avoit que trois ou quatre versetz..

  A020000516 

 Le Monastere de Thurin ne pressera que dans quatre ou cinq moys.

  A020000526 

 Je le confesse aussi de ma part, ma tres chere Fille; ce me seroit de la consolation tres douce de voir un peu clair dedans vostre cœur, que j'ay aymé a tastons et sur la foy de mon bon Ange.

  A020000526 

 Vous deves travailler a la conqueste de la tressainte humilité, que le monde ne peut connoistre, non plus que la paix qu'elle nous donne..

  A020000527 

 O que Dieu soit beni dequoy il vous a tant aymee! car je ne [22] doute point qu'avec la grece de la Profession il ne vous ayt donné la grandeur du courage, l'apprehension vive de la sainte eternité, l'amour de la sacree humilité et la douceur de l'amour de sa divine Bonté, requis a la prattique parfaite de la Profession..

  A020000528 

 Quelles chimeres de nouvelles! moy? qu'on m'ayt voulu tuer? Les bons ne me tueront pas, parce qu'ilz sont bons; ni les mauvais, parce que je ne suis pas bon.

  A020000529 

 Je vous salue, ma tres chere grande Fille, avec la dilection que, comme je croy, vous sçaves que mon cœur a pour le vostre, et suis.

  A020000538 

 Voyla bien des feux, ma tres chere Fille: la fievre, comme un feu, enflamme vostre cors; le feu, comme une fievre, brusle vostre mayson; mais j'espere que le feu de l'amour celeste occupe tellement vostre cœur, qu'en toutes ces occasions vous dites: Le Seigneur m'a donné ma santé et ma mayson, le Seigneur m'a osté ma santé et ma mayson: ainsy qu'il a pleu au Seigneur il a esté fait; son saint nom soit beni..

  A020000540 

 Vous estes fille de Jesus Christ crucifié: et quelle merveille y a il donq si vous participes en sa croix? Je me suis teu, disoit David, et je n'ay point ouvert la bouche, parce que c'est vous, Seigneur, qui l'aves fait.

  A020000550 

 Mais je sçai bien aussi que Dieu, qui par sa divine providence vous a dediee a cette sorte de vie en [24] ce monde, ne manque pas de vous fournir des saintes inspirations qui vous sont requises pour vous y comporter saintement..

  A020000551 

 Et pour moy, je ne sçai pas ce que je ne voudrois pas faire pour contribuer a vostre consolation; mais, ma Fille, troys choses me divertissent de vous escrire si souvent que je faysois au commencement de nostre connoissance.

  A020000551 

 Il me semble qu'il n'en est pas tant de besoin maintenant que vous estes tant accoustumee a la croix; et moy, je suis chargé d'aage, et, pour le dire a vous, d'incommodités qui m'empeschent de pouvoir ce que je veux, et de plus, la multitude des correspondances que j'ay acquises depuis ce tems la, fait que j'escris moins aux uns et aux autres.

  A020000551 

 Mais, ma tres chere Fille, c'est la ou il faut tesmoigner nostre fidelité a Nostre Seigneur, affin que l'on puisse dire de nous, comme il est dit de Job, apres tant de reproches et de contrarietés que ses amis luy firent, qu' en tout cela Job ne pecha point de ses levres, ni ne fit rien de mal a propos..

  A020000551 

 Mais, ma tres chere Fille, vous estes tous-jours presente a mes Messes, ou j'offre au Pere celeste son Filz bienaymé, et, en l'union d'iceluy, vostre chere ame, affin qu'il luy playse de la recevoir en sa sainte protection et luy departir son tressaint amour, notamment en l'occasion des proces et affaires que vous aves avec le prochain; car c'est la ou il y a plus de peine de tenir ferme pour la douceur et humilité, tant exterieure qu'interieure, et j'y voy les plus asseurés bien empeschés: c'est pourquoy cette tribulation me donne plus de crainte pour les ames que j'ayme le plus.

  A020000552 

 Aymes le bien, ma chere Seur, en vos retraittes que vous faites pour le prier et adorer; aymes le quand vous le receves en la sainte Communion; aymes le quand vostre cœur sera arrousé de sa sainte consolation; mais aymes le sur tout quand il [25] vous arivera des tracas, des importunités, des secheresses, des tribulations; car ainsy vous a-il aymé en Paradis, mais encor a-il plus tesmoigné d'amour en vostre endroit parmi les fouetz, les clouz, les espines et les tenebres de Calvaire..

  A020000552 

 Quelles benedictions vous puis je souhaiter plus aymables que celles la, d'estre fidele a Nostre Seigneur parmi les adversités de toutes sortes qui vous agitent? car le souvenir que j'ay de vostre ame ne m'arrive jamais qu'avec mille souhaitz que je fay pour vostre avancement en l'amour de ce bon Dieu.

  A020000566 

 Et ne faut en cela que de le faire traduyre en italien, car quant a la forme avec laquelle la provision necessaire doit estre demandee au Pape, il en faut laisser le soin a ceux que monsieur l'Ambassadeur de Son Altesse employera..

  A020000566 

 Mais, Monseigneur, Vostre Altesse l'a remis a monsieur Carron des il y a environ un an, que je l'envovay, ainsy que m'asseure mon frere qui estoit [26] lors en court.

  A020000566 

 Vostre Altesse Serenissime me commande que je luy envoye un Memorial de ce qui est requis d'estre impetré a Romme pour la restauration de la discipline ecclesiastique en ce païs.

  A020000582 

 Mais M. de Calcedoine, mon frere, m'asseure que vous, Monsieur, aves receu les articles du projet qui en fut fait icy et que j'envoyay il y a bien long tems, et que Monseigneur le Serenissime Prince vous l'avoit remis pour les faire traduire en italien, pour les donner a [27] M. d'Aglié qui devoit aller a Romme.

  A020000582 

 Par la lettre que Monseigneur le Serenissime Prince m'a fait despecher, il me commande encor de luy envoyer un Memoyre des concessions qu'il faut obtenir a Romme pour la restauration de la discipline ecclesiastique deça les montz.

  A020000607 

 Or, je vous propose cette mienne pensee, affin que si vous l'appreuves, il vous playse donner l'obeissance audit Frere Adrien, affin quil vienne tandis que je seray-la, qui ne sera que 5 ou six jours..

  A020000607 

 Si le tems n'empire point, je pense partir demain pour aller a Lion, et par ce voyage, je serois bien ayse si je [29] pouvois esclarcir le cœur de M. Magnin avec le Frere Adrien, et que le Frere Adrien accommodast pour une bonne fois toutes les affaires que l'on a de cette ville a Lyon pour ce qui regarde la soye.

  A020000621 

 A mon retour, nous nous reverrons, Dieu aydant; et cependant, acceptes de bon cœur cette petite visite que la divine Bonté vous a faite.

  A020000621 

 Ce n'est que pour 15 jours ou trois semaines que j'absente, ma tres chere Fille.

  A020000622 

 Dequoy se doit attrister une fille, servante de Celuy qui sera a jamais nostre joye? Rien que le peché ne nous doit [31] desplaire et fascher, et au bout du desplaysir du peché, encor faut il que la joye et consolation sainte soit attachee..

  A020000637 

 L'esperance que j'ay tous-jours eu des une annee en ça d'aller en France, m'a retenu de vous ramentevoir mon inviolable affection a vostre service par lettre, puisque je croyois que quelque heureux rencontre me donneroit le moyen de vous rendre ce devoir en presence.

  A020000637 

 Mais maintenant que je n'espere presque plus ce bien et que ce digne porteur me donne une commodité si asseuree, je me res-jouis de tout mon cœur avec vous, ma tres chere Fille (car ce mot est plus cordial), je me res-jouis et loue Nostre Seigneur de vostre si estimable et aymable mariage, qui [32] vous servira de fondement pour bastir et eslever en vous une douce et aggreable vie en ce monde, et pour heureusement passer cette mortalité en la tressainte crainte de Dieu, en laquelle, par sa grace, vous aves esté nourrie des vostre berceau; car tout le monde me dit que monsieur vostre mary est un des plus sages et accomplis cavaliers de France, et que vostre liayson est non seulement noüee de la sainte amitié qui la doit serrer de plus en plus, mais aussi des-ja benite de la fertilité, par laquelle vous estes a la veille de vos couches, ainsy que [nostre Mere] m'asseure..

  A020000638 

 Il faut donq bien correspondre a toutes les faveurs du Ciel, ma tres chere Fille, car elles vous sont sans doute donnees affin que vous les facies proffiter a la gloire de Celuy qui vous gratifie, et a vostre salut.

  A020000638 

 Je ne puis que [33] je ne croye, ma tres chere Fille, que vous n'employies vostre courage a cela et que vous ne le facies, comme sachant que le bonheur de vostre mayson et de vostre personne depend de cela en cette vie passagere, et l'asseurance de l'immortelle apres celle cy..

  A020000639 

 Et si vous l'aves aggreable, continues a me favoriser de vostre bienveuillance filiale, comme je vous asseure, ma tres chere Fille, que d'un cœur tout rempli d'affection paternelle, je ne celebre jamais la tressainte Messe que tres particulierement je ne vous recommande a Dieu, avec monsieur vostre mary, auquel je suis et seray tous-jours, ainsy que je suis pour vous,.

  A020000639 

 Or sus, en ce nouvel estat de mariage auquel vous estes, renouvelles souvent les resolutions que nous avons si souvent faites de vivre saintement et vertueusement, de quelle condition que Dieu nous fist estre.

  A020000650 

 Sera-il point mieux de ne point vous escrire tout a fait, ma tres chere Fille, que de vous escrire si peu, comme [34] l'accablement des honneurs et faveurs que je reçois icy me le peut permettre? Mais, mieux vaut peu que rien tout a fait..

  A020000651 

 Je ne puis croire que Monseigneur l'Evesque N. veuille vous charger de l'education des filles seculieres, quand vous luy aures fait humblement remonstrer que cela detraqueroit grandement vostre Mayson, nullement propre a rendre cet office; car a la verité, l'experience a fait voir a Nessy que vostre façon de vivre est presque incompatible avec cet exercice.

  A020000661 

 Je n'ay point veu nostre seur des mon retour, n'ayant eu le loysir d'aller a la Visitation que ce matin pour dire la sainte Messe, et avons promis d'y retourner apres disné; mais ces messieurs m'ont retenu pour leurs affaires, de sorte que ce sera demain, Dieu aydant..

  A020000677 

 Quand le bon Pere Arviset m'a dit l'autre jour a Lion que nostre bon pere estoit trespassé, je vous asseure que je fus touché vivement de la passion que les enfans ont accoustumé de sentir quand leur pere les quitte; car je le respectois et honnorois ainsy finalement, ce bon pere, qui m'y avoit obligé en autant de façons qu'il se pouvoit faire..

  A020000678 

 Mais puisque tel a esté le bon playsir de Dieu qu'il s'en allast en son repos, non seulement j'acquiesce, ains je loüe la divine Providence qui luy a donné un bon long sejour en cette vie mortelle, et, ce qui importe le plus, l'a conduit si amiablement par le chemin de sa crainte et de sa grace, que nous avons tout sujet d'estre asseurés qu'il le fait jouir maintenant de sa gloire.

  A020000679 

 Il ne me reste donq plus en cette occasion que de vous supplier de me vouloir tous-jours conserver en l'honneur et contentement qu'il m'avoit accordé pour toute ma vie, qui est que je serois de vostre mayson et censé comme l'un de ses enfans, vostre frere.

  A020000679 

 Je le seray de mon costé en affection, et n'oublieray jamais l'extreme devoir que j'ay a la memoire de ce pere et au service de sa posterité; vous suppliant encor, Messieurs, de me permettre qu'avec cette lettre je dise la mesme verité et face la mesme priere a mesdamoyselles vos cheres espouses, desquelles j'estime et ayme infiniment les bonnes et devotes ames, et ausquelles, comme a vous, je ne cesseray jamais de souhaitter les plus favorables benedictions du Ciel, demeurant a tous-jours de tout mon cœur, Messieurs,.

  A020000692 

 Je prie le Pere Monod, affin qu'il vous face recommander au Pere Recteur et au Pere Penitencier de Lorette, et que vous puissies retirer d'eux un certificat de vostre soin et diligence a rendre le vœu que vous alles faire..

  A020000692 

 Je vous prie de recommander mon ame a la misericorde de Nostre Seigneur en tous les saintz lieux que vous [38] visiteres en ce voyage de Rome.

  A020000693 

 A Rome, vous parleres avant toutes choses a M. Beybin, et luy communiqueres tous vos Memoires, tant pour les Seurs de la Visitation de Sainte Marie, que pour la Visitation des Sueilz des Apostres et l'acceptation de l'alternative; et suivres en tout son conseil..

  A020000694 

 Vous ne laisseres pas pourtant de voir au plus tost le [39] Pere Diegue et le Pere Dom Sens de Sainte Catherine, jadis General des Feuillans, auquel vous remettres la lettre qui est pour Monseigneur le Cardinal de Sainte Suzanne, car je m'asseure que tant ledit Pere Dom Sens que le Pere Diegue s'employeront volontier pour l'affaire des Seurs de la Visitation, selon que je les en supplie.

  A020000705 

 Il n'est nul besoin que l'on vous recommande les œuvres pies, que vous embrasses, graces a Dieu, avec tant de charité; mays puisque monsieur de Vege, passant icy, a desiré que je vous suppliasse de le favoriser, et sa partie, d'un soin particulier pour leur accommodement, je le fay volontier, comme parent de l'une et ami de toutes deux.

  A020000725 

 En cette occasion du voyage que le R. P. Dominique, Provincial, et le R. P. Philibert, de l'Ordre des [42] Capucins, font en vos contrees de Valey, je me sens obligé de vous remercier du favorable tesmoignage que vous rendites a Romme pour mon frere Monsieur l'Evesque de Calcedoine, qui est a present mon coadjuteur, lequel, s'il estoit icy presentement, vous eut aussi escrit luy mesme..

  A020000726 

 Et de mon costé, pour contribuer ce que je puis a vostre recompense pour tant de bonnes œuvres ausquelles vous aves ci devant cooperé, je prie Dieu qu'il vous face la grace de continuer de plus en plus, croissant incessamment en vertu et devotion, affin qu'apres une longue et utile vie temporelle, vous soyes treuvé en l'estat de perseverance pour passer a l'eternelle..

  A020000726 

 Mays ce n'est pas la seule preuve que j'ay eüe de vostre bienveuillance en mon endroit, y ayant si long tems que vous m'aymes et que j'ay esté obligé a vous honnorer pour la pieté et probité, jointes au zele et a la prudence dont Dieu vous a doué, me resouvenant fort bien de ce que vous aves fait pour le service de l'Eglise et le bien de vostre païs en toutes les occurrences.

  A020000727 

 Et sur cett'esperance de vostre assistence, et du zele, prudence, bonté et bienfaisance du Reverend Evesque de Valey, j'ay donné courage a ces deux Peres, qui sont vrays serviteurs de Dieu et dignes d'estre aymés, de faire de leur part tout ce qu'ilz pourront bonnement pour ce bon œuvre, que je supplie de rechef la divine Providence de vouloir benir, et de vous faire de plus en plus prosperer en sa grace,.

  A020000727 

 Et voyla une bonne commodité qui se presente de rechef a vostre zele en l'establissement des Peres Capucins a Syon, ou, comme vous sçaves, ilz rendront mille sortes de bons et fideles services spirituelz a tout ce pais-la, [43] et beaucoup plus qu'ilz ne pourroyent faire en aucune contree de la patrie; et croy que mesme cela seroit proffitable au service temporel de Messieurs du païs, pour plusieurs dignes considerations que l'estat des affaires du monde me suggere.

  A020000727 

 Or, comme apres Dieu vous aves le veritable honneur de l'establissement de cet Ordre a Saint Maurice, aussi pouvés vous grandement participer a celuy de l'establissement du mesme Ordre a Syon, ou je sçai que de long tems tous les bons le desirent.

  A020000746 

 C'est de tout mon cœur que je me res-jouis avec nostre tres chere signora D. Genevra du bon œuvre qu'ell'a fait, donnant dequoy jetter les fondemens de vostre eglise de cette ville, et je l'en remercie aussi par la lettre ci jointe..

  A020000747 

 Nous roulons icy sans avoir pour encor nouvelles de la resolution que M. de Menthon prendra, en attendant la venue de Monseigneur le Prince Thomas qui aura charge de faire achever cett' affaire, ainsy que Monseigneur le Prince dit a nostre frere, M. de Calcedoine; [45] mays je ne laisseray pas de presser un peu tout bellement..

  A020000748 

 O mon tres cher Pere, que le monde est mauvais et que je l'estime peu! je dis la vie de ce monde.

  A020000766 

 Je vous rens mille actions de graces du portrait de la [46] bien heureuse Seur Marie de l'Incarnation, et ne sçai ce que je pourrois recevoir de plus utile et aggreable a mon ame; puisque d'un costé j'ay un amour si plein de reverence pour cette sainte personne, et d'autre part, une si grande necessité de resveiller souvent en mon esprit les pieuses affections que sa veuë et sa tressainte communication a excitees autrefois en moy, tandis que six mois durant j'estois presque son confesseur ordinaire, et que, pour tant de diverses occasions du service de Dieu, elle me parloit et entretenoit presque tous les jours..

  A020000767 

 En somme, [47] je suis amateur et admirateur de cette sainte ame, et ayme tous ceux qu'elle a aymés en cette vie, et vous tres particulierement, Monsieur, de qui elle mesme me procura la bienveuillance, que je vous supplie me conserver..

  A020000767 

 On m'a dit que l'on avoit escrit et fait imprimer sa Vie, et ce fut la Mere Prieure de Lyon, que je vis l'autre jour estant la.

  A020000777 

 En somme, ma tres chere Fille, il est vray, ainsy que je vous ay souvent dit, que la discretion est une vertu sans laquelle, au rapport de saint Anthoine, nulle vertu [48] n'est vertu, non pas mesme la devotion, si toutefois la devotion veritable peut estre sans une veritable discretion..

  A020000778 

 Elle vous aura dit toutes ses raysons en meilleurs termes que je ne sçaurois vous les representer, ormis peut estre celle-la, que vostre religieuse Mayson luy a une tres grande obligation, ainsy que vous mesmes m'aves escrit.

  A020000778 

 Voyes, ma tres chere Fille, de contribuer au contentement de cette mere ce que vous pourres aupres de cette fille, laquelle a la verité est obligee a quitter, je ne dis pas un peu, mais beaucoup de ses consolations, pour spirituelles qu'elles soyent, pour en laisser beaucoup a sa mere..

  A020000779 

 Hé, mon Dieu, ny a-il moyen que l'on ayde ces deux dames a la connoistre, cette sainte volonté? car je suis asseuré qu'elle les rangeroit toutes deux a son obeissance..

  A020000779 

 Je confesse que je ne sçai comme il se peut faire qu'une mere de tant d'esprit, de perfection et de pieté, et une fille de si grande vertu et devotion, ne demeurent tout a fait unies en ce grand Dieu, qui est le Dieu d'union et de conjonction; mais je sçai bien pourtant que cela se fait, et que mesme les Anges, sans cesser d'estre Anges, ont des contraires volontés sur un mesme sujet, sans pour cela estre en division ni en dissention, parce que ilz sont parfaitement amoureux de la volonté de Dieu, laquelle, soudain qu'elle paroist, est embrassee et adoree de tous eux.

  A020000780 

 Cette bonne dame, qui est mere, me parle d'un vœu de chasteté fait par la fille, et dit que c'est precipitamment.

  A020000781 

 Mais je ne sçai non plus que dire sur cela, ne sachant pas quell'est la vocation du Ciel et voyant les enfans de M me de Dalet si petitz..

  A020000781 

 Mays elle parle, cette mere, d'autre chose, qui est qu'elle aymeroit mieux que sa fille fut Religieuse tout a fait, puysque en ce cas-la on ne la luy demanderoit plus pour caution, et que l'administration des biens des enfans luy seroit conferee.

  A020000782 

 Une chose seule me touche plus que les autres de tout ce que cette dame m'escrit: c'est ce qu'elle dit que sa fille fait bourse a part parmi tant de peynes et travaux qu'elle void a sa mere, sans la soulager de son assistence.

  A020000783 

 Je vous escris la teste pleyne d'affaires et entre plusieurs tintamarres, et de plus, je vous escris a tastons; car je sçai bien que pour bien parler en cette occasion, il faudroit ouyr bien au long les parties.

  A020000783 

 Mais tandis que cela ne se peut, il faut parler pour la mere: il y a tous-jours un juste prejugé pour elle..

  A020000784 

 Au reste, elle ne desire de vous sinon que vous employiés vostre entremise pour moderer le zele que sa bonne fille a a ses retraittes, qui est chose qui ne se peut ni doit refuser, la moderation estant tous-jours bonne en tous les exercices, ormis en celuy de l'amour de Dieu, qu'on ne doit aymer par mesure, ains tout fait « sans mesure.

  A020000795 

 Je serois bien en peine de vous escrire sur le sujet qui me convie si je n'estois authorisé de madame vostre mere; [51] car a quel propos oserois je mettre la main aux affaires qui se passent entre vous deux, et vous parler de vostre conscience, moy qui sçai que vous estes l'unique digne fille d'une si digne mere, pleyne d'esprit, de prudence et de pieté? Mais puisqu'il le faut, sous cette si favorable condition, je vous diray donq, Madame, que madame vostre mere m'escrit tout ce qu'elle vous a dit et fait dire [52] par plusieurs excellens personnages en comparayson desquelz je ne suis rien, pour vous ranger au desir qu'elle a que vous ne l'abandonnies de vostre assistence filiale en cette grande presse d'affaires temporelles en laquelle les occurrences que vous sçaves ont poussé sa mayson, qu'elle ne peut supporter de voir tomber sous le faix, et sur tout faute de vostre secours qu'elle tient y estre seul et uniquement necessaire..

  A020000796 

 Elle met dans sa lettre vos excuses pour les deux premiers partis, car elle dit que vous aves voué a Dieu vostre chasteté, et que vous aves quatre bien petitz enfans, desquelz deux sont des filles; mais pour le troysiesme je ne voy rien dans sa lettre..

  A020000796 

 Elle propose troys partis pour cela: ou que vous vous retiries tout a fait en Religion, affin que les creanciers ne vous desirent plus pour caution et que la disposition des biens de vos enfans luy soit libre; ou que vous vous remanies avec les advantages qui vous sont offertz; ou que vous demeuries avec elle avec une seule bourse.

  A020000797 

 Quant au premier, je ne suis pas pour interposer mon jugement si le vœu que vous aves fait vous oblige a ne point desirer dispense, bien qu'elle allegue une grande precipitation qui peut prevenir la juste consideration; car veritablement la pureté de la chasteté est de si haut prix, que quicomque l'a vouee est tres heureux de la garder, et n'y a rien a preferer que la necessité de la charité publique..

  A020000798 

 Quant au second, je ne sçai si vous vous pourries legitimement descharger du soin que Dieu vous a imposé de vos enfans en vous rendant leur mere, et eux estans si petitz..

  A020000799 

 Il faut en ce cas relever le cœur et les yeux en la providence de Dieu, qui rend abondamment tout ce que l'on donne sur sa sainte ordonnance.

  A020000799 

 Je cuyde bien entrevoir quelque rayson pour laquelle il semble qu'une telle fille, chargee d'enfans, puisse garder sa bourse, mais je ne sçai pas si vous l'aves; et si, je pense [53] qu'il faut que cette rayson soit grande et grosse, pour le faire voir et considerer tout a fait.

  A020000799 

 Je dis trop, Madame, car je n'avois rien a dire sur cela que de renvoyer vostre chere conscience, pour ce regard, a ceux ausquelz vous vous en confies..

  A020000799 

 Mais pour le troysiesme, Madame, je vous dis que vostre bourse doit estre commune a madame vostre mere, en ces cas de si grande necessité.

  A020000800 

 Au reste, pour vos exercices spirituelz, madame vostre mere se contente que vous les facies a vostre accoustumee, ormis pour vos retraittes a Sainte Marie, qu'elle desire estre limitees aux grosses festes de l'annee, et, [outre] cela, a troys jours sur chaque quarantaine.

  A020000800 

 Vous pouves aussi vous en contenter et suppleer, par des retraittes spirituelles dans vostre mayson, la longueur de celles que vous pourries faire en celle de Sainte Marie..

  A020000801 

 Dieu ne requiert que certains jours, que certaines heures, et sa presence veut bien que nous soyons encor presens a nos peres et a nos meres; mais ceux ci sont plus passionnés: ilz veulent bien plus de jours, plus d'heures et une presence non divisee.

  A020000801 

 Elles ont souvent de la jalousie; si on s'amuse un peu hors de leur presence, il leur est advis qu'on ne les ayme jamais asses et que l'amour qu'on leur doit ne peut estre mesuré que par le desmesurement.

  A020000801 

 Hé! Dieu est si bon que, condescendant a cela, il estime les accommodemens de nostre [54] volonté a celle de nos meres comme faitz pour la sienne, pourveu que nous ayons son bon playsir pour fin principale de nos actions..

  A020000801 

 O mon Dieu, ma chere Dame, qu'il faut faire des choses pour les peres et meres, et comme il faut supporter amoureusement l'exces, le zele et l'ardeur, a peu que je die encor l'importunité de leur amour! Ces meres, elles sont admirables tout a fait: elles voudroyent, je pense, porter tous-jours leurs enfans, sur tout l'unique, entre leurs mammelles.

  A020000801 

 Quel remede a cela? Il faut avoir patience, et faire au plus pres que l'on peut tout ce qui est requis pour y correspondre.

  A020000802 

 Et moy, j'ay tort de vous entretenir si longuement, mais j'ay un peu de complaysance de parler avec une ame pure et chaste, et de laquelle il n'y a aucune sorte de plainte que pour l'exces de devotion; tare si rare et si aymable, que je ne puis n'aymer pas et n'honnorer pas celle qui en est accusee, et n'estre pas a jamais, Madame,.

  A020000814 

 Il n'estoit pas besoin, pour me faire affectionner vostre [55] desir, que les Reverens Peres Coton et Duchesne, que j'honnore infiniment, employassent leur persuasion, car vostre seul nom me faisoit asses connoistre ce que je vous dois; et ma Seur Favre m'avoit, des le commencement qu'elle fut a Montferrand, si vivement exprimé la consideration qu'elle fait de vos dignes qualités, que je ne pourrois pas n'avoir du sentiment de vos afflictions quand vous me les eussies proposees, et mesme avec cette vivacité d'eloquence que vous aves tesmoignee en vostre lettre, capable d'esmouvoir un cœur de pierre..

  A020000815 

 Mais, Madame, permettes moy que j'admire comme vous aves peu penser qu'apres tant de remonstrances faites de vive voix par ces grans serviteurs de Dieu, si excellens ouvriers, le Reverend Pere Coton, le Pere Duchesne et autres, et sur tout l'employ de vostre authorité maternelle, de vos larmes, de vos souspirs et de cette puissante representation de vos douleurs et amertumes de cœur que vous aves mieux sceu faire qu'homme du monde, je puisse moy, pauvre prestre, homme esloigné et de si peu de sens que je suis, par des seules lettres, qui n'ont ni repliques, ni mouvement d'action, mettre la main dans le cœur de madame vostre fille pour le contourner a vostre volonté.

  A020000815 

 Neanmoins, Madame, je me range a vostre intention et escris a madame de Dalet et a ma Seur Favre, courtement, parce qu'elles sçavent bien toutes vos raysons, et parce que vostre homme m'a treuvé ayant mon Sinode sur les bras, qui me tient a l'esprit et au cœur.

  A020000816 

 Nous n'avons pas laissé de conferer [de] vostre lettre, le Pere Bonaventure de Lyon, que nous avons le bonheur d'avoir Gardien icy, et moy.

  A020000816 

 Tout cela je le ressens au fond de l'ame, et d'autant plus que je vous porte de respect et de sainte dilection, puisque je me souviens bien de madame de Montaret, et de son amour et de sa passion pour son filz..

  A020000817 

 Or sus, j'escris a ces deux filles que vous dites avoir tant de liayson ensemble; c'est a Dieu a donner l'efficace a mes paroles.

  A020000828 

 Je confesse que je ne fus jamais si empesché d'escrire que j'ay esté, car apres vous, apres le grand Pere Coton, apres le P. Duchesne et tant d'autres serviteurs de Dieu, comme ose-je dire mot? Je le fay neanmoins tumultuairement, comme ayant la teste toute pleyne des affaires de mon Sinode, et par consequent en une grande confusion d'attentions..

  A020000829 

 Monsieur, aymes moy tous-jours, je vous supplie, et [58] tenes pour certain que je vous honnore de tout mon cœur, et suis,.

  A020000846 

 Bien croy je que l'on pourroit luy donner encor un peu de tems, comme six semaines, et luy dire ou faire dire ouvertement ce que l'on requiert en son esprit et en sa conduitte, affin qu'elle vaquast serieusement a l'acquerir; et si elle se rendoit souple on la pourroit garder, car veritablement elle a un extreme besoin de demeurer en la vie religieuse, son esprit, ce me semble, ne pouvant que courir fortune de beaucoup de detraquemens au monde.

  A020000846 

 Je ne me sçaurois determiner, ma tres chere Fille, sur la demande que vous me faites de l'opinion que j'ay, s'il est a propos qu'on retienne ou qu'on renvoye cette fille, [59] parce que je ne la connois pas asses.

  A020000846 

 Que si de son costé elle ne coopere pas en s'humiliant, se sousmettant, renonçant a son esprit et suivant celuy de l'Institut auquel elle aspire, ce sera son dam et sa coulpe seule..

  A020000847 

 Livre de l' Amour de Dieu, car cela vous donnera une suffisante lumiere pour concevoir en quelque sorte que c'est que Dieu: c'est a dire, vous apprendres, autant qu'il est requis, ce qu'il faut en croire..

  A020000847 

 Quant a l'autre demande que vous me faites, il est impossible d'y respondre entierement, non seulement a moy, mais aussi aux Anges et aux Cherubins; car Dieu est au dessus de toute intelligence, et s'il y avoit une intelligence qui peust comprendre ou parfaitement dire ce que Dieu est, il faudroit que cette intelligence fust Dieu, car il faudroit qu'elle fust infinie en perfection.

  A020000848 

 En somme, ma Fille, comme nostre ame est en nostre cors sans que nous la voyons, ainsy Dieu est au monde sans que nous le voyons; comme nostre ame tient en vie tout nostre cors tandis qu'elle est en iceluy, ainsy Dieu tient en estre tout le monde tandis qu'il est en iceluy, et si le monde cessoit d'estre en Dieu, il cesseroit tout aussi tost d'estre.

  A020000848 

 Et comme, en certaine façon, nostre ame est tellement en nostre cors qu'elle ne laisse pas d'estre hors de nostre cors, n'estant pas contenue en iceluy, puisqu'elle void, elle entend, elle oyt, elle fait ses operations hors de nostre cors et au dela de nostre cors, ainsy Dieu est tellement au monde qu'il ne laisse pas d'estre hors du monde et au dela du monde et de tout ce que nous pouvons penser.

  A020000848 

 Et voicy ce que, pour le present, je vous en puis dire.

  A020000849 

 O ma Fille, c'est un abisme! C'est l'Esprit qui vivifie tout, qui cause tout, qui conserve tout, duquel toutes choses ont besoin pour estre; et luy, n'a besoin de nulle chose, n'ayant jamais esté que tres infini en tout ce qu'il est, et est tres heureux, ne pouvant ni commencer d'estre ni finir, parce qu'il est eternel et ne peut n'estre pas eternel.

  A020000850 

 Je n'ay pas dit ceci pour vous dire ce que c'est, mais pour vous faire tant mieux entendre que je ne le puis ni sçay dire, et que je ne sçay que confesser que je suis un vray neant devant luy, que j'adore tres profondement, comme aussi l'humanité de nostre Sauveur a laquelle il s'est uni, affin qu'en icelle nous le puissions aborder, et le voir en nos sens et sentimens au Ciel, et en nos cœurs et en nos cors icy en terre au divin Sacrement de l'Eucharistie.

  A020000862 

 Ce porteur, Frere Adrian, va aupres de Vostre Altesse Serenissime pour des affaires de si bonne condition pour le service de Dieu et du publiq, et luy mesme est si zelé sujet de Son Altesse, qu'il n'est nul besoin que je le recommande a la bonté de Vostre Altesse.

  A020000877 

 Voyci la question que vous me faites: Vostre cœur n'aymera-il pas le mien tous-jours et en toutes saysons? Et voyci ma response: O mon tres cher Frere, c'est une maxime de trois grans amans, tous trois saintz, tous trois Docteurs de l'Eglise, tous trois grans amis, tous trois grans maistres de la theologie morale: saint Ambroyse, saint Hierosme, saint Augustin: Amicitia quæ desinere potuit, nunquam vera fuit..

  A020000879 

 La chere seur m'escrit tous-jours avec tant d'effusion de son cher amour, qu'en verité elle m'oste le pouvoir de la bien remercier; et j'en dis le mesme de vous, vous suppliant de vous remercier tous deux l'un l'autre de ce contentement que vous me donnes..

  A020000880 

 Helas! si celle de mon Createur estoit en son lustre dans mon esprit, que vous la verries de bon cœur!.

  A020000880 

 On me dit que jamais je n'ay esté bien peint, et je croy qu'il importe peu.

  A020000892 

 Helas! je regrette les pechés des calomniateurs, mais cette injure receue est une des meilleures marques de l'approbation du Ciel; et, affin que nous sceussions entendre ce secret, nostre Sauveur luy mesme de combien de façons a il esté calomnié! Oh! que bienheureux sont ceux qui endurent persecution pour la justice!.

  A020000893 

 Plus Nostre Seigneur soustrait ses consolations sensibles, plus il nous prepare de perfections, pourveu que nous nous humiliions devant luy et que nous jettions toute nostre esperance sur luy.

  A020000893 

 Vostre affliction interieure est encor une persecution pour la justice, car elle tend a bien ajuster vostre volonté a la resignation et indifference que nous aymons et louons tant.

  A020000902 

 Ce porteur, le sieur d'Areres, mon proche voysin et grand ami, allant pour voir, s'il peut, la fin d'un affaire qu'il a devant la cour, je l'accompaigne de ma tres humble supplication, que je vous fay, de le proteger en son bon droit qui ne m'est pas moins cher que si c'estoit le mien propre, pour l'obligation d'amitié que je luy ay.

  A020000902 

 Et je me prometz aysement, Monsieur, cette faveur de vostre bonté, qui en ay des-ja tant receues d'autres, et qui sçai le playsir que vous prenes en l'exercice de vostre courtoysie partout ou vous voyes de l'equité..

  A020000919 

 Et faysant peser et bien marquer lesditz outilz, ilz seront rendus bien conditionnés toutes les fois que vous le desireres, ou ladite Sainte Mayson..

  A020000919 

 Puysque la Sainte Mayson n'employe pas a present les outilz qu'ell'a pour un martinet, et que mesme les Peres Chartreux ne s'en servent point, je vous prie de les faire prester a mon frere de Thorens, qui fait dresser maintenant un martinet.

  A020000937 

 Je ne vous dis point l'amour plus que paternel, certes, que mon cœur a pour vous, ma tres chere Fille, car je pense que Dieu mesme qui l'a creé vous le dira; et s'il ne le vous fait entendre, il n'est pas en mon pouvoir de le faire.

  A020000937 

 Mais pourquoy vous dis je cela? Parce, ma tres chere Fille, que je ne vous ay pas escrit si souvent que vous eussies peut estre desiré, et que quelquefois on fait jugement des affections plus par les feuilles de papier que par les fruitz des veritables sentimens interieurs, qui ne paroissent qu'es occurrences rares et signalees, et qui sont plus utiles..

  A020000938 

 Or sus, vous me demandes un papier que jusques a present je n'ay sceu treuver, et que M. n'a nullement.

  A020000938 

 Vous desires que s'il n'est pas entre nos mains, on envoye vistement pour en avoir un pareil de Romme.

  A020000939 

 Et pour ne vous plus faire de preface, je vous vay dire sans art et sans deguisement ce que mon ame desire de vous dire.

  A020000939 

 Jusques a quand sera ce, ma tres chere Fille, que vous pretendres d'autres victoires sur le monde et l'affection a ce que vous y pouves avoir, que celles que Nostre Seigneur en a remportees et a l'exemple desquelles il vous exhorte en tant de façons? Comment fit-il, ce Seigneur de tout le monde? Il est vray, ma Fille, il estoit le Seigneur legitime de tout le monde: et plaida il jamais pour avoir seulement ou recliner sa teste? On luy fit mille tortz: quel proces en eut il jamais? devant quel tribunal fit il jamais citer personne? Jamais, en verité, ains non pas mesme il ne voulut citer les traistres qui le crucifierent devant le tribunal de la justice de Dieu; au contraire, il invoqua sur eux l'authorité de la misericorde.

  A020000940 

 Je ne suis nullement superstitieux, et ne blasme point ceux qui plaident, pourveu que ce soit en verité, jugement et justice; mais je dis, j'exclame, j'escris, et, s'il estoit besoin, j'escrirois avec mon propre sang, que quicomque veut estre parfait et tout a fait enfant de Jesus Christ crucifié, il doit prattiquer cette doctrine de Nostre Seigneur.

  A020000940 

 Que le monde fremisse, que la prudence de la chair se tire les cheveux de despit, si elle veut, et que tous les sages du siecle inventent tant de diversions, pretextes, excuses qu'ilz voudront; mais cette parole doit estre preferee a toute prudence: Qui te veut oster ta tunique en jugement, donne luy encor ton manteau..

  A020000941 

 Il est vray, ma tres chere Fille; mais, graces a Dieu, nous sommes en ce cas la, car nous aspirons a la perfection, et voulons suivre au plus pres que nous pourrons celuy qui, d'une affection veritablement apostolique, disoit: Ayant dequoy boire et manger, et dequoy nous vestir, soyons contens de cela; et crioit apres les Corinthiens: Certes, des-ja totalement et sans doute il y a faute et coulpe en vous, dequoy vous aves des procès ensemble.

  A020000942 

 Mais quel peché? Peché, parce que par ce moyen ilz scandalizoyent les mondains infideles qui disoyent: Voyes comme ces Chrestiens sont Chrestiens! leur Maistre dit: A qui te veut oster ta tunique, donne luy encor ton manteau; voyes comme pour les biens temporelz ilz mettent en hazard les eternelz, et l'amour tendre et fraternel qu'ilz doivent avoir les uns pour les autres.

  A020000943 

 Mais, ce me dira la prudence humaine, a quoy nous voules vous reduire? Quoy? qu'on nous foule aux pieds, qu'on nous torde le nez, qu'on se joue de nous comme d'une marotte, qu'on nous habille et deshabille, sans que nous disions mot? Ouy, il est vray, je veux cela; et si, je ne le veux pas moy, ains Jesus Christ le veut en moy.

  A020000944 

 Ce n'est pas tout a coup, certes; car des que j'eus la grace de sçavoir un peu le fruit de la Croix, ce sentiment entra dans mon ame et n'en est jamais sorti.

  A020000944 

 Je ne fay pas l'examen de conscience, mais, selon que je voy en gros, je croy que je dis vray; et tant plus inexcusable suis-je..

  A020000944 

 Que si je n'ay pas vescu conformement a cela, ç'a esté par foiblesse de cœur, et non par sentiment; le clabaudement du monde m'a fait faire exterieurement le mal que je haïssois interieurement.

  A020000946 

 Mais en fin, que vous veux je dire? J'escris avec impetuosité cette lettre que j'ay esté forcé de faire a deux fois; et l'amour n'est pas prudent et discret, il va de force et devant soy.

  A020000946 

 Vous aves la tant de gens d'honneur, de sagesse, d'esprit, de cordialité, de pieté; ne leur sera il pas aysé de reduire madame de C. et madame de L. a quelque parti dans lequel vous puissies avoir une sainte suffisance? Sont elles des tigres, pour ne se laisser pas sagement ramener a la rayson? N'aves vous pas la M. N., en la prudence duquel tout ce que vous estes et tout ce que vous pretendes seroit tres bien asseuré? N'aves vous pas M. N., qui vous fera bien cette charité de vous assister [71] en cette voye chrestienne et paysible? Et le bon Pere [Binet] ne prendra il pas playsir a servir Dieu en vostre affaire, qui regarde a peu pres quasi le salut de vostre ame, et du moins tout a fait vostre advancement en la perfection? Et puis, madame de Chantal ne doit elle pas estre creuë? car elle est voirement, certes, je ne dis pas tres bien bonne, mais elle est encor asses prudente pour vous bien conseiller en ceci..

  A020000947 

 Que de duplicités, que d'artifices, que de paroles seculieres, et peut estre que de mensonges, que de petites injustices, et douces, et bien couvertes, et imperceptibles calomnies, ou du moins des demi calomnies, employe-on en ce tracas de proces et de procedures! Dires vous point que vous vous voules marier, pour scandalizer tout un monde par un mensonge evident, si vous n'aves un precepteur continuel qui vous souffle a l'oreille la pureté de la sincerité? Ne dires vous point que vous voules vivre au monde et estre entretenue selon vostre naissance, que vous aves besoin de cecy et de cela? Et que sera ce de toute cette formiliere de pensees et imaginations que ces poursuittes produiront en vostre esprit? Laisses, laisses aux mondains leur monde: qu'aves vous besoin de ce qui est requis pour y passer? Deux mille escus, et moins encor, suffiront tres abondamment pour une fille qui ayme Nostre Seigneur crucifié.

  A020000948 

 C'est une riche, quoy que tres devote et admirablement spirituelle abjection que d'estre regardee dans une Congregation comme fondatrice, ou du moins comme grande bienfaitrice.

  A020000948 

 — Da, il est vray, ma tres chere Fille, je le sçavois bien que vostre pieté faysoit planche a l'amour propre, tant elle est piteusement humaine.

  A020000948 

 — Et comment? Aves vous jamais veu que Nostre Dame en eust tant? Que vous importe il que l'on sache que vous estes de bonne mayson selon le monde, pourveu que vous soyes de la mayson de Dieu? — Oh! [72] mais, je voudrois fonder quelque mayson de pieté, ou du moins faire des grandes assistences a une Mayson; car estant infirme de cors, cela me feroit plus gayement supporter.

  A020000949 

 O mon Dieu, que de benedictions, que de graces, que de richesses spirituelles pour vostre ame, ma tres chere Fille, si vous faites ainsy! Vous abonderes et surabonderes; Dieu benira vostre peu, et il vous contentera.

  A020000949 

 — Or sus, mon gré donq est que vous vous contenties de ce que M. [Vincent] et madame de Chantal aviseront, et que le reste vous le laissies pour l'amour de Dieu, et l'edification du prochain, et la paix des ames de mesdames vos seurs, et que vous le consacries ainsy a la dilection du prochain et a la gloire de l'esprit chrestien.

  A020000962 

 Voyla que j'escris a ma tres chere fille, selon mon veritable sentiment.

  A020000963 

 Que pense elle? Quatre vies des siennes ne suffiroyent pas pour terminer son affaire par voye de justice.

  A020000964 

 Est il possible que ses seurs ne lui veuillent rien donner? Mais si cela est, est il possible que les enfans de Dieu veuillent avoir tout ce qui leur appartient, leur Pere Jesus Christ n'ayant rien voulu avoir de ce monde qui luy appartient? O mon Dieu, que je luy souhaite de biens, mais sur tout la suavité et la paix du Saint Esprit, et le repos qu'elle doit avoir en mes sentimens pour elle; [74] car je puis dire que je sçay qu'ilz sont selon Dieu, et non seulement cela, mais qu'ilz sont de Dieu.

  A020000964 

 Qu'est il besoin de tant d'affaires pour une vie si passagere, et de faire des corniches dorees pour une image de papier? Je luy dis paternellement mon sentiment, car je l'ayme, certes, incroyablement; mais je le dis devant Nostre Seigneur, qui sçait que je ne mens point..

  A020000966 

 Que vous diray je plus? Rien autre, ma tres chere Mere, sinon que je cheris incomparablement vostre cœur, et comme le mien propre, si mien et tien se doit dire entre nous, ou Dieu a establi une tres invariable et indissoluble unité, dont il soit eternellement beni.

  A020000977 

 Vous aves extremement bien procedé en l'affaire de Suzanne et de monsieur de Vallon, et vous ne sçauries [75] faire que bien a mon gré, puisque vous aves et le zele et la capacité..

  A020000979 

 Vous sçaures que dans peu de jours j'iray par dela avec deux des seigneurs de la Chambre des Comptes de Savoye, par ordre de Son Altesse et de Monseigneur le Prince..

  A020000997 

 C'est en la presence de Dieu que je vous dois particulierement escrire cette lettre, puisque c'est pour vous dire ce que vous deves faire pour sa plus grande gloire es choses que vous m'aves marquees..

  A020000998 

 Apres donq avoir invoqué son Saint Esprit, je vous dis que je ne voy nulle juste occasion en tout ce que vous me dites et que madame vostre mere me dit, pour laquelle vous devies violer le vœu que vous aves fait de vostre chasteté a Dieu; car la conservation des maysons n'est pas considerable sinon pour les princes, quand leur posterité est requise pour le bien publiq.

  A020000998 

 Et si vous esties princesse, ou celuy qui vous souhaite prince, puisque vous aves des enfans de vostre premier mari l'on vous devroit dire: Contentes vous de la posterité que vous aves; et a luy: Faites de la posterité d'une autre princesse.

  A020000999 

 Il est tout vray que vous n'estes nullement obligee par droit de justice d'assister de vos moyens la mayson de monsieur vostre pere, puisque vos moyens et ceux [77] de vos enfans, par l'ordre establi en la republique, sont separés et independans de la mayson de monsieur vostre pere, et qu'il n'est point en necessité effective; et d'autant plus qu'en effect vous n'aves rien receu de vostre dot, promis seulement, et non payé..

  A020001000 

 Au contraire, s'il est veritable que vous ruineries vos enfans et ce qui est a eux, et que vous vous ruineries vous mesme si vous vous chargies des affaires de vostre mayson paternelle, sans pour cela l'empescher de se ruiner, vous estes obligee, du moins par charité, de ne le faire pas; car a quel propos ruiner une mayson pour en laisser encor ruiner une autre, et donner des remedes contre un mal irremediable, aux despens de vos enfans? Si donq vous sçaves que vostre secours sera inutile au soulagement de monsieur vostre pere, vous estes obligee de ne l'y point employer au prejudice des affaires de vos enfans..

  A020001001 

 Mais, Madame, si vous pouves l'ayder sans endommager notablement vos enfans, comme il semble apparemment que vous le puissies faire, puisque vous estes unique et que tout ce que vous pourres empescher d'estre vendu demeurera en fin a vos enfans, monsieur vostre pere et madame vostre mere ne pouvant avoir d'autres heritiers, il m'est advis que vous le deves faire; car ce ne sera qu'abandonner vos moyens d'une main et les reprendre de l'autre..

  A020001002 

 Et quand mesme vous incommoderies vos affaires pour contenter madame vostre mere, pourveu que ce ne fut pas avec trop de perte de vos enfans, encor me sembleroit il que vous le devries faire, pour le respect et l'amour que vous estes obligee de luy porter..

  A020001003 

 Et quant au reste, je pense qu'il seroit plus a propos, [78] pour vostre repos et pour la suite de l'eslection que vous aves faite d'une perpetuelle pureté, que vous demeurassies a part en vostre petit train, a la charge que vous vissies souvent madame vostre mere, laquelle, si j'entens bien sa lettre, ne seroit point marrie que mesme vous fussies Religieuse, pourveu que vous luy communiquassies vos moyens pour la retenir en possession des biens de la mayson.

  A020001003 

 Et veritablement, ne vous voulant pas ranger a un second mariage, ni ne pouvant pas seconder le courage que je voy en cette dame a tenir grand train et portes ouvertes a toutes sortes d'honnestes conversations, je ne voy comme ce ne seroit pas plus a propos que vous demeurassies a part, n'y ayant rien d'esgal a la separation des sejours pour conserver l'union des cœurs entre ceux qui sont de contraires, quoy que bonnes humeurs et pretentions..

  A020001004 

 Et je vous supplie, Madame, de ne point vous mettre en aucune consideration qui vous puisse oster la liberté de m'escrire, puisque je suis et seray des-ormais tout a fait et sans reserve vostre tres humble et tres affectionné serviteur, qui vous souhaitte le comble des graces de Nostre Seigneur, et sur tout un progres continuel en la tressainte douceur de charité et la sacree humilité de la tres aymable simplicité chrestienne; ne me pouvant empescher de vous dire que j'ay treuvé parfaitement douce la parole que vous mettes en vostre lettre, disant que vostre mayson est des communes et rien plus; car cela est cherissable en un aage ou les enfans du siecle font de si gros broüa de leurs maysons, de leurs noms et de leurs extractions..

  A020001004 

 Oh! s'il eust pleu a Dieu que je vous eusse veuë a Lyon, que de consolation pour moy, et combien plus certainement et plus clairement j'eusse peu vous expliquer mon sentiment! Mais puisque cela n'a pas esté, je m'attendray a recevoir vos repliques, s'il vous semble que j'aye manqué a comprendre le fait que vous m'aves proposé, et je m'essayeray a reparer les manquemens.

  A020001004 

 Voyla mon opinion, Madame, sur la connoissance que j'ay de l'estat de vos affaires.

  A020001017 

 Et par ce qu'ilz ont desiré mon [80] intercession aupres de Vostre Altesse, affin qu'il luy playse d'ordonner au Magistrat de leur faire bonne et brieve justice, je la supplie en toute humilité, Monseigneur, de leur departir cette si juste et charitable faveur qu'elle ne refuse a personne et que, plus que nul autre, je me prometz de la veritable bonté et equité de Vostre Altesse Serenissime, delaquelle j'ay lhonneur d'estre,.

  A020001032 

 Ayant receu le commandement de Vostre Altesse pour m'acheminer a la Sainte Mayson, je ne manqueray pas de me rendre a Thonon au premier jour, et de luy rendre compte de tout ce que j'y auray fait et treuvé, puisque je suis, de Vostre Altesse Serenissime,.

  A020001048 

 Je feray au plus tost le voyage de Thonon, selon le commandement de Vostre Altesse, ne me pouvant empescher de me res-jouir avec elle du commencement qu'elle donne a l'execution du saint projet qu'elle fit estant en cette ville, pour la reformation des Monasteres et le bien publiq de l'Eglise en cette province; ne doutant point que, comme c'est un tres grand service de Dieu, aussi sa divine Majesté n'en recompense Vostre Altesse des tres grandes benedictions que je luy souhaite incessamment, comme estant sans fin,.

  A020001057 

 Bien qu'il semble qu'il n'importe pas beaucoup de sçavoir a qui les prieurés et abbayes que l'on veut unir appartiennent, puisque on ne pretend pas d'unir les portions des Abbés et Prieurs, ains seulement celles des moines, si est ce que, pour obeir a Son Altesse, je marque icy les noms des possesseurs des dittes abbayes et des prieurés: [82].

  A020001084 

 Et je vous en supplie donq, et de me croire tous-jours tel que tous-jours je veux estre: c'est,.

  A020001084 

 Je sçai combien vostre courtoysie est grande, et que vostre bon naturel vous fera tous-jours favoriser monsieur [86] de Corsier, present porteur; mays je ne puis esconduire le desir qu'il a que je vous supplie de l'avoir en recommandation pour l'affaire qui le fait aller la.

  A020001102 

 Non seulement la tres humble sujettion a Vostre Altesse Serenissime que la nature a imposee au sieur de Charmoysi par sa naissance, mais le soin qu'il a pleu a Vostre Altesse, par sa bonté, de tesmoigner pour luy et l'honneur de tant de faveurs qu'il en a receües, [87] obligent madame de Charmoysi, sa mere, et ses parens a ne point disposer de sa personne sinon avec la permission et l'aggreement de Vostre Altesse..

  A020001103 

 C'est pourquoy, Monseigneur, laditte dame ayant quelques affaires a Paris, et estant conseillee d'y envoyer plus tost son filz que d'y aller elle mesme pour les conclure, ell'en demande les commandemens de Vostre Altesse Serenissime, sous lesquelz et elle et son filz veulent a jamais vivre en tres humble sousmission et obeissance.

  A020001103 

 Et si Vostre Altesse l'a aggreable, tandis que son filz sera la, il employera les heures qui luy resteront apres ses affaires aux exercices convenables a sa condition, affin qu'a son retour il ne soit pas treuvé moins capable de l'honneur et du bonheur qu'il a d'estre tous-jours au service particulier de la personne de Vostre Altesse..

  A020001104 

 Et parce que la mere et le filz m'ont choysi entre tous leurs parens pour en faire la supplication a Vostre Altesse, avec eux je la fay en toute humilité et reverence, comme estant,.

  A020001122 

 Je respons a vostre lettre, et correspons, autant que je le puis, a vos desirs, vous asseurant que je laisseray le plus long tems que le service de Dieu me le permettra ma Seur Marie Jacqueline Favre au monastere ou, par vostre pieté, elle se treuve maintenant, et ou je suis grandement consolé qu'elle employe les graces que la divine Providence luy departira.

  A020001122 

 Que si je pouvois vous dire que ce sera pour toute sa vie, je le ferois volontier pour [89] contenter vostre zele et celuy de tant d'ames qui se consolent avec elle; mais vous vous imagineres bien quelles occasions peuvent se presenter pour la retirer et destiner ailleurs, selon que la gloire de Celuy auquel elle est vouee le requerra..

  A020001137 

 A moy ne tienne que la bonne Seur Marie entre en la Mayson [90] de la Visitation de Valence toutes les fois qu'il luy plaira, et M lle de Conches aussi, asseuré qu'elles y [91] porteront des unguens et parfums de devotion qui seront de grande utilité pour encourager les Seurs.

  A020001137 

 Entant que je puis, donq, je leur donne cette liberté.

  A020001137 

 J'ay tant escrit aujourd'huy, que je n'ay plus aucun moyen de vous escrire au long comme je desirerois.

  A020001137 

 Mais veritablement, il faudra que Monseigneur de Valence ou le... authorise ces entrees, car ce sont eux qui en auront le vray pouvoir..

  A020001138 

 Je partiray la semaine qui vient pour aller a Thonon, ou je ne seray que huit ou dix jours, pendant lesquelz nous parlerons bien de vous, le bon pere et les freres et moy; ilz se portent tous tres bien.

  A020001138 

 Les [filles] qui doivent venir icy [le feront environ] le tems marqué, avant que je parte; ce pendant elles donneront ordre a leurs affaires et a l'asseurance de leur dot..

  A020001150 

 Et ce matin, a mon premier reveil, il m'est venu une si forte impression de vivre tout a fait selon l'esprit de la foy et la pointe de l'ame, que, malgré mon ame et mon cœur, je veux ce que Dieu voudra, et je veux ce qui sera de son plus grand service, sans reserve ni de consolation sensible ni de consolation spirituelle; et je prie Dieu que jamais il ne permette que je change de resolution..

  A020001150 

 Vous verres en la lettre de ce bon Pere le desplaysir qui certes m'a un peu touché; mais cette nouvelle m'ayant pris dans le sentiment que j'avois d'une totale resignation en la conduitte de la tressainte Providence, je n'ay rien dit en mon cœur, sinon: Ouy, Pere celeste, car tel est vostre bon playsir.

  A020001151 

 Elles sont tout a fait passees, graces a Dieu, que je supplie de me les renvoyer quand il luy plaira..

  A020001162 

 Certes, voyla un couple de filles que je salue souvent en esprit, et sur tout a la sainte Messe..

  A020001162 

 [Dieu soit] loué que vous ayes la mon autre tres chere fille, la Mere Seur Marie de Jesus, qui m'a tant saintement aymé en ses plus jeunes annees et qui continue a cela.

  A020001191 

 En somme, tout se raccommode avec le tems et l'entremise des amis aupres de ce grand Prince, et je ne doute point qu'ainsy encor se remettront les affaires de tous les autres que Sa Grandeur avoit soubçonnés de ne luy estre pas si utiles serviteurs.

  A020001191 

 Quelle esperance donq pour nous autres qui n'avons jamais donné le moindre sujet de soupçon, mays sur tout pour vous qui, avec tant de veritable fidelité et utilité, travailles pour son service! Je veux esperer que vous en seres tres bien contenté et recompensé..

  A020001197 

 Mille remercimens du bon office fait vers M. de Saint Riran; j'attendray ce que M. le President de Monthou m'en dira..

  A020001211 

 Vous sachant vefve, ma chere Fille, je compatis a la douleur que vous aurés sentie en la separation que vous aves souffert, et vous exhorte neanmoins de ne point vous laisser emporter a la tristesse; car la grace que Dieu vous a faite de le vouloir servir, vous oblige a vous consoler en luy; et les filles de l'amour de Dieu ont tant de confiance en sa Bonté, que jamais elles ne se desolent, ayant un refuge auquel elles treuvent tout contentement.

  A020001212 

 Ce pendant, je prieray Nostre Seigneur pour vous et vostre trespassé, et desire que vous me recommandies aussi souvent a la divine misericorde..

  A020001212 

 Je sçai que vous estes malade; mais, ma chere Fille, a mesure que vostre maladie redouble, vous deves redoubler vostre courage, en esperance que Celuy qui, pour monstrer son amour envers nous, a choysi la mort de la croix, vous tirera de plus en plus a son amour et a sa gloire par la croix et tribulation quil vous envoye.

  A020001226 

 Ayant visité la Sainte Mayson de Nostre Dame de Compassion, Ell' en recevra la relation, qui est toute la mesme que celle de messieurs de la Chambre des Comptes, et verra, s'il luy plait, les necessités qu'il y a d'y faire des establissemens permanens pour la faire fleurir selon la tres pieuse intention de Vostre Altesse qui l'a fondee.

  A020001226 

 Dequoy escrivant un Memoire a part, dans le paquet que j'addresse a Monseigneur le Serenissime Prince pour moins importuner Vostre Altesse, il ne me reste que de continuer mes supplications a Dieu, qu'il face de plus en plus abonder Vostre Altesse en ses saintes benedictions; qui suis a jamais et invariablement,.

  A020001241 

 Mays les moyens de remedier aux manquemens qui y sont, je les ay mis a part en un [100] feüillet que je joins a cette lettre, laquelle je finis suppliant tres humblement Vostre Altesse de ne se point lasser en la poursuite et resolution que Dieu luy a inspiree de faire au plustost reformer l'estat ecclesiastique, tant regulier que seculier, de la province de deça, estant chose tres asseuree que Dieu contreschangera ce soin de Vostre Altesse de mille et mille benedictions que luy souhaitte incessamment,.

  A020001241 

 Vostre Altesse verra par le resultat ci joint ce qui a esté treuvé bon par les sieurs de Lescheraine et Bertier et moy touchant l'estat present de la Sainte Mayson de Thonon, en la visite que, par le commandement de Son Altesse et de la Vostre, Monseigneur, j'y ay faite ces jours passés.

  A020001252 

 Mays premierement: l'eglise n'est pas entretenüe proprement, ni assortie des meubles convenables, par ce que lesditz prestres tirans un chacun son gage a part, il ny a pas dequoy fournir aux necessités communes, lesquelles ensuite sont negligees.

  A020001252 

 Quartement, le revenu de laditte Congregation n'est pas bien ramassé, parce que chascun y estant a gage particulier, nul ne fait le mesnage commun, ains donnent tout le bien a cense, et l'admodiateur gaigne une grande partie, de laquelle, par consequent, la Congregation est privee..

  A020001252 

 Tiercement, les maysons sont en mauvais estat, par ce que ladite Congregation n'en a point de soin, et ce, dautant [101] que tout le revenu d'icelle s'employe a l'entretenement des personnes et payement des gages; de sorte que l'argent de Son Altesse manquant, il ny a pas ou prendre les commodités requises aux reparations.

  A020001253 

 Et ainsy, le revenu que possedent a present les ecclesiastiques seculiers de Nostre Dame n'estant point employé en gages particuliers, ains estant mis tout en commun, il y aura dequoy faire une Congregation de beaucoup davantage de Peres, qui, mesnageant par leurs freres les biens, auront dequoy entretenir les meubles de l'eglise, les Offices et ce qui dependra d'eux, en une grande reverence et politesse: et cette partie de la Sainte Mayson, qui est la fondamentale, et laquelle paroist le moins, paroistra indubitablement le plus et edifiera infiniment.

  A020001253 

 Et dautant que les prestres qui y sont maintenant sont gens de bien, on pourra leur prouvoir d'entretenement convenable leur vie durant, estans presque tous vieux, cependant que l'on introduira les Peres de l'Oratoire petit a petit, par les moyens qui seront advisés..

  A020001253 

 L'unique remede a ces inconveniens seroit de composer cette Congregation, non de prestres a gages, mais de vrays prestres de l'Oratoire, ainsy que la Bulle fondamentale de la Sainte Mayson porte; puisque mesmement il y en a en France qui, pour la communion du langage, pourront faire convenablement la charge des ames, et qu'il y en a qui sont sujetz de Son Altesse, et que tous demeurent entierement sous-mis a la jurisdiction des Evesques, en sorte que l'Evesque de Geneve, qui sera tous-jours dependant de Son Altesse, aura l'authorité de les contenir, sans qu'il soit necessaire de recourir hors de l'Estat.

  A020001254 

 Il y a encor un defaut notable en la Sainte Mayson, car il ny a point de refuge pour les convertis, qui [102] neanmoins y doit estre selon la premiere intention pour laquelle fut erigee cett'œuvre; de sorte que mesme le sieur de Corsier, converti auquel on avoit assigné entretien, n'en a nulle sorte de commodité, et mourroit de faim si d'autres gens que ceux de la Sainte Mayson ne s'incommodoyent pour luy.

  A020001255 

 Or, a cela il ny a point de remede, sinon en faysant bien revenir les deniers de la fondation de Son Altesse, et ordonner que l'on face un establissement particulier pour ce membre de la Sainte Mayson..

  A020001266 

 Puysque j'ay occasion d'escrire a Vostre Altesse Serenissime, je la supplie tres humblement d'avoir aggreable [103] que je luy represente l'extreme besoin qu'ont les Religieuses de Cisteaux de deça les mons, et celles de Sainte Claire hors la ville de Chamberi (sujettes au General des Conventuelz surnommés, de deça, de la Grand'manche), d'estre ou reformees ou changees selon le projet ci devant envoyé a Vostre Altesse; et cela est dautant plus desirable que la plus part des Religieuses mesme le desirent et souspirent apres ce bien..

  A020001267 

 Et par aventure, Monseigneur, qu'il seroit a propos que Vostre Altesse ou Monseigneur le Prince Cardinal appellast ledit sieur President [104] pour ouïr plus de particularités sur ce sujet et sur celuy de la Sainte Mayson que les escritz n'en peuvent declarer; ce que je dis dautant plus volontier, que j'ay reconneu audit sieur de Lescheraine une grande suffisance d'esprit et beaucoup de bon zele..

  A020001267 

 J'adjousteray de plus, Monseigneur, qu'il seroit requis, pour l'establissement des PP. Chartreux a Ripaille et en l'abbaye d'Aux, que Vostre Altesse commandast et fit commander par leur General au P. D. Laurens de Saint Sixt, leur Procureur en Savoye, de se rendre aupres d'elle pour terminer ce projet ainsy qu'il est requis; car, Monseigneur, de reformer ces Religieux d'Aux qui y sont maintenant, il est impossible.

  A020001298 

 Vous baisant très humblement les mains, je souhaite que Notre-Seigneur vous donne tout vrai bonheur, et suis,.

  A020001309 

 Mon cœur ayme trop le vostre, Madame ma tres chere Cousine, ma Fille, pour ne voir pas et ne sentir pas sa douleur en cette si recente et veritablement grande perte que nous venons tous de faire.

  A020001310 

 Je prie donq Dieu, ma chere Cousine, qu'il vous soulage luy mesme de sa sainte consolation, et qu'il vous face ramentevoir, en cette occasion, de toutes les resolutions qu'il vous a jamais donnees d'acquiescer en toutes occurrences a sa tressainte volonté, et de l'estime que sa divine Majesté vous a donnee de la tressainte eternité a laquelle nous devons esperer que la chere ame de celuy de qui nous ressentons la separation est arrivee; car, helas! ma chere Cousine, nous n'avons de vie en ce monde que pour aller a celle de Paradis, a laquelle nous nous avançons de jour en jour, et ne sçavons pas quand ce sera le jour de nostre arrivee.

  A020001311 

 Ma chere Cousine, je vous escris ainsy sans art, plein de desir que vous m'aymies tous-jours, et que vous croyies que je seray toute ma vie,.

  A020001320 

 O combien tout cela est esloigné de cette pure charité, qui n'a point de jalousie ni d'emulation, et qui ne cherche point ce qui luy appartient! Ma Fille, cette prudence est opposee a ce doux repos que les enfans de Dieu doivent avoir en la Providence celeste.

  A020001321 

 Nous avons trop de considerations d'estat et trop de finesse mondaine en ces choses que Dieu fait par une speciale grace.

  A020001321 

 On diroit que l'erection des Maysons religieuses et la vocation des ames se fait par les artifices de la sagesse naturelle; et je croy, certes, que, quant aux murailles et a la charpenterie, l'artifice en peut estre naturel; mais la vocation, l'union des ames appellees, la multiplication d'icelles, ou elle est surnaturelle, ou elle ne vaut rien tout a fait.

  A020001322 

 Qu'importe il a une ame veritablement amante que le celeste Espoux soit servi par ce moyen ou par un autre? Qui ne cherche que le contentement du Bienaymé, il est content de tout ce qui le contente.

  A020001323 

 Dissimules avec amour toutes ces petites tricheries humaines, ma tres chere Fille; donnes, tant que vous pourres, l'esprit d'une veritable et tres humble generosité a nos cheres Seurs, que je salue de toute mon ame.

  A020001323 

 Servons bien Dieu, et ne disons point: Que mangerons nous? que boirons nous? d'ou nous viendront des Seurs? C'est au Maistre de la mayson d'avoir cette sollicitude, et a la Dame de nos logis de les meubler; et nos Maysons sont a Dieu et a sa sainte Mere.

  A020001336 

 Et par ce, Monseigneur, que je suys tesmoin d'une partie du soin que ledit sieur Floccard et le sieur de la Pesse ont eü pour cela, je ne fay nulle difficulté d'interceder maintenant en ce sujet, auquel il me semble que Vostre Grandeur doit tesmoigner le gré qu'elle sçait a ses serviteurs quand ilz luy ont rendu des bons services; laissant a part que la tranquillité et l'asseurance des serviteurs anime et tient en ordre les affaires, comme les mouvemens ont accoustumé de les embarasser..

  A020001336 

 J'attens de jour a autre le despart de monsieur de Varenne pour vous envoyer le certificat de l'execution fidele du vœu que Vostre Grandeur m'avoit confié pour Nostre Dame de Laurette.

  A020001336 

 Mays ce pendant, monsieur de la Pesse m'ayant communiqué la prætention qu'il a de perseverer au service qu'il a exercé ci devant en vostre Conseil de ce pays, je me sens obligé de recommander a Vostre Grandeur sa tres humble supplication, non seulement par ce qu'il est fort homme de bien, mais par ce qu'il s'est tres affectionnement employé en sa charge en un tems difficile et pour des occasions esquelles on ne pouvoit pas nier qu'il ne fallut qu'il eüt du zele et du courage; et peut on dire que sans la fermeté et la diligence [111] de monsieur le collateral Floccard son beaufrere, et la sienne, le sieur Bonfilz, qui avoit une grande industrie et un grand support, ne fut jamais venu au compte auquel l'authorité de Son Altesse l'a reduit.

  A020001337 

 Et je supplie tres humblement Vostre Grandeur de croire que je luy propose mes sentimens avec fidelité et sincerité, n'ayant aucun interest en toute cett' affaire que celuy de son service et du repos de ceux qui y sont et s'y [112] employe (sic) utilement.

  A020001353 

 Ce porteur va de la part de M. de Chalcedoine et du Chevalier, mes freres, comme aussi de la mienne, pour vous offrir nostre service en cette occasion de la perte que vous aves faite, laquelle, comme elle est extreme, aussi nous la ressentons vivement avec vous; et ne laissons pas pourtant de vous prier de soulager vostre cœur de tout vostre pouvoir, en consideration de la grace que Dieu vous a faite, et a tous ceux qui ont le bien de vous appartenir, vous ayant laissé la jouissance de ce bon pere a longues annees, ne l'ayant retiré qu'a l'aage apres lequel cette vie ne pouvoit plus guere durer sans beaucoup de peines et de travaux qui accompaignent ordinairement la viellesse..

  A020001354 

 Mais vous deves encor plus vous consoler dequoy ce bon pere a vescu toutes ses annees dedans l'honneur et [113] la vertu, en l'estime publique, en l'affection de sa parentee et de tous ceux qui le connoissoyent, et en fin dequoy il est decedé dans le sein de l'Eglise et parmi les actions de la pieté: de sorte que vous aves dequoy esperer qu'il vous assistera mesme en la vie des Bienheureux..

  A020001365 

 Hé! que je desire que nostre vie ne vive pas en nous, mais en la vie de Jesus Christ Nostre Seigneur! Et que puis je desirer de mieux pour nostre cœur?.

  A020001365 

 Je salue vostre cœur qui m'est plus pretieux que le mien propre.

  A020001366 

 Helas! il est pourtant vray que mon cœur n'a point de tort; car j'escrivis innocemment et tout a fait sans fiel, quoy qu'avec un peu de liberté et contre le sentiment de cette fille.

  A020001366 

 La haine irreconciliable que j'ay aux proces, aux contentions et aux tracas, me fit escrire ainsy..

  A020001366 

 Pour la grande fille, je luy escriray au premier jour, [114] car je voy bien que nous sommes en une sayson en laquelle il faut que les peres commencent a faire leur paix.

  A020001367 

 Je voudrois pourtant bien que cette chere fille prattiquast de son costé ce mesme enseignement, et j'espere qu'elle le fera un jour.

  A020001367 

 O que la paix est une sainte marchandise qui merite d'estre achetee cherement!.

  A020001367 

 Puisque le Reverend Pere et vous treuves bon de donner la somme que vous me marques, je l'appreuve grandement, puisque cela est plus conforme a la douceur que Nostre Seigneur enseigne a ses enfans.

  A020001368 

 L'edification que les Maysons donnent tous les jours fait foy de l'intention du Saint Esprit; car c'est merveille combien la reputation de la vie devote s'aggrandit par la communication de nos Seurs, lesquelles je voy aussi proffiter tous les jours et devenir plus affectionnees a la pureté et sainteté de vie.

  A020001369 

 Je salue toutes nos Seurs, et vous supplie de saluer tres humblement Monseigneur nostre Archevesque, que je ne puis asses dignement honnorer a mon gré despuis qu'il a esté persecuté a la façon des anciens Evesques de l'Eglise.

  A020001369 

 Je voudrois bien luy pouvoir manifester le sentiment d'honneur et de respect que j'ay pour luy..

  A020001379 

 Vous desires de voir le portrait de la tres devote madamoyselle Acarie que m'a fait avoir sa fille aisnee, Prieure [116] des Carmelines d'Orleans.

  A020001380 

 Ce fut une grande servante de Dieu, que j'ay confessee plusieurs fois et presqu'ordinairement six mois durant, et notamment en ses maladies de ce tems la.

  A020001380 

 O que je fis une grande faute de ne pas faire mon profit de sa tres-sainte conversation! car elle m'eust tres volontier communiqué toute son ame; mays l'infini respect que je luy portois me retenoit de l'enquerir.

  A020001380 

 On a imprimé sa Vie, que je receu seulement hier.

  A020001387 

 Je crains en fin, si nous demeurons ainsy sans dire mot, ma tres chere Fille, que vostre cœur n'apprenne petit a petit a me des-aymer, et certes je ne le voudrois pas, car il me semble que la chere amitié que vous aves [117] euë pour moy n'ayant pris ni peu prendre source que de la volonté de Dieu, il ne la faut pas laisser perir; et quant a celle que Dieu m'a donnee pour vostre ame, je la tiens tous-jours vive et imperissable en mon cœur..

  A020001388 

 Et je veux bien qu'il y eust de la rusticité: mais faut il se despiter pour cela? Vous sçaves bien le païs ou vous m'aves pris: deves vous attendre des fruitz delicatz d'un arbre des montaignes, et encor, d'un si pauvre arbre comme moy? Oh! bien, ne me soyes plus que ce qu'il vous plaira; moy, je seray tous-jours vostre, mais je dis tout a fait, et, si je ne puis autre chose, je ne cesseray point de le tesmoigner devant Dieu es saintz Sacrifices que j'offriray a sa Bonté..

  A020001388 

 Or sus, puisque la methode de ce tems porte que c'est au Pere de commencer et recommencer l'entretien et le sacré commerce de l'affection, dites tout ce que vous voudres, ma chere Fille, mais en effect vous aves tort.

  A020001389 

 Et croyes que mon cœur, placé au milieu des montaignes de neige et parmi la glace de mes propres infirmités, n'a point eu de froideur pour le cœur de ma tres chere Fille, que ce mien malheur me ravit, mays que j'ayme mieux perdre, pourveu que Dieu ne soit point courroucé, que de manquer en la sainte sincerité que j'ay voüee au service de son ame que je ne sçaurois flatter sans la trahir, ni trahir sans la perdre; et cette perte-la seroit mon affliction, car j'ayme cette fille, comme estant.

  A020001389 

 O ma Fille, ma Fille, Dieu veuille faire regner l'esprit de Jesus Christ crucifié sur nostre esprit, affin que nostre esprit vive selon cet esprit souverain qui m'a rendu et me conserve eternellement vostre.

  A020001400 

 Je suis grandement consolé de sçavoir que vous estes arrestee plus particulierement au service de Nostre Seigneur en la Mayson de sa tressainte Mere, en une condition que j'estime de grand proffit: J'ay choisi d'estre abject, dit le Prophete, en la mayson de mon Dieu, plus que d'habiter les tabernacles des grans, qui souvent ne sont pas si pieux..

  A020001401 

 Il n'y a rien de petit au service de Dieu, mais il m'est advis que cette charge du tour est de tres grande importance, et grandement utile a celles qui l'exercent avec humilité et consideration..

  A020001402 

 Je vous remercie de la participation que vous m'aves donnee de vostre contentement, et vous prie de saluer mesdames de Lamoignon, et, quand vous la verres, madame de Villeneuve..

  A020001411 

 Certes, vous estes grandement ma tres chere fille; or, penses donq si mon cœur n'est pas touché de tendreté sur l'apprehension que vous me tesmoignes par vostre derniere, du retour de nostre tres chere Mere de Sainte Marie en ce païs.

  A020001411 

 Oh! si Dieu avoit disposé que nous fussions tous-jours ensemble, que ce seroit une chose suave! Mais quel moyen, ma tres chere Fille? Nos montagnes gasteroyent Paris et empescheroyent le cours de la Seine si elles y estoyent, et Paris affameroit nos vallees s'il estoit parmi ces montagnes.

  A020001412 

 Je le croy bien, ma tres chere Fille, que nostre chere Seur Helene Angelique, nostre chere fondatrice, voudroit ou retenir la sa chere Mere, ou venir icy avec elle.

  A020001412 

 O que si cela estoit convenable, que volontier je desirerois de la voir un peu en ces desers! Mays il ne faut pas seulement [121] y penser.

  A020001412 

 Une chose vous puis je dire: que cette tant chere Mere differera sa venue jusques a l'extremité, quoy qu'elle soit grandement desiree et requise icy; mays nous nous promettons aussi que le tems estant venu, vous recevres doucement la separation de cette ame, laquelle ne sera pas une mort comme l'est la separation que l'ame fait de son cors, car le Saint Esprit, qui est la vie de nos cœurs, vous animera tous-jours de son saint amour, et vous tiendra de plus en plus unie a nous et nous a vous..

  A020001430 

 [Je me réjouis] infiniment du progres que Dieu donne aux justes [armes] du Roy.

  A020001442 

 Je vous connois asses, ma tres chere Seur, ma Fille, pour vous cherir de tout mon cœur en la dilection de Nostre Seigneur, qui, ayant disposé de vous pour la charge en laquelle vous estes, s'est par consequent obligé soy mesme a soy mesme de vous prester sa tressainte main en toutes les occasions de vostre office, pourveu que vous correspondies de vostre part par une sainte et tres humble, mais tres courageuse confiance en sa bonté.

  A020001457 

 A elle, s'il plaist a Dieu, j'en diray mon opinion a part; mais a vous, je le dis maintenant, me promettant que vostre bon courage le prendra en bonne part..

  A020001458 

 Il passionne l'ame, parce qu'estant une [125] passion et la maistresse des passions, il agite et trouble l'esprit; parce que c'est une perturbation, et treuvant des regles, il desregle toute l'economie de nos affections.

  A020001458 

 Or ne faut il pas croire, Madame, que l'amour des meres envers les enfans ne puisse estre de mesme; ains, il l'est d'autant plus librement qu'il semble qu'il le soit loysiblement, avec le passeport, ce semble, de l'inclination naturelle, et l'excuse de la bonté du cœur des meres..

  A020001459 

 Et en somme, je veux dire en un mot, que vous aves tant de puissance a mouvoir les cœurs, que le mien ayant sceu les traitz de vostre esprit, en estant tout espris, vous n'aves pas besoin d'estre aydee pour mouvoir celuy de madame de [Dalet] a tout ce qu'il vous plaira; m'asseurant qu'apres les forces de l'Esprit de Dieu, auquel il faut que tout cede, les vostres seront en toutes occurrences les plus grandes..

  A020001459 

 Or sus, mais si vous treuves que je die trop librement ma pensee et que j'aye tort, quel moyen y auroit il de m'excuser? Et toutefois je ne desire nullement de rien perdre de vostre bienveuillance, car je l'estime trop, et prise infiniment le cœur dont elle vient et l'esprit de son origine.

  A020001469 

 Si celuy qui doit porter ces lettres part, comm'il dit, demain de grand matin, certes, ma pauvre tres chere Mere, il n'y a pas moyen de vous envoyer les Constitutions jusques a la semaine suivante; car il faut que je les revoye, ayant des-ja, des le commencement, treuvé des fautes en l'escriture.

  A020001470 

 J'en attens tous les jours, mais les choses y vont avec tant de tardiveté, que si je me croyois moy mesme, je ferois ce que ceux qui y sont et qui entendent les affaires disent de nous, et particulierement de moy: Nous importunons a force de demander des choses que nous pouvons faire sans les demander; et neanmoins, puisque nous les demandons, il faut souffrir de ne les point avoir que sous les conditions ordinaires de ceux qui les expedient.

  A020001471 

 Je suis bien marry dequoy nostre fille a perdu son filz, et ne laisse pas pour cela d'esperer qu'elle portera plus heureusement ceux que Dieu luy donnera ci apres..

  A020001472 

 Quand il sera tems de vous envoyer un ecclesiastique pour vous accompaigner au retour, vous m'advertires, et je vous envoyeray ou M. Michel, ou M. Rolland qui a une affaire par dela, laquelle il pourroit peut estre bien faire en ce tems la, et vous serviroit bien au voyage pour tout le tems que vous desireries, puisqu'il n'est plus chanoine de Nostre Dame, ayant quitté cette place pour avoir plus de commodité de faire ce que je desire de luy; mays il ne faut encor pas faire bruit de ceci..

  A020001473 

 Nous attendons le P. [D.] Juste, pour Saint Laurent, et nous sçaurons ce que l'on devra attendre du Monastere de Turin; et en cas qu'on n'y aille pas, au moins si tost, on pourroit laisser davantage nostre grande Fille a Montferrand, ou l'employer ailleurs, sil estoit treuvé expedient..

  A020001474 

 M. de Chalcedoine m'a corrigé de ce costé la, et nous vivons avec plus de regie, mays il m'eschappe tous-jours de faire quelque faute; et bien que ce soit fort peu, neanmoins mes vielles habitudes m'estant imputees, on me compte une faute pour trois..

  A020001475 

 Ma tres chere Mere, si vous connoissies qu'il fust plus utile que vous demeurassies la encor quelque tems, quoy que mes sens y repugnent, ne laisses pas de demeurer doucement, car je me plais a gourmander cet homme [128] exterieur; et j'appelle l'homme exterieur mon esprit mesme, entant qu'il suit ses inclinations naturelles.

  A020001475 

 Or je dis cecy pour ce que vous me dites en vostre derniere lettre..

  A020001476 

 Si tost que nous aurons des nouvelles de Dijon, je vous en advertiray, et je me doute que ce soit pour une Mayson, parce que le P. Arviset, Jesuite, me dit a Lyon que cela se traittoit encor..

  A020001477 

 Dieu veuille que les habitans de Bourges le soyent aussi, et je l'espere, puisque celuy qui succede est si capable et homme de bien; mays je ne sçai si c'est le Penitentier de Bourges ou celuy de Paris.

  A020001477 

 J'ay releu vostre lettre, et je treuve que nostre M gr l'Archevesque est fort bien recompensé.

  A020001477 

 Je vous supplie, ma chere Mere, de bien cherement saluer ce cher Archevesque qui sera tous-jours mon Archevesque, nonobstant qu'il quitte son archevesché et que j'en aye un autre a Vienne..

  A020001479 

 Et [129] je me souviens tous-jours que cette fille couroit un jour si vistement a la dilection de Dieu et despouillement de soy mesme, que je suis tout estonné de voir qu'elle se soit revestue derechef d'elle mesme, et si fortement.

  A020001479 

 Je suis de l'advis du P. Binet pour nostre seur de Gouffiez, et neanmoins je voudrois bien regaigner son cœur, car il me semble qu'elle n'en treuvera pas un qui soit plus pour elle que le mien; et il n'est pas bon d'abandonner les amitiés que Dieu seul nous avoit donnees.

  A020001479 

 O pleust a Dieu que jamais elle ne fust partie d'icy! Dieu eust bien treuvé d'autres moyens d'eriger la Mayson de Moulins et de Paris.

  A020001479 

 Toutefois, je me reprens, et dis que Dieu a tout bien fait et a tout bien permis, et espere que, comme sans nous il nous avoit donné cette fille, sans nous aussi il la nous redonnera, si tel est son bon playsir.

  A020001480 

 Helas! je pensois escrire a ma tous-jours plus chere fille M me de Port Royal, et il n'y a moyen, non plus que de vous envoyer les Constitutions; ce sera au premier jour.

  A020001480 

 O que j'ay le cœur affligé sur la nouvelle du trespas de M. de Termes!.

  A020001494 

 J'attendois tous-jours que cette bonne fille vint pour vous escrire plus confidemment, ma tres chere Fille, car je sçavois qu'elle viendroit bien tost..

  A020001495 

 J'escris a M. selon vostre desir, bien content que je suis de vous pouvoir rendre quelque petit service, mesme pour vos affaires domestiques, et sur tout puisqu'elles sont utiles au bien de vostre ame pour laquelle j'ayme tout ce qui vous appartient.

  A020001495 

 O que c'est un bon affaire que de n'avoir point de proces! Je suis marri dequoy a Chamberi on ne parle quasi que de cela, et qu'on en parle si chaudement et si passionnement; et je suis consolé dequoy vous aves essayé d'accommoder celuy duquel vous m'escrives, et dequoy vous en parles avec le respect qui est deu a la partie, et dequoy monsieur vostre mary se rend si facile a lascher le sien pour l'assoupir..

  A020001496 

 Dieu soit loüé du contentement que vous aves de la suffisance qu'il vous a donnee! Et continues bien a luy en rendre graces; car c'est la vraye beatitude de cette vie temporelle et civile, de se contenter en la suffisance, parce que, qui ne se contente de cela ne se contentera jamais de rien, et, comme vostre livre dit (puisque vous l'appelles vostre livre), a qui « ce qui suffit ne suffit pas, rien ne » luy suffira jamais.

  A020001497 

 Non, il ne faut nullement revoquer en doute que les dependances de vos fautes n'ayent esté suffisamment exprimees; car tous les theologiens sont d'accord qu'il n'est nullement besoin de dire toutes les dependances ni les acheminemens du peché.

  A020001499 

 Ce qui vous estonne, c'est que vous voudries estre tout a coup telle qu'elle prescrit; et toutefois, ma tres chere Fille, cette mesme Introduction vous inculque que de composer vostre vie a ses enseignemens n'est pas la besoigne d'un jour, ains de toute nostre vie, et que nous ne nous devons nullement estonner des imperfections qui nous arrivent parmi les [132] exercices de nostre entreprise.

  A020001499 

 Ma Fille, la devotion n'est pas une piece qu'il faille avoir a force de bras: il faut voirement y travailler, mais la grande besoigne depend de la confiance en Dieu; il y faut aller bellement, quoy que soigneusement..

  A020001500 

 Il est vray, certes, que l'obeissance vous sera fort utile; et puisque vous desires que ce soit moy qui vous en impose les loix, en voyci quelques unes:.

  A020001502 

 Vous feres un acte d'humilité tous les jours, donnant la salutation du bon jour ou du bon soir a quelqu'un de vos serviteurs ou servantes, avec un acte interieur par lequel vous reconnoistres cette personne-la vostre compaigne en la redemption que Nostre Seigneur a faite pour elle..

  A020001503 

 Vous appelleres le plus souvent que vous pourres vostre servante ma mie..

  A020001518 

 J'ay bien eu d'autres bonnes pensees, mais plustost par maniere d'escoulement de cœur en l'eternité et en l'Eternel que par maniere de discours..

  A020001518 

 O mon Dieu, ma chere Mere, que j'ay esté ayse ce matin de treuver mon Dieu si grand que je ne pouvois seulement pas asses imaginer sa grandeur! mais puisque je ne le puis magnifier ni aggrandir, je veux bien, Dieu aydant, annoncer par tout sa grandeur et immensité.

  A020001519 

 Les difficultés que vous aves euës d'y aller y affermiront vostre demeure, selon la methode qu'il plait a Dieu d'employer en son service..

  A020001520 

 Je juge qu'il soit a propos que vous revenies avec une bonne resignation pour retourner la quand le service de Dieu le requerra; car il faut ainsy vivre une vie exposee au travail, puisque nous sommes enfans du travail et de la mort de nostre Sauveur.

  A020001520 

 Mais vous ne vous deves point haster; car, comme vous dites, l'hyver ne vous empeschera point vostre voyage, estant necessaire que vous arresties un peu parmi vos Filles qui sont en France..

  A020001521 

 Helas! que je deplore affectionnement cette absolue separation que cette grande fille fait de nous pour demeurer a la mercy du monde! Or neanmoins je n'en puis mais..

  A020001522 

 Mais il n'y a remede, il faut [135] souffrir que chacun parle a son gré; et pour addoucir tout, tant que nous pourrons, il faudra donq dire tout a fait l'Office de Nostre Dame, et a la fin adjouster une commemoration du jour, car a cela on n'auroit rien a dire..

  A020001522 

 Mon Dieu, que cette plainte est delicate! Les Peres de l'Oratoire font bien plus; et en Italie, plusieurs Evesques ont composé tout entierement les Offices des Saintz de leurs Eglises.

  A020001523 

 Mon solliciteur dit que l'on a tort de recourir a Rome pour les choses esquelles on s'en peut passer, et des Cardinaux l'ont dit aussi: car, disent ilz, il y a des choses qui n'ont point besoin d'estre authorisees parce qu'elles sont loysibles, lesquelles quand on veut authoriser sont examinees diversement; et le Pape est bien ayse que la coustume authorise plusieurs choses qu'il ne veut pas authoriser luy mesme, a cause des consequences.

  A020001523 

 On a obtenu a Rome la continuation du petit Office encor pour dix ans, apres les sept escheus que l'on avoit des-ja.

  A020001524 

 J'ay fait faire icy un beau plan de monastere que je vous envoyeray au premier jour; et celuy qui l'a fait est tres bon maistre, et l'a fait sur les descriptions que saint Charles a fait faire des monasteres, en s'accommodant neanmoins a l'usage de la Visitation.

  A020001525 

 J'attens M. Crichant, que je caresseray de tout mon cœur.

  A020001536 

 J'ay tous-jours conservé la vive affection que vos merites ont aquise sur moy des il y a long tems, et a laquelle vous m'aves obligé par les demonstrations d'amitié dont vous m'aves favorisé, particulierement au passage de monsieur Michel par vostre ville.

  A020001536 

 Je vous en remercie [137] donq bien humblement, et vous prie de croire que je conserveray constamment le desir que j'ay tous-jours protesté, de vous honnorer de tout mon cœur et madamoyselle vostre femme, et de vous rendre toute ma vie service, si jamais je suis si heureux que d'en avoir le moyen.

  A020001554 

 Ce papier ne vous est presenté que pour vous ramentevoir cette verité, puisque la suffisance du porteur m'excuse de vous entretenir davantage, et le peu de loysir que j'ay m'empesche de le pouvoir faire.

  A020001554 

 Je continueray toute ma vie en l'affection que Dieu m'a fait concevoir et que les faveurs receues de vostre mayson m'obligent d'avoir, pour vous honnorer avec un'invariable et extreme dilection.

  A020001555 

 Madame, je vous regarde en esprit, et quoy que tous-jours vous ayes tenu vostre cœur en Dieu, il m'est advis que maintenant il est encor plus entierement attaché a sa Bonté, n'ayant plus aucun objet avec luy, comme il n'en eut jamais sans luy, ni hors de luy.

  A020001555 

 Que bienheureuses sont les afflictions qui relevent et lancent nos affections en Celuy qui est le Pere de misericorde et le Dieu de toute consolation!.

  A020001574 

 Entre toutes les œuvres de pieté par lesquelles Vostre Altesse a signalé sa devotion envers la tressainte Vierge Mere de nostre Sauveur, il n'y en a peut estre point de plus illustre que celle de la fondation de la Sainte Mayson de Thonon; mays, pour l'affermir, il faut remedier a quelques defautz quy y sont.

  A020001574 

 Et par ce que monsieur le President de Lescheraine, qui vint sur le lieu aux festes de Pentecoste de la part de Vostre Altesse, en [139] sçait toutes les particularités, je la supplie tres humblement de l'oüir ou faire ouir sur cela, et de seconder de sa protection une si digne fondation; qui suys invariablement,.

  A020001590 

 Puysque monsieur le President de Lescheraine aura l'honneur de vous faire la reverence et qu'il fut l'autre jour a Tonon pour voir, de la part de Son Altesse, l'estat de la Sainte Mayson de Nostre Dame de Compassion, je m'asseure que Vostre Altesse desirera de sçavoir toutes les particularités des defautz qu'il y aura remarqués.

  A020001591 

 Je supplie encor Vostre Altesse Serenissime de se resouvenir de l'establissement des Prestres de l'Oratoire en l'eglise de Rumilly, en l'occasion qui se presente maintenant, que le sieur de Saunas, sujet de Son Altesse, un jeune gentilhomme des plus sçavans theologiens de son aage, y desire contribuer sa personne des-ja vouee a cette Congregation, et son prieuré de Chindrieu, et que le Curé de Rumilly, decrepite et extremement malade, est jugé a mort par les medecins qui asseurent que dans bien peu de jours il decedera..

  A020001592 

 Je supplie encor Vostre Altesse de jetter les yeux de sa bonté et de son zele sur les Monasteres de Cisteaux, de Saint Benoist et de Saint Augustin de deça les montz, ou la Regie n'est point observee, et ou elle ne peut estre restablie, ni mesme es Religions des filles ou ell'est si necessaire, sans l'execution des projetz que Vostre Altesse fit icy en cette ville, dont je luy envoyay le Memoire l'annee passee..

  A020001610 

 Je ne croy pas que monsieur le Curé de Saint Paul vous face aucune sorte d'ennuy, puisqu'il n'y a point de Religion qui porte tant de respect aux curés que la vostre, ni qui ayt tant de convenance avec l'estat ordinaire de l'Eglise..

  A020001611 

 J'ay treuvé fort bon que la Superieure puisse oster, quand bon luy semblera, les officieres, comme c'est a elle de les establir..

  A020001612 

 Je suis bien ayse aussi que vous aymies les boiteuses, les bossues, les borgnes et mesme les aveugles, pourveu qu'elles veuillent estre droittes d'intention; car elles ne laisseront pas d'etre belles et parfaites au Ciel.

  A020001620 

 Vostre lettre que M. Crichant m'a rendue m'est de grande consolation, ma tres chere Fille, estant ayse de voir que, comme je n'oublie point vostre cœur, il n'oublie pas nomplus le mien..

  A020001621 

 C'est une sorte d'obeissance grandement aggreable a Dieu, que de ne point desirer de dispense sans grande occasion.

  A020001621 

 Ce n'est pas certes moy qui ay præfigé l'aage auquel il faut que les filles soyent Religieuses, ains le sacré Concile de Trente.

  A020001621 

 Mieux vaut l'obeissance que les victimes.

  A020001623 

 Vous estes hors de necessité d'estre aydee en ces occasions, puisque Dieu vous a laissé le R. P. Suffren, et que ces Seurs de la Visitation sont [tant obligées a votre dilection.] Et puisque vous aves monté sur l'eschelle pour tapisser leur or[atoire au jour de leur entrée en leur] nouvelle mayson, elles [doivent] beaucoup faire pour [144] tapisser leur monastere de vos [bonnes affections et de celles de votre chère fille.].

  A020001639 

 Certes, vous estes bien brave, ma tres chere Fille, de sçavoir si bien escrire; mays pour vous rendre maistresse en ce mestier, il faut forcer vostre main, pour un tems, d'escrire ainsy a tous, et non seulement a moy qui, plus que tous peut estre, supporterois plus doucement vostre mauvaise escriture..

  A020001651 

 Mays avec cela, ma tres chere Fille, le Maistre et le Createur de l'amour a fait celuy qu'il m'a donné pour vous d'une façon que, le recevant, je le doy employer de toutes mes forces.

  A020001652 

 Faites en seulement souvent de ces plaintes, ma tres chere Fille, affin qu'autant de foys que vous feres semblant de ne croire pas que vous estes ma tres particulierement tres chere fille, je proteste de mon costé que vous l'estes et le seres a jamais invariablement; car j'ay un extreme playsir a repeter cette verité..

  A020001652 

 Non, non, ma Fille, n'ayes pas crainte de me surprendre, j'entens tres bien vostre langage: vos plaintes ne sont pas aigres, ce sont des douceurs d'un enfant envers son pere; si elles sont apprestees au verjus, ce n'est que pour leur donner le haut goust.

  A020001653 

 O que nostre tres chere Seur Helene Angelique est bienheureuse d'estre en cette vocation avec le bon playsir de Dieu, qui luy donne la clarté et la consolation convenable et propre a graver profondement son tressaint et pur amour en son cœur..

  A020001654 

 M. Flocard qui vouloit revenir icy a cause de sa femme, avoit rayson, car sa femme est digne d'estre aymee, puisqu'elle tasche de tout son cœur de bien aymer Dieu; et ayant sceu l'honneur que vous faites a son mari ... tous-jours privee de la presence de son mari qui est en Piemont des il y [a] 11 moys..

  A020001668 

 La peine que vous aves a vous mettre en l'orayson n'en diminuera point le prix devant Dieu, qui prefere les services qu'on luy rend parmi les contradictions, tant interieures qu'exterieures, a ceux que l'on luy fait entre les suavités; puysque luy mesme, pour nous rendre aymables a son Pere eternel, nous a reconciliés a sa Majesté en son sang, en ses travaux, en sa mort..

  A020001670 

 Demeures ainsy en paix, ma tres chere Fille, entre les bras paternelz, du soin tres amoureux que le souverain Pere celeste a et aura de vous, puisque vous estes sienne et n'estes plus vostre; car en cela ay je une suavité nompareille de me ramentevoir le jour auquel, prosternee [148] devant les pieds de sa misericorde, apres vostre confession, vous luy dediastes vostre personne et vostre vie, pour, en tout et par tout, demeurer humblement et filialement sousmise a sa tressainte volonté..

  A020001676 

 O mon Dieu, ma tres chere Fille, que cette Providence eternelle a de moyens differens de gratifier les siens! O que c'est une grande faveur quand il conserve et reserve ses gratifications pourfla vie eternelle!.

  A020001684 

 Je me confie en sa bonté qu'il vous verra de bon cœur es occurrences de vostre profit spirituel; mays puisque vous me demandes mon advis, je vous diray, ma chere Fille, que c'est un personnage grandement appliqué au service de Dieu et de son Eglise, au milieu de Paris qui est un monde ou tant de gens voudront avoir part a sa charité, que vous deves faire vostre exercice ordinaire a l'Oratoire, sous la conduite de vostre Pere ordinaire, qui est, ce me semble, le P. Menan, et de troys moys en troys moys voir ce grand Prælat pour la suavité de vostre esprit..

  A020001684 

 Je suis consolé de la consolation que vous avés dequoy Monseigneur de Belley est vostre Praelat, bien que ce soit [149] avec ma perte.

  A020001685 

 C'est un grand bonheur que ce soit en cet aage, en cette condition et en cette ville..

  A020001685 

 Ma tres chere Fille, je vous dis en toute verité que j'ay du contentement bien particulier a penser en vous, ayant conneu en vostre cœur une veritable inspiration de bien servir Nostre Seigneur par la sainte obeissance que vous deves a sa volonté.

  A020001699 

 Je viens finalement a vous, ma tres chere Mere, pour vous dire que j'ay receu trois de vos cheres lettres, et vous rens graces du soin que vous aves de m'escrire ainsy souvent; aussi est ce la plus grande consolation que j'aye en cett' espece, car vos lettres sont, en comparaison de toutes les autres, ce que m'est vostre chere ame en parangon des autres, selon qu'il a pleu a Dieu de le faire..

  A020001701 

 Le porteur, M. Crichant, que j'ayme grandement, vous dira en quel estat nous sommes en ce païs; et dans quinze jours ou troys semaines nous verrons, comme j'espere, clair en nos affaires.

  A020001702 

 Je pense, quant a moy, que non, puisque mesme M. de Damas, qui a appreuvé la premiere impression, est docteur de Paris..

  A020001704 

 En somme, si ces examinateurs et censeurs sans authorité, qui font tant de questions sur toutes choses, se peuvent donner un peu de patience, ilz verront que tout est de Dieu..

  A020001707 

 O certes, il est vray, la mort de M. de Termes m'a infiniment tourmenté le cœur; je ne puis m'empescher que je n'en sente de tems en tems des vives atteintes; mays il est bien heureux d'estre mort si chrestiennement, et pour une si juste cause..

  A020001708 

 J'ay grand' envie d'escrire a nostre Monseigneur l'Archevesque quand il sera dehors de Bourges; il me semble que Dieu l'ayme bien.

  A020001709 

 Nos Seurs d'icy sont toutes bien, et nous avons des [153] braves et douces Novices, que j'ay confessees avec les autres pour l'extraordinaire d'aoust, et je les treuve a mon gré.

  A020001710 

 Hier je receu une lettre de madame la Premiere de Bourgoigne, qui m'escrit que nos Seurs seront receues a Dijon pour la Saint Martin; si cela est, voyla une nouvelle peine pour vous.

  A020001710 

 Je n'ay point veu madame de Royssieux, ni ne sçai pas ou elle est, bien que par la lettre de madame la Premiere il semble qu'elle ne soit plus a Dijon.

  A020001710 

 Quand je sçauray ce que je pourray faire pour ma tres chere fille de Port Royal, je le feray, mays de quel cœur! C'est beaucoup que sa mere soit gaignee.

  A020001711 

 Il sembleroit bon que l'on mist es Constitutions que la Superieure puisse changer les officieres a son gré parmi l'annee, mais je n'ay pas eu le loysir de l'inserer: faites le, s'il vous plait, a l'endroit le plus convenable..

  A020001712 

 En somme, je me porte bien, mais je confesse que je suis plus accablé d'affaires que jamais.

  A020001712 

 Mon diocese m'en donne a cause de quelques accidens et d'une pretention que M. Crichant vous dira..

  A020001713 

 Il ne tiendra pas a moy que je ne soys longuement vieux..

  A020001713 

 Nous vivons de regie quant au manger, et je n'escris plus le soir, parce que mes yeux ne le peuvent pas porter, ni certes mon estomach.

  A020001725 

 Ayant treuvé icy monsieur Lachat, Curé de Vuallier, j'ay voulu employer sa bonne volonté pour vous faire tenir en main propre ces quattre motz, par lesquelz je desire vous ramentevoir l'affection que vous aves tesmoigné ci devant, de vouloir faire la Profession de Religion, qui est grandement necessaire pour le bon establissement de vostre Monastere.

  A020001725 

 Et partant, je vous prie de prendre une finale resolution du tems convenable et des personnes que vous desires qui vous y assistent; et m'en advertissant, je donneray ordre de mon costé affin que rien ne vous manque, moyennant la grace de Dieu, lequel ce pendant je prie vous combler de sa sainte grace; qui suis,.

  A020001741 

 Mays, ma Fille, tout ce que je sçai pour cela, vous le sçaves, et l'ordinaire hantise que les desplaysirs ont avec vous, vous aura rendue encor plus sçavante en l'art de bien souffrir.

  A020001741 

 Que si mon cœur sçavoit treuver quelque bon allegement pour le vostre, il le contribueroit tres affectionnement.

  A020001741 

 Tout ce tracas de peines et d'ennuys passera bien tost, ce ne sont que des momens; et puis, nous n'avons encor point respandu de sang pour Celuy qui respandit tout le sien pour nous sur la croix..

  A020001742 

 Je croy bien que la resolution que la Compaignie a pris sur cela, est en partie fondee sur l'extreme incommodité que ce leur seroit sil failloit estre si souvent au confessional, ayans tant d'autres saintes occupations; mais il faut s'accommoder a cela et tant mieux ruminer la Communion du dimanche toute la semaine suivante.

  A020001742 

 Je suis consolé de la consolation que vous prenes en la reception du tres divin Sacrement, mais je n'ay pas eu le loysir de parler au bon P. Recteur du desir que vous auries de communier plus souvent; et de plus, je n'eusse pas osé, n'estant pas la rayson que je donne la leçon a des si braves maistres.

  A020001742 

 Ma tres chere Fille, Dieu benira vostre sousmission, et supleera a la consolation que vous auries de communier plus souvent, par celle que vous aures d'avoir obei a vostre confesseur..

  A020001742 

 Si c'estoit luy seul qui retranchast les Communions, j'auroys bien eu asses de courage; mays quand c'est par l'advis de toute la Compaignie, il me suffit bien d'user de mon opinion contraire, [157] sans que je les importune contre la leur.

  A020001758 

 Je vous envoye le Memoire requis pour retirer les fruitz que, par artifice, on veut celer appartenir a la cure [158] de Rumilly, et avec cela le double de la response que Monseigneur le Prince a fait a la lettre par laquelle je luy ramentevois le desir qu'il a eu de l'introduction des RR. PP. de l'Oratoire en l'eglise de ce lieu la; et lundi prochain je luy envoyeray les Memoires qu'il demande, affin quil ne tienne pas a moy que sa commission [d'] institution ne soit bien tost executee..

  A020001772 

 Tenes, voyla donq, ma tres chere Fille, trois motz tout fin seulz, pour vous dire que mon cœur cherit le vostre et luy desire mille et mille benedictions, affin quil vive constant et consolé parmi les accidens si varians de cette vie mortelle..

  A020001773 

 Mays pries bien Dieu, ma tres chere Fille, qu'il me face la misericorde de me pardonner mes pechés, affin que je puisse un jour voir sa sainte face avec vous et nostre chere madame de Villesavin, es siecles des siecles.

  A020001789 

 Mais je ne porte point d'envie au cœur de qui que ce soit, car jamais il n'y en aura qui vous ayme et cherisse plus que le mien fait, et si je ne craignois d'offencer celuy de ma tres chere fille (dites moy son nom moderne), je dirois absolument: ni tant que le mien fait et fera a jamais..

  A020001789 

 O mon tres cher Pere, Que mes yeux portent d'envie a ceux de N. et de ce garçon mon neveu, car ilz vous verront.

  A020001790 

 Or sus, que fait elle, cette chere fille? M. N. et M. N. me firent un grand cas dequoy toute la cour de Madame, des serenissimes Princes et Princesses, furent a sa reception au novitiat; et moy, je me res-jouys en la creance que j'ay dequoy Nostre Dame, les Anges et les Saintz de Paradis y furent et l'honnorerent de leur attention, et Dieu nostre Seigneur de sa benediction..

  A020001791 

 O mon Dieu, que le monde est fascheux en ces saintes occasions!.

  A020001792 

 Au moins, mon Reverend Pere, faites bien sçavoir a la Serenissime Infante Catherine que je luy souhaite les benedictions des plus serenissimes Princesses qui furent jamais, et sur tout la perseverance aux desirs fervens d'aymer de plus en plus Jesus Christ crucifié, qui est la benediction des benedictions..

  A020001792 

 Mais dites moy, je vous prie, mon tres cher Pere, puis [161] je loysiblement oser vous supplier de faire tres humblement la reverence de ma part a nos Serenissimes Dames Infantes, ou du moins a la Serenissime Princesse Catherine? car, mon Pere, si cela est bonnement permis a mon indignité, faites le, je vous en prie de tout mon cœur, et dites leur que je les revere infiniment a cause de leur altesse, que je regarde avec toute extreme sousmission; mais que je les revere tres infiniment a rayson de la profonde humilité qu'elles prattiquent en leur serenissime altesse et grandeur.

  A020001804 

 Ce m'est un si grand honneur qu'il ayt pleu a Vostre Altesse Serenissime de commander que le filz de mon frere soit receu au nombre de ses pages, que je ne sçai comme former le tres humble remerciment que j'en doy a vostre bonté; laquelle je supplie donq, en toute reverence, d'avoir aggreable qu'en lieu de tout autre tesmoignage de reconnoissance, je benisse Dieu de la douceur et debonaireté qu'il a donné au cœur de Vostre Altesse, Madame, pour le bonheur de vos serviteurs, et que, comme je suys infiniment tres-obligé de fayre, j'invoque journellement la divine Providence pour vostre prosperité,.

  A020001820 

 Apres avoir souhaité a l'ame de feu monsieur Talon l'æternel repos que Nostre Seigneur a aquis par son sang a tous ceux qui meurent en sa grace, je souhaite a vostre cœur la tressainte consolation qu'il doit prendre en la volonté de sa divine Providence qui dispose de ses creatures en sa bonté.

  A020001820 

 Vostre bon Ange et vostre pieté vous auront des-ja suggeré les raysons pour lesquelles il faut recevoir avec tranquillité ces ordinaires evenemens de nostre commune mortalité; et pour cela, il ne me reste qu'a vous asseurer que, comme j'estimois beaucoup les bonnes qualités et l'amitié de ce cher trespassé, aussi vivray-je tous-jours avec un grand desir de vous pouvoir tesmoigner par quelque service que je suis,.

  A020001835 

 C'est la plus grande ambition, mays la plus juste que je puysse avoir, que celle d'estre conservé au service de Madame, puisque Vostre Altesse, par sa seule bonté, m'y a appellé.

  A020001835 

 Et par ce que ma charge ne me permet pas d'y rendre mon devoir par ma presence, non plus que mon insuffisance d'y estre utile, je remercie en toute humilité Vostre Altesse dequoy elle aggree que l'un des enfans de feu mon frere entre au nombre des pages de Madame, pour apprendre en son enfance les premiers elemens de ce service auquel sa naissance l'oblige de faire l'employ de toute sa vie; tenant lieu d'une marque visible que Vostre Altesse me fait lhonneur de m'advouer,.

  A020001850 

 Pries tous-jours bien devotement Nostre Seigneur pour moy qui ne cesse de vous souhaiter la suavité de son saint amour, et, en iceluy, celle de la dilection bienheureuse du prochain, que cette souveraine Majesté ayme tant..

  A020001851 

 Je m'imagine que vous estes la, en ce bel air, ou vous regardes, comme d'un saint hermitage, le monde qui est en bas, et voyes le ciel auquel vous aspires, a descouvert..

  A020001852 

 Je vous asseure, ma tres chere Fille, que je suis grandement vostre, et croy que vous faites bien de vivre totalement dans le giron de la Providence divine, hors de laquelle tout n'est qu'affliction vaine et inutile..

  A020001861 

 J'espere que cette [167] action sera benie de la main de Celuy qui ayme la promptitude des bons desseins et des bonnes executions, et qui treuva mauvaise la trop grande prudence de cet enfant qui vouloit aller ensevelir son pere avant que de se ranger tout a fait a sa suite.

  A020001865 

 Mon cœur est tout a fait dedié a celuy de madamoyselle de Verton, vostre chere seur, dans lequel j'ay veu que Dieu regne.

  A020001865 

 Playse a sa divine Majesté que ce soit a toute eternité.

  A020001874 

 Certes, je voudroys bien vous faire mention de ce que vous m'escrivites la derniere foys que vous pristes la peyne de me faire sçavoir de vos nouvelles; mays il ny a pas moyen..

  A020001891 

 Dieu sçait pourquoy il permet que tant de bons desirs ne reuscissent pas qu'avec tant de tems et tant de peyne, et que mesme quelquefois ilz ne reuscissent point tout a fait.

  A020001891 

 Quand il n'y auroit aucun autre proffit que celuy de la mortification des ames qui l'ayment, ce seroit beaucoup.

  A020001892 

 Je sçai veritablement, ma tres chere Fille, que mes lettres vous sont aggreables; car Nostre Seigneur, qui a voulu que mon ame fust toute vostre, me donne connois-sance de ce qui se passe en vostre cœur par ce que je sens dans le mien.

  A020001895 

 Et vous aves aussi esté une petite infirmiere, puisque vous aves eu tant de malades ces moys passés; et vous aves esté infirme de leur infirmité, car puisque c'estoyent mesme des personnes si cheres, comme monsieur vostre mary et vostre filz bienaymé, vous aves bien peu dire: Qui est infirme, que je ne sois infirme avec luy? Dieu soit loué, qui, par ces alternatives, nous conduit a la ferme et invariable tranquillité de l'eternel sejour..

  A020001906 

 Comme que ce soit, nous sçaurons la verité par le tems; mays ayant veu la grande indisposition de la volonté des parties, je ne puis que je ne doute qu'a l'advenir il ny ait quelque sorte de repentir.

  A020001922 

 Mais maintenant il faut que je me courrouce un peu [172] avec vous, par ce que mon neveu n'est pas habillé convenablement ni a sa qualité, ni au service auquel il est; et outre que cela luy detraque l'esprit, voyant tous ses compagnons beaucoup mieux que luy, cela est blasmé par ses amis, desquelz quelques uns m'en ont parlé avec zele.

  A020001923 

 Je vous escris ceci a la desrobbee et du cœur que vous sçaves que j'ay pour vous, ma tres chere Fille, comm'estant tout a fait.

  A020001928 

 Monseigneur le Prince treuve ce sejour beaucoup plus aggreable que celuy de Chamberi, et delibere de venir fort souvent faire des alternatives.

  A020001939 

 En fin, ma tres chere Mere, monsieur Crichant est donq arrivé, puisque, comme je voy par vostre derniere lettre, vous aves receu celles que je vous envoyois par luy.

  A020001939 

 Mais je suis marry de l'allarme que vous aves prise pour l'estat de nos affaires de deça, qui, graces a Dieu, jusques a present n'a rien d'extraordinaire, sinon que ceux de Geneve, s'estant mis en extreme defiance, font contenance de se preparer a la guerre; mais on ne croid pas pourtant qu'ilz veuillent commencer, puisque s'ilz l'entreprenoyent sans le commandement du Roy, ilz seroyent tout a fait ruynés, et l'on ne peut se persuader que Sa Majesté les veuille porter a ce dessein: de sorte que nous [174] dormons les nuitz entieres, et fort doucement, sous la protection de Dieu..

  A020001940 

 Elle nous a dit tout ce qui s'est passé a Dijon, ou il sera a propos que vous arresties deux ou trois moys pour appaiser ces messieurs du party contraire, qu'il faut combattre et abbattre par la douceur et l'humilité; encor qu'a mon advis nous ayons l'advantage, puisque monsieur le Duc et madame la Duchesse de Bellegarde, madame de [175] Termes et la pluspart du Parlement est pour nous, et particulierement Monsieur l'Evesque de Langres, qui a le zele, la prudence et l'authorité apostolique en ce païs la, et qu'outre cela nous aurons l'assistance de Monseigneur nostre bon Archevesque..

  A020001940 

 Nous avons veu madame de Royssieu, qui n'eut loysir de demeurer icy que deux jours.

  A020001941 

 Madame de Royssieu m'a dit que monsieur le premier President avoit quelque amertume contre moy a [176] rayson de ce qui s'est passé de la part de monsieur de Sauzea; en quoy, sil est vray, il a un tort tres grand, car non seulement je n'envoyay pas monsieur de Sauzea au Puis d'Orbe, mais, avec toute la dexterité qui me fut possible, je m'essayay de divertir la poursuite que l'on faisoit pour l'y attirer, comme sachant bien que son courage estoit trop fort et trop verd pour la conduite d'une telle Mayson que je voyois devoir estre conduite doucement et avec respect.

  A020001941 

 Mais, ma tres chere Mere, je vous supplie de ne point parler de ceci, si vous ne voyes tout a fait qu'il en soit tems; et je croy que son cœur se laissera gaigner par la verité, puisque mesme, comme m'asseure madame de Royssieu, madame la premiere Presidente est toute portee a nous favoriser, comm'aussi elle me l'a tesmoigné par une sienne lettre, et que la bonté et sincerité de son cœur me le fait croire fermement..

  A020001942 

 Nos Seurs de Grenoble, avec leur Pere spirituel, monsieur d'Aouste, qui est un grand serviteur de Dieu, desirent que l'on face imprimer le Formulaire de la reception des Prætendantes au novitiat et des Novices a la profession avec les Regles et les Constitutions; mais je croy pourtant que cela doit estre en deux petitz volumes, et que le Formulaire des receptions soit en lettre asses grosse pour estre leüe aysement..

  A020001943 

 J'ay grandement regretté la mort du bon monsieur le Conte de Fiesque, que j'honnorois certes avec amour des il y a tantost vingt ans que j'eu le bien de le voir a Paris; a quoy il m'avoit mesme obligé a ce dernier voyage, quiil me fit la faveur de me voir de si bon cœur chez les Peres de l'Oratoire.

  A020001943 

 Je me suis imaginé en cett'occasion la les douleurs du cœur de madame la Contesse sa chere femme, et n'ay peu contenir le mien d'en recevoir de la tendreté, bien que j'aye eu confiance en Dieu, a qui ell'est, qu'il la tiendrait de sa main paternelle en la tranquillité et resignation qu'il a accoustumé de donner a ses enfans bien-aymés quand ilz sont affligés.

  A020001943 

 Je ne me resouviens pas d'avoir jamais veu cette dame qu'une fois chez madame de Guise, ou je ne luy parlay presque point, et un'autre fois chez monsieur de Montelon, ou je l'entretins environ une heure; mais je confesse la verité, que je treuvay son ame tellement a mon gré, que je ne puis ne la cherir pas et ne l'estimer pas autant qu'il m'est possible; et je luy escrirois fort volontier pour le luy tesmoigner, si ce n'estoit la pensee que j'ay que vous feres aussi bien cest office pour moy comme moy mesme, puisque vous connoisses mon cœur comme le vostre, lequel je vous prie de luy offrir avec mon tres humble service.

  A020001944 

 Et a ce propos, ma tres chere Mere, je ne fay nulle difficulté que les Evesques et, en leur absence, les Peres spirituelz des Maysons de la Visitation, ne puissent, ains ne doivent charitablement faire entrer les dames en telles occurrences, sans quil soit besoin quelconque que cela soit [178] declaré dans les Constitutions, par la douce et legitime interpretation de l'article du Concile de Trente qui est mis en la Constitution De la Clausure, car on le pratique bien ainsy en Italie et par tout le monde, mesme pour des moindres occasions: car je vous laisse a penser, si l'on fait bien entrer des jardiniers, des jardinieres, non seulement pour l'ageancement necessaire des jardins, mais aussi pour les embellissemens non necessaires, ains seulement utiles a la recreation, comme sont les berceaux, les palissades, les parterres, les entrees de telles gens estant jugees necessaires non par ce que ce quilz font soit necessaire, ains seulement par ce que ces gens la sont necessairement requis pour faire telle besoigne, si nous ne pourrons pas justement estimer l'entree des dames desolees par quelque evenement inopiné estre necessaire, quand elles ne peuvent pas aysement treuver hors du monastere les soulagemens et consolations si convenables.

  A020001945 

 Je vous ay des-ja escrit que vous prenies la peine de voir si rien aura esté oublié es Constitutions, affin que vous le facies adjouster; car je ne puis jamais gaigner tant de loysir que tout ce que je fay ne se ressente de mon tracas, et me semble quil va tous les jours croissant..

  A020001946 

 Vous pourres bien, ma tres chere Mere, complaire a madamoyselle la Princesse de Montpensier en ce qui [179] regarde l'addition des commemoraisons des Saintz qui occurrent, et, de Paris, porter cet usage es Monasteres dans lesquelz vous passeres venant a Dijon, et de Dijon icy; m'estant advis que la grande pieté et vertu de cette grande Princesse merite que l'on reçoive ses desirs comme quelque sorte d'inspiration..

  A020001947 

 Mais maintenant il me fait prier de vous ramentevoir le desir que je vous avois tesmoigné pour la consolation de cette fille et de ses parens; qui me fait croire qu'il y a eu quelque changement en cest affaire, ou bien, qu'a la façon de la court, il desire mon remerciement pour engager davantage celle a qui il sera fait; mais, comme que ce soit, en tout ce qui se pourra bien et legitimement passer, je le vous recommande comme mon bon et ancien ami..

  A020001947 

 Monsieur Duret, qui vous presenta sa petite niece tandis que nous estions la, m'avoit, il y a quelques mois, prié de vous remercier avec luy de la reception de cette fille.

  A020001948 

 M. Crichant m'a dit que nostre tres chere et tres bonne madame de Villesavin avoit une de mes lettres qu'elle [180] aymoit bien fort; et par ce que je crois que ce soit celle par laquelle je luy envoyois l' Exercice du matin et de la reunion a Dieu, que j'escrivis avec une grande affection, je vous prie de luy en demander une copie dextrement, comme de vous mesme; m'estant advis que l'affection que je porte a cett'ame me fit exprimer mieux qu'a mon ordinaire..

  A020001951 

 Je fay responce au R. P. Binet, apres que vous l'aures veüe, je vous prie de la luy faire recevoir cachettee.

  A020001951 

 Quant au bon monsieur du Val, je crois que sil eut esté en [181] ma place il eust fait comme moy, qui, encor a present, ne me puis resoudre que comme j'ay fait, estimant de ne pouvoir nommer un meilleur arbitre en l'affaire dont il s'agit que le Pape, lequel accordant la demande de Port Royal, tesmoignera suffisamment de la volonté de Dieu, et speciale, puisque il s'agit d'un point ou il y a beaucoup de difficulté..

  A020001952 

 C'est pourquoy je vous supplie de vous servir en cette occasion de vostre propre jugement; car, comme vous dites, il se pourroit bien faire que les affaires de Dijon vous donneroyent asses de loysir pour estre encor a Paris au mois de fevrier, attendu mesme qu'aussi tost que j'auray l'asseurance de cest affaire et que je sçauray comm'elle se devra conduire, j'escriray a nostre grande Fille de Monferrand affin qu'elle aille vous attendre la, et parmi tout cela il se passera fort aysement deux ou troys moys..

  A020001952 

 M me de Villeneuve ne m'escrit nullement de l'affaire de nostre chere Seur Helene Angelique, ni de rien qui en approche; mais M. Crichant m'escrit bien que monsieur et madamoyselle d'Interville desireroyent extremement que vous fussies presente a la Profession de cette tres chere fille, a la consolation de laquelle je ne sçay ce que je ne voudrois pas contribuer.

  A020001952 

 Or, pour toutes telles affaires, il me semble que vous pouves vous resoudre plus aysement que je ne sçaurois faire icy, puisque ce que vous voyes sur les lieux mesmes vous donne meilleure instruction que je n'en sçaurois prendre.

  A020001964 

 Avec mille actions de graces de la peine que vous aves prise a m'escrire, je vous diray pour response, qu'estant [183] a Paris, je ne voulus jamais acquiescer au desir que Madame de Port Royal me tesmoigna de se retirer de l'Ordreauquel elleavoit si utilement vescu jusques alhors, et veritablement, je n'apportay en ce païs non pas mesme aucune cogitation de cela; mais, coup sur coup, je receu par lettres force bonnes remonstrances par lesquelles elle m'excitoit a treuver bonnes ses pensees et appreuver ses souhaitz.

  A020001964 

 Je gauchis tant que je peus et ne me tesmoignay seulement froid, mais tout a fait contraire a ses propositions; jusques a ce qu'apres dixhuit moys, une personne de grande consideration m'escrivit en sorte que je jugeay convenable de ne point faire le juge souverain en cette occasion, ains de laisser la decision finale a l'evenement.

  A020001964 

 Je m'abstins donq de la conseiller, et luy escrivis que, puisque son cœur ne treuvoit pas du repos en tout ce que je luy avois dit et escrit, elle pourroit faire faire la sollicitation de ce qu'elle desiroit.

  A020001964 

 Que si Sa Sainteté luy en faisoit la concession, il y auroit une tres probable apparence que son desir est de la volonté de Dieu, attendu que la chose estant de soy mesme difficile, elle ne pourroit reuscir sans un special concours de la faveur divine; que si, au contraire, Sa Sainteté l'esconduisoit, il n'y auroit plus autre occasion de faire autre chose que de s'humilier et appayser son cœur.

  A020001965 

 Je voyois bien que cette prætention estoit extraordinaire, mais je voyois aussi un cœur extraordinaire; je voyois bien l'inclination de ce cœur a commander, mais [184] je voyois que c'estoit pour ruiner cett' inclination qu'elle vouloit se lier a l'obeissance; je voyois bien que c'estoit une fille, mais je voyois qu'elle avoit esté plus que fille a commander et gouverner, et qu'elle le pourroit bien estre a bien obeir..

  A020001966 

 Je confesse bien que j'ay une particuliere dilection pour l'Institut de la Visitation; mais madame de Chantal, vostre chere fille et la mienne, vous dira que pour cela je ne voudrois pas avoir fourvoyé la plus excellente creature du monde et la plus accreditee, de sa juste vocation, encor qu'elle deut devenir sainte canonizee en la Visitation.

  A020001966 

 Pour l'interest de la Visitation, certes, mon Reverend Pere, je proteste devant Dieu et devant Vostre Reverence que je n'y pensay nullement, ou si j'y pensay, ce fut si peu que je n'en ay nulle memoire.

  A020001967 

 Mon Dieu, mon Pere, que nostre ancienne amitié me fait extraordinairement apprivoiser et espancher mon ame avec la vostre! C'est trop.

  A020001987 

 Je ne separeray point ceux que Dieu a si saintement conjoint.

  A020002003 

 Mille et mille benedictions a Dieu, dequoy en fin, Monsieur mon tres cher Frere et Madame ma tout a fait tres chere Seur ma Fille, vous voyla exemptz de ces fascheux proces, par lesquelz, comme parmi des espines, Dieu a voulu que les commencemens de vostre heureux mariage se soyent passés.

  A020002004 

 Or sus, bien que vostre grossesse vous incommode un peu sensiblement tous deux, ma fille qui la sent, et mon tres cher frere qui la ressent, il me semble toutefois que je vous voy tous deux avec deux cœurs si contens et si courageux a bien servir Dieu, que ce mal mesme que vous sentes et ressentes vous console; comme marque que, n'ayant pas exemption entiere de toute affliction en ce monde, vostre parfaite felicite vous est reservee au Ciel, ou je m'asseure que vous aves vos principales pretentions..

  A020002005 

 O ma tres chere Seur, perseveres a bien lier mon tres cher frere a vostre cœur, car, puisque Dieu vous a donnés l'un a l'autre, soyes donq bien tous-jours comme cela; et croyes bien tous deux que je suis, de l'un et de l'autre, mon tres cher Frere et ma tres chere Fille ma Seur,.

  A020002021 

 J'espere que Dieu les protegera affin qu'elles puissent faire là une heureuse succession de ses servantes..

  A020002021 

 Je ne manqueray pas de respondre a tous les articles que vous m'aves envoyé, au premier loysir que j'en auray, vous remerciant tres humblement des bonnes nouvelles que vous m'envoyes des Seurs de Valence, ausquelles je souhaitte toute sainte consolation.

  A020002021 

 Mais j'eusse bien desiré de sçavoir quelque particularité de la petite fondatrice, qui semble avoir si peu de force et de santé corporelle pour resister a ce mauvais aïr que l'on dit estre en ce païs là præsentement.

  A020002022 

 Je voudrois bien pouvoir donner quelque consolation au cœur de la mere de ceste pauvre malade que vous aves; mais je pense que si elle releve un peu son attention a la vie æternelle, elle moderera aysement l'apprehension que la nature luy peut avoir donné de [189] l'accident de sa fille, lequel me semble bien peu considerable, puisqu'il ne nuit point au salut, ains souventefois l'asseure daventage..

  A020002023 

 Et pour le point duquel vous m'escrives, de la reception au voyle noir de ceste Novice, il me semble que vous deves humblement et respectueusement accepter la permission que monsieur de Saint Nizier vous donne, puisque, comme vous m'escrives, la chose a esté arrestee du temps de monsieur l'Abbé de Mauzac; sinon que l'occasion se presentast de procurer que Monseigneur l'Archevesque en escrivist ou a monsieur de Saint Nizier ou a vous, lequel M. de Saint Nizier, peut estre, ne veut pas assister cest'action seulement en consideration de ce qu'elle n'a pas esté arrestee de son temps.

  A020002039 

 Il y a, ce me semble, bien environ mille ans que je ne reçois point de vos lettres, non plus que vous des miennes..

  A020002040 

 C'est que l'on va fonder a Dijon, ville de telle importance que vous sçaves.

  A020002040 

 Or je ne vous plains pas, car c'est un grand bien de travailler beaucoup pour Dieu; mais je plains nostre tres chere madame de Dalet, qui peut estre en souffrira dans son cœur, et je la cheris et honnore si fort, que cela me fait bien de l'apprehension.

  A020002040 

 Toutefois, ell'est toute a Dieu, et je m'asseure qu'elle preferera son service a la consolation que vostre presence luy peut donner.

  A020002062 

 Je vous remercie du soin qu'il vous a pleu de prendre pour me faire avoir des lettres que les Seurs de la Visitation vous ont addressees, comme encor de la varieté des nouvelles du monde, que je prie Dieu de nous vouloir donner de jour en jour meilleures, pour la prosperité du Christianisme, et en particulier pour celle du Roy et du royaume..

  A020002063 

 Je sçai que ce jeune garçon, estant de ce païs et asses [192] bien conditionné, treuvera en vous une affection charitable pour, s'il se rencontre, estre logé a quelque service.

  A020002063 

 Mais ses amis et parens ayant desiré que je vous le recommandasse, je le fay volontier, avec esperance que vous ne le prendres pas a importunité, puisque cette mienne recommandation, comme toutes les miennes, se fait tous-jours avec la condition et reserve que vous n'en ayes aucune incommodité..

  A020002075 

 Selon vostre lettre, ma tres chere Fille, du 14 e novembre, nous avions des-ja pensé de choisir icy une Superieure pour Valence; mais Dieu soit loué dequoy pour maintenant vous n'en aures pas besoin, puisque par sa [193] misericorde celle qui y est est hors de danger, ainsy que vous nous escrives du 19 de ce mesme moys; et je suis grandement consolé de ce que vous me dites, qu'elle et ses compaignes sont si bien disposees a souffrir pour Nostre Seigneur, qui ne leur aura pas donné ce courage qu'avec plusieurs autres vertus.

  A020002076 

 J'ay certes grande compassion du cœur de la mere de vostre malade; car, combien qu'en verité cet accident de la fille soit honnorable devant Dieu et ses Anges, et par consequent doive estre souffert avec amour et douceur, si est ce neanmoins que je sçay combien les cœurs des meres sont tendres et sujetz a s'inquieter en des pareilles occasions esquelles, selon les yeux vulgaires des hommes, il y a quelque sorte d'abjection; et c'est l'abjection des maux qui mortifie principalement l'esprit du sexe.

  A020002076 

 Que si j'ay du loysir, j'escriray quatre motz a cette bonne mere..

  A020002077 

 Les verités de la foy sont quelquefois aggreables a [194] l'esprit humain, non pas seulement parce que Dieu les a revelees par sa parole et proposees par son Eglise, mais parce qu'elles reviennent a nostre goust, et que nous les penetrons bien, nous les entendons facilement, et sont conformes a nos inclination s. Comme, par exemple: qu'il y ayt un Paradis apres cette vie mortelle, c'est une verité de la foy que plusieurs treuvent bien a leur gré, parce qu'elle est douce et desirable; que Dieu soit misericordieux, la pluspart du monde le treuve fort bon et le croit aysement, parce que la philosophie mesme nous l'enseigne: cela est conforme a nostre goust et a nostre desir.

  A020002078 

 Et maintenant, je dis premierement: que la foy nue et simple est celle la par laquelle nous croyons les verités de la foy sans consideration d'aucune douceur, suavité et consolation que nous ayons en icelles, par le seul acquiescement que nostre esprit fait a l'authorité de la parole de Dieu et de la proposition de l'Eglise; et ainsy nous ne croyons pas moins les verités effroyables que les verités douces et aymables.

  A020002079 

 Et cette foy ainsy nue et simple est celle que les Saintz ont prattiquee et pratiquent parmi les sterilités, aridités, degoustz et tenebres..

  A020002079 

 Et cette foy la est veritablement nue, car elle est destituee de toute imagination; et elle est parfaitement simple, parce qu'elle n'est point meslee d'aucune sorte d'actions que de celle de nostre entendement, lequel, purement et simplement, embrasse ces verités sur le seul gage de la parole de Dieu.

  A020002079 

 Il y en a des autres lesquelles nous ne pouvons nullement apprehender par imagination: comme la verité de la tressainte Trinité, l'eternité, la presence du cors de Nostre Seigneur au tressaint Sacrement de l'Eucharistie; car toutes ces verités sont veritables d'une façon qui est inconcevable a nostre imagination, d'autant que nous ne sçavons imaginer comme cela peut estre, mais [195] neanmoins nostre entendement le croit tres fermement et simplement, sur la seule asseurance qu'il prend en la parole de Dieu.

  A020002079 

 Secondement, il y a des verités de la foy lesquelles nous pouvons apprehender par l'imagination: comme, que Nostre Seigneur soit né en la cresche de Bethleem, qu'il ayt esté porté en Egypte, qu'il ayt esté crucifié, qu'il soit monté au Ciel.

  A020002080 

 Vivre en verité et non point en mensonge, c'est faire une vie totalement conforme a la foy nue et simple, selon les operations de la grace et non selon les operations de la nature; parce que nostre imagination, nos sens, nostre sentiment, nostre goust, nos consolations, nos discours peuvent estre trompés et errans.

  A020002089 

 Et bien quil n'ayt encor fait que six ou sept sermons, si est ce quil est capable de prescher devant les Roys et les peuples egalement, et ce qui me plait, c'est qu'il presche devotement.

  A020002089 

 Je vous escris courtement, ma tres chere Fille, et vous remercie de vostre lettre que j'ay receue hier matin, suivant laquelle je vous diray que si vous n'aves point de predicateur pour ce Caresme, j'en fourniray un des plus braves et bons que vous puissies desirer, qui prescha hier a la Visitation et preschera un de ces jours devant ce peuple.

  A020002089 

 Si donq monsieur Billet le treuve a propos, il pourra en parler selon sa prudence avec Messieurs de la ville; et soudain que je sçauray ce qui sera resolu, je l'arresteray tout a fait, car des hier je luy en parlay..

  A020002090 

 Je parleray a M. Faber pour faire faire l'adjournement de ce bon prestre, heritier de M. Viret, et reparleray de vostre bonne volonté a la premiere rencontre que je feray de ceux qui vous blasment des dismes..

  A020002105 

 Je loüe Dieu dequoy Vostre Altesse persevere au dessein de la restauration de la discipline ecclesiastique en ce païs, asseuré que je suys qu'a mesure que le zele de Vostre Altesse fera croistre en ses Estatz la gloire de la [198] divine Majesté, vostre coronne, Monseigneur, fleurira de plus en plus.

  A020002119 

 A Monseigneur le Serenissime Prince Thomas, affin que les gens de Son Altesse tenans le Senat et la Chambre, entant qu'il fut besoin, portent et favorisent cett' affaire..

  A020002120 

 Brevet en faveur desditz Peres de l'Oratoire pour l'union du prieuré de Chindrieu et de celuy de l'Aumosne, pres Rumilly, et de celuy de Sainte Agathe [199] de la ville de Rumilly, a la Congregation dudit Oratoire establie en l'eglise d'iceluy Rumilly: qui tous trois les ditz prieurés ne valent que cinq cens ducatons, ou environ, de revenuz..

  A020002132 

 Et de plus encor, il se treuve des-ja des tres bons ecclesiastiques du pays qui n'attendent que leur venue a Rumilly pour s'associer a eux et se ranger a la Congregation..

  A020002132 

 Il n'est pas croyable combien de peine cette petite trouppe ainsy composee m'a donné de peine (sic) des 20 ans en ça, a cause des continuelz proces et altercatz que les uns ont eu perpetuellement les uns (sic) avec les autres, avec un extreme scandale du peuple.

  A020002133 

 Au reste, monsieur de Saunaz est filz de monsieur de Saunaz qui fut pendu a Geneve pour le service de Son Altesse, lors de l'Escalade, et va achever a ces festes de Noël son noviciat en la mesme Congregation, et meurt de desir que son prieuré de Chindrieu soit uni a l'eglise [201] de Rumilly pour ce bon œuvre.

  A020002134 

 Comm' aussi, le prieuré de Chindrieu depend de Cluni, et bien que le Prieur moderne n'ayt pas esté institué de la part de monsieur de Cluni, ça esté par une grace speciale que fit le Pape Clement a ce jeune gentilhomme, qui estoit lors un enfant, a ma remonstrance et supplication, en consideration de la mort du pere qui mourut a moytié martir dans Geneve; en faveur dequoy Sa Sainteté se contenta de donner ce morceau de pain en commende, pour cette fois tant seulement..

  A020002134 

 Et ce qui est grandement a noter, c'est que le prieuré de Rumilly depend de Nantua qui en prouvoit, et Nantua est hors de l'Estat de Son Altesse, et encor, ledit Nantua a le droit de presenter le curé.

  A020002135 

 Or, Monsieur, je vous escritz ainsy au long toutes ces particularités affin que vous voyiés que cette introduction des Peres de l'Oratoire sera non seulement utile au service de la gloire de Dieu et des ames, mays encor selon le service de Son Altesse Serenissime et l'utilité de nostre patrie; qui me fait d'autant plus hardiment vous supplier de nous procurer au plus tost les expeditions que je demande, puis que je n'ay plus presque que deux moys de loysir pour disposer de la cure de Rumilly, apres lesquelz la provision tumbera es mains du Pape..

  A020002148 

 Hé certes, ma tres chere Fille, si je ne regardois qu'a ma conscience, cette journee me seroit de grande confusion et digne de vos larmes, plustost que de vostre congratulation.

  A020002148 

 Mais Dieu est bon, il void la grandeur de ma charge et la vanité de mes forces; c'est pourquoy je dis comme saint Ambroyse: Je ne crains pas d'une crainte qui oste le courage, par ce que j'ay un bon Maistre..

  A020002149 

 La tres glorieuse Vierge, nostre tres bonteuse Dame et tres pitoyable Mere, nous veuille combler de son saint amour, affin que vous et moy ensemblement, qui avons eu le bonheur d'estre appellés et embarqués sous sa protection et en son nom, fassions saintement nostre navigation en humble pureté et simplicité, affin qu'un jour nous nous treuvions au port de salut qui est le Paradis, pour louer et benir eternellement son Filz nostre Redempteur.

  A020002156 

 Je compatis infiniment a cette bonne dame; elle n'est que de trop bon naturel, ou du moins, son bon naturel n'est pas asses dompté par le surnaturel en elle.

  A020002157 

 Puisque vous voyla montee en vostre nouvelle Mayson, j'ay confiance en Dieu que vous dites: Ah! mon ame, vole au mont comme un passereau.

  A020002157 

 Que vous importe il si vostre cœur reçoit des atteintes des apprehensions anciennes du temporel? Mocques vous de ces apprehensions, et demeures ferme sur la parole de nostre Maistre: Cherches premierement le regne de Dieu et sa justice, et toutes les choses necessaires a cette chetifve vie vous seront adjoustees.

  A020002158 

 Qu'appelles vous grand esprit, ma tres chere Fille, et [204] petit esprit? Il n'y a point de grand esprit que celuy de Dieu, qui est si bon qu'il habite volontier es petitz espritz; il ayme les espritz des petitz enfans, et en dispose a son gré, mieux que des vieux espritz.

  A020002158 

 Si la fille du procureur dont vous m'escrives est douce, maniable, innocente et pure, ainsy que vous le dites, mon Dieu, gardes vous en bien de la renvoyer; car, sur qui habite l'Esprit du Seigneur, sinon sur les pauvres et innocens qui ayment et craignent sa parole? Icy, nous avons des filles du voyle noir, Associees, qui font tres bien: mais qu'importe il que celle ci soit Associee, jusques a ce qu'elle soit capable du chœur? C'est pour des telles filles que ce rang de Seurs a esté mis es Constitutions..

  A020002170 

 Il ne faudroit pas vous avoir au milieu de mon cœur, ma tres chere Fille, pour ne pas avoir avec vous part a vos afflictions; mays il est tout vray, qu'estant ce que je vous suis, et a vostre mayson, je compatis grandement a toutes vos afflictions, et de madame de la Baume, vostre seur.

  A020002170 

 Mays, ma tres chere Fille, il me semble que vous estes un peu plus susceptible des consolations que cette chere seur; c'est pourquoy je vous dis que nous avons tort si nous regardons nos parens, nos amis, nos satisfactions et contentemens comme choses sur lesquelles nous puissions establir nos cœurs.

  A020002171 

 Je suis pressé, ma tres chere Fille, et ne me reste de loysir que pour vous dire que je suis a jamays tout vostre et.

  A020002187 

 L'une et l'autre pensee est bonne, ma tres chere Fille: puisque vous aves tout donné a Dieu, vous ne deves rien chercher en vous que luy, qui est sans doute, luy mesme, le contreschange du mauvais petit tout que vous luy aves donné.

  A020002188 

 Et c'est bien fait de penser toutefois que vostre sterilité vient de vostre defaut, sans neanmoins vous amuser a rechercher quel est ce defaut; car cela vous fera marcher en humilité.

  A020002188 

 Penses vous, ma tres chere Fille, que Sara, Rebecca, Rachel, Anne mere de Samuel, sainte Anne mere de Nostre Dame, et sainte Elizabeth, fussent moins aggreables a Dieu quand elles estoyent steriles que quand elles furent fertilisees? Il faut aller fidelement au chemin de Nostre Seigneur, et demeurer en paix autant en l'hiver de la sterilité qu'en l'automne de la fertilité.

  A020002201 

 Comme cacheroit on le feu? Je ne puis non plus celer l'extreme affection que j'ay au milieu de mon cœur a vous honnorer de toute ma force; et chacun croid que, reciproquement, j'aye le bonheur d'estre grandement aymé [208] de vostre bonté, et sur cela, comme vous voyes souvent, on recourt a mon intercession es occurrences esquelles on recherche vostre faveur..

  A020002202 

 Et j'allegue cet argument ainsy a la bonne foy, affin de dire encor une des raysons pour lesquelles je doy cooperer aupres de Vostre Paternité pour le bien et la consolation de cett' ame, puis que mesme je me prometz d'estre advoüé de vostre debonaireté tel que je suis et que l'on me croid,.

  A020002202 

 Ilz vous supplieront, mon tres Reverend Pere, de les gratifier de vostre authorité, requise pour cela; et puis qu'ilz le souhaitent, j'implore avec eux vostre charité, ce que je fay d'autant plus volontier, que si je puys prendre connoissance des qualités de cette fille par celles de son aysnee qui est ma belleseur, elle sera vertueuse et bonne servante de Dieu.

  A020002218 

 C'est bien une lettre d'empressement, car veritablement je ny puis mettre sinon que nous sommes icy tous en tres bonne santé, et moy particulierement, avec bonne esperance de vous revoir de mesme quand Dieu nous donnera la consolation de vostre retour, pour lequel je vous envoyeray ou M. Roland ou M. Michel pour le tems que vous m'advertirés, que vous marqueres a vostre gré, selon que le service de Dieu vous semblera le requerir..

  A020002219 

 Helas! que la pauvre madame de Gouffier est bien morte a l'improuvëu, et que j'en ay esté touché! Vous m'avies escrit qu'elle estoit hors de danger et pleyne d'un estreme desir d'estre retiree dans vostre Mayson, et j'en avois esté consolé.

  A020002220 

 J'ay esté averti ce soir du*depart de ce porteur, beaufrere de la petite Seur Jane Marguerite, que Dieu absolve.

  A020002220 

 Je vous escris tout a fait a la desrobee et si tard, que je vous voy, [210] ce me semble, me dire: Retires vous.

  A020002230 

 Je l'eusse pourtant fait de bon cœur, pour vous entretenir toutes de quelques considerations sur le saint mystere que nous celebrons; [211] mais, ma chere Fille, rien ne vous manquera, puisque vous seres en la presence de cet Enfant sacré duquel vous tiendres l'idee en vostre memoire et imagination, comme si vous le voyies naistre dans sa pauvre petite cresche de Bethlehem..

  A020002231 

 Certes, qui accouche du Filz de Dieu n'a que faire de mendier du monde des consolations exterieures.

  A020002231 

 Mon Dieu, que cette naissance fait naistre de saintes affections dedans nos cœurs! ains sur tout de la parfaitte abnegation des biens, des pompes, des soulas de ce monde.

  A020002231 

 Sainte Paule ayma mieux aussi vivre hospitaliere en Bethlehem que de demeurer riche dame a Rome, luy estant advis que jour et nuit elle oyoit en son cher hospital les cris enfantins du Sauveur en la cresche, ou, comme parloit saint François, du cher « Enfant de Bethlehem, » qui l'incitoit au mespris des grandeurs et affections mondaines et l'appelloit au tressaint amour de l'abjection..

  A020002232 

 Ce cher petit Sauveur le sçait bien, ma tres chere Fille, que des ce matin mon cœur crie et reclame JESUS pour le vostre.

  A020002232 

 Ouy, tres doux Jesus, bausme pretieux, qui donnes toute suavité aux Anges, aux hommes, entres, possedes l'ame de cette chere fille; qu'elle jouisse pleinement de ces affections, affin que l'odeur de ce Nom parfumé rejaillisse en toutes ses actions..

  A020002233 

 Helas! ma Fille, vous m'estes toute chere, parce que vous n'aves rien de cher que Jesus et, qu'en luy et par luy, je sçai bien que je vous suis bien cher.

  A020002233 

 Que je le sois donq encor plus cette annee; mais sur tout, que Jesus le soit de plus en plus jusques a la tressainte eternité.

  A020002242 

 Ce n'a rien esté ou presque rien, ce petit mespris que l'on m'a fait; et je dis de bon cœur: Domine, ne statuas illis hoc peccatum; et j'adjousterois volontier, si j'osois: quia nesciunt quid faciunt..

  A020002243 

 Nous avons icy nostre Monseigneur de Chalcedoine, lequel, ou je suis trompé, ou il reparera beaucoup de fautes que j'ay faites en ma charge, ou je confesse que j'ay failli en tout, ormis en l'affection; mais ce frere est d'un esprit zelé, et, ce me semble, brave homme pour reparer mon meschef..

  A020002244 

 Je suis bien ayse que nos Filles de Sainte Marie soyent [213] en leur monastere; ce ne sera pas un petit attrait a plusieurs ames pour se retirer du monde, puisque l'on est si miserable en ce siecle que l'on ne regarde pas tous-jours le celeste Espoux au visage, ains a ces ageancemens exterieurs, et que souvent nous estimons les lieux plus devotieux que les autres, a cause de leur forme..

  A020002254 

 Je vous respondray en peu de paroles, puisqu'aussi bien sçay je ce que vous m'eussies dit, par vostre lettre, comme si je vous eusse oüye parler de bouche; car en fin, c'est que vous estes tous-jours celle la que vous m'aves dit les annees passees.

  A020002255 

 Premierement, que vous vous deves doucement supporter, en vous humiliant beaucoup devant Dieu, sans chagrin ni descouragement quelcomque..

  A020002256 

 Et bien que vous ayes veu que, nonobstant toutes vos resolutions, [214] vous estes demeuree engagee en vos imperfections, vous ne deves pas pour cela laisser d'entreprendre un bon amendement, et l'appuyer sur l'assistence de Dieu.

  A020002256 

 Secondement, vous deves renouveller tous les propos que vous aves ci devant faitz de vous amender.

  A020002257 

 Et ceux que Nostre Seigneur supporte, nous les devons tendrement supporter, avec grande compassion de leurs infirmités spirituelles..

  A020002267 

 Sur cest article que vous m'escrives, de la reception des filles, il y a un extreme danger qu'on ne se jette trop [215] sur la prudence humaine, qu'on ne se fonde trop sur la nature et trop peu sur la grace de Dieu.

  A020002268 

 Comme se peut il faire que je sente ces choses, moy qui suis le plus affectif du monde, comme vous sçaves, ma tres chere Mere? En verité, je les sens pourtant; mais c'est merveille comme j'accommode tout cela ensemble, car il m'est advis que je n'ayme rien du tout que Dieu et toutes les ames pour Dieu.

  A020002268 

 Hé, Dieu! Seigneur, faites encor cette grace a toute mon ame, que ce soit en vous seulement..

  A020002268 

 J'adjouste donq ce mot, ma tres chere Mere, pour vous dire que, selon vostre ordre, j'ay escrit a nostre Seur de N. amoureusement, et je vous asseure, ma tres chere Mere, que c'est de tout mon cœur, car j'ayme cette pauvre fille d'un cœur parfait.

  A020002268 

 Mays c'est grand cas, il n'y a point d'ames au monde, comme je pense, qui cherissent plus cordialement, tendrement et, pour le dire tout a la bonne foy, plus amoureusement que moy; car il a pleu a Dieu de faire mon cœur ainsy.

  A020002270 

 Je sens cette unité que Dieu a faite, d'un extraordinaire sentiment..

  A020002279 

 Sur la resolution que vous aves declairee a monsieur vostre pere, je vous exhorte de perseverer a demander sans cesse la clarté du Saint Esprit et sa sainte conduite, en attendant que vous venies icy, et que M me de Chantal [soit de re]tour, affin qu'en chose de si grand' importance et en laquelle il s'agist de la disposition de toute vostre [217] vie mortelle, nous ne facions rien que par la volonté et inspiration de Celuy qui nous a preparé l'eternelle.

  A020002291 

 Apres avoir leu vos cayers, je vous les renvoye avec une approbation autant ample que vous la sçauries desirer de [218] moy.

  A020002291 

 Je veux dire, Monsieur, que s'il vous plaisoit de suivre vostre pointe et traitter des choses pieuses et saintes d'une façon aggreable, historique et qui charmast un peu la curiosité des espritz du tems, cela les retireroit, ou au moins divertiroit, de la pestilente lecture des Amadis, des romans et de tant d'autres sottises, et ilz avaleroyent insensiblement l'aggreable hameçon qui les retireroit de la mer du peché dans la nacelle de la vertu..

  A020002291 

 Mais, mon Dieu, il faut que je vous die que la connoissance que je prens tous les jours de l'humeur du monde me fait souhaitter passionnement que la divine Bonté inspire quelque sien serviteur d'escrire au goust de ce pauvre monde.

  A020002292 

 Le monde devient si delicat, que desormais on ne l'osera toucher qu'avec des gans musqués, ni panser ses playes qu'avec des emplastres de civette; mays qu'importe, pourveu que les hommes soyent gueris et qu'en fin ilz soyent sauvés? Nostre reyne, la charité, fait tout pour ses enfans.

  A020002293 

 Croiries vous que, tout pesant que je suis, je fay dessein d'escrire, par une methode de narration historique, les principaux pointz de nostre [219] croyance? Mays, helas! si je n'ay point d'autre loysir que celuy que la cour me laisse, je mourray comme les femmes enceintes, sans produire ce que j'ay conceu... [220].

  A020002293 

 Il faut que je vous confie un secret que je n'ay encor dit qu'a deux de mes bons amis.

  A020002300 

 Les tribulations sont plus pretieuses que l'or et le repos aux ames que Dieu a choysies..

  A020002300 

 O que Dieu est bon, ma tres chere Fille! Il est vray qu'il est bon a tous, mays souverainement a ceux qui l'ayment.

  A020002301 

 Meilleure est une heure es portiques de Dieu, que mille et millions es cabinetz des pecheurs.

  A020002310 

 Je respons a la demande que la bonne Mere de Sainte Marie m'a faite de vostre part, ma tres chere Fille.

  A020002311 

 Que faut il faire la dessus affin que l'intention soit purifiee? Regardons si nostre dessein peut estre legitime, juste et pieux; et s'il le peut estre, proposons et deliberons de le faire, non plus pour obeir a la prudence humaine, mais pour, en iceluy, accomplir la volonté de Dieu..

  A020002312 

 Si nous avons une fille, par exemple, que la prudence humaine dicte devoir estre colloquee en Religion pour quelques raysons de l'estat de nos affaires, or sus, nous dirons en nous mesmes (je ne dis pas devant les hommes, mais devant Dieu): O Seigneur, je vous veux offrir cette fille, parce que, telle qu'elle est, elle est vostre; et bien que ma prudence humaine m'incite et incline a cela, si est ce, Seigneur, que si je sçavois que ce ne fust pas aussi vostre bon playsir, malgré ma prudence inferieure je ne le ferois nullement, rejettant en cette action ladite prudence que mon cœur sent, mays a laquelle il desire ne [222] point consentir, et embrassant vostre volonté que mon cœur n'apperçoit pas selon son sentiment, mais a laquelle il consent selon sa resolution..

  A020002313 

 Ce ne sera plus pour la prudence mondaine, bien que ce soit elle qui ayt excité la volonté, que vous feres cette resolution, mais parce que vous aves conneu que Dieu l'auroit aggreable: ainsy, par l'infusion de la volonté divine, vous corrigeres la volonté humaine..

  A020002313 

 Et a chaque pas, presque, il nous faut faire la resignation que Nostre Seigneur nous a enseignee: Non ma volonté, mais la vostre, o Pere eternel, soit faite.

  A020002313 

 Et cela fait, laisses clabauder la prudence humaine tant qu'elle voudra, car l'œuvre ne sera plus sienne; et vous luy pourres dire comme les Samaritains dirent a la Samaritaine apres qu'ilz eurent oüy Nostre Seigneur: Ce n'est plus meshuy pour ta parole que nous croyons, mays parce que nous mesmes l'avons veu et entendu.

  A020002313 

 Nous ne sommes pas plus saintz que l'Apostre saint Paul, qui sentoit deux volontés au milieu de son ame: l'une qui vouloit selon le viel homme et la prudence mondaine, et cette cy se faisoit plus sentir; et l'autre qui vouloit selon l'esprit de Dieu, et celle cy estoit moins sensible, mais laquelle pourtant dominoit, et selon laquelle il vivoit; dont d'un costé il s'escrioit: O moy miserable homme, qui me delivrera du cors de cette mort? et d'autre part il s'escrioit: Je vis, non plus moy mesme, mais Jesus Christ vit en moy.

  A020002313 

 O ma tres chere Fille, c'est a tout propos que l'esprit humain nous travaille de ses pretentions et se vient importunement ingerer parmi nos affaires.

  A020002314 

 Demeures en paix, ma tres chere Fille, et serves bien Dieu en la peyne et fascherie de la grossesse et de l'enfantement, que vous dresseres aussi selon son bon playsir.

  A020002325 

 Je vous prie de vous mettre souvent devant les yeux et rappeller en vostre esprit ce que la tres sage bonté de Dieu a voulu operer en vostre ame et par vostre moyen, en vous donnant des biens, de la faveur et de l'authorité..

  A020002326 

 Les princes et les grans seigneurs ont pour l'ordinaire en naissant ce que le simple peuple s'efforce d'acquerir avec bien de la peine.

  A020002326 

 Leur exemple est le point d'ou depend le bonheur et le malheur du peuple, et partant ilz doivent tous dire avec Trajan: « Je dois estre tel prince envers mes sujetz, que je desirerois de rencontrer un prince si j'estois sujet.

  A020002326 

 Mais affin que leur volonté soit plus conforme a la regie de toute bonne volonté, leur perfection doit estre de vouloir seulement ce que Dieu veut.

  A020002326 

 Or, il est vray que Dieu ne veut autre chose d'un prince, sinon qu'en regissant tous [224] ses sujetz avec crainte et amour, il ayme et craigne Dieu avec une crainte filiale et un amour tres pur, tressaint et tres cordial.

  A020002326 

 Que si quelque chose leur manque, ilz peuvent tout en Celuy qui leur a tout donné, et il leur suffit de vouloir pour estre asses puissans.

  A020002327 

 C'est la leur premiere leçon, d'ou ilz apprendront a rendre a Dieu et a leur Roy tous les devoirs de leur sujettion, et a leurs sujetz tous les offices d'une puissance qui ne doit marcher que sur la justice et sur la bonté.

  A020002327 

 De mesme aussi, comme chaque seigneur et chaque gentilhomme est un petit monarque en sa mayson, ilz ne doivent pas s'oublier de ces paroles de l'Apostre: Vous qui estes maistres, faites a vos serviteurs ce qui est juste et convenable, vous souvenans que vous aves un autre Maistre au Ciel et des Rois sur la terre, de qui vous dependes.

  A020002337 

 Je ne puis rien dire de mon ame, sinon qu'elle sent de plus en plus le desir tres ardent de n'estimer rien que la dilection de Nostre Seigneur crucifié, et que je me sens tellement invincible aux evenemens de ce monde, que rien ne me touche presque..

  A020002338 

 O ma Mere, Dieu comble de benedictions vostre cœur, que je cheris comme mon cœur propre.

  A020002347 

 Ayant fort souvent esté prié par le sieur Peyssard, vicaire en l'eglise parroissiale de cette ville, de vous representer combien la chapelle de Chitri, qui y est, a besoin de vostre soin et d'un legat que feu M. de Treverney avoit fait pour icelle, je le fay maintenant par cette commodité, sachant que vous aurés grandement aggreable que je vous rende ce devoir, et que vous prendres playsir a faire ce bien-la en un lieu qui porte le nom et les marques d'une mayson qui n'est qu'une avec la vostre et qui s'est si honnorablement, jadis, signalee en la vertu et pieté..

  A020002359 

 Je vous peux bien appeller ma tres chere Fille, car vous m'aves esté chere, en verité je le puis dire ainsy, des le ventre de vostre mere, ou au moins des la mammelle, ou je vous ay cent fois benite et souhaité la couronne et le loyer des vierges, espouses de Jesus Christ, en ce tems bienheureux, ma chere Fille, ou, avant que d'estre pasteur en chef, j'avois la grace de courir chercher les brebis de mon Maistre, et que j'estois si courtoysement et si amiablement accueilli chez vous.

  A020002359 

 Ma vraye Fille, il me fait, je vous asseure, grand bien de m'entretenir avec vous de ces premieres annees de mon premier service a la tressainte Eglise: cela m'anime a la ferveur et me fait doucement souvenir combien il y a long tems que vous estes ma fille... [228].

  A020002368 

 Trois jours avant l'arrivee en cette ville de ce bon Frere hermite que je treuve bien a mon gré, j'eus des-ja quelque advis de cette fascheuse affaire qu'il m'a communiquee de vostre part; et comme apres avoir eu une bonne impression d'une personne qualifiee, j'ay beaucoup de difficulté a m'en desprendre, je ne permis pas a cette relation si mauvaise d'entrer dedans mon esprit, ains je l'arrestay a la porte, suyvant l'ancien advis:.

  A020002369 

 Celuy que trop facilement.

  A020002373 

 Neanmoins, la cheute de Salomon, que j'ay si souvent en la pensee, me mit, je vous asseure, grandement en peine; et fus grandement soulagé quand ce bon Frere m'eut parlé et que j'eus veu le tesmoignage plus grand qu'aucune exception de monsieur l'Archidiacre, duquel [229] le tesmoignage est digne de tres grand respect.

  A020002374 

 Voicy mon advis: Premierement, puisqu'ainsy que me dit ce porteur et que vostre lettre me signifie, la calomnie n'est pas encor entree dans la foule du peuple, et qu'au contraire les plus apparens et les plus dignes juges des actions humaines de ce païs la sont tout a fait resolus en l'opinion de vostre probité, je prefere la dissimulation au ressentiment; car nous sommes au cas de l'ancien sage:.

  A020002377 

 Je voudrois que la dissimulation fust franche, et comme doivent estre les actions heroïques qui se pratiquent pour l'amour de Dieu: sans se plaindre, sans tesmoigner des grandes repugnances au pardon, car la candeur du cœur qui pardonne fait tant plus connoistre le tort de l'injuriant..

  A020002389 

 Cette brouillerie me tient en peine jusques a ce que je sache qu'elle soit accoysee.

  A020002389 

 L'ennemy, qui a veu que c'estoit tout de bon que ce petit Institut s'augmentoit pour la gloire de Dieu, a suscité cette bourrasque, et encor une autre contradiction de la part de certaines servantes de Dieu, que j'honnore infiniment; et croy que leur rare pieté ne leur permettra pas de vivre longuement sans se remettre sur le train d'une pure et simple dilection de Dieu et du prochain.

  A020002390 

 Sa divine Bonté nous veuille a jamais defendre de la prudence et sagesse, et des saillies de l'esprit humain, et nous face tout a fait vivre en la suite de l'esprit du saint Evangile, qui est simple, doux, amiable, humble, et qui ayme le bien en tous, pour tous, et par tout ou il est; et qui nous fait tellement aymer nostre vocation que nous n'en aymons pas moins les autres, et qui nous fait parler avec veritable sentiment d'honneur, de respect et d'amour de tout ce que Dieu veut estre en son Eglise pour le bien de ses enfans et pour son service..

  A020002391 

 J'espere que ces bonnes ames cesseront de vous tourmenter quand elles feront une serieuse reflexion sur la dilection de Dieu et du prochain, et sur vostre humble patience..

  A020002404 

 Dieu vous a mis au lieu et au grade auquel il vous a eslevé par vos merites, affin que vous soyes, pour l'amour de luy, le refuge commun des affligés, mais particulierement de ceux qui tombent en adversité plus par malheur que par malice..

  A020002405 

 Il recourt donq avec la confiance qu'il a, et que mesme je luy ay augmentee, en vostre æquité et debonaireté, affin qu'il vous playse, Monsieur, de le delivrer [233] de la totale ruine delaquelle il est menacé et des-ja presque tout accablé, le conservant en l'office d'archer du prævost et en celuy qu'il avoit pour la garde du sel, a Gex..

  A020002405 

 Mondon, present porteur, est veritablement l'un de ceux la, grandement vexé pour le crime d'autruy, ains pour le fait d'autruy qui n'est pas tout a fait crime, ainsy que Vostre Grandeur, Monsieur, pourra mieux discerner que nul autre, sil vous plait d'oüir le discours de cet accident.

  A020002420 

 Ce pendant l'œil de la Providence eternelle, qui regarde vostre cœur, ne laissera pas de vous tenir au nombre de ses espouses, puisque si vous n'estes pas encor Religieuse par effect vous l'estes en affection, et ne differes de l'estre que pour l'estre mieux..

  A020002420 

 Je loüe Dieu de vostre perseverance, et vous aves rayson de prendre suffisamment du loysir pour pourvoir [234] dignement aux affaires que vous laisseres au monde.

  A020002421 

 Continues, je vous prie, Madame, a prier pour mon ame, puisqu'elle cherit tres affectueusement la vostre, et que je suis.

  A020002434 

 Il faut que je vous die naivement et comm'a vous, que je n'ay nulle authorité es Maysons qui ne sont pas en mon diocsese, ni sur les personnes, ni sur les dependences, ormis sur les Seurs qui sont sorties d'icy, qui, selon leurs vœux et la reciproque obligation qu'elles ont a ce Monastere duquel elles sont tous-jours, et le Monastere envers elles pour les recevoir a toutes bonnes occurrences, demeurent tous-jours membres inseparables de cette Mayson, delaquelle elles ne sont nullement privees, puisque elles n'en sont point dehors sinon par obeissance et selon l'Institut..

  A020002435 

 C'est pourquoy, ma tres chere Fille, en toutes occasions de fondation, il faut que les Superieures des lieux ou l'on recourt pour avoir des Seurs prennent advis et conseil avec les Peres spirituelz et autres sages amis et amies, et que, avec le consentement du Chapitre et l'obeissance de l'Evesque, ou, en son absence, du Pere spirituel, elle dispose (sic) des personnes convenables a la fondation.

  A020002435 

 Et quand c'est hors de la diocæse qu'il faut aller fonder et que l'obeissance est donnee par le Pere spirituel, il faut que le Vicaire general de l'evesché atteste que le Pere spirituel est deputé pour la direction du [236] Monastere; et faut observer encor cela quand, selon que le Concile de Trente l'ordonne, un Monastere eslit et desire une Superieure d'un autre monastere hors du diocæse ou se fait l'election..

  A020002436 

 De sorte, ma tres chere Fille, que pour les deux fondations que vous me marques, vous n'avies nul besoin de m'advertir sinon en ce qui regarde la disposition de vostre chere personne, pour laquelle je ne voy nul lieu de me dispenser contre les promesses faites a tant de personnes, mays sur tout a monsieur vostre pere, qui ne peut quasi plus rien esperer pour l'accomplissement de ses consolations en ce monde, que de vous voir au Monastere de Chamberi que l'on va entreprendre, affin de vous avoir aupres de luy, d'ou il a esloigné tous messieurs vos freres par les charges honnorables dont ilz sont tous prouveuz maintenant, puisque, comme vous sçaves, M. de Feliciaz est senateur et juge maje de la province de Chablaix; monsieur de Charmettes a la cour, aupres de Madame; monsieur nostre President de Genevois icy, d'ou il ne peut absenter, non plus que monsieur de Vaugelaz de la cour de France; de sorte quil ne reste que monsieur [237] le Doyen de la Sainte Chapelle.

  A020002436 

 Et bien que ce tres bon pere, comme tout dedié a Dieu luy mesme, se remet tres volontier a tout ce qui sera jugé plus a propos pour l'employ de sa fille au service de la plus grande gloire de cette celeste Majesté, si est ce que cela mesme nous oblige tant plus a le consoler en ce qui se pourra.

  A020002436 

 Mays, comme que ce soit, il est malaysé de repliquer au desir d'un pere, si juste comm'est celuy de voir sa fille, puysque cela se peut bonnement faire, et selon la gloire de Dieu.

  A020002436 

 Voyes la lettre quil m'escrit, ma tres chere Fille, et vous connoistres ce que vous et moy devons vouloir en cette occasion.

  A020002437 

 Et quant a la fondation de madame de Chazeron, je vous diray mon advis, qui est que l'on la contente en tout ce que l'on pourra, et sur tout quant a la qualité et quant aux privileges de fondatrice, dont elle puisse jouir des maintenant..

  A020002438 

 J'en dis de mesme de la proposition que l'on fait pour Aurillac, ou j'aurois grande inclination, en voyant tant en ce bon Pere Recteur qui vous escrit..

  A020002438 

 Je voudrois donq que l'on prist du tems pour ce Monastere de Rioms et que, sil se pouvoit, on retirast les filles qui en veulent estre en vostre monastere de Montferrant, avec leurs pensions annuelles; puys, la nouvelle Mayson estant faite a Rioms comme une nouvelle ruche, on y envoyast des filles toutes faites, comm'un essein d'abeilles prest a faire le miel.

  A020002438 

 Mays j'appreuverois merveilleusement que l'on ne se hastat pas tant de faire le Monastere de Riom, non seulement pour donner du tems aux autres Institutz des filles, Carmelites, Urselines et autres qui y sont, mays principalement pour en donner a vostre Monastere de Montferrant de se bien establir, sur tout en personnes; car c'est cela que j'apprehende en toutes les fondations, qu'elles ne se facent sans filles bien formees et solides [238] en cette vertu religieuse que l'Institut requiert autant ou plus qu'aucun autre Institut qui soit en l'Eglise, puisque dautant plus qu'il y a moins d'austerité exterieure il faut quil y ayt de l'esprit interieur.

  A020002439 

 A cela donq je vous renvoye, m'estant advis que je le doy..

  A020002439 

 Je croy que nostre Mere ira la; et avec ces dames [239] du païs et elle, vous pourres prendre meilleur advis par l'opinion de vos bons Peres spirituelz que vous aves-la, et vos amis, que non pas par la mienne qui ne void pas des icy ce qui pourroit estre plus a propos.

  A020002440 

 L'inconvenient que vous apportes pour Aurillac seroit dissipé par celuy que je propose, que les filles vinssent faire leur novitiat a Montferrant..

  A020002441 

 Et certes, il n'est pas convenable que l'on engage ces si jeunes filles a l'habit, car il y [a] bien plus de peine a oster l'habit a une fille qu'a la renvoyer avant qu'elle l'ayt (sic) pris l'habit..

  A020002441 

 Ma tres chere Fille, il ny a point de difficulté que l'on ne puisse donner l'habit a la petite fille de treze ans, en consideration de son si bon pere.

  A020002441 

 Mays affin que cela se face comm'il est expedient, il faut qu'elle face le premier essay de quelques semaines, apres lequel, sil (sic) ell'estjugee propre, il faut avoir dispense de M. l'Evesque ou du Pere spirituel, car autrement cela tireroit consequence plus grande.

  A020002442 

 Je ne voy pas quil y ayt aucun inconvenient que madame de Dalet entre es monasteres de cette province-la; au contraire, il me semble que la gratitude et bienseance requierent qu'elle y entre..

  A020002443 

 Je treuve que c'est une grande Providence de Dieu que [240] les Supperieurs, en ce commencement, ne soyent pas trop empressés de vostre conduite; elle se fera plus suavement par les advis des amis que vous employerés..

  A020002444 

 J'escris a ces deux bons Peres que vous me nommés et a M me la Princesse de Joinville, avec les deux motz que M me de Dalet a marqués de Monseigneur et l....

  A020002445 

 Vives toute a Dieu, ma tres chere Fille, et ne bouges, ce reste de tems, d'aupres du petit Enfant qui vous dira, au commencement de ses ans, que l'eternité de laquelle il vient, a laquelle il est, a laquelle il va est seule desirable.

  A020002456 

 Bien que je n'eusse pas eu le bonheur de vous connoistre quand j'eu la premiere nouvelle de vostre desplaysir, si [241] est ce que je ne laissay pas d'estre vivement touché de compassion pour vostre cœur, m'imaginant combien forte avoit esté cette inopinee secousse; et si mes souhaitz eussent esté autant pleins d'efficace comm'ilz le furent d'affection et de tendreté, je croy que des lors vous eussies ressenti quelque sorte de veritable alegement.

  A020002457 

 Le cœur qui s'unit au cœur de Dieu ne se peut empescher d'aymer et d'accepter en fin suavement les traitz que la main de Dieu descoche sur luy..

  A020002457 

 Les paroles interieures que Dieu dit au cœur affligé qui recourt a sa bonté sont plus douces que le miel, plus salutaires que le bausme prætieux a guerir toutes sortes d'ulceres.

  A020002457 

 Que ce fut un bon advis, Madame, que celuy que vous receutes de son inspiration, vous proposant de vous retirer pour un peu de la presse des consolateurs du monde, quoy que bons consolateurs, pour, en repos, remettre la playe de vostre cœur es mains du Medecin et Operateur celeste! puisque mesme les medecins terrestres confessent que nulle guerison ne se peut faire sinon en la quietude et tranquillité.

  A020002458 

 Vostre sainte Blandine ne treuvoit point de plus grand soulagement parmi les blessures de son martire que la sacree cogitation qu'ell'exprimoit souspirant ces troys douces paroles: « Je suis chrestienne.

  A020002459 

 Madame, je vous dirois volontier, pour remede a vostre douleur, que qui veut exempter son cœur des maux de la terre, il le faut cacher dans le Ciel, et, comme dit David, il faut musser nostre esprit dans le secret du visage de [242] Dieu et dans le fonds de son saint tabernacle.

  A020002459 

 Regardes bien a l'eternité a laquelle vous tendes; vous treuveres que tout ce qui n'appartient pas a cette infinie duree ne doit point mouvoir nostre courage.

  A020002460 

 Je sçai qu'elles se tiennent pour avoir esté grandement honnorees et edifiees de vostre sejour parmi leur abjection, et glorieuses que Monseigneur l'Archevesque les ayt favorisees de son commandement qui, en toutes rencontres, leur doit estre tres cher, et particulierement quand il regarde a vostre consolation..

  A020002479 

 Je luy ay donné une copie des Regles de saint Augustin et des Constitutions de la Visitation, affin que sur icelles vous puissies cueillir ce qui vous semblera a propos..

  A020002487 

 Ma tres chere Fille, Rien tout a fait maintenant, parmi ce deluge de lettres que j'escris, sinon que je vous souhaitte tous-jours de plus en plus courageuse en ce saint service de Dieu auquel vous estes.

  A020002488 

 J'ay sceu, j'ay veu vos peines interieures et exterieures; j'ay conneu que Dieu a sousmis sa main a vostre cœur, affin qu'il ne flechist point sous la pesanteur du fardeau.

  A020002489 

 Je vous voy toute pleyne de consolation sur le passage de la bonne Mere, que ce porteur va prendre; car je vous laisse a penser quel contentement de se revoir [245] ensemble: nostre Mere, nostre Seur Paule Hieronime et ma fille Marie Aymee..

  A020002501 

 Puisque non une seule rayson, mais plusieurs bien justes et urgentes retirent la bonne Mere Superieure de la Visitation Sainte Marie de Paris a Dijon et de deça, il est bien raysonnable que je vous remercie, ainsy que je fay tres humblement, des consolations et faveurs qu'elle a recueillies de vostre continuelle charité: vous suppliant neanmoins tous-jours de les luy continuer en la personne de cette trouppe de filles qu'elle laisse la pour le service de la gloire de Dieu, qui est tout vostre amour, et duquel la providence a preparé vostre cœur pour estre le refuge et la protection des petites servantes de son Filz, qui en sont d'autant plus necessiteuses que l'aage et l'imbecillité de leur establissement est plus tendre et sujet a la contradiction..

  A020002502 

 J'espere que l'humilité et la connoissance de leur petitesse les conservera non seulement en la grace de Dieu, [246] mais aussi en vostre bienveuillance, Madame; et que parmi tant d'autres ames plus relevees et dignes de vostre faveur, que vostre pieté appuye de son zele, elles aussi, en leur rang, vivront a l'abry de vostre debonaireté, laquelle se souviendra que son Mirouër et son Exemplaire et Patron ayme plus tendrement les petites gens, basses et infirmes, ouy mesme les plus jeunes petitz enfans, pourveu qu'ilz se laissent sousmettre a ses mains et prendre entre ses bras..

  A020002514 

 La pensee m'est venue, en escrivant a M. Berger, que peut estre Monseigneur le Cardinal le rendra vostre [247] Pere spirituel a Paris, puisque il se va rendre ecclesiastique aux Quatre Tems des Cendres; et je croy que la Mayson en seroit bien et cordialement assistee..

  A020002515 

 Je vous prie qu'en entrant ou sortant d'Orleans vous prenies occasion de voir la Mere Prieure des Carmelines, fille aysnee de la Seur Marie de l'Incarnation, laquelle, tandis que je fus a Paris, il y a vingt ans, estoit non seulement ma fille spirituelle, mais ma partiale, aagee d'environ treize ans, et qui avoit un naturel bon, franc et naïf; comm' aussi la Mere Sousprieure, qui fit en ce tems la son premier vœu de virginité et sa confession generale devant moy..

  A020002516 

 Je me trompe si vous ne treuves a Moulins quelque sorte de tentation a cause de la singularité de ma Seur Marie Aymee; mais je pense pourtant que ce ne sera qu'une tentation humaine et digne de charité..

  A020002518 

 Je ne sçay pas bonnement combien il y a de Moulins a Montferrant, mais si cela est asses commode, je pense que ce seroit de la consolation a ces filles que vous allassies prendre leur Superieure pour Dijon, laquelle, comme je prevoy, il y aura peine de tirer, selon que vous verres par la lettre qu'elle m'escrit, ci jointe.

  A020002518 

 Puisque la conduite de vostre chemin de Paris a Dijon, pour passer par les monasteres, requiert que vous venies a Moulins, et que les Seurs que l'on prendra icy et a Grenoble vous aillent prendre la, il faudra donq sçavoir a point nommé le tems auquel il les faudroit envoyer et comme quoy les choses passeront, c'est a dire d'ou viendra l'advis que nous devons recevoir; mais il me semble [248] pourtant que n'y ayant que quarante lieuës d'icy a Dijon, ce sera grandement allonger le chemin de passer a Moulins.

  A020002519 

 Je suis de l'advis de M. de Marillac, que nos Seurs allant par les chams portent leur crucifix avec elles..

  A020002520 

 Et comme que ce soit, elle pourra de tems en tems soulager son esprit, puisqu'elle a la permission d'entrer a la Visitation; et si, j'espere que s'accommodant doucement au bon playsir de Dieu, il la consolera finalement..

  A020002520 

 J'ay veu l'histoire de la consultation faite pour nostre tres chere fille madame de Port Royal, sur laquelle il n'y a rien a dire sinon que je voy un examen merveilleusement ponctuel, en ce que on y a pensé que, [à cause de] la longueur du tems et [de] la multitude des actions de superiorité, nonobstant la protestation et le continuel [249] desadveu interieur, cette fille soit tellement obligee de demeurer qu'elle ne puisse pas faire autrement; car bien que cela soit probable en terme de conscience, si est ce que cela n'est pas advoüé de tous, et de plus, le Pape en peut dispenser.

  A020002520 

 Je tiens aussi la comparayson de la perfection de la Regie de saint Benoist avec l'Institut de la Visitation un peu rigoureuse et desadvantageuse, car il faudroit faire la comparayson de la Regie de saint Benoist avec la Regie de saint Augustin; et bien que peut estre la Regie de saint Benoist demeurast encor superieure en perfection, si est ce que la comparayson empescheroit tout mespris pour la Visitation, c'est a dire toute tentation de mespris.

  A020002520 

 Mais tout ceci que je vous dis sur cette consultation, ne doit estre nullement allegué, ains simplement consideré avec humilité, et laisser en sincerité la decision a Rome.

  A020002521 

 Je me res-jouis avec elle de l'honneur [et] du bonheur que sa chere fille Marie aura a cette feste de Pasques en sa premiere Communion; et si j'estois la, je prendrois bien a faveur d'estre son instituteur a cette action qui, a la verité, est bien [250] importante.

  A020002521 

 Madame la Presidente Amelot sçait bien, je m'asseure, que mon cœur est tout sien devant Dieu et ses Anges.

  A020002521 

 Si vous sçavies, ma chere Mere, combien il m'arrive de destours en cette ville du depart de M. Rolland, vous ne series pas estonnee si je n'escris pas aux cheres ames que la mienne et la vostre ayment tant.

  A020002522 

 Il est a considerer si vous treuveres plus a propos qu'on la fasse professe icy ou qu'on l'envoye pour faire profession a Dijon, sur l'attestation qu'on luy feroit icy de sa capacité; car nous avons pensé que peut estre seroit on bien ayse que cette action se fist la, en presence de ses parens et amys, et la rendre ainsy la premiere fille de ce Monastere..

  A020002522 

 Nous avons pensé pour cela a ma Seur Marie Adrienne Fichet, laquelle est de bon esprit et de bon cœur, comme vous sçaves; a ma Seur Françoise Augustine, de Moyran pres Saint Claude, que je confesse estre une fille grandement a mon gré, et, si je ne me trompe, tout a fait irreprehensible en l'interieur et en l'exterieur; ma Seur Marguerite Scholastique, de Bourgoigne, qui est douce, maniable et de bon esprit, cousine germaine de vostre Assistante; ma Seur Marguerite Agnes, [251] qui est d'aupres de Vienne, qui est de bonne mayson, de bonne observance et d'une aggreable simplicité; a ma Seur Peronne Marie Benod, Seur domestique grandement douce et pliable; outre ma Seur Marie Marguerite Milletot, qui viendra de Grenoble, que vous connoisses, et ma Seur Bernarde Marguerite, qui est celle de Dijon que vous nous envoyastes, de la capacité de laquelle, bien qu'on ayt douté quelques moys durant, on a despuis eu bonne satisfaction.

  A020002522 

 Nous envoyerons donq, quand vous le marqueres et ainsy [que] vous l'ordonneres, des filles pour vous accompaigner a Dijon, selon le nombre que vous nous diries estre necessaire.

  A020002529 

 Car ainsy, ma tres chere Fille, si jusques a present le souci de vostre conduite et l'apprehension de vostre future superiorité vous a un peu agitee et vous a souvent fait varier en pensees, maintenant que vous voyla mere de tant de filles, vous deves demeurer tranquille, sereine et tous-jours egale, vous reposant en la Providence divine qui ne vous eut jamais mis toutes ces cheres filles entre les bras ni dans vostre sein, que quant et quand il ne vous eut destinée (sic) un secours, un'ayde, une grace tres suffisante et abondante pour vostre soustien et appuy.

  A020002529 

 Et il est vray, car quand il impose quelque charge a une de ses filles, il la renforce tellement que, soustenant la charge avec elle, elle est comme deschargee.

  A020002529 

 Je l'espere, ma chere Fille, et que vous seres comme l'ancienne Anne, laquelle, avant qu'elle fut mere, changeoit souvent de visage, comme touchee de diversités de pensees et d'apprehensions; mays estant devenue mere, dit l'Escriture sacree, sa face ne fut plus variante ni diversifiee, par ce, comme je croy, qu'elle fut accoysee en Dieu qui luy avoit fait connoistre son amour, sa protection et son soin sur elle.

  A020002529 

 Ma tres chere Fille, Je vous souhaite de tout mon cœur une grande humilité dedans un grand courage, affin que vostre courage soit [253] tout a fait en Dieu, qui par sa bonté vous soustienne, et, en vous, la sainte charge que l'obedience vous a imposee.

  A020002530 

 C'est cela que le Cantique marque en la louange des mammelles de l'Espoux: Tes tetins sont meilleurs quelevin, odorantz de parfums prætieux; [254] le lait, le beurre et le miel sont sous ta langue.

  A020002530 

 Je ne dis pas, ma Fille, que vous soyes flatteuse, cajoleuse et rieuse, mays douce, suave, amiable, affable.

  A020002530 

 Mays prenes seulement garde a deux ou troys motz que mon cœur va dire au vostre.

  A020002530 

 Rien ne fait tant tarir le lait es mammelles, que les regretz, les afflictions, les melancolies, les amertumes, les aigreurs.

  A020002531 

 Je suis invariablement vostre, et je me confie que vous n'en doutes nullement..

  A020002531 

 Ma Fille, je me confie que Dieu, qui vous a choysi pour le bien de plusieurs, vous donnera l'esprit, la force, le courage et l'amour pour plusieurs.

  A020002535 

 Quel moyen d'escrire a ma chere Seur Jeanne Marie, ma niece, et a ma Seur Anne Constance, et a ma Seur Marie Anastase, et a ma grande fille Marie Marguerite? Il ne se peut, car il ne me reste plus de loysir que pour un mot a ma tres chere fille Helene Angelique, la nouvelle espouse de nostre Maistre.

  A020002543 

 Je le dois, je le sçai bien: aussi ne le vous dis je pas, ma tres chere Fille, pour m'en vanter, mays pour la complaysance que j'ay a le penser, et a croire que je vous fay playsir de vous en asseurer.

  A020002543 

 Mays seroit il bien possible que je ne luy donnasse pas cette petite marque visible de la verité du desir que j'ay de vivre invisiblement en vostre chere ame, Madame ma chere Commere et ma Fille tres aymee? Je ne cesse point, je vous asseure, et ne celebre jamais le saint Sacrifice que je ne presente vostre cœur a Dieu, et n'invoque sa protection et faveur sur vostre chere famille.

  A020002558 

 Monsieur Roland vous dira [257] toutes les nouvelles que vous pourries desirer de deça, d'ou, comme je croy, plusieurs vous escriront plus amplement que moy qui n'en ay nul loysir; aussi est il a propos que je soys court, pour ne point divertir la consolation que vous aures a recevoir nostre bonne Mere..

  A020002559 

 J'ay grande envie de luy escrire, mais il ny a moyen [258] maintenant, tant je suis accablé; et cependant je vous prie, ma tres chere Fille, de luy baiser tres humblement les mains de ma part, l'asseurer de mon fidele service et, sans en faire semblant, sçavoir dextrement de luy sil aura aggreable que je luy escrive par foys..

  A020002559 

 Je sçai la grande esperance que son peuple a de luy, et je sçai que sil l'entreprend il la surpassera; et son courage le luy fera entreprendre.

  A020002559 

 Si faut il pourtant que je vous die que rien ne me pouvoit estre plus doux et aggreable en vostre lettre, que la bonne nouvelle que vous me donnés de la favorable souvenance que Monseigneur l'Evesque d'Orleans a de moy; et bien que je sache que ce bien provienne de son bon naturel, qui est franc et genereux, si ne laisse je pas de le reconnoistre de Dieu, qui, m'ayant donné une singuliere affection envers ce Prælat, a voulu quil y eut en luy cette aggreable correspondance et qu'il eut une bonne inclination pour moy.

  A020002560 

 Cependant, je salue tres cherement le cœur de cette fille bienaymee, qui sera sainte aussi bien que sa mere, si mes souhaitz sont exaucés; et si nostre bonne Mere la peut voir entrant en la ville ou sortant, j'en seray consolé: aussi luy escris je que cette chere Seur est mon ancienne et partiale fille.

  A020002560 

 Je salue aussi tres affectionnement et intimement la Mere Sousprieure, qui sçait bien que Dieu veut que je la cherisse comme je fay..

  A020002561 

 Vous entendres bien ce que je desire, qui est sur tout le bien et la consolation de vostre Mayson..

  A020002562 

 Je confesse que j'ay grand tort de ne point escrire a ma Seur Marie Michele, que j'ayme neanmoins de tout mon cœur; ni a ma Seur Marie Françoise Belet, que j'affectionne grandement non seulement parce qu'ell'est ma fille, mays par ce qu'ell'estoit chere a la bonne M me Le Blanc; ni a ma petite fille Anne Marguerite Clement [259] qui, a la verité, est grandement bienaymee de mon ame, nonobstant la petite duplicité des scrupules qu'elle me demanda avant son depart..

  A020002563 

 Or sus, ce sont toutes mes douces Filles en Nostre Seigneur, que je supplie continuellement de les rendre tout a fait saintes; et vous de mesme, ma tres chere Fille, [260] a qui je suis tres entierement tout dedié et, en verité, tres cordialement vostre.

  A020002578 

 O que cette journee soit contee entre les journees que le Seigneur fait! Que cette heure soit une heure entre les heureuses que Dieu a benites de toute eternité et qu'il a assignees pour l'honneur de toute l'eternité! Que cette heure soit fondee en la tressainte humilité de la Croix et aboutisse a la tres sacree immortalité de la gloire! Que de souhaitz mon ame fera sur cette chere journee pour l'ame de ma chere Fille! O combien de saintes exclamations de joye et de bon augure sur ce cœur bienaymé! O combien d'invocations a la tressainte Mere Vierge, aux [261] Saintz et aux Anges, affin qu'ilz honnorent de leur speciale faveur et presence cette consecration de l'esprit de ma tres chere Fille, de laquelle ilz ont obtenu la vocation et inspiré l'obeissance a la vocation!.

  A020002579 

 C'est pourquoy je le considere avec le vostre en la mesme action; car, comme vous sçaves, elle se treuva avec vous unie d'affection et d'amour au jour de vostre Visitation, et semble que des lhors elle immola des-ja en resolution son cœur avec le vostre..

  A020002580 

 Que je suis consolé quand je m'imagine que, selon mon esperance, on vous annoncera en toute verité cette parole de la mort vitale: V ous estes morte, et vostre vie est cachee avec Jesus Christ en Dieu; car, ma tres chere Fille, de la verité de ce mot depend la verité de l'evenement qu'on prononce consecutivement: Mais quand Jesus Christ apparoistra, et ce qui s'ensuit..

  A020002589 

 Dites moy donq, ma tous-jours plus chere Fille, que fait il? car maintenant il sçait la resolution qui a esté prise par ces six ou sept grans serviteurs de Dieu qui s'assemblerent pour son sujet..

  A020002589 

 Que vous puis je dire en cette occasion, ma tres chere Fille, sinon qu'entre les consolations que j'attens bien grandes de revoir nostre bonne Mere, celle de l'ouyr parler de vostre cœur en est une? Mais je ne veux pas dire, pourtant, que je veuille attendre son retour pour en apprendre des nouvelles, de ce cher cœur.

  A020002591 

 Il est vray, ma tres chere Fille, que vous n'aves point de cœur qui soit ni plus ni certes tant vostre que le mien.

  A020002600 

 Je ne puis penser, ma tres chere Fille, que Monseigneur l'Archevesque apporte aucun surcroist de loix a vostre Mayson, puisqu'il a veu que celles qu'on a prattiquees sont, graces a Dieu, bien receuës.

  A020002600 

 Que s'il luy playsoit de faire quelque notable changement, il le faudroit supplier qu'il luy pleust de rendre ses ordonnances compatibles a la sainte correspondance que ces Maysons doivent avoir toutes ensemble en la forme de vivre; a quoy ces messieurs que vous sçaves vous assisteront de leurs remonstrances et intercessions, car a la verité, ce seroit chose, a mon advis, de mauvaise edification de separer et disjoindre l'esprit que Dieu a voulu estre un en toutes ces Maysons.

  A020002601 

 Et la chere petite, douce fondatrice est bien heureuse d'avoir [264] a souffrir quelque chose pour Nostre Seigneur, qui, ayant fondé l'Eglise militante et triomphante sur la croix, favorise tous-jours ceux qui endurent la croix; et puisque cette petite creature doit demeurer peu en ce monde, il est bon que son loysir soit employé a la souffrance..

  A020002602 

 J'admire ces bonnes Seurs qui s'affectionnent si fort a leurs charges: quelle pitié, ma tres chere Fille! Qui n'affectionne que le Maistre, le sert gayement et presque egalement en toutes charges.

  A020002602 

 Je pense que ces filles ainsy faites n'eussent pas esté bonnes pour celebrer le mystere du jourd'huy, car si Nostre Dame leur eust donné Nostre Seigneur entre leurs bras, jamais elles ne l'eussent voulu rendre; mais saint Simeon tesmoigne bien que, selon son nom, il avoit la parfaite obeissance, recevant cette douce charge si doucement et la rendant si joyeusement..

  A020002603 

 Quand sera ce que nous ne chercherons que Dieu? O que nous serons heureux quand nous serons arrivés a ce point la, car par tout nous aurons ce que nous chercherons, et chercherons par tout ce que nous aurons..

  A020002604 

 Dieu vous face de plus en plus prosperer en son pur amour, ma tres chere Fille, avec toutes nos cheres Seurs que je salue..

  A020002615 

 Je suys tous-jours attendant les despeches necessaires pour remettre l'eglise de Rumilly entre les mains des Peres de l'Oratoire, bien en peyne dequoy je n'ay plus que seze jours de loysir pour disposer de la cure vacante, apres quoy elle vaquera en Cour de Rome, sans que j'y puysse plus mettre la main; et c'est sans doute qu'il ne manquera pas d'impetrans, qu'il sera par apres malaysé de ranger au salutaire dessein de Vostre Altesse..

  A020002616 

 Que si Elle me permet de joindre a cette remonstrance un mot pour la Mayson de Thonon, je luy diray qu'elle n'a pas moins besoin de la venue des mesmes Peres de l'Oratoire que l'eglise de Rumilly, par ce que, sans cela, tout ce qui regarde l'eglise de Nostre Dame et les bastimens qui en dependent s'en va ruiné, ainsy que messieurs les deputés de la Chambre ont reconneu et ont tesmoigné a Vostre Altesse, la providence et pieté delaquelle je reclame en toute humilité, qui suis,.

  A020002632 

 Je respons a nostre chere Seur Superieure de Montferrant sur ce que vous me proposes par vostre lettre, bien marri que, pour ce qui regarde sa personne, je ne puis pas seconder le desir de madame de Chazeron; car, quant au vostre, Madame, je sçai bien les limites dans lesquelles vous le contenes affin que le service de Dieu soit en toutes occasions purement prattiqué: c'est pourquoy je ne vous fay point d'excuse..

  A020002633 

 Et quand, par une entiere sousmission et resignation a sa providence, vous vous despouilleres du soin du succes de vostre vie, mesme eternelle, es mains de sa douceur et de son bon playsir, il vous delivrera de cette peyne, ou vous donnera tant de force pour la supporter que vous aures sujet d'en benir la souffrance..

  A020002633 

 Quant a la crainte de la mort et de l'enfer qui afflige vostre chere ame, c'est veritablement une tentation de l'ennemy, mais que l'Amy bienaymé de vostre cœur employera par sa bonté a vostre progres en la pureté et humilité.

  A020002634 

 Comme s'il eust voulu dire: Je vous regarde, o souveraine Bonté, comme l'Estre infini, et me regarde comme un neant devant vous; et bien que vous soyes tel et moy telle, je demeure tous-jours pleyne de confiance avec vous.

  A020002634 

 Mon neant espere en vostre douce infinité avec d'autant plus d'asseurance que vous estes infini; j'espere en vous, en comparayson duquel je suis un vray neant..

  A020002635 

 Vous sçaves bien en la pointe de vostre esprit que Dieu est trop bon pour rejetter une ame qui ne veut point estre hypocrite, quelles tentations et suggestions qui luy arrivent.

  A020002646 

 J'ay fait ce mot par scrupule, ma tres chere Fille, car il me sembloit que je ferois mal si je ne vous escrivois ce mot pour saluer vostre cœur de la part du mien, puisque j'envoyay expres a M. Billet..

  A020002647 

 Au reste, Monseigneur le Prince veut en toute façon que nos Peres de l'Oratoire viennent, et on m'asseure que pour avoir les expeditions des secretaires de Son Altesse il n'y va point d'argent, mais ouy bien la patience, que j'ay jusques a present..

  A020002647 

 J'attens demain ou passé demain des nouvelles de M. de Saunaz, et au cas qu'il ne vienne pas, je prie M. Billet [268] de venir prendre la cure, pour la garder jusques a ce que le Pape ou moy en disposions autrement.

  A020002660 

 Madame ma tres chere Fille, J'ay loué Dieu de vostre santé et du contentement que madame la Comtesse de Saint Maurice vous a donné [269] et a tous ceux qui l'honnorent, par sa grossesse; et si mes vœux sont exaucés, il reuscira a la parfaite jouissance du fruit que vous en desires..

  A020002661 

 Quant aux papiers que vous avés desirés de mes freres pour les affaires qu'ilz ont eü avec feu monsieur de Treverney, puisque ilz ne les treuvent pas, il vous plaira d'en faire dresser telle declaration pour l'aquit que vostre conseil jugera convenable, et ilz la passeront; vous suppliant de croire que l'egarement a esté fait sans dol ni dessein, par seule inadvertence.

  A020002662 

 Et en tout je m'essayeray de vous tesmoigner que c'est de toute mon affection que je suis a jamais, Madame,.

  A020002697 

 Quel moyen que le service de Dieu, qui a des le commencement esté exposé aux contradictions, cesse de l'estre en un si miserable siecle? Mays je ne doute point que les opposans ne demeurent vains en leurs poursuites, sans autre satisfaction que d'avoir joué leur rollet et contenté leur humeur contantieuse.

  A020002698 

 Et moy je vay, avec nouveau courage, solliciter les expeditions requises a cett'affaire, la douceur et suavité des Peres de l'Oratoire m'excitant a cela, comme prævoyant que leur venue sera tout a fait salutaire a ce peuple..

  A020002698 

 Je croy que les gens d'honneur luy en sçauront gré.

  A020002714 

 Et moy, je suis tres bien resolut (sic) de vous le dire, et d'autres choses et tout, puisque vous estes ma cousine et fille tres chere, et que je suis.

  A020002714 

 J'avoys pensé de vous escrire un'asses longue lettre, en response de celle que j'ay receüe de vous; mays puisque, comme monsieur le Baron de Vallon m'a dit, on a mis remede a tout ce que vous craignies, il ne me reste a vous dire sinon que tous-jours je feray tout ce que je pourray pour le bien de ce cher filz et le contentement de ma tres chere fille, sa mere, laquelle pourtant il faut que j'advertisse d'avoir soin de sa santé: car on me dit, certes de tres bon lieu et de tres bon cœur, que vous ne prenes pas asses de soulagement pour la conserver et que vous n'espargnes pas autant quil est necessaire vostre force et complexion, et, plus quil ne faudroit, les moyens.

  A020002725 

 Certes, c'est bien tous-jours le desir de mon cœur que vous m'escrivies franchement selon le vostre; mays les nouvelles du vostre seront selon [le] mien quand vous m'advertires ou que vostre affaire est passee a Rome, si Dieu le veut ainsy, ou que si elle ne peut passer a Rome vous demeures accoysee, employant au soulagement de vos desirs les permissions que vous aves et les autres remedes qu'en ce cas-la je vous diray, Dieu aydant, selon quil plaira a la Providence souveraine de sa divine Majesté de me suggerer et de vous inspirer.

  A020002725 

 Il m'est advis, ma tres chere Fille, que mon esprit parlera au vostre d'un nouvel air quand je sçauray que la determination de vostre affaire sera tout a fait prise.

  A020002725 

 O ma tres chere Fille, ce ne seront plus meshuy des lettres entieres, ains seulement des billetz, jusques a ce que vous me donnies des nouvelles selon mon cœur.

  A020002727 

 Je salue madamoyselle vostre chere mere, que j'ay tous-jours cheri filialement des que je l'ay conneue; nostre tres chere seur Le Maistre, que je prie Dieu vouloir establir en l'amour du martire que son soin luy peut et doit donner; madame la Coadjutrice de Port Royal, que Dieu veuille rendre sainte par la tressainte et courageuse humilité, et toutes nos autres Seurs qui sont tous-jours au milieu de mon ame, notamment nostre Seur Anne, et nostre Seur Marie, et nostre petite seur Magdeleine, et nostre frere Simon..

  A020002738 

 Il ny a nulle difficulté qu'on ne puisse, ains qu'on ne doive recevoir madamoyselle de Pressin, ma tres chere Fille, si son esprit est appellé, ainsy que vous me dites; car encor bien qu'ell'eut fait promesse de mariage, et de plus encor, bien qu'ell'eut contracté et celebré le mariage en la face de la tressainte Eglise, pourveu qu'elle ne l'eut pas consommé, il est constant entre les docteurs tant des loix que de la theologie, qu'elle ne laisseroit pas de pouvoir entrer en Religion, et que par sa Profession elle rendroit le contract annullé et de nul effect.

  A020002738 

 Il se [276] faut arrester en cette affaire a la determination de l'Eglise, declaree par le Concile de Trente en ces motz: « Si quelqu'un dit que le mariage fait, appreuvé et confirmé, mais non pas consommé, n'est pas dirimé et annullé par la solemnelle profession de Religion, qu'il soit anatheme.

  A020002738 

 » De sorte, ma tres chere Fille, qu'en cela il ny a seulement pas aucune apparence de doute; et je vous ay ainsy marqué le Concile de Trente, affin que si vous voules conferer de cett'affaire avec quelqu'un, il n'ayt pas occasion de faire difficulté..

  A020002739 

 C'est un œuvre de charité presque le plus excellent qu'on puisse faire, bien plus grand sans comparayson que de bastir un hospital, recevoir les pelerins, nourrir les orphelins.

  A020002739 

 Mays devant les hommes, il ny a point de privilege que celuy d'estre supportee et assistee et honnoree au monastere, dans lequel les fondatrices seculieres obtiennent ordinairement l'entree plusieurs foys l'annee, et apres la mort des services particuliers.

  A020002739 

 Or cette fille icy voulant estre Religieuse, establira quant a elle son privilege, je m'asseure, a mieux obeir, si elle peut, que les autres, et a faire le plus de progres qu'elle pourra en l'humilité, pureté de cœur, modestie et obeissance..

  A020002739 

 Quant au second point que vous demandes, si cette damoyselle pourra tenir lieu de fondatrice, je dis qu'oùy, s'il est treuvé a propos par ceux qui vous conduisent, car les bienfacteurs notables peuvent tenir ce rang la.

  A020002740 

 La bonne Seur Helene Angelique Lhuillier, de Paris, qui fit profession le 12 de febvrier passé, ayant donné quinze mille escus, et ses parens desirans que, comme fondatrice, ell'eut quelques privileges, au jour de son vestement protesta que, puisque elle renonçoit a la mayson de ses parens, elle renonçoit aussi a tous les privileges [277] qu'ilz luy avoyent voulu reserver, puisque le privilege des vrayes Religieuses estoyt d'abonder en l'amour du cæleste Espoux..

  A020002741 

 C'est pourquoy, dautant plus je me res-joüys qu'elle face une si bonne election et que, quittant les amours peu aymables des hommes, elle se consacre a l'amour tres aymable de son Dieu, vray Espoux des ames genereuses..

  A020002742 

 A tant, je salue tres cordialement vostre ame, ma tres chere Fille, et par vostre entremise celles de nos Seurs, et celle de monsieur dAouste tres cherement, et celle encor de cette chere prætendente que je prie Dieu de vouloir benir eternellement..

  A020002757 

 Nostre Pere Dom Eustache de Saint Paul me dit expres en sa lettre, que je vous addresse celle qu'il desire de moy, et je l'ay fait tout a fait tres volontier, puisque ainsy j'ay un juste sujet de vous saluer, protestant que je ne pretens pas le reciproque de vostre part tandis que vous estes en exercice de ceux auxquelz il fut dit: Neminem per viam salutaveritis..

  A020002758 

 Et en cor me semble il que c'est a propos que je vous la destine aujourd'huy, jour de la Samaritaine, a la conversion de laquelle la bienheureuse [279] vierge Therese fut si devote, et a son cher mot salutaire: Domine, da mihi hanc aquam..

  A020002758 

 Nostre monsieur l'Abbé d'Abondance m'a dit que vous auries aggreable l'image ci jointe, si je vous l'envoyois; et la voyla donq a cette intention, consolé que vous ayes un petit memorial de mon affection parmi vos outilz de devotion.

  A020002759 

 Mais si je ne retiens l'ayse que je sens de vous parler, je violeray sans doute le respect que j'ay protesté de vouloir rendre a vostre sainte besoigne.

  A020002772 

 Je ne vous vis jamais, que je sçache, ma tres chere Fille, sinon sur la montaigne de Calvaire, ou resident les cœurs que l'Espoux celeste favorise de ses divines amours.

  A020002772 

 O que vous estes heureuse, ma tres chere Fille, si fidelement et amoureusement vous aves choisi cette demeure, pour en icelle adorer Jesus crucifié en cette vie! car ainsy [280] seres vous asseuree d'adorer en la vie eternelle Jesus Christ glorifié..

  A020002773 

 Gardés bien, ma chere Fille, d'entrer au festin de la Croix, plus delicieux mille et mille fois que celuy des noces seculieres, sans avoir la robbe blanche, candide et nette de toute autre intention que de plaire a l'Aigneau..

  A020002774 

 O ma chere Fille, que l'eternité du Ciel est aymable et que les momens de la terre sont miserables! Aspirés continuellement a cette eternité, et mesprisés hardiment cette caducité et les momens de cette mortalité..

  A020002775 

 Ne dites point: Comme pourray je oublier le monde et les choses du monde? car vostre Pere celeste sçait que vous aves besoin de cet oubli, et il vous le donnera, pourveu que, comme une fille de confiance, vous vous jetties entierement et fidelement entre ses bras..

  A020002776 

 Nostre Mere, vostre Superieure, m'escrit que vous aves de tres bonnes inclinations naturelles.

  A020002776 

 Plantés sur ces sauvageons les greffes de l'eternelle dilection que Dieu est prest de vous donner si, par une parfaitte abnegation de vous mesme, vous vous disposes a les recevoir..

  A020002777 

 Tout le reste je l'ay dit a la Mere; a vous je n'ay plus rien a dire, sinon que, puisque Dieu le veut, je suis de tout mon cœur.

  A020002789 

 Entre les filles desquelles la conversion est illustre en l'Evangile, il ny eut que la Magdeleine qui vint par amour et avec l'amour; l'adultere y vint par confusion publique, comme la Samaritaine par confusion particuliere; la Chananee vint pour estre soulagee en son affliction temporelle.

  A020002790 

 Il est tout certain, ainsy que on raconte l'histoire, que cette pauvre fille de laquelle nous parlons, n'avoit pas asses de generosité pour quitter l'amour de celuy qui la recherchoit en mariage, si la contradiction de ses parens ne l'y eusse contrainte; mais il n'importe, pourveu qu'elle ayt asses d'entendement et de valeur pour connoistre que la necessité, qui luy est imposee par ses parens, vaut mieux cent mille fois que le libre usage de sa volonté et de sa fantasie, et qu'en fin elle puisse bien dire: Je perdois ma liberté si je n'eusse perdu ma liberté..

  A020002790 

 Il faut regarder principalement les dispositions de ceux qui viennent a la Religion, par la suite et perseverance; car il y a des ames, lesquelles ny entreroyent point si le monde leur faisoit bon visage, et que l'on void neanmoins estre bien disposees a veritablement mespriser la vanité du siecle.

  A020002790 

 Il ne faut pas vouloir que tous commencent par la [282] perfection: il importe peu comme l'on commence, pourveu que l'on soit bien resolu de bien poursuivre et de bien finir.

  A020002791 

 Or, ma tres chere Fille, le moyen d'ayder cet esprit pour luy faire connoistre son bonheur, c'est de la conduire le plus doucement que l'on pourra aux exercices de l'orayson et des vertus, de luy tesmoigner un grand amour de vostre part et de toutes nos Seurs, sans faire nul semblant de l'imperfection du motif par lequel ell'est entree, de ne point luy parler avec mespris de la personne qu'elle a aymé.

  A020002791 

 Que si elle en parle, il faut renvoyer [283] le propos a Dieu, comme seroit de luy dire: Dieu le conduira par le chemin qu'il sçait estre plus convenable..

  A020002792 

 Puis, quand vous connoistres que la fille est bien resolue au party bienheureux de l'amour de Dieu, vous pourres permettre deux ou trois entreveües.

  A020002792 

 pourveu quil permette la presence de deux ou trois tesmoins; et si vous en estes l'un, il faut avec dexterité les ayder a se dire adieu, et, en louant leurs intentions passees, leur donner le change et dire qu'ilz sont bienheureux de s'estre arrestés au chemin dans lequel la rayson les a conduitz, et qu'une once du pur amour divin quilz se porteront l'un a l'autre des-ormais, vaut mieux que cent mille livres de l'amour par lequel ilz avoyent commencé leurs affections.

  A020002794 

 Si cette fille a l'esprit conditionné comme l'on m'a dit de vostre part, je m'asseure que bien tost elle se treuvera toute transformee, et qu'elle admirera la douceur avec laquelle Nostre Seigneur l'attire en son lict nuptial, parmi tant de fleurs et de fruitz odorans tout a fait celestes..

  A020002795 

 Quant a ce que le monde dira de cette vocation, il n'y faut faire nulle sorte de reflexion, car ce n'est pas aussi pour luy qu'on l'accepte.

  A020002796 

 Mais gardes vous bien de luy dire cette mauvaise pensee qui me vient en l'esprit; car, au reste, c'est une bien brave Seur que j'ayme parfaitement, parce que, comme je m'asseure, elle ne vit pas selon ses sentimens, ses aversions et inclinations, qui luy font desirer l'esclat et la gloire de son Monastere, ains plustost selon l'esprit de la Croix de Nostre Seigneur, qui luy fait perpetuellêment renoncer aux saillies de l'amour propre..

  A020002796 

 Quant a madamoyselle N., je dis de mesme qu'il la faut laisser venir, bien que le choix du lieu tesmoigne quelque imperfection de tendreté ou de motif meslé parmi sa vocation; comme reciproquement il y en peut avoir en l'aversion que nostre Seur Supérieure] de N. a, par adventure, de la voir venir de deça.

  A020002808 

 Et par ce, Monseigneur, que veritablement sa femme et ses enfans qui sont en grand nombre sont dignes de compassion, et qu'en la grace du pere est en-close la grace des enfans, de la femme et de toute la famille, qui ne peut vivre sans l'assistence actuelle de ce pauvre homme, je joins a la tres humble supplication que la Confrairie fait a Vostre Altesse pour ce sujet, ma tres humble recommandation; qui suys, Monseigneur,.

  A020002808 

 Il a pleu a Son Altesse d'accorder a la Confrairie de la Sainte Croix, autrement ditte du Crucifix, de Chamberi, la delivrance d'un criminel prisonnier, tel qu'elle [285] nommeroit chasque annee, le Jeudi Saint, en reverence de la Mort et Passion de Nostre Seigneur; et la pitoyable famille d'un homme de ce mandement d'Annessi a obtenu que il fut nommé et demandé en grace cette annee par laditte Confrairie pour estre liberé de la galere.

  A020002822 

 Avec cette commodité, je m'excuse, sil vous plait, dequoy ayant esté si souvent remis en memoire de mettre une fin, sil se peut, en l'affaire que vous aves avec les Dames de Sainte Catherine et le sieur Prieur de Rumilly, je n'ay neanmoins encor rien terminé.

  A020002822 

 C'est, Monsieur, que partie mes distractions, partie celles des parties mesmes, m'ont apporté de l'empeschement jusques a cett'heure.

  A020002832 

 Ma tres chere Fille, En peu de motz je vous dis que les ames qui sont si heureuses que de vouloir employer les moyens que Dieu leur a donnés, a sa gloire, doivent se determiner aux desseins qu'elles font, et se resoudre de les prattiquer conformement a cette fin.

  A020002833 

 Il doit, a mon [288] advis, suffire que tout l'interieur et tout l'exterieur des Filles de la Visitation est consacré a Dieu; que ce sont des hosties de sacrifice et des holocaustes vivans, et toutes leurs actions et resignations sont autant de prieres et d'oraysons; toutes leurs heures sont dediees a Dieu, ouy mesme celles du sommeil et de la recreation, et sont des fruitz de la charité.

  A020002833 

 Si cette bonne dame, que vous ne me nommes point, veut faire un monastere de Religieuses de la Visitation, il ne faut pas qu'elle les charge de grandes prieres vocales, ni de plusieurs exercices exterieurs; car ce n'est pas vouloir des Filles de la Visitation.

  A020002835 

 Il faut en cela mesme cultiver la pauvreté que nous estimons: que nous souffrions amoureusement qu'elle soit mesestimee..

  A020002836 

 Vous aves receu deux nouvelles, mais anciennes filles de vostre Mayson; le retour est tous-jours plus aggreable aux meres que le despart des enfans.

  A020002847 

 Et par ce que nous vous envoyons ma Seur Paule Hieronime Favrot qui de jour a autre attendoit de faire la Profession, affin de ne l'envoyer pas novice nous la recevons a Profession ce mattin; et soudain la ferons partir avec les autres troys, puisque il ny a pas lieu dans la carrosse pour plus de filles que pour 4.

  A020002847 

 L'inopinee venue de M. Roland nous presse de despescher nos cheres Seurs, qui ne devoyent partir, selon nostre compte, que sur la fin de la semaine suivante.

  A020002848 

 Ma Seur Paule Hieronime est une tres bonne fille, propre a tout, de bon esprit et de meilleur courage; ell'a autant de proprietés que la sauge, selon le mot de feu vostre filz de Torens.

  A020002848 

 Nous avions encor choysi ma Seur Françoise Agathe; mays voyans qu'il ny avoit place que pour 4, nous avons un peu favorisé sa mere qui avoit de la tendreté sur son depart, et non elle, qui partoit de bon cœur comm'ell'est demeuree de bon cœur.

  A020002850 

 Au cœur de nostre madame de Tolongeon il ne faut dire mot, sinon qu'il escoute bien celuy de sa mere: c'est tout ce que son vieux Pere luy desire.

  A020002852 

 O Dieu, que c'est une bonne chose de ne vivre qu'en Dieu, ne travailler qu'en Dieu, ne se res-jouir qu'en Dieu! Ainsy je salue vostre cœur, ma tres chere Mere, de tout le mien, qui est vostre.

  A020002867 

 Le pauvre peuple de Rumilly attend tous-jours en bonne devotion la venue des Peres de l'Oratoire en leur ville, et moy j'attens de Vostre Altesse les expeditions necessaires pour les faire venir et la et a Tonon, ou c'est la verité que rien ne peut remedier au mal qui y est, quant au mauvais ordre qu'il y a en l'administration des biens, que par cette venue dé ces Peres.

  A020002881 

 Tenes, ma tres chere Fille, voyla deux lettres pour Monseigneur de Clermont, l'une du bon monsieur vostre pere, l'autre de mov, qui tendent a mesme fin; vous les verres toutes deux, et, s'il vous plait, les cachetteres, et apres que le cachet sera sec, vous les luy rendres.

  A020002881 

 Voyla encor la lettre que monsieur vostre pere vous escrit et celle qu'il m'escrit a moy, par lesquelles vous verres comme tout se dispose a la fondation d'un Monastere a Chamberi; et tandis que pour le commencement on fera preparer les logis, nostre Mere pourra y estre, et vous a Dijon, affin que, comme en passant, vous y establissies cette Mayson-la avant que de venir establir celle de Chamberi: et ainsy sera vray tout ce que nous escrivons a Monseigneur de Clermont..

  A020002882 

 Je ne voy nulle sorte de difficulté en l'affaire de la bonne madame de Dalet, et me semble qu'il n'est point necessaire d'employer le tems a voir comme reüscira la remise de ses enfans entre les mains de M. et M me de Monfan; car il suffit de bien pourvoir a la personne et au bien [295] maintenant, et d'avoir une tres probable conjecture que tout ira bien.

  A020002882 

 Je suis bien ayse que vous la soulagies de vostre presence en cette affaire; nostre Mere, ce pendant, sera vostre avant courriere a Dijon et puis a Chamberi..

  A020002883 

 Vous pourres mesme, si vous le juges a propos, procurer dextrement que l'on commette quelques personnes qui ayent le loysir et la volonté entiere: comme seroit quelque bon Pere Jesuite, ou quelque Pere de l'Oratoire, ou quelque bon ecclesiastique.

  A020002884 

 C'est la verité que son esprit estant de la condition que vous me marqués, elle doit moins faire de consideration a se retirer et mettre a l'abry.

  A020002884 

 O que madame [de] Dalet est heureuse d'avoir un esprit si ferme au desir de la perfection du saint amour! Je la salue tres cordialement, et toutes nos Seurs; mais vostre chere ame, ma Fille bienaymee, je la salue de toute l'estendue des affections de la mienne, qui suis.

  A020002894 

 C'est la verité, ma tres chere Seur, ma Fille, que vous m'aves grandement consolé en la peine que vous aves [297] prise de m'escrire, puisque mesme, ainsy que je m'apperçois, vous estes celle a qui Dieu dispose de faire remettre la charge de Superieure.

  A020002894 

 On vous donnera le loysir de vous bien preparer par une entiere sousmission a la celeste Providence et un parfait encouragement a vous bien exercer a l'humilité et douceur, ou debonaireté de cœur, qui sont les deux cheres vertus que Nostre Seigneur recommandoit aux Apostres, qu'il avoit destinés a la superiorité de l'univers..

  A020002895 

 Ne demandes rien ni ne refuses rien de tout ce qui est en la vie religieuse: c'est la sainte indifference qui vous conservera en la paix de vostre Espoux eternel, et c'est l'unique document que je souhaite estre prattiqué par toutes nos Seurs, que mon cœur salue tres cherement avec le vostre, ma tres chere Fille..

  A020002905 

 L'on parle fort de faire la fondation de Turin, ou je croy que nous aurons besoin de vostre personne.

  A020002926 

 Monseigneur, Puysque ça esté l'intention de Son Altesse que la Sainte Mayson de Thonon servit de refuge a ceux qui, [300] de l'heresie, se convertiroyent a la sainte religion catholique, et que pour cela ell'a commandé par lettre expresse, et par mon entremise, encor, que, des revenuz d'icelle Sainte Mayson, fussent donnés cinquante escus d'or de pension annuelle au sieur de Corsier, gentilhomme bien nay qui, despuys sa conversion qu'il fit entre mes mains, a tous-jours vescu fort vertueusement en bon ecclesiastique, apres avoir perdu tous ses biens, il recourt a Vostre Altesse Serenissime, affin qu'il luy playse de luy faire effectivement joüyr de ce bienfait que la Sainte Mayson ne nie pas luy estre deu, mays qu'elle dit ne pouvoir payer, parce que les deniers que Son Altesse luy a assignés pour sa fondation manquent..

  A020002927 

 Et si d'ailleurs les Peres de l'Oratoire entrent en la Sainte Mayson, on espargnera les gages que l'on donne aux ecclesiastiques seculiers qui y sont maintenant, et de cette espargne on pourra payer cette pension et faire plusieurs autres bonnes affaires: qui sont les deux moyens que je voy, quant a present, plus propres pour remedier a la miserable pauvreté de ce gentilhomme, pourveu qu'il playse a Vostre Altesse que bien tost on les prattique, ainsy que tres humblement je l'en supplie,.

  A020002927 

 Or, Monseigneur, le sieur Gilette estant en cour et ayant charge des affaires de la Sainte Mayson, je croy que si Vostre Altesse luy commande efficacement de faire treuver laditte pension, il le pourra bien faire.

  A020002942 

 Je n'ose et ne doy pas aussi oser escrire a Vostre Altesse Reverendissime que pour des occasions pressantes..

  A020002943 

 Ce pauvre gentilhomme ecclesiastique desire, forcé de necessité, une grace de Vostre Altesse, selon que le R. P. Monod vous representera, Monseigneur.

  A020002943 

 Et pour moy, je n'adjousteray rien, sinon que veritablement la misere de ce personnage est digne de vostre misericorde, et sa pieté digne d'estre pitoyablement secourue..

  A020002959 

 Affin que, comme je desire infiniment, je vous puisse escrire souvent, ma tres chere Fille, il faut que je vous escrive, tant que faire se pourra, courtement; et je vous prie de me faire la consolation que de m'escrire aussi le plus frequemment que vous pourres..

  A020002960 

 Non, ma tres chere Fille: que l'on ayt partagé la charge du Pere spirituel de vostre Monastere, donnant a M. Le Blanc le soin de ce qui regarde vos affaires temporelles, et a M. Vincent celuy des choses purement spirituelles, il ny a point d'inconvenient; au contraire, il semble a propos, eu egard a la grandeur de la ville en laquelle vous estes.

  A020002961 

 O que de consolation quand je sçai que toutes sont bien unies a Dieu!.

  A020002961 

 Or sus, mon cœur salue le vostre de toute l'estendue de ses affections, et luy souhaite perpetuellement une sainte et amoureuse generosité au service de l'Espoux celeste, et pour vous et pour toutes nos Seurs; et, comme vous [303] sçaves, les nostres de ce Monastere y sont comprises, specialement ma Seur Jeanne Marie, ma niece, et ma Seur Marie Anastase, nostre premiere professe, et la grande fille de Moulins; et puis vous sçaves ce que nostre Seur Helene Angelique est a mon ame.

  A020002962 

 Je n'ose pas escrire a madame la Marquise de [304] Menelay si souvent; il suffit qu'ell'ayt aggreable que ce soit de tems en tems..

  A020002962 

 Je ne puis oublier madame la Marquise de Dampierre, ni les mouvemens que le Saint Esprit donne a son cœur; playse a sa divine Majesté de les benir et faire reuscir a la plus grande sanctification de son nom et de sa sainte Mere.

  A020002983 

 Ayant receu un brevet de Sa Sainteté, du vint huit d'avril, par lequel elle me commande de me treuver au Chapitre general des PP. Feuillantins qui se doit celebrer d'aujourdhuy en quinze jours a Pignerole, je prevoy qu'il me sera presque impossible de partir asses tost d'icy pour pouvoir aller faire, comme je serois obligé, la reverence a Son Altesse Serenissime et a vous, Monseigneur, et a Madame, avant que de me rendre au lieu de l'assignation; de sorte que je seray contraint de differer la tres humble reddition de ce devoir jusques apres la celebration de l'assemblee.

  A020002983 

 Ce que je supplie en toute humilité Vostre Altesse Serenissime de vouloir aggreer, et de m'honnorer des commandemens de Son Altesse et [306] des siens, si d'aventure j'estois si heureux de luy pouvoir donner quelque contentement en cette occasion, en laquelle, comme en toute autre, je seray invariablement,.

  A020002997 

 Cette fille me donne tout a propos la commodité de saluer vostre chere ame de tout mon cœur, ma tres chere Fille; et je le desirois bien fort, puisque il faut que je parte dans peu de jours pour aller en Piemont, par le commandement du Pape, qui m'oblige de me treuver au Chapitre general des Feüillans le 30 de ce moys, affin d'y præsider au nom du Saint Siege.

  A020002997 

 Mays avant que je parte, je dresseray tout ce quil faut pour l'eglise de Rumilly, selon que le Prince Thomas m'a commandé, et treuveray tout prest a mon retour, qui sera dans six semaines au plus tard..

  A020003014 

 Or, Monseigneur, il a besoin de vostre faveur pour les affaires dont je vous envoye la note au memoire ci joint; et je vous supplie donq tres humblement de l'en gratifier volontier, en sorte qu'il connoisse que vous aves aggreable mon intercession, et que j'ay veritablement le bonheur d'estre aymé de vous en la qualité que je porte de si bon cœur, Monseigneur, de.

  A020003014 

 Or, monsieur de Bellecombe est l'un des principaux suivans ordinaires de Son Altesse et son maistre d'hostel actuellement servant maintenant; chevallier que je regarde avec un honneur extreme, non seulement par ce qu'il est serviteur d'un si grand Prince et qu'il est de mes principaux amis, mais aussi par ce que veritablement il est plein de tant de vertu et de merite qu'il est impossible de le connoistre et ne l'affectionner pas ardemment.

  A020003031 

 C'est le grand et inviolable desir que j'ay pour vous et pour moy, qui seul estant observé et prattiqué, nous consolera au depart de ce monde..

  A020003031 

 Je confesse, ma tres chere Fille, que je ne suis pas satisfait de vous avoir si peu veuë, mais je le suis grandement de vous avoir si bien veuë, puisque j'ay veu vostre cœur bienaymé et, au milieu de vostre cœur, nostre cher Redempteur qui y a rallumé le feu sacré de son amour celeste.

  A020003031 

 O mon Dieu, ma tres chere Fille, combien estes vous obligee a cet Amour eternel, qui vous est si bon et si doux, et qui, comme un bon Pere, a tant de soin de vous inspirer continuellement le desir d'estre toute sienne! Comme pourries vous jamais esconduire ses paternelles semonces, ni rompre le sacré et advantageux marché qu'il a fait avec vous, par lequel il se donne tout a fait a vous, pourveu que vous soyes tout a fait a luy? Soyons le meshuy sans reserve, ma tres chere Fille, et sans condition quelcomque.

  A020003032 

 Je le veux bien, ma tres chere Fille, puisque vous en aves du desir, que vous facies la sacree Communion tous les huit jours; m'asseurant qu'a mesure que vous approcheres plus souvent de ce divin Sauveur, vous tascheres [310] de luy rendre aussi plus d'amour et de fidelité en son service, et que le jour de vostre Communion vous vous garderes de donner sujet a ceux avec lesquelz vous converseres de penser que vous n'estimes pas asses l'honneur de la reception de vostre Salut..

  A020003033 

 Mais comme que ce soit, gardes cette representation de larmes comme un memorial de celles de Nostre Seigneur, qui vous face ramentevoir de l'obligation que vous aves a la dilection qui fit pleurer cette infinie Bonté pour nous, et d'un motif parfait de ne jamais offencer une si merveilleuse et aymable Douceur..

  A020003058 

 Hier, 10 de ce mois, à la vingtième heure, fut clôturé et terminé le Chapitre général des Feuillants; et à la vingt-quatrième je reçus la lettre du 28 mai que Votre Seigneurie Illustrissime voulut bien me faire adresser, par laquelle, suivant l'ordre de Sa Sainteté, elle [312] m'enjoignait de faire élire un italien pour Prieur de Saint-Bernard de Rome..

  A020003059 

 Je crois avoir ainsi accompli, autant qu'il m'a été possible, ce que vous m'avez ordonné en cette occasion..

  A020003059 

 La Congrégation, et surtout son Général, n'auront jamais de plus ardent désir que de demeurer soumis au bon plaisir de Sa Sainteté et à ce qui leur sera indiqué par Votre Illustrissime Seigneurie.

  A020003059 

 Mais toutes les élections étant faites deux jours auparavant et tous les Pères capitulants congédiés, j'ai prié ce matin le Père Général et les Assistants de donner ordre à ce que l'élection faite en Chapitre d'un français soit révoquée et transférée à un italien.

  A020003059 

 Toutefois, comme le Père Général doit se rendre à Rome au mois de septembre, on a décidé que le Prieur élu de Saint-Bernard ne prendrait pas possession de sa charge jusqu'à ce que le Général lui-même ait présenté ses hommages à Votre Seigneurie Illustrissime et reçu ses ordres; de sorte que, en qualité de protecteur des Feuillants, Elle pourra alors, si bon lui semble, transférer l'élection de ce [313] français faite en Chapitre, au Prieur de Sainte-Pudentienne, qui est italien.

  A020003072 

 J'ay conferé aussi les Ordres mineurs à plusieurs, suivant le desir que monsieur vostre Vicaire general m'a tesmoigné que vous en aviez..

  A020003073 

 Je m'asseure, que Vostre Seigneurie Illustrissime aura pour chose fort aggreable de le voir favorablement quand il se rendra à Rome l'automne prochain; parce que c'est un personnage de tres-grand merite, et qui a servy et servira à l'advenir la saincte Eglise par ses doctes escrits, et d'ailleurs, parce qu'ayant esté creé General au Monastere de Vostre Seigneurie Illustrissime, il se promet et attend beaucoup de vostre protection..

  A020003073 

 Quant au Chapitre general qui y a esté celebré, je puis dire avec verité que je n'ay jamais veu assemblée plus modeste, plus religieuse, ny où la paix reluisit avec plus d'esclat qu'en celle-là.

  A020003074 

 Je remercie tres-humblement Vostre Seigneurie Illustrissime de ce qu'Elle a daigné me commander et se servir de moy en ceste petite occasion; car c'est la plus grande [316] gloire que je pouvois esperer.

  A020003086 

 Il n'a esté veu entr'eux ny discorde, ny dispute, ny la moindre contradiction, mesmement à l'eslection du General, qui a esté faicte d'une approbation tres-generale et par le concours quasi de tous les suffrages; comme certes il estoit tres-convenable, puis qu'ils faisoyent choix d'une personne dont le sçavoir est tres-eminent, la probité exquise et la prudence admirable, et duquel les travaux ont esté tres-heureusement et utilement employez pour la propagation de la saincte foy catholique, comme ses diverses traductions de quelques anciens Peres grecs et quelques traictez qu'il a escrits contre les heresies de ce temps le demonstrent visiblement: de sorte qu'il n'estoit point necessaire que l'authorité Apostolique intervinst en un Chapitre de telle qualité..

  A020003086 

 La lettre que Vostre Seigneurie Illustrissime a eu aggreable de m'escrire, du sixiesme de may, m'oblige de mettre la plume à la main pour vous asseurer que le Chapitre general des PP. Fueillans a esté tenu avec tant de paix et un si unanime consentement des esprits et des [317] volontez de ceux qui y ont assisté, que ces braves Religieux me sembloient plustost une assemblée d'Anges, que d'hommes mortels.

  A020003087 

 Et toutesfois, puis que le commandement de Sa Saincteté l'a ainsi ordonné, j'ay assisté à tous les actes capitulaires qui ont esté faicts, et en rends compte à Vostre Seigneurie Illustrissime; vous suppliant de toute mon affection, que, comme vous avez tousjours honoré de vostre faveur ceste Congregation, il vous plaise luy continuer la mesme bienvueillance, la mesme protection, à fin qu'elle aille tousjours perseverant et croissant en la saincte observance de la discipline religieuse..

  A020003100 

 J'ay receu avec la tres-humble reverence que je doy, la lettre de Vostre Seigneurie Illustrissime, du vingt-uniesme de may, laquelle m'a rencontré entierement et prompt et remply d'allegresse pour vous obeyr.

  A020003100 

 Mais c'est la verité que j'ay esté tres-inutile aux Peres Fueillans; car ils se sont comportez en leur Chapitre general avec tant de pieté, avec tant de paix, d'union et de tranquillité, que je n'ay eu aucune occasion de les servir, comme Vostre Seigneurie Illustrissime me commandoit et comme je le desirois ardamment..

  A020003101 

 Et pour ce, je ne doute point que ceste eslection ne soit tres-aggreable à Vostre Seigneurie Illustrissime, laquelle, pour ne point entretenir plus long-temps avec des termes mal polis et grossiers, je supplie de me permettre que, comme Elle m'a recommandé ceste Congregation, je la recommande semblablement avec une tres-profonde reverence à son affection et à sa tres-amoureuse charité..

  A020003102 

 Je vous baise tres-humblement les mains, et vous souhaitte du Ciel les felicitez que souhaitte pour soy-mesme,.

  A020003112 

 L'asseurance que les Peres Fueillans m'ont donnée de l'amour et de la faveur que Vostre Seigneurie Illustrissime porte à leur Congregation, m'oblige de vous exposer comment, ayant pleu à Sa Saincteté m'establir President de leur dernier Chapitre general, j'ay rencontré parmy eux une concorde et une pieté si rare, que j'ay esté touché en moy-mesme d'un particulier sentiment d'obligation de louer infiniment la divine Majesté, qui a communiqué à des hommes mortels une si douce et aymable paix d'esprit..

  A020003113 

 Ses rares escrits rendent une manifeste preuve de cecy, Dieu s'estant servy de sa plume pour apporter beau-coup d'ornement à la saincte doctrine catholique, par les tres-utiles traductions qu'il a faictes de quelques Peres grecs et par les tres-beaux livres qu'il a composés pour la refutation des heresies de ce temps: dont je ne doute point que Vostre Seigneurie Illustrissime ne reçoive un grand contentement de ceste eslection et de l'heureux succez du Chapitre.

  A020003126 

 Puis que je cognoy l'affection particuliere dont le sainct zele de Vostre Seigneurie Illustrissime a tousjours embrassé et procuré les interests et l'advancement de la Congregation des PP. Fueillans, il m'a semblé estre de mon devoir de luy donner advis sur le succez de leur dernier Chapitre general, auquel, comme sçait Vostre Seigneurie Illustrissime, Sa Saincteté m'a donné ordre d'assister en qualité de President..

  A020003127 

 J'asseure donc Vostre Seigneurie Illustrissime que toutes choses s'y sont passées avec une si estroicte union d'esprit, de paix et de pieté, que ces nobles qualitez n'y [322] pouvoient pas estre desirées en un plus excellent degré: de sorte que je puis dire ma presence y avoir esté tres-inutile, n'ayant eu autre exercice pendant cest employ, sinon de gouster en moy-mesme la douceur et la consolation en la veuë de tant de modestie et de tant de vertu.

  A020003128 

 Car il me semble que luy ayant reüssy d'escrire avec l'heur et la grace qu'on remarque es traductions du grec en latin et en françois qu'il a données au public, et en refutant les heresies de ce temps, il pouvoit rendre un plus grand et plus important service à la saincte Eglise en la continuation de cest employ.

  A020003128 

 Et pour moy, je ne trouve en tout cecy qu'une chose à redire: c'est qu'il me semble que ce n'est pas un detriment de peu d'importance au public, qu'un personnage d'une condition si eminente et qui a escrit tres-elegamment pour le service de l'Eglise, se trouve neantmoins maintenant occupé ès affaires qu'apporte la charge et la Superiorité qu'on luy a imposée, encore que ceste charge soit sur des personnes religieuses et qui font profession de la perfection monastique.

  A020003128 

 Toutesfois, puis que la divine Providence l'a ainsi ordonné, il est à esperer qu'elle se veut servir de sa promotion au Generalat pour faire reüssir par ce moyen quelque grand fruict à son Ordre et à la saincte Eglise catholique..

  A020003157 

 Aussi n'y a-t-il [324] plus rien à désirer, sinon que cette union, ou mieux cette unité entre tant de têtes de diverses nations, que l'on peut et que l'on doit maintenant louer, puisse et doive mériter les mêmes louanges à l'avenir..

  A020003158 

 Aussi y a-t-il lieu de croire que sous son gouvernement toute la Congrégation produira des fruits de jour en jour plus abondants..

  A020003159 

 [325] Ce sont des récits peu sérieux et presque badins, des hymnes sans suite, grâce au mélange des mots, nombre d'endroits entachés de pensées obscures: il est décent que tout cet ensemble soit rejeté hors de l'église de Dieu.

  A020003160 

 Que Dieu très bon et très grand conserve le plus longtemps possible les jours de Votre Sainteté: tel est l'objet de tous mes vœux, de mon humble prière, de mon ardent désir..

  A020003184 

 Il ne reste plus qu'une chose à désirer: c'est que cette union, ou plutôt cette unité, entre des hommes de tant de provinces et de nations différentes, continue dans l'avenir à mériter les éloges qu'elle mérite aujourd'hui..

  A020003184 

 Tout cela s'est passé dans une si parfaite harmonie des coeurs, une si grande paix, une telle douceur, que l'on ne saurait rien voir de plus suave, de plus aimable.

  A020003185 

 On doit donc espérer que, sous son gouvernement, toute cette Congrégation produira des fruits de jour en jour plus abondants.

  A020003196 

 Or, [330] je ne diray rien des tiltres d'honneur et de faveur dont vous estes si liberale envers moy, sinon que je ne cesseray jamais de vous souhaitter toute sorte de consolation et quelque digne occasion de vous tesmoigner combien je vous honnore..

  A020003197 

 Et affin qu'il vous playse, je ne veux point user de longs discours, ains seulement dire que si vous le faites, vous feres une chose infiniment aggreable a Dieu; car cela suffit a une ame genereuse pour luy faire prendre toutes sortes de resolutions..

  A020003197 

 Je ne vous diray donq pas autre chose sur le dessein que madame [de Dalet], vostre fille, a de se retirer dans le monastere, sinon que je croy fermement que c'est une veritable inspiration divine, ne voyant tout a fait aucune rayson au contraire, puisque, graces a Dieu, elle a de si justes et dignes garens de la personne et biens de ses enfans, pourveu qu'il vous playse, et a monsieur [votre mari], de vous charger de cette peine.

  A020003198 

 Je voy bien qu'il y a plusieurs repliques a ce que je dis; mais je croy bien aussi qu'en ces occurrences il n'est pas question de contester et de disputer, ains de considerer les maximes de l'Evangile, qui sans doute nous conduisent au parfait despouillement, et au mespris de la sagesse temporelle qui ne s'arreste a la sagesse de la vertu que requiert l'excellence et l'eminence de l'amour celeste..

  A020003199 

 Car, presupposé la charité de monsieur vostre mari et la vostre [331] envers vos petitz enfans pour avoir soin d'eux et de leurs petitz affaires, et asseurer madame vostre fille pour luy [donner] commodité de vivre plus parfaitement sous l'ombre de la Croix, que peut on dire autre chose sinon que Dieu a donné l'inspiration a la fille de se retirer, et au pere et a la mere de luy en donner les moyens? Je sçai qu'a faire ces grandes et heroïques vertus il y a de l'effort; mays c'est aussi de la d'ou elles tirent leur plus grande gloire..

  A020003199 

 Mais, Madame, si cette chere fille de vostre cœur s'arreste dans les bornes que vostre authorité luy préfixé, de n'estre au monastere que comme fondatrice, sans changement d'habit ni de condition exterieure, je ne croy pas que la plus sage sagesse humaine puisse sagement gronder, ni, je m'asseure, probablement murmurer.

  A020003200 

 C'est une des plus aymables conditions que vous puissies avoir, je le confesse; mais il faut adjouster une autre grandement pretieuse, qui est de ne point user de vostre authorité maternelle contre cet esprit qui, pour eviter le coup, se desrobe plustost que de parer..

  A020003201 

 Et partant, Madame, je vous donne de rechef asseurance de ce que dessus, et signe expres sous la promesse que je vous en fay..

  A020003201 

 Je vous en donne ma parole plus clairement: je n'ay nulle authorité sur les Monasteres de la Visitation qui sont hors de mon diocese, de sorte que je ne puis m'obliger sinon a ne point consentir, ains a faire tout ce que je pourray, non point par authorité, mais par credit que j'espere d'avoir envers les Superieures de ces Monasteres, et particulierement avec madame [Favre], de laquelle je suis grandement certain qu'elle suivra en cela ma direction.

  A020003201 

 Mais quant a moy, Madame, je vous proteste que je n'use point d'equivoque quand je vous prometz en bonne foy que, demon costé, je ne consentiray point que madame [de Dalet] prenne l'habit de la Visitation que quand, par une veritable attestation, j'auray esté asseuré de vostre consentement: de cela je vous prie de le bien croire.

  A020003210 

 Ce n'est pas peu que d'estre dans les porches de la mayson du Seigneur..

  A020003210 

 Vous ne vivres pas moins au gré de l'Espoux celeste, qui ne prend pas garde a l'exterieur et duquel vous ne seres pas moins [bien] veuë en verité, bien que l'apparence sera moindre.

  A020003212 

 Je croy que madame vostre mere s'en contentera; au moins, la reputation qu'elle a d'estre de si bon jugement l'y oblige..

  A020003212 

 Je donne au reste toutes les asseurances [333] que je puis pour vostre personne.

  A020003212 

 Je n'ay pas voulu respondre a toutes les plaintes maternelles pour ne point m'embarrasser, ormis sur celle de madamoyselle vostre fille, que je consens estre remise a cette bonne mere, attendant qu'elle puisse faire choix de sa vocation.

  A020003213 

 Je suis sur mon depart de cette cour, mays je vous escriray soudain que je seray a Annessi, ou j'attendray a chaque commodité de vos lettres pour sçavoir en quel estat seront vos saintes affaires, ne me pouvant empescher d'estre grandement touché du desir de vostre consolation et sur tout de vostre perfection..

  A020003225 

 Et tandis, je vous asseure que je n'ay nullement oubliee la priere que je vous fis a mon depart, de prendre resolution sur l'affaire de Dumont par l'advis de nos amis; et ce fut la premiere chose que je luy dis quand il vint icy.

  A020003225 

 Je vous escrivis hier; aujourdhuy je redis que j'espere, dans huit ou 9 jours, partir pour mon retour.

  A020003225 

 Mays par ce que, d'un costé vous m'escrivies d'une sorte [334] qu'il sembloit que vous n'avies pas faite une resolution finale, et que d'ailleurs il se sousmettoit a l'examen de la cause, je luy dis que, estant arrivé, nous considererions de rechef son affaire, et que si ce n'estoit point chose contraire a l'equité, nous aurions soin de ne point le precipiter dans la demission de sa charge..

  A020003226 

 Je suis bien ayse que les filles de Sainte Catherine ayent fait leur affaire en mon absence; et avant que je parte on despechera a Rome pour la reformation generale, ainsy que Monseigneur le Prince resolut avanthier..

  A020003227 

 Il ne sera, je pense, pas besoin d'envoyer a Louvain, puisque Son Altesse prendra les moyens convenables pour accoyser'ces messieurs les Proviseurs, et que le Pape interviendra en cett'affaire.

  A020003242 

 J'appreuve, ma chere Fille, ce que vous me proposes, de tirer de Montferrant ma chere grande Fille, quoy qu'elle soit actuellement Supérieure, pour l'envoyer [336] occuper vostre place a Dijon, d'ou vous ne partires point, ma chere Fille, qu'elle n'y soit establie..

  A020003252 

 Mais apres cela, je proteste que je ne veux rien que vivre et mourir en la grace et volonté de Dieu.

  A020003252 

 Oh! que je serois heureux si d'icy a un an ou deux je pouvois tellement partager avec vous ma charge, que je peusse tenir la partie de Magdeleine, et vous celle de Marthe! Non certes que je desire celle de Magdeleine parce qu'elle est meilleure; mais parce que, si je pouvois estre un peu en repos aux pieds de Nostre Seigneur, il m'est advis que j'apprendrois certaines choses que je pourrois laisser tres utilement a la posterité par escrit, selon l'exhortation que tant de gens de bien m'en ont fait.

  A020003275 

 J'avoue ingénuement à Votre Altesse, qu'en cette académie de piété où vivent les Sérénissimes Infantes, j'ai goûté une consolation si grande, que, quoique ma profession ecclésiastique et mon éducation dans les lettres sacrées soient assez éloignées de la vie de la cour, j'ai néanmoins éprouvé un singulier plaisir à demeurer ici, pour jouir en particulier de la vue d'une piété telle qu'elle reluit en ce trio d'Infantes..

  A020003275 

 Me trouvant maintenant à la veille de mon départ de cette cour, je viens, par ces quelques lignes, offrir aussi mes très humbles hommages à Votre Altesse Sérénissime que j'ai eue continuellement [338] devant les yeux de l'esprit en la personne des Sérénissimes Infantes.

  A020003276 

 C'est pourquoi j'espère, Madame, que vous daignerez m'excuser et que vous n'attribuerez pas à présomption cette marque de confiance..

  A020003276 

 Je ne parlerai pas à Votre Altesse des faveurs reçues de leur bonté; mais je dirai bien que celle que me fait la Sérénissime Infante Françoise-Catherine en m'ordonnant de saluer ainsi par écrit et à la hâte Votre Altesse, est une des plus grandes et précieuses que je [339] pusse attendre en ce monde.

  A020003302 

 Et comme toutes regardent la plus grande gloire de Dieu et qu'elles ne peuvent réussir que par l'intervention de la main très puissante de Votre Seigneurie Illustrissime, je les lui recommande, et à sa piété et à sa sollicitude, avec un très profond respect.

  A020003316 

 J'estois malade en Piemont quand je receu vostre lettre du 27 may; maintenant, de retour au lieu de ma residence, je vous remercie tres humblement de la souvenance que vous aves de moy qui, reciproquement, ay gravé en mon ame le respect que je doy a vostre vertu [342] et pieté, tesmoignee, de vray, par l'assistence que vous fistes a madame de Gouffier pour la reception des Filles de Sainte Marie de la Visitation..

  A020003317 

 Et partant, j'escritz a la Superieure delaquelle vous vous plaignies, qu'autant qu'il se pourra bonnement faire selon Dieu, elle contente vostre desir, en consideration de celuy que j'ay tres ardant de vous rendre service.

  A020003317 

 Que si, apres cela, il se treuve quelque difficulté, ce sera a l'authorité de Monseigneur le Cardinal Evesque de Paris, ou a ceux qui ont charge de luy, de la resoudre..

  A020003318 

 Au reste, Monsieur, il ny a aucun article secret es Constitutions de l'Institut de Sainte Marie, sinon qu'il ayt esté adjousté si secretement que je n'en aye jamays eu connoissance.

  A020003318 

 Car, quant a moy, je puis [dire], quant a cela, a l'imitation de Nostre Seigneur et Maistre: I n occulto locutus sum nihil; il ny a rien de caballistique en tout ce que j'ay jamais dit ny escrit.

  A020003318 

 Que si [343] quelqu'un vous a dit le contraire, il a eu tort, de moy qui sçai, des le tems mesme que vous me marques et duquel la memoire m'est si douce, quand j'avois le bonheur d'estre avec vous au college, que veritas non quærit angulos, et qu'il ny a nulle finesse au vray service de la pieté..

  A020003319 

 Et de plus, Monsieur, bien que l'exercice de la meditation soit grandement desirable es Monasteres, si est ce que, quand toutes les autres qualités se treuvent en un esprit, j'ay tous-jours jugé que celle de n'estre pas propre a former les meditations n'estoit pas suffisante pour forclorre un'ame du cloistre.

  A020003319 

 Et quant aux fraitz que vous aures faite pour l'essay, qui n'auront pas esté employés pour la personne propre de celle qui l'a fait, je croy que vous n'en aures pas du refus..

  A020003319 

 Peut estre donq y aura-il en madamoyselle vostre fille quelqu'autre manquement, non es choses essentielles de la pieté simplement, mays, a l'aventure, en ce qui est requis au genre de vie des Seurs de la Visitation, qui provoque la Superieure a la desirer ailleurs; car je ne puis m'imaginer que, sans rayson, de gayeté de cœur, ni mesme de fierté de courage, elle voulut fascher un personnage de vostre condition, et refuser le sejour au monastere a une fille si bien nee comm'est la vostre, Monsieur.

  A020003320 

 En somme, puisque vous m'aves fait lhonneur de m'aymer des il y a si long tems, je vous supplie tres humblement de continuer tous-jours, Monsieur, et de croire que de tout mon cœur je seray toute ma vie.

  A020003337 

 Helas! que vous aures bien eu de la patience en l'attente de la response..

  A020003338 

 Je ne treuve nulle difficulté que la [mère de monsieur] de la Gamelle soit receue en vostre Mayson pour y demeurer [en habit] seculier, pourveu qu'il soit modeste, selon son ordinaire; qu'elle] couche sur les plumes ou [en autre] telle sorte, pourveu...; car en tout cela [il n'y a aucune] messeance... p[our la] cha[rité]... par la plus douce... bonne... le plus grand secours de son aage.

  A020003339 

 Je me res-jouys dequoy vous aves un si bon Pere spirituel et un si bon confesseur; cela vous doit soulager au desplaysir que les incommodités de vostre logis vous doivent donner.

  A020003352 

 Il est vray que des il y a long tems je me suis apperceu des desirs que plusieurs de vos Filles avoyent de la reformation; et, tout autant que la conscience me l'a peu permettre, je vous l'ay signifié de tems en tems.

  A020003352 

 Mais il est vray aussi que j'eusse souhaité qu'elles eussent eu encor un peu de patience, puisque nous [347] sommes a la veille de voir un ordre general pour la reformation de tous les Monasteres de cette province de deça les mons, notamment des filles, parmi lesquelles les moindres defautz sont plus blasmés que les grans parmi les hommes.

  A020003353 

 Mon inclination estoit que l'on attendist de faire celuy ci jusques a ce que l'ordre en fust venu de Rome, affin qu'il y eust moins de resistance; la ferveur de la charité de quelques unes ou, si vous voules, l'ardeur de la propre volonté des autres, a fait choisir un autre moyen qui leur sembloit plus court; il ne faut pas pour cela le rejetter, ains il faut y contribuer tout ce que la sainte, sincere et veritable charité nous suggerera.

  A020003353 

 Tous les defautz qui arrivent en une bonne œuvre n'en gastent pas la bonté essentielle: d'ou que le bon vienne, il le faut aymer.

  A020003354 

 Il [348] importe peu que le bien se face d'une façon ou d'autre, pourveu qu'il se face en sorte qu'il en revienne plus grande gloire a Nostre Seigneur.

  A020003354 

 Madame ma tres chere Cousine, ma Fille, que cette affaire ayt esté entreprise, je le sceu le jour avant mon depart de cette ville; que l'on en soit venu a l'execution, je le sceu en Argentine; mais vous aves esté la premiere qui m'aves donné connoissance de la particularité, bien que despuis j'en aye appris encor davantage.

  A020003366 

 Il suffira que je responde aux principales demandes que vous m'aves faites..

  A020003367 

 Je le croys, ma tres chere Mere, car je le voys, que toutes les Superieures desirent de voir les filles maussades et fantasques esloignees de leurs monasteres, car c'est la condition de l'esprit humain de ne se plaire qu'aux choses plaisantes.

  A020003367 

 Mais je suis tout a fait de vostre advis, que l'on n'ouvre point la porte au changement de monastere pour les filles qui le desireront, ains seulement pour celles qui, sans le desirer, seront pour quelqu'autre rayson envoyees par les Superieurs; car autrement, le moindre [349] deplaisir qui arriveroit a une fille seroit capable de l'inquieter et luy faire prendre le change, et en lieu de se changer elles mesmes, elles penseroyent d'avoir suffisamment remedié a leur mal quand elles changeroyent de monastere..

  A020003368 

 J'ay respondu a madame de Monfan et a madame de Dalet sur les lettres qu'elles m'escrivirent tandis que j'estois a Turin..

  A020003369 

 J'ay veu l'exercice que ces deux filles font a nostre Superieure de Paris, mais je ny vois point de remede, sinon celuy de la patience et de la confiance en Dieu.

  A020003369 

 [350] Monsieur Sanguin m'escrit une grande lettre et m'a fait escrire par Monsieur le Duc de Nemours sur les difficultés que l'on fait a sa fille; mais je n'ay rien a respondre sinon que les Superieurs qui sont sur les lieux doyvent decider ce fait, et non moy, qui ne puis estre instruit que par le recit des parties et qui, au reste, ne suis pas juge competant..

  A020003370 

 Celle de Nevers ne m'en a point escrit, mais les plaintes de celle de Moulins tesmoignent que l'opinion du bon droit est grandement enracinée en l'esprit de l'une et de l'autre..

  A020003370 

 Est il possible que des filles nourries en l'escole de la folie de la Croix, soyent tellement affectionnees a la prudence du monde que ny l'une ny l'autre ne veuille point ceder et que chacune sache tant alleguer de termes de justice? Il faudra tascher pourtant d'arrester celle qui aura moins de rayson, pourveu qu'encores l'esprit du monde luy permette de se laisser condamner; mais je ne croys pas que cela se puisse faire avant vostre venue.

  A020003370 

 Je suis bien plus scandalisé des contestes qui sont entre nos Seurs Superieures de Moulins et de Nevers pour certains mille escus que je voudrois plustost estre au fons de la mer qu'en l'esprit de ces filles.

  A020003371 

 J'ay aussi presque une mesme aversion au grand desir que les Superieures ont que l'on decharge leurs Maysons [351] par le moyen des fondations; car tout cela depend du sens humain et de la peine que chacune a a porter son fardeau.

  A020003371 

 Soit donq que l'on decharge la Mayson de Monferrant ou celle de Moulins par la fondation de celle de Rion, il me semble qu'il importe fort peu..

  A020003372 

 Je suis bien ayse du contentement que vous aves de nostre Seur Françoise Augustine et de nostre Seur Parise, comm'aussi je plains beaucoup l'esprit de nostre Seur Valeret qui n'a sceu s'accommoder a l'Institut.

  A020003374 

 La quantité des malades de la Mayson de Paris est un grand presage de la benediction que Dieu y veut mettre, quoyque le sens y repugne..

  A020003375 

 J'ay un grand desir d'escrire a ses deux filles sur ce sujet, mais maintenant je n'ay pas la commodité, non plus que d'escrire a monsieur le premier President; en lieu dequoy je prie Dieu pour leur consolation et pour le repos de l'ame de cette chere personne que j'aymois et honorois de tout mon cœur, et de l'absence de laquelle je serois bien affligé davantage si je ne prenois asseurance en la misericorde [353] de Dieu qu'elle jouit des a present du bien auquel elle a tous-jours aspiré..

  A020003375 

 Je crois que les mayson s pieuses de Dijon et de la Bourgoigne auront beaucoup perdu en ce trespas, mais il arrive rarement que l'un proffite sans la perte de l'autre.

  A020003375 

 Je suis consolé de l'agreable ædification qu'elle a laissé par les bons exemples de sa vie, qui estoit certes totalement dedié (sic) au service de Dieu, ainsy que j'ay reconneu des que j'ay eu le bien de la connoistre.

  A020003376 

 Ce m'a esté aussi une deplaisante nouvelle que celle de Monseigneur le Cardinal de Rés, non seulement pour la perte que l'Eglise a fait en son trespas, mais aussi parce que j'ay consideré en iceluy le deplaisir de madame la Marquise de Menelay, de monsieur le General des Galeres et de madame sa femme et de toute ceste mayson la que j'honnore de tout mon cœur.

  A020003376 

 En somme, il n'est pas en nostre pouvoir de garder les consolations que Dieu nous a donnees, sinon celle de l'aymer sur toutes choses, qui est aussi la benediction souverainement desirable..

  A020003378 

 Ma tres chere Mere, je vous escris de la main de monsieur Michel jusques a present, que j'acheve de tout mon cœur, vous priant de me tenir tous-jours pour ce que je suis, ainsy que vous sçaves vous mesme,.

  A020003380 

 Vous fistes excellemment de recevoir la femme que Monseigneur de Langres vous addressoit: Bienheureux sont les misericordieux, car Dieu leur fera misericorde.

  A020003398 

 En charges vous vos pere et mere? Non, vous ne les charges pas tant que vous les descharges, puisque c'est selon leur gré et a leur souhait que cela se fait..

  A020003398 

 Quelle plus legitime descharge pouves vous faire de la personne et des biens de vos enfans, que de les remettre entre les mains de monsieur vostre pere et de madame vostre mere? Et n'est ce pas un trait visible et palpable de la Providence divine pour ce sujet, que cela se puisse faire avec l'aggreement, ains avec le desir de cette mere, jadis si jalouse de vostre presence au monde? Il m'est [356] advis, certes, ma tres chere Fille, que Dieu luy mesme jette des fleurs et des parfums aux chemins de vostre retraitte, affin qu'elle se face avec plus de douceur et que les plus coquilleux l'appreuvent et benissent; car, que peut on dire? Que vous laisses vos enfans? Ouy; mais ou les laisses vous? Entre les bras de leur [premier] pere et de leur premiere mere.

  A020003399 

 Ainsy que vous me descrives tout cest affaire, je n'y voy nulle sorte de difficulté sinon pour la chere petite fille, que la grand'mere retirera de la Religion dans la nourriture du monde; car quant au garçon, aussi bien dans deux ou trois ans ne le pouves vous plus garder dans vostre giron, ni le nourrir de vostre nourriture, ains de la nourriture du college ou de la cour.

  A020003399 

 Cecy est vray, je vous asseure, ma tres chere Fille: il arrive quelquefois que les jeunes enfans eslevés en Religion en rejettent par apres la sujettion, comme les chevaux que l'on charge trop tost de la selle.

  A020003399 

 Vos offrandes de cette fille a Dieu luy seront plus utiles que vostre nourriture..

  A020003400 

 Je dis donq simplement que je ne voy rien qui vous doive retenir au monde, non pas mesme le presage de la future vocation de vostre fille, qui, estant encor incertain, ne doit pas estre preferé a la certitude de vostre appel, lequel vous deves donq suivre soigneusement, fortement, diligemment, mais sans empressement et sans inquietude..

  A020003400 

 Mais mon esprit s'escarte par la consolation que je sens a vostre occasion.

  A020003401 

 Et sur ce desir, que je fay de tout mon cœur, je suis sans fin et sans exception,.

  A020003413 

 Il est vray, elles sont plus que vous: mays les Seraphins mesprisent ilz les petitz Anges? et au Ciel, ou est l'image sur laquelle nous nous devons former, les grans Saintz mesprisent ilz les moindres? Mais apres tout cela, en somme, qui plus aymera sera le plus aymé, et qui aura le plus aymé sera le plus glorifié.

  A020003413 

 Si ces bonnes ames mesprisent nostre Institut parce qu'il leur semble moindre que le leur, elles contreviennent a la charité, en laquelle les fortz ne mesprisent point les foibles, ni les grans les petitz.

  A020003414 

 Le malin esprit fait des effortz parce qu'il void que ce [359] petit Institut est utile au service et a la gloire de Dieu, et il le hait particulierement parce qu'il est petit et le moindre de tous; car cet esprit est arrogant et hait la petitesse parce qu'elle sert a l'humilité, luy qui a tous-jours aymé la hauteur, la fierté et l'arrogance, et qui, pour n'avoir pas voulu demeurer en sa petitesse, a perdu sa grandeur.

  A020003425 

 J'ay veu Seur Marie Chrestienne, que j'ay treuvee au dessus de tout ce que j'en avois pensé, en pieté, en generosité..

  A020003425 

 apres mille faveurs receuës, et certes dix mille consolations, non seulement de la part de Madame, de Leurs [360] Altesses et de ces rares Princesses, mais de plusieurs bonnes ames; entre lesquelles je vous dis, ma tres chere Mere, que l'Infante cadette, Madame Françoise Catherine, est entierement tres bonne et tres pleine de vertu, de bonté et de sainte naïfveté.

  A020003427 

 Que ces changemens donq procedent du jugement des Superieurs, et non du desir des filles, qui ne sçauroyent mieux declairer qu'elles ne doivent point estre gratifiees, que quand elles se laissent emporter a des desirs si peu justes.

  A020003429 

 Qu'importe il que l'argent soit d'un costé ou d'autre, pourveu qu'il soit pour Dieu? Et neanmoins, ma chere Mere, il faudra dire ou a l'une ou a l'autre qu'elle [361] a tort, quand nous aurons ouy l'une et l'autre.

  A020003431 

 Je ne treuve nul inconvenient que l'on reçoive M me de Vigni et telles autres bienfactrices, sur tout quand elles ne veulent plus sortir du monastere, ou que du moins elles en veulent sortir peu souvent; car en cela il ny a rien de contraire a la bienseance..

  A020003433 

 Il me semble que les balustres doivent estre a la grille du chœur comme a celle du parloir..

  A020003434 

 Nos Seurs vous auront escrit que l'on a envoyé [362] des Seurs a Belley; et je vous dis que dans peu de tems il en faudra pour Chamberi..

  A020003436 

 Nostre Seur [Paule Jeronyme] m'escrivit que quelques Religieuses, bonnes servantes de Dieu, la contrarient a descouvert; je luy ay escrit [par] un billet, qu'elle demeurast en paix.

  A020003446 

 Il faudra seulement mesnager en sorte que Monsieur de Tamy soit satisfait en ce quil est grandement præoccupé de la necessité de dire tout l'Office de leur Ordre et de le chanter en leur chant ordinaire; il [364] faudra tout bellement le faire desprendre.

  A020003446 

 Il me semble que tout ira bien.

  A020003464 

 Puis donq que vous aves l'obedience de vos Superieurs, vous n'aves [365] pas dequoy apporter du retardement a son execution.

  A020003464 

 Si j'avois, comme vous, a esperer une reforme, je ne pourrois voir asses tost l'heure que j'y fusse.

  A020003471 

 Il ne reste plus sinon que le R. Pere General envoye des Peres pour commencer le service, et dans peu de jours je recevray la lettre que Son Altesse luy fait a cett'intention..

  A020003471 

 J'ay retiré le brevet de nomination, en faveur de vostre Congregation, pour l'eglise de Rumilly, des prieurés de Chindrieu, de l'Aumosne, de Vaux, et de Sainte Agathe qui est le prieuré de Rumilly, que Son Altesse a signé et fait expedier de tres bon cœur.

  A020003472 

 Ce pendant, puisque le R. P. General desire que vous aillies avant toutes choses a Paris, je le treuve bon aussi, tandis que quelqu'un de vos Peres pourra venir, pour ne point retarder l'effect de l'esperance que nous avons de voir vostre Congregation establie a Rumilly.

  A020003472 

 Et lors que les Peres auront pris possession en vostre nom de l'office de l'eglise de Rumilly, il faudra moyenner a Rome l'union des benefices desquelz Son Altesse a nommé en faveur de vostre Congregation..

  A020003472 

 Mays je [366] m'addresseray au P. Tiersaut soudain que la lettre de Son Altesse au P. General m'aura esté rendue; et en attendant je vous prie de luy donner cet advis, affin que [je] puisse tous-jours commencer a donner l'ordre quil jugera convenable pour cett'affaire.

  A020003479 

 Monsieur, on m'asseure que le R. P. General a mis en lumiere un livre excellent; sil se treuvoit a Lion, je voudrois bien, par vostre entremise, en pouvoir avoir une copie..

  A020003490 

 Monseigneur, A mon arrivee en ce pais, j'ay treuvé les sieurs Sousprieur et Sacristain de Contamine, prestz a remplir les quatre præbendes que Vostre Altesse avoit ordonné devoir demeurer vacantes pour estre appliquees aux colleges des Peres Barnabites; et d'effect, ilz les ont maintenant remplies de quatre jeunes parens, ausquelz ilz ont mis l'habit de leur Religion par l'authorité de Monsieur l'Abbé de Cluni qui en est le General.

  A020003491 

 Il reste que le juste dessein que Vostre Altesse en a si souvent fait soit executé, non seulement empeschant que les præbendes soyent remplies, mays impetrant de Sa Sainteté les provisions requises pour la translation du revenu, de l'Ordre de Cluni a celuy des Peres Barnabites, infiniment plus utiles au service de Dieu et au bien publiq.

  A020003491 

 Vostre Altesse avoit judicieusement estimé qu'il estoit expedient de transferer le revenu de ce monastere-la a l'entretenement des colleges et lecteurs Barnabites, attendu qu'il est un monastere tout a fait ruiné et qui ne peut bonnement estre reparé, et que la discipline monacale ny est nullement observee, non plus qu'es autres lieux de cet Ordre-la.

  A020003491 

 Vostre Altesse demeura en ceste resolution quand je partis de Turin; il ne reste donq plus sinon que la sollicitation s'en face, et c'est cela dont maintenant Ell' est tres humblement suppliee..

  A020003506 

 J'ay tous-jours desiré de vous escrire, ma tres chere Fille, des que j'ay receu vostre lettre, mais je n'ay presque sceu parmi le tracas auquel je me suis treuvé..

  A020003507 

 C'est la vraye assiete d'un esprit religieux, que de ne point s'attacher sinon a la volonté de Dieu, et ceux qui sont si heureux que d'avoir cette si bonne condition sont bien par tout et peuvent demeurer par tout en bonne conscience.

  A020003507 

 Je les verray avant mon retour, si je puys, et vous en feray sçavoir des nouvelles, desirant, soudain que je seray revenu, d'aller la haut visiter madame l'Abbesse ma cousine, et vous [370] voir toutes, grandement content si je puis en quelque sorte vous donner a toutes quelque saint contentement, qui suis de tout mon cœur, ma tres chere Fille,.

  A020003507 

 Maintenant, sur mon depart pour Belley, je vous diray que je suis grandement consolé de voir vostre esprit presque en indifference pour aller a Rumilly ou pour demeurer au lieu ou vous estes.

  A020003507 

 Vous ne vous deves donq nullement inquieter, ains demeurer en paix; les jours vous apprendront si Dieu desire que vous facies autre chose.

  A020003524 

 Et bien que je vous escrive maintenant, c'est parmi tant de tracas, qu'encor ne sçauroys-je bien m'aquiter de ce devoir, estant botté et pret a monter a cheval pour aller a Belley, ou Monseigneur nostre bon Evesque m'attend, pour partir, soudain apres que je l'auray salué, pour aller a Paris..

  A020003524 

 J'ay demeuré troys moys en Piemont pendant lesquelz on a receu icy et gardé vos lettres, de sorte que ce n'est pas merveille si vous n'en aves pas eu de moy, ni la response, ni le remerciment que je vous en doys.

  A020003525 

 Monsieur mon tres cher Frere, les premieres nouvelles du trespas de monsieur le Comte de Rossillon me furent donnees a Turin, mais avant (sic) tant d'incertitude, [371] que ny madame la Marquise de Saint Damien, ni madamoyselle de Tornon, ni M. le Baron de Tornon ne m'en oserent pas asseurer.

  A020003526 

 De vous dire que je participe a tous vos biens et a tous vos maux, cela, ce crois-je, est superflu.

  A020003526 

 Rien autre donques, sinon que nous nous disposions tous a faire le trespas saintement et selon lhonneur que nous avons tous d'estre vivans par la mort de ce grand Dieu qui a voulu, par sa bonté, acheter nostre vie au pris de la sienne, et nous aquerir par sa mortalité la tressainte et seternelle immortalité..

  A020003529 

 et a ces deux cheres dames que je vous viens de nommer,.

  A020003541 

 Et puis dire en verité, que la consideration de vostre ennuy fut une des plus promptes apprehensions dont je fus touché, a l'abord de l'asseurance du mal qu'on nous avoit presagé par les bruitz incertains qui nous en arrivoyent..

  A020003541 

 Nous avons esté icy, au moins moy, Madame ma tres chere Fille, entre la crainte et l'esperance pour le sujet duquel j'ay sceu despuis peu que lé seul desplaysir vous estoit demeuré.

  A020003542 

 Nous avons deu sçavoir que nous ne sçavions l'heure en laquelle quelque semblable evenement nous arriveroit par le trespas des autres, ou aux autres par le nostre.

  A020003542 

 Que si nous n'y avions pas pensé, nous devons advoüer nostre tort et nous en repentir, car le nom que nous portons tous de mortelz nous rend inexcusables..

  A020003543 

 Beni soit Dieu, qui a fait la grace a celuy duquel nous [373] ressentons l'absence, de luy donner le loysir et la commodité de se bien disposer pour faire le voyage heureusement! Mettes vostre cœur, je vous prie, ma tres chere Fille, au pied de la Croix, et acceptés la mort et la vie de tout ce que vous aymes, pour l'amour de Celuy qui donna sa vie et receut la mort pour vous..

  A020003543 

 Pensons seulement a bien marcher, et a suivre tout le bien que nous aurons reconneu en eux.

  A020003544 

 Au reste, rien ne me pouvoit empescher de vous rendre le contentement que vous desires de moy, sinon le devoir que j'ay au service de Nostre Seigneur et de l'Eglise; lequel s'estant treuvé favorable a vostre souhait, j'ay esté extremement consolé de vous pouvoir donner satisfaction, comme je feray en tout ce qu'il me sera possible.

  A020003545 

 Au demeurant, je ne vous asseureray pas de mon service fidele en cette occasion: il vous a esté dedié une fois pour toutes fort entierement, et je vous supplie de n'en jamais douter, non plus que du soin que j'auray d'assister des Sacrifices que je presente a Dieu l'ame de ce digne chevalier, les merites duquel je veux a jamais honnorer, avec tout ce qu'il a laissé de plus cher icy bas..

  A020003558 

 On pourra cependant procurer l'union, que Son Altesse favorisera tant qu'il pourra par l'entremise de son Ambassadeur a Rome, selon la lettre quil en a des-ja faitte et que j'ay entre les mains..

  A020003559 

 Je joins ma tres humble supplication a la priere qu'elle vous fait, et vous prometz toute l'assistence et tout le service que je pourray rendre a ce dessein, que j'embrasse de tout mon cœur pour le bien de mon diocæse et pour lhonneur que je porte a vostre personne et a vostre Congregation.

  A020003559 

 Nous attendrons donq que vous envoyies au plus tost deux Peres, pour, sur le lieu, prendre les resolutions convenables a l'acheminement de ce saint œuvre.

  A020003560 

 Au demeurant, j'ay receu icy a Belley, d'ou je partiray demain, Dieu aydant, le commencement de vos Discours de l'Estat et des Grandeurs de Jesus, que le bon M. Crichant m'a apportés de vostre part.

  A020003560 

 En foy dequoy je vous dis d'abord, que je voudroys qu'en tout et partout vostre douceur et humilité tint fermement ses adventages sur vos adversaires, en consideration de ce quilz sont dans l'Eglise, et qu'ilz portent le manteau, ou du moins le nom du manteau d'Helie, comme vou (sic) dites; qui est le premier trait que j'ay treuvé un peu trop penetrant, et que je desirerois estre rayé, affin qu'autant quil sera possible on ne voye chose quelcomque dans vos Discours qui ne ressente parfaitement la cordiale dilection et le support tres suave du prochain..

  A020003560 

 Je le liray attentivement et tres affectionnement, et dans peu de jours je vous diray candidement ce qu'il m'en semblera, puis que vous le desires.

  A020003561 

 Vous m'obliges certes trop et me tesmoignes un'estime tout a fait au dessus de tout ce que je suis, de me faire part de vos besoignes, que j'admire infiniment en ce commencement, et que j'admireray tous-jours plus avec amour au progres que je feray de leur veue; qui suis, Monsieur, tres invariablement,.

  A020003577 

 De sorte qu'il ne reste plus a ce peuple aucun autre refuge qu'en la debonaireté de Vostre Altesse Serenissime, qu'il implore avec moy [en] toute sousmission et reverence, avec confiance que la bonté de Vostre Altesse est trop grande pour laisser perir dans le malheur d'une ruine toutale (sic) un peuple si fidele a son Prince..

  A020003577 

 Je supplie tres humblement Vostre Altesse Serenissime d'avoir aggreable, que je recoure a Elle pour le soulagement de cette ville en la necessité delaquelle elle est pressee maintenant, pour l'entretenement des trouppes [378] qui sont icy, lesquelles sont a [la] veille d'entrer en des effortz impitoyables pour faire treuver en desordre, aux particuliers, ce que la communauté ne peut plus fournir par aucun ordre dont on se puisse adviser, puisque meshuy l'on a espuisé jusques aux bourses mesmes des Religieux et des Religieuses.

  A020003578 

 Monseigneur, forcé de la juste compassion que je doy avoir et de l'invocation continuelle que ces pauvres gens font de mon intercession, je fay en toute humilité cette supplication a Vostre Altesse, delaquelle je suis invariablement....

  A020003585 

 Dieu soit loué, ma tres chere Fille, de tout ce que vous m'escrivites le 2 de septembre.

  A020003585 

 On m'a dit de divers endroitz qu'il passera icy, et je le recevray en la simplicité de mon cœur, selon nostre petitesse, avec la confiance que vous me dites que je luy doy tesmoigner; mais pourtant, je n'ay encor point de certaine asseurance de cet honneur.

  A020003586 

 A Dieu encor la louange de l'exercice que sa providence vous donne par cette affliction de maladie, qui vous rendra sainte, moyennant sa sainte grace; car, comme vous sçaves, vous ne seres jamais espouse de Jesus glorifié, que vous ne l'ayes premierement esté de Jesus crucifié, et ne jouires jamais du lit nuptial de son amour triomphant, que vous n'ayes senti l'amour affligeant du lit de sa sainte Croix.

  A020003597 

 Vous voyes donq bien, ma tres chere Fille, que Dieu vous appelle a beaucoup de peynes, d'abnegations de vous mesme et de choses aigres, affin que, sans difference de lieux, de nations et de personnes, vous servies a la dilatation de sa gloire purement et simplement, sans aucun autre interest que celuy de son tressaint aggreement.

  A020003610 

 Le nom de la divine Providence est si excellent qu'il merite bien un an de terme, pour voir si vous vous en rendres toutes dignes par vostre perseverance et par le progres que vous feres dans la perfection religieuse.

  A020003618 

 Et par ce que Vostre Altesse m'a commandé que je l'advertisse des choses qui regardent l'avancement de la gloire de Dieu en ce diocæse, je joins cet advis a la supplication dudit P. Prevost des Barnabites..

  A020003618 

 Pour cela, Monseigneur, le P. Prevost du college de Thonon, qui y a le premier interest, recourt a Vostre Altesse affin qu'Elle donne ordre que son intention soit suivie en la suppression des moynes et præbendes de ce Monastere la.

  A020003618 

 Tous-jours les vieux Religieux de Contamine taschent, par divers moyens, de continuer la possession de leur Ordre de Cluni es præbendes de ce Monastere, quoy qu'ilz sachent bien que Vostre Altesse Serenissime a resolu de les faire employer a l'entretenement des colleges et du Novitiat qui sont establis en ce pais pour les Peres Barnabites.

  A020003619 

 Et de plus, Monseigneur, je supplie tres humblement Vostre Altesse d'escrire a Monseigneur le Serenissime Prince Tomas quil face convenir pardevant luy tous les principaux conseillers de la Sainte Mayson de Tonon, [383] affin que par son authorité il soit mis ordre aux affaires de cette Mayson la, qui sans cela s'en vont tout a fait en ruine; qui seroit un extreme dommage, qu'un'œuvre de si sainte et grande consequence, fondee avec tant de pieté par Son Altesse, perit faute de secours et d'ordre..

  A020003632 

 Et je confesse que ce me seroit de la consolation de sçavoir des nouvelles de ces nouvelles plantes que Dieu, ce me semble, a plantees de sa main pour son plus grand honneur et service..

  A020003632 

 Voyes, je vous prie, vous mesme, ma tres bonne et tres chere Mere, les lettres ci jointes, et voyes s'il y a apparence que, sans vous incommoder beaucoup, vous puissies donner ce contentement tant desiré a ces cheres ames; car, si cela se peut bonnement, pour moy, non seulement j'y consens, mais je le souhaiterois tres volontier, sur tout s'il est vray que venant de Dijon a Monferrant, ce fust vostre passage de voir vostre chere fille; et encor plus, si venant de Monferrant a Lion, c'estoit vostre passage [384] de voir Saint Estienne de Forez.

  A020003635 

 Apres quoy, nous vous dirons pourquoy et comme a present je n'ay nul moyen d'escrire davantage, quoy que [385] je me porte bien, graces a Dieu.

  A020003641 

 J'espere en la misericorde de Dieu que je sçauray au Ciel comme on les nommera, du nom que tous sçauront, et que personne ne sçaura, sinon celuy qui le recevra.

  A020003650 

 Je remettray toutes les affaires a l'assemblee que Monseigneur le Prince Thomas doit faire expres pour terminer tous les differens de la Sainte Mayson, puisqu'il faut que je parte passé demain pour aller en Provence, d'ou je ne sçai pas quand je reviendray, bien que j'espere que ce sera bien tost..

  A020003651 

 Je pars avec desplaysir de laisser M. de Blonnay malade, et vous dis seulement que les Peres Barnabites pensent avoir rayson de vouloir nommer aux offices de Contamine, a cause des paroles expresses: « avec toutes charges et honneurs.

  A020003665 

 Je benis de tout mon cœur le sacré nom de Nostre Seigneur de la consolation que sa divine providence donne a vostre ame au lieu ou vous estes et de la constance qu'elle establit en vostre affection.

  A020003665 

 O que vous estes heureuse, et que vous le deviendres tousjours davantage si vous perseveres a marcher en ce chemin! Et combien vous rendres vous parfaittement aggreable a l'Espoux de ces ames qu'il attire sur vostre giron, pour les rendre ses espouses, si vous leur apprenes a regarder seulement les yeux de ce Sauveur, a perdre petit a petit les pensees que la nature leur suggerera d'elles mesmes, pour les faire penser tout a fait en luy..

  A020003666 

 O ma tres chere Cousine, que de benedictions pour vostre esprit que Dieu a destiné pour cultiver et gouverner sa sacree pepiniere! Vous estes la mere, la nourrice et la dame d'atours de ces filles et espouses du Roy: quelle dignité! A cette dignité, quelle recompense, si vous faites cela avec l'amour et les mammelles de mere! Tenes vostre courage fort et ferme en cette poursuite, et croyes tres invariablement que je vous cheris et affectionne sans condition et reserve, comme ma tres chere cousine et fille bienaymee..

  A020003667 

 O que bien advantagees sont les Filles de Sainte Marie de la Visitation, parmi tant de moyens et d'occasions de bien aymer et servir Nostre Seigneur! Helas! ce sont des miracles de voir de ces bonnes filles en ces monasteres, exposees a tant de venues et de visites..

  A020003679 

 Faites moy, je vous supplie, cette faveur, Monsieur mon Frere, tandis que je vay en Provence ou Monseigneur le Prince Cardinal doit aller faire la reverence, et ou, visitant les lieux de devotion qui y sont en grand nombre, je prieray Dieu qu'il vous conserve, avec madame ma seur, et benisse tout ce que vous affectionnes; qui suis en toute verité,.

  A020003693 

 A nostre arrivee en cette ville de Lion, vos lettres du 5 de ce mois m'apprennent l'heureuse election que vous aves faite.

  A020003693 

 Hé, que mon ame en benit le Sauveur! Je vous asseure que cette chere Mere est toute selon mon cœur; mais que dis je? je croy qu'elle est tout entierement selon le cœur de Dieu, duquel je desire et j'espere qu'elle recevra tant de benedictions, qu'elle sera elle mesme une Mere de benediction dans nostre cher Institut.

  A020003706 

 Au retour d'Avignon, que j'espere faire dans quinze jours, je rendray tous ces devoirs, Dieu aydant, avec mille desirs de me conserver la bienveuillance de ceux a qui je les ay, comm'a vous principalement, Monsieur mon Frere, a qui je donne la nouvelle, si des-ja vous ne l'aves eue, que nostre cher cadet, en fin fut marié par mes mains il y a aujourduy huit jours, avec tous les tesmoignages de reciproque contentement que l'on pouvoit souhaiter es deux parties.

  A020003706 

 Et parce que je me præparois au [392] voyage que je fay maintenant, je ne puys vous rien dire davantage, n'ayant eu le tems d'attendre rien de plus..

  A020003719 

 Vous croires aysement que ce n'a pas esté sans parler souvent de vous, non sans beaucoup de consolation que j'ay receuë de sçavoir que vous vivies tous-jours dans la crainte de Dieu, avec desir de faire progres en la devotion.

  A020003720 

 Comme vous sçaves, je ne suis nullement scrupuleux, et n'appelle pas amusement de vanité sinon la volontaire inclination que nous nourrissons aux choses qui veritablement nous divertissent des pensees et deliberations que nous devons avoir pour la tressainte eternité..

  A020003720 

 Vous sçaves, ma tres chere Fille, combien je suis aysé a contenter et combien j'ay de facilité a bien esperer des ames que j'affectionne: c'est des vostre enfance que j'ay une infinie passion pour vostre salut, et que j'ay conceu une grande confiance que Dieu vous tiendroit de sa main, pourveu que vous voulies correspondre a ses faveurs.

  A020003721 

 C'est un grand advantage pour vostre vertu, ma tres chere Fille; faites le bien profiter, et quoy que vostre aage, vostre complexion et vostre santé vous promettent une longue vie, souvenes vous neanmoins qu'aussi pouves vous mourir bien tost, et que vous n'aures rien de plus desirable a la fin, que d'avoir mis un grand soin a recueillir et conserver les faveurs de la Bonté divine..

  A020003733 

 Mon Dieu, que bienheureux sont ceux qui, desengagés des cours et des complimens qui y regnent, vivent paysiblement dans la sainte solitude aux pieds du Crucifix! Certes, je n'eus jamais bonne opinion de la vanité, mais je la treuve encor bien plus vayne parmi les foibles grandeurs de la cour..

  A020003744 

 Dieu qui voit les desirs de mon cœur, sçait qu'il y en a de tres grans pour vostre continuel avancement en son tressaint amour, ma tres chere Fille, sur tout maintenant que, selon la disposition de la sainte Providence eternelle, vous voyla mere et conductrice d'une trouppe d'espritz consacrés a la gloire de Celuy qui est l'unique bien auquel nous devons aspirer..

  A020003759 

 La mesme solemnité de ces grans jours de Noel qui m'oste presque l'esperance de vous voir, me donne l'asseurance de vous faire cette importunité pour ce pauvr'homme que la charité m'oblige d'affectionner, et le bon exemple qu'il a donné de sa foy et de sa probité tandis qu'il a sejourné dans le balliage de Gex, ou il a neantmoins des persecutions dans son innocence.

  A020003760 

 Ces œuvres de pitié sont de sayson en ces jours dediés a l'honneur de la souveraine misericorde que le Filz de Dieu a exercee en sa nayssance pour nostre salut, que je supplie tres humblement de vous estre a jamais favorable, Monsieur, selon le souhait continuel de mon cœur; qui suis.

  A020003776 

 Cette chere damoyselle qui vous porte ce billet est digne d'estre singulierement cherie, parce qu'elle cherit tres affectionnement la divine Majesté de laquelle nous celebrons aujourd'huy la sainte nayssance; mais outre cela, ma tres chere Fille, elle vous ayme saintement, et a desiré que je vous escrivisse par son entremise..

  A020003777 

 Car, que vous diray je de plus, ma tres chere Fille, puisque cette bonne et vertueuse ame vous dira tres amoureusement tout ce qui se passe icy?.

  A020003777 

 Je le fay de tout mon cœur, ma tres chere Fille, sans vous dire autre sorte de nouvelles, sinon que nostre Seur Emmanuelle est toute pleyne de ferveur en la reforme du Monastere de Sainte Catherine qui se fait a Rumilly.

  A020003778 

 ... asseure que le P. Suffren ....

  A020003779 

 Vives toute en Dieu, ma tres chere Fille, et pour Dieu, que je supplie vous recevoir dans le sein de sa tressainte dilection, avec toute vostre chere compaignie; qui suis sans fin,.

  A020003815 

 Encore que madame de Dalet, notre fondatrice, soit l'une des âmes la plus vertueuse et la plus aimable que mon esprit ait jamais rencontrée, si je voyais tant soit peu de déraison dans sa retraite, et que quelque autre attrait que le pur mouvement divin l'attirât à nous, je me retirerais entièrement d'elle.

  A020003815 

 Et encore l'autre jour, sortant du parloir où sa passion maternelle avait assez paru, elle me voulut toucher la main et dit: Je ne m'étonne pas que ma fille de Dalet aime cette fille de Monseigneur de Genève, mais je me passionne de ce qu'elle aime plus le cloître que moi, qui suis sa mère..

  A020003815 

 Et vous assure, Monseigneur, que Dieu, qui vient toujours au secours de votre grande fille qui n'est grande qu'en misère, conduit si bien les affaires, que madame de Montfan, sa mère, a blâmé tout le [401] monde et m'a jugée la plus blâmable, [et cependant,] nous sortons toujours l'une d'avec l'autre bonnes amies.

  A020003826 

 Ce que n'ayant effectué jusques à present, et estant ledit temps espiré il y a une piece, ledit S r Prince a voulu que je vous disse de sa part par cette, qu'il sera bien que [402] vous faciez executer les exprditions desja faictes, et mettiez sans autre delay lesdits Peres en possession dudit prieuré..

  A020003827 

 Ce que m'asseurant vous ferez volentiers, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde..

  A020003841 

 Estant amplement informé, et à nostre particulier contentement, du bon progrez et avancement que prend de jour à autre la reforme restablie dez quelques annees en ça au prieuré de Talloires en l'estroite observance de la Regie de S t Benoist, et desirant, pour le service et plus grande gloire de Dieu, non seulement de maintenir et favoriser ce louable commencement qui y paroist aujourd'huy, mais encor de procurer autant qu'il Nous est possible l'entiere introduction de la ditte reforme dedans tous les Monasteres du mesme Ordre qui ne sont encor unis à aucun autre corps de Congregation reformee, riere nos Estats et pays dela les monts: pour a quoy parvenir, comm'il est tres requis et necessaire de leur pourvoir d'un chef resident dans nos Estats, qui, par capacité, dignité et vie exemplaire, puisse meriter et exercer dignement cette charge, et travailler soigneusement a l'introduction de la ditte reforme, attandu mesme [403] que le dit prieuré de Talloire depend de Superieurs d'Ordre non reformés et estrangers: Aussy, apres avoir jette l'œil sur les Prelats et Evesques de nos provinces de Savoye, Nous avons, entre les autres, choisi la personne de tres Reverend nostre tres cher, bien amé, feal Conseiller et devot Orateur, Messire FRANÇOIS DE SALES, Evesque de Geneve, pour les preuves signalees et remarquables qu'il a en tout tems donnees, tant de sa suffisance et vigilance au salut des ames, que par la connoissance que Nous avons d'ailleurs de ses saintes œuvres, vie devote, tres louable et tres exemplaire; esperant que non seulement il sera tres agreable aux Religieux de cette sainte reforme, mais tres utile au bien et avancement d'icelle..

  A020003842 

 Pour ces causes, en tant qu'il Nous concerne, Nous avons deputé, choisi et eleu, ainsy que par les presentes, de nostre certaine science, pleine puissance et authorité souveraine, avec l'advis et participation de nostre Conseil, deputons, choisissons et elisons le dit Evesque de Geneve pour chef de tous les Religieux reformés Benedictins riere nos dits Estats, avec pouvoir de visiter tous les Monasteres qui s'y trouveront fondés et dependans de cet Ordre; d'y introduire la dite reforme, particulierement en ceux de Bellevaux, Contamine, Sindrieux (Chindrieu) et Saint Paul, en taschant de disposer tous les Religieux d'iceux a la recevoir chacun selon son pouvoir, eu esgard a l'aage et force d'un chacun, et prenant en particuliere protection tous ceux qui se rangeront et disposeront à cette salutaire et tres sainte resolution; luy permettant en outre d'y restablir ponctuellement l'observance, ensemble l'Office divin et autres fonctions spirituelles et publiques, de predication, confessions, administration des saints Sacremens et autres qui s'y trouveront annexees, lors toutefois que le nombre des Religieux se trouvera estre suffisant pour ce faire..

  A020003843 

 Et affin que ces bons Peres Religieux reformés ayent plus de moyen de s'entretenir et maintenir, Nous leur donnons dez à present, en tant qu'il Nous touche, tous les revenus, offices et prebendes monastiques, tant du dit Talloire que des autres monasteres susdits, pour en jouir et les unir à la dite reforme à perpetuité; si qu'ils puissent en prendre possession apres qu'elles seront vacantes, au cas que les possesseurs modernes n'acceptent la ditte reforme..

  A020003859 

 Enfin, voici nos chères colombes dans leur nouvelle retraite, si parfumée des odeurs célestes que quantité de nos jeunes damoiselles prennent en vérité des ailes de colombe pour sortir du déluge du monde et se reposer en cette arche, en la sainte société de celles que vous nous avez envoyées pour adresser les autres dans le chemin du Ciel.

  A020003860 

 Je dis quelque chose en faveur de notre chère Visitation, non pour la rendre recommandable, car elle ne pourrait être plus honorée et estimée qu'elle est ici, mais pour satisfaire à l'affection et dévotion des assistants, et pour rendre le devoir que j'ai aux Filles [405] d'un si grand, digne et aimable Père, de la débonnaireté duquel j'espère que j'aurai toujours la grâce d'être avoué.

  A020003873 

 Il m'est arrivé comme à l'avare: j'ai été pauvre de cette abondance et, comme aux grands festins, j'ai plutôt été [406] rassasié des yeux que de l'estomac.

  A020003873 

 Je crois que cet homme, observant tout ce qu'il dit, va le cours de Saturne en la sphère de son voyage.

  A020003873 

 La vôtre, avec le Directoire, me fut délivrée, non sans quelque providence du Ciel, à la pointe de mon voyage, et me consola en l'agonie que j'avais de m'embarquer sans cadran.

  A020003873 

 Votre jugement, en deux mots, m'a soulagé; il me fallait la hache de ce même jugement, qui honore toutes les autres perfections qui vous honorent, pour retrancher, ainsi que Périclès, sa harangue.

  A020003874 

 Ce n'est point de tout cela que je voulais parler, ains vous souvenir que vous m'avez daigné écrire autrefois: Et voici mon petit peuple qui veut être votre peuple, pourvu qu'il vous plaise que de votre peuple je rende mon peuple.

  A020003874 

 Est-il besoin de vous dire que six filles de bonne volonté soupirent de désir de voir un monastère de la Visitation en cette ville? Alors elles seront entièrement vos filles, s'il vous plaît d'envoyer de celles qui le sont déjà dans votre cher Nicy en notre petit Belley; et alors je dirai à mon tour: Populus [ tuus, populus meus ]..

  A020003875 

 Ce sont des lunes obscures, jusqu'à ce qu'elles soient illuminées des rayons de mon Père, qui est aussi véritablement le soleil de ce siècle que cet astre unique est le flambeau du ciel et de la terre.

  A020003875 

 Considérez, mon cher Maître, que je suis un si pauvre homme que ces miennes brebis ne sauraient vivre que dans votre pâturage, se rafraîchir que dans votre ruisseau, ni reposer que dans votre bercail.

  A020003875 

 Nos bonnes filles entrent dans des impatiences contre moi, et m'est avis, quand elles me regardent sans m'oser dire mot, que leurs yeux me voudraient faire entendre ce que disait autrefois une désolée:.

  A020003880 

 Que ne procurez-vous qu'elle vive aujourd'hui!.

  A020003884 

 J'irai apprendre vers elles ce que j'ignorerai de vos saintes maximes, je les regarderai comme mes sœurs, je les honorerai comme mes aides en la conduite de ce diocèse, je les proposerai à mon peuple comme la règle de la vraie piété; bref, Monseigneur, en la personne des Filles, je renouvellerai l'idée que je ne perds jamais des vertus du Père..

  A020003884 

 Vous pouvez penser si les Sœurs que vous nous envoyerez nous seront chères, à l'égal, certes, de la prunelle de nos yeux.

  A020003885 

 J'espère de votre débonnaireté toute autre chose qu'un refus, et [407] vous dirai volontiers un mot de la chanson que j'ouïs dernièrement chanter à quelques filles, en passant par la rue:.

  A020003887 

 Que je serai réjoui.

  A020003890 

 Mais que direz-vous de votre disciple, qu'il apprenne les chansons des fillettes! Ce sont des couplets innocents aux oreilles et à la mémoire..

  A020003891 

 Cependant, je vis encore dans l'attente d'une ample réponse sur ma lettre précédente, car il faut dire de vos lettres, pour précipitées qu'elles soient, comme des Oraisons de Démosthène, que les plus longues sont les meilleures.

  A020003891 

 Il n'en est pas ainsi des miennes, mais vous me pardonnerez volontiers, voyant que la nécessité me rend importun pour cette fois.

  A020003904 

 L'on a désiré que je vous écrivisse un mot sur ce [408] sujet; commission qui m'est autant chère comme j'honore le sujet qui me l'a fait donner, et révère celui à qui ma plume et mon cœur s'adressent..

  A020003905 

 O Dieu, en vous admirant, j'ai bien quelque disposition d'en tirer des bons désirs; mais je n'ai pas la force de les mettre en effet, jusques à ce que vox Domìni præparantis cervos tonne en mon âme et lui donne puissance d'enfanter tout ce qu'elle conçoit, pour conduire dans la vraie perfection ce qu'il vous a plu de me conseiller quelquefois..

  A020003905 

 Oui, Monseigneur, j'admire tous les jours les travaux que vous prenez pour la gloire de Dieu et pour l'état de son Eglise: plaise à la divine Bonté de les accompagner toujours de cette grâce accidentelle, que, comme les lauriers de ces anciens de la Grèce réveillèrent Thémistocle, ainsi vos labeurs et vos trophées en la cause de la religion et dévotion réveillent quelques esprits généreux de ce siècle, et les tirant hors du profond sommeil, les animent à des pensées et à des actions dignes du temps où nous sommes et des nécessités où l'Eglise est réduite.

  A020003906 

 Cependant, Monseigneur, voici que l'on ne respire en cette ville que d'avoir de vos chères Filles; il ne faut nullement douter que vous favoriserez nos deux prétendantes, attendantes et poursuivantes de ce bonheur tant pourchassé et tant désiré, et les souhaits de toute la ville, de la grâce de Madame de Chantal.

  A020003906 

 Vous avez ici cueilli cette fleur; au moins rendez-nous-en de la graine, et que cette grande ménagère la vienne jeter dans sa terre natale..

  A020003907 

 J'ai trop de consolation d'avoir eu l'honneur de m'employer tant soit peu aux poursuites de cette sainte œuvre, et de voir que, quoique j'y aie été serviteur inutile, la voici sur le point de son accomplissement, dès qu'il aura plu à Votre Seigneurie Révérendissime nous prêter la main de votre assistance et commandements, lesquels je recevrai toute ma vie en qualité de.

  A020004020 

 Pour dignes respects nous vous avons voulu dire par ces lignes que n'envoyez aucune personne a Louven, pour la ratification de la transaction passée avec les RDS Peres Bernabites du College d'Annissy, sans nostre advis et commandement expres; ains vous prolongerez le terme accordé auxdits Peres pour procurer ladite ratification, jusques au mois de may prochainement venant: car tel est le vouloir de S. A..

  A020004021 

 Et nous asseurans qu'ainsy effectuerez tout ce que dessus, [418] prions Nostre Seigneur qu'il vous veuille avoir en sa saincte garde..

  A020004067 

 Ce que ce saint Prelat fit le 19 esme d'octobre de l'annee 1621, et peu de tems apres il pleut au Seigneur de retirer a luy ce saint homme pour luy donner sa couronne; et puis, quelques annees apres estant beatifié et puis canonisé par le Pape Alexandre VII, dans le tems de la Beatification, Madame Royale, Duchesse de Savoye, voulut bien dire un jour aux dames de sa cour qu'elle avoit une lettre de S t François de Sales qu'il luy avoit escrit de sa propre main de son vivant.

  A020004067 

 Ce que ces dames ayant entendu, elles prierent toutes ensemble sa dite Altesse Royale de Savoye de leur faire tant de grace qu'elles puissent avoir chacune une copie de cette lettre; ce que Madame Royale leur accorda.

  A020004068 

 Personne ne sçavoit que le susdit sieur Philippeau eut en ses mains cette chere lettre de S t François de Sales, et luy, le scellant (sic) aussi, songe de revenir en France, ce qu'il fait peu de tems apres avec le congé de Son Altesse Roÿale, Duc de Savoÿe.


21-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXI-Vol.11-Lettres.html
  A021000015 

 Les grandeurs que désire le saint Evêque de Genève. 11.

  A021000017 

 Que faire en attendant la joie d'un revoir? — Ardeur et pureté de l'amour de François de Sales pour Dieu.

  A021000021 

 Que nous apprend la vraie science de Dieu.

  A021000024 

 Une liberté que le saint Evêque n'a pas.

  A021000030 

 — Recevoir avec amour ce que Notre-Seigneur nous envoie par amour.

  A021000033 

 — N'ouvrir la bouche que de par Dieu.

  A021000035 

 Mauvaise vengeance que celle d'un procès.

  A021000039 

 — Un mort auquel on porte plus d'envie que de compassion.

  A021000051 

 Le courage vaut mieux que la consolation.

  A021000055 

 — Mourir pour que Jésus vive.

  A021000057 

 Les communications spirituelles plus aisées de vive voix que par écrit.

  A021000060 

 François de Sales se rappelle au souvenir de son cousin sans se reconnaître d'autre titre à ce bonheur que son affection. 45.

  A021000062 

 Une station d'Avent et de Carême à Lyon que le Saint ne peut accepter.

  A021000075 

 Un mal qui ne se guérit que par l'expérience.

  A021000075 

 — Ce que dira le cœur de la Baronne, ce que celui du Saint attend.

  A021000088 

 Souhait paternel à une âme que la Bonté divine a « saysie ».

  A021000122 

 — Dieu répond à tous ceux qui lui demandent conseil; d'où vient que beaucoup n'entendent pas sa réponse? — Le serviteur fidèle.

  A021000126 

 — Dieu nous aime: qu'importe le reste? — Jésus-Christ a tout souffert pour s'unir à son épouse; que doit faire celle-ci pour lui « tesmoigner ses amours reciproques » et le baiser?.

  A021000130 

 MMLXXIV. Peut-on parvenir à la perfection en pratiquant une seule vertu? — Qu'est-ce que la vertu? — Dans la charité, toutes les vertus sont comprises.

  A021000140 

 — La parfaite simplicité que Dieu demande de la Mère de Chantal et le plus agréable sacrifice qu'elle pourra lui faire.

  A021000141 

 MMLXXXV. La connaissance de la volonté divine doit être fidèlement gardée; s'y conformer aussi bien dans les ténèbres que dans la lumière.

  A021000143 

 — Que doit faire un « pauvre petit esprit ».

  A021000147 

 MMXCI. La vraie pauvreté est celle que Notre-Seigneur et sa sainte Mère ont pratiquée.

  A021000149 

 — Ne vouloir que Dieu.

  A021000152 

 — Ce que Dieu lui demande.

  A021000172 

 Ce sont mes souhaitz pour cette annee que nous allons commencer pour l'eternité..

  A021000179 

 Mon Dieu, ma tres chere Mere, que ma volonté s'est treuvee dilatee en ce sentiment! Playse a sa divine Bonté continuer sur moy cette abondance de courage, pour son honneur et gloire, et pour la perfection et excellence de cette tres incomparable unité de cœur qu'il luy a pleu nous donner.

  A021000186 

 Mon Dieu, que me souhaites vous, ma chere Cousine, au bas de vostre lettre? de la grandeur et prosperité, ce dites vous.

  A021000186 

 Oh! il ne faut point parler d'en avoir, et, par la grace de Dieu, je n'en attens ni n'en desire autre en ce miserable monde, que celle que le Filz de Dieu a voulu prattiquer dans la cresche de Bethlehem....

  A021000192 

 Mon Frere, qu'y a il qui vous empesche d'estre saint? et qu'est ce que vous voules que vous ne puissies pour ce [3] sujet? Un pauvre homme peut bien, a la verité, estre saint; mais un seigneur puissant, comme vous estes, peut non seulement l'estre, mais faire tout autant de saintz qu'il y a de tesmoins de ses actions ....

  A021000199 

 Que faire en attendant la joie d'un revoir? — Ardeur et pureté de l'amour de François de Sales pour Dieu..

  A021000209 

 J'ignore, très aimé Frère, le temps et le lieu où le Seigneur permettra que nous puissions nous voir; mais, très doux Frère dans [4] le Christ, en attendant, et toujours, et pour l'éternité, aimons et chérissons Dieu uniquement.

  A021000209 

 Je dirai en confiance à votre charité, que si je soupçonnais qu'il y eût dans mon cœur un seul mouvement d'amour qui ne tendît pas à Dieu, ou qui fût consacré à un autre amour qu'à l'amour divin, ce sentiment infidèle et illégitime de mon cœur, je ferais tout pour l'arracher avec mes entrailles, et je ne le tolèrerais pas un seul instant....

  A021000220 

 Alles et benisses Nostre Seigneur de la favorable inspiration qu'il vous a donnee, pour vous retirer de ce grand et large train que ceux de vostre aage et de vostre profession ont accoustumé de suivre, et par lequel ilz arrivent ordinairement a mille sortes de vices et d'inconveniens, et de la, bien souvent, a la damnation eternelle.

  A021000220 

 Au demeurant, pour rendre cette divine vocation fructueuse, et pour plus clairement apprendre l'estat que vous deves choisir, pour la plus grande satisfaction de cette Misericorde infinie qui vous semond a son parfait amour, je vous conseille de prattiquer ces exercices pour ces troys moys suivans:.

  A021000221 

 Premierement, que vous retranchies quelques satisfactions sensuelles que vous pourries autrement prendre sans offencer Dieu, et que, pour cela, vous vous levies tous-jours a six heures du matin, soit que vous ayes bien dormi ou mal dormi, pourveu que vous ne soyes pas malade, car alhors il faudroit condescendre au mal; et pour faire quelque chose de plus les vendredis, vous vous levies a cinq heures.

  A021000222 

 Item, que vous vous accoustumies a dire tous les jours, apres ou devant l'orayson, quinze Pater noster et quinze Ave Maria les bras estendus en guise de crucifix.

  A021000223 

 Davantage, que vous renoncies aux playsirs du goust, mangeant les viandes que vous pourres avoir a table lesquelles vous seront les moins aggreables, pourveu qu'elles ne soyent pas malsaines, et laissant celles ausquelles vostre goust aura plus d'inclination.

  A021000223 

 Encor voudrois je que quelques fois la semaine vous couchassies vestu..

  A021000224 

 Et si vous estes fidele en la prattique du peu que je vous propose, on pourra juger quel vous series en beaucoup, qui s'exerce aux Religions..

  A021000224 

 L'autre, pour essayer et taster l'aspreté, affin de voir si vous la pourries embrasser et quelle repugnance vous y aures; car cet essay vous est requis pour l'espreuve de la foible inclination que vous aves a la retraitte du monde.

  A021000225 

 Pries instamment Nostre Seigneur qu'il vous illumine, et luy dites souvent la parole de saint Paul: Seigneur, que voules vous que je fasse? Domine, quid me vis facere? Et celle de David: Doce me facere voluntatem tuam, quia Deus meus es tu.

  A021000225 

 Sur tout, si emmi la nuit vous vous esveilles, employes bien ce tems la a parler seul a seul a Nostre Seigneur sur vostre choix; protestés souvent a sa Majesté que vous luy resignes et laisses en ses mains la disposition de tous les momens de vostre vie et qu'il luy playse les employer a son gré..

  A021000227 

 Mais si de ceux la vous estes touché de quelque gloire: Helas! dires vous, que me sert tout ceci a l'eternité? [7].

  A021000229 

 Si vous sentes l'inspiration prendre force du costé de la Religion et que vostre cœur en soit pressé, conferes avec vostre confesseur; et en cas que vous prenies resolution, alles disposant le grand pere a cela, affin que, moins qu'il sera possible, l'ennuy et le desplaysir de vostre retraitte ne tombe sur la Religion, et vous seul en soyes chargé..

  A021000235 

 Ces quatre lignes vous asseureront que j'ay autant participé a vostre desplaysir qu'amy que vous puissies avoir, et ay infiniment regretté la perte du bon exemple de vertu que cette chere ame donnoit en sa famille et en son voysinage.

  A021000236 

 Que si je pouvois, par quelque bonne rencontre, vous tesmoigner en effect ce que je vous suis, vous auries grand sujet de vous asseurer de la veritable profession que je fays d'estre,.

  A021000246 

 La vraye science de Dieu nous apprend, sur toutes choses, que sa volonté doit ranger nostre cœur a son obeissance et a treuver bon, comme en effect il est tres bon, tout ce qu'elle ordonne sur les enfans de son bon playsir.

  A021000246 

 Vous seres, je m'asseure, de ceux la, et selon ce principe, vous acquiesceres doucement et humblement, quoy que non sans sentiment de douleur, a la misericorde dont il a usé envers vostre bonne mere, qu'il a retiree dans le sein de sa bienheureuse eternité, ainsy que les dispositions precedentes nous donnent tout sujet de croire avec autant de certitude que nous en pouvons justement prendre en tel sujet..

  A021000247 

 Or sus, c'est fait: voyla ce que j'avois a vous dire.

  A021000258 

 Me voyci certes en une grande peine de sçavoir combien vous en aves eu parmi cette forte et fascheuse maladie de laquelle, comme j'espere, vous releves, et dont j'eusse eu infiniment plus de desplaysir, si de toutes partz on ne m'eust asseuré que, graces a Dieu, vous n'aves esté en nulle sorte de danger, et que vous commencies a reprendre les forces et le chemin de la guerison..

  A021000259 

 Mais ce qui me donne plus d'apprehension maintenant, c'est ce qu'on crie, qu'outre le mal que vous aves par les accidens corporelz, vous estes surchargé d'une violente melancholie; car je m'imagine combien cela retardera le retour de vostre parfaitte santé et engendrera de dispositions contraires.

  A021000260 

 Et s'il vous plaist, Monsieur, dites moy, je vous supplie, quel sujet aves vous de nourrir cette triste humeur qui vous est si prejudiciable? Je me doute que vostre esprit ne soit encor embarrassé de quelque crainte de la mort soudaine et des jugemens de Dieu.

  A021000260 

 Helas! que c'est un estrange tourment que celuy la! Mon ame qui l'a enduré six semaines durant, est bien capable de compatir a ceux qui en sont affligés.

  A021000260 

 Mais, Monsieur, il faut que je vous parle un peu cœur a cœur, et que je vous die que quicomque a un vray desir de servir Nostre Seigneur et fuir le peché ne doit nullement se tourmenter de la pensee de la mort, ni des jugemens divins; car encor que l'un et l'autre soit a craindre, si est ce que la crainte ne doit pas estre de ce naturel terrible et effroyable qui abat et deprime la vigueur et force de l'esprit, ains doit estre une crainte tellement meslee avec la confiance en la bonté de Dieu, que par ce moyen elle en devienne douce..

  A021000261 

 C'est un sentiment meilleur de se desfier de pouvoir resister aux tentations, que non pas celuy de s'en tenir pour asseuré et asses fort, pourveu que ce qu'on n'attend pas de ses forces on l'attende de la grace de Dieu: en sorte que plusieurs qui, avec grande consolation, se sont promis de faire des merveilles pour Dieu, quand c'est venu au point ont manqué; et plusieurs qui [12] ont eu grande desfiance de leurs forces et une grande crainte qu'a l'occasion ilz ne manquassent, sur le champ ont fait merveilles, parce que ce grand sentiment de leur foiblesse les a poussés a rechercher l'ayde et le secours de Dieu, a veiller, prier et s'humilier pour ne point entrer en tentation..

  A021000261 

 Et ne faut pas, Monsieur, que nous revoquions en doute si nous sommes en estat de nous confier en Dieu, quand nous sentons des difficultés a nous garder du peché, ni quand nous avons desfiance ou peur qu'es occasions et tentations nous ne puissions pas resister.

  A021000262 

 Et Dieu, qui ne fait rien en vain, ne nous donne pas ni la force ni le courage quand il n'est besoin de l'employer, mais es occasions jamais il ne manque; et partant il faut tous-jours esperer qu'en toutes occurrences il nous aydera, pourveu que nous le reclamions.

  A021000262 

 Et n'est pas besoin qu'on sente en soy aucun signe ni aucune marque qu'on aura ce courage la, ains il suffit qu'on espere que Dieu nous aydera.

  A021000262 

 Je dis, qu'encor que nous ne sentions en nous ni force, ni mesme courage quelcomque pour resister a la tentation si elle se presentoit maintenant a nous, pourveu que nous desirions neanmoins de resister, et esperions que si elle venoit Dieu nous ayderoit et luy demanderions son secours, nous ne devons nullement nous contrister, d'autant qu'il n'est pas besoin de sentir tous-jours de la force et du courage, et suffit qu'on espere et desire d'en avoir en tems et lieu.

  A021000262 

 Samson, qui estoit appellé le fort, ne sentoit jamais les forces surnaturelles dont Dieu l'assistoit sinon es occasions; et pour cela il est dit que quand il rencontroit les lions ou les ennemis, l'Esprit de Dieu le saysissoit pour les tuer.

  A021000264 

 Je vous conjure, Monsieur, d'appayser toutes les repliques qui se pourroyent former en vostre esprit, ausquelles il n'est besoin de respondre autre chose sinon que [13] vous desires d'estre fidele en toutes occurrences, et que vous esperes que Dieu fera que vous le seres, sans qu'il soit besoin d'essayer vostre esprit s'il le seroit ou non, car ces essays sont trompeurs, et plusieurs sont vaillans quand ilz ne voyent point l'ennemi, qui ne le sont pas en sa presence; et au contraire, plusieurs craignent avant l'escarmouche, ausquelz le danger present donne le courage.

  A021000265 

 Au demeurant, Dieu sçait ce que je voudrois faire et souffrir pour vous voir entierement delivré.

  A021000281 

 Mais puisque Dieu m'a voulu entraver comme les mauvais chevaux, affin que je demeurasse en ce champ, c'est bien la rayson que je m'y accommode et que sa divine volonté soit faite.

  A021000281 

 Pleust a Dieu que j'eusse autant de liberté que ce porteur en a, pour aller ou je voudrois! vous me verries au moins toutes les annees une bonne fois aupres de vous, avec le contentement que les plus tendres enfans ont d'estre en la presence de leur bonne mere; car vostre [15] bienveuillance et mon affection me rendent cela en vostre endroit.

  A021000282 

 Tenes bien rangees vos affections sous celle de ce grand Sauveur, et vous gardés d'en nourrir aucune, sous quel pretexte que ce soit, qui ne soit battue au sceau du Roy celeste.

  A021000283 

 Je suis bien esloigné de cette pureté: pour y parvenir, secoures moy en ce dessein, je vous supplie, par vos prieres et oraysons, ainsy que, de mon costé, je ne presente jamais le tressaint Sacrifice au Pere eternel que je ne luy demande pour vous abondance de son saint et sacré amour et ses plus desirables benedictions, et pour vostre famille..

  A021000291 

 Puisque vous m'aves dit que mes lettres vous consoloyent tous-jours beaucoup, je ne veux perdre nulle occasion de vous en faire avoir, pour vous tesmoigner en quelque [16] sorte l'affection que j'aurois de me rendre utile a vostre ame; a vostre ame, dis je, que je cheris extremement..

  A021000292 

 Pendant que nous sommes emmi les affaires, il se faut estudier a la tranquillité de cœur et a tenir nostre ame douce.

  A021000293 

 Quand je commence a vous escrire, je ne pense pas a ce que je vous escriray; mais ayant commencé, j'escris tout ce qui me vient, pourveu que ce soit quelque chose de Dieu, car je sçay que tout vous est aggreable, ayant de beaucoup fortifié l'entiere confiance que mon cœur avoit au vostre en ce dernier voyage, ou je vis bien, ce me semble, que vous avies toute asseurance en moy..

  A021000294 

 J'escris a cette bonne D. N., laquelle m'escrit que je la conseille sur sa vie future; en quoy j'ay de la peyne, pour n'avoir guere veu son esprit, et le mien estant trop commun et trivial pour considerer une vie si singuliere comme est la sienne; toutefois, je luy dis simplement ce que je pense..

  A021000302 

 Gardes vous bien fort des empressemens, qui sont la peste de la sainte devotion, et continues a tenir vostre ame en haut, ne regardant ce monde que pour le mespriser, ni le tems que pour aspirer a l'eternité.

  A021000302 

 Que vous diray je? Rien qu'un mot, faute de tems.

  A021000312 

 Je participe, par compassion, a tant d'aigres douleurs que vous souffres, et ne laisse pas de recevoir beaucoup de consolation dequoy vous les souffres en esprit de resignation.

  A021000312 

 Ma chere Mere, les vertus qui croissent entre les prosperités sont ordinairement floüettes et imbecilles, et celles qui naissent entre les afflictions sont fortes et fermes, ainsy qu'on dit que les meilleurs vins croissent entre les pierres..

  A021000313 

 Je prie Dieu qu'il soit tous-jours au milieu de vostre cœur, affin qu'il ne soit point esbranlé parmi tant de [18] secousses, et que, vous faysant part de sa Croix, il vous communique sa sainte tolerance et ce divin amour qui rend si pretieuses les tribulations..

  A021000314 

 Je ne cesseray jamais de reclamer le secours de ce Pere eternel sur une fille que j'honnore et cheris comme ma Mere..

  A021000322 

 Vous deves faire cette entreprise de vous bien commander en cela, et vous en souvenir cent fois le jour, recommandant a Dieu ce bon dessein; car je ne voy pas que vous ayes beaucoup a faire pour bien assujettir vostre ame a la volonté de Dieu, sinon de l'addoucir de jour en jour, mettant vostre confiance en sa bonté..

  A021000323 

 Cette vie est courte et elle ne nous est donnee que pour gaigner l'autre; et vous l'employeres bien si vous estes douce envers ces deux personnes avec lesquelles Dieu vous a mise..

  A021000323 

 Mais s'il vous arrive de commettre quelque manquement, ne perdes point courage, ains remettes vous soudain, tout ne plus ne moins [19] que si vous n'esties point tombee.

  A021000324 

 Pries pour mon ame, que Dieu la tire a soy.

  A021000330 

 Je le supplie qu'il vous tienne de sa sainte main, affin que jamais vous ne vous esgaries de la sainte et droitte voye qu'il vous a monstree.

  A021000330 

 Je vous supplie, ma chere Fille, n'abandonnes jamais le train des saintes resolutions que vous aves faites, car Dieu qui les a donnees a vostre cœur luy en demandera le conte.

  A021000338 

 Certes, quelle qu'elle soit, elle me donne bien de la condoleance, mays aussi quant et quant de la consolation, puisqu'il dit que Dieu vous l'a envoyee; car, ma tres chere Fille, rien ne sort de cette main divine que pour l'utilité des ames qui le craignent, ou pour les purifier, ou pour les affiner en son saint amour.

  A021000338 

 Ma tres chere Fille, vous seres bienheureuse si vous receves d'un cœur finalement amoureux ce que Nostre Seigneur vous envoye d'un cœur si paternellement soigneux de vostre perfection.

  A021000338 

 Qu'est ce que fait vostre cœur, ma tres chere Fille? Nostre frere m'escrit que vous aves receu quelque sorte [20] d'affliction qu'il ne me nomme point.

  A021000349 

 Et bien que d'un costé vous voyes l'Amour de vostre cœur mort et crucifié entre les cloux et les espines, vous treuverés de l'autre un assemblage de pierres pretieuses pour en composer la couronne de gloire qui vous attend, si, en attendant de l'avoir, vous portés amoureusement celle d'espines, avec vostre Roy qui a tant voulu souffrir pour entrer en sa felicité..

  A021000349 

 Et me resouvenant de cette croix exterieure que vous porties, quand j'eus le contentement de vous voir, sur vostre cœur, aymés bien vostre croix, ma chere Dame, car elle est toute d'or si vous la regardes de vos yeux d'amour.

  A021000349 

 Madame, je ne vous diray pas que vous ne regardies point vos afflictions, car vostre esprit, qui est prompt a repliquer, me diroit qu'elles se font bien regarder par l'aspreté de la douleur qu'elles donnent; mais je vous diray bien que vous ne les regardies pas qu'au travers de la Croix, et vous les treuveres ou petites, ou du moins si aggreables, que vous en aymeres plus la souffrance que la jouyssance de toute consolation qui en est separee.

  A021000350 

 Vous connoistrés bien que mon cœur se dilate en vous parlant, et que c'est une saillie de l'amour qu'il a pour le vostre, que je conjure d'en faire aussi souvent devant Dieu pour impetrer sa misericorde sur moy, qui suis en verité,.

  A021000361 

 S'il vous plaist de renouveller le vœu de continence a la Messe, ainsy que j'offriray le saint Sacrifice, offrés le a mesme tems a Dieu le Pere; et moy, en vostre nom, je [le] luy offriray aussi avec son Filz, le chaste Aigneau, auquel je le recommanderay, pour le garder et proteger envers tous et contre tous, comme aussi le propos de vœu d'obeissance; et l'ayant mis par escrit, vous me le donneres apres la Messe..

  A021000362 

 Que la Vierge, les Anges et tous les Saintz le veuillent accompaigner et recommander a leur Maistre; et priés vostre bon Ange d'estre pres de vous quand vous le feres..

  A021000367 

 Dieu vous face la grace, ma Fille, de bien absolument mespriser le monde qui vous est si inique: qu'il nous crucifie, pourveu que nous le crucifiions! Aussi les abnegations mentales des vanités et commodités mondaines se font asses aysement; les reelles sont bien plus difficiles.

  A021000368 

 Il est vray, la joliveté de l'esprit nous donne quelquefois bien de la vanité, et on leve plus souvent le nez de l'esprit que celuy du visage; on fait les doux yeux par les paroles aussi bien que par le regard.

  A021000368 

 Je ne suis pas satisfait de ce que je vous dis l'autre jour, sur vostre premiere lettre, de ces reparties mondaines et de cette vivacité de cœur qui vous pousse.

  A021000368 

 Ma Fille, prenes donq a prix fait de vous mortifier en cela; faites souvent la croix sur vostre bouche, affin qu'elle ne s'ouvre que de par Dieu.

  A021000369 

 Continues a me dire bien franchement et souvent des nouvelles de ce cœur la, que le mien cherit d'un grand amour, pour Celuy qui est mort d'amour affin que nous vescussions par amour en sa sainte et vitale mort..

  A021000378 

 O Dieu, que les amitiés fondees sur le solide fondement de la charité sont bien plus constantes et fermes que celles desquelles le fondement est en la chair et au sang et aux respectz mondains!.

  A021000379 

 Ne vous troubles point pour vos secheresses et sterilités, ains consoles vous en vostre esprit supérieur, et vous souvenes de ce que Nostre Seigneur a dit: Bienheureux sont les pauvres d'esprit; bienheureux sont ceux qui ont faim et soif de justice.

  A021000379 

 Quel bonheur de servir Dieu au desert, sans manne, sans eau et sans autres consolations que celle qu'on a d'estre sous sa conduitte et de souffrir pour luy!.

  A021000385 

 Que je suis marry, ma tres chere Fille, dequoy je n'ay point receu vos dernieres lettres! Mais nostre chere M me N. [25] m'ayant communiqué l'estat de vos affaires, je vous dis de tout mon cœur, c'est a dire de tout ce cœur qui cherit uniquement le vostre, que vous ne vous opiniastries point a plaider.

  A021000385 

 Voules vous, pour cela, vous occuper d'une si fascheuse occupation comme est celle d'un mauvais proces? Vous ne seres que tres mal vengee si apres avoir receu ce tort vous perdes vostre tranquillité, vostre tems et le train de vostre interieur.

  A021000385 

 Vous ne sçauries tesmoigner plus de courage que de mespriser le mespris..

  A021000386 

 Bienheureux sont ceux que l'on laisse en liberté, au prix des moins infortunés.

  A021000394 

 Or, je ne sçai pas comme ces choses passent par dela, ou souvent on ne suit pas les regles que nous avons en nos affaires ecclesiastiques..

  A021000394 

 Sur la premiere partie de la lettre que vous aves escritte a madame N., et que vous aves desiré m'estre [26] communiquee, ma tres chere Fille, je vous diray que si monsieur N. ne vous faysoit point d'autres allegations que celle que vous marques et [s'] il avoit affaire devant nous, nous le condamnerions a vous espouser sous des grosses peynes; car il n'y a pas rayson que, pour des considerations qu'il a peu et deu faire avant sa promesse, il veuille maintenant rompre parole.

  A021000395 

 Au demeurant, ma tres chere Fille, le desir que j'ay eu de vous dissuader [de] la poursuitte de ce mauvais proces n'avoit pas son origine de la desfiance de vostre bon droit, mays de l'aversion et mauvaise opinion que j'ay pour tous les proces et toutes les contentions.

  A021000395 

 Certes, il faut que l'issue d'un proces soit merveilleusement heureuse, pour reparer les frais, les amertumes, les empressemens, la dissipation du cœur, l'odeur des reproches et la multitude des incommodités que les poursuittes ont accoustumé d'apporter.

  A021000395 

 Sur tout, j'estime fascheux et inutiles, ains dommageables, les proces qui se font pour les paroles insolentes et manquemens de promesses, quand il n'y a point d'interest reel; parce que les proces, en lieu de suffoquer les mespris, ilz les publient, dilatent et font continuer, et en lieu de reduire a l'observation des promesses, ilz portent a l'autre extremité..

  A021000396 

 La pluspart des injures sont plus heureusement rejettees par le mespris qu'on en fait que par aucun autre moyen; le blasme en est plus pour l'injurieux que pour l'injurié..

  A021000396 

 Voyes vous, ma tres chere Fille, j'estime qu'en vraye verité le mespris du mespris et le tesmoignage de generosité que l'on rend par les desdains de la foiblesse et inconstance de ceux qui rompent la foy qu'ilz nous ont donnee, c'est le meilleur remede de tous.

  A021000397 

 [27] Je prieray donq Nostre Seigneur qu'il vous donne une bonne et sainte issue de cest affaire, affin que vous abordies au port d'une solide et constante tranquillité de cœur, qui ne se peut obtenir qu'en Dieu, au saint amour duquel je souhaitte que de plus en plus vous fassies progres..

  A021000401 

 Je salue de tout mon cœur monsieur vostre pere, que je cheris avec un amour et honneur tres particulier, et madame vostre chere seur..

  A021000405 

 Continues a souffrir ces petites disettes et pauvretés spirituelles que Nostre Seigneur en sa bonté permet arriver en vostre ame, car ce n'est que pour l'affermir et rendre solide, tandis que, par resolution, vous vous attachés a sa divine Majesté, sans entremise d'aucune sorte de consolation.

  A021000407 

 Laisses le la, ce cœur chetif, s'il veut demeurer immobile, pourveu que la volonté qui est en luy tire et meuve en son Dieu..

  A021000407 

 Vrayement, ma chere Fille, je n'ay nul soucy de vostre cœur, pourveu que vostre volonté soit en asseurance, toute [28] resignee en celle de Nostre Seigneur.

  A021000414 

 Et par ce que le cœur fidele se connoist es rencontres, employes bien toutes les occasions qui se presenteront de vous associer doucement aux personnes moins relevees; traittes les amiablement, uses envers elles de paroles courtoyses et de cordialité.

  A021000414 

 Helas! ma tres chere Fille, les qualités de cette vie sont en effect peu considerables, nous sommes telz en verité que nous sommes devant les yeux de Dieu; l'humilité sera seule consideree lhors que l'on donnera les rangs aux enfans de Dieu.

  A021000415 

 J'espere que l'œuvre de sa divine Majesté encommencee en vostre cœur sera [29] parfaitte un jour, et qu'eternellement vous luy en rendres gloire..

  A021000415 

 Soyes vaillante, et tenes vostre cœur haut et eslevé en Dieu; ne vous estonnes point de vous sentir foible, car moyennant que vous invoquies Dieu, il sera vostre force pour bien et diligemment executer le desir que vous aves de ne vivre qu'en luy.

  A021000423 

 L'homme n'est en ce monde que comme un arbre planté de la main du Createur, cultivé par sa sagesse, arrousé du sang de Jesus Christ, affin qu'il porte des fruitz propres au goust du Maistre, qui desire estre servi en ceci principalement, que, de plein gré, nous nous laissions gouverner a sa Providence qui mene les volontaires et traisne a force les refractaires..

  A021000424 

 Madame, vous estes sa fille, vous protestes tous les jours et le pries que sa volonté s'accomplisse en la terre comme au ciel; que vous reste il a faire, qu'a vous resoudre courageusement a consoler monsieur vostre espoux et a vous conduire en ce pelerinage par les voyes qu'il plaira a la Majesté divine de vous tracer?.

  A021000425 

 Attendant donq ce bonheur que de le voir un jour en cette felicité eternelle, je prie Dieu pour vostre confort d'aussi bon cœur que je suis.

  A021000425 

 Luy vous doit estre pour filz, pour pere, pour mere, pour frere, pour tout, en la presence duquel si vous vives tous-jours en innocence, au moyen de la grace vous obtiendres un jour le Paradis auquel regne cette ame bienheureuse de ce petit innocent, auquel je porte plus d'envie que de compassion, sachant qu'il void la face de [30] Dieu, comme fait son Ange qui avoit esté commis a sa tutelle.

  A021000433 

 Je veux bien que vous pleuries pour cette perte, car c'est la rayson; mais je desire bien aussi que vous ne pleuries pas desordonnement, et qu'en cette occasion vous tesmoignies que vous aves des-ja tant proffité en la vertu, que vous aves plus de fondement sur l'eternité que sur l'image de ce monde.

  A021000433 

 Vous series trop temeraire, ma tres chere Fille, si vous pretendies d'estre exempte des secousses que l'inconstance et misere de cette vie donne de tems en tems aux hommes.

  A021000441 

 Helas! ce sont des accidens naturelz que l'apoplexie et cheute de catarrhe; et Nostre Seigneur, voyant arriver nostre fin, nous prepare doucement par ses inspirations affin que nous ne soyons pas surpris, ainsy qu'il a fait cette bonne seur..

  A021000442 

 Je ne m'estonne point que vous ayes esté estonnee et que vous n'ayes pas si tost sceu retreuver vostre cœur pour le rapporter a son Sauveur.

  A021000442 

 O Dieu, ma chere Fille, il se faut bien preparer a mieux faire pour la premiere occasion qui se presentera; car a mesure que nous voyons ce monde et les liens que nous y avons se rompre devant nos yeux, il faut recourir plus ardemment [32] a Nostre Seigneur et advoüer que nous avons tort de loger nos esperances et esperer nos contentemens ailleurs qu'en luy et en l'eternité qu'il nous a destinee..

  A021000443 

 Il faut que je die ce petit mot de confiance: il n'y a homme au monde qui ayt le cœur plus tendre et affectionné aux amitiés que moy, et qui ayt le ressentiment plus vif aux separations; neanmoins je tiens pour si peu de chose cette vanité de vie que nous menons, que jamais je ne me retourne a Dieu avec plus de sentiment d'amour que quand il m'a frappé, ou quand il a permis que je sois frappé.

  A021000444 

 Cette bonne seur avoit bien prié Dieu; sur cela, elle a esté ravie devant luy: il faut esperer que ç'a esté pour son mieux que Nostre Seigneur ayt ainsy disposé.

  A021000450 

 Je ne veux pas, ma chere Fille, que vous desiries nullement la mort, car vous n'estes plus vostre, ains a Celuy qui, pour vous avoir faite sienne, s'est rendu [33] tout vostre; et partant il ne vous appartient pas de desirer ni de sortir de ce monde, ni d'y demeurer, ains vous deves laisser ce soin au Seigneur..

  A021000451 

 Au reste, cette mere tesmoigna tant la presence de la grace de Dieu en son trespas, que nous devons tenir qu'elle est presente, ou du moins asseuree d'estre bien tost presente a sa gloire eternelle.

  A021000451 

 Que si, selon la fragilité de cette vie, elle a besoin de suffrages, ma chere Fille, elle n'en manquera pas, Dieu aydant..

  A021000452 

 A mesure que Dieu tire nos plus chers a soy, il veut attirer nostre cœur, et, comme disoit saint François: A qui n'a point de pere en terre, il est plus aysé de dire: Nostre Pere, qui estes aux cieux.

  A021000452 

 En somme, ma chere Fille, releves le plus que vous pouves vostre cœur en Dieu, et il vous consolera..

  A021000458 

 Or sus, ma tres chere Fille, il faut donq que vostre cœur souffre l'absence des maintenant de monsieur vostre bon pere, puisque en fin la Providence divine l'a retiré a soy et mis hors de cette chetifve vie mortelle en laquelle nous vivons en mourant et mourons continuellement en vivant..

  A021000459 

 Pour moy, ma tres chere Fille, je ne veux point vous presenter d'autre consolation que Jesus Christ crucifié, a la veuë duquel vostre foy vous consolera; car apres cette mort du Sauveur, toute mort est heureuse a ceux qui, comme le deffunt duquel je parle, meurent au [34] giron et avec le secours de la sainte Eglise; et quicomque se glorifie en la mort de Nostre Seigneur, jamais il ne se desolera en la mort de ceux qu'il a rachetés et receus pour siens..

  A021000460 

 Ma Fille, qui aspire a l'eternité se soulage aysement des adversités de cette vie, qui ne dure que de legers, chetifs et courtz momens.

  A021000461 

 J'ay accoustumé de dire a toutes les ames qui s'addressent a moy, mays je vous le dis tres particulierement a vous qui estes si particulierement ma fille, qu'il faut eslever le cœur en haut, ainsy que dit l'Eglise au saint Sacrifice.

  A021000461 

 Non certes, ma chere Fille, je ne dis pas cela; mais je dis que les souffrances, les peines, les tribulations sont accompaignees d'une si forte resolution de les souffrir pour Dieu, que toute cette amertume, pour amere qu'elle soit, est en paix et tranquillité..

  A021000461 

 Vives avec des pensees genereuses et magniques qui vous tiennent attachee a cette eternité et a cette sacree Providence, qui n'a disposé ces momens mortelz que pour cette vie eternelle.

  A021000462 

 Je vous escris bien pressé et avant qu'avoir veu pas un de messieurs vos parens; et ce sera presque ordinairement que je vous escriray de mesme façon, puisque je ne veux perdre l'occasion.

  A021000469 

 O vive Jesus! il n'y a pas dequoy en ce monde pour faire souhaiter que les amis y demeurent beaucoup..

  A021000470 

 Eh bien, ma chere Fille, n'estoit ce pas une disposition que la bonté de Dieu faisoit en elle pour la tirer une annee apres a soy? Gloire soit donq au Pere et au Filz et au Saint Esprit..

  A021000470 

 Je connoissois cette bonne seur deffunte, non seulement de veuë exterieure, mais encor par quelque communication de son ame qu'elle me fit en ma visite; et n'y a qu'environ une annee que je luy envoyay l'habit du Tiers Ordre des Carmes, qu'elle m'avoit mandé requerir pour sa devotion, et, a la reception, elle fit une confession generale a un homme fort capable, qui me l'escrivit ou me le dit, je le sçai bien.

  A021000471 

 Ouy, tres chere Fille, pleurés un peu sur cette trespassee, car et Nostre Seigneur pleura bien un peu sur son cher Lazare; mais que ce ne soyent pas des larmes de regret, mais d'une sainte compassion chrestienne et d'un cœur qui, comme celuy de Joseph, pleure de tendreté, et non pas de fierté comme celuy d'Esaü.

  A021000472 

 Au moins me permettres vous que je tienne celuy que j'y ay, et qu'a mesure que ces parens temporelz vous vont manquant, l'affection plus que paternelle que je vous porte et que je vous ay dediee fort fidelement s'aggrandisse en tendreté et ardeur sainte..

  A021000472 

 Que si mes prieres luy peuvent accelerer ce bien, je les luy prometz de bon cœur, et si je pouvois tenir son rang en vostre amitié, je le vous demanderois de bon cœur aussi.

  A021000473 

 Vrayement, je pleure aussi bien, moy, en telles occasions, et mon cœur, de pierre es choses celestes, jette des eaux pour ces sujetz; mais, Dieu soit loué! tous-jours doucement et, pour vous parler comme a ma chere fille, tous-jours avec un grand sentiment d'amoureuse dilection envers la providence de Dieu; car despuis que Nostre Seigneur a aymé la mort et qu'il a donné sa mort pour objet a nostre amour, je ne puis vouloir mal a la mort ni de mes seurs, ni de personne, pourveu qu'elle se fasse en l'amour de cette mort sacree de mon Sauveur.

  A021000482 

 Rien n'est si aggreable que la perseverance, a la divine Majesté, et les plus petites vertus, comme l'hospitalité, rendent plus parfaitz ceux qui perseverent jusques a la fin, que les plus grandes qu'on exerce par change et varieté..

  A021000482 

 Tout ce qui vous voudra destourner de cette voye, tenes le pour tentation d'autant plus dangereuse que peut estre elle sera specieuse.

  A021000483 

 Aymes tout, loues tout; mais ne suives, mais n'aspires que selon la vocation de cette Providence celeste, et n'ayes qu'un cœur qui sera pour cela..

  A021000484 

 Dieu le comble de son saint amour, ce cœur, que le mien cherit et cherira eternellement.

  A021000490 

 Je respons a vostre lettre du 2 de ce mois plus tard que je ne desirois, attendu la qualité de l'advis et du conseil que vous me demandes; mais les grandes pluyes ont empesché les voyageurs de se mettre en campagne, au moins n'ay je point eu de commodité asseuree jusques a celle ci..

  A021000491 

 L'advis que la bonne cousine vous donna si constamment, de demeurer en vous mesme au service de monsieur vostre pere et en estat de vous consacrer par apres cœur et cors a Nostre Seigneur, estoit fondé sur une grande quantité de considerations tirees de plusieurs circonstances de vostre condition; c'est pourquoy, si vostre esprit se fust treuvé en une pleine et entiere indifference, je vous eusse sans doute dit qu'il failloit suivre cet advis la, comme le plus digne et le plus propre qu'on vous sceust proposer, car, sans difficulté, il eust esté tel.

  A021000491 

 Mays puisque vostre esprit n'est nullement en l'indifference, ains totalement penché au choix du mariage, et que nonobstant que vous ayes recouru a Dieu vous vous y sentes encor attachee, il n'est pas expedient que vous facies violence a une si forte impression par aucune sorte de consideration; car toutes les circonstances, qui d'ailleurs seroyent plus que suffisantes pour me faire conclure avec la chere cousine, n'ont point de poids au prix de cette forte inclination et propension que vous aves; laquelle, a la verité, si elle estoit foible et debile, [39] seroit peu considerable, mais estant puissante et ferme, elle doit servir de fondement a la resolution..

  A021000492 

 Je dis: s'il est d'humeur compatissante, parce que ce manquement de taille requiert cela; comme il requiert de vous que vous contreschangies ce defaut par une grande douceur, par un sincere amour et par une humilité fort resignee, et bref, que la vraye vertu et perfection de l'esprit couvre universellement la tare du cors..

  A021000493 

 Je finiray donq, vous asseurant que je vous recommanderay tous-jours a Nostre Seigneur, affin qu'il addresse vostre vie a sa gloire.

  A021000493 

 L'estat de mariage est un estat qui requiert plus de vertu et constance que nul autre; c'est un perpetuel exercice de mortification, il le sera peut estre a vous plus que l'ordinaire: il faut donq vous y disposer avec un soin particulier, affin qu'en cette plante de thym vous puissies, malgré l'amertume naturelle de son suc, en tirer et faire le miel d'une sainte conversation..

  A021000501 

 O qu'heureux sont ceux que Dieu manie a son gré et qu'il reduit sous son bon playsir, ou par tribulation ou par consolation! Mais pourtant, les vrays serviteurs de Dieu ont tous-jours plus estimé le chemin de l'adversité, comme plus conforme a celuy de nostre Chef, qui ne voulut reuscir de nostre salut et de la gloire de son nom que par la croix et les opprobres..

  A021000501 

 Voyla, ma tres chere Fille, les conditions avec lesquelles nous nous devons donner a Dieu: c'est que, soudain, il fasse sa volonté de nous, de nos affaires et de nos desseins, et qu'il rompe et desfasse la nostre ainsy qu'il luy plaira.

  A021000502 

 Mais, ma tres chere Fille, connoisses vous bien en vostre cœur ce que vous m'escrives, que Dieu, par des voyes espineuses, vous conduit a une condition qui vous avoit esté offerte par des moyens plus faciles? car si vous avies cette connoissance, vous caresseries infiniment cette condition que Dieu a choysie pour vous, et l'aymeries d'autant plus que non seulement il l'a choysie, mais il vous y conduit luy mesme, et par un chemin par lequel il a conduit tous ses plus chers et grans serviteurs.

  A021000502 

 Suppliés le que ce sentiment qu'il vous donne ne perisse point, mais qu'il croisse jusques a sa parfaite maturité..

  A021000503 

 Pour moy, je benis vostre chere ame que Nostre Seigneur veut pour soy, et ay pour vous tout le saint amour qui se peut dire.

  A021000504 

 Bienheureux sont ceux qui changent ainsy leurs eaux en vin! mais il faut que ce soit par l'entremise de la tressainte Mere..

  A021000504 

 Cet espoux de Cana en Galilee fait le festin de ses noces, et croit d'estre l'espoux; mais il est trop plus heureux, car Nostre Seigneur luy donne le change, et convertissant son eau en tres bon vin, il se rend Espoux luy mesme et fait l'ame de ce pauvre premier espoux son espouse; car, soit que ce fust saint Jean l'Evangeliste ou quelque autre, estant non a la veille, mais au jour de son mariage, Nostre Seigneur l'emporte a sa suite, il ravit a soy sa chaste ame et le rend son disciple; et l'espouse, voyant que ce Sauveur pouvoit avoir plusieurs espouses, voulut [41] estre du nombre.

  A021000504 

 Et pour une seule noce de vin failly, en voyla deux excellentes; car les ames, tant de l'un que de l'autre, s'espousent a Jesus Christ.

  A021000515 

 Je pense qu'en fin vous en viendres la et que cette resolution vous arrivera; mays je voudrois que ce fust bien tost, affin que vous eussies la consolation d'avoir fait vous mesme l'eslection en un tems auquel probablement vous en pourries faire une autre..

  A021000515 

 Je prie Nostre Seigneur d'avoir aggreable que vous le servies uniquement, parfaittement, et en l'estat auquel vous n'ayes point necessité de partager vostre cœur.

  A021000516 

 Or sus, ma Fille, me treuvant au fin bout de cette annee avec cette commodité de vous escrire, je l'ay voulu employer pour vous tesmoigner que, commençant la prochaine annee suivante, je supplieray sa divine Majesté [42] qu'elle la vous rende toute pleyne de ses sacrees benedictions.

  A021000516 

 Que les annees sont courtes, ma chere Fille! les voyla qu'elles s'enfuyent toutes l'une apres l'autre et nous emportent avec elles a nostre fin.

  A021000517 

 Je persevere a prier Nostre Seigneur pour vostre consolation, ou plustost, que luy mesme soit et vostre consolation et vostre Consolateur, et que luy seul possede vostre cœur, et vostre cœur son saint amour..

  A021000522 

 Mon Dieu, ma tres chere Fille, que j'ayme vostre cœur, puisqu'il ne veut plus rien aymer que son Jesus et pour [43] son Jesus! Helas! se pourroit il bien faire qu'une ame qui considere ce Jesus crucifié pour elle, peust aymer quelque chose hors d'iceluy, et qu'apres tant de veritables eslancemens de fidelité qui nous ont si souvent fait dire, escrire, chanter, aspirer et souspirer: VIVE JESUS! nous voulussions, comme des Juifz, crier: Qu'on le crucifie, qu'on le tue en nos coeurs? O Dieu, ma Fille, je dis ma vraye Fille, que nous serons fortz si nous continuons a nous entretenir liés l'un a l'autre par ce lien teint au sang vermeil du Sauveur! car nul n'attaquera vostre cœur qu'il ne treuve de la resistance et de vostre costé et du costé du mien, qui est tout dedié au vostre..

  A021000523 

 O Dieu, que cela est fade au prix de ce sacré divin amour qui vit en nos cœurs!.

  A021000525 

 Vous aves rayson encor de recevoir ce peu de paroles que je vous dis avec tendreté d'amour; car l'affection que j'ay pour vous est plus grande et plus forte que vous ne penseries jamais..

  A021000528 

 Tenes bien prest sur le bout de vos levres ce que vous aures a me dire, affin que, pour peu de loysir que nous ayons, vous le puissies respandre dans mon ame.

  A021000529 

 Ainsy soit il, ma tres chere Fille; que ce divin Amour de nos cœurs soit a jamais sur nostre poitrine, pour nous enflammer et consommer de sa grace.

  A021000535 

 Si Nostre Seigneur vous donne quelque contentement, ma tres chere Fille, en la veritable et nompareille dilection qu'il a mise dans mon cœur pour le vostre, j'en benis son saint nom et en remercie sa Providence, vous asseurant fort fidelement que ce m'est une consolation toute particuliere de sçavoir que, reciproquement, vostre ame cherisse puissamment la mienne de cet amour sacré que la divine Bonté peut donner; et si, pour tout cela, je ne [45] veux pas vous prier de le me continuer, sçachant bien qu'il est imperissable, comme le motif duquel il prend sa force..

  A021000536 

 J'ayme vostre avancement en la solide pieté, et cet avancement requiert des difficultés, affin que vous soyes exercee en l'eschole de la Croix, en laquelle seule nos ames se peuvent perfectionner; mais je ne me puis empescher des tendretés maternelles qui font desirer les douceurs pour les enfans.

  A021000536 

 Or sus, mais parmi tout cela, je ne suis pas sans estre touché de sçavoir que vous n'estes pas sans varietés d'amertumes interieures, bien que je sache aussi, qu'estant ce que vous estes a Nostre Seigneur, vostre amertume ne peut estre qu' en paix et que l'amour soulage vostre douleur; car vrayement j'ay un certain cœur de pere, mays qui tient un peu du cœur de mere.

  A021000538 

 Ma tres chere Fille, le porteur qui m'a apporté vostre lettre ne me donne que des momens pour vous escrire; c'est pourquoy je finis, vous dediant en Nostre Seigneur tout mon cœur et mes affections..

  A021000545 

 Venes en la montaigne que Dieu vous monstrera, pour y consacrer ces petitz momens de vie qui vous restent, en faveur de la tressainte eternité qui vous est preparee..

  A021000546 

 Ne vous mettes point en peyne dequoy vous n'aves pas les sentimens de devotion et consolation presentement; car le courage fort que vous aves vaut mieux que tout cela.

  A021000546 

 Penses vous pas que la pauvre jeune et belle Rebecca pleura bien fort lhors qu'elle se separa de son pere, sa mere et son païs? mais, parmi tout cela, elle ne laissa pas de dire courageusement: J'y iray; et elle fut digne d'estre espouse d'Isaac.

  A021000547 

 Je prieray, quoy que indignement, pour N. N., et les serviray par tout ou je pourray..

  A021000555 

 C'est a luy, ma tres chere Fille, que vous en deves le remerciement, qui vous y a puissamment attiree, et a tourné les cœurs de ces cheres Seurs devers le vostre et le vostre devers le leur, et tous ensemble devers la Croix et sa Mere tressainte..

  A021000555 

 Dieu veuille recevoir en sa main dextre vostre esprit que vous luy presentes, ma tres chere Fille, et vous face saintement continuer a le servir en cette Congregation a laquelle il luy a pleu vous faire entrer.

  A021000556 

 Vives ainsy, ma tres chere Fille; demeures en ce point, et aymes cette sainte simplicité, humilité et abjection que la divine Sagesse a tant estimee, qu'elle a laissé pour un tems l'exercice de sa royauté pour prattiquer celuy de la pauvreté et abbaissement de soy mesme jusques au signe et periode de la croix, ou sa Mere ayant puisé cette affection, elle l'a respandue par apres dans le cœur de toutes ses vrayes filles et servantes.

  A021000566 

 Car le Pere n'est pas le Filz, ni le Filz n'est pas le Saint Esprit: d'autant que, encor que le Pere ne soit pas un autre Dieu que le Filz et le Saint Esprit, il est neanmoins une autre Personne; et de mesme, le Filz n'est pas un autre Dieu que le Pere et le Saint Esprit, ains seulement une autre Personne; et le Saint Esprit n'est pas un autre Dieu que le Pere et le Filz, ains seulement une autre Personne..

  A021000566 

 Le second article principal, c'est que ce seul vray Dieu est Pere, Filz et Saint Esprit: dont le Pere est la premiere Personne de la tressainte Trinité, le Filz la seconde et le Saint Esprit la troysiesme; en sorte que les troys Personnes ne sont pas plusieurs dieux, ains un seul vray Dieu, bien que l'une des Personnes ne soit pas l'autre.

  A021000567 

 Et bien que l'une des puissances ne soit pas l'autre, si est ce que toutes troys ne sont qu'une seule ame: l'entendement estant ame, la memoire ame, la volonté ame, et non troys ames, ains une ame; et bien que ce ne soit qu'une ame, si est ce que cette ame, en tant qu'entendement n'est pas memoire, en tant que memoire n'est pas volonté..

  A021000567 

 Vostre entendement n'est pas memoire, car il y a beaucoup de choses que vous entendes, desquelles vous ne vous resouvenes pas quelque [49] tems apres; vostre entendement et vostre memoire ne sont pas vostre volonté, car il y a beaucoup de choses que vous entendes et desquelles vous aves memoire, lesquelles vous ne voules pas, comme sont les pechés, que vous detestes.

  A021000568 

 Ainsy, il n'y a qu'un seul Dieu en troys Personnes, desquelles troys l'une n'est pas l'autre, et toutes troys ne sont qu'un seul Dieu; en sorte que le Pere est Dieu, le Filz est Dieu, le Saint Esprit est Dieu, et non troys dieux, mais un seul Dieu; parce que, encor qu'il y ayt troys Personnes, toutes troys ensemble n'ont qu'une seule et unique Divinité: comme, encor qu'il y ayt troys puissances en nostre ame, toutes troys neanmoins ne sont qu'une seule ame..

  A021000569 

 Ainsy, le seul Filz est incarné, et non le Pere ni le Saint Esprit, bien que le Pere, le Filz et le Saint Esprit ne soyent qu'un Dieu..

  A021000569 

 Comme si je disois que vostre ame a pris la connoissance d'escrire, je ne dirois pas pour cela que c'est vostre volonté qui a pris cette connoissance, car ce n'est pas la volonté qui connoist, c'est l'entendement; et neanmoins, l'entendement et la volonté ne sont qu'une seule ame.

  A021000569 

 De mesme, je dis vray quand je dis que vostre ame agit dedans vostre cœur et dedans vostre cerveau; [50] et neanmoins, au cœur elle agit par la volonté et l'amour, et au cerveau elle agit par l'entendement et la connoissance.

  A021000569 

 Et encor que ce ne soit qu'une seule ame, neanmoins l'une des facultés agit en un endroit ou l'autre n'agit pas.

  A021000569 

 Mais il faut noter, qu'encor que ce soit le seul unique vray Dieu qui ayt pris nostre humanité, si est ce qu'il ne l'a prise en la Personne du Pere, ni en la Personne du Saint Esprit, ains seulement en la Personne du Filz.

  A021000570 

 Il faut encor sçavoir que le Pere, le Filz et le Saint Esprit, un seul vray Dieu, sont par tout et totalement par tout le monde, comme vostre ame est par tout vostre cors; mais parce qu'au Ciel sa divine Majesté se manifeste plus clairement, nous imaginons plus facilement sa presence au Ciel..

  A021000571 

 Et quand vous vous representies que le Pere et le Filz estoyent deux, vous pensies la verité; car ce sont deux Personnes, encor qu'ilz ne soyent qu'un seul Dieu; quand vous disies qu'ilz n'estoyent qu'un, vous disies bien aussi, car ilz ne sont qu'un seul Dieu et tres unique, bien qu'ilz soyent deux Personnes..

  A021000572 

 Et comme le fer ne laisse pas d'estre fer, et pesant, et massif, et ferme, et dur, pour estre enflammé, et que le feu ne laisse pas d'estre feu, chaud, lumineux, ardant, pour estre enferré, ainsy l'humanité de Nostre Seigneur ne laissa pas d'estre petite, et tendre, et gemissante, et frileuse en la cresche de Bethlehem, encor qu'elle fust jointe a la Divinité; et la Divinité ne laisse pas d'estre toute puissante, toute glorieuse, pour estre jointe a l'humanité..

  A021000572 

 Mais il y a de plus: c'est que vous consideries Nostre Seigneur en tant qu'homme, et, en cette sorte, il est vrayement different d'avec le Pere en nature; car le Pere n'est pas homme, ains seulement Dieu.

  A021000573 

 Il suffit que vostre meditation alloit bien, et que Nostre Seigneur a plus aggreable vostre simplicité que la science de ceux qui pensent beaucoup estre.

  A021000573 

 Si vous n'entendes pas cette lettre, ne vous fasches pas: je l'ay seulement escritte pour vous donner un peu de jour, et non pas le jour du midy que nous aurons en Paradis..

  A021000579 

 Et ne faut point attendre d'autre sujet, ni pour vous ni pour moy, que celuy d'une sainte conversation spirituelle entre nos ames et de la contribution que nous nous devons les uns aux autres de nos consolations..

  A021000579 

 Mon Dieu, ma chere Fille, je ne treuve nullement estrange que vous desiries de mes lettres; car, outre ce [52] que Dieu le veut bien (qui est le grand mot de nostre commerce), je sens tant de consolation de vostre communication que je croy aysement que vous en aves un peu de la mienne.

  A021000580 

 Cela ne vient pas de nostre faute le plus souvent, mays de la providence de Dieu, qui nous veut faire faire nostre chemin par terre et par desert, et non par eaux, et veut que nous nous accoustumions au travail et a la dureté..

  A021000580 

 Je ne dis rien, ma bonne Fille, de vostre cœur en ce que vous n'aves pas des larmes.

  A021000580 

 Non, ma Fille, car le pauvre cœur n'en peut mais, puisque cela n'arrive pas faute de resolutions et vives affections d'aymer Dieu, mays faute de sensible passion, laquelle ne depend point de nostre cœur, mais d'autre sorte de dispositions que nous ne pouvons procurer; car tout ainsy, ma chere Fille, qu'en ce monde il n'est pas possible que nous puissions faire pleuvoir quand nous voulons, ni empescher qu'il ne pleuve quand nous ne voulons pas qu'il pleuve, aussi n'est il pas a nostre pouvoir de pleurer quand nous voulons, par devotion, ni de ne pleurer pas aussi quand l'impetuosité nous saysit.

  A021000581 

 Tenes bien ferme sur cette posture, que vostre cœur soit bien entierement a Dieu; car il n'y en a point de meilleure..

  A021000581 

 Tenés vostre bouquet en main, mais s'il se presente quelque autre odeur souëfve et profitable par rencontre, ne laissés pas de l'odorer avec action de grace; car le bouquet ne se prend sinon que pour ne vous laisser pas le long du jour sans confort et playsir spirituel.

  A021000582 

 Pour tout, ne souhaites pas des persecutions pour l'exercice de vostre fidelité, car il vaut mieux attendre celles que Dieu vous envoyera que d'en desirer; et si, vostre fidelité a mille sortes d'autres exercices: en l'humilité, douceur, charité au service de vostre pauvre malade, mays [53] service cordial, amoureux et affectionné.

  A021000583 

 O ma Fille, ostés bien toutes les robbes de vostre captivité par des continuelz renoncemens a vos affections terrestres; et ne dites point que le Roy ne vous en donne des royales pour vous tirer a son saint amour.

  A021000589 

 Et puis, nostre grand rendes vous est en cette eternité, au prix de laquelle que peut sur nous tout ce qui se finit par le tems?.

  A021000589 

 Gardés ce saint silence que vous me dites, car vrayement il est bon d'espargner nos paroles pour Dieu et pour sa gloire.

  A021000589 

 Mon Dieu, disoit saint Gregoire a un Evesque affligé, comme se peut il faire que nos cœurs, qui sont meshuy au Ciel, soyent agités des accidens de la terre? C'est bien dit: la seule veuë de nostre cher Jesus crucifié peut addoucir en un moment toutes nos douleurs, qui ne sont que des fleurs en comparayson de ses espines.

  A021000590 

 Continues, ma Fille, a vous unir de plus [en plus] a ce Sauveur; abismés vostre cœur en la charité du sien, et disons tous-jours de tout nostre cœur: Que je meure, et [54] que Jesus vive! Nostre mort sera bien heureuse si elle se fait en sa vie.

  A021000591 

 Benite soyes vous, ma chere Fille, de la benediction que la Bonté divine a preparee aux cœurs qui s'abandonnent en prove a son saint et sacré amour.

  A021000591 

 Et courage, chere Fille, Dieu nous est bon; que tout nous soit mauvais, que nous en doit il chaloir? Vivés joyeuse aupres de luy; c'est en luy que mon ame est toute dediee a la vostre.

  A021000591 

 Les annees s'en vont et l'eternité s'approche de nous: que puissions nous tellement employer ces ans en l'amour divin, que nous ayons l'eternité en sa gloire! Amen..

  A021000598 

 Que si neanmoins Dieu nous tire, au commencement de l'orayson, a la simplicité de sa presence et que nous nous y treuvions engagés, ne la quittons pas pour retourner a nostre point; estant une regie generale que tous-jours il faut suivre ses attraitz et se laisser aller ou son Esprit nous mene..

  A021000598 

 Si vous savoures vostre point en l'orayson, c'est un signe que Dieu veut que vous suivies cette methode, du moins alhors.

  A021000599 

 Les bouillonnemens et dilatemens du cœur ne peuvent quelquefois estre evités; mais quand on s'apperçoit de leur venue, il est bon d'addoucir ces mouvemens et les appayser, en debandant un peu l'attention ou les eslans, d'autant que l'orayson, plus elle est tranquille, simple et delicate, c'est a dire, plus elle se fait en la pointe de l'esprit, plus elle est fructueuse..

  A021000605 

 Une autre fois, il vous faut bien tenir vostre cœur ouvert et sans aucune sorte d'apprehension, car il vous sera bien plus utile de conferer bouche a bouche que par escrit..

  A021000606 

 Ces inclinations que vous aves sont pretieuses occasions que Dieu vous donne de bien exercer vostre fidelité en son endroit, par le soin que vous aures de les reprimer.

  A021000606 

 Faites aboutir vos oraysons es affections qui leur sont contraires, et soudain que vous sentires d'avoir fourvoyé, repares la faute par quelque action contraire de douceur, d'humilité et de charité envers les personnes ausquelles vous aves repugnance d'obeir, de vous sousmettre, de souhaitter du bien et d'aymer tendrement; car en fin, puisque vous connoisses de quel costé vos ennemis vous pressent le plus, il vous faut roidir et vous bien fortifier et tenir garde en cet endroit la.

  A021000607 

 Il le fera, ma chere Fille, si vous perseveres a la poursuite de son saint amour, avec le soin que vous aves de vivre humblement devant luy, amiablement envers le prochain et doucement envers vous mesme.

  A021000615 

 Ah! qu'a jamais cette Egypte, avec ses aulx, ses oignons et ses chairs pourries nous soyent a desgoust, pour savourer tant mieux la delicieuse manne que nostre Sauveur nous donnera emmi le desert ou nous sommes entrés.

  A021000615 

 Vous me dites, ma tres chere Fille, que ces attendrissemens au grand et irrevocable adieu que nous avons dit au monde sont passés.

  A021000616 

 J'appreuve bien le peu parler, pourveu que ce peu que vous parleres se face gratieusement et charitablement, et non point melancholiquement ni artificieusement.

  A021000618 

 Ah! qui nous fera la grace que nos cœurs le soyent aussi un jour! Mais ce Simeon n'est il pas bien glorieux d'embrasser cet Enfant divin? Ouy, mais je ne luy peux sçavoir gré du mauvais tour qu'il nous vouloit faire, car estant hors de soy mesme, il le vouloit emporter avec soy en l'autre monde: Maintenant, dit il, laisses aller vostre serviteur en paix.

  A021000618 

 Que de douceurs hier, a considerer cette belle accouchee, avec le petit Poupon pendu a sa mammelle, qu'elle va presenter au Temple, et avec cette paire de colombes, plus heureuses, ce ine semble, que les plus grans princes du siecle, d'avoir esté sacrifiees pour le Sauveur.

  A021000632 

 Et, a parler realement, encores aves vous quelque devoir de priser l'affection que j'ay, aussy grande que la valeur des plus grans, de meriter d'estre ce que ne pouvant meriter je ne laisse pas,.

  A021000632 

 Si aurois je occasion de craindre que n'y languissies, si vous n'avies infiniment plus de courtoisie que je n'ay de merite.

  A021000656 

 Je receuz nagueres un billiet de vous par lequel vous m'advertissies de la reception de nostre coffre et du moyen que vous estimies propre pour le nous faire tenir; dequoy je vous remercie affectionnement..

  A021000657 

 Vous m'escrivies aussi que Messieurs de Sainte Croix persistoyent a me desirer pour l'Advent et Caresme; mais la necessite de ma præsence de deça persiste tellement a m'obliger, que non obstant l'extreme dasir que j'aurois de rendre service a ces seigneurs, je ne puis neanmoins m'en promettre la commodité et ne sçaurois le leur rendre en ceste occasion..

  A021000658 

 J'attens de jour a autre ce quil me faut de Romme [61] pour prendre la possession de l'Evesché, et tout aussi tost que je l'auray receu, vous en aures, Dieu aydant, advis..

  A021000659 

 Icy nous avons si peu de commodité quil nous a fallu partager la somme pour la faire tenir a Lion; de maniere que pour cest'heure nous faisons tenir cinq cens escus par une commodité, et dans trois jours, Dieu aydant, le reste par un' autre commodité.

  A021000696 

 J'ai reçu avec tout le respect que je dois à une si haute dignité, la lettre dont m'a honoré Votre Majesté impériale et sacrée.

  A021000697 

 Il ne me reste donc rien, sinon la ferme espérance que Dieu fera lever bientôt le jour heureux où les Empereurs, après avoir autrefois fondé cette Eglise par leurs nombreux bienfaits, sauront de nouveau, par leur autorité et leur puissance, la rendre à son antique splendeur..

  A021000698 

 En attendant que ce désir se réalise, nous prierons instamment le Christ très bon et très grand, avec le clergé et le peuple à nous confiés, qu'il conserve longtemps saine et sauve Votre Majesté impériale et sacrée, et qu'il confonde l'orgueil de ses ennemis..

  A021000713 

 Ce n'est pas bien d'être tellement affectionné à son Ordre que l'on en perde les yeux pour voir les choses évidentes.

  A021000714 

 L'Epouse au Cantique confesse sans crainte ses imperfections en disant: Je suis noire, encore que belle; et ailleurs: Ne prenez pas garde à ce que je suis brune.

  A021000714 

 Or je pense que vous pouvez bien en dire autant de votre Maison: elle est belle, c'est vrai; mais le soleil, c'est-à-dire le temps, la longueur des jours a altéré son teint.

  A021000714 

 Pourquoi donc ne tâcherez-vous pas de lui rendre son ancien lustre, afin que son Epoux puisse dire: Vous êtes toute belle? Quand les défauts sont momentanés et passagers dans une Maison, c'est bien fait de les dissimuler; mais quand ils sont à demeure et permanents, il faut les chasser, et meme à cor et à cri s'il en est besoin.

  A021000716 

 Faisons ce que nous devons, et Dieu ne nous manquera pas.

  A021000716 

 Les Cordeliers de saint François ont cru ne pouvoir vivre en cette étroite pauvreté que leur Règle primitive prescrit; les Capucins leur ont fait voir le contraire, et de même en doit-on dire de plusieurs autres.

  A021000716 

 Mais pourquoi les nourrit-il, sinon parce que, par la condition de leur nature, ils ne reçoivent pas leur pâture de leurs père et mère qui ne prennent aucun soin de leurs fruits? Ainsi pourvoira-t-il bien plus ses servantes qui, par la condition de leur profession, se sont vouées à la pauvreté et communauté, sans l'entremise de ces moyens contraires à la pauvreté et à la parfaite communauté.

  A021000716 

 Si nous sommes en Egypte, il nous nourrira de la viande que les Egyptiens nous donneront, et si dans le désert, il nous donnera lui-même la manne.

  A021000717 

 Je loue leur méthode parce qu'elle est bonne, bien que ce ne soit pas la mienne, surtout à l'endroit des esprits nobles et bien élevés comme sont les vôtres.

  A021000717 

 Je pense qu'il est mieux de vous montrer que [70] toutes les raisons demandent que vous vous soumettiez à la réforme..

  A021000718 

 Mes Sœurs, il faut remonter jusqu'à la source de votre Religion et boire en icelle l'eau de votre réformation; vous y trouverez une eau qui vous fera oublier l'affection que vous avez à ces petites particularités.

  A021000718 

 Rappelez-vous que votre Monastère ne fut pas commencé avec ces pensions, ains avec une très exacte pauvreté.

  A021000719 

 Je sais bien que vous avez de très grands empêchements; c'est ce qui me fait pitié et m'oblige à vous écrire, car j'ai certaines considérations lesquelles, à mon avis, pourront vous aider à surmonter les obstacles qui retardent un si grand bien. Je pense que le plus grand empêchement à votre réforme, c'est de vous imaginer que le mal et le défaut soit petit et léger, ne pouvant [71] guère me [persuader que si vous le jugiez grand vous voulussiez y persévérer et le permettre.

  A021000719 

 Vous ne pouvez nier que ce ne soit un manquement et déchet en la pauvreté et communauté religieuse; et pour petit qu'il soit, faudra-t-il en négliger l'amendement? Tout au contraire, il faut le corriger pendant qu'il est petit, car il pourrait arriver que, croissant, il ne soit plus possible de le guérir.

  A021000720 

 La supérieure engendre le bon Isaac, qui est le vœu volontaire et libre que vous avez fait, comme un sacrifice de vous-mêmes, sur la montagne de la vie religieuse.

  A021000720 

 Mais s'il heurte votre vœu en quelques-unes de ses parties principales, telle que la pauvreté, je vous en supplie et conjure, par l'amour que vous portez à votre Isaac, au vœu et à votre Maison, chassez-le, bannissez-le. Qu'il soit petit tant que vous voudrez, il ruinera votre Isaac et gâtera votre Maison. Prenez garde à ces œufs d'aspics; si vous les couvez en votre sein, ils vous causeront la mort et la perdition.

  A021000721 

 Considérez néanmoins soigneusement ce qui se passe en votre Maison, et vous ne trouverez pas le mal aussi petit que vous le pensez. Appelez-vous petit un mal qui gâte une partie noble de votre corps, savoir la sainte pauvreté? On peut être Religieux sans chanter au chœur, sans porter tel ou tel habit, sans s'abstenir de tel ou tel aliment; mais sans la pauvreté, nul ne peut être Religieux.

  A021000721 

 L'affection que vous avez à la propriété vous semble aussi petite; néanmoins, sa malice peut être si grande qu'elle dessèche le bel arbre de votre Monastère et vous prive du titre de Filles de Dieu.

  A021000722 

 On dit que les imperfections de votre Maison ne sont que des mouches parce qu'elles sont [74] petites.

  A021000722 

 Or, qui ne voit que, pour petit que soit le péché, il croît aisément quand on veut le maintenir? Pour moi je vous exhorte à le juger bien grand, puisqu'il vous prive d'un grand bien, et à le croire une très grande imperfection, puisqu'il vous empêche d'atteindre à une plus haute perfection.

  A021000722 

 Si elles ne font que passer sur le baume, bien qu'elles le sucent, elles ne le gâtent pas, mais oui bien si elles y meurent.

  A021000778 

 l'emolument de l'union de vos cures, je n'y apporte nulle difficulté, et vous le laisse en recompense des peynes que vous aures.

  A021000790 

 Me voyci de retour a Neci ou il me semble que je ne suis qu'en songe, puisque vous n'y estes pas; et neanmoins, la solemnelle coustume d'attendre vos entrees en robbe rouge, que vous aves si religieusement observé ci devant, ne me laisse null' esperance de vous voir de je ne sçai combien de jours..

  A021000791 

 Disposés vous a la plus rigoureuse residence que vous [79] ayes encor faitte icy, sil vous plait, mon tres cher Frere, car je ne vous en dispenseray nullement; non tant fondé sur l'extreme contentement que j'ay en vostre presence, comme sur la necessité que vostre santé a de repos en ce tems-la auquel le froid ne peut estre vaincu par le mouvement..

  A021000791 

 Mais je me flatte bien d'un' asseurance que je prens de vous tenir si serré, quand je vous auray, que vous ne m'eschapperes pas pour un seul jour de tout cet hiver.

  A021000796 

 Je salue humblement madame ma seur, et vous donne pour toutes nos nouvelles que ma pauvre mere est extremement malade de la goutte.

  A021000810 

 Ce pauvre homme me parle de chose que je ne connois pas.

  A021000810 

 Pour ce qui me regarde, je m'accommoderay a ce que vous treuveres raysonnable, et ne veux pas quil tienne a moy quil ne soit deschargé de la somme d'avoyne quil a perdue par le feu.

  A021000835 

 Le sieur chanoyne Gottri desirant de vous une ratification sur un contract quil a fait, m'a prié de m'employer aupres de vous pour la luy faire obtenir; et par ce quil m'a asseuré que son desir estoit juste, et quil est bien fort de mes amis, je vous supplie de l'en gratifier, en contemplation mesme de celuy qui, priant [82] Nostre Seigneur pour vostre bonheur, demeure toute sa vie,.

  A021000848 

 Il ne m'est pas advis, ma chere Fille, que ce soit vous escrire quand je vous escris si peu, mais il faut que je m'accommode a la necessité..

  A021000849 

 Mais avec cela, ma tres chere Fille, je ne pers point courage, et pendant que Dieu me donnera des annees, des mois, des semaines, des jours et des heures a vivre en ce monde, j'espereray tous-jours la sainte et glorieuse æternité de l'autre..

  A021000849 

 Nous voyci en fin au bout de cett' annee 1606, et je treuve qu'elle s'est escoulee comme l'eau sur la greve, sans avoir laissé en mon ame aucun' autre chose que de l'ordure et quelques petites coquilles vuides, de certaines vaines apparences d'avancement et de certains desirs sans effect.

  A021000850 

 Et vous, ma chere Fille, n'estes vous pas toute pleyne d'esperance, mais d'un'esperance vive et qui dilate le cœur, le renforçant contre les difficultés du chemin? Si faut, ma Fille, il faut avoir un cœur grand, bien large et bien estendu, affin de recevoir la celeste rosee que le [83] petit Agnelet d'innocence secouera sur nos ames a cette Circoncision, et dont sa blanche layne, sa toyson et son humanité est toute detrempee; car bien que les goutes soyent encor toutes petites, si ne sont elles receües que par les cœurs fort ouvertz du costé du Ciel.

  A021000850 

 Vous aves bien ouy dire que les mere perles s'ouvrent comme cela pour vivre de rosee, et qu'elles se tiennent egalement et fermees aux eaux d'embas et ouvertes a celles d'en haut..

  A021000853 

 Et estant de retour, il m'arriva un vomissement si fort et qui me travailla si estrangement la poitrine, que je fus contraint de ne point lire ni escrire quelques jours durant, pendant lesquelz je perdis la commodité de ceux qui alloyent a Lion.

  A021000853 

 Je m'accuse de ne vous avoir point escrit de tout ce moys de decembre, par ce que j'ay esté quelque tems a Sales aupres de ma bonne mere, laquelle est attachee sur la croix par les piedz, souffrant extremement de la goutte.

  A021000853 

 Or tout cela [84] n'est rien, ma chere Fille; je me porte fort bien maintenant, et si bien que je fis tous les Offices et de la nuit et du jour de Noël, despuis lequel je me suis encor beaucoup mieux treuvé, Dieu merci..

  A021000854 

 Je le supplie d'estre nostre Tout, et que nous soyons tout a luy.

  A021000855 

 Je suis sans fin et sans reserve tres uniquement vostre en Celuy a qui je veux que nous soyons sans fin et sans mesure.

  A021000889 

 J'ay receu vos deux lettres, et en escris une, la plus pressante que j'aye escrit il y a long tems, a monsieur d'Avully pour leur sujet.

  A021000889 

 Je vous prie de le garder de desirer cela de moy, car il y a je ne sçai quoy qui regarde mon repos [87] necessaire qui ne peut permettre que j'aille en personne..

  A021000889 

 Monsieur Darchant desiroit que j'allasse en personne, mais ces festes et un empeschement secret m'en excusent devant Dieu et les hommes.

  A021000904 

 Encor ne sçai je pas, ma tres chere Seur, ma Fille, si je vous escriray trop amplement, car monsieur vostre cher neveu m'avoit dit ce matin quil ne partiroit qu'apres demain, et voyla que son homme fait sa valise et dit que, despuis, il a resolu de partir demain mattin; qui m'a fait rompre le dessein d'aller visiter le bon M. Nouvelet, qui sort d'une grande maladie, pour venir vitement escrire le plus que je pourray..

  A021000905 

 Dieu donne a celuy ci beaucoup de grace d'avoir monsieur son grand pere qui veille sur luy; que longuement puisse-il jouir de ce bonheur!.

  A021000905 

 Helas! c'est la quatriesme chose difficile a Salomon, et laquelle il dit luy avoir esté inconneüe, que le chemin de l'homme en sa jeunesse.

  A021000905 

 Nous avons parlé quelquefois de sagesse, ce Baron et moy; mais, ma chere Fille, le mal que vous aves fort bien reconneu en luy ne se guerit que par l'experience, car ceste fause estime de nous mesme est tellement [89] favorisee par l'amour propre, que la rayson ne peut rien contr'elle.

  A021000906 

 Attendes donq, tres chere Seur, attendes, dis-je, en attendant, affin que j'use des paroles de l'Escriture.

  A021000906 

 Vostre cœur dira-il point, peut estre: Ardé comme cet homme va tous-jours esloignant l'affaire! O ma Fille, croyes que [90] le mien attend le jour de vostre consolation avec autant d'ardeur que le vostre; mais il faut que je face ainsy pour des raysons lesquelles il n'est pas expedient que je vous escrive.

  A021000906 

 celles que je vous monstray, il y a apparence quil ne se continue plus; et il me semble que de mettre ces petites en voyage au Caresme, ce seroit chose bien dure; outre que le cher neveu m'a dit que le bon pere et monsieur vostre frere ont marqué le tems d'apres Pasques immediatement.

  A021000907 

 Et quand je dis de mon ame, je dis de toute mon ame, y comprenant celle que Dieu luy a conjoint inseparablement..

  A021000907 

 Et tout plein de petites traverses et secrettes contradictions qui sont survenuës a ma tranquillité, me donnent une si douce et suave tranquillité que rien plus, et me presagent, ce me semble, le prochain establissement de mon ame en son Dieu, qui est, certes, non seulement la grande, mais, a mon advis, l'unique ambition et passion de mon cœur.

  A021000908 

 C'est, ce me semble, comme le guy, qui croist et paroist sur un arbre et en un arbre, bien que non pas de l'arbre ni par l'arbre.

  A021000908 

 Et puis que je suis sur le propos de mon ame, je vous en veux donner cette bonne nouvelle: c'est que je fay et feray ce que vous m'aves demandé pour elle, n'en doutes point; et vous remercie du zele que vous aves pour son bien, qui est indivis avec ce luy de la vostre, si vostre et mien se peut dire entre nous pour ce regard.

  A021000908 

 Je vous diray plus: c'est que je la treuve un peu plus a mon gré que l'ordinaire, pour n'y voir plus rien qui la tienne attachee a ce monde et plus sensible aux biens eternelz.

  A021000908 

 Mais, ma Fille, comme donq se peut il faire que sur une telle volonté tant d'imperfections [91] paroissent et naissent en moy? Non certes, ce n'est pas de ma volonté ni par ma volonté, quoy qu'en ma volonté et sur ma volonté.

  A021000908 

 O Dieu, pourquoy vous dis-je tout ceci, sinon par ce que mon cœur se mest tous-jours au large et s'espanche sans borne quand il est avec le vostre?.

  A021000908 

 Que si j'estois aussi vivement et fortement joint a Dieu comme je suis absolument dis-joint et aliené du monde, mon cher Sauveur, que je serois heureux! et vous, ma Fille, que vous series contente! Mais je parle pour l'interieur et pour mon sentiment; car mon exterieur et, ce qui est le pis, mes deportemens sont pleins d'une grande varieté d'imperfections contraires, et le bien que je veux je ne le fay pas; maisje sçai pourtant bien que, en verité et sans feintise, je le veux, et d'une volonté inviolable.

  A021000910 

 Si vous demeuries de dela, je serois bien ayse d'entreprendre le service que le P. Remond desire de moy pour Madame de Saint Jean; mais cela n'estant point, il me semble qu'un autre qu'ell'aura [92] moyen de voir plus souvent se rendra plus utile, mais sur tout Monsieur d'Aoustun; car, qui pourroit mieux mettre la main a ce bon œuvre? Et moy, cependant, je prieray Nostre Seigneur pour elle, car sur les bonnes nouvelles que vous m'en donnés, je commence a l'aymer tendrement, la pauvre femme.

  A021000911 

 Il seroit bien a souhaiter que nos bonnes filles de Sainte Catherine se servissent de cett' occasion pour venir en la ville et faire un' entiere reformation, car vrayement il y en a nombre qui seroyent extremement propres a suivre un'absolue perfection; mais il faut que ce soit de leur propre mouvement et de leur Abbesse.

  A021000911 

 Je vous escrivis la derniere fois asses longuement, et vous disois l'estat des affaires de nostre nouveau Monastere, qui estoit que l'esperance que nous avions de treuver des justes moyens pour l'eriger, nous estoit demeuree partagee par la moytié, et que neanmoins nous perseverions, sur la resolution que celles qui contribuent font de se retirer la, et au moins, si elles ne peuvent faire selon leur project premier, s'addonner entr'elles au service de Dieu et des pauvres malades; mais cela vient de leur esprit, et le tout, disent elles, attendant que Dieu dispose autrement: si que vous ne seres pas seule a ce conte lâ.

  A021000912 

 Il y a long tems que je n'ay pas parlé a la chere seur, mais je sçai bien pourtant qu'elle se fait tous-jours meilleure, car je connois les gens a les voir; j'entens ceux qui me sont si proches selon l'esprit.

  A021000912 

 Je vous envoye un livre, mais ce n'est encor pas le beau, par ce que je me reserve a le vous donner apres la troysiesme edition, laquelle j'espere rendre fort entiere et correcte; car en celle ci je fus si pressé que quelques chapitres entiers y manquent, comme celuy Des habitz et Quil faut avoir l'esprit juste et raysonnable: dequoy je ne m'estois apperceu qu'avant hier.

  A021000912 

 Or, alhors je veux escrire beaucoup de choses de ma main en l'exemplaire que je vous donneray; mais pour maintenant j'escris quatre ou cinq motz, seulement pour vous obliger a ne point vous desfaire de celuy ci jusques a ce que vous ayes l'autre..

  A021000915 

 Il faut que je vous die que j'ayme tous les jours plus vostre filz, par ce qu'a mon advis, il devient tous les jours plus doux et gracieux.

  A021000915 

 Mon frere de la Thuille s'est rendu si amoureux de M lle Favre qu'on ne l'en peut tirer, et le bon pere a un si grand desir de la luy donner, que j'ay grand peur que le dessein d'estre Religieuse n'en soit suffoqué, bien qu'il y a trois semaines que je ne l'aye veüe.

  A021000916 

 Faites tous-jours comme vous m'escrivés: gardes vous des fortes applications de l'entendement, puisqu'elles vous nuysent, non seulement au reste, mais a l'orayson mesme, et travailles autour de vostre cher object avec les affections tout simplement, et le plus doucement que vous pourrés.

  A021000916 

 Il ne se peut faire que l'entendement ne face quelquefois des eslancemens pour s'appliquer, et il ne faut pas s'amuser a s'en tenir dessus sa garde, car cela serviroit de distraction; mais il faut se contenter que, vous en appercevant, vous retournies simplement aux actions de la volonté.

  A021000917 

 Et quand, a cette simple demeure, se joint quelque sentiment que nous sommes a Dieu et qu'il est nostre Tout, nous en devons bien rendre graces a sa Bonté..

  A021000917 

 Mais apres qu'on s'y est mis, on s'y tient tous-jours, tandis que, ou par l'entendement, ou par la volonté, on fait des actes envers Dieu, soit le regardant, ou regardant quelque autre chose pour l'amour de luy; ou ne regardant rien, mais luy parlant; ou ne le regardant ni parlant a luy, mais simplement demeurant ou il nous a mis, comm' une statue dans sa niche.

  A021000917 

 Se tenir en la presence de Dieu et se mettre en la presence de Dieu, ce sont, a mon advis, deux choses; car pour s'y mettre, il faut revoquer son ame de tout autre object et la rendre attentive a cette presence actuellement, ainsy que je dis dans le livre.

  A021000918 

 De quoy sers tu lâ? quel proffit te revient il d'estre ainsy? Ce n'est pas pour mon service que j'y suis, c'est pour servir et obeir a la volonté de mon maistre.

  A021000918 

 Non, dira-elle, mais il me voit et prend playsir que je sois ou il m'a mis.

  A021000918 

 Pourquoy ne te remüe tu point? Par ce qu'il veut que j'y demeure immobile.

  A021000918 

 Si une statue que l'on auroit mise en une niche au milieu d'une sale, avoit du discours et qu'on luy demandast: Pourquoy es tu la? Par ce, diroit-elle, que le statuaire mon maistre m'a mis icy.

  A021000919 

 Mon Dieu, chere Fille, que c'est une bonn' orayson et que c'est une bonne façon de se tenir en la presence de Dieu que de se tenir en sa volonté et en son bon playsir! Il m'est advis que Madeleyne estoit une statue en sa niche, quand, sans dire mot, sans se remuer, et peut estre sans le regarder, ell' escoutoit ce que Nostre Seigneur disoit, assise a ses pieds.

  A021000920 

 Mon Dieu, ma Fille, que je suis ayse de parler un peu de ces choses avec vous! Que nous sommes heureux quand nous voulons aymer Nostre Seigneur! Aymons le bien donq, ma Fille; ne nous mettons point a considerer trop par le menu ce que nous faysons pour son amour, pourveu que nous sachions'que nous ne voulons jamais rien faire que pour son amour.

  A021000920 

 Pour moy, je pense que nous nous tenons en la presence de Dieu mesmement en dormant, car nous nous endormons a sa veùe, a son gré et par sa volonté, et il nous met la sulle lict comme des statues dans une niche; et quand nous nous esveillons, nous treuvons qu'il est la aupres de nous, il n'en a point bougé, ni nous aussi: nous nous sommes donq tenu (sic) en sa presence, mais les yeux fermés et clos..

  A021000921 

 Bonsoir, ma chere Seur, ma Fille; vous aures de mes nouvelles le plus souvent que je pourray..

  A021000922 

 Croyés que la premiere parole que je vous escrivis fut bien veritable, que Dieu m'avoit donné a vous; les sentimens en sont tous les jours plus grans en mon ame.

  A021000953 

 Aussi, voyant qu'une occasion s'offre à eux d'être aidés quelque peu par l'union du prieuré de Saint-Paul et de l'église paroissiale d'Arthaz, ils recourent à la providence et clémence de notre Saint-Père, afin qu'il daigne leur accorder cette faveur complètement, d'autant que [99] la même pauvreté qui les presse ne leur permet pas de l'obtenir par de l'argent..

  A021000954 

 Bien que je n'aie part aucune dans la mense capitulaire, touché de pitié pour une Eglise si pauvre et d'un amour sincère pour une compagnie si honorable et méritante, je viens avec mes Chanoines supplier Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, par les entrailles du Christ, de vouloir bien employer sa charité et sa magnanimité en cette occasion, en intercédant pour eux de telle sorte qu'ils reçoivent ce bienfait de sa libéralité.

  A021000954 

 Vous pouvez facilement le faire; aussi espérons-nous que votre bonté le fera certainement..

  A021000972 

 Et pour me donner plus de pouvoir de recommander vostre affaire, non seulement je remonstre qu'on vous a fait tort, et a vostre Monastere, mais je me dis vostre parent, comme je puis [102] faire a bonn' occasion telle qu'est celle ci, puisque je le suis, quoy que d'asses loin, et que si le tems et les successions nous esloignent quant au sang, la charité et dilection nous approchent selon l'esprit..

  A021000972 

 J'ay escrit tout a la haste deux lettres, dont l'une est addressee, selon vostre desir, au sieur advocat qui me conseille a Dijon, l'autre est de telle sorte que vous y pouves mettre l'inscription pour l'un de messieurs les presidens, selon que vos affaires le requerront; mais l'un' et l'autre escrittes de fort bonne encre, comme je suis obligé de faire pour vous, que je cheris et honnore de tout mon cœur en Nostre Seigneur.

  A021000973 

 Au demeurant, j'ay esté grandement consolé de voir cett' ame bonne et vrayement chrestienne de monsieur l'Aumosnier de Belleville, lequel je n'eu pas loysir de beaucoup entretenir, par ce quil pressoit son retour; mais en ce peu de tems, je vis en luy beaucoup de bonne et sainte affection pour vous et vostre Mayson, a laquelle il ne peut estre que fort utile..

  A021000974 

 Or bien, ce [103] sera a la premiere commodité, et tandis, je prie Nostre Seigneur quil la face abonder en la grace et benediction du Saint Esprit, et vous de mesme, ma tres chere Fille; car, que puis-je faire autre chose pour vous?.

  A021000974 

 Si ce porteur m'eut donné un peu de loysir, je l'eusse advertie, affin qu'elle vous eut escrit, et moy j'eusse escrit a madame de la Vergeonniere, non seulement affin de m'acquiter de l'obligation en laquelle elle m'a mise (sic) par la peyne qu'elle a prise de m'escrire la premiere, mais pour le saint amour que je porte a ses vertus, desquelles ce m'est de la consolation d'avoir ouïr (sic) parler a monsieur l'Aumosnier.

  A021000974 

 Tout ce qui vous honnore de deça se porte bien, notamment la chere seur de Sainte Catherine, laquelle je n'ay pas veu il y a fort long tems, mais delaquelle j'ay souvent des nouvelles et que je verray dans trois jours.

  A021000975 

 Soyes donq tous-jours toute a Dieu, sans laisser emporter vostre cher cœur au torrent des distractions que les affaires, et sur tout les proces, produisent; prenes garde que vostre soin ne se convertisse en troublement et inquietude d'ame.

  A021000976 

 C'est pour luy et en luy que je suis tout vostre, ma Fille, et.

  A021000991 

 Ce doux Sauveur vous benisse, ma tres chere Fille, que j'iray voir si tost que je pourray bonnement..

  A021001002 

 Ma tres chere Fille, toutes les fois que vous treuveres vostre cœur hors de la douceur, ne faites que le prendre tout doucement avec le bout des doigtz pour le remettre a sa place, et non a pleins poings, comme l'on dit, ni brusquement.

  A021001011 

 Je n'ay pas plus tost sceu vostre maladie que vostre guerison.

  A021001011 

 Mays je supplie pourtant sa sainte providence que, puys qu'elle vous a acheminé a la santé, il luy playse la vous establir et confirmer pour long tems..

  A021001030 

 Voyla la response de monsieur de Charmoysi, lequel m'ayant fait sçavoir le sujet d'icelle, je ne me suis pas hasté de vous l'envoyer, l'ayant receue avant-hier, parce que le retour de monsieur de Vaudrey m'a [107] fait sçavoir aussi que tout ce mauvais bruit estoit effacé par les paroles qu'il avoit soustenues devant [Sa Grandeur.].

  A021001031 

 Il nous faut donq tous bien employer pour maintenir le parent innocent, non seulement parce que nous le devons a son merite, mais pour tenir en quelque crainte les meschans par la resistance qu'ilz verront leur estre faitte..

  A021001044 

 Hélas! ma très chère Mère, que je suis plein de confusion lorsque je me ressouviens des ardeurs avec lesquelles en ce saint jour je sacrifiai en esprit toute ma vie à la gloire de Notre-Seigneur et au salut de ce peuple, il y a onze ans, et quand je considère combien peu j'ai correspondu à ces résolutions! J'y réfléchis cependant sans perdre courage; au contraire, j'en ai beaucoup, et d'autant plus que Notre-Seigneur m'a donné une aide qui non seulement m'est semblable, mais qui est une même chose avec moi, de telle sorte qu'elle et moi ne sommes qu'un en un seul esprit.

  A021001045 

 Bonsoir, ma très chère et unique Mère, que j'aime parfaitement comme moi-même et plus que moi-même.

  A021001045 

 Je me recommande aux oraisons de nos chères Sœurs que mon cœur salue..

  A021001057 

 Je feray volontier ce que vous dites, ma tres chere Mere; j'[envoierai] advertir M. de Lovagni qui est [110] aux chams.

  A021001069 

 Me representant le sentiment que vous aves eu de monsieur vostre filz par le ressentiment que j'en ay eu, je [111] m'imagine qu'il a esté extreme; car c'est la verité que me resouvenant du contentement que vous preniés a me parler l'autre jour de cet enfant, j'entray en une grande compassion quand je me representay combien vostre regret seroit douloureux a la nouvelle de son deces; mais je n'osay pourtant vous tesmoigner ma condoleance, ne sachant pas ni que la perte fust certaine, ni qu'elle vous eust esté annoncée..

  A021001070 

 Et maintenant, Monsieur, je viens trop tard pour contribuer de la consolation a vostre cœur, lequel aura, je m'asseure, des-ja receu beaucoup de soulagement, pour ne plus demeurer au regret qu'une si sensible affliction luy avoit donné; car vous aures bien sceu considerer que ce cher enfant estoit a Dieu plus qu'a vous, qui ne l'avies qu'en prest de cette souveraine liberalité.

  A021001070 

 Nostre siecle n'est pas si aggreable, que ceux qui en eschappent doivent estre beaucoup lamentés; ce filz, pour luy, a, ce me semble, beaucoup gaigné d'en sortir avant presque d'y estre bonnement arrivé..

  A021001070 

 Que si sa providence a jugé qu'il estoit tems de le retirer a soy, il faut croire qu'elle l'a fait en faveur de son bien, auquel un pere bien cherissant comme vous, doit acquiescer doucement.

  A021001071 

 Je ne sçai pas, certes, comme nous pouvons en bon jugement estimer nostre patrie ce monde, auquel nous ne sommes que pour si peu, en comparayson du Ciel, auquel nous devons estre eternellement.

  A021001071 

 Nous nous en allons, et sommes plus asseurés de la presence de nos chers amis qui sont la haut, que de ceux qui sont icy bas: car ceux la nous attendent, et nous allons vers eux; ceux cy nous laissent aller et retarderont le plus qu'ilz pourront apres nous, et s'ilz vont comme nous, c'est contre leur gré.

  A021001072 

 Il vous le donnera, et vous inspirera la pensee et le ferme propos de vous bien preparer pour faire a vostre tour, a l'heure qu'il a marquee, cet espouvantable passage, en sorte que vous arrivies heureusement au lieu ou nous devons esperer estre des-ja logé nostre pauvre, ains bienheureux defunct..

  A021001072 

 Que si quelque reste de tristesse pousse encor vostre esprit pour le depart de cette douce ame, jettés vostre cœur devant Nostre Seigneur crucifié et demandes luy secours.

  A021001073 

 Monsieur, si je suis exaucé en mes continuelz souhaitz, vous seres comblé de toute sainte prosperité; car c'est de tout mon cœur que je cheris et honnore le vostre, et qu'en cette occasion et en toute autre, je me nomme et dedie,.

  A021001086 

 Or, estant encor surpris de ce second depart, comme n'ayant pas sceu jusques a present le retour du porteur, je n'adjousteray rien autre, sinon que j'ay donné un livre en main propre audit sieur de la Bretonniere; si que les trois seront pour ceux quil vous plaira..

  A021001086 

 Vous treuveres les lettres ci jointes de longue datte; c'est que le sieur Roybon ayant rencontré le sieur de [113] la Bretonniere en chemin, est revenu icy avec luy pour affaires et a rapporté le pacquet que je luy avois donné la semaine passee.

  A021001087 

 Toute cette ville luy a fait un honneur extraordinaire, tesmoignant que tous les serviteurs de Monseigneur de Nemours portent icy tiltre de tout respect, quand ilz sont de meurs et humeurs non scandaleuses..

  A021001105 

 Dieu, par apres, la consideration duquel a donné naissance a cette si grande liayson, la benira de sa sainte grace, affin qu'elle soit fertile en toute consolation pour l'un et l'autre des cœurs qui, ensemblement, l'un par l'autre et l'un en l'autre, ne respirent emmi cette vie mortelle que d'aymer et benir l'eternité de l'immortelle en laquelle vit et regne la vie hors de laquelle tout est mort.

  A021001105 

 Il est vray, Monsieur, je veux des-ormais cherir Vostre Grandeur si fortement, fidelement et respectueusement, que le meslange de la force, de la fidelité et du respect fasse le plus absolu amour et honneur qui vous puisse jamais estre rendu par homme quelcomque que vous ayes provoqué; en sorte que le tiltre de Pere dont il vous plaist me gratifier, ne soit ni trop haut, ni trop puissant, ni trop doux pour signifier la passion avec laquelle j'y correspondray.

  A021001112 

 Je m'imagine que vous estes sur vostre depart pour Languedoc, ma tres chere Fille (car c'est le mot du cœur), et avant que vous soyes en chemin, je vous resalue mille et mille fois, priant Dieu qu'il vous accompaigne et vous tienne tous-jours de sa sainte main, puisque, par sa bonté, il vous a saysie affin que vous fussies a jamais toute sienne..

  A021001114 

 Il a voulu, ce grand Dieu, que vous fussies sienne, et vous l'a fait vouloir, et vous l'aves voulu, et il vous a fait prendre tous les vrays moyens pour le devenir.

  A021001141 

 Je ne dirais pas cela à Votre Paternité si les [117] Pères de ce collège n'en témoignaient le désir et si je ne voyais que lui-même, ayant appris la langue, incline à servir ce pays, auquel il se rendra d'autant plus utile qu'il aura reçu les instructions de Votre Révérendissime Paternité.

  A021001141 

 Le P. D. Redento part pour l'Italie, et je devine, par conjecture, ce que Votre Paternité désire de lui; après quoi, si votre grande prudence le juge à propos, peut-être serait-il bon que vous le fissiez revenir ici.

  A021001152 

 Que mon ame me fit grand playsir de ne les vouloir pas seulement regarder, et de ne tenir non plus de conte de cela que si j'eusse esté en l'article de la mort, auquel tout le monde ne semble qu'une fumee!.

  A021001163 

 Je dois, par tous moyens, chercher à le faire pour ne pas offenser Dieu, car j'entends chaque jour des nouvelles qui m'affligent beaucoup; de sorte que, à cause du relâchement du Clergé, je vois que ma présence est nécessaire en l'évêché de Genève..

  A021001176 

 Je voy bien que c'est: tout le monde refuse les [121] pecheurs, sinon Nostre Seigneur; mais je veux que nous la recevions, a son imitation, dans l'un de nos monasteres..

  A021001176 

 On ne veut point recevoir cette ame pecheresse, quoy que grandement repentante, dans cette Religion reformee.

  A021001184 

 Les bonnes Religieuses d'Evian ont desiré que je vous les recommandasse en l'affaire qu'elles envoyent solliciter aupres de Son Altesse; mays elles ont tort, ce me semble, car n'ont elles pas avec elles la devote et bienaymée Seur Beatrix, apres l'intercession de laquelle la mienne ne doit point tenir de rang devant vous? [122] Et neanmoins, puisqu'elles le veulent, je vous supplie donq, Monsieur, de les assister; comm' aussi de perseverer a m'aymer par vostre bonté, ainsy que vous aves tous-jours fait ci devant, et de croire que je vous veux tres affectionnement honnorer toute ma vie,.

  A021001201 

 Ma Fille, souvent les fleurs croissent plus belles sur les fumiers que dans les jardins de belle apparence; a cause de la bassesse ou vous vous tenes, Dieu fera de [123] grandes choses en vous.

  A021001211 

 Dieu, a qui je suis, fasse de moy selon son bon playsir; peu m'importe ou j'acheveray ce chetif reste de mes jours mortelz, pourveu que ce soit dans sa grace.

  A021001219 

 A peu que je ne me plains (sic) de vous, ma tres chere et tous-jours certes plus tres chere Fille.

  A021001219 

 Et comment? que j'eusse retenu nostre Seur Superieure de Grenoble par surprise? Vrayment, je ne suis pas de ces gens-la; je ne frappe point sans dire: Garde! Or sus, vous l'aves donq, et vous n'en doutes plus..

  A021001220 

 Mays, quand j'eusse eu une grande colere contre vous, ell' eut esté toute appaysee par le doux et gracieux presage que vostre ame bienaymee fait, que nous aurons encor le bien de nous revoir avant mon depart pour Romme; car je le desire certes grandement, et de plus je le croy, y voyant maintenant des tres grandes apparences, puisque ce voyage commence d'estre douteux..

  A021001221 

 Au demeurant, vous estes tellement et si veritablement ma plus que tres chere fille, que si j'eusse remarqué en vous quelque defaut je vous l'eusse dit ingenuement; mays en si peu de tems on ne les peut pas discerner.

  A021001221 

 Ceux que vous ne connoisses pas ne vous nuiront pas, puisque vous voudries bien sincerement les [125] connoistre; ceux que vous connoistres ne vous nuiront pas, puisque cordialement vous desires de vous en corriger.

  A021001222 

 Je n'ay nul loysir d'escrire a la chere Mere, mais je la salue de tout mon cœur par l'entremise du vostre tres cher, ma Fille, que Dieu a uni au mien en sa sainte dilection..

  A021001235 

 Je voy que vostre cœur a tous-jours un grand desir de bien faire et une crainte de l'imprudence; mais ne le tourmentés point, je vous prie, ce cœur bien-aymé; redresses le doucement pour l'amour de Dieu a qui il est dedié, qui le benira et favorisera en tout ce qui sera pour sa gloire.

  A021001236 

 Gardes vous bien des attendrissemens et des larmes qui proviennent de l'amour et compassion que nous avons sur nous mesme..

  A021001248 

 Mays comm' il a quitté son pere pour Dieu, il a quant et quant quitté tous les moyens de sa mayson; et si ceux que Vostre Altesse donne a la Sainte Mayson de Nostre Dame de Compassion de Tonon pour le refuge des convertis estoyent effectivement receuz selon son [128] intention, j'eusse procuré qu'il en eut eu sa part; mays cela n'estant pas, je supplie tres humblement Vostre Altesse de le gratifier de sa providence paternelle, affin que par sa liberalité, ou par l'employ de la personne d'iceluy, il puisse subsister.

  A021001248 

 Me resouvenant avec extreme consolation du grand zele que Vostre Altesse tesmoigna a la conversion des huguenotz a Thonon, il y a 25 ans, et sur tout du soin qu'elle prit pour le sieur Depréz, l'un des plus obstinés d'entre eux et qui, par son malheur, ne sceut pas faire son proffit de la debonaireté de son Prince souverain, [127] je prens une sainte confiance en la pieté de Vostre Altesse, Monseigneur, pour la supplier qu'en lieu du pere il luy playse recevoir le filz, qui, ayant tres bien estudié es loix et se treuvant fort estimé parmi les heretiques, apres avoir meurement examiné les raysons catholiques, avec un courage que Dieu seul peut donner, a la veüe de son pere et de tous ceux de ce malheureux parti, et, s'il se peut dire ainsy, les foulant saintement aux pieds, fit la profession publique de la foy catholique il y a justement un moys; et apres avoir soustenu une rude batterie de convices, injures, reproches et calomnies, qui sont les armes des hæretiques, en fin s'est retiré, comme au port, dans les Estatz de Vostre Altesse delaquelle il est nay sujet et vassal, dont il s'estime fort heureux.

  A021001262 

 Ah! quand serons nous entierement mirrhe par mortification, encens par orayson et or par charité? Quand traitterons nous des affaires de ce siecle avec les yeux fichés au Ciel? Quand affectionnerons nous un chacun au rang qui luy appartient, selon le desir de Nostre Seigneur? Quand ne chercherons-nous plus rien pour la consolation de nos cœurs? Quand ne chercherons nous plus que Celuy qui nous va par tout cherchant pour avoir nos coeurs et les remplir de benedictions? O qu'il est desirable que nous aymions Dieu solidement et constamment! ... [130].

  A021001271 

 Soyes toute courageuse, ma chere Fille; Dieu est nostre Tout, et il tient le cordeau de nostre conduite dans les labyrinthes et embarras que la sagesse humaine fait en cette vie mortelle; tout reuscit a bien a ceux qui l'ayment ....

  A021001277 

 De mesme, je vous veux regarder comme pere, a [131] cause des advantages de nature et de grace que Dieu vous a donnez au dessus de moy; et comme frere, puisque Dieu nous a mis en mesme rang de pastorat en l'Eglise de Dieu.

  A021001277 

 Et puisque vous le voules ainsi, comme fils (et fils unique, puisque Dieu ne s'est point servi de mon ministere pour consacrer aucun autre Evesque que vous), à raison de la grace que Dieu a respanduë en vostre ame par l'imposition de mes mains; grâce que je ne vous conjure pas de resusciter en vous, car je suppose qu'elle n'y est jamais morte, mais de ne la laisser point vuide, c'est a dire inutile, mais de l'employer utilement au service de nostre grand Maistre, selon les talens qu'il a pleu a sa bonté vous communiquer.

  A021001285 

 Il en est comme des vendangeurs et des moissonneurs, qui ne sont jamais si contens et joyeux que quand ils plient souz leur faix: qui les a jamais oui plaindre de l'exces de la moisson ou de la vendange?.

  A021001285 

 Quel honneur pour vous, quel bonheur, que Dieu s'en daigne servir pour deslier tant de pauvres ames, ou les retirer de la mort du peché, qui est la region de l'ombre de mort, pour les ramener au jour et à la vie de la grace! Ce fardeau est semblable a celuy du cinnamome, qui fortifie et recree par son odeur celuy qui en est chargé.

  A021001286 

 Je voi bien pourtant que vous voules que je vous pleigne un peu et que je soufle sur vostre agreable mal; or sus, ainsi soit-il.

  A021001286 

 Je vous avouë donc, que, comme l'on appelle martyrs ceux qui confessent Dieu devant les hommes, c'est a dire qui rendent tesmoignage par leurs souffrances à la verité de la foy, il n'y auroit pas grand danger quand on appelleroit ceux la encore martyrs, en quelque maniere, qui confessent les hommes devant [133] Dieu, voire quand on les nommeroit confesseurs et martyrs tout ensemble..

  A021001294 

 O que vous serez heureux quand les hommes mesdiront de vous et en diront toute sorte de mal, en haine de la verité que vous leur proposerez! Resjoüissez-vous avec beaucoup d'allegresse, d'autant que vostre loyer est grand dedans les cieux.

  A021001303 

 Vrayement, vous avez bonne grace de me consulter sur ce que des soldats mangeront en Caresme, comme si la loy de la guerre et celle de la necessité n'estoient pas les deux plus violentes de toutes les loix et par delà toute exception! N'est-ce pas encore beaucoup que ces bonnes [135] gens se sousmettent à l'Eglise et luy deferent à respect, de demander son congé et sa benediction? Certes, ils font mentir celuy qui a chanté que.

  A021001305 

 Dieu vueille qu'ils ne fassent rien de pis que de manger des œufs ou des bœufs, des fromages ou des vaches; s'ils ne faisoient point de plus grands desordres, il n'y auroit pas tant de plaintes contre eux..

  A021001337 

 Cependant, en verité, cela n'est rien que vraye santé..

  A021001395 

 Vous estes au vray chemin, encor que vous y rencontries de la fange et mille choses fascheuses.

  A021001396 

 Divertisses vous le plus que vous pourres; ne les regardes point, ne les espluches point, mays remettes vous humblement en Dieu, luy recommandant le tout.

  A021001396 

 S'il vous survient quelque trouble ou inquietude, de quelque part que ce soit, ne vous empresses point pour les chasser.

  A021001397 

 Vuidés vostre cœur de toute image des choses corporelles; retranchés tant que vous pourres toutes actions et paroles mondaines, affectees et inutiles..

  A021001404 

 Je [141] ne veux plus que vous marchies comme un enfant, pointillant tant autour de vos actions, les espluchant de si pres; contentes vous que vous ne voudries, pour mourir, offencer Dieu a escient.

  A021001405 

 Adores Dieu le plus souvent que vous pourres par des courtz mais ardens eslancemens de vostre cœur, desquelz je vous ay si souvent parlé.

  A021001405 

 C'est icy un des grans articles du prouffit spirituel, parce que nostre esprit hantant si souvent et familierement son Dieu, il se parfume tout de ses perfections..

  A021001416 

 Outre les deux ordinaires motifz d'aymer les parens et amis, par nature et consideration de vostre devoir, adjoustes le troysiesme: parce que Dieu veut que vous les aymies en luy, par luy et pour luy, car cet amour est eternel, et non point fragile; doux, mais non point pliable; ardent, mais non point empressé; affectionné, mais non point chastouilleux.

  A021001416 

 Que vous seres heureuse si vous prattiques bien cet advis!.

  A021001418 

 Mays prenes garde que ce soyent des vertus de cœur, vous resouvenant de ce que je vous ay dit: que c'est un des grans artifices du diable de faire que plusieurs s'amusent a dire des parolles et faire des gestes exterieurs des vertus, lesquelz, n'examinant pas les affections de leur cœur, pensent estre humbles et doux, et ne le sont neanmoins point en effect..

  A021001418 

 Sur toutes les vertus, je vous recommande les deux cheres vertus que Nostre Seigneur desire tant que nous apprenions de luy, c'est a sçavoir: l'humilité et la douceur de cœur.

  A021001422 

 Il faut souvent que vous adories la Providence divine et vous y remetties en toute occasion..

  A021001422 

 Mais cette mesme volonté de Dieu qui nous envoye les maladies spirituelles ou corporelles veut que nous nous servions des remedes qu'elle donne, et que nous tenions nostre volonté preste pour recevoir ou la [143] guerison ou la continuation du mal, comme bon luy semblera.

  A021001426 

 Je suis bien honteux de ne point sentir son amour en mon ame, mays je sens neanmoins l'amour de son amour, et voudrois bien le respandre en toutes les ames que je rencontre.

  A021001435 

 Il est vray que l'amour pur lie inseparablement les [144] cœurs sans toucher les cors.

  A021001436 

 Et comme le corail, tandis qu'il est en la mer, est un arbrisseau mossu, verdastre et sans beauté, si tost qu'il en est tiré, il rend son vermeil et son lustre: de mesme, tandis que l'amitié trempe aux objectz des sens, elle n'a ni beauté ni bonté; mais si tost qu'elle est tiree en Dieu, en l'esprit, en la charité, elle se treuve en sa perfection..

  A021001446 

 Resouvenés vous souvent que Nostre Seigneur vous a sauvee en souffrant et endurant, et que, de mesme, nous devons faire nostre salut en souffrant les injures et les contradictions et desplaysirs; et partant, il les faut endurer avec le plus de douceur et de resignation qu'il sera possible, selon la mesure qu'il plaist a Dieu les nous envoyer..

  A021001454 

 Je n'appreuve nullement que l'on se serve des prestres comme des valetz de mayson, pour le seul trafiq [146] des choses temporelles; car encores que quelquefois la pauvreté le leur permette et face desirer, veu qu'ilz sont rustiques et gens de peu, si est ce qu'il ne faut pas que nous perdions le respect deu a leur qualité et caractere.

  A021001454 

 Je voy que par tout on les regarde selon leur extraction et condition temporelle; mais je ne le puis souffrir sans mal de cœur..

  A021001458 

 Ma chere Fille, non certes, je ne doute ni peu ni prou de vostre confiance; aussi vous dis-je que je veux vous employer comme chose qui m'est entierement remise, pour estre maniee selon mon gré au service de Dieu..

  A021001459 

 Et comme la femme mariee n'a son recours en tous ses travaux qu'a son mari, et ne veut conserver son honneur que pour le seul amour qu'elle luy porte, et non pour la crainte du deshonneur ou pour le desir de l'honneur, ainsy en doit faire l'ame fidele a l'endroit de son cher Espoux Jesus..

  A021001466 

 Saint Augustin dit qu'il rapportoit « a Dieu ce qu'il pouvoit voir et penser, bien que ce fust chose de petite [147] consequence et de neant; toutefois, il luy en demandoit conseil du mieux qu'il luy estoit possible, comme a la Verité qui preside.

  A021001467 

 Si tost que l'entendement vous representera quelque gloire ou honneur, ou que le monde vous en donnera, incontinent jettes-les tous aux pieds de Nostre Seigneur par un simple regard, luy baysant les pieds ou les mains..

  A021001468 

 La volonté du superieur, en quelque façon que nous la connoissions, nous doit servir de precepte.

  A021001468 

 Les considérations que je desire en vostre obeissance, elles sont toutes en une: car je ne desire que la simplicité, laquelle fait acquiescer doucement le cœur aux commandemens et fait qu'on s'estime bien heureux d'obeir, mesme aux choses qui repugnent, et plus en celles-la qu'en nulle autre..

  A021001469 

 Faites ce que celuy qui vous a en charge dit, pourveu que vous n'y reconnoissies point de peché; et par consequent, veuilles ce que veut vostre superieur, et vous voudres ce que Dieu veut: et vous voyla vrayement obeissante et contente..

  A021001469 

 Ne desires rien que ce que Dieu veut.

  A021001478 

 Je suis tous-jours plein de desirs que Jesus Christ nous remplisse en toutes les parties de nostre ame, et qu'il nous pousse en l'interieur et en l'exterieur; qu'il soit le mouvement et le repos de nostre cœur, affin qu'en tout et par tout il soit glorifié en nous.

  A021001482 

 C'est grand cas! je suis tous-jours apres ces choix que je voudrois que nous n'eussions point, pas mesme parmi les hommes; combien moins avec Dieu..

  A021001482 

 Esvites tout choix, tant que vous pourres.

  A021001486 

 VIVE JESUS! O ma Fille, que je desire de l'aymer et que je voudrois bien que chacun l'aymast! Mon cœur est vuide de tout autre bien que de celuy la.

  A021001490 

 Je le supplie qu'il soit nostre Tout et que nous soyons tout a luy.

  A021001497 

 On n'a jamais sceu d'asseurance de quel bois la Croix de Nostre Seigneur fut faite; c'est, je pense, affin que nous aymassions esgalement les croix qu'il nous envoyeroit, de quel bois qu'elles fussent composees, et que nous ne dissions pas: cette croix ou celle-ci n'est pas aymable parce qu'elle n'est pas de tel ou de tel bois..

  A021001498 

 Les croix que l'on rencontre emmi les rues sont excellentes, et encor davantage celles que l'on treuve dans la mayson; a mesure qu'elles sont plus importunes, elles sont meilleures que les cilices, les disciplines, les jeusnes et tout ce que l'austerité a inventé.

  A021001499 

 La longueur de la croix luy donne son prix, car il n'y a peyne dure que celle qui dure.

  A021001499 

 Les croix que nous faysons ou que nous inventons sont tous-jours un peu mignardes, parce qu'il y a du nostre, et pour cela elles sont moins crucifiantes.

  A021001499 

 Vous estes amoureuse du Crucifix: et que voules vous donq estre, sinon crucifiee, puisque « l'amour esgale les amans »? [150].

  A021001507 

 Converses tous-jours humblement avec tous, ne tenes conte d'estre reputee et loüee, mais desirés d'estre mesprisee et rebutee; et jusques a ce que vous soyes parvenue a ce degré d'abjection, ne penses pas avoir prouffité.

  A021001507 

 Je desire que vous soyes extremement humble en toutes vos œuvres.

  A021001507 

 Nous sommes veritablement serviteurs inutiles; il n'est meilleur exercice que de se mespriser soy mesme.

  A021001508 

 « L'on parvient a l'humilité par l'humiliation et le contemnement de soy mesme, » dit saint Bernard; « et il m'est expedient que mon » impuissance et « insipience soit conneuë et, quant et quant, confondue et blasmee de ceux qui la connoistront, car souvent il m'est advenu d'estre injustement loué de ceux qui ne me connoissoyent.

  A021001509 

 D'autant plus que l'on perd de consolation pour Nostre Seigneur, d'autant plus on se doit res-jouir de la perdre, puisqu'il sçaura bien nous la rendre.

  A021001513 

 Nous ne sommes point esloignés de Dieu par cette indisposition, ains nous nous en approchons, d'autant que l'amour nous sanctifie dans ces estatz qui semblent si bas..

  A021001520 

 J'ay de la compassion, sans mentir, mays une compassion douce et souëfve, pour l'esperance que j'ay de voir vostre jeunesse renouvellee sous l'effort de ces afflictions interieures.

  A021001520 

 Non, on n'offroit point d'holocauste en l'ancienne Loy qu'elle ne fust du tout escorchee: il faut que vostre cœur soit escorché tout vif, pour estre offert en holocauste vivant a nostre Dieu.

  A021001520 

 Resignations, renoncement des consolations exterieures, des interieures, des corporelles, cordiales: que nous doit-il chaloir de tout cela, pourveu que Dieu [nous] ayme? et il nous ayme, pendant que de la pointe de nostre cœur nous nous tenons a luy.

  A021001521 

 Mon Dieu, que souffrons-nous a l'esgal? Oh! que la rayson veut bien que l'espouse souffre quelque chose pour tesmoigner ses amours reciproques et adherer a son Espoux.

  A021001532 

 Que vostre affection soit en la partie superieure, par une ferme et resolue resolution de n'abandonner jamais la confiance et l'obeissance que vous deves..

  A021001536 

 Il [l'amour] ne consiste pas aux plus grans goustz et sentimens, mais en la plus grande et ferme resolution et [153] desir de contenter Dieu en tout, et tascher, autant que nous pouvons, de ne l'offenser point, et de prier que la gloire de son Filz aille tous-jours augmentant.

  A021001536 

 Nous ne sçavons pas que c'est d'aymer Dieu.

  A021001538 

 Rejettes souvent toute sorte de gloire, et protestes que vous ne voules autre gloire que celle de Nostre Seigneur.

  A021001539 

 Unisses vous souvent a la volonté de Nostre Seigneur aux occasions petites et grandes, et par aspirations, disant: Seigneur, je suis vostre! Je veux ce que vous voules.

  A021001546 

 Celuy qui veut estre entierement a Nostre Seigneur doit souvent examiner son cœur pour voir s'il est point attaché a quelque chose de la terre; et s'il treuve qu'il n'y a rien que ce soit qu'il ne voulust quitter pour faire la volonté de Dieu, c'est une grande fidelité, avec laquelle il doit demeurer en repos, et doit prendre tout ce qui luy arrive comme de la main de Dieu, simplement..

  A021001547 

 Nous n'avons rien en nostre pouvoir que le simple acte de foy: c'est pourquoy il ne nous faut point fascher quand nous n'avons ou ne pouvons ceci ou cela; il faut tout attendre de la volonté de Dieu.

  A021001548 

 La mesure de la Providence divine sur nous est la confiance que nous y avons.

  A021001548 

 Pour la confiance, il suffit de connoistre son infirmité, et dire a Nostre Seigneur que l'on veut avoir toute sa confiance en luy.

  A021001549 

 Allés tout a la bonne foy; aux choses d'importance que vous feres, soyes seulement attentive.

  A021001549 

 Il se faut attacher a la fin, qui est Dieu, et a sa volonté, et non pas aux moyens; il s'y faut bien affectionner, mais non pas en sorte que si Dieu les oste il s'en faille troubler.

  A021001549 

 Je veux que vous observies ces regles..

  A021001549 

 N'alles pas examinant tant de petites choses; que vostre cœur soit fort resolu.

  A021001552 

 Maintenant que vous communies si souvent, dame, il faut faire les œuvres des grandes vertus.

  A021001559 

 Au contraire, dit il, c'est une molle devotion que celle qu'il faut flatter, essayant ce qu'elle veut faire avant que luy dire ce que l'on veut qu'elle fasse.

  A021001559 

 Que la parole de saint Paul: Que vous plaist il que je fasse? soit a jamais la parole de nostre ame.

  A021001559 

 Que les grandes et profondes maximes de verité et l'exercice de resignation facent nostre chemin pour honnorer et glorifier Dieu et luy plaire..

  A021001559 

 Que nostre vie, comme la sienne, soit cachee avec luy en Dieu; je veux dire, avec Jesus Christ.

  A021001559 

 Saint Bernard dit que c'est la parole de la fervente indifference, qui n'a rien a faire que ce que Dieu veut et se sousmet a tout ce qu'il luy plaist.

  A021001567 

 Exemple de la vertu de temperance: quelqu'un boira quatre verres, un autre n'en boira que deux; il [se] treuvera que le premier aura exercé la temperance, le dernier non, parce que sa necessité portoit de boire cela, et peut estre davantage, et l'autre se pouvoit contenter de demy verre.

  A021001567 

 La rayson de cela, c'est que la vertu n'estant autre chose qu'une moderation faite en la rayson, fait que l'esprit habitué a une seule vertu se plie facilement a toutes rencontres de la prattique des autres vertus..

  A021001567 

 Mays quant aux vertus essentielles, qui en a une en perfection il les a toutes en quelque degré; et cela se fait parce que la vertu n'est autre chose qu'une certaine moderation faite en la rayson, et non en la chose.

  A021001567 

 Si par la prattique d'une seule vertu l'on peut parvenir a la perfection? — Il y en a certaines que l'on peut avoir en perfection sans estre parfait, parce qu'elles ne sont pas vertus essentielles: comme la virginité, l'aumosne et autres semblables.

  A021001569 

 Ah! il faut diviniser les vertus que l'on a naturellement, les dressant toutes a Dieu, et toutes ses bonnes actions..

  A021001570 

 Et d'autant que nous sommes tous-jours parmi les occasions d'exercer les vertus, si nous manquons a en faire la prattique, nous reculons; si nous la faysons, nous avançons..

  A021001570 

 Les habitudes des vertus ne s'acquierent que par des [157] actes multipliés et [ne] se peuvent conserver que par les mesmes actes, lesquelz venant a cesser, les vertus se perdent et se ruynent.

  A021001571 

 Quand on fait bien son prouffit d'une inspiration que Nostre Seigneur donne, il en redonne une autre, et ainsy Nostre Seigneur continue ses graces a mesure que l'on en fait son prouffit..

  A021001580 

 Je voudrois qu'on m'arrachast le cœur ou que, s'il me demeure, ce ne soit plus que pour cet amour..

  A021001586 

 La plus excellente intention de s'humilier est parce que Nostre Seigneur s'est humilié.

  A021001588 

 Les spirituelz sont ceux qui sont resolus de plustost mourir, voire de souffrir tous les travaux du monde, que d'offenser Dieu.

  A021001589 

 Portes doucement et tranquillement la croix que Nostre Seigneur luy mesme vous a imposee, ainsy qu'il est dit de ce divin Sauveur, comme un aigneau qui n'ouvre point sa bouche..

  A021001601 

 Faysons en sorte que par nos petites obeissances et souffrances nous soyons en quelque chose conformes a Nostre Seigneur..

  A021001601 

 Que puissies-vous souffrir si amoureusement vos petites douleurs, que la douleur soit toute d'amour de la Croix de Celuy qui, par amour, eut tant de douleurs et par tant de douleurs tesmoigna tant d'amour.

  A021001605 

 Que j'ay de consolation en cette incomparable unité que la main de Dieu a faitte, et que nul autre ne pouvoit faire! Playse a cette supresme Puissance nous en donner une eternelle jouissance..

  A021001611 

 Nous n'avons rien que nous voulions reserver ni excepter en nos affections qui ne soit tout a Dieu.

  A021001611 

 Que nous doit il chaloir si nous sentons ou ne sentons pas l'amour? puisque nous ne sommes pas plus asseurés de l'avoir en le sentant qu'en ne le sentant pas, et que la plus grande asseurance consiste en cet entier, et pur, [160] et irrevocable abandonnement de nous mesme entre les bras de sa divine Majesté, sans reserve de consolation ou desolation, affin que, d'un cœur tout escorché, mort et maté, il reçoive l'odeur aggreable d'un saint holocauste, et affin que nos Seurs travaillees treuvent chez nous un cœur compatissant et un support suave et amoureux..

  A021001613 

 Ouy, ma chere Fille, il faut conserver l'asseurance que Dieu nous conservera et conduira, bien que les sentimens soyent passés; mais une asseurance fort humble et sousmise.

  A021001614 

 O Dieu, qui estes la seule affection de toutes nos affections, tenes, voyla nostre unique cœur que nous vous donnons.

  A021001623 

 Es affaires qui arrivent qui affligent le cœur, il faut discerner celles ou il y a du remede, et tascher de s'y comporter doucement, paysiblement; celles ou il n'y en a point, il les faut supporter comme une mortification que Nostre Seigneur vous envoye pour vous exercer et rendre toute sienne, et tous-jours tenir vostre cœur en paix et douceur..

  A021001629 

 Je ne sçai si par ces consolations et ardeurs Nostre Seigneur veut disposer nostre cœur aux travaux du service du prochain et au service de l'accroissement de sa gloire, ou bien a la souffrance de quelque grande croix et tribulation que, comme j'espere avec sa grace, nous embrasserons courageusement, humblement et paysiblement, [et] tout ce que sa divine Providence nous presentera..

  A021001635 

 Une once de cette vertu acquise parmi les contradictions, reproches, piques, censures et reprimandes vaut mieux que dix livres acquises d'autre sorte.

  A021001635 

 [162] Ah! que nous sommes heureux d'avoir juré une eternelle fidelité a nostre cher Maistre! Il ne faut sinon avoir patience en vivant vertueusement, car il nous arrivera asses d'occasions d'endurer..

  A021001642 

 Elle n'est croix que parce que nous ne la voulons pas; et si elle est de Dieu, pourquoy donq ne la voulons nous pas?.

  A021001642 

 La croix est de Dieu, mais elle est croix parce que nous ne nous joignons pas a elle; car, quand on est fortement resolu de vouloir la croix que Dieu nous donne, ce n'est plus croix.

  A021001648 

 Quand nous sommes travaillés de tentations ou de choses penibles, quelles qu'elles puissent estre, il faut premierement regarder la Providence divine par l'ordre de laquelle nous sommes en ces combatz; et, soit qu'ilz nous soyent envoyés pour nostre chastiment, soit qu'ilz nous soyent envoyés pour nostre exercice (ce qu'il ne faut jamais s'amuser a discerner), il faut aymer cette divine Providence, qui est tous-jours tres juste et tres sainte, nous complaysant en son bon playsir et nous conformant a tout ce que sa sagesse fait ou permet, pour penible qu'il soit..

  A021001655 

 Demeurés ainsy toute en Dieu, ou sensiblement, ou par la foy; aymés vostre pauvreté, car il est escrit que les yeux du Seigneur regardent sur les pauvres et que ses oreilles escoutent leurs prieres..

  A021001656 

 Il ne se faut point soucier de se sentir foible, sçachant que Dieu est fort et bon pour nous.

  A021001656 

 Que nous perdions courage? Au.

  A021001656 

 contraire, ma Fille, j'ayme mieux estre [164] foible que fort devant Dieu; car les infirmes il les porte entre ses bras, et les fortz il les mene par la main..

  A021001657 

 Ne regardes point, ma chere Fille, si vous estes cause de vos aridités; mays, soit que vous en soyes cause ou non, convertisses les a la gloire de Dieu, les luy offrant en sacrifice comme souffrances et penitences de vos pechés..

  A021001658 

 Dans les mescontentemens que l'on a de soy quand on tombe en faute, au lieu de s'aigrir il faut prendre patience..

  A021001659 

 Au manquement des satisfactions raysonnables que l'on desireroit, il faut tous-jours avoir patience, et neanmoins tascher d'allentir un peu les desirs, prenant les choses mesmes, pour bonnes qu'elles soyent, avec esprit d'indifference.

  A021001659 

 En fin, il se faut souvent mettre en la sainte indifference et dire: Je ne veux ni cette vertu ni l'autre, je ne veux que l'amour de mon Dieu, le desir de son amour et l'accomplissement de sa volonté en moy..

  A021001660 

 Contentes vous d'estre en sa presence, encor que vous ne le voyies ni senties, et que vous ne puissies vous le representer; mais commences par un acte de foy et, de tems a autre, regardés si vous ne le verres point.

  A021001660 

 Il faut bien faire ceci; sur tout, aller a la sainte orayson avec grande douceur d'esprit et sans volonté d'y rien faire, mais simplement pour y recevoir ce que Nostre Seigneur vous y donnera.

  A021001660 

 Il faut du tout quitter les reflexions, et n'en jamais faire en façon quelconque pour voir ce que l'ame fait ou ce qu'elle fera, si l'on fait bien ceci ou cela, ce que l'on deviendra, si l'on a des sentimens ou non, de la satisfaction, des vertus et semblables; mais au lieu de tout cela, regarder au Sauveur amoureusement et humblement.

  A021001668 

 Certes, toutes choses flestrissent, ce me semble, devant nos yeux, et n'y a rien en terre qui nous puisse justement attirer que cet amour, unique et eternelle occupation de nostre cœur..

  A021001672 

 Nostre Seigneur vous veut despouiller de toutes choses, affin que luy seul vous soit toutes choses.

  A021001672 

 Que de tresors dans cet abisme d'affliction spirituelle! Nous pensons que tout soit perdu, et c'est ou nous treuvons la delicate, toute simple et pure union de nostre esprit avec ce divin bon playsir, sans meslange d'aucune lumiere, science, intelligence ni satisfaction.

  A021001680 

 Oh! que nous serions heureux si nous ne prenions point garde a ce que nous faysons ou souffrons, mais seulement que nous sommes accomplissant la volonté de Dieu, et que ce fust la tout nostre contentement!.

  A021001681 

 Nostre Seigneur vous veut en cette maniere de si parfaite simplicité, tres asseurement; c'est ce que vous pouves faire de plus aggreable a sa Bonté.

  A021001681 

 Par la fidelité a cet exercice, vous parviendres a la fin que vous pretendes.

  A021001689 

 Quand Nostre Seigneur nous a donné ses clartés et la connoissance de sa divine volonté une fois, il faut conserver cette connoissance et la memoyre en doit estre fidellement gardee, affin de demeurer en sa volonté et la suivre estant en secheresse comme durant ses visitations; car Nostre Seigneur se contente bien souvent de nous monstrer une fois, ou plusieurs, ce qu'il veut que nous fassions, et l'ayant veu, il faut demeurer ferme la, comme ont fait tous les Saintz, auxquelz il n'a pas non plus continué tous-jours ses clartés..

  A021001693 

 Voyci que sa sainte volonté veut que nous soyons humble, douce, condescendante et simple comme une colombe, sans toutesfois exceder, ni faire des indiscrettes excuses; et supportes le prochain avec grande douceur de cœur..

  A021001699 

 Ouy, ma Fille, parles doucement, bassement; faites que toutes vos actions et vos paroles se facent tranquillement, paysiblement, et non point brusquement ni activement.

  A021001706 

 Je voudrois vous pouvoir arracher toute cette tendreté aux contradictions, tentations, privations de ce que l'on desire et, qu'avec un cœur genereux, vous surnageassies.

  A021001706 

 La dessus, dire des paroles de fermeté, de mespris, de courage et de force avec la partie superieure, et ne s'arrester jamais a regarder rien de tout cela, mais [169] passer outre en vostre chemin, n'ayant nul soin du lendemain, car il n'en faut point avoir; mais alles a la bonne foy, sous la providence de Dieu, ne vous souciant que du jour present, laissant vostre cœur a Nostre Seigneur, car vous le luy aves donné, sans jamais le vouloir reprendre pour aucune chose.

  A021001706 

 Puisque vous aves abismé vostre volonté dans la sienne, que vous aves prise pour vostre, il ne faut plus rien vouloir, mais se laisser porter et emporter au gré de la divine volonté, dans les effectz de laquelle il faut demeurer doucement et tranquillement, sans se divertir pour chose quelconque, regardant perpetuellement en toutes occasions Nostre Seigneur.

  A021001707 

 C'est ce que nous avons promis.

  A021001707 

 Il se faut contenter de sçavoir que l'on fait bien, par celuy qui gouverne, et n'en rechercher ni les sentimens ni les connoissances particulieres, mais marcher comme aveugle dans cette Providence et confiance en Dieu, mesme parmi les desolations, craintes, tenebres et toute autre sorte de croix, s'il plaist a Nostre Seigneur que nous le servions ainsy; demeurant parfaitement abandonnee a sa conduite, sans aucune exception ni reserve quelconque, toute, toute, et le laisser faire; jettant sur sa Bonté tout le soin du cors et de l'ame, demeurant ainsy toute resignee, remise et reposee en Dieu sous ma conduite, sans soin que d'obeir.

  A021001715 

 En fin, il se faut tenir en l'estat ou Dieu nous met: en la souffrance, souffrir; en la peyne, patienter; et voyla la vertu en laquelle il faut demeurer tranquille, sans reflexions d'esprit pour regarder ce que souffre l'ame, ce qui luy donne peyne, ce qu'elle fait, ce qu'elle a fait, ou qu'elle fera.

  A021001715 

 Il faut demeurer entre les mains de Nostre Seigneur comme un instrument inutile, toute abandonnee a son saint vouloir et Providence, et se contenter de demeurer ainsy doucement, sans vouloir le sentir ni en faire des actes, demeurant en la connoissance que Dieu luy monstre.

  A021001717 

 Et quand il arrivera quelques charges nouvelles, en quoy que ce soit, il les faut remettre entre les mains de Nostre Seigneur; puis, demeurer en paix..

  A021001717 

 Hé vrayement, je me soucie bien qu'elles arrivent! — En toutes les tentations extravagantes, il faut plustost parler a Nostre Seigneur de toutes autres choses que d'elles, s'en destournant simplement par un retour amoureux du cœur envers son Sauveur.

  A021001721 

 Je ne me soucie pas que vous me delaissies quelque tems pour m'espreuver, pourveu que ce ne soit pas tant que je succombe.

  A021001721 

 Puis, prenes les armes de l'orayson; quand ce ne seroit que de bouche, dites avec David: Seigneur, je suis resolue d'observer vos commandemens, quelque contraste ou tentation qui se puisse opposer; neanmoins, Seigneur, ne m'abandonnes pas du tout.

  A021001721 

 Quand l'on est parmi les afflictions interieures sans treuver ou mettre son pied pour treuver repos, alhors il faut, le mieux que l'on peut, regarder nostre cher Capitaine et seule esperance, le doux Jesus; voir son abandonnement au combat de sa Passion et, a son imitation, batailler de deux sortes d'armes: l'une, de la patience et resignation en la volonté de Nostre Seigneur, s'offrant d'avaler ce calice et mettant, avec Job, vostre cordiale consolation a estre ainsy qu'il plaira a Dieu, parce qu'il le veut, et autant de tems qu'il le voudra, sans luy prefiger le terme ni conter les jours comme ceux de Bethulie, remettant le tout a sa Providence amoureuse.

  A021001722 

 Que vos paroles soyent succinctes, suaves, saintes et discrettes, prononcees a loysir..

  A021001751 

 Il faut faire deux choses specialement: l'une, de s'oublier de toutes choses pour le continuel souvenir de [174] Dieu; si que toutes les fois que vous vous treuveres hors de Dieu, il y faut ramener vostre esprit tout doucement, sans faire aucun acte.

  A021001752 

 Il faut tous-jours estre contente de ce que Nostre Seigneur voudra faire de nous, car cela est l'humilité, et non pas vouloir choysir.

  A021001756 

 Quand une ame fait quelque chose fort contraire a ses inclinations et qu'elle le ressent beaucoup, venant a considerer que c'est le plus grand service de Nostre Seigneur, elle se doit hontoyer et ne plus faire cas de ce qu'elle souffre, mays l'endurer doucement; car d'autant plus que l'on perd de sa consolation pour Nostre Seigneur, d'autant plus se doit on consoler de la perdre..

  A021001762 

 Croyés que si nous perdons quelque chose pour cela, Nostre Seigneur nous recompensera bien d'ailleurs..

  A021001763 

 Ne receves jamais aucun sentiment ni courroux de quelque chose que ce soit, ni sous quel pretexte et apparence de rayson que ce soit, car c'est tous-jours imperfection; il est mieux de faire toutes choses qui se peuvent, et recevoir tout avec tranquillité et repos: cela est de grande perfection et edification..

  A021001763 

 Quand l'on est contraint, pour quelque bien, deremonstrer le tort du prochain, il ne faut justement dire que ce qui est requis pour l'affaire presente, et taire le reste tant qu'il sera possible.

  A021001764 

 Il ne faut nul remede pour les distractions, que de ramener doucement le cœur a son object, quand l'on s'apperçoit qu'il en est diverti, disant des paroles d'amour et d'humilité a Nostre Seigneur.

  A021001771 

 Ne vous disois-je pas, ma chere Fille, que ce seroit une belle chose d'estre pauvre pour l'amour de Nostre Seigneur, pourveu qu'on n'en receust aucune incommodité et qu'on eust a souhait tout ce qui seroit requis pour toutes nos affaires, et encor pour nous faire estimer et estre plus honnorés du monde? Certes, ma chere Fille, ce seroit une brave pauvreté, mais le mal seroit qu'on ne vous la laisseroit pas si elle estoit ainsy.

  A021001780 

 Helas! la beauté de l'esprit en ruyne souvent la bonté, tandis que ces papillons se mirent en le brillant de leurs folles et vaynes aisles et les veulent voir au feu qui les brusle.

  A021001780 

 Oh! que la science est dangereuse, pour grande qu'elle soit, quand elle opere sans charité et humilité! Oh! qu'elle est encor plus dangereuse quand elle est petite et arrogante! Ce pauvre jeune homme, comme vous sçaves, a tous-jours eu un esprit trop hardi pour avoir tous-jours esté si peu armé..

  A021001789 

 Il faut mettre l'attention a ce que l'on fait, et ne point bander l'esprit; sur tout, point de reflexions.

  A021001790 

 Il faut recevoir de toutes mains les advis que Dieu nous donne; faut seulement les faire examiner par celuy qui gouverne, et prattiquer fidellement ceux qui simplifient l'esprit.

  A021001791 

 En fin, la grande asseurance consiste en ce que dessus..

  A021001791 

 La plus grande asseurance que nous pouvons avoir en cette vie consiste en ce pur et irrevocable abandonnement de tout son estre entre les mains de Dieu et en l'absolue resolution de ne jamais vouloir, pour chose que ce soit, consentir a faire volontairement aucun peché grand ni petit; car nous ne sommes pas plus asseurés quand nous sentons l'amour de Dieu que quand nous ne le sentons pas.

  A021001797 

 En fin, il ne faut que Dieu seul et sa tressainte volonté, sans meslange aucun.

  A021001797 

 Il faut rejetter au loin toutes creatures en la presence de Dieu, ne voulant absolument que luy, car il ne faut point mesler les creatures avec le Createur; la creature nous aymera autant que Dieu voudra, et nous ferons le mesme.

  A021001802 

 Que s'il estoit a nostre pouvoir de nous faire quittes de cette croix, il ne le faudroit pas faire..

  A021001802 

 Que si cette personne revient a s'adoucir, o Dieu, il faut fondre sur elle en suavité, sans luy jamais parler du passé.

  A021001811 

 O ma Mere, que c'est un grand contentement a nostre ame vrayement dediee a Dieu, de cheminer les yeux fermés, selon que la souveraine Providence la conduit de tems en tems; car ses raysons et jugemens sont impenetrables, mais tous-jours doux, tous-jours suaves, tous-jours utiles a ceux qui se confient en luy.

  A021001811 

 Que voulons nous, sinon ce que Dieu veut? Laissons luy conduire nostre ame, qui est sa barque, il la fera surgir a bon port.

  A021001815 

 Je sens mon esprit, ce me semble, plus tendant a la pureté du service de Dieu et a l'eternité que jamais..

  A021001817 

 Quelz sentimens relevés, ardens et pressans je ressens tous-jours pour ce divin amour! Et c'est la verité que cet amour celeste et divin predomine tellement sur ce cœur, que, nonobstant ses miseres, il est tout dedié a la divine Majesté et ne regarde que sa gloire..

  A021001824 

 Il faut laisser plein pouvoir a Dieu de nous mener la part ou il voudra, et faut dire avec Isaïe: Envoyes-moy ou il vous plaira, Seigneur, car estant envoyee de vostre part, je suis bien asseuree qu'en quelle part que je sois vous m'ayderes a executer vos commandemens.

  A021001825 

 Je loue Dieu de ce qu'il nous envoye des tribulations qu'il sçait nous estre convenables, specialement quand je voy en ce lieu une telle necessité et famine, qu'on parle de pain sans le voir ni sçavoir que c'est.

  A021001832 

 Quantité d'ames recourent a moy pour sçavoir comme il faut servir Dieu; secoures moy bien par vos prieres, car pour l'ardeur je l'ay plus grande que jamais; mais, voyes vous, tant d'enfans se jettent entre mes bras et me succent les mammelles, que j'en perdrois la force si l'amour de Dieu ne me revigoroit..

  A021001836 

 Je les disois ce matin a Dieu, mais je n'ose plus les dire maintenant, parce que j'ay treuvé que je ne sçay que trop ce que Dieu veut que je face: il veut que je me [182] mortifie en toutes les puissances de mon ame et que je sois un vaysseau d'eslite pour porter son sacré Nom parmi le peuple.

  A021001836 

 Luy qui le sçait faire, le face donq en moy et par moy; mays qu'il face tout pour luy, a qui je n'ay treuvé que je puisse contribuer autre chose que ce petit filet de bonne volonté que je sens au fin fond de mon miserable cœur.

  A021001836 

 Mais, helas! ce que je sçay qu'il veut que je face, je ne le sçay pas faire.

  A021001840 

 Je suis fort pressé, et me semble que je n'ay nulle force pour resister et que je succomberois si l'occasion m'estoit presente; mais, plus je me sens foible, plus ma confiance en Dieu est vive, et je m'asseure qu'en presence des objectz je serois revestu de la force et vertu de Dieu, et que je devorerois mes ennemis comme des aigneletz..

  A021001846 

 C'est avec une nouvelle ardeur que je souspire apres l'amour divin, affin qu'il remplisse mon cœur et le face abonder en graces et benedictions du Saint Esprit..

  A021001850 

 Vous sçaves que nostre glorieuse Maistresse me donne tous-jours un ayde particulier quand je parle de sa divine Maternité.

  A021001857 

 Un jour que Dieu sçait, nous irons vers eux; et ce pendant, apprenons soigneusement le cantique du saint amour, affin que plus parfaitement nous le chantions en cette sacree eternité..

  A021001861 

 Oh! que bienheureux sont ceux qui ne mettent point leur courage en une vie si trompeuse et incertaine comme est celle-ci, et n'en font conte que comme d'une planche [184] pour passer a la vie celeste! C'est en cela qu'il nous faut loger nos esperances et pretentions..

  A021001865 

 Il m'est advis que nous ne devons plus vivre qu'a Dieu; mon cœur, mon courage fait une nouvelle saillie pour cela, et luy semble qu'il sera vray..

  A021001876 

 Nostre Seigneur fait si grand cas de l'humilité qu'il ne fait point de difficulté de permettre que nous tombions dans le peché, affin d'en tirer la sainte humilité..

  A021001880 

 Il faut faire ses actions par l'obligation que nous y avons, ou par un simple acquiescement au bon playsir de Dieu, et faire ceci autant dans l'orage que dans le calme..

  A021001881 

 La vraye et sainte science, c'est de laisser faire et desfaire a Dieu, en soy et en toute chose, ce qui luy plaira, sans avoir d'autre vouloir ni eslection, reverant d'un profond silence ce que l'entendement de la foiblesse humaine ne peut comprendre, car ses desseins peuvent estre cachés, mais tous-jours justes.

  A021001881 

 Le tresor des ames nettes ne consiste pas a avoir des biens et faveurs de Dieu, ains a le rendre content, ne voulant ni plus ni moins que ce qu'il donne..

  A021001888 

 II faut beaucoup ressentir les fautes du prochain, mays il faut sçavoir en mesme tems que la charité s'exerce a les supporter et non pas a s'en estonner.

  A021001889 

 Cassian dit que les hommes parfaitement vertueux ont une telle habitude de la vertu, que mesme en dormant ilz ne songent qu'a la vertu; et saint Gregoire dit, parlant des miseres humaines: O heureuses miseres! vous estes aymables parce que vous empesches mon cœur de s'affectionner aux choses de ce monde..

  A021001893 

 C'est le grand mot de nostre repos, de souvent prevoir l'empirement de nos affaires et travaux et nous y disposer, et quand les accidens arrivent, user de la domination que nostre volonté superieure a sur l'inferieure; car d'empescher que cette partie inferieure ne gronde et chagrine, il n'est pas possible; mais il la faut laisser faire, et mettre la superieure en son estre, acceptant de bon cœur ce que Dieu veut ou permet nous arriver, a la façon que Nostre Seigneur fit dans son agonie: Mon ame est triste jusqu'a la mort.

  A021001898 

 Ce grand Saint, apres tant de ravissemens, ne laissoit souventesfois d'experimenter la misere de nostre nature, quand il s'escrioit: O moy miserable, qui me delivrera du cors de cette mort? En fin, il ne se faut point estonner ni rendre lasche pour nos infirmités et instabilités; mais, en s'humiliant doucement et tranquillement, il faut remonter son cœur en Dieu et poursuivre sa sainte entreprise, se confiant et appuyant en Nostre Seigneur, car il veut fournir tout ce qui est necessaire pour l'execution, ne nous demandant rien que nostre consentement et fidelité..

  A021001898 

 Il faut assujettir la nature a la grace, et ne s'estonner nullement pour les difficultés que l'on rencontre; car tous-jours il faut faire estat de commencer a s'aneantir, perseverant en cet exercice jusqu'a l'extremité de nostre vie, a laquelle nous treuverons nostre besoigne faite, si nous perseverons, mays non pas plus tost; car il faut coudre nostre perfection piece a piece, parce qu'il ne s'en treuve point de toute faite, sinon que, par une grace miraculeuse, Nostre Seigneur peut donner une habitude en un instant, comme il fit a saint Paul.

  A021001899 

 Oh! si nous pouvions une bonne fois nous determiner et dire absolument: Seigneur, que voules vous que je face? que nous serions heureux! Au moins, il le faut dire souvent..

  A021001900 

 Que s'il plaist a Dieu que nous ayons l'amour de leurs cœurs, c'est une grande consolation et benediction de Dieu; que s'il ne plaist pas a sa Bonté, nous nous devons contenter de l'amour du cœur de Nostre Seigneur, et c'est bien asses..

  A021001900 

 Que vous doit il importer si on vous ayme ou non? Que [188] si vous rencontres des occasions qui vous font sembler qu'on ne vous ayme pas, il faut passer outre en vostre chemin, sans vous amuser a les considerer.

  A021001905 

 Oh! que les vrayes amantes du celeste Amant sont sages et bien advisees! Sçaves-vous ce qu'elles font? Parfois elles se retournent sur elles mesmes pour considerer si leur atour spirituel est convenablement ageancé, si aucune perle de vertu ne leur manque et si tous leurs riches joyaux ont leur vif et naïf esclat; mais, oh! que cette reflexion est rectifiee! oh! qu'elle est simple! oh! qu'elle est pretieuse, puisqu'elle n'a autre mire que de satisfaire et d'aggreer au divin Espoux! [189].

  A021001913 

 [A la levee: que M r Blondeau, etc.].

  A021001945 

 Ce que je vous dis par expérience; car m'étant trouvé avec monsieur de Bérulle seul, il a proposé beaucoup de petites choses qui seront négligées par notre ami parce qu'ils (sic) regardent son honneur particulier; mais il y en a d'autres très importantes où il faut son jugement et qui ne se peuvent écrire: c'est pourquoi je conclus que, sans sa personne, rien ne se fera.

  A021001945 

 De sorte que la considération grande en laquelle il est tenu, pour sa qualité et pour son mérite particulier, retient chacun, ne pouvant personne se résoudre sans lui, tant aux choses qui sont de son particulier, qu'en l'honneur et révérence que chacun lui veut porter, qu'aux choses générales qui regardent l'établissement de la chose.

  A021001945 

 La révérence en laquelle notre cher et précieux ami est tenu par deça sera cause que l'on ne pourra rien résoudre de ce qui lui a été ci-devant écrit, parce qu'en toutes affaires, comme vous savez, il y a des circonstances et petites difficultés par dessus lesquelles il convient passer, et principalement en l'établissement que l'on desire faire, pour être nouveau.

  A021001945 

 Le remède à cela serait qu'il acceptât de prêcher les Avents ou le Carême en cette ville (je l'en ferais bien convier, et même par Sa Majesté s'il en était besoin), ou que les affaires qu'il a autrefois eues lui permissent de faire un voyage ici, où, en quinze jours de présence, nous ferions plus d'affaires qu'en un an d'absence..

  A021001946 

 M. de Bérulle ne trouve pas bon que l'on parle encore au Roi de la proposition, parce qu'elle s'éventerait et serait traversée par plusieurs..

  A021001946 

 Maintenant qu'il a plu à Dieu retirer à lui Madame sa mère, il sera plus libre et pourra plus aisément prendre cette résolution, dont je ne lui écrirai point que je n'aie de ses [193] nouvelles et que vous ne me mandiez qu'il y soit disposé.

  A021001947 

 Voilà ce que je vous puis mander de ce particulier, approuvant la pensée que vous avez autrefois eue, d'autant plus que l'indisposition du personnage s'augmente tous les jours, bien que lentement..

  A021001966 

 Je ne puis rien dire de mon ame, sinon qu'elle sent de plus en plus le desir tres-ardent, de n'estimer rien, que la dilection de nostre Seigneur crucifié; et que je me sens tellement invincible aux evenemens de ce monde, que rien ne me touche presque.

  A021001966 

 O ma Mere, Dieu comble de benedictions vostre cœur, que je cheris comme mon cœur propre.

  A021001966 

 O ma Mere, soit que la Providence de Dieu me face changer de sejour, soit qu'elle me laisse icy (car cela m'est tout un) n'auray-je pas mieux, de n'avoir pas tant de charge, à fin que je puisse un peu respirer en la Croix de nostre Seigneur, et escrire quelque chose à sa gloire? Cependant nous escouterons, ce que Dieu ordonnera, à la plus grande gloire duquel je veux tout reduire, et sans laquelle je ne veux rien faire, moyennant sa grace: car vous sçavez, ma [194] tres-chere Mere, quelle fidelité nostre cœur luy a voué.


22-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXII-Vol.1-Opuscules.html
  A022000038 

 — Preuves qui la confirment: Dieu qui ordonne la fin, ordonne aussi les moyens; il ne réprouve que par justice et en prévision du péché; textes de l'Ecriture à l'appui de cette doctrine.

  A022000050 

 — Une «porte plus grande que tout l'édifice». 51.

  A022000056 

 2) Qu'est-ce que combattre l'ennemi spirituel? [1592-1594] (Fragment inédit).

  A022000078 

 — Concessions que trois Papes leur ont faites pour les soulager.

  A022000080 

 — François de Sales déclare que nul, après l'abjuration, ne sera soumis aux peines encourues par le fait de l'hérésie. 77.

  A022000083 

 — Pourquoi il serait bon que le Prélat et plusieurs ecclésiastiques désignés par lui, eussent d'amples pourvoira pour absoudre les hérétiques.

  A022000084 

 — La conversion des deux derniers bailliages exige que l'union de ces bénéfices à l'Ordre des saints Maurice et Lazare soit annulée.

  A022000087 

 — Ce que la Milice trouve dur.

  A022000087 

 — Pourquoi elle n'avait pas le droit d'être consultée avant que le Bref fût rendu.

  A022000091 

 — Les cent écus annuels assignés aux deux curés en dédommagement n'ont été payés que trois ans.

  A022000094 

 — Exposé des difficultés que présente la restitution des revenus ecclésiastiques du bailliage: les unes, insurmontables; la justice de Sa Majesté peut triompher des autres.

  A022000098 

 — Il serait injuste de respecter les «reformés» plus que les autres et d'excepter de, la règle générale «ce seul coin du royaume».

  A022000103 

 — La situation topographique du bailliage de Gex augmente l'intérêt que la chrétienté entière, et surtout la France, doivent avoir pour sa conversion.

  A022000110 

 Prédication que fit l'Evêque de Genève à Sion; réflexion d'un auditeur.

  A022000120 

 De ce qu'il faut adjouxter afin que la paix reussisse acceptantz l'Interim - Chapitre 4.

  A022000195 

 Et considereray de pres mon imbecillité et neantise, laquelle j'ay experimenté tant de foys que je n'ay poinct besoin d'autres preuves; et partant je confirmeray souventesfoys mon cœur de ceste sainte viande, selon ce qui est escrit: Panis cor hominis confirmans; Psal. 103..

  A022000195 

 Je tascheray par tous moyens de recevoir reveremment le plus souvent que fayre se pourra le tres auguste et tressaint Sacrement de l'autel, me resouvenant qu'il est institué pour la reparation de l'[humeur] radical spirituel de nostre ame, et a iceluy est attribuee la conservation et perseverance de la vie spirituelle militante, [11] jusques a ce qu'on soit en la spirituelle triomphante.

  A022000196 

 Et communieray encores chaque moys a fin de loüer Dieu de chaque revolution de la lune, et a fin que, par ce nombre d'université, je consacre mon universel aage a Dieu.

  A022000196 

 Que si je ne peux plus souvent, au moins tous les moys je ne failliray poinct, estimant que les douze signes du zodiaque ne m'advisent et signifient autre sinon de me preparer, a fin qu'une foys je puysse arriver la haut, sur cest arc du pont celeste sous lequel le fleuve des mutations de ce monde passe, qui s'appelle vanité.

  A022000197 

 Je n'estimeray pas legitime empeschement de ceste sainte devotion toute sorte d'incommodité, mays seulement celle qui sera telle qu'avec icelle on ne puysse communier; sçachant que ce n'est pas grand service celuy que l'on faict seulement quand on en a commodité, par maniere d'inadvertance et occurrence..

  A022000198 

 Que si je ne puys, par quelque legitime empeschement, aller a la table de Nostre Seigneur et me refectionner de ceste sainte viande quand sera le tems ordinaire, je feray quelque extraordinaire bonne œuvre en contreschange: comme sera quelque effort de prieres, de misericorde tant spirituelle que corporelle, d'austerité, d'humilité et abjection, et autres semblables; imitant en cecy ceux lesquelz en hyver n'ont pas du feu pour se garder du froid, qui s'advisent de fayre d'autant plus d'exercices et mouvemens: ainsy, ne pouvant m'approcher du Saint Sacrement, qui est le feu que Nostre [12] Seigneur vint mettre au monde, je feray d'autant plus d'exercice et mouvement en la vertu, a fin que le froid et vent de bize a quo omne malum panditur, qui est le peché, ne me gele interieurement; et particulierement je feray a la façon des François, qui passent la faim en chantant, car je passeray la faute de ce Pain celeste faysant d'autant plus de prieres..

  A022000224 

 Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dissipés; et que ceux qui le [14] haïssent fuient devant sa face.

  A022000225 

 C'est pour cela que nous ne craindrons pas, tandis que la terre sera bouleversée et que des montagnes seront transportées au cœur des mers..

  A022000226 

 Ayez pitié de moi, ô Dieu, parce que l'ennemi m'a foulé aux pieds; tout le jour m'attaquant, il m'a tourmenté.

  A022000227 

 Ils ont préparé un lacs pour mes pieds et ils ont courbé mon âme; ils ont creusé devant ma face une fosse, afin que j'y tombe..

  A022000228 

 Arrachez, Seigneur, mon âme à la mort et mes pieds à la chute, afin que je me rende agréable devant vous dans la lumière des vivants..

  A022000229 

 Ayez pitié de moi, ô Dieu, ayez pitié de moi parce que mon âme s'est confiée en vous; et à l'ombre de vos ailes, j'espérerai jusqu'à ce que l'iniquité soit passée.

  A022000230 

 Exaucez-moi, Seigneur, parce que votre miséricorde est bienfaisante; selon la multitude de vos bontés, jetez un regard sur moi et ne détournez pas votre face de votre serviteur; parce que je suis tourmenté, exaucez-moi promptement.

  A022000230 

 Retirez-moi de la fange afin que je n'y demeure pas enfoncé; délivrez-moi de ceux qui me haïssent, et du fond des eaux.

  A022000230 

 Sauvez-moi, ô Dieu, parce que les eaux sont entrées dans mon âme.

  A022000231 

 Moi j'ai dit: Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme parce que j'ai péché contre vous..

  A022000234 

 Donnez-nous, Seigneur, du secours pour nous retirer de la tribulation, parce que vain est le salut de l'homme.

  A022000235 

 C'est en vous, Seigneur, que j'ai espéré; je ne serai pas confondu a jamais..

  A022000235 

 Est-ce que mon âme ne sera pas soumise à Dieu? car c'est de lui-même que vient mon salut, car lui-même est mon Dieu et mon Sauveur; mon soutien, je ne serai plus ébranlé.

  A022000235 

 Parce que lui-même est mon Dieu et mon sauveur; mon aide, je n'émigrerai pas.

  A022000243 

 Et jamais donques je ne seray faict participant de cest immense benefice de la Redemption?... Et mon doux Jesus n'est il pas mort aussi bien pour moy que pour les [18] autres?... Ah! quoy qu'il en soit, Seigneur, pour le moins que je vous ayme en ceste vie, si je ne puis vous aymer en l'eternelle, puysque personne ne vous loüe en enfer..

  A022000254 

 Quoi qu'il arrive, Seigneur, vous qui tenez tout dans votre main, et dont toutes les voies sont justice et vérité; quoi que vous ayez arrêté à mon égard au sujet de cet éternel secret de prédestination et de réprobation; vous dont les jugements sont un profond abîme, vous qui êtes toujours juste Juge et Père miséricordieux, je vous aimerai, Seigneur, au moins en cette vie, s'il ne m'est pas [19] donné de vous aimer dans la vie éternelle; au moins je vous aimerai ici, ô mon Dieu, et j' espérerai toujours en votre miséricorde, et toujours je répéterai toute votre louange, malgré tout ce que l' ange de Satan ne cesse de m'inspirer là-contre.

  A022000254 

 Si, parce que je le mérite nécessairement, je dois être maudit parmi les maudits qui ne verront pas votre très doux visage, accordez-moi au moins de n'être pas de ceux qui maudiront votre saint nom.

  A022000260 

 Et pour [21] ce que la Preparation est comme un fourrier a toutes nos actions, je m'y occuperay selon la diversité des occurrences et tascheray, par le moyen d'icelle, de me disposer a bien et loüablement traitter et prattiquer mes affayres..

  A022000260 

 Je prefereray tousjours a toute autre chose l'Exercice de la Preparation, et je le feray au moins une foys le jour, c'est a sçavoir le matin; que s'il se presente quelque occasion extraordinaire, je m'en serviray particulierement et la prendray pour sujet de ce mien Exercice.

  A022000261 

 De plus, reconnoissant que la conversation m'a autresfoys faict tomber en beaucoup d'imperfections et de manquemens, je m'escrieray: Sœpe expugnaverunt me a juventute mea, dicat nunc anima mea; O mon ame, dites hardiment: des mon bas aage on m'a grandement et fort souvent persecutee.

  A022000261 

 Domine, si vis, potes me mundare; Seigneur, pourveu que vous le voulies, vous me pouves rendre net.

  A022000261 

 La premiere partie de cest Exercice est l' invocation; partant, reconnoissant que je suis exposé a une infinité de dangers, j'invoqueray l'assistance de mon Dieu et diray: Domine, nisi custodieris animam meam, frustra [22] vigilat qui custodit eam; Seigneur, si vous n'aves soin de mon ame, c'est en vain qu'un autre en aura du soin.

  A022000263 

 C'est pourquoy, apres avoir discrettement conjecturé les divers labirinthes ou aysement je m'esgarerois et courrois risque de me perdre, je considereray diligemment et rechercheray les meilleurs moyens pour esviter les mauvais pas; je disposeray aussy et ordonneray a part moy de ce qu'il me conviendra fayre, de l'ordre et de la façon qu'il faudra observer en telz et telz negoces, de ce que je diray en compaignie, de la contenance que je tiendray, de ce que je fuyray ou rechercheray..

  A022000264 

 A quel propos contrevenir a ses equitables loix pour eviter les dommages du cors, des biens et de l'honneur? Que nous peuvent fayre les creatures? Or sus, consolons nous et fortifions nous tout ensemble, sur ce beau verset du Psalmiste: Dominus regnavit, irascantur populi; qui sedet super Cherubim, moveatur terra; Que les meschans facent du pis qu'ilz pourront contre moy, le Seigneur est puyssant pour les tous royalement subjuguer; que le monde gronde tant qu'il voudra contre moy seulement, il ne m'en chaut, puysque Celuy qui domine sur tous les Espritz angeliques est mon protecteur..

  A022000264 

 Pour [24] ceste fin je me serviray des parolles du Prophete royal David: Nonne Deo subjecta eris, anima mea? ab ipso enim salutare meum; eh bien, mon ame, n'obeyres vous pas de bon cœur aux saintes volontés de Dieu, veu que de luy depend vostre salut? Ah, que c'est une grande lascheté de se laisser persuader et conduire a mal fayre, contre l'amour et desir du Createur, par crainte, amour, desir et hayne des creatures, quelles qu'elles soyent! Certainement, ce Seigneur d'infinie majesté estant reconneu de nous digne de tout honneur et service, ne peut estre mesprisé qu'a faute de courage.

  A022000265 

 Je luy laisseray [25] absolument le soin de ce que je suys et de ce qu'il veut que je sois; je diray de tout mon cœur: Unam petii a te, Domine Jesu, hanc requiram, ut faciam voluntatem tuam omnibus diebus vitae meœ; Je vous ay demandé une chose, o Jesus, mon Seigneur, et derechef je vous la redemanderay: a sçavoir, que j'accomplisse, fidelement vostre amoureuse volonté tous les jours de ma pauvre et chetifve vie.

  A022000274 

 Item, connoissant les péchés et imperfections que la conversation nous a apporté autresfoys, nous pourrons dire: Sœpe expugnaverunt me a juventute mea, dicat nunc anima mea: Domine, esto mihi in Deum protectorem et in domum refugii, ut salvum me facias; Domine, si vis, potes me mundare..

  A022000275 

 La seconde: apres avoir ainsy invoqué Dieu et l'ayant prié de nous fayre dignes de passer la journëe sans l'offencer (a quoy [23] pourra encores servir l'orayson «Actiones nostras,» et fort commodement les versetz du Psalme 142: Notam fac mihi viam in qua ambulem; Eripe me; Spiritus tuus bonus ), alhors l'on fera l'imagination, ou prevoyante conjecture, se representant et discourant sur ce qu'en toute la journee nous pourrons penser nous devoir advenir: c'est a dire, les lieux ou nous nous devons trouver, les compaignies, les affayres que nous devons traitter, allant recherchant ce qui nous pourra survenir..

  A022000276 

 La troysiesme sera l'advis et disposition providente, c'est a dire la diligence que nous prendrons a considerer quel meilleur moyen, ordre et façon nous pourrons tenir a fayre ce que nous penserons devoir fayre, disposant ce que nous pourrons dire, quelle contenance tenir, quoy fuyr, quoy chercher..

  A022000278 

 La cinquiesme sera la resolution et ferme propos de ne jamais offencer Dieu, et particulierement en toute ceste journee, disant a bon escient a l'ame: Nonne Deo subjecta eris, a nima mea? ab ipso enim salutare tuum; et pensant combien c'est grande lascheté, par crainte, amour, desir et hayne des creatures, quelles qu'elles soyent, se laisser persuader et conduire a mal fayre, contre l'amour et desir du Createur, lequel, estant reconneu pour digne de tout service, ne peut estre mesprisé que par faute de courage de resister [25] au mal du cors et de l'honneur que nous peut fayre la creature.

  A022000285 

 En suitte dequoy je considereray que nostre amoureux Sauveur est la lumiere des Gentilz et la lumiere qui dissipe les tenebres du peché; sur quoy, faysant une sainte resolution pour toute la journee, je chanteray avec David: Mane adstabo tibi et videbo, quoniam non Deus volens iniquitatem tu es; Je me leveray de bonne heure, et me mettant en vostre presence, je considereray que vous estes le Dieu auquel desplait l'iniquité; partant je la fuyray de tout mon possible, comme chose souverainement desaggreable a vostre infinie Majesté..

  A022000285 

 — Le matin, aussy tost que je seray esveillé, je rendray graces a mon Dieu avec ces parolles du Psalmiste royal David: In matutinis meditabor in te, quia fuisti adjutor meus; c'est a dire: Des l'aube du jour vous seres le sujet de ma meditation, d'autant que vous aves esté ma sauvegarde.

  A022000286 

 Transeamus usque Bethlehem, et videamus hoc Mot quod factum est, quod Dominus ostendit nobis; Allons a l'eglise, car c'est la ou l'on faict le pain supersubstantiel avec les saintes parolles que Dieu a mises en la bouche des prestres pour nostre consolation..

  A022000287 

 Or, tout ainsy que par le sommeil corporel toutes les operations corporelles se resserrent tellement dans le cors qu'elles ne s'estendent rien pour tout au dela [28] d'iceluy, aussy donneray je ordre que mon ame, en ce tems la, se retire tout a faict en soy mesme, et qu'elle ne face autre fonction que de ce qui luy touchera et appartiendra, obeyssant humblement au dire du Prophete: Surgite postquam sederitis, qui manducatis panem doloris; O vous qui manges volontier le pain de douleur, ou en la doleance de vos fautes, ou en la condoleance de celles du prochain, ne vous leves pas, n'alles pas aux occupations exterieures de ce siecle laborieux, que vous ne vous soyes au prealable suffisamment reposés en la contemplation des choses eternelles..

  A022000287 

 — Comme le cors a besoin de prendre son sommeil pour delasser et soulager ses membres travaillés, de mesme est il necessaire que l'ame ayt quelque tems pour sommeiller et se reposer entre les chastes bras de son celeste Espoux, a fin de restaurer par ce moyen les forces et la vigueur de ses puyssances spirituelles, aucunement recreües et fatiguëes; partant je destineray tous les jours certain tems pour ce sacré sommeil, a ce que mon ame, a l'imitation du bienaymé Disciple, dorme en toute asseurance sur l'amiable poitrine, voire dans le cœur amoureux de l'amoureux Sauveur.

  A022000288 

 Voyci donques comme je feray: ou je veilleray, mesmement dans le lict, quelque peu apres les autres, si autrement je ne puis fayre, ou je m'esveilleray apres le premier sommeil, ou bien le matin je me leveray devant les autres, et me resouviendray de ce que Nostre Seigneur a dict a ce propos: Vigilate et orate, ne intretis in tentationem; Veilles et faites orayson, de peur que vous ne soyes vaincuz par la tentation.

  A022000288 

 — Que si, comme il advient souvent, je ne puis trouver autre heure pour ce repos spirituel, a tout le moins desrobberay je une partie du repos corporel pour l'employer fidellement en un si vigilant sommeil.

  A022000289 

 Je mettray peyne d'effectuer son commandement: Quae dicitis in cordibus vestris, in cubilibus vestris compungimini; Ayes repentance, mesme dans le lict, des pechés que vous commettes avec la seule pensee: ce que pour deüement accomplir, a l'imitation de cest harmonieux cygne penitent, lachrimis meis stratum meum rigabo; je baigneray ma couche de mes larmes..

  A022000290 

 En fin, apres avoir consideré les tenebres et les imperfections de mon ame, je pourray dire les parolles qui sont en Esaïe: Custos, quid de nocte? custos, quid de nocte? c'est a dire: O surveillant, surveillant, reste il encores beaucoup de la nuict de nos imperfections? Et j'entendray qu'il me respondra: Venit mane et nox, le matin des bonnes inspirations est venu; pourquoy est ce que tu aymes plus les tenebres que la lumiere?.

  A022000290 

 Illumines tellement mon pauvre aveuglé cœur des beaux rayons de vostre grace, que jamais il ne s'arreste en façon quelcomque en la mort du peché; hé, ne permettes pas, je vous prie, que mes ennemis invisibles puissent dire: Nous avons eu barre dessus luy.

  A022000291 

 D'abondant, je me serviray de ces saintes parolles de David: Dominus illuminatio mea et salus mea, quem timebo? qui est autant que si on disoit: Le soleil ny ses rayons ne sont pas ma lumiere principale, ny la compaignie ne me sauve pas, [32] mays Dieu seul, lequel m'est aussy propice la nuict comme le jour..

  A022000291 

 — D'autant que les nocturnes [31] frayeurs ont accoustumé d'empescher telles devotions, si par fortune je m'en sentois saysy, je m'en deslivreray avec la consideration de mon bon Ange gardien, disant: Dominus a dextris est mihi, ne commovear; Mon Seigneur est a mon costé droict a fin que je ne craigne de rien; ce qu'aucuns docteurs ont expliqué du bon Ange.

  A022000295 

 Tous les jours je ne failliray d'oüyr Messe tant que je pourray, disant a mes autres occupations et encores a mes compaignons: Venite et videte quae posuit Dominus prodigia super terram.

  A022000295 

 Transeamus usque Bethlehem, et videamus Mot quod factum est nobis a Domino; c'est a dire: Allons a l'eglise, la ou on faict ce pain substantiel avec ces divines parolles que Dieu a donné en la bouche des prestres pour nostre consolation..

  A022000296 

 Item: comme le cors a besoin de son sommeil pour delasser [27] et soulager les membres travaillés, aussy prendray je tous les jours quelque tems pour le repos et sommeil de mon ame, a fin que si, comme par le sommeil corporel toutes les operations corporelles se resserrent dans le cors, ne s'estendant rien plus loin qu'iceluy, ainsy en ce tems la, l'ame estant retirëe en soy mesme, ne face autre operation que de ce qui luy touche et appartient, obeyssant au dire du Prophete: Surgite postquam sederitis..

  A022000297 

 Que si, comme il advient souvent, je ne puys trouver autre heure pour ce repos spirituel, je desrobberay quelque partie du repos corporel, veillant (mesme dans le lict, si autrement on [28] ne peut) quelque peu apres les autres, ou s'esveillant apres le premier sommeil, ou bien le matin avant les autres, me resouvenant a ce propos de ce que disoit Nostre Seigneur: Vigilate et orate, ne intretis in tentationem..

  A022000300 

 Parfoys encores, me retournant a mon Dieu, mon Sauveur, lequel ne dort point ni ne sommeille gardant l'Israel de nos ames, apres avoir consideré les tenebres de l'imperfection de mon cœur, je pourray dire les parolles qui sont en Esaïe: Custos, quid de nocte? custos, quid de nocte? Et j'entendray quil me dira: Venit mane et nox; c'est a dire, le matin de mes inspirations et de ma grace est venu; pourquoy est ce que tu aymes mieux les tenebres que la lumiere?.

  A022000301 

 Et lhors, considerant que Nostre Seigneur est la lumiere pour revelation des Gentilz et la lumiere qui destruit les tenebres de peché, faysant resolution pour toute la journëe, m'imaginant d'assister a quelqu'un des saintz misteres, je diray avec devotion et crainte: Mane adstabo tibi et videbo, quoniam [ non ] Deus volens iniquitatem tu es, a fin que, considerant que le peché desplaist a ce grand Dieu, je me garde la journëe d'en fayre..

  A022000301 

 Et puys, penser a quelque saint mistere, signamment a l'apparition [31] que fit Nostre Seigneur a Nostre Dame apres sa resurrection, et a la diligence des Maries qui se levoyent orto jam sole; puys aux pasteurs qui vindrent la mattinëe adorer l'Enfant.

  A022000302 

 D'autant que les frayeurs nocturnes ont accoustumé d'empescher les exercices, si par fortune je m'en sentois saysy, je m'en deslivreray avec la consideration de mon bon Ange protecteur, disant: Dominus a dextris meis, ne commovear, qu'aucuns docteurs ont entendu de l'Ange; et considereray encores que scuto circumdabit me veritas ejus, nec timere debeo a timore nocturno (90 Ps.), qui est l' escu de la foy et confiance.

  A022000308 

 Premierement: ayant pris le tems commode pour ce sacré repos, avant toute autre chose je tascheray a raffraischir ma memoyre de tous les bons mouvemens, desirs, affections, resolutions, projetz, sentimens et douceurs qu'autresfoys la divine Majesté m'a inspiré et faict experimenter en la consideration de ses saintz misteres, de la beauté de la vertu, de la noblesse de son service et d'une infinité de benefices qu'elle m'a tres liberalement departi; je mettray ordre aussy a me ramentevoir de l'obligation que je luy ay de ce que, par sa sainte grace, elle a quelquefoys debilité mes sens en m'envoyant certaines maladies et infirmités lesquelles m'ont grandement prouffité.

  A022000309 

 Secondement: cela faict, je me reposeray tout bellement en la consideration de la vanité des grandeurs, des richesses, des honneurs, des commoditées et des voluptés de ce monde immonde; je m'arresteray a voir le peu de durëe qui est en ces choses la, leur incertitude, leur fin, et l'incompossibilité qu'elles ont avec les vrays et solides contentemens; en suitte dequoy mon cœur les desdaignera, les mesprisera, les aura en horreur et dira: Alles, alles, o diaboliques appas, retires vous loin de moy, cherches fortune ailleurs; je ne veux poinct de vous, puysque les plaisirs que vous promettes appartiennent aussy bien aux folz et abominables qu'aux hommes sages et vertueux..

  A022000310 

 Troysiesmement: je me reposeray tout doucement en la consideration de la laydeur, de l'abjection et de la deplorable misere qui se retrouve au vice et au peché, et aux miserables ames qui en sont obsedëes et possedëes; puys je diray, sans me troubler et inquieter aucunement: Le vice, le peché est chose indigne d'une personne bien nëe et qui faict profession de merite, jamais il n'apporte contentement qui soit veritablement solide, ains seulement en imagination; mais quelles espines, quelz scrupules, quelz regretz, quelles amertumes, quelles inquietudes et quelz supplices ne traisne il quant et soy! Voire, et quand tout cela ne seroit pas, ne nous doit il pas suffire qu'il est desaggreable a Dieu? Oh, cela doit estre plus que suffisant pour le nous faire detester a toute outrance..

  A022000312 

 Cinquiesmement: je m'arresteray en l'admiration de la beauté de la rayson que Dieu a donné a l'homme, a fin qu'esclairé et enseigné par sa merveilleuse splendeur, il haïsse le vice et ayme la vertu.

  A022000312 

 Hé, que ne suyvons nous la lumiere brillante de ce divin flambeau, puysque l'usage nous en est donné pour voir ou nous devons mettre le pied! Ah! si nous nous layssions conduire au dictamen d'icelle, rarement chopperions nous, difficilement ferions nous jamais mal..

  A022000313 

 Je feray en sorte de m'exciter et de resveiller ma paresse, en repetant souvent ces parolles: En morior, quid mihi proderunt primogenita, sive omnia ista? Voyla que tous les jours je m'en vay mourant; dequoy est ce que me serviront les choses presentes et tout ce qui est d'esclattant et de spectable en ce monde? Il vaut beaucoup mieux que je les mesprise courageusement et que, vivant en crainte filiale sous l'observance des commandemens de mon [34] Dieu, j'attende avec accoysement d'esprit les biens de la vie future..

  A022000315 

 O Seigneur, diray je, il n'y a que vous de bon par essence et par [36] nature, vous seul estes necessairement bon; toutes les creatures qui sont bonnes, tant par la bonté naturelle que par la surnaturelle, ne le sont que par participation de vostre aymable bonté..

  A022000321 

 Ce que je feray en ce Sommeil et Repos sera de considérer:.

  A022000328 

 Que la beauté de la rayson et usage d'icelle nous est donné a fin que nous la suyvions..

  A022000329 

 Item, je tascheray a raffraischir ma memoyre de tous les bons desirs, mouvemens, affections, resolutions et projetz, suavités et douceurs que Dieu m'a inspiré autresfoys en la consideration de ses saintz misteres, de la vertu et de son service, avec tous ses autres benefices, principalement lhors qu'il avoit, de sa grace, debilité les sens par maladies..

  A022000337 

 J'honnoreray particulierement chacun, j'observeray la modestie, je parleray peu et bon, a fin que la compaignie s'en retourne plustost avec appetit de nostre rencontre qu'avec ennuy.

  A022000337 

 Je ne me donneray licence de dire ou fayre chose qui ne soit bien reglëe, parce qu'on pourroit dire que je suys un insolent, me layssant transporter trop tost a trop de familiarité.

  A022000337 

 Si le rencontre est brief et que quelqu'un ayt desja pris la parolle, quand je ne dirois autre chose que la salutation, avec une contenance ny austere ny melancholique, ains [38] moderement et honnestement libre, ce ne seroit que le mieux..

  A022000337 

 Sur tout je seray soigneux de ne mordre, picquer ou me mocquer d'aucun, veu que c'est une lourdise de penser se mocquer sans hayne de ceux qui n'ont poinct de sujet de nous supporter.

  A022000337 

 — Je ne mespriseray jamais ny monstreray signe de fuyr totalement le rencontre de quelque personne que ce soit, d'autant que cela donne bruict d'estre superbe, hautain, severe, arrogant, scindiqueur, ambitieux et contrerolleur.

  A022000338 

 Encores me faudra il par tout exercer le jugement et la prudence, puysqu'il n'y a regle si generale qui n'aye quelquefoys son exception, sinon celle ci, fondement de toute autre: RIEN CONTRE DIEU. Donques, en conversation, je seray modeste sans insolence, libre sans austerité, doux sans affectation, souple sans contradiction, si ce n'est que la rayson le requist; cordial sans dissimulation, parce que les hommes se playsent de connoistre ceux avec lesquelz ilz traittent; toutesfoys il se faut ouvrir plus ou moins, selon que sont les compaignies..

  A022000339 

 Aux superieurs, ou d'aage, ou de profession, ou d'authorité, il ne faut fayre paroystre que ce qui est exquis; aux semblables, que ce qui est bon; aux inferieurs, que ce qui est indifferent.

  A022000339 

 Et de faict, les grans et sages n'admirent que l'exquis; les esgaux l'attribueroyent a affectation et les inferieurs a trop de gravité.

  A022000339 

 Il y a bien certains melancholiques qui se playsent qu'on leur descouvre les vices que l'on a: toutesfoys, c'est a ceux la qu'il les faut davantage cacher, car ayant l'impression plus forte, ilz rumineront et philosopheront dix ans sur la moindre imperfection.

  A022000339 

 Or, nonobstant ce que nous avons dict, on peut, conversant avec les superieurs, les esgaux et inferieurs, temperer parfoys l'entretien de ce qui est exquis, bon et indifferent, pourveu que le tout se fasse discrettement.

  A022000339 

 Quant a ce qui est mauvais, il ne le faut jamais descouvrir a qui que ce soit, d'autant qu'il ne peut qu'offencer les yeux qui le voyent et rendre laid celuy auquel il est.

  A022000339 

 — Puysque l'on est souvent quasi [39] contrainct de converser avec personnes de differentes qualités, il faut que je sçache qu'à certains il ne faut monstrer que l'exquis, aux autres que ce qui est bon, aux autres que l'indifferent, mais a personne ce qui est mauvais.

  A022000340 

 — S'il me convient converser avec personnes insolentes, libres ou melancholiques, j'useray de ceste precaution: aux insolentes, je me cacheray tout a faict; aux libres, pourveu qu'elles soyent craignantes Dieu, je me descouvriray tout a faict, je leur parleray a cœur ouvert; aux sombres et melancholiques, je me monstreray seulement, comme on dict en commun proverbe, de la fenestre: c'est a dire, qu'en partie je me descouvriray a elles, parce qu'elles sont curieuses de voir les cœurs des hommes, et si on faict trop le rencheri elles [41] entrent incontinent en soupçon; en partie aussy je me cacheray a elles, a cause qu'elles sont sujettes, ainsy que nous avons desja dict, a philosopher et remarquer de trop pres les conditions de ceux qui les frequentent..

  A022000341 

 Entre les esgaux, il faut estre esgalement libre et respectueux; avec les inferieurs, il faut estre plus libre que respectueux; mais avec les grans et superieurs, il faut estre beaucoup plus respectueux que libre.

  A022000341 

 L'amour, certainement, engendre la liberté, et le respect la modestie; il n'y a donques poinct de mal d'estre en leur compaignie un peu libre, pourveu qu'on ne s'oublie poinct du respect, et pourveu que le respect soit plus grand que la liberté.

  A022000341 

 — Si la necessité me force de converser avec les grans, c'est alhors que je me tiendray soigneusement sur mes gardes, car il faut estre avec eux comme avec le feu: c'est a dire, qu'il est bien bon parfoys de s'en approcher, mais ne faut pas aussy que ce soit de trop pres; partant, je me comporteray en leur presence avec beaucoup de modestie, meslëe neantmoins d'une honneste liberté.

  A022000349 

 Il ne faut jamais mespriser le rencontre de personne, ni monstrer signe de fuyr totalement et rejetter aucun, pource que cela donne bruict de superbe, hautain, severe, arrogant, ambitieux, contrerolleur.

  A022000355 

 Estant rare et de peu de durëe, il ne se faut donner licence de dire ny fayre chose qui ne soit bien reglëe; autrement on pourroit dire que celuy qui se laysse transporter en peu de tems en conversation doit estre insolent.

  A022000356 

 Et si le rencontre est brief et quelqu'un autre a pris la parolle, quand on ne diroit autre que la salutation, avec une contenance ny austere ny melancholique, mays modeste et honnestement libre, ce ne sera que le mieux.

  A022000359 

 Il faut par tout exercer le jugement et la prudence, ne se faysant regle si generale qui ne doive avoir son model d'exception, sinon ceste regle, fondement de toute autre: RIEN CONTRE DIEU. Si est ce que la conversation doit estre modeste, sans aucune insolence; libre, sans austerité; douce et souëfve, sans monstrer affectation ny effort, et souple, sans contredite sans rayson; ouverte et cordiale, d'autant que les hommes se playsent de connoistre ceux avec lesquelz ilz traittent.

  A022000359 

 Mais il se faut ouvrir plus ou moins, selon que sont les compaignies: car aux personnes insolentes ils se faut cacher du tout; aux libres, se monstrer du tout; aux melancholiques et sombres, se monstrer seulement de la fenestre: ausquelz il se faut bien monstrer en partie, d'autant que ceste sorte [40] de gens se playsent de voir les cœurs des hommes, et partant sont volontier soupçonneux; il ne se faut toutesfoys du tout monstrer, d'autant quilz se playsent a philosopher et vont remarquant trop au pres les conditions des hommes..

  A022000360 

 Aux superieurs, ou d'aage, ou de profession, ou d'authorité, l'exquis; aux semblables, le bon; aux femmes et inferieurs, l'indifferent: car les grans et sages n'admirent que l'exquis; les semblables appelleroyent affectation la monstre de l'exquis seulement; les moindres et les femmes se playsent plus en l'indifferent.

  A022000360 

 Et pour autant qu'il nous faut converser hommes et femmes, superieurs et inferieurs, il est bon de sçavoir qu'a certains il ne faut monstrer que l'exquis, aux autres le bon, aux autres l'indifferent, mais a personne le mauvais.

  A022000361 

 Quant aux imperfections, on n'a que fayre de les descouvrir, car on les descouvre tousjours asses, mays il est bon de les confesser..

  A022000367 

 De la, je passeray a la consideration de l'ancien Temple, et compareray combien est plus auguste la moindre de toutes nos eglises que n'estoit le Temple de Salomon, parce que, sur nos autelz, le vray Aigneau de Dieu est offert en hostie pacifique pour nos pechés.

  A022000367 

 — De si loin que je verray une eglise, je la salueray par ce verset de David: Je vous salue, eglise sainte, dont Dieu a mieux aymé les portes que tous les tabernacles de Jacob.

  A022000368 

 — Je communieray le plus souvent que je pourray, par l'advis de mon Pere confesseur.

  A022000372 

 — Ayant receu le tressaint Sacrement, je me donneray tout a Celuy qui s'est tout donné a moy; j'abandonneray d'affection toutes les choses du Ciel et de la terre, disant: Que veux je au Ciel? que me reste il a desirer sur la terre, puysque j'ay mon Dieu qui est mon tout? Je luy diray simplement, respectueusement et confidemment tout ce que son amour me suggerera, et me resoudray de vivre selon la sainte volonté du Maistre qui me nourrit de luy mesme..

  A022000373 

 — Finalement, quand je me sentiray sec et aride a la sainte Communion, je me serviray de l'exemple des pauvres, quand ilz ont froid; car, n'ayant pas dequoy fayre du feu, ilz marchent et font de l'exercice pour s'eschauffer: je redoubleray mes prieres et la lecture de quelque traitté du tressaint Sacrement que, tres humblement et d'une ferme foy, j'adore.

  A022000377 

 N'avoir de beauregard, n'estre que vanité;.

  A022000378 

 Il vit que d'icy bas il n'avoit origine,.

  A022000402 

 Ces choses, donc, je les ai écrites très humblement, étant tout prêt à abandonner non seulement les conclusions que j'ai prises ou prendrai, mais la tête même qui les a conçues, et cela, même si toute mon intelligence y répugne, pour embrasser l'opinion qui est ou qui sera à l'avenir adoptée par l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, ma Mère et la colonne de vérité.

  A022000402 

 Et jamais je ne dirai aucune chose, tant que Dieu me donnera l'intelligence, que ce qui sera le plus conforme à la foi catholique, car j'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé, et non j'ai parlé parce que j'ai cru; ce qui revient à dire: la foi doit être la règle de la croyance; mais que l'humilité soit la conclusion de tout: et je suis grandement humilié.

  A022000418 

 Ceci dit par surcroît de précaution; car l'opinion paraît si conforme aux Ecritures, aux Pères, à la façon adoptée par l'Eglise pour traiter ces sujets, aux Docteurs de notre siècle, que je peux la recevoir sans trouble et sans aucune crainte.

  A022000418 

 Cependant, comme je peux me tromper, de telle sorte que ce qui paraît ne soit pas, je me remets en tout à l'Esprit Paraclet qui gouverne les intelligences par notre Eglise.

  A022000418 

 Que ces choses soient ainsi, si elles sont conformes à la foi de la sainte Eglise Romaine; sinon, que ces écrits périssent et ne soient pas conservés avec les autres.

  A022000419 

 Or, Dieu lui-même est le Père de toute consolation, et nous ne devons pas nous glorifier comme si quoi que ce soit venait de nous comme de nous, puisque, comme je l'ai montré ailleurs, toute notre suffisance vient de Dieu; car si la doctrine de la prédestination dit que nos actions sont prévues, ce n'est pas au préjudice de la grâce du libre arbitre, mais il est toujours besoin de la prévision de la grâce du Seigneur, par la miséricorde de qui nous irons dans sa maison, si, en cette vie, nos pieds ont été dans tes parvis, Jérusalem, car, sans le Christ, nous ne pouvons rien faire..

  A022000421 

 Eclairez mes yeux, de peur qu'ils ne s'endorment dans la mort, ou que l'ennemi ne dise: J'ai triomphé contre lui. Envoyez votre Esprit, et ils seront créés, et vous renouvellerez la face de la terre.

  A022000421 

 Heureux l'homme que vous avez instruit, Seigneur, et à qui vous avez enseigné votre loi.

  A022000448 

 Dans son excellente Confession de fo i, sous le titre en question, il [51] affirme expressément la même chose que nous: à savoir, que non seulement la réprobation a lieu par suite des démérites prévus, mais aussi que la prédestination se fonde sur les mérites prévus, et il prouve cela avec force.

  A022000448 

 En outre, Tartaretus cite en faveur de cette thèse Henri, in Reportatis, et aussi [52] Occam, et il affirme que cette opinion est probable et ne contredit pas Scot.

  A022000448 

 Les enseignements que nous avons tirés de nombreux auteurs, au sujet de la prédestination fondée sur les mérites prévus, enseignements exposés aux pages XV, LXII et LXX, peuvent être confirmés par l'autorité de Pierre Emotte, docteur en théologie de Paris.

  A022000450 

 La majeure est évidente, d'abord parce que Dieu, étant de sa nature communicable, ne peut avoir pour agréable sa propre privation prise en elle-même; ensuite, parce qu'autrement l'on irait contre les expressions de l'Ecriture qui partout présentent Dieu comme ayant soif de notre glorification et compatissant à notre condamnation, tout prêt qu'il est à [54] détourner cette dernière si seulement nos péchés disparaissent.

  A022000451 

 En troisième lieu, [ces textes]: Ta perte vient de toi-même, ô Israël; J'ai planté une vigne, j'attendais qu'elle porterait des raisins, elle a donné des fruits sauvages; Il fit appeler tout le monde au festin; Il veut que tous soient sauvés; Venez à moi, vous tous, sont certes des expressions qui ne peuvent être proprement et convenablement comprises, si l'on suppose que Dieu avait tout d'abord déterminé de ne pas accorder la gloire à certains individus: ce serait, en effet, se moquer de quelqu'un que de l'inviter à un repas de noces, tout en ayant résolu de l'exclure à cause de l'absence de mérites de sa part.

  A022000451 

 Enfin, Dieu n'a-t-il pas créé l'homme [55] pour jouir de sa vue? pourquoi donc a-t-il pu déterminer qu'il ne le verrait pas, et cela en dehors de toute cause préalable? En outre, toutes les fois que deux causes sont en de telles relations entre elles que l'une étant posée elle ne peut obtenir son effet en l'absence de l'autre, celui qui n'a pas l'une des deux en son pouvoir ne peut être dit en mesure d'obtenir l'effet voulu, et celui qui écarte l'une d'elles écarte par le fait même l'effet voulu.

  A022000451 

 Et cependant les expressions ci-dessus sont couramment employées par l'Eglise; en sorte que si on les expliquait dans le sens si caché et si décevant des adversaires, ce serait accuser l'Eglise de tromper les gens simples, elle qui à tout bout de champ les présente à tous également dans les prédications, les Offices et les prières.

  A022000451 

 Et puis, que signifie cet adage: Dieu ne te fait pas défaut si tu ne te fais pas défaut? En vérité, pourrait-on dire, il m'a fait défaut au commencement, alors que je ne pouvais ni m'être utile, ni m'être nuisible, si nous supposons que l'opinion ci-dessus, plus dure que le fer, est vraie.

  A022000451 

 Tandis que dans notre opinion ce raisonnement n'a pas de force, attendu que nous ne supposons pas le refus de la volonté de Dieu avant la prévision de nos péchés..

  A022000452 

 Si Dieu en a destiné certains à la peine avant la prévision de la faute, pourquoi a-t-il été dit: Comme chacun aura agi dans son corps, soit en bien soit en mal? Comment peut-il se faire qu'à une peine ordonnée par Dieu sans aucune relation avec la faute, corresponde aussi justement cette faute provenant de notre libre arbitre? Il a fallu certainement, ou que Dieu ordonnât la faute [56] pour qu'elle répondît à la peine déjà ordonnée, ou bien qu'il abandonnât à notre libre arbitre le soin de décider si nous devrions être condamnés sans faute, comme cela est clair.

  A022000453 

 Au sujet de la même opinion, il faut noter: Premièrement, [57] cette opinion, étant que la prédestination a lieu sans la prévision des œuvres, mais non la réprobation, pourrait peut-être s'expliquer en ce sens que Dieu tout d'abord donne à tous les hommes un secours suffisant; qu'ensuite, voyant que beaucoup n'en usent pas, il réprouve ceux-ci, et que les autres, soit qu'ils usent, soit qu'ils n'usent pas de ce secours, il les sauve par des moyens efficaces: en sorte que parmi ceux qui n'usent pas du secours suffisant, Dieu en damne certains, et les autres, il les retire efficacement du chemin de damnation où ils se précipitent.

  A022000453 

 Telle que nous venons de la présenter, elle est suffisamment intelligible, et ainsi le Seigneur ne fera tort à personne; car ceux qu'il damnera, il les damnera à cause de leurs démérites, et ceux qu'il sauvera, il les sauvera par sa miséricorde, et à celui qui se plaindra il répondra: Mon ami, prends ce qui te revient; si je veux donner quelque chose à ceux-ci, que t'importe?.

  A022000454 

 Mais il faut remarquer, en second lieu, que l'opinion des adversaires ne s'accorde pas avec cette parole du Seigneur: Est-ce que si tu fais le bien, tu n'en recevras pas la récompense? car il faudrait [58] plutot dire: Est-ce que, si tu reçois la recompense, tu ne feras pas le bien?.

  A022000455 

 Comme, en effet, elle doit s'accorder avec 1'autorite de Paul dans son Epitre aux Romains et que cette autorite ne prouve pas davantage une these que l'autre, il faut avouer qu'elle ne favorise directement ni l'une ni l'autre des deux theses..

  A022000456 

 Ainsi, la decision ou opinion en question doit etre comptee parmi celles dont les jurisconsultes disent que la loi ni ne s'y oppose, ni ne les favorise (quoique d'une certaine façon elle s'oppose, et fortement, a ce que notre sentence puisse etre ulterieurement prouvee)..

  A022000457 

 Si Dieu sauve ceux qui autrement auraient du etre damnes, ou est la justice? Comment rendra-t-il à chacun selon ses oeuvres, puisqu'il faudrait dire plutot que chacun agira suivant ce qu'il recevra? Et puis, pourquoi Dieu a-t-il prevu les peches des futurs damnes, et non ceux des autres? pourquoi en a-t-il vu certains faire le bien, plutot que d'autres? et s'il a tout vu, pourquoi dirons-nous qu'il a preordonne le chatiment d'apres les peches, plutot que la recompense d'apres les merites? [59].

  A022000459 

 Cela convient, en effet, à la bonté de Dieu (bien qu'il ne convienne pas à la justice de Dieu de damner quelqu'un en lui refusant les moyens, à lui, dis-je, nécessaires: en effet, qu'importe si ces moyens suffisent à d'autres, non à ceux dont il s'agit? Cela ne convient pas davantage à sa puissance, attendu que la puissance de Dieu se manifeste tout autant, et même davantage, en sauvant qu'en damnant).

  A022000459 

 Il est probable que Dieu, dans sa très grande bonté, en a ordonné plusieurs à la gloire en leur accordant un moyen plus puissant, lesquels, s'il leur en avait concédé seulement un moindre et ordinaire, n'auraient pas agi convenablement.

  A022000459 

 Mais on ne peut supposer que tous aient été appelés de la façon dont nous parlions tout-à-l'heure..

  A022000460 

 La damnation (plus encore que le salut) de quelqu'un en dehors de démérites de sa part ne convenant ni à la justice de Dieu ni à sa puissance, il est déraisonnable d'admettre le mode de réprobation que certains admettent.

  A022000461 

 Ce qui la renforce considérablement, c'est ce que j'ai noté à la cinquième remarque, ci-dessus, que si l'une des propositions est vraie, l'autre l'est également, et aussi d'innombrables preuves qui pourraient être apportées.

  A022000461 

 On peut très bien faire davantage ressortir la force de tout ce qui a été dit jusqu'ici, en faveur de l'opinion admettant que les hommes, et aussi les anges, sont damnés et sauvés suivant la prévision de leurs démérites et de leurs mérites.

  A022000461 

 Or, le P. Gesualdi, de l'Ordre des Mineurs Conventuels, homme savant et pieux, a [61] enseigné que la damnation n'a pas lieu sans la prévision des péchés.

  A022000461 

 Si, en effet, il est vrai que les hommes ne sont pas damnés en dehors de la prévision [de leurs démérites], comme d'un autre côté il faut, [pour les adversaires,] pouvoir répondre à l'autorité tirée de l'Epître aux Romains, il reste que l'opinion que nous avons énoncée est inébranlable.

  A022000476 

 Il y a un passage quelque part dans l'Ancien Testament, où le Prophète, prédisant la future rédemption du Christ, affirme qu'il [63] ne faudra plus dire alors que les pères ont mangé de mauvais raisins et que les dents des fils en ont été agacées; parce que, dit-il, le Christ arrivant, le fils ne portera pas l'iniquité du père, mais c'est l'âme pécheresse qui mourra d'elle-même..

  A022000479 

 Courage, petit serviteur, indigne certes, mais fidèle; puisque tu as espéré en moi, ayant confiance en ma miséricorde, et p arce que tu m'as été fidèle en peu de choses (à savoir, en me glorifiant par la souffrance et par la damnation, s'il me plaisait ainsi), je t'établirai sur beaucoup; et parce que tu as voulu glorifier mon nom, même en souffrant, s'il en était besoin (bien qu'en cela, cette glorification et l'exaltation de mon nom qui n'est pas «damnateur», mais «SAUVEUR», soient petites), je t'établirai sur beaucoup, afin que tu me loues dans la perpétuelle béatitude où la gloire rendue à mon nom est abondante.

  A022000479 

 En effet, quoique je ne doute pas que les choses que j'ai écrites ne soient vraies, parce que je n'y vois rien qui puisse former un doute solide au sujet de leur vérité; cependant, parce que je ne vois pas tout et qu'un mystère si profond est trop brillant [64] pour pouvoir être regardé en face par mes yeux de chouette, si, dans la suite, le contraire apparaissait (ce qui, je pense, n'arrivera jamais); bien plus, si je me savais damné (que cela n'arrive pas, Seigneur Jésus!) par cette volonté que les thomistes placent en Dieu afin que Dieu montre sa justice, frappé de stupeur et levant les yeux vers le Juge suprême, volontiers je dirais avec le Prophète: Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu? Amen, Père, parce qu' il vous paraît bon ainsi; que votre volonté soit faite.

  A022000479 

 Et je dirais cela tant de fois dans l'amertume de mon cœur, jusqu'à ce que Dieu, changeant ma vie et sa sentence, me réponde: Aie confiance, mon fils, je ne veux pas la mort du pécheur, mais plutôt qu'il se convertisse et qu'il vive.

  A022000479 

 Ma volonté n'est autre que ta sanctification, et mon âme ne hait rien de ce qu'elle a fait.

  A022000479 

 Par moi-même j'ai juré: parce que tu as fait cela, c'est-à-dire, parce que tu as préparé ton cœur à obéir à ma justice, et que tu ne t'es pas épargné, acquiesçant à ma volonté, même jusqu'à la géhenne à cause de moi, je te bénirai d'une perpétuelle bénédiction, et tu entreras dans la gloire de ton Seigneur..

  A022000479 

 Pourquoi ton âme est-elle triste, et pourquoi se trouble-t-elle? Espère en Dieu, parce que tu le loueras encore; il est le salut de ta face [65] et ton Dieu.

  A022000479 

 Tu n'es pas mort, mais tu dors; ton infirmité n'a pas pour but la mort, mais que, converti, tu glorifies Dieu.

  A022000480 

 Mon âme ne vous sera-t-elle pas soumise? car c'est de vous que vient mon salut.

  A022000480 

 O Seigneur, parce que je suis votre serviteur, qu'il me soit fait selon votre parole: Je ne veux pas la mort du pécheur, mais plutôt, qu'il se convertisse et qu'il vive.

  A022000498 

 En ce poinct, que mourant c'il soymesme s'oublie.

  A022000514 

 En ce qui concerne la cohabitation, il est très difficilement dissous, parce que ce qui était un pur contrat chez ces nations qui n'ont pas connu Dieu et n'ont pas invoqué le saint nom de Dieu, et ce qui n'était consenti que par un simple engagement, est aujourd'hui un très auguste Sacrement par le Christ notre Seigneur, à qui, ainsi qu'au Père et à l'Esprit-Saint, soit louange, honneur, puissance; et à notre Bienheureuse Dame la Vierge Marie, Mère de Dieu, aux saints Apôtres Pierre et Paul, dont aujourd'hui même la mémoire est célébrée dans toute l'Eglise, à raison de la chaire de [69] saint Pierre [à Antioche]; aux saints Fabien et Sébastien, martyrs; aux saints Joseph, François et Bonaventure, confesseurs.

  A022000532 

 Gloire à Dieu très bon, très grand, au Christ Jésus et à Notre-Dame la Vierge Marie, sa très puissante Mère (nous avons [70] commencé à célébrer la solennité et la Vigile de son Annonciation et de sa salutation par l'Ange), aux saints Pierre, Paul, Fabien, Sébastien, François, Bonaventure, mais spécialement au grand saint Joseph et à l'archange Gabriel qui annonça que le Verbe s'était resserré dans le sein très sacré de la Vierge; gloire à lui! Amen..

  A022000543 

 Et cela, avec tant de précision et de concision, que j'ai trouvé inutile de recueillir les principales de ces notes, car toutes sont principales et aucune n'est inutile; d'autant plus qu'à ce travail minutieux, j'ai, au début de notre apprentissage, consacré de bonnes heures.

  A022000563 

 J'ai achevé, par la volonté de Dieu et avec la protection de la Très Sainte Mère de Dieu et de mes saints Patrons, ces petites notes sur les Pandectes, très légères par elles-mêmes, mais assez [72] pénibles et laborieuses pour moi, novice, l'an 1591 après le salutaire Enfantement de la Vierge, au mois de juillet, le dixième jour, mémorable par le tremblement de terre que nous avons perçu à cinq heures et demie de l'après-midi, et par la solennité des sept Saints Frères..

  A022000564 

 Les Princes Italiens et Germains lèvent des troupes guerrières; déjà l'Anglais, l'Espagnol, le Français, ayant tiré le glaive, troublent l'air et la terre de gémissements et de sang; les royaumes d'Ecosse, d'Angleterre, de Danemarck sont tombés dans l'horrible gouffre des hérésies, ainsi que ceux de Pologne, de Hongrie, de Bohème; et, ce qui est au-dessus de toute douleur, nous voyons et contemplons avec larmes la couronne autrefois très chrétienne de France prête à se placer [73] sur la tête d'un hérétique, ou plutôt penchée vers un désastre lamentable!.

  A022000565 

 Pourquoi aimez-vous le mensonge connu par l'expérience de la promesse non gardée? Pourquoi recherchez-vous et aimez-vous le mensonge qui vous causera tant de déceptions dans l'avenir? que reste-t-il donc? Et la terre a été remuée.

  A022000588 

 De la Souveraine Trinite et de la Foi catholique que personne ne doit se permettre d'en discuter en public.

  A022000592 

 Etant donné que tout pouvoir appartient à Dieu et s'appuie avec raison sur le Dieu de sagesse comme sur un fondement, selon ce mot du Sage: C'est par moi que régnent les rois (L. IV), et celui-ci: «De Jupiter vient le principe du pouvoir,» et que d'autres preuves majeures puissent être mises en avant, c'est avec raison que l'Empereur commence par cette considération le texte qui [75] contient les constitutions destinées à maintenir et sanctionner intégralement la dignité de la vraie foi..

  A022000593 

 Mais parce que, à cette époque, la foi catholique au sujet du très auguste mystère de la Trinité était attaquée par les hérétiques, et que ces mêmes hérétiques méprisaient l'autorité du Saint-Siège Apostolique et des Conciles catholiques, il pose comme premier titre du premier Livre: «DE LA SOUVERAINE TRINITE ET DE LA FOI CATHOLIQUE.» Et il donne à cette Trinité le nom de «Souveraine» parce que, comme il y a plusieurs trinités dans les choses créées (car trinité désigne non l'unité, mais la réelle distinction des trois parties), il emploie le mot «Souveraine» quand il parle de la Trinité divine, parce que les autres sont infimes en comparaison de celle-ci.

  A022000594 

 Or, la foi appelée «catholique» est celle qui, en raison tant des [76] lieux que des hommes et des temps, est universelle et sans limites, c'est-à-dire, qui à toutes les époques, depuis qu'elle a commencé, et en tous lieux, fut enseignée et confessée par tous les Chrétiens (car la différence du catholique de l'hérétique existe seulement parmi ceux qui professent la loi chrétienne)..

  A022000595 

 Quant à ces paroles ajoutées: «QUE PERSONNE NE SE PERMETTE D'EN DISCUTER EN PUBLIC,» voici comment il faut les entendre: il n'est pas permis de discuter de la foi, puisqu'il nous est défendu d'être contentieux, c'est-à-dire de nous attacher à notre opinion personnelle avec obstination et verbeusement.

  A022000596 

 Donc, tout homme «doit appartenir» à cette «religion» que professe le successeur de Pierre et qu'il est prouvé que Pierre a transmise aux Romains: elle consiste à vénérer la Trinité dans l'Unité et l'Unité dans la Trinité.

  A022000596 

 Seuls, les chrétiens «qui suivent cette loi» doivent être appelés Catholiques; les autres ne méritent que le nom d'insensés et de «fous.» De même, que les [77] hérétiques soient appelés «infâmes», et qu'ils soient punis par le Prince selon l'occurence.

  A022000597 

 «Que nulle occasion ne soit donnée aux hérétiques d'exercer la folie de leur esprit obstiné; qu'il ne soit accordé aucun ministère aux hérétiques;» combien moins la dignité royale.

  A022000598 

 Or, les mots de l'Empereur: «Lui que nous espérons et que nous recevons du souverain Père de toutes choses,» ne confirment pas cette opinion des Grecs, que le Saint-Esprit procède du Père seulement, puisqu'elle n'est apparue que plusieurs siècles après; mais il parle de la réception de la grâce du Saint-Esprit, car il est dit ainsi, que l'Esprit-Saint est donné aux hommes par le Père au moyen du Fils, que le Père enverra en mon nom.

  A022000598 

 Que la foi du Concile de Nicée «soit honorée partout.» Donc, ce Concile proclame «le Christ Fils de Dieu, Dieu de Dieu» et «Lumière sortie de la Lumière,» et il honore de même et vénère le Saint-Esprit.

  A022000599 

 La troisième Loi interdit entièrement les contentions au sujet de la foi, parce que l'homme contentieux est perfide et cherche à briser l'unité de la foi.

  A022000601 

 Il professe que «le Fils de Dieu est consubstantiel au Père selon la Divinité, et à nous selon l'humanité;» et aussi que la bienheureuse Vierge Marie est vraiment et proprement la Mère de Dieu, car c'est d'elle que le Fils de Dieu, «né du Père avant les siècles, s'est incarné» dans le temps «par le Saint-Esprit.».

  A022000603 

 «Il est juste que» ceux qui n'obéissent pas aux décisions du Souverain Pontife «soient considérés par l'Eglise comme bannis;» cependant, «l'Eglise ne ferme jamais son sein à ceux qui reviennent.» (L. VI.).

  A022000632 

 Que les écrits des hérétiques soient brûlés; L. VIII. Que le [80] nom dont on désigne les hérétiques soit tiré du nom de l'auteur (le l'hérésie et non de celui du Christ; comme on dit Calvinistes, du nom de Calvin. L. VI..

  A022000638 

 — Venez, briseurs d'images! — Que celui qui contrevient à cette Loi soit condamné à la peine capitale..

  A022000640 

 EST PRÉCIEUSE COMME DE L'OR ET DIGNE DE LETTRES MAJUSCULES LA IX e Loi, où l'on trouve ceci: QUE SOIENT PUNIS DU FEU LES FAMILIERS DU PRINCE, S'ILS PERSÉCUTENT LES HABITANTS DES PROVINCES..

  A022000657 

 Bien que je me rende assez compte en moi-même de quelle importance il est pour ma réputation de vous adresser autant que je le puis les très vifs remerclments qu'exige de moi le saint et sacré bienfait que vous m'accordez aujourd'hui, Révérendissime Vicaire général, vénérable Prieur, Pères conscrits: [82] cependant, ne me sentant pas capable de vous les présenter tels qu'il le faudrait et connaissant les graves occupations qui vous empêchent d'y prêter une longue attention, plus soucieux de vos intérêts que de ma propre renommée, je me serais volontiers abstenu de ce devoir de reconnaissance.

  A022000657 

 Mais j'estime que mon silence, en ce heu et dans cette circonstance qui le condamneraient, serait de tel effet qu'il nuirait autant à votre réputation qu'à la mienne.

  A022000657 

 Si, en effet, cette très noble assemblée me jugeait trop négligent, ingrat et faible d'esprit pour ne point reconnaître une faveur si actuelle et si grande, que penserait-elle des juges qui ont porté de moi, à l'instant, un si glorieux jugement?.

  A022000658 

 En effet, les autres avantages ne sont que les ornements de la fortune ou de la personne; mais seul celui du doctorat est l'ornement du mérite [83] lui-même, qui d'ailleurs est, de soi, fort glorieux; et j'estime cet honneur d'autant plus grand et éclatant que ce n'est pas seulement une couronne de laurier que ce Collège m'a conférée, mais le laurier lui-même: car il ne m'a pas fait docteur seulement, mais il m'a rendu digne de le devenir et d'en porter le titre..

  A022000658 

 J'irai donc au devant de ces pensées que l'on pourrait former à votre sujet et au mien.

  A022000658 

 Je reconnais, honorables Auditeurs, que ce bienfait qui m'a été conféré par ces Pères éminents est de telle sorte qu'on n'en peut attendre de plus grand en cette vie.

  A022000659 

 C'est là que je me suis appliqué d'abord aux belles-lettres, puis à toutes les parties [84] de la philosophie, avec d'autant plus de facilité et de fruit que ses toits, pour ainsi dire, et ses murailles semblent philosopher, tant elle est adonnée à la philosophie et à la théologie..

  A022000659 

 Mais aujourd'hui, hélas, quel changement! Cette école de Paris, mère illustre des lettres, est désolée par les terreurs de la guerre et, à première vue (que Dieu écarte ce malheur!), est sous la menace de devenir déserte.

  A022000661 

 Ensuite, cette Université eut le très docte Otellio qui sait si bien assaisonner d'agrément la science la plus solide, qu'il semble, sachant «unir l'utilité à la douceur,» avoir «emporté tous les suffrages.» Un autre maître était le très excellent Castellano [87] dont l'enseignement, à mon avis, n'est si extraordinaire que parce que sa science est, comme son enseignement, en dehors et au-dessus de l'ordre et de l'intelligence ordinaires.

  A022000662 

 Grâce à presque tous ces maîtres, Pères, tout ce que je possède de science civile est dérivé de votre Collège jusqu'à moi, et vous l'avez jugée telle que, par votre sentence, vous l'avez déclarée suffisante pour m'acquérir la couronne de laurier, et cette sentence [88] devient un jugement définitif.

  A022000662 

 J'ai donc reçu deux bienfaits de cette école, et je ne sais quel est le plus grand, mais je n'ignore pas que tous deux sont très grands; c'est à savoir, que je suis docteur et que j'ai eu le moyen de le devenir..

  A022000663 

 Tel que je suis, je me dois tout entier, honorables Auditeurs, à ce très célèbre et savant Collège: je l'atteste, je le proclame..

  A022000664 

 O Loi éternelle, Règle de toutes lois, donnez-moi pour loi le chemin de vos justifications au milieu de mon cœur; car, bienheureux est celui que vous avez instruit, Seigneur, et à qui vous avez enseigné votre loi.

  A022000689 

 Ainsi je détachais quelques extraits des Titres du troisième Livre, l'an 1591; au mois de septembre, le 17me jour, jour rendu mémorable par les Stigmates du saint Père François, je fus forcé [90] d'abandonner ce travail, et je l'abandonne jusqu'à ce que Dieu me donne loisir et commodité.

  A022000696 

 A notre chagrin d'avoir dû [92] interrompre notre voyage à Rome, que nous regrettions beaucoup, se mêlait la joie de pouvoir poser le pied, sains et saufs, sur la terre ferme..

  A022000696 

 Le lendemain, ayant entendu le saint Sacrifice de la Messe, comme nous avions résolu de nous diriger vers Rome, par crainte des brigands qui, disait-on, avaient élevé leur nombre jusqu'à mille et dévastaient [91] terriblement toute la plage d'Ancône, principalement les chemins menant à Rome, nous retournâmes, bien malgré nous, à l'endroit d'où nous étions venus; puis, grâce à un léger détour, nous vîmes à Sirolo l'image du Christ Notre-Seigneur suspendu vivant à la Croix, que l'on dit peinte par saint Luc. Bientôt [nous atteignions] Ancône, nous étant servis du même navire sur lequel nous avions été précédemment portés; et toujours sur la même heureuse embarcation de Chioggia, mais par une traversée beaucoup plus pénible, après avoir bien payé les frais du voyage, nous débarquâmes le 5 novembre, vers le soir, aux colonnes de la grande place de Saint-Marc.

  A022000697 

 C'est pourquoi, obligés de retourner, au port de Césène nous apprîmes, au milieu des applaudissements universels, bien que la nouvelle ne fut pas encore certaine, l'élection au souverain Pontificat, du Cardinal des Quatre-Couronnés, ou Facchinetti, bolonais.

  A022000697 

 Ce qui surtout rendit incommode et périlleux notre voyage à Rome par le territoire d'Ancône, c'est que le Souverain Pontife Grégoire XIV, longtemps victime d'une longue et dangereuse maladie, avait dit adieu à la vie; nouvelle que nous apprîmes d'abord par un rapport certain au moment même où nous entrions à Ancône.

  A022000697 

 De plus, monsieur Jean Déage, mon vénérable précepteur, mon frère [93] Gallois et moi, nous n'avions l'habitude de voyager qu'à cheval: or, à nous trois, il ne nous restait que la somme de vingt-huit couronnes, et les courriers, ainsi que les guides, refusaient de nous accorder des montures à moins de trente couronnes.

  A022000697 

 La chose nous fut ensuite confirmée à Chioggia, en partie par la joyeuse sonnerie des cloches, en partie par ce que disaient les habitants, et, à Venise, nous sûmes qu'il avait pris le nom d'Innocent IX. [94].

  A022000698 

 Fasse le Dieu très bon et très grand que, sous ses auspices pour longtemps désirés, l'Eglise catholique universelle, et surtout celle de France, éprouve cette tranquilité qui lui permette de vivre si bien et si heureusement, que les peuples catholiques, délivrés du bras de leurs ennemis, puissent, da ns la sainteté et la justice, servir tous les jours de leur vie Celui «à qui servir c'est régner».

  A022000700 

 A ce moment, reprenant la course que j'avais commencée de faire précédemment à travers tous les Titres du Droit, je suis tombé [95] sur celui qui est mentionné plus haut: Des créances et du serment.

  A022000700 

 J'ai décidé alors de ne plus prendre en note ce qui se trouve sous des titres semblables (livre XII des Pandectes ); sinon ceci, que peut-être cette partie du titre: Des créances, a été ajoutée, de peur, sans doute, que le Code du seigneur Justinien, privé d'un titre si noble, ne semblât inférieur, du moins en apparence, aux livres des Pandectes de nos jurisconsultes.

  A022000700 

 L'ayant parcouru et n'ayant rien trouvé qui se rapportât aux créances, car tout y traite uniquement du serment, j'ai été étonné de voir que la porte était plus grande que tout l'édifice.

  A022000721 

 Or, elle n'est pas obligée, même pour son fils, le Sénatusconsulte Velléien ne lui permettant pas de s'obliger; Loi III. Elle n'en reçoit pas non plus de secours quand elle promet de doter sa fille; Loi XII. C'est cette Loi que, par voie de tirage au sort, m'attribua pour mon examen solennel le Collège de Padoue, en cette année, le 5 septembre, messire Quarantotto étant Prieur..

  A022000723 

 Et il y a d'autres cas dans la glose de la dernière Loi, glose que j'ai rapportée en expliquant la Loi dans mon examen.

  A022000762 

 C'est ce qu'avait fait pour moi ma très bonne et très chère mère lorsqu'elle n'avait encore que moi comme seul et unique fils; dans la suite, pourtant, cette donation fut révoquée, non par une diminution de son amour maternel, mais parce qu'il m'était survenu des frères, que Dieu bénisse: notre commune et très sage mère a jugé que, de même qu'elle ne les préférait pas à moi, ainsi elle ne me préférait pas à eux..

  A022000762 

 ..............................La mère, pendant le mariage, peut donner à son fils, pourvu toutefois que rien ne soit acquis au mari.

  A022000763 

 Que le Tout-Puissant lui accorde, selon sa grande miséricorde, la bénédiction du ciel en haut, la grâce et la gloire................................................................................. [99].

  A022000767 

 Elle contient le droit de faire l'inventaire, de peur que l'héritier ne soit obligé au-delà de ses capacités d'hoirie.

  A022000767 

 La dernière Loi est celle que l'on appelle «bienfaisante».

  A022000767 

 Mais tu observeras que l'inventaire doit être précédé du vénérable signe de la Croix..

  A022000774 

 Fatigué de mes efforts et de l'étude de chaque Titre, j'ai renoncé à continuer la course commencée, et je l'interromps, jusqu'à ce que Dieu me fasse de nouveaux loisirs; et j'aurais passé au Titre [100] des Novelles si, de la même façon, Jacques Cujas n'avait fait pour cette partie du Droit des remarques très brèves, selon sa coutume..

  A022000803 

 Combattre l'ennemy spirituel et mortifier ses inclinations n'est autre que les rejetter et n'en fayre nomplus d'estat que si elles estoit ( sic ) mortes ou n'estoit poinct; a quoy chascun doit mettre grand peyne, nostre nature estant tellement corrompue qu'elle nous va quasi tous-jours mouvant au mal fayre en toutes sortes de vacations que nous puyssions suyvre; et partant, chascun la doit vaillamment combattre et mortifier ses mouvemens..

  A022000812 

 François, tu te dois souvenir que Dieu t'a faict beaucoup de misericordes le dix neufviesme de may 1593, par les intercessions du glorieux saint Celestin, protecteur de ta retraitte preparatoire aux Ordres..

  A022000820 

 Il me semble, en effect, que mon zele se soit changé en une fureur pour mon Bienaymé; et je dois redire souvent ces petitz vers: [104].

  A022000832 

 «Le vingt-cinquiesme de may 1595, jour auquel l'Eglise solemnise la feste du Corps de nostre Sauveur et Redempteur Jesus-Christ, à trois heures du matin, comme il meditoit profondement sur le tres-sainct et tres-auguste Sacrement de l'Eucharistie, il se sentit ravy à une si grande abondance de suavité par le Sainct Esprit,...que son cœur se laissant aller par trop de delices, il fut en fin contrainct de se jetter par terre...» Il y «demeura assés de temps prosterné de son long et criant:».

  A022000842 

 Plus claire mille fois que n'est le beau soleil.

  A022000844 

 Et que cest univers il regarde a plein œil..

  A022000850 

 Cœur si plein de splendeurs, que mesme il les espanche.

  A022000851 

 Dessus tous tes habitz, que mesm'il a fait voir.

  A022000862 

 Remarques que le pris d'une telle couronne.

  A022000863 

 Ne peut estre gaigné que par l'humilité..

  A022000871 

 Que ton cors est [en] ce lieu..

  A022000897 

 Quil faut aymer tous ce que represente.

  A022000905 

 En vostre cœur ce que vous represente.

  A022000947 

 Et premierement, quant a l'exterieur, FRANÇOIS DE SALES, Evesque de Geneve, ne portera point d'habitz de soye ni qui soyent plus pretieux que ceux qu'il a portés par cy devant; toutesfois ilz seront netz et bien proprement accommodés autour de son cors..

  A022000948 

 Il ne portera point a ses piedz d'escarpins avec les mules ou galoches, tant parce que cela ressent la vanité du monde, que parce qu'il est defendu par les Statutz de son Eglise..

  A022000949 

 En la mayson, en l'eglise et par la ville, autant que la commodité le luy permettra, il portera tousjours son bonnet carré..

  A022000950 

 Il ne portera au doigt que le seul anneau qu'on appelle pastoral, et que les Evesques doivent porter pour marque de l'alliance qu'ilz ont contractee, et qui les tient liés et obligés a leur Eglise non moins estroittement que les maris a leurs espouses..

  A022000953 

 Ilz seront habillés a la Romaine, s'il se peut faire, avec toute sorte de modestie, ou bien comme les prestres du Seminaire de Milan, parce que ceste sorte d'habillement couste moins et est plus commode.

  A022000957 

 Chacun benira la table a son tour et dira pareillement les Graces, excepté les testes solemnelles; car alhors l'Evesque fera la benediction et l'action de grace, comme aussi tous les jours il dira l'orayson: «Seigneur, benisses nous,» parce que le moindre doit recevoir la benediction du plus grand.

  A022000958 

 Il faudra tascher que les aumosnes qu'on distribuera aux Freres Mineurs, aux Jacobins, aux Capucins, aux Religieuses de Sainte Claire et a l'Hospital soyent remarquees, tant pour l'exemple que pour une plus grande efficace envers le peuple.

  A022000958 

 Je ne sçay s'il seroit expedient que l'Evesque baillast l'aumosne de sa main propre, quand il verroit que cela se pourrait faire commodement: comme le mercredy de la grande Semayne, ou le Jeudy Saint et le Vendredy Saint de la [118] Passion.

  A022000958 

 Le Jeudy Saint, au Mandat, on baillera a disner aux pauvres devant que leur laver les piedz, ou bien apres, si le Mandat se fait de matin, comme feu Monseigneur le Reverendissime le faysoit.

  A022000958 

 Quant à l'aumosne, il faudra observer les jours que feu Monseigneur le Reverendissime avoit choysis, affin qu'elle se fasse publiquement; il faut tascher qu'elle soit plus grosse en hiver qu'en esté, principalement despuis la feste des Roys, car alhors les pauvres en ont plus de besoin; et pour ce, l'on distribuera des legumes.

  A022000959 

 Le jour de la feste, le Dimanche dans l'octave et le jour de l'octave il fera la Benediction dans l'eglise des Religieuses de Sainte Claire, tant affin de les consoler, que parce que ceste eglise est coustumierement toute pleyne de peuple, et que c'est la derniere Benediction qui se fait en la ville..

  A022000964 

 Apres la Messe, en laquelle il se comportera avec une douce gravité, ne parlera avec personne; au moins en allant a la Messe, et principalement d'affaires seculieres, affin que l'esprit soit entierement recueilly en soy mesme.

  A022000964 

 Il ne sera point mal a propos que les jours qu'on appelle de devotion, il celebre la Messe es eglises ou elle sera, affin que le peuple y venant treuve tousjours son Evesque en teste: comme les festes solemnelles de ces eglises et quand il y a des Indulgences.

  A022000966 

 Il se confessera de deux en deux ou de troys en troys jours, sinon que la necessité portast autrement, vers le plus capable confesseur qu'il pourra commodement avoir et lequel il ne changera sans necessité.

  A022000967 

 Outre les jours de jeusne que l'Eglise a commandé, il jeusnera toutes les veilles des festes de Nostre Dame et tous les jours de vendredy et samedy..

  A022000968 

 Et renouvellera tous les bons propos et desseins que Dieu luy avoit baillés; et pour cest effect, il relira, devant que se presenter a la confession, les memoyres de toutes ses resolutions et les remarquera derechef, affin qu'il puisse adjouster ce que l'experience luy aura appris.

  A022000968 

 Le tems de ceste recollection ne peut pas bonnement estre determiné, sinon que les semaynes de carnaval semblent y estre propres, tant pour n'estre pas tesmoin de l'insolence et dissolution du peuple, que pour sortir du desert a la predication et aux grandes œuvres, a l'imitation de nostre Sauveur et Redempteur Jesuschrist et de son Precurseur saint Jean Baptiste.

  A022000968 

 Si toutesfois il y avoit esperance de retirer le peuple de ceste dissolution par quelque notable exercice (dont il sera parlé es articles de la republique), alhors il faudra choysir pour ceste recollection quelqu'une des semaynes qui sont entre Pasques et Pentecoste, affin que l'Esprit de Dieu que l'on y aura acquis, opere le bien de ces festes solemnelles et Octave du tressaint Sacrement; pour ce encor, qu'alhors on est moins pressé d'affaires, et que la sayson est fort propre pour la purgation de l'ame aussi bien que du cors, voyre que la [125] purgation du cors pourra servir de praetexte a la purgation de l'ame..

  A022000980 

 Comme aussi, pour celebrer plus devotement la sainte Messe, je m'occuperay, jusques a ce que je sois a l'autel, dans toutes les considerations et affections par lesquelles la pieté peut estre excitee envers ce grand mystere..

  A022000980 

 Je produiray force oraysons jaculatoires pendant la journee, selon que le Saint Esprit m'inspirera.

  A022000980 

 Le matin, apres que j'auray invoqué Dieu, et m'y seray dedié, je feray une heure de meditation, selon que je l'auray premedité.

  A022000981 

 C'est en ceste retraitte ou on [126] regarde le Ciel de bien pres et ou on trouve la terre bien esloignee de ses yeux et de son goust; et lhors que les saintes ames qui sont engagees pour le publiq ne peuvent jouir de ceste felicité, elles font un cabinet dans leur cœur, ou elles vont estudier la loy de leur Maistre et la reçoivent de sa propre main.

  A022000981 

 C'est par la prattique de cest exercice que nous apprenons si nous advançons a la vertu; en un mot, c'est en ce tems et en ce lieu ou l'on prend les saintes et solides resolutions de vivre selon les lois de la veritable et eternelle sagesse..

  A022000981 

 De plus, en ceste montaigne, qui est si eslevee qu'on n'y entend point le bruict des creatures, on gouste, comme dit le Prophete, que Dieu est doux et suave.

  A022000988 

 Prie premierement Dieu tout puissant de recevoir mon ame a merci et luy faire part de l'heritage eternel que nostre Redempteur nous a aquis en son sang..

  A022000990 

 3 nt Sil playsoit a la Providence divine que la tressainte et uniquement veritable religion Catholique, Apostolique et Romaine fut restablie en la cite de Geneve lhors de mon trespas, j'ordonne, qu'en ce cas la, mon cors soit [127] enterré en mon Eglise cathedrale.

  A022000990 

 Que si, en ce tems-la, ladite sainte religion ny est pas restablie, j'ordonne que mon cors soit enterré au milieu de la nef de l'eglise de la Visitation que j'ay consacree en cette ville; sinon que je mourusse hors de mon diocaese, auquel cas je laisse le choix de ma sepulture a ceux qui lors seront aupres de moy, a ma suite.

  A022000991 

 4 nt Appreuvant de tout mon cœur les sacrees ceremonies de l'Eglise, j'ordonne qu'a mon ensevelissement treze cierges allumés et flambans soient portés et mis autour de mon cercueil, sans autres escussons que ceux du nom de JESUS, pour tesmoigner que, de tout mon cœur, j'embrasse la foy preschee par les Apostres.

  A022000991 

 Mais d'ailleurs, detestant les vanités et superfluités que l'esprit humain a introduites es sacrees ceremonies, je defens tres expressement toute sorte d'autre luminaire, quel quil soit, estre fait en mes obseques; priant mes amis et parens, et ordonnant a mes heritiers de ne rien y adjouster, et employer leur pieté envers moy a faire des prieres et aumosnes, et sur tout a faire celebrer les tressaintes Messes pour moy..

  A022000992 

 5 nt Je fais, cree et institue mes heritiers universelz en tous les biens immeubles, noms et actions qui m'appartiennent ou peuvent appartenir, procedés et parvenus a moy de la part de mes Pere et Mere, de messire Bernard de Sales, mon frere, de dame Marie Aymee de Rabutin, ma belleseur, a sçavoir: Messire Jean [129] François de Sales, mon frere, chantre et chanoyne de mon Eglise, et mon Vicaire general, pour la tierce part; les enfans masles de feu Galois de Sales, mon frere, en son vivant seigneur de Boysi et du Villars Roget, pour la tierce part; et messire Louys de Sales, Baron dudit lieu et de Thorens, seigneur de la Thuille, Chevalier au magnifique Conseil de Genevois, pour l'autre tierce part: les trois faysans le tout, a condition que mesdits heritiers ni les leurs ne viendront jamais a conte ni deconte, ni ne s'entredemanderont jamais aucune chose les uns aux autres pour les substitutions faites entre eux et moy par feu nos Pere et Mere..

  A022000993 

 6 nt Je laisse et donne par praelegat et institution particuliere au susnommé messire Jean François de Sales, mon Vicaire general, tous mes autres biens meubles et tous mes autres moyens de quelle nature qu'ilz soyent, a la charge neanmoins qu'il les distribue et departe exactement comme je luy ordonne par un memorial que je luy en ay fait a part, chargeant de cela sa conscience en laquelle je me fie..

  A022001005 

 En foy dequoy ay signé ce que dessus et apposé mon seel accoustumé, ce vint et neuf novembre mille six cens dixsept..

  A022001006 

 Nous soubsignés, certifions a tous quil appertiendra, que nous avons estés priés, appellés et requis de Monseigneur le Reverendissime François de Sales, Evesque et Prince de Geneve, de signer et sceller cette carte qui est son testament solemnel et par escrit..

  A022001023 

 Nous Philibert Roges, docteur en theologie, Chanœnne de Geneve, Vicayre et Officiai substitut de l'Eveché de Geneve, certifions a tous qu'il appartiendra, qu'en l'an et jour et lieu sus escript, a comparu par devant nous Monseigneur le Reverendissime FRANÇOYS DE SALES, Evesque et Prince de Geneve, lequel, en presence des tesmoins sus nommés et signés, nous a dict et declaré avoir faict son testement et ordonnance de derniere volonté, comm'ell'est dans la presente carte escripte de sa main et soubsigné, comm' il nous a declayré en presence desdits tesmoins, vouliant et entendant que sadite volonté escripte en cette ditte carte sorte son plain et entier effaict a l'advenir, par tous meilleurs moiens qui se peuvent faire, de droict et de coustume; priant lesdits tesmoins vouloir estre recors par cy appres, si besoingt est, de ladite declaration par luy faicte, nous requerant de mesme luy vouloir octroier acte de ses requisions ( sic ): ce que luy avons accordé..

  A022001033 

 Prions premierement Dieu tout puissant de recevoir nos ames a mercy, et leur faire part de l'heritage eternel que nostre Redempteur nous a acquis en son sang..

  A022001035 

 Que si en ce tems laditte sainte religion n'y est pas restablie, Nous ordonnons que nos cors soyent enterrés au milieu de la nef de l'eglise de la Visitation (que Nous, Evesque de Geneve, avons consacree en cette ville); [134] sinon que nous mourussions hors du diocese, auquel cas Nous laissons le choix de nostre sepulture a ceux qui pour lhors seront aupres de Nous, a nostre suitte..

  A022001035 

 Troysiesmement, s'il playsoit a la Providence divine que la tressainte et uniquement veritable religion Catholique et Apostolique Romaine fust restablie en la cité de Geneve lhors de nos trespas, Nous ordonnons qu'en ce cas nos cors soyent enterrés en nostre Eglise cathedrale.

  A022001036 

 Mais d'ailleurs, detestans les vanités et superfluités que l'esprit humain a introduites es sacrees ceremonies, nous defendons tres expressement toute sorte d'autre luminaire, quel qu'il soit, estre fait en nos obseques, priant nos parens et amis et ordonnant a nos heritiers de ne rien y adjouster, et employer leur pieté envers Nous a faire des prieres et aumosnes, et sur tout a faire celebrer les tressaintes Messes pour Nous..

  A022001036 

 Quatriesmement, appreuvans de tous nos cœurs les sacrees ceremonies de l'Eglise, Nous ordonnons qu'a nostre ensevelissement treize cierges seront allumés, portés et mis autour de nos cercueilz, sans autres escussons que ceux du nom de JESUS, pour tesmoigner que de tous nos cœurs Nous embrassons la foy preschee par les Apostres.

  A022001039 

 A nobles Sebastien, Amé, Louys, Jean Anthoyne et Bernard, enfans de feu messire Gallois de Sales, seigneurs de Boysi et de Villaroget, nos neveux, la somme de deux mille escus d'or sol, ensemble tout ce que Nous pouvons pretendre sur les biens qu'ilz possedent..

  A022001040 

 Lesquelz legatz Nous ordonnons estre payés une annee apres le deces du dernier mourant de Nous deux, et les deux cens florins de nostre frere le Chevalier tous les ans, par semblable jour que le dernier de Nous mourra; sauf que, quant au payement desditz deux mille escus legués a nos neveux, il sera loysible au sieur Baron de Thorens, nostre frere et heritier, d'en faire payement par la cession et transport de semblable somme qui luy est deuë et qui luy doit estre payee apres la mort du seigneur Baron de Cusy son beaupere; laquelle cession lesditz legataires seront tenus d'accepter pour payement, leur maintenant ledit sieur Baron de Thorens semblable somme luy estre bien deuë et exigeable, ou autrement il demeurera chargé dudit legat..

  A022001040 

 Moyennant quoy, lesditz legataires ne pourront demander aucune chose, quelle qu'elle soit, et particulierement lesditz sieurs de Boysi, ni sur nos heritages, ni sur les biens de La Thuille, Sales, Thorens et leurs dependances, sous pretexte d'aucun partage definitif, allegation de moindre lot, payement d'aucune somme a laquelle Nous leur soyons obligés, ou autrement comme que ce soit; ordonnons qu'ilz nous en tiennent quittes a nostre heritier sousnommé, et que les partages provisionnelz [136] faitz entre nos freres, de nos biens et des leurs, a forme qu'ilz les ont ci devant possedés a part et posseèdent encor a present, tiennent definitivement et perpetuellement, et qu'ilz ne viennent jamais a conte ni deconte, ni s'entredemandent jamais aucune chose les uns aux autres pour les substitutions faittes entr'eux et Nous par feu nos Pere et Mere.

  A022001041 

 Et s'il arrivoit que la ligne masculine de nostre dit frere defaillist, Nous substituons l'aisné des enfans masles susnommés, descendans jusques a l'infini, dudit feu seigneur de Boysi nostre frere; sauf que nos meubles, de quelque espece qu'ilz soyent, demeureront a la libre disposition du survivant de Nous deux..

  A022001041 

 Voulans et entendans que nos biens soyent conservés, et parviennent entierement et sans detraction de trebellianique, que Nous prohibons, aux enfans masles qui descendront par loyal mariage de nostre dit [137] frere heritier jusques a l'infini, preferant tous-jours l'aisné d'iceux pour le tout; esperans que nostre dit frere fera semblable disposition pour ce qui est a son pouvoir, pour la conservation de nostre famille; et ainsy Nous substituons vulgairement et par fidecommis perpetuel, pour la faveur du masle aisné descendant de nostre dit frere heritier.

  A022001042 

 Que si l'evenement des affaires faisoit que l'un de Nous changeast de volonté et fist par ci apres un autre testament, le present neanmoins demeurera sur pied, valable, entant que concerne la disposition de l'autre qui ne la changera point..

  A022001042 

 Voulons que ceci soit nostre dernier testament; a ces fins revoquons tous autres que Nous pourrions avoir faitz et tout leur contenu; et s'il ne vaut a present ou a l'advenir comme testament, qu'il vaille comme codicille, et par tous meilleurs moyens.

  A022001043 

 Si avons prié les tesmoins signés sur le repli de cette carte, de porter tesmoignage que son contenu est nostre derniere volonté..

  A022001053 

 Il fut faict haeretique par la violence des Bernois, il y a environ 60 ans, sans que les [139] habitans eussent ny loysir ny moyen de considerer ce qu'ilz faysoyent abandonnant l'Eglise catholique..

  A022001055 

 Or Son Altesse, l'annee passee, declaira par une lettre a Monseigneur le Reverendissime de Geneve, que son intention estoit que l'Eglise catholique fut restablie en ce balliage par la praedication et autres exercices.

  A022001056 

 Mays le fruict que jusqu'a praesent ilz y ont faict n'a esté que de consoler le peu de Catholiques qui y estoyent et donner a penser a la plus part des autres, qui ne croyoyent pas que personne parlast ou entendist la rayson de l'Escriture que les ministres huguenotz; n'ayant peu reduire que cinq personnes, entre lesquelles il y a un advocat nommé Pierre Poncet, le mieux entendu de tout le balliage..

  A022001057 

 En quoy ilz se sont d'autant plus resoluz, qu'ilz n'ont jamais voulu croire que Son Altesse desire leur reduction, par ce que, comme plusieurs ont dict, si ell'eust eu cest œuvre a cœur, elle eust faict inviter les habitans a la prendre, par quelque declaration de son intention.

  A022001057 

 Et ce qui a empesché le bon succes de l'entreprise a esté, en partie, la crainte que les habitans ont que Geneve et Berne ne les maltraitte en cas de romp[ement] de trefves, s'ilz prestoyent l'oreille aux Catholiques; qui a faict qu'ilz ne sont du tout point venuz aux [142] sermons, si ce n'est deux ou trois fois que quattre ou cinq y ont assisté.

  A022001057 

 Outre ce, que ne voyant rien d'estably pour ce peu de gens d'Eglise qui reside, on ne leur peut pas lever l'opinion que ce ne soit une boutade de l'Evesque pour aggrandir son authorité, sans aucun adveu ou volonté du Prince..

  A022001058 

 Et quant aux villageois, ilz protestent ordinairement n'avoir point d'autre regle pour leur religion que la volonté du Prince, qui est, ce disent ilz, plus entendu qu'eux..

  A022001060 

 Esperant qu'avec ceste commodité vous pourres reconnoistre le bon chemin de vostre salut, le mesme zele qui Nous a poussé a vous procurer ce bien Nous faict encor vous inviter et exhorter par ce mot a bien user d'iceluy, ouyant diligemment les raysons qui vous sont proposees, les pesant et considerant de pres, et proposant les difficultés que vous y trouveres aux predicateurs, ne Nous pouvant estre chose [143] plus aggreable que d'entendre vostre advancement et prouffit en nostre sainte religion catholique..

  A022001060 

 Nous avons sceu, avec nostre grand contentement, que, des quelques mois en ça, vous aves eu continuellement pardela, et mesme en la ville, la praedication de nostre sainte foy catholique.

  A022001061 

 Que s'il playsoit, outre ceste vostre, en faire une autre a monsieur le Baron d'Hermance, gouverneur du duché de Chablaix, et une troysiesme a monsieur le Juge maje de Thonon, par lesquelles il leur fut commandé de remonstrer en une generale assemblee de Ville l'obligation que tout le pais a de seconder une si douce et charitable invitation de son Prince, il y a dequoy esperer en Dieu que bien tost tout le Chablaix, et peu a peu tout l'entour de Geneve, se reunira a l'Eglise catholique: qui ne sera pas peu de chose, ny de peu d'importance, ad laudem Christi Dei totiusque cœlestis Curiae.

  A022001071 

 Et affin qu'ilz peussent continuer, Leurs Altesses commandèrent a diverses fois qu'on delivrast quelque somme pour leur nourriture: ce que n'ayant esté faict, les habitans n'ont peu croire que ces prœdicateurs fussent la par la volonté de Leurs Altesses, et lesdits praedicateurs ont estés contraints de se reduire a un seul qui praechast en deux lieux, pour ne charger trop les particuliers qui avançoyent la despense.

  A022001071 

 L'annee 94, Son Altesse fit sçavoir par une sienne lettre tres expresse a Monseigneur l'Evesque de Geneve, [145] que son intention estoit que l'exercice catholique fut [146] restably en Chablaix; et par ce, y furent envoyés deux praedicateurs, desquelz l'un commença au mois de septembr' a praecher dans Thonon, et l'autr'en la parroisse des Alinges.

  A022001072 

 [1.] Playse donq a Son Altesse commander que la despense faite jusqu'a praesent en deux ans soit payee: qui peut revenir a trois cens escus.

  A022001074 

 En quoy ne faut comprendre la ville de Thonon, laquelle, pour estre le rapport de tout le duché, auroit [149] besoin que l'Office s'y fit a haute voix et decemment, et mesme, s'il se pouvoit, qu'il y eut des orgues, pour apprivoyser, avec cest' exterieure decence, le simple peuple.

  A022001074 

 Et partant seroit requis que le curé fut au moins accompaigné de six prestres, pour lesquelz et pour luy il auroit besoin de quattr' a cinq cens escus annüelz..

  A022001075 

 Or, pour trouver tant de revenu, il est expedient que messieurs les Chevaliers de Saint Lazare et autres qui y tiennent les revenuz d'Eglise, se contentent de payer ces sommes par forme de pension, attendant qu'autrement soit prouveu et que tous les benefices curés soyent laissés a cest effect.

  A022001080 

 L'annee 94, Son Altesse fit sçavoir a Monseigneur l'Evesque de Geneve, par une sienne lettre, que son intention estoit que [145] l'exercice catholique fut remis en Chablaix, et partant y fut envoyé le Prevost de Saint Pierre de Geneve, avec le chanoine de Sales, pour voir comme on pourroit donner commencement; et ce pendant, il pourroit consoler le peu de catholiques qui y restoyent, de quelques praedications.

  A022001081 

 Or, ne s'estant delivré de ladicte somme que 12 couppes ou environ, il s'en est ensuivy: premierement, que les habitans n'ont pas voulu croire que lesdits praedicateurs fussent la au sceu de Leurs Altesses, ne voyant point d'entretenement pour eux; secondement, que ces deux se sont reduitz a un, de peur de charger trop les particuliers qui avançoyent les frais.

  A022001084 

 Mays parce qu'il y a beaucoup d'eglises ruinees et renversees qui cousteroyent infiniment a redresser, il sera necessaire de joindre plusieurs parroisses en une; et ainsy suffiroit qu'il y eut [148] environ quinze parrochiales grandes, avec leurs curés, lesquelz, pour pouvoir entretenir un vicaire qui les soulage en l'administration des Sacremens, veu que les parrochiales seront fort loin les unes des autres, devront avoir une bonne pension et entretien comme pour deux, et encor pour avoir moyen de recevoir les praedicateurs qui les visiteront ordinairement et faire quelques aumosnes, tant pour le devoir que pour l'exemple: pourroit venir a huict vins escus d'or, avec les maysons et terrages des cures..

  A022001085 

 Troisiesmement: en quoy ne faudra comprendre la ville de Thonon, laquelle, pour estre le rapport de tout le duché, requerroit [149] que l'Office s'y fit a haute voix et decemment; et pour ce faudroit que le curé fut accompaigné de six prestres, et que partant il eut quatre cens escus d'or pour luy et ses vicaires, et pour l'entretenement des luminaires et semblables choses..

  A022001090 

 Que si cela ne suffisoit, on pourroit encores loysiblement se servir des aumosnes futures, jusques a suffisance..

  A022001093 

 Et pour attirer ceux de Thonon plus aysement a se rendre capables de la raison, il seroit expedient que l'un de ces seigneurs du Senat convocast le Conseil general de la ville de Thonon, et invitast les bourgeois a bien ouyr et sonder les raysons catholiques, et de la part de Son Altesse, avec paroles qui ressentent et la charité et l'authorité d'un tres bon Prince vers un peuple desvoyé; car ce leur seroit une douce violence, et un bon exemple aux voisins..

  A022001095 

 Plays' encor a Son Altesse user de sa liberalité vers une petite parroisse nommee Mezinge, voysin' aux Alinges, laquelle se reduict maintenant tout' entier' a la foy catholique, et qui fut toute bruslëe par les gens de Son Altesse affin qu'elle ne servit aux embuscades des ennemis; comm' il appert par l'attestation que leur en a faicte le sieur Juge maje de Chablaix.

  A022001097 

 Au reste, il y avoit parmi les huguenotz un Consistoire, composé pour le plus et presque tout de gens laicz, ou praesidoit un homme laiz et assistoit un des seigneurs officiers de Son Altesse, sans y avoir voix decisive; et la estoyent corrigés, repris et censurés de paroles et de quelque legere peyne, les vices que le magistrat n'a pas accoustumé de punir: comme ivroigneries, jeuz, noyses, luxures; en quoy le peuple se tenoit en discipline, non sans autant de fruict que le mauvais fondement de leur religion le peut permettre.

  A022001097 

 Et partant sembleroit bon de leur en laisser quelque forme, avec ce changement: que puisque telles corrections se doivent faire a [155] la forme de l'Evangile, ce president seroit l'un des praedicateurs, constitué par l'Evesque; les conseillers, [156] des plus apparans dela autour, moitié ecclesiastiques, moitié lais, entre lesquelz le premier seroit un des seigneurs officiers de Son Altesse, avec voix decisive.

  A022001097 

 La seroit ( sic ) corrigés telz vices que ceux qui y estoyent corrigés parmi les huguenotz, et la peyne, tant pecuniaire que corporelle, pourra estre limitee par Son Altesse comm' elle l'estoit au Consistoire des huguenotz..

  A022001105 

 Et partant sembleroit qu'il sera bon de leur en laisser quelque forme, mays avec ce changement: parce que ces corrections se doivent faire par parolle et remonstrance a la forme de l'Evangile, le praesident sera l'un des praedicateurs, tel qu'il plaira a l'Evesque de deputer; aura pour conseillers les plus notables de la ville et lieux de la autour, moidé ecclesiastiques, moitié laiz, vieux, graves et de reputation, et entre les laiz assistera tousjours l'un des seigneurs et le premier officier de Son Altesse, qui y aura voix decisive.

  A022001105 

 Il y a parmi les huguenotz un Consistoire, composé pour la pluspart et quasi tout de gens laicz, ou praeside un homme laiz et y assiste l'un des seigneurs officiers de Son Altesse, sans y avoir aucune voix decisive; et en ce Consistoire sont corrigés, repris et censurés de paroles et de quelque legere peyne, les vices desquelz le magistrat n'a pas coustume de chastier: comme ivroigneries, exces de balz, danses, jeuz, vestemens, banquetz, noyses entre mary et femme, desobeyssance du filz au pere, mauvais traittemens du pere au filz, luxures, adulteres, parolles deshonnestes, chansons lascives, juremens et blasphemes, et telles desbauches de jeunes gens; en quoy le peuple se tient en discipline, non sans autant de fruict que le mauvais fondement de la religion [155] sur laquelle ilz s'appuyent le peut permettre.

  A022001107 

 Monseigneur, Vostre Altesse voit bien ce que je veux dire et ce qu'il faut faire: il est necessaire de prendre de ces fruicts pour nourrir les curez et predicateurs, et pour restaurer les eglises ruinées; car, quel moyen autrement? Vous avez en cela la souveraine puissance et authorité, comme Grand Maistre de ceste Milice..

  A022001107 

 Que si Vostre Altesse veut passer plus outre et remettre entierement sa province de Chablais en son premier estat, elle doit sçavoir qu'il y avoit autresfois, depuis la riviere de la Durance jusques a Geneve, cinquante deux egiises parroissiales, et au balliage de Ternier dix-neuf, sans compter les abbayes, prieurez, couvents et chappelles.

  A022001108 

 Et Vostre Altesse, selon sa pieté, ne permettra point que tous ces desseins et tous ces efforts soyent en vain; mais plustost, puis qu'elle s'est des-ja acquise la grandeur par la pieté mesme, elle preferera ceste victoire qu'elle peut Remporter sur la cruauté de l'heresie à toutes les autres qui sont preparées à sa vertu.

  A022001108 

 Et tel est l'estat de vostre Chablais, Monseigneur: quand je diray que c'est une province ruinée, je ne mentiray pas.

  A022001108 

 Quant à moy, j'ai des-ja employé vingtsept [157] mois à mes propres despens en ce miserable pays, à fin d'y espancher la semence de la parolle de Dieu, selon vostre volonté qui fust signifiée à Monsieur l'Evesque de Geneve: mais diray-je que j'ay semé entre les espines ou bien sur les pierres? Certes, outre la recouverte de monsieur d'AvulIy et de l'advocat Poncet.

  A022001115 

 Ces années passées, Monseigneur, que Vostre Altesse [158] estoit venuë en Savoye pour faire la guerre aux huguenots, selon son zele à la religion catholique, elle avoit déclaré par lettres patentes que sa volonté estoit que tous les biens d'Eglise fussent restituez, specialement à l'Eglise cathedrale de Geneve, qui est des principales de vos Estats, et, entre les principales, la plus illustre et plus ancienne; et ceste volonté vostre a esté enterinée par vos cours souveraines du Senat et de [159] la Chambre des Comptes de Savoye.

  A022001115 

 Maintenant que la tres-saincte foy catholique a de l'entrée en Chablais, nous supplions tres-humblement Vostre Altesse qu'il luy plaise d'estendre le mesme commandement, à fin que ce pauvre Chapitre puisse r'entrer dans les biens qui luy appartiennent d'ancienneté, et principalement dans le benefice curé de l'eglise d'Armoy..

  A022001116 

 Privez de tout secours humain et chassez de leur cité comme des larrons, ils sont contraincts de celebrer leurs Offices dans une eglise mendiée, que toutesfois ils font si bien, par la grace de Dieu, qu'il n'y a point d'eglise en l'Europe (et que cecy soit dit sans envie) où les divins Offices soyent celebrez avec plus de solemnité, ayant esgard à leur pauvreté, qui est presque extreme..

  A022001116 

 Si Vostre Altesse ne le sçavoit pas, je luy raconterois les miseres que ces pauvres Chanoines souffrent tous les jours.

  A022001117 

 Le Pape Paul III, en consideration de leurs miseres, [160] leur avoit concedé la moitié des fruicts de chaque benefïce du diocese, vaquant la premiere année, à fin que les autres eglises secourussent, au moins en quelque façon, leur matrice.

  A022001117 

 Le Pape Pie IV et le Pape Gregoire XIII les avoyent exemptez du payement des decimes, quelque grande que fust la necessité; neantmoins, les années passées, huictante neuf, nonante et nonante une, toutes les graines de ceste Eglise furent enlevées par les officiers de Vostre Altesse, de sorte que les Chanoines furent contraincts de mendier leur vie chez leurs parens et amis..

  A022001118 

 Toutesfois, la souveraine Chambre des Comptes a jugé que pour ces graines ainsi enlevées on devoit au Chapitre plus de deux mille et six cens florins: c'est pourquoy, Monseigneur, Vostre Altesse est tres-humblement suppliée de vouloir ratifier les volontez des Souverains Pontifes; et, pour le payement de ces deux mille et six cens florins, s'il luy plaisoit de faire faire des habits à l'usage de l'Eglise, elle imiteroit glorieusement la pieté et liberalité de ses serenissimes ancestres, specialement de ce tres-sage prince Amedée, Duc premier, lequel, apres avoir cedé la Papauté pour la tranquillité de tout le Christianisme, se contenta de demeurer Evesque de Geneve, et mourut sous l'auguste mittre de ceste Eglise..

  A022001122 

 Pour introduire entierement la tres sainte religion catholique en Chablaix, il est grandement necessaire de prier Son Altesse Serenissime qu'elle remette tous les benefices curés qui ont esté possedés jusques a present par les Chevaliers des Saintz Maurice et Lazare, aux pasteurs qui ont esté et qui seront establis par l'Evesque de Geneve, affin que les exercices et Offices sacrés y soyent deuement observés, les Sacremens administrés aux peuples..

  A022001123 

 Et ainsy ce seroit une bonne forteresse de laquelle on combattroit vaillamment, comme a l'opposite, contre les insolentes attaques de Geneve et de Lausanne: car la ville de Thonon est entre l'une et l'autre, de sorte que, s'il y avoit un soldat qui peust jouer de la droitte et de la gauche, il combattroit facilement l'une et l'autre; outre qu'elle n'est pas beaucoup esloignee de la forteresse des Alinges, suffisante pour soustenir le siege d'une armee royale, affin qu'en cas de necessité elle peust servir de refuge aux Peres.

  A022001123 

 Rien ne peut arriver de plus utile a ceste province de Chablaix que si l'on construit et erige un college de la [162] Compaignie de Jesus en la ville de Thonon; car d'iceluy, non seulement maintenant plusieurs Religieux pourroyent aller par tous les autres lieux du diocese, mais encores, comme d'un Seminaire, plusieurs prestres et jeunes hommes pourroyent sortir par cy apres, qui porteroyent l'Evangile par toutes les villes et villages du voysinage.

  A022001124 

 Mays affin que ce college puisse subsister, il faut ceder le prieuré de Saint Hippolite, situé au milieu de la ville et [avec] commodité de beaux et grans bastimens, de revenu annuel de mille et deux cens escuz, uni par cy devant a l'eglise parroissiale de Viry par le Pape Sixte cinquiesme; laquelle eglise collegiale en fera volontier la cession pour une chose si sainte et de si grande importance, et luy suffira si, a ceste consideration, il plaist a Sa Sainteté de luy unir quelque autre benefice..

  A022001125 

 Et affin que le peuple de Thonon soit porté d'une plus grande affection d'embrasser la religion catholique, il faut remonstrer a Son Altesse qu'elle fera beaucoup si elle relasche en leur faveur quelque chose des contributions ordinaires et extraordinaires..

  A022001127 

 Et parce que les Genevoys ont si souvent dit par cy devant qu'ilz vouloyent conferer avec les theologiens catholiques, quoy qu'ilz semblent d'avoir manqué de courage, neanmoins il faut les contraindre a ce faire; et pour ce, escrire au ministre Perrot qu'il fasse avoir la response dont il s'est chargé.

  A022001127 

 Que s'il ne veut pas respondre, il faudra derechef escrire aux scindiques de la ville; et si ceste conference se fait, il faudra obtenir de la ville un sauf conduit pour les Peres, docteurs, secretaires et tesmoins.

  A022001128 

 Et parce que le curé d'Annemasse doit supporter plusieurs charges pour ce fait, tant a recevoir les predicateurs, secourir les energumenes, qu'a reparer les ruines de son eglise, il faut supplier Son Altesse qu'elle consente a l'union des dismes que les Religieuses de Bellerive percevoyent autresfois riere la parroisse [166] d'Annemasse, maintenant possedees injustement par un heretique de Geneve, achetees d'une Religieuse..

  A022001157 

 Or, nous souhaitons ardemment que beaucoup d'autres viennent également à pénitence; mais nous avons appris avec un profond étonnement qu'un grand nombre sont retenues dans l'erreur par la fausse crainte et la vaine frayeur de ne pas être en assurance pour leur vie et leurs personnes parmi les catholiques, malgré les absolutions données par l'autorité du Siège Apostolique.

  A022001158 

 Nous lui donnons l'assurance que, revenant au vrai bercail du Christ, il sera reçu et traité avec bonté, et qu'avec une loyauté parfaite, il sera, comme il est dit ci-dessus, affranchi et libéré de toute peine infligée pour cause d'hérésie et aux hérétiques par n'importe quel juge ecclésiastique ou séculier..

  A022001167 

 Que Son Altesse baille entiere mainlevee du revenu de tous les benefices de Chablaix, pour l'entretenement des curés et autres ecclesiastiques necessaires pour l'instruction des peuples et pour les autres exercices catholiques..

  A022001169 

 Et a tout evenement, qu'au moins les revenuz des cures y soyent employés, avec une ample et perpetuelle provision; et quant aux revenuz des autres benefices non cures, que pour troys [ans] ilz soyent levés pour la restauration des eglises, autelz et autres choses necessaires pour les exercices de pieté, a quoy la pauvreté des peuples ne sçauroit prouvoir a ce commencement..

  A022001175 

 Que les heretiques soyent privés de toutes charges [172] publiques, offices et estatz, non seulement qui dependent immediatement du service de Son Altesse, mais encores des charges et offices dependans des jurisdictions inferieures et subalternes, sur tout de la comté des Alinges, et autres biens des sieurs Chevaliers de Saint Lazare..

  A022001177 

 Que le ministre soit esloigné le plus qu'il se pourra faire de ceste ville, puysque, selon les conventions faites a Nyon, elle a esté nommement exceptee pour n'y avoir jamais aucun exercice heretique, et que l'approche que le ministre a fait n'a aucun congé de Son Altesse, mais seulement une simple connivence des officiers; ce qui fait encores pour une juste rayson de lever le maistre d'escole..

  A022001178 

 S. A. l'accorde; et de plus, conformement a sa resolution prinse desja de longue main, entend et veut que l'exercice de la religion contraire soit du tout defendu, tant en general qu'en particulier.

  A022001179 

 Que les Catholiques, habitans de ceste ville, soyent faitz bourgeois d'icelle, supportans les charges ordinaires et accoustumees a l'entree de la bourgeoisie, avec pouvoir d'entrer et d'assister aux Conseilz de la Ville, y avoir voix deliberative et en fin participer a tous les privileges..

  A022001188 

 Qu'il playse a Son Altesse d'ordonner que les habitans riere Chablaix et Ternier vivront selon la religion Catholique, Apostolique et Romaine, donnant a ceux qui tiennent autre forme de religion delay competent, ou [174] pour se cathechizer, ou vuider les Estatz, avec permission de pouvoir vendre leurs biens aux Catholiques pendant ledit tems; lequel escheu, lesditz biens soyent tenuz pour confisqués, et pourra on proceder contre leurs personnes a forme du droict..

  A022001190 

 Comme aussi de ne divertir ny empescher en quelque maniere que ce soit de frequenter les divins Offices et autres exercices catholiques..

  A022001190 

 Qu'il ne sera permis a quelque personne que ce soit de dogmatizer, ny disputer de la foy, sinon devant des theologiens catholiques ou autres personnes ecclesiastiques, pour estre instruitz tant seulement; a telle peyne qu'il plaira a Son Altesse.

  A022001192 

 Que tous ceux qui habitent riere lesditz Estatz [175] observeront les testes, jeusnes, vigiles, Caresme et autres commandemens de l'Eglise, et assisteront aux processions; aux peynes qu'il plaira a Son Altesse..

  A022001193 

 Et a ces fins, ils establiront des censeurs et surveillans, tant à la ville qu'aux champs, et feront tout ce qu'ils verront estre necessaire pour l'advancement de la pieté et reformation des mœurs, sans formalité de procedure ou d'opposition, cecy n'estant que pour maintenir les personnes au devoir de bon Chrestien..

  A022001193 

 Son Altesse treuve bon que le Reverendissime Evesque de Geneve dresse, tant pour ce regard que pour toutes autres choses concernant le service de Dieu, police ecclesiastique et correction des mœurs, tels ordres et reglemens qu'il verra estre necessaire; lesquels sadicte Altesse veut, entend et commande d'estre gardez d'un chacun; ordonne a ses magistrats de les faire observer.

  A022001197 

 Et quant à ceux qui ne sont catholisez, sadicte Altesse veut et commande, pour obvier a un atheisme, que tous les hommes et femmes assisteront aux presches catholiques, et ordonne a tous ses officiers d'y tenir main, et y contraindre les defaillans par toutes voyes possibles et necessaires; et que tous peres et meres et chefs de famille feront venir leurs enfans au catechisme, defendant de porter baptizer, instruire et faire mariages autre part qu'en l'Eglise Catholique, a peine de son indignation et amende arbitraire..

  A022001200 

 Que les peres et meres de famille envoyeront leurs enfans, filles, serviteurs, chambrieres et autres domestiques a l'eglise es jours deputés, pour ouyr le cathechisme; et a ces fins, seront commis par les ruës des villes et villages des parroisses des dizainiers pour les enrooller, et accuser aux peres spirituelz l'absence de ceux qui ne s'y trouveront, pour y estre procedé contre les desobeyssans par telles peynes qu'il playra a Son Altesse..

  A022001201 

 S. A. l'accorde, entendant specialement que ceux qui ne sont encore catholisez y soyent comprins, et les defaillans punis..

  A022001202 

 Que l'Edit de la privation de tous offices publiez contre ceux qui demeurent obstinés en leur heresie sera observé selon sa forme, avec declaration qu'ilz ne pourront exercer lesditz offices ni fermes par interposites personnes, moins y participer; a peyne de l'Edit pour ceux qui les associeront..

  A022001206 

 Que ceux qui possedent les biens des eglises soyent contraintz de les relascher, sçavoir: des parrochiales, au Reverendissime Evesque ou a ses deputés, et des autres, entre les mains de celuy qu'il playra a Son Altesse ordonner, pour estre remises auxdites eglises..

  A022001208 

 Que ceux qui ont des tiltres, papiers, livres de reconnoissance, extraitz et autres documens concernans les revenuz des eglises, les remettront dans le moys entre les mains de tel commissaire qu'il plaira a Son Altesse, pour estre puys apres delivrés a ceux ausquelz ilz appartiendront..

  A022001211 

 Se fera la reddition des comptes desdicts bleds des aumosnes de trois en trois mois, en presence du seigneur Reverendissime Evesque de Geneve, ou de son Official; present le Juge mage, ou Procureur fiscal, appeliez les deux syndiques de Tonon; auquel Juge mage est mandé de faire observer ce qui sera resolu, nonobstant opposition ou appellation, par ledict seigneur Evesque, tant pour le regard de la distribution desdictes aumosne, que pour reddition desdicts comptes de ce qui est escheu pour le passé et n'a esté distribué par les fermiers, que pour les aumosnes du temps a venir.

  A022001212 

 Que les cloches qui sont aux Alinges seront restituees aux eglises ausquelles elles appartiendront; et le metail de celles de Thonon, Filly et autres, qui est audit lieu, sera remis au Reverendissime Evesque ou a ses deputés, pour estre employé a faire des cloches aux eglises de Thonon, ainsy qu'il verra estre plus expedient; le tout dans quinze jours..

  A022001214 

 Qu'il playse a Son Altesse de mettre sous sa sauvegarde et protection particuliere le Reverendissime Evesque, ses chanoines, curés, prescheurs, prestres et autres ecclesiastiques, leurs familiers et domestiques, a ce qu'il ne leur soit fait ni donné aucune fascherie en leurs personnes et biens; et partant, les remettre en garde et charge, tant aux seigneurs Gouverneur de Chablaix et Ternier, que magistratz et scindiques des villes et parroisses, affin qu'ilz y tiennent main, qu'il ne leur soit fait aucun tort ou violence; a peyne de s'en prendre a leur privé nom..

  A022001216 

 Et que, tant lesditz seigneurs Gouverneur que magistratz, tiendront main a l'observation de ce que dessus, et, en ce qui concerne la jurisdiction spirituelle, assisteront aux officiers par toutes voyes de justice deuë et raysonnable, a la forme du droict, et suyvant les Editz de Son Altesse et son intention..

  A022001217 

 S. A. enjoint tres expressement aux sieurs Gouverneur de ce pays, Juge mage et Procureur fiscal, de tenir main a l'observation de tout ce que dessus, en tant qu'ils desirent luy obeyr..

  A022001247 

 qui les veuille accepter, on demande pour l'Evêque de Genève le pouvoir de supprimer, dans les monastères et prieurés conventuels de son diocèse, une prébende monacale, vacante ou à vaquer, et d'assigner à chaque théologal deux de ces prébendes supprimées, comme il sera jugé à propos; et que, à leur défaut, on puisse [182] supprimer quelques bénéfices simples des églises mêmes où l'on constituera la prébende théologale, afin de les lui appliquer.

  A022001248 

 C'est pourquoi, comme nombreux sont les curés si pauvres qu'ils sont contraints d'abandonner leurs enfants spirituels, on demande que l'Evêque puisse, chaque fois qu'il en sera prié, même en dehors de la visite générale, leur assigner une portion congrue sur les dîmes, prémices et oblations de leurs paroisses, possédées par les Abbés, Prieurs et autres ecclésiastiques; et cela, nonobstant n'importe quelle opposition ou appel..

  A022001249 

 Parce que parmi les corps [ecclésiastiques] nécessaires à un diocèse, le Chapitre cathédral est un des principaux, [on représente] que les chanoines de la Cathédrale de Genève étant tous, [183] d'après leurs Statuts, ou docteurs, ou nobles, et leurs canonicats n'excédant pas soixante ducats, ils ne peuvent en aucune façon, en ces temps malheureux surtout, vivre avec bienséance, et selon leur qualité.

  A022001251 

 Bien des sujets ou taillables de l'évêché sont astreints à d'innombrables servitudes qui sentent plutôt le paganisme que le christianisme: s'ils meurent sans enfants, ils ne peuvent tester, mais leurs biens reviennent à l'Evêque; ils doivent imposer silence aux grenouilles pendant que le Prélat dort, et telles autres choses ridicules qui n'apportent qu'un mince avantage à l'Evêque; car ces gens demeurent, pour l'ordinaire, abjects et misérables, se privant même d'acheter à cause de leur triste condition.

  A022001251 

 On demande donc que l'Evêque puisse affranchir et libérer ses sujets de ces [185] servitudes, moyennant une somme d'argent qui sera employée à l'évidente utilité de la mense épiscopale, pour donner d'autant plus de facilité à l'Evêque et aux autres de travailler à l'œuvre du Seigneur..

  A022001255 

 Aussi supplie-t-on Sa Sainteté que, ayant compassion de la faiblesse de ces brebis égarées, Elle accorde à perpétuité, tant à l'Evêque et à son Vicaire, qu'à dix ou douze hommes doctes et capables choisis par le Prélat, le pouvoir et la permission d'absoudre ces hérétiques, même relaps, de n'importe quelle hérésie; et, pour cet effet, et afin de pouvoir répondre à leurs mensonges, qu'Elle les autorise [186] tous à garder et lire les livres défendus, notamment ceux que les [calvinistes] font paraître tous les jours.

  A022001255 

 On demande cette permission à perpétuité, à causé des nombreux empêchements qu'on peut avoir de recourir à Rome, parfois même quand le besoin en est plus grand, comme maintenant; et d'autant plus que, jusqu'ici, les pouvoirs accordés à l'Evêque ont été, par la grâce de Dieu, employés heureusement et avec fruit..

  A022001256 

 Il serait bon aussi que l'Evêque pût communiquer la faculté de bénir les ornements et les nappes d'autel, vu la grande quantité qui en sera nécessaire et la notable incommodité qu'il aurait à tout faire par lui-même..

  A022001257 

 Les Monastères de Savoie, d'hommes et de femmes, donnent à tous d'incroyables scandales par la mauvaise vie de ceux qui les habitent: c'est pourquoi, et parce que le mal est invétéré, on demande qu'un Prélat ultramontain, ou un autre des Etats de Savoie, comme mieux informé de ce qui est requis, reçoive commission de visiter tous les Monastères, assisté de deux Pères [187] Jésuites, Capucins ou autres, selon qu'il sera expédient; de les réformer et corriger de par l'autorité Apostolique, sans appel ni opposition quelconque; et cela d'autant plus que tel est le désir du Sérénissime Duc de Savoie qui, à cet effet, prêtera tout secours du bras séculier là où il sera nécessaire..

  A022001318 

 Expose très humblement à Votre Sainteté Claude de Granier, Evêque de Genève, comme autrefois, à l'instance d'Emmanuel-Philibert [189], alors duc de Savoie, ont été unis à l'Ordre militaire des Saints Maurice et Lazare tous les bénéfices simples, cures, monastères, prieurés et autres, des pays de Gex, Ternier et Chablais, sous prétexte que les habitants de ces bailliages étaient luthériens ou calvinistes, et que pour cette raison le culte divin n'y pouvait être exercé; cette union fut limitée avec une clause, par laquelle le Pape Grégoire XIII, d'heureuse mémoire, déclara que si les habitants de ces bailliages venaient à se convertir à [190] la sainte foi, les Chevaliers de Saint-Lazare devraient donner à chacun des curés que nommerait l'Evêque cinquante ducats par an.

  A022001318 

 Or, comme ces jours derniers, par le moyen de prédications continuelles, tous les habitants de Ternier et du Chablais sont revenus au giron de la sainte Eglise, au nombre de soixante-quatre paroisses, il faudra y établir des curés capables et savants; et en outre, dans l'église de Thonon, principale ville de ces bailliages, huit prêtres au moins seront nécessaires, tant pour entendre les confessions que pour administrer les Sacrements, ainsi que trois prédicateurs robustes pour exercer sans discontinuer le ministère apostolique de la prédication.

  A022001319 

 Le [191] Sérénissime Duc de Savoie, qui est le Grand-Maître de cet Ordre militaire, y donne son consentement, accordant audit Evêque pouvoir d'établir des curés dans les paroisses et de distribuer les bénéfices, selon qu'il le verra nécessaire, aussi bien que de choisir trois robustes prédicateurs, de quelque Ordre ou Religion qu'ils soient..

  A022001319 

 Supplie humblement Votre Sainteté qu'Elle daigne relâcher et annuler complètement cette union, en sorte que tous ces bénéfices, de quelque nature qu'ils puissent être, soient appliqués à l'entretien des curés, recceurs, prédicateurs, aux réparations et autres charges nécessaires à la conservation de la sainte religion.

  A022001328 

 Expose très humblement Claude de Granier, Evêque de Genève, comme les curés de la majeure partie de son diocèse se trouvent si pauvres, que très souvent ils sont contraints d'abandonner leurs fils dans le Christ, au grand détriment des âmes:.

  A022001333 

 Expose très humblement ledit Evêque, qu'en plusieurs lieux de son diocèse les habitants ont des liens de consanguinité et d'affinité; et cependant, parce qu'ils sont très pauvres et qu'ils n'ont a attendre que des dots très modiques, ne peuvent que très difficilement contracter mariage au dehors, car il leur faudrait prendre sur cette dot exiguë pour faire des visites à l'épouse et pour supporter les charges des noces; et d'autre part, ils n'ont pas moyen de recourir à Rome pour obtenir dispense du Siège Apostolique..

  A022001339 

 Et cette permission est demandée pour toujours, parce que lorsqu'elle est donnée pour un temps, quand celui-ci est écoulé et qu'on ne peut obtenir sur le champ une permission nouvelle, la plupart deviennent non seulement tièdes, mais encore froids et retournent à leur vomissement; ou bien, pendant qu'on attend cette permission ils meurent, non sans grand détriment pour leurs âmes.

  A022001339 

 Supplie Votre Sainteté qu'Elle daigne concéder non seulement à lui-même et à son Vicaire général, mais encore à dix ou douze hommes doctes et habiles, qu'il aura à choisir, la permission d'absoudre de toute hérésie ces hérétiques ou ces relaps; et pour cet effet, et afin de répondre à leurs objections, la faculté pour ces prêtres de pouvoir posséder et lire, sans scrupule de conscience, les livres défendus, et surtout ceux que chaque jour les hérétiques mettent en lumière; attendu qu'on ne peut pas si facilement les convaincre autrement.

  A022001344 

 Supplie Votre Sainteté qu'Elle daigne l'exempter de tout payement quelconque de décimes concédées au Duc de Savoie, reportant la part qui lui incombe sur les autres Evêques et bénéficiers de Savoie, beaucoup plus riches et moins chargés que lui..

  A022001348 

 Autrement, il arrivera que ces chanoines se disperseront et cesseront de travailler à la vigne du Seigneur, parce qu'ils n'ont pas de quoi vivre..

  A022001348 

 Supplie très humblement Votre Sainteté Claude de Granier, Evêque de Genève, qu'Elle daigne en ce qui concerne les chanoines de son Eglise cathédrale, accorder dispense pour qu'ils puissent obtenir et retenir, avec leurs canonicats, des églises paroissiales, en y mettant des vicaires capables et suffisants pour exercer charge d'âmes; attendu que tous sont ou nobles ou docteurs, et ne [196] peuvent avec les revenus de leur canonicat, qui ne dépassent pas la somme de soixante ducats, vivre décemment, ni ne peuvent aspirer à d'autres bénéfices, puisque presque tous sont soumis au droit de patronage et ne sauraient, par conséquent, être obtenus sans la présentation du patron.

  A022001352 

 Expose très humblement à Votre Sainteté l'Evêque de Genève, qu'il a plusieurs sujets ou taillables, astreints à d'innombrables servitudes qui sentent plus le paganisme que le christianisme: ainsi, lorsqu'ils meurent sans enfants, ils ne peuvent faire de testament en faveur de personne; ils ne peuvent se vêtir de drap noir, ni porter le moindre ourlet de drap de couleur.

  A022001352 

 Il y en a même quelques-uns dont la servitude consiste à prendre soin durant la nuit, alors que le seigneur dort, d'empêcher les grenouilles de coasser; n'y a personne qui ne voie combien de telles choses sont indignes d'un chrétien.

  A022001353 

 C'est pourquoi supplie Votre Sainteté qu'il lui plaise donner permission de libérer ces hommes moyennant une somme d'argent, selon qu'il aura été convenu entre eux; et que ces sommes soient employées à l'évidente utilité de la mense épiscopale, ou que les fiefs de cette nature soient convertis en biens d'emphythéose..

  A022001357 

 Expose très humblement, que presque tous les Monastères et Prieurés conventuels, tant d'hommes que de femmes, dans la Savoie, le Genevois, ou autres possessions et régions au-delà des monts appartenant au Sérénissime Duc de Savoie, sont tellement déchus de la discipline régulière et antique, qu'a peine peut-on discerner les Réguliers des séculiers; les uns, en effet, vagabondent sans cesse çà et là, et les autres qui demeurent dans leurs cloîtres causent parmi le peuple un très grand scandale..

  A022001358 

 C'est pourquoi supplie Votre Sainteté qu'Elle daigne donner commission à quelque Prélat, d'au-delà des monts, bien instruit de toutes choses, qui, avec deux Pères de la Société de Jésus, ou de l'Ordre des Capucins, s'adjoignant même, s'il en est besoin, l'aide [198] du bras séculier, ait le devoir et le pouvoir de visiter librement et absolument ces Monastères, de corriger les désobiéssants et de châtier les rebelles, selon qu'il le verra expédient au salut de leurs âmes et à la consolation du peuple, sans tenir compte d'aucun appel ou opposition quelconques; attendu que les Supérieurs de ces Monastères souffrent et endurent de tels désordres, puisqu'ils n'y apportent nul remède..

  A022001379 

 C'est pourquoi, pour affermir les convertis et réduire les autres, tant l'Evêque lui-même que les Prévôt et Chanoines ont décidé de se transporter en cette ville de Thonon, et là de travailler dans la vigne du Seigneur avec une activité si grande de leurs âmes, qu'en peu de temps des fleurs et des fruits puissent paraître..

  A022001379 

 Or, il est arrivé que les mois derniers, par la vertu du Saint-Esprit et par les prédications continuelles de la parole de Dieu qui ont été faites, presque tous ceux qui habitent les contrées du Chablais et de Ternier en Savoie, ont embrassé la sacrosainte foi catholique, [200] et surtout ceux qui habitent Thonon, ville principale de la province, avec soixante-quatre paroisses qui s'étendent tout à l'entour.

  A022001380 

 A Thonon, d'autre part, il y avait autrefois une église avec un couvent de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin, d'une valeur annuelle de cent écus environ, unie à l'Ordre militaire des saints Maurice et Lazare par le Pape Grégoire XIII, d'heureuse mémoire, sous prétexte que ce peuple était loin de la conversion; or, ce couvent est détruit et l'église souffre de ruines nombreuses, en sorte qu'il serait presque impossible à ces Frères de la rebâtir.

  A022001381 

 Par ce moyen ils pourront se transporter à Thonon, restaurer l'église, et produire le fruit que l'on peut attendre de l'effet de la parole divine; en decrétant, toutefois, que tous ceux qui possèdent des bénéfices quelconques fondés dans l'Eglise de Genève, principalement [202] les douze prêtres de la chapelle des Saints Machabées, qui, d'après la fondation, sont obligés de faire résidence en cette chapelle, soient tenus, sans aucune opposition ni exception, de suivre et accompagner les Chapitre et Chanoines, sous peine d'être retranchés de ce même Chapitre; auquel cas, d'autres seront élus en leur place.

  A022001381 

 Que si personne ne se trouve qui veuille s'obliger à [203] cette residence, alors les truits et revenus de cette chapelle seront appliques a la mense capitulaire..

  A022001381 

 Supplient donc très humblement Votre Sainteté, qu'il lui plaise, en cassant et relâchant cette union, la renouveler en faveur de la mense capitulaire et lui appliquer les fruits et revenus du couvent, imposant même un perpétuel silence aux Chevaliers, attendu que le Sérénissime Duc de Savoie consent et que les Chanoines en majeure partie sont docteurs et puissants prédicateurs.

  A022001407 

 D'où il résulte que ces gens-là demeurent pour l'ordinaire dans un très grand avilissement d'esprit et de corps; aussi ne peuvent-ils jamais bien réussir en leurs mariages.

  A022001407 

 De plus, l'évêché de Genève a un grand nombre de sujets appelés taillables, qui sont astreints à beaucoup de servitudes barbares, telles que celles-ci: lorsqu'ils meurent sans enfants, ils ne peuvent tester ni disposer de ce qui leur appartient, pas même en faveur des pauvres, des églises, de leurs femmes ou de leurs frères, ni en autre façon quelconque, mais tous leurs biens meubles et immeubles passent à l'Evêque; item, ils doivent imposer silence aux grenouilles pendant que l'Evêque dort, et choses semblables.

  A022001407 

 On procurerait ainsi un grand avantage spirituel et temporel aux sujets, et l'on augmenterait la mense épiscopale d'un revenu régulier et assuré, plus utile sans comparaison que ce qui se peut retirer de ces héritages éventuels qui tous se réduisent à très peu de chose ou sont accompagnés de chicane..

  A022001407 

 Que s'ils meurent dans leur patrie, ils font tout ce qu'ils peuvent à leur mort et pendant leur vie, pour priver leur seigneur, à force de précautions et de fraudes, de l'héritage qui lui est dû; de là s'ensuivent mille inconvénients non seulement pour le temporel, mais aussi pour le spirituel.

  A022001408 

 Or, bien qu'on ait recouru par plusieurs Mémoires à M. le Cardinal et qu'on en ait fait souvent ressouvenir son Secrétaire pour qu'il daignât écrire conformément à l'intention de Sa Sainteté, on nous a toujours répondu que la chose se ferait, mais jamais qu'elle avait été faite.

  A022001408 

 Si donc Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime n'a pas encore reçu l'ordre requis pour cette affaire, Elle est suppliée de la [208] rappeler à M. le Cardinal, afin que l'Evêque jouisse des effets de la faveur accordée par le Saint-Siège..

  A022001409 

 [209] est permis de croire, cependant, que si Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime avait la bonté d'écrire en faveur de cet article, la concession d'une grâce si importante serait bien facilitée..

  A022001410 

 Et pour lui ouvrir encore plus la voie, on expose ce qui suit: Il y a, dans bon nombre de monastères, abbayes et prieurés, plusieurs prébendes dites laïques que l'on donne à des personnes très inutiles, et à des serviteurs non des monastères, mais des Abbés et Prieurs commendataires, en rétribution de leurs services: telles, les prébendes des bûcherons, des portiers, des cuisiniers, des intendants de cuisine.

  A022001411 

 On pourrait plus facilement réussir en rappelant que Grégoire XIII, d'heureuse mémoire, à la requête du R. P. François Papard, Dominicain, prédicateur à Evian, ordonna que cette prébende lui fût payée; ce qui s'est fait jusqu'à présent, même après la mort du P. Papard, pour d'autres prédicateurs..

  A022001412 

 De plus, le pouvoir d'absoudre les hérétiques a été accordé au Prévôt de Genève avec cette clause: «S'ils ont verbalement détesté leurs erreurs en confession sacramentelle;» et plus bas: «seulement au for de la conscience.» Ces clauses empêcheront une grande partie du fruit que sans cela on pourrait retirer, moyennant la grâce de Dieu et les travaux dudit Prévôt, qui ne pourra suffire à confesser tous ceux qui voudront se convertir.

  A022001420 

 Que le Brief rapporté par luy du Saint Siege a esté demandé, accordé et obtenu pour le service de Dieu, de l'Eglise et de Son Altesse, a laquelle il touche de le [213] soustenir, et non a celuy qui, comme simple serviteur, le porte et produit, et qui n'a en cest affaire autre interest que le general de l'advancement du royaume de Dieu..

  A022001421 

 Que neanmoins, s'il plaist a Son Altesse que ledit Prevost, comme serviteur, rende rayson de la volonté du Pape portee par le Brief par luy obtenu, il dira:.

  A022001426 

 Quarto: de proprietatibus; il ne veut que ce soit pensions..

  A022001431 

 Car, ce qu'il semble que la Milice trouve de dur au Brief posterieur, selon les parolles de leur Requeste, est:.

  A022001432 

 Premierement, que la Religion si spoglia delli beneficii, etiamdio di qual si voglia sorta esistenti.

  A022001433 

 Secondement, que cela se face sous pretexte de l'entretenement.

  A022001434 

 Troysiesmement, que la determination de l'entretenement soit remise a l'Evesque, par ces parolles: in quello che ragionevolmente et bonamente.

  A022001435 

 Quatriesmement, du nombre des gens necessaires, voulant que cela se fasse selon le nombre establi, Son [215] Altesse estant a Thonon.

  A022001436 

 Cinquiesmement, que le Brief ayt esté accordé ainsy, sans que ladite Milice aye esté ouÿe.

  A022001436 

 En fait, niant la reduction de ces peuples; mais cela ne se pouvoit, et de plus, quand il n'y en eust eu que dix de chasque parroisse avec liberté en leur faveur, le Pape eust tous jours disposé comme il fait..

  A022001438 

 La moindre ame ou Messe vaut plus que toutes les nominations, pour la conservation de Son Altesse.

  A022001440 

 Il eust mieux valu ne rien faire que de faire fraudement..

  A022001444 

 Partant ledit Prevost, comme tres humble sujet et orateur de Vostre Altesse, supplie pour l'amour de Dieu que l'execution ne soit aucunement retardee, ains avancee, maintenue et soustenue par les graces necessaires a icelle..

  A022001445 

 Et comme humble serviteur et orateur de la Milice, la supplie de se contenter avoir l'œil ouvert s'il se fera abus, et ne prendre pour estre fait contre son service ce que ledit Prevost a fait pour servir la cause de la religion, sans aucune mauvaise affection contre l'honneur et service qu'il leur doit..

  A022001456 

 Vostre Altesse commande au Praevost de Sales, par un decret du 29 avril 99, qu'on sursoye a tout'execution: si que ce pauvre païs demeure tout nud et desprouveu de tous les moyens requis a la continuation de la religion sainte quil a embrassé, avec tant de satisfaction de Vostre Altesse et de bon exemple pour tous les catholiques..

  A022001457 

 Et partant, quil luy playse, ou de commander [219] absolument, purement et efficacement que le Brief de Sa Sainteté soit mis en execution sans dilation, sauf a la ditte Milice de recourir en cas d'abus et se prouvoir comme et vers qui elle verra a faire; ou de commander expressement a l'un des seigneurs de son Senat ou Chambre des Comtes de Savoye d'assister a laditte execution qui se fera par ledit Reverendissime Evesque de Geneve, a laquelle pourra aussi entrevenir un deputé par le Conseil de la susditte Milice, affin que toute accusation d'abus soit evitee.

  A022001457 

 Et que cela soit fait tout promptement, sans aucune dilation, eu esgard a l'importance de la chose, s'asseurant ledit Praevost que, en l'execution dudit Brief, le R me Evesque de Geneve observera tres etroittement ces regles:.

  A022001459 

 De faire un gros de tous les benefices de Chablaix, tant ci devant affectés a la Milice de Saint Lazare qu'autres quelcomques (sauf ceux desquelz Vostre Altesse auroit autrement prouveu), a ce que du tout soit levée la legitime portion requise pour le service de Dieu..

  A022001462 

 Et bien que tout le revenu ecclesiastique de Chablaix qui est en estre et n'a esté aliené, malaysement peut suffire a ce quil seroit besoin faire en ce commencement, auquel on ne peut jamais faire que trop peu, si est ce que ledit Evesque, quand a ce qu'il luy touche, se contentera simplement de ce qui est necessairement [221] necessaire, layssant au surplus a la pieté de Vostre Altesse de prouvoir et au college des Jesuites, ja conclud et destiné par elle avec le Pere General de l'Ordre, et aux autres œuvres qui sont de telle importance qu'elle sçaura tres bien juger..

  A022001495 

 Cet excès, commis à cause d'une certaine débauchée, rend vacante la prébende de l'Ouvrier qui est la plus riche du monastère (il est vrai que le moine qui en est pourvu a en charge la fabrique de l'église).

  A022001495 

 Et bien que tous les Religieux vivent encore, néanmoins la veille de [223] la Toussaint il s'est produit parmi eux un fait qui, si je ne me trompe, nous ouvre la voie à cette union.

  A022001495 

 Le moine appelé, de son office, Ouvrier, blessa à coups de stylet et avec une masse d'arme deux gentilshommes de l'endroit et un autre pauvre homme; les coups furent tels et si nombreux que deux des trois blessés sont à l'article de la mort et l'autre est estropié.

  A022001497 

 La Collégiale de Saint-Jacques de Sallanches a également besoin d'un théologal; il serait facile de lui en ménager un avec une prébende de l'abbaye de Sixt et une encore du prieuré de Peillonnex; tous deux appartiennent aux Chanoines réguliers de Saint-Augustin, les mêmes que ceux de Tarentaise.

  A022001498 

 Ses prébendes [226] n'atteignant pas les vingt-cinq écus par an, on pourrait leur en ajouter une de l'abbaye d'Entremont, ou Intermontium, des Chanoines réguliers blancs, qui n'existent pas, que je sache, en Italie, et une autre du prieuré de Contamine, de l'Ordre de Cluny; ces deux prébendes montent à cent écus.

  A022001499 

 Elles sont de cent écus annuels, et la Règle de l'abbaye est celle des Chanoines réguliers, les mêmes que ceux de Tarentaise.

  A022001499 

 Partant il sera bon que l'on pourvoie cette église d'une nouvelle prébende, la prélevant sur les douze d'Abondance, dont six sont vacantes depuis bien des années.

  A022001501 

 On y trouve deux prieurés, dont l'un rural, de l'Ordre de [228] Saint-Benoît, fut anciennement uni au Chapitre cathédral de Genève; c'est là que demeure le curé avec quelques vicaires; l'autre appartient aux Frères Ermites de Saint-Augustin.

  A022001502 

 De cette manière, on constituerait dans ce diocèse sept théologales moyennant lesquelles on pourrait rétablir toujours davantage la religion, jusqu'à ce que Dieu nous envoie des bénédictions plus abondantes.

  A022001502 

 Quant au prieuré de Talloires, il me reste seulement à dire que si on ne juge pas à propos de traiter de la prébende de [229] l'Ouvrier, on pourrait songer à la première vacante ou à vaquer.

  A022001503 

 Il en faudrait sept, mais s'il y en avait davantage, ce ne serait que mieux.

  A022001503 

 Toutes ne peuvent pas être canonicales, car il n'y a dans le diocèse que cinq églises avec des chanoines séculiers; et encore n'a-t-on pas fait mention de l'une d'elles, comme n'étant pas très nécessaire.

  A022001504 

 On a indiqué les monastères et prieurés qui ont des prébendes vacantes; mais, en accordant la provision, il me semblerait [230] beaucoup plus sûr de le faire en ces termes: les premières vacantes ou à vaquer; parce que, pendant que l'on propose et délibère, celles qui actuellement se trouvent vacantes pourraient être pourvues par les Abbés ou Prieurs..

  A022001505 

 Et lors même qu'ils s'en soucieraient, je pense qu'on ne devrait guère s'inquiéter de leurs prétentions; il suffit que leurs prébendes soient appliquées à la plus grande gloire de Dieu; car, pour ce qui est de la majorité, ils donnent de tels scandales qu'il faudrait mille prédicateurs pour restaurer ce qu'ils détruisent.

  A022001505 

 Les Religieux seront-ils satisfaits, je ne saurais le dire; mais je crois qu'ils se soucient fort peu de ce que deviendront leurs prébendes après leur mort, pourvu qu'ils en jouissent jusque là.

  A022001505 

 Leurs abbayes sont situées en des lieux inhabités, sauf Talloires qui est une bourgade peu éloignée d'Annecy; de sorte que, quand même ils auraient parmi eux des théologaux (et ils sont loin de les avoir), si une autre réforme n'intervient, ils seront toujours de peu d'utilité aux populations..

  A022001506 

 Ce que je dis sans aucun autre intérêt que celui de leur salut et de l'édification du peuple.

  A022001511 

 Outre tout ce que les ecclesiastiques tiennent maintenant, l'Evesque de Geneve demande:.

  A022001513 

 Les pretentions que lesdits sieurs Chevaliers pourroyent avoir sur Vullionnex, avec tout ce qui depend dudit Vullionnex ou en dependoyt..

  A022001515 

 Et par ce que les sieurs Chevaliers rachettant les biens des autres benefïces pourroyent, ou par mesgarde ou autrement, prendre les biens des cures en guise des autres, seront obligés monstrer les contractz aux deputés de l'Evesque, par lesquelz il sera regardé si lesdits biens sont ou aux cures ou aux autres benefïces..

  A022001523 

 Et par ce que Son Altesse, selon sa pieté, voulut que neantmoins l'exercice catholique fut continué es dittes deux parroisses, a ces fins ordonna que cent escus d'or seroyent [235] delivrés annuellement aux deux prestres qui feroyent ledit exercice, assignation donnee sur la gabelle a sel; delaquelle somme, neanmoins, on n'a jamais peu estre [236] payé que pour troys ans, de sorte que les ecclesiastiques deservans es ditz benefices ont esté contraintz de s'entretenir d'empruntz faitz tant par eux que par ledit Evesque..

  A022001524 

 Et parce que la pieté, l'equité et la justice requerans que, a l'advenir, ledit exercice catholique soit continué, et par consequent les prestres entretenuz, Son Altesse est suppliee en toute humilité de faire poser ce payement au bilan, pour cette annee et les suivantes, comme encor pour les arrerages................................................................................................

  A022001535 

 Ce qu'il n'a onques esté possible d'obtenir, se passant maintenant la sixiesme annee sans que lesditz pauvres supplians ayt ( sic ) jamais peu avoir un seul liart des gabeliers, non obstant toutes les poursuites, sollicitations, supplications et remonstrances faites tant par les supplians que par le seigneur Evesque de Geneve, leur Praelat, et non obstant encor plusieurs ordres donnés par Vostre Altesse a diverses fois, et plusieurs Arrestz et sinceres diligences faitz par la Chambre des Comtes de Savoye qui n'a rien obmis en cela, jusques a ne vouloir clorre les comtes des gabeliers; en sorte que le sieur Velasque, dernierement a Chamberi, declara audit Evesque que lesditz curés [239] n'en auroit ( sic ) onques rien, les gabelles estant toutes espuysees et employees pour les maysons de Vos Altesses et autres assignations praecises, et que jamais nul ordre, quel qu'il fut, ne serait suffisant pour cela..

  A022001536 

 Si que finalement, Monseigneur, les supplians ayans tant employé de peines, tant fait de frays et tant emprunté pour faire ces inutiles poursuites et continuer au moins mal qu'ilz ont peu le service esdites eglises, reduitz en extreme misere, recourent finalement a Vostre Altesse, la suppliant tres humblement, au nom de Dieu, de vouloir donner autre ordre, a ce que effectivement ilz soyent payés et pour le passé et pour l'advenir, estant chose de si grande et evidente justice, equité, pieté et conscience..

  A022001560 

 On demande deux choses à Sa Majesté: l'une, qu'on rétablisse l'exercice du culte catholique dans toutes les localités du pays de [241] Gex; l'autre, que les revenus ecclésiastiques soient rendus aux hommes d'Eglise..

  A022001561 

 On ne doit pas redouter [242] les séditions, soit parce que, la plus grande partie de la noblesse étant catholique, les magistrats sont des hommes de marque, soit parce qu'il n'y a aucune forteresse ni aucun château-fort..

  A022001562 

 Il ne faut pas craindre que pour cela ils se révoltent; le duc de Savoie a bien établi le culte catholique dans les autres bailliages, et cependant ils n'ont pas bougé, quoique, [243] pressés par leurs ministres, ils s'en soient plaints.

  A022001563 

 Quant à la seconde chose qu'on demande, c'est-à-dire, que les biens de l'Eglise soient restitués, il peut y avoir plus ou moins de [244] difficulté, suivant l'état où ils se trouvent.

  A022001564 

 C'est pourquoi, bien que ces revenus soient dans le pays de Gex, on n'en espère rien, sinon par la Providence de Dieu..

  A022001564 

 Ici, la difficulté serait encore plus [245] grande, parce que les Genevois estiment et croient que l'Evêque était Prince suprême de ces lieux; dès lors, eux aussi se considèrent là comme maîtres et seigneurs absolus, sans reconnaître aucun supérieur.

  A022001565 

 Les Bernois, ni personne quelconque, sauf les ministres et gens semblables, n'y ont donc aucun intérêt; de sorte que Sa Majesté peut et doit faire justice aux ecclésiastiques..

  A022001566 

 Touchant ces derniers, toute la difficulté consiste en ce que les Genevois seraient mécontents et auraient de la peine si on en faisait justice; mais jamais on ne fait justice sans causer du mécontentement à la partie qui a tort, et l'on ne doit pas avoir moins d'égard à l'injure qui se ferait à l'Eglise refusant de lui rendre justice, qu'au déplaisir qui reviendrait aux détenteurs en la lui rendant..

  A022001567 

 De plus, puisqu'Elle a déclaré vouloir que son Edit fût observé dans les pays récemment unis en ce qui est favorable à l'hérésie, il semble que, réciproquement, Elle doive le faire observer en ce qui est favorable à l'Eglise.

  A022001575 

 Ce [249] qui auroit meu le suppliant implorer l'ayde, secours et bras seculier de Vostre Majesté, affin que, selon sa bonté et pieté chrestienne, justice et equité royale, il luy pleut restablir l'exercice de la sainte religion audit balliage; reintegrer les prestres, pasteurs, comm' aussi le Chapitre de l'Eglise cathedrale Saint Pierre de Geneve, et tous doyens, prieurs, abbés, çhapellains et autres personnes ecclesiastiques, es eglises dediees de tout tems au saint service, et en leurs maysons, domeynes, terres, dixmes et revenuz affectés a leur entretenement..

  A022001575 

 Claude de Granier, Evesque de Geneve, avec tout son Clergé, remonstre tres humblement a Vostre Majesté, que, par la misere des troubles advenuz a l'occasion du schisme et division de religion, l'exercice de la religion Catholique, Apostolique et Romaine a esté entierement expulsé du balliage de Gex, et les saintz temples, maysons et patrimoines de l'Eglise occupés et detenuz violemment; les prestres et pasteurs dechassés.

  A022001577 

 Ce qui fait a present recourir ledit suppliant a Vostre Majesté, a ce que, selon sa justice et equité, il luy playse ordonner:.

  A022001578 

 Le tout a la forme de l'Edit public a Paris le 25 febvrier 1599, lequel le suppliant requiert tres humblement estre observé pour la conservation des droitz de l'Eglise audit balliage de Gex, puisqu'il est maintenant uni a la royale couronne de Vostre Majesté, et que l'ors mesme que l'Edit sus mentionné.

  A022001578 

 Que la religion Catholique, Apostolique et Romaine sera remise et restablie en tous les lieux et endroitz dudit balliage de Gex ou l'usage d'icelle a esté intermis, pour y estre paysiblement et librement exercee, sans aucun trouble empechement; defendant tres expressément a toutes personnes, de quelqu'estat, qualité et condition qu'elles soyent, de ne troubler, molester ni inquieter les ecclesiastiques en la celebration du divin service, jouissance et perception des dixmes, fruitz et revenuz de leurs benefices, et autres droitz et devoirs qui leur appartiennent; et que tous ceux qui, durant les troubles, se sont emparés des eglises, maysons, biens et revenuz appartenans ausdits ecclesiastiques et qui les detiennent et occupent, leur en delaissent l'entiere possession et jouissance paysible, en telz droitz, libertés et seurtés qu'ilz avoyent auparavant qu'ilz en fussent [251] desaissis ( sic ).

  A022001578 

 fut publié, il estoit des-ja reduit sous son obeissance, tenu, administré et possedé au nom d'icelle; et qu'Elle mesme a declairé estre de son bon playsir «que l'Edit soit observé es pais eschangés,» selon sa forme et teneur, touchant l'establissement «de la religion praetendue reformee»: dont on peut conclure que son intention est que le mesme Edit soit aussi gardé selon sa forme et teneur, et reciproquement, en ce qui concerne le restablissement de la religion et Eglise Catholique..

  A022001579 

 Et en particulier, le mesme Seigneur Duc restablit au balliage de Gex, dont il est question, la religion Catholique l'an 1590, rendant les benefices aux ecclesiastiques, bien que, par la misere de la continuation des guerres, ledit restablissement dura fort peu et fut rendu presque inutile..

  A022001579 

 N'estant au reste considerable le traitté jadis passé entre le Seigneur Due de Savoye d'une part, et les Seigneurs de Berne d'autre part, touchant ledit balliage de Gex et autres, au prejudice de la religion et Eglise Catholique; d'autant que ledit traitté a esté entierement [252] rompu, cassé et annullé par les guerres subsequentes.

  A022001580 

 Si que il ne demeure aucune rayson ni apparence aux detenteurs et occupateurs des eglises et benefices de Gex, pour laquelle, le balliage estant uni a la Couronne, [253] ilz ne doivent estre contraintz de subir le droit, justice et equité portée par l'Edit de pacification, au prouffit des ecclesiastiques; lequel Edit, le suppliant implore, avec la pieté et zele de Vostre Majesté..

  A022001594 

 Oue la religion Catholique, Apostolique et Romaine sera remise et restablie en tous les lieux et endroitz dudit balliage de Gex ou l'usage d'icelle a esté interims, pour y estre paysiblement et librement exercee, et que tous ceux qui, durant les troubles, se sont emparés des eglises, maysons, biens et revenuz appartenans aux ecclesiastiques, et qui les detiennent et occupent, leur en delaissent l'entiere possession et paysible jouissance, en telz droitz, libertés et seurtés quilz avoyent auparavant quilz en fussent desaisis: qui sont les termes de l'Edit publié à Paris, le 25 febvrier 1599, lequel ledit suppliant requiert tres humblement estre observé en ce qui concerne l'advancement de la foy catholique.

  A022001594 

 Puisque, reciproquement, le mesme Edit sera observé, en ce qui concerne l'exercice de la religion praetendue [255] reformee, es pais eschangés comm' es autres du royaume, ainsy que Sa Majesté a declairé en la responce faitte aux Articles prsesentés par les deputés de Beugey et Valromey, qui supplioyent que l'exercice de laditte religion praetendue ne fut introduit es confins des dittes provinces; et que, au tems de la publication de l'Edit, le balliage de Gex estoit sous l'obeissance de Vostre Majesté, tenu, possedé et administré au nom d'icelle..

  A022001595 

 N'estant en ce fait considerable ( sic ) les traittés faitz entre le Seigneur Duc de Savoye et les sieurs de Berne touchant ledit balliage, au praejudice de la religion Catholique, d'autant que ledit traitté a esté entierement annullé par les guerres subsequentes; en suitte dequoy, ledit Seigneur Duc a despuis restably et remis l'exercice de la religion Catholique es trois autres balliages comprins au mesme traitté, en mesme forme et sous mesme article, ou l'Eglise fleurit maintenant et les ecclesiastiques [256] jouissent paysiblement de leurs biens, sauf de certaine partie delaquelle ilz sont en proces ordinaire, [poursuivant] la jouissance par devant le Senat de Savoye..

  A022001596 

 Si que il ne demeure aucune rayson aux detenteurs et occupateurs des eglises et benefices dudit balliage de Gex, pour laquelle ilz ne doivent subir l'equité et justice portee dans l'Edit sus mentionné, touchant le restablissement de la religion et restitution des biens ecclesiastiques: qui est ce que le suppliant et son Clergé requiert tres humblement, avec deputation de commissaires pour l'entiere et totale execution de l'Edit touchant ce chef..

  A022001610 

 Ce qui auroit meu le suppliant implorer l'ayde, secours et bras seculier de Vostre Majesté, affin que, selon sa bonté et pieté chrestienne, justice et equité royale, il luy pleut restablir l'exercice de la religion Catholique audit balliage, reintegrer les personnes ecclesiastiques es eglises dediees de tout tems au saint service, et en leurs maysons, domeynes, terres, dixmes et revenuz affectés à leur entretenement..

  A022001610 

 L'Evesque de Geneve, avec tout son Clergé, remonstre tres humblement a Vostre Majesté, que par la misere des troubles advenuz par le schisme et division de religion, l'exercice de la foy Catholique, Apostolique et Romaine a esté entierement expulsé du balliage de Gex; les saintz temples, maysons et patrimoine de l'Eglise, occupés et detenuz violemment; les prestres et pasteurs dechassés.

  A022001612 

 Ce qui fait a present recourir ledit suppliant a Vostre Majesté, a ce que, selon sa justice et equité, il luy plaise ordonner:.

  A022001613 

 Que la religion Catholique, Apostolique et Romaine sera remise et restablie en tous les lieux et endroitz dudit balliage de Gex, ou l'usage d'icelle a esté intermis, pour estre paysiblement et librement exercee, sans aucun trouble et empechement; defendant a toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soyent, de ne troubler, molester ni inquieter les ecclesiastiques en la celebration du divin service, jouissance et perception des dixmes, fruitz et revenuz de leurs benefices, et autres droitz et devoirs qui leur appartiennent; et que tous ceux qui, durant les troubles, se sont emparés des eglises, maysons, biens et revenuz appartenans ausditz ecclesiastiques, et qui les detiennent et occupent, leur en delaisseront l'entiere possession et jouissance paysible, en telz droitz, libertés et seurtés qu'ilz avoyent auparavant qu'ilz en fussent desaisis.

  A022001624 

 En [260] quoy, aucun n'aura rayson de se lamenter, puisque ce sera traitter ledit balliage comme tous les autres sujetz du royaume, le laissant en mesme liberté; n'estant raysonnable que les pretenduz reformés d'iceluy soyent plus respectés que les autres, et que ce seul coin du royaume soit excepté de la regle generale de l'Edit, tous traittés faitz au contraire ayans esté cassés par les guerres subsequentes; n'y ayant mesme pas si long tems que l'exercice de la sainte religion y a esté, d'autant que l'an 1590 il y fut restably par le Duc de Savoye, apres que les Bernois eurent violé le traitté fait avec le pere dudit Duc.

  A022001624 

 En suitte de quoy, bien tost a pres se fit un autre traitté en la ville de Nyon, entre ledit Duc et les Bernois, auquel il fut convenu qu'audit balliage de Gex l'exercice des deux religions seroit libre; en sorte neanmoins que celuy de la praetendue ne seroit qu'en trois lieux, celuy de la Catholique en tous les autres.

  A022001624 

 L'une est que l'exercice de la religion Catholique soit restably en tous les lieux dudit balliage ou il estoit avant les troubles survenuz par le schisme et division de religion; et ce, selon les termes et teneur de l'Edit.

  A022001624 

 Mais ledit traitté fut encor rompu et demeura sans force; si que il n'y a rien pour ce regard qui empesche ledit balliage d'estre reduit sous la loy generale de l'Edit, comme ont esté tous les autres païs eschangés..

  A022001625 

 L'autre demande est que les biens ecclesiastiques soyent restitués selon le mesme Edit.

  A022001627 

 Et pour ceux cy, attendu qu'ilz sont occupés sans autre tiltre que de pure usurpation, Sa Majesté est suppliee d'en faire justice.

  A022001635 

 De façon que le dernier Edit du Roy, de l'annee 99, fait sur les Editz praecedens, doit estre observé aussi exactement audit balliage de Gex quil l'est en tout ce royaume..

  A022001635 

 Que par les articles de la paix du Roy et du Duc de Savoÿe, le balliage de Gex fut inseparablement [263] uni a ceste Couronne; au moyen de quoy il doit, comme membre du royaume, jouïr de tous les privileges d'iceluy.

  A022001637 

 A quoy Sa Majesté inclinant, remit l'execution de ceste requeste a monsieur le Baron de Lux, son lieutenant general audit balliage de Gex, lequel neanmoins, l'on ne sçait pourquoy, ne fit qu'entamer et donner commencement a ce saint œuvre, renvoyant le surplus a Sa Majesté et a Messieurs de son Conseil; mondit sieur de Lux s'estant contenté de restablir seulement l'exercice de la religion Catholique en la ville de Gex et es parroisses des vilages de Farges et Asserens, quoy que ces trois lieux ne facent pas la dixiesme partie du balliage.

  A022001637 

 Si tost que l'Evesque de Geneve sceut ladite union, il supplia le Roy de vouloir comprendre ledit balliage de Gex au benefice dudit Edit, puys quil avoit lhonneur d'estre incorporé a son royaume.

  A022001638 

 Et par [ce] que quelques uns de Messieurs du Conseil ont objecté que ledit balliage de Gex estant au Duc de Savoye il ni auroit pourtant pas restabli l'exercice de la religion Catholique, l'on respond que la verité est telle; mays il faut entendre pourquoy:.

  A022001639 

 Ce quil monstra bien despuis, car les Bernois luy ayant suscité la guerre l'an quatre vingt et dix, et en icelle conquis le balliage de Gex, le Duc de Savoye l'ayant repris, y remit a l'instant l'exercice de la religion Catholique, lequel y demeura jusques a ce que monsieur de Sanci reconquit ledit baillage sur ledit Duc de Savoÿe..

  A022001639 

 Le Duc de Savoye estant contraint par le traitté de paix quil fit il y a fort long tems avec les Bernois, de [264] leur permettre que le balliage de Gex demeureroit en l'exercice de la religion praetendue reformee qui s'y estoit nouvellement introduitte par leur moyen, il a pensé quil ne devoit contrevenir, pour le bien de son Estat, a ceste promesse, laquelle pourtant il gardoit fort envis et contre son inclination.

  A022001640 

 Est aussi a considerer que le Roy tient le baillage de Gex a pareilles conditions que le Duc de Savoye tient les autres baillages qui confinent les Bernois, ou le Duc de Savoye a restabli l'exercice de la religion Catholique sen ( sic ) que les Bernois s'en soyent offencéz, non plus que de l'ordre que le Duc de Savoye a mis aux biens ecclesiastiques desdits baillages qui est tel, que il a permis aux ecclesiastiques de rachepter ce qui en a esté aliené par les Bernois, selon la forme du droit.

  A022001641 

 Mays la difference qui est entre le Roy et le Duc de Savoye fait aussi esperer beaucoup plus de grace aux ecclesiastiques qui seront installés au balliage de Gex, que le Duc de Savoye n'a osé ouctroyer a ceux qui sont maintenant aux balliages susdits; en quoy ilz se treuvent bien fondés, tant pour la grandeur de Sa Majesté tres chrestienne, que pour ce quilz esperent estre compris au nombre de tous les autres ecclesiastiques de France qui ont esté remis en l'entiere jouissance de tous et chascuns leurs biens, droitz et privileges..

  A022001642 

 Et pour faire mieux connoistre la rayson que l'Evesque de Geneve a de promptement poursuivre l'enterinement de sa requeste, Messieurs du Conseil seront advertiz que la noblesse du balliage de Gex estant catholique, comm' aussi plusieurs autres des principaux dudit balliage, ilz sont contraintz de rechercher avec des incommodités tres grandes l'exercice de leur religion..

  A022001652 

 Premierement: Que ledit sieur Bonfilz cedera et resignera le prieuré d'Asserens, avec toutes ses dependences, au prouffit du curé de Farges et Asserens, pour [268] estre, icelluy prieuré avec ses dependences, uni a la cure dudit Farges et Asserens pour l'entretenement du curé et autre prestre qui y fera le service..

  A022001664 

 Expose humblement Messire François de Sales, Evesque et Prince de Geneve, comme du dernier novembre 1601, suyvant le bon playsir de Sa Majesté, il avoit esté, par monsieur le Baron de Lux, mis en possession, saysie et jouissance tant de l'eglise Saint Pierre de Gex que des maysons presbiterales et biens dependans du doyenné et [272] cure de laditte eglise, comme plus a plein est contenu par ledit establissement sur ce fait lesditz an et jour, duquel il est prest faire apparoir..

  A022001665 

 Dequoy le seigneur exposant informé, desireroit par vostre authorité, ce que dessus consideré, vous playse, en ensuyvant la teneur de la commission qu'aves de saditte Majesté, de remettre ce qui a esté establi par le sieur Baron de Lux en deu estat; ordonner que tres expres commandement sera fait au ministre qui jouit a present de laditte mayson de [273] la cure et jardin, que dans brief delay (que pour ce faire prefigeres) il ayt a en vuider, avec injonction de restituer les fruitz qu'il en a perceu: le tout en suitte dudit establissement, et sur ce, luy prouvoir remede convenable, implorant humblement vostre benigne justice..

  A022001665 

 Or est il que le ministre, qui pour lhors habitoit en la mayson de la cure, auroit continué, tant luy que autres ses successeurs, la possession de laditte mayson et d'un jardin au derriere d'icelle situé.

  A022001694 

 Supplie humblement Messire François de Sales, Evesque et Prince de Geneve, disant que son evesché, quy estoit aultrefois tout enclos dans les Estatz de l'Altesse de Monseigneur le Duc de Savoye, sauf ce qui est detenu et usurpé par les heretiques, se treuve maintenant, et despuis la paix de Lyon de l'an mil six centz et ung, en partie riere les terres de Sa Majesté: a [276] sçavoir, tout le pays de Verromey, une partie du Bieugey et toutte la terre et baronnie de Gex, que sont envyron soixante parroysses; dont quelques unes, qui sont en laditte terre de Gex, ont obtenu naguieres, par la grace et bonté de Dieu et du Roy, l'exercice de nostre saincte foy et religion Chatollique, demeurant neanlmoins le seul exercice de la religion pretendue en tout le reste dudit pays de Gex, ou, pour ceste cause, plusieurs ministres, faisantz leur ministere a l'acoustumee, jouissent des revenuz ecclesiastiques et font jornellement mille traverses aux pauvres Chatoliques et aux curés que le sieur suppliant y a establis..

  A022001695 

 A cause dequoy, ledit sieur suppliant se treuve contrainct de recourir a tous coups aux magistratz et officiers du Roy, iesquelz, quoy quilz monstre ( sic ) de n'estre mal affectionnés aux Chatoliques, neanlmoins, pour fere profession de la religion des ministres, ne peuvent leur estre si favorables que l'on desireroyt.

  A022001695 

 De sorte que le sieur suppliant est contrainct bien souvent de [277] se porter pour appellant par devant la court de Dijon, et recourir en oultre, pour diverses occations, tant a monsieur le Grand, gouverneur de Bourgoingne, de Bresse, Beugey, Verromey et Gex, qu'a monsieur le Baron de Lux, lieutenant du Roy au dit gouvernement, comme encores, par foys, a Sa Majesté; non sans beaucoup de difficulté et de despens, tant pour ne pouvoir ledit sieur suppliant abandonner son evesché, qui n'est que trop pleyne d'affaires, pour fere les poursuittes qui seroyent necessaire ( sic ) a faire pres de sadite Majesté pour obtenir une finale resolution sur lesdites difficultés, qu'aussy pour les vives solicitations que font continuellement au contraire les scindicques et deputés de ladite pretendue religion demeurantz ordynairement en cour.

  A022001695 

 Par le moyen de quoy, l'avancement de nostre saincte religion et de l'exercice d'icelle est beaucoup retardé, [278] au grand scandalle et prejudice des pauvres convertys de ladite terre de Gex, lesquelz sont tellement estonnés et degouttés, quil est a craindre que plusieurs d'entreux ne soyent contrainctz de regarder en arriere, silz ne sont retenus et confirmés par quelque esperance quil leur naisse de veoir la religion Chatolique favorizee, supportee et avancee audit pays plus qu'elle n'a esté jusques a present..

  A022001696 

 A quoy desirant le sieur suppliant pourveoir ainsy quil doibt et le mieulx quil luy sera possible, il luy a semblé que le mellieur et unique remede seroyt de recourir a Voz Reverences, pour obtenir de leur charité que, comme lesdits pays de Beugey, Verromey et Gex sont unis et incorporés a l'Estat et Coronne du royaume, aussy son evesché, pour la part qui est dans l'obeissance de Sa Majesté, fust unie ( sic ) et incorporé au corps du Clergé de la France et, par ce moyen, rendu participant des faveurs, graces, benefices dont jouissent touttes les aultres personnes, dignités et biens ecclesiasticques..

  A022001697 

 C'est pour quoy, estant informé de ceste solennelle assemblee quy se faict pour entendre l'estat et les necessités de tout le Clergé de France, afin d'y apporter les remedes et provisions convenables, il recourt a Voz Reverences, a ce qu'en consideration des choses susdites et en commiseration de tant de pauvres ames, les unes ja converties, les aultres encores captives dans les liens de l'eresie, comme encores au grand interest qu'a toutte la Chrestienté, et particullierement la France, de veoir toutte ladite terre de Gex, qui confine et aboutit aux portes de la ville de Geneve, entierement convertie et reunie a nostre saincte foy et religion Chatolique, il vous plaise, mes Seigneurs, declayrer et ordonner que ledit evesché de Geneve, pour toutte la part qui est [279] dans les terres de l'obeissance du Roy, sera par cy appres et des a present unie et incorporé au corps general dudit Clergé de la France, et que, en telle quallité, ledit evesché, pour ladite part, jouira des ores des privileges et immunités dont jouit le reste dudit Clergé.

  A022001697 

 En ce faisant, que les seigneurs scindicz et procureurs generaulx dudit Clergé, qui sont et seront cy appres deputés pour demeurer en court pour traitter avec Sa Majesté les affaires dudit Clergé sellon les occurrences, seront tenus de prendre en main les memoyres, requestes et aultres poursuittes quy leur seront addressés par le sieur suppliant, pour en obtenir les provisions necessaires, soit de Sa Majesté, ou du corps mesmes dudit Clergé..

  A022001707 

 Despuys, ilz rendirent ledit balliage au Serenissime seigneur Duc de Savoye Emmanuel Philibert, il y a environ 40 ans, par traitté fait avec luy, par lequel, entr'autres conditions, il fut arresté que l'exercice huguenot y seroit entretenu; lequel traitté fut rompu, il y a seize ans, par les mesmes Bernois qui, au prejudice d'iceluy et contre leurs promesses, se saysirent de laditte baronnie pour la seconde fois, les armes au poing.

  A022001707 

 Il y a septant' ans justement, que les Bernois occuperent le balliage de Gex, et tout aussi tost ilz chasserent les ecclesiastiques et exterminerent l'exercice catholique.

  A022001707 

 Mays ilz n'en demeurerent maistres que pour peu, parce que le Serenissime seigneur Duc de Savoye la reprit avec vive force tout incontinent apres, et l'ayant ainsy reprise, ne se treuvant plus engagé dans l'obligation des conditions precedentes, il restablit par tout les eglises et l'exercice catholique.

  A022001709 

 Et si bien les Bernois en avoyent osté l'exercice, cela n'est pas considerable en cest endroit, d'autant que les articles de paix ne regardent pas leur guerre (de laquelle ilz s'estoyent accommodés auparavant, sans rien excepter, au prejudice de la religion Catholique), mais ont lieu seulement pour la guerre faitte entre les deux Princes qui faisoyent la paix; si que Sa Majesté ayant uni et incorporé ledit balliage au royaume, il n'y a rien qui puisse empescher que les Editz de pacification n'y soyent executés pour ce qui concerne l'exercice catholique et les biens ecclesiastiques..

  A022001709 

 Que servant d'une partie de l'eschange du marquisat de Saluces, le Clergé y doit avoir les privileges et jouissances qu'il avoit au marquisat; que les Serenissimes seigneurs Ducs de Savoye y ayant remis par tout l'exercice catholique, lequel n'en a point esté osté que par la guerre, il y doit estre restabli par les articles de paix qui reduisent toutes choses a l'estat auquel elles estoyent avant les guerres.

  A022001711 

 On peut donques justement desirer, demander et solliciter que les biens ecclesiastiques soyent remis aux gens d'Eglise, et l'exercice catholique restabli par tout ou il se treuvera des personnes qui en supplieront..

  A022001723 

 Le sieur de Sales, Evesque et Prince de Geneve, remonstre tres humblement a Vostre Majesté, que sur la deputation des commissaires par tout vostre royaume pour l'execution de l'Edit de Nantes, iceux estans au balliage de Gex, ledit suppliant, au mois de decembre 1611, se pourveut par devant eux pour estre reintegré en la possession de toutes ses eglises, cimetieres, maysons presbiterales, revenuz et domaines ecclesiastiques; ou ceux de la religion pretendue reformee formerent tant d'oppositions, que son voyage fut infructueux pour la Catholique, et furent contraintz les ditz commissaires ordonner que des dittes oppositions et remonstrances rapport en seroit fait en vostre Conseil, pour y pourvoir selon vostre bon playsir.

  A022001726 

 A ces causes, Sire, [on remontre] que ledit suppliant ne doit estre de pire condition que tous les autres ecclesiastiques de vostre royaume, duquel il a l'honneur d'estre l'un des Prelatz et en cette qualité luy a fait le serment de fidelité; et attendu qu'il ne possede autre domaine en tout vostre royaume que ce qui luy est usurpé par lesditz de Geneve, joint que, injustement, ilz luy detiennent presque tout le surplus de ses revenuz qui sont dans l'Estat et territoire dudit Geneve, et que dudit renvoy il vous appert par les pieces cy attachees: il playse a Vostre Majesté ordonner qu'il sera reintegré et restabli, tant en [son] particulier que dudit Chapitre de son Eglise cathedrale, et du Chapitre de Saint Victor et des autres ecclesiastiques, en la reelle possession et jouissance des eglises, maysons presbiterales, biens et revenuz ecclesiastiques occupés par laditte ville et cité de Geneve, dans la souveraineté de Vostre Majesté; avec defenses a tous detenteurs et occupateurs de ne le troubler ni molester, a peyne d'estre declarés perturbateurs du repos publiq.

  A022001736 

 Monseigneur l'Archevesque de Bourges avoit ordonné a ses fermiers du doyenné de Gex quilz eussent a payer cent escus de pension annuelle au curé de Gex, pendant [288] que ledit doyenné seroit entre leurs mains.

  A022001752 

 Le droit sera observé pour ce regard, et par consequent la residence observee d'autant plus estroittement que le lieu [la] requiert plus entiere; et les contrevenans [290] estans deferés, seront punis de la privation proposee..

  A022001763 

 Appreuvé, sauf de suivre les rubriques du Messel nouveau pour le regard du tems que la troysiesme chandelle doit estre allumee,.

  A022001768 

 Appreuvé, sauf pour le regard de la pension des deux assistans, qui continueront a deux centz livres pour un chacun, attendant que l'œconomie soit deschargee de la multitude des frais qu'il luy convient supporter maintenant..

  A022001783 

 Attendu que pour le present il n'y a pas de tumbes et sepultures de memoire d'homme dans le ci-metiere, on fera un respons devant le maistre autel; et pour le reste, appreuvé.

  A022001807 

 Appreuvé, sauf que les Dimanches et testes communes il suffira de deux cierges sur l'autel; les festes solemnelles secundae classis et aux testes solemnelles primae classis, six.

  A022001819 

 Le maistre d'escole se pourra contenter de huit centz florins, et sera deschargé de la sonnerie qui ne luy pourroit estre que de grande distraction; et ladite sonnerie se fera par le sieur curé..

  A022001847 

 Appreuvé, sauf que, pour le regard des chapelles de nomination, sera affigé a la porte de l'eglise le decret de la future privation des patrons..

  A022001885 

 Et ceux qui auront des vicaires deserviront les annexées a sept heures, les Dimanches et testes, par eux ou leurs vicaires, affin que tous deux assistent aux Grandes Messes au lieu de leur residence..

  A022001890 

 Sera tenu d'avoir un vicaire a ses propres coustz et despens; mais parce que celuy d'aujourduy a tous-jours fidellement et avec prou peyne servy aux faitz de nostre religion, luy sera assisté par les deux prestres institués, avec la pension de six centz florins, le tems qu'il jouyra de sa cure..

  A022001903 

 Et parce qu'il y a charges extraordinaires, tant a cause des PP. Capucins qui celebrent a ladite esglise, et autres passantz, et que ledit sieur curé est œconome, Monseigneur le declaire exempt du luminaire, vin, hosties, et depute monsieur Jaquin pour avoir charge de cela et de la sacristie; et a ces fins luy est decerné cent francs a trois florins piece, a prendre sur la pension de Bomont.

  A022001949 

 Nous commettons par ces presentes venerable messire Claude de Nambruide, curé de Divone, a l'administration et œconomie des biens ecclesiastiques du balliage de Gex non appliqués ny assignés aux eglises de Farges, Gex, Thoyri, Grilly, Chalex, Versoix, Divone, mais destinés aux autres eglises qui, pour le present, ne sont encor pourveues de pasteurs, a fin que [ledit messire Claude de Nambruide] en donne les admodiations et fermes ainsy qu'il vera a faire; puis retire, exige et distribue les revenus procedenz desdites fermes, selon qu'il sera requis, ainsy qu'il est porté par l'ordre estably du jour d'hyer, et autrement selon les mandaz qui luy seront faitz de nostre part: le [tout nean]tmoins en l'assistance et avec l'advis de venerable messire [300] [Claude] Jacquin, curé de Grilly.

  A022001983 

 Et pour les villes, si nombreuses, pour les républiques entières, où il n'est pas permis aux prédicateurs catholiques de se faire entendre, ni de demeurer et parler, [303] quel moyen de les ramener à la foi? Car désormais, chez nous autres Suisses et en toute l'Allemagne, voire même dans plusieurs parties de la France, des villes entières sont hérétiques et l'hérésie passe en raison d'Etat; on ne voit pas le moindre espoir de leur conversion; les choses vont même si avant, que les hérétiques ne sont pas inquiétés le moins du monde, et c'est sans remède.».

  A022001984 

 Ces paroles pénétrèrent tellement mon cœur qu'il ne m'a jamais été possible de me les ôter de l'esprit, et en somme, voici la pensée qui m'est venue: Il est vrai que si on laisse ainsi les Suisses de Zurich, Bâle, Berne et autres cantons (on peut en dire tout autant de l'Angleterre et des autres pays hérétiques), jamais ils ne se convertiront; au contraire, leur religion parvenant à l'Etat, ils établiront l'une dans l'autre.

  A022001985 

 J'ai pensé à beaucoup de choses, et je n'ai trouvé que ce seul moyen: Il faudrait que notre Très Saint Père et Seigneur, ou le Saint-Siège Apostolique, engageât tous les princes catholiques et toutes les républiques non pas à prendre les armes extérieures, mais les intérieures; c'est-à-dire, à proposer la réunion des hérétiques à la sainte Eglise.

  A022001989 

 Afin que cette ratification pût sûrement se promettre, il serait nécessaire que le Saint-Siège fût averti de temps en temps des diverses propositions et qu'il se tînt toujours en mesure de répondre promptement; ou bien, qu'on eût auparavant des mémoires des choses qui doivent être traitées..

  A022001992 

 Cependant, il ne faudrait en aucune façon argumenter, mais seulement proposer les moyens à prendre, afin que tous pussent voir que, la foi catholique sauve, la sainte Eglise est prête à prodiguer pour cette réunion, les revenus et autres choses qui seront jugées nécessaires.

  A022001992 

 Mais si, par hasard, on trouvait que les conciles nationaux ne sont pas à propos, les princes pourraient alors convoquer seulement quelques Prélats et quelques hommes de bon jugement pour traiter de cette sainte affaire en exposant leurs pensées.

  A022001993 

 Et quand même ce remède ne devrait avoir autre résultat que d'ébranler les esprits et d'être comme un moyen d'empêcher les hérétiques d'alléguer le soi-disant droit qu'ils s'attribuent de n'être pas appelés et sommés de venir à résipiscence, l'avantage ne serait pas petit..

  A022001995 

 Au surplus, il suffirait que le Roi de France se joignît à ces deux autorités et que l'on mît de la persévérance à activer l'affaire..

  A022001996 

 Peut-être serait-il difficile maintenant d'unir les cœurs des princes catholiques que nous voyons, excités par des tentations si multiples, se livrer en proie à la division.

  A022001996 

 Toutefois, cette grâce pourrait s'obtenir de Dieu notre Seigneur par la prière, et la main sacrée du Saint-Père s'y employant sincèrement, pourrait opérer ce miracle, comme jadis on fit les croisades et autres entreprises belliqueuses et périlleuses, tandis que celle-ci serait toute pacifique et sans péril..

  A022001997 

 Tant d'hérétiques et de républiques hérétiques sont si proches de moi, que mon esprit ne peut se défendre d'y songer souvent et de prendre en pitié une telle désolation, non seulement présente, mais future; puisqu'avec le temps, ces ennemis de l'Eglise oublient d'autant plus qu'ils ont été jadis ses [309] enfants, qu'ils naissent en des pays où l'on ne parle d'elle qu'avec exécration..

  A022001998 

 Que le Seigneur nous envoie son secours d'en-haut es que les tentes d'Israël soient élargies par le Seigneur! [310].

  A022002029 

 Nous avons appris avec un grand contentement que vous avez ouy les piedicateurs de la parolle de Dieu et de nostre saincte foy Catholique, que vous avez heu continuellement despuis quelques mois.

  A022002029 

 Or, esperant que ceste commodité vous ouvrira le chemin de vostre salut, avec le mesme zele que Nous vous avons procuré ce bien, Nous vous exhortons aussi d'en bien user; et vous en userez bien, si vous prenez garde aux raysons qui vous seront exposees, si vous les pesez esgalement, et si vous proposez les difficultez qui vous surviendront aux predicateurs; car Nous n'avons rien tant a souhait, ny qui Nous soit plus aggreable, que quand Nous entendons que vous proffitez en la saincte Religioa Catholique..

  A022002060 

 5° Il faut considerer que dans Geneve se brassent et traittent toutes les entreprinses contre la Chrestienté et le Saint Siege Apostolique, et les font exequuter avec grande diligence; et cecy s'est veriffié en une infinité d'entreprinses descouvertes.

  A022002069 

 Desja il y a des moyens, mais il faudrait encores une pension de 100 escus que Sa Saincteté pourroit bailler sur quelque abbaye, comme sur Talloeres; il y a une pension qui vacque, qui est pour une personne laicque appellé le chapte boys..

  A022002071 

 Outre cecy, il y a plusieurs autres beaux moyens desquels vous estes adverty, et que pourres advancer comme mieux vous verres a propos..

  A022002076 

 Vous raconteres ce que S. A. pretend de faire propter fidem; mais cela a besoin d'ayde et de secours pour mieux reussir, lequel Sa Saincteté peut facilement nous fere avoir.

  A022002077 

 Surtout ayants la protection du Roy de France pour leur principal appuy, quand ils se verront par luy solicités a recevoir l' Interim, ils diront: De quel costé que nous regardions, nous avons tousjours ceste poursuitte de l' Interim; et facilement accorderont au Duc de Savoye plusieurs choses pour la commodité de la foy Catholique, qu'ils n'accorderoient jamais.

  A022002078 

 Puys, qu'on face entendre audit Roy et Cardinal d'Austriche que, traittant la paix, Geneve n'y soit comprinse s'ilz ne prennent l' Interim; ils trembleront de peur, sur tout sy le Roy les menasse de quicter leur protection.

  A022002083 

 Et faut noter que ce secretaire est catholique; et sy on s'adresse a d'autres, il y a du danger, car ils sont heretiques.

  A022002083 

 Et icy il faut adviser que ceux qui viendront à Geneve soient encores amys de Son Altesse; autrement, l'un gastera l'autre, pour plusieurs raysons qu'on ne peut icy coucher.

  A022002083 

 Et n'y a rien de plus facile que d'avoir ladite lettre par ce moyen: c'est que le sieur Conte de Saconay a un amy secretaire du Roy, voire des premiers; il s'appelle monsieur Ruzé, seigneur de [320] Beaulieu, lequel facilement dresseroit la lettre a ceux de Geneve en bonne forme.

  A022002083 

 Pour ce, estant ledit sr Conte de Saconay bien zelé et au gré de S. A., il y pourroit venir; mais il est necessaire que Sa Saincteté le luy commande, ou prye par une Lettre ou Brief Apostolique, tant pour aller à la court de France vers Mons r le Legat, vers le Roy et vers ledit secretaire pour negocier, et autres solicitations qu'il faudra fere; luy promettant, Sa Saincteté, qu'on n'obliera de le remunerer des frays qu'il y fera.

  A022002086 

 Autres, comme heretiques, disent que sy le Roy le commande, on le fera; d'autres disent que cela ne leur importe rien, pourveu qu'ilz ayent leur presche et liberté de conscience.

  A022002086 

 Et est tres vray que ces dispositions s'y treuvent; donc, ce seroit peché de ne les ayder quand on le peut faire si facilement..

  A022002086 

 Mais il est tres-asseuré, comme font foy les lettres qu'aves et les attestations, que dans Geneve les uns desirent d'y avoir la Messe, comme disposez Catholiques.

  A022002087 

 Ce seroit par le moyen des cantons des Suysses Catholiques, leurs voisins, qui s'ayderoit ( sic ) a prier ceux de Geneve d'accepter l' Interim, et que ne le faisants, s'il survient une guerre ilz ne les ayderoit, voire donneroit secours, car Sa Saincteté les en prye.

  A022002088 

 L'Empereur dirait que sa conscience l'oblige a le faire et qu'il en est pryé de Sa Saincteté.

  A022002088 

 Que l'Empereur escrivit à Geneve, qui est ville imperialle, qu'ilz doivent prendre l' Interim comme les autres villes d'Allemagne, et que, ne condescendantz, ils seroient privéz de tous honneurs, droits, privileges, mesmes du commerce en ses villes; et que sa lettre fut portée par homme qui fit bien sonner le faict.

  A022002090 

 Encores que de facto cela n'advint, neantmoins cela feroit grand peur, et pourroit estre que le peuple dans Geneve hausserait la voix pour demander la Messe..

  A022002090 

 Que la ou tant de belles offres ne vaudraient pour les ranger au debvoir, que Sa Saincteté fit un peu de semblant de vouloir ayder S. A. et menassa d'inciter tous les princes-catholiques contre eux.

  A022002117 

 Nous avons receu vostre lettre du XXIIII du present et joinct a ycelle le double de la requeste que Nous a esté presentee par ceulx de Tonon, et vous disons, en responce, que Nostre intention aiant tousjours esté de donner l'avancement possible au service de Dieu et l'exaltation de son Eglise generalement riere noz Estatz, et particulierement de remettre riere le Chablais la mesme foy et vraye Religion que Noz predecesseurs y avoint si sogneusement plantee avant que les usurpateurs du peys en heussent desbouché Noz bien amez subjectz: Nous avons, sur ceste consideration, volontiers presté l'oreillie a ceulx qui Nous ont proposé leur soing, jeur talent et leur industrie pour la perfection d'un si bon euvre; et telz ayant esté le Pere Cherubin et le President Favre, Nous apreuvasmes le zele qui les poulsoit d'y volloir fere quelque notable fruict..

  A022002118 

 Et cependant, pour remedier aux inconvenientz qui en pourroint resulter, Nous escrivons audict President de ne proceder plus avant a la declaration des peines par luy imposees, et au Pere Cherubin d'y fere valloir par cy apres sa doctrine, sans y adjouster les menaces, jusques a ce que Nous voions quelque aultre temps plus propre pour ce fere..

  A022002118 

 Il est bien vray que Nous estimions que ce deubst estre par le [324] moien de bonnes exortations et par la voye des presches, et non par commination ny menaces, pour ne donner aulcun subject d'ombrage aux circonvoisins, ny subject d'alteration ausdictz de Thonon, bien sacheantz que la conjuncture du temps present ne portoit pas que l'on procedast aultrement, et que la procedure rigoureuse estoit mal convenable a la disposition des aultres affaires que Nous avons sur les bras, encores que bien deue a l'obstination de quelques particuliers dudict Thonon qui se rendent les plus difficiles.

  A022002119 

 Et cependant, en vous laissant dextrement entendre a ces gens que Nostre intention n'est pas de les forcer ny contrevenir aux provisions quilz disent avoir de feu nostre S r et Pere et de Nous, vous ne lairrez de les induire et persuader, en tant que vostre pouvoir se pourra estendre, dé Nous donner ceste satisfaction que d'ouyr et frequenter les presches qui peuvent servir a les desabuser de leur faulce opinion,............................................................................

  A022002138 

 Desirans de faire prouvoir prompcernent à la reparation et restauration des eglises, autels et autres choses necessaires pour les exercices de pieté et devotion, tant en ceste ville de Tonon qu'aux lieux circonvoisins: A ceste cause, et autres Nous mouvans, vous mandons, ordonnons et commandons par ces presentes qu'ayez à saisir et reduire sous Nostre main, et par bon et loyal inventaire, tous et un chacun les revenus, biens, fruicts, argens, appartenances et dependances des benefices riere le bailliage de ceste ville, et particulierement du prieuré de Sainct Hyppolite, qui n'auront charge d'ames, pour le temps de trois ans prochains advenir; et lesquels fruicts et autres choses sudittes, Nous voulons estre employez à la reparation et restauration des eglises, autels et autres choses necessaires pour les exercices de pieté et devotion, ainsi que Nous avons dit.

  A022002138 

 Vous defendans tres-expressement de delivrer, mettre ou employer aucun desdicts fruicts et revenus à autre usage qu'à ce que dessus, et suivant les ordres qui vous en seront faicts par Reverendissime Claude de Granier, Evesque de Geneve, Reverend messire François de Sales, Prevost de l'eglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve, et Reverend messire Claude d'Angeville, Primicier de l'eglise collegiale de Sainct Jean Baptiste de La Roche: ausquels, en tant qu'il Nous concerne et peut appartenir, leur en avons donné et attribué tout pouvoir et authorité; et à vous, de contraindre et faire contraindre tous ceux qui seront à contraindre, par toutes les voyes de justice deuë et raisonnable, d'y obeyr et obtemperer.

  A022002139 

 Commandans à tous Nos magistrats, ministres, justiciers, officiers et subjects ausquels il appartiendra, d'observer ces presentes et, [326] pour l'execution d'icelles, prester toute aide, faveur et assistance necessaire, en tant que chacun d'eux craint de Nous desplaire..

  A022002146 

 Desormais il ne sera plus permis aux personnes qui ont charge et cause des biens et revenus ecclesiastiques, tant des Chevalliers de la Religion des Saincts Maurice et Lazare que des autres quelconques, aux bailliages de Chablais et Ternier, de les bailler directement ou indirectement à louage, ferme, exaction ou recepte, à d'autres personnes qu'à celles qui font profession de la vraye Religion Catholique, Apostolique et Romaine; à peine de confiscation..

  A022002147 

 Qu'il soit defendu à toutes personnes, de quelque qualité et conditions qu'elles soyent, de menacer les Catholiques ou desireux de la Religion Romaine, à parolles ou actions, ou de les mal traicter en façon que ce soit, leur faire des reproches, ou les estonner; à peine de milles livres et autre arbitraire..

  A022002148 

 Que les personnes de la religion pretenduë ne puissent plus doresenavant exercer aucunes charges publiques, ny estre promeus, receus et admis à aucuns offices ou dignitez: de sorte qu'ils ne puissent point estre juges, ny advocats, ny chastellains, ny curiaux, ny procureurs, ny notaires, ny commissaires; et que l'exercice de ces dignitez, charges et offices soit entierement defendu à tous ceux qui ont eu quelque chose de semblable jusques à present, avec abrogation, abolition et revocation des Lettres patentes, ou constitutions qu'ils ont, comme contrats et autres actes; sous peine de faux..

  A022002178 

 Dans leur Requête, les Chevaliers «narroyent qu'ils s'estoyent apperceuz que le Prevost de Sales, Esleu de Geneve, avoit apporté du Souverain Pontife des Lettres par lesquelles la Milice de leur Ordre estoit entierement spoliée non seulement des benefices curez, mais encore de tous autres des bailliages de Chablais et de Ternier, contre la teneur des Lettres obtenues du Pape Gregoire treiziesme, sous pretexte de l'entretenement necessaire des Prestres qui y estoyent des-ja establis, ou qu'on devoit y establir..

  A022002179 

 «Ils disoyent de ne vouloir en façon quelconque troubler ny empescher une affaire si saincte protestans plustost d'estre prests de faire tout ce qui seroit raisonnable; mais qu'il sembloit estre contre la raison si, apres avoir baillé aux Curez la portion congrue, et plus que congrue, ils estoyent spoliez des autres revenuz, et principalement des abbayes e t prieurez, où il n'y a point de charge d'ames..

  A022002180 

 «Ils adjoustoyent que cela apportoit un grand prejudice aux droicts de S. A. et de ses successeurs, à raison du patronage et de la nomination; concluans, qu'il fust du bon plaisir de S. A. de commander qu'on sursoyast à toute execution, jusques à ce qu'ils fussent appelez à voir faire la discussion de tous les revenus, et que les Lettres Apostoliques r'apportées par le Seigneur Esleu de Geneve leur fussent communiquées.».

  A022002182 

 «Le Duc, par son decret, commanda que la Requeste fust intimée au Prevost de Sales, pour y respondre dans deux jours; et jusques à tant et qu'il fust autrement prouveu, de sursoyer à [333] toute execution; avec commandement de bailler copie à la Religion du Bref Apostolique et des raisons pretenduës contre icelle, à fin d'y pouvoir respondre, et apres, estre prouveu ainsi que de raison..

  A022002268 

 A raison de quoy, ils ont plus consumé et faict de despence que receu, et quils ne peuvent plus supporter, daultant que ce de quoy ils se [339] doibvent nourrir et allimenter il fault quils le despence ( sic ) aux courses et poursuittes qu'il faut fere pour en obtenir le paiement; et, que pis est, ils sont contraincts de laisser le service divin» a leur grand regret, le plus souvent pour chercher leur pauvre vie..

  A022002268 

 Supplient humblement les pauvres Aulmosniers d'Armoy et de Draillans, disants: quil est plus que notoire a la Chambre la pention quil a pleu a S. A. Sme leur establir vers le S r Gabellier general, de cinquante escus annuels a chacung d'eulx, pour estre les biens desdits curés occupés par les Seigneurs de Geneve; dallieurs, les divers voiages, frais et despens quil a convenu faire et supporter pour estre paiés d'une partie d'icelle, appres tant de decretz, arrests et jugement de ceans contre les ja dits Gabelliers.

  A022002269 

 A quoy la Chambre est tres humblement suppliee de fere consideration et prouvoir une fois pour toutes; et, [ce] consideré, nos Seigneurs, vous plairra ordonner au sieur moderne Gabellier general leur continuer la dite pention, quartier par quartier, a la forme de leur provision, patentes de S. A. et Arrests de ceans portant veriffication d'icelles, et leur fere rescription une fois pour toutes vers le commis du grenier a sel de Chablais, pour eviter aux voyages quil convient de fere pour ce regard, et a ce que le service de Dieu ne vienne a manquer: et sur ce, plaira leur prouvoir..

  A022002270 

 Et ils continueront leurs prieres a la prosperité de vous, nos Seigneurs, tant en general que particulier..

  A022002280 

 La Chambre ayant esgard au faict privillegié duquel s'agist, et que ce sont charges ordinaires sur la gabelle, suivant les diverses et reiterees jussions et commandements de S. A., et au consentement sur ce presté par le Procureur patrimonial: a ordonné et mande au moderne Gabellier general, de fere rescription aux Reverends Curés suppliants sur son commis a la vente du sel en Chablais, que servira une fois pour toutes pendant le temps de sa ferme.

  A022002293 

 Ce n'est pas peu qu'en une si malheureuse conjoncture, une partie, et la principale, se face bien, et qu'une autre fois l'autre se face, et que, des a present, ceux la mesme qui [342] ne favorisent guere l'affaire en donnent presque asseurance.

  A022002293 

 J'esperois que la premiere lettre que j'aurois a vous escrire en response de celle dont il vous a pleu m'honorer vous seroit rendue par monsieur le Prevost mon frere, pour l'esperance que me donnoyent ses diligences quil pourroit estre depeché avant les testes.

  A022002293 

 Mais j'espere que Dieu le favorisera de telle sorte, quil surmontera en ce voyage non pas peut estre toutes les difficultés, mais du moins un bonne partie, et quil s'en retournera pour le moins a demy content, si son contentement n'est du tout empeché par le desplaysir quil aura de n'avoir pas entierement satisfaict a ce que vous desirez.

  A022002293 

 Mais, outre l'incommodité que luy a causé l'absence du Roy et de tous ceux de son Conseil avec lesquelz il avoit negocié, qui ne sont de retour en ceste ville que des peu de jours en ça, il a treuvé sa negociation tant espineuse pour les traverses que luy font les uns et les autres (les uns, pour estre declairés tout oultre ennemys de nostre foy; les autres, pour n'en estre amys que fort froidement, et presque tous pour estre gens d'Estat), que si sa prudence et dexterité, assistee de la grace de Dieu et de vos merites, n'avoyent combattu la malice du temps, il auroit esté contraincts des le commencement, d'abandonner l'affaire et le remettre a un autre temps.

  A022002295 

 Je me resjouys extremement et vous remercie tres humblement de la bonne nouvelle qu'avez eu de Rome, laquelle ne me pouvoit arriver meilleure en contrechange de celle qu'a eu Madame de la decision de Rote, de laquelle, toutefois, et elle et tous ces messieurs de son Conseil se donnent maintenant beaucoup moins de peine des que nous l'avons receue et veu qu'elle n'est fondee sur raison qui vaille, ny qui soit nouvelle.

  A022002309 

 En somme, il est tenu pour le premier predicateur que la France ayt eu des long temps en ce grand theatre, et plusieurs pensent que le Roy ne le laissera poinct venir quil ne l'aye faict prescher devant luy; ce que je desirerois, comme font aussy plusieurs autres, m'asseurant que cela donneroit beaucoup de credit a sa negociation, delaquelle ne pouvant vous escrire autre pour le present, je ne feray ceste plus longue, sinon pour vous baiser tres humblement les mains et prier Dieu quil vous doint, Monseigneur, en santé, longue et contante vie..

  A022002309 

 Vous ne pourriez croyre, ny moy vous dire combien tous les princes et princesses de la Cour favorisent mon Frere pour les merites qu'ilz reconnoissent en luy, et pour la reputation que luy ont acquise tant de belles et doctes predications quil a faictes aux plus celebres lieux de ceste ville en ce Caresme et en ces festes de Pasques.

  A022002313 

 Monsieur m'a commandé de l'attendre icy; cela m'en fera partir plus tard, mais j'espere que pour tout le mois do may je pourray avoir ce bonheur d'estre pres de Vostre Seigneurie Reverendissime..

  A022002319 

 C'est pourquoy nous vous envoyons ce porteur expres, pour vous dire que nous desirons estre informez de vos droictz, pour ne faire chose au prejudice d'iceux.

  A022002331 

 Nous avons receu la lettre par laquelle Nous faictes entendre que vous estes au balliage de Gex pour la commission a vous addressee par S. M. touchant l'execution de l'Edict de Nantes, et [345] que le S r Evesque mentionné en la vostre vous a presenté quelques requestes concernant choses ou Nous pouvons estre interessés..

  A022002332 

 Comme aussy, le dict Evesque n'a que veoir sur nos terres ny sur nos droicts, soit sur celles que Nous tenons du costé du dict balliage en souveraineté, soit sur celles de S t Victor et Chapitre, ayans des traittés avec la Couronne de France et Messieurs nos alliez de Suisse, ausquelz ceste Seigneurie est comprise avec tout son territoire, et a forme de nostre presente et ancienne possession qui est assez notoire a tout le pays.

  A022002332 

 Que si le dict S r Evesque vous vouloit induire a Nous y travailler et faire quelque chose a nostre prejudice, vos prudences sçauront assez que luy respondre..

  A022002332 

 Sur quoy Nous vous dirons que Nous avons jugé entierement superflu l'envoy d'aucuns des nostres par dela, d'autant que l'Edict de Nantes ne regarde point (comme vous sçavez trop mieux) nostre Seigneurie et Republique, ne les terres ou droicts d'icelle.

  A022002332 

 Voire, Nous avons traitté de paix avec S. A. de Savoye, en observation duquel, et de nos anciens droicts, Nous possedons du costé de Savoye diverses terres en souveraineté, et aultres du mesme S t Victor et Chapitre, avec les mesmes immunitez, libertez et prerogatives, soit au regard de la religion, soit d'aultres points, que celles dont Nous jouyssons du costé du dict balliage en nos terres susspecifiees; lesquelles, [d'abondant], le feu Roy, de tres heureuse et glorieuse memoire, par patentes authentiques, verifiees partout ou besoing faisoit, a recogneiies telles et promis de ny rien innover, ains de laisser toutes choses a Nous appartenantes au mesme estat qu'elles estoyent pendant que Sadicte Altesse tenoit le dict balliage.

  A022002333 

 Et finalement Nous croyons, suyvant ce qu'il vous plaist Nous promettre et protester par la vostre, que vous ne ferez rien au prejudice de nos droicts.

  A022002333 

 Et si aucune chose neantmoings estoit faicte et attentee au contraire, Nous protestons dez a present, comme dez lors, de la nullité du tout et de Nous pourvoir constamment et vertueusement pour la conservation de nos droicts, ainsy que verrons estre a faire selon Dieu et raison..

  A022002334 

 Sur quoy, apres vous avoir remercié tres affectueusement de la [346] bonne volonté qu'il vous pleust Nous tesmoigner, a laquelle Nous desirons correspondre par tous plaisirs et services a Nous possibles, d'aussy bon ceur ( sic ) que Nous prions Dieu, Messieurs, vous avoir en sa saincte garde..

  A022002348 

 Quand monsieur le curé Gay aura servi le temps pour lequel il a este paie, sera necessaire proavoir d'un autre: de monsieur Perrin, ou de celuy que presente monsieur de Siccard..

  A022002350 

 Pour le soulagement de ceux qui manient les biens d'Eglise, plairra a Monseigneur fere entendre que sa volonté est de distribuer les biens d'Eglise aux curés, sans les laisser en œconomie..

  A022002431 

 lequel disme de Tougin sera remis a Monseigneur le Reverendissime, pour en disposer apres que l'on aura les autres deux tierces parties de la susdite pension qui est en proces..

  A022002447 

 Et parce qu'il y a quelques proces des Gex intentés, ilz' seront poursuivis a la diligence dudit sieur [curé] de Gex ou de ceux quil commettra, tant pour la recepte des deniers susditz que pour la poursuitte des proces, et aux despens et frais de l'œconomie qui sera establie par Monseigneur le Reverendissime..

  A022002451 

 Et touchant la maison de la cure, qui reste designee pour le logement du vicaire qui fera l'office de maistre d'escole et pour le sieur Paris qui tiendra place d'un vicaire, Monseigneur le Reverendissime a ordonné que le sieur vicaire qui fera l'escole sera logé au logis le plus logeable de ladite maison, a son choix, a cause de la charge de ladite escole, et le sieur Paris aura le reste dudit logis.

  A022002464 

 Il a acquis aussi les biens de la cure de Mattignin, qu'il y a bien vingt deux pieces, que chams, vignes, prez, bois et autres.

  A022002467 

 En ladite cure il y a plus de trente pieces, que vignes, chams, prez, bois, censes albergez, possedés par le sieur de Fernex et encor les dismes..

  A022002468 

 La cure de Tougin, que le curé a la portion congrue de messieurs [356] les Religieux de Saint Claude, de qui la cure depend.

  A022002469 

 Il y a plus de vingt pieces, que vignes, chams, prez et teppes, et dependantz de ladite cure..

  A022002470 

 Il y a de grans restatz en ladite cure de Sacconex, que ledit sieur Paris laisse en dernier pour n'avoir les tiltres; et aussy en la cure de Fernex et en plusieurs chappelles qui tomberont en prescription, si l'on ne commet un procureur ou un œconome qui aye bon pouvoir et moyen de poursuivre..

  A022002471 

 L'on trouve fort estrange que le curé de Peron, qui a une tres bonne cure, soit curé de Tougin, qui est a trois grandes lieues loin; laquelle cure avoit esté annexee a l'eglise de Gex pour l'entretien des vicaires.


23-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXIII-Vol.2-Opuscules.html
  A023000041 

 Que le mot adorer ou adoration est souvent employé pour l'honneur pait aux creatures selon la Sainte Escriture 32.

  A023000085 

 Chapitre IV. De quoy il faut que le penitent s'accuse.

  A023000086 

 Chapitre V. Du soin que doit avoir le confesseur de ne point absoudre ceux qui ne sont point capables de la grace de Dieu.

  A023000151 

 C'est pourquoi [2] l'argument de saint Thomas prouve sûrement que Dieu veut d'abord accorder antécédemment à chacun la gloire, et ensuite les moyens nécessaires pour l'obtenir: ce qui est contre vous.

  A023000151 

 Car, de même qu'il suffit que la volition des moyens suffisants ait été précédée par une volition antécédente de la fin et d'une velléité ou volonté conditionnelle, ainsi la volonté des moyens suffisants présuppose absolument la volonté et l'intention de la fin, cette intention de la fin devant différer de la volonté des moyens et la précéder d'une priorité de nature.

  A023000151 

 Il reste donc que l'opinion ci-dessus ne s'appuie sur aucun auteur sérieux; et comme en matière de telle importance être seul est souverainement dangereux, cette opinion est loin d'être sûre..

  A023000151 

 Mais il ne prouve pas que la volition efficace de la fin soit antérieure à la volition efficace des moyens, non pas efficaces, mais suffisants: ce qui serait contre nous.

  A023000151 

 Que dirai-je de saint Thomas, sur l'autorité duquel vous pouviez vous appuyer, en laissant de côté tous les Pères, pour présenter une justification de votre doctrine qui fût, sinon juste, du moins d'une témérité moindre? Ce Docteur, bien loin d'avoir admis la [1] prévision d'une grâce suffisante; distribuée dans la vision conditionnelle que vous supposez, apporte, dans son enseignement, un argument de toute première force contre vous.

  A023000152 

 En outre, l'argument dé saint Thomas montre que ce Docteur a été d'un avis différent, puisque, selon lui, la prédestination [3] comprend les moyens et la fin; d'abord la fin, ensuite les moyens.

  A023000152 

 En quatrième lieu, la première proposition des adversaires est en contradiction avec leur quatrième, car il n'y a presque personne (surtout parmi les chrétiens) qui, dans toute la série ou économie de la grâce, n'ait pas en partage une grâce plus que suffisante qui le justifie, lui fasse concevoir de bons désirs; et cependant, dans la quatrième proposition il est dit que les réprouvés reçoivent la seule grâce suffisante: ce qui est faux, attendu que de nombreux réprouvés se trouvent être des chrétiens, lesquels ont plus que la grâce suffisante..

  A023000152 

 Mais cette racine première, tout le monde la voit dans la prédestination: il s'ensuit donc que la prédestination est, ou tout au moins embrasse principalement la préparation de la fin, et non de la grace seulement, comme le veulent nos adversaires.

  A023000154 

 De tout cela il résulte que l'opinion des adversaires va contre l'autorité de saint Paul, primordiale en la matière..

  A023000155 

 Augustin entend que la prédestination a lieu après la prévision du péché; eux, qu'elle a lieu avant.

  A023000155 

 Augustin veut que le péché originel soit la cause de la réprobation; eux, qu'il n'y en ait aucune.

  A023000155 

 Effectivement, Augustin veut que la grâce suffisante soit accordée aux seuls prédestinés; eux, qu'elle l'est à tous.

  A023000155 

 Et Augustin est bien moins sévère qu'eux, car il n'admet pas que quelqu'un soit rejeté sans faute, mais il donne comme cause juste à cette réprobation le péché originel; eux, au contraire, prétendent qu'innombrables sont les réprouvés, sans relation aucune à une faute ou à un péché quelconque, et que seulement quelques-uns sont sauvés.

  A023000155 

 Ils veulent, en effet, que le non usage de la grâce soit prévu; pour Augustin, le péché originel seul est prévu.

  A023000156 

 Le but principal de celui-ci ayant été de combattre Pélage, notre opinion, en lui donnant un sens droit, ne peut s'éloigner plus que la vôtre de celle d'Augustin: en d'autres termes, s'il est vrai que nous avouons tous que c'est gratuitement et grâce à la miséricorde de Dieu que les prédestinés le sont, Augustin donne là-dessus son explication, vous une différente, nous encore une troisième; mais nous, au moins, nous nous séparons d'Augustin avec d'autant plus de sécurité que nous suivons les traces de tous les autres Pères; tandis que pour vous, l'abandon que vous faites de saint Augustin est d'autant plus dangereux, que vous vous éloignez et écartez davantage, en solitaires, de tous les autres..

  A023000156 

 Mais, disent-ils, nous sommes d'accord avec Augustin sur le point principal de toute la question, à savoir en niant que la prédestination ait une cause: ce qui suffit.

  A023000156 

 Nous aussi, à la vérité, nous sommes d'accord avec lui, car nous savons que le but poursuivi par Augustin a été par dessus tout de combattre Pélage: celui-ci [6] enseignant que nous méritons le salut par le seul usage de notre libre arbitre, Augustin, pour l'attaquer avec plus de force, a nié qu'il y ait en nous une cause à la prédestination.

  A023000156 

 Si nous nions, nous aussi, l'existence d'une cause à la prédestination de notre part, en tant que cette part est bien nôtre, nous avons le droit d'être considérés comme d'accord avec Augustin.

  A023000171 

 IV, Sagesse, XIII; parce que les autres choses naturelles font des opérations en proportion avec leur forme..

  A023000171 

 L'homme peut connaître séparément, soit telle vérité spéculative, soit telle vérité d'ordre pratique, parce que cela n'est pas hors de proportion objective avec la force naturelle; parce que cela est indiqué [par l'Ecriture]: Romains, 1, Ps.

  A023000172 

 [Autre raison:] parce que l'erreur est la peine du péché originel; Clément d'Alexandrie (lib. V Strom.) présente cette [8] preuve en s'attachant aux empêchements extrinsèques, à savoir la brièveté de la vie, etc. Par ailleurs, les vérités en question ne sont pas en dehors de l'objet proportionné à l'intelligence humaine, mais il faudrait, pour les connaître, une vie d'une durée infinie et une mémoire également d'une étendue infinie.

  A023000184 

 Il peut en faire, et même conduisant au salut éternel (Second Concile d'Orange, canons XXIII, XXII, XXV; Concile de Trente, Sess. VI, chap. VII et XXI), attendu qu'il semble être contre le principe de nature que l'homme ne puisse faire le bien.

  A023000184 

 [Dernier argument scripturaire:] Matt., V: Est-ce que les payens ne font pas cela?.

  A023000185 

 Si donc l'homme connaît Dieu et rapporte son acte à Dieu, cet acte sera bon, bien que non d'une bonté parfaite; s'il ne connaît pas Dieu, et qu'il fasse telles œuvres parce qu'honnêtes et conformes [9] à la raison, alors ces œuvres de par leur nature même sont rapportées à Dieu..

  A023000207 

 De même encore, Dieu concourt à l'élément matériel du péché, en tant qu'il est cause naturelle et nécessaire par supposition; mais pour ce qui est du bien, il peut aussi y concourir en tant que cause libre.

  A023000221 

 Ensuite, ce qu'elle avance est tout à fait impossible; car si Dieu ne détermine pas la volonté à l'acte mauvais, il permet nécessairement que l'homme, s'il le veut, puisse faire un acte bon au moment où il en fait un mauvais..

  A023000222 

 Je l'explique autrement: ou bien la détermination en question est tout à fait nécessaire pour que nous fassions un acte bon, ou bien elle ne l'est pas.

  A023000222 

 Par suite, ce ne serait pas Seulement une permission que nous aurions à l'égard du mal à accomplir; car la permission est indifférente aux deux termes de l'opposition, et toutes les fois qu'il est [11] en notre pouvoir de nous déterminer à un acte mauvais, il est aussi en notre pouvoir de nous déterminer à un acte bon..

  A023000239 

 FRANÇOIS — Les premiers que sont ilz?.

  A023000240 

 BERNARD — Ce sont les heretiques, qui n'ont rien que le nom, a cause du Baptesme qu'ilz ont receu..

  A023000243 

 FRANÇOIS — Les secondz Chrestiens que sont ilz?.

  A023000251 

 FRANÇOIS — Le mot de Chrestien, que signifie il?.

  A023000255 

 FRANÇOIS — Pourquoy a il voulu que nous fussions ainsy nommés? [13].

  A023000257 

 FRANÇOIS — Que represente ceste unction que ce nom porte?.

  A023000258 

 BERNARD — Elle marque la grace que nous recevons dans ce saint Sacrement..

  A023000259 

 FRANÇOIS — L'unction exterieure que l'Eglise ordonne aux Chrestiens, que signifie elle?.

  A023000260 

 BERNARD — Elle denote les effectz que la grace divine opere en l'interieur de nostre ame..

  A023000266 

 BERNARD — L'unction sur l'estomach est pour nous embraser en l'amour de Dieu; celle sur les espaules est pour nous fortifier a porter la charge des commandemens et des ordonnances divines; celle sur le front, a fin que, publiquement et sans honte ni crainte, nous confessions la foy de Nostre Seigneur Jesuschrist..

  A023000268 

 BERNARD — Pour un accroissement de graces de force et d'esclaircissement pour comprendre et accomplir tout ce que nous devons sçavoir et fayre pour nostre salut..

  A023000269 

 FRANÇOIS — Estant donques Chrestien, vostre premier desir que doit il estre?.

  A023000272 

 BERNARD — Autant que j'ay de doigtz a la main: la premiere, la foy; la seconde, l'esperance; la troysiesme, la charité; la quatriesme, les Sacremens; la cinquiesme, les bonnes œuvres.

  A023000281 

 FRANÇOIS — Quelle est la marque plus frequente que vous donnes pour prouver que vous estes Chrestien?.

  A023000297 

 Moi GABRIEL DE SAINT-MICHEL, je reconnais et confesse, de coeur contrit et humilié, devant la Très Sainte Trinité et toute la Cour céleste, et vous autres témoins, que j'ai gravement péché en adhérant aux hérétiques et en croyant leurs diverses hérésies, surtout celles-ci: que le saint Corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ n'est pas vraiment, réellement et substantiellement dans le très auguste Sacrement de l'Eucharistie; qu'il n'est pas un vrai et [16] propitiatoire Sacrifice pour les vivants et les morts, lorsque, d'une manière non sanglante, il est offert à la Messe par les prêtres; qu'il n'existe aucun feu purificatoire après cette vie; que les Saints et les Bienheureux qui sont dans les Cieux ne doivent pas être invoqués; que l'Eglise Catholique visible peut errer et se tromper; et autres très nombreuses..

  A023000305 

 Si je considere sur vos saintz autelz, o mon Sauveur, mon Dieu, vostre tres sacré Cors, que vous aves assaysonné par tant de miracles pour nous nourrir en ces desers, et que, tout ravy en admiration, autre ne me demeure en bouche que ceste protestation de mon insuffisance: Qu'est cecy? qu'est cecy? Manhu? manhu? o Seigneur, regardes a moy! mon jugement naturel, ma chair, mes sens, me livrent [18] mille assautz: Hé, ce me disent ilz, comme se peut il faire que le Sauveur aye donné sa chair a manger? O que ceste parolle est dure! et qui la peut ouyr ni croyre?.

  A023000306 

 Et quoy? disois je, ceste sacree parolle qui est sur le commencement de ce Symbole, ne suffiroit elle pas, quand il n'y auroit autre, pour rompre tous les effortz de ces seditieux? JE CROY: c'est le mot que j'ay ja prononcé des mon Baptesme par la bouche de ceux qui m'y presenterent; je suis donques croyant et fidelle, non pas entendeur ou compreneur, et partant, plus on me rend ce Sacrement malaysé a entendre et comprendre, plus on me le rend croyable et venerable.

  A023000306 

 Mays, c'est par vostre grace, mon Dieu, que ces seducteurs n'ont encor rien gaigné sur moy; je leur ay tousjours opposé le mot et Symbole que vos Apostres enseignerent jadis a nos anciens.

  A023000309 

 Et puysque ce Sacrement est un grand œuvre de Dieu, quelle plus asseuree marque peut il porter de son Ouvrier, pour estre receu en ma croyance, que d'estre admirable et incomprehensible?.

  A023000310 

 Ces petitz nuages de difficultés que nostre œil naturel void en ce Sacrement, comme dureront ilz au vent de la force de Dieu? quelle dureté tant insoluble que ce feu ne devore?.

  A023000310 

 N'y a il pas troys Personnes, Pere, Filz et Saint Esprit, en une mesme, simple et seule essence? La foy qui a digeré ceste sauveraine difficulté, quelle peyne peut elle avoir a croyre qu'un seul cors soit en plusieurs lieux? Dieu ne veuille que je face comme ces rebelles qui mesdisoyent de sa divine Majesté, disant: Pourra il nous dresser une table au desert? Ce que je ne pourray mascher de cest Aigneau paschal, je le jetteray dans le feu du pouvoir infiny de ce Pere tout puyssant auquel je croy.

  A023000311 

 La parolle de Dieu a eu tant de vertu que, par elle, les choses qui n'estoyent ont esté: combien plus en aura elle, pour faire estre ou bon luy semble celles qui sont, et les changer en autres? Elle a bien mis en un lieu ce qui n'estoit point: pourquoy ne mettra elle en plusieurs ce qui estoit en un? [20].

  A023000321 

 Celuy qui [t'a] tant aymé, o mon ame, que te pouvant sauver par une seule goutte de son sang et la moindre de ses souffrances, a voulu neantmoins tout exposer son cors aux douleurs et passions d'une mort tres amere pour te donner la vie, hé! c'est Celuy la mesme qui, pour la te conserver, te nourrit de ce mesme cors.

  A023000321 

 N'est il pas bien croyable? L'amour des meres ne se contente pas d'avoir produit l'enfant de la substance d'icelles s'il ne l'en faict encor nourrir, Et pour vray, apres tant d'exquises representations de ceste Passion desquelles ont esté repeuz les serviteurs, comme ont esté l'aigneau paschal, la manne et plusieurs autres, c'eust esté une trop maigre et froide commemoration d'icelle, pour les enfans, de n'y employer autre que du simple pain et du vin.

  A023000325 

 Que si, par la resurrection, il a delivré son cors des qualités grossieres de passibilité, pesanteur, espesseur et obscurité et autres semblables, si qu'il a traversé la pierre, est entré les portes fermëes (ce qui ne s'est peu faire sans mettre deux cors en un lieu, en sorte que l'un n'en occupast point); s'il s'est rendu, invisible, impalpable, imperceptible et sans occuper place, pourquoy ne sera il, en ce saint Sacrement, invisible et sans occuper lieu, puysqu'il a dict qu'il y estoit? A quel propos rechercherions nous plus en luy les conditions d'un cors mortel et corruptible?.

  A023000328 

 Trouverons nous estrange que ce cors vienne reellement et de fait, quoy que surnaturellement, dans les nostres, puysque, plus leger qu'un oyseau, outrepassant toutes les regles d'un cors humain, il est monté sur tous les cieux? «Il est assis a la dextre de Dieu le Pere,» sur tous les cieux, ou il n'occupe plus ni lieu ni place; car, quelle superficie peut environner le cors qui est au pardessus de tout autre cors? Pourquoy ne sera il bien icy bas sans tenir ni remplir aucun heu ni aucune place?.

  A023000331 

 Ainsy, n'estant pas sujet a lieu, ni place, ni pesanteur, il comparoistra en l'air au dernier jour avec ses Saintz, visible a tous les hommes ou qu'ilz soyent, quoy qu'avec divers effectz; non sans aussy grand miracle que celuy par lequel il est invisible en ce grand Sacrement.

  A023000332 

 De quelle viande fut il jamais dict que qui la mangeroit indignement estoit coulpable du Cors de Jesuschrist, sinon de celle cy, laquelle estant reellement le Cors de Jesuschrist, rend aussy reellement coulpables d'iceluy ceux qui en abusent et ne le discernent point? On n'avoit pas rendu un si severe arrest pour la manne et l'aigneau paschal, quoy qu'en iceux on mangeast, par foy et spirituellement, Jesuschrist mesme..

  A023000335 

 Comme tout ce que Dieu a faict il l'a faict par l'œuvre du Saint Esprit, ainsy maintenant il faict, par l'œuvre du Saint Esprit, ces choses supernaturelles qu'autre que la foy ne peut concevoir.

  A023000336 

 Le Saint Esprit a dicté les Saintes Escritures; eust il mis en icelles des parolles si expresses et vives comme sont celles cy: Cecy est mon cors, si ce n'estoit le vray Cors de Nostre Seigneur? N'y eust il pas faict mettre quelque declaration de son intention, s'il l'eust eu autre que ces parolles ne portent en leur sens propre et premier? Et luy, qui est Docteur en l'Eglise, l'eust il laissee aller, en un article si important, a l'erreur et mensonge? l'eust il abandonnee si longuement?.

  A023000340 

 Mays y a il plus parfaitte communion des Saintz que celle cy, en laquelle nous sommes tous un pain et un cors, d'autant que nous sommes participans d'un mesme pain qui est descendu du Ciel, vivant et vivifiant? Et comme mangerions nous tous d'un mesme pain, si ce pain n'estoit le Cors de Jesuschrist? autant de lieux, autant de pains divers y auroit il.

  A023000343 

 Et quoy? une simple figuré et commemoration auroit elle bien ce pouvoir? Le sang de la genisse respandu, quoy que figure du sang respandu sur la croix, ne sanctifioit que quant a la pureté de la chair; non, c'est le propre sang de vostre Majesté qui nettoye nos consciences des œuvres mortes, pour servir au Dieu vivant..

  A023000343 

 Seigneur, vous aves dict que vostre Cors et vostre Sang en ce Sacrement estoit donné, rompu, respandu pour plusieurs en remission des pechés; ah! ja n'advienne que je croye qu'autre sang ayt esté respandu et autre cors donné pour la remission de mes pechés que le vostre propre et naturel.

  A023000347 

 Mays, o Seigneur admirable, si un peu de levain faict bien lever toute une grande masse de paste, si une blüette de feu suffit pour embraser une mayson, si un grain mis en terre faict fertile la terre et en reproduit tant d'autres, combien dois je esperer que vostre beny Cors entrant au mien, la sayson estant venue il le relevera de sa corruption, l'enflammera de sa gloire et le produira immortel, impassible, subtil, agile, resplendissant et assorty de toutes les qualités glorieuses qui se peuvent esperer! Ceste vigueur ne se peut trouver es figures; il faut qu'elle parte de la verité de vostre tres pretieux Cors..

  A023000350 

 La manne, quoy que vraye figure de vostre Cors, ne pouvoit pas tant; il faut une viande plus solide et moëlleuse, pour une telle vie.

  A023000350 

 Quelle autre y peut estre employee que vous, qui estes vivant es siecles des siecles? Amen..

  A023000358 

 Ce qui fut cause que le Bien-heureux François, voyant que chacun se tenoit en silence, prit la liberté, non pas d'agir, mais de parler;... et escrivit un livre de la Demonomanie, ou bien des Energumenes, lequel toutesfois il n'a pas mis en lumiere, quoy qu'il soit parfaict; et ne sçait-on pas pourquoy.» Le biographe donne ensuite les titres des neuf chapitres de ce Traité et un sommaire de l'ensemble.

  A023000358 

 «En ces temps, plusieurs Chablaisiens estoyent tourmentez des malins esprits, et le Bien-heureux François prenoit beaucoup de peine pour les chasser de leurs corps, et de faict les chassoit.» Les «ministres continuoyent à dire que le Papiste estoit un sorcier et magicien; les autres disoyent que ceste apparence de vexation se faisoit par la force de l'imagination...; d'autres encores, ou nioyent qu'il y eust des diables, ou, s'il y en avoit, qu'ils eussent tant de pouvoir sur les corps humains.

  A023000359 

 Le marquis de Cambis ( Vie manuscrite de saint François de Sales, 1762, vol. I er, p. 245) attribue également l'ouvrage à l'Apôtre du Chablais: «parce que le livre du medecin estoit fort gousté dans le» bailliage, dit-il, c François de Sales se crût en droit d'y répondre.» Le «precis» qu'il en fait est beaucoup plus long que celui de Charles-Auguste.

  A023000361 

 De même que M. de Cambis, les historiens de l'Evêque de Genève n'ont fait que répéter l'assertion de Charles-Auguste; l'avocat Alibrandi, défendant en Cour de Rome la cause du Doctorat de notre Saint, n'hésita pas à classer ce Traité dans la liste de ses Œuvres; D. Mackey lui-même, s'appuyant sur le témoignage du biographe, témoignage irréfragable, lui semblait-il, a maintenu cette opinion dans son Introduction générale (tome I er de la présente Edition, note (88), p. LXXXV).

  A023000361 

 Le 16 avril 1596, le premier répond ainsi à une demande du second: «Selon vos désirs, j'écris au R. P. Chérubin au sujet de cette démonomanie.» Plusieurs mois après, le 14 janvier 1597, le sénateur dit à son ami: «J'ay remis au Pere Cherubin vostre traitté incontinent que je le vis a Necy apres vous avoir laissé.

  A023000362 

 Des preuves que nous allons exposer, se dégagera la conclusion finale..

  A023000365 

 — Habert ( La Vie du Cardinal de Berulle, Paris, Camusat et Le Petit, 1646), pariant des ouvrages du fondateur de l'Oratoire, dit: «Le premier a esté celuy de l' Abnegation interieure... En suite on le pressa d'escrire celuy... des Energumenes, pour deffendre, à propos d'une possedée qu'il exorcisoit, la verité des possessions en general... Il est vray que ce traité, qui peut passer pour une merveille d'esprit, de doctrine et d'éloquence, ayant esté imprimé sans nom, a esté attribué au Bien-heureux Evesque de Sales... Une copie que M. de Berulle avoit envoyée A ce Bien-heureux Prelat pour luy en demander son sentiment, s'estant trouvée apres sa mort parmy ses papiers, avec quelques remarques faites de sa main, donna sujet de croire que l'original estoit à luy... Mais le digne neveu et successeur de ce grand Prelat, M. de Geneve que nous avons aujourd'huy, ne s'est pas plutost apperceu de cette erreur, que par une lettre escrite au Reverend Pere Gibieuf, il a renoncé pour son Bien-heureux Oncle à ce bien qui s'estoit trouvé dans sa succession; il a voulu, pour user de ses propres tomes, faire restitution à nostre saint Cardinal pour cét autre Saint, quoy qu'il n'en fust pas besoin entre deux grands hommes à qui toutes choses avoient esté communes par l'amitié.» (Liv. III, chap. XII, pp. 818, 819.) — Ainsi, Charles-Auguste lui-même se serait dédit plusieurs années après la publication de son Histoire du Bien-Heureux François de Sales, parue en 1634..

  A023000366 

 Quelques-uns de ceux-ci, dans leurs dépositions au II d Procès de Genève, empruntent parfois leurs témoignages au neveu et successeur du Bienheureux; leur silence au sujet du livre sur la Démonomanie semble prouver qu'on avait alors reconnu, malgré les affirmations du biographe, que sa composition ne devait pas être attribuée au Serviteur de Dieu..

  A023000366 

 — Aucun déposant aux Procès de Béatification du saint Evêque n'a fait mention du Traité qui nous occupe, plus considérable, cependant, que la Briefve Meditation sur le Symbole et les deux Lettres au ministre Viret dont plusieurs témoins ont [28] parlé.

  A023000367 

 — Si l'on compare le Traicté des Energumenes de M. de Bérulle avec l'analyse détaillée que M. de Cambis donne de l'ouvrage qu'il croyait être de notre Saint, on y retrouve absolument les mêmes divisions et le même ordre de pensées, (Voir Œuvres complètes de de Bérulle publiées par l'abbé Migne, Paris, 1856, tome unique, col.

  A023000368 

 De tout ce qui précède on doit conclure que l'hypothèse émise par D. Mackey dans la note indiquée plus haut ne peut plus être soutenue et qu'il faut penser tout le contraire; au lieu de céder à M. de Bérulle un écrit sorti de sa plume, saint François de Sales reçut de lui le Traité qu'il venait de composer.

  A023000368 

 Est-ce le manuscrit de celle-ci et un exemplaire de celle-là que l'auteur fit parvenir à notre Saint, ou bien le manuscrit complet de l'une et de l'autre? On ne saurait le dire; Charles-Auguste, nous l'avons vu, le désigne ainsi: « Livre... escrit en partie de sa main propre,» et parle d'un «original».

  A023000369 

 On pourrait objecter, au sujet de l'envoi fait par Pierre de Bérulle à François de Sales: Se connaissaient-ils déjà en 1600? leurs relations ne datent-elles pas de 1602? — L'on ne rencontre, en effet, aucune trace de relations antérieures; Bérulle était de huit ans plus jeune que notre Saint, et quand il entra au collège de Clermont, le gentilhomme savoyard avait quitté Paris.

  A023000369 

 Toutefois, la conversion très récente du Chablais dut porter jusque dans la capitale le nom de l'Apôtre; sa Briefve Meditation sur le Symbole y avait été réimprimée par Binet en 1598, la Defense de l'Estendart de la sainte Croix venait de paraître à Lyon (1600): dès lors, rien d'étonnant que M. de Bérulle ait eu la pensée [29] d'envoyer son Traité à «M. le Prevost de Sales» pour «luy en de mander son sentiment.».

  A023000376 

 Les raysons que vous produyses contre ma Consideration sur le Symbole establissant tousjours tant plus sa verité par les fausetés sur lesquelles elles sont fondëes, prenes a gré, je vous prie, que je les vous monstre..

  A023000377 

 C'est outre l'ordre de nature que la semence de la femme vierge Brise la teste du serpent; c'est encor outre l'ordre de nature que Nostre Seigneur soit descendu d'Abraham et de David sans aucune œuvre virile.

  A023000377 

 Que si vous entendes, par le mot de femme, quelque femme que ce soit, quoy que vierge, vostre assumption sera vraye, mays vostre premiere proposition sera tres inepte; car estre faict de la semence d'une vierge, estre porté en son ventre, quoy que l'espace accoustumé, estre nourry de son laict et substance, sont choses outre tout ordre de nature.

  A023000377 

 — Je dis que si, par le nom de femme, vous entendes une femme qui aÿe eu accointance d'homme, vous parles bien; mays vostre assumption, par laquelle vous dites Jesuschrist avoir esté faict ainsy, est un blaspheme.

  A023000378 

 La proposition de saint Pol, que Jesuschrist a esté faict semblable a nous en tout et par tout, hormis le peché, n'est veritable au sens que vous la proposes contre l'intention de l'autheur, car voyci des instances inevitables: Jesuschrist a esté faict en tout et par tout semblable a nous; nous ne sommes point nés d'une vierge, ne marchons dessus les eaux, n'entrons pas en aucun heu les portes fermëes; donques, ni Jesuschrist.

  A023000378 

 Qui ne voit ceste absurdité? Il faut donques entendre la generale proposition de saint Pol avec ces deux declarations: l'une, que Nostre Seigneur a esté faict semblable a nous, mays non pas en semblable façon; car il a esté faict par l'operation surnaturelle du Saint Esprit, et nous par l'operation naturelle de l'homme.

  A023000379 

 Cependant, la piece que vous attaques de ceste mienne Consideration n'est pas mienne, mays de saint Ambroyse, lequel vous attaques sous mon nom: «Liquet igitur,» ce dict il, «quod praeter naturae ordinem Virgo generavit, et hoc quod conficimus corpus ex Virgine est; quid hic quaeris naturae ordinem in Christi corpore, cum praeter naturam sit ipse Dominus Jesus partus ex Virgine?» Voyla mon garand, duquel la citation est a la marge; mays peut [32] estre que la chaleur du desir de reprendre vous aura empesché de la voir..

  A023000380 

 Et vostre argument ne vaut non plus que celuy ci: Tout cors humain est faict de l'accointance de l'homme a la femme; le cors de Jesuschrist est cors humain, donques il est faict par l'accointance.

  A023000380 

 La faute gist en ce que en la premiere proposition il est parlé du cors humain qui n'a rien outre le naturel; en la seconde il est parlé d'un cors humain qui a beaucoup de surnaturel..

  A023000381 

 Mays quant a avoir le ventre gros et remply de l'enfant, pourveu qu'il n'y ayt aucune ouverture ni fraction au ventre, n'est point contrayre a la perfection de la virginité; et partant, Nostre Seigneur occupoit place dans le ventre de sa Mere, d'autant que cela ne violoit son integrité, et n'en occupa point en sortant, pour ne la point violer.

  A023000381 

 Or, qu'il soit ainsy, Isaïe le monstre asses, cottant pour chose insigne, que celle qui concevroit vierge, enfanteroit vierge.

  A023000381 

 Quand vous dites que si le cors de Nostre Seigneur n'occupa point de place sortant du ventre de sa Mere, il n'en occupa donques point estant dans iceluy, d'autant que la virginité n'est non plus lezee par l'un que par l'autre, il semble que vous ne consideries pas bien en quoy gist la parfaitte virginité.

  A023000382 

 Certes, Siricius et saint Ambroyse, en l'epistre 80 et 81, tiennent pour haeresie ce que vous dites de la Vierge; et saint Augustin, parlant de Jovinien en l'Haeresie 82, ad Quodvultdeus, dict en ceste sorte: «Virginitatem Mariae destruebat, dicens eam pariendo fuisse corruptam.» Et tout au commencement du Livre premier contre Julien, Pelagien: «Hoc de Manichaeorum nomine et crimine faciebat etiam Jovinianus, negans Mariae sanctae virginitatem, quae fuerat dum conciperet, permansisse dum pareret: tanquam Christum ami Manichseis phantasma crederemus, si Matris incorrupta virginitate diceremus exortum.

  A023000382 

 Sed in adjutorio ipsjus Salvatoris, sicut spreverunt Catholici velut acutissimum quod Jovinianus exseruerat argumentum, et nec sanctam Mariam pariendo fuisse corruptam, nec Dominum fuisse phantasma crediderunt, sed et illam virginem mansisse post partum, et ex illa tamen verum Christi corpus exortum, sic» spreverunt «vestra calumniosa vaniloquia.» Et quelle virginité pouvoit nier Jovinien estre en la Vierge en l'enfantement, sinon celle que vous nies? Et quelle autre corruption y pouvoit il mettre que celle que vous y mettes? car de méttre en l'enfant la corruption qui se faict par l'accointance de l'homme, c'est une chose inintelligible.

  A023000383 

 Miracle lequel saint Augustin compare a la sortie que Nostre Seigneur fit du ventre de sa Mere (ep. 3. ad Volusianum ), en ceste sorte: «Ipsa virtus per inviolatae Matris virginea viscera, membra infantis eduxit, quae postea per clausa ostia membra juvenis introduxit.

  A023000383 

 Saint Augustin donques, en ceste epistre, combat les Ubiquitaires qui disent le cors de Nostre Seigneur estre par tout, et non les Catholiques qui confessent qu'il est en certains lieux, quoy que sans occuper lieu, a la façon des espritz; ainsy qu'il penetra dedans la salle, les portes estans fermëes.

  A023000384 

 Adjoustes que ces loix, selon leur rigueur, ne touchent point a Nostre Seigneur qui n'y avoit aucune obligation; mays il s'y est sousmis, parce qu'en apparence et selon la commune estimation des hommes il y sembloit estre obligé.

  A023000384 

 Mays en ce lieu la, ouvrir la matrice ne veut dire autre qu'estre conceu; ainsy est il dict que le Seigneur ouvrit la matrice de Rachel et Lia long tems apres qu'elles furent desfleurëes, lhors qu'elles conceurent des enfans.

  A023000385 

 Et de faict, son entrëe fut tant esloignëe de la façon naturelle des choses, que, comme dict saint Luc, chap. 24, verset 36, [37], les Disciples pensoyent voir un esprit ou fantosme.

  A023000385 

 Et le dire de Nostre Seigneur: Touches et voyes, n'y est point contrayre; car je ne dis pas que Nostre Seigneur fut tousjours invisible et imperceptible, mays confesse que, comme il a esté visible et perceptible, il a aussy esté invisible et imperceptible quand il luy a pleu: l'un n'empeschoit point l'autre, non plus que d'estre mortel et immortel en divers tems.

  A023000385 

 Le «tangere vel tangi nisi corpus, nulla potest res,» n'est pas a propos, car on ne dict pas qu'autre que le cors soit palpable, mais on dict que le cors peut estre parfois impalpable..

  A023000386 

 Au reste, Monsieur, consideres, je vous prie, si vos raysons sont telles et vos consequences si fortes que, sans autre jugement de l'Eglise, il fallust appeller ma Consideration haeretique.

  A023000386 

 Ce pendant, prenes garde qu'admettant ouverture au ventre de la Vierge, vous vous rendes coulpable de l'haeresie de Jovinien et que, nous accusant de nier la verité du cors de Nostre Seigneur, vous ne faites rien que ce qui a esté faict contre les plus anciens Catholiques, ainsy que tesmoigne saint Augustin.

  A023000387 

 Si vous n'aves les livres que je cite, venes, et je les vous ferav voir, et peut estre vous leveront ilz la honte de vous repentir quand vous verres de n'avoir pas tant contredit a ma Consideration qu'a la doctrine de l'ancienne Eglise..

  A023000396 

 C'est ce que vous aves nié formellement en vostre premier escrit..

  A023000396 

 Vous confesses en fin que la conception de Nostre Seigneur est surnaturelle; donques, il a esté conceu surnaturellement et outre tout ordre de nature.

  A023000397 

 Aussy n'ay je jamais dict que Nostre Seigneur n'aÿe [37] un cors naturel aussy bien qu'Adam et Eve, quoy que je nie que aucun d'iceux ayt esté faict selon l'ordre de nature.

  A023000397 

 Ce que faisant, je ne destruis aucunement la verité de l'humanité de Nostre Seigneur, quoy que vous en puyssies imaginer, non plus que d'Adam, qui fut faict et produit outre tout ordre naturel.

  A023000397 

 D'ou s'ensuit que Nostre Seigneur est reellement la semence de la femme, d'Abraham et David; mays tout cela n'a point esté faict selon l'ordre naturel, mays selon la vertu d'En Haut.

  A023000397 

 Et quand l'Escriture dict que Nostre Seigneur est descendu d'Abraham et de David selon [la] chair, ce n'est pas a dire selon l'ordre naturel, mais selon la nature humaine, d'autant que selon la divine il n'est filz d'Abraham ni de David.

  A023000397 

 Jamais, selon l'ordre naturel, enfant ne fut faict de la semence d'une vierge, ni porté au ventre d'une vierge, ni nourry au ventre d'une vierge; c'est la rayson pour laquelle je dis que cela est outre tout ordre naturel.

  A023000397 

 Les bons entendeurs sçavent que la diversité de la production des choses ne destruit point leur substance.

  A023000398 

 Ce n'est pas aussy un argument a causa non clausa de dire que la virginité, pour estre en sa perfection, consiste en deux choses: l'une, l'integrité des parties genitales; l'autre, n'avoir jamais eu connoissance d'homme.

  A023000398 

 Vous ne refutes point les confirmations que j'ay produittes a ce mien dire, mais seulement persistes a vostre premiere proposition; j'attendray donques que vous y respondies, avant qu'en alleguer d'autres, s'il y eschoit..

  A023000399 

 Mais cela destruit bien la consequence que vous tiries de saint Pol, disant Jesuschrist avoir esté faict semblable en tout et par tout a nous, hormis le peché, dont vous faisies conclusion: donques il n'a pas esté faict outre l'ordre naturel; car ces instances monstrent evidemment quil faut entendre le texte de saint Pol comme je vous ay declairé..

  A023000399 

 Naistre d'une Vierge, marcher sur les eaux, entrer les portes fermëes, ne destruit point la nature humaine de Jesuschrist, qui ne laisse pour cela d'avoir un tres vray cors humain et naturel, non plus que saint Pierre.

  A023000400 

 (I Cor., 15.) Ce n'est cependant qu'un mesme cors en substance, mais different en qualités; ainsy dis je que Nostre Seigneur n'a eu qu'un seul cors, vray, reel, humain, mais qui a eu des grandes diversités de qualités naturelles et surnaturelles.

  A023000400 

 Confessons donq qu'estant vray Dieu et vray homme, il a peu sortir son cors du sepulchre, entrer les portes fermëes, sortir d'une Vierge sans ouverture, estre en plusieurs lieux et sans occuper place, sans que pour cela il laisse d'avoir un tres vray et reel cors humain, composé d'os, de chair et de sang: autant possible l'un que l'autre a Celuy auquel rien n'est impossible..

  A023000400 

 Et si, n'estime qu'un cors semblable aux nostres ne puisse entrer les portes fermëes, et cæt.; mays je dis que lhors que cela se feroit, il ne seroit plus semblable aux nostres en cela.

  A023000400 

 Je dis donques que, quant a sa substance, le cors de Nostre Seigneur est vrayement humain; mais que, quant a [38] ses operations et qualités, il est bien different maintenant des nostres, et l'a esté parfois pendant quil estoit icy bas: je l'ay asses prouvé, et ny a point de responce ni replique vallable contre ceste verité.

  A023000400 

 Je ne sçay a qui autre qu'a vous, puysque Vous le voules ainsy, il pourrait sembler que j'aye jamais attribué a Nostre Seigneur un cors phantastique.

  A023000400 

 L'Apostre met si clairement difference entre un cors reel, vray et humain, mais mortel et animal ou charnel, et ce mesme cors reel, vray et humain, mais immortel et spirituel, que, a qui le considerera, il ny a plus moyen de resister.

  A023000401 

 Je croys que l'homme est faict quand il est conceu; le reste s'appelle croistre et perfectionner.

  A023000401 

 Ma these, que vous appelles, ne dict sinon que le cors de Nostre Seigneur a esté faict outre tout ordre de nature.

  A023000401 

 Mon garand en avoit dict de mesme, ains bien plus, car le mot de partus ex Virgine se peut entendre non seulement de la conception, mays de toutes les autres actions ou entremises necessaires a la parfaitte disposition d'un filz: qui me faict tant plus croire que quelque chaleur, ou du desir de reprendre, ou du zele sans science, vous a empesché de considerer que vous enveloppies dans vostre censure mon garand avec [39] moy, pensant peut estre vous opposer a quelque absurdité..

  A023000403 

 Et quand vous me dites que peto principium, vous me faites juger que vous me croyes du tout ignorant a la maniere de raysonner, comme si je ne sçavois pas que petitio principii est argumentantis, non respondentis or, je suis respondant.

  A023000403 

 Mes instances ne m'ont point esté niëes cy devant, sinon celles de la sortie du ventre de la Mere, laquelle j'avois tellement prouvëe que je la pouvois bien reproduyre; et de faict, vous n'aves aussi rien respondu a mes preuves, sinon par simples negatives qui vous sont fort aysëes.

  A023000404 

 Pour bien respondre, il failloit monstrer que le vostre vaut mieux, car c'est cela que je nie; et de faict, comme vous accommodes le mien, j'accommoderay les vostres..

  A023000404 

 Quant au renversement, que vous appelles, de mon argument, vous n'aves que faire d'y employer vostre tems, car je confesse qu'il ne vaut rien.

  A023000406 

 Et bien que l'un viole plus que l'autre, si est ce que l'un et l'autre repugne a la perfection de la virginité de la Vierge Marie; je craindray donques tous-jours de dire et de penser que Nostre Seigneur ayt ouvert le ventre de sa Mere, et par consequent quil ayt occupé place, d'autant que c'est une proposition condamnee pour haeretique de l'ancienneté..

  A023000406 

 Il n'est vrayement pas necessaire que copula et partus concurrat ad violationem virginitatis, car l'un des deux suffit; qui est ce que je dis, et que les Anciens ont soustenu contre Jovinien.

  A023000407 

 Et quand a advoüer que la Mere de Dieu soit vierge pour n'avoir point eu connoissance d'homme, cela ne me suffit pas, puysqu'il ne suffit pas aux Anciens pour ne tenir Jovinien haeretique..

  A023000408 

 Je ne vous fais donques point de tort de vous attribuer l'erreur de ceux qui ont dict la Vierge avoir esté corrompue en l'enfantement, quoy que sans aucune connoissance d'homme; car, quelle autre corruption ont ilz peu mettre en l'enfantement que celle que vous y mettes? et dequoy est ce que les anciens Peres les ont repris que de ce dont je vous reprens? Si vous ne quittes l'erreur de Jovinien, je ne quitteray point les reprehensions de saint Ambroyse, saint Hierosme et saint Augustin.

  A023000409 

 Ceux qui attribuent un cors aeré a Nostre Seigneur pour nier quil occupe place, sont fondés en l'air; mays ceux qui, luy attribuans un cors reel, naturel et vrayement humain, client que nonobstant ce il n'occupe point place quand et ou il luy plaist, sont fondés en l'Escriture et toute puyssance de Dieu.

  A023000410 

 Il me semble, si je sçay lire, que vous dites que les deux natures sont unies ensemble en une mesme hipostase, хоινωνίαν.

  A023000411 

 Ainsy est il dict d'Anne, que Dominus concluserat vulvam ejus, non pas certes a l'endroit du mary, cui satis aperta erat, mais eo quod non conciperet.

  A023000411 

 Et ne sçauries prouver qu'en saint Luc ces phrases soyent dites de l'enfantement, plustost que de la conception..

  A023000411 

 Mays c'est l'ordinayre des vostres de nous imposer des opinions que nous detestons infiniment, comm'est celle ci, d'un cors phantastique en Nostre Seigneur et de l'ubiquité.

  A023000411 

 Quant a ce que vous dites, que non fœtus aperit vulvam, sed genitor, je confesse que et l'un et l'autre aperit, et quidem pater primo; mays je dis que, selon le stile des Escritures, aperiri vulva tunc dicitur cum mulier concipit.

  A023000411 

 Vous avés veu que Jovinien et Julien, Pelagien, en faisoyent de mesme, tesmoin saint Augustin; mais ce ne sont sinon «calumniosa vaniloquia.» C'est chose claire qu'en l'Escriture: tunc Deus aperit vulvam mulieribus cum concipiunt, et concludit cum steriles sunt, ut sint virum expertæ.

  A023000411 

 Vous ne le sçauries prouver, et moins encor vous eschapper de la force des authorités des Peres que j'ay cité, qui font droitement contre vous, nonobstant ce que vous dites quilz font contre moy; ce qui vous est autant aysé a dire qu'impossible a prouver.

  A023000411 

 Vous prenes et reprenes le principe quand vous finisses disant, que c'est oster la verité du cors de dire quil n'occupe place.

  A023000412 

 Quand a l'observation de la Loy, argumentum hoc non est extra rem, car je dis que si bien Nostre Seigneur non aperuisset vulvam, neanmoins ceste Loy luy compete, non ex rei veritate, sed ex communi hominum existimatione; lesquelz tenoyent que more aliorum conceptus et natus esset, unde etsi ea Lege non teneretur, eam [42] tamen adimplevit, non tam «propter necessitatem» quam «propter consuetudinem.» Et quant a la pleige quil avoit prise pour nous, il s'en acquitte en sa Passion, et tres abundamment..

  A023000413 

 Qui a jamais dict que, quod repente Christus ab oculis discipulorum evanuit, fuerit umbrae aut phantasmatis? Imo sane virtus Dei est quae corpora, etiam solidissima et humana, oculis mortalium eripit, et les rend invisibles pro tempore, comm'il luy plaist: ainsy fit il quand, transiens per medium illorum, ibat..

  A023000415 

 Et me croyes aussy, Monsieur, que le seul honneur que je porte a la verité de l'Evangile, a l'ancienne Eglise de Nostre Seigneur, qui est la colomne et fermeté de verité, et le desir de voir ceux qui ont presté le serment a Jesuschrist au Baptesme rëunis en la mayson de leur Pere, delaquelle ilz se sont sequestrés et hors laquelle neanmoins ilz ne peuvent que se perdre, me faict courir apres toutes sortes de travaux et difficultés, esperant que incrementum dabit Deus.

  A023000426 

 Pourquoy donques est ce que ces pretenduz reformateurs ont laissé les anciens et accoustumés noms de ce Sacrement pour luy imposer celuy de Cene? Ne monstrent ilz pas en cela un'extreme affectation de nouveauté? Que s'ilz estiment que saint Pol aye employé le mot de cent pour signifier l'Eucharistie, quand il reproche aux Corinthiens la façon de faire leurs cenes, ne sont ilz pas ineptes? veu que l'Apostre declaire qu'il parle d'une cene en laquelle on s'enyvroit, ou s'avançoit on de manger son souper en particulier, [que] les riches en avoyent plus que les pauvres, et qu'on pouvoit faire chacun chez soy: ce qui ne peut arriver en la manducation de la sacree viande.

  A023000430 

 Pourquoy donques est ce, et par quelle authorité, que les ministres l'ont produit a leurs gens en tant de differens langages, difformes, desreglés et bastars? Ont ilz eu plus de soin et de charité vers les peuples que les Apostres?.

  A023000434 

 Nostre Seigneur proteste qu'il ayme les petitz enfans, veut qu'on les laisse venir a luy, ains dict que qui n'est semblable a eux n'est sortable au Royaume des cieux.

  A023000434 

 Pourquoy donq est ce que les ministres leur refusent la Cene et l'accordent aux femmes, que l'Escriture n'appelle point? notamment s'il est vray ce que Calvin escrit au milieu du § 33.

  A023000434 

 de son Livre 4 des Institutions, que le 6 chap. de saint Jan ne traitte point «du manger sacramental» du cors de Jesuschrist.

  A023000438 

 Quelle asseurance donques peuvent avoir les ministres, qu'il faille employer, en l'usage du calice, le vin pur plustost que l'eau, ou la cervoise, ou le vin attrempé par l'eau? Si cela revient plus a leur goust, si n'est il pas pourtant plus commandé [45] en l'Escriture.

  A023000438 

 Saint Luc descouvre tres clairement que ces parolles de Nostre Seigneur: Je ne boyray du fruicl de la vigne jusqu'à ce que le Royaume de Dieu soit venu, furent dittes sur autre subject que celuy de la sainte Eucharistie, quoy qu'elles soyent rapportees apres le recit de l'institution d'icelle, par saint Matthieu et saint Marc.

  A023000442 

 L'Evangile porte expressement que Nostre Seigneur, donnant ce saint Sacrement, dict: Cecy est mon cors, cecy est mon sang, et commanda qu'on fist ce qu'il avoit faict.

  A023000442 

 Puys donq qu'il dict ces sacrosaintes parolles a mesme qu'il presentoit ceste sainte viande, pourquoy est ce que les ministres baillent leur Cene sans les dire, se contentans de les dire avant la communication? Que ne font ilz ce que Nostre Seigneur fit, ou que ne confessent ilz qu'ilz ne le font ni veulent faire!.

  A023000446 

 Puysque nul autre Sacrement au Viel ni au Nouveau Testament, voire ni aucun sacrifice ni ceremonie n'ont jamais esté institués avec parolles figurees, comme peut estre que ce tres grand et, sur tous les autres misteres de la religion chrestienne, principal Sacrement du Cors de Jesuschrist, ayt esté institué par un parler figuré, comme vous dites? Au lieu qu'il est escrit: Cecy est mon cars, vous voules gloser: «Cecy signifie mon cors.» Dieu commanda aux Israëlites de se circoncire: c'estoit un commandement un peu difficile; toutesfois on le prend tout simplement, sans l'eluder et divertir par figures et metaphores.

  A023000450 

 Et que dires vous a ce que le mesme saint Augustin escrit: Que cest adversaire de la Loy et des Prophetes demeure «en arriere avec ses semblables, qui dirent: Ceste parolle est dure, et qui la peut ouyr? Car nous autres, d'un cœur fidele et de la bouche, nous recevons Jesuschrist nous donnant sa chair a manger et son sang a boire, encores qu'il semble plus horrible de manger la chair humaine que de la massacrer, et de boire le sang humain que de le respandre.» Voyla comme saint Augustin ne çourt pas soudain aux figures, et dict aussi qu'on reçoit «d'un cœur fidele et de bouche» les choses qui, de prime face, semblent absurdes..

  A023000450 

 Mays si vous voules entendre toutes choses qui semblent absurdes, quoy qu'elles ne le soyent, devoir estre expliquees par figure, on vous soustient que vous estes lourdement trompés.

  A023000450 

 On accordera bien que si, pour choses mal sonnantes, saint Augustin entendoit ce qui est contre la loy de nature, blasmer, mentir, et, comme vouloyent les Capharnaïtes, deschirer Jesuschrist vivant, qui sont choses qui ne se peuvent jamais droittement commander, vous entendes saint Augustin comme il faut.

  A023000452 

 Et outre plus, si tout ce qui semble absurde ne se doit croire, que respondres vous aux haeretiques Ariens, Montanistes et Manicheens, qui sentoyent mal de l'Incarnation du Filz de Dieu? car il leur sembloit aussi absurde et indecent que la Divinité fust meslëe parmy les souilleures de nostre nature, que Dieu souffrist faim, playes et mort: qui n'est gueres different des absurdités que vous dites [47] estre en la reelle presence du Cors de Jesuschrist en la sainte Hostie; et toutesfois, vous tenes ces pestes d'haeretiques anciens pour hommes tres malheureux qui ont advancé ces choses la..

  A023000460 

 Quel autel donques est celuy la que nous avons de plus qu'eux?.

  A023000460 

 Saint Pol proteste que nous avons un autel duquel n'avoyent puissance de manger ceux qui servoyent au tabernacle.

  A023000464 

 De Beze escrit clair et net, en sa Preface sur Josué, que c'est à Calvin, «apres Dieu, qu'appartient l'honneur de la resolution despuis suyvie par toutes gens de bon jugement,» touchant «ce qu'il faut croire, chercher et recevoir en la Cene.» Que sont donques devenuz tous les devanciers? Ce mistere si important aura il esté caché a toute l'Eglise ancienne, pour estre descouvert a ce seul pretendu mignon et favory du Saint Esprit? Que ne confesse on donques franchement que ceste reformation est toute nouvelle et non jamais conneûe a l'ancienneté!.

  A023000468 

 Quelle loy vous exempte de laver les piedz les uns aux [48] autres avant la celebration de la Cene, comme Nostre Seigneur fit et ordonna? Si ce n'est la Tradition, ce ne peut estre que vostre propre jugement..

  A023000472 

 Nostre Seigneur establit ce saint mistere de son Cors et Sang le soir apres souper: qui vous a dispensés de le faire a autre heure? Ou si vous estimes que les circonstances observees par Nostre Seigneur sont peu considerables?.

  A023000476 

 3 de son Inst., chap. 5, § 10, confesse que la priere pour les mortz estoit en usage en l'Eglise «avant treize cens ans»?.

  A023000476 

 Le texte de l'Evangile porte que le sang de Nostre Seigneur, qui estoit dans la couppe, fut respandu pour plusieurs en remission des pechés.

  A023000476 

 Pourquoy nies vous que ceste remission aye lieu pour les pechés des deffunctz, plustost que pour ceux des mortelz? Qui vous a baillé pouvoir de restraindre les graces de Dieu mesme, puysque Calvin, 1.

  A023000480 

 Pourquoy prives vous les malades de ce Sacrement, contre l'institution d'iceluy qui ne les rejette point? puysque telles gens en ont plus de necessité que les autres, et que «l'ancienne Eglise» le leur conferoit tres soigneusement, comme Calvin mesme confesse 1.

  A023000484 

 Inst., ch. 2, § 3, que c'estoit une chose notoire et sans doute, que despuys l'aage des Apostres jusques au tems de saint Augustin, «il ne s'estoit faict nul changement de doctrine,» ni a Romme ni aux autres villes; ce sont ses propres parolles.

  A023000484 

 Pourquoy donques a il aboly de faire le signe de la Croix, tant en l'usage de ce Sacrement que des autres? puysque saint Augustin proteste que l'Eglise y employoit ce saint signe, [49] et avant luy saint Chrisostome, et avant ces deux Saintz, Cyprian; et long tems avant ces troys grans Peres, saint Clement et saint Denys..

  A023000485 

 Ce qui soit dict, attendant que l'ample responce dressëe sur un petit traitté de la Croix, nagueres imprimé a Geneve, sorte de la main des imprimeurs..

  A023000493 

 Et partant, le mot d'adoration ne signifie pas seulement la reverence ou hommage que la creature doit a son Dieu immediatement, mais aussi l'honneur ou veneration qu'on porte aux creatures superieures ou qui ont rapport aux superieures; si que l'Escriture et tous les anciens Peres [50] employe ( sic ) le mot d'adorer ores pour la reverence faitte a Dieu, ores pour celle qu'on fait aux creatures..

  A023000493 

 Quelle origine que le mot d'adoration aÿe eü, si est il certain qu'il ne veut dire autre que faire reverence, profession de submission ou honneur a celuy que nous reconnoissons avoir quelque praeeminence.

  A023000493 

 Venerer et adorer sont peu differens, sinon en ce, peut estre, que venerer signifie un peu plus l'habitude, adorer l'acte et l'exercice.

  A023000494 

 C'est pourquoy les devanciers ont quelquefois fait difficulté d'appliquer le mot d'adoration a l'honneur des creatures, quoy qu'ilz sceussent que cela se pouvoit fort bien faire; sur tout, ilz ont observé cecy quand ilz ont eu a faire avec les chicaneurs, heretiques, schismatiques et reformeurs..

  A023000494 

 Et de fait, saint Augustin tesmoigne que nous autres Latins n'avons point de simple mot latin pour signifier la veneration deuë a Dieu seul, mais avons emprunté et approprié a cest effect le mot grec latrie, faute d'autre plus commode.

  A023000494 

 Et neanmoins, qui considerera de plus pres l'Escriture et les Anciens, trouvera que le mot d'adorer panche un peu plus a l'honneur deu a Dieu seul que non pas a l'autre; de façon que l'hors que le mot d'adorer est seul en l'Escriture, il s'entend ordinairement de l'adoration de latrie.

  A023000495 

 Que le mot adorer s'applique a l'honneur des creatures, en voicy une preuve trop abondante Abraham adora les enfans de Heth et l'Ange, comme firent aussi Loth, Josue et Balaam; Saul adora l'ame de Samuel; David commande qu'on adore l'escabeau des piedz de Dieu parce qu'il est saint; l'Eglise d'Israël adora Salomon.

  A023000496 

 Que les Peres en ayent fait de mesme et neanmoins ayent estimé que le mot d'adoration tirast un peu plus a l'honneur de latrie, j'en produiray ces exemples.

  A023000505 

 Apres lequel terme expiré, ne pouvant avoir aucune responce, ni moins treuver ledit ministre Viret en la ville, fut affigé ledit advertissement; dont, pour verification de ce que dessus, on exhibe audit sieur Sarazîn l'extrait de ladite ordonnance..

  A023000505 

 Premierement, que la sommation faitte et affichee au pilier de la Place a esté faitte en consequence des conventions et promesses passees entre le sieur Herman Lignarius et luy, suivant lesquelles maistre Loüys Viret, ministre, auroit esté comminé, par ordonnance du lieutenant du [53] sieur Juge maje de Chablaix, le sixiesme de ce moys, d'advertir dans six jours ledit Herman de comparoistre en ceste ville dans ledit tems, ppur parachever ladite conference a la forme desdites conventions; delaquelle ordonnance fut baillé extrait audit Viret, et l'original du passeport.

  A023000513 

 Frere Chérubin, respondant a la proposition faitte ce jourd'huy, 18 septembre 1598, par noble Jean Sarazin, [54] deputé des sieurs Scindiques et Conseil de Geneve, dit: qu'outre l'ample acceptation des offres faitz par ledit sieur Sarazin en une sienne prœcedente proposition (laquelle acceptation auroit esté redigee en escrit et signee, puys remise a iceluy sieur Sarazin), il n'a a respondre autre, sinon que, quant a sçavoir la volonté des Seigneurs de Berne, il ne s'en estoit aucunement chargé, moins s'en veut charger des-ores, pour ny estre obligé, ni tenu de faire aucune consideration sur l'alliance qui pourrait estre entre lesdits Seigneurs dé Berne et lesdits Seigneurs de Geneve; et que touchant la lettre envoyee a l'advocat des Prez, n'y ayant reconneu aucune marque publique, il attendoit de la voir authorisee, selon l'advis des seigneurs magistratz de ce pais de Chablaix.

  A023000514 

 Et quant a la nomination des termes usites en toute legitime dispute, que ledit sieur Sarazin dit estre venu ouïr, a sçavoir: du lieu et tems, du nombre des disputans, des pointz de doctrine desquelz sera traitté en la dispute, des secretaires et des moderateurs, estant chose* reciproque qui se doit passer de commun accord entre les parties, il prie tres affectionnement ledit sieur Sarazin de se treuver icy mercredy prochain, 23 de ce moys, avec amples memoires et pouvoir d'en traitter; et l'hors, il s'offre passer une pleyne et asseuree resolution touchant les pointz requis et autres tendans a mesme fin, sil y escheoit.

  A023000514 

 Ou n'en voulant lesdits seigneurs Scindiques et Conseil de la ville de Geneve prendre aucune resolution sans avoir premierement communiqué le tout auxditz Seigneurs de Berne, pour le respect qu'ilz leur ont, on pourroit au moins, audict jour de mercredy, dresser les articles et memoyres touchant le lieu, tems, nombre de disputans, moderateurs, secretaires, et les pointz de doctrine a disputer; en reservant une pleyne resolution apres que lesdits Seigneurs de Berne auront fait sçavoir ausdits seigneurs Scindiques et Conseil de Geneve leur volonté.

  A023000522 

 Frere Cherubin, suyvant la demande faite ce jourdhuy, 24 septembre 1598, par noble Jean Sarazin, tendant a ce que communication luy soit faite des termes et justes conditions a observer en la conference dont a esté traitté cy devant, et suyvant les offres faitz en la premiere proposition du susdit sieur Sarazin, en date du 16 aoust, an present, de la part des seigneurs Scindiques et Conseil de Geneve et acceptee par ledit Frere Cherubin, ainsi quil appert par les actes cy devant sur ce passés, sur lesquelz il insiste, respond quant a present par les articles suyvantz:.

  A023000540 

 Et pour faire une bonne et solide conclusion de tous articles a passer touchant laditte conference et y mettre la derniere main, il demande que tout au plustost on aye communication de l'intention desditz seigneurs Scindiques et Conseil de Geneve touchant les pointz sus escritz, pour en pouvoir faire une claire et finale resoulution en la presence de Son Altesse pendant que l'on en a la commodité..

  A023000552 

 Cherubin nommast les pointz sur lesquelz on disputeroit, ayant fait ceste nomination, il semble tres raisonnable que lesditz pointz soyent vuydés les premiers; ce qu'estant fait, il offre d'opposer et d'entrer en la discution de ceux qui seront choysis audit livret de Confession comme contraversés [61] entre les parties, ou bien telz que les ministres voudront nommer..

  A023000552 

 Dit premierement: Que la matiere de la conference de laquelle a esté traicté cy devant ne peut estre le livre des Articles de la confession des esglises pretendues reformees dont on luy a exibé l'exemplaire, dautant que l'on n'est pas en different de tous lesditz articles; mais il faudroit premierement conferer ensemble pour choisir ceux tant seulement desquelz on est en controverse.

  A023000552 

 Et ayant pleu aux seigneurs Scindiques et Conseil de Geneve que Fr.

  A023000553 

 Que le moyen choysi par les ministres de seulement s'escrire l'un a l'autre n'a aucune conformité a ce qui a esté cy devant traitté touchant la conference, ains en rompt la suitte et le fil; c'est sortir hors les termes d'icelle, et venir a nouveau traitté et renoncer au precedent..

  A023000554 

 Et de plus, que la conference de laquelle a esté traitté cy devant comprent asses touttes les commodités de ce nouveau moyen proposé maintenant, puisqu'on y devoit tout escrire, et fidellement; et, outre cela, apportoit plusieurs autres commodités, comme: le bien de la briefveté des resoulutions; de l'exibition des aucteurs qu'on auroit a proposer; de la plus particuliere et claire declaration de l'intention d'un chacun, laquelle est bien souvent mal aisee a tirer des escritr faitz entre absentz, et y va une grand piece de temps a envoyer et renvoyer, et les raisons se presseront plus et mieux en presence; avec autres telles occasions qui se perdent par la voye proposee par les ministres.

  A023000554 

 Ne voyant qu'on puisse amener autre difficulté sur ceste conference verballe, si non la crainte de l'aigreur des parolles: a quoy desja a esté remedié, tant par les protestes faites cy devant d'apporter toutte la douceur et tranquilité d'esprit possible et necessaire en chose si importante, qu'aussi par la nomination des moderateurs, qui sont personnes d'honneur et empecheront les desordres et accidentz sinistres (en tant que touchent les nostres), par l'auctorité de Son Altesse qu'on offre d'y faire entrevenir.

  A023000554 

 Que ce moyen empeche beaucoup le fruict de la dispute, puisque l'experience monstre que, quoy qu'on aye tant escrit de part et d'autre, on est aussi frais de recommencer telle maniere de dispute qu'au commencement, et que ceste procedure a besoing de tout l'aage d'un homme, encor ny suffiroit il pas.

  A023000555 

 Ce moyen est trop adventageux pour les ministres, non pour la substance du moyen, car elle n'est pas autre que celle de celluy de la conference reduicte par escrit, [62] mais pour plusieurs circonstances; car les ministres sont tousjours en grand nombre, dans Geneve, ensemble, pour s'entraider et entreprester la main les uns aux autres, la ou, de nostre cousté, nous ne pouvons demeurer longuement plusieurs ensemble.

  A023000555 

 Ilz sont en lieu ou ilz peuvent empecher que noz escritz ne soyent ni veuz ni sondés, mais les leurs; qui seroit un brave moyen pour nous faire condamner entre les leurs: la ou nous n'avons telles commodités..

  A023000556 

 Dit que ce moyen ne semble viser a autre qu'a tirer les choses en longueur, dissiper et faire esvanouir tout le desseing projette de ceste conference..

  A023000557 

 Dont il conclud a ce que l'on demeure dans les justes termes d'une conference de mesme forme qu'elle a esté cy devant proposee.

  A023000557 

 Et prie fort instamment que, comme de sa part il a apporté toutte diligence a respondre et nommer les termes de ladicte conference, n'ayant jamais esté le sieur Sarazin arresté icy que demy jour pour avoir les responces, qu'aussi du cousté des seigneurs Scindiques et Conseil de Geneve il y soit procedé avec telle diligence, franchise et naifveté que l'affaire requiert, affin qu'au plustost on en sache la resoulution finale, mesme pendant que l'on a icy lhonneur de la presence de Son Altesse: dont il demande que pour ceste sepmaine, au plus tard, il aye advis certain de la vraye intention desditz Seigneurs; autrement, il sera a croyre qu'on n'aye point de vollonté d'entrer en conference amiable..

  A023000566 

 Sur les propos qui ont esté ci devant tenus, pour l'ouverture d'une conference dans la ville de Geneve, pour le sujet de la religion tant seulement, entre moy avec quelques predicateurs catholiques d'une part, et les ministres de la mesme ville de Geneve d'autre, j'ay fait cet escrit, et i'ay signé de ma main et seellé de mon sceau, pour declairer et attester que toutes fois et quantes que les ministres [65] voudront y entendre, et convenir de conditions raysonnables, sortables et legitimes pour une telle assembles ou conference, je m'y porteray avec toute promptitude et sincerité, esperant en la bonté de Dieu que son nom en sera glorifié, au salut et bien de plusieurs ames, ainsy que je l'en supplie..

  A023000589 

 QUE PERSONNE NE DOIT SE PERMETTRE D'EN DISCUTER EN PUBLIC».

  A023000592 

 Aussi, Luthériens et Calvinistes se font-ils une gloire de ce que toute la place, pour ainsi dire, leur ait été abandonnée.

  A023000592 

 C'est donc d'eux seuls que nous nous occuperons, car des autres, si ce n'était par les livres et renommée, nous ignorerions presque jusqu'au nom..

  A023000592 

 L'extrême division de tous, ces hérétiques permet cependant d'établir parmi eux trois genres principaux auxquels peuvent se rattacher, comme autant d'espèces, les autres sectes inférieures: celui des Luthériens, celui des Calvinistes et celui des Anabaptistes; bien que la situation des Anabaptistes soit déjà telle, que tout le monde, à cause de leur infériorité, non certes en folie et en impiété, mais en nombre, les regarde à peu près comme des ennemis sans force et sans valeur.

  A023000593 

 Du reste, les édits de nos Princes et les nombreux décrets de notre Sénat touchant la religion (édits et décrets que nous n'avons pas [69] jugé à propos de transcrire ici, parce qu'ils ont été imprimés) flétrissent et poursuivent non seulement les luthériens et les calvinistes, mais tous les autres hérétiques, comme sont évidemment tous ceux qui, sous un nom quelconque, ont abandonné la sainte Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, et dont les erreurs ont été frappées d'un très juste anathème par le saint Concile de Trente agissant sous l'impulsion du Saint-Esprit..

  A023000594 

 Ç'a été une belle chose et, au milieu d'un si grand malheur, un bonheur pour la République Chrétienne, que ces sectes, qui avaient conjuré contre elle avec tant d'ardeur, eussent des caractéristiques si infamantes que personne ne pût au premier aspect douter qu'elles ne portent au front ce que les saints Canons appellent les apparences distinctives de la perversité «hérétique»..

  A023000595 

 Nous laissons à dessein le reste aux théologiens qui ont traité en si grand nombre et si bien ces matières ex professo.] Nous citerons les paroles mêmes de Luther et de Calvin, afin que n'aient pas le droit de se plaindre d'une invention ou d'un changement de notre part, ceux qui croiront difficilement cette chose en vérité incroyable, qu'un esprit humain ait pu imaginer des impiétés si absurdes et si clairement diaboliques, et des absurdités si impies qui ont cependant réussi à gagner tant d'adeptes.

  A023000595 

 Nous pouvons, en effet, affirmer en toute vérité que rien n'a été fait par nous en cela qui ne soit permis à tout homme pieux et chrétien; nous avons, dans une affaire de si haute importance, apporté les précautions nécessaires pour n'encourir en aucune façon les très justes censures de l'Eglise, censures que nous craignons et respectons.] [71].

  A023000723 

 Aussi est-il clair qu'ils sont du nombre de ceux dont Tertullien a écrit, à propos de tous les hérétiques: «Tout en croyant, ils ne croient pas.» Ils ne sont pas en cela semblables aux païens qui, comme dit le même auteur, «tout en ne croyant pas, croient.» Et je ne vois pas à qui mieux qu'à eux puisse convenir le nom d'άρυοΰμαι ( je nie ), que plusieurs grands écrivains ont estimé être le nom de l'Antéchrist, car la coutume habituelle de tous les antéchrists, c'est-à-dire des hérétiques, est d'établir presque toute leur doctrine sur la négation.

  A023000723 

 Autrement, je le demande, qu'y aura-t-il de certain, qu'y aurat-il de sûr, s'il suffit à un demandeur, même calomniateur, de nier? Nos hérétiques méritent vraiment que nous leur appliquions ce que saint Jean écrit dans son Apocalypse au sujet de ces sauterelles sortant du puits de l'abîme, qui ont, dit-il, à leur tête comme roi, l'ange de l'abîme, qui se nomme en hébreu Abaddon, en grec Apollyon, en latin Exterminans.

  A023000723 

 En effet, c'est un principe, pour [72] les auteurs comme pour les interprètes de notre Droit, qu'une chose ne peut être douteuse qu'autant que celui qui l'attaque en justice prouve son accusation, même si celle-ci consiste en une négation, surtout s'il s'agit de troubler quelqu'un qui se trouve en possession tranquille de la chose controversée.

  A023000723 

 Il signifie par là que les hérétiques ne construisent presque rien, mais détruisent tout; n'affirment rien, nient tout; sont tels enfin que, s'il faut les appeler chrétiens, il faut les dire chrétiens négativement, non pas affirmativement.

  A023000723 

 S'ils font cela pour nous obliger à fournir nos preuves, se croyant eux-mêmes dispensés de prouver quoi que ce soit, en vérité ce sont de bien mauvais, non seulement théologiens, mais jurisconsultes.

  A023000727 

 A cette négation est opposée l'affirmation du Christ, disant qu'il aurait pu prier son Père, et que son Père lui eût fourni plus de douze légions d'Anges; et aussi faire passer un chameau par le trou d'une aiguille; de même l'affirmation de Jean-Baptiste, que des pierres mêmes Dieu pourrait faire naître des fils à Abraham.

  A023000727 

 Il a pu détruire Praxéas» (ajoutons, si cela vous plaît, Luther et Calvin) «et tous les hérétiques; cependant, de ce qu'il l'a pu, il ne s'ensuit pas qu'il l'ait fait.» Or, ce n'est pas d'une puissance ordinaire que Dieu a pu tout cela, car autre a été l'ordre suivant lequel les choses ont été arrêtées et exécutées; c'est donc d'une puissance absolue, [74] c'est-à-dire d'une puissance libre de toute loi promulguée et de l'ordre de choses établi.

  A023000727 

 Il ne s'agit pas cependant d'une puissance absolue, dans le sens de puissance affranchie de l'équité et de la justice, comme l'interprète à tort Calvin; car l'équité et la justice sont la loi intrinsèque de Dieu: loi qui n'est pas autre chose que Dieu lui-même, lequel étant sa loi à lui-même, aussi ne peut-il en aucune façon s'écarter de la loi et de l'équité..

  A023000727 

 Quelqu'un d'esprit sain ne niera pas davantage que Dieu ait le pouvoir de faire ce dont il menace: par exemple, la destruction de Ninive, et une infinité d'autres choses du même genre, que cependant Dieu n'a jamais ou faites ou voulu faire.

  A023000731 

 Dieu veut donc bien des choses d'une volonté, non efficiente ou concourante, mais seulement permissive; c'est-à-dire que ce qui est mauvais, d'une malice qu'on appelle morale, ne peut provenir jamais de Dieu, qui est bon et la bonté même.

  A023000735 

 Voici, en effet, les paroles mêmes de Calvin: «Augustin n'est pas lui-même exempt parfois de cette superstition, comme lorsqu'il dit que l'endurcissement et l'aveuglement n'appartiennent pas à l'opération, mais à la prescience de Dieu; pourtant, un grand nombre de textes scripturaires ne supportent pas ces arguties,» etc. A cette négation on peut opposer ce qu'affirme çà et là la Sainte Ecriture, à savoir que Dieu a prévu la trahison de Judas, le reniement de Pierre, l'aveuglement des Juifs; toutes choses que le Christ a prédites et prévues, sans cependant les vouloir ou les faire..

  A023000737 

 De l'essence que le Fils de Dieu a de son Père.

  A023000739 

 Ils nient que le Fils de Dieu ait son essence du Père.

  A023000739 

 Les Ecritures, au contraire, et le Christ lui-même, affirment que le Christ est.

  A023000739 

 Qui donc peut, en effet, comprendre par un effort de son esprit ou de sa pensée, que celui qui est et est appelé Fils, n'ait pas son essence ou sa nature [76] de celui dont il est le Fils? Qu'a donc pu avoir le Fils du Père, sinon la Divinité? Qu'y a-t-il de commun entre le Père et le Fils en dehors de l'essence? Qu'a donc communiqué le Père au Fils, si ce n'est l'essence même? C'est pourquoi les Ecritures, les Conciles, les Pères, enfin tout l'univers chrétien, proclament que le Fils est «Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu.» Par conséquent, Dieu le Père possède la véritable essence divine, qu'il n'a ni de lui-même, contrairement à l'expression peu prudente de Calvin, ni de quelque autre, mais tout à fait de personne, l'essence n'engendrant pas et n'étant pas engendrée.

  A023000743 

 Enfin, notre vie est fille de la mort du Christ; celui qui cherche la vie ailleurs que dans cette mort a perdu la vie.

  A023000743 

 Ils nient que la mort corporelle du Christ, si le Christ n'avait fait que subir cette mort, nous eût servi en quoi que ce soit: «Rien n'était fait,» dit Calvin, «si tout s'était borné à la mort corporelle du Christ.» Dieu immortel! chaque mot de l'Ecriture rapporte [77] notre salut au sang, à la croix, à la mort du Christ; tous les chrétiens proclament que le Christ a détruit notre mort par sa mort; tous les Saints chantent le cantique de leur rédemption par ces mots: Vous nous avez rachetés, ô Dieu, par votre sang.

  A023000743 

 Quelle n'est pas l'audace de ces hérétiques de dire que rien n'eût été fait par la mort du Christ, alors que, à cause de la dignité infinie de Celui qui l'a subie, la plus petite goutte de son sang royal et divin eût suffi à racheter des mondes innombrables!.

  A023000743 

 [Et ces crapauds osent coasser dans leurs mares,] que rien n'a été fait par cette mort vivifiante! Mais Isaïe va jusqu'à dire que nous avons été guéris par la seule meurtrissure du Christ.

  A023000747 

 Ils nient que le Christ soit Législateur et, par suite, qu'aucune loi soit proposée dans l'Evangile.

  A023000747 

 Voici, en effet, les paroles de Luther: «Il faut que tu saches ce qu'est en définitive le Christ: or, le Christ en définitive n'est pas Législateur.» Et aussitôt, il traite de «pestilentielle» la doctrine du Christ Législateur.

  A023000751 

 Et les autres Apôtres n'ont pas une doctrine différente, eux qui d'une voix unanime prêchent que le Christ jugera les vivants et les morts..

  A023000751 

 Ils nient que le Christ soit Juge.

  A023000751 

 Tout autre est l'enseignement de saint Pierre, qui affirme ouvertement que le Christ a été établi par Dieu, Juge des vivants et des morts.

  A023000755 

 Et en réalité, quelle sera la certitude et l'autorité des Saintes Ecritures, si l'on supprime la Tradition, puisque cette certitude et cette autorité peuvent se prouver non par le témoignage de l'Ecriture, mais seulement par la Tradition? Pourquoi appellerons-nous Livres canoniques les Evangiles de Matthieu et de Luc, plutôt que ceux de Thomas et de Nicodème? Et si quelqu'un se met à nier cela et à rejeter, avec nos hérétiques, la Tradition non écrite, comment arriverons-nous à trouver une preuve contre lui? En outre, où étaient donc l'Eglise et la foi de l'Eglise pendant tous les siècles où les matières de foi étaient traitées, non par l'écriture, mais seulement par la parole? Est-ce que l'Eglise n'a pas été antérieure aux Ecritures? Dans quel endroit de l'Ecriture trouveront-ils quelque chose qui nous oblige à croire qu'il faut ajouter foi seulement à ce qui est écrit? Que dire du Baptême des enfants; du Dimanche à sanctifier, de préférence à tout autre jour, en remplacement du Sabbat juif; de la création des Anges, et de tant d'autres choses du même genre dont la croyance est très certaine dans l'Eglise, et même parmi tous les [80] hérétiques, mais dont la preuve par l'Ecriture est tout à fait inexistante? C'est bien autrement, et magnifiquement comme toujours, que parle Augustin: «Je ne croirais pas à l'Evangile, si» l'Eglise ne me disait que c'est l'Evangile..

  A023000755 

 Ils nient qu'il existe une Tradition simplement orale, et cela [79] contrairement à l'affirmation expresse de saint Paul dans l'Epître aux Thessaloniciens: Gardez, dit-il, les traditions que vous avez reçues, soit de vive voix, soit par lettre.

  A023000759 

 Ils nient que, parmi les Livres de la Sainte Ecriture, ceux de Judith, de Baruch, de la Sagesse, de l'Ecclésiastique, des Machabées et de Tobie aient une autorité canonique, attendu qu'ils n'appartiennent pas au Canon des Juifs; comme s'il fallait attribuer une autorité plus grande à la Synagogue juive qu'à l'Eglise Catholique universelle, laquelle, d'un consentement unanime, a toujours tenu ces Livres pour canoniques.

  A023000759 

 Quelques-uns, parmi ceux-ci, n'ont été écrits qu'après la fixation du Canon des Juifs: qui s'étonnera donc de ne pas les voir insérés dans ce Canon, si ce n'est celui qui, par ignorance de la chronographie, ne sait pas que c'est là une impossibilité? [81].

  A023000763 

 Ils nient que l'Epître de saint Jacques soit canonique, en ce sens que, lorsqu'on la leur oppose, ils mettent en doute la foi et l'autorité qu'elle mérite, foi et autorité qui ont cependant été toujours très certaines et assurées.

  A023000763 

 Je laisse de côté, en effet, que plusieurs affirment avec grande probabilité que cette Epître n'est pas de l'Apôtre Jacques, ni digne de l'esprit apostolique, bien que par l'usage elle ait obtenu de l'autorité, quel que soit par ailleurs son auteur.

  A023000763 

 Luther, en effet, dans le livre qu'il a écrit Sur la captivité de Babylone, a.u chapitre Du Sacrement de l'Extrême-Onction, répondant à un argument tiré de l'autorité évidente de saint Jacques en faveur de l'Extrême-Onction, expose en ces termes son opinion: «Je dis, moi, que si jamais on a déliré, c'est surtout en cet endroit qu'on l'a fait.

  A023000764 

 Voyez-vous l'audace et l'impudence de cet homme qui, non content d'avoir détruit autant qu'il l'a pu l'autorité de l'Epître apostolique, accuse encore l'Apôtre d'arrogance, si c'est lui qui a écrit [82] l'Epître, en s'attribuant le droit d'instituer un Sacrement! L'insensé apostat ne voit pas que l'Apôtre agit comme il le fait, non pour instituer le Sacrement de l'Extrême-Onction, mais pour exhorter les fidèles à en user; ce qu'il n'aurait certes pas fait, si le Christ n'avait lui-même institué ce Sacrement..

  A023000768 

 Ils nient que les Saintes Ecritures contiennent des difficultés qui empêchent les fidèles de les comprendre aisément, de sorte qu'elles sont plus claires et plus faciles que les commentaires de tous les Pères.

  A023000768 

 Mais quelle sera donc l'utilité, quelle sera surtout la nécessité des Docteurs dans l'Eglise de Dieu, si les rêves de ces hérétiques sont conformes à la réalité? A quoi serviront tant de [83] commentaires des Pères, composés au prix de tant de veilles et d'études, achevés au prix de tant de fatigues, s'ils sont plus difficiles et plus obscurs que les saints Livres qu'ils ont prétendu expliquer?.

  A023000768 

 Par cette négation ils accusent de mensonge saint Pierre, lequel, quoique fidèle lui-même et instruit (à moins qu'il n'ait été peut-être inférieur à Luther en foi et en doctrine), a écrit cependant que les Epîtres de saint Paul contiennent beaucoup de passages difficiles, que les infidèles et ceux qui sont peu instruits dénaturent, dit-il, comme les autres Ecritures, pour leur perdition.

  A023000772 

 Ils nient que la véritable Eglise soit visible.

  A023000776 

 Et effectivement, si l'on nous traitait d'une manière assez funeste et inhumaine pour que l'Eglise universelle pût errer en matière de foi et au sujet du vrai sens à attribuer à la Parole de Dieu, quel homme, je le demande, croirait qu'il ne peut errer? Mais celui qui croit qu'il peut errer, comment peut-il être certain de ne pas errer? Ce sera ainsi une conséquence nécessaire, que tous devront marcher dans l'incertitude au sujet de la foi et du sens à attribuer aux Saintes Ecritures.

  A023000776 

 Ils nient que le jugement de l'Eglise Catholique et visible soit infaillible en matière de foi.

  A023000776 

 Où se rencontrera donc ce qui doit être pour nous tellement certain et assuré, que si un Ange du ciel voulait nous enseigner le contraire nous ne devrions pas le croire? Et, en effet, qui ne devrait plutôt croire à un Ange du ciel qu'à soi-même, si d'un autre côté l'autorité et la certitude de foi de l'Eglise était supérieure à l'autorité contraire de n'importe quel ange, en admettant, par impossible, qu'il puisse jamais exister une telle autorité contraire?.

  A023000780 

 Ils nient que l'autorité des Conciles, même généraux, soit [85] telle que nous devions y adhérer fermement, à tel point qu'ils affirment le droit, non seulement pour le peuple, mais pour chaque homme privé, de peser et d'examiner la doctrine des Conciles en la confrontant avec l'Ecriture.

  A023000780 

 Voici, en effet, les paroles de Luther: «Il appartient à tous les chrétiens et à chacun d'eux de connaître et de juger de la doctrine, et cela leur appartient tellement, qu'il faudrait dire anathème à quiconque léserait ce droit le moins du monde Car le Christ a dit: Gardez-vous des faux prophètes... Cette seule autorité suffit contre les sentences de tous les Pontifes, de tous les Pères, de tous les Conciles, de toutes les écoles, qui ont accordé le droit de juger et de décider aux seuls Evêques et ministres, et l'ont, d'une manière impie et sacrilège, arraché au peuple, c'est-à-dire à l'Eglise-reine.» Un peu plus loin il s'en prend au roi Henri: «Et pour faire ici mention de mon Henri et des sophistes qui font dépendre leur foi de la durée des temps et de la multitude des hommes, tout d'abord on ne peut nier que ce soit depuis plus de mille ans que le droit en question a été tyranniquement ravi; car dans le Concile de Nicée, le meilleur de tous cependant, on commençait déjà à faire des lois et à s'attribuer le droit susdit.» Et peu après il ajoute: «Il est hors de controverse que le droit de connaître de la doctrine, d'en juger ou de l'approuver réside en [86] nous-mêmes, non dans les Conciles, chez les Pontifes, les Pères, les Docteurs.».

  A023000781 

 Et s'ils ont ce droit parce que chrétiens, est-ce que les Pontifes, les Pères, les Docteurs ne sont pas aussi chrétiens? Ils l'auront en tant que brebis, non en tant que pasteurs.

  A023000781 

 Je vous le demande, qui que vous soyez qui lisez ces phrases, a-t-on jamais rien écrit de plus arrogant et de plus impudent? Ce ne sont pas les Conciles, les Pontifes, les Pères, les Docteurs qui ont le droit de connaître et de juger des doctrines, mais le seul Luther; bien mieux, le premier venu de la lie du peuple, pourvu qu'il soit luthérien (car j'imagine que c'est là le sens de Luther; autrement c'en serait fini de lui et de tous les luthériens, s'ils avouaient qu'il faut croire à Calvin et aux calvinistes au sujet de l'interprétation des Ecritures).

  A023000782 

 Qui le nie? Toutefois, est-ce parce qu'il veut que chacun juge de leur doctrine, comme le pense Luther? Pas le moins du monde; mais parce que chacun peut facilement se rendre compte de leur personne (comme nous le faisons, pour notre trop grand malheur, à l'égard des luthériens et des calvinistes) [87] au moyen de leurs fruits et de leurs œuvres; car ils viennent et ne sont pas envoyés, ils dispersent les brebis et divisent le troupeau, en sorte que, malgré leurs apparences de brebis, il est facile de reconnaître qu'ils sont au-dedans des loups ravisseurs..

  A023000786 

 Ils nient que l'homme ait aucunement le libre arbitre, et cela si impudemment, que Calvin accuse d'audace les Pères grecs, et de fausseté les latins, parce que ceux-ci se sont presque toujours servis du mot de libre arbitre, et ceux-là du mot de pouvoir propre.

  A023000791 

 Ils nient que les fidèles puissent pécher mortellement, parce que, dit Calvin, «les péchés des fidèles sont véniels; la raison en est que, grâce à la miséricorde divine, il n'y a pas de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus, leurs péchés ne leur sont pas imputés, ils sont effacés par le pardon.» Comme si les imprécations et les reniements de Pierre à l'égard de son Maître, l'adultère et l'homicide de David, bien mieux, la désobéissance d'Adam et d'Eve n'avaient pas été des péchés mortels! Qu'a donc voulu dire celui qui, dans l'Apocalypse, a adressé ces paroles à l'Evêque: Tu as un nom de vivant, et tu es mort? Pourquoi donc David a-t-il, au prix de tant de larmes, de tant de sanglots, demandé que son péché fût effacé, qu'un cœur nouveau fût créé en lui, qu'il fût lavé de son iniquité, purifié de son péché, si, puisqu'il était [89] fidèle, il n'avait à craindre aucune condamnation, aucune imputation de péché?.

  A023000793 

 Des cinq Sacrements que nient les novateurs.

  A023000795 

 Mais rien n'est plus digne de ces grands théologiens que ce qu'affirme Calvin, lorsqu'il dit que certains de ces Sacrements ont existé au temps des Apôtres, qui cependant n'existent plus aujourd'hui; comme si les Sacrements n'avaient été institués que pour un temps, non pour tout le temps que devait durer l'Eglise elle-même, c'est-à-dire jusqu'à la consommation des siècles!.

  A023000799 

 C'est aussi ce qu'a ordonné de croire le Concile de Nicée, et encore celui de Constantinople, et ce que l'Eglise universelle elle-même proclame en chantant cette solennelle affirmation: «Je confesse un Baptême pour la rémission des péchés.».

  A023000799 

 S'il faut, en effet, en croire Calvin, l'eau du Baptême n'opère pas «notre ablution et notre salut,» ne contient [90] pas «en soi la vertu de purifier, de régénérer et de renouveler.» Tout ceci cependant est affirmé très clairement par l'Apôtre Paul dans son Epître à Tite, lorsqu'il dit que le Christ nous a sauvés par le bain de la régénération.

  A023000803 

 Ils nient que les fils des fidèles naissent enfants de colère ou soumis à la damnation, même avant le Baptême.

  A023000803 

 Personne ne doute que Paul, et encore moins le roi David, n'aient été engendrés par des parents fidèles; et cependant ils n'hésitèrent pas à se confesser, le dernier, conçu dans le péché, le premier, enfant de colère par nature.

  A023000803 

 Sur ce sujet il existe une importante déclaration de saint Augustin: «Celui qui dit que dans le Christ sont vivifiés même les enfants qui quittent la vie sans avoir reçu le Sacrement, celui-là va certainement contre la prédication des Apôtres, et condamne toute l'Eglise, à laquelle on s'empresse de courir pour faire baptiser les enfants, précisément parce qu'on croit sans hésitation qu'ils ne peuvent en aucune antre façon être vivifié» dans le Christ.» De même saint Jérome écrit, après Tertullien: «On ne naît pas chrétien, on le devient.».

  A023000803 

 Voici, en effet, ce que dit Calvin: «L'enfant d'un fidèle, dès le sein, de sa mère est compris dans l'alliance par droit héréditaire, selon la formule de la promesse.» Comme si vraiment l'Apôtre ne s'écriait pas: Ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont regardés comme la postérité.

  A023000804 

 Cependant, c'est une opinion bien peu sévère que celle des catholiques au sujet des enfants non baptisés, auxquels ne peut être imputé d'autre péché que le péché originel: à savoir, qu'ils sont, condamnés à la peine du dam seulement, non à celle du sens, et qu'ils jouissent d'un bonheur naturel le plus grand possible en qualité et en quantité, en sorte qu'ils rendent gloire à Dieu pour sa justice, non seulement vindicative, mais aussi distributive.

  A023000808 

 Ils nient que dans l'Eucharistie le corps du Christ, vrai et réel, soit vraiment et réellement présent, et soit contenu sous les espèces du pain et du vin.

  A023000809 

 A cette négation, ou plutôt à cet enfantillage des sacramentaires, s'oppose diamétralement cette parole du Christ, plus claire que le soleil, plus inébranlable que le firmament: Ceci est mon corps.

  A023000809 

 De peur toutefois qu'on ne crût qu'il avait apporté un tempérament à son impudence passée et, de bon gré ou par bassesse, adopté l'opinion de l'Eglise Romaine, il protesta qu'il [93] eût volontiers rejeté cette opinion, s'il avait aperçu la moindre possibilité de nier avec audace ce que le Christ avait affirmé d'une manière aussi ouverte et aussi constante.

  A023000810 

 C'est à ce point que le très illustre Claude de Sainctes, évêque d'Evreux, dans son excellent ouvrage De Eucharistia, a pu parfaitement tirer de leurs livres jusqu'à quatre-vingt-quatre interprétations fort différentes.

  A023000810 

 Ceci ne s'est pas produit sans un jugement admirable et profondément sage du Dieu très bon et très grand: il fallait, en effet, que ceux qui ont osé, par cette épouvantable négation allant à l'encontre de la parole divine, violer et profaner un si grand Sacrement, un si parfait symbole d'unité, fussent précipités par là même dans un abîme de division..

  A023000810 

 Quant aux sacramentaires, qui se croient d'autant plus subtils qu'ils sont en fait plus impudents, bonté de Dieu! à quelle abondance follement variée d'opinions et d'expressions ne se sont-ils pas laissés aller lorsqu'ils se sont efforcés d'expliquer les paroles du Christ! Ici la confusion a été plus grande, semble-t-il, que celle que nous lisons avoir régné parmi les bâtisseurs de la tour de Babylone.

  A023000811 

 L'autre est celle qui, pour ne pas avoir l'air de s'écarter même matériellement des paroles du Christ, admet que son vrai corps se trouve dans le Sacrement de l'Eucharistie, mais par la foi, non par une présence réelle et corporelle qui précéderait la manducation; en somme, [95] qu'il s'y trouve sans s'y trouver, et que cette présence n'est vraie qu'en imagination.

  A023000811 

 Parmi ce déluge d'opinions calvinistes, deux paraissent être plus plausibles que les autres si nombreuses.

  A023000811 

 Que peut-on émettre de plus sot, de plus insensé que cette dernière interprétation?.

  A023000812 

 Cela admis, il reste en outre certainement manifeste que l'addition du verbe grec substantif ( est ), faite d'un commun accord par tous les autres Evangélistes et par [96] saint Paul (celui-ci d'après l'enseignement, non de ses collègues en apostolat, mais du Seigneur déjà monté au Ciel), que cette addition, disons-nous, n'a pas été, faite dans le but d'aplanir la voie à l'interprétation mensongère ci-dessus et de faire croire qu'ils voulaient donner au verbe est le sens de signifie; mais pour exprimer plus ouvertement le même sens que saint Matthieu a exprimé dans la langue maternelle du Christ.

  A023000812 

 En sorte qu'il est impossible à personne, devant tant de mots réunis qui n'expriment que la substance et la vérité de la substance, de douter de l'intention que Notre-Seigneur Jésus-Christ a eue, en instituant son Sacrement, de parler de son corps véritable et réel, celui-là même qui ensuite fut donné et livré pour nous sur la croix, non en figure et signification, mais vraiment et réellement, afin que toutes les figures de l'Ancien Testament prissent fin avec la consommation de l'oeuvre de la rédemption..

  A023000812 

 Quant à la première, [ses misérables défenseurs méritent vraiment d'être plutôt renvoyés à l'école de grammaire qu'à celle de théologie, pour y recevoir les verges toutes les fois qu'ils nieront que le verbe être désigne la vérité de la substance, non sa simple signification.] Mais que diraient ces partisans de métaphores s'ils avaient vu le texte hébraïque de saint Matthieu? Ce dernier, qui a écrit son Evangile dans la langue même dont se servait Notre-Seigneur Jésus-Christ lorsqu'il instituait le Sacrement et lorsqu'il conversait avec les hommes sur terre, a dû nous transmettre la formule d'institution qui mérite d'être préférée aux autres et doit fixer davantage notre attention.

  A023000813 

 Qu'a-t-on pu écrire de plus clair, soit pour exclure le sens mensonger de simple figure et signification, soit pour éliminer l'autre interprétation qui met la vérité du corps du Christ dans la foi du communiant, non dans la vérité du Sacrement, et attribue ainsi plus de valeur à la foi du communiant qu'à la puissance de Celui qui a institué le Sacrement? Comment, en effet, communier plus indignement qu'en ne croyant point à la présence du corps du Christ? Or, même celui qui mange et boit indignement, ne mange et boit sa propre condamnation que parce qu' il ne discerne pas le corps du Seigneur.

  A023000817 

 Je laisse de côté l'annonce faite par le Prophète Malachie, d' une oblation pure qui serait offerte dans le monde entier; j'omets bien d'autres très solides arguments scripturaires que les théologiens, eux, n'omettent pas.

  A023000817 

 Mais à qui serait-il donné pour nous, si ce n'était au Père tout-puissant? Et pour que personne ne puisse penser que c'est bien un sacrifice, mais [99] non une hostie de propitiation, le Christ a ajouté en propres termes: en rémission des péchés.

  A023000817 

 Notre foi est surabondamment établie par la parole ci-dessus, prononcée par la bouche du Seigneur, qui prouve avec la plus grande force et évidence que l'Eucharistie n'est pas uniquement un Sacrement devant nous être présenté, mais encore un Sacrifice devant être offert pour nous..

  A023000817 

 Quoi de plus clair, en eflet, que ces paroles: Ceci est mon corps qui est donné pour vous; Ceci est mon sang qui est répandu pour vous et pour plusieurs en rémission des péchés? Sans nul doute, ce corps très saint est donné, non pas seulement à nous en Sacrement, mais aussi pour nous en Sacrifice.

  A023000817 

 Tous les hérétiques de ce temps sont d'accord sur cette négation, et pensent avoir pleinement atteint leur but s'ils enlèvent à notre religion un sacrifice, sans lequel cependant la religion ne peut pas plus subsister que sans Dieu.

  A023000818 

 Et si vous ajoutez: le Christ est ressuscité et il est monté aux cieux pour tous les fidèles et les élus, donc personne ne ressuscitera et ne montera aux cieux, le vulgaire le croira aussi, pourvu toutefois que ce soit Luther ou Calvin qui l'affirme; c'est, en effet, par un argument de même sorte que le leur que s'obtient ce dernier mensonge.

  A023000818 

 Ils en déduisent qu'il n'est pas besoin que le Christ s'offre plus souvent.

  A023000818 

 Je me contenterai de mentionner cette affirmation retentissante des novateurs, que ceux-ci présentent comme quelque chose de nouveau et d'inouï pour nous: à savoir, qu'il y a une oblation unique, par laquelle le Christ a procuré la perfection pour toujours à ceux qui sont sanctifiés.

  A023000818 

 Tant est juste ce que Tertullien a écrit: «Le démon a varié ses moyens pour attaquer la vérité; il a parfois affecté de la défendre pour l'abattre.» Pareilles sont ces autres conclusions de nos hérétiques: La foi justifie, donc la charité ne justifie pas; la justice du Christ nous est imputée, donc il n'y a en nous aucune justice; le Christ a mérité pour nous, donc nous n'avons aucun mérite; le Christ est souverain Pontife, donc il n'y a dans l'Eglise aucun souverain Pontife, vicaire du Christ; le Christ est l'unique médiateur de rédemption, donc il n'existe aucun médiateur d'intercession; le Christ a jeûné pour nous, donc nous ne devons pas jeûner; enfin, pour ne pas tout énumérer, le Sacrement est un signe, donc dans le Sacrement il n'y a aucune réalité.

  A023000819 

 Mais auprès des savants et de ceux qui sont davantage versés dans la connaissance, soit de la théologie, soit de la logique, tous ces raisonnements sont parfaitement ridicules; car les gens instruits savent qu'il nous faut, au contraire, raisonner ainsi: La foi justifie, donc bien plus la charité justifie, elle sans laquelle la foi est morte; la justice du Christ nous est inciputée, donc une réelle et vraie justice est produite en nous; le Christ a mérité pour nous, donc nous avons des mérites que nous ont valus les mérites du Christ; le Christ est souverain Pontife, donc parmi ceux qui pour le moment le remplacent, il faut qu'il y en ait un qui soit souverain Pontife; le Christ est l'unique médiateur de rédemption, donc il peut et il doit y avoir de nombreux médiateurs d'intercession, qui, avec nous et pour nous, implorent de lui qu'il nous applique le prix et l'efficacité de sa rédemption; le Christ a jeûné pour nous, donc à plus forte raison devons-nous jeûner à son exemple et imitation; le Christ est ressuscité et monté aux cieux, donc nous aussi, si nous sommes non pas seulement fidèles, mais aussi élus, nous ressusciterons et monterons aux cieux, selon le raisonnement de Paul dans son Epître aux Thessaloniciens; enfin, il y a un signe dans le Sacrement, donc il faut que la chose signifiée y soit aussi.

  A023000820 

 De même, pour arriver à ce qui noua occupe, de ce que le Christ s'est offert lui-même en sacrifice sur la croix, concluons plutôt qu'il s'est aussi offert en sacrifice dans l'Eucharistie, but évident de recommander et appliquer le premier sacrifice par le second.

  A023000820 

 Il est très vrai que par le sacrifice de la Croix tout a été consommé et qu'il n'est nul besoin d'une nouvelle oblation; toutefois il n'est pas moins vrai que l'Eucharistie est un sacrifice: il n'y a pas, en effet, deux sacrifices, celui de la Croix et celui de l'autel, mais un seul, parce que, d'un côté comme de l'autre, c'est une même chose qui est offerte, par un même sacrificateur, à une même fin et au même Père.

  A023000820 

 La fin pour laquelle il est offert est la même des deux côtés: à savoir, la rémission des péchés; mais elle n'est pas atteinte de la même façon dans l'un [103] et l'autre cas, attendu que sur la croix la rémission se fait par une rédemption, satisfaction et réparation sans bornes, tandis que sur l'autel, elle se fait par l'usufruit et l'application de cette rédemption, de cette satisfaction, de cette réparation.

  A023000820 

 Par conséquent, la différence n'est que dans la manière et la forme, puisque, comme nous l'avons dit, la chose offerte est le même Christ; mais sur la croix il est offert dans sa propre apparence et forme, d'une manière sanglante, tandis que dans l'Eucharistie, il l'est sous l'espèce du pain et du vin, selon l'ordre de Melchisédech, d'une manière non sanglante.

  A023000821 

 Ainsi donc, celui qui dirait que le sacrifice de la Messe et celui de la Croix sont deux sacrifices, dirait vrai à cause de la forme et des modes divers de la double offrande; mais il est bien mieux et non moins vrai, tout au contraire plus vrai, de parler d'un seul sacrifice, à cause de l'identité, pour ainsi dire, de Celui qui à la fois offre et est offert, de Celui à qui il est offert et de la fin pour laquelle il est offert.

  A023000821 

 Ainsi le soleil, par un acte unique et continu, offre et communique sa lumière au monde inférieur, et n'est aucunement affecté en lui-même par l'alternance des nuits et des jours, bien que, par rapport à nous, la diversité des nuits et des jours nous fasse distinguer en lui un cours sans cesse recommencé dans son unité.

  A023000821 

 C'est comme pour le soleil: celui qui parlera d'un seul, à cause de l'unité indivise de la substance du soleil, s'exprimera avec plus de vérité que celui qui, à cause de la distinction des jours, estimera devoir parler de plusieurs soleils.

  A023000821 

 De manière que cette oblation s'opère, de la part du Christ, non plusieurs fois ou [103] par des actes réitérés, mais par un acte unique que ne vient interrompre aucune cessation, bien que, par rapport à nous et à notre ministère, et par rapport aux actes extérieurs, cette oblation soit plutôt répétée que continue, tout en méritant toujours d'être considérée comme une même oblation.

  A023000821 

 Il n'est pas tant la répétition de l'offrande faite sur la croix, que sa continuation et sa reproduction persévérante, puisque l'acte de volonté, par lequel le Christ Rédempteur s'est offert et s'offre pour toujours au Père, est unique, perpétuel et très constant.

  A023000821 

 Par suite, le sacrifice de la Messe n'est pas différent, mais est le même que celui de la Croix, bien loin de lui être contraire.

  A023000822 

 Cela montre bien que tout leur plan est de mépriser une chose et de rejeter l'autre..

  A023000822 

 Cependant, lorsqu'ils passent au sacrifice de la Croix, ils lui enlèvent toute force et vertu, en affirmant, comme nous l'avons dit ci-dessus, que rien n'a été fait par lui, et ils réduisent toute l'œuvre de notre rédemption à je ne sais quels supplices de l'enfer dont il n'est pas fait la moindre mention dans l'Ecriture tout entière.

  A023000826 

 Cependant les paroles du Sauveur, par lesquelles il affirme ce pouvoir, sont plus claires que le jour dans l'Evangile de saint Matthieu et de saint Jean.

  A023000826 

 Ils nient que le Christ notre Seigneur ait donné aux pasteurs de l'Eglise le pouvoir de remettre et d'absoudre les péchés.

  A023000830 

 Combien elle est éloignée de l'interprétation calviniste cette exclamation de saint Paul aux Ephésiens: Or, que signifie: Il est monté, sinon qu'il était d'abord descendu dans les régions inférieures de la terre?.

  A023000830 

 Ils nient que le Christ soit descendu aux enfers vraiment et dans un sens historique, et disent qu'il y est se vilement descendu mystiquement et dans un sens métaphorique, bien qu'il soit écrit en termes très exprès dans le Symbole des Apôtres: «Il est descen du aux enfers.» Comme si le Symbole des Apôtres avait été conçu et avait dû être conçu en des termes de sens si difficile et si caché que jusqu'ici personne, hormis Calvin, n'ait pu le saisir ou le deviner, et non plutôt en ces termes faciles qui ont pour tout chrétien un sens obvie.

  A023000834 

 Ils nient que les bienheureux Saints doivent être invoqués par nous, et conséquemment ils nient que Dieu ait permis aucun commerce de nous à eux ou d'eux à nous: en quoi ils détruisent, [107] autant qu'ils le peuvent, cette «communion des Saints» que tous les Apôtres ont enseignée d'une même voix.

  A023000836 

 Du soin que prennent de nous les Saints.

  A023000838 

 Ils nient que les Saints s'occupent de nous et connaissent ce qui nous intéresse.

  A023000838 

 «Qui donc,» écrit Calvin, «a-t-il révélé qu'ils aient des oreilles assez longues pour écouter nos voix?» Qu'il me soit plus justement permis de m'écrier: Qui donc pourrait croire que Calvin ait une âme assez méchante et assez stupide, pour mesurer l'ouïe des esprits bienheureux à la longueur de leurs oreilles? Le Christ n'a-t-il pas lui-même révélé que même les Anges dans le ciel se réjouissent du repentir des pécheurs? Mais comment peuvent-ils s'en réjouir s'ils ne le connaissent pas? Et s'ils le connaissent, avec quelles oreilles l'ont-ils appris? C'est, en effet, avec [108] les mêmes oreilles que les âmes des Saints perçoivent nos voix, étant égaux aux Anges quant aux oreilles, aux yeux, aux mains et aux pieds, selon cette parole du Christ notre Seigneur: Ils seront semblables aux Anges de Dieu..

  A023000840 

 De la sollicitude que nous devons exercer envers les morts.

  A023000842 

 A cette négation s'oppose le très éclatant témoignage de l'Ecriture dans les Livres des Machabées: Elle est sainte et salutaire, dit le Saint-Esprit, la pensée de prier pour les défunts, afin qu'ils soient délivrés de leurs péchés; celui aussi du Christ lui-même, disant dans l'Evangile, que certains péchés ne sont remis ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir.

  A023000842 

 Et saint Augustin, dans tout son livre intitulé: De la sollicitude que nous devons exercer envers les [109] morts, a-t-il lait autre chose que nous apprendre, par le titre même du livre, que les prières des vivants aident ceux qui sont morts dans le Christ?.

  A023000842 

 Il n'aurait pas parlé ainsi, s'il n'y avait eu certains péchés qui sont aussi remis dans le siècle futur, chose que même le païen Platon n'a pas ignorée, lui qui, à la seule lumière de la raison naturelle, a admis le Purgatoire.

  A023000842 

 Ils nient que nous devions nous occuper des morts; ils nient que les âmes des défunts soient aidées par les prières des vivants, et qu'il soit laissé aux morts un lieu où ils puissent obtenir la rémission de leurs péchés.

  A023000908 

 Parole [127] enim ejus gallica haec sunt: «Par quoy nous nous osons promettre asseurement que la vie eternelle est nostre, et ne nous peut faillir non plus qu'a Jesus Christ mesme; d'autre part, que, par nos peches, nous ne pouvons estre damn6s non plus que luy.» Horresco referens! et quis non horrescet, sive legens, sive audiens?.

  A023000937 

 Et si, en outre, ils ont l'air d'affirmer quelque chose au sujet de ce que nous croyons en commun avec eux, c'est d'une manière privative, putative et chimérique.

  A023000937 

 L'art de nier leur plaît tellement, que même en affirmant ils nient et, suivant la parole de Tertullien rapportée plus haut, «tout en croyant, ils ne croient pas.» Je vais exposer séparément quelques-uns des points qui s'offrent à nous..

  A023000941 

 Ailleurs il s'exprime ainsi: «J'ai déjà montré assez clairement que Dieu est appelé l'auteur de tout ce que ces censeurs veulent attribuer à sa vaine permission.».

  A023000941 

 Dans le même endroit il soutient en propres termes que Dieu, «par le ministre de sa colère, Satan,» dirige «les desseins» des impies «jusqu'au but vers lequel» il lui a plu d'exciter «les volontés et» d'affermir «les efforts».

  A023000941 

 Ils affirment que Dieu, non seulement permet, mais déchaîne, veut et opère en réalité la mauvaise volonté de l'homme.

  A023000941 

 J'avoue,» dit-il, «que tous les fils d'Adam sont tombés dans ce malheur,» (il parle du péché) «et cela doit être en définitive, comme je le disais en commençant, attribué au seul libre arbitre de la volonté divine.» Tout aussitôt il attaque ceux qui «ne veulent pas attribuer à un décret divin la perte d'Adam par suite de sa défection.» Parlant ensuite des damnés: «C'est de la prédestination de Dieu,» dit-il, «que dépend leur perdition.» De nouveau: «L'homme tombe, la providence de Dieu en ordonnant ainsi.» Bien plus, il appelle «œuvre de Dieu» l'inceste commis par [111] Absalon et les mauvais traitements infligés aux Juifs par les Chaldéens.

  A023000941 

 Prenant son exemple dans le cas de Séhon, roi des Amorrhéens, il dit: «Par conséquent, Dieu voulant le perdre, l'obstination de son cœur fut la préparation divine à sa ruine.» Il affirme aussi que Satan, lorsqu'il pousse les hommes au péché, «est plutôt l'instrument» dont se sert Dieu «pour agir, qu'un agent agissant de soi-même.

  A023000942 

 Cependant toute l'Ecriture enseigne que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, que personne ne périsse, que Dieu a en haine le péché et l'iniquité, que la perte des hommes vient d'eux-mêmes, mais de Dieu seulement leur bien et leur salut.

  A023000942 

 Saint Augustin a cette belle expression: «Affirmer que la divine providence ne s'étend pas jusqu'aux choses de ce bas monde, ou que tous les maux sont commis par la volonté de Dieu, sont deux propositions impies; mais la seconde l'est davantage.» Quant à saint Basile, il a prononcé un discours entier sur ce sujet: «Dieu n'est pas l'auteur des maux.» [112].

  A023000946 

 Comme si le Christ ne détruisait pas, mais recouvrait seulement nos iniquités du manteau de son innocence et de sa justice; de même que Rachel ne se défit pas de l'idole de son père, mais, en s'asseyant dessus et en l'entourant de son vêtement, la couvrit et la conserva.

  A023000946 

 Ils affirment que la rémission des péchés se fait par simple non-imputation, ce qui n'est pas autre chose que nier la vraie rémission des péchés.

  A023000946 

 Ils ne veulent pas, en effet, que les péchés soient effacés, lavés, éloignés de nous, chassés; que l'âme soit purifiée, blanchie, lavée, illuminée; que le cœur soit nettoyé, créé, renouvelé (toutes choses que l'Ecriture affirme si souvent): mais ils veulent que les péchés restent, sans être cependant imputés; qu'ils soient couverts, non effacés; cachés, non enlevés.

  A023000950 

 De cela on trouve presque autant de témoignages que de paroles dans les Saintes Ecritures: La charité de Dieu est répandue dans nos cœurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné: Vous étiez autrefois ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur.

  A023000950 

 Et l'invité qui a été chassé, l'a été, non parce que l'époux ou le fils du roi était dépourvu de la robe nuptiale, mais parce que lui-même ne l'avait pas; quant à l'enfant prodigue, le père ne s'est pas contenté de le couvrir de sa propre robe, mais il lui en a donné une neuve; et les Saints se promènent [114] [au Ciel] en vêtements blancs, non pas simplement parce que l'Agneau est blanc, mais parce qu' ils ont blanchi leurs robes dans le sang de l'Agneau..

  A023000950 

 Ils affirment que l'impie est justifié par la seule imputation de la justice du Christ, en sorte qu'il n'y a en nous aucune justice provenant du Christ, mais que nous est seulement imputée celle qui est dans le Christ, non en nous.

  A023000950 

 Par cette affirmation ils nient la force et l'efficacité de la justice du Christ, qui se montre surtout en ce qu'elle nous est utile non seulement par son imputation, mais par une dérivation et une infusion d'une justice formelle dans nos cœurs, en sorte que, non seulement n ous soyons appelés enfants de Dieu, mais aussi que nous le soyons; que, par conséquent, nous ne soyons pas seulement justes de nom et de réputation, mais en réalité et en effet.

  A023000954 

 A son tour, Jacques: La foi sans les œuvres est [115] morte; or, les œuvres appartiennent à la charité: donc, sans la charité, la foi est morte, bien loin que la charité soit en contradiction avec la foi..

  A023000954 

 De nouveau Luther, au même endroit, se plaît dans ce délicieux argument, qui montre quel bon logicien il était: « La loi ne vient pas de la foi; or, la loi n'ordonne pas autre chose que la charité; donc la charité ne vient pas de la foi, mais est en combat avec elle.» Que répondez-vous à cela, grand Paul? Quand j'aurais une foi assez grande pour transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien.

  A023000954 

 Ils affirment que la foi seule nous justifie, niant par cette affirmation que la charité et ses œuvres justifient en même temps.

  A023000955 

 Aussi est-ce avec raison que Luther s'étonne de lui-même et s'exclame ainsi: «Cette théologie, qui est la nôtre, contraire à la raison, est étonnante et absurde, à savoir que je ne sois pas seulement sourd à la loi et délivré d'elle, mais que j'y sois entièrement mort.» Et un peu après: «Nous répondrons avec Paul que nous méritons le nom de justes par la seule foi dans le Christ, non par les œuvres de la loi ou la charité.» Où donc Paul a-t-il ajouté les mots: «ou la charité», que tu ajoutes de toi-même, ô Luther? [116].

  A023000955 

 Le même Luther dit au même endroit: «Les effets, les obligations et les vertus de la charité sont contraires à la foi.» Et un peu plus loin: «La charité, en effet, ou les œuvres qui la suivent ni n'informent la foi, ni ne l'ornent, mais ma foi informe et orne ma charité.» Paul, au contraire, déclare inutile la foi sans la charité, Jacques la déclare morte; de plus, l'un et l'autre affiiment que s'il fallait comparer entre elles les deux vertus, la charité l'emporterait sur la foi.

  A023000959 

 Et pour empêcher quelqu'un qui aurait meilleure opinion de la bonté morale d'appliquer cette proposition aux simples actions moralement bonnes, Luther l'a expliquée par ces paroles plus claires: «Toute œuvre bonne est un péché dans les saints tant qu'ils sont viateurs.» Calvin, de son côté, soutient dans le même sens «que pas un seul acte n'est produit par les saints qui, s'il est examiné en soi, ne mérite une juste punition.» Ailleurs il ajoute: «Toute action d'un homme pieux, si elle était examinée au sévère jugement de Dieu, serait condamnable.».

  A023000959 

 Ils affirment que toute œuvre bonne est un péché: telle est, en effet, la grande et habituelle proposition de Luther, qu'il enseigne ex professo en de nombreux passages.

  A023000960 

 Et lui qui donnera à chacun selon ses œuvres, donnera un même traitement à tous, aux bons comme aux méchants: car il faut qu'il inflige aussi une peine aux bons pour avoir péché en faisant le bien, ou qu'il donne la gloire aux méchants, leurs actes étant des péchés, tout autant que ceux des bons et des justes..

  A023000961 

 Que répondront nos hérétiques, si je leur demande non par quelle croyance, mais par quelles actions je mériterai de posséder la vie éternelle? Répondront-ils par la parole du Christ au docteur de la loi: Tu aimeras ton Seigneur, etc.; fais cela, et tu vivras? Ils devront plutôt répondre: Ne fais rien, et tu ne pecheras pas.

  A023000961 

 Si, en effet, il vaut mieux «travailler à son aise que de ne rien faire du tout,» comme disait Pline, n'est-il pas beaucoup plus sûr de ne rien faire que de mal agir et de pécher? Ici, qui n'aperçoit dans cette espèce d'hommes une envie extraordinaire et continuelle de contredire? Le bien, disent-ils, est le mal; la lumière se confond avec les ténèbres, le chaud avec le froid.

  A023000965 

 Ils affirment que les commandements de Dieu ne peuvent être gardés.

  A023000965 

 Par suite ils nient que nous soyons tenus ou liés par aucune loi; car, suivant la règle de notre Droit, «les choses impossibles ne créent aucune obligation,» et personne ne peut justement exiger de nous plus que nous ne pouvons faire, sans être un bourreau excessivement dur et tyrannique.

  A023000966 

 Quiconque professe cela et y oblige est un ministre de loi, de péché, de colère et de mort, la nature humaine étant dans l'impossibilité de suivre la loi, même s'il s'agit des justes qui possèdent le Saint-Esprit.» Et un peu plus loin: «Celui donc qui enseigne que la foi dans le Christ ne justifie qu'avec l'observation de la loi, celui-là fait du Christ un ministre de péché et un tyran cruel qui, comme Moïse, exige des choses impossibles que personne ne peut faire.» Même enseignement chez Calvin, meilleur luthérien que théologien en cet article, aussi bien qu'en beaucoup d'autres..

  A023000968 

 Que l'incrédulité est seule un péché.

  A023000970 

 Ils affirment que l'incrédulité est seule un péché.

  A023000970 

 «Le Christ,» dit Luther, «a ainsi ordonné les choses, qu'il n'existe aucun péché en dehors de l'incrédulité, et aucune justice si ce n'est la foi.» Ailleurs, il soutient âprement cette proposition: «Le baptisé, même en le voulant et au prix des plus grands péchés, ne peut perdre son salut, à moins qu'il renonce à la foi, parce que,» dit-il, «la foi enlève tous les péchés et empêche de pécher celui qui le voudrait.» Par [120] cette affirmation ils nient de toute évidence que les impudicités les homicides, les parjures, les blasphèmes soient des péchés; et cependant, c'est là une telle absurdité, que si quelqu'un ne la voit pas, jamais il ne trouvera quoi que ce soit d'absurde.

  A023000974 

 Ils affirment que les bonnes œuvres nuisent au salut, ou au moins lui sont une gêne.

  A023000974 

 La voie est étroite, il faut y entrer seul si tu veux y passer et pénétrer dans le rocher; ceux qui sont tout garnis de leurs œuvres, comme les pèlerins de saint Jacques de leurs coquilles, n'y peuvent pénétrer; si tu es chargé des lourdes pierres de tes œuvres, tu ne passeras pas avant de t'être déchargé de ton fardeau.» [121] Et ailleurs: «La justice de la loi, même du Décalogue, est impure et abolie par le Christ.» Qui t'a donc révélé, ô Luther, ces paroles du Christ? Car tu ne les as pas trouvées dans l'Evangile, où rien n'est si fort recommandé par le Christ que l'observation des commandements, si nous voulons entrer dans la vraie vie, et où il promet de donner une récompense, non aux croyants, mais aux ouvriers..

  A023000976 

 Qu'il faut négliger les circonstances des péchés, et que les péchés sont égaux.

  A023000978 

 Ils affirment que les péchés ne sont aggravés par aucune circonstance.

  A023000978 

 Luther, en effet, défend cette proposition parmi celles qu'il considère comme très certaines: «Les circonstances des péchés, qu'il s'agisse des personnes (mères, filles, sœurs, parentes), du jour, du lieu, ou de tout ce qui est extérieur, sont égales et ne méritent pas qu'on s'en occupe.» Par quelle belle raison? «Parce que le Christ n'a rien ordonné là-dessus dans ses lois.» Et ailleurs: «Pour les chrétiens, une seule circonstance compte, celle d'avoir péché contre son frère.» Par cette affirmation ils nient l'inégalité des péchés, au moins dans le même genre de fautes.

  A023000978 

 Qui donc, [122] cependant, admettra une identité de malice pour la violation du lit nuptial du prochain, ou pour celle du lit nuptial paternel? Faudra-t-il conclure que tuer son père ne soit pas plus grave que tuer son domestique, que vendre des colombes à un prix excessif dans le temple ne soit pas plus grave que de le faire sur la place publique? Pourquoi donc saint Paul fait-il tant de cas de la fornication de ce Corinthien, fornication si grave qu' il ne s'en rencontrerait pas de semblable même chez les gentils, puisqu'il s'agissait de quelqu'un qui osait violer la femme de son père?.

  A023000986 

 Ils affirment que tous les Pasteurs de l'Eglise sont égaux, qu'aucun d'eux n'est supérieur à un autre, de telle sorte qu'il n'y a pas du tout lieu, entre eux, à distinction et à hiérarchie.

  A023000986 

 Parmi ces derniers, le Pontife Romain est «établi chef, pour enlever toute occasion de schisme,» et pour que le corps de l'Eglise, au moyen du rattachement bien ordonné des membres entre eux, fasse un tout unique sous l'unique Chef suprême, le Christ Jésus..

  A023000990 

 Ils affirment que tous les fidèles doivent croire avec pleine certitude que leurs péchés leur ont été remis et qu'ils sont dans la grâce de Dieu.

  A023000990 

 Par cette affirmation, ils nient l'enseignement de toute l'Ecriture, à savoir, que nous devons faire notre salut avec crainte et tremblement, nous efforcer de rendre certaine notre vocation par les bonnes œuvres, et ne pas être sans crainte au sujet du péché même pardonné.

  A023000994 

 En outre ils nient et renversent ce que l'Ecriture dit de la bonté et de la justice de Saul et de Salomon, puisque nous sommes très certains de la réprobation du premier et très incertains du saint du second.

  A023000994 

 Ils affirment que la justice est le bien propre des élus, en sorte que, l'ayant obtenue une fois, ils ne peuvent plu6 jamais la perdre.

  A023000994 

 Mais que répondront-ils à cette parole d'Ezéchiel: Si le juste se détourne de sa justice et commet l'iniquité, toute sa justice on ne s'en souviendra plus? Que signifie ce que le Christ ordonne d'écrire à l'Evêque de Philadelphie: Tiens ce que tu as, de peur qu'un autre ne reçoive ta couronne? Quant à l'Apôtre Paul, bien que fidèle, et même très fidèle, que ne fait-il pas pour qu'après avoir prêché aux autres, il ne soit lui- même réprouvé!.

  A023000995 

 Dans les premières, en effet, non seulement il est affirmé que «le royaume des Cieux ne peut, pas plus nous manquer» qu'au Christ, ce que porte expressément la dernière édition, mais que nos péchés [127] ne peuvent pas plus nous faire condamner qu'ils ne peuvent faire condamner le Christ lui-même.

  A023000995 

 Mais écoutons, je vous prie, au moyen de quelle belle et juste comparaison Calvin explique sa doctrine: «Il suit de là que nous» devons «nous promettre avec certitude que la vie éternelle est [126] nôtre, puisque» le Christ «en a hérité, et que le royaume des Cieux, où il est déjà entré, ne peut pas plus nous manquer qu'à lui-même.

  A023000995 

 Nous ne pouvons de nouveau être condamnés pour nos péchés, puisqu'il a voulu se les faire imputer comme s'ils étaient siens.» Toutefois, en cet endroit il faut remarquer que dans les premières éditions, surtout françaises, cette doctrine est exprimée plus durement que dans l'édition postérieure de 1602.

  A023000995 

 Voici les paroles françaises: «Par quoy nous nous osons promettre asseurement que la vie eternelle est nostre, et ne nous peut faillir non plus qu'a Jesus Christ mesme; d'autre part, que, par nos pechés, nous ne pouvons estre damnés non plus que luy.» C'est avec horreur que je cite! et qui lira ou entendra ces paroles sans horreur?.

  A023000999 

 Ce n'est pas chez eux manque d'audace (il y a certes plus d'audace à se prétendre juste qu'à se confesser timoré), c'est plutôt honte, non évidemment de mentir, mais de s'exprimer en telle sorte que, par un mensonge sur le point en question, ils aient l'air de dire la vérité..

  A023000999 

 Ils affirment que les élus sont tout à fait certains de leur élection.

  A023000999 

 «Grégoire,» dit Calvin, «a fait chose très mauvaise et pernicieuse en assurant, dans son homélie XXXVIII e, que nous sommes seulement sûrs de notre vocation, non de notre élection, et en exhortant, par conséquent, tout le monde à la crainte et au tremblement.» Par cette affirmation ils nient que l'espérance et la crainte puissent se trouver chez les prédestinés; car, qui peut craindre la perte d'un bien qu'il est sûr de ne pouvoir perdre? En nous exhortant à la crainte et au-tremblement, que fait le grand et jamais assez loué saint Grégoire, si ce n'est de nous donner le même [128] conseil que nous donnent à chaque page les Saintes Ecritures? Car, pourquoi pensons-nous que l'Evangile loue Siméon, non seulement de ce qu'il était juste, mais aussi de ce qu'il était timoré, sinon pour nous faire comprendre que la justice doit avoir pour compagne continuelle cette crainte sainte, non celle qui est servile, mais celle qui est filiale? Aussi, que nos hérétiques mentent tant qu'ils voudront en s'appelant justes; il suffit pour faire apparaître leur mensonge, qu'ils ne veuillent pas se dire timorés, même au prix d'un mensonge.

  A023001000 

 Il est beau d'entendre les sectateurs et disciples de Calvin parler de cette matière, chacun se glorifiant d'être aussi sûr de sa prédestination que de la mort du Christ.

  A023001000 

 Or, le converti s'était auparavant glorifié de la certitude de son salut et du prétendu avertissement de l'Esprit-Saint, avec tout autant d'audace que ceux qui sont restés dans le calvinisme.

  A023001000 

 Qu'est-ce donc qui peut rendre plus certains ces derniers que le premier, qui autrefois fut très certain? Si la voix céleste du premier l'a trompé, parce qu'elle exprimait le bavardage de Calvin au lieu de la voix de l'Esprit-Saint, pourquoi la voix céleste des autres ne les trompera-t-elle pas aussi?.

  A023001000 

 Toutefois, si quelqu'un de ceux qui se croyaient fidèles et prédestinés [129], d'une certitude si grande et si infaillible, vient à retourner au bercail du Christ et à la foi catholique, aussitôt les autres s'écrient que c'était mensonge de sa part lorsqu'il se disait certain de son salut.

  A023001004 

 Calvin ajoute que le Christ souffrit «de cruels et horribles tourments,» — «on ne peut,» dit-il, «imaginer abîme plus épouvantable que de se sentir abandonné et rejeté de Dieu» — «lorsqu'il connut que, à cause de nous, il se tenait en qualité de coupable devant le tribunal de Dieu.».

  A023001004 

 Calvin, en effet, avance ouvertement que le Christ a craint pour le salut de son âme; et ce n'est pas en passant, mais ex professo, qu'il soutient cela.

  A023001004 

 D'où il s'ensuit évidemment que le Christ a été incertain du salut de son âme; car, pour craindre d'une crainte d'appréhension, telle que celle dont parle Calvin, il faut prévoir et soupçonner, comme au moins [130] probable, le mal qu'on craint: qui peut redouter ou craindre un mal dont il se sait certainement garanti? Affirmation, certes, digne de l'esprit et de la subtilité de Calvin: d'un côté, avec une souveraine impudence, il ordonne à chacun de ses disciples d'être très certain de son salut; de l'autre, par un blasphème inouï jusque là, il assure que le Christ était incertain du salut de son âme.

  A023001004 

 Ils affirment au contraire que le Christ, Chef de tous les prédestinés, a été incertain de son salut.

  A023001008 

 Aussi, après saint Jérôme, disons-nous que dans le Christ il n'y a pas eu des passions, mais des «propassions»..

  A023001008 

 Ils affirment que le Christ a laissé échapper une parole de désespoir, causée par l'impression ressentie dans sa chair: c'est là l'enseignement de Calvin.

  A023001008 

 Par cette horrible affirmation ils nient que le Christ ait eu la pleine possession de toutes les passions de son âme, puisqu'elles ont pu se produire et s'échapper à son insu et [131] sans son commandement.

  A023001008 

 Que cet enseignement soit faux au delà de tout ce qu'on peut dire, cela apparaît d'abord très clairement du simple énoncé ci-dessus, mais aussi de ce fait que le bienheureux Jean l'Evangéliste, dans le récit de la résurrection de Lazare, assure que le Christ s'est troublé lui-même: il convenait, en effet, que Celui qui n'était pas moins vrai Dieu que vrai homme, excitât volontairement en lui-même les craintes, les angoisses et les sentiments de cette sorte avant d'être excité par eux.

  A023001012 

 Il n'a pas, en effet, cessé d'être le Verbe [la Parole de Dieu], même lorsqu'il ne proférait pas de parole, ou de posséder la sagesse, même lorsqu'il ne montrait pas cette sagesse dans ses paroles; notre foi croit qu'il fut, dès le premier instant de sa conception, compréhenseur en même temps que viateur..

  A023001012 

 Ils affirment que le Christ a subi pour un temps l'ignorance, «Il a fallu,» dit Calvin, «que le Christ fût pour un temps semblable aux simples enfants, en sorte qu'il fût privé d'intelligence pour ce qui regarde les choses humaines.» Mais par cette affirmation ils nient que fussent cachés dans le Christ tous les trésors de la science et de la sagesse; ce qu'affirme cependant en termes exprès l'Ecriture.

  A023001012 

 Nous avouons, en vérité, que le Christ enfant, pour ce qui regarde l'exercice et les œuvres externes, a grandi en sagesse [132] et en grâce; toutefois nous affirmons, en outre, qu'en lui étaient les trésors de la sagesse, même lorsqu'il ne les montrait pas encore, et qu'il les conservait pour lui-même, avec l'intention de les dévoiler, en son temps, devant le peuple de Dieu.

  A023001016 

 Cependant, qui ignore que la foi vient de l'audition, et que l'audition a lieu par la prédication de la parole de Dieu? Et [133] comment la parole de Dieu est-elle parvenue à l'âme de l'enfant sans prédicateur? Qui donc a prêché aux enfants? De plus, les actes de foi ne peuvent exister sans l'usage de la raison, comme tout le monde l'avoue et comme l'enseigne le bon sens naturel; or, qui peut croire que les enfants jouissent de l'usage de la raison?.

  A023001016 

 En affirmant cela, ils nient par le fait même que les enfants soient justifiés par le Baptême; car s'ils ont la foi avant le Baptême, et si, comme l'assurent nos hérétiques, «la foi seule» justifie, il s'ensuit que les enfants sont justifiés avant le Baptême.

  A023001016 

 Ils affirment que les enfants, avant leur Baptême, croient et ont la foi, qu'ils ne possèdent pas seulement l' habitus de la foi, ni ne croient pas seulement par la foi de l'Eglise, mais ont l'acte de foi et la foi proprement dite.

  A023001017 

 Nous en avons assez dit au sujet de la première caractéristique de l'antichristianisme, qui montre bien ce que sont nos hérétiques, et qui consiste à tout nier, à ne rien affirmer, ou à n'affirmer que d'une manière négative et purement vide de sens, comme disent les jurisconsultes.

  A023001044 

 Calvin, en effet, assure que Luther et les autres novateurs, instigateurs des sectes nouvelles, ont entrepris leur ministère par suite d'une vocation, non ordinaire, mais extraordinaire, en sorte qu'il les considère comme des apôtres et des évangélistes.

  A023001044 

 Or, il est évident par plusieurs raisons que Luther, Zwingle, Calvin et les autres hérésiarques du siècle passé manquaient totalement d'appel de Dieu: mais la première et la principale est que, devant la question qui leur est posée sur l'origine de leur vocation, ils ne savent trouver une réponse concordante.

  A023001044 

 «Je ne nie pas,» dit-il, «que Dieu ait envoyé parfois plus tard des apôtres, ou au moins, à leur place, des évangélistes, comme cela s'est produit de notre temps; car ils étaient nécessaires pour retirer l'Eglise de la défection de l'Antéchrist.

  A023001045 

 Luther, au contraire, avoue ouvertement avoir été appelé par une vocation, non extraordinaire, mais ordinaire et médiate: [135] «Nous sommes donc,» dit-il, «appelés, nous aussi, non pas, à la vérité, immédiatement par le Christ comme les Apôtres, mais par un homme.» Et lorsqu'il explique de quelle manière il a été appelé par un homme, il dit ceci: «Quand un prince ou un autre magistrat m'appelle, je puis me glorifier avec certitude et confiance d'être, par la voix d'un homme, appelé sur l'ordre de Dieu; c'est là, en effet, le commandement de Dieu par la bouche du prince, qui m'assure de la vérité et de la divinité de ma vocation.» Ailleurs il enseigne que «l'appel autrefois était fait par les Apôtres, qui ont choisi leurs successeurs, comme,» dit-il, «ces successeurs sont encore appelés, même par les puissances charnelles et les magistrats, ou par les communautés.» Vous voyez ainsi Luther affirmer de sa vocation qu'elle n'est pas, comme celle des Apôtres et des Evangélistes, extraordinaire, mais ordinaire et médiate, et qu'elle dérive, non des Evêques ou des personnes ecclésiastiques, mais «des magistrats charnels;» c'est là sa propre expression..

  A023001046 

 Quant à Philippe du Plessis-Mornay, dans son traité français De l'Eglise, qui plaît tant aux calvinistes, il soutient que la [136] vocation de Luther, de Zwingle et des autres fameux hérétiques de notre temps, ne provient pas de Dieu immédiatement et extraordinairement, comme le pense Calvin, ni médiatement «des magistrats charnels,» comme l'enseigne Luther, mais médiatement des Evêques catholiques.

  A023001047 

 Qui ne rira de la folie de ces hommes qui ne conviennent même pas entre eux du fondement de leur vocation? Qui n'admirera l'esprit ingénieux de du Plessis, qui estime connaître mieux que Calvin le fondement de la vocation de Calvin? mieux que Luther le fondement de la vocation et de l'autorité de Luther? Séparez-les l'un de l'autre, et je les jugerai, dit Daniel des faux témoins; et il dit à l'un: Sous quel arbre les as-tu vus? Il répondit: Sous [137] un lentisque.

  A023001053 

 Cette forme de vocation s'est continuée jusqu'à nos temps et persistera jusqu'à la fin du monde; et elle est médiate, parce qu'elle se fait par le ministère humain, bien qu'elle soit divine.» Et Calvin: «Il nous reste,» dit-il, «des Evêques et des curés; puissent-ils faire tous leurs efforts pour s'attacher à leur ministère, car volontiers nous concéderions que ce ministère est bon et excellent, pourvu toutefois qu'ils s'en occupent.» Et ailleurs: «Nous voyons aujourd'hui comment les papistes s'attribuent avec arrogance le nom d'Eglise, sous prétexte de la succession ininterrompue qu'ils mettent en avant.

  A023001053 

 Et à la vérité, nous sommes forcés d'avouer que le ministère ordinaire est de leur côté; mais comme ils ont abusé de leur pouvoir, nous pouvons nous moquer de leurs prétentions.» Quant à Mornay, puisqu'il fait dériver de nos Evêques la mission de Luther et de ses disciples, ne reconnaît-il pas par là très ouvertement la vocation de nos Evêques? Aussi Calvin avait-il raison, plus même qu'il ne le croyait, lorsqu'il disait que «dans les églises régulièrement constituées» il n'y a pas place pour sa mission ni celle des siens..

  A023001054 

 C'est le cas d'interpeller nos réformateurs apostats avec les paroles de Tertullien: «Qui êtes-vous,» vous autres, et «d'où venez-vous?» Qui vous a envoyés évangéliser? «Qu'ils montrent les origines de leurs églises,» ajoute-t-il, «qu'ils déroulent la filière de leurs évêques.» Bien mieux, servons-nous des expressions mêmes de Luther parlant du mode d'appel institué par les Apôtres: «Il ne faut donc pas mépriser la vocation, car il ne suffit pas d'avoir la parole et la pure doctrine, il faut aussi que la vocation soit certaine; celui qui s'ingère sans elle, vient pour égorger et perdre, Dieu ne bénissant jamais le travail de ceux qui ne sont pas appelés.

  A023001054 

 Ceci étant admis, on nous permettra de raisonner ainsi: L'Eglise du Christ a été une fois pour toutes constituée de telle manière [139] que les portes de l'enfer ne puissent jamais prévaloir contre elle; donc, il ne peut y avoir en elle de vocation extraordinaire, si ce n'est en tant qu'approuvée par l'ordinaire, le Christ n'étant pas divisé.

  A023001054 

 Nos hérétiques admettent que la vocation ordinaire «durera,» selon l'expression de Luther, «jusqu'à la fin du monde;» donc nous devons ajouter foi à la vocation ordinaire.

  A023001066 

 Comme conséquence à cette parole, saint Augustin affirme fort justement que c'est folie et parfaite insolence de nier ou rejeter ce que toute l'Eglise admet.

  A023001066 

 Et de nouveau, en un autre endroit, à propos du Baptême qui ne doit pas être réitéré aux hérétiques, il écrit ces paroles: «Quoique les Ecritures canoniques ne nous offrent pas d'exemple à ce sujet, c'est cependant encore la vérité de ces Ecritures que nous suivons, lorsque nous agissons selon la volonté de l'Eglise universelle, Eglise qui s'appuie sur l'autorité des Ecritures.» L'Apôtre Paul n'a pu louer plus ouvertement l'autorité de l'Eglise, qu'en l'appelant colonne et base de la vérité.

  A023001066 

 Et, en effet, si le [141] Christ a voulu que l'Eglise, son épouse très chère, fût la mère de tous les chrétiens, comment peut-on la mépriser sans mépriser le Christ lui-même? «Le Christ,» dit saint Augustin, «rend témoignage à l'Eglise... Si tu résistes, ce n'est pas à moi ou à un autre homme, mais au Sauveur lui-même que tu résistes le plus malheureusement du monde, à l'encontre de ton propre salut, car tu ne veux pas croire à la nécessité pour toi d'être admis en la manière qu'admet l'Eglise; or, à cette Eglise rend témoignage Celui auquel, de ton propre aveu, on ne peut sans crime refuser de croire.».

  A023001067 

 Et dans cette fameuse dispute, de toutes la plus délicieuse, qu'il se glorifie d'avoir eue avec le démon, il rapporte que c'est convaincu par les arguments de ce dernier qu'il a abandonné la doctrine de l'Eglise.

  A023001067 

 Les novateurs de notre époque montrent bien leur impudence à fouler aux pieds l'autorité de l'Eglise par ce seul fait que tous, d'une voix unanime, proclament qu'elle est tombée dans l'erreur et l'apostasie, au point de s'attribuer audacieusement le qualificatif de réformateurs et de restaurateurs de l'Eglise.

  A023001067 

 Quant à Calvin, combien de fois n'a-t-il pas soutenu ex professo que l'Eglise peut errer!.

  A023001079 

 Et saint Basile soutient que la meilleure et plus certaine façon de juger si tels ou tels sont oui ou non hérétiques, est de voir s'ils acceptent ou méprisent le Concile de Nicée..

  A023001079 

 La quatrième caractéristique des hérétiques est le mépris des Conciles généraux, dont cependant l'autorité a toujours été si grande, que saint Grégoire de Nazianze n'a pas hésité à affirmer que ceux-là ne sont pas hérétiques, qu'un Concile catholique a approuvés, et que ceux-là sont hérétiques que n'admet pas un Concile catholique.

  A023001080 

 Pour ce qui est de Luther, il s'exprime ainsi, avec son intempérance et son impudence de langage habituelles: «Le Pape ment en même temps que les Conciles.» Et peu après: «C'est folie que les Conciles veuillent établir les articles de [143] foi, alors que souvent, il n'y a personne dans leur sein qui ait eu la moindre perception de l'Esprit divin.

  A023001080 

 Tout au contraire, Calvin déclare ouvertement que les Conciles peuvent errer et ont erré.

  A023001099 

 J'ai dit.» Et ailleurs: «Par conséquent, l'enseignement et le sentiment du Pape, des Pères ou du Concile ne doivent servir de règle à personne, mais que chacun abonde dans son sens.» Mais pourquoi continuer là-dessus? Si l'on retranchait des livres de Luther et de Calvin les insultes et calomnies déversées contre le Siège Apostolique, il en resterait bien peu de pages..

  A023001099 

 La cinquième caractéristique des hérétiques est le mépris du Siège Apostolique, point où excelle Luther qui, dans un certain endroit, après avoir dit que tout ce qui se fait contre l'Eglise Romaine tend à la gloire de Dieu, ajoute: «Etant moi-même un des antipapes, appelé par révélation divine à dissiper, perdre et détruire ce royaume [de malédiction], je remplis cette mission avec passion et plaisir, comme je l'ai fait jusqu'ici.» Ailleurs tout en soutenant que la guerre contre les furcs est illégitime, il dit ceci: «Combien mieux n'agirait-on pas si l'Empereur et les Princes empêchaient l'idole Romaine de perdre les âmes! car, s'il m'est [144] permis de prophétiser une fois ce que je sais, au risque de n'être pas écouté, je dirai que c'en est fait du Christianisme, si le Pontife Romain n'est pas mis à la raison... La Papauté ne peut rien produire, si ce n'est péché et perdition... Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende, et s'abstienne de faire la guerre aux Turcs tant que le nom du Pape se fait entendre sur terre.

  A023001100 

 Et cependant, si quelqu'un doute que le mépris du Siège Romain soit une caractéristique de l'hérésie, qu'il écoute les paroles par lesquelles le Christ a établi l'Apôtre Pierre chef de l'Eglise: Et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise.

  A023001100 

 Par suite, celui-là n'appartient pas à l'Eglise qui ne s'appuie pas sur la pierre que la bouche du Christ a si grandement magnifiée.

  A023001101 

 Aussi est-ce avec pleine vérité que saint Cyprien écrit: «Il n'y a pas d'autre cause aux hérésies et aux schismes que le manque d'obéissance au Prêtre de Dieu, parce qu'on ne considère pas comme tenant la place du Christ celui qui seul est pour un temps Prêtre et Juge dans l'Eglise.

  A023001101 

 Et saint Jérôme n'écrit pas différemment à Damase, Pontife Romain: «Ne reconnaissant comme premier Pasteur que le Christ, je m'unis de communion à Ta Béatitude, c'est-à-dire à la Chaire de Pierre: je sais que c'est sur elle qu'a été bâtie l'Eglise.

  A023001101 

 Que les hérétiques ne viennent pas, après cela, prétendre que le Pontife Romain n'est pas le successeur de Pierre, ou que l'autorité accordée à Pierre n'a pas été transmise au Pontife Romain; car cette autorité ayant été conférée à Pierre pour le bien commun de l'Eglise, elle n'a pas dû cesser avec Pierre, lequel devait disparaître par la mort au bout de peu d'années, mais durer autant que l'Eglise militante, qui demeurera jusqu'à la fin du monde: par conséquent, l'Eglise doit avoir un successeur revêtu de l'autorité même dont jouissait Pierre.

  A023001101 

 Reconnaissons donc, ce qui est vrai, que le Siège du Pontife Romain est cette pierre sur laquelle a été bâtie l'Eglise, véritable bercail du troupeau du Seigneur.

  A023001104 

 Ce n'est pas que je ne le sache bien plus récent; mais c'est que les calvinistes ont l'audace, à la suite de Calvin lui-même, de louer ce Docteur comme un contempteur du Siège Apostolique.

  A023001105 

 Et Calvin lui-même ne peut s'empêcher d'avouer et de reconnaître que dès le temps du grand Athanase, tous les gens pieux ont accordé volontiers à l'Eglise Romaine le plus possible d'autorité: «Mais,» dit-il, «tout cela n'avait pas d'autre sens que d'estimer à un grand prix sa communion, et de considérer comme une injure d'être excommunié par elle.» Pourquoi donc, ô Calvin, n'avais-tu pas, et tous les tiens aussi, l'obligation de faire de même, s'il vous restait une étincelle de la piété antique? [149].

  A023001106 

 Quant à Luther, il a parlé avec tant d'éloges du Pape dans tous les opuscules composés au commencement de sa défection, que dans ses ouvrages postérieurs, devenu plus audacieux et plus insolent, il s'est excusé d'avoir auparavant accordé au Pape tant et de si grandes choses..

  A023001107 

 Contre tous ces contempteurs de la Chaire Apostolique de Rome, il convient d'employer les expressions dont s'est servi autrefois saint Augustin contre Pétilien, et d'apostropher Luther et Calvin, au cas où quelqu'un voudrait répondre en leur nom: «Que» vous s a fait la Chaire de l'Eglise Romaine, où Pierre a siégé, où siège aujourd'hui Anastase? Pourquoi» appelez-vous « chaire de pestilence la Chaire Apostolique? Si c'est à cause des hommes que» vous supposez «enseigner la loi sans la pratiquer, est-ce que le Christ, à cause des pharisiens dont il a dit: Ils disent et ne font pas, a injurié la chaire où ils siégeaient? N'a-t-il pas honoré la chaire de Moïse, et repris les pharisiens sans toucher à l'honneur de la chaire même? Si vous pensiez à cela, vous ne blasphémeriez pas, à cause des personnes que vous décriez, la Chaire Apostolique, avec laquelle vous n'êtes pas en communion.

  A023001107 

 Qu'est-ce que tout ceci, [150] sinon ne pas savoir que dire, et cependant ne pouvoir se tenir de mal dire?».

  A023001120 

 Aussi était-ce un excellent conseil celui de Sisinnius à Théodose l'Ancien, qui le suivit, à savoir, qu'il fallait examiner la doctrine des hérétiques à la lumière de l'enseignement des anciens Pères, et que si on la trouvait contraire à cet enseignement, il fallait aussitôt la chasser de toute la surface de la terre..

  A023001120 

 Et ailleurs dans la Sainte Ecriture: Ne laisse pas échapper ce que racontent les anciens, car ils ont appris de leurs pères.

  A023001120 

 La sixième caractéristique des hérétiques est le mépris des anciens Pères de l'Eglise, qu'ils devraient vénérer et avoir en grande estime s'ils écoutaient Jérémie, ou mieux l'Esprit-Saint parlant par Jérémie: Voici ce que dit le Seigneur: Tenez-vous sur les routes, et regardez, informez-vous des sentiers d'autrefois, quelle est la voie du salut, et marchez-y, et vous trouverez du soulagement pour vos âmes.

  A023001121 

 Vincent de Lérins s'exprime mieux que personne lorsqu'il traite [151] de l'autorité des anciens Pères: «Celui,» dit-il, «qui méprise ces Pères, que Dieu a répartis à travers les temps et les lieux, lorsque, au sujet du sens à attribuer à un dogme catholique, ils sont d'accord dans le Christ sur un point, celui-là ne méprise pas l'homme, mais Dieu.

  A023001122 

 Ailleurs le même Augustin, parlant de Cyprien, de Basile, d'Hilaire et autres Pères: «Tous ces [152] grands hommes» dit-il, «admettent ces vérités [relatives au dogme du péché originel], ainsi que toutes celles conformes à la foi catholique, partout répandue dans le monde, en sorte qu'il suffit de leur autorité pour écraser votre nouveauté, bien fragile et bien subtile; outre que leurs enseignements sont tels que la vérité atteste parler elle-même par leur bouche.» Et de nouveau un peu plus loin: «Ce qu'ils ont trouvé dans l'Eglise, ils l'ont retenu; ce qu'ils ont appris, ils l'ont enseigné; ce qu'ils ont reçu de leurs pères, ils l'ont transmis à leurs fils.» Nous en disons aujourd'hui autant de toi, grand Augustin, et de tes contemporains, contre ces imposteurs, sans arriver cependant à les faire rougir de leur folie et de leur impudence..

  A023001122 

 Pour ce qui est des nouveautés profanes des profanes, saint Augustin les pourchasse en se basant sur l'autorité des anciens Pères: «J'écrirai,» dit-il, «peu de choses sur un petit nombre d'hérétiques, mais des choses telles que nos contradicteurs soient forcés de rougir et de s'avouer vaincus, si toutefois il leur reste quelque crainte de Dieu ou des hommes.» Son expression «peu de choses sur un petit nombre d'hérétiques» s'explique par ce fait, que le «petit nombre» en question était uni de communion ouverte avec les autres hérétiques.

  A023001139 

 Elle [154] est vraiment admirable la sottise de Satan qui, par une pétition de principe continuelle, m'attaque au moyen d'arguments que j'attaque moi-même.».

  A023001139 

 La divine Majesté me met dans la disposition de ne pas me troubler si mille Augustin, si mille Cyprien m'attaquaient; Augustin et Cyprien, comme tous les élus, ont pu errer, et ont erré.» Et à la fin: «Je ne cherche pas ce que disent Ambroise, Augustin, les Conciles et la tradition des siècles; je n'ai pas eu non plus besoin d'avoir le Roi Henri pour m'enseigner toutes ces choses, que je connaissais fort bien, au point de les avoir même attaquées.

  A023001139 

 Luther s'exprime ainsi quelque part: «Je veux d'abord qu'ils [153] sachent bien, et je les prends à témoins, que je ne veux céder en aucune façon à l'autorité d'un Père, pour saint qu'il soit.» Ensuite, comme entrant en lutte avec tous les Pères, il tâche de les secouer en tous sens pour les jeter bas: «Que d'erreurs n'a-t-on pas rencontrées dans les écrits de tous les Pères! Que de fois ne diffèrent-ils pas d'opinion entre eux! que de fois ne sont-ils pas d'avis différent les uns d'avec les autres! Quel est celui d'entre eux qui n'ait plusieurs fois détourné les Ecritures de leur sens? Chaque fois qu'Augustin se contente de disputer, il ne définit rien; Jérôme, dans ses Commentaires, ne formule presque aucune affirmation positive.» Il conclut enfin: «Que personne ne m'oppose l'autorité d'un Pape ou d'un Saint quelconque, si elle n'est appuyée sur les Ecritures.» Et quelle superbe dans son livre Contre le Roi d'Angleterre! «La Parole de Dieu,» écrit-il, «est au-dessus de tout.

  A023001140 

 Mais le fourbe au cœur double, craignant de se trouver pris au piège de ses propres paroles, ajoute tout aussitôt: «En nous occupant des écrits des Pères nous nous trouvons dans une situation telle, qu'il faut toujours nous souvenir que nous avons le droit de prendre pour nous tout ce qui peut nous être utile, sans abdiquer notre liberté d'action.

  A023001141 

 Au sujet de la question de l'adoration, il reconnaît que les Anciens ont usé de la distinction entre une double adoration, celle de Doulie et celle de Latrie, tout en méprisant cette distinction au point de s'écrier: «Qu'importe! puisque tous ceux qui» l'examinent «la trouvent non seulement impropre, mais, tout à fait sans consistance.».

  A023001141 

 Et cela, non en matière légère, [155] mais à propos des plus graves articles de notre foi: pax exemple, au sujet de la question du libre arbitre, sur laquelle il dit que les Latins ont parlé avec arrogance, «mais les Grecs avec plus d'arrogance encore;» relativement à la question de la personne du Médiateur, question où il soutient que l'erreur des Anciens est inexcusable; par rapport à la question de la concupiscence, où, après avoir dit qu'à lui seul le témoignage d'Augustin contient le sens de toute l'antiquité, il avoue bientôt après qu'il n'est pas de son avis.

  A023001141 

 Il affirme, dans la question de la satisfaction, que tous les Anciens, «ou ont fait erreur, ou ont employé un langage âpre et dur;» dans celle des prières pour les défunts, que tous les Anciens sont tombés «dans l'erreur;» dans celle du mérite, que les vieux Docteurs ont fort mal veillé à la pureté de la foi; que l'antiquité a péché «par une excessive sévérité,» en exigeant «le célibat de l'Evêque;» à propos de la pénitence, que «l'austérité exagérée des Anciens ne peut en aucune façon être excusée;» touchant celle du Carême, que les anciens Pères ont jeté des germes de superstition et ont été les victimes «d'un zèle mal placé et plein de superstition.» Ailleurs il reproche à toute l'antiquité d'avoir permis aux laïques «de baptiser en cas de péril de mort,» tout en avouant que cet usage [156] remonte presque aux origines de l'Eglise.

  A023001141 

 Or, ce que Calvin a ainsi débité en général et en gros, ensuite en particulier et en détail, il s'y est tenu dans toute son œuvre pour attaquer l'autorité des Pères, sans dissimuler ses dissentiments d'avec ces derniers, même sur les sujets où les Pères ont été unanimes dans leur enseignement.

  A023001142 

 Lorsqu'il traite de l'Eglise Romaine, il s'exprime ainsi: «Je veux commencer par dire que je ne nie pas le grand honneur que rendent les Anciens à l'Eglise Romaine, et la façon respectueuse dont ils parlent d'elle.» Et un peu plus loin: «L'opinion, répandue je ne sais comment, que cette Eglise a été fondée et constituée par le ministère de Pierre, avait pour résultat de procurer à cette Eglise une faveur et une autorité considérables; c'est pourquoi en Occident elle s'appelait, par honneur, le Siège Apostolique.» Or, au même endroit il méprise, autant qu'il le peut, l'Eglise Romaine, et nie qu'elle ait été fondée par Pierre.

  A023001143 

 De même il reconnaît que dans l'Eglise antique les moines ont été en grand honneur, surtout à l'époque d'Augustin lequel, comme il l'observe, oppose, «dans son livre De moribus Ecclesiæ Catholicæ, [157] la sainteté de la profession monastique aux calomnies des Manichéens.» Et cependant, il n'en méprise pas moins les moines, et non seulement ceux de notre temps, mais les anciens si loués par saint Augustin.

  A023001143 

 Il dit, en effet, que plusieurs choses lui déplaisent «dans cette forme ancienne» des moines: à savoir, «une prétention exagérée et un zèle mal placé,» et aussi qu'«elle a introduit dans l'Eglise un exemple inutile et dangereux.».

  A023001144 

 A propos des cérémonies du Baptême, il convient qu'elles sont d'une origine très antique, mais il ajoute aussitôt: «Il m'est cependant permis, et à toutes les personnes pieuses, de repousser tout ce que les hommes ont osé ajouter à l'institution du Christ.» Dans la question du Sacrement de l'Autel conservé comme viatique des malades, question de grande importance pour confirmer la foi en la présence réelle du corps du Seigneur, il se fait cette objection: «Mais ceux qui agissent ainsi suivent l'exemple de l'ancienne Eglise.» Il y répond en ces termes: «J'avoue qu'en une matière si grave, et où l'erreur n'est pas sans grand danger, rien n'est plus sûr que de suivre la vérité.» Comme si l'Eglise ancienne avait suivi la fausseté! Et ailleurs, à propos des cérémonies de la Messe: «Si quelqu'un veut défendre des inventions de cette sorte en se basant [158] sur leur antiquité, je n'ignore pas qu'assez près de l'âge apostolique la Cène du Seigneur a été couverte de rouille; mais c'est là un effet de l'audace qu'a l'homme se fiant à lui-même.» Dans un autre endroit il avoue que les anciens Docteurs ont d'ordinaire employé le mot de Messe «au pluriel».

  A023001144 

 Et ailleurs: «Je vois aussi que ces Anciens ont détourné ce mémorial [de la Passion du Seigneur] vers un autre sens que celui qui convenait à l'institution du Seigneur.» Et un peu plus loin: «Je ne pense pas qu'on puisse les excuser d'avoir, dans une certaine mesure, péché quant à leur manière d'agir.» De nouveau: «C'est avec raison qu'on leur reproche d'avoir trop incliné vers les ombres de la Loi.» Enfin, pour ne pas énumérer en particulier tous les écrits de cette sorte, ce qui serait un travail presque sans fin, disons que le même Calvin avoue que l'usage de la Confession est très antique, et cependant il le méprise..

  A023001145 

 En somme, si la caractéristique la plus propre à dénoter avec certitude l'hérésie, est le mépris de l'Eglise et de l'antiquité, il est hors de doute que Luther et Calvin, ainsi que tous leurs sectateurs, sont hérétiques au plus haut point, tant ils ont dépassé tous les autres hérétiques antérieurs en mépris de l'Eglise et de toute l'antiquité.

  A023001156 

 Ce qu'il a fait si bien et dextrement, que qui voudra bien considerer ses escrits, confessera que c'est à luy, après Dieu, qu'appartient l'honneur de la résolution depuis suivie par toutes gens de bon jugement.» Ergone, Beza, solus Calvinus recte de Eucharistia sentiendi regulam novit? Omnes usque ad Calvinum tanti Sacramenti vim et efficaciam ignoraverunt?.

  A023001156 

 Theodorus Beza, in Praefatione quadam sua Gallica, ita extollit Calvini sui doctrinam de re sacramentaria, ut ipsum etiam Apostolis praetulisse videatur; scribit namque in haec ipsa verba: «Une chose est a noter, comment ledit Calvin se porta prudemment a traitter ceste matiere, tant en son Institution qu'au dit [164] petit livret; car, voyant que la miserable contention esmeue pour le faict de la Cène, avoit allumé un feu qui etoit pour mettre division entre les eglises, tout son desir fut de l'esteindre par une claire exposition de la matière, sans s'attacher à personne.

  A023001183 

 Contre eux s'applique bien ce passage de Vincent de Lérins: «Evite les nouveautés profanes de langage,» dit saint Paul, «nouveautés que les catholiques n'ont jamais reçues ni suivies, tout au rebours de ce qu'ont toujours fait les hérétiques...C'est en quelque sorte la grande loi de presque toutes les hérésies, d'avoir du goût pour les nouveautés profanes, du dégoût pour l'antiquité, et de faire naufrage dans la foi à cause des oppositions qu'ils lui font, sous prétexte d'une science qui n'en mérite pas le nom.

  A023001184 

 En matière de foi, ils ne disent rien contre les catholiques qui ne soit nouveau, ou au moins renouvelé des hérésies anciennes et passées de mode, comme cela résulte très clairement de tout ce que nous avons dit jusqu'ici, et encore [160] plus de ce qu'a écrit sur ce sujet l'Illustrissime Cardinal Bellarmin dont on ne louera jamais assez les mérites.

  A023001184 

 Et en réalité, que signifie l'accusation qu'ils lancent contre l'Eglise, d'avoir erré durant de si longs siècles, sinon qu'ils apportent une doctrine nouvelle et tout à fait contraire à l'ancienne Eglise? C'est ce qui explique qu'à leur apparition toute l'Eglise ait frissonné, comme font les brebis et les agneaux à la première vue du loup enragé qui vient vers eux..

  A023001185 

 Car au moment où seul j'étais en pleine lutte, où seul je me voyais forcé de m'exposer aux traits et aux foudres de César et des Pontifes, à ce moment, dis-je, dans toute leur hauteur et fermeté d'âme, ils restaient plus muets que des grenouilles de Sériphe.

  A023001185 

 Pendant ce temps, Luther, abandonné de tous, combattant avec tout le monde, aidé de personne, était exposé seul au danger.» Et un peu après: «Je suis tantôt livré aux sacramentaires comme papiste, tantôt [162] aux papistes comme sacramentaire; alors que, cependant, les papistes s'efforcent d'arracher le Christ aux Eglises, et les sacramentaires, le Sacrement de la Cène du Seigneur; et ils se vantent d'être les seuls à prêcher le Christ, eux qui font de ses Sacrements dans l'Eglise, de simples signes ou des tessères militaires.» Et après quelques phrases: «La reconnaissance des porcs et des chiens, lorsque quelqu'un leur jette des choses saintes ou des perles précieuses, consiste à se retourner aussitôt contre leur bienfaiteur et à le déchirer.».

  A023001185 

 «Tout d'abord,» dit Luther, «j'étais seul, et certes tout à fait dépourvu d'aptitude et de science pour traiter de si grandes choses.» Et peu après: «Tous les allemands, l'esprit en suspens, attendaient l'issue d'une si grande affaire, que personne auparavant, ni évêque, ni théologien, n'avait osé entreprendre.» Cependant le même Luther, peu après le début de la Défense des paroles de la Cène, parlant des sacramentaires, s'exprime ainsi: «Rien n'aide autant cette hérésie que sa nouveauté; car nous autres allemands sommes ainsi faits, que nous nous attachons avec avidité à ce qui est nouveau pour nous.» Et dans sa Réponse au méchant écrit du Roi d'Angleterre, toujours à propos des sacramentaires: «Je n'ai pas jusqu'ici rencontré d'ennemis plus acharnés que ces bons frères, collègues, amis, que nous avons élevés comme [161] des fils dans notre sein, docteurs de sectes nouvelles, j'entends les sacramentaires et autres fanatiques; vois de quelle façon ils nous récompensent.» Et un peu plus loin: «Nous autres au commencement nous nous sommes mis à affirmer et à revendiquer la liberté et l'honneur du Christ, et à foncer sur la tyrannie pontificale.

  A023001186 

 De nouveau, au sujet des sacramentaires, dans sa Défense des paroles de la Cène: «Cette secte a autant de manières de voir que de chefs, lesquels s'entendent sur le point principal, et revendiquent [163] pour eux l'Esprit-Saint.

  A023001186 

 Il dit aussi que les Strasbourgeois lui ont rapporté le grand bruit et tumulte excité par Carlostadt au sujet de l'Eucharistie, de la destruction des images et du Baptême.

  A023001186 

 Mais cet Esprit-Saint, quand il s'agit d'établir et de prouver, se trouve être non seulement différent, mais même contradictoire et inconstant; ce qu'il permet, j'en suis persuadé, pour démontrer ouvertement que chacun d'eux se fourvoie également dans l'erreur, a Et aussitôt il énumère les sept opinions des sacramentaires..

  A023001187 

 Puis il avoue que les sacramentaires ont semé de nouveaux dogmes, après être sortis de lui pour s'en séparer ensuite; en sorte qu'il a été, lui, un novateur, et que les autres ont été plus novateurs que lui.

  A023001189 

 Ils ont lancé un Canon de l'Ecriture tout à fait nouveau, comprenant plus ou moins de Livres que ne l'a fait aucun Concile ou aucun Père ancien; ils ont bouleversé l'Ecriture avec leurs innombrables versions nouvelles, personne ne se contentant de la version d'un autre.

  A023001189 

 Par une anarchie nouvelle, ils ont dénaturé la hiérarchie ecclésiastique; par une invention toute récente, ils ont mis les ministres, à savoir les diacres, au-dessus des prêtres et des évêques, et ceux-ci, que toute l'Eglise a toujours entourés de l'honneur dû au premier rang, ils les ont relégués au dernier.

  A023001189 

 Vous voyez donc, ami Lecteur, qui que vous soyez, combien ces novateurs se complaisent dans leurs nouveautés: Luther, en osant ce qu'aucun théologien ou évêque n'avait tenté avant lui; Bèze, en assurant que Calvin a compris et enseigné ce que personne autre n'a jamais su.

  A023001190 

 En outre, alors que toujours les anciens Pères et toute l'Eglise prêchent la subsistance de l'Essence divine dans les Personnes, Calvin, au contraire, soit par une honteuse ignorance, à lui assez familière, soit par une in [167] croyable envie d'innover, qui l'a très fortement agité, a dit que les Personnes subsistent dans l'essence..

  A023001190 

 Mais qui ne reconnaîtra plus manifestement et plus expressément la fureur du changement dans Calvin, lorsque, à propos de la Trinité et de ces mots: personne, substance, consubstantiel, il écrit: «Plût à Dieu que ces mots fussent ensevelis dans l'oubli! Au moins on entendrait partout cette profession de foi commune, que le Père, le Fils et l'Esprit» Saint «sont un seul Dieu.» Ailleurs il change le mot de personne en celui de résidence, si nous voulons nous en tenir aux plus anciennes éditions de ses Institutions, surtout aux françaises, celle en particulier que fit Thomas Courteau en 1564.

  A023001191 

 Quelle différence avec Jérôme écrivant autrefois au Pape Damase: «Je supplie Votre Béatitude, par le Crucifié, salut du monde, par la Trinité όμοούσιον,» etc. Tel était, en effet, le respect religieux que les très saints Pères avaient pour le mot consubstantiel, qu'ils s'en servaient dans leurs formules d'attestation.

  A023001191 

 «Si je hais cette expression,» ajoute-t-il ensuite, «et que je me refuse à m'en servir, je ne suis pas pour cela hérétique; car, qui peut me forcer à l'employer, pourvu que je tienne la chose elle-même que le Concile a définie d'après les Ecritures? Quoique les Ariens aient erré dans la foi, cependant (que ce soit avec une bonne ou une mauvaise intention) ils ont très bien fait d'empêcher qu'il fût loisible d'introduire dans les règles de la foi un terme profane et nouveau.» Que peut-on imaginer, je le demande, de plus impudent que ce charlatan? Les Pères antiques et catholiques ont combattu près de trois cents ans pour maintenir ce mot très vénérable de consubstantiel, dont la prononciation diverse faisait reconnaître les hérétiques des catholiques, et voici que ce [168] novateur et mauvais plaisant l'appelle un mot nouveau et profane! Aussi, rien d'étonnant que parmi ses disciples et sectateurs, il s'en soit trouvé qui ont substitué, par une souveraine perfidie, «semblable en substance» à consubstantiel; dignes disciples, à la vérité, de Cet apostat et déserteur de la foi qui, après treize cents ans, accuse de profanation le Concile de Nicée, le plus auguste de tous ceux qui eurent jamais lieu, tout en attribuant aux Ariens un zèle pieux.

  A023001197 

 Comment, en effet, pourraient-ils s'en dispenser, eux qui avouent que vous avez été fidèles et saints? En outre, pour éviter toute tergiversation possible, je ne parlerai que de ce qui est bien constaté avoir été habituellement pratiqué par l'Eglise pendant les premières cinq cents années de son existence; car Calvin, après Luther, nous fait cette remarque: «Souvenons-nous des cinq cents ans environ pendant lesquels la religion florissait encore dans tout son éclat, et la doctrine plus pure était en vigueur.» Et ailleurs, à propos de l'époque d'Augustin: «C'est une chose hors de discussion que rien n'a été changé dans la doctrine depuis le commencement jusqu'à cette époque-là.».

  A023001197 

 J'en appelle ici à vous, ô Pères, non en tant que Docteurs et illustres interprètes de la Sainte Ecriture, mais en tant que témoins tout à fait dignes de foi de ce qui se passait dans l'Eglise au temps où vous en étiez les chefs; en sorte que si les adversaires n'ont pas honte de vous traiter de docteurs ignorants et faibles d'esprit, ils admettent au moins vos paroles et vos écrits comme ceux de témoins fidèles et probes.

  A023001198 

 Donc, de peur de ne pas en finir si nous énumérons les textes des anciens Pères qui se présentent de côté et d'autre sur notre sujet, bornons-nous au seul Augustin, que Luther reconnaît pour le [170] meilleur Docteur après les Apôtres, et Calvin, pour un fidèle interprète de la vérité.

  A023001201 

 Vous verrez le même Hespérius, pour n'avoir à souffrir lui-même aucun mal, suspendre dans sa chambre de la terre, apportée par un ami de Jérusalem, du lieu où le Christ ressuscita le troisième jour; puis, après que sa maison eut été purifiée de la présence des démons, ne plus vouloir garder dans sa chambre la terre sainte, et cela uniquement par respect.

  A023001203 

 Celui-ci, trouvant un anneau d'or [173] dans le ventre du poisson, touché de compassion et pénétré d'une terreur religieuse, le remit à Florentius en disant: «Voici comment les Vingt Martyrs ont pourvu à ton vêtement.» Vous verrez je ne sais quels jeunes gens agacer de leurs moqueries la piété de Florentius: vous diriez que c'étaient déjà des calvinistes ou des luthériens..

  A023001204 

 Vous verrez Lucillus, évêque, porter lui aussi les reliques de saint Etienne, au milieu d'un peuple le précédant et le suivant, et guéri d'une très pénible fistule dès que, chargé du saint fardeau, il toucha les reliques sacrées.

  A023001205 

 Vous verrez une Religieuse, frappée d'une maladie très grave, dont la tunique fut portée au même tombeau alors que la malade était dans un état désespéré; or, comme celle-ci mourut entre-temps, on mit sur son cadavre la tunique rapportée, et la Religieuse revint à la vie.

  A023001206 

 Il est par suite étonnant que de ce seul chef tous les luthériens et calvinistes ne se sentent vaincus et convaincus, et ne considèrent Luther et Calvin comme des imposteurs, eux qui confessent l'état très pur de l'Eglise à l'époque d'Augustin, et qui d'autre part, ne tiennent pas pour un menteur ce dernier qui rapporte comme très vraies et très certaines toutes les choses racontées plus haut..

  A023001207 

 Reconnaissez-vous donc vaincus maintenant par ce que vous avez avoué plus haut.

  A023001207 

 Vous nous avez trop libéralement concédé, ô Luther et Calvin, que l'Eglise de Dieu n'a été déformée par aucune erreur et aucun abus pendant ses cinq cents premières années: quoi, en effet, de plus facile pour nous que de prouver que les Pères de cette époque ont cru exactement tout ce que nous croyons aujourd'hui et qui fait le sujet de nos controverses? Pour que vous ne pussiez plus en douter, deux Illustrissimes Cardinaux, remarquables lumières et ornements de notre siècle, Baronius dans ses Annales Ecclésiastiques, et Bellarmin dans ses Controverses, en avaient fourni la preuve.

  A023001207 

 Vous pouviez cependant nier cela comme tout le reste, bien que non sans fausseté et impudence; car il convient à des [177] gens qui ont dépassé, non une fois, mais si souvent les limites de la honte, d'être impudents pour de bon et hardiment.

  A023001234 

 Aussi avons-nous coutume de dire que le propre des hérétiques est de [178] diviser, comme celui des catholiques de réunir, le Christ étant venu réunir en un seul bercail les brebis dispersées.

  A023001234 

 La huitième caractéristique de toutes les hérésies est l'esprit de dissension; car, comme dit l'Apôtre, est-ce que le Christ est divisé? Et: Dieu est un Dieu non de dissension, mais de paix.

  A023001237 

 Autrefois Hilaire a prononcé cette parole pleine d'à-propos et de poids: «La guerre que se font les hérétiques est la paix de l'Eglise.».

  A023001237 

 C'est là la guerre des Madianites, et, comme l'écrit ailleurs Luther lui-même, Dieu a tout arrangé pour que les impies se confondent toujours eux- mêmes, et pour que les mensonges ne concordent pas entre eux, mais se dévoilent eux-mêmes.

  A023001237 

 Papistes, dirigez l'attaque en première ligne; que les sacramentaires, les anabaptistes donnent l'assaut,» etc. En vérité, c'est à merveille qu'il met les sacramentaires et les anabaptistes derrière lui, non seulement parce qu'ils ont été ses sectateurs, mais aussi parce qu'ils viennent du même point de départ et ont suivi la même voie.

  A023001244 

 D'autre part, l'Ecriture Sainte est, d'après eux, l'unique voie pour connaître la vérité et s'entendre; si nous portons nos regards de ce côté, nous arriverons facilement à l'unité de doctrine: c'est ce que crient nos hérétiques.

  A023001244 

 Il arrive alors ce que dit Augustin: «Les Ecritures, bonnes en soi, sont mal comprises;» et Hilaire: «La façon de comprendre constitue l'hérésie; c'est le sens qu'on lui donne, non le texte lui-même, qui amène le crime d'hérésie;» et Jérôme: «La valeur des Ecritures ne consiste pas dans leur simple lecture, mais dans la manière de les comprendre;» et ailleurs: «Le démon emploie les Ecritures, et toutes les hérésies s'en font des oreillers qu'elles mettent sous le coude des gens de tout âge, selon l'expression d'Ezéchiel.» Mais entre tous, Vincent de Lérins s'exprime avec le plus de clarté et de justesse, si bien qu'il semble avoir voulu dépeindre les mœurs et la tournure d'esprit des hérétiques de notre temps: «Lisez,» dit-il, «les opuscules de Paul de Samosate, de Priscillien, d'Eunomius, de Jovinien et des autres auteurs pestilentiels» (les luthériens et les calvinistes eux-mêmes considèrent tous ces personnages comme des hérétiques): «examinez l'interminable liste des exemples apportés, et vous verrez qu'il n'y a presque aucune page qui ne soit fardée et colorée au moyen de phrases du Nouveau ou de l'Ancien Testament.» Et peu après: «Qu'est-ce que les vêtements de brebis, sinon les oracles [183] des Prophètes et des Apôtres? Que signifient les loups dévorants, sinon les interprétations cruelles et délirantes des hérétiques? etc..

  A023001245 

 Aussi, quiconque affirme que l'Eglise peut se tromper, répand nécessairement un esprit de dissension dans les âmes des fidèles, et supprime entièrement toute certitude de croyance.

  A023001245 

 C'est ce que font et ont toujours fait tous les hérétiques.

  A023001245 

 Cependant, jamais exemple n'a été si frappant que celui des hérétiques de notre époque; ces quatre mots de l'Evangile: Ceci est mon corps, ont été, en effet, compris par eux avec une telle diversité et contradiction de sentiments, que déjà de son temps Luther, comme nous le disions tout-à-l'heure, avait observé sept interprétations très dissemblables.

  A023001245 

 Et cependant il nous faut continuellement lutter avec lui.» Et un peu après, à propos de Satan: «Il trouvera le moyen de faire naître par l'Ecriture tant et de si grandes sectes turbulentes, que tu ne sauras plus retrouver l'Ecriture, la foi, le Christ et toi-même.» Et aussitôt, revenant à la même pensée: «Quoique le démon soit forcé de nous laisser tranquilles, cependant il n'a pas oublié ses artifices; car à la dérobée il a semé dans nos assemblées la zizanie, je veux dire les faux frères qui ont embrassé notre doctrine et nos paroles, non pour nous aider à propager l'Ecriture, mais pour attaquer par derrière notre armée, au moment où nous combattons en première ligne, afin d'exciter les foules et nous faire une guerre furieuse.» Et peu après: «Mais il ne cessera pas; il ira plus loin dans une occasion si favorable, et attaquera plusieurs articles de foi.

  A023001245 

 Et déjà ses yeux scintillent [185] annonçant des erreurs au sujet du Baptême, du péché originel et de l'humanité du Christ; d'où se produira tant de confusion dans l'interprétation des Saintes Lettres, tant de dissensions et de sectes, que nous pourrons affirmer avec Paul que le mystère d'iniquité agit maintenant.» Luther voyait bien qu'après lui surgiraient de nombreuses sectes: «Si la machine du monde se maintient encore quelques années, l'on sera obligé, à l'exemple des Pères, de recourir aux moyens humains de défense pour supprimer les dissensions, et l'on fera des lois et des décrets pour obtenir et conserver la concorde dans la religion; ce qui amènera un résultat pareil à l'ancien.

  A023001245 

 Mais un interprète de cette sorte ne peut être autre que l'Eglise, colonne et fondement de la vérité, à l'autorité exclusive de laquelle il a toujours appartenu de discerner et de condamner les hérésies et les hérétiques.

  A023001245 

 Un peu plus haut, en parlant des sacramentaires et de leur hérésie, il avait dit: «En cette partie, il [le démon] a fait par l'Ecriture une dizaine de brèches environ et s'est préparé des échappatoires, si bien que je ne sache pas qu'il ait jamais existé une hérésie plus difforme, ni qui dès son origine ait eu tant de chefs, tant de sectes différentes, tant d'opinions discordantes, tendant toutefois finalement au même but, qui est de poursuivre le Christ.» Jusqu'ici Luther..

  A023001245 

 » Un peu plus loin, expliquant la nature de ces moyens humains de défense nécessaires pour supprimer les dissensions, il dit que ce seront les Conciles.

  A023001246 

 Toutefois, pour ne pas manquer de se montrer hérétique même ici, Luther fait un beau mensonge en appelant «moyens humains de défense» les Conciles; car elle est divine, non humaine, l'assemblée qui commence ses décrets par ces mots: Il a paru bon à l'Esprit-Saint et à nous. S'il s'agit ici d'un moyen de défense purement humain, où en trouvera-t-on un, je le demande, qui sera divin? Et s'il existe quelque part un autre moyen divin de défense, pourquoi donc Luther fait-il de si grands efforts pour éviter les moyens humains, pouvant s'en procurer de divins et, par le fait même, évidemment meilleurs et plus sûrs que les humains? En vérité, quelqu'un peut-il croire que le Dieu très bon et très grand n'ait pas songé à fournir pour le besoin en question le moyen de défense voulu, moyen, par suite, totalement divin, destiné à conserver l'union et la paix de toute son Eglise? [187].

  A023001246 

 que l'Ecriture seule ne peut calmer les flots des dissensions; 4.

  A023001246 

 que l'usage des Conciles a été pratiqué par les Pères dans ce but: toutes choses parfaitement vraies, bien que dites par un menteur habitué à mentir.

  A023001246 

 que les Conciles sont l'unique voie pour arriver à la concorde; 5.

  A023001246 

 que tous ces sacramentaires s'appuient impudemment sur les Ecritures; 3.

  A023001296 

 Aussi saint Augustin définit-il avec raison l'hérétique: celui qui, «ayant une intelligence erronée des Ecritures, affirme avec entêtement ses fausses opinions, opposées à leur vérité.» Et ailleurs: «Les hérésies ne sont nées que parce que les Ecritures, bonnes en soi, sont mal comprises, et que ce qui en est mal compris est affirmé avec témérité et audace.» Et de nouveau [188] en un autre endroit: «Ceux qui, dans l'Eglise, ont des manières de voir mauvaises et malsaines, et qui, si on les reprend pour les amener à des manières de voir bonnes et saines, résistent avec obstination, ne veulent pas corriger leurs dogmes pervers, mais persistent à les défendre, ceux-là deviennent hérétiques.».

  A023001296 

 Ce sont des murmurateurs, des gens qui se plaignent sans cesse, qui vivent au gré de leurs convoitises, et leur bouche profère des paroles d'orgueil. Et saint Paul: Si quelqu'un veut contester, pour nous, nous n'avons pas cette habitude, non plus que l'Eglise de Dieu.

  A023001296 

 Voici, en effet, la description que fait de leurs mœurs le bienheureux Jude dans son Epître canonique: Malheur à ceux qui se sont égarés dans la voie de Caïn, et se sont jetés pour un salaire dans l'egarement de Balaam, et se sont perdus dans la rébellion de Coré.

  A023001297 

 Celui-ci, dans sa Réponse au méchant écrit du Roi d'Angleterre, écrit: «Je dirai franchement, et sans arrogance aucune, que j'ai purifié et éclairé l'Ecriture de telle sorte, que d'ici mille ans elle ne sera jamais ni plus claire, ni connue d'un plus grand nombre.» Et un peu auparavant: «C'est pour moi chose indifférente, maintenant que le monde entier adhère à mon parti, si ce monde vient de nouveau à me mépriser; j'approuverai l'une et l'autre détermination, car, qui me soutenait au commencement, quand j'étais seul?» Et ailleurs il se vante étonnamment lui-même, et aussi son esprit d'entêtement: «L'arme,» dit-il, «avec laquelle les hérétiques obtiennent aujourd'hui la victoire, c'est la fureur incendiaire des imbéciles, des ânes et des porcs qui suivent la doctrine thomiste.

  A023001297 

 Désormais, puisque vous continuez, dans votre endurcissement et votre aveuglement, à montrer les cornes, et que volontairement vous êtes incorrigibles et indomptables, que personne n'attende de moi à votre égard, monstres incurables, une parole douce ou caressante.

  A023001297 

 Je veux que vous enragiez de plus en plus, jusqu'à ce que, après avoir épuisé vos forces et vos fureurs, vous vous écrouliez sur vous-mêmes au milieu de vos discours.

  A023001297 

 Mais que ces porcs s'avancent et, s'ils l'osent, qu'ils [189] me fassent brûler! je suis ici à les attendre.

  A023001297 

 Porcs thomistes, faites ce que vous pouvez: vous aurez Luther comme une ourse dans votre chemin, comme une lionne dans votre sentier; partout vous le rencontrerez, et il ne vous laissera point de paix, jusqu'à ce qu'il ait brisé vos têtes de fer et vos fronts d'airain, soit pour votre salut, soit pour votre perte.

  A023001297 

 Que celui qui aura le premier dompté l'autre, soit le vainqueur; qu'il vous soit fait selon votre désir.» Et dans le même livre: «Nous n'appartenons pas au Pape, mais le Pape nous appartient; à nous de ne pas être jugés par lui, mais de le juger lui-même: car l'homme spirituel n'est jugé par personne, et juge tout le monde.» [190].

  A023001298 

 Et de nouveau ailleurs: «Ce courant populaire m'était assez favorable, et les allemands, l'esprit en suspens, attendaient l'issue d'une si grande affaire, que personne auparavant, ni évêque, ni théologien n'avait osé entreprendre.» Enfin, çà et là on peut voir ce monstre furieux s'adresser des louanges extraordinaires, et débiter en réalité des propos pleins d'arrogance et d'impudence.

  A023001298 

 Lui-même, du reste, ne le nie pas, car répondant par lettre à un certain ami: «Tu me rappelles avec raison à la modestie,» dit-il; «je sens cela moi-même, mais je ne suis pas en pleine possession de moi, je suis entraîné par je ne sais quel esprit Tout en ayant conscience de ne vouloir du mal à personne, je suis poussé à bout furieusement par mes ennemis, à tel point que je ne traite pas l'adversaire avec la convenance voulue.».

  A023001299 

 De toute la tension de mes nerfs j'ai cherché à me tirer d'affaire, me rendant fort bien compte que c'était un moyen pour moi d'ennuyer grandement le Pape surtout.

  A023001299 

 Le premier sera tiré de la lettre qu'il écrivit aux Strasbourgeois, où il parle des sacramentaires en ces termes: «Je ne puis ni ne veux nier que si Carlostadt ou quelque autre avait pu me prouver, il y a cinq ans, qu'il n'y a rien dans le Sacrement de l'Eucharistie en dehors du pain et du [191] vin, celui-là m'aurait rendu un grand service; car je peinais dur et j'étais en proie à de graves soucis au sujet de l'élucidation de cette matière.

  A023001299 

 Mais je me vois pris; nulle voie pour m'échapper.» Et peu après: «Si encore aujourd'hui quelqu'un pouvait me prouver, par un témoignage solide des Ecritures, que dans le Sacrement de l'Eucharistie il n'y a que du pain et du vin, il ne serait pas nécessaire de m'entreprendre à ce sujet sur un ton si mordant; car je suis, hélas! porté plus qu'il ne faut de ce côté, autant que je puis connaître la nature de l'Adam qui est en moi.» Peut-on imaginer, je le demande, un esprit plus contentieux que celui de cet homme, qui ne cherche pas, selon ses propres expressions ce qui est vrai ou faux, mais ce qui peut ennuyer le Pape ou l'Eglise, et étudie, non par amour et désir de la vérité, mais par haine de la Papauté?.

  A023001299 

 Pour montrer jusqu'où va l'esprit de contention et d'entêtement chez Luther, nous apporterons deux exemples, choisis parmi les innombrables que nous pourrions citer.

  A023001300 

 On peut tirer un autre exemple encore plus typique d'un autre endroit où il dit à propos de la Messe: «Que répondre contre le Canon et l'autorité des Pères? Je réponds d'abord: s'il n'y a rien à dire, il est phis sûr de tout nier que de concéder la Messe.» [192] Qu'est-ce cela, je le demande, sinon vouloir défendre son opinion à tout prix et en employant toute espèce de moyens, selon le mot du poète: Fais cela «si tu le peux,» comme il faut; «si tu ne le peux, fais-le de n'importe quelle manière.».

  A023001301 

 Au sujet de Zwingle, de Carlostadt, d'Œcolampade, de Calvin, pères des sacramentaires et fils de Luther, nous ne pouvons citer de témoignage plus approprié, plus certain et moins suspect que celui de Luther lui-même, lequel affirme que, semblables à Absalon, envieux du royaume et de la gloire de son père, ils ont lancé en avant leurs hérésies.

  A023001301 

 Bien qu'il ne parle pas expressément de Calvin, qui du vivant de Luther n'était encore ni tellement décrié, ni tellement fameux, cependant ce qu'il dit des autres chefs des sacramentaires ne s'applique-t-il pas parfaitement à Calvin, d'autant plus orgueilleux et arrogant que les autres qu'il est venu après eux? Si, en effet, Carlostadt et Zwingle ont été arrogants en contredisant leur père Luther, plus arrogant certes a été Calvin en contredisant Luther, Zwingle et tous les chrétiens de tous les âges.

  A023001301 

 Quoi de plus arrogant que l'accusation lancée par Calvin contre tous les Pères, qui, d'après lui, seraient tombés dans l'erreur ou auraient parlé avec [193] arrogance? De même, quoi de plus arrogant que Bèze, qui attribue au seul Calvin l'honneur d'avoir vu juste, d'avoir découvert la vérité au sujet du mystère de l'Eucharistie, comme si personne, absolument personne d'entre les mortels, n'avait possédé la vraie doctrine sur l'Eucharistie avant l'époque de Calvin? Et que donne-t-il à entendre, je vous prie, lorsqu'à la fin de la Vie de Calvin écrite par lui, Bèze ajoute ces paroles d'Elisée voyant Elie enlevé au ciel: Mon père, mon père, char d'Israël et son conducteur! sinon qu'il veut qu'on prenne Calvin pour Elie et lui-même pour Elisée?.

  A023001307 

 Si vous [194] leur objectez les paroles de l'Epître de saint Jacques, que répondront-ils? Luther s'écriera que, «si l'on a déliré quelque part,» c'est ici qu'on l'a fait, et qu'il vaut mieux rejeter l'Epître de l'Apôtre qu'admettre le principe de la justification dans la charité.

  A023001308 

 Or, c'est précisément au sujet de l'Ecriture que nous discutons, et elle nous donne très manifestement raison, puisque l'Apôtre a écrit justification et non pas manifestation de la justification.

  A023001308 

 Quant à Calvin, il répondra que les paroles de saint Jacques ne regardent pas la justification, mais la manifestation de cette dernière.

  A023001308 

 Si vous répliquez que les expressions de l'Apôtre ne peuvent supporter cette interprétation, puisque saint Jacques attribue la justification tout ensemble à la foi et aux œuvres, Calvin persistera dans son opinion et s'écriera que les catholiques sont tous vaincus, et convaincus de mauvaise interprétation.

  A023001309 

 Et aussitôt le serpent ramène [196] sa tête sur lui-même: Parce que, dit-il, j'interpréterai selon les Ecritures.

  A023001309 

 On demande qui de nous interprète plus justement, car il n'est pas admissible que quelqu'un soit témoin et juge dans sa propre cause; lui, pour ne pas sembler vaincu, pour en imposer aux vieilles femmes et au vulgaire, il en appelle à l'Ecriture.

  A023001309 

 Pourquoi avez-vous le droit d'examiner leur sentence et leur interprétation, plutôt qu'eux ou nous celui d'examiner la vôtre, et qui sera juge en face d'un droit égal pour tous? S'ils se trompent dans leur interprétation, parce qu'ils ont été hommes, comme vous objectez, pourquoi ne pouvez-vous vous tromper vous-même? N'êtes-vous pas aussi un homme, [ou tout au moins une bête]? Je n'imagine pas, en effet, que vous soyez un ange ou un dieu, ou quelque chose d'inanimé.

  A023001309 

 Qui vous a donc établi leur juge? c'est justement de cela que nous nous enquérons.

  A023001310 

 De là, la nécessité des juges, même dans les affaires profanes; à plus forte raison celle des Conciles dans l'Eglise de Dieu, de peur que, s'il n'y a aucun juge qui prononce sans appel, le mauvais vouloir des parties et leur envie de disputer n'empêchent qu'il y ait jamais une fin aux litiges et aux appels..

  A023001310 

 Que faire avec ces impies qui toujours marchent en louvoyant, et reviennent sans cesse à l'endroit d'où on les a souvent chassés? Quelle obstination plus impudente que celle de ne pas s'en tenir au jugement de l'Eglise, des Pères, des Conciles? Comment finir une discussion d'une telle importance, si personne ne peut trancher le litige et n'a l'autorité de définir en dernier ressort la question? Sans aucun doute le désir de disputer sera sans fin.

  A023001312 

 Ce que nous venons de dire de Luther, doit également se dire de tous les autres hérétiques; car leur nom d'hérétiques leur vient justement de ce qu'ils choisissent pour leur usage une interprétation de l'Ecriture telle que, si elle concorde avec celle des Conciles et de l'Eglise, ils la défendent en se basant, non sur l'autorité de l'Eglise ou des Conciles, mais sur leur propre opinion; si, au contraire, elle est différente, ils la soutiennent contre l'autorité de l'Eglise et des Conciles.

  A023001318 

 Nous apportons encore le texte où le même Augustin écrit que «les âmes des défunts sont recommandées aux prières des Martyrs, lorsque les corps des défunts sont ensevelis dans les lieux consacrés à l'honneur de ces Martyrs et contenant leurs reliques.» Comment nos mauvais plaisants échappent-ils à ces textes? En disant tout simplement que ces choses ont été écrites non avec intention, mais en passant et par inadvertance.

  A023001318 

 Nous apportons un texte tiré de ses Commentaires sur l'Exode, où il enseigne ouvertement que, «par les prières des Martyrs, Dieu pardonne aux péchés de son peuple.» Nous apportons aussi le passage cité plus haut, où il affirme clairement que plusieurs personnes ont été guéries ou aidées par les prières de saint Etienne.

  A023001318 

 Or, nous citons un passage plus remarquable, où Augustin lui-même invoque le bienheureux Cyprien en présentant ainsi son désir: «Puisse-t-il nous aider par ses prières, afin que, par la grâce du Seigneur, nous imitions ses vertus autant que nous le pouvons.» C'est là peu de chose, [199] disent-ils, car Augustin ne s'arrête pas longtemps à ces prières.

  A023001318 

 Que reste-t-il à faire, même au plus patient des hommes, avec ces gens-là?.

  A023001319 

 Que par toi soit digne de pardon ce que par toi nous présentons; que nous puissions obtenir ce que nous demandons avec confiance.

  A023001319 

 Reçois ce que nous offrons, obtiens-nous ce que nous demandons, éloigne ce que nous craignons, car tu es l'unique espoir des pécheurs; par toi nous attendons le pardon de nos fautes, et en toi, toute Bienheureuse, est l'espérance de notre récompense.

  A023001320 

 Ainsi donc, de ce que la manne n'a pas la saveur d'un pain céleste pour les rebelles et les méchants, faudra-t-il dire que la manne cessera d'être un pain descendu du ciel? Parce que le soleil ne luit pas au profit du hibou, ne luira-t-il pas à notre profit? A ce compte-là, c'en est fait de toute l'Ecriture, comme notre Augustin l'a savamment montré autrefois contre Faustus lequel, avec l'insolence habituelle des hérétiques, prétendait non authentiques, mais falsifiés, les passages de la Sainte Ecriture qui lui étaient opposés..

  A023001320 

 Attendez-vous encore ou exigez-vous, vous tous luthériens et calvinistes, que nous vous présentions quelque chose de plus clair? Nous avouons ingénûment que nous n'avons rien et ne pouvons rien imaginer, même si vous nous donniez ce que nous ne demandons pas, le droit d'imaginer à notre fantaisie.

  A023001320 

 Il faut cependant pardonner de bonne grâce à des gens qui se moquent si sottement des écrits des Pères, lorsque nous les voyons en agir ainsi à l'égard des Saintes Ecritures elles-mêmes, qu'ils n'admettent ou ne rejettent que suivant leur propre goût.

  A023001320 

 Mais que répondez-vous? Ce sermon, disent-ils, n'est pas d'Augustin.

  A023001320 

 Quel a pu être, en effet, le motif de Luther [201] en condamnant l'Epître de saint Jacques? «C'est,» dit-il, «qu'elle ne respire pas l'esprit apostolique.» Pourquoi Calvin condamne-t-il les Livres des Machabées? Parce que, dit-il, ils ne respirent pas l'esprit divin.

  A023001320 

 Qui en juge ainsi, vous ou moi? Que restera-t-il qui ne puisse être sûrement nié, si cette façon de rejeter l'autorité des Pères est une fois admise? Car si les passages les plus clairs doivent être examinés suivant le goût de ceux qui discutent, ils ne seront jamais du goût des contradicteurs.

  A023001320 

 Si vous demandez pourquoi: parce que, répondent-ils, il n'est pas dans la manière d'Augustin.

  A023001321 

 Un catholique ayant cité le texte ci-dessus, et ayant interrogé le ministre en ces termes: «Que répondez-vous à cela, monsieur le grand docteur?» celui-ci, tout d'abord hésitant et paraissant surpris, reprit ensuite courage et, comme s'il allait dire quelque chose [202] de remarquable et d'élégant, avec un air de suprême réformateur de l'Eglise, prononça ces paroles: «C'est là une tache sur un beau corps.» Que pouvait faire le pauvre catholique avec ce charlatan, sinon demander à Dieu de ne pas lui imputer ce péché, parce qu'il ne savait ni ce qu'il disait ni ce qu'il faisait? [Va donc te faire pendre avec tes taches et tes sornettes!] Ne pouvais-tu dire avec plus de vérité que la tache se trouve dans l'opinion de ton Calvin rejetant témérairement l'intercession de la Bienheureuse Vierge et des Saints? Rien n'empêche, en effet, que des taches ne se trouvent [203] sur un corps difforme, pour le rendre d'autant plus laid, qu'elles eussent rendu plus séduisant un corps déjà beau..

  A023001322 

 Bien que cet art de tromper à propos des écrits des Pères soit commun à tous les hérétiques, les calvinistes se le sont comme approprié, tellement ils y excellent.

  A023001322 

 C'est là un trait commun à tous les hérétiques présents et passés, ainsi que l'a autrefois observé notre Vincent de Lérins: «Lorsque,» dit-il, «ils complotent d'échafauder une hérésie sous un faux nom, le plus souvent ils s'emparent de paroles écrites un peu trop obscurément par quelque ancien, pour que, par leur obscurité même, elles s'accordent en quelque façon à leur enseignement, et afin que le je ne sais quoi qu'ils émettent, ils ne paraissent ni les premiers ni les seuls à l'émettre.» Notre distingué ministre, dont nous venons de parler, appliquant cette façon de faire à tous les passages si clairs d'Augustin que nous avons cités, opposait ce seul endroit où, à propos du Christ, il s'exprime ainsi: «Il est le Prêtre qui, maintenant entré dans l'intérieur du voile, est seul, de tous ceux qui ont porté la chair, à intercéder pour nous.» Ainsi ce docteur subtil voulait montrer une contradiction entre Augustin et [204] Augustin, sans voir que dans le dernier texte il s'agit de l'intercession qui s'opère par la rédemption, ce que le contexte indique très clairement.

  A023001323 

 Evêque d'Evreux et ce misérable qu'on a honte de nommer, [quand ce ne serait que parce qu'il n'a pas honte de vivre après tant et de si évidentes, non seulement hérésies, mais faussetés,] dont il fut convaincu en la présence très auguste du Roi très chrétien et dans une immense assemblée où la France entière était représentée..

  A023001329 

 Mais ajoutons encore à ces caractéristiques d'opiniâtreté une autre caractéristique ayant quelque rapport avec celles que nous avons examinées plus haut, bien que distincte: à savoir, que nos novateurs sont des disputeurs, comme disait le bienheureux Apôtre [205] Jude, des amis de la contention, pour parler comme Paul, de sorte qu'on a beau répondre à leurs arguments, on ne les satisfait jamais.

  A023001330 

 Ainsi nous disons que les ombrages et les tentes tiennent le milieu entre nous et le soleil, bien que non seulement ils ne soient pas à mi-distance, mais qu'ils soient avec nous à une des extrémités.

  A023001330 

 Aussi ne reconnaissons-nous pas les Saints comme médiateurs, c'est-à-dire comme se tenant entre Dieu et nous, à la manière du [207] Christ, qui est en effet entre Dieu et nous, parce qu'il participe à la fois à la nature divine et à la nature humaine, étant Fils de Dieu et fils de l'homme; mais nous invoquons les Saints, pour que ceux-ci coopèrent aux prières que nous adressons par l'intermédiaire du seul Jésus-Christ notre Seigneur.

  A023001330 

 Comme cependant nous comprenons qu'ils sont, eux, plus agréables au Christ et, en quelque manière, plus rapprochés de lui, étant déjà dans la gloire, la plupart des Anciens les ont appelés médiateurs: non point pour la raison qui fait donner au Christ le nom de Médiateur, parce qu'il occupe vraiment ce que je nommerai le milieu mathématique, mais parce qu'on dit de quelqu'un qui est rapproché d'un autre, même d'une distance minime, qu'il tient le milieu entre cet autre et celui dont il est éloigné davantage.

  A023001330 

 Nous répondons en termes on ne peut plus clairs et précis que nous ne donnons de coadjuteurs, ni à Dieu que nous prions, car nous savons fort bien qu'il n'a pas besoin de coadjuteurs pour faire miséricorde, ni au Christ par qui nous prions, attendu que nous savons que son intercession auprès du Père est toute-puissante; mais c'est à nous qui prions, que nous donnons des coadjuteurs, en ce sens que nos prières sont aidées par celles de nos frères, les pieux et les saints surtout, pour que Dieu les exauce par le seul Christ.

  A023001331 

 Celle-ci enseigne et a toujours enseigné que tout homme pieux et bon chrétien doit éviter l'excommunication, même injuste, parce que, si elle ne fait pas perdre actuellement le salut éternel, elle amène avec soi cependant, un danger très actuel de perdre ce salut.

  A023001331 

 Que ce seul exemple nous dispense d'en apporter beaucoup d'autres, car le plan que nous nous sommes tracé ne nous permet pas de nous appesantir davantage sur ce point.

  A023001345 

 Ils se moquent de nous parce que nous baptisons les enfants, que nous prions pour les morts, que nous demandons les suffrages des Saints.».

  A023001346 

 En ce qui regarde Luther, il a mené sa campagne avec tant de pétulance et d'injures, que Bèze ne craint pas de le lui reprocher.

  A023001346 

 Et cela si souvent et avec tant d'importunité, que si l'on supprimait de ses Œuvres toutes les injures, l'on réduirait facilement à un seul huit tomes de ses écrits..

  A023001346 

 Pour prouver que nos luthériens et calvinistes sont pleins du [208] même esprit, il n'est nul besoin de grande inquisition.

  A023001347 

 Mais pourquoi énumérer trois ou quatre Pontifes, comme si ce qu'ont professé il y a déjà longtemps et professent encore de nos jours, en matière de religion, les Pontifes avec tout le Collège des Cardinaux, était chose douteuse? Car le premier point de la théologie cachée qui a cours parmi eux, c'est qu'il n'y a pas de Dieu; le second, c'est que tout ce qui a été écrit et qui est enseigné du Christ n'est que mensonge et fable.

  A023001347 

 Quoique ceci soit très notoire pour tous ceux qui connaissent Rome, les théologiens de Rome ne cessent [210] pas,» etc. Qui, je vous prie, n'aura honte d'un menteur et d'un imposteur de cette virulence? Et cependant, ce qui rend cette impudence intolérable, c'est que, au même endroit, Calvin affirme qu'il ne parle pas des personnes, mais de la Chaire de Rome; de sorte qu'on peut lui objecter la parole d'Augustin rapportée ci-dessus: «Que» t'a «donc fait la Chaire de Pierre?».

  A023001347 

 «Si,» dit-il, «nous en venons aux personnes, l'on sait assez quels vicaires du Christ nous trouverons: Jules, Léon, Clément, Paul seront les colonnes de la foi chrétienne et les premiers interprètes de la religion, eux qui n'ont admis au sujet du Christ que ce qu'ils avaient appris à l'école de Lucien.

  A023001348 

 Ecoutez Calvin: «Nous concluons que les papistes ne laissent rien au Christ, eux qui ne comptent pour rien son intercession, si elle n'est pas accompagnée de celle de Georges, d'Hippolyte ou de semblables fantômes.» Ailleurs il ment avec la plus grande effronterie, en accusant les catholiques de ne faire «aucune mention du Christ dans toutes leurs Litanies, Hymnes et Proses où ils ne refusent aucun honneur aux Saints défunts.» Quant à Luther, il fait si bien, dans un certain passage, le procès du bienheureux Thomas d'Aquin, qu'il n'a pais honte de dire de lui qu'il est probablement damné! En somme, ces hérétiques n'ont rien respecté, ni au Ciel ni sur terre; et vraiment il était juste qu'ils [211] n'épargnassent pas le Docteur Angélique, eux qui n'ont épargné ni les Anges ni Dieu lui-même..

  A023001379 

 Toutes les hérésies ayant cela de commun que leur origine est basse et abominable (d'où cette parole remarquable de saint Jérôme: Pour réfuter les hérésies, il suffit de les ramener à leur origine), voyons maintenant, en manière de corollaire, de quelle belle origine se glorifient les hérésies de notre temps..

  A023001380 

 Pour Luther, il est vrai, c'est une gloire dont il se pare d'avoir le premier et seul excité des troubles; car il se félicite de ce que «les allemands, l'esprit en suspens, attendaient» quelle serait l'issue de la lutte provoquée par lui, et «que personne auparavant,» dit-il, «ni évêque, ni théologien n'avait osé entreprendre.» Pour lui, cette gloire hérétique était d'un si grand prix, qu'il se considérait comme offensé si l'on disait qu'il avait emprunté à d'autres ses opinions; et parce que la plupart le considéraient comme un hussite, il réclamait par cette exclamation: «C'est faux de m'appeler hussite! Hus n'est pas de mon avis; mais s'il a été hérétique, je le suis dix fois plus que lui, car il a dit bien moins de choses que moi, et de moindre importance.».

  A023001381 

 Il est évident que ce n'est pas sous l'impulsion divine qu'il a commencé toute l'affaire (bien qu'il se vante ailleurs, comme le font tous les hérétiques, d'avoir été appelé par Dieu), mais que ç'a été par un entraînement [213] humain et tout à fait charnel: «C'est,» dit-il lui-même, «par hasard, non volontairement et à dessein, que je me suis jeté dans ces agitations; j'en atteste Dieu lui-même.» Qu'y a-t-il de plus opposé à une impulsion divine que ce qui arrive par hasard? Quoi de plus clair, d'après les paroles ci-dessus, que notre apostat s'est jeté, non dans la prédication pacifique de l'Evangile, mais dans les agitations? Et il n'est pas le seul à affirmer cela; Philippe Mélanchton, fameux luthérien, s'exprime ainsi: «Tels ont été les commencements de cette controverse dans laquelle Luther, ne soupçonnant ou ne rêvant rien au sujet du changement futur des rites, ne répudiait pas même absolument les Indulgences, mais y réclamait seulement de la modération.

  A023001382 

 Puis il ajoute: «Chaque fois que je lisais ce texte, je souhaitais que Dieu n'eût jamais révélé l'Evangile; car, qui peut aimer un Dieu qui s'irrite, qui juge, qui condamne?» De nouveau ailleurs: «Autrefois, lorsqu'il me fallait lire, en priant, ce texte du Psaume: Délivre-moi dans ta justice, j'étais tout pénétré d'horreur, et de tout mon cœur je haïssais cette parole.» Et peu après: «Ici, vraiment, tous les Pères, Augustin, Ambroise, etc., se sont trompés, et se sont heurtés à ce passage comme à une pierre de scandale.» C'est de cette haine d'un Dieu irrité et juste, qu'il passa à la méditation où il dit avoir trouvé sa foi justifiante: «Alors je me sentis renaître et entrer, toutes portes ouvertes, en plein Paradis.

  A023001382 

 Voici, en effet, ce qu'il écrit de lui-même: «Je haïssais ce mot: Justice de Dieu, que, par suite de l'usage de tous les docteurs, j'avais appris à comprendre philosophiquement de la justice formelle et active de Dieu, par laquelle Dieu est juste et punit les [214] pécheurs et les coupables.» Et peu après: «Je n'aimais pas, bien plus, je haïssais un Dieu juste et punissant les pécheurs, et je m'indignais contre lui en silence; ce qui, si ce n'était un blasphème, était certes un grand murmure.» Et ailleurs, expliquant ce texte de saint Paul: La justice de Dieu est révélée dans l'Evangile, il dit que tous les Docteurs, à l'exception d'Augustin, l'ont interprété dans le sens de justice punissante de Dieu.

  A023001383 

 Au milieu de tout cela, voici ce que j'ai toujours estimé digne de remarque.

  A023001383 

 D'abord, que la nouveauté de Luther commença par la haine de Dieu, de tous les péchés le plus grave: source digne, en vérité, de s'épancher en tant de ruisseaux d'hérésies..

  A023001384 

 En second lieu, que Luther ne s'amenda pas après avoir lancé son hérésie, mais persista dans cette haine exécrable: «Car,» dit-il, «qui peut aimer un Dieu qui s'irrite, qui juge, qui condamne?» Par ces paroles, non seulement il affirme sa haine de Dieu, mais aussi son impossibilité passée et présente d'aimer Dieu.

  A023001385 

 En effet, même en laissant de côté Chrysostôme et Théodoret, certainement Thomas et Nicolas de Lyre (ce [216] dernier est entre les mains de tous) interprètent ouvertement notre texte dans le sens de la justice par laquelle Dieu nous justifie, bien que l'opinion contraire ne soit pas entièrement improbable..

  A023001385 

 En troisième lieu, Luther trahit sa très grossière ignorance en disant que tous les Docteurs, à l'exception d'Augustin, ont interprété le passage de saint Paul aux Romains dans le sens de la justice punissante de Dieu.

  A023001386 

 Cependant, à propos du texte dont il s'agit, la Glose ordinaire remarque doctement que l'interprétation ci-dessus est plutôt morale, attendu que, littéralement, le Psalmiste parle de la justice de Dieu en tant que juge; comme s'il disait: Puisque vous êtes juste.

  A023001386 

 En quatrième lieu, Luther montre bien son impudence lorsqu'il affirme que le passage cité plus haut du Psaume n'a été compris par personne, parmi les catholiques et les Pères, dans le sens de la justice par laquelle Dieu nous justifie.

  A023001387 

 Car longtemps il flatta le Pontife Romain lui-même, et, quoiqu'il eût écrit injurieusement contre le Roi d'Angleterre [217], il lui envoya ensuite une lettre où, par des flatteries et des caresses, il s'efforce d'amadouer l'esprit du Roi en écrivant sur ce toi: «J'ai conscience que Votre Majesté a été très gravement oflfensée par mon petit livre que j'ai fait paraître sottement et précipitamment.» Et peu après: «Maintenant, grandement honteux, je n'ose lever les yeux devant Votre Majesté, moi qui me suis laissé aller à agir par légèreté contre un tel et si grand Roi, étant donné surtout que je ne suis que du rebut et un ver de terre, qui méritait seulement d'être vaincu ou laissé de côté par mépris.» Ensuite, à genoux aux pieds du Roi, il demande pardon et promet, si le Roi le désire, de chanter la palinodie.

  A023001387 

 Mais, peu de temps après, le Roi d'Angleterre ayant une seconde fois écrit contre lui, de nouveau il attaque le Roi avec des injures beaucoup plus atroces encore, se repent d'avoir écrit sa lettre, s'efforce par tout moyen d'excuser l'hypocrisie avec laquelle il avait promis de chanter la palinodie, et montre qu'il lui a écrit la lettre en question pour [218] l'attirer à son hérésie: «Tout plein de mes convictions,» dit-il, «j'ai fait cette prière, et écrit cette lettre vainement suppliante, que ces porcs traitent indignement et déchirent.» Peu après il dit avoir usé du même stratagème à l'égard de Georges, duc de Saxe; quelques mots plus loin il affirme de nouveau qu'il ne se repent pas de ses stratagèmes, ayant agi pour propager l'Evangile, et n'a pas honte d'appeler zèle pieux et honnête de telles fictions et hypocrisies.

  A023001388 

 Qui croira jamais que ces lèvres trompeuses d'un Luther parlant d'un cœur double, ont été choisies par Dieu pour allumer de nouveau dans le monde la lumière de l'Evangile! Où a-t-on jamais vu ou lu qu'une hérésie ait eu des origines si basses et plus exécrables que celle où tout a commencé, non sous l'impulsion d'un motif sérieux et volontairement, mais par l'effet du hasard; par haine de Dieu, non par amour; au moyen de mensonges et d'hypocrisie, non pour la vérité? Quant à son auteur, c'était un homme fauteur de troubles et tellement violent, que, au témoignage de Philippe Mélanchton, non seulement Erasme, mais aussi le duc Frédéric, soud la protection et les auspices duquel Luther lança [219] son aventure tragique, lui souhaitaient une douceur et une modération que lui-même reconnaissait lui faire défaut, en avouant qu'il agissait sans être en pleine possession de soi-même..

  A023001394 

 Mais quelle a bien pu être, je le demande, la cause d'une si grande haine? Est-ce à une persuasion céleste d'un Ange ou de Dieu qu'il faut attribuer une pareille horreur de Luther pour la Messe? Bien plus, certes: le maître qui a enseigné et occasionné ces colères de Luther contre la Messe, le beau maître bien digne que Luther jurât sur sa parole, ce fut le diable.

  A023001394 

 Nous avons rapporté plus haut le passage fameux de Luther où celui-ci assure que la Messe lui déplaît tellement, qu'il est prêt à tout nier plutôt que de l'accepter.

  A023001394 

 Pour terminer ce que nous avons dit jusqu'ici, il nous reste à parler du début très honteux et tout à fait horrible de l'hérésie luthérienne.

  A023001394 

 Que Luther s'avance donc, et qu'il ne rougisse pas de dire quel docteur il a suivi au début, en s'efforçant de renverser la Messe! notre Droit, en effet, a sagement pourvu à ce que l'origine et le début de chaque chose soient examinés..

  A023001395 

 Enfin Luther ajoute: «J'avouai devant le démon, convaincu par la loi de Dieu, que j'avais péché, que j'étais damné comme Judas; mais je me tournai vers le Christ avec Pierre, et je considérai son immense bienfait et mérite.

  A023001395 

 Et malgré l'objection qu'il se fit, à savoir que le diable, étant menteur, ne méritait pas d'être cru, il ne put se persuader de triompher des arguments du démon, dont il exalte grandement la force et la fougue dans la façon de disputer.

  A023001395 

 Luther, dans son livre sur la Messe privée et l'Onction des Prêtres, affirme et raconte non en passant, mais ex professo et clairement, que Satan lui apparut vers le milieu de la nuit, et fit si bien, au moyen de cinq arguments agrémentés aussi de comparaisons variées, que depuis, lui, Luther, se mit à mépriser tout à fait et à rejeter la Messe et l'onction des prêtres.

  A023001395 

 S'adressant alors aux catholiques: «Si vous deviez soutenir les chocs du démon, et écouter ses argumentations, vous ne chanteriez pas longtemps votre refrain sur l'Eglise et les anciennes coutumes; car Satan, en un clin d'oeil, remplit [221] de terreurs et de ténèbres l'esprit tout entier.» Ensuite, pour répondre au nom du diable à l'objection qu'il avait faite, il s'efforce de montrer par beaucoup de raisons que parfois le diable lui-même enseigne la vérité, et ment de telle sorte que son mensonge est mélangé de vérité.

  A023001396 

 Allons, hommes de cœur, nos oreilles ont entendu, nos yeux ont vu! Voilà donc cette fameuse liberté évangélique que Luther, et, à son exemple, les autres hérétiques de notre temps ont introduite! «Nous avons été délivrés,» dit Luther, mais non au moyen de la liberté que le Christ nous a acquise par son sang précieux, mais au moyen de la liberté que Satan a apportée à Luther du fond des enfers.

  A023001396 

 Bon Dieu! qui entendit jamais pareille chose? qui main» tenant peut l'entendre sans horreur? enfin, qui peut retenir ses larmes en rapportant tout cela? Et cependant, hélas! on ne rencontre [222] que trop d'hommes à se glorifier d'opinions aussi effrayantes, aussi honteuses et répugnantes, apportées de l'enfer, et à se mettre à la suite de leur auteur, le diable.

  A023001396 

 Que Luther se fasse gloire, tant qu'il voudra, avec ses sectateurs, d'avoir reçu de Satan sa doctrine contre la Messe; pour nous, nous écouterons toujours l'Apôtre qui, traitant du même mystère, mais bien autrement que Luther, nous dit: Pour moi, j'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis.

  A023001464 

 Ainsi on ne doutera pas que ces novateurs ne soient hérétiques tout autant en matière politique qu'en matière religieuse.

  A023001464 

 [Même à ne tenir compte que de l'ennui qu'il y a à s'occuper de pareille matière, il serait temps que je misse fin à cette discussion [223] qui m'a retenu plus longtemps que je n'avais pensé, si je ne me voyais obligé, par le zèle du bien public, de dévoiler le plus brièvement possible la ruine toujours plus grande dont les inventions de nos novateurs menacent les intérêts civils des chrétiens.

  A023001470 

 Notre homme, en effet, qui a voulu passer pour un grand politique, n'a pas ignoré que rien n'est plus dangereux que d'exciter le peuple et la partie dirigeante du peuple, par l'espérance d'un gouvernement meilleur, à ambitionner ou désirer le pouvoir; car, après l'avoir ambitionné ou désiré, ils peuvent chercher à le capter.

  A023001470 

 Tout en avertissant ceux qui sont soumis à des monarques de n'avoir rien à changer [224] à l'état de choses, lui-même cependant, né et élevé sous un si grand Monarque, montre assez de quel esprit il était animé envers son Prince, puisqu'il méprise la monarchie et enseigne qu'il faut plutôt la tolérer, pour éviter un plus grand mal, que l'aimer à cause de son excellence.

  A023001471 

 Bien plus, parmi les animaux qui vivent en troupeaux, l'un d'eux est toujours le chef des autres: ainsi pour les éléphants, les cerfs, les brebis, les grues, les abeilles et les huîtres perlières, etc. En effet, ce mode de gouvernement, qui se rapproche davantage de celui du Dieu très bon et très grand, de même qu'il est le meilleur de tous, est aussi le plus souhaitable et le plus aimable, en sorte que Dieu semble en avoir répandu le désir dans la nature elle-même en la créant..

  A023001471 

 Quant à la fausseté de l'assertion de Calvin: à savoir, que la domination de plusieurs est préférable à la domination d'un seul, elle ressort du témoignage de tous ceux qui ont écrit sur le gouvernement de l'Etat, et qui sont réputés particulièrement renseignés sur les matières tant ecclésiastiques que civiles.

  A023001477 

 La seconde proposition est celle de Luther, que nous avons déjà rapportée plus haut: «Il n'y a absolument aucune distinction à [226] faire entre les diverses circonstances que l'opinion commune de tous les hommes considère comme aggravant les péchés;» de sorte que l'inceste commis par un individu avec sa fille ou sa sœur n'est pas plus grave que s'il était commis avec une veuve étrangère ou avec une courtisane; de sorte aussi que l'homicide d'un ennemi est l'égal de celui d'un père, d'une mère ou du prince.

  A023001483 

 Au sujet des soldats, il existe un merveilleux Sermon de saint Bernard aux chevaliers du [228] Temple, tout à fait approprié à notre cas: «Marchez avec confiance, soldats, et chassez avec intrépidité les ennemis de la Croix du Christ, assurés que ni la mort, ni la vie ne pourra vous séparer de la charité de Dieu.

  A023001483 

 Faudra-t-il ne pas combattre la peste par les remèdes, la famine par les approvisionnements de diverses sortes, uniquement parce que, au moyen de ces afflictions, Dieu, non seulement nous visite et nous châtie, mais nous éprouve, nous traite comme siens et nous perfectionne? Pourquoi donc le prince porte-t-il le glaive et le soldat les armes, si ce n'est pour réprimer les attaques des ennemis et chasser les envahisseurs de la République? C'est pour cela, sans aucun doute, que les soldats sont loués, même dans l'Evangile, parce qu'ils peuvent être justes, comme Corneille, ce noble centurion dont il est question dans les Actes des Apôtres; c'est pour cela aussi qu'ils reçoivent l'approbation de Jean-Baptiste lui-même, non s'ils quittent la milice, mais s'ils ne frappent personne, s'ils ne font pas de calomnie et s'ils se contentent de leur solde.

  A023001483 

 La troisième proposition est encore de Luther: «Combattre contre les Turcs, c'est s'opposer à Dieu, qui visite nos iniquités par leur moyen.» Que peut-on dire, je le demande, de plus insensé, de plus inique et de mieux fait pour perdre toute la République chrétienne que cette proposition? Faudra-t-il donc qu'aucun prince [227] ne réprime les brigands des grands chemins, les ravageurs des champs, les incendiaires, enfin les ennemis qui portent la ruine au dehors ou au dedans? Il est en effet certain que les hommes pervers qui tourmentent les bons, le font pour que, avec la permission de Dieu, ceux-ci soient visités par Dieu et corrigés.

  A023001489 

 La quatrième proposition est celle de Calvin niant que les lois du Prince obligent en conscience.

  A023001489 

 Pourquoi donc? Parce que, [229] dit-il, «nos consciences ont affaire, non avec les hommes, mais avec Dieu.».

  A023001492 

 Et cependant il s'écrie: Que toute âme soit soumise aux autorités supérieures, car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu.

  A023001492 

 Que réponds-tu à cela, Calvin? Ne vois-tu pas que nos consciences ont aussi affaire avec les hommes, à savoir avec ceux qui tiennent la place de Dieu dans l'administration du pouvoir ecclésiastique ou politique? Combien la proposition de Calvin diminue l'autorité des princes et des lois, chacun peut le voir, et les princes eux-mêmes peuvent le sentir et l'expérimenter [230], s'ils permettent à ces enseignements impies et séditieux de prendre racine dans leurs Etats..

  A023001496 

 Que les sujets ne doivent pas souhaiter la puissance de leurs Princes.

  A023001499 

 [O Rois, ô Princes, permettez-moi de crier, pour votre sécurité et celle de vos peuples: Que faites-vous? Qu'attendez-vous, [231] vous qui dans vos Etats favorisez, chérissez et recevez comme de grands prophètes de Dieu les auteurs et les sectateurs d'une doctrine aussi pernicieuse et pestilentielle? C'est vous seuls, en effet, que j'interpelle, en m'étonnant de votre conduite; non ceux qui, pour empêcher les guerres et les factions de tout troubler, font comme malgré eux acte de seule tolérance, même à l'égard de gens qu'ils haïssent.] Quand donc les royaumes et les peuples vivent-ils plus heureux que lorsque les princes gouvernent de très vastes provinces, pourvu qu'ils le fassent avec justice et équité? Quand donc la France a-t-elle été plus florissante que sous Charlemagne, roi et empereur très puissant? Quand donc les Israelites ont-ils été plus heureux que sous le règne du grand Salomon?.

  A023001505 

 Aussi la Sagesse éternelle dit-elle ceci: C'est par moi que les rois règnent, et que les législateurs décrètent ce qui est juste.

  A023001505 

 Il est inutile de discuter cette proposition d'après ce qu'en disent Aristote et les auteurs profanes; [je voudrais plutôt, si nous avions le loisir de le faire avec toute l'ampleur et l'abondance requises par la matière, traiter celle-ci comme elle le mériterait, d'après les raisons qui conviennent à un jurisconsulte, et que nous [233] fournirait facilement notre Jurisprudence.] Qu'il suffise de dire que jamais chez les chrétiens un état n'a été administré sans lois..

  A023001505 

 La sixième proposition est de Luther (nous parlons indifféremment de Luther et de Calvin, parce que nous ne croyons pas que leur enseignement soit fort dissemblable): «Aucun état n'est heureusement administré par des lois.» Et lorsque nos docteurs [232] catholiques eurent tiré cette proposition des assertions de Luther et la lui eurent opposée comme une très absurde erreur, lui, non seulement ne la nia pas, mais l'affirma expressément et en donna la raison par ces paroles: «C'est là un fait d'expérience.» Quelle expérience, ô Luther? As-tu connu, peut-être, de tes yeux, par ouï dire, ou par tes lectures, un état monarchique, aristocratique ou démocratique, qui ne soit régi et dirigé par des lois? Es-tu par hasard meilleur politique et plus prudent que le Dieu très bon et très grand, ou mieux exercé dans l'art d'administrer heureusement un état? Or, à son peuple d'Israël, Dieu a proposé et ordonné des lois à observer, non seulement morales et cérémonielles, mais aussi politiques et judiciaires.

  A023001511 

 Par ces paroles il est hors de doute, comme tous les [234] Anciens l'ont observé, que tous les rois sont invités au culte du Christ..

  A023001512 

 Est-ce que jamais la République chrétienne a été plus heureusement administrée que sous Constantin, Théodose l'ancien, Honorius, Théodose le jeune, Justinien, Charlemagne, Louis, nos Amédée [de Savoie.] tous empereurs, rois et princes très pieux? C'est pourquoi, comme il convenait à un si grand Prophète de Dieu, Isaïe a dit, en parlant du Christ et de l'Eglise: La nation et le royaume qui ne te servira pas, périra.

  A023001512 

 Et si le Christ po rte écrit sur sa cuisse: Roi des rois et Seigneur des seigneurs, ce n'est pas pour autre chose que pour apprendre aux rois qu'ils ne peuvent régner d'une manière plus heureuse et meilleure qu'en étant fidèles au Christ, à l'Evangile et à la piété, car le Christ est la Sagesse qui dit dans les Proverbes: C'est par moi que règnent les rois.

  A023001517 

 Il avertit, en effet, au [236] texte cité, que tous les tyrans et princes sont de puissants chasseurs, poursuivant, non les bêtes, mais les hommes, et il ajoute: «Plus tard ce fut le titre général de tous les tyrans et princes.».

  A023001517 

 Il n'a pas honte, en effet, de qualifier tous les rois et les princes de «puissants chasseurs,» comme parle l'Ecriture au sujet de Nemrod: C'est faire trop d'honneur et donner trop de gloire, dit-il, «à la Papauté, que de dire qu'elle est la grande chasse de l'Evêque Romain»; «et cet exemple de Nemrod convient aussi à toutes les puissances séculières, auxquelles cependant Dieu veut que nous soyons soumis, en les honorant, les bénissant et priant pour elles.» Or saint Jérôme explique ainsi quel a été Nemrod et ce qui lui a valu le nom de «puissant chasseur»: c'est parce que, le premier, il s'empara d'un pouvoir tyrannique sur le peuple.

  A023001517 

 Mais quelqu'un dira peut-être que Luther n'a pas eu cette pensée en disant que tous les princes sont semblables à Nemrod.

  A023001518 

 Si quelque part sur terre il y a un prince assez luthérien pour vouloir avouer devant toi, ô Luther, qu'il en est ainsi, tu es un digne conseiller pour un si indigne prince, puisque tu veux que les princes, imitateurs de Nemrod, s'appliquent à favoriser, non le Christianisme, mais l'athéïsme.

  A023001519 

 Aujourd'hui, en effet, presque personne dans le monde ne se fait hérétique; seuls à le devenir sont ceux qui naissent parmi les hérétiques [237] et d'hérétiques, et qui n'ont jamais entendu parler de notre religion catholique, sinon par des calomniateurs; ou encore, ceux qui désirent plutôt abandonner l'état monastique ou sacerdotal que la religion elle-même, pour chercher parmi les hérétiques l'impunité des crimes qui les ont rendus infâmes parmi nous; ou bien pour obtenir une plus large commodité de se livrer à la luxure et à la débauche, commodité qu'ils «appellent liberté de conscience; ou enfin, ceux qui sont empêchés de revenir à nous pour des motifs d'utilité ou même de fausse honte, plutôt que pour des raisons tirées de la science ou de la conscience.

  A023001520 

 J'ai de la peine vraiment, et une peine si profonde que je pleure presque en écrivant, de ce que tant d'hommes, nourris dès l'enfance de toutes ces sornettes, y persistent avec tant d'obstination; hommes, du reste, de grande valeur et remarquables par leur doctrine et leur esprit; bien mieux, plusieurs parmi eux (ce qui me chagrine davantage) sont à la fois des jurisconsultes et de grands amis à moi, que, en dehors de la question de religion, je vénère et [238] vénérerai toujours profondément.

  A023001521 

 Autrement, c'était le mahométisme et le Coran, et non pas l'Eglise Romaine, qu'il fallait réformer, si vous ne cherchiez que la multitude des abus et la réforme d'une fausse Eglise.

  A023001521 

 Combien n'avez-vous pas d'exemples de ceux qui avaient été des vôtres, et parmi les plus illustres, et qui, après être retournés à l'Eglise de Dieu, se sentaient seulement couverts de confusion d'avoir fait trop tard ce qu'ils auraient dû faire plus tôt! Vous ne niez pas que cette Eglise, dont vous vous dites les réformateurs, est à la fois la nôtre et l'Eglise Romaine; vous avouez donc que c'est la vraie.

  A023001521 

 Je vous prie instamment, par les entrailles de la miséricorde du Christ, hommes illustres, vous tous en quelque lieu que vous soyez, vous surtout qui m'aimez, d'examiner enfin une affaire de si grande importance avec sérieux et tranquillité, comme il convient, et dans un esprit d'humilité, non de superbe, comme cela s'est pratiqué jusqu'ici.

  A023001521 

 Qui croira jamais que vous avez été d'assez grands jurisconsultes pour pénétrer tous les textes les plus obscurs et les plus cachés de Papinien, et que cependant vous, même avertis et éclairés par tant de livres de nos théologiens, vous n'avez pas su percer à jour leurs inepties si sottes et puériles, si éloignées du sens commun? Revenez, je vous en prie, à l'Eglise de Dieu qui vous a reçus avec bonté à votre naissance dans le bain de la régénération, et qui, pour vous recevoir de nouveau, toute vénérable par ses soupirs et ses larmes, va au-devant de votre conversion.

  A023001521 

 Si donc vous en créez une nouvelle, confessez qu'elle est fausse; si vous conservez la nôtre, c'est donc de la nôtre que Paul a dit qu'elle est la colonne de vérité, en union avec laquelle, par conséquent, vous ne pouvez pas plus errer que demeurer dans la vérité en vous en éloignant.

  A023001521 

 Si notre Eglise est la vraie, pourquoi en cherchez-vous une autre? pourquoi en créez-vous une nouvelle? Les abus, que vous étiez convaincus faussement d'y reconnaître si nombreux, ils devaient être corrigés dans la mesure où ils existaient, non par vous, mais par le Pasteur et le Recteur de l'Eglise.

  A023001522 

 Pour finir, je vous demande, dans la charité de Dieu et avec le respect que je professe pour vous, que si vous estimez que j'aie dit quelque chose de trop acerbe contre les hérésies ou les hérésiarques, vous croyiez que ce n'est pas pour vous offenser comme des adversaires que je l'ai dit et écrit, mais pour vous faire sortir, comme des amis, de votre sommeil léthargique.

  A023001552 

 Remarquable exemple des vœux de dévotion que l'on fait pour honorer la mémoire et les monuments des Martyrs: II Rois, chap. XV..

  A023001574 

 Eviter les termes de séparation et division, parce que c'est un tout en parties distinctes.

  A023001582 

 Quand il est dit que «Jesus Christ, vray Dieu et vray homme,» y est, il est par consequent dit que le vray cors de Jesuschrist y est; car un vray homme ne peut estre sans un vray cors..

  A023001583 

 Et affin de tellement declairer la presence de ce cors sacré au tressaint Sacrement que nul ne puisse plus douter comme les Catholiques la croyent, je dis et asseure: que le vray cors reel, substantiel, naturel de Jesus Christ, c'est a dire le mesme cors qui fut formé au ventre de la Vierge et de son tres pur sang, le mesme cors qui fut attaché en la croix et mis dans le sepulchre, le mesme cors qui fut resuscité, qui fut touché par saint Thomas, qui fut eslevé au Ciel et qui y est maintenant, lequel saint Estienne vid, ce mesme cors, dis-je, est vrayement, reellement et substantiellement present en ce divin Sacrement de l'Eucharistie..

  A023001584 

 La sacree parole de Jesus Christ nous en asseure en saint Jean, 6; en saint Mathieu, 26; en saint Marc, 14; en saint Luc, 22; en la I. aux Corinth. XI, ou les paroles sont claires plus que le soleil du mydi, pour cette verité..

  A023001585 

 Mays par ce qu'un cors, cors vrayement naturel, peut estre en quelqu'endroit ou naturellement ou surnaturellement, je dis que le sacré cors naturel, reel et substantiel de Nostre Seigneur Jesuschrist est au divin Sacrement non point naturellement, mais surnaturellement, par la toute puissance de Dieu.

  A023001594 

 Et quoy que cela ne soit qu'une simple faute de [247] memoire, si est il marri qu'il luy soit arrivé, craignant que les espritz foibles n'en soyent troublés; ne pouvant croire, toutefois, que monsieur du Moulin se vante de rien pour ce rencontre fait sans ordre ni reglement.

  A023001594 

 Puysque, quant au fons de la question, qui estoit a sçavoir mon, si Nostre Seigneur avoit ordonné aux Apostres de sacrifier en l'Eucharistie, il advoüa en fin qu'ouy, et que l'Eucharistie estoit un sacrifice representant celuy de la Croix: qui estoit tout ce qu'on pouvoit pretendre sur ce point.

  A023001605 

 J'estimoys, suyvant celle quil vous avoyt pleu m'escripre, que monsieur Sarrazin seroyt venu pour y satisfere entierement; mais je voys bien que l'on luy a baillé sa leçon par escript, a fin de fere prendre long traict a ceste dispute et l'eviter entierement, sil est possible.

  A023001605 

 Ne venant donc point a ceste conference, ce sera donner a entendre que l'on n'a dequoy maintenir ceste doctrine..

  A023001605 

 Or, cecy n'est pas un affaire d'Estat ou il y aille aulcun hasard de perdre aulcune place; mais il est question de maintenir par dispute, publiquement, la doctrine de laquelle on faict profession, afin de desabuser ceux qui nous tiennent pour heretiques et de raffermir les infirmes en la foy et qui s'esbranlent par la veue d'une doctrine contraire; car les escripts de nos docteurs ne peuvent estre leus ni entendus du peuple, qui veut estre esclaircy par une conference faicte par vive voix, joint que tels escripts n'ont point de replicque.

  A023001605 

 Que si l'on se veut excuser sur Messieurs de Berne, c'est aultant a dire que nous ny voulons pas entendre, d'aultant qu'eux aussi ne veulent pas entrer en jeu; mais ils ny ont pas si grand interest que vous, car ils n'ont envoyé personne et n'en ont faict aulcun semblant.

  A023001606 

 Cependant, je loue Dieu qui a encores enflammé le cueur de ces [251] bons Seigneurs pour la tüition de ceste querelle, laquelle je vois qu'ils embrassent a bon escient, n'ayants aultre veue que la gloyre de Dieu et le salut de leurs prochains: que sont tesmoignages d'une vraye charité, sans laquelle nous ne pouvons estre Chrestiens.

  A023001606 

 Mais d'aultre costé, je m'esbahis de messieurs vos Ministres qui semblent ne vouloir incliner a ce party, soubs pretexte de certaines considerations humaines: comme s'il estoyt question de fere un gros d'armee pour assaillir ou defendre quelque place! Que pleut a Dieu l'on n'eusse pas esté si prompts a eschauffer les cueurs des Princes pour s'entreliguer a la guerre! nous ne serions pas a ceste heure en peyne de ceste dispute, jouïssantz auparavant de libre exercice de nostre religion aultant paisiblement que point de nos voysins.

  A023001606 

 Mais puis que Dieu veut ainsi exercer nostre foy, et mesmes nous chastier du mespris de sa parolle, c'est a nous d'aller au devant de son ire, comme de Celuy duquel depend nostre victoyre et la delivrance de ces tentations si vives, que sans luy et sans son assistance nous n'en pouvons eschapper, nostre naturel resistant tous-jours au Sainct Esprit, a la façon dé nos peres qui ont mangé les aigretz et nous en avons les dentz agacez.

  A023001606 

 Tant y a que nous avons esperance que Dieu benira le louable dessein de vos magnifiques Seigneurs en cest affaire, comme je l'en prie de tout mon cueur, et pour leur prosperité, et de la vostre en particulier, demeurant,.

  A023001614 

 Je me crains que pour plusieurs le remede ne soyt arrivé trop tard.

  A023001614 

 Toutesfois, pour l'esperance du residu qui demeure encor sus pieds [252] par la grace, je vous supplies au nom de Nostre Seigneur, que l'on ne recule plus ceste conference; aultrement tout est perdu..

  A023001614 

 Vous sçavez comme prevoyant le danger j'ay crié: A l'ayde! misericorde! nous perissons! Mais quand l'on nous a veu en danger et que l'on nous pouvoyt secourir sans danger, l'on s'est arresté sur des considerations humaines; et cependant les orages ont mis en piece nostre fresle vaisseau.

  A023001629 

 Jay communiqué la vostre a ceux que jay peu de nostre Eglise, lesquels, au lieu d'en estre consolés, en ont comme receu un desespoir, puis qu'ils croyent vostre derniere resolution estre de ne vouloir entrer en dispute par vive voix: ce qui estoyt tres necessaire pour raffermir les infirmes, lesquels entrent en doute de la doctrine laquelle vous presches publiquement, et cependant ne la voules soustenir que par escript; forme de disputer qui ne prendra jamais fin, et n'en pourra on jamais tirer aulcune resolution, car il ny a là que pour les gens sçavants et de loysir qui peuvent lire et comprendre vos escripts..

  A023001630 

 Vous avez veu comme l'orage et la tourmente ont rüiné nos eglises, sans que les nautonniers se soyent opposés.

  A023001631 

 Ceux qui sont en possession, sont mieux fondés que ceux de dehors; si vous ne monstres aultre zele a la defense de vostre cause, vous la perdres tout quicte.

  A023001631 

 [253] Vous ne pourres point accuser ceux qui se departiront de vostre doctrine, puis qu'au besoing vous ne les voules secourir lors quils vous declairent qu'ils n'ont plus que tenir..

  A023001632 

 Nous sommes arrivés au temps de la desolation, et semble que Dieu, par un juste jugement, ayt bandé les yeux aux plus entendus et frappe les voyans d'aveuglement.

  A023001647 

 Ce subit changement semblera bien estrange; mais que voules vous qu'un pauvre peuple fasse, qui est delaissé a l'abandon, destitué de pasteurs et de pasture?.

  A023001651 

 Ceste union doibt estre recerchee plus soigneusement que nous ne faisons pas quand, au heu de nous approucher pour entrer en conference, nous reculions.

  A023001651 

 Les determinations des anciens Conciles n'ont pas esté prinses entre des absents, mais entre des presens, apres que les doubtes ont esté debattues d'une part et d'aultre.

  A023001651 

 Quant a moy, je pense que tous fidelles qui sont membres d'un mesme corps se doibvent unir par charité; car, comme dit S. Augustin: Non est particeps divines charitatis qui hostis est unitatis.

  A023001651 

 Si ce chemin a esté licite, voyre choysible aultrefoys, pourquoy ne le sera il encores aujourdhuy? sinon que par nostre opiniastreté nous veulions donner lieu a nos passions plustost qu'a la raison..

  A023001652 

 Je croy fermement qu'il ny a difficulté de religion qui ne se puisse resouldre entre gens charitables et vuydes de toutes preoccupations, ains seulement desireux de recercher la verité pour la gloyre de Dieu et le salut de son Eglise; car la promesse est infallible, que Jesus Christ a faicte aux siens, quil seroyt avec eux jusqu'à la consommation du monde.

  A023001652 

 [254] Le principal lien, c'est la charité: que donc elle nous eschauffe, afin que non point par vaines disputes et ergoteries, mais par le fil de la verité nous puissions amortir le feu de la dissention qui embrase tout le monde, afin que la charité de Nostre Seigneur nous unisse tous par une vraye et vive foy ensemble pour le glorifier eternellement..

  A023001653 

 Mais, comme j'escrivois dernierement a Mons r Goulard, il est necessaire, pour sauver le navire et ceux qui sont dedans, que les nautonniers demeurent aussi dedans, a peyne de naufrage.

  A023001653 

 Messieurs, si je parle si franchement a ceux a qui je doibs tout honneur et respect; mais le zele de lhonneur de Dieu et la ruïne de nos eglises me contrainct a vous dire ce que vous entendes mieux que moy, mais vous n'en sentes pas peut estre les aigullions qui alterent nos ames.

  A023001653 

 Tant y [a] que Dieu ne delairra point son Eglise.

  A023001690 

 Nous intimons aussi la residence a tous ceux qui ont des benefices qui, de droit ou par coustume, la requierent; a ce que, dans deux moys precisement des la publication des presentes, ilz ayent a se rendre en leur devoir pour exercer personnellement leurs charges et offices, ou dire cause pour laquelle ilz pourroyent pretendre n'y estre obligés; a faute dequoy il sera procedé contre eux, selon la rigueur des loix et canons..

  A023001695 

 Desirant que les ordonnances faittes au dernier Sinode (qui a esté le premier celebré sous Nostre charge) soyent soigneusement observees, Nous les avons fait imprimer, affin que la communication en estant plus aysee, vous ne pretendies cause d'ignorance, mays que, les ayans devant vos yeux, vous les prattiquies selon leur teneur qui s'ensuit..

  A023001696 

 I. Nous avons intimé et de rechef publié les Canons des anciens Conciles qui defendent aux personnes ecclesiastiques de tenir en leurs maysons et logis aucunes femmes desquelles la demeure et sejour avec eux puisse justement estre suspect; et, en tant que de besoin, avons fait de nouveau ladite prohibition, sur peyne de rigoureuse punition..

  A023001698 

 III. Sur le differend qui pourroit naistre entre les curés pour les aumosnes, aux sepultures des fidelles qui meurent en une parroisse et sont enterrés en l'autre, il a esté ordonné que les luminaires seront partagés esgalement entre les-ditz curés, qui aussi, de part et d'autre, feront prieres et Sacrifices pour le deffunct.

  A023001702 

 VII. Tous les curés fourniront ou procureront pour leurs eglises des tabernacles, avec des ciboires propres pour reposer le tressaint Sacrement sur l'autel; changeront tous les premiers Dimanches du moys les Communions qui sont reservees pour les malades, et ne garderont le Saint Sacrement qui aura esté exposé en la Feste Dieu que jusques au jour suyvant immediatement l'octave, auquel ilz le consumeront..

  A023001705 

 Les tavernes et cabaretz sont interditz a tous ecclesiastiques es lieux de leur residence, sans aucune exception de quel pretexte que ce soit, mesme des appointemens et par tout ailleurs, sinon en cas d'evidente necessité, auquel ilz s'y comporteront en toute modestie et sobrieté..

  A023001708 

 XIII. Nul ecclesiastique ne demandera, sous aucun pretexte quel qu'il soit, tant pieux et devot puisse il paroistre, aucun argent pour l'exhibition de la tressainte Communion, ni directement ni indirectement en quelque sorte que ce soit, sous peyne d'estre chastié exemplairement..

  A023001710 

 XV. Les curés ne permettront cy apres aux dames et autres femmes de dresser leurs bancs dans les chœurs des eglises, et procureront de faire oster ceux qui par abus y auroyent esté mis; comme aussi que les chassis ou vitres de leurs eglises soyent entiers et fermés, notamment ceux qui respondent aux autelz, pendant qu'on y celebre la sainte Messe..

  A023001714 

 XIX. Les curés feront publier au Prosne par troys divers Dimanches que les recteurs ou fondateurs des chappelles qui sont en leurs parroisses, ayent dans un moys apres la derniere publication, a comparoistre par devant nostre Vicaire general pour l'instruire du service et moyen d'entretenir lesdites chappelles; a faute dequoy elles seront rasees, et le revenu qui se trouvera, appliqué au maistre autel de la parroisse ou a quelqu'autre, selon qu'il sera plus convenable..

  A023001715 

 Les curés tiendront main a ce que les chappeliers rendent leur devoir, et les recevront aussi charitablement, leur communiquant les choses necessaires a la celebration des Messes, qu'ilz leur permettront de sonner a heure et en maniere competente..

  A023001718 

 XXIII. Toute autre façon de Prosne que celle qui a esté publiee par feu Monseigneur nostre predecesseur (que Dieu absolve) est entierement prohibee..

  A023001719 

 XXIV. Comme aussi toute autre sorte de forme d'absolution que celle qui s'ensuit:.

  A023001740 

 Il n'y aura que deux classes, l'une pour les petitz enfans et l'autre pour les plus avancés..

  A023001749 

 On convoquera le peuple par le signe de la cloche, devant Vespres, de si bonne heure, que le Cathechisme puisse avoir deux heures, sur tout en tems d'esté..

  A023001751 

 Le Prieur deputera quelques autres freres au secours du Portier, qui feront le mesme; et ce Prieur et les autres [276] officiers tascheront de se trouver de bonne heure a l'eschole, et auront soin que les enfans soyent enseignés et observent le silence..

  A023001752 

 On enseignera autant de tems que le Prieur trouvera estre a propos, lequel prendra garde qu'un chacun fasse bien sa charge; et s'il n'est empesché de son office, assignera ceux qui devront disputer et respondre, choysissant tous-jours les mieux instruitz et plus capables..

  A023001753 

 Le Sousprieur et Admoniteur prendront pareillement garde qu'il ne se fasse point de bruit, autrement ilz en feront signe tacitement au Silencier; c'est pourquoy ceux cy demeureront en divers endroitz de l'eschole, sinon que le Prieur conferast avec eux ce pendant que les autres enseignent..

  A023001754 

 Apres que quelque tems aura ainsy esté employé, de sorte que les maistres ayent eu une entiere liberté d'enseigner (qui, pour l'ordinayre, auront quatre ou six enfans), le Prieur baillera le signe avec la clochette et, s'agenouillant, en fera faire autant aux autres; apres quoy il recitera l'orayson accoustumee d'estre faitte devant la dispute, et, ayant pris avec ses enfans la benediction du prestre (s'il y en a quelqu'un), il les fera monter en lieu eminent d'où ilz puissent estre veuz, les uns d'un costé et les autres de l'autre.

  A023001754 

 Et prenant occasion de ce qui aura esté recité, il fera un brief discours et abbregé, affin que tous puissent mieux imprimer ceste doctrine en leurs espritz; et s'il ne peut pas le faire, il en priera quelqu'un des maistres ou officiers..

  A023001754 

 Toutefois, qu'il prenne garde que la dispute se fasse des choses qui auront esté dittes; et pour ce, tous les enfans d'un mesme ordre et classe seront assis en un mesme lieu, affin que, sans perdre tems, il puisse demander a un chacun selon ce qui escherra.

  A023001755 

 Quoy estant fait, on lira les petites Constitutions des [277] bonnes mœurs, que tous entendent; et en apres on fera l'orayson, selon qu'il aura esté ordonné..

  A023001764 

 L'office que vous exerces est excellent, puisque vous estes establis de la part de Dieu pour juger les ames avec tant d'authorité, que les sentences que vous prononces droittement en terre sont ratifiees au Ciel.

  A023001766 

 A ceste cause, ayant, il y a quelque tems, fait un amas de plusieurs remarques que j'estime propres pour vous ayder en cest exercice, j'en ay extrait ce petit Memorial que je vous presente, estimant qu'il vous sera bien utile.

  A023001771 

 Ayes une grande netteté et pureté de conscience, puisque vous pretendes de nettoyer et purger celle des autres, affin que l'ancien proverbe ne vous serve de reproche: Medecin, gueris toy toy mesme; et le dire de l'Apostre: En ce que tu juges les autres, tu te condamnes toy mesme.

  A023001771 

 Si donq estant appellé pour confesser vous vous trouvies en peché mortel (ce que Dieu ne veuille), vous devez premierement aller a confesse et recevoir l'absolution; ou, si vous ne pouves avoir ce bien, faute de confesseur, vous deves exciter en vous la sainte contrition..

  A023001773 

 Ainsy, quoy que l'enfant prodigue revinst tout nud, crasseux et puant d'entre les pourceaux, son bon pere neanmoins l'embrasse, le bayse amoureusement et pleure dessus luy parce qu'il estoit son pere, et que le cœur des peres est tendre sur celuy des enfans..

  A023001773 

 Souvenes vous que les pauvres penitens au commencement de leurs confessions vous nomment Pere, et qu'en effect vous deves avoir un cœur paternel en leur endroict, les recevant avec un extreme amour, supportant patiemment leur rusticité, ignorance, imbecillité, tardiveté et autres imperfections; ne vous lassant jamais de les ayder et secourir tandis qu'il y a quelque esperance d'amendement en eux, suyvant le dire de saint Bernard: La charge des Pasteurs n'est pas des ames fortes, mays des foibles et debiles, car les fortes font asses d'elles mesmes, mays il faut porter les foibles.

  A023001774 

 Si donques, par exemple, vous le voyes travaillé de honte et de vergogne, donnes luy asseurance et confiance, luy remonstrant que vous n'estes pas ange, non plus que luy; que vous ne trouves pas estrange que les hommes pechent; que la confession et penitence rend infiniment plus honnorable l'homme que le peché ne l'avoit rendu blasmé; que Dieu premierement, ni les confesseurs n'estiment pas les hommes selon qu'ilz ont esté par le passé, mais selon ce qu'ilz sont a present; que les pechés, en la confession, sont ensevelis devant Dieu et le confesseur, en sorte que jamais ilz ne soyent rememorés..

  A023001775 

 Si vous le voyes effronté et sans apprehension, faittes luy bien entendre que c'est devant Dieu qu'il se vient prosterner; qu'en ceste action il s'agit de son salut eternel; qu'a l'heure de la mort il ne rendra conte d'aucune chose si estroittement que des confessions qu'il aura mal faittes; qu'en l'absolution on employe le pris et le merite de la Mort et Passion de Nostre Seigneur..

  A023001776 

 Si vous le voyes craintif, abbattu et en quelque desfiance d'obtenir le pardon de ses pechés, releves le en luy monstrant le grand playsir que Dieu prend en la penitence des grans pecheurs; que nostre misere estant plus grande, la misericorde de Dieu en est plus glorifiee; que Nostre Seigneur pria Dieu son Pere pour ceux qui le crucifioyent, pour nous faire connoistre que, quand nous l'aurions crucifié de nos propres mains, il nous pardonneroit fort librement; que Dieu fait tant d'estime de la penitence, que la moindre penitence du monde, pourveu qu'elle soit vraye, luy fait oublier toute sorte de peché, de façon que si les damnés et les diables mesmes la pouvoyent avoir, tous leurs pechés leur seroyent remis; que les plus grans Saintz ont esté grans pecheurs: saint Pierre, saint Matthieu, sainte Magdeleine, David, etc.; et en fin, que le plus grand tort qu'on peut faire a la bonté de Dieu et a la Mort et Passion de Jesus Christ, c'est de n'avoir pas confiance d'obtenir le pardon de nos iniquités, et que, par article de foy, nous sommes obligés de croire la remission des pechés, affin que nous ne doutions point de la recevoir lhors que nous [282] recourons au Sacrement que Nostre Seigneur a institué pour cest effect..

  A023001777 

 Si vous le voyes en perplexité pour ne sçavoir pas bien dire ses pechés, ou pour n'avoir sceu examiner sa conscience, promettes luy vostre assistance, et l'asseures que, moyennant l'ayde de Dieu, vous ne laisseres pas pour cela de luy faire faire une bonne et sainte confession..

  A023001779 

 S'ilz s'accusent d'eux mesmes, quelques parolles deshonnestes qu'ilz prononcent, ne faittes nullement le delicat ni aucun semblant de les trouver estranges, jusques a ce que toute la confession soit achevee; et lhors, doucement et amiablement, vous leur enseigneres une façon plus honneste de s'exprimer en ces matieres la..

  A023001781 

 Si vous voyes qu'ilz ayent de la difficulté de s'accuser eux mesmes de ces pechés honteux, vous commenceres a les interroger des choses les plus legeres, comme d'avoir pris playsir d'ouyr parler de choses deshonnestes, d'en avoir eu des pensees; et ainsy, petit a petit, descendant de l'un a l'autre, a sçavoir, de l'ouye aux pensees et des pensees aux desirs, aux volontés, aux actions, a mesure qu'ilz se descouvriront, vous les ires encourageant a tousjours passer plus avant, leur disant parfois telles ou semblables paroles: Que vous estes heureux de vous bien confesser! croyes que Dieu vous fait une grande grace; je connois que le Saint Esprit vous touche au cœur pour vous faire faire une bonne confession.

  A023001782 

 Quand vous rencontreres des personnes qui, pour des enormes pechés, comme sont les sorcelleries, accointances diaboliques, bestialités, massacres et autres telles abominations, sont excessivement espouvantees et travailles en leurs consciences, vous deves par tous moyens les relever et consoler, les asseurant de la grande misericorde de Dieu, qui est infiniment plus grande pour leur pardonner que tous les pechés du monde pour les damner, et leur promettes de leur assister en tout ce qu'ilz auront besoin de vous pour le salut de leurs ames..

  A023001787 

 Vous y seres donq en robbe et surplis, et l'estole au col et le bonnet en teste, assis en lieu apparent de l'eglise, avec une face amiable et grave, laquelle vous ne deves jamais changer par aucuns gestes ou signes exterieurs qui puissent tesmoigner de l'ennuy ni du chagrin, de peur de donner quelque occasion a ceux qui vous verront de soupçonner que le penitent vous die quelque chose de fascheux et execrable..

  A023001788 

 Vous feres que vostre penitent tourne son visage a costé du vostre, en sorte qu'il ne vous voye pas, ni ne vous parle pas droit dans l'oreille, ains a costé d'icelle.

  A023001794 

 Que s'il n'a pas ceste volonté, il faut s'arrester la et l'y disposer, si faire se peut; que s'il ne se peut faire, il le faut renvoyer, apres luy avoir fait entendre le dangereux et miserable estat auquel il est..

  A023001799 

 C'est un abus intolerable que les pecheurs ne s'accusent de nul peché d'eux mesmes, sinon entant qu'on les interroge.

  A023001800 

 Il ne suffit pas que le penitent accuse seulement le genre de ses pechés, comme seroit a dire, d'avoir esté homicide, luxurieux, larron; mais est requis qu'il nomme l'espece, comme par exemple: s'il a esté meurtrier de son pere ou de sa mere, car c'est une espece d'homicide different des autres et s'appelle parricide; s'il a tué dans l'eglise, car en cela il y a sacrilege; ou bien s'il a meurtry un ecclesiastique, car c'est un parricide spirituel et est excommunié.

  A023001801 

 Non seulement on doit s'enquerir de l'espece du peché, mais aussi du nombre d'iceux, affin que le penitent s'en [285] accuse, disant combien de fois il a commis tel peché, ou environ plus ou moins, au plus pres qu'il pourra selon sa souvenance, ou au moins disant combien de tems il a perseveré en son peché et s'il y est fort addonné; car il y a bien de la difference entre celuy qui n'aura blasphemé qu'une fois, et celuy qui aura blasphemé cent fois, ou qui en fait mestier..

  A023001802 

 Il est vray que celuy qui a confessé une action mauvaise n'a besoin de confesser les autres qui sont necessairement requises pour faire celle la: ainsy, celuy qui s'est accusé d'avoir violé une fille une seule fois, il n'est pas obligé de dire les baysers et attouchemens qu'il a faitz parmi cela et a ceste occasion; car cela s'entend asses sans qu'on le die, et l'accusation de telles choses est comprinse en la confession de l'action finale du peché..

  A023001805 

 J'ay dit, a son escient, d'autant que les mauvaises pensees qui nous arrivent contre nostre gré ou sans que nous y prenions entierement garde ne sont nullement peché, ou ne sont pas peché mortel..

  A023001806 

 Au contraire, il faut empescher le penitent de ne point nommer ni donner a connoistre ses complices au peché, tant que faire se pourra..

  A023001806 

 Outre tout cela, encor faut il que le penitent s'accuse des pechés d'autruy, a l'exemple de David; car si par mauvais exemple ou autrement il a provoqué quelqu'un a peché, il en est coulpable, et cela s'appelle proprement scandale.

  A023001814 

 Item, les faussaires, faux tesmoins, larrons, usuriers, usurpateurs et detenteurs des biens, tiltres, droitz et honneurs d'autruy, et de mesme les detenteurs des legatz pieux, aumosnes, primices, decimes, plaideurs iniques, calomniateurs, detracteurs, et generalement tous ceux qui tiennent tort au prochain ne peuvent estre absous s'ilz ne font reparation du tort et dommage en la meilleure façon que faire se pourra, ou au moins qu'ilz ne promettent de satisfaire par effect..

  A023001823 

 Apres donq que le confesseur a bien reconneu l'estat de la conscience du penitent, il doit disposer et ordonner ce qu'il voit estre necessaire pour le rendre capable de la grace de Dieu, tant en ce qui concerne la restitution des biens d'autruy et la reparation des tortz et injures qu'il a faittes, comme aussi en ce qui regarde l'amendement de sa vie et fuite ou esloignement des occasions de mal faire..

  A023001824 

 Et par ainsy, si c'est un larcin, il le faut faire rendre, ou chose equivalente, par quelque personne discrette qui ne nomme ni decele en aucune façon le restituant; si c'est une fause accusation ou imposture, il faut procurer dextrement que le penitent donne, sans en faire semblant, contraire impression a ceux devant lesquelz il avoit commis la faute, disant le contraire de ce qu'il avoit dit, sans faire semblant d'autre chose.

  A023001824 

 Et pour le regard des reparations et restitutions que l'on doit faire au prochain, il faut trouver moyen, s'il est possible, de les faire secrettement, sans que le penitent puisse estre diffamé.

  A023001824 

 Mays sur toute chose, il faut prendre garde que ceux desquelz on prend le conseil ne puissent en façon quelconque connoistre ou deviner le penitent, si ce n'est par son congé tres expres; encor ne le faut il faire avec son congé, si ce n'est par une grande necessité et qu'il en prie le confesseur hors et apres la confession.

  A023001830 

 J'ay dit griefvement, parce que, quand le coup est leger et le mal de peu d'importance [290], il peut estre absous par l'Evesque, sinon que le coup, quoy que leger de soy mesme, fust grandement scandaleux: comme par exemple, estant donné a un prestre faisant l'Office, ou en un lieu et compaignie de grand respect et considerable..

  A023001838 

 Les cas que Nous nous sommes reservés sont peu en nombre:.

  A023001845 

 C'est de consoler les penitens qui les auront commis et ne point les desesperer, ains les renvoyer doucement a ceux ausquelz Nous avons donné le pouvoir, que Nous avons mis en grand nombre en tous les endroitz du diocese; car encores qu'ilz ne puissent pas absoudre des cas reservés au Pape, si est ce neanmoins qu'ilz leur donneront tousjours addresse pour obtenir l'absolution..

  A023001851 

 Et neanmoins, il ne faut pas oublier de faire connoistre au penitent que, selon la gravité de ses pechés, il meriteroit une plus forte penitence, affin qu'il face ce qu'on luy enjoint plus humblement et devotement..

  A023001851 

 Le confesseur doit imposer la penitence avec des parolles douces et consolatoires, sur tout quand il voit le pecheur bien repentant, et luy doit tousjours demander s'il le fera pas volontier; car en cas qu'il le vid en peyne, il feroit mieux de luy en donner une autre plus aysee, estant beaucoup meilleur, pour l'ordinaire, de traitter les penitens avec amour et benignité (sans toutesfois les flatter dans leurs pechés) que non pas de les traitter asprement.

  A023001852 

 Car il arrive deux inconveniens de cest amas d'actions ou d'oraysons: l'un, que le penitent s'en oublie, et plus, demeure en scrupule; l'autre, c'est qu'il pense plus a ce qu'il a a dire ou a faire que non pas a ce qu'il dit ou qu'il fait, et ce pendant qu'il va cherchant en sa memoire ce qu'il doit faire, ou dedans ses Heures ce qu'il doit dire, la devotion se refroidit.

  A023001853 

 Et pour le regard des conseilz que le confesseur doit donner au penitent en general, voyci les plus utiles a toutes sortes de personnes: se confesser et communier tres souvent et de choysir un bon confesseur ordinaire; hanter les sermons et predications; avoir et lire des bons livres de devotion, comme entre autres ceux de Grenade; fuir les mauvaises compaignies et suivre les bonnes; prier Dieu bien souvent; faire l'examen de conscience le soir; penser a la mort, au jugement, au Paradis, a l'enfer; avoir et bayser souvent de saintes images, comme de Crucifix et autres..

  A023001858 

 Cela fait, avant que de donner la sainte absolution, vous demanderes au penitent s'il ne requiert pas humblement que ses pechés luy soyent remis, s'il n'attend pas ceste grace du merite de la Mort et Passion de Nostre Seigneur, s'il n'a pas volonté de vivre des-ormais en la crainte et obeissance de Dieu..

  A023001859 

 Apres cela, vous luy pouves faire sçavoir que la sentence de son absolution que vous prononceres en terre, sera advoüee et ratifiee au Ciel; que les Anges et les Saintz de Paradis se resjouiront de le voir revenu en la grace de Dieu; et que partant il vive des-ormais en sorte qu'a l'heure de la mort il puisse jouïr du fruict de ceste confession, et puisqu'il a lavé sa conscience au sang de l'Aigneau immaculé, JESUS CHRIST, il prenne garde de ne la plus souiller.

  A023001861 

 In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti.» On en doit dire de mesme quand il y a multitude de penitens et que le tems est court, car on peut prudemment abbreger l'absolution, ne disant sinon: Dominus noster Jesus Christus te absolvat, et ego authoritate ipsius absolvo te ab omnibus peccatis tuis, in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti.

  A023001862 

 Comme aussi quand il y a presse de penitens qui se confessent souvent, on peut les advertir qu'ilz dient le Confiteor a part eux, avant que de se presenter au confesseur, affin qu'immediatement estans arrivés devant luy et fait le signe de la Croix, ilz commencent a s'accuser; car ainsy il ne se fait nulle obmission et l'on gaigne beaucoup de tems..

  A023001864 

 Voyla, mes chers Freres, 25 articles que j'ay jugés dignes de vous estre proposés, pendant que, distrait a plusieurs autres occupations, je n'ay sceu ni les mieux ageancer, ni mettre en escrit le reste.

  A023001866 

 Dieu ne veut pas cela; il se plaint que nos humeurs trop severes rendent ses autelz desertz et ses sacrifices sans victimes: Parce que vous commandes, dit nostre Seigneur parlant a nous autres prestres, dans un pouvoir si absolu, mes pauvres brebis s'en sont fuyes de crainte..

  A023001866 

 Prenes garde sur tout de ne pas user de parolles trop rudes a l'endroit des penitens; car nous sommes quelques-fois si austeres en nos corrections que nous nous monstrons en effect plus blasmables que ceux que nous reprenons ne sont coulpables.

  A023001867 

 Cependant, c'est ce que la pluspart des peres spirituelz ne sçavent point faire, et je m'en estonne, car la pierre de touche [297] d'un parfait confesseur c'est qu'il soit pitoyable au vice d'autruy et implacable au sien propre.

  A023001867 

 La veritable pieté, dit saint Hierosme, a tousjours de la compassion, et la fause n'a que de la barbarie..

  A023001868 

 En la Loy de grace il n'y a que douceur.

  A023001868 

 Je n'entens pas cette compassion qui pose un oreiller au vice et un carreau pour mettre le peché a son ayse; non, j'entens seulement que nous nous accommodions a la portee de chascun, donnant quelque chose, non pas a la malice, mais a l'infirmité.

  A023001868 

 La cholere de Nostre Seigneur est semblable aux pluyes de l'esté qui ne font que toucher la terre.

  A023001876 

 ( Pour les Ordonnances faites aux Synodes de 1604, 1606-1612, 1614-1616, nous n'avons que les sommaires insérés par le greffier épiscopal dans les Registres de l'ancien Evêché de Genève.

  A023001882 

 Premieremént, si elles se portent plus au sens le moins receu de l'Escriture qu'a celuy qui, pour estre le plus commun, est le moins dangereux, parée que l'Escriture Sainte est la regle des conduittes de Dieu sur les ames..

  A023001884 

 Le parfait, qui est un oyseau plus rare en ce siecle que le phœnix en l'Arabie, non seulement attend les affrontz, les persecutions et les calomnies, mais mesme va au devant sans temerité, et y court comme au festin des noces, jugeant encor qu'il est indigne d'avoir des livrees qui le font prendre pour un serviteur de la mayson de Dieu..

  A023001885 

 C'est aussi le signe d'un esprit trompé du diable en ses devotions ou en sa conduitte, lhors que, sous certain zele, il fait l'exact juge de tout, et veut tout chastier, sans user de pitié et sans aucune clemence..

  A023001886 

 Mais prenes garde a la ruse de nostre ennemy: avant que de les avoir portés au peché, il leur represente Dieu sans mains et sans foudre; et quand il les a renversés par terre, il le fait venir en leur imagination environné d'esclairs et de flammes, et tout couvert de feu pour les reduire en cendre..

  A023001886 

 Ne pas quitter l'exercice des vertus pour les difficultés qui s'y rencontrent, est encor le signe d'une ame dont le sacrifice est aggreable a Dieu; parce que cette Bonté infinie ne presente point d'espees flamboyantes pour empescher l'entree de son Paradis a ceux qui le cherchent purement, et bien qu'il permette que ses esleuz soyent dans les rigueurs, dans les souffrances et dans les croix, il les remplit de tant de grace, de force et de douceur, qu'ils s'estiment tres heureux et advantagés de patir pour l'amour de luy.

  A023001887 

 Examines encor si ces personnes se perdent en leur propre estime en relevant leurs graces et leurs propres dons, [300] et lesquelz au contraire traittent avec mespris ou tiennent pour suspectes les faveurs que Dieu depart aux autres; car la marque la plus asseuree de la sainteté c'est quand elle est fondee sur une vraye et profonde humilité et une ardente charité.

  A023001887 

 Les operations surnaturelles, dit saint Bernard, se peuvent aussi bien faire par les personnes hypocrites que par les Saintz; les humbles de cœur en font reconnoistre la solidité et la verité..

  A023001888 

 Par exemple, quand elles disent: Je suis asseuree de ce que Dieu veut de moy; il vous advertit par ma bouche de ce qui est necessaire a vostre salut et a vostre conduitte, faites cela par mon advis, j'en respons devant Dieu; et semblables paroles qui marquent un grand esclarcissement des choses interieures et une conversation dans les Cieux: juges avec discretion si leurs actions sont conformes a ces hautes lumieres..

  A023001889 

 Voyes aussi si le rapport que l'on fait a ces personnes de l'infirmité d'autruy leur donne plus de mouvement d'indignation et d'horreur que de compassion et de pitié de leur misere; parce que c'est un faux zele de s'escrier contre le vice de son frere, d'en descouvrir les defautz sans necessité et contre la charité.

  A023001890 

 De plus, examines si, lhors qu'on parle de Dieu, ces personnes s'esgarent en des termes affectés, voulant faire voir que leur feu ne peut demeurer sous la cendre et que, par ceste estincelle, on pourra descouvrir les brasiers qui sont en leur interieur..

  A023001891 

 Au contraire, l'esprit de superbe donne de l'asseurance, et rend ceux qu'il veut tromper fiers, opiniastres et fort resoluz, et leur fait tellement aymer leur mal, qu'ilz ne craignent rien a l'esgal de leur guerison, leur persuadant que ceux qui leur parlent portent plus d'envie a leur bonheur que d'affection a leur salut.

  A023001891 

 Si vous voules probablement juger si ces ames ont de vrays sentimens de Dieu et si les graces qu'elles disent recevoir de sa Bonté sont veritables, voyes si elles ne sont point attachees a leur propre jugement et a leur propre volonté, et a ces mesmes faveurs; mais au contraire, si elles [301] leur donnent du soupçon et les laissent irresolues jusques a tant que, par l'advis de leurs directeurs et de plusieurs personnes pieuses, doctes et experimentees, elles soyent confirmees en la creance de ce qu'elles doivent estimer de tout cela: car le Saint Esprit cherit sur toutes choses les ames humbles et obeyssantes; il se plaist merveilleusement a la condescendance et a la sousmission, comme estant Prince de paix et de concorde.

  A023001893 

 Saint Jean Chrisostome dit qu'a la verité Dieu fit entendre aux Hebreux ses commandemens avec de grans effroys et plusieurs bruitz de tonnerres, mays il le failloit pour espouvanter des gens qui ne se fussent pas rendus a composition que par crainte; et que, d'autre part, nostre Seigneur vint doucement a ses Apostres, qui estoyent plus dociles et moins ignorans des misteres divins.

  A023001899 

 Je vous puis dire avec verité qu'il n'y a pas grande difference entre l'ignorance et la malice; quoy que l'ignorance soit plus a craindre, si vous consideres qu'elle n'offence pas seulement soy mesme, mais passe jusques au mespris de l'estat ecclesiastique..

  A023001900 

 Aussi voyons nous des-ja qu'on cesse d'oppresser leur innocence a mesure que deschet la secte [304] des calvinistes; ainsy se va diminuant la hayne populaire que les heresiarques avoyent jetté dans l'esprit du vulgaire contre eux.

  A023001900 

 C'est par la que nostre miserable Geneve nous a surpris, lhors que, s'appercevant de nostre oysiveté, que nous n'estions pas sur nos gardes et que nous nous contentions de dire simplement nostre Breviaire, sans penser de nous rendre plus sçavans, ilz tromperent la simplicité de nos peres et de ceux qui nous ont precedés, leur faisant croire que jusqu'alhors on n'avoit rien entendu a l'Escriture Sainte: ainsy, tandis que nous dormions, l'homme ennemy sema l'ivraye dans le champ de l'Eglise, et fit glisser l'erreur qui nous a divisés et mis le feu par toute ceste contree; feu duquel vous et moy eussions esté consumés avec beaucoup d'autres, si la bonté de nostre Dieu n'eust misericordieusement suscité ces puissans espritz, je veux dire les Reverens Peres Jesuites, qui s'opposerent aux heretiques et nous font en nostre siecle glorieusement chanter: Misericordiae Domini quia non sumus consumpti.

  A023001900 

 Ces grans hommes, en la seule vertu de Celuy duquel ilz portent le nom, commencerent fortement a diviser ce parti, a l'heure mesme que Calvin pensa separer la realité dedans le Testament que Dieu nous a laissé.

  A023001900 

 Pour cela, mes tres chers Freres, je vous conjure de vaquer serieusement a l'estude, car la science, a un prestre, c'est le huitiesme Sacrement de la hierarchie de l'Eglise, [303] et son plus grand malheur est arrivé de ce que l'Arche s'est trouvee en d'autres mains que celles des Levites.

  A023001900 

 Pour cela, pressés des heretiques, mays plus sensiblement oppressés de ceux qui ne sont nos freres qu'en apparence, ilz souffrirent et souffrent encor des persecutions qui sont toutes venues de Geneve; mays leur courage infatigable, leur zele sans apprehension, leur charité, leur profonde doctrine et l'exemple de leur sainte et religieuse vie, les a, par revelation de leur saint Fondateur, asseurés que ces violences dureroyent un siecle, apres lequel ilz seroyent triomphans de l'erreur et des heretiques.

  A023001908 

 La negligence que la pluspart des ecclesiastiques sousmis a Nostre charge a monstré a l'observation de nos premieres Ordonnances, et la necessité que Nous avons conneu estre au commencement de Nostre Visite generale, affin [305] d'obvier aux contentions et disputes qui pourroyent arriver entre les curés et les parroissiens, Nous ont poussé a faire ces Constitutions..

  A023001909 

 Premierement, Nous avons ordonné que les Constitutions par Nous faittes au Sinode du second octobre l'an mil six cens et trois seront derechef publiees, mesme en ce qui est des tavernes et cabaretz, sous quelque pretexte que ce soit, pour estre observees avec les presentes..

  A023001910 

 Et affin que les possesseurs de ces benefices ne pretendent cause d'ignorance, il est enjoint a leurs vicayres de les en advertir et leur notifier la presente Ordonnance, de bouche ou par escrit, et de rapporter dans le moys a nostre Vicayre general un acte par lequel il apparoisse de leur diligence; a peyne, contre chaque defaillant, de cinquante livres..

  A023001910 

 Que tous possedans des benefices ayant charge d'ames, ayent a resider en personne dans six semaines, a peyne d'excommunication, s'ilz ne sont deuement dispensés; dequoy ilz seront tenus de faire apparoir par devant Nous ou par devant nostre Vicayre general dans le mesme tems.

  A023001913 

 Que s'il s'en treuvoit quelques uns qui ne voulussent pas se communier de la main de leurs curés, ilz seront tenus de les en advertir et de leur demander licence d'aller ailleurs, laquelle leur sera donnee par le curé sans s'informer autrement de l'occasion; et les mesmes parroissiens rapporteront attestation, dans huit jours apres Pasques, du prestre qui les aura communiés, a peyne d'estre tenus pour heretiques..

  A023001916 

 Et advenant que l'on ne face pas dire les Messes le lendemain, ilz ne seront nullement tenus de representer le luminaire..

  A023001916 

 Sur les plaintes qui Nous ont esté faittes que plusieurs curés retiennent le luminaire que l'on porte aux funerailles et obseques le jour de l'enterrement, sans en vouloir fournir pour les Messes qui se disent le lendemain, mays en demandent d'autre, Nous avons ordonné que les curés seront tenus de representer le luminaire le lendemain et pendant les troys jours que l'on a accoustumé de faire prier pour les deffunctz, si tant est que ce luminaire puisse suffire; passé lesquelz troys jours, ce qui restera appartiendra aux curés.

  A023001917 

 Parce qu'en plusieurs eglises de Nostre diocese les curés sont priés de fournir le luminaire des sepultures et, quand il vient au payement, sont contrainctz bien souvent d'en tomber en proces avec leurs parroissiens: desirant d'y obvier, Nous avons ordonné que les curés fournissans le luminaire le peseront en presence de ceux qui le leur feront fournir, avant que de le donner, comme aussi quand ilz le reprendront; et leur sera payé de la cire qui se treuvera usee a rayson de cinq florins pour livre du poids d'Annessi; et a mesme prix leur sera payé le luminaire qu'on leur fera fournir tout le long de l'annee.

  A023001918 

 Ayant reconneu qu'il y a plusieurs chappelles de peu de revenu et chargees par la fondation de grand service, auquel les recteurs ne peuvent pas satisfaire, Nous avons ordonné que le recteur d'une chappelle qui n'aura, pour exemple, que dix florins de revenu, ne sera obligé de dire que vingt Messes par an, a rayson de six solz pour Messe, et ainsy des autres; n'entendant pas, toutesfois, d'obliger ceux qui possedent des chappelles de bon revenu a plus de service qu'elles ne se treuvent chargees par leur fondation..

  A023001920 

 Nous estant venu a notice que plusieurs curés et autres possedans des benefices riere Nostre diocese intentent des proces contre leurs parroissiens, quelquefois plustost par animosité que pour zele qu'ilz ayent de maintenir les biens de leurs eglises et benefices, et lesquelz il seroit facile d'appointer au commencement: Nous avons defendu a tous curés et autres beneficiers d'intenter par cy apres des proces avec leurs parroissiens qu'au prealable ilz n'en ayent conferé avec leur Surveillant, lequel ayant entendu les parties, taschera de les mettre d'accord; que s'il voit le tort estre du costé des parroissiens et qu'ilz ne veuillent pas se mettre a la rayson, il sera permis aux curés de poursuivre leur droict par justice..

  A023001921 

 Sur la remonstrance qui Nous a esté faitte par nostre [309] Procureur fiscal que, bien que toutes alienations des biens d'Eglise soyent defendues de droict, sinon qu'elles soyent evidemment au prouffit et utilité d'icelle (auquel cas faut il avoir encor la permission des Superieurs), plusieurs beneficiers, tant curés, recteurs des chappelles qu'autres, sans Nostre sceu et consentement ou de nostre Vicayre general, vendent, eschangent et alienent les fons de leurs benefices, ce qui donne occasion a beaucoup de procez, ausquelz desirant obvier: Nous avons declairé nulz tous les contractz d'alienation et eschange des ecclesiastiques, faitz et qui se feront par cy apres sans Nostre sceu ou de nostre Vicayre, enjoignant aux possesseurs des benefices de remettre dans six moys ce qui se treuvera aliené de la façon, a peyne de cinquante livres; avec inhibition a tous beneficiers de n'aliener les biens dependans de leurs benefices sans Nostre permission, a peyne de cent livres; commandant aux Surveillans d'y tenir la main, chacun riere sa surveillance, et d'advertir nostre Procureur fiscal de ceux qui contreviendront, pour y estre par apres pourveu ainsy que de rayson..

  A023001968 

 C'est pourquoi il a aujourd'hui comme résidence Annecy, dans le duché de Genevois, [en attendant que vienne pour lui le jour du retour.] [312].

  A023001968 

 Il y a soixante-et-onze ans que l'Evêque de Genève, en même [311] temps que son clergé, fut chassé de sa ville épiscopale par les hérétiques, et se vit indignement dépouillé de tous ses biens meubles et de la majeure partie de ses biens immeubles.

  A023001969 

 Les revenus de la mense épiscopale sont très restreints: à peine arrivent-ils à la somme de mille écus d'or; [en sorte que, après avoir défalqué les honoraires des officiers de l'évêché, il ne reste pas de quoi entretenir décemment l'Evêque et sa famille domestique.

  A023001970 

 [Ayant été empêché, pendant les deux premières années, par suite des guerres et des mauvais temps, de visiter son diocèse, [313] il a, ces deux dernières années, visité personnellement deux cent soixante églises paroissiales, distribué lui-même au peuple partout, du mieux que ses faibles moyens le lui ont permis, le pain de la parole de Dieu, et administré le Sacrement de la Confirmation à d'innombrables fidèles.] Il compte l'an prochain visiter le reste du diocèse.

  A023001975 

 Chacun des chanoines reçoit une prébende qui est absolument égale pour tous, en sorte que le Prévôt ne touche rien de plus que les autres.

  A023001993 

 Tonte la population des paroisses ci-dessus est vraiment catholique et professe la piété antique, bien que pendant vingt ans l'hérésie de Calvin ait régné dans soixante-dix paroisses; car, grace à l'autorité du Sérénissime Duc et aux prédications de nombreux ouvriers apostoliques, soit séculiers soit réguliers appartenant à divers Ordres, spécialement Capucins et Jésuites, les hérétiques sont [321] revenus au Pasteur de leurs âmes, en sorte que, après avoir été alors ténèbres, ils sont maintenant lumière dans le Seigneur..

  A023002041 

 Il n'y a point de diocèse dans le monde chrétien qui ait plus besoin d'un Séminaire de clercs que celui de Genève.

  A023002041 

 Quant aux abbayes ou prieurés, bien que riches, on ne peut rien en toucher du tout, parce que ceux qui les tiennent les tiennent bien, et que le plus souvent ces bénéfices sont rendus exsangues par suite des diverses pensions qui leur sont imposées.

  A023002055 

 D'un autre côté, soit les Cisterciennes, soit les Clarisses manquent du secours que le Concile de Trente, non sans y être poussé par l'Esprit-Saint, veut leur voir accordé: à savoir, qu'au moins trois fois par an leur soit donné un confesseur extraordinaire.

  A023002056 

 De même, elles ne présentent jamais les postulantes à l'Evêque [327] ou à son Vicaire, pour que soit examiné leur désir d'embrasser les vœux de Religion..

  A023002060 

 Mais aujourd'hui que Dieu a multiplié ces populations, et que les déserts ont été, grâce au travail et à l'industrie, changés en champs et en prairies, il serait à souhaiter qu'on attachât des pasteurs à ces troupeaux spirituels; les dîmes qu'on touche chaque année suffiraient à les entretenir..

  A023002061 

 Ce qui empêche que cela se fasse, le voici: à peu près toujours, les dîmes des lieux en question appartiennent à des Abbés et à des Monastères.

  A023002061 

 Elles leur ont, en effet, été attribuées lorsque les greniers spirituels des Monastères étaient pleins, débordant de l'un dans l'autre, et que les moines, tels des brebis fécondes, abondaient dans leurs sorties.

  A023002061 

 Mais aujourd'hui, que généralement, comme cela a été dit plus haut, leurs successeurs n'ont conservé du moine que l'habit, ces pauvres habitants des montagnes crient comme des troupeaux sans pâturages: Pourquoi donc ces gens-là se nourrissent-ils de notre lait s'habillent-ils de notre laine, et ne paissent notre troupeau ni par eux ni par d'autres? Et ce qu'ils disent paraît juste..

  A023002062 

 Dès que j'arrivai, tout le [330] monde, hommes et femmes, du premier au dernier du pays, de s'écrier: Comment se fait-il que nous respections tous les droits ecclésiastiques, que nous payions les dîmes et les prémices, et qu'aucun curé ne nous soit accordé, mais que nous soyons au contraire comme des béliers qui ne trouvent pas de pâturages? Tout, en effet, était touché par l'Abbé le plus voisin..

  A023002067 

 Pour ce qui regarde celles qui sont occupées par les Bernois, il n'y a rien à en espérer jusqu'à ce que la ville de Berne elle-même soit ramenée à l'ordre..

  A023002069 

 Je n'ajouterai rien au sujet de Genève, car ce que Rome est pour les Anges et les Catholiques, Genève l'est pour le diable et les hérétiques.

  A023002069 

 Que tous ceux qui professent la foi romaine, c'est-à-dire la foi orthodoxe, que surtout le Souverain Pontife et les princes aient à cœur que cette Babylone ou soit détruite, ou se convertisse, mais plutôt qu'elle se convertisse et vive, et qu'elle loue Celui qui vit aux siècles des siècles..

  A023002119 

 Cependant, il faut de nouveau noter que si, par suite d'un hiver ou d'un été excessif, d'une tempête ou d'une peste, les champs ont à souffrir ou restent incultes, les revenus de l'Evêque diminuent bien, mais nullement ses charges, lesquelles alors surtout augmentent plutôt, à moins qu'il ne veuille être plus cruel que l'autruche dans le désert.

  A023002120 

 Tout cela est exactement vrai: je n'affirme que ce qui est connu et appuyé sur les meilleures preuves..

  A023002121 

 Aussi, le très saint Concile de Trente ayant décidé qu'aucune [337] pension ne devait être imposée aux Evêques dont la mense n'excéderait pas la valeur de mille ducats par an, il n'est pas équitable que l'Evêque de Genève soit obligé à payer un droit de décime, posé que..

  A023002122 

 A L'EVÊQUE DE GENÈVE, pour son entretien personnel et celui de sa famille, il ne reste que 860 écus, et qu'il a à gouverner six cents paroisses: gouvernement très difficile, très pénible et très exposé à des dépenses variées, tellement que des revenus aussi maigres que je l'ai dit ne suffisent qu'à grande peine aux charges même nécessaires.

  A023002122 

 Si dorénavant on enlève à celui qui est dépourvu même ce qu'il a, non seulement l'administration publique ecclésiastique sera conservée plus difficilement dans ce diocèse, mais elle se verra forcée à tomber tout à fait, à moins que Dieu ne daigne de nouveau accorder sa manne céleste à ceux qui manqueront de la farine d'Egypte..

  A023002148 

 Item, concede que douze fois l'annee on puisse delivrer un'ame de Purgatoire, disant ou faysant dire cinq Messes pour chasque fois..

  A023002152 

 Disant trois Pater et Ave pour les ames des fideles decedés ou qui decederont ce jour-la, en memoire et honneur des trois fois que Nostre Seigneur pria au Jardin des Olives, on gaigne tous ( sic ) les Indulgences que Sa Sainteté a concedees a quelquonques autres medailles, images, croix, couronnes, rosaires, a la requeste de quelle personne que ce soit.

  A023002153 

 Donnant bon exemple ou exhortant, ou, en quelle sorte que ce soit, estant cause que quelqu'un quitte un peché ou un vice, ou un mauvais propos, on gaigne la remission de la troysiesme partie de ses pechés..

  A023002154 

 Que si quelqu'une se perdoit ou rompoit, on en peut mettr'un'autre en sa place qui aura les mesmes Indulgences..

  A023002155 

 Toutes les dittes choses n'ont leur valeur que deça les mons et non point en Italie..

  A023002166 

 Affin que les peuples qui Nous sont commis ne perdent point la favorable occasion de prendre les graces du saint Jubilé qui se celebre maintenant en cette ville de Thonon, ainsy que ci devant il a esté publié, Nous ordonnons par ces presentes que vous ayes a repeter la publication d'iceluy, exhortans de rechef un chacun d'employer cette benediction [342] au proffit et salut de son ame, asseurans de Nostre part qu'en laditte ville de Thonon ni es lieux circonvoysins il ni a aucune sorte, pas mesme de soupçon, de maladie contagieuse, ni incommodité qui puisse empescher le libre et desirable acces a cette sainte devotion..

  A023002167 

 Si supplions tous les Seigneurs R mes Ordinaires des autres lieux, de vouloir prendre la mesme asseurance sur ce tesmoignage que Nous en faysons, et la faire donner aux peuples de leurs diocaeses, affin que ceux qui auroyent l'intention [et devote] volonté de venir puiser en cette pleyne source les saintes Indulgences, n'en soyent point [343] divertis par les faux bruitz que l'ennemi des ames fidelles a respandu a cett'intention..

  A023002189 

 Encor qu'entre tant de perfections desquelles Dieu a comblé les ancestres de Vostre Altesse, il soit malayse de discerner celle qui tient le premier rang, si est ce que la pieté envers Dieu presente un esclat si particulier et si signalé entre toutes, qu'il donne toute asseurance aux tres humbles et tres obeissans orateurs de Vostre Altesse, Philibert, Evesque de Maurienne, François, Evesque de Geneve, supplians, tant a leur nom que de leur clergé, et aux autres ecclesiastiques soubsignés, de luy remonstrer:.

  A023002190 

 Que le malheur de cest aage a tellement perverti la conscience de plusieurs que, destournant l'usage du secours de la justice a une inique et maligne production de proces, se ruinant eux mesmes ilz font miserablement consumer, par toutes sortes de procedeures, contentions et chicaneries, les personnes, moyens et loysir des gens d'Eglise qui estoyent destinés au service de Dieu et des ames, au grand prejudice du bien publiq et de l'intention de ceux qui, anciennement, ont fait les fondations pieuses; entre lesquelles, [345] comme les devanciers de Vostre Altesse tiennent en toute sorte le premier rang, aussi semble il qu'Elle ayt plus d'interest a la maintenance et conservation d'icelles..

  A023002191 

 C'est pourquoy les susditz ecclesiastiques la supplient? tres humblement de les relever de tant d'ennuis par une favorable, mais tres juste et tres equitable declaration, suyvant les Articles ci jointz, affin qu'avec plus de tranquillité ilz puissent s'acquitter de leurs devoirs spirituelz envers Dieu et le peuple; continuant d'implorer la souveraine bonté de Dieu pour la prosperité et benediction de la couronne de Vostre Altesse, laquelle ne les obligera pas moins en la grace qu'Elle leur fera de les rendre paysibles en la jouissance de leurs revenuz, que ses Serenissimes praedecesseurs ont fait leur en donnant les droitz et tiltres..

  A023002192 

 PHILIBERT, Evesque de Maurienne, tant a son nom que de son Clergé..

  A023002193 

 FRANÇOIS, Evesque de Geneve, tant a son nom que de son Clergé..

  A023002207 

 D'autant que les dismes et premices doivent estre payees a l'Eglise, tant par disposition du droict divin que humain, et neanmoins, a tous propos et contre toutes les raysons, les payemens d'icelles sont differés, evités et empeschés par mille sortes de subterfuges que la longueur des proces fournit: playse a Son Altesse d'ordonner a ses magistratz, entant que de leur connoissance et ïurisdiction, pourvoir a ce que, sans difficulté ni dilation, lesdittes dismes et premices soyent payees aux ecclesiastiques, au moins par provision, moyennant bonne et suffisante caution de rendre le tout, avec despens, dommages et interestz, s'il est dit en fin de cause..

  A023002208 

 Parce que plusieurs, sans tiltre ni fondement, refusent le payement des dismes des biens de leurs universités et aux communs par eux cultivés et ensemencés, apres l'expiration de troys annees des leur culture et ensemencement et de la collecte des fruitz; comme aussi ilz le refusent des terres semees de meslange d'orge et pesettes, avoyne et pesettes, et encor de toutes lesdittes troys especes que l'on appelle communement bataille, au moyen dequoy, par divers artifices, petit a petit ilz s'exemptent dudit payement: playse a Son Altesse ordonner que les dismes seront payees de tous lesditz fons et desdittes batailles, comme dessus..

  A023002209 

 D'autant qu'en plusieurs lieux et presque par tout il se treuve [347] grande diversité de quotes de la disme en la mesme dismerie, sans qu'il y ayt autre rayson que de la diversité des humeurs, du pouvoir et de la conscience des personnes, les plus riches et moins conscientieux amoindrissant tous-jours la quote, appuyés sur les commodités qu'ilz ont de donner delay et duree aux proces; au moyen dequoy les ecclesiastiques n'ont aucune certitude de leur revenu, d'autant que les dittes dismes leur sont differenciees, non seulement par regions, mais voire aussi par particulieres prestations en chacune d'icelles, au moyen de quoy lesditz ecclesiastiques les vont petit a petit perdant par la continuelle mutation de la quote: playse a Son Altesse ordonner qu'en chacune dismerie la disme se payera a mesme quote et la plus commune d'icelle dismerie, et uniformement par tous, sinon que les particuliers refusans fussent munis de tiltres suffisans au contraire..

  A023002210 

 Comme aussi les servis et prestations annuelles deuës aux ecclesiastiques seront payés sur une reconnoissance et deux confins deuement verifiés par devant les commissaires, qui, a ces fins, seront deputés par les juges, au moins par provisions et a caution telle que dessus..

  A023002243 

 Ce qu'Holopherne imagina, Frères très chers, lorsqu'il assiégeait Béthulie et qu'il fit couper et occuper de toutes parts son aqueduc et toutes ses fontaines, afin qu'il ne restât pas la moindre goutte d'eau pouvant étancher la soif des assiégés: c'est ce que reproduisent tous les hérétiques qui combattent l'Eglise, surtout ceux de notre temps.

  A023002243 

 Ils empêchent ainsi que la très suave impétuosité du fleuve qui jaillit jusqu'à la vie éternelle ne puisse continuer à réjouir la cité de Dieu.

  A023002245 

 Bien plus: par le fait même que les ennemis de l'Eglise, avec des efforts plus violents et une excessive audace, ont tourné leurs attaques contre le nombre, la dignité et les cérémonies des Sacrements, tous les Evêques d'abord, réunis au très auguste Concile de Trente, puis la plupart d'entre eux séparément dans leurs provinces, avec une ardeur toujours croissante, ont lutté avec d'autant plus d'énergie et de fermeté en faveur de leur nombre sacré de sept, de [351] la religieuse solennité de leurs rites et de la sainteté qui appartient à tout ce qui les touche..

  A023002246 

 Il obtint enfin que généralement dans le diocèse, mais surtout dans cette cité [d'Annecy], les hérétiques et leurs hérésies fussent tenus pour infâmes, dignes d'horreur et d'abomination.

  A023002247 

 C'est lui qui introduisit dans toutes les églises du diocèse, avec autant de douceur que d'efficacité, les prières et Offices ecclésiastiques corrigés selon les prescriptions du Concile de Trente.

  A023002247 

 C'est lui qui, le premier dans nos provinces françaises, adopta la coutume, on ne peut plus utile et sainte, et prescrite par le même Concile, de conférer les églises paroissiales au concours: il donna ainsi l'exemple aux autres Evêques, afin que, comme il avait fait, ils fissent aussi eux-mêmes.

  A023002247 

 En effet, tout ce que nous voyons dans ce diocèse qui ne soit pas à regretter, tout [353] cela à peu près, il est juste que nous le reportions avec simplicité à ce remarquable Prélat.

  A023002247 

 Enfin il n'omit rien, autant que le lui permit la dureté des temps, pour ramener la vie de l'Eglise à l'antique coutume de temps meilleurs.

  A023002247 

 Il ramena à la modestie cléricale le costume des prêtres, autant que les difficultés des lieux le permirent; il érigea presque partout de pieuses confréries dédiées au culte du Très Saint Sacrement et de la Bienheureuse Vierge Marie; il rétablit l'usage de célébrer chaque année le Synode; il plaça de ci et de là des ecclésiastiques appelés Surveillants, ayant faculté et mission de relever, d'avertir, d'exhorter les autres prêtres et de veiller sur leur conduite.

  A023002247 

 Mais voici que lui succède Claude de Granier, homme cher à Dieu et aux hommes, dont la mémoire est en bénédiction; homme que la droite du Très-Haut conduisit d'une manière admirable à cause de son amour de la vérité, de sa douceur et de sa piété, lui faisant partager la gloire des saints, afin de l'enrichir dans ses pénibles labeurs et de faire fructifier ses travaux.

  A023002248 

 Aussi, notre excellent Prélat estimait, et avec juste raison, qu'il ferait chose avantageuse en éditant un Rituel, de tout point conforme au Romain, que tous dans ce diocèse adopteraient unanimement à l'exclusion de tout autre, et qu'ils suivraient comme règle unique dans la célébration des rites, au milieu des divergences si grandes qui existaient..

  A023002248 

 S'il existe, en effet, de nombreux exemplaires de Rituels dont le titre annonce au lecteur l'ordre et la série des rites de l'Eglise Romaine, on n'en rencontre presque pas qui répondent au titre et tiennent ce que celui-ci promettait.

  A023002249 

 Sur ces entrefaites, pendant que se différait l'édition du Rituel, notre Evêque, au très grand regret de tous les bons, nous est enlevé et, comme il faut l'espérer, [355] élevé au Ciel.

  A023002250 

 Ensuite, de tous les exemplaires qu'il Nous fut possible de consulter, Nous avons de ci et de là tiré différentes règles et de nombreux enseignements qui fourniront une ample lumière aux curés et à leurs vicaires sur l'exercice bien réglé de leurs fonctions; c'est ainsi que, à l'exemple des abeilles, Nous avons, de diverses fleurs, amassé le miel dans notre ruche.

  A023002250 

 Vous aviez déjà à part ce formulaire édité par ordre de Notre Révérendissime Prédécesseur; maintenant, vous le trouverez ici revu et corrigé des erreurs qui s'y étaient glissées, afin que le présent volume réunissant tout ce qui touche à votre ministère, vous l'ayez ainsi plus facilement sous les yeux..

  A023002251 

 Il ne paraissait pas, en effet, qu'on pût désirer autre chose touchant le sujet qui Nous occupe, sinon ces exhortations catéchistiques et familières sur les Sacrements et autres principaux points de la religion, que la plupart d'entre vous m'ont souvent demandées.

  A023002251 

 Je vous promets, s'il plaît à Dieu, de vous les donner aussitôt que les nombreuses sollicitudes et occupations qui m'envahissent de toute part m'auront accordé un peu de loisir et de tranquillité d'esprit.

  A023002251 

 Vous verrez alors, je pense, que ce travail ne devait pas être uni au Rituel, mais qu'il requiert un volume entier à part.

  A023002252 

 Et afin que personne n'omette de le faire par paresse ou négligence, Nous vous ordonnons et prescrivons au nom du Seigneur, à chacun de vous en particulier et à tous ensemble, que dans l'administration des Sacrements et l'accomplissement solennel des bénédictions et cérémonies saintes, nul dorénavant n'ait la présomption, sous aucun prétexte, d'employer d'autres rites que ceux qui sont contenus dans ce Rituel.

  A023002252 

 Maintenant donc que, par la grâce de Dieu, Nous avons opportunément terminé une œuvre désirée depuis tant d'années, il vous reste à vous en servir tous avec joie et unanimité.

  A023002386 

 L'adoration de ce Sacrement étant, par une insigne perfidie, un objet de moquerie de la part des hérétiques, il convient que, surtout dans ce diocèse, on l'honore avec la plus grande dévotion possible..

  A023002392 

 Et c'est pour, en icelle, celebrer le tressaint Sacrifice de la Messe, auquel nostre Sauveur, par les mains des prestres, s'offre et presente reellement, sous les especes de pain et de vin, a Dieu son Pere eternel, pour hostie et offrande vivante, en remembrance et commemoration de sa Mort et Passion; affin que, par ce divin Sacrifice, nous fassions hommage, reconnoissance et action de graces a Dieu nostre Createur de tous nos biens et personnes, et qu'en vertu d'iceluy nos prieres soyent encor plus aggreables devant le throsne de sa divine Bonté..

  A023002392 

 Peuple chrestien, encor que nostre bon Dieu exauce [365] toutes les prieres qui luy sont devotement presentees au nom de Jesus Christ son Filz, toutesfois il s'est reservé des lieux et des jours esquelz il veut estre plus particulierement servi et invoqué; comme aussi en iceux il reçoit plus favorablement nos requestes.

  A023002393 

 Pour donq faire aujourd'huy cette sainte celebration au mieux que nous pourrons, sçachans que Dieu regarde volontier a la priere des humbles et ne mesprise point le coeur contrit et humilié, nous mettrons les genoux a terre et, nous humiliant de tout nostre cœur devant sa divine face, nous le remercierons de tous les biens que nous avons eus et qui nous sont preparés, et principalement de la Mort et Passion de Nostre Seigneur Jesus Christ, par laquelle nous avons esté delivrés de la damnation eternelle; nous tenans et reconnoissans pour ses pauvres et miserables creatures, indignes et inutiles serviteurs, dependans en tout et par tout de sa sainte misericorde et mercy, a laquelle nous recourons pour avoir pardon et remission de nos offenses et iniquités..

  A023002395 

 «Je me confesse a Dieu tout puyssant, a la glorieuse [366] Vierge Marie, au bien heureux saint Michel Archange, au bien heureux saint Jean Baptiste et a saint Pierre et saint Paul, apostres, a monseigneur saint N., mon Patron, et a tous les Saintz et Saintes de Paradis, et a vous, mon Pere spirituel, pour ce que j'ay grandement peché en pensees, en parolles et en œuvres: et le tout par ma faute, par ma coulpe et par ma tres grande coulpe.

  A023002399 

 Et premierement, qu'il luy playse dresser nos ames a son saint service, affin que, sur le fondement de la vraye foy, nous puissions avoir une sainte esperance de nostre salut par le moyen de la charité, en l'observation de ses commandemens..

  A023002400 

 Nous prierons par apres pour tous nos superieurs, tant spirituelz que temporelz; pour nostre Saint Pere le Pape et pour tous les Prelatz, pasteurs et personnes ecclesiastiques qui sont legitimement deputés au gouvernement des ames, et specialement pour Monseigneur le Reverendissime nostre Evesque et Pasteur, affin qu'il playse a Dieu leur faire la grace de si bien repaistre et guider les brebis qui leur sont commises, que, estans garantis de toutes fauses opinions et seductions, elles vivent et perseverent ça bas en l'union de l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, attendans d'estre receus en l'Eglise triomphante, la haut en Paradis..

  A023002401 

 Nous prierons de mesme, comme conseille saint Paul, pour tous Princes et magistratz chrestiens, et particulierement pour Sa Majesté et pour la Reyne regente et pour [367] Messeigneurs les Princes du sang; et non seulement pour eux, mays pour tous ceux qu'ilz ont ordonnés pour gouverner de leur part, affin qu'il playse a Dieu leur donner le don de force et de conseil pour nous maintenir en sainte paix et tranquillité, et administrer droittement la justice, affin que, sous leur obeissance, «nous passions tellement par les biens temporelz, que nous ne perdions pas les eternelz.».

  A023002402 

 Davantage, s'il est ainsy que nostre Sauveur prevoyant la ruine de Hierusalem pleura sur icelle, nous devons deplorer et regretter de tout nostre cœur la perdition des pauvres ames des infideles, schismatiques, desvoyés et faux chrestiens, qui se font un thresor de l'ire de Dieu pour le jour de son courroux, a ce qu'il luy playse les esclairer de sa sainte grace et verité..

  A023002403 

 De plus, Nostre Seigneur reputant estre fait a soy ce qui est fait au moindre des siens, nous prierons pour tous les pauvres affligés et necessiteux, pour les vefves, orphelins, malades, prisonniers, pelerins, et generalement pour tous ceux qui sont en tribulation et adversité, affin qu'il playse au Pere des misericordes et de toutes consolations de les assister de son Saint Esprit, affin que, recevans leur affliction en humilité, ilz puissent posseder leurs ames en patience..

  A023002409 

 Nous demanderons aussi a ce Pere celeste nostre pain quotidien, ainsy qu'il nous a enseigné, le priant de conserver et multiplier les fruitz de la terre et de donner sa benediction aux labeurs de nos mains, affin que nous les puissions recueillir en bonne paix et santé, pour user sobrement d'iceux, selon sa volonté, et en faire part aux pauvres necessiteux..

  A023002410 

 Finalement, puisque la Sainte Escriture tesmoigne et l'Eglise a tous-jours creu que c'est une sainte et salutaire pensee de prier pour les fidelles trespassés, nous prierons pour nos peres, meres, freres, parens et amis et tous autres fidelles decedés, et en particulier pour ceux desquelz les cors reposent en cette eglise ou cimetiere, et tous bienfacteurs d'icelle (et mesme pour tel N. ou telle N.), lesquelz estans trespassés au giron de l'Eglise, sont et seront tous-jours ses enfans, appartenans a un mesme Royaume de Jesus Christ et membres d'un mesme cors avec nous; affin que, s'ilz estoyent detenus en quelque peyne, il playse a Dieu les en retirer et les colloquer au repos eternel..

  A023002411 

 Or, affin que nos requestes soyent plus aggreables au Pere eternel, nous les luy presenterons selon la forme que Nostre Seigneur son Filz nous a monstree en l'Orayson dominicale, laquelle nous reciterons maintenant, tant pour nous en resouvenir que pour commencer nos prieres par icelle..

  A023002415 

 Nous reciterons aussi la Salutation angelique, tant en memoire de nostre Redemption qui fut annoncee par l'Ange en cette Salutation, que pour nous joindre a la communion de tous les Saintz en la personne de la glorieuse Vierge Marie, laquelle nous prions de prier pour [369] nous Dieu le Pere, au nom de son Filz, nostre unique Sauveur.

  A023002418 

 De plus, parce que non seulement nos prieres, mais aussi toutes nos actions doivent estre fondees en la vraye foy, sans laquelle, comme dit l'Escriture, il est impossible de plaire a Dieu, nous ferons generale protestation de vouloir vivre et mourir en la foy de l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, par le recit du Symbole des Apostres, disans:.

  A023002422 

 Benisses le Seigneur, ains plustost, que le Seigneur nous benisse, et que, tant nous que tout ce qui est pour nostre usage, soit beni par la dextre de Jesus Christ.

  A023002424 

 Tu n'auras point d'autre Dieu que moy.

  A023002429 

 Or, non seulement Dieu veut estre ouy et obey, mays aussi il veut que l'Eglise soit escoutee et obeye, a peyne, pour ceux qui font au contraire, d'estre reputés devant luy pour infidelles, payens et publicains, ne pouvant «avoir Dieu pour Pere, qui n'aura l'Eglise pour Mere.» Vous apprendres donq ses Commandemens et les garderes de bon cœur; c'est a sçavoir:.

  A023002431 

 S'il y a des festes ou vigiles on pourra dire: Obeyssans donq ausditz Commandemens, vous jeusneres tel ou tel jour, et vous observeres la feste de N. tel ou tel jour, vous abstenans de toute œuvre servile, pour vacquer au service de Dieu ne plus ne moins que le jour de Dimanche ou de Noël (selon la feste)..

  A023002432 

 S'il y a quelque feste de vœu, il dira: Vous aves (tel jour) la feste de N., que vos predecesseurs ont voüee pour telle occasion, laquelle vous estes obligés de faire comme le Dimanche, selon vostre vœu..

  A023002438 

 Que s'il n'y a aucune feste a commander, il dira: Quant a cette semaine, vous n'aves aucune feste de commandement ni de devotion..

  A023002439 

 Que donq tous desbatz, vengeances, dissensions et malveuillances cessent et ne se treuvent jamais entre vous.

  A023002447 

 «Peuple chrestien, encor que nostre bon Dieu,» etc., et le reste qui s'ensuit jusques a l'absolution: Indulgentiam, etc., inclusivement.

  A023002454 

 Laquelle ordonnance ayant des long tems esté publiee par tout ce diocese, vous est maintenant derechef declairee, publiee et annoncee, affin que nul n'en pretende cause d'ignorance..

  A023002454 

 Le Sacrement de Mariage estant de si grande importance a l'Eglise et republique chrestienne, affin que desormais il soit celebré plus convenablement et saintement, nostre Mere la sainte Eglise Catholique, Apostolique, Romaine a declairé nulz et de nul effect tous mariages qui se font sans la presence de l'Evesque ou du Curé, ou de quelqu'un deputé de la part de l'Evesque ou de la part du Curé, et sans l'assistence de deux tesmoins.

  A023002460 

 Parce que l'Eglise nous propose aujourd'huy en l'Escriture de l'Evangilement de Baptesme, et que d'ailleurs chaque fidelle peut et doit l'administrer en cas d'extreme necessité, partant vous deves sçavoir qu'en ce cas la d'extreme necessité, c'est a dire quand il y a danger que la creature qui doit estre baptizee ne meure promptement, il suffit de prendre de l'eau naturelle et commune, et la respandre sur l'enfant en telle sorte qu'elle le touche, en disant ces paroles: Je te baptize au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit..

  A023002461 

 Et affin que vous les puissies mieux retenir, pour en user en cas de laditte necessité, je dis encor une fois, que, mettant l'eau et la respandant sur la creature en telle sorte qu'elle la touche, il faut dire: Je te baptize au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit..

  A023002466 

 Comme aussi un chacun doit jeusner tous les jours, le Dimanche reservé, sinon que pour l'aage, maladie ou autres occasions il en soit exempté.

  A023002466 

 Et parce que ce saint tems est sayson de la cueillette spirituelle des bonnes œuvres, on vous exhorte au nom de Dieu de vacquer plus soigneusement a prieres, aumosnes et penitences, en vous preparant de faire la sainte Confession et Communion de Pasques, a la gloire de Dieu et salut de vos ames..

  A023002466 

 Partant, un chacun soit adverty de rendre son devoir, en s'abstenant despuis ledit [373] jour jusques au jour de Pasques de l'usage de la chair, des œufs et du fromage, sinon que pour quelque cause raysonnable il en fust dispensé des Superieurs ecclesiastiques.

  A023002558 

 Et quant aux autres festes de devotion, combien que personne ne soit astreint sous aucune peyne de les garder ou celebrer, toutes-fois celuy fera bien qui, selon la louable coustume du diocese, rendra en icelles son devoir envers Dieu, les Saintz et l'Eglise..

  A023002558 

 Notes que sont aussi de commandement tous les jours du Dimanche, le second et tiers jours de Pasques, le jour de l'Ascension de Nostre Seigneur, le second et tiers jours de Pentecoste, le jour de la Feste Dieu; item, les jours des Dedicaces et Patrons des eglises, comme de mesme les testes legitimement voüees par authorité du Praelat, a chacun selon sa parroisse et lieu d'habitation.

  A023002612 

 sans que les curés en ayent aucune connoissance de cause..

  A023002613 

 Item, que les fiancemens seront tenus pour nulz, si les promesses ne se font par paroles expresses entre ceux qui peuvent parler, et sous le tesmoignage de deux tesmoins (masles ou femelles)..

  A023002614 

 Des Monitoires: qu'on jurera de ce que l'on dit avoir perdu..

  A023002624 

 Pour les Messes nouvelles: que nul n'en die de solemnelle sans avoir l'attestation du Surveillant, et qu'en icelle ne se facent balz et carroux.

  A023002659 

 Il est surprenant de voir jusqu'à quel point la discipline de tous les Réguliers (j'excepte les Chartreux et les Mendiants) est détruite, en sorte que l'argent, chez eux, a été changé en scorie.

  A023002662 

 Ce que les chanoines séculiers touchent par des distributions journalières, eux ont coutume de le toucher par des prébendes, et, après les avoir touchées, ils assistent aux Offices quand cela leur plaît; s'ils n'y assistent pas, ils n'en sont pas plus pauvres.

  A023002663 

 Mais il ne conviendrait pas du tout qu'une telle visite fût faite par les Supérieurs de leurs Ordres; car les moines et les Abbés de Cluny, de Savigny et de Saint-Ruf ne savent pas même ce que c'est que réforme.

  A023002664 

 Quoique les Monastères de Sixt et de Pellionnex soient visités par l'Ordinaire, auquel ils sont assujettis par un droit antique (bien que jusqu'ici ils aient à peine voulu obéir), cependant Nous n'avons rien obtenu d'eux, parce qu'ils manquent de Règle et de Constitutions, et que par ailleurs, en ce qui regarde la profession ecclésiastique, ils se conduisent avec assez de bienséance.

  A023002665 

 J'avoue que le premier et le second remèdes semblent devoir être très utiles, tandis que le troisième est très difficile et très [386] incertain; car ce qui s'obtient par la force est presque comme n'existant pas..

  A023002666 

 Quant aux Religieuses, les deux Monastères de Clarisses marchent fort bien, et je n'y vois rien à désirer si ce n'est qu'il soit donné aux Religieuses le secours que le saint Concile de Trente, non sans être inspiré de l'Esprit-Saint, leur a accordé et a voulu qu'on leur donnât: à savoir, qu'au moins trois fois par an un confesseur extraordinaire leur soit envoyé.

  A023002685 

 Tous ceux qui, de droict, sont obligés d'estre presents au Synode, y comparoistront désormais en surplis et bonnetz quarrés, et les Surveillans prendront garde de venir de si bon'heure qu'ils puissent assister a l'assemblee qui se faict sur le jour avant la celebration dudict Synode, pour preparer ce que l'on doit proposer et declarer selon les difficultés et necessités du diocaese..

  A023002693 

 Tous les curés exhorteront leurs parroissiens aux prieres particulieres pour la paix et conservation des Estats de Son Altesse, lesquelles ils feront ez villes tous les jours; es villages, les jours des festes et Dimanches, sur le soir, ou a Vespres, si on les y chante et que le peuple y accoure..

  A023002697 

 Et pour ce que plusieurs, apres les avoir obtenues, sont devenus extremement ignorans, les Surveillants les examineront pour voir s'il sera expedient continuer leurs admissions tout le temps que leurs patentes designent, ou bien s'il [390] sera bon de les revocquer; auquel cas leurs ( sic ) declareront la revocation d'icelles de Nostre part..

  A023002709 

 Nul ecclesiastique, tant seculier que regulier, ne sera receu a prescher la parohe de Dieu avant quil soit examiné par les deputés et appreuvé par Nous ou nostre Vicaire general.

  A023002713 

 Tous les confesseurs de ceste ville, tant seculiers que reguliers, et encores ceux de la surveillance d'icelle, s'assembleront deux fois l'annee, asçavoir, avant Caresme et la Toussainct, pour faire une conference touchant le Sacrement de Penitence; pour laquelle conference tous les confesseurs de chasque surveillance s'assembleront aussy une fois l'annee, asçavoir avant le Caresme, en la bourgade ou se distribuent les sainctes Huiles, et ce en la presence du Surveillant ou autre deputé pour y presider..

  A023002721 

 Nous implorerons le bras seculier affin que les libraires, tant residants au païs qu'estrangers, n'exposent leurs livres en vente premier qu'avoir donné la liste d'iceulx a nostre Vicaire general, en ceste ville, et allieurs aux curés des lieux esquels ils les vouldront exposer; pour empecher que les livres prohibés ne soient semés au prejudice des consciences..

  A023002725 

 Saufz celles que le droict permet: comme meres, sœurs, belles meres, belles sœurs, cousines germaines et niepces de frere ou de sœur.

  A023002725 

 [393] Que si, le mois passé, il se treuve quelqu'un qui n'ayt satisfait a la presente constitution, les Surveillants en donneront certificats a nostre Vicaire general..

  A023002729 

 Pour remedier, aultant que Nous pouvons, aux grands scandales que plusieurs ecclesiastiques donnent au peuple chrestien par la frequentation des tavernes, mesprisants les deffences auparavant faictes, Nous les renouvelions soubz plus grande peine, asçavoir, d'excommunication ipso facto incurrendae et reservee a Nous; laquelle encourront tous ecclesiastiques qui, dans l'enclos de leurs parroisses et lieux de leur sejour, boiront et mangeront en taverne, saufz es cas de nopces, baptesme, funerailles et Confrairies seulement; dont Nous n'exceptons aucunement les fiançailles, ni anniversaires, ni mises de dismes, ni appointements, ni aultre pretexte quel quil soit..

  A023002733 

 Tous beneficiés, tant curés que chappellains, apporteront ou envoiront le plustot quils pourront tous les tiltres et docmnents de leurs eglises et chappelles es archives de l'Evesché, pour y estre conservés et gardés; lesquels seront communiqués aux possesseurs et recteurs desdites eglises et chappelles selon les occurrences et necessités.

  A023002753 

 La modestie de l'ornement corporel sera tellement recommandee aux ecclesiastiques, que l'on ne les verra plus porter les moustaches longues, ni les petradilles ou rotondes, mais feront voir en eux grande moderation en touttes sortes d'habits..

  A023002765 

 Les ecclesiastiques n'intenteront aulcun proces, tant criminel que civil, quils n'ayent communiqué avec les moderateurs deputés qui resideront en ceste ville, pour voir si le proces petit estre evité ou appoincté, et, quand besoing seroit de plaider, pour ne le faire sans bon fondement..

  A023002769 

 S'il arrive quil soit necessaire a quelque ecclesiastique de vendre son vin en detail, il ne vendra soub ce pretexte aulcune aultre chose, et ne permettra que le vin soit beu es chambres de sa maison..

  A023002773 

 Tous ecclesiastiques seculiers sachent quils sont obligés a l'obeissance des Constitutions synodales, et que les Reguliers les observent en ce qui les regarde: comme de n'ouir les confessions ni prescher sans approbation, de n'absouldre des cas reservés les personnes de ce diocese, et generalement, quils gardent les aultres ordonnances qui les concernent traictants avec les seculiers..

  A023002777 

 Et estants arrivés, se presenteront au greffier de l'Evesché pour donner leurs noms et payer le droict que les saincts Canons appellent cathedraticum, estimé a deux sols; et ceux qui n'assisteront au Synode feront le mesme debvoir par procureurs..

  A023002789 

 Les curés adviseront de n'adjouster aux prieres que l'on faict pour les trespassés, tant es funerailles qu'es anniversaires, nouveaux responsoires ni proses non approuvees qui ne sont contenues au Rituel de ce diocese..

  A023002801 

 L'on intimera et observera l'ordonnance de l'Eglise de ne celebrer les mariages que de matin a la Messe, en laquelle les filles recepvront la benediction; et seront exhortés, avec leurs espoux, de se communier en la mesme Messe, en suitte de la rubriche ( sic ) du Messel..

  A023002805 

 Les curés adviseront soigneusement que l'on ne chante [397] es eglises certains Noels pleins de parolles indignes, profanes et contraires a la pieté et reverence deue aux lieux et choses sacrees, comme encores de n'adjouster es Psalmes que l'on chante es solemnités de la Nativité de Nostre Seigneur, certaines parolles ridicules et pleines de blaspheme; mais observeront diligemment au service de Dieu les sainctes et seules cerimonies que l'Eglise Catholique a religieusement instituees..

  A023002812 

 Il y a bien des degrés auparavant que d'entrer au cabinet de la vraye doctrine: il faut passer par devant ceux qui veulent sçavoir pour sçavoir, et qu'on appelle curieux; de la, venir a ceux qui veulent sçavoir pour paroistre sçavans, et qu'on nomme vains; par apres, a ceux qui veulent sçavoir pour tirer la science a leur usage et a leur commodité, et qu'on peut estimer avaricieux; et puis, monter a ceux qui veulent sçavoir pour edifier, et c'est la qu'est la charité.

  A023002814 

 C'est que les bons curés ne sont pas moins necessaires que les bons Evesques, et les Evesques travaillent en vain s'ilz ne sont soigneux de pourvoir leurs eglises parroissiales de curés devotz, de vie exemplaire et de suffisante doctrine, parce que ce sont les pasteurs immediatz qui doivent marcher devant les brebis, leur enseigner le chemin du Ciel et leur donner l'exemple qu'elles doivent suivre.

  A023002814 

 L'experience m'a fait connoistre que le peuple se [400] portoit facilement aux exercices de devotion lhors qu'il avoit des personnes ecclesiastiques qui, par la parole de Dieu et le bon exemple, l'excitoyent a fuir le vice et embrasser la vertu; et qu'au contraire la populace se detraquoit fort facilement de l'exercice des vertus chrestiennes lhors que leurs prestres estoyent ignorans, peu soigneux du salut des ames et de mauvaise vie.

  A023002819 

 A esté dict et arresté que pour chose que sera ( sic ) esté prinse et derobbee ne surpassant la valeur de trois florins, ne sera lasché aucun Monitoire..

  A023002820 

 Et que au paravant que venir a la seconde publication, l'impetrant se viendra purger par serment sur la verité du contenu en icelluy, entre les mains du curé ou vicaire des lieulx.

  A023002820 

 Que si il le faut publier en divers lieulx, attestation au pied, dudict curé..

  A023002822 

 Bien permettons Nous de leur toucher les yeux avec la patene et les corporaux apres la celebration de la saincte Messe, et apres que l'Evangile de sainct Jehan sera dict.

  A023002822 

 Les ventemens qui se font en plusieurs endroictz de ce diocese, par les vicaires, curés et autres prebstres tant seculiers que reguliers, avec les corporaux, sur ceux qui ont mal aux yeux, sont des a present prohibés; comme aussi d'y mettre de l'eau qui a esté versee dans le calice apres la Postcommunion.

  A023002823 

 Au paravant que impartir la benediction nuptiale, laquelle se fera de mattin, estant deuement confessés et communiés l'espoux et espouse..

  A023002826 

 Et si, avons ordonné que tous curés et beneficiés seront tenus ballier au vray la valeur de leurs benefices toutes foys et quantes quilz en seront summés, avec purgation de serment entre les mains du commissaire deputé..

  A023002832 

 Monseigneur le Reverendissime, en l'assistence des sus nommés et autres de son Clergé, a ordonné et statué de nouveau que les defenses des tavernes estoient reiterees, et autres constitutions pourtees par ses Ordonnances synodales faictes le second octobre 1603; et notamment la residence a tous curés de sa diocese, et aux vicaires de le notifier a leurs maistres, et de justifier de la dispense dans six sepmaynçs, a peyne de privation de leurs benefices..

  A023002837 

 Et par ce quil Nous est venu a notice que, en plusieurs endroictz et parroches de ceste diocese, la coustume est que ensepvelissant les [404] decedés, de mettre ung linceul sus les corps d'iceulz et de se servir d'un linceul honneste, lequel les curés ne perçoipvent, mais appartient [aux héritiers]: affin que l'honneur deubt et service soit faict avec la decence requise, a esté ordonné quil ne sera plus exigé par cy apres pour ledict linceul sinon six florins, et pour le couvre-chief accoustumé mettre sus les petitz enfans, deux florins seulement..

  A023002838 

 Et pour l'aulmone qui se donne pour la celebration des Messes, qu'elle sera, pour la Grande Messe de quattre solz, et pour la petite de deux solz; et neantmoins sera permis de prendre ce que sera donné de libre volonté..

  A023002839 

 Et dautant quil y a des chappelles ausquelles les recteurs sont chargés de celebration de Messes plus que le revenu ne peut porter, l'on a reduict icelles Messes a six solz, et que a concurrence dudict revenu et proportion elles seront celebrees..

  A023002840 

 Et comme Nous avons heu des plaintes et veu des proces sur l'excessive exaction qu'aucuns curés font de luminaire qui se faict en la sepulture des decedés et durant l'annee du dueil: a quoy desirant obvier, a esté dict quil ne sera loisible a qui que ce soit d'user es eglises que de cire pure, et que pour chasque livre de ladicte cire pure fournye par les curés, ne sera permis de demander et se fere paier plus haut que de cinq florins, poidz de ceste ville d'Annessy, lequel sera pesé au commencement et a la fin du dueil..

  A023002841 

 Est touttesfois ordonné que le curé sera tenu de donner deux chandoilles pour les pauvres..

  A023002841 

 Plus a esté ordonné que le luminaire qui sera mis en faisant les funerailles et Office, ledict Office achevé et cessé, appertiendra au curé.

  A023002842 

 Plus a esté ordonné que la feste de sainct Pierre ad vincula, avec l'octave, seront celebrees par toute la diocese; ensemble, le jour de la Dedicasse le jour qu'elle tombera, qu'est le huictiesme d'octobre..

  A023002843 

 Et finalement, attendu quil y a des curés, chappelliers et autres qui se rendent odieulx a leurs parrochains a cause des proces quilz intentent contre leurs parrochains et autres, a esté ordonné que aucun proces ne sera meu que prealablement ilz n'ayent communiqué avec les Surveilliantz pour en avoir leur advis..

  A023002852 

 Que pour eviter a tous pechés que pourroient estre commis par les parrochains de chasque parroche occasion des testes qui ne sont observees, que par cy apres les Survelliantz en ballieront dispense..

  A023002853 

 Plus a esté conclud, ordonné et arresté, par l'advis de mondict Seigneur et sondict Clergé, que dores en avant il sera permis a tous de pouvoir user de beurre en temps de Caresme, en conferant l'aulmone aux pauvres, telle que sera ordonné, ou d'assister a une procession [en compensation]; en consideration que, en ce pais, ny a ny huille d'olive ny de noix des environ trois ou quattre annees..

  A023002855 

 Est aussy inhibé et defendu a tous curés, vicaires et autres prebstres de ne baptizer avec cerimonies dans les maisons; a la mesme peyne que dessus..

  A023002860 

 Ausquelz curés et prebstres enjoignons, que se presentant l'occasion [406] de la decision de cas de conscience, que l'on s'addresse au Penitentier..

  A023002861 

 Et dautant que les messagiers de Sainct Bernard, Sainct Antoenne et Nostre Dame du Puys, faisant cuelliette des questes par les parroches de ceste diocese, vont faisant icelles questes par les maisons pour frustrer les curés de leur quattriesme, avons dict [et] ordonné que de toutes lesdictes oblations, lesdictz curés en auront la quattriesme partie par cy apres et comme ilz ont heu cy devant..

  A023002863 

 Et affin que tous confesseurs puissent sçavoir comme ilz se pourront compourter pour les cas de conscience, l'on fait sçavoir que tous les quatriesme jours du mois l'on s'assemblera en ceste ville, si ce n'est jour de feste, pour decider des questions occurrentes; ceulx qui ne pourront y assister, ilz pourront mander par missive..

  A023002871 

 Mondict Seigneur le Reverendissime, en l'assemblee de sondict Clergé, sur la plainte faicte par le seigneur et commandeur de Sainct Antoenne de Chambery, sur ce que, allant et venant leur messagier et procureur a la queste par ce diocese de Geneve, quelques uns des curés et seculiers les veullent molester et inquieter en leurs questes: suivant la coustume de tous temps observee, a esté dict et ordonné que des aulmones et questes que seroient faictes en commun aux eglises, les curés en retireroient seulement la quatriesme partie; et pour le regard des Messes et aulmones donnees ausdietz messagiers de Sainct Antoenne en particulier, que lesdietz curés ny prendroyent et percepvroient aucune chose: avec inhibitions et defenses a tous scindiques et curés de les troubler, ny en retirer rien et d'emploier aucune chose en taverne ny autre usage prophane; et ce, a peyne de l'amende de dix livres..

  A023002872 

 Comme aussi pour les Messes et aulmones qui se font par les parroches pour la boyte de touttes ames et trespassés, que les curés exigent plus exactement quilz ne doibvent: a esté dict, que les Survelliantz se transpourteront par les parroches dependant de leur surveillance, pour avoir instruction des coustumes observees en icelles, pour, icelles instructions veues et rapportees par devers Nous, estre donné tel ordre et reiglement que verrons estre expedient et de raison..

  A023002873 

 Plus a esté dict et ordonné que aucun Monitoire apostillé ne sera publié par aucun curé; lesquelz Monitoires les impetrantz d'iceulx seront tenus aporter au paravant la Messe: autrement, la publication sera diferee au prochain Dimenche par ledict curé, auquel est inhibé que pour la publication d'iceulx, ny pour autres offices pastoraulx quelz qu'ils soyent, ilz n'en prennent aucune chose, sinon que ilz fussent requis se transporter par les maisons..

  A023002876 

 Comme aussy, de ne conferer le sainct Sacrement de Baptesme [408] par les maisons et chappelles avec application du sainct cresme et autres cerimonies de l'Eglise, a peyne de vingt cinq livres, sinon que ce soit de Nostre particuliere et expresse licence; ce qui se faisant, sera le tout redigé par escript, [et] lesdictes cerimonies avoir estés observees..

  A023002878 

 Et de comparoir toutes les annees au Sinode et appourter les quattre livres que leur [est] commandé de fere; iceulx remettre par devers le greffe, a peyne de l'amende de dix livres.

  A023002879 

 Et si, est de rechiefz inhibé et defendu de n'intenter aucun proces sans le sceu et advis de leurs Survelliantz, a la mesme [peine] que dessus, suyvant nos precedentes Sinodales..

  A023002882 

 Les chappelles ausquelles ne sera faict aucun service, combien que soient esté proclamees par trois diverses Dimenches, suyvant les attestations rapportees, les revenus d'icelles seront joinctz et unis au maistre autel..

  A023002883 

 Item, que toutes permissions de travallier les jours de feste seront par cy apres donnees solemnellement et autentiquement, affin que l'on n'en puisse abuser..

  A023002885 

 Et finalement a esté dict et arresté que les trois [jours] de la celebration du Sinode, comme la veille, jour d'icelluy et de lendemain, seront par cy apres privilegiés, et ne se pourra esdictz jours fere aucune execution, quelle qu'elle soit, a peyne de nullité et de l'amende..

  A023002894 

 Autrement, et en cas que les provisions fussent expediees avant ledict temps de vingt jours sus establys espiré, a declaré telles provisions nulles et nullement faictes, lesdictz benefices vaccans, et sera d'iceulx benefices proveu par voye de concours.

  A023002894 

 Et en cas que telles permutations soient treuvees justes et raisonnables, seront les dictes permutations registrees par devers le greffe deuement, a charge tout-tesfois que les provisions qui pourraient estre faiçtes en suite d'icelles ne pourront et ne sera loysible d'estre expediees que passés et escoulés vingt jours entiers, y comprenant le jour de ladicte resignation.

  A023002894 

 Que si lesdictz benefices sont chappelles dependant de droict de patronage, seront les patrons et presentateurs d'icelles tenus presenter et nommer pour recteurs desdictz benefices, dans le temps pourté par le droict, gentz capables pour estre institués: a faute de quoy fere, seront les chappelles par Nous conferees comme si icelles chappelles ne dependoient d'aucun presentateur..

  A023002894 

 Que tous beneficiés desirant resigner leurs benefices par cause de permutation, par devant Nous ou nostre Vicaire general, seront tenus par cy apres exprimer la situation et vraye valeur du revenu et en quoy le dict revenu consiste.

  A023002895 

 Et cas advenant que pendant les susdictz vingt jours sus ordonnés il arrivat que l'un des permutans vint a deceder au paravant que les permutations heussent sorti leur plain et entier effect, sera permis a l'autre permutant survivant de demeurer dans son benefice paisiblement, sans contredite, sans que telle permutation et resignation luy peut appourter prejudice et comme si oncques elle n'eut esté faicte..

  A023002899 

 Et par ce que plusieurs chappelliers tiennent et possedent chappelles sans estre d'icelles institués, a esté dict et ordonné que tous chappelliers feront et Nous rapporteront leurs institutions par devers le greffe dans trois mois; autrement, et a faute de ce, seront par Nous tenus comme intrus, et d'icelles en sera par Nous proveu a d'autres comme verrons a fere..

  A023002901 

 Sur la plaincte a Nous faicte que aucuns curés prennent argent pour publier mariages et Monitoires, des a present il est inhibé a tous curés que, pour publication de mariages ou Monitoire, il n'en soit prins aucun argent; a peyne de vingt cinq livres et autre plus grande, sil y eschoit..

  A023002902 

 Et ou ledict Monitoire sera esté refusé de publier, sera mis au pied: «N'a esté publié par ce que l'impetrant ne s'est purgé par serment.».

  A023002902 

 Ne sera aussy publié aucun Monitoire que preallablement les impetrantz d'iceulx ne se purgent par serment sur la verité du contenu en iceulx.

  A023002905 

 Et par ce que plusieurs prebstres ignorantz s'entremeslent de la collation des Sacrementz sans avoir permission de Nous ou de nostre Vicaire, Nous avons enjoinct a tous Surveilliantz de Nostre diocese de Nous rapporter rolle desdictz vicaires et prebstres, pour, sur ce, estre proveu..

  A023002906 

 Et par ce que il se treuve plusieurs riere Nostre diocese qui font profession d'enseigner la jeunesse, qui ne sont d'Eglise, avons dict et ordonné quilz seront tenus au paravant fere profession de foy entre les mains de leur Surveilliant; a peyne d'estre declaré incapable et rigoureusement chastié..

  A023002908 

 Puisque par Nos Sinodales cy devant faictes estoit inhibé a [411] tous prebstres ne tenir femmes suspectes, est derechef inhibé de ne tenir femme, sinon que ce soit mere, bellemere, tante, seur; a peyne d'estre chastié rigoureusement..

  A023002911 

 Comme aussy de Nous rappourter rolle des communiantz de leur parroche touttes les annees, sous la mesme peyne que dessus, et des baptizés et mariages..

  A023002913 

 Sur la remonstrance verbale faicte [par] nostre Procureur fiscal, comme encour qu'il soit pourté par Nos Constitutions sinodales cy devant faictes, se presenter au Sinode et de rapporter annuellement leurs quattre livres, ce neantmoins, au mespris d'icelles, plusieurs curés ne tiennent compte d'obeir a icelles, de sorte quil Nous auroit requis qu'elles fussent refrechies: quoy ouy par Monseigneur le Reverendissime, seroit esté dict et ordonné que tous curés seroient tenus de se presenter audict jour de Sinode touttes les annees personnellement, produire et remettre leurs quattre livres en bonne et deue forme; a peyne de dix livres.

  A023002921 

 Et neantmoins, faisant droict sur les requisitions dudict Procureur fiscal, a dict et ordonné que tous curés seront tenus de comparoir au Sinode par cy apres et donner leur nom, payer deux solz; a peyne de l'amende de dix livres, laquelle est declaree contre chacun contrevenant et defaillant..

  A023002921 

 Mondict Seigneur le Reverendissime, apres avoir donné acte de la presentation de comparantz pour leur servir et valloir ainsi que de raison, a dict [et] ordonné quil sera passé a la celebration dudict Sinode par les cy devant nommés, que sera autant vallable comme si tous avoient esté presentz.

  A023002923 

 — Tous curés achepteront les [Tables des] Indulgences que sont concedees a ceulx que sont de la Confrarie du Sainct Sacrement..

  A023002924 

 Ausquelz [curés] est inhibé de ne dispenser en façon que soit, sinon aux Survelliantz, ausquelz Nous avons permis de pouvoir dispenser..

  A023002929 

 Pour eviter aux contestes des fruictz des benefices a qui doibvent appertenir, est declaré que la prise de tout benefice commence a la feste de sainct [Jean] Baptiste et finissent ( sic ) a l'autre sainct Jehan suivant; et s'adjugeront ad ratam temporis..

  A023002933 

 Tous curés sont exhortés de celebrer et de conferer le Sacrement de Mariage le mattin, affin que l'on puisse [donner] la benediction matrimoniale, quoy qu'il est loisible le conferer a toutte heure; que si viennent le soir, de les exhorter de venir le mattin..

  A023002934 

 Ceulx qui ne fourniront aucun luminaire, en sorte que [l'on] soit contrainct de le fournir, l'on ne fournira que deux chandoilles; que si ilz en vëullent davantage, ce sera a leurs despens..

  A023002942 

 Mondict Seigneur le Reverendissime... dict que tous les absentz seront adjournés pour comparoir par devant nous, [Procureur fiscal,] pour se voir declarer d'avoir encouru la peyne de dix livres..

  A023002944 

 Item, ne pourront prendre les curés ny vicaires aucune chose pour la publication des mariages ni Monitoire, sinon quil fallut que allassent hors leur maison d'habitation et parroche; a peyne de six livres contre les contrevenantz..

  A023002945 

 Quand l'espoux et l'espousee sont de deux parroches, se celebrera le mattin la Messe ou se converront, et ce faict, leur sera donné la benediction nuptiale; sinon que l'espousee estant amenee en la maison de leur ( sic ) espoux, sera celebré lendemain, et non passé midy..

  A023002952 

 Au registre des baptizés, d'autant que il advient que plusieurs sont baptizés long temps apres leur naissance, sera apposé le jour de ladicte collation du Baptesme, et neantmoins dict: «naiz tel jour.» Et tous prebstres qui auront baptizé [enfants] qui ne sont de leur parroche, seront tenus le rappourter en la parroche dudict baptizé..

  A023002953 

 En la reception des permutations, a esté ordonné que touttes permutations seront faictes par les permutantz en plaine santé; a ce appeller les Examinateurs, pour sçavoir si elles seront de recepvoir ou non.

  A023002955 

 Et par ce quil y a plusieurs proces pour le Clergé, que aussy quil y a restatz, a esté dict et ordonné que les deputés du Clergé s'assembleront demain a une heure apres midy, pour les afferes dudict Clergé, au pallais de Monseigneur le Reverendissime, pour deliberer ce qui sera de fere pour le bien et utilité dudict Clergé..

  A023002964 

 Ledict Rituel a l'usage de Rome, auquel est contenu un Calendrier ou sont des estoilles pour monstrer les festes que doibvent estre celebrees..

  A023002966 

 Sur le refus que font quelques curés d'ouyr en confession leurs parrochains en autre temps que aux festes solemnes, a esté dict, enjoinct et commandé d'ouyr en confession leurs parrochains tout-tes fois et quantes quilz se presenteront..

  A023002967 

 Est inhibé de n'en prendre rien, sinon quil leur sera loisible de dresser un tronc pour y mettre des oblations que leur seront donnees..

  A023002968 

 Et que le Cathechisme sera enseigné pour l'instruction de la jeunesse, affin que le service de Dieu soit faict..

  A023002969 

 Que tous curés comparoistront au Sinode, a peyne de dix livres, sinon en cas d'extreme necessité; ou bien feront apparoir de souffisante excuse..

  A023002970 

 Que par cy apres ne sera publié aucun Monitoire quil ne soit deuement scellé et signé, et en probante forme..

  A023002972 

 Et finalement, que au Mariage sera observé le Rituel par Nous dressé..

  A023002973 

 Et que les deputés du Clergé comparoistront demain, a deux [heures] apres midy, dans Nostre pallais de Nostre residence, pour deliberer sur ce que touche les afferes et negoces de Nostre dict Clergé..

  A023002982 

 Attendu la grande estendue de Nostre diocese, environné en divers endroitz d'heretiques avec lesquelz une partie de nos diocesains sont contraintz non seulement de frequenter, mays encor de demeurer la pluspart du temps; desirans sçavoir si un chacun fait devoir de vray catholique, Nous enjoignons a tous curés, vicayres et autres ayans charge d'ames riere ce diocese, de rapporter toutes les annees au Sinode, par devant Nous ou nostre Vicayre general et Official, les noms et surnoms dé ceux qui ne se seront confessés et communiés aux Pasques precedentes, ainsy que dessus a esté dit..

  A023002989 

 A esté dict, resolu et declaré que touttes oblations faictes particulierement aux chappelles sont et appertiennent aux curés des parroches riere lesquelles les chappelles sont situees et fondees..

  A023002991 

 Que sur l'opposition de publication de Monitoire ou de mariage, les parties seront renvoyees par devant Nous ou nostre Vicaire general et Official, pour estre reiglé comme en ayant la cognoissance..

  A023002998 

 Que touttes resignations seront faictes vingt jours au paravant que de les mettre en execution.

  A023003001 

 Et finalement a esté ordonné que tous prebstres desirant obtenir admissionem in vicarium se presenteront le premier Dimenche de chacun mois, ou bien, sil est feste solemne, le lendemain..

  A023003009 

 Monseigneur le Reverendissime, apres avoir conferé avec son dict Clergé, auroit dict et ordonné que pour l'annee prochaine 1616 seroit procedé a son Sinode a forme du Pontifical; a quelles fins tous curés de sa diocese comparoistront et demeureront trois jours, tousjours en habit decent, pour estre faict deliberations en les establissementz requis..

  A023003010 

 Plus, a esté dict et ordonné que les festes commandees par le Rituel seront celebrees; et quant aux festes de devotion, l'on pourra travallier, et ne sera loisible adjouster condition.

  A023003010 

 Que si l'on veut estre dispensé de la celebration [de quelque fête] il faudra recourre ( sic ) aux Survelliantz; ordonnant neantmoins que les festes seront faictes selon la coustume des lieulx..

  A023003012 

 Il a esté aussy ordonné quil sera loisible aux curés, comme par advertissement paternel, de pouvoir advertir les parrochains d'appourter argent, soit pour les tallies, que pour paier les soldatz, attendu l'urgente necessité..

  A023003013 

 Que tous prebstres et curés de Nostre diocese observeront nos Sinodales cy devant faictes; aux peynes y indites..

  A023003021 

 Monseigneur, en l'assistence de son dict Clergé,... auroit dict et ordonné que tous curés de ce diocese auroient quattre livres, sçavoir: des communiantz, mariages, decedés et des baptizés, ausquelz seroit inscript le jour de la naissance, le jour auquel seront baptizés, les noms des parrains et marrainnes, et le nom du curé et ministre; sus peyne de l'amende de dix livres.

  A023003022 

 Plus, que les flambeaux que seront donnés pour les funerallies des decedés, les heretiers d'iceulx s'en pourront servir pendant l'annee du dueil aux services; laquelle passee, appertiendront a l'eglise en laquelle le corps est enterré, sauf ceux qui sont donnés aux eglises qui accompagnent le corps..

  A023003023 

 Plus, que tous curés viendront querir les sainctz Huilles touttes les annees et les viendront prendre vers les distributeurs accoustumés (ausquelz seront tenus paier quattre solz pour leurs despenses), qui registreront les noms de ceulx qui en seront [pourvus] et les remettront] par devers Nostre greffe dans l'octave de Pentecoste..

  A023003024 

 Plus, que tous distributeurs qui pretendent d'avoir droict de distribuer les dictes Huilles feront apparoir de leurs droictz dans quinzaine; autrement sera sur ce proveu.

  A023003027 

 Plus, que le Praune sera faict selon la forme prescripte par Nostre antecesseur..

  A023003028 

 Plus, que les osties des communions seront consumees de trois septmaines en trois septmaines..

  A023003029 

 Plus, que tous curés maintiendront leur autel decemment..

  A023003030 

 Plus, que tous venants aux Ordres, et mesmes ceulx qui seront desja subdiacres, [y viendront] en habits decents et convenables a leur qualité; lesquels seront tenus d'apprendre leur chant, autrement ne seront receuz..

  A023003040 

 Veu les Requeste et Articles cy attachés, a Nous presentés de la part du Clergé de Savoye, et le tout bien consideré, attendu le faict dont il s'agit; de Nostre certaine science et avec l'advis de Nostre Conseil, vous mandons et ordonnons par ces presentes, que, le tout bien et deuement consideré, ayes a pourvoir sur les fins et conclusions desdicts articles le plus promptement que faire se pourra, ainsy et comme verres estre a faire par rayson et justice, vous donnant de ce faire plein pouvoir, authorité, mandement et commission: car tel est Nostre vouloir..

  A023003050 

 Veu par le Senat ladicte Requeste presentee par lesdicts seigneurs demandeurs et supplians y nommés, du premier de ce mois, ensemble les dictes lettres par eux obtenues de Son Altesse, du dernier janvier, ensemble les Articles y attachés, et autre Requeste presentee a sa dicte Altesse dudict jour de janvier, avec les conclusions du Procureur general, signé FAVIER, et tout ce qui faisoit a voir et [420] considerer, et qu'a esté produict et remis par devant le Senat, veu et consideré: Le Sénat, en enterinant quant a ce lesdictes lettres et Articles y annexés, a dict et ordonné que les supplians seront maintenus en la possession, jouissance et perception des dismes, premices et novelles y mentionnees, chacun en droict soy et riere leurs dismeries respectivement: le tout selon la coustume locale et ancienne observation des lieux ou lesdictes dismes, premices et novelles y sont deues, tant par la quote que qualité des fruicts decimables.


24-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXIV-Vol.3-Opuscules.html
  A024000158 

 I. Mémoire destiné à prouver que l'Evêque de Genève est le seul légitime Prince souverain de la cité et de ses dépendances, [décembre 1601].

  A024000283 

 A l'approche, presque à la veille de ce jour de fête périodique où l'Eglise catholique notre Mère a ordonné que le grand et vénérable Sacrement de l'Eucharistie soit honoré d'un culte spécial et solennel, et porté en procession en grande pompe et magnificence [3] sur les chemins et places publiques, pour montrer à ses ennemis, par tout ce joyeux apparat, la vérité victorieuse du mensonge et triomphante de l'hérésie: le Saint-Esprit Nous ayant, établi, par la volonté du Siège Apostolique, pour gouverner cette Eglise de Dieu où Nous sommes placé, le soin primordial Nous incombe de tout ordonner, afin qu'il n'y ait rien que de convenable et de beau dans cette solennité..

  A024000284 

 C'est pourquoi, avant tout, Nous exhortons vivement tous les fidèles des deux sexes, les membres du clergé tant séculier que régulier, de tout Ordre et dignité, d'assister à la procession générale dans laquelle est porté ce Corps redoutable; et même, autant que Nous le pouvons dans le Seigneur, en vertu de la sainte obéissance et sous peine d'excommunication latæ sententiæ (à moins d'empêchement légitime), Nous prescrivons à tous de participer à cette procession solennelle avec les ornements sacrés et la pompe convenable.

  A024000284 

 [4] Il ne convient pas, en effet, que quelqu'un se tienne à l'écart d'une aussi grandiose profession de la religion catholique, pour célébrer en particulier cette fête où l'on honore ce Sacrement que Notre-Seigneur a laissé à son Eglise comme un symbole de l'unité qu'il veut voir régner parmi tous les chrétiens..

  A024000285 

 Cependant, quoique tout ce qui vient de Dieu soit bien ordonné et doive être fait avec bienséance et avec ordre, il importe que cela soit surtout observé dans la sainte Eglise de Dieu, qui doit toujours paraître comme une armée rangée en bataille.

  A024000286 

 Après le Saint-Sacrement prendront place les fidèles [6] des deux sexes dans l'ordre et la pompe que, selon leur dévotion à ce grand mystère, ils ont eu jusqu'ici la coutume d'apporter à cette procession..

  A024000287 

 Dans Notre volonté absolue de les sauvegarder, Nous sommes prêt, chaque fois que ces droits seront reconnus, à déclarer cette ordonnance, en tant qu'elle s'y opposerait, nulle et sans aucun effet..

  A024000287 

 L'ordre ci-dessus indiqué étant conforme au Cérémonial Romain, au droit commun et aux décrets pontificaux, Nous ordonnons, en vertu de la sainte obéissance, qu'il soit observé par tous les ecclésiastiques, tant réguliers que séculiers, sans aucune contestation.

  A024000288 

 D'ailleurs, pour favoriser le peuple, et exciter sa dévotion envers l'église paroissiale de Saint-Maurice autant qu'il est en Notre pouvoir, Nous avons décidé de célébrer dans cette église l'office solennel de la Messe, à laquelle répondront alternativement les membres du clergé de la Cathédrale et de la Collégiale, de telle sorte que là même tous puissent commencer la procession et la finir.

  A024000301 

 Nous, FRANÇOIS DE SALES, par la grace de Dieu et du Sainct Siege Apostolique Evesque et Prince de Geneve, ayant deuement faict citer les sieurs Prevost et Chanoennes de Sainct Pierre de Geneve d'une part, et les R dz sieurs Doien et Chanoennes de Nostre Dame de ceste ville d'Annissy, a comparoir par devant Nous a ce jourdhuy, septiesme dudict mois de juin, a l'heure de midy, pour [9] recepvoir l'ordre auquel ilz doibvent respectivement marcher en la future procession du Tressainct Sacrement de l'hostel (sic), et iceulx ayant comparus d'une part et d'autre a l'heure assigné, Nous avons premierement faict ouverture d'une lettre venant de la part de Monseigneur le R me Archevesque de Vienne, nostre Metropolitain, de la teneur que s'ensuit:.

  A024000304 

 Si avant le jugement l'on en usoit d'autre façon, lesdictz seigneurs se donneroient guaing de cause devant le procès jugé, et ilz ont consideré que leurs voisins font trouphees de leurs despoullies et n'ont autre contentement que d'avoir occasion de treuver a redire a leurs actions..

  A024000304 

 Voyant que la feste du (sic) auguste Sacrement de l'hostel est proche, et ayant esté adverty de ce qui est arrivé l'annee passee, que les sieurs Doien et Chanoennes de Nostre Dame furent contrainctz se tenir hors leur cueur en une chappelle, estant leur cueur occupé par vous, Monsieur, et les sieurs Prevost et Chanoennes de vostre Eglise de Sainct Pierre, chose qui pouvoit appourter quelque occasion de plainte et de scandale: cela m'a occasionné de vous fere la presente (puis que l'affaire est sur le poinct d'estre jugé) pour vous prier de leur donner au cueur de leur eglise le cousté gauche, et que, a la Grande Messe, ilz offrent conjoinctement avec les sieurs de vostre Eglise; que marchant processionnellement ledict jour ils ayent pour ce coupt, et sans le tirer en consequence, ilz soient mis a vostre main gauche.

  A024000305 

 A quoy me remettant, je vous prie de croire que je suis.

  A024000305 

 Je m'asseure que, par vostre prudence, il sera prouveu a mon contentement et des sieurs desdictz Chappitres.

  A024000312 

 Lequel sieur Doien a dict quil n'avoit poinct plus particuliere instruction de mondict Seigneur de Vienne que ce quil a dict, remettant le surplus a la lettre..

  A024000312 

 R d messire Loys de Sales, Prevost de Sainct Pierre [de] Geneve, remonstre, parlant au nom de tout le Chappitre de Sainct Pierre, quil n'estoit possible de mettre de chasque cousté gauche ung chanoenne de l'eglise Collegiate de Nostre Dame, attendu la disparité du nombre des uns et des autres; et partant, il requiert que le sieur Doien de Nostre Dame deubt esclaircir l'intention de mon-dict Seigneur de Vienne, laquelle il a receu verbalement, outre la lettre quil Nous a appourté.

  A024000314 

 « Nous voyons par ceste lettre et le discour d'icelle, que mondict Sieur de Vienne, a l'occasion d'un advertissement quil a heu [11] de plusieurs chiefz et cas advenus narrés en icelle, que ledict Doien et Chanoennes de Nostre Dame furent contrainctz se tenir hors leur cueur, estant ledict cueur occupé par mondict Seigneur le R me, lesdictz Prevost et Chanoennes de son Eglise; et que l'on collige probablement d'icelle que plainte a esté faicte de la part des sieurs Doien et Chanoennes, lesdictz Prevost et Chanoennes de Geneve leur avoir denyé et donné empechement formel de ne louer Dieu et chanter en ladicte eglise et procession les uns avec les autres.

  A024000315 

 Lequel sieur Doien avec ses Chanoennes revenu, a faict response n'avoir donné aucun advertissement particulier; ains, interrogé par ledict Sieur Archevesque de Vienne comme le tout se passa, luy respondit que certain billiet avoit esté apposé aux portes de leur eglise, contenant l'ordre a debvoir tenir et observer en la procession de l'annee derniere, signé: DECOMBA, qui estoit que tous ecclesiasticques se deussent treuver a Sainct Mauris pour, en fin de la Messe, marcher en procession suivant le contenu dudict billiet; et quils se retirarent en une chappelle.

  A024000316 

 A quoy replicquant, ledict sieur Prevost a dict [à] mondict Seignieur: « Il ne conste de la volonté pretendue de mondict Seigneur de Vienne que par une lettre, laquelle ne faict aucune mention des jugemens rendus sur ce faict par sa justice, mesme de la sentence provisionelle rendue l'annee passee en jugement contradictoire a l'encontre desdictz sieurs de Nostre Dame; par vertu de laquelle, vous, Monseigneur, commandates l'ordre qui fust tenu l'annee passee, laquelle sentence, comme dict est, n'a esté infirmee ny revocquee par jugement definitif.

  A024000316 

 Et de vostre Eglise faisant aller leur plainte jusques au Pape Gregoire treiziesme, il commanda au sieur Cardinal de de fere une lettre au Sieur Justinian, tesmogniant le degoust qu'avoit heu Sa Saincteté de telle procedure, avec inhibition de plus y revenir et commandement de maintenir son Eglise en son autorité et preeminence: chose qui ne peut estre ignoré par lesdictz seignieurs Doien et Chanoennes, veu que le tout leur a esté communiqué au proces.

  A024000316 

 Et partant, nous persistons aux fins que ladicte sentence desja executee demeure en sa force et vigueur; vous suppliant, Monseigneur, prendre en la bonne part la remonstrance que vous est faicte, que feu d'heureuse memoire Monseigneur Justiniani, pour avoir commandé semblable meslange que pretendent se debvoir fere lesdictz sieur et Chanoennes avec vostre Eglise et Chappitre, se y pourtant lors pour appellantz, par sentence du Metropolitan telle procedure fust recogneue et decleree nulle et mal faicte, avec despens.

  A024000317 

 Et a esté respondu par ledict sieur Doien que mondict Seigneur Archevesque de Vienne a esté informé de la sentence provisionelle et veu icelle.

  A024000320 

 Lors, ledict sieur de Sainct Pierre de Geneve replicquant, a dict: « Nous protestons en tout et partout vouloir obeir aux commendementz de Monseigneur l'Archevesque, soit par sentence, lettre, voire mesme si nous pouvions apprendre sa volonté par signes nous aurions autant de promptitude a nous y submettre que nous ferions a une sentence definitive; mais nous soustenons la lettre estre subreptice et obreptice, obtenue sus ung faulx donné entendre: ce que se verifie par la lecture de la lettre..

  A024000321 

 Apparoissant du faulx donné entendre a correction, comme peuvent tesmogner les seigneurs Doien et Chanoennes, dautant que, tant s'en faut que lesdictz seigneurs Doien et Chanoennes ayent esté contrainctz; que vous, Monseigneur, les voyant en ladicte chappelle, me commandates d'aller a eulx pour leur dire de vostre part quils montassent en haut pour se joindre a vostre Eglise.

  A024000321 

 Ce que je fis, les priant mesme de la part de vostre Eglise quilz eussent a fere ce qu'estoit par vous commandé; ce quilz ne volurent fere..

  A024000321 

 « Premierement, il est dict que lesdictz Chanoennes et Doien ont esté contrainctz se tenir hors de leur cueur en une chapelle, estant le cueur occupé par vous, Monseigneur, et les Chanoennes de vostre Eglise.

  A024000322 

 « De plus, ilz sçavent tropt mieulz que vostre Eglise n'occupoit poinct le cueur, s'estant reduictz les Chanoennes d'icelle en une chappelle a cousté dudict cueur, ny ayant occupé que le sancta sanctorum par vous, Monseigneur, et ceulx qui vous servoient a l'autel.

  A024000323 

 Et mesme il ny a pas long temps qu'a l'action de grace que fust faicte en vostre Eglise pour la naissance du Prince d'Hespagne, que on logea leurs [14] chantres au pres des nostres et chanterent le Te Deum laudamus alternativement, protestant neantmoins que telle permission ne deroge a leur droict, estant faicte comme courtoysye..

  A024000323 

 « Et beaucoupt plus en ce quil a dict que vostre Eglise faisoit difficulté de chanter avec eulx; par ce que vous sçaves, Monseigneur, que tant s'en faut que l'on leur fasse telles difficultés es eglises quilz servent, que mesme, quand ilz sont convocqués en vostre Eglise, vousdictz Chanoennes les prient ordinairement de chanter avec eulx: notamment aux Synodes, ou vostre Eglise doibt paroir, et son autorité, plus qu'en poinct d'autre acte, elle permet ausdictz sieurs Chanoennes, voire les en prie, de chanter avec eulx et psalmodier alternativement.

  A024000324 

 « Et quant a l'exemple de vostre predecesseur susmentionné, si celuy qui a informé n'eut pas teuct le vray et parlé contre verité a dessaing (parlant civilement), ains eut dict que Monseigneur vostre predecesseur eut esté condamné de telle procedure et le degout que le Pape [en] avoit receu, nous tenons pour bien asseuré que Monseigneur l'Archevesque ne vous eut faict telle priere, comme se void par ces motz de la lettre: « Ayant esté adverty » et: « m'a occasionné, » etc. Par ou l'on void que l'advertissement estant faulx, il n'a heu volonté de fere telle pretendue priere..

  A024000325 

 Et de plus requerons que lesdictz sieurs Doien et Chanoennes et Chappitre ayent a declerer s'ilz ont demandé la declaration pourté par ladicte lettre, et faict instruire au pres de mondict Seigneur l'Archevesque de Vienne aux fins quil commanda telle (sic) meslange de corps en ladicte procession.

  A024000325 

 Et la ou il plairoit, au prejudice dudict jugé et execution d'icelluy, nous commander quelque chose, nous vous prions ne treuver mauvais que nous nous opposions, comme nous faisons des a present.

  A024000326 

 Et par [ce que] lesdictz sieurs Doyen et Chanoennes et Chappitre de Nostre Dame en persistant estre dudict ordre ordonné jouxte et a forme de ladicte missive de mondict Seigneur le R me de Vienne, et respondu ne l'avoir pas poursuivi, mais seulement demandé l'ordre a debvoir tenir en la procession future, et son intention, puis que le proces est pendant par devant luy:.

  A024000328 

 Et, en suitte de cela, Nous avons ordonné et ordonnons, tant comme commis par le Siege Metropolitain a l'execution de la sentence provisionelle donnee l'annee passee, que comme deputé par le sacré Concile de.

  A024000328 

 Nous, FRANÇOIS DE SALES, par ia grace de Dieu et du Saint Siege Apostolique Evesque et Prince de Geneve, ayant ouy les requisitions, responses et repliques des parties sus mentionnees, et principalement ayant consideré que la lettre de Monseigneur le R me Archevesque de Vienne, nostre Metropolitain, ne Nous donne aucun nouveau pouvoir [15] pour contraindre par voye de justice les parties respectivement, pour tenir l'ordre quil desire, et beaucoup moins d'executer nonobstant opposition et appellation; et ayant, entant qu'en Nous est, procuré par voye d'exhortation et de sommation que laditte lettre fust reduitte a son plein et entier effect, ce que n'avons obtenu: apres avoir invoqué l'ayde du Saint Esprit, avons receu et recevons les oppositions et appellations des sieurs Prevost et Chanoynes de Nostre Eglise entant que de droit et de rayson.

  A024000329 

 Et a la procession, de pouvoir faire un chœur pour chanter alternativement les hymnes et cantiques sacrés, et en telle sorte que le commencement desditz hymnes et cantiques soit fait par le clergé de Nostre Eglise; et ce, selon les offres et declarations desditz sieurs Prevost et Chanoynes de Nostre Eglise..

  A024000329 

 Que l'ordre observé l'annee passee s'observera la presente annee, sauf au sieur Doyen et Chanoynes de Nostre Dame de pouvoir se trouver dans le chœur de Saint Maurice, et a la main gauche des sieurs Prevost et Chanoynes de Nostre Eglise pour, avec eux ensemblement, respondre a la Messe que Nous ou Nostre Vicayre general celebreront.

  A024000331 

 Fait et prononcé a Nessy, en la mayson de Monseigneur le R me Evesque de Geneve, tant aux R dz seigneurs Prevost et Chanoynes de l'Eglise de Geneve, que aux R dz Doyen et Chanoynes de Nostre Dame, presens..

  A024000354 

 Que les Dames demanderesses, en ladicte qualité doibvent estre maintenues en la possession et jouissance (seu quasi) en laquelle ont esté leurs predecesseurs, de prendre et percevoir tous les nouveletz qui ont esté faictz riere la dismerie mentionnee ausdicts contractz respectivement produitz; et ce, en payant annuellement au sieur Curé de Samoen les douze octanes d'avoine, lesquelles ledict venerable Procureur a confessé et soustenu avoir esté payees annuellement audict sieur Curé et a ses predecesseurs..

  A024000355 

 Et neanmoins, ayant aucunement esgard que les nouveletz pour lesquelz le present proces a esté intenté sont de fort peu de revenu, et [que] pour regard d'iceux ne pourroit estre deub que quatre ou cinq quartz au plus d'avoine: nous trouverions bon et raisonnable que lesdictes Dames [19] demanderesses s'emploiassent envers le R. P. General des Chartreux pour obtenir de luy declaration en bonne forme que lesdictz nouveletz contentieux demeurassent acquis audict sieur Curé et a ses successeurs, affin de donner tesmoignage du desir quil a de contribuer quelque chose a l'erection et amplification de l'eglise collegiale de Samoen; a la charge neanmoins que la dicte liberalité ne puisse par cy apres estre tiree a aucune consequence au prejudice de ladicte Maison de Melan, et sans que ledict sieur Curé ny ses successeurs puissent pretendre aucun droict ny disme aux nouveletz qui se feront cy apres riere toute ladicte dismerie (quand elle viendroit a tomber en friche en tout ou en partie, et a estre par apres defrichee et renouvelee), sinon dans les confins dudict quartier auquel lesdictes Dames ne sont costumieres que de prendre les deux tiers du disme.....

  A024000356 

 Si avons commis et commettons M e Jean Dupont, scribe du sieur President, arbitre, pour expedier aux parties des extraitz, affin de s'en servir et valoir ainsy que de raison..

  A024000385 

 Lorsqu'on pourra convoquer le Chapitre, le Doyen ne procèdera que sur son avis.

  A024000388 

 [22] Ceux qui, pour des fautes ou excès légers, auront été punis ou corrigés, ne pourront plus être molestés, en quelle manière que ce soit, par l'Ordinaire du lieu ou tout autre..

  A024000389 

 Que les chanoines susdits et autres serviteurs de l'église soient tenus de rendre respect et honneur au Doyen, comme à leur chef..

  A024000396 

 Reverend sieur messire Philippe de Quoex, prestre, né en loyal mariage et noble, tant de la part de son pere que de sa mere ayant presenté des lettres d'institution et provision obtenues de Nous le 6 janvier 1615, pour le [23] canonicat lhors vacant en Nostre Eglise par le deces de feu R. S r Claude Estienne Nouvelet, decedé en l'an 1613, au mois d'octobre, au venerable Chapitre de Nostre ditte Eglise: les RR. SS rs Louis de Sales, Prevost, Jean François de Sales, chantre, Estienne de la Combe, sacristain, Jean Favre, Marc Anthoine de Valence et Janus des Oches, deputés par iceluy Chapitre de Nostre Eglise, se sont presentés devant Nous et, avec les termes et reverence convenables, Nous ont fait plusieurs remonstrances, requisitions et protestations, tant pour la conservation du droit quilz ont d'eslire, nommer et instituer es canonicatz et præbendes de Nostre ditte Eglise es mois de mars, juin, septembre et decembre, comm'aussi pour l'observation des autres privileges et prerogatives desquelles Nostre ditte Eglise et le Chapitre ont accoustumé de jouir... [24] Toutes lesquelles remonstrances, requisitions et protestations Nous avons declairé et declairons, tant pour Nous que pour Nos successeurs quelconques:.

  A024000397 

 Lequel Chapitre en est en paysible et non jamais alteree ni interrompue jouissance, possession et coustume des un tems immemorial, ainsy qu'il conste et appert par plusieurs bons tiltres et documens, et par la continuation de l'usage dudit droit; lequel, comme bon, legitime et solide, et tel reconneu par Nous, non seulement Nous ne voulons en sorte quelconque violer ni contredire, mais plustost, entant qu'en Nous seroit, Nous voudrions maintenir, confirmer et entretenir, selon le devoir que Nous avons a la conservation des droitz, privileges et biens de Nos ditz Eglise et Chapitre..

  A024000397 

 Premierement, que Nous avons esleu et institué le susnommé M re Philippe de Quoex du canonicat et præbende vacans, en vertu de l'alternative [accordée] par nos Saintz Peres aux Evesques et autres Ordinaires residens actuellement en leurs eglises; comme d'ores en avant Nous voulons, en acceptant laditte alternative, jouïr du benefice d'icelle, sauf neanmoins es mois de juin et de decembre, esquelz Nostre alternative auroit lieu si le droit d'eslire et instituer esditz mois n'appartenoit a Nostre dit Chapitre: esquelz mois de juin et de decembre Nous ne pretendons de prouvoir, non plus qu'es autres deux mois de mars et de septembre: advouant, reconnoissant et declairant par ces presentes que ledit droit d'eslire, nommer et instituer es canonicatz et præbendes de Nostre ditte Eglise, qui sont venus, viennent ou viendront a vacquer esditz quatre mois de mars, juin, septembre et decembre, appartient purement et solidairement au Chapitre d'icelle Nostre Eglise.

  A024000398 

 Secondement, Nous declairons ne devoir ni pouvoir prouvoir desditz canonicatz et præbendes que personnes bien et deuement qualifiees, selon les decretz du saint Concile de Trente, et specialement selon les privileges et concessions des Papes faitz en faveur de Nostre ditte Eglise et les Statutz de Nostre dit Chapitre....

  A024000399 

 Tiercement, Nous declairons que l'eslection et nomination [25] aux canonicatz et præbendes desquelz la provision dependra de Nostre authorité ne pourront en aucun cas estre faittes que par Nostre propre personne et par celle de Nos successeurs, sans que laditte election et nomination puisse jamais estre faitte par Nos Vicayres generaux, officiaux ou substitués de nos successeurs....

  A024000400 

 Et en fin, Nous declairons que toutes les provisions par Nous ou Nos successeurs, Nos Vicayres ou les leurs, devront estre commises et addressees a Nostre dit Chapitre; a faute dequoy elles seront tenues pour nulles, comme obtenues subrepticement et contre Nostre intention..

  A024000412 

 Comme en l'annee derniere 1613, et le mercredy, troisiesme jour de julliet, les scindicz de la ville dudict Samoen, tant a leurs noms que des aultres procureurs et tout le peuple de ladicte ville et parroisse dudict Samoen, assemblé en la sacristie de l'eglise dudict lieu, en presence des conseilliers et partie des apparentz de ladicte ville, auroient prié et requis les suppliantz de celebrer tous les mercredys, durant une annee entiere, une Grande Messe a l'honneur de Dieu et des glorieux saintz Fabien et Sebastiain, et, a l'issue d'icelle, fere la procession a l'entour de ladicte eglise, avec le cantique ou prose de Sebastiain, ainsy qu'appert par la memoire de la devotion prinse et prieres sur ce faictes, signee par lesdictz sieur Chastelain de Cornut, de Lestelley et aultres des illec assistantz; avec promesse lhors verbalement faicte..., de reconnoistre et recompenser honnestement le sallaire desdictz suppliantz, obligeantz par ce moyen tout le Chappitre, assisté de deux clercz de chœur, et de la peyne du maniglier occasion de ladicte procession..

  A024000413 

 Or, creignant fere naistre quelque estonnement ou scandale lhors quilz viendroient a demander, selon leur advis, ce que leur pourroit competer pour raison dudict service, ou quand ilz refuseroient la recompense desmesurement petite qui leur seroit offerte par ledict sieur Chastelain et aultre peuple:.

  A024000414 

 A ceste cause, lesdictz suppliantz recourent tres humblement a Vostre Reverendissime Seigneurie, quil luy plaise les regler en leurs demandes et ordonner ce que raisonnablement leur est deubt ausdictz clercs et maniglier, a cause dudict service; car ilz desirent en tout et par tout de se ranger par la mesure de voz commandementz, ainsy quilz sont voz serviteurs et creatures tres humbles, et tres affectionnez a prier Dieu pour la prosperité de Vostre dicte Reverendissime Seigneurie, de laquelle ilz attendent devotement un tres charitable et equitable office..

  A024000416 

 Attendu que les parties suppliees ont desiré que la devotion mentionnee se fit a leur intention particuliere, elles sont exhortees de donner aux parties suppliantes, par maniere de subside convenable, dix ducatons.

  A024000443 

 Cette chapelle sera du côté droit, ou de l'Evangile, du chœur de l'église, et sous le toit de la maison du prieuré autrefois appelé de Saint-Hippolyte, en sorte que ce toit serve pleinement à l'usage de la chapelle pour la partie nécessaire à celle-ci qui aura une longueur et une largeur de vingt pieds, formant un carré de côtés égaux.

  A024000443 

 Et pour que de la chapelle on puisse voir commodément le maître-autel, le fondateur demande d'ouvrir deux des arcs fermés du côté droit, et de les munir de plaques et comme de grilles de fer, en sorte que l'accès ne soit pas libre ni d'un côté ni de l'autre.

  A024000443 

 Nous faisons savoir que le très illustre et très magnifique seigneur Gaspard de Genève, marquis de Lullin, chevalier portant le collier de l'ordre suprême du Sérénissime Duc de Savoie, Nous a exposé ce qui suit.

  A024000444 

 De ce recteur il s'est réservé à perpétuité la nomination, la présentation (c'est-à-dire le droit patronal de le présenter), pour lui-même et ses légitimes successeurs, hommes et femmes, aussi bien pour l'election du premier titulaire comme pour celle des autres à venir, que la vacance se produise par voie de mort, de renonciation, de permutation, ou par toute autre cause.

  A024000445 

 Nous défendons au recteur de l'église paroissiale de la Compassion de la Bienheureuse Marie, et à tous autres clercs de cette église, ainsi qu'aux syndics de la ville de Thonon, à tous et à chacun des paroissiens, d'empêcher en quelque façon que ce soit la construction de cette chapelle, sa dotation, l'usage du droit de patronage et de sépulture, pour le marquis et tous ses successeurs.

  A024000445 

 Nous ordonnons donc à Notre très cher dans le Christ, Vicaire général de Notre Evêché pour le spirituel et le temporel, de faire en sorte que le très illustre et très magnifique marquis et ses successeurs, hommes et femmes, jouissent pleinement des droits ci-dessus, tout empêchement étant écarté..

  A024000469 

 Que noble et puissant Jean-Louis de Bonivard, chef de la garnison du Sérénissime Duc de Savoie au lieu appelé des Allinges, et [34] sa très chère épouse Anne de Mareschal, dite de Duyn, Nous ont exposé que dans l'église paroissiale des Allinges il y avait jadis une chapelle érigée sous le vocable de la Bienheureuse Vierge Marie et de Saint-Claude, laquelle fut entièrement détruite et rasée par les Bernois et les Genevois, méchants hérétiques, qui envahirent le pays il y a soixante ans ou environ; tellement que l'on ne rencontre plus trace ni de la chapelle, ni de quelques revenus en dépendant, ni du possesseur du droit de patronage, bien que le recteur de l'église paroissiale ait fait les recherches suffisantes en lançant une monition trois dimanches de suite..

  A024000470 

 A ces fins, ils Nous nomment et présentent M. Pierre Mojonier, actuellement recteur de l'église des Allinges, et pour la suite ses légitimes successeurs dûment pourvus, en sorte que leur mense soit augmentée de ce revenu de vingt-cinq florins, sous la charge néanmoins d'une Messe basse le lundi de chaque semaine à l'intention des défunts, à moins que cette Messe ne doive être transférée à un autre jour pour une cause légitime.

  A024000470 

 En corroboration de cette dotation de vingt-cinq florins, ils engagent et hypothèquent tous leurs biens et ceux des leurs jusqu'à ce que satisfaction légitime soit donnée au recteur au moyen de prés, champs ou vignes achetés par les fondateurs susnommés ou leurs légitimes successeurs, et rendant chaque année la somme de vingt-cinq [36] florins.

  A024000470 

 Toutefois, si le curé actuel ou un autre de ses successeurs omettait trois semaines de suite de célébrer ces Messes dans la chapelle en question, les fondateurs demandent instamment que le revenu soit, de Notre autorité ordinaire, changé en aumônes à distribuer aux pauvres.

  A024000471 

 Ces conditions remplies, il sera tenu de célébrer une Messe basse pour les défunts le lundi de chaque semaine, en sorte cependant que s'il omettait ou permettait d'omettre cette Messe trois semaines de [37] suite, Nous donnions aux pauvres la redevance sus mentionnée.

  A024000471 

 Nous approuvons aussi et confirmons la nomination faite en la personne du recteur actuel Mojonier, pourvu toutefois que vous versiez à son profit chaque année la somme de vingt-cinq florins et que vous fournissiez les ornements et autres choses nécessaires à la célébration de la sainte Messe.

  A024000501 

 Sachant pertinemment que le vénérable M. Humbert Bochet, prêtre de Notre diocèse de Genève, [recteur] moderne de l'église paroissiale de Saint-Nicolas des Clefs, a atteint la quatre-vingtième année de son âge, ou à peu près, en sorte que, par suite de cet âge avancé et de ses infirmités physiques, il ne peut plus faire les fonctions sacrées, administrer les Sacrements de l'Eglise et accomplir [39] les autres devoirs d'un vrai pasteur; sachant, en outre, que vous Nous êtes présenté, pour les causes susdites, comme coadjuteur dans l'administration et le gouvernement de ladite église, par le Révérend Etienne de la Combe, chanoine de l'Eglise de Genève, procureur de M. Bochet, en vertu de la procuration reçue par François Galmeris (?), notaire, le 3 de ce mois de novembre:.

  A024000502 

 Avec cette clause cependant, que vous soyez tenu, sur les apports et revenus de cette église, de payer au susnommé Humbert Bochet, octogénaire et malade, la somme annuelle de deux cent vingt florins..

  A024000502 

 Nous, poussé par les raisons susdites, et dûment informé de votre honnêteté de vie et de mœurs, ainsi que de vos aptitudes et capacité suffisantes, vous décrétons, constituons et députons comme coadjuteur, pour diriger l'église paroissiale de Saint-Nicolas des Clefs, pour y distribuer les Sacrements de l'Eglise et en administrer les revenus.

  A024000503 

 Nous défendons en outre, à tous les prêtres de ce diocèse de Genève, aux syndics et paroissiens de l'église susdite et à tous autres, [40] sous peine d'excommunication et d'une amende de cinq cent livres genevoises, d'oser en quelle façon que ce soit vous empêcher de gouverner cette église, d'y distribuer les Sacrements et d'en administrer les revenus.

  A024000537 

 Supplient tres humblement les scindicqz et parrochiens de Veyrier pres Annessy, disantz que pour l'entretien de leur esglise et service divin deubt fere en icelle, ilz desireroient que Visitation feust faicte par Vostre Reverendissime Seigneurie, a tel jour qu'il vous plaira; appeller a ces fins le Doyen et Chappitre de Nostre Dame de ceste ville, qui ont interestz, et aultres chappelliers et altariens de leurdicte esglise.

  A024000539 

 Soit adverti au prosne et affigé a la porte de la parroisse, et convoqués tant messieurs les curés que recteurs des chappelles contenues en laditte eglise, et tous autres quil appartiendra..

  A024000550 

 Honnorable Mermet Humbert, moderne scindique de ladicte parroesse,... tous parrochiens de Domansier, lesquelz ont dictz et declairé que, suyvant la devotion prinse par leurs predecesseurs de tenir et solemnizer apperpetuité les festes suyvantes:.

  A024000551 

 Et lesquelles festes, tous les susnommés et leurs successeurs en ladicte parroesse et parochiens, serment faict main levee, ont promis et par ces presentes promectent a Dieu leur Createur et nostre Mere saincte Eglise, icelles solemnizer et tenir aperpetuité, eulx abstenir de faire aulcune oeuvre mecanicque, tant riere ladicte parroesse que dehors, ny moins permettre estre faict par aulcuns habitantz ou censiers estant dans ladicte parroesse; et c'est a peyne aux contrevenantz, par chescune fois, de cinq florins applicables a la reparation de l'eglise de ladicte parroesse, et en oultre, porter la Dimenche secutive, au devant de la croix, en la procession, une chandoille en signe d'amende honnorable a Dieu..

  A024000551 

 Premierement, la solemnité et feste de sainct Bastian, sainct Anthoenne, le Vendredy Sainct, la Saincte Croix, troysiesme may, sainct Theodollouz (Théodule), sainct Roch et sainct Gras; et parce que la Saincte Croix, quattorziesme septembre, est jour de foere Sainct Gerveys, laquelle ilz ne peuvent solemnizer a cause de ladicte foere, ilz ont transmué ladicte feste au jour et feste de Nostre Dame d'aoust.

  A024000553 

 Des quelles choses sus escriptes, ledict Mauris Humbert, scindic moderne, au nom de toutte la comunaulté a demandé a moy, notaire soubsigné, leur en conceder un acte pour eulx en servir en temps et lieux requis: ce que leur ay accordé..

  A024000569 

 Bien plus, Nous avons remis et transporté la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix de septembre, à la fête de la [Nativité] de la Bienheureuse Marie, fixée au 8 septembre de [46] toute année, et Nous déclarons que les paroissiens de Saint-André de [Domancy], mandement de Sallanches, devront la célébrer ce jour-là, s'ils veulent éviter la peine contenue dans l'acte écrit ci-dessus..

  A024000584 

 En fin, visitans l'autel Saint François et disant devant iceluy six Pater et six Ave Maria en la façon portee au 2 e article, gaignent autant Indulgences que silz visitoyent personnellement l'eglise Sainte Marie des Anges en Assise, les eglises de Rome, de Hierusalem et de saint Jaques de Galices, et tout le long du Caresme les Indulgences et stations de Rome..

  A024000593 

 Attendu que l'institution de la Confrairie du saint Rosaire tourne a la plus grande gloire de Dieu et porte de [48] grans fruitz de pieté au milieu du peuple qui Nous est confié, appreuvons de Nostre authorité celle qui a esté establie dans l'eglise de Sainte Marie du Petit Bornand par le R. P. François Sebastien de Maurienne, de l'Ordre de Saint François, des Capucins..

  A024000603 

 Supplie humblement M gr Aubert Darand, de la parroisse de S t Felix, disant que par ses predecesseurs, desquelz il a droict, auroit esté fondee une chappelle en ladicte parroisse, souz le vocable de Nostre Dame de Consolation [et] de S'Anthoine; pour le service de laquelle ledict suppliant auroit presenté pour recteur, dernierement, M re Pierre Gros, de Rumilly, lors vicaire dudict S t Felix, et a present curé de Lullin en Chablais, lequel Gros, pour son absence, ne faict ny faict faire aucun service en ladicte chappelle, et, par ce moien, l'intention et subside desdictz feu fondateurs et suppliant se treuve defraudee..

  A024000604 

 Et par ce que ladicte chappelle est sans ornements et mal propre, tant la voute que murallie, et encores le toict mal couvert, supplie de plus ledict M e Aubert Darand vous plaise, mondict Seigneur, luy decerner lettres pour saizir tous les revenus et arrerages dependants de ladicte chappelle, pour iceux estre appliquez tant au divin service que reparation decente, et, pour cest effect, commettre tel quil vous plaira pour iceux estre emploié selon quil est requis et supplié; et autrement, luy prouvoir comme de raison.

  A024000604 

 Qui a causé ledict suppliant comparoir par devant vous, en ce lieu de La Biolle, ce jourdhuy, 2 du present mois de julliet, vous remonstrant le deffaut dudict service et vous requerant que ladicte [49] chappelle soit perpetuellement servie par le sieur curé dudict S t Felix ou son vicaire, sans que jamais autre recteur y puisse ny doibje estre que ledict curé ou sondict vicaire.....

  A024000604 

 Sauf que ledict suppliant se reserve le droict fondataire, c'est a dire, estre procedé ladicte chappelle de leur maison; voulant et requerant que la fondation, tiltres et documents, rentes foncieres et autres dependantz de ladicte chappelle soient et appartiennent audict curé, pour le service quil [y] fera, selon que par vous, sur ce, sera ordonné.

  A024000612 

 Nous vous mandons et commandons par ces presentes, que suyvant Nostre decret mis au bas de la requeste cy joincte, a Nous presentee ce jourdhuy par M e Aubert Daran, et, a sa requeste, adjournons en personne a domicile venerable messire Gros, partie supplié, a comparoir Annessy par devant nostre Official, a jour certain et competent, dont requis seres, duquel Nous certifions, pour respondre et defendre au second chiefz de ladite requeste.

  A024000625 

 Expose encores le Rev. Curé: comme par cy devant les paroissiens et luy ont esté en conteste de faire des cordes aux cloches, disant lesdits paroissiens n'y estre tenus, et au contraire le Curé remonstroit que les cloches ne sont faites pour luy, mais pour appeller les paroissiens a leur devoir; et que mesme ils ont fait et sont tenus maintenir non seulement les cloches, mais le clocher: qui fait paroistre y avoir lieu a la fourniture et maintenance des [51] cordes, comme dependances du clocher.

  A024000646 

 Et comme cette fondation, dotation, donation et augmentation tend à un grand accroissement de la gloire de Dieu et du salut du peuple, Nous l'avons jugée digne, non seulement d'approbation, mais, autant que Nous le pouvions, de louange, de félicitation et de confirmation.

  A024000671 

 Dequoy le messager et questant faict quelque peu de difficulté, sur l'opinion de certains offrantz ordinaires et quelques particulliers, lesquels, plustost pour envie qu'aultre devotion, ne voudroyent observer lesdictes coustumes, nonobstant que la plus-part des bons parroissiens le veulent; qu'est cause d'un grand bruict et clameur dans ladicte esglise (chose malsonnante au peuple), voulant distribuer l'offrande a leur playsir, sans avoir esgard auxdictes coustumes que ledict questant voudroit plus particullierement observer qu'iceulx....

  A024000671 

 Expose a Vostre Illustre et Reverendissime Seigneurie messire Pierre Vallet, curé de Vacheresse, disant que toutes les annees, le jour de Dimanche des Rameaux, les parroissiens dudict Vacheresse ont devotion faire offrande de formage a Dieu et a sainct Anthoine en l'eglise parroissiale dudict Vacheresse, a heure de Vespres; la ou se trouve un prebstre, de la part de sainct Anthoine, pour retirer la part de l'offrande, apres que le curé a prins et levé une grande piece de formage pour soy et une pour le recteur de [55] la chapelle Nostre Dame fondee en ladicte esglise, et une que le maniglier tire pour sa part, a forme des coustumes anciennement observees.

  A024000672 

 Ce consideré, playse a Vostre Reverendissime Seigneurie ordonner qu'appres l'oblation faicte, lesdicts ofïrantz ordinaires ny aultres parroissiens n'ayent nullement a s'en mesler la voulloir distribuer, sur telle peyne qu'il playra a Vostre Seigneurie leur imposer; et que lesdicts suppliant et questant soyent tenus tirer paysiblement chascun sa rate, ensuyvant la quictance susmentionnee... et sur ce, luy impartir de vos faveurs.

  A024000672 

 Et il priera Dieu pour la longue et heureuse vie et felicité de Vostre Reverendissime Seigneurie, que Dieu preserve..

  A024000684 

 Mais parce qu'ell' est despendante du prieuré de Bellevaux, qui appertient aux Religieux d'Esnay, de Lyon, et son revenu comprins a celluy du prieuré qu'est desja cottizé es dictes decimes, n'ayant le suppliant aultre sinon une simple pension de vicayre perpetuel, qui n'arrive encor a sa congrue portion deüe de droict, laquelle, ores que debeat esse illæsa, sine onere, encor le suppliant la dispute et est en proces, tant avec le sieur R me Abbé d'Aulx, que lesdicts Religieulx d'Esnay.

  A024000684 

 Supplie humblement vostre devot orateur M re Pierre Gros, prebstre, curé de Lullin, disant que les exacteurs des decimes ecclesiasticques de vostre Eveché l'auroyent interpellé pour le payement de quattre vingtz florins esquelz se treuve estre tiré sadicte cure.

  A024000684 

 Tellement que ledict suppliant demeureroyt surchargé, sans moyen pour deservir a ladicte cure; et de mesme l'on percevroit la decime de ladicte cure, laquelle est comprinse dans le revenu dudict prieuré de Bellevaux, sil se treuvoit subject au payement de ladicte decime contre la disposition du droict..

  A024000685 

 Ce consideré, Monseigneur, et que ladicte cure est despendante dudict prieuré de Bellevaux, vous playse declayrer que ledict suppliant sera distraict et rayé des cottizés pour lesdictes decimes, et qu'inhibitions soyent faictes aux exacteurs de proceder a aulcune execution en son prejudice, saltem par provision, jusqu'autrement soyt cogneu.

  A024000686 

 Sera sursoyé a l'exaction dont est question, jusques a ce que Nous ayons conferé avec Nos deputés sur les raysons du suppliant..

  A024000695 

 A tous qu'appartiendra, sçavoir faisons, qu'en suite de la visite par Nous faitte de la parrochiale de Versonnex du vingt sixiesme novembre mil six cens et cinq, sur la remonstrance que Nous auroit esté faitte pour lhors par M re Jean Delavenay, moderne Curé dudit Versonnex, du peu de revenu qu'il y a en laditte cure, requerant avec toute humilité luy vouloir assigner portion congrue aux fins d'avoir moyen de s'entretenir honnestement et de faire ce qui est de sa charge:.

  A024000696 

 Apres Nous estre informé diligemment de tout ce qui en pourroit estre, tant des parroissiens dudit lieu qu'autres qui en pouvoyent sçavoir quelque chose, ayant treuvé le revenu de laditte cure ne pouvoir valoir par communes annees, pour consister en terrage, plus de dix huit couppes de blé, moytié froment, moytié seigle, mesure de Rumilly, et d'une sommee de vin, tous les dismes de laditte parrochialle tant du blé que du vin estans possedés et perceus par le sieur [58] Prieur de Bonneguette: Le tout meurement consideré, avons ordonné et ordonnons, qu'outre ce qui est du terrage de laditte cure, le sieur Curé present et ses successeurs en laditte cure prendront et percevront annuellement, sur les dismes de laditte parroisse appartenant audit seigneur Prieur de Bonneguette, la quantité de vingt cinq couppes de blé, moytié froment, moytié seigle, mesure de Rumilly, et quattre sommees de vin, mesme mesure; et c'est pour complement de la portion congrue demandee par ledit sieur Curé, et pour laquelle avoir il auroit tiré en instance ledit seigneur Prieur de Bonneguette..

  A024000697 

 Et attendu que par le saint Concile de Trente il est ordonné et establi que telles portions congrues s'assigneront en fons, avons ordonné et ordonnons que tant lesditz seigneur Prieur que Curé modernes conviendront de prudhommes et d'expertz dans six moys, pour prendre desditz dismes, tant en blé qu'en vin, qui puisse rendre par communes annees vingt cinq couppes de blé, moytié froment, moytié seigle, mesure que dessus, et quattre sommees de vin; qui seront desunis dudit prieuré et unis a la parrochiale de Versonnex pour le supplement de la portion congrue par Nous sus adjugé; condamnant en outre ledit seigneur Prieur de delivrer pour l'entretien du sieur Curé, pour la presente annee, a commencer des le jour et feste de saint Jean Baptiste mil six cens et sept, laditte quantité de [59] vingt cinq couppes de blé, moytié froment, moytié seigle, mesure que dessus, et quattre sommees de vin..

  A024000709 

 Nous avons ordonné que le revenu d'icelle eglise, qui despend de la communauté ecclesiastique surnommee des Altariens, sera employé dores-en avant en distributions quotidiennes, et selon le roolle ci joint signé de Nostre main; en sorte neanmoins que les florins seront reduitz a certaine quantité de solz, telle quil sera requis pour sauver sur ledit revenu les charges ordinaires quil faut supporter..

  A024000711 

 Mais a cause que les tiltres et biens dependans desdits [60] Altariens se sont esgarés ci devant par le mauvais mesnage desditz Altariens, Nous avons ordonné ausditz Altariens de faire dans tout ce moys un inventaire, en bonne, deüe et probante forme, de tous les tiltres quilz ont a present et de tous les biens quilz possedent, avec les confins d'iceux entant quilz seroyent fonciers, et avec toutes les specifications requises entant quilz seroyent d'autre nature.

  A024000713 

 Si enjoignons, tant au sieur Prieur que sieur Curé et ausdits Altariens, de faire promptement reparer le couvert et autres bastimens d'iceluy, qui sont sur le cœur (sic) et sancta sanctorum, y conferans un chacun d'iceux..

  A024000719 

 Et pour le regard de la prise de l'annee mil six centz et huict et sequutives a l'advenir, avons dict et ordonné que le tout sera partagé en trois parties, la troisiesme partie desquelles avons unys (sic) et unissons a leurs dictes parrochiales [62] de Surjouz et Cra; et ce faisant, dict et ordonné qu'icelle troisiesme partie sera et appertiendra ausdictz Curés de Surjouz et Cra, chacun rierre sa parroche respectivement, pour toutte la portion congrue par eulz pretendue contre ledict seigneur chamarier de Nantua, sans aucuns despens entre lesdictes parties, et saufz ausdictz Curés de Surjouz et Cra de pouvoir poursuivre plus ample portion congrue contre tous autres ecclesiastiques ainsi et comme ilz verront a fere..

  A024000719 

 Tant que touche l'annee mil six centz et sept, que tout ce qui est accoustumé percepvoir par ledict seigneur chamarier rierre lesdites parroches de Surjouz et Cra a rayson de son office, appertiendra et demeurera ausdictz Curés de Craz et Surjouz pour ladicte annee seulement.

  A024000720 

 Et attendu que ledict M re Jehan Sermet n'auroit faict apparoir d'aucune procuration, mais procuré de rato, avons ordonné quil se fera advouer dans la huictaine precizement, a peyne de tous despens, dommages et interestz..

  A024000731 

 Premierement, que tout le revenu d'icell'eglise qui depend de la communauté ecclesiastique surnommee des Altariens sera partagee (sic) doresenavant en deux partz egales: desquelles, l'une sera appliquee en prebendes egales qui seront distribuees a un chacun des ecclesiastiques desquelz ladite communauté est composee, et l'autre part sera appliquee en distributions quotidiennes..

  A024000732 

 Secondement, que pour gaigner la prebende, un chacun desdits Altariens sera tenu de celebrer ou faire celebrer les Messes quotidiennes, chacun en son rang et a son tour; et en cas qu'aucun d'iceux manque a ce devoir, sera privé, pour chasque fois quil laissera de dire la Messe deue, de trois solz; et laissant de dire les Messes de toute la semaine, par soy mesme ou par autruy, sera privé de tout le quartier de ladite præbende..

  A024000741 

 M. le Curé doit 5 croysons et M. le Sacristain 3 ducatons; et moy un gobelet d'argent que M. de Renex a donné, et une galere, avec d'autres pieces rompues, d'argent, de M. de Vignod..

  A024000749 

 Sçavoir faisons que messire Guilliaulme Coudurier, prebstre, Curé de la parroisse de Sainct Lazare du lieu de Feigieres, au balliage de Ternier, se seroit presenté ce jourdhuy, quattriesme jour de juing mil six centz et neufz, par devant Nous, en Nostre palaix, lieu de Nostre accoustumee residence en la ville de Nicy; lequel auroit presenté requeste tendant a ce que portion congrue luy fust assigné, et ce faisant, qu'il Nous pleut d'ordonné que Reverend messire Janus des Osches, prebstre, Sacristain et chanoienne de l'eglise Collegiate de ceste ville de Nicy, en qualité de Curé de l'eglise parrochiale de Sainct Jullien audict balliage de Ternier, seroit tenu et contrainct relascher une corne du dixme qu'il prend et perçoipt riere la parroisse de Feigieres, attendu quil n'a portion congrue..

  A024000750 

 A quoy seroit esté replicqué par ledict sieur des Osches, present Curé dudict Sainct Jullien, que ledict messire Guilliaulme Coudurier dudict Feygieres, au contraire, avoit plus que pourtion congrue, puisque il avoit possedé ladicte cure de Feigieres par l'espace de huict annees sans avoir jamais demandé ladicte portion congrue ny le dixme quil demande a present, a feu M re Scipion Machet, jadis Curé dudict Sainct Jullien.

  A024000751 

 Et appres plusieurs replicques faictes d'un cousté et d'aultre, Nous aurions, pour bien de paix, dict et ordonné que ledict S r des Oches, Curé de Sainct Jullien, et ses successeurs en ladicte cure, paieront annuellement, a chescune feste de sainct André, au Curé dudict Feigieres de present et a ses successeurs en ladicte cure, la quantité de cinq coppes de froment, mesure de Ternier.

  A024000751 

 Et cas advenant que ledict sieur Curé de Sainct Jullien ou ses successeurs se trouvassent par troupt grevés de paier lesdictes cinq coppes, il leur sera loisible de relascher audict sieur Curé de Feigieres ou ses successeurs les dixmes que ledict curé de Sainct Jullien a accoustumé de prendre et percepvoir riere la parroisse de Feigieres; et moyennant ce, demeurera quiete du paiement annuel d'icelles cinq coppes de froment..

  A024000751 

 Et moyennant ce, lesdictz dixmes perceups par le sieur Curé dudict Sainct Jullien seront tousjours par luy perceus et possedés soub ladicte charge; saufz que si par tempeste, brulement, gelees ou ventures notables, ou onnailles de guerre estoient perdus ou gastés passé la moitié, seroit faict rabbaix du degat sellon l'estimation qu'en seroit faicte par expers que seront pris et convenus par lesdictes parties.

  A024000764 

 Supplient humblement les nobles François (sic) et Jaques de Vallon, freres, disantz que par diverses requestes ils auroient recouru a Vostre R me Seigneurie aux fins d'avoir une chapelle dans l'esglise de Samoen, pour y faire le service divin et y eriger ung banc pour prier Dieu; et ce, en contre eschange d'une quils en a voient, fondee par leurs predecesseurs, laquelle plus n'est leur, pour la place estre employee au bastiment du chœur....

  A024000764 

 Sur leur derniere requeste fut mis decret portant commission addressee a R d Jean Baptiste de Ronis, afin d'informer sur le contenu de ladicte requeste, de laquelle information vous auries receu proces verbal sur ce que l'on faict recourir a Vostre R me Seigneurie..

  A024000767 

 Si commettons le sieur Doyen du lieu pour passer les contratz convenables avec les sieurs supplians en faveur de ladite chapelle, et iceux contratz rapporter par devers Nous pour estre homologués entant que de rayson..

  A024000773 

 Nous publions et annonçons par les presentes, le Briefz Apostolique sus designé, et extraictz, confirmans, en vertu d'iceluy, la Confrairie erigee en l'eglise du grand Sainctz [69] Felix en Genevois, laquelle il Nous appert avoir esté canoniquement instituee; et communicons, en faveurs des confreres d'icelle, tant presentz que futurs, toutes les Indulgences et graces sus escriptes..

  A024000774 

 Si declairons que la principale feste de leur Confrairie sera tousjours le Dimenche entre les Octaves de la Feste Dieu, et que les autres quattres festes moingz principale d'icelle seront les jours sacrez de Pentecoste, de l'Assumption de Nostre Dame, de Toussainctz et de Noel.

  A024000775 

 Nous exhortons en fin, au nom de Dieu, Nostre cher peuple de ladite parroisse de se rendre devot a ceste Confrairie, tant pour participer aux graces, Indulgences et benedictions Apostoliques concedees pour icelle, que pour tesmogner le zele quil a et doit havoir a ce tres divin, tres adorable et tres auguste Sacrement qui contient le Sauveur et Redempteur de noz ames, au quel soit honneur et gloire es siecles des siecles.

  A024000811 

 Disant comme en l'annee 1598 le supplient se trouva malladieux d'une grave maladie et lointaine, que quoy lhors il fust jeusne d'aage, inspiré du Saint Esprit, tant pour l'allegement en sa malladie que fere continuel service a Dieu, pour estre sitoys en lieu [72] solitaire, loing de l'esglise parroissiale de Sallanche, subject a passer revieres impetueuses, du temps d'esté descendantes des haultes montagnes, et d'yver de longue traicte parmy les bois subject aux bestes feroces et aux incommodités des neges: en consideration dequoy, icelluy Nycolas Perroulaz, inspiré comme dessus, fit veu a Dieu et a sa tressacree Mere, luy fasse la grace pouvoir retorner en convallecence, en promectant au mesme moien de fere bastir, a [sa] requeste et de sondict pere, une chappelle, a la premiere commodité et faculté des dictz Perroulaz: et ce, aupres du villaige des Vorsiers, au cuyng dudict villaige, pres touttesfois le chemyn public que proche des le quartier de Maglans, contre la ville de Sallanche, au long de la reviere d'Arve..

  A024000813 

 Ny reste que de fere dresser l'haultel pour y fere cellebrer le divin service en l'honneur de Dieu et devant le tableau, tiré au vifz sur thoille, des images et portraictz de la Tressaincte Trinité, de la Virge Marie ayant son petit Jesus aux bras, et encoures de la glorieuse Virge Marie, institué en [73] forme comme elle estoit a l'heure que l'Ange Gabriel luy vient annoncer la conception de nostre Saulveur et Redempteur Jesuschrist, avec l'image dudict Ange Gabriel, messaigier du Sainct Esprit; et encoures de l'image du sainct Crucifix et de monseigneur sainct Nycolas, parrent (parrain) dudict discret Nycolas Perroulaz; le tout tiré Anyce ( sic; a Nice?) l'annee derniere..

  A024000814 

 Quoy attandant, ne lairront lesictz Guilliame Perroulaz et Nycolas son fils, et les leurs a l'advenir, obliger souffizamment au prebstre que prandra la peyne d'aller cellebrer la Messe des le lieu de Sallanche quattres fois l'annee, sçavoir: le troisiesme jour de Pentecostes et le troysiesme jour de Pasques, et de sainct Jean appres Noel, et le jour sainct Nicolas au mesme an, en fournissent audict prebstre que dira lesdictes Messes lesdictz jours, pour ses despens et peyne, pour checune foys ung florin; et faisant dire de Messes davantage, pourveu qui ne porte aulcung prejudice au debvoir du divin service de la parroisse ou festes solempnes, sera peyé ung florin..

  A024000815 

 Et a ce effect sera ipothequé expressement une piece de terre de bonne valleur, size illec pres, et dans laquelle ladicte chappelle est bastie au cuyng: sçavoir, de la valleur de cent ducattons pour une foys, delaquelle sera possedé les fruictz pour la securation annuelle desdictz quattre florins ou plus apperpetuitté; en consideration que lesdictz pere et filz et les leurs en demeureront presenteurs du prebstre ou recteur que fera ledict office, et en passeront acte de fondation par main de notaire, auctantique et vallable.

  A024000821 

 Nous commettons le sieur Prevost de l'eglise de Salanche, pour voir de la bienseance du lieu dont il est question et des autres particularités mentionnees en la requeste, pour, son advis receu, prouveoir ainsy que de rayson..

  A024000833 

 Ou estant reduit ledict bestail, il advient que quelques-fois il survient grande maladie et mortalité sur ledict bestail; en sorte que lesdictz suppliantz auroyent recouru a monsieur sainct Garin et a la [clémence] d'icelluy, d'ou ilz ont receu remede et secours..

  A024000834 

 Pendant lequel tems de quattre a cinq moys qu'ilz demeurent ausdictes montagnes pour garder leur bestail, ilz n'entendent Messe; ce que toutesfois ilz desireroyent de faire, comme bons catholiques sont tenus.

  A024000837 

 Nous permettons l'erection des oratoires requis pour, par apres, estre en iceux celebrees les Messes, ainsy que le sieur Curé de Vacheresse verra estre a faire; n'entendant qu'il soit obligé a la celebration d'icelles, ni a plus grande charge d'office pour l'erection desditz oratoires, esquelz se faysant des offrandes, appartiendront a iceluy Curé, ainsy que de droit..

  A024000863 

 Apres avoir oüy ceux quil estoit requis, et reconneu que le traitté d'accord ci joint, fait entre le R. P. Prieur d'Abondance et le R. messire Jean Mocand, Curé du mesme lieu, estoit juste et equitable, et sans aucun præjudice ni dommage de l'eglise parrochiale, Nous l'avons appreu- [78] vé et appreuvons, voulans qu'il demeure ferme et invariable.

  A024000874 

 De façon que, croyantz que ce lieu soit des si long temps desdié pour la devotion, ilz desirent l'y restablir et poursuyvre leur dessein, affin d'y fayre celerberer (sic) la saincte Messe, et prier Dieu pour les ames de ceulx quy sont ensevelis..

  A024000874 

 Supplient humblement les habitantz du village de Macherine, parroesse de Dousard, disant qu'y ayant au pres de leur village, lieu dict au Crestet, une place ou, par tradition, ceux du lieu ont [79] tousjours entendu des plus vieulx qui le rapportoient aussy de leurs plus anciens, quil y avoit heu une esglise, mesmes quil y apparoissoit une grosse pierre qui estoit reputee avoir esté celle du grand autel; qu'en temps des Rogations la procession de Douzard y vient tousjours fayre une station, et en temps de contagion l'on y a ensevely ceulx que en sont mort (sic): sur ces considerations, ilz se sont mis en devoir d'y bastir une chappelle, en quoy faysant ilz ont treuvé les fondementz de la vieillie esglise, la separation du cœur et de la neufz (sic), ou il y avoit quattre fort grosses pierres mises deux a deux en esquarre et de distance comme pour l'entree au cœur, trouëes au dessus, ou estoient les fertz des treillies; et loin de la, a cousté, pres des fondementz, ont treuvé des charbons, apportés, comme est a croyre, pour allumer le feu ou s'en servir a l'encensoir.

  A024000875 

 Et a ces fins, ilz supplient vostre Rsse Seigneurie, quil luy playse commettre quelqu'un, tel quil luy playra, pour la benediction du lieu; et cependant, jusques a ce que vostre commodité soit d'aller fayre consecration de l'autel, ilz supplient leur permettre l'usage d'un portatil, ou aultrement leur prouvoir plus pertinemment..

  A024000885 

 Nous commettons le seigneur Prevost de Nostre Eglise pour faire la benediction du lieu sur ladite chapelle; et cela fait, permettons que la Messe y soit celebree au jour porté par le consentement du [sieur] Curé, reservans a [80] Nous de prouvoir sur les services et celebrations qui se doivent exercer en ladite chapelle par ordinaire.

  A024000903 

 Les habitants du village de Macherine, paroisse de Doussard, ayant pieusement restauré une chapelle autrefois détruite, sous le vocable de Saint-Roch, pour que le culte divin y soit désormais fréquemment célébré, Nous, dans Notre désir de favoriser leur dévotion, accordons, au nom du Seigneur, à tous ceux qui visiteront pieusement cette chapelle et y prieront pour la propagation de [81] l'honneur divin, une Indulgence de quarante jours dans la forme habituelle de l'Eglise.

  A024000909 

 Et attendu la [82] necessité quil y a de pourvoir presentement d'un curé audit Maxillier, a cause de la longue privation dont les habitans ont esté affligés, eu esgard a la bonté de vie, suffisance de science et autres louables qualités de messire Leonard Monnod, prestre natif d'Evian, Nous luy confions ladite cure, ordonnant que lettres luy en soyent expediees en bonne et deue forme, affin quil jouysse paysiblement dudit benefice et des fruitz en dependans, et notamment de ceux qui sont portés par le consentement sus mentionné, en faysant par luy le service et incombances requis.

  A024000909 

 Nousn avons ordonné, attendu le consentement du R d Curé de Siez, que le Curé de Maxillier jouira des fruitz dudit consentement, selon sa forme et teneur.

  A024000919 

 FRANÇOIS DE SALES, par la grace de Dieu et du Sainct Siege Apostolique Evesque et Prince de Geneve, a tous ceux que ces presentes verront, salut..

  A024000933 

 Et quant aux deux villages d'Aviernoz et Le Vuaz, ledict sieur Curé perçoit de tous y habitantz et faisantz feu, sçavoer: un quart de froment, messure d'Annessy, de ceulx qui ont charrue entiere; et pour ceulx qui n'ont que demy charrue, demy quart; et de ceulx qui n'en ont point, une quarte: le tout, messure susdicte.

  A024000933 

 Nous, FRANÇOIS DE SALES, Evesque et Prince de Geneve, appres avoer entendu les parties respectivement et consideré leurs demandes et defences, et que lesdictz deffendeurs sont demeurés d'accord et ont spontaneement confessé la coustume estre et avoer esté inviolablement observé riere les villages du Jourdil, les Costes et Pussye, dependantz dudict Aviernoz, que la premice se paye par les habitantz desditz trois villages en temps de moisson, sçavoer: une bonne gerbe froment, pour ceulx qui ont charrue, et des aultres qui n'en n'ont point une gerbe froment mediocre, a [85] forme que paient tous les parrochiens desdictes Ollieres.

  A024000934 

 Avons, en suitte de telle coustume et possession inviolablement observee, ordonné et ordonnons: Que ledict Pierre Crud et Anthoenne Vittet continueront paier ladicte premice dont est question, a raison d'une gerbe mediocre, pour n'avoer lesdictz deffendeurs aulcongs bœufz quant a present; conformement a ladicte coustume de tous temps observé esdictz villages des Costes, Pussye et Le Jourdil, comme ceulx desdictes Ollieres, ainsy que sus est dict.

  A024000934 

 Et le tout, sans Nous arrester aux Visites prodhuittes la par lesdictz deffendeurs audict proces, heu esgard a l'Ordonnance sur ce rendue par le sieur Nostre Vicaire general, par Nous a ce delegué, en datte du vingtiesme aoust mil six centz et douze; laquelle Ordonnance Nous avons approuvé, et de nouveau, entant que de besoeng, approuvons.

  A024000934 

 Et ordonnons que, sans s'arrester ausdictes Visites, tous les habitantz desdictz villages paieront la premice, suyvant ladicte ancienne coustume sans aulcune interruption observé jusque a ce jourdhuy; et que tel amendement sera apposé sur le Registre de Nous (sic) Visites par Nostre greffier, auquel est enjoinct de n'expedier cy appres aulcong extraict, sinong a forme de Nostre presente Ordonnance et amendement.

  A024000935 

 Et entant que concerne ledict Biais de Lachinal, qu'est parrochien desdictes Ollieres, avons ordonné et ordonnons quil continuera le paiement de ladicte premice, comme font les aultres parochiens dudict lieu, sçavoer: aiant charrue, une bonne gerbe froment; et ceulx qui n'en ont point, une gerbe froment mediocre, ainsy qu'est pourté par les Visites faictes en la parroesse desdictes Ollieres..

  A024000950 

 Au reste, a cause que lesdictes cures estoint possedee par des seigneurs [88] maistres, lesquelz ne faisoint residance au lieu, qu'a occasione confusion entre les parroissiens et parroisses au passé, aujourduy encoure ce practique.

  A024000950 

 Premierement: Monseigneur, Vostre R me Paternité cest ( sic, pour sait ) tres mieux que, aultre fois, les quattres cures d'embas du mandement de Flumet estoint annexeé ensemble et posedee par un mesme recteur, comment estoint feu Monsieur le Protenotaire de Savoye et autres; et lesdictes cures furent d'annexeé par feu Monseigneur Claude de Granier, que Dieu absolve.

  A024000951 

 De plus, grande confusion entre ces parroissiens et grand scandalle pour les miens; car, y lia envyron trois ans, que certains desdictz parroissiens furent reprins par la justice temporelle a cause qui labouroint le jour du Patron dudict lieu.

  A024000951 

 Lesdictz viendrent trouver le Curé de Flumet, affin que ledict les garentice d'estre chatiés; et pour leurs defences disoint quilz l'avoint bien labouré d'aultre fois riere ledict lieu audict jour, sans avoir esté reprins de personne..

  A024000952 

 Par appres, grande confusion a Pasque, car l'on ne sçait qui faict le debvoir de bon catholique, et, in conscientia, je ne sçait qui est mon parroissien, pour cause que checung faict a sa faintasie et volonté..

  A024000953 

 En oultre, pour le regard des grangiers dudict lieu, car y nya qu'ilz ontz demouré en grangeage riere ledict lieu toutte leurs vies; pour cella n'ontz voullu et ne veullent recognoistre le Curé dudict lieu en point de façon que ce soit.

  A024000953 

 Je sçait qu'[a] occasioné cella: c'est que les Curés mes antecesseurs ne ce sontz adressés vers leurs Superieurs pour y faire mettre de l'ordre..

  A024000962 

 Au premier: Les habitans et manans en la parroisse de Saint Nicolas, quoy qu'eux ou leurs prædecesseurs ayent prins leur origine ou soyent extraitz des parroisses de La Giete ou Flumet, sont obligés rendre leurs devoirs parrochiaux en ladite parroisse Saint Nicolas, en laquelle de present ilz font leur sejour et demeure: ce que Nous leur enjoignons..

  A024000965 

 Au 4 e est respondu comm'au premier, attendu que telz grangers sont habitans et manans de ladite parroisse..

  A024000975 

 Nous avons esté d'advis et avons dit: Qu'attendu que les habitans Saint Robert sont parroissiens de Moncel, recevans mesme le saint Sacrement de Baptesme en l'eglise dudit Moncel et non a Saint Robert, ou aussi il ny a aucuns fons baptismaux, ilz contribueront, ainsy que les autres [91] parroissiens dudit Moncel, aux entretenemens, refections, reparations et ammeublemens de l'eglise parrochiale dudit Moncel; comme reciproquement, les autres parroissiens dudit Moncel contribueront a l'entretenement, reparation et refection de la nef de la chapelle Saint Robert, ensemblement et semblablement avec les habitans du vilage Saint Robert, en cas que ledit entretenement de ladite chapelle soit a la charge desdits habitans, et non du prieuré.

  A024000982 

 Mais partant quil y a quelques ungz des confreres qui sont aussi confreres de la Confrerie du S t Rosaire, qui font procession generale le troisiesme Dimanche de chasque mois, et vouldrois (sic) assister a l'une et a l'aultre procession: chose que ne se peult, pour estre d'ung mesme jour en diverses parroesses.

  A024000982 

 Que faict recourir le suppliant a V. S. R. a ce quil luy playse assigner jour pour la procession de ladicte Confrerie de S t Fœlix, different des aultres processions que sont le troyziesme du mois..

  A024000982 

 Remonstre en toute humilité R d M re Nicolas Clerc, prebstre, Prothonotaire apostolique, Curé de S t Felix, comme prieur de la venerable Confrerie du S t Sacrement, des long temps par les R d Peres Capucins en l'eglise dudict S t Fœlix erigee, et du despuis par V. S. R. confirmee par authorité du S t Siege, et dict que, de tout le temps passé, ne s'estoit faict aulcune procession generale pour regard de ladicte Confrerie, choses (sic) que les confreres desiroient fere.

  A024000983 

 Et tant de (sic) suppliantz que aultres confreres prieront Dieu pour la prosperité de V. S. R,.

  A024000999 

 En suitte de quoy ilz recourent a vous, Monseigneur, affin qu'attendu la negligence desditz recteurs et fondateurs a rendre leur devoir respectivement, dont ilz ont esté sommés par trois diverses proclamations faites au Prosne, suyvant les Decretz sinodaux de ce diocese, il vous plaise priver tant les patrons de leurs nominations que les recteurs de leur possession, pour icelles chappelles unir au maistre autel; ou du moins faire saisir par vostre authorité les revenus desdites chapelles, pour d'iceux estre pris ce qui sera convenable pour faire faire le service deuz et les reparations requises..

  A024001012 

 Et mesme que ledict suppliant desire faire celebrer la saincte Messe en icelle chappelle es jours celebres et qui seront plus propres selon sa droitte devotion; a la charge neantmoins qu'il s'offre [doter] ladicte chappelle d'une piece de terre pour l'entretien et maintenance d'icelle, et pour le revenu et salaire du service qu'il desire y estre faict par le sieur Curé dudit lieu, a forme de l'acte de fondation qu'il s'offre faire et passer.

  A024001012 

 Supplie en toute humilité messire Guilliaume Faucoz, notaire ducal de la parroisse de Vacheresse et curial d'Abondance, disant que des qu'il a eu la connoissance des bonnes lettres il s'est voué a Dieu et a la sacree Vierge Marie, et a pris pour sa Patronne madame saincte Anne.

  A024001013 

 Suppliant en outre Vostre Ill me et R me Seigneurie, il vous plaise imputer, en faveur de laditte chappelle de sainte Anne, les pardons et Indulgences qu'il vous plaira pour ceux qui entendront Messe en icelle [96] et que, par devotion, se confesseront et communieront sacramentellement et iront visiter icelle, tant les jours de Dimanche, feste, que autres jours..

  A024001015 

 Laditte chappelle demeurant en l'administration du sieur Curé du lieu, comme il Nous est exposé verbalement, Nous permettons selon la requeste, a la charge que contract authentique se passera de la fondation de laditte chappelle..

  A024001025 

 Et ou ledit Curé d'Ardon ne vouldroit accepter ledit legat, auroit institué le recteur de la chappelle de Sainct [Georges] dudit Chastillion [aux] mesmes charges et condition de ladite Messe, et non autrement, ainsi que par ledit testament en datte du neufviesme janvier mil six centz et treze..

  A024001025 

 Supplie humblement messire Jaques Evrard, chastellain d'Ardon, comme mary d'honnorable Magdeleine Passerat, heretiere dameoiselle d'honnorable Claude Passerat: disant que ledit [97] honnorable Claude Passerat, de la ville de Chastillion en Michallie, auroit faict son dernier testament, reseu et signé Evrard, par lequel, entre autres legats par luy faitz, auroit donné et legué au sieur Curé d'Ardon, pour une foys, la somme de cent huictante livres pour la fundation d'une Messe a debvoir estre, tant par luy que par ses successeurs Curés d'Ardon, perpetuellement celebré en la chappelle de Saint George (fondee dans la ville de Chastillion en Michallie) touttes les Dimenches, pour le remede de l'ame dudit testateur.

  A024001026 

 Lequel Passerat seroit decedé en telle volonté, delaissant a luy survivant ladite Magdelaine..., femme dudit suppliant; lequel ne veullant que l'ame de sadite femme et de luy demeura chargeé du-dit [98] legat de fundation de Messe, auroit faict summer et interpeller venerable messire Abraham de Chastillion, prebstre, tant en qualité de Curé dudit Ardon que comme recteur de ladite chappelle de Saint George, s'il voulloit accepter ledit legat.

  A024001026 

 Lequel sieur de Chastillion auroit faict response ladite rente n'estre capable et suffisante pour l'entretien d'un prebstre, et que ladite Messe estoit fundeé un jour de Dimenche, jour incommode audit Curé, tant pour l'une et l'autre qualité; comme par acte receu et signé Cobet, notaire royal, du septiesme decembre dernier.

  A024001027 

 Lequel jour, affin quil soit certain, Nous avons determiné devoir estre le mercredi, quand il n'occurrera aucune feste de commandement, affin que l'eglise parroissiale ne soit frustree des services du Curé et de l'assistence des parroissiens en telz jours de feste..

  A024001027 

 Oüyes les parties sommairement, et pour, en conservant les droitz parrochiaux, ne point retarder l'intention du defunct en son principal: ordonnons que le sieur Curé mentionné acceptera le legat pour luy et ses successeurs curés, a la charge de dire, par luy ou ses vicaires, ladite Messe hebdomadale en la chapelle de Chatillon, en autre jour neanmoins que celuy du Dimanche et feste commandee.

  A024001040 

 Que l'annee derniere mil six centz quatorzes, Reverend messire du Martherey, Religieux du prieuré de Pellionex, auroit preché le Caresme en ladite ville et plusieurs des Dimenches et festes; qui auroit apporté grandes ediffications et instruxions en la foy ausditz suplians et aux circonvoysins qui [ont] ouy les predications dudit sieur du Martherey.

  A024001071 

 Nous faisons savoir que Nous tâchons volontiers de prêter Notre attention et Notre aide efficace à tout ce qui, suivant les circonstances de lieux et de personnes, est nécessaire au bon gouvernement des églises paroissiales et autres, et à l'augmentation du [101] culte divin.

  A024001072 

 Nous approuvons une requête qui est juste et raisonnable, d'abord parce qu'il y a contentement de la part des paroissiens et du R d monsieur le Doyen et recteur de ladite église paroissiale; ensuite, parce que, d'après les constitutions du saint Concile de Trente, l'érection de cette vicairerie perpétuelle devait absolument se faire.

  A024001091 

 Ayant examiné les articles ci-dessus, Nous confirmons par ce Décret la Confrérie du saint Martyr Sébastien, accordant, en la forme habituelle de l'Eglise, une Indulgence de quarante jours à tous ceux qui en font ou en feront partie, chaque fois que, selon les articles ci-dessus, ils assisteront dévotement aux processions, aux [104] Messes solennelles et aux Offices, et chaque fois aussi qu'ils recevront les Sacrements de Pénitence et d'Eucharistie..

  A024001092 

 A condition toutefois que sera bien mis à exécution ce qui a trait, dans les mêmes articles, au repas à prendre en commun, et que ce repas se prenne, non en une auberge publique ou une taverne, mais dans une maison privée: Nous le bénissons alors au nom du Seigneur..

  A024001112 

 Nous requerant vouloir iceluy homologuer et insinuer, et sur iceluy interposer Nostre decret et auctorité pastorale, suivant les conventions et astrictions portés par ledict contraict; et ce en presence de M e Pierre Heretier, procureur desdictz scindicques et parroessiens, et tous deux constitués a ces fins au corps dudict contraict: lequel M e Heretier a presté consentement et, en tant que de besoingt, requis la mesme homologation et insinuation..

  A024001112 

 Par devant Nous, FRANÇOYS DE SALES, par la grace de Dieu et du Sainct Siege Apostolicque Evesque et Prince de Geneve, s'est presenté et comparu au palaix de Nostre habitation et residence ordinayre de cette cité M re Jacques Duret, procureur de M re Laurent de Collonges, Curé de [106] Morzine, lequel Nous a remonstré comme les scindicques et procureurs dudict lieu auroyent fondez et donné a laditte eglise a perpetuité, et promis paier annuellement audict sieur Curé et a ses successeurs la somme de douze vingtz florins, monnoye de Savoye, pour l'entretien d'ung vicayre audict lieu de Morzine, ainsi que plus amplement est contenu au contraict du premier de ce mois, qu'il exhibe, receu et signé par M e Galliard, notayre.

  A024001113 

 Quoy ouy par Nous, dict Evesque, et appres que lecture a esté faicte dudict contraict, avons iceluy homologué et insinué selon sa forme et teneur, et sur iceluy interposé Nostre decret et authorité pastorale, et ordonné qu'il sera enregistré es Registres de l'Evesché; a la charge que les chappelles mentionnees audict contraict, assignees pour partie de l'entretient dudict vicayre, seront unies, comme par ces presentes Nous les avons uny et incorporé a perpetuité, [107] ensemble les fruictz et revenus d'icelles, a laditte cure de Morzine..

  A024001121 

 Veu par Nous, FRANÇOIS DE SALES, par la grace de Dieu et du Sainct Siege Apostolicque Evesque et Prince de Geneve, le testement sus escript et derniere volonté du sieur [108] testateur y nommé, avons icelluy aucthorisé, confirmé, approuvé et esmologué, ainsy que par ces presentes authorisons, confirmons, approuvons et esmologuons en ce qui regarde la fondation d'icelle et erection d'escolle y mentionnee; dict et ordonné qu'il sera enregistré es Registres de Nostre Evesché pour y avoir recour en tempz et lieu..

  A024001134 

 Supplient en toute humilité noble Gaspard de Lucinge, seigneur dudict heu, et avec luy tous les parroiessiens et habitantz riere la parroiesse de Sales, mandement de Monthoux, disantz que cy devant et de tous temps ceulx dudict Sales ont heust leur Curé, lequel fesoit son habitation ordinaire dans la cure dudict lieu et administroit en toutes necessités et occasions a ceulx dudict Sales les sainctz Sacrementz; et c'est jusques il y a envyron cinq ou six annees, que M re Henry Lancod, dernier Curé de ladicte parrochiale, apres avoir gaigné quelque petit nombre des parroiessiens, il auroyt remis ladicte cure a M re Symond Ruptier lequel, du susdict consentement, auroyt uny ladicte cure avec celle de Cranves; en telle sorte que du despuis ilz ont estés contrainctz, la plus grand part du temps, d'aller audict Cranves ouir la saincte Messe, quoy que par ladicte union, il soit esté expressement convenus (sic) que les jours de feste et Dimenches l'on celebreroit une petitte Messe audict Sales, Oultre quoy, du despuis les suppliantz ont estés contrainctz d'aller fere baptizer leurs enfantz audict Cranves, et dudict Cranves fere apporter les sainctz Sacrementz aux mallades, et fere benir le jour de la Purification les chandoielles audict Cranves; quoy que audict Sales ilz aient leur eglise asses [110] commode pour ceulx dudict lieu, mesmement il y a un honneste revenu pour l'entretient d'un prebstre..

  A024001135 

 Ayantz nommé, par le mesme acte, M re Aymé Cottet, prebstre de bonne fame et reputation; lequel d'aillieurs ledict sieur de Lucinge, auquel appertient le droict de patronage de ladicte cure de Sales, a aussi nommé, ainsi que par acte du cinquiesme de cedict mois, signé par ledict M e Boccard, et lequel lesdictz suppliantz vous nomment de nouveau..

  A024001164 

 Posé que, par suite de son absence, la charge des âmes a été exercée dans l'église [112] de Sales avec peu d'exactitude et de bienséance depuis l'union, et que les saints Sacrements de l'Eglise n'ont pu être administrés aux paroissiens de Sales qu'avec de grandes incommodités pour eux; posé en outre que les fruits et revenus de cette église paroissiale suffisent à l'entretien convenable d'un recteur, et que, l'union dissoute, les revenus ainsi séparés et disjoints pourront être à l'avenir appliqués en particulier à chacun de leurs futurs recteurs; posé enfin qu'il y aurait ainsi respectivement consolation spirituelle pour les paroissiens de ces églises, augmentation du culte divin, et aussi de dignité et de lustre pour celle de Sales, les revenus annuels des deux églises devant être par ailleurs plus sûrement conservés et même accrus:.

  A024001165 

 En sorte que dorénavant il sera permis aux futurs recteurs de l'église paroissiale de Sales, lesquels dans l'avenir en seront légitimement pourvus par Nous, Nos successeurs ou le Siège Apostolique, d'user, posséder, et jouir librement de ces revenus, et de les employer à leur avantage et utilité, sans la permission du futur recteur de l'église de Cranves et de ses successeurs.

  A024001165 

 Nous accordons l'investiture au recteur de Sales pour pouvoir et devoir assumer toutes les obligations, offices et charges d'un recteur indépendant (ce à quoi Nous le considérons comme tenu), et, pour que soit donnée satisfaction le plus tôt possible aux pieux désirs du patron et de la communauté de Sales, que ladite dissolution obtienne son effet..

  A024001192 

 Qu'en reservant au sieur Curé ou vicaire perpetuel des Alinges, sur les biens ecclesiastiques qu'il possede en la parroisse desditz Alinges, la portion congrue de mesme valeur qu'on l'a determinée pour les autres sieurs Curés du balliage de Thonon, tout le reste desditz biens fut affecté a la mense de la præpositure dudit Montjoug; sauf que s'il se treuve que ledit sieur Curé ayt fait des reparations utiles pour ladite cure et eglise des Alinges qui surpassent les revenuz qu'il a perceuz en ce benefice, ses autres legitimes charges supportées, on y aura esgard pour l'en recompencer a ditte d'expertz..

  A024001202 

 Et cependant, enjoignons que la recepte tant desdites censes que dudit vin [118] se face par homme resseant, a ce choysi par le sieur Curé, et les scindiqs, par devant lesquelz il rendra compte de l'emploite, et sera de plus ledit sieur Curé [obligé] Nous tenir adverti d'an en an d'icelle emploite..

  A024001202 

 Et quant a l'employte de l'argent provenant desdites censes, comm'encor de l'argent provenant du vin des vignes mentionnees, Nous ordonnons qu'elle soit faite, tant pour les reparations, ornemens et ustensiles sacrés de l'eglise, que pour l'erection de la chapelle du Saint Rosaire, pour sept ans; apres lesquelz, si l'eglise se treuve en terme quil ne soit plus besoin d'y appliquer lesditz revenus, dont les remonstrans feront apparoir, sera prouveu par l'authorité ordinaire, ainsy que de rayson.

  A024001223 

 Comme ainsi soit que anciennement les scindiques et communisses de la paroisse du Grand Sainct Felix eussent voué la feste de monseigneur sainct Gras, Evesque d'Aouste, comme deuement en rapportent tous les dicts communisses anciens, et qui l'ont veu observer et l'ont observé comme le Dimanche jusques quelques annees: maintenant, quelqu'uns la solemnisent comme le Dimanche, selon le vœu, et les autres a leur devotion; tellement que ledict vœu n'est observé.

  A024001223 

 Que fait croire auxdicts scindiques et communisses que Dieu ni laissera telle faute a punir, comme l'on voit et on a veu cette annee passee, que les limassons, bec aigu qu'on appelle cornillon, ont gaté une grande partie des bled (sic) et commencent encor en l'annee presente a manger les bled semmés; que fait recourir le pauvre peuple a Dieu et a monseigneur sainct Gras, Evesque..

  A024001224 

 Or est il que ce jourdhuy, septiesme jour du mois de septembre mil six cent et dix huict, le jour de la feste de monseigneur sainct Gras, par devant moy soussigné, R d M re Pierre de Montfalcon, chanoine de Sainct Pierre de Geneve, Surveillant en ledict Evesché et Curé dudict Sainct Felix, sçavoir: honnorable Claude Poncet, [120] Jean Linollat, Pierre Burdet, Santhon Sathod, scindiques dudict Sainct Felix (les peres ont authorizé leurs fils pour cet effect); noble Pompé Millet, seigneur de la Chapelle, ......................................................................

  A024001243 

 Supplie humblement messire Jean Mocand, Cure en la parroesse de l'abbeie de N. Dame d'Abondance, il vous plaise permettre [122] que la Confrerie du tressainct Nom de JESUS soyt erigee en son eglise, pour la correction et extirpation des vices et pechés des blasphemes, juremens, mauvaises imprecations, maledictions et mensonges, et que ceux qui s'y feront inscrire, observant les regles et Statutz d'icelle, joyssent de ses graces et privileges, a la plus grande gloyre de Dieu, salut de leurs ames et ædification de leurs prochains..

  A024001259 

 Que lesdictz Altariens ayant si peu de revenu qu'il (sic) ne se peuvent entretenir au service de ladicte eglise, ainsy que leur devoir et volonté seroit, ilz sont contraincts d'aller en divers endroicts servir des autres eglises circonvoisines; en suitte déquoy ladicte eglise de Rumilly demeure destituee des Offices qu'il seroit convenable y estre faict, attendu les anciennes coustumes et la qualité du lieu et habitantz et bourgeoys d'iceluy..

  A024001261 

 Outre que lesdictz sieurs Altariens n'ayant point de correspondance avec ledict sieur Curé, sinon entant que luy mesme est Altarien, il arrive en diverses occasions des divisions et contentions qu'empeschent le bon ordre de ladicte eglise..

  A024001262 

 Pour a quoy remedier, il sembleroit estre expedient que le revenu de la cure, qui est asses ample, fust uny a celuy de la communauté desdictz Altariens, apres toutefois la mort dudict sieur Curé, sauf vingt coppes de bled, froment et seigle, mesure de ceste ville, que des a present lesdictz Altariens percevront par les mains dudict sieur Curé pour faire le service divin d'heu a sa charge; et que le nombre d'iceux fust limité, en sorte que tous puissent faire residence, avec obligation d'assister aux Offices et cooperer a la charge pastorale, ainsy que par les reiglements qu'il plairoit a Vostre Seigneurie Reverendissime en faire il seroit ordonné..

  A024001268 

 Nous avons ordonné qu'elles seront l'une et l'autre enregistrées au greffe de l'Evesché, avec Nostre present Decret, par lequel Nous ordonnons de plus, qu'il sera par Nous, ou Nostre Official et Vicaire general, procedé aux formalitées præparatoires a l'union suppliée; et qu'en suitte de ce, tant les deux requestes que le present Decret seront affigés, par copie dheuement expediée, aux grands portes de l'eglise de Rumilly, et y sera ladicte copie trois sepmaines durant, pour servir de signification a tous quil appertiendra et qui porroient pretendre interestz en l'union requise, affin que nul n'en puisse pretendre cause d'ignorance..

  A024001281 

 Outre que par la [négligence desdictz Altariens, qui n'ont aucune correspondance avec les dicts [sieurs] Curé et Vicaire, il sur vient tous les jours des divisions dans ladicte eglise [pour] empescher tout ordre et bonne reigle en icelle..

  A024001288 

 Sera prouveu aux fins portées par la requeste, ainsy que par le Decret aujourdhuy mis au bas de la requeste du R. Curé et des venerables Altariens tendante a mesme [fin], auquel les sieurs suppliantz pourront avoir recours, icelluy estant enregistré au greffe episcopal.

  A024001313 

 Nous permettons la celebration de la sainte Messe en l'oratoire basti au pied de la montaigne, en la parroisse de Moÿ, par le sieur Thomasset; commettans pour la benediction du lieu le sieur Prieur de Rumilly ou le P. Gardien des Peres Capucins de Rumilly; a la charge que ledit sieur Thomasset ne laissera pas pour cela de rendre son devoir en l'eglise parroissiale du lieu, et que ladite celebration ne se fera en icelle chapelle les festes de commandement et jours dominicaux, sinon par le gré du sieur Curé du lieu..

  A024001326 

 Neantmoins, s'arrestant suz sa chiganerie, sellon sa coustume, les trois Reverendz seigneurs suz nommés, par accord mutuel des deux parties, ordonnerent que Reverend messire Bernard de Monpithon retireroit pour une fois trois coppes de froment, et quil bailleroit les autres trois audict M re Querlaz; lequel neantmoins, après avoir accepté cest accord faict au prejudice dudict Gaspard Querlaz, refuse de paier lesdicts trois coppes de froment, menaçant de pres ledict M re Querlaz, et encour de supercidie de ses parens..

  A024001327 

 En outre, que vous baillies pouvoir au Juge mage de Chablais, de descerner lettres de contraincte contre ledict M re de Monpithon a paier lesdictes six coppes de froment promptement audict M re Gaspard Querlaz, faisant paroistre ledict accord audict s r Juge mage..

  A024001327 

 Surquoy recourt aux fins quil vous plaise de decreter que ledict M re Querlaz fera l'office dheu a sa chapelle, ou fera faire par les Rev. Prestres de Sainct Paul, ses compagnons, au mesme lieu de Sainct Paul, veu que ladicte chapelle n'a aucun autel erigé dans l'eglise de Thonon depuiz l'heresie.

  A024001339 

 Exemplo perniciosissimo, heu mesme esgard que telle esglise avoit esté consacrée, et qu'a present elle est le repaire des animaulx, et en tel estat (a correction) que les cheveux dressent a ceulx qui l'ont veu auparavant en si bon estat, se taisantz des vitriades, pour ne sembler voulloir advancer le prouverbe: Quod non capit Christus, rapit fiscus.

  A024001353 

 Sur la remonstrance qui nous a esté faite par les parroissiens de Lully, tendante aux fins que le sieur Curé de Fessi envoye chasque jour de Dimanche et feste de commandement son vicaire en leur eglise pour y celebrer la sainte Messe au matin, en faveur de plusieurs personnes qui, pour quelques incommodités, ne peuvent se transporter a l'eglise dudit Fessi; s'offrans iceux parroissiens de tenir [133] ladite eglise de Luly couverte, bien entretenue et meublee a cet effect:.

  A024001354 

 Nous commettons les sieurs de Blonnay, Prsefect de la Sainte Mayson, et le sieur Chatillon, Plebain de Thonon, avec pouvoir d'associer tel autre ecclesiastique que bon leur semblera, pour voir de l'incommodité et commodité de la proposition et requisition faite par ceux de Luly, ouïr le sieur Curé de Fessi et lesditz parroissiens, et regler le tout selon qu'ilz verront a faire pour la plus grande gloire de Dieu; et du tout Nous donner advis..

  A024001364 

 Sur la remonstrance a Nous faite a Thonon, tendante aux fins que les ecclesiastiques de la Congregation de Nostre Dame de Thonon ayant a faire celebrer la sainte Messe, et faire la station accoustumee dans le diocese pour les fideles trespassés dont les cors reposent au cimitiere de Saint Bon: Nous commettons les sieurs de Blonnay, [134] Prefect, et de Chatillon, Plebain, pour voir ce qui sera plus a la gloire de Dieu, et ordonner de Nostre part ce qui devra estre observé pour ce regard; et s'il y a de la difficulté, Nous renvoyer leur advis, sur lequel Nous puissions prouvoir..

  A024001380 

 Cela étant fait, on pourra célébrer le sacrifice de la Messe dans cet oratoire, de telle sorte cependant que rien ne soit enlevé à l'église paroissiale ou à la charge pastorale de Corbonod..

  A024001389 

 Supplient humblement damoyselle Jane Constantin et noble Loys Constantin son filz, disantz qu'ilz sont en deliberation, tant pour la consolation de leurs ames que pour estre grandement eslognés des aultres eglises, fonder et eriger en leur maison de Magny une chapelle sous l'invocation de la glorieuse Vierge Marie; ce qu'ilz ne peuvent faire sans permission de Vostre Reverendissime Seigneurie, a laquelle partant ilz recourent..

  A024001390 

 Aux fins considerees, playse a mondit Seigneur leur permettre l'erection de ladite chapelle, et commettre tel que bon vous semblera pour proceder a la benediction d'icelle; et aultrement leur prouvoir comme de raison, afin, etc..

  A024001418 

 Puisque donc vous désirez, étant donné le voisinage immédiat du diocèse de Belley et du Nôtre, distribuer parfois le [139] pain de la parole de Dieu et exercer les autres fonctions sacrées aux ouailles et dans les églises à Nous confiées, selon l'opportunité des évènements et des temps, sachant que vous avez pour vous l'exemple d'une bonne vie et une parole saine et irréprochable, Nous vous accordons dans le Seigneur, par la teneur des présentes, la faculté de prêcher dans Notre diocèse, de chasser les démons par les.

  A024001418 

 Que Dieu, en l'honneur de qui vous travaillez, soit lui-même pour votre œuvre votre très grande récompense..

  A024001418 

 Toute la Loi et les Prophètes enseignent que c'est faire chose très agréable à notre Dieu que de se prêter charitablement secours entre voisins.

  A024001418 

 exorcismes de l'Eglise et d'absoudre les pénitents en confession, afin que, comme dit l'Ecriture, vos sources se répandent au dehors, et que vos ruisseaux coulent sur les places publiques.

  A024001419 

 Or, afin que vous sachiez et que tous ceux à qui il appartient sachent aussi que Nous vous avons concédé cette faculté, Nous avons écrit ceci de Notre main, et l'avons signé, en faisant ajouter à cet écrit l'apposition de Notre sceau..

  A024001437 

 Jean-François de Sales, Notre frère et chanoine de Notre église cathédrale, voulant aller à Paris pour des raisons connues et approuvées de Nous, par les présentes, pour cela signées de Notre main et munies de Notre sceau, Nous certifions et témoignons, autant qu'il est en Nous, que c'est un prêtre exempt de toute censure ecclésiastique et partant digne de toutes les marques d'une chrétienne et sincère dilection..

  A024001454 

 Aussi, devant sa requête de vouloir servir Dieu et l'Eglise hors de Notre diocèse, Nous lui avons accordé ces testimoniales dimissoires, par lesquelles Nous souhaitons et demandons que tous les serviteurs du Christ, inférieurs et supérieurs, le considèrent comme à eux recommandé..

  A024001454 

 Nous certifions par la teneur des présentes que le vénérable et à Nous cher dans le Christ M. Henri Barbier, prêtre de Notre diocèse, a été promu selon toutes les règles canoniques, est libre, à Notre connaissance, de toute censure ecclésiastique, n'est entaché d'aucune infamie ou vice répréhensible; bien mieux, a été approuvé, par Nos examinateurs synodaux, pour l'administration des Sacrements.

  A024001465 

 Nous ayant esté remonstré de la part de messire Pierre Rouffille, prebstre, quil auroit cy devant faict permutation de la cure d'Arit, de laquelle il estoit paisible pocesseur et laquelle il avoit descervy l'espasse de trente cinq ans, a une chappelle a luy remise en eschange par messire Jehan Claude Blanc, prebstre et curé moderne dudict Arit, et que depuis ladicte permutation, a raison d'une maladie, joincte a son vieil aage, qu'il luy seroit survenue, il auroit faict despence de toute l'espargne qu'il avoit faict en son jeune aage; si que maintenant il ne luy reste plus aucun moien de pouvoir s'entretenir et secourir en ceste extremité de sa vie, sinon qu'il luy soit par Nous prouveu, attendu que la chappelle sus mentionnee n'est pas de revenu suffisant pour ce faire:.

  A024001555 

 Nous prions en [148] outre, le R me Evêque auquel vous vous serez adressé, de vous conférer les Ordres susdits, pourvu que, surtout lorsque vous voudrez être promu au sous-diaconat, il vous reconnaisse les mœurs, la vie, l'honorabilité, la science et le titre ecclésiastique ou temporel qui sont requis: ce que Nous remettons à la conscience du dit R me Evêque..

  A024001555 

 Nous savons par le témoignage d'hommes très graves que, rentré, par la souveraine miséricorde du Christ notre Seigneur, dans le sein de notre sainte Mère l'Eglise Catholique, vous désirez être promu aux Ordres ecclésiastiques, et que vous ne pouvez, sans grands inconvénients pour vous, venir les recevoir de Nous.

  A024001577 

 Notre bien aimé dans le Christ Pierre Godet, de Neufchâtel, du diocèse de Lausanne ou Bâle, Nous a exposé que, pour certaines raisons, le Saint-Siège Apostolique l'a envoyé vers Nous pour recevoir tous les saints Ordres.

  A024001597 

 Vous pouvez légitimement recevoir la tonsure et les Ordres mineurs de n'importe quel Illustrissime et Révérendissime Archevêque ou Evêque catholique que vous préférerez choisir, et qui exerce effectivement son office et soit en communion avec le Siège Apostolique, sans tenir compte des interstices, et malgré le defectus natalium qui vous atteint, au sujet duquel Nous vous dispensons, pourvu que vous soyez reconnu idoine, ce que Nous laissons au jugement de l'Illustrissime et Révérendissime Ordinant.

  A024001623 

 C'est pourquoi, parmi mes frères dans le sacerdoce il est à propos d'en choisir quelques-uns que je sais avoir, comme il fut dit à Moïse, la sagesse et l'expérience des vieillards, pour qu'ils portent avec moi la charge du peuple, et que moi, si faible, je ne sois pas seul à en être accablé..

  A024001624 

 Or, j'ai jugé, mon Frère, que vous deviez être de ce nombre, et je l'ai décidé, pleinement confiant en votre probité, votre zèle et votre prudence.

  A024001626 

 Et l'Ange du Seigneur se tiendra auprès de vous, et la lumière de Dieu vous environnera; et ainsi, tandis que vous m'aiderez et me soutiendrez dans la charge où je succombe, nous nous donnerons un mutuel appui; comme si nous marchions sur un chemin glissant, nous nous tiendrons par la main, et nos pieds se poseront [155] avec d'autant plus d'assurance que nous aurons l'un pour l'autre plus de charité et de confiance..

  A024001626 

 Vous veillerez enfin avec soin au bien général de ces églises qui vous sont confiées, afin que vous soyez un de ces pasteurs qui passent la nuit dans leurs champs, veillant à la garde de leur troupeau.

  A024001627 

 Cependant, afin que les intéressés sachent que vous avez le pouvoir de remplir les fonctions indiquées plus haut, Nous avons signé de Notre propre main et ordonné l'apposition de Notre sceau..

  A024001647 

 C'est avec raison que presque en pareille circonstance Moïse avait dit: Je ne puis à moi seul supporter tout ce peuple, car il est trop pesant pour moi..

  A024001647 

 Sur cette haute mer, en effet, je suis battu par des vagues si violentes, qu'il me semble impossible de conduire au port ma vieille barque en maints endroits vermoulue et qu'il est à craindre que la tempête ne me submerge.

  A024001648 

 C'est pourquoi, parmi mes frères dans le sacerdoce, il est à propos d'en choisir quelques-uns que je sais être, comme il fut dit à Moïse, des anciens dans le clergé, par la maturité et l'expérience, afin qu'ils portent avec moi la charge du peuple et que moi, si faible et infirme, je ne sois pas seul à en être accablé..

  A024001649 

 J'ai jugé, mon Frère et coopérateur dans le sacerdoce, que vous deviez être de ce nombre, et je l'ai décidé, pleinement confiant du reste, dans votre probité, votre prudence et votre zèle pour la maison du Seigneur..

  A024001650 

 Quand les monitions seront sans effet, vous en défèrerez le plus tôt possible à moi-même, afin que je puisse employer une correction plus énergique..

  A024001652 

 Nous donnant un mutuel appui, et comme si nous marchions sur un chemin glissant, nous nous tiendrons par la main, et chacun aura d'autant plus d'assurance qu'il s'appuiera avec plus de confiance sur l'autre, jusqu'à ce que, avec l'aide de Dieu, Prince de tous les pasteurs, nous qui participons à ses labeurs, ayons part à ses consolations..

  A024001652 

 [158] Et l'Ange du Seigneur se tiendra auprès de vous, et la lumière de Dieu vous environnera, afin que vous remplissiez votre ministère et fassiez l'œuvre d'un prédicateur de l'Evangile; ainsi vous m'aiderez et me soutiendrez dans une charge où sans cela je succomberais.

  A024001653 

 Cependant, afin que tous les intéressés sachent que vous pouvez remplir ces fonctions et user des pouvoirs susdits, Nous avons signé ces lettres de Notre propre main et Nous ayons pris soin d'y faire apposer Notre sceau.

  A024001662 

 Nous permettons selon la requeste, et que le tout se passe sans abus et scandale.

  A024001683 

 Nous témoignons qu'il a vécu honnêtement tout le temps qu'il est demeuré près de Nous, et qu'il a de même rempli sa charge, en sorte qu'il mérite d'être largement recommandé à tous, ce que Nous faisons..

  A024001706 

 A tous ceux qui verront les présentes Nous attestons que le Révérend M. Louis de Perrucard, Abbé commendataire du Monastère de Chézery, de l'Ordre, de Cîteaux, dans Notre diocèse de Genève, Nous a demandé, avec toute l'humilité convenable, d'accorder [162] un témoignage authentique et basé sur la vérité, au sujet de la naissance, de la foi, de la vie, des mœurs et de la doctrine de Notre bien aimé dans le Christ M. Gaspard de Perrucard, qu'il désire voir notre Très Saint Père le Pape lui donner et assigner comme coadjuteur dans le gouvernement du dit Monastère, avec future succession..

  A024001708 

 Aussi l'estimons-Nous digne d'être promu à l'abbatiat en question, surtout parce que le Révérend M. Louis de Perrucard, s'appuyant sur la puissance de son frère et des siens, a si heureusement et fortement administré ce Monastère et sa juridiction temporelle (laquelle en grande partie s'exerce non seulement à proximité des hérétiques, mais chez eux), qu'en ces temps calamiteux rien, semble-t-il, ne peut arriver de plus heureux que de voir son neveu lui être adjoint comme coadjuteur, [164] lequel étant le continuateur de son zèle et de sa vertu, deviendra son successeur dans le titre lui-même..

  A024001708 

 Quant au reste, Nous savons et témoignons en toute vérité que M. Gaspard est né dans ce diocèse, d'illustres et, ce qui vaut bien [163] mieux, de catholiques et très pieux parents; que dès son enfance il s'est adonné à la piété et aux lettres avec un tel profit, que, proclamé docteur à l'Université d'Avignon, il a atteint une connaissance plus qu'ordinaire de la théologie.

  A024001709 

 Quoique M. Gaspard ait un pied endommagé, il ne boite cependant pas au point que sa démarche soit difforme et incompatible avec la dignité abbatiale..

  A024001728 

 Et, pour que vous vous employiez à cette mission d'une manière plus efficace.

  A024001728 

 Il Nous a été très agréable que la Congrégation des prêtres du district d'Evian, établie avec Notre approbation, vous ait choisi pour visiter, selon ses Règles approuvées aussi par Nous, les [166] églises et les personnes ecclésiastiques de tout le district qui sont soumises à la juridiction épiscopale.

  A024001728 

 Nous commandons [167] à tous ceux que cela regarde, d'écouter les corrections que vous ferez et d'exécuter ce que vous aurez conseillé, car votre piété, votre zèle et votre prudence Nous sont un sûr garant que vous vous acquitterez de ces offices pour la gloire de Dieu..

  A024001751 

 Qu'il soit connu de tous que Nous, le dimanche 5 juin 1622, indiction cinquième, dans l'église susnommée, avons donné la cléricature et la première tonsure régulièrement et légitimement à Notre bien aimé dans le Christ Jean Scozia, jeune écolier de Pignerol, né de légitime mariage, présent, voulant et désirant embrasser la carrière ecclésiastique.

  A024001780 

 Nous défendons sévèrement à tous magistrats et seigneurs, tant ecclésiastiques que laïques, de quelque rang et ordre qu'ils soient [173] et sous aucun prétexte, soit en justice, soit ailleurs, de susciter aucun ennui, procès pu préjudice au sujet de l'apostasie, hérésie, excommunication et de toutes censures encourues en quelque façon que ce soit par ledit Claude..

  A024001781 

 Bien au contraire, Nous exhortons vivement tous les chrétiens du monde à exercer tous les offices possibles de charité envers celui qui est maintenant le Révérend M. Claude Boucard, prêtre et docteur en théologie, de même que Nous le bénissons du fond du cœur par les prières que nous adressons pour lui au Dieu tout-puissant..

  A024001782 

 Et pour que tout ce qui précède soit certifié d'une manière indubitable, Nous avons signé les présentes et les avons fait signer par Notre secrétaire et munir du sceau dont Nous Nous servons dans les cas semblables..

  A024001800 

 Claude Boucard, de Verdun, ayant, par suite de la faiblesse de l'esprit humain, abandonné, il y a quelques années, la religion catholique pour l'hérésie de Calvin, fut enfin retrouvé par Celui qu'il ne cherchait pas, et prévenu des bénédictions de sa douceur, en sorte que, touché dans son cœur d'une salutaire douleur, il se mit, il n'y a pas longtemps, à méditer sérieusement son retour dans le sein de l'Eglise Catholique.

  A024001801 

 Alors, comme conséquence... [La suite de cette minute ne présente guère que des inversions et quelques changements de mots avec le texte définitif; nous renvoyons donc à la traduction de celui-ci, pp.

  A024001818 

 Nous avons déclaré, comme Nous le faisons par les présentes, que pendant tout ce temps il ne peut être obligé ou tenu à porter l'habit religieux ou à obéir aux Supérieurs réguliers..

  A024001825 

 Pour terminer le different survenu entre les venerables Seurs Prieure et Religieuses Carmelites deschaussees de Dijon d'une part, et D lle Seur Jeanne Chevrier d'autre [178] part, sur ce que ladite Dlle Chevrier demandoit restitution de l'habit de Novice de l'Ordre desdites Carmelites, qu'elle disoit luy avoir esté osté ... par lesdittes Prieure et Religieuses: elles ont ce jourdhuy declairé par devant moy, notaire royal soussigné, en presence des tesmoins au bas nommés, et par l'advis de R. P. en Dieu M. François de Sales, Evesque de Geneve, que dautant que ladite Dlle Jeanne Chevrier est leur bienfactrice, les ayant appellees, receues et logees en sa mayson de cette ville de Dijon, et qu'en trois ans qu'elles l'ont gardee entr'elles elles l'ont reconneüe fort vertueuse, devote et affectionnee a leur Ordre, elles consentent que l'habit dudit Ordre luy soit redonné, pour iceluy porter par devotion tant qu'elle voudra.

  A024001826 

 Et outre ce, consentent que tout ce qu'elle leur a donné et fourni pour leur usage, tant en meubles qu'immeubles, luy soit rendu et restitué; et qu'a ces fins laditte damoyselle face un estat de tout ce qu'elle pensera avoir donné ou delivré a leur prouffit, lequel soit remis es mains de personnes notables, telles que ledit seigneur Evesque de Geneve nommera, par l'advis desquelz la restitution puisse estre regiee; declarant de plus, lesdittes venerables Prieure et Religieuses, de ne se vouloir servir ni ayder de la donation qui leur avoit ci devant esté faitte par laditte damoyselle Chevrier, ains consentent qu'elle soit comme non advenue et s'en despartent a son prouffit: ce qu'elles promettent [180] faire appreuver et ratifier par leurs Superieurs dans un moys.

  A024001826 

 Et pour satisfaire a tout ce que dessus ....

  A024001853 

 Nous, Commissaires apostoliques respectivement délégués dans cette affaire, comme procédant de droit à l'exécution des Lettres [183] Apostoliques, Nous prononçons, décrétons et déclarons, en vertu de l'autorité Apostolique dont Nous sommes revêtus, que la profession autrefois émise par le Révérend François Bochatton (après l'avoir restitué in integrum adversus lapsum quinquennii, comme Nous le restituons,) a été et est nulle et invalide, et d'aucune force ou consistance, parce que faite avant l'âge légitime et sous l'inspiration de la violence et de la crainte.

  A024001879 

 En outre, à vous, comme à Nos vicaires que Nous députons spécialement pour cela, Nous vous chargeons de Nous remplacer pour l'absolution de toutes irrégularités contractées à l'occasion de crimes cachés, excepté l'homicide volontaire réellement commis, selon la concession à Nous faite par le très saint Concile de Trente..

  A024001893 

 Aussi, ceux que vous approuverez, Nous les approuvons; ceux que vous enverrez ainsi dans la moisson à Nous confiée, Nous les envoyons et les réputerons comme envoyés par Nous.

  A024001893 

 Cependant, malgré tout cela, il Nous sera loisible, au cas où [187] Nous le jugerions à propos, d'interdire cette mission: ce que toutefois Nous avons confiance de n'avoir jamais à faire.

  A024001893 

 Comme vous avez coutume de mettre un grand soin à choisir parmi vous les Religieux destinés à prêcher l'Evangile et à administrer les Sacrements, Nous vous accordons, à vous et à vos successeurs, d'employer à ces ministères dans Notre diocèse, aux conditions requises, les prédicateurs et confesseurs par vous approuvés et désignés, convaincu que rien d'inconsidéré ne sera fait par vous en une si grave affaire.

  A024001908 

 Aussi, condescendant à leurs vœux pieux, Nous certifions, par la teneur des présentes, que les susdits Frères N. et N., nés dans ce diocèse de parents catholiques, ont habité de longues années le monastère de Saint-François de cette ville comme Religieux profès, et n'ont donné, que Nous sachions, aucun scandale ni aux autres Religieux, ni aux fidèles de la ville, des bourgs ou des villages voisins; bien plus, ont répandu pareillement partout la bonne odeur du Seigneur, en sorte qu'ils semblent dignes de toute créance et charité..

  A024001914 

 Ayans sceu que le venerable Clergé du balliage de Gex de ce Nostre diocæse avoit fait choix de vostre personne pour, en son nom, vous acheminer et presenter aux Estatz, tant de Bourgoigne que generaux de France, qui, par le commandement du Roy, se doivent bien tost celebrer: Nous avons icelle election et nomination de vostre personne advoüee, appreuvee et ratifiee, comme par les presentes Nous confirmons, vous nommant aussi, entant [190] quil Nous compete, pour estre auxditz Estatz, dire, remonstrer, requerir et faire a Nostre nom et dudit Clergé de Gex dependant de Nostre charge, tout ce quil conviendra pour le juste soustenement et accroissement de tout ce qui regarde le saint service de Dieu et de l'Eglise audit balliage de Gex.

  A024001933 

 Comme, à ce qui Nous a été rapporté par un témoignage digne de foi, depuis déjà une année entière vous avez très religieusement vécu à Cusy, en administrant, avec Notre permission, les Sacrements et la parole de Dieu partout où vous étiez appelé: pour ce motif Nous vous accordons la faculté de séjourner à Cusy, d'y conférer les Sacrements et prêcher la parole de Dieu, ainsi que d'absoudre des cas à Nous réservés; faculté dont vous pourrez librement user dans tout Notre diocèse, pourvu que les recteurs des églises paroissiales y consentent.

  A024001933 

 Nous exceptons cependant la seule paroisse de Cusy, dans laquelle, pour des raisons à Nous connues, Nous voulons que, même sans attendre ou demander la permission du recteur de l'église de cette paroisse, vous puissiez librement user de la susdite faculté, de façon toutefois à éviter tout scandale..

  A024001934 

 Nous avertissons en même temps Votre Révérence, ce que vous faites du reste, de tempérer la science, qui autrement enfle, par la charité qui édifie, en sorte que votre charité illuminée par la science et votre science enflammée par la charité, tournent au [192] salut du peuple et à l'honneur et à la gloire du Christ Notre Seigneur.

  A024001950 

 FRANÇOIS DE SALES, par la grâce de Dieu et du Siège Apostolique Evêque et Prince de Genève; à tous ceux qui verront les présentes Nous faisons savoir et, témoignons que, le jour, le mois et l'année ci-dessous, Notre bien aimé dans le Christ Claude Boucard a comparu devant Nous ici, à Grenoble, et Nous a demandé de [193] daigner l'absoudre, dans le for intérieur et extérieur, de l'excommunication et des autres censures et peines ecclésiastiques dont il s'avouait chargé pour crime d'hérésie et de profession d'hérésie..

  A024001995 

 « Il est digne et convenable », en effet, que ceux qui procurent de quoi manger, boire et se loger aux voyageurs du monde entier qui se présentent, et qui les secourent de toute manière, soient à leur tour aidés par les personnes pieuses du monde entier..

  A024001996 

 De même, c'est volontiers et cordialement que jusqu'ici Nous avons reçu ceux qui, recommandés par eux, se sont présentés à Nous..

  A024002008 

 Nous permettons de nouveau au Frère P. André de Constance de demeurer dans Notre diocèse, d'y exercer les fonctions sacrées, d'y administrer les Sacrements et d'y faire de pieuses exhortations au peuple, jusqu'à ce que par Nous soit autrement réglé.

  A024002047 

 Comme Nous vous confions le soin de Nous remplacer pour cela de la meilleure manière possible, tout ce que vous ferez dans ce but, tenez-le pour confirmé et approuvé..

  A024002047 

 Ne pouvant aucunement, à cause des malheurs innombrables [201] qui ont, à la suite des guerres, agité et comme accablé notre province, visiter personnellement les basiliques des saints Apôtres Pierre et Paul, et manifester extérieurement la vénération et l'obéissance que Nous avons jusqu'ici professées et qu'à l'avenir, avec l'aide de Dieu, Nous professerons toujours à l'égard du Saint-Siège Apostolique Romain; Nous prions Votre Révérence de vouloir bien se charger, puisque elle se trouve à Rome pour d'autres affaires de Notre diocèse, de remplir en Notre nom ces devoirs de visite ad limina et de prestation d'obédience.

  A024002065 

 Le vénérable couvent de Saint-Dominique de cette ville d'Annecy, dans Notre diocèse, couvent de l'Ordre des Frères Prêcheurs, ayant la coutume d'envoyer toujours quelqu'un de ses Religieux pour recueillir, suivant la Règle et l'usage de l'Ordre, les aumônes des fidèles, et l'état de ce diocèse et de tout le pays étant tel qu'on n'arrive pas à subvenir aux besoins des mendiants du Christ qui l'habitent: Nous signons de Notre main et munissons de Notre sceau ces lettres en faveur de Notre bien aimé dans le Christ, le Frère Jacques Chappaz, convers dudit Ordre, que le Révérend Frère Prieuret le vénérable Couvent de Saint-Dominique de [203] Notre diocèse ont décidé d'envoyer même hors de celui-ci, c'est-à-dire dans le pays de Fribourg et autres parties de la Suisse, pour implorer le secours des gens pieux, afin de pourvoir à l'entretien de la communauté et de réparer les ruines déjà subies dans leurs édifices.

  A024002119 

 ...Etant recommandable par l'intégrité de ses mœurs et de sa vie, il m'a demandé un certificat, parce que je suis le délégué, dans le pays de Thonon, de l'Illustrissime et Révérendissime dans [207] le Christ M gr Claude de Granier, Evêque de Genève.

  A024002126 

 Comme Nous avons sceu qu'un certain soldat hespagnol [209] se seroit retiré dans une eglise dans le bourg de Fabricar affin de jouir de la protection et exemption des eglises, et que neanmoins quelques uns auront (sic) voulu l'arracher et le tirer hors de l'autel pour le forcer de sortir hors de l'eglise, au tort et au mespris de ces sortes d'immunitéz et exemptions:.

  A024002127 

 C'est pourquoy, Nous, a quil appartient de veiller, autant pour conserver les immunitéz de l'Eglise que pour avoir un soin tres particulier de vostre salut, selon la charge qui Nous a eté imposée, vous mandons expressement et precisement par ces presentes, soub peyne d'excommunication, de ne point entrer pour ce subjét dans des lieux saints, soit dans une eglise consacrée a Dieu, et de ne point uzer de violence pour arracher cet homme de l'autel affin de le forcer de sortir de l'eglise, estant fondé sur une telle exemption, mesme sous pretexte de rendre ou de faire la justice..

  A024002128 

 Et pour vous faire connoistre que tel est Nostre sentiment, Nous [avons] escript Nous mesme de Nostre main propre et signé les presentes..

  A024002150 

 Nous, FRANÇOIS DE SALES, par la grâce de Dieu et du Siège Apostolique Evêque et Prince de Genève, à tous ceux que cela regardera..

  A024002173 

 Nous en tenant à Nos précédents commandements, par lesquels Nous avions averti qu'Antoine Garcia, espagnol, arraché à l'église par la violence, devait être rendu à l'église, ou que ceux à qui il appartenait devaient dire pourquoi ils n'étaient pas tenus à cette restitution: Maintenant, après avoir attentivement examiné toutes les circonstances de l'homicide commis, et les raisons sur lesquelles [213] s'appuyait Son Excellence don Alphonse Carrillo, docteur et auditeur de la milice du Roi Catholique, demeurant actuellement dans ces régions, pour refuser de rendre à l'église le susnommé Garcia; par Notre sentence définitive Nous avons prononcé et prononçons ce qui suit:.

  A024002174 

 Nous avons enjoint à tous les juges séculiers et autres personnes à qui il appartiendra, de ne pas faire entourer l'église où sera réintégré ledit [214] Antoine Garcia, et de ne pas y mettre des gardes sous quelque prétexte que ce soit, par où l'immunité de l'église serait directement ou indirectement violée et le même Garcia s'en verrait privé..

  A024002175 

 Nous avons ordonné et ordonnons d'observer tout cela, en telle sorte que si quelqu'un faisait autrement, il soit par cette même sentence excommunié ipso facto, comme en réalité, dès à présent et pour l'avenir, Nous l'excommunions d'excommunication majeure et latæ sententiæ..

  A024002194 

 En outre, ce qui constitue un amour souverain de Dieu, elle a [216] finalement mis un magnifique couronnement à une telle grandeur d'âme, en faisant sortir, comme d'un incendie, après la mort de son mari, citoyen de Genève, ses six fils et filles de cette ville, de peur que la malice de l'hérésie ne changeât leur âme.

  A024002195 

 Nous recommandons donc à tous dans le Seigneur cette famille, et, pour que cela soit manifeste à tout le monde.

  A024002252 

 Supplie tres humblement M re Anthoenne Grandat, que puisque l'opposition qu'avoit estee formee par damoiselle Claudine Debyu a la proclamation du mariage contracté entre ledict suppliant et damoiselle Louyse de Bellegarde a estee vuydee par le sieur Vicaire general de Vostre R me [Seigneurie], ainsy que par sa sentence du dixiesme du courant cy joincte, il vous plaise luy permettre fere les esposiallies et benediction nuptiale dudict mariage dans le chasteau du pere de ladicte damoiselle de Bellegarde, ayant esgard a la distance de l'esglise et pour obvier des [221] bruictz et grandes indiscretions qui pourroit (sic) arriver et arrivent souvent en semblable cas..

  A024002255 

 Ayant veu la sentence mentionnee en la requeste, et consideré les raysons d'icelle et autres verbalement proposees, Nous avons permis et permettons la celebration dudit mariage estre faitte dans une mayson particuliere; a la charge neanmoins que la benediction se fera dans l'eglise parrochiale, entre les solemnités de la Messe, ainsy quil est porté en l'ordinayre Messel Romain, et toutes autres choses qui sont a observer estant observees..

  A024002279 

 Que le mariage se célèbre le matin et que les autres formalités requises par le droit soient respectées..

  A024002304 

 Et pour esclarcir plus entierement ce qui est de ses affaires, fera voir encor le contract de mariage de madame de Chantal sa mere, laquelle, en cas que par son testament elle n'eut pas disposé en faveur de son filz de ses biens, en disposera par le contract du mariage de son dit filz, pour avoir plus de force, sil est ainsy advisé..

  A024002304 

 Le seigneur Baron de Chantal asseure qu'il a... mille escus de revenu, et fera voir par les testemens de messieurs ses grand pere et pere et par celuy de madame sa mere, que les terres qui luy font ce revenu-la ne sont point engagees en substitutions, et qu'il ny a pas d'autres debtes en sa mayson que ceux que madame de Chantal sa mere a declarés par sa lettre escritte a madame la Presidente Liotart.

  A024002306 

 Et pour asseurance de ce que dessus, cet escrit sera corroboré de signatures des sous nommés.

  A024002331 

 Donné à Annecy en Genevois, le jour et l'an que dessus.

  A024002349 

 Nous faisons savoir et témoignons que notre bien aimé dans le Christ M. Alexandre Gauttier, seigneur de Beauregard, de Paris, aujourd'hui même a comparu devant Nous, et, après avoir abjuré [227] comme il convenait, toutes les hérésies, mais surtout celle de Calvin, a légitimement reçu de Nous, qui en avions obtenu le pouvoir de l'Illustrissime Cardinal de Retz, Evêque de Paris, l'absolution des censures qu'il avait encourues à cause de ladite hérésie; en sorte que rien ne s'oppose plus à ce qu'il soit tenu, reçu, aimé et honoré comme un vrai catholique, par tous les vrais catholiques..

  A024002365 

 Nous faisons savoir et témoignons que Notre bien aimé dans le [228] Christ, le noble M. Guillaume de Bernard a vécu pendant deux années entières dans la ville d'Annecy, où se trouve le siège de Notre Eglise, et il y a accompli tout à fait ponctuellement tous les devoirs de la piété catholique; ce qu'il fallait attendre de quelqu'un ayant eu des parents très pieux (à Nous connus à la fois de vue et de réputation), et élevé dès l'enfance dans la demeure du très catholique prince le Duc de Nemours, dont il est maintenant un des principaux officiers, étant attaché à sa chambre..

  A024002375 

 C'est chose des-ja ouctroyee au feu sieur de Charmoysi, et ensuite dequoy l'information de l'interest que Monsieur y peut avoir, avoit esté prise avant le trespas dudit feu sieur de Charmoysi, par laquelle il se treuvera que c'est chose de peu d'importance; et neantmoins, pour la faciliter encor davantage, on offre recompense de fiefz et servis ailleurs dans les terres de Sa Grandeur, a laquelle il importe peu d'avoir en un lieu ou en un autre, estant par tout le haut seigneur au dessus de tous les autres de ce païs..

  A024002375 

 Sa Grandeur est tres humblement suppliee d'accorder et ordonner aux gens de son Conseil et Chambre des Comptes de Genevois de donner en effect des limites a la jurisdiction [230] que le sieur de Charmoysi a a Villy.

  A024002376 

 C'est un point de justice et qui en conscience ne peut estre refusé; car le sieur de Vallon, ayant fait une notable despense pour la reparation de l'eglise, avoit droit de laisser ou mettre des marques de sa pieté pour la posterité au lieu ou il avoit contribué, pourveu qu'elles fussent en une place en laquelle il ny eut point d'apparence que les dites armoiries fussent mises a pair de celle de Sa Grandeur.

  A024002376 

 Sa Grandeur est encor tres humblement suppliee de commander a ses gens du Conseil de deça, de voir si les armoiries du sieur de Vallon qui estoyent en l'eglise de Samoen et en furent rasees par authorité absolue de Sa Grandeur, estoyent en lieu prejudiciable aux authorités d'icelle; et en cas que ledit Conseil juge que non, les faire restablir, ou du moins permettre audit sieur de Vallon de les faire restablir.

  A024002377 

 C'est un point de pieté et de justice tout ensemble, car ces pauvres filles sont pupilles, et on ne sçauroit preuver solidement la mort de leurs oncles ausquelz la curialité d'Ugine appartenoyt: de sorte qu'en cette (sic) doute du trespas on pourroit leur præfiger un terme dans lequel on les laisseroit joüir de laditte curialité et passé lequel elle seroit reunie au revenu de Sa Grandeur; car aussi bien, le droit qui presuppose que chasqu'homme puisse vivre cent ans, et qu'en effect il les vive, portera que ces filles jouissent encor plus de soixante ans, puisque leurs oncles dont on ne peut preuver la mort, l'un estant allé en Levant et l'autre en Hongrie, ne sçauroyent avoir, s'ilz sont en vie, plus de trentecinq ou quarante ans..

  A024002377 

 Sa Grandeur est enfin suppliee tres humblement de commander que le proces que ces fiscaux font contre les [231] deux filles du feu sieur de Cirisier soit vuidé par voye amiable.

  A024002386 

 Monsieur de la Pierre est supplié, de la part de l'Evesque de Geneve, d'interceder vers Monseigneur le Duc de Nemours, a ce qu'il luy playse de commander qu'on face les expeditions des faveurs que Sa Grandeur a accordees audit Evesque:.

  A024002387 

 Pour le sieur de Vallon: une lettre a messieurs du Conseil de Genevois, affin que s'ilz treuvent que les armoiries quil avoit fait graver en l'eglise de Samoens, ne fussent pas en lieu qui peut praejudicier a l'authorité de Sa Grandeur, ilz ordonnent qu'elles y soyent remises..

  A024002401 

 Le Procureur fiscal de l'Evesché dit que le suppliant doit remettre en propre personne et entre les mains de Vostre Reverendissime Seigneurie, le contenu [234] en la susdite requeste, par laquelle il confesse d'avoir commis l'execrable et abominable crime..., qui semble, a correction, devoir estre puni par adjudication de quarante livres d'amende applicables a la mense episcopale, et vingt livres a œuvres pies, ayant esgard a la confession et volontaire recognoissance de sa faute; et a jeusner trois jours de la sepmaine pendant le temps et espace d'un mois prochain, a compter des hores; avec inhibition et defense de ne rechoir par cy apres a telles semblables fautes, a peine de cinq cent livres, et autres plus grandes s'il y eschoit.

  A024002401 

 S'en soubmettant sur le tout au bon vouloir et plaisir de Vostre Reverendissime Seigneurie, et d'y prouvoir plus pertinemment selon le subject de la matiere, tant pour raison de l'offence de Dieu, scandale du prochain, que pernicieuse conséquence resultante du pardon et impunité de semblables delicts..

  A024002417 

 Supplient humblement spectable Humbert Guyrod, docteur ez droitz et advocat au Conseil de Genevois, et damoyselle Antoine Guyrod, disantz, qu'appres les promesses du mariage futur entre eux et fiancement solemnel, ils auroient fait proceder aux proclamations præfigez par le sacré Concile de Trente, les jours dixiesme et unsiesme du præsent mois, en l'eglise parrochiale de la præsente ville, par messire Garnier, vicaire d'icelle; lequel, deferant a certaines oppositions formees par damoyselle Michelle Puthod, [236] mere de ladite damoyselle Antoine Guyrod, et de noble Claude Estienne de Thyolla, par un maistre Pilliod au nom dudit de Thyolla, sans pouvoir ni mandat il auroit ranvoyé les parties a mardy prochain, quinsiesme du present mois, a une heure appres midy, par devant le seigneur vostre Vicaire et Official, pour vuider les dictes causes d'oppositions sommairement, ainsy que la mattiere le requiert.

  A024002418 

 Ces fins considerez, il vous plaise deputer tel aultre qu'il vous plairra que ledit sieur Roges, pour reigler les parties et vuider les dictes causes d'oppositions, a forme dudit ranvoy fait par ledit sieur Garnier, cy joint.

  A024002418 

 Non pas que les dicts sieurs suppliants se doubtent de l'integrité dudict sieur Roges, mais pour les causes susdictes le supplient de s'abstenir de la congnoissance de la mattiere..

  A024002427 

 Attendu l'absence du sieur Jay, Nous commettons le sieur de Comba, chanoyne et Sacristain de Nostre Eglise, ainsy que dessus..

  A024002432 

 Veu la requeste cy dessus, Noz decretz en fin, des jours douziesme et treiziesme du courant, et tout consideré, Nous vous mandons et commettons par ces presentes, qu'a la requeste desdits suppliantz, vous adjourner a personne ou domicilie parties suppliees a comparoir et [répondre] pardevant... le sieur chanoine Delacombe, par Nous a ce commis et deputé, pour respondre et deffendre aux fins et conclusions prinses par ladite requeste et proceder ainsi que de ....

  A024002448 

 Nous dispensons des bans pour le mariage à célébrer entre l'honorable Claude Chaffarod, Notre bien aimé dans le Christ, et Jeanne Berger, aussi Notre bien aimée dans le Christ, tous deux habitants de Faverges; confiant l'affaire au premier prêtre qui, là-bas, est au service de Dieu et de l'Eglise, à condition que les autres prescriptions du droit soient maintenues..

  A024002457 

 Ayant veu, leu et consideré la Bulle concedee par le Saint Pere Paul V, en laquelle il a dispensé et dispense noble seigneur Jean Anthoine de Rossillon et noble dame Marie de Viri de contracter mariage ensemble, nonobstant qu'ilz soyent parens entre eux au quatriesme degré, Nous avons homologué, interiné le rescrit porté par icelle Bulle, comme ayans veu la deposition bien et legitimement faite par des tesmoins dignes de foy, que la supplication presentee au Saint Pere contenoit verité.

  A024002457 

 C'est pourquoy Nous vous commettons pour celebrer ledit mariage en la face de nostre Mere sainte Eglise, en presence de deux tesmoins, et mesme en lieu particulier, soit en chambre ou ailleurs, secretement, attendu que ledit mariage est des-ja publié, et qu'il n'est besoin de le celebrer sinon pour reparer les defautz de pouvoir, si aucun est intervenu au mariage des-ja, quoy que peut estre nullement, celebré..

  A024002518 

 Les auditeurs apporteront leur attention, leur pensée et leur soing à ce que l'on enseignera; et s'il y a quelque chose qu'ils n'entendent pas, ils en feront des interrogats aprés que la leçon sera faicte..

  A024002519 

 Les discours et harangues se feront avec plus d'eloquence que la leçon, et l'on s'y servira de l'art oratoire..

  A024002532 

 Que les avaricieux ne mettent point le pied dans l'Academie..

  A024002534 

 Les autres choses seront ordonnées selon que les affaires et les temps enseigneront.

  A024002540 

 Et ce, en presence de M e Noel Ruffier, procureur desditz R dz PP. de laditte Congregation, et tous deux constitués a ces fins au cors dudit contract; lequel M e Ruffier a preste consentement et, entant que de besoin, requis la mesme homologation..

  A024002540 

 Par devant Nous FRANÇOIS DE SALES, par la grace de Dieu Evesque et Prince de Geneve, s'est presenté et compara au palais de Nostre habitation et residence ordinaire de cette cité d'Annessy, M e Jean Thomas, procureur de Ville et des R dz sieurs et nobles Administrateurs du College de laditte cité: lequel Nous a remonstré, comme suivant la bonne volonté de Son Altesse Serenissime et de Monseigneur le Duc de Genevois, Nemours et Chartres, ilz ont remis, cedé et transporté ledit College et administration d'iceluy aux R dz PP. de la devote Congregation de Saint Paul, vulgairement appellés Barnabites, par contract qu'il exhibe, du cinquiesme juillet prochain passé, receu et signé par M e Vassal, notaire et secretaire de laditte ville; Nous requerant vouloir iceluy homologuer en [248] tant que Nous touche, et sur iceluy interposer Nostre decret et.

  A024002541 

 Quoy ouy par Nous, dit Evesque et Prince de Geneve, et appres lecture faitte dudit contract, avons iceluy homologué tant que Nous touche, selon sa ferme et teneur, et sur iceluy interposé Nostre decret et authorité judiciaire, et ordonné qu'il sera enregistré aux Registres de M e Jacques Maurice Dumont, l'un de Nos greffiers..

  A024002553 

 1° Qu'ilz seront assidus et fideles a tenir l'escole, sous quel pretexte que ce soit, exceptés les jours feriés et de festes.

  A024002554 

 2° Que celuy d'entre eux qui sera convaincu de mal vivre, avec femme, fille, ou mesme soupçonné avec fondement, apres deux ou trois monitions qu'il en soit exclus, s'il ne donne sufïisans tesmoignages de son prompt et sincere amendement..

  A024002556 

 4° S'il est admis au Tribunal par le Reverendissime Evesque, qu'il n'y aille que du consentement du Reverend S r Curé, gratuitement a l'egard des penitens..

  A024002566 

 Nous appreuvons les Statutz cy devant escritz, et ordonnons quilz soyent enregistrés en Nostre greffe, et que lettres d'union et annexation desdittes chappelles y mentionnees seront expediees, en bonne et probante forme, en faveur de l'œuvre pie du College de Cluses, attendu le consentement fait par la communauté du lieu de Cluses, lequel Nous avons admis et admettons.

  A024002589 

 Et cela, pour que les professeurs prêtres, y établis et fondés, aient un autel sur lequel ils puissent commodément, aux heures fixées, célébrer la Messe devant les élèves, ou encore pour que soit créé un nouveau cinquième professeur, prêtre lui aussi, selon le progrès dudit Collège, et les Statuts donnés par le Révérend M. Bochut, si le revenu provenant [254] des chapelles unies est suffisant, ou qu'au moins ce revenu serve à assurer d'une façon plus certaine l'entretien des susdits professeurs.

  A024002589 

 Nous faisons savoir que, comme il convient à un Pasteur vigilant, Nous accordons Notre aide et secours surtout à ceux qui partagent Notre sollicitude, et emploient tous leurs soins et travaux à former la jeunesse dans la piété, les bonnes mœurs et les études libérales, [253] et que Nous leur prêtons main forte.

  A024002589 

 On Nous y expose clairement qu'il est très utile, nécessaire même, pour l'établissement d'un clergé de quatre prêtres enseignant dans le Collège de la ville, que certaines chapelles, fondées dans son église [paroissiale], soient unies au Collège en question.

  A024002589 

 Que si, à la fondation du clergé et Collège, étaient unies, annexées et incorporées la chapelle de la Léproserie de Cluses et l'autre chapelle de Notre-Dame de Pitié (dépendant toutes deux de la présentation des Syndics de Cluses), avec leurs droits, fruits, rentes, revenus et appartenances, ce serait faire acte utile au clergé et au Collège..

  A024002590 

 Et cela de telle sorte qu'il sera loisible au clergé, recteur et Collège susdits, lorsqu'il arrivera d'une façon ou d'une autre que ces chapelles (unies, comme il a été dit, au Collège et clergé constitué de Cluses) seront vacantes, d'en prendre librement et licitement, sans la permission de quiconque, la possession réelle, actuelle et corporelle, et aussi d'en employer les fruits à leurs besoins et utilité, aux conditions, restrictions et conventions insérées dans l'acte de fondation, à condition que, selon sa teneur, soit célébré le service dû et accoutumé, par les prêtres dudit clergé et leurs successeurs..

  A024002614 

 Nous avons vu les lettres patentes par lesquelles Madame la Sérénissime Infante Catherine, fille du Sérénissime Duc, a ordonné que soit écrit ce qui suit:.

  A024002616 

 Conformément aux patentes signées par Son Altesse Sérénissime, mon Père et Seigneur, pour le privilège que, à ma requête, il accorde à perpétuité à la ville d'Annecy de pouvoir prélever trois deniers sur chaque livre de chair qui se vend à la boucherie de la même ville, sous la condition, toutefois, de la fondation d'une Messe perpétuelle: Je nomme le R. P. D. Juste pour la célébrer, voulant et déclarant que les cinquante ducatons [257] d'aumône soient, comme le portent les susdites patentes, appliqués au Collège et à la Maison qui seront assignés pour résidence au Père par ses Supérieurs, et cela sa vie durant.

  A024002616 

 Et après sa mort, je nomme dès maintenant, pour alors et pour toujours, le Collège des PP. Barnabites d'Annecy, auquel je veux et déclare que les susdits cinquante ducatons soient perpétuellement et irrévocablement assignés et appliqués; à condition, cependant, que le Supérieur du Collège des PP. Barnabites sera tenu de faire célébrer la Messe perpétuelle par l'un des prêtres Religieux de son Ordre: car telle est Notre volonté..

  A024002621 

 C'est pourquoi Nous aussi, autant que cela faire se peut, Nous louons les clauses susdites de la patente et, si cela est nécessaire, les confirmons, celle surtout qui a trait à la fondation [258] d'une Messe perpétuelle et à la nomination faite par la Sérénissime Infante pour sa célébration.

  A024002629 

 Et a ces fins, sadite Altesse [aurait] faict entendre que son bon playsir estoit d'unir la chappelle vulgairement appellee le prieuré de Saint Clair, exsistant riere Dingye, a leur Congregation; mais la chose seroit [259] demeuree imparfaicte.

  A024002630 

 Aussy ne se treuve il que ladite chappelle soit esté visitee par aultre que par Messeigneurs les Rmes Evesques, qui ont en icelle exercé toutte sorte d'authorité et de jurisdiction..

  A024002630 

 Et certes, il y a de la rayson de leur prouvoir de quelque plus ample revenu, attendu la modicité de cestuy la quilz ont, l'utillité et necessité du ministere quilz font, et que ladite chappelle, bien qu'elle soit communement appellee prieuré, neantmoings il ny a qu'un recteur, sans Religieux, vivant comme prebstre seculier, independant d'aulcung chefz (sic) d'Ordre.

  A024002631 

 De sorte quilz recourent a Vostre Seigneurie R me, affin que, ce consideré, il vous playse leur provoir pour l'effeict de ladite union, ainsy que de rayson..

  A024002636 

 Et neantmoins, pour le fondement et validité d'icelle, remonstre que, par un prealable, il doibt estre debuement informé sur la necessité, utilité et prejudice que peut aporter ladicte union, et sur la vraye valeur des revenuz annuelz et charges de la chapelle dont est question; et semblablement, des revenuz et charges des Reverendz Peres supliantz, vocatis vocandis, pour de faict leur estre proveu comme de raison..

  A024002636 

 Le Procureur fiscal de Genevois dit qu'il n'a point d'autre interest en l'union dont est question que celuy du bien public, auquel il estime ladicte union pouvoir grandement conferer: laquelle partant il n'empesche, sans prejudice des droictz de Monseigneur et du tiers non ouy.

  A024002646 

 Le Procureur fiscal de l'Evesché dit qu'auparavant que proceder a l'union requise et qu'il puisse prester aucun consentement a icelle, il eschoit d'informer sommairement sur la necessité ou utilité, et sur la qualité des benefices; n'empeschant qu'a ces fins soit commis le greffier de l'Evesché..

  A024002658 

 Ne reste sinon qu'il y entrevienne le consentement de vostre venerable Chappitre cathedral, scellon que de droict canon, et pour ce lesdictz suppliantz recourent a V. S. R me..

  A024002658 

 Supplient avec humillité vos tres humbles et devotz orateurs, les RR dz PP. dictz Clercz regulliers de la Congregation de Saint Paul, dictz Barnabites, recteurs perpetuelz du College des Saintz Paul et Charles d'Annecy, disantz que pour l'union et incorporation que pretend faire V. S. R me du prieuré de Saint Clair audict College, pour les raysons et consideration suppliées en la requeste laquelle ilz ont presentée a V. S. R me, et suyvant le bon playsir de Leurs Altesses Serenissimes, les suppliantz ont faict proceder a la sommaire apprinse de l'estat et revenu dudict College, comme aussy de celles dudict prieuré, et que les recteurs ou prieurs d'icelluy ne sontz onques estez que seculliers et simples prebstres; et ce, par M e Maurice Dumont, greffier de l'Evesché a ces fins commis.

  A024002659 

 Ce consideré, playse, Monseigneur, ordonner que la presente soit monstrée aux RR dz seigneurs Prevost et Chanoenes dudict venerable Chappitre, pour, sur ce, faire leur declaration et donner leur consentement; duquel ilz sontz priez humblement comme certiorés et (sic) l'estat dudict prieuré et necessitées dudict College, affin que, ce faict, il soyt procedé par V. S. R me a l'union don (sic) est question, ainsi qu'elle verra a faire.

  A024002671 

 Et aultrement leur prouvoir, ainsi que de droict..

  A024002671 

 Qu'appres qu'il a apparu a V. S. R me des preuves souffizantes des necessitées dudict College, le revenu duquel, comme la plupart incertain, n'est souffizant pour leur entretient et des regens des basses classes; par la sommaire apprinse faicte, de l'authorité et commission de V. S. R me, par M e Dumont, greffier de l'Evesché a ce commis; aussy heu esgard au consentement presté par le venerable Chappitre cathedral de Saint Pierre de Geneve, sur la requeste cy jointe du cinquiesme du courant, signé par le sieur Chanoine Jay, secretaire dudict Chappitre, cy contre, il soit le bon playsir de V. R me S., suyvant les conclusions de leurs precedentes requestes, de passer oultre a l'union du prieuré de Saint Clair, fruictz, revenus, biens et charges en dependentz, audict College a perpetuité, comme estant un simple benefice, ainsy que doibt resulter de ladicte requeste sommaire.

  A024002673 

 Apres avoir veu et consideré les depositions des tesmoins ouÿs en la sommaire apprinse faite par M e du Mont, greffier de l'Evesché a ce commis, comm'encor le consentement presté par Nostre Chapitre cathedral, et ayant egard a la bonne volonté, intention et desir de S. A., dont [262] il Nous appert par lettres a Nous envoyees par icelle: avons ordonné et ordonnons que la chapelle de Saint Clair, communement appellee prieuré, biens, fruitz et revenuz qui en dependent, seront mis, annexés et incorporés a perpetuité au College de la presente ville et cité, avec les charges en dependantes; et qu'a ces fins en soyent expediees auxditz suppliantz lettres de provision de ladite union et annexe, telle que de droit et de coustume.

  A024002691 

 Aussi, puisque les saints Canons engagent à [263] attribuer les bénéfices soit à ceux qui célèbrent les Offices divins, soit à ceux qui s'occupent du salut des âmes par la parole, l'enseignement et l'administration des Sacrements, et que tout dernièrement, le saint Concile de Trente a témoigné un intérêt spécial à l'égard des collèges où la jeunesse apprend les rudiments de la piété et des belles-lettres, non seulement en ordonnant de les ériger, mais encore en indiquant les moyens particuliers de subvenir à leurs charges, en leur assignant des revenus ecclésiastiques: Nous, à Notre tour, avons jugé que Nous remplirions plus équitablement le devoir de Notre ministère touchant la distribution de ces revenus, si Notre soin de Pasteur, sur ce point, gratifiait ceux qui s'adonnent avec zèle, non seulement à une des œuvres susmentionnées, mais à toutes simultanément..

  A024002691 

 La raison veut que les bénéfices ecclésiastiques soient à bon droit accordés surtout à ceux qui réunissent toutes les conditions requises, en bloc et en particulier, pour la collation canonique des revenus des bénéfices.

  A024002692 

 Or, par de légitimes documents et témoignages reçus dans ce but et à Nous montrés, il est évident que les Révérends Clercs réguliers, de Saint-Paul, appelés vulgairement Barnabites, qui au Collège Chappuisien d'Annecy, sous le vocable des Saints Paul et Charles, tout en s'acquittant, selon les pieux statuts de leur Congrégation, de la célébration des Offices divins, de l'administration des Sacrements, des prédications, du catéchisme, des écoles et autres fonctions [264] religieuses, jouissent cependant d'un si petit revenu, que, ne pouvant suffire à tant de charges assumées, ils se voient forcés à diminuer le nombre de leurs Religieux, et à omettre les fonctions ordinaires plus solennelles, ou à les célébrer moins solennellement que ne le leur permettent leurs Constitutions:.

  A024002693 

 Nous donc, en obéissant, selon Notre devoir, aux décrets des saints Canons et du saint Concile de Trente, en conformité aussi à la volonté du Sérénissime Prince de Savoie et de Piémont, voyant que, pour aider et promouvoir les services si utiles et nécessaires à la vie ecclésiastique que rend le susdit Collège, on peut, sans aucune diminution du service divin, assigner commodément la chapelle séculière ou église de Notre diocèse appelée vulgairement prieuré de Saint-Clair; de Notre autorité ordinaire, aussi bien que de celle qui, en tant que l'affaire le requiert, Nous est déléguée par le Siège Apostolique, suivant les décrets du Concile œcuménique de Trente, et après avoir pris le consentement capitulaire de Nos frères les Chanoines, Nous unissons, annexons et incorporons pour toujours, par la teneur des présentes, au Collège Chappuisien des Saints Paul et Charles d'Annecy, des Clercs réguliers de Saint-Paul, [265] ladite chapelle, église ou prieuré de Saint-Clair, de Notre diocèse, avec tous ses biens, revenus, droits et émoluments, ainsi que tous accessoires, appartenances, annexes et dépendances, eu égard à l'état actuel comme à l'état futur, et vice-versa, aussitôt qu'elle sera vacante par voie de cession pour cause de résignation, de permutation ou toute autre, ou bien, par le décès, ou autre démission ou amission du Révérend Jean Sonnerat, recteur actuel.

  A024002693 

 Nous défendons à [266] chacun et à tous, aussi sévèrement que possible, en vertu de la sainte obéissance et sous peine d'excommunication par Nous dès maintenant et pour l'avenir lancée (assignant pour cela l'espace de six jours, deux pour le premier terme, deux pour le second, et les deux autres pour le troisième), de s'opposer en quelque façon à ce que les Religieux ou leurs procureurs prennent libre possession et en jouissent en paix..

  A024002704 

 Supplient humblement les R dz Peres Clercz reguliers de la Congregation de Saint Paul, recteurs perpetuelz du College de la presente ville, qu'en la cause d'appel ventillante au Senat sur l'appellation comme d'abus interjectee par le sieur Baron de Menthon de l'union de la chappelle appellée prieuré de Saint Clair audict College, ledict sieur Baron se sert de la Visite faicte par V. R. Seigneurie dudict prieuré, qu'il est presupposé escript que ladicte chappelle est de son patronage; de laquelle Visite les suppliantz desirent avoir extraict..

  A024002705 

 Mais parce quilz se sont apperceus que les motz substanciaux qu'on preste contre eulx sont apposés a ladicte Visite par apostille, et probablement a l'insceu de V. S. R sse, ilz recourent a ce que, ce consideré, il vous playse ordonner a M e Decomba saysie d'icelle, la rapporter par devant vous et, l'ayant veu, fayre sur ce telle declaration que Vostre Seigneurie R sse treuvera raysonnable, si elle a entendu advouer ce droict de patronage ou non, affin quilz ne s'embarracent mal a propos en proces..

  A024002708 

 Ordonnons a M e De Combaz de rapporter par devers Nous le livre de Visite mentionné en la presente requeste, pour, par apres, prouvoir sur le surplus d'icelle ainsy que de rayson..

  A024002712 

 Ayantz veu le livre de Visite a Nous representé par M e Decomba, disons et declarons que, procedantz a ladite Visite, Nous n'avons eu, pour la plupart du temps, attention a ce qu'iceluy M e Decomba escrivoit sur le fait d'icelle, Nous en estantz quasi entierement remis a son soin et diligence.

  A024002712 

 Et ne croyons pas qu'il se faille arrester a ce qu'en ladite Visite sont estes adjoustés par apostille ces motz: de la præsentation du sieur Baron de Menthon, puisque elle n'a esté appreuvé par Nous, et que pour avoir treuvé, appres que le livre de Visite nous a esté des-ja diverses fois representé, qu'elle avoit esté moins soigneusement et exactement redigee par escrit, Nous ny avons pas cy devant adjousté foy telle qu'est deüe aux actes publicz, mais seulement Nous en sommes servi par forme de memoyres et instructions; aussy ne l'avons Nous voulu ny signer ny appreuver nulle part..

  A024002713 

 Si requerons tous qu'il appartiendra, croyre que ce dessus contient verité, et au surplus, ordonnons a Nostre secretaire expedier l'extraict de la Visite suppliee aux Peres supplianz, pour s'en servir comme de raison..

  A024002724 

 L'Evesque de Geneve est le seul legitime Prince sauverain de Geneve et de ses dependences, nonobstant que les Seigneurs Ducz de Savoye, comme successeurs des comtes de Geneve d'une part et les citoyens de Geneve de l'autre, prætendent au contraire..

  A024002725 

 En consequence de ce que [272] dessus, le mesme Empereur confisca le fief de Guillaume, comte de Geneve, a Nancellinus, Evesque, pour la felonnie commise contre iceluy Evesque, l'an 1186..

  A024002726 

 L'an 1371, ladite revocation est confirmee, avec commandement au comte, tant de la part du mesme Empereur que du Pape Gregoire 12, d'acquiescer a icelle en faveur de l'Evesque.

  A024002730 

 L'an 1308, 1343, les Evesques donnent expresse permission aux comtes de Savoye de battre monoye au fauxbourg de Geneve, a la charge que la 4 e partie de l'emolument revienne a la bourse episcopale.

  A024002735 

 Quand aux prætentions des citoyens de Geneve, elles sont plus recentes et infiniment plus frivoles; car ilz alleguent seulement que l'Evesque Ademarus leur donna pouvoir de connoistre et juger des crimes et occurrences qui surviendroyent des le soleil couchant jusques au soleil levant.

  A024002737 

 Encor que les citoyens eussent condamné pour telz crimes nocturnes, la sauveraineté toutefois estoit a l'Evesque, qui en pouvoit faire grace, comme fit Thomas, Evesque, a un criminel condamné par les citoyens l'an 1453..

  A024002738 

 Ilz alleguent aussi les alliances faittes par eux avec Berne et autres cantons; mais c'estoit du tems quilz minutoyent leur rebellion et apres qu'ilz l'eurent executee, ce pendant que, nonobstant leurs alliances, Charles V, Empereur, les [278] advertissoit et commandoit de ne deroger aux droitz de l'Evesque, l'an 1530..

  A024002739 

 Et de fait, lesdits citoyens debattans avec les Ducz de Savoye, ne se couvrent ni peuvent couvrir d'autre droit que de celuy de l'Evesque, comm'il appert en la conference faite a Hermence l'an 1598, par les sieurs Maillet, Dauphin, Let, Rozet et Sarrazin..

  A024002760 

 Il nous a remis les lettres de l'Empereur, et il est reparti sain et sauf comme il était venu: c'est ce que Nous attestons par les présentes..

  A024002783 

 De plus, Nous affirmons que le même Georges Seyffert, porteur des présentes, a toujours vécu, pendant le peu de jours qu'il a passés avec Nous, selon les usages catholiques et qu'il n'a rien fait qui ne respire le vrai christianisme.

  A024002793 

 Je croy que le tiltre est de Nostre Dame..

  A024002793 

 Sur la vacance de la pension ou portion qui estoit demeuree a l'Abbé de Filly pour le tiltre de l'abbaye, tout le reste du revenu ayant esté appliqué a l'Ordre Saint Maurice et Lazare, il est requis que Son Altesse nomme a Sa Sainteté un successeur pour ladite portion.

  A024002794 

 La vacance est par le deces de Reverend noble de Grilly, Religieux et Chantre de Saint Claude, bien que ladite [284] [portion] ne soit annexee ni a la chantrerie ni au monastere Saint Claude.

  A024002801 

 En la personne desquels procureurs et de l'ung d'eux ledict Seigneur Reverendissime a esleu son domicile, promettant mon dict Seigneur Reverendissime, par serment presté more Prelatorum, avoir agreé ce que par lesdicts procureurs ou l'ung d'eux sera faict, avec touttes aultres promissions, serment presté, relevations, renonciations et clausules requises..

  A024002801 

 Et c'est [pour], au nom de mon dict Seigneur le Reverendissime Evesque, prester la fidelité a Serenissime Monseigneur le Prince de Piemont; et c'est suivant et a la forme teneur de la fidelité prestee personnellement par mon dict Seigneur le Reverendissime le premier may mil six cent et troys, par l'acte signé Boursier, a feu de tres heureuse memoyre Monseigneur le Prince (que Dieu absolve) Philippe Emanuel; et fere tout ainsy que si mon dict Seigneur le Reverendissime estoyt present, et de telle fidelité en retirer acte duement signé et aultrement fayre comme le fait le requiert.

  A024002802 

 Présens: Reverend messire Estienne de La Combe, chanoine de ladicte Eglise cathedrale de Saint Pierre de Geneve, messires Jacob Chambouz et François Favre, dudict Annessy, tesmoins requis; combien que par et aultres mains soit escript, et [286] moy, notaire subsigné, a ce recepvant requis, corroborees par signature de mondict Seigneur le Reverendissime, scellees du scel de mon dict Seigneur..

  A024002823 

 [...Il écrivit au très saint Siège Apostolique d'excellentes raisons [287] en faveur de l'Eglise cathédrale de Chambéry, par lesquelles il montrait que] de tout temps ia ville de Chambéry fut la capitale de la Savoie, que le souverain Sénat et le Conseil d'Etat y font leur résidence, qu'elle est ornée d'un grand Collège et de plusieurs [288] églises, tant séculières que régulières.

  A024002824 

 D'ailleurs, l'évêché de Grenoble est si étendu et il comprend tant de pays différents, enfin son administration est si difficile, que la plupart du temps les affaires de Savoie sont nécessairement différées..

  A024002828 

 [ Il ajoutait que ] ces raisons étaient d'une telle importance, que pour établir un évêché dans cette ville, nul effort légitime ne devait être épargné, tant de la part du Sérénissime Duc que du Siège Apostolique.

  A024002829 

 Enfin, on peut croire que le Révérendissime Evêque de Grenoble songe à désirer d'être déchargé de cette partie de son diocèse, afin qu'il puisse, avec plus de facilité et d'exactitude, s'occuper du reste de sa charge qui sera encore bien grande, pour ne pas dire très grande.

  A024002853 

 Il m'a été certes très agréable d'apprendre que l'on va publier sous peu la Vie et conduite du très illustre et Révérendissime Père et Seigneur Juvénal Ancina.

  A024002853 

 Les évêques, en effet, étant, au dire [292] du grand Pontife Grégoire de Nazianze, les peintres de la vertu, qui est la chose la plus belle, et devant, par leurs paroles et leurs actes, retracer avec art et, autant que possible, exactement une chose si excellente, je ne doute pas que nous ne devions contempler en notre très illustre et distingué Juvénal l'image parfaite de la justice chrétienne, c'est-à-dire de toutes les vertus..

  A024002854 

 Et à la vérité, pendant les quatre ou cinq mois que je passai à Rome, par l'ordre de mon très pieux et très honoré prédécesseur Claude de Granier, pour y traiter certaines affaires de ce diocèse, je vis plusieurs personnes d'une sainteté et doctrine éminentes, dont les travaux étaient l'ornement de Rome, et, par Rome, de l'univers; mais parmi eux tous, la vertu de notre Juvénal frappa spécialement et merveilleusement les yeux de mon âme..

  A024002855 

 Or, j'appelle très pure dilection celle où ne se trouvait presque rien de l'amour-propre ou égoïsme: rare et exquise dilection celle-là, rare même parmi ceux qui font profession de piété, et partant plus précieuse que ce qui s'apporte de l'extrémité du monde..

  A024002857 

 C'est pourquoi lorsque ceux qui, touchés intérieurement par l'amour céleste, désiraient suivre une manière de vie plus pure et lui demandaient son avis, il ne regardait que la plus grande gloire de Dieu, et les conduisait avec grande affection, par conseils et par actes, vers la Société qu'il pensait pour eux la mieux désignée: homme, par conséquent, qui n'était ni à Paul, ni à Pierre, ni à Apollon, mais à Jésus-Christ; qui ne se souciait, ni dans les affaires temporelles ni dans les spirituelles, de ces mots si froids de mien et de tien, mais pesait sincèrement toutes choses dans le Christ et pour le Christ.

  A024002858 

 Tout dernièrement mourut au Collège de cette ville d'Annecy, que dirigent les Clercs réguliers de Saint-Paul, un homme très religieux, Don Guillaume Cramoisy, parisien.

  A024002859 

 « A vingt-quatre ans, dit-il, poussé déjà par de nombreuses inspirations de la divine Providence à embrasser la vie religieuse, je me sentais cependant, à cause de ma faiblesse, tellement agité de tentations contraires que, perdant tout à fait courage, je songeais sérieusement à me marier; la chose était même si avancée dans le cercle de mes amis, qu'elle paraissait comme faite..

  A024002860 

 Aussi, dès la fin du sermon, hésitant et anxieux je l'aborde tandis que, dans un coin de l'oratoire, il répandait, j'imagine, ses prières pour l'heureuse issue de sa prédication, et je lui expose l'état de mes pensées.

  A024002860 

 Lui aussitôt: « L'affaire, » dit-il, « doit être traitée avec plus d'attention, nous n'aurions pas le temps de le faire maintenant que le jour est à son déclin; si donc demain vous venez me trouver, nous nous occuperons plus opportunément de toute cette question.

  A024002860 

 Mais combien grande est la bonté de Dieu! Etant entré à l'oratoire de la Vallicella, voici que j'entends le Père Juvénal Ancina prêcher au peuple, d'abord sur l'inconstance de l'esprit humain [296] et sur sa faiblesse, ensuite sur la magnanimité qu'il faut mettre à suivre les instincts divins; et cela avec tant de talent dans la parole et les idées exprimées, qu'il semblait secouer, comme avec la main, la paresse malheureuse de mon cœur; en sorte que finalement, élevant sa voix comme une trompette, il me contraignit de me rendre.

  A024002861 

 Ce qu'ayant écouté et examiné attentivement: « Et c'est pour cela, » me dit ce Serviteur de Dieu, « que la Providence [297] a ménagé dans l'Eglise la variété des Ordres religieux; afin que celui qui ne peut s'engager dans ceux qui sont austères et voués à la pénitence extérieure entre dans les plus doux.

  A024002861 

 Et voici que s'offre à vous la Congrégation des Clercs réguliers de Saint-Paul, où la discipline de la perfection religieuse est en grand honneur, et où cependant l'on n'est pas accablé par les austérités corporelles, tellement que à peu près tout homme peut, avec la grâce de Dieu, observer très facilement ses coutumes et Constitutions.

  A024002861 

 » Depuis lors l'homme de Dieu ne cessa de me conseiller, jusqu'au moment où il me vit admis et engagé dans cette si honorable Congrégation.» Voilà ce que racontait Don Guillaume..

  A024002862 

 D'où il est facile de conclure quelle était la persuasion de parole du grand Juvénal Ancina, sa sagacité dans les conseils, et sa constante et parfaite charité à aider le prochain; car ce que je viens de raconter à titre d'exemple, nous savons qu'il l'a fait pour beaucoup d'autres.

  A024002862 

 Et pour ce qui me regarde, j'avoue ingénuement avoir été grandement incité à l'amour de la vertu chrétienne par [298] plusieurs lettres que, grâce à sa bienveillance pour moi, j'ai reçues de lui..

  A024002864 

 Car dès qu'elles surent que j'étais arrivé, on ne peut dire assez avec quelle ardeur d'esprit et quelle douce violence ils me firent abandonner l'auberge publique pour la maison d'un noble citoyen.

  A024002864 

 Et en effet, lorsqu'en 1603, me détournant un peu de mon chemin, je vins le saluer à Carmagnole, ville du diocèse de Saluces où il faisait la Visite pastorale, je sentis alors la vénération mêlée d'affection que sa piété et ses abondantes vertus excitaient dans ces [299] populations.

  A024002864 

 Et ils ne se lassaient pas d'exprimer par leurs paroles et leurs visages joyeux l'allégresse que leur faisait concevoir la présence d'un tel Pontife, tandis que lui, par une très noble affabilité et une très suave bienveillance envers tous, fixait les yeux et les cœurs de tous, et, comme un Pasteur excellent et bienfaisant, appelait par leur nom ses brebis aux pâturages verdoyants, et de ses mains pleines du sel de la sagesse, les attirait, ou mieux, les entraînait après lui.

  A024002865 

 Pour tout dire en un mot absent d'envie: il ne me souvient pas d'avoir jamais vu un homme plus abondamment et splendidement orné des qualités que l'Apôtre désirait tant voir chez les hommes apostoliques.

  A024002888 

 A iceluy sieur Doyen remonstré comme Monseigneur le Reverendissime Evesque de Geneve desireroit aller a la procession du S t Sacrement, voullant que Mess rs les chanoines de S t Pierre marchent les derniers et facent l'Office, et que ceux de Nostre Dame marchent a part et devant; voullant, de plus, faire l'Office a S t Mauris.

  A024002888 

 Auquel fut respondu que feu Monseigneur le R me Bachodi, qui estoit Nonce de Sa Saincteté, d'allieurs Evesque de Geneve, et apres, le feu Monseigneur le R me Angelo Justinian, Evesque aussi de Geneve, ont laissé l'Office a ceulx de l'eglise de Nostre Dame, sans vouloir rien innover, puisque mesme non seulement leur eglise est la principale de la ville, comme se veoid par l'assemblee qui se faict dans icelle, voyre aussi [qu'ils sont] Curé de la parrochiale de la ville, a laquelle la ville a notable interest..

  A024002889 

 Puisque le temps est fort proche, il est necessaire [savoir] si la Ville vouldra permettre que l'assemblee des croix se fera dans l'eglise empromptee pour Cathedrale, lorsque se feront les processions; oultre que, encores que Curés, on veult que aultres, qui n'ont aulcune part en la cure, fassent l'Office, et priver [ainsi] les propres Curés de leur authorité et prerogative..

  A024002890 

 Neanmoins a esté proposé a Monseigneur le Reverendissime [l'ordre] que feu Monseigneur Justinian, son predecesseur, a tenu pendant trois annees: en la premiere annee, il se contenta que le Chapitre de S t Pierre y vindrent a part, marchant ceux de Nostre Dame a main gauche, et les aultres a main droicte; la seconde annee les dicts sieurs de S t Pierre demeurarent sans y venir, fors [que] luy, Monseigneur Justinian, se servit d'assistans de ceulx de sa Cathedrale; et la troysieme annee, Monseigneur luy seul, assisté de ceulx de Nostre Dame seulement, assista a icelle, portoit le tres auguste et tres sainct Sacrement de l'aultel.

  A024002890 

 Suppliant humblement la Ville de vouloir declairer leur volonté et de vouloir les maintenir aulcunement; oultre que feu Monseig r Claude de Granier, Evesque de Geneve, predecesseur [im]mediatement de mon dict Seigneur François de Sales, n'a jamais volu [304] toucher cest ordre, considerant la difficulté qu'arrivoit pour introduire telle affaire..

  A024002891 

 Et ou luy plairoit que le Chapitre de S t Pierre de Geneve marchat, quil ira a main droicte de ceulx de Nostre Dame; et celebrant la S te Messe, qu'estant le diacre de S t Pierre, que le subdiacre sera de Nostre Dame; et qu'en l'absence de Monseigneur, ou le dict Chapitre vouldra marcher, que le sieur Doyen marchera comme Curé, suivant ce qu'a esté observé par feu Monseigneur le Reverendissime Angelo Justinian, faisant les deux Chapitres l'Office ensemblement; et, par mesme moyen, qu'a toute procession l'assemblee se face dans la dicte eglise de Nostre Dame.

  A024002891 

 La Ville, en l'assemblee de son Conseil, a declaré que Monseigneur le Reverendissime François de Sales, Evesque de Geneve, sera prié humblement de laisser les affaires comme cy devant.

  A024002895 

 Et pour autant qu'ils se treuvent tellement joincts, unis et collés a la chaire episcopale, ils desireroient qu'ils s'approchassent de plus pres de leur chief, puisque l'Evesque et le dict Chapitre ne font qu'un corps, et que Mess rs les Rever ds sieurs Doyen et chanoines du venerable Chapitre de Nostre Dame marchent devant et a part: estant les dicts sieurs de S t Pierre, avec Monseigneur le Reverendissime, fondés sur des raisons peremptoires et qui ne reconnoissent exception, tant sur les saincts Canons que determinations du S t Consile de Trente.

  A024002895 

 Et quand aux officiants, que c'estoient (sic) chose tres belle que les deux Chapitres s'assemblent dans l'eglise de S t Mauris, ou il pretend celebrer la saincte Messe; et la, faire l'assemblee de tout le Clergé meslé ensemble, chantant et psalmodiant.

  A024002895 

 Ne desirant neanmoins de faire breche et prejudicier aux droicts, prerogatives et preeminence deubs au Curé, soit au dict Chapitre de Nostre Dame, par l'acte que dessus; ains au contraire, est de telle volonté que de mourir plustot pour la conservation de parrochiale et droicts de Curé, que de permettre que chose quelconque leur soit levee..

  A024002895 

 Pour cest effect, il avoit prins resolution de faire marcher tout le Clergé, jusques mesme au tres venerable Chapitre cathedral de S t Pierre de Geneve, qui, porté tres humblement au mesme dessein, ne desire que de prester la mesme obeissance que les autres communautés.

  A024002896 

 Et parce que Monseigneur a faict entendre qu'il y avoit nouvelle assemblee soit chez Mons. Mestre Jean Marchand, docteur es droicts, conceiller de M gr le Duc de Genevois et de Nemours, juge mage en son duché de Genevois, affin d'assister et de veoir si les asseurances avancees de part et d'autre sont valables, et assister plaira: ce que sera faict par les dicts sieurs Scindics..

  A024002896 

 Neanmoins, qu'ils feront entendre au vray de nouveau l'intention [305] de Monseigneur le Reverendissime a la Ville, qu'ils promettent faire assembler au plus tost, affin de faire, sur les raisons qu'il pretend avancer (en presence de ceulx que l'on deputera d'une part et d'autre), decider ce different.

  A024002896 

 Se plaignant encores (Monseigneur) qu'a esté obmis estrangement de ce que a icelle resolution et deliberation il n'a esté daigné l'appeler pour ouvrir ce qui estoit en son entendement et communiquer les raisons qui le poulsoient tout oultre sur chose si saincte (puis mesme que c'est ung Sacrement qui est une union telle que l'Eglise et Docteurs d'icelle la preschent) et faire que chascung iroit avec une union a adorer nostre Dieu.

  A024002897 

 Et ou l'affaire seroit remise, en tant que concerne la Ville, a l'arbitrage et connoissance de Monsieur M e Antoine Favre, docteur es droicts, conceiller de S. A., senateur en son Senat de Savoye et President de Genevois, comme aussy a celle de Mons. M e Claude de Quoex, conceiller de M gr et premier Collateral en son dict Conseil de Genevois, quils seront priés humblement de s'en abstenir, tant pour estre le dict sieur President frere du Reverend sieur Vicaire general de M gr le R me et chanoine de la dicte cathedrale, que le dict sieur de Quoez beaufrere de R. S r François de Chissé, chanoine aussi en la dicte cathedrale et jadis Vicaire general de feu heureuse memoire Ill e et R me S r Monseig r Claude de Granier, quand vivoit Evesque de Geneve; et ou le Conseil vouldroit passer oultre, que les dicts sieurs Scindics appelleront au Senat..

  A024002897 

 La Ville a deliberé que mondict Seigneur le R me sera supplié avec toute humilité de donner delay pour en advertir Monseigneur, estant a present a Paris, pour, sa response veue, y obeir; et neanmoins ordonné et commandé aux dicts sieurs Scindics de n'alterer la resolution derniere du vingt quatre de ce mois aulcunement.

  A024002901 

 Par Mons. Suchet remonstré comme ils ont esté advertis par Mess rs de Nostre Dame comme ils sont sur le point de la resolution pour le faict des processions avec Messrs de S t Pierre, affin que si la Ville y a quelque interest, de deffendre le droict de leur parrochiale.

  A024002902 

 Mess rs de Nostre Dame ont promis de communiquer leurs raisons et droict, si (ainsi) que Messrs du Chapitre de S t Pierre, desirant aussy le bien des deux Chapitres et ne hurter aulcunement les drois et privileges de la Ville, soit pour elle que de la parrochiale.

  A024002903 

 Un « acte de compromis » a été « passé par les dicts deux Chapitres, » avec « nomination de juges et amiables arbitres, sans que M rs les Scindics y [306] soient nommés.

  A024002904 

 La Ville a deliberé que M rs les Scindics, advocats et procureurs de Ville assisteront au dict compromis..., et de proposer les recusations portees par la Deliberation du 28 may, annee derniere; et si les recusés ne se vouldront abstenir du jugement, que M rs les Scindics assisteront comme juges.

  A024002908 

 ... Il y a longtemps que la dispute entre M rs de Sainct Pierre et de Nostre Dame dure, et s'est resolue par arrest du Metropolitain de Vienne, par provision,... tellement que pour la procession [de la Fête-Dieu, les chanoines de Notre-Dame] disent ne le pouvoir faire, puis que M rs de Sainct Pierre feront l'office de Curés sans les dictz S rs de Nostre Dame.

  A024002908 

 [Faut] savoir si elle (la Ville) les suivra, apres leur Office, a leur eglise, ayant egard qu'ils ne officient aucunement a Sainct Mauris avec M gr le R me, qui celebrera la S te Messe et M rs de Sainct Pierre feront le service; partant, puisque la Ville a quelque interest pour la parrochiale, plaira adviser quel moyen l'on pourra tenir et l'interest que Monseigneur peut avoir..

  A024002909 

 La Ville, puis qu'il y a sentence du Metropolitain de Vienne, qui a adjugé la precellence a M rs de Geneve par provision contre M rs de Nostre Dame, la Ville n'a aulcun interest a telle precellance ou a l'office qui se doibt faire, ni aux autres choses concernant la spiritualité; partant, les dicts S rs de Nostre Dame, a cette occasion, se pourront retirer par devers Monseigneur le R me pour observer ce que, de sa part, leur sera ordonné.

  A024002909 

 Neanmoins que, comme Curés, seront suivis, au cas qu'ils chantent seuls, par M rs les Sindics et bourgeois jusques au lieu de Sainct Mauris, lieu de leur parrochiale, suivant la coustume.

  A024002913 

 Ce matin, auparavant le depart de Monseigneur le Reverendissime Evesque de Geneve, iceluy auroit faict appeller Mess rs les Sindics, auxquels il auroit remonstré comme samedy prochain, septieme du present mois, se faict action de grace a Dieu pour l'heureuse restitution des Estats de feu de bonne [307] memoire Philibert, nostre Souverain (l'ame duquel Dieu absolve); et par acte remarquable, l'on a tousjours heu despuis de coustume de faire une procession solennelle et generale, a laquelle il desire que le tres venerable Chapitre de l'Eglise cathedrale de Sainct Pierre de Geneve, residant en ce lieu, y rendent leurs debvoirs.

  A024002913 

 Ce que n'a volu estre accordé ni discordé a mon dict Seigneur le R me par les dicts sieurs Sindics, sans en communiquer ceans, et de la resolution qu'en sera prinse, la faire entendre au long a mondict S gr de Geneve; qui est ce qui est demandé de l'assistance..

  A024002913 

 Et partant, puisque cela ne touchoit que le spirituel, il ne l'auroit volu ordonner que premierement il n'en heust faict sa declaration a la Ville, affin de obvier a toutes noises ou rumeurs qui, a ceste occasion, pourroient reucir.

  A024002913 

 Et puisqu'ils precellent tous aultres corps d'eglise, ainsy que s'est veu par la sentence du Metropolitain rendue a ce mois de juin, executee par ce que l'on a peu veoir par la derniere procession de la Feste Dieu de cette annee, il veut que l'assemblee du Clergé se fasse dans la dicte Cathedrale, et que de la, la procession parte, et que tous aient a suivre, ainsi que de coustume, avec la preeminence deue aux cathedraux.

  A024002914 

 La Ville, en l'assemblee a demy, ayant consideré que la procession de samedy prochain a esté vouee par l'Estat et non par le Clergé sous l'authorité duquel elle a esté continuee jusques a maintenant, a deliberé et resolu qu'en tant que concerne la precellence et preeminence deue a M rs les cathedraux de Sainct Pierre de Geneve, que cela ne touche la Ville, n'empeschant qu'ils marchent au rang qu'il leur plaira; et neanmoins, que pour l'assemblee, que le dict S r R me sera supplié de permettre d'estre faicte a Sainct Mauris, comme eglise capitale de la ville, si plus il n'ayme, pour sa commodité, permettre que la procession sorte de Nostre Dame, ainsy que de tous temps.

  A024002918 

 L'ordre estably par M gr le R me de Geneve, affigé par les portes des eglises, que l'on doibt tenir demain a la procession du tres auguste et tres sainct Sacrement de l'autel, estant au pardessus la lettre de M gr l'Archevesque de Vienne, qui veut que le Chapitre de Sainct Pierre et celuy de Nostre Dame marchent ensemblement, nonobstant l'ordonnance provisionnelle de l'annee derniere: si que les S rs de Nostre Dame sont resolus de ne marcher aulcunement.

  A024002918 

 Partant, plaira adviser si la Ville marchera et montera a Sainct Mauris sans croix ou non, affin que, suivant la resolution qui sera prinse, [on puisse se régler] au faict de la dicte procession; joinct que monseigneur d'Albigni a volu prier la Ville de se conformer a ce qu'en plaira a mon dict Seig r le R me..

  A024002918 

 Tellement que, pour monter a la parroesse, la Ville doubte d'y aller, si elle n'accompagne quelque corps de Clergé, ainsi que de tout temps.

  A024002919 

 Dont pour cela en sera donné advis a mondict Seigneur le R me, affin de luy faire paroistre que la Ville ne desire que de humblement luy obeyr, ainsy comme nostre vray Prelat et Seigneur spirituel..

  A024002919 

 Et apres que le dict S r Doyen n'a esté trouvé, la Ville est d'advis que le Chapitre sera prié, ou tout le corps ne vouldra marcher, que, comme Curé, il marchera, ou pour le moins ceux qui sont obligés pour le service de la parrochiale ceste sepmaine; a defaut de quoy, sera prins acte de reffus.

  A024002919 

 Et avant que de deliberer sur la proposition susdicte, il a esté advisé de prier M r le Doyen et chanoines de Nostre Dame, pour entendre d'eux leur volonté.

  A024002929 

 Sachent tous comme ainsy soit que par cy devant question et differend soyent estés meus entre les Reverends seigneurs Prevot et chanoines et Chappitre de l'Esglise de Geneve (a present resident en la presente ville d'Annessy) d'une part, et les Reverends seigneurs Doyen, chanoines et Chappitre de l'Esglise collegiale de Nostre Dame de cette ville d'autre, et ce, tant a cause de la precedence et preceance qu'a cause des sepultures: pour raison de quoy, procés auroit esté intenté par devant Monseigneur l'Archevesque de Vienne, ou soit monsr son Vicaire metropolitain, ou le dict procés est encore pendant indecis, ayant neantmoins esté tant procedé que ladicte precedence et presseance auroit esté, par provision, adjugee a ladicte Esglise de Geneve..

  A024002930 

 Ou, apres avoir esté bien et soigneusement disputé et examiné tout ce qui depend dudict differend en la presence et assistence de Monseigneur l'Illustre et Reverendissime Seigneur Evesque et Prince de Geneve, finalement seroient demeurés d'accord, pour bien de paix et tesmoignage de charité et edification du prochain, d'en traicter ainsy que sera cy bas contenu et declairé, et d'en passer le present contract de transaction..

  A024002931 

 Pour ce est il que ce jourdhuy, quatorzieme du mois d'octobre mil six cent et cinq, par moy notaire soubsigné et en presence des tesmoins soubs nommés, se sont establis en leurs personnes les susnommés,... et ont transigé, traicté, convenu et arresté comme s'ensuit...:.

  A024002933 

 1° Premierement, que bonne paix soit et demeure des a present entre lesdictes parties, lesquelles ont renoncé et renoncent ausdicts differend et proces.

  A024002934 

 Et neanmoins, voyant qu'elle est rendue en termes generaux,... le tout a esté arresté comme sera cy bas specifié... Lorsqu'il plaira a mondict Seigneur le Reverendissime, ou a son Grand Vicaire, de convoquer les esglises en son Esglise cathedrale pour les processions, ils ne feront aucune difficulté d'y venir, le signe de la cloche leur estant donné a propos; et au cas quils arriveront pendant que l'on chantera au cœur (sic) cathedral soit Heure ou Grande Messe, ils se logeront ou bon leur semblera hors du cœur, en attendant la fin de l'Office; lequel fini ils entreront au cœur, si bon leur semble, et se logeront aux hautes formes du costé gauche qui sera vuide a ces fins, sauf la place accoustumee pour les gens de Monseigneur tenant ses Conseils et Chambre des Comptes; et la se reposeront, en attendant que la procession se commence, sans toutesfois quils puissent faire aulcune sorte d'Office en ladicte Esglise cathedrale.

  A024002934 

 [2°] Item, que les susdicts chanoines et prestres d'honneur de Nostre Dame acquiescent a la susdicte sentence provisionnelle, la tenant pour definitive.

  A024002935 

 3° Item, que les dittes processions et offices d'icelles se commenceront et entonneront par les chantres de la dicte Esglise cathedrale et consequemment par le cœur cathedral; et ayant achevé le premier verset de l'himne ou autre chose, le second se chantera par ceux de ladicte Esglise de Nostre Dame, et ainsy alternativement se fera ladicte procession a deux chœurs.

  A024002936 

 4° Item, que si les esglises sont convoquees par mondict Seigneur le Reverendissime ou son Vicaire en ladicte esglise de Nostre Dame, ou bien de S t Mauris, l'on y procedera comme s'ensuit, sçavoir: Que lesdicts sieurs chanoines et Chappitre de Nostre Dame feront donner le son de la cloche pour la procession si a propos, que quand le susdict corps de l'Esglise cathedrale arrivera, les Offices soyent faicts, en sorte qu'a leur arrivee ils puissent immediatement commencer la procession.

  A024002936 

 L'ordre de leur sceance sera que l'on mettra quattre sieges autour du pupitre, sçavoir, deux devant et deux dernier (derriere); les deux devant serviront pour les chantres de ladicte Collegiale, et les deux dernier pour ceux de ladicte Cathedrale.

  A024002936 

 Que si toutesfois lesdicts Offices n'estoient achevés, ledict corps de ladicte Esglise cathedrale n'entrera au cœur jusque apres la fin, pour n'interrompre lesdicts Offices, lesquels achevés il entrera, et se logeront les susdicts seigneurs Prevost et chanoines aux hautes formes du costé droict (estant l'Evesque present ou absent), laissant neantmoins libre la place des susdicts seigneurs du Conseil et Chambre des Comptes.

  A024002937 

 5° Item, que le jour de la Feste Dieu, l'assemblee se faisant en ladicte esglise de Saint Mauris, l'on en usera de mesme, et se donnera le signe au son de la cloche si a propos que ladicte Esglise cathedrale puisse arriver a la fin de la Grande Messe, pour commencer la procession immediatement; avec declaration, que si mondict Seigneur le Reverendissime Evesque estoit absent, ou bien, estant present, il ne luy plairoit pas de porter le Saint Sacrement, cest honneur appartiendra a ladicte Esglise cathedrale.

  A024002938 

 Et advenant que les processions se fissent et commençassent a quelque autre esglise par le commendement de mondict Seigneur le Reverendissime ou son Vicaire, l'on si comportera comme a la Cathedrale.

  A024002940 

 Ce faisant, a ordonné et ordonne qu'il sortira son plein et entier effect; de quoy il a octroyé actes aux dictes parties ce requerans, et commandé a moy, dict notaire, de le rediger icy par escrit pour leur valoir et servir ainsy que de raison.

  A024002940 

 Et affin que la presente transaction et accord puisse avoir plus de force et de vigueur et sortir son plain et entier effect, les susnommés Reverends seigneurs Prevost et chanoines de ladicte Esglise cathedrale de Saint Pierre de Geneve, comme de mesme les cy devant nommés seigneurs chanoines et prestres d'honneur de ladicte Esglise collegiale de Nostre Dame, ont requis et requierent mondict Seigneur le Reverendissime Evesque et Prince de Geneve, qu'est icy present, vouloir insinuer, emologuer et interposer son decret et authorité judiciaire: ce qu'il a faict.

  A024002952 

 C'est pourquoy, sur l'humble requeste que Nous a este faicte de vostre part, Nous vous donnons pouvoir de confirmer et enrichir des Indulgences et graces speciales cy dessoubz escriptes, toutes les Confrairies du tressainct Sacrement de l'Autel cy devant canoniquement instituees et dressees en tout le diocese de Geneve..

  A024002952 

 Nous accordons volontiers, pour plusieurs respectz, ce que vous Nous demandes, principalement quand c'est pour l'acroissement du service divin.

  A024002953 

 Or, les Indulgences et graces que Nous accordons en faveur des dictes Confreries sont telles que s'ensuit:.

  A024002957 

 Tous fidelles, tant hommes que femmes, quy estant vrayement repentans, confessés et communiés se feront recepvoir en l'une desdites Confrairies, gaigneront Indulgence pleniere le jour de leur reception..

  A024002969 

 Semblablement, ceux qui vrayementz repentantz, confessés et communiés visiteront les chapelles ou oratoires desdictes Confrairies, et prieront comme dessus es quattres aultres festes que vous leurs assigneres, ilz gaigneront chasque jour qu'il (sic) feront cela, dix annees et aultant de quarantainnes..

  A024002973 

 De plus, les confreres et seurs quy, penitentz, confessés et communiés, assisterontz aux processions que lesdictes Confrairies ont accoustumés de faire chasque mois, et prieront comme dessus, gaigneront trent'ans et autant de quarantainnes.

  A024002977 

 Ceux qui se trouveront aux Messes et aultres divins offices qui se celebrent es eglises, autels ou oratoires desdictes Confrairies, ou bien qui assisteront aux assemblees d'icelles Confrairies, soit qu'elles se facent publiques ou particulieres, en quelque lieu que ce soit, et ceux qui accompagneront le tressainct Sacrement quand il est porté ou es processions ou aux mallades, ou aultrement, comme que ce soit; ou qui, estant empechés de ce faire, oyant le son de la cloche qui sert de signe pour cela, diront un Pater noster et un Ave Maria pour le malade; ou quy se treuveront es aultres processions extraordinaires desdictes Confrairies et des aultres quy se feront par vostre licence, ou aux ensevellissementz des deffuncts; ou quy visiteront et secourront les mallades, ou quy feront hospitalité aux pauvres, ou quy leurs feront ausmonnes et secours, ou qui pacifieront les discordes qu'eux mesmes ou les autres auront, ou bien procureront qu'elles soyent pacifiees; ou bien quy reciteront cinq fois le Pater noster et l' Ave Maria pour les deffuncts, ou quy ramenneront quelqu'ung au chemin de salut, ou quy enseigneront les choses utiles au salut, ou quy feront quelque autre sorte d'œuvres de pieté et de charité: toutes fois et quantes qu'ilz feront quelqu'une des susdictes bonnes œuvres, gaigneront cent jours d'Indulgence..

  A024002985 

 Et en fin Nous donnons pouvoir ausdictz confreres et seurs de choisir tel confesseur que bon leur semblera (approuvé neanmoins [314] de l'Ordinaire), quy une fois l'annee les puisse absoudre de tous pechés, crimes, exces et delicts, mesme de ceulx quy Nous sont reservés, et au Siege Apostolique (excepté neanmoingz les cas reservés en la Bulle Cæna Domini et en la Constitution de Clement VIII, d'heureuse memoire, Nostre predecesseur, qui se commence: Quæcumque a Sede Apostolica, dattee du septiesme septembre mil six cent et quattre, et encour les reservés aux Ordinaires des lieux), et le tout nonobstant toutes Constitutions et autres choses quy porroint estre a ce contraires..

  A024002995 

 En outre, j'ay trouvé la dicte chappelle n'avoir de longueur en dedans que neuf piedz, et huict de largeur, et aultres neuf d'aultheur; se trouvant dressé en icelle ung aultel de pierre asses proportioné, ayant neanlmoins sa table dessus faicte d'aiz, crusee au milieu pour mettre une pierre sacree.

  A024002995 

 J'ay de plus remarqué ladicte chapelle estre close de bonnes murailles blanchies par le dedans, deuement couverte de deux tallappines a tavaillon et clavins; ayant au devant ung trillier bois de sappin, posé sur murailles, de l'haulteur de trois piedz et cloz d'aiz au dessus ledict trillier, et sa porte au milieu, et au coing dudict trillier, a costé gaulche, y a une pierre de taille ronde crusee, pour tenir l'eau beniste; estant a craindre, a cause dudict trillier, que, celebrant la saincte Messe en temps d'hyver en ladicte chapelle, la consecration ne vienne a congeler.

  A024002997 

 Interrogé sil est vray que son filz Nicolas fut detenu d'une griefve maladie, en l'aimee 1598, et qu'a ceste occasion il eust faict veu a Dieu et a la glorieuse Vierge Marie de fere construire et bastir la susdicte chappelle, si Dieu luy faysoit la grace de revenir en convalescence, et si ce veu fut faict du sceu et consentement dudict Guilliame deposant:.

  A024002998 

 Respond que ledict Nicolas son filz, fut griefvement malade en ladicte annee 1598, de malladie presque incogneue, de laquelle il fut contrainct de tenir le lict environ quattre mois a l'ordinaire, et que durant le temps de sa malladie il se recommandoit a Dieu tres devotement et a ladicte glorieuse Vierge; et fit veu, du consentement dudict deposant et par son ayde et assistance, de fere bastir ladicte chappelle si Dieu luy faysoit la grace de retourner en convalescence.

  A024003000 

 A respondu estre vray que, faisant bastir sa grange audict village, les massons et ledict Nicolas son filz trouvarent une pierre la au pres, en laquelle (estant fendue) se remarquoit l'image de ladicte glorieuse Vierge; de quoy ilz furent tous grandement estonnés.

  A024003004 

 Et en oultre dict que sil plaict a mondict Seigneur le Reverendissime permettre la celebration a ladicte chappelle, qu'il la fera planchir, et la fournira de chasuble, haulbe, amit, calice et aultres choses necessaires pour celebrer la saincte Messe..

  A024003011 

 Et lhors, que cherchant des pierres pour bastir une grange, ilz en trouverent une d'environ trois piedz de longueur, un pied de large et demi pied d'espesseur, laquelle estant rompue par ledit respondant, il apparut a la roupture d'icelle l'image de la glorieuse Vierge; chose qui l'estonnat grandement, et luy fit alhors declarer son dict veu a son pere, qui l'approuvat et luy promit toutte assistance pour s'acquitter de sondit veu et faire bastir la dicte chappelle, ce que despuis ilz ont faict..

  A024003013 

 Dict et respond quil continue a la mesme volunté et priere portee par la dicte Requeste; touttesfois, s'en soubmect a ce quil plaira a Monseigneur le Reverendissime en ordonner, tant desdictz jours que du revenu annuel, n'entendant neanlmoings en ce que dessus, vouloir aulcunement prejudicier ez droitz de messieurs du Chappitre de Salanche; offrant en oultre de fere planchir (avec sondict pere) ladite chappelle et la pourvoir de tout ce que sera requis pour la celebration de la saincte Messe.

  A024003021 

 Respond quil les cognoit tres bien et qu'ilz sont de bonne fame et reputation, et qu'il a entendu dire audict Nicolas Perroullaz, qu'a une sienne maladie de laquelle il venoit quasi impotent, sont environ douze annees, il avoit faict veu que si Dieu luy redonnoit sa santé, de fere construire a l'honneur de la Saincte Trinité et de la glorieuse Vierge ladicte chappelle; ce que du dempuis et des une annee en ça lesditz pere et filz ont effectuéz et ont fait bastir ladicte chappelle, a laquelle sil plaist a Monseigneur le Reverendissime permettre estre celebré la Messe, cela leur sera grande commodité..

  A024003023 

 Dict et respond qu'il y a environ demy lieue de distance et qu'il y a trois nantz a passer en chemin; l'un desquelz est plus proche dudict village des Vorziers, appellé nant de Dyere, qui vient fort grand et impeteux en temps de pluye, tenant mesme de gravyne [318] en largeur, en temps sec, environ trente pas, et que deça dudict nant, proche dudict village des Vorziers, sont buissons, bourses et pierres environ deux centz pas de chemin..

  A024003024 

 Interrogé de la valleur du pré et champt que lesditz Perroullaz veullent ypothequer a ladicte chappelle, et de sa contenance:.

  A024003025 

 A respondu et dict qu'elle contient environ un journal et demy et que ladicte piece peut valloir tous les ans, environ quinze florins.

  A024003032 

 Dict et respond qu'il estime y avoir environ une bonne demy lieue de chemin, touttesfois tout a plain, auquel se trouve, au sortir des possessions dudict village, des isles plaines d'espines, buissons et pierres, contenant de chemin environ douze vingtz pas, dans lesquelles isles se trouvent souvent, mesmes en hyver, des loupz et aultres bestes; dela desquelles est la riviere appellé le nant de Diere, fort impetueux en temps de pluye et difficile a passer, et encoures de la ledit nant s'en trouve ung aultre dict le nant de la Croix, et plus oultre, tendant contre Salanche, distant du precedent environ deux centz pas, un aultre appellé nant de Lespignier, lesquelz touttesfois ne viennent si impetueux ny grandz que le premier..

  A024003033 

 Interrogé du contenu du pré et champt que les ditz fondateurs veullent ypothequer pour l'asseurance du revenu annuel de ladicte chappelle, et valleur d'icelle piece:.

  A024003039 

 Apres l'audition des susnommés, je me suis mis en chemin pour retourner a Salanche avec ledict M e Ramus, ayant au preallable remarqué audit village des Vorsiers, de costé et d'aultre, plusieurs possessions, champ et verdiers, au but desquelles, du costé de Salanche et environ cent pas loing dudict village, j'ay remarqué les isles playnes d'haliers, pierres et espines, tenant de chemin jusques au nant de Dyere environ trois centz pas; puis j'ay trouvé ledict nant, appellé Diere, descendant d'une haulte montagne, demonstrant d'estre impetueux et dangereux a passer en temps de pluye et neige, et qui couvre de gravine et pierre environ quarante pas de largeur de terre; et environ demi quart de lieue de la d'icelluy j'ay trouvé le second nant, puis, un peu dela, le troisiesme, desquelz les tesmoins ont fait mention en leurs depositions; ayant recognu lesdictz nantz et isles estre fort correspondantes a ce que lesdictz tesmoings m'en avoient dict..

  A024003045 

 Que pour avoir desmeuré en ladicte ville de Salanche des unze annees en ça et avoir servy de vicaire [a] messieurs du Chapitre durant ledict temps, il cognoit tres bien lesdictz Guilliame et Nicolas Perroullaz, et lesquelz il a tousjours recognus bons catholicques, pieux et devotz, et que, pour avoir esté plusieurs fois audict village des Vorziers, tant pour porter le tressainct Sacrement aux malades que pour faire les benedictions accoustumees, il a remarqué le chemin estre long et de plus de demy lieue des ladicte ville, et qu'es ditz voyages il se seroit trouvé diverses fois en peyne et danger de passer le nant de Diere pour son impetuosité et grandeur; et qu'il se souvient qu'il y a environ dix ou unze ans, que les loupz tuerent une fille aagé d'environ douze annees, ez isles des-dictz Vorsiers, dela ledict Nant de Dyere, qui estoit a l'un des freres Challamel, laquelle fut apportee ensepvellir a Salanche; et la mesme annee, lesditz loupz manquerent encor de tuer une femme qui menoit abbreuver du bestail audit nant.

  A024003052 

 A respondu et dict qu'il cognoit de long temps le dict Guilliame Perroullaz et ses enfantz, qui font traffic de marchandise en Provence et sont tenus pour bons chrestiens, de bonne fame et reputation; et qu'il a esté souventesfois audict village des Vorziers, tant pour y avoir une possession que pour sa charge de chastellain, et qu'au chemin d'icelluy se treuve le nant de Dyere, qui vient fort grand et dangereux a passer en temps de pluye, et dela ledict nant sont les isles des Vorziers, plaines de buissons et d'espines, dans lesquelles se treuvent quelque fois des loupz; mesmes, qu'il y a environ neufz ans, qu'es dictes isles ilz tuerent une fillie et l'eussent devoré, n'eust esté que les voysins y accoururent, qui les empescherent.

  A024003059 

 A respondu quil a cognu des sa jeunesse ledict Guilliame Perroulaz et a heu grande familiarité avec luy, et l'a tousjours recognu pour homme de bien; et que pour estre allé souventesfois audict village des Vorziers ou ledict Guilliame desmeure, il a trouvé le chemin fort long, luy semblant exceder demi lieue des la ville de Salanche pour estre au coing de la parroesse; et qu'audict chemin tirant contre les Vorziers, il y a trois nantz, desquelz le dernier et le plus proche dudict village est fort dangereux et se desborde touttes les annees, de sorte que par foys un (sic) ny peult passer qu'au preallable il ne soit descru, comme est arrivé audict deposant; et qu'appres ledict nant, sont les isles des Vorziers, dans lesquelles se treuvent quelques fois des loupz qui font dommaige ez passantz, estant advenu il y a environ quelques annees qu'ilz y gasterent une fillie qui en mourut.

  A024003060 

 Sur les generaulx, dict que Pierre, l'un des filz dudict Guilliame Perroullaz, a espousé sa niepce, fillie de son frere.

  A024003065 

 Avec proteste aussy que l'institution et provision des recteurs de ladicte chappelle leur desmeurera, a forme de leurs privileges et Bulle de fondation de leur dicte eglise collegiale et Chappitre..

  A024003065 

 Surquoy lesdictz sieurs m'ont respondu quilz consentent et condescendent a la fondation et erection sus mentionnee, avec condition et proteste que ladicte chappelle n'aura aulcune marque d'eglise parrochialle ny filliolle, et qu'en icelle ne se celebrera Messe le dimenche, ne si administreront aulcuns Sacrementz, ne si donnera pain benist et ne si feront sepultures ny aulcungs aultres semblables exercices et offices parrochiaux, et que les offertoires et oblations qui se feront en icelle appertiendront ausditz sieurs de Chappitre en ladicte qualité de Curez.

  A024003083 

 Enfin vous en avez receu un, par la grace de Dieu, et m'avez faict telle response que je desirois, me donnant les advis qui m'estoient necessaire, dont je vous remercie affectionnement et m'en resjouïs extremement pour le bien que j'en espere..

  A024003084 

 Il y a 9 ou 10 jours que je marchande de vous escrire, et ay tous-jours differé attendant la presentation de nos cayers; mais voyant qu'elle se delaye de semaine en semaine, j'ay pensé a propos par advance vous escrire la presente, et vous dire, pour vostre consolation et de tous les bons catholiques de Gex, que la France est tant esloingnee de tout chisme et division du Saint Siege Apostolique, qu'au contraire jamais elle n'y a esté si estroitement jointe et unie qu'elle est a present; comme elle tesmoingne par l'humble demende et instante requisition qu'elle fait a Sa Majesté de la reception et publication du sacrosaint et œcumenique Concile de Trante, ornant le frontispice de son cayer general de cette demande, comme les douze des douze gouvernements de France en estoyent embellies tout au commencement, estant leur I er article, voyre mesme les cayers particuliers des Baillages et senechaussees de tout le Royaume.

  A024003085 

 Cela n'est il pas suffisant pour faire mourir d'honte nos imposteurs? Voyez l'imprimé des motifs [323] de l'impugnation de l'article que je vous envoye, et le communiquez aux catholiques.

  A024003085 

 De plus, un article ayant esté proposé en la Chambre du Tiers Estat par l'invention du diable et de ses supposts les heretiques et par l'entremise des gros, ou pour mieux dire des faux catholiques, qui derogeoit a l'authorité de nostre S. Pere le Pape soubs faulx pretexte de conserver la personne de nos Rois, a esté si courageusement impugné par nostre Chambre assistee de celle de la Noblesse et de la plus grande part mesmes de ceux du Tiers Estat (au grand regret desquels il avoit esté proposé), que par commendement de Sa Majesté il a esté osté de leur cayer, se reservant d'en traicter avec Sa Saincteté, par l'advis et conseil de Messieurs du Clergé ausquelz il remettoit entierement cet affaire.

  A024003085 

 En un mot je vous diray que toute la France est tant esloignee de tout chisme et desunion, qu'a contrepoir elle se paine et travaille incessamment, et maintenant plus que jamais, a reunir tant par predication que par escript ceux qui se sont separez et desunis de l'Eglise Saincte, Catholique, Apostolique et Romaine..

  A024003086 

 A ce j'adjousteray les moyens et expediens que nous traictons journellement es Estats, pour heureusement et paisiblement parvenir a ceste fin; lesquelz toute fois je n'exprimeray pour n'estre encore divulgués, ayant tous pretez serment de ne rien declaré de tout ce qui se passe es Estats.

  A024003086 

 Tous les articles de nos cayers et plusieurs autres que j'ay adjousté touchant vos advis et ce que j'ay jugé utile pour le bien du baillage, et particulierement des catholiques, ont esté bien receu du Clergé; qui est un prejugé qu'ilz seront favorablement repondus de Sa Majesté..

  A024003087 

 Il seroit a propos encore d'escrire a Monseigneur l'Archevesque de Bourge et le remercier humblement de centz escus qu'il nous veut donner tous les ans, tant pour nostre entretien que pour employer au faict de nostre mission; c'est outre les centz escus qu'il donne a l'economie et n'ont rien de commun avec iceux.

  A024003087 

 Il seroit a propos que vous en escrivissiez un mot de remerciement tant au R. P. Provincial qu'au R. P. Gardien, lesquelz ont fait responces aux vostres; mais si vous n'avez les miennes, ny celles la encore.

  A024003087 

 Je ne pourrois vous exprimer l'honneur et le contentement que je reçois journellement en ceste assemblee, tant de la part de Messeigneurs les Cardinaulx, Archevesques, Evesques et autres deputés de l'Eglise, comme aussi en nostre couvent, des Superieurs et Religieux.

  A024003087 

 Vostre tresorie est espuisee, c'est le moyen de la remplir et empescher qu'elle ne s'espuise a l'advenir; ceci n'estant toutefois qu'un fil du canal que je pretent y conduire.

  A024003102 

 Estant heureusement arrivé a la fin des Estats, il m'a semblé a propos vous en donner advis et vous dire par mesme moyen que lundy dernier, veille de saint Mathias, les cayers furent presentés au Roy, celui du Clergé par Monseigneur l'Evesque de Luçon, celui de la Noblesse par Monsieur le baron de Senessé, celui du Tiers Estat par Monsieur le Prevost de Paris, lesquels trois arranguerent non moins disertement que doctement: ausquelz le Roy, apres avoir remercié les Estats de leurs bons conseils et advis, respondit en peu de paroles que, le plustost qu'il pourroit, il y donneroit response et la plus favorable qu'il lui seroit possible, et que personne des deputez ne partisse de Paris jusqu'a ce qu'il y eu respondu entierement.

  A024003102 

 Il n'importe du temps, pourveu que la response soit bonne et favorable..

  A024003103 

 Dans le I er pacquet il y avoit deux lettres que je vous escrivois; dans le 2 e estoient deux lettres de monsieur le Masurier, l'une pour luy, l'autre pour monsieur le Curé de Gex, qu'il m'avoit envoyees de Poictiers pour respondre des leurs, d'ou maintenant il est de retour depuis 8 jours, et l'ay esté visiter et ay [parlé] de nostre cayer avec lui; mais il le trouve un peu tropt politicque, neantmoins bien affectionné a nostre partis, avec toute sorte d'offre et de courtoisie, et que dimanche prochain il me viendroit voir au couvent..

  A024003103 

 Il y a environ 12 jours que Sa Saincteté nous escrivit, comme aussy a Messieurs de la Noblesse, remerciant bien humblement eux et nous du zelle et affection que nous avions tesmoignez au S t Siege, nous opposant si courageusement a un article du Tiers Estat, fort pernicieux et prejudiciable a l'authorité d'iceluy, lequel, comme desja je vous en ay escript, fut osté de leur cayer par commandement de Sa Majesté, a la requeste tant du Clergé que de la Noblesse, avec deffance a ceux du Tiers Estat de ne plus s'ingerer de traicter des choses qui touchent la religion, se reservant d'en traicter avec Sa Saincteté par l'advis et conseil du Clergé auquel seul appartenoit cet affaire.

  A024003103 

 Je vous ay desja envoyé l'imprimé des motifs qui nous pousserent a impugner cet article, comme aussy a Monseigneur l'Evesque de Geneve dont je suis fort en peine; car depuis mon depart je n'ay receu aucune des siennes, bien que je lui aye escript par plusieurs fois, et particulierement deux fois par la voye de la poste, adressant mes lettres au R. Pere Gardien de Chambery.

  A024003104 

 Je vous ay desja escript par la mienne derniere, il y a environ 3 semaines, que tous nos articles avoyent estez fort bien receu et inserez tout au long dans le cayer de l'Eglise, hormis la seigneurie [325] de Peney qui est pour estre riere la souveraineté de Geneve; mais aussy j'en ay adjoustés plusieurs autres que j'ay jugé utiles et necessaires pour le bien des catholiques de Gex.

  A024003104 

 Je vous supplie, s'il y a quelque autre chose que vous jugiez pour le bien de l'Eglise et des catholiques devoir estre demandee, m'en escrire au plustost et je feray toute sorte de diligence pour l'obtenir.

  A024003104 

 Reste a vous dire que je ne manqueray a soliciter diligemment vers les commissaires [et] ceux qui respondront les cayers pour avoir une bonne et favorable response a nos articles; et si en l'ordonnance generale que le Roy fera de tous les cayers elle n'est telle, je ne manqueray en particulier par apres de la poursuivre vers Sa Majesté et vers son Conseil.

  A024003105 

 Il seroit bien a propos que lui en fissiez un mot de remerciement, comme aussy aux RR. PP. Provincial et Gardien qui m'ont faict et font journellement toutes les charitez et courtoisies qui se pourroient desirer.

  A024003105 

 Je ne pourrois vous exprimer l'honneur que j'ay receu en ceste assemblee, tant de Messeigneurs les Cardinaux, Archevesques, Evesques, Abbés, qu'autres deputez, et combien ils prisent et font estat de nostre mission et quels desirs ils ont de nous y assister, comme ils tesmoigneront a la 1 er assemblee du Clergé, ordonnant quelque somme d'argent a cet effaict, comme plusieurs me l'ont promis, et des principaux.

  A024003117 

 Depuis la reception des vostres du 14 e janvier, voici le 5 e pacquet que j'ay envoyé de par dela sans recevoir aucune response de vous ny d'aucun autre, ce qui m'estonne fort.

  A024003117 

 Je donnay le I er pacquet a monsieur de la Bastide et je vous l'adressois; le 2ond a Monseigneur de Geneve, par la poste, l'adressant au V. P. Gardien de Chambery (et reste fort estonné que luy ayant escript depuis mon depart de Gex par 5 ou 6 fois, je n'aye receu de luy un seul mot de response, estant venus icy expres pour les affaires de son [326] diocese riere la France); le 3 e pacquet je l'ay adressé a monsieur de Fournel, et ce par la voye de monsieur Carlet; le 4 e a monsieur le Baillif, par l'adresse de monsieur Robin, comme il m'avoit escript; le 5 e est le present, par M. Tombet, deputé du Tiers Estat de Gex, lequel vous racontera amplement la conclusion des Estats et le peu de satisfaction que remportent les deputez en leurs provinces..

  A024003118 

 Succinctement je vous diray que les cayiers furent presentés la veille de S t Matthias, avec parolles de ne point congedier les Estats qu'ils ne fussent favorablement respondus; mais ceste parolle n'a esté gardee, attendu que la veille de l'Annonciation on nous congedia sans aucune response, disant qu'on y travailloit et qu'estant faicte on imprimeroit un arrest qu'on envoiroit par tout..

  A024003119 

 J'attendray ce temps, comme aussy la response des cayers, et si elle n'est favorable pour nous, je tascheray d'obtenir en particulier ce qu'on n'aura peu en general, comme aussi tout ce que je cognoisteray necessaire pour le bien du baillage de Gex; M. de Favey (?), M. Tombet et moy y avons desja faict tout ce que nous avons peu..

  A024003119 

 J'ay receu beaucoup d'honneur et de contentement en ceste assemblee, avec offre de toute sorte d'assistance pour nostre mission, tant de Messeigneurs les Cardinaulx que de Messeigrs les Archevesques et Evesques; et a cet efïaict m'ont dit que je n'eusse point a partir devant l'assemblee du Clergé qui se doit faire le 15 e du prochain et que je m'y trouvasse, et qu'ilz ordonneroyent quelque chose pour nostre mission.

  A024003120 

 Faictes que j'aye au plustost de vos nouvelles, avec quelque remerciements a Monseigneur de Bourge; il m'a desja donné le mandement pour recevoir 100 escus a la S t Jehan Baptiste, et continuera tous les ans de mesme.

  A024003171 

 Et d'aultant que Nostre bon plaisir a esté d'introduire dans le College de ladicte ville les Peres Barnabites, sans que le revenu dudict College soit souffisant pour les entretenir, ladicte ville, en suytte de Nostre intention, leur auroit volontiers lasché et remis la moitié desdictz trois deniers pour les aider aulcunement aux grandes charges quilz supportent, moyennant quil Nous pleust leur laisser l'aultre moitié...: ce que Nous ayant esté d'aultant plus agreable qu'en mesme temps Nous tenons a aider et soulager Nostre bonne ville, comme Nous avons tousjours desiré, et tout ensemble prouvoir a l'establissement d'ung œuvre si saincte (sic) et si utile a Nos peuples et subjectz:.

  A024003171 

 Que Nous ayant tres humblement remonstré et faict entendre les Scindics, bourgeois, manantz et habitantz de Nostre bonne ville et cité d'Annessy, comme Nous ayant pleu par Nos patentes du quatorziesme juin mil six centz huict de leur continuer la levee de trois deniers sur chasque livre de chair se debitant en leur boucherie a perpetuité, que par aultres patentes precedentes Nous leur aurions accordé pour quelque temps, en consideration des grandz debtes quilz auroient faictes et charges par eulx supportees despuis tant d'annees et quilz continuent encores a present...; ce que neanmoins auroit esté restrainct, par Arrest de verification de Nostre Senat de Savoye, au terme de dix annees, sans ce que pourtant ilz ayent peu s'acquiter de telz emprumptz ny en recevoir le soulagement quilz en esperoient.

  A024003172 

 Lesquelz cinquante ducatons seront aplicqués pour l'aulmosne, entretien et maintenement du prebtre et Religieux qui la celebrera a l'eglise que nommera ladicte Infante, laquelle Messe sera fondee avec l'auctorité [332] de l'Evesque de Geneve... Le premier paiement se commencera trois mois apres l'intherination des presentes, et le reste aplicable, la moitié pour aider a l'entretien desdictz Peres Barnabites pour leur College, et l'aultre moitié au proufict et commodité de ladicte ville ............

  A024003172 

 Pour ces causes et aultres, et pour complaire et gratiffier a Nostre tres chere et tres aimee fille l'Infante Cateline, qui Nous en auroit tres instamment supplié en faveur desdictz Peres Barnabites, Nous avons, pour Nous et Nos successeurs,... concedé, permis et octroyé,... en force de privilege perpetuel et irrevocable, auxdictz Scindics, bourgeois et habitantz dudict Annessy et leurs successeurs a perpetuité, de continuer a exiger, prendre et percevoir lesdictz trois deniers sur chascune livre de chair qui se vendra en ladicte ville et ses franchises;... a condition que, devant tout aultre paiement, l'on prendra cinquante ducatons annuelz et perpetuelz sur toute la somme qui se retirera de ladicte boucherie, pour la fondation d'une Messe perpetuelle selon l'intention de ladicte Infante, Nostre tres aimee fille, et pour toute la Maison de Savoye.

  A024003184 

 Prieur du Convent de S t Dominique d'Annessy et Vicaire substitut de R d Pere Frere Adrian Bechu, docteur en theologie et Vicaire General de la Congregation des Freres Prescheurs en France et Savoye, ayants veu le consentement de Monseig r le R me Evesque et Prince de Geneve sur les réquisitions a luy faictes et [333] d'autre part escrittes, pour satisfaire a la pieté et devotion des suppliants et pour contribuer tout nostre soing et tout nostre pouvoir a ce que le Tres-S t Nom de Dieu soit honoré, et que par ce moien tous blasphemes soient ostez et exterminés du milieu des Chrestiens:.

  A024003185 

 Nous erigeons, fondons et instituons en la parroisse de Nostre Dame d'Abondance la Tres-S te Confrairie du Tres-S t Nom de JESUS jouxte ses Status, regles et ordonances, conformement au pouvoir a Nous concede tant par nos S tz Peres les Papes que par nos Superieurs et Majeurs, exhortants et priants M re Jehan Mocand, pasteur et curé de la paroisse de Nostre Dame d'Abondance, de voulloir publier a ses parroissiens cette nostre institution et erection, et les convier a embrasser cette sacree devotion de tout leur cœur et affection, puisqu'il n'y a au Ciel ny en la terre autre nom duquel depende nostre salut que celuy de JESUS. Et ilz gousteront icy bas les douceurs et graces qui accompagnent ce sacré Nom, et decedants de ce monde en la confession d'iceluy, ilz seront comblez de gloire au Ciel..

  A024003196 

 Et dauttant que ledict Prieuré doict estre conventuel et a esté servis (sic) par des Religieux de S t Benoit, le seigneur suppliant recours (sic) aux fins quil vous plaise informer sur la verité du faict exposé..

  A024003196 

 Supplie humblement Reverend Messire Jean François de Blonnay, Prieur commendataire perpetuel du Prieuré conventuel de Sainct Paul, disant: que de nulle memoire d'homme ne se treuve que ledict Prieuré soit esté visité jamais que par les R mes Evesques de Geneve, lesquels onts tousjours heu pouvoir de corriger, amender et chastier les deffauts et manquementz des Religieux ou beneficiers ou prebandés audict Prieuré.

  A024003197 

 Et d'auttant qu'aux benefices reguliers, ceux qui les possedent sonts obligés dy vivre regulierement, il vous plaise aussy de conserver et maintenir ledict R d seigneur Prieur et les Prebstres et auttres Ecclesiastiques que vous aves treuvé audict Prieuré en vostre presente Visite en l'observance reguliere conforme [334] a l'estat clerical, vivantz en commung selon la vraye et ancienne discipline ecclesiastique, dependantz en tout et par tout de vous, conformement aux sacrés sanctions du Concile de Trente et jouxte les Constitutions de S t Charles Borromée aux Oblatz de S t Ambroyse, desquelz ilz fontz proffession..

  A024003201 

 Nous commettons le S r Rolland, Chanoine de Nostre Eglise, pour la formalité supliee; embrassant en oultre et approuvant de tout Nostre pouvoir les sainctes et pieuses intentions dudict S r Prieur touchant le reglement de la discipline reguliere en laquelle si exemplairement il s'occupe avec ses confreres audict prieuré, ainsi que desja feu Monseigneur Nostre predecesseur, de glorieuse memoyre, a faict par cy devant..

  A024003427 

 Il est admirable le signe de la Croix, source de vie, sur le bois de laquelle Notre Seigneur Jésus-Christ, pour le salut du genre humain, [339] n'a pas refusé de subir la mort pour nous rappeler de la mort à la vie; signe qui « apparaîtra dans le ciel lorsqu'il viendra nous juger; » étendard qui protège la religion catholique, et que le semeur de zizanie, l'antique ennemi du genre humain a en horreur; qui, dès les premiers siècles, a valu de nombreuses victoires et de grands triomphes, non seulement aux saints Pères, pour repousser les tentations, mais aussi aux empereurs, rois et princes, pour combattre les infidèles et vaincre les hérétiques..

  A024003429 

 Alors furent expulsés le Révérendissime Evêque, les Révérendissimes Chanoines et tout le clergé, ainsi que les autres adeptes de la vraie foi; les églises détruites et dépouillées de leurs très vénérables images et de leurs ornements; les vases sacrés dérobés, les reliques des Saints dispersées et foulées aux pieds, toutes choses saintes profanées; en sorte que, depuis lors, cette ville est réputée, hélas! par tous, et elle est en réalité, la source de toutes [341] les hérésies, la nourricière des guerres intestines qui dévastèrent depuis la France, l'inventrice des trahisons, la propagatrice des homicides, la sentine des incendies et des rapines, l'asile des plus grands malfaiteurs de toute l'Europe, et l'origine de tous les maux qui ont accablé et accablent cette patrie savoyarde et les provinces limitrophes..

  A024003429 

 En outre, les « glorieux Princes de la terre, » les très saints Pierre et Paul, Apôtres de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ, dont le second est le Docteur des nations et le premier, le Prince des Apôtres, [340] Vioaire du même Jésus-Christ, fondement de l'Eglise et celui dont la foi ne défaille pas, ont tous deux illustré par leur mort la sainte Eglise Romaine, tête et maîtresse des autres Eglises, et, comme Patrons titulaires de la vénérable Eglise de Genève, l'ont conservée, ainsi que sa cité, son diocèse et leur peuple, à l'abri de toute hérésie et dans la profession de la foi orthodoxe.

  A024003430 

 Tout cela nous donne, à nous soussignés, le très ferme espoir que, après avoir imploré le secours et l'aide du signe de la Croix, source de vie, et de la très sainte Vierge Marie, ainsi que les suffrages des bienheureux Apôtres Pierre et Paul: si nous nous retournons vers Dieu lui-même, Auteur de toute piété, avec componction de cœur, gémissement et humilité, prières, jeûnes, fréquente confession des péchés, participation à l'Eucharistie, et autres œuvres de dévotion et de charité vraiment dignes de chrétiens; lui qui, même dans sa vengeance, est miséricordieux; lui qui, sévère pour les impénitents, est bon et pacifique envers ceux qui se convertissent; lui qui a coutume de délivrer de leurs tribulations en cette vie et de conduire aux joies éternelles ceux qui se sont amendés; lui qui, par ailleurs, tout clément qu'il est, veut cependant être prié, être forcé, être vaincu par une sorte d'importunité et une prière assidue, il nous [342] arrachera à toutes les vexations des hérétiques, aux incursions et déprédations de la soldatesque, à la famine qui nous oppresse, aux maladies qui nous accablent, aux guerres qui nous enserrent et aux autres périls qui sont à nos portes.

  A024003431 

 Et comme la prière assidue de plusieurs est très agréable au Dieu très bon et très grand, et que la principale raison d'espérer le secours demandé est l'assemblée pieuse et unanime, sous l'action de l'Esprit-Saint, de nombreux fidèles, au nom du Fils unique de Dieu Notre Seigneur Jésus-Christ, lequel a promis de se trouver au [343] milieu d'eux; c'est pourquoi, à l'exemple de ce qui se pratique en d'autres provinces, villes et localités, lesquelles, sous l'empire de nécessités et périls semblables, reçoivent un puissant secours et réconfort par l'érection de Confréries et sociétés sous diverses appellations saintes et pieux vocables, et par les œuvres de piété qui en résultent: pour ce motif, nous, FRANÇOIS DE SALES, docteur en l'un et l'autre droit, Prévôt; Jean Tissot, protonotaire apostolique, sacriste; Jean Coppier, maître de chœur et ouvrier; R mi Louis Reydet, Louis de Sales; François [de] Chissé, vicaire général au spirituel et au temporel du R me Père dans le Christ M gr Claude de Granier, Evêque et Prince de Genève, et Officiai; François de Ronis, Jacques Bally (?), docteur en sacrée théologie; Jean Portier et Etienne de la Combe, maître ès-arts, vicaire substitut du R me Seigneur Evêque; Janus Regard, commendataire perpétuel du prieuré de Lovagny; Jacques Brunet, doyen de Rumilly; Jean d'Eloise, Charles-Louis Pernet, procureur fiscal de l'évêché de Genève; Charles Grosset, Antoine Bochut, Claude d'Angeville, doyen de Vullionnex; Eustache Mugnier, commendataire perpétuel [344] du prieuré de Saint-Bardolphe, du diocèse de Grenoble, et Jean Déage, docteur en sacrée théologie, chanoines théologaux de l'Eglise cathédrale de Saint-Pierre de Genève, capitulairement réunis, selon l'usage, au son de la cloche, au lieu ci-dessous indiqué, [345] constituant plus des deux tiers des résidents et représentant le Chapitre; tant en notre nom qu'en celui des autres chanoines absents, et de nos successeurs dans la même Eglise à l'avenir, à l'honneur de Dieu et à la gloire de toute la Cour céleste, érigeons et instituons à perpétuité une sainte et très salutaire Confrérie ou Société de fidèles des deux sexes, sous le nom ou invocation de la très sainte Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ, de la très pure Conception de la Bienheureuse Vierge Marie et des très saints Apôtres Pierre et [346] Paul, dans ladite Eglise cathédrale de Genève, et à l'autel de la Sainte-Croix y situé, avec cependant le consentement et sous l'autorité de notre Révérendissime Seigneur Evêque, et avec l'agrément de notre Très Saint Père le Pape et du Saint-Siège Apostolique, avec les Statuts et ordonnances ci-dessous: Confrérie à laquelle dès aujourd'hui nous déclarons expressément appartenir comme confrères et vrais fondateurs..

  A024003435 

 Tout d'abord, étant donné que, par suite de notre expulsion, [347] comme il a été dit, de notre Eglise et ville de Genève, nous résidons dans cette ville d'Annecy et faisons les divins Offices du Chapitre et de la cathédrale dans l'église de Saint-François des Frères de l'Observance, de la même façon qu'ils se faisaient dans notre cathédrale, et que, parmi les autels érigés dans cette église de Saint-François, il y en a un, outre le maître-autel où sont chantées les Messes capitulaires, sous l'invocation de Saint-Germain, qui sert à la célébration de nos Messes matinales: nous constituons, à cause de cela, la Confrérie érigée par nous, comme il a été dit plus haut, à l'autel même de Saint-Germain.

  A024003439 

 Et parce que, soit pour célébrer et chanter les divins Offices de la [348] Confrérie et exercer les autres œuvres pies, soit pour traiter ses affaires, il est nécessaire d'avoir un lieu particulier tout à fait libre, hors de l'église où est situé l'autel que nous avons érigé (comme cela se pratique partout pour les autres Confréries), et que l'église de Saint-Jean-Baptiste, de la commanderie du Genevois, de l'Hôpital de Jérusalem, sise en lieu public de ladite ville, n'est guère fréquentée à cause du manque de ministres et de l'injure du temps présent, mais qu'il y a lieu d'espérer que les habitants de cette ville, d'ailleurs très religieux et professant avec dévotion de bouche et d'œuvre la foi catholique, visiteront ensuite cette église de Saint-Jean avec plus de ferveur, si l'on y chante plus souvent la Messe et les autres Offices divins, et si les prières publiques et les pieuses exhortations s'y multiplient; pour ces raisons, du consentement de [349] noble et magnifique seigneur Denis de Saconay, baron des Clets, seigneur temporel de Saconay, Truaz et Lorcier, procureur général de l'Illustrissime et Révérend seigneur Pierre de Saconay, son frère, de l'Ordre militaire de l'Hôpital de Jérusalem, prieur du prieuré d'Auvergne et commandeur du Genevois, nous établissons et choisissons, dans cette même église de Saint-Jean-Baptiste l'oratoire de notre Confrérie, tant que le Chapitre de Genève résidera dans la ville d'Annecy.

  A024003439 

 Et pour cette cause nous statuons et ordonnons que les Messes de la Confrérie et Offices divins, les prières publiques, prédications, exhortations et autres exercices [350] spirituels de piété et de religion, ainsi que les réunions concernant les affaires de la Confrérie, se célèbrent, se chantent, se tiennent et soient convoqués dans cette église de Saint-Jean-Baptiste.

  A024003443 

 Mais si, par hasard, il arrive que l'Eglise cathédrale soit transférée en un lieu autre que la ville de Genève, nous déclarons que cette Confrérie, étant unie et incorporée à perpétuité et indissolublement à la susdite Eglise cathédrale, dès maintenant comme alors, est transférée au même lieu, avec tous ses insignes, vases sacrés, ornements et livres.

  A024003447 

 C'est pourquoi nous statuons et ordonnons que les fêtes spéciales et perpétuelles de notre Confrérie soient: l'Exaltation de la sainte Croix, la Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, l'Invention de la sainte Croix et le jour des saints Apôtres Pierre et Paul..

  A024003447 

 Il est juste que nous fassions à certains jours de l'année une mémoire spéciale de ceux dont nous sollicitons le secours, et que nous en célébrions solennellement les fêtes.

  A024003451 

 Pour que ces fêtes soient célébrées avec solennité, nous statuons et ordonnons que le très saint et adorable Sacrement de l'Eucharistie sera placé publiquement et avec honneur sur l'autel de l'oratoire chacun de ces jours, et qu'il y sera conservé toute la journée avec respect et aussi avec cierges allumés.

  A024003455 

 Nous statuons et ordonnons que la même chose se fasse le second dimanche de chaque mois, excepté septembre, décembre, mai et juin, à cause des fêtes susdites qui y tombent..

  A024003459 

 Toutefois, bien que la majesté du très saint Corps de Notre Seigneur Jésus-Christ ainsi exposé publiquement demande que tous les confrères passent humblement là toute la journée en louanges, prières et saintes méditations, cependant, la fragilité humaine des confrères, non encore exercés à une telle assiduité dans ces œuvres de piété, ne permettant pas cette action commune; pour que la prière ne cesse pas à l'intérieur de l'oratoire et que la Confrérie elle-même professe, à l'égard de ce très saint Sacrement de l'Eucharistie, un hommage de sa servitude: nous statuons et ordonnons que tous les jours où il sera exposé publiquement sur l'autel de l'oratoire, deux confrères, choisis par le Prieur et ses Assesseurs [353] ci-dessous nommés, pour se partager alternativement les heures, devront passer jusqu'à Vêpres, à genoux, avec l'habit ci-dessous prescrit, une heure entière en saintes prières et divines méditations, en particulier et selon la dévotion personnelle, pour notre très Saint-Père le Pape, pour tous les Prélats de l'Eglise et tout le clergé, pour la tranquillité de la république chrétienne, la sauvegarde de la foi catholique, la paix et la concorde entre les Princes et les peuples chrétiens, la conservation et l'accroissement de notre Confrérie, enfin l'augmentation chaque jour des fruits spirituels qu'elle produit.

  A024003463 

 A ces processions, que tous et chacun des confrères des deux sexes soient tenus d'assister avec le costume à choisir plus bas, marchant convenablement, dévotement, gravement, lentement et en silence, et chantant distinctement, ceux qui savent le faire, les prières qui seront alors ordonnées; les autres, qu'ils récitent à voix basse le Rosaire de la Bienheureuse Vierge Marie.

  A024003463 

 Pour que Dieu, à qui agrée la diversité des prières et des œuvres de piété, parmi lesquelles se trouvent les pèlerinages (énumérés aussi parmi les pénitences salutaires), exauce la Confrérie en général et chacun de ses confrères en particulier, nous statuons et ordonnons que, aux mêmes jours des fêtes de l'Exaltation et de l'Invention de la Sainte Croix, de la Conception de la Bienheureuse Vierge [354] Marie et des saints Apôtres Pierre et Paul, et aussi le Jeudi-Saint, se fassent des processions publiques à travers la ville, les bourgs ou les localités où se trouveront alors l'Eglise cathédrale et notre Confrérie, en la manière et forme appropriées aux circonstances de lieu et de temps agréées par le Prieur et ses Assesseurs soussignés.

  A024003467 

 Aussi, rien n'étant plus salutaire, puisqu'il dépasse en excellence tous les autres, nous statuons et ordonnons que tous et chacun des confrères des deux sexes, aux fêtes de l'Exaltation et de l'Invention de la Sainte Croix, de la Conception de la Bienheureuse Vierge Marie et des saints Apôtres Pierre et Paul, ainsi que Je deuxième dimanche de chaque mois (excepté septembre, décembre, mai et juin où tombent ces fêtes), s'il s'agit des prêtres, qu'ils célèbrent le saint Sacrifice de la Messe à l'oratoire, s'il est possible, sinon dans une autre église à leur choix; s'il s'agit des laïques des deux sexes, qu'ils reçoivent dans l'oratoire le Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, après avoir fait, où il leur plaira, une soigneuse confession de leurs péchés.

  A024003479 

 Il ne suffit pas, pour atteindre notre but pieux et obtenir les fruits spirituels attachés à notre Confrérie, que la Messe se célèbre une fois par mois dans son oratoire, où plus se multiplie la digne réception [357] de la sainte Eucharistie, plus aussi deviennent abondants les bienfaits spirituels et temporels.

  A024003483 

 Nous statuons et ordonnons pareillement que tous et chacun des confrères des deux sexes seront tenus chaque jour à réciter, à genoux et la tête découverte, cinq fois l'Oraison Dominicale et la Salutation Angélique, avec cette intention dirigée vers Dieu, qu'il daigne, par les mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ, l'intercession de la Bienheureuse Marie toujours Vierge, et les prières des [358] très saints Apôtres Pierre et Paul, veiller à la prospérité et à l'heureux succès de toutes choses dans les provinces et lieux soumis au Sérénissime Duc de Savoie, notre prince, y défendre et conserver la foi catholique, délivrer le peuple des calamités présentes, ramener les hérétiques à l'unité et au sein de notre sainte Mère l'Eglise, ou bien les confondre et humilier, en extirpant jusqu'à la racine les hérésies, et, dans ce but, réconcilier entre eux les princes et les amener à une entente unanime, enfin préserver nos princes de tout malheur..

  A024003487 

 Désirant continuer religieusement le rite antique de la Salutation Angélique, à genoux et tête découverte, lorsque sonne la cloche à l'aurore, à midi et le soir, selon l'ancienne tradition de l'Eglise universelle, nous statuons et ordonnons que la Salutation Angélique sera récitée trois fois le jour par tous les confrères, à genoux et tête découverte, en tout lieu, même s'ils se trouvent dans les rues ou [359] places publiques, chaque fois qu'à l'église principale du lieu où l'Eglise cathédrale aura son siège, la cloche sonnera à l'aurore, à midi et le soir.

  A024003487 

 En dehors de l'obtention des Indulgences concédées par les Souverains Pontifes à ceux qui la récitent ainsi, ils auront l'intention, en rendant cet humble hommage à la Vierge Marie (dont le Seigneur a regardé l'humilité ), d'obtenir, pour les provinces de toute la Savoie, que, par ses mérites et son intercession, elles soient délivrées des maladies, de la peste, des tempêtes, des grêles et autres perturbations atmosphériques..

  A024003491 

 Aucun catholique d'esprit sain ne doute que le très saint Sacrement de l'Eucharistie est un sujet d'amour pour Dieu et de vénération pour les hommes, car rien ne se rencontre de plus précieux, à rien autre n'est dû un honneur plus grand.

  A024003491 

 Par suite, afin que notre Confrérie ci-dessus remplisse, elle aussi, quelque peu son devoir, nous statuons et ordonnons que tous et chacun des confrères qui rencontreront le saint Viatique qu'on porte aux malades, [360] soient tenus, à moins que par hasard ils ne soient empêchés par des affaires très urgentes, de l'accompagner avec dévotion et recueillement de l'esprit en Dieu pour la guérison de l'infirme..

  A024003495 

 Aussi statuons-nous et ordonnons que les confrères qui auront été choisis par le Prieur et les Assesseurs soussignés, pour une œuvre aussi pieuse et charitable (comptée pour cela parmi les œuvres de miséricorde), soient tenus de visiter et de consoler le plus tôt possible ces malades et prisonniers.

  A024003499 

 C'est pourquoi, dès qu'une dispute ou une discorde, même minime, se fera jour, pour quelle cause que ce soit, entre les confrères, que le Prieur en soit averti aussitôt, pour qu'ensuite il puisse avec ses Assesseurs, le plus promptement possible et avant qu'elle ne s'aggrave, s'efforcer de l'apaiser par lui-même, ou par d'autres confrères à son choix.

  A024003499 

 L'expérience de chaque jour enseigne assez de quels maux, de [361] quels troubles sont la cause, les disputes et discordes, les unes ouvertes, les autres plus cachées, que l'abominable ennemi de la paix et de la concorde s'efforce toujours plus de propager.

  A024003499 

 Par contre, personne n'ignore les bons fruits que procurent la paix et l'union que l'Auteur même de notre salut, si désireux de la charité, a cultivées par dessus tout et, au moment de monter à son Père, a laissées à ses disciples.

  A024003499 

 Que les autres confrères soient tenus, pendant ce temps, de faire à Dieu des prières particulières pour obtenir la concorde..

  A024003503 

 Aussi, pour ne paraître manquer à un devoir si pieux et nécessaire, le dernier qui est dû à nos confrères défunts, nous statuons et ordonnons que, dès l'annonce faite au Prieur du décès d'un de nos confrères de l'un ou l'autre sexe, la bannière attachée à la Croix de la Confrérie soit mise, revêtue de noir, à la porte de l'oratoire, avec l'indication écrite de l'heure et de l'église où se feront les funérailles, pour que les autres confrères, s'ils ne sont pas absolument empêchés, se sachent tenus d'accompagner le corps du confrère défunt à l'enterrement, priant tous dévotement Dieu pour le salut de l'âme du défunt; nous les obligeons expressément à une œuvre si pieuse.

  A024003503 

 La misérable condition de l'homme veut que, après avoir supporté de nombreuses souffrances dans ce monde, il soit dans son corps, une fois l'âme séparée de lui, réduit à l'état de cadavre et de pourriture et rendu à la terre dont il a été formé.

  A024003507 

 C'est pourquoi nous statuons et ordonnons que le lendemain du décès d'un confrère, une Messe soit célébrée dans l'oratoire, pour le salut de son âme et sa délivrance des peines du Purgatoire, par un des confrères prêtres choisi par le Prieur.

  A024003507 

 L'âme étant plus noble que le corps mérite d'être aidée avec plus de soin, aussi bien en ce monde qu'en l'autre, où elle a souvent besoin des suffrages des fidèles; et malgré la multiplicité des moyens d'obtenir cet effet, il n'en est pas de plus efficace que le Sacrifice de la sainte Messe, étant ordonné par le Christ pour les vivants et les morts.

  A024003507 

 Que tous les confrères non absolument empêchés soient tenus d'y assister, et que là et ailleurs, lorsqu'ils le pourront, ils adressent à Dieu, chacun suivant ses moyens, des prières pour cette âme.

  A024003512 

 En outre, pour que chaque année une mémoire se fasse en commun [364] des confrères défunts, nous statuons et ordonnons que chaque année, le jour libre le plus rapproché de l'Exaltation de la Sainte Croix, se fasse un anniversaire général dans l'oratoire, où tous les confrères assisteront avec l'habit ci-dessous décrit, et entendront la Messe que le Prieur célèbrera et les autres prières qui se chanteront..

  A024003516 

 En [366] outre, un cordon en fil de chanvre, d'une épaisseur moyenne, avec des noeuds, comme celui que portent les Frères de Saint-François, et un rosaire, mais non précieux, suspendu au cordon.

  A024003516 

 Pour que, donc, nos confrères apprennent ce qu'ils doivent faire en considérant leur habit, et qu'ils soient reconnus par les autres, à l'exemple des autres Confréries, surtout de l'Archiconfrérie du très saint Crucifix érigée depuis longtemps à Rome dans l'église de Saint-Marcel, [365] de l'Ordre des Servites, à laquelle nous souhaitons vivement être agrégés: nous statuons et ordonnons que l'habit de notre Confrérie de la Sainte Croix sera un sac, ou mieux une chemise de toile noire en chanvre, couvrant tout le corps du cou aux talons, simple, d'un seul tenant, sans ornement de soie ou autre garniture, avec un capuce de même toile et couleur couvrant la tête et le visage.

  A024003516 

 Quoique, selon le proverbe, l'habit ne fasse pas le moine, cependant l'habit extérieur a coutume d'indiquer la disposition de l'âme, en sorte que ce n'est pas en vain que nos anciens pères ont déterminé un vêtement à porter dans l'église.

  A024003520 

 C'est pourquoi nous statuons et ordonnons qu'on puisse et doive recevoir dans la Confrérie, par le Prieur et les Assesseurs soussignés, toutes les personnes des deux sexes, catholiques néanmoins, de bonne vie et renommée, après que chacune aura émis la profession de foi catholique, soit par elle-même, si elle sait lire, soit par une autre personne en son nom, mais elle présente, et aussi après la promesse d'observer les Statuts et coutumes existants et à venir, selon la formule sous indiquée.

  A024003520 

 Ce serait peu de chose si la Confrérie ne comprenait que les seuls chanoines de l'Eglise cathédrale sus nommée, lesquels, par ailleurs, faisant un corps à part, sont unis entre eux, surtout pour ce qui regarde le culte de Dieu; car la cause de l'érection de la Confrérie qui vise au bien public, ne produirait pas du tout le fruit désiré.

  A024003520 

 Que les nouveaux reçus cependant ne soient point tenus, pour leur entrée, de payer aucune somme ou autre chose, si ce n'est ce que chacun voudra offrir spontanément ou ce que lui dictera sa dévotion..

  A024003524 

 Quant aux absents qui désirent entrer dans la Confrérie, et qui sont dans l'impossibilité de se présenter immédiatement et en personne à l'oratoire, pour qu'ils ne soient pas empêchés dans leur dessein si pieux: nous statuons et ordonnons qu'ils puissent être reçus et qu'ils le soient par un procureur légitime, ayant pour acela [368] un mandat spécial dont il rendra compte, et qui fasse la profession 4 e foi et la promesse sus mentionnées et sous insérées; cela aura le même effet que si les récipiendaires se présentaient personnellement..

  A024003532 

 A cause du péché de l'homme qui a abrégé le cours de sa vie, le souvenir des choses passées ne se conserve que dans les tablettes, les livres et les écrits.

  A024003532 

 Nous aussi, voulant avoir un souvenir perpétuel de ceux qui auront donné leur nom à notre Confrérie, nous statuons et ordonnons que le Secrétaire ci-dessous député, consigne, dans un livre à cela seul destiné, d'abord les noms de baptême et de [369] famille de nous sussignés, comme ils ont été ci-dessus marqués; ensuite ceux de toutes les personnes, de l'un et l'autre sexe, qui y entreront, ainsi que leur qualité, avec la désignation du jour de leur réception et de la somme volontairement offerte par elles..

  A024003536 

 Une république ou une famille est dite par tout le monde bien ordonnée, lorsqu'elle se compose d'une tête et de membres: autrement, comment pourrait-elle se maintenir? Pour que notre Confrérie, instituée avec piété et érigée en esprit de dévotion, dure à perpétuité, et soit régie avec justice et sainteté, et pour que tout souffle de confusion soit aboli, nous, soussignés, constituons et députons comme officiers perpétuels qui seront nommés par nous-mêmes, pour cette première fois, le 13 de ce mois, dans la première assemblée à convoquer alors; et ensuite, chaque année, le jour non empêché le plus proche du 1 er septembre, ces officiers seront changés en l'assemblée générale..

  A024003540 

 Pour que le souvenir des fondateurs ne s'efface jamais, ce Prieur sera toujours pris parmi les chanoines de l'Eglise cathédrale susdite.

  A024003548 

 Il rendra compte en fin d'année de tout ce qu'il aura perçu, touché ou dépensé, entre les mains du Prieur et des [373] Assesseurs nouvellement élus, ainsi que des autres Auditeurs des comptes qui seront désignés à cette même assemblée..

  A024003560 

 En outre, pour que la Confrérie érigée en la forme susdite demeure dans un état ferme et stable, et que tout s'y fasse avec la méthode et l'ordre voulus, nous statuons et ordonnons que la première assemblée générale ait lieu à l'oratoire le 13 de ce mois, à trois heures de l'après-midi, et chaque année le 2 septembre, à la même heure.

  A024003564 

 Il ne sera pas permis de traiter d'affaires étrangères, ou de dire ou faire quoi que ce soit de vilain ou de scandaleux, ni de se retirer avant la fin sans l'expresse licence du Supérieur..

  A024003572 

 Et pour que toute matière de doute et toute cause de dissension, soit entièrement éliminée dans les nominations des officiers, nous statuons et ordonnons que le Prieur et chacun des Assesseurs, ainsi [376] que le Trésorier et le Secrétaire, pour ce qui regarde chaque charge en la nouvelle création du propre successeur, puissent désigner à l'assemblée, pour chaque office, deux confrères, de la condition cependant ci-dessus exprimée.

  A024003576 

 Enfin, il faut parler de la caisse où seront renfermés le grand sceau de la Confrérie, les actes, les instruments, les donations, les legs, les livres, les écritures et autres choses, ainsi que les fonds remis par le Trésorier.

  A024003580 

 C'est pourquoi nous ordonnons que cette Confrérie s'inaugure le jour de l'Exaltation de la Sainte Croix du présent mois de septembre, jour où ses Statuts commenceront à obliger tous les confrères..

  A024003588 

 Enfin, pour que cette Confrérie, instituée comme définitive et ratifiée avec les Statuts et ordonnances ci-dessus, sous l'étendard [378] de la Croix toute-puissante et l'invocation de la Très Sainte Vierge Marie et des Bienheureux Apôtres Pierre et Paul, pour les causes exprimées plus haut, soit aussi protégée contre toutes attaques par le secours de notre Révérendissime Evêque et le patronage du Saint-Siège Apostolique; qu'elle soit pourvue et honorée de quelques faveurs spéciales, de grâces et d'Indulgences, en sorte qu'elle augmente chaque jour, qu'elle produise des fruits plus abondants, et dure et persiste à jamais: nous supplions notre Illustre et Révérendissime Evêque susnommé, de vouloir accorder son assentiment et consentement à l'érection de la Confrérie et autres choses ci-dessus mentionnées, en faisant intervenir son autorité ordinaire; nous supplions aussi notre Très Saint Père le Papè et le Saint-Siège Apostolique de daigner confirmer et approuver la Confrérie, ses ordonnances et Statuts faits et à faire, et lui procurer augmentation et force par les faveurs et grâces apostoliques, par la concession d'Indulgences à perpétuité.

  A024003621 

 Bien plus, Nous avons trouvé très dignes ces pratiques que, pour l'utilité commune de l'Eglise, ces mêmes confrères observent religieusement; utiles aussi et efficaces pour l'accroissement du culte divin, pour la formation des mœurs et l'exercice des œuvres de piété.

  A024003621 

 C'est donc à bon droit que Nous leur avons donné Notre consentement et qu'elles doivent être reçues et approuvées par Nous comme, par les présentes, Nous les agréons, recevons et approuvons..

  A024003622 

 En outre, en témoignage de Notre bienveillante faveur et désirant étendre toujours plus les grâces que Dieu Nous a départies: à chaque confrère ou autre qui visitera l'oratoire de la susdite Confrérie et suivra la procession les jours où le très saint Sacrement de l'Eucharistie est exposé sur l'autel à l'adoration des fidèles, pourvu qu'auparavant il ait adressé à Dieu des prières pour la paix et la prospérité de l'Eglise universelle, selon le texte des Statuts de la Confrérie, Nous accordons la remise certaine de quarante jours d'Indulgence..

  A024003633 

 Quilz ont occasion de croyre que les Statutz desquelles (sic) la Confraternité est pourveue sont legitimes, [384] comme ne contenans rien contre la pieté et les commandemens de Dieu et de son Eglise, approuvés par l'Ordinayre..

  A024003634 

 quoy que ces Confraternités soyent laiques, leur oratoire particulier et muable, si est ce qu'elles sont capables de tiltre perpetuel, ainsy que tient le Menochius, Rem.

  A024003646 

 Elle a aussi esté conservee, non obstant tant d'incommodités survenues en la ville et le changement des lieux ausquelz a esté forcee de faire les exercices d'icelle, jusques a present, qu'ayant une chapelle asseuree et perpetuellement assignee en l'eglise de Saint Dominique et estant, comme sus a esté dit, non seulement appreuvee mais benie et enrichie de plusieurs graces par le Saint Siege Apostolique, il ne reste sinon que les confreres et seurs estendent leur courage a bien et saintement prattiquer les Constitutions d'icelle, sans s'amuser des-ormais a ce que le malin esprit voudra dire par les langues d'aspics au prejudice d'icelles, puisque le Saint Esprit a confirmé lesdittes Constitutions par la langue Apostolique, a la gloire et louange de Jesus Christ crucifié qui vit et regne es siecles des siecles.

  A024003657 

 que tardes vous? que dites vous sur ceci?.

  A024003660 

 Les exercices que doivent prattiquer les confreres et seurs.

  A024003665 

 Ilz visitent les malades, tant de la Confrerie qu'autres, selon l'ordre que les Superieurs establissent de tems en tems; et neanmoins cela se prattique avec soin particulier pour le regard des confreres et seurs..

  A024003668 

 Oyant sonner l' Ave Maria en la principale eglise du lieu ou ilz sont, comme est a Nostre Dame entre celles d'Annessy, ilz se mettent a genoux, non seulement en [389] leurs maysons, mais aussi emmi les rues et lieux publiqs, autant comme cela se peut commodement faire, affin de protester l'honneur que la Confrerie porte a la Mere de Dieu et inciter par leur exemple les autres a ce faire, suyvant la devotion de nos predecesseurs..

  A024003672 

 Ilz assistent les veilles des jours de leurs Communions aux Vespres qui se disent le soir en l'oratoire et aux advertissemens qui s'y font; et les jours desdites Communions ilz assistent aux Offices, tant du matin que du soir, au mesme lieu; et tous les vendredis de Caresme, environ les cinq heures du soir, a la salutation du Stabat Mater et a l'exhortation qui s'y fait..

  A024003673 

 Outre cela, ilz obeissent aux advertissemens qui se font aux assemblees de la Confrerie, et a ceux que les [390] Superieurs d'icelle, ou ceux qui sont deputés de leur part, font aux confreres et seurs pour la correction des mœurs..

  A024003674 

 Tous les confreres et seurs de laditte Confrerie doivent soigneusement prattiquer lesditz exercices, tant parce que par le moyen d'iceux ilz se maintiendront en l'amour et crainte de Dieu et se prepareront des grans tresors au Ciel, qu'aussi d'autant qu'ilz gaigneront les Indulgences suyvantes; n'y ayant neanmoins pour tout cela aucune obligation qui porte peyne de peché ni mortel ni veniel pour les contrevenans, ains seulement de privation des fruitz, Indulgences et benedictions qu'y recevront les bons et fidelles observateurs des ditz exercices..

  A024003716 

 Assistant aux Messes et Offices en l'oratoire ou chappelle de laditte Confrerie, ou bien assemblees tant publiques que particulieres d'icelle, ou qu'elles se facent; hebergeans les pauvres, accommodant les dissentions ou procurant qu'elles soyent accommodees, accompaignant les cors des trespassés, tant de la Confrerie qu'autres; [392] allant aux processions faittes par le congé de l'Ordinaire, suyvant le tressaint Sacrement tant aux processions que quand on le porte aux malades ou ailleurs, ou ne pouvant, et oyans le son de la cloche qui se fait pour cela, diront un Pater noster et Ave Maria; ou diront pour les deffunctz de laditte Confrerie cinq Pater et Ave, ou reduiront les desvoyés au bon chemin, ou enseigneront aux ignorans les Commandemens et choses requises a salut, ou feront quelques autres actions de pieté, de devotion et charité: pour chacune fois qu'ilz exerceront l'une desdittes actions, soixante jours d'Indulgence.

  A024003734 

 C'est pourquoy Nous avons ordonné que de nouveau la publication en sera faitte par tout Nostre diocese, affin que chacun soit asseuré de pouvoir par cy apres participer a des biens si grans et excellens; suppliant tous les tres Reverens Ordinaires des lieux qui en seront requis, de vouloir permettre et favoriser semblable publication et la cueillette des aumosnes pour l'effect mentionné en la concession dudit Pardon.

  A024003748 

 Le même François, ayant été peu après créé Evêque et Prince de Genève, et délié ainsi de sa charge de Préfet de la Maison de Thonon, de son plein gré et avec amour se dévoua et consacra tout entier, tel qu'il est et avec toutes ses forces, à cette Institution, [397] faisant les vœux les plus ardents et les plus profonds pour que les noms très augustes de JESUS et de MARIE se répandent de la Maison de Thonon, comme une huile épandue, une cannelle et un baume odorant, à travers tout le territoire et les habitations du diocèse, surtout de la ville de Genève, et y apporte le suave parfum d'une myrrhe choisie.

  A024003778 

 Concede la mesme Indulgence pleniere et remission de tous les pechés a chaque confrere lequel par son entremise aura fait ou procuré la conversion d'un heretique a la foy catholique, et que par effect tel heretique aura abjuré et detesté les heresies et se sera reconcilié et retiré au giron de la sainte Mere Eglise.

  A024003779 

 De plus, relasche a forme accoustumee de la sainte Eglise, soixante jours de penitences a eux enjointes ou autrement deuës, aux mesmes confreres lesquelz se seront employés en quelque maniere que ce soit a la conversion des heretiques, et a cest effect auront exercé quelque œuvre; et ce pour chacune fois.

  A024003781 

 Et semblablement, a ceux lesquelz, employés a la conversion des heretiques en tel exercice et fonction pour benefice de la mesme Confrerie en quelque maniere que ce soit, se seront occupés ainsy que dessus, priant, et confessés auront receu le saint Sacrement de l'autel, concede Sa Sainteté qu'ilz puissent obtenir et gaigner toutes les susdites Indulgences et remission des pechés..

  A024003782 

 Chaque fois que lesditz confreres accompaigneront le Saint Sacrement quand il se porte aux malades, si en se repentant ilz ont propos de se confesser, relasche cinq ans et autant de quarantaines des penitences a eux enjointes..

  A024003783 

 Item, a ceux lesquelz assisteront aux Messes et autres Offices divins en ladite eglise, chapelle ou oratoire au tems de la celebration de la Messe ou recitation des Offices, ou bien aux congregations publiques ou privees de ladite Confraternité qui se feront en quel lieu que ce soit, ou bien logeront des pauvres, ou qui donneront faveur et ayde aux convertis a la foy catholique: toutes fois et quantes qu'ilz feront quelle que ce soit desdites œuvres, cent jours d'Indulgence..

  A024003821 

 Le tout neanmoins se fera consulto Episcopo et ex ejus decreto, quoy que sans figure de proces et sommairement..

  A024003821 

 Or, pour oster et deposer lesdits prestres, suffira que le Conseil assemblé en juge par la pluralité des voix; mais pour la deposition du Præfect il sera requis que cela se face par les deux tiers des voix du Conseil, auquel entreviendra tous-jours le Conservateur, lequel n'estant pas au lieu, sera attendu jusques a deux moys et non plus.

  A024003822 

 Tous lesdits prestres s'obligeront a leur entree de demeurer trois ans en ladite Congregation; et sera, nonobstant cela, permis au Conseil de les licentier, y ayant rayson legitime, selon quil sera advisé par iceluy, ainsy que dessus..

  A024003826 

 Et porteront sur leurs manteaux des croix de saint Maurice, avec un'image [de] Nostre Dame de Compassion au milieu d'icelle; lesquelles croix seront toutes esgales, soyt que lesdits prestres soyent gentilshommes de naissance ou non, puisqu'ilz ne les porteront qu'en qualité d'ecclesiastiques de la Sainte Mayson.

  A024003856 

 mars, a cinq heures, en sorte que ladite Messe se commence a la prim'aube..

  A024003864 

 Tout ce que dessus pour cet article s'entend la mayson estant faite pres de l'eglise; et jusques a ce tems-la ne seront obligés sinon a dire Tierce avant la Grande Messe, le tout in cantu modulato; Vespres et Complies comme dessus, et ce tous les jours..

  A024003902 

 Et dans le contract de constitution d'iceluy sera mis en premiere charge, et par maniere de præciput, que la Congregation et Seminaire soyent payés de toutes leurs assignations, avant toutes choses..

  A024003906 

 Les accensemens des dixmes et autres revenuz de la Sainte Mayson se feront par le sieur Conservateur, avec l'assistence du Prefect, ou de celuy que ledit Praefect ou Conseil aura deputé..

  A024003911 

 Mais lhors que le sieur Conservateur fera des voyages et autres sortes de frais, les mandatz de son payement se feront par le Praefect avec le Conseil; et ne pourra faire lesdits voyages et frais sans l'advis d'iceluy Conseil..

  A024003921 

 Mais en cas que les PP. Jesuites voulussent venir faire cette charge avec 4 regens, on leur fournira... 400 escuz d'or..

  A024003932 

 La despense de l'entretenement de l'eglise de la Congregation, du College et Seminaire estant detraitte, tout le reste du revenu de la Sainte Mayson sera inviolablement appliqué a la conversion des heretiques, selon quil sera advisé par le Conseil; en sorte neanmoins que les missions soyent præferees et, apres icelles, les provisions requises a la retraitte et entretenement des convertis, en les appliquant aux artz et autres besoignes, selon leur (sic) habilités.

  A024003933 

 Que si ledit assistant estoit desagreable au Conseil, le sieur Conservateur en devra [presenter et nommer] eslire un autre, lequel ledit sieur Conservateur fera payer sur les cinquant'escus qui reste (sic) des 300 que Son Altesse et la sainte Religion Saint Maurice ont assigné sur les decimes annates et passage d'un chevalier pour chasqu'annee, et pour le payement d'un præstre.

  A024003942 

 La mayson de la Congregation sera autour de la Place de ladite eglise; mais en attendant que les bastimens soyent dressés, on habitera es maysons qui sont a present a ladite Sainte Mayson..

  A024003947 

 La despense necessaire a l'entretenement de l'eglise de la Congregation, College et Seminaire estant faitte, le reste sera inviolablement appliqué a la conversion des hæretiques, selon quil sera avisé par le Conseil de la Sainte Mayson; en sorte neanmoins que les missions soyent præferees et, apres icelles, les provisions requises pour la retraitte et entretenement des convertis, en les appliquant aux artifices et travail des mains, ou autres sortes de services selon leur (sic) habilités..

  A024003948 

 Dans le contract de constitution du receveur, sera mis en premiere charge et par maniere de praeciput, que la Congregation, College et Seminaire seront payés des denrees et sommes qui leur seront assignees, avant toutes choses..

  A024003950 

 Lhors que le sieur Conservateur fera des voyages ou autres sortes de frais, les mandatz de son payement seront faitz par le Prefect avec le Conseil; et ne pourra faire les-dits voyages ni frais sans prendre l'advis dudit Conseil..

  A024003956 

 Et outre celâ, sera requis que pour oster tant les uns que les autres, le Conservateur entrevienne au Conseil; que sil n'est pas present, il soit attendu jusques a deux mois, le tout neanmoins par connoissance sommaire et sans figure de proces..

  A024003965 

 A tous soit notoire et manifeste, que le second jour du present moys de julliet mil six cens et sept, Nous ont esté remises des Bulles de Nostre Saint Pere Paul cinquiesme, deuement expediees, signees et seellees sub plumbo, en date: Apud Sanctum Marcum, anno Incarnationis Domini 1606, Kal.

  A024003966 

 Dont ayant receu lesdites Bulles avec honneur et reverence, pour executer le contenu d'icelles, Nous avons assemblé les jours suivans plusieurs personnes de qualité, doctrine et experience, tant ecclesiastiques que laiz: a sçavoir, le tres Reverend seigneur Vespasien Aiazza, abbé d'Abondance; quant aux ecclesiastiques, le Reverend seigneur Louys de Sales, Prevost de Nostre Eglise cathedrale, le R. P. Frere Abonde de Come, Superieur de la Mission des Capucins, le R. P. Frere Cherubin de Maurienne, predicateur de ladite Mission, et les Reverens sieurs Claude Grand et Nicolas Gottri, docteurs en theologie, predicateurs et chanoines de Nostre Eglise cathedrale, le Reverend sieur Balthazard Maniglier, predicateur, curé de Serraval et Vicepraefect de ladite Mayson [417] d'heberge; et quant aux laiz, le sieur don Thomas Bergere, seigneur du Vilar et chevalier de l'Ordre des Saintz Maurice et Lazare, et noble Claude Marin, procureur fiscal pour Son Altesse en Chablaix: en presence et par l'advis desquelz Nous avons fait les articles ci jointz, pour l'esclarcissement des autres susditz que Son Altesse avoit dressé et pour faciliter l'execution d'iceux.

  A024003967 

 Premierement, que l'union ci devant, comme il a esté dit, faitte du prieuré Saint Hippolite de la presente ville de Thonon, avec ses appartenances et dependances quelconques, a ladite Mayson d'heberge de Nostre Dame de Compassion, demeureroit irrevocablement et inviolablement en son entier, sans que jamais nul puisse venir au contraire; et qu'en suite de cela, toutes les rentes, censes, dismes et autres revenuz appartenans audit prieuré seront payés au prouffit de la Sainte Mayson, selon la cotte et coustume du païs..

  A024003968 

 Item, Nous avons declairé que l'union de la Sainte Mayson d'heberge avec la sacree Milice des Saintz Maurice et Lazare seroit reciproque entre ladite Mayson et ladite Milice, non point par incorporement de ladite Mayson a ladite Milice ni au contraire, mais par une simple association et mutuelle correspondance, entant que ladite Milice et ladite Mayson visent et tendent a mesme fin, a sçavoir, l'exaltation de la foy, quoy que par divers moyens: la Milice tendant a cela principalement par les armes exterieures et corporelles, et ladite Sainte Mayson par les armes interieures et spirituelles, comme sont les predications, sermons, catechismes, conferences, prieres, aumosnes.

  A024003968 

 Si que ladite Sainte Mayson ne puisse jamais estre entendue incorporee ni annexee au cors de ladite Milice, mais seulement associee, et que la croix ou autres marques d'icelle Milice, portees par lesditz prestres de ladite Sainte Mayson ou autres officiers d'icelle, ne puissent estre tirees en [418] consequence pour conclure aucune autre dependance ou appartenance de ladite Sainte Mayson envers ladite Milice que de celle d'une mutuelle et reciproque correspondance et association, ladite Milice en la jurisdiction de Son [Altesse], et lesditz prestres et autres personnes ecclesiastiques de ladite Mayson demeurantes en la jurisdiction de Nous et nos successeurs ordinaires.

  A024003969 

 Item, Nous avons declairé que jamais les biens et revenuz de ladite Sainte Mayson ne pourront estre entenduz appartenir a ladite sacree Milice de Saint Maurice et Lazare ni a la disposition d'icelle, mays demeureront a jamais affectés aux œuvres et exercices auxquelz Sa Sainteté et Son Altesse les ont destinés, selon les articles dressés par sadite Altesse et l'Illustrissime Seigneur Nonce, et ceux qui, pour l'esclarcissement d'iceux, Nous avons fait et qui y [sont] jointz..

  A024003970 

 Item, en fin, apres toutes ces declarations par Nous faittes, en vertu de ladite commission, Nous avons receu le serment du susdit seigneur don Thomas Bergere, Conservateur esleu et nommé par ladite Sainte Mayson, et accordé par sadite Altesse et par le tres sacré Conseil de ladite sacree Milice des Saintz Maurice et Lazare, par lequel il s'est obligé de bien et deuement conserver, en ce qui dependra de son pouvoir, les droitz, noms, actions, biens et [419] tiltres de ladite Sainte Mayson, et de procurer par toutes voyes convenables que les articles dressés pour l'establissement d'icelle soyent observés.

  A024003978 

 Et en cas que la nouvelle se treuve veritable, ce que Dieu ne veuille, il fera la plus grande diligence qu'il luy sera possible pour divertir ce mauvais coup et rompre cette si impertinente pretention:.

  A024003978 

 Il s'essayera d'avoir le plus de connoissance qu'il pourra de la verité du bruit que nous avons de deça, que les seigneurs [420] Chevaliers des Saints Maurice et Lazare pretendent tirer sous leur Religion la Sainte Mayson de Thonon pour en avoir la direction et administration.

  A024003979 

 Que ce sera fruster (sic) l'intention de ceux qui ont contribué au bien de cette Mayson, qui, je pense, presque tous, n'eussent jamais eu cette volonté silz eussent pensé qu'elle deut tumber es mains d'une telle Religion.

  A024003979 

 Que ce sera oster en un moment toute la splendeur et abolir l'esclat de ce nom si specieux et honnorable de la Sainte Mayson de N[ostre Dame] de Compassion, quand on sçaura que tant de bons exercices pour lesquelz et sous le prætexte desquelz les Papes, les Princes et tant de nations ont estimé ce dessein, seront reduitz sous la conduite de gens d'armes, gens mariés, gens mesnagers.

  A024003979 

 Que malaysement se treuvera-il des clers de si bas courage qui veuillent subir le joug de cette obeissance lâ.

  A024003979 

 Remonstrant a Son Altesse, sil y escheoit, combien il y a d'indecence que les laiz commandent et regentent en une Mayson composee de prestres et ecclesiastiques.

  A024004001 

 Attendu que l'intention de nostre Saint Pere le Pape Clement huitiesme, declairee en la Bulle de l'institution de [423] la Sainte Mayson, fut que les prestres de l'Oratoire d'icelle se conformassent au plus pres que faire se pourroit a l'institut de la Congregation de l'Oratoire de Rome, et que neanmoins la diversité qui est entre cette ville et celle la et la consideration de plusieurs circonstances ne permettent pas qu'il y ayt une parfaitte similitude, pour accommoder la necessité avec la bonne volonté, ont esté dressees les presentes Constitutions..

  A024004019 

 Et bien que lesditz prestres doivent principalement observer l'honnesteté et propreté en l'eglise, si est ce qu'il convient qu'a l'ordinaire lesditz prestres aillent proprement vestus, selon toutesfois la modestie et simplicité ecclesiastique..

  A024004023 

 On espere que la charité pressera tous ceux de la Congregation de bien et diligemment rendre leurs devoirs; néanmoins, pour l'empescher de rafroidir, il a semblé bon de l'appuyer par l'imposition de quelques peynes contre les defaillans, selon la coustume de toutes les eglises cathedrales et collegiales..

  A024004033 

 De demeurer debout a teste descouverte au commencement de l'Office jusques a ce que le premier Psalme soit entonné; apres quoy, se pourront asseoir et couvrir.

  A024004033 

 Mais toutes fois et quantes [que] parmi l'Office l'on dit Gloria Patri, ou Gloria tibi Domine, ou Deo Patri, etc., ou bien quand on dit Sit nomen Domini benedictum au Psalme Laudate pueri, etc., ou que l'on dit le Pater, ou les absolutions de Matines, ou le Preces, ou le Magnificat, Nunc [428] dimittis et Benedictus, au Chapitre et petitz responsoires, oraysons et hymnes, chacun se descouvrira et levera debout..

  A024004034 

 A la Messe on [ne] se peut couvrir sinon pendant qu'on recite l'Epistre, que l'on peut non seulement estre couvert, mays assis..

  A024004035 

 A chaque Office on assignera les intonations, tant des antiennes que des Pseaumes, a ceux qui les devront faire, affin qu'elles se facent a propos; et pour le reste, il se pourra voir au Directoire des ceremonies de la Cathedrale, duquel ilz pourront avoir un double..

  A024004040 

 Au reste, tous seront entablés, chacun en son tour, pour la celebration des Messes tant basses que chantees, sans exception, non pas du Prefect mesme..

  A024004045 

 Pour donner exemple de la reverence que l'on doit porter a la parole de Dieu, tous les prestres de l'Oratoire assisteront, assis sur un banc a ce destiné, modestement, ainsy qu'il a esté dit de l'assistance au chœur, sans qu'aucun s'en puisse absenter, sinon pour cause appreuvee par celuy qui preside..

  A024004049 

 Et en icelle l'on traittera de l'observation des Regles et des choses appartenantes au service de Dieu qu'ilz ont en charge, tant ecclesiastiques que spirituelles, qu'œconomiques et temporelles; et sera deputé un Secretaire ordinaire qui escrira les resolutions et advis qui se prendront en ladite assemblee, en laquelle seront aussi marqués les defaillans, qui, pour chaque fois, perdront troys solz..

  A024004056 

 Tout au long du repas sera gardé le silence par tous ceux qui seront a table, en laquelle un chacun demeurera jusques a ce que le repas soit fini, lequel durera environ une heure..

  A024004058 

 Et parce que ladite Congregation est de peu de prestres, seront retirés et mis a leur table les enfans du Seminaire, desquelz l'un sera deputé pour faire la lecture de la table, sans que les prestres y soyent employés.

  A024004058 

 Mays affin que lesditz enfans prouffitent en ladite lecture, l'un des prestres sera deputé pour les corriger quand ilz feront faute en la prononciation ou autrement, comme quand ilz liront trop vite ou precipitamment, cette lecture devant estre faitte bellement et intelligiblement..

  A024004059 

 Apres le repas, les enfans se retireront en quelque lieu a part, affin que les prestres puissent demeurer ensemble, selon qu'ilz verront a faire, pour se recreer d'une honneste et chrestienne conversation..

  A024004063 

 Que si les delinquans continuent encores apres cela en la contumace, ou bien qu'ilz ayent commis quelque crime d'importance, le Prefect sera obligé d'en advertir le Superieur ordinaire; sauf, qu'en cas de scandale et y ayant quelque danger de fuitte, le Prefect, par l'advis de l'assemblee, pourra resserrer le delinquant en attendant l'ordre dudit Ordinaire..

  A024004070 

 En suite dequoy le Plebain pourra tous-jours, en quelque tems que ce soit et quand il le treuvera convenable, faire l'administration des Sacremens et le service des ames par luy mesme, comm'estant sa principale charge, et ne pourra jamais refuser en estant requis..

  A024004082 

 L'assemblee deputera un Portier qui sera revestu d'une soutanelle bleuë, et son office sera d'ouvrir et fermer la porte soudain qu'il entendra sonner la cloche, et advertir le Superieur avant que d'ouvrir a personne du dehors, sinon que ce soyent des gens ordinaires de la mayson; et en l'absence du Prefect advertira le Plebain, et en l'absence du Plebain, le plus ancien..

  A024004087 

 Ilz se retireront dans la mayson le soir a bonne heure, incontinent apres l' Ave Maria, et ne sortiront point la nuit sinon pour des causes urgentes, advertissant celuy qui pour lhors sera le premier entre eux; et le jour, quand ilz [435] sortiront, ilz diront tous-jours au Portier ou ilz vont, affin que, s'il est requis, on sçache ou les treuver..

  A024004101 

 Seront neanmoins tenus et obligés d'advertir la Congregation de bonne heure, affin que plusieurs n'absentent tout a coup, ains que tous-jours il demeure nombre suffisant pour bien faire les charges et Offices.

  A024004103 

 Que ceux de la Congregation ne puissent tenir aucun benefice requerant residence.

  A024004113 

 Le Sacristain se servira de ce que la Sainte Mayson fournira tant pour l'entretenement de la sacristie que pour celuy du luminaire, affin que l'on sçache ce qui aura esté employé annee par annee..

  A024004128 

 Mays quant aux prestres qui viennent pour cooperer aux confessions et autres offices, ilz seront receus sur le commun, comme aussi les prestres et clercs que l'on reçoit par aumosne..

  A024004157 

 Il ne sera permis a personne, ce pendant qu'on fera les divins Offices, de comparoistre autrement qu'en habit et tonsure: c'est a sçavoir, avec la soutane jusques aux talons, le bonnet carré, la couronne de la teste remarquable, et le surplis de toyle blanche, que chacun sera obligé d'avoir a ses despens.

  A024004162 

 Toutes fois et quantes que le dernier signe de l'Office sera donné, s'ilz se trouvent quatre au chœur, ilz commenceront l'Office sans attendre les autres..

  A024004163 

 Quicomque ne se trouvera pas pour le moins a [la] fin du premier Psalme et devant que l'on commence le second, ou qui ne perseverera pas jusques a la fin de l'Office, sera tenu pour absent.

  A024004165 

 Tous demeureront a teste nuë despuis le commencement de l'Office jusques a ce que le premier Psalme soit commencé.

  A024004166 

 Toutes fois et quantes que l'on commencera un Psalme, tous se descouvriront tant seulement; mais celuy qui commencera ou les antiennes ou le Psalme, non seulement se descouvrira, mais encores se tiendra debout..

  A024004168 

 En faysant l'Office, on assignera les premiers tons, tant des antiennes que des Psaumes, a ceux qui devront les commencer, affin que toutes choses se facent bien..

  A024004170 

 Les autres jours, le prestre qui sera assigné semaine par semaine, [429] excepté toutesfois les Messes et benedictions des fors baptismaux, es veilles de Pasques et de Pentecoste, parce que cela regarde l'office du Plebain..

  A024004171 

 Tous seront escritz par ordre en une table, le Praefect aussi bien que les autres, tant pour les petites Messes que pour les grandes..

  A024004180 

 Le Præfect aura l'authorité et charge que les Statutz, Regles et la [432] discipline clericale soyent bien observés en la Congregation et dehors.

  A024004180 

 Si le scandale estoit fort grand et qu'on doutast de la fuitte, le Praefect, selon qu'il sera deliberé en Chapitre, en attendant que l'ordonnance de l'Ordinaire soit venue, aura droict d'emprisonner..

  A024004188 

 La Congregation deputera un Portier, qui sera vestu d'une robbe de couleur bleuë, lequel n'ouvrira a point d'estranger sans que le Præfect en soit adverti..

  A024004189 

 Aussi tost que l'on aura baillé le signe de la Salutation Angelique sur le soir, tous les prestres de l'Oratoire se retireront en la mayson, et ne vagabonderont point de nuict ni sortiront, sinon qu'il y ayt quelque urgente necessité..

  A024004190 

 Quand ilz sortiront de jour, ilz diront au Portier le lieu ou ilz [435] voudront aller, affin que si quelqu'un les demande on puisse sçavoir ou les trouver..

  A024004196 

 On deputera deux prestres de la Congregation qui auront soin que l'on fasse bien les aumosnes, sans aucune tromperie..

  A024004197 

 Que si la necessité veut que quelqu'un sorte d'autres fois, il demandera congé a la Congregation..

  A024004197 

 Toutesfois, la Congregation en sera au prealable advertie, affin que plusieurs n'absentent pas tout en un tems et que le divin Office ne soit diminué.

  A024004198 

 Il ne sera permis a personne de posseder quelqu'autre benefice qui requiere residence plus outre que troys moys, sinon que peut estre [437] le Souverain Pontife ayt dispensé pour quelque cause; autrement il sera privé de la Congregation..

  A024004199 

 Outre la commune despense de la Congregation, le Præfect prendra pour ses gages cent escuz d'or, le Plebain cent ducatons, le Sacristain troys cens florins, tous les autres, chacun, deux cens et cinquante florins; et selon que la Congregation verra estre de faire, quarante ducatons seront distribués entre les serviteurs.

  A024004200 

 Il ne sera permis a personne de manger de la chair en la mayson les veilles des festes de Nostre Dame; et tous observeront absolument le jeusne la veille de la Nativité de la mesme glorieuse Vierge, par ce que c'est la feste la plus solemnelle de la Congregation..

  A024004202 

 Le Plebain sera esleu au concours tout de mesme que les autres [439] curés du diocese, selon les decretz du saint Concile de Trente; auquel concours toutesfois les prestres de la Congregation seront preferés aux autres, quand ilz se trouveront pareilz, et lesquelz prestres seront esleuz par la Congregation.

  A024004204 

 Que s'ilz ne viennent pas, il faudra avoir quatre regens, sans celuy qui apprendra a lire aux enfans.

  A024004283 

 Dès le lendemain, après la Messe, il convoqua le R d seigneur Jacques de Mouxy avec [441] tous les Religieux en résidence et les prébendés; il déclara à l'assistance qu'il était venu vers eux et dans leur abbaye pour visiter tout ce qui regardait leurs mœurs, vie et habitudes, comme aussi les édifices, biens et droits, et cela en tant que Supérieur de l'abbaye; car, d'après les droits et coutumes anciennes de l'évêché de Genève, il pouvait et devait le faire.

  A024004283 

 Ils répondirent tous avec le respect qui convenait, que le Révérendissime Evêque de Genève avait le droit de visiter leur abbaye et leurs personnes, et qu'ils ne prétendaient en aucune façon protester contre cela où l'empêcher..

  A024004287 

 L'Abbé répondit qu'il l'ignorait, attendu qu'il n'avait pas vu depuis longtemps les Bulles de sa provision, produites à Chambéry dans un procès; que cependant le suprême Sénat de Savoie lui avait interdit la correction des Religieux, comme s'il n'était pas titulaire; ce pourquoi il ne devait pas porter l'habit des Religieux.

  A024004287 

 Toutefois il dit que l'administration des biens temporels le regardait..

  A024004292 

 Il s'enquit des titres et droits, afin que si quelqu'un en avait à part lui, ou en connaissait chez un autre, il le révélât, pour qu'il fût statué sur leur conservation..

  A024004293 

 Le seigneur Abbé, après avoir prêté serment, assura n'avoir que cinq livres de Reconnaissances et confessa par écrit les avoir.

  A024004297 

 Ayant entendu cela, le Révérendissime Seigneur Evêque visiteur statua qu'avant le prochain jour des Cendres l'on ferait et établirait en due et probante forme l'inventaire de tous les droits et titres, en deux copies de forme semblable, dont l'une sera renfermée dans les archives de l'évêché, et l'autre, à l'usage des procès, sera conservée par celui que le Chapitre du Monastère désignera..

  A024004301 

 Les Religieux se plaignirent de ce que, sur le nombre requis, trois manquent depuis longtemps.

  A024004302 

 L'Abbé répondit que les revenus étaient si diminués, soit par l'incurie de ses prédécesseurs, soit par la violence des eaux qui ont [445] détruit des métairies et villages entiers, qu'il ne pouvait nourrir et entretenir plus de Religieux.

  A024004303 

 Le Révérendissime Seigneur visiteur, voyant que la chose n'était pas facile à arranger, renvoya à une autre date la décision à prendre, c'est-à-dire jusqu'au moment où il verra clairement que les revenus sont suffisants..

  A024004305 

 Ils affirmèrent d'un commun accord, soit l'Abbé, soit les Religieux, que la prébende consistait en: treize mesures (octavis) de froment, bonne mesure, à fournir en la fête de la Toussaint; une mesure de fèves; huit charges (chevallatis) de vin blanc que le seigneur Abbé avait le soin de faire mettre, au temps de la vendange, au cellier de chacun; douze florins pour la pitance; quatre [446] chapons; du foin autant qu'un drap peut en contenir, de la paille autant que deux draps peuvent en contenir; trente florins pour les vêtements, à fournir le jour de Noël.

  A024004308 

 Et comme ceux-ci exposèrent que sur la dernière [447] prébende à eux due, il leur restait à recevoir six charges de vin, îe Révérendissime Seigneur visiteur réduisit les six charges susdites au prix de cent cinquante-deux florins, et cela avec le consentement mutuel des Religieux et du seigneur Abbé, auquel il enjoignit de payer à chacun ce qu'il lui devait..

  A024004309 

 Il fut convenu que, pour la fourniture de la prébende de l'année courante, et surtout du vin, le seigneur Abbé donnerait un garant avant la fin du jour suivant, à moins qu'il n'admodiât son abbaye..

  A024004310 

 Enfin il fut établi que le seigneur Abbé, puisque héritier des Religieux, serait tenu de faire les frais de funérailles et de sépulture..

  A024004314 

 Le Révérendissime Seigneur Evêque décréta que le saint Office serait récité, soit en privé, soit publiquement au chœur, selon l'usage publié par le saint Concile de Trente, usage dont on sera tenu d'observer les rubriques.

  A024004314 

 [448] Quant au petit Office de la Bienheureuse Vierge, à l'Office des Défunts et aux Psaumes penitentiaux, ils pourront, à cause de la coutume de l'abbaye, être récités avant l'Office diurne, en sorte cependant que personne ne soit tenu à cette récitation hors du chœur, à moins que le Bréviaire de Trente ne le prescrive..

  A024004320 

 Il fut décrété que le tabernacle du Très-Saint-Sacrement situé [449] au milieu de l'autel devrait être fermé de toute part, et que le ciboire serait au moins en étain..

  A024004333 

 Pour le moment cependant, que les femmes ne soient pas admises à l'intérieur de l'enceinte formée soit par les murs en ruines, soit par la trace de ces murs..

  A024004336 

 De même, à propos de la façon expresse d'émettre les vœux, la question fut laissée sans être traitée, parce que le Visiteur ne se trouve pas assez informé sur la Règle et les Constitutions; il verra cependant à ce que plus tard cela puisse se faire et il s'occupera de le faire faire..

  A024004352 

 Aussi, l'acte des pieux Chanoines réguliers de Saint-Augustin, du Monastère de Sixt, non seulement Nous l'approuvons et homologuons, mais Nous le louons et aimons autant que Nous le pouvons dans les entrailles du Christ; et, en vertu de Notre pouvoir et autorité ordinaires sur ce Monastère et ses Chanoines réguliers, Nous ordonnons dans le Seigneur, que dorénavant il y soit observé à la lettre.

  A024004434 

 C'est pourquoi ayant appris que, sous l'inspiration divine, les vénérables Chanoines voulaient rétablir entièrement l'ancienne observance régulière qui, par suite de l'injure des temps, était à peu près anéantie et détruite parmi eux, et que les très Illustres et Révérends seigneurs Jacques de Mouxy, Abbé, bien que commendataire, et Humbert de Mouxy, son coadjuteur et élu par le Monastère, avaient décidé, non seulement d'approuver, mais d'aider de si saintes résolutions:.

  A024004438 

 Que les vénérables Chanoines de ce Monastère ont à émettre leur Profession.

  A024004440 

 Comme aucun des vénérables Chanoines actuellement vivants n'a émis de Profession expresse, avant toutes choses, pour obéir à l'esprit et aux termes du saint Concile de Trente, Nous déclarons et décrétons que tous les vénérables Chanoines sont tenus d'émettre cette Profession expresse, et Nous fixons à tous et à chacun de ceux qui portent maintenant l'habit du Monastère une année qui soit considérée comme année de probation; après laquelle ils [456] devront aussitôt ou émettre la Profession susdite, ou Nous exposer les raisons, s'ils en ont, pour ne pas vouloir la faire..

  A024004441 

 Pour ce qui regarde l'avenir, aussitôt après l'année de probation, comme le prescrit le même Concile, que le Novice, ou soit admis à la Profession, s'il en est jugé digne, ou soit renvoyé du Monastère.

  A024004441 

 Si cependant, après l'année de probation, il n'est pas encore jugé digne de faire Profession, et que néanmoins il y ait espérance probable qu'il le devienne en le retenant dans le Monastère un peu plus, ou même une année entière, la Congrégation cardinalice du Concile a répondu que cela serait licite, attendu que le décret du Concile touche les idoines, non les autres..

  A024004442 

 Or, les Novices doivent être distingués des Profès dans le costume, en ce que les Profès portent à tous les Offices le capuce ou mozette, appelée communément domino; tandis que les Novices doivent user seulement du surplis ou cotta, sans capuce..

  A024004446 

 L'Abbaye étant en commende, Nous décrétons qu'on y observera [457] dans l'avenir ce qui y était déjà observé, à savoir que, pour présider et commander le troupeau, on établira et constituera à la tête de tous les Chanoines, selon le Concile de Trente, chap. XXI, Sess.

  A024004446 

 Qu'il soit, d'après le même texte, chap. 6, élu par le Chapitre aux votes secrets, en sorte que les noms de chacun des votants ne soient jamais publiés, et que celui-là soit tout à fait considéré comme élu, en faveur de qui se sera prononcée la majorité du Chapitre par les votes secrets susdits.

  A024004450 

 Que tous obéissent au Prieur « comme au père, » ainsi que l'ordonne la Règle de saint Augustin, et, en son absence, au Sous-Prieur..

  A024004451 

 S'il s'agit de faire ou d'ordonner quelque chose d'important, et qu'il n'y ait pas péril en la demeure, que le Prieur ne change ou décrète quoi que ce soit sans en avoir conféré avec son Chapitre.

  A024004451 

 [458] Dans toutes les difficultés plus graves qui ne pourront être tranchées par le Prieur et le Chapitre, que l'on ait recours à l'Evêque de ce diocèse, ou, en son absence, au Vicaire général de l'évêché, lequel, en vertu de son pouvoir ordinaire, règlera ce qu'il faudra faire, comme cela s'est pratiqué jusqu'ici..

  A024004455 

 Le vénérable Prieur ou Sous-Prieur placera tous les samedis un tableau dans l'église, où seront marqués les noms de ceux qui devront remplir les Offices de l'autel et du chœur pendant toute la semaine; Offices qui s'accompliront, autant que possible, selon le rite et les cérémonies de l'Eglise cathédrale..

  A024004459 

 Il n'y aura aucun livre dans le Monastère sans la permission du vénérable Prieur, ou, en son absence, du Sous-Prieur, qui veilleront à ce que les livres condamnés par l'Eglise ou traitant de sciences curieuses et inutiles soient écartés, et qu'il y ait abondance dans le Monastère de livres de dévotion, de cas de conscience et [459] de théologiens, en sorte que tous les Chanoines aient la possibilité, chaque jour, de vaquer à la lecture à une heure déterminée, selon la Règle.

  A024004461 

 Par les soins du vénérable Prieur ou Sous-Prieur, il faut que chaque Chanoine pendant son noviciat, lise en latin ou en français le Catéchisme du saint Concile, et rende raison de ses progrès dans cette lecture.

  A024004465 

 Aussitôt que cela pourra se faire, la table sera organisée de telle sorte que d'un seul côté soient assis les Chanoines, et que la portion soit distribuée à chacun en particulier.

  A024004473 

 Aussi [461] ordonnons-Nous plus sévèrement, en vertu de la sainte obéissance et sous peine de l'excommunication majeure, à tous et chacun que cela concerne, que toutes les femmes absolument soient par eux écartées, chassées et expulsées, s'il s'en trouve maintenant, et qu'ils ne les admettent jamais, ni elles ni d'autres, et ne leur permettent pas de séjourner dans l'enclos du Monastère..

  A024004473 

 Toute la législation proclame ce que Nous avons décrété dans Notre dernière Visite de ce Monastère, à savoir que les femmes ne doivent pas habiter ou demeurer, même pour peu de temps, à l'intérieur de l'enceinte et des murs extérieurs du Monastère.

  A024004477 

 Nous ordonnons, sous peine d'excommunication majeure, que dans le délai d'un mois, à compter de ce jour, quinze septembre de l'an mil six cent dix-huit, tous et chacun de ceux qui ont des instruments ou titres de ce Monastère, les replacent dans les archives, selon le décret porté par Nous à ce sujet dans la susdite Visite..

  A024004485 

 Quant aux autres bâtiments, il a promis, en père de famille soigneux, qu'il les restaurerait successivement, et d'abord le dortoir et les murs de clôture du Monastère: ce que Nous abandonnons à ses soins, Nous fiant en sa piété..

  A024004486 

 Nous avons jugé bon de ne rien décréter, si ce n'est qu'on observera l'écrit que Nous avons signé comme convenu d'un commun consentement des parties..

  A024004487 

 Donné en l'abbaye de Sixt, le 15 e de ce mois de septembre, de l'an que dessus..

  A024004494 

 En fin, Nous asseurons de la benediction et protection de Dieu tous ceux qui embrasseront et prattiqueront avec [464] amour ces Ordonnances que le seul desir du regne de Dieu en vous et l'amplification de sa gloire me fait vous donner; esperant que, par l'accomplissement d'icelles, cette Famille religieuse reprendra sa premiere splendeur et respandra par tout la souëfve odeur dont elle a parfumé autrefois tout le païs..

  A024004495 

 C'est la grace, o mon Dieu, que j'attens de vostre misericordieuse bonté et que je vous demande de toute l'estendue de mes affections, pour ces ames et celles qui leur doivent succeder.

  A024004501 

 Et d'autant que, a cause de plusieurs et divers negoces a Nous survenus n'y pouvons vacquer, avons, pour l'execution d'iceluy, commis, comme par ces dites presentes commettons, Reverend messire Jean Favre, docteur es droitz, chanoyne de Saint Pierre de Geneve, Nostre Officiai et Vicayre general par Nous establi en Nostre diocese, auquel mandons et commandons de proceder a l'execution dudit Bref selon sa forme et teneur.

  A024004501 

 FRANÇOIS DE SALES, par la grace de Dieu et du Saint Siege Apostolique Evesque et Prince de Geneve, a tous qui ces presentes verront, sçavoir faisons: que Nous, ayant receu un Bref de nostre Saint Pere le Pape Paul cinquiesme, daté a Rome, pres Saint Marc, du vingthuitiesme septembre en l'annee derniere mil six cens et six, deuëment seellé, et signé COBELLUTIUS, par lequel il Nous est mandé de supprimer les Religieux de l'Ordre de Saint Augustin estant en l'abbaye de Nostre Dame d'Abondance, riere Nostre diocese, et au lieu et place d'iceux y mettre et establir douze moines de l'Ordre de Saint Bernard, de la Congregation de Nostre Dame des Feuillans, pour l'execution duquel sommes esté par ladite Sainteté commis.

  A024004531 

 Vous saurez que Nous avons reçu, en parfait état et intégrité, et sans le moindre vice de forme ou chose suspecte, les Lettres Apostoliques expédiées en la Curie Romaine en forme de Bref, sous l'Anneau du Pêcheur, en cette teneur: « Vénérable Frère, ou Fils très cher, salut et bénédiction Apostolique.

  A024004532 

 Après que ces Lettres Apostoliques en forme de Bref eurent été présentées à Nous et acceptées par Nous, Nous fûmes requis, avec l'instance qui convenait, par le même Révérend seigneur Vespasien Aiazza, de daigner procéder à leur exécution.

  A024004532 

 C'est pourquoi Nous, Evêque de Genève, commissaire apostolique susnommé, spécialement délégué pour exécuter ce qui va suivre, considérant que ladite pétition est juste et raisonnable; voulant, comme Nous y sommes tenu, exécuter librement les commandements Apostoliques à Nous adressés: attendu qu'il est de Notre connaissance que la partie des bâtiments du monastère d'Abondance qui était réservée [468] et assignée à l'habitation de son Abbé, et à l'exercice de la juridiction touchant ce monastère a été cédée par l'Abbé dans le but d'empêcher que lui-même et sa famille gênassent aucunement l'observance de la discipline de la part des moines qui y vivent actuellement, et cela en vertu du contrat intervenu entre le même Abbé et les moines susdits, envers lesquels il s'est engagé d'agrandir et de diviser l'église dans le délai de trois ans, afin que les Offices des moines et du curé puissent se célébrer sans empêchement réciproque.

  A024004532 

 Tout cela ne pouvant s'effectuer qu'après un long espace de temps, si l'on se contente des revenus du monastère, qui ne dépassent pas la valeur de douze cents écus d'or, qui sont grevés de nombreuses charges ordinaires et extraordinaires, ainsi que d'une pension accordée et à fournir à l'Illustrissime et Sérénissime Charles-Emmanuel, duc de Savoie: Nous accordons, en vertu de la susdite autorité Apostolique, au Révérend seigneur Abbé, ou commendataire perpétuel de la Bienheureuse Marie d'Abondance actuellement en charge, ou à son légitime procureur, de louer et donner à cens, pour seize ans, à n'importe quelles personnes, même laïques, le membre de Présinges, d'une valeur annuelle de cent [469] écus, à compter du jour de l'accensement, au prix de mille écus à payer en argent comptant et par anticipation; ou bien d'hypothéquer et de céder à un juste prix à ces dites personnes le même membre, toujours pour l'espace de seize ans; en outre, d'hypothéquer d'autres biens du monastère avec tous et chacun des contrats, conventions, commissions, obligations, soumissions, clauses de renonciation et précautions nécessaires et ayant coutume de figurer dans les actes; ainsi que d'exiger de ces mêmes personnes les sommes dues et de leur donner quittance pour celles reçues; enfin, de placer ces sommes sur un édifice sacré ou chez une personne digne de confiance et pouvant répondre, dans le but de faire le plus tôt possible la construction en question, nonobstant la Constitution de Paul II, d'heureuse mémoire, et autres ordonnances.

  A024004533 

 Nous déclarons que ledit membre de Présinges, hypothéqué et donné à cens comme ci-dessus, restera hypothéqué pendant seize ans (même s'il arrive que le Révérend seigneur Abbé meure, ou que la commende cesse d'exister), et que, pendant cette période de temps, les successeurs dudit exposant seront tenus de maintenir l'hypothèque et accensement; décrétant sans valeur ni force tout ce qui serait attenté de contraire à ces diverses dispositions par quelle autorité que ce soit.

  A024004533 

 Que l'Abbé ci-dessus soit tenu de Nous soumettre les locations, hypothèques et accensements susdits, faits à juste prix, pour que Nous les approuvions et confirmions; et aussi que soient suppléés tous et chacun des vices de forme et des manquements au droit établi.

  A024004533 

 Que le membre appelé Présinges, loué, donné à cens et dégagé, retourne de plein droit au monastère de la Bienheureuse Marie d'Abondance, au bout des seize ans, avec tous ses droits, appartenances et améliorations, et que ses fruits, revenus et profits en quelque façon que ce soit hypothéqués restent libres..

  A024004551 

 Freres Jean du Verney, prebstre, et Jean Grillet, de la parroisse de Arbosigny au Genevois, freres d'affinité; Frere Mermet Jorand, de la dicte parroisse de Boege, que lesdictz deux freres d'affinité [473] receurent pour leur messager et questeur un an apres leur premiere habitation audict hermitage..

  A024004562 

 Or, estant aussy une tres ancienne, louable et saincte coustume des dictes personnes aggregées, de prendre et venerer pour protecteur ou patron singulier quelque favory de Dieu en sa Court celestielle, et n'en pouvant ny devant lesdicts hermites choisir de plus grands que les comprins au sacrésainct mistere de la Visitation, soubz le nom duquel cest hermitage fut dedié a Nostre Dame: assavoir, le benit et doulx fruict de son ventre virginal, nostre Dieu et Redempteur Jesus Christ, elle mesme et son bienheureux Espoux et vierge sainct Joseph qui l'accompaigna en si misterieux voyage, sainct Jean Baptiste, et ses pere et mere sainct Zacharie et saincte Elizabeth......

  A024004572 

 Et parce que, comme il n'y a poinct de genre de vie en l'Eglise de Dieu militante qui s'aproche plus de l'angelique, aussy nulle n'a tant de besoing de l'assistance des bons Anges que celle des hermites, ilz l'implorent des maintenant pour toujours.

  A024004580 

 Pour n'estre moins pieux a l'endroict des sainctz Peres de leur profession que les moindres et plus viles (sic) artisans a celuy des Sainctz, qui, vivant, exercerent quelque fois leur mestier, ilz implorent aussy leurs merites et intercession, et eslisent d'entreux pour Patrons sainctz Paul, Anthoine et Hilarion..

  A024004600 

 Ilz s'abstiendront tousjours en tout lieu de la chair, ainsy que les RR. PP. Chartreux, excepté du potage d'icelle, soit pours'accommoder aucunes fois aux personnes qui les visitent, n'estre contraincts eux mesmes et ne contraindre les aultres ailleurs a faire aultre potage, et tout ensemble supporter le travail du chemin.

  A024004604 

 Considerans lesdictz Hermites, que non rarement, soubz couleur de l'abstinence d'aucunes viandes l'on affecte et abuse d'autres plus friandes et moins decentes, afin que l'usage du poisson soit a jamais conforme a l'austerité et pauvreté de la vie heremitique, il ne leur sera loisible, s'ilz en acheptent (ce qu'ilz n'ont encour faict), d'y despendre plus hault de trois florins, monnoye de Savoye, pour une fois seulement en chascune des trois Caresmes qu'ilz feront en I'annee..

  A024004608 

 A fin de mortiffier l'esprit par le corps, tous les vendredis, en l'hermitage, l'oraison matutine achevee, durant le recit du Psaulme Miserere mei, en penitence de leurs pechés et diminution des peynes des ames du Purgatoire, a l'honneur et commemoration de la discipline de nostre paix avec la justice de Dieu, volontairement soufferte par Nostre Seigneur et Redempteur Jesus Christ, les Peres hermites se la donneront aussi volontaire et par leur arbitre et mesure a leurs forces; si mieux n'aime qui ne la pourra tolerer, porter la haire ou cilice de crin trois jours de la sepmaine, ou jeusner au pain et a l'eau le vendredy, et comme les veilles le samedy, veu que a tous toutte penitence et austerité n'est pas convenable, aucune bien souvent plus contraire qu'utile au progres de la perfection.

  A024004608 

 Les Peres touttesfois n'y oublieront poinct le dire de sainct Paul, que, qui peu semera peu recuellira, nous exhortans ainsy a estre liberaux et diligens, et non avares et negligens en bonnes œuvres..

  A024004617 

 Les Freres, a l'imitation des Dames nonains de Saincte Ursule, et par le commandement expres de Monseigneur, en lieu d'Office chanteront le chappellet du sainct Rosaire, partie en latin, partie en langue vulgaire, afin que litterés et idiots y puisser t concourir..

  A024004625 

 Et veu qu'ilz ont prins a venerer le tres doulx et tres benit Nom de JESUS, a fin que tous le puissent faire, ilz finiront leur Office, les jours ouvriers, au matin par les Litanies du mesme tres auguste, sainct et vivifiant Nom de JESUS, le soir par celles de l'immaculée Vierge sa Mere, dictes de Lorette..

  A024004636 

 Ce pourquoy, les Freres l'observeront, hors de necessité, des l'oraison mentale du soir jusques a celle du matin, fuyans en tout temps et lieu tellement les parolles vaines, inutiles, oisifves et mondaines, que leur conscience n'ait d'en rendre compte aucun a Dieu qui l'exigera tres rigoureux..

  A024004644 

 Ils dormiront vestus, comme les RR. PP. Capuchins, sur une paillasse, en l'hermitage; dehors, sur le lit que la commodité leur donera.

  A024004660 

 Et parce qu'ilz ne sont pas de nature angelique ains humaine (de quoy chascun se souviendra pour moderer tout zele indiscret), ilz recreeront et delasseront leurs esprits et corps environ trois quarts d'heure appres le disner; car appres le souper ilz n'auront rien de plus empreint en leur memoire que les tenebres de la mort par celles de la nuict, leur vive image, y attendant en bons serviteurs l'evenement tant incertain et redoutable du Seigneur..

  A024004662 

 La recreation particuliere se reiglera par la commune, y fuyant, comme peste de la pieté et tranquillité des esprits, la medisance, censures et jugement des actions de qui que ce soit..

  A024004671 

 Ilz frequenteront les sainctz Sacrements de Penitence et d'Eucharistie: quant aux laiz, chasque Dimanche et principale feste de l'année, surtout en l'hermitaige, se souvenans que dehors, comme plus exposés aux tentations, ilz en ont plus de besoing.

  A024004692 

 L'on tiendra Livre de raison des affaires dudict hermitage, et specialement de tout ce qu'on questera, recevra, despendra et contractera de quelque importance, de et avec qui que ce soit, et sur tout pour l'edification du peuple..

  A024004698 

 Tous les Freres seront obligés a la queste du bled et du vin, et chascun d'eux revenant, declarera soubz serment ce qu'il aura [482] trouvé, pour l'escrire audict Livre de raison et l'assembler proche de l'hermitage, au lieu et maison la plus commode et asseuree que faire se pourra..

  A024004713 

 Et puisque contrariorum eadem est disciplina, nul des Freres ja nommés et receus, ny autre qui le soit de semblable chemin, ne pourra estre congedié ou privé que par la mesme voye de ladicte reception, et pour fautes sans espoir d'amendement, ou scandale irreparable et grave, appres touttefois que la clemence de Monseigneur Reverendissime les aura ouy, et autant de fois qu'elle les aura jugé dignes, absous.

  A024004713 

 Pour ce, a elle seule appartiendra l'interlocutoire en la definitive sentence, pour ne rendre la condition desdicts Hermites ridicule et plus sordide que celle des plus abjects valets du monde, et ce sainct lieu mesprisable et malheureux par defauït d'affection.

  A024004725 

 Parce que la quallité du lieu requiert que lesdictz Hermites [483] reçoivent en leur maison et donnent a manger, au moins quant au disner, a toutte sorte de personne de l'un et l'autre sexe, l'un d'eux leur portera ce qui sera jugé convenable, et aussy tost appres se retirera vers les autres Freres pour prendre a part avec eux leur repas, sauf si le R. Jehan du Verney estime a propos de leur faire luy mesme compagnie; fuyans, et les uns et les autres au possible, la conversation dangereuse et le trop de familiarité des femmes..

  A024004745 

 L'habit desdicts Hermites sera de drap blanc de pays ou des circonvoisins, selon la forme ou façon differente des Ordres religieux [484] qu'il plaira a Monseigneur Reverendissime leur assigner; l'exigeant leger, le monter et descendre de telle montaigne, et la queste aussy, penibles, tout ainsy que de peu de prix, la profession d'hermite mendiant..

  A024004759 

 Durant l'edifice imparfaict, empeschans les Reigles de pieté susescrites les Freres de cooperer en choses ausquelles l'employer leurs forces et industrie est un grand jeusne, discipline et cilice, non moins que le monter et descendre, ilz en seront dispencés par ledict Reverend Jehan du Verney, et luy par soy mesme; et s'il est absent, par le dictamen de leurs consciences, les autres pareillement..

  A024004778 

 Nous, PIERRE FRANÇOIS JAY, Chanoine et Theologal de l'Esglise cathedrale de Sainct Pierre de Geneve, avons leu diligemment les dictes Reigles par le commandement de Monseigneur le Reverendissime Evesque et Prince de Geneve, esquelles n'avons rien trouvé qui ne soit conforme a la doctrine de l'Esglise Catholique, Apostolique et Romaine, et aux bonnes mœurs, voire grandement faisant, autant que nous le pouvons entendre, a la perfection de la vie heremitique..

  A024004783 

 Nous avons appreuvé ce Projet, sauf a y adjouster ou changer ainsy que, selon Dieu, Nous verrons a faire cy apres..

  A024004805 

 Et ce, avec autant de probité, devotion et edification qu'on sçauroit desirer d'un bon et vray Religieux, zelateur de l'honneur, gloire de Dieu et de la tousjours benite et immaculée Vierge Marie sa Mere, du bien de son Esglise Catholique, Apostolique, Romaine, culte et amplification de ce sainct lieu, non moins que du salut eternel de son ame et de celles de ses confreres; ayant a ceste fin composé, et luy mesme exactement observé, les Reigles de pieté et d'œconomie qu'il a pleu a Monseigneur Reverendissime d'approuver, et que tous ensemble avons professées le quinziesme de juing immediatement precedent......

  A024004805 

 Nous, Freres Jehan du Verney, prebstre, Jehan Grillier et Mermet Jorand, hermites de Nostre Dame de la Visitation du hault Mont de Voiron, a la veue de la ville de Geneve et dans le Diocese d'icelle: attestons et certifions a tous ceux qu'il appartiendra, devant Dieu et ses sainctz Anges, lesquels nous appelions en temoings de ceste verité par nous, de nostre propre volonté, attestée; que Frere Jean Anthoine Rigault, hermite provençal, admis, receu et confirmé pour nostre confrere par divers escrips authentiques de Monseigneur le Reverendissime Evesque et Prince de Geneve, a vescu, passé et finy parmy nous son an d'approbation, assavoir, des le unziesme julliet de l'annee derniere mil six centz dix neufz, jusques a ce jourd'huy, treiziesme dudict mois mil six centz et vingt.

  A024004819 

 D'autant que le saint, celebre et ancien hermitage du Mont de Voiron est fondé sous le vocable de la Visitation [489] de la glorieuse Vierge Marie Nostre Dame, les Hermites qui y vivront des-ormais invoqueront particulierement et auront pour Patrons: en premier lieu (apres nostre Sauveur et Redempteur Jesus Christ, Ange du grand conseil et Mediateur de Dieu et des hommes ), les Saintz qui sont au mistere de la Visitation, c'est a sçavoir: la Vierge Marie, Mere de Dieu, saint Joseph, saint Jean Baptiste, patriarche des hermites, saint Zacharie et sainte Elizabeth; en second lieu, tous les bons Anges, specialement le chœur des Principautés; et en troysiesme lieu, saint Paul premier hermite, saint Anthoine et saint Hilarion..

  A024004825 

 Aussi tost que le Sacristain aura cloché deux coups sur la fin de Prime, a la leçon du Martyrologe, ilz retourneront tous necessairement au chœur pour faire l'orayson mentale, laquelle durera demi heure, sinon qu'il y eust quelque cause urgente de la faire plus courte; et se commencera par les Litanies des Saintz.

  A024004826 

 La premiere Messe se dira a six heures, continuant jusques a midy lhors qu'il y aura beaucoup de prestres; que s'il n'y en a que troys ou quatre, la premiere se dira a sept heures, la seconde a huit, la troysiesme a neuf, la quatriesme a dix; et s'il est possible, les Freres les serviront tour a tour..

  A024004827 

 Mays quand rien ne pressera, on dira Tierce et Sexte a neuf heures, None a midy, Vespres [491] a trois heures et Complies a six, finissant par l'orayson mentale de demi heure, laquelle, apres que les Freres seront assemblés au son de la cloche que le Sacristain donnera au Cantique de Simeon, se commencera par les Litanies de Nostre Dame..

  A024004827 

 Quand on preverra des festes les jours desquelles le peuple a accoustumé d'affluer, et que pour ce il faudra vacquer a ouyr les confessions, les prestres diront Matines le soir auparavant, depuis huit heures jusques a neuf, puis, le matin, les Heures de suite.

  A024004828 

 Mays si quelquefois ilz ne se treuvent pas en nombre suffisant pour chanter, alhors, si le restant est prestre, il dira a haute voix les Litanies des Saintz; si c'est un Frere laïc, il recitera les Litanies de Nostre Dame, lesquelles, a tout le moins, ne s'omettront jamais et que tous seront obligés de sçavoir par cœur..

  A024004831 

 Les Hermites observeront exactement le silence, sinon que la necessité ou la civilité les face parler; en quel cas, ilz prendront garde de moderer leurs discours et ne rien dire de trop..

  A024004836 

 Que si, avec le tems, les Hermites pouvoyent avoir des rentes suffisantes par la charité des gens de bien, ilz s'arresteront sans plus et demeureront en i'hermitage pour vacquer avec plus de loysir a la sainte meditation et reception des pelerins..

  A024004837 

 Les Hermites obeiront a un Superieur qui soit pareillement hermite, ou autre tel qu'il plaira au Reverendissime Evesque de commettre, lequel aura tout le mesme pouvoir que les Ordres reformés donnent aux Superieurs.

  A024004838 

 Les Hermites se tiendront en l'obeissance de l'Evesque [193] tout de mesme que les curés, seront obligés de se treuver au Sinode diocésain, et ne résoudront rien de grand et important en leur Chapitre sans le communiquer au Surveillant et faire appreuver a l'Evesque..

  A024004844 

 Et specialement si Nous considerons, non seulement les miracles publiques qui arriverent en sa destination, mais encores, entre autres choses notables de sa reparation, que cette pieuse entreprise reuscit, graces a Dieu, si heureusement, que ladite devotion est frequentee de plusieurs milliers de peuples catholiques et de bon nombre d'heretiques circonvoisins, qui en demeurent pieusement edifiés et contribuent aussi promptement et charitablement de leurs aumosnes que les mesmes catholiques plus proches d'icelle, exhortant ouvertement les venerables Hermites, ses restaurateurs, a y continuer leur bon zele et probité..

  A024004844 

 Le culte et honneur de l'Immaculee Vierge Marie estans, apres ceux de Dieu son Filz, les plus recommandés et utiles en tous besoins, principalement en la conversion des heretiques a l'Eglise Catholique, qui, pour ce, luy chante meritoirement: Gaude, Maria Virgo, cunctas hæreses sola interemisti in universo mundo, il semble que Nous ne sçaurions asses cherement recommander la restauration, voire l'amplification et ornement du tres antique bastiment de Nostre Dame de la Visitation du Mont de Voyron, a la veuë orientale de ladite ville de Geneve et a la meridionale de Lausanne, affin qu'on y venere autant et plus la mesme tres glorieuse Mere de Dieu que le diable ne la voulut mespriser, prophanant et ruinant ledit saint lieu par l'introduction de l'heresie aux susdites villes [et] en la [494] duché du Chablaix.

  A024004845 

 Et, ce faisant, qu'ilz les leur recommandent le plus utilement qu'il sera possible, silz desirent d'y concourir avec Nous, et d'y servir la benite Vierge, les exhortans en Nostre Seigneur, tout ainsy que Nous les exhortons eux mesmes et tous Nos autres diocesains, a les recevoir, assister et favoriser au susdit but, de toute sorte de vrais offices chrestiens et charités dignes de leur pieté, pour en percevoir, icy et au Ciel, les fruitz et payemens inestimables de la main de Dieu tres liberale..

  A024004845 

 Nous donq, meus de si juste et puissante cause, combien que nous regrettions infiniment la pauvreté et misere des pauvres de ce païs, si est ce que, croyant tres bien employee la charité quilz feront a cest effect et pour l'entretien desdictz Hermites et leurs messagers, et qu'elle ne diminuera jamais, ains plustost augmentera leurs moyens par l'intercession de Nostre Dame: mandons a tous les RR. Recteurs, Curés, Vicayres et autres ecclesiastiques de ce diocese d'en edifier leurs ditz peuples et les informer, par la lecture de ces Lettres, que lesditz venerables Hermites, [495] ayans et observans des bonnes Reigles et offices de pieté et d'œconomie [sous un] Superieur et Surveillant particulier, vivent sous Nostre obeissance comme prestres et clercs seculiers et suivant les decretz des saintz Conciles, portant toutesfois le nom d'Hermites et l'habit blanc, par Nous dedié au sacré saint mystere de la Visitation, auquel ce tres devot et remarquable desert fut anciennement consacré.

  A024004857 

 Quant a la closture, il est requis que nul homme n'entre dans le chœur, dans le cloistre ni dans le dortoir des Religieuses, sinon pour les causes pour lesquelles les confesseurs, medecins, chirurgiens, charpentiers et autres peuvent entrer es monasteres les plus reformés; c'est a dire, quand la vraye necessité le requiert..

  A024004859 

 Mays quant a entrer et demeurer au chœur des Religieuses pendant que l'on y fait l'Office, il ne le faut permettre qu'a quelques femmes de respect..

  A024004860 

 Le jardin proche du logis de madame l'Abbesse peut encor servir a cela, et l'eglise du costé de l'autel, selon la diversité des occurrences, en observant tous-jours la bienseance de n'estre pas seules en un lieu, bien que seules elles parlent a ceux qui les viennent voir, pendant que celles qui viendront avec elles s'entretiendront a part avec toute modestie..

  A024004861 

 Quant a la sortie des Religieuses es maysons de leurs proches et autres lieux, il seroit requis qu'elle fust du tout retranchee; mays cela semblant trop dur a quelques unes, il faut, pour le moins, que ce soit le plus rarement qu'il sera possible, puysque telles sorties ne se font gueres sans notable distraction d'esprit et murmuration de ceux qui les voyent dehors, et que les parens mesmes desireroyent que leurs Religieuses demeurassent en paix dans leurs monasteres, ainsy mesme que quelques uns m'ont librement dit..

  A024004862 

 Il seroit requis quil y eust un confessional en quelque lieu qui fust visible des le chœur, ou qui fust mesme dans le chœur, et que ce confessional fust fait en sorte que le confesseur ne vist point les Dames qui se confessent, ni elles luy, pour plusieurs raysons..

  A024004863 

 Comm'aussi il me sembleroit plus propre et plus seant que le confessional fust mis en sorte que les Dames fussent en iceluy dedans le chœur, et le confesseur dehors, comme il se peut faire et qui se fait en tous les monasteres bien reglés.

  A024004863 

 Il faut oster l'autel qui est dedans le chœur, et tirer tout au long une separation entre le chœur et le maistre autel, qui soit faitte a colonnes de bois ou de fer, et en laquelle [498] il y aye une porte par laquelle ou les Religieuses puissent sortir pour se presenter a la Communion, ou le prestre puisse entrer pour la leur porter dedans le chœur; sinon que la separation fust faitte en sorte que les Religieuses se disposans en rang le long d'icelle, le prestre puisse les communier commodement entre les colomnes: ce qui me sembleroit plus seant et plus propre, et fort aysé pour la gravité de l'action.

  A024004864 

 Et pour la faire, il est expedient que les Religieuses en fassent eslection et que madame l'Abbesse l'accepte et confirme pour telle.

  A024004864 

 Il est requis quil se face une Prieure, laquelle, comme lieutenante de l'Abbesse, soit obeye ne plus ne moins que l'Abbesse, en l'absence d'icelle.

  A024004864 

 Or, il la faut choisir telle que les Religieuses ayent sujet de luy obeyr et de l'honnorer.

  A024004864 

 Que si les Religieuses n'en vouloyent pas faire d'eslection, madame l'Abbesse la pourra establir sans leur eslection.

  A024004866 

 Et quant a celles qui ne les voudront remettre presentement, il faudra attendre que Dieu les en inspire..

  A024004886 

 Bien que le sacré Concile de Trente ait ordonné d'accorder à toutes les Religieuses un confesseur extraordinaire au moins trois fois par an, on ne le donne cependant jamais, surtout aux Religieuses [500] de Sainte-Claire qui, à cause de cela, souffrent beaucoup.

  A024004887 

 Ce serait donc une très grande charité si le Saint-Siège daignait pourvoir à ce que les Supérieurs, sans excuse ni tergiversation quelconque, fussent obligés de donner des confesseurs extraordinaires et les Religieuses de les recevoir; en sorte que toutes se confessant à eux, on ne pût savoir quelles sont celles qui en ont besoin.

  A024004887 

 Quant aux Jubilés, que les Religieuses aient la liberté de demander par écrit aux Evêques ou à leurs Officiaux les confesseurs qu'elles désirent; et que ces ordonnances soient signifiées aux Provinciaux ainsi qu'aux Visiteurs, aux Supérieures des Monastères et aux Religieuses.

  A024004888 

 Mais pour éviter les contestations, il sera mieux que ces Supérieurs ne sachent pas d'où est venu l'avis à la sacrée Congrégation des Réguliers..

  A024004911 

 A tous et chacun de ceux qui verront et entendront les présentes, Nous faisons savoir et attestons que Nous avons reçu avec toute l'humilité et révérence convenable les Lettres Apostoliques en [502] double expédition, en forme de Bref, sous l'Anneau du Pêcheur, de notre Très Saint Père le Pape Paul V, datées de Rome, près de Sainte-Marie-Majeure, le dix-neuf octobre, l'an 1613, du Pontificat du même Très Saint Pape Paul le neuvième, Lettres à Nous adressées pour l'affaire des Révérendes Doyenne et Chanoinesses de l'église Collégiale de Saint-Pierre, en la ville de Remiremont, diocèse de Toul, en cette teneur; sur le dos d'abord: [503].

  A024004913 

 Ils devaient s'enquérir avec diligence de la vie, des mœurs, pratiques et règlements de l'Abbesse et des Chanoinesses, ainsi que des Chanoines, prêtres et clercs qui sont attachés à la susdite église, en tenant compte de la doctrine Evangélique et Apostolique, des traditions des saints Canons, des Conciles généraux et des saints Pères.

  A024004913 

 L'Abbesse, les Chanoinesses et les Chanoines, ainsi que les prêtres et clercs mentionnés, ils devaient les rappeler à un genre de vie conforme à leur devoir, à l'honnêteté et à un état modelé sur les saints Canons et le Concile de Trente déjà allégués.

  A024004913 

 Tout le reste se trouve danslesdites Lettres, de la teneur desquelles Nous voulons que les présentes fassent davantage foi expressément..

  A024004913 

 « Ayant appris dernièrement que l'église Collégiale de Saint-Pierre, de la ville de Remiremont, diocèse de Toul, église à Nous et au Siège Apostolique immédiatement soumise, et où l'on affirme que, en plus de nos chères filles dans le Christ, l'Abbesse, faisant profession d'appartenir à l'Ordre de Saint-Benoît, [504] et les Chanoinesses, il y a d'autres clercs séculiers, en possession de canonicats, de prébendes ou autres bénéfices ecclésiastiques, tous formant un seul Chapitre: ayant donc appris que cette église a besoin de visite et de réforme, surtout sur ce point de Chanoinesses et de Chanoines constituant un seul Chapitre, et peut-être formant un même choeur pour la psalmodie; Nous donnâmes mission et ordre à Nos vénérables Frères l'Archevêque de Corinthe et l'Evêque de Toul, et à vous, Evêque de Tripoli, par un motu proprio et d'après [505] Notre science certaine, ainsi qu'en vertu de la plénitude de la puissance Apostolique, par d'autres Lettres expédiées semblablement, en forme de Bref, afin que l'Archevêque de Corinthe et l'Evêque de Toul, et vous, Evêque de Tripoli, ou bien les deux premiers, ou encore l'un d'eux en union avec vous, procédassent une fois seulement, à la visite de l'église susdite, aussi bien pour la tête que pour les membres.

  A024004914 

 Enjoignant pour cela à l'Abbesse, aux Chanoinesses, aux Chanoines, aux prêtres et aux clercs présents de vous obéir sans délai en tout ce qui a été dit'et en chaque chose, de recevoir humblement vos salutaires avertissements et commandements, enfin de s'efforcer de les suivre efficacement; sans quoi, toute sentence ou peine que vous prononceriez régulièrement contre des rebelles, Nous l'aurons pour ratifiée, et, avec l'aide du Seigneur, Nous la ferons observer à la lettre, nonobstant tout ce [507] que dans les présentes Lettres Nous avons eu l'intention d'écarter comme empêchement, et nonobstant aussi toutes choses contraires..

  A024004914 

 « Mais aujourd'hui, pour certaines causes qui agissent sur Notre esprit, déchargeant l'Archevêque de Corinthe et l'Evêque de Toul sus désignés de l'obligation, à eux imposée par Nous, de visiter l'église, son Abbesse, ses Chanoinesses, et les Chanoines en question, et révoquant la faculté à eux concédée plus haut, Nous les remplaçons par vous, vénérables Frères, Evêques de Genève et de Chrysopolis; par une action, une science et une plénitude de puissance semblables, Nous confions le soin et donnons l'ordre à vous trois par les présentes, que, procédant à vous trois, ou au moins à deux de vous ensemble, vous mettiez à exécution les susdites Lettres, en en suivant la forme en tout et pour tout.

  A024004918 

 Avant de vouloir procéder à l'exécution de ces Lettres Apostoliques, Nous ordonnons, de par l'autorité à Nous déléguée dans cette affaire, que ces Lettres et tout ce qu'elles contiennent soient notifiés et intimés avant toutes choses aux Révérendissimes Pères et Seigneurs dans le Christ, Guillaume, Archevêque de Corinthe, et Jean, Evêque de Toul, dont il a été fait mention expresse dans les mêmes Lettres, par le premier clerc ou notaire apostolique requis pour cela, que nous députons spécialement pour cet effet.

  A024004918 

 Décrétant que, après la notification et intimation susdites, et dès que Nous serons légitimement informé de la réponse et de l'assentiment des Révérendissimes Archevêque et Evêque, Nous entreprendrons, en toute justice, conjointement avec le Révérendissime Père et Seigneur [508] dans le Christ, l'Evêque de Chrysopolis, s'il lui plaît de s'unir à Nous, l'exécution des Lettres Apostoliques mentionnées ci-dessus, selon leur forme, contenu et teneur..

  A024004926 

 La dependance que les Religieux ont de leurs Abbés et Prieurs commendataires engendre continuellement des proces, noyses et riottes scandaleuses entre eux..

  A024004927 

 Il seroit donq peut estre a propos de separer le lot et la portion des biens requis a l'entretenement des Religieux, monastere et eglise d'avec le lot et la portion qui pourroit rester a l'Abbé ou Prieur commendataire; en sorte que les Religieux n'eussent rien a faire avec l'Abbé ni l'Abbé avec eux, puisque chacun d'eux auroit son fait a part: comme l'on a fait tres utilement a Paris, des abbayes de Saint Victor et de Saint Germain.

  A024004928 

 Et affin que la reformation se fit plus aysement, il seroit requis que cet ordre se mit premierement a Talloyre, ou il y a des-ja un bon commencement de reformation, et par apres il faudroit sousmettre a Talloyre tous les Monasteres de l'Ordre de Saint Benoist, affin qu'on y installast la mesme reformation..

  A024004929 

 Il y a, de plus, des Monasteres de Chanoines reguliers de Saint Augustin qui n'ont pas moins besoin d'estre reformés; ce que malaysement se pourra faire, sinon par changement d'Ordre.

  A024004931 

 Or, ce que j'ay dit de retirer quelques Monasteres dans les villes pour accroistre le nombre des chanoynes, regarde le bien de la noblesse de ce païs, laquelle est nombreuse en quantité, mais la plus part pauvre, et laquelle n'a aucun moyen de loger honnorablement ses enfans qui veulent estre d'Eglise, sinon es benefices qui se distribuent dans le [512] païs, comme sont les cures et les canonicaux, lesquelz on pourroit introduire saintement, ne devant estre distribués que par le concours aux gentilzhommes ou docteurs..

  A024004932 

 Son Altesse donq, pour ce regard, pourroit faire une instruction a son Ambassadeur pour obtenir de Sa Sainteté une commission a l'Archevesque de Tharentaise, Evesque de Maurienne, et a celuy de Geneve pour proceder aux establissemens susditz, en sorte neanmoins que l'un desditz Praelatz se treuvant absent, les deux autres puissent proceder..

  A024004938 

 Il seroit requis qu'on retirast les troys Monasteres de Cisteaux dans les villes, affin que les (sic) deportemens fussent veus journellement, qu'elles fussent mieux assistees spirituellement et qu'elles ne demeurassent pas exposees aux courses des ennemis de la foy ou de l'Estat, a l'insolence des voleurs et au desordre de tant de visites vaynes et dangereuses des parens et amis.

  A024004938 

 Joint que de les [513] enfermer aux chams, esloignees d'assistance, c'est les faire prisonnieres miserables, mais non pas Religieuses ainsy que l'on pretend de faire par les bonnes exhortations qu'elles recevront dans les villes.

  A024004941 

 Mais affin qu'a mesme tems qu'on les reduyroit toutes es villes la reformation se fist, il serait requis que Sa Sainteté commist quelque Prselat qui establist es Monasteres tous les reglemens ordonnés par le Concile de Trente, et leur donnast des Superieurs auxquelz l'on peust avoir recours facilement..

  A024004942 

 Son Altesse donq, pour ce sujet, pourrait faire dresser une instruction a son Ambassadeur, affin quil obtinst deux commandemens de Sa Sainteté: l'un a l'Abbé de Cisteaux, General de l'Ordre dudit Cisteaux, a ce que promptement il fist retirer les Religieuses des monasteres de Savoye [514] dans les villes voysines, en lieu propre a leur demeure, en attendant qu'elles eussent fait un nouveau monastere; l'autre, a l'Evesque de Maurienne et a l'Evesque de Geneve, a ce qu'ilz tinssent main affin que tous les reglemens ordonnés par le Concile fussent establis non seulement es Monasteres de Cisteaux, mais en tous autres Monasteres de femmes qui sont en Savoye..

  A024004956 

 De rechef, en ladite esglise de Nostre Dame de Compassion se trouvent quelques penitenciers ayant pouvoir de recevoir tous heretiques a la sainte Eglise, voire mesme relaps, excepté les notablement qualifiés; et tant iceux que tous autres chrestiens absoudre de quelz pechez que ce soit, voire crimes, exces, delitz tant grans et enormes soyent ilz, mesme reservés en la Bulle Cæna Domini; comme aussi de toutes peines et censures ecclesiastiques in foro conscientiæ, et de faire changement de vœux (aucuns excepté, selon la coustume ecclesiastique), et autres semblables graces, pour la tres grande consolation des consciences des pauvres pecheurs..

  A024004966 

 Ceux qui desireront estre agregés seront tenus de la frequenter, en assistant aux Offices qui s'y chantent et aux Messes qu'on y celebre, l'espace de trois mois au paravant que d'estre receus, afin que pendant ce temps ils puissent donner des asseurances de l'integrité de leur vie, bonnes mœurs, zele et assiduité..

  A024004969 

 Assisteront aux Grandes Messes de Requiem que l'on dit dans la dite chapelle pour le repos de chasque confrere trepassé, apres que l'on aura dit l'Office des Morts à mesme intention; autant en fera-t-on pour les absents decedés quand on en sçaura le trepas, et pareillement les confreres absents diront l'Office ou le Chappellet pour les decedés en la ville..

  A024004973 

 Les sœurs de la dite Confrerie feront à l'alternative les stations devant le tres Sainct Sacrement de l'autel aux heures qui leur seront assignees par billet, jusques à celles de six du soir du Jeudi Sainct, passé les quelles les dicts confreres les feront à la mesme forme jusques au lendemain, que le Sainct Sacrement sera remis au maistre autel; les quatre confreres qui se rencontreront alors porteront le dais..

  A024004974 

 Les dicts confreres et consœurs assisteront tous les sammedys de l'année aux Gaudés de la Saincte Vierge, que l'on chante dans la dite chapelle, et au Stabat à ceux du Caresme apres le sermon..

  A024004981 

 Visiteront et assisteront d'aumosnes, s'il y eschoit, les confreres malades, selon l'ordre que le Prieur leur donnera, et procureront la Confession et Communion; aussi l'Extreme Onction leur soit conferee à bonne heure..

  A024004983 

 Ils porteront le defunct eux mesmes en habit; que s'il ne se trouvoit des confreres en nombre, feront donner des habits à ceux qui les porteront..


25-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXV-Vol.4-Opuscules.html
  A025000048 

 Constitution XXX. De la maniere que la Superieure doit tenir pour les affaires.

  A025000083 

 Souhait a l'imitation de celuy que job a fait au 31 chapitre de son livre, vers. 35, a Jesus Christ Nostre Seigneur 75.

  A025000284 

 De la formule des vœus [pour celles] que font la Profession.

  A025000304 

 Quicomque a tant soit peu de connoissance de la discipline de l'Eglise ne peut ignorer que des son commencement il ny eut une tres grande quantité de filles et femmes consacrees au service de Dieu par le vœu de la sainte continence.

  A025000304 

 Saint Ignace, disciple des Apostres, [3] escrivan aux Philippiens: «Je salue,» dit-il, «l'assemblee des vierges et la congregation des vefves;» et ailleurs il recommande a ceux de Tharses d'honnorer les vierges «comme consacrees a Dieu,» et les vefves comme l'autel ou «sacraire de Dieu;» et en l'epitre aux Anthiochiens: «Que les vierges,» dit-il, «reconnoissent a qui elles sont consacrees;» et finalement, a Heron: «Conserve les vierges comme joyaux de Jesus Christ.».

  A025000305 

 En somme, toute l'antiquité rend un ample tesmoignage a cette verité; mays pour le present, celuy de saint Gregoire Nazianzene suffira: «Il y a,» dit il, «plusieurs femmes en toutes les regions que la salutaire doctrine de Jesus Christ a parcourues, desquelles une partie vit en societé, nourrissant un mesme desir de la vie celeste et suivant un mesme institut de vie; mais les autres assistent soigneusement a leurs peres et meres infirmes, et a leurs freres, tesmoins de leur chasteté.».

  A025000305 

 Rufin, en son Histoire, tesmoigne que sainte Helene, mere de Constantin, en treuva des-ja une troupe en Hierusalem.

  A025000306 

 Or, presque toutes, tant les unes que les autres, mais [4] notamment celles de la premiere bande, qui vivoyent en congregation, estoyent consacrees par des vœux publiqs et grandement celebres; car, qu'est ce que saint Ambroise ne dit pas a la vierge descheüe sur ce sujet? Et ne tesmoigne-il pas que sa seur sainte Marceline fut consacree par le Pape Libere en l'eglise de Saint Pierre de Rome, et le propre jour de Nouel? Certes, c'estoyent ordinairement les Evesques qui celebroyent ces consecrations, comme il est ordonné au Concile de Cartage, auquel le grand saint Augustin assista, et par saint Leon le premier, escrivant aux Evesques d'Allemaigne et de France; et est commandé dans le Pontifical que l'on ne les face qu'es jours de feste ou de Dimanche..

  A025000307 

 Et bien que plusieurs anciens et graves scholastiques penseront jadis que cette solemnité estoit une proprieté naturelle [5] et essentielle des vœux de Religion, si est ce que le Pape Boniface VIII ayant du despuis determiné le contraire, il ny a plus lieu quelcomque d'en disputer, ains faut avouer ingenuement que cette proprieté n'est nullement inseparable des vœux de Religion, puisque anciennement les plus celebres et saintz Religieux faysoyent leur Profession sans icelle, et que, en nostre aage, le Pape Gregoire XIII l'a attachee aux vœux simples en faveur de la tres illustre Compaignie du Nom de Jesus; declarant asses en cela que cette solemnité depend tellement de l'authorité de l'Eglise, qu'elle la peut oster aux vœux solemnelz sans pour cela les rendre simples, et l'adjouster aux vœux simples sans pour cela les rendre solemnelz, selon qu'il est expedient au bien des ames et a la gloire du Createur: ainsy qu'ont doctement expliqué le chancelier Jean Gerson, les Cardinaux Cajetan et Bellarmin, les docteurs Lessius et Azor, et briefvement, mais pertinemment a son accoustumee, Hierosme Platus en ses beaux livres Du bien de l'estat religieux, et en fin le tres docte Thomas Sanches qui en cite une legion d'autres..

  A025000307 

 Mays quand je dis qu'elles estoyent consacrees par des vœux celebres et publiqs, je ne veux pas pourtant dire qu'ilz fussent solemnelz de la solemnité dont les scholastiques et canonistes parlent, par laquelle les mariages contractés par les Religieuses sont totalement invalides; car encor que d'un commun consentement de tous les saintz Peres, et selon la parole du grand Apostre, les vierges et vefves qui par vœu et profession publique estoyent sacrees a Dieu, ayent tous-jours esté tenues en execration l'ors qu'elles rompoyent et violoyent leur vœu, si est ce que, comme dit clairement saint Augustin au livre Du bien de la viduité, leurs mariages subsistoyent; l'invalidité de telles noces ayant seulement esté introduite, premierement par l'authorité ordinaire de quelques Evesques en leurs diocœses, puis par le Concile general tenu a Rome environ l'an 1136 ou 1139 sous Innocent second.

  A025000308 

 Apres quil a dit que cet admirable Praelat induisit plusieurs hommes a la chasteté: «Mais le nombre des femmes,» [6] adjouste-il, « fut beaucoup plus grand, se remplissans de vierges non seulement les cloistres sacrés, ains aussi divers nouveaux colleges fondés a cette intention en la cité et diocaese, outre la Compaignie de Sainte Ursule, qui estoit estendue presque en toutes partz, si pleine de bonnes vierges que plusieurs monasteres en eussent esté remplis; et semblablement la Compaignie de Sainte Anne, si nombreuse en femmes et vefves qui servoyent Dieu avec beaucoup de pureté sous l'observance de leurs propres Regles.».

  A025000310 

 Mays despuis qu'il pleut a la divine Providence que cette petite compaignie, comme une ruche d'avettes mistiques, jettast des nouveaux esseims et qu'elle fut establie a Lyon et a Moulins, le tres illustre et Reverendissime Archevesque de Lyon, M gr Denys Simon de Marquemont, jugea qu'il estoit expedient qu'elle fut reduite en Religion, pour plusieurs raysons que sa grande sagesse et pieté luy suggererent.

  A025000311 

 Comme par exemple: cette Regle commande qu'on vaque soigneusement aux prieres, et les Constitutions particularisent le tems, la quantité et la qualité des prieres qu'il faut faire; la Regle ordonne qu'on ne regarde pas indiscrettement les hommes, et les Constitutions enseignent comme, pour executer cette Regle, il faut tenir la veüe basse, et le voyle sur le visage en diverses occurrences: de sorte que, pour le dire en un mot, la Regle enseigne ce qu'il faut faire, et les Constitutions comme on le doit faire.

  A025000311 

 Et de la vient, ainsy que les mesmes Docteurs remarquent, que les Regles, comme fondemens principaux de la vie religieuse, doivent estre appreuvees par l'authorité de l'Eglise catholique ou par Decret apostolique; mais les Constitutions, qui ne contiennent que les moyens et la methode de bien observer la Regle, n'ont nul besoin d'estre confirmees que par l'authorité des Superieurs ordinaires, ou par les Chapitres des Religions..

  A025000311 

 Pour cela, donq, je vous presente cette sacree Regle, que vous suivres meshuy comme le vray chemin auquel vous [8] deves marcher pour parvenir a la perfection de la vie religieuse, y ayant joint vos Constitutions, qui sont comme des marques mises en ce chemin affin que vous le sachies mieux tenir; car, comme disent les Docteurs, les Regles des Religions proposent les moyens de se perfectionner au service de Dieu, et les Constitutions monstrent la façon avec laquelle il les faut employer.

  A025000312 

 Je sçay bien qu'au commencement de l'Eglise les Congregations religieuses durerent quelque tems et firent des merveilles au service de Dieu sans avoir presque aucunes Regles escrittes, ains par la seule observance des coustumes que la commune pratique et devotion des ames qui s'estoyent assemblees avoyt introduites, et par la bonne conduite des Superieurs suivie de la parfaite obeissance des inferieurs, desquelz la simplicité et bonne foy tenoyent heureusement lieu de loy.

  A025000312 

 Mays environ le tems de Constantin le Grand, saint Pacome receut de la main d'un Ange une Regle escritte dans un tableau, que ses Monasteres tant d'hommes que de femmes observerent.

  A025000313 

 Aussi «nostre Sauveur habitant en luy,» comme parle saint Hierosme, luy inspira cette Regle tellement animee de l'esprit de charité, qu'en tout et par tout elle ne respire que douceur, suavité et benignité, et par ce moyen est propre a toute sorte de personnes, de nations et de complexions; si que ce grand homme apostolique Fescrivant, pouvoit bien dire, a l'imitation de l'Apostre: J'ay esté fait tout a tous, affin de les sauver tous.

  A025000313 

 Qui fait que non seulement plusieurs Congregations de Religieux cloistriers, comme celles des Chanoines et Clercz reguliers, des Eremitains, de Saint Dominique, de Saint Hierosme, de Saint Anthoine, de Presmonstré, des Servites, des Cruciferes, mais aussi les Ordres de plusieurs Religieux chevaliers, comme ceux de Saint Jean de Hierusalem, ceux des Saintz Maurice et Lazare, les Theutoniques, ceux de Saint Jaques et plusieurs autres, se sont rangés sous l'estendart de cet admirable conducteur..

  A025000314 

 Et partant, affin que nul ne vous puisse troubler sur cette occasion, je veux prevenir leurs questions et demandes frivoles, et par mesme moyen esclaircir quelques difficultés qui pourroyent arrester vostre esprit en la lecture d'icelle..

  A025000314 

 Or, bien que cette Regle soit visiblement tressainte et que, comme appreuvee de l'Eglise, elle doive estre hors de toute censure, ains que le seul nom de celuy qui l'escrivit la deust rendre venerable a tous ceux qui portent [10] le tiltre de chrestien, si est-ce que la folle temerité des enfans du monde ne laisse pas de vouloir y treuver je ne sçay quoy a dire, par maniere d'affectee curiosité.

  A025000315 

 Ce que le glorieux Pere commande: «Avant toutes choses, que l'on ayme Dieu et le prochain,» n'est pas mis en sa Regle comme pour vouloir faire penser qu'il soit l'autheur de ces commandemens; car, qui ne sçait que non seulement ilz sont de Dieu, ains qu'ilz sont le suc, la moelle et l'abregé de toute la loy de Dieu? Mays ce que Dieu a commandé, ce sien serviteur le recommande comme la fin et prœtention unique pour laquelle il a dressé sa Regle et sa Congregation, et a laquelle tout se rapporte..

  A025000316 

 Ainsy disons nous que la logique contient les praeceptes de bien argumenter; la rhetorique, les praeceptes de bien parler ou haranguer; et appelions praecepteurs non tant ceux qui nous commandent, comme ceux qui nous instruisent.

  A025000316 

 Ce qu'il dit: «Ce sont icy les choses que nous vous commandons a ce que vous les observies,» ne doit donner aucun scrupule aux Seurs, comme si cette Regle obligeoit en tous les articles sous peyne de peché; car cela n'est pas, ainsy que, apres le grand saint Thomas, les Docteurs plus asseurés ont observé.

  A025000316 

 De sorte que cette sainte Regle n'oblige point a peché, sinon es articles principaux requis a l'observance des troys vœux, ainsy quil est plus amplement declaré a la fin des Constitutions.

  A025000317 

 Et certes, puisqu'aussi bien faut: il ordinairement que les Superieurs moderent ou aggravent les loix punitives par la consideration des diverses circonstances qui accroissent ou diminuent les fautes, n'est-il pas bon de laisser les impositions des pœnitences a leur jugement et prudence?.

  A025000317 

 Plusieurs pensent que les Regles religieuses doivent taxer et determiner des peynes aux contrevenantz et delinquans, mais ilz se trompent; car il ny en a point en la Regle de saint Basile, ni en celle ci, comme vous verres, sinon celle de l'ejection.

  A025000318 

 Il y a voirement en cette Regle quelques articles qui semblent n'avoir plus aucun usage: comme par exemple, de n'aller aux bains que tous les moys et que les Seurs ne sortent pas qu'accompagnees; car on ne doit plus sortir maintenant que pour des causes si grandes, si necessaires et rares qu'on peut dire en verité que les Seurs observantes ne sortent jamais.

  A025000319 

 En l'article qui dit: «Domtés vostre chair par jeusnes et abstinences selon que vostre santé le permet,» le bienheureux Pere ne donne pas liberté pour cela a chasque Religieuse de faire des austerités de sa teste, ni de discerner ce que sa santé luy permet; car au contraire, comm'il est porté en un autre article, c'est a la Superieure de faire distribuer les vivres, non egalement a toutes, mais a chacune selon quil est expedient.

  A025000319 

 Et au Livre premier des Mœurs de l'Eglise, (Inscrivant la façon de vivre des Religieux et Religieuses de son tems, il dit que plusieurs de forte complexion s'accommodoyent de vivre comme les infirmes, affin de ne point faire de particularité; et que, [12] quand les foibles refusoyent de boire et de manger ce qui leur estoit convenable, on les en tansoit, de peur que, par une vaine superstition, ilz ne se rendissent plus debiles que saintz, plustost malades que mortifiés. Ce qu'a la verité arrive a plusieurs, notamment parmi les femmes, qui, trompees de leur imagination, constituent la sainteté en l'austerité, et entreprennent plus aysement de priver leurs estomacs de viande que leurs cœurs de leur propre volonté..

  A025000320 

 Mais par ce que ces motz ne sont pas usités, on les a peu et deu changer en ceux de Mere, ou Abbesse, ou bien Prieure, ou Superieure; et par ce que le dernier et le premier de ceux ci sont plus simples et signifient la mesme chose que celuy de Praeposee, il a esté treuvé bon que vous les retinssies, notamment celuy de Mere, dautant que le saint Pere dit en fin: «Que les Seurs obeissent a la Superieure comme a leur Mere.».

  A025000321 

 De sorte qu'il n'y a donq point d'apparence qu'il ayt mis si souvent en sa Regle le mot de prestre pour celuy d'Evesque, puisque mesme les monasteres des filles et femmes estoyent en grand nombre au diocœse d'Hippone et que l'Evesque n'eut peu estre ainsy par tout.

  A025000321 

 Et presque en mesme sujet, au troisiesme Concile de Cartage, auquel le saint Pere fut present: «Lhors que les vierges sacrees seront destituees de leurs peres et meres qui les protegeoyent, qu'elles soyent retirees en quelque monastere de vierges par la providence de l'Evesque, ou bien par celle du Prestre, si l'Evesque est absent.» Ce sont les parolles du Concile.

  A025000321 

 Il est dit au bout de la Regle: «Que l'on obeisse a la Superieure, et beaucoup plus au Prestre qui a soin de toutes.» Mays, qui est donq ce «Prestre qui a soin de toutes»? Certes, dautant qu'en la Regle des Freres aussi bien qu'en celle des Seurs cett'obeissance au Prestre est souvent inculquee, ceux que j'ay veu des interpretes de cette Regle ont creu que c'estoyt l'Evesque; «dautant [13],» dit un d'entre eux, qui a fait de bonnes et belles remarques sur icelle, «que les Chanoynes reguliers en dependoyent; mays despuis que les Evesques et leur clergé se sont, par dispense apostolique, secularisés, cest ordre n'est plus gardé.» Or, a la verité dire, quant a ce point je ne puis consentir a cette interpretation; car encor qu'au commencement de l'Eglise les noms de praestre et d'Evesque fussent souvent confondus et passassent l'un pour l'autre, ainsy qu'il est aysé a voir es Actes et es Epitres des saintz Apostres, si est ce que du tems de saint Augustin ces motz n'estoyent plus en cet usage et n'appelloyt on pas les prestres Evesques, ni les Evesques simplement prestres, comme luy mesme le tesmoigne en l'epistre [14] quil a escrite a saint Hierosme; et ne me souviens pas que jamais saint Augustin en ayt usé autrement.

  A025000321 

 Mays ce qui m'oste du tout de doute en ce point, c'est que saint Augustin, en cette mesme Regle des Seurs, distingue clairement le prestre d'avec l'Evesque, disant que si quelque Seur «est convaincue d'avoir receu des lettres ou presens en secret, elle» doit estre «griefvement corrigee et chastiee selon qu'il sera advisé par la Superieure, ou par le Prestre, ou mesme par l'Evesque.» Ainsy est distingué le Prestre d'avec l'Evesque.

  A025000322 

 En foy dequoy, il appert par l'Estat de l'Eglise de Milan, que de 61 Monasteres de Religieuses qu'il y a, 46 sont sous la charge de l'Archevesque, n'y en ayant que 15 en celle des Reguliers.

  A025000322 

 Et certes, je confesse que non seulement en la primitive Eglise et jusques au tems du grand saint Augustin, [15] mais aussi plusieurs siecles apres, les Religieux et Religieuses vivoyent sous l'obeissance des Evesques; car c'est une verité trop certaine pour estre niee, trop evidente pour estre ignoree; puisque Gratian au Decret, Edmerus en la Vie de saint Anselme, saint Bernard, au troysiesme Livre de la Considération et en l'epistre qu'il escrit a l'Archevesque de Sens, Henri, et mesme le maistre de l'Histoire de l'Eglise, Baronius, le tesmoignent en termes qu'on ne peut dissimuler.

  A025000322 

 Mais pour tout cela il ne s'ensuit pas que les [16] Evesques soyent ou fussent les Prestres de ces Monasteres, ains ilz en ont ou avoyent seulement la surintendance et jurisdiction generale, comme des autres eglises non exemptes, de leurs diocaeses..

  A025000323 

 Saint Hierosme, en l'Epitaphe de sainte Paule, parlant des Religieuses qui estoyent es trois monasteres de Bethleem: «Elles sortoyent,» dit-il, «seulement le jour du Dimanche pour aller a l'eglise qui estoit a costé de leur sejour, chasque trouppe suivant sa Mere; et de la s'en retournant, elles s'appliquoyent aux exercices qui leur estoyent assignés.» Saint Pacome et ses Religieux appelloyent un des prestres du voysinage pour recevoir la divine Eucharistie (est il dit en sa Vie) et les immortelz Sacremens; «estimant,» disoit il, «que c'est chose profitable aux Monasteres de communiquer aux [17] eglises.» La rayson de ceci fut que les prestres estoyent rares, l'Ordre de prestrise estant en si grande consideration parmi ces Anciens, que peu de gens osoyent se faire promouvoir.

  A025000323 

 Tant y a, donq, que le Prestre dont il est parlé en la Regle estoit ou le Curé, ou celuy que l'Evesque commettoit a part pour le Monastere, comme qui diroit le Pere spirituel; et tout ainsy que la Superieure avoit la direction ordinaire des Religieuses, aussi es choses d'importance et extraordinaires on appelloit le Pere spirituel, et si celane suffisoit, onrecouroit finalement a l'Evesque..

  A025000324 

 Ce qui est defendu que l'on ne porte pas les voyles si desliés qu'on puisse voir, a travers, la coeffeure, c'est parce qu'en Afrique, païs extremement chaud, les filles et femmes ne plioyent leurs cheveux qu'avec des petites coeffes de filet qu'on appelle en latin retiola, comme petitz retz et filetz, et en françois «du lacis», comme petitz laqs ou lacetz.

  A025000324 

 Mais de deça, les coeffeures des Religieuses observantes sont d'autre sorte, outre qu'elles se tondent; et toutefois ne laissent pas de devoir observer que leurs voyles ne soyent pas transparens..

  A025000325 

 Je n'ay pas estendu au long ce que le saint Pere met en l'article par lequel il defend l'amitié sensuelle entre les Seurs; d'autant que, selon la necessité de ce tems la et de la province en laquelle il vivoit, il marque certaines particularités peu conneues es contrees de deça, et dont la malice porte quant et soy tant d'horreur qu'il n'est pas besoin d'en exprimer plus clairement la prohibition..

  A025000326 

 Ce que porte la Regle de demander «tous les jours les livres a l'heure assignee,» regarde ce tems la, auquel l'imprimerie n'estant pas encor exercee, on ne pouvoit pas [18] avoir les livres a commodité, ains estoit requis de les lire l'un apres l'autre..

  A025000327 

 Ce qu'il donne permission aux Seurs d'aller «une fois le moys» aux estuves, provient de la bonne opinion que les Anciens avoyent des bains; lesquelz, comme plusieurs prenoyent pour le seul playsir, aussi les autres, notamment es regions chaleureuses, les prenoyent pour tenir leurs cors netz des crasses que le hasle et les sueurs salees et adustes produisoyent, et les autres pour la santé, qui certes est grandement aydee de la netteté.

  A025000327 

 Donq ce n'est pas merveille s'il les permet aux Seurs, selon que la coustume de ce païs-la et le conseil des medecins le requeroit; puisque principalement il advertit si soigneusement qu'on n'en use pas pour playsir, ains seulement ou pour la netteté, ou pour la santé..

  A025000327 

 Pline note que Charmis, medecin marseillois, renversa toute la methode des autres medecins; et qu'entre autres choses, il ostoit l'usage des bains chauds et faysoit des bains d'eau froide, et qu'il avoit veu de senateurs, mesme en plein hiver, grincer des dens dans ces bains froids.

  A025000327 

 Saint Augustin mesme, racontant l'ennuy extreme qu'il eut du trespas de sa mere, dit que pour s'en alleger il alla aux bains; ayant appris qu'ilz estoyent appellés par les Grecz d'un nom qui tesmoignoit leur efficace a chasser l'ennuy et la melancolie.

  A025000328 

 Certes, saint Policarpe, disciple des Apostres, au recit de saint Irenee a tesmoigné que le glorieux saint Jean Evangeliste entrant en un bain a Ephese pour se laver, et y treuvant Cerinthus, haeresiarque, dit a ceux qui estoyent avec luy: «Retirons nous hastivement d'icy, de peur que nous ne soyons accablés de la cheute de cette estuve en laquelle est l'ennemi de la verité.» Ce grand Disciple bien-aymé de Nostre Seigneur ne faysant donq point de difficulté [19] d'aller aux bains, qui pourra, je vous prie, censurer la douceur de saint Augustin s'il en permet l'usage aux Seurs de son Ordre? Je voy que quelques uns ont attribué cette action de saint Jean a une speciale inspiration, comme s'il fut allé aux bains pour avoir sujet de dire la celebre parole qu'il y dit contre Cerinthus; et je voys quant et quant que ce sentiment merite voyrement de n'estre pas mesprisé, a cause du credit que les autheurs d'iceluy ont justement merité parmi les amateurs des Lettres sacrees.

  A025000328 

 Et me semble que cela estoit fort convenable a son humeur naturelle qui le portoit, non tant comme un aigle que comme une blanche colombe, a desirer la netteté et du cœur et du cors, et le faysoit marcher, comme un enfant de suavité en son innocence, avec plus de simplicité et de confiance d'amour que de timidité et d'affection a l'aspreté et rigueur: tesmoin sa petite perdrix, avec laquelle il recreoit quelquefois son ame angelique.

  A025000328 

 Mays c'est une entorse neanmoins que l'on donne a l'histoire, en faveur de la rigoureuse et imployable austerité qu'on estime avoir deu regner en l'esprit de ce grand Saint; car au reste, saint Irenee, qui est le premier escrivain de cette histoire, sur la tres asseuree foy de saint Policarpe, dit au contraire expressement que ce glorieux Evangeliste alloit aux bains pour se laver.

  A025000329 

 Ce que saint Bernard a dit en paroles differentes, mais en mesme sens: «Mieux vaut qu'un perisse que l'unité.» Et ce grand Pacome voulut expulser Sylvain et luy oster l'habit vint ans apres sa reception, par ce qu'il s'estoit rendu incorrigible en ses bouffonneries.

  A025000330 

 En quoy je ne sçay comme quelques uns se sont trompés, pensant que vostre Institut soit ouvrage de ma seule cervelle, et par consequent moins estimable; car, je vous prie, de quelle authorité eussé je peu vous ordonner une telle retraitte et vous obliger a une telle sorte de vie, sinon par la concurrence de vostre propre eslection et volonté? Certes, les conseilz evangeliques ne peuvent estre convertis en commandemens par nos superieurs, si, de nous mesmes, librement et volontairement, nous ne nous obligeons a les observer par vœu, serment ou autre profession..

  A025000330 

 Or, remarques cependant, je vous prie, en ce peu de pointz que je viens de traitter, que, defendant vostre Regle, j'ay aussi defendu vos Constitutions.

  A025000331 

 Mais a la verité, voyant vostre Congregation petite en nombre au commencement, et toutefois grande en desir de se perfectionner de plus en plus au tressaint amour de Dieu et en l'abnegation de tout autre amour, je fus obligé de l'assister soigneusement; me resouvenant bien que Nostre Seigneur, ainsy qu'il dit luy mesme, vint en ce monde pour le bien de ses brebis, non seulement affin qu'elles eussent la vraye vie, ains aussi affin qu'elles l'eussent plus abondamment; et que, pour la leur faire avoir plus abondante, il ne faut pas seulement les induire a l'observance des commandemens, mais encor a celle des conseilz; et qu'en cela ceux de ma condition doivent rendre fidele service a ce divin Maistre, puisque, comme dit saint Ambroyse, ç'a tous-jours esté une particuliere grace aux Evesques de semer les graines de l'integrité et d'exciter es ames le desir et le soin de la virginité, comme firent jadis les premiers et plus grans serviteurs de Dieu et Pasteurs de l'Eglise.

  A025000331 

 Que si, outre cela, j'authorisay vostre methode de servir Dieu, je ne fis rien que ce que je devois faire, comme declara asses le tressaint Pere Paul V quand, departant de belles et amples Indulgences a vostre Congregation, [22] il dit: «Pourveu qu'elle soit appreuvee et erigee par l'authorité de l'Evesque.».

  A025000332 

 Il donnera de l'amertume a vostre interieur, car il vous conduit a la parfaite mortification de vostre propre amour; mays il sera plus doux que le miel a vostre bouche, par ce que c'est une consolation nompareille de mortifier l'amour de nous mesmes pour faire vivre et regner en nous l'amour de Celuy qui est mort pour l'amour de nous.

  A025000332 

 Somme toute, mes tres cheres Filles, a Dieu soit honneur et gloire, qui de toute eternité prepara ces saintes Regles pour vostre Congregation et vostre Congregation pour l'observance de ces Regles, ayant mesme ordonné, par une conduite admirable de sa Providence, que vos Constitutions fussent tout ainsy que des ruysseaux qui coulent et tirent leur origine des propres paroles et de l'esprit d'icelles, comme de leur vraye source et tres pure fontayne; qui me fait hardiment vous prononcer cette exhortation: Venes, o Filles de la benediction eternelle, et comme il fut dit a Ezechiel et au cher bienaymé du Bienaymé de vos ames: Venes, tenes, prenes et manges ce livre, avales le, remplisses en vos poitrines et en nourrisses vos cœurs; que les paroles d'iceluy demeurent jour et nuit devant vos yeux pour les mediter et sur vos bras pour les prattiquer, et que toutes vos entrailles en louent Dieu.

  A025000333 

 Soyes donq fortes, fermes, constantes, invariables; et demeures ainsy, affin que rien ne vous separe de l'Espoux celeste qui vous a unies ensemblement, ni de cette union qui vous peut tenir unies a luy, en sorte que, n'ayant toutes qu' un mesme cœur et qu' une mesme ame, il soit luy mesme vostre seule ame et vostre cœur..

  A025000340 

 Quicomque a tant soit peu de connoissance des meurs et de la discipline de l'Eglise ancienne ne doutera certes jamais que des lhors il ny eut tres grande quantité de filles et de femmes dediees et consacrees a Dieu par le vœu de la sainte continence.

  A025000340 

 S t Gregoire Nazianzene, rendant un illustre tesmoignage a cette verité, les divise en deux bandes: «Il y a plusieurs femmes,» dit-il, «en toutes les regions que la salutaire doctrine de J. C. a parcourues, desquelles une partie vit en societé, nourrissant un mesme desir de la vie caeleste, et suivent un mesme institut de vie; mais les autres assistent soigneusement a leurs peres et meres infirmes, et a leurs freres, qui sont tous tesmoins de leur chasteté.».

  A025000341 

 Or, celles de la premiere sorte, qui estoyent en congregation, vescurent, ce semble, toutes sans avoir des Regles escrites, sous la seule observance des coustumes introduites entre elles par leur commune devotion, jusques environ le tems de Constantin, que S t Pacome ayant receu sa Regle pour les hommes d'un Ange, il la donna par apres a la congregation des Seurs erigee a Tabenne, qui ne dura que quelque tems; et tost apres, S t Basile en l'Eglise grecque, et S t Augustin en l'Eglise latine; et sainte Melanie la Jeune, en Hierusalem, donna des loix a sa Congregation, ainsy qu'il est dit en sa Vie..

  A025000342 

 Mays la grande authorité de S t Augustin, meritee par [25] la tres illustre innocence de sa vie et par l'incomparable doctrine dont il a orné l'Eglise, a fait qu'entre tous les legislateurs des Religieux il a esté plus que nul autre suivi en la Regle quil a dressee; laquelle estant suave, benigne et vrayement digne de son tres doux esprit, et toute apostolique, il a rendu propre presque a toutes sortes de nations et de complexions.

  A025000342 

 Qui fait que non seulement plusieurs Congregations de Religieux cloistriers, comme celle des Chanoynes reguliers, des Haeremitains, de S t Ruf, de S t Dominique, de S t Anthoyne, de Praemonstré, des Servites, des Crucifers, mais aussi plusieurs Religieux chevaliers, comme sont les Chevaliers de S t Jean de Hierusalem, des S ts Maurice et Lazare, de S t Jaques, les Theutoniques....

  A025000343 

 Et il ny a point de doute pour ceux qui ont tant soit peu hanté les escritz des anciens Peres, que toutes ces Congregations de femmes ne fussent establies par des vœux publiqs et grandement celebres; car, qu'est ce que S t Ambroyse ne dit pas sur ce sujet a la vierge decheue? Et ne tesmoigne-il pas que sa seur S te Marcelline fut consacree le jour de Noel, en l'eglise de S t Pierre, par le Pape Liberius?.

  A025000344 

 Dont il s'ensuit clairement que cette invalidité n'est nullement de l'essence de la Religion, ains depend tellement de l'Eglise, que elle l'adjouste aux vœux simples sans pour cela les rendre solemnelz, et la peut oster aux solemnelz sans les rendre simples, selon quil est expedient pour la plus grande gloire de Dieu: ainsy qu'ont doctement monstré le chancelier Jean Gerson, les Cardinaux Cajetan et Belarmin, et briefvement, mais tres pertinemment a son accoustumé, le P. Hierosme Platus en ses livres Du bien de l'estat religieux; et apres eux, Azor, 1.

  A025000344 

 Et bien que les plus anciens et graves scholastiques eurent jadis opinion que cette solemnité estoyt de la propre nature de ( sic ) vœux de Religion, si est ce que le Pape Boniface huitiesme ayant du despuis determiné le contraire, il ne faut plus en disputer, ains avouer ingenuement que cette solemnité n'est nullement de l'essence des vœux de Religion, puisque anciennement tous les vœux des Religions estoyent sans cette solemnité, et que de nostre aage le Pape Gregoire tresiesme a declaré invalides les mariages de ceux qui en la tres illustre Compaignie de Jesus auroyent faitz les vœux, quoy que seulement simples.

  A025000344 

 Mays, pour parler avec les scholastiques et canonistes, ilz n'estoyent pas pourtant marqués de la marque de solemnité que despuis on y a adjousté, par laquelle les mariages contractés par les Religieuses professes sont invalides; car encor que d'un commun consentement de tous les saintz Pere ( sic ) et selon l'expresse parole du saint Apostre, les vierges ou vefves qui par vœu et profession publique estoyent consacrees, ayt ( sic ) tous-jours esté tenues en execration lors qu'elles rompoyent et violoyent leurs vœux, ou par mariage ou autrement, [26] si est ce que, comme dit clairement S t Augustin au livre Du bien de la viduité, leurs mariages subsistoyent; l'invalidité d'iceux ayant seulement esté introduite par droit ecclesiastique, et premierement par authorité de quelques Evesques en leurs dioceses, puis par le Concile general tenu a Rome l'an 1139, sous Innocent second.

  A025000348 

 Et, comme disent Azor et Lessius, apres plusieurs graves docteurs, ell'est conforme aux Canons, aux Regles de S t Augustin et de S t Benoist et au droit [28] de nature, puis que, comme S t Augustin a allegué en sa Regle, les incorrigibles doivent estre rejettees affin qu'une ame n'infecte et infeste toute une Congregation; et, comme dit saint Bernard: «Il est mieux qu'un perisse que l'unité.».

  A025000348 

 L'article par lequel il est dit qu'on expulse et rejette les incorrigibles du monastere et Congregation semble rude et fascheux; car les gens du monde ayans establis ( sic ) quelque fille en Religion, ne voudroyent que jamais, pour aucun cas, quel qu'il fut, on la peut renvoyer.

  A025000349 

 Ce quil faut particulierement craindre es femmes, entre lesquelles plusieurs treuvent bien plus facile, comm' en effect il est, de priver leur bouche de viande, que de priver leur cœur de leur propre volonté..

  A025000349 

 En l'article qui dit aux Seurs: «Domtes vostre chair par jeusnes et abstinence de manger et boire autant que vostre santé le permet,» S t Augustin ne donne pas pour cela liberté a chasque Religieuse de faire des austerités a son gré, ni de discerner quand sa santé luy permet de jeusner ou ne jeusner pas; car il est porté en un autre article, que c'est a la Superieure de faire distribuer les vivres, non egalement a toutes, mais a chacune selon quil est requis.

  A025000349 

 Et non seulement cela, mais en cet excellent chapitre trente troysiesme du premier Livre des Mœurs de l'Eglise Catholique, ou il descrit la maniere de vivre des Religieux et Religieuses de son aage, il dit que plusieurs de bonne complexion s'accommodoyent a vivre comme les infirmes, affin de ne point faire de particularité; et de plus, il dit encores que quant les foibles refusoyent de boire et manger ce qui leur estoit convenable on les en tansoit, de peur que, par une vaine superstition, ilz ne se rendissent plus tost debiles que saintz.

  A025000350 

 Car en verité, cette Regle est tellement detrempee en l'esprit de la suavité chrestienne, que ell' est propre a toutes sortes de personnes, de nations et de complexions; aux clercz, aux moynes, aux chanoynes, aux chevaliers, aux religieuses: aussi est.

  A025000350 

 En somme, ce grand S t Augustin, selon la celeste sagesse et l'incomparable charité que Dieu luy avoit departi, [29] composa sa Regle en sorte que, comme S t Hierosme confesse de soymesme, on reconnoissoit Nostre Seigneur et Sauveur estre habitant en luy; et eut bien peu dire, a l'imitation du glorieux S t Paul: Requeres vous quelque experience de Celuy qui parle en moy, a sçavoir Jesus Christ? et de rechef: J'ay esté fait toutes choses a tous, affin de les sauver tous.

  A025000352 

 Et je croy que c'estoit selon sa naturelle inclination par laquelle, comme blanche colombe, il se vouloit laver, aymant la netteté et du cœur et du cors, et marchant comme un petit enfant en son innocente simplicité, avec plus de suavité et de confiance d'amour que d'attention a l'aspreté et a [30] la rigueur: tesmoin sa petite perdrix avec laquelle il se recreoit quelquefois.

  A025000352 

 [Mais, bien qu'elle] merite du respect a cause de l'authorité quilz ont merité en l'Eglise, c'est une entorse que l'on donne a l'histoire, en faveur de la rigoureuse et impliable austerité qu'on estime devoir regner en tous les serviteurs [de Dieu]; car S t Irenee, qui est le premier qui rapporte cette histoire de S t Jean, sur la tres asseuree foy de S t Policarpe, dit expressement que cet admirable Apostre alloit aux bains pour se laver.

  A025000354 

 L'article par lequel est prohibee l'amitié sensuelle entre les Seurs tend a ce qu'on ne tumbe en aucune tentation de certains pechés fort abominables que le grand Apostre S t Paul marque au premier chapitre de l'Epitre aux Romains.

  A025000354 

 Mays par ce qu'en ce tems le nom de telz pechés n'est jamais tant censuré qu'estant prononcé par ceux qui ne les nomment que pour les reprendre, corriger et detester, je n'ay pas estendu au long tout ce qu'en escrit le s t Pere; quoy que devant toute sorte de juste juge on deut pouvoir parler en asseurance apres un maistre de telle authorité.

  A025000361 

 Ce sont icy les choses que nous ordonnons estre observees par vous qui estes au Monastere:.

  A025000365 

 Avant toutes choses, mes tres cheres Seurs, que Dieu soit aymé, et puis le prochain; car ces commandemens nous ont esté principalement donnés..

  A025000369 

 Que vous observies ce pourquoy vous estes assemblees et congregees, qui est que vous habities unanimement en la Mayson, et que vous n'ayes qu' un'ame et un cœur en Dieu..

  A025000373 

 Et que vous ne disies pas que quelque chose soit a vous en proprieté, mais que toutes choses vous soyent communes..

  A025000377 

 Et que ce qui est requis pour la nourriture et les vestemens soit distribué a une chacune d'entre vous par vostre Superieure, non pas egalement a toutes, parce que vous n'estes pas toutes de mesme complexion, mais a une chacune [32] selon qu'il sera besoin; car ainsy lises vous es Actes des Apostres (chapitres 2 et 4), que toutes choses leur estoyent communes et qu'on distribuoit a un chacun en particulier selon sa necessité..

  A025000378 

 Et toutefois, qu'on baille ce qui est necessaire pour leur infirmité, quoy que leur pauvreté n'eust pas peu mesme treuver les choses qui leur estoyent necessaires tandis qu'elles estoyent au siecle; et que, pour cela, elles ne pensent pas d'estre heureuses si elles ont treuvé la nourriture et les vestemens telz qu'elles ne les eussent peu treuver dehors..

  A025000378 

 Que celles qui avoyent quelque chose au siecle lhors de leur entree au monastere, veuillent librement que cela soit commun; mais celles qui n'avoyent rien, qu'elles ne recherchent pas au monastere ce que mesme elles n'ont pas peu avoir hors d'iceluy.

  A025000382 

 Et qu'elles ne levent point la teste pour estre associees a celles qu'elles n'osoyent pas approcher au siecle, mais qu'elles levent leur cœur en haut et ne cherchent point les biens terriens, affin que les monasteres ne deviennent utiles aux riches et non aux pauvres, si les riches y sont humiliees et les pauvres y sont enflees.

  A025000382 

 Et qu'elles ne s'eslevent point si elles ont contribué de leurs facultés a la Communauté, et ne deviennent point plus superbes de leurs richesses pour les avoir departies au Monastere que si elles en jouissoyent au siecle; car toute autre iniquité est exercee es mauvaises œuvres affin qu'elles se facent, mais l'orgueil fait des embusches aux bonnes œuvres mesmes [33], affin qu'estant faites elles perissent.

  A025000382 

 Mais de rechef, que celles mesmes qui sembloyent estre quelque chose au monde ne desdaignent point leurs Seurs qui sont venues de la pauvreté a cette sainte societé; mays que plustost elles s'estudient de se glorifier, non de la dignité de leurs riches parens, ains de la societé de leurs pauvres Seurs.

  A025000386 

 Que personne ne face chose quelcomque en l'oratoire sinon ce pour quoy il est fait et d'ou il prend son nom; affin que, si outre les heures determinees, quelques unes, si elles en ont le loysir, vouloyent prier, celles qui veulent y faire quelque autre chose ne leur donnent empeschement..

  A025000387 

 Quand vous pries Dieu par Psalmes et cantiques, que ce que vous prononces de voix soit pareillement en vostre cœur; et ne chantes sinon ce que vous lises devoir estre chanté; mays ce qui n'est pas escrit pour estre chanté ne le chantes pas..

  A025000391 

 Domtes vostre chair par jeusnes et abstinence du manger et boire autant que la santé le permet.

  A025000391 

 Or, quand quelque une ne peut porter le jeusne, que toutefois elle ne mange pas hors le repas, sinon qu'elle fut malade..

  A025000395 

 Venant a table, oyes sans bruit ni contention ce que selon la coustume on lira, jusques a ce que vous vous levies; et que vostre gosier seul ne reçoive pas la viande, mais que vos oreilles reçoivent pareillement la parole de Dieu..

  A025000396 

 Et qu'elles ne les estiment pas plus heureuses dequoy elles mangent ce qu'elles mesmes ne mangent pas; mais que plus tost elles se res-jouissent en elles mesmes de ce qu'elles sont plus robustes qu'icelles et peuvent ce qu'icelles ne peuvent pas..

  A025000397 

 Et celles ci qui sont plus vigoureuses ne se doivent pas troubler si elles voyent que, plus tost par support et compassion que par honneur, celles-la reçoivent des meilleures portions, affin que cette detestable perversité n'advienne, qu'au monastere ou, tant qu'il se peut, les riches sont rendues laborieuses, les pauvres soyent faites delicates..

  A025000397 

 Et si on donne quelque chose en viandes, en habitz, en lit, en couvertes, a celles qui viennent d'entre les delicatesses du monde au monastere, de plus qu'on ne donne aux plus robustes, et par consequent plus heureuses, celles ci auxquelles on ne donne pas ces particularités doivent penser combien celles la se sont demises de leur vie mondaine pour venir a la monastique, quoy que elles ne puissent pas arriver jusques a la sobrieté et frugalité des autres qui sont de plus forte complexion.

  A025000401 

 Celles-la se doivent estimer plus riches qui sont plus robustes pour supporter l'abstinence; car il est mieux de n'avoir pas besoin de beaucoup que d'avoir beaucoup..

  A025000401 

 Certes, comme les malades ont besoin de manger moins de peur de se sur charger, aussi apres la maladie doivent elles estre traittees de sorte qu'elles puissent plus tost estre revigorees, bien qu'elles fussent issues de pauvre lieu [35] au monde, comme la recente maladie leur faysant avoir besoin de ce que la praecedente accoustumance a rendu necessaire aux riches.

  A025000401 

 Mays ayant repris les forces pristines, qu'elles retournent a leur plus heureuse coustume, qui est dautant plus convenable aux servantes de Dieu qu'elles ont moins de besoin d'autre chose; et que la volupté des viandes ne les retienne plus, estant gueries, au train auquel la necessité les avoit portees durant la maladie.

  A025000405 

 Que vos cheveux ne soyent descouvertz de nulle part, affin que la negligence ne les laisse esparpiller, ni l'artifice ne les compose et plie au dehors..

  A025000405 

 Que vostre habit ne soit point remarquable et n'affectes pas de plaire par les habitz du cors, mais par les habitudes du cœur; et que vos voyles ne soyent pas si rares que vos coeffeures puissent paroistre au dessous.

  A025000410 

 Et lors que, la langue demeurant en silence, les cœurs par des regars mutuelz s'entretiennent de l'impudicité, et que par une convoytise ilz se complaysent en des reciproques ardeurs, quoy que les cors demeurent purs d'impudicité la chasteté neanmoins perit es mœurs du cœur.

  A025000410 

 Et ne dites pas que vostre intention est pudique si vous aves les yeux impudiques; car l'œil impudique est messager du cœur impudique.

  A025000410 

 Mays, soit que nul ni prenne garde: comme se cachera elle de ce Spectateur d'en haut auquel rien ne peut estre caché? Doit on, je vous prie, estimer qu'il ne void pas nos actions par ce qu'il les void dautant plus patiemment qu'il les void plus sagement? Qu'a Celuy la donq la femme sainte craigne de desplaire, affin qu'elle ne veuille meschamment plaire a l'homme.

  A025000410 

 Qu'elle se resouvienne que Celuy-la void tout, affin qu'elle ne veuille estre mauvaysement regardee par l'homme; car d'iceluy est recommandee la crainte, et pour cette mesme cause ou il est escrit: Celuy est abomination au Seigneur, qui fiche et arreste l'œil..

  A025000410 

 Si vous jettes vos yeux sur quelqu'un, ne les arrestes toutefois sur aucun, car allant dehors il ne vous est pas defendu de voir les hommes; mais de les convoyter, ou [36] vouloir estre convoitee par iceux, c'est une faute criminelle; ni ce n'est pas seulement par le toucher, mais aussi par l'affection et par le regard que la femme est convoytee et convoyte.

  A025000414 

 Avant cela, toutefois, il faut faire voir la mesme faute a une ou deux autres, a ce que, par le tesmoignage de deux ou de trois, elle puisse estre convaincue, et reprimee par une convenable severité..

  A025000414 

 Et si vous vous apperceves que quelqu'une d'entre vous commette de l'œil cette insolence dont je parle, advertisses-la promptement, affin que ces commencemens ne facent progres, mais soyent soudain corrigés.

  A025000414 

 Que si, apres l'avertissement, de rechef, ou bien un autre jour vous luy voyes faire les mesmes traitz, alors celle qui l'aura apperceue, quelle qu'elle soit, la doit manifester comme une personne des-ja blessee, affin qu'on la guerisse.

  A025000415 

 Et ne juges pas qu'en descouvrant ce mal vous commetties aucune malveillance; car plus tost estes vous coulpables lors que en accusant les fautes de vos Seurs vous les pouves faire amender, et en vous taysant vous permettes qu'elles perissent.

  A025000419 

 Mays avant qu'on face prendre garde de la faute aux autres, par lesquelles, en cas qu'elle la nie, elle puisse estre convaincue, si apres la premiere admonition elle ne se corrige pas il faut premierement advertir la Superieure, affin que, sil se peut, estant plus secretement corrigee, il ne soit besoin que les autres le sachent.

  A025000419 

 Que si elle nie, alors il luy faut opposer des autres Seurs, affin qu'elle puisse non [38] seulement estre reprise par une seule devant toutes les autres, mais que, par le tesmoignage de deux ou trois, elle soit convaincue..

  A025000423 

 Et ce que j'ay dit de cette faute d'arrester la veue sur les hommes, doit estre diligemment observé, en remarquant, defendant, manifestant, convaincant et punissant les autres pechés, conservant en cela la charité envers les personnes et la haine contre leurs vices..

  A025000423 

 Et ceci ne se fait pas avec cruauté, mais avec misericorde, affin que par une pestilente contagion elle ne perde plusieurs autres Seurs.

  A025000423 

 Que si elle refuse de subir la pœine qu'on luy impose et si elle ne s'en va, qu'on l'expulse et mette dehors de vostre Congregation ou Societé.

  A025000427 

 Or, quelle que ce soit qui soit parvenue a ce signe d'iniquité que de recevoir ou lettres ou presens en secret, si elle le confesse librement qu'on luy pardonne et qu'on prie pour elle.

  A025000427 

 Que si elle est surprise en cette faute et en est convaincue, qu'elle soit griefvement chastiee selon quil semblera bon a la Superieure, ou au Prestre, ou mesme a l'Evesque..

  A025000431 

 Ayes toutes vos robbes en un lieu sous la garde et charge d'une Seur ou deux, ou d'autant de Seurs quil sera requis pour les secouer et conserver, affin que la tigne ne les gaste; et comme vous vives toutes d'une despense, ainsy soyes toutes vestues d'un vestiaire.

  A025000431 

 Et s'il se peut faire, ne prenes point garde a ce que l'on vous donnera a vestir, [39] selon les saysons, pour voir si l'on vous donnera les habitz que vous avies posés et remis, ou bien si l'on vous donne ceux qu'un'autre avoit portés, pourveu que ce qui est necessaire a une chacune ne luy soit pas refusé.

  A025000431 

 Que si pour ce sujet naissent entre vous des contentions et murmurations, quelqu'une par aventure se plaignant d'avoir des vestemens pires qu'elle n'avoit pas remis et d'estre tenue indigne de porter des habitz aussi bons qu'un'autre Seur, apprenes de cela combien vous estes mal en point es saintes habitudes interieures du cœur, qui estrives et debattes pour les habitz externes du cors..

  A025000432 

 Mays que tous vos ouvrages se facent en commun, avec plus de soin et d'allegresse ordinaire que si vous les faysies pour vous mesme en particulier; car la charité delaquelle il est escrit qu'elle ne cherche point les choses qui sont a elle (c'est a dire ses commodités, ses proffitz, ses avantages), doit estre entendue ainsy: a sçavoir, qu'elle ne prsefere point ses commodités propres aux commodités commîmes, ains les communes aux propres, C'est pourquoy, dautant plus que vous prœfereres la Communauté a vostre particularité, dautant plus deves vous sçavoir que vous aves profité, a ce que parmi toutes les choses desquelles se sert la transitoire necessité on voye surexceller la permanente charité.

  A025000432 

 Que si toutefois vostre infirmité est supportee pour vous faire avoir les habitz mesmes que vous avies posés, ayes neanmoins tout ce que vous poses en un mesme lieu, et le remettes a la garde des Seurs a ce commises; en sorte que nulle d'entre vous ne travaille pour soymesme, soit pour se vestir, soit pour avoir dequoy maintenir son lit, soit pour avoir dequoy se ceindre ou affubler, ou pour couvrir sa teste.

  A025000433 

 Et de la il s'ensuit que ce que quelqu'un donnera a ses filles ou a ses parentes et alliees qui seront dans le monastere, soit robbe, soit autre chose necessaire, ne doit point estre receu en secret; ains que tout cela soit remis au pouvoir de la Superieure, affin qu'estant mis en commun, quand besoin sera il soit distribué.

  A025000433 

 Que si quelqu'une cele ce qui luy aura esté donné, qu'elle soit condamnee comme larronesse..

  A025000434 

 Que vos vestemens soyent lavés selon quil semblera bon a la Superieure, ou par vous mesme ou par les foulons, affin que le trop grand desir d'avoir des vestemens netz n'attire des souilleures en l'ame..

  A025000438 

 Mays celle dont la necessité de maladie requiert qu'elle se baigne, qu'on ne retarde pas davantage, ains que cela se face sans murmuration, par l'advis du medecin, en sorte que, quand mesme elle ne le voudrait pas, il soit fait ce quil faut faire pour sa santé.

  A025000438 

 Que si elle veut le bain et qu'il ne soit pas expedient pour sa santé, que l'on ne seconde pas en cela son affection; car quelquefois ce qui delecte semble estre profitable, encor qu'il nuyse..

  A025000440 

 Et que les Seurs n'aillent point aux bains ni ailleurs, ou qu'il soit requis qu'elles aillent, moins de trois ensemble; et que celle qui a besoin d'aller en quelque part ny aille [41] pas avec celles qu'elle voudra, mais devra aller avec celles que la Superieure ordonnera..

  A025000445 

 Mays quant aux habitz et soliers, que celles qui les ont en garde ne different pas de les donner a celles qui en ont a faire..

  A025000449 

 Que vous n'ayes aucun proces, ou qu'au plus tost vous le terminies, affin que l'ire croissant ne se convertisse en hayne et face un poutre d'un festu, et ne face l'ame homicide; car ce n'est pas les hommes seulz que regarde ce qui est escrit: Celuy qui hait son frere est homicide; ains, au sexe des masles que Dieu crea le premier, le sexe des femmes a aussi receu ce commandement.

  A025000452 

 Or, celle-la est meilleure laquelle, bien qu'elle soit souvent tentee de courroux, se haste toutefois d'impetrer le pardon de celle a laquelle elle connoist d'avoir fait l'injure, que n'est pas celle qui est plus tardifve a se courroucer et plus malaysement aussi se laisse persuader de demander pardon.

  A025000452 

 Que si elles se sont reciproquement offencees, elles se doivent pardonner l'une a l'autre, a cause de vos prieres, lesquelles doivent estre d'autant plus saintes qu'elles sont plus frequentes.

  A025000456 

 Mays quand la necessité de la correction vous pousse de dire des paroles aspres pour reprimer les inferieures, si en cela vous aves outrepassé la rayson on ne requiert pas de vous que vous leur demandies pardon, affin que, prattiquant une trop grande humilité envers celles qui doivent estre sujettes, on n'esnerve pas l'authorité de gouverner.

  A025000464 

 Que l'on obeysse a la Superieure [comme à une mère], en gardant l'honneur qui luy est deu, de peur qu'en icelle Dieu ne soit offencé; beaucoup plus encor au Prestre qui a soin de toutes vous autres..

  A025000468 

 Or, affin que toutes ces choses soyent gardees et que si quelque chose n'est pas observee elle ne soit pas pourtant negligee, ains qu'on ayt soin de reparer et corriger le defaut, cela est principalement de la charge de la Superieure; en sorte qu'en ce qui est extraordinaire et qui excede sa capacité, elle s'en rapporte au Prestre qui a soin de vous..

  A025000472 

 Qu'elle vous soit superieure par honneur devant les hommes, et que devant Dieu elle soit prosternee sous vos [44] piedz.

  A025000473 

 Et que, bien que l'un et l'autre soit necessaire, que toutefois elle affectionne plus d'estre aymee que d'estre redoutee de vous, pensant tous-jours qu'elle doit rendre conte de vous a Dieu; et partant, obeyssant de plus en plus, n'ayes pas seulement pitié et compassion de vous mesmes, mays aussi d'elle, qui est en un peril dautant plus grand parmi vous qu'elle est en une charge plus relevee..

  A025000477 

 Playse a Dieu que vous observies toutes ces choses icy avec dilection, comme amoureuses de la beauté spirituelle, et comme odoriferantes des bonnes odeurs de Jesus Christ par la bonne conversation; non comme esclaves sous la loy, mais comme libres et affranchies, constituees sous la grace de Dieu..

  A025000481 

 Et affin que vous puissies souvent regarder en ce petit livret comm'en un mirouer et que vous ne negligies quelque chose par oubli, qu'il vous soit leu chaque semayne une fois.

  A025000481 

 Et quand vous treuveres que vous faites ce qui est escrit en iceluy, rendes en graces au Seigneur, distributeur de tous biens; mais quand quelqu'une d'entre vous connoist d'avoir failli, qu'elle se repente du passé et soit sur ses gardes pour l'advenir, priant Dieu que son offence luy soit remise, et qu'elle ne soit point induite en tentation.

  A025000485 

 C'est assurément cette copie que le Fondateur revoyait lorsque, le 7 août 1621, il écrivait à la Sainte: «Il n'y a pas moyen de vous envoyer les Constitutions jusques a la semaine suivante; car il faut que je les revoye, ayant des-ja, des le commencement, treuvé des fautes en l'escriture.» (Tome XX, p. 127.) En effet, à la sixième page nous remarquons à la Constitution De l'obeissance deux corrections de sa main.

  A025000485 

 La Visitation d'Annecy possède deux Manuscrits de la seconde: une très jolie copie de 44 pages grand in-8°, qui paraît être de la Sœur Françoise-Marguerite Favrot, Assistante-commise au premier Monastère pendant que sainte Jeanne-Françoise de Chantal était à Paris.

  A025000488 

 «Voyla les Constitutions,» écrit le Fondateur à la Mère de Chantal le 21 septembre 1621 (tome XX, p. 152); et vers la fin de la lettre il ajoute: «Il sembleroit bon que l'on mist es Constitutions que la Superieure puisse changer les officieres a son gré parmi l'annee, mais je n'ay pas eu le loysir de l'inserer: faites le, s'il vous plait, a l'endroit le plus convenable.» (Page 155; cf. ibid., p. 142.) L'addition indiquée se trouve à la fin de la Constitution XLVII e, De l'election de la Superieure et autres Officieres; la Sainte l'a écrite sur une bande de papier, épinglée ensuite au commencement de la page où se termine cette Constitution dans le Manuscrit qui nous occupe..

  A025000489 

 L'impression se fit rapidement à Paris et dut se terminer avant la fin de 1621, bien que le volume porte la date de 1622.

  A025000491 

 Il mesure 108mm de hauteur x 58 de largeur et 13 d'épaisseur, et se compose de 284 pages, dont les deux dernières — celles de l'Approbation — non chiffrées, ainsi que celle du titre: plus, six feuillets blancs à la fin.

  A025000492 

 Notre texte est celui de l'édition de 1622, sauf là où il présente des erreurs que corrige le Manuscrit revu par le Saint; dans ce cas, ce dernier doit, naturellement, avoir la préférence.

  A025000494 

 Les variantes de l'édition de 1619, celles d'un Manuscrit complet [48] de 1618 et de trois pages autographes que possède la Visitation de Thonon sont données au bas; les ratures sont aussi reproduites..

  A025000495 

 Il convient de parler maintenant du Manuscrit complet que nous venons de mentionner et qui se conserve au Monastère d'Annecy.

  A025000498 

 D'autre part, l'Approbation du Saint étant du 9 octobre, il est permis de supposer que les Constitutions furent terminées ce jour-là même ou peu de jours auparavant..

  A025000498 

 Le dernier jour du mois, saint François de Sales écrit à la Sainte, alors à Grenoble: «Je me confirme tous-jours plus au desir... qu'en cette Congregation la [49] Communion y soit quotidienne de quelques unes des Seurs a tour..., ainsy que je le declareray plus a plein es Regles.» (Tome XVIII, p. 206.) Et en effet, cette Communion est prescrite à la dixième page du Manuscrit, au chapitre De la Communion.

  A025000508 

 Affin donq que telles ames eussent des-ormais quelque asseuree retraitte en ces contrees de deça, cette Congregation a esté erigee en sorte que nulle grande aspreté ne [51] puisse divertir les foibles et infirmes de s'y ranger, pour y vaquer a la perfection du divin amour.

  A025000508 

 En suitte dequoy on pourra, premierement, recevoir les vefves egalement comme les filles, pourveu que si elles ont des enfans elles en soyent bien et legitimement deschargees, et qu'elles ayent suffisamment pourveu a leurs affaires selon qu'il sera jugé expedient par le Pere spirituel et autres personnes de qualité sur l'advis desquelz on se puisse reposer; affin d'oster aux gens du monde toute occasion de murmurer, autant que faire se pourra, et de destourner l'inquietude que l'ennemy a accoustumé de donner par le soin inutile et indiscret qu'il suggere aux vefves des choses qu'elles ont laissees au monde..

  A025000510 

 A quoy le glorieux Pere saint Augustin a visé, marquant si cordialement en la Regle le support des infirmes, et tesmoignant asses par la qu'il veut que les infirmes soyent receues et qu'a leur consideration on n'amplifie point les aspretés.

  A025000510 

 Et affin que tant les unes que les autres puissent tous-jours avoir acces a cette Congregation, la Superieure prendra soigneusement garde a ce qu'on n'y introduise ni directement ni indirectement aucunes austerités corporelles, outre celles qui y sont maintenant, qui puyssent estre d'obligation ou de coustume generale.

  A025000510 

 Et semble que, selon la parabole, il face entrer en l'estat religieux, comme au festin nuptial de l'Espoux celeste, non seulement les sains et gaillars, mais aussi les infirmes, boiteux et aveugles, en sorte que sa mayson se remplisse d'invités..

  A025000510 

 Tiercement, celles qui seront de bonne et forte complexion y seront receues comme appellees de Dieu au secours et soulagement des infirmes; et tout ainsy que les foibles jouiront du fruit de la santé des robustes, les robustes jouiront reciproquement du merite de la patience [52] des imbecilles.

  A025000516 

 Quant aux Seurs Associees, elles ne laisseront pas d'estre capables de toutes les charges du Monastere, excepté celle de l'Assistente, et auront voix active et passive tout de mesme que les Seurs Choristes.

  A025000516 

 Que si quelqu'une d'entre [53] elles estoit esleue pour Superieure, elle fera tout ce qui appartient a cette charge la, sinon en ce qui regarde l'Office du chœur qu'elle laissera faire a l'Assistente, laquelle, comme ayant charge du chœur et des Offices sacrés, ne pourra jamais estre que des Seurs Choristes..

  A025000517 

 Mays au lieu de Prime, Tierce, Sexte et None, elles diront douze fois le Pater noster et Ave Maria au matin, et une fois le Credo a la fin; en Heu de Vespres et Complies, sept Pater et Ave, et pour Matines et Laudes, dix; et ne manqueront point d'assister a la Messe tous les jours, tant que [54] faire se pourra, et de mesme les festes a tous les Offices, en quelque lieu ou elles n'interrompent point les Seurs Choristes, ni ne leur causent point de distraction s'il leur failloit entrer et sortir..

  A025000517 

 Nulle Seur des autres rangs ne pourra non plus jamais proposer ladite admission, ains sera cette proposition reservee a la Superieure, apres avoir ouy l'advis des Seurs Coadjutrices ou Conseilleres; et laquelle prendra garde a ne point proposer telle admission que pour des Seurs qui, volontier et de bon cœur, auront esté douces, paysibles et humbles, et qui auront des talens convenables pour pouvoir servir es autres rangs, auxquelz, nonobstant tout cela, elles ne devront entrer que par les deux tiers des voix de la Congregation.

  A025000517 

 Que si elles le font, qu'on ne puisse plus en façon quelcomque proposer leur admission, sinon trois ans apres qu'elles auront fait la demande.

  A025000519 

 Au reste, les Seurs ne pourront estre que trente trois en tout, dont il y en aura pour le moins vingt Choristes, et pour le plus neuf Seurs Associees et quatre Seurs Domestiques; sinon que pour quelque legitime et digne respect il semblast au Pere spirituel, a la Superieure et au Chapitre d'en prendre quelques unes de plus, avec dispense de l'Evesque..

  A025000524 

 Et quant a ce qui est d'entrer dans l'enclos du monastere, que cela ne soit permis a personne quelcomque [55], de quel genre, condition, sexe ou aage qu'elle soit, sans licence expresse obtenue en escrit de l'Evesque, sous peyne d'excommunication encorue soudain la faute faite.

  A025000524 

 La clausure s'observera selon les propres termes du sacré Concile de Trente qui sont telz: «Qu'il ne soit loysible a aucune Religieuse, apres la Profession, de sortir du monastere, non pas mesme pour quelque tems, pour court et brief quil puisse estre, ni pour aucun praetexte que ce soit, si ce n'est pour quelque cause legitime qui doit estre appreuvee par l'Evesque.

  A025000525 

 Quand le confesseur, medecin, apoticaire, cirurgien, masson, charpentier, ou tel autre qui par necessité et avec licence entrera dans le monastere, sera arrivé a la porte, deux Seurs le viendront prendre pour le conduire au lieu ou il doit faire sa charge, ayant auparavant fait sonner une clochette, affin que les Seurs se retirent en leurs chambres ou es lieux de leurs offices pour eviter d'estre rencontrees; ce qui se fera de mesme a la sortie, sans que les Seurs deputees a la conduite devisent avec ces personnes-la, sinon pour respondre..

  A025000527 

 Si on est contraint pour occasion pressante et utilité de les appeller de nuit, quatre Seurs, avec plusieurs lumieres, les accompagneront a l'entree, a la sortie et pendant le sejour dans la Mayson, qu'on procurera estre le plus court que faire se pourra.

  A025000527 

 Toutes telles personnes ne s'arresteront dedans le monastere qu'autant que la necessité le requerra.

  A025000529 

 Affin donq que cette Congregation puisse surmonter ses ennemis spirituelz et conter un jour a Nostre Seigneur plusieurs saintes victoires, elle doit estre establie en une parfaite obeissance.

  A025000530 

 Que si quelqu'une viole l'obeissance deue a la Regle, ou aux Constitutions, ou a la Superieure, elle sera soigneusement corrigee, et mesme par imposition de pœnitences et mortifications, selon la qualité de la faute, et tous-jours neanmoins en esprit de charité..

  A025000531 

 On excepte neanmoins les lettres du Pere spirituel, lesquelles estant receues par la Superieure seront remises a celles a qui elles seront addressees, sans estre ouvertes; comme de mesme celles que les Seurs escriront au Pere spirituel ne seront point veues par la Superieure, ains elles les remettront a celle qui en a le soin, pour estre cachetees et les faire rendre audit Pere spirituel.

  A025000532 

 Es occasions particulieres ou il sera requis de dispenser de l'ordinaire façon de vivre selon la Regle et de moderer les exercices pour quelques Seurs, ou mesme quelquefois pour toutes (ce qui ne se doit faire que pour des occurrences rares et signalees), la Superieure en aura le pouvoir: comme, par exemple, de dispenser une Seur de venir au chœur pour l'Office, de jeusner es jeusnes des Constitutions, de venir a la table commune, de parler a quelques uns le voyle levé, ou de faire la sainte Communion, et de dispenser mesme toute la Communauté du silence pour quelque juste occasion, de manger trois ou quatre fois l'annee hors des repas ordinaires; laquelle neanmoins devra estre fort attentive a bien observer la discretion, pour n'estre ni trop pliable, ni trop impliable.

  A025000532 

 Mays es choses d'importance et qui tirent consequence, comme, par exemple, de descharger tout a fait du jeusne et de la residence du chœur une Seur, et en pareilles occasions, elle prendra tous-jours l'advis du Pere spirituel et, sil est besoin, de l'Evesque, ainsy que la Regle dit..

  A025000533 

 Que si plusieurs ont licence de prattiquer cette mortification de la discipline, elles la feront le vendredi l'espace d'un Ave, maris Stella, et toutes ensemble, affin d'observer en toutes choses, tant quil se pourra, la sainte communauté..

  A025000534 

 Que si l'une et l'autre estoit malade ou occupee, la Superieure commettra [58] la charge a celle laquelle, selon Dieu, elle estimera en estre la plus capable.

  A025000534 

 Que si par quelque soudain et impreveu accident, ou faute d'attention, la Superieure ne commet pas la charge, celle des Seurs Surveillantes qui sera la plus ancienne en Religion l'exercera..

  A025000539 

 Et l'on void asses en la Regle le zele que le glorieux Pere a de cette vertu pour les Seurs, en la severité par laquelle il veut estre reprimés les seuls regards desreglés..

  A025000539 

 Puysque la pudicité est l'honneur du sexe feminin, et que le vœu de chasteté a tous-jours esté estimé fondamental es Congregations des filles et femmes, il n'est pas besoin de declarer combien les Seurs y sont obligees; car en somme, elles ne doivent vivre, respirer ni aspirer que pour leur Espoux caeleste, en toute honnesteté, pureté, netteté et sainteté d'esprit, de paroles, de maintien et d'actions, par une conversation immaculee et angelique.

  A025000544 

 C'est chose digne de remarque combien saint Augustin presse ardemment l'observance de la communauté en toutes choses: en suite dequoy, tout ce qui est et sera apporté et donné a la Mayson doit estre parfaitement reduit en communauté, sans que jamais aucune Seur puisse avoir chose quelcomque, pour petite qu'elle soit et sous quel praetexte que l'on puisse alleguer, en proprieté particuliere; ains chasque Seur, faysant Profession, resignera et renoncera [59] purement et simplement en faveur de la Congregation, es mains de la Superieure, non seulement la proprieté et l'usufruit, mais aussi l'usage et la disposition de tout ce qu'a sa consideration sera remis et assigné a ladite Congregation..

  A025000545 

 Et affin que cet article si important soit a jamais exactement observé, et que toutes affections a la jouissance et usage des choses temporelles soyent retranchees, et que les Seurs vivent en une parfaite abnegation des choses dont elles useront, ainsy que la Regle l'ordonne en termes admirables, on distribuera tout ce qui est requis a la vie, soit en viandes, soit en vestemens, soit en meubles, linges et, en somme, en quoy que ce soit, sans choix ni distinction que de la necessité d'une chacune..

  A025000546 

 Et ceci s'observera si exactement, que ni les chambres, ni les litz, ni mesme les medailles, croix, chapeletz, images ne demeureront point tous-jours aux mesmes Seurs; ains seront changees toutes ces choses entre les Seurs au bout de chasqu'annee, lors que l'on tire les billetz des Saintz, comm'on a fait jusques a present..

  A025000547 

 Et la Superieure mesme pourra choysir pour elle, pendant sa superiorité, [60] la chambre la plus aysee au recours que les Seurs font a elle et a la descente aux Offices..

  A025000547 

 On excepte neanmoins que la Superieure puisse prouvoir, non obstant le sort du billet, aux Seurs qui ont beaucoup a escrire, comme l'Œconome, et a celle que le medecin jugeroit que pour le soulagement de la santé il falut donner quelque chambre plus aeree.

  A025000548 

 Et pour plus parfaitement observer la sainte vertu de pauvreté, les bastimens des monasteres estans achevés, on limitera les revenus que l'on devra avoir selon le lieu ou le monastere se treuvera; affin qu'en cela mesme la mediocrité soit suivie et qu'il n'y ayt nulle superfluité de biens en la Congregation, ains seulement l'honneste suffisance, a laquelle quand on sera parvenu, on ne prendra plus rien pour la reception des filles qui seront receues que ce qui sera requis pour conserver et maintenir bonnement la juste suffisance du monastere..

  A025000549 

 Que si quelque Seur apportoit avec soy quelque meuble prœtieux qui ne fust propre pour l'eglise, on le vendra apres sa Profession, pour, du prix d'iceluy, en conserver la suffisance ou faire quelque meuble ecclesiastique.

  A025000572 

 Tout se fait comme dessus, hormis qu'on dit Vespres a dix heures et demi, qui sont suivies de l'examen, et que la lecture ne se fait qu'a trois heures et l'assemblee a quatre, [64] et qu'apres Complies, qui se disent a l'heure ordinaire, on chante le Stabat suivi des Lætanies..

  A025000575 

 Que s'il ny a rien a commander, elle leur commandera la mutuelle dilection des unes envers les autres, avec la sainte paix de Nostre Seigneur..

  A025000583 

 Et faut noter qu'en tous tems le silence s'observe au choeur, au dortoir et au refectoir, sans que l'on y puisse parler que pour des occasions necessaires; et de plus, que l'on peut tous-jours parler a la Superieure, et les Novices a leur Maistresse, quand il est requis..

  A025000587 

 Matines et Laudes a droite voix, hormis es [66] grandes festes, que l'on chante l'Invitatoire, le Te Deum laudamus et le Benedictus avec son antienne.

  A025000588 

 Que si on les en tire, elles reprendront, tant qu'il se pourra, en quelque autre tems le loysir de faire l'exercice qu'elles auront layssé..

  A025000603 

 Le prix du travail sera purement remis en commun, et ne sera proposé ni demandé que fort charitablement et amiablement, non exactement et cherement..

  A025000603 

 Les ouvrages que les Seurs prendront a faire des gens de dehors seront receus par la Superieure ou celle qu'elle deputera, sans qu'aucune autre ayt soin de cela.

  A025000607 

 Et bien que toutes les Seurs soyent obligees de faire les ouvrages qui leur sont donnés avec grande fidelité et diligence, si est-ce que, pour eviter toutes sortes d'empressemens et laisser aux Seurs la liberté de s'appliquer a l'orayson interieure, et ne point suffoquer l'esprit de devotion par une trop grande contrainte de s'employer aux ouvrages, la Superieure ne prefigera point aucun terme aux Seurs dans lequel leurs ouvrages soyent achevés, ains laissera cela a leur diligence et souplesse spirituelle, de-laquelle pourtant, en cas qu'elle les vist negligentes et paresseuses, elle les advertira ou fera advertir.

  A025000612 

 Quand il est requis que les Seurs parlent a ceux de dehors la Mayson, on observera que celle qui doit parler soit assistee d'une autre qui puisse ouïr ce qui se dira, sinon que, pour quelque respect, la Superieure treuve bon que la Seur qui parle soit veue et non ouye par celle qui l'assistera; laquelle, en ce cas, se retirera a part, faysant quelque ouvrage ou, si c'est jour de feste, lisant quelque livre ou faysant quelque orayson; et ce pendant prendre garde aux parolles (si elle doit ouÿr) et aux contenances de la Seur, affin d'en rendre conte a la Superieure..

  A025000614 

 Elles tiendront le voyle baissé devant les hommes, sinon que la Superieure les en dispense..

  A025000621 

 On pourra demeurer une heure entiere a table, s'il est expedient, afin que celles qui mangent lentement prennent [70] leur refection a loysir; et ce pendant, celles qui auront plus tost achevé leur repas demeureront attentives a la lecture, sans sortir de leurs places avant Graces, sinon que quelque grande et urgente necessité le requit..

  A025000625 

 La Superieure dira le Benedicite et les Graces des clercz a droite voix, et ce dans le refectoir et pour la premiere table; mays quant a la seconde, on ne dira que le petit Benedicite et les petites Graces, d'autant que la benediction de la premiere table s'estend encor a la seconde, en laquelle aussi il suffira de lire un quart d'heure..

  A025000633 

 Le voyle sera d'estamine noire, sans aucune doubleure, du moins d'autre couleur, et pendra par dernier jusques a demi pied plus bas que la ceinture; le bandeau du front, noir; la barbette, de toyle blanche mediocre, sans plis, et ne porteront ni attifez, ni empoy, ni chose quelcomque qui ne ressente entierement la simplicité religieuse et le mespris du monde..

  A025000634 

 Tant que faire se pourra, les Seurs auront chacune sa petite chambre, et du moins elles coucheront seules, une chacune en son ht.

  A025000638 

 Et ne sortiront que pour des causes tres pressantes, et, l'Office fait, aucune ne se remuera que le signe ne soit donné pour s'en aller..

  A025000640 

 Or, parce que les espritz humains prennent bien souvent des secrettes complaysances en leurs propres inventions, mesme quand c'est sous pretexte de devotion ou accroissement de pieté, et que neanmoins il arrive quelquefois que la multitude des Offices empesche l'attention, gayeté et reverence avec laquelle on les doit faire, il ne sera point loysible a la Congregation, sous quel pretexte que ce soit, de se charger d'autres Offices ou prieres ordinaires que de celles qui sont marquees en ces Constitutions et Directoire; car ainsy elle aura tant plus de moyen et de sujet de dire et chanter l'Office avec la gravité et le respect qu'elle y observe maintenant..

  A025000646 

 Or faut il qu'il soit homme de doctrine, de prudence et de vie irreprehensible, discret, honneste, stable et devot, et tel que l'Evesque, le Pere spirituel et la Superieure se puissent reposer en son soin et en son zele en ce qui est requis pour le bon estat de la conscience des Seurs; car encor que l'on employe a cela mesme plusieurs autres bons moyens, comme sont les confessions extraordinaires et les communications avec des personnes spirituelles, et specialement [74] avec la Superieure, ainsy qu'il est dit en divers endroitz des Constitutions et notamment au chapitre suivant, si est ce que le Confesseur ordinaire a plus de pouvoir pour maintenir les consciences des Seurs en pureté et sincerité que nul autre, estant comme l'ange visible deputé a la conservation des ames du Monastere et pour leur avancement au salut eternel..

  A025000647 

 Et tant pour l'election comme pour la deposition, on rapportera a l'Evesque ou a son Vicayre general ce qui aura esté fait, affin qu'il l'appreuve, et qu'en cas que le Pere spirituel et la Superieure ne fussent pas de mesme advis, il determinast l'election ou la deposition par son authorité..

  A025000648 

 Le Confesseur ordinaire devant estre si bien qualifié, le Pere spirituel luy laissera toute la charge des affaires spirituelles ordinaires du Monastere, ouy mesme d'octroyer les congés par escrit, pour faire entrer, selon les Constitutions, les charpentiers, maçons, laboureurs, medecins, cyrurgiens et autres personnes dont les entrees sont fort souvent requises, affin que les Peres spirituelz soyent tant moins importunés et incommodés et qu'on n'ayt recours a eux que pour les choses de grande consideration.

  A025000650 

 Il prendra un soin particulier a ce que, ni par l'imposition des penitences extraordinaires, ni par les conseilz et advis qu'il donnera en confession, rien ne se face qui puisse troubler l'ordre et le train du Monastere, autant que faire se pourra, et mesme affin qu'on ne s'apperçoive de l'estat des consciences des Seurs qui se sont confessees.

  A025000653 

 Or, ledit Confesseur prendra garde, tout de mesme que l'ordinaire, de ne point imposer de penitences ni donner aucun advis qui puisse contrarier a l'ordre ou a l'esprit de cet Institut: comme seroit s'il leur imposoit ou qu'il leur conseillast de demeurer en priere pendant les assemblees, de se lever avant l'heure, ou de veiller et de demeurer en quelque exercice apres l'heure ordinaire de [76] la retraitte, ou de ne point se recreer au tems des recreations, ou de jeusner plus souvent que les autres, ou de caresmer es tems esquelz la Congregation ne caresme pas..

  A025000654 

 Mays pourtant, si la Superieure voyoit quelque Seur requerir souvent telles conferences ou confessions, specialement si c'est avec un mesme confesseur, elle en advertira le Pere spirituel pour, avec son advis, prouvoir dextrement a ce que la sainte liberté de la confession et conference ordonnee pour le bien et la plus grande pureté, consolation et tranquillité des ames, ne soit convertie en detraquement de cœur, inquietude d'esprit, curiosité, bigearrerie, melancolie, pour nourrir quelque tentation secrette de prœsumption ou d'aversion au Confesseur ordinaire, ou en fin de singularité et vaine inclination aux personnes..

  A025000655 

 En cas que quelque personnage de qualité passast, de la conference duquel la Superieure conneust que les Seurs pourroyent tirer de l'edification, elle pourra, si bon luy semble, le faire inviter a cela et permettre aux Seurs de luy parler, ou en confession ou autrement..

  A025000660 

 Le sacré Concile de Trente a declairé qu'il desireroit qu'il y eust tous-jours des communians a chasque Messe; en suite dequoy et pour seconder entant qu'il se peut cette sainte inclination de l'Eglise, on distribuera en sorte le benefice de la Communion entre les Seurs que, tour a tour, il s'en communie trois tous les jours.

  A025000661 

 Que si quelques unes desirent de communier hors ces jours la, elles ne le pourront faire sans l'advis du Confesseur et l'authorité de la Superieure..

  A025000669 

 [78] ira par tout la derniere, quoy que la Superieure la puisse employer a se conseiller, et qu'en toutes autres occurrences on luy doive du respect..

  A025000675 

 Que les Seurs en toutes leurs actions observent une grande simplicité, modestie et tranquillité, fuyant le faste et appareil des contenances mondaines et affectees.

  A025000675 

 Que leur parole soit humble et basse, les yeux doux et sereins et pour l'ordinaire baissés, specialement au chœur, au refectoir, au Chapitre et quand elles paroissent devant les seculiers..

  A025000677 

 Qu'elles soyent humbles, douces, cordiales et franches entre elles, se respectant amiablement et s'entresaluant par l'inclination de la teste lhors qu'elles se rencontreront, sans pourtant s'arrester les unes avec les autres en devis, ne parlant que pour choses necessaires, sinon lhors qu'il leur sera permis..

  A025000678 

 Et mesme quand, quelquefois, elles s'entredonneront le bayser de paix, comme au jour de la reception de l'habit, a la Profession et au renouvellement general, que ce soit seulement a la joue, et non a la bouche, et que cela se face fort simplement, selon l'ordre que l'on se treuvera au chœur, a la fin de tout l'Office, apres la Messe..

  A025000682 

 Quand on fera la correction a quelque Seur ou que l'on en mortifiera en presence des autres, nulle n'entreprendra de la defendre ni excuser; mays si quelqu'une sait quelque chose en faveur de son innocence, elle pourra en particulier le dire a la Superieure, avec humilité et modestie..

  A025000683 

 Nulle ne presumera d'aller au parloir, ou tournoir, ni ailleurs pour parler aux estrangers, ni escouter ceux qui parlent, ni demander a la Portiere ou quelqu'autre qui y aura esté, ni que c'est que l'on y a dit..

  A025000684 

 Elles ne parleront aucunement a ceux de dehors de ce qui se fait en la Mayson, sinon que ce fust quelque chose qui peust servir d'edification..

  A025000691 

 Bienheureuses seront celles qui prattiqueront naïfvement et devotement cet article, qui enseigne une partie de la sacree enfance spirituelle que Nostre Seigneur a tant recommandee, delaquelle provient et par laquelle est conservee la vraye tranquillité de l'esprit..

  A025000691 

 Tous les moys les Seurs descouvriront leur cœur sommairement et briefvement a la Superieure et, en toute simplicité et fidele confiance, luy en feront voir tous les replis avec la mesme sincerité et candeur qu'un enfant monstreroit [81] a sa mere ses esgratigneures, ses foroncles ou les piqueures que les guespes luy auroyent faites; et par ce moyen rendront compte tant de leur avancement et progres que de leurs pertes et defautz es exercices de l'orayson, des vertus et de la vie spirituelle, manifestant encor leurs tentations et peynes interieures, et non seulement pour se consoler, mays aussi pour se fortifier et humilier.

  A025000692 

 Comme aussi une chascune lira les Constitutions et Directoires particuliers qui regardent son office ou condition, tous les moys, avec pareille devotion que si alhors ilz leur estoyent donnés nouvellement; et Dieu leur donnera tous-jours des nouvelles lumieres par la lecture d'icelles.

  A025000692 

 La veille du renouvellement de chasque moys, l'on advertira les Seurs, en donnant l'obedience a mydi, de se praeparer pour faire cette action avec le plus de soin et de devotion que faire se pourra.

  A025000695 

 Et en cas que la faute qui est descouverte, pour le scandale, consequence et nuysance qu'elle tire apres soy semblast devoir estre promptement manifestee a la Superieure, celle qui l'aura veue ou sceue prendra l'advis de la Superieure mesme ou du Pere spirituel, sans nommer ni faire connoistre celle qui sera coulpable, sinon apres qu'elle aura esté conseillee de la nommer..

  A025000695 

 Que si la faute estoit d'importance et secrette, celle qui l'aura apperceue fera doucement et amiablement la correction fraternelle, selon l'Evangile, jusques a trois foys; apres quoy, si la defaillante persevere en ses fautes, elle sera deferee a la seule Superieure, affin que par tous les moyens possibles elle y remedie; mays si la faute n'est pas secrette, elle en advertira la Superieure d'abord.

  A025000696 

 Affin que l'amendement se face plus grand en la Congregation, la veille de la Circoncision, apres que l'on aura tiré les Saintz, l'Assistente priera la Superieure, au nom de toutes les Seurs, de donner a chascune une ayde; et la Superieure la baillera, leur enjoignant d'avoir soin particulier de s'exciter reciproquement a l'amour de [83] Dieu, a se corriger de leurs defautz en esprit de douceur et de charité, et sans faire, en sorte que ce soit, aucune autre particularité ensemble.

  A025000697 

 Et parce que la coustume est que non seulement les Surveillantes, mays aussi les autres Seurs facent les advertissemens au refectoir, apres Graces, des fautes qu'elles auront remarquees, qui est de tres grand prouffit, elle sera gardee et observee inviolablement, comme aussi celle de dire les coulpes et faire les mortifications devant le Benedicite..

  A025000702 

 Le samedi, toutes les Seurs, sans qu'aucune s'en puisse excuser, si ce n'est pour cause extremement grande, tant les Professes que les Novices et les Seurs dit mesnage, s'assembleront au Chapitre; et apres avoir dit le Veni, Sancte Spiritus, la Superieure dira tout ce qu'il luy semblera devoir estre dit pour le bien spirituel de la Congregation.

  A025000702 

 Que si quelqu'une des Seurs avoit quelque chose a proposer sur ce sujet mesme, elle le dira a l'advantage a la Superieure, laquelle, pour ayder sa memoire, fera une petite liste de tout ce qu'elle aura a desduire, si bon luy semble..

  A025000704 

 Que s'il n'y a autre chose a dire, la Superieure lira ou [84] fera lire au Chapitre quelque advis tiré de quelque livre devot, ou un article de la Regle.

  A025000710 

 Lhors que par le commandement de la Superieure on prendra ce qui sera requis pour les necessités de la Mayson et des Seurs, l'on fera un autre roolle qui contiendra les sommes tirees, escrit de la main de l'une de celles qui garderont les clefz, et les causes pour quoy elles ont esté tirees; et sera signé de la main de la Superieure et de l'autre qui garde les clefz, affin que, au bout de chasque annee, un peu avant Noel, toutes les Officieres ensemble avec la Superieure facent sommairement un estat de tout ce qui s'est passé au maniement exterieur de la Mayson, lequel estat sera representé au Superieur en la Visite..

  A025000716 

 Et a ce Pere spirituel, tant la Superieure que les autres Seurs pourront avoir recours ou il sera besoin d'une speciale providence..

  A025000716 

 La Congregation demeurera sous l'authorité ordinaire de l'Evesque, ainsy que la Regle le porte, auquel elle demandera un Pere spirituel qui, de la part d'iceluy, prendra garde a ce que les Regles soyent bien observees et qu'aucun abus ni changement ne s'introduise; visitera la Mayson une foys l'annee, assisté d'un compaignon meur d'aage, discret et vertueux; se treuvera aux elections de la Superieure et du Confesseur ordinaire; signera les causes des sorties extraordinaires des Seurs, s'il en arrive quelque [86] legitime sujet, et celles des entrees des hommes et femmes qui y entrent pour quelque service necessaire, sinon qu'il juge a propos, quant a cet article de l'entree, d'en laisser la charge au Confesseur ordinaire, ainsy qu'il a esté dit ci dessus.

  A025000723 

 Comme l'ame et le cœur respandent leur assistance, mouvement et action en toutes les parties du cors, aussi la Superieure doit animer de sa charité, de son soin et de son exemple toute la Congregation, vivifiant par son zele toutes les Seurs qui sont en sa charge, procurant que les Regles soyent observees le plus exactement qu'il se pourra, et que la mutuelle charité et sainte amitié fleurisse en la Mayson.

  A025000724 

 Qu'elle observe de tout son pouvoir les Regles et Constitutions, sans qu'elle prattique aucune singularité, ni prenne ou reçoive aucun advantage en habitz, viandes et autres [87] choses, sinon comme les autres, a mesure que la necessité le requerra..

  A025000726 

 Elle tiendra les yeux attentifs sur ce petit cors de Congregation, affin que toutes les parties d'iceluy respirent la paix, la concorde, l'union et le service tres amiable de Jesus Christ.

  A025000728 

 Elle eslevera avec un amour paternel les Seurs qui, comme petitz enfans, seront encor foibles en la devotion, se resouvenant de ce que dit saint Bernard a ceux qui servent les ames: «La charge des ames,» dit il, n'est pas des ames fortes, mais «des infirmes; car si quelqu'un te secourt plus qu'il n'est secouru de toy, reconnois que tu es non son pere, mais son pair.» Les justes et parfaitz n'ont point besoin de superieur et conducteur; ilz sont eux mesmes leur loy et leur direction, par la grace de Dieu, et font asses sans qu'on leur commande.

  A025000729 

 Et partant, qu'elle prenne garde aux necessités des Seurs selon la sincerité de la dilection chrestienne et non selon les inclinations naturelles, et sans avoir esgard a l'extraction ou origine des filles, a la gentillesse de leurs espritz, bonnes mines et autres telles conditions attrayantes [88]; et qu'elle ne familiarise pas en telle sorte avec les unes que cela puisse servir de tentation d'envie aux autres..

  A025000730 

 Elle ne reprendra point les fautes qui se commettront, sur le champ devant les autres, ains en particulier avec charité; sinon que la faute fust telle que, pour l'edification de celles qui l'auront veu faire, elle requiere un prompt ressentiment; lequel, en ce cas la, elle fera en telle sorte que, blasmant le defaut, elle soulage la defaillante, taschant d'estre vrayement redoutee, mays pourtant beaucoup plus aymee, comme dit la sainte Regle..

  A025000731 

 Qu'elle ne concede point aysement a pas une l'usage des Sacremens plus frequent que celuy qui est porté par les Constitutions, de peur qu'en lieu d'une amoureuse et respectueuse Communion, il ne s'en face plusieurs par imitation, jalousie, propre estime et vanité..

  A025000732 

 Comme aussi elle tienne main que toutes les Officieres ayent un Directoire particulier de toutes les choses qu'elles doivent observer en leurs charges..

  A025000733 

 Elle aura soin tres particulier que les filles et femmes ne soyent jamais receues en la Congregation que leur vocation ne soit bien espreuvee, et que aucun respect humain n'entre point en la consideration de leur reception, ains la seule inspiration.

  A025000733 

 Et partant, que l'on les face arrester quelques semaines en la Mayson avant que de leur donner l'habit du novitiat, affin qu'elles soyent considerees a loysir en leurs humeurs, inclinations et deportemens..

  A025000734 

 Qu'elle procure que le Pere spirituel allant dehors, laisse sa charge entre les mains d'un autre bien qualifié.

  A025000735 

 Et quant aux conseilz spirituelz ou communication de conscience, comme la Superieure les doit librement permettre, aussi doit elle faire que ce soit avec des personnes dignes d'estre employees a cet office angelique, et avec le soin ci dessus mentionné..

  A025000735 

 Qu'elle ait un grand soin d'empescher que rien ne soit en la Mayson et ne s'y face qui ne soit conforme a la sainte pudicité et pureté, a la parfaite pauvreté et a l'exacte obeissance; et partant, si quelque Seur avoit un peu trop d'inclination a converser avec les seculiers, quoy qu'ilz fussent de profession ecclesiastique ou religieuse, ou proches parens, qu'elle luy en retranche toutes les commodités.

  A025000736 

 Et en cas de perte de proces, que la Superieure et toute la Congregation s'abstienne de toutes murmurations, jugemens temeraires et paroles piquantes, soit contre le juge soit contre les parties..

  A025000736 

 Et que l'on prenne l'advis du Pere spirituel et de quelques uns des principaux amis de la Mayson et des mieux entendus, lesquelz conseillans d'entrer en proces, la Congregation se tiendra grandement sur ses gardes a ce que rien ne se passe de son costé avec injustice, par animosité, contention et passion, ni en paroles, ni en escritures, ni en œuvres.

  A025000736 

 Que jamais on ne face aucun proces sans premierement faire rechercher la partie d'en venir a la voye amiable dont on puisse prendre acte.

  A025000737 

 Qu'au demeurant elle reçoive si humblement et doucement les advis [90] et remonstrances qui luy seront donnés, que les Seurs puissent avoir une juste confiance et liberté de l'advertir ou faire advertir es occurrences, selon qu'il sera dit ci apres..

  A025000737 

 Que si elle a besoin elle mesme d'estre dispensee de la Regle, elle le pourra faire de sa propre authorité, apres en avoir conferé avec sa Coadjutrice; sinon en chose de consequence, qu'elle recourra au Pere spirituel ou a l'Evesque.

  A025000741 

 La Superieure estant esleuë, avant toutes autres choses doit choysir quatre Seurs qu'elle jugera plus propres pour luy donner conseil es occurrences, avec lesquelles elle conferera pour l'ordinaire de quinze en quinze jours des affaires tant spirituelles que temporelles de la Mayson, sans toutefois leur communiquer aucunement l'estat des ames qu'elle aura appris par la reddition des comptes qu'en font les Seurs tous les moys..

  A025000743 

 Or il ne s'ensuit pas pourtant que la Superieure doive tous-jours suivre le conseil des dites Seurs; ains suffit qu'elle l'entende pour mieux se resoudre elle mesme a ce que, selon Dieu, elle estimera estre plus convenable, apres avoir bien consideré et pesé ce que lesdites Seurs auront allegué et remonstré.

  A025000744 

 Mays il y a des occurrences esquelles, selon les canons et coustumes generales des Monasteres des filles et femmes, il faut ouyr et suivre la pluralité des voix de tout le Chapitre des Seurs: comme s'il faut, pour quelque rayson, aliener, eschanger ou alberger les biens du Monastere, recevoir une fille au Novitiat ou a la Profession, eslire la Superieure, rejetter une Seur, demander un Pere spirituel, et s'il se treuve d'autres occasions esquelles le Pere spirituel et la Superieure treuvent estre expedient que les choses passent en Chapitre..

  A025000748 

 Et s'il faut repliquer, que cela se face suavement, avec toute modestie..

  A025000749 

 Que si neanmoins lesdites Seurs voyoyent que la Superieure se resolust a quelque chose notablement dangereuse ou manifestement pernicieuse, elles en advertiront le Pere spirituel, ou mesme l'Evesque, le plus discrettement qu'elles pourront, affin qu'il y remedie..

  A025000756 

 Elle aura le soin particulier de la direction des Offices du chœur, duquel elle departira les charges es samedis et veilles des festes esquelles on change l'Office, et ce, apres la recreation du disné; prenant garde que les pauses, [93] mediations, prononciations, ceremonies, gravité et reverence soyent devotement observees.

  A025000756 

 Que si quelque Seur y commet des manquemens, elle en advertira au Chapitre affin qu'il y soit remedié; mays si ce sont des manquemens reparables, comme de prendre un Psalme pour un autre, ou un ton trop haut ou trop bas, ou semblables accidens, elle les reparera sur le champ, le plus insensiblement que faire se pourra..

  A025000757 

 Elle donnera ordre aux lectures, et pour cela aura les livres en charge, qu'elle tiendra en bon ordre, et les distribuera selon que la Superieure luy dira, quant aux Professes; mays quant aux Novices, selon que la Directrice ordonnera..

  A025000757 

 Elle prendra garde qu'on ne reçoive en la Mayson aucun livre que par la permission du Pere spirituel ou du Confesseur ordinaire, si ce sont des livres nouveaux.

  A025000758 

 Elle deputera toutes les semaines les lectures, tant pour la premiere que seconde table, et corrigera les defautz de celles qui liront, si elles lisent trop precipitamment, ou qu'elles ne prononcent pas bien, ou qu'elles facent quelque autre manquement; mays elle fera elle mesme la lecture qui se fait le soir pour la meditation du lendemain, ou bien la fera faire par quelque Seur qui lise bien et clairement..

  A025000759 

 Elle aura un particulier soin du zele de la Regle et advertira la Superieure du manquement qui y surviendra; et aura memoyre que, comme lieutenante de la Superieure, elle doit en tout et par tout conspirer avec elle pour le [94] bon estat de la Mayson et avancement des Seurs en la perfection, suyvant au plus pres qu'il luy sera possible non seulement les ordonnances, mais encor les intentions de la Superieure..

  A025000760 

 S'il se presente quelque affaire duquel on ne puisse differer la resolution, Ihors que la Superieure empeschee de maladie ou autrement n'y pourra pas prouvoir, elle s'en resoudra elle mesme avec l'advis des Seurs que la Superieure employe pour se conseiller, en advertissant par apres la Superieure si tost qu'il se pourra bonnement faire..

  A025000767 

 De la bonne nourriture et direction des Novices depend la conservation et le bonheur de la Congregation: et partant, la Directrice qui en doit avoir le soin ne doit pas seulement estre discrette, douce et devote, mays elle doit estre la douceur, sagesse et devotion mesme, pour, avec un amour plus que maternel, eslever ses Novices de degré en degré a la perfection religieuse, comme des futures espouses du Filz de Dieu..

  A025000768 

 Or, ce qu'elle taschera le plus de leur faire concevoir et bien entendre, c'est principalement l'intention qu'elles doivent avoir eue en l'eslection qu'elles ont faite d'abandonner [95] le monde pour se retirer au monastere: qui est affin de s'unir plus parfaitement a Dieu, mortifiant leurs sens exterieurs et encor plus leurs passions interieures, pour rappeller toutes leurs forces au service de l'Espoux celeste, par une chasteté toute pure, une pauvreté despouillee de toutes choses et par une obeissance establie en une parfaite abnegation de sa propre volonté; et que, en somme, cette Congregation est fondee spirituellement sur le mont de Calvaire, pour le service de Jesus Christ crucifié, a l'imitation duquel toutes les Seurs doivent crucifier leurs sens, leurs imaginations, passions, inclinations, aversions et humeurs pour l'amour du Pere celeste..

  A025000769 

 Elle exercera les Novices en humilité, obeissance, douceur et modestie, leur aggrandissant le courage et arrachant, tant que faire se pourra, les niayseries, tendretés et fades humeurs qui ont accoustumé d'alangourir et affoiblir les espritz, principalement du sexe feminin, affin que, comme des filles fortes, elles facent des œuvres d'une perfection solide et puyssante.

  A025000769 

 Et ne fera pas moins, en tout ce qui a esté dit, pour les Seurs Domestiques et Associees que pour les autres, en ce que leur capacité pourra porter..

  A025000769 

 Et parce que l'entreprinse est grande, elle leur apprendra a ne point se confier en elles mesmes, mays a jetter toute leur confiance en Dieu et en l'intercession et protection de la glorieuse Vierge Marie.

  A025000770 

 Elle fera que les Novices prennent l'esprit d'un amour [96] tres affectionné au salut de tout le monde, affin qu'elles prient Dieu pour tous, mays specialement pour la tressainte Eglise catholique et pour tous les Prelatz et officiers d'icelle; faysant souvent leurs oraysons et Communions pour l'exaltation de la foy catholique, pour la conversion des infideles et pecheurs, comme aussi pour tous les Princes chrestiens, et nommement pour celuy du païs ou la Congregation se treuve..

  A025000771 

 Elle leur annoncera souvent la sincere dilection envers tous les Ordres des Religions qui sont en l'Eglise de Dieu, affin que non seulement elles prient pour iceux, ains aussi qu'elles apprennent a les estimer et respecter cordialement.

  A025000771 

 Sur tout elle taschera d'imprimer dans le cœur de ses Novices que toutes les Seurs de la Congregation ne doivent avoir qu' un seul cœur et qu' une seule ame, avec memoyre continuelle que Nostre Seigneur, par son inspiration et vocation, et Nostre Dame, par une secrette Visitation de laquelle elle a visité leur cœur, les a jointes et unies ensemble, affin que jamais elles ne fussent separees d'amour et de dilection, ains qu'elles demeurassent en unité d'esprit par le lien de charité, qui est le lien de perfection..

  A025000772 

 Que s'il s'en treuve, comme il pourroit arriver, qui ayent le cœur un peu plus rude, grossier et agreste, mais qui ayent pourtant la volonté bien determinee a vouloir obeir et bien faire, donnant esperance de pouvoir estre addoucies et civilisees, elle usera d'un amour tout particulier et genereux pour, avec patience et perseverance, bien [97] cultiver et dresser ces plantes ainsy tortues, parce que bien souvent, moyennant la main et le soin du laboureur, elles portent a la fin des fruitz fort delicieux..

  A025000778 

 Or, bien qu'elle puisse diversifier les exercices spirituelz selon les occurrences, elle ne pourra neanmoins en admettre [98] de nouveaux et extraordinaires sans l'advis du Pere spirituel et de la Superieure; et qu'elle prenne garde a ce que les Novices ne soyent pas chargees d'exercices, soit spirituelz, soit temporelz..

  A025000783 

 La Superieure choysira deux de ses Coadjutrices, ou telles autres des Seurs que bon luy semblera, qui, avec elle, prendront garde aux fautes et manquemens particuliers qui se commettent, pour les luy faire sçavoir et conferer avec elle des remedes convenables; voyre mesme, quand la Superieure l'ordonnera, elles pourront proposer les fautes et manquemens en plein Chapitre, avec modestie et simplicité.

  A025000787 

 En l'absence de l'Assistente et de la Superieure, la plus ancienne d'entre elles tiendra la place de la Superieure, et en la place de la plus ancienne l'autre succedera, sinon que la Superieure en ayt nommé une autre, cela demeurant en sa liberté..

  A025000793 

 La Superieure choysira a son gré une des Seurs qui aura charge de l'admonester des fautes qu'elle commettra, et a laquelle toutes les Seurs s'addresseront pour faire faire la correction par icelle a la Superieure, affin que la Superieure, qui doit ayder et corriger toutes les autres, ne demeure pas elle seule privee du bien d'estre aydee et corrigee.

  A025000794 

 Or, cette Seur doit tellement exercer sa charge, que pour cela elle ne rabbatte rien de l'honneur, respect et obeissance qu'elle doit a la Superieure, ains taschera de servir en cela mesme d'exemple a toutes les Seurs..

  A025000796 

 Jamais elle ne donnera connoissance a la Superieure des Seurs qui auront prié de l'advertir, ni ne dira non plus aux Seurs ni a personne ce qu'elle aura dit a la Superieure, ni ce que la Superieure luy aura respondu; ains si elle void [100] la Superieure se rendre incorrigible en chose de consequence, elle pourra seulement en conferer avec le Confesseur ordinaire, ou mesme, s'il semble mieux, avec le Pere spirituel, qui aussi sera obligé de couvrir si discrettement ce secret en remediant au mal que l'Ayde n'en puisse estre contristee..

  A025000797 

 Elle aura le sceau pour cachetter toutes les lettres des Seurs apres que la Superieure les aura veuës, sans qu'il luy soit loysible a elle de les voir, sinon que la Superieure luy en donne la charge..

  A025000803 

 Elle communiquera donq de tems en tems, et selon que les occurrences le requerront, de toutes les necessités de la Mayson avec la Superieure, pour prendre l'ordre et l'instruction d'icelle..

  A025000804 

 Elle fera toutes les provisions de la Mayson en leur tems et sayson, les faysant retirer proprement et en lieu convenable, et les visitant comme il convient, affin que rien ne s'y gaste..

  A025000805 

 Elle pourvoyra que les Officieres ayent tout ce qui leur est necessaire pour leur charge.

  A025000808 

 Elle ordonnera a la Despensiere, de moys en moys, ce qu'il faudra pour la table, et regardera souventesfois ce qu'elle luy aura mis en main, affin que tout soit tenu en bon ordre..

  A025000809 

 Qu'elle prenne garde au moys de febvrier et au moys d'aoust que rien ne manque pour les vestemens de l'hiver et de l'esté..

  A025000810 

 Elle tiendra les inventaires de tous les meubles de chasque office, et procurera que chasque officiere en ayt un particulier de ce qui est de sa charge, qu'elle reverra chasque annee en l'une des visites generales qu'elle fera de toute la Mayson..

  A025000812 

 Elle fera un roolle de tout ce que les Novices apporteront a la Mayson, qu'elle leur fera signer si elles le sçavent faire; sinon, la Superieure le signera..

  A025000813 

 Elle fera voir son conte a la Superieure tous les moys, tant de ce qu'elle aura receu que de ce qu'elle aura despendu..

  A025000814 

 Elle se rendra prompte et charitable a toutes les necessités des Seurs, selon l'ordonnance de la Superieure, et prendra garde que les Seurs de l'office de la cuysine et les Seurs Tourieres facent bien et a propos ce qui est de leur charge, et avec la douceur et support requis.

  A025000816 

 Elle aura soin particulier que les Seurs Tourieres ne soyent point trop chargees de besoigne, ni aussi qu'elles ne perdent point le tems, et aura le mesme regard sur les Seurs Domestiques; et fera que les Seurs Tourieres prennent le tems, es jours de festes, d'ouyr lire ou s'entretenir des choses spirituelles et saintes, pour s'exciter a la devotion selon leur capacité..

  A025000823 

 Si quelqu'un donne quelque chose a la Congregation, [103] elle en fera le recit sur le soir, apres la recreation, affin que l'on prie pour les bienfacteurs..

  A025000832 

 La Sacristaine aura charge et tiendra un roolle de tout ce qui appartient a l'eglise et chappelle de la Congregation, et tiendra tous les ornemens, paremens et meubles qui appartiennent au service de l'autel et de l'eglise proprement, nettement et en bon ordre; parera la chappelle, et preparera les habitz sacerdotaux avec grande diligence, selon la varieté des testes et des tems, se souvenant que Nostre Seigneur a tous-jours aymé la netteté et mondicité, et que Joseph et Nicodeme sont loués d'avoir proprement et nettement enseveli son cors, avec parfums et unguens pretieux..

  A025000834 

 Si quelqu'un venant a la sacristie veut parler d'affaires, [104] elle l'envoyera a la porte, sinon que pour la qualité des personnes il fust mieux d'advertir la Superieure..

  A025000838 

 Elle ira le matin, avant que sonner l'orayson, par toutes les cellules des Seurs pour voir si quelqu'une, par incommodité, ne peut pas venir a l'Office; et si elle en treuve, elle en advertira la Superieure..

  A025000840 

 Et parce que les particularités du soin que doit avoir la Sacristaine pour la proprieté et bienseance de toutes les [105] choses sacrees qu'elle a en sa charge sont en trop grand nombre, on luy en doit faire un Directoire a part; et qu'elle l'ayt tous-jours devant les yeux, en le lisant tous les moys, affin de ne point manquer a tout ce qui sera par escrit, la Congregation ayant interest nompareil que cette charge soit passionnement bien exercee..

  A025000845 

 Celle ci ne doit respirer que charité, tant pour bien servir les Seurs malades, que pour supporter les fantasies, chagrins et mauvaises humeurs que le mal cause quelquefois aux pauvres infirmes, les divertissant neanmoins de leurs impressions le plus dextrement et le plus suavement qu'elle pourra, sans jamais tesmoigner d'estre degoustee ni ennuyee de les servir.

  A025000846 

 Elle se chargera de tout ce qui appartient a l'infirmerie et au service des malades, dont elle tiendra un memoyre; et aura un extreme soin que les chambres soyent nettes, propres et bien ornees d'images, feuillages et bouquetz, selon que la sayson le permettra, et que rien ne demeure autour des malades qui puisse rendre des puanteurs, ains au contraire, si le medecin le permet, elle y tiendra tous-jours des bonnes senteurs et odeurs..

  A025000854 

 Celle ci aura la charge de tous les habitz et chausseures des Seurs, comme aussi des lictz et de toutes leurs appartenances; dequoy elle tiendra un roolle, et les conservera diligemment, prenant garde que tout cela soit en bon ordre et raccommodé selon le besoin, si que rien ne s'y gaste par negligence et que rien n'y soit contraire a la pauvreté et simplicité..

  A025000855 

 Elle fera la distribution selon l'ordonnance de la Superieure, sans permettre que les Seurs facent aucun choix, ains regardera simplement a la necessité de chacune..

  A025000859 

 Celle ci doit avoir le mesme soin des linges que la Robiere des habitz, pour les bien conserver, raccoutrer et distribuer selon la necessité des Seurs; puis les retirer, faire blanchir, plier et secher.

  A025000868 

 Elle fera les portions, et prendra garde que tout se face fort honnestement en la cuysine..

  A025000871 

 Ainsy doivent les Seurs, tant qu'il leur sera possible, tenir leurs cœurs recueillis en [108] la divine Bonté, laquelle, si elles sont fideles, declairera un jour devant tout le monde que ce qu'elles ont fait pour ses servantes a esté fait pour elle..

  A025000871 

 Les Seins employees a la cuysine et autres services du mesnage le feront avec allegresse et consolation, se resouvenant que sainte Marthe le fit, se representant les petites mays douces meditations que faysoit sainte Catherine de Sienne, laquelle, parmi des semblables exercices, ne laissoit pas d'estre ravie en Dieu.

  A025000872 

 Elles feront neanmoins les exercices spirituelz selon qu'il y aura plus ou moins a faire et que la Superieure leur ordonnera; laquelle aura un soin particulier de ne laisser les Seurs sans la nourriture convenable a leur esprit, puisqu'elles servent a la nourriture corporelle de toute la Congregation..

  A025000873 

 Toutes seront esgales en cet office, et s'entr'ayderont mutuellement en paix et charité; et lhors que le loysir le permettra, elles iront l'une apres l'autre, alternativement, aux assemblees de la Communauté..

  A025000879 

 La Congregation recevra le moins qu'elle pourra des Seurs Tourieres; et semble bien que deux ou troys seront esgalement et necessaires et suffisantes pour tout ce qui est requis au service de la Mayson..

  A025000880 

 Or, la Superieure prendra garde que celles qu'elle prendra soyent de bon cors et de bon cœur, de bonne complexion et de bon naturel, mais sur tout grandement resolues de servir Nostre Seigneur en travaillant pour la Congregation, avec obeissance, douceur et humilité.

  A025000881 

 Apres quoy on les recevra avec les mesmes conditions et considerations que les autres Seurs..

  A025000884 

 Bref, autant que les occupations auxquelles elles sont destinees le permettront, on les rendra conformes en mœurs, en exercices et en affection aux Seurs de la Congregation..

  A025000885 

 En tout, la [110] Superieure leur commandera avec amour, et les Seurs les nommeront seurs, se resouvenant que, quoy qu'elles servent a l'exterieur, elles ne laissent pas, selon l'interieur, d'estre filles de Dieu, coheritieres de Jesus Christ, esgales en nature et en la praetention de la grace et de la gloire aux plus grandes du monde; et qu'en fin, comme dit saint Paul, elles et nous n'avons qu'un seul Maistre, Jesus Christ, esgalement Seigneur et Sauveur des unes et des autres..

  A025000885 

 Personne ne leur commandera que la Superieure et l'Œconome, lesquelles leur donneront une Seur pour les instruire et consoler aux choses spirituelles.

  A025000886 

 Quand donq elles seront malades, la Superieure les fera retirer dans l'infirmerie, et l'Infirmiere les traittera ne plus ne moins que les autres en toutes sortes de services et en toutes occasions, de quelque necessité corporelle et spirituelle qu'elles puissent avoir.

  A025000887 

 Quand elles iront faire les provisions, elles se conduiront avec tant de modestie et de retenue qu'elles edifient un chacun; et se comporteront tout ne plus ne moins que si elles estoyent dans la Mayson, a la veuë de la Superieure..

  A025000888 

 Elles ne doivent entrer en aucune mayson ni manger dehors sans l'avoir demandé a la Superieure, sinon qu'il y eust quelque necessité qu'elles n'eussent pas peu prevoir avant que sortir; ni ne parleront ni s'amuseront par les rues, sinon pour les affaires qu'elles y auront..

  A025000893 

 Car encor que telles vefves semblent a l'abord bien disposees, tandis que la ferveur des premieres impressions de la devotion les anime, elles sont toutefois grandement sujettes peu apres aux tentations de l'inquietude a la moindre difficulté qui se presente, s'imaginant que si elles estoyent au monde elles feroyent [112] des miracles pour leurs enfans, et ne cessent jamais de parler d'eux et de les lamenter; et quoy que leur entree fust grandement utile a leurs enfans mesmes, pour peu qu'elles fussent faschees d'ailleurs, elles prendroyent occasion de blasmer et censurer leur retraitte, avec scandale de plusieurs..

  A025000899 

 Et luy fera-on entendre que la Congregation est une escole de l'abnegation de soy mesme, de la mortification des sens et de la resignation de toutes les volontés humaines, et, en somme, un mont de Calvaire ou, avec Jesus Christ, ses chastes espouses doivent estre crucifiees spirituellement, pour, apres cette vie, estre glorifiees avec luy..

  A025000899 

 La pretendante ayant asseurance de sa reception, pourra, quand la Superieure l'ordonnera, faire le premier essay avec ses habitz ordinaires, esquelz elle demeurera pour quelques semaynes, selon que la Superieure advisera, pour essayer et considerer si elle pourra bien s'accommoder aux Regles et observance de la Congregation, lesquelles on commencera a luy faire exactement prattiquer.

  A025000900 

 Et ce pendant, on la fera preparer par meditations et oraysons a faire une bonne confession generale, sinon qu'elle l'eust des-ja faite, en sorte que le Pere spirituel et la Superieure jugeassent qu'il ne fust pas expedient de la refaire encor une foys; auquel cas on luy fera seulement faire une confession despuis la generale qu'elle aura faite.

  A025000900 

 Et elle, par apres, dira de gros en gros ses inclinations, humeurs et passions qui ont jusques a l'heure principalement [113] regné en elle, faysant un abbregé de l'histoire de sa vie, tant du mal que du bien, avec confiance et fidelité, affin que la Superieure entende mieux comme il la faut conduire et faire exercer, gardant comme un secret de conscience tout ce qui luy aura esté dit pour ce sujet..

  A025000902 

 Et en fin on luy fera entendre qu'elle ne doit se servir de son cœur, ni de ses yeux, ni de ses paroles que pour le service de la dilection de son Espoux, et non pour le service des humeurs et inclinations humaines..

  A025000902 

 Et sur tout on procurera que la Novice esgale et applanisse ses humeurs et inclinations a la regle de la charité et discretion: c'est a dire, qu'elle apprenne a ne point vivre selon ses humeurs, passions, inclinations et aversions, mays selon l'ordre de la vraye pieté, ne pleurant, riant, parlant, se taysant que par rayson, et non quand le caprice ou fantasie luy en vient: en sorte qu'elle reserve les demonstrations de sa joye ordinaire pour les recreations; l'inclination de se taire, pour le silence; celle de pleurer, quand la grace l'excitera aux larmes de devotion, sans les employer en des frivoles occasions.

  A025000911 

 Outre laquelle, les Seurs feront trois jours de retraitte avant Noel, avant la Pentecoste et avant la Presentation de Nostre Dame, et de plus toute la Semaine Sainte, jusques apres la Messe du samedi; et ne se fera aucune assemblee pendant lesditz tems de retraitte, que celle de la recreation du soir, qui sera employee a parler des choses saintes et de devotion.

  A025000916 

 La Superieure ne demeurera en charge que troys ans, a la fin desquelz, le samedi apres l'Ascension de Nostre Seigneur, le Chapitre assemblé dans le chœur, en presence du Pere spirituel qui sera assis a la treille, se mettant a genoux au milieu des Seurs, elle renoncera et deposera sa superiorité entre les mains du Pere spirituel qui, ayant accepté sa resignation, l'absoudra de sa charge disant: «La Congregation vous descharge, au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit;» et la remettra a l'Assistente.

  A025000917 

 Apres quoy, le Pere spirituel exhortera de penser serieusement a une nouvelle eslection pour le jeudi suyvant, sans autre consideration que de la plus grande gloire de Dieu et sanctification de son nom.

  A025000920 

 Le Pere spirituel confirmera l'eslection au nom de l'Evesque, disant: «Et nous, de l'authorité que nous avons, confirmons vostre eslection a ce que vous soyes Mere et Superieure de toute cette Congregation, au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit,» Apres quoy, elle va s'asseoir en la place de la Superieure, et toutes les Seurs, l'une apres l'autre, luy vont bayser la main a genoux.

  A025000921 

 S'il se treuvoit que deux Seurs eussent esgalement des voix, il faudra alhors que le Pere spirituel escrive leurs noms en une feuille, tirant une ligne a l'endroit de chascun d'iceux; puys les Seurs sortiront et viendront l'une apres l'autre a luy, et diront laquelle des Seurs elles desirent, et il la marquera par la traverse, en sorte que nul ne puisse voir le papier ou se font les marques, ni ouyr les voix, sinon le Pere spirituel et celuy qui l'accompaigne.

  A025000921 

 Toutes les voix estans prinses, le Pere spirituel bruslera tous les billetz, affin qu'il n'en soit plus memoyre et que les voix demeurent secrettes..

  A025000922 

 Et s'il n'y en a pas au Monastere, on en pourra eslire une des autres Monasteres du mesme Institut de la Visitation; ou du moins faudra-il que celle qui sera esleuë ayt cinq ans de Profession et trente ans d'aage, selon que le sacré Concile l'ordonne..

  A025000923 

 La Superieure estant esleuë et ayant choysi celles que, selon Dieu, elle jugera estre plus propres pour exercer les charges d'Assistente et Coadjutrices, elle les proposera au Chapitre, et l'eslection s'en fera par la pluralité des voix.

  A025000923 

 Que si elles n'en ont les deux tiers, la Superieure en proposera des autres, et l'eslection en estant faite, elle choysira avec l'advis desdites Seurs esleuës, celles d'entre les autres Seurs qu'elle jugera estre plus propres pour exercer les autres offices; et toutes demeureront en l'exercice de [118] leurs charges jusques a ce que la Superieure jugera a propos de les changer..

  A025000926 

 Ce sera donq a elle de proportionner les chastimens avec les fautes, enjoignant des penitences petites ou grandes a mesure que les fautes le meriteront, ainsy qu'il se fait maintenant et que le Directoire le porte..

  A025000928 

 Mays s'il arrivoit, ce que Dieu ne veuille jamais permettre, que quelqu'une se rendist tout a fait incorrigible et incurable en son obstination, alhors il faudroit assembler le Chapitre devant le Pere spirituel pour prouvoir de remede; et s'il estoit expedient, on en conferera non seulement avec le Pere spirituel, mays aussi avec l'Evesque, s'il est au lieu, ou s'il n'y est pas, avec son Vicayre general, pour prendre tous les moyens requis et convenables affin de remedier a ce mal.

  A025000933 

 C'est l'opinion commune des Docteurs et la vraye verité que ni la Regle de saint Augustin, ni certes la pluspart des Regles des autres Religions n'obligent nullement a peché d'elles mesmes, ains seulement a rayson des circonstances suyvantes:.

  A025000934 

 Quand la chose defendue est en soy peché, ou que ce qui est commandé est necessaire a salut..

  A025000936 

 Quand on contrevient a l'obeissance que la Superieure impose en ces termes ou semblables: «Je commande au nom du Saint Esprit», ou «sous peyne de peché mortel.» Mays la Superieure ne doit jamais faire telz commandemens que pour des choses de tres grande importance, et ce par escrit, s'il se peut..

  A025000939 

 Quand on viole la Regle avec scandale et en sorte que la consequence apporte manifestement quelque grand praejudice au Monastere..

  A025000940 

 Quand on fait quelque manquement en la Regle par quelque desordonnee passion: comme, par exemple, de [120] n'aller pas au chœur aux heures marquees par une grande negligence et paresse; de manger hors du repas par une grande avidité et friandise; de rompre le silence, par cholere, et autres semblables, bien que telz pechés ne soyent pas souvent mortelz.

  A025000941 

 La Regle donq et, comme il a esté dit, beaucoup moins les Constitutions n'obligent nullement a peché d'elles mesmes; mays les Seurs craindront pourtant tous-jours de les violer si elles se resouviennent que leur vocation est une grace tres particuliere delaquelle il faudra rendre conte au jour du trespas; et qu'elles portent gravee en leur memoyre la sentence du Sage: Qui neglige sa voye sera tué.

  A025000947 

 On ne recevra aucune sepulture de dehors que de ceux qui, par quelque signalé bienfait, auront obligé le Monastere, ou desquelz la devotion singuliere meritera exception, avec permission neanmoins et dispense particuliere de l'Evesque.

  A025000956 

 Comme chose que le S. Esprit à si grand sien favory a dicté luy mesme, pour le bien non d'une mais de plusieurs Congregations religieuses, ces Constitutions doyvent estre publiees par l'impresse que trop plus que licitement s'en doit faire.

  A025000960 

 Ce que j'atteste..

  A025000975 

 P. B. — A la page 110: Je pense qu'il serait bon de dire que avant la réception des veuves, ses ( sic ) parents principaux fissent quelque acte avec elles, ou en quelque autre forme qui puisse servir, si l'on voulait inquieter pour dettes ou brouilleries..

  A025000976 

 [Il suffit que] La prudence fera cela.

  A025000978 

 La prudence humaine ne fera que trop cela; helas! les maladives n'ont point d'autre retraite..

  A025000983 

 Monsieur Michel dira, s'il lui plaît, à Monseigneur ce que nous avons pensé là-dessus..

  A025000988 

 Page 124: DE LA CLAUSURE. Ne serait-il point à propos de dire que les Sœurs pourront entrer dans le presbytère pour parer l'autel, à la charge que l'église soit fermée et qu'elle soit vide? car je craindrais que quelque Visiteur ne retranchât cela s'il n'est écrit.

  A025000991 

 Mon Dieu, je trouverais rude qu'une fille ne pût écrire à son Supérieur sans que sa lettre fût vue..

  A025000993 

 Au point suivant, en la même page: Ne serait-il point bon de marquer en quoi la Supérieure peut dispenser: comme de l'Office, du jeûne pour quelque Sœur qui en aurait besoin pour peu de jours, et semblables; comme aussi de dispenser du silence toute la Communauté à certains jours, afin que les Sœurs s'entretiennent et récréent? Et marquer aussi que les choses d'importance dont il faut dispenser avec le conseil du Supérieur seraient de décharger tout à fait une fille du jeûne ou de l'Office, afin d'ôter toute liberté et prétexte de changement aux Constitutions, et que, qui que ce soit, n'a ce pouvoir..

  A025000995 

 Ne serait-il point à propos d'ajouter que les rentes et revenus seront réglés selon les lieux, après que les bâtiments seront faits, afin que l'on se tienne en la médiocrité et que les trop grandes richesses ne gâtent tout; et que l'on n'ait aucun meuble qui ne ressente la pauvreté et simplicité religieuse, excepté pour l'église, et des cuillers d'argent pour les malades? Que les meubles mondains que les filles apportent soient serrés, et vendus après la Profession; l'on a peine de faire quitter les miroirs..

  A025000997 

 P. B. — Page 137: J'ôterais ce mot de «dormir demi heure», non qu'elles ne le puissent faire, mais afin que les séculiers ne s'en édifient pas mal: en France ce n'est pas la coutume..

  A025000999 

 En la page 139: Je voudrais ajouter que l'on soupera environ six heures..

  A025001000 

 Et à la fin de cet article, serait-il bon d'ajouter que l'on sonnera les Ave Maria le soir «entre jour et nuit,» apres lesquelles il «ne sera plus loisible de demeurer au parloir ni d'ouvrir les portes, sinon pour quelque» chose de grande importance?.

  A025001000 

 Page 140: Parce que souvent l'on n'a point de temps après None, l'on pourrait dire: qu'elles pourront devant ou après la Messe et None, faire la demi-heure d'oraison.

  A025001001 

 Page 140: Elles se leveront après cinq heures et demie, s'il vous plaît, parce que le temps d'un quart d'heure est trop court, cela ôte la tranquillité en s'habillant.

  A025001009 

 L'expérience fait voir que c'est leur grand bien d'aller peu au parloir..

  A025001010 

 En cette même Constitution quinzième, serait-il bon d'ajouter que «les Sœurs ne toucheront point la grille, ains s'en tiendront un peu éloignées,» sinon quand il sera permis de parler en secret?.

  A025001013 

 Ajouter aux deux points, qu'elles demanderont aussi leurs autres nécessités; que la lecture se commence par un article des Constitutions; que tous les vendredis l'on lise la Règle au dîner, cela se peut facilement.

  A025001013 

 Ne lire qu'un quart d'heure à la seconde table, parce que les Sœurs venant de dîner, cela leur fait peine.

  A025001018 

 Ne faudrait-il point exprimer que l'on ne dira que l'Office de Notre-Dame?.

  A025001020 

 P. B. — Page 162: Ne se charger d'autre Office, ni de soi-même, ni de Père spirituel, de qui que ce soit..

  A025001024 

 Ce sera une grande affliction à toutes les Sœurs si on leur ôte cette consolation; je vous supplie, au nom de Dieu, Monseigneur, de le bien consulter avec Dieu avant que le résoudre..

  A025001026 

 Page 167: Ne serait-il point utile d'ajouter trois ou quatre des meilleures pratiques d'humilité que vous nous désirez le plus, mon très cher Père?.

  A025001032 

 En la page 184: Oter et retrancher: que la Supérieure fasse une liste, sinon qu'elle eût plusieurs choses à proposer..

  A025001035 

 Il le dit à cause de la difficulté que Monseigneur le Cardinal en fit; il le passa pourtant..

  A025001038 

 Et surtout, qu'il ne puisse rien changer de la Règle ni des Constitutions, quelque apparence de sainteté qu'on puisse avoir; que ses visites servent spécialement à cela: de maintenir l'observance, sans adjonction ni diminution.

  A025001038 

 Il trouve le Père spirituel trop chargé pour être tel que l'on le désire; qu'il le faut réserver pour les choses grandes, graves et nécessaires, autrement qu'on n'en trouvera point; ou, si l'on en trouve, qu'ils voudront tout faire.

  A025001047 

 En la page 203: Ne faut-il point retrancher: que «si elle connaît qu'il soit nécessaire» de changer quelque chose, «qu'elle en confère»? Je ne voudrais nullement ouvrir la porte au changement; je dis pour les Constitutions et coutumes d'importance..

  A025001052 

 Il n'a pas égard que l'Institut a commence à Annecy.

  A025001054 

 P. B. — Page 208: Non seulement aux choses nécessaires, mais ès autres, tant que faire se pourra, vaut mieux suivre la pluralité des voix, non par obligation, mais par prudence.

  A025001054 

 Si le Père spirituel et la Supérieure se trouvaient d'avis différent, que faudrait-il faire? la Règle n'en dit rien..

  A025001056 

 Page 209: Que les Coadjutrices assisteront et signeront les contrats..

  A025001063 

 P. B. — Page 250: Faudrait spécifier qu'elle fera tout ce que le médecin ordonne pour la malade..

  A025001066 

 L'expérience a enseigné que deux suffisent; toutefois on pourra dire «deux ou trois», s'il est convenable..

  A025001068 

 P. B. — Page 269: Et plus que tout, d'en prendre seulement pour les biens temporels et pour les grandes commodités qu'elles apportent..

  A025001069 

 Ajouter que l'on pourra, après avoir un peu reconnu les filles, les faire entrer une fois ou deux dans la Maison, sans toutefois y coucher, afin de leur faire voir le train de la Communauté et aussi que l'on les considère..

  A025001069 

 Je pense que la Constitution 43 et 44 peuvent être assemblées.

  A025001073 

 Et des jeunes filles, que l'on ne les prisse qu'à quatorze ans; encore faut-il qu'elles témoignent le bien désirer.

  A025001073 

 Ne faudrait-il point ajouter que l'on pourrait retarder la Profession? Il me semble utile, et aussi que le Supérieur examinasse les filles avant qu'elles fissent la sainte Profession.

  A025001075 

 Page 276: Si Monseigneur le trouve bon, on retranchera toute assemblée es temps qui sont donnés en retraite; et ajouter que les Sœurs ne parleront facilement au Carême et en l'Avent, sinon qu'il soit nécessaire..

  A025001078 

 Il dit encore qu'il seroit à propos pour les sermons d'établir [131] à peu près les jours qu'il en faudroit, et qu'il ne fusse aisément permis que ceux qui s'invitent d'eux-mêmes fussent reçus indifferemment..

  A025001081 

 Si les fondatrices voulaient opiniâtrément outrepasser leurs privilèges et inquiéter le Monastère, que faudrait-il faire?.

  A025001083 

 Je supplie très humblement Monseigneur et mon très cher Père de finir et clore ses CONSTITUTIONS par une ardente et vive conjuration, qui presse saintement et force doucement les filles Religieuses de ne se départir jamais de leurs très saintes Constitutions, sous quelque prétexte que ce soit.

  A025001090 

 Plusieurs réimpressions du Directoire, cependant, ont omis le membre de phrase indiqué; il faut croire que les éditeurs n'avaient pas connaissance de la lettre de la Mère de Chantal.

  A025001090 

 «Nos Sœurs sont toutes fort en œuvre du petit Directoire,» lui écrit sainte Jeanne de Chantal le 10 novembre 1630; «mais elles désireraient bien, s'il se pouvait, que l'on y ajoutât l' Exercice de l'union et les trois Souhaits de notre Bienheureux Père qui sont au commencement du Coutumier.» ( Sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal, sa Vie et ses Œuvres; Lettres, vol. III, Paris, Plon, 1878, p. 535.) Ce qui fut fait.

  A025001097 

 L'intention de nostre tres honnoré Pere, d'heureuse memoyre, estoit que toute la vie et exercice des Religieuses de la Visitation fussent dediés pour leur union avec Dieu, pour ayder par prieres et bons exemples a la reformation de l'Eglise et au salut du prochain, et parce qu'il ne desiroit rien tant sinon que nos Seurs fussent excellentes en toute sorte de vertus, dont la bonne odeur, en aggreant a Dieu, se respandist dans les ames [des] fidelles.

  A025001111 

 Comme donques pourroit on avoir des liens plus fortz que le lien de la dilection, qui est le lien de la perfection?.

  A025001111 

 Nous n'avons aucun lien que le lien de la dilection, qui est le lien de la perfection; car la dilection est forte comme la mort et le zele d'amour ferme comme l'enfer.

  A025001115 

 O vray Dieu, mais qui me fera tant de grace que le Tout Puissant escoute mon desir, et que luy mesme escrive ce livre, affin que je le porte sur mes espaules, et que je m'en environne comme d'une couronne, et que je le prononce a chasque pas, et que je le luy offre comm' a un Prince? [135].

  A025001116 

 Ainsy je nommeray en toutes les aspirations que mon esprit fera vers vous, les noms qui y seront marqués, comm'un cantique de joye et de louange, et en offriray le roole, comm'un bouquet de suavité, a vostre divine Providence..

  A025001116 

 Ouy, Seigneur JESUS, escoutes l'exclamation que mon cœur fait pour vos servantes: escrives vous mesme en ce livre, et ne permettes pas qu'aucune y mette jamais son nom que par vostre inspiration et mouvement, affin que ce volume soit un manteau d'honneur sur mes espaules et une couronne de gloire sur ma teste.

  A025001117 

 Et que les cœurs que vous aves congregés sous vostre nom et celuy de vostre chere Mere ne se disperse ( sic ) point, que ce que vous aves assemblé ne se dissipe point, et ce que vous aves conjoint ne se separe point; mays que les noms marqués en ces feuilles perissables soyent a jamais escritz au Livre des Vivans, avec les justes qui regnent aupres de vous en la vie de l'immortelle fœlicité..

  A025001117 

 Faites, o JESUS, saint et doux amour de nos ames, que l'an auquel une chascune Seur inscrira son oblation en ce livre luy soit un an de sanctification; le jour, un jour de salut, et l'heure, un'heure de perdurable benediction.

  A025001131 

 Premierement, les Seurs doivent a leur resveil jetter leurs ames toutes en Dieu par quelques saintes pensees, telles que celles ci:.

  A025001132 

 O mon Dieu, faites que ce soit a la gloire eternelle; cette esperance repose dans mon sein.

  A025001132 

 Ou bien qu'elles dient avec Job: Je croy que mon Redempteur est vivant et qu'au dernier jour je resusciteray.

  A025001133 

 Les Seurs feront ainsy des saintes aspirations, ou telles autres que le Saint Esprit leur suggerera, ayant la liberté de suivre son attrait interieur..

  A025001134 

 Hé, mon Dieu, ne permettes pas que je paroisse nue de bonnes œuvres devant vostre face.

  A025001135 

 Quand on sonne l' Ave Maria, elles se mettront a genoux sur le lict, ou a bas si elles sont vestues, pour les dire; en suitte desquelles elles feront l'Exercice du matin, adorant Nostre Seigneur du profond de leurs ames, le remerciant [137] de tous ses benefices, et luy offrant leur cœur avec leurs affections et resolutions, et tout leur estre, en l'union de cette offrande amoureuse que le Sauveur fit en l'arbre de la Croix, de soy mesme a son Pere eternel, luy demandant son ayde et benediction, saluant Nostre Dame, luy demandant aussi sa benediction, celle du saint Ange et des saintz Protecteurs, et diront le Pater, si bon leur semble..

  A025001138 

 Et qu'elles ne negligent point ceci es choses petites et qui leur semblent [138] de peu d'importance; voire mesme si on les employe a des choses qui leur soyent du tout aggreables et du tout conformes a leur volonté et necessité, comme de boire, manger, se reposer et recreer, et choses semblables, affin que, suyvant le conseil de l'Apostre, tout ce qu'elles feront soit fait au nom de Dieu et pour son seul bon playsir..

  A025001141 

 Les Seurs diront a l'ordinaire le petit Office de Nostre Dame, veu que cet Ordre ayant esté institué particulierement pour la retraitte des infirmes et a l'honneur de la Bienheureuse Mere de Dieu Nostre Dame, cet Office leur est plus sortable que le grand.

  A025001143 

 Avant donq que commencer l'Office, les Seurs provoqueront leurs ames a de semblables affections, et, apres l'adoration, offriront a Nostre Seigneur cette action pour sa gloire, a l'honneur de la Sainte Vierge, nostre Dame et Maistresse, et au salut de toutes les creatures..

  A025001144 

 Disant le Deus in adjutorium meum intende, elles doivent penser que Nostre Seigneur leur respond: «Soyes aussi attentives a mon amour.».

  A025001145 

 Pour se maintenir avec le respect et attention convenable, il faut qu'elles considerent de tems en tems combien ce leur est d'honneur et de grace de faire ça bas en terre le mesme office que les Anges et les Saintz font la haut au Ciel, et qu'elles prononcent, quoy qu'en divers langage, les louanges au mesme Seigneur, la grandeur et majesté duquel fait trembler les plus hautz Seraphins..

  A025001146 

 Que celles qui entendent quelque peu ce qu'elles dient a l'Office, qu'elles employent fidellement ce talent selon le bon playsir de Dieu qui le leur a donné pour les ayder a se tenir recueillies par le moyen des bonnes affections qu'elles en pourront tirer; et que celles qui n'y entendent rien se tiennent simplement attentives a Dieu, faysant des eslancemens amoureux tandis que l'autre chœur dit le verset et qu'elles font les pauses..

  A025001147 

 Mays la principale attention et le plus grand soin que doivent avoir les Seurs qui ne sont pas encor habituees a l'Office, c'est de bien prononcer, faire les accens, pauses, mediations, de prevoir ce qu'elles ont a dire selon les charges qui leur sont donnees, se tenir prestes pour commencer, et faire les ceremonies avec gravité et bienseance, sans exceder en la crainte de faillir non plus qu'en la presomption de bien faire.

  A025001148 

 Bref, il ne se pourroit presque exprimer combien grand estoit le desir que nostre tres honnoré Seigneur et Pere avoit que, dans nos Maysons, l'Office sacré se celebrast avec la reverence et attention deüe a la presence de la divine Majesté, avec l'observance du Ceremonial..

  A025001151 

 Pendant que le prestre se prepare a l'autel il se faut mettre en la presence de Dieu, et quand il dit le Confiteor il se faut prosterner en esprit devant Dieu, reconnoistre ses pechés, les detester et luy en demander pardon..

  A025001152 

 Apres cela, on pourra dire le Chapelet ou telle autre priere que l'on goustera le plus, jusques a l'Evangile, auquel il se faut lever promptement pour tesmoigner que l'on est appareillé pour cheminer en la voye des commandemens de l'Evangile, et dire: Jesus Christ a esté fait obeissant jusques a la mort, et mesme a la mort de la croix.

  A025001152 

 Et faysant le signe de la Croix sur le front, sur la bouche et sur le cœur elles diront: Dieu soit en mon esprit, en ma bouche et en mon cœur, affin que je reçoive son saint Evangile.

  A025001156 

 Quand le prestre dit le Pater il le faut dire avec luy, ou vocalement ou mentalement, avec une grande humilité et devotion, tout ainsy que si l'on l'oyoit dire a Nostre Seigneur et que l'on le dist mot a mot apres luy..

  A025001158 

 A la benediction il se faut representer que Jesus Christ en mesme tems nous donne la sienne..

  A025001161 

 Faut qu'elles confessent et reconnoissent devant Dieu que ce jour ne s'est point passé sans qu'elles l'ayent offensé en quelque sorte; et parce que nous sommes aveugles en nos [142] propres affaires, il faut demander la grace et lumiere du Saint Esprit affin qu'elles puissent bien reconnoistre leurs fautes..

  A025001172 

 Que les Seurs n'aillent pas au refectoir seulement pour manger, ains pour obeir a Dieu et a la Regle, ouyr la sainte lecture, dire les coulpes, recevoir les advertissemens et faire les mortifications qui y sont pour l'ordinaire prattiquees; et que, partant, elles y entrent avec gravité et modestie, les robbes abattues et les yeux en terre.

  A025001178 

 Elle se prendra garde de laisser ranger les Seurs avant que de commencer; de mesme pour les Graces..

  A025001180 

 Les Seurs ne laisseront point de places vuides entre elles; si quelqu'une manque, elles luy laisseront place au bout d'en haut, ou bien en bas; et celles qui par negligence seront tardifves, ne venant qu'apres que les autres seront assises, bayseront la terre au milieu du refectoir..

  A025001181 

 Que la douillette considere le fiel qui fut presenté a Nostre Seigneur au fort de ses plus ameres douleurs; celle qui est trop avide pense a l'abstinence et jeusnes rigoureux des Peres du desert et de tant d'autres Saintz qui ont si puissamment mortifié leur sensualité..

  A025001182 

 Qu'elles ne sortent point de table sans s'estre mortifiees en quelque chose; et que neanmoins elles usent sans scrupule ni ceremonie des viandes qui leur seront donnees pour le soulagement de leur infirmité, prenant indifferemment de la main de Nostre Seigneur, tant pour les viandes que pour toutes autres choses, ce qu'elles aymeront comme ce qu'elles n'aymeront pas; voire mesme en l'infirmerie, ou elles se rendront douces, patientes et obeissantes a l'Infirmiere [146], et recevront ce qui leur sera donné avec action de graces, reconnoissant qu'elles ne meritent pas un si bon et charitable traittement..

  A025001184 

 Celle qui servira prendra garde que rien ne manque aux Seurs et de lever les choses qui ne serviront plus, se servant de l'ais pour cela quand il sera besoin, et des corbeilles pour les tassines et pour le pain qu'elle levera avec le Cousteau; et mettra les potages de la seconde table sur la fin de la premiere..

  A025001187 

 Les Seurs Domestiques et Despensiere qui auront des coulpes a dire les diront au mesme tems, puis se retireront; et la semainiere commencera le De profundis, que toutes poursuivront alternativement, et apres, les Seurs, deux a deux, une de chasque chœur, s'advanceront l'une aupres de l'autre, au droit de leur place, pour faire l'enclin a la Superieure, et s'en iront en silence jusques au lieu de la recreation, excepté la lectrice de la seconde table qui rentrera et commencera sa lecture, et la finira de mesme qu'a la premiere table, ne relisant pas ce qui a esté leu..

  A025001188 

 Aux jours de jeusne que l'on ne fait que collation, elles diront pour Benedicite et pour Graces l' Ave Maria avec le signe de la Croix..

  A025001189 

 Celles qui mangeront a terre ayant achevé, se mettront a genoux, si elles le peuvent sans incommodité, ou demeureront assises en la mesme place, jusques a ce que le signe soit donné, qu'elles se retireront en leur rang, apres avoir baysé terre..

  A025001189 

 Les Seurs qui feront des mortifications au refectoir les commenceront quand on aura dit: Au nom de Dieu, devant la refection, et ne seront que troys ou quatre a chaque fois.

  A025001190 

 Les jours de festes et de Chapitre on ne dira point de coulpes ni on ne fera point d'advertissemens au refectoir, comme aussi quand la Superieure ni l'Assistente ne s'y treuveront pas, sinon que [la Supérieure] nomme une Seur pour les recevoir..

  A025001197 

 Qu'elles n'estiment pas que ce soit peu de vertu de faire la recreation comme il faut, et que, partant, elles n'y viennent par coustume et par maniere d'acquit, ains avec preparation et devotion..

  A025001198 

 L'on les resouviendra souvent de Dieu durant la recreation et on en donnera la charge aux Seurs tour a tour, et de dire quelque chose de bon sur la fin; et le soir, on employera la derniere demy heure de la recreation a faire [150] lire l'Epistre et l'Evangile, la veille des festes, ou quelque point de la Communion, et les autres jours quelque chose de devotion; ou bien l'on s'entretiendra de quelque chose utile par maniere de conference, ainsy que la Superieure le jugera a propos..

  A025001199 

 Sur la fin de la recreation les Seurs doivent prevoir les choses qu'elles auront a demander; et apres que l'Obedience sera donnee, les officieres marqueront aux Seurs l'heure qu'elles [la] leur pourront donner, et elles se rendront soigneuses de l'aller prendre..

  A025001200 

 Lhors que quelques officieres auront beaucoup de choses a faire venir de la ville, elles l'escriront en un billet qu'elles donneront a la Seur Econome..

  A025001203 

 Mays si c'estoit chose pressee et necessaire, elles le diront par apres a la Superieure; que si elles sont Novices, elles s'addresseront a leur Maistresse qui en advertira la Superieure.

  A025001203 

 Quand on sonne l'Obeissance, que les Seurs se levent promptement et demeurent debout, avec un maintien humble et devot, attendant l'Obedience, disant en elles mesmes: Parles, Seigneur, vostre servante vous escoute; o mon Dieu, rendes moy digne d'accomplir vos saintes volontés.

  A025001204 

 Si tost que l'Obedience sera donnee, les Seurs qui n'ont rien a demander se retireront en leurs cellules, ou autre lieu qui leur sera convenable, pour faire leurs ouvrages et ce qui leur sera ordonné.

  A025001205 

 Par exemple, si elles ont consideré le mistere de la flagellation, et que le regard doux et amoureux que le beni Sauveur jettoit de fois a autre sur ceux qui le flagelloyent ayt touché leur cœur, elles doivent se le representer souventesfois, faysant ensuite cet eslancement: O doux Jesus, regardes moy des yeux de vostre misericorde.

  A025001209 

 Hé, Seigneur, que je ne vive que pour vous.

  A025001216 

 Seigneur, que je ne vive point si je ne vis pour vous..

  A025001224 

 Hé Seigneur, que j'accomplisse toutes vos volontés..

  A025001226 

 O mon souverain Bien, je ne veux plus que vous..

  A025001246 

 Que les heures sont des siecles aux malheureux damnés..

  A025001247 

 Que nous courons a la mort..

  A025001248 

 Que nostre derniere heure sonnera peut estre bien tost..

  A025001249 

 Que les Seurs facent donq en suitte de telles pensees quelque devote aspiration, affin que Dieu leur soit propice a cette derniere heure: ce qui arrivera infalliblement a celles qui se rendront tres soigneuses de cet exercice, lequel elles doivent prattiquer en tout tems et en toutes occasions, par le moyen duquel elles croistront et prouffiteront tous les jours d e vertu en vertu, jusques a la perfection de l'amour divin..

  A025001253 

 Que les Seurs soyent promptes a se deshabiller, et tiennent, tant qu'il leur sera possible, leur esprit attentif au point qu'on aura leu pour l'orayson du matin..

  A025001256 

 Estant au lit, qu'elles se souviennent que Nostre Seigneur et plusieurs Saintz dormoyent sur la terre froide, et combien elles sont obligees de l'aymer et servir, puisque sa douce Bonté leur donne si paternellement leurs petites commodités..

  A025001269 

 Ayant achevé leur accusation, qu'elles escoutent avec humilité et tranquillité ce que le Confesseur leur dira; mays s'il leur conseilloit quelque chose contraire aux Regles et coustumes de la Mayson, elles ne le prattiqueront en aucune sorte, bien que toutefois elles ne leur en doivent point faire de semblant; et s'il les pressoit elles en advertiront [157] la Superieure.

  A025001271 

 Au partir de la, elles ne doivent aucunement parler de ce qui leur a esté dit en confession, sinon que ce fust quelque chose si utile et devote qu'il semblast a propos de le dire pour l'instruction et edification des autres.

  A025001273 

 Et tandis que la premiere se confessera, celles qui suyvent se prepareront, pour entrer promptement quand celle qui precede sortira de devant le Confesseur, auquel elles feront l'enclin.

  A025001273 

 Les Seurs Domestiques iront les premieres a la confession; s'il y a des pretendantes elles les suivront, et puis les dernieres Novices, et toutes, tant Novices que Professes, suivront chacune selon leur rang.

  A025001275 

 Les Seurs oyant sonner la Confession, se rendront si a propos au lieu que la Superieure ordonnera, que l'on n'aye pas la peyne de les aller chercher ailleurs..

  A025001276 

 Outre cela on ne se confessera point extraordinairement; plustost on differera la Communion, sinon que pour quelque digne occasion la Superieure treuve a propos de le permettre..

  A025001279 

 La principale intention que les Seurs doivent avoir a la sainte Communion c'est de s'unir avec Nostre Seigneur..

  A025001280 

 Or, pour s'y mieux preparer, le soir devant que de la [159] faire, il sera bon en l'orayson et en son recueillement de dresser quelque peu sa pensee a Nostre Seigneur en ce saint Sacrement, excitant en son ame une sainte reverence et joye spirituelle de devoir estre si heureuse que de recevoir nostre doux Sauveur; et alhors il faut faire nouvelle resolution de le servir fervemment, laquelle elles pourront reconfirmer l'ayant receu, non pas par vœu, mais par un bon et saint propos..

  A025001281 

 Sur le point de la Communion elles pourront user de quelqu'eslancement de paroles mentales ou vocales, comme celle de saint François: «Qui suis je, Seigneur, et qui estes vous?» ou bien de sainte Elisabeth: D'ou me vient ce bonheur que mon Seigneur vienne a moy? ou celle de saint Jean l'Evangeliste: Ouy, venes, Seigneur Jesus; ou celle de l'Espouse sacree: Que mon Espoux me bayse d'un bayser de sa bouche; et semblables..

  A025001284 

 A la confiance et force d'esprit, avec [David: Je ne craindray nul mal, parce, Seigneur, que vous estes avec moy.].

  A025001285 

 J'ay treuvé Celuy que mon ame desire, je le conserveray soigneusement..

  A025001286 

 A l'action de graces: O Seigneur, par ce que vous m'aves fait cette grande grace, je vous beniray de benedictions eternelles, immortelles, et multiplieray vos louanges comme les estoilles du ciel..

  A025001288 

 On peut penser aussi a l'ardeur interieure de Nostre Dame lhors que l'Ange luy dit que le Saint Esprit viendroit en elle, sa devotion, son humilité, sa confiance, son courage; et qu'a mesme tems qu'elle entendit que Dieu luy donnoit son cœur, qui est son Filz, elle se donna reciproquement a Dieu, et que lhors cette supersainte ame se fondit en charité, si qu'elle pouvoit dire: Mon ame s'est liquefiee ou fondue quand mon Bienaymé m'a parlé..

  A025001289 

 O Dieu, que de suavité et douceur! Et partant, l'ame peut bien dire comme cette [161] sainte Dame, apres cette consideration: Voyci la servante du Seigneur, me soit fait selon sa parole, qu'il a dite de sa sacree bouche: Que quicomque le mange, il demeure en luy et luy en nous; que quicomque le mange, il vivra pour luy, par luy et en luy, et ne mourra point eternellement..

  A025001290 

 Les Seurs pourront, tant pour la sainte Messe que pour la tressainte Communion, faire ces considerations ou telles autres que le Saint Esprit leur suggerera..

  A025001291 

 Elles feront l'enclin a la Superieure quand elles iront, chacune a mesme tems que celle qui la precedera fera la genuflexion, laquelle elles feront a l'instant que celle qui est proche de communier se mettra a genoux pour recevoir la sainte Communion.

  A025001292 

 La Superieure, ou celle qui communiera la premiere, a mesme tems que l'on dit le Confiteor s'ira mettre a genoux a la fenestre en attendant que le prestre y apporte la sainte Communion, et toutes iront, le voyle baissé jusques sur le nez, prenant fort garde toutefois qu'il n'empesche celuy qui donne la Communion.

  A025001293 

 Outre les Communions que les Constitutions ordonnent, [162] elles communieront, selon la coustume, une fois la semaine de plus durant le Caresme; comme aussi le jour de la Conversion de saint Paul, le jour de saint Joseph, de sainte Catherine de Sienne, les festes de sainte Croix, saint Claude, (en memoyre qu'a tel jour la Congregation fut commencee), de sainte Marie Magdelaine, de sainte Anne, de Nostre Dame aux Neiges, de saint Bernard, de saint Augustin, duquel nos chosmons la feste, du Patron de l'eglise Cathedrale du diocese, de la feste du Saint principal auquel leur eglise est dediee, de saint François d'Assise, de sainte Catherine, vierge et martyre, de saint Charles, le jour des Innocens et celuy auquel elles auront fait la sainte Profession..

  A025001295 

 Et tant qu'il se pourra bonnement, une pour les ames du Purgatoire chasque fois que l'on dira l'Office des Mortz..

  A025001296 

 Quand leurs peres, meres, freres et enfans decederont, on leur appliquera une Messe sans autres prieres ni ceremonies, excepté que celle qui est parente peut, avec congé, faire plusieurs Communions a l'intention du deffunct, durant l'annee du trespas..

  A025001297 

 Quand la Superieure communiera extraordinairement, cela n'empeschera pas que troys Seurs ne communient avec elle, excepté quand ce sera a son tour de la Communion journaliere..

  A025001298 

 Quand on fera de nouvelles fondations, elles ne communieront qu'une ou deux chasque jour, jusqu'a ce que le nombre soit tel qu'il n'y puisse avoir qu'une Communion extraordinaire par semaine..

  A025001299 

 On ne dit rien de l'orayson, parce que l' Introduction a [164] la Vie devote suffit pour y dresser les ames qui n'en ont pas encor l'usage, et le Traitté de l'Amour de Dieu et plusieurs autres livres qui traittent de cette matiere, avec les Entretiens, fourniront suffisamment de lumiere et d'addresse aux plus advancees; et qu'en fin, le Saint Esprit est le vray Directeur en ce chemin, quoy qu'il faille tous-jours marcher appuyees sur le conseil de la Superieure, laquelle, autant qu'il luy sera possible, doit ayder et advancer les ames en cet exercice, comme tres important et utile en la vie spirituelle..

  A025001302 

 Et de plus, s'il se treuve [165] quelques ames, voire mesme au Novitiat, qui craignent trop d'assujettir leur esprit aux exercices marqués, pourveu que cette crainte ne procede pas de caprice, outrecuidance, desdain ou chagrin, c'est a la prudente Maistresse de les conduire par une autre voye, bien que, pour l'ordinaire, celle ci soit utile, ainsy que l'experience le fait voir..

  A025001302 

 Mays quand, par le progres du tems, les ames se sont exercees en cette multiplicité d'actes interieurs et qu'elles sont façonnees, desrompues et desengourdies, alhors il faut que ces exercices s'unissent en un exercice de plus grande simplicité, a sçavoir: ou a l'amour de complaysance, ou a l'amour de bienveuillance, ou a l'amour de confiance, ou de l'union et reunion du cœur a la volonté de Dieu, ainsy que l' Exercice de l'union marque, de sorte que cette multiplicité se convertisse en unité.

  A025001307 

 Mais quand elles seront aux assemblees ou la Superieure sera presente, il ne sera pas besoin qu'elles se levent lhors que la Directrice entrera ou sortira, ains seulement elles feront l'enclin de la teste.

  A025001307 

 Si neanmoins la Directrice vient parler a quelques unes d'entre elles, quelque part que ce soit, il faut que la Novice se leve, comme aussi quand elle entrera au novitiat..

  A025001309 

 Si tost que l'Obeyssance sera donnee, que les Novices se retirent promptement au novitiat, se mettant plus particulierement [166] en la presence de Dieu, luy demandant sa grace affin de bien prouffiter des enseignemens qui leur seront donnés.

  A025001312 

 Les Novices professes ne seront obligees de demeurer dans le novitiat sinon tandis que l'on y prattiquera quelques uns des exercices, et elles s'addresseront a la Directrice pour toutes leurs necessités, horsmis quand elles seront en la presence de la Superieure, et luy rendront conte seulement une fois la semaine..

  A025001315 

 Les Novices ne lairront pas de faire leurs ouvrages au novitiat en tous tems, excepté lhors que la Directrice [167] leur parlera a toutes en commun le mercredy matin, apres les coulpes.

  A025001318 

 Toutes les Seurs doivent estre fort attentives et tres affectionnees a se perfectionner selon leur Institut par une ponctuelle observance, rapportant a cela toutes les lumieres qu'elles recevront, tant aux lectures, conferences, oraysons, predications qu'autrement, d'autant que les preceptes de toutes vertus et perfections sont enclos dans leurs Regles et Constitutions, et ne doivent rien tant craindre sinon que l'on vienne a les negliger, et, par ce moyen, a se relascher de cette exactitude tant necessaire..

  A025001319 

 Cet advis est de si grande importance pour maintenir l'esprit de l'Institut en sa perfection, que quand il manquera l'esprit de la compagnie defaudra aussi, lequel esprit, disoit il, estant conservé, enrichira le Paradis d'ames..

  A025001319 

 Et sur tout il est requis, disoit nostre bon Seigneur et Pere avec des paroles tres pregnantes, que les Seurs continuent a se descouvrir a la Superieure [168] avec l'entiere simplicité et sincerité que la Constitution marque; et que, reciproquement, les Superieures ayent un tres grand soin de conserver cette confiance filiale des Seurs en leur endroit par un amour tout cordial et respectueux.

  A025001319 

 Que la Superieure de chasque Monastere prenne soigneusement garde qu'on n'introduise aucune nouveauté, retranchant toute pretention de faire plus ou moins que ce qui est compris en l'Institut.

  A025001320 

 En signe dequoy, lhors qu'elles luy rendent conte de leur conscience, elles se mettront a genoux, s'humiliant non seulement de cors, mais aussi de cœur et d'esprit, pour recevoir les advis, remonstrances et corrections qu'elle leur fera, tout ainsy que de la propre bouche de Dieu.

  A025001321 

 Qu'elles se gardent donq bien de croire, quand on les corrigera ou qu'on leur fera des advertissemens, que cela se face par passion ou mauvaise volonté; ains qu'elles tiennent pour asseuré que c'est une vraye marque de l'amour qu'on leur porte, et du desir qu'on a de les voir perseverer en leur vocation et parvenir a une tres haute perfection.

  A025001321 

 Que si par rencontre elle mortifie quelque Seur, elle se mettra soudain a genoux, demeurant ainsy, les yeux bas et les mains jointes, jusques a ce que la Superieure cesse de parler a elle; puis elle baysera terre, et si la Superieure est encores presente, elle luy fera un grand enclin en se relevant: car il leur sera tres utile de recevoir en cette sorte les mortifications et humiliations, comme remedes convenables et necessaires a leurs maladies, s'imaginant qu'elles sont ainsy que des petitz enfans auxquelz la douce et charitable mere donne l'absinthe et le chicotin, drogues tres ameres, l'une pour les garentir des vers, l'autre pour les [169] sevrer de la mammelle et les accoustumer aux viandes solides.

  A025001328 

 Qu'elles se monstrent tres affectionnees, autant que la Constitution seiziesme le permet, a la prattique de ce document qui est d'un prix inestimable: «Ne demandes rien, ne refuses rien;» mays qu'elles se tiennent disposees pour faire et souffrir tout ce qui leur arrivera de la part de Dieu et de la sainte obeyssance.

  A025001330 

 La suavité et douceur de l'Institut doit paroistre en toutes les actions des Seurs, de maniere que s'il arrive a quelqu'une de dire a une autre des paroles seches ou tant soit peu contraires a l'humilité, elle doit incontinent luy demander pardon, se mettant a genoux et baysant terre; ce que l'autre Seur fera pareillement, usant de quelque trait de cordialité en son endroit..

  A025001331 

 Or, ce n'est pas a dire que les Seurs puissent d'elles mesmes donner aucune chose, car il ne leur est pas seulement loysible de se prester ou [171] donner les unes aux autres chose quelconque sans licence.

  A025001337 

 Les Monasteres qui sont plus commodes pourront [172] et feront tres bien de secourir charitablement ceux qui se treuveront en necessité, prenant neanmoins l'advis et permissions des Superieurs lhors qu'il s'agira de chose notable; et que cela se face sans aucune alienation des fonds et revenus des monasteres.

  A025001338 

 Et que les Superieures ne permettent point qu'on parle dans leurs Communautés des defautz qui s'y pourront commettre, ni mesme en ceux des autres Ordres, lesquelz elles doivent beaucoup honnorer, mais en parler peu, a cause de l'inconstance de l'esprit humain.

  A025001338 

 L'union et parfaite charité doit estre si entiere et indissoluble entre les Monasteres, que jamais il n'y ayt proces, ni aucune mauvaise intelligence.

  A025001338 

 Nostre tres honnoré Seigneur disoit qu'il estoit capable de souffrir toute autre sorte de desplaysir, mais que celuy de voir la desunion entre nos Maysons seroit au dessus de ses forces..

  A025001342 

 Les Seurs auront un jour tous les moys pour s'entretenir toutes ensemble et pour se recreer saintement par forme de conference spirituelle, environ une heure du silence de l'apres disnee, ou autre heure que la Superieure jugera a propos.

  A025001349 

 De se pourmener ou retirer en solitude entre les Offices du matin et autres heures qui ne sont de communauté, en [174] faysant leurs ouvrages, en sorte toutefois que cette liberté ne nuyse point a la retraitte et recueillement..

  A025001351 

 De chanter des cantiques spirituelz aux recreations et mesme au silence, mays fort doucement et en sorte que cela ne distrayse point les autres..

  A025001352 

 De parler au silence pour les choses vrayement necessaires, pourveu que ce soit bassement et courtement, comme elles doivent faire aussi par tous les lieux d'ou elles peuvent estre entendues des seculiers..

  A025001353 

 De se retirer pour quelque peu en solitude lhors que, pendant le silence, elles travaillent plusieurs en mesme ouvrage, si elles pensent en avoir besoin; mais elles ne quitteront jamais les exercices communs pour aucun ouvrage, si la necessité n'estoit fort extraordinaire..

  A025001354 

 Elles pourront s'entretoucher lhors que la charité et bienseance le requerra..

  A025001365 

 Les chaires seront mises en sorte que le praedicateur ayt le visage tourné partie du costé des Seurs et partie du costé du peuple, de maniere que tous le puissent commodement voir et ouïr, autant que faire se pourra; et le sermon se fera, le praedicateur estant tous-jours assis et couvert, soit que ce soit le celebrant ou que ce soit un autre..

  A025001367 

 Que si le sermon se differe jusques a la fin, [le Veni, creator se dira le celebrant estant a genoux devant l'autel; et achevé qu'il sera, il ira a la grille ou, estant de mesme] assis et couvert, commencera ladite reception comm' il s'ensuit, parlant a la future Novice, qui sera un peu esloignee de la grille, a genoux sur un petit rehaussement, en sorte que, s'il se peut, on la puisse voir; [et] dira ainsy:.

  A025001367 

 Si donq le sermon se fait avant l'action, apres que le celebrant, revestu comme il a esté dit, aura un peu prié a genoux au pied de l'autel, il s'ira asseoir; et luy, ou bien celuy qui devra exhorter, commencera le sermon, apres lequel immediatement [se dira le Veni, creator; et le celebrant, s'estant] assis et couvert, commencera l'action de la reception.

  A025001368 

 Ma fille, que demandes vous? declares vostre intention devant toute cette assemblee..

  A025001370 

 Mes filles, que demandes vous? declares vos intentions, devant toute cette assemblee..

  A025001372 

 Une chose ay je demandé au Seigneur, c'est celle que je requiers: que j'habite en cette mayson du Seigneur tout le tems de ma vie..

  A025001374 

 Une chose avons nous demandé au Seigneur, c'est celle que nous requerons maintenant: que nous habitions en cette mayson du Seigneur tout le tems de nostre vie..

  A025001376 

 Et je sçay bien que vous aves esté souvent advertie que celles qui entreprennent de vivre ceans ne doivent avoir aucune autre intention que de plaire a Dieu par ces moyens-la, affin d'estre conformes a l'image du Filz de Dieu crucifié, leur unique et souverain Espoux.

  A025001376 

 Il est vray que cette Mayson est une mayson du Seigneur, en laquelle est convenable toute sainteté; et celles qui y habitent doivent de tout leur cœur et tous les jours de leur vie prattiquer la parole de Nostre Seigneur: Si quelqu'un veut venir apres moy, qu'il renonce a soy [178] mesme, prenne sa croix et me suive.

  A025001376 

 Il me reste seulement a vous dire que, comme vostre dessein de faire une vie de si excellente perfection ne peut estre prattiqué que parmi plusieurs contradictions, difficultés et travaux tant exterieurs qu'interieurs, aussi Dieu tout puissant et tout bon, qui par sa misericorde vous y a appellee, vous assistera de sa sainte protection, pourveu que, avec fidelité et humilité, vous suivies et secondies les attraitz et operations de sa grace..

  A025001378 

 Perseveres vous en la demande que vous aves faite?.

  A025001380 

 Ceux qui se confient au Seigneur pour habiter en sa mayson, ne vacilleront jamais, non plus que la montaigne de Sion.

  A025001380 

 Et partant, je persevere et repete en toute humilité la demande que j'ay faite; car esperant en la bonté de mon Dieu, si une armee estoit campee devant moy, mon cœur ne la craindra point, et si la bataille m'estoit livree, en cela mesme je m'encourageray..

  A025001382 

 Ceux qui se confient au Seigneur pour habiter en sa mayson, ne vacilleront non plus que la montaigne de Sion.

  A025001382 

 Et partant, nous perseverons et repetons en toute humilité la demande que nous avons faite; car esperant en la bonté de Nostre Seigneur, si une armee estoit campee devant nous, nos cœurs ne la craindront point, et si [179] la bataille nous estoit livree, en cela mesme nous nous encouragerons..

  A025001387 

 Que s'il ny a pas suffisamment de clercz pour faire cet office-la, on mettra lesditz voyles et habitz sur une petite table aupres de l'autel, avec l'eau benite, le tout bien ageancé et accommodé.

  A025001422 

 15. Et finalement il jette de l'eau benite sur elle sans [182] autre chose dire, et les Seurs commencent a chanter les Psaumes qui seront ci apres marqués, tandis que l'on va vestir la nouvelle Seur dans la sacristie des Seurs ou ailleurs, hors du chœur.

  A025001422 

 Ce qui se fera le plus vistement qu'on pourra, affin de ne pas faire beaucoup attendre le Celebrant, lequel aussi, de son costé, s'estant retiré dans la sacristie des Prestres, se preparera pour venir dire la sainte Messe a mesme tems que les Seurs avec la nouvelle Novice seront retournees au chœur, et auront achevé de chanter, ou tous, ou partie des Psaumes marqués pour cet effect..

  A025001433 

 Et si elles sont deux ou plusieurs, l'une commencera a la Superieure et l'autre a l'Assistente, et poursuivront chacune son chœur jusques a la fin, qu'elles feront la genuflexion contre l'autel et reviendront ensemblement faire l'enclin a la Superieure, poursuivant de donner le bayser de paix chacune du costé ou elle ne l'avoit pas donné: [183] en sorte que celle qui avoit commencé a la Superieure reviendra a l'Assistente, poursuivant son chœur de cet endroit la; et celle qui avoit commencé par l'Assistente recommence a la Superieure, en poursuivant aussi jusques a la fin de ce chœur la, ou se rencontrans, elles feront derechef la genuflexion ensemblement contre l'autel, et se donneront le bayser de paix l'une a l'autre..

  A025001437 

 Est a noter finalement, que soit qu'il y ayt plusieurs prætendentes a voyler ou une seule, les Oraysons de la benediction des voyles et habitz se fera en nombre plurier, dautant que les voyles et habitz seront indistinctement appliqués a l'usage commun de toutes les Seurs; mais en toutes les autres Oraysons, le Celebrant changera le nombre, selon qu'il y aura ou une ou plusieurs pretendantes..

  A025001453 

 Aves vous fermement establi en vostre cœur, n'ayant point necessité, mais ayant la liberté de vostre volonté, de garder obeissance, chasteté et pauvreté a Jesus Christ nostre Seigneur? Car, ma chere Seur, vos habitz du monde vous sont conservés, et voyci le voyle de la Congregation; l'un et l'autre vous est proposé, affin que vous puissies estendre vostre main a celuy que vous voudres, pour le prendre et choisir..

  A025001475 

 O Seigneur Dieu, confirmes moy a cette heure, affin que je face ce que je voy pouvoir estre fait par vostre grace.

  A025001475 

 Voyci, o mon Dieu, que je viens a vous parce que vous m'aves appellee.

  A025001477 

 O Seigneur Dieu, confirmes nous a cette heure, affin que nous facions ce que nous voyons pouvoir estre fait par vostre grace.

  A025001477 

 Voyci, o mon Dieu, que nous venons a vous parce que vous nous aves appellees.

  A025001486 

 Apres que le chœur aura chanté le Psalme Deus misereatur, le Celebrant, se levant et descouvrant, dira:.

  A025001498 

 Vous aves ouy, ma Seur, la demande et poursuitte que cette nostre Seur a faite (ou que ces Seurs nostres ont faite): a-elle (ou ont elles) le consentement de la Congregation?.

  A025001500 

 Ouy, par la grace de Dieu, nos Seurs luy (ou leur) souhaitent le bonheur de vivre et mourir en leur union, et que pour cela elle face (ou elles facent) maintenant les vœux sacrés et la sainte Profession, selon qu'il est requis a cet effect..

  A025001517 

 C'est a vous, o Jesus mon Sauveur, a qui mon cœur parle, encores que je ne sois que poudre et cendre.

  A025001517 

 O Cieux, oyes ce que je dis; que la terre escoute les propos de ma bouche.

  A025001518 

 Receves moy, o Pere eternel, entre les bras de vostre tres pitoyable paternité, affin que je porte constamment le joug et le fardeau de vostre saint service, et que je m'abandonne a jamais totalement a vostre divin amour, auquel derechef je me dedie et consacre..

  A025001522 

 « O Cieux, oyes ce que je dis,» et ce qui s'ensuit, jusques aux paroles suyvantes, que l'une d'icelles dira pour toutes, en cette sorte:.

  A025001523 

 Receves nous, o Pere eternel, entre les bras de vostre tres pitoyable paternité, affin que nous portions constamment le joug et le fardeau de vostre saint service, et que nous nous abandonnions a jamais et totalement a vostre divin amour, auquel derechef nous nous dedions et consacrons..

  A025001552 

 Ceci vous sera un voyle sur vos yeux contre tous les regars des hommes, et un signe sacré affin que vous ne [192] recevies jamais aucun signe d'amour que celuy de Jesus Christ..

  A025001578 

 Faites que vostre sentier s'avance comme l'aurore resplendissante, et qu'il croisse jusques a la perfection du jour..

  A025001590 

 Ja n'advienne que vous vous gloriffies sinon en la Croix de Jesus Christ..

  A025001590 

 Vostre vie est cachee avec Jesus Christ en Dieu; mais Ihors que Jesus Christ qui est vostre vie paroistra, lhors vous paroistres avec luy en gloire.

  A025001606 

 Il est a noter que tandis qu'on fait le sermon, les Seurs devront estre assises de chœur en chœur en leurs sieges, excepté la Novice et les assistentes, qui sont sur des sieges a trois ou quatre pas de la grille, eslevés..

  A025001607 

 Tout le reste de la ceremonie se fait comme a la reception des Novices, ainsy qu'il a esté dit au commencement; excepté qu'en conduisant la nouvelle Seur on chante le Psaume Laetatus sum in his quae dicta sunt mihi, etc., et que les Seurs tiennent tous-jours leurs cierges allumés, horsmis le tems de la Communion, et que l'on benit les habitz le jour precedent, affin que la Seur les prenne le matin..

  A025001608 

 Item, quand il y a plus d'une fille qui fait la Profession, il faut que l'une parle pour toutes, ainsy qu'il a esté marqué en son lieu; et tout de mesme le Celebrant parlera au nombre plurier, quand elles sont plusieurs.

  A025001615 

 Quant a l'entree des hommes, on observera rigoureusement ce que le Concile de Trente ordonne pour la reformation des Monasteres, en la façon quil est declairé en la Regle des Carmelines..

  A025001616 

 En suite de quoy, il ne sera permis a aucune d'icelles Dames de se presenter pour rencontrer ou voir celle qui entrera, sinon que la Superieure la face appeller pour cela.

  A025001616 

 Nulle des Dames ne parlera aux femmes qui viendront de dehors qu'avec le congé de la Superieure et en presence d'un'autre des Dames, hors la veiie de laquelle elle ne s'escartera point, ni mesme ne parlera point en sorte qu'elle ne soit entendue d'icelle, si toutefois la Superieure ne juge quil soit expedient de permettre quelque conference secrette de quelqu'une des Dames avec celle qui entrera, en quoy elle pourra dispenser; c'est a dire, que telle conference se face hors l'ouye de l'assistente, mais non jamais hors la veüe..

  A025001617 

 Item, elles demeureront autant esloignees de la treille qu'il faut pour n'estre point touchees, ni en leurs habits ni autrement, par ceux qui leur parleront; et tous-jours s'observera que les Dames ne parlent a personne en secret, c'est a dire sans qu'elles puissent estr'ouyes de leur assistente, sinon avec la licence de la Superieure, et jamais sans qu'elles puissent estre veues d'icelle.

  A025001617 

 Mays quant aux autres personnes auxquelles il est requis de parler sans qu'elles entrent, soyent hommes, soyent femmes, elles viendront aux treilles ou deraize du chœur de l'eglise, ou a l'autre qui est a la porte; et la, les dittes treilles estant fermees, les Dames qui seront appellees pour leur parler viendront voylees, et ne parleront point autrement, sinon que la Superieure juge quil faille [198] faire d'autre sorte.

  A025001620 

 A sept heures et demi elles commenceront Matines, apres lesquelles elles feront l'examen et la leçon d'un quart d'heure; apres quoy elles se retireront, en sorte que toutes soyent couchees a neuf heures et demi..

  A025001620 

 A six heures elles souperont; et l'orayson des cinq heures, qui se commencera par les Letanies, en sorte que le tout soit achevé un quart d'heure avant le soupper.

  A025001621 

 L'heure qui se treuve de reste entre Tierce et Sexte sera employee a quelqu'oeuvre corporelle selon que la Superieure ordonnera.

  A025001622 

 Et de deux a trois elles pourront s'assembler pour, toutes ensemble, reprendre haleyne a chanter des cantiques et ouyr la leçon spirituelle qui se fera de demi heure; en sorte que le tout cesse un peu devant Vespres, c'est a dire quand le premier son de Vespres se fera, car alhors une chacune pour[ra] aller prendre les commodités requises pour retourner en l'oratoire..

  A025001626 

 Et quand au prix du travail, il sera delivré purement et simplement en communauté, sans que l'on sache de quel travail il est arrivé..

  A025001626 

 Les ouvrages qui seront donnés de dehors seront receuz ou par la Superieure ou par celle qu'elle deputera, sans que celles qui les font en traittent en aucune façon.

  A025001628 

 On ne recevra aucune besoigne a faire, sinon que les matieres [200] soyent donnees par ceux qui la donneront; et la Superieure traittera du prix des besoignes charitablement, et non exactement..

  A025001647 

 Malgré cette différence de format, il est évident que ces seize pages sont d'une seule rédaction: le texte se suit parfaitement; on peut même dire que le Saint dut écrire sans interruption notable les douze premières pages: plume, encre, mouvement de la main sont les mêmes partout.

  A025001648 

 Tâtonnements, ratures et surcharges permettent de croire que nous possédons le premier jet d'une rédaction suivie des Constitutions de la Congrégation nouvelle..

  A025001654 

 G; il semble donc que les premières Sœurs étaient déjà réunies.

  A025001654 

 La Mère de Chaugy raconte dans l' Histoire de la Fondation: «Notre B x Pere... fut long tems dans la pensee que nous nous appellerions les Filles de S te Marthe, chere et bien aimee hostesse du Sauveur du monde; mais Dieu luy donna quelque lumiere speciale qu'il vouloit que ce petit Institut s'honnora du nom de sa tres sainte Mere, et un matin, le saint Prelat, tout extraordinairement joyeux, dit a notre digne Mere: «Il faut que notre petite Congregation s'apelle la Visitation de Notre Dame, et que nous soions tout dediés au service de cette grande Reine du Ciel.» Dans l' Année sainte (ancien Ms. d'Annecy), l'annaliste relate que le 1 er juillet 1610 le Fondateur «fut visiter» les «premieres Meres dans la clôture de leur Noviciat, et leur dit qu'apres avoir mile fois pensé et repensé au nom particulier qu'il devoit laisser a la Congregation, il s'etoit enfin resolu qu'elle seroit nommee de la Visitation.» Les deux récits et le texte cité du Ms.

  A025001658 

 Il se compose de vingt pages du même format que les grandes du Ms.

  A025001658 

 La 13 e page et la moitié de la 14 e sont de la main du Saint; toutes les autres sont écrites par Pierre Thibaut, le jeune secrétaire et serviteur que lui envoya en mars 1608 la baronne de Chantal (voir tome XIII, note (980), p. 365) et qui fut le copiste de la première rédaction de l' Introduction a la Vie devote.

  A025001660 

 17-20 du Manuscrit d'Annecy, tandis que la suite de l'article 29 e figure sur le second feuillet de Turin.

  A025001665 

 c) Le Saint dit encore à son ami: «En leur establissement, elles offrent leur ame, leur cors et l'usage de leurs biens a Dieu et a Nostre Dame;» et dans la première ébauche de la formule de l'«Oblation» déjà mentionnée nous lisons: «...J'offre et dedie et consacre a vostre divine Majesté et a la sacree Vierge vostre Mere nostre Dame, mon ame, tout mon cors et toute ma vie.» Enfin le saint Fondateur ajoute que cet «establissement...se fait par une belle ceremonie» (tome XIV, p. 330), preuve qu'il en avait au moins ébauché le Formulaire, s'il n'était déjà complètement rédigé..

  A025001666 

 Il faut remarquer cependant que le Saint y ajoute en surcharge: «despuis la S t Michel jusques a Pasques»; ce qui permet de supposer que cette correction, et peut-être la plupart, sont postérieures à la lettre du 20 juillet..

  A025001667 

 Des retouches ne furent pas faites au Manuscrit après janvier 1611; plusieurs preuves pourraient être alléguées, mais nous n'en citerons que deux:.

  A025001669 

 Nous avons dit plus haut (p. 204), que d'après le Ms.

  A025001673 

 L'article de l' Expulsion et les Trois souhaits (copie de ceux que saint François de Sales écrivit en 1611 au commencement du Livre du Couvent de la Visitation d'Annecy) sont d'une écriture beaucoup plus grosse, mais toujours de la même plume.

  A025001675 

 D'après le Directoire pour les Sœurs de la Congregation de la Croix etablie dans le Diocese de Treguier, on a dit au tome XVIII, note (1173), p. 357, que M me de Villeneuve, leur fondatrice, «obtint du Bienheureux une copie des Constitutions primitivement dressées» pour ses Filles; le P. de Salinis répète la même chose dans sa Vie de Madame de Villeneuve (Paris, Beauchesne, 1918).

  A025001675 

 Toutefois, il semble plus probable que ce don lui ait été fait par la Mère de Chantal, qui prodigua ses encouragements à la nouvelle Société..

  A025001681 

 C'est quelques jours avant l'«Oblation» des trois premières Mères que fut réglée la manière d'arranger le voile; elle est indiquée, avec le reste du costume religieux, dans le Manuscrit qui nous occupe, tandis qu'il n'en est pas question dans le Ms.

  A025001681 

 H. Celui-là marque également que la nouvelle Novice recevra «les habitz et coeffures de la Mayson...dedans le choeur,» pendant le chant du Veni, creator; comme nous l'avons dit ci-dessus (p. 206, n° 2), cela se pratiqua pour la première fois le 6 juin 1611..

  A025001683 

 Mais nous croyons pouvoir préciser davantage et dire que le Ms.

  A025001686 

 c) Les prescriptions plus détaillées au sujet des femmes qui entrent pour plusieurs jours dans la Maison, surtout ces mots: «et s'en iront en leur païs», font songer au séjour que des dames de Lyon firent à Annecy avec M me des Gouffiers, du 28 mai jusque vers le 10 juin 1613.

  A025001687 

 d) A l'article 7, Du retranchement des sorties, il est dit: «Mais si la Congregation s'establissoit en quelque grande ville...» Or, [208] dans les derniers mois de 1613, non seulement de Lyon, mais aussi de Paris on faisait des démarches; vers le 8 novembre le Saint écrit à M me de la Fléchère: «On a envoyé prendre les Constitutions de Lyon, ou on projette d'en eriger une, et de Paris, pour voir si on en pourra desseigner un'autre.» (Tome XVI, p. 92.) Il est fort probable que la rédaction du Ms.

  A025001688 

 M me de Miribel, on s'en souvient, atteinte «d'une paralysie universelle,» se plaignait de ce que sa fortune et sa situation sociale la privaient de la consolation accordée aux pauvres.

  A025001688 

 Ne serait-ce pas à la suite de ces faits que le Saint aurait écrit dans ses Constitutions: «Et bien que l'on pourra visiter et servir les malades riches, et principalement les dames et bourgeoises qui seront devotes et affectionnees a la Congregation...»?.

  A025001689 

 Le susdit Manuscrit doit remonter à l'une de ces dates, mais la première est prouvée par le fait que cette Oblation eut lieu à la Galerie.

  A025001690 

 De tout ce que nous venons d'exposer, on peut conclure avec beaucoup de vraisemblance que la date du Ms.

  A025001707 

 Afin donq que telles ames pleines de bonnes affections ayent moyen, parmi tous ces empeschemens que nous avons dit, de se retirer du monde, fuir les occasions du peché et s'appliquer plus doucement et parfaittement a l'exercice du divin amour, cette devote Congregation a esté dressee et procuree, sur l'exemple de celles qu'a mesme intention furent instituees par saint Charles, Cardinal Borromee, en son diocese de Milan, et de celle de sainte Françoise, de Rome..

  A025001708 

 Il est vray que les Congregations erigees par saint Charles Borromee n'obligent pas des filles a se retirer ensemblement dans une mayson, bien que plusieurs neanmoins l'ayent fait avec une tres grande utilité et edification dans la ville de Milan, ou il y a plusieurs telles Congregations retirees ensemblement dans les maysons; ains et seulement [à] s'assembler de tems en tems pour rendre conte de leur vie et s'unir en leur entreprise.

  A025001709 

 Or, cette Congregation ayant deux principaux exercices: l'un, la contemplation et orayson, qui se prattique principalement en la mayson; l'autre, du service des pauvres et malades, principalement du mesme sexe, elle a convenablement choysi pour Patronne Nostre Dame de la Visitation, puisque en ce mistere la tres glorieuse Vierge fit cet acte solemnel de sa charité envers le prochain que d'aller visiter et servir sainte Elizabeth au travail de sa grossesse, et composa neanmoins le cantique du Magnificat, le plus doux, le plus relevé, plus spirituel et plus contemplatif qui soit escrit..

  A025001720 

 Affin donq que telles ames pleynes de bonnes affections peussent parmi tout cela [avoir... faire une retraitte du...] se retirer du monde, fuir [toutes] les occasions du peché et s'employer et [dedier] donner pleynement au saint amour de Dieu, cette benite Congregation a esté dressee: laquelle ayant deux principaux exercices [213], l'un de contemplation et orayson, qui se prattique principalement dedans la mayson, l'autre du service des pauvres, qui se prattique hors de la mayson, ell'a convenablement choysi pour Patronne N. D. de la Visitation, puisqu'en ce mistere la glorieuse [Vierge], faysant cet acte solemnel de sa charité envers le prochain que d'aller servir sa cousine es travaux de sa grossesse, [rendit neanmoins ce...] chanta neanmoins ce cantique si spirituel, si relevé et si contemplatif du saint Magnificat..

  A025001723 

 On pourra donq recevoir en cette Congregation les vefves desquelles les enfans sont dehors de leurs maysons [214], comme aux estudes, aux cours et ailleurs, bien qu'elles fussent obligees d'avoir le soin general d'iceux et de leurs affaires; pourveu que tel soin ne les oblige pas a resider en leur mesnage, ains puisse estre executé en peu de jours, comme seroit de faire rendre conte a ceux qui manient leurs affaires une foys l'annee, et telles autres occurrences; car pour cet effect telles vefves pourront aller ou il sera requis, sous les conditions qui seront dittes ci apres..

  A025001724 

 Mais celles qui auront esté en mauvaise reputation, pourveu qu'elles soyent a l'heure notoirement de bonne vie et que leur vertu presente puisse contrepeser la tare passee, elles pourront estre recettes; combien qu'il faille pour cela employer une tres speciale consideration, ainsy qu'il sera dit ci apres..

  A025001725 

 Or, sur toutes les qualités requises a celles qui entreront, on doit rechercher qu'elles ayent une tres profonde resolution [215] de mespriser le monde, vivre humblement, doucement et avec une parfaitte obeissance; car cette Congregation n'ayant pas beaucoup d'austerités ni des liens si indissolubles comme les Religions formelles et Congregations regulieres, il faut que la ferveur de la charité et la force d'une tres intime resolution suppleent a tout cela et tiennent heu de loix, de vœux et de jurisdiction, affin qu'en cette Congregation soit verifié le dire de l'Apostre qui asseure que le lien de la charité est le lien de la perfection..

  A025001731 

 On recevra donq en cette Congregation: les vefves desquelles les enfans seront hors de leurs mains, es estudes, es cours et ailleurs, [214] bien que pour la conservation des biens d'iceux elles soyent obligees de prendre quelque soin general des affaires de leurs ( sic ) mayson, comme seroyt de faire rendre conte a ceux qui les manient une foys l'annee, ou de les admodier; pourveu que tel soin puiss'estre executé en peu de jours, car pour cet effect telles vefves pourront sortir et aller ou il sera requis, ainsy quil sera dit ci apres..

  A025001733 

 Sur toutes les qualités requises a celles qui entreront, on doit rechercher l'humilité et soupplesse de cœur; car cette Congregation [215] n'ayant pas beaucoup d'austerités, ni des regles si fortes comme celles des Religions, il faut que la douceur et bonté du cœur supplee a tout cela, et qu'elles [y soyent comme ces petitz enfans qui se layssent conduire par la main en toute simplicité...] servent de [murailles], loix, de vœux et de jurisdiction..

  A025001734 

 Au demeurant, celles qui auront esté en mauvayse reputation, pourveu qu'elles soyent notoirement de bonne vie [pour le tems present...] et que leur vertu presente puisse contrepeser leur tare passee, elles pourront estre aussi receües..

  A025001737 

 Le principal point de la clausure des femmes est qu'on n'entre point en leurs Maysons, et notamment les hommes; et partant, les hommes n'entreront en façon quelcomque en la mayson de la Congregation, sinon quand la chose pour laquelle ilz entrent ne peut estre executee autrement qu'en entrant, et lhors il faut que ce soit avec la licence [216] par escrit de l'Evesque, ou de celuy qui sera commis de sa part..

  A025001738 

 Or, le medecin, cyrurgien, Confesseur, ou manœuvre devant entrer par necessité en la Mayson, il sera conduit au lieu ou il doit faire sa charge par deux des Dames qui feront auparavant sonner une clochette qui s'entendra parmi la Mayson, affin que l'on sache quil y a des hommes dedans, et que toutes se retirent en leurs chambres et au heu de leurs offices, sans qu'il soit permis a aucune de se tenir en lieu ou elle puisse rencontrer ceux qui entrent, sinon que la Superieure les fit appeller pour cela..

  A025001739 

 Et en fin, tant les uns que les autres ayant fait leur devoir, seront reconduitz droit pour se retirer.

  A025001740 

 Que sil ne se peut aysement, on observera a leur entree et visite ce qui a esté dit des entrees des Confesseurs et medecins..

  A025001740 

 Que sil se peut bonnement faire, telz parens n'entreront qu'avec le medecin ou Confesseur, affin qu'on ne multiplie pas les entrees.

  A025001745 

 Confesseurs, et que la chose pour laquelle ilz sont necessaires ne [216] peut estre executee de dehors; et Ihors, encor faut il que ce soit avec la licence [particuliere] par escrit de l'Evesque ou de celuy qui sera commis de sa part..

  A025001746 

 La clef de la porte [et de la grille] demeurera es mains de la Superieure, et [quant il faudra fair'entrer le medecin, ou le Confesseur, ou quelqu'autre homme, on sonnera une clochette au paravant...] le medecin, ou Confesseur, ou quelqu'autre homme entrant en la Mayson, il sera conduit droit au lieu ou il doit faire sa charge (sans qu'il luy soit loysible de divertir ailleurs) par deux des Dames qui feront au paravant sonner une clochette parmi la Mayson, affin que toutes les autres se retirent en leurs chambres, ou au lieu de leurs offices; et ne sera permis a aucune de [venir rencontrer...] se tenir en lieu ou elle puisse estre veue ou rencontree de ceux qui entreront, sinon que la Superieure la fit appeller pour cela..

  A025001747 

 Et en fin, tant les uns que les autres ayants executes ( sic ) leurs charges, [seront] reconduitz droit, sans divertir ni s'arrester, pour se retirer comm'ilz sont venus..

  A025001751 

 Premierement, que ce soit avec licence par escrit du Pere spirituel de la Mayson.

  A025001752 

 Secondement, que ce ne soit pour prendre aucun repas, ni pour y arrester apres le soleil couché, s'il n'est expres porté par la licence..

  A025001753 

 Tiercement, qu'a leur entree on observera ce qui s'observe a l'entree des medecins et cyrurgiens, horsmis que la Superieure pourra user de toute liberté a faire entretenir les femmes qui entrent par celles des Dames que bon luy semblera, ou en chambre ou dehors par les jardins; et pourra les admettre aux exercices de la Mayson, voire mesme a celuy de la recreation, s'il y a apparence que cela se puisse faire avec edification..

  A025001754 

 Quatriesmement, en tous cas, nulle des Dames ne pourra parler a celle qui vient de dehors qu'avec licence de la Superieure, et non jamais qu'a la veue d'une autre Dame, bien que la Superieure pourra permettre, quand elle le treuvera raysonnable, que l'entretien se face sans que la Dame qui y assistera puisse ouïr ce qui se dira..

  A025001755 

 Cinquiesmement, on prendra garde que les femmes qui entreront ne troublent point le train ordinaire des exercices de la Mayson.

  A025001755 

 Et pour cela on n'en recevra que deux ou [219] trois au plus a la fois, sinon que quelque grande occasion requiere le contraire; car autrement il y auroit danger de grande distraction..

  A025001756 

 On excepte neanmoins les femmes estrangeres qui en autre tems n'auroyent pas commodité, lesquelles pourront estre consolees; comme aussi celles de la ville en cas que quelque urgente necessité spirituelle le requist..

  A025001756 

 Sixiesmement, les jours de feste les femmes n'entreront point en la Mayson, affin que les Dames, qui toutes auront esté communiees, ayent plus de repos pour traitter des choses spirituelles et caresser le celeste Espoux qu'elles auront receu.

  A025001757 

 Et qu'il n'y en ayt que trois au plus au mesme tems; et pendant que telles femmes seront en la Mayson, la Superieure, par soy mesme ou par l'une des Dames, les fera assister de conseil, livres et exercices propres au sujet pour lequel elles seront venues, tesmoignant tous-jours la cordiale charité de la Congregation envers elles.

  A025001757 

 Que si, en sortant de la Mayson, ou mesme en entrant, elles donnent quelque chose pour leur despense, il pourra estre charitablement accepté, mays non pourtant jamais demandé..

  A025001757 

 Septiesmement, la Congregation devant avoir le service des pauvres en recommandation et n'y ayant point de pauvreté si grande que celle de l'ame, il sera permis de recevoir en la Mayson, mesme pour plusieurs jours, les femmes lesquelles, ou pour se consoler, ou pour se preparer a faire des confessions generales, ou pour s'establir en l'amendement de leur vie auront besoin d'un peu de retraitte: a la charge qu'estant entrees elles obeissent a la Superieure, [220] sans sortir a la ville tandis qu'elles feront leurs exercices, ni permettre qu'elles soyent visitees; au moins, que celles qui les viendront visiter ne puissent entrer dans la Mayson, car autrement leur retraitte serviroit de distraction et a elles et aux Seurs, et se rendroit inutile.

  A025001758 

 En somme, il faut faire en sorte que quand les personnes entreront en la Mayson, le monde pourtant n'y entre point: ce qui arrivera si les Filles de la Congregation attirent par leurs devis, contenances et belles façons les femmes de dehors a parler modestement, chrestiennement, [221] spirituellement, ne voulant ouïr d'elles les nouvelles superflues, murmurations et autres devis importuns, mays monstrant un vray et naïf mespris de tout cela..

  A025001763 

 Que ce ne soit pour (manger, boirej prendre aucun repas, ni pour coucher, ni pour y arrester apres le soleil couché, sil n'est expressement porté par la licence. 3. Qu'a leur entree on sonnera une clochette, differemment neanmoins que quand on sonne pour les hommes; et tout le reste s'observera comme a l'entree des hommes, sinon que la Superieure pourra user de toute liberté a faire entretenir les femmes qui entreront par celles que bon luy semblera, ou en chambre ou dehors, et les admettre a ffaire tous les exercices...] voir et se treuver aux exercices de l'orayson, de la leçon, voire mesme a celuy de la recreation, sil y a apparence que cela se puisse faire avec edification. 4. Mais en tous cas, nulle des Dames ne pourra [entretenir] parler a celle qui viendra de dehors qu'avec licence de la Superieure, et non jamais qu'a la veue d'une Dame assistente; bien que [quelquefois] la Superieure puisse permettre, quand [bon luy semblera...] elle le treuvera a propos, que l'entretien se face sans que l'assistente puisse ouïr ce qui se dira. [5. On ne recevra a la fois que deux femmes...] [219].

  A025001763 

 Que ce soit par licence [de l'Evesque en escrit...] signé ( sic ) [218] de l'Evesque ou de son deputé.

  A025001764 

 Or, en tout et partout, on prendra garde que les femmes qui entreront ne troublent point le train ordinaire des exercices de la Mayson [tant quil sera possible...] que le moins quil sera possible; et pour cela, on n'en recevra que deux a la fois, ou trois au plus, car autrement il y auroit danger de grande distraction..

  A025001765 

 La Congregation [ayant la charité du prochain...] devant avoir le service des pauvres en recommandation, et n'y ayant point de pauvreté si grande que celle de l'ame, il sera permis de recevoir en la Mayson, non seulement pour un jour, mais pour plusieurs jours, ainsy quil sera requis, les femmes lesquelles, ou pour se consoler, ou pour se praeparer a faire des confessions generales, ou pour s'establir en l'amendement de leurs vies, [demanderont] auront besoin d'un peu de retraitte; a la charge qu'estant entrees elles observent de point en point tous les exercices de la Mayson, [220] et qu'[on n'en reçoive au...] il n'y [en] ait au plus que trois a mesme tems..

  A025001766 

 Que si en sortant de la Mayson elles veulent donner quelque chose pour la despense qu'elles auront faitte, il sera accepté charitablement, mais il ne sera pourtant jamais rien demandé..

  A025001767 

 Pendant le tems que telles femmes seront en la Mayson, la Superieure, ou par soymesme ou par une des Dames, les fera assister de conseilz, advis, livres et exercices propres a l'intention pour laquelle elles seront entrees, et aura soin de leur tesmoigner la cordiale charité de la Congregation.

  A025001770 

 Premierement, qu'aucune des Seurs ne leur parle sinon aux treilles a ce destinees, et icelles fermees, sinon que la Superieure en permette l'ouverture.

  A025001770 

 Secondement, que tous-jours celle qui y ira parler soit assistee d'une autre Seur qui puisse ouïr ce qui se dira, si la Superieure ne le permet autrement; auquel cas tous-jours faudra-il que celle qui parle soit a la veue de celle qui assistera.

  A025001775 

 Que tous-jours celle de dedans ayt une Dame assistente qui escoute ce qui se dira, sinon que l'on parlast en matiere de conscience, ou que, par licence de la Superieure, il fut permis de parler en secret; et lhors l'assistente s'esloignera en sorte que, sans ouïr ce qui se dit, elle puisse neanmoins voir [ce qui se fait] celle qui parle et ce qui se fait de dedans.

  A025001775 

 [Et ce] en telle sorte quil y ayt quelque distance entre celle [qui parlera] de dedans et ceux de dehors, autant que la civilité et modestie requiert.

  A025001778 

 Si les Dames de cette Congregation observent tant de discretion et de bon ordre a l'entree des personnes de dehors en leur Mayson, elles en doivent encor plus avoir es sorties qu'elles feront, afïin que, comme le monde n'entre point en leur Mayson encor que les personnes du monde y entrent, on puisse aussi dire qu'elles ne vont pas au monde encor qu'elles aillent parmi les lieux et personnes du monde, et qu'elles soyent comme l'huyle qui, passant entre les autres liqueurs, n'est pourtant jamais confuse, meslee ou alteree entre icelles..

  A025001779 

 A leur retour, elles rendront fidellement conte a la Superieure de tous leurs deportemens, et se remettront en la plus grande humilité qu'il leur sera possible, pour reprendre le train des exercices de la Mayson et reparer les pertes spirituelles que la sortie leur pourroit avoir apporté..

  A025001779 

 Donq, elles ne sortiront que pour des causes ou extremement pieuses, comme est le service des pauvres et malades, a l'exemple des anciennes vefves chrestiennes; ou pour autre service grandement necessaire, comme quand, pour leur juste devoir, elles auront besoin d'aller mettre ordre en quelques affaires urgentes, pour par apres se retirer [223] avec plus de repos.

  A025001779 

 Elles se tiendront tous-jours proches l'une de l'autre, en sorte qu'elles se puissent voir et rendre tesmoignage de leurs actions, observant toutes deux, tant que faire se pourra, toutes les regles de la Congregation et les advis que la Superieure leur donnera a leur despart pour leur conduitte.

  A025001779 

 Et en ce cas, aucune ne sortira qu'avec une compaigne de la Congregation, laquelle tiendra place de la Superieure a l'autre, pour l'ayder et fortifier en la devotion contre les tentations que les connoissances et autres amorces domestiques luy pourroyent exciter.

  A025001779 

 Et en ce dernier cas, il sera requis que la sortie soit appreuvee par leur Pere spirituel et par la Superieure, avec licence par escrit qui contienne les causes de la sortie, les conditions d'icelle et la limitation du tems qu'elles pourront employer dehors.

  A025001780 

 Celles qui sortiront pour visiter les pauvres et malades seront tous-jours deux de compaignie qui ne s'abandonneront aucunement: l'une desquelles, selon que la Superieure l'aura designé, aura la charge de l'autre, laquelle [224] ne parlera ni ne fera chose quelcomque sinon a mesure que celle ci le luy signifiera; en sorte que l'une prattique la charité, et l'autre l'humilité, qui sont les deux grandes vertus de la Congregation et Visitation de Nostre Dame..

  A025001784 

 Ni ne sortiront devant jour et n'attendront a se retirer que le soleil soit couché..

  A025001795 

 [Cette Congregation estant erig...] Les Dames de la Congregation observant tant de discretion et de bon ordre en ce qui regarde l'entree des personnes de dehors vers elles, n'en doivent pas moins observer es sorties qu'elles feront, affin que, comme par les regles sus escrittes on empesche que le monde n'entre en leur Mayson avec les personnes [mondaines] du monde, aussi, par autres regles, on puisse les empescher d'entrer au monde lhors qu'elles sortiront et seront parmi les personnes du monde; [ains que, comm'un huile sacré, elles se meslent tellement...] car, comme l'huyle [se meslant avec...] passant entre les autres liqueurs n'est jamais pourtant confus ni meslé avec icelles, ainsy [doivent] les ames de cette Congregation [avoir un cœur si bien fait et des si bonnes...] doivent sortir emmi le monde sans s'affectionner au monde, ni s'infecter du monde..

  A025001796 

 Et en ce dernier cas, il sera requis que la sortie soyt appreuvee par l'Evesque ou son deputé, et par la Superieure, avec licence par escrit qui contienne les causes de la sortie et les conditions d'icelle, avec limitation du tems auquel [celles qui sortiront] elles pourront demeurer dehors..

  A025001796 

 Premierement donq: elles ne sortiront que pour des occasions ou extremement pieuses, comme le service des pauvres et malades,, a l'exemple des anciennes vefves de la primitive Eglise; ou extremement necessaires, comme quand les vefves, pour leur juste devoir, devront pour quelques jours aller mettr'ordre aux affaires [223] urgentes de leurs maysons, pour par apres se retirer avec plus de repos.

  A025001797 

 Celles qui sortiront pour visiter et servir les pauvres et malades seront tous-jours [accompaignees d'un'autre aussi, laquelle...] deux de compaignie, qui en toute leur visite ne s'abbandonneront aucunement; et l'une des deux, ainsi que la Superieure l'aura designé [224], aura la charge de l'autre, laquelle ne parlera ni fera chose quelcomque sinon a mesure que celle qui aura la charge le luy signifiera.

  A025001798 

 Elles ne s'amuseront point par les rues, ains rencontrant quelque personne a laquelle il faille parler, ce sera le plus courtement que faire se pourra..

  A025001799 

 Elles n'entreront en aucune mayson, sinon justement en celles pour lesquelles elles auront pris l'obeissance avant que de sortir de la Mayson..

  A025001809 

 Elles pourront encor sortir pour quelque grande et extraordinaire occasion: comme pour gaigner les Jubilés, quand il est porté par iceux que toutes personnes qui ne sont en rigoureuse clausure soyent tenues, pour gaigner l'Indulgence, de visiter les eglises designees.

  A025001809 

 Que si il est jugé a propos qu'en cette occasion la elles communient en quelques unes des eglises designees, ou ailleurs, la Superieure le leur pourra permettre.

  A025001810 

 Et quant aux sermons, les Seurs y pourront aller tantost les unes, tantost les autres, principalement a certains sermons signalés, n'estant pas expedient qu'elles viennent communement, tant pour eviter une trop grande distraction que pour garder la bienseance de leur retraitte.

  A025001814 

 Elles pourront aussi sortir pour quelques grandes et extraordinaires œuvres de pieté, comme pour gaigner les Jubilés, esquelz il est porté que toutes personnes qui n'observent pas la rigoureuse clausure soyent tenues, pour gaigner l'Indulgence, de visiter les eglises.

  A025001814 

 Et en fin, quand elles sortiront pour telz sujetz, elles pourront encor communier en l'eglise que la Superieure leur permettra, toutes ensemble.

  A025001814 

 Et lhors elles iront la moytié ensemble une fois, et l'autre moytié l'autre fois, sinon que la Superieure jugeast plus a propos de partager en trois ou quatre trouppes, selon le nombre; mais, comme que ce soit, en chasque trouppe il y aura tous-jours une qui aura la charge, et les autres seront en obeissance.

  A025001816 

 Et tous-jours la compaigne tiendra lieu de Superieure a l'autre en faveur de laquelle la sortie se fera [sans toutefois employer la superiorité], employant cett'authorité pour ayder et fortifier la devotion de l'autre contre les [occasions] tentations que les connoissances et autres amorces domestiques luy pourroyent donner..

  A025001816 

 Quant aux sorties qui se feront pour plusieurs jours en affaires d'importance, et quand il sera jugé necessaire, ainsy quil a esté dit ci dessus [pour le regard des vefves qui ont quelque charge des maysons], il faudra observer qu'aucune ne sorte qu'avec une compaigne de la Congregation, et qu'au tems qu'elles seront dehors elles observent, tant que faire se pourra, les regles de la Mayson, [228] et principalement quant a l'orayson mentale, la confession et Communion.

  A025001821 

 Et la Superieure dira: Treuves vous pas [qu'il est juste] que je sois du nombre de celles qui exerceront cette charité, avec la Seur Assistente et la Seur Directrice?.

  A025001824 

 Jamais aucune de celles qui auront esté choisies ne demandera plus aucune obedience du long de cette annee la, ains attendra seulement que la Superieure dispose d'elle pour cest effect..

  A025001827 

 Celles qui sortiront le doivent faire de bon coeur, pour exercer la charité selon la volonté de Dieu, et penser que Nostre Seigneur, tandis qu'il vesquit en ce bas monde, quoy qu'il peust guerir les malades sans aller vers eux, voulut neanmoins plusieurs fois les visiter, les toucher, affin de nous donner exemple d'une cordiale affection et d'une sainte douceur envers les infirmes..

  A025001828 

 Elles se prendront garde de respandre par tout ou elles passeront et iront l'odeur des bons exemples et des parfums de sainteté es maysons esquelles elles entreront; et partant, elles se garderont de toutes babilleries et multitudes de paroles, de curiosité des affaires d'autruy et des nouvelles du monde, de toute dissolution tant de paroles que de gestes et actions; ains auront soin de se tenir en une sainte composition et contenance, et de dire des paroles d'edification, lesquelles elles avanceront sans affectation, mays avec une bonne et simple affection; non point magistralement et faysant les entendues, mais charitablement et humblement, quand les occasions et propos les y convieront..

  A025001830 

 Neanmoins elles doivent faire leurs visites courtes, specialement quand il y aura des compaignies seculieres, sinon que la charité requist le contraire..

  A025001830 

 Quant aux hommes, elles ne les visiteront point que pour des maladies griefves et fortes, et lhors qu'ilz commenceront a se remettre elles cesseront de les visiter, ne laissant pas, en ce qu'elles pourront, de leur procurer du soulagement sans y venir elles mesmes; mays quant aux femmes, elles les assisteront tandis qu'elles auront besoin, sans tant de considerations.

  A025001831 

 Si en quelque logis de malade il se treuvoit des personnes indiscretes qui, par parolles ou gestes, violassent le respect deu a la qualité des Seurs qui visiteront, l'on en advertira soudain la Superieure, laquelle fera ou cesser les visites, ou, par des humbles et charitables advertissemens, fera sçavoir en la mayson qu'on visite que l'on desire continuer, a la charge que le respect deu a leur vocation soit gardé; ou on y pourvoira autrement selon les occurrences..

  A025001832 

 Si quelqu'un apres estre gueri veut remercier celles qui l'auront assisté, on ne le permettra pas, si quelque speciale consideration n'invite a cela; ains la Superieure, ou telle autre des Seurs qu'elle treuvera mieux, ira recevoir les remerciemens au nom de la Superieure, le plus court oysement que se pourra, sans affectation.

  A025001833 

 En la Visitation on devra procurer que les malades se disposent de bonne heure [à recevoir les Sacrements] et, par des bons propos, les exciter a l'amendement de vie ou avancement a la pieté.

  A025001834 

 Et bien que l'on pourra visiter et servir les malades riches, et principalement les dames et bourgeoises qui seront devotes et affectionnees a la Congregation, si est ce qu'il faut sur tout exercer cette charité envers les pauvres et destitués.

  A025001834 

 Et quant aux affligés, comme femmes desolees pour la perte de leurs proches, on pourra aussi les voir pour exercer la consideration en leur endroit, mays non par maniere de compliment, ains seulement lhors que vrayement on estimera de pouvoir alleger des desplaysirs ceux qui en auront..

  A025001838 

 Apres quoy, elles [233] feront quelque exercice corporel, selon que la Superieure ordonnera; pendant lequel tems elles demeureront toutes ensemble, sinon que les officieres ayent quelques affaires qui les appellent ailleurs.

  A025001838 

 Despuis Pasques jusques a la saint Michel: elles se leveront a cinq heures et demie, pour estre a l'orayson l'heure entiere de six a sept, laquelle l'on sonnera en clochant seulement durant trois Pater et trois Ave, et a celle fin que toutes les Seurs ayent commodité de s'assembler; et l'on la commencera par le Veni, Sancte Spiritus; a la fin de laquelle elles diront Prime a basse voix.

  A025001839 

 A huit heures on dira Tierce, et en chant, et tout consecutivement Sexte a basse voix; et apres on ouïra la sainte Messe, laquelle dite, on recitera Nonne a basse voix, sinon les festes que l'on la chantera.

  A025001843 

 Es jours de jeusne, que l'on disne a onze heures, l'on fera le matin le silence qui defaudra l'apres disner, de Tierce jusques apres Graces; et alhors le silence de l'apres disner ne commencera qu'a une heure apres mydi..

  A025001851 

 Apres cela, elles s'employeront [233] en quelqu'œuvre exterieure, selon que la Superieure treuvera bon, jusques a huit heures et demi qu'elles reviendront dire Sexte [et Nonne], et ouïr tout consecutivement la sainte Messe, apres laquelle elles diront Nonne..

  A025001852 

 A cinq heures elles feront l'orayson mentale qui se commencera par les Letanies, en sorte que le tout soit achevé a cinq heures trois quartz, qu'elles se relascheront un peu, en silence neanmoins, pour revenir souper a six heures..

  A025001853 

 Des le souper elles seront en recreation les unes avec les autres, jusques au premier son de Matines qu'elles se retireront en silence pour se treuver au chœur et commencer Matines a huit heures; apres lesquelles elles feront l'examen de conscience, qui estant [235] achevé, elles feront un peu de [leçon] lecture pour la meditation du jour suivant; et de la se retireront en silence, en sorte que toutes soyent couchees a dix heures..

  A025001854 

 Es jours de jeusne, qu'elles disneront apres onz'heures, elles rempliront les heures qui abonderont devant disner a faire desouvrages, [comm'aussi celles qui surabonderont apres... Mais apres disner elles employeront...] Et quant a l'apres disner, il ny aura rien de moins qu'es autres jours, par ce que l'heure qu'on employeroit a souper suppleera presque a l'heure que le retardement du disner aura retranchee..

  A025001859 

 Apres l'Office, aucune ne se levera pour s'en aller que le signe ne soit donné..

  A025001859 

 Elles seront promptes a partir au premier son de la cloche pour se treuver au chœur, et y viendront avec gravité et reverence; comme aussi elles se mettront en un maintien le plus devot qu'il leur sera possible, et ne parleront que pour chose extremement necessaire et urgente, ni ne sortiront que par necessité pressante.

  A025001859 

 Que si quelqu'une fait faute au chœur, personne ne la reprendra; mais si la faute se peut reparer, celles qui s'en appercevront la repareront froidement et sans empressement; comme par exemple: celle qui commence les Psaumes auroit prins l'un pour l'autre; les autres reprendront le Psaume laissé, sans donner signe de la faute.

  A025001860 

 Or, parce que les espritz [humains] ont accoustumé de prendre des secrettes complaysances en leurs inventions et nouveautés, mesme quand c'est sous prsetexte de devotion et accroissement de pieté, et que neanmoins il arrive ordinairement que la multitude des charges et prieres empesche l'attention, gayeté et devotion avec laquelle on les doit faire, il ne sera point loysible a la Congregation de se charger d'autres Offices, sous quelque prsetexte que ce soit, que de celuy de Nostre Dame, qu'on appelle le Petit Office, avec la variation des seules antiennes, chapitres, himnes, versetz et oraysons, es festes nommees ci dessus..

  A025001861 

 Au reste, les Seurs Servantes diront le matin, au lieu de Prime, Tierce, Sexte et None, douze Pater et Ave Maria; en lieu des Vespres et Complies, sept, et en lieu des Matines et Laudes, dix; et assisteront a la sainte Messe tous les jours en tant que faire se pourra..

  A025001863 

 Quatre fois l'annee, la Superieure fera appeller quelque Confesseur extraordinaire, auquel toutes se confesseront; et outre cela, quand quelqu'une desirera de se confesser ou conferer de sa conscience a quelqu'autre qu'au Confesseur ordinaire, pourveu que ce soit a quelque personne de bonne condition, la Superieure le luy permettra volontier.

  A025001866 

 Elles s'habilleront le plus simplement que faire se pourra, tant a la matiere qu'a la forme, ainsy qu'elles sont maintenant.

  A025001867 

 Les ouvertures des tours de lit se feront en sorte que les Seurs couchant plusieurs en une chambre ne se voyent point l'une l'autre quand elles se leveront et coucheront; c'est pourquoy lesdittes ouvertures ne seront point l'une contre l'autre..

  A025001871 

 Et cependant, celles qui auront plus [241] tost fait ne perdront point le tems, demeurant attentives a la lecture qui se fera, pour laquelle on deputera de semaine en semaine quelqu'une des Dames, qui lira clairement, distinctement et lentement, faysant des justes pauses de periodes a periodes, affin que toutes, gardant le silence, entendent sans peyne ce qui se lira.

  A025001871 

 Que si celle qui aura charge de lire prend le soin de prevoir la lecture qu'elle devra faire, pour la rendre plus fructueuse, ce sera chose fort aggreable a Dieu, et imitera le grand saint Thomas d'Acquin lequel, quoy quil fust le plus docte homme qui aye jamais esté despuis saint Augustin, ne laissoit pas de prevoir tous-jours la Messe avant que la dire..

  A025001877 

 Les Seurs estant a table, nulle ne desployera sa serviette ni ne mettra la main au Cousteau que la Superieure n'ayt donné l'obedience disant: Au nom de Dieu.

  A025001880 

 Elles pourront es recreations s'entretenir toutes ensemble (sinon que la Superieure les dispensast de se separer de ce que bon leur semblera, faysant neanmoins quelque besoigne legere qui ne requiere pas beaucoup d'attention, et laquelle puisse estre faitte negligemment et avec interruption..

  A025001882 

 L'une n'entrera point en la chambre de l'autre sans congé de la Superieure, et tandis que pour la petitesse du logis deux ou trois n'auront qu'une mesme chambre, celles qui se treuveront logees ensemble ne s'advanceront point a remuer les besoignes des unes des autres sans s'advertir..

  A025001885 

 Cette Congregation donques, estant comm'une petite armee dressee contre la vanité du monde, affin que, combattant heureusement, elle puisse rendre conte a Nostre Seigneur et a Nostre Dame de plusieurs belles victoires, elle doit estre establie en une parfaite obeissance.

  A025001885 

 Et pour cela, toutes les Seurs obeiront exactement et sans reserve a la Superieure, faysans toutes choses, tant en la Mayson que dehors, par son ordre..

  A025001886 

 De mesme, nul message ni aucune lettre ne sortiront de la Mayson que sous son bon playsir..

  A025001886 

 Tous les messages et lettres luy seront premierement rapportés, affin que, selon son jugement, elle les rende ou retienne.

  A025001887 

 Apres la recreation du soir, avant que d'aller a Matines, toutes se presenteront devant la Superieure, qui leur commandera ce qui sera requis pour ce soir la et pour la matinee suivante; comme de mesme, apres la recreation du disner, elle leur ordonnera ce qui se devra faire jusques a l'apres souper; et ny ayant rien a commander, elle leur recommandera la mutuelle dilection des unes aux autres.

  A025001892 

 Mays quant au vœu de pauvreté et d'obeissance, il ne se fera qu'avec l'advis du Pere spirituel et le congé de la Superieure, laquelle ayant conferé avec le Pere spirituel, deliberera meurement avant que de permettre que de telz vœux se facent, affin qu'estans faitz avec tant de consideration ilz soyent tant mieux observés.

  A025001892 

 Par ce que la sainte chasteté est la vertu fondamentale de la retraitte qui se fait en cette Congregation, toutes celles qui seront receuës au voyle en feront le vœu simplement, immediatement devant que de se presenter a la sainte Oblation.

  A025001892 

 Que si quelque Novice les veut faire, il ne luy sera permis par la Superieure sinon avec reserve qu'icelle Superieure les puisse casser toutes fois que bon luy semblera.

  A025001893 

 Or, pour ce vœu de pauvreté entant qu'il regarde l'usage des biens qu'elles auront hors de la Congregation, il faudra bien examiner la qualité de l'esprit des Seurs avant que de le leur permettre, et encor les necessités et particulieres conditions des familles qu'elles ont laissees; ce qui demeurera a la connoissance du Pere spirituel et de la Superieure..

  A025001896 

 Mays en cas que quelqu'une, par quelque accident, fust separee de la Congregation (ce qu'il faut esperer ne devoir jamais arriver), la Congregation luy rendra la moytié du don qui seroit esté donné a sa contemplation..

  A025001896 

 Que si, outre cela, elle avoit quelque autre chose, elle en pourra disposer a son gré, avec l'advis neanmoins du Pere spirituel de la Mayson et de la Superieure.

  A025001897 

 Ce qui s'observera si exactement, que ni les chapeletz, medailles, reliques, images ne demeureront point tous-jours a une mesme, ains seront changés entre les Seurs chasque annee, en cette sorte:.

  A025001897 

 Et affin que toute affection qui pourroit naistre dans le cœur des Seurs soit retranchee et qu'on voue en la Congregation une parfaitte abnegation des choses exterieures et de toute proprieté, on ne servira pas une des Seurs de ce qu'elle aura apporté en la Mayson ou de ce qu'on aura donné a sa contemplation, ains indifferemment.

  A025001898 

 Lhors que l'on donnera les Saintz la veille du jour de l'an, des nombres on fera des billetz, en chacun des-quelz sera escrit le nom de quelqu'un des Saintz qu'on doit tirer; et puis on mettra les chapeletz, Agnus Dei, reliquaires sur une table, par ordre, et a chasque chapelet, [247] auquel on joindra un Agnus Dei et un reliquaire, on attachera l'un des billetz.

  A025001899 

 Et quant aux reliques, les Seurs par ce moyen les auront toutes en leur protection, puisqu'elles leur seront communes, et que la communion fait que chacun jouit de ce que le commun jouit; car, comme ayant des reliques pendues sur ma poitrine j'estime qu'elles servent de protection a ma teste et [a] mes bras parce que mes bras sont conjointz a ma poitrine, ainsy les reliques qui sont sur l'une des Seurs serviront de protection pour toutes les autres, communiees par le lien indissoluble de la charité..

  A025001904 

 Au demeurant, la veille du premier jour de l'an, que l'on donnera les Saintz, au bout de chasque billet on mettra un nombre selon la quantité des Dames dediees qui se treuveront en la Mayson; et selon le nombre qu'une chacune treuvera en son billet, elle prendra le mesm'ordre toute l'annee.

  A025001904 

 Comme, par exemple: celle qui se treuvera le nombre I sera la premiere apres celles qui auront charge en quelque office, sinon celle qui sera deposee de Superieure, laquelle pour un'annee ira par tout la derniere, bien que la Superieure s'en ayde pour se conseiller es occurrences, et que les autres luy doivent porter du respect es autres occasions.

  A025001905 

 Mais, hors de la, les jeunes honnoreront les vielles, encor [249] que les jeunes soyent venues devant elles en la Congregation; et les vielles reciproquement n'useront d'aucun mespris envers les jeunes, ains toutes, avec une genereuse et noble humilité, se previendront mutuellement les unes les autres en honneur et respect, ainsy que l'Apostre l'ordonne..

  A025001906 

 Que si elles sont Religieuses professes, la Superieure les fera marcher devant elle, sinon qu'elles fissent trop de resistence..

  A025001912 

 Celles qui seront en office, hormis la Superieure qui partout sera la premiere, ne tiendront aucun rang sinon en ce qui regarde leurs offices; comme par exemple: celle qui est [la Directrice] l'Assistente [248] ne [sera la premiere] precedera les autres qu'es Offices [tandis que la Superieure sera presente...]; la Directrice ira la derniere des dediees, pour estre la premiere aupres des Novices; et ainsy, l'Enfermiere ne sera la premiere qu'en l'enfermerie; et de mesme les autres..

  A025001913 

 Au demeurant, la veille du jour de l'an, que l'on donnera les Saintz, au bout de chasque billet on mettra un nombre selon la quantité des Dames dediees qui se treuveront en la Mayson, et selon le nombre qu'une chacune treuvera en son billet, elle prendra ce mesm'ordre toute l'annee, a suivre ou preceder les autres; de sorte que si la plus jeune ou derniere treuve en son billet le nombre I, elle sera cett'annee la, la premiere au chœur, au refectoir et, es autres occurrences, apres celles qui auront charge en chasque office: et ainsy les premieres seront faites comme les dernieres, et les dernieres comme les premieres.

  A025001913 

 Aux portes, neanmoins, et es autres occasions qui ne regardent pas les seances, les jeunes s'humilieront beaucoup devant les vielles, encor que les vielles fussent [249] arrivees en la Mayson les [dernières]; et les vielles ne mespriseront point la jeunesse des jeunes, ains toutes, avec une genereuse et noble humilité, se previendront les unes les autres en honneur et respect, ainsy que l'Apostre l'ordonne..

  A025001914 

 Mais si la faute est [scandaleuse] d'importance, celle qui l'aura [veue] apperceue fera doucement et secrettement la correction chrestienne jusques a trois fois; et [250] apres cela, si la defaillante persiste en ses fautes, elle sera deferee a la Superieure, affin que par tous les moyens possible ( sic ) elle la face amender..

  A025001918 

 Et en cas que pour la qualité du mal elle fust en perplexité si elle la devroit deferer, elle en prendra l'advis ou de la Superieure ou du Pere spirituel, sans nommer ni faire connoistre la defaillante, sinon apres qu'elle aura esté conseillee de le faire..

  A025001918 

 Et si la faute estoit d'importance et secrette, celle qui l'aura apperceue fera doucement et charitablement la correction chrestienne jusques a troys fois; apres quoy, si la defaillante persevere en sa faute, elle sera deferee a la seule Superieure, affin que par tous les moyens possibles elle la face amender [250].

  A025001919 

 Et affin que l'amendement se face plus grand en la Congreégation, la veille du jour de l'an, quand on donne les Saintz, elles demanderont a la Superieure des aydes pour leur amendement.

  A025001919 

 Et elle les leur accordera au nom de Nostre Seigneur, donnant a une chacune d'icelles une compaigne pour cette annee lâ; et leur enjoindra d'avoir soin particulier l'une de l'autre a s'[exciter] a l'amour de Dieu et a se corriger l'une l'autre de leurs defautz, en esprit de douceur et charité, sans toutefois que pour cela elles facent aucun'autre particularité ensemble, sinon de s'admonester paysiblement l'une l'autre; ce que pour faire avec plus de suavité, de moys en moys elles se prieront l'une l'autre de [se] faire la reciproque correction.

  A025001922 

 Le samedi toutes les Seurs s'assembleront, tant Offertes que Novices, et apres avoir dit le Vent, Sancte Spiritus, la Superieure dira tout ce quil luy semblera devoir estre dit et proposé pour le bien spirituel de la Congregation.

  A025001922 

 Que si quelqu'une des Seurs avoit quelque chose a proposer, elle le dira a l'advantage a la Superieure, laquelle, pour ayder sa memoire, fera une petite liste des poins a proposer.

  A025001928 

 Les ouvrages que les Seurs prendront a faire des gens de dehors seront receus par la Superieure, ou celle qu'elle deputera, sans qu'aucune autre aye a traitter de cela.

  A025001931 

 Et lhors que par le commandement de la Superieure on prendra ce qui sera requis pour les necessités de la Mayson et des Seurs, on fera un autre roolle qui contiendra les sommes tirees et les causes pourquoy on les a tirees, escrit de la main de la Portiere et signé par la Superieure et la plus ancienne des Seurs, affin qu'au bout de chasque annee, un peu avant Noel, toutes les Officieres ensemble, avec la Superieure, facent sommairement un estat de tout ce qui s'est passé au maniement exterieur de la Mayson..

  A025001935 

 On ne pourra recevoir des jeunes filles en la mayson qu'elles n'ayent aujnoins dix ou douze ans, et n'en pourra-on recevoir que troys a la foys, et de celles qui ont quelqu'inclination, ou au moins auxquelles les parens desirent qu'on donne inclination d'estre Religieuses.

  A025001938 

 Quand il plaira a Nostre Seigneur que les Seurs ayent un lieu propre, elles s'essayeront d'attirer, les festes et Dimanches, les filles et femmes de la ville au lieu praeparé a cela, et qui ne sera pas dedans [le cours des] chambres et offices des Seurs, affin de les enseigner des exercices de pieté: comme de l'examen de conscience, de la preparation du matin, de la façon de dire le chapelet et la couronne, de se confesser et communier, et de bien faire l'orayson vocale..

  A025001941 

 Cette Mayson demeurant sous l'authorité de l'Evesque, comme toutes les autres de pareille forme, il commettra un [255] ecclesiastique discret, docte et irreprehensible, de sa part, qui prendra garde a la Mayson et Congregation, a ce que les regles soyent bien observees et qu'aucun abus ne s'y introduise; visitera la Mayson une foys l'annee, assistera aux elections de la Superieure et du Confesseur ordinaire, appreuvera les Confesseurs extraordinaires, donnera les licences aux femmes d'entrer en la Mayson, signera les causes des sorties extraordinaires des Seurs et celles des entrees des hommes, selon quil a esté dit ci dessus.

  A025001941 

 Et a luy auront recours tant la Superieure que les autres Seurs, ou il sera besoin d'une speciale providence.

  A025001946 

 Au demeurant, cette Mayson demeurera sujette a l'Evesque qui, pour la conduite d'icelle, commettra un ecclesiastique meur, discret, docte et irreprochable, qui, comme deputé de luy, sera le [255] Pere spirituel de cette [devote] Congregation, ayant charge de procurer l'advancement d'icelle tant es choses spirituelles que temporelles, et surveillant a ce que les regles y soyent bien observees, et qu'aucun abus ne s'introduise contraire a la bonn'odeur qui doit sortir de cette devote Mayson [pieuse]; et a ce Pere spirituel auront recours tant la Superieure que les autres Dames, en toutes les occurrences ou il sera requis et necessaire.

  A025001946 

 Et a luy appartiendra de visiter la Mayson une fois l'an, assister aux elections de la Superieure et du Confesseur ordinaire, appreuver les Confesseurs extraordinaires, donner les licences aux femmes d'entrer en la Mayson, et signer les causes des entrees des hommes quand il sera requis et celles des [grandes] sorties extraordinaires des Dames, ainsy quil a esté dit ci dessus; bien que, quant a la Visite, il semble expedient qu'elle se face par l'Evesque mesme, en l'assistence du susdit deputé et d'un autre a ce pris par office.

  A025001949 

 C'est pourquoy il faut sçavoir que ces Constitutions et regles, ni mesme les commandemens de la Superieure, ou de l'Evesque et Pere spirituel, n'obligent nullement a aucune sorte de peché, sinon quand on y contreviendroit par mespris, ou que le commandement seroit fait sous peyne d'encourir desobeissance, ou que la chose commandee seroit de grande importance..

  A025001949 

 L'ennemi, voyant que l'obeissance est le grand appuy de la vie spirituelle, tasche ordinairement de la rendre odieuse par des scrupules quil fait naistre autour d'icelle.

  A025001953 

 C'est pourquoy il faut sçavoir que ces Constitutions et regles, ni mesme les commandemens de la Superieure, ou du Pere spirituel et de l'Evesque, n'obligent point a aucun peché ni mortel ni veniel, sinon quand on contreviendroit par mespris, ou quand la Superieure, ou le Pere spirituel, ou l'Evesque, es cas esquelz la direction leur appartient, commanderoit [en vertu...] sous peyne d'encourir la deobeissance, [car alhors on ne pourroit pas des-obeir sans vray mespris...] ou que la chose commandee seroit de grand'importance..

  A025001953 

 L'obedience, grand appuy de la vie spirituelle, [est quelquefois employee...] L'ennemi, voyant que l'obedience est le grand appuy de la vie spirituelle, tasche ordinairement de la rendre odieuse par des scrupules quil fait naistre autour d'icelle.

  A025001959 

 Que leurs paroles soyent humbles et basses, leur visage doux et serein; qu'elles tiennent les yeux baissés, specialement au chœur, au refectoir, au Chapitre et quand elles paraissent devant les seculiers..

  A025001961 

 En leur conversation elles essayeront d'estre douces, humbles, cordiales et franches, se portant un respect amoureux [258] et s'entresaluant par une inclination de la teste lhors qu'elles se rencontreront, sans pourtant faire des devis en particulier, sinon lhors que la Superieure l'aura permis.

  A025001961 

 Et ce respect amoureux qu'elles se doivent rendre requiert qu'elles ne s'interrompent point les unes les autres lhors qu'elles parleront, specialement quand on rapporte les lectures, que l'on parle de choses bonnes; et qu'elles ne contestent point, non pas mesme en chose legere..

  A025001965 

 La Congregation recevra le moins qu'il sera possible de Seurs Servantes, et la Superieure prendra garde que celles qu'on recevra soyent de bon naturel et resolues de servir Nostre Seigneur pour son amour, en travaillant pour la Congregation, avec volonté d'obeir et de s'humilier en tout et par tout..

  A025001966 

 Avant leur reception en la Mayson, on les espreuvera quelques jours, selon que la Superieure treuvera bon, pendant lesquelz on [leur] proposera les articles du service et de l'obeissance qu'elles auront a faire, et le renoncement a la propre volonté en toutes choses; apres cela, [on les] recevra avec les mesmes considerations que les autres Seurs, et avec mesme consentement..

  A025001968 

 Bref, autant que les occupations auxquelles elles seront destinees le permettront, on les rendra conformes en mœurs, en exercices et en affection aux Seurs de la Mayson..

  A025001969 

 Personne ne leur commandera que la Superieure et l'Œconome et celle a qui la Superieure l'ordonnera, et la Directrice tandis qu'elles seront Novices; et tant la Superieure que les autres leur commanderont avec respect amiable, se resouvenant que, quoy qu'elles servent a l'exterieur, elles sont neanmoins filles de Dieu, coheritieres de Jesus Christ, nos Seurs selon l'esprit et nos esgales en nature; et qu'en fin, comme dit saint Paul, elles et nous n'avons qu' un seul Seigneur Jesus Christ, esgalement Seigneur des uns et des autres.

  A025001970 

 Les deux ans expirés, on observera a leur reception ce qui s'observe pour la reception des Seurs, soit pour l'examen ou deliberation de les recevoir ou de differer leur reception, soit pour l'Oblation; laquelle neanmoins elles ne feront point, tant qu'il sera possible, que quand quelque Seur la fera, affin qu'apres les articles esquelz il est marqué, la Superieure, parlant pour elles, n'ayt a faire que de dire simplement: «Ces deux Seurs...», et ce qui s'ensuit.

  A025001970 

 Que si elles font seules leur Oblation, faudra faire comme il est marqué au Formulaire..

  A025001976 

 Et tous-jours ell'aura le soin particulier de la direction des Offices du chœur, desquelz elle departira les charges le samedi et veille des testes que l'on change l'Office, apres la recreation de l'apres disner, et des lectures, bien que, quant aux livres quil faudra lire, elle n'en face point le choix que par l'ordre de la Superieure.

  A025001980 

 Ell'aura le soin d'eslever et conduire les Novices, et partant elle doit estre la douceur, la discretion et la devotion mesme, pour, avec un amour plus que maternel envers ses filles, les nourrir dignement en qualité de futures espouses du Filz de Dieu.

  A025001980 

 Or, les enseignemens qu'elle leur donnera [261] seront de l'exercice des vertus, particulierement de l'obeissance, douceur et mortification des passions, et l'orayson; de bien lire et bien prononcer tant l'Office que tout le reste; de bien faire au matin la preparation, et au soir l'examen, avec les autres pointz qui regardent leur avancement et observation des Regles; jusques mesme aux contenances, et principalement celle quil faut tenir en l'Office, en la Communion, en la table et quand l'on paroist devant les mondains..

  A025001982 

 Et dautant que les Seurs Servantes qui, pour l'ordinaire, sont rustiques, dures et de naturel moins poli, sont aussi plus malaysees a manier, la Directrice usera d'un amour tout particulier en leur endroit, affin d'avoir de la patience, tolerance et perseverance a bien cultiver leur esprit..

  A025001982 

 Et partant, la Directrice doit avoir un esprit universel, pour manier differemment les cœurs des filles de la Mayson, tant Seurs que Servantes, selon la diversité de leurs espritz, affin de les former a la pieté, devotion, douceur et charité.

  A025001983 

 Les Novices, tant les unes que les autres, s'addresseront a la Directrice pour toutes leurs necessités, et elle en advertira la Superieure..

  A025001989 

 Quand on donnera quelque aumosne, elle le dira le soir apres la recreation, affin que l'on prie pour les bienfacteurs..

  A025001995 

 Elle n'usera de nulle authorité sur celle qui luy sera donnee pour compaigne, pour luy defendre et ordonner quelque chose, ains s'en servira simplement pour estre presente a ce qu'elle fera et luy ayder a ouvrir et fermer ses portes; a quoy elle ne doit jamais manquer, comme aussi a fermer de bonne heure avant la nuit, et n'ouvrira point le soir, pour quelque affaire que ce soit, sans le congé de la Superieure.

  A025001999 

 Qu'elle aye le soin de faire tenir toute chose en bon ordre par la Mayson; que les chambres et les offices soyent tenus netz, et pour cela elle les visitera une fois ou deux la semaine, prenant garde si toutes s'acquittent bien de leurs offices, pour en advertir la Superieure.

  A025002000 

 Elle sera soigneuse de faire rendre conte tous les jours a celle qui a la charge de faire les provisions dehors, et de [264] l'escrire affin qu'elle n'oublie rien; comme aussi de prevoir les choses qui sont a faire en sa charge, pour en advertir la Superieure apres la recreation du soir et du matin; et ordonnera le soir aux Seurs Servantes et a celles qui servent a la cuysine ce qui sera a faire pour le lendemain matin, et quand le silence d'apres disner sera sonné, ce qui se devra faire le reste de la journee, affin que toutes choses se fassent par ordre et sans empressement..

  A025002003 

 Celle ci ne doit respirer que charité, tant pour bien servir les Seurs malades, que pour supporter les humeurs importunes que le mal donne quelquefois aux pauvres [infirmes] auxquelles elle doit compatir, en les divertissant neanmoins de leurs humeurs le plus dextrement et suavement qu'elle pourra, sans jamais tesmoigner d'estre degoustee ni ennuyee de les servir.

  A025002003 

 Elle les doit regarder comme la vive image de Jesus Christ crucifié; et s'il est vray, comme saint Chrisostome l'asseure, que les anciens chrestiens alloyent en Arabie pour seulement voir et reverer le fumier sur lequel saint Job souffrit tant de travaux avec quelle reverence devons nous approcher les litz sur lesquelz nos freres et nos seurs endurent leurs maladies pour Jesus Christ!.

  A025002005 

 Mays les malades aussi, reciproquement, se resouvenant de l'infinie douceur et patience de Nostre Seigneur crucifié, qui receut le fiel et toute sorte d'aspreté sans aucun meslange de consolation pour leur salut, s'essayeront de l'imiter, prenant les medecines, viandes et autres traittemens de l'Infirmiere avec action de graces et benediction du [265] nom de Dieu, de la part duquel tous les soulagemens et services que l'on leur fait leur arrivent, dont tant d'autres, qui sont peut estre plus fidelles qu'elles au service de Dieu, se treuvent privees tout a fait..

  A025002008 

 Outre cela, une des Seurs aura soin particulier de parer la chappelle et sonner a propos pour les Offices et oraysons; et elle aura un grand soin de la netteté et propreté du chœur, de l'autel et des habitz ecclesiastiques, se souvenant que Nostre Seigneur a tous-jours aymé la netteté et mondicité des lieux, et que Joseph [et] Nicodeme sont loués, de luy avoir preparé un sepulchre neuf, des linges neufs, des parfums et unguens pretieux..

  A025002010 

 Quand il viendra des prestres estrangers dire la Messe, elle en advertira la Superieure; et s'il faut donner quelque ornement, elle tiendra le voyle bas, et ne parlera point que pour ce qui ne se pourra esviter..

  A025002012 

 Elle ira le matin, avant que sonner l'orayson, par toutes les celles, voir si toutes les Seurs seront levees; et si quelques unes avoyent de l'incommodité, elle en advertira la Superieure..

  A025002016 

 Elle ne les distribuera point aux Seurs que par l'ordonnance de la Superieure.

  A025002017 

 Aucun habit ne sera rompu ni laissé que par l'ordonnance de la Superieure..

  A025002021 

 Celle qui a la charge des linges doit avoir le mesme soin que la Robiere, pour les bien conserver et entretenir, pour les distribuer a propos selon la necessité des Seurs, et les retirer lhors qu'elles les auront laissés..

  A025002029 

 Qu'elle prenne garde si la vaisselle, tant de terre que d'estain, sera bien nette, pour en advertir la Superieure, affin qu'elle ordonne aux Seurs qui la lavent a tour d'y faire mieux leur devoir.

  A025002035 

 Ainsy doivent elles, tant qu'il leur sera possible parmi leur petit labeur, tenir leurs cœurs recueillis et eslevés en Dieu, et par ce moyen elles n'auront pas moins aggreable leur service fait par l'action que si elles estoyent tous-jours en contemplation.

  A025002035 

 Elles feront fidellement et simplement leur exercice spirituel, ainsy que la Superieure le leur marquera..

  A025002035 

 Les Seurs qui seront employees en cet office de la cuysine doivent estre contentes et consolees de rendre aux espouses de Nostre Seigneur le mesme service que sainte Marthe, qui estoit une grande dame, luy rendoit, apprestant les viandes pour luy et pour ses Apostres; se souvenant aussi des petites meditations que faysoit sainte Catherine de Sienne, laquelle en semblable exercice ne laissoit pas d'estre ravie en extase.

  A025002036 

 Qu'elles soyent soigneuses de tenir les repas prestz a l'heure ordonnee, affin que par leur faute il n'y ayt point [268] de desreglement; ayant special soin de bien apprester pour les malades..

  A025002040 

 La Superieure sera l'ame, le cœur et l'esprit de la Congregation; en sorte que, comme l'ame, le cœur et l'esprit d'un cors respand son assistence, son mouvement et ses actions par toutes les parties d'iceluy, aussi la Superieure doit animer de son zele, de son soin et de son exemple tous les membres de la Congregation, et doit vivifier par sa charité et dilection maternelle toutes les Seurs et filles de la Congregation: procurant que les regles soyent observees le plus exactement que faire se pourra, que la mutuelle charité et sainte amitié soyent prattiquees en toutes sortes de vertus; ouvrant sa poitrine maternelle et amiable a toutes ses filles esgalement, affin qu'elles y ayent recours en leurs doutes, scrupules, difficultés, secheresses, troubles et tentations; commandant a une chacune et a toutes en general avec des paroles et contenances graves mays suaves, avec une contenance asseuree mays douce et humble, et avec [un] cœur plein d'amour et du desir du prouffit de celles auxquelles elle commande..

  A025002041 

 Elle tiendra les yeux dessus ce petit cors, affin que toutes les parties d'iceluy respirent la paix, la concorde, la douceur, l'union et le service amoureux de Jesus Christ.

  A025002042 

 Elle considerera specialement la Directrice et les Novices [269], affin que cette pepiniere soit bien cultivee; comme aussi elle pourvoira avec un soin particulier a la necessité et consolation des malades et, tant qu'il luy sera possible,, les servira de ses propres mains es maladies de consequence..

  A025002043 

 Elle eslevera avec un amour maternel les filles qui, comme petitz enfans, sont encor foibles en la devotion, se resouvenant de ce que dit saint Bernard a ceux qui servent aux ames: «La charge des ames,» dit il, n'est pas des ames fortes, mays «des ames infirmes; car si quelqu'un te donne plus de secours quil n'en reçoit de toy, reconnois que tu es non pere, mais pair en son endroit.» Les justes et les parfaitz n'ont point besoin de superieur et de conducteur; ilz se servent de loy a eux mesmes et font asses sans qu'on leur commande.

  A025002046 

 Et lhors on procedera a nouvelle election, qui pourra neanmoins estre faite de la mesme personne en la continuant encor pour trois ans, passé lesquelz il ne sera plus loysible d'user de continuation, ains faudra qu'elle demeure deposee au moins un an entier avant que de rechef on la puisse eslire en la mesme charge.

  A025002046 

 On ne deposera la Superieure que de troys ans en trois ans, sinon que quelque particuliere necessité le requit.

  A025002047 

 Et en cas que les deux tiers des Seurs reprouvassent l'election, la Superieure en fera un'autre, ou au moins ne laissera guere en office celle qui aura esté esleue, sinon qu'elle se comportast tellement, qu'on vit clairement les Seurs satisfaites d'elle en sa charge..

  A025002048 

 Le Pere spirituel luy dira: «La Congregation vous descharge de l'office que vous aves exercé, au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit.» Et elle respondra: Amen, et de la viendra s'asseoir avec les autres, la derniere de toutes..

  A025002049 

 Et tous les billetz ayantz estés receuz, le Pere spirituel les lira l'un apres l'autre; et celle des Seurs quil aura choysie, ayant le roolle de toutes les autres dans une feuille, avec une ligne tiree au bout de chaque nom d'icelles, marquera celle que le Pere spirituel lira, faysant une traverse sur la ligne qui est a l'endroit de son nom.

  A025002049 

 Tout cela estant ainsy fait, le Pere spirituel ramassera tous les billetz et les bruslera sur le lieu, et prendra garde que l'on ne puisse sçavoir ni descouvrir les nominations faittes esditz billetz..

  A025002056 

 Puis la Superieure prendra les voix de toutes les Dames, et si la Superieure consent avec la plus part d'icelles, la reception se fera; mais neanmoins avec l'advis du Pere spirituel, qui s'enquerra des conditions de la fille, affin d'en advertir les Dames, et que par ce moyen elles facent meilleure deliberation..

  A025002063 

 Et quant aux moyens requis a leur sustentation, on y advisera de tems en tems selon que la Mayson se treuvera incommodee ou accommodee..

  A025002064 

 Et sur la proposition de quelque Novice, la Superieure advertira tous-jours le P. spirituel, affin quil [use de consideration et] s'enquiere des conditions de la fille qu'on propose, et que son advis serve d'ouverture a la deliberation que les Dames en feront.

  A025002064 

 La reception des Novices se fera par [les Dames, en sorte que [273] les...] la Superieure, si, ayant pris les voix des Dames dediees, la plus part d'icelles y consent; [mais tous-jours pourtant avec l'advis du P. spirituel qui sera... lequel ne...] mais si la plus part consent a la reception et la Superieure ne consent pas, la Novice ne doit pas estre receiie, sinon que les deux partz des trois faysantes le tout ne consent.

  A025002068 

 Celle qui pretend entrer ayant asseurance de sa reception, entrera avec ses habitz ordinaires en la Mayson, et se praeparera par meditations et oraysons a une bonne confession generale, sinon qu'elle l'eust des-ja faite auparavant, en sorte que le Pere spirituel jugeast quil ne fust pas expedient de la refaire une autre foys..

  A025002075 

 Puis fera une entiere confession generale, sinon qu'elle l'eut faitte auparavant, en sorte que [la Superieure] le P. spirituel jugeat quil ne fut pas besoin de la faire un'autre fois..

  A025002079 

 Et la Superieure appellant a soy celle dont il s'agit, luy pourra dire discretement et charitablement a quoy il tient qu'elle ne soit admise, luy representant que la Congregation desireroit fort qu'elle le fust, mais qu'avant cela elle voudroit qu'elle se fust amendee de telle et telle chose; adjoustant une exhortation a ne point perdre courage, ains de faire prouffit de ce retardement..

  A025002079 

 Secondement, elle en conferera avec les autres Dames et prendra leurs voix; que si des troys parties les deux ne [276] consentent, on retardera pour encor l'Oblation.

  A025002080 

 On pourra donq ainsy retarder encor pour un'annee, apres laquelle, s'il se treuve quil ny aye point d'amendement ni volonté de s'amender, on luy donnera congé, la priant de se retirer en paix; mais si l'on void en elle une bonne volonté de s'amender, encor que pour son infirmité [277] elle ne soit pas du tout amendee, on luy donnera encor quelque tems, ou bien un'annee entiere, pour parachever son amendement..

  A025002084 

 Or, apres l'annee de probation ou essay, au jour que la Superieure le treuvera bon, elle fera l'examen de la fille ou vefve qui voudra estre receue a faire l'offrande.

  A025002084 

 Secondement, apres avoir consideré cela a part soy, avant que de dire son avis elle proposera aux autres Dames la reception dont il sera question, pour sçavoir leurs opinions, et si [la plus part] des troys parties de la Congregation les deux ne consentent, on retardera encor la reception a [276] l'offrande.

  A025002085 

 «Ma chere Seur, nos Seurs ont grand desir que, comm'elles, vous facies la s te offrande et soyes establie en la Congregation; mais avant que vous y recevoir, elles voudroyent que vous vous amandassies de telle et telle chose, affin que, par apres, vous puissies faire un'offrande plus entiere et aggreable a Nostre Seigneur et a sa sainte Mere.

  A025002086 

 Mays si l'on void en elle une bonne volonté de s'amender, encor que pour son infirmité elle ne se soit pas du tout amendee des fautes qu'on luy aura [277] marquees, on luy donnera encor quelques moys, ou mesme un'annee entiere pour parachever son amendement, l'encourageant a cela par paroles et promesses de l'ayder avec toute charité et confiance; et si, avec humilité, elle continue en son amendement, la Superieure la fera recevoir a l'offrande au tems qu'elle luy aura marqué..

  A025002086 

 Que si apres la seconde annee elle ne s'amende point, et que l'on voye qu'elle mesprise de s'avancer en la reformation de sa vie, on luy pourra donner son congé et la prier de se retirer en paix avant que d'entrer plus avant en l'entreprise de cette vie.

  A025002095 

 Que si, au contraire, passé l'annee de l'essay, la Superieure et les Dames treuvent la fille ou femme qui demande de faire l'offrande, propre et disposee a cela, elles luy donneront un loysir suffisant pour se praeparer par une confession annuelle et les exercices qui seront marqués ci apres, affin que cette offrande se face avec toute la solemnité interieure qu'il sera possible, comm'aussi elle se fera avec grande solemnité exterieure.

  A025002100 

 Car, ma chere Seur, voyla vos habitz du monde, et voyci le voyle de la Congregation; l'un et l'autre vous est proposé, affin que vous puissies estendre vostre main a celuy que vous voudres, pour le prendre et le choysir..

  A025002103 

 Et elle respond: Je l'ay resolu en mon cœur, parce que il m'est tres bon d'estre comme cela..

  A025002105 

 La pretendante, joignant les mains et comme acceptant la benediction que le Prestre luy a predite, elle dira:.

  A025002106 

 O Seigneur Dieu, confirmes moy a cett'heure, affin que je face ce que je vois pouvoir estre fait par vostre grace.

  A025002106 

 Voyci, o mon Dieu, que je viens a vous parce que [ vous ] m'aves appellee.

  A025002111 

 Vous aves ouÿ, ma chere Seur en Jesus Christ, la demande et poursuitte que cette nostre Seur a faitte; a-elle le consentement de la Congregation de ceans? [281].

  A025002112 

 La Superieure respond: Oüy, par la grace de Dieu, nos Seurs luy souhaitent de bon cœur de vivre et mourir en leur union, et que pour cela elle face maintenant la sainte Oblation requise a cet effect..

  A025002116 

 O Cieux, oyes ce que je dis; que la terre escoute les paroles de ma bouche.

  A025002116 

 Receves moy, o Pere eternel, entre les bras de vostre tres pitoyable paternité, affin que par le merite de vostre Filz, mon Redempteur, je porte constamment le joug et le fardeau de vostre saint service en cette Congregation, et que je m'abbandonne totalement a vostre divin et celeste amour, auquel je me dedie et consacre de rechef..

  A025002121 

 Cecy vous sera un voyle sur vos yeux contre tous les regards des hommes, et un signe sacré affin que jamais vous ne recevies aucune sorte d'amour que celuy de Jesus Christ..

  A025002122 

 O Dieu, destournes mes yeux affin qu'ilz ne voyent jamais la vanité, et que nulle injustice ne domine sur moy..

  A025002124 

 Faites que vostre sentier s'avance comme l'aube resplendissante, et qu'il croisse jusques a la perfection du jour..

  A025002142 

 K n'étant que la reproduction du premier.

  A025002145 

 Et en ces deux cas, il sera requis que l'expulsion se face en cette sorte..

  A025002146 

 La Superieure, a laquelle il appartient de ne point permettre que la Congregation ayt des personnes scandaleuses et obstinees, ayant remarqué ce malheur en quelqu'une des Seurs, si jamais il arrivoit quil y en eut de telle, en conferera premierement avec les officieres de la Mayson (qui aussi sont les plus obligees d'estre jalouses du bien, de l'honneur et de la conservation de la Congregation), et entendra leur advis; lequel se treuvant conforme au sien, ell'assemblera toutes les Seurs, et leur proposera sincerement et clairement le crime scandaleux ou la contumace de celle qu'il luy semble devoir estre expulsee et rejettee.

  A025002147 

 Que si il est conclud qu'elle soit faite, la Seur sera appellee et degradee, le Pere spirituel luy ostant le voyle, et la croix qu'ell'aura a son col, et le chapelet qu'ell'aura a sa ceinture.

  A025002148 

 Et neanmoins on procurera qu'au plus tost, et avec le moins de bruit que faire se pourra, elle sorte et s'en aille, avec ce qu'ell'aura apporté en la Mayson, selon ce qui est contenu en l'article De la pauvreté, ci-dessus; a quoy il faudra prouvoir de bon'heure, et qui neanmoins ne sera pas pour l'ordinaire si malaysé, puisque si on ne peut luy rendre l'argent, on luy rendra le bien qu'on en aura acheté, ou, en attendant, la cense convenable, jusques a ce qu'on ayt commodité de rendre le fond et principal..

  A025002149 

 Je dis qu'elle pourra estre expulsee, par ce que si, par quelque [288] tentation, il estoit arrivé a quelqu'une quelque action de soy mesme scandaleuse que les seules Seurs ou une d'icelles sceussent, et que la Superieure et lesdittes Seurs qui le sçaurovent jugeassent que la repentance de celle qui seroit tombee meritast qu'on dissimulast pour cette foys la faute, cela se devroit faire.

  A025002149 

 On peut neanmoins dire, par exemple, et pour donner lumiere au jugement qui se devra faire des autres cas, que la lubricité, l'entreprise d'empoysonner, charmer, enchanter, le larcin de chose importante, l'accusation faulse des Seurs en chose qui regarde Ihonneur et renommee, les essays de pervertir les Seurs ou autres personnes en matiere de chasteté et d'honneur, battre les Seurs, si cela se fait plusieurs fois, et semblables, sont des cas vrayement scandaleux.

  A025002150 

 Et parce que toute la liayson de cette Congregation consiste en l'obeissance et charité, si on y souffroit les obstinees, rebelles et contumaces, soudain toute la Congregation se dissoudrait et perdroit.

  A025002150 

 Quant a l'obstination et contumace, elle peut estre grande, bien que le peché sur lequel elle arrive soit petit.

  A025002150 

 Si donq une des Seurs, ce qu'a Dieu ne plaise, ne vouloit pas vivre selon la Regle, ains vouloit obstinement perseverer a la rompre, refusant les corrections et tesmoignant de ne vouloir point s'amender, en fin, apres qu'on auroit essayé par toutes voyes, et mesme avec du loysir, de la reduire a son devoir, si elle continuoit au mespris et s'obstinoit en son malheur, on la pourroit et devroit expulser et rejetter comme scandaleuse; car encor que le peché auquel elle s'obstineroit ne seroit pas scandaleux, l'obstination neanmoins seroit scandaleuse..

  A025002151 

 Et affin que lesdites voix se donnent plus sincerement, le jour de cette assemblee la, toutes les Seurs qui devront deliberer communieront et, avant toute deliberation, jureront a genoux, toutes ensemble, de dire ce qu'elles croiront estre le plus a la gloire de Dieu, selon [la] justice et selon la charité deuë tant a la Congregation qu'a celle qui est accusee..

  A025002151 

 Et lhors, parce qu'on fera la deliberation definitive et irrevocable, il faudra que, pour le moins, les deux tiers des voix (celle du Pere spirituel estant contee pour une) concourent a l'expulsion.

  A025002151 

 Or, d'autant que l'expulsion d'une Seur est si importante, on observera la solemnité dite ci dessus, et en fera-on troys deliberations: entre la Superieure et les officieres; la seconde entre la Superieure et toutes les Seurs, et la troysiesme entre le Pere spirituel, la Superieure et toutes les Seurs ensemblement.

  A025002160 

 Je ne voudrois pas que la femme die: Je suis infirme et d'imbecille condition.

  A025002160 

 La femme donq, non moins que l'homme, a la faveur d'avoir esté faite a l'image de Dieu; honneur pareil en [291] l'un et en l'autre des sexes; leurs vertus sont egales; a l'un et a l'autre est proposee une recompense pareille, et s'ilz pechent, une damnation semblable.

  A025002160 

 Or, puisque cette [292] divine image est honnoree en l'un et en l'autre sexe, que pareille aussi soit en tous deux la vertu qui face paroistre sa force par bonnes œuvres.».

  A025002164 

 La presumption et importune arrogance de plusieurs enfans de ce siecle, qui font profession de blasmer tout ce qui n'est pas selon leur esprit, blasphemans, comme dit un Apostre, tout ce qu'ilz ignorent, me donne occasion, ains me force de faire [291] cette Praeface, mes tres cheres Seurs, pour armer et mettre en defence vostre sainte vocation contre la pointe de leurs langues empestees; affin que les bonnes et pieuses ames, qui sans doute affectionneront vostre tant aymable et honnorable Institut, treuvant icy dequoy repouser ces traitz et fleches de la temerité de ces bigearres et insolens censeurs..

  A025002167 

 Ainsy, la premiere femme treuva egalement, comme le premier homme, lieu de pœnitence apres le peché, et furent sauvees autant de femmes que d'hommes dans l'arche de Noë, et le Royaume des deux est preparé pour l'un et l'autre sexe; ains il semble que la puissance divine, pour manifester sa perfection en l'infirmité, a pris playsir de faire reluire excellemment le sexe feminin en devotion et sainteté, affin de confondre le fort par le foible.

  A025002167 

 Ce sont les paroles du grand saint Basile, qui ne nie pas que la femme ne doive reconnoistre en l'homme l'advantage de la superiorité et praeeminence, trait de la ressemblance divine que l'homme a de plus que la femme, laquelle estant extraite de l'homme, est aussi faite pour luy; mais il veut bien pourtant qu'en tout le reste la femme est egale a l'homme, et sur tout en la prœtention de la grace et de la gloire, qui est le fruit de l'honneur que la nature humaine possede d'avoir esté faite a l'image et semblance de son Createur.

  A025002167 

 «Celles ci,» dit saint Gregoire Nazianzene parlant des femmes devotes, «sont douees d'un grand et genereux esprit, comme ayant rejetté de leur poitrine, par un vaillant et vrayement masle courage, les qualités de cette ancienne et trompeuse Eve; elles ont obtenu l'oubli de toutes leurs praecedentes infirmités par l'attouchement du bord de la robbe du Sauveur; elles se sont affranchies du goust ancien de la pomme mortelle par celuy qu'elles ont pris a savourer Jesus Christ; leur [293] foiblesse ne leur demeure plus que pour la splendeur de la vertu divine, et leur infirmité que pour servir de throsne a l'humilité.».

  A025002170 

 Pour cela on vit, tout au fin commencement de l'Eglise, les Apostres grandement affectionnés a bien instruire ce sexe en la pieté, comm'il appert par leurs Epistres, esquelles ilz traittent les femmes devotes non seulement cordialement, mais aussi honnorablement; le grand saint Jean ne se desdaignant point d'escrire a l'une d'icelles, que par honneur il appelle Madame.

  A025002171 

 «Il y a plusieurs femmes,» dit saint Gregoire Nazianzene, «en toutes les regions que la salutaire doctrine de Jesus Christ a parcourues, desquelles une partie vit en societé, nourrissant un mesme desir de la vie cæleste et suivant un mesme institut de vie; mais les autres assistent soigneusement a leurs peres et meres infirmes, et a leurs freres qui sont tesmoins de leur chasteté.» Or, quant aux femmes et filles consacrees a Dieu par le vœu de continence, demeurantes en leurs maysons particulieres, la quantité et la sainteté en a tous-jours esté grande; telles [294] furent les anciennes devotes de saint Hierosme et de saint Augustin: Blesile, Aselle, Laeta, Demetrie, Marcelle, Principie et mille milliers d'autres, entre lesquelles estoit celle du lieu Caspalian, qui, en vertu des reliques de saint Estienne, resuscita de mort a vie, au recit de saint Augustin; et la pluspart de celles que le grand saint Ambroyse dit estre venues a luy pour recevoir le voyle sacré, non seulement des quartiers de Bologne et de Playsance, mays aussi de Mauritanie.

  A025002172 

 Et quant a saint Augustin, Possidonius dit ainsy: «Entre les rares tesmoignages de son soin pastoral que l'on voyoit apres son trespas en son diocese, l'un des plus grans fut qu'il laissa un clergé tres suffisant et des monasteres, tant d'hommes que de femmes devotes, avec leurs Superieurs et Superieures.».

  A025002172 

 Mais de la seconde sorte, a sçavoir des femmes et des filles consacrees a Dieu qui vivoyent en Congregation, laissant a part ce que plusieurs sçavans hommes ont observé de celles qui jadis furent assemblees aupres du Temple de Hierusalem, et ce qu'aucuns rapportent que la tressainte Vierge nostre Dame erigea une Congregation de filles et femmes dediees a son Filz en la ville d'Ephese, et que sainte Marthe en institua un'autre aupres de Marseille, certes, nul ne peut bonnement ignorer que le grand saint Basile n'ayt dressé plusieurs Congregations de filles, leur prescrivant une methode de vivre saintement, puisque saint Gregoire Nazianzene, son cher ami, le tesmoigne.

  A025002173 

 Et des-ja auparavant, lhors que sainte Helene fut en Hierusalem, «elle y treuva des vierges consacrees a Dieu, lesquelles elle invita a disner et les traitta si devotement que, s'estant retroussee, elle mesme, comme servante, couvrit la table de ses propres mains, leur donnant a laver et versant a boire, en sorte qu'elle, qui estoit Reyne du monde et mere de l'Empire, se rendit servante des servantes de Nostre Seigneur.».

  A025002173 

 Et en Afrique, la seur de saint Augustin fut jusques a sa mort Superieure des servantes de Dieu, ainsy que Possidonius recite; comme sainte Paule le fut en Bethleem, au rapport de saint Hierosme, lequel escrivant a Demetrie, vierge romaine, dit ainsy: «Les femmes et filles dediees a Dieu qui vivent dans le monastere et desquelles aussi il y a grand nombre, ne doivent jamais sortir seules, [296] sans mere.» Et en l'epistre a Principie, il tesmoigne qu'il y avoit de son tems, a Rome, force monasteres de vierges.

  A025002173 

 Saint Ambroyse, au commencement du Livre troysiesme des Vierges, semble vouloir dire que sa seur sainte Marcelline, ayant esté consacree a Dieu le jour de Noël et en l'eglise de Saint Pierre de Romme par le Pape Liberius, entra quant et quant en quelque Congregation, quand il dit qu'il y avoit quantité de servantes de Dieu qui disputoyent de sa societé; c'est a dire, comme je pense, qui desiroyent de l'avoir a l'envi en leurs Congregations, car saint Augustin tesmoigne quil avoit veu a Milan et a Romme plusieurs assemblees de vefves et filles qui vivoyent ensemble et avoyent chacune une Superieure.

  A025002174 

 Saint Ignace, disciple des Apostres, escrivant aux Philippiens: «Je salue,» dit il, «l'assemblee des vierges et la congregation des vefves;» et ailleurs il recommande a ceux de Tharses d'honnorer les vierges «comme consacrees a Dieu,» et les vefves comme l'autel ou «sacraire de Dieu;» et finalement, en l'epistre aux Antiochiens: «Que les vierges,» dit il, «reconnoissent a qui elles sont consacrees;» et en l'epistre a Heron: «Conserve,» dit il, «les vierges comme joyaux de Jesus Christ.» De sorte que les Colleges ou Congregations des femmes et filles devotes estoyent des-ja introduites et louees en l'Eglise du tems des Apostres; qui rend d'autant plus probable ce qui a esté dit de celles que la glorieuse Vierge et sainte Marthe instituerent..

  A025002175 

 Or, du despuis ces Congregations de filles et femmes se sont rendues differentes et de deux sortes: car les unes ont esté reduites en terme de Religion formelle au moyen de la Profession que l'on y fait par les vœux solemnelz, et telles sont celles des Carmelines, Jacobines, Chartreuses, de sainte Claire, de Cisteaux, de Fontevrault; des autres sont demeurees en tiltre de simple Congregation, a la façon des anciennes.

  A025002175 

 Toutes neanmoins sont en estat de perfection, comme encor les femmes et filles qui, par vœu ou oblation manifeste, se sont dediees a Dieu, bien qu'elles ne se soyent point rangees sous aucune Congregation; puisque pour estre en estat de perfection il suffit que par une solemnité publique on se soit dedié et obligé de servir Dieu en quelque façon convenable pour acquerir la perfection.

  A025002176 

 Le troysiesme rang est de ceux qui par les vœux parfaitz, mais simples, sont rendus vrays Religieux: comme sont les estudians de la tres honnorable Compaignie de Jesus, [lesquelz, encor qu'en conscience ilz ne se puissent desfaire eux mesmes des sacrés liens de leurs vœux simples, si est-ce neanmoins qu'ilz en peuvent estre absous non seulement par le Saint Siege Apostolique, mais aussi par les Superieurs de l'Ordre;] [et si par leur malheur ilz quittent sans congé leur sainte vocation pour revenir au monde et se marier, leur mariage est valide, quoy que devant Dieu ilz offencent tres griefvement et meritent le nom d'apostatz, jusques a ce qu'ilz soyent legitimement absous de leurs vœux.].

  A025002176 

 Les Religieux des vœux solemnelz et parfaitz tiennent le second rang, comme obligés a suivre les principaux moyens et conseilz propres a s'acquerir la perfection, et ce par une obligation si estroitte, que non seulement en conscience, mais encor selon la police ecclesiastique, ilz ne peuvent en estre delivrés que par l'extraordinaire et souveraine puissance de l'Eglise.

  A025002177 

 Le quatriesme rang est de certains Ordres que le Saint Siege a receu et appreuvé en tiltre de Religion, encor qu'ilz ne facent pas tous les vœux essentielz, et que, de plus, ilz ne facent que des vœux imparfaitz en comparayson des autres Religieux; d'autant qu'ilz ne vouent ni la chasteté absolue, ni la pauvreté entiere, ni l'obeissance que pour certaines actions.

  A025002177 

 Telz sont les Chevaliers surnommés de Christ, en Portugal, et plusieurs autres qui sont tant en France qu'en Italie: tous lesquelz, quoy que plusieurs [298] excellens docteurs nient pouvoir estre nommés Religieux, doivent neanmoins estre ditz et tenus pour telz, comme a sagement observé le docteur Navarrus, puisque le Saint Siege les accepte pour telz et les honnore de ce nom..

  A025002178 

 Et bien que anciennement, du tems de saint Augustin et de saint Hierosme, et en tous ces premiers siecles despuis les Apostres on appellast indistinctement Moynesses, Religieuses et Sanctimoniales toutes les femmes et filles qui se dedioyent a Dieu, ou en Congregation ou hors de Congregation, si est ce que maintenant [299] on ne parle pas comme cela selon le stile present de la Cour Romaine (qui en cecy doit estre suivi), ne plus ne moins qu'on n'appelle plus les Evesques Papes, tressaintz Peres, tres heureux Peres, Vostre Sainteté, Vostre Beatitude; qui sont neanmoins les tiltres ordinaires desquelz l'antiquité les honnoroit; l'usage, qui a toute authorité sur les paroles, ayant reservé ces eloges et appellations d'honneur au seul Evesque Romain qui tient la primauté de saint Pierre.

  A025002178 

 Le cinquiesme rang appartient a toutes les autres Congregations, tant d'hommes que de femmes, esquelles on s'oblige, soit par vœu simple, soit par oblation, soit par simple protestation et declaration publique, a la prattique des conseilz evangeliques; lesquelles, bien qu'elles soyent de beaucoup plus grande perfection que celles des Chevaliers mentionnés, quant a la prattique, ne sont pas neanmoins si avant dans l'estat de la perfection selon la police exterieure de l'Eglise, ni ne portent pas le tiltre de Religion entre ceux qui manient les affaires ecclesiastiques, puisque le Saint Siege ne leur donne pas ce nom, ains les laisse sous le simple nom de Congregations pieuses et devotes, comme tesmoigne le docteur Navarre en deux conseilz donnés pour les Dames oblates de la Tour des Mirouërs de Rome.

  A025002181 

 Certes, presque toutes les Religions, despuis plusieurs centaines, d'annes, praetendent tous-jours de se pouvoir estendre en [300] toute l'Eglise, sous l'obeissance d'un General qui gouverne par tout leurs Congregations, sans dependance de la jurisdiction ordinaire des Evesques: ce qui ne se peut faire que par la puissance generale du Saint Siege Apostolique, estant raysonnable qu'un Ordre qui se respand sur tout le cors de l'Eglise en ayt le congé du directeur universel d'icelle; car une Congregation dilatee parmi le Christianisme sous un chef extraordinaire, ne devroit elle pas estre appellee faction, monopole ou sedition, plustost que Religion, sinon qu'elle fut appreuvee de l'Eglise?.

  A025002181 

 De tout ce que nous avons dit jusques a present provient la difference que l'on observe entre l'erection et l'institution des Congregations qui portent tiltre de Religion, et les Congregations qui sont marquees du seul nom de simple Congregation; car nulle Religion ne peut estre instituee sans l'expresse approbation du Siege Apostolique, ayant esté ainsy determiné au Concile de Latran.

  A025002182 

 C'est pourquoy, cette approbation appartient ou au seul Evesque qui, a rayson de sa primauté, tient la surintendence generale en l'Eglise universelle, ou a la generale congregation des Evesques, que nous appelions Concile, qui n'est qu'une mesme chose quant a ce point; puisque l'authorité du Pape est tous-jours es Conciles generaux et celle des Conciles au Pape, l'Eglise estant en son Evesque, comme dit saint Cyprien, et l'Evesque en son Eglise..

  A025002183 

 Elles n'ont point de jurisdiction ni aucune puissance qui s'estende hors d'une seule mayson; de sorte que, comme elles n'ont point de dependance hors des diocaeses esquelles elles sont, aussi l'Eglise les a tous-jours tenues pour suffisamment authorizees et canoniquement instituees quand elles ont esté erigees et appreuvees par l'authorité des Evesques des lieux ou elles se treuvent instituees, ne plus ne moins que les societés et autres confrairies pieuses; les Ordinaires demeurans, quant a cela, en leur ancienne authorité, puisqu'elle ne leur a esté limitee que pour le regard des Congregations lesquelles, selon le stile de ce tems, portent le tiltre de Religion, et qu'il ne faut pas estimer que le Saint [302] Siege ayt jamais voulu lier les mains aux inferieurs Prelatz, en ce qui ne regarde que leurs troupeaux particuliers et qui est convenable a l'avancement des ames en la perfection chrestienne..

  A025002184 

 Mais, pour ne point trop s'amuser a preuver une chose qui est si evidente, la coustume, qui donne la loy aux loix, ou qui du moins leur sert d'authentique interprete, nous oste de toute difficulté en cet endroit; car, comme du tems de saint Gregoire Nazianzene, de saint Hierosme et de saint Basile les Evesques avoyent erigé force Congregations presque en tous les endroitz du Christianisme, aussi du despuis, et jusques au tems ou nous sommes, les Evesques en ont dressé en plusieurs lieux, et mesme en Italie, ou il semble que la prattique de la discipline ecclesiastique doive estre plus exactement observee..

  A025002185 

 Et d'effect, le docteur Giussan, gentilhomme milanois, parlant du zele que ce saint Archevesque avoit pour la sacree vertu de chasteté, recite qu'il induisit plusieurs hommes a la garder, et adjouste en son italien ce qui s'ensuit, rapporté de mot a mot en nostre françois: «Mais le nombre des femmes fut beaucoup plus grand, se remplissant de vierges non seulement les cloistres sacrés, mais divers nouveaux colleges fondés a cette intention en la cité et diocœse, outre la Compaignie de Sainte Ursule, qui estoit estendue presque en toutes partz de cette Eglise, si pleine de bonnes vierges que plusieurs monasteres en eussent esté remplis, et semblablement la Compaignie de Sainte Anne, tant nombreuse en femmes vefves qui servoyent Dieu avec beaucoup de pureté de vie, sous l'observance de leurs propres Regles.» Aussi les Reverendissimes Evesques de [304] cette province lâ ont par apres erigé une multitude de Congregations de filles et femmes vivantes ensemble, sous les noms de la glorieuse Vierge, de sainte Ursule et autres, comme il appert par les livretz des Regles qu'ilz ont donné, imprimés en divers endroitz d'Italie.

  A025002185 

 Et de deça, les compaignies de sainte Ursule ont esté en plusieurs endroitz reduites en Colleges et Congregations, le Saint Siege tenant pour canoniquement fait, quant a cela, ce que chasque Evesque ordonne en son diocaese pour la plus grande gloire de Dieu..

  A025002185 

 Et pour particulariser davantage, comme le grand saint Ambroyse forma de son tems plusieurs Congregations en son diocese de Milan, tant d'hommes que de femmes, aussi [303] le grand saint Charles, son successeur, en a erigé de nostre tems plusieurs autres en ce mesme lieu.

  A025002186 

 Or, entre ces simples Congregations, il y en a esquelles on ne s'oblige ni par vœu, ni par serment, ni par oblation, ains seulement par une simple volontaire entree par laquelle on se range en icelles, ainsy que l'on fait en la Congregation [305] de l'Oratoire de Romme, en laquelle non seulement on ne fait point de vœu, ni de serment, ni d'oblation manifeste, mays il est mesme expressement ordonné que jamais nul de ceux qui y sont n'ayt a pretendre d'introduire aucune telle obligation, puisque l'intention du bienheureux Philippe, leur Instituteur, n'avoit jamais esté d'advis que cela fust.

  A025002187 

 Il y en a des autres ou l'on fait des vœux simples: comme l'on void en la pluspart de celles de la province de Milan, esquelles les Seurs font vœu publiq de chasteté et de perseverer en l'obeissance des Regles, ainsy qu'il appert par les formulaires de leurs receptions, qui est presque [306] semblable, quant a ce point, a celuy que les Oblatz de Saint Ambroyse observent quand ilz font le vœu..

  A025002188 

 En quelques Congregations on ne s'astreint pas par vœu, ains seulement par oblation et publique protestation: comme on fait a Romme en celle de sainte Françoise, ditte de la Tour des Mirouërs, et en la Congregation des Oblatz susmentionnés, en laquelle, bien qu'on puisse faire les vœux, comme il est porté au livre de leur Institut, si est ce que pour estre receu en icelle il suffit de faire l'oblation simple..

  A025002189 

 Or, l'oblation ou offrande n'oblige pas si fort que le vœu, quoy qu'elle oblige grandement; car le vœu estant une legitime et sainte promesse faite a Dieu, ceux qui le font [307] sont liés en trois façons: premierement, en vertu de la verité qui est tous-jours violee quand on rend volontairement fause la parole qu'on a donnee; secondement, en vertu de la bonne foy et loyauté qui est violee quand on trompe celuy a qui l'on a promis, ou que l'on fait ce que l'on peut pour le tromper; tiercement, en vertu de l'honneur et du respect que l'on doit a la souveraine majesté de Dieu, a laquelle on fait un mespris extreme de fauser la foy et loyauté que l'on luy doit, rendant la parole qu'on luy a donnee fause et mensongere.

  A025002190 

 De sorte que, qui contrevient a l'oblation qu'il a fait de soy mesme a Dieu pour le servir en quelque Congregation, il peche contre la fermeté que l'on doit avoir en ses bonnes resolutions et contre le respect ou reverence que l'on doit a l'infinie bonté de Dieu a laquelle il s'estoit offert.

  A025002190 

 Mais en l'offrande ou oblation, on ne promet rien expressement, ains seulement on declare et asseure l'affection que l'on a de servir Dieu; et partant, quand on manque, on ne peche pas contre la verité ni contre la loyauté, ains seulement contre la fermeté que l'on doit avoir en ses justes affections et contre la reverence que l'on doit a celuy a qui on s'est offert, quand il est personnage de respect.

  A025002190 

 Que si l'oblation est faite en publiq, il viole encor la charité par le scandale qui s'en ensuit; si que le lien de l'oblation est [309] de grande importance et suffit pour mettre la personne en quelque degré de l'estat de perfection..

  A025002191 

 Or, quant aux Congregations de femmes et filles, l'un des principaux moyens pour leur acheminement a la perfection a tous-jours esté la clausure ou reclusion, que le tres sacré Concile de Trente reduit a deux pointz: 1.

  A025002191 

 Qu'elles ne sortent jamais, voire mesme pour un peu de tems, si ce n'est pour quelque cause legitime qui soit appreuvee par l'Evesque; 2. et que nul, quel qu'il soit, non pas mesme les femmes, ne puissent entrer en leurs monasteres sans la licence de l'Evesque ou du Superieur, obtenue par escrit, laquelle ne doit estre donnee que pour des cas necessaires..

  A025002192 

 Ce sont donq les deux articles necessaires de la closture des monasteres, qui, comme a sagement remarqué le docteur Navarrus, n'obligent que les Congregations qui sont erigees en tiltre de Religion; entre lesquelles ce decret neanmoins est diversement observé par l'introduction de diversité de clausures, toutes utiles, toutes selon Dieu, toutes tressaintes, d'autant que selon la varieté des lieux, des nations, des vocations on a jugé les causes des sorties et des entrees estre necessaires et legitimes en certains Monasteres et non pas es autres.

  A025002193 

 Du tems de sainte Claire, les Seurs converses entroyent et sortoyent librement pour le service des Monasteres: tesmoin celle laquelle, lhors que la Sainte luy lavoit les piedz, la blessa au visage, et l'advertissement qu'elle leur donne en la Regle de ne rapporter pas des nouvelles de dehors; comme aussi le glorieux saint Charles, avec les Evesques de sa province, permettent les entrees et sorties des dites converses selon les occurrences.

  A025002193 

 En des autres, tres reformés et pieux, les filles seculieres sont receues pour estre instruites, ainsy que l'on peut voir en toute l'Italie et qu'il est tesmoigné es Conciles provinciaux celebrés sous saint Charles a Milan.

  A025002194 

 Certes, la clausure absolue, perpetuelle, rigoureuse et si estroitte, que plusieurs estiment estre la seule vraye clausure, ne fut jamais guere en usage parmy les anciens, desquelz la bienheureuse simplicité ne requeroit pas une si exacte rigueur; ains ilz se contentoyent d'une clausure moderee, qui avoit pour bornes la bienseance de la vocation [311] religieuse: en sorte que les hommes n'entrassent jamais es lieux des Religieuses sans cause tres urgente, et avec une circonspection qui ostast le juste sujet de tout sinistre soupçon, et que d'ailleurs les Religieuses ne sortissent non plus jamais que pour des bonnes et saintes occasions, avec tant de bienseance que nul ne peust avec rayson les blasmer.

  A025002196 

 En vostre demarche, en vostre maintien, en vos habitz, en toutes vos contenances, que rien ne se face qui puisse attirer la convoitise d'aucun, ains que tout soit conforme a vostre sainteté.

  A025002197 

 Au cinquiesme Concile d'Orleans, celebré il y a plus de mille ans sous le Pape Virgile, il est ordonné que les filles qui entrent es Religions esquelles elles ne demeurent pas perpetuellement recluses, demeurent troys ans a faire leur probation en leur habit seculier..

  A025002197 

 Sainte Scholastique, seur de saint Benoist, ayant institué une Congregation de Religieuses, alloit toutes les annees visiter son frere; et la derniere fois qu'elle y fut, advint le miracle de la pluye et tempeste que Dieu fit venir expres pour arrester le glorieux patriarche saint Benoist qui ne vouloit pas demeurer davantage avec sa chere et sainte seur, ainsy que saint Gregoire et les autres autheurs ecclesiastiques racontent.

  A025002198 

 Car il faut considerer qu'a mesure que les Religions et Congregations des femmes sont dediees aux exercices de la vie contemplative, elles ont aussi besoin d'une plus estroitte clausure; de maniere qu'estant receues par l'Eglise a cette intention, et ayant d'ailleurs solemnisé le vœu de leur sousmission et obeissance pour tout ce qui est requis a l'exacte pratique de leur vocation speciale, c'est avec juste rayson qu'on leur impose une clausure exacte, quoy que non pas egalement rigoureuse a toutes, selon ce qui a esté dit ci dessus..

  A025002198 

 Que si la clausure moderee et terminee par la sainte bienseance de la vocation religieuse a esté suffisante et suffit encor pour maintenir en discipline reguliere plusieurs Congregations, et que le Concile de Trente estant [314] sainement entendu n'oblige pas a la plus rigoureuse, certes, a plus forte rayson les pieuses et devotes Congregations, qui ne sont point erigees en tiltre de Religion, seront tres suffisamment acheminees a la perfection de la vie chrestienne si elles observent fidelement une moyenne clausure, une chacune selon sa vocation.

  A025002199 

 Mays les simples Congregations n'estant pas instituees pour les seulz exercices de l'orayson, ains encor pour plusieurs autres, et estant introduites en l'Eglise pour des louables et sacrees retraites esquelles on ne solemnise [315] point les vœux, ains on les y fait simplement pour ce seul genre de vie, que le docte et pieux Navarrus appelle saint, certes il leur suffit de garder la clausure necessaire pour la bienseance de leur vocation; laquelle au reste les oblige estroit'tement de ne permettre non plus d'acces aux hommes en leurs maysons qu'on en permet es plus estroittes Religions, d'autant que cet article est essentiel a la conservation de la pudeur et chasteté des femmes consacrees a Dieu, et a tous-jours esté observé en toute Congregation de femmes; lesquelles, par la condition de leur propre estat, doivent estre separees d'habitation d'avec les hommes, sans leur permettre aucune entree que par une tres, urgente necessité.

  A025002200 

 Mais pour le demeurant, elles peuvent donner entree aux filles et femmes seculieres pour plusieurs saintes et bonnes occasions, appreuvees neanmoins, ou en general, ou en particulier, par leurs Superieurs; comme aussi elles peuvent sortir pour plus d'occasions que celles qui servent a Dieu en tiltre de Religion, pourveu tous-jours que ce soyent occasions pieuses, graves et jugees convenables, par les mesmes Superieurs..

  A025002201 

 Et a la verité, tout ainsy qu'il faut exalter la clausure: [316] rigoureuse comme clausure plus parfaite, aussi est ce une tentation extreme de n'en vouloir aucune autre en l'Eglise; car si bien il semble que par cette rigueur on favorise fort la retraitte des servantes de Dieu, toutesfois en effect on la diminue extremement, en leur ostant la commodité des retraittes moderees et faciles que l'antiquité et l'experience a tesmoigné estre fort utiles au salut et perfection de plusieurs ames..

  A025002202 

 Il y a beaucoup de gens qui, feignans de ne se pouvoir pas bien retirer du monde s'ilz sont quelque chose moins que Chartreux ou anachoretes, demeurent sous ce pretexte et se perdent emmi le monde.

  A025002204 

 Il arrive quelquefois que pour eviter un danger present, nous employons des remedes qui en engendrent de plus grans a l'advenir; l'esprit humain se contente maintesfois plus a se desfaire promptement des affaires que de demeurer longuement a les bien faire, et semble que le mal n'est pas mal quand il ne paroist pas..

  A025002206 

 Mais en fin, combien ces Congregations sont desirables, le grand saint Gregoire, Pape, le tesmoigne suffisamment, qui, ayant dit que de son tems il y avoit a Romme bien troys mille femmes et filles dediees a Dieu, il adjouste: «Or, leur vie est telle, que nous croyons que si elles n'estoyent point, nul de tous nous, il y a long tems, n'eust peu durer en ce lieu parmy les espees des Lombars.» Et l'autre grand saint Gregoire, Evesque de Nazianze, estimoit tant les servantes de Dieu, soit qu'elles fussent en Congregation, soit qu'elles fussent es maysons de leurs parens, qu'il ne fait point de difficulté de les appeller son grand honneur et la tres illustre lumiere de son parc; car encor que le sçavant et devot de Billy estime ces tiltres estre donnés [320] a une seule de ces Religieuses, qui surpassoit les autres en vertus, si est ce qu'il y a, a mon advis, plus d'apparence que cela soit attribué a la trouppe entiere; d'autant que ce mesme Saint ayant descrit par apres la vie de ces Dames, il poursuit en cette sorte: «Quoy que certes, quant a moy, j'aye peu de telles femmes, toutesfois je tressaillis tellement d'ayse de voir ces celestes et tres belles estoiles, que pour ce peu que j'en ay je ne fay point de difficulté d'entrer en desfy d'excellence de vertu avec un beaucoup plus grand nombre.» Et sur cela il proteste qu'il se glorifie plus d'avoir quantité de gens dediés a Dieu, qu'il ne feroit de toutes les grandeurs du monde, et dit que sa petite Nazianze estoit appellee Bethleem pour les amys de Dieu qui y estoyent.

  A025002213 

 C'est pourquoy cela appartient au seul Evesque qui, a rayson de sa primauté, a la surintendence generale sur l'Eglise universelle, ou a la generale congregation des Evesques, que nous appelions Concile, qui n'est qu'une mesme chose; puisque l'authorité du Pape est tous-jours es Conciles generaux, et celle des Conciles en celle du Pape, l'Eglise estant en son Evesque, comme dit S t Cyprien, et l'Evesque en son Eglise..

  A025002215 

 Elles n'ont point d'authorité qui se respande hors d'un diocaese, ni mesme, le plus souvent, hors d'une mayson; de sorte que, comme elles n'ont point de dependance hors des diocaeses esquelz elles sont, aussi l'Eglise les a tous-jours tenu ( sic ) pour suffisamment authorizees et canoniquement instituees quand elles ont esté erigees par l'authorité des Evesques des lieux ou elles sont: ne plus ne moins que les confrairies et autres societés pieuses, que le Pape a accoustumé de gratifier et favoriser par la concessions ( sic ) d'Indulgences et autres advantages spirituelz, pourveu qu'elles auront esté canoniquement erigees par les Ordinaires, lesquelz, quant a cela, demeurent en leur ancienne authorité qui ne leur a esté limitee que pour le regard des Congregations lesquelles, selon le stile present du S t Siege, portent le tiltre de Religions; puisque la limitation et restriction de la puissance ordinaire [302] ne doit operer que selon la rigoureuse signification des motz esquelz elle est conceue, et que le S t Siege ne doit estre estimé vouloir lier les mains aux Evesques inferieurs en ce qui est utile pour l'avancement de leurs brebis en la perfection chrestienne, aflïn qu'un chacun d'eux puisse dire quil est venu en son diocaese affin que les ames eussent la vie, et qu'ilz ( sic ) l'eussent plus abondamment..

  A025002216 

 Car, comme le grand S t Ambroyse de son tems forma plusieurs Congregations, tant d'hommes que de femmes [303] au diocaese de Milan, aussi le grand S' Charles, son successeur, en a formé de nostre tems plusieurs autres en ce mesme lieu.

  A025002216 

 Et comme du tems de S t Gregoire Nazianzene les Evesques avoyent erigé force telles Congregations presque en tous les endroitz du Christianisme, aussi du despuis et jusques a ce tems auquel j'escris, les Evesques en ont dressé en plusieurs endroitz, et mesme en Italie, ou il semble que la prattique de la discipline ecclesiastique soit et doive estre le modelle pour le reste................................................................................................................................................

  A025002216 

 Et la coustume, qui semble donner la loy aux loix mesme et laquelle au moins leur sert de tres bon interprete, nous oste de toute sorte de difficulté en cet endroit, et monstre bien que l'Eglise et le S t Siege tient pourlegitimement et canoniquement instituees et appreuvees les simples Congregations erigees par les Ordinaires qui, en cela, possedent sans contradiction quelcomque leur ancienne authorité.

  A025002217 

 Et de deça, en France, les compaignies de sainte Ursule ont esté en plusieurs endroitz reduites en Colleges et Congregations par l'authorité ordinaire, l'Eglise et le S t Siege tenant pour canoniquement institué pour ce regard ce que chasque Evesque fait en son diocaese, comm'elle fait en plusieurs autres occasions..

  A025002219 

 DES DIVERS LIENS ET DIFFERENTES FAÇONS DE S'OBLIGER A LA PRATTIQUE DES CONSEILZ EVANGELIQUES QUE L'ON OBSERVE ES CONGREGATIONS.

  A025002221 

 Il y a des Congregations esquelles on n'est obligé ni par vœu, ni par serment, ni par oblation, ains seulement par une simple et volontaire entree, par laquelle en effect on se joint a icelles: comme l'on fait en la Congregation de l'Oratoire de Romme, en laquelle non seulement on ne fait point de voeu, ni de serment [305], ni d'oblation manifeste, mays il est expressement ordonné que jamais nul de ceux qui y sont ne puisse pretendre d'introduire aucun lien de semblable nature; telle ayant esté l'intention du grand Bienheureux Philippe Nerie, l'Instituteur.

  A025002223 

 es formulaires de leurs receptions, qui est presque semblable [306] a celuy que le glorieux S t Charles prescrivit a ceux qui font le vœu en la Congregation des Oblatz de S t Ambroyse..

  A025002224 

 En quelques unes on ne s'astraint pas par vœu, ains seulement par oblation et publique protestation: comme on fait a Romme en la Congregation de sainte Françoise, ditte de la Tour des Mirouërs, et en la Congregation des Oblatz de S t Ambroyse a Milan, en laquelle, bien qu'on puisse faire les vœux, comm'il est porté en leur Institut, si est ce que pour estre receu en icelle il suffit de faire l'oblation simple..

  A025002225 

 Mays quant a l'oblation et offrande, n'estant qu'une simple declaration de la resolution que nous avons de donner a Dieu.....[Le saint Auteur a laissé sa phrase inachevée pour lui substituer une autre leçon.].

  A025002225 

 Or, l'oblation ou offrande n'oblige pas si fort que le vœu; car au vœu il [y] a trois nœuds qui nous obligent: la verité, foy et loyauté que nous devons avoir en nos paroles, nous obligent d'observer nos legitimes promesses a un chascun, mais sur tout a [307] Dieu tout puissant auquel devans, outre cela, porter un souverain respect, c'est un acte d'irreverence extreme de ne point tenir les promesses et vœux que nous luy faysons.

  A025002226 

 Tiercement, par l'honneur et respect que l'on doit a la souveraine majesté de Dieu; car c'est faire un mespris extreme a cette supreme Bonté, de mentir devant elle et fauser la foy et loyauté que l'on luy doit.

  A025002227 

 De sorte que le lien de l'oblation est de grand'importance, quoy quil ne soit pas si fort comme celuy du vœu..

  A025002227 

 De sorte que, par l'oblation que l'on fait de soy mesme pour vivre en quelque Institut et Congregation, on ne fait pas a proprement parler une promesse, mais on donne neanmoins asseurance que l'on y vivra; et partant, de contrevenir a son oblation, c'est violer la fermeté que l'on doit avoir en ses bonnes resolutions et le respect que l'on doit a celuy auquel on s'est offert.

  A025002227 

 Et si l'oblation est faite en publiq, c'est encor violer la charité, par le scandale que [309] l'on donne.

  A025002227 

 Mays en l'offrande ou oblation, par ce qu'on ne promet rien expressement, ains seulement on declare et asseure l'affection que l'on a de servir Dieu, quand on manque contre l'oblation on ne peche pas contre la verité ni contre la loyauté, ains seulement contre la fermeté en ses justes affections, et contre la reverence que l'on doit a celuy auquel on s'est offert, si c'est une personne digne de respect.

  A025002227 

 Que si le prince l'accepte, certes, il sera desormais obligé de continuer au service; autrement il violera la fermeté et constance qu'il doit avoir en ses resolutions, et de plus fera contre le respect et la reverence deu ( sic ) au prince auquel il a donné, par cette declaration, sujet de se tenir asseuré de ce qui luy a esté offert.

  A025002231 

 Il y a une clausure ou reclusion des femmes que l'on appelle perpetuelle, rigoureuse et absolue, qui comprend deux parties..

  A025002232 

 L'une est que jamais les femmes recluses ne puissent sortir sinon pour quelque necessité extreme et force inevitable, comme est le feu embrazant le monastere, ou le monastere estant affligé de peste, ou quand, les ennemis de la foy entrans en quelque lieu, il y a juste crainte de violence, forcement ou massacre.

  A025002233 

 L'autre partie de cette si estroitte clausure est que non seulement nul homme, mais non pas mesme aucune femme, pour quelqu'occasion que ce soit, ne puisse entrer dans le monastere, si ce n'est pour quelque necessité violente qui ne puisse estre evitee: comme pour reparer les edifices, medicamenter les malades, les confesser, communier, oindre de l'Extreme Unction et ensevelir.

  A025002234 

 C'est pourquoy ilz se contentoyent des parties essentielles de la clausure: c'est a dire, que les hommes n'en- [311] trassent jamais es monasteres des femmes sans cause tres urgente, et en sorte que leur entree ne peut causer aucun soupçon; et que les Religieuses ne sortissent non plus jamais que pour des bonnes et saintes occasions, et avec tant de bienseance que nul ne peut avec rayson les blasmer.

  A025002236 

 En vostre demarche, en vostre maintien, en vos habitz, en toutes vos contenances, que rien ne se face qui puisse attirer la convoitise d'aucun, ains que tout soit conforme a vostre sainteté.

  A025002239 

 par la consideration des causes, qui doivent estre saintes, graves, appreuvees par l'Evesque, de sorte qu'elles ne sortent jamais pour aller passer le tems, ni pour aller simplement visiter les parens et amis, ni pour aller faire des complimens, ni pour aller acheter, vendre, playder et semblables mondanités messeantes a des ames qui font profession d'avoir renoncé au siecle, a la mayson paternelle, aux parens et en somme a toutes affections, hormis a celles que la charité commande.

  A025002243 

 A mesure que les Religions et Congregations des filles et femmes sont plus dediees aux exercices de la vie contemplative, elles ont aussi besoin d'une plus estroitte clausure, pour n'estre du tout point diverties; et d'autant qu'elles sont appreuvees par l'Eglise a cette seule intention, et que d'ailleurs elles ont solemnisé le vœu de leur sousmission pour tout ce qui est requis a l'exacte observance de leur vocation, c'est avec juste rayson que l'on leur impose a toutes une clausure exacte, quoy que non pas egalement rigoureuse, ainsy qu'il a esté dit ci dessus..

  A025002244 

 Mays les Congregations simples n'estant pas instituees pour les seulz exercices de l'orayson, ains pour ceux encor de la charité envers le prochain, estant receues et appreuvees de l'Eglise pour des simples, louables et saintes retraites esquelles d'ailleurs [315] on ne fait les oblations ou vœux a Dieu que pour cette seule vocation et genre de vie que le sçavant et tant pieux Navarrus, appelle saint, partant la bienseance de leur vocation les obligent ( sic ) a quelque sorte de clausure, ne permettant non plus d'acces aux hommes en leurs maysons qu'on en permet aux plus estroittes Religions, car cet article icy est essentiel a la bienseance de leur vocation, Mays quand au reste, demeurant en liberté de sortir et de laisser entrer les filles et femmes seculieres, pour plusieurs autres raysons, outre celles pour lesquelles la sortie ou l'entree des femmes est permise aux Religions reformees..

  A025002245 

 Et certes, c'est une tentation extreme de ne vouloir que l'extreme [316] et rigoureuse clausure pour les femmes et filles; car si bien par icelle il semble que l'on favorise fort la retraitte des servantes de Dieu, neanmoins, on la diminue extremement ostant la commodité de se retirer a toutes celles qui ne sont appellees qu'a la retraite suffisante et moderee, que l'antiquité et l'experience nous tesmoigne estre neanmoins fort aggreable a Dieu et utile au salut et perfection de plusieurs ames..

  A025002246 

 Ou ilz veulent estre au monde, ou n'estre rien moins que Chartreux, qu'anachoretes; et pour n'avoir pas asses de courage pour entreprendre une vie si relevee, plus tost que d'en choisir une moins retiree, ilz demeurent emmi la foule du monde, affoulés de leur vanité.

  A025002248 

 Quelques Ordres ne veulent pas que leurs Religieux preschent ni confessent, et disent quilz s'en treuvent mieux; les autres aussi font ces offices avec beaucoup d'utilité.

  A025002248 

 Souvent pour eviter un danger present, on employe des remedes qui en engendrent de plus grans a l'advenir; mais l'esprit humain se contente, pourveu qu'il se desface des affaires, et luy est advis que le mal n'est pas mal, pourveu quil ne paroisse pas..

  A025002252 

 Il a remarqué en l'institut de la Congregation de la Visitation ce qui s'ensuit, que Monseigneur de Geneve est supplié tres humblement de considerer et y faire, avec son prudent, docte et pieux jugement, une charitable reflexion, apres laquelle le tout est sousmis avec grande ingenuité a sa censure..

  A025002253 

 L'on met premierement et principalement an consideration que cete Congregation n'est point approuvee du Sainct Siege et, qu'an quelque maniere et sous quelque loy qu'on la mette, les vœux qui se feront en icelle seront tousjours vœux simples, et les filles veufves qui entreront an la Congregation ne seront jamais proprement ny vrayement Religieuses.

  A025002254 

 L'une est qu'il y a pour les filles du regret et du desplaysir qu'elles ayent les obligations essentielles de la Religion et qu'elles n'en ayent ny le nom, ny le merite, ny la perfection, ny les Indulgences; et que les liens qui les tiendront en cete Congregation ne soyent pas si fermes et indissolubles qu'elles ne puissent craindre de veoir, sinon an ces premices de l'esprit de devotion, au moins dans quelques annees et par succession des temps, des tentations et des desordres parmy elles..

  A025002255 

 C'est l'un des poincts que les Parlemens de ce royaume ont remarqué contre l'institut des Jesuites, encor que pour le regard de ce dernier il y ait moins de dangers..

  A025002255 

 La rayson est que si les filles, apres avoir faict les vœux et estre demeurees longues annees an la Congregation, venoient, par tentations, seductions ou autrement, a contracter mariage, bien qu'elles offenseroient griefvement Dieu, neantmoins le mariage seroit valide; et lhors, quelle honte et quel malheur a la fille, et quel regret a ses parens! Mais, quelles semences de proces et de mauvais mesnages dans les familles! car, a la rigueur et severité du droict, l'on ne pourrait lhors refuser a cete fille son partage.

  A025002256 

 Il fault adjouster que par la coustume generale de ce royaume les hommes ou femmes proffés en des Religions ne succedent plus aulx biens temporels qui leur pourraient escheoyr; mais tels biens appartiennent a leurs parens plus proches.

  A025002257 

 Les vœux des Jesuites, bien que simples an certaine façon, par l'approbation et privileges particuliers du Pape, sont pourtant tousjours vœux de Religion: et partant, celuy qui sort avec congé de son Superieur, peult contracter mariage; mais celuy qui sort sans congé est apostat, et non seulement il peche griefvement an contractant mariage, mais encor de plus, tel mariage est invalide..

  A025002258 

 Donc, pour se recueillir, les parens dient qu'ils ne veoyent pas vollontiers entrer leurs parentes an cete Congregation, d'aultant qu'ils ne sçavent si elles sont Religieuses ou seculieres, si elles persevereront ou non, si elles partageront avec leurs freres et sœurs ou si elles demeureront contentes de la dot qui leur aura esté attribuee; et cete incertitude est aussi longue que la vie de la fille..

  A025002260 

 On propose, pour remede a cela, de convertir ces Congregations an vrayes et formelles Religions qui demeurent soubs la jurisdiction de l'Evesque diocesain, et que les Religieuses ayent a vivre an la mesme façon qu'il est porté dans les Regles de la Congregation, qui sont a la verité excellentes et respirent de toutes parts la pieté et l'esprit de Dieu.

  A025002263 

 Mais on respond, qu'an ce siecle et dans la France ces vœux simples et ces sorties pourroyent tirer apres soy des inconveniens et des incommoditez sans comparaison plus importantes et plus considerables pour le publiq, que ne doibt estre la consolation et le contentement d'un fort petit nombre de personnes; car c'est une chose bien rare qu'une veufve touchee de ces ardeurs efficaces de devotion, et neantmoings tellement attachee aulx affayres de ses enfans qu'elle ne s'an puysse descharger sur quelques parens.

  A025002263 

 Quant a l'aultre fin, qui est de donner une retraitte a des personnes lesquelles sont encor dans le monde pour quelques restes d'affaires et sont pourtant obligees d'an sortir quelquefois pour y pourveoyr, la verité est que la Religion ne peult admettre telles personnes, pour ce qu'elle enjoinct de vivre an perpetuelle closture, laquelle exclut toutes sorties.

  A025002264 

 Et quand il n'y a point de moien de rompre ses liens, possible est il plus asseuré de demeurer au monde que d'entrer an Congregation; car, exceptant quelques vertus extraordinaires, et parlant comme il fault des choses qui se font ordinayrement, il est fort malaysé qu'une mere renfermee an une Maison de devotion, appliquee a l'oraison et a la mortification, puysse an huict ou dix jours, an un ou deux ans, donner l'ordre necessaire aulx affaires de ses enfans; et neantmoings, si vous la presupposes attachee a ce soing par une absolue necessité, elle est comptable a Dieu des [325] omissions qu'elle faict a ce debvoir.

  A025002265 

 Les principaulx docteurs de la Sorbonne n'ont ils pas resolu que la marquise de Magneley seroit mieulx au monde qu'an Religion? Et le Pape, an suite de cete resolution, ne luy a il pas commandé par son Nonce qu'elle demeurast au monde? Sera il dict que pour une veufve qui paroistra au monde comme un phœnix an un siecle, il faille tenir un bon nombre de filles an des Congregations, plus tost que dans le nom et la profession d'une Religion?.

  A025002266 

 Il se collige encor des dicts livres que ces Congregations sont fort differentes de celle de la Visitation; et pourtant, si l'on veult inferer de celles la a celle ci, il an fault trouver quelques unes qui luy soyent du tout semblables, et signamment an donner une an laquelle il y aye communaulté, eglise, chœur, Sainct Sacrement, habitz de Religieuses, profession des trois vœux, et de laquelle on veoye sortir de temps a aultre une mere, pour aller, comme tutrice et curatrice de ses enfans, faire des contractz et baulx a ferme..

  A025002266 

 Je ne sçaurois que dire de celles qui sont hors de Romme, sinon que, par les petitz livres que nous an avons, il se peult colliger que les dictes Congregations sont instituees principalement pour recueillir les pauvres filles qui n'ont pas les moiens qu'il fault pour entrer an Religion.

  A025002267 

 Je puis asseurer que cela n'est point a la Tour des Mirouers a Romme, an laquelle depuis long temps an ça, on ne reçoit gueres que des filles aulxquelles l'on permet quelques fois d'aller dans la [326] ville visiter quelques parens malades, a la charge de retourner le soir au logis; mais de se mesler d'affayres, il ne s'an parla jamais.

  A025002268 

 Ce qui ne se dict point par exageration, ny pour trouver a redire an celles qui, assistees de l'Esprit de Dieu et de la direction d'un angelique Prelat, ont frayé heureusement ce chemin, et se font admirer et non reprendre; mais il fault jetter les yeux dans les annees a venir, et penser au temps que, cete direction manquant et les ardeurs de cete devotion ralenties, les choses pourront succeder moins heureusement..

  A025002268 

 Certes, il semble inconvenant qu'une femme que l'on a veue, an grande solemnité, couverte d'un drap de mort dans l'eglise, comme mourante a toutes les choses du monde, on la veoye quelque temps apres dans le soin d'un mesnage temporel.

  A025002268 

 Et bien qu'an toutes les villes de cete province l'on erige continuellement de nouveaux Monasteres de filles, l'on ne veoyt point qu'on an aye erigé un aultre comme celuy cy, parce que l'on ne l'auroyt pas permis.

  A025002269 

 De plus, il fault penser au jugement du monde, et s'imaginer que ceulx qui verront cete Sœur de la Congregation par les chams et dans les villes, n'auront pas tous veu le conseil de Navarre, et ne sçauront pas les distinctions subtiles entre Religion et Congregation.

  A025002269 

 Si donc les occasions des veufves devotes et necessairement attachees au monde sont fort rares, et si leurs sorties sont fort dangereuses, il semble plus expedient de les exhorter qu'elles demeurent a servir Dieu dans le monde, combattant vertueusement par sa grace, qui suffit a toutes nos necessités et tribulations et infirmités de leur vie, que non pas, an les retirant dans des Congregations, donner occasion a toutes les incommodités susdictes..

  A025002269 

 Tant il y a, que voyant une Religieuse par le monde et dans les affayres, il s'an scandalisera; tant y a, que les Monasteres lesquels an execution du Concile on veult remettre an closture, auront fort que dire et dequoy se plaindre; tant y a, que les protestans et les libertins auront dequoy censurer les clostures de nos Monasteres, puisque par le moien des Congregations nous sçavons bien nous an passer, et prouver qu'elles n'estoyent point an la primitive Eglise; tant y a, que ces sorties seront occasion de grandes distractions aux Sœurs qui sortent, et de tentations a celles qui demeurent a la maison, et, par succession de temps, l'on ne peult que l'on n'an apprehande des desordres.

  A025002270 

 Et par consequent, puisque ces Congregations ne sont necessaires [327] que pour ces veufves, estant suffisamment pourveu a l'aultre fin des Congregations par le moien de la Regle de sainct Augustin, et des Constitutions doulces et gratieuses, comme il a esté dict au commencement, il semble que l'on peult conclure qu'il est plus expedient d'eriger des Monasteres et Religions formelles, esquelles les Sœurs serviront Dieu an un estat de plus grande perfection et participeront a mille benedictions et Indulgences que les Souverains Pontifes ont concedees aulx dictes Religions; ou, aultrement, les Seurs ne peuvent seulement estre asseurees d'avoir le consentement de Sa Saincteté, car, recherchee plusieurs fois d'autoriser icelles Congregations, jamais elle l'a voulu faire: oultre qu'il y a grande difference entre sa tolerance, et sa benediction et ses Indulgences.

  A025002270 

 Il y a de plus, qu'elle tolere bien souvent ce qu'elle ne peult empescher; oultre que, pour se servir de sa tolerance, il la fault avoir an un cas du tout semblable au nostre, et ne fault pas mettre an une seule Congregation ce que l'on trouve toleré an diverses; car Sa Saincteté souffrant les choses singulieres, l'on ne peult pas inferer qu'elle les veuille souffrir toutes ensemble..

  A025002271 

 Il y a plus de la part des Religieux ou casuistes qui, entendant parler de cete Congregation, an louent grandement les exercices, et admirent la pieté de l'Instituteur et sa charitable prevoyance, deferant infiniment a sa suffisance et a la lumiere que le Ciel luy donne; neantmoings, quand il est question d'accorder ces vœux et ces sorties, et ces aultres inconveniens sus allegués, chacun subsiste; et si l'on les proposoit sans alleguer l'autheur, beaucoup diroyent qu'an cete saison et an ce pais cela est fort dangereux; et ne croit on pas qu'il se puysse trouver aultre exemple d'aulcune Congregation religieuse an laquelle il entre des femmes encor chargees d'affaires, qui, an habit de Religieuse, an sortent de fois, a aultre pour pourveoir aulx dictes affaires..

  A025002272 

 Si, nonobstant toutes ces considerations, il est jugé expedient de demeurer an termes de simple Congregation, on remarque que l'invocation de la Visitation ayant esté prinse sur le dessein que les Sœurs serviroyent les malades, et ce dessein ne se devant plus effectuer, il sembleroit a propos de changer cete invocation et prendre celle de la Presentation de Nostre Dame, a laquelle l'oblation des Sœurs peult avoir plus de rapport.

  A025002273 

 Et ne semble pas asses asseuré de recourir a la distinction des vœux solemnels et simples, et des Congregations et Religions; car, oultre que ce seroyt eluder l'intention desdicts Conciles, qui a esté d'empescher les nouveautés et diversités an l'Eglise (et ces Congregations sont les vrays moiens de les introduire, estant certain que jamais deux Evesques ne seront du mesme advis), il est apparent que cete prohibition s'estend aulx Congregations que vouldroyent introduire les Evesques, puisqu'elle requiert l'approbation Apostolique.

  A025002273 

 L'on remarque aussy que les paroles de l'oblation contiennent vœux de chasteté, pauvreté et obeissance.

  A025002273 

 Mais nous disons qu'ils ne peuvent pas, soubs le nom de Congregation ou College, eriger des assemblees qui ayent toutes les, marques et l'essence encor des Religions, an sorte qu'il n'y aye a dire que le nom: les trois vœux, la communauté, l'eglise, Sacrement, le chœur, chanter tous les jours les divins Offices; et que? peult on avoir plus que cela an la Religion?.

  A025002275 

 Je respons qu'a la verité voyla deux marques principales de la Religion qui ne conviendront jamais aulx Congregations; mais je dis que quand les Conciles ont deffendu d'eriger des Religions nouvelles, ils sçavoient fort bien qu'il n'y a que le Pape qui les puysse eriger avec ces conditions la, puisqu'elles ne peuvent estre [329] sinon an suite de l'approbation du Pape.

  A025002276 

 Bien est vray qu'il seroyt a propos de laisser cete oblation avec ces trois vœux, si l'on le peult faire canoniquement; car cela consoleroit fort et les Sœurs qui entreront an la Congregation, et leurs parens, attendu que chacun n'entend pas ces distinctions des vœux simples et solemnels, et pourtant sembleroit aulx uns et aulx aultres que ce soyt vrayement Religion: qui ne seroyt qu'un bon et pieux equivoque.

  A025002276 

 Mais si cela ne se peult faire canoniquement, il fauldra se restreindre au vœu de chasteté et au ferme propos et establissement du reste; et possible seroyt il a propos de le concevoir ainsy: «Je, N., fais vœu a Dieu de le servir en perpetuelle chasteté, et de vivre et mourir en la Congregation de ceans, selon les Regles et Constitutions d'icelle.» Et dans les Regles on expliquera que l'on ne fait pas vœu expres de pauvreté et d'obeissance, mais que les Sœurs observeront pourtant l'un et l'aultre volontairement et pour l'amour de Dieu, avec aultant de fidelité et de courage que si elles y estoyent liees et obligees par des vœux les plus solemnels du monde..

  A025002277 

 Mais pour les affaires temporelles des Sœurs, les sorties ne seront permises sinon pendant le noviciat, et jamais apres l'oblation; et partant, avant que venir a l'oblation, soit filles ou veufves, devront estre deschargees de toutes affaires.

  A025002278 

 Avec cet expedient et cete moderation, l'on pourrait pourveoir an partie aulx inconveniens qui procedent des sorties, et satisfaire par mesme moien aulx desseins et a l'intention de la Congregation, qui est de donner retraitte a des veufves, bien que chargees encor de quelques affaires pour lesquelles il leur fust besoin de sortir quelquefois au monde; intention que l'on trouve bien louable et charitable, s'il estoit aussy aysé de rencontrer les moiens de l'executer sans inconveniens et incommodités..

  A025002279 

 Et il sera bon d'expliquer que c'est principalement pour telle raison que l'on se tient dans les termes de Congregation, afin de pouvoir, an ces sorties et cete prorogation de noviciat, an l'entree des peres et enfans, an l'entree des femmes seculieres et choses semblables (si chose aultre y a), mitiger an quelque chose la rigoureuse observance des Religions et s'accommoder aux infirmités des personnes, pour la plus grande gloire de Dieu; mais qu'au reste, les Sœurs de la Congregation, apres avoir fait ce sacrifice a Dieu pour le bien de leur prochain, doibvent estre, an ce qui les regarde an particulier, aussy fideles a Nostre Seigneur et aussy observantes de leurs Regles comme si elles estoient an la Religion du monde la plus estroitte..

  A025002279 

 Tousjours faudra-il mettre quelques gloses qui expriment que telles veufves ne seront pas receues indifferemment, mais quand il y aura de grandes raisons qui convient la Congregation a leur user de cete charité.

  A025002280 

 Il n'y a que le Pape et les Conciles qui puyssent parler ainsy, oultre que les autres Evesques s'an scandaliseroyent, et il semblerait qu'on leur voulust apprendre leur leçon..

  A025002280 

 Or, il se fault determiner de tout cecy et an demeurer d'accord uniformement, s'il est possible; car il fault prendre garde que dans les Constitutions qu'on fera imprimer, on ne doibt pas dire que les Evesques, selon les necessités de leur diocese, pourront faire cecy ou cela.

  A025002281 

 De maniere qu'il fault dire precisement ce que l'on veult faire; aultrement ce seroit faire le docteur et non le legislateur, ou faire le Pape et non l'Evesque.

  A025002281 

 Que si l'on ne peult pas demeurer d'accord, Monseigneur de Geneve disposera des siennes comme il luy playra et l'Archevesque de Lyon disposera des siennes comme il jugera a propos, soit an terme de Congregation, soit de Monastere, a quoy il incline bien fort, principalement s'il se fault diversifier an quelque chose de mondict Seigneur de Geneve; ce qu'il ne vouldroit an façon quelconque, et ne le feroyt jamais, qu'avec un regret extreme.

  A025002287 

 Premierement, on considera qu'en la province et ville de Milan il y en avoit quantité, toutes presque differentes les unes des autres; qui faisoit foy que ces erections estoyent pleinement au pouvoir des Evesques, d'autant plus que cette province la est advouee la mieux disciplinee qui soit en Italie..

  A025002288 

 Aussi, en l'affaire de M me de Gouffiers, on exprima qu'elle estoit en la May son de la Congregation des Oblates d'Annessi, et ni le nom, ni la chose ne fut point treuvee estrange: signe manifeste qu'elle est de l'espece des Institutz qui sont suffisamment appreuvés quand ilz sont erigés par les Evesques, desquelz les actions n'ont pas besoin d'approbation speciale, sinon es cas que le Saint Siege s'est expressement reservé..

  A025002288 

 Secondement, on en fit parler a Sa Sainteté, laquelle tesmoigna de la treuver bonne, accorda des Indulgences et benedictions sur un sommaire escrit qui luy fut fait par [333] le R. P. François de Beugey, Commissaire de la Province de la Mission des Peres Capuçins; bien que le seigneur Cobellutio ne voulut pas se departir du formulaire ordinaire lhors qu'il fit dresser le Brief desdites Indulgences.

  A025002289 

 De sorte qu'il suffit de sçavoir que telles Congregations sont en usage en l'Eglise de Dieu entre les Pasteurs les plus reformés et dignes d'imitation, et qu'elles peuvent estre establies sous [334] differentes Constitutions, selon que les lieux, les occasions et les fins qu'on praetend le requierent; estant au reste tres certain que non seulement a Milan, mais en la province de Milan, telles Congregations ont eglise, Messe, Sacremens, chœur, bien que non pas toutes.

  A025002289 

 Et l'exemple sus allegué de la province de Milan semble estre garend irreprochable de cette verité; comm'encor qu'il ne soit point necessaire que cette Congregation soit en tout semblable a quelqu'autre d'Italie, puisque mesme en cette province-la on void que chasque Evesque donne des Constitutions a celles qui sont en son diocœse, dissemblables a celles des autres, et mesme de leur Metropolitain, et Metropolitain tel qu'estoit saint Charles.

  A025002289 

 Exemple en soit les Guastales a Milan, ou nos bons Peres Barnabites disent tres souvent la Messe; ou l'Institutrice, Confesse Guastale, a establi un confesseur et un clerc ordinaire pour dire la Messe et administrer les Sacremens, ainsy qu'il appert par son testament imprimé, que l'Evesque de Geneve a. Et l'on peut bien comprendre que les Urselines qui sont en Congregation, ont eglise interieure, c'est a dire chœur pour elles, et exterieure pour les Messes, au diocese de Novare, puisque au Formulaire de la reception, qui est imprimé parmi les autres escritz pastoraux de Monseigneur de Novare, il est dit tout a la fin que les filles receuës seront ramenees en leurs maysons, «ou bien en l'eglise interieure, si elles sont receuës en Congregation.» [335].

  A025002290 

 Cela, comme l'on pense, avec ce qui a esté escrit au papier ci devant presenté a Monseigneur l'Archevesque, peut suffire pour monstrer que l'erection de telles Congregations est tres loysible, d'autant plus que celle de la Tour des Mirouers de Romme est non seulement toleree, mais appreuvee expressement par le Saint Siege, et grandement louëe comm'une maniere de vivre sainte; tesmoin Navarre..

  A025002290 

 Et quant a dire l'Office ensemble, a la verité l'Evesque de Geneve n'a pas encor certitude si cela se fait es eglises de Milan, mais ouy bien que la permission de le dire n'est point du genre des choses prohibees aux Evesques, qui le permettent en Italie aux Confrairies des Pœnitens ou Disciplinanti, sans reprehension de personne; et ces Confrairies, composees de gens mariés, imitent en cela les Religieux [336] et le Clergé d'une bonne imitation.

  A025002291 

 Et en ces Congregations-la vivoyent et fleurissoyent les grans Saintz et grandes Saintes qui faysoyent leurs vœux en grande celebrité, mais sans solemnité; ainsy que font encor a present les estudians des Jesuites, lesquelz, s'ilz sortent sans congé apres leurs vœux simples, sont voyrement apostatz, puisqu'ilz sont tenus pour Religieux, mais les mariages qu'ilz contractent ne sont pourtant pas invalides, puisque en cela seulement consiste la solemnité du vœu de chasteté, laquelle n'a jamais esté en leur vœu..

  A025002291 

 Et sainte Françoise, tous-jours conduite par son bon Ange, pensa que la sienne seroit a l'honneur et plus grande gloire de Dieu.

  A025002291 

 Et toutes, presque, les anciennes Congregations estoyent de cette nature, les vœux solemnelz des Religieux et Religieuses n'estans introduitz que despuis cinq cens ans en ça, ainsy que remarque doctement Hieronimus Platus, in lib. De Bono status religiosi.

  A025002291 

 Mays, que non seulement elles soyent loysibles, ains aussi utiles au salut des ames et gloire de Dieu, il est advis qu'on n'en puisse pas douter sans blasmer ces bons Evesques d'Italie, qui, avec beaucoup de soin, les erigent, dressent et instruisent; laissant a part que la chose parle d'elle mesme.

  A025002292 

 Si donq ell'est loysible, on ne peut douter qu'elle ne soit tres utile, sans que pour cela on veuille l'esgaler en reputation, dignité et perfection aux Religions formelles ou Congregations des vœux solemnelz; car en l'Eglise il [337] y a des rangs et methodes pour le service de Dieu en grand nombre et en grande difference, tous bons, tous honnorables, mais plus les uns que les autres..

  A025002293 

 Car, quant a la visite des malades, elle fut plustost adjoustee comme exercice conforme a la devotion de celles qui commencerent cette Congregation et a la qualité du lieu ou elles estoyent, que pour fin principale.

  A025002293 

 Il est vray que cet exercice fut aymé non seulement parce que de soymesme il est pieux et grandement aggreable a Dieu, mays parce que celles qui le prattiquoyent n'alloyent jamais pour le faire sans revenir meilleures et plus consolees.

  A025002294 

 Et quant a l'entree des peres et enfans, s'il est treuvé bon de les gratifier, on croid que ce sera beaucoup de consolation pour eux et sans apparence de peril, la chose estant bien conduite avec l'entree des medecins et confesseurs..

  A025002294 

 Or maintenant, venans a ce qu'il faut resoudre, et considerant que le genre de vie prattiqué en cette Congregation pourra estre receu avec beaucoup d'utilité et de gloire de Dieu en divers endroitz du royaume de France, sil [338] estoit reduit au point auquel Monseigneur l'Archevesque le desire, l'Evesque de Geneve, de tout son cœur, sans un seul brin de repugnance, acquiesce a l'establissement de cette Congregation en tiltre de simple Congregation, sous la condition d'une clausure perpetuelle, toute telle qu'elle est marquee au Concile de Trente pour les Religieuses formelles, et sous cette douce et benigne interpretation que, comme a Romme et en Italie presque par tout on estime une suffisante cause pour faire entrer les filles du monde es monasteres quand elles ont besoin et volonté d'y estre instruites, on puisse aussi y faire entrer les femmes et filles qui auront besoin et volonté de s'y retirer pour un peu, affin de mettre ordre et restaurer leurs consciences; puisque cette necessité est grande, et les fruitz de ces entrees plus grans qu'il ne se peut dire, ainsy que l'experience l'a fait voir de deça.

  A025002296 

 Et pour satisfaire encor plus pleinement aux conceptions des hommes du monde, on pourroit, ce semble, obtenir aysement de la Cour de Parlement, ou du Conseil du Roy, que les renoncemens faitz par les filles, a leur entree, des pretentions temporelles, tiendroyent; aux reserves de ce qui leur seroit accordé en leurs entrees, qui demeurera acquis a la Congregation, sinon en cas d'expulsion, qu'il leur sera rendu, ou a leurs parens, pour leur entretien, sans qu'elles puissent prœtendre autre chose; car une telle declaration seroit utile, pour le temporel, aux familles, et pour la descharge des Maysons, et par consequent il y a lieu de croire qu'il seroit facile d'obtenir.

  A025002297 

 Aussi ce tiltre de Visitation est fort authentique; et pourveu qu'on soit d'accord des choses, il semble que les noms sont de fort peu de consideration..

  A025002298 

 Pour la forme des vœux, il importera aussi fort peu, et Monseigneur l'Archevesque pourra la dresser a son gré; quoy que celle qui avoit esté dressee est pareillement conforme a celle des Congregations de la province de Milan, que Monseigneur l'Archevesque pourra voir es livretz quil a, si toutefois la memoyre de l'Evesque de Geneve ne le trompe..

  A025002299 

 Mais, en fin finale, parce que l'on void clairement que l'esprit de Monseigneur l'Archevesque auroit une plus entiere et aggreable satisfaction que cette Congregation fust convertie en une Religion formelle, sous la Regle de saint Augustin, avec les mesmes Constitutions qu'ell'a maintenant, l'Evesque de Geneve y acquiesce aussi fort librement et de grand cœur, non seulement pour le respect, honneur et veneration qu'il doit a l'esprit majeur, mais aussi parce que, selon quil peut discerner des articles proposés, tout ainsy que Monseigneur de Paris a converti la simple Congregation des Urselines en Religion formelle sans changer la fin principale de la Congregation, de mesme, en la transmutation de la Congregation de la Visitation en Religion formelle on pourra exactement garder la fin d'icelle Congregation: ce qu'estant, il n'y a rien a dire que la Religion formelle ne soit plus desirable pour la reputation envers le monde, et pour la descharge particuliere [340] de l'Evesque de Geneve qui n'aura plus occasion de faire des apologies et esclarcissemens pour la Visitation..

  A025002300 

 Or, la fin de la Congregation sera aysee a conserver dans la Religion, pourveu que cette fin soit aymee, aggreée et favorisee autant qu'elle le merite et qu'en ces quartiers des Gaules la necessité du bien des ames le requiert; car, quand mesme il faudroit avoir approbation expresse du Saint Siege, estant bien remonstré que les vefves en ces païs de deça, pour resolues qu'elles soyent, ne peuvent demeurer en leurs maysons sans des continuelles sollicitations au mariage, sans estre attaquees, courtisees et exposees a mille incommodités a cause de la grande liberté qui regne entre les deux sexes, il n'est pas croyable qu'il ne soit treuvé bon qu'on les retire dans cette Congregation en leurs habitz, et a la charge qu'y estant, elles se conforment aux Regles et usages d'icelles, observant la clausure au plus pres quil se pourra..

  A025002301 

 Item, que pour les mesmes considerations on retire pour quelques jours les femmes qui voudront se recueillir en Dieu, pour establir leur vie en son service, au monde.

  A025002301 

 Mais sur tout, si on remonstre un peu fermement la difference qu'il y a entre la France et l'Italie, et qu'en Italie les femmes et filles ont mille commodités es Compaignies, Societés et Congregations de prattiquer la devotion de plus qu'en France; car il semble qu'il n'y peut avoir aucune replique a ces remonstrances, et que si l'on prouvoit aux jeunes filles de retraitte pour les faire instruire dans les monasteres, on doit aussi prouvoir aux vefves, filles infirmes et aux femmes mesme mariees, de cette commodité, pour leur establissement et advancement en la devotion; les autres plus rigoureuses Religions n'y servant pas convenablement, puisqu'elles ne donnent que le mouvement d'admiration et estime, mais non pas celuy de prattique et d'imitation..

  A025002302 

 On ne dit rien en cet endroit de l'expulsion des Seurs, parce que, puisqu'il s'agit de la Regle de saint Augustin, elle y est expressement marquee, et ne restera sinon de l'execution, comm'il est noté dans les Regles..

  A025002304 

 Et aussi n'y a-il plus lieu de retarder, attendu que l'Evesque de Geneve est en une parfaite indifference pour aggreer avec suavité le choix qu'il plaira a Monseigneur l'Archevesque de faire; et mesme a pris plus d'inclination pour celuy de la Religion, y voyant plus reluire le contentement de celuy auquel il doit et veut rendre toute obeissance, et l'applaudissement des gens du monde et mesme de plusieurs Religieux, avec la conservation des fruitz praetendus par la Congregation, afïin que les fruitz et tout l'arbre soit cheri et appreuvé esgalement en l'esprit de celuy auquel ledit Evesque se sousmet, a la gloire et louange de Dieu, a qui soit honneur et gloire..

  A025002304 

 Reste qu'il playse donq a Monseigneur de Lyon de conclure toute cette affaire, afïin que, sans plus de delay, on puisse faire l'establissement en l'une des deux façons: d'autant que les Regles sont demandees de toutes partz et la Congregation desiree en plusieurs endroitz, et mesme en ce païs de Savoye; a quoy il n'est pas expedient de respondre ni correspondre que tout ne soit arresté.

  A025002310 

 Nous désignerons le premier sous la lettre Q et le second sous la lettre P. L'ordre chronologique exige que nous parlions d'abord de ce dernier..

  A025002314 

 K furent sans doute celles que suivait la Communauté d'Annecy; c'est encore ce texte qui fut emporté à Lyon par les fondatrices du deuxième Monastère, en janvier 1615.

  A025002316 

 Il y est dit, en effet, que «les Congregations establies en tiltre de simple congregation pieuse ne sont point sujettes a la rigoureuse clausure... Celle ci sera neanmoins obligee a garder estroittement celle qui est requise pour la conservation et bienseance de sa vocation.

  A025002318 

 P; il commence ainsi: «Puisque le vœu fondamental de cette Congregation se fait expressement et formellement de la chasteté...» Ce fut seulement le 20 novembre 1615 que les «Seurs establies» firent entre les mains de leur Fondateur ce vœu perpétuel, avec celui de «vivre a jamais en la Congregation... selon les regles et Constitutions d'icelle.» Le lendemain, elles les renouvelèrent solennellement pour la première fois; depuis lors, la rénovation fut fixée au 21 novembre.

  A025002321 

 A Lyon, la rénovation des vœux n'eut pas lieu, en 1615, le 21 novembre (voir tome XVII, lettre du 13 décembre à la Mère Favre, p. 104); il est bien permis de supposer que les dernières dispositions furent prises trop tard à Annecy pour que la Supérieure de Lyon en pût être avertie à temps; autrement, elle n'eût pas manqué de se conformer à la première Maison de la Congrégation..

  A025002321 

 g) L'article 45: Du renouvellement et confirmation des vœux, marque les exercices préparatoires, les cérémonies à observer et même la manière d'écrire ce renouvellement dans le Livre du Couvent: autant de choses qui n'ont dû être réglées que peu avant la «Saint Martin», 11 novembre, et peut-être écrites seulement après que le premier essai en avait été fait.

  A025002322 

 On pourrait multiplier les remarques et par là même les preuves [344] en faveur de la date que nous suggérons: août-novembre 1615; mais celles que nous venons de donner suffisent amplement..

  A025002323 

 Il écrit en effet le 16 ou le 17 août à sainte Jeanne de Chantal: «Il faut attendre que nos Regles soyent bien appreuvees et la Mayson de Lion bien establie par [l'autorité de M gr ] l'Archevesque.» (Tome XVII, p. 37.) — Les Constitutions, revues, corrigées, augmentées et copiées furent envoyées promptement à M gr de Marquemont, qui différa assez longtemps avant d'en écrire son sentiment au Fondateur, comme il le lui dit lui-même dans sa lettre du 20 janvier 1616.

  A025002325 

 a) Dans son Mémoire, l'Archevêque proteste contre les sorties même des veuves, pour l'arrangement des affaires de famille (voir ci-dessus, p. 325); dans notre Manuscrit, l'article 6 est complètement changé; le nouveau texte est écrit par M. Michel Favre sur deux bandes de papier collées en sorte que le texte primitif reste visible..

  A025002326 

 b) L'Archevêque demande que les entrées «des proches parens en cas de maladie perilleuse» soient limitées aux «peres et enfans seulement»; or, à l'article 3: De la clausure quant a la forclusion des hommes, la sainte Fondatrice a biffé les mots: «freres et les oncles, freres des peres ou des meres» (voir ci-après, var. 1833, p. 353).

  A025002327 

 c) M gr de Marquemont note «que les paroles de l'oblation contiennent vœux de chasteté, pauvreté et obeissance,» et propose de modifier la formule (voir p. 330); le Fondateur se rend à ses désirs et corrige de sa main le texte du Ms.

  A025002328 

 (Ibid., p. 92.) Enfin, le jour même de Pâques elle mande à sa grande fille: «Vous les aurez, ces chères Règles, sans faillir, Dieu aidant, à la première commodité; mais non pas polies, car le bon Père n'en peut sitôt prendre le loisir, et je pense encore que pour nous reculer, il lui vient un ouvrage sur les bras du côté de Thonon.

  A025002328 

 Il y mettra pourtant les choses nécessaires, essentielles, selon le Mémoire que vous avez vu.» (Ibid., p. 98.) Le 14 avril, les Constitutions étaient entre les mains de la Mère Favre, comme l'indique encore une lettre de la Sainte: «Voyez celle que j'écris à ma Sœur de Gouffier, puis fermez-la bien, et lui envoyez la Règle que vous ferez pour cela copier en toute diligence... Si ces gens d'Auvergne vous la demandent, envoyez-la-leur, avec conjuration qu'ils n'en fassent aucune copie, à cause que la dernière main du maître n'y a pas passé; mais rien pourtant ne s'y changera de l'essentiel, ni de tous les exercices.» (Ibid., p. 99.).

  A025002329 

 Par ces diverses citations il est facile de conjecturer que le Ms.

  A025002336 

 c) A l'article 2, on remarquera la longue addition concernant la réception des veuves: recevoir seulement celles qui n'auront «pas des affaires qui tirent» à la longue et qui ne demandent pas «des frequentes sorties»; — essai de six semaines avant de «tirer les voix»; — si elles ont le consentement de la Supérieure et des Sœurs, on leur fera écrire leur admission, elles prononceront «le vœu de chasteté et de demeurer en la Congregation,» puis on les remettra pour une année à la Directrice, sans pourtant qu'elles «soyent tenues pour estre du cors de la Congregation, bien qu'elles soyent obligees d'en observer toutes les regles et coustumes»; — à la fin de l'année, si leurs affaires ne sont pas encore réglées, elles sortiront du Noviciat jusqu'à ce qu'elles soient «prestes a prendre [346] l'habit,» qu'on ne leur donnera point pendant qu'elles «ne pourront pas s'exempter de sortir,» et, par conséquent, elles ne seront pas «receues a l'establissement solemnel.» C'est encore ce que M gr de Marquemont avait demandé dans son Mémoire (voir ci-dessus, pp. 330, 331)..

  A025002338 

 e) A l'article 40: De la premiere reception de celles qui desireront estre de la Congregation, il faut signaler le modèle de l'acte que devront écrire les «femmes ou filles» qui, «ayant les voix pour la reception,» auront «besoin de retourner chez elles» pour affaires: «Je N., ayant instamment requis... d'estre receue en la Congregation de Nostre Dame de la Visitation de Moulins, ay receu cette grace de Nostre Seigneur que d'y estre admise...» etc..

  A025002340 

 Saint François de Sales ayant prêché à Grenoble l'Avent de 1616 et le Carême de 1617 ne put certainement pas s'occuper des «Regles» pendant ces stations; aussi reste-t-il que la révision, commencée au mois d'août 1616, si elle n'était pas terminée avant la fin de novembre de la même année, dut s'achever en janvier de la suivante.

  A025002344 

 En quoy, outre la perte qu'elles souffrent, elles sont dignes de grande compassion; car, qui n'auroit pitié d'une ame genereuse, laquelle ayant un extreme desir de se perfectionner et de vivre toute a Dieu, ne peut neanmoins presque bonnement le faire, faute d'avoir un cors asses fort et une complexion saine, la poursuitte qu'elle voudroit faire de la sainteté estant empeschee par le manquement de la santé? Et n'est ce pas grand dommage de voir une vefve qui n'aura peut estre d'affaires domestiques que pour ou huit ou quinze jours chasqu'annee, croupir toutefois et tremper tout le reste de sa vie dans les inquietudes d'un mesnage, emmi les perilz de perdre a chasque moment l'affection qu'elle aura a sa viduité? Et n'est ce pas un secours fort a propos pour celles qui sont avancees en aage, de leur presenter une retraitte en laquelle elles se puissent mieux preparer pour estre retirees eternellement au Ciel? [348].

  A025002345 

 Affin donq que telles ames pleines de bonne affection ayent des-ormais moyen en ces quartiers de deça de se retirer du monde, fuir les occasions et dangers de se perdre, et s'appliquer doucement et parfaittement a l'exercice du divin amour, cette Congregation a esté dressee et procuree sur l'exemple de beaucoup d'autres, lesquelles, a mesme intention, furent instituees par le grand saint Charles et plusieurs autres Prelatz de grande authorité en Italie, et de celle que sainte Françoise fonda a Rome..

  A025002348 

 Et quant a la derniere, en la Regle que saint Paul mesme luy dicta, il est expressement marqué que les dittes vefves fussent receues esgalement comme les vierges en sa Congregation..

  A025002349 

 On pourra donq recevoir en cette Congregation les vefves desquelles les enfans sont hors de leurs maysons, comme aux estudes, aux cours et ailleurs, ou a l'education desquelz elles peuvent bien et deüement pourvoir par autruy, quoy que d'autre part elles fussent obligees d'avoir le soin general d'iceux et de leurs affaires, pourvu que tel soin ne requiere pas leur residence en leurs mesnages, [349] ains puisse estre prattiqué et executé en peu de jours; car, pour cest effect, telles vefves pourront prendre les commodités requises, avec le moins de distraction que faire se pourra..

  A025002350 

 Faudra soigneusement prendre garde que telles vefves soyent bien appellees de Dieu et fort propres pour son service; qu'elles n'ayent pas des affaires qui tirent beaucoup en longueur ni qui requierent des frequentes sorties; que l'on leur face faire l'essay de six semaines avant que tirer les voix, au bout desquelles, si elles sont treuvees capables et qu'elles ayent le consentement de la Superieure et des Seurs, on leur fera escrire comme elles ont esté admises, ainsy qu'il sera marqué ci apres.

  A025002350 

 On leur fera faire le vœu de chasteté et de demeurer dans la Congregation; puis seront mises a la charge de la Directrice pour estre dressees et enseignees comme les Novices, ou elles demeureront une annee, sans que pourtant elles soyent tenues pour estre du cors de la Congregation, bien qu'elles soyent obligees d'en observer toutes les regles et coustumes.

  A025002350 

 Que si dans cette premiere annee leurs affaires ne sont expediees, on les retirera du Novitiat jusques a ce qu'elles soyent prestes a prendre l'habit, que l'on les y remettra pour encor un an; car tandis qu'elles ne pourront pas s'exempter de sortir quelquefois pour le reglement des affaires de leur mayson temporelle, elles ne prendront point l'habit de la Congregation, ains demeureront en l'habit de leur viduité ordinaire, mais grandement modeste et simple; ni ne seront point, par consequent, receuës a l'establissement solemnel de la Congregation jusques a ce qu'elles soyent en liberté d'y demeurer et vivre sans sortir, comme les autres.

  A025002351 

 En suite dequoy ne sera permis d'introduire aucune sorte d'austerité dans la Congregation, sous quelque pretexte que ce soit..

  A025002351 

 Il ne faudra pourtant recevoir des personnes tellement infirmes qu'elles ne puissent en point de façon observer la regle, sinon qu'elles fussent de telle et si grande consideration que l'on treuvast a propos de le faire.

  A025002352 

 Or, sur toutes les qualités requises a celles qui entreront, on doit rechercher qu'elles ayent une tres profonde resolution de mespriser le monde et de vivre humblement et doucement, avec une parfaite obeissance; car cette Congregation n'ayant pas beaucoup d'austerités, ni des lienssi indissolubles comme beaucoup d'autres, il faut que la ferveur de la charité et la force d'une tres intime resolution [351] supplee a tout cela, affin qu'en cette Congregation soit verifié le dire de l'Apostre qui asseure que le lien de la charité est le lien de la perfection..

  A025002354 

 Le principal point de la clausure des Congregations des femmes et filles est que leurs maysons soyent fermees aux hommes; et partant, les hommes n'entreront en façon quelcomque en la Mayson de cette Congregation, sinon pour chose necessaire et qui ne puisse estre executee que par l'entree d'iceux, pour laquelle il faudra encor avoir licence par escrit de l'Evesque ou de celuy qui sera commis de sa part..

  A025002355 

 Le confesseur, donq, medecin, apothicaire, cyrurgien, maçon, charpentier ou tel autre venant par necessité en la Mayson, il sera conduit au heu ou il doit faire sa charge par deux des Seurs, lesquelles feront auparavant sonner une clochette, affin que l'on sache qu'il y a des hommes dedans, et que toutes les Seurs se retirent en leurs chambres et es lieux de leurs offices pour esviter d'estre veuës et rencontrees par ceux qui sont entrés..

  A025002356 

 Et quant au confesseur, tandis qu'il ouyra la confession des malades qui ne peuvent venir a la treille, ou qu'il donnera l'Extreme Unction, ou qu'il aydera les mourantes, il demeurera tous-jours en sorte qu'il soit veu des deux Seurs qui l'auront amené; et, tant les uns que les autres, ayant fait le devoir de leurs offices, seront reconduitz droit a la porte pour se retirer, et les Seurs qui auront la charge de cette conduitte, ni les amenant ni les [352] ramenant, ne deviseront point avec eux, sinon pour respondre simplement de la disposition des malades..

  A025002357 

 Et affin que l'entree pour les malades se face avec moins d'interestde la closture, on observera de faire les infirmeries en sorte que pour y aller des la porte on ne passe point dans le dortoir, ains par les lieux moins sujetz au rencontre des Seurs..

  A025002357 

 Mais sil ne se peut pas faire aysement, on observera a leur entree et visite ce qui a esté dit des entrees des confesseurs et medecins; et que ce ne soit qu'une seule fois a chaque maladie que lesditz parens puissent entrer seulz, combien qu'avec le medecin et confesseur ilz puissent entrer plusieurs fois, ainsy qu'on le jugera expedient.

  A025002361 

 Ce n'est pas un point essentiel de la closture des Maysons des servantes de Dieu que les autres femmes ne puissent pas entrer, comme il a esté declaré en la Praeface.

  A025002361 

 Mays pour autant que si l'acces leur estoit indistinctement permis, la paix des Seurs seroit grandement troublee, elles n'entreront que sous les conditions suivantes:.

  A025002362 

 Que ce soit avec licence par escrit du Pere spirituel de la Mayson..

  A025002363 

 Que ce ne soit pour prendre aucun repas, ni pour y arrester apres le soleil couché, s'il n'est expres porté par la licence..

  A025002364 

 Qu'a leurs entrees on observe ce qui a esté dit pour l'entree des cyrurgiens et medecins, horsmis que la Superieure pourra avec liberté faire entretenir celles qui entreront par les Seurs que bon luy semblera et es lieux qu'elle treuvera plus a propos, voire mesme pourra les admettre aux exercices de la Mayson, s'il y a apparence d'edification..

  A025002365 

 En tous cas, nulle des Seurs ne pourra parler a celles qui viennent de dehors qu'avec la licence de la Superieure, et non jamais qu'a la veuë d'une autre Seur; bien que la Superieure pourra permettre, quand il luy semblera bon, que l'entretien se face sans que la Seur presente oye ce qui se dira..

  A025002366 

 On prendra garde que les femmes qui entrent ne troublent [354] point le train ordinaire des exercices de la Mayson, et pour ce on n'en recevra que deux ou trois a la fois, sinon que pour quelque grande et extraordinaire occasion il y eust licence par escrit d'en recevoir davantage; car autrement il y auroit danger de grande distraction et importunité..

  A025002367 

 Les jours de festes les femmes n'entreront point dans la Mayson, affin que les Seurs ayant communié puissent avoir plus de repos pour entretenir le celeste Espoux.

  A025002368 

 Or, celles cy ayant achevé leurs exercices pour lesquelz elles seront entrees, se retireront en paix, sans que pour l'hospitalité que l'on leur aura faite on leur demande aucune recompense temporelle; bien que si en sortant de la Mayson, ou mesme en entrant, elles donnent quelques aumosnes, on les puisse charitablement recevoir, principalement si ce sont personnes de moyens..

  A025002368 

 Que si elles le sont, que ce soit au parloir et nullement en la Mayson; car autrement leur retraitte seroit rendue inutile et serviroit de distraction a la Congregation.

  A025002370 

 En fin, il faut que les personnes du monde entrent en la Mayson en sorte que le monde n'y vienne point avec elles; ce qui arrivera si les filles de la Congregation attirent par leurs devis, modestie et sainte contenance les femmes qui viennent, a parler chrestiennement et spirituellement, sans meslange de murmuration, curiosité ou autres entretiens superflus..

  A025002373 

 Mays quant aux autres personnes, soit hommes ou femmes, auxquelles il est requis que les Seurs parlent au parloir, on observera:.

  A025002374 

 Premierement, que les Seurs jamais ne parlent qu'aux treilles.

  A025002374 

 Que tous-jours celle qui parlera soit assistee d'une autre Seur qui puisse ouyr ce qui se dira, sinon que pour quelque respect la Superieure se contente que la Seur qui parle soit veue et non ouye par celle qui l'assistera, laquelle, en ce cas, se retirera a part faysant quelque [356] ouvrage, ou lisant quelque livre, ou priant Dieu, Les Novices auront toute liberté de parler a leurs parens proches en la façon susdite, comme au contraire on les tiendra exemptes de parler a tous autres, tant que faire se pourra.

  A025002375 

 Apres que l' Ave Maria du soir sera sonné, il ne sera plus permis d'ouvrir la porte ni d'aller au parloir, sinon pour quelque grande et absolue necessité..

  A025002378 

 Bien que les Congregations establies en tiltre de simple Congregation pieuse, tant a Romme mesme qu'es autres lieux d'Italie, ne soyent point sujettes a la rigoureuse et exacte clausure, en celle ci toutefois s'observera exactement [357] la clausure prescritte aux Monasteres par le sacré Concile de Trente, selon la forme et teneur des paroles d'iceluy qui sont telles: «Or, a aucune des Religieuses soit loysible, apres la Profession, sortir du monastere, pour peu que ce soit, sous quel praetexte que ce soit, sinon pour cause legitime qui soit appreuvee par l'Evesque.

  A025002379 

 Ce que neanmoins, quant a cette Congregation, sera entendu des Seurs qui seront voylees, les Seurs Servantes pouvant sortir, comm'il se prattique mesme en Italie en plusieurs Monasteres; et sauf encor quant aux entrees des femmes, qui pourront estre permises non seulement pour l'absolue necessité, mays, de plus, pour l'utilité, selon quil a esté dit en l'article 4; comm'aussi pour le regard de l'entree des proches parens en cas de perilleuse maladie des Seurs, comm'il a esté dit en l'article 3..

  A025002380 

 La clausure n'exclud pas les Seurs de sortir dans le chœur des prestres pour parer l'autel, a condition quil ny ayt personne estrangere, et que la porte de la nef soit [358] bien fermee; laquelle nef, comme aussi la grande treille et le parloir se fermeront en dehors par les Seurs Servantes qui en apporteront tous les soirs les clefz a la Superieure..

  A025002383 

 Apres quoy, elles feront quelques exercices corporelz selon que la Superieure l'aura ordonné.

  A025002383 

 Despuis Pasques jusques a la saint Michel: elles se leveront a cinq heures, pour entrer en l'orayson mentale une heure entiere despuis cinq et demi jusques a six et demi; et sera ladite orayson sonnee en clochant seulement durant trois Pater et Ave, affin que toutes les Seurs ayent commodité de s'assembler.

  A025002383 

 [359] Et pendant ce tems elles ne seront point obligees de s'assembler, sinon quand la Superieure l'ordonnera; et alhors chacune pourra parler, si bon luy semble, pourveu que ce soit avec modestie et devotion, pour la reverence de la Communion reelle ou spirituelle qu'elles auront a faire..

  A025002386 

 Vespres dites, les Seurs font leurs ouvrages de conversation, devisant de leur lecture et choses utiles jusques a Complies, qui se disent a cinq heures a droitte voix, excepté les grandes festes que l'on chante le Nunc dimittis; et sont suivies des Letanies et d'une demi heure d'orayson mentale.

  A025002388 

 Es jours de jeusne, que l'on disne a onze heures, le silence s'observera despuis Tierce jusques apres Graces, et le silence de l'apres disné ne commencera qu'a une heure apres mydi..

  A025002395 

 Elles seront promptes au premier son de la cloche pour aller au chœur avec gravité et reverence; et y estant, apres avoir fait la genuflexion devant le Saint Sacrement, elles se mettront a leur place avec un maintien le plus devot qui leur sera possible; et ne parleront jamais entre elles, sinon pour chose extremement urgente, ni ne sortiront que pour des necessités fort pressantes..

  A025002396 

 L'Office fait, aucune ne se levera que le signe ne soit donné pour s'en aller.

  A025002397 

 Or, parce que les espritz humains ont accoustumé de prendre des secrettes complaysances en leurs inventions et nouveautés, mesme quand c'est sous le praetexte de la devotion et accroissement de pieté, et que neanmoins il arrive ordinairement que la multitude des Offices empesche l'attention, gayeté et reverence avec laquelle on les doit faire, il ne sera point loysible a la Congregation, sous quel praetexte que ce soit, de se charger d'autres Offices ou prieres quelcomques ordinaires que des Heures de Nostre Dame, qu'on appelle le Petit Office, avec la variation des seules antiennes, Chapitres, himnes, versetz, Invitatoires et Oraysons es festes nommees ci dessus, selon quil est porté au Formulaire de leur Office; et par ce moyen elles auront tant plus d'occasion d'apprendre a bien, distinctement et gravement dire, prononcer et chanter leur dit Office..

  A025002398 

 Mais elles ne manqueront point d'assister a la sainte Messe tous les jours, tant que faire se pourra..

  A025002399 

 Que si quelqu'une veut communier hors ces jours la, elle ne le pourra faire qu'avec l'advis du Confesseur et le commandement de la Superieure.

  A025002403 

 Elles s'habilleront le plus simplement que faire se pourra, tant en la matiere qu'en la forme, ainsy qu'elles sont maintenant, de robbes et cottes noires; et seront coëffees d'un voyle d'estamine noire, long jusques au dessous de la ceinture et qui leur couvre tout le visage, sans attiffetz, sans aucune façon, avec un bandeau noir qui couvre le front; leurs colletz, avec leurs barbettes, de toyle mediocre, sans plis ni empois.

  A025002404 

 Leurs litz seront de mattelatz, et les tours d'iceux de simple estoffe brune, qui se feront en sorte que les Seurs couchant plusieurs en une chambre ne se puissent point voir l'une l'autre en se levant ou se couchant; et pour cela les ouvertures des tours de lit ne seront point tournees l'une contre l'autre.

  A025002404 

 Mays, tant quil se pourra, elles [364] auront chacune leur petite chambre, et ne coucheront ensemble que pour l'extreme et inevitable necessité..

  A025002408 

 On pourra demeurer une heure entiere a table, affin que celles qui mangent lentement prennent leur refection a l'ayse; et ce pendant, celles qui auront plus tost fait demeureront attentives a la lecture, en attendant la fin de la table.

  A025002410 

 Or, cette lecture doit estre tous-jours commencee par un article de la Regle, faite distinctement et clairement, avec des justes pauses de periode en periode, affin que toutes les autres estant en silence entendent sans peyne ce qui se dira.

  A025002410 

 Que si celle qui aura cette charge prend le soin de prevoir la lecture qu'elle devra faire pour s'en bien acquitter, elle fera chose aggreable a Dieu.

  A025002411 

 L'une des Seurs qui auront mangé a la premiere table demeurera pour faire la lecture a la seconde, selon que la Superieure ordonnera..

  A025002412 

 dans le refectoir a droitte voix, quant a la premiere table; mais quant a la seconde, on ne dira que le petit Benedicite et les petites Graces, et l'office s'en fera par celle qui sera la premiere de la table selon l'ordre de cette annee la, et la leçon ne se continuera que jusques a moytié table..

  A025002413 

 Outre les jeusnes commandés par l'Eglise, elles jeusneront toutes les veilles de Nostre Dame et celles de Pentecoste, de l'Ascension, Trinité et Feste Dieu, et tous les vendredis despuis la feste saint Michel jusques a Pasques, sinon qu'en ce jour lâ se celebrast quelque feste de commandement, car en ce cas le jeusne seroit remis au samedi; que sil estoit encor feste le samedi, le jeusne ne se feroit point cette semaine la.

  A025002415 

 Les Seurs estant entrees a table, nulle ne despliera sa serviette ni ne mettra la main au pain ni au cousteau que la Superieure n'ayt donné l'obedience disant: «Au nom de Dieu.» Et taschera on non seulement d'observer le silence, mais de faire le moins de bruit quil se pourra; que si quelque Seur a besoin de quelque chose qu'elle [366] puisse faire entendre par signe, elle n'employera point les paroles pour cela..

  A025002419 

 Sinon que la Superieure permette a quelques unes de se separer des autres au tems de la recreation, elles demeureront toutes ensemble pour s'entretenir (en faysant neanmoins leurs ouvrages) de quelques propos et devis saintement joyeux, avec paix, douceur et simplicité, sans pourtant louer leurs maysons, races et familles, ni murmurer ou mespriser personne, tant des particulieres en general, que des nations et provinces..

  A025002421 

 Elles ne joueront point en quelque sorte de jeu que ce soit, ni n'auront point dans la Mayson d'oyseau de recreation, ni des chiens, escurieux ou telles bestes d'amusement..

  A025002424 

 Or, cette Congréegation estant comme une petite armee dressee contre la vanité du monde, affin que combattant heureusement elle puisse rendre conte a Nostre Seigneur et a Nostre Dame de plusieurs belles victoires, elle doit estre establie en une parfaite obeissance; et pour cela, toutes les Seurs obeiront exactement, fidellement et [367] sans reserve a la Superieure, ne faysant chose quelcomque que par son ordre..

  A025002425 

 Que si quelque Seur vouloit les monstrer, il faut que ce soit en sorte que les autres ne s'en apperçoivent pas, affin de ne tenir point leurs espritz en contrainte..

  A025002425 

 Tous les messages, donques, et lettres qui entreront et sortiront luv seront premierement rapportés, affin qu'elle les permette ou retienne, ainsy que bon luy semblera; horsmis les lettres que les Seurs escriront au Superieur et Superieure absens, car celle qui demeurera en la place de la Superieure par maniere de lieutenante ne verra point telles lettres addressantes aux Superieurs, bien que tous-jours on luy doive demander licence pour leur escrire et faire cachetter les lettres par celle qui a le sceau de la Mayson.

  A025002426 

 Apres la recreation du soir, avant que d'aller a Matines, toutes se presenteront devant la Superieure qui leur commandera les choses requises pour ce soir la et pour la matinee suivante; comme de mesme, apres la recreation du disner, elle leur ordonnera ce qui se devra faire jusques au soir.

  A025002426 

 Que sil ny a rien a commander, elle leur recommandera simplement la mutuelle dilection les unes envers les autres, avec la sainte paix de Nostre Seigneur..

  A025002430 

 Que si elle ne la commet, il s'entendra qu'elle laisse la plus ancienne Surveillante; et celle la sera estimee la plus ancienne qui sera venue la premiere en la Congregation..

  A025002437 

 Chasque Seur ayant traitté des affaires necessaires a sa reception et entretenement en la Congregation, selon quil sera advisé par le Pere spirituel et la Superieure (ce qui se fera tous-jours avant la reception de l'habit, sil se peut), elles renonceront, le jour avant leur vœu et establissement, a toutes les pretentions qu'elles peuvent avoir au monde, en la meilleure façon que le Pere spirituel et la [370] Superieure adviseront par conseil.

  A025002437 

 Que si lhors elles ne sont en l'aage requis pour faire valablement ledit renoncement, elles le ratifieront ou referont quand elles auront l'aage de vingt cinq ans..

  A025002438 

 Ce qui ne s'entend pas pour l'eglise, laquelle pourra estre ornee et embellie autant que les moyens et facultés des Maysons le porteront; lesquelles Maysons on ne devra beaucoup enrichir, ains tesmoigner l'amour de la sainte pauvreté, mesme es rentes, revenus et bastimens..

  A025002438 

 Et faudra observer exactement qu'en la Congregation il n'y ayt aucune proprieté ni particularité de chose quelcomque, pour petite qu'elle soit; ni que la Mayson soit meublee de meubles mondains et superflus, comme tapis, tapisseries, mirouers, bagues, anneaux et vaisselle d'argent, si ce ne sont cuillers pour les malades.

  A025002439 

 Ce qui s'observera si exactement, que ni les chapeletz [371] mesmes, medailles reliques, et images, ni les litz, ni les chambres ne demeureront point tous-jours aux mesmes Seurs, ains seront changees toutes ces choses entre les Seurs au commencement de chasque annee, en cette sorte..

  A025002439 

 Et affin que toutes affections qui pourroyent naistre dans le cœur des Seurs soyent retranchees, et qu'on vive en la Congregation avec une parfaite abnegation des choses exterieures et de toute proprieté, on ne servira pas une Seur de ce qu'elle aura apporté en la Mayson ou de ce qu'on auroit donné a sa contemplation; ains indifferemment, sans distinction quelcomque, on distribuera les robbes, voyles, linges et toutes autres choses selon le rencontre et sans faire aucun choix, ni entrer en consideration quelcomque sinon de la necessité de chacune des Seurs.

  A025002440 

 La veille de la Circoncision, lhors que l'on tire les billetz des Saintz, on escrira en chasque billet le nom de l'un des Saintz que l'on veut tirer, et de l'autre costé on marquera par nombre quelqu'une des chambres; et mettra-on sur une table, par ordre, les chapeletz, Agnus Dei et reliques des Seurs.

  A025002443 

 Et pour oster le scrupule des reliques, les Seurs doivent croire qu'elles serviront de protection pour toutes estans communes entre toutes; et celles d'un Saint qu'une Seur portera, n'auront pas moins de vertu pour toutes les Seurs que si une chacune les portoit, puisque celle qui les porte les a de la part de toutes et pour le bonheur de toutes.

  A025002447 

 Item, celle qui se treuvera deposee de Superieure, laquelle pour une annee ira la derniere, bien que la Superieure l'employe pour se conseiller es occurrences et que toutes luy doivent porter le respect en toutes autres occasions..

  A025002448 

 Or il faut noter qu'entre tous les billetz des Saintz il y en doit avoir un ou il n'y ayt point de nombre, qui sera tous-jours pour la Superieure; en sorte que si quelqu'autre Seur tire ce billet sans nombre, elle le changera avec celuy que la Superieure aura tiré, c'est a dire elle mettra sur son billet le nombre qui est escheu a la Superieure, et prendra le rang, la chambre et le chapelet selon ce mesme ordre..

  A025002449 

 Mais hors de la, les jeunes honnoreront les vielles, encor que les jeunes soyent venues devant elles en la Congregation, et les vielles, reciproquement, n'useront d'aucun mespris; ains toutes, avec une genereuse et noble humilité, se previendront mutuellement les unes les autres en honneur et respect, ainsy que l'Apostre l'ordonne..

  A025002450 

 Que si elles sont Religieuses, de quelqu'Ordre que ce soit, la Superieure les fera marcher devant elle, sinon qu'elles fissent trop de resistence..

  A025002458 

 Au commencement de la lettre, pour salutation, elles mettront: VIVE JESUS! Elles se souscriront simplement, les Seurs les unes aux autres: Vostre tres humble et indigne Seur et servante; et aux Superieures, au lieu de Seur, elles mettront fille; et les Superieures, tant aux Superieures qu'aux autres, elles n'useront que du mot de Seur et servante.

  A025002461 

 Mais elles n'escriront point de lettres de compliment, sur tout les Novices, si ce n'est pour des occasions grandement legitimes, comme de condoleance avec les parens; et que ce soit d'un stile pieux et devot..

  A025002467 

 Affin que l'amendement se face plus grand en la Congregation, la veille de la Circoncision, apres qu'on aura tiré les Saintz, chasque Seur demandera a la Superieure un'ayde; et la Superieure donnera a chacune une compaigne pour cette annee-la, leur enjoignant a l'une et a l'autre d'avoir soin particulier a s'exciter a l'amour de Dieu et a se corriger l'une l'autre de leurs defautz en esprit de douceur et de charité, sans faire aucune autre particularité ensemble, sinon de s'admonester paysiblement.

  A025002468 

 Et parce que la coustume que les Surveillantes et mesme toutes les Seurs facent les advertissemens et corrections des fautes qu'elles auront remarquees, au refectoir apres Graces, est de grand prouffit, elle sera gardee et observee..

  A025002471 

 Le samedi, toutes les Seurs, sans qu'aucune s'en puisse excuser, si ce n'est pour cause extremement grande, tant celles qui sont establies que les Novices, s'assembleront au Chapitre; et apres avoir dit le Veni, Sancte Spiritus, la Superieure lira quelques advis tirés de quelque livre devot, ou un article de la Regle, et dira tout ce qui luy semblera devoir estre dit pour le bien spirituel de la Congregation.

  A025002471 

 Que si quelqu'une des Seurs avoit quelque chose a proposer sur le mesme sujet, elle le dira a l'advantage a la Superieure, laquelle, pour ayder sa memoyre, fera une petite liste de tout ce qu'elle aura a desduire..

  A025002472 

 Apres que cela aura esté fait, celles qui voudront dire leurs coulpes pour plus grande humilité, le pourront faire, et on les corrigera doucement et amiablement, sans toutefois extenuer leurs fautes..

  A025002473 

 Et attendu que c'est la parole de Dieu qu'en toutes assemblees qui se feront en son nom il sera au milieu, les Seurs doivent assister a celle ci, qui est vrayement faite en ce tressaint nom, avec grande reverence et devotion [377], s'imaginant de voir Nostre Seigneur au milieu d'elles, par l'ordonnance et inspiration duquel leur sont dites et enseignees plusieurs choses necessaires a leur perfection; c'est pourquoy elles les doivent conserver soigneusement en leur esprit, pour les reduire par apres en prattique..

  A025002477 

 Et affin que cela se face avec plus de fruit et d'utilité, on advertira les Seurs des la veille, a l'obedience du mydi, affin qu'elles se preparent ainsy quil est convenable..

  A025002478 

 Comm'aussi une chacune lira la Regle tous les moys, avec pareille devotion que si alhors elle leur estoit donnee nouvellement; et Dieu leur donnera tous-jours des nouvelles lumieres par la lecture d'icelle..

  A025002481 

 Les ouvrages que les Seurs prendront a faire des gens [378] de dehors seront receus par la Superieure ou celle qu'elle deputera.

  A025002484 

 Et que l'on ne se mesle point des affaires du monde, ne prenant aucune commission de vendre ou acheter pour les estrangers et gens de dehors.................................................

  A025002492 

 (La suite est conforme au texte définitif, Constitution XXVII e, sauf que les mots: «lequel estat...Visite» de l'avant-dernier alinéa de celle-ci ne se trouvent pas dans les Mss.

  A025002495 

 Que les Seurs, en toutes leurs actions, observent une grande tranquillité, simplicité et modestie, fuyant le faste [379] et appareil des contenances mondaines et affectees.

  A025002495 

 Que leur parole soit humble et basse, leurs yeux...............................................................................

  A025002498 

 Qu'elles ne s'interrompent point les unes les autres lhors qu'elles parlent ensemble, et specialement lhors qu'elles font la conference des lectures et que l'on parle de chose serieuse..

  A025002502 

 Quand on fera la correction a quelque Seur ou que l'on la mortifiera............................

  A025002505 

 Parlant aux seculiers, elles ne parleront aucunement de [380] ce qui se fait en la Mayson, sinon que ce fust chose qui peust servir d'edification..

  A025002509 

 Les Seurs s'essayeront es testes et Dimanches d'attirer les filles et femmes de la ville au lieu preparé pour cela, affin de leur enseigner familierement les exercices de pieté: comme de l'examen de conscience, de la preparation du matin, de bien dire le Chapelet et la Couronne et de bien prier Dieu, pourveu que cela se face hors de l'heure du Catechisme et du sermon.

  A025002512 

 Ces Congregations demeurant sous l'authorité ordinaire des Evesques, elles leur demanderont, une chacune au lieu ou elle est establie, un Pere spirituel, lequel de la part de l'Evesque prenne garde a ce que les Regles soyent bien observees et qu'aucun abus ne s'introduise; visite la Mayson une fois l'annee, assisté d'un compaignon meur d'aage, discret et vertueux; se treuve aux eslections de la Superieure et du Confesseur ordinaire; donne les licences aux femmes d'entrer en la Mayson; signe les causes des sorties extraordinaires des Seurs quand elles arriveront, et les entrees des hommes, selon quil a esté dit ci dessus; et que a luy, tant la Superieure que les autres Seurs puissent avoir recours ou il sera besoin d'une speciale providence.

  A025002513 

 Donq, il doit estre homme de grande vertu et bien reconneu docte, expert et de grande charité, affin quil sache conduire la Congregation sans se lasser de la peyne que, sans prouffit temporel, il aura en cette sainte bcsoigne..

  A025002519 

 Comme l'ame et le cœur respandent leur assistance, mouvement et action par toutes les parties du cors, aussi, la Superieure doit animer de sa charité, de son soin et de son exemple tous les membres de la Congregation, vivifiant par son zele toutes les filles qui sont en sa charge, procurant que les Regles soyent observees le plus exactement quil se pourra, et que la mutuelle charité et sainte amitié fleurisse en toute la Mayson.

  A025002521 

 Elle tiendra les yeux attentifz sur ce petit cors de Congregation, affin que toutes les parties d'iceluy respirent la paix, la concorde, l'union et le service amoureux de Jesus Christ.

  A025002522 

 Elle considerera specialement la Directrice et les Novices, affin que cette pepiniere soit bien cultivee en la vie spirituelle..

  A025002529 

 Qu'elle ne concede pas aysement a pas une un usage plus frequent des Sacremens que celuy qui est porté par la Regle, de peur qu'en lieu d'une amoureuse et respectueuse Communion, il ne s'en face plusieurs par imitation, jalousie, propre estime et vanité..

  A025002530 

 Qu'elle ayt un grand soin de faire continuer toute la Congregation a dire l'Office tres devotement et a faire les exercices spirituelz de l'orayson, meditation, examen de conscience, preparation du matin, oraysons jaculatoires, lecture et continuelle presence de Dieu, affin que la reformation de l'homme exterieur ne soit pas sans celle de l'homme interieur, et que la Congregation connoisse tous-jours que l'union des ames avec Dieu est sa principale fin, les filles d'icelle ne se retirans pas du monde seulement pour fuyr les peynes et travaux, perilz et dangers de damnation qui y sont, mais aussi, et principalement, pour estre tirees, jointes et unies de plus pres et plus fortement a leur Sauveur et Createur.

  A025002531 

 Elle aura un soin tres particulier que les filles et femmes ne soyent jamais receues en la Congregation que leur vocation ne soit bien espreuvee et qu'aucun respect humain n'entre point en la consideration de leur reception, ains la seule inspiration.

  A025002531 

 Et partant, que pour le moins on les face arrester six semaines dans la Mayson avant que leur donner l'habit du novitiat, ainsy quil sera dit ci apres..

  A025002532 

 Qu'elle procure que le Pere spirituel allant dehors, laisse sa charge entre les mains d'un autre bien qualifié..

  A025002533 

 Qu'elle ayt un grand soin d'empescher que rien ne soit en la Mayson et rien ne s'y face qui ne soit conforme a la [sainte] pudicité et pureté, a la parfaite pauvreté et a l'exacte obeissance; et partant, si quelque Seur avoit un peu trop d'inclination a converser avec les seculiers, principalement si c'estoit jeunes gens vains et mondains, quoy qu'ilz fussent de profession ecclesiastique ou religieuse, qu'elle luy en retranche toutes les commodités.

  A025002534 

 Elle procurera que les Seurs ayent chacune sa chambre, ou du moins son lit separé, avec les tours ouvertz a la façon qui a esté ci dessus dit..

  A025002535 

 Et en cas de perte de proces, que la Superieure et toute la Congregation s'abstienne de toute murmuration, jugemens temeraires et paroles piquantes contre les juges ni mesme contre la partie..

  A025002535 

 Que jamais on ne face aucun proces sans premierement faire rechercher la partie d'une voye amiable, et que l'on n'ayt eu l'advis du Pere spirituel et de quelques uns des principaux amis de la Mayson et des mieux entendus, lesquelz conseillans d'entrer en proces, la Congregation se tiendra grandement sur ses gardes a ce que rien ne se passe de son costé par animosité, contention et passion, ni en paroles, ni en escritures, ni en œuvres.

  A025002536 

 Et que, au demeurant, elle reçoive si humblement et doucement les advis et remonstrances qui luy seront donnés, que les Seurs puissent avoir une juste confiance et liberte de l'advertir ou faire advertir es occurrences, selon qu'il sera dit ci apres..

  A025002536 

 Que si elle a besoin elle mesme d'estre dispensee de la Regle, elle le pourra faire de sa propre authorité, sinon en chose de consequence qu'elle recourra au Superieur ou Pere spirituel.

  A025002544 

 Que si quelque Seur commet des manquemens pour ce regard, ell'en advertira au Chapitre affin quil y soit remedié; mays si ce sont des manquemens reparables promptement, comme de prendre un Psalme pour un autre, ou un ton trop haut ou trop bas, ou semblables accidens, elle les reparera sur le champ..

  A025002545 

 Elle donnera ordre aux lectures, et pour cela elle aura les livres en charge, qu'elle tiendra en bon ordre, et les distribuera selon que la Superieure luy dira, quant aux Seurs establies; mais quant aux Novices, selon que la Directrice ordonnera, escrivant en un petit roolle a qui elle les a donnés, et particulierement si la Superieure en faysoit prester hors de la Mayson.

  A025002545 

 Que s'il y a des livres qui ne soyent pas propres a la Congregation, elle en advertira la Superieure affin que l'on s'en desface.

  A025002546 

 Elle deputera toutes les semaines les lectrices et celles qui serviront, tant a la premiere que seconde table, et corrigera les defautz de celles qui liront, si elles lisent trop precipitamment, ou qu'elles ne prononcent pas bien, ou qu'elles facent quelqu'autre manquement; mays elle fera la lecture de la meditation du lendemain, qui se fait le soir, elle mesme..

  A025002555 

 Elle sonnera la retraitte en hyver un quart d'heure apres Matines, affin que les Seurs ayent le loysir de se chauffer un peu.

  A025002561 

 Or, les enseignemens qu'elle leur donnera seront principalement de la fin pour laquelle elles se doivent estre retirees du monde, qui est affin de s'unir plus parfaitement a Dieu; que non seulement elles sont entrees en la Congregation pour se retirer du monde, mais pour se retirer et separer d'avec elles mesmes, mortifians leurs sens exterieurs et encor plus leurs passions interieures, rappellant toutes leurs forces au service de Nostre Seigneur, par une chasteté tres parfaite, une pauvreté et despouillement de toutes choses tres entiere, et par une obeissance et abnegation de toute propre volonté; et que, en somme, toute la Congregation est fondee spirituellement sur le mont Calvaire, pour considerer Jesus Christ crucifié pour l'amour de nous, affin que toutes les Seurs apprennent a crucifier leurs sens, passions, inclinations et humeurs pour l'amour de luy..

  A025002566 

 Et ne fera pas moins en tout ce qui a esté dit pour les Seurs Servantes que pour les autres, autant que leur capacité le permettra.

  A025002567 

 Elle fera que les Novices prennent l'esprit d'un amour tres affectionné envers un chacun, pour prier Dieu pour le salut de tous; mays specialement envers l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine et tous les Prelatz et officiers d'icelle, priant souvent et faysant leurs exercices spirituelz pour l'exaltation de la foy catholique et pour la conversion des infideles et pecheurs, comme aussi pour tous les Princes chrestiens, et specialement pour ceux es provinces desquelz la Congregation se treuve erigee..

  A025002568 

 Elle leur annoncera souvent la sincere dilection envers tous les Ordres de Religion qui sont en l'Eglise de Dieu, affin que non seulement elles prient pour iceux, mais qu'elles apprennent a les estimer et respecter cordialement.

  A025002572 

 Que si elle en treuve, comme il pourroit arriver, specialement entre les Seurs Servantes, qui ayent le cœur un peu plus rude et agreste, mais pourtant la volonté bonne, en sorte qu'il y ayt bonne esperance de les pouvoir apprivoyser et polir, elle usera d'un amour tout particulier a leur endroit, affin d'avoir de la patience, tolerance et perseverance a bien cultiver leurs espritz..

  A025002573 

 Les Novices, tant les unes que les autres, s'addresseront a la Directrice en toutes leurs necessités, et si ce sont necessités d'importance ou consequence, elle en advertira la Superieure; mays pour les menues necessités auxquelles la Directrice peut prouvoir par elle mesme, elle le fera sans en donner la peyne a la Superieure..

  A025002575 

 Que s'il y a quelque jeune fille, selon qu'il a esté dit ci dessus, en la Mayson, ell'en aura aussi le soin et la charge, faysant mesme essay de la bonté et souplesse des Novices en leur ordonnant d'enseigner et servir ces jeunes filles selon leur capacité..

  A025002581 

 La Portiere doit estre grandement discrette pour respondre sagement a ceux qui viennent a la porte, pour faire les responses et messages qui viennent en la Mayson et en sortent, pour faire doucement attendre les personnes auxquelles on ne peut pas donner satisfaction sur le champ et pour conduire les femmes qui entreront, en sorte que les Seurs en soyent le moins incommodees que faire se pourra..

  A025002584 

 Elle verra ce qui sort de la Mayson et ce qui y entre, escrira que c'est, si c'est chose d'importance.

  A025002588 

 Quand l'aumosne se donnera, elle procurera que ce soit promptement; et quand elle ne se donnera pas, elle renvoyera les pauvres avec humilité et charité..

  A025002591 

 S'il se donne quelque aumosne a la Mayson, elle en fera le recit le soir, apres la recreation, affin que l'on prie pour les bienfacteurs..

  A025002601 

 Elle communiquera donq de tems en tems, et selon que les occurrences le requerront, de toutes les necessités de la Mayson avec la Superieure, pour prendre l'ordre et l'intention d'icelle, affin de l'executer..

  A025002606 

 Elle ordonnera a la Despensiere de moys en moys ce qu'il faudra pour la table, et regardera toutes les semaines ce qu'elle luy aura mis en main, affin que tout soit tenu en bon ordre..

  A025002607 

 Qu'elle prenne garde au moys de febvrier et au moys d'aoust que rien ne manque pour les vestemens de l'hyver et de l'esté..

  A025002608 

 Elle tiendra un inventaire de tous les meubles de chasque office et procurera que chasque officiere en ait un particulier de ce qui est de sa charge, qu'elle fera revestir chasque annee en l'une des visites generales qu'elle fera de toute la Mayson..

  A025002610 

 Elle fera un roolle de tout ce que les Novices apporteront en la Mayson, qu'elle leur fera signer si elles le sçavent faire; si moins, la Superieure le signera..

  A025002614 

 Elle aura soin particulier que les Seurs Servantes ne soyent point trop chargees de besoigne, et que les jours des festes elles prennent tems de venir aupres d'elle lire les Regles, s'entretenir de choses spirituelles et [s'exciter] a la devotion selon leur capacité..

  A025002619 

 propres et bien ornees d'images, feuillages et bouquetz, [394] selon que la sayson le permettra, et que rien ne sejourne autour des malades qui puisse rendre de la puanteur; ains au contraire, si les medecins le permettent, quil y ayt tous-jours des bonnes odeurs..

  A025002627 

 Si quelqu'un venant a la sacristie veut parler d'affaires, elle l'envoyera a la porte, sinon que pour la qualité des personnes il fust mieux d'advertir la Superieure..

  A025002630 

 Elle ira le matin, avant que de sonner l'orayson, par toutes les celles des Seurs pour voir si quelqu'une, par [395] incommodité, ne peut pas venir a l'Office; et si elle en treuve, elle en advertira la Superieure..

  A025002631 

 Et parce que les particularités du soin que doit avoir la Sacristaine pour la proprieté et bienseance de toutes les choses sacrees qui sont en sa charge sont en trop grand nombre, on luy en doit faire un Directoire a part qu'elle ayt tous-jours devant les yeux, en le lisant fort souvent, affin de ne point manquer a tout ce qui sera prescrit, toute la Congregation ayant interest que cette charge soit passionnement bien exercee..

  A025002632 

 Elle ne s'arrestera a parler avec le chapelain ordinaire, ni moins avec les autres prestres qui viendront a la sacristie, que justement des choses requises pour l'exercice de sa charge..

  A025002635 

 (Même texte que celui de 1619; voir plus haut, p. 107, et variantes 678, 679, sauf trois légères différences: ligne 8: « un grand soin et les...» Ms.

  A025002638 

 La Lingere doit avoir le mesme soin des linges que la Robiere a des habitz....................

  A025002653 

 Elles feront neanmoins les exercices spirituelz selon quil y aura plus ou moins a faire et que la Superieure leur ordonnera; ............................................................................

  A025002657 

 Toutes deux seront esgales en cet office et s'entr'ayderont mutuellement en paix et charité; et lhors que le loysir le permettra, elles iront l'une apres l'autre, alternativement, au chœur et aux autres assemblees de la Communauté..

  A025002661 

 La Congregation recevra le moins qu'il sera possible des Seurs Servantes, et semble bien que deux seront esgalement [397] necessaires et suffisantes pour tout ce qui est requis au service de la Mayson..

  A025002662 

 Or, la Superieure prendra garde que celles qu'on prendra.........................................

  A025002668 

 Bref, autant que les occupations auxquelles elles sont destinees le permettront, on les rendra conformes en meurs, en exercices et en affection aux autres Seurs de la Congregation..

  A025002669 

 Et tant la Superieure que les autres leur commanderont avec amour et les appelleront leurs Seurs, se resouvenant que, quoy qu'elles servent a l'exterieur, elles ne laissent pas, selon l'interieur, d'estre filles de Dieu, coheritieres de Jesus Christ, esgales en nature et en la praetention de la grace et de la gloire aux plus grandes dames du monde; et qu'en fin, comme dit saint Paul, elles et nous n'avons qu' un seul Maistre, Jesus Christ, esgalement Seigneur et Sauveur des unes et des autres..

  A025002669 

 Personne ne leur commandera que la Superieure et l'Œconome, et celle a qui la Superieure l'ordonnera, hormis [398] la Directrice, tandis qu'elles seront Novices, en ce qui regarde le Novitiat.

  A025002670 

 Quand donq elles seront malades, la Superieure et l'Infirmiere les traitteront ne plus ne moins que les autres en toutes sortes de services et en toutes occasions, de quelque necessité corporelle et spirituelle qu'elles puissent avoir.

  A025002697 

 Comme encor on se gardera, tant qu'il sera possible, de prendre celles qui sont trop adonnees a la tendreté et compassion sur elles mesmes; car, pour dire un mot de ce malheur qui est souvent secret, telles femmes remplissent ordinairement une mayson de pleurs, de plaintes, de doleances, et font a tous propos des mines melancholiques et despiteuses et se treuvent fort souvent descouragees au bien, leur estant advis que les difficultés soyent des impossibilités et que tout ce qui n'est pas a leur goust est insupportable; et pour maintenir leur cause, forment quantité de tristes et scandaleuses raysons contre la Regle ou contre la conduitte de ceux qui gouvernent.

  A025002697 

 Et en fin, cette espece de gens est tous-jours a guetter et considerer si on fait rien plus pour les autres que pour elles, leur amour propre suggerant a leur fantasie qu'on ne fait jamais tant pour elles comme il seroit requis: imperfection feminine, propre pour troubler, amollir et allentir toute une trouppe..

  A025002697 

 Que si elles sont malades et qu'on ne s'embesoigne a prescher la grandeur de leur mal et a courir ça et la pour amasser tous les remedes qui leur viennent en fantasie, c'est alhors [401] qu'elles s'estiment miserables et negligees et qu'a leur advis tout le monde est sans pitié.

  A025002697 

 Que si on les reprend de leurs molles et ennuyeuses humeurs, elles les redoublent, murmurant qu'on est sans charité si on ne va pleurer et gemir avec elles pour les plaindre et lamenter, et protester qu'elles ont bien du sujet de s'affliger.

  A025002699 

 «Je, N., ayant instamment requis et demandé d'estre receue en la Congregation de Nostre Dame de la Visitation de Moulins, ay receu cette grace de Nostre Seigneur que d'y estre admise, par le consentement de toute ladite Congregation, ce jourd'huy...».

  A025002707 

 Ce qu'estant fait, celuy qui fait l'office interrogera la pretendante, disant ou en latin ou en françois, selon quil luy semblera plus a propos: Filia, quid petis? Ma Fille, que demandes vous?.

  A025002709 

 Ou bien en françois: Une chose ay je demandee au Seigneur, c'est celle que je requiers: que j'habite en la mayson du Seigneur tous les jours de ma vie..

  A025002715 

 Apres cela, on asperge de l'eau benite et on encense tant les habitz que les voyles, puis on donne les habitz et les voyles aux Seurs qui sont dedans leur chœur; et celuy qui fait l'office estant assis et couvert, met en main a la postulante un cierge allumé, disant:.

  A025002726 

 Cela fait, la postulante se leve debout, tenant les yeux baissés et sa chandelle allumee entre ses deux mains jointes, jusques a ce que la Superieure ou l'Assistente, avec la Maistresse des Novices, viennent se mettre l'une deça, l'autre dela la postulante; et estans toutes troys de rang, elles font la genuflexion devant l'autel, puis emmenent gravement la postulante dedans leur chœur, la faysant entrer la premiere; ou estans arrivees, la postulante s'agenouille a la treille a l'endroit de la porte, et les Seurs accommodent [son rabat] ou goderon en sorte qu'il luy puisse estre facilement osté; puis l'Evesque l'ostant du tout, dit:.

  A025002738 

 Que si l'Evesque veut, il pourra benir les habitz avant toutes choses..

  A025002740 

 Ce que j'ay obtenu, par la grace de Nostre Seigneur, ayant avec l'habit changé de nom et receu celuy de Paule Marie.

  A025002745 

 Elle en conferera avec les autres Seurs et prendra leurs voix; que si des troys parties les deux ne consentent, on retardera pour encor l'establissement.

  A025002745 

 Et la Superieure, appellant a soy celle dont il s'agit, luy dira charitablement a quoy il tient qu'elle ne soit admise, luy representant que la Congregation desireroit qu'elle fust amendee de telle et telle imperfection; adjoustant une exhortation a ne point perdre courage, ains de faire prouffit de ce retardement..

  A025002745 

 Or donq, apres l'annee d'essay et de probation, qui se prend despuis le jour de la reception au Novitiat et changement d'habit, la Superieure fera l'examen de celle que l'on pretend establir.

  A025002747 

 Mais si l'on void en elle une bonne volonté de s'amender, encor que pour son infirmité elle ne se soit pas du tout amendee, on luy donnera encor quelque tems, ouy mesme, sil est besoin, une annee entiere pour parachever son amendement, l'encourageant et l'aydant a cela avec toute charité et confiance..

  A025002748 

 Et pendant le tems [406] de sa preparation on la fera tenir retiree autant que l'on pourra, sans la charger d'aucun service, affin qu'elle ayt tant plus de commodité de bien ruminer et digerer les exercices et resolutions qu'elle fera..

  A025002748 

 Que si, passee l'annee du novitiat, la Novice est treuvee propre a l'establissement, les voix estans recueillies, on l'advertira de se bien preparer a cela par la confession annuelle et les exercices qui a cet effect seront dressés, affin que le vœu et l'offrande se facent avec toute la solemnité interieure quil sera possible, ainsy qu'elle se fera avec une grande solemnité exterieure.

  A025002749 

 On traittera de mesme les Seurs Servantes au bout de leurs deux annees, hormis que si elles ne sont pas amendees elles n'auront plus qu'une annee de delay pour faire leur amendement..

  A025002752 

 L'establissement ne se fera jamais qu'en jour de feste, et l'on taschera qu'il se face tous-jours pour plusieurs, affin que la solemnité en soit plus grande..

  A025002753 

 La veille donq de la feste en laquelle l'establissement se doit faire, Vespres estans achevees, la Superieure conduira toutes les Seurs en Chapitre (sinon qu'on treuvast a propos que la ceremonie se fist dans le chœur mesme des Seurs, pour la consolation des seculiers qui la pourroyent voir), ou estans toutes assises, la Novice delaquelle il s'agit se prosternera a genoux, et la Superieure luy dira:.

  A025002756 

 Toute nostre Congregation vous donne son consentement, mais resouvenes vous de ce que tant de foys on vous a remonstré: que pour estre de cette Congregation, il faut mourir au monde et a soy mesme pour vivre a Dieu..

  A025002757 

 Et la Novice dira: Que je meure, donq, affin que je vive, car Jesus Christ est ma vie, et la mort ma gloire.

  A025002765 

 Ja n'advienne que vous vous glorifiies sinon en la Croix de Jesus Christ..

  A025002765 

 Vostre vie est cachee avec Jesus Christ en Dieu; mais lhors que Jesus Christ qui est vostre vie paroistra, lhors vous paroistres avec luy en la gloire.

  A025002767 

 Le matin estant arrivé, la Sacristaine preparera une escabelle du costé de l'Evangile, au bas de l'autel, sur laquelle on mettra le voyle noir dans un bassin parsemé de fleurs, et du costé de l'Epistre quelques uns des habitz mondains de celle qui doit estre establie, sur une escabelle couverte de quelque drap brun, honneste; et sur le milieu des voyles y mettra les croix d'argent que l'on porte pendues au col..

  A025002768 

 Et lhors le Prelat, ou celuy qui fera l'office pour luy, fera une exhortation sur l'action que l'on va celebrer, selon qu'il verra a propos..

  A025002774 

 Car, ma chere Seur, voyla vos habitz du monde, et voyci le voyle de la Congregation; l'un et l'autre vous est proposé, affin que vous puissies estendre vostre main a celuy que vous voudres prendre et choysir..

  A025002781 

 Ouy, par la grace de Dieu, nos Seurs luy souhaittent le bonheur de vivre et mourir en leur union, et que pour cela elle face maintenant le vœu sacré et l'Oblation sainte, selon quil est requis a cet effect..

  A025002784 

 Sur cela, la pretendante et les Seurs se levent, et est conduitte par icelles pour s'agenouiller sur le milieu du marchepied de l'autel, ou elle demeurera un peu en silence, les mains jointes et les yeux baissés, ce pendant que toutes les Seurs viendront se mettre en cercle autour d'elle, leurs voyles baissés, avec une chandelle allumee en leurs mains.

  A025002785 

 C'est a vous, o Jesus mon Sauveur, a qui mon cœur parle, encores que je ne sois que poudre et cendre.

  A025002785 

 O Cieux, oyes ce que je dis; que la terre escoute les paroles de ma bouche.

  A025002794 

 Cecy vous sera un voyle sur vos yeux contre tous les regards des hommes, et un signe sacré affin que vous ne recevies jamais aucun signe d'amour que celuy de Jesus Christ..

  A025002796 

 Faites que vostre sentier s'avance comme l'aube resplendissante, et qu'il croisse jusques a la perfection du jour..

  A025002820 

 Et quant aux preparations, on les leur fera faire comme aux autres Seurs, autant que leur capacité le permettra..

  A025002824 

 Le jour, donq, de la Presentation estant venu, l'Evesque, ou Pere spirituel de la Mayson, ou quelqu'homme de qualité [413] a ce deputé, fera a heure convenable une exhortation sur le sujet du renouvellement des vœux et oblations, puis dira la Messe; et estant parvenu a la Communion, apres que les Seurs auront dit: Domine, non sum digna, la Superieure, ou premiere qui doit communier, dira ou lira en un billet les paroles suivantes:.

  A025002825 

 «Je, N., renouvelle et confirme de tout mon cœur, le vœu et Oblation que j'ay ci devant fait a mon Dieu, de le servir a jamais en la Congregation de ceans, par obeissance, chasteté et pauvreté.

  A025002826 

 Cela dit, le Prestre immediatement apres la communiera, disant: Corpus Domini, etc. Puis, l'autre Seur suivante dira tout de mesme que la precedente, et consecutivement le Prestre la communiera; en sorte que la Communion d'une chacune se face immediatement apres qu'elle aura fait le renouvellement..

  A025002827 

 Et quant aux Seurs Servantes qui ne sçauront pas lire, elles ne diront que ces motz:.

  A025002834 

 Et neanmoins, le mesme saint Augustin, en l'epistre cent et neufviesme, ordonne a la Congregation a laquelle il escrit, que si une Seur se rend incorrigible, on la chasse et mette dehors de la Congregation, n'estant pas raysonnable de mettre toute une compaignie en danger de se perdre y voulant conserver une personne scandaleuse..

  A025002834 

 Tous les anciens Peres ont tous-jours estimé que c'estoit un extreme malheur aux filles et femmes qui s'estoyent dediees a Dieu en quelque Congregation d'estre separees d'icelle; de sorte que saint Augustin tient que la moytié de la ruine d'une servante de Dieu gist a se separer et abandonner la Societé et Congregation, et l'autre moytié a perdre la chasteté.

  A025002835 

 Et toutefois, en deux cas il sera loysible de rejetter et retrancher les Seurs de la Congregation, a sçavoir: quand elles commettroyent quelque crime scandaleux, et quand elles commettroyent une manifeste contumace et obstination contre la Regle et obeissance; car en ces deux occasions la charité requiert que l'expulsion se face..

  A025002835 

 Or, les Filles de la Visitation s'estant ainsy serieusement et saintement vouees et liees a Dieu, il faut esperer, avec ferme confiance en la misericorde divine et en la protection de la glorieuse Mere de Dieu, que jamais il n'arrive qu'aucune merite d'en estre separee.

  A025002836 

 La Superieure, donq, ayant remarqué l'un des deux cas en quelqu'une des Seurs (ce que Dieu ne veuille jamais [415] permettre), elle en conferera premierement avec les officieres de la Mayson et entendra leur advis; lequel se treuvant conforme au sien, qu'on doive traitter l'expulsion, elle assemblera toutes les Seurs, et leur proposera sincerement et clairement le crime ou la contumace de celle qui semble devoir estre rejettee.

  A025002836 

 Que s'il est conclud qu'elle soit faite, la Seur sera appellee, et degradee par l'Evesque et le Pere spirituel, ou le Grand Vicayre, luy ostant le voyle et la croix qu'elle aura en son col..

  A025002837 

 Mais d'autant que l'expulsion d'une Seur est si importante, on observera les pointz qui s'ensuyvent: 1.

  A025002837 

 Que le jour de cette assemblee toutes les Seurs se soyent confessees et communiees pour obtenir la lumiere du Saint Esprit, affin de bien faire une resolution de si grand poids.

  A025002838 

 Et tous-jours, comme que ce soit, en ces occasions si importantes, on observera de prendre les voix secrettement, comm'on fait en l'eslection de la Superieure..

  A025002838 

 Que si les deux tiers des voix ne concouroyent pas a l'expulsion, on delibereroit alhors des moyens propres a la correction; et pourroit on quelque tems apres remettre en deliberation l'expulsion, si la delinquante persistoit en son obstination.

  A025002839 

 Et parce que tout le bonheur de la Congregation consiste en l'obeissance des Regles, si on y souffrait des Seurs qui obstinement, par rebellion et contumace, voulussent violer les Regles, toute la Congregation se dissoudroit et depraveroit, degenerant en dissolution et desordre..

  A025002839 

 Or cette contumace peut estre grande, bien que le peché sur lequel elle arrive soit petit, comme par exemple: une Seur qui ne voudroit pas s'assujettir au silence, ains le romprait obstinement a la table, au choeur et ailleurs, elle pourroit et devrait estre rejettee comme scandaleuse; car encor que le peché ne seroit pas grand de sa nature, l'obstination neanmoins et volontaire continuation seroit grandement scandaleuse.

  A025002841 

 Neanmoins, pour donner quelque lumiere sur ce sujet, on peut, par exemple, dire que la lubricité, l'entreprise d'empoysonner, charmer, enchanter, le larcin de chose importante, l'accusation fause des Seurs en chose d'importance, les essays de pervertir les Seurs ou autres personnes en matiere de chasteté et d'honneur, battre les Seurs, sont des cas vrayement scandaleux.

  A025002841 

 On dit qu'elle pourra estre expulsee, parce que si, par quelque tentation, il estoit arrivé a une Seur quelque action qui fust de soy mesme scandaleuse delaquelle on ne se fust point apperceu hors de la Mayson, et que la Congregation jugeast que la repentance de celle qui seroit tombee meritast pour cette foys qu'on luy fist pardon, le pardon se devroit faire.

  A025002845 

 Oue si la Congregation faysoit jamais si mauvaise eslection de Superieure qu'elle meritast d'estre expulsee elle [418] mesme, les Seurs qui en conscience croiroyent que cela deust estre fait en advertiroyent le Pere spirituel, qui en confereroit avec les officieres, puis avec toutes les Seurs; et en fin prieroyent le Prelat du lieu qu'il vinst en l'assemblee, ou depustast quelque personne signalee pour s'y treuver.

  A025002846 

 Mais autrement, on ne deposera point la Superieure que de troys ans en troys ans, que tous-jours on procedera anouvelle eslection, laquelle neanmoins pourra estre faite de la mesme personne en la continuant encor pour trois ans, passé lesquelz il ne sera plus loysible d'user de continuation, ains faudra qu'elle demeure deposee au moins un'annee entiere avant que l'on la puisse de nouveau eslire en la mesme charge..

  A025002849 

 «La Congregation de ceans vous descharge de l'office de Superieure que vous aves ci devant exercé.

  A025002850 

 Et tous les billetz ayant esté receus, le Pere spirituel les lira tous l'un apres l'autre, et l'une des Seurs qui aura esté choysie a cet effect, ayant le roolle de toutes les Seurs dans une feuille, avec une ligne tiree au bout de chasque nom d'icelle, marquera celle que le Pere spirituel lira, faysant une traverse sur la ligne qui est a l'endroit du nom d'icelle; puis, tout estant fait, on verra s'il y en a quelqu'une qui ayt plus de la moytié des voix, et celle la demeurera Superieure..

  A025002852 

 Que si encor ou toutes troys ou deux se treuvoyent esgales en voix, alhors la plus ancienne en reception sera preferee, sinon que l'Evesque ou le Pere spirituel voulust donner sa voix, laquelle feroit la decision..

  A025002853 

 Mais tous-jours, l'eslection estant faite, les billetz seront bruslés sur le lieu, en sorte que personne ne puisse sçavoir qui a donné sa voix..

  A025002855 

 Que si elles ne peuvent escrire, luy mesme escrira leurs voix sur iceux..

  A025002857 

 Mays quant aux autres officieres, la Superieure seule les proposera aux Seurs establies; et en cas que les deux tiers des Seurs rejettassent celles qui sont proposees, la Superieure [420] en proposera des autres.

  A025002860 

 Si que un tel mespris volontaire seroit en fin suyvi de quelque grand chastiment de la part de Dieu, et specialement de la privation des graces et dons du Saint Esprit, qui sont ordinairement ostés a ceux qui abandonnent leurs bons desseins et quittent le chemin auquel Dieu les a mis..

  A025002871 

 Et comme en l'ancienne Loy la victime et hostie, c'est a dire l'animal qui devoit estre immolé, estoit premierement escorchee, ainsy les Seurs qui desirent offrir et vouer leurs personnes a Dieu en cette Congregation, [422] doivent escorcher leurs cœurs, se resouvenant que Nostre Seigneur mesme voulut s'offrir a Dieu son Pere pour nous, tout nud et despouillé sur l'arbre de la croix..

  A025002871 

 Les Seurs que Dieu appellera a la sainte Profession se doivent representer que, comme brebis et aigneaux, elles doivent estre immolees, voüees et sacrifiees a la divine Majesté.

  A025002874 

 A la liberté d'aller ça et la en divers lieux; a l'estime de soymesme; a la liberté de parler et converser avec autruy; a la liberté de se vestir, mirer, accommoder, faire paroistre aggreable et bref, de monstrer les advantages que la nature peut avoir donné a quelques unes; a la liberté du choix des exercices spirituelz, laquelle d'autant plus qu'elle semble honneste, d'autant est elle difficile a quitter; au contentement de voir et frequenter ses parens; a l'inclination que nous avons d'estre estimees judicieuses, sages, discrettes, bien seantes, car on ne peut y vivre selon son jugement, ni selon sa propre sagesse ou propre discretion, ni; selon sa propre bienseance, mays selon celle d'autruy..

  A025002877 

 Ce que je dis pour celles qui, en l'orayson, ne peuvent travailler de l'entendement, ni mesme de la volonté, que par des actes d'abandonnement et renoncement d'elles mesmes en Dieu, et par maniere de simple acquiescement..

  A025002877 

 Mais affin que nostre sacrifice soit un sacrifice d'holocauste, il nous faut eschauffer nostre cœur et allumer en iceluy le feu du saint amour par diverses meditations, que nous ferons par maniere d'orayson, si nous pouvons, et si nous ne pouvons, par maniere de consideration simple.

  A025002881 

 Mays en lieu de toutes autres affections, il n'en faut tirer que celle de l'offrande: considerant combien il est raysonnable que nous nous offrions et donnions a Dieu qui nous a donné l'estre, et le nous a donné affin que nous [426] fussions tres uniquement siens.

  A025002883 

 Oyes qu'il crie: Venes a moy, vous tous qui pretendes au Ciel, venes a la source de benedictions, affin que vous soyes consolés; venes apres moy, prenes vostre croix et me suives..

  A025002884 

 Secondement, vous considereres que ceux qui suivent Nostre Seigneur et qui prestent l'oreille a sa sainte vocation sont de troys sortes.

  A025002885 

 Les uns ne laissent pas pour cela les occupations et vacations exterieures du monde, entre lesquelles ilz ne peuvent eviter plusieurs empeschemens, destourbiers et tracas grandement contraires a leurs bonnes intentions et resolutions; de sorte que c'est avec grand'peine et perpetuelz dangers qu'ilz se maintiennent au train de la perfection et de la suite de Nostre Seigneur.

  A025002886 

 Ilz ont deux grans avantages sur les autres: l'un est que, deschargés d'autres occupations, ilz s'employent plus facilement a celle de l'amour divin; l'autre est qu'ilz font un acte nompareil, renonçant tout a coup et si genereusement a toutes choses pour Dieu, qui est une [429] œuvre d'une perfection vive, masle, genereuse et hardie..

  A025002886 

 Mais les autres, affin de suivre plus aysement, plus librement et plus avantageusement Nostre Seigneur, oyans la voix de Celuy qui les appelle a sa suite, quittent les richesses et commodités mondaines (qui pour l'ordinaire nous incommodent tant au chemin du Ciel), quittant tout comme les Apostres, s'attachant seulement au seul soin de plaire a Dieu et de le suivre, ne voulant que leur cœur soit partagé ni distrait de la variété des choses, mais cherchant simplement, d'un cœur tout uni, l'unité d'un seul et unique amour de Dieu.

  A025002887 

 Considerant donq le bonheur de ceux ci et la dignité de leur entreprise, faites election de cette sorte de suite, pour confirmation de celle que vous aves des-ja faite, et, par des eslancemens affectionnés, renonces a tout, embrassés cette si excellente resolution, donnes vous a Dieu pour cela, offres luy toute vostre vie pour cette suite si parfaite.

  A025002888 

 La troisiesme meditation sera de l'offre que Nostre Seigneur nous fait de l'eternité et du Paradis..

  A025002889 

 Nostre Seigneur nous offre la tressainte aeternité, affin qu'en icelle nous jouissions d'une jouissance parfaite de sa fœlicité; n'est il pas donq bien raysonnable que nous luy offrions les momens du tems que nous avons a vivre, et que nous le rendions, le plus parfaitement qu'il nous sera possible, jouissant de nostre estre, qui n'est qu'une vraye misere, sans que nous nous en reservions un seul moment, ni aucune partie de nostre vie, ni une seule de nos actions? Helas! qu'est ce que nous offrons a Dieu en eschange des choses qu'il nous offre? [430].

  A025002890 

 Mays, puisque nous n'avons et ne sommes rien qui merite luy estre offert, faisons qu'au moins nous luy offrions de grand courage et avec grande affection cette misere mesme que nous sommes.

  A025002892 

 Or, cela arriva d'autant que les anges malins ne voulurent pas se dedier et offrir au service de Dieu, mais voulurent dependre d'eux mesmes et avec une fause liberté.

  A025002893 

 Et quant aux Saintz, quelle oblation fut celle des Apostres! Voici, Seigneur, que nous avons tout quitté, disent ilz, et t'avons suivi.

  A025002896 

 Or, David avoit praedit que plusieurs filles seroyent amenees et conduittes a Jesus Christ apres elle: voyla pourquoy, a son imitation, ayant ouy que Nostre Seigneur conseille que, pour plus entierement, plus purement et plus constamment estre servantes de sa divine Majesté, il failloit quiter tout et renoncer tout son estre entre les mains de sa Providence, vous deves d'un grand courage, apres Nostre Dame, dire: Nous voyci meshuy servantes de Dieu, ayant tout quitté pour cela; nous soit fait selon sa parole.

  A025002898 

 Helas, combien est il juste que nous nous offrions a luy, et que pour luy nous nous attachions et soyons clouees en nostre vocation! Et pour cette meditation suffisent les paroles de saint Paul: Jesus Christ, dit il, est mort four tous, donques tous sont mortz en luy.

  A025002898 

 Il reste que ceux qui vivent ne vivent plus en eux mesmes, mais en Celuy et pour Celuy qui est mort pour eux..

  A025002902 

 Choysissons encor quelque Saint special et nostre bon Ange; et ayons confiance en leur charité, et qu'en mesme tems que nous nous sacrifierons et vouerons icy bas en terre, ilz nous offriront la haut, au Ciel, ou ilz celebreront et solemniseront nos vœux a la veiie de toute la Cour celeste.

  A025002902 

 La, Nostre Seigneur tiendra le lieu du Pere spirituel, Nostre Dame de la Superieure, et les Saintz que nous avons choysis seront comme les deux Assistentes.

  A025002902 

 Mais, avec quelle ferveur, avec quel zele feront ilz cette solemnité, esperant que, par le moyen d'icelle, nous arriverons a la celebrité de l'aeternelle gloire! A ces parrains, il nous faut [435] bien protester que nous ne les desavouerons point en ce qu'ilz pleigent pour nous, et les conjurer qu'ilz soyent speciaux protecteurs de nos vœux..

  A025002909 

 On renonce donq a la liberté d'aller ça et la, par la clausure; a la liberté de parler et converser, par le silence et la solitude; a la liberté de se vestir, mirer et ageancer pour se rendre aggreable et faire paroistre les advantages naturelz; a la liberté du choix des exercices spirituelz pour suivre ceux qui sont prescrips au Monastere; a l'inclination que l'on a de voir les parens; a l'inclination que l'on a de bien parler et d'estre estimee judicieuse, sage, discrette et bien seante, car apres la Profession on ne doit plus vivre selon son jugement ni selon sa discretion, mais selon la discretion d'autruy; ni selon sa propre bienseance, mays selon la bienseance commune du Monastere..

  A025002915 

 Mays au lieu de toutes autres affections, il n'en faut tirer que celle des vœux de la Profession: considerans combien il est juste et raysonnable que nous offrions, dediions et consacrions a Dieu l'estre, l'ame et le cors qu'il nous a donné luy mesme, et qu'il nous a donné affin que nous fussions tres uniquement siens.

  A025002916 

 O que ne sommes nous aussi bons, doux et reconnoissans que le juste Isaac qui, sans replique ni difficulté quelcomque, s'exposa librement a la mort, et se disposa pour estre sacrifié par les mains de son pere Abraham, remettant et abandonnant sa vie et son estre a celuy qui, selon nature, le luy avoit donné!.

  A025002919 

 Consideres que ceux qui suivent Nostre Seigneur sont de troys sortes.

  A025002920 

 Les autres, qui sont de la seconde sorte, suivent Nostre Seigneur de plus pres et s'addonnent a la sainte devotion le mieux qu'ilz peuvent, mais neantmoins demeurent engagés dedans le commerce et la vie ordinaire des mondains; en suite dequoy ilz ne peuvent eviter plusieurs empeschemens, destourbiers et tracas grandement contraires a leur bonne intention, de maniere que c'est avec grande difficulté, et non sans des perpetuelz dangers, qu'ilz se maintiennent et conservent en leur bonne resolution.

  A025002921 

 En quoy ilz ont deux avantages: l'un est que, deschargés de toutes autres occupations, ilz s'employent plus facilement a celle de l'amour celeste; l'autre est qu'ilz font un acte incomparable de devotion, renonceant ( sic ) [429] tout a coup si generalement et si absolument a toutes choses pour Dieu, qui est une œuvre d'une perfection vive, genereuse et tout a fait surnaturelle..

  A025002921 

 Finalement, il y en a des autres lesquelz, pour suivre plus aysement, plus librement et plus avantageusement Nostre Seigneur, oyans la voix de Celuy qui les appelle a son amour aeternel, quittans les honneurs et les richesses mondaines avec toutes les commodités et libertés qui les accompaignent (lesquelles pour l'ordinaire incommodent grandement nostre acheminement a la perfection), abandonnans entierement toutes choses, comme firent les Apostres, et s'attachans fermement au seul soin de plaire a Dieu et le suivre, ne voulans que leur cœur soit partagé ni distrait a la varieté des choses du monde, recherchent purement et simplement, d'un cœur tout uni et joint en soy mesme, l'unité du seul et unique amour de Dieu.

  A025002921 

 O Seigneur Jesus, que ceux ci sont heureux! car ilz disent un eternel a Dieu a toutes choses pour estre aeternellement a Dieu sur toutes choses.

  A025002923 

 meditation sera de l'offre que Nostre Seigneur nous fait de son Paradis et de son aeternité bienheureuse, affin qu'a jamais nous jouissions parfaitement de son infinie fœlicité; car n'est il pas donq reciproquement convenable que nous luy consacrions et donnions les petitz et chetifz momens de cette vie mortelle, et que nous le rendions, le plus parfaitement qu'il nous sera possible, [430] jouissant de nous mesme et de nostre estre qui n'est en effect qu'une veritable misere? Helas! qu'offrirons nous a Dieu en contrechange de la sainte œternité de son Paradis qu'il nous offre?.

  A025002924 

 Mays, puisque nous ne sommes rien et n'avons rien qui merite luy estre offert, donnons luy, au moins, et luy dedions ce mesme rien et cette mesme misere que nous sommes, benissans son infinie Bonté qui ne dedaigne point, ains accepte cordialement nostre neant et nostre misere en sacrifice..

  A025002926 

 Or, cela arriva dautant que les anges malins ne voulurent pas se dedier ni s'offrir a Dieu par la profession et determination de leur volonté a l'amour et service aeternel de sa divine Majesté, ains voulurent dependre d'eux mesme ( sic ) et avoir tous-jours leur fause liberté, sans s'astreindre a la volonté de Dieu et a sa sainte obeissance.

  A025002927 

 Et quant aux autres Saintz, quelle profession fut celle des Apostres! Voici, disent ilz, o Seigneur, que nous avons tout quitté et t'avons suivi.

  A025002928 

 Ell'avoit fait au paravant le vœu de virginité, ainsy qu'elle le declare elle mesme, disant que, selon l'ordre de la nature, elle ne pouvoit jamais avoir enfant.

  A025002929 

 Or, David avoit praedit que plusieurs filles seroyent amenees a Jesuschrist [ apres ] cette tres unique Reyne du Ciel: c'est pourquoy, a son imitation, suivant le conseil caeleste, plusieurs ames ont tout quité pour plus constamment, purement et parfaitement estre servantes de Dieu; a la suite desquelles il faut, d'un grand courage, que vous vous consacries a cet amour divin, en sorte que vous puissies dire en toute verité: Me voyci la servante de Dieu; me soyt fait selon sa parole, et qu'a jamais je soye toute sienne.

  A025002930 

 Il reste que ceux qui vivent ne vivent plus a eux mesme (sic), ains qu'ilz vivent a Celuy et pour Celuy qui est mort pour eux..

  A025002930 

 meditation pourra estre sur l'oblation et consecration, ou profession, que Nostre Seigneur fit de soymesme a son Pere en la croix, sur laquelle il voulust estre attaché et lié comme un esclave, pieds et mains.

  A025002934 

 Disposons nous donques a bien correspondre icy bas, et pensons que comme Nostre Dame, par son infinie bonté, chantera sur nostre Profession son divin cantique: Magnificat anima mea Dominum, aussi serons nous obligees de le chanter interieurement [435] nous mesme; et le saint esprit de devotion nous fera sentir combien grande est la grace que Dieu fait a un'ame de la tirer a soy par un attrait si excellent comm'est celuy de la Profession religieuse.

  A025002940 

 Il semble que les Seurs peuvent demeurer dedans le cœur ( sic ) et que la Seur Novice doive demeurer a la treille descouverte pendant le sermon.

  A025002946 

 Il ne sortira que deux Seurs. g.

  A025002947 

 Apres que la Seur sera rentree dedans le cœur, on chantera le Quam dilecta tabernacula; et s'il se peut, la nouvelle Professe chantera seule: Hœc requies mea in seculum seculi; hic habitabo, quoniam elegi eam..

  A025002951 

 Et le reste se fera par le Prselat, sinon que la Seur estant relevee elle chantera ce verset:.

  A025002954 

 Si ne cera pas bien que les Seurs die ausi le De profundis?.

  A025002958 

 Si cera bon que les Seur alument leur cierge avent celui de la Novise..

  A025002984 

 (Celle ci n'a veu mourir que ma seur, pour laquelle on a prié.).

  A025002991 

 Et que travaillans plusieurs en un ouvrage, il leur soit permis, a celles qui voudront, de se retirer en silence selon qu'elles estimeront en avoir besoin..

  A025002999 

 [En la predication, il faudroit donq qu'on ne vid que le prédicateur: liberté de dormir! On pourroit un peu obscurcir.].

  A025003018 

 En suite dequoy il a voulu que les Seurs de la Visitation n'eussent aucun General ni Generale, sinon Jesus Christ, le Seigneur de tous, et son Vicaire nostre Saint Pere; d'autant, me dit il, «que la conservation de l'Institut et le bonheur des Religieuses ne depend pas d'estre rangees sous un chef, ains de la fidelité que chasque Seur aura en son particulier et que toutes auront en general de s'unir a Dieu par l'exacte observance des Regles, Constitutions et Coustumes establies en leur Ordre.».

  A025003018 

 Nostre tres honnoré Seigneur et Pere desiroit ardemment que nous eussions l'esprit d'une entiere dependance du soin paternel de nostre bon Dieu en nostre Congregation, et que tout nostre repos et confiance fust en sa providence.

  A025003019 

 Et pour ce, elles les feront saluer et offrir obeissance a leur advenement; et lhors qu'elles seront nouvellement establies en leurs dioceses, elles prieront journellement pour eux; appliqueront tous les ans une Communion generale a leur intention au jour de leur sacre; en leurs voyages, maladies et affaires importantes elles redoubleront leurs prieres pour leur santé et heureux succes, et quand il plaira a Dieu de les appeller a luy, elles feront les mesmes suffrages pour eux aux Monasteres du diocese que pour leurs Seurs defunctes..

  A025003019 

 Et vouloit que les Seurs eussent en singuliere recommandation de porter un honneur tout sacré a Messeigneurs leurs Prelatz, qui sont les vrays et legitimes Superieurs des Monasteres establis en leurs dioceses, et qu'elles leur rendissent une tres humble et sainte obeissance, conformement a leurs Regles, Constitutions et Coustumes.

  A025003020 

 Que si un jour il arrivoit (ce que Dieu ne permette) que quelque Monastere descheust de sa perfection, les autres qui s'en appercevront se devront employer avec une extreme charité et humilité pour les ayder a se relever et remettre [443] en devoir, les admonestant par supplications pleynes de douceur et de zele de retourner a leur premiere ferveur, les assistant en tout ce qui leur sera possible, et leur procurant du secours et des exhortations et remonstrances, tant des Superieurs que d'autres personnes d'authorité et pieté qu'elles connoistront estre affectionnees a leur Institut..

  A025003021 

 Que si pour quelques occasions elles n'en pouvoyent avoir le secours et assistance necessaires, apres l'avoir recherché le plus humblement et efficacement qu'il leur sera possible, mesme par l'entremise de quelque personne de qualité et consideration, elles s'addresseront a nostre Saint Pere ou a celuy qui tiendra sa place en chasque royaume ou Estat, qui est le Nonce Apostolique, affin que par ce moyen toutes choses soyent pacifiees et reduites a l'uniforme observance..

  A025003022 

 Mais pour esviter que par la longueur du tems ou autres accidens cet esprit d'uniformité vienne a se dissiper, en certains tems, comme environ de six ans en six ans, elles demanderont un Visiteur a nostre Saint Pere ou a Monseigneur le Nonce, qui visitera une fois en six ans tous les Monasteres de l'Ordre, ou au moins tous ceux d'une langue, pour remettre ce qui pourroit estre descheu de l'observance premiere.

  A025003022 

 Neanmoins, l'intention de nostre tres honnoré Pere et Instituteur n'estoit pas que ce Visiteur eust aucune authorité sur les Monasteres, ains seulement pour voir si les Maysons conservent l'uniformité entre elles par l'exacte observance; et desiroit qu'il rendist un tres grand honneur et respect aux Prelatz, et que des choses ausquelles [444] il ne pourroit remedier doucement, avec leur faveur et authorité, il en fit son rapport a nostre Saint Pere ou a Monseigneur le Nonce pour y estre pourveu..

  A025003023 

 C'estoit encor la volonté de ce bon et digne Prelat, nostre Instituteur d'heureuse memoire, qu'es doutes et difficultés qui pourrovent survenir es Monasteres touchant la prattique des Regles, Constitutions et Coustumes, on demandast advis aux Monasteres plus anciens, et notamment a celuy d'Annessy; car ayant receu les premices de l'esprit, et estant le cœur et fontaine de la vie spirituelle de tout l'Ordre, d'ou sont issus tous les autres Monasteres, on peut justement et raysonnablement croire que l'eau sera tous-jours plus claire en sa source et qu'on y aura plus de lumiere et d'intelligence de toutes les choses qui appartiennent a l'Institut; joint l'honneur et bonheur qu'a ce Monastere d'avoir en preciput les reliques du Fondateur, qui est une grace tres pretieuse..

  A025003024 

 L'honneur que les Seurs doivent porter a leur Prélat doit encor s'estendre a l'endroit de celuy qu'elles auront de sa part pour Pere spirituel.

  A025003031 

 La Seur Assistente aura soin de la direction des ceremonies du chœur, tant ordinaires qu'extraordinaires, et pour cela elle taschera de se rendre fort attentive et prevoyante, affin que rien ne manque..

  A025003032 

 Quand il sera requis de changer de ton a l'Office, elle fera un signe, frappant un petit coup sur ses Heures avant que l'on commence, puis elle entonnera ou fera entonner ce qu'il faudra dire par une autre, si elle ne le peut faire elle mesme; et lhors que l'on dira l'Office rudement et pressement, elle frappera trois coups, et deux lhors que l'on le dira trop lentement..

  A025003033 

 Elle prendra garde que tous les Diurnaux et toutes les Heures des Seurs se rapportent, tant aux accens qu'aux pauses, soit aux Offices ordinaires ou extraordinaires..

  A025003040 

 Si la Superieure en fait prester, elle aura soin de les faire retirer; et luy monstrera a l'advantage le roolle des livres que les Seurs ont, affin que, par son ordre, elle fasse la liste de ceux qu'elle leur devra distribuer au commencement de chasque annee.

  A025003041 

 Comme aussi quand quelque chose manquera, et principalement aux Professions et receptions des Seurs, observant des la veille si tout ce qui est requis pour la ceremonie du lendemain est prest, prenant garde que rien ne demeure a faire qui serve d'empressement.

  A025003044 

 Elle fera laver les vitres du chœur une fois l'annee, mettant des linges dessus les fenestres, affin que les murailles ne se gastent.

  A025003044 

 Et fera mettre au derriere des sieges, des caisses ou platz de bois, pleins de chaux, ou de poudre tombee sous la scie, ou autre chose qui soit propre a cela, prenant garde que les Seurs qui sont nommees pour les tenir netz le fassent soigneusement et les mettent souvent au soleil..

  A025003045 

 Elle aura soin que les Seurs, au partir de Prime ou l'apres disnee, preparent tout ce qu'elles auront a dire au chœur d'extraordinaire, comme les commemorations, ce qui se devra chanter a la sainte Communion, aux processions et semblables.

  A025003048 

 Affin que les instructions que la Directrice donnera soyent receues plus souëfvement des Novices, il faut qu'elle s'estudie de leur monstrer un amour cordial et tendre, affin qu'elles prennent une vraye confiance et entiere certitude de son affection; a quoy servira de s'enquerir souvent de leur santé, tesmoignant de la compassion de leurs maux, et les visitera et servira charitablement quand elles en auront besoin.

  A025003048 

 Voire mesme quand elle verroit clairement que quelqu'une manqueroit de confiance en son endroit, elle doit, sans luy en faire aucun semblant, s'essayer de gaigner son cœur par toutes sortes de demonstrations de bienveuillance, prenant garde toutesfois que la Novice ne puisse pas descouvrir qu'on a reconneu son defaut.

  A025003050 

 Qu'elle ne s'estonne point si elle treuve des filles qui ayent beaucoup a combattre, soit par les anciennes habitudes, mauvaises inclinations et autres tentations, ains qu'elle les conforte et assiste charitablement, leur donnant courage et esperance qu'elles emporteront en fin la victoire; comme en verité, si telles ames sont bien aydees, [450] tant de la grace de Dieu que du soin de la Directrice, elles deviendront plus parfaittes que celles qui sont entrees plus innocentes en la Religion, d'autant que, pour l'ordinaire, elles haïssent mortellement le mal qu'elles ont reconneu, et produisent des actes de vertu tres excellens..

  A025003052 

 Mays qu'elle le face consciencieusement, avec le zele de Dieu et la charité, n'exerçant point la charge comme Maistresse, ains comme servante des espouses de Jesus Christ, duquel elle doit en toutes occurrences demander la grace et ne chercher que sa tres pure gloire..

  A025003053 

 Elle doit donq employer l'annee de probation selon la sainte intention pour laquelle elle est ordonnee; c'est a dire, qu'elle exerce les Novices convenablement, pour essayer et reconnoistre leur vocation (car il ne seroit pas a propos d'attendre de les espreuver apres la Profession), observant neanmoins la discretion en telle sorte que les espreuves n'excedent pas la portee des espritz..

  A025003055 

 En fin elle doit avec grande confiance et sousmission aller a la Superieure, pour se resoudre et conseiller es doutes [451] et difficultés qui luy pourroyent arriver en l'exercice de sa charge; car c'est de la que Nostre Seigneur luy fera puyser les forces, la lumiere et la patience dont elle aura pour l'ordinaire grand besoin: de maniere que le plus souvent qu'elle pourra le faire sera le meilleur..

  A025003061 

 Elle leur pourra et devra aussi fort souvent lire les Sermons et Entretiens spirituelz qui leur ont esté faitz, comme le vray pain et la nourriture plus convenable a leurs [452] espritz, leur apprenant a tenir leurs affections arrestees et encloses dans les enseignemens qui y sont contenus, d'autant que ce sont les seulz moyens par lesquelz elles peuvent parvenir a la perfection de leur vocation..

  A025003062 

 Comme aussi les festes et Dimanches elle leur laissera le tems libre pour faire orayson; ou bien les entretiendra, ou pourra faire entretenir toutes ensemble ou deux a deux pendant le silence, leur apprenant a le faire utilement et a ne parler que de Dieu, des Regles, des advis et entretiens susditz, du bonheur et excellence de leur vocation et de la pretention qu'elles doivent avoir de parvenir au plus haut degré de la perfection de leur vocation, s'excitant l'une l'autre a l'amour de Dieu, du prochain et a la prattique de toutes les vertus..

  A025003063 

 Et pour obvier a cela, que la Maistresse soit fort prudente a discerner celles qu'il ne faut point mettre ensemble..

  A025003064 

 Mais sur tout, qu'elle les [453] rende soigneuses et affectionnees de lire les Regles, les Sermons et Entretiens spirituelz, affin qu'elles en conçoivent le sens et prennent l'esprit; voire mesme des Coustumes et des ceremonies qui s'observent, tant en general qu'en particulier, leur inculquant qu'elles ne doivent sçavoir que cela..

  A025003065 

 Pour y parvenir, la Maistresse les ira petit a petit despouillant de toutes autres choses, affin que plus parfaittement elles s'arrestent a celle ci qui est de si grande importance; et ne leur permettra point de lire des livres qui traittent des oraysons extraordinaires et surnaturelles, sinon par l'advis de la Superieure et de quelque personne bien versee en la spiritualité..

  A025003068 

 Puis, en ayant detesté deux ou troys, la Maistresse ensuite benira les vertus contraires aux vices qu'elles ont detestés, disant: «Benite soit la sainte obeyssance;» et les Novices respondront: «Benite soit elle.» Et ainsy des autres; la Maistresse concluant par une petite orayson, comme seroit: «Seigneur Jesus, regardes, s'il vous plaist, ce petit troupeau des yeux de vostre misericorde et respandes sur iceluy [454] vos celestes benedictions, par les merites de vostre glorieuse Mere, nostre sainte Maistresse, affin que nous puissions, par la prattique de ces benites vertus, vous estre aggreables en cette vie et jouir de vous en l'autre.

  A025003069 

 Or, ces petitz desfis doivent estre quelquefois generaux, quelquefois particuliers; c'est a dire, que toutes les Novices facent ensemble le desfi de la douceur ou de l'obeyssance, si la Maistresse apperçoit un defaut universel de ce costé la.

  A025003074 

 Tous les mercredis la Directrice fera l'assemblee du Novitiat immediatement apres Prime, ainsy qu'il est porté par les Constitutions, ou estant a genoux devant l'oratoire et les Novices aussi, toutes en rang derriere elle, elle entonnera le Veni, Sancte Spiritus, etc., et les Novices poursuivront jusques au verset, que la Directrice dira avec l'Orayson; puis, ayant offert cette action a Nostre Seigneur et invoqué sa grace, elle s'assiera sur un siege a costé de l'autel, et toutes les Novices en terre ou sur des sieges fort bas, travaillant; puis viendront deux a deux dire chacune troys ou quatre coulpes, sur lesquelles la Directrice leur dira ce qu'elle jugera estre a propos; et a la fin, si elle a remarqué quelque defaut universel ou plus frequent entre les Novices, elle prendra occasion la dessus de leur parler a toutes en general pour leur donner horreur de cette sorte de defaut, et les excitera a l'amour de la vertu contraire, s'essayant de les laisser tous-jours encouragees.

  A025003080 

 Elles assisteront aux visites qui se feront, liront les Directoires de chasque office, observant si les officieres auront bien fait leur devoir; et ce qui manquera, tant pour le regard de l'observance que pour les meubles et ustensiles necessaires, elles en advertiront la Superieure, sans en parler ailleurs, ni faire la correction aux officieres..

  A025003082 

 Quand elles advertissent les Seurs au Chapitre et au refectoir, que ce soit sans exagerer ni aggrandir les fautes, ni selon leurs inclinations ou aversions, ains par le seul amour de Dieu et le zele de la perfection des Seurs, ne parlant jamais des fautes qu'elles remarqueront, sinon a la seule Superieure..

  A025003085 

 Que la Seur Œconome donne a la prouvoyeuse de l'argent moderement, selon les lieux, pour les menues provisions, et sache si elle a tout employé avant que de luy en donner d'autre..

  A025003086 

 Qu'elle prevoye que proche des bonnes festes il n'y ayt rien qui puisse empresser ni distraire les Seurs de l'attention qu'elles doivent avoir a ces grans misteres..

  A025003087 

 A l'Obeyssance du soir et du matin elle saura de la Superieure [457] ce qu'elle aura a faire a la ville, comme aussi ce que les Seurs desireront, affin qu'elle ordonne aux Seurs Tourieres ce qui sera requis, en sorte que tant qu'il se pourra elles n'aillent qu'une fois le matin et une l'apres disnee pour les messages ordinaires a la ville.

  A025003087 

 Quand il y aura beaucoup de choses a faire venir, elle leur en fera une liste, et tous les soirs, a l'heure que la Superieure jugera la plus propre, elle leur ordonnera, et aussi aux Seurs Domestiques, les choses extraordinaires a quoy elle les voudra employer le lendemain..

  A025003088 

 Qu'elle voye quelquefois les portions, affin que l'esgalité soit conservee, et la necessité en ce qui regarde les infirmes, desquelles elle prendra soin particulier.

  A025003089 

 Elle donnera de tems en tems a la Seur que la Superieure aura nommee, le chanvre, filet, esguilles et telles autres choses necessaires aux ouvrages des Seurs, pour en faire la distribution par le menu; laquelle prendra garde, selon qu'il est ordonné en la Constitution, a celles qui se rendroyent negligentes a bien faire et diligemment leurs ouvrages, pour en advertir la Superieure..

  A025003091 

 Elle aura un petit livre journalier ou elle escrira tous les soirs ce que l'on aura acheté; et a chasque semayne, s'il se peut, elle l'escrira selon l'ordre accoustumé dans son livre des comptes..

  A025003094 

 Elle aura un livre dans lequel elle escrira toutes les choses qui luy peuvent donner lumiere et adresse en sa charge, tant a elle qu'a celle qui luy succedera en sa charg: comme seroit la quantité de blé, vin, huyle, beurre, chandelles, sel, poys et choses semblables qu'il faut pour la nourriture et entretien des Seurs; comme aussi la quantité d'estoffes qu'il faut pour les habiller, tant pour l'esté que pour l'hyver, et combien elles coustent et ou s'en doit faire l'employte..

  A025003095 

 Elle sçaura combien il faut d'estoffe pour un ornement d'eglise et le memoire des meubles qu'il faut faire donner aux pretendantes; comme aussi ce que l'on donne aux Confesseurs, aux pauvres tous les moys, au medecin, au procureur du Monastere, et autres telles choses dequoy on a besoin journalierement..

  A025003101 

 Elle doit faire un petit roolle de tous les contratz qui se passeront, qui contiennent seulement le jour et les personnes avec qui l'on a contracté, sur lequel elle verifiera les contratz que le notaire luy expediera, pour voir s'il n'en a point oublié..

  A025003101 

 Et aux contratz de simple obligation on laissera une feuille pour escrire les sommes que l'on recevra sur icelle, affin de tenir meilleur compte a ceux qui doivent, et aussi pour les faire payer au tems marqué, affin que par sa faute rien ne demeure a payer; et retirera du notaire tous les extraictz des contratz et autres papiers necessaires.

  A025003101 

 Quand il faudra donner quelque papier dehors le Monastere, elle l'escrira, marquant la date du jour et a qui elle l'a donné et pour quel sujet, et procurera qu'il luy soit rendu au plus tost; et fera que le notaire ou quelque autre escrive au parloir, en dehors, les contratz permanens tout au long dans le livre fait expres, qu'elle fera collationner et signer par ledit notaire, lequel livre ne doit point sortir du Monastere.

  A025003101 

 Que s'il en faut produire quelque contrat, elle en fera faire une copie collationnee; comme aussi, a mesme tems que l'on passera les contratz qui ne sont permanens, elle en escrira ou fera escrire la substance par le mesme notaire dans le livre fait expres, laissant entre chasque contrat portant rente deux ou trois feuilletz en blanc pour escrire la reception des pensions ou interestz, lesquelz elle n'escrit sur ledit livre qu'a la fin de l'annee que la Seur Œconome luy remet le roolle de ce qu'elle a receu.

  A025003102 

 Au commencement de chasque annee elle fera un extraict ou roolle de tout l'argent et rentes qui sont deuës au Monastere, tant en blé, vin, qu'autres choses, supputant ce que doivent ceux qui n'ont payé annuellement, le mettant bien au clair, et remettra ledit bordereau et extraict a la Seur Œconome, pour solliciter et faire payer ceux qui doivent, ainsy qu'il est marqué en son Directoire, et luy en baillera toute l'intelligence necessaire, affin que tous-jours l'on se [460] paye des fruitz escheus avant que de recevoir les sommes principales; et avant que de parler a ceux qui doivent, elle soit instruite de ce qu'ilz sont redevables, affin de ne se pas embrouiller et que rien ne se perde par sa faute..

  A025003103 

 Si le Monastere doit quelque rente, elle aura un livre ou elle fera escrire toutes les quittances que l'on passera en sa faveur..

  A025003104 

 Elle escrira aussi dans le livre de la substance des contratz tout l'argent que l'on prestera dehors, dont l'on ne fait point de contrat, comme quand l'on preste aux pauvres Monasteres de nostre Ordre, et en telles autres petites occasions; et aura soin de retirer les promesses particulieres qui se feront a cet effect.

  A025003104 

 Et sera soigneuse d'escrire sur ledit livre ce que l'on paye tous les ans, et pour cela elle verra, a la fin de l'annee, les memoires et extraictz qu'elle a donné a l'Œconome, pour en charger ses livres et faire des nouveaux extraictz de ce qui sera deu..

  A025003108 

 Tous les soirs a l'Obeyssance elle rendra conte a la Superieure de tout ce que l'on aura donné ou presté hors la Mayson ce jour la..

  A025003118 

 Qu'elle face fermer l'eglise avant le disner, s'il se peut, et qu'elle en retire les clefs, la faysant ouvrir a deux heures ou environ, voire plus tost s'il est requis, principalement les festes, pour la consolation du peuple; et que tous les.

  A025003124 

 Elle parlera tous-jours fort bas en la sacristie, et procurera que l'on face le mesme en celle des prestres..

  A025003126 

 Elle aura soin que l'huyle de la lampe qui esclaire de jour et de nuit devant le Saint Sacrement soit bien pure et nette et la mesche fort petite; elle la fera nettoyer par le clerc, ou par les Seurs Tourieres, quand elle en aura besoin..

  A025003126 

 Elle fera que le Tabernacle soit doublé de quelque belle estoffe, s'il se peut, et aura soin de le faire tenir fermé a clef.

  A025003128 

 Et en [463] ces rencontres ou il sera requis qu'elle soit a la grille, elle ne le fera jamais que l'eglise ne soit vuide de toute sorte de personnes, excepté de ceux qui pareront, et fermee a la clef qui sera rendue a la Portiere, et assistee de son ayde, ou autre Seur qu'il plairoit a la Superieure luy donner..

  A025003133 

 Elle fera changer, s'il se peut, le dais aux grandes festes seulement, es lieux ou l'on s'en sert; mais quant au petit qui se met sur la fenestre de la sainte Communion, elle le changera, tant qu'il se pourra, selon les couleurs de l'autel, faysant en cela selon que les lieux et les commodités le permettront et selon que la Superieure ordonnera et jugera estre mieux..

  A025003135 

 Elle changera toutes ces choses plus ou moins souvent, si elle voit qu'il en soit besoin, observant plustost d'exceder en la netteté que d'y manquer tant soit peu..

  A025003135 

 Les corporaux de trois en trois moys, les purificatoires tous les huit jours et les serviettes de mesme, tant pour servir a la sacristie que pour celles qui serviront a l'autel.

  A025003136 

 Il seroit requis que la Sacristaine eust des gantz de toile fort espaisse, bien blanche, avec lesquelz elle peust toucher les choses sacrees..

  A025003136 

 Les plus beaux pourront estre gardés un an empesés, ne les faysant servir que fort rarement; elle n'y mettra pas de trop grandes dentelles.

  A025003136 

 Qu'elle tienne les corporaux et purificatoires dans [465] des boëtes bien nettes, les faysant laver au Confesseur avant que de les blanchir, se gardant bien de toucher avec les mains les choses sacrees.

  A025003137 

 Elle les fera anter fort proprement, affin qu'il ne paroisse que le moins qu'il se pourra, observant d'anter ceux qui sont d'une esgale grosseur ensemble, mettant tous-jours le plus gros bout dessous; elle les raclera et tiendra le plus nettement qu'il luy sera possible.

  A025003138 

 Elle en fera mettre quatre sur l'autel les Dimanches et festes d'Apostres, tant pour la Messe que pour Vespres; mays toutes Les grandes festes de Nostre Seigneur et de Nostre Dame et de celles dites cy devant, elle en fera mettre six des plus beaux et deux flambeaux, si elle en a, ou deux gros cierges pour l'eslevation du Saint Sacrement..

  A025003139 

 Elle observera de faire mettre des plus beaux luminaires qu'elle ayt quand on fait la Benediction le jour de la feste et le jeudy de l'octave du Saint Sacrement; comme aussi [466] elle donnera quatre flambeaux, et deux aux jours ouvriers, sinon que quelque personne de grand respect fist la ceremonie: en ce cas elle en donnera quatre..

  A025003140 

 Et en toutes ces grandes solemnités, si c'est la coustume du lieu et le tems des fleurs, elle y fera des guirlandes; observant que les cierges des festes cy dessus nommees et autres principales ne soyent pas usés plus du tiers ou de la moytié, et qu'ilz soyent de cire blanche, s'il se peut, tant pour Vespres que pour la Messe, mais ilz pourront estre un peu moindres pour la vigile..

  A025003145 

 Qu'elle tienne les chasubles tout de leur long et large, et du linge ou du papier deslié dans celles ou il y a de l'or ou de l'argent, comme aussi dans les paremens, pavillons et voyles de calice, observant de ne les pas charger, de peur que l'or ne se coupe.

  A025003146 

 Elle observera tant qu'elle pourra de mettre a part les ornemens des grandes festes, ceux des secondes et des communes, affin de ne les remuer ou froisser que le moins qu'il sera possible, appareillant la chasuble, le voyle, le parement et le pavillon de l'autel le plus convenablement qu'il se pourra, tant en couleur qu'a la beauté de l'estoffe.

  A025003162 

 Durant les trois jours de Tenebres le luminaire de l'autel doit estre de cire jaune, sinon que l'on fust contraint de faire le paradis ou sepulchre (ce qui ne se doit faire que par necessité), et en ce cas le luminaire du paradis seroit de cire blanche..

  A025003172 

 Et lhors que le prestre dira Gloria in excelsis, a la mesme heure elle sonnera en bransle.

  A025003179 

 La Seur Infirmiere escrira les remedes que le medecin ordonnera, si luy mesme ne le fait, ou que la chose fust si facile qu'il n'en fust pas besoin..

  A025003184 

 S'il y a des Seurs malades de quelque maladie dangereuse, elle se gardera bien de servir les autres de ce qu'elles ont touché, et s'enquerra soigneusement du medecin s'il juge que la malade doive mourir, affin de la faire preparer a la reception du Saint Sacrement, et advertira promptement la Superieure quand elle la verra decliner.

  A025003187 

 Elle les servira tous-jours nettement, sans toucher avec les mains ce qu'elle leur donnera a manger que le moins qu'il sera possible, affin de ne les point desgouster.

  A025003187 

 Et qu'elle ne mette point devant elles toutes leurs portions, si elle juge qu'elles ne les desirent, ains les servira a mesure qu'elles mangent, n'estant pas aussi necessaire, quand il y a plusieurs malades, de faire a chacune leurs portions, ains on doit mettre pour toutes ensemble; et elle les servira [471] chacune selon leurs besoins, si ce n'est qu'il faille quelque viande plus particuliere a quelques unes: dequoy elle en advertira des le soir la Despensiere et de ce qu'il faut pour leur dejeusner et disner; et des la recreation d'apres le disner ce qu'il faut pour leur gouster et souper, quand elle jugera que quelque chose de particulier leur sera necessaire, sans pourtant exceder aux diversités des choses qui peuvent trop surcharger celles qui apprestent, sinon lhors que le medecin aura reglé leur manger..

  A025003188 

 Apres que les malades seront gueries, qu'elle batte, secoue et nettoye leurs tours de lict, matelas, chevet, paillasse, les mettant au soleil et les nettoyant bien..

  A025003190 

 Elle les visitera souvent, affin que rien ne se gaste, ne laissant point defaillir les choses dont on a de besoin et dont on doit avoir provision; ains advertira la Superieure et 1'OEconome a l'advantage pour y prouvoir, et mettra en toutes les eaux, sirops et autres drogues, des billetz escritz de leur nom..

  A025003191 

 Des que les malades seront suffisamment fortes pour sortir de l'infirmerie, pour venir au chœur ouyr la sainte Messe, elle les y conduira, comme aussi au refectoir a une petite table, s'il est besoin, et aux assemblees des que leur santé le pourra permettre bonnement; le tout avec l'advis de la Superieure..

  A025003192 

 Elles iront tour a tour, son assistente et elle, tant a la premiere que seconde table, comme aussi a tous les autres exercices de la Communauté.

  A025003192 

 Que s'il est requis d'en estre dispensees, elles demanderont congé a la Superieure.

  A025003195 

 La Seur Robiere procurera que les Seurs ayent chacune, tant qu'il se pourra, un habit d'esté et un d'hyver et non plus, prenant garde qu'elles ne les portent trop tachés et avec indecence..

  A025003196 

 Qu'elle tienne des voyles de reserve pour en donner a celles qui auront besoin de les changer aux grandes festes, ou quand on reçoit des Religieuses; comme aussi des bandeaux, desquelz elle changera aux Seurs tous les moys en hyver et l'esté tous les quinze jours, prenant garde que l'estamine dequoy elle les fera soit espaisse, en sorte que l'on ne voye pas la doubleure, et les fasse estroitz..

  A025003199 

 Qu'elle donne les habitz fort netz et bien raccommodés aux Seurs selon les saysons: ceux de l'hyver environ la Toussaint, et ceux de l'esté environ Pasques, retirant ceux que les Seurs auront posés, apres qu'elles les auront nettoyés.

  A025003200 

 Elle escrira les habitz qui se font chasque annee, mettant a part ceux qui ne pourront plus servir; elle escrira aussi ceux que l'on ostera et rompra, pour faire voir l'estat de son office tous les ans, lhors que les Surveillantes font la visite..

  A025003202 

 Qu'elle prenne garde soigneusement que rien ne se gaste [473] en sa charge par les ratz et artisons, mettant de l'absinthe dans les habitz qu'elle tiendra enfermés, et que ceux qui seront sur des perches soyent bien couvertz affin que la poussiere ne les gaste.

  A025003203 

 Qu'elle face benir les voyles et les habitz neufs, avant que de les donner aux Seurs..

  A025003207 

 Elle attachera a la cotte ou a la tunique un petit cordon pour attacher la pelote noire et les ciseaux au costé droit, affin que rien ne se porte a la ceinture ni sur la robe que le seul chapelet noir, que la Seur Robiere procurera estre de mediocre grosseur, avec une croix au bout d'en bas, sans que l'on les porte retroussés a la ceinture; et prendra garde que les Seurs ne portent ruban ni autre chose de soye..

  A025003218 

 Qu'elle ne laisse ni dentelles ni ouvrages autour des linges, [475] ni rien qui ne ressente la vraye simplicité et pauvreté; que si on apporte des chemises carrees, qu'elle les raccommode promptement et y mette des petitz colletz.

  A025003219 

 Le lundy apres Prime elle se treuvera au lieu ou elle doit enliasser le linge pour recevoir celuy que les Seurs luy porteront, prenant garde si elles luy rapportent tout ce qu'elle leur a donné, affin qu'elle advertisse en charité celle qui manquera; puis elle l'enliassera et estendra sur des perches le plus tost qu'elle pourra..

  A025003221 

 La Seur Lingere prendra garde s'il y a des Seurs difficiles au linge que l'on leur donne, affin d'en advertir la Superieure,.

  A025003226 

 Elle balliera son refectoir tous les matins, avant que de dresser les tables, et apres disner s'il est necessaire; et tous les quinze jours, une fois, elle balliera les murailles et ostera les araignees; torchera les tables tous les jours apres le repas..

  A025003229 

 Elle escurera une fois la semayne les cousteaux et cuilliers; les salieres de quinze en quinze jours, et lavera les tassines a tous les repas, sinon que les Seurs les rincent elles mesmes et, en ce cas, elle les lavera une fois la semayne et les verres a tous les repas..

  A025003230 

 Elle donnera aux Seurs, les jours de jeusne, troys onces de pain pour la collation, et aux Seurs Domestiques et Tourieres de mesme, sinon que l'on luy ordonne autrement..

  A025003233 

 Elle n'en mettra point a la table de la Superieure, si elle ne [le] luy dit expressement, que celle de l'Assistente au bas bout; excepté les jours de la reception de l'habit et Profession des Seurs, qu'elle en mettra entre deux.

  A025003233 

 Qu'elle mette des serviettes autant d'un costé que d'autre, affin que l'on garde plus facilement l'ordre.

  A025003233 

 Tous les jeudis au matin elle les tournera, mettant le bout qui aura servi devant les Seurs, sur la table, replié contre icelle, affin que le sale ne soit point veu, et de l'autre couvrira le pain, les laissant chacune en leur place, prenant garde de ne les point changer.

  A025003235 

 Apres la recreation du disner elle ira dans le refectoir pour tout resserrer, et le soir elle y rentrera si tost que les Seurs en seront sorties pour faire le mesme..

  A025003238 

 Elle dressera les tables a l'heure que la Superieure jugera plus a propos, et semble que le mieux est apres Complies l'esté, et l'hyver apres la lecture..

  A025003244 

 Quand on amenera le vin, elle aura soin de le bien faire; emmarcher sur de gros bois carrés, affin que les tonneaux ne tirent l'humidité et ne soyent si pres de la muraille qu'elle ne puisse voir derriere; qu'elle regarde souvent s'ilz ne s'en vont point, specialement quand ilz sont encor chauds, visitant si les cercles sont bons..

  A025003246 

 Avant que l'on vendange elle advertira l'Œconome a bonne heure de faire relier les tonneaux.

  A025003246 

 Tandis que le vin.

  A025003247 

 Quand les tonneaux seront vuides elle les torchera bien et fera mettre hors de la cave, tenant main que l'Œconome les face desfoncer, secher et racler, et les retirera en lieu ou ilz se conservent bien, si la coustume des lieux ou la Superieure n'ordonne autrement..

  A025003248 

 Qu'elle tire le vin de la table avant que le premier coup du repas soit sonné et le porte au refectoir..

  A025003248 

 Quand on entonnera le vin ou que l'on en achetera, elle sera soigneuse de mettre des billetz sur les tonneaux, pour marquer ceux qui sont bons pour garder, ou pour boire promptement, et combien ilz tiennent et de quel creu ilz sont, avec l'annee.

  A025003249 

 Quant au pain, elle le portera au partir de Prime, affin que la Refectoriere ayt le tems de couper les portions..

  A025003251 

 Apres la recreation du matin elle ira ordonner aux Seurs qui ont la charge de la cuysine ce qu'elles doivent faire et apprester pour le souper, et apres que la seconde table du soir aura soupé ce qu'il faudra faire pour le disner du lendemain, estant fort soigneuse de leur donner a point nommé ce qu'elles luy demanderont, pour esviter l'empressement..

  A025003253 

 Elle ira a la cuysine un peu devant que l'on sonne le premier [479] coup du repas, pour couper la viande et faire les portions, affin qu'elle ne laisse attendre les Seurs a table; prenant garde de les faire tenir chaudes, les faisant le plus nettement et esgalement qu'il se pourra, observant de faire pour les infirmes ce qui est ordonné.

  A025003261 

 Elle fera tous les exercices de devotion, tant que sa charge le pourra permettre, comme les autres de son rang; et ne doit estre, tant qu'il se pourra, des Seurs choristes.

  A025003261 

 Que si elle est du chœur, devant la lecture elle pourra faire la demi heure d'orayson; si elle n'en est pas, elle la pourra faire pendant Vespres..

  A025003265 

 Les ouvrages que les Seurs ne sçauront pas faire elle leur monstrera avec douceur et humilité, ou leur fera monstrer.

  A025003269 

 Elle s'instruira d'eux de la façon qu'ilz desirent qu'on les face et, tant qu'il se pourra, on sçaura d'eux, devant que de les commencer, ce qu'ilz en donneront..

  A025003269 

 Pour les ouvrages de la ville, si la Superieure luy en commet la charge, qu'elle aye soin de les faire le plus promptement et proprement qu'il se pourra; comme aussi, tant qu'il sera possible, on l'envoyera au parloir pour les recevoir [481], selon que la Constitution marque, affin de donner plus de satisfaction aux seculiers.

  A025003275 

 Elles employeront le matin demie heure a l'orayson, en suite diront les Pater qui sont marqués aux Constitutions pour Prime, Tierce, Sexte, None, et pour cela elles iront au chœur soudain qu'elles seront habillees, excepté une des Seurs, laquelle ayant charge du manger, ira, s'il se peut, faire l'orayson et dire les Pater immediatement apres que les autres auront achevé leurs exercices.

  A025003275 

 Elles entendront la sainte Messe ainsy que la Communauté, faysant l'exercice de la Messe, en disant leur Chapelet, si bon leur semble..

  A025003276 

 Elles feront demie heure de lecture a mesme tems que la Communauté, si leurs affaires le permettent aysement; et si quelqu'une ne sçait pas lire, elle entendra l'une de ses [482] compaignes qui luy fera cet office de charité.

  A025003277 

 Soudain que l'Obeyssance du soir sera donnee, apres avoir receu les ordonnances de la Seur Œconome, elles s'en iront au chœur ou une Seur leur lira le point de l'orayson, si elles mesmes ne le sçavent faire; et diront leurs Pater de Matines et Laudes, suivis de leur examen, et se retireront apres que les trois Psalmes de Matines seront achevés, pour se coucher toutes ensemble, si la Superieure n'en ordonne autrement selon leurs exercices..

  A025003278 

 Lhors que leur loysir et leur charge le permettra, elles iront les unes apres les autres aux assemblees de la Communauté, observant neanmoins qu'il en demeure tous-jours une a la cuysine, tant qu'il se pourra bonnement faire, lhors qu'il y aura des potz aupres du feu; sinon au tems de la sainte Messe, s'il ne s'en dit qu'une, car si l'on en dit deux, l'une d'entre elles l'entendra, et mesme communiera si c'est jour de Communion..

  A025003279 

 Tandis qu'elles seront Novices elles iront au novitiat tour a tour, tant que leur charge permettra..

  A025003280 

 Elles tireront tous les ans leur rang, et changeront entre elles leurs croix, chapeletz, images et litz, ainsy que les autres Seurs..

  A025003281 

 Elles auront soin d'aller aux exercices spirituelz aux heures ordinaires, l'une apres l'autre, selon que celle qui aura la charge le treuvera a propos; et quand il y aura quelque malade, ou affaire extraordinaire, l'on commettra encor une Seur pour en avoir le soin..

  A025003281 

 Une des Seurs Domestiques (selon que l'Œconome ordonnera et pour le tems qu'elle jugera a propos, avec l'advis de la Superieure) aura la charge d'apprester le manger et de tout ce qui appartient a la cuysine, tant linges que vaisselle et autres meubles; a laquelle l'Œconome donnera une ayde de mesme rang, la plus convenable en cette charge, sur laquelle neanmoins ladite Seur cuysiniere ne prendra nulle sorte d'authorité, ains s'en servira simplement selon la necessité de la charge.

  A025003282 

 Une des Seurs Domestiques pourra avoir le soin du jardin et des meubles appartenans a son office; de cueillir et esplucher les herbes necessaires, affin que celles qui sont en la cuysine ayent le tems d'aller quelquefois travailler au jardin a ce que la jardiniere leur dira..

  A025003283 

 Et tant l'une des Seurs que l'autre tascheront de bien faire avec affection leur charge, demandant a l'Œconome des aydes selon leur besoin.

  A025003283 

 L'autre Seur pourra avoir charge des lessives, de la boulangerie et d'ayder a la jardiniere; laquelle prendra soin de racler le pain, quand il sera trop bruslé, a mesme tems que l'on l'apportera du four; apres quoy elle le rendra a la Despensiere.

  A025003284 

 Que celles qui ont charge d'apprester ayent un grand soin de bien assaysonner les viandes, sans exces neanmoins, observant la pauvreté; prenant garde de n'espicer ni trop saler les viandes, et de tenir les repas prestz a l'heure ordonnee; preparant les platz a l'advantage sur latable, et sur les ais les portions.

  A025003285 

 Qu'elle resserre soigneusement et promptement les viandes qui resteront [484] de la premiere table, a mesme tems que l'on les rapporte, et les tienne chaudes; qu'elle dresse a propos les potages de la seconde table, affin qu'[ilz] se treuvent au refectoir immediatement apres que les Graces seront dites de la premiere table..

  A025003289 

 L'une des Seurs qui ne sont de l'office de la cuysine ira dans le refectoir au quart d'heure, pour mettre les potages sur table; l'une des Seurs qui sera hors de l'office de la cuysine avec l'une de celles qui y seront mangeront a la premiere table, tant qu'il se pourra; voire troys y pourront manger, car une peut suffire a la cuysine pour faire ce qu'il faut et qui est requis: comme de faire des potages pour la seconde table, retirer les viandes et faire chauffer l'eau pour laver la vaisselle, en sorte que celles qui auront mangé a la premiere table les aillent laver immediatement apres qu'elles en sortiront, qui sera tous-jours des qu'elles auront disné ou [485] soupe, appellant apres Graces la Seur qui leur doit ayder, affin qu'elles puissent aller toutes, tant que faire se pourra, a la recreation..

  A025003290 

 Les testes, celles qui n'ont pas l'office de la cuysine y seront employees tour a tour, affin que celles qui y sont d'ordinaire soyent aussi soulagees l'une apres l'autre, si la Superieure le juge a propos..

  A025003291 

 Qu'elles ayent un grand soin que rien ne se gaste de ce qui est de leur charge, par leur faute, raccommodant leurs linges soigneusement, lesquelz elles conteront a toutes les lessives, tant en les y mettant qu'en les retirant; et la vaisselle d'estain toutes les semaynes une fois, chacune en ce qui sera de sa charge; tiennent leur office et tout ce qui en depend fort net..

  A025003292 

 S'il arrive qu'elles prestent, soit vaisselle ou autres ustensiles, tant pour servir en la Mayson que pour porter dehors, qu'elles ayent un grand soin de les faire rapporter; que si on ne le fait, ou que l'on prenne quelque chose de ce qui est de leurs charges sans les advertir, qu'elles en advertissent les Seurs en charité au refectoir, a l'issue de la premiere table, apres Graces, auquel tems elles diront leurs coulpes quand elles en voudront dire..

  A025003299 

 Quand elles auront la charge de parer l'autel elles le feront selon l'ordre de la Seur Sacristaine et avec singuliere devotion, gardant la reverence deuë au Tres Saint Sacrement et ne parlant que pour choses necessaires.

  A025003300 

 Qu'elles couvrent les tableaux et les autelz avant que de ballier et arrouser.

  A025003300 

 Qu'elles torchent souvent le balustre, degrés de l'autel, chandeliers et sieges qui sont dans le chœur, et une fois la semayne avec un torchon de cire; mais sur tout, que le marchepied de l'autel soit net et luisant..

  A025003300 

 Que l'eglise soit balliee avant que l'on la pare, observant de mettre le devant d'autel et les dentelles les dernieres.

  A025003301 

 Une fois l'annee elles laveront ou feront laver les vitres de l'eglise, prenant bien garde de tenir des linges dessous pour empescher que l'eau ne coule et gaste les murailles.

  A025003303 

 Pendant la sainte Messe, l'Office, oraysons et les sermons, qu'elles soyent soigneuses d'empescher le bruit tant dehors que dedans l'eglise, si faire se peut..

  A025003304 

 Pendant qu'elle sera ouverte, qu'elles ayent l'œil pour voir si l'on ne gaste rien, et que le presbytere soit tous-jours fermé, horsmis quand on dit les Messes..

  A025003304 

 Qu'elles ouvrent l'eglise le matin a six heures et la referment devant le disner, donnant la clef a la Portiere; qu'elles l'ouvrent a deux heures jusques apres Vespres, et des Complies jusques a six heures du soir, ou bien a l'heure que la Superieure ordonnera.

  A025003319 

 Nous attestons que nostre tres chere Seur en Jesus Christ, M. Jeanne Françoise Fremyot, Baronne de Chantal, et Perrette de Chatel sa compaigne, de la Congregation de Nostre Dame de la Visitation erigee en cette Nostre [490] citté d'Annessi, partent de ce lieu par le consentement de ladite Congregation et le Nostre, pour les affaires que ladite Jeanne Françoise Fremyot doit traitter en Bourgoigne, lesquelles ne pourroyent bonnement estre faites sans sa presence; et c'est pour le tems, et non plus, que lesdites affaires requerront..

  A025003328 

 Il faut donq que chacune fasse bonne garde en cet endroit le plus foible de son ame..

  A025003328 

 Nostre ennemy est tous-jours aux aguetz pour [491] nous surprendre, et il dresse ordinairement sa batterie contre la citadelle de nostre cœur a l'endroit le plus foible et ou il connoist, par nos frequentes cheutes, le penchant de nostre inclination perverse ou passion mignonne qui nous fait le plus de mal, et que nous pensons le moins de destruire parce qu'elle nous est aggreable et que nous nous [492] flattons dans la croyance que nos pertes y sont petites; et c'est par la neanmoins que nostre ennemy fait ses advances et tasche de nous surprendre et prendre s'il peut.

  A025003329 

 Et pour commencer a vous donner quelque jour en cette guerre spirituelle, mes tres cheres Filles, je vay marquer a chacune en particulier, selon ma connoissance, le defaut sur lequel vous deves veiller, et l'amende que vous deves payer quand vous aures failly.

  A025003329 

 Mais je desire qu'ayant payé cette amende, vous prenies un nouveau courage pour batailler plus genereusement au premier choc, et que jamais vous ne perdies le cœur de batailler, ni l'esperance de vaincre..

  A025003333 

 Et affin que l'action exterieure ne desrobe l'attention interieure, mes cheres Filles feront six retours a Dieu dans le tems non occupé aux meditations, Offices, lectures, ou l'attention doit estre actuellement appliquee..

  A025003333 

 La frequente pensee de la parole que Dieu dit a Abraham: Marche devant moy et sois parfait.

  A025003344 

 La commiseration sur le defaut d'autruy quand on ne le peut legitimement excuser, mais ne le point reveler ni n'en parler jamais que pour l'amendement, aux superieurs, aux confesseurs ou a nostre Mere; contre la facilité a parler du prochain en mauvayse part.

  A025003352 

 Le renoncement de la propre volonté en tout et pour tous ceux que nous pouvons, indifferemment, avec la promptitude de l'obeissance envers ceux qui ont pouvoir sur nous; contre la propre volonté et liberté imparfaite.

  A025003392 

 Le renoncement a la propre volonté en tout et pour tous ceux que nous pouvons, indifferemment, avec la promptitude de l'obeissance [496] envers ceux qui ont pouvoir sur nous; a l'amende de l'orayson Respice quaesumus, Domine, etc., pour tous les captifs et prisonniers..

  A025003394 

 L'acceptation et congratulation amoureuse de toutes sortes d'incommodités qui [sont maladies, hontes, contraires a la nature...] repugnent a nostre sensualité, tant corporelles que spirituelles; a l'amende d'un Pater et Ave pour tous pelerins et estrangers..

  A025003413 

 L'accommodement de soy mesme a un chacun, selon que dit s t Paul: Omnibus omnia factus sum, ut Christum lucrifaciam..

  A025003432 

 N'y ayant absolument rien remarqué qui n'exhalât le parfum et n'eût la saveur de très saintes mœurs, des pratiques approuvées et la mise à exécution des saintes instructions de l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, notre Mère; autant que Nous l'avons pu, avec l'aide du Seigneur, Nous avons très volontiers employé Notre soin et Notre autorité pastorale à favoriser, encourager et promouvoir les très saints efforts de ces Sœurs, assurés dans le Saint-Esprit que ces Congregations fourniront un port de salut à de nombreuses vierges et veuves que le même Esprit daignera arracher aux flots tempetueux du siècle..

  A025003433 

 Et comme il est arrivé que ces Communautés, sous l'inspiration et avec l'aide de Dieu, augmentent tous les jours d'une manière sensible en mérite et en nombre, pour qu'un Institut si pieux et digne de louange se conserve fixe et stable, Nous lui avons unanimement [501] destiné et assigné ces Règles et Constitutions qui, à l'instar de murailles très solides, serviront de rempart et de fondement à son genre de vie, voulant mettre avec un amour puisé dans les entrailles du Christ, sous Notre garde pastorale et sollicitude et celle de Nos successeurs, les Congrégations susdites établies dans Nos diocèses..

  A025003434 

 Afin que ceci soit attesté et manifesté pour l'avenir, autant que cela peut l'être de Notre part, Nous avons rédigé et signé ces lettres..

  A025003439 

 MARIE AYMEE DE RABUTIN, fille de nostre Mere, et vefve [502] de Bernard de Sales, baron dudit lieu et de Thorens, apres mille et mille souhaitz d'estre receue en la Congregation de ceans, estant tumbee malade et saysie d'un soudain accident en cette Mayson: pleine d'une nompareille resignation, d'une rare douceur de cœur et d'une profonde humilité; avec un esprit extremement tranquille, d'une parole extremement distincte, suave et claire, apres avoir fait sa confession et receu l'absolution sacramentelle, demanda l'habit de la Visitation, qui luy fut accordé pour la grande devotion qu'ell'y avoit tesmoignee; et ayant receu la sainte Extreme Unction, requit de pouvoir faire les vœux, ce que luy ayant aussi esté concedé, elle les fit d'un courage nompareil; et trois heures apres expira, ayant continuellement, jusques au dernier souspir, prononcé tres sciament et devotement le mot: VIVE JESUS..

  A025003450 

 Ayant esté desiree et invitee par Monseigneur l'Illustrissime et Reverendissime Archevesque et Patriarche de Bourges, duquel vous aves le bien d'estre seur selon le sang, affin qu'avec nombre suffisant d'autres Seurs de vostre monastere vous allies fonder, eriger et establir un monastere de pareil Institut en la cité de Bourges, et que d'ailleurs vous estes de mesme invitee a faire semblables fondations a Paris et Dijon: Nous vous permettons la sortie de vostre monastere et les voyages requis a cet effect; comm'aussi de prendre avec vous autant de Seurs et telles que vous jugeres convenable pour des si bonnes œuvres, sans que pour telles sorties, ni vous ni vos Seurs puissent estre censees violatrices de la sainte clausure; a la charge neanmoins, qu'apres avoir fait les fondations et establi l'ordre convenable, vous vous retiries dans vostre dit monastere, selon que par Nous ou Nos successeurs il [504] sera treuvé convenable, et que par tout vous observies la Regle et les Constitutions de vostre dit Monastere..

  A025003477 

 Vu et considéré ce qui devait l'être, Nous avons érigé et érigeons la présente Maison appelée «de la Congrégation de la Bienheureuse Vierge Mère de Dieu de la Visitation», en Monastère, sous la Règle de saint Augustin, décrétant, en vertu de la même autorité Apostolique, que toutes les Sœurs ou Religieuses de cette Maison et tout le monastère lui-même devront à l'avenir jouir et profiter de toutes et chacune des immunités, privilèges, induits et concessions dont les autres monastères de Religieuses vivant sous la même Règle ont coutume de faire usage, de jouir et profiter; en outre.

  A025003486 

 Nos tres cheres Seurs Paule Jeronyme de Monthou et Françoise Jacqueline de Musy, Religieuses professes du monastere de Nostre Dame de la Visitation de cette contree d'Annessi, ayant esté desirees par les Seurs du monastere de Moulins qui est du mesme Ordre, l'une pour y estre Superieure et l'autre pour l'y accompaigner, sous le bon playsir de Monseigneur de lion, et ayant eu, sur [508] ce, ledit consentement dudit Monastere de cette presente cité: Nous leur donnons aussi le congé a ce requis, et ce pour le tems que, par les occurrences, il sera treuvé a propos; suppliant Dieu qu'elles soyent benites en son nom, allant, demeurant et revenant, affin qu'elles facent son service en l'œuvre pour laquelle elles vont, en toutes leurs actions et en toutes les peynes qu'elles endureront pour ce sujet..

  A025003495 

 Je soubssigné, Jean François de Blonnay, Prieur de Sainct Paul, conciderant les despens qu'a fait et supporté Rev. messire Claude de Blonnay, mon seigneur et pere, pour m'eslever, mes freres et mes seurs..., et me faire prouvoir d'un bon benefice [509], avec ses peu de moyens comme il a fait, et que je ne pourrois employer cest argent que je porres faire du revenu de mon benefice mieux qu'a la dot de l'une de mes seurs; dautant que ladicte pousse et solicite ledict seigneur de Blonnay mon pere, avec promesse que je luy faisois de payer ce quil couteroit de loger la Rev. Marie Amé, Religieuse de la Visitation, a ladicte Visitation, comme a esté fait, et qu'elle a donné et donne grand tesmoignage de sa pieté, devotion et zele....

  A025003496 

 Je promets...de paier ladicte dot promise par... mon pere aux Rev. Dames de la Visitation d'Annessy......... Je donne a posseder a noble Jacques de Blonnay, mon frere, les fruicts d'un diesme appellé le diesme de Sevree, qui depend de... Sainct Paul,... pour ces ans 1621, 2, 3, me reservant 1624;... mon frere aura 1625, 6, 7... En outre, les fruicts du diesme de Grange Blanche pour 1628,... aux conditions quil paiera la dot de ladicte seur, de l'argent... de la dot de damoyselle Marie d'Avise, sa femme...; laquelle dot, promise a madicte Rev. Seur par contrat receu par Me Mingon, notaire d'Annessy, je constitue de nouveau,... tant par office de frere que d'oeuvre pie....

  A025003526 

 Mais comme la Congrégation de ces femmes demandait très humblement au Saint-Siège Apostolique que, même transformée et érigée en Monastère, elle ne fût pas davantage pour cela tenue de réciter les Heures canoniques de l'Office qu'on appelle le grand Office, qu'elle ne l'était auparavant, mais qu'il plût au même Saint-Siège de lui accorder que les Sœurs du Monastère érigé, en récitant chaque jour le petit Office de la Très Sainte Vierge Marie au chœur, sérieusement, gravement, lentement, dévotement et religieusement, comme elles avaient jusque-là coutume de le faire, fussent [512] délivrées et exemptées de l'obligation de réciter un autre Office; le même Souverain Pontife leur accorda ce privilège pour sept ans, assurant de vive voix que, s'il était toujours en vie, il accorderait ensuite facilement ce privilège à perpétuité (au témoignage du R, P. Don Juste Guérin, Supérieur des Clercs réguliers de Saint-Paul de Turin, lequel poussait alors cette affaire, et, de plus que, s'il était mort à ce moment, son successeur ferait de même volontiers; mais, s'agissant d'une chose peu usitée jusque là, il ne voulait pas la concéder à perpétuité pour commencer et de prime abord..

  A025003530 

 Ceci a lieu surtout dans nos régions françaises, où les femmes ont une prononciation du latin, non seulement tout à fait inepte, mais ridicule, en sorte que ceux qui entendent les Offices en d'autres Monastères, ne peuvent presque retenir leur rire, à moins que plutôt ils rougissent de honte..

  A025003532 

 De fait, elles prononcent et chantent avec tant de dévotion, de précision et de gravité ces Heures de la Bienheureuse Vierge, [514] bien que brèves, qu'elles n'emploient pas moins de temps à cette récitation que les autres Moniales à chanter le grand Office..

  A025003533 

 Et de même que l'Eglise a destiné presque chaque semaine un jour au culte de la Bienheureuse Vierge, de même elle ne fera rien qui ne soit convenable et de nature à lui plaire, en destinant un Ordre, surtout de femmes, au chant public des louanges quotidiennes de la Mère du Christ Notre-Seigneur et de toute la chrétienté; ce sera là, au contraire, faire chose très agréable, et au Christ, et à sa Mère, et à leurs dévots..

  A025003534 

 Il arrivera ainsi que toutes les vieilles avec les jeunes, pourront louer le nom du Seigneur..

  A025003548 

 C'est pourquoi les autres Communautés, issues de cette première soit médiatement, soit immédiatement, font-elles des vœux ardents et présentent une humble requête pour [517] être transformées en Monastères de même Institut et de même Règle, soit parce qu'elles seront ainsi attachées plus fortement à Dieu et à la vie religieuse, soit parce que cela sera plus agréable aux populations, soit parce qu'elles acquerront plus de conformité et de cohésion entre elles.

  A025003570 

 Affin donc que telles personnes ayent moien de se retirer du monde, fuir ses appasts et amorces de peché et s'appliquer plus doulcement et parfaictement au service et amour de Dieu et exercices des vertus et choses spirituelles, ceste devote et religieuse Congregation a esté dressee et procuree envers nostre S t Pere le Pape sur l'exemple de celles qui, a mesme intention, furent instituees par S t Charles Borrhomee, en son diocese de Milan, et de celle de S te Françoise a Rome..

  A025003573 

 On y pourra donc recevoir les veufves qui ont encore quelques obligations d'avoir soin de leurs enfants et des affaires de leur maison, a condition toutes fois qu'elles ne prendront point l'habit de la Religion qu'elles ne soient entierement libres des occupations de leur mesnage, et qu'estans une fois admises en la compagnie, elles vivront avec mesmes devoirs et observances que les Sœurs professes, sinon qu'il sera permis a telles veufves d'aller quelquefois l'annee donner ordre aux affaires de leur maison en la sorte qu'il a esté dict; et cependant elles porteront un habit simple et modeste, en un mot, de vrayes veufves..

  A025003578 

 Les hommes n'entreront en façon quelqu'onque en ceste s te Maison, sinon quand la chose pour laquelle ils devroient entrer ne peust estre executee autrement qu'en y entrant; et lors il fault que ce soit avec la licence de l'Evesque, par escript, ou de celuy qui sera commis de sa part..

  A025003583 

 Que s'il ne se peut aisement, on observera a leurs entree et visite ce qui a esté dict icy dessus de l'entree du Confesseur et medecin..

  A025003583 

 Que sil se peut bonnement fere, tels parens n'entreront qu'avec le medecin ou Confesseur, affin de ne multiplier tant les entrees.

  A025003590 

 Septiesmement: Il sera permis de recevoir en la Maison, mesme pour plusieurs jours, les femmes lesquelles, ou pour se consoler, ou pour se preparer a ferre des confessions generales, ou pour s'establir a l'amandement de leur vie auront besoin d'un peu de retraitte, a la charge qu'y estant entrees, elles obeissent a la Superieure et qu'il n'y en aye que trois au plus au mesme temps..

  A025003594 

 En somme, il fault fere en sorte que quand ces dites personnes du monde entreront en la Mayson, le monde pourtant ny entre point: ce qui arrivera si les filles de la Congregation attirent par leur devis, contenance et modestie et religieuse façon les femmes de [523] dehors a parler modestement, chrestiennement et spirituellement, ne desirant ny voulant ouir d'elles les nouvelles superflues, murmurations, detractions et semblables devis importuns et seculiers; mais monstrant un vray et naif mespris de tout cela, comme du tout aliené de leur Institut et contraire a la loy chrestienne, a la perfection de laquelle elles aspirent..

  A025003605 

 Apres quoy elles feront quelques exercices corporels, selon que la Superieure ordonnera..

  A025003605 

 Depuis Pasques jusques a la S t Michel: elles se leveront a cinq heures, pour entrer a l'oraison l'heure entiere de cinq et demie a six et demie, laquelle on sonnera en clochetant seulement durant trois Pater, a cette fin que toutes les Sœurs ayent commodité de s'assembler; et l'on la commencera par Veny, Sancte Spiritus, a la fin de laquelle elles diront Prime a basse voix.

  A025003608 

 A deux heures elles feront demi heure de leçon spirituelle en particulier, apres laquelles elles iront a Vespres, lesquelles se chanteront a trois heures; et icelles dictes, elles pourront demeurer en [524] conversation et deviser de choses qu'elles auront leu, jusques a Complie qui se diront a basse voix a cinq heures, et seront suivies des Litanies et d'une demie heure d'oraison mentale, en sorte que le tout soit achevé a cinq heures 3 quartz; et des lors elles relascheront un peu [leur esprit] jusques au souper, le tout neantmoins en silence, qui durera jusques apres le souper ou collation qui se feront tousjours a six heures..

  A025003612 

 Es jours de jeusne, que l'on disne a unze heures, l'on fera le matin l'heure de silence qui defaudra l'apresdinee, et rempliront les heures qui abonderont avant disné a fere des ouvrages; et en l'apresdinee il n'y aura rien de moins qu'es austres jours, parce que l'heure qu'on emploie a souper supplera a l'heure que le retardement du disné a retranché..

  A025003614 

 Complie se diront a l'heure ordinaire et a basse voix, ausquelles on adjoustera le Stabat en chant, qui sera suivi des Litanies a basse voix et de l'orayson, en sorte que pour le tout soit employé l'heure..

  A025003615 

 Ce qui a esté dict que toutes se treuvent couchés a dix heures n'empesche pas qu'elles ne se puissent coucher incontinant apres la retraicte, ains sera expedient que celles qui sont subjectes au someil le fassent de bon cœur, pour estre plus prompte et agile au lever..

  A025003635 

 Elles s'habilleront le plus simplement que fere se pourra, tant en la matiere qu'en la forme, ainsy qu'elles sont maintenant.

  A025003653 

 Que si quelqunes des Sœurs avoit quelque choses a proposer sur le mesme subject, elle le dira a la Superieure..

  A025003661 

 Que les Sœurs en toutes leurs actions observe[nt] une grande tranquilité, simplicité et modestie, ne suivant le faste et appareil des contenances mondaines et affectees......................

  A025003666 

 Quand il plaira a Dieu que les Sœurs ayent un lieu propre, elle s'essayeront es festes et Dimanches d'attirer les filles et femmes de la ville au lieu preparé pour cela, a fin de leur enseigner familierement les exercices de pieté: comme de l'examen de conscience, de la preparation a la Communion et Confession, de bien dire le Chapelet et la Couronne, de bien prier Dieu le matin, le soir, entandant la Messe, et semblables exercices de vray chrestiennes; pourveu que le tout se fasse hors de l'heure du Catechisme et sermon..

  A025003669 

 L'annee du noviciat expiree, la Novice sera admise pour faire [527] les vœus, si elle est jugee par la Congregation des Sœurs avoir satisfaict durant son noviciat; et pour ce il fault que des trois partie les deux de l'assemblee y consentent..

  A025003671 

 O Cieux, oyez ce que je dis, [etc.].

  A025003675 

 Et les susditz vœus se renouvellent tous les ans le jour de la Presentation de Nostre Dame (apres sy estres bien preparee, depuis le jour de la sainct Martin, par quelques particulieres oraysons, meditations et mortifications) en ceste sorte: Je, N., renouvele et confirme de tout mon cœur le vœu et Oblation que jay cy devant faict a mon Dieu, de le servir a jamais en la Congregation de ceans par obeissance, chasteté et pauvreté.

  A025003679 

 Outre les Sœurs voilees et qui gardent la closture, comme il a esté dict cy dessus, on en reçoit quelques autres que l'on appelle Sœurs Servantes, qui sont destinees pour le service exterieur de la Maison, qui, pour ce, doibvent estre de bon corps et de bonne complexion et bon naturel, mais sur tout grandement resolues de servir Nostre Seigneur en travaillant pour la Congregation, avec obeissance, douceur et humilité..

  A025003683 

 Elles demeureront deux annees au noviciat, passé lequel temps elles seront reçues en la Congregation et feront les mesmes vœus que les autres Sœurs, en la façon cy dessus explicquée..

  A025003687 

 Enfin il fault noter que la Congregation ne se doibt charger de plusieurs telles Sœurs, mais seulement en recepvoir pour survenir a la necessité de la Maison, a quoy semble que deux seront suffisantes, pour l'ordinaire, pour chaque Mayson.

  A025003690 

 Toutes les regles et Constitutions de cete Congregation, tant communes a toutes les Sœurs cy dessus expliqués que particulieres des Officiantes, que nous n'avons icy mises pour briefveté, n'obligent aucunement d'elles mesmes soubs peine d'aucun peché ny mortel ny veniel, ains sont seulement donnés pour la direction et conduicte de la Congregation.

  A025003694 

 Outre ce que dessus, la Superieure, la Directrice, Œconome et autres Officieres de la Maison ont leurs particulieres regles, qui n'on esté icy mises, pource que suffit, pour avoir la connoissance de cet Institut, de considerer ce qui a esté cy dessus expliqué..


26-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXVI-Vol.5-Opuscules.html
  A026000034 

 — Le temps fera voir si nous sommes meilleurs que ceux que nous jugeons.

  A026000036 

 — Mieux vaudrait pour un Ordre religieux n'avoir que deux Maisons, plutôt que de les multiplier par la prudence humaine.

  A026000047 

 I. Avis a M me Rose Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe, sur les devoirs que lui imposent sa profession religieuse et sa charge, Dijon, avril 1604.

  A026000047 

 Qu'est-ce que la dévotion? — La vraie Religieuse « doit estre devote » et fervente.

  A026000047 

 — Le rétablissement de la perfection et de la Règle sera le plus grand service que l'Abbesse pourra rendre à Notre Seigneur; le désirer et le poursuivre, mais avec patience. 83.

  A026000047 

 — Que faire pour l'Office.

  A026000052 

 La perfection n'est autre chose que la charité.

  A026000056 

 — Que faire lorsqu'on est distrait.

  A026000062 

 — Ce que le Saint n'approuve pas.

  A026000062 

 — Qu'est-ce que la sainte Communion? — Pour s'y préparer, oublier les affaires domestiques et les choses matérielles, et se rappeler les bienfaits de Dieu.

  A026000062 

 — Que faire la nuit et le matin au réveil.

  A026000062 

 — Que personne ne s'approche de la Table sainte par coutume.

  A026000079 

 — Le désir et la résolution de pécher est de fait un péché, ainsi que les mauvaises pensées volontairement entretenues.

  A026000086 

 Du tems que l'on a demeuré en chaque action du peché.

  A026000106 

 — La présence ne peut rien ajouter « a un amour que Dieu a fait, soustient et maintient ».

  A026000107 

 — Que faire à l'oraison.

  A026000108 

 — Tout recevoir de sa main et ne vouloir que lui. 139.

  A026000109 

 — Ce que le Saint « desire bien fort ».

  A026000109 

 — Que l'obéissance à la Règle domine les « menus attraitz ».

  A026000109 

 — Que la Mère de Chantal demeure ferme en l'oraison de simplicité et d'abandon; commandement que le saint Directeur fait à son esprit.

  A026000154 

 — Ce que la destinataire doit faire au début de sa charge, soit pour les séculiers, soit pour les Sœurs.

  A026000154 

 — Demander ce dont on a besoin est plus parfait que de se laisser à « la providence des Superieurs ».

  A026000154 

 — N'appeler le médecin que pour la vraie nécessité.

  A026000157 

 — Mieux vaut n'entendre qu'une Messe, mais avec attention, que plusieurs avec irrévérence.

  A026000157 

 — Qui ne cherche que Dieu le trouve toujours.

  A026000158 

 — Ce que la Supérieure peut permettre.

  A026000158 

 — Ne rien faire de plus que la Communauté.

  A026000160 

 — Tout est indifférent au cœur qui ne veut que Dieu.

  A026000162 

 — Qu'est-ce que le propre jugement? — L'indifférence du parfait obéissant 187.

  A026000185 

 Lhors que le prestre lave ses mains (Pilate lave ses mains) 217.

  A026000251 

 Notes que Nostre Seigneur avoit une roube, un manteau, une tunique (apud Euthym., Mat. 27 ), et la tunique, faite par la Vierge..

  A026000258 

 l'ecclipse dura des que Nostre Seigneur fut crucifié jusqu'a none, qui n'a accoustumé de durer que bien peu; le 3.

  A026000259 

 Phlegon, autheur grec: que le 18 e de Tibere Cæsar il y eut un'eclipse de soleil, la plus grande que jamais fut veüe, et qu'en ce tems il y eut un si grand tremblement en Asie et en Bithinie, que plusieurs grans ædifices tumberent.

  A026000272 

 Après cela, dans ce même jardin, il arriva ce que les autres Evangélistes racontent.

  A026000272 

 Matt.: Et il dit à ses disciples: Asseyez-vous ici pendant que je m'éloignerai pour prier.

  A026000274 

 Suit ce que raconte saint Jean.

  A026000277 

 ( Gabbatha signifie hauteur; Lithostrotos, en grec, balcon de pierres, lieu de jugement.) C'était la préparation de la Pâque, environ la sixième heure (c'est-à-dire la sixième heure de la prière: ainsi divisait-on le jour: 1, 3, 6, 9), et il dit aux Juifs, [etc.] Les princes des [5] prêtres répondirent: Nous n'avons de roi que César. (Donc le Messie vient, Gen. XLIX: Le sceptre ne s'éloignera point, etc.).

  A026000282 

 d) Arriva hors de la ville, au lieu nommé Calvaire, en hébreu Golgotha. Saint Basile dit que c'est une commune tradition qui fait du Calvaire le lieu de sépulture d'Adam..

  A026000296 

 Et je ne pense pas contrevenir à ses intentions en le publiant; car, quoy qu'il l'aye tenu long-temps secret, estant un des premiers exercices de sa plume, il est neantmoins bien croyable que si la mort n'eust prevenu le dessein qu'il avoit de donner d'autres piec.es au public, non moins utiles que celles qui paroissent maintenant par tout avec tant de fruict et d'approbation, sa charité incomparable l'auroit porté à vous le presenter luy-mesme, mais sans cloute avec plus d'ornement et de perfection..

  A026000296 

 Mon cher Lecteur, je sçay bien que pour vous faire estimer ce petit ouvrage que je vous presente, il suffit de sçavoir que son Autheur est le Bien-heureux François de Sales; un esprit si sainct, si esclairé et si seraphique ne pouvoit parler que tres-dignement et tres-sainctement sur une telle matiere.

  A026000298 

 Les ames sçavantes et esclairées dans la vie interieure y trouveront, ainsi que je l'espere, de la satisfaction; mais je vous prie, cher Lecteur, si vous desirez en tirer du profit, de le lire avec un esprit aussi sainct que le requiert la saincteté de son sujet.

  A026000306 

 Salomon, pretendant avoir suffisamment enseigne la premiere sorte d'union dans ses autres Livres, n'enseigne que la seconde es Cantiques, ou il presuppose que l'Espouse, qui est l'ame devote, soit des-ja mariee avec le divin Espoux; et represente les saintz et chastes amours de leur mariage qui se font par l'orayson mentale, qui n'est autre chose que la consideration de Dieu et des choses divines..

  A026000307 

 Les uns regarderont simplement un pourtrait pour y voir les couleurs et images, sans autre fin; les autres, pour apprendre l'art et l'imiter; les autres, pour aymer la personne representee, comme les princes font leurs espouses, que bien souvent ilz ne voyent qu'en image; les autres, parce qu'ilz ayment des-ja la personne representee, se playsent a regarder son pourtrait.

  A026000308 

 La meditation se fonde sur ia foy, considerant ce que nous croyons pour l'aymer; la demande sur l'esperance, demandant ce que nous esperons pour l'obtenir; la contemplation [11] sur la charité, contemplant ce que nous aymons pour nous y plaire..

  A026000309 

 En sorte que la ou est la foy, nous sommes faitz plus prompts a croire par la devotion; la ou est l'esperance, nous sommes rendus plus prompts a desirer ce que Dieu promet, et par la charité, a aymer ce que Dieu commande; par la temperance, a nous abstenir; par la force, a endurer, et ainsy des autres.

  A026000309 

 La devotion, aux promptitudes particulieres que les habitudes donnent, en adjouste une generale et commune engendree par la meditation et contemplation, ainsy que le pelerin est plus dispos par la refection..

  A026000310 

 Salomon a pour fin en ce Livre la devotion, mais pour sujet l'orayson mentale prise pour la meditation et contemplation, non pour la pensee, ni pour l'estude, ni pour la demande, ni pour la devotion, ni mesme pour la consolation et le goust que l'on a en l'orayson, lequel ne s'y trouvant pas tous-jours est distingué d'ieelle; ains arrive souvent que ce goust n'estant pas en l'orayson des bons, se trouve en celle des grans pecheurs.

  A026000311 

 Que si l'orayson mentale est distinguee du goust spirituel comme la cause de l'effect, elle l'est encor plus de l'allegresse spirituelle qui est engendree de la multitude des goustz.

  A026000312 

 Disons aussi que la possibilité, la facilité, la promptitude et la gayeté sont choses differentes en une action.

  A026000314 

 Mais on a besoin de la connoissance des choses susdites pour la declaration des termes, mesme lhors qu'ilz ne semblent estre que litteraux, bien que ce soit fort rarement et qu'il soit bien difficile de les y connoistre; ou, au contraire, les mistiques y sont en abondance et tres divers.

  A026000314 

 Mesme la nature ni les proprietés de Dieu ou de l'ame n'y sont point nommees; mays, au lieu de tout cela, yeux, cheveux, dens, levres, colz, vestemens, jardins, unguens, et mille choses pareilles qui ont mis confusion [13] es expositions par la liberté que les expositeurs ont eu de les faire joindre un chacun a son sens, et, qui pis est, par la licence insupportable qu'un mesme expositeur a pris, d'entendre en une mesme page une mesme parole en diverses manieres et pour diverses choses..

  A026000320 

 En la troysiesme, l'empeschement est les louanges humaines; le remede est de gouster les divines; le degré est la consideration que l'ame fait de Dieu en elle mesme..

  A026000332 

 Premierement elle considere que les biens et playsirs mondains, aupres des divins ne sont que vanité; secondement, que Dieu est doux et souhaittable en luy mesme; troysiesmement, que plusieurs ames saintes ont frayé le chemin, n'ayant trouvé aucun playsir qu'en Dieu; quatriesmement, elle demande a Dieu qu'il luy oste toutes affections terrestres..

  A026000333 

 Et quant au premier, elle dit: Tes amours sont meilleurs que le vin et plus odorans que les parfums; quant [16] au second: Ton nom est le mesme parfum respandu; pour le troysiesme: Les jeunes filles t'ont aymé; et pour le quatriesme: Tire moy apres toy, nous te suivrons et courrons a l'odeur de tes parfums.

  A026000333 

 Et tout incontinent, portee par une grande confiance d'obtenir ce qu'elle demande, comme si des-ja c'estoit fait elle adjouste: Mon Roy m'a menee en ses cabinetz; nous sauterons de joye et nous res-jouirons en luy et avec luy de la souvenance de tes amours qui sont meilleurs que le vin; les bons t'ayment et te prisent..

  A026000334 

 Le foyer du peché en la concupiscence y apporte du deschet, mays sans quil luy puisse estre reproché ni imputé a peché: Ne prenes donq pas garde a ce que je suis brune, car mon Soleil m'a voulu ainsy laisser en ceste guerre: le soleil m'a donné le teint que j'ay, et ne m'est pas advenu par ma faute, mais par celle des premiers enfans de la nature humaine, ma mere.

  A026000334 

 Les filz de ma mere ont combattu contre moy, ce fut par leur peché que je fus mise en necessité de prendre tant de soins et garde a moy mesme comme si j'estois a garder une vigne: ilz m'ont mise a garder les vignes contre les assautz de la concupiscence, et tout cela, helas! non par ma faute propre et actuelle, mays par celle d'autruy, dont je puis dire: La vigne que j'ay gardee n'estoit pas a moy..

  A026000335 

 Et partant, que la confiance revienne en moy, et que je commence a chercher mon Espoux ou il est plus aysement trouvé, par l'orayson.

  A026000335 

 O vous que mon ame ayme, enseignes moy ou vous paisses et ou vous couches a l'ombre du midy, affin que je ne coure ça et la esgarément aux troupeaux de vos compaignons, c'est a dire, apres les creatures.

  A026000339 

 Mays les aigneaux, aussi tost que l'huys de la bergerie est ouvert, courent droit a leurs meres; ainsy l'homme, voyant les creatures, monte petit a petit a Dieu: c'est un moyen de me trouver..

  A026000340 

 Si tu n'as pas encores une entiere connoissance, o la plus belle des femmes, parce que tu es encores commençante, sors de la souvenance des playsirs passés, et va suyvant les pas de tes troupeaux; cherche mes sentiers en toutes les creatures, laisse-toy guider et mener la par ou elles mesmes retournent, et tu trouveras qu'elles iront reposer aux pasturages de leur premier berger: Fais paistre tes chevreaux pres les loges des pasteurs..

  A026000341 

 Tu verras ces biens accidentelz, comme quoy tout le monde a esté fait pour ton usage, ornement et service: Nous te ferons des bagues d'or qui seront esmaillees d'argent; qui sont des bienfaitz si grans, que l'ame les meditant s'enflamme d'amour et est contrainte de s'escrier: [18] Puisque je ne puis autre chose, au moins t'aymeray je, o mon Espoux, et seray moy mesme ta salle royale, laquelle je parfumeray de nard; c'est a dire, je m'empliray d'amour: Tandis que mon Roy sera en sa salle, mon parfum, qui est composé de nard, embaumera tout ce lieu de la suavité de son odeur; et de plus, je m'uniray tellement avec luy, que je le porteray comme un bouquet dedans mon sein: Mon Bienaymé est le bouquet de mirrhe que je porteray tous-jours entre mes deux mammelles.

  A026000342 

 Ces affections font que l'Espoux ayme l'ame et la loue, disant: O que tu es belle, ma bienaymee! Voyci que tu es belle; tes yeux sont comme ceux de la colombe.

  A026000342 

 Et mesme ce monde, nostre habitation: Les chevrons de nos maysons sont de cedres et nos solives sont de cypres; donq, quelle merveille si je suis la fleur du champ et le lys des vallees? Ce qu'advouant l'Espoux, il monstre que plusieurs ames sont bien de contraire condition par la malice de leurs volontés, car elles sont comme des espines: Comme un lys entre les espines, ainsy est ma bienaymee entre les filles..

  A026000342 

 L'ame de son costé, reconnoissant que toute sa lumiere depend de son Soleil, qui est Dieu, confesse que luy seul est beau par essence: O mon Bienaymé, tu es beau et de bonne grace, et tu embellis tellement nostre essence, quand il te plaist, que mesme nostre lict, qui est nostre cors, en est beau: voyla nostre lict fleurissant.

  A026000343 

 Cheres loüanges que l'ame n'accepte ni ne refuse, mays, esprise de son Espoux, retourne a le considerer es mesmes choses sensibles, non plus en meditant pour l'aymer, mais en contemplant pour se res-jouir, le confessant tres haut entre toutes les choses creées: Comme est un pommier entre les arbres des forestz, ainsy est mon Bienaymé entre les enfans des hommes.

  A026000343 

 Dont, ayant trouvé un bien si eminent au dessus de tout autre, elle s'y repose sans en plus rechercher: Je me suis reposee a l'ombre de celuy que je desirois; et en ce repos spirituel se fait le goust de la [19] devotion: et son fruict est doux a mon goust, et si doux qu'il engendre des saintes manies et fureurs en mon ame, comme si elle estoit enyvree d'amour; dont elle s'escrie: Il m'a menee au cellier de son vin, il a desployé sur moy l'estendart de son charitable amour.

  A026000343 

 Mais particulierement avec leur frequente communication, ilz engendrent l'habitude de l'allegresse spirituelle, en laquelle, languissant doucement, elle se sent defaillir et esvanouyr, et pour ce dit elle: Hé, reconfortes moy avec des fleurs, mettes des pommes autour de moy, car c'est d'amour que je languis..

  A026000344 

 L'ame, le sentant survenir et ne voulant dormir ailleurs qu'entre les bras de son Espoux, dit: Que sa main gauche soit sous mon chef et que de sa main droitte il m'embrasse estroittement.

  A026000344 

 Lhors Dieu a soin que les choses basses ne nous empeschent cette divine consolation; dont il dit au chœur des dames: Je vous adjure, o filles de Hierusalem, par les chevres et par les cerfz des chams, que vous n'esveillies ni facies esveiller ma bienaymee jusques a ce qu'elle le veuille.

  A026000348 

 Pour la consideration de Dieu, nul chemin ne nous est plus battu, conneu et familier que celuy des choses corporelles entre lesquelles nous vivons; nul n'a en soy plus de facilité, mays aussi, nul n'a plus de distractions.

  A026000348 

 Quand je medite Dieu en l'Ange, qui [20] est une chose invisible et qui ne m'est nullement familiere, il n'engendre en moy que peu de fantosmes et distractions; mais si je considere Dieu en l'homme, mon imagination descend de l'universel au particulier, et, sous le nom d'homme, me represente Pierre, Paul, ou chacun d'eux, lhors que nous faisons telle ou telle chose.

  A026000348 

 Si bien que tandis qu'en ce chemin qui nous est si familier nous nous arrestons a toutes les boutiques de nostre connoissance, ou nous arrivons tard a nostre but, ou jamais..

  A026000349 

 De mesme que la multitude des songes ne laisse dormir paysiblement, mays fait presque veiller en dormant, ainsy l'orayson arrivee au sommeil de l'extase, qui est comme son giste, elle peut estre appellee elle mesme sommeil; mays quand elle est interrompue de distractions phantastiques, c'est un sommeil plein de songes.

  A026000349 

 Il semble que tantost il vienne et que tantost il fuye: Mon Bienaymé est semblable a un chevreuil et a un faon de cerf; maintenant il se monstre, maintenant il se cache: Le voyla qui se tient debout derriere nos murs; et bien qu'il semble qu'il se face voir, regardant par les fenestres, neanmoins la vision n'estant ni bien claire ni bien arrestee, l'on peut dire que les fenestres ont des barreaux et qu' il regarde par les treillis..

  A026000353 

 Il se res-jouit de ce que les fleurs de devotion commencent a sortir et pousser: Des-ja les fleurs paroissent en nostre terre; de ce qu'elle a commencé a retrancher les superfluités vicieuses: le tems d'esmonder et nettoyer les arbres est venu; de ce qu'ainsy qu'une tourterelle, elle a fait ouÿr sa plainte et son gemissement avec l'orayson: On a ouÿ la voix de la tourterelle en ceste contree; mays de plus, il se res-jouit de ce que des-ja elle a produit des fleurs de bonnes œuvres et des odeurs de bon exemple: Des-ja le figuier jette son fruict, les vignes sont fleuries et jettent leur bonne odeur. Il l'admoneste, outre ce, de passer plus avant, et, de commençante, qu'elle se face prouffitante, luy redisant: Leve toy, ma bienaymee, ma belle, et t'en viens..

  A026000354 

 Et parce qu'es commencemens il semble a l'ame qu'elle soit entre plusieurs difficultés, comme entre des pierres ou des espines ( Ma colombe, qui est dans les trous de la pierre et an creux de la muraille), pour cette cause il asseure qu'elle ne laisse pourtant de luy estre bien aggreable: Hé, monstre moy ta face, que le son de ta voix vienne a mes oreilles, car ta voix est douce et ta face tres belle..

  A026000355 

 Ce discours est si doux qu'il devroit chasser toutes autres pensees; toutesfois, si ces pensees reviennent, elle dira comme en songeant: Prenes ces petitz renardeaux qui fouillent et gastent les vignes, car nostre vigne est en fleur; et se reunissant avec son objet, elle dira: Mon Bienaymé est a moy et moy a luy; et le priera qu'il revienne a elle tant que le jour dure et jusques a ce que les ombres s'abbaissent: Reviens, mon Bienaymé, et sois semblable a un chevreuil ou a un faon de cerf sur les montaignes de Bether.

  A026000360 

 Au precedent degré il semble qu'on ne trouve pas Dieu, encor qu'on l'ayt trouvé; [22] mais en celuy ci on reconnoist incontinent qu'on l'a trouvé: La nuict, en mon lict (c'est a dire es cors humains, qui sont les lictz des ames), j'ay cherché Celuy que mon ame ayme, et je ne l'ay point trouvé.

  A026000360 

 Je me leveray, et tourneray la cité de ce monde; et courant tantost par les cors terrestres, tantost par les celestes, je l'ay cherché, et ne l'y ay point trouvé; au moins les distractions ont esté si grandes qu'a peyne me semble-il de l'avoir rencontré: Je chercheray par les rues et par les places Celuy que mon ame ayme; je l'ay cherché, et ne l'ay pas trouvé..

  A026000361 

 Mon bonheur a voulu que je me suis souvenu des Anges qui sont comme les sentinelles du monde: Les sentinelles qui gardent la cité m'ont trouvee, et me suis resolue de voir si en eux je trouverois la consideration de Dieu plus fermee: N'aves vous point veu le Bienaymé de mon ame? Au dessus de la nature angelique j'ay trouvé immediatement la divine: Un peu apres les avoir passees j'ay trouvé Celuy que mon ame ayme, et ce, sans distractions sensibles, si bien qu'il semble que je ne le dois jamais perdre: Je le tiens et je ne le lairray point, jusques a ce que j'entre en la gloire celeste, vraye mayson de la nature humaine; ma mere est en sa chambre, c'est a dire au siege des Anges qui m'est preparé.

  A026000362 

 A quoy Dieu adjoustant sa grace, defend avec un soin plus particulier qu'on ne l'esveille, disant: Je vous adjure, o filles de Hierusalem, par les chevres et les cerfz des chams, que vous n'esveillies ni ne facies esveiller ma bienaymee jusques a ce qu'elle le veuille.

  A026000366 

 L'ame s'acheminant de degré en degré en la sainte orayson, se rend si resplendissante qu'il est impossible qu'elle ne soit admiree, et que le monde mesme la voyant, au milieu du desert empetré de tant de pechés, cheminer droit, ainsy qu'une colomne de parfum odoriferant qui s'esleve vers le ciel, ne s'escrie: Qui est ceste ci qui marche par le desert ainsy qu'un rayon de parfum, de compositions aromatiques de mirrhe et d'encens et de toutes sortes de poudres a embellir? Or, cest applaudissement est un venin caché et doucereux qui fait bien souvent que les plus saintz et devotz perdent leur justice et leur devotion..

  A026000370 

 Que s'il ne peut si tost arrester ses yeux sur la Divinité, qu'au moins il loüe Jesus Christ homme, nostre vray Salomon, et ce principalement en troys choses: la chair, la Croix, la gloire, disant: Voyes combien est digne sa chair, lict de sa Divinité et de son ame, entouree de plus de soixante vaillans soldatz qui la defendent contre quicomque, de nuit, pourroit luy faire peur; ceste chair, qui n'est inclinee au peché comme la nostre, mais, par l'union hypostatique et par l'empire qu'elle tient sur les Anges, est du tout asseuree et impeccable: Voicy que soixante hommes des plus fortz d'Israël entourent le lict de Salomon, tous tenans des glaives et bien duitz a la guerre, chacun desquelz tient son espee droitte sur sa cuisse pour les craintes de la nuit..

  A026000371 

 La justice [24] et la misericorde sont les deux colomnes qui soustiennent ceste Croix: Il a fait les colomnes d'argent, l'appuy ou reposoir en est d'or, d'autant que tout s'est fait pour conduire les ames a la gloire, l'appuy d'or; la montee en est de pourpre, car il ne nous conduit a la gloire que par son sang.

  A026000376 

 Donq, l'ame rejettant ses louanges en celles de Dieu, prend soin de se parer en toutes ses parties pour plaire a Celuy que seul elle estime digne de toutes louanges.

  A026000376 

 Tout cela doit estre orné et embelli, affin que Dieu ayme l'ame et qu'il puisse dire: Que tu es belle, ma bienaymee, que tu es belle!.

  A026000377 

 Les intentions doivent estre simples, pures et interieures, sans qu'on puisse dire que l'une soit au dehors et l'autre au dedans, et qu'elles soyent louches et diverses: Tes [25] yeux sont de colombe, sans ce qui est caché au dedans..

  A026000379 

 Les sens doivent estre gardés comme en prison, ainsy que les dens sous les levres, ou comme brebis nouvellement lavees; et leurs jumeaux, c'est a dire l'apprehensive et l'appetitive, se doivent tenir rangees et reglees: Tes dens sont comme troupeaux de brebis fraischement tondues qui retournent du lavoir, chacune avec deux jumeaux, et pas une d'elles n'est sterile..

  A026000380 

 Les pensees doivent estre si bien accommodees que toutes les conceptions soyent teintes au sang du Sauveur, et les paroles et discours pleins de douceur et prouffit pour le prochain: Tes levres sont comme une bande de couleur pourprine et ton parler est bien doux..

  A026000382 

 L'irascible sera si vaillante contre les tentations qu'on pourra dire: Ton col est comme la tour de David, bastie avec des boulevars; mille boucliers sont pendus en icelle et toutes sortes d'armes pour les hommes fortz. Et quant a la concupiscible, elle aura son desir du bien et sa fuite du mal si simples qu'on pourra dire: Tes deux mammelles sont comme deux faons de chevres que l'on fait paistre entre les lys..

  A026000383 

 En fin l'Espoux qui, des son Ascension, est allé a la montaigne de la mirrhe et a la colline de l'encens, au Ciel, a la dextre du Pere, comme il l'avoit predit (Devant que le jour decline et que les ombres s'abbaissent, j'iray a la montaigne de la mirrhe et a la colline de l'encens), il loüera l'ame, disant: Tu es toute belle, o ma bienaymee, et il n'y a pas une petite tache en toy; et l'invitera de passer de la Hierusalem militante a la triomphante, disant: [26] Viens du Liban, mon espouse, viens du Liban, viens, et promettra les couronnes et sieges dont furent chassés les demons: Tu seras couronnee du haut du mont Amana, du coupeau de Sanir et d'Hermon, des sieges des lions, des montaignes des leopars..

  A026000384 

 Tous ces ornemens sont aggreables a Dieu, mays sur tout la netteté et pureté d'intention, qui doit estre si grande que toutes nos fins se reduisent a une fin, toutes nos intentions a une intention, tous nos desirs a un desir, d'aymer et servir Dieu, en sorte qu'il n'y ayt plus qu'un œil: Vous aves navré mon cœur, ma seur, mon espouse, vous aves navré mon cœur avec un de vos yeux; et qu'il n'y ayt plus qu'un cheveu, dont il s'ensuit: et de l'un des cheveux de vostre col..

  A026000385 

 L'intention estant bien dressee avec le desir, les mammelles de la concupiscence seront bien ordonnees: Que tes mammelles sont belles, ma seur, mon espouse! tes mammelles sont plus belles que le vin.

  A026000386 

 Et quant aux exterieures, il faut qu'elles soyent comme un beau paradis: Ce que tu envoyes et metz dehors est comme un paradis auquel on void toutes vertus: de grenade, des fruictz des pommiers, de bausme avec du nard et saffran, sucre et cannelle et toutes sortes de fruictz des arbres du Liban, mirrile et aloës, avec toutes sortes des plus excellens parfums.

  A026000386 

 Et quant aux interieures, il faut qu'elles soyent serrees en Dieu sans que le monde les voye; c'est pourquoy il dit: Un jardin clos est ma seur, mon espouse, elle est un jardin clos et fermé; elle est une fontayne scellee.

  A026000387 

 De la part de Dieu, qu'il chasse la bize des tentations et qu'il envoye le vent du midy de sa grace prevenante, disant: Fuys, Aquilon, et viens, o Midy, souffle en mon jardin, et les odeurs d'iceluy s'espandront; de la part de l'ame, qu'elle accepte ceste grace et coopere, disant: Que mon Bienaymé vienne en son jardin, et qu'il mange du fruict de ses pommiers..

  A026000388 

 Et Nostre Seigneur pourra dire: Voyci que je t'attens; viens en mon jardin, ma seur, mon espouse; j'ay cueilli et moissonné ma mirrhe avec mes fleurs et odeurs tres souëfves; j'ay mangé un rayon de miel avec du miel mesme et ay beu mon vin avec mon lait mangés, mes amis, beuvés, enyvres vous, mes tres chers..

  A026000392 

 Elle voudroit bien advancer, mais la peyne l'espouvante; et si l'Espoux l'appelle derechef, elle se leve pour aller a l'orayson, neanmoins avec resistance de la partie sensitive qui la prive du goust et fait qu'a peyne peut elle penser que Dieu soit avec elle, et, comme il advient a ceux qui sont extremement las, elle dort en veillant: Je dors, mays mon cœur veille. [28] Puys, se tournant vers son Espoux qui heurte a son cœur: C'est la voix de mon Bienaymé qui heurte, et l'excite affin de luy ouvrir et commencer de nouveau son orayson: Ouvre moy, ma seur, ma bienaymee, ma colombe, ma toute belle, et, avec un quatriesme degré d'orayson, medite un peu ma Passion: Tu trouveras que j'ay le Chef plein de la celeste rosee de mon sang, et les cheveux sanglans des nocturnes pointures des espines: Car mon chef est plein de rosee et mes cheveux entortillés sont tout trempés des gouttes des nuictz..

  A026000392 

 L'ame qui arrive jusques a ces degrés passés se trouve bien souvent avec le cors las et travaillee; dont il advient que, si Dieu l'invite a nouvelles considerations et plus hautz degrés, elle est en perplexité.

  A026000394 

 De façon que, par tout ou elle se trouve, elle rencontre de grandes difficultés, esmeuës par ce quatriesme empeschement des travaux corporelz..

  A026000394 

 Dont, se resouvenant avoir esté tant appellee et tant paresseuse, elle se contriste et consomme [29] de douleur: Mon ame s'est toute fondue des que mon Bienaymé a parlé.

  A026000394 

 Elle passe au second degré, des choses spirituelles et angeliques: Les gardes qui entourent la cité m'ont trouvee; mais quand elle compare leur promptitude avec sa paresse, elle demeure transpercee de douleur: Ilz m'ont battue et navree. Et, qui est le pis, si elle entre au troysiesme degré, a considerer soy mesme en son ordre vers Dieu, elle opere la mesme resistance; dont elle se desplaist a soy mesme, et luy est advis que sa face est trop laide en comparaison de celle des Anges, et que, par maniere de dire, ilz luy ostent tout son lustre: Les gardes des murs m'ont osté mon manteau.

  A026000394 

 Par le moyen de ceste douleur il se fait que, bien que l'ame, au defaut de la partie corporelle et sensitive, ouvre a son Seigneur (J'ay ouvert le verrou de mon huys a mon Bienaymé), neanmoins, a cause de ceste repugnance, elle trouve si peu de goust en l'orayson qu'il luy est advis que Dieu n'est point avec elle: mays il s'estoit destourné et avoit des-ja passé.

  A026000398 

 L'ame donques, degoustee par le travail de l'orayson, doit s'addresser a des personnes spirituelles et les prier de l'ayder a trouver son Espoux: Je vous adjure, o filles de Hierusalem, que si vous trouves mon Bienaymé, vous luy disies que je languis d'amour pour luy; et elles, sçachant la necessité, la mettront sur le discours des qualités de l'Espoux: Quel est vostre Bienaymé, o belle entre les femmes, que, pour luy, vous nous aves si fort adjurees?.

  A026000399 

 Il est comme une blanche colombe qui a en soy tous les dons du Saint Esprit, representé par les yeux: Ses yeux sont comme des colombes sur les rivages des eaux, que l'on a lavees de laict; le Saint Esprit, appellé en autre façon riviere, non par mesure, mais avec toute plenitude luy est donné: et resident es pleins cours des eaux. Partant, si tu contemples ses exemples, comme les joues pleines, ouvertes et mises a la veüe de tous, aussi odoriferantes que vases pleins de parfums aromatiques, ilz se font sentir de tous costés: Ses joües sont comme parterres de fleurs aromatiques que les parfumeurs mesmes ont plantés.

  A026000399 

 Parce que la charité, chef des vertus, se peut dire estre d'or en luy, c'est a dire tres pretieuse: son chef est un or tres pur et tres bon; et les graces et benefices qui, comme cheveux innombrables, en procedent, sont les premiers fruictz des palmes et noires comme corbeaux; ce sont les effectz de la victoire qu'il eut en l'arbre de la Croix, si dignes d'estre admirés, comme le noir en un cheveu: Sa cheveleure est comme branches de palmes hautes et touffues, noire comme un corbeau.

  A026000399 

 Ses miracles sont telz qu'il semble que de ses mains coulent et tombent abondamment les jacinthes: Ses mains sont anneaux d'or pleins de jacinthes..

  A026000405 

 Elle n'a plus besoin d'autre chose que de s'entretenir avec luy, disant: O Seigneur, quand vous pourray je plaire par ma beauté, douceur, bonne grace, force, innocence, devotion et discretion? Quand sera ce donq que vous me dires: O ma bienaymee, tu es belle, douce et de bonne grace comme Hierusalem, forte comme une armee bien rangee? Des-ja, Seigneur, vous m'aves monstré par mille signes que mes œillades vous ont blessé, c'est a dire que mes intentions ne vous sont pas desplaysantes: Destournes vos yeux de moy, car ilz m'ont fait sortir de moy mesme; que mes cheveux, c'est a dire mes desirs, sont purs et netz: Tes cheveux sont comme un troupeau de chevreaux qui paissent sur le mont de Galaad; que mes sens, ainsy que troupeaux, ont esté fidellement gardés: Tes dens sont comme troupeaux de brebis qui sortent du lavoir, chacune ayant deux petitz, et nulle d'icelles n'est sterile; [32] et que mes forces de la partie concupiscible, desirant le bien et fuyant le mal sans dissimulation, comme deux joües bien colorees, vous sont cheres et aggreables: Tes joües sont comme une grenade entamee, sans ce qui est caché au dedans.

  A026000405 

 Et si les personnes avec qui elle est veulent poursuivre et luy disent: Ou est allé vostre Espoux, o la plus belle entre toutes les femmes? ou s'est il destourné? et nous le chercherons avec vous, elle ne veut plus les entretenir; mays, reconnoissant qu'encores que les travaux luy fissent sembler que son Espoux se fust retiré bien loin, neanmoins il ne s'en estoit pas allé, au contraire, il estoit tous-jours demeuré avec elle comme en son jardin ou comme en un cabinet de parfums; et, tirant de la plus grande occasion de inerite, elle peut dire qu'il en a cueilli des lys tres odoriferans: Mon Bienaymé est venu en son jardin, au parterre des fleurs aromatiques, pour repaistre aux jardins et y cueillir des lys.

  A026000405 

 Tandis que l'ame discourt de Dieu en son humanité, les goustz luy reviennent et est contrainte de s'escrier: Helas! sa gorge est tres souëfve et il est tout a fait a desirer; tel est mon Bienaymé, et il est mon tres cher, o filles de Hierusalem.

  A026000406 

 Je voudrois, en ma nature qui est ma mere, avoir quelque rareté et que l'on en dist: Elle est unique a sa mere, elle est choysie a celle qui l'a engendree. Je voudrois que l'on peust encores dire: Voyla celle que les filles ont veuë et ont dit estre tres heureuse; les reynes et les concubines l'ont loüee de son innocence, estant sortie de la nuict du péché.

  A026000406 

 Mais, o Dieu, dit l'ame, des-ja ci devant vous m'aves loüee de presque toutes ces parties; je desirerois maintenant m'advancer et surpasser en devotion beaucoup d'autres ames devotes, ou qui pensent l'estre, et que vous peussies me dire: Il y a soixante reynes et quatre vingt concubines, et des jeunes filles sans nombre, mays ma colombe est toute seule.

  A026000406 

 Que sçay je? peut estre desireray je trop; je voudrois que vous me peussies appeller ma parfaitte.

  A026000407 

 Mais, outre cela, l'ame adjouste: Ou aves vous esté, mon Seigneur, qu'il m'a semblé que vous m'avies laissee, quand le travail et la fatigue ne me permettoit pas que j'eusse du goust? — J'ay esté, respond il, en toy mesme qui es mon jardin, et y ay esté avec plus de prouffit pour toy que je n'y eusse esté si, du premier coup, je t'eusse donné des goustz, te donnant occasion de meriter, dont j'ay tiré de mon jardin un plus grand fruict de merite: Je suis descendu au jardin des noyers pour voir les pommiers des vallees, et regarder si la vigne estoit fleurie et si les grenades avoyent germé..

  A026000408 

 Que beny soyes vous donques, o Seigneur, respond l'ame, qu'en telle façon, me faisant accroire que vous esties absent, vous m'aves donné occasion de meriter, et m'aves fait faire en peu de tems plus de chemin que les carrosses [33] des princes; et par ce, puisque je n'ay sceu que vous esties avec moy, je peux dire que mon ame m'a troublee a cause des chariotz d'Aminadab..

  A026000412 

 Quand quelqu'un arrive a quelque maniere de vivre rare et non accoustumee, non seulement chacun le loüe, mays il semble que chacun desire de le voir, et on crie apres l'ame: Reviens, reviens, o Sulamite, reviens, reviens, affin que nous te voyons..

  A026000413 

 Et ce n'est pas asses que la personne spirituelle extenue ce qui est en soy: Que voyes vous en ceste Sulamite, sinon compaignies d'armees? car, ce nonobstant, ceux qui la voyent, la louent de ses pieds et façons de marcher, c'est a dire de l'obeyssance avec laquelle ilz voyent que ceste ame garde les commandemens de Dieu: Que tes pas sont beaux en leur chausseure, o fille de prince! de sa chasteté spirituelle, qui fait reconnoistre que Dieu y coopere: Les jointures de tes cuisses sont comme joyaux mis en œuvre de la main d'un bon ouvrier; d'une riche pauvreté, qui n'a jamais besoin d'aucune chose: Ton nombril est comme un hanap rond, qui n'a jamais besoin de breuvages; des jeusnes qui, remplissans le ventre de pain seulement, couronnent l'ame de beaux et riches lys: Ton ventre est comme un monceau de froment environné de lys; de l'estude des deux Testamens: Tes deux mammelles sont comme deux faons jumeaux d'une chevre; de la force: Ton col est comme une tour d'ivoyre; de la prudence: Tes yeux sont comme les piscines d'Hesebon qui sont a la porte de la fille de la multitude; d'une justice exacte: Ton nez est comme la tour du Liban qui regarde vers Damas; de la maistrise des affections et conformité a la volonté de Dieu, conneüe par les canaux de la revelation: Ton chef est comme le mont Carmel, et tes tresses [34] comme pourpre royale qui n'est pas encor tiree de la teinture..

  A026000414 

 Bref, ceste ame est la butte des langues qui luy disent, la loüant: Que tu es belle, que tu es de bonne grace, tres chere, en delices.

  A026000424 

 Mays entre les fruictz de la solitude, cestuy ci est eminent, qu'on y peut considerer plus aysement Dieu comme Dieu: ce qui fait user a l'Espouse de ces deux paroles, seul et hors; c'est a dire, hors de toute creature: Qui te donnera a moy, mon frere, sucçant les mammelles de ma mere, et que je te trouve dehors, tout seul? Consideration qui fait saintement affoler les hommes, les fait danser devant l'Arche; d'ou vient que jusques a ce que l'ame soit arrivee a l'affection du mespris de soy mesme, elle a tous-jours quelque honte: c'est pourquoy elle desire la solitude, affin, dit elle, que je le bayse sans que personne nous voye..

  A026000425 

 O Dieu, quand nous serons en la vraye mayson et en la vraye chambre de la nature humaine, qui est au Ciel, quand je te meneray en la mayson de ma mere et en la chambre de celle qui m'a engendré, la je verray tout ce qui appartient a mon bonheur comme en un miroüer; la tu m'enseigneras, et quand tu auras tiré de moy, pour ma felicité, le vin de la vigne et le moust des grenades, la gloire essentielle et accidentelle (et je te donneray d'un breuvage de vin composé, et du moust de mes grenades), et voyla les goustz qui arriveront, voyla les extases, voyla les sommeilz des puyssances; de façon que l'Espouse sacree demande des oreillers pour dormir: qu'il mette sa main gauche dessous ma teste, et qu'il m'embrasse de sa main droitte. L'Espoux aussi, de son costé, tasche de faire qu'elle ne soit point esveillee: Je vous adjure, filles de Hierusalem, que vous n'esveillies ni facies esveiller ma bienaymee jusques a ce qu'elle le veuille.

  A026000428 

 En fin, l'ame est parvenue a une si grande perfection de devotion que nul playsir du monde ne l'esmeut, nul fantosme ne la destourne, nulle louange ne l'affoiblit, nul travail ne la fait craindre, nul respect humain ne la retient; mais, a la veüe de tout le monde, elle caresse librement son Espoux et danse devant l'Arche, ne se souciant pas que la sagesse du monde, apres luy avoir dit: Qui est celle ci qui monte du desert, affluente en delices? la suive encor pour la reprendre de ce qu'elle se tient appuyee sur son Bienaymé.

  A026000429 

 L'ame ne trouvera plus aucune difficulté aux travaux, car rien n'est difficile a l'amour qu'elle a gravé profondement en son cœur, et mesme es actions exterieures: Metz moy comme un cachet sur ton cœur et comme un sceau sur ton bras; si bien que l'amour combat la mort: L'amour est fort comme la mort; l'enfer ne la peut espouvanter: La jalousie est dure comme l'enfer.

  A026000429 

 Rien ne luy est comparable: Si un homme vouloit donner toute la substance de sa mayson pour la dilection, il n'en feroit cas nomplus que de rien..

  A026000430 

 Quant aux louanges qui luy sont donnees, l'ame ne s'en soucie point, pour ce qu'elle dit dedans soy: Quelles sont ces ames impàrfaittes qui, n'ayans aucun bien propre, [37] veulent s'embellir de parures externes? Mes petites seurs, c'est a dire les ames imparfaittes, sont celles qui doivent penser a cela, car elles n'ont point de mammelles d'elles mesmes, de propres vertus et merites: Nostre petite seur n'a point de mammelles; que ferons nous a nostre petite seur au jour qu'il faudra parler a elle? En elles, on peut suppleer le defaut avec louanges estrangeres, tout ainsy que si on couvroit d'argent un mur crevé et corrompu, et de cedre un huys qui seroit pourry: Si c'est un mur, bastissons dessus des boulevars d'argent; si c'est un huys, renforçons le d'ais de cedre; mays, moy bien heureuse, dit l'ame, je me soucie fort peu de plaire aux hommes, mon Espoux m'ayant faitte comme un mur tel et comme une tour telle, que je suis fort playsante et aggreable: Je suis un mur, et mes mammelles comme une tour, dont je suis faitte, trouvant repos et paix devant luy..

  A026000431 

 Et moy, dit l'ame, je n'ay point affaire de tant de choses: Ma vigne est devant moy autant que mille pacifiques; au contraire, je veux encor donner deux cens pour aumosne a ces pauvres, qui, avec leurs oraysons, nous gardent nos biens: et deux cens a ceux qui gardent les fruictz d'icelle; au reste, estant abstraitte de toutes les choses sensibles, je ne veux que pas une d'elles puisse me distraire ou me troubler..

  A026000431 

 Suyvent les choses sensibles et temporelles, contre lesquelles l'ame parfaitte, en l'orayson mentale a pris une telle habitude que, les tenant pour viles et de petit prix en comparayson de son riche object, elle n'en fait estime que tant qu'elles peuvent modestement servir a la necessité.

  A026000432 

 Et finalement, si nous voulons passer aux playsirs mondains: Je sçay, dit l'ame, que mon Espoux ne veut endurer des compaignons, et qu'avec les consolations qu'il me donne [38] il ne veut pas que je mesle les consolations qu'autres que luy me pourroyent donner; ains il me commande que, me resveillant, et me resignant du tout a luy avec une claire et ouverte protestation, je renonce a tous autres espoux: Toy qui habites es jardins, tes amys t'escoutent; fais moy ouÿr ta voix.

  A026000432 

 Non plus, le monde ni ses playsirs, non plus aucune chose mortelle; o Dieu, mon Dieu, vous seul estes mon Bienaymé, vous seul estes tout mon bien, c'est vous seul que je cherche: Fuys, c'est a dire viens, mais accours legerement, mon Bienaymé, et sois semblable a un chevreuil ou a un faon de cerf sur les mons des bonnes senteurs.

  A026000449 

 L'Etude sur les Vertus, que nous allons reproduire, fut imprimée pour la première fois par Blaise, en 1833, à la fin du tome XVI des Œuvres de saint François de Sales, Opuscules inédits.

  A026000450 

 44-46, avec le chapitre VIII du Livre XI: on verra que ce fragment est un brouillon des pp.

  A026000450 

 Et plus loin (p. 58) il dit: « Elle » — la dévotion — « nous fait particulierement faire la sainte offrande, donation et dedicace de nous mesme a la divine Majesté, que nous avons ci dessus marquee; » évidemment, il entend renvoyer au morceau qui se lit au tome V de notre Edition, p. 486, et qui est de nouveau donné ici, p. 44..

  A026000450 

 Mais aujourd'hui, après nouvel examen, nous croyons devoir publier en entier ce qui nous est parvenu du Manuscrit sur les Vertus, et répéter pour cela les deux fragments que nous venons de signaler, d'autant plus que le Saint y fait plusieurs allusions.

  A026000451 

 On ne lira pas sans intérêt, peut-être aussi avec une sorte de pieuse indignation, une partie de l' Avertissement que Blaise a mis en tête de ce « Fragment » et que les éditeurs suivants ont reproduit en entier.

  A026000455 

 Le possesseur du fragment ne s'en regardant plus dès lors que comme le dépositaire, ne tarda pas à remplir les vues du donateur..

  A026000457 

 A plus d'un siècle de distance, la plupart des propriétaires des fragments autographes ont changé; nous les signalerons à mesure que nous les rencontrerons dans les pages qui vont suivre.

  A026000458 

 291-321; ce qui persuade que cet écrit sur les Vertus est de la même époque..

  A026000465 

 de sorte que mesme ce n'est pas chose resolüe si l'amitié est vertu, bien que je le croye, quand elle est un peu bien formee et que sa communication est honneste..

  A026000466 

 Ces oraysons jaculatoires peuvent servir a cela: Hé, Seigneur, je suis vostre; Mon Ami est mien, et moy je suis sienne; Ma vie c'est Jesus Christ; O Seigneur, ou que je ne face rien, ou que tout soit a vostre gloire; et, Gloria Patri et Filio; Non nobis Domine, non nobis.

  A026000466 

 O que bienheureux sont ceux qui sçavent faire le despouillement de soy mesme duquel nous avons parlé ci dessus! car par ce moyen ilz n'ont qu'a faire un petit souspir ou un petit regard en Dieu, pour tesmoignage [43] qu'ilz confirment leurs despouillemens et qu'ilz ne veulent rien qu'en Dieu et pour Dieu, et qu'ilz ne s'ayment eux mesmes, ni chose du monde, que pour cela..

  A026000466 

 Puis, dire qu'il faut donques faire cet exercice tous les ans, la protestation tous les moys, l'exercice du matin tous les jours, et parmi la journee plusieurs eslancemens de cœur et plusieurs oraysons jaculatoires, par lesquelles le feu de la charité s'enflamme de plus en plus et brusle comm'en holocauste toutes nos actions a la gloire de Dieu; et s'accoustumer a faire toutes choses au nom de Dieu, comme est de travailler pour Dieu, saluer pour Dieu, aymer pour Dieu, servir pour Dieu, estant impossible qu'une personne fort affectionnee a Nostre Seigneur ne puisse dire en verité, que comme sa personne est a Dieu, aussi sont toutes ses actions: les pecheurs le disent aussi, mays ilz mentent, ou les affectionnés disent la verité.

  A026000470 

 En ce second paradis mystique, Dieu a fait sourdre et jaillir le fleuve de la rayson et lumiere naturelle, de laquelle il est dit: La lumiere de vostre visage est marquee sur nous; et ce fleuve que Dieu fait sourdre pour arrouser tout l'homme en toutes ses facultés et exercices se divise en quatre chefs, selon les quatre parties ou regions de nostre ame, qui produisent les actions humaines et libres.

  A026000470 

 Or l'homme, sans doute, est le paradis du Paradis mesme, puisque le Paradis terrestre n'estoit fait que pour estre le sejour de l'homme, comme l'homme a esté fait pour estre le sejour de Dieu.

  A026000471 

 Et non seulement cela, mais en vertu de la charité qui la rend active, elle respand sur les puissances de nostr'ame certaines vertus qui sont de mesme espece, ou au moins toutes semblables aux quatre vertus cardinales, et pour cela elles portent leurs noms: sur l'entendement elle pousse une prudence sainte, sur la volonté une justice sacree, sur l'appetit de la convoitise une temperance religieuse, et sur l'appetit irascible une force devote; si que par ces quatre fleuves toutes les actions humaines sont addressees par la charité a l'honnesteté et felicité surnaturelle, qui consiste en l'union avec Dieu..

  A026000471 

 Et puis ces quatre fleuves se separent en plusieurs autres, affin que toutes les actions humaines soyent bien addressees par la rayson a l'honnesteté et felicité naturelle.

  A026000471 

 Or, outre cela, Nostre Seigneur voulant favoriser [44] l'homme pieux, affin de rendre le paradis du cœur humain plus aggreable et delicieux, il fait sourdre sur la cime de la partie superieure de nostre ame une fontaine surnaturelle que nous appelions grace, composee de la foy, esperance et charité, qui espanche ses eaux sur toute nostre ame et l'arrouse tout entierement, la rendant gracieuse a merveilles et grandement aymable a sa divine Majesté.

  A026000472 

 Et d'autant que ces vertus qui fluent de la charité comme de leur source sont superieures aux quatre vertus cardinales, si elles les rencontrent en quelqu'ame elles les reduysent a l'obeissance de la charité, se meslent avec elles et les perfectionnent, comme le vin perfectionne l'eau avec laquelle il se mesle. Que si elles ne treuvent point de vertus naturelles en l'ame ou la charité les produit, elles suppleent a leur defaut; y ayant cette difference entre le meslange du vin et de l'eau et celuy des vertus infuses et acquises, que le vin seul est meilleur que l'eau, ou les vertus infuses estans seules, ne sont pas si bonnes comme quand elles sont meslees avec les acquises, la grace ne destruisant point la nature, ains la perfectionnant sans qu'elle perde rien de sa force.

  A026000472 

 La comparayson estant meilleure de l'odeur des roses, sur laquelle les autres odeurs, en l'affinant s'affinent elles mesmes, quoy que plus excellentes qu'elle; [45] dont on employe ou les roses, ou l'eau rose, ou le jus de rose en presque toutes les eaux odorantes: car ainsy les vertus morales, saintes, perfectionnent les vertus naturelles, et en les perfectionnant s'en affinent elles mesmes et agissent plus excellemment avec icelles que sans icelles.

  A026000474 

 gnome, un'habileté de bien juger, discerner ou choysir selon la rayson, le droit et l'equité contre les paroles et le sens des loix, par la consideration et connoissance de l'intention et sentiment du legislateur ( Ipsæ etiam leges cupiunt, etc.) et pour des motifs extraordinaires, pour lesquelz, si le legislateur les eut præveu, il eut fait un'exception a la loy; la varieté des occurrences humaines estant si grande que jamais on ne peut prescrire l'ordre convenable pour toutes..

  A026000479 

 Que si c'est l'amour de charité, il nous fait juger en faveur du vray bien; c'est pourquoy il employe saintement la prudence et la gouverne.

  A026000482 

 Et parce que la plupart des hommes estime ces biens la des vrays biens, et que par iceux on est rendu honnorable aux yeux des enfans [47] du monde, on donne aussi le nom de prudens et de vertueux a ceux qui sont prudens selon la chair.

  A026000482 

 Or, les degrés de la prudence de la chair sont: l'astuce, qui n'est autre chose qu'une habileté pour faire, imperceptiblement et par des moyens inconneus ou conneus, reuscir les mauvais desseins (Ne cheminans pas en astuce, dit le saint Apostre, II Cor., IV, apres qu'il avoit dit: Ayant rejette les cachettes de honte, c'est a dire honteuses, parce que l'astuce use de certaines cachettes et secrettes menees, lesquelles estans descouvertes sont honteuses a ceux qui les employent, leur ostent tout credit et authorité); le dol ou tromperie, qui est l'effect et execution de l'astuce, [et] s'appelle fraude quand il est commis par voye d'oeuvre; l'empressement apres les biens mondains et la sollicitude des moyens de vivre a l'advenir..

  A026000483 

 Ces prudences sont maintefois emmi les cœurs religieux, comme Pline dit que vers les Indes, au royaume de Suzerat, il y a une herbe d'odeur pretieuse, qui neanmoins est toute couverte de petitz serpentaux et extremement veneneux; car vous verres, Philothee, maintes personnes religieuses et devotes qui ont une prudence extremement active et soigneuse pour les proces, pour les honneurs, pour les rangs, pour amasser et, en somme, sous pretexte de certains devoirs imaginaires, de certain zele sophistiqué et de certaine charité artificieuse..

  A026000485 

 Ceux qui servent le monde, qui a tout propos cherchent des recompenses, ilz ont besoin d'user de finesses; mais ceux qui servent Dieu n'ont point de plus grande finesse que la simplicité qui les fait marcher en confiance..

  A026000485 

 L'amour employe la prudence, mays il la tempere tellement, qu'il ne veut point qu'elle le distraye ni divertisse, parce qu'il ne veut estre prudent que pour mieux aymer, et parce que l'amour divin n'est pas comme l'amour humain.

  A026000485 

 L'amour humain va par tout cherchant des moyens pour obtenir ce qu'il ayme, et parce que les moyens sont divers et que bien souvent il les ignore, il s'empresse et a une sollicitude incroyable: il veut de l'argent pour paroistre, il veut des belles paroles, il veut des belles contenances, il veut des reputations, il craint les corrivaux.

  A026000485 

 Mais l'amour divin sçachant que pour obtenir ce qu'il ayme, le principal moyen est d'aymer, il s'amuse simplement a bien aymer, sçachant que c'est toute sa finesse, avec laquelle il doit gaigner son object: c'est pourquoy il est simple et sage; comme vous voyes Magdeleyne, [49] laquelle, avec cette unique attention au Sauveur, fait mieux ses besoignes que sainte Marthe avec son empressement.

  A026000486 

 Et en toute occurrence il se comporta si sagement, quil pouvoit bien dire en verité ce que ses ennemis luy imposoyent par calomnie, qu'estant fin il avoit pris ses auditeurs par ruse et tromperie: Ouy da, dit il a ses chers Corinthiens, estant un fin homme et accord, je vous ay pris par tromperie; esquelles paroles il a peut estre voulu dire (car saint Thomas, Sa, Lyranus interpretent ces motz comme une calomnie faite par ses ennemis, quil rejette): Je n'ay voirement rien pris du vostre, mais en cela j'ay usé d'une grande finesse, car ne prenant rien de vous, je vous ay pris par cet artifice.

  A026000486 

 Il est vray qu'en ce que les philothees sont philanthropes et qu'il faut qu'ilz servent les hommes, ilz ont besoin d'une sainte prudence, mays prudence que l'amour leur suggere admirablement.

  A026000487 

 Le grand saint Augustin, au livre De Moribus Eccles., c. 15, monstre que les 4 vertus cardinales et toutes vertus ne sont autre chose que l'amour de Dieu qui fait tout en nous.

  A026000487 

 Que si la vertu, dit il, nous conduit a la vie bienheureuse, j'asseureray que la vertu n'est nullement autre chose sinon le souverain amour de Dieu; car « ce qu'on dit que la vertu est divisee en quatre, on le dit, ce me semble, a rayson des diverses affections qui proviennent de l'amour: dont je ne feray nul doute de definir en cette sorte ces quatre vertus (desquelles comme les noms sont en la bouche d'un chacun, ainsy pleut a Dieu que l'efficace fut es espritz!), de maniere que la temperance soit l'amour qui se donne tout entier a Dieu; la force, un amour qui supporte volontier toutes choses pour Dieu; la justice, un amour servant a Dieu seul, et pour cela commandant droitement a tout ce qui est sujet a l'homme; la prudence, un amour qui choysit ce qui luy est profitable pour s'unir avec Dieu, et rejette ce qui est nuysible.

  A026000488 

 Et certes, Philothee, bien que la prudence soit une vertu qui guide et qui, par consequent, tient entre les actions des vertus le lieu que la lumiere corporelle [tient] entre les oeuvres artificielles, en sorte que comme ceux qui travaillent sans lumiere sont sujetz a mille fautes, comme ceux qui veulent exercer les vertus sans la sainte discretion font des pechés et des grandes nullités (comme le grand saint Anthoyne declara en la conference quil eut avec ses autres Peres du desert, ainsy que raconte Cassian, qui dit que la prudence selon l'Evangile estoit l'œil et la lampe de tout le cors ); si est ce neanmoins, Philothee, que nul n'est estimé prudent pour sçavoir ce qu'il faut eviter et choysir, sil n'est diligent a le bien executer.

  A026000488 

 Et par ce que nous savourons par la volonté et l'amour, saint Augustin a eu rayson de dire que la prudence chrestienne n'estoit autre chose sinon un amour discernant le bien d'avec le mal; comme sil eut dit, par les paroles du Prophete, que la prudence estoit une manducation amoureuse ou un savourement du beurre et miel spirituel, c'est a dire des suavités divines, par le moyen duquel on sçait rejetter et repreuver le mal et eslire le bien convenable a s'unir a Dieu..

  A026000488 

 Si que, encor que l'arbre de la prudence ayt ses racines en l'entendement, il a neanmoins ses fleurs et ses fruitz de la volonté, mesme [51] selon les philosophes, qui pour cela tesmoignent que nul ne peut estre prudent sil n'est bon.

  A026000489 

 Aussi vous voyes les enfans de Dieu si sages, et neanmoins si simples, que c'est merveilles..

  A026000489 

 Ceux qui ont divers amours ont aussi diverses prudences, car il faut une sorte de prudence pour acquerir les honneurs, un'autre pour acquerir les richesses, un'autre pour acquerir les playsirs; mais l'ame qui ne veut que Dieu n'a besoin que d'une simple et pure prudence, qui, non point par discours, mais par l'experience de la bonté de Dieu, sçait discerner le bien et le mal.

  A026000490 

 Ainsy les lievres, les renars et les cerfs, race couarde entre les animaux, ont une prudence si diverse et des ruses en si grand nombre que c'est merveilles; le lion, au contraire, l'elephant, le thoreau vont droit et sans finesse, et leur prudence consiste en leur vaillance et vertu.

  A026000490 

 Les enfans de Dieu sont comme cela: leur sagesse est toute simple, ronde, franche, car l'amour qui les gouverne ayant reduit toutes choses a son obeissance les fait marcher selon luy; et, comme dit saint Hierosme, Nostre Seigneur veut que nous soyons prudens non pas pour l'offensive, mais pour la defense: prudens comme le serpent, pour n'estre point deceuz; simples comme la colombe, pour ne point tromper personne..

  A026000491 

 Ne t'appuye point sur ta propre prudence, dit le Sage; et les Anciens ont dit que le plus heureux estoit celuy qui de soy est sage; lautre apres, celuy qui escoute et croid le sage..

  A026000492 

 Aussi Nostre Seigneur veut que nous soyons comme petitz enfans: or, les petitz enfans n'ont point de plus grande finesse que de se tenir entre les bras de leur mere, en quoy ilz establissent toute leur richesse..

  A026000492 

 La prudence amoureuse se confie tout en Dieu, elle le prie; elle fait fidelement ce qui est requis, par fidelité, mais elle attend l'issue bonne de son Amant; elle cherche le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste luy est adjousté. Aussi saint Paul desire que les Philippiens soyent simples, c'est a dire ronds, francz et sinceres, comme sont les vrays enfans de Dieu, et loüe les Macedoniens dequoy leur profonde et tres haute pauvreté avoit abondé es richesses de leur simplicité, c'est a dire de leur confiance en Dieu, qui leur ostoit toute apprehension [53] de s'appauvrir trop en donnant leurs moyens, eux estans des-ja asses pauvres.

  A026000495 

 En somme, ou la prudence est amour, ou elle depend de l'amour et est servente de l'amour qui la fait marcher devant la trouppe de toutes les vertus; comme nostre Seigneur, qui estoit assis sur le propitiatoire, c'est a dire sa majestueuse presence, faysoit marcher la colomne de nuee et de feu devant le peuple d'Israel comm'une guide, ainsy que nous voyons les grans faire porter les flambeaux devant a (sic) eux a leurs pages, pour servir de guide a leurs pas et de ceux qui les suivent, et le phanal aux navires..

  A026000498 

 De sorte que la charité n'est autre chose qu'une justice surabondante, car apres que l'amour a fait rendre a chacun ce quil luy doit, il passe plus outre et donne plus quil ne doit selon la rigueur de la justice; et fait comme son Maistre, qui ne se contente pas de donner la bonne mesure des recompenses, mais la donne bien comble, bien pressee et sureffluente..

  A026000498 

 Et certes, saint Augustin, au livre De Moribus Ecclesiæ, ne separe point la justice de l'amour de Dieu, monstrant au chap. 26, que qui ayme Dieu luy rend toute sorte de devoir, et qui ayme le prochain n'offence personne, rend a chacun ce qui luy appartient.

  A026000498 

 Mays au l. 19 de la Cité, chap. 21, il declare plus amplement que c'est que la justice, disant que c'est une « vertu qui rend a chacun son droit, » c'est a dire ce qui luy appartient et luy est deu: si que, parlant chrestiennement et joignant les deux passages de saint Augustin en une seule intention, nous pouvons dire que la justice n'est autre chose que l'amour de Dieu entant que par iceluy nous avons une constante et perpetuelle volonté de rendre a chascun ce qui luy appartient.

  A026000499 

 Et pour acela [55] nous employons premierement deux actes, l'un de l'entendement et lautre de la volonté; car en l'entendement nous faysons ceste connoissance que le grand saint Augustin demandoit si ardemment: Noverim te, noverim me; et le grand saint François: Quis es tu, et quid sum ego? et sur cette connoissance nous establissons l'acte de la volonté, qui s'appelle reconnoissance, c'est a dire la protestation de l'excellente superiorité infinie de Dieu sur nous et de l'infinie dependence que nous avons de Dieu.

  A026000499 

 Et pour tout ce que nous devons a Dieu, nous avons un'espece de vertu qui s'appelle religion, par laquelle nous rendons a Dieu la reverence, hommage et sousmission que nous luy devons comme a nostre souverain Seigneur et premier principe.

  A026000500 

 C'est cette crainte chaste et sainte qui persevere es siecles des siecles; car si bien les saintz ne craignent pas d'offencer Dieu, car ilz sont asseurés de vivre a jamais en sa bienveuillance, si est ce que l'inestimable estime quilz font de l'excellence divine fait qu'ilz reverent sa divine Majesté, et ont un'aggreable et amoureuse apprehension de sa grandeur, qui les tient en une continuell'attention soigneuse et leur donne un soin perpetuellement attentif a bien exalter la divine Bonté: qui est la crainte dont il est dit que « les puissances tremblent » devant sa Majesté, c'est a dire, elles ont un soin de l'honnorer et l'estiment avec tant d'admiration et de vive attention comme si elles craignoyent de mesprendre; car, autant que sa bonté les asseure que jamais ilz ne manqueront, sa majesté les provoque a l'attention et au soin et reverence.

  A026000500 

 Car c'est elle qui fit prendre le soin a saint Abel de prendre le meilleur de ses trouppeaux pour offrir a Dieu, comme la nonchallance contraire fit que Cain choysit le moindre; [56] c'est elle qui fit tumber en terre Daniel et les autres Prophetes a moytié mors devant la majesté de Dieu; c'est elle qui fait qu'emmi les tressaillement et plus grandes consolations nous tremblons et craignons d'estre devant une si grande majesté; c'est elle qui fait que les Seraphins mesme voylent leurs yeux et leurs pieds, comm'indignes de regarder Dieu et de s'arrester pres de luy; c'est elle qui fait dire a David: Te decet hymnus silentium in Syon, car la grand'estime de la perfection divine fait qu'on n'ose pas en parler, crainte d'en parler peu convenablement.

  A026000500 

 Et cette sainte affection se respand generalement en toutes les œuvres de religion, et est contraire a la negligence et peu d'estime des choses divines, et au manquement d'attention de la veneration que nous devons apporter de la grandeur de l'excellence que nous servons et honnorons.

  A026000500 

 La reverence, qui est un des actes procedans de la religion, et n'est autre chose qu'une certaine vive apprehension et juste crainte de ne se pas bien comporter, et manquer d'honneur et de respect envers Dieu et les choses divines; et de cett'apprehension procede un soin particulier de rendre le plus exactement quil se peut toute sorte de tesmoignage de l'estime que nous faysons de la majesté et eminence de Dieu et de nostre vileté et bassesse, et de la disproportion quil y a entre nous et Dieu.

  A026000502 

 Et par ce que ceux ci, par l'excellence et ferveur quilz ont en la Religion, se sont devoiiés et dediés a l'unique profession de servir Dieu et vacquer a son amour, on les a nommés specialement Religieux par apres..

  A026000502 

 Et par ce que ceux qui sont animés de cette tant desirable vertu se dedient et consacrent, donnent et addonnent totalement au service de Dieu et a tout ce qui le regarde, elle nous fait particulierement faire la sainte offrande, donation et dedicace de nous mesme a la divine Majesté, que nous avons ci dessus marquee, par laquelle nous sommes rendus voués, dediés, consacrés a Dieu, et comme specialement Religieux, que, au commencement de l'Eglise, on appelloit moynes, c'est a dire uns ou unis, a cause de la speciale union avec Dieu a laquelle ilz se dedioyent, ou de l'unité de leur intention et profession qui n'estoit que du seul service de Dieu; et, comme parle le grand saint Denys, a rayson de leur vie une et simple, non distraitte ni divisee, ains toute ramassee et recueillie, pour estre toute destinee [58] a la perfection de l'unique amour de Dieu.

  A026000503 

 Et passant plus avant, par ce qu'entre ceux qui se dedient a l'unique service de Dieu, les uns le font par des simples oblations qui se font par maniere de protestation et declaration d'une volonté absolue et resolue, comme font la pluspart des Oblatz de saint Ambroyse, les Dames de la Tour des Miroüers de la Congregation de sainte Françoise a Romme, les vierges de Sainte Ursule, et comme faysoient les hommes et femmes du Tiers Ordre de Saint François, les Peres de la Congregation de l'Oratoire, et plusieurs tressaintes societés que Dieu a grandement benies et illustrees de plusieurs Saintz et Saintes, comme de sainte Catherine de Sienne et de Gennes, de sainte Angele de Foligni, de sainte Elizabeth d'Ongrie, saint Elzear, saint Ives, sainte Françoise (et en nostr'aage, du B. P. Philippe Nerius), sainte Geneviefve.

  A026000503 

 Les autres le font par des vœux acceptés par l'Eglise pour establir une personne en l'estat que nous appelions [59] regulier, soit que telz vœux soyent solemnelz, soit qu'ilz soyent simples, comme ceux des coadjuteurs formés de la Compaignie du nom de Jesus..

  A026000503 

 Les autres le font par des vœux qui sont voirement appreuvés de l'Eglise, mais non pas pourtant acceptés [ni] appliqués pour mettre la personne qui les fait en l'estat que l'on appelle regulier: telz sont tous les vœux qui se font par les personnes seculieres, voire mesme ecclesiastiques, encor bien que ce seroyent les vœux de pauvreté, chasteté et obeissance, quand ilz sont faitz sans estre acceptés par quelqu'Ordre qui ayt le pouvoir ou l'establissement de rendre ses membres reguliers.

  A026000504 

 Or est il vray que tous les vœux, autant les simples que les solemnelz, ceux qui se font en la profession reguliere et ceux qui se font hors d'icelle, obligent egalement devant Dieu, sans qu'il y ait nulle difference; en sorte que qui viole les vœux simples il est autant perfide et sacrilege, a rayson du vœu, comme celuy qui viole les vœux solemnelz. Mais pourtant, ceux qui violent les vœux solemnelz, ou simples, mais de Religion, pechent plus griefvement que les autres, a rayson du scandale qui s'en ensuit, [qui] est plus grand: outre que, par l'establissement du droit, ilz peuvent estre apprehendés et chastiés, ne pouvans ni contracter legitimement ni rien acquerir entre les hommes, tandis quilz sont dans les liens du vœu; la ou ceux qui ont fait les vœux purement simples ne sont pas rendus inhabiles a contracter et acquerir entre les hommes, quoy que devant Dieu et en conscience ilz soyent autant perfides en ce faysant que les autres..

  A026000505 

 Or, d'autant que ceux qui par vœu se sont obligés aux Religions appreuvees se sont non seulement liés de l'obligation consciencieuse et devant Dieu, mays aussi d'un'obligation civile, ecclesiastique et devant les hommes, non seulement sous des peynes eternelles, mais aussi temporelles; non seulement pour estre redevables et obligés en conscience, mays pour estre contraintz en effect a l'observation des vœux: partant on leur a donné specialement le nom de Religieux, et a leurs Congregations le nom de Religions, a cause de ce lien par lequel, outre le commun lien des Chrestiens, ilz se sont reliés au devoir de la poursuite de la perfection par les trois vœux propres a [60] l'obtenir, et de rechef encor, reliés pour la sousmission aux peynes et astrictions ecclesiastiques en cas de contravention et infraction des vœux..

  A026000506 

 Comm'aussi celles qui par des vœux particuliers et purement simples se sont liees devant Dieu a l'obeissance, pauvreté et chasteté; car si bien elles ne sont pas moins liees devant Dieu que les Religieux, neanmoins, en la police exterieure de l'Eglise et en ce qui en depend, les Religieux le sont beaucoup davantage.

  A026000506 

 Et quant aux autres personnes qui ne sont liees que par les simples oblations (qui est un lien de reverence, respect et verité; car c'est un'irreverence de ne point observer ce que l'on a protesté, quoy que non voué de faire, devant un si grand Roy et pour son service, bien que ce ne soit pas contre la fidelité, n'y ayant eu aucune promesse), elles ne sont pas appellees Religieuses si absolument, ains seulement devotes et dediees a Dieu.

  A026000508 

 Car je vous prie, Philothee, si je demande en justice l'argent que j'ay preste a mon voysin, est ce une priere et orayson? Non certes, ains une demande rigoureuse.

  A026000508 

 L' orayson, certes, ou la priere n'est autre chose, a proprement parler, qu'une demande faite a Dieu de ce que nous praetendons obtenir de luy.

  A026000508 

 Mays je demande a un homme qui ne me doit rien, ni service ni chose quelconque, quil me donne de l'argent, quil me preste son [61] cheval, ou quil me donn'a manger ou a boire, a cett'heure-la je ne puis user d'autre sorte de demande que de celle de la priere; et si c'est une personne qui soit relevee au dessus de moy en quelque eminente qualité, je ne prie pas seulement, mais adjoustant avec l'humilité la reverence, je supplie..

  A026000509 

 Certes, nous ne pouvons rien donner a Nostre Seigneur, a proprement parler, ains seulement rendre; et il ne peut rien prendre sur nous, oui bien reprendre, puis que nos mains ne luy peuvent rien presenter que nous n'ayons receu des siennes..

  A026000509 

 Or, Dieu ne nous doit rien, Philothee, a tous tant que nous sommes, pour nostre regard et pour nostre consideration; car, qu'avons nous pour l'obliger de quoy il ne nous ayt premierement obligés? Nous ne luy sçaurions jamais rien donner, car si nous luy presentons quelque chose, l'ayant premierement receue de luy, c'est rendre, non pas donner; c'est payer, non pas obliger; nous ne l'obligeons pas, mais nous nous acquitons de la dette.

  A026000510 

 Ce n'est pas, Philothee, que Nostre Seigneur ne se soit constitué debteur envers nous des recompenses immortelles, si nous observons ses commandemens, et quil ne die souvent que non seulement il nous les donnera, mais quil les nous rendra: Mon Pere, dit il a celuy qui priera en son nom, te le rendra; et l'Apostre, parlant de la coronne de gloire: laquelle, dit il, en ce jour la advenir le juste Juge me rendra.

  A026000510 

 Or, despuis neanmoins quil s'y est obligé par misericorde, il le fait par justice; dont il dit quil rendra, par ce que s'estant engagé de parole il est constitué debteur de justice, comme par ce qul ne s'est engagé que par misericorde il est donateur de liberalité: il donne, par ce quil ne s'est pas obligé par justice, ains liberalement et de grace; il rend pourtant, par ce quil doit, et il doit par ce quil s'est obligé..

  A026000510 

 Ouy, en verité, Philothee, nos bonnes œuvres faites en la grace de Dieu meritent recompense, et Nostre Seigneur s'oblige de la rendre, comme toute l'Escriture tesmoigne; mays ce n'a pas esté par [62] droit de justice que Nostre Seigneur s'est obligé de nous rendre recompense, ça esté par pure misericorde, selon la grandeur de laquelle il nous a voulu sauver.

  A026000511 

 C'est pourquoy, demandons au Pere eternel quelque chose au nom de Nostre Seigneur, nous la demandons par justice et par grace tout ensemble: en justice, entant que c'est au nom de Nostre Seigneur; en grace, entant que c'est pour nous, qui de nous mesme en sommes grandement indignes.

  A026000511 

 Et bien que nous ayons [63] promesse expresse d'obtenir tout ce que nous demanderons au nom de Nostre Seigneur, cela neanmoins s'entend sous cette condition, que nous soyons enfans de Dieu et que nous ayons l'esprit d'adoption qui nous donne la hardiesse de crier: Abba Pater, ou convenablement disposés pour le devenir; dequoy n'estant pas asseurés, nous ne pouvons jamais demander qu'en grace pour nostre regard..

  A026000511 

 Imagines vous, Philothee, le petit Thobie qui demande le payement a Raguel pour son pere, et voyes comme il est payé favorablement par ce quil ressembloit son pere; car il en est de mesme: nous demandons au Pere ce quil doit a son Filz, auquel si nous sommes rendus semblables par une sainte charité, mon Dieu que de graces! Or il doit a son Filz selon mesme toute la rigueur de justice, ainsi que nos sçavans theologiens enseignent, tout ce quil a merité pour nous: or il a merité pour nous que nous puissions meriter, si que le pouvoir que nous avons de meriter est un rejetton du merite de Nostre Seigneur.

  A026000512 

 C'est pourquoy il est appellé advocat, car les advocatz, a proprement parler, ne font des requisitions qu'en vertu du droit des parties, et implore la justice et l'equité, non la misericorde ni la grace; et en cette qualité d'advocat il montre les tiltres et les droitz pour lesquelz les graces luy sont deües, qui ne sont autres choses que ses playes, tiltre pour lequel le Pere eternel est obligé de favoriser tous ceux qui obeissent a son Filz.

  A026000512 

 En quoy les uns et les autres ont eu rayson: car il demande sans doute a son Pere les benedictions que nous recevons, et sa demande n'est pas priere quant a ce quil demande, car ce quil demande luy est deu par justice; mais elle ressemble pourtant a la priere, par ce qu'il ne demande [64] pas avec moins de reverence, d'humilité et de sousmission que si ce qu'il demande ne luy estoit pas deu..

  A026000512 

 Mays quant a Nostre Seigneur, estant au Ciel et ayant achevé toutes les œuvres par lesquelles il a merité aux Anges et aux hommes la grace et la gloire, il demande a son Pere toutes les benedictions que nous recevons, par droit de justice, comme les ayant acquises par son sang.

  A026000512 

 Or, par ce que ses demandes sont fondees en droit et justice, plusieurs grans personnages (Greg. Naz., Orat. 36, 53 et 54) ont dit qu'a proprement parler Nostre Seigneur ne prioit plus maintenant quil est au Ciel, selon que luy mesme l'affirme disant: Je ne dis pas que je prieray mon Pere; mays par ce que neanmoins il demande en qualité d'advocat et que, comme les advocatz, il demande avec un infini respect et une reverence incomparable, plusieurs aussi ont dit quil prioit.

  A026000513 

 Or, l'orayson consiste donq principalement a demander a Dieu quil nous donne par faveur, grace, liberalité et misericorde ce qui est requis pour nostre salut, et depend principalement de l'esperance, comme la meditation de la foy et la contemplation de l'amour: car la meditation considere ce que nous croyons, pour l'aymer; la priere demande ce que nous esperons, pour l'obtenir; et la contemplation regarde ce que nous aymons, pour nous y plaire..

  A026000515 

 Or, l'adoration est la plus eminente espece d'honneur que l'on puisse rendre a qui que ce soit; dont saint Augustin a dit que « les hommes sont appellés dignes de service et venerables, mays que si on veut beaucoup adjouster a cela, on les appelle encor adorables.

  A026000516 

 Helas! Seigneur, que ne puis je asses connoistre, reconnoistre et reverer vostre grandeur! O Sauveur de mon ame, qui, en qualité d'homme, a rayson de la dignité infinie de vostre personne, pouves adorer d'une adoration d'infinie estime la tres souveraine Divinité, hé, secoures mon desir, et adores pour moy vostre Pere eternel de cette souveraine adoration que vous seul sçaves, voules et pouves faire.

  A026000516 

 O Pere, Filz et Saint Esprit, une seule sainte souveraine Divinité, je vous adore par ce que vous estes souverainement adorable, et encor plus, parce que vous estes si excellemment adorable que vous ne pouves jamais estre suffisamment adoré.

  A026000516 

 O si je pouvois m'abbaysser jusques dedans l'abisme du neant duquel vous m'aves tiré, pour mieux faire hommage a vostre infinie authorité et reconnoistre de vostre liberalité l'estre que vous m'aves donné! O Anges, desquelz les affections sont plus grandes et fortes que les miennes, hé! secoures mon imbecillité et adores pour moy cette couronne eternelle de la gloire de mon Dieu, de la plus profonde adoration que vous puissies exercer.

  A026000516 

 Or, entre toutes les adorations il y en a une qui est hors de toute comparayson; car l'honneur se donne en contemplation de l'excellente vertu de quelqu'un, et l'adoration se donne non pour la vertu entant qu'elle est excellente, mays pour l'excellence entant qu'elle nous est [incompréhensible] a cause de son infinie grandeur et profondité, et laquelle, comme dit Anastase, Evesque de Theopolis, est l'emphase et sureminence de tout honneur: qui est l'adoration deue a Dieu, et que non seulement les hommes, mays aussi les Anges ont commandement de luy rendre; et ce n'est autre chose que la plus grande, juste et profonde sousmission [65] et reconnoissance spirituelle que nous puissions faire a la supresme et, pour dire ainsy, incomprehensible sursouveraine Majesté et superiorité de Dieu.

  A026000517 

 Telles ou semblables sont les actions interieures et essentielles de l'adoration; differentes des actions de l'humilité [66] en cela seulement, que nous adorons en reconnoissance de l'eminence et majesté devant laquelle nous nous prosternons en esprit et a laquelle nous nous sousmettons, mays nous nous humilions en reconnoissance de nostre bassesse et vileté.

  A026000519 

 Ilz avoyent dix coudees de haut et leurs aysles cinq de longueur, parce que les Anges administrans ou servans ont charge de regarder et garder l'Eglise, et partant ilz ont leurs affections misericordieuses comme d'olive; et, sans laysser leur contemplation beatifique, laquelle est sur le propitiatoire, ilz estendent leurs secours et exercent promptement leur charité envers les murs de Hierusalem, de l'Eglise, envers la mayson et famille de Dieu.

  A026000521 

 Et par ce que nos parens sont des appartenances plus proches de nos pere et mere, et que toute la parentee semble estre un seul arbre a diverses branches esquelles toutes un mesme sang, commune mesme seve, joint et sustente, partant la pieté s'estend encor a eux; comm'aussi, par ce que les alliés et amis de nostre patrie sont comme ses appuys et mainteneurs, nous les cherissons aussi par pieté..

  A026000522 

 Or, le devoir de pieté s'estend a tous les offices qui se peuvent legitimement rendre, soit en honneur, soit en service, mais sur tout a sustenter et servir nos pere et mere en leurs necessités: obligation qui passe si avant, que nous ne pouvons pas mesme faire aucun vœu qui nous puisse empescher de rendre ce devoir; et si nous l'avons fait, il ne nous tient pas liés de ce costé la, ains, nonobstant iceluy, nous pouvons et devons rendre ce devoir originaire de pieté auquel la nature nous oblige.

  A026000523 

 En quoy nous donnons les premiers rangs a nos gouverneurs et princes spirituelz; car l'authorité et [68] pouvoir quilz ont estant surnaturel et leur gouvernement tendant a une fin surnaturelle, le devoir de sousmission et service que nous leur avons a cette consideration est surnaturel, religieux et purement pieux..

  A026000524 

 Car un œuvre que nous n'estions pas obligé de faire avant quil fut commandé, soudain quil est commandé nous sommes obligés de le faire, et d'œuvre simple elle devient debte ou devoir pour nous, le commandement liant et obligeant nostre volonté avec cett'œuvre: et partant, l'obeissance est la vertu par laquelle nous rendons aux superieurs ce que leur authorité nous oblige de faire par leur commandement..

  A026000524 

 En suite de la pieté et de l'observance vient la sainte obeissance: vertu par laquelle nous faysons volontairement ce que nos superieurs et [ceux] qui ont authorité legitime nous ordonnent ou commande (sic) par ce quilz le nous commandent, c'est a dire par ce que nous devons le faire.

  A026000525 

 C'est pourquoy elle est meilleure que les victimes par ce que les victimes sans obeissance ne sont pas aggreables a Dieu, oui bien l'obeissance sans victimes, et par ce que les victimes ne sont aggreables sinon comm'elles sont commandees.

  A026000525 

 Or, toute l'authorité a laquelle nous rendons obeissance procede de Dieu, ou par l'ordre special quil a mis en son service et pour nostre conduite au salut eternel, donnant la puissance spirituelle a ses Apostres et a leurs successeurs; ou par l'ordre naturel, donnant aux peres, meres, mari authorité sur leurs enfans et femmes; ou par l'ordre civil, aux princes et magistratz sur leurs sujetz: de sorte que la vertu d'obeissance se termine en fin finale a l'authorité divine, bien que sensiblement et selon nostr'apprehension particuliere elle regarde cette varieté de superieurs a l'authorité desquelz Dieu nous a sousmis.

  A026000526 

 Aussi ay je dit quil failloit rendre bien fait pour bien fait: or, ce n'est pas un bien fait sii ne procede d'un esprit aymant, doux, aggreable, officieux, et sil ne regarde plus l'affection du bienfacteur que le bien fait.

  A026000526 

 C'est pourquoy il faut rendre, sil se peut, plus que l'on n'a pas receu, comme font les chams fertiles qui produisent plus de graines incomparablement qu'on n'en a jetté dedans leur sein: car si vous ne rendes que le mesme, c'est plustost une restitution de rigueur qu'une gratitude d'affection et d'amour; et en cela vous ne rendes pas bienfait pour bienfait, car si vous ne rendes que ce que vous aves receu, il [70] n'y a point de bienfait de vostre part.

  A026000526 

 Et cette vertu requiert: [1.] que nous estimions et prisions grandement et au plus haut pris le bien fait, et sur tout l'affection avec laquelle le bien facteur le distribue et nous le departit; 2.

  A026000526 

 Et deffait, rendre un bien fait avec cett'inquietude, c'est plus tost le payer que le rendre, ou encor, plus tost le rejetter et vouloir effacer que de le vouloir contrechanger.

  A026000526 

 que nous declarions combien il nous aggree et en facions une protestation et reconnoissance; 4.

  A026000526 

 que nous en conservions et pratiquions la souvenance, faysant volontier mention lhors que l'occasion s'en presente; 5.

  A026000526 

 que nous le recevions cordialement; 3.

  A026000526 

 que selon les occurrences et nostre pouvoir nous rendions bienfait pour bienfait.

  A026000527 

 Et faut, outre cela, que telle vengeance se face en telle sorte qu'elle ne passe point a la cruauté par exces, ni a la lascheté par defaut..

  A026000527 

 Il y a une vertu que l'on appelle juste vangeance, a laquelle il appartient de punir les meschans et malfaiteurs, par ce qu'il est raysonnable qu'ilz reçoivent de la peyne pour leurs coulpes et que, par ce moyen, il se face quelque reparation de la faute commise et du tort qui a esté fait au prochain, soit par maniere de dommage qu'on luy a porté, soit par maniere de scandale ou de mauvais exemple.

  A026000527 

 Or, affin que ceste vangeance soit vertu, il faut qu'elle soit juste; et partant elle n'appartient qu'aux superieurs qui seulz ont le juste pouvoir de chastier, bien que tous ayent le pouvoir de repouser et empescher l'injure.

  A026000528 

 La vertu de verité consiste en une volonté perseverante de ne rien signifier au prochain, soit par paroles, soit par autres signes, que selon la verité de nostre sentiment.

  A026000529 

 Ainsy, si j'ay quelqu'aversion et repugnance a mon prochain, pourveu que, selon ma volonté et resolution, je sois deliberé de l'aymer, non seulement je dois luy tesmoigner de l'amour, mais je ne dois nullement luy tesmoigner mon aversion, car cette aversion n'est pas'volontaire et si, [71] elle seroit scandaleuse; et en verité je l'ayme, puisque je l'ayme selon la partie maistresse et regente de mon ame..

  A026000529 

 Or, quand nous disons nos sentimens, nous n'entendons pas parler des sentimens involontaires que nous avons quelquefois contre nos prochains, mays de vrays sentimens que nous avons selon nostre volonté superieure.

  A026000530 

 Car si je veux affirmer une chose de grande consequence, je suis obligé d'avoir un grand soin pour sçavoir la verité; si c'est une chose indifferente, il n'est pas requis de me mettre en peyne pour m'asseurer de la verité, ains suffit que je die simplement ce que je croy estre veritable d'abord.

  A026000530 

 Et parce que cette vertu m'oblige de conformer mes paroles et mes gestes exterieurs a mes sentimens interieurs et a la verité de ce que j'exprime, elle m'oblige aussi a rechercher la verité, mais d'une recherche raysonnable et qui prend sa mesure de l'importance de la chose que je veux exprimer.

  A026000530 

 Si je raconte ce que Virgile dit de Junon, d'Œneas et de Priamus, il suffit que je die selon ce que ma memoire me fournit et que je pense estre vray; car, qu'importe-il quand je dirois bien une chose pour une autre en chose si frivole? Mais si je raconte les miracles de Nostre Seigneur ou de Moyse, ou mesme d'autres histoires desquelles la verité importe a l'establissement de nostre foy, je suis obligé d'estre grandement sur mes gardes a ne rien dire qu'en verité.

  A026000530 

 Si je raconte comme un seigneur ou une dame estoit (sic) vestus en telles occasions, pourveu que je die selon ce quil m'en semble il suffit; mays si je raconte leurs actions, par lesquelles on peut discerner silz ont esté vertueux ou non, je dois estre plus discret et parler avec plus d'asseurance de la verité: car le mensonge n'a jamais aucun juste usage, c'est tous-jours un abus, pour utile qu'en soit la consequence; et n'en est pas de mesme comme de l'hellebore, car bien que nos cors puissent estre gueris par le tourment des medicamens, les espritz le doivent voirement estre par le tourment de la tristesse et repentance, mais non jamais par la coulpe.

  A026000531 

 S'ensuit la douce affabilité, qui donne une aggreable [72] bienseance a nos conversations serieuses, affin que d'un costé nous ne soyons ni trop blandissans, amadoüans et flateurs, ni de l'autre trop aspres, austeres, rebarbatifs, durs, desdaigneux et fascheux; mais qu'avec une condescendance bien assaisonnee, nous traittions, en paroles, actions et contenances, suavement et amiablement avec le prochain..

  A026000533 

 C'est un vray vilain vice que celuy-la, et qui monstre une grande bassesse de courage: c'est pourquoy la prodigalité et profusion des richesses seroit plus aymable, si elle n'engendroit.

  A026000533 

 affection des richesses, ne permettant pas qu'on les prise plus quil ne faut, et par consequent nous porte a les despenser et employer volontier et librement quand il est convenable, affin que d'un costé nous ne soyons pas avares, soyt a ramasser et acquerir trop ardemment les biens de ce monde, soit a les retenir trop chichement, et que d'autre part nous ne soyons pas prodigues, donnant a gens indignes, comme sont les flateurs, bouffons, joüeurs, ni pour choses frivoles et vaines.

  A026000533 

 ordinairement l'avarice; car il arrive souvent que ceux qui se playsent trop a donner aux uns, affin d'assovir leur inclination en cela, ilz [73] ..................................................................................................

  A026000534 

 Ainsy donq, les loix veulent que par droit on les modere..

  A026000534 

 Mays sur tout ce qui regarde la justice, il y a une vertu que nous appelions œquité, qui empesche que la justice ne soit pas injuste et que le droit ne se change pas en injure; c'est cette prudence qui modere les loix inferieures par les superieures, en sorte que une loy cede a l'autre selon que la rayson requiert et que le legislateur mesme le diroit sil voyoit l'estat present des affaires.

  A026000538 

 Car, par exemple, consideres d'un costé un homme qui ayme grandement la chasteté, et d'autre costé un homme magnanime et de grand courage: l'un et lautre, au choix de la chasteté, entreprendront la chasteté virginale comme le plus haut et relevé degré qui puisse estre en la vertu de chasteté; mais l'un fait cett'entreprise pour le grand amour quil porte a la chasteté, laquelle plus ell'est grande plus il l'ayme, l'autre fait la mesme entreprise, non pour l'amour de la chasteté qui est en cette grandeur et hauteur de vertu, mays pour l'amour de la grandeur qui est en cette chasteté: si que l'un cherche la perfection de la chasteté en la grandeur de cett'action, et l'autre cherche la grandeur de l'action en la perfection de la chasteté.

  A026000538 

 Or, comme cette vertu recherche la vraye grandeur qui est es actions heroiques des vertus, aussi n'estime elle rien de grand que cela; c'est pourquoy ell'a ces proprietés, selon Aristote (qui neanmoins, au sujet de cette vertu, tesmoigne asses la foiblesse de la philosophie naturelle en comparayson de l'evangelique): 1.

  A026000538 

 de ne se plaire que fort sobrement entre les honneurs, pour grans et relevés quilz soyent; 2.

  A026000539 

 Et en fin, nous evitons la pusillanimité ou decouragement, par lequel [75] nous fuyons les grandes actions, les grans honneurs et les grans offices pour la trop grande apprehension que nous avons de la grandeur, n'estimans pas nos forces asses dignement et selon leur mesure; car, comme les presomptueux entreprennent indiscrettement outre leur pouvoir, les pusillanimes n'entreprennent pas selon leur pouvoir, ains laissent une partie de leurs forces inutiles, faute de cœur pour les employer..

  A026000541 

 de la vie, parce que les maux de la mort et les craintes horribles pour la mort doivent estre surmontés par la force, comme il a esté dit.

  A026000542 

 Et tant la patience que la longanimité sont requises, affin que d'un costé nous evitions l'insensibilité, qui n'est autre chose qu'une certaine stupidité et brutale lourdise par laquelle, comme si nous avions nos sens assoupis, nous ne sentons aucune douleur ni tristesse de maux, et par consequent sommes hors de tout sujet de patience; et d'autre costé, que nous evitions l'impatience, par laquelle nous ressentons immoderement les afflictions et contradictions..

  A026000542 

 Or, quand, outre le mal que nous endurons avec moderation, nous devons l'avoir longuement: c'est a dire, [76] qu'outre le mal nous devons supporter une longue duree du mal, qui est une grandeur en duree et estendile de continuation, nous n'avons pas seulement besoin de patience, mays de longanimité, qui est la vertu par laquelle nous supportons ou une longue attente du bien, ou une longue duree du mal.

  A026000543 

 Ainsy, au chemin de la vertu, deux choses nous lassent: la duree et continuation de mesm'exercice, et contre cet ennuy nous avons la vertu de perseverance; et les autres difficultés et resistances, comme sont les oppositions des hommes, nostre foiblesse, les murmurations, les remonstrances de ceux qui sont de contraire opinion, [77] et toutes autres telles [choses] contre lesquelles la constance nous arme: en sorte que nous ne sommes ni opiniastres et aheurtés pour continuer et vouloir poursuivre chose quelconque contre rayson; ni inconstans et legers pour nous laisser vaincre a la duree et longueur du tems requis a nostre entreprise; ni molz, tendres ou delicatz de courage pour nous laisser surmonter aux autres difficultés..

  A026000543 

 Je ne dis pas le don de perseverance, car c'est une grace toute divine dont nous avons parlé, en passant, ailleurs; mays la perseverance qui est une vertu par laquelle nous continuons et poursuivons un bien jusques a la fin, contre la difficulté et l'ennuy que la longueur et duree d'un affaire ou entreprise peut apporter.

  A026000543 

 Mays quand, outre l'ennuy de la duree et longueur du tems, nous avons encor des autres obstacles et resistances exterieures qui s'opposent a la poursuite et continuation de nos exercices en la vertu et du dessein que nous avons fait pour le bien, lhors nous avons besoin de la constance.

  A026000544 

 Et aussi, le martir est parfaitement conforme a Nostre Seigneur, qui tesmoigna sa charité non attaquant ses ennemis et les mesprisant, mays souffrant la mort, joint que celuy qui meurt en se defendant, comme font nos Chevaliers de Saint Jean de Hierusalem contre le Turc .........................................................................................................

  A026000544 

 La souffrance n'est aydee d'autre chose que de la vive force de la rayson; mais l'attaque est.

  A026000544 

 Or, entre toutes les actions de force, il n'y en a point de comparable a celle de nos Martyrs chrestiens: gens invincibles et invariables entre les plus divers et espouvantables tourmens qu'il est possible d'imaginer, qui ont combattu contre les tyrans pour confirmer les plus excellentes vertus de toutes, entant que Nostre Seigneur les a enseignees, et combattu par la seule volontaire souffrance, qui les rend tant plus vaillans en toute façon.

  A026000547 

 C'est pourquoy saint Augustin a dit que la temperance n'est autre chose que « l'amour qui se donne tout a Dieu, » c'est a dire l'amour qui ramasse toute sa vigueur pour aymer Dieu et, pour la ramasser toute, il la divertit des objetz sensuelz esquelz elle se pourroit espancher et dissiper..

  A026000547 

 La complaisance que nous prenons es choses sensibles par le moyen de nos cinq sens corporelz attire puissamment nostr'ame aux objetz de ces cinq sens, lesquelz estant bas, corporelz et caduques, rendent aussi nostr'ame telle, quand elle est passionnee de leur delectation et jouissance.

  A026000548 

 Mays parce qu'entre tous les sens il y en a deux qui sont plus grossiers, brutaux et impetueux en leurs actes, et qui par consequent dissipent et divertissent plus furieusement et desbordent la force affective de nostre ame, c'est a sçavoir l'attouchement et le goust (qui, comme dit Aristote, n'est presque qu'un certain attouchement par lequel nous nous appliquons immediatement aux objectz les plus grossiers), partant la temperance modere les playsirs et voluptés de ces deux sens principalement, bien qu'elle regie aussi les autres playsirs, soit interieurs ou exterieurs, entant que par iceux la force affective pourroit estre mise en desordre et dissipee contre la juste rayson.

  A026000548 

 Or j'ay dit qu'elle les modere, parce que nostre nature, composee de cors et d'ame, ayant besoin des playsirs sensibles, soit pour la conservation particuliere de chasque personne, soit pour [79] la conservation de l'espece et race humaine, ce seroit egalement dementir la rayson et violer ses loix, de vouloir estre sensuel en s'appliquant demesurement aux voluptés des sens.

  A026000550 

 Et Aristote dit que tout animal est triste apres iceluy, hormis le coq; mais l'homme plus que tous les animaux, comme ayant en iceluy perdu la rayson.

  A026000551 

 Or, d'autant que les playsirs du goust et des autres sens sont donnés a nostre nature pour servir a la conservation de chasque particulier, la regie d'en bien user c'est, comme dit saint Augustin, d'en prendre autant que la necessité de la vie humaine et des offices d'icelle le requiert.

  A026000552 

 Mays si l'on prætend de chastier, corriger et moderer cet appetit en sorte qu'on puisse avec une grande liberté d'esprit vaquer a Dieu, et en somme ramasser et recueillir toutes les forces de son amour pour les employer en la dilection du souverain Bien, alhors on retranche tout a fait a l'appetit charnel toutes les actions auxquelles il tend, et on le reduit a la parfaite et absolue chasteté, que l'on appelle cælibat parce que, selon saint Hierosme, que (sic) c'est quasi une celeste beatitude d'estre hors du commerce de la chair pour estre plus attentif a celuy de l'esprit; conformement a ce que dit le grand Apostre, I. Cor. 7.

  A026000553 

 Mays, Philothee, cela ne s'entend pas en sorte que les personnes mariees ne puissent pas estre tout entierement a Dieu aussi bien que les continens et vierges: car [combien de mariés] y a-il eu en l'Eglise, d'une tres eminente sainteté, [plus grande même que celle de] beaucoup de vierges et continens?.

  A026000553 

 Notes, Philothee, que le grand saint Augustin a tiré de ce lieu la deffinition de la temperance, quand il a dit que c'estoit « un amour qui se donne tout entier a Dieu; » car l'Apostre monstre clairement que le principal but du cœlibat et la virginité est de se joindre et unir plus entierement [81] a Dieu; qu'en comparayson de la personne qui s'abstient parfaitement, la personne mariee est divisee en ses affections, partageant son soin en deux partz, bien qu'inegales; car tous-jours en faut il quelque partie pour aggreer au mari, et c'est autant de moins en ce qui se pouvoit donner a Dieu, c'est tous-jours une distraction et un retranchement de l'entiere et absolue attention que l'on eut donnee a Dieu.

  A026000554 

 Aussi l'Apostre ajoute: Or, je dis ceci four vostre [ utilité, non point pour vous enlacer ] ..................... [bien que le cœur] de la personne mariee ayt ramassé tout son amour pour Dieu, rapportant parfaitement a Dieu l'amour mesme et les actions de son mariage, si est ce que, au moins, le cors est un peu divisé, distrait et alteré par les passions et sentimens necessaires a l'estat nuptial, avec quelque sorte de messeance.

  A026000554 

 C'est ce que veut dire l'Apostre, selon que saint Augustin mesme l'a remarqué au livre Du bien de la viduité, quand il dit quil exhorte a ce qui est honeste et bienseant; car il ne veut pas dire que le saint mariage ne soit honneste et bienseant, mais il advertit que l'estat de continence et vierginité est plus seant et plus honneste, au moins de l'honnesteté exterieure..

  A026000554 

 C'est pourquoy, quant a la substance et essentielle perfection de l'amour celeste, les mariés en peuvent avoir tout autant, et voire plus que les vierges et parfaitz; mais quant a la bienseance, dignité et honnesteté exterieure, les continens et les vierges les devancent tous-jours.

  A026000555 

 Mays par ce que nostr'aage a produit mille et mille cerveaux frivoles, badins et voluptueux, qui ont mesprisé cett'angelique vertu, Philothee, je diray encor seulement ce mot.

  A026000555 

 Mon Dieu, Philothee, que la chasteté est belle, qui range [82] l'appetit brutal de nostre concupiscence a la pureté des Anges et Espritz caslestes, desquelz comme la pureté est plus pure, aussi la nostre est plus vaillante, car ilz l'ont sans vertu, par nature, et nous la conquerons entre mille hazars, par une continuelle guerre que nous faysons a nos ennemis et, ce qui est plus considerable, a nos amis: aux sens, a l'imagination et a toute cette trouppe de sentimens rebelles et mutins que nostre chair fournit a nostr'ennemi.

  A026000556 

 ains, comme la santé d'un homme gueri est plus forte bien souvent que celle d'un autre qui ne fut onques malade, ainsy la chasteté d'un homme penitent est quelquefois plus estimable que celle d'un vierge.

  A026000558 

 Or, la premiere resolution de resister aux passions sensuelles, s'appelle continence simple, selon les scholastiques et Aristote; et lhors que cette resolution, se fortifiant par l'exercice, devient parfaite, elle s'appelle temperance et chasteté: car la continence est semblable a celuy qui a pris charge de domter un cheval; la temperance et chasteté, a celuy qui l'a des-ja façonné et domté.

  A026000559 

 A la temperance est attachee la mansuetude, qui manie et modere l'ire et la cholere pour la retenir dans les bornes de la rayson; car l'ire estant bien conduite est bonne, et la mansuetude a cette charge, qui neanmoins n'en use que fort rarement et seulement autant quil faut pour faire roydir le courage es occasions ou il faut vaincre, surmonter et chastier.

  A026000559 

 Nostre Seigneur, en S t Marc, 3, regarda les Scribes et Pharisiens avec indignation et cholere, mais l'effect ne fut autre chose que de guerir ce pauvre perclus, malgré leur obstination: ainsy nostre cholere ne se doit estendre qu'a vaincre les difficultés qui s'opposent aux bonnes œuvres, affin que nous les facions nonobstant les contradictions..

  A026000559 

 Or, parce qu'ell'est si dangereuse et que c'est un ingredient si perilleux pour la vertu, il en faut user tres rarement, et lhors seulement qu'on a des-ja acquis une grande maistrise sur ses passions; autrement, en lieu d'en user ell'abusera de nous et nous præcipitera.

  A026000560 

 Et tous-jours faut il prendre garde au bien publiq, selon lequel c'est quelquefois une grande clemence d'user de rigueur et severité, quand le chastiment des meschans est requis pour tenir les autres en bride et les gens de bien en asseurance: dont saint Thomas dit que la severité n'est pas contraire a la clemence, ains est une vertu qui sert a la rayson quand il n'est pas convenable d'user de clemence..

  A026000560 

 La clemence est proprement es superieurs, pour moderer la punition quilz doivent faire des criminelz, affin que autant que la justice le permet, on n'use pas de toute la rigueur, ains on addoucisse la peyne; car, comme Dieu punit tous-jours moins que nous ne meritons et [84] recompense tous-jours plus que nous ne meritons, aussi la clemence punit non selon la rigueur et severité, mais avec douceur, moderation et temperament: en sorte neanmoins qu'evitans la cruauté, ilz ne tumbent pas en la lascheté et exces de douceur.

  A026000562 

 Et parce que l'exercice des voluptés charnelles est le plus laid, desreglé, messeant, vil, vilain et deshonneste, l'honnesteté nous retient plus fort pour ce regard; et puis encor, comme en suite, ell'a soin de repouser tout ce qui est difforme et desordonné [85] au commerce des playsirs sensuelz, affin que rien ne s'y passe contre la bienseance..

  A026000562 

 L' honnesteté est une certaine vertueuse affection que nous avons de rejetter tout ce qui est contraire a la beauté, proportion, bienseance et ornement de nostre conversation et de toutes les actions qui en dependent, tant interieures qu'exterieures.

  A026000563 

 Et je dis que nous reconnoissons et faisons cette profession de nostre neant en ce qui est de nous mesme, parce qu'en ce qui est en nous de Dieu nous ne laissons pas, pour l'humilité, d'avoir un extreme courage et une sainte hauteur d'esprit, l'humilité n'estant nullement contraire a la magnanimité; car l'humilité fait une juste estime de ce qui est de nous en nous, comme la magnanimité de ce qui est de Dieu en nous.

  A026000563 

 Je ne dis pas une connoissance, mais une reconnoissance et profession cordiale et volontaire; parce que plusieurs connoissent quilz ne sont rien, qui ne le veulent pas reconnoistre, advouer, ny professer.

  A026000563 

 Or, cette vertu a esté inconneue a la plus part des philosophes; et je dis a la plus part, parce que Platon a semblé la reconnoistre mesme envers Dieu, L. 4.

  A026000566 

 En somme, a mesure que nous descendons par l'abjection et mespris de nous mesme et vraye estime de nostre neant, nous remontons par l'estime de Dieu et de ses dons; et c'est cette sainte vertu qui supprime la fause estime de nous mesme produite par l'amour propre, affin que nous [87] estimions plus les graces de Dieu, tant en luy, qu'au prochain, qu'en nous mesme..

  A026000566 

 La vileté nous demet et nous laisse sans cœur, sans mouvement, et, pour nous faire fuir l'estime de nostre propre excellence, ne veut pas que nous considerons (sic) l'excellence de Dieu en nous.

  A026000567 

 Car en fin, le mespris que nous faysons de nous mesme en l'humilité tend a nous faire plus hautement estimer Dieu et le prochain en Dieu, et nous aussi en Dieu, mais pour la mesme rayson pour laquelle la charité nous commande d'aymer Dieu et le prochain.

  A026000567 

 Mais par ce que la sainte humilité est une vertu qui nous regarde principalement, nous pratiquons l'humilité seulement en nous mesme et sur nous mesme; car, quant aux autres, nous la prattiquons envers eux et non en eux ni sur eux: c'est pourquoy nous ne regardons pas en eux ce quilz sont d'eux mesme, mais ce quilz sont en Dieu, et partant nous les estimons grandement, et non pas nous.

  A026000568 

 Il y a encor une vertu qui range nostre esprit en l'estude et appetit de connoistre les choses, affin que nous ne desirions sçavoir que ce qui est convenable, comm'il est convenable et autant quil est convenable, et pour la fin convenable, en sorte que nous evitions d'un costé, la curiosité qui nous porte au desir [de] sçavoir ce qui ne nous appartient pas, ou d'autre façon quil n'appartient, ou plus qui' n'appartient, ou pour autre intention quil n'appartient, et d'autre part, la negligence qui, par une contraire extremité, nous destourne d'apprendre ce qui nous est necesre et convenable.

  A026000569 

 (De ceci il y a un chapitre en l' Introduction: De la conversation.) Et par ce que cette bienseance a une beauté particuliere, qui de soymesme est aymable, la vertu qui nous affectionne a procurer cette beauté est aussi particuliere; bien qu'outre cela plusieurs dignes respectz nous obligent a cette modestie, et sur tout l'amitié, affabilité et edification du prochain.

  A026000569 

 Celle ci est suivie de la modestie, qui modere nostre maintien, nos mouvemens, gestes et actions exterieures, et les reduit a la vraye bienseance, selon la varieté des personnes, des lieux, des tems et des affaires; a la charge, dit le grand saint Ambroyse, l. I. Off., c. 18, qu'il ny ait rien d'affecté, car tout ce qui est fardé desplait; et sil y a quelque defaut en la nature, il le faut corriger par le soin, en sorte que l'on voye l'amendement, mais pur et sans artifice.

  A026000569 

 Et c'est cette vertu que le saint Apostre desire es Evesques, quand il dit que l'Evesque doit estre orné (I. Tim., 3. v. 2.), ainsy que saint Theodoret, Evesque de Cyr, (et communement les Docteurs, apres saint Thomas, in ejus locum ) l'interprete; par ce que le principal ornement, parement et embellissement de la personne depend de l'honnesteté et bonne grace, et bienseance de son maintien et mouvement..

  A026000574 

 C'est une verité, que qui ne se sauvera pas par Marie perira, comme tout ce qui estoit hors de l'arche de Noë fut a perdition; non que Marie soit cause absolue de la redemption, car c'est Jesus, son adorable Filz, mais elle est le moyen duquel ce Redempteur s'est voulu servir en prenant d'elle son humanité.

  A026000574 

 Elle a esté, de toute eternité, preveuë, regardee et preclestinee pour estre Mere de Jesus; et, comme telle, ell'a esté plus aymee elle seule que tous les hommes et tous les anges ensemble..

  A026000576 

 Marie veut dire Mere unissante, d'autant que c'est par cette Mere et dans son sein que le Verbe s'est uni hypostatiquement a la nature humaine pour nostre salut.

  A026000576 

 Par Marie le Verbe s'est fait chair, et nous pouvons dire: O Jesus, soyes moy Jesus, c'est a dire soyes moy Sauveur; et nous pouvons aussi dire: O Marie, soyes moy Marie, c'est a dire: Soyes nous Mere et nous unisses a Jesus vostre Filz, affin qu'il soit nostre Espoux et que nous soyons ses espouses..

  A026000578 

 Dans le Ciel, toutes les vierges suivront l'Aigneau; mais en terre, quelz admirables vierges sont Marie et Joseph, que l'Aigneau suit luy mesme!.

  A026000580 

 Si la femme de l'Evangile crioit dans les places publiques ou Jesus passoit: Beni soit le ventre qui vous a porté et les mammelles qui vous ont allaité, devons nous pas donner des benedictions perpetuelles au sacré cœur de Marie qui a tant aymé Jesus? O Vierge glorieuse, vous aves receu le Verbe en vostre cœur avant que de le recevoir [90] en vostre sein, et vous estes plus heureuse de l'avoir aymé souverainement et sans intermission que de l'avoir porté corporellement en vostre sein et entre vos bras; et c'est ce que Nostre Seigneur nous vouloit signifier quand il a dit: Mays plustost bienheureux sont ceux qui font la volonté de mon Pere qui est aux Cieux, c'est a dire qui n'ont qu'un mesme esprit et qu'un mesme cœur avec Dieu.

  A026000582 

 Ah! l'immaculee et incomparable Vierge Mere de Dieu ne fit jamais la douillette ni la rencherie pour converser avec sainte Magdeleyne, et cela parce que Marie estoit non seulement parfaitte vierge, mays parfaittement humble.

  A026000584 

 O Mere de vie, que faysies vous en ce triste Calvaire qui estoit un lieu d'agonie et de mort? L'amour severe du Pere eternel s'appliquoit a vostre ame, affin que par la douleur mortelle que vostre cœur endura, vous fussies la premiere martyre de l'Eglise naissante et la Reyne souveraine de tous les Martyrs..

  A026000586 

 Le Pere eternel a tant aymé le monde qu'il luy a donné son propre Filz, ce Filz s'est livré luy mesme a la mort; et nous pouvons dire que Marie, Mere de ce Dieu mourant, a tellement aymé le salut du monde qu'elle a volontairement offert, son Filz a la mort et elle mesme en son Filz.

  A026000588 

 Helas, o Vierge sainte, les larmes de vostre divin Enfant dans la cresche n'estoyent que des douces rosees, mais celles de sa sainte Passion sont des torrens et des mers d'amertume.

  A026000588 

 Vostre cœur douloureux et amoureux offroit les unes et les autres au Pere eternel, sçachant bien que [91] c'estoyent les larmes d'un Dieu qui devoyent produire des joyes eternelles aux enfans de salut..

  A026000589 

 Elle estoit pasmee sans pasmer; car si l'extremité de la douleur l'affoiblissoit, la force de l'amour la soustenoit, et ne voyant les horreurs de la mort de son Filz que dans les beautés de son amour, son ame sainte eut d'esgaux mouvemens d'amour et de douleur.

  A026000591 

 O sainte et genereuse Gouvernante, que commandes vous dans vostre estat de gloire que ce que vous aves commandé en vostre estat de grace: Faites ce que mon Filz vous dira.

  A026000603 

 Quand vous vous signeres, faut que vostre esprit se represente d'embrasser Jesus Christ crucifié comme un bouclier contre tous ennemis, comme l'arbre de vie, comme la colomne d'asseurance..

  A026000604 

 Imagines vous quelquefois que vostre cœur est un jardin et que, vous signant, vous y mettes l'arbre pretieux de la Croix; ou bien qu'il est comme une forteresse, en laquelle vous plantes cest estendart; ou qu'il est comme un cabinet, lequel vous fermes avec cette clef; ou qu'il est comme une lettre, laquelle vous scelles de ce sceau, affin qu'elle ne soit exposee a la veüe des ennemis, suyvant le desir de l'Espouse qui dit: Mettes moy comme un cachet, ou comme un estendard sur vostre cœur.

  A026000608 

 Mais lhors que la probabilité de quelque action est si forte et qu'elle conclud avec tant de necessité que la rayson ne se peut desdire de la convaincre, il la faut renvoyer a la surprise, a la promptitude, a la tentation ou, en toute extremité, s'en desfaire et se l'oster de l'esprit et n'en point parler; car.

  A026000613 

 Je vous asseure qu'il n'y a signe plus asseuré d'une ame vicieuse que l'inclination a mal penser et a mal parler de son prochain..

  A026000613 

 Si les hommes vouloyent, ilz gousteroyent en ce monde les felicités des Espritz celestes et n'auroyent point besoin, dit un ancien, de chercher d'autre paradis que celuy qui se rencontre en la societé civile, laquelle, par la vertu de charitable union, ne feroit qu'une seule mayson de celles qui sont separees en ce monde.

  A026000614 

 Espritz malicieux qui attaquent tout le monde, cœurs remplis de ces mauvaises qualités qui se mettent entre la veuë spirituelle et l'object, et qui pensent avoir rayson de croire que tout le monde est aussi corrompu que leurs pensees sont noires.

  A026000614 

 Gens aveugles, qui crient contre la cruauté d'Abraham et qui, voyant l'espee nue, n'apperçoivent point l'Ange de Dieu qui le benit et luy dit que son sacrifice est aggreable au Seigneur des armees.

  A026000614 

 Mais vous, mes amis, repartit il, ou est le vostre? Qu'ay je affaire de produire un defaut en ma peinture, si je le puis couvrir sans offenser personne? Voyes vous, ceux qui jugent mal et qui mesdisent de leur prochain, ce sont des sangsues qui ne savent que tirer le mauvais sang et laisser le plus pur dans le cors.

  A026000614 

 Quelle injustice de [94] demander d'estre absous de toutes les fautes que l'on fait, et vouloir condamner les plus petites des autres! Je n'ay encores veu personne qui se soit mal treuvé de dire du bien de son prochain.

  A026000614 

 Si tost qu'on vist le pourtrait d'Antigone, qu'Apelles avoit tiré obliquement et de sorte que l'incommodité de son œil perdu estoit couvert par un trait de pinceau, il fut importuné de tout le monde qui luy demandoit pourquoy il ne l'avoit pas peint comme il estoit: Ou est l'autre œil? luy disoit on.

  A026000614 

 Telle qu'est la chaleur interne, tel est le sang en nostre cors; et en nostre ame, telle est sa beauté, que son amour vers son prochain.

  A026000615 

 Combien de voleurs y a-il dans les forestz qui serviroyent mieux Dieu que moy, s'ilz en avoyent receu autant de graces? Combien de miserables seroyent plus spirituelz que je ne suis, si Nostre Seigneur leur avoit donné le loysir d'estudier et le moyen de le connoistre? Regardons les differences qui se sont treuvees entre saint Pierre et Salomon: l'un fut meschant, l'autre le plus sage de son tems; le mauvais se fit sage, et le sage devint insensé.

  A026000615 

 Judas eut des commencemens de sainteté plus accomplis que ceux qu'on se pourroit figurer en la personne qu'aujourd'huy nous estimons la plus parfaitte; saint Paul en eut de pires et fut plus cruel persecuteur de l'Eglise de Jesus Christ que le plus eschauffé tyran de ce siede ne l'est a nos pauvres freres qui sont parmy les infideles: celuy qui estoit Apostre et l'un des plus cheris de Dieu, se rendit le plus malheureux du monde; et celuy qui ne valoit rien devint le meilleur et le plus ardent defenseur de l'Evangile..

  A026000615 

 S'il nous semble que nous sommes meilleurs que ceux desquelz nous parlons, il y a asses de tems pour leur ceder la place, ilz rempliront peut estre nostre siege dans les Cieux; ilz se releveront de nostre cheute, et nous enseveliront sous leurs vielles ruines, car Dieu est puissant pour leur donner la main quand ilz sont tombés.

  A026000616 

 En verité, c'est une experience reconneue, que la pluspart de ces personnes ne voyent que des festus a leurs yeux, parce qu'ilz estiment que la veuë de leur frere est aveuglee de poutre..

  A026000616 

 Et remarques cecy, que ceux que vous voyes si facilement treuver a redire aux moindres fautes du prochain, d'ordinaire ces gens la en entretiennent des grandes.

  A026000616 

 Les animaux d'Ezechiel se portoyent devant leurs yeux et [95] ne marchoyent qu'en devant: ainsy les gens de bien ne considerent que leurs imperfections, et les meschans ne vont que derriere eux pour suivre a la piste les actions d'autruy.

  A026000620 

 Un Superieur ne [devroit] sortir de la lecture des saintes Lettres, ni de la meditation, que comme un capitaine sort du camp, pour voir en passant l'armee ennemie, affin de reconnoistre ce qu'on y fait, pour en tirer du prouffit..

  A026000621 

 [Il] ne devroit jamais negliger le moindre exemple pour edifier le prochain, parce que tout ainsy qu'il n'y a si petit ruysseau qui ne meine a la mer, il n'y a trait qui ne [96] conduise l'aine en ce grand Ocean des merveilles de la bonté de Dieu..

  A026000622 

 Et en effect, il y a des meschans dont les exces pour estre passés en coustume treuvent que le repentir est un crime, l'amendement lascheté et l'innocence une honte et une pure niayserie..

  A026000622 

 L'abord des personnes qui commandent doit estre comme l'entree de la boutique d'un chirurgien, ou l'on ne fait que relever la moustache, anneler les cheveux et faire la barbe.

  A026000623 

 On ne se doit point tant embrouiller la teste d'advis ni en multiplicité de conseilz; les livres sont plus croyables et moins interessés que ceux en qui nous avons confiance, et il faut prendre garde que les autres se trompans ne nous abusent aussi, et ne sortent d'avec nous comme la guespe, apres avoir laissé son aiguillon.

  A026000628 

 Qu'un Superieur ne doit jamais accorder aucune particularité a un Religieux, si ce n'est avec cette mesme discretion de saint Ignace, et que s'il arrive de leur faire quelque grace, cela ne doit arriver que quand ilz sont dans l'acces de leurs esmotions, comme un peu d'eau dans l'ardeur de la fievre; mais apres, leur faire connoistre que cela nuit a la santé.

  A026000629 

 On devroit leur representer plus de rigueur qu'il n'y en a, et ne leur figurer point si avantageusement tant de consolations spirituelles; car tout ainsy que la pierre, encores que vous la jetties en haut, retombera en bas de son propre mouvement, aussi plus une ame que Dieu veut a son service sera repoussee, d'autant plus elle s'inclinera a ce que Nostre Seigneur voudra d'elle..

  A026000629 

 Rien ne perd tant les Ordres que le peu de soin qu'on [98] apporte a examiner les espritz de ceux qui se jettent au cloistre.

  A026000630 

 Ceux qui prennent ce parti par un despit d'avoir un courage haut avec une basse fortune, apportent plus de desordre parmi les cloistres que de bon ordre en eux.

  A026000630 

 Et lhors que d'autres s'y rendent par un mouvement de promptitude que leur met en l'esprit quelque tendre et peu judicieuse imagination, ilz font ni plus ni moins que la pierre au partir de la fronde, qui demeure arrestee quand l'effect de la machine commence a manquer; car, a nommer cela par son nom, ce sont des pensees lourdes et grossieres, qui s'efforcent en vain de monter vers le Ciel; ou bien des espritz semblables aux cabanes qui sont sur le rivage d'un fleuve, que la premiere pluye emporte..

  A026000631 

 Il vaudroit mieux n'avoir que deux Maysons en tout l'Ordre, que de les estendre avec des voyes de prudence humaine; car tost ou tard les fondemens qui sont sur le sable et ne seront pas en la pierre de Jesus Christ, feront tomber tout l'edifice..

  A026000633 

 J'aymerois mieux que les cloistres fussent remplis de tous les vices que du peché d'orgueil et de vanité; parce que, avec les autres offences, on peut se repentir et obtenir pardon; mais l'ame superbe a dans soy les principes de tous vices, et ne fait jamais penitence, s'estimant en bon estat et mesprisant tous les advis qu'on luy donne.

  A026000633 

 Voules vous que je vous die ce qu'il m'en semble, Madame? L'humilité, la simplicité de cœur et d'affection, et la sousmission d'esprit sont les solides fondemens de la vie religieuse.

  A026000655 

 Appian Alexandrin escrit que les Parthes, mis en fuitte par Marc Anthoine, pressés de la faim, ont trouvé une certaine herbe que, qui en mange, oublie tout et [102] n'entend qu'a tirer tous-jours des pierres de terre; et meurent ainsi en la peine.

  A026000660 

 Aconit est tous-jours un grand poison; beu neanmoins, il guerit la morsure du scorpion, ces deux venins s'entretuans l'un l'autre et laissant en vie l'homme que l'un d'eux, prins a part, tueroit.

  A026000664 

 C'est merveille que la force de ce venin s'adoucit par la musique, car je puis testifier pour l'avoir veu, dit Mathioli, [Trad.

  A026000664 

 Desmoulins, l. II, c. LVII,] qu'aussi tost quilz oyent les instrumentz ilz perdent leur mal, et sautent et dansent comme silz estoyent sains; si les sonneurs d'instrumentz cessent, ilz tumbent en terre et reprennent leur mal, sinon quilz ayent des-ja tant sauté que le venin soit sorti par sueurs; si que on loüe des menestriers qui, les uns apres les autres, sonnent jusques a ce quilz soyent gueris.

  A026000664 

 Venin de la tarantole, ainsy nommee pour Tarante, ville de la Poüille, fait que les piqués chantent, rient, pleurent, veillent, dorment; divers et innombrables effectz procedent de la diversité du venin de ces animaux, ou de la diversité de la temperature de ceux qui en sont piqués.

  A026000666 

 L'aconit a tout son venin en la racine, sans que les feuilles ni fruit face aucun mal.

  A026000667 

 Dæmocrite dit que sa langue arrachee, luy vivant, fait gaigner les proces a qui la porte sur soy; cela s'entend de la langue des advocatz, qui sont des vrais chamæleons.

  A026000680 

 L'herbe aussi nommee des Schites hippice, a mesm' effect es chevaux; et dit on que les Schites, avec ces herbes, peuvent durer sans boire ne manger douze jours..

  A026000681 

 On a donné tant d'honneur a l'herbe vetonica, que la maison ou elle sera plantee est contregardee de tout mal.

  A026000682 

 Adamantis, ainsy nommé (sic) parce qu'elle ne peut estre brisee non plus que le diamant; presentee aux lions, les fait tumber renversés a gueule ouverte.

  A026000685 

 Es Bactres, a l'entour de Boristenes, croit gelotophilis qui, beue avec vin et mirre, fait sembler que l'on voye plusieurs choses, et ne cesse l'on de rire si on ne boit des pignons avec du vin de palme, poivre et miel.

  A026000690 

 L'aymant tire de sa propre vertu le fer a soy, hormis celuy qui est rouillé; pourveu aussi que la pierre ne soit point frottee d'aux, ou quil ny ayt point de diamant aupres.

  A026000691 

 Mais si quelqu'un pensoit que ce fut fable, je l'asseure que j'ay un (sic) piece d'aymant lequel d'une partie tire le fer et de l'autre le rejette.

  A026000691 

 Partant, ceux qui avec semelles de fer cheminent par la montaigne d'Aymant, ilz ne peuvent [106] mouvoir les piedz, et par le mont Theamedes ilz ne se peuvent soutenir et ne font que trepigner.

  A026000725 

 Il a la nature du duvet que l'on appelle plume de salamandre, avec une légère humidité onctueuse et grasse, et c'est cela qui nourrit le feu..

  A026000752 

 des Propos de tab., q. 2: Peintre Androcides peint Scilla, mais sur tout les poissons, employant plus d'affection que d'artifice..

  A026000773 

 Alexandre allant en Asie contre Darius, ne garde que l'esperance ne Perdiccas avec luy.

  A026000774 

 Archelaus a son barbier: « Comment voules vous que je vous face la barbe? — Sans dire mot.

  A026000781 

 Noé ne prie pas pour le monde détruit, mais Moïse prie pour le peuple: Pardonne à ton peuple, ou efface-moi du livre de vie... Oublie-moi, parce que de ce peuple sortira le Messie..

  A026000784 

 Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche: tes mamelles sont meilleures que le vin, plus odoriférantes que les parfums les plus fins.

  A026000787 

 En tête du livre, il est écrit, etc., afin que je fisse ta volonté; Paul applique [ces paroles] au Christ..

  A026000788 

 J'ai pris racine dans le peuple que Dieu honore, et dans la part de Dieu, laquelle est son héritage, et dans l'assemblée....

  A026000802 

 Apelles n'employoit jamais en ses tableaux que quatre couleurs; ni le prædicateur, peintre chrestien, ne doit employer que l'Evangile contenu es 4 Evangelistes.

  A026000804 

 Il fit un cheval a l'envy d'autres peintres qui vouloit (sic) emporter le prix sur luy, et se doutant que la faveur de ses parties ne luy fit perdre le prix, il ayma mieux suivre le jugement des bestes.

  A026000805 

 Ayant donq souvent osté les couleurs quil avoit assisses avec un'esponge, voyant quil ne luy succedoit pas, il jetta l'esponge contre le lieu du tableau qui luy desplaisoit; et icelle estant pleyne des couleurs qu'ell'avoyt prinses et ostees du tableau, elle les rendit en ce lieu la, et se treuverent [114] assisses si a propos que l'escume fut faitte comm'il desiroit. Heu! quam sæpe Deus nostros conatus ad bonum dirigit, nobis aliud cogitantibus! Sic... velut sp... et recte illis cecidi ..........................................................

  A026000805 

 Protogenes, Rhodien, fit un Dalylus, un chien aupres de luy, avec un si grand soin quil ne mangeoit, pendant ce tems, que lupins detrampés, de peur que le goust des viandes ne luy changeast ou chargeast le sens.

  A026000811 

 Pireicus, comme semble a Pline, vouloit assoupir son bruit, et [ne peignait qu'en petit] volume et petites choses, comme boutiques [de barbiers, de cordonniers,] petitz asnes [char]gés d'herbes, et semblables [menus fatras; dont enfin on l'appela] paintre de bass'estoffe; [et néanmoins, à cause de son art, ces choses ] menues se vendoyent plus que plusieurs grandes des autres.

  A026000811 

 — Les moindres besoignes faittes en charité et selon l'art de vraye devotion, comme sont les mortifications des petites passions, les bas services et offices, les petites œuvres, valent plus que les plus grandes faittes laschement et sans devotion. Charitas est mensura hominis, quæ est Angeli, id est hominis et Angeli, Apoc. 21; arundo aurea sunt opera parva et nullius ex se momenti, ut arundo, et tamen, quia aurea sunt, mensura caritatis..

  A026000830 

 On diroit que c'est un animal a part, sautelant et se remuant; ceste seule partie n'est jamais malade, car la premiere offence la fait mourir.

  A026000832 

 Le jour que Cæsar fut fait dictateur et quil chargea la robbe de pourpre, il fit deux sacrifices, en tous lesquelz ne se treuva nul cœur es bestes quil sacrifia. Cæsar, [119] eversor reipublicæ a cædendo diabolus quos sacrificat in die suæ dictaturæ, id est dictando eis mala, excordat.

  A026000838 

 Pour garder que les raysins ne tumbent, jette de (sic) cendres sur la racine; si ell'est sterile, mesle de fort vinaigre avec cendres et en enduis les racines..

  A026000841 

 Les aspicz s'enflent le col voulant jetter leur venin, et ni a remede a leur morsure que de coupper le membre ou chair mordue.

  A026000847 

 Les daulphins faysans la guerre au crocodile, connoissans que la peau de son ventre est mince et tendre, font semblant d'avoir peur de luy et se fondent en l'eau, et se relevent contre son ventre et avec leurs arrestes trenchantes le luy fendent et le tuent.

  A026000851 

 Chameaux passeront 4 jours sans boire, mais s'en revanchent treuvans l'eau, laquelle ilz ne boivent quilz ne l'aÿe (sic) troublee, ne la treuvans bonne autrement (aucuns estiment que c'est pour ne voir leur difformité en icelle). Optime congruunt hæreticis de Scriptura non bibentibus, nisi sensum turbaverint, ut gustui suo aptent miscendo terrena sacris, vel ne suam videant turpitudinem.

  A026000857 

 Le sang de l'elephant est froid et les dragons desirans se rafraichir en sont frians; dont, aux chaleurs, le dragon se chache (sic) dans l'eau, espians que l'elephant vienne boire, et lhors se jettent (sic) a leur muffle et l'entortille, puis les mordant a l'oreille ou l'elephant ne peut porter la muffle, tire tout le sang de l'elephant, lequel tumbant mort, tue le dragon yvre de son sang.

  A026000858 

 La lionnesse est extremement luxurieuse et se laisse couvrir au liepart (sic), ce que le lion sent longtems apres et la chastie; mais pour oster ce sentiment, elle se lave.

  A026000858 

 On estime qu'elle ne porte qu'une seule fois en sa vie, par ce que ses fans, en sortant, luy esgratignent le ventre.

  A026000859 

 Les lions ont l'aleyne et le hasle du cors fort puant; ilz ne mangent guere, et si on les saoule, ilz ne mangent que de trois jours l'un; ordinairement, de deux jours l'un.

  A026000860 

 Le lion donne signe de ce quil pense par la queüe, comme [124] les chevaux par les aureilles.

  A026000864 

 Addition [125] au c. 42 du livr'onziesme: aucuns pensent que ce soit Loth ou Abraham, mais la plus part tient que ce fut le premier Roy de Bactriane..

  A026000868 

 Les parons qui le couvent et au nid desquelz il esclost ne tiennent conte de leurs petitz en comparayson du petit coucu qui, estant [126] plus goulu que les autres, mange leur viande et se rend gras et poly; dont le paron se mire en luy, se baignans de voir un si bel oyseau quil pensent (sic) avoir produit, jusques a luy permettre de manger et se paistre de leurs petitz propres devant leurs yeux.

  A026000869 

 La lanterne de mer, nommee en latin lucerna (aucuns disent que c'est le rouget), se tient ordinairement sur l'eau, et la nuit estant clere et calme, elle tire une langue luysante comme feu; l. IX. c. 27 [ al.

  A026000870 

 Si la rosee est pure, elles sont cleres; si le tems estoit trouble, elles le sont, participans plus de l'air que de la mer; elles s'engrossissent et nourrissent si elles peuvent recevoir a suffisance de la rosee.

  A026000871 

 La pierre tracienne mouïllee d'eau et approchee du feu, s'allume soudain et ne se peut estaindre que par l'huile.

  A026000872 

 C'est chose asseuree que les chiens en Ægipte lappent et boivent au Nil tous-jours en courant, de peur de servir de proÿe aux crocodiles. Pl.

  A026000874 

 Les saumes ayment fort leurs asnons, mais la crainte de l'eau surpasse cet amour; car pour aller vers leurs petitz elles ne craindront point de passer par le feu, mais si seulement il y a un petit ruisseau entre deux, elles ont si grand peur de le passer que mesmes elles ni osent mettre le pied.

  A026000877 

 Singesses portent leurs petitz ça et la par mignardise et les faire voir, [si] que par le tracas elles les tuent.

  A026000878 

 Les lievres, es hautes montaignes, sont blancz l'hiver pendant que la neige y est, et, dit on, quilz vivent de neige; et reprennent leur premier pelage, la neige estant fondue.

  A026000879 

 Pierre Messie dit quil craint plus les coqs blancz que les autres..

  A026000897 

 (Mathioli, [Pref., trad. Du Pinet, p. 13].) Plutarque en dit autant du cumin, duquel Mathioli, page 432, dit que les hipocrites, pour paroistre plus macerés, usent du cumin en leurs viandes et s'en parfument souvent.

  A026000904 

 Scorpions approchans l'herbe delphinium ou lychnis sauvage, ou la racine du premier aconit, sont tellement amortis quilz semblent plus mortz que vifz, et touchant a l'helebore blanc sont incontinent remis en force.

  A026000906 

 Roseau et feugere tellement ennemies, que si on tient au soc de la charrue un roseau attaché, toute la feugere qui sera en la terre labouree meurt; au contraire, les roseaux et asperges s'entr'ayment fort.

  A026000913 

 Mathioli, sur le c. 93, dit que c'est si les pailles sont frottees d'huile, et dit que ce qu'on dit quil n'attire pas l'hissope est faux. Anima comedit et attrahit vilia quæque et stipulis quæ vertuntur ante faciem venti; sed id non facit si linita sit gratia et charitate, tunc enim cessant rerum inutilium desideria..

  A026000916 

 Il recite que au sac de Hierusalem, les Juifz se voulans perdre, voulurent aussi ruiner les jardins de baume qui n'estoyent que deux, mais bien grans; au contraire, les Romains les defendirent et se donna une bataille..

  A026000918 

 (La rayson donc est que, par le mahumetisme, cette region a perdu ses faveurs.).

  A026000918 

 I, c. XVIII]: Mais comme s'est il fait que la Judee est privee du baume, laquelle seule jadis le portoit en plus grande abondance? Il respond que les Rois ægiptiens l'ont transporté; mais Dioscoride et Galien tesmoignent qu'en mesme tems il y avoit du baume en Ægipte et en Judëe.

  A026000918 

 II et IV,] mais il adjouste quil croit encor en la region des Sabæans; Pausanias, en ses Bœotiques, dit quil croit encor en Arabie et que les viperes se nourrissent de sa tresoüaifve liqueur.

  A026000919 

 IX, c., VI,] dit que l'arbre est grand comme un grenadier et que ses feulles ressemblent a la rüe, et tant luy que Dioscoride, [135] qu'on l'incise avec le fer.

  A026000921 

 XXXIV,]) est un arbrisseau de cinq coudees, le tronc espineux et tors; aucuns disent qu'elle croist au mesme bois que l'encens, l'un parmi l'autre.

  A026000922 

 Oyseaux seleucides viennent au secours des habitans [sur] le mont Casius ou le long d'iceluy, contre les sauterelles, et tient on que Juppiter les leur envoye a leur (sic) prieres, a cause du grand desgast que les sauterelles leur font.

  A026000925 

 On a donné tant d'honneur a l'herbe vetonica, que la mayson en laquelle elle sera plantee sera contregardee de tout malheur.

  A026000929 

 IX.] Idem, raconte que les Rois de Perse donnoyent a leurs ambassadeurs l'herbe latace, affin que par tout ilz eussent abondance de toutes choses.

  A026000936 

 Mithridates, Roy de Pont, inventeur du mithridat, avoit tellement renforcé son cors par icelluy que, s'efforçant de s'empoisonner pour eviter la servitude des Romains, il ne sceut onques.

  A026000941 

 LII]: On tient que les pigeons ont ressentiment de gloire et quilz se pavonnent en l'air et font des esplanades ça et la, se mirans en la varieté de leur pennage; mais cela est cause que les tierceletz et faucons les attrapent, car s'ilz volloyent leur droit vol, il (sic) ne les attraperoyent jamais, car ilz ont l'aysle plus royde que les oyseaux de proye; mais les ennemis les espient quand ilz s'amusent a leur gloire, pour les surprendre et attraper. Heu, superbi!.

  A026000945 

 « De sorte que l'histoire d'Arion, dit Pline, est aysee a croire.

  A026000946 

 Les pescheurs tendent leurs filetz en ladite morte, et par ce que les muges s'eschapperoyent par l'emboucheure, ilz crient aux daulfins: Simon, simon! Les daufins accourent et gardent l'emboucheure; si que les muges qui ne sont prins au (sic) filetz et qui les veulent eschapper sont tués par les daulfins, qui par apres les mangent; et le jour suivant les pescheurs, pour les recompenser, leur donne (sic) du pain trempé en vin. Heu me! quid faciet anima quæ se in aquas mortuas voluptatum injicit? Vel a mundo, vel a dæmone capiet.

  A026000947 

 XLII]; le traducteur dit que c'est fable. O anima in charitate vivit; sine charitate nihil est.

  A026000950 

 Il y a des dattes que les Grecz appellent caryotes (Kάρυον veut dire pesanteur de teste, hinc carous), excellentes a manger, et font un vin singulier qui donne: fort a la teste.

  A026000950 

 Ilz ayment les terres sablonneuses, neanmoins moüillees et trempees, si que ilz se playsent pres les fleuves.

  A026000950 

 L'armee d'Alexandre le Grand fut extremement endommagee de ce que ses soldatz ne se pouvoyent souler de ce bon fruit qui les estouffoyt par apres..

  A026000950 

 L'un et l'autre produit premierement la chair de la datte, puis le noyau dedans, qui sert comme de graine a la datte; on le void par ce que les jeunes dattes n'ont encor nul noyau.

  A026000952 

 Elles sont, avant que de sortir, encloses en une grande couverture nommé (sic) palma elaté, laquelle s'ouvrant, elles sortent et s'espanoüissent, d'ou viennent les dattes rougeastres.

  A026000959 

 On dit que gardant les cors des mouches a miel mortes (noyëes, les couvrant et eschauffant de cendres chaudes, l. XI, c. XXXVI) dans la mayson tout le long de l'hiver et les remettant au soleil au printems, les tenans couvertes [144] de cendres de figuier, elles resusciteront et seront bonnes comm'au paravant.

  A026000963 

 Aucuns pensent qu'elles meurent au [145] premier coup d'eguillon qu'elles donnent; autres, que non, sinon qu'elles les fichent si profond qu'elles ne les puissent retirer sans y laisser le boyau, mais que, par apres, elles sont du tout inutiles, comme les bourdons. Nota pro iracundis et iis qui vindictam exercent; c. 18 [ al.

  A026000968 

 Figuiers sauvages produit (sic) des mouchons qui, ni treuvant a manger, se jettent sur les figues privees et ouvrent les souspiraux d'icelles, et par ce moyen, le soleil et vent chaud qui fait meurir le blé entre dedans; joint aussi que ces mouchons succent le lait qui tenoyt lesdittes figues en enfance, et les font meurir par ce moyen.

  A026000969 

 Si l'elephant rencontre un homme qui va simplement son chemin par la forest, il se monstre doux et benin a luy; sil sent la piste et frais d'un homme avant que de le voir, il tremblera, de peur d'estre surprins; s'arreste, regarde ça et la, et ne marche point sur icelle, mais la jette a l'autre suivant, et l'autre a l'autre, et tous font ainsy et se mettent en combat.

  A026000973 

 Zeuxis: Il fit une luitte ou il print grand playsir, et mit dessous « qu'elle seroit plus tost enviee que contrefaite.

  A026000982 

 Sçavoir faisons et attestons, que les seize feulliets escripts et conteneus dans le present cayer a Nous exhibé par R d Seigneur M re Joseph de Sales, seigneur de Richemont, Docteur en saincte Theologie, chanoine de Nostre Esglise cattedrale de Sainct Pierre de Geneve, et ont esté escripts de la main propre et caracthere de nostre incomparable predecesseur Sainct François de Sales, comme ayant esté par Nous dheuement recogneus et parangonné (sic) sur des autres escripts dudit Sainct, treuvés et delaissés dans les Registres du Greffe de Nostre evesché.

  A026000994 

 Cicero, ibidem: Ah! gentil Caton, que tu es heureux d'avoir esté tel que jamais homme n'osa te solliciter a chose deshonneste! Sic de plerisque virginibus, et maxime de Virgine Maria, quæ scuto pudicitiæ tecta, nunquam oculis impudicis a nemine visa..

  A026000995 

 Apion, grammarien que l'empereur Tybere Cesar appelloit cymbale ou tambour du monde et porte nouvelles, estoit si outrecuidé quil disoit quil immortalisoit les lieux ou il composoit quelque livre.

  A026000998 

 nat., l. II,] chap. 37: Les lumieres et feux qui viennent sur les navires sont de mauvais præsage quand il ny en a qu'une seule, que les mariniers appellent helene; et mesme, ce feu solitaire tumbant au fond, il brusle le vaisseau.

  A026001011 

 Item, la différence entre Philippe et Alexandre, comme on peut le voir dans Plutarque: c'est que Philippe tirait gloire de tout; Alexandre, des grandes actions seulement.

  A026001078 

 Flambe, glay (gladiolus). Le souci s'ouvre a la lueur du soleil [Ibid, l. II, p. 234 b ]; les fleurs de flambes, tant blanches que bleues, [se] ferment a la lueur du soleil et s'ouvrent seulement en tems froid et humide.

  A026001078 

 Sa racine est odorante; elle ressemble a l'arbre triste, en ce que l'arbre triste ne fleurit que la nuit. Charitas maxime extenditur in tribulatione; at falsa, inter prospera et consolationes tantum dilatatur.

  A026001080 

 A mesure qu'on le plante avant en terre, il fleurit tard; en plantant 12 doigs, 6, 4, il en viendra les uns tost, les autres tard, si que sa sayson depend de cela.

  A026001084 

 L'amour de complaysance provoque a la louange et honneur, par maniere d'admiration et de declaration du sentiment que nous avons: c'est pourquoy, au traitté de l'Orayson, il en faudra faire mention es chapitres de la louange, etc..

  A026001086 

 Quand le roy des abeilles est mort, elles s'amoncelent autour de luy, et si leur gouverneur ny prend garde, elles meurent-la plustost que de le quitter; il faut donq quil le leur oste de devant. O morienti Christo, quare non commorimus? Christo confixus sum cruci.

  A026001100 

 Et y a difference entr'un homme de bien et homme devot, car cestuy-la est homme de bien qui garde les commandemens de Dieu, encor que ce ne soit pas avec grande promptitude ni ferveur; mais celuy-la est devot qui non seulement les observe, ains les observe volontier, promptement et de grand courage..

  A026001100 

 La devotion n'est autre chose que la promptitude, ferveur, affection et mouvement que l'on a au service de Dieu.

  A026001101 

 Pour ce faire, il faut premierement prendre garde de n'avoir point la conscience chargee d'aucun peché, car le peché est un si pesant fardeau que, qui le porte ne peut cheminer contre mont; c'est pourquoy il se faut confesser souvent et ne jamais laisser dormir le peché dans nostre sein.

  A026001103 

 A quoy vous servira beaucoup de garder en vostre imagination le point de la meditation que [166] vous aurés le plus gousté, pour le remascher le long de la journee, comme l'on fait les tablettes pour le cors.

  A026001103 

 Et lhors que l'horologe sonne, de dire quelque petit mot de cœur ou de bouche, comme seroit: VIVE JESUS! ou bien: Voicy l'heure de se resveiller au bien; Mon heure s'approche, et semblables.

  A026001103 

 Et touchant la priere, je vous advertis que, premierement, vous ne devés jamais laisser de dire l'Office ordinaire, qui est commandé de l'Eglise, et plus tost faut laisser toutes autres prieres.

  A026001103 

 Troysiesmement, ayes l'usage des oraysons jaculatoires, qui sont des souspirs d'amour que l'on jette devant Dieu pour requerir son ayde et son secours.

  A026001104 

 Je suis d'advis que vostre meditation se face le matin, et que le soir precedant vous lisiés le point que vous voudres mediter, dans Grenade, Bellintani ou quelqu'autre semblable..

  A026001104 

 Prenes par coustume de vous mettre en la presence de Dieu le soir avant vostre repos, le remerciant de ce quil vous a conservé, et faysant l'examen de vostre conscience, ainsy que les livres spirituelz vous l'enseignent.

  A026001106 

 Le jour de vostre Communion, tenés vous la plus devote que vous pourres, souspirant a Cel[uy] qui sera en vous, et le regardes perpetuellement de l'œil interieur, gisant ou assis dans vostre propre cœur comme dans son trosne, et luy faites venir l'un'apres l'autre vos puissances et sens pour ouïr ses commandemens et luy promettre fidelité.

  A026001106 

 Ne manques jamais [de] communier tous [les] pre[miers] Dimanches du moys, outre les bonnes festes, et le so[ir] devant, confessés vous et excites en vous une sainte reverence et joÿe spirituelle de devoir estre si heureuse] que de recevoir vostre doux Sauveur; et faittes alhors nouvelle resolution de le servir fervemment, laquelle [167] l'ayant receu, il faut confirmer, non pas par vœu, mais par un bon et ferme propos.

  A026001107 

 Au contraire, rendes leur le plus que vous pourres de consolation et contentement, affin que cela leur face honnorer et estimer la devotion et la leur face desirer..

  A026001111 

 Le moyen de ce faire en ce commencement doit estre doux, gracieux et jo[yeux], sans commencer par reprehensions des choses qui ont esté supportees jusques a present; ains vous deves vous mesme, sans leur dire mot, monstrer tout le contraire en vostre vie et conversations, vous occupant devant elles en saintz exercices: comme seroit, faysant quelquefois des prieres en l'eglise, ou bien mesme la meditation, disant le Chapelet, faisant lire quelque livre spirituel pendant que vous travailles de l'eguille, et les caressant plus doucement et modestement que jamais.

  A026001112 

 Tenes-vous courte avec les conversations mondaines et ne permettes pas, que le moins que vous pourres, qu'elles soyent en vostre chambre particuliere, pour, petit a petit, procurer que le dortoir des Dames en soit entierement exempt; ce qui seroit bien requis, et vostre exemple en est un grand moyen..

  A026001113 

 A la table, procures que l'on lise quelque beau livre spirituel, comme Grenade La vanité du monde, Gerson, Bellintani et telz autres; et mettes en coustume que ce soit tous les jours..

  A026001114 

 En l'Office, il faut que vostre contenance devote donne loy a toutes les Religieuses de modestie et reverence; ce que vous feres aysement si vous vous mettes en la presence de Dieu au commencement de chaque Office.

  A026001114 

 J'estime que d'introduire le Breviaire du Concile de Trente sera une chose utile et prouffitable..

  A026001116 

 Il sera bon que vous employies quelqu'une de vos Religieuses pour vous ayder en la conduite des choses temporelles, affin que vous ayes tant plus de commodité pour vous addonner au spirituel et aux offices de charité.

  A026001117 

 En fin, ne vous empressés point pour ce commencement; mais faites tout ce que vous feres si gayement et avec tant de douceur, que toutes vos filles ayent occasion de vouloir embrasser la devotion.

  A026001117 

 Petit a petit, et lhors que vous les y verres embarquees, il faudra traitter plus entierement du restablissement de la perfection et de la Regie, qui sera le plus grand service que vous puissies faire a nostre Sauveur: mais tout cela doit proceder non tant de vostre authorité, comme de vostre exemple et douce conduitte..

  A026001118 

 Que vous seres heureuse si, a la fin de vos jours, vous pouves dire comme Nostre Seigneur: J'ay consommé et parfait l'œuvre que vous m'aves mis en main! Desires le, procures le, penses a cela, pries pour cela; et Dieu, qui vous a donné la volonté pour desirer, vous donnera les forces pour le bien faire..

  A026001123 

 Imagines-vous que vous estes une pauvre servante de [170] Nostre Seigneur, et qu'il vous a mis en ce monde comme en sa mayson..

  A026001124 

 Demandes luy avec humilité pourquoy il vous y a mise, et consideres que ce n'est pas pour aucun besoin qu'il eust de vous, mais affin d'exercer en vous sa liberalité et bonté; car c'est pour vous donner son Paradis.

  A026001124 

 Et affin que vous le puissies avoir, il vous a donné l'entendement pour le connoistre, la memoire pour vous resouvenir de luy, la volonté et le cœur pour l'aymer et vostre prochain, l'imagination pour le vous representer et ses benefices; tous vos sens pour le servir, les oreilles pour ouyr ses louanges, la langue pour le loüer, les yeux pour contempler ses merveilles, et ainsy des autres..

  A026001126 

 Considerés quel malheur c'est au monde de voir que les hommes pour la pluspart ne pensent point a cela, mais leur est advis qu'ilz sont en ce monde pour bastir des maysons, ageancer des jardins, avoir des vignes, amasser de l'or, et semblables choses transitoires..

  A026001127 

 Faites une representation de vostre misere, qui a esté si grande quelque tems, que vous aves esté de ce nombre-la.

  A026001127 

 Helas, ce dires vous, que pensois je quand je ne pensois pas en vous? O Seigneur, dequoy me resouvenois je quand je vous avois oublié? Qu'aymois je quand je ne vous aymois pas? N'estois je pas miserable de servir la vanité au lieu de la verité? Helas, le monde, lequel n'est fait que pour me servir, dominoit et maistrisoit sur mes affections.

  A026001128 

 Resolves vous, et faites un ferme propos de cy apres vaquer fidellement a ce que Dieu desire de vous, luy disant: Vous seres cy apres mon unique lumiere pour mon entendement; vous seres l'object de ma souvenance, qui ne s'occupera plus qu'a se representer la grandeur de vostre bonté si doucement exercee en mon endroit; vous seres les seules delices de mon cœur et l'unique Bienaymé de mon ame..

  A026001132 

 Ah, Seigneur, j'ay de telles et telles pensees, je m'en abstiendray cy apres; j'ay trop de memoire des picques et injures, je la perdray doresnavant; j'ay mon cœur encor attaché a telle et telle chose, qui est inutile ou prejudiciable a vostre service et a la perfection de l'amour que je vous dois: je le retireray et desengageray entierement, moyennant vostre grace, affin que je le puisse tout donner au vostre..

  A026001134 

 Repetes souvent la parole de saint Bernard, et a son imitation, excitant vostre cœur, dites souvent: Rose, qu'es tu venue faire en ce monde? que fays tu? fays tu ce que ton Maistre t'a donné en charge, et pour quoy il t'a mise en ce monde et te conserve?.

  A026001149 

 Apres tout cela il faut faire la demande, suppliant Dieu quil luy playse nous donner la grace de bien le servir et executer fidellement nos bonnes resolutions, l'adjurant par le merite de son Filz, et particulierement par celuy qui reluira au mistere que nous aurons medité, par l'intercession de la Vierge et des benitz Saintz.

  A026001153 

 Et en fin, s'offrir entierement a Dieu, protestant de vouloir que nous et nos actions soyent a luy et pour luy en pureté d'intention, et luy offrir tous les susnommés, le priant [173] les avoir aggreables pour l'amour de nostre Sauveur, au nom duquel nous luy demanderons la benediction pour nous et pour tous ceux pour lesquelz nous avons prié, dirons le Pater et Ave, puis nous.

  A026001157 

 Et comme ceux qui sortent d'un jardin cueillent quattr'ou cinq fleurs pour les porter en leur main, les sentir et regarder le long de la journee, ainsy nous faut il choisir deux ou trois point (sic), ou au moins un de ceux que nous aurons le plus gousté, pour, le long de la journee, le sentir et ressentir coup sur coup selon la diversité des occasions, et s'en aller en paix et tranquillement vacquer aux affaires ausquelles Dieu nous appelle, quelles qu'elles soyent..

  A026001158 

 Mais affin que vous m'entendies mieux, je mettray devant vos yeux une Meditation formee et estendile fort au long, avec toutes ses dependances, sur laquelle vous connoistres mieux ce que je me suis essaÿé de vous dire de ce saint exercice; et neanmoins je ne mettray sinon quelques principales considerations, et de mesme quelques principales affections, et non toutes celles que j'en pourrois tirer, car ce serait trop..

  A026001162 

 C'est le mistere de l'elevation de Jesus crucifié sur le mont de Calvaire, et præsuppose que c'est [un vendredi ]..

  A026001162 

 J'ay choysi un mistere qui est des plus beaux et fertiles, et sur lequel neanmoins je ne diray que fort peu au prix de ce qui s'en pourrait dire.

  A026001164 

 Apres donques que le soir au paravant j'auray pensé ou [174] leu l'histoire, et auray præparé en gros les pointz de la meditation ainsy quilz sont couchés ci bas, le matin estant arrivé et estant prest, prenant de l'eau benite, faysant le signe de la Croix et mis a genoux au lieu de la priere, je commenceray a mediter en cette sorte:.

  A026001168 

 Je me representeray et mettray une vive apprehension en mon esprit que Dieu est veritablement present a toutes choses, mais specialement a mon cœur et a mon entendement, ou il est comme cœur de mon cœur et l'ame de mon ame.

  A026001172 

 Et donques, diray-je, cette mer de perfections, cet abisme de bonté, non seulement m'environne de tous costés, mais se communique par une vraye presence et tres entierement a ce cœur desloyal, a cett'ame felonne! Helas, mon Dieu, mon Seigneur, il me semble que mon cœur, ainsy profondement meslé et uni de toutes pars a vostre divine presence, n'est autre chose qu'un vil et venimeux crapaut qui nage, se supporte et maintient dans une mer de bausme tres prætieux.

  A026001173 

 Esclaires sur moy vostre face sacree, et tenes mes yeux fichés sur les vostres, affin que je puisse considerer vos merveilles et vous en louer, benir et adorer..

  A026001173 

 Mais, Seigneur, puisque vous m'i aves receu et que je suis nay, nourri et maintenu dans les entrailles de cette vostre presence, hé, mon bon Dieu, ne me rejettes point de vostre sainte face; permettes a ce miserable cœur quil respande ses indignes pensees et ses chetifves affections dans le sein de vostre misericorde et quil prononce [175] ses afflictions devant vous.

  A026001173 

 Vous m'aves commandé de vous invoquer et promis que vous m'exauceries; mon Dieu, mon Sauveur, me voyci vostre indigne servante, me soit fait selon vostre parole.

  A026001177 

 Il me semble que parmi cette grande foule de gens qui accourent de toutes pars de la ville de Hierusalem pour voir crucifier mon Sauveur, je me treuve au mont de Calvaire, en un lieu un petit plus esloigné que les autres, mais aussi plus advantageux et relevé, d'ou je voy plus aysement le triste et cruel spectacle de la crucifixion.

  A026001178 

 Sa bouche, toute meurtrie des coups de la nuit, tenant un profond silence, n'est ouverte que pour jetter des souspirs amoureux sur le peuple, en la presence du Pere æternel.

  A026001180 

 Voyla ce que je m'imagine de voir, tout conforme a l'histoire..

  A026001184 

 Est ce donques, ce dis-je, ce grand Jesus qui a tant fait de miracles, de sermons et d'actes vertueux tout le tems de sa vie? Est ce pas la le Filz de Dieu æternel, qui est Maistre du Ciel et de la terre? et comment donques est-il pendu en croix? Ne pouvoit-il pas mourir de mille sortes de mortz plus honnestes, plus doulces et supportables, puis qu'il vouloit mourir? O quil faut bien dire que cette mort a quelque secrette beauté, puisqu'elle a esté choysie par le Filz de Dieu mesme! O quelle admiration sera ou peut estre digne de cette merveille?.

  A026001184 

 Je considere premierement celuy qui est ainsy pendu et eslevé, et voy par l'escriteau, que c'est Jesus de Nazareth, Roy des Juifz.

  A026001185 

 Hé, que cet Aigneau est benin! Oui me donnera [177] la grace que, parmi les travaux et injures, je puiss'estre de mesme?.

  A026001186 

 Pourquoy donques se taist il, sinon pour tesmoigner sa mansuetude et douceur? Helas que je suis miserable! pour peu qu'on me touche, je crie, je me plains, je ne finis jamais mes lamentations, je ne rencontre personne a qui je ne communique mes regretz..

  A026001187 

 O feu admirable et sacré qui enflammés cette poitrine, mon Dieu, que vous estes ardent! Le vent des tribulations accroist vos flammes, la glace de vos persecuteurs vous eschauffe, et le torrent des persecutions donne force a vos ardeurs.

  A026001187 

 Quand sera ce que mon cœur sera embrasé de ce celeste feu de charité et qque j'aymeray mes ennemis? Ah, que je suis bien esloigné de cette sainte flamme! Une goute de l'eau de mesdisance, un seul vent de quelque petite injure estaint soudainement toute mon amitié et la convertit en glace et nege..

  A026001191 

 Et considerant mes fautes passees, o Seigneur, je vous supplie, en vertu de ces peynes, de les effacer entierement; si que, comm'une nüee dissipee n'empesche plus les rayons du soleil de venir esclairer et eschauffer la terre, ainsy jamais plus mes pechés ne puiss'empescher la douceur de vostre regard misericordieux sur ma pauvre et langoreus'ame.

  A026001191 

 Et pour le regard des mauvaises habitudes et inclinations qui tormentent mon ame, helas, Seigneur, permettes-moy que je vous die: Lavés, lavés de rechef ce cœur qui, comme vase immonde, retient encor l'odeur de l'infecte liqueur de peché; lavés encor, Seigneur, et nettoyes tous-jours, jusques a ce quil soit affranchi de ceste senteur si fascheuse..

  A026001191 

 O que je suis miserable de m'y tant et si souvent abismé et veautré (sic). O que je suis chetif d'en avoir tant avalé, car je suis bien de ceux-la qui, comme dit [178] la sainte Parole, boivent l'iniquité comme l'eau! Mais puisqu'il vous a pleu, o ma douce Esperance, souffrir ces peynes et travaux pour me nettoyer de mes iniquités, je veux respirer en vostre bonté.

  A026001192 

 O Dieu, que vos peynes sont bien contraires aux miennes! Vous patisses pour me sauver, et jusques a present, pourquoy ay-je souffert que pour me perdre? Helas, si j'ay couru, si j'ay veillé, si j'ay eu aucun soin cuysant, n'a ce pas esté pour la vanité, pour l'ambition, pour la vengeance?.

  A026001202 

 Il me semble que parmi cette grande foule de gens qui accourent de toutes pars de la ville de Hierusalem pour voir crucifier Nostre Seigneur, je me treuve au mont de Calvaire, en un lieu un petit plus esloigné que les autres, separé et relevé, qui me le rend advantageux pour voir et considerer a part moy ce triste et cruel spectacle.

  A026001202 

 Maintenant donques, des ce lieu la, je m'imagine que je voy relever ce saint Crucifié en l'air, petit a petit, et que la croix est fichee et plantee dans le trou fait a cette intention..

  A026001203 

 Il reste que je poursuive a considerer les particularités par lesquelles ma volonté puisse estre excitee a produire beaucoup de bonnes saintes affections et resolutions: et cela, c'est la meditation..

  A026001207 

 Exterieurement: par cette eslevation son cors est tout entierement supporté sur ses pieds et ses mains cloués, dont advient que les playes s'agrandissent et la douleur se rend immense.

  A026001207 

 Je considere ce que Nostre Seigneur souffre en ce mistere, tant exterieurement qu'interieurement.

  A026001207 

 Ses oreilles n'entendent que blasphesmes, ses yeux ne voyent que la furie de ceux qui le tuent, et en tous ses sens il endure des douleurs insupportables..

  A026001212 

 Helas, nul n'est si denaturé que voyant un criminel sur la roue, n'en ayt compassion.

  A026001212 

 Hé, je vous prie, de grâce, mes amis, releves bellement cette croix, et fiches la si doucement, que ses playes ne s'agrandissent point et que la secousse n'en soit pas si grande.

  A026001212 

 Hé, vois ce cœur affligé de tant de pechés que le peuple commet; et si ton cœur ne s'afflige avec luy, il faut que tu ne l'ayes pas de chair, mais de pierre, et plus [dur] que le diamant mesme..

  A026001215 

 O qui me donnera la grace que je puisse en quelque façon donner allegement a mon Sauveur affligé! Hé, que ne m'est-il loysible de prendre mes habitz plus prætieux pour couvrir vostre nudité! que n'ay je du bausme excellent pour en oindre vos play es! que ne suis je pres de vous sulla croix pour soustenir vostre cors en mes bras, affin que la pesanteur ne dechirast pas si fort les playes de vos pieds et de vos mains! Mais sur tout, que ne puis je empescher les pecheurs de tant offenser vostre cœur, qui ne feroit que se jouer de toutes les peynes de vostre cors, si pour icelles les pecheurs pouvoyent estre amendés! Que ne suis je quelque excellent et fervent predicateur pour leur annoncer la penitence! O comme ne dirois je aux iniques: Ne veuilles plus vivre iniquement; et aux delinquans: Ne relevés plus les cornes de vostre fierté et felonie!.

  A026001216 

 Comme vous respandrois-je du bausme sur vos playes, puisque je ne respandis jamais un verre d'eau pour vos pauvres? Comme voudrais je vous supporter en croix, puisque je ne fuis jamais rien tant que les croix? Et quel predicateur de penitence, moy [182] qui n'en fais point, et qui contribue tous les jours, plus que nul autre, au desplaysir que les pechés vous donnent?.

  A026001216 

 Mais, o Seigneur, pourquoy m'amuse-je a ces desirs, desquelz je n'ay la force d'en prattiquer un seul? Comme vous donnerois je mes habitz prætieux, moy qui n'en donnay jamais un vil et usé a vos pauvres? Sur la croix vous ne me les demandes pas, et je vous les offre; en vos pauvres vous me les demandes, et je les refuse! O vaynes et miserables offres qui ne se font qu'en apparence, et en effect ne sont que mocqueries.

  A026001220 

 J'instruiray les desvoyés, et diray a mon cœur et aux autres: Voules vous estre plus cruelz a l'endroit de vostre Sauveur que ne sont les vautours a l'endroit des colombeaux? ilz n'en deschirent ni devorent jamais le cœur.

  A026001220 

 Voules vous bien estre si acharnés a l'encontre du beni Colombeau qui niche sur la croix, que de deschirer son cœur avec les dens de vos impietés? Seigneur, ah, doresnavant je consoleray par effect le pauvre et empescheray le peché..

  A026001224 

 Exterieurement: avec un grand silence, les yeux doux et benins, qui regardent par fois au Ciel, dans le sein de la misericorde du Pere, quelquefois sur le peuple, auquel il procure la grace de cette misericorde, sa bouche n'estant ouverte en ce mistere que pour jetter des souspirs de douceur et de patience.

  A026001224 

 Il me semble que je voy en sa poitrine l'endroit du cœur qui pantele et tremousse d'amour, et fait une inflammation si grande que tout cet endroit me semble rougissant..

  A026001225 

 Mais, helas, miserable que je suis, qui ne sçaurois souffrir un mot sans crier, sans me plaindre, sans faire du bruit au logis; jamais je ne finis mes lamentations, je les estens et respans par tout..

  A026001230 

 Mais doresnavant, o mon ame, je veux que nous soyons patiens, doux et gracieux, et que jamais l'eau de contradiction ne puisse esteindre le feu sacré de la charité que nous devons au prochain..

  A026001234 

 O obeissance admirable et filiale! Mais quel effronté suis-je, d'oser appeller Dieu mon Pere, auquel je n'ay jamais porté le respect filial; et comme obeirois-je jusques a la mort, que je ne le puis pas mesme jusques a la souffrance d'une petite parole fascheuse et d'un regard traversé? Mais doresnavant, venes, o tribulations et desplaysirs; que venant de la part du Pere eternel, je vous recevray de bon cœur, et beniray le calice d'obeissance..

  A026001235 

 Mon iniquité est donques bien grande: o que je suis miserable de m'y estre si souvent abismé! O Seigneur, qui me delivrera de ce labyrinthe, si ce n'est vous? O ja ne vous playse de permettre que j'y retombe plus si lourdement.

  A026001235 

 O peché tres abominable, je ne te verray jamais d'un costé que, plustost que de me souiller en tes ordures, je ne me jettasse en cent mille tourmens..

  A026001239 

 Ah! non, vous me voules sauver, Seigneur; que vostre volonté soit faite.

  A026001239 

 Pour me retirer de l'enfer, helas, et pour me delivrer de perdition, que vous souffres! Et que je souffre pour m'y engager! Tout ce que j'ay souffert jusques a present n'a esté qu'a ma perte.

  A026001244 

 Chacun est obligé d'aspirer a la perfection de la vie chrestienne, car Nostre Seigneur commande que nous soyons parfaitz, et saint Paul le repete aussi..

  A026001245 

 Pour donques acquerir la perfection, nous devons tous-jours considerer et reconnoistre quell'est la volonté de Dieu en tout ce qui nous regarde, affin que nous fuyons ce quil veut que nous evitions, et que nous observions ce quil veut que nous facions..

  A026001246 

 C'est pourquoy nous devons tous-jours regarder a bien observer ce que Dieu commande a tous les chrestiens, et aussi ce que nostre vocation requiert de nous particulierement; et qui ne fait soigneusement ceci ne peut jamais avoir qu'une devotion trompeuse..

  A026001247 

 Il y a encor des autres sujetz dont on ne peut douter que Dieu ne les veuille, comme sont les tribulations, maladies et afflictions.

  A026001248 

 En quoy une grande quantité de personnes se trompent, qui ne se preparent que contre les grandes afflictions, et demeurent sans armes, sans force et sans aucune resistence es petites; la ou il seroit plus supportable d'estre moins præparé aux grandes, qui ne surviennent que fort peu souvent, et l'estre aux petites, qui sont quotidiennes et se presentent a chasque moment.

  A026001248 

 Je donne un exemple de ce que je dis: Je me prœpareray a supporter patiemment la mort, qui ne me peuvent (sic) arriver qu'une fois, et je ne me præpareray point a supporter les incommodités que je reçoy des humeurs de ceux avec lesquelz je converse, ou les importunités d'esprit que ma charge m'apporte, qui se presentent cent fois le jour: c'est cela qui me rend imparfait..

  A026001248 

 Mais il faut passer plus avant et bien considerer ceste volonté non seulement es grandes afflictions, mais jusques aux petites traverses et moindres incommodités que nous sceussions recevoir en cette miserable vie.

  A026001249 

 Il y [a] des autres actions ausquelles je ne suis point obligé ni par les commandemens generaux de Dieu, ni par le particulier devoir de ma vocation; et en celles ci il faut [186] estre soigneux de considerer en liberté d'esprit ce qui tend a la plus grande gloire de Dieu, car c'est cela que Dieu veut.

  A026001249 

 J'ay dit, en liberté d'esprit, par ce que cela se doit faire sans empressement ni inquietude, ains par une simple veüe du bien que nostr'action doit apporter: comme de faire un petit voyage de Saint Bernard, de se confesser un tel jour, visiter un tel malade, donner une petite somme, commun escu, pour l'amour de Dieu.

  A026001249 

 Que si elle n'est pas de grande importance, aussi ne faut il pas une grande sollicitude, ains, apres une petite consideration, il se faut resoudre; et si par apres l'action, la resolution ne semble pas bonne et qu'on se soit trompé, on ne s'en doit nullement affliger ni troubler, ains s'humilier et mocquer de soi mesme..

  A026001259 

 Nostre Dieu nous commande d'estre parfaitz; mais en quoy consiste la perfection? C'est chose asseuree qu'elle n'est autre chose que la charité, qui comprend l'amour de Dieu et du prochain.

  A026001260 

 Puis donq que nous sommes obligés d'aspirer a la perfection, il est requis de connoistre les moyens propres pour l'acquerir, et tout ensemble les actions qu'elle produit en nous, qui n'est qu'une mesme chose; car tout ainsy que le grain du froment produit la plante et la plante produit le grain, ainsy les saintz exercices produisent la perfection et la perfection fait naistre les saintz exercices.

  A026001261 

 Mais parce que ce troisiesme moyen est si ample, je le reduiray en cette sorte: Les trois vertus des Religieux sont les trois plus signalés instrumens pour acquerir la perfection et les trois plus grans effectz d'icelle.

  A026001261 

 Or, ces trois vertus ou vœux estant gardees, quoy que non vouees, elles rendent l'homme parfait; il faut donq tascher a les acquerir en tous les degrés qu'elles ont..

  A026001265 

 Le premier degré, c'est d'obeyr aux Superieurs et [à ceux] qui ont du pouvoir sur nous, comme peres, meres, maris, Prelatz: donq le filz doit obeyr a son pere avec la mesme souplesse qu'un Novice d'une Religion fort reglee feroit a son Superieur; et est une niayserie de s'imaginer qu'on obeyroit bien a un Superieur de la Religion qu'on aurait choisie, si on ne peut obeyr aux Superieurs que Dieu mesme et la nature nous a donnés..

  A026001267 

 Et cela est ordonné par l'Apostre, qui veut que nous soyons sujetz a un chacun pour l'amour de Dieu..

  A026001267 

 degré, c'est d'obeyr aux inferieurs, s'accommodant aucunement a leurs desirs entant qu'ilz ne sont point mauvais, avec une [douce] condescendance; et a ce degré est contraire l'authorité imperieuse et desdaigneuse que l'on prend sur les inferieurs.

  A026001271 

 degré, c'est d'obeyr aux inspirations et mouvemens interieurs que l'on reconnoist tendre a la plus grande gloire de Dieu, et ce, apres les avoir examinés ou fait examiner.

  A026001273 

 L'obedience a encores troys autres degrés, prins de la facilité ou difficulté que nous avons en l'obeyssance.

  A026001276 

 L'exemple en est en Nostre Seigneur, qui en tout a voulu que le vouloir de son Pere se fist, mesme en la Passion..

  A026001276 

 La prattique de ces trois degrés fait que nous obeyssons entierement, soit en choses grandes, soit en choses petites.

  A026001280 

 Je croy que mon Redempteur est vivant et qu'en ce dernier jour je resusciteray.

  A026001280 

 Mettes ordre qu'aussi tost que seres esveillee, vostre ame se jette du tout en Dieu par quelque sainte pensee, telle que celle-cy: Comme le sommeil est l'image de la mort, aussi le resveil est l'image de la resurrection.

  A026001280 

 O Seigneur, que ce soit, s'il vous plaist, [191] a la vie eternelle: cette esperance repose dans mon sein.

  A026001283 

 Arrivee que seres a l'eglise pour ouyr Messe, tandis que le prestre preparera le calice et le messel, mettés-vous en la presence de Dieu.

  A026001285 

 Le Dimanche, entrés dans celle du costé; le lundy, dans celle du pied gauche; le mardy, dans celle du pied droit; le mercredy, dans celle de la main gauche; le jeudy, dans celle de la main droite; le vendredy, dans les cicatrices de son adorable chef; le samedy, retournés entrer dans son sacré costé, affin que par iceluy vous commencies et finissies vostre semaine. [193].

  A026001298 

 Helas, comment peut vivre cette miserable et si chetifye creature en une si profonde presence de vostre Bonté? Il me semble, o mon Dieu, que mon cœur ainsy meslé, uni [194] et nageant en vostre infinie Essence, n'est autre chose qu'un vil et venimeux crapaud qui flotte, se supporte, maintient et vit dans une mer de bausme praetieux..

  A026001299 

 Esclaires sur moy vostre face sacree, affin que je considere vos merveilles pour vous louer, adorer et benir a jamais..

  A026001303 

 Je m'imagine de plus, que le crucifiement est des-ja fait, c'est a dire, la croix estendüe sur la terre; que Nostre Seigneur, despouillé, tout fin nud, a esté attaché par les bourreaux sur icelle, cloüé et serré pieds et mains.

  A026001303 

 Je m'imagine et il me semble que parmi cette grande foule de gens qui accourent de toutes pars pour voir crucifier le Sauveur, je me treuve sur le mont de Calvaire, en un lieu un peu plus esloigné que les autres, separé et relevé, et par consequent plus advantageux pour voir et considerer a part moy ce triste et cruel spectacle.

  A026001303 

 Maintenant, donques, m'estant logé par imagination en ce lieu que j'ay dit, je m'imagine [195] outre cela que je voy relever ce saint Crucifié tout vivant en l'air, et que la croix est fichee et plantee en terre dans le creux qui a esté fait a cette fin..

  A026001304 

 Il reste que je poursuyve a considerer les particularités qui peuvent esmouvoir ma volonté aux saintes affections et resolutions: et cela est la meditation..

  A026001308 

 Je considere que le doux Sauveur souffre tant exterieurement qu'interieurement.

  A026001314 

 Helas, ses playes sont des-ja bien grandes et capables de tenir a couvert les pechés du monde contre l'indignation du Pere æternel! O Dieu, que ne suis je quelque excellent et fructueux praedicateur, pour au moins empescher que ce divin cœur ne fust tant offensé par tant d'iniquités! O comme je dirois: Ne veuilles plus vivre iniquement, et ne releves plus les cornes de vos meschancetés pour les ficher dedans ce cœur des-ja tant affligé!.

  A026001314 

 O qui me fera la grace que je puisse en quelque façon soulager mon Sauveur en cette affliction? Hé, que ne m'est [196] il permis de le couvrir de quelque habit praetieux, de respandre sur ses playes quelque bausme excellent et supporter entre mes bras la pesanteur de ce cors! Et vous qui releves cette croix, alles y tout bellement, je vous supplie, et ne la rejettes pas si rudement dans le creux, affin que la secousse ne soit pas si grande pour ce pauvre Patient.

  A026001315 

 Je n'en donnay jamais un seul, pour vil et usé qu'il fust; et comment vous donnerois-je les prætieux? Comment respandrois-je du bausme sur vos playes, puisque j'ay bien de la peyne a respandre un verre d'eau pour vos pauvres? Hé, quel prædicateur de penitence, moy qui n'en ay point encor fait, et qui contribue tous les jours plus qu'aucun autre aux desplaysirs que vous donnent les pechés! O vains et miserables desirs, o offres inutiles, puisqu'elles ne sont qu'en apparence, et qu'en effect ce ne sont que mocqueries..

  A026001319 

 Je me diray a moy mesme, et puis aux autres: Serons-nous plus cruelz au Sauveur que les vautours ne le sont aux colombes? ilz n'en deschirent jamais le cœur.

  A026001319 

 Serons-nous si acharnés contre le saint Colombeau qui niche sur [197] l'arbre de la croix, que de massacrer et deschirer son cœur avec les malheureuses dens de nos impietés? Ah, Seigneur, ah! je seray doresnavant impitoyable en la resolution que je fay d'aymer et de secourir les pauvres, qui sont vos membres, et de procurer mon amendement et celuy des autres..

  A026001321 

 Voyla une consideration bien au long estendue, avec les affections et resolutions; je passeray maintenant et legerement sur les autres et ne feray que les marquer..

  A026001323 

 Pour l'exterieur: voyes le grand silence de cette divine bouche, qui n'est ouverte que pour jetter de doux et paysibles souspirs; ses yeux gratieux et benins regardoyent quelquefois le Ciel avec grande reverence, quelquefois ilz se tournoyent du costé du peuple qu'ilz regardoyent avec beaucoup de compassion; et il me semble que je voy en sa poitrine, du costé gauche, son cœur qui pantele et tremousse d'amour, avec tant d'inflammation, que tout cet endroit me semble rougir..

  A026001329 

 Et si quelquefois je tiens contenance a l'exterieur, que devient mon cœur en l'interieur? il s'enfle de rancune, il s'enflamme de colere, d'impatience et de vengeance..

  A026001329 

 O miserable que je suis, qui ne sçaurois souffrir un mot sans replique, qui pour la moindre affliction fais sans cesse des plaintes et les respans aux oreilles de tout le monde.

  A026001333 

 Jamais, non jamais, mon Sauveur, l'eau de contradiction n'esteindra le feu de la charité que je doy au prochain..

  A026001335 

 O obeissance admirable et vrayement filiale! O que vous merites bien d'avoir un tel Pere, puisque vous luy rendes une telle obeissance! Mais ne suis-je pas bien effronté d'appeller ce mesme Dieu mon Pere, luy estant si desobeissant? Et comment obeirois-je jusques a la mort, puisque je n'obeis pas mesme jusques a la souffrance d'une petite parole fascheuse et d'un regard de travers? O je veux changer d'humeur, et pour l'amour de mon Sauveur je veux boyre cy apres tous les calices qu'il me presentera..

  A026001336 

 Mon iniquité est donques bien grande: helas, que je suis miserable de m'y estre si souvent abismé! O peché tres abominable, je ne te verray jamais d'un costé que je ne me jette incontinent de l'autre, quand il y auroit tous les tourmens du monde a souffrir; non, je ne veux plus me souiller en tes miserables ordures..

  A026001337 

 Hé, bon Dieu, que je desire et que je proteste de vouloir cy apres vous aymer et vous donner tout mon cœur..

  A026001337 

 O donques, que son amour est grand! Helas, Seigneur, je ne sçay pas si j'ay aucun amour; mais si j'en ay, il est si miserable qu'il s'assouvit d'une seule larme, et il croit s'estre bien fait paroistre quand il a jetté quelques souspirs.

  A026001339 

 Et pourquoy donques eslever mon Sauveur, sinon parce qu'il veut estre l'estendart de mon ame? O traistre et desloyal soldat que je suis! Combien de fois ay-je abandonné cette enseigne pour suivre celles du monde.

  A026001343 

 Faites, o mon Dieu, que vostre sang serve de ciment pour cimenter en mon ame les affections et resolutions que vous m'aves donnees.

  A026001343 

 Hé, Seigneur, que vous soyes tout mien, comme je veux estre doresenavant tout vostre..

  A026001343 

 Hé, mon Dieu, je vous supplie et conjure par toutes ces peynes, ces vertus et merveilles que vous y prattiquastes, de me fortifier en vostre service, d'esteindre en moy mon amour propre et de m'abismer dans le vostre.

  A026001343 

 Mon Dieu, mon Sauveur, je vous remercie de la grace que vous m'aves faite, m'ayant permis de jetter mes yeux sur vostre divine Majesté en cette mienne meditation, et je vous rens mille actions de graces de toutes les peynes et souffrances que vous aves endurees en tout ce sacré [199] mistere; et sur tout je vous remercie de l'amour qui vous les a fait souffrir, et de cette tres misericordieuse intention que vous eustes d'appliquer a mon ame en particulier les merites que vous y aves acquis.

  A026001348 

 Je vous advertis premierement, qu'encor qu'il soit [200] bon pour l'ordinaire de tenir cette methode, c'est a dire, d'adjouster les affections aux considerations et les resolutions aux affections, en sorte que la consideration marche la premiere, toutesfois, si apres la proposition du mistere l'affection se treuve asses esmeue, comme il arrive quelquefois, alhors il luy faut lascher la bride et la laisser courir, car c'est signe que le Saint Esprit nous tire de ce coste la; et puis, la consideration ne se fait que pour esmouvoir l'affection..

  A026001349 

 C'a esté aussi l'opinion du bienheureux Pierre d'Alcantara et l'experience l'enseigne; ce que je dis, parce que desirant que vous vous servies fort souvent des Prattiques de Bellintani, vous pourries a son imitation vouloir faire autrement, ce qui vous seroit beaucoup plus difficile et moins utile.

  A026001349 

 Il me semble qu'il est meilleur de faire les affections apres chaque consideration que d'attendre apres toutes les considerations, parce qu'on chemine plus simplement.

  A026001350 

 Encor qu'il soit bon de reserver l'action de graces, la priere et l'offrande pour la fin de la Meditation, si est ce que ce sont trois affections qui se peuvent aussi faire avec les autres parmi les considerations, et se presentant, il leur faut aussi librement faire place sans les retenir..

  A026001351 

 Mais il faut que le tout se face tous-jours en la presence de Dieu, c'est a dire, en vertu de l'attention que nous nous sommes procuree au fin commencement de la meditation.

  A026001351 

 Parmi les affections et resolutions, il est bon de parler non seulement a Nostre Seigneur, aux Anges et aux personnes representees aux misteres; mais a soy mesme, a son cœur, aux pecheurs, voire mesme aux creatures insensibles, comme l'on void que David fait en ses Psalmes et saint François en ses oraysons.

  A026001352 

 Encor que vous ayes preparé plusieurs considerations, toutesfois si une suffit pour vous entretenir pendant vostre demy heure, ne passes pas plus avant; et si vous ne treuves pas en l'une d'icelles dequoy eschauffer vos affections, faites les suivantes l'une apres l'autre, jusques a ce que vous ayes treuvé la veine des affections..

  A026001353 

 Ainsy, reconnoissant par la tristesse et engourdissement de vostre esprit que vous estes fort miserable, serves vous de cette occasion et, pleine de confiance, escries vous devant Dieu: Ouy, Seigneur, je suis miserable; mais pour qui la misericorde est-elle, sinon pour les miserables? Et par ce moyen, vous passeres de la meditation que vous avies preparee a la meditation de vostre propre misere, de laquelle vous tireres des affections d'humilité, de confiance, et telles semblables qui vous seront tres utiles..

  A026001353 

 Le premier, c'est d'ouvrir la porte aux paroles, vous lamentant de vous mesme a Nostre Seigneur, confessant vostre indignité, le priant qu'il vous soit en ayde, baysant le Crucifix, si vous l'aves devant vous, et disant mesme de bouche au Sauveur: Si ne vous lairray-je pas; je me tiendray icy aupres de vous, et n'en partiray point que je n'aye eu vostre benediction.

  A026001354 

 Le second remede sera de prendre un livre en main, et le lire avec attention jusques a ce que vostre esprit soit resveillé..

  A026001355 

 Mais quand il ne le feroit jamais, contentons-nous que ce nous est un honneur trop plus grand d'estre aupres de luy et a sa veue..

  A026001355 

 Que si apres tout cela vous demeures encor en secheresse et sans consolation, mesme en telle sorte que vous ne puissies proferer aucune parole ni interieurement ni exterieurement, ne laisses pas pour cela de [202] vous tenir en une contenance devote, sans vous inquieter ni troubler, vous resouvenant qu'il y a deux fins principales pour lesquelles on se met en la presence de Dieu et en orayson: l'une est pour exciter son affection en l'amour de Dieu, et lhors que nostre affection n'y est point vivement excitee nous disons que nostre ame est en secheresse; l'autre est de rendre hommage a Dieu, protestant qu'il est nostre souverain Createur et Seigneur: et cette fin est extremement noble, parce qu'il y a moins de nostre interest.

  A026001355 

 Que si, venant a l'orayson, nous ne pouvons pas faire le premier, il se faut contenter du second, qui est tous-jours beaucoup, encor que nous ne puissions parler a Dieu et qu'il semble qu'il ne nous parle point. Combien y a-il de courtisans qui vont cent fois l'annee en la chambre du Roy et en sa presence, non pour luy parler ni pour l'ouyr, mais simplement pour estre veus de luy et tesmoigner par cette assiduité qu'ilz sont ses serviteurs.

  A026001359 

 Il sera bon mesmement de vous imaginer que vous estes en la compaignie de plusieurs personnes devotes avec qui vous voules faire orayson; et mesme, si vous en connoisses, vous pourres vous les imaginer en l'acte de ferveur et de priere.

  A026001361 

 Au demeurant, quoy qu'il arrive, il ne faut jamais se laisser surprendre a la tristesse et inquietude; mays, soit que nostre orayson ayt esté douce et savoureuse, ou qu'elle ayt esté seche et sans goust, il faut s'en retirer tous-jours en paix, avec intention de servir Dieu tous-jours fidellement tout le reste de la journee..

  A026001365 

 Faites qu'a vostre resveil vostre ame se jette du tout en Dieu par quelques saintes parolles, telles que sont celles cy: D'autant que le sommeil est l'image de la mort, aussi le resveil est l'image de la resurrection.

  A026001365 

 O Seigneur, faites que ce soit a la vie eternelle; cette esperance repose dans mon sein.

  A026001365 

 Vous pourres adjouster cette orayson jaculatoire avec Job: Je croy que mon Redempteur est vivant et qu'en ce dernier jour je resusciteray.

  A026001366 

 Ainsy vous pourres faire de saintes considerations, telles que le Saint Esprit vous les suggerera..

  A026001366 

 Ou bien, passant de la lumiere interieure a l'exterieure, vous dires: Esclaires mes yeux, affin que je ne m'endorme point a la mort.

  A026001369 

 Il est bon de faire, s'il se peut, la meditation le matin, avant que l'esprit soit embarrassé d'autres affaires; mais a qui ne le pourroit, au moins faut-il faire ce petit exercice qui suit, et lequel, servant pour toute la journee, s'appelle Preparation..

  A026001370 

 On remercie Dieu de ce qu'il nous a conservé cette nuit la, et on considere que si Dieu nous donne le jour present, c'est pour l'employer a sa gloire et a nostre salut, et que sa Majesté hait et deteste souverainement le peché, suyvant le dire de David: Au grand matin je m'approcheray de vous, o mon Dieu, et reconnoistray que vous estes un Dieu qui n'ayme point l'iniquité..

  A026001371 

 On considere quelles occasions on pourra rencontrer le long de la journee pour servir Dieu, ou au contraire pour l'offenser, et cela chacun selon sa condition, et les affaires que l'on peut avoir ce jour la; et les ayans reconneues, on [205] fera une ferme resolution d'embrasser la vertu et d'eviter le peché; en quoy il faut encor qu'un chacun ayt esgard aux imperfections ausquelles il est sujet..

  A026001378 

 Il ne reste que la consideration des dispositions et affaires de la journee, qui ne se doit pas faire parmi la meditation, parce qu'elle regarde trop par le menu nos occupations, nostre mesnage, nos rencontres des personnes avec qui nous avons a traitter, avec leurs conditions: comme si elles sont choleres, despiteuses et semblables, et tout cela nous distrairoit trop.

  A026001381 

 A la Messe, quand on va dire l'Evangile, leves vous pour tesmoigner que vous estes preste et appareillee pour cheminer en la voye des commandemens de l'Evangile; et [206] pour vous y exciter, vous pourres dire en vous levant: Jesus Christ a esté fait obeissant jusqu'a la mort, et mesme a la mort de la croix.

  A026001381 

 Et faisant le signe de la Croix sur vostre front, vostre bouche et vostre cœur, vous dires: Dieu soit en mon esprit, en ma bouche et en mon cœur, affin que je reçoive son saint Evangile..

  A026001386 

 Quand le prestre dit le Pater, il le faut dire avec luy, ou vocalement ou mentalement, avec une grande humilité et devotion, tout ainsy que si on l'oyoit dire a Nostre Seigneur et qu'on le dist mot a mot apres luy..

  A026001388 

 A la benediction, il faut se representer que Jesus Christ en mesme tems nous donne la sienne..

  A026001391 

 Pendant les affaires de la journee, il faut le plus que l'on peut regarder souvent a Nostre Seigneur Jesus Christ, [207] et se resouvenir du poinct de la meditation que l'on a le plus gousté et ressenti; comme si la douceur de ses yeux nous a esté aggreable, nous nous les representerons en disant: Ja ne vous playse, mon Sauveur, que je fasse chose qui puisse offencer vos yeux; et ainsy des autres. Il est bon aussi d'avoir certaines parolles enflammees qui servent de refrain a nostre ame, comme: Vive mon Dieu! VIVE JESUS! Dieu de mon cœur!.

  A026001392 

 D'autres fois, nous souvenans que nous nous acheminons a l'eternité, dire: Beni soit Dieu! Dieu soit loué.

  A026001395 

 Il ne faut jamais oublier l'examen de conscience tel que tous ces petitz livres nous l'enseignent..

  A026001397 

 Se couchant, il faut se resouvenir du tombeau; et comme on se couche pour le repos temporel, il faut avoir memoyre du repos eternel, et dire ce que l'on dira pour nous quand nous serons mortz: Requiem æternam; et: Sancta Maria, Mater Dei..

  A026001401 

 Partant, s'il arrive que pour quelque honneste sujet vous laissies de faire tous ces exercices, ou l'un d'eux, ne vous mettés point en peyne, mais reprenes-les tout bellement le jour suyvant..

  A026001402 

 Je ne veux point que vostre meditation soit de plus que d'une grosse demie heure ou trois quartz d'heure, et quand vous ne la pourres faire le matin ou devant le disner, je ne voudrois pas que ce fust sinon pour le moins quattre bonnes heures apres le disner, c'est a dire, un petit avant le souper.

  A026001403 

 Au contraire, il semble meilleur de prier souvent, quoy que peu, que de prier beaucoup une seule fois; et les anciens Peres ont prattiqué cecy..

  A026001403 

 Donques, pour le reste du tems de la Messe auquel je n'ay pas dit ce qu'il failloit faire, ou bien il faut continuer les affections que je vous ay marquees chacune en son ordre: comme, par exemple, celle de la contrition jusqu'a l'Evangile; celle de protestation de foy jusqu'a la Preface, et ainsy des autres.

  A026001403 

 Et si vous ne le pouves pas tout dire en une fois, dites le en deux, et l'Office de Nostre Dame aussi; dequoy vous ne deves faire nul scrupule, ains il y a de la superstition a croire que pour de legitimes interruptions il faille recommencer, car cela est sans nulle rayson, ni apparence de pieté: nostre Dieu ne regardant qu'a la devotion avec laquelle on prie, et non pas si c'est a deux fois ou a troys.

  A026001403 

 Pour le regard de la Messe, je n'ay pas voulu particulariser sur tous les misteres d'icelle, pour vous instruire comme il y faut correspondre par le menu avec des oraysons et des pensees, d'autant que cela charge tant la me [209] moyre que la volonté n'a pas ses affections libres.

  A026001403 

 Que si c'est le Chapelet, vous ne laisseres pas, en le disant, de faire presque tout ce que j'ay marqué; l'un n'empeschera pas l'autre.

  A026001409 

 Mais parce que le bon desir est une piece du bon estat, on peut dire qu'une seule chose est requise, a sçavoir, le bon estat de l'ame.

  A026001409 

 Tous les docteurs spirituelz sont d'accord que deux choses sont principalement necessaires avant la Communion, a sçavoir, le bon estat de l'ame et le bon desir.

  A026001410 

 Il le faut premierement purger de toute curiosité, en sorte qu'il ne s'enquiere point comme il se peut faire que le propre cors de Nostre Seigneur, avec son sang, son ame et sa Divinité, soit tout entierement en la sainte hostie et en chaque partie d'icelle; ni comme il se peut faire qu'estant au Ciel, il soit en terre; ni comme il peut estre vray que n'estant qu'un seul cors, il soit neanmoins en tant de lieux et sur tant d'autelz et en tant de bouches.

  A026001410 

 Non, il faut tenir nostre entendement clos et couvert a telles vaynes et sottes questions et curiosités, car nous n'avons que faire de sçavoir comme ce divin Sacrement se fait: il suffit que nous sçachions qu'il se fait.

  A026001411 

 En figure dequoy la celeste manne tomboit jadis au desert, non de jour, mays de nuit, si que nul ne sçavoit comme elle se faisoit, ni comme elle descendoit; mais le matin estant venu, on la voyoit toute faite et descendue: ainsy cette surceleste et divine manne de l'Eucharistie se fait en une façon et maniere qui nous est secrette et cachee; nul ne peut dire comme elle se fait et vient a nous, mais par la lumiere de la foy nous la voyons toute faitte.

  A026001412 

 O que vous estes incomprehensible, et que je suis joyeuse dequoy vous l'estes! Non, je ne voudrois pas vous pouvoir comprendre, car vous seriés trop petit si une si petite et chetifve capacité vous comprenoit.

  A026001412 

 Que si contre cette pureté d'entendement le malin esprit nous donne des tentations, il s'y faut opposer, s'humiliant devant la toute puissance de Dieu, disant, ou de cœur, ou de bouche: O sainte et immense toute puissance de mon Dieu, mon entendement vous adore, trop honnoré de vous reconnoistre et de vous faire l'hommage de son obeissance et sousmission.

  A026001412 

 Tu trompas ainsy la pauvre Eve, luy voulant apprendre a sçavoir autant que Dieu; mais tu ne m'attrapperas pas: je veux croire, et ne rien sçavoir..

  A026001413 

 Il est aussi bon quelquefois de mespriser ces pointilles et tentations, et n'en tenir conte quelcomque, laisser japper et clabauder ce matin et passer outre en son chemin; car encor qu'il est enragé, si est ce qu'il ne mord que ceux qui le veulent; et partant, tenant la volonté constante en la foy, qu'il aboye tant qu'il voudra, nous ne craignons rien..

  A026001416 

 C'est le mistere de la plus intime union que nostre Redempteur pouvoit faire avec nous.

  A026001416 

 En figure dequoy les Israelites ne demanderent pas comme la manne se faysoit, mais la voyant toute faitte, ilz demandoyent [213] ce que c'estoit.

  A026001416 

 Et qu'est ce qu'il faut considerer? Il ne faut pas considerer comme ce Sacrement se peut faire, car ce seroit nous perdre; mais il faut bien considerer ce que c'est que ce Sacrement.

  A026001416 

 Qu'est cecy, disoyent-ilz, qu'est cecy? Considerons donq ce que c'est que ce divin Sacrement, et nous treuverons que c'est le vray cors de Nostre Seigneur, son sang, son ame, sa Divinité.

  A026001419 

 Il faut donques pour un tems oublier les choses materielles et temporelles, quoy que bonnes et utiles, pour se preparer a la sainte Communion, et faire comme le bon Abraham, qui, voulant aller sacrifier son filz, laissa l'asne et les serviteurs au pied de la montagne jusques a ce qu'il eust fait; car tout de mesme faut il retirer sa memoyre du souvenir des affaires domestiques et temporelles, jusques apres la Communion, toutes choses ayant leur tems..

  A026001419 

 Il la faut purger de la souvenance des choses caduques et affaires mondaines; en figure dequoy, la manne ne tomboit qu'au desert et solitude, hors du commerce du monde, et non point es villes et bourgades, et ceux qui mangeoyent l'aigneau paschal retroussoyent leurs robbes, affin que rien ne traisnast et flottast sur la terre.

  A026001420 

 Quand on vous demandera (dit la sainte Parolle traittant de l'observation de l'aigneau paschal) ce que c'est que vous faittes, dites a la posterité que c'est en memoyre de ce que Dieu vous delivra de l'Egipte, vous passant par le milieu de la Mer Rouge.

  A026001423 

 Ainsy Nostre Seigneur lava les piedz a ses Apostres avant l'institution d'iceluy, pour monstrer que les affections des communians doivent estre fort pures; et la manne devoit estre cueillie a la fraischeur, avant le lever du soleil, parce que les chaleurs naturelles, les amours et affections desmesurees des enfans, des parens, amis, biens, commodités empeschent qu'on ne puisse cueillir cette celeste viande.

  A026001424 

 Mais il faut parer la volonté d'une affection et desir extreme de cette viande celeste, de cette manne secret te; c'est pourquoy il estoit commandé a ceux qui mangeoyent l'aigneau paschal, de le manger avidement et vistement, et a ceux qui cueilloyent la manne, de se lever fort matin; et Nostre Seigneur mesme, avant que d'instituer ce saint Sacrement, l'avoit extremement souhaité: J'ay desiré, disoit il, d'un grand desir de manger cette pasque avec vous.

  A026001425 

 Mais parce que cette preparation est deduitte en termes generaux, je mettray icy les advertissemens particuliers a la prattique d'icelle..

  A026001428 

 Si vous n'estes point agitee des tentations de curiosité, vous n'aves que faire de penser a ce que j'en ay dit; car, en y pensant, vous luy pourries ouvrir la porte pour la faire entrer chez vous; mais vous devés seulement remercier Dieu de ce qu'il vous donne la simplicité de la foy, qui est un don tres pretieux et desirable, et prier sa divine Majesté de vous le continuer..

  A026001429 

 Que si vous estes agitee de cet esprit de curiosité, faittes ce que j'ay dit, mais faittes le briefvement, par forme de simple rejet et detestation, sans vous amuser a disputer et contester avec l'ennemy, lequel doit estre combattu par abomination, non par rayson, selon l'exemple de Nostre Seigneur, qui ne le fit fuir qu'en luy disant: Arriere, Satan, tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu..

  A026001430 

 Combien que la tentation ne cesseroit point, ne laissés pas de communier; car si vous laissies pour cela, vous donneries gain de bataille a vostre adversaire.

  A026001431 

 Pour vaincre la curiosité en ce poinct, vainques la en toutes choses, pour petites qu'elles soyent, ne cherchant autre science que celle des Saintz, qui est Jesus Christ crucifié et ce qui vous conduit a luy.

  A026001432 

 Touchant la consideration, il sera bon que le jour avant la Communion, aux heures de vostre orayson mentale ou recueillement, vous dressies quelque peu vostre esprit a Nostre Seigneur en ce saint Sacrement, et mesme en l'examen de conscience a la fin, et ce par quelque briefve pensee de l'amour du Sauveur en l'endroit de vous; et mesme vous pourrés user de quelques eslancemens de priere vocale, lesquelz vous repeteres souvent, sur tout despuis Vespres, comme seroit celuy de saint François: « Qui suis je, Seigneur, et qui estes-vous? » ou celuy de sainte Elizabeth: D'ou me vient ce bonheur que mon Seigneur vient a moy? ou celuy de saint Jean l'Evangeliste: Ouy, venés Seigneur Jesus! ou celuy de l'Espouse sacree: Que mon Espoux me bayse d'un bayser de sa bouche..

  A026001433 

 Que si vous voulies par fois faire vostre meditation sur la Communion le jour precedent, vous pourres aysement y accommoder les misteres de la vie de Nostre Seigneur qui se rencontreroyent en la suitte de vostre orayson mentale, les appliquant comme a exercer en vostre endroit a l'heure de vostre Communion: car, qui vous empeschera de vous representer que Nostre Seigneur vous y presente les benefices qu'il a faitz, ou vous donne interieurement les enseignemens qu'il a donnés? Et ainsy des autres; et il y a peu de misteres qui ne soyent propres a cela..

  A026001434 

 Pour la memoire, il est bon de donner ordre le plus qu'il se pourra, que sur tout despuis souper vous ne soyes occupee ni d'esprit ni de cors a aucune affaire esloignee du dessein de la Communion, mais que vous fassies une particuliere retraitte de vostre esprit et de tous vos sens en vostre interieur, pour attendre l'Espoux avec les lampes en main, et que l'huile n'y manque pas; et pour cest effect, que la recreation de l'apres souper soit un peu plus devote et de propos de charité, et le souper plus sobre, sans tristesse neanmoins, ni trop d'austerité..

  A026001435 

 J'appreuverois que pour ayder la compaignie a [217] se resouvenir des bienfaitz de Dieu au jour de la Communion, chaque Religieuse sceut le jour de sa reception et des autres graces plus signalees receues de Dieu; et qu'autant que l'humilité et la simplicité chrestienne le peut permettre, le soir avant la Communion, elle en resouvint les Seurs en l'heure de la recreation, et sur la fin les priast d'en remercier Dieu avec elle.

  A026001436 

 Car a cette intention Nostre Seigneur vient a nous, affin que nous soyons tous en luy et a luy; ce que nous ne sommes pas si nous nourrissons des affections desordonnees, voire es choses de soy bonnes et legitimes..

  A026001436 

 Quant a la purgation de la volonté, il la faut tenir nette en tout tems de toutes affections desreglees, mais sur tout allant a la Communion, et regarder a quoy et a qui nos affections tiennent en ce monde, et si c'est point trop tendrement, trop ardemment; et si nous y voyons du trop, il faut peu a peu le retrancher pour pouvoir dire a Nostre Seigneur avec David: Qu'est ce qu'il y a au Ciel pour moy, ou que veux je en la terre sinon vous? Vous estes le Dieu de mon cœur et mon partage eternel.

  A026001437 

 Et quant au desir du saint Sacrement, il le faut exciter par l'amour de l'Espoux et par la consideration de l'honneur et du bien que nous recevons de sa venue: a quoy serviront les eslancemens spirituelz desquelz j'ay parlé ci dessus, et les considerations que je mettray ci dessous, avec les imaginations que j'y depeindray..

  A026001440 

 Il faut donques ouvrir la bouche et dresser la teste, et attendre que le prestre mette la sainte hostie dans la bouche, sans faire autre mouvement jusques a ce qu'elle soit logee.

  A026001440 

 Je n'appreuve pas aussi que l'on estende la langue hors des levres, ni que l'on ouvre si peu la bouche quil soit malaisé d'y mettre la sainte hostie, ni que l'on s'avance en quelle façon que ce soit pour la prendre, puisque celuy qui la presente ne se rencontrant pas avec la bouche de celuy qui s'avance, il se pourroit faire de l'irreverence.

  A026001440 

 Je n'appreuve pas que sur le point on die aucun'orayson vocale, sinon le: [218] Seigneur, je ne suis pas digne et le Confiteor.

  A026001441 

 C'est pourquoy il faut l'entretenir de nos necessités, impuissances et imperfections; il faut en ce tems-la traitter avec luy de nos desseins, intentions et prætentions que nous avons a son amour, de l'esperance que nous avons en luy, et bref, nous donner a luy comm'il s'est donné a nous.

  A026001441 

 Or, tout cela se doit faire par eslancemens de cœur et de voix, par regars interieurs de Celuy que nous possedons et par l'orayson mentale, selon que nous aurons commodité d'en faire un peu apres la Communion..

  A026001442 

 Je m'en vay maintenant proposer plusieurs points desquelz vous pourres vous servir tant pour aller a la Communion que pour rendre graces a Dieu apres icelle..

  A026001443 

 Avant que d'y aller on peut exciter le desir par la comparaison du cerf lancé et malmené, comme fait David au Psalme 41, qui est bon a lire puisque vous les aves en françois, et par l'exemple de Magdeleyne qui par tout le cherche avec ardeur: chez Simon le Lepreux, au sepulchre, au jardin, qui pleure en le cherchant, et qui dit a [219] luy mesme qu'il luy enseigne le lieu ou il s'est mis: Si tu l'as enlevé, dit elle, dis le moy et je l'iray reprendre.

  A026001444 

 A la confiance et force d'esprit, avec David: Je ne craindray nul mal, par ce, Seigneur, que vous estes avec moy.

  A026001444 

 A la joye d'esprit, a l'exemple de la bonne Lia, laquelle voyant qu'ell'avoit conceu un enfant en son ventre, s'escrioit tout par tout de joye: Ce sera maintenant que mon mari m'aymera; car ainsy, ayans en nous-mesme le Filz de Dieu, nous pouvons bien dire: C'est maintenant que Dieu le Pere m'ayme.

  A026001444 

 Et il est vray aussy que les Anges font feste autour de ce saint Sacrement et de ceux qui l'ont receu, comme dit saint Chrisostome.

  A026001444 

 J'ay treuvé celuy que mon ame cherit, je le conserveray soigneusement.

  A026001445 

 A l'action de graces, par les paroles que Dieu mesme dit a Abraham quand il luy eut voüé le sacrifice de son filz; car nous pouvons les addresser a Dieu le Pere qui nous donne son propre Filz en viande: O Seigneur, par ce que vous m' aves faitte cette grande grace, je vous beniray de benedictions immortelles et multiplieray vos louanges comme les estoiles du ciel..

  A026001447 

 Combien de goustz et consolations pendant l'enfance de Nostre Seigneur, quand ilz le portoyent en leurs bras et sur leur poitrine, quand ilz le baysoyent et que de ses divins bras il les accoloit souaifvement! et puis, considerer que nous sommes faitz semblables a eux par la Communion, en laquelle Nostre Seigneur s'unit bien plus a nous que sil nous baysoit et accoloit.

  A026001448 

 Et quelle parole? Selon la parole quil a dite de sa sacree bouche, que qui le mange, il demeure en luy, et luy demeure en celuy qui le mange; qui le mange vivra pour luy, par luy et en luy, et ne mourra point eternellement.

  A026001448 

 Il ne faut point douter que son beni cœur ne s'espanoüit tout entierement aux rayons de ses paroles, quil ne s'aprofondit dessous tant de benedictions, et qu'a mesme quil entendoit [221] que Dieu luy donnoit son cœur propre, qui est son Filz, il ne se donnast reciproquement a Dieu; et qu'alhors cette supersainte ame ne fondit en charité, et pouvoit dire: Mon ame s'est liquefiee ou fondue quand mon Bienaymé m'a parlé.

  A026001448 

 O Dieu, que de suavités et douceurs! Et partant, l'ame peut bien dire comme Nostre Dame, apres cette consideration: Voyci la servante du Seigneur, me soit fait selon sa parole.

  A026001449 

 Je n'ay rien dit du nettoyement de la conscience qui se fait par la confession, parce que chacun sçait qu'il le faut faire ou le soir devant, ou le matin, et ce avec un grand soin et humilité..

  A026001451 

 Vous treuveres peut estre aussi bien longue cette instruction, mais il faut que vous sçachies deux choses: l'une, que vous ne deves pas faire tout ceci tout a coup, mays seulement vous en servir a mesure que vous connoistres en avoir besoin, et en prendre ce qui vous aydera; l'autre, c'est que je vous ay couché cette preparation si au long, affin que vous en puissies ayder les autres qui en auront necessité..

  A026001452 

 Au demeurant, parce que le plus grand moyen de prouffiter en la vie spirituelle c'est la devote Communion, je vous la recommande; et ayés soin que nulle ne la fasse par maniere d'acquit ou de coustume, mais tous-jours pour glorifier Dieu en icelle et s'unir a luy, et prendre force a le [222] servir et supporter toutes afflictions et tentations.

  A026001453 

 Et s'il vous survient quelque doute et que vous n'entendies pas bien ce que j'ay dit, vostre Pere Confesseur extraordinaire vous esclarcira, ou moy, si vous me l'envoyes..

  A026001454 

 J'avois oublié de vous resouvenir que ce Sacrement ne nous unit pas seulement avec Nostre Seigneur, mais avec nos prochains, avec lesquelz, participant a mesme viande, nous sommes rendus une mesme chose.

  A026001459 

 Et affin que vous entendies comme la tristesse et l'inquietude s'engendrent l'une l'autre, sçaches que la tristesse [224] n'est autre chose que la douleur d'esprit que nous avons du mal qui est en nous contre nostre gré, soit que le mal soit interieur ou qu'il soit exterieur, comme pauvreté, maladie, infamie, mespris; interieur, comme ignorance, secheresse, mauvaise inclination, peché, imperfection, repugnance au bien..

  A026001460 

 Je ne dis pas qu'elle pense cela, mais je dis qu'elle s'empresse comme si elle le pensoit, et cela provient de ce que, ne rencontrant pas de premier abord la delivrance de son mal, elle entre en de grandes inquietudes et impatiences.

  A026001460 

 Mais, troisiesmement, l'ame cherchant les moyens d'estre delivree du mal qu'elle sent, peut les chercher pour l'amour de Dieu ou pour l'amour propre: si c'est pour l'amour de Dieu, elle les cherchera avec patience, humilité et douceur, attendant le bien non tant de soy mesme et de sa propre diligence, comme de la misericorde de Dieu; mays si elle les cherche pour l'amour propre, elle s'empressera a la queste des moyens de sa delivrance, comme si ce bonheur dependoit d'elle plus que de Dieu.

  A026001460 

 Voyla donques l'inquietude arrivee, et peu apres arrive, quatriesmement, une extreme tristesse, parce que l'inquietude n'ostant pas le mal, ains au contraire l'empirant, l'on tumbe en une angoisse desmesuree, avec une defaillance de force et troublement d'esprit si grand, [225] qu'il luy semble ne pouvoir jamais en estre quitte; et de la elle passe a un abisme de tristesse qui luy fait abandonner l'esperance et le soin de mieux faire..

  A026001461 

 Vous voyes donques que la tristesse, qui de soy n'est pas mauvaise en son commencement, engendre l'inquietude, et que, reciproquement, l'inquietude engendre une autre tristesse, qui de soy est tres dangereuse..

  A026001464 

 Je ne diray que peu de chose de cette inquietude, pour ce que ses remedes sont presque pareilz a ceux que je donne pour la tristesse, et aussi parce que je vous renvoye aux 14, 15, 16 chapitres du Combat spirituel.

  A026001465 

 L'inquietude, mere de la mauvaise tristesse, est le plus grand mal qui puisse arriver a l'ame, excepté le peché; car il n'y a aucun defaut qui empesche plus le progres en la vertu et l'expulsion du vice que l'inquietude.

  A026001466 

 L'inquietude provient d'un ardent et desreglé desir d'estre delivré du mal que l'on sent ou en l'esprit ou au cors; et neanmoins, tant s'en faut que cette inquietude serve a la delivrance, qu'au contraire elle ne sert qu'a la retarder.

  A026001466 

 Qu'est ce qui fait que les oyseaux ou autres animaux demeurent pris dans les filetz, sinon qu'y estans entrés, ilz se desbattent et remuent dereglément pour en vistement sortir, et ce faysant ilz s'embarrassent et empeschent tant plus.

  A026001467 

 Cette sentinelle qui doit estre entree en l'ame, peut estre signifiee en ce que le mont de Sion estoit enclos en Hierusalem, qui veut dire Vision de paix; et Sion, selon plusieurs, veut dire sentinelle et eschauguette.

  A026001467 

 Il faut sur tout tenir la sentinelle de laquelle parle le Combat spirituel, laquelle nous advertira de tout ce qui voudra esmouvoir aucun trouble ou empressement en nostre cœur, sous quelque pretexte que ce soit.

  A026001467 

 Quand nous cherchons trop ardemment une chose, nous la passons souvent sans la voir, et jamais besoigne [226] que l'on fait a la haste ne fut bien faite.

  A026001468 

 Nostre Seigneur ne voulut point que son Temple fust edifié par David, roy tressaint, mais belliqueux, ni qu'en l'edification fust ouy aucun marteau, ni aucun fer; mais par Salomon, roy pacifique: signe qu'il ne veut pas que nostre edification spirituelle se fasse sinon en tres grande paix et tranquillité, laquelle il faut tous-jours demander a Dieu, comme enseigne le roy David: Demandes, dit il, ce qu'il faut pour la paix de Hierusalem.

  A026001473 

 Ce qui a fait dire au Sage, en l'Ecclesiast., que la tristesse en tue beaucoup, et qu'il n'y a point de prouffit en elle; parce que pour deux bons ruisseaux qui en proviennent, il y en a six tres mauvais..

  A026001473 

 La tristesse est presque ordinairement mauvaise et rarement bonne; car, selon les Docteurs, l'arbre de tristesse produit huit branches, sçavoir: misericorde, penitence, angoisse, paresse, indignation, jalousie, envie et impatience; entre lesquelles, comme vous voyes, il n'y a que les deux premieres qui soyent purement bonnes.

  A026001476 

 Dont le roy David ne se plaint pas seulement de la tristesse, disant: Pourquoy es tu triste, o mon ame? mais encores du troublement et inquietude, adjoustant: Et pourquoy me troubles-tu? Mais la bonne tristesse laysse une grande paix et tranquillité en l'esprit; c'est pourquoy Nostre Seigneur, apres avoir predit a ses Apostres: Vous seres tristes, il adjouste: Et que vostre cœur ne soit point troublé, et n'ayes point de crainte, etc. Voicy que ma tres amere amertume est en paix..

  A026001477 

 La mauvaise tristesse vient comme une gresle, avec un changement inopiné et des terreurs et impetuosités bien grandes, et tout a coup, sans que l'on puisse dire d'ou elle vient, car elle n'a point de fondement ni de rayson; ains, apres qu'elle est arrivee, elle en cherche de tous costés pour se parer.

  A026001478 

 La bonne tristesse donne force et courage, et ne laisse point, ni n'abandonne un bon dessein; comme fit la tristesse de Nostre Seigneur, laquelle, quoy que si grande qu'il n'en fust jamais de telle, ne l'empescha pas de prier et d'avoir soin de ses Apostres.

  A026001481 

 Bref, ceux qui sont occupés de la mauvaise tristesse ont une infinité d'horreurs, d'erreurs et de craintes inutiles, de peynes et de peurs d'estre abandonnés de Dieu, d'estre en sa disgrace, de ne devoir plus se presenter a luy pour luy demander pardon, que tout leur est contraire et a leur salut, et sont comme Caïn, qui pensoit que tous ceux qui le rencontreroyent le voudroyent tuer.

  A026001481 

 Bref, s'ilz y pensent bien, ilz [229] trouveront que ce qu'ilz pensent leur faute plus considerable, c'est parce qu'ilz se pensent eux mesmes plus considerables..

  A026001481 

 Ilz pensent que Dieu soit inequitable en leur endroit, et severe jusqu'a l'eternité, et le tout pour leur particulier seulement, estimant tous les autres asses heureux au pris d'eux: ce qui provient d'une secrette superbe qui leur persuade qu'ilz devroyent estre plus fervens et meilleurs que les autres, plus parfaitz que nul autre.

  A026001483 

 Au contraire, le malin esprit, autheur de la mauvaise tristesse (car je ne parle point de la tristesse naturelle, qui a plus besoin de medecins que de theologiens), c'est un vray desolateur, tenebreux et embarrasseur; et ses fruitz ne peuvent estre que hayne, tristesse, inquietude, chagrin, malice, defaillance.

  A026001483 

 Or, le fondement de ces differences qui sont entre la bonne et la mauvaise tristesse, c'est que le Saint Esprit est Autheur de la bonne tristesse; et parce qu'il est l'unique Consolateur, ses operations ne peuvent estre separees de consolation; parce qu'il est la vraye Lumiere, elles ne peuvent estre separees de clairté; bref, parce qu'il est le vray Bien, ses operations ne peuvent estre separees du vray bien: si que les fruitz d'iceluy, dit saint Paul, sont charité, joye, paix, patience, benignité, longanimité.

  A026001486 

 Il la faut recevoir avec patience, comme une juste punition de nos vaynes joyes et allegresses; car le malin, voyant que nous en ferons nostre prouffit, ne nous en pressera pas tant; bien qu'il ne faille pas avoir cette patience pour en estre delivré, mais pour le bon playsir de Dieu, et la prenant pour le bon playsir de Dieu, elle ne layssera pas de servir de remede..

  A026001487 

 Il faut contrevenir vivement aux inclinations de la tristesse et forcer ses suggestions; et bien qu'il semble que tout ce qui se fait en ce tems-la se face tristement, il ne faut pas laisser de le faire, car l'ennemy, qui pretend de nous allentir aux bonnes œuvres par la tristesse, voyant [230] qu'il ne gaigne rien et qu'au contraire nos œuvres sont meilleures estans faites avec resistance, il cesse de nous plus affliger..

  A026001488 

 Il n'est pas mauvais, quand il se peut, de chanter des cantiques spirituelz; car le malin a souvent cessé son operation par ce moyen, pour quelque cause que ce soit: tesmoin l'esprit qui agitoit Saul, duquel la violence estoit attrempee par la psalmodie..

  A026001489 

 Il est bon de s'employer a l'œuvre exterieure et la diversifier le plus que l'on peut, pour divertir la vehemente application de l'esprit de l'objet triste, purifier et eschauffer les espritz; la tristesse estant une passion de [la] complexion froide et humide..

  A026001490 

 Il est bon de faire souvent des actions exterieures de ferveur, quoy que sans goust: comme d'embrasser le Crucifix, le serrer sur son cœur et sur sa poitrine, luy bayser les pieds et les mains, lever les yeux au Ciel avec des propos d'esperance, comme: Mon Bienaymé est a moy, et moy a luy.

  A026001491 

 La discipline moderee y est quelquefois bonne, parce que la volontaire affliction exterieure impetre la consolation interieure de l'ame, et s'appliquant au cors des douleurs exterieures, on sent moins l'effort des interieures; dont le Psalmiste disoit: Mais quant a moy, quand ilz me molestoyent, je me revestois de haire.

  A026001492 

 Et les faut employer bon gré mal gré la tristesse, a laquelle il ne faut point donner d'audience ni de credit, pour vous empescher de proferer et eslancer ces parolles de confiance et d'amour; et bien qu'il semble que ce soit sans fruit, il ne faut pas laisser de continuer, et attendre le fruit qui ne laissera pas de paroistre apres un peu de contention..

  A026001492 

 Il faut tous-jours s'addresser en ce tems-la a sa divine bonté par des invocations pleines de confiance, ce que l'on ne fait pas quand on est dans le tems de la joye et hors de la tristesse, ou l'on peut croire que l'on a plus de besoin d'exciter en son cœur les sentimens de crainte; par exemple, ceux ci: O Seigneur tres juste et terrible, o que vostre souveraine Majesté me fait trembler! et semblables.

  A026001495 

 Dieu, au contraire, demande pour la premiere condition, la discretion; ne voulant pas a la verité que l'on descouvre indiscrettement ses graces et faveurs, mais bien que l'on les descouvre avec prudence et selon les regles d'une humble discretion aux personnes de qualités requises.

  A026001495 

 Et notes que la premiere condition que le malin met en l'ame qu'il veut affliger et seduire c'est le silence, comme font les seditieux dans les conspirations et fascheux evenemens; car ilz demandent sur tout que leurs entreprinses et resolutions soyent secrettes.

  A026001497 

 Ceux qui ont plus de discernement aux choses spirituelles se pourront guider par d'autres voyes que Nostre Seigneur leur suggerera; ce pendant, si celles cy peuvent servir, employes-les soigneusement, et pries pour celuy qui vous les a marquees..

  A026001501 

 Vous prendres vostre chapelet par la croix, que vous bayseres apres vous en estre signee, et vous vous mettres en la presence de Dieu, disant le Credo tout entier..

  A026001502 

 Sur le premier gros grain vous invoqueres Dieu, le priant d'aggreer le service que vous luy voules rendre et de vous assister de sa grace pour le bien dire..

  A026001504 

 S'il vous vient quelques autres sentimens, comme la douleur de vos pechés passés, ou le propos de vous amender, vous le pourres mediter tout le long du Chapelet, le mieux que vous pourres, vous resouvenant de ce sentiment, ou autre que Dieu vous inspirera, principalement lhors que vous prononces les deux tressaintz noms de JESUS et MARIE..

  A026001504 

 Sur chaque dizaine vous penseres a un des misteres du Rosaire, selon le loysir que vous aures, vous resouvenant de celuy que vous vous proposeres, principalement en prononçant les tressaintz noms de MARIE et de JESUS, les passant par vostre bouche avec une grande reverence de cœur et de cors.

  A026001505 

 Et passant aux trois petitz grains qui suivent, vous salueres la sacree Vierge Marie, la suppliant, au premier, d'offrir vostre entendement au Pere eternel, affin que vous puissies a jamais considerer ses misericordes; au second, vous la supplieres d'offrir vostre memoyre au Filz, pour avoir continuellement en vostre pensee sa Mort et Passion; au troysiesme, vous la supplieres d'offrir vostre [234] volonté au Saint Esprit, affin que vous puissies a jamais estre enflammé de son amour sacré..

  A026001507 

 Vous porteres le chapelet a vostre ceinture ou en autre lieu evident, comme une sainte marque par laquelle vous voules protester que vous desires estre serviteur de Dieu nostre Sauveur, et de sa tres sacree Espouse, Vierge et Mere, et de vivre en vray enfant de la sainte Eglise Catholique, Apostolique et Romaine..

  A026001514 

 Le jeudy, occupes vous a mediter les misterieuses offrandes que luy presentent les Rois; offres vous a luy, et adores le avec eux.

  A026001514 

 Le mercredy, regardes que des-ja il respand son sang en la circoncision; supplies le qu'il retranche toutes les superfluités de vostre ame.

  A026001520 

 Vous pourres excellemment tirer le motif du saint amour sur toutes les actions que le tres aymable Jesus a prattiquees durant le cours de sa tres sainte vie, en cette sorte:.

  A026001521 

 Par exemple, s'il faut prier, donner aux pauvres, conseiller quelqu'un, estre solitaire, entrer en conversation, souffrir quelque travail, souvenes vous que Nostre Seigneur en diverses occasions fit tout cela; et par apres, excitant vostre ame: Hé! [237] ce dires vous, quand il n'y auroit point d'autre rayson pour prier, pour faire l'aumosne, pour consoler les affligés, pour demeurer en solitude, pour acquiescer a cette souffrance, pour m'arrester en cette conversation, ne me suffit il pas que mon cher Maistre m'en ayt monstré le chemin? Et cela se peut faire par un simple regard et unique souspir: Ouy, Seigneur, je suis avec vous..

  A026001525 

 Vous prendres vostre chapelet par la croix, que vous bayseres apres avoir fait le saint signe de nostre Redemption, et vous mettres en la presence de Dieu, disant le Credo tout entier..

  A026001526 

 Vous invoqueres Dieu sur le premier grain, le priant [238] d'aggreer le service que vous luy voules rendre, et de vous assister de sa grace pour le bien dire..

  A026001528 

 Apres cela, vous commenceres les mysteres du Rosaire, soit les glorieux, les joyeux ou les douloureux; ou bien vous vous porteres a quelqu'autre devot sentiment que Dieu vous inspirera..

  A026001529 

 Et passant aux trois petitz grains suivans, vous salueres la sacree Vierge, la suppliant, au premier, d'offrir vostre entendement au [239] Pere eternel, affin que vous puissies a jamais considerer ses misericordes; au second, vous la supplieres d'offrir vostre memoyre au Filz, pour avoir continuellement sa Mort et Passion en vostre pensee; au troysiesme, d'offrir vostre volonté au Saint Esprit, affin que vous puissies estre a jamais enflammé de son sacré amour..

  A026001530 

 Et [porterez ] vostre chapelet comme une sainte marque par laquelle vous voules protester que vous desires estre serviteur de Dieu, du Sauveur et de la sacree et tous-jours Vierge Mere.

  A026001535 

 Pour toutes les choses qui vous arriveront, n'alles point [en] rechercher la cause (il suffit que Dieu la sçait), mais simplement humilies vous devant Dieu, supportant la contradiction avec douceur, sans reflexions..

  A026001544 

 Voules vous que rien ne traverse vostre vie? Ne souhaites point de reputation ni de gloire du monde..

  A026001549 

 Taises vous de toutes choses, et vous aures la paix interieure; car, pour vous et pour moy, il n'y a point d'autre secret pour acquerir cette paix que de souffrir a la rigueur les jugemens des hommes..

  A026001550 

 Ne vous inquietes point de ce que le monde dira de vous; attendes le jugement de Dieu, et vostre patience jugera alhors ceux qui vous auront jugé.

  A026001555 

 Et apres avoir moy mesme reiteré le vœu solemnel de perpetuelle chasteté par moy fait en la reception des Ordres, lequel je confirme de tout mon cœur, je proteste et prometz de conduire, ayder, servir et advancer laditte Jeanne Françoise Fremyot, ma Fille, le plus soigneusement, fidellement et saintement que je sçauray, en l'amour de Dieu et perfection de son ame, laquelle des-ormais je reçois et tiens comme mienne, pour en respondre devant nostre Sauveur.

  A026001564 

 Estant a genoux devant vostre confesseur en la contenance la plus humble quil vous sera possible, vous vous representeres que vous faictes ceste action devant Nostre Seigneur crucifié, lequel vous prepare le pardon et l'absoulution [244] avec une douceur de misericorde incomparable.

  A026001566 

 Il se faut accuser non seulement du genre du peché que l'on a commis, mais aussy de l'espece: donc, il ne suffit pas de dire que l'on a esté homicide, luxurieux ou larron, mais il faut encore nommer l'espece de l'homicide, de la luxure et du larcin que l'on a commis.

  A026001569 

 Non seulement on se doit accuser des especes des pechés que l'on a commis, mais aussy du nombre d'iceux, disant combien de foys on a commis tel ou tel peché, au plus pres que l'on peut, selon la souvenance que l'on a; et si l'on n'a pas souvenance de la quantité des pechés, il suffit de dire combien plus ou moins environ; que si mesme on ne peut bonnement se resoudre de l'environ, il suffit de dire [245] combien de temps on a perseveré au peché et si on y est fort addonné..

  A026001570 

 Or, la necessité de dire au plus pres que l'on peut la quantité des pechés mortelz est essentiellement requise pour faire une bonne confession, d'autant que pour absoudre le pecheur de ses pechés, il faut avoir cognoissance de l'estat de sa conscience; mais on ne peut cognoistre l'estat d'une ame si on ne sçait a peu pres la quantité des pechés qu'elle a commis: car, quelle apparence y auroit il d'avoir en esgale consideration une femme, par exemple, qui n'auroit offencé de son corps qu'une seule foys, comme la sainte penitente Aglaë, et celle qui auroit offencé peut estre dix mille fois, comme on peut croire de sainte Pelagienne, de sainte Marie Ægytiaque et de sainte Magdelaine?.

  A026001573 

 Il est vray que celuy qui a confessé une action mauvaise n'a pas besoing de dire les autres actions qui sont ordinairement requises pour faire celle la: ainsy, celuy qui s'est accusé d'avoir commis adultere une fois n'est point obligé de dire les baisers et attouchemens quil a faict parmy cela, car cela s'entend asses sans qu'on le die, et l'accusation de telle chose est comprise en la confession de l'acte principal duquel les autres ne sont que les accessoires..

  A026001576 

 C'est pourquoy il faut particulariser, tant qu'il se peut bonnement faire, la qualité de l'objet ou de la matiere par le moyen delaquelle la malice du peché peut croistre ou descroistre; car il ne suffiroit pas a celuy qui auroit empoisonné un flaccon de vin, de dire qu'il a empoisonné du vin pour faire mourir des personnes, mais faudrait dire combien de personnes; car encor que l'empoisonnement se fist par une seule action, neammoins il se termineroit a la mort de plusieurs personnes, et bien que l'action fust unique, la nuysance neammoins seroit de grande quantité..

  A026001576 

 De mesme il se peut faire qu'avec un mauvais exemple on scandalisera une seule personne, et qu'avec un autre mauvais exemple de mesme espece on scandalisera trente ou quarante personnes: et qui ne void que la malice de ce second peché est beaucoup plus grande que celle du premier? Ainsy, sy l'un tue une fille et l'autre tue une femme enceinte, ilz n'ont chacun fait qu'un seul coup; mays l'un neammoins, en un seul peché, a fait deux homicides, et par consequent son peché, quoy qu'il ne soit qu'un quant a l'acte, a neammoins double malice.

  A026001579 

 Le desir est un degré du peché, et la resolution d'exequuter en est un autre dont il se faut confesser, bien que par appres on ne vienne point a l'exequution; car qui desire et beaucoup plus qui se resoult de pecher, il a formé le peché dans son cœur, suyvant le dire de Nostre Seigneur: Qui regardera la femme pour la convoiter, il a desja adulteré en son cœur, et s'il n'a pas peché par effet, il a peché par affection.

  A026001579 

 Mais cela s'entend des desirs qui sont formés, et non pas de certaine sorte de mouvemens interieurs qui, de sursaut, a l'improuveüe et sans nostre consentement, [247] passent par nostre cœur, pendant lesquelz mesmement, qui nous interrogeroit sy nous voudrions les choses ausquelles ces mouvemens semblent nous porter, nous dirions indubitablement que non; car par la on void bien que ces desirs sont des actions de nostre nature et non pas de nostre franc arbitre..

  A026001585 

 Ainsy, celuy là ne se confesseroit pas bien, qui ayant derobé une bourse en laquelle il n'y avoit que demy douzaine de jettons lesquels il pensoit estre des escus, ne s'accuseroit que d'avoir derobé des jettons; car encor qu'en effet il n'ayt derobé que des jettons, en affection neammoins il a derobé des escus..

  A026001585 

 Il y a mesme certaines actions lesquelles semblent estre meslées de peché mortel et de veniel, esquelles quelquefois on est grandement trompé: comme, par exemple, une personne grandement en cholere aura voulu donner un grand coup a quelqu'un qui, gauchissant, se sera eschappé; et par ce que l'effect de sa mauvaise volonté ne sera pas ensuivy, il tiendra l'offence pour petite, bien que reellement son intention de frapper rudement la fasse fort grande.

  A026001590 

 Premierement: le blaspheme, qui n'est autre chose qu'une mesdisance de la divine Majesté faite par mauvaise affection; comme quand on dit que Dieu n'est pas bon, qu'il n'est pas juste, qu'on le renie, qu'on le maugrée, qu'on le despite et, enfin finale, toutes fois et quantes que volontairement et a nostre escient nous parlons de Dieu [249] incivilement, ainsy que l'on fait quand on dit: Aussy vray comme Dieu est; un tel est vilain comme Dieu est noble; Dieu ne se soucie pas de ce que nous faisons; laissons Dieu en Paradis et demeurons icy; et semblables impertinences..

  A026001593 

 La troysiesme espece, c'est la superstition, comm'est idolatrer, c'est a dire adorer comme Dieu ce qui n'est point Dieu; user de magie, c'est a dire emploier le diable pour quelqu'operation, soit qu'on l'employe ouvertement, comme font ceux qui ont fait convention avec luy et les sorciers, soit qu'on l'employe tacitement par paroles et caracteres inconneus, ou paroles et caracteres connus, mais appliqués faussement et vainement; item, aller aux devins, et, en somme, faire ou dire quelque chose pour obtenir quoy que ce soit du malin esprit ou de ceux qui dependent de luy..

  A026001594 

 Violer les vœux que l'on a fait, ou bien faire des mauvais vœux: comme par exemple, de tuer quelcun, ou de ne faire pas quelque bien..

  A026001595 

 Tenter Dieu, c'est a dire vouloir espreuver et essaier si Dieu est bon, juste ou puissant, soit expressément, comme faisoient les Juifz demandant des miracles a Nostre Seigneur sans necessité ny raison quelconque, soit tacitement, [250] comme font ceux qui, sans necessité ny occasion, mesprisent les moyens ordinaires que Dieu nous a donné pour faire les choses, pretendantz que Dieu en fournira d'extraordinaires, et ceux qui, sans necessité, se mettent en des dangers eminentz, presumans que Dieu les en doive delivrer..

  A026001599 

 Dire des mauvaises parolles contre Dieu, les Saintz et l'Esglise; disputer curieusement et temerairement des choses de la foy; disputer ou faire des persuasions que les commandemens de Dieu n'obligent pas les personnes, qu'il ne faut pas craindre de les rompre, et semblables choses que des jeunes gens font quelquefois, ou pour pervertir l'esprit des filles, ou pour faire les gallans en matiere du peché de la chair.

  A026001599 

 Se plaindre de Dieu, blasphemer, invoquer le diable ou pour soy, ou contre soy, ou contre les autres, comme font ceux qui dient: Je voudrois que le diable me guerise d'une telle maladie, ou me rompist le col, ou me fist avoir telle chose; le diable t'emporte; le diable m'emporte; et semblables choses..

  A026001605 

 Jurer contre la justice, c'est a dire contre la raison: comme font ceux qui jurent de faire le mal ou de ne faire pas le bien; car c'est mespriser grandement Dieu que de l'appeller a tesmoin d'une action mauvaise, comme fit Herodes, jurant de faire trancher la teste a saint Jean Baptiste, auquel sont semblables ceux qui jurent de battre, de couper le nez, de ruiner, de tuer et autres..

  A026001610 

 Travailler les festes a quelqu'œuvre servile, ou estre cause que l'on travaille, sans evidente necessité et congé des Superieurs ecclesiastiques..

  A026001611 

 Ne point avoir soin que les serviteurs et autres domestiques oyent la Messe esditz jours de festes.

  A026001615 

 Juger temerairement de leurs deportementz et de leurs intentions; ou bien, au contraire, les affectionner tant les uns et les autres que, pour leur respect, on soit disposé d'offencer Dieu.

  A026001615 

 Parler mal des peres, meres, superieurs, tant temporelz que spirituelz; les contreroller, censurer et se plaindre d'eux mal a propos; leur faire des repliques hautaines, fascheuses et piquantes; les provoquer a ire volontairement et a son escient.

  A026001620 

 (Je dis par hayne, parce que de desirer la mort ou a soy ou au prochain pour la gloire de Dieu, pour son salut et pour autres telles bonnes occasions, quand la hayne de la personne ne s'y mesle point, il n'y a pas peché.) Haïr quelcun; desirer de s'en venger; se res-jouir du mal d'autruy; se contrister de son bien; se mutiner contre luy et ne luy vouloir point parler a cett'intention.

  A026001625 

 Faire l'inceste, c'est a dire avoir accointance avec une parente ou alliée, tant spirituellement que temporellement; je dis spirituellement, a cause des comperes, commeres, parrains, marraines, fileulz et fileules.

  A026001625 

 Muguetter, cajoller, donner de l'amour, et toutes sortes d'amourettes, bien que d'abord il ne semble pas que l'intention soit tout a fait charnelle.

  A026001626 

 Ce commandement aussi s'estend a ce que les personnes mariées s'entrerendent fidellement l'un a l'autre le devoir nuptial, usant de l'acte que Dieu a beny en faveur du mariage et selon rayson, tant pour la generation que pour la conservation de l'amitiée et complaisance requise entre les mariés; se ressouvenans qu'ilz sont hommes raisonnables et chrestiens, et qu'ilz doivent posseder les cors l'un de l'autre en sanctification, avec honneur, amour et dilection, et tous-jours dans les bornes que la nature a prescrites..

  A026001629 

 Contracter des debtes démesurées pour lesquelles on est insolvable, ou que difficilement peuvent estre payées.

  A026001633 

 Par imposture, qui n'est autre chose que de jetter sur une personne un crime ou un vice qui n'est pas en luy; par aggrandissement du vice ou du peché qui se treuve en quelcun; par revelement d'un crime secret de quelqu'un; par mauvaise interpretation de l'intention de quelcun, detournant en mauvais sens les bonnes actions d'autruy; niant le bien estre en une personne, lequel y est, ou ravallant la juste estime que l'on doit avoir d'une personne; se taisant lorsque l'on peut justement deffendre de blasme une personne..

  A026001634 

 Item: mentir en quelle façon que ce soit, particulierement quand le mensonge apporte le dommage au prochain.

  A026001645 

 L'orgueil n'est autre chose qu'une volonté desordonnée d'une grandeur disproportionnee a celuy qui la veut, et partant c'est peché d'orgueil de s'attribuer le bien que l'on a d'autruy comme sy on l'avoit de soy mesme; penser meriter les biens et les graces que l'on a, encor qu'il n'en soit rien; s'attribuer des biens et des graces que l'on n'a pas; se preferer aux autres es choses esquelles on ne se doit pas preferer. Or, l'orgueil est peché mortel quand on ne veut pas reconnoistre de Dieu ce que l'on a; quand, pour maintenir sa vaine estime, on est prest a violer les commandemens de Dieu et quand, pour s'exalter, on deprime et mesprise on le prochain en chose notable..

  A026001646 

 A l'orgueil est attachée la vaine gloire, qui est se glorifier de ce que l'on n'a pas, ou de choses qui ne le meritent pas, ou de choses qui ne nous appertient (sic) pas, ou de choses mauvaises; ou vouloir avoir la gloire du bien que l'on a, sans reconnoissance de Dieu duquel il vient..

  A026001647 

 A la vaine gloire est attachée la jactance, qui consiste a se venter de chose mauvaise, ou de chose bonne, mais plus qu'on ne doit, ou avec mespris du prochain, comme quand on se vente d'estre plus que les autres; ou avec le dommage du prochain, comme quand on se vente de sçavoir guerir de telle et telle maladie, et que les personnes s'y amusent et sont trompées..

  A026001648 

 La discorde vient apres, qui n'est autre chose [258] qu'une contrarieté desreglee a la volonté du prochain, laquelle est en sa perfection quand l'opiniastreté survient, par laquelle on s'arreste fermement en son opinion, quoy que sans bon fondement..

  A026001651 

 De tout cela naist la presomption, par laquelle on entreprend de faire, dire, paroistre et estre plus qu'il ne nous appartient: comme quand on veut parler de choses qu'on n'entend pas, ou faire un art que l'on ne sçait pas, ou paroistre plus que l'on n'est pas, ou qu'on veut estre plus que l'on ne peut pas.

  A026001655 

 Item, l'inquiétude que le soin et l'ardeur immoderée des choses temporelles excite en nos espritz.

  A026001655 

 L'avarice n'est autre chose qu'une volonté immoderée d'avoir des biens temporelz contre raison, et d'icelle naissent tous les pechés contraires au septiesme commandement; comm'aussy la durté (sic) de cœur, qui n'est autre chose qu'un trop grand soin de garder le bien que l'on a, jusques mesmes a n'avoir point de pitié des souffreteux.

  A026001663 

 L'ire n'est autre chose qu'un appetit de vengeance, et produit tous les pechés que nous avons marqué au cinquiesme commandement, qui engendrent les pechés suivans:.

  A026001675 

 J'ay dit, entant qu'il semble diminuer le nostre, parce qu'on peut estre marry du bien de quelcun non seulement sans pecher, mais aussy par charité: comme quand on est marry que les indignes soyent advancés, ou que les ennemis de la Republique prosperent..

  A026001675 

 L'envie n'est autre chose que la tristesse que nous avons du bien d'autruy en tant qu'il semble diminuer le nostre.

  A026001680 

 La paresse n'est autre chose qu'une certaine tristesse que l'on a a pratiquer le bien spirituel.

  A026001684 

 On peche contre le premier commandement de l'Esglise, [261] violant le Caresme, les vendredis, samedis, vigiles et Quattre Tems quant a l'usage des viandes prohibées, ou bien ne jeusnant pas; ce qui s'entend, sinon que quelque legitime occasion nous empesche..

  A026001685 

 On peche contre le second commandement, n'oyant pas la Messe entiere és jours de Dimanche et de feste, sinon aussy que quelque legitime raison excuse.

  A026001685 

 Or, celuy est estimé ouïr la Messe entiere qui oyt presque toute la Messe, encor qu'il ne l'oye pas exactement toute: ainsy, celuy qui arriveroit quand on dit l'Epistre, oyant tout le reste de la Messe, satisferoit au commandement, l'Esglise n'ayant pas intention d'obliger plus rigoureusement que cela..

  A026001691 

 C'est pourquoy, tout ce qui est contraire a l'amour de Dieu et a l'amour du prochain, sy la contrarieté est parfaite, doit estre estimé peché mortel; mais sy la contrarieté n'est pas parfaite ni accomplie, ains imparfaite et non accomplie, il n'y a que peché veniel..

  A026001693 

 Premierement: de la part de nostre volonté, lorsque nostre liberté n'est pas parfaite et que, par consequent, [262] nostre volonté n'agist pas avec pleine deliberation ny avec un total usage de son franc-arbitre: comm'il arrive quelque fois que nous dirons un'injure a quelqu'un par une si soudaine surprise de colere, que nous l'avons plus tost dite que pensée; car alors, bien que d'injurier le prochain soit ordinairement un peché mortel, toutesfois, a raison de ce que l'acte de la volonté a esté fort imparfait et indeliberé, ce n'est qu'un peché veniel, parce que la contrarieté a l'amour de Dieu en cet acte de la volonté n'a pas esté une pleine et accomplie contrarieté, ains une contrarieté sortie par surprise et inadvertence et la volonté n'estant pas pleynement a soy mesme..

  A026001694 

 Ainsy, celuy qui derobe une pomme, une poire, un liard ne peche que veniellement, parce qu'il offence fort peu le prochain et par consequent ne contrarie pas parfaitement a l'amour qui luy est deu; de mesme les coleres legeres, petitz chagrins, ou quelque legere et imparfaite caresse a l'endroit de la femme d'autruy ne seront pas estimés peché mortel..

  A026001694 

 Secondement: la contrarieté a l'amour de Dieu et du prochain est quelquefois imparfaite a raison de la petitesse de la matiere en laquelle ell'est commise: comme, par exemple, derober c'est un peché mortel, parce que le larcin contrarie a la charité du prochain; mais pourtant, ce que l'on derobe peut estre sy peu de chose, que la nuysance qui s'en ensuit contre le prochain est si extremement legere qu'elle n'est point considerable, et par consequent la contrarieté de cette action là a l'amour du prochain n'est pas une parfaite contrarieté, mais plustost comm'un commencement de contrarieté.

  A026001695 

 Comme par exemple, un mensonge dit par joyeuseté ou pour excuser quelqu'un: c'est un'action laquelle [263] n'est point contraire a l'amour de Dieu et du prochain, ou sy ell'est contraire, c'est par une contrarieté fort imparfaite et qui regarde plustost la perfection de l'amour que l'amour mesme; car bien que le prochain reçoive les petitz mensonges pour la verité, sy est ce que cela ne luy apporte nulle sorte de nuysance.

  A026001695 

 Or je dis neammoins que la perfection de la charité est violée, parce que la perfection de la charité ne requiert pas seulement que nous ne nuysions pas au prochain, mais aussy que nous ne le frustrions pas de ses justes desirs et que nous ne nous contrarions pas nous mesmes: or, chacun desire naturellement de sçavoir la verité des choses qui luy sont representées, et nous nous contrarions nous mesmes quand nous parlons contre nostre pensée.

  A026001695 

 Tiercement: la contrarieté a l'amour de Dieu et du prochain est imparfaite a raison de la nature mesme de l'action que nous prattiquons, laquelle de soy n'est pas parfaitement mauvaise, mais seulement a quelque sorte de defaut en soy, lequel defaut ne la rend pas contraire a l'amour de Dieu et du prochain, ains seulement a la perfection de l'amour.

  A026001698 

 Les grands ordinairement ne pratiquent point ce peché que par l'entremise de quelques confidens messagers et solliciteurs.

  A026001699 

 De plus, tant que la commodité des affaires le peut permettre, ilz doivent avoir avec eux leurs femmes; le mariage estant ordonné, non seulement pour la generation des enfans, mais aussy pour le remede de la concupiscence..

  A026001702 

 Bon encores en la priere du mattin et du soir de faire une resolution particuliere contre ce peché et offrir cette resolution a Dieu, tantost a l'honneur de sa Passion, tantost a l'honneur de sa Nativité, tantost a l'honneur de sa sepulture; quelquefois a l'honneur de la glorieuse Vierge Marie, sa Mere; d'autrefois a l'honneur de nostre Ange gardien; et ainsy diversement a l'honneur des Saintz que nous honnorons le plus, protestant que pour l'amour d'eux nous observerons nostre resolution.

  A026001703 

 Il est encore bon de s'imposer, voire par vœu, quelque penitence en cas que l'on retombe: comme seroit de dire tant de prieres a genoux, de jeusner, et semblables choses.

  A026001703 

 Or, bien quil y aye de la difficulté en ces remedes, si est ce que celuy la se resoulura (sic) aysement de les pratiquer qui se ressouviendra quil faut ou quitter ce peché par quel moyen que ce soit, ou quil faut quitter la grace de Dieu et perir eternellement.

  A026001706 

 O Seigneur, faictes moy voir la quantité et l'enormité de mes maux, afin que je les deteste et me confonde en la grandeur de ma misere; mais faictes moy voir aussy l'infinité de vostre bonté, afin que je m'y confesse, et que, comme je confesse humblement devant vous et devant le Ciel que je suis mauvais, ains la meschanceté mesme de vous avoir tant offensé, je confesse aussy hautement que vous estes bon, ains la bonté mesme de me pardonner si misericordieusement.

  A026001715 

 De la, elle passa fort humblement dans la societé des vefves apres la mort de saint Joseph; et c'est l'opinion de plusieurs Peres, que cette sainte Mere de Dieu, apres l'Ascension de son adorable Filz au Ciel, vescut en terre plusieurs annees, comme les autres vefves et comme plusieurs fideles de la primitive Eglise, des aumosnes et de la communauté des biens des premiers chrestiens..

  A026001723 

 Mais, Seigneur, puisque ainsy il vous a semblé bon, estendes donq le bras de vostre providence jusques a la perfection [267] de l'œuvre que vous aves commencee: favorises ma grossesse de vostre perfection, et portes avec moy, par vostre continuelle assistence, la creature que vous aves produite en moy, jusques a l'heure de sa sortie au monde; et lhors, o Dieu de ma vie, soyes moy secourable, et de vostre sainte main supportes ma foiblesse et receves mon fruit, le conservant jusques a ce que, comme il est vostre par creation, il le soit aussi par redemption, lhors qu'estant receu au Baptesme il sera mis dans le sein de l'Eglise vostre Espouse..

  A026001723 

 O Dieu eternel, Pere d'infinie bonté, qui aves ordonné le mariage pour en multiplier les hommes ici bas, repeupler la celeste cité la haut, et aves principalement destiné nostre sexe a cet office, voulant mesme que nostre fecondité fust une des marques de vostre benediction sur nous: hé, me voyci prosternee devant la face de vostre Majesté que j'adore, vous rendant graces de la conception de l'enfant auquel il vous a pleu donner estre dedans mon cors.

  A026001724 

 O Sauveur de mon ame, qui, vivant ici bas, aves tant aymé, si souvent pris entre vos bras les petitz enfans, hé, receves encor celuy ci et l'adoptes en vostre sacree filiation, affin que, vous ayant et invoquant pour Pere, vostre nom soit sanctifié en luy, et que vostre royaume luy advienne.

  A026001725 

 Et d'autant que vostre juste courroux rendit la premiere mere des humains, avec toute sa pecheresse posterité, sujette a beaucoup de peynes et douleurs es enfantemens, o Seigneur, j'accepte tous les travaux qu'il vous plaira permettre m'arriver pour cette occasion; vous suppliant seulement, par le sacré et joyeux enfantement de vostre innocente Mere, de m'estre propice a l'heure du mien douloureux, de moy, pauvre et vile pecheresse; me benissant, avec l'enfant qu'il vous plaira me donner, de la benediction de vostre amour eternel, qu'avec une parfaite confiance en vostre bonté je vous demande tres humblement..

  A026001726 

 Je le vous requiers, o la plus aymable de toutes les creatures, vous en conjurant par l'amour virginal que vous portastes a vostre cher espoux saint Joseph, par l'infini merite de la naissance de vostre Filz, par les tressaintes [268] entrailles qui l'ont porté et par les sacrees mammelles qui l'ont allaité..

  A026001727 

 O saintz Anges de Dieu, deputés a ma garde et a celle de l'enfant que je porte, defendes nous, gouvernes nous, affin que par vostre assistence nous puissions en fin parvenir a la gloire delaquelle vous jouisses, pour, avec vous, louer et benir nostre commun Seigneur et Maistre, qui regne es siecles des siecles.

  A026001732 

 Je repete ce que si souvent je vous ay dit: que, non seulement en l'orayson, mays en la conduitte de vostre vie, vous deves marcher en l'esprit d'une tres parfaitte et tres simple confiance en Dieu, entierement remise et abandonnee a son bon playsir, comme un enfant innocent qui se laisse aller a la conduitte et direction de sa mere..

  A026001733 

 Le Sauveur de nostre ame inculque si souvent la simplicité des petitz enfans, que nous la devons aymer tres particulierement.

  A026001733 

 Or, ces petitz enfans innocens ayment leurs meres qui les portent, avec une extreme simplicité: ilz ne regardent nullement ce qu'elles font, ni ne font point de retours sur eux mesmes ni sur leurs satisfactions, ilz les prennent sans les regarder; ilz tetent avec avidité et ne regardent point si ce lait est meilleur une fois que l'autre, car tandis qu'il y en a ilz le prennent tout de bon, sans autre curiosité.

  A026001734 

 De cette activité d'esprit et du soin que nostre amour nous suggere d'avoir de nostre cœur et de ce qu'il fait, provient l'inquietude de nostre cœur lhors que nous appercevons soit de loin, soit de pres, quelques tentations ou de la foy ou de quelques autres vertus que nous cherissons fort, ou mesme quand nous craignons de perdre la douceur et consolation: c'est pourquoy il faut simplifier nostre esprit, et ayant abandonné et quitté tout ce qui desplaist a Dieu, demeurer en paix dans nostre barque, c'est a dire faire en paix les exercices de nostre vocation.

  A026001734 

 Ma tres chere Fille, il faut accoyser nostre activité d'esprit, puisque nous voyons manifestement que Dieu nous appelle a cette unique, tres simple attention de confiance.

  A026001734 

 [270] Que s'ilz n'ont pas la satisfaction de voir leurs progres, ilz ne doivent pas pour cela s'alangourir, car ilz sont certains qu'ilz ne laissent pas de s'advancer..

  A026001737 

 Je desire que vous soyes extremement humble et petite a vos yeux, douce, condescendante et simple comme une colombe; que vous aymies vostre abjection et la prattiquies fidellement, employant de bon cœur toutes les occasions qui vous arriveront pour cela..

  A026001741 

 Pour chose que ce soit, ne perdes vostre paix interieure, quand bien tout bouleverseroit; car, qu'est ce que toutes les choses de cette vie en comparaison de la paix du cœur? [271].

  A026001744 

 Ne desires rien que le pur amour de Nostre Seigneur..

  A026001749 

 Helas! nos satisfactions et consolations ne satisfont pas aux yeux de Dieu, ains elles contentent seulement ce miserable amour et soin que nous avons de nous mesme, hors de Dieu et de sa consideration..

  A026001749 

 Non seulement en l'orayson, mays encor en la conduitte [272] de vostre vie, marches invariablement en esprit de simplicité, abandonnant et remettant toute vostre ame, vos actions et vos succes au bon playsir de Dieu, par un amour de parfaitte et tres absolue confiance, vous delaissant au soin et a la mercy de l'amour eternel que la divine Providence a pour vous.

  A026001750 

 Les enfans, certes, que Nostre Seigneur nous inculque devoir estre le modelle de nostre perfection, n'ont ordinairement aucun soin, sur tout en la presence de leurs pere et mere; ilz se tiennent attachés a eux, sans se retourner a regarder ni leurs satisfactions ni leurs consolations, qu'ilz prennent a la bonne foy et en jouissent en simplicité, sans curiosité quelconque d'en considerer les causes ni les effectz, l'amour les occupant asses sans faire autre chose.

  A026001751 

 Cet exercice d'abandonnement continuel de soy mesme es mains de Dieu comprend excellemment toute la perfection des autres exercices, en sa tres parfaitte simplicité et [273] pureté, et tandis que Dieu nous en laisse l'usage, nous ne devons point le changer..

  A026001752 

 Et si, ces simples colombes n'employent pas un soin ni fort long, ni aucunement empressé a se laver et parer; car la confiance que leur amour leur donne d'estre grandement aymees, quoy qu'indignes (je dis la confiance que leur amour leur donne en l'amour et en la bonté de leur Amant), leur oste tout empressement et desfiance de ne pas estre asses belles; outre que le desir d'aymer, plustost que de se parer et præparer a l'amour, leur retranche toute curieuse sollicitude et les fait contenter d'une douce et fidele preparation faite amoureusement et de bon cœur..

  A026001752 

 Mays n'est ce pas un amour bien pur, bien net et bien simple, puisque elles ne se purifient pas pour estre pures, elles ne se parent pas pour estre belles, ains seulement pour plaire a leur Amant, auquel si la laydeur estoit aussi aggreable, elles l'aymeroyent autant que la beauté.

  A026001754 

 Apres que nous aurons dit cela, ma tres chere Mere, que reste-il, sinon d'expirer et mourir de la mort de l'amour, ne vivant plus a nous mesme, mais Jesuschrist vivant en nous?.

  A026001755 

 Alhors cesseront toutes les inquietudes de nostre cœur, provenantes du desir que l'amour propre nous suggere et des tendretés que nous avons en nous et pour nous, qui nous fait secrettement empresser a la queste des satisfactions et perfections de nous mesme; et, embarqués dans les exercices de nostre vocation, sous le vent de cette simple amoureuse confiance, sans nous appercevoir de nostre progres nous le ferons grandement, et sans aller nous avancerons; sans nous remuer de nostre place, nous tirerons païs, comme font ceux qui singlent en haute mer sous un vent propice..

  A026001757 

 Helas! qui regarde le prochain hors de la, il court fortune de ne l'aymer ni purement, ni constamment, ni esgalement; mays la, qui ne l'aymeroit? qui ne le supporteroit? qui ne souffriroit ses imperfections? qui le treuveroit de mauvaise grace? qui le treuveroit ennuyeux? Or, il y est ce cher prochain, ma tres chere Fille, dans le sein et dans la poitrine du Sauveur; il y est comme tres aymé et tant aymable, que l'Amant meurt d'amour pour luy..

  A026001758 

 Quand sera ce que cet amour naturel du sang, des contenances, [275] des bienseances, des correspondances, des sympathies, des graces, sera purifié et reduit a la parfaitte obeissance de l'amour tout pur du bon playsir de Dieu? Quand sera ce que cet amour de nous mesme ne desirera plus les presences, les tesmoignages et significations exterieures, ains demeurera pleinement assouvi de l'invariable et immuable asseurance que Dieu luy donne de sa perpetuité? Que peut adjouster la presence a un amour que Dieu a fait, soustient et maintient? Quelles marques peut on requerir de perseverance en une unité que Dieu a creé? La distance et la presence n'apportera ni n'ostera jamais rien a la solidité d'un amour que Dieu a luy mesme formé..

  A026001770 

 Cet amour simple de confiance et cet endormissement amoureux de vostre esprit entre les bras de ce Sauveur comprend excellemment tout ce que vous alles cherchant ça et la pour vostre goust..

  A026001773 

 Et ceci se doit prattiquer non seulement a l'orayson, ou il faut aller avec une grande douceur d'esprit, sans dessein d'y faire autre chose quelconque, ains seulement pour estre a la veuë de Dieu dans cette simple remise et repos en luy et comme il luy plaira; se contenter d'estre en sa presence, encor que vous ne le voyies, ni senties, ni sçauries representer, et ne vous enqueres de luy de chose quelconque sinon a mesure qu'il vous excitera..

  A026001779 

 Demeures donq ainsy, sans vous en divertir pour regarder ce que vous faites ou feres, ou ce qui vous adviendra, en toute occurrence et en tout evenement..

  A026001779 

 En ce jour de saint Claude, memorable a nostre Congregation, je ramasse ainsy tout ce que je vous ay dit, pour l'abbreger: Soyes fidelement invariable en cette resolution, de demeurer en une tres simple unité et unique simplicité de la presence de Dieu, par un entier abandonnement de vous mesme en sa tressainte volonté, et toutes les fois que vous treuveres vostre esprit hors de la, ramenes l'y doucement, sans faire pour cela des actes sensibles de l'entendement, ni de la volonté; car cet amour simple de confiance et cette remise et repos de vostre esprit dans le sein paternel de Nostre Seigneur et de sa Providence, comprend excellemment tout ce que l'on peut desirer pour s'unir a Dieu.

  A026001780 

 Quand vous appercevres que quelque soin ou desir naistra en vous, remettes le en Dieu, ne voulant seulement que luy et l'accomplissement de sa sainte volonté, luy laissant le soin de tout le reste..

  A026001780 

 Que toutes vos paroles et [278] actions soyent accompaignees de douceur et simplicité.

  A026001788 

 Premièrement tu dois demander à ton très cher Seigneur s'il trouvera à propos que tu renouvelles tous les ans, aux reconfirmations, entre ses mains, tes vœux, ton abandonnement general et remise de toi-même entre les mains de Dieu; spécifie particulièrement [279] ce qu'il jugera qui te touche le plus, pour enfin faire cet abandonnement parfait et sans exception, en sorte que je puisse vraiment dire: Je vis, non pas moi, mais Jésus-Christ vit en moi.

  A026001788 

 Que, pour parvenir là, ton bon Seigneur ne t'épargne point, et qu'il ne permette que tu fasses aucune réserve ni de peu ni de prou.

  A026001789 

 Je respons au nom de Nostre Seigneur et de Nostre Dame: Quil sera bon, ma tres chere Fille, que toutes les annees vous facies le renouvellement proposé, et que vous rafraichissies le parfait abandonnement de vous mesme entre les mains de Dieu.

  A026001789 

 Pour cela, je ne vous espargneray point, et vous vous retrancherés des paroles superflues qui regardent l'amour, quoy que juste, de toutes les creatures, notamment des parens, mayson, païs, et sur tout du Pere; et, tant quil se pourra, des longues pensees de toutes ces choses-lâ, sinon es occasions esquelles le devoir oblige d'ordonner ou procurer les affaires requises; affin de parfaitement prattiquer cette parole: Oy, ma Fille, et entens, et panche ton oreille; oublie ton peuple et la mayson de ton pere.

  A026001794 

 Vous me direz: Pourquoi sortez-vous donc de là? O Dieu, c'est mon malheur et malgré moi; car l'expérience m'a appris que cela est fort nuisible.

  A026001795 

 Et dautant que vostre esprit desire que j'employe l'obeissance, je luy dis ainsy:.

  A026001795 

 Puysque Nostre Seigneur, des il y a si long tems, vous a tiree a cette sorte d'orayson, vous ayant fait gouster les fruitz tant desirables qui en proviennent et connoistre les nuysances de la methode contraire, demeures ferme et, avec la plus grande douceur que vous pourres, ramenes vostre esprit a cette unité et simplicité de presence et abandonnement en Dieu.

  A026001796 

 Mon cher esprit, pourquoy voules vous prattiquer la partie de Marthe en l'orayson, puisque Dieu vous fait entendre quil veut que vous exercies celle de Marie? Je vous commande donques, que simplement vous demeuries ou en Dieu ou pres de Dieu, sans vous essayer d'y rien faire et sans vous enquerir de luy de chose quelconque, sinon a mesure quil vous excitera.

  A026001798 

 Je retourne donc à demander à mon très cher Père si l'âme étant ainsi remise ne doit pas demeurer toute reposée en son Dieu, lui [281] laissant le soin de tout ce qui la regarde tant intérieurement qu'extérieurement, et demeurant, comme vous dites, dans sa providence et volonté, sans soin, sans attention, sans élection, sans désir quelconque, sinon que Notre-Seigneur fasse en elle, d'elle et par elle sa très sainte volonté, sans aucun empêchement ni résistance de sa part.

  A026001798 

 O Dieu, qui me donnera cette grâce que seule je vous demande, sinon vous, bon Jésus, par les prières de votre Serviteur..

  A026001799 

 L'enfant qui est entre les bras de sa mere n'a besoin que de laisser faire et de s'attacher a son col..

  A026001805 

 Pour cela, Dieu veut que nous soyons comm'un petit enfant.

  A026001810 

 Il y a tant d'occasions de petites mortifications! cela surprend au milieu d'un compte, de quelque action, on a peine de se déprendre; il ne faut plus faire que trois points [282] pour achever l'ouvrage, une lettre à former, se chauffer un peu, que sais-je moi?.

  A026001811 

 Ouy, il est bon de ne s'attacher a rien tant qu'aux Regles; de sorte que sil ny a quelque signalee occasion, alles ou la Regie vous tire et la rendes plus forte que tous ces menus attraitz..

  A026001813 

 Se laisser gouverner absolument pour ce qui est du corps, recevoir simplement tout ce qui nous est donné ou fait: bien, mal, incommodité, ce qui sera de trop selon notre jugement, sans en rien dire ni témoigner nulle sorte de désagrément; prendre les soulagements du dormir, reposer, chauffer, de l'exemption de quelque exercice pénible ou de mortification; dire à la bonne foi ce que l'on peut faire: que l'on s'insiste, céder sans rien dire.

  A026001814 

 Au reste, de se rendre si parfaitement maniable, c'est ce que je desire bien fort de nostre cœur..

  A026001814 

 Il faut dire a la bonne foy ce que l'on sent, mais en telle sorte que cela n'oste pas le courage de repliquer a ceux qui soignent de nous.

  A026001816 

 Ceci est un peu difficile, et pour ne rien laisser à soi-même; car, combien de fois voudrait-on un peu de solitude, de repos, de temps pour soi! cependant, l'on voit une Sœur qui côtoie, qui s'approche, qui désirerait ce quart d'heure pour elle, une parole, une caresse, une visite, que sais-je moi?.

  A026001816 

 Se porter avec grande douceur à la volonté des Soeurs et de tout autre si tôt que l'on la connaîtra, encore que l'on pût facilement s'en détourner et examiner.

  A026001819 

 Voilà ce qui m'est venu en vue où il me semble que je pourrais m'exercer et mortifier.

  A026001823 

 Sans doute, qui parle peu de soymesme fait extremement [283] bien; car, soit que nous en parlions en nous accusant, soit en nous excusant, soit en nous louant, soyt en nous mesprisant, nous verrons que tous-jours nostre parole sert d'amorce a la vanité.

  A026001824 

 Le livre de l' Amour de Dieu, ma chere Fille, est fait particulierement pour vous; c'est pourquoy vous pouves, ains deves avec amour, prattiquer les enseignemens que vous y aves trouvé..

  A026001827 

 Je ne veux oublier ceci, parce que souvent j'en ai été en peine.

  A026001827 

 Monseigneur l'entendra mieux que je ne pourrais le dire.

  A026001828 

 Que l'ame s'arreste aux misteres en la façon d'orayson que Nostre Seigneur luy a donnee; car les prædicateurs et livres spirituelz ne l'entendent pas autrement.

  A026001835 

 RECUEIL DES AVIS PARTICULIERS QUE MONSEIGNEUR M'A DONNES.

  A026001838 

 J'ay jugé qu'il vous seroit extremement utile de tascher de tenir vostre ame en paix et en tranquillité; et pour cela, il faut que le matin en vous levant vous commencies cet exercice, faisant vos actions tout doucement, pensant a ce que vous aves a faire dans l'exercice du matin, prenant garde de ne point laisser espancher vostre esprit le long de la journee.

  A026001838 

 Observes tous-jours si vous estes en cet estat de tranquillité, et si tost que vous vous en treuveres dehors, ayes un grand soin de vous y remettre, et cela sans discours ni effort..

  A026001839 

 Et quand il vous arrivera de faire des fautes, quelles qu'elles soyent, demandes en pardon tout doucement a Nostre Seigneur, en luy disant que vous estes bien asseuree qu'il vous ayme bien et qu'il vous pardonnera; et cela tous-jours simplement et doucement.

  A026001839 

 Je ne veux pas dire pourtant que vous vous bandies continuellement l'esprit pour vous tenir en cette paix; car il faut que tout cecy se fasse avec une simplicité de cœur tout amoureuse, vous tenant aupres de Nostre Seigneur comme un petit enfant aupres de son pere.

  A026001840 

 Cecy doit estre vostre exercice continuel; car cette simplicité de cœur vous empeschera de penser distinctement (car nous ne sommes pas maistres de nos pensees, pour n'en avoir que celles que nous voulons) qu'a ce que vous aures a faire et a ce qui vous est marqué, sans espancher vostre ame ni a vouloir, ni a desirer autre chose; et fera que toutes ces pretentions de plaire et ces craintes de desplaire a nostre Mere, s'esvanouiront, reservant le seul desir de plaire a Dieu, qui est et sera l'unique objet de nostre ame..

  A026001841 

 Lhors qu'il vous arrivera de faire quelque chose qui pourroit fascher ou mal edifier les Seurs, si c'estoit chose d'une grande importance, excuses vous, en disant que vous n'aves pas eu mauvaise intention, s'il est vray; mais si c'est chose legere et qui ne tire point de consequence, ne vous excuses point: observant tous-jours de faire cela avec douceur et tranquillité d'esprit, comme aussi de recevoir les advertissemens.

  A026001841 

 Mais vous sçaves tres bien que les sentimens, non plus que toute autre tentation, ne nous rendent pas moins aggreables a Dieu, pourveu que nous n'y consentions pas..

  A026001842 

 Que s'ilz vous importunent trop, il faut se mocquer de tout cela, comme seroit de leur faire la moue, et cela par un simple regard de la partie superieure; apres quoy il n'y faut plus penser, quoy qu'ilz veuillent dire..

  A026001842 

 Vous vous trompes en croyant que vous devries faire des actes vifz pour vous desfaire de ces sentimens et troubles de la partie inferieure; c'est au contraire, il n'en faut faire nul estat, mais passer simplement chemin, sans les regarder seulement.

  A026001843 

 Et tout de mesme en est il des pensees de jalousie ou d'envie, et mesme de ces attendrissemens que vous aves sur vos commodités corporelles, et semblables tricheries qui vont ordinairement roulant autour de nos espritz, retranchant a vostre ame tout autre soin que celuy de se tenir en paix et en tranquillité.

  A026001843 

 Je dis mesme celuy de vostre propre perfection; car je remarque que ce trop grand soin [286] de vous perfectionner vous nuit beaucoup, d'autant que des qu'il vous arrive de faire des fautes, vous vous en inquietes, parce qu'il vous semble que c'est tous-jours contre la pretention que vous aves de vous amender.

  A026001844 

 Et tout cecy, il ne le faut plus faire, ains vous affermir a cela, de ne point vous laisser troubler pour quoy que ce soit.

  A026001844 

 Que si neanmoins il vous arrive de le faire, nonobstant vostre resolution, ne vous fasches pas pourtant, ains remettes vous en tranquillité tout aussi tost que vous vous en appercevres, et tous-jours de la mesme façon que je vous ay dit, tout simplement, sans effortz ni secousse d'esprit..

  A026001845 

 Et ne penses pas que cecy soit un exercice de quelques jours; oh! non, car il y faut bien du tems et du soin pour parvenir a cette paix.

  A026001845 

 Faites tout bonnement et tout simplement ce que vous pourres, sans vous mettre en peyne d'autre chose..

  A026001845 

 Il est vray pourtant que, si vous vous y rendes fidele, Nostre Seigneur benira vostre travail.

  A026001845 

 Il vous sera difficile, d'autant que vous aves l'esprit vif, et qu'il s'arreste et s'amuse a chaque objet qu'il rencontre; mais la difficulté ne vous doit pas faire entrer en descouragement, pensant de ne pouvoir parvenir au but de vostre pretention.

  A026001846 

 Et tout de mesme, quand vous arrestes quelque chose qui ne sera bien pris selon vostre intention: passes outre, pensant a ce que vous aves a faire.

  A026001846 

 Regardes Nostre Seigneur, et tasches d'aller au Dieu de toutes choses, multipliant le plus que vous pourres les oraysons jaculatoires, les veuës interieures, les retours, les eslans fervens de vostre esprit en Dieu, et je vous asseure que cecy vous sera fort utile..

  A026001847 

 Dieu vous veut toute et sans aucune reserve, et toute fine nue et despouillee; c'est pourquoy il faut que vous ayes grand soin de vous desfaire de vostre propre volonté, car il n'y a que cela seul qui vous nuise, d'autant que vous l'aves tous-jours extremement forte, et vous estes fort attachee a vouloir ce que vous voules.

  A026001848 

 Embrasses donq bien fidelement cet exercice, puisque je vous le dis avec la charité de Dieu et la connoissance que j'ay de vostre necessité, qui est que vous regardies la providence de Dieu aux contradictions qui vous seront faites, Dieu les permettant affin de vous destacher de toutes choses, pour vous mieux serrer a sa Bonté et unir a luy; car je sçay qu'il veut que vous soyes sienne, mais d'une façon toute particuliere..

  A026001849 

 Et quand vous sentires que la confiance vous manque pour recourir a Nostre Seigneur, a cause de la multitude de vos imperfections, faites alhors joüer la partie superieure de vostre ame, disant des paroles de confiance et d'amour a Nostre Seigneur, avec le plus de ferveur et le plus frequemment qu'il se pourra..

  A026001849 

 Rendes vous donq bien indifferente, si on vous accordera ou non ce que vous demanderes, et ne laisses pas de demander tous-jours avec confiance; et demeures en l'indifference d'avoir des biens spirituelz ou non.

  A026001850 

 Ayes un grand soin de ne vous point troubler lhors que vous aures fait quelque faute, ni de vous laisser aller a des attendrissemens sur vous mesme, car tout cela ne vient que d'orgueil; mais humilies-vous promptement devant Dieu, et que ce soit d'une humilité douce et amoureuse, qui vous porte a la confiance de recourir soudain a sa Bonté, vous asseurant qu'elle vous aydera pour vous amender..

  A026001851 

 Je ne veux plus que vous soyes si tendre, ains que, comme une fille forte, vous servies Dieu avec un grand courage, ne regardant que luy seul; et partant, quand ces pensees, si l'on vous ayme ou non, vous arrivent, ne les regardes pas seulement, vous asseurant que l'on vous aymera tous-jours autant que Dieu le voudra, et que cela vous suffise.

  A026001851 

 Que la volonté de Dieu s'accomplisse en vous, qui estes obligee d'une obligation particuliere de vous perfectionner; car Dieu veut se servir de vous.

  A026001852 

 Occupes-vous a dire a Nostre Seigneur que vous en voules avoir, et que vous ne consentires jamais a ce que le chagrin vous suggere.

  A026001852 

 Prenes soin de tenir vostre esprit en paix et occupé des choses hautes, le tirant fidelement de l'attention que vous faites sur vous mesme, principalement quand vous aves [288] du chagrin et que vous n'aves point de courage.

  A026001852 

 Vous feries encores mieux de vous divertir, faysant accroire a vostre esprit qu'il n'en a point, n'en faysant non plus d'estat que si vous ne senties point l'effort de cette passion..

  A026001853 

 Et quand vous seres reprise ou corrigee de quelque chose, essayes-vous tout doucement d'aymer la correction; et ne vous fasches pas si la partie inferieure s'esmeut, mais faites regner la partie superieure, affin que vous fassies ce que l'on veut de vous en cette occasion..

  A026001853 

 Ne vous estonnes point des mauvais sentimens que vous aves, pour grans qu'ilz soyent; mais ayes soin en ce tems-la de multiplier les oraysons jaculatoires et retours de vostre esprit en Dieu; et comme vous aves une grande necessité de la douceur et de l'humilité, prenes soin de mettre fort souvent emmi la journee vostre cœur en la posture d'une humble douceur.

  A026001854 

 Ne soyes point tant amie de vostre paix que, quand on vous l'ostera par quelque commandement, ou correction, ou contradiction, vous en demeuries troublee; car cette paix qui ne veut point estre agitee est recherchee par l'amour propre..

  A026001855 

 Consideres donq souvent quel desplaysir ce vous sera et ce vous doit estre, de voir que vous manques de correspondance a la volonté de Dieu, puisqu'il a laissé a vostre pouvoir d'acquerir cela, qui doit perfectionner et accomplir vostre talent..

  A026001855 

 Or, maintenant je vous dis que vous ayes un soin tres particulier de vous rendre esgale en vos humeurs, sans jamais laisser paroistre en vostre exterieur aucun changement.

  A026001855 

 Quelle apparence y a il de monstrer ainsy vos imperfections, puisque cela empesche que Dieu ne soit servi de vous ainsy qu'il le desire? Cette esgalité de vostre maintien exterieur manque a l'accomplissement des talens que Dieu vous a donnés.

  A026001856 

 Travailles fidelement pour cela, bandes toutes les forces de vostre esprit pour l'acquerir, et prenes garde que la mortification [289] reluise en vostre exterieur; en sorte que les seculiers treuvent plus de sujet de l'observer, que non pas de bonne mine, ni de bonne façon..

  A026001857 

 Aneantisses vous en la connoissance de vostre petitesse; mais soudain apres, releves vostre esprit pour considerer ce que Dieu veut de vous..

  A026001857 

 Mais ressouvenes vous de ce que j'ay dit en l'Entretien de l'Humilité; et toutes fois et quantes qu'elle ne produit pas ce fruit, elle est suspecte et indubitablement fause.

  A026001878 

 J'advoue que la divine Bonté m'a favorisé d'une particuliere lumiere pour l'intelligence de ces sacrés mysteres-la, et si me semble que j'entens fort bien l'intention de l'Eglise en tout ce qu'elle propose a ses enfans.

  A026001878 

 J'ay receu aussi de Dieu un tendre amour envers les maximes de l'Evangile, et je me persuade que c'est en suite de la connoissance qu'il m'a communiquee de leur eminente beauté.

  A026001885 

 Il faut donq obeir a celle que Dieu nous a donnee pour Superieure en regardant tous-jours Nostre Seigneur en elle, par l'ordonnance duquel elle nous commande et conseille ce qui est pour nostre bien et avancement spirituel.

  A026001885 

 Si vous voules avancer au chemin de la vertu, ne regardes pas au visage de ceux qui vous commandent, parce que si vous les consideres il vous arrivera tous-jours de la difficulté a obeir et sousmettre plustost a cette Superieure qu'a une autre, si elle estoit en charge.

  A026001885 

 Tandis que nous regardons aux creatures et non au Createur nous ne ferons jamais rien qui vaille, ni ne ferons aucuns progres en la vertu.

  A026001886 

 Il ne luy dit point le chemin qu'il tiendra, ni Abraham ne luy dit point: Seigneur, de quel costé vous plaist il que je sorte? Si vous ne me dites par quelle porte je dois sortir, je ne sçay pas ou aller.

  A026001888 

 C'est un grand moyen d'avancer en la vertu et en l'amour de Dieu quand nous avons des Superieures qui ne nous ayment pas et que nous n'aymons pas aussi.

  A026001888 

 Et puis, qu'est ce que dit le Point d'humilité? Qu'il ne faut point vouloir estre aymé.

  A026001888 

 Il ne se faut pas descourager ni entrer en desfiance pour cela, bien que les Superieures n'en doivent [293] donner aucun sujet.

  A026001888 

 J'ay bien envie de vous arracher cela du cœur, car on vous aymera tous-jours autant que Dieu voudra, et Dieu le voudra tous-jours et ainsy vous seres aymee.

  A026001888 

 Je ne veux point que vous soyes attachee a moy, ni a nostre Mere, ni a chose du monde.

  A026001889 

 Dites avec l'Apostre: Seigneur, que vous plaist il que je face? Mais saint Bernard dit qu'il y a des Religieux a qui il faut dire: Que vous plaist il de faire? O ma chere Fille, ne soyes point ainsy enfant..

  A026001890 

 En fin, le cœur obeyssant racontera les victoires; les victoires nous les remportons quand nous sousmettons nostre volonté et jugement a celuy d'autruy, a l'imitation de Nostre Seigneur qui s'est rendu obeissant jusqu'a la mort, et a la mort de la croix, et a mieux aymé mourir que de perdre l'obeissance..

  A026001891 

 Il ne faut jamais rien faire contre l'obeyssance, specialement quand il nous vient en l'esprit que cela n'est pas bien, et que le scrupule nous prend ou que nous ne voudrions pas que nos Superieures le sceussent..

  A026001891 

 Quand la cloche sonne et nous appelle pour quoy que ce soit, il faut estre prompte a partir et quitter tout.

  A026001892 

 Il faut tous-jours penser que les Superieures considerent bien les choses avant que de les dire; ainsy, laisses vous gouverner a elles comme un petit enfant..

  A026001893 

 Il faut tous-jours faire la volonté des autres, sur tout des Superieures, plustost que de les attirer a faire la nostre..

  A026001893 

 S'il vous arrive du proffit quand vous rendes conte, de dire que c'est moy qui vous ay enseigné cet exercice, dites le affin qu'on vous le laisse continuer; mais si elles vous disent que vous facies autrement, quittes tout et faites simplement ce qu'elles vous diront, encor que vous ayes de la repugnance tant a quitter qu'a faire autrement que je vous ay dit.

  A026001898 

 Nostre Seigneur qui se voyant Dieu, et partant ne voyant aucune chose en soy pour s'humilier, a voulu neanmoins s'humilier et a dit: Apprenes de moy que je suis doux et humble de cœur et vous treuveres le repos en vos ames.

  A026001899 

 Vous deves estre bien humble, et vous le seres a cette heure que vostre Pere vous le commande; oh! je vous en prie.

  A026001900 

 Que vos imperfections vous servent a cela et ne vous facent entrer en nul descouragement; nous sommes en bon chemin, par la grace de Dieu.

  A026001900 

 Rien ne nous peut nuire que la propre volonté: or nous n'en devons point avoir, car nous l'avons toute consacree a Dieu; donq encourageons-nous sans presomption..

  A026001903 

 Il faut avoir une gravité de princesse, par ce que nous sommes espouses du Filz de Dieu; mais simple, sans affectation; et l'humilité du publicain, pleine de confiance.

  A026001909 

 Le premier sermon que Nostre Seigneur fit a ses disciples fut: Apprenes de moy que je suis doux et humble de cœur.

  A026001909 

 Que ces vertus reluisent en vous, en toutes vos actions, en toutes vos paroles, en vos yeux, en tout vostre maintien.

  A026001910 

 Je vous recommande l'affabilité, que vous sçavés qui se prattique avec ceux a qui on parle; se rendre joyeuse avec ceux qui le sont, pleine de compassion avec les affligés, s'accommodant a la façon des autres, a leurs humeurs, faire comme saint Paul: se rendre tout a tous pour les gaigner tous..

  A026001911 

 Toutes les fois que vous treuveres vostre cœur hors de la douceur, ne faites que le prendre avec le bout du doigt, et non a plein poing, comme l'on dit, ni brusquement.

  A026001912 

 Si cela ne fait rien, il faut pourtant tous-jours essayer, affin que la negligence ne nous face accroire que le divertissement n'y fait rien; alhors il faut avoir patience avec soy mesme.

  A026001912 

 Tasches d'acquerir la sainte tranquillité exterieure et interieure en toutes vos actions et vous formés selon cela; [296] et quand on ne sçait plus que faire a son esprit, qui est piqué et troublé, il se faut divertir.

  A026001914 

 Selon les occasions, retires vous en vous mesme, par des retours de vostre esprit en Dieu; il ne faut pas que vous soyes trop retiree, car ce n'est point vostre humeur..

  A026001914 

 Soyes la plus suave qu'il vous sera possible, et plus que toutes les autres.

  A026001918 

 Ayes un grand soin de simplifier vostre esprit de toutes ses superfluités, et quand elles se presentent, ne faites que tout simplement les oster, retournant vostre cœur vers Nostre Seigneur sans les regarder; et vous employes de bon cœur a ce travail pour l'amour de Dieu, pour en acquerir la couronne.

  A026001919 

 Il faut [297] estre une colombe, parce que Nostre Seigneur est colombin, et n'avoir rien a cœur que luy et l'affection de luy plaire, et estre tant simplifiee que vous puissies dire en verité: Je ne pense a rien, hors ce a quoy je suis obligee de penser.

  A026001919 

 Que vostre esprit ne regarde point ses repugnances et difficultés, mais combattes les en les mesprisant..

  A026001920 

 Specialement a l'orayson, je veux que vous y soyes comme une statue dans sa niche, sans rien vouloir que plaire a vostre Espoux.

  A026001920 

 — Pourquoy demeures vous en cette niche, o statue? — Parce que mon Espoux m'y a mise; je ne veux rien que cela..

  A026001921 

 Laisses luy tout le soin de vous et n'ayes soin ni souci que de plaire a vostre Espoux, et demeures en la niche sans rien vouloir..

  A026001921 

 S'il veut que l'on vous ayme et estime, il le permettra bien; s'il veut que l'on vous humilie, de mesme.

  A026001924 

 Je ne veux point que vous soyes attachee a moy ni a nostre Mere..

  A026001924 

 Je veux bien que vous m'aymies et croyies que je vous ayme bien; mais je veux que l'amitié que vous me portes ne nuise point a la perfection et union de vostre esprit avec Dieu, ains qu'elle vous serve pour vous y unir davantage.

  A026001925 

 La generosité passe par dessus tout cela, ne s'attachant qu'a Dieu seul, pour l'amour duquel elle fait tout, et mortifie ce qui est d'humain pour ne vivre plus que pour luy.

  A026001926 

 Il nous suffit, ma chere Fille, que nous sachions Jesus Christ crucifié.

  A026001926 

 O ma, chere Fille, je desire que vous ayes un cœur large et grand au chemin de Nostre Seigneur, mais je veux aussi tous-jours qu'il soit doux..

  A026001927 

 Je n'attens pas de vous que vous n'ayes point de sentimens; ouy bien que vous les combatties, vainquies et surmonties avec douceur et patience..

  A026001927 

 Je vous dis comme je voudrois faire et comme je veux que vous facies.

  A026001927 

 Quand les mouches nous piquent, il ne faut que tout simplement les oster; ainsy, quand il nous vient des contradictions, il ne faut que tout simplement les oster, c'est a dire s'en destourner et non pas s'en occuper.

  A026001931 

 Demandes conseil a Nostre Seigneur de ce que vous devres dire, avant de parler, et a vostre partie superieure aussi, affin de ne rien dire qui offense Dieu ni les creatures.

  A026001932 

 Et pour vous oster la crainte que vous ne faites pas ce que vous leur dites, pensés que vous leur parles comme messagere et envoyee de la part de Dieu; et quand il vous vient de prendre de la vanité de ce que vous leur dites, penses en vous mesme que ce que vous dites n'est pas de vous, mais de Dieu, et vous humilies..

  A026001933 

 Ou si l'on vous commande quelque chose, adjoustes y ce mot: que vous le feres avec la grace de Dieu; ou bien: s'il plaist a Dieu.

  A026001934 

 Quand vous envoyeres ou recevres des commissions de quelqu'un, il faut ainsy parler de Nostre Seigneur, et dire a ceux qui vous les font: Je vous prie de remercier N. de ma part, du souvenir qu'il a de moy; asseures le ou asseures la (selon la personne) que je prieray Nostre Seigneur pour elle, affm qu'il luy continue tous-jours ses saintes graces; et choses semblables..

  A026001935 

 Il ne faut point vouloir des particularités; la Regie le dit, et que les premieres seront comme les dernieres..

  A026001936 

 On vous parlera autant que vous en aures besoin, et qu'il plaira a Dieu nous inspirer.

  A026001937 

 Il faut quelquefois alleguer ce que disent les Constitutions en ses advertissemens, a l'imitation de Nostre Seigneur; comme quand l'esprit malin le tenta au desert, il dit: Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu; et aussi quand les pharisiens l'interrogeoyent, il leur alleguoit l'Escriture, disant: Il est escrit telle chose.

  A026001938 

 Et quand vous dites les vostres, il faut desirer que les autres pensent que vous estes telle que vous vous accuses, et encor pire, pour pratiquer l'humilité..

  A026001938 

 Ma chere Fille, il est bon d'entendre les coulpes des autres pour recevoir la lumiere pour voir les vostres, et penser en soy mesme que cette Seur est bien humble de s'accuser ainsy.

  A026001939 

 Vous pourres escrire aux Seurs absentes, parce que cela les console et entretient l'amour les unes envers les autres; quelquefois vous n'escrires point aussi, par humilité et vray mespris de vous mesme.

  A026001940 

 Ne vous estonnes point de ces bouleversemens de cœur et aversions au prochain; pourveu que vous ne les nourrissies pas volontairement il n'y aura point de peché.

  A026001940 

 Retranches ces paroles interieures: Si on me dit ceci, je respondray cela; car cela ne fait que s'aigrir le cœur et oster de la douceur.

  A026001943 

 Ne vous estonnes pas de vos cheutes et imperfections; qu'elles ne vous fassent entrer en aucun descouragement, car cela est contraire a la perfection que nous desirons..

  A026001943 

 Quand on tombe en quelques defautz et imperfections, c'est un remede et moyen tres bon, et qui plaist fort a Dieu [301] et confond le diable, que de s'humilier tout aussi tost devant Dieu et eslever son esprit au Ciel, usant de ces paroles ou autres semblables: O Seigneur, vous voyes combien je suis fragile et miserable, et comme je tombe souvent; pardonnes moy, Seigneur, et donnes moy la grace de ne plus tomber.

  A026001943 

 Si vous aves failli devant les Seurs, il faut reparer le defaut; et si c'est vers une particuliere que vous aves commis la faute, dites ainsy, si c'est un manquement de douceur, [une] replique, tesmoignage de repugnance: « Ma tres chere Seur, je vous demande pardon de ce que je vous ay tesmoigné de la repugnance et manqué de douceur; je vous ay mal edifiee, je vous prie de prier Nostre Seigneur pour moy, affin qu'il me fasse misericorde et la grace de m'amender.

  A026001944 

 En toutes actions, tasches de vous mortifier et crucifier vos passions, inclinations, aversions, avec Nostre Seigneur au mont du Calvaire, affin que vous vivies avec luy en sa gloire.

  A026001944 

 Soyes bien ayse d'estre sauvee par la seule misericorde de Dieu, vostre Sauveur, sans aucune correspondance de vostre part que l'obeissance a ses inspirations..

  A026001945 

 Encor que je die le petit pas, ce n'est pas que je n'aye un grand desir de vostre avancement a la perfection.

  A026001945 

 Je me prometz beaucoup de vostre bon cœur, ma chere Fille; ne me trompes pas, car je veux que vous soyes la fille forte de ceans, la plus courageuse, douce et humble [302] de toutes, parce que vous estes nee entre mes bras.

  A026001945 

 N'ayes pas tant de soin de vous mesme et de ce que vous deviendres.

  A026001945 

 Qu'importe que vous soyes tous-jours imparfaitte, pourveu que vous ayes le soin de vous perfectionner en embrassant tous les moyens qui vous seront possibles pour cela, avec fidelité? Laisses faire a Dieu, il vous aydera.

  A026001945 

 Vous sçaves combien mon cœur vous ayme et que, tout a fait et sans reserve, vous vous estes donnee a moy et que nous avons ensemble le cœur: le vostre est a moy et le mien est a vous, tout a fait, et quand vous entendres parler de vostre cœur ce sera du mien.

  A026001946 

 Sçachés que vous satisferes asses pour vos pechés quand vous feres tout ce que vous faites purement pour Dieu et pour luy plaire, sans autre intention; et cela est plus parfait..

  A026001947 

 Ainsy, tandis que nous serons en cette vie, nous aurons tous-jours des miseres.

  A026001947 

 Il se faut fort humilier et prendre bon courage pour combattre nos imperfections, car tandis que nous serons en cette vie, nous aurons tous-jours a faire et a combattre: c'est l'exercice de nostre humilité.

  A026001948 

 Il a dit que nous ne sçaurions changer un seul cheveu de nostre teste pour le faire blanc ou noir..

  A026001948 

 Vous estes marrie, ma chere Fille, parce que vous faites des fautes: il se faut humilier et demeurer en paix.

  A026001953 

 Mais il vous semble que vous ne faites rien si vous ne sentes des consolations et satisfactions en ce que vous faites, car nous aymons tant cela! — Oh! je veux que vous soyes plus courageuse, ma chere Fille, et que vous ne soyes attachee a rien, ni aux consolations sensibles de Dieu, ni aux affections des creatures.

  A026001953 

 Nostre Seigneur veut que nous facions quelque chose de plus que les payens qui ayment davantage ceux qui les ayment; il veut que nous exercions nostre vertu a l'endroit de ceux que nous aymons moins, et il le faut faire.

  A026001954 

 Hé, quand sera ce que vous pourrés dire avec l'Apostre: Ce n'est plus moy qui vis, mais c'est Jesus Christ qui vit en moy. Il faut que ce soit tout a cette heure que vous soyes superieure de vous mesme et que vous soyes la nouvelle fille de Nostre Seigneur.

  A026001959 

 Il ne faut pas plus penser au lendemain pour l'esprit que pour le cors..

  A026001960 

 Ainsy ceux qui commencent la perfection d'un jour a l'autre, ne laissent pas, en leur resolution, d'estre parfaitz aussi bien que les autres qui en font la resolution determinee tout en un coup, pour toute leur vie.

  A026001960 

 Ce que le Combat spirituel veut dire, ma chere Fille, que ce n'est pas si grande vertu et perfection de se resoudre pour tout un jour comme pour toute sa vie? — Sçachés, ma Fille, qu'il y a deux sortes de perfection: par exemple, une personne sera tentee de la tentation de la chair; elle n'y fait point de faute, elle est parfaitte en cela.

  A026001960 

 Une autre n'est point tentee, elle est plus parfaitte, parce que c'est un don de Dieu.

  A026001962 

 Quand nous voyons que nous ne sommes pas si parfaitte que nous voudrions, il se faut humilier devant Dieu et luy dire: Seigneur, vous voyes ce que je suis; je voudrois bien estre plus parfaitte pour mieux vous plaire et aymer..

  A026001963 

 O Dieu, plustost mourir que s'en repentir..

  A026001963 

 Vous estes en la plus heureuse vocation du monde et en la grace de Dieu; si vous fussies demeuree au monde, vous eussies plus pati en un jour que vous ne feres icy en toute vostre vie.

  A026001964 

 Pour nous, c'est le chemin du Ciel que nos Regles et Constitutions.

  A026001964 

 Unisses vous fort a Dieu, et ne luy demandes rien que son amour et l'union de vostre volonté a la sienne, et dites souventesfois: Vostre volonté soit faite, vostre Nom soit sanctifié, vostre royaume nous advienne.

  A026001965 

 En fin, nous sommes espouse d'un Espoux crucifié; il est raysonnable que nous le soyons aussi avec trois clous comme luy.

  A026001965 

 Faites toutes vos actions pour vous rendre aggreable a Dieu; vous n'estes ceans que pour cela et pour vous perfectionner.

  A026001966 

 Il ne s'ensuit pas que vous facies comme elles.

  A026001968 

 Il faut estre bien ayse si elles nous ayment, parce que cela donne courage a s'avancer; mais ce n'est pas marcher droit de penser beaucoup a cela..

  A026001970 

 Marches tous-jours vostre train en l'amour de Dieu, ma chere Fille, que j'ayme bien de tout mon cœur..

  A026001970 

 Ne vous mettes point en peyne de ce que les autres diront de vous.

  A026001974 

 Quand il n'y auroit que Dieu et vous au monde, seroit-ce pas asses, sans vouloir tant de creatures et vous amuser a tant de [307] tricheries qui passent par vostre esprit? Resouvenes vous souvent de Dieu par des frequentes aspirations en luy..

  A026001975 

 Si Jesus Christ estoit present et qu'il voulust que nous allassions rire avec quelqu'un par charité et en sa presence, comme ferions nous cette action?.

  A026001977 

 Essayons nous de n'avoir en l'entendement que Jesus, en la memoire que Jesus, en la volonté que Jesus et en l'imagination que Jesus.

  A026001977 

 Prononçons souvent ce saint Nom, comme nous pourrons; que si pour le present ce n'est qu'en begayant, a la fin nous apprendrons a le bien prononcer.

  A026001979 

 Il les faut aymer tendrement tant que l'on peut.

  A026001980 

 Et pourquoy ne nous appartient il d'avoir des graces, desirs et sacrees inspirations? Nostre Seigneur commande que nous soyons parfaitz comme son Pere celeste; il faut tascher de se perfectionner et y employer toutes nos forces.

  A026001982 

 Il ne nous oste jamais sa grace pour ces petites choses; il n'est sujet a se fascher contre nous quand nous manquons, pourveu que nous retournions a luy en nous humiliant avec amour et confiance.

  A026001982 

 Quand nous sentons que nous n'avons point de confiance en Dieu, il en faut aller prendre dans son cœur, car Nostre Seigneur en est tout plein.

  A026001985 

 Oh! il faut estre plus courageuse que cela, Il faut autant [309] aymer Nostre Seigneur, et plus, s'il est possible, au mont de Calvaire qu'en celuy de Thabor..

  A026001988 

 Addresses vous a Nostre Seigneur et luy dittes que vous le voules aymer et que vous estes toute sienne, et pour rien vous ne vous desmentires jamais de le vouloir servir le plus parfaittement qu'il vous sera possible en cette sorte de vie ou il vous a mise luy mesme par sa misericorde..

  A026001988 

 Demeures donq simplement en cette resolution, sans regarder ni a droitte ni a gauche, et quand l'ennemi vous mettra cette tentation au cœur, que vous ne persevereres pas, dites en vous mesme: Si ferons, s'il plaist a Dieu; Celuy qui a commencé l'œuvre la parachevera.

  A026001989 

 Alles de bon cœur a l'Office, a l'orayson, a la recreation et autres lieux, nonobstant la secheresse et repugnance que vous y aves.

  A026001989 

 Soyes bien fidelle a faire tous les exercices de Religion avec le plus de ferveur que vous pourres.

  A026001992 

 En fin, ce sont des [310] mouches du monde qui nous piquent, mais il [ne] faut que tout simplement les oster..

  A026001993 

 Et que vous doit il importer d'en avoir ou non, pourveu que vous ne les suivies et que vous ne les nourrissies pas volontairement? Il n'est pas en nostre pouvoir de n'avoir point de tentations et sentimens, mais ouy bien de n'y point consentir et y faire des fautes en suite.

  A026001993 

 Nostre Seigneur veut que vous porties sa Croix et permet que vous soyes tentee pour vous esprouver et faire meriter, parce qu'il vous ayme; mais il veut aussi que vous soyes fidele a ne point suivre vos sentimens et inclinations..

  A026001994 

 Il faut faire son devoir en ces tentations; Nostre Seigneur veut que nous les ayons et que nous rendions nostre devoir aux creatures; puis, qu'elles pensent de nous ce qu'elles voudront..

  A026001994 

 Je vous diray, ma tres chere Fille, une chose que vous diries bien a une autre: c'est que ou il y a plus de repugnance, Nostre Seigneur veut que nous prattiquions plus de grandes vertus, car la vertu ne s'acquiert que par son contraire.

  A026001995 

 Et ne feres vous pas bien ce que je vous diray? [311].

  A026001995 

 Je vous dis ce que je dois et que vous estes obligee de faire pour parvenir a la perfection, comme toutes les Filles de Sainte Marie pretendent, et faire tout pour cela.

  A026001995 

 Je vous dis, ma chere Fille, j'ay un desir tout particulier pour vostre avancement, parce que Dieu le veut, et vous a donné beaucoup de moyens pour cela.

  A026001995 

 Ne penses pas, ma Fille, que je voulusse trahir vostre ame; o non, car elle m'est aussi pretieuse que la mienne mesme.

  A026001996 

 Ma chere Fille et partiale, je vous prie, ne faites rien a cette Seur qui puisse luy faire connoistre que vous luy aves de l'aversion; au contraire, soyes ayse de luy rendre des services.

  A026001996 

 Ne perdes pas ces occasions que vous aves de vous avancer en l'amour de Dieu..

  A026001997 

 Je veux que les autres connoissent que vous vous surmontes.

  A026001997 

 L'envie c'est que l'on est marri du bien du prochain; l'aversion est une passion qui vient sans que nous voulions, et pour la vaincre quand elle est forte il se faut divertir et n'y point penser que le moins que l'on peut.

  A026002000 

 Ne sçaves vous pas que le throsne de sa misericorde c'est nostre misere?.

  A026002000 

 Quand vous seres assaillie de la melancolie, divertisses vous tant que vous pourres; parles, chantes, recrees vous avec les autres.

  A026002000 

 — Il vaut bien mieux ne rien dire qui vaille, pour aymer son abjection, que suivre son humeur, car c'est ce que nostre ennemi pretend: nous abattre le courage, pour aucunes choses qui nous puissent arriver.

  A026002001 

 Dites des paroles d'amour a Nostre Seigneur, quoy que sans goust.

  A026002001 

 En ce tems la, parles a Nostre Seigneur d'autres choses, le plus doucement, gratieusement et humblement que vous pourres..

  A026002001 

 Mais sur tout, ma chere Fille, ne vous estonnes point de tout ceci et parles a Nostre Seigneur d'autre chose que de ce que vous sentes en vostre cœur; car cela aggrandiroit vostre mal.

  A026002001 

 Ne laisses pas un brin de vos exercices, pour tout ce que la tentation vous dira de contraire: il les faut redoubler, j'entens au moins les oraysons jaculatoires, et les faire avec ferveur, et tout le reste des exercices autant qu'il vous sera possible, en despit de vostre degoust.

  A026002001 

 Parles luy d'amour, jettes vous entre ses bras comme un petit enfant entre les bras de sa mere; dites luy que vous voules estre toute sienne, car il est tous-jours en nostre pouvoir de dire cela, et VTVE JESUS, et chose semblable.

  A026002001 

 Sainte Gertrude dit que Nostre Seigneur ayme mieux qu'on luy bayse les pieds avec de la repugnance que quand on y a bien du goust, parce qu'on fait plus pour son amour.

  A026002001 

 — Il vous semble que vous ne pouves pas.

  A026002001 

 — Si fait, mais c'est que vous ne le voules pas, parce que vous y aves de la peyne et que vous n'y aves point de satisfaction.

  A026002002 

 Supportes vostre mal avec patience, fuyes les choses qui croissent ou font naistre vostre mal, comme: prendre playsir a vostre pleur, fuir les conversations, faire tout ce que l'on fait avec regret, et choses semblables.

  A026002003 

 Et ne sçaves vous pas Jesus Christ crucifié? vous sçaves bien cela, c'est asses; vous sçaves plus que vous ne faites.

  A026002003 

 Nostre Seigneur a laissé escrit en sa loy que nous aurions tous-jours des ennemis a combattre jusqu'a la mort.

  A026002004 

 Ce n'est rien que les sentimens de la partie inferieure, pourveu que la superieure tienne ferme.

  A026002007 

 Et tous-jours, quand vous treuveres vostre esprit distrait, remettes vous doucement en une sainte attention que vous dites les louanges de Dieu avec Nostre Dame, et penses a elle, joignant vos prieres aux siennes pour les presenter a son Filz..

  A026002007 

 Pour l'Office, prepares vous avant que d'y aller, ou bien en y allant, et dites: Je psalmodieray les louanges de Dieu en la face des Anges; ou bien [pensez] que vous alles avec Nostre Dame chanter les louanges de Nostre Seigneur.

  A026002008 

 Conserves bien les affections que Dieu vous donnera pour les mettre en prattique..

  A026002008 

 Faites tout ce que vous pourres pour vous empescher de dormir, pour la reverence du Tres Saint Sacrement, des reliques de l'autel et de l'office que vous faites a Nostre Seigneur avec les Anges.

  A026002008 

 Il ne faut point penser a ses charges ni a ce que nous ferons apres, quand l'Office sera dit; vous y penseres quand vous seres sortie du chœur.

  A026002008 

 Pour moy je n'y suis point distrait, pour affaires que j'aye.

  A026002008 

 Quand je suis a l'Office, je m'imagine que je suis au Ciel avec les Anges, et que je chante avec eux les louanges de Nostre Seigneur; et au partir de la, je treuve qu'en un moment toutes ces affaires se font, qui auparavant que d'aller a l'Office me donnoyent tant de peyne.

  A026002009 

 Quand la cloche sonne, penses que Nostre Seigneur vous dit: Ma fille, viens chanter mes louanges..

  A026002010 

 Ne laisses pas de dire vos pensees a la Superieure; encor qu'elle vous mortifiera et fera la mine, il faut croire qu'elle [314] dit la verité et que vous vous trompes.

  A026002011 

 Il se prattique ainsy: en la fermeté des considerations que l'on fait a l'oraison, aux affections et resolutions que l'on y fait pour la prattique..

  A026002011 

 Le don d'entendement est un don que Dieu respand dans l'ame juste des lumieres de la foy et de la ferme creance d'icelles, de leurs clartés et beauté.

  A026002012 

 Nostre Seigneur a dit que quicomque perdra son ame, c'est a dire sa vie, la gaignera, et que qui la gaignera la perdra.

  A026002017 

 Il faut fonder toutes nos oraysons sur celle de Nostre Seigneur au Jardin des Olives, nous despouillant de nous mesme et de tout propre interest, nous resignant a la volonté de Dieu; puis luy demander nos necessités et de toutes les creatures, et que son Nom soit sanctifié.

  A026002018 

 Il faut estre grandement pure; puisque Nostre Seigneur vous fait ce don, il ne vous le donne pas pour vos beaux yeux, mais affin que vous le servies mieux et le prochain aussi.

  A026002019 

 Il s'y faut bien preparer, puis, si Nostre Seigneur prend nostre cœur, il le faut laisser faire et suivre son attrait, sans nous destourner pour regarder ce que nous faysons ou sentons, car c'est une des plus fines tentations et distractions que celle la; il [s'en] faut bien garder..

  A026002020 

 C'est comme si un seigneur vous appelloit pour vous parler, et que vous n'y voulussies pas aller et que vous dissies: J'ayme mieux parler a ses valetz.

  A026002020 

 Nostre Seigneur nous attire a luy, nous voulant donner ses graces, et nous resistons! Il est bien employé [316] qu'il nous laisse la tout imparfaitz, puisque nous ne voulons pas recevoir la grace et l'honneur qu'il nous fait avec tant d'amour, sans que nous l'ayons merité.

  A026002021 

 Ne vous en desgoustes jamais, pour secheresse que vous y ayes.

  A026002021 

 Que vostre principal exercice soit de vous tenir tous-jours aupres de Nostre Seigneur, mais tranquillement; et ne laisses pas plus dissiper vostre esprit hors de l'orayson qu'en l'orayson, et soyes telle hors d'icelle comme vous voudries estre en la faysant.

  A026002022 

 Il n'est pas possible que l'ame qui au tems de la meditation est occupee de quelqu'autre affection ou desir, puisse estre attentive a ce qu'elle medite, pour bien recevoir en soy mesme l'image de Dieu auquel elle cherche de se transformer par l'orayson.

  A026002023 

 Je sçay bien, ma Fille, que la perfection ne consiste pas a l'orayson, mais a l'humilité.

  A026002024 

 Un des preceptes de la vie spirituelle est de prendre deux ou trois Saintz et les prier qu'ilz intercedent pour nous vers Nostre Seigneur; mais s'ilz ne nous impetrent pas ce que nous voulons et desirons d'eux, il ne les faut pas quitter.

  A026002034 

 Aux peynes d'esprit et de cors que vous endures, consoles vous, considerant cinq choses: [318].

  A026002035 

 Premierement, que cela arrive par la volonté de Dieu, ou permission, qui la juge estre a sa plus grande gloire et vostre plus grand bien que cela se fist ainsy..

  A026002036 

 La seconde, que vos pechés meritent bien cela et davantage..

  A026002037 

 La troisiesme, que Dieu est la present qui contemple si en l'occasion qu'il vous donne de prattiquer la vertu, vous prattiqueres la bonne resolution qu'aves prise de ne le jamais quitter ni offenser..

  A026002038 

 La quatriesme, que la sainte humanité du Filz de Dieu a bien plus enduré, plus innocemment et plus injustement que vous; encourages vous donq par son exemple a patir, et vous res-jouisses d'avoir ce moyen de l'imiter en cela..

  A026002039 

 La cinquiesme, que tous les maux que l'on vous fait sont autant de couronnes au Ciel, si vous les supportes; si bien que ceux qui sont vos malfaicteurs soyent vos bienfacteurs..

  A026002043 

 Rabaisser souvent vostre cœur devant Dieu; aymer que l'on connoisse vos fautes et lourdises, ou infirmités, et ne rien faire pour les couvrir.

  A026002044 

 Ne nous troublons point pour nos fautes, ni pour nostre peu d'advancement, ni pour rien qui soit en nous, ni que nous puissions faire..

  A026002048 

 Ne point desirer ni aymer que l'on appreuve ou estime ce que nous disons ou faisons..

  A026002052 

 Estre toute courageuse et preste de faire et entreprendre tout ce que l'obeissance nous ordonne..

  A026002059 

 Quand on a fait quelque acte de colere ou d'impatience, reparer la faute par un acte de douceur exercee promptement a l'endroit de la personne mesme; tenir son visage doux, respondant et faysant gratieusement tout ce que l'on nous ordonne..

  A026002061 

 Accueillir un chacun doucement, l'ayder et contenter, tant par nos façons que par nos responses..

  A026002065 

 Bailler du courage a son cœur quand on a failli, et de l'esperance que Dieu l'aydera et qu'avec son [secours] l'on fera prou.

  A026002065 

 Ne se point estonner de nos cheutes, puisque ce n'est pas chose admirable que l'infirmité soit infirme et la foiblesse foible; et en fin nous humilier de toutes nos fautes generalement, soyent elles grandes ou petites; mettre cela devant Dieu par une humble reconnoissance de nostre misere, puis nous relever tout doucement..

  A026002068 

 D'avoir une tres unique pretention en toutes ses œuvres et actions, qui est de plaire a Dieu; de voir et aymer la volonté de Dieu en tout ce qui nous arrive, tant du bien que du mal..

  A026002072 

 Regarder plustost ce que dira Dieu et ses Anges sur ce que nous faisons et disons, que non point que diront ceux qui nous voyent et entendent..

  A026002084 

 Respondre ou dire ce que l'on dit posement, sans [faire] la honteuse ni la craintifve..

  A026002088 

 Ne point tant chercher de moyens pour bien aymer et servir Dieu, mais se tenir aux pieds de Nostre Seigneur, demandant sa grace et son amour, sans rechercher autres moyens pour y parvenir que ceux qui nous sont marqués dans nos Constitutions..

  A026002093 

 Ne jamais rapporter aux autres ce que nous aurons ouy dire d'elles, [si c'est] chose qui puisse mortifier ou mescontenter; ne jamais dire aucune chose qui puisse tant soit peu mortifier les Seurs.

  A026002094 

 Ne rien dire qui rabbatte ou desappreuve ce que les autres disent..

  A026002105 

 Bien faire les choses ordinaires que nous faisons tous les jours, tant interieures qu'exterieures..

  A026002109 

 Ne point dire ce que l'on sent grande envie de dire..

  A026002110 

 Se mortifier es choses que l'on doit faire par obligation, comme de manger, se recreer et tel autre exercice auquel on prend playsir, disant avant que de les faire: Je ne veux pas faire cela pour mon playsir, ains parce que mon Dieu le veut..

  A026002113 

 Ne donner aucun signe d'impatience quand il (le prochain) ne prend pas bien ce que nous faisons ou avons en charge.

  A026002115 

 Ne se point ennuyer des advertissemens ni que l'on nous reprenne de nos defautz..

  A026002116 

 Souffrir avec patience la peyne que nous avons que l'on nous monstre et redise souvent une mesme chose..

  A026002117 

 Ne point s'impatienter quand on a de la peyne de retenir et comprendre ce que l'on nous monstre..

  A026002118 

 Recevoir tout ce qui repugne a nostre goust, volonté et affection, avec allegresse et promptitude, parce que tel est le bon playsir de Dieu..

  A026002125 

 Obeyr a l'aveugle, sans s'enquerir, examiner ou demander pourquoy, comment, ains n'avoir autre rayson pour se contenter que celle de sçavoir que c'est l'obeyssance, et dire en soy mesme: Je fais ceci parce que telle est la volonté de Dieu, et en icelle est tout mon contentement..

  A026002132 

 Ne point manger avidement, ni desirer d'avoir autre viande que celle que l'on nous donne..

  A026002134 

 Estre bien ayse que l'on ayme plus les autres que nous et que l'on se playse plus a leur conversation qu'a la nostre..

  A026002135 

 Se res-jouir quand on ne tient conte de nos raysons et que l'on tesmoigne que l'on ne prend gueres de playsir de nous entendre..

  A026002139 

 Estre bien soigneuse de se bien occuper en Dieu, nous divertissant promptement et soigneusement de toute sorte de pensees et souvenir des choses que nous avons autrefois veuës et ouÿes..

  A026002141 

 N'aymer rien que pour luy, en luy et pour l'amour de luy..

  A026002147 

 Ne faire non plus d'estat de tous nos sentimens, pour grans qu'ilz soyent, que nous ferions des abbayemens des chiens..

  A026002148 

 Aggrandir son cœur et son courage parmi les peynes et difficultés, car c'est pour cela que Dieu les envoye et permet..

  A026002149 

 Pretendre au plus haut point de la perfection parmi la veuë et sentiment de nos miseres, foiblesses et infirmités, appuyees sur la misericorde de Dieu; ne se point estonner, encor que nous nous voyions comme engluees dans nos imperfections, attendant avec une douce et tranquille [325] patience nostre delivrance de Nostre Seigneur, et quand nous l'avons, la tenir bien chere comme un don pretieux de sa bonté..

  A026002153 

 Ne point vouloir attirer les autres a nostre train, ni les mesestimer si elles ne font pas ce que les autres font, ains estimer tout ce qu'elles font..

  A026002159 

 Que l'action exterieure soit prevenue de l'affection interieure, ou « qu'au moins l'affection la suive de pres.

  A026002174 

 I er Point de l'obeyssance est que nous devons croire et tenir pour asseuré que Dieu a establi toute sorte de Superieures et que ce ne sont pas les hommes qui les eslisent, c'est Dieu mesme..

  A026002175 

 C'est que Dieu a establi les Superieures comme ses lieutenantes en terre, affin que nous leur obeyssions comme a luy mesme, et tient estre fait a luy ce qui est fait aux Superieures, comme il le tesmoigne par ces parolles: Celuy qui vous obeit m'obeit, et celuy qui vous mesprise me mesprise..

  A026002176 

 C'est que Dieu ne permettra jamais que vous perissies tandis que vous obeyres fidellement vous confiant en luy; car si Dieu vous a mise sous une Superieure affin que vous luy obeyssies, croyes qu'il vous protegera de sa providence divine pour parvenir a vostre derniere fin, qui est vostre perfection..

  A026002177 

 C'est qu'il ne faut jamais regarder au visage des Superieurs ni dire: Sont ilz propres pour nous? commanderont ilz bien? ains obeyr a l'aveugle en tout ce qu'ilz nous commandent, car ce ne seront pas les Superieures qui nous rendront parfaittes, mais la sousmission et obeyssance que [327] nous leur rendrons.

  A026002177 

 Nostre Seigneur priant au Jardin des Olives dit a son Pere: Que vostre volonté soit faite et non la mienne; Qu'il soit fait ce que vous voules et non ce que je veux; comme [ vous ] voules et non comme je veux.

  A026002177 

 Toutes les autres sont suspectes et ne viennent que d'une vayne recherche de nous mesmes.

  A026002184 

 Si vous aves eu autre intention que de chercher le bon playsir de Dieu..

  A026002187 

 De plus, remarques les illustrations que Dieu donne en l'orayson, nous faisant voir ....

  A026002194 

 Et moins nous sentons de capacité en nous pour ce faire, dautant plus nous nous devons serrés et ataché a Nostre Seigneur, nous confiant et apuyant toutalement en luy seul, en son assistance et en sa grace, laquelle sa Bonté ne manquera de nous donné pour nous acquiter de nostre devoir selon sa sainte volonté, si nous sommes remplie d'humilité et defiance de nous mesme; car il est tout assurer que nous ne pouvons chose quelconque de nous mesme, mais c'est la verité qu'en Dieu toutes choses nous seront possible..

  A026002194 

 Monseigneur m'a dit que les armes quil faut enporté pour aler en quelque fondation ne sont autre que la saincte humilité, de laquelle vertu il m'a dit quil me faloit estre toute couverte; car l'humilité est toute genereuse, et nous fait entreprendre avec un courage invincible tous ce qui regarde le service de Dieu et l'agrandissement de sa gloire.

  A026002195 

 Nous ne sommes pas Econnome ni Superieure des talans et dons que Dieu a mis en nous, mais seulement Depenciere, pour les distribuer aux autres, pourtant l'esprit de la Visitation par tout afin de le repandre au prochain; [329] tachant de polir, purifier et formé les esprits de celles que Nostre Seigneur nous commettra, qui se treuveront fort divers, esquels il faudra que nous exercions une grande douceur, simplicité, suport et patience pour les voir cheminer le petit pas et tousjours commettre des imperfections; inculquant en ces ames là la vraye humilité, generosite, douceur et charité, qui est le vray esprit de nos Regles, afin que par ce moyen elles parviennent a la perfection de l'amour sacré et a l'union de leurs ames avec sa divine Majesté, qui est la fin pour laquelle elle les a apellé a la Religion..

  A026002206 

 Et sur cette veritable pensee, vous unirés vostre volonté a celle de ce tres doux et misericordieux Pere celeste, par telles ou semblables parolles cordiales: O tres douce volonté de mon Dieu, qu'a jamais soyés vous faitte! O dessein æternel de la volonté de mon Dieu, je vous adore, et vous consacre et dedie ma volonté pour vouloir a jamais æternellement ce que æternellement vous aves voulu! Que je fasse donc aujourdhuy et tousjours et en toutes choses vostre divine volonté, o mon doux Createur! Ouy, Pere celeste, car tel fust vostre bon plaisir de toutte seternité, ainsy soit il.

  A026002207 

 Que vostre main secourable soit sur ce pauvre et foible courage.

  A026002209 

 Ou bien, sans dire autre chose, vous feres le signe de la Croix, ou baiserés celle que vous portés ou quelque image; car tout cela voudra dire que vous voulés souverainement la providence de Dieu, que vous l'adores et aymés, que vous l'acceptés et embrassés de tout vostre cœur, et que vous unisses inseparablement vostre volonté a cette volonté supreme.

  A026002210 

 L'experience vous le fera voir, moyennant que vous soyes humble et simple..

  A026002210 

 Mais ces traits de cœur, ces parolles interieures doivent [332] estre prononcés doucement et tranquilement, fermement mays paisiblement et, par maniere de dire, elles doivent estre distilées et filees tout bellement en la pointe de l'esprit, comme on prononce a l'oreille d'un ami une parolle qu'on luy veut jetter bien avant dans le cœur, sans que personne s'en aperçoive.

  A026002217 

 Que nous apprend cette conduitte, sinon qu'il se faut resoudre, a l'exemple de cette Vierge sacree, de passer nos jours dans la privation des graces sensibles et extraordinaires, pour vivre dans les tourmens, les peynes et la mort, quand il plaira a nostre Bienaymé ..................................................

  A026002217 

 Voyes, mes tres cheres Filles, que la sacree Vierge, nostre sainte Abbesse, ne se treuva point au Thabor, ouy bien a l'estable de Bethlehem pour voir les yeux de son divin Enfant pleins de larmes; au Temple pour le racheter; au [333] Calvaire pour le voir souffrir et mourir.

  A026002224 

 Dieu veut que vous le servies en la conduite des ames, puisqu'il a arrangé les choses comme elles le sont et qu'il vous a donné la capacité de gouverner les autres..

  A026002225 

 Faites une tres grande estime du ministere a quoy vous estes appellee; et pour le bien faire, tous les jours en vous resveillant, ne manques jamais de dire cette parole que saint Bernard disoit si souvent: « Qu'es tu venu faire ceans? » Qu'est ce que Dieu veut de toy? Puis, soudain apres, abandonnes vous totalement a sa divine volonté, [334] affin quil fasse de vous et en vous tout ce qu'il luy plaira, sans aucune reserve..

  A026002226 

 Ayes une devotion particuliere a Nostre Dame et vostre bon Ange; puis, ma Fille, souvenes vous qu'il faut avoir plus d'humilité pour commander que non pas pour obeir.

  A026002226 

 Ayes une droitte intention de faire tout pour Dieu et pour son honneur et gloire, et vous destournes de tout ce que la partie inferieure de vostre ame voudra faire; laisses-la tracasser tant qu'elle voudra autour de vostre esprit, sans combattre nullement tous ses assautz, ni mesme regarder ce qu'elle fait ou ce qu'elle veut dire, ains tenes-vous ferme en la partie superieure de vostre ame et en cette resolution de ne vouloir rien faire que pour Dieu et qui luy soit aggreable..

  A026002226 

 Mais prenes garde aussi de ne pas tant subtiliser sur tout ce que vous feres.

  A026002227 

 De plus, il faut que vous fassies grande attention sur cette parole que j'ay mise dans les Constitutions, sçavoir, que la Superieure n'est pas tant pour les fortes que pour les foibles, bien qu'il faille avoir soin de toutes, affin que les plus avancees ne retournent point en arriere.

  A026002228 

 Remarques que celles qui ont le plus de mauvaises inclinations, sont celles qui peuvent parvenir a une plus grande perfection.

  A026002230 

 Que si vous aves quelque peyne dans l'esprit, qu'elle ne paroisse point au dehors.

  A026002230 

 Voyla, ce me semble, ce a quoy il faut que vous prenies garde, pour rendre a Dieu le service qu'il a desiré de vous..

  A026002231 

 La gloire de Dieu est jointe a ceci et la connoissance de vostre Institut; c'est pourquoy il faut que vous relevies fort vostre courage, en luy faysant entendre l'importance de ce a quoy vous estes appellee..

  A026002231 

 Mais je desire grandement que vous fassies attention fort souvent sur l'importance de la charge que vous aures, non seulement d'estre Superieure, mais d'estre au lieu que vous seres.

  A026002232 

 Aneantisses vous fort profondement en vous mesme de voir que Dieu veuille se servir de vostre petitesse pour luy faire un service de si grande importance.

  A026002232 

 Reconnoisses vous fort honnoree de cet honneur, et vous en alles courageusement supplier Nostre Dame qu'il luy plaise vous offrir a son Filz comme une creature tout absolument abandonnee a sa divine volonté, vous resolvant que, moyennant sa grace, vous vivres des-ormais d'une vie toute nouvelle, faysant maintenant un renouvellement parfait de toute vostre ame, detestant pour jamais vostre vie passee avec toutes vos vielles habitudes..

  A026002237 

 Vives donq ainsy toute en Dieu et pour Dieu, et que sa Bonté soit a jamais vostre repos.

  A026002242 

 Par ces presentes Nous avons donné la sainte benediction de l'obeissance a Nostre tres chere Fille et Seur en Jesus Christ Paule Hieronyme de Monthoux, Religieuse professe du monastere de Sainte Marie de la Visitation de Nostre cité d'Annessi, pour aller demeurer en la ville de Nevers, y estre Superieure au monastere nouvellement establi en icelle [337] du mesme Institut, pour le tems qu'il sera jugé a propos, sans que par le sejour qu'a cet effect elle pourra faire hors le monastere de Nostre cité elle laisse d'estre tenue et censee veritablement pour Religieuse de la Mayson d'Annessi, a laquelle, en tems et lieu, selon qu'il plaira a Dieu en disposer, elle devra et pourra estre receuë avec toute sorte de charité et pour toutes sortes d'offices; priant Dieu qu'il la tienne en sa sainte main allant, demeurant et revenant, et qu'il rende toutes ses actions et tous ses travaux utiles a la vie eternelle..

  A026002252 

 JESUS, Sauveur du monde, si nous aymons bien vostre Croix, que nous serons humbles, doux, gratieux, patiens! L'amour de la Mort et Passion de Nostre Seigneur donne la mort a toutes nos passions, et en la mort de nos passions consiste la vie de nostre cœur..

  A026002260 

 Quand les filles n'ont que 14 ans, il y a peu a dire pour les recevoir, si d'ailleurs elles sont bien conditionnees; et quand les filles ont fait leur essay dans la Maison on ne les fait pas sortir pour leur donner l'habit, ains tout cela se fait a la grille, parce qu'il a esté treuvé plus a propos pour eviter la presse et se conformer aux autres..

  A026002264 

 Et faut qu'en l'infirmerie l'ordre soit de lire au tems de la lecture au moins un quart d'heure; non pas que les malades le facent, si cela les incommode, mais quelqu'autre en leur presence.

  A026002264 

 Il y en a qui tesmoignent la foiblesse du sexe, car si on les veut un peu tenir en devoir au tems de leurs maladies, elles se mettent au descouragement, s'imaginant d'estre abandonnees de Dieu et des creatures; que s'il leur semble que la Superieure n'ayt essayé que c'est d'estre malade, elles prendront plus mal ce qui viendra d'elle: et neanmoins le support ne procede que de la grace de Dieu, quoy que l'experience y serve en quelque façon pour la connoissance de cette infirmité..

  A026002265 

 Pour les recevoir, il leur faut faire poser leur habit et les faire habiller honnestement et modestement selon leur qualité; on n'y doit point faire de difference, voire mesme il les faut mieux espreuver que pas un'autre..

  A026002266 

 Il ne faut pas appeller le medecin que pour la vraye necessité et tous-jours avec dispense pour chaque malade, si ce n'est que l'on fust bien pressé; l'on ne leur doit parler des filles que fort discrettement et en sorte que la modestie y soit observee..

  A026002267 

 Touchant les Peres spirituelz, il est malaysé d'en donner une regie; les difficultés que vous aves sceu estre arrivees ailleurs vous ont fait faire cette demande.

  A026002268 

 Du jeusne, j'appreuve grandement que personne ne s'en dispense de soy mesme; mays si l'on en a besoin, il en faut laisser le soin a ceux qui ont charge de nous.

  A026002268 

 Et si l'on vous remet a vostre choix, prenés le jeusne, car il est mieux de ne flatter pas le cors que de l'attendrir, si ce n'est pour les raysons suivantes: si le jeusne vous rend chagrine ou donne des estourdissemens de teste, ou bien si l'on est [341] travaillé de quelque douleur, il n'y a point de doute que l'on ne doit pas jeusner si cela accroist la douleur; car l'Eglise ordonne le jeusne pour macerer' un peu ceux qui sont sensuelz et pour faire pœnitence; mais ceux qui en reçoivent de l'incommodité qui empesche l'esprit de ses fonctions, l'on en peut dispenser, mais non pas de soy mesme.

  A026002268 

 Il y a plus de perfection a demander ses necessités que de se laisser a la providence des Superieurs, qui ne doivent pas se lasser a observer celle ci et celle la.

  A026002268 

 Mais de manger autant pesant que feroit une poire, il ne seroit pas a propos, d'autant qu'un œuf est fort leger; si ce n'est que l'on ne se peust pas passer a si peu, car alhors l'on peut manger davantage: la discretion doit gouverner le tout.

  A026002269 

 Si une Seur murmuroit contre la Superieure, treuvant a redire a ses actions, il ne faudroit en façon quelconque luy en rien tesmoigner; mais si le murmure estoit d'importance, il faudroit prier une de celles qui les auroit ouy, d'advertir celle qui auroit murmuré, en particulier, sans luy donner a connoistre que la Superieure en sçache rien..

  A026002270 

 Quand les seculiers parlent a la Superieure de sa charge, il ne faut pas qu'elle dise beaucoup de paroles d'humilité, mais seulement qu'elle seroit bien ayse qu'on luy enseignast et que l'on ne l'y a mise que pour apprendre..

  A026002271 

 Il faut, au commencement de sa superiorité, qu'elle soit condescendante a contenter la curiosité des espritz, en leur respondant asses familierement selon les demandes que luy feront les seculiers, et mesme aux Seurs de dedans, ayant un grand soin de les contenter; et en cet abord il faut qu'elle donne une grande estime des Constitutions et [342] qu'elle aye un grand soin de tenir les Seurs dans l'estroitte observance des menues choses, comme de lever ses habitz, fermer les portes apres soy, en leur faysant concevoir la sincerité des Constitutions qui n'obligent point a peché quand il n'y a point de negligence..

  A026002272 

 Il faut que la Superieure ayt une grande discretion pour ne pas s'exempter des Offices, estant au parloir, si ce n'est qu'elle soit avec des personnes de respect, ou affligees, ou quelque affaire de la Mayson; alhors il faudroit patienter; mais les autres, il leur faut dire humblement que c'est l'heure de l'Office; hors de ce tems la, il s'y faut assujettir autant que l'on le requerra.

  A026002272 

 Il ne faut point donner a manger au parloir et ne toucher que rarement la main des seculiers..

  A026002273 

 Il ne faut pas que la Superieure s'informe des pechés particuliers lhors que les pretendantes luy rendent conte de l'histoire de leur vie; la Directrice leur doit apprendre de le rendre ainsy: J'ay esté autrefois adonnee a la vanité, ayant beaucoup perdu de temps a cela; j'ay esté sujette a la cholere ou a l'humeur melancholique.

  A026002273 

 La Maistresse doit tout dire a la Superieure, quoy que la pretendante ne voulust pas; mays la Superieure ne doit en façon quelconque en donner rien a connoistre a la Novice de le sçavoir..

  A026002277 

 L'on ne doit laisser lire des livres ou sont des autres Regles, affin que cela ne serve de tentation; mesme il y en a qui ne permettent pas de lire les Chroniques de saint François a cause de cela..

  A026002289 

 Puisque c'est le haut point de la perfection chrestienne de conduire les ames a Dieu, l'aymant qui a attiré Jesus Christ du Ciel en terre pour y travailler et consommer son œuvre dans la mort et par la Croix, il est aysé de juger que celles qu'il employe a cette fonction se doivent tenir bien honnorees, s'en acquittant avec un soin digne des espouses de Celuy qui a esté crucifié et est mort comme un Roy d'amour, couronné d'espines, parmi la trouppe de ses esleus, les encourageant a la guerre spirituelle qu'il faut soustenir icy bas pour arriver a la celeste Patrie promise a ses enfans..

  A026002290 

 Ainsy, mes cheres Filles, celles que Dieu appelle a la conduite des ames se doivent tenir dans leurs ruches mystiques ou sont assemblees les abeilles celestes pour mesnager le miel des saintes vertus, et la Superieure, qui est entre elles comme leur roy, doit estre soigneuse de s'y rendre [345] presente, pour leur apprendre la façon de le former et conserver.

  A026002292 

 Observes ses voyes et non les vostres, soustenant fortement son attrait dans chacune, en leur aydant a le suivre avec humilité et sousmission, non a leur façon, mais a celle de Dieu que vous connoistres mieux qu'elles tant que l'amour propre ne sera pas aneanti, car il fait souvent prendre le change, et tourner l'attrait divin a nos manieres et suites de nos inclinations..

  A026002293 

 Portes tous-jours a cet effect sur vos levres et par vos langues le feu que vostre ardent Espoux a apporté en terre dans les cœurs, a ce qu'il consomme tout l'homme exterieur, et en reforme un interieur, tout pur, tout amoureux, tout simple et tout fort a bien soustenir les espreuves et exercices que son amour luy suggerera en leur faveur, pour les purifier, perfectionner et sanctifier..

  A026002294 

 Mais si quelques unes se rendoyent contraires a cette conduite, vous pourries, prenant sujet de les y exercer, leur faire voir leur ignorance, leur peu de rayson et de jugement de s'amuser aux presomptions et fauses imaginations que produit la nature depravee; combien l'esprit humain est opposé a Dieu, dont les secretz ne sont revelés qu'aux humbles; qu'il n'est pas question, en la Religion, de philosophes et de beaux espritz, mays de graces et de vertus, non pour en discourir, mais pour les prattiquer humblement; leur faysant faire et ordonnant des choses difficiles a faire et comprendre et qui soyent humiliantes, pour les destacher insensiblement d'elles mesmes et les engager a une humble et parfaitte sousmission a l'ordre des Superieures, lesquelles aussi doivent avoir une grande discretion a bien observer le tems, les circonstances et les personnes.

  A026002296 

 Serves vous volontier des conseilz, lhors qu'ilz ne seront point contraires au projet que nous avons resolu, de suivre en tout l'esprit d'une suave douceur et de penser plus a l'interieur des ames qu'a l'exterieur; car en fin, la beauté des filles du Roy est au dedans, qu'il faut que les Superieures cultivent, si elles n'ont elles mesmes ce soin, crainte qu'elles ne s'endorment dans leur chemin et ne laissent esteindre leurs lampes par negligence; car il leur seroit dit indubitablement comme aux vierges folles se presentant pour entrer au festin nuptial: Je ne vous connois point..

  A026002297 

 Je vous recommande a Dieu pour obtenir ses saintes graces dans vos conduites, affin que, tout a son gré et par vos mains, il façonne les ames, ou par le marteau, ou par le ciseau, ou par le pinceau, pour les former toutes selon son bon playsir, vous donnant a ce dessein des cœurs de peres, solides, fermes et constans, sans omettre les tendresses de meres qui font desirer les douceurs aux enfans, suivant l'ordre divin qui gouverne tout avec une force toute suave et une suavité toute forte.

  A026002302 

 C'est es choses difficiles, malaysees et desaggreables que nous devons prattiquer la fidelité envers Dieu, laquelle sera d'autant plus excellente que nous aurons moins de choix a ce qui nous sert d'exercice.

  A026002302 

 L'amour propre se contente aucunement entre les souffrances, quand elles sont de son eslection; l'amour de Dieu s'exerce plus heureusement es sujetz que la Providence divine permet ou ordonne sans nous, mais sur nous et pour nous..

  A026002303 

 Bref, si la tentation est d'une rose, il faut parler d'une violette, et ne point s'estonner de la varieté des pensees, puisqu'il n'est pas requis de les combattre l'une apres [l'autre], ains seulement de les maistriser et desdaigner toutes par un simple retour du cœur a Dieu, a la Majesté duquel on recourt par prieres; par exemple, de luy dire, en se retournant vers luy: Je suis vostre, mon Dieu; hé, que vous estes aymable! Jesus est bon; VIVE JESUS! et semblables paroles.

  A026002303 

 En somme, c'est un bon moyen de vaincre que de ne point regarder l'ennemy, mais tous-jours se retourner devers le bienaymé Amy celeste; et quoy que nostre ennemy crie et tempeste, il suffit pour le rejetter de ne point respondre, ne point s'amuser a luy et ne point faire semblant de luy.

  A026002303 

 La divine Escriture dit: Celuy qui n'est point esprouvé que sçait il? Bienheureux est l'homme qui endure l'essay de la tentation, car apres avoir esté esprouvé [348] par l'Esprit, il recevra la couronne de gloire que Dieu a promise a ceux qui l'ayment.

  A026002303 

 Si vostre cœur craint plus la tentation qu'il ne faut, il donne l'ouverture a son ennemy; comme au contraire, si nous avons une confiance filiale en Dieu et que nous nous retournions de son costé prenant asseurance en sa bonté, l'ennemy craindra de nous tenter, voyant que sa tentation nous donne sujet de nous jetter entre les bras de Nostre Seigneur.

  A026002303 

 Tandis que l'on dit: Non, on n'est jamais vaincu..

  A026002304 

 Helas! tandis que les ames servent au peché, l'ennemy leur donne quelque apparence de vertu pour quelque particulier sujet, affin de nourrir en elles quelque sorte de presomption et une vayne complaysance en elles mesmes, sans laquelle on ne pourroit gueres demeurer en peché; car, comme l'on ne peut gueres ressentir de perfection sans humilité, aussi ne peut on long tems demeurer en peché sans la vanité, c'est a dire sans presomption..., nous confians en ce grand Salutaire, esperans qu'en sa sayson [349] elle le rendra multiplié.

  A026002304 

 N'estimer rien de soy mesme, sinon seulement parce que nous appartenons a Dieu et sommes a luy, et s'aneantir soy mesme.

  A026002305 

 Il vous a tiree a soy affin que vous fussies sienne, et il aura soin de vous.

  A026002307 

 Nous lisons en la Vie du bienheureux Amedee, que ceux qui le voyoyent en devotion [disaient qu'il] falloit qu'ilz n'eussent point de cœur ou bien [qu'] ilz l'avoyent de roche s'ilz ne l'amollissoyent, a l'heure particulierement que l'on le voyoit a la Messe ou aux Offices divins, « ou jamais il ne parloit a personne [qu'] a Dieu.

  A026002307 

 Ouy certes, mais je vous diray de luy ce que disoit saint Hierosme de sainte Paule: elle pleuroit trop pour une grande dame, » il est « vray, mais les pechés de sainte Paule eussent esté de bien grandes vertus » a d'aucune.

  A026002308 

 L'« homme qui ayme Dieu et qui a le cœur vivement frappé » de l'amour de Dieu « ne treuve rien de trop, hormis » le peché, et « luy semble de faire tous-jours trop peu pour Dieu qui a fait tant d'exces d'amour et de souffrance pour nous; » mais nous autres, pour peu que nous fassions, nous pensons encor « avoir fait trop et que Dieu » nous en « doit de reste.

  A026002308 

 » Miserables que nous sommes! Oh, a Dieu ne playse que cette presomption si vayne nous entre dans la cervelle.

  A026002312 

 En somme, elle ne cherche que son Maistre..

  A026002312 

 Helas, mais helas! que faites vous, ma chere Magdeleine? vous laisses des Anges glorieux pour chercher un mort crucifié.

  A026002312 

 Or, la simplicité de la colombe consiste a ne vouloir qu'une seule chose, comme fit cette corneille changee en blanche colombe, je veux dire Magdeleine convertie, qui pour tout ne cherche que son Maistre.

  A026002313 

 Ma tres chere Fille, le premier point de la simplicité de l'ame amante gist a ne chercher, a ne vouloir que Dieu.

  A026002313 

 O si nous ne cherchions que cela, que nous serions heureux, car nous le treuverions tous-jours en le cherchant et le chercherions en le treuvant; nous croistrions d'heure en heure au desir de le treuver, et le treuverions en la perseverance de le desirer..

  A026002314 

 Mais, ce me dires vous, que desiray je sinon luy? — Escoutes, ma Fille, et consideres le premier point de la simplicité celeste, qui consiste a ne chercher Dieu que par le [352] chemin qu'il nous a marqué; car qui ne veut pas aller par ou Dieu le conduit ne le treuvera jamais, d'autant qu'il ne le cherche pas simplement.

  A026002314 

 O qu'heureux furent ceux qui ne murmurerent point, car jamais rien ne leur manqua! O que malheureux furent ceux qui murmurerent, car ilz furent piqués du serpent et eurent mille angoisses..

  A026002315 

 L'hiver nous nous plaignons du froid et l'esté du chaud; les mouches nous mettent en peyne sur le chemin; en fin il n'y a que l'homme simple qui ne se trouble point, car il ne cherche que Dieu par le chemin auquel il est.

  A026002315 

 Le saint homme Job est moins inquiet entre les incomparables travaux sur son fumier, que le roy Achab sur son lit au milieu de son palais, et que les mauvais Israelites entre les delices de la manne.

  A026002315 

 Ne gromellons point dans nos cœurs, disant que nostre condition est insupportable.

  A026002315 

 Nous avons passé plusieurs jours d'extreme ennuy du tems que nous n'estions pas tant a Dieu que nous devions estre, mays nous y remedierons, moyennant son ayde, et commencerons ainsy:.

  A026002316 

 O Seigneur, que je sois donq sauvee, puisque telle est vostre volonté.

  A026002316 

 Que je face a jamais vostre volonté et non la mienne.

  A026002317 

 O Seigneur, de grace, que ma volonté soit eternellement et inseparablement vostre.

  A026002318 

 C'est pourquoy, ceux qui sont sujetz a beaucoup d'occupations, je leur conseille de faire leurs exercices spirituelz courtement, affin qu'ilz les puissent faire plus attentivement, s'y adonnant avec l'esgalité de l'esprit, qui est un des plus illustres ornemens de la vie chrestienne et un des plus aymables moyens pour acquerir [354] et conserver la grace de Dieu, et mesme de bien edifier le prochain; n'y ayant rien aussi qui detraque tant le bon estat du cœur, ni qui rende plus malaysee la conversation humaine que la bigearrerie de l'ame..

  A026002318 

 Et en suite de cela, il est a noter que nous ne sommes pas obligés sous peyne de peché mortel ni mesme veniel d'ouyr la Messe, si ce n'est les jours de festes et Dimanche, non plus que d'ouyr les prieres extraordinaires du soir; * nous ne sommes point obligés d'ouyr Vespres ni de dire le Benedicite entrant a table, ni Graces en sortant, sous peyne de peché; et pourtant, quand nous faysons ces actes de religion et de devotion, nous sommes obligés de les faire serieusement et avec reverence.

  A026002318 

 Il vaudroit mieux n'ouyr qu'une Messe et l'ouyr reveremment, que d'en ouyr plusieurs ayant l'esprit distrait, sans attention ni reverence, n'estant pas loysible d'omettre le respect es exercices de religion, pour petitz qu'ilz soyent.

  A026002319 

 Bien qu'il soit vray qu'il est presque impossible de conserver tous-jours si exactement cet advis parmy l'embarras de cette vie mortelle; mais du moins il faut tascher d'acquerir ce bien nompareil de l'esgalité, et quand on s'apperçoit d'estre hors du train de la tranquillité, il faut avant toutes choses se mettre en devoir de corriger l'humeur et action contraire, s'humiliant devant le Saint Esprit et demandant son secours, empeschant du moins que, pendant le trouble, la passion ne s'evapore par la langue, ni par les assautz exterieurs..

  A026002319 

 C'est une des plus blasmables conditions des creatures que d'estre immortifiees, c'est a dire d'estre sujettes a estre de differente humeur: tantost chagrine, melancholique, tantost colere, tantost rieux, tantost serieux, tantost censeur; comme au contraire, c'est une inestimable perfection que d'avoir une humeur douce, esgale et qui face bon rencontre a quelqu'heure et a quelque tems que ce soit.

  A026002320 

 L'esprit de paix et de tranquillité, suavité et d'esgalité, c'est l'esprit de Dieu et d'edification que je vous souhaite de tout mon cœur, et qu'il demeure a jamais avec vous.

  A026002325 

 Maintenant je vous dis: Ne parles que le moins qu'il se pourra de vous mesme; mays ceci, je le dis tout de bon, retenes le bien et faites y attention.

  A026002325 

 Si vous estes imparfaitte, humilies vous au fond de vostre cœur et n'en parles point; car cela n'est que l'orgueil, qui fait que vous penses en dire beaucoup, affin que l'on n'en treuve pas tant que vous en dites.

  A026002326 

 Ayes un grand soin de maintenir vostre exterieur parmi vos filles en telle mediocrité entre la gravité et la douceur et l'humilité, que l'on reconnoisse que si bien vous les aymes tendrement, que vous estes aussi la Superieure; car il ne faut pas que l'affabilité empesche l'exercice de l'authorité.

  A026002326 

 J'appreuve fort que les Superieures soyent Superieures, se faysant obeir, pourveu que la modestie et le support soyent observés..

  A026002327 

 Ayes envers les seculiers une sainte gravité; car tandis que vous estes jeune, il faut observer soigneusement cela.

  A026002327 

 Devant, les jeunes gens, quoy que de profession ecclesiastique, ayes pour l'ordinaire vos [356] yeux rabaissés, et soyes courte en paroles avec telles gens, observant tous-jours de profiter a leurs ames, en faysant voir la perfection de vostre Institut.

  A026002327 

 Je ne dis pas la vostre, ains celle de vostre Institut, non en paroles, que fort simplement, ne le louant que comme on parle un chacun de soy mesme, ou de ses parens, c'est a dire courtement et simplement..

  A026002327 

 Que vostre rire soit moderé, et mesme envers les femmes, avec lesquelles on peut avoir un peu plus d'affabilité et de cordialité.

  A026002328 

 Loües grandement les autres Ordres et Religions, et le vostre au dessous des autres choses, bien que vous ne devies pas cacher que vous vives paisiblement, et disant, quand l'occasion s'en presente, le bien qui se fait, simplement..

  A026002329 

 Faites tous-jours grand cas des Seurs Carmelites, et vous entretenes en leur amitié par tout ou vous seres, tesmoignant tous-jours que vous en faites grande estime et que vous les aymes cherement..

  A026002331 

 Ne soyes pas du tout tant retenue a relever le voile comme les Seurs Carmelites, mais pourtant uses de discretion pour cela, faysant voir, quand vous le leveres, que c'est pour gratifier ceux qui vous parlent; observant de ne gueres vous avancer des treilles, ni moins d'y passer les mains que pour certaines personnes de qualité qui le desirent..

  A026002332 

 Ce que pour bien comprendre, il faut fidellement peser, voir et considerer dans ce: « Parce que nostre Pere l'a fait en telle façon je le veux faire, » en enclosant l'amour envers nostre divin Sauveur et Pere tres aymable; car l'enfant qui ayme bien son bon pere a une grande affection de se rendre fort conforme a ses humeurs et de l'imiter en tout ce qu'il fait..

  A026002332 

 En fin, c'est le Maistre souverain que le Pere eternel a envoyé au monde, pour nous enseigner ce que nous devons faire: et partant, outre l'obligation que nous avons de nous former sur ce divin Modele pour ce sujet, nous devons grandement estre excités a considerer ses œuvres pour les imiter, parce que c'est une des plus excellentes intentions que nous puissions avoir pour tout ce que nous avons a faire et que nous faysons, que de [357] les faire parce que Nostre Seigneur les a faites, c'est a dire prattiquer les vertus parce que Nostre Seigneur les a prattiquees et comme il les a prattiquees.

  A026002332 

 Pour ce qui est de l'orayson, il faut que vous observies de faire que les sujetz sur quoy on la fera soyent sur la Mort, Vie et Passion de Nostre Seigneur; car c'est une chose fort rare que l'on ne puisse proffiter sur la consideration de ce que Nostre Seigneur a fait.

  A026002333 

 Il se peut faire pourtant qu'il y ayt certaines ames exceptees lesquelles ne peuvent s'arrester ni occuper leur esprit sur aucun mistere; elles sont attirees a une certaine simplicité devant Dieu, toute douce, qui les tient en cette simplicité, sans autre consideration que de sçavoir qu'elles sont devant Dieu et qu'il est tout leur Bien, demeurant ainsy utilement.

  A026002334 

 C'est pourquoy il faut les mettre au train et aux mesmes exercices que les autres; car si elles ont une bonne orayson, elles seront bien ayses d'estre humiliees et de se sousmettre a la conduitte de ceux qui ont du pouvoir sur elles.

  A026002334 

 Et il ne faut pas tous-jours croire les jeunes filles qui ne font que d'entrer en Religion, quand elles disent qu'elles ont de si grandes choses; car bien souvent ce n'est que tromperie et amusement.

  A026002334 

 Il y a tout a craindre en ces manieres d'oraysons relevees; mais l'on peut marcher en asseurance dans la plus commune, qui est de s'appliquer tout a la bonne foy autour de nostre Maistre pour apprendre ce qu'il veut que nous fassions..

  A026002334 

 Mais, generalement parlant, il faut faire que toutes les filles, tant qu'il se peut, se tiennent en l'estat et methode d'orayson qui est la plus seure, qui est celle qui tend a la reformation de vie et changement de mœurs, qui est celle que nous disions premierement, qui se fait autour des mysteres de la Vie et de la Mort de Nostre Seigneur.

  A026002335 

 La Superieure peut, en quelque grande et signalee occasion, faire faire deux ou trois jours de jeusne a la Communauté, [358] ou bien seulement aux filles qui sont plus robustes; faire quelque discipline, plus librement que de jeusner, car c'est une mortification qui ne nuit point a la santé, et partant, toutes la peuvent faire en la sorte qu'on la fait ceans.

  A026002336 

 La Superieure doit sans doute de tems en tems visiter les cellules des Seurs pour empescher qu'elles n'ayent rien en propre; mais pourtant il faut faire cela si discrettement, que les Seurs ne puissent point avoir de juste rayson de penser que la Superieure ayt quelque desfiance de leur fidelité, soit en cela, soit en autre chose.

  A026002337 

 Il me semble que ce devroit estre la prattique principale d'une Superieure que d'aller devant ses filles en cette simplicité, que de ne rien faire ni de plus ni de moins qu'elles font; car cela fait qu'elle est grandement aymee, et qu'elle tient merveilleusement l'esprit de ses filles en paix.

  A026002337 

 J'ay grandement envie que l'histoire de Jacob soit tous-jours devant vos yeux, affin de faire comme luy, qui ne vouloit pas seulement s'accommoder au pas de ses enfans, mais encor a ceux-la mesme de ses aigneletz..

  A026002337 

 Pour moy, j'appreuverois fort que vous ne fissies rien que de suivre simplement la Communauté en toutes choses, soit aux mortifications, ou en quoy que ce soit.

  A026002338 

 Et quant a ce qui est de la Communion, je voudrois que l'on suivist l'advis des confesseurs; quand vous aves envie de communier quelquefois extraordinairement, que vous prissies leurs advis.

  A026002338 

 Pour communier une fois toutes les semaines de plus que la Communauté, vous le pouves bien faire, et a vostre tour comme les autres; et mesme pour communier plus souvent extraordinairement.

  A026002338 

 Vous feres ce que ceux qui auront soin de vous treuveront bon, car il leur faut laisser conduire cela..

  A026002339 

 Il sera bon, ma chere Fille, que vous vous assujettissies a rendre conte tous les mois, ou les deux ou trois mois, si [359] vous voules, au confesseur extraordinaire, ou mesme au confesseur ordinaire, s'il est capable, ou tel autre que vous jugeres; car c'est un grand bien que de ne rien faire que par l'advis d'autruy..

  A026002340 

 Il ne me semble pas que vous devies maintenant faire plus d'attention sur aucune autre prattique que sur celle de la tres sainte charité a l'endroit du prochain, en le supportant doucement et le servant amoureusement; mais en sorte que vous observies tous-jours de conserver l'authorité et gravité de Superieure, accompagnee d'une sainte humilité..

  A026002341 

 Je ne dis pas que vous soyes tous-jours attentive a la presence de Dieu, mais que vous multipliies le plus qu'il se pourra les retours de vostre esprit en Dieu.

  A026002341 

 Quand vous aures jugé que quelque chose se doit faire, marches seurement et sans rien craindre, regardant Dieu le plus souvent que vous pourres.

  A026002346 

 Pourveu que vous marchies dans le chemin de la vertu, quoy que lentement, vous ne laisseres pas d'arriver a vostre but.

  A026002347 

 Ne desires point estre autre que vous estes, car si vostre soleil semble s'ecclipser, il reviendra bien tost et vous esclairera de nouveau..

  A026002347 

 Travailles a l'acquisition des vertus de bonne foy, sans vous embarrasser; laisses vous gouverner a Dieu, serves le selon son goust et non selon le vostre, regardes que c'est luy qui vous a placee ou vous estes.

  A026002348 

 Il faut treuver bon que nostre parfum sente mauvais au nez du monde; ne craignons point le jugement qu'il fait de nous, ne nous abbattons point, car tant que Dieu nous voudra bien faire la grace de nous tenir de sa main en nous conservant le desir que nous avons de l'aymer, nous n'avons rien a craindre..

  A026002349 

 Cher mespris, que mes imperfections et defautz m'apportent, je vous ayme; je deteste le mal, et me resjouis de la honte.

  A026002349 

 Mais qu'est ce que nous portons quand nous nous portons nous mesme? C'est rien qui vaille; il ne faut pas que cela nous estonne.

  A026002350 

 Parmi les pauvres du monde, celuy qui n'a que des haillons a faire paroistre et des playes a monstrer s'estime le plus advantagé, esperant que, par la descouverte de sa pauvreté, il recevra de plus grandes aumosnes.

  A026002350 

 Tenons nous dans cette disposition devant Dieu; ne luy parlons que de nos miseres, allons a son temple sacré luy exposer ce que nous sommes, mais ne nous abbattons pas..

  A026002351 

 Il faut aussi plustost perdre toutes choses que la paix.

  A026002351 

 Ne presses pas vostre cœur, tenes le au large, puisqu'il aymeroit mieux mourir que d'offenser son Dieu.

  A026002352 

 Et tant que ce sentiment sera bien gravé dans nostre cœur, pourquoy nous tourmenter? Ne voyes vous pas que c'est l'amour propre qui se mesle subtilement de nous donner la torture? Je vous exhorte encor une fois de tenir vostre cœur au large; Dieu mercy, il se porte bien, puisque l'amour l'anime et quil veut tous-jours aymer..

  A026002352 

 Ouy, ma Fille, ou la mort ou l'amour; il faut aymer ou mourir: que Dieu seul y vive, ou rien du tout.

  A026002352 

 Tant que nous serons ferme dans nostre resolution que Dieu regne dans nostre cœur, ne craignons point.

  A026002353 

 C'est en cette consideration que [362] je vous prie de le tenir le plus joyeux que vous pourres; mesnages le, affin quil fasse de grans progres.

  A026002353 

 Ce doit estre aussi l'aigneau que vous deves offrir en holocauste et que vous deves aussi immoler a Nostre Seigneur; il faut qu'il soit gras et en bon point.

  A026002353 

 Res-jouisses donq, ma Fille, vostre pauvre cœur; consoles le dans ses tristesses, fortifies le dans ses travaux, recrees le dans ses ennuis, consoles le dans ses angoisses, affin que n'estant point abbattu, il ressente un nouveau courage pour servir Dieu.

  A026002353 

 Songes que l'Espoux a choysi ce cœur pour en faire son lit de repos; il faut qu'il soit fleuri.

  A026002353 

 Vous sçaves que Dieu reçoit avec playsir l'offrande qu'on luy fait d'une franche volonté..

  A026002354 

 Alles librement, ma chere Fille, vous consacrer a nostre divin Sauveur; donnes luy le sacré bayser de la charité, et continues tous-jours a vous humilier profondement, affin que vous l'approchies sans crainte; car je croy que le plus grand moyen pour arriver a la perfection est de recevoir Jesuschrist, pourveu qu'on ayt soin de destruire tout ce qui peut luy desplaire.

  A026002354 

 Croyes moy, ma Fille, rien ne me fortifie plus l'estomac que de ne manger que d'une viande qui soit excellente; nourrisses vous donq de la viande des Anges.

  A026002355 

 Et puisque vous cherches nostre divin Maistre, ou le pouves vous mieux treuver que dans le throsne de son amour? Il veut estre nostre Roy: et ainsy il nous donnera la paix, il fera cesser la guerre, il mettra le calme dans nos puissances et nous fera recueillir..

  A026002355 

 Ne quittes donq pas vos Communions pour les peynes et foiblesses que vous sentes, quoy que vous soyes distraitte et que vous soyes en secheresse.

  A026002355 

 Tout cela n'est que dans la partie inferieure, car je sçai que la superieure est unie a Dieu et ne souspire que pour luy.

  A026002356 

 Bref, Jesuschrist, dans ce divin Sacrement, vous veut estre toutes choses: c'est cette tablette cordiale que vous deves prendre, affin de vous conforter et de vous preserver de la corruption.

  A026002357 

 Hé, quil importe peu, ma Fille, que les momens de cette vie soyent fascheux, pourveu qu'a jamais nous louions et benissions Nostre Seigneur..

  A026002365 

 Croyes moy, que dans la mayson du Seigneur les emplois les plus vilz ne sont pas les moins advantageux; mais le cœur qui est indifferent dit mesme qu'il ne peut pas envisager les advantages qui s'y trouvent.

  A026002365 

 Je ne souhaitte que luy: tout m'est indifferent; je veux aymer toutes choses en Dieu et pour Dieu; j'iray avec luy a la bonne foy, sans trop critiquer.

  A026002365 

 Je sçay que c'est mon Dieu, qui m'ayme, qui m'a choysi cest employ et cette maniere de vie; je ne veux plus envier l'excellence des autres, mais je veux me perfectionner sans empressement et sans inquietude.

  A026002365 

 Je veux luy obeir dans ce qu'il me demande, mais pour connoistre sa volonté dans une infinité de choses qui ne me sont pas clairement manifestees, je ne veux point donner la torture a mon pauvre cœur, ni les examiner avec scrupulosité; je m'en tiendray a ce que me diront ceux que Dieu a establis pour me conduire et, en paix, je tascheray a suyvre ses inspirations..

  A026002365 

 Laissés la tous les raysonnemens et tous les desirs que vostre pauvre cœur voudroit vous suggerer pour sortir de cet estat.

  A026002365 

 Ma chere Fille, si vous connoissies le thresor qui est enfermé dans l'abandon total que l'ame fait de tout elle mesme entre les mains de Dieu pour ne plus vouloir que ce qui luy plaist, vous souspireries apres cet estat, et vous ne souhaitteries rien que d'estre ce que Dieu veut que vous soyes.

  A026002365 

 Que les autres soyent eslevés comme des Seraphins; [364] mon partage est de me tenir petite et humble aux pieds de mon Sauveur; hé bien, je veux m'y tenir contente.

  A026002365 

 Si je tombe, je ne m'abattray pas, car le Tout Puyssant me peut relever; si je suis dans l'obscurité, le Seigneur est ma lumiere, que craindray-je? En fin, ni le ciel, ni la terre, ni mesme l'enfer ne me peuvent oster mon Dieu.

  A026002366 

 Ne sçaves vous pas, ma Fille, que nostre Dieu est le veritable Salomon qui veut se reposer dans nostre cœur? Il est bon; si nous pouvons le placer dans le Ciel, nous ne nous troublerons pas des accidens de cette vie..

  A026002366 

 Remarqués que lhors qu'elles viennent du Seigneur, c'est avec douceur et suavité qu'elles nous portent au bien, et nous sommes indifferens du succes, parce que, pourveu que nous ayons fait de nostre costé ce qu'il demande de nous, nous demeurons en paix.

  A026002367 

 Faites que ce bausme salutaire nage tous-jours dans vostre ame..

  A026002368 

 Ayes soin de mesnager les petites rencontres que Dieu vous presente, mettes en cela vostre vertu, et non pas a desirer de grans travaux; car souvent on se laisse abbattre par un mouscheron quand on combat des monstres par imagination..

  A026002368 

 Ayes tous-jours une grande douceur et affabilité; vous sçaves que l'affabilité est la cresme de la charité.

  A026002369 

 Laisses vostre ame et vostre cors entre ses benites mains, abandonnes vous a luy, perdes vous en luy, n'aymes que luy, ne veuilles que luy, et que toutes choses hors de luy vous soyent indifferentes; et vous connoistres dans le Ciel que bienheureuse est l'ame qui a vescu dans ce monde despouillee de toutes choses, et qui a rendu hommage au grand despouillement et a la nudité de son Espoux attaché a la croix, et mourant, affin d'enrichir et de revestir ses espouses bienaymees..

  A026002370 

 Je sçay, dira une ame fidele, que la foy m'enseigne que le Seigneur supporte et reçoit les foibles et les miserables qui se confient en luy: je veux donq m'y confier et abandonner..

  A026002370 

 Nous croyons, parce que nous ne valons rien, que le Seigneur n'aura point soin de nous: ne voyes vous pas la finesse de la prudence humaine qui nous trompe en nous faysant sortir de l'estat d'une parfaitte confiance? Ne faysons point ce [tort] a sa divine Majesté de raysonner si bassement; Dieu n'est pas comme les hommes, qui ne font cas que de ce qui peut leur estre utile.

  A026002371 

 C'est dans la sainte dilection, ma chere Fille, quil faut bastir nostre demeure ou tabernacle, car il n'y a rien de bon [366] pour nous que d'aymer sans mesure l'Amour eternel.

  A026002378 

 La parfaitte pauvreté interieure consiste a avoir le cœur destaché et disjoint de toutes les choses dont il se sert, ne les tenant que par emprunt, estant prest de les quitter sans fascherie, toutes fois et quantes que les Superieurs l'ordonneront.

  A026002378 

 [C'est] avec la mesme moderation qu'il faut aymer les biens de la Communauté, les regardant non avec une affection proprietaire qui nous oste la paix du cœur ou nous desregle en la pretention, conservation ou distribution d'iceux, ains avec un esprit religieux, comme choses consacrees a Dieu, lesquelles il ne faut aymer que selon le goust du Seigneur a qui elles sont consacrees..

  A026002379 

 Cela doit sembler [367] necessaire, dont nous ne sçaurions nous passer commodement; tout le reste doit estre retranché, autant que nous pourrons.

  A026002379 

 Il se faut mesme retrancher quelquefois des choses mesme necessaires; mays sur tout accepter avec amour tous les manquemens des choses necessaires qui nous arriveront, de quelque part qu'ilz viennent, recevant aussi de bon cœur les choses pauvres qui nous arriveront, en quoy que ce soit..

  A026002380 

 Ne se vanter jamais de ce que l'on a esté au monde, n'en vouloir estre loüé ni estimé; fuir cela tant qu'il se peut, craignant que nostre pauvreté n'en soit plus prisee, c'est imiter la souveraine humilité de Nostre Seigneur.

  A026002381 

 La grande et sainte pauvreté est de reconnoistre que nous n'avons rien [et] ne pouvons rien de nous mesme que misere.

  A026002384 

 La seule humilité de cœur est cause que l'ame ne se fie pas en elle mesme; [368] mais, la tenant en abandon, se retire au desert, se reposant toute sur son Bienaymé..

  A026002391 

 Saint Bernard dit: « Que le Prelat ne commande a sa poste, ains selon la Regie;... qu'il n'accroisse les vœux sans la volonté du sujet, qu'il ne les diminue aussi que par necessité; » mais « que le sujet sçache que l'obeissance est imparfaite qui se renferme dans les bornes des vœux, car la parfaite s'estend a toutes choses auxquelles la charité se treuve.

  A026002391 

 » Saint Bernard dit: « Celuy que nous avons pour Superieur au lieu de Dieu, nous le devons ouyr comme Dieu mesme, es choses qui ne sont apertement contre Dieu.

  A026002393 

 L'indifference consiste a n'incliner pas plus d'un costé que d'autre; de sorte que le parfait obeissant, encor qu'il soit resolu d'accomplir tout ce qui sera de precepte, de Regie, d'ordonnance, il est indifferent a tout le reste, ayant tous-jours au cœur et en la bouche: Seigneur, que voules vous que je face?.

  A026002401 

 Le matin, consideres comment est ce que vous aves passé la nuit; prevoyes avec prudence comment est ce que vous employeres ce jour au service de Dieu..

  A026002403 

 Conferes les actions d'un jour avec un autre, pour voir si vous proffites ou si vous retournes en arriere, taschant de reconnoistre l'imperfection principale, qui est comme la source et origine de tous vos manquemens, affin que vous la puissies peu a peu surmonter.

  A026002403 

 Le soir, ne manques point de faire encor une reveüe, pour voir si vous seres plus souvent tombé aux imperfections que vous aves remarqué en vous sur le midy, ou si vous aves esté plus prompt a l'exercice de la vertu.

  A026002408 

 O que Dieu est bon a son Israël! Qu'il est bon a ceux qui sont droitz de cœur!.

  A026002409 

 Consideres premierement, que Nostre Seigneur ayant peu obliger ses creatures a toutes sortes de services et obeissances envers luy, il ne l'a pas neanmoins voulu faire, ains s'est contenté de nous obliger a l'observation de ses Commandemens; de maniere que s'il luy eust pleu d'ordonner que nous jeusnassions toute nostre vie, que nous fissions tous vie d'hermites, de Chartreux, de Capucins, encor ne seroit ce rien au respect du grand devoir que nous luy avons: et neanmoins, il s'est contenté que nous gardassions simplement ses Commandemens..

  A026002410 

 Consideres secondement, qu'encor qu'il ne nous aye point obligé a plus grand service qu'a celuy que nous luy rendons en gardant ses Commandemens, si est ce qu'il nous a invités et conseillés a faire une vie tres parfaite, et observer l'entier renoncement des vanités et convoytises du monde..

  A026002411 

 Consideres troysiesmement, que, soit que nous embrassions les conseilz de Nostre Seigneur nous rangeant a une vie plus estroitte, soit que nous demeurions en la vie commune et en l'observance seule des Commandemens, nous aurons en tout de la difficulté: car si nous nous retirons du monde, nous aurons de la peyne de tenir perpetuellement bridés et sujetz nos appetitz, renoncer a nous mesmes, resigner nostre propre volonté et vivre en une tres absolue [371] sujettion sous les loix de l'obeissance, chasteté et pauvreté; si nous demeurons au chemin commun, nous aurons une peyne perpetuelle a combattre le monde qui nous environnera, a resister aux frequentes occasions de pecher qui nous arrivent, et a tenir nostre barque sauve parmi tant de tempestes..

  A026002412 

 Et quant a la vie commune, la liberté, la varieté du service qu'on peut rendre a Nostre Seigneur, l'aysance de n'avoir a observer que les Commandemens de Dieu, et cent autres telles considerations la rendent fort delectable..

  A026002412 

 Hors du monde, le seul contentement d'avoir tout quitté pour Dieu vaut mieux que mille mondes; la douceur d'estre conduit par l'obeyssance, d'estre conservé par les loix, et d'estre comme a couvert des plus grandes embusches, sont de grandes suavités: layssant a part la paix et tranquillité qu'on y treuve, le playsir d'estre occupé nuit et jour a l'orayson et choses divines, et mille telles delices.

  A026002413 

 Sur tout cela: Helas! dires vous a Dieu, Seigneur, en quelle condition vous serviray-je? Ah! mon ame, ou que ton Dieu t'appelle, tu luy seras fidele: mais de quel costé t'est il advis que tu ferois mieux? Examinés un peu vostre esprit pour sçavoir s'il sent point aucune inclination plustost d'un costé que d'autre, et l'ayant descouvert, ne faites encor point de resolution, ains attendes jusques a ce qu'on vous le dise..

  A026002418 

 Ah! miserable que je suis! le moindre oubli que l'on fait de l'honneur pointilleux qui m'est deu, ou que je m'imagine m'estre deu, me trouble, m'inquiete, excite mon arrogance et ma fierté; par tout je me pousse a vive force es premiers rangs.

  A026002419 

 Ou sont les superbes edifices que l'ambition du monde esleve pour l'habitation des vilz et detestables pecheurs? Ah! quel mespris des grandeurs du monde nous a enseigné ce divin Sauveur! Que bienheureux sont ceux qui sçavent aymer la sainte simplicité et moderation! Miserable que je suis, il me faut des palais, encor n'est ce pas asses; et voyla mon Sauveur sous un toit tout percé, et sur du foin, pauvrement et piteusement logé..

  A026002420 

 Helas! que tout est pauvre, que tout est vil et abject en cet accouchement, et que nous sommes doüilletz et sujetz a nos commodités, amoureux des sensualités! Il faut grandement exciter en nous le mespris du monde et le desir de souffrir pour Nostre Seigneur les abjections, mesayses, pauvretés et manquemens.

  A026002425 

 Ayant pris vostre chapelet par la croix et l'ayant baysee, vous feres avec icelle le signe de la Croix sur vous, et vous mettres en la presence de Dieu, luy offrant vostre ame avec toutes ses puissances, principalement vostre entendement et volonté, avec un grand desir de considerer avec attention les misteres de nostre foy et de tirer d'iceux quelque sainte affection d'imiter les vertus que nostre Redempteur nous a enseigné, et de faire d'autres actes d'amour de Dieu, d'admiration de ses perfections infinies, d'actions de graces pour ses benefices, de contrition de vos pechés, de saintz propos de vous amender, de surmonter vos passions, de prouffiter en la vertu.

  A026002427 

 Apres cette preparation vous commenceres le Chapelet, et aux trois petitz grains vous demanderes l'intercession de la glorieuse Vierge, affin que vous le puissies bien dire et en tirer quelque fruict spirituel.

  A026002428 

 Cela fait, vous commenceres a mediter les misteres du Rosaire, prenant ou les joyeux, ou les douloureux, ou les glorieux, ou mesme quelque autre devot sujet, tel que Dieu vous inspirera, vous entretenant en la meditation d'iceluy pendant que vous dites la premiere dizaine; et me semble encor estre plus utile de s'y entretenir quelque peu avant que de la commencer.

  A026002428 

 Et apres, dires l'Orayson dominicale, par laquelle doivent commencer toutes vos oraysons, comme estant la plus excellente que nous puissions faire; et ensuite vous dires les dix Ave Maria, continuant en cette maniere de dire les cinq dizaines d'une partie du Rosaire..

  A026002429 

 Et passant aux trois petitz grains suivans, vous salueres la Sainte Vierge, la suppliant, au premier, d'offrir vostre entendement au Pere eternel, affin que vous puissies a jamais considerer ses misericordes; au second, vous la supplieres d'offrir vostre memoire au Filz, a ce qu'a jamais vous ayes souvenance de sa Passion; au troysiesme, vous la supplieres d'offrir vostre volonté au Saint Esprit, affin qu'a jamais vous puissies estre enflammé de son saint amour.

  A026002430 

 Puys, vous signant et baysant la croix, mettes vostre chapelet a la ceinture, comme une sainte marque par laquelle vous voules protester que vous voules estre serviteur du tout dedié au service du Sauveur et de sa sainte Mere, disant devotement ces paroles de David: Servus tuus sum ego, et filius ancillæ tuæ.

  A026002588 

 Ayant d'abord fléchi les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ en toute humilité, que Votre Excellence lève au Ciel les yeux de son âme et s'imagine voir ce grand Père des lumières, Dieu, assis sur le trône de sa gloire, entouré de millions d'Anges et de Séraphins; puis, avec une grande foi, respect et amour, faites cette prière que Jésus-Christ nous a enseignée, et adressez-lui ces sept demandes qui y sont contenues.

  A026002589 

 Ensuite, je commenterai le Notre Père plus amplement que ce que je communiquai autrefois de bouche à Votre Excellence..

  A026002589 

 Et afin que la chose soit rendue plus facile à Votre Excellence, je mettrai ici quelques points à méditer sur chaque parole du Notre Père, comme vous me l'avez demandé par vos lettres.

  A026002593 

 Premièrement: que Votre Excellence considère ce que Dieu lui a donné, le faisant son fils adoptif, et il veut pour cela qu'elle le nomme Père.

  A026002593 

 Un pauvre berger qui garde ses brebis dans les champs s'estimerait heureux et bien fortuné si Votre Excellence l'adoptait pour fils et pour son héritier; bien plus, etc. Nous pouvons [378] dire à bon droit ce que David répondit au roi Saül quand il lui offrit pour épouse sa fille [Mérob]: Qui suis-je et qu'est-ce que ma vie, qu'est-ce que la famille de mon père en Israël, pour que je devienne le gendre du roi? Et qui suis-je, ô Dieu du Ciel, pour que vous me vouliez pour votre enfant et que vous vouliez que je vous appelle Père?.

  A026002594 

 Vous pouvez exciter l'espérance d'obtenir tout ce que vous demanderez, pour grand qu'il soit, car le père ne refuse rien à son fils de ce qu'il lui demande, si la chose demandée tourne à son avantage..

  A026002597 

 Enfin il faut lui demander que puisque nous nous réjouissons d'avoir un Père si bon, il nous rende tels qu'il puisse se réjouir de nous avoir pour enfants.

  A026002597 

 Lui demander que puisqu'il exerce si bien vis-à-vis de nous les offices d'un bon père, nous exercions aussi à son égard les devoirs de bons fils, qui sont l'amour, l'obéissance, le respect; que nous l'aimions tendrement et nous réjouissions d'avoir un Père si bon, si saint, si sage et si puissant, qu'il est la même bonté, sainteté, sagesse, beauté et infinie puissance; que nous obéissions à sa loi, que nous lui portions en tout lieu le respect qui lui est dû et que nous cherchions que le monde entier l'honore et le révère.

  A026002601 

 Que Votre Excellence considère que ce grand Père a voulu communiquer à tous cette très excellente dignité; c'est pourquoi il ne dit pas qu'il est Père des riches et des seigneurs, mais nôtre, c'est-à-dire de tous, même des pauvres: comme le soleil, qui darde ses rayons, sa lumière et sa splendeur sur la plus petite plante, sur la plus petite fleur qui se trouve sur une grande montagne, et sur la montagne même.

  A026002602 

 Notre, pour nous révéler que nous sommes tous frères, que nous devons aimer tout le monde, prier pour tous et observer les deux commandements auxquels se rattache toute la Loi: le premier, d'aimer Dieu parce qu'il est Père; le second, d'aimer le prochain parce qu'il est notre frère..

  A026002603 

 Notre, afin que nous soyons siens.

  A026002607 

 Je prierai ce grand Père de me rendre un ciel spirituel, afin que mon âme soit la demeure de sa très haute [381] Majesté.

  A026002609 

 C'est ce que vous demanderez.

  A026002609 

 Pour que je comprenne bien que mon âme ne doit pas embrasser la terre, mais le Ciel; qu'elle ne doit plus cheminer ayant l'affection aux choses basses et transitoires, mais s'élever aux choses du Ciel, afin que notre conversation soit dans les Cieux, où nous avons pour Père Dieu lui-même.

  A026002611 

 Sur la première demande: Que voire Nom soit sanctifié.

  A026002613 

 Demander d'abord que son saint N'om soit sanctifié; c'est-à-dire que Dieu lui-même soit connu, aimé, adoré, honoré, glorifié et exalté dans le monde entier comme le vrai Dieu, éternel, immortel, tout-puissant, seul bon, seul saint, seul juste, seul admirable, seul digne d'être infiniment aimé.

  A026002613 

 Il faut ensuite le prier de répandre sa lumière sur tout l'orient et l'occident et sur les parties du monde où règnent les Turcs, les Maures, les Gentils, les payens et autres peuples semblables, afin qu'ils arrivent à la connaissance de son Nom très saint, qu'ils plient les genoux devant lui et devant son Fils et le Saint-Esprit, et qu'ils disent tous: Notre Père qui êtes aux Cieux, que votre Nom soit sanctifié..

  A026002614 

 Que votre Nom soit sanctifié.

  A026002615 

 Le prier de donner à tous l'entendement, afin que nous puissions comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur: la largeur de ses bienfaits, la longueur et grandeur de ses promesses, la hauteur de sa Majesté et la profondeur de ses jugements.

  A026002615 

 Que votre Nom soit sanctifié.

  A026002617 

 Sur la deuxième demande: Que votre Règne arrive.

  A026002619 

 Demander instamment qu'il vienne en nous ce céleste Royaume que son Fils béni nous a mérité par sa très sainte Passion..

  A026002620 

 Que pendant que nous sommes en cette vallée de larmes, il règne par sa grâce en notre âme et sur notre corps, et qu'il donne à l'un et à l'autre de lui obéir comme à leur Roi..

  A026002621 

 Que vienne le jugement, après lequel lui seul règnera dans ses Saints..

  A026002623 

 Sur la troisième demande: Que votre volonté soit faite en la terre comme au Ciel.

  A026002625 

 Demander que de même que les cieux, qui sont les Anges et les Saints, font toujours sa volonté, de même la terre, c'est-à-dire nous, la fassions aussi..

  A026002626 

 Que votre volonté soit faite. Cette volonté est que nous aimions Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit et de toutes nos forces, et le prochain comme nous-mêmes..

  A026002627 

 Que votre volonté soit faite, afin que nous imitions le Christ qui a dit: Non pas ma volonté, mais la vôtre soit faite.

  A026002632 

 Notre pain supersubstantiel, qui est son saint Fils dans le Saint Sacrement, afin que nous ayons le souvenir et l'intelligence de l'amour qu'il nous a porté et des choses qu'il a faites et souffertes pour nous, qui sont infinies..

  A026002637 

 Considérer qu'il veut que nous nous humiliions, confessant que nous sommes pécheurs: Si nous disons que nous sommes sans peché, nous nous séduisons nous-mêmes..

  A026002638 

 Considérer qu'il dit, debita, dettes, afin que nous comprenions que nous péchons tous en beaucoup de choses; comme on le voit dans la parabole de celui qui devait dix mille talents.

  A026002639 

 Comme nous les pardonnons, car de la même mesure que nous [aurons] mesuré, on nous mesurera..

  A026002653 

 En votre présence, les cieux, la terre et tout ce qu'ils contiennent, sont moins qu'un petit grain de sable en face du monde entier; moi, d'autre part, je suis un petit ver de terre, pécheur et enfant d'Adam pécheur, qui si souvent ai offensé votre souveraine Majesté: et cependant, vous voulez que je vous appelle Père! Oh! quelle excellence, quelle dignité me donnez-vous! Qu'il vous plaise, Seigneur, que mon âme la sache reconnaître et qu'elle vous rende les dues actions de grâce pour tant de bienfaits.

  A026002653 

 Mais parce que je ne suffis pas à cela, je prie les Anges de m'aider à louer et remercier continuellement votre Majesté..

  A026002653 

 O Père éternel, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Père des lumières, Père saint, Père très doux et aimant, Père Créateur de l'univers: quand méritai-je de vous appeler Père, moi terre, poussière et cendre, le dernier de tous vos serviteurs? Et quel bien avez-vous découvert en moi ou en quelqu'autre enfant d'Adam, pour que vous ayez voulu être notre Père? « Qui êtes-vous, Seigneur, et qui suis-je? » Vous êtes le Dieu d'infinie majesté, Roi [386] des rois, Seigneur des seigneurs, Saint des Saints, gloire des Anges et allégresse de tous les Bienheureux.

  A026002654 

 Père, je dois confesser deux choses: l'une, que ce don et ce grand bienfait vient de votre bonté infinie et de l'amour infini que vous avez pour moi; l'autre, que ce mot de Père sied bien sur les lèvres de votre Fils unique mon Seigneur Jésus-Christ, qui est votre Fils par une étemelle et consubstantielle génération, mais sur les miennes, moi qui suis un si grand pécheur, il ne sied pas, il ne convient pas, je ne mérite pas, Seigneur, un si grand bien.

  A026002655 

 Ce mot m'atteste l'amour immense que vous me portez, Seigneur; c'est pourquoi votre Evangéliste, émerveillé, dit: Voyez quel amour le Père nous a témoigné, que nous soyons appelés enfants de Dieu, et que nous le soyons en effet.

  A026002655 

 Il m'apprend aussi et m'avertit également que je dois vous aimer de tout mon cœur: Je vous aime, Seigneur, ma force, mon rocher, mon refuge, mon libérateur et mon Père.

  A026002655 

 Quel fils ingrat peut-on trouver au monde, qui ayant un Père bon, saint, doux, glorieux et aimant comme vous l'êtes, il ne l'aime pas? O Père, où trouverons-nous quelqu'un qui soit aussi bon, aussi saint, aussi doux et aimant que vous l'êtes? Donc, Père, que de mon cœur soit chassé tout autre amour, qu'il soit enflammé, afin qu'entre vous, mon Père, et moi votre enfant il y ait un continuel amour réciproque..

  A026002656 

 Je sais, mon Père, que vous pouvez et que vous voulez; vous pouvez, parce que vous êtes tout-puissant; vous voulez, parce que vous êtes tout bon.

  A026002657 

 Revêtez-moi, ô Père, vous qui revêtez le ciel de tant d'étoiles et la terre de tant de fleurs; donnez-moi la robe nuptiale de la charité, afin que je puisse paraître à vos noces; la robe de l'obéissance, afin que j'obéisse à vos commandements et à vos lois; la robe de l'humilité, afin que je sois agréable à vos yeux.

  A026002658 

 Je vous demande ensuite, ô bon Père, que vous daigniez exercer envers moi les offices de père.

  A026002658 

 Je vous demande, Seigneur, la verge avec votre miséricorde; brûlez, tranchez ici-bas, afin que vous me pardonniez dans l'éternité.

  A026002658 

 Que la pourriture entre dans mes os et qu'elle me consume au-dedans de moi, afin que je sois en repos au jour de la tribulation et que je me joigne à notre peuple pour marcher avec lui; je vous prie, ô bon Père, que dans ces os entre la pourriture, c'est-à-dire que, comme un autre Job, mon corps soit couvert de plaies et flagellé, pourvu que mon âme soit en repos au jour de la tribulation, qui est celui de la mort, et soit du nombre de vos enfants qui sont ce peuple céleste, ceint de gloire et de béatitude..

  A026002660 

 Et moi, que dirai-je? Père, vous m'avez fait entendre des paroles de joie et d'allégresse; oh! quelle est ma joie, quelle mon allégresse lorsque cette douce parole, Père, résonne à mes oreilles! Mon âme humiliée, mes os anéantis à cause de la multitude de mes péchés, se récréent et prennent une nouvelle vigueur entendant cette parole: Père.

  A026002660 

 Que les riches se réjouissent de leurs richesses, les puissants de leur puissance, les sages de leur sagesse: pour moi, je me réjouirai dans mon Seigneur, parce qu'il est Père et notre Père.

  A026002660 

 Quelle plus grande joie puis-je avoir que de me ressouvenir que j'ai un Père si bon, qu'il est la bonté même; si saint, qu'il est la sainteté même; si sage, qu'il est la sagesse même, et enfin si puissant, qu'il peut toutes choses au Ciel, sur la terre et dans les abîmes.

  A026002660 

 Seigneur, que mon esprit tressaille en vous, ô Dieu notre Sauveur et notre Père..

  A026002661 

 Chaque jour, ô Père, vous préparez la table et faites le festin pour le monde entier, et je participe toujours à ce festin; chaque jour vous faites [391] que le soleil nous éclaire, nous vos enfants, et le soir vous cachez cette belle lampe et il semble en certaine façon que vous éteigniez cette belle lumière afin que nous, vos enfants, puissions reposer et prendre le sommeil; vous occupez, Seigneur, le ciel et la terre à mon service, et vous m'avez même confié aux soins des Anges: tout cela afin que j'obtienne l'héritage réservé à vos enfants, qui est le Royaume des Cieux.

  A026002662 

 Enfin, ce mot de Père m'encourage, afin que lorsque je tomberai je coure me jeter dans vos bras avec contrition, car je serai reçu bien plus amoureusement que l'enfant prodigue.

  A026002662 

 Et maintenant, me souvenant des fautes passées, je cours vers vous, Père, et je dis: Père, j'ai péché contre le ciel et contre vous, je ne suis pas digne d'être appelé votre fils; traitez-moi comme l'un de vos mercenaires. Ou bien, Père, parce que je connais votre miséricorde et l'amour que vous me portez, venez à ma rencontre, ouvrez les bras de votre miséricorde, embrassez cet enfant prodigue, donnez-moi la robe d'innocence, l'anneau de la foi vive, les souliers des exemples de vos Saints que je dois imiter.

  A026002663 

 Il suffisait à l'apôtre Paul de savoir seulement et de comprendre [ Jésus-Christ ] crucifié; et à moi il suffit de savoir et de comprendre cette parole: Père, parce que la comprenant, je saurai que vous m'avez pris pour votre fils adoptif, qui est la plus grande dignité qui existe au Ciel et sur la terre après celle de fils naturel, qui appartient en propre à votre Fils unique et mon Seigneur Jésus-Christ..

  A026002663 

 Pour conclusion, ô Père, cette parole très douce est un verbe abrégé qui contient, toute douceur, comme la manne que vous donnâtes jadis à manger à votre peuple dans le désert; et moi, je suis heureux que ce mot, Père, soit une nourriture très savoureuse pour mon âme.

  A026002667 

 Il me semble, Seigneur, que vous êtes comme le soleil qui communique sa lumière et envoie ses rayons à la plus petite fleur de la montagne comme à la montagne même; ainsi vous, mon Seigneur, communiquez également votre nom si doux de Père aux grands et aux petits, aux riches et aux pauvres, et vous voulez que pour cela nous vous appelions nôtre..

  A026002668 

 Dans ces deux mots: Notre Père, vous me découvrez, Seigneur, un autre grand mystère: c'est que vous voulez que j'aime beaucoup votre sainte loi d'amour et de charité, car vous l'avez toute ramenée à votre amour et à l'amour du prochain.

  A026002668 

 Par la première parole, Père, vous me demandez l'amour pour votre très souveraine Majesté; par la seconde, notre, vous me demandez d'aimer mon prochain, puisque vous me le donnez pour frère et vous voulez que je prie pour lui..

  A026002669 

 Enfin vous êtes notre Père parce que, après cette vie de travaux et de pénitence, vous nous préparez une vie de repos et d'éternelle béatitude..

  A026002669 

 Vous êtes notre Père, parce que vous nous avez créés: Vos mains Seigneur, m'ont formé; N'abandonnez pas l'ouvrage de vos mains. Vous êtes notre Père parce que vous nous avez achetés avec le précieux sang de votre Fils, l'Agneau immaculé, notre Christ Jésus, avec qui nous avons été adoptés pour vos enfants.

  A026002669 

 [394] Vous êtes notre Père parce que vous nous consolez très suavement dans cette vallée de larmes.

  A026002670 

 Enfin vous êtes notre Père parce que vous vous employez tout entier pour nous, si pauvres, et parce que vous nous avez tout communiqué en ce monde dans le Très Saint Sacrement; et puis, au Ciel, vous vous communiquerez plus manifestement, nous découvrant votre bienheureuse essence, les trésors infinis de votre béatitude et la gloire de votre Majesté.

  A026002670 

 Faites donc, je vous en prie, ô Père, que puisque vous êtes tout nôtre, je sois aussi votre enfant; vous, Père, et moi fils.

  A026002674 

 Je sais, Seigneur, que vous êtes partout et que les cieux et la terre sont pleins de votre gloire; et même je sais, Père, que vous tenez l'univers dans vos mains et que vous le conservez, car s'il en était autrement, toutes choses retourneraient dans le néant d'où [395] vous les avez tirées.

  A026002674 

 Quand sera-ce, ô Père, que mon âme sera comme un ciel, élevée de la terre par la force de l'amour; ornée d'autant de vertus que le ciel contient d'astres et d'étoiles; ferme et forte en votre service, sans jamais tomber, ainsi que les cieux qui ne tombent pas, afin qu'elle soit toute belle et agréable devant votre face et que vous, Père, daigniez y habiter comme en un ciel très beau? je vous demande encore, ô Père, qu'afin que mon âme soit un ciel et la demeure de votre très souveraine Majesté, elle puisse se mouvoir comme les cieux, selon le mouvement du premier moteur.

  A026002674 

 Vous êtes le premier et souverain Moteur; que mon âme n'ait de mouvement que par votre sainte volonté, afin qu'en toutes choses elle se rende conforme à votre vouloir..

  A026002675 

 Donnez-moi, ô Père, cette grande lumière, afin que je vous connaisse comme les Anges et votre serviteur François, vous, mon Dieu, d'infinie vertu, de puissance infinie, de sagesse infinie et de beauté infinie.

  A026002675 

 Faites, ô Père, que je sois un ange et un saint par grâce, afin que je devienne participant de si grands biens et que mon entendement soit éclairé pour vous connaître.

  A026002675 

 Vous êtes, Père, dans les Anges et dans les Saintz, et vous les enflammez du feu d'un ardent amour, afin qu'ils vous aiment parfaitement, car vous êtes ce feu [396] qui consume toute imperfection: Vous rendez vos Anges aussi prompts que les vents et des flammes de feu vos serviteurs. Vous êtes, Père, dans vos Anges et dans vos Saints, les comblant de béatitude afin qu'ils soient éternellement heureux, car vous êtes la béatitude, la gloire, le repos de cette glorieuse assemblée.

  A026002676 

 Avec ce grand feu, embrasez mes affections, afin que je n'aille plus mendier les choses viles de la terre, mais qu'entraîné par sa vertu je cherche les choses éternelles du Ciel..

  A026002676 

 Je vous demande aussi, ô Père, que vous daigniez embraser mon cœur du feu du Saint-Esprit, comme vous embrasez les Anges au Ciel, et de même que vous embrasâtes sur la terre les cœurs des Apôtres le saint jour de la Pentecôte.

  A026002676 

 Lancez d'en haut le feu dans mes os; que ce feu, Père, pénètre jusqu'à la moëlle de mon âme, afin que les grandes eaux de la tribulation ne puissent éteindre la charité.

  A026002677 

 Donc, notre Père qui êtes aux Cieux, donnez-moi l'amour des choses célestes, afin qu'aimant celles-là je méprise les choses de la terre et que tout mon amour soit en vous, notre Père du Ciel..

  A026002677 

 Père saint, il est bien juste que puisque vous, mon Dieu, mon Père et mon héritage êtes au Ciel, je ne cherche ni ne m'embarrasse plus de la terre; qu'ai-je à faire de la terre, ô Père, puisque tout mon bien, tout mon trésor est au Ciel? Si vous, mon Père, êtes au Ciel, il suit de là que moi, votre enfant, je suis étranger dans ce monde et que je marche toujours vers ma patrie, qui est le Ciel.

  A026002677 

 Si le pèlerin, quand il marche, a le corps sur la route et l'âme en la douce patrie, chaque heure lui semblant mille ans pour le désir qu'il a de l'atteindre et de voir son cher père et ses très doux frères, pourquoi n'en sera-t-il pas ainsi de moi? Pourquoi, notre Père, mon âme ne converse-t-elle pas dans les Cieux comme l'âme de votre saint Apôtre qui disait: Notre conversation est dans le Ciel, et pourquoi chaque heure de cet exil ne me semble-t-elle pas mille ans? pourquoi ne désiré-je pas voir mes chers frères, qui sont [398] les Anges et les Saints? pourquoi, Père, ne réputé-je pas toutes les choses de cette vie, basses, viles et indignes d'y attacher mon cœur, puisque je suis créé pour posséder les biens du Ciel? Il est hors de doute, ô Père, que ce serait un grand déshonneur pour le fils d'un grand prince ou d'un roi d'étriller de ses mains les chevaux ou, avec les mêmes mains, ramasser les immondices et le fumier dans les rues; mais c'est un bien plus grand déshonneur pour moi de ce que sachant, ô Père céleste, que vous m'avez adopté pour votre fils et que vous me préparez des biens infinis, des richesses inestimables et même le royaume du Ciel, je m'abaisse et me rende méprisable en recherchant les choses viles et basses de ce monde.

  A026002678 

 Je vous demande enfin, ô Père, que de même que vous remplissez les deux, qui sont les Anges et les Saints, de gloire, de même vous daigniez remplir mon âme, lorsque, quittant ce monde, elle se présentera devant vous, afin qu'elle soit un « Ciel plein de votre gloire.

  A026002680 

 Sur ces mots: Que votre Nom soit sanctifié.

  A026002682 

 Découvrez, ô Père, et communiquez à toutes les nations cet aimable Nom, afin que toutes s'embrasent et s'enflamment de votre saint amour.

  A026002682 

 O Père éternel, faites, je vous en prie, que ce Nom si doux et suave soit connu dans le monde entier.

  A026002682 

 Que l'orient, l'occident et les autres parties du monde sachent que vous êtes Père, que Jésus-Christ est votre Fils unique, coéternel et consubstantiel, et que tous peuvent être vos enfants d'adoption.

  A026002683 

 Faites, ô Père, que mon âme et celles du monde entier aient toujours une plus claire connaissance de votre Majesté.

  A026002683 

 Père, avec tous les saints, quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur: nous connaissons la largeur de vos bienfaits envers nous, qui est plus vaste que la mer et la terre; la longueur de vos promesses, [400] qui sont infinies; la hauteur de votre Majesté, qui est immense; la profondeur de vos jugements, qui sont un abîme..

  A026002683 

 Que votre Nom soit sanctifié.

  A026002684 

 Donc, ô Père, que votre Nom soit sanctifié; daignez faire de moi un saint, afin que je ne cesse de bénir votre souveraine Majesté et que le monde, voyant que je suis occupé à vous louer et à vous bénir, vous glorifie, ô notre Père, et sanctifie votre Nom qui est béni dans les siècles des siècles.

  A026002684 

 Que votre Nom soit sanctifié.

  A026002686 

 Sur ces paroles: Que votre règne arrive.

  A026002689 

 O Père saint, que votre règne arrive, parce que c'est dans ce but que vous avez créé nos âmes; que votre règne arrive, parce que c'est pour cela que vous avez voulu que votre Fils mourût sur l'arbre de la croix; que votre règne arrive, pour que je bénisse votre nom: les justes sont dans l'attente de la justice que vous me rendrez; vos Anges et tous les Saints désirent ce jour, parce qu'il découvrira en vous, Père, un abîme d'infinie beauté, de puissance infinie; c'est pourquoi ils désirent ardemment avoir de nombreux compagnons qui les aident à louer et à aimer votre souveraine Majesté..

  A026002690 

 Dans votre bonté, Seigneur, répandez vos bienfaits sur Sion et que les murs de Jérusalem soient bâtis. Voyez, ô Père, une [402] bonne partie des murs de votre Jérusalem sont tombés jusqu'au profond de l'enfer; recueillez-nous dans votre bonté, ô Père saint, et placez-nous dans cette glorieuse cité, afin que vous puissiez achever de bâtir ses saintes et bénites murailles..

  A026002691 

 Comme les pèlerins désirent la dernière journée qui terminera leur voyage et où ils retrouveront leur ville et leurs demeures, ainsi nous désirons que votre règne arrive, afin que s'achève notre pèlerinage et que nous entrions dans le séjour que vous nous avez préparé dans votre saint royaume..

  A026002691 

 Que votre règne arrive: Père saint, bannis de votre royaume, nous sommes « dans cette vallée de larmes.

  A026002691 

 » Faites, ô Père, que nous y revenions.

  A026002692 

 Que votre règne arrive: nous sommes en guerre; faites, Seigneur, que nous remportions la victoire, afin que nous obtenions le prix qui est votre saint royaume.

  A026002692 

 Vous êtes juste, Seigneur, vous serez trouvé juste dans votre sentence. Vous nous avez promis votre royaume; je vous prie donc humblement de ne pas regarder nos démérites, mais le sang précieux de votre Fils bien aimé Jésus-Christ Notre-Seigneur: Regardez, Père, la face de votre Christ, et que par votre Christ votre règne arrive.

  A026002693 

 Donc, ô Père éternel qui êtes aux Cieux, afin que je puisse jouir de votre glorieuse présence et voir la gloire de votre Majesté, pour la louer, aimer et bénir [et [404] être enfin, logé parmi] vos fils, je vous prie humblement, qu'une fois dépouillé de mon enveloppe mortelle, votre règne arrive..

  A026002693 

 Que votre règne arrive. Oh! jour heureux! Oh! heure bénie! Quand sera-ce, ô Père, que ce jour s'approchera et que viendra cette heure? Quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant votre face? Quand verrai-je, ô Père, les murs de votre royaume, travaillés avec des pierres précieuses? Quand frapperai-je à tes portes, ô céleste Jérusalem? Quand verrai-je tes riches palais? quand jouirai-je de tes beaux jardins revêtus de fleurs éternelles? quand m'abreuverai-je à tes sources de vie? O Père saint, quand verrai-je dans votre royaume ces innombrables légions d'Anges et de Saints pleins de gloire, ces chœurs de vierges qui, les palmes à la main, chantent et suivent votre Agneau? Quand donc mes oreilles entendront-elles la douce musique, l'harmonie des Anges et le concert des Saints qui tous chantent devant vous: Saint, Saint, Saint le Seigneur, Dieu des armées? Que vos tabernacles sont aimables, ô Seigneur des armées! O Dieu des Anges, qu'ils sont beaux, qu'ils sont aimables vos tabernacles! Mon âme s'épuise en soupirant après les parvis du Seigneur; mieux vaut un jour dans vos parvis que mille [loin de vous].

  A026002694 

 Dans ce royaume vous voulez régner; je vous le rends, ô Père, je vous le donne, qu'il soit bien vôtre, puisqu'en réalité il est vôtre; que je ne l'usurpe pas, que je ne le livre plus au démon, au monde ni à la chair, qui sont de très cruels tyrans, mais à vous qui en êtes le vrai Seigneur.

  A026002694 

 Donc, ô Père, que votre règne arrive.

  A026002694 

 Que votre règne arrive.

  A026002694 

 Régnez dorénavant en mon âme: en ma mémoire, afin qu'elle se souvienne toujours de vous; en mon intelligence, afin qu'elle considère toujours votre bonté infinie et votre grandeur; en ma volonté, afin que sans cesse elle vous aime, vous loue et vous bénisse.

  A026002694 

 Régnez, ô Père, en mon corps et en tous ses sens, afin qu'il s'emploie tout entier à votre saint service et que je sois un royaume où votre Majesté règne paisiblement dans les siècles des siècles..

  A026002696 

 Sur ces paroles: Que votre volonté soit faite sur la terre comme au Ciel.

  A026002699 

 Faites, ô Père, que de même qu'en cette terre des vivants, qui est le Ciel, tous les Anges et les Saints font votre divine volonté, ainsi sur cette terre des mourants, qui est ce monde, mon âme fasse votre sainte volonté.

  A026002699 

 Je dirai, ô Père, avec votre Fils bien aimé Notre-Seigneur Jésus-Christ: Père, non pas ma volonté, mais la vôtre soit faite; Père, non ce que je veux, mais ce que vous voulez; [406] Père, que votre volonté soit faite sur la terre comme au Ciel..

  A026002699 

 Père saint, ôtez de mon âme, je vous prie, la volonté propre et greffez en elle la vôtre, afin que toujours votre volonté se fasse et jamais la mienne.

  A026002699 

 Père, je vous prie aussi que votre très sainte volonté soit faite [405] sur la terre comme elle se fait au Ciel.

  A026002699 

 Votre volonté, ô Père, est sainte et bonne; la mienne est mauvaise et sensuelle: que voire volonté, donc, soit faite sur cette terre de mon âme comme au Ciel.

  A026002700 

 Je vous prie aussi, Père, que de même que les esprits angéliques, signifiés par les cieux, font toujours votre très sainte volonté, de même l'âme des pécheurs, représentés par la terre, fasse aussi ce qui est de votre volonté, car de cette manière ils ne vous offenseront plus..

  A026002701 

 Je vous demande avec instance, ô Père, que votre volonté soit faite en moi et en tous, parce que je suis sûr que votre volonté est que nous soyons tous des saints.

  A026002701 

 Que votre volonté soit donc faite en moi, afin que je sois saint..

  A026002701 

 Soyez saints, car je suis saint; et: Ce que je veux, c'est votre sanctification. O Source de toute sainteté, faites-nous saints, car telle est votre volonté.

  A026002702 

 La joie des Anges, le désir des Saints et la consolation des justes sont en cela: que votre volonté soit faite.

  A026002702 

 Père saint, que votre volonté soit faite sur la terre comme au Ciel.

  A026002702 

 Père, c'est cela que je veux, que je demande, que je désire de tout mon cœur, que votre volonté sainte soit faite en moi.

  A026002702 

 Que l'accomplissement de votre volonté soit le plaisir, le contentement, la joie de mon âme en tout lieu et en tout temps; car je sais, Père, qu'il est plus utile à mon âme de souffrir tous les tourments du monde, si telle est votre volonté, que de jouir de tous les divertissements et plaisirs des enfants d'Adam.

  A026002702 

 Que votre volonté soit faite sur la terre comme au Ciel; je vous prie donc, 6 Père, que votre volonté soit faite en moi..

  A026002702 

 « Votre volonté est que je sois ferme dans la foi, humble dans la conversation, modeste dans mes paroles, juste dans mes actions, miséricordieux avec les nécessiteux, bien réglé dans mes mœurs; que je ne lasse injure à personne, que je supporte tous les hommes, qu'avec tous je garde la paix, que je vous aime comme Père, que [407] je vous craigne comme Père.

  A026002702 

 » Que votre volonté soit faite.

  A026002703 

 Enfin, ô Père, vous et votre Fils bien aimé m'avez déclaré votre volonté quand celui-ci a dit: Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit et de toutes vos forces, et votre prochain comme vous-même. O Père, puisque votre volonté est que je vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces, donnez-moi, ô Père, de faire « ce que vous ordonnez et ce que vous voulez.

  A026002703 

 Je vous offre, ô Père, mon âme pour autel; faites que le feu de votre amour brûle sans cesse en elle.

  A026002708 

 Donnez-nous, ô Père, notre Pain supersubstantiel, votre Fils unique Jésus-Christ Notre-Seigneur [409] dans le Très Saint Sacrement, afin que par ce Pain nous soyons nourris dans la vie spirituelle, nous croissions dans la vertu et nous soyons tellement fortifiés, que nous puissions faire le voyage en cette vallée de larmes, jusqu'à la montagne de Dieu, à Horeb.

  A026002708 

 Oui, Père, les enfants ont besoin de pain; ne nous le refusez pas, de peur que nous ne mourions.

  A026002708 

 Père saint, ce Pain est celui que votre Fils nous a apporté, ce sont les choses merveilleuses qu'il a opérées, prêchées, endurées; faites, ô Père saint, que pendant la durée de ce pèlerinage, cette manne céleste ne vienne jamais à nous manquer et que nous goûtions son immense suavité..

  A026002709 

 Les yeux de tous les êtres sont tournés vers vous dans l'attente, Seigneur, et vous leur donnes la nourriture en temps opportun; les yeux de vos enfants vous regardent, ô Père, et demandent ce Pain de vie, parce que par lui on mène une vie céleste.

  A026002709 

 Me voici bien affamé, ô notre Père; écoutez ce mot que je vous adresse: Du pain, Père, du pain! Daignez donc, Père saint, ouvrir les entrailles de votre miséricorde, et puisque vous le pouvez, secourez-moi et donnez à votre enfant le pain de votre grâce et le Pain supersubstantiel du Très Saint Sacrement..

  A026002709 

 Moi donc, Père, l'un de vos enfants, bien que d'ailleurs indigne, grand par les années, mais très petit en mérites, affamé et besogneux, je vous demande le pain.

  A026002709 

 Or, Père plein de pitié, souvenez-vous que lorsque les petits enfants demandent du pain à [410] leur père, surtout s'ils ont bien faim, ils crient de toutes leurs forces ce mot: Pain, pain! et avec ce mot, comme avec autant de flèches, ils blessent le cœur de leurs pères qui, sur la terre, cherchent du pain pour le donner à leurs enfants.

  A026002711 

 Enfin, Père, je suis maintenant sous la table de votre haute Majesté, où mangent une multitude d'Anges et de Saints; agenouillé devant votre face royale, humilié en votre présence comme les petits chiens qui sont sous la table de leurs maîtres guettant les miettes qui en tombent, daignez m'honorer de cette suavité, de cette douceur que goûtent les Bienheureux à votre table, afin que [411] dans mon oraison je goûte quelque chose de ce que goûtent vos enfants au Ciel.

  A026002711 

 Faites, ô Père, que mon oraison ne soit pas aride et sèche, mais douce et suave, avec le pain de vos consolations et de vos visites..

  A026002716 

 Je reconnais, ô Père, que les dettes sont nombreuses (dix mille talents), parce [412] que j'ai péché contre toute votre loi; mais les richesses de votre miséricorde les surpassent infiniment.

  A026002716 

 Père, nous sommes pauvres et pleins de dettes; vous, vous êtes riche et notre créancier; il faut que le riche remette au pauvre ses dettes: remettez-nous donc nos dettes.

  A026002716 

 Quel est le père qui ne remettrait pas à son fils tombé en grande pauvreté n'importe quelle dette, si humblement il le lui demandait? Et qui donc, ô Père saint, est un fils plus pauvre et plus chargé de dettes que moi? Voici que, comme un autre publicain, humblement je vous prie: remettez-moi tant de dettes de péchés par lesquels je vous ai offensé; « O Dieu, dont le propre est de faire toujours miséricorde et de pardonner, » ayez pitié de ce pauvre enfant et remettez-moi toutes mes dettes.

  A026002716 

 Souvenez-vous, ô Père, de vos miséricordes qui sont éternelles, et de même que vous avez usé de miséricorde à l'égard de tant de vos serviteurs, daignez me remettre tous mes péchés..

  A026002717 

 Enfin je vous prie, Père saint, par votre miséricorde infinie, par la vertu de cette Passion que votre Fils bien aimé endura sur le bois de la croix et par les mérites et l'intercession de la Bienheureuse Vierge et de tous les élus qui existent depuis le commencement du monde, de daigner nous remettre nos dettes.

  A026002717 

 Je me rappelle, ô Père, que vous vous êtes souvenu de votre serviteur David et que vous lui avez pardonné sa grande faute.

  A026002717 

 Je me souviens, ô Père, que votre bien aimé Fils, étant en ce monde, regarda d'un œil de pitié son Apôtre quand il le renia et Madeleine quand elle se convertit, et enfin qu'il recevait tous les pécheurs à pénitence et mangeait avec eux.

  A026002717 

 Je sais, ô Père, que tous mes péchés, pour nombreux qu'ils soient, et tous ceux du monde entier, sont devant votre miséricorde comme un brin de paille en présence d'un grand feu.

  A026002717 

 Un abîme appelle un autre abîme; le fils de la misère invoque [le Père des miséricordes.] Que l'abîme absorbe un autre abîme; que l' abîme, mes misères infinies, soit absorbé par l' abîme.

  A026002717 

 Voilà, ô Père, que votre miséricorde se rencontre avec le plus grand pécheur entre tous les pécheurs, avec celui qui a plus de dettes qu'aucun autre enfant d'Adam: effacez mes péchés, remettez-moi la grande somme de mes dettes et passez toujours plus avant pour chercher les autres débiteurs.

  A026002717 

 Vous avez mis, Seigneur, des bornes à la mer, mais vous avez laissé sans bornes votre miséricorde, afin que toujours elle aille chercher les pécheurs chargés de dettes pour leur pardonner.

  A026002717 

 Vous n'êtes point changé; vous étiez autrefois le Dieu très miséricordieux, vous ne l'êtes pas moins maintenant; vous êtes le même Dieu que jadis, votre miséricorde n'est pas finie puisqu'elle est infinie; elle ne s'est point arrêtée puisqu'elle n'a point d'arrêts et que, plutôt, on fermerait le Ciel; elle n'a pas cessé, puisque de même que le feu opère toujours tant qu'il y a de la matière à consumer, ainsi votre miséricorde, tant qu'il y a des péchés à brûler et des dettes à remettre.

  A026002718 

 Je vous prie aussi, ô Père, de me donner assez de vertu et votre grâce pour que je puisse parfaitement pardonner à ceux qui m'ont offensé; et si vous trouvez dans mon cœur quelque reste d'imperfection contre ceux qui m'ont offensé, vous, Père, par le feu de votre charité, faites-le disparaître, brûlez-le, faites que nulle trace ni ombre de rancune demeure dans mon cœur, afin que je puisse dire en toute vérité: Pardonnez-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés..

  A026002722 

 Donnez les moyens, portez secours, 6 Père; les ennemis sont aussi nombreux que le sable de la mer et expérimentés dans le combat; mon âme est languissante, faible, impuissante si vous ne venez à son aide.

  A026002722 

 O Seigneur, que cette pauvre âme a besoin de votre grâce, de votre secours, de votre assistance pour ne pas succomber aux tentations! Une petite brebis [415] au milieu des loups se perd si le berger ne la sauve; ainsi, Père, cette âme au milieu de tant de loups qui l'assaillent dans un monde où elle est sollicitée par mille occasions de péchés, avec la chair qui continuellement la combat, que fera-t-elle sans votre secours?.

  A026002723 

 Faites, Seigneur, que, comme l'or dans la fournaise devient plus beau, ainsi mon âme jetée dans la fournaise des tribulations, devienne plus pure, lumineuse et resplendissante.

  A026002723 

 Je ne demande pas que vous me délivriez des tentations, ô Père, mais je vous demande la grâce et la force pour résister et combattre énergiquement.

  A026002723 

 Ne nous induisez donc pas en tentation, ô Père, afin que nous n'offensions pas une telle Majesté..

  A026002723 

 Par amour pour vous, je veux bien avoir des tribulations et des angoisses en ce monde, pourvu que dans les tribulations mon âme ne défaille pas.

  A026002723 

 Que je sois plutôt comme vos Saints qui, en ce monde, jetés dans les flammes et le feu, restèrent forts et fermes, et ensuite, comme des pierres précieuses, en sortirent avec plus de splendeur et de lumière.

  A026002727 

 Père saint, je reconnais vos miséricordes sur moi, car vous m'avez préservé de beaucoup de maux que j'avais mérités par mes péchés; autant de fois que je péchai, autant de fois je méritai ce mal infini qui est la damnation éternelle.

  A026002727 

 Qu'ils sont nombreux, Père, ceux qui ont encouru ce malheur! Ils avaient commis moins de péchés que moi; et combien, parce qu'il ne leur fut pas donné, comme à moi, le loisir de faire pénitence, moururent misérablement dans leurs péchés et se perdirent! Je vous en prie, ô Père, délivrez-moi désormais de toute faute, afin que j'échappe aux peines de l'enfer; faites, Seigneur, que je ne vous offense plus; vous avoir offensé dans le passé est bien suffisant.

  A026002727 

 Que mes péchés, Seigneur, ne se multiplient pas comme le sable de la mer et les étoiles du ciel; que l'enfer ne m'engloutisse pas et que la fosse ne se ferme pas sur moi.

  A026002728 

 Que d'aveugles, que de sourds, que de muets, que de paralytiques sont au nombre des enfants d'Adam! et vous, Seigneur, m'avez préservé de tous ces maux, bien que je fusse comme eux enfant d'Adam, et pécheur plus qu'eux tous; cependant, cela me servirait de peu de chose ou même de rien, si vous ne me délivriez du mal du péché.

  A026002729 

 Vous m'avez délivré, 6 Père, des ténèbres et de l'aveuglement où se trouvent les Turcs, les Maures, les Juifs, les Gentils et payens, me faisant naître dans le sein de la sainte Eglise; délivrez-moi, ô Père, des ténèbres et de l'aveuglement du péché, afin que je jouisse du sang et des mérites de votre Fils béni, Jésus-Christ mon Seigneur, et que je sois compté parmi vos enfants, qui sont les fils de la lumière dans votre Royaume..

  A026002730 

 Ne me regardez pas, ô Père, moi qui suis le plus grand de tous les pécheurs, mais regardez votre Fils très saint et béni, le plus grand de tous les Saints, voire le Sanctificateur d'eux tous; et par l'amour que vous lui portez, accordez-moi ce qu'il m'a ordonné de vous demander..

  A026002730 

 Père, je me rappelle cette bonne femme de Thécua qui, entrant chez le roi David, lui demanda pardon pour Absalon son fils; et ce bon roi, entendant que la demande avait été ordonnée par le capitaine Joab, son bien aimé et son favori, aussitôt il lui accorda [418] la grâce qu'elle implorait.

  A026002730 

 Père, votre saint et bien aimé Fils Jésus-Christ m'a ordonné de faire cette prière et m'a envoyé à vous afin que je vous demande les grâces qui y sont contenues.

  A026002731 

 Je vous le présente, et vous prie humblement que par ses mérites et par sa très sainte Mort et Passion vous daigniez m'accorder ce que lui-même, dans cette Oraison et cette requête qui sont siennes, m'a ordonné de vous demander, afin que mon âme soit toute vôtre et qu'elle vous loue et bénisse dans les siècles des siècles.

  A026002739 

 Comme s'il vouloit dire: Souvenes vous de ce que j'ay enduré pour vostre salut, prattiques donq ce mesme mystere pour vous et pour les vostres..

  A026002742 

 O Dieu [421] de mon cœur, aydes moy a les endurer dans l'union de vos souffrances et tristesses, affin que par le merite de vostre Passion ilz me soyent rendus salutaires.

  A026002745 

 Mon Seigneur Jesus Christ, Fils de Dieu vivant, qui aves voulu estre conforté lhors que vous priies au Jardin des Olives, faites que par la vertu de vostre orayson, vostre saint Ange m'assiste tous-jours en mes prieres..

  A026002748 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves sué du sang par tous vos membres et dans l'exces de vostre douleur, lhors qu'estant reduit a l'agonie vous priies le Pere eternel au Jardin, faites que par le souvenir de vostre Passion, je puisse participer a vos douleurs divines, et qu'au lieu de sang je verse des larmes pour mes pechés..

  A026002754 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves bien voulu estre garrotté par les mains des meschans, rompes les chaisnes de mes pechés, et retenes moy tellement par les liens de la charité et de vos commandemens, que les puissances de mon ame et de mon cors ne s'eschappent point a commettre aucune chose qui soit contraire a vostre sainte volonté..

  A026002760 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves permis d'estre trois fois renié en la maison de Caïphe par le prince des Apostres, preserves moy des mauvaises compagnies, affin que le peché ne me separe jamais de vous.

  A026002763 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui par un regard de vostre amour aves tiré des yeux de saint Pierre les larmes d'une veritable penitence, faites par vostre misericorde, que je pleure amerement mes pechés, et que je ne vous renie jamais de fait ou de parole, vous qui estes mon Seigneur et mon Dieu.

  A026002772 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves souffert d'estre renvoyé d'Herode a Pilate, qui devinrent amis par ce moyen, faites moy la grace de ne pas craindre les conspirations que les meschans font contre moy, mais d'en tirer du proffit, affin d'estre digne de vous estre conforme.

  A026002781 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre couronné d'espines pour moy, faites que je sois tellement piqué par les espines de la penitence en ce monde, que je merite d'estre couronné au Ciel.

  A026002787 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre bafoué pour moy en presence des Juifz, portant les marques de leurs risees, faites que je ne ressente point le chatouillement de la vaine gloire, et que je comparoisse au jugement sous l'enseigne de ces marques mystiques..

  A026002793 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves porté la croix pour moy sur vos espaules, faites que j'embrasse volontairement la croix de la mortification et que je la porte journellement pour vostre amour.

  A026002805 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves fait couler de vos playes salutaires la fontaine de vos graces, faites que vostre sacré sang me fortifie contre les mauvais desirs et me soit un remede salutaire a tous mes pechés.

  A026002814 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui estant attaché a la croix aves recommandé vostre sainte Mere au Disciple bienaymé et le Disciple a vostre Mere, faites moy la grace de me recevoir sous vostre protection, affin que me preservant parmi les dangers de cette vie, je sois du nombre de vos amis.

  A026002817 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui mourant en la croix pour mon salut aves recommandé vostre ame au Pere eternel, faites que je meure avec vous spirituellement, affin qu'a l'heure de ma mort je rende mon ame entre vos mains.

  A026002823 

 Mon Seigneur Jesus Christ, plusieurs ont deploré leurs pechés par la consideration de vos souffrances: faites moy la grace, par les merites de vostre Passion douloureuse et de vostre Mort, de concevoir une parfaite contrition de mes offenses, et que des-ormais je cesse de vous offenser.

  A026002832 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui estes sorti victorieux et triomphant du sepulchre fermé et cacheté, faites moy la grace que resuscitant du tombeau de mes vices, je marche dans une nouvelle vie, affin que, lhors que vous paroistres dans vostre gloire, j'y paroisse aussi avec vous.

  A026002835 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves res-joui vostre chere Mere et vos Disciples apparoissant a eux apres vostre resurrection, donnes moy cette grace, que puisque je ne puis vous voir en cette vie mortelle, je vous contemple en l'autre en vostre gloire.

  A026002841 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui estes monté au Ciel en presence de vos disciples, apres avoir accompli le nombre de quarante jours, faites moy la grace que mon ame se degouste pour vostre amour de toutes les choses de la terre, qu'elle aspire a l'eternité et qu'elle vous desire comme le comble de la felicité.

  A026002844 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves donné le Saint Esprit a vos disciples perseverant unanimement en l'orayson, espures, je vous prie, l'interieur de mon cœur, affin que le Paraclet trouvant un sejour aggreable en mon ame, l'embellisse par ses dons, de ses graces et de sa consolation.

  A026002847 

 Je vous prie, par les merites de ce divin Sacrifice, de me donner l'esprit et la force de resister tous-jours a toutes les mauvaises tentations, affin que, sortant de ce monde, je sois digne du Paradis.

  A026002847 

 Mon Seigneur Jesus Christ, Fils de Dieu, mon Redempteur, je vous remercie de ce que vous m'aves fait la grace d'avoir entendu aujourd'huy la sainte Messe.

  A026002851 

 Je vous prie donq, ma bonne, gracieuse et douce Mere, qu'il vous playse de me consoler en toutes mes angoisses et tribulations, tant spirituelles que corporelles..

  A026002851 

 Vous estes ma Mere et ma Souveraine; partant je vous supplie de m'accepter pour vostre filz et serviteur, parce que je ne veux plus avoir de Mere et de Maistresse que vous.

  A026002852 

 Ayes memoire et souvenance, tres douce Vierge, que vous estes [427] ma Mere et que je suis vostre filz, que vous estes tres puissante et que je suis une pauvre creature vile et foible.

  A026002852 

 Partant je vous supplie, ma tres douce Mere, que vous me gouvernies et defendies en toutes mes voyes et actions, car helas! je suis un pauvre disetteux et mendiant qui ay grand besoin de vostre sainte protection.

  A026002853 

 Ne me dites pas que vous ne deves, car vous estes la commune Mere de tous les pauvres humains, et singulierement la mienne.

  A026002853 

 Ne me dites pas, gracieuse Vierge, que vous ne pouves, car vostre bienaymé Filz vous a donné toute puyssance, tant au Ciel comme en la terre.

  A026002854 

 Puis donq, tres douce Vierge, que vous estes ma Mere et que vous estes puyssante, comment vous excuseray je si vous ne me soulages et ne me prestes vostre secours et assistance? Voyes, ma Mere, que vous estes contrainte de m'accorder ce que je vous demande..

  A026002862 

 O bienheureuse Vierge Marie, digne Mere de Dieu et fidele Dispensatrice de toutes les graces qu'il veut nous distribuer en cette vie, je vous supplie, par l'amour de vostre cher Filz, nostre Sauveur Jesus Christ, de m'obtenir de vostre divin Espoux, le Saint Esprit, une lumiere celeste et un bon conseil pour connoistre ce que je dois faire et comment je dois me conduire pour la gloire de Dieu et l'advancement de mon salut..

  A026002872 

 Avant 1637, elle fut publiée à la suite de l' Advertissement aux Confesseurs, dans le petit volume imprimé à Lyon par Jean Charvet, 1620, ou 1615? (Voir notre tome XXIII, note (920), p. 279.) C'est de là, sans doute, que les éditeurs de 1637 l'auront tirée, sans trop examiner si elle était vraiment du saint Evêque de Genève.





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